Analyse Sémantique Du Verbe
Analyse Sémantique Du Verbe
Analyse Sémantique Du Verbe
L’ASPECTUO-TEMPORALITÉ EN FRANÇAIS. Le
cas du préfixe RE-.
Laurent Mascherin
ANALYSE MORPHOSÉMANTIQUE DE
L’ASPECTUO-TEMPORALITÉ EN FRANÇAIS.
Le cas du préfixe RE-.
THÈSE
présentée en vue de l’obtention du titre de
docteur en Sciences du langage
par
M. Laurent Mascherin
décembre 2007
Composition du jury
Je tiens tout d’abord à remercier mon directeur de thèse, Monsieur Denis Apothéloz,
pour tout le temps qu’il a consacré à mon travail, pour m’avoir fait confiance tout au long de
ce parcours et m’avoir soutenu dans tous les projets et toutes les démarches que j’ai entrepris.
Je remercie également Gilles Boyé pour son appétit contagieux de la linguistique, pour
son dynamisme et tous les conseils qu’il m’a prodigués.
Enfin, je remercie Monsieur Bernard Combettes qui a été l’initiateur de mes
recherches en linguistique en dirigeant mon mémoire de maîtrise.
Ce travail doit beaucoup au laboratoire ATILF et à Jean-Marie Pierrel qui m’ont donné
les moyens techniques, les soutiens financiers et humains pour mener à bien cette recherche.
Merci également à tous les membres du laboratoire qui ont rendu plus légers les moments les
plus difficiles, un remerciement particulier à Nicole Barre, Michèle Baermann, Jean-Luc
Benoit et Willy Stumpf.
Je remercie également l’Ecole Doctorale « Langage, Temps, Société » de l’Université
Nancy2 qui m’a octroyé une bourse de fin de thèse.
Je remercie aussi tout particulièrement Catherine Kellou et Yvon Keromnès pour leur
relecture de mon travail, ainsi que Virginie Andrée, Eva Buchi, Manu Canut, Manu Colin,
Merce Coll, Hortensia Curell, Matthieu Delatte, Zafar Ganiev, Luis Garcia Fernandez,
Laurent Gosselin, Evelyne Jacquey, Brenda Laca, Marie-Laurence Knittel, Cathy Pira,
Halima Sahraoui, Dorota Sikora, et l’ensemble des doctorants de l’ATILF pour leurs
commentaires et pour toutes les discussions que nous avons eues à différents niveaux de ce
travail ainsi que pour tout le temps qu’ils m’ont consacré.
Enfin, je remercie tous mes amis qui ne m’ont pas abandonné malgré mon caractère
évanescent de ces dernières années, ma famille qui ne m’a jamais découragé malgré leurs
moments de doutes. Et surtout, merci à Malya qui m’a accompagné tout au long de ce
parcours et avec qui tout a été possible.
à Noa,
entrée dans la vie active
Sommaire
Introduction générale.......................................................................................... 8
Conclusion........................................................................................................ 282
Annexes............................................................................................................. 288
Bibliographie.................................................................................................... 296
Introduction générale
Problématique
Cette thèse s’attache à décrire la notion d’aspect et à proposer une nouvelle lecture du
sens aspectuel des procès véhiculé par le lexème verbal. Dans ce travail, nous nous sommes
donné pour objectif d’analyser le sens aspectuel de lexèmes verbaux complexes qui, sur le
plan morphologique, sont formés par dérivation. Le sujet de notre travail se situe : d’une part,
au niveau de la recherche du fonctionnement du verbe et de son sens ; et d’autre part, au
niveau de la recherche des formes d’expression du procès (verbes, expressions prédicatives de
grandeurs variées…) et de l’aspectuo-temporalité. La question de l’aspect qui appartient au
domaine du temps a une importance primordiale dans la recherche en linguistique notamment
en raison de sa présence dans un très grand nombre de langues sous des formes
morphologiques radicalement différentes (verbes, affixes, périphrases verbales, structure
syntaxique, adverbes, …) ; et également parce que son analyse indique un mode particulier de
l’expression du temps dans le langage. Cette notion se doit d’être délimitée, autant dans les
formes qui la véhicule que dans l’interaction de ces formes au niveau des séquences
d’événements.
Mon analyse s'appuie sur les deux notions aspectuelles principales qui sont le mode de
procès (ou aspect lexical) et l’aspect morphologique (dit aussi aspect grammatical ou
aspect flexionnel). Par aspect morphologique, nous entendons, en français, l’aspect véhiculé
par la flexion verbale. Le mode de procès, hormis quelques cas particuliers, n'est pas marqué
par des morphèmes spécifiques mais, en français, il est véhiculé principalement par le lexème
verbal. Le mode de procès est tributaire de la polysémie des lexèmes verbaux, ainsi que de
facteurs discursifs et de l'aspect morphologique. Pour mettre au jour les principaux vecteurs
d'instabilité sémantique des verbes, deux directions de recherche sont explorées : la première
consiste à distinguer lexème verbal (point de vue de la langue) et prédicat verbal (point de vue
du discours) ; l’autre consiste en une exploration des rapports complexes qu'entretiennent en
discours l'aspect morphologique et le mode de procès.
Plan de la thèse
Chapitre 1 – Ce premier chapitre vise, comme dans tout travail sur l’aspectuo-temporalité, à
distinguer ce qui dans la notion générale de temps concourt à l’analyse linguistique du temps.
Dans ce chapitre, nous posons que la temporalité en linguistique ne renvoie pas à un unique
référent qui serait un temps absolu, mais au contraire qu’il faut distinguer plusieurs
dimensions temporelles. Ces dimensions sont définies d’un point de vue notionnel, et elles
sont mises en relation avec la structure morpho-sémantique des éléments linguistiques qui les
expriment. Ceci aboutit à une distinction de trois dimensions : localisation temporelle,
quantification temporelle et qualification temporelle. Cette position que nous prenons,
c’est-à-dire de lier les formes linguistiques directement aux notions temporelles, est un choix
délibéré lié au rejet de l’opposition lexique vs grammaire. Les notions linguistiques pures de
grammaire et de lexique qui sont censées expliquer l’organisation et le type de contenu des
différentes informations véhiculées par les signes linguistiques, sont contestables sur les trois
plans : sémantique, formelle et catégorielle 1 .
Chapitre 4 – Ce chapitre est consacré aux typologies du mode de procès. Les analyses de
l’aspectuo-temporalité sont nombreuses, les typologies du MDP également. Nous n’avons pas
effectué ici un résumé de toutes les approches, mais nous avons voulu montrer quatre analyses
différentes en partant de la typologie de Vendler. Ces analyses nous semblent particulièrement
représentatives des conceptions principales : sur la définition du MDP, sur les limites de
1
Nous entendons par « catégoriel » les différentes parties ou catégories du discours.
l’expression du MDP et sur le contenu des différentes valeurs du MDP. La première typologie
analysée est celle de Mourelatos, elle nous permet de questionner le statut et la définition du
MDP. La seconde typologie est celle de Verkuyl, qui dans une optique syntaxique considère
que le mode de procès est exprimé uniquement au niveau du prédicat, par la combinatoire des
différents éléments appartenant au prédicat. La troisième typologie est celle de Vet, qui prend
le parti d’une analyse sémantique du MDP en détaillant de nombreux traits sémantico-
aspectuels. Ces traits sémantico-aspectuels peuvent être attribués au lexème verbal ou au
prédicat, et ils permettent d’affiner la structure sémantique de l’aspect. Enfin, la dernière
typologie est celle de Karolak qui propose une analyse sémantico-logique du MDP en partant
de concepts logiques minimaux exprimés de manière inhérente par le verbe. Cette typologie a
pour particularité de distinguer la compositionnalité des formes et des concepts, ce qui permet
une description très fine de l’expression de l’aspect au sein des différents verbes. Le passage
par ces typologies nous permet de stabiliser la définition du MDP, de délimiter cette notion et
enfin de donner un statut linguistique aux différentes classes de MDP.
Chapitre 5 – Après avoir analysé, dans le chapitre précédent, les problèmes de délimitation du
mode de procès, nous entrons avec ce cinquième chapitre dans la détermination des
caractéristiques des procès. Ce chapitre est donc consacré à l’analyse sémantique des
différents types de procès. Pour ce faire, nous proposons une analyse qui part des trois traits
sémantiques : /±homogène/, /±télique/ et /±transitionnel/ qui sont définis sémantiquement et
déterminés par des tests de compatibilité. Les traits /±homogène/ et /±télique/ apparaissent
comme redondants car ils permettent d’effectuer les mêmes distinctions en terme de classes
aspectuelles sur le plan des classes de Vendler. Notre cadre d’analyse ne repose pas sur des
critères de compatibilité mais sur une analyse des différents sens issus de l’interaction entre le
sens aspectuel du lexème verbal et le sens des éléments servant de test qui sont
majoritairement des compléments temporels et des périphrases verbales. Nous nous focalisons
principalement sur ces trois traits car ils participent tous les trois à la détermination de la
structure du procès qui se compose d’une structure interne, de phases externes et de bornes.
Cette analyse aboutit à donner de nouveaux critères de définition des différents types de
procès, que nous adaptons aux différents types de verbes, ce qui permet d’affiner l’analyse
sémantique des classes de verbes.
Ici, nous distinguons langue et langage. La langue est un code, un système linguistique
partagé par un groupe social. Le langage est une donnée abstraite qui désigne l’ensemble des
phénomènes linguistiques. Un fait de langue, c’est-à-dire un élément constitutif du code, peut
être considéré comme un élément du langage à partir du moment où il représente une
caractéristique commune aux langues ou au système cognitif humain. Ce fait de langue peut
concerner la faculté de langage (capacité à apprendre, à utiliser une langue) ou des concepts
exprimés à travers les langues (la réflexivité, la double articulation, le fait de pouvoir
exprimer un événement éloigné dans le temps et l’espace,…) 2 . Ces universaux peuvent faire
partie du langage en tant qu’éléments inhérents au système cognitif humain (naturel) ou
indispensables à la vie de l’homme en société (culturel). Il n’existe, de fait, qu’un seul
langage qui puisse correspondre à l’ensemble des langues. De ces définitions découle une
différence majeure : le langage est universel, alors que la langue ne l’est pas (et ne l’a
probablement jamais été 3 ). Nous pouvons donc parler du langage et des langues.
En ce qui concerne le rapport entre langue, langage et temps, nous pouvons distinguer
deux postures. La première posture consiste à étudier la temporalité au travers du langage et
ensuite des langues. Ainsi, se placer dans la perspective du langage pour la linguistique de la
temporalité c’est chercher le lien entre l’homme, le langage et le temps, en postulant que le
temps est inhérent et/ou indispensable à l’homme. C’est aussi, dans ce cas, postuler un
universel temporel qui servirait de modèle à la représentation du temps dans les langues, ce
qu’on nomme couramment temps absolu. Dans cette première posture, se placer dans la
perspective de la langue c’est faire état des éléments linguistiques qui représentent le temps
tel que défini précédemment dans chaque langue. L’objectif est de faire émerger le système
temporel propre aux langues analysées, ou comment chaque langue exprime le temps ainsi
que les régularités présentes au sein du système, les impossibilités, les oppositions et le sens
des formes morphologiques et de leurs combinaisons. La seconde posture consiste à observer
tout d’abord les faits de langue et ensuite ramener les catégories notionnelles développées à
une analyse sur le plan du langage. L’analyse au travers des faits de langues consiste à décrire
les catégories grammaticales ou conceptuelles propres à exprimer « la temporalité » dans un
sens large, ce qui concourt à mettre au jour de nouvelles formes d’expression de cette
temporalité. Parmi celles-ci, la catégorie de l’aspect, dont l’apparition est récente dans le
champ d’étude de la linguistique, concurrence fortement le temps 4 . Le travail du linguiste
2
Si la faculté de langage fait indubitablement partie du langage, les concepts universels sont plus discutables et
discutés (voir Hagège (1985 : 15-35)).
3
ibid. Hagège et également Bergounioux (2005 : 38).
4
Cette démarche est le parti pris de Ducrot : « Ce qui nous intéressera c’est la façon dont l’expérience humaine
du temps est représentée à travers l’organisation linguistique des énoncés. » (Ducrot et Schaeffer 1995 : 682).
11
consiste en un va et vient permanent entre ces deux démarches méthodologiques. Notre étude
se fonde sur des éléments linguistiques concernant particulièrement la morphologie et la
sémantique. Notre « enquête » linguistique se borne à la mise au jour et à la description des
notions nécessaires à l’expression de la temporalité et à ses modes de construction.
Dans les deux démarches, il faut se mettre d’accord sur une conception minimale de la
notion de temps, ce qui passe par une rapide description du temps empirique et de ce que l’on
entend par temps linguistique. Ce tour d’horizon vise à permettre une meilleure appréhension
de ce qu’on entend par le terme de temps, et à nous questionner sur sa nature et ses
représentations cognitives : soit, parce qu’il existe une représentation universelle de la notion
de temps ; soit, parce que les recherches sur les langues ont abouti à la définition et à la
délimitation d’une catégorie « temps » propre au langage.
Les apories sur le temps soulignent les paradoxes de l’approche empirique du temps,
et les difficultés à le conceptualiser. Elles témoignent de la conscience de ce présent, et de la
difficulté à l’analyser et à le percevoir comme une réalité figée, donc apte à être décrite par les
sens. On peut notamment faire état des apories les plus couramment citées :
« Qu'est-ce donc que le temps? Si personne ne me le demande, je le sais; mais si on me le demande et
que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus. » (Saint Augustin, Confessions, XI, p.14)
« On ne peut pas vraiment parler du temps puisqu'on met du temps à parler et même à penser. Le temps
est à la fois dedans et dehors, donc il n'est pas objet. » (Jankélévitch, Le Monde, 13 Juin 1978)
« La question est donc circonscrite : comment le temps peut-il être si le passé n’est plus, si le futur n’est
pas encore et si le présent n’est pas toujours ? » (P. Ricœur, Temps et récit, Seuil, 1983, p. 23)
De ces apories, il ressort une vision linéaire d’écoulement (la flèche du temps) ou une
vision « renaissante » d’un présent perpétuel, très discuté par les philosophes :
« Il n'y a aucune constante existence, ni de notre être, ni de celui des objets. Et nous, et notre jugement,
et toutes choses mortelles vont coulant et roulant sans cesse. » (Montaigne, Essais, II, ((1595) : 12)
« Nous ne percevons, pratiquement, que le passé, le présent pur étant l'insaisissable progrès du passé
rongeant l'avenir. » (Bergson, Matière et Mémoire, PUF, ((1896) 2004 : 291)).
« Le passage du présent à un autre présent, je ne le pense pas, je n'en suis pas le spectateur, je l'effectue,
je suis déjà au présent qui va venir comme mon geste est déjà à son but, je suis moi-même le temps, un
temps qui "demeure" et ne "s'écoule" ni ne "change" comme Kant l'a dit dans quelques textes. »
(Merleau Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, (1945 : 482))
12
« le contenu propre de la représentation du temps n’est donc jamais contenu dans l’intuition
immédiate » (E. Cassirer, La philosophie des formes symboliques, ((1923-1929) 1983 : 172))
S’il est difficile de saisir le temps empirique, celui-ci a pourtant un contenu, contenu
qui le rend réel et perceptible. Tel que nous avons défini le temps empirique au début du
paragraphe précédent, c’est en quelque sorte du contenu du présent dont nous parlons ici.
Dans l’extrait ci-dessous, l’auteur Milton Santos considère que le contenu du temps empirique
est celui du changement, du nouveau :
Nous osons ainsi penser que l’histoire de l’homme sur la terre dispose finalement des conditions
objectives, matérielles et intellectuelles, pour dépasser la déification de l’argent et des objets techniques
et faire face au début d’une nouvelle trajectoire. Il ne s’agit pas ici d’établir des dates, ni de fixer des
moments sur le papier, des repères sur un calendrier. Comme l’horloge, les pages du calendrier sont
conventionnelles, répétitives et historiquement vides. Ce qui compte vraiment, c’est le temps des
possibilités effectivement créées, ce que, en tout temps, chaque génération trouve disponible, cela même
que nous appelons temps empirique, dont les changements sont marqués par l’irruption de nouveaux
objets, de nouvelles actions et relations et de nouvelles idées. (29/08/2002 La transition en marche
Milton Santos, Bibliothèque des alternatives : site Internet du FSM)
Milton Santos oppose dans ce discours une organisation matérialiste d’un temps
préprogrammé, un temps qui est celui imposé par le pouvoir, à un temps empirique plus
humain car maîtrisé par chaque individu voulant prendre son destin en main « en changeant le
monde ». Sa conception de la temporalité est induite par son discours politique qui se fonde
sur la notion de changement. Le temps préprogrammé, structuré, conventionnel fixe les règles
du mouvement et instaure un cadre rigide, imposé à toute la société. Le temps empirique au
contraire est disponible, ouvert, il appartient à chaque individu : c’est l’univers des possibles.
Par ce biais, il indique que le temps « naturel » n’est pas le temps structuré qui repose
sur des bases scientifiques, mais c’est le temps immanent relatif au changement. En d’autres
termes, il faut se libérer de l’ordre imposé pour retourner à l’ordre naturel c’est-à-dire au réel.
Pour autant, le temps du calendrier découle de la perception du temps.
Pour Aristote, le temps sans changement est un temps qui échappe à l’homme. Le
contenu du temps empirique est donc le changement et non le présent. Le présent reste une
partie du temps écoulé. Plutôt que de parler de présent, il apparaît plus juste de parler d’actuel,
nous avons donc la trichotomie : passé/actuel/futur. Au sein de cette trichotomie, l’actuel
apparaît le seul espace temporel réel, c’est-à-dire vécu en permanence par l’être humain et
sans cesse en mouvement.
13
1.3 Le temps linguistique
Le temps linguistique s’organise autour d’un axe central simple, il s’agit du moment de
l’énonciation, représenté formellement par je + maintenant où locuteur et récepteur vont
hiérarchiser et organiser les événements. Benveniste (1966a) affirme que cette particularité est
propre à toutes les langues, il s’agit donc d’une propriété du langage. A partir de cet axe,
appelé déixis temporelle, locuteur et récepteur(s) vont hiérarchiser et organiser toutes les
informations temporelles. Si l’axe central du temps linguistique est fixé, les questionnements
sur le temps linguistique portent sur ce toutes, c’est-à-dire : quelles représentations
temporelles sont induites par les langues ? Et comment sont-elles exprimées ? Nous sommes
amenés à développer deux types de questionnement qui concernent dans le premier cas la
relation entre le système de référence temporel extra-linguistique et les éléments d’expression
du temps. Dans le second cas, la question concerne les relations systémiques entre les
différents éléments linguistiques exprimant le temps. C’est autour de ces deux axes que se
joue la délimitation du temps linguistique.
Comme le relève Confais (1995 : 85), il existe deux manières d’appréhender le temps
linguistique :
- soit, les représentations temporelles dans la langue sont envisagées par rapport à un
absolu universel.
- soit, ces représentations sont envisagées par rapport à la subjectivité de
l’appréhension du monde qu’a l’humain.
La première démarche est dite onomasiologique, car elle part du concept pour analyser
les formes. La seconde est dite sémasiologique car elle part du sens des expressions pour
définir les concepts. Confais critique la première approche car le langage possède son propre
système conceptuel, il serait contradictoire de lui plaquer tout autre système de représentation
conceptuel.
Nous prenons le parti que la langue n’est pas exclusivement le reflet d’une réalité
inhérente au système cognitif humain (elle n’exprime pas une réalité absolue universelle), elle
n’est pas non plus le reflet de la réflexion humaine sur le monde, elle ne décrit pas non plus le
monde tel qu’il est perçu par l’être humain. La langue est à l’interface de tous ces paramètres,
entre la description d’un monde qui existe avant l’homme, d’un monde qu’il crée et d’un
monde qu’il perçoit. Il est donc très délicat de faire correspondre à la langue une
représentation temporelle de référence basée sur une conception unique d’un temps absolu,
qu’il soit propre à l’univers, ou qu’il soit conventionnel. L’analyse du temps dans la langue
c’est l’analyse du signifié, du signifiant et également de ce à quoi signifié et signifiant
renvoient. Par temps linguistique, nous considérons donc le temps exprimé par les éléments
(signes) linguistiques. En français, c’est principalement l’analyse des morphèmes flexionnels
qui est concernée. Mais un nombre très important d’éléments véhiculent le temps (voir point
3. de ce chapitre).
14
1.3.2 « Des » temporalités linguistiques
Les éléments exprimant le temps dans la langue peuvent être de nature lexicale ou
grammaticale, ils peuvent également être expression du temps ou représentation du temps.
15
non-accompli qui permet principalement de rendre compte du découpage et du sens des
marqueurs temporels, alors que pendant longtemps on a considéré que ces marqueurs
exprimaient uniquement passé, présent et futur. Dans sa thèse, Do-Hurinville (2004) 10 montre
qu’en Vietnamien, les marqueurs DA, DANG, ROI, SAP, VUA, MOI, traditionnellement associés
aux valeurs temporelles, expriment en fait l'aspect, et non le temps. Il est clair qu’en français,
le simple fait qu’il existe un nombre très important de temps du passé exprimés par la flexion
verbale, indique que les marqueurs flexionnels n’expriment pas uniquement passé, présent et
futur. A la limite, ils peuvent renvoyer à cet axe, mais dans la plupart des cas ils véhiculent
également d’autres informations.
Lyons (1980 : 233-234) montre qu’il existe différentes façons de classifier le temps
quand il est exprimé dans les langues sous la forme d’oppositions systématiques
(grammaticalisées et majoritairement flexionnelles). En dehors de la trichotomie
passé/présent/futur, le temps peut être représenté comme étant futur/non-futur, passé/non-
passé, ou proche/non-proche, maintenant/proche/éloigné. Bien évidemment ces systèmes de
représentations ne sont pas purement arbitraires et dépendants des seules lois des
grammairiens. C’est l’analyse du sens des formes morphologiques exprimant le temps qui
guide les interprétations. La multiplication des marqueurs et la variété d’expression de la
temporalité semblent indiquer que les systèmes de représentations du temps sont nombreux et
que le temps représenté par la langue est varié. Il n’en reste pas moins que la spécificité du
temps linguistique est de toujours être lié à l’instance énonciatrice le « je » de l’actuel en
perpétuel mouvement, seul repère absolu du temps dans le discours.
2.1 Les différents sens du mot temps vus par les linguistes
Le terme « temps » en français est sujet à ambiguïté. Nous avons déjà pu le faire
remarquer en mentionnant qu’à ce terme en correspond deux en anglais et également deux en
allemand. Mais, en sus de cette caractéristique propre au français, le terme temps renvoie à
différentes réalités. Benveniste (1966a : 70-73) distingue trois niveaux, Vetters (1996 : 3-6)
montre que derrière ce mot se cachent cinq sens distincts, en s’appuyant souvent sur des
définitions de Benveniste. Wilmet (1988 : 9) en distingue cinq et Desclés (1994 : 58) deux.
10
« Dans cette thèse, nous nous sommes attachés à montrer que le vietnamien, langue isolante, est dépourvu de
temps grammaticaux, contrairement au point de vue traditionnel (ou européocentrique) adopté par la très grande
majorité des linguistes vietnamiens. En effet, ÑAÕ, ÑANG, ROÀI, CHÖA, SAÉP, etc., ne sont pas des
marqueurs de temps, mais des marqueurs d’aspect. » (Do-Hurinville D. T. (2004 : 314)
16
d’événements que l’on peut parcourir du passé vers le présent ou du présent vers le passé
(bidirectionnel). Il attribue au temps chronique un corrélat objectif qui est le temps du
calendrier fonctionnant sur un point ou axe statif (zéro), une direction par rapport à l’axe
(avant/après) et une mesure par rapport à l’axe (mois, jour, année). A ces deux premiers
niveaux de distinction, il en ajoute un troisième qui est celui du temps linguistique : « il est
organiquement lié à l’exercice de la parole, il se définit et s’ordonne comme fonction du
discours » et il s’organise à partir d’un temps de référence qui est « le présent de l’instance de
parole », ce moment de référence est toujours un moment neuf considérant qu’il est en
mouvement permanent.
Pour Wilmet (1988 : 9), il faut distinguer le temps cosmique qui correspond au temps
physique de Vetters et qui est extra-linguistique, le temps contenu qui équivaut à l’aspect (au
sens large) et qui est impliqué par le sens des substantifs, adverbes, verbes,… ; le temps
contenant correspondant au mode ; le temps de conjugaison correspondant à l’ensemble du
paradigme des flexions verbales ; et le temps d’époque qui compartimente la « ligne du
temps » (passé, présent, futur).
17
institutionnalisée par l’homme, le temps possède donc des caractéristiques sociales. D’autre
part, la notion de temps possède aussi une dimension individualisée, de l’ordre de la
perception du temps par chaque individu, nous parlons dans ce cas de caractéristiques
individuelles du temps.
Comme nous venons de le voir, le temps est une notion équivoque qui renvoie à plusieurs
types de temporalité. Il apparaît opportun de délimiter au moins trois acceptions qui rendent
compte de trois perceptions temporelles différentes, et également de trois lieux du temps
linguistique.
Le temps peut-être considéré dans son essence même, c’est-à-dire, le temps qui existe
en dehors de l’existence de l’homme, en tant qu’absolu universel régissant un certain ordre de
l’univers dont la langue fait partie, nous l’appellerons temps universel. Le temps universel
s’impose à l’homme, et il s’impose également au langage. La définition du temps universel
est très complexe, les nombreuses apories sur le temps citées précédemment en témoignent.
18
- le principe de linéarité de la langue qui signifie que le signifiant se déroule dans le
temps, d’où l’impossibilité de prononcer deux mots à la fois. Ce principe affecte cette
fois-ci la parole. Le signifiant est mesurable, sur un axe temporel linéaire qui impose
un ordre au mot 11 .
La notion de temps opératif chez Guillaume entretient également une relation étroite
avec la notion de temps universel. Le temps opératif est la nécessité pour la pensée de se
développer dans le temps. Tout processus de pensée, de construction ou conception d’idées, a
besoin d’un espace de temps pour s’élaborer :
« Une opération de pensée, si brève soit-elle, demande du temps pour s’accomplir et peut,
conséquemment être référée, aux fins d’analyse, aux instants successifs du temps qui en porte
l’accomplissement et que nous nommerons le temps opératif » (1984 (1946) : 17)
Ainsi, la mise en parole d’un discours est soumise à ce paramètre temporel. Le temps
opératif se situe à la limite entre le système de la langue et la parole puisque c’est le temps où
s’élabore dans la pensée le passage entre langue et parole. En outre, il est inhérent à l’instant
de conscience ou d’actuel (selon le terme que nous avons employé ci-avant).
Le temps universel tel que nous l’avons défini est unique, tous les hommes le subissent
de manière identique. Mais, les sociétés ont des représentations différentes de ce temps 13
universel ce qui montre que l’être humain possède ses propres représentations ou
11
« La linéarité est le mode d’intervention du temps dans la parole, la diachronie son mode d’intervention dans
la langue » (Arrivé 1995 : 23).
12
L’image et le langage s’opposent sur ce point, car une case de BD par exemple peut montrer plusieurs
événements simultanément même s’ils occupent une période de temps différente (voir Scott Mc Cloud 1999 : 95,
Annexe 1).
13
Dans la plupart des travaux ethnologiques (Hall 1984, Durkheim 1912, Lévi-Strauss 1966, Eliade 1965) ou
ethnolinguistiques (Pritchard 1937, Whorf 1956) sur le temps, les chercheurs ont eu tendance à opposer deux
types de temps, un temps linéaire dans les sociétés post-industrielles occidentales, et un temps cyclique
(atemporel) dans les sociétés dites « traditionnelles ». La représentation du temps varie selon les cultures et selon
les croyances (voir M. Eliade pour la distinction entre temps profane et temps sacré), le temps peut-être conçu
comme cyclique, linéaire, absolu. Les représentations temporelles ne sont pas uniformes. Elles peuvent dépendre
de la cosmologie propre à chaque culture et de l’organisation sociale. Dans le monde occidental par exemple, le
temps est appréhendé de manière scientifique sous la forme d’une représentation linéaire, on l’appelle temps
newtonien. Dans d’autres cultures ou civilisations, la représentation et la perception du temps sont différentes.
L'ethnologue E. T. Hall (1984) oppose le « temps monochrone » et le « temps polychrone » qui correspondent
respectivement au temps tel que nous le concevons dans nos sociétés occidentales, et au temps d’autres cultures
(orientales, indiennes, chinoises…). Le temps monochrone est la représentation du temps sous la forme d’une
succession d’activité, il s’agit d’un temps très structuré. A l’inverse, le temps polychrone ne contient pas de
notion d’écoulement du temps, c’est un temps dans lequel on peut faire plusieurs choses à la fois. La conception
du temps chez les Nuer (peuple de l’actuel Soudan) décrit par E.E. Evans-Pritchard (1937) se divise en « temps
écologique » (associé aux saisons) et « temps structural » (temps associé au rapport sociaux). La représentation
du temps absolue dans la langue des Nuer devrait donc s’appuyer sur ces deux dimensions. (temps mythique et
temps présent…)
19
conceptualisations du temps. Dans ce cas, il nous faut distinguer le temps absolu universel des
représentations du temps effectuées par l’homme, ce que nous appellerons temps
conventionnel.
14
Diverses approches de la subjectivité du temps sont représentées dans l’annexe 2.
20
L’expression du temps vécu est fortement lexicalisée. Nous la retrouvons également
dans des expressions métaphoriques telle que (1b), (2b) et (3b). Ces exemples expriment un
écart avec les représentations conventionnelles du temps des exemples (1a), (2a) et (3a) 15 :
Un autre paramètre de ce temps vécu est la flexibilité qu’il véhicule avec lui, puisque la
durée des espaces temporels dépend intrinsèquement de leur représentation par les individus,
et en cela elle n’est figée par des conventions sociales ou des mesures scientifiques. Cette
flexibilité est absente du temps conventionnel qui implique des points de repère fixes. Elle est
également absente du temps universel qui implique une progression régulière.
15
Rm : Le temps conventionnel ne sert pas toujours de repère au temps vécu, l’exemple j’ai perdu mon temps,
qualifie la perte d’un morceau du temps universel.
21
Universel Conventionnel Individuel
Existant Mesurant Individualisant
Actuel Passé / Présent / Futur <Passé> <Actuel> <Futur>
||| <---->
Tableau 1 – Caractéristiques des trois sens du mot temps
La répartition de ces trois temps en fonction des deux points de vue, linguistique et
empirique, sur la temporalité est donnée dans le tableau ci-dessous :
Représentation du temps
Point de vue L’homme est contraint par universel, repère matériel Perception, expression du
empirique ce temps et formel (temps temps des événements
chronologique)
Base conceptuelle de la Contenu langagier, décrit
Point de vue Le langage est contraint
représentation du temps le contenu temporel des
linguistique par ce temps
dans la langue événements
Tableau 2 – Points de vue empirique et linguistique sur les trois sens du mot temps
Les trois sens du mot temps, que nous avons évoqués ci-dessus, ne reflètent que des
perceptions et des conceptualisations du temps. Ils sont à distinguer du temps linguistique,
inhérent au système des langues. Cette distinction entre temps linguistique et temps non
linguistique est essentielle car comme le souligne Benveniste : « la langue conceptualise le
temps tout autrement que ne le fait la réflexion » (1966a : 69). Ainsi la temporalité propre aux
langues se distingue de la représentation du temps que se font les hommes, représentations
pouvant aller du plus « objectif » ou scientifique, au plus subjectif. Dans cette partie, nous
allons distinguer plusieurs éléments exprimant ou représentant le temps en français. Notre
objectif est de lier le plan notionnel à la structure de la langue. Il s’agit donc d’établir une
structure méthodologique permettant de saisir dans sa globalité les relations entre la structure
du signe, comprenant le signifié, le signifiant et la catégorie grammaticale, et les notions
temporelles véhiculées. Il est à noter que certaines notions ne sont pas propres aux signes
mais qu’elles sont le résultat de leur combinatoire.
Dans une première étape, nous présenterons les distinctions de base entre les éléments
de la langue en essayant de poser clairement le statut de la notion de temporalité au sein de
ces éléments. Nous commencerons donc par la distinction entre les éléments lexicaux et les
éléments grammaticaux. Ensuite nous ferons état des principaux concepts temporels exprimés
par la langue et leurs relations aux marqueurs formels. Enfin, nous introduirons la
terminologie propre à l’étude linguistique de l’aspectuo-temporalité.
L’opposition lexique contre grammaire est une des premières catégorisations effectuées
sur chaque élément constitutif du signe linguistique, c’est-à-dire : la forme, le contenu et la
22
partie du discours. Il est difficile de trouver des critères définitoires précis aux notions de
lexique et de grammaire car ces termes servent plus à distinguer des classes de signes que des
propriétés spécifiques de ces signes.
Cette opposition qui s’appuie entre autres sur une différenciation entre les éléments
non-dénombrables et les éléments dénombrables de la langue est également un outil de
distinction des catégories grammaticales et de leurs différents rôles et significations. Nous
verrons donc comment s’effectue cette distinction sur les plans formel, sémantique et
notionnel. Le premier axe est celui de l’opposition entre unités dénombrables et non-
dénombrables, le second repose sur l’opposition entre les différents contenus sémantiques des
unités. Enfin, le dernier plan nous permettra de mettre au jour le rôle et le statut de la
temporalité au sein de cette opposition. Outre les approches traditionnelles présentes dans les
grammaires et les manuels de linguistiques, nous nous appuierons dans cette présentation sur
les définitions de Fradin, Imbs et Bogacki.
Les éléments de la langue qui sont considérés comme appartenant au lexique sont non-
dénombrables. Ce sont sur le plan de la forme des lexèmes. Selon la définition de Bernard
Fradin (2003), un lexème est une entité abstraite qui subsume un ensemble de mot-formes ne
se distinguant que par la flexion. Les lexèmes regroupent des informations sémantiques,
syntactiques et phonologiques et ils ont un sens référentiel car ils dénotent des individus, des
événements ou des propriétés. Par opposition et sur le même niveau conceptuel ou
d’abstraction, les mots-outils ou grammèmes 16 sont des unités abstraites non-lexicales qui
rassemblent les mots grammaticaux (le, son, sur), et ils ont la particularité d’être
dénombrables. Cette opposition s’applique aux catégories du discours : les lexèmes qui sont
non-dénombrables appartiennent aux catégories verbe, nom, adjectif, adverbe ; et les mots-
outils qui sont dénombrables appartiennent aux catégories pronom, déterminant, préposition,
conjonction, auxiliaire. Pour désigner cette distinction, on utilise également les termes de
classes ouvertes et de classes fermées, le terme classe renvoyant aux parties du discours.
Cette opposition qui repose sur la dénombrabilité ou non des éléments entrant dans les
différentes parties du discours est la première frontière entre lexique et grammaire. Elle
possède de nombreux contre-exemples, il n’existe, par exemple, aucune liste fermée des
locutions prépositionnelles, elles apparaissent comme non-dénombrables puisqu’elles sont
créées à partir d’unités appartenant aux classes ouvertes de la langue. Dans ce cas, les
locutions prépositionnelles font-elles partie des éléments grammaticaux ou lexicaux ?
16
Nous utiliserons le terme de mot-outil, car grammème est utilisé également pour rendre compte d’une autre
catégorisation morphologique. Nous appliquerons donc le terme grammème à un autre phénomène.
17
Par ailleurs, Fradin considère que les affixes ne sont pas des signes linguistiques (cf. infra ci-dessous 3.1.2).
23
Non-dénombrables Dénombrables
Affixe flexionnel
Affixe dérivationnel
- Verbes - pronom
- noms - déterminant
- adjectifs - préposition
- adverbes - conjonction
- auxiliaire
Tableau 3- Distinction entre les unités dénombrables et non-dénombrables
18
Il s’agit de la définition la plus courante que l’on retrouve chez Neveu (2004 : 177), Lehmann et Martin-
Berthet (2005 : 121) et Apothéloz (2002 : 12).
19
L’utilisation du terme signe est ici ambiguë car elle ne renvoie qu’à la structure du signifiant, soit des unités
autonomes par opposition à des unités non-autonomes.
24
Les morphèmes non autonomes rassemblent donc sans ambiguïtés les affixes
dérivationnels et flexionnels puisqu’ils doivent obligatoirement entrer en cooccurrence avec
d’autres unités appelés bases. Mais quels sont réellement les morphèmes autonomes ? D’un
point de vue morphologique et en se limitant à la définition ci-dessus, les morphèmes
autonomes correspondent aux bases qui peuvent être employées sans affixes. Mais la
particularité du mot-forme est justement d’être une unité fléchie – donc impliquant
obligatoirement la corrélation d’une base et d’un affixe 20 – d’un lexème. Les bases des mots-
formes sont donc des unités obligatoirement non-autonomes au moins au regard de la
morphologie flexionnelle. Les mots-formes peuvent-ils donc être opposés sur le plan
uniquement morphologique (de la forme) aux affixes sur la base d’unités autonomes et non-
autonomes 21 . En ce qui concerne l’opposition affixes vs lexèmes, existe-t-il une base
commune permettant de les mettre en opposition et de considérer que les lexèmes sont des
unités libres et les affixes des unités liées. A priori, non, les lexèmes puisqu’il s’agit d’unités
abstraites et qu’ils n’ont pas de réalité sur le plan du discours ne peuvent pas être considérés
comme des unités libres 22 . Les lexèmes ne peuvent pas entrer en opposition avec des unités
liées que seraient les affixes en tant qu’entités concrètes en discours. La distinction que nous
avons effectuée sur le plan formel entre affixe et lexème, n’est valable que du point de vue de
l’analyse abstraite, de niveau cognitif, c’est-à-dire en considérant que les lexèmes et les
affixes sont tous les deux des unités abstraites déduites des mots-formes, le lexème étant
l’unité abstraite de la base lexicale des mots-formes et l’affixe étant l’unité abstraite des
morphèmes flexionnels des mot-formes. Mais ce niveau d’abstraction, s’il permet d’effectuer
une opposition entre deux unités, ne permet pas de justifier une analyse basée sur l’autonomie
des deux éléments.
De plus, si l’on adopte le point de vue théorique de Fradin (2003 : 77), nous sommes
amenés à la non reconnaissance des affixes en tant que signes linguistiques (c’est-à-dire en
tant que morphèmes). Les affixes ne sont que des exposants, témoins d’une règle
grammaticale, ils ne relèvent donc pas du même niveau d’étude que les lexèmes. Toute
comparaison entre ces deux entités apparaît impossible et non avenue dans cette typologie
puisqu’ils ne reposent pas sur le même plan de la langue. Dans ce propos, nous n’avons
considéré que les affixes flexionnels, qui sont des unités obligatoires de l’instanciation des
mots-formes et qui font partie des catégories du discours nom, verbe, adjectif, pronom,
déterminant. Nous n’avons pas considéré les affixes dérivationnels qui ne sont pas des
constituants obligatoires des mot-formes. Les affixes dérivationnels sont des unités liées
appartenant au lexème, ils sont dénombrables et sont caractérisés par un sens spécifique. Dans
ce cadre, les affixes dérivationnels sont de véritables morphèmes liés que l’on peut opposer à
la base lexicale des lexèmes. Les morphèmes dérivationnels ne touchent pas les mêmes
catégories du discours que les morphèmes flexionnels, puisque aux catégories verbes, noms,
adjectifs, il faut ajouter les adverbes. Dans l’approche de Fradin les affixes dérivationnels
restent des indices d’une règle de création d’un nouveau lexème.
20
Même les mots-formes qui ne sont pas liés à un morphème flexionnel particulier, qui est visible sur la chaîne
des éléments segmentaux, sont considérés comme véhiculant un trait flexionnel et donc du point de vue de la
morphologie flexionnelle traditionnelle, ils sont dotés d’un morphème zéro.
21
Sur le plan de la symétrie terminologique, il serait utile d’avoir ici un terme symétrique à mot-outil ou à
lexème qui permettraient de distinguer les deux oppositions lexème et mots-outils/affixe et lexème/mot-outil,
mais nous n’en connaissons pas.
22
Attention considérer que les lexèmes n’ont pas d’existence sur le plan du discours ne signifie pas qu’ils n’ont
pas de signifiant. Le signifiant, tout comme le signifié, est avant tout une unité psychique et le lexème en tant
que signe linguistique possède ces deux faces.
25
Nous pouvons remarquer que certains signes peuvent être caractérisés soit comme
lexicaux, soit comme grammaticaux. C’est le cas notamment des pronoms et des déterminants
qui sont des signes lexicaux puisqu’ils sont autonomes, et qui sont également des mots
grammaticaux puisqu’ils appartiennent à une partie du discours spécifique qui est fermée.
Dans les typologies où le critère dominant de l’opposition grammaire vs lexique est
respectivement dénombrable vs indénombrable, les mots-outils sont caractérisés de signes
grammaticaux autonomes. Il est difficile dans ce cadre d’avoir une justification rigoureuse du
statut réel des affixes, d’autant que dans cette catégorie des mots-outils, les pronoms et les
déterminants mêlent à la fois signes grammaticaux autonomes et signes grammaticaux liés.
Ainsi, il s’agit d’une classification arbitraire de ce qui est grammatical et de ce qui est lexical
à partir du nombre. Cette classification ne repose pas sur un système d’opposition
morphologique.
L’analyse ci-dessus est purement formelle, puisqu’il s’agit de dénombrer les entités de
la langue, toutefois certaines approches appliquent également l’opposition grammaticale vs
lexicale au signifié des signes linguistiques. Cette distinction apparaît clairement dans le
terme de grammaticalisation qui, depuis Meillet 23 , désigne le passage d’une unité lexicale à
une unité grammaticale par la perte de l’autonomie de l’unité ainsi que par le passage d’un
sens plein à un sens vide. Par sens plein et sens vide, il s’agit de distinguer le sens des
lexèmes et le sens des mots-outils. L’opposition ne relève pas de la dénombrabilité du sens 24 ,
mais de la corrélation entre les types d’entités, leur catégorie de discours et le type de sens
qu’elles expriment. Il est donc possible d’obtenir une répartition des types de sens en fonction
des catégorisations effectuées ci-dessus. Ainsi, les lexèmes sont munis d’un sens interne
qu’on peut définir par paraphrase, tandis que les mots-outils ne peuvent être définis qu’en
référence au système de la langue. On oppose souvent dans ce cadre les mots pleins aux mots
vides, ce que nous avons traduit ci-dessus en terme de sens plein et sens vide ou encore selon
l’optique de ce point nous pouvons utiliser les termes de sens lexical vs sens grammatical.
Polguère utilise cette dernière terminologie qu’il définit respectivement comme : le sens
intrinsèque, exprimé par des lexies (lexèmes ou locutions) appartenant aux catégories
ouvertes de la langue, par opposition au sens qui est associé aux catégories du discours
fermées (mais pas uniquement) et qui sont décrites par rapport à la grammaire de la langue.
Par exemple la définition de maison par rapport à la définition de le ne fait pas appel aux
mêmes connaissances :
« Pour bien comprendre la différence entre sens lexical et sens grammatical, je suggère de comparer la
relative facilité avec laquelle on peut paraphraser un lexème comme VOISIN et la quasi-impossibilité
de faire la même chose avec l’article LE :
(7) a. son voisin : la personne qui habite près de chez lui
b. le chat : ?chat auquel on pense dans la présente situation. » (Polguère 2003 : 107)
Par sens grammatical, Polguère entend le sens qui ne peut pas être défini par une
paraphrase mais qui doit faire référence au système de la langue. Pour rendre compte de ce
23
Voir l’entrée ‘grammaticalisation’ dans le Dictionnaire des siences du langage de Franck Neveu (2004).
24
Par dénombrabilité du sens nous entendons deux choses : le caractère stable ou instable du sens en discours de
chaque unité appartenant aux différentes catégories du discours, ce qui entraînerait la possibilité ou
l’impossibilité de délimiter le nombre de sens pour chaque unité ; et, le caractère exceptionnel ou unique du sens
de chaque unité, ce qui entraînerait la possibilité ou l’impossibilité de dénombrer les types de sens en fonction de
la catégorie de discours.
26
sens, il faut donc effectuer une définition métalinguistique, au sens de Martin (1983 : 55). La
définition métalinguistique est le seul moyen de définir, ou d’atteindre le sens des mots
grammaticaux, qui est donc le sens grammatical. Il semble donc y avoir une parfaite
corrélation, ici, entre sens grammatical et mots-grammaticaux.
L’opposition entre sens grammatical et sens lexical appliquée aux parties du discours a
de nombreux contre-exemples, car si la majorité des prépositions est définie par rapport au
système de la langue comme étant de simples relateurs chargés d’introduire un groupe de
mots (1., 2., 3. et 4.), d’autres prépositions simples ont un véritable sens même s’il n’est pas
toujours paraphrasable (5.) et les locutions prépositionnelles 25 ont pour certaines un sens
particulier paraphrasable (6.b) et 6.c)).
1. a) Il vient de Paris
b) Il parle de linguistique
c) Les chaussures de Michel
3. a) Il mange en banlieue
b) Il mange en cinq minutes
c) Il possède un fauteuil en caoutchouc
25
Polguère (2003), dans sa typologie des unités lexicales, distingue les lexèmes des locutions. Dans ce cadre il
est possible de mettre à part les locutions prépositionnelles sans remettre en cause la typologie des parties du
discours en fonction des catégories classes ouvertes et classes fermées de lexies.
27
5. a) Il est chez son frère (marque de localisation spatiale « à l’intérieur de »)
b) Il est venu sans son frère (marque l’absence, le manque, l’exclusion)
c) Il est passé devant son frère (marque l’antériorité spatiale)
d) Il vient depuis Paris (marque un point de départ spatial ou temporel)
Les exemples 5. renvoient à un sens notionnel, qu’il soit spatial ou temporel, les
prépositions du type : avant, pendant, durant, après, depuis, dès, sur, sous, devant, derrière
font partie de cette catégorie. Les exemples 1. et 2., dont nous avons dit que la préposition
avait un sens vide, peuvent tout de même être dans certains cas caractérisés par un sens
notionnel, mais ce sens notionnel dépend de la nature sémantique du syntagme introduit par la
préposition. En 1a) de à un sens notionnel temporel ou spatial particulier qui peut être
paraphrasé par « point de départ » ou être synonyme de depuis et en 1.c) de peut être
paraphrasé par « qui appartiennent à ». En 2.a) par peut être défini par un sens spatial
paraphrasable par « point de passage obligé d’un parcours ». En 3.a) et 3.b) en peut être défini
par un sens temporel limitatif. En 4.b) et 4.c) à peut être défini par un sens temporel ou spatial
de localisation d’un « site » précis.
Les éléments lexicaux appartenant aux classes ouvertes ont également un sens
grammatical qui est prédicatif pour le verbe, qualifiant ou relationnel pour l’adjectif, sujet ou
objet pour le nom, déterminant pour l’adverbe. Cette composition des deux sens est exprimée
clairement par Kurylowicz (1936 : 87). Il n’y a donc pas d’opposition absolue entre lexique et
grammaire. La spécificité de cette distinction relative aux catégories du discours repose sur le
fait que les mots-outils de la langue n’ont pas de sens lexical (1936 : 88), mais ils ont un sens
grammatical et un sens notionnel.
La distinction sens lexical vs sens grammatical est ici parallèle à la répartition des
parties du discours et ne tient pas compte d’un troisième type de sens qui n’est ni le sens
paraphrasable, ni le sens fonctionnel ou syntaxique (propre au système de la langue), mais qui
est le sens notionnel. Il existe d’ailleurs un malentendu dans de nombreux ouvrages qui
regroupent sous l’appellation « sens grammatical » à la fois le sens notionnel et le sens
fonctionnel. Dans notre perception de la langue, le sens notionnel renvoie à des unités
cognitives de base qui peuvent être exprimées par des éléments linguistiques appartenant à
des catégories du discours différentes et qui peuvent être exprimés à différents degrés de leur
contenu sémantique. Cette définition du sens notionnel est différente d’un sens grammatical
propre au système de la langue et d’un sens lexical instancié par chaque lexème qui ne se
décrit que par les relations sémantiques établies entre ces lexèmes (paraphrase, homonymie,
etc..). On peut donner en exemple le lexème verbal APPRENDRE qui peut être défini sur
trois niveaux :
- paraphrase du sens grammatical : « prédicat mettant en relation un agent, un objet et
un bénéficiaire »
- paraphrase du sens lexical : « action de recevoir ou de donner un enseignement »
- paraphrase du sens notionnel : « processus actionnel pouvant aboutir à un résultat »
28
Catégories du Sémantique
discours Grammaticale Lexicale Notionnelle
Fermées
- pronom
coordination,
- déterminant référentiel,
détermination, _
- préposition temporel,
introducteur, …
- conjonction aspectuel,
- auxiliaire modal,
Ouvertes nombre,
prédicat, Paraphrase,
- verbes genre,
sujet, homonymie,
- noms lieu …
objet, qualifiant, synonymie,
- adjectifs
relationnel,… hyperonymie,…
- adverbes
Tableau 4 – Typologie du contenu sémantique des parties du discours
Comme on peut le voir dans ce tableau, la corrélation entre sens grammatical, sens
lexical et les catégories du discours ne justifie pas une opposition de ces catégories à partir
des termes grammaire et lexique qui implique une opposition stricte sur le plan du type de
contenu sémantique véhiculé par ces catégories. Sur le plan terminologique, seule
l’appellation « catégorie ouverte » et « catégorie fermée » de la langue est justifiée pour
rendre uniquement compte du fait que les catégories fermées ne possèdent pas de sens lexical
spécifique.
Sur le plan morphologique de la distribution des affixes, les affixes flexionnels ne sont
pas constitués d’un sens lexical, ils véhiculent ce que les morphologues appellent un « trait
grammatical » et une « valeur grammaticale ». En français, les affixes flexionnels qui sont
appliqués au nom véhiculent le trait flexionnel nombre, ceux qui sont appliqués au verbe
véhiculent les traits nombre, personne, temps, aspect, mode, voix, et ceux appliqués à
l’adjectif véhiculent les traits nombre et genre. Les affixes flexionnels peuvent véhiculer une
valeur notionnelle et parfois une valeur grammaticale. Quant aux affixes dérivationnels, s’ils
possèdent un sens grammatical de construction d’un nouveau lexème, c’est en partie parce
qu’ils véhiculent un sens lexical spécifique qui varie selon le lexème-base avec lequel ils
entrent en interaction. Ils possèdent donc à la fois un sens grammatical et à la fois un sens
lexical tout comme les éléments des classes ouvertes. Le sens lexical contenu par les affixes
dérivationnels peut être identique au sens lexical véhiculé par les lexèmes des catégories
ouvertes de la langue, comme par exemple le lexème petit et l’affixe –ette qui signifient
« petit », la locution à nouveau et le préfixe RE- qui signifient « à nouveau ». La question que
nous posons est de savoir si ces morphèmes dérivationnels véhiculent un sens notionnel.
Affixes Sémantique
Grammaticale Lexicale Notionnelle
Construction
Morphème sens
d’un nouveau ?
dérivationnel paraphrasable
lexème
temporel,
Construction aspectuel,
Morphème
d’un nouveau _ modal,
flexionnel
mot-forme nombre,
genre, …
Tableau 5 – Typologie du contenu sémantique des morphèmes liés.
29
Dans tous ces cas, la distinction lexicale vs grammaticale n’est pas oppositive, mais
complémentaire, il s’agit de deux types de contenus sémantiques différents véhiculés par les
éléments de la langue. La justification d’une opposition entre ces deux types d’informations
est parfois analysée comme relevant du domaine notionnel ; dans ce cadre, ce qui est
considéré comme grammatical est souvent lié aux notions abstraites et ce qui est considéré
comme lexical est souvent lié aux notions concrètes. Ci-dessus, nous avons considéré que le
sens notionnel était la troisième facette du sens des unités du discours, nous allons en discuter
dans le point suivant.
« la catégorie du temps peut affecter non seulement le verbe, mais aussi un substantif (nuit), un adjectif
(matinal), un adverbe (journellement), une préposition (après), une conjonction (quand). […] le verbe est
comme le centre de la phrase autour duquel se groupent toutes les autres déterminations temporelles.
Nous dirons que la détermination temporelle apportée par le verbe lui-même est une détermination
interne, par rapport à laquelle les déterminations temporelles apportées par d’autres espèces de mots sont
des déterminations externes. La détermination interne au verbe est exprimée par des morphèmes
grammaticaux (terminaisons, auxiliaires, semi-auxiliaires) ; les déterminations externes sont toujours le
fait de mots séparés, elles sont d’ordre lexical. » (Imbs 1960 : 11-12).
30
de notions, « courantes ou productives » et « exceptionnelles », que nous caractériserons de
fréquentes et rares. Les premières sont liées à des marqueurs spécifiques fonctionnant en
système (il s’agit principalement de morphèmes liés ou, en reprenant la terminologie de
Polguère, de signes grammaticaux), tandis que les secondes sont liées aux lexèmes (ou signes
lexicaux) :
« Il existe des notions dont la place dans la langue est toute particulière : elles jouissent d’un statut
spécial, ce qui se traduit par leur grammaticalisation. Les marques formelles qui leur correspondent sont
organisées en des systèmes qui servent de moules aux structures lexémiques utilisées par les sujets
parlants. […] D’un autre côté, certaines notions n’apparaissent dans la langue qu’exceptionnellement :
elles se cantonnent dans le lexique, interviennent rarement dans le secteur grammatical et leur
rendement – en ce qui concerne les oppositions où elles entrent – est très faible » Bogacki (1985 : 7).
La distinction que fait ici Bogacki est fondée sur la fréquence des notions et non sur la
dénombrabilité des signes en fonction de leur appartenance à telle ou telle partie du discours.
Il sous-entend que les notions véhiculées par les signes grammaticaux et les signes lexicaux
sont différentes. Cette distinction qui repose sur une hypothèse diachronique de l’évolution
des langues et qui date de Meillet permet d’effectuer un lien entre les marques formelles et le
type de notions exprimées. Elle devrait donc aboutir à une corrélation plus ou moins
importante de l’opposition grammaticale vs lexicale entre les plans notionnels et formels ou,
autrement dit, cela implique que les notions exprimées par des signes grammaticaux et par des
signes lexicaux sont différentes. Cette distinction notionnelle se retrouve dans l’opposition
entre les valeurs grammaticales (temps, nombre, genre, mode, voix, aspect, …) et valeurs
lexicales.
Mais cette corrélation n’est pas évidente puisque la notion de temps est exprimée par
des formes lexicales et grammaticales. En effet, Imbs indique que la notion générale de temps
n’est pas exprimée spécifiquement par des unités grammaticales ou lexicales. La même notion
est alors véhiculée par des éléments différents, il ne peut donc pas y avoir au sens de Bogacki
une opposition stricte entre notions grammaticales et notions lexicales corrélées aux formes.
Toutefois Imbs maintient l’opposition entre signes grammaticaux et signes lexicaux, mais il
ne parle pas de fréquence et de notions différentes, mais de dépendance entre les notions
véhiculées par les signes grammaticaux et les signes lexicaux : les signes grammaticaux
véhiculent les valeurs temporelles principales sur lesquelles vont venir se greffer les valeurs
temporelles des signes lexicaux. Ainsi, l’opposition établie par Imbs concerne le niveau (i) des
distinctions faites par Polguère et le lien entre les notions et les formes est replacé sur les
relations d’ordre syntagmatique entre les différentes unités.
Ainsi, si l’information véhiculée est aspectuelle dans les deux cas il faut démontrer que
l’aspectualité peut être un phénomène lexical ou grammatical, mais cela ne dépendra pas de la
31
structure superficielle des formes. Victorri propose une définition de ce qui est grammatical et
de ce qui est lexical :
« est grammatical ce qui sert dans la construction de la scène, et lexical ce qui sert, au-delà de cette
construction, à évoquer les rapports entre l’univers socioculturel et physico-anthropologique qui
structure le mode d’existence des sujets parlants” (1999 : 104)
Victorri considère dans cet article que le verbe véhicule des informations lexicales et
grammaticales, les informations grammaticales évoquent le type de mouvement (procès) se
déroulant sur la scène verbale, elles sont intrinsèquement liés au sens aspectuel des verbes. La
frontière entre grammaire et lexique ne se situe pas au niveau des formes, mais sur deux plans
différents. Soit on « pioche » dans l’univers pragmatique de référence soit, on reste au niveau
purement linguistique de la cohérence textuelle en quelque sorte. Il effectue donc une
distinction lexique vs grammaire qui repose sur des critères non pas formels mais conceptuels.
Enfin un dernier point de vue sur cette opposition est celui de Sasse qui analyse les
phénomènes temporels (notamment l’aspect) dans une optique qui se veut cognitive, et dans
ce cadre, il considère que la distinction grammaire vs lexique qui se retrouve sur le plan des
formes n’a aucune conséquence sur le plan conceptuel, les mêmes notions peuvent être
exprimées par des grammèmes ou des lexèmes. Il remet en cause la définition grammaticale
des catégories linguistiques qu’il considère comme linguocentriques. Il compare les
distinctions massifs/comptable et singuliers/pluriels (les premières reposant sur des
distinctions lexicales, et les secondes sur des distinctions grammaticales), qui sont
considérées uniquement en fonction de leur distribution morphologique dans les langues
latines et anglo-saxonnes. Et, si on considère l’ensemble des langues, ces distinctions entre
grammaticalisation et lexicalisation de concepts linguistiques n’est plus plausible. En
mandarin par exemple, la distinction massif/comptable est grammaticalisée (Sasse 1991 : 33).
On retrouve chez Sasse, la conception selon laquelle le niveau de représentation linguistique
des formes est dépendant de variations idiomatiques qui ne permettent pas une distinction
universelle des concepts reposant sur la base de leur non-grammaticalité. Pour Sasse, la notion
de grammaticalisation telle que la présente Meillet n’a aucune pertinence sur le plan de la
distinction des structures conceptuelles.
Dans cette partie, nous nous interrogeons sur les caractéristiques morphologiques et
sémantiques du temps en français. Sur le plan morphologique, la temporalité est véhiculée par
des morphèmes de flexions concaténés au verbe, Fradin parle de morphologie flexionnelle
choisie par le locuteur car il ne s’agit pas d’un phénomène syntaxique. La temporalité n’est
pas la seule information véhiculée par ces morphèmes de flexion. Les morphèmes
dérivationnels n’ont pas vocation à exprimer en particulier la temporalité. Même si certains,
qui peuvent être concaténés à des noms ou à des verbes, peuvent jouer un rôle au niveau de la
temporalité du dérivé, tout comme les lexèmes, ils ne sont pas constitués uniquement du sens
temporel et ne renvoient pas uniquement à un sens grammatical (voir par exemple les
morphèmes dérivationnels qui sont souvent définis par paraphrase).
Nous avons vu que sur le plan sémantique, il n’existait pas d’opposition lexique vs
grammaire, mais deux catégories de sens différentes qui peuvent être exprimées par les
différentes catégories du discours. La seule caractéristique consiste dans le fait que les
lexèmes appartenant aux catégories grammaticales ouvertes de la langue ont un sens lexical
que n’ont pas les mots-outils. Enfin, sur le plan notionnel, il n’y a pas de ligne de démarcation
franche entre d’une part des éléments vides sur le plan notionnel et, d’autre part des éléments
pleins. Il n’y a donc pas de distinction à effectuer, mais il convient plutôt de déterminer des
32
différents types de notions exprimées par chaque catégorie du discours et d’effectuer une
organisation hiérarchique qui doit être posée sur le plan de l’interprétation des différentes
informations notionnelles exprimées en discours. Afin de déterminer les différences entre le
type de support formel de l’information temporelle et les notions véhiculées, ainsi que leurs
degrés d’expression par ces formes, nous effectuerons une analyse à plat du système sans
présupposer une quelconque organisation hiérarchique des différentes formes mais en partant
des notions temporelles que nous corrélerons aux formes et aux différentes catégories
grammaticales.
Cette entrée par les formes de la représentation du temps doit être corrélée aux valeurs
sémantiques véhiculées par ces types d’expression de la temporalité, car il n’y a pas toujours
une corrélation complète entre les valeurs sémantiques et les formes linguistiques. Sur le plan
sémantique, ou plus largement du contenu de la temporalité nous effectuons une distinction
entre trois catégories. Ces trois catégories de la temporalité linguistique sont toutes liées à la
notion de procès. En effet, la temporalité dans le discours n’existe qu’à travers des procès qui
surviennent à un moment donné réellement ou hypothétiquement au moment de l’actuel 27 .
Ces différents types de temporalité peuvent exprimer un type de localisation particulière d’un
procès qu’il s’agisse de localisation temporelle absolue ou relative, le point de repère qui est
le moment de l’énonciation est crucial, ou bien qu’il s’agisse d’une datation ou d’une période
temporelle particulière d’un procès, dans ce cas c’est le système conventionnel de découpage
du temps qui est primordial. Un autre type de temporalité exprimé par des éléments langagiers
est ce qu’on peut appeler la quantification temporelle, qu’il s’agisse de la répétition d’une
action, de la fréquence d’une action, ou du calcul de la durée d’une action. Enfin, la dernière
est la qualification temporelle d’une action, c’est-à-dire son statut duratif, momentané,
résultatif, etc. cette catégorie concerne plus particulièrement la description temporelle du
contenu de l’événement exprimé.
Dans cette partie, nous souhaitons simplement montrer quelques correspondances entre
les différentes types de catégories d’expression de la temporalité : grammaticales, lexicales
(par les lexèmes et les morphèmes liés) et discursives et les différents types de valeurs
sémantiques de la temporalité : localisation, quantification et qualification. Dans l’exposé de
ces notions nous sommes dépendants de leur description par les linguistiques. De ce fait, nous
ferons intervenir quelques considérations d’ordre historique. Ces descriptions historiques ne
constituent pas cependant, l’objectif principal de notre propos.
27
Nous développerons une discussion sur la notion de procès dans le point 3.5.
33
3.3 La localisation temporelle
On peut définir la localisation temporelle comme le fait de situer les événements dans le
temps à partir de différents repères temporels qui peuvent s’effectuer en fonction du temps
conventionnel, de manière directe ou indirecte 28 , et surtout en lien avec le moment de
l’énonciation, caractéristique spécifique de la temporalité dans le langage, ce que nous
appelons la déixis. Dans le premier point, nous nous attachons à montrer comment est
exprimée la localisation temporelle par les tiroirs. Nous verrons tout d’abord à partir de la
Grammaire de Port-Royal (désormais GPR) qu’il est possible de distinguer deux types de
localisation temporelle. Ensuite, en nous appuyant sur Imbs nous verrons trois façons de
concevoir le moment de l’énonciation. Dans le deuxième point, nous verrons que la
localisation peut s’effectuer sans marqueurs grammaticaux mais en fonction du discours.
Enfin dans un troisième point nous nous attacherons à montrer d’autres systèmes de
localisations véhiculés par des lexèmes.
Cette dissymétrie apparente montre que la distinction des tiroirs en fonction de la seule notion
temporelle est réductrice (comme indiqué plus haut le temps (tiroir) n’est pas égal au temps
(échelle temporelle)) et donc que la signification des tiroirs est plus complexe. Les deux
analyses du sens des tiroirs que nous allons aborder ci-dessous maintiennent l’idée que les
tiroirs permettent une localisation temporelle. Mais, la localisation temporelle ne s’effectue
pas uniquement en s’appuyant sur la trichotomie passé/présent/futur pour la GPR. Le réseau
d’opposition peut être perçu à partir d’un découpage multidimensionnel de la trichotomie
déictique, où le présent de l’énonciation n’est pas l’unique point de référence permettant de
localiser les événements dans le temps, c’est le cas chez Imbs.
28
Nous verrons qu’un lexème peut renvoyer à localisation par l’intermédiaire d’un autre lexème auquel il est lié
ce dernier étant directement localisé.
29
Nous n’avons pas pris en compte les tiroirs surcomposés et ni les tiroirs conditionnels qui sont parfois
considérés comme temporels.
34
La GPR : Temps absolu / temps relatif
L’opposition entre temps absolu et temps relatif est ancienne puisqu’elle tire son
origine en France de la Grammaire de Port-Royal (GPR : 1660). Donzé (1967), dans son
ouvrage, étudie la doctrine qui sous-tend la GPR. Celle-ci repose sur la distinction entre temps
simples et temps composés. Il est important de noter ici que pour Port-Royal, les notions de
temps simple et de temps composé désignent non pas des propriétés morphologiques, comme
c’est le cas dans la grammaire française aujourd’hui, mais des propriétés sémantiques : temps
simple signifie donc ici temps sémantiquement simple ; et temps composé, temps
sémantiquement composé, i.e. complexe. Par ailleurs, le terme de temps ne renvoie pas aux
tiroirs temporels, mais à la notion de temps. Ainsi, les temps simples ont comme point de
référence le moment de la parole et permettent de marquer (situer l’événement) dans le passé,
le présent ou le futur. Il n’y a donc selon les grammairiens de Port-Royal, que trois temps
simples : le présent (j’aime), le passé (j’ai aimé, j’aimai), et le futur (j’aimerai, je vais aimer).
Sur le plan du marquage formel par les tiroirs du français de ces temps simples, les
grammairiens distinguent un tiroir correspondant aux temps simples du présent, tandis que les
temps simples du passé ont deux tiroirs :
- passé défini (« chose précisément faite ») correspondant au passé composé (j’ai écrit)
- passé indéfini ou aoriste (« chose indéterminément faite ») correspondant au passé
simple (j’écrivis) 30 .
- le futur simple (« chose devant arriver ») qui peut être illustré par j’écrirai.
- le futur proche (chose devant arriver bientôt) qui peut être illustré par je vais écrire.
Les temps composés sont également situés à partir du moment de la parole sur l’échelle
passé/présent/futur, mais ils sont, en plus, situés relativement à une autre action passée ou
futur. Sur le plan du marquage formel de ces temps du passé par les tiroirs, les grammairiens
distinguent trois tiroirs :
- le prétérit imparfait (je soupais lorsqu’il est entré (GPR 1660 : 110)) passé mais aussi
présent par rapport à la seconde action.
- le plus-que-parfait (j’avais soupé lorsqu’il est entré (GPR 1660 : 110)) passé mais
aussi passé par rapport à la seconde action.
- le futur antérieur (quand j’aurai soupé, il entrera (GPR 1660 : 111)) futur mais aussi
passé par rapport à une autre action futur.
30
Le choix du terme indéterminé pour qualifier le PS peut paraître contradictoire car le procès est conçu avec ses
bornes de début et de fin à l’intérieur d’une période temporelle, mais le terme indéterminé souligne que rien
n’indique à quel moment exact au sein de cette période se situe le procès. Cette distinction entre PS et PC
marque une spécificité du PC qui implique un état résultatif lié au moment de la parole. Cette notion d’état
résultatif qui implique un lien entre le moment du procès et le moment de l’énonciation n’est pas présent chez
Port-Royal
35
Temps Passé Présent 31 Futur (futur simple et
simples dans (Passé composé et passé simple) (présent) futur proche)
leur sens
Temps Passé et passé par Passé et présent par Futur et passé par
composés rapport à une autre rapport à une autre rapport à une autre
dans leur sens action. (Plus-que- action. (Imparfait) action futur. (Futur
parfait) antérieur).
Tableau 7 – Temps simples et temps composés - Classement des tiroirs (GPR 1660)
Nous pouvons remarquer que dans leur analyse, les grammairiens de Port-Royal ne
retirent pas l’information déictique aux temps composés, ils l’enrichissent. Les temps
composés sont donc plus complexes sur le plan déictique que les temps simples, le PQP est un
temps relatif exprimant l’antériorité par rapport à une autre action, et il reste déictique puisque
c’est un temps du passé qui reste donc passé par rapport au moment de l’énonciation. Par
ailleurs, il possède une seconde valeur déictique indirecte, puisque l’action qui lui sert de
repère relatif est elle-même déictique par rapport au moment de l’énonciation. On peut donc
déduire des temps composés deux valeurs déictiques : l’une intrinsèque, puisque tout tiroir
implique d’être situé dans le passé, dans le présent et dans le futur, et une seconde indirecte
puisque le repère relatif est lui-même en relation déictique.
On peut remarquer à propos des temps relatifs que les relations entre le procès et le
procès de référence sont soit simultanées, soit antérieures. Il n’existe pas de relation de
postériorité que ce soit dans le passé ou dans le futur. Par ailleurs, le procès de référence, dans
les exemples de la GPR, est directement exprimé dans la proposition par l’intermédiaire d’un
autre tiroir temporel qui semble obligatoire : les phrases je soupais, j’avais soupé et j’aurai
soupé sont donc réputées incomplètes dans ce modèle.
D’après Donzé, l’abbé Girard, en 1747, dans ses « Vrais principes de la langue
française » utilise les termes de temps absolus et temps relatifs. Cette distinction est propre
aux tiroirs, il faudrait donc parler de tiroirs absolus et de tiroirs relatifs. Mais, dans les
recherches récentes, l’opposition temps absolu vs temps relatif n’est pas toujours utilisée pour
distinguer les tiroirs. Vetters (1993) expose l’évolution de cette notion. De l’opposition stricte
entre tiroirs absolus et tiroirs relatifs, on est passé à des tiroirs qui pouvaient être à la fois
31
On peut remarquer que si le présent est seul dans cette catégorisation c’est parce que, comme le signale
Kleiber (1993 : 119), le présent indique une coréférence avec le moment de l’énonciation, il serait en quelque
sorte un pur déictique.
36
relatifs et absolus. Yvon (1951) indique que le PQP et l’IMP qui sont des tiroirs relatifs,
peuvent également se trouver en emploi absolu. Il s’appuie sur les deux exemples suivants :
Le PQP de l’exemple (1) n’était pas retourné est en emploi absolu car « le fait de
retourner » est en référence au moment de l’énonciation, et l’IMP se désaltérait est en emploi
absolu puisqu’il marque le début d’une période temporelle et qu’il ne fait appel à aucun autre
procès pour tirer sa référence. Dans l’exemple (2), Yvon sous-interprète l’IMP, ce n’est pas
parce que l’IMP marque le début d’une période temporelle qu’il n’implique pas une autre
action antérieure qui est laissée à la libre interprétation du lecteur.
Yvon ajoute que la notion de temps relatif ne doit pas être strictement applicable aux
structures morphologiques temporelles particulières mais à la relation qu’entretiennent les
temps entre eux lorsqu’ils sont employés. Il s’appuie également sur les deux exemples
suivants :
(3) Le train sera parti quand nous arriverons à la gare (1951 : 269)
(4) Nous arriverons à la gare quand le train sera parti (1951 : 269)
Dans l’exemple (3), Yvon indique que le FA est repéré de manière relative, comme antérieur,
par rapport au FS qui est repéré de manière absolue. Dans l’exemple (4), le FA est repéré de
manière absolue par rapport au moment de l’énonciation 32 , toujours selon l’interprétation de
Yvon. Mais, il y a dans ces deux exemples une ambiguïté interprétative. L’information
véhiculée dans les deux phrases est « le train n’est plus là au moment où les individus arrivent
à la gare ». Le moment du départ du train est toujours antérieur à l’arrivée des individus. Dans
les deux cas c’est l’arrivée à la gare qui permet de repérer le départ du train et non le départ
du train qui permet de repérer l’arrivée à la gare. Il n’y a donc qu’un seul repérage temporel
possible, le futur antérieur est toujours repéré par rapport au FS. Ce qui brouille
l’interprétation c’est la construction syntaxique des deux subordonnées, car nous avons dans
le deuxième cas une subordonnée inverse.
Lo Cascio (1986) indique également que les tiroirs absolus peuvent se trouver en
emploi relatif, l’exemple utilisé pour montrer l’ambiguïté de certains emplois des tiroirs est
celui de Ruwet :
(5) Elle naîtra, fera de bonnes études, s’occupera de politique et évitera la troisième
guerre mondiale. On dira après sa mort qu’elle fut une héroïne.
Le passé simple fut qui devrait être un tiroir absolu, n’est pas repéré en fonction du moment
de l’énonciation puisque le procès être une héroïne est postérieur au moment de l’énonciation,
mais en fonction du verbe dira de la principale. Ainsi, selon Lo Cascio, nous n’avons pas un
schéma classique du PS, mais un schéma correspondant à un tiroir relatif. Cet exemple est
également traité par Barcelo et Brès (2006) sans faire appel à un faisceau de relations
interprétatives. Ils indiquent que le moment de l’énonciation peut être fictif, et que ce point
32
Yvon utilise le terme de présent absolu pour nommer le moment de l’énonciation, ce qui implique un autre
moment présent qui ne serait pas absolu.
37
fictif peut être indiqué dans le discours, c’est le cas dans cet exemple avec le verbe dira, qui
sert non pas de repère relatif, mais de moment de l’énonciation fictif et donc de repère absolu.
L’instabilité du sens temporel 33 d’une partie des tiroirs entraîne une analyse sur le plan
de la mise en discours de ces tiroirs. Les auteurs qui s’appuient sur ce point parlent alors
d’emplois absolus (déictique) et d’emplois relatifs (anaphorique 34 ). Les temps de la principale
seraient toujours déictiques et les temps anaphoriques se situeraient toujours dans la
subordonnée (Ayer 1851 cité par Vetters 1993 : 89). Les emplois sont donc réglés en fonction
du statut de la proposition. On aurait donc des temps absolus qui peuvent se situer dans la
principale et dans la subordonnée – dans ce second cas, ils sont en emplois relatifs – ainsi que
des temps relatifs qui ne s’emploient que dans la subordonnée. Pour ajouter à l’instabilité de
la valeur des tiroirs, on a fait remarquer que dans la GPR les tiroirs appartenant au temps
relatif étaient également déictiques puisqu’ils indiquent toujours soit le passé, soit le futur. On
obtient donc sur la base d’une distinction entre valeurs déictiques et valeurs anaphoriques et
emplois déictique et emploi anaphorique une double détermination sur le plan des tiroirs. On a
ici une contradiction apparente, les tiroirs absolus peuvent avoir un sens déictique ou
anaphorique en emploi, mais hors emploi ils n’ont de valeur que déictique. Les tiroirs relatifs
n’ont de sens qu’anaphorique en emploi, mais hors emploi ils ont une valeur déictique et
anaphorique. Cette contradiction nous amène à rejeter l’une des deux interprétations : soit on
considère que les tiroirs n’ont pas de sens en langue mais que leur valeur n’est donnée qu’en
discours, soit on considère qu’il n’y a pas de changement de sens du tiroir en discours ; dans
ce cas il faut trouver une analyse discursive plus fine dépendante des valeurs en langues des
tiroirs. Nous nous retrouvons donc avec deux types de distinction. La première se situe dans le
sens des tiroirs verbaux (définition formelle), et la seconde considère les tiroirs verbaux en
discours (définition fonctionnelle), les deux approches étant contradictoires. Nous venons de
voir deux contre-exemples aux argumentations proposant une analyse fonctionnelle des
tiroirs, le premier par une mauvaise interprétation syntaxique de la structure de la phrase, le
second par une mauvaise interprétation de la structure du récit. Ceci nous amène à rejeter
cette hypothèse du changement de valeur en emploi des tiroirs verbaux dans cette analyse de
la valeur de localisation des tiroirs.
Nous avons distingué ci-dessus les catégories des tiroirs qui sont : absolu (en langue)
ou déictique (en emploi), relatif (en langue) ou anaphorique (en emploi). Dans ce point, nous
abordons les valeurs de ces catégories. Les trois termes antérieur, simultané, postérieur
peuvent être utilisés pour référer aux relations déictiques et anaphoriques puisque dans les
deux cas il existe un moment de référence qui est, soit le moment de l’énonciation, soit un
autre procès à partir duquel cette terminologie peut être employée. Mais il n’existe pas
d’opposition entre tiroirs anaphoriques et tiroirs déictiques puisque les tiroirs anaphoriques
sont également déictiques. Ainsi, sur le plan de la terminologie, les relations déictiques sont
nommées : passé / présent / futur, et les relations anaphoriques : antériorité / simultanéité /
postériorité.
33
En l’occurrence le sens temporel est référentiel, il pose deux questions : à quelle partie du temps réfère le tiroir
utilisé ? Et où se situe cette indication référentielle ?
34
Comme le signale Kleiber (1993 : 119-120), il y a un parallèle entre l’expression de non simultanéité d’un
temps grammatical avec son moment d’énonciation et la situation des expressions anaphoriques « dont le
référent ne coïncide pas avec l’antécédent ». Cette référence indirecte dans les deux cas amène à l’appellation
anaphorique.
38
Une remarque à ce propos, il faut distinguer l’analyse du sens des tiroirs de la
cohérence temporelle. Ainsi dans chacun des exemples (6) et (7) ci-dessous, les procès sont
hiérarchisés temporellement, mais peut-on pour autant utiliser les termes de simultanéité, de
postériorité ou d’antériorité :
En (6) deux interprétations sont possibles : soit, marcher et ramasser alternent, ils sont
donc sur le même plan ; soit, ramasser serait inclus dans l’action de marcher. Par rapport au
moment de l’énonciation tout est simultané. Mais sur le plan de la hiérarchisation des actions,
les tiroirs ne nous permettent pas un quelconque repérage. L’exemple (7) présente le même
problème. Mais, dans tous les cas, la valeur de tiroir présent n’implique en aucun cas une
forme de repérage anaphorique, il s’agit ici uniquement d’une question concernant l’ordre
discursif des événements (cohérence textuelle), et pour en rendre compte la seule dimension
temporelle et référentielle des tiroirs ne suffit pas, nous verrons que c’est ici la valeur
aspectuelle du verbe qui entre en scène. Dans ces cas, nous parlerons de concomitance,
d’enchâssement, de précédence et de succession des procès dans le temps.
Comme nous l’avions fait remarquer ci-dessus, dans la GPR il n’y a pas de temps
morphologiques relatifs qui indiqueraient qu’une action est future par rapport à une autre
action passée (postériorité), Gosselin cite le cas ci-dessous:
(9) Il disait qu’à 8h Luc aurait terminé son travail depuis longtemps
où le procès terminer son travail au CP est postérieur au procès dire à l’IMP. Cet exemple,
montre que les valeurs d’antériorité, de simultanéité et de postériorité des temps anaphoriques
dépendent de l’actualisation en discours des tiroirs. Cet exemple introduit à nouveau le
problème du discours rapporté et la question du statut du procès dire à l’IMP qui peut être lu
comme un moment de l’énonciation virtuel ou comme un point de repère relatif du procès au
conditionnel. Le problème de l’analyse des grammairiens de Port-Royal est qu’ils considèrent
que les tiroirs relatifs ont un sens en langue et impliquent par leur forme morphologique un
autre procès qui sera toujours situé de la même façon par rapport au procès de base. Mais
leurs illustrations du sens des tiroirs verbaux (excepté pour le PQP) sont toujours effectuées en
intégrant le procès qui sert de référence relative. Il s’agit donc d’un procès exprimé et non
impliqué et c’est donc du contexte ainsi que de l’aspect verbal que va dépendre le repérage
simultané, postérieur ou antérieur.
Imbs propose une division « primaire » des valeurs des tiroirs temporels en passé
présent futur, le présent étant « l’origine des temps » 35 donc le moment repère autour duquel
gravite passé et futur. Il s’agit de la première échelle de référence. Ensuite, « par un effort
d’imagination », le moment repère peut être le passé ou le futur, réalisant donc l’antérieur du
passé, l’ultérieur du passé et l’antérieur du futur, l’ultérieur du futur. Il s’agit du système
« secondaire » des divisions temporelles.
35
Il précise bien qu’il s’agit du moment de la parole : « je prends pour point de départ le moment où je parle ou
j’écris » (1960 : 13).
39
Schéma 2 – Échelle des temps, Imbs (1968 :13) 36 .
Pour qualifier le système secondaire, Imbs parle de temps relatif ou fictif 37 , mais
contrairement à Port-Royal qui voyait dans le système de représentation des temps un lien
obligatoire au moment de la parole (au présent), chez Imbs le système secondaire n’est plus
en lien au moment de la parole mais en lien directement au passé ou au futur qui forment à
leur tour des points d’origine. Ainsi, pour rester complet sur le plan de la référence déictique
on pourrait dire que le moment de l’énonciation (que l’actuel) n’est pas uniquement le
présent, mais qu’il peut également correspondre au passé ou au futur grâce au pouvoir de
l’imaginaire 38 . La temporalité est conçue comme un tissu de relations, fonction de l’époque
dans laquelle le locuteur situe l’actuel, réellement ou fictivement. A cet égard, les exemples
qu’il donne des systèmes secondaires paraissent clairs, l’origine des temps étant toujours liée
à un verbe de parole (discours rapporté) :
En outre, la double valeur du passé et du futur comme temps repère ou temps repéré,
montre que la nature de la temporalité véhiculée par les tiroirs dépend de leur valeur en
emploi et non de leur forme. Une distinction majeure entre le système d’Imbs et celui de la
GPR est le type de tiroirs verbaux analysés. Imbs prend en compte le conditionnel ce que ne
fait pas la GPR, par contre il ne tient pas compte de l’IMP, ni du PC. Nous avons ici un
36
Dans le schéma : A. = antérieur et U. = ultérieur.
37
Il qualifie à l’opposé le système primaire de temps réel ou absolu.
38
Dans ce cadre le terme « imaginaire » ne renvoie pas un niveau textuel particulier, mais à une spécificité du
langage humain.
40
argument de plus en faveur de la dimension proprement linguistique de la construction d’une
échelle temporelle. Le rôle du PC et l’IMP dans le système des tiroirs n’est donc pas
proprement la localisation. Pour Imbs, c’est la dimension de l’aspect qui se retrouve dans la
répartition des tiroirs de façon franche, puisqu’il permet d’effectuer des distinctions entre
tiroirs : IMP vs PS, et Présent vs PC.
La localisation temporelle, nous venons de le voir, est une particularité des tiroirs
verbaux, mais elle n’est pas une spécificité de ces tiroirs. A l’aide des trois éléments que nous
venons d’utiliser : le moment de l’énonciation, le repère relatif et le repère absolu, nous
pouvons présenter d’autres types d’éléments discursifs exprimant la localisation temporelle.
Mais nous devrons également faire appel à d’autres types de repères, notamment celui lié au
temps conventionnel. Nous passerons en revue principalement des lexèmes appartenant aux
catégories ouvertes de la langue tels que des adjectifs, des noms et des verbes. Nous verrons
dans ce cadre que le sens temporel constitue soit une partie essentielle du sens du lexème, soit
une partie résultante ou un reliquat ou corrélat. Nous observerons également le cas des
adverbes et des conjonctions toujours en fonction de cette notion de localisation.
Dans ce point nous allons distinguer trois types d’adjectifs de localisation, ce qui va
nous amener à parler des propriétés des noms et des verbes.
39
Nous ne discutons pas ici de leur valeur de vérité.
41
ii) D’autres adjectifs opèrent une localisation dans le temps en fonction du moment de
l’énonciation qu’il soit réel ou fictif. Cette fonction de localisation opère sur le nom qu’ils
modifient tout comme les adjectifs ci-dessus :
Andrée Borillo indique que le repère peut être fourni par le temps de parole du locuteur
ou par tout autre événement situé dans le passé ou le futur. Borillo discute dans ce cadre de
l’opposition entre adjectifs de temps relatif par rapport aux précédents qui seraient des
adjectifs de temps absolu. Elle refuse d’utiliser cette terminologie, mais elle établit un
parallèle pour montrer que le sens notionnel de localisation est présent de la même manière au
sein des adjectifs et des tiroirs verbaux :
« C’est pour souligner la relativisation introduite par ces adjectifs que nous avions choisi le terme d’«
Adjectifs de temps relatif » (cf. Borillo 2002), repris de M. Gross qui parle de « date relative » pour les
adverbes (cf. Gross 1986). Mais nous convenons que ce choix n’est pas très heureux dans la mesure où
les termes de « absolu » et « relatif » sont traditionnellement réservés à la distinction entre les deux
systèmes de temps verbaux, « temps absolu »/« temps relatif » (cf. Vetters 1992). Dans ce cas, il serait
sans doute préférable de substituer au terme de « relatif » celui de « lié » ou d’« ancré » (en anglais «
anchored », cf. Smith 1978). »
Ce parallèle est discutable, tout d’abord parce que la fonction de localisation des adjectifs
appartenant au premier groupe est liée au temps conventionnel et non au moment de
l’énonciation, des dépenses pharaoniques peuvent avoir lieu pendant le règne des pharaons ou
ultérieurement en référence au règne des pharaons 40 . Mais quel que soit le type de relation de
localisation le procès désigné par le nom qui est localisé par l’adjectif PHARAONIQUE se
situera toujours sur l’échelle temporelle conventionnelle au même endroit. Le sens temporel
peut d’ailleurs n’être qu’un corrélat du sens lexical de ces adjectifs. Ensuite, la fonction de
localisation des adjectifs appartenant au second groupe est directement liée au moment de
l’énonciation : actuelle = « maintenant par rapport au moment de l’énonciation », futur =
« futur par rapport au moment de l’énonciation ». Ils n’expriment ni l’antériorité, ni la
simultanéité, ni la postériorité et le fait que le moment de l’énonciation puisse être fictif et lié
au mois de juin 2007 par exemple, ou qu’il puisse être réel et lié à l’actuel n’influence en rien
le type de référence absolu de ces adjectifs. Borillo recense une trentaine de ces adjectifs,
qu’elle appelle « ancrés », en français et qui peuvent modifier des noms désignant des entités
de nature très différente : des unités de temps, des événements ou des états, ci-dessous les
exemples de Borillo :
(7) L’an prochain, le mois suivant, un futur mariage, des événements récents, un
souvenir ancien mais également, pour certains, des entités matérielles concrètes :
(8) Un nouveau pont, un tableau ancien, un vieux chapeau, ma précédente voiture ou
même des êtres vivants, animaux mais surtout humains :
(9) Un vieux professeur, un ancien ministre, le futur candidat, un vieil ami, etc.
Ces adjectifs ont comme spécificité d’exprimer uniquement la temporalité ou une notion
spatiale qui peut être interprétée temporellement, contrairement aux adjectifs relationnels
précédents dont la composante temporelle est un corrélat de leur sens lexical.
40
Il y a dans ces adjectifs un parallèle à faire entre le sens propre et le sens figuré.
42
iii) Enfin, d’autres adjectifs expriment une localisation directe dans le temps, en indiquant
uniquement une période temporelle qui est localisée par rapport au temps conventionnel, c’est
le cas de matinal, nocturne et dominical 41 , dans les exemples ci-dessous :
Dans ces exemples le procès exprimé par le SN est repéré par rapport à un intervalle temporel
qui est disjoint du moment de l’énonciation. Il s’agit également dans ces exemples de repères
conventionnels qui nous permettent de localiser ces événements. Cette dimension temporelle
est la composante complète (entière) du sens lexical de chacun de ces adjectifs. Elle n’est pas
une propriété de la catégorie grammaticale « adjectif ». Il en est d’ailleurs de même pour
certains noms qui fonctionnent de la même manière. Par exemple la nuit, le matin, le présent,
l’avenir, Noël, dimanche, expriment tous une indication temporelle de localisation. Ces
indications nous les retrouvons également dans le sens lexical de certains verbes tel que
déjeuner, dîner qui renvoient à une période temporelle fixe et qui ont une certaine durée. Dans
tous ces exemples, la localisation est relative à une référence temporelle plus étendue de
l’ordre de la journée, de l’année. Ils fonctionnent comme des sélecteurs d’une partie
temporelle mise en jeu implicitement. On peut figurer ces représentations temporelles sous la
forme d’un système d’enchâssement des références, ces références sont relatives à la période
sélectionnée par le lexème. Par exemple, le nom matin sélectionne une partie spécifique d’une
étendue de temps qui est la journée : matin ⊂ journée.
Sur le plan de la localisation temporelle, plusieurs types de références sont en jeu : les
références directes à la temporalité chronologique qui sont la datation ainsi que la
spécification d’une période temporelle précise, les marqueurs de cette temporalité directe sont
des éléments lexicaux et des syntagmes prépositionnels ou nominaux. Un deuxième type de
temporalité consiste dans la localisation d’un événement dans le temps à partir d’une
référence déictique ou anaphorique au moment de l’énonciation. Les marqueurs peuvent être
dans ce cas les tiroirs, des adverbes ou des compléments adverbiaux.
Conjonctions et adverbes
Ces conjonctions impliquent une localisation relative car elles mettent obligatoirement en
relation deux procès, la localisation portant sur le deuxième procès par rapport au premier.
Tesnière (1980(-1927) : 41) effectue un classement des adverbes marquant formellement cette
opposition
41
Concernant matinal et nocturne, ces adjectifs sont tous les deux dérivés respectivement des noms matin et
nuit.
43
ABSOLU RELATIF
Temps passé Temps antérieur
Tout à l’heure L’instant d’avant
Hier La veille
Avant-hier L’avant-veille
Il y a deux heures/ trois jours/ six semaines/ deux mois/ deux heures/ trois jours/ six semaines/ deux mois/ cinq
cinq ans ans auparavant
La semaine/ l’année dernière/ le mois/ l’an dernier La semaine/ l’année précédente/ le mois précédent
Lundi dernier Le lundi précédent
Temps présent Temps concomitant
En ce moment A ce moment-là
Aujourd’hui Ce jour-là
Cette semaine/ cette année Cette semaine-là/ cette année-là/ ce mois-là
Ce mois-ci Le lundi/ le mardi/ etc.
Lundi/ mardi/ etc.
Temps futur Temps postérieur
Tout à l’heure L’instant d’après
Demain Le lendemain
Après demain Le surlendemain
Dans deux heures/ trois jours/ six semaines/ deux mois/ deux heures/ trois jours/ six semaines/ deux mois/ cinq
cinq ans ans après
La semaine/ l’année prochaine la semaine/ l’année suivante
Le mois/ l’an prochain le mois suivant
Lundi prochain le lundi suivant
Tableau 8 – Temps absolus temps relatif - Classement des adverbes (Tesnière 1927)
Dans la classification de Tesnière, nous pouvons dénombrer de nombreux adverbes dont nous
avons rendu compte dans la catégorie précédente des adjectifs. Les principales oppositions
concernant ce qu’actuellement les linguistes considèrent être des adverbes, peuvent être
rendues ci-dessous :
- hier vs la veille
- aujourd’hui vs maintenant
- demain vs le lendemain
Vuillaume (1990 : 16) distingue les marqueurs déictiques immédiats (directs) tel que
certains adverbes temporels aujourd’hui, maintenant, et les temps verbaux qui ont besoin
d’un ancrage supplémentaire lié au contexte. En effet, dans l’exemple qu’il cite : Pierre est
venu, l’information temporelle véhiculée par le passé composé, est déictique, elle situe la
venue de Pierre dans le passé par rapport au moment de l’énonciation, mais l’objectif visé par
l’utilisation de ce temps est une période précise du passé qui ne peut-être spécifiée qu’en
fonction du contexte. A priori les déictiques directs sont les plus précis référentiellement dans
la catégorie des déictiques, mais les informations temporelles peuvent être bien plus précises
qu’un simple aujourd’hui. Pour être plus précis, l’échelle de localisation de la temporalité
linguistique doit changer et passer à des éléments qui ont une référence conventionnelle. Si les
adverbes servent aussi bien de lien entre référence absolu ou relative et référence
conventionnelle, c’est parce que ce sont des éléments charnière sur le plan sémantique. En
effet, la veille correspond sémantiquement dans la plupart de ses emplois à une unité de
l’ordre de la journée, aujourd’hui et demain également. Nous avons déjà rendu compte
d’autres types d’éléments ayant une référence conventionnelle, ce sont certains adjectifs.
Nous pouvons les compléter par des noms et des compléments circonstanciels de temps
introduits par des prépositions du type à, en, pendant, durant, …Ainsi, nous voyons
clairement que les éléments linguistiques impliquent des systèmes de localisation distincts,
44
mais que ces systèmes sont combinables de façon très précise comme dans les exemples ci-
dessous :
Dans ces exemples, les temps verbaux impliquent une localisation par rapport aux trois
périodes passé/présent et futur en fonction du moment de l’énonciation. Les adverbes hier, la
veille, aujourd’hui, maintenant impliquent une localisation temporelle plus précise de l’ordre
des journées, tout en étant encore liés au moment de l’énonciation. Le matin implique une
période temporelle au sein de la journée il n’est donc plus lié au moment de l’énonciation
mais est ancré par rapport au temps conventionnel. Les compléments circonstanciels tels que
à 8h, entre 13h et 13h30 impliquent une période temporelle graduelle selon la matinée et le
temps conventionnel.
Les éléments qui lexicalisent le plus la valeur quantificationnelle sont les adverbes et les
syntagmes adverbiaux appelés quantifieurs. Nous ferons tout d’abord une première partition
entre adverbes fréquentatifs et adverbes itératifs. Dans la première catégorie nous classons :
accidentellement, épisodiquement, exceptionnellement, fréquemment, occasionnellement,
périodiquement, sporadiquement, de temps en temps, parfois, toujours, quelquefois,
souvent… Les autres adverbes sont des numéraux associés à fois : x fois, auquel on peut
ajouter encore, à nouveau, déjà dans certains de leurs emplois temporels. La différence entre
les deux types de quantification réside dans la détermination ou l’indétermination du nombre.
Ce facteur est important car l’indétermination du nombre ne permet pas de concevoir les
différents procès de manière individuelle. L’ensemble des sous-procès est donc
45
obligatoirement conçu comme le résultat d’un procès global. Ceci n’est pas vrai pour les
itératifs :
Dans le premier cas, la répétition du procès est aléatoire, nous utiliserons donc le terme
de fréquence de déroulement du procès. L’autre type de répétition est précise, elle détermine
deux courses précises, nous utiliserons le terme d’itération pour qualifier ce sens. Cette
distinction est uniquement sémantique, l’adverbe portant sur le procès va sémantiquement
prédiquer dans le cas 1 : P = (px) et dans le cas 2 : P = p(x) 42 . Et sous forme schématique cela
donne :
Sur le plan des parties du discours, certains adjectifs, en fonction de leur contenu
lexical, expriment une répétition, une fréquence, quantifient le nom avec lequel ils sont en
colocation, c’est le cas de rare et fréquent, dans les exemples ci-dessous :
L’adjectif, dans ces exemples, qualifie le nom avec auquel il est lié. Pour qu’il puisse y
avoir de la temporalité, le nom qui est qualifié doit exprimer un procès ; on parle dans ce
cadre de la nominalisation du procès. Dans ces exemples, nous parlerons de l’action
nominalisée par visite qui est visiter.
Dans les exemples (6) et (7) les adjectifs impliquent une répétition aléatoire du procès.
Cette répétition est renforcée par le pluriel, mais le pluriel est obligatoire dans ces deux cas :
Dans les exemples (8) à (12), tiré de Borillo (2001), les adjectifs sont quantifiants en soi.
Ils impliquent une répétition qui n’est plus aléatoire, mais précise parce qu’ils véhiculent
également un contenu temporel conventionnel. Ces adjectifs possèdent à la fois un contenu
référentiel et quantificationnel :
42
P représente le procès global, p représente une unité du procès et x l’opérateur de quantification temporel.
46
(8) Une publication trimestrielle (« qui a lieu tous les trois mois »)
(9) Un banquet annuel (« qui a lieu chaque année »)
(10) Une réunion hebdomadaire (« qui a lieu chaque semaine »)
(11) Une visite quotidienne (« qui a lieu chaque jour »)
(12) Une exposition bisannuelle (« qui a lieu tous les deux ans »)
En ce qui concerne les adverbes, la même opposition se fait sentir entre d’une part une
répétition aléatoire (ceux que nous avons appelés fréquentatifs (13)) et d’autre part une
répétition précise (14). Ces deux types de quantifications vont s’appliquer au procès véhiculé
par le verbe :
Il est clair que dans la série des exemples en (14) tout comme dans les exemples de (8) à (12),
la répétition précise est liée à la valeur lexicale des adverbes qui implique une référence à la
temporalité conventionnelle en terme d’année, de jour, de mois, etc.
La distinction entre adjectifs fréquentatifs et itératifs simples n’existe pas sur le plan formel
car l’itérativité simple est marquée sur le nom par l’intermédiaire du déterminant numéral. Il y
a d’ailleurs incompatibilité entre valeur fréquentative et valeur itérative :
Par contre, il y a possibilité d’une nouvelle forme de distributivité des procès qui combine
itérativité et itérativité référentielle, et qui respecte l’ordre syntaxique des constituants.
L’itération simple va porter sur le nom par l’intermédiaire du déterminant, puis l’itérativité
référentielle va porter sur le nom et son déterminant par l’intermédiaire de l’adjectif, comme
pour l’exemple (15) :
Certains verbes dans leur sémantisme interne véhiculent également, outre d’autres
indications non-temporelles, des informations du type quantificationnel. Il s’agit des verbes
comme complimenter, tousser, caresser, aboyer, japper, hachurer, zébrer, mastiquer,
mâcher, triturer, applaudir. Dans tous ces cas nous avons des fréquentatifs que nous appelons
interne, car chaque procès se compose d’une suite d’actes dont la somme est conçue en tant
qu’un seul procès et ces actes ne peuvent pas être dénombrés :
47
(16) Arrête de complimenter ma femme (« faire des compliments »)
(17) Arrête de tousser ! (« avoir une toux »)
(18) Arrête de caresser ce chien ! (« faire des caresses »)
(19) Arrête d’aboyer comme ça ! (« émettre des aboiements »)
(20) Arrête de hachurer ma page ! (« faire des hachures »)
Si ces verbes sont considérés comme véhiculant une quantification temporelle, c’est en
partie en raison de l’analogie de contenu avec certains suffixes. Certains suffixes
dérivationnels tels que –ILLER dans sauter/sautiller, tirer/tirailler, -ETER feuille/feuilleter,
cligner/clignoter, ou -ONNER dans mâcher/mâchonner expriment également la quantification,
et il s’agit également d’une quantification que l’on peut appeler fréquentative interne. Une
autre valeur corrélative à la fréquentativité interne est le type de procès qui entre dans
l’intervalle répétitif. Ainsi, si marcher c’est la répétition de pas, un pas c’est la répétition de
deux séquences différentes qui sont lever et baisser alternativement la jambe. La répétition est
donc ici constituée de sous procès différents que l’on a représentée sous le schéma ci-dessous.
Ce type de répétitivité peut être appelée fréquentative interne hétérogène (ou simplement
micro-hétérogène selon la terminologie de Recanati et Récanati (1999)) :
Dans tous ces cas d’analyse de la quantification verbale, nous entrons à la limite de
l’étude linguistique puisque le degré de référentialité à la réalité physique de cette analyse
sémantique est tellement élevée que ces typologies apparaissent purement empiriques et non
représentatives d’une quelconque structure de la langue.
La quantification peut être conçue selon deux points de vue, soit il s’agit de rendre
compte des procès multiples, soit il s’agit de rendre compte de la caractéristique « nombre »
des procès. Dans la deuxième perspective, les procès qui ne se produisent qu’une seule fois
entrent dans la catégorie de la quantification. Ces procès sont appelés semelfactifs. De
nombreux verbes entrent dans cette catégorie : percuter, crever, exploser, buter, se heurter,
sursauter, éteindre, …
Au regard des exemples (21) et (22) ci-dessous, on peut remarquer que pour ce type
d’itération, il ne peut y avoir au sein du syntagme verbal dérivé en RE- une combinatoire
valeur itérative binaire et valeur fréquentative :
48
(21) a- ?Il remarche fréquemment
b- Il marche fréquemment
(22) a- ?Il recourt rarement
b- Il court rarement
Ceci permet de signaler que l’adverbe porte simultanément sur les deux sous-procès. Ils sont
donc conçus comme constituant un procès global. Le fonctionnement est identique à celui du
syntagme nominal qui ne peut se voir composé d’un quantifiant itératif et d’un quantifiant
fréquentatif.
La fréquentativité est une valeur qui peut être issue de l’interaction entre différents
types de supports. Ainsi, les verbes comme exploser (appelés verbes semelfactifs) associés à
un suffixe flexionnel IMP (23) ou à un complément de temps du type pendant x temps (24),
ou encore un verbe fléchi à l’IMP associé à un complément de temps du type en x temps (25),
permettent une lecture fréquentative :
Enfin, la fréquentativité peut être ambiguë sur le plan de la phrase, elle n’est réalisée
dans ce cas qu’en fonction du contexte. Il ne semble pas y avoir de marqueurs fréquentatifs
spécifiques dans la phrase, c’est le cas de l’exemple de Kleiber (1987 : 19) :
Dans ce dernier cas, on peut supposer que comme le langage n’a pas pour fonction
première de rendre la communication d’un message ambigu, c’est le co(n)texte qui signale
l’habitualité ou l’unicité du procès. Le co(n)texte implique donc une information équivalant à
un signe linguistique du type aujourd’hui ou habituellement/régulièrement. On peut donc dire
que la puissance des adverbes temporels dépasse le sens temporel exprimé par un procès qui
ne véhicule aucune information quantificationnelle lorsqu’il est utilisé avec un tiroir présent
(cela fonctionne également avec un PC et un FS puisque aujourd’hui fonctionne avec ces trois
tiroirs).
49
(31) Il court pendant une heure
(32) Il s’amuse entre une heure et deux heures
(33) Il m’a démoralisé à plusieurs reprises
(34) Le cas se retrouva trois fois
Dans les exemples (31) et (32), il s’agit d’une quantification où le procès est conçu
comme une suite d’actes qui va se répéter, dans ce cas la répétition agit sur la structure interne
du procès. Il s’agit d’un cas de fréquentativité interne. Le cas (33) est un cas fréquentatif. Et le
cas (34) est un cas itératif mais différent des cas précédents car il n’y a pas intervention d’un
système référentiel, la spécification des actions est liée au nombre, et les intervalles temporels
ne sont donc pas réguliers. Nous appellerons un tel cas itératif irrégulier. Dans tous ces cas, il
n’y a pas de localisation temporelle, mais uniquement un type de distributivité particulière
d’une action.
Dans ces typologies, nous n’avons conservé que trois valeurs : fréquentatives,
itératives et semelfactives. Ces trois valeurs nous sont apparues nécessaires et liées à deux
propriétés de la quantification. La première propriété est la détermination ou l’indétermination
du nombre, les catégories itératives et semelfactives sont déterminées au niveau du nombre, la
catégorie fréquentative ne l’est pas. La seconde propriété est liée à la première, il s’agit de
l’appréhension de l’action (distributivité) : soit elle est perçue comme multiple, soit elle est
perçue comme un tout. Plusieurs autres typologies de la quantification ont été proposées,
parmi celles-ci la typologie de Duchačèk (1966), celle de Dik (1987) et celle de Mel’čuk que
nous avons résumées ci-dessous :
50
- Itératif : le procès se produit plusieurs fois
- Fréquentatif : le procès se produit fréquemment
Dans cette typologie, les distinctions entre habituel et fréquentatif sont très difficiles à
faire. Ainsi entre Il vient fréquemment dans ce café et Il vient habituellement dans ce café, le
degré de distinction du sens temporel est mêlé à la connotation véhiculée par les deux
adjectifs. Si habituel porte une connotation régulière, fréquentatif semble plus irrégulier, mais
ils ont tous les deux comme particularité d’induire une indétermination du nombre. Cette
particularité propre à la quantification semble plus importante. Ensuite cette indétermination
du nombre est également liée à l’indécompositionnalité des procès. Ainsi, si quelqu’un vient
fréquemment ou régulièrement dans ce café, cela signifie qu’il a effectué plusieurs actions
« d’entrer dans le café », mais ces actions sont conçues comme un tout aboutissant à une
propriété de l’individu. Dans les deux cas la pluralité des actions semble conçue comme un
tout. Cette deuxième particularité qu’ont en commun ces deux catégories nous incite à les
regrouper sous la même appellation : fréquentatif. Mais une distinction liée à la localisation
temporelle mène à nuancer ce regroupement. Dans les exemples ci-dessous, la relation au
moment de l’énonciation est différente. En effet, les habituels ne peuvent pas être utilisés
avec un temps composé du passé :
par contre ils peuvent être utilisés sans difficultés avec un IMP :
Ceci montre que les habituels ne sont pas incompatibles avec la localisation temporelle
dans le passé, mais qu’ils sont indécomposables en procès unique ce qui n’est pas le cas des
fréquentatifs qui sont conçus comme une succession de procès et non comme un seul procès
indécomposable.
Mel’čuk ( : 69-85) propose sept catégories en distinguant nettement deux propriétés qui sont :
le nombre (propriété de la première catégorisation (I.)), et la distributivité dans l’espace et
dans le temps (propriété de la seconde catégorisation (II.) :
I. Neutre : sans spécifier le nombre de fois (il est malade, kusat’ : « mordre » en russe, pisat’
« écrire » en russe)
Semelfactif : une seule fois (kusnut’ : « mordre une seule fois » en russe)
Multiplicatif : plusieurs fois (il est souvent malade, à plusieurs reprises, pisyvat’ : « avoir
l’habitude d’écrire » en russe)
II. Concentré : le fait en cause est présenté comme un tout, sans une structure interne (une
salve)
Distributif : le fait a lieu simultanément dans plusieurs endroits (une fusillade)
Itératif : le fait a lieu à plusieurs moments successifs (une rafale)
Itératif-distributif : le fait a lieu dans plusieurs endroits et à plusieurs moments (échanges de
coups de feu)
43
Tout semble indiquer que l’habituel est imperfectif et le fréquentatif perfectif.
51
Distributivité et localisation temporelle
« Une phrase simplement itérative est une phrase qui présente une situation comme étant vérifiée à
deux, trois, … plusieurs reprises à l’intérieur d’un intervalle temporel. […] Une phrase fréquentative, au
contraire, présente l’itération comme s’étendant sur tout l’intervalle temporel » (1987 : 115).
(38) Paul est allé 10 fois/plusieurs fois à l’école à pied le mois dernier
(39) Paul est allé quelquefois/souvent à l’école à pied le mois dernier
Dans cette analyse, les compléments temporels ne jouent aucun rôle sur la sélection
d’un type d’interprétation, leur sens est au contraire modifié en fonction des adverbes (et peut-
être du type de verbe et de tiroir utilisé). Par contre, ces compléments temporels peuvent
servir de test car ils sont indispensables avec un adverbe itératif et facultatif avec un adverbe
fréquentatif :
44
Cette opposition recoupe la distinction comptable vs massif que l’on retrouve dans l’analyse de la pluralité.
52
3.5 La qualification temporelle
Mais, s’il est vrai que la temporalité apparaît fortement liée à l’idée de mouvement,
cette dimension n’est pas la seule. La notion d’état est fortement liée à celle de permanence
(qu’elle soit absolue ou relative), donc de durée sans mouvement. Par exemple : les pyramides
d’Égypte traversent les siècles. C’est pourquoi, comme le signale Kleiber (1987 : 109), les
phrases habituelles et génériques ne sont pas atemporelles.
Les verbes expriment naturellement un procès. Des verbes comme exploser, tomber,
manger, avancer, aimer, expriment tous un type de durée différente mais cette durée est
inhérente au verbe lui-même. Les prédicats verbaux expriment également un procès
particulier comme chanter une chanson, courir un 100m, être fumeur, traverser les siècles.
Certains noms fonctionnent comme des verbes et véhiculent également une notion de durée
donc un procès. Nous pouvons citer par exemple des noms simples tels que : ennui, bonheur,
travail, lecture, ainsi que des prédicats nominaux tels que : construction de la maison, lecture
d’un poème, atteinte d’un sommet. Enfin, certains adjectifs qualifient temporellement le nom
en impliquant une certaine durée immédiat, subit, rapide, long, passager, bref. Ces adjectifs
n’expriment pas un procès, la qualification peut donc être le propre d’un lexème, nous
pouvons parler de qualification interne, ou elle peut être le fait d’un modifieur, dans ce cas il
s’agit d’une qualification externe.
Les procès peuvent être également présentés de manière partielle, sous ce que nous
appelons traditionnellement une période. Pour qu’une présentation partielle d’un procès soit
possible, il faut que celui-ci soit composé ou constitué de différents éléments, ce que nous
appellerons les phases du procès. La notion de phase, nous pouvons la définir comme la saisie
d’une partie d’un procès exprimé par un verbe. Un procès peut être constitué de trois phases :
53
début milieu fin
/_____________/____________/_______/
Commencer à/ être en train de/ finir de
Cette échelle est forcément réductrice car il existe par exemple des phases de
préparation au commencement d’un événement. Il s’agit donc simplement d’un modèle, basé
sur la construction de l’événement.
Cosériu (1980) effectue une représentation plus complète de cette notion en montrant
qu’elle est exprimée par des périphrases verbales :
/ /______/___________/_________________/_____/ /
1 2 3 4 5 6 7
Schéma 4 – Les phases du procès (Cosériu 1980)
1 : imminentiel (être sur le point de…). Cette phase est une focalisation sur l'espace temporel
qui précède le début de l'événement (aspect imminent).
2 : ingressif (se mettre à…). Cette phase permet de souligner le début d'un événement
3 : inceptif (être en train de). Cette phase permet de décrire un événement pendant qu'il se
déroule
4 : progressif (continuer de, toujours). Cette phase représente le caractère continuatif de
l'événement décrit
5 : régressif (être sur le point de finir) cette phase marque la fin imminente d'un événement.
6 : conclusif (terminer de). Elle indique la fin de l’événement
7 : égressif (venir de). Elle souligne le caractère achevé de l'événement
La période d’un procès, c’est-à-dire l’expression des phases de ce procès est également
présente chez Dik, mais il la structure différemment en considérant que toutes les phases
d’une période ne sont pas toujours relatives à la structure interne du procès. Ainsi, le phasal
aspect prend en compte des éléments extérieurs au procès mais qui participent à son
déroulement. Il reprend les mêmes dimensions que Cosériu, mais les phases 1, 2, 6 et 7 sont
extérieures au procès.
___________________________________________
MDP
1 2 3 4 5 6 7
Schéma 5 – Phasal aspect (Dik 1987 : 61)
Cette notion de phase est en quelque sorte objective, grammaticalisée. Il s’agit d’une
forme de temporalité constitutive des événements, s’apparentant au temps linéaire. Elle est
nécessaire à l’existence d’un événement, mais pas forcément exprimée. Certaines périphrases
verbales et certains adverbes permettent de mettre en relief cette opposition en présentant les
périodes des procès. Nous soulignons en relief car ces périphrases s’appliquent aux procès
exprimés par le verbe. Nous l’avons fait remarquer dans les exemples ci-dessus. Mais les
tiroirs peuvent également mettre en valeur ces phases. Ainsi, Vet par exemple montre que la
différence entre l’IMP et le PS peut être mise en évidence à travers ces notions de phases et de
périodes. Il reprend le schéma de Dik appliqué au procès
54
Schéma 6 – La structure du procès (Vet 1980)
Selon les tiroirs et les verbes employés, les phases sont plus ou moins saillantes,
comme dans les exemples ci-dessous au PC et au FS avec des verbes que nous qualifions
d’état :
Les tiroirs tout comme les périphrases verbales ne font que mettre en évidence certaines
phases exprimées intrinsèquement par le verbe. Cette mise en évidence des phases d’un
procès par des éléments externes aux verbes nous l’avons appelée « période ». La période est
donc l’actualisation des phases d’un procès. Nous utiliserons par la suite d’autres termes pour
désigner cette notion. Toutefois, les phases ne sont pas toutes exprimables pour tout élément
exprimant un procès (principalement le verbe). Le verbe trouver, par exemple, n’est pas
compatible avec les phases ingressives, régressives et conclusives (Leeman-Bouix 1994 :
51) ce qui peut être facilement mis en valeur à l’aide de tests de compatibilité avec les
périphrases verbales :
55
(13) *Il se met à trouver quelque chose
(14) *Il est sur le point de finir de trouver quelque chose
(15) *Il termine de trouver quelque chose
Mais ce qui apparaît plus troublant avec le verbe trouver c’est qu’il n’est pas compatible avec
les phases intérieures au procès : inceptive et surtout progressive.
Finalement trouver n’est compatible qu’avec les deux phases extrêmes extérieures au procès,
imminentiel et égressif, et qui spécifient sa phase préparatoire et son résultat.
Cette incompatibilité semble signifier que le procès trouver n’a pas de contenu
processuel. En fait, cette notion de phase a pour particularité d’être liée à la notion
d’intervalle. Ainsi, puisque chaque phase constitue un intervalle temporel, nous pouvons
affirmer que le verbe trouver n’est pas constitué d’intervalles temporels.
La quantification d’un procès est aussi extensive, c’est-à-dire que les phases du procès
peuvent être mesurées dans leur durée. Certains compléments temporels mesurent cette durée.
On peut faire état de pendant x temps, en x temps, depuis x temps, de x temps à x temps,
jusqu’à x temps, toute la journée qui jouent tous un rôle spécifique sur la nature de la durée du
procès.
La réflexion sur le temps dans le langage ne s’élabore pas en fonction d’un absolu
temporel qui correspondrait à une unique temporalité vécue par tous les hommes, mais elle
s’élabore en relation étroite avec les perceptions et les rapports temporels fondamentaux
qu’entretient l’individu avec son environnement (physique, social, perceptif) et également en
fonction des caractéristiques propres au langage, notamment sa fonction communicative. Par
ailleurs, ces caractéristiques sont également liées aux spécificités des langues. En ce qui
concerne le français, l’étude du temps dans le langage ne se réduit pas à l’analyse des formes
grammaticales du temps, ce qu’on appelle en français la flexion verbale ou les tiroirs verbaux,
mais elle s’élabore dans le cadre d’une analyse notionnelle du temps. Dans ce cadre, le
premier repère est celui du moment de l’énonciation, ce qui correspond à l’actuel. Ce repère
est crucial, mais il n’est pas le seul dans un discours, puisque l’échelle du temps
conventionnel et le déplacement du moment de l’énonciation dans le temps servent également
de structure temporelle. En outre, le principal objet à situer dans le temps est le procès, qui est
lui-même expression d’un certain temps conçu en termes de phases et actualisé dans des
périodes temporelles. La plupart de ces notions temporelles peuvent être symbolisées sous
formes topologiques et vectorielles, comme nous l’avons vu dans les représentations de la
localisation, de la quantification et de la qualification temporelle.
45
Pour cet exemple, l’interprétation de la description d’une phase intérieure au procès n’est pas possible, par
contre une interprétation en tant que phase préparatoire au procès est possible. Cette double interprétation de la
périphrase aspectuelle être en train de sera discutée dans le chapitre 3.
56
La distinction de trois notions correspond à l’analyse linguistique d’une relation entre
deux éléments : le temps et l’aspect. L'aspect se différencie du temps, car le temps situe un
procès sur l'échelle passé, présent, futur (il sert de cadre au procès) et il a besoin d’un ancrage
externe, alors que l'aspect considère la façon dont s'exprime le procès. Dans une phrase
comme « Jean mange », le verbe conjugué « manger » renvoie au présent de la déixis, dans
« Jean mangera » il renvoie au futur de la déixis, etc. Tandis que l’aspect en tant que notion se
situant à l’intérieur du verbe va déterminer si la situation est en train de s’accomplir, comme
dans il mange (mangeait, mangea,…), ou si la situation est accomplie comme dans il a mangé
(avait mangé,…). L’aspect apparaît sur un même continuum temporel et l’opposition
aspectuelle entre une action achevée, finie et une action en cours de déroulement, sans bornes
est exprimée par des moyens morphologiques différents. Lyons considère également que
l’aspect est non-déictique contrairement au temps qui lui est déictique :
« tandis que le temps est une catégorie déictique, qui implique une référence explicite ou implicite au
moment de l’énonciation, l’aspect est non-déictique » (1980 : 325).
L’information véhiculée par les tiroirs est dite temporelle car elle présente la
caractéristique de renvoyer à la déixis temporelle 46 . Mais les tiroirs ne sont pas purement
distribués en fonction de cette caractéristique, ils véhiculent d’autres informations (parmi
lesquelles les informations aspectuelles) et leur fonction d’organisateur temporel d’un énoncé
demande un système de repérage plus complexe comme nous l’avons vu chez les
grammairiens de Port-Royal avec l’intervention d’un point de repère anaphorique, ainsi que
chez Imbs avec l’utilisation d’un moment de l’énonciation fictif. Le temps est défini comme
une catégorie déictique où les marqueurs impliquent une relation entre le moment de la parole
et le moment de l’événement situant par là-même tout événement dans un espace qui est
passé, présent ou futur. L’aspect qui informe sur l’espace temporel de développement de
l’action, soit en marquant l’événement dans son déroulement, soit comme accompli, va entrer
en interaction avec le temps. Les questions que nous allons nous poser sont : jusqu’à quel
point ces catégories sont-elles complémentaires et intriquées en français et quels moyens
fiables avons-nous pour les distinguer sur le plan sémantique et sur le plan morphologique ?
L’aspect est véhiculé par différents éléments linguistiques incluant des tiroirs, des
affixes dérivationnels, des périphrases verbales, des adverbes, des éléments lexicaux. Du fait
de ces multiples éléments on distingue différentes catégories aspectuelles (notamment le
mode de procès ou aspect lexical et l’aspect flexionnel). L’aspect exprime les notions
comme la durée, la répétition, etc. des procès (ou des actions ou des événements, selon les
théories). Les catégories de la temporalité et de l’aspectualité sont distinctes mais fortement
intriquées au sein du discours, c’est pourquoi on parle du champ aspectuo-temporel 47 .
46
Le terme de déictique peut renvoyer à deux notions : soit, il renvoie à une spécificité de certains tiroirs qui sont
chargés de véhiculer une référence directe par rapport au moment de la parole ; soit il renvoie à tous les tiroirs
qui de manière directe ou indirecte font automatiquement référence à la déixis. Nous utilisons le terme de
déictique dans le deuxième sens.
47
Terme que nous utiliserons dorénavant.
48
Cette opposition est très floue comme nous le verrons dans la deuxième partie.
57
concerne la structure temporelle interne du procès. Le mode de procès se distingue de l’aspect
flexionnel (grammatical) par sa forme. L’aspect flexionnel est propre aux tiroirs du verbe et il
se distingue de la valeur strictement temporelle des tiroirs par le fait qu’il n’a pas le même
rôle dans les opérations de repérage.
Ce terme de mode de procès n’est pas le seul employé : selon les axes théoriques et
l’évolution historique de la recherche sur l’aspect, d’autres termes lui sont plus ou moins
synonymes (Aktionsart, mode d’action, aspect lexical, aspect sémantique, aspect prédicatif,
caractère aspectuel,…). Cette liste non exhaustive indique les nombreux débats d’idées que
cette notion a suscités. Notre objectif, dans ce travail, est non seulement de désambiguïser les
relations entre l’aspect et le mode de procès, mais également de déterminer et délimiter
l’ensemble du vocabulaire propre au mode de procès.
49
Ceci est classique dans l’étude des langues
50
Nous utiliserons le terme de procès comme terme générique
58
Chapitre 2. La notion d’aspect : histoire et évolution
Cette partie propose un aperçu historique de la notion d’aspect. Nous allons considérer
l’aspect à partir de ses spécificités en russe, langue qui est à la base de la création de cette
notion, en cherchant à mettre en corrélation les deux niveaux morphologiques et sémantiques.
Notre analyse se situe sur deux axes transversaux qui sont : le déplacement de la
problématique aspectuelle grammaire/lexique vers une opposition lexique/discours ; et la
distinction sur le plan conceptuel cette fois-ci, entre temporalité et aspectualité.
1 ASPECT
Selon Archaimbault, Greč est le premier à avoir identifié l’aspect en tant que catégorie
autonome liée à la morphologie, notamment aux préverbes. Le terme utilisé par Greč est :
vid apparenté au verbe videt’ qui signifie « voir », vid signifiant « le regard, la vision ». Sur le
plan grammatical, dans le sens de Greč, vid signifie « point de vue sur l’action »
(Archaimbault 1999 : 216). Si c’est à Greč que l’on doit le sens actuel du terme vid,
l’utilisation de ce mot dans la terminologie grammairienne slave est plus ancienne. Il apparaît
dans un des premiers manuscrits slaves datant du XVème siècle, et portant sur la grammaire
slave. Ce manuscrit est rédigé par un anonyme et il est appelé le Damaskin (Archaimbault
1999 : 45). Le terme est ensuite repris dans toutes les grammaires du russe. Ce terme est
traduit du grecque eidos (« espèce ») qui est utilisé pour rendre compte des procédés
morphologiques de dérivation suffixale 52 , entre un simplex et un dérivé (nom ou verbe).
Le terme vid est donc apparenté à ces deux sens, le sens originaire grammatical et
recouvrant un phénomène morphologique : c’est le eidos grec ; et le sens issu de l’usage
courant du terme vid qui est utilisé dans le métalangage pour la première fois par Greč : c’est
le vid signifiant « point de vue ». Sylvie Archaimbault en tire une conclusion très importante
pour l’étude actuelle de l’aspect, notamment sur les difficultés à en élaborer une définition
stable :
« Suivant les langues considérées, l’aspect est en effet vu soit comme une catégorie générale
universelle, dont les moyens d’expressions variés selon les langues convergent vers la représentation
des procès, c’est le point de vue, soit comme une catégorie liée à des critères morphologiques et
lexicaux répertoriés, c’est alors l’espèce. » (1999 : 225)
51
Pour l’édition originale : Greč, Nikolaj Ivanovič (1928) Prostrannaja russkaja grammatika, St Petersburg.
Une grammaire de la langue slave écrite par Reiff, datant de 1851, a été numérisée, elle est disponible en ligne
sous format PDF sur le site de Gallica. Dans cette grammaire Reiff n’utilise pas le terme aspect mais celui de
branche, S. Archaimbault (1999 : 224) signale que le terme branche avait déjà été utilisé par Reiff dans sa
grammaire de 1821 et qu’entre ces deux grammaires ce dernier n’a pas conservé le terme d’aspect.
52
L’« espèce » va de paire avec la « figure », ce dernier terme concerne les phénomènes de composition verbale
par préfixation (préverbation).
59
Archaimbault présente ici la principale source d’ambiguïté du terme aspect, récurrente
dans toute la littérature sur le sujet. On peut y lire deux types différents d’analyses du
problème aspectuel, une lecture onomasiologique qui prend le parti d’une vision universelle
de l’aspect se retrouvant dans la notion de point de vue ; et une lecture sémasiologique qui
part des différentes formes morphologiques d’expression de l’aspect se retrouvant dans le
sens de eidos. Cette ambiguïté entre deux types de sens liés au terme aspect a une origine
étymologique mais elle persiste en raison de la multiplicité des expressions de l’aspect dans
les langues.
Le terme aspect apparaît en 1828, mais le concept d’aspect est beaucoup plus ancien.
Il est familier aux philosophes et grammairiens grecs et latins. Le grammairien latin Varron (-
116 à -27) oppose l’imperfectif, comme référant à une action incomplète, au perfectif, comme
référant à une action complète (voir Wilmet 1997 : 310 et Młynarczyk 2004 : 34). Les
stoïciens, entre le IIIème et Ier siècle AV J-C., avaient déjà effectué une distinction de cet ordre
en distinguant l’accompli de l’inaccompli exprimés par la flexion verbale. Leurs travaux n’ont
pas été poursuivis dans ce sens (voir Lyons 1970 : 240). En ce qui concerne le russe, Donatus
dans sa grammaire de 1522 distinguait déjà quatre formes du verbe (perfectives,
fréquentatives, inchoatives, instructives) que l’on peut apparenter à l’aspect (voir
Archaimbault 2002). Dans toutes ces études, l’aspect n’est pas distingué du temps ni du
fonctionnement des tiroirs verbaux. Ce n’est qu’à partir de Greč que l’aspect va être
clairement distingué du temps en tant que catégorie grammaticale spécifique en russe :
« Dans les verbes russes il y a six choses à considérer, savoir : 1) les modes, 2) les temps, 3) les
branches, 4) les nombres, 5) les personnes, 6) les genres » (Reiff 1851 : 109).
Et, ce n’est qu’en 1846, que l’aspect va être introduit par Curtius pour expliquer le
fonctionnement des formes morphologiques du verbe grec (Samain 1996 : XIV), donc après
les travaux de Greč. On peut affirmer que c’est à partir des travaux de Greč que la notion
d’aspect a connu un véritable essor et s’est constituée en tant que catégorie grammaticale
spécifique. Archaimbault en a fait une présentation très détaillée, nous nous contenterons ici
d’en rappeler quelques points importants.
53
Cet apport est plus ancien, il date de la grammaire de Sokolov 1802, et il est systématisé par Greč.
54
Greč dans Archaimbault (1999 : 215).
60
- indéfini contre défini : l’action n’est pas localisée dans une époque particulière
(plavaet’ « nager habituellement »), ou au contraire l’action est localisée dans une
période temporelle particulière (plyvët’ « nager actuellement »)
- semelfactive contre itérative : l’action est arrivée une seule fois (tolknut’ « donner
un seul coup ») ou au contraire l’action s’est répétée (talkivat’ « donner plusieurs
coups »)
- imparfaite contre parfaite : l’action n’est pas accomplie (podpisyvat’ « être à
signer ») ou au contraire l’action est accomplie (podpisat’ « signer »).
Ce sont ces six catégories qui sont appelées vid au pluriel, donc les aspects, et qui sont
considérés comme réalisant une catégorie autonome sous-tendue par la notion de « point de
vue sur l’action ». Par ailleurs, ces catégories sont également délimitées en relation à des
oppositions morphologiques. Dans ce cadre, Greč distingue deux types de verbes en russe, les
verbes simples (non-affixés) et les verbes composés (affixés).
Plus tard, Greč va abandonner ces six catégories pour n’en conserver que deux qui sont les
catégories du perfectif et de l’imperfectif et qui subsument les oppositions précédentes en
référant principalement aux oppositions morphologiques de l’aspect. Ces oppositions
morphologiques se situent dans la catégorie qu’il appelle les verbes composés, c’est-à-dire
que les généralités qu’il établit ne reposent pas sur l’ensemble des verbes du russe, mais
uniquement sur les verbes qui sont composés. Ce point de vue a son importance car il
implique que l’aspect est avant tout un phénomène morphologique. Ces verbes sont le résultat
d’une composition morphologique entre un affixe issu d’une préposition et une base lexicale
d’un verbe simple à l’infinitif qui possède l’aspect imperfectif (c’est-à-dire IMP ou itératif).
Ces verbes composés ont l’aspect perfectif (c’est-à-dire parfait). Greč fonde l’aspect en tant
que catégorie grammaticale autonome à partir des études sur le russe qui exprime l’aspect à
l’aide de formes morphologiques spécifiques. Le terme d’aspect issu de la traduction en
français de ces travaux est le véritable point de départ des études aspectuelles.
En russe et dans les langues slaves en général, les grammèmes jouent un rôle prépondérant
dans le système verbal. Nous avons vu que les procès exprimés par un verbe peuvent être
présentés de deux points de vue différents :
- Soit on considère le déroulement du procès (pour exprimer une occupation, la durée d'un
procès, la répétition d'un procès, la description d'une situation) : c'est l'aspect imperfectif,
où le procès n’est pas vu dans sa totalité
- Soit on considère l'accomplissement du procès, son terme ou son résultat : c'est l'aspect
perfectif, où le procès est vu comme un tout.
Nous pouvons constater que dans cette définition des phénomènes aspectuels en russe,
perfectif et imperfectif sont des catégories générales regroupant des phénomènes sémantiques
plus fins. En effet, ces catégories sont constituées des multiples traits ou représentations que
nous avons vues chez Greč. Ces catégories peuvent aussi bien rassembler des traits tel que
indéfini, semelfactif et parfait, en ce qui concerne la catégorie de perfectif ; et défini, itératif,
61
IMP, en ce qui concerne l’imperfectif. Dans les définitions des aspects perfectif et imperfectif
ci-dessus, c’est la notion de point de vue qui permet de rassembler les différentes notions
aspectuelles contenues dans les termes perfectif et imperfectif. Plus précisément, on peut
parler de point de vue interne concernant l’aspect imperfectif, car le procès exprimé par le
verbe est considéré comme vu de l’intérieur dans sa phase de déroulement. A l’opposé, on
peut parler de point de vue externe concernant l’aspect perfectif, puisque le procès exprimé
par le verbe est considéré de l’extérieur, comme un tout délimité.
Pour quasiment chaque notion verbale, il existe en russe un couple verbe simple/verbe
dérivé exprimant la même notion sous ces deux aspects opposés. Dans la majorité des cas, le
verbe simple possède une valeur imperfective et le dérivé est perfectif 55 . Par exemple, à partir
du verbe pisat’ qui signifie « écrire » au sens imperfectif, et qui peut être utilisé dans des
phrases telles que : il est en train d’écrire, on peut construire le verbe napisat’
morphologiquement relié, qui signifie « écrire » au sens perfectif, et qui sera utilisé dans des
phrases telles que : il a écrit un roman. Le morphème na- est donc un préfixe de
perfectivation. Cette spécificité n’appartient pas seulement au russe mais à l’ensemble des
langues slaves, même si les phénomènes aspectuels sont sensiblement différents d’une langue
à l’autre. Dans ces langues, la définition du verbe est inséparable de celle de l’aspect. L’aspect
rend compte de deux types d’oppositions : morphologique (verbe simple/verbe dérivé) et
sémantique (perfectif/imperfectif). Dans le premier cas, nous parlerons d’opération
aspectuelle, et dans le second cas nous parlerons de valeur aspectuelle.
55
Très peu de verbes simples (non-affixés) ont une valeur perfective, Veyrenc (1973 : 72) mentionne les verbes
qui désignent un « acte limité » ou qui peuvent se réduire à une limitation : kriknut’ « pousser un cri », prignut’
« faire un saut », sest’ « s’asseoir », leč’ « se coucher », ctat’ « se dresser », dat' « donner », brosit’ « jeter »,
pustjt’ « lâcher », rešjt’ « résoudre », xvatjt’ « saisir », kupjt’ « acheter », prostjt’ « pardonner », lišjt’ « priver »,
plenjt’ « captiver », k nčit’ « achever » , javjt’sja « apparaître ». La plupart de ces verbes correspondent aux
verbes d’achèvement de la catégorie de Vendler (voir ce chapitre § 2.2). La plupart de ces verbes trouvent leur
pendant imperfectif par l’intermédiaire d’une suffixation.
62
1.3.2 L’interaction entre morphèmes aspectuels et temporels
Chaque verbe slave est corrélé à une valeur aspectuelle. Cette valeur aspectuelle peut
être accompagnée d’une opération aspectuelle ou non. Le verbe slave est également véhicule
de la flexion temporelle tout comme dans les langues latines, mais par l’intermédiaire de
morphèmes de flexions spécifiques ou d’auxiliaires. Le système flexionnel slave possède trois
formes flexionnelles différentes, deux de ces formes renvoient spécifiquement à une période
temporelle de passé et de futur, cette forme du futur est réalisée à l’aide d’un auxiliaire. La
troisième forme est ambiguë, elle renvoie au futur si elle est en cooccurrence avec un lexème
verbal à l’aspect perfectif, et elle renvoie au présent si elle est en cooccurrence avec un
lexème verbal imperfectif. Il nous faut ajouter que la forme du futur avec l’auxiliaire budu est
uniquement utilisée avec un verbe à l’aspect imperfectif, le perfectif ayant déjà une forme de
futur (Comrie 1976 : 22, Binnick 1991 : 138). Ces phénomènes de sélection et de restriction
combinatoire ont deux conséquences : le présent n’est pas compatible avec le perfectif d’un
point de vue sémantique, tandis que morphologiquement le futur donne lieu à un phénomène
de défectivité avec les verbes perfectifs. L’aspect du verbe et la flexion verbale sont dans ce
cas complémentaire sur le plan de la localisation temporelle du procès. Sur le plan
morphologique, l’aspect imperfectif est la forme non-marquée de l’aspect. Nous pouvons
donc considérer que l’aspect imperfectif est la forme régulière sur laquelle vient se greffer les
trois localisations temporelles du procès exprimées par des morphèmes spécifiques. D’un
autre côté, la forme perfective est marquée morphologiquement, nous pourrions donc
souligner que le morphème aspectuel et la forme flexionnelle sont des cas de morphologie
détachée. Les morphèmes aspectuels perfectifs seraient donc des morphèmes flexionnels
aspectuo-temporels. Binnick propose le tableau ci-dessous du slave en prenant en compte les
marques morphologiques de temps et d’aspect :
Perfectif Imperfectif
Past Podumali Dumali
(thought, had thought) (thought, were thinking,
have thought, have been thinking)
Non-past Podumayut Dumayut
(will think) (think, are thinking)
Future - Budut dumat’
(will think, will be thinking)
Tableau 10 - Fonctionnement aspectuo-temporel en russe (Binnick 1991 : 138)
Perfectif Imperfectif
Passé Podumali Dumali
(thought, had thought) (thought, were thinking,
have thought, have been thinking)
Présent - Dumayut
(think, are thinking)
Futur Podumayut Budut dumat’
(will think) (will think, will be thinking)
Tableau 11 – Représentation sémantique du fonctionnement aspectuo-temporel en russe
63
1.3.3 Le statut des morphèmes aspectuels slaves
L’aspect tel qu’il est exprimé en russe, se retrouve dans les langues slaves. Ainsi, dans
les langues slaves, l’aspect correspond à une distinction effectuée dans la langue à l’aide de
morphèmes. Reiff décrit ainsi ces verbes composés et le rôle des affixes :
« Les verbes composés ou parfaits sont ceux qui se forment des verbes simples dont nous venons de
parler, et d’une préposition qui modifie plus ou moins le sens du verbe primitif, l’altère souvent, ou en
accroît l’énergie. Il arrive quelquefois que le primitif est perdu, tandis que les composés sont très usités ;
comme воскресáмь, ressusciter ; исчезáмь, disparaître ; попрекáмь et упрекáмь, reprocher ;
получáмь, recevoir, etc. ». (1851 : 147)
Les préfixes aspectuels (ou préverbes) qui entrent dans la composition des verbes
russes sont donc issus de prépositions et ils sont considérés comme des morphèmes
dérivationnels puisqu’ils modifient le sens du verbe. Toutefois, Reiff reste flou en indiquant
que l’affixe « modifie plus ou moins le sens du verbe de base », de telle sorte que rien ne
permet d’affirmer que l’affixe permet de créer un nouveau lexème (auquel cas il s’agit d’un
processus de dérivation), ou de modifier ou de véhiculer uniquement un trait grammatical
d’aspect (auquel cas il s’agit d’un processus de flexion).
64
Si nous parlons de morphèmes dérivationnels concernant les affixes aspectuels dans les
langues slaves, et non de morphèmes flexionnels, c’est avant tout pour des raisons
uniquement morphologiques et non morphosémantiques. En listant les propriétés des
morphèmes aspectuels du slave, on se rend compte qu’ils partagent des valeurs propres à la
fois aux catégories dérivationnelles et flexionnelles. En effet, les affixes aspectuels du slave
s’appliquent uniquement au verbe, ils ne sont pas transcatégoriels, et ils ne construisent pas
obligatoirement un nouveau lexème (comme nous l’avons fait remarquer, Reiff reste flou sur
ce point). Par contre ils véhiculent le trait grammatical d’aspect qui porte sur l’ensemble du
verbe, ils possèdent donc certains critères des morphèmes flexionnels. Pourtant, le paradigme
des verbes slaves ne peut tenir compte d’un morphème aspectuel flexionnel car les affixes
aspectuels ne sont pas systématisables sur les deux niveaux morphologiques : que ce soit sur
le plan du type de morphème utilisé pour modifier la structure aspectuelle du verbe, ou que ce
soit sur le plan de leur application à tous les verbes. Pour ces raisons, nous nommerons
grammèmes ces morphèmes aspectuels, suivant en cela la terminologie de Karolak.
L’aspect apparaît de façon spectaculaire dans les langues slaves, sous la forme d’une
opposition morphologique binaire, mais le rôle et le sens des morphèmes aspectuels ne
semblent pas si facile à décrire, et les procédés permettant la reconnaissance de ces deux
valeurs, perfectives et imperfectives, sont extrêmement variables, comme le fait remarquer
Swiatkowska (1992) qui s’attache à la description du polonais.
« Les verbes ont en principe deux formes : imperfective et perfective. Vu la multiplicité des procédés
formels (préfixation, suffixation, supplétion thématique, etc.), la reconnaissance des doublets n’est pas
facile. » (Marcela Swiatkowska 1992 : 593)
65
Perfectif Imperfectif
Idti’ Xodit’ « aller à pied »
Exat’ Ezdit’ « aller autrement qu’à pied »
Bezat’ Begat’ « courir »
Letet’ Letat’ « voler »
Nesti’ Nosit’ « porter »
Vesti’ Vodit’ « conduire quelqu’un à pied »
Vezti Vozit’ « conduire quelqu’un autrement qu’à pied »
Tableau 12 – Valeurs perfectives vs imperfectives et couples lexicaux
En observant l’ensemble des verbes préfixés sur la base idti, nous pouvons remarquer
que la valeur aspectuelle n’est aucunement modifiée tandis que le sens lexical du verbe de
base va changer. Chaque verbe préfixé va conserver un trait sémantique propre au verbe de
base qui est : /déplacement dans l’espace/. Les préfixes fonctionnent comme des préfixes
dérivationnels du français :
Perfectif
Vo-idti’ « Entrer »
Pri-idti’ « Arriver »
Vy-idti’ « Sortir »
Pere-idti’ « Traverser »
So-idti’ « Descendre »
Oto-idti’ « S’éloigner » (« s’écarter »)
Razo-idti’ « Se séparer »
Obo-idti’ « Arracher autour »
Na-idti’ « Trouver »
Za-idti’ « aller au-delà »
Po-idti’ « se mettre en route »
Pro-idti’ « parcourir »
Tableau 13 – Base lexicale perfective
Imperfectif
V-xodit’ « Entrer »
Pri-xodit’ « Arriver »
Vy-xodit’ « Sortir »
Pere-xodit’ « Traverser »
S-xodit’ « Descendre »
Ot-xodit’ « S’éloigner » (« cesser de marcher »)
Ras-xodit’ « Se séparer »
Ob-xodit’ « Arracher autour »
Na-xodit’ « Trouver »
Za-xodit’ « il s’est mis à marcher »
Po-xodit’ « il a marché un peu »
Pro-xodit’ « il a marché tout le temps »
Tableau 14 – Base lexicale imperfective
66
Dans tous les verbes préfixés ci-dessus aucun ne correspond à un processus de
préfixation purement aspectuel. Par exemple, concernant les couples idti -> vydti et xodit’ ->
vxodit’, il n’est pas possible de dire qu’il s’agit de couples aspectuels, il n’y a pas de
processus de perfectivation. Par contre, s’il y a couple aspectuel, il se situe dans l’opposition
entre les bases lexicales de chaque verbe préfixé. Ainsi, vydti / vxodit’ forment un couple
aspectuel en raison de l’opposition respective de leur base. L’opposition perfectif contre
imperfectif est alors totalement lexicalisée.
- Processus de « ré-imperfectivation »
Dans de nombreux cas, le couple aspectuel ne repose pas sur une distinction forme
simple et dérivé préfixé, mais il est réalisé par suffixation d’un verbe déjà préfixé. Ce
phénomène est appelé processus de ré-imperfectivation. Cette ré-imperfectivation est réalisée
à partir du moment où le verbe simple et le dérivé préfixé ont des valeurs lexicales différentes,
si bien que l’on ne peut plus parler de couples aspectuels pour ces cas (proverit’ « contrôler »
- verit’ « croire », priznat’ « reconnaître » - znat’ « savoir », proigrat’ « perdre au jeu » -
igrat’ « jouer »). Le processus de ré-imperfectivation permet de rétablir l’opposition
aspectuelle (proveprit’ - proverjat’ « contrôler », prizat’ - priznavat’ « reconnaître »,
proigrat’ - proigrayvat’ « perdre au jeu »). Veyrenc nomme ces nouvelles paires
aspectuelles : couples de corrélation.
67
Perfectif Imperfectif Perfectif
Pisat’ Na-pisat’ « Écrire » (préfixe vide)
v-pisat’ v-pis-yvat’ « Inscrire »
o-pisat’ o-pis-yvat’ « Décrire »
Is-pisat’ is-pis-yvat’ « Remplir d’écriture »
Ras-pisat’ Ras-pis-yvat’ « Répartir »
s-pisat’ s-pis-yvat’ « Copier »
pod-pisat’ Pod-pis-yvat’ « Signer »
Do-pisat’ Do-pis-yvat’ « Achever d’écrire »
Ot-pisat’ Ot-pis-yvat’ « Coucher sur son testament »
Pri-pisat’ Pri-pis-yvat’ « Ajouter (par écrit) »
pred-pisat’ Pred-pis-yvat’ « Prescrire »
u-pisat’ u-pis-yvat’ « Faire entrer une ligne (mot) dans une page »
Vy-pisat’ Vy-pis-yvat’ « Relever, extraire »
Za-pisat’ za-pis-yvat’ « Noter »
pere-pisat’ Pere-pis-yvat’ « (Re)copier »
Po-pisat’ Po-pis-yvat’ « Écrivailler, écrivasser »
Tableau 16 – Les différentes dérivations possibles du verbe pisat.
Cohen établit donc une règle sémantique de construction de la préfixation slave, qui
repose sur l’homosémie entre le sens de la base et le sens du préfixe, ainsi, dans le cas de
napisat : na et pisat sont homosèmes, c’est pourquoi na a dans ce cas le rôle de préfixe
« vide ». Mais Cohen reste flou quand à cette définition de l’homosémie, il dit que le
morphème na- a un sens très abstrait qui peut être homogène à un sème commun à de
nombreux verbes, ce qui explique le rôle souvent purement perfectif de ce préverbe. Il ne
caractérise pas la nature de ce sème commun. Il analyse d’autres exemples où le sens du
préfixe est plus facilement définissable, comme par exemple le préfixe pere- qui correspond
au préfixe trans- qu’il ne définit pas mais que l’on peut paraphraser par « aller d’un endroit
vers un autre ». Ce préverbe est utilisé comme pur perfectif avec nočevat’ « passer la nuit ».
Pour Cohen, « passer la nuit » contient déjà le sens de « aller d’un endroit vers un autre », le
préverbe ne peut pas modifier le sens du verbe de base, il ne garde donc qu’une valeur
68
perfective. Il en est de même avec le préverbe pri- qui signifie « approche » et qui est donc un
pur perfectif quand il est employé avec le verbe blizit’sja signifiant « approcher ». Cette
approche sémantique implique que les verbes et les morphèmes aspectuels possèdent chacun
deux sens qui entrent en interaction : un sens aspectuel perfectif ou imperfectif et un sens
lexical.
Nous avons signalé que les deux verbes pisat’ et podpisat’ ne formaient pas un couple
aspectuel. Ceci apparaît d’autant plus clair qu’il y aurait dans le cas contraire deux formes
imperfectives concurrentes pour une forme perfective. Par ailleurs, il est certain que
napisyvat’ ne fonctionne pas, il n’en existe aucune occurrence sur Internet et plusieurs
locuteurs du russe l’attestent, il y aurait donc deux types différents de processus
d’aspectualisation. Le premier est un processus de perfectivation qui repose sur une
préfixation, le second est un processus d’imperfectivation qui repose sur une suffixation. Pour
autant, podpisat’ qui possède la composante sémantique « écrire » est un lexème construit
ayant comme base morphologique pisat’ et un préfixe pod signifiant « sous », préfixe dont il
conserve le sens. Nous pouvons dire que pisat’ est la base sur laquelle il semble se former
deux types de construits qui n’ont pas le même statut :
Cas 1 : pisat’ -> napisat’ => modification du sens aspectuel sans modification du sens lexical.
Cas 2 : pisat’ -> podpisat’ => modification du sens aspectuel et modification du sens lexical.
Ces deux types de construits posent question sur le statut morphologique des affixes et
en conséquence sur le statut de l’unité lexicale abstraite et des paradigmes flexionnels de ces
lexèmes. Dans le cas où il n’y a pas de modification du sens lexical, le préfixe permet sur le
plan sémantique de modifier l’aspect donc la temporalité du procès et il permet également
d’enrichir le paradigme flexionnel du lexème. Dans le second cas, les deux lexèmes ayant des
sens différents, ils ne peuvent en aucun faire partie du même paradigme flexionnel, nous
avons à faire à deux lexèmes différents. Le paradigme flexionnel complet du lexème étant
réalisé à l’aide du suffixe de ré-imperfectivation. Donc, en conservant la distinction entre
morphème flexionnel et morphème dérivationnel, nous pourrions dire que dans le premier cas
nous avons à faire à un morphème flexionnel parasynthétique et dans le deuxième cas, nous
avons à faire à un morphème dérivationnel. La distinction entre morphème dérivationnel et
morphème flexionnel ne peut avoir lieu qu’en observant le lien sémantique qui permet ou non
de réunir des couples aspectuels.
PISAT’ PODPISAT’
Pisat’ (+MF 56 ) Podpis (-yvat’) (+MF)
Passé
(Na-) pisat’ (+MF) Podpisat’ (+MF)
Présent Pisat’ (+MF) Podpis (-yvat’) (+MF)
Budut’ pisat’ (+MF) Budut’ podpis (-yvat’) (+MF)
Futur
(Na-) pisat’ (+MF) Podpisat’ (+MF)
Tableau 17 – Hypothèse de morphèmes aspectuo-temporels parasynthétiques.
56
MF = marques flexionnelles qui véhiculent les traits de personne, de nombre et de temps.
69
Dans le traitement classique de l’aspect russe, où les morphèmes aspectuels sont
considérés comme étant dérivationnels, chaque morphème crée un nouveau lexème. Cette
hypothèse entraîne des difficultés dans l’analyse des morphèmes purement aspectuels (cas 1),
car cela signifie que nous considérons que l’aspect en tant que catégorie notionnelle véhicule
un trait sémantique lexical qui enrichit le sens lexical du lexème-base. Si nous voulons
nommer les différentes opérations, il nous faut distinguer la relation lexicologique entre les
deux lexèmes, et la relation dérivationnelle opérée. D’un point de vue lexicologique, en
suivant Cohen, on peut signaler qu’il y a donc homosémie entre les deux lexèmes 57 , et d’un
point de vue dérivationnel on constate au contraire qu’il y a une opération d’antonymie
aspectuelle, puisque les valeurs perfectives et imperfectives s’opposent. On aboutie alors à
une contradiction entre la relation lexical et l’opération dérivationnelle. Cette contradiction
implique une autre hypothèse qui est de distinguer dans analyse sémantique des morphèmes et
des bases lexicales la combinatoire morpho-sémantique lexicale et la combinatoire morpho-
sémantique notionnelle en considérant que les morphèmes et les bases lexicales sont chacun
composés à la fois de sèmes aspectuels et de sèmes lexicaux. Nous reviendrons ultérieurement
sur le problème de la distinction entre construction morpho-lexicale et construction morpho-
aspectuelle.
- Constructions particulières
Comme nous l’avons souligné, Reiff considère l’opposition entre les valeurs perfectifs et
imperfectifs uniquement à partir des verbes construits, mais nous voyons ici que les verbes
simples véhiculent également l’aspect. Ceci amène différents auteurs, tels que Cohen et
Karolak, à dire que l’aspect dans les langues slaves fait également partie du sémantisme du
verbe. Malgré ces difficultés, l’aspect dans les langues slaves conserve une valeur
grammaticale étant donné qu’en emploi chaque verbe présente obligatoirement une valeur
aspectuelle perfective ou imperfective. Il existe donc en slave deux sources morphologiques
qui véhiculent l’aspect, il s’agit du lexème verbal et des grammèmes. Sur le plan
morphologique, nous pouvons considérer qu’il y a en russe deux opérations aspectuelles
particulières, la première est une modification par préfixation de l’aspect du lexème base, la
seconde est une modification par suffixation de l’aspect du lexème dérivé. Chaque processus
d’aspectualisation entraînant une modification complète de l’aspect du verbe sur lequel
s’appuie cette dérivation.
57
Comme les deux lexèmes n’ont pas le même sens, on ne peut pas parler de synonymie, et on ne peut pas parler
non plus d’hyperonymie puisqu’il est difficile de savoir quel lexème véhicule un sème supplémentaire à l’autre.
70
1.4 L’aspect et les langues
Les études sur l’aspect en tant que catégorie grammaticale sont récentes, mais l’aspect
est présent dans de nombreuses langues. Pour Lyons, l’aspect est très courant dans les
langues, plus courant que le temps grammatical :
« En fait, l’aspect est beaucoup plus répandu que le temps dans les langues du monde : il y a de
nombreuses langues qui ne possèdent pas de temps grammaticaux mais il y en a fort peu qui ne
possèdent pas d’aspect » (1980 : 325)
Si l’aspect est un phénomène très présent dans les langues, sa description dans les
différentes langues est difficile car les supports d’expression des valeurs imperfectifs et
perfectifs sont variés, ils peuvent être morpho-lexicaux ou uniquement lexicaux, ou encore
uniquement morphologiques. Dahl a effectué une étude contrastive pour mettre en valeur les
catégories aspectuelles dans plus de 60 langues. Il s’appuie principalement dans sa description
sur les valeurs perfectives et imperfectives, il indique que dans 45 des langues étudiées, on
retrouve l’expression de ces valeurs mais à différents degrés :
“The difficulty of deciding which member of the opposition is marked and which is unmarked is
connected with the tendency for PFV:IPFV to be realized not by affixation or by periphrastic
constructions but rather by less straightforward morphological processes. The 'classical' Indo-European
and Semitic systems are illustrations of this.” (1985 : 73)
Il apparaît difficile d’effectuer un traitement de ces critères aspectuels sur la seule base
des formes morphologiques. L’aspect n’est pas exprimé dans les langues à partir de formes
spécifiques et ni de manière systématique : en outre il est souvent exprimé à l’aide marqueurs
qui indiquent également le temps.
Nous avons pu remarquer concernant les langues slaves, que l’aspect est exprimé par
des grammèmes spécifiques, les marqueurs flexionnels du temps sont distincts des marqueurs
de l’aspect, mais même si ces marqueurs sont dissociés, l’aspect du verbe en russe entraîne
des restrictions de combinaisons avec l’usage des temps. Ainsi, en russe, temps et aspect sont
dissociés morphologiquement mais leurs combinaisons sémantiques montrent bien qu’il ne
s’agit pas de catégories étrangères l’une à l’autre qui se juxtaposent mais de catégories
complémentaires. Le phénomène est différent en latin, grec et arabe, car l’aspect est exprimé
par des morphèmes flexionnels qui mêlent des traits grammaticaux de temps et aspect. Sur le
plan morphologique, les marqueurs flexionnels du temps en latin et en grec expriment
également l’aspect. En grec, par exemple, deux paradigmes flexionnels différents sont
l’équivalent du seul présent en français. Lorsque le procès est vu dans la durée, on utilisera le
présent, et lorsque le procès est perçu sans notion de durée (comme impliquant un
changement, marquant une limite ou signifiant un procès accompli) c’est l’aoriste qui est
utilisé. Ex : Zeus met en fuite (présent) un homme même vaillant et lui ravit (aoriste) la
victoire (voir Coquet 1995 : 31).
Dans les langues romanes et germaniques, l’aspect est une catégorie moins visible, il ne
repose pas sur une forme spécifique (un morphème ou grammème d’aspect), mais il peut se
manifester au sein de certaines oppositions flexionnelles, dans le sens de certaines périphrases
verbales, voire au sein du lexique verbal. En anglais, le progressif qui est une forme de
71
présent est considéré comme un marqueur flexionnel aspectuel car il permet d’indiquer que
l’action est « en train de se dérouler », on peut le considérer comme un marqueur
d’imperfectivité. En français, l’expression de l’aspect n’est pas systématisée, mais résulte de
plusieurs types de marqueurs, parmi ces marqueurs l’opposition entre IMP et PS qui sont deux
tiroirs exprimant qu’une action est dans le passé, sont également considérés comme des
marqueurs aspectuels exprimant respectivement les valeurs imperfectives et perfectives. On
retrouve dans ces langues des manifestations du phénomène aspectuel de manière dispersée et
non-systématisée 58 . Pour expliquer ce manque d’homogénéité de l’expression de l’aspect en
français, Meillet s’appuie sur l’évolution des langues et le passage du latin au français par
exemple. Il oppose les langues à morphologie aspectuelle, comme les langues slaves, et les
langues à morphologie temporelle, comme les langues romanes et anglo-saxonnes :
« La catégorie de l’aspect est plus concrète que celle du temps, et, au cours de l’histoire des langues
indo-européennes, on voit l’aspect perdre de l’importance, le temps en gagner. » (1921 : 185)
« Le progrès de la civilisation met en évidence le temps ; il tend à éliminer les catégories à valeur
concrète ou expressive, et à donner aux catégories abstraites une importance plus grande. » (1921 : 198)
L’argument du progrès de la civilisation mis en avant par Meillet ne semble pas tenir
compte de l’évolution des recherches en linguistique et notamment de l’origine de l’apparition
de cette catégorie. En effet, la catégorie grammaticale de l’aspect est apparue après la
catégorie du temps qui a été décrite très tôt. On peut se demander, en suivant l’analyse de
Meillet, pourquoi l’aspect a été décrit si tard alors qu’il est actuellement moins présent
qu’avant. L’intrication des données temporelles et aspectuelles qu’elles soient d’ordre
morphologique ou sémantique empêche toute considération d’ordre évolutive qui voudrait
voir la prééminence d’une catégorie au détriment d’une autre, l’hétérogénéité des modes
d’expressions d’un trait grammatical faisant partie intégrante de sa nature.
De ces difficultés formelles découlent des difficultés définitionnelles, étant donné que
toutes les langues formalisent de façon bien différente l’aspect. Il est difficile de trouver un
modèle qui puisse servir de base aux analyses aspectuelles et qui rende compte de tout le
champs des valeurs aspectuelles possibles. La définition de l’aspect est donc très délicate, car
difficile à restreindre au modèle russe ou slave en général qui, nous l’avons vu, est très
complexe et présente uniquement deux valeurs. Elle est également difficile à définir dans
chaque langue par manque de marques formelles unificatrices. Dans la plupart des tentatives,
il y a une explosion des valeurs aspectuelles ou une limitation restrictive et arbitraire. Les
valeurs aspectuelles ne sont pas, elles non plus, clairement délimitées. En effet, si on reprend
la définition du concept d’aspect indépendamment des valeurs qui lui sont attachées dans les
langues slaves, on s’appuie uniquement sur la définition de « point de vue portée sur
l’action ». Dans des langues où l’aspect n’est pas clairement exprimé par des marqueurs ou
grammèmes spécifiques, cette définition renvoie à tous les éléments de la langue qui vont
donner des indications sur l’action, le procès ou l’événement.
On peut distinguer plusieurs démarches propres à analyser l’aspect dans les différentes
langues. Parmi celles-ci, la démarche de Cosériu propose d’analyser l’aspect en tant qu’objet
linguistique grammatical. Dans cette perspective, la catégorie de l’aspect repose sur une
58
Certains auteurs qui ont tenté de relever toutes les formes d’expression de l’aspect à partir d’une définition
générale de cette catégorie se sont retrouvés avec une explosion des valeurs (Cosériu 1980) et un classement très
hétérogène des formes (Duchacèk).
72
définition universelle, mais ce n’est pas une catégorie qui repose sur les mêmes moyens
d’expression dans toutes les langues, et surtout qui ne possède pas des concepts identiques.
Ainsi, Cosériu remet en cause l’existence universelle des catégories aspectuelles dans la
langue et donc des valeurs perfectif et imperfectif. Pour lui, les concepts (ou les valeurs) tout
comme les formes sont dépendants des variations idiomatiques. Il recense huit dimensions
aspectuelles (durée, itération, orientation, achèvement, résultat, vision, phase, incidence),
mais il précise que sa liste doit rester ouverte. En effet, il considère que selon les langues,
certaines dimensions aspectuelles peuvent se trouver réalisées ou non. Ainsi, il décrit les
catégories aspectuelles connues. La catégorie de l’aspect telle qu’il la présente peut donc être
une catégorie illimitée sur le plan des concepts. Sur le plan des formes, l’aspect peut être
exprimé par l’intermédiaire de formes lexicales, flexionnelles ou périphrastiques, le champ
d’expression de cette notion est ici encore largement étendu. Dans une autre perspective, mais
toujours sur le plan d’une discussion entre aspect slave et aspect dans d’autres langues,
Creissel est plus radical quand il s’oppose au modèle de l’aspect tel qu’il est présenté dans les
langues slaves pour décrire les phénomènes aspectuels dans les autres langues. Il s’appuie
principalement sur les relations établies entre temps et aspect en russe et français,
l’incompatibilité entre aspects et tiroirs en russe ne se retrouve pas en français où l’aspect n’a
apparemment aucun effet de sélection sur les tiroirs. Il distingue ainsi clairement le
phénomène aspectuel slave de celui des autres langues :
« Le terme d’aspect s’applique en linguistique slave à une distinction sémantique qui n’a plus qu’un
rapport indirect avec la plus grande partie de ce que l’on appelle maintenant aspect dans la description
de la plupart des langues, et l’aspect slave est un bien mauvais modèle pour la description d’autres
langues, car les systèmes verbaux slaves présentent des particularités qu’il est très exceptionnel de
retrouver (en tout cas au même degré) en dehors de cette famille de langue. » (Creissel 2004 : 15).
D’un autre côté, Karolak, distingue les concepts aspectuels de ses formes
d’expression, et il considère que les contenus aspectuels dans les langues reposent sur les
mêmes concepts. Ainsi, une théorie générale de l’aspect reposant sur l’analyse des concepts
primaires doit permettre d’expliquer aussi bien l’anglais que le bulgare :
« Nous partageons l’opinion selon laquelle l’aspect a un mode d’existence universel et que le problème
de l’aspect est avant tout un problème sémantique ». « Pour découvrir et expliquer les règles de
dépendance qui existent entre les catégories de concepts spécifiques […] et l’aspect, il faut travailler au
même niveau de langue. Il faut donc entendre par « aspect » une catégorie notionnelle. Le problème en
question se pose donc comme celui de la dépendance qui existe entre les catégories de concepts
spécifiques et les concepts aspectuels » (Karolak 1998 : 72)
On peut se rendre compte ici de la multiplicité des voies d’accès à la description du sens
aspectuel dans les langues. Soit les linguistes partent de la définition générale d’aspect, dans
ce cas dans une seconde étape ils cherchent ou à décrire la morphologie de l’aspect, ou à
décrire les valeurs aspectuelles qui se trouvent dans les langues ; ou encore, ils partent des
valeurs perfectifs et imperfectif attribuées à l’aspect slave. Ces multiples voies d’accès à
l’analyse du phénomène aspectuel entraînent une multiplication des démarches théoriques
propres à analyser l’aspect.
Bilan
C’est à partir des études sur l’aspect slave que l’aspect va commencer à être considéré
comme un phénomène linguistique à part entière. Et c’est principalement l’opposition
perfectif contre imperfectif qui va servir de modèle à la description de l’aspect dans les
langues. Nous avons fait remarquer que l’aspect est un concept plus vieux que l’utilisation du
73
terme lui-même, car on retrouve des descriptions de phénomènes aspectuels dans de
nombreuses langues anciennes. Mais l’aspect n’est pas une spécificité slave, et cette catégorie
joue même un rôle très important dans le système verbo-temporel du français. La catégorie de
l’aspect est souvent en interaction avec la catégorie de temps, les mêmes morphèmes
permettent parfois d’exprimer temps et aspect.
L’aspect slave est plus complexe que la simple construction affixale, les premiers
chercheurs importent un phénomène qui n’est pas complètement expliqué en omettant
notamment le rôle du sens lexical du verbe et du préfixe. Cette importation d’un concept est à
la source des difficultés d’analyses et de définitions de l’aspect dans les autres langues comme
le soulignent Ducrot et Schaeffer. Ils montrent au niveau conceptuel que cette notion conserve
les ambiguïtés de son origine :
« Un concept est établi à l’occasion de situations où il apparaît de façon à la fois spectaculaire et
confuse, et conserve ensuite le flou qu’il doit à son lieu épistémologique d’origine. » (Ducrot et
Schaeffer 1995 : 577)
Si le concept général d’aspect est flou pour Ducrot et Schaeffer, c’est en grande partie dû
à la description des différentes manifestations des phénomènes aspectuels. En effet, il est
difficile de définir une catégorie grammaticale dont les moyens d’expression ne sont pas
systématisés et où les principales valeurs ne sont pas clairement distinguées.
Les principales sources d’ambiguïtés sont liées aux différentes sources d’expression du
phénomène aspectuel. Ces difficultés peuvent être liées à des grammèmes mais également à
des lexèmes, à des interactions d’ordre lexical ou d’ordre sémantique, et puis à l’origine slave
de l’aspect et au type d’aspect véhiculé par les préfixes slaves et par le verbe slave. David et
Martin (1980) pointent du doigt dans leur ouvrage quatre difficultés principales que nous
venons d’aborder :
Dans le point suivant, nous allons introduire une distinction supplémentaire qui va
montrer toutes les difficultés terminologiques rencontrées dans l’étude du phénomène
aspectuel.
2 ASPECT ET AKTIONSART
Les analyses de l’aspect dans les autres langues que le slave sont parties de la définition
générale traduite par Reiff reprise par Marouzeau (voir Mounin 1968 : 317) : « la manière
dont est envisagée dans son développement l’action verbale ». Cette définition permet de
distinguer l’aspect de la catégorie du temps qui situe les événements comme un curseur sur la
ligne du temps. Mais cette définition s’avère trop large pour des langues où l’aspect n’est pas
systématiquement marqué dans une opposition morphologique. Les seuls concepts
d’imperfectif et de perfectif n’étaient pas aptes à rendre compte des nombreuses présentations
possibles de l’action verbale. De plus, l’aspect selon la langue prise en considération est
74
véhiculé par des formes variées. En effet, il peut être marqué par des morphèmes affixaux :
flexionnels ou dérivationnels, et il peut être également marqué par des lexèmes, des
périphrases verbales et des adverbes et cela non-exclusivement.
En français, certaines études qui ont pris comme point de départ l’opposition des
concepts perfectifs et imperfectifs ont considéré que les lexèmes verbaux entraient dans une
opposition aspectuelle binaire simple (vivre imperfectif : mourir perfectif). A cette opposition
lexicales, il faut ajouter les morphèmes aspectuels des tiroirs verbaux (il vécut (P): il vivait (I),
il mourut (P) : il mourait (I)), auxquels on peut ajouter à nouveau des adverbes aspectuels
(longtemps (I): brièvement (P)).
On peut également considérer l’opposition aspectuelle battre (I) abattre (P) qui est
basée sur un processus de dérivation morphologique. Ainsi, si toutes ces formes expriment
l’aspect, il apparaissait nécessaire de les distinguer sur le plan du contenu sémantico-
aspectuel, mais également du fait de leur possible co-occurrence 59 sur le plan catégoriel. Ces
différents problèmes morphologiques et sémantiques se retrouvent également dans les langues
slaves où les affixes permettent la perfectivation tout en modifiant sensiblement soit le sens
du verbe (voir point ci-dessus) ; soit le « contenu même de l’aspectualité ».
En 1908, une distinction importante apparaît entre deux types d’aspect. S. Agrell,
linguiste allemand, dans sa thèse qui décrit les phénomènes aspectuels du polonais, est à la
base d’une distinction entre deux sortes d’aspect : un aspect que l’on peut appeler slave et qui
rend compte des deux catégories perfectif et imperfectif (Aspekte), et un aspect qu’il nomme
Aktionsart 60 :
« Par "Aktionsart", j'entends, comme déjà souligné dans l'introduction, non pas les catégories
principales du verbe slave, la forme d'action accomplie et non accomplie (l'imperfectif et le perfectif),
qui sont pour moi des aspects. Par "Aktionsart", je désigne les fonctions de signification, dont on a
jusqu'à présent presque pas tenu compte, ni même classifiés, des verbes composés (ainsi que de
quelques verbes simples et de verbes avec suffixes), qui expriment plus précisément comment l'action
est réalisée, et marquent les modalités de son exécution. » (nous traduisons 61 )
Dans cette citation Agrell propose une distinction entre aspect et Aktionsart qui repose
sur deux plans différents. Tout d’abord en opposant les formes de l’aspect qui reposent
uniquement sur des affixes, à d’autres formes, multiples, qui peuvent également reposer sur
des affixes, mais pas uniquement. Et ensuite en proposant une opposition entre les concepts
59
D’un point de vue logique, on peut dire que 2 éléments appartiennent à la même catégorie lorsqu’ils ne
peuvent pas entrer en co-occurrence. Ex : si tel objet est rouge, il ne peut pas être bleu, donc bleu et rouge
appartiennent à la même catégorie, si tel objet est carré il ne peut pas être rond, donc rond et carré appartiennent
à la même catégorie. Par contre, un objet peut être rond et rouge (voir Buyssens (1968 : 65)). Un objet peut-être
bleu et rouge, mais la relation de co-occurrence est à considérer du point de vue de l’entité objet considéré
comme un tout, ainsi si tel objet est bleu et rouge cela ne signifie pas que le bleu est également rouge mais qu’il
est constitué de deux couleurs distinctes. Il en est de même pour le marteau de carrosserie rond carré, signifiant
qu’il a deux têtes distinctes une ronde et une carrée.
60
Il faut souligner que le terme d’Aktionsart a été introduit par Brugmann en 1893 (Samain 1996 : XV), pour
distinguer les préfixes aspectuels slaves des préfixes allemands qui eux exprimeraient l’Aktionsart, c’est-à-dire,
selon la définition de Brugmann, « la manière dont se déroule l’action exprimée par le verbe ».
61
« Unter Aktionsart verstehe ich, wie in der Einleitung schon hervorgehoben worden ist, nicht die beiden
Hauptkategorien des slavischen Zeitwortes, die unvollendete und die vollendete Handlungsform (das
Imperfektivum und das Perfektivum) - diese nenne ich Aspekte. Mit dem Ausdrucke Aktionsart bezeichne ich
bisher fast gar nicht beachtete - geschweige denn klassifizierte - Bedeutungsfunktionen der Verbalkomposita
(sowie einiger Simplicia und Suffixbildungen), die genauer ausdrücken wie die Handlung vollbracht wird, die
Art und Weise ihrer Ausführung markieren. » (Agrell 1908 : 78)
75
accompli et non-accompli et les concepts « Bedeutungsfunktionen », c’est-à-dire la manière
dont l’action est accomplie. L’Aktionsart véhicule de multiples informations. Tandis que
l’aspect possède des morphèmes spécifiques qui ne véhiculent que deux types d’informations.
C’est l’association forme et sens qui permet de distinguer aspect et Aktionsart.
Agrell montre dans son ouvrage que certains affixes se sont spécialisés dans un rôle
purement aspectuel. Cette spécialisation est liée au processus de composition entre le lexème
et le préfixe. Dans les langues slaves, l’affixe est à la base un formant lexical qui possède un
sens lié à la préposition dont il est issu (les préverbes slaves sont issus de prépositions dont ils
gardent en général le sens). Le préfixe modifie le sens lexical du verbe et par-là même
modifie le type de déroulement temporel du verbe, c’est ce que Agrell appelle Aktionsart. Le
marquage de l’aspect est ensuite lié à deux valeurs : le perfectif et l’imperfectif, c’est-à-dire
l’action vue comme un tout borné et l’action vue de l’intérieur sans limites. Ces deux valeurs
aspectuelles sont liées à l’interaction entre le sens du lexème base et le sens de la préposition,
cette dernière établissant des bornes spatiales qui peuvent également jouer un rôle temporel.
62
Agrell (1908 : 1-2):
„Die Präposition gibt dem Zeitwort eine ganz neue (gewöhnlich lokale) Bedeutung“
„Das präfix bewirkt nur Aspektänderung (markiert nur, dass die Handlung vollendet ist, sagt aber nicht wie;
durch die Präfigierung ist nur ein Hinweis auf den Moment der Vollendung hinzugebracht)“
„Das Präfix markiert näher wie die Handlung ausgeführt wird, bewirkt nicht nur Aspektänderung, sondern
bestimmt auch eine gewisse Aktionsart.“
63
„Die Präposition gibt dem Verbum keine ganz neue Bedeutung, sondern markiert anscheinend bloss, dass die
Handlung vollendet ist (ein imperfektives Verbum wird perfektiv). Hier muss man jedoch zwei Fälle auseinander
halten“ (Agrell 1908: 2)
76
« Le schéma pour la genèse d’un Aspektpräfixes („préverbe vide“) se présente de la manière suivante :
le contenu sémantique de la préposition se trouve également dans le verbe simple. La signification
locale spatiale, redondante, disparaît donc dans le composé, il ne reste que la force modificatrice de
l’aspect.
Comme il en ressort des exemples, la signification spatiale à l’origine (à partir de laquelle s’est
développée la fonction resultative) est ici « ensemble ». A côté de ce sens de base des particules,
représenté par un « z » + instrumental dans le substantif, une autre signification (en apparence opposée)
s’est développée pour le verbe, le préfixe zer: « rassembler mettre fortement brutalement en contact (
« battre », « frapper », « heurter », « cogner ») jusqu’à briser l’objet », à l’unification est associée l’idée
de destruction de la forme d’origine : zbic’, zbosc’, zgrysc’, spiec’...
La plupart des verbes portent déjà en eux une de ces significations, désignent une génèse (= la réunion
de parties) ou bien une annihilation (= la dispersion de parties). Les activités conduisant à un résultat
sont généralement à comprendre comme des verbes exprimant la réunion des parties. Le sens de base du
type robic’ n’est pas le figuré/métaphorique « effectuer une tâche », mais bien plus le sens propre, plus
concret « produire une chose matérielle » (« faire une table », « faire un arc », « faire une hutte », etc.).
Il existe ici presque toujours un assemblage. Pour les verbes concrets du devenir, la génèse est une
réunion de parties : twardnack’, ciemniec’, dretwiec’ etc. – schnac’, drobniec’ etc. A partir des
nombreuses activités directement observables (ou à sens spatial figuré) exprimées par des verbes en z-
avec une signification spatiale qui s’est affaiblie jusqu’à disparaître totalement, le préfixe (qui à présent
marque simplement le perfectif) a acquis une fonction même pour les verbes désignant des activités non
directement observables zdurniec’, zdrozec’ etc.. » (Agrell 1908 : 87) 64
Le verbe préfixé véhicule donc pour Agrell un Aktionsart spécifique, mais il n’est pas
possible de déterminer l’Aktionsart au regard du préfixe. En effet, chaque préfixe peut
véhiculer différents Aktionsart, c’est le cas notamment de po- qui apparaît dans six catégories
différentes (präteritiv, distributiv, konsekutiv, majorativ, kursiv), de prze- et przy- qui
apparaissent dans deux catégories différentes et de za- qui apparaît dans trois catégories
différentes. Par ailleurs, une même catégorie peut-être exprimée par des préfixes différents,
c’est le cas notamment de la catégorie momentané qui peut être exprimée par quatre préfixes
64
„Das Schema für die Genesis eines Aspektpräfixes („préverbe vide“) stellt sich folgendermassen dar: - Der
Bedeutungsinhalt der Präposition liegt auch in dem Verbum Simplex. Im Kompositum verliert sich dann als
pleonastisch die lokale Bedeutung des Präfixes und übrig bleibt nur die Kraft der Aspektänderung.
Wie man aus den Beispielen ersieht, ist die lokale Grundbedeutung, woraus die resultative Funktion sich
entwickelt hat, hier ‚zusammen’. Neben diesem Grundsinn der Partikel, beim Substantivum durch z mit dem
Instrumental repräsentiert, hat sich beim Verbum noch eine (scheinbach entgegengesetzte) Bedeutung, „zer-„,
entwickelt <’so stark zusammenbringen (schlagen, stossen), dass der gegenstand zerbricht,, mit der Vereinigung
ist zugleich eine Vernichtung der ursprünglichen Form verbunden : zbic’, zbosc’, zgrysc’, spiec’...
Die Hauptmasse der Zeitwörter tragen aber schon in sich eine dieser Bedeutungen, bezeichnen eine Entstehung
(= Zusammemkommen von Teilen) oder eine Vernichtung (Auseinandergehen von Teilen). Die
resultatvollbringenden Tätigkeiten sind vowiegend als Konzentrationsverba aufzufassen. Der Grundsinn des
Typus robic ist nicht die bildliche ‚eine Arbeit, eine Aufgabe von sich machen’, sondern die viel konkretere :
‚ein materielles Ding hervorbringen’ (einen Tisch, einen Bogen, eine Hütte usw. machen). Hier liegt fast immer
ein Zusammenfügen vor. Bei den konkreten Verben des Werdens ist die Entstehung ein Zusammenkommen von
Teilen: twardnack, ciemniec, dretwiec etc. – schnac, drobniec etc. Von der grossen Anzahl solcher materiell
(oder bildlich lokal) anschaubaren Tätigkeiten, bei deren Verben z- mit abgeschwächter, schliesslich verlorener
Lokalbedeutung stand, hat das Präfix, jetzt bloss ein Perfektivzeichen, auch bei Verben, deren Tätigkeit nicht
konkret anschaubar ist, Verwendung gefunden: zdurniec, zdrozec etc.“ (Agrell 1908 : 87) Je remercie Yvon
Keromnès qui m’a aidé dans la traduction de ce passage.
65
Dans la troisième colonne de la typologie des Aktionsart de Agrell nous avons ajouté la traduction de
Malgorzata Nowakowska (également en annexe 3).
77
différents, de la catégorie duratif qui peut être exprimée par trois préfixes différents et de la
catégorie inchoatif qui peut être exprimée par quatre préfixes différents.
S’il apparaît réellement simple de considérer que l’aspect est véhiculé par un préfixe,
étant donné qu’il n’y a pas de changement du sens lexical du verbe, il est plus difficile
d’attribuer la valeur d’Aktionsart à l’un ou l’autre des éléments formant le composé verbal.
Les distinctions extrêmement fines de Agrell semblent correspondre à l’interaction du sens
lexical du verbe et du sens du préfixe 66 , plutôt qu’à une valeur propre au préfixe ou au verbe.
Ainsi, la typologie de l’Aktionsart de Agrell repose uniquement sur le sens du dérivé, qui
malgré son statut de verbe construit conserve pleinement son statut d’élément lexical
atomique sur le plan de la détermination du sens de l’Aktionsart, tandis que l’aspect est lié au
processus morphologique et à une spécialisation du préfixe. Par delà la nature morphologique
de l’opération aspectuelle, Agrell effectue une distinction de l’ordre du contenu ou degré
informationnel des deux aspects. En effet, il indique que si le préfixe ne véhicule qu’une
valeur perfective, alors il s’agit de l’aspect, si le préfixe en plus de la valeur de perfectif
indique comment elle est accomplie alors il s’agit de l’Aktionsart. Samain en déduit que pour
Agrell : « L’Aktionsart est concrète, elle décrit un fait tandis que l’aspect est abstrait et rend
seulement compte d’un fait » (1996 : XV). Dans ce sens, l’Aktionsart apparaît directement lié
au contenu lexical des items exprimant un type d’événement, tandis que l’aspect est lié aux
grammèmes qui vont permettre au locuteur d’orienter la lecture voulue de l’événement.
L’aspect concerne la façon d’envisager l’action verbale et Agrell conserve les deux
catégories de perfectif et d’imperfectif. Tandis que l’Aktionsart concerne la façon dont
l’action verbale se déroule ou se réalise, elle va donc être beaucoup plus ouverte. A partir de
Agrell une première frontière est dégagée entre d’une part, l’aspect qui permet d’infléchir le
sens temporel de n’importe quel type de procès selon deux points de vue différents : soit
externe, soit interne, et d’autre part, l’Aktionsart qui exprime un type de procès particulier
ayant une structure événementielle complexe à partir de n’importe quel procès exprimé par un
verbe. D’un point de vue morphologique, la frontière est floue entre ces deux aspects. Rien ne
permet de dire que l’Aktionsart est une valeur aspectuelle spécifique au verbe, au dérivé, ou
au préfixe. Agrell ne répond pas à ces questions, malgré l’analyse détaillée des préfixes du
polonais qu’il effectue. De plus, nous l’avons souligné en ce qui concerne le russe, l’aspect
fait également partie du sémantisme du lexème verbal puisque certains verbes simples sont
uniquement perfectif ou imperfectif. Les travaux de Agrell portent uniquement sur le verbe
polonais et donc sur la structure de l’aspect slave, mais si les travaux de Agrell, linguiste
comparatiste allemand, restent si célèbres c’est parce qu’ils permettent de sortir l’aspect du
cadre strict imposé par le modèle slave et donc des concepts binaires perfectif et imperfectif
associés à des marqueurs morphologiques. Le concept d’aspect va ainsi pouvoir être exporté
en tenant compte de la variété conceptuelle et formelle de son expression.
78
sens aspectuel n’est pas tranchée. En fonction du verbe de base avec lequel il est utilisé,
chaque affixe peut fonctionner selon une des trois caractéristiques. L’affixe, en plus de ses
apports dans le domaine de l’aspect slave, entraîne des modifications au niveau de
l’Aktionsart et du sens lexical du verbe.
La catégorie de l’Aktionsart telle que décrite par Agrell était empirique puisqu’elle ne
s’appuyait pas sur des traits sémantiques distinctifs mais sur une description du déroulement
temporel de chaque verbe. Sa typologie rassemble 20 catégories, par opposition à l’aspect qui
présente une situation sous un angle ou intervalle particulier (comme accompli (perfectif) ou
non-accompli (imperfectif)). L’Aktionsart représente la nature de la situation. L’Aktionsart ne
repose donc pas sur des couples de notions ou des valeurs en oppositions. Cette notion
d’Aktionsart a été développée sur le plan des unités lexicales, en analysant la nature
temporelle des situations véhiculées par les verbes ou les prédicats verbaux dans les langues
romanes et germaniques. Dans ces langues, elle rassemble des couples de notions en
opposition mais elle reste une catégorie sans liens apparents avec des formes morphologiques
spécifiques. Ces analyses ont abouti à des classifications que l’on met en lien avec
l’Aktionsart mais qui s’en distinguent puisqu’elles ne sont plus en relation directe avec l’étude
et les spécificités des formes du verbe slave, mais sont héritées de distinctions faites par
Aristote 67 . Cette différence est marquée par une réduction des classes d’Aktionsart et une
opposition systématique entre les classes.
« It suggests a solution to the problem of aspect : that there must be a distinction between LEXICAL
ASPECT and GRAMMATICAL ASPECT. » (1957 : 105).
Par ailleurs, il indique bien que le caractère télique ou atélique dépend également de l’objet
direct du verbe. Il illustre ceci à l’aide du verbe jouer :
« If there is a direct object, and if this object designates something that has a structure with a temporal
ending to it – a game of chess or of tennis, a Beethoven sonata – the expression verb-plus-object is telic.
In the contrary case, if the complement of the verb is atelic – aux échecs ‘chess’, du violon ‘the violin’,
67
Voir François et Gosselin (1991) pour une description des catégories d’Aristote, ainsi que Binnick 1991 qui
parle de « Aristotelian aspect » (1991).
68
1957 est la date de la première version du texte de Vendler qu’il réinsère dans son ouvrage de 1967 et qui sert
régulièrement de référence.
79
du Beethoven ‘some Beethoven’ – or if there is no object (for example, il a joué toute la journée ‘he
played all day’, il joue très bien ‘he plays very well’), the expression is atelic. » (1957 : 107).
Vendler effectue une quadripartition des verbes : ÉTAT (state), ACTIVITÉ (activity),
ACCOMPLISSEMENT (accomplishment), ACHÈVEMENT (achievement). Il a comme dessein de
décrire l’utilisation des verbes et de distinguer la temporalité véhiculée par les verbes en
fonction de son expression dans la langue, et non en fonction d’une idée préconçue de la
réalité. La quadripartition de Vendler repose sur des traits sémantiques et il utilise des tests
pour différencier chaque catégorie. Il va scinder les verbes acceptant le progressif des verbes
ne l’acceptant pas (qui correspondent sémantiquement aux processus qui se déroulent dans le
temps et aux processus qui ne se déroulent pas dans le temps), et introduire ensuite deux sous-
catégories. Il utilise des tests discriminants pour chaque catégorie et la question essentielle est
de savoir quelles sont les caractéristiques sémantiques que ces tests permettent de mettre en
évidence.
Les verbes d’ÉTAT sont incompatibles avec l’emploi du progressif et le procès exprimé
est valable sur une « période » temporelle. La notion de période implique une durée entre
deux points a et b. Les verbes d’ACHÈVEMENT, qui sont également incompatibles avec
l’utilisation du progressif, ne possèdent pas la notion de durée, ce sont des procès instantanés.
Nous pourrions donc déduire deux traits sémantiques pour distinguer ces catégories qui sont
les traits durée et instantané, il faudrait préciser un peu plus le trait instantané qui peut
signifier que les points a et b utilisés pour représenter la durée sont simultanés ou bien qu’il
s’agit d’un seul point qui serait donc c.
Parmi les verbes compatibles avec le progressif il distingue également deux groupes :
« If someone stops running a mile, he did not run a mile ; if one stops drawing a circle, he did not draw
a circle. But the man who stops running did run, and he who stops pushing the cart did push it. »
(Vendler 1967 : 100)
Les ACCOMPLISSEMENTS sont compatibles avec le progressif, ils ont une certaine durée
et on va les trouver juxtaposés à des marqueurs présupposant une fin ou un résultat. Ces
verbes possèdent un point culminant (climax) en deçà duquel ils ne peuvent être dits réalisés.
Les exemples qu’utilise Vendler pour illustrer cette catégorie sont tous des prédicats étendus,
69
En effet, Garey ne distingue que deux classes de verbes.
80
on ne trouve aucun verbe simple. On peut se poser la question d’une catégorie verbale simple
appartenant à la classe des ACCOMPLISSEMENTS.
Les ACTIVITÉS sont également compatibles avec le progressif et ils n’ont pas de
climax, ces verbes ont la propriété d’être homogènes. Ils sont considérés comme réalisés quel
que soit le moment où s’arrête le procès. Dans l’exemple courir un mile, il y a une phase
d’ACTIVITÉ et une phase d’ACCOMPLISSEMENT et le procès peut-être vrai selon que l’on
considère courir un mile comme une ACTIVITÉ ou comme un ACCOMPLISSEMENT visant un
climax. L’homogénéité dépend d’un critère essentiel, si l’on considère que courir
effectivement un mile est le procès ou s’il s’agit seulement de l’engagement à courir un mile
qui est le procès.
L’homogénéité ne dépend pas des conditions de vérité du procès, un procès peut être vrai
mais pas réalisé. Il dépend du point de vue que porte l’énonciateur ou le récepteur sur l’action
(nous développerons ce point plus tard). Les tests que Vendler utilise reposent sur une
question, il recherche donc la valeur de vérité des procès qui est la possibilité de recevoir telle
ou telle réponse en fonction de la question posée. Il s’agit bien d’une analyse sémantique.
Ainsi, dans sa première distinction entre verbes acceptant le progressif et verbes ne
l’acceptant pas, il utilise deux questions, et juge du degré de grammaticalité des réponses en
fonction du verbe utilisé, qu’il soit étendu (+arguments ou complément) ou non.
Pour distinguer les verbes d’ACCOMPLISSEMENT des verbes d’ACTIVITÉ, il utilise les
questions se basant sur For how long (« pendant combien de temps ») et How long did it take
(« combien de temps a-t-il pris »). Les verbes d’ACTIVITÉ acceptent la première question (3)
mais pas la seconde (4’) et les verbes d’ACCOMPLISSEMENT acceptent la seconde question (4)
mais pas la première (3’) :
Pour distinguer les verbes d’ÉTAT des verbes d’ACHÈVEMENT, il utilise les tests avec At
what time ? ou At what moment ? et For how long ? ou How long ? Les premiers sont
compatibles avec les verbes d’ACHÈVEMENT (5) ET (5’) et les seconds sont compatibles avec
les verbes d’état (6) et (6’). La compatibilité du test avec l’une des classes entraîne
l’incompatibilité avec l’autre classe.
(5) At what time did you rich the top ? At noon sharp
(5’) At what moment did you spot the plane? At 10:53 A.M.
81
(6) For how long did you love her? For three years
(6’) How long did you believe in the stork? Till I was seven
Nous pouvons remarquer que ces tests discriminants peuvent se recouper : ainsi, les
verbes d’ACCOMPLISSEMENT et d’ACTIVITÉ sont compatibles avec At what time et At what
moment, mais dans le sens où la réponse aux deux questions se pose sur le moment
constituant le début de l’action, et non l’action dans sa totalité. Tandis que les verbes d’ÉTAT
regroupent la catégorie des verbes d’ACTIVITÉ, puisqu’ils acceptent les deux types de
question.
Il utilise ensuite un test avec les adverbes deliberately et carefully qui marque un critère
d’intentionnalité de la part de l’agent du procès. Les verbes d’ACHÈVEMENT et d’ÉTAT ne
peuvent être accompagnés de ces adverbes.
Vendler distingue dans sa typologie quatre types de procès ou modes de procès : ÉTAT,
ACTIVITÉ, ACCOMPLISSEMENT et ACHÈVEMENT. Cette typologie qui repose sur le sens
aspectuel des lexèmes verbaux actualisés, ne recouvre pas complètement la notion
d’Aktionsart, pour plusieurs raisons. Au niveau formel, l’Aktionsart concerne aussi bien le
lexique que la morphologie tandis que l’aspect lexical concerne uniquement la prédication,
mais le sens aspectuel reste fondé sur un sens lexical. Au niveau des concepts, l’Aktionsart
recouvre la quantification (répétition, fréquence, …), ce facteur est absent de l’aspect lexical.
82
2.3 Difficultés terminologiques
Une difficulté qui est liée au statut et à la définition des concepts et formes porteuses
de l’aspect concerne la terminologie. En effet, la surabondance des constructions, la
multiplicité des formes en jeu vont entraîner un développement terminologique spécifique à
l’aspect et de nombreuses confusions. Les problèmes terminologiques et l’aspect sont de
vieux compagnons, dans un article de 1968 Mounin s’attachait déjà à relever la création
d’homonymes, ou de synonymes, et d’une prolifération terminologique bien souvent
injustifiée car relevant de distinctions rendant difficiles la compréhension des ouvrages.
Si on excepte les phénomènes de création lexicale pour des raisons descriptives, les
problèmes terminologiques se situent sur deux axes, les termes métalinguistiques sont
identiques et désignent des phénomènes différents soit conceptuels soit formels. Les termes
métalinguistiques sont différents et désignent des phénomènes conceptuels ou formels
identiques.
Par exemple, les termes perfectif et imperfectif issus de la tradition slave de l’aspect
sont employés en français pour décrire : soit un phénomène aspectuel lié à la flexion verbale,
soit un phénomène aspectuel lié au lexème verbal. Nous en trouvons l’exemple dans deux
ouvrages parus la même année :
Vetters : « La terminologie perfectif / imperfectif est ambiguë et doit être employée avec précaution.
Bien que Garey la réserve à l’aspect, d’autres linguistes l’emploient pour le mode d’action. Dans cette
étude, je l’emploierai exclusivement pour l’aspect. » (1996 : 78)
Gosselin : (Il décrit l’aspect grammatical) « Nous avons essayé d’utiliser le moins possible les termes de
perfectif et d’imperfectif pour éviter toute confusion avec l’aspect lexical. » (1996 : 22)
Les deux auteurs relèvent le même problème terminologique à propos des termes
perfectif et imperfectif, mais dans le même temps ils attribuent ces termes à d’autres qui
souffrent à nouveau d’une ambiguïté terminologique. Pour Vetters, ces deux termes (perfectif
et imperfectif) appartiennent à l’aspect, et pour Gosselin ils appartiennent à l’aspect lexical.
Les termes aspect (dépendant de la flexion verbale) et mode d’action (dépendant du lexème
verbal) chez Vetters correspondent respectivement aux termes aspect grammatical et aspect
lexical chez Gosselin. Cet exemple illustre bien à quel point les problèmes de l’aspect sont
complexes, les données intriquées et les explications multiples autant dans le champ théorique
que dans les analyses descriptives.
Ce problème terminologique n’est pas uniquement lié à la précision avec laquelle les
auteurs veulent définir les concepts véhiculés par l’aspect, mais elle est également liée aux
difficultés de la définition du rôle de l’aspect dans les langues slaves et dans les langues
romanes. Après la distinction dans les langues slaves entre deux concepts aspectuels (perfectif
83
et imperfectif), une autre distinction, cette fois-ci est établie en fonction des « formes » entre
aspect lexical qui repose sur le lexème verbal et aspect grammatical qui repose sur la flexion
verbale. Mais cette terminologie et cette distinction souffrent tout autant de l’imprécision de
la relation entre éléments lexicaux et éléments grammaticaux (voir supra C1-3.1).
Dans ce chapitre nous avons parlé de trois types d’aspects différents. La notion
d’Aktionsart restreinte au sens temporel véhiculé par des prédicats verbaux a entraîné une
réduction des classes d’Aktionsart. Mais, elle a également modifié le statut même de la notion
d’Aktionsart. Ainsi, cette distinction supplémentaire a contribué à rendre floue ces notions.
Au total, on se retrouve avec trois sources de contenu aspectuel :
- L’aspect tel qu’il est décrit dans les langues slaves, et qui repose sur des morphèmes
dérivationnels et l’opposition grammaticalisée perfectif/imperfectif.
- L’Aktionsart qui repose également sur des morphèmes dérivationnels exprimant différents
modes de représentation de l’action, comprenant aussi bien des valeurs qualitatives (durée,
ponctualité) que quantitatives (répétition).
- L’aspect lexical qui repose sur des radicaux verbaux ainsi que sur d’autres lexèmes
pouvant apparaître en discours et dans le prédicat verbal. Ils expriment (intrinsèquement)
différents types de présentation de l’événement.
Cette triple distinction n’est pas pertinente dans la mesure où les notions qu’elle
regroupe se recoupent soit sur le plan des moyens d’expression, soit sur le plan des notions
encodées. Ainsi, en ce qui concerne l’Aktionsart, il se distingue de l’aspect par le type de
notions qu’il véhicule, ces notions ne sont pas systématisées ni mises en opposition. Il se
distingue également par le degré d’expression de ces informations qui peuvent être lexicales
ou dérivationnelles. Les catégories de l’Aktionsart ont été déterminées à partir de l’analyse
onomasiologique de la préfixation slave.
L’aspect lexical, qui se fonde sur le degré d’expression de l’aspect, semble plus
universel puisque exprimé par le prédicat. Contrairement à l’Aktionsart, les classes
aspectuelles sont réduites et mises en opposition. Les deux catégories appartiennent au même
degré de représentation de l’aspect puisqu’elles s’attachent à décrire l’action. L’Aktionsart est
une catégorie plus hétéroclite et l’aspect lexical ne tient pas compte de certaines catégories de
l’Aktionsart. La catégorie de l’aspect, telle qu’elle se présente dans les langues slaves sous la
version perfective et imperfective, n’est pas présentée sous les mêmes formes
morphologiques, ni sous les mêmes concepts dans toutes les langues.
Il est difficile d’effectuer une délimitation claire entre les catégories. A partir des
définitions effectuées par certains auteurs on peut rassembler différentes hypothèses de
délimitation et de définition de l’aspect :
84
Vet : « Par aspect, nous entendrons toute information contenue dans une phrase qui se rapporte non pas
à la place, mais à la structure interne de l’intervalle I. » (I = espace de temps occupé par une situation)
(1980 : 45).
Certains auteurs utilisent une définition large centrée sur le rôle de l’énonciateur :
Moignet : « L’aspect permet de situer le sujet du procès relativement à l’événement » (1981 : 97)
Culioli : « L’énonciateur indique comment et dans quelle mesure son propre point de vue modifie sa
présentation du procès » (1980 : 182)
Maingueneau : « L’aspect exprime de quelle manière on envisage le déroulement d’un procès » (1999 :
63).
Ducrot et Schaeffer : « L’aspect concerne le point de vue que le locuteur prend par rapport au procès »,
l’aspect concerne « les rapports entre la période qui est thème de l’énoncé et celle où se situe le procès »
(1995 : 571-573).
Pour H-J . Sasse (1991), l’aspect n’appartient pas au domaine des formes mais de la
perception des états de chose en terme de situations et de changements de situation :
« The model proposed here goes beyond that of Vendler-Dowty and other traditional models of
aktionsarts in that it is linked to a coherent cognitive model of human perception of states of affairs in
terms of situations and situation changes. » (1991: 37)
Sur le plan des concepts aspectuels, les aspectologues sont actuellement en accord sur
la définition de l’aspect donnée par Comrie qui est proche de celle de Guillaume. Ils sont
également d’accord pour dire que cette définition est trop large et pas assez précise. Deux
raisons sont évoquées pour distinguer Aktionsart et aspect slave. La première repose sur une
distinction grammaticale versus lexicale, que nous retrouvons en russe sous l’opposition
perfectif/imperfectif, où les morphèmes dérivationnels d’aspect sont à valeur grammaticale
(grammèmes) car l’opposition appartient au système de la langue versus les valeurs lexicales
des lexèmes ou des dérivés (Aktionsart), et en français sous l’opposition morphèmes
flexionnels versus lexèmes. La notion de grammaticalité dans ce cadre est propre à la forme
pour le français mais pas pour les langues slaves. La seconde sur l’opposition entre action
intrinsèque et point de vue sur l’action (sens lexical vs sens compositionnel). Grammatical
dans ce sens signifie syntaxique. Il faut distinguer valeur de contenu et valeur relationnelle,
afin de pouvoir établir une distinction claire entre ces deux niveaux d’analyse.
Dans les trois cas, nous retrouvons deux entités conceptuelles communes qui sont (1)
l’action, et (2) ses modes de présentations, la deuxième pouvant se décliner : soit, sans
intention de l’énonciateur (inhérente à la forme) ; soit, avec intention de l’énonciateur (de
manière compositionnelle). De ce fait, plusieurs ambiguïtés naissent de la distinction entre
aspect slave et Aktionsart et deux types d’approches différentes reflètent cette distinction,
comme le souligne Dahl (1999 : 30) :
85
- soit, une approche sémantique où la distinction entre Aktionsart et aspect est
interprétée comme une distinction entre : d’une part, des valeurs inhérentes de l’action ; et
d’autre part, le mode de présentation de l’action par l’énonciateur :
« Aktionsart would be a classification of states of affairs, whereas aspect would refer to different
perspectives or ways of viewing one and the same state of affairs. The difference is sometimes
described in terms of the distinction between ‘objectivity’ and ‘subjectivity’… » (Dahl 1999 : 30)
Vetters (1996) se situe dans ce cadre, même s’il utilise des termes qui s’appuient sur la
distinction de Millner entre le mode d’action qui relève de la référence virtuelle et l’aspect de
la référence actuelle 70 .
- soit, une approche formelle où la distinction entre aspect et Aktionsart est interprétée
comme ce qui concerne le lexique, et ce qui concerne la grammaire :
« Aktionsart may be seen as a category pertaining to the lexicon, where aspect is defined as a
grammatical category. Alternatively, Aktionsart may be restricted to the domain of derivational
morphology. » (Dahl 1999 : 30)
Ainsi, pour Pusch l’aspect grammatical est déterminé par des éléments
morphologiques par opposition à l’Aktionsart qui est déterminé par des éléments lexicaux :
« Comme le suggère le terme ‘d’aspect grammatical’, l’aspectualité s’exprime souvent dans la
grammaire ou, plus précisément, dans la morphologie. Dans un souci de clarté terminologique, il
semble utile de réserver le terme ‘aspect’ à l’aspectualité exprimée par des morphèmes grammaticaux
distincts. » (2003 : 495)
Cette approche pose problème dans le sens où la morphologie aspectuelle slave est
dérivationnelle et non flexionnelle. Il est donc difficile de la charger d’informations
grammaticales identiques à des informations véhiculées par la morphologie flexionnelle
verbale du français par exemple. Si les auteurs considèrent que l’aspect est véhiculé par des
morphèmes dits grammaticaux et l’Aktionsart est véhiculé par des morphèmes dits lexicaux,
cette opposition repose sur le contenu informationnel des morphèmes en question. Une telle
opposition doit s’appuyer sur une distinction forte entre le rôle de ces deux types de sens
véhiculés par le même élément morphologique. En effet, cette distinction revient à dire qu’un
morphème dérivationnel peut véhiculer exclusivement des informations lexicales ou
grammaticales. Cette hypothèse tient si l’on considère l’aspect comme appartenant au sens
notionnel et non grammatical.
Cette distinction est d’autant plus ambiguë que dans la plupart des langues romanes ou
anglo-saxonnes elle repose uniquement sur une stricte opposition morphologique, lexème
verbaux vs flexion verbale. La distinction entre contenu informationnel et structure
morphologique reste floue. Dahl souligne que ces deux définitions de la distinction entre
aspect et Aktionsart peuvent se recouper, en considérant que l’Aktionsart est lexical et relève
de la valeur intrinsèque des procès exprimée par les lexèmes ou des morphèmes
dérivationnels, tandis que l’aspect, qui est grammatical, permet d’exprimer un point de vue
particulier sur l’action, par l’intermédiaire de morphèmes dérivationnels et de morphèmes
flexionnels.
70
Vetters (1996 : 328) : « C’est l’aspect qui concerne les occurrences actuelles des situations, et non pas le
mode d’action ».
86
On retrouve se recoupement dans les définitions de Smith. Pour Smith, la notion de
point de vue apparaît également centrale, elle permet de distinguer ces deux types d’aspect :
“Aspect: Aspectual systems have two components, viewpoint and situation type (Smith 1991). Situation
type indirectly classifies a sentence as expressing an eventuality, a state or an event. The information is
conveyed by the verb and its arguments (the verb constellation). Aspectual viewpoint, conveyed
morphologically, focuses all or part of the eventuality. Sentences with the perfective viewpoint have the
simple verb form and focus events with endpoints. Imperfective (progressive) sentences have the verb
auxiliary be+ing, they focus an internal interview of an event, without endpoints.” (Smith 2000 : 3)
La thèse de Borik utilise cette approche dans une analyse comparative entre l’anglais
et le russe. Elle considère deux types d’aspect, celui des types de prédicats qui est interne et
celui du point de vue que l’on retrouve dans l’opposition perfectif/imperfectif :
“I will keep the distinction between different levels of aspectual information and argue that the Russian
perfective/imperfective opposition, which is sometimes referred to as viewpoint aspect, belongs to the
level of the outer aspect, whereas the telicity distinction exemplified in (2) belongs to the realm of
inner/predicational aspect. I will also argue that the difference between (2)a and (2)b should be captured
in terms of different types of predicates. The perfective/imperfective distinction, however, will be
analysed in terms of Reference time, just like the differences between (3)a,b and (4)a,b.” (Borik 2002 :
3) 71
Cette notion de point de vue n’est pas relative à un choix de l’énonciateur, il s’agit
plus exactement d’une délimitation discursive de l’aspect du prédicat verbal. Pour Vet (2001 :
679-680), la différence entre ces deux types d’aspect qu’il nomme aspect prédicationnel
(prédicat sans temps verbal et sans complément adverbiaux) et aspect grammatical (désinence
verbale ou auxiliaire), est de l’ordre du point de vue sur l’action. Alors que l’aspect
prédicationnel semble porter l’action de manière inhérente, l’aspect grammatical focalise sur
une partie de l’action. Dans l’ensemble, les aspectologues effectuent une distinction entre
deux aspects, le recueil de différents travaux sur l’aspect de Laca (2002) le montre. Brès
(2005) montre que l’interaction de la valeur aspectuelle du morphème flexionnel IMP avec
l’aspect véhiculé par un type de verbe particulier n’est pas sans conséquence sur l’existence
d’un IMP narratif. Une des principales raisons de la distinction de deux aspects provient de la
classification de Vendler qui établit à partir de tests linguistiques, des traits aspectuels
spécifiques permettant de décrire le sens aspectuel « lexical », c’est-à-dire la structure
temporelle des événements.
71
Exemples utilisées par Borik
(2) a. John built houses (for two years)
b. John built his house (in two years)
(3) a. John was building a house
b. John built a house
(4) a. John has built a house
b. John built a house
72
Cf. la typologie de Duchacèk, critiquée par Vet (1980).
73
Cf. C1-3.4.2 et les catégorisations de Dik, Wilmet ou encore celle de Mel’čuk qui repose entièrement sur la
notion de quantification.
87
comme le souligne Laca (2002 : 9-10), cette distinction n’est qu’un consensus apparent,
l’opposition étant réalisée au niveau structurel, l’information aspectuelle véhiculée peut être
identique (de l’ordre du bornage et de la durée), ou bien elle peut être différente, dans ce cas
la distinction se situe au niveau du contenu.
3 TEMPS ET ASPECTS
L’aspectualité concerne la qualification des procès, ces mêmes procès sont localisés dans
le temps. Cette localisation s’effectue par rapport à la déixis temporelle et donc au moment de
l’énonciation. Les différents procès ne sont pas cooccurents au moment de l’énonciation, ils
sont relatifs à une période temporelle considérée comme assez longue pour être un moment.
Comme nous l’avons signalé dans la première partie, ce n’est pas obligatoirement la totalité
du procès exprimé par un verbe qui est considérée comme localisé, mais il peut s’agir d’une
partie seulement du procès. Cette partie « focalisée » est à l’interaction entre localisation et
qualification temporelle.
Dans ce point 3., nous proposons principalement une présentation de l’analyse des tiroirs
verbaux du français en relation avec les deux concepts de temps et d’aspect. Au préalable,
nous allons tout d’abord reprendre quelques particularités des différents tiroirs du français.
Ensuite, nous verrons quelles solutions ont été apportées du point de vue aspectuel à la
distribution des différents tiroirs. Enfin, nous verrons que la problématique s’est déplacée du
sens lexical vers une interprétation discursive et référentielle de l’aspectuo-temporalité.
Nous l’avons fait remarquer : l’aspect et la temporalité ont pendant longtemps été
associés. La répartition des tiroirs verbaux selon une analyse purement déictique de la
temporalité ne permet pas d’expliquer la multiplicité des tiroirs pour seulement trois cases
temporelles passé, présent et futur. Imbs et Port-Royal effectuent deux analyses différentes de
la sémantique des tiroirs (cf. C1). Un des problèmes les plus complexes de la distributivité des
temps, concerne leurs multiples significations, chaque tiroir peut remplir plusieurs des cases
de l’axe temporel. Afin d’illustrer la polysémie des tiroirs verbaux, nous nous sommes
appuyés sur quelques grammaires, des approches les plus formelles aux plus descriptives.
Leur système de classification s’effectue en fonction d’emplois généraux et d’emplois
particuliers.
Le présent peut présenter l’actuel, donc un pur déictique sur le plan de la localisation
temporel mais bien souvent il n’entre pas en congruence complète avec le moment de
l’énonciation, il existe toujours un décalage et un mélange entre qualification et localisation
temporelle. Il peut également marquer uniquement le passé ou le futur, ou encore être
atemporel et mêler qualification temporelle et localisation dans des situations à valeurs
habituels, itératives ou gnomiques 74 :
74
Tous les exemples sont tirés de Touratier 1996 : 74-77
88
(1) Je n’ai pas pu vous recevoir avant, je vous demande pardon, j’étais avec un ami
(présent congruent)
(5a) C’est une étourdie, elle ne réfléchit jamais (présent d’habitude ou de répétition
étendue)
(5b) Vous murmurez tout le temps autour de mes oreilles, impossibles de lire (présent
d’habitude ou de répétition étendue)
(5c) Il vient quelquefois à l’église le dimanche (présent d’habitude ou de répétition
absolue)
(5d) La terre tourne autour du soleil. L’eau gèle à zéro degré. (présent gnomique ou
permanent) 75
75
Pour certains auteurs la multiplicité des sens du tiroir présent témoigne de son atemporalité.
89
3.1.2 Les tiroirs composés au sens morphologique du terme
Les temps composés sont considérés comme polysémiques sur le plan de la localisation
temporelle, car ils ont tous au moins une valeur de localisation temporelle, mais ils peuvent
aussi entraîner une valeur temporelle de présent dans le passé, voir de présent pour le PC dans
des emplois qui sont appelés résultatifs.
Le plus-que-parfait est un temps qui situe le procès dans le passé par rapport à une autre
action passée, c’est l’emploi général dogmatique que nous relevons dans les grammaires.
D’après la Grammaire méthodique du français de Riegel, Pellat et Rioul le plus-que-parfait
marque l’antériorité par rapport à un repère passé explicite ou implicite. Souvent l’antériorité
est marquée en corrélation avec un verbe au PS, au passé composé ou à l’IMP où il se
retrouve dans un système principale-subordonné.
(9) Un pas de plus, de moins et, fort étonné, le visage que j’avais follement craint de
ne jamais revoir se trouvait tourné vers moi…(A. Breton dans Riegel 1996 : 311)
(10) Un pince-maille avait tant amassé qu’il ne savait où loger sa finance. (La
Fontaine dans Imbs 1968 : 125)
(11) Armand Duval…me remercia comme si j’avais déjà commencé à lui rendre un
service en gardant ce volume. (Al. Dumas fils dans Imbs 1968 : 125)
(12) Gaston n’était et n’avait toujours été qu’un ami (Al. Dumas fils dans Imbs 1968 :
125)
(13) Cet homme avait du marcher tout le jour. Il paraissait très fatigué. (V. Hugo dans
Imbs 1968 : 125)
(14) Il rouvrit les yeux et ne vit rien autour de lui. La sensation horrible avait disparu.
(M. Barrès dans Imbs 1968 : 125)
Le plus-que-parfait exprime aussi un fait accompli qui a lieu avant un autre fait passé
quel que soit le délai écoulé entre les deux. Le procès est achevé au point de référence passé.
On en trouve de multiples exemples dans les grammaires de Grevisse, Riegel, Pougeoise :
(17) Dès Bodenbach, où sont les douanes autrichiennes, les allures des employés de
chemin de fer m’avaient montré que la raideur allemande n’existe pas dans l’empire
des Habsbourg (Apollin, Hérésiarque et Cie p.105)
(18) Alain tourna la tête […] vers la porte fenêtre béante d’où venait une douce odeur
d’épinards et de foins frais, car on avait tondu les gazons dans la journée. (Colette,
Chatte, p.203)
90
(19) L’enfant avait reçu deux balles dans la tête. (Hugo)
(20) Le 31 juillet dernier, date de son anniversaire, il avait décidé de ne plus fumer.
(21) Où les avais-je déjà regardé ? (Proust)
(22) Gervaise avait attendu Lantier jusqu’à deux heures du matin. (Zola)
Ce sens du plus-que-parfait, qui est également considéré comme lié à l’aspect accompli
permet à ce tiroir de servir de fond de décor au début d’un récit ou au début d’un paragraphe,
tout comme un IMP.
(22) Une hirondelle en ses voyages /Avait beaucoup appris. (La Fontaine)
(23) Tous s’étaient agenouillés dans les ténèbres de la chapelle. Les trois frères
Baillard remercièrent à haute voix la Vierge de la profusion des grâces qu’ils avaient
trouvées à Tilly. (Barrès)
P. Imbs (1968 : 125) indique que les emplois d’antériorité et d’accompli du plus-que-
parfait peuvent se mêler, mais il affirme que l’idée d’antériorité passe automatiquement au
premier plan lorsque le plus-que-parfait est « mis en référence immédiate avec un autre verbe
au passé ».
La valeur résultative est une distinction que font Riegel, Pellat et Rioul au sein de la
valeur d’accompli dans le passé. Dans ces deux exemples, en plus d’indiquer que le procès a
lieu dans le passé, que ce procès est terminé au moment où on le regarde dans le passé, il
indique également qu’il y a un état « de disparition » (25) et un état « n’être plus là » (26)
résultatif à l’action :
Dans ce point, nous avons mentionné les valeurs aspectuelles d’accompli, d’antériorité et
de résultativité. Le plus-que-parfait rassemble différents problèmes montrant que la
temporalité en contexte marquée par un tiroir ne dépend pas uniquement du paramètre
localisation temporelle, les valeurs d’accompli et de résultativité semblent témoigner de ce
fait.
Le passé composé possède les mêmes ambiguïtés. Il n’exprime pas toujours uniquement le
passé. Dans l’exemple Pierre a rempli la bouteille qui est tiré de Vet (2001), celui-ci montre
que le PC est compatible avec maintenant, donc qu’il peut-être situé au moment de la parole,
ce qui n’est pas le cas avec l’utilisation d’autres temps du passé. En fait, c’est l’état résultatif
du passé composé qui se situe dans le présent, voire même dans le futur : Dans une heure
Pierre a rempli la bouteille (toujours Vet 2001). Si le procès se situe toujours dans le passé,
l’état résultatif du procès est dans un autre moment de l’énonciation. On trouve ici une
interaction forte entre sens temporel (localisation) et sens aspectuel (structure interne du
procès).
91
Nous allons présenter, dans les points suivants quelques systèmes qui expliquent la
distribution des tiroirs en français. Ces systèmes montrent le lien étroit entre valeur
aspectuelles (perfectif/imperfectif) et temporelles (passé/présent/futur).
Dans son ouvrage de 1929, Guillaume donne une nouvelle impulsion aux recherches
aspectuelles. Il va notamment délimiter son champ d’action en différenciant le temps de
l’aspect. Cette distinction est issue d’une vision particulière du système linguistique chez
Guillaume, vision souvent appelée mentaliste, qu’il va développer dans une théorie appelée
psychomécanique du langage.
Cette construction mentale de l’image-temps est progressive, elle prend donc du temps
et se distribue en trois étapes successives qui sont : le possible (en puissance, temps in posse),
la construction (en devenir, temps in fieri), le construit (en réalité, temps in esse).
____/________________/________________/____>
in posse in fieri in esse
Le temps in posse est la phase où l’image du temps n’en est qu’à ses prémisses, c’est
la couche la plus profonde du substrat temporel. C’est aussi le lieu de l’aspect. Le temps in
esse est au contraire la phase où l’image temps s’est formée dans l’esprit. C’est aussi le lieu
du temps. Temps et aspect sont donc deux éléments de même nature, mais qui se situent
différemment dans l’expression de la temporalité :
« On a affaire à l’aspect aussi longtemps que le temps considéré est celui que le verbe emporte avec
soi, qu’il intériorise, et au temps, dès que le temps considéré est celui que le verbe extériorise et au sein
duquel lui et le temps contenu inhérent se situent. » [Guillaume 1951 ; 189]
« Le verbe est un sémantème qui implique et explique le temps […] est de nature de l’aspect toute
différenciation qui a pour lieu le temps impliqué. Est de nature du temps toute différenciation qui a pour
lieu le temps expliqué. » [Guillaume 1933 : 47-48].
« Cette idée de temps que le mot emporte avec soi, qui fait partie intégrante de sa signification, c’est le
temps in posse, qui peut se définir : le temps intérieur à l’image du mot. Le temps in esse, à l’inverse,
92
est du temps extérieur à l’image du mot, non pas celui qui se développe en elle, mais celui dans lequel
elle se développe. » (Guillaume 1933 : 15).
Dans un article de 1933, il distingue trois sortes d’aspects, l’aspect tensif, l’aspect
extensif et l’aspect bi-extensif, qui correspondent respectivement à l’infinitif, aux temps
composés et aux temps surcomposés. Dans un autre article datant de 1951, il utilise d’autres
termes : l’aspect immanent, l’aspect transcendant et l’aspect bi-transcendant 77 . Ces trois
aspects sont à mettre en rapport avec les morphèmes de flexion du verbe. Ainsi l’aspect
immanent correspond aux temps simples, l’aspect transcendant correspond aux temps
composés et l’aspect bi-transcendant correspond aux temps surcomposés. Tous les tiroirs
76
Cette distinction apparaît comme une référence primordiale dans de nombreux ouvrages de linguistique
moderne, et c’est la contribution majeure de Guillaume à l’étude de la temporalité. La définition de l’aspect faite
par B. Comrie, qui sert de point de départ à de nombreuses recherches contemporaines sur l’aspect, réinitialise la
distinction de G. Guillaume, comme le souligne M. Wilmet : « …aspects are different ways of viewing the
internal temporal constituency of a situation » et « …one could state the difference as one between situation-
internal time (aspect) and situation-external time (tense) » (Comrie 1976 : 3 et 5, cité par Wilmet 2003 : 331). On
peut citer également Imbs (1960 : 15) : « L’aspect est une des qualités inhérentes au procès. Il est étroitement lié
à la catégorie du temps, sans pourtant se confondre avec lui : se situant sur la même ligne progressive que les
divisions du temps verbal, il n’inclut pourtant pas la notion de repère, essentielle à celles-ci ». Gosselin (2000 :
70) reprend la distinction de Guillaume en spécifiant que le temps sert de cadre « permettant de situer les
procès », tandis que l’aspect correspond « à la structure temporelle interne des procès ». Gosselin fait par ailleurs
remarquer que cette distinction faite par Guillaume date en fait d’Aristote (1996 : 9).
77
« L’aspect premier immanent (simple) retient l’esprit dans l’image verbale, non outrepassée ; l’aspect second
transcendant (composé) le porte en dehors d’elle, dans une subséquence aussi proche ou lointaine qu’il est
besoin, et l’aspect tiers bi-transcendant (surcomposé) dans la subséquence du subséquent déjà conçu. » (1964
(1951) : 190)
93
simples possèdent le même aspect. Il en est de même pour tous les tiroirs composés et tous les
tiroirs surcomposés.
Le temps intrinsèque est la cause de la tension contenue dans le verbe, c’est-à-dire,
« l’impression de mobilité progressive qui en est inséparable ». Tout verbe possède une
temporalité interne constituée de trois positions : initiale, intermédiaire et finale. La structure
du temps interne est animée par un curseur mobile qui découpe l’aspect en deux éléments : la
tension et la détension, la tension correspondant à la phase initiale et la détention à la phase
finale. Le déroulement est constitué de tension et de détention. En français, cette structure est
complexe car l’événement dans son entier est marqué par une distribution morphologique des
formes temporelles. Ainsi, l’infinitif remplit le rôle de position initiale, le participe présent
remplit le rôle de position intermédiaire et le participe passé remplit le rôle de position finale :
Pour autant le scénario n’est pas terminé, puisque d’autres formes verbales, lexicales
et non temporelles, prennent la suite de cette première série, ou renouvellent cette première
série tout en lui succédant. Cette première phase achevée, le verbe peut à nouveau être mis en
tension par l’intermédiaire d’une autre forme infinitive l’auxiliarisant, et partant du même
principe :
En parole, la distribution de chaque forme composée donne lieu à une distribution en matière
de phases qui sont, soit en déroulement, soit accomplies, Guillaume parle alors d’aspect
inaccompli et accompli :
Pour Guillaume cette opposition rejoint la distinction perfectif et imperfectif, qui est à
la base de l’aspect. Les temps simples saisissent le verbe en tension, pris de l’intérieur en
déroulement, tout comme les verbes à l’aspect imperfectif en slave, et les temps composés
saisissent le verbe de l’extérieur dans le résultat de la première tension dépassée, tout comme
les verbes perfectifs dans les langues slaves.
94
Le verbe manger à l’infinitif implique un procès en tension, en phase initiale (une
image virtuelle du procès), tandis que avoir mangé implique un procès en extension, ou phase
finale (une image réalisée du procès). Même si Guillaume n’en parle pas, nous pouvons
signaler que c’est dans ce cadre que va intervenir l’Aktionsart, c’est-à-dire le sens du verbe à
l’infinitif.
Ces citations, qui illustrent les définitions de l’aspect, montrent que l’aspect est propre
au lexème verbal. Mais les différences d’aspects pour Guillaume sont fonctions de marqueurs
semi-lexicaux ce qui laisse entendre que c’est le verbe dans un rapport avec son composé et
non le verbe en lui-même qui porte l’aspect :
« Le système verbo-temporel est représenté universellement par des moyens de morphologie (flexion en général).
Le système des aspects par des moyens semi-lexicaux : auxiliaires, préfixes, infixes. » (1938-1939 : 9)
Le système de l’aspect pour Guillaume s’appuie donc sur des formes linguistiques,
« morphologiques ». On peut considérer ce qu’il appelle « les moyens semi-lexicaux » comme
étant morphologiques. Pourtant, dans le lien entre l’aspect simple et l’aspect composé, il
explique en 1929, que le sens du verbe implique deux types différents de résultativité. Il
effectue une distinction entre ce que Garey a appelé verbes cycliques et non-cycliques. Ainsi
entre les deux scénarios : mettre son chapeau avoir mis son chapeau, et marcher avoir
marché, il y a une différence de point de vue aspectuel, le premier renvoyant à une situation
résultante (le chapeau est sur la tête), le second renvoyant à une simple antériorité (la marche
est terminée).
Même s’il n’introduit pas explicitement la notion d’Aktionsart, le lexème verbal chez
Guillaume se distingue selon une opposition classique de l’aspect lexical, celle entre verbes
cycliques et non-cycliques ou téliques et atéliques. Le lexème verbal joue d’ailleurs deux
rôles, celui de révélateur du sens d’antériorité et celui de choix de l’auxiliaire. Pour éviter la
95
contradiction, Guillaume mentionne en note que les verbes transitifs prennent l’auxiliaire
avoir, car la limite de tension ne se situe pas dans le verbe mais dans l’objet du verbe.
Ainsi, le mouvement (le temps universel) exerce une action sur la relation entre le
procès et sa situation sur l’axe du temps conventionnel. Cette action induit que le futur ne
s’éloigne pas du présent comme pourrait le faire penser la flèche du temps, mais au contraire
qu’il s’en rapproche, tandis que le passé ne cesse de s’éloigner du présent toujours en
mouvement vers l’avenir. Le présent dans ce cas devient passé.
-------------- ----------------
passé présent futur
L’aspect se distingue du temps car il ne renvoie pas à l’axe temporel, il ne permet pas
de situer les procès dans le temps absolu ou relatif. La définition de l’aspect repose sur la
construction de l’événement, il permet de décrire ou de présenter l’événement, son type de
déroulement.
___________________[…/…]__________________
passé présent ω α présent futur
Le présent qui s’en va (ω) est un présent décadent et existant, le présent qui vient (α) est
virtuel et incident. Ainsi, chez Guillaume, la distribution des temps s’effectue en fonction de
78
Par concrétisation linguistique d’une action, on entend action virtuelle (se situant dans le futur ou dans un
monde hypothétique) et réelle (passé ou présent).
96
ces deux moments ; lorsqu’ils sont réunis, ils forment le présent. Mais chacun des deux peut
former la frontière entre passé et présent, d’où deux formes morphologiques pour chacun :
l’une existante (ω), il s’agit de l’IMP (IMP et PQP) et du futur catégorique (FS et FA), et
l’autre virtuelle (α), il s’agit du prétérit (PS et PA) et du futur hypothétique (CPré et CPas).
Dans un ouvrage récent (2005), il étudie l’IMP narratif à partir de cette théorie. Dans
son analyse, l’IMP narratif est avant tout un IMP qui véhicule à ce titre des valeurs aspectuo-
temporelles invariables (-incident) ; par ailleurs, le co(n)texte véhicule également des
informations invariables. De cette interaction entre valeur de l’IMP et valeur du contexte va
apparaître l’effet de sens narratif. L’IMP narratif n’est donc pas une valeur spécifique de
l’IMP, c’est un effet de sens induit en discours par des informations contradictoires. Celui-ci
apparaît lorsque l’IMP qui véhicule une valeur aspectuelle /-incident/ se situe dans un cotexte
demandeur d’informations aspectuelles /+incident/ de la part du procès. L’effet de sens
narratif semble donc en quelque sorte insaisissable et n’appartient à aucune forme spécifique
mais il est le résultat de valeurs aspectuo-temporelles qui s’opposent.
97
3.3 Le système de Reichenbach
« La vertu principale du système de Reichenbach est d’introduire des repères temporels qui permettent
non seulement de formuler une sémantique minimale des temps verbaux, mais également d’indiquer les
relations temporelles entre les phrases dans le discours » (Moeschler 1994 : 66).
Son schéma va aussi permettre une nouvelle représentation, d’un point de vue
énonciatif, des tiroirs temporels ainsi que de l’aspect. Nous allons aborder les principales
innovations et discussions engendrées par son article. Elles reposent et tournent autour du
point R, de la valeur sémantique des tiroirs, de la structure temporelle de la phrase et du
repérage en terme de points ou d’intervalles.
3.3.1 Le point R
Reichenbach remet en cause l’analyse traditionnelle des tiroirs qui repose sur la
répartition des tiroirs en fonction de deux moments : le moment de l’énonciation et le moment
du procès 79 . La combinatoire des deux moments donne lieu à la répartition classique en trois
époques passé, présent et futur :
(a) Si le moment où a lieu le procès se situe avant le moment de la parole, le procès est
localisé dans le passé comme dans (1).
(b) Si le moment où a lieu le procès et le moment de la parole sont simultanés, le procès se
situe dans le présent comme dans (2).
(c) Si le moment où a lieu le procès se situe après le moment de la parole, le procès se situe
dans le futur comme dans (3).
Pour Reichenbach, ces deux points de repère sont insuffisants, car il ne permettent pas de
rendre compte de l’ensemble des valeurs sémantiques des tiroirs temporels, notamment en ce
qui concerne les tiroirs composés. Il le montre à partir d’un exemple au past perfect :
Dans cette phrase, le moment de « la venue de Peter » est situé dans le passé par rapport au
moment de l’énonciation ; mais l’information temporelle véhiculée par le tiroir implique un
autre moment par rapport auquel « la venue » est repérée. Le past perfect outre l’indication
79
Le point de départ théorique auquel il s’oppose était déjà largement dépassé par les analyses de Port-Royal,
mais également par d’autres auteurs qui, avant Reichenbach, avaient déjà mentionné la possibilité
d’interprétation de la temporalité des tiroirs par l’intermédiaire de trois points (voir sur ce sujet Vetters (1996)
qui mentionne notamment Beauzée (1782) et Jespersen (1924)). Il est rarement fait mention de Tesnière (1927)
dont l’analyse est pourtant très explicite, il utilise le terme de « temps projectif » qui correspond au point R.
98
que « la venue de Peter » s’est produite dans le passé, indique que « cette venue » a eu lieu
dans un moment particulier du passé. C’est ce moment du passé qui n’est ni le moment de
l’énonciation ni le moment du procès que Reichenbach appelle point de référence.
Dans l’exemple ci-dessous, il montre qu’un ensemble de verbes est lié au même point
de référence. Ce point de référence est toujours déterminé en fonction des tiroirs :
(5) But Philip ceased to think of her a moment after he had settled down in his carriage.
He thought only on the future. He had written to Mrs. Otter, the massière to whom
Hayward had given him an introduction, and had in his pocket an invitation to tea on the
following day.
Les trois verbes aux simple past (ceased, thought, had) impliquent un point de référence
qui est concomitant au point du procès et antérieur au point de l’énonciation, ce point de
référence est non-ancré. Les trois verbes au past perfect (had settled, had written, had given)
impliquent un point de référence antérieur au moment de l’énonciation mais postérieur au
moment du procès. Contrairement à l’exemple avec Peter où le point de référence était non-
ancré, le point de référence des verbes au past perfect est ici ancré car il est lié au point de
référence des procès exprimés par les verbes au simple past. Tous les procès sont donc liés au
même point de référence.
Enfin, il montre que le point de référence est ancré, pour les verbes au simple past et pour
les verbes au plus perfect, par l’intermédiaire d’un localisateur qui se présente sous la forme
d’un complément temporel (in 1678) :
(6) In 1678 the whole face of things had changed … eighteen years of misgovernment had
made the … majority desirous to obtain security for their liberties at any risk. The fury of
their returning loyalty had spent itself in its first outbreak. In a very few months they had
hanged and half-hanged, quartered and emboweled, enough to satisfy them. The
Roundhead party seemed to be not merely overcome, but too much broken and scattered
ever to rally again. Then commenced the reflux of public opinion. The nation began to
find out to what a man it had intrusted whithout conditions all its dearest interests, on
what a man it had lavished all its fondest affection.
99
Il apparaît clairement avec cet exemple que le point de référence du simple past et le
point du procès sont simultanés. Reichenbach indique que certains tiroirs impliquent une
simultanéité du point de référence avec le point de l’énonciation, c’est le cas du present
perfect. Dans la phrase : I have seen Charles, le point de l’énonciation est postérieur au point
du procès. Le procès n’est pas vu à partir d’un point de référence situé dans le passé, mais
d’un point de référence qui coïncide avec le point de l’énonciation. Comme le point de
référence ne se situe pas dans le passé mais dans le moment de l’énonciation, le tiroir donne
l’impression au lecteur d’une immédiateté de l’action. Il montre que le passé composé ne
donne pas l’impression d’une narration des événements à cause de ce phénomène. Ainsi, la
simultanéité de deux points ne doit pas être considérée comme la fusion de deux points en
seul point, mais comme un phénomène discursif indispensable à l’explication des tiroirs.
Le point de référence est impliqué par le type de tiroir utilisé, ce point de référence
peut être ancré c’est-à-dire exprimé par une date ou par un autre événement ou par le moment
de l’énonciation, il peut également être non-ancré, c’est-à-dire rester flou. Le fait qu’il puisse
être non-ancré est important, car cela montre bien que le point de référence est impliqué par le
tiroir. Ce point de référence n’est donc pas déterminé par rapport à un autre procès, mais par
le tiroir, par contre, il s’agit d’un point qui réfère à du contexte (pragmatique, cotextuel,
contextuel ou énonciatif). Le point R n’est donc pas lié directement à la déixis temporelle.
Dans ce sens, l’analyse de Reichenbach est plus puissante que l’analyse de la GPR qui limite
la relativité d’un tiroir à un autre procès. De plus, ce schéma demande un degré d’abstraction
très important puisque les trois points font système à partir de l’instruction des tiroirs, il ne
s’agit donc plus de retrouver une paraphrase sémantique propre à chaque point et qui découle
du contexte exprimé, le point de référence restera dans la plupart des cas une abstraction.
80
Le passage de deux points à trois points a été initié par Beauzée (1782), puis Jespersen (1924) et enfin
Reichenbach (1947), voir Vetters (1996). Les travaux de Reichenbach ont très tôt initié de nombreuses
recherches sur la temporalité, comme par exemple l’article de Garey dans Language en 1955.
100
Schéma 7 – Représentation iconique du sens temporel des tiroirs
Pour ses représentations symboliques, il ajoute aux trois lettres E,R et S, la virgule (,)
qui indique la simultanéité des points et le tiret (-) qui indique la succession des points.
La variable R qui s’ajoute aux deux variables précédentes peut donc donner 13
possibilités de combinaisons. On peut se demander quelle est la place de la distinction temps
absolu vs temps relatif dans ce système, ainsi que la place de l’opposition entre temps simple
vs temps composé. Enfin dans ce système, où se situe l’aspect ? En ce qui concerne la
première opposition, elle ne semble plus signifier grand chose puisque tous les tiroirs sont
repérés par l’intermédiaire d’un point R qui n’est pas lié directement à la déixis temporelle.
Cette analyse implique que tous les tiroirs soient relatifs. Dans le même temps, le point R est
analysé comme l’élément servant de repère relatif au procès. Cela signifie que les relations
d’antériorité, de simultanéité et de postériorité s’établissent dans la relation entre E et R, alors
que le rapport temps-tiroir passé, présent, futur, s’établit entre R et S. Enfin, il reste une
81
Il n’y a pas de temps correspondant en français et en anglais à ce tiroir. Reichenbach cite un exemple latin.
101
troisième combinatoire possible qui est celle entre E et S et qui, n’étant jamais directe, n’a
guère de pertinence sur le plan sémantique.
Nous classons ci-dessous les tiroirs selon les relations établies entre E et R et entre S et
R. Il y a donc trois tiroirs du passé, trois tiroirs du futur et trois tiroirs du présent, ainsi que
trois tiroirs marquant l’antériorité, trois tiroirs marquant la simultanéité et trois tiroirs
marquants la postériorité.
Chaque tiroir est donc muni d’une double valeur absolue et relative. La relation entre
les points E et R permet de mettre en évidence la distinction entre tiroirs simples et tiroirs
composés, puisque la relation de simultanéité concerne les tiroirs simples et les deux autres
relations d’antériorité et de postériorité concernent les tiroirs composés.
Ex 1: a) I had mailed the letter when John came and told me the news
b) * I had mailed the letter when John has come
c) I have not decided which train I shall take
d) * I did not decide which train I shall take
102
absoute dans cette analyse, car le point R est propre aussi bien aux PQP qu’aux PS. La
localisation du PQP n’est pas relative aux événements exprimés au PS. Tandis que dans b) le
point de référence se situe au moment de l’énonciation dans la seconde proposition.
L’objectif de Reichenbach est de rendre compte des tiroirs. Il traite l’opposition entre
PS et IMP en français et la différence entre les formes simples et les formes progressives, en
faisant intervenir la notion d’intervalle duratif, ce qui constitue une donnée supplémentaire
par rapport à son traitement des autres tiroirs. Ces tiroirs n’entrent pas dans son tableau
récapitulatif des distinctions temporelles. Reichenbach ne fait nulle part mention de l’aspect
dans son article, pourtant il caractérise de duratif ou répétitif les temps du PS et de l’IMP. On
peut considérer ces deux termes comme étant aspectuels. Ces différents éléments montrent
103
que certaines oppositions entre les tiroirs (simple vs progressifs et IMP vs PS) ne font pas
partie du temps mais de l’aspect.
Nous venons de l’indiquer, Reichenbach dans cette analyse et cette modélisation des
valeurs sémantiques des tiroirs ne mentionne jamais la dimension aspectuelle au sein de son
système. Pourtant, nombreux sont les auteurs qui ont vu l’aspect apparaître dans la relation
entre le moment du procès et le moment de référence.
• Soit E est antérieur à R, on aura l’aspect accompli correspondant aux temps composés.
Ex : A la fermeture du casino, il aura perdu toute sa fortune, où R est l’état du joueur
à la fermeture du Casino et E les événements précédents qui auront mené à R. (E-R)
Inaccompli Accompli
Demain, je travaillerai toute la soirée A la fermeture du casino, il aura perdu toute sa fortune
E,R E R
104
Dans les représentations schématiques ci-dessous, nous avons opté pour le symbole
d’inclusion (⊂) qui vient donc s’ajouter à la (,) et au (–).
Perfectif Imperfectif
A l’arrivée de Paul, Jean cria. A l’arrivée de Paul Jean criait.
E⊂R R⊂E
Ces représentations peuvent être discutées sur deux plans. En ce qui concerne
l’opposition perfectif vs imperfectif, le système d’inclusion n’est pas aussi symétrique que
représenté, car le PS semble plus proche de la simultanéité des deux moments que de
l’inclusion. Il est difficile de comprendre « l’arrivée » comme incluant « le cri », les deux
moments sont immédiats non-duratif. Selon la terminologie de Vendler nous pouvons dire
qu’il s’agit de verbe d’ACHÈVEMENTS. En ce qui concerne l’opposition inaccompli vs
accompli, il semble plus pertinent d’adopter un système d’intervalle qu’un système de points,
en considérant que les procès durent pendant un intervalle (« travailler toute la soirée » est
inclus dans l’intervalle de référence « demain » 82 ). Quant à l’accompli, dans la représentation
schématique, le point de référence apparaît comme distinct de l’intervalle du procès, tandis
qu’en tenant compte d’un intervalle du procès, on peut considérer que les deux bornes de fin
de l’intervalle de référence et de début de l’intervalle du procès sont concomitantes.
82
Nous considérons l’adverbe temporel demain comme exprimant une période temporelle durative d’une
journée, et non comme indiquant le début de cette période (c-à-d. un équivalent de « à partir de demain »).
105
référentielle de Gosselin, considèrent que le langage réfère à des objets du monde réel qui ont,
en tant que tels, une extension temporelle qu’il convient, par une série d’opérations, de faire
coïncider avec la représentation usuelle du temps.
La représentation temporelle de base suit un ordonnancement des actions sur l’axe des
successivités, en donnant une importance aux représentations statives et dynamiques des
actions. L’objectif est de montrer que le discours ordonne et organise les représentations
mentales de la temporalité, que les théories de la référence oscillent entre des représentations
mentales de la temporalité où une temporalité correspondant au monde réel a peu
d’importance. Ces théories construisent un modèle du temps, modèle qui va être à la base de
la récupération des informations temporelles situées dans le discours ou dans le contexte
pragmatique (inférable). L’élément important de ces approches repose sur le principe que la
temporalité est le résultat d’un calcul et que c’est ce calcul qu’il faut étudier, et non le résultat
de l’expression temporelle. Il s’agit, en fait, de toujours situer des points ou des bornes et des
intervalles les uns par rapport aux autres.
Il distingue deux temps ou deux modes de localisation temporelle qui sont : le temps
absolu et ses catégories présent, passé, futur, et le temps relatif et ses catégories antérieures,
simultanées, postérieures. La catégorie temps a pour particularité de situer un objet (en
l’occurrence un procès) sur l’axe temporel mais cet objet est positionné relativement au
moment de l’énonciation. Le moment de l’énonciation est toujours dans l’actuel, il a pour
particularité de suivre la progression linéaire du temps physique. Au contraire, l’objet se situe
dans une période de l’axe temporel, chaque moment de l’objet est considéré comme figé par
rapport au moment de l’actuel qui est le point de la visée. Le temps absolu est donc établi
dans la relation directe entre le moment de l’énonciation et l’objet visé. Le temps relatif se
situe dans la relation entre deux objets visés. Pour Gosselin, la flexion verbale peut rendre
compte de la relation temporelle entre deux procès, mais uniquement en discours dans la
relation entre une proposition subordonnée et une proposition principale. Le point de visée
(ou moment de l’énonciation) ne vaut que pour le premier procès et indirectement pour le
deuxième procès.
Ce fonctionnement de la temporalité met en relation deux échelles, celle de l’objet visé et
celle du point de visée. La temporalité linguistique peut être définie comme l’ouverture d’une
« fenêtre » par le sujet parlant sur le temps des procès. Ce que Gosselin représente par le
schéma suivant que nous avons volontairement simplifié, et qui illustre l’expression du temps
absolu futur de la phrase : Luc viendra samedi.
106
Pour une représentation du temps relatif, le schéma est plus complexe puisqu’il y a
dédoublement de la ligne de point de visée. Ci-dessous la représentation schématique du
temps relatif simultané dans la phrase : Luc croyait que Marie était malade.
Il spécifie également deux aspects qui sont donc relatifs au procès, il s’agit de l’aspect
lexical, c’est-à-dire les types de procès qui sont exprimés par le lexème verbal et son
environnement actanciel (il adapte une typologie à partir de la typologie de Vendler); et
l’aspect grammatical exprimé par les morphèmes verbo-flexionnels, les semi-auxiliaires, les
adverbes et qu’il définit comme le mode de présentation du procès 83 (il comporte les concepts
traditionnels issus des analyses aspectuelles de la flexion verbale, qu’il adapte au système de
Reichenbach, nous en verrons ses spécificités). Ci-dessus nous avons parlé d’intervalle de
visée qui correspond au moment de l’énonciation et d’intervalle visé du procès, cela signifie
que ce n’est pas l’intégralité du procès qui est localisé, mais une partie seulement du procès
ou un état du procès. Les modalités de sélection de cet intervalle du procès vont être analysées
à partir du système de Reichenbach, qu’il va aménager puisque à la place des points, il va
utiliser des intervalles.
83
Gosselin précise : « la façon dont les procès sont percus / montrés dans et par l’énoncé » dans Gosselin
(2000 : 70), et il reprend C. Smith et la notion de viewpoints dans Gosselin (2005 : 36).
107
3.4.2 Adaptation du système de Reichenbach : les quatre intervalles.
Sur le plan des outils utilisés, Gosselin reprend le système de Reichenbach, notamment
l’idée que trois points sont nécessaires. La représentation sémantique des éléments exprimant
la temporalité est réalisée à partir d’intervalles à la place des points, car cela permet dans une
même représentation d’intégrer les dimensions aspectuelles. Les intervalles temporels
permettent de rendre compte, respectivement, de l’intervalle temporel nécessaire à la visée, de
l’intervalle temporel du procès et de l’intervalle temporel qui est visé et qui sélectionne une
partie de l’intervalle du procès qui doit être montré. Sa conception de la temporalité est donc
référentielle. Il distingue donc trois intervalles minimums auquel il ajoute un quatrième type
d’intervalle :
Hormis l’intervalle des compléments de temps, tous les autres intervalles sont relatifs
à la nature de la proposition, c’est-à-dire aux différentes informations véhiculées par les tiroirs
verbaux et le prédicat verbal qui entrent en composition. Il distingue donc trois intervalles
impliqués par la proposition. Le premier intervalle est celui du procès, il le nomme [B1,B2]
où B1 représente le début du procès et B2 la fin du procès. Le deuxième intervalle est celui de
l’énonciation [01,02] où 01 est le début de l’énonciation et 02 la fin de l’énonciation, et enfin
le troisième intervalle est celui de référence [I,II] moment qui permet à tout énonciateur de
situer des événements par rapport à n’importe quel moment du temps qui lui paraît important
et qui n’est pas le moment de l’énonciation. Cet intervalle permet également de délimiter la
portée du procès. Enfin, l’intervalle spécifique exprimé par les compléments de temps il le
note [ct1, ct2]. Cet intervalle permet indifféremment de localiser l’intervalle du procès et/ou
l’intervalle de référence. On peut remarquer que ce dernier n’a pas le même statut que les
deux autres, ni sur le plan formel, ni sur le plan conceptuel, puisqu’il s’agit d’un intervalle
spécifiquement marqué par une forme et qu’il permet de situer un autre intervalle.
Le premier exemple qu’il donne pour montrer cette architecture est, tout comme dans
l’exposé de Reichenbach, un exemple au PQP qui permet sans ambiguïtés de montrer
l’existence et la nécessité d’utiliser un intervalle de référence, mais il ajoute un complément
de temps :
On voit très clairement dans cet exemple que l’intervalle B1,B2 du procès est marqué
par le prédicat verbal « terminer son travail », que les deux autres intervalles sont indiqués par
le tiroir PQP, et que le complément de temps permet d’indiquer la distance temporelle qui
sépare B1 de I, soit la fin du procès du début de l’intervalle de référence.
108
Ensuite, il utilise des exemples à l’IMP et au PS afin de montrer que l’emploi d’un intervalle
de référence I,II est nécessaire, car il permet de montrer les différents types de limitation du
procès. Ces deux temps ont alors la même représentation que celle effectuée par Ducrot et
Schaeffer.
B1 B2 01 02
I II
I B1 B2 II 01 02
Dans tous ces cas l’intervalle de référence correspond à ce qui est montré/perçu du
procès, donc à ce que nous avons appelé l’intervalle visé par le moment de l’énonciation.
Nous avons déjà indiqué que Gosselin distinguait quatre dimensions aspectuo-
temporelles : le temps relatif et le temps absolu, l’aspect lexical et l’aspect flexionnel. Nous
allons mettre en relation ces notions et les différents types de bornes. Le temps relatif est
conçu comme la relation entre deux intervalles de référence, celui de la principale et celui de
la subordonnée, soit entre [I,II] et [I’,II’]. Le temps relatif est donc contextuel, il n’est pas une
spécificité de certains tiroirs. La valeur temporelle relative des tiroirs est testée à l’aide des
adverbes temporels anaphoriques (ou relatifs tel que la veille, à ce moment-là, le lendemain,
voir infra chapitre 1). Le temps absolu comme nous l’avons signalé dans le système de
Reichenbach ci-dessus concerne la relation entre l’intervalle de référence [I,II] et l’intervalle
de l’énonciation [01,02]. La valeur temporelle absolue des tiroirs est testée à l’aide de la
compatibilité avec les adverbes temporels déictique (ou absolu tel que hier, aujourd’hui,
demain, voir infra chapitre 1.). L’aspect flexionnel se situe dans la relation entre l’intervalle
de référence [I,II] et l’intervalle du procès [B1,B2]. L’aspect lexical concerne la structure
interne de l’intervalle du procès [B1,B2]. L’aspect est donc un élément marquant le type de
structure de l’intervalle du procès (aspect lexical), ainsi que ce qui est montré de cette
structure (aspect flexionnel). Son objectif étant l’analyse de la temporalité en discours, son
système doit donc permettre de représenter des relations entre différents événements en
parole. Son modèle est donc semblable à celui de Reichenbach en ce qui concerne la
temporalité absolu. Par contre, sur le plan de l’aspect nous allons développer ce qu’il entend
par aspect flexionnel et aspect lexical.
L’aspect flexionnel
L’aspect flexionnel va être défini par la relation entre [B1, B2] et [I, II], c’est-à-dire
entre E et R dans la terminologie de Reichenbach, donc respectivement l’intervalle du procès
et l’intervalle de référence. C’est l’élément le plus complexe de toute l’analyse, puisque
109
l’aspect flexionnel se situe à l’intersection entre la délimitation du point R et la délimitation
du procès. Comme nous l’avons mentionné ci-avant, l’aspect flexionnel c’est le point de vue
sur l’action. Une action est réelle mais elle peut être présentée ou lue sous un angle
spécifique. Dans l’analyse des données, il faut toujours considérer que c’est l’intervalle de
référence qui permet de situer le procès et non l’inverse. Gosselin distingue quatre types
d’aspects grammaticaux principaux, représentés à l’aide des intervalles du procès et de
référence. Ces quatre dimensions sont dépendantes du système des intervalles qui implique un
certain nombre de relations topologiques plus importantes que de simples points. Alors que
les points peuvent entraîner uniquement trois relations (antériorité, simultanéité, postériorité),
les intervalles impliquent d’autres possibilités d’interactions (successivité, concomitance,
enchâssement,…). De ces possibilités et des différents sens aspectuels exprimés par la flexion
verbale, il distingue quatre combinaisons effectives :
Aoristique (perfectif):
L’intervalle de référence, c’est-à-dire ce qui est perçu/montré par le procès, coïncide avec le
procès manger. Nous avons déjà mentionné ce type d’aspect qui correspond au tiroir PS.
Mais, l’analyse en termes de deux bornes et de monstration complète du procès par
l’intervalle de référence peut paraître dans certains cas litigieuse, car il est évident que si le
point de référence focalise uniquement sur la borne finale du procès c’est tout le procès qui
est vu comme réalisé. Dans certains cas, comme par exemple dans la phrase : Il mangea sa
soupe à 5 heure, ainsi que dans les exemples ci-dessous de Frantext, ce qui est montré du
procès, ce n’est que la borne initiale et non la totalité du procès 85 :
(6) Heureusement, l'office n'était pas loin, et Nab pouvait passer pour un maître-coq
expéditif. On mangea donc auprès des cheminées, et, pendant ce repas, on le pense
bien, il ne fut question que de l' événement inattendu qui avait si miraculeusement
sauvé la colonie. « Miraculeusement est le mot, répétait Pencroff, car il faut bien
avouer que ces coquins ont sauté juste au moment convenable ! » VERNE.J / L'ILE
MYSTERIEUSE / 1874 page 452 / PARTIE 3 LE SECRET DE L'îLE
(7) Il mangea son pain, et le temps allait pendant qu' il mangeait son pain, bien que
ce ne fût encore que le commencement du soir, et pendant qu' il était assis dans les
buissons. RAMUZ.C-F / GRANDE PEUR DANS LA MONTAGNE / 1926 page 202
84
Les exemples (4), (8), (9) et (10) sont de Gosselin.
85
Cette idée que le PS ne sélectionne pas les deux bornes du procès, mais une seule borne est présente dans les
travaux de Karolak (2007).
110
L’existence d’un intervalle du procès est ainsi nécessaire dans ce cas puisqu’il y a une
distinction entre borne initiale et borne finale du procès, mais peut-être la notion de point de
référence et non d’intervalle de référence n’est-elle pas justifiée et trop contraignante.
Inaccompli (imperfectif):
Le procès dans son entier n’est pas localisé, ce qui est localisé c’est une partie de ce
procès, dans son déroulement. Avec l’IMP, ce n’est pas le procès manger sa soupe qui est
perçu/montré mais un moment de « l’activité de manger » qui ne comprend ni les bornes de
début, ni les bornes de fin du procès. Nous avons vu que la représentation du sens spécifique
de l’IMP nécessite l’existence au moins de l’intervalle du procès, puisque des points ne
peuvent être en relation d’inclusion. Par contre, comme dans le cas précédent du PS,
l’existence d’un intervalle de référence peut être superflue. Le complément temporel depuis 5
min mis entre parenthèses, indique la distance entre B1 et I et rien n’indique un espace
temporel entre I et II. D’ailleurs, il est impossible d’ajouter un quelconque complément
temporel qui mettrait en relief cet intervalle.
Accompli :
Ce qui est montré du procès, c’est le fait qu’il soit achevé. Le complément depuis 5 minutes
indique la distance qui sépare l’achèvement du procès du moment où on considère le procès
achevé. Il indique donc la distance entre B2 et I. Là encore, il n’est pas nécessaire de faire
intervenir un intervalle temporel R, le point suffit à l’expression de ce rapport.
Prospectif :
111
l’énonciation. Les valeurs aspectuo-temporelles vont ensuite être distribuées selon les types
de tiroirs. Pour connaître la valeur aspectuelle des tiroirs, Gosselin utilise un test de
compatibilité à l’aide du circonstanciel « depuis x temps » qui indique la distance entre les
bornes de l’intervalle du procès et la borne initiale de l’intervalle de référence. Ce
circonstanciel est incompatible avec l’aoristique et avec le prospectif, il indique la distance
entre la borne initiale du procès et la borne initiale de l’intervalle de référence avec
l’inaccompli, et il indique la distance entre la borne finale du procès et la borne initiale de
l’intervalle de référence avec l’accompli, soit :
Sur le plan de la hiérarchisation des tests en discours, on peut signaler que les adverbes
déictique ou anaphoriques contraignent la valeur aspectuelle des tiroirs et donc le sens du test
aspectuel « depuis x temps ». Nous reviendrons sur le calcul en discours des valeurs aspectuo-
temporelles dans le point suivant 3.4.4.
112
L’aspect lexical 86
La deuxième catégorie aspectuelle est celle de l’aspect lexical qui repose sur la
structure interne de l’intervalle de l’événement [B1, B2]. Dans son ouvrage de 1996, Gosselin
redéfinit la notion de procès et donne de nouveaux critères pour la distinction des classes
aspectuelles. Les procès et donc l’aspect lexical sont constitués des instructions codées par les
éléments lexicaux. Pour rendre compte des différentes structures de l’intervalle [B1, B2] en
langue et en discours, il s’appuie sur une analyse lexicale reposant sur la notion de prototype.
Le prototype possède des propriétés nécessaires et contingentes, les propriétés contingentes
pouvant être partiellement remises en cause par le contexte. Ce sont ces propriétés
contingentes qui vont expliquer les glissements de sens entre le sens en langue et le sens en
discours. Ces instructions trouvent une justification dans le fait qu’elles reposent en partie sur
des représentations cognitives. Les éléments de représentations cognitives structurent
directement le procès, car le temps est une catégorie pré-structurée sur le plan des catégories
cognitives. Ainsi le procès reçoit deux types d’instructions, une cognitive (catégorie pré-
structurée) et une linguistique (dérivée des valeurs temporelles du prototype).
- de bornes extrinsèques, qui ne sont pas perçues comme appartenant au procès lui-
même, mais elles sont fixées à partir des connaissances de l’univers ou par des
circonstanciels ; et de bornes intrinsèques, qui sont perçues comme appartenant au
procès lui-même
- de situations stables, ces dernières pouvant relever d’absence de changements (ÉTAT),
de séries de changements (ACTIVITÉ, ACCOMPLISSEMENT), ou de changement atomique
(ACHÈVEMENT)
- des relations entre bornes : soit successives, soit simultanées (ou confondues).
Relations entre
Type de procès Bornage Changements Exemples
bornes
Bornes Absence de Être malade, aimer la
ETAT Successives
extrinsèques changements confiture
Bornes Série de Marcher, manger des
ACTIVITÉ Successives
extrinsèques changements fruits
Bornes Série de
ACCOMPLISSEMENT Successives Manger une pomme
intrinsèques changements
Bornes Changement
ACHÈVEMENT Simultanées Atteindre un sommet
intrinsèques atomique
Tableau 22 – Typologie des procès de Gosselin (1996)
86
Gosselin utilise l’expression « type de procès »
113
3.4.4 Procédure de calcul
Gosselin refuse le principe atomiste, qui considère que la signification d’une séquence
est la somme des significations individuelles car les significations individuelles ou les
représentations sémantico-cognitives sont modifiables, déformables en contexte. C’est-à-dire
qu’elles codent de nouvelles instructions ou qu’elles fusionnent dans une seule information.
Cette attribution d’un sens en langue déformable en contexte, lui permet d’effectuer une
analyse compositionnelle de la structure aspectuo-temporelle, dont la démarche théorique
holiste s’appuie sur la notion de « glissement de sens », schématiquement : Sx(Sy) = Sz :
« Au lieu de décrire la signification hors contexte des différents marqueurs, on admet qu’ils codent des
instructions pour la construction d’éléments de représentation, et que c’est de la combinaison des
éléments de représentation ainsi construits que résultent, directement ou indirectement (à la suite de
conflits et de leurs résolutions), les représentations globales, à partir desquelles les effets de sens des
marqueurs peuvent être distingués. L’objet de la description sémantique est donc de découvrir, au
moyen d’une démarche hypothético-déductive, les instructions codées par divers marqueurs, ainsi que
les principes généraux sur la bonne formation des représentations, de façon à pouvoir déduire, pour une
séquence linguistique donnée, la représentation sémantique correspondante et les effets de sens des
marqueurs qui la composent. » (1996 : 13-14)
114
car le contexte modifie la signification globale de l’énoncé. Ce point est important car il
reflète le type d’analyse sémantique compositionnelle qu’il applique à la construction de
l’aspectuo-temporalité en discours.
Il s’appuie pour cela sur 4 tests. Le premier test (i), valant pour la dynamicité et
permettant de distinguer les classes ETAT/ACHEVEMENT des classes
ACTIVITÉ/ACCOMPLISSEMENT, s’appuie sur compatibilité avec « être en train de », le second
(ii) avec « pendant x temps » marquant le non-bornage et permettant de distinguer les classes
ETAT/ACTIVITÉ des classes ACCOMPLISSEMENT/ACHÈVEMENT, le troisième (iii) avec « en x
temps » marquant le bornage et permettant d’effectuer les mêmes distinctions, et le quatrième
(iv) marquant le caractère ponctuel des procès permettant de distinguer les classes
ACHÈVEMENT des trois autres avec un complément ponctuel « à midi pile », « à 8h30 ».
Les glissements montrent selon Gosselin que pour (i), seuls les verbes d’ÉTAT sont
réellement incompatibles avec le test « être en train de ». Gosselin montre que les verbes
d’ACHÈVEMENT peuvent subir deux types de glissement de sens qui sont la « focalisation sur
la phase préparatoire » et la « réitération ». Notamment dans les exemples :
Le problème est que le premier glissement est également valable pour les prédicats
qu’il considère d’ÉTAT, ce qu’il ne met pas en évidence : Pierre est en train d’être malade
focalise bien sur la phase préparatoire du procès (Gosselin met un astérisque), idem pour
Pierre est en train de savoir une chanson. Ainsi, l’information de la périphrase verbale
impliquant une saisie du procès dans son déroulement qui est juxtaposée à un verbe
d’ACHÈVEMENT qui ne possède pas de phase de déroulement entraîne un conflit qui se résout
par la création d’un glissement de sens qui modifie la structure aspectuelle du verbe.
Pour (ii), les verbes d’ACTIVITÉ et d’ÉTAT devraient être compatibles avec ce test de
« pendant x temps » contrairement aux verbes d’ACHÈVEMENT et d’ACCOMPLISSEMENT. Il
montre que des glissements sont possibles : réitération ou focalisation sur l’état résultant dans
le cas des ACHÈVEMENTS, interruption ou réitération dans le cas des ACCOMPLISSEMENTS :
Pour (iv), le test « à x temps » peut saisir n’importe quelle partie du procès, il peut
marquer un changement entre un état antérieur et le procès, entre le procès et un état ultérieur,
une phase de déroulement du procès, etc… Il permet donc de montrer une des phases du
procès, soit l’entrée dans le procès, soit la sortie :
115
(22) A 7h30, il dormit (1996 : 174)
(23) Luc rentra à 8h35 (1996 : 61)
Ce test, pour fonctionner, devrait être soumis à cette condition : que le moment
focalisé par le complément temporel saisisse l’intégralité du procès. Dans ce cas, on peut
considérer qu’il s’agit d’un verbe d’ACHÈVEMENT. Mais même en posant cette condition, ce
test est celui qui fonctionne le moins bien avec des exemples construits décontextualisés,
notamment parce que « à x heures » même s’il s’agit d’une durée infime peut être conçu
comme un intervalle temporel. Finalement, même un verbe d’ACCOMPLISSEMENT tel que
traverser peut être interprété comme étant intégralement exprimé dans l’intervalle temporel à
8h.
87
Seul le tiroir PS n’a qu’une valeur perfective (aoristique)
88
Cette ambiguité dépend du type de verbe. Elle est forte avec des verbes d’ACHEVEMENT et
d’ACCOMPLISSEMENT qui ont un état résultatif, et faible avec les ACTIVITES et les ETATS qui n’ont pas d’état
résultatif.
116
De plus, bien que l’on puisse « avoir terminé son travail depuis exactement 3 jours »
par exemple, on ne peut pas dire Lundi, j'ai terminé mon travail depuis trois jours. Cette
construction est référentiellement constructible, mais linguistiquement impossible : lundi
impose la valeur de passé (aoristique) alors que depuis trois jours implique celle d'accompli
(présent). Cette analyse manifeste selon lui l'existence de contraintes linguistico-cognitives
fortes, qui sont indépendantes des contraintes référentielles.
Parmi les conflits possibles entre deux valeurs opposées, on trouve également des
interactions entre les valeurs temporelles aoristiques (bornée) des temps composés et un
complément duratif joint à un procès ACTIVITÉ. Cette interaction entre deux valeurs
contradictoires entraîne une résolution itérative : Marie a bu du café pendant dix ans par
exemple.
4 BILAN
Dans ce chapitre, nous avons effectué un historique de la notion d’aspect. Nous avons
vu que l’aspect était fortement lié à la temporalité, même dans les langues slaves à marqueurs
aspectuels purs. La distinction entre les deux notions de temps et d’aspect établie par
Guillaume est jusqu’à présent le meilleur moyen de dissocier conceptuellement ces deux
notions. Les contraintes formelles ne nous semblent pas propices à une distinction
conceptuelle sur ce plan. Nous avons principalement relevé deux systèmes d’analyse de la
relation entre temps et aspect, celui de Guillaume et celui de Reichenbach. Le problème de la
temporalité est avant tout sémantique mais les divergences dans les analyses sémantiques des
temps dépendent avant tout des distinctions d’ordre conceptuel faites par les auteurs qui
veulent prendre en compte l’ensemble de la représentation des informations temporelles et
leur corrélation forme/sens.
Nous avons montré que la structure aspectuo-temporelle était envisagé dans au moins
trois paramètres, qui sont le temps, l’aspect flexionnel et l’aspect lexical. Les définitions de
ces trois paramètres, les formes qui les véhiculent et leur organisation ou combinatoire vont
fluctuer selon les auteurs. Et, dans ce domaine le nombre de travaux très important entraîne
une multiplicité des points de vue sous lesquels ont été traités tous ces aspects. Outre les
analyses de Brès et Gosselin dont nous venons de rendre compte, nous pouvons repérer
quelques divergences de points de vue :
- Nous avons abordé le point de vue de Cosériu (1980) qui considère que l’aspect est
avant tout marqué par des formes et que l’aspect au niveau de ses concepts et de ses
formes varie en fonction des langues. Cette démarche tend à analyser l’aspect de
manière empirique. Les catégories ne sont pas stables selon les formes et varient selon
les langues. Ainsi, les concepts ne sont pas spécifiques à une langue (d’où une
universalité de l’aspect), mais on ne les trouve tous pas exprimés dans chaque langue.
Une autre démarche qui est celle de Karolak est de considérer que l’aspect est avant
tout sémantique et que les mêmes concepts sont exprimés dans les langues par des
moyens morphologiques différents. Dans ce cadre, l’aspect se trouve réduit à des
primitives sémantiques exprimés par des moyens lexicaux ou grammaticaux. Les
concepts sont identiques dans toutes les langues, donc universaux, par contre se sont
les formes qui sont des marqueurs idiomatiques de l’aspect (cf. C4-2.3).
117
- Borillo (1991) considère que les informations aspectuelles sont différentes selon
chaque formes et quelles sont hiérarchisées. Le calcul compositionnel de la valeur
aspectuelle de la phrase s’élabore à partir du lexème verbal qui possède une
potentialité aspectuelle calculée à partir de la classification de Vendler et attribué à
une situation. Le second échelon est le prédicat verbal où le complément de nature
nominal (qu’il soit singulier, pluriel, défini ou indéfini) peut transformer la catégorie
potentielle du lexème verbal toujours calculé d’après Vendler, mais il peut aussi
ajouter une autre catégorie aspectuelle de l’ordre de l’itération. La troisième étape fait
entrer le sujet. Selon la nature du sujet singulier ou pluriel la situation peut prendre
une valeur itérative ou passer d’un potentiel d’ACCOMPLISSEMENT à une valeur
d’ACTIVITE. La quatrième étape est la valeur du temps verbal. Selon le temps une
situation terminative peut prendre une valeur non-terminative, un ACCOMPLISSEMENT
ou un ACHEVEMENT perdent leur valeur terminative avec l’IMP, le PS lié à un ETAT
entraîne une valeur inchoative. La cinquième étape fait intervenir l’adverbe temporel
qui joue un rôle sur le temps verbal utilisé. Ce rôle est progressif ou fréquentiel (une
situation dans le passé qui se renouvelle avec une certaine fréquence) avec l’utilisation
de l’IMP. Enfin la dernière étape est le contexte discursif où le caractère aspectuel
d’une situation dépend d’élément extérieurs à la phrase. Ce mode de calcul
compositionnel de l’aspect se retrouve également dans la typologie de Wilmet (2003).
- Nous retrouvons également toutes les analyses qui distinguent deux types d’aspect, un
aspect flexionnel et un aspect lexical. Dans ce cadre, Vetters (1996) considère que les
informations véhiculées sont différentes et qu’elles interagissent en rendant compte
dans certains cas d’incompatibilité comme par exemple dans l’interaction entre
certains verbes d’ETATS à propriété permanente et le PS : Louis XIV eut un nez aquilin
(Vetters 1996 : 109). Dans d’autres cas, ces interactions rendent compte de
modification de l’aspect lexical par l’aspect flexionnel, notamment une transformation
des caractéristiques ontologiques du procès, un verbe d’état peut avoir une
caractéristique bornée en interaction avec un PS comme c’est le cas de cet exemple
Après une lutte acharnée avec Senna, Prost remporta le Grand Prix de France qui
contraste avec l’exemple naturellement borné Après avoir négocié les 21 virages, Luc
Leblanc atteignit le sommet de l’Alpe d’Huez (1996 : 109). L’aspect lexical repose sur
des propriétés ontologiques des procès et ces propriétés sont virtuelles, tandis que
l’aspect flexionnel actualise le procès et entre en interaction avec ces propriétés
virtuelles (Vetters 1996).
Toutes ces analyses permettent de montrer que l’aspect n’est pas simplement une partie
du sens dénoté spécifiquement par des formes morphologiques, mais qu’il s’agit d’une notion
qui dépasse l’opposition classique entre sens et forme. Le chapitre ci-dessous reprend les
interactions entre le sens aspectuel et les différentes formes qui le véhiculent en proposant une
organisation de ces formes aspectuelles à partir du lexème verbal.
118
Chapitre 3. Les trois sources linguistiques principales des informations
aspectuo-temporelles et leurs interactions
(1) « Des écoliers passèrent ; les enfants chantaient, Bloch jeta les cartes dans la boite
vide, ça résonna. Mais la boite était trop petite pour que ça ait pu résonner. De plus,
Bloch s'était éloigné aussitôt. » (P. Handke, « L'angoisse du gardien de but au moment
du penalty »).
Les verbes passer, chanter, jeter, pouvoir, résonner, être, s’éloigner reflètent un mode
de procès particulier fonction de la typologie de Vendler. Mais l’organisation des événements
implique différentes expressions de ces procès. Le PS, l’IMP, le subjonctif passé, le PQP
donnent d’autres indications aspectuo-temporelles. Le procès exprimé par le lexème verbal
n’a pas une durée fixe dans le temps, il peut également être interrompu, figé, parcellisé,
multiplié … soit, en raison de la plus grande importance d’autres événements, soit en raison
de l’intervention d’autres événements. Si tout le paragraphe se situe dans le passé, les
relations d’antériorité, simultanéité, postériorité, et concomitance entre événements dépendent
de la structure interne de l’événement, c’est-à-dire de ses paramètres qualitatifs liés dans cet
extrait au MDP des verbes et de paramètres qualitatifs exprimés par les tiroirs verbaux, qui
vont permettre de rendre compte de leur organisation particulière. Dans l’extrait ci-dessous,
les paramètres qualitatifs sont également organisés à l’aide de compléments temporels tels
que pendant un mois et depuis quelques jours.
(2) « Puis il regarda la table, fit éteindre tout à fait un bec de gaz qui brûlait en
veilleuse, ferma un battant de la fenêtre, à cause du courant d'air, et choisit sa place
bien à l'abri en déclarant : " Il faut que je fasse grande attention ; j'ai été mieux
pendant un mois, et me voici repris depuis quelques jours. J'aurai attrapé froid mardi
en sortant du théâtre. » (Maupassant, « Bel-Ami »).
Les trois sources qui véhiculent et qui jouent un rôle important dans la détermination de
l’aspect sont : le lexème verbal ou le prédicat verbal, la flexion verbale et les périphrases
aspectuelles, et enfin les compléments du verbe qui peuvent être des compléments à valeur
aspectuelle ou simplement des compléments d’objet (nous parlerons dans ce dernier cas de la
complémentation verbale). Chacune de ces sources regroupe un ensemble de formes
morphologiquement identifiée et possédant intrinsèquement une valeur aspectuelle (excepté
pour les compléments d’objet). Les valeurs aspectuelles de chacune de ces catégories seront
identifiées dans cette partie. La partie sur le lexème verbal est très détaillée, car dans la
détermination de l’aspect propre au verbe réside l’enjeu même de la définition de la catégorie
verbe. Nous reviendrons sur l’aspect flexionnel que nous avons déjà détaillé dans les parties
119
précédentes, nous effectuerons un bref rappel de ses différentes valeurs. Quant à l’aspect
véhiculé par la complémentation verbale, nous effectuerons une typologie la plus exhaustive
possible de ses différentes valeurs et manifestations.
1 LE LEXÈME VERBAL
Nous avons fait remarquer dans le chapitre 2 que le lexème verbal était une des sources
de l’aspect dans les langues slaves. De cette manière, il est comme le dit Cosériu, premier
dans ces langues, c’est-à-dire que la catégorie de l’aspect domine celle du temps. La
classification des procès de Vendler indique que tout prédicat verbal dans les langues romanes
et germaniques implique également une action et donc consomme du temps. L’aspect lexical
est conditionné par le lexème verbal, mais que ce soit Vendler ou Garey, les deux auteurs
indiquent qu’il n’y a pas de stabilité sur le plan de la relation classes de verbes vs lexèmes et
leur mise en discours. La variation des valeurs en discours semble montrer que la valeur
aspectuelle du lexème verbal n’a qu’un caractère second dans ces langues ; il ne serait pas une
marque obligatoire du lexème verbal. De la comparaison entre ces deux systèmes
linguistiques, slaves vs romanes et germaniques, on aboutit à une opposition sur
l’organisation des informations aspectuelles lexicales. Pour rendre compte de l’aspect verbal
trois paramètres doivent être pris en compte : la notion de lexème et la notion de prédicat,
ainsi que la notion de discours ou de co(n)texte linguistique. Il est toujours très difficile de
fixer des frontières stables sur le plan de la délimitation de l’aspect verbal qui semble
simultanément prendre en compte tous ces paramètres.
Dans ce point, nous essayerons de voir en raison de quelles particularités lexicales les
classes de Vendler apparaissent instables. Nous serons amené à nous questionner également
sur la réalité d’un sens lexical propre à la catégorie du discours verbe. L’objectif n’est pas de
questionner les classes de verbe de Vendler (ce sera l’exposé de la quatrième partie), mais de
voir quels problèmes pose l’aspect lexical. Cette partie vise à montrer dans quelle mesure le
verbe est véhicule de l’aspect, c’est-à-dire concourt à l’information aspectuelle. Cette analyse
se fera en deux temps. Dans un premier temps nous envisagerons le problème du point de vue
lexical et dans un second temps nous aborderons le problème sur le plan discursif.
Un signe linguistique est composé d’un signifiant, d’un signifié et d’une catégorie du
discours 89 . Une catégorie du discours est définie par un paradigme de propriétés qui
appartiennent à tous les éléments de la catégorie. Ces propriétés peuvent être morphologiques,
syntaxiques et sémantiques. Elles peuvent être spécifiques à la catégorie en question, mais
elles peuvent également être communes à d’autres catégories grammaticales.
Sur le plan morphologique, le verbe varie par sa désinence. Comme il appartient aux
catégories ouvertes de la langue, il peut être construit à l’aide de différents affixes
dérivationnels plus ou moins spécifiques à cette catégorie. On peut également construire des
89
Traditionnellement, c’est le terme catégorie grammaticale qui est utilisé ici. Nous avons déjà utilisé ce terme
pour désigner les notions exprimées de manière abstraite dans la langue telles que temps, nombre, genre, mode,
voix, aspect. Nous utiliserons le terme de catégories du discours ou parties du discours pour désigner les
différentes classes de mots d’une langue, elles sont au nombre de 8 en français : verbe, adjectif, nom, pronom,
déterminant, adverbe, conjonction, préposition.
120
verbes sur la base d’un nom ou d’un adjectif, soit par conversion, soit en utilisant des affixes
dérivationnels. Sur le plan syntaxique le verbe est le pivot de la proposition. Il lie dans une
relation prédicative sujet et argument(s) et déclenche la valence par l’intermédiaire de son
signifié lexical. Chaque verbe possède donc une structure argumentale qui ouvre à différents
compléments. Selon le verbe, les places ouvertes aux arguments doivent être obligatoirement
remplies ou non. Sur le plan sémantique, le verbe encode des informations processuelles
(action), une structure argumentale (causalité) des informations temporelles, modales,
aspectuelles. Le signifié verbal est riche en instructions qui peuvent se développer sur
plusieurs axes : la déixis temporelle, la structure des événements, et dépendre de plusieurs
instances : le choix du locuteur, le type de discours.
Il est clair que le verbe constitue une catégorie du discours particulière qui se distingue
des autres catégories du discours par ses particularités morphologiques. D’un point de vue
sémantique, le débat sur l’unité sémantique de la catégorie verbe a pendant longtemps été axé
autour de la notion de procès.
90
Nous utilisons le terme de lexie dans le sens de Polguère. La lexie regroupe les lexèmes et les locutions.
91
Nous reprenons dans ce cadre, la définition du lexème de B. Fradin (2006 : 2) :
« Les lexèmes sont des unités lexicales : ils relèvent d’une liste ouverte et ont un sens référentiel dans la mesure
où ils dénotent des individus, des événements ou des propriétés (Croft 1991). Ce sont aussi des unités
multidimensionnelles, c’est-à-dire des unités regroupant des informations qui se répartissent conceptuellement
selon les trois plans, ou dimensions, phonologique, syntactique et sémantique. L’information phonologique
fournit les propriétés permettant de donner une interprétation phonique de l’unité. La sémantique fournit les
informations sémantiques particulières au lexème en question (type sémantique, contenu propre, etc.). Quant au
syntactique, il donne les informations nécessaires pour rendre compte de la manière dont se combine l’unité en
question avec les autres unités, ou encore des variations de forme qu’elle peut revêtir (par exemple, quand l’unité
se fléchit). Relèvent du syntactique : la catégorie syntaxique, la structure argumentale, les traits flexionnels, la
classe flexionnelle, les allomorphes, etc. »
121
1.2 La nature processuelle de la catégorie verbe
Mais, les exemples qu’il donne à l’appui de sa démonstration sont très discutables et le
dernier argument prête, lui aussi, à caution. Les exemples (1) et (2) peuvent être catégorisés
comme des verbes d’état étant donné qu’ils n’expriment ni un changement ni une transition
d’un état à un autre. Ils affirment les qualités d’un objet, qualités qui leur sont permanentes.
Les exemples (3) et (4) ne sont pas employés à la même forme grammaticale. Enfin le fait que
certains noms expriment l’état et l’action et pas d’autres, ne signifie pas forcément qu’il en est
de même pour les verbes. Tous les arguments donnés par Brunot sont ceux qui viennent
régulièrement s’opposer à une possible caractérisation sémantique temporelle de la catégorie
lexicale verbe. Brunot affirme que tous les verbes ne possèdent pas intrinsèquement un sème
temporel constituant une partie du sémantisme verbal. Il va finalement classer les verbes en
13 catégories 92 (Brunot 1922 : 203-219). Même si Gosselin et François (1991) la
92
Brunot utilise des règles morpho-sémantiques (préfixes, suffixes et leur sens), syntaxiques (verbes transitifs),
ou sémantiques (il s’appuie sur le sens des noms) pour classer les différents types de verbe. Ses catégories ne
sont pas fermées. A travers cette classification des verbes, Brunot retire la temporalité comme trait définitoire du
verbe. Pourtant, ses treize catégories sont toutes liées à la notion de procès. Les catégories 1,2,3,5 sont liées à la
notion de changement d’état ou d’aboutissement à un résultat, les verbes de manière (catégories 4) sont liés à la
notion de déroulement de l’action. Quand aux autres catégories, elles ont comme trait spécifique de prendre en
compte des verbes affixés, et dans ce cas nous ne pouvons pas les analyser en tant que lexèmes verbaux simples.
122
mentionnent, la classification notionnelle que Brunot propose en lieu et place de la distinction
traditionnelle réunit des éléments bien trop discordants pour permettre une définition générale
de la catégorie verbe.
Creissel (2004) dans son cours de syntaxe réfute également l’opposition notionnelle
traditionnelle entre nom et verbe sur la base êtres ou objets vs action ou état. Il pose qu’un
nom comme la chute exprime la même idée que chuter ou tomber. Il opte pour une définition
syntaxique de ces deux catégories. Pour autant, son exemple montre les similitudes du nom
avec les catégories notionnelles du verbe, mais pas les similitudes du verbe avec les catégories
notionnelles du nom, ce qui est complètement différent puisque si certains noms peuvent
avoir les mêmes caractéristiques que des verbes et donc ne pas exprimer uniquement des êtres
ou des objets, cela ne signifie pas que le verbe exprime obligatoirement autre chose que
l’action ou l’état. Ces définitions des catégories par oppositions systématiques entre elles
empêchent toute délimitation des valeurs de chaque catégorie.
Sans aller jusqu’à ces positions extrêmes, reprenons notre réflexion sur l’idée même de
temps véhiculé par le lexème verbal. Si tous les noms entrent difficilement dans la catégorie
notionnelle être/objet (cf. : noms renvoyant à des émotions (peur, effroi), sentiments (amour),
actions (chute)), il est plus difficile de réfuter la valeur d’état ou d’action aux verbes car
même les verbes de sensation, de parole, de mouvement, de donation renvoient tous
intrinsèquement à un certain dynamisme, soit d’une action qui se développe dans le temps
(action), soit d’une action qui se déplace en fonction du temps (état). Lipsky (1994 : 273)
relève que certains verbes de modalité ou des verbes du type : savoir, connaître, comprendre,
sont réticents à cette classification. Il nous apparaît pourtant que ces trois verbes véhiculent un
processus de savoir, de connaissance et de compréhension, qui ne s’élabore que dans l’image
d’un temps en évolution, donc d’un dynamisme. On peut citer d’autres contre-exemples qui
apparaissent plus difficilement interprétables comme impliquant un processus, tel que
précéder, comporter, surplomber qui sont des verbes de localisation spatiale. Dans les verbes
les moins aptes à communiquer une idée de temporalité, on peut trouver tout de même une
composante temporelle, car cette composante est secondaire et n’est pas immédiatement
perçue dans la définition du sens lexical du verbe. Le sens processuel du verbe caricaturer par
Nous ne pouvons pas effectuer une classification unifiée à partir d’éléments hétérogènes (classe-t-il des lexèmes
verbaux ou des affixes verbaux ?).
93
Définition également adoptée par M. Wilmet (1997 : 282).
123
exemple est « un individu X effectue une action Y qui consomme du temps ». Cette définition
est secondaire par rapport au sens lexical primaire du lexème qui est « représenter quelqu’un
ou quelque chose de manière caricaturale », pourtant sans cette clause de temporalité le verbe
n’a plus aucun sens. De la même manière, on peut également considérer que dans le sens
primaire de précéder « un objet X se situe devant un objet Y », il y a un sens secondaire qui
est « cette situation a une existence dans le temps » : sans cette existence dans le temps
précéder n’a plus aucun sens.
Un autre problème de la définition notionnelle du verbe est qu’elle semble reposer sur
deux éléments opposés, voire contradictoires qui sont les notions d’état et d’action. Pour
Martin, c’est le signifié en langue des verbes qui renvoie directement au temps, mais à
différents degrés de composition sémantique. Martin considère le verbe comme un élément
lexical exprimant intrinsèquement le concept de durée, qu’il s’agisse d’un verbe qualifié
d’action comme durer ou d’état comme préserver :
« L’idée de durée entre implicitement dans tout lexème verbal. Mais il se peut qu’elle en constitue un
sème essentiel (préserver : composante 1 : « état d’esprit ou disposition louable » ; composante 2 : « ces
dispositions sont maintenues sans défaillance pendant un certain temps »), si ce n’est tout le noyau
sémique (durer, continuer …). » (Martin 1971 : 77).
Si l’on suit Martin, on peut distinguer plusieurs types de verbes selon leur degré
sémantique d’expression de la durée. Ce degré d’expression de la durée ne dépend pas du
caractère d’action ou d’état d’un verbe, ainsi être est verbe d’état dont tout le noyau exprime
selon la terminologie de Martin la durée pendant un certain temps. Mais, il apparaîtrait plutôt
que certains verbes forment une classe spécifique de verbes purement temporels (ou aspectuo-
temporels). Alors que cette catégorie exprime le temps puisqu’il s’agit d’une valeur lexicale
qui va être instanciée dans chaque occurrence du verbe, tous les autres verbes impliquent le
temps c’est-à-dire que la valeur temporelle va intervenir de manière seconde après un sens
lexical et va agir sur ce sens lexical(cf. supra C1-3.2.2). Par exemple, durer va exprimer une
mesure du temps « la durée de déroulement d’un procès », tandis que courir n’exprime pas du
temps mais implique simplement que la valeur lexicale du verbe qui est « se déplacer
rapidement par un mouvement successif et accéléré des jambes » se déroule pendant un
certain temps ; dans ce cas c’est l’information lexicale qui mène à l’information temporelle.
Ceci pour expliquer pourquoi dans le cas de durer nous parlons de temporalité exprimée par
le lexème verbal et dans le cas de courir de temporalité impliquée par le lexème verbal. Cette
particularité de la présence au sein d’un verbe d’une valeur sémantique qui peut être
impliquée ou exprimée, s’applique uniquement pour la valeur temporelle du verbe. Elle
124
n’existe pas pour d’autres catégories d’expression d’une notion (par exemple tous les verbes
n’impliquent pas la notion de parole).
On voit bien ici, que le temps exprimé par le lexème verbal n’est pas réservé aux
verbes l’exprimant spécifiquement dans leur composante entière, mais qu’il s’agit d’une
spécificité de tout verbe. Cette spécificité temporelle du verbe, les linguistes l’ont
décomposée en « action » et « état », Martin subsume ces deux catégories par le terme de
« durée ». Mais ce terme de durée prête à confusion, notamment parce qu’il peut se confondre
avec la seule valeur durative du verbe durer, qui ne recoupe pas exactement cette notion
puisqu’un procès peut ne pas être duratif et pourtant avoir une valeur temporelle (c’est le cas
d’éternuer par exemple), nous préférons conserver le terme et la notion de « dynamisme ».
Nous pouvons représenter ces deux dimensions sur un repère à deux dimensions.
L’axe des abscisses représentant le processus temporel, l’axe des ordonnées le processus
actionnel :
action
0 temps
Fig. 1 – Représentation en deux dimensions de la structure du procès
action action
Il déteste le gâteau Il court dans la forêt
0 temps 0 temps
Schéma 9 – Dynamisme temporel Schéma 10 – Dynamisme actionnel
94
Si les morphèmes temporels impliquent le temps en fonction de la déixis, les lexèmes verbaux impliquent,
eux, l’action (procès) en fonction de l’acte de parole.
125
Sur le plan de la distinction des actions, le système de représentation du temps domine le
système unique d’un temps linguistique qui serait un temps de repérage absolu. La relation à
la déixis est toujours omniprésente. Cette dimension du procès intrinsèque au verbe est plus
facilement démontrable dans les langues dont le verbe est obligatoirement caractérisé par un
aspect spécifique, l’aspect ne pouvant être autre chose que du temps processuel.
Nous venons de voir que le verbe, selon les termes Guillaumiens, possède une valeur
temporelle impliquée qui dépend de la valeur lexicale du verbe. Les deux informations
lexicales et temporelles sont fortement intriquées. Si le primitif de la valeur temporelle du
verbe est la notion de processus, les caractéristiques lexicales du verbe vont influencer le type
de déroulement d’un procès. Nous revenons donc sur ce que les aspectologues nomment
aspect lexical, nous utiliserons le terme de mode de procès.
D’un point de vue lexicologique le sens d’un mot s’établit par rapport à plusieurs
notions :
Le sens d’un mot est donc le produit de ces interactions, mais dans le même temps, il
sélectionne le contexte avec lequel il peut évoluer. Ce paradoxe de la description du sens
d’une lexie, en faisant appel au contexte pour en déterminer sa valeur (contexte dont il est
demandeur), rend difficile la description du sens d’une unité. Bien souvent, il est difficile de
distinguer le sens en langue d’un élément et le sens en discours. Sur le plan du MDP, cette
question est encore plus délicate, certains auteurs refusent même d’attribuer au lexème verbal
une valeur temporelle spécifique. Ils considèrent que le MDP dépend uniquement du verbe
actualisé. Le lien entre la notion de processus et le sens aspectuo-lexical du verbe n’est donc
pas aisé à déterminer. La difficulté réside dans la détermination du mode de procès des
verbes, dans ce cadre nous pouvons répertorier trois hypothèses :
- soit, on analyse par comparaison aux autres verbes, selon la méthode componentielle de
Pottier, en s’appuyant sur des concepts tels que : début, milieu, fin, déroulement,
immédiat, durée, ponctuel… ou bien on utilise de manière arbitraire les oppositions
aspectuelles traditionnelles perfectives et imperfectives.
- soit on déduit le caractère processuel des verbes à l’aide de tests de compatibilité, de
substitutions sur des verbes en cooccurrence avec des périphrases verbales, des adverbes,
des compléments, des tiroirs,).
- soit on compare les différentes acceptions d’un même verbe, on en déduit ses paramètres
inhérents et ses variantes. Que ce soit l’une ou l’autre méthode utilisée, la variabilité en
emploi est toujours omniprésente.
126
Pour rendre compte des interactions entre valeur temporelle et valeur lexicale, certains
auteurs s’appuient sur le plan du système de la langue. Ils relèvent des oppositions entre
certains verbes permettant de montrer les différentes oppositions sémantiques entre un
lexème-base et un dérivé. On peut relever quelques exemples chez Imbs et chez Pohl cités par
Golian (1979 : 40) :
Imperfectif Perfectif
Battre Abattre
Semer Parsemer
Faire Parfaire
Suivre Poursuivre
Filer S’enfiler
Tableau 23 – Opposition perfectif/imperfectif dans le système dérivationnel du français (Imbs et Pohl dans
Golian (1979 : 40))
Certains auteurs relèvent des compatibilités et des incompatibilités entre le sens lexical
des verbes, le sens des tiroirs ou l’utilisation de certains adverbes ou complément de temps.
Ceci permet à nouveau de rendre compte de certaines valeurs sémantiques des verbes. Avec
Guillaume, nous avons pu remarquer que le lien entre la valeur sémantique du verbe et la
notion de processus lui permettait de montrer quelques valeurs particulières des tiroirs
verbaux (par exemple la valeur unique d’antériorité du PC dans certains cas). Naert en 1960
considère le MDP comme étant propre au verbe, il réintroduit la notion d’Aktionsart. Il utilise,
pour cela, le terme de mode d’action traduit de l’allemand Aktionsart :
Il ne restreint pas le mode d’action des verbes à ces deux valeurs ponctuelles et
duratives, il ajoute les valeurs inchoatives, terminatives,… mais il effectue une hiérarchisation
des valeurs du verbe en plaçant au sommet cette opposition. En prenant comme point de
départ de toute analyse aspectuelle le mode d’action, implicitement Naert est conduit à
attribuer une valeur processuelle au verbe. Mais, il ne prend pas explicitement position sur ce
point. Selon lui, le mode d’action est la base sur laquelle se compose l’aspect au niveau
contextuel, ce qui signifie que la valeur aspectuelle du lexème verbal n’est pas fixée par le
contexte. Il considère les oppositions flexionnelles (IMP-PS) comme relevant du domaine de
l’aspect. L’influence de ces deux variables (aspect du lexème et aspect de la flexion)
aspectuelles l’une sur l’autre est floue, car dans certains sens les valeurs de mode d’action des
verbes peuvent changer en fonction du type de flexion, mais ce changement n’est pas régulier.
127
Il utilise l’exemple du verbe atteindre qui est ponctuel mais qui peut être duratif avec un
IMP : il atteignait « dans le sens être en train d’atteindre » et rester ponctuel avec un PS : il
atteignit /ponctuel/). Mais, cette règle n’est pas fiable puisque dans certains emplois la valeur
ponctuelle du verbe peut se maintenir avec un IMP : Une heure après il atteignait la rive
/ponctuel/. Il indique tout de même que les événements ponctuels sont plus ou moins
incompatibles avec l’imperfectif et rarement utilisés à l’IMP.
Klum (1961) reprend le terme de mode d’action de Naert en le citant, non pas pour
décrire l’action, mais pour décrire la structure des événements. Ainsi, la structure conceptuelle
du mode d’action s’en trouve modifiée. Il ne considère plus l’opposition fondamentale
duratif/ponctuel, mais il reprend l’opposition perfectif/imperfectif, ce qui correspond à
l’opposition entre des verbes qui sont portés vers un but et qui ont besoin d’atteindre ce but
pour être réalisés (trouver, mourir, partir), et les autres qui ne mènent pas à un but et dont le
début de l’action suffit pour qu’ils soient considérés comme réalisés (chercher, se mourir,
voyager). Pour distinguer ces deux catégories, il utilise des tests avec des adverbiaux ou des
compléments de temps. Contrairement aux verbes imperfectifs, les verbes au mode de procès
perfectif sont incompatibles avec des items tels que : une heure, longtemps, quelques jours,
etc.
Klum (1961), par exemple, prend en considération le fait que les éléments extérieurs au
verbe peuvent changer son aspect intrinsèque ou général, il hésite entre ces deux perspectives.
Les facteurs de modification de l’aspect du verbe sont :
128
Le problème de la variabilité des valeurs en discours de ces catégories aspectuelles peut
être illustré à l’aide de plusieurs exemples, et plusieurs facteurs sont appelés à expliquer cette
variabilité. Les facteurs principaux sont l’agentivité, la transitivité (manger vs manger le
gâteau) et la quantification appliquée aux arguments du verbe (manger le gâteau vs manger
du gâteau), la nature de l’objet (donner un conseil vs donner un bout de pain), la spécification
spatiale (courir vs courir un 100m, monter les bagages vs monter l’échelle).
Il semble donc difficile de conclure sur des sèmes temporels spécifiques au verbe. La
majorité des linguistes semble plutôt s’appuyer sur un ensemble de facteurs lexicaux et
contextuels impliquant un type de déroulement processuel particulier. Ainsi, il est délicat de
prendre position sur cette question ambiguë : le verbe en tant que lexème verbal possède-t-il
une valeur de mode d’action intrinsèque qui subit le contexte, ou est-il potentiellement ouvert
à tout type de mode d’action, c’est-à-dire sous-déterminé ? Dans notre optique, la dynamicité
est une valeur notionnelle inhérente au verbe. Nous considérons donc que les valeurs
aspectuelles sémantiques ne sont que les corrélats de la valeur processuelle de la catégorie
verbe et du sens lexical de chaque verbe. Ces valeurs sont fortement dépendantes du contexte
d’emploi du verbe comme la structure lexicale d’un lexème l’implique notamment sur le plan
de la structure valancielle des verbes, mais elles dépendent également des autres valeurs
temporelles discursives qui agissent sur la qualification temporelle notamment les tiroirs ayant
des valeurs aspectuelles, les compléments temporels du type « pendant x temps », « en x
temps », « depuis x temps » et les périphrases verbales à valeur aspectuelle.
MDP
valeur lexicale
propre au verbe
et reposant sur la
notion de
processus
Interactions Interactions
avec le sens lexical du avec les notions
verbe entraînant des aspectuelles
variations en fonction véhiculées par des
du contexte (valence éléments du contexte
verbale)
Schéma 1 – Structure du MDP, interactions entre valeur lexicale et contexte.
129
2 LES TIROIRS
Chaque lexème verbal français possède des paradigmes de mots-formes qui véhiculent
différents traits flexionnels 95 . En français, les traits flexionnels sont essentiellement le
nombre, la personne, le temps, le mode. Un tiroir verbal en français est un paradigme de
mots-formes se rapportant à un lexème verbal. Ce paradigme est constitué des traits
flexionnels nombre et personne et de leurs valeurs (singulier, pluriel pour le nombre et
première, deuxième et troisième pour les personnes) ainsi que d’un trait temps, comme dans
le modèle ci-dessous :
« Temps » - IMP
« Nombre » – Singulier « Nombre » – Pluriel
« Personne » – 1 Marchais marchions
« Personne » – 2 Marchais marchiez
« Personne » – 3 Marchait marchaient
Tableau 24 - Paradigme flexionnel du français : modèle d’un tiroir.
Chaque trait flexionnel présent dans les mots-formes n’est pas instancié par
l’intermédiaire d’un morphème de flexion spécifique, chaque morphème flexionnel véhicule
plusieurs traits. Les traits nombres et personnes dépendent du sujet grammatical, leur
marquage est contextuel et syntaxique car ils dépendent d’un phénomène d’accord. Le trait
temps est également fixé de manière contextuelle mais choisie par le locuteur. Toutes les
analyses que nous avons relatées jusqu’à présent ont montré que ce trait ne correspondait pas
à une seule étiquette sémantique ; c’est pourquoi justement nous utilisons le terme de tiroir
qui sur le plan sémantique permet de prendre en compte ces différentes valeurs. Les tiroirs
véhiculent de l’information aspectuelle en sus de l’information temporelle. L’information
temporelle dépend d’un choix de l’énonciateur qui situe le procès désigné par le lexème
verbal dans le passé, le présent et le futur. Cette information déictique se situe dans la relation
entre l’intervalle de référence (R) et l’intervalle de l’énonciation (S). L’information
aspectuelle est souvent considérée comme dépendante également d’un choix de l’énonciateur,
qui adopte une "focale" particulière pour présenter le procès 96 . La dimension aspectuelle du
tiroir est définie par la relation entre l’intervalle de référence (R) et l’intervalle du procès (E).
L’information aspectuelle véhiculée par les morphèmes flexionnels verbaux est distincte de
l’information aspectuelle véhiculée par le lexème verbal qui concerne uniquement la structure
95
B. Fradin utilise le terme de traits grammaticaux, le terme grammatical étant ambigu, nous parlerons de traits
flexionnels, terme qui nous semble plus neutre.
96
Cf. Smith (1991)
130
de l’intervalle du procès (E). De nombreuses recherches utilisent une terminologie distinguant
aspect lexical et aspect grammatical (flexionnel) pour rendre compte de cette distinction.
Les valeurs aspectuelles véhiculées par les tiroirs verbaux en français sont issues des
analyses de l’aspect dans les langues slaves adaptées au français, et des travaux de Guillaume.
On distingue actuellement trois types de valeurs aspectuelles : la valeur imperfective, la valeur
perfective, et la valeur résultative. Comme nous l’avons vu précédemment, Gosselin ajoute la
valeur prospective.
Parmi les valeurs aspectuelles véhiculées par les tiroirs, nous considérons tout d’abord
l’aspect imperfectif. Le terme imperfectif, tout comme le terme perfectif, est issu de la
terminologie slave. En français cette valeur est utilisée pour décrire l’aspect de l’IMP, comme
illustré par l’exemple ci-dessous, repris du texte que nous avons mis en introduction :
(1) « Des écoliers passèrent ; les enfants chantaient, Bloch jeta les cartes dans la boite
vide, ça résonna. Mais la boite était trop petite pour que ça ait pu résonner. De plus,
Bloch s'était éloigné aussitôt. » (P. Handke, « L'angoisse du gardien de but au moment
du penalty »).
L’IMP chantaient, indique une action de « chanter » dans son déroulement au moment
de référence R du « passage des enfants ». Le procès chanter (les enfants) peut avoir eu lieu
avant ce moment de référence et se poursuivre après, mais ce qui est montré du procès c’est
uniquement un moment de ce procès chanter sans tenir compte des bornes de début et de fin
du procès. Dans ce sens l’aspect imperfectif est très proche sémantiquement de
l’imperfectivité telle qu’elle se manifeste dans le verbe slave (Cf. supra C2-1.3.1).
Dans le dernier exemple, il met entre parenthèses la périphrase verbale, mais celle-ci
est obligatoire pour récupérer une interprétation imperfective du futur proche. On peut
131
indiquer par ailleurs, que la périphrase « être en train de » exprime également l’aspect
imperfectif. Vet (1980 : 76) donne la même définition. Pour lui, lorsqu’un locuteur choisi
l’IMP et le PRE, cela implique qu’il décide de ne pas prendre en considération l’intervalle
total de l’événement dénoté par le prédicat :
Dans ces exemples, l’IMP et le PRE n’ont plus cette valeur imperfective car le procès
est obligatoirement vu avec ses bornes de début et de fin. Il faut également ajouter que le fait
qu’une partie du procès seulement est présentée avec l’imperfectif ne remet pas en question
l’existence complète du procès.
La seconde valeur aspectuelle des tiroirs est l’aspect perfectif. Il s’oppose à l’aspect
imperfectif sur le plan de sa définition comme dans les langues slaves. Les tiroirs à aspect
perfectif permettent de rendre compte de la totalité de l’action par rapport au moment de
référence. Dans l’analyse de Gosselin, c’est de l’aspect aoriste qui est présent dans tous les
tiroirs et spécifique au PS qui l’exprime toujours. L’intervalle de référence R est concomitant
à l’intervalle du procès E. Pour Ducrot et Schaeffer l’aspect perfectif présente le procès
comme un tout indivisible, « saisi du dehors », dans toutes les phases de son déroulement, le
procès est intérieur à la période dont on parle. Chaque procès est donc présenté avec ses
bornes de début et de fin. Cette présentation de l’aspect perfectif ne signifie pas que cet aspect
implique la simultanéité des deux bornes du procès, mais simplement que ce procès est vu
comme un tout achevé. Cette présentation de l’aspect perfectif n’est pas unanime, dans
l’exemple (1) ci-dessus, il est impossible d’inférer que le premier procès signalé par le mot-
forme passèrent est montré dans sa totalité et que les procès au PS suivant jeta et résonna lui
succèdent. Il se peut très bien que les procès jeter et résonner se déroulent pendant le passage
des enfants. Par contre, ce qui est certain c’est que la borne initiale du passage est indiquée,
passèrent indique au moins le début de l’action de passage, ce qui n’est pas possible avec un
IMP, et encore moins avec un temps composé. Cette borne de début est concomitante à la
97
Il y a également possibilité d’une interprétation répétitive : Elle explosait de colère (à chaque fois que je lui
annonçais que mon travail n’était toujours pas terminé).
132
borne initiale de l’intervalle de référence du procès. On considère régulièrement que les tiroirs
composés ont un aspect perfectif, Hier il a marché pendant une heure. Le contraste entre
l’aspect perfectif et l’aspect imperfectif peut également être rendu par la notion de
changement, une focalisation de type perfective montre obligatoirement un changement, soit
sur la phase initiale, soit sur la phase finale d’un procès, tandis qu’une focalisation
imperfective n’implique aucun changement.
La troisième valeur aspectuelle véhiculée par les tiroirs est l’aspect résultatif. Il
indique une focalisation de l’intervalle de référence sur la phase résultative du procès ou
précisément sur l’état résultatif. Il faut donc que le procès possède intrinsèquement une telle
phase, ce qui n’est pas possible avec des verbes d’ACTIVITÉ par exemple. Les tiroirs verbaux
qui sont associés à l’aspect résultatif sont principalement le passé composé et le plus-que-
parfait :
Les temps composés du français sont considérés par la plupart des auteurs comme
étant doubles. Ils ont une valeur purement d’antériorité ou une valeur résultative. Le passé
composé est à cet égard typique de cette double valeur. Elle est d’autant plus prégnante que ce
temps implique non seulement un effet au niveau de R mais également au niveau de E,
puisque E et R sont concomitants. C’est ce qui amène Guillaume à considérer ce tiroir comme
référant au présent sur le plan déictique. On peut se poser la question du statut de la notion
d’état résultatif. S’agit-il d’un aspect purement flexionnel ou correspond-il uniquement à
l’interaction entre une valeur de mode de procès particulière et l’aspect du tiroir ?
L’aspect résultatif est donc conjoint à une particularité aspectuelle des procès et il
implique que le procès dans le passé soit achevé. Cette valeur d’aspect résultatif est à mettre
en relation avec la distinction entre l’aspect accompli et l’aspect inaccompli. Cette opposition,
héritage de Guillaume, correspond en français à la distinction entre les temps simples et les
temps composés. L’aspect est inaccompli lorsque le procès est perçu comme concomitant au
point de référence mais sans bornes Nous avons également fait remarquer que Ducrot et
Schaeffer l’analysait à partir du système de Reichenbach, elle se situe dans la position
respective entre les deux points E et R : « l’aspect est accompli si le procès est antérieur à la
période dont on parle, mais si on veut signaler sa trace dans cette période » (1995 : 571).
………………/_________/……………………./________/…………..
E R
La jonction entre les deux valeurs d’aspect résultatif et d’aspect accompli se situe au
niveau de cette notion de trace ou d’incidence. Il ne s’agit pas uniquement de l’action en elle-
même qui est passée mais qui est encore présente au moment R, mais bien souvent il s’agit de
l’état résultatif du procès qui se situe dans R.
Les différentes valeurs aspectuelles véhiculées par les tiroirs ont la particularité d’agir
sur le procès. Cette valeur aspectuelle entre en interaction avec le type de valeur de l’aspect
lexical, notamment en focalisant sur une partie du procès qui peut être, sa phase durative
centrale sans tenir compte de ses bornes de début ou de fin, uniquement ses bornes de début
ou de fin ou les deux à la fois, ou l’état résultatif associé au procès. Les tiroirs ne sont pas
neutres au regard de l’aspect, ils sont chacun associés à une valeur particulière imperfective,
133
perfective, ou résultative. En ce qui concerne le caractère de cette focalisation, c’est-à-dire
qu’elle soit effectivement un choix de l’énonciateur ou qu’elle soit conçue comme
appartenant au système de la langue, nous préférons nous abstenir de porter pour l’instant un
jugement définitif. Affirmer qu’une valeur sémantique est liée à un choix de l’énonciateur
n’apparaît pas comme un critère déterminant qui permettrait de distinguer le MDP de l’aspect
flexionnel étant donné qu’utiliser un lexème spécifique est également un choix de
l’énonciateur.
Gougenheim dans un ouvrage de 1971 a effectué une étude diachronique des périphrases
verbales. Il considère trois types de périphrases verbales : celles de temps et d’aspect, celles
de mode, et les factitives où faire joue le rôle d’un auxiliaire de voix. Les périphrases d’aspect
vont être l’objet de ce point. Les périphrases verbales sont constituées du verbe de la
périphrase verbale conjugué (auxiliaires, semi-auxiliaires, verbes modaux) que nous
appellerons verbes supports, parfois d’une préposition, et du verbe principal à l’infinitif.
Gougenheim les définit ainsi :
« elles sont constituées d’un verbe, en général à un mode personnel, dont le sens propre est plus ou
moins effacé, et d’une forme nominale, participe ou infinitif, d’un autre verbe qui, lui, a gardé tout son
sens. Le premier verbe sert à indiquer que le procès exprimé par le second est affecté de certains
caractères de temps ou d’aspect, de mode, d’action. » (Gougenheim 1971 : I)
/ /______/___________/_________________/_____/ /
1 2 3 4 5 6 7
1 : imminentiel (être sur le point de…). Cette phase est une focalisation sur l'espace temporel
qui précède le début de l'événement (aspect imminent).
2 : ingressif (se mettre à…). Cette phase permet de souligner le début d'un événement
3 : inceptif (être en train de). Cette phase permet de décrire un événement pendant qu'il se
déroule
4 : progressif (continuer de,…). Cette phase représente le caractère continuatif de l'événement
décrit
5 : régressif (être sur le point de finir) cette phase marque la fin imminente d'un événement.
6 : conclusif (terminer de). Elle indique la fin de l’événement
7 : égressif (venir de). Elle souligne le caractère achevé de l'événement
Ces périphrases qui agissent sur un verbe à l’infinitif ou un participe présent, agissent
également sur le type de procès véhiculé par ce verbe. Laca (2004) distingue deux types de
modifications aspectuelles différentes qui sont fonction du type de périphrase verbale. Il y a
134
les périphrases qui modifient l’aspect lexical du verbe tout en sélectionnant une phase du
procès désigné par le verbe à l’INF ou au PP:
Parmi ces périphrases, elle classe « continuer à + INF » qu’elle qualifie d’intransformatif,
« être à + INF » continuatif, « aller en + PP » accomplissement graduel, « aller + PP »
distributif, « être sur le point de + INF » imminentiel (phase préparatoire), « commencer à +
INF » inceptif (phase initiale), « se mettre à + INF » inceptif (phase initiale), « cesser de +
INF » terminatif, « arrêter de + INF » terminatif, « finir de + INF » complétif. Laca indique
que ces périphrases ont pour particularité sur le plan aspectuo-temporel, d’entraîner pour
certaines des restrictions de combinaison avec des procès à valeur ponctuelle (#commencer à
exploser 98 ), ou d’exiger des procès téliques, et elles peuvent apparaître à tous les temps
grammaticaux.
Et, il y a également les périphrases qui sélectionnent une partie seulement du procès par
l’intermédiaire d’un intervalle de référence. Ces périphrases agissent de la même manière que
l’aspect véhiculé par la flexion verbale :
« Ainsi dans Pierre venir d’écrire une lettre, venir de exprime que l’accomplissement dénoté par écrire
une lettre précède immédiatement cet intervalle désigné. » (Laca 2004 : 86).
Parmi ces périphrases, elle classe « aller + INF » qui exprime le prospectif, « venir de +
INF » qui exprime le rétrospectif, et « être en train de + INF » qui exprime le progressif. Laca
indique que ces périphrases ont pour particularités aspectuo-temporelles d’être combinables
avec tous les types de procès, excepté avec les états permanents, elles ne peuvent pas
apparaître à tous les temps grammaticaux (*Pierre est venu de chanter).
De notre point de vue, toutes les périphrases peuvent être également analysées comme
permettant une focalisation sur une phase du procès. Pour que cette focalisation ait lieu, il faut
que cette phase soit présente au sein du verbe. Ce fait n’empêche aucunement le verbe
périphrastique de véhiculer lui-même un type d’aspect particulier. C’est cette distinction entre
valeur aspectuelle du verbe périphrastique et rôle aspectuel sur le procès désigné par le verbe
à l’infinitif ou au participe passé qu’il nous semble important de relever. Ces périphrases
verbales peuvent donc focaliser sur le déroulement d’un procès et sur les bornes d’un procès.
Parmi les périphrases aspectuelles qui vont focaliser sur la phase centrale du procès qui
consiste en la phase de déroulement du procès, on peut notamment citer être en train de,
continuer à/de. La périphrase être en train de peut être considérée comme véhiculant un
aspect imperfectif 99 puisque dans l’exemple Il est en train de marcher, la focalisation
s’effectue sans prendre en compte les phases de début et de fin, donc sans considérer de
98
Le « # » signifie que l’interprétation est possible pour une « pluralité d’explosions », mais pas dans une
interprétation où il n’y aurait qu’ « une seule explosion ».
99
« être en train » est également utilisé comme équivalent au progressif anglais ; l’aspect que cette périphrase
verbale véhicule est également appelé aspect progressif (Comrie 1976 : 25), mais la distinction effectuée entre
ces deux aspects est très floue (voir à ce titre Pusch (2003 : 498)). La définition de cette périphrase par Laca est
similaire à ce que nous avons appelé aspect imperfectif : « [être en train de] est toujours associée au contour
aspectuel d’un progressif, qui implique que le moment initial d’une éventualité a été dépassé et ne permet pas de
visualiser son moment final ». (Laca 2004 : 94).
135
phases de changement. Ce n’est pas le cas de continuer à/de qui peut être utilisé pour marquer
la continuité après une interruption. Dans ce cadre, la périphrase marque un changement
puisqu’elle indique la borne droite de reprise du procès, donc un changement entre
l’interruption et la reprise du procès, c’est le cas des exemples (11) et (12) ci-dessous :
(11) […] il restait seulement que l'ancienne corporation devait se transformer, pour
continuer à remplir son rôle dans les nouvelles conditions de la vie économique.
Malheureusement, elle n'eut pas assez de souplesse pour se réformer à temps ; c'est
pourquoi elle fut brisée. E. DURKHEIM (1893) « De la division du travail social »,
Paris : Alcan, 1911.
(12) Il reste toujours bien bas, parce que, vois-tu, il n'a pas du tout de force pour
monter ; à minuit, il traîne un peu son bord dans la mer, mais tout de suite il se relève
et il continue de faire sa promenade ronde. P. LOTI (1886) « Pêcheur d'Islande »,
Paris : Calmann-Lévy.
D’autres périphrases qui focalisent sur les phases initiales et finales du procès (les bornes
du procès) font également partie du procès, comme par exemple : se mettre à, commencer à et
finir de, terminer de. Toutes ces périphrases focalisent sur une partie du procès, mais elles
n’ont pas la même valeur. Si les périphrases qui focalisent sur les phases initiales prennent en
considération la borne de début de procès (c’est le cas de Soudain, il se met à/commence à
danser), les périphrases qui focalisent sur la phase finale du procès, au contraire, ne prennent
pas en compte la borne finale du procès. Ainsi, Il finit de travailler et Il termine de manger ne
signifient pas que les deux procès travailler et manger sont conçus comme ayant atteint leur
borne droite. Cette particularité montre que certains verbes supports, outre qu’ils permettent
de focaliser sur une partie d’un procès, rendent également compte d’un sous-procès inclus
dans le procès contenu dans le verbe à l’infinitif. Nous pouvons remarquer ici que ces
périphrases verbales finir de et terminer de sont à l’interaction entre la valeur purement
aspectuelle de focalisation telle qu’elle est exprimée par la flexion et la valeur processuelle
telle qu’elle est exprimée par le lexème verbal. D’autres périphrases verbales à caractère final
portent uniquement sur la borne finale du procès, par exemple de cesser de et de arrêter de.
Ces deux périphrases permettent de focaliser uniquement sur la borne finale du procès, elles
sont donc plus proches d’une valeur aspectuelle uniquement perfective.
Dans ces analyses des périphrases verbales, nous avons relevé certaines périphrases qui
agissent sur le procès de la même manière que la flexion verbale, en focalisant sur la phase de
déroulement du procès, comme « être en train de » qui semble avoir un aspect imperfectif.
D’autres focalisent sur une borne du procès, notamment la borne finale, et leur sens aspectuel
évoque l’immédiateté. Enfin, d’autres périphrases focalisent sur différentes parties internes au
procès et leur sens aspectuel évoque une durée.
En raison de leur fonction aspectuelle et de leur sens aspectuel, les périphrases verbales
ont souvent servi de tests permettant de distinguer les différentes catégories de mode de
procès. Laca indique qu’il y a des restrictions de sélection entre la périphrase verbale et le
type de verbe. Ce sont ces restrictions que nous allons aborder dans ce point.
136
L’analyse par tests linguistiques, point de vue méthodologique
- Le progressif (« être en train de » en français) est impossible avec des verbes d’ÉTAT
- L’utilisation des verbes porteurs persuader ou forcer n’est pas possible avec les verbes
d’ÉTAT
- L’impératif n’est pas possible avec les verbes d’ÉTAT
- Les verbes d’ÉTAT ne peuvent pas apparaître dans des constructions « pseudo-clivées ».
Les critiques principales émises sur ces tests reposent sur plusieurs principes d’analyse
linguistique. Vetters refuse l’utilisation des tests pour fonder une typologie des modes de
procès. Ce mode de délimitation d’une catégorisation linguistique lui paraît trop faible et ne
repose plus sur une réalité empirique :
« La catégorisation de Vendler réside dans le fait qu’elle est entièrement fondée sur l’application
mécanique des tests linguistiques et non pas sur des définitions conceptuelles. En conséquence, il suffit
d’invalider les tests et tout l’échafaudage s’effondrera » (1996 : 97)
« Il y a toutefois un flou, ou une ambiguïté, quant à l’objet auquel la sémantique aspectuelle attribue des
caractéristiques. S’agit-il de l’éventualité réelle, qui a donc des caractéristiques ontologiques propres,
s’agit-il des entrées lexicales elles-mêmes, ou s’agit-il en réalité des deux ensemble ? La première
hypothèse, qui est la plus plausible fait des sémantiques aspectuelles des théories philosophiques sur
l’ontologie des éventualités, mais alors les tests linguistiques perdent une partie de leur valeur, car le
langage naturel peut s’écarter de la réalité dans ses descriptions, pour différentes raisons. La deuxième
pose un autre problème : lorsqu’on cherche à tester l’appartenance d’un prédicat à une catégorie
sémantique, le test ultime concerne bien les propriétés ontologiques de l’éventualité elle-même :
lorsqu’on constate qu’un état ne peut se combiner avec une complémentation par en N temps par
137
exemple, on le constate sur des bases de connaissances encyclopédiques (connaître la réponse en dix
minutes n’a pas de sens à cause de ce que connaître désigne comme type d’état dans le monde). La
troisième hypothèse est problématique, car elle nécessite d’expliciter que la même activité puisse
radicalement changer de catégorie lorsqu’elle est assortie d’un modifieur, comme courir tout seul et
courir le cent-mètres. » (Saussure L. 2000 : 58).
Une autre critique formulée par Gosselin repose sur le principe de la compatibilité ou
de l’incompatibilité d’un verbe avec un test linguistique. L’utilisation des tests linguistiques
est nécessaire pour effectuer une typologie distinguant les catégories modes-aspectuelles,
mais les tests masquent une grande partie des données sémantiques puisque l’élément testeur
véhicule un sens aspectuel. Pour Gosselin, cette utilisation des tests pose un problème dans la
mesure où elle ne prend pas en compte ce qu’il appelle glissement de sens (1996 : 43) et ce
que Vet appelle coercion (2002). Dans leurs analyses, effectuer un test peut transformer le
sens du verbe et du prédicat, ce qui falsifie le test. Pour Gosselin, deux informations de même
niveau mais contradictoires entraînent une modification du sens des éléments :
« De sorte qu'aux tests de compatibilité (qui restent indispensables) doivent impérativement être
adjoints des tests de paraphrasabilité destinés à identifier d'éventuelles déformations des
représentations. Ainsi la possibilité d'associer dormir à [en + durée], comme dans l'exemple (15) [il a
dormi en cinq minutes] n'indique nullement que dormir est intrinsèquement borné (télique), mais que
sous l'effet de [en + durée], le procès se déforme de façon telle que seule sa phase préparatoire
(l'endormissement), qui aboutit effectivement au sommeil, se trouve retenue. C'est l'association de ces
deux types de tests qui permet de valider ou de réfuter les analyses et donc de corroborer ou de réfuter
les hypothèses. » Gosselin (1996a : 114)
Pour nous, cette analyse par coercion a une autre implication très importante, car elle
discute du statut sémantique mais également cognitif du test. Le principe de compatibilité ou
d’incompatibilité sémantique entre le verbe et les autres éléments linguistiques d’expression
de la temporalité signifie que les informations temporelles relèvent, au moins en partie, du
même degré d’expression de la temporalité. Par exemple, une phrase comme *hier, il viendra
déjeuner est inacceptable sémantiquement car les informations véhiculées par l’adverbe
temporel hier et le tiroir FS sont identiques, de l’ordre de la localisation temporelle, et qu’ils
agissent tous deux sur le même élément qui est le procès. Alors que si l’on considère qu’il n’y
a pas incompatibilité, mais déformabilité du procès, cela signifie que les éléments
linguistiques n’expriment plus le même type d’informations temporelles, mais qu’il y a
clairement une frontière entre ces éléments linguistiques. Ainsi, soutenir que *Il est en train
d’aimer Malya est inacceptable signifie que être en train de et aimer sont tous les deux des
éléments linguistiques qui expriment la même information temporelle qui relèverait de la
durativité et du changement affecté au procès. L’analyse par coercion dit que ces deux
éléments, lorsqu’ils entrent en interaction, créent un troisième sens aspectuel, ce qui rend
acceptable la phrase Il est en train d’aimer Malya. Tandis que décrire Il est en train d’aimer
Malya comme acceptable signifie pour nous que être en train de et aimer véhiculent des
informations distinctes sur le plan conceptuel qui pourraient être : pour aimer l’expression du
procès ; et, pour être en train de une opération de focalisation sur une partie du procès
exprimé par aimer. Nous ne pensons donc pas que les deux éléments sont de même niveau et
dans ce sens, il n’y a pas coercion donc déformabilité du procès, mais interaction sémantique
entre deux types d’information de niveau conceptuel différent.
Dans le cas de l’analyse par coercion, on peut se demander pourquoi dans certains cas,
des phrases nous apparaissent tout de même inacceptables, du type *Il travaille en deux
heures, ou *Il mange une pomme pendant des jours. L’analyse par coercion permet donc
d’établir des frontières sur le plan cognitif et formel des modes d’expression de la temporalité
et de leurs marqueurs. Ainsi, alors que les informations de localisation temporelle peuvent
138
relever du même niveau conceptuel tout en étant exprimées par des éléments distincts, mais
sur des degrés d’étendues différents. Les informations de qualification temporelles ne relèvent
pas du même niveau conceptuel. Le prédicat verbal exprime un procès, tandis que les
structures temporelles qui servent habituellement de tests (verbes supports, compléments
temporels qualitatifs) agissent sur le procès.
Toutes les recherches récentes montrent que les tests bruts ne peuvent pas servir à
fonder une classification. Récanati et Récanati (1999 : 183) sont très clairs sur ce point :
« Les tests ne sont que des tests ; ils servent seulement à révéler les différences sémantiques, mais ne les
constituent pas. Par exemple, le test de « pendant » révèle la propriété de « macro-homogénéité » (ou
homogénéité interne) : cette propriété peut être définie indépendamment du test, et c’est elle, non le test,
qui fonde pour partie la classification »
C’est sur ce principe que nous rendrons compte des différentes spécificités sémantiques des
verbes en interaction avec les périphrases aspectuelles.
Le test du progressif est largement discuté pour deux raisons principales, qui sont le
sens spécifique de ce tiroir verbal, et les distinctions qu’il permet d’établir sur le plan des
propriétés des classes de verbes et plus généralement de l’aspect lexical.
Sur le plan de la classification aspectuelle des verbes (et des procès), le test du
progressif peut apparaître contre-intuitif puisqu’il rassemble deux classes de verbes qui se
distinguent, comme le souligne Mourelatos (1978), sur une opposition état vs action. Le test
utilisé (la compatibilité possible ou non avec le progressif) ne permet pas de distinguer des
verbes comme savoir qui semble statique et arriver au sommet ou exploser qui, eux,
semblent ne pas l’être. Chez Vendler, ce test qui rassemble les deux groupes de verbes ÉTAT
et ACHÈVEMENT ne permet pas de mettre en valeur un trait sémantique ou notionnel commun
à ces catégories, il apparaît comme une simple justification de cooccurrence. En effet, ce test
ne permet pas de pointer sur la dynamicité ou non du procès, la télicité ou non du procès, le
139
caractère ponctuel ou non du procès. De plus, un des points les plus importants, signalé par
Mourelatos concernant les verbes d’ACHÈVEMENT et discuté par d’autres au niveau des verbes
d’ÉTAT, est que le progressif ou la périphrase « être en train de » est possible en discours avec
de nombreux verbes semblant entrer dans ces catégories. Les exemples (a) sont ainsi
contrastés par les exemples (b).
(2a) ?Il est en train de le tuer d’une balle. (Vetters 1996 : 93)
(2b) Il est en train de le tuer à petit feu. (Vetters 1996 : 93)
Dans ces exemples, les auteurs ne semblent pas faire la distinction entre les deux sens
« être en voie de » et « être en train de ». Ainsi, (1b), (4b) et (5b) sont typiques du sens « être
en voie de » contrairement à (2b), (3b) et (4b). Il est vrai que le sens de « être en voie de »
peut être considéré comme un effet de sens dû à la cooccurrence entre la périphrase et un type
de verbe particulier. Les verbes d’ACTIVITÉ et d’ACCOMPLISSEMENT par exemple ne
permettent pas la lecture « être en voie de » : Il est en train de courir est différent de ?Il est en
voie de courir, et Elle est en train d’accoucher est différent de Elle est en voie d’accoucher.
D’autres verbes sont ambigus, par exemple Elle est en train de bronzer peut signifier qu’elle
est « en voie de bronzer » ou qu’elle est dans « une phase de déroulement du bronzage ». Par
contre, avec les verbes d’ACHÈVEMENT et d’ÉTAT la lecture « être en voie de » semble parfois
la seule possible. On peut dire que si l’impossibilité n’est pas flagrante, la périphrase verbale
va, par contre, forcer un autre type de lecture du procès ou focaliser sur une autre phase du
procès. Mais cette lecture en « être en voie de » n’est pas systématique comme le montrent les
exemples (2b), (3b) et (4b).
140
verbe d’ACTIVITÉ ou d’ACCOMPLISSEMENT, les rendant ainsi compatibles avec « être en train
de ». Nous pouvons affirmer que le test du progressif fonctionne de la même manière pour les
verbes d’ÉTAT et d’ACHÈVEMENT et ceci même dans le cas de la compatibilité de ce test avec
ces mêmes verbes. Les deux classes de verbes ont pour propriété commune le fait de ne pas
pouvoir posséder pas de phases internes de changement (début/milieu/fin), mais par contre
qu’ils peuvent posséder des phases préparatoires du procès. Pour conclure, nous pouvons dire
que la périphrase verbale agit sur le procès exprimé par le verbe, mais de manière différente
selon les MDP.
Nous pouvons donc indiquer que l’expression d’un procès dans le temps rend compte
de deux phases distinctes marquées par la périphrase verbale qui sont en reprenant la
terminologie de Cosériu, les phases inceptives et imminentielles.
.
(7) Elle est en train de manger (inceptive)
(8) Elle est en train de bronzer (imminentielle ou inceptive)
(9) Elle est en train d’accoucher (inceptive)
(10) Elle est en train d’arriver au sommet (imminentielle)
(11) Elle en train de l’aimer (imminentielle)
Un autre type de compatibilité de cette périphrase (et du progressif) avec des verbes
statifs est relevée par Récanati et Récanati (1999 : 181) qui reprennent l’analyse de Langacker
(1987). Ils discutent le test du progressif et non le test avec la périphrase verbale « être en
train de ». Ils reprennent les exemples de Langacker : He is wearing a sweater qui correspond
à Il est en train de porter un pull et A statue of Georges Lakoff is standing in the plaza, qui est
difficilement traduisible en français. Cette fois-ci, le sens de la périphrase est bien « être en
train de ». Il y a focalisation sur la phase centrale du procès. On peut citer d’autres exemples
comme Il est en train de soutenir Michel dans cette difficile épreuve. Récanati et Récanati
indiquent que cette particularité est liée au caractère épisodique de la situation dans laquelle a
lieu le procès. L’épisodicité entraîne un bornage temporel du procès d’ÉTAT, et ce bornage
temporel crée alors un intervalle au sein duquel il est possible d’utiliser cette périphrase
verbale. Cela signifie que les procès d’ÉTAT peuvent être bornés, et qu’il y a alors possibilité
de focalisation sur la phase centrale du procès.
Cette périphrase verbale, qui prend en compte un moment hors du procès et qui se
situe à la frontière entre la présupposition et le procès, n’a jamais servi de test. Ce fait semble
indiquer que les verbes réagissent de manière uniforme avec cette PV. Pour le montrer, nous
avons choisi différents type de procès qui acceptent tous cette périphrase :
L’utilisation des tests ne montre aucune restriction de l’usage de cette PV. Il n’y a
donc pas d’incompatibilité. Mais certains effets de sens sont susceptibles de modifier la
structure du procès présenté. Les deux cas qui vont nous intéresser sont ceux d’accoucher et
141
de bronzer. Nous allons tout d’abord considérer le procès du verbe accoucher. Il peut être vu
sous deux phases : l’une qui considère le déroulement de l’accouchement, cette phase est
illustrée par les exemples ci-dessous tirés de Frantext et qui sont à l’IMP :
(13) […] de vos petits poitrinaires à lunettes d'écaille ne se cacherait comme Lauzun,
durant six semaines, dans une armoire pour donner du courage à sa maîtresse
pendant qu'elle accouchait. BALZAC.H DE /HISTOIRE DES TREIZE/1835 Pages
1020-1021 / II. LA DUCHESSE DE LANGEAIS
(14) Leurs ravages étaient extraordinaires ; ainsi, la tête d' un homme alla rebondir
sur le fronton des syssites ; dans la rue de Kinisdo, une femme qui accouchait fut
écrasée par un bloc de marbre, et son enfant avec le lit emporté jusqu' au carrefour de
Cinasyn où l' on retrouva la couverture. FLAUBERT.G /SALAMMBO/1863 Pages
89-90 / 13 MOLOCH T 2
(15) Le bon Laporte est venu me voir hier dans l' après-midi, pendant que Marguerite
accouchait. Émile est dans le ravissement d' avoir un fils, joie que je comprends, que
je trouvais autrefois très ridicule, et que maintenant j'envie. FLAUBERT.G
/CORRESPONDANCE 1875-1876/1876 Page 316 / 1876 T 7
(16) Malya est sur le point d’accoucher. Normalement c’est prévu dans un ou deux
jours.
(17) Malya est sur le point d’accoucher. La tête du bébé va sortir.
Ainsi, la PV selon le contexte peut mettre en avant deux types différents de sens qui
sont tous les deux propres au lexème verbal. Ces deux sens ne modifient en aucun cas le point
de focalisation de la PV. Contrairement à la périphrase avec « être en train de » qui, elle, est
ambiguë et entraîne deux lectures différentes de l’intervalle présenté.
Les deux exemples illustrent deux sens possibles de bronzer qui sont ACTIVITÉ ou
ACHÈVEMENT. Dans les deux cas, la PV ne fait que présenter la partie précédant le procès. Les
deux lectures sont possibles et en aucun cas, la PV ne vient sélectionner une lecture
particulière. La PV reste toujours extérieure au procès, elle ne modifie donc en rien la
structure du procès et s’applique de manière identique à tous les types de procès. Ces
exemples montrent qu’il faut distinguer deux types de rôles attribués aux tests
l’incompatibilité et la focalisation.
Cette périphrase verbale met en relief la borne initiale du procès. Dans le cas des
verbes, d’ACTIVITÉ, d’ÉTAT, d’ACCOMPLISSEMENT, la borne mise en relief est toujours la
borne initiale du procès qui va ensuite se dérouler dans le temps. Dans le cas des verbes
d’ACHÈVEMENT et SEMELFACTIF, c’est toujours la borne finale qui est mise en relief. Il faut
ajouter, dans le cas des verbes d’ACHÈVEMENT, la disparition de la phase préparatoire au
procès. Dans le cas des verbes GRADUELS, la périphrase verbale ne lève pas l’ambiguïté, soit
elle focalise sur la borne finale, soit elle focalise sur la borne initiale du procès.
142
« Se mettre à », « commencer à » : la phase ingressive
Contrairement à la précédente cette PV focalise une partie du procès qui est la phase
de début. Dans ce cadre on peut supposer que tous les verbes ne sont pas susceptibles de
posséder une phase de début de procès. Ceci implique que le test de la compatibilité doit
permettre de distinguer certains types de verbes :
« se mettre à »
+compatible -compatible
manger, bouger, mastiquer
aimer, savoir
Traverser
éternuer, saluer
trouver
arriver au sommet
bronzer, accoucher
Tableau 25 – Compatibilité de la périphrase « se mettre à » en fonction des types de verbes.
Le test de compatibilité montre que des verbes tels que trouver et arriver au sommet
ne fonctionnent pas avec cette PV. Mais dans d’autres cas, c’est la structure du verbe de base
qui va se trouver modifiée. Ainsi, éternuer et saluer sont considérés dans leur sens itératif.
Tous ces verbes ont la particularité de faire partie de la classe des verbes d’ACHÈVEMENT de
Vendler. Ce qui est original dans cet effet itératif, est que la PV focalise sur la phase interne
du procès qui doit forcément durer dans le futur, ainsi la première phase de ce procès qui dure
est « un éternuement ».
« se mettre à »
-modifié +modifié
manger, bouger, mastiquer
aimer, savoir
Traverser
éternuer, saluer
bronzer, accoucher
Tableau 26 – La périphrase « se mettre à » et les modifications sur le types de verbes.
Nous avons fait remarquer que cette périphrase entraînait deux effets de sens, une
notion de reprise après interruption (continuer de, implique « s’être arrêté » dans de nombreux
cas), et une notion de déroulement de l’action.
143
Continuer de porte donc sur la phase interne du procès. Les procès qui ne possèdent
pas de phases interne, du type procès d’ACHÈVEMENT, ne sont pas compatibles avec cette PV.
Continuer de est un bon test pour distinguer les verbes d’ACHÈVEMENT des autres types de
verbes. Cette périphrase verbale, contrairement à être en train de, ne permet pas de dilatation
ni de focalisation sur une phase extérieure au procès.
Sur le plan des autres types de verbes, nous pouvons distinguer deux effets de sens qui ne
semblent pas être forcément être indiqués par le verbe mais qui doivent être développés à
l’aide du contexte. Il s’agit de la notion d’interruption et de continuation :
(21a) Jean continue de traverser la route (il s’était arrêté pour laisser passer la voiture)
(21b) Jean continue de traverser la route (je suis parti il y a deux jours il était déjà en
train de la traverser et quand je suis revenu il était toujours en train de le faire)
(21c) Jean continue à aimer Marie (malgré le sale coup qu’elle lui a fait)
Ces périphrases ont la particularité de focaliser sur la phase finale du procès. En tant
que phase, il est possible que tous les verbes ne possèdent pas de phase finale. Les verbes
d’ÉTAT paraissent récalcitrant quand on les emplois avec cette périphrase (23g), les verbes
d’ACHÈVEMENT également (23h), toujours pour la raison qu’ils ne possèdent pas de phase
interne.
(23a) Elle finit de/termine de/achève de chanter, bouger, crier, manger, travailler
(23b) Elle finit de/termine de/achève de mastiquer
(23c) Elle finit de/termine de/achève de bronzer
(23d) Elle finit de/termine de/achève d’accoucher
(23e) Elle finit de/termine de/achève de traverser la route
(23f) Elle finit de/termine de/achève d’éternuer, saluer
(23g) ?Elle finit de/termine de/achève d’aimer, à savoir qqch.
(23h) ?Elle finit de/termine de/achève de trouver qqch.
144
concerne les autres périphrases la structure du verbe peut empêcher la compatibilité de la
périphrase et du verbe. Ceci nous permet de démontrer deux choses : les verbes ont une
structure temporelle spécifique qui s’organise sous la forme de phases, certaines phases sont
absentes de certains types de verbes, tandis que d’autres peuvent être plus ou moins
exprimées. La plupart du temps, il n’existe pas de déformation du sens du procès, mais deux
phénomènes distincts peuvent être remarqués. La structure d’un verbe peut être constituée de
plusieurs bornes ou intervalles, ce qui entraîne dans certains cas une polysémie aspectuelle.
Les deux verbes ont la même structure sémantique mais pas la même structure aspectuelle.
Ces deux variantes existent pour tous les emplois dans un cadre périphrastique. Le deuxième
phénomène consiste dans l’interprétation itérative du procès. C’est un phénomène qui
intervient fréquemment dans le cadre de l’interaction entre un verbe momentané et un élément
adjacent duratif. On peut alors se demander pourquoi une telle déformabilité est possible alors
que la création d’une phase supplémentaire à un procès ne l’est pas.
3 LA COMPLÉMENTATION VERBALE
Dans cette partie, nous nous intéressons aux éléments non-verbaux exprimant
intrinsèquement une notion aspectuo-temporelle indépendamment de leur collocation avec
d’autres éléments de catégories grammaticales spécifiques. Il existe plusieurs types de
compléments et d’adverbes aspectuo-temporels. Nous ne tiendrons pas compte ici de tous les
adverbes et compléments purement locatifs. Les compléments de temps qui comportent une
information aspectuelle de l’ordre de la qualification temporelle, sont ceux qui sont constitués
d’une préposition auquel on ajoute un complément de mesure « x temps » du type une heure.
On trouve « en x heure », « pendant x heure », « depuis x heure », « dans x heure », « à x
heure », « de x heure à x heure ». Ces compléments codent tous des informations aspectuelles
qui délimitent le déroulement du procès.
Le test « en x temps » permet de distinguer, en tant que test de compatibilité les verbes
d’ACHÈVEMENT et d’ACCOMPLISSEMENT de Vendler qui sont compatibles avec ce complément
des verbes d’ACTIVITÉ et d’ÉTAT qui ne sont pas compatibles :
En une heure indique donc que le procès sera réalisé au bout d’une heure et que ce qui
se passe pendant cette heure n’est qu’une succession d’étapes permettant d’aboutir à la
réalisation de ce procès. Il est donc incompatible en (13a) avec marcher, car le
145
procès marcher ne comprend pas un espace temporel nécessaire à la réalisation du procès.
D’autre part, les verbes compatibles avec ce complément possèdent un état résultatif issu de
l’aboutissement du procès désigné par le verbe. Ainsi (13c) indique que le procès « arriver au
sommet » a abouti et que l’individu est dans l’état résultatif « être au sommet ». Il en est de
même avec (13d) qui indique que l’individu est « de l’autre côté de la rue ». Ce test indique
donc que le lexème verbal possède un état résultatif. Ce complément teste deux propriétés des
verbes qui sont : la télicité, le lexème verbal possède une fin intrinsèque à partir duquel il est
dit réalisé et au-delà duquel il ne peut pas se dérouler, et : la transitionnalité, la fin intrinsèque
marque le passage entre le procès et un état résultatif qui est l’aboutissement de ce procès. Ce
complément agit proprement sur la structure temporelle du procès en révélant sa construction,
il marque le point final du procès et rend compte de son mode de déroulement.
« Pendant x temps » indique la durée de déroulement du procès, il indique, par ailleurs, que
toutes les phases de ce procès sont identiques les unes aux autres. On met souvent en
opposition les deux tests « pendant x temps » et « en x temps », pourtant leurs valeurs ne sont
pas parfaitement contraires. En effet, alors que « en x temps » implique obligatoirement
l’atteinte d’une borne finale et donc l’existence de cette borne finale inhérente au-delà de
laquelle le procès ne peut pas être prolongé, « pendant x temps » indique uniquement que cette
phase n’est pas présente mais il n’empêche pas une telle existence. Ainsi « traverser la route
pendant 5 minutes » est valable puisqu’il existe effectivement une phase durative, comprise
dans l’intervalle entre la borne de début de procès et la borne de fin de procès, pendant
laquelle l’individu « traverse la route ». Même si la traversée n’a pas encore abouti et n’est
pas encore réalisée, elle est présente. Dans l’exemple (14c) par contre, il n’y a pas de phases
durative, le procès arriver pendant une heure n’est pas acceptable car les deux bornes de
début et de fin du procès sont simultanées. Ce complément agit donc sur la structure
temporelle du procès.
Le complément « depuis x temps » porte à la fois sur le mode de procès du verbe et sur
la localisation temporelle. Dans les exemples (15) ci-dessous, on peut remarquer que « depuis
x temps » indique un intervalle dont la borne gauche est fixée sur le procès et la borne droite
est fixée sur le point de référence :
146
d’ACHÈVEMENT arriver au sommet utilisé au présent. Ce qui ne sera pas le cas avec le même
verbe employé au PC : Il est arrivé au sommet depuis une heure. Avec le PRE, depuis marque
la borne initiale du procès exprimé par le verbe et ouvre un espace temporel de déroulement
du procès. La borne finale de l’intervalle ouvert par depuis indique le point de référence (R) à
partir duquel le procès est indiqué, la borne finale du procès n’est jamais indiquée, elle peut
être antérieure, simultanée ou postérieure à R. Les verbes d’ACHÈVEMENT au présent sont
incompatibles avec depuis car ils n’ouvrent aucun intervalle, le procès est montré avec le PRE
dans la simultanéité de ses deux bornes. Depuis ne fonctionne pas non plus avec les verbes
d’ACTIVITÉ et d’ÉTAT au PC, car le procès est considéré comme achevé et n’ouvre plus aucun
intervalle de déroulement contrairement aux verbes d’ACHÈVEMENT et d’ACCOMPLISSEMENT,
car l’intervalle de déroulement porte sur l’état résultatif de ces verbes en indiquant la borne de
début de cet état :
Mais tout comme avec « depuis x temps » la borne qui porte sur le procès, porte sur la
phase initiale du procès, et dans ce cadre « dans x temps » est compatible avec tous les types
de procès. Par contre, il n’est pas compatible avec les tiroirs passés.
100
« Depuis x temps » qui indique que la borne initiale du procès est antérieure au moment de référence (soit
[borne initiale E]-R) n’est pas compatible avec le tiroir FS qui implique que la borne initiale du procès soit
ultérieure au moment de référence (soit R-[borne initiale E]).
147
(17a) #Il marche à 17 heures
(17b) #Il déteste le pouvoir à 17 heures
(17c) Il arrive au sommet à 17 heures
(17d) #Il traverse la route à 17 heures
Dans tous ces exemples le complément n’a qu’une valeur de focalisation sur une partie
du procès. Cette focalisation peut-être ambiguë dans l’exemple (17a) car elle peut aussi bien
indiquer la borne initiale du procès qu’un moment de son déroulement. Dans l’exemple (17b)
ce complément fixe les bornes temporelles du procès d’état, qui a dans ce cas une durée
ponctuelle. Dans l’exemple (17d), on peut se demander si c’est la totalité du procès qui est
focalisé ou simplement un moment de son déroulement, ce qui est du à la double valeur des
verbes d’accomplissement qui ont une composante durative et une composante télique.
Enfin, le dernier complément sur lequel nous nous arrêtons est « de x heure à x
heure ». Comme pour « à x heure », l’information temporelle « x heure » n’exprime pas une
quantité, mais une localisation. Cet intervalle ouvre un intervalle temporel qui saisit une partie
du procès dans son déroulement. Les deux bornes de cet intervalle sont concomitantes aux
bornes de l’intervalle R, la relation établie entre ce complément et le procès est une relation
entre E et R, R étant inclus dans E. Il saisit le procès dans son déroulement et se rapproche
d’une valeur aspectuelle imperfective propre à la flexion. Il est donc difficilement compatible
avec les verbes d’ACHÈVEMENT.
« en classant les constructions verbales, on classe du même coup de grands types de significations
transportées par les lexèmes verbaux. » (Blanche-Benveniste, 2002 : 48).
148
Les verbes uniquement intransitifs sont peu nombreux et on trouve facilement des
exemples de ces verbes en emploi transitif. Parmi ceux-ci, on peut reprendre ronfler, tousser,
éternuer, agoniser, boursicoter, jeûner, …Si on utilise le test avec « en x temps » qui permet
de distinguer les verbes ayant une borne finale intrinsèque de ceux qui n’en ont pas, on peut
remarquer concernant leur valeur aspectuelle qu’aucun d’eux ne possède intrinsèquement une
borne finale, les verbes intransitifs ne sont pas téliques comme le montrent les tests avec le
complément « en x temps » ci-dessous :
Les verbes qui peuvent à la fois être considérés comme des verbes intransitifs et
transitifs font pour l’essentiel partie de la classe des verbes d’ACTIVITÉ de Vendler, ils ne sont
pas téliques non plus quand ils sont utilisés en emploi intransitif, on peut citer par exemple
chanter, boire, conduire, fumer, courir 101 … On peut ajouter que dans cet emploi, ils peuvent
avoir deux sens aspectuels, soit il signifient l’habitude et dans ce cas ils appartiennent à la
catégorie des verbes d’ÉTAT (désignant une propriété), soit ils ont une valeur purement de
verbe d’ACTIVITÉ. Pour montrer cette distinction, on peut utiliser les tests avec la périphrase
verbal « être en train de » qui marque l’incompatibilité sémantique avec une valeur
aspectuelle d’ÉTAT, et le test avec « pendant x temps » qui est compatible avec les verbes
d’ACTIVITÉ, et le test « en x temps » qui est incompatible avec les verbes d’ACTIVITÉ.
Cette double valeur aspectuelle des verbes transitifs entraîne un autre problème qui
porte sur le passage de la valeur intransitive à la valeur transitive. La valeur transitive des
verbes est liée à la valeur des verbes d’ACTIVITÉ. C’est à partir de ce sens qu’un complément
d’objet direct va venir modifier la valeur argumentale du verbe. Et, selon la nature du
complément d’objet et le sens du verbe, le procès va accepter ou non le test de la télicité et le
test avec « pendant x temps » de l’homogénéité.
101
Manger n’a pas de valeur stative ou d’habitude, une propriété « être mangeur » est peut probable
pragmatiquement. On peut trouver des exemples signifiant « être un gros mangeur » : Qu’est-ce qu’il mange
Michel ! Comment il fait pour rester aussi mince ?
149
ACTIVITÉ (intransitif) Transitif (+pendant x temps) Transitif (+en x temps)
Il chante pendant une heure Il chante une chanson pendant une heure Il chante une chanson en une heure
Il boit pendant une heure Il boit un verre pendant une heure Il boit un verre en une heure
Il conduit pendant une heure Il conduit une voiture pendant une heure ?Il conduit une voiture en une heure
Il fume pendant une heure Il fume un cigare pendant une heure Il fume un cigare en une heure
Il court pendant une heure ?#Il court un 100m pendant une heure Il court un 100m en une heure
Il écrit pendant une heure Il écrit une lettre pendant une heure Il écrit une lettre en une heure
Tableau 28 – Verbes intransitifs-transitifs et l’ambiguïté ACTIVITÉ-ACCOMPLISSEMENT.
On peut tout de même souligner que le complément introduit une délimitation spatio-
temporelle. Il crée un point de visé qui permet de délimiter temporellement la valeur du verbe.
Ce point de visé consiste, dans les verbes à valeur de déplacement dans l’espace, en une
distance temporelle au delà de laquelle le procès est conçu comme achevé, c’est le cas pour
courir, qui est délimité spatialement par la distance de la course. Ou bien, ce point de visé
peut être fixé lorsque l’argument exprimant le lieu est précisé, c’est le cas de conduire dans
son sens de déplacement. Dans Il conduit Pierre à Paris, l’action « conduire Pierre » est
délimitée intrinsèquement pas la localisation « Paris », le procès ne peut pas se dérouler au-
delà de ce lieu et il n’a pas atteint sa réalisation tant que l’objet de la localisation n’a pas été
atteint d’où l’incompatibilité avec « pendant x temps » : *Il conduit Pierre à Paris pendant
trois heures. En ce qui concerne les autres procès mentionnés, la structure spatiale de chaque
objet est également définie et possède un début et une fin, une chanson possède une
délimitation qui va du premier mot au dernier mot, un verre, un cigare, une lettre possèdent
également une délimitation physique. Le fait que ces procès soient également compatibles
avec « pendant x temps » est dû à la nature homogène de l’objet.
Tout verbe, en tant qu’élément central de l’expression du procès, possède (soit de façon
prototypique, soit en terme de potentialité) un sens aspectuel. Le contexte, qu’il soit prédicatif
ou phrastique, peut entraîner une modification du sens aspectuel primaire ou simple du verbe.
Le problème de la variabilité des valeurs en discours de ces catégories aspectuelles peut être
illustré à l’aide de plusieurs exemples, et plusieurs facteurs sont appelés à expliquer cette
variabilité. Les facteurs principaux sont l’agentivité, la transitivité (manger vs manger le
gâteau) et la quantification appliquée aux arguments du verbe (manger le gâteau vs manger
du gâteau), la nature de l’objet (donner un conseil vs donner un bout de pain), la spécification
102
Ce point a été l’objet d’une présentation et d’un article en collaboration avec Sébastien Haton.
150
spatiale (courir, courir un 100m, monter les bagages, monter l’échelle). Cette modification de
la valeur aspectuelle du verbe en fonction du contexte peut-être analysée en termes de
combinatoires de valeurs aspectuelles ou selon une analyse prédicative ou phrastique.
L’analyse prédicative est, elle aussi, au niveau aspectuel, prototypique car le co-texte modifie
ces valeurs. Tandis que l’analyse phrastique n’étudie plus les procès mais les événements ou
les situations. Ci-dessous nous allons examiner une construction particulière de la valeur
aspectuelle en relation avec une spécification spatiale, afin de montrer que la valeur
aspectuelle d’un procès est le résultat d’un calcul sémantique entre les unités lexicales et les
unités notionnelles.
(1b) La route traversait le Marais en une ligne droite qui le coupait à perte de vue.
(R876/ GRACQ Julien /La Presqu'île/1970)
(1c) Le mur d'en face était traversé par une profonde lézarde. (SABATIER Robert
/David et Olivier/1985)
(2a) Le général Espagne reçoit une balle de mitraille en pleine poitrine, qui traverse
la cuirasse. ( RAMBAUD Patrick /La Bataille/1997)
(2b) Regardez à mon oreille, dit le muletier, une grande boucle en or fin lui traversait
l'oreille. (SAND.G)
151
iii) parcours temporel (statif au sens spatial et dynamique au sens temporel)
(3a) Philippe sentait maintenant une rage froide monter en lui. Avoir traversé les sept
ans de guerre sans être pratiquement inquiété ni par les uns ni par les autres (DROIT
M.)
(4) C'est alors que son esprit fut brusquement traversé par une idée, une image.
(CHANDERNAGOR F.)
- Admettons que l’objet en mouvement est non pertinent dans l’analyse. La pertinence
du mouvement est reportée sur le sujet, et éventuellement sur l’observateur (ou sur
l’observation)
- Le sujet est borné en soi mais son bornage n’est pas initialement pertinent dans
l’analyse aspectuelle du prédicat. L’objet porte les marques de bornage saillantes dans
le procès.
Il en ressort que :
- Le MOUVEMENT est un trait propre au sujet
- Le BORNAGE est une valeur propre à l’objet
Au niveau spatial, l’objet est toujours délimité. Par contre au niveau aspectuel,
l’événement, c’est-à-dire le parcours effectué, est toujours contraint mais pas forcément par
les bornes de l’objet. En effet, les dimensions aspectuelles du changement et de
l’aboutissement (télicité) ne correspondent pas toujours à la dimension spatiale de l’objet
traversé. Comme nous pouvons le remarquer à partir de ces représentations ontologiques de
traverser :
en largeur
(6) La protection des militaires américains et français qui avait permis aux
manifestants de traverser pendant quatre heures sans incidents Port-au-Prince s’est
révélée totalement inopérante pour empêcher l’éruption de tirs lors de la dislocation
de la manifestation sur le champs de mars, face au palais présidentiel. (dépêche AFP
7 mars 2004)
103
Par télicité, nous entendons : le procès doit atteindre sa borne de droite pour être dit réalisé. Ce trait doit
appartenir à la dimension processuelle impliquée par le lexème verbal (cf. C5)
152
(7) Il traverse de biais la salle où l'on dînait, il n'atteignit qu'en zigzaguant le grand
fauteuil de paille qui faisait face à celui de la Comtesse, au bout de la table.
(CHANDERNAGOR Françoise /L'Enfant des Lumières/ 1995)
De l’intérieur à l’intérieur
(8) Véronique traversait le terrain vague où étaient garées les voitures. Elle ouvrit la
portière de notre vieille Porsche achetée d'occasion l'an passé, et se glissa à
l'intérieur. (AVENTIN Christine /Le Coeur en poche/1988)
De l’extérieur à l’intérieur
(10) Ils traversèrent une partie de la cour, puis montèrent au premier étage de la
caserne. (CLAVEL Bernard /Le Coeur des vivants/1964)
Transpercée
La paraphrase de Muller & Sarda est partiellement vraie puisque dans ces exemples,
beaucoup n’impliquent pas le passage d’un côté à l’autre côté de x. Ainsi, si toute traversée
implique le passage d’un point A vers un point B, ce mouvement n’est pas structuré par
l’espace traversé. Au niveau aspectuel, afin de déterminer si la télicité est intrinsèque au
lexème verbal ou dépend du cotexte nous nous appuyons sur le test en/pendant développé
dans la partie précédente tout en nous référant aux 4 classes aspectuelles de Vendler.
153
Observons deux exemples que nous avons construits à partir d’exemples du corpus Frantext
du verbe traverser :
(12a) Il traverse la rue en quelques minutes (implique x est d’un côté de la rue et
présuppose que x est de l’autre côté de la rue)
(12b) Il traverse la route pendant quelques minutes (pas d’implications, pas de
présuppositions)
(13a) Il traverse un pays en quelques jours (implique que x est d’un côté de la France
et présuppose que x est de l’autre côté de la France)
(13b) Il traverse un pays pendant quelques jours (pas d’implication, pas de
présupposition)
Ainsi, nous avons deux types de processus aspectuel exprimé par le verbe traverser et qui
dépendent du type de complément d’objet :
Nous avons voulu montrer que le verbe traverser pour être télique, doit réunir une
condition essentielle : que les bornes de localisations et les bornes de l’objet soient identiques.
En effet, si ce n’est pas le cas, le verbe traverser est un verbe d’ACTIVITÉ même s’il possède
des bornes de localisation. C’est cette confusion entre bornes de localisation et bornes de
l’objet, qui conduit les aspecto-lexicologues à considérer le verbe traverser lexicalement
comme un verbe télique.
154
1) Le sens lexical et la valeur lexicale de la complémentation agissent sur le mode de
procès véhiculé par le lexème verbal (en plus de ces deux aspects nous trouvons des
aspects statifs et d’ACHÈVEMENTS 104 )
2) Le niveau d’analyse prédicatif n’est pas plus fiable que le niveau lexical pour
catégoriser les modes de procès, au contraire, il favorise les ambiguïtés en supprimant
un niveau d’analyse.
L’objectif va donc être de montrer pour quelles raisons l’aspect lexical du verbe se
modifie. Une des raisons serait de dire que l’aspect lexical se situe au niveau de l’événement
exprimé. Dans ce cadre il serait vain de chercher un élément morphologique exprimant
particulièrement tel ou tel aspect ainsi que des combinatoires en partant du verbe pour aller
jusqu’aux éléments périphériques, puisque l’événement est susceptible de dépendre de la
parole et non de la langue. Dans les chapitres suivant nous montrerons au contraire que la
valeur lexicale du verbe est essentielle dans la détermination de l’aspect.
L’agentivité est définie par François comme « le contrôle par un animé du procès (que
l’aboutissement soit conforme ou non à la représentation que cet animé s’en faisait
initialement) ». Evans C.O. (1967), montre que l'agent joue un rôle dans la distinction des
MDP. Le sujet joue le rôle d'agent dans certains types de prédications selon François,
principalement les prédications d’ACTIVITÉ et d’ACCOMPLISSEMENT. Si on considère, ce
facteur comme un trait spécifique permettant de distinguer différentes catégories aspectuelles,
nous pouvons indiquer que l’agentivité permet de distinguer les ACTIVITÉS des ÉTATS et les
ACHÈVEMENTS des ACCOMPLISSEMENTS.
Nous allons présenter quelques exemples où malgré l’utilisation d’un même verbe,
l’aspect n’est pas identique :
Cet exemple est souvent cité, (voir Fuchs 1991), mais il apparaît difficile d’effectuer
une systématisation de ce critère sur le simple critère d’agentivité. Dans l’exemple Le soleil
tombe, tomber est à considérer comme un verbe d’ACCOMPLISSEMENT. Le critère de pluralité
du sujet semble au contraire plus pertinent la pluie étant nom massif, c’est la pluralité qui
entraîne le caractère d’ACTIVITÉ de ce verbe, en en faisant une activité régulière, par
opposition à La goutte d’eau tombe. Ce qui peut être également facteur d’ambiguïté c’est le
104
Les emplois statifs :
(17) La route traverse la ville
(18) Les pyramides traversent les siècles (plus ambigu car il y a déplacement du sujet dans le temps)
Les emplois ponctuels :
(19) Son esprit fut brusquement traversé par une idée.
(l’espace traversé étant indélimité et indélimitable, seul le test du changement permet de définir ses propriétés
sémantiques, le changement est clair puisque ces verbes impliquent qu’ « avant la traversée, l’idée n’était pas
là » et qu’« après la traversée, elle est là ». Les adverbes juxtaposés au prédicat sont des indices de l’immédiateté
de la situation).
155
sens lexical de tomber, car dans L’enfant tombe dans un trou sans fond, rien ne borne l’action.
Le manque de contexte dans cet exemple empêche de considérer l’enfant tombe comme un
prédicat télique. Par ailleurs, dans L’enfant tombe et La pluie tombe, nous pouvons nous
demander si le verbe tomber est identique dans les deux cas, car tomber équivaut à « chuter »
dans le sens exemplifié en (1b), mais pas dans le sens exemplifié en (1a), les exemples (2) ci-
dessous le montrent :
(3a) Le conservateur a rassemblé les meilleures toiles dans cette galerie. (+agentif =>
ACCOMPLISSEMENT)
(3b) Cette galerie rassemble les meilleures toiles. (-agentif => ÉTAT)
(6a) L’inflation réduit les bénéfices des actionnaires (-agentif => ÉTAT)
(6b) Paul réduit les bénéfices des actionnaires (+agentif => ACCOMPLISSEMENT)
Dans tous ces exemples, l’actualisation est complexe car elle peut entraîner deux types
d’interprétation. En (6a), l’interprétation stative est liée à une lecture de vérité générale. Une
autre lecture active est possible qui suppose une période pendant laquelle « il y a une
inflation » et que « cette inflation réduit (on pourrait ajouter « de jour en jour ») les bénéfices
des actionnaires ». Dans ce cadre, réduire n’est pas « statif », on peut utiliser « être en train
de » sans problèmes, et cette périphrase décrira le verbe en déroulement et non la phase
préparatoire d’un procès réduire. L’interprétation est identique avec (7a).
Enfin, dans ce dernier exemple, la distinction aspectuelle entre les verbes est liée à une
distinction lexicale, courir dans le sens (8b) est utilisé dans un sens métaphorique, et l’agent
156
peut être récupéré, il s’agit d’un sujet pluriel désignant « des individus (ou les médias) qui
font courir la rumeur ».
Dans ces analyses, c’est le caractère agentif du sujet que nous avons pris en compte,
d’autres auteurs considèrent que la nature du sujet syntaxique suffit à modifier la valeur
aspectuelle du verbe. La différence concerne principalement l’opposition MDP d’ACTIVITÉ vs
MDP d’ACCOMPLISSEMENT, lorsque le sujet est massif ou comptable, comme dans les
exemples ci-dessous :
Mais dans ces exemples, ce n’est pas la valeur du MDP qui est modifiée, mais il y a
une opération de dilatation du procès qui permet de rendre compte de multiples actions
d’ACHÈVEMENT, le procès global ayant une valeur itérative de durée non-bornée. Le sujet
multiple entraîne une multiplicité des procès qui opère le passage de la qualification
temporelle à la quantification temporelle, on ne peut donc plus parler ici de modification du
MDP.
4 BILAN
Dans ce chapitre, nous venons de voir que le verbe véhicule intrinsèquement une valeur
aspectuelle, puisqu’il implique de la temporalité processuelle. Nous avons, par ailleurs défini
la structure processuelle de la catégorie verbe qui implique les deux dimensions temporelles et
actionnelles, ce qui permet de rendre compte de manière unifiée et non-contradictoire de la
notion de procès. Ensuite, nous avons également montré que d’autres éléments périphériques
aux verbes avaient des valeurs qualificationnelles, aspectuelles, qui entrent en interaction avec
la valeur du verbe. La flexion verbale par exemple, sélectionne une partie du procès, mais fixe
également des bornes temporelles au procès. Les périphrases verbales, lorsqu’elles sont
compatibles avec les verbes, sélectionnent également une partie de la structure du procès
exprimé par le verbe, mais en fonction des verbes, la partie sélectionnée ne sera pas toujours
identique. Enfin, sur le plan de la structure sémantico-lexicale du verbe, le type de
complément et les compléments qui peuvent entrer dans la structure valancielle du verbe,
auront des rôles différents en fonction du sens du verbe. Des compléments spatiaux peuvent
indiquer ou ne pas indiquer des bornes actionnelles. Tous ces éléments qui gravitent autour du
verbe jouent sur les deux processus actionnels et temporels exprimés par le verbe, et leur
influence sur le procès va dépendre du type de verbe. Dans le chapitre 1, nous avons discuté
de l’opposition grammaire vs lexique et nous avons conclu que les éléments formels
pouvaient véhiculer sur le plan notionnel à la fois une valeur lexicale et une valeur
grammaticale. Ici, c’est le cas typique de la catégorie verbe qui possède des valeurs lexicales
et grammaticales, ces deux paramètres vont entrer en interaction avec les valeurs lexicales et
grammaticales portées par les éléments du contexte, qu’il s’agisse de formes flexionnelles
(tiroirs), semi-flexionnelles (périphrases verbales) ou argumentales (les compléments et
circonstants du verbe).
157
Chapitre 4. Les modes de procès : typologies disponibles
Pour pouvoir proposer une typologie du MDP, il faut pouvoir tout d’abord disposer d’une
définition de son statut notionnel, puisqu’une catégorie c’est déjà une notion. Cette notion doit
être établie en fonction du signifiant et du signifié du signe, sachant que le statut du signifiant
et du signifié est différent selon que l’on s’attache au mot, au prédicat ou à la phrase. En
prenant comme point de départ la typologie de Vendler, nous discuterons de la définition du
MDP et nous montrerons quels traits et quels tests sont des critères pertinents pour la
distinction de plusieurs classes aspectuelles. Nous voulons mettre au jour des critères de
distinction « discrets » des classes aspectuelles liées aux verbes ou prédicats, tout en
permettant la description du sens qualificationnel des structures aspectuelles en discours.
Cette description aboutie à créer des fiches d’identité de la structure aspectuelle de quelques
classes de verbes ainsi qu’une représentation de l’aspect sous la forme de chronogrammes.
Les verbes d’ÉTAT ne sont pas compatibles avec le tiroir temporel progressif
correspondant à la périphrase verbale « être en train de » en français. Les procès qu’ils
expriment peuvent s’étendre sur une période temporelle plus ou moins longue, ils sont
compatibles avec des compléments temporels introduits par pendant. Ces verbes ne sont pas
105
Rappelons que le MDP est la temporalité exprimé par le procès.
106
Sur le plan typographique nous utiliserons le caractère petite majuscule d’imprimerie pour les différentes
classes aspectuelles, comme effectué précédemment, et les traits sémantico-aspectuels seront mis entre
« slashs ».
158
non plus compatibles avec les adverbes phrastiques délibérément ou intentionnellement
(deliberately, carefully). Vendler donne une définition de cette catégorie sous la forme du
contenu spatio-temporel du procès exprimé par le verbe sur une période temporelle donnée :
« A loved somebody from t1 to t2 means that at any instant between t1 and t2 A loved that
person. » 107 (1957 : 149). Ainsi, le procès est vrai à chaque moment de la période temporelle
remplie par le procès d’ÉTAT ; ou sous une autre formulation, nous pouvons dire que le procès
d’ÉTAT est homogène, car chaque partie du procès est égale à son ensemble. Dans la classe
des verbes d’ÉTAT, nous pouvons trouver des verbes tels que : avoir, posséder, désirer,
vouloir quelque chose, détester, savoir, croire en quelque chose, aimer quelqu’un, dominer
quelqu’un.
Les verbes d’ACHÈVEMENT ne sont pas compatibles avec le tiroir temporel progressif.
Les procès exprimés par les verbes d’ACHÈVEMENT ne peuvent pas s’étendre sur une période
temporelle. Ils constituent un « single moment of time », ils sont compatibles avec des
compléments temporels introduits par à, mais sont incompatibles avec des compléments
temporels du type de telle à telle période. Les verbes d’ACHÈVEMENT sont également
compatibles avec des compléments temporels introduits par en, ce qui signifie qu’ils ont un
« climax », en d’autres termes, ils ont besoin d’atteindre un point culminant pour être dits
réalisés, mais le procès exprimé par un verbe d’ACHÈVEMENT ne consiste qu’en ce climax. Il
atteint le sommet en une heure ne signifie pas qu’il l’ait atteint à chaque moment de cette
heure. Certains verbes d’ACHÈVEMENT ne sont pas compatibles avec les adverbes phrastiques
délibérément et intentionnellement. La définition de Vendler des verbes d’ACHÈVEMENT
insiste sur le fait que le procès d’ACHÈVEMENT n’est qu’un moment, même si l’espace
temporel dans lequel il s’insère est plus long : « A won a race between t1 and t2 means that the
time instant at which A won that race is between t1 and t2. » 108 (1957 : 149). Les verbes
d’ACHÈVEMENT désignent donc un procès instantané (partir, trouver, reconnaître quelqu’un,
réaliser, identifier, perdre ou trouver un objet, gagner la course, arriver au sommet, prendre
l’avion, traverser la frontière, démarrer, s’arrêter, naître), ils ne peuvent donc pas être
complétés par une notion de durée, ni comporter une notion d’homogénéité. Certains verbes
d’ACHÈVEMENT produisent un changement ou un résultat tout comme les verbes
d’ACCOMPLISSEMENT.
Les verbes d’ACTIVITÉ sont compatibles avec le progressif. Ils sont compatibles avec
des compléments de temps introduits par pendant et ils ne sont pas compatibles avec les
compléments de temps introduits par en. Ils n’ont pas de climax, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas
besoin d’atteindre un point culminant pour être dits réalisés, le procès exprimé par un verbe
d’ACTIVITÉ est vrai à chaque moment du déroulement de ce procès sur une période
temporelle. La définition que donne Vendler de la classe ACTIVITÉ considère que chaque
période temporelle dans laquelle se déroule le procès est équivalente à l’ensemble du procès,
on retrouve le critère d’homogénéité : « A was running at time t means that time instant t is on
a time stretch throughout which A was running. » 109 Parmi les verbes d’ACTIVITÉ, nous
pouvons citer : courir, marcher, nager, tirer, pousser un chariot.
107
« A a aimé quelqu’un entre t1 et t2 signifie qu’à tous les instants compris entre t1 et t2, A a aimé cette
personne »
108
« A a gagné une course entre t1 et t2 signifie que l’instant où A gagne la course est compris entre t1 et t2. »
109
« A était en train de courir au moment t signifie que t est une période temporelle au sein de laquelle A est en
train de courir. »
159
avec les compléments de temps introduits par pendant. Ils ont un climax, le procès exprimé
par un verbe d’ACCOMPLISSEMENT est vrai à partir du moment où il a atteint le point final de
son déroulement sur une période temporelle. Dans l’exemple, il a écrit cette lettre en une
heure, c’est seulement à partir du moment où « il a terminé d’écrire cette lettre » que l’on
pourra dire qu’à chaque moment de cette heure « il a écrit cette lettre ». Ici, la définition de
Vendler s’appuie sur le fait que chaque moment du procès exprimé par un verbe
d’ACCOMPLISSEMENT est une partie de la réalisation de ce procès : « A was drawing a circle at
t means that t is on the time stretch in which A drew the circle. » 110 (1957 : 149). Les
prédicats tels que dessiner un cercle, courir un mile, peindre un tableau, construire une
maison, écrire ou lire une nouvelle, faire un sermon, jouer une partie d’échec, devenir
quelque chose ou quelqu’un, sont des prédicats d’ACCOMPLISSEMENT, ce sont des prédicats
qui expriment un procès ayant une certaine durée et incluant un changement ou un résultat. Il
n’existe que peu de verbes purement d’ACCOMPLISSEMENT parmi ceux-ci nous pouvons citer
traverser et accoucher.
1.1.2 Organisation hiérarchique sur la base de tests des classes aspectuelles et de leur
contenu sémantique
110
« A était en train de dessiner un cercle au moment t signifie que t est la période temporelle dans laquelle A
dessine un cercle. »
160
pour le premier niveau de restriction et deux questions pour chaque étape du deuxième
niveau.
Cette typologie repose au départ sur les propriétés spécifiques véhiculées par l’emploi
du progressif. La représentation est d’une symétrie parfaite, mais elle ne rend pas compte des
propriétés communes entre les classes. Les deux classes ACHÈVEMENT et ÉTAT sont
rassemblées sur la base du test du progressif alors qu’elles n’ont en apparence aucune
propriété ou plutôt aucune caractéristique sémantique en commun. En effet, le progressif
implique un procès en déroulement, les verbes d’ÉTAT ne sont pas compatibles avec le
progressif car le procès exprimé par ces verbes « est » ou « n’est pas » (on sait ou on ne sait
pas), mais il ne peut pas « être en train d’être ». D’un autre côté, les verbes d’ACHÈVEMENT ne
sont pas compatibles avec le progressif car le procès exprimé par ces verbes « a eu lieu » (il
est arrivé au sommet) ou « n’a pas eu lieu » (il n’est pas encore arrivé au sommet), et ne peut
pas « être en train d’avoir lieu ». Formellement, le progressif joue sur l’intervalle temporel
ouvert par le procès, et en ce qui concerne les verbes d’ÉTAT on peut dire que l’intervalle
temporel ouvert par un procès d’ÉTAT est déjà rempli, tandis que les verbes d’ACHÈVEMENT
n’ont pas d’intervalle temporel, c’est pourquoi ces deux classes de verbes ne sont pas
compatibles avec le progressif. En outre, les verbes d’ACCOMPLISSEMENT et d’ACTIVITÉ ont un
intervalle temporel de déroulement, c’est pourquoi ils sont compatibles avec le progressif.
Ainsi le progressif n’oppose pas les verbes ayant un intervalle à ceux qui n’en ont pas, mais il
met en relief les différents types d’intervalles, et dans ce cadre, ACHÈVEMENT et ÉTAT ont des
intervalles différents bien que tous deux soient incompatibles avec le progressif.
Ensuite, au deuxième niveau, deux questions permettent de distinguer chaque classe sur
des propriétés s’excluant l’une de l’autre. En ce qui concerne l’opposition ÉTAT vs
ACHÈVEMENT, les tests permettent de distinguer et de mettre en valeur les propriétés durée et
instantanéité. En ce qui concerne l’opposition ACTIVITÉ et ACCOMPLISSEMENT, les tests
permettent de mettre en valeur les oppositions entre les propriétés télicité 111 ou hétérogénéité
et homogénéité. Les oppositions du deuxième niveau sont exclusives entre les classes.
Au premier niveau, on a clairement une distinction qui repose purement sur la base
d’un test . Au deuxième niveau, les oppositions reposent sur des tests et les propriétés des
verbes. Cette présentation algorithmique, qui suit la présentation discursive de Vendler permet
de distinguer et de hiérarchiser les classes, en s’appuyant principalement sur des tests et
secondairement sur les propriétés des verbes 112 , que l’on peut appeler propriétés aspectuelles.
Le test du progressif, central chez Vendler, va être le plus discuté. D’autres organisations
hiérarchiques sont possibles car les ÉTATS et les ACTIVITÉS possèdent une propriété commune
qui est l’homogénéité. Les ACCOMPLISSEMENTS et les ACHÈVEMENTS ont également une
propriété commune qui est la télicité 113 . La plupart des classifications qui reposent
uniquement sur les propriétés aspectuelles des verbes traitent de l’ensemble des propriétés de
chaque verbe et les présentations ne sont plus hiérarchiques, mais compositionnelles, hormis
la typologie de Mourelatos (1978).
111
Nous utilisons ici le terme télicité dans le sens de climax tel qu’il est défini par Vendler.
112
Vendler va par ailleurs analyser les propriétés des verbes sur l’ensemble des catégories en mettant en relation
verbes d’ACHEVEMENT et verbes d’ACCOMPLISSEMENT et verbes d’ACTIVITE et verbes d’ETAT.
113
Mais là encore subsistent des difficultés dans la relation entre le test et la propriété mise en valeur, le test de la
proposition introduite par en montre deux propriétés : télique et hétérogène pour la classe des verbes
d’ACCOMPLISSEMENT lorsqu’ils sont opposés aux verbe d’ACTIVITE. Mais pour qu’un procès soit hétérogène il
doit posséder un intervalle, alors que la télicité ne l’exige pas. Ainsi le test avec en fonctionne avec les verbes
d’ACHEVEMENT mais ne peut pas rendre compte de leur caractère hétérogène puisque ces mêmes verbes n’ont
pas d’intervalle.
161
Pour conclure, nous pouvons dire que les quatre classes de Vendler sont mises sur le
même niveau, c’est-à-dire qu’elles sont toutes mises en opposition systématique sans qu’il
n’existe de classe intermédiaire. Vendler définit les différents types de temporalité véhiculés
par les verbes. A travers ses quatre classes et par sa démonstration, il montre que la
temporalité véhiculée par les verbes n’oppose pas deux classes qui seraient les verbes d’état et
d’action mais quatre classes. Les « tests » linguistiques qu’il utilise montrent sa volonté de
décrire par la langue les notions véhiculées dans la langue, et non pas en appliquant des
critères extra-linguistiques. Mais c’est justement la validité de ces tests qui va être mise en
cause et les critères, ou plus particulièrement les caractéristiques spécifiques des verbes, qu’ils
mettent en exergue. La typologie de Vendler rassemble tous les éléments qui vont être
discutés, enrichis et remodélisés par les typologues de l’aspect. Il s’agit des tests, des
différentes classes de verbes, de la hiérarchie des classes de verbes et des traits. Les
typologies des procès sont nombreuses et ont toutes pour même objectif de définir une partie
de la temporalité véhiculée par le lexème verbal et que nous avons appelée dans le premier
chapitre la qualification temporelle.
La présentation qui suit a pour objectif de discuter les principaux problèmes qui
surviennent lors de l’élaboration des typologies. Ainsi la typologie de Vendler sur laquelle se
sont appuyés les différents auteurs est remise en question sur des points particuliers, ce qui a
amené ces auteurs à élaborer une nouvelle typologie. Chez Mourelatos, c’est la dichotomie
« état/procès » qui est le critère le plus discuté. Chez les adeptes d’une typologie en forme de
traits ce sont précisément ces traits qui sont discutés. Et chez les auteurs qui s’appuient sur un
système de bornage, c’est la représentation conceptuelle du temps qui est discutée. Enfin,
transversalement à tous ces problèmes, c’est la question des tests syntaxiques que nous allons
discuter au fur et à mesure des problèmes rencontrés. La présentation que nous adoptons n’est
pas la seule possible, la multiplicité des entrées concernant la discussion de tous ces
problèmes typologiques nous amène à effectuer le choix arbitraire d’une présentation et
permettant une approche globale des problèmes.
162
1.2 La typologie de Mourelatos pour une définition ontologique du MDP
Mourelatos (1978) refuse l’idée d’une classification regroupant les verbes d’ÉTAT et
les verbes d’ACHÈVEMENT, car pour lui ces deux classes de verbes s’opposent complètement
quant à leur valeur aspectuelle. Il considère qu’aucune raison valable ne justifie un tel
regroupement, il va remettre en cause le test du progressif qui est la caution de ce
regroupement chez Vendler. Ses critiques sont centrées sur la hiérarchisation de Vendler, car
pour lui les valeurs temporelles des verbes ne sont pas liées à des propriétés purement
linguistiques, mais elles appartiennent au champ plus large extra-linguistique des catégories
philosophiques de la pensée et de l’action. Sa typologie va donc chercher à mettre en relation
ces catégories philosophiques et les spécificités aspectuo-temporelles des verbes, qu’il ne
remet pas en question puisqu’il conserve les quatre classes de Vendler.
114
A ce titre, Vendler affirmait également que les verbes d’ACHEVEMENT pouvaient être utilisés avec le
progressif, mais il maintient la validité du test car dans ce cas le progressif ne désigne pas le procès exprimé par
le verbe, contrairement aux verbes d’ACCOMPLISSEMENT avec lesquels le progressif désigne une partie du procès.
Il existe donc sur ce point une grande différence entre l’analyse de Vendler et celle de Mourelatos :
“When I say that it took me an hour to write a letter (which is an accomplishment), I imply that the
writing of the letter went on during that hour. This is not the case with achievements. Even if one says
that it took him three hours to reach the summit, one does not mean that the “reaching” of the summit
went on during those hours.” (1957: 147-148).
115
Il renoue avec la tradition grammaticale en s’appuyant d’abord sur des critères temporels (aspectuels en ce
qui concerne les propriétés temporelles des verbes), mais il ajoute une troisième catégorie qui est celle des
« événements » (events)
163
la notion ontologique d’état. Le terme d’action (occurrences) ne désigne pas une classe de
verbes particulière, mais il est utilisé en tant que notion philosophique, donc comme méta-
catégorie qui s’oppose à la notion d’état. Il rassemble différentes classes de verbes qui ont la
particularité de s’opposer aux verbes d’état. Au sein de cette catégorie se situe une nouvelle
opposition entre les verbes d’activité qui constituent la catégorie neutre du groupe action, et la
méta-catégorie des événements (events).
Ces trois axes ne relèvent donc pas uniquement des propriétés temporelles lexicales ou
discursives des verbes, mais il s’agit de propriétés ontologiques auxquels certains verbes vont
faire référence 116 . La classification de Mourelatos (1978), ci-dessous, s’appuie sur ces trois
notions, pour ensuite relever ce qui au sein de chacune de ces notions correspond à des
catégories verbales particulières. Sa classification aboutit uniquement à une redistribution des
différentes classes de verbes de Vendler, puisqu’il conserve les 4 types de MDP : ÉTATS
(states), ACTIVITÉS (processes), ACCOMPLISSEMENTS (developments) et ACHÈVEMENTS
(ponctual occurrences), ainsi que leurs principales propriétés linguistiques 117 . Il tente juste de
tenir compte du type de référent impliqué par un procès (référent s’articulant autour d’une
approche ontologique des « situations 118 »).
164
peut être défini comme une partie de la nature des situations en termes de conception
philosophique de la pensée et de l’action. Mourelatos s’éloigne en partie des tests, pour sa
classification, il repousse le critère essentiel – chez Vendler – du progressif qui ne fonctionne
pas pour tous les verbes d’ACHÈVEMENT. Les distinctions principales entre les catégories
reposent au premier niveau sur la notion d’état qui s’oppose à celle d’action, et au second
niveau sur une spécialisation ou spécification de la notion d’action aboutissant à la notion de
performance. Enfin, Mourelatos critique la non-équivalence de la catégorisation de Vendler,
mais sa typologie est également inégale car les deux niveaux de hiérarchisation ne sont pas
discriminés de la même façon : le premier niveau repose sur une opposition tandis que le
second n’est qu’une spécification (ou spécialisation). On peut dire que la catégorie des actions
et la catégorie des événements sont dans une relation d’hyperonymie.
Ceci amène à supposer qu’il est possible, en affinant l’analyse du sens aspectuel des
verbes à partir d’un plus grand corpus ou d’une description plus fine des traits sémantiques
véhiculés par chaque verbe, de multiplier les classes de verbes, ce qui rend alors toute
classification ontologique dépendante des éléments linguistiques. Dans ce cadre, la typologie
arborescente ontologique nous semble bien moins efficace pour décrire le sens aspectuel des
verbes ou des prédicats qu’une typologie basée sur des traits sémantiques, qui permet de
décrire et de distinguer les spécificités de chaque classe de verbe. Nous verrons dans la suite
de ce chapitre les différentes typologies basées sur des traits sémantico-aspectuels.
Néanmoins, l’analyse de Mourelatos apparaît surtout intéressante sur le plan de la remise en
cause des tests linguistiques de Vendler, notamment du test du progressif
165
2 L’EXPOSANT DU MDP DANS LES TYPOLOGIES : VERBE, PRÉDICAT,
PHRASE ?
Verkuyl remet en cause le statut lexical du MDP. Pour lui, le niveau d’expression du
MDP, donc son exposant est le prédicat dans sa version étendue, c’est-à-dire qu’il inclut le
sujet syntaxique, mais qu’il exclut les circonstants. Verkuyl à partir de l’exemple de se
promener montre que la nature des compléments du verbe peut entraîner des valeurs modes
aspectuelles différentes. Les exemples ci-dessous de Verkuyl traduits par Vet du néerlandais
(1980 : 49) montrent que se promener est compatible avec un complément de durée (1), donc
qu’il peut être d’ACTIVITÉ, mais que lorsque « la promenade » est limitée spatialement, ce
complément de durée n’est plus possible (3), le MDP apparaît alors être d’ACCOMPLISSEMENT.
Pour Verkuyl, il y a une opposition entre une lecture durative et une lecture qui ne peut pas
être durative. Donc le verbe peut avoir une valeur durative ou non-durative en fonction de sa
complémentation 119 :
Ainsi, le MDP n’est plus lié uniquement au verbe puisqu’il apparaît comme indéterminé mais
il est dépendant du verbe et de son contexte. D’un point de vue ensembliste, le verbe et son
contexte forment une unité sur le plan du MDP.
Les exemples suivants sont du même ressort, Verkuyl oppose une lecture durative (4a)
et (5a) à une lecture qui ne peut pas être durative (4b) et (5b). Les deux exemples (4b) et (5b)
sont donc non-duratifs :
119
L’opposition duratif et non-duratif de Verkuyl repose sur le test « pendant X temps », les aspects duratifs sont
compatibles avec ce complément contrairement aux aspects non-duratifs. C’est pourquoi nous avons utilisé les
termes d’ACTIVITE et d’ACCOMPLISSEMENT de Vendler pour montrer cette opposition. Nous montrerons plus tard
les vrais divergences entre Vendler et Verkuyl.
166
(5a) Greetje se promenait pendant des heures
(5b) *Greetje se promenait pendant des heures de la Monnaie au Dam
Dans tous ces exemples, Verkuyl montre que la lecture non durative est due au type de
complément qui est comptable, donc limité (4b) et spatialement limité (5b). Nous les
appèlerons compléments limitatifs. La nature du MDP dépendrait donc du type de
complément, mais à l’aide de l’exemple (6) ci-dessous, il montre que le complément limitatif
n’entraîne pas toujours une lecture non-durative. En effet, (6) malgré un complément
comptable limitatif, a une lecture durative en raison du type de verbe avec lequel il est en
cooccurrence. Le complément limitatif ne véhicule donc pas à lui seul un aspect non-duratif
spécifique. Cet exemple permet d’argumenter en faveur d’un exposant mode aspectuel qui
repose sur le syntagme verbal de la phrase :
Verkuyl ne veut pas non plus considérer les compléments spatiaux du verbe comme des
exposants du mode d’aspect car des lexèmes verbaux (d’ACHÈVEMENT chez Vendler) du type
tomber se comportent de la même façon que des compléments spatiaux du type de la Monnaie
au Dam. En effet, avec des compléments de durée les verbes d’ACHÈVEMENT entraînent une
lecture non-durative et itérative :
(7) Pendant des heures la guillotine tombait avec un bruit qui me faisait frissonner
chaque fois
(8) Pendant des heures Greetje se promenait de la Monnaie au Dam et,
curieusement, elle s’arrêtait chaque fois un instant près du Spui
Verkuyl ne peut pas décrire de la même façon deux éléments linguistiques aussi
différents, il attribue donc le MDP au syntagme verbal, en tenant compte de l’interaction entre
le type de verbe et le type de complément.
Pour conclure sur l’approche de Verkuyl qui permet à Vet de ne pas limiter le MDP au
verbe, nous allons reprendre le schéma général du fonctionnement aspectuel de Verkuyl qu’il
a récemment repris dans un article écrit en collaboration (2004). L’ensemble du travail de
Verkuyl a comme point de départ l’article de 1972, enrichi en 1993 où le MDP dépend du SV.
Il utilise dans cet article de 2004 le terme de predicationnal aspect en référence au MDP. Sa
typologie repose sur trois types de MDP : STATE, PROCESS et EVENT. Verkuyl ne reprend pas
120
Le verbe regarder apparaît plus acceptable en français que voir.
167
la catégorie des ACHÈVEMENTS de Vendler car celle-ci ne correspond pas à l’ontologie des
procès. Il s’appuie donc sur l’analyse de Mourelatos. En effet, ces trois types de MDP
reposent pour Verkuyl sur une base ontologique, c’est-à-dire en lien à une représentation
abstraite des événements, et ils ne dépendent pas des différentes analyses sur les classes
aspectuelles de verbes :
« Therefore, we will make use of the tripartition, because, in our view, it expresses a language filter on
reality. A speaker has the choice between describing one and the same situation by (15a), (15b) and
(15c). So our ontological claims with respect to the notion of aspectual class are minimal. » (2004 :
244) 121 .
Chaque MDP est le résultat de la combinatoire entre : le sens du verbe qui repose sur
l’opposition de base entre verbes statifs, qui sont signalés par le trait [-add to] et verbes
d’actions, qui sont signalés par le trait [+add to] et l’environnement du verbe
(complémentation) qui aboutit à la détermination du MDP prédicatif. La principale distinction
entre les SN prédicatifs est établie par leur caractéristique quantificationnelle : soit ils
présentent une quantité spécifiée [+sqa], soit ils présentent une quantité non-spécifiée [-sqa].
Alors que le verbe ne porte que la distinction entre états et actions, le MDP et les trois classes
modes aspectuelles sont une propriété du prédicat. Le MDP est le résultat de la valeur
quantificationnelle des SN entrant dans la prédication et de la valeur statif ou d’action du
lexème verbal. L’ensemble de la typologie est résumé dans le tableau ci-dessous 122 :
V
[–add to] [+add to]
Schéma - Représentation des trois classes aspectuelles de Verkuyl (Verkuyl & Vet (2004))
121
Ci-dessous les trois exemples de Verkuyl que nous avons également repris dans les exemples numérotés 10
dans le corps de texte :
a. Chantal manger un sandwich ‘Chantal eat a sandwich’ [np +sqa] + [v +addto] + [np +sqa] => event
b. Chantal manger du pain ‘Chantal eat bread’ [np +sqa] + [v +addto] + [np −sqa] => process
c. Chantal mastiquer son pain ‘Chantal chew her bread’ [np +sqa] + [v −addto] + [np +sqa] => state
122
Nous avons repris cette typologie ainsi que les exemples dans l’article de 2004, mais Verkuyl avait déjà
proposé la même typologie dans un article de 2001 (voir bibliographie).
168
c) Des retraités écrire une lettre
[np −sqa] + [vp [v +addto] + [np +sqa]] # durative
d) Chantal tenir une lettre à la main
[np +sqa] + [vp [v −addto] + [np +sqa]] # durative
Le test avec « pendant x temps » est souvent marqué d’un astérisque pour des raisons
non pas linguistiques mais pragmatiques. Tandis que la phrase (11a) ci-dessous n’est pas
valable, la phrase (11b) au contraire apparaît plausible même dans un sens non-itératif. Dans
ce cas est-ce que manger un sandwich est toujours un EVENT ?
169
(11) a) *Chantal mange un sandwich pendant un quart d’heure
b) Chantal mange un sandwich pendant la récréation
(12) Je lis ce livre/un livre ce soir pendant une heure et je le terminerai peut-
être demain
(13) Je mange un sandwich pendant une heure, il est dégueulasse mais je me
force, je ne le terminerai pas
Ensuite, deux autres problèmes sont relevés par Vet, ce sont : le statut aspectuel de
l’itérativité et la délimitation du prédicat aspectuel. Sur ce dernier problème se greffe le rôle
des compléments temporels qui servent justement de test et à propos desquels on peut se poser
la question de leur portée aspectuelle. Sur le problème de l’itérativité, il est évident que cet
élément doit être pris en compte, on peut considérer qu’il s’agit pleinement d’une dimension
aspectuelle, car l’itérativité entraîne un procès duratif, et permet de rendre compatible le
prédicat avec « pendant x temps ». Mais, dans le même temps l’itérativité est une valeur
temporelle spécifique appartenant à la quantification qui est distincte de la valeur qualitative
du MDP. L’interaction entre les deux plans doit être démontrée et l’itération et le paramètre
durativité doivent être dissociés.
Verkuyl, dans cette typologie prend le parti de considérer l’exposant du MDP comme
relevant du prédicat dans un sens large puisqu’il considère le sujet comme étant un élément
essentiel de l’expression du MDP. Il s’oppose donc au point de vue théorique qui considère
que le MDP prend sa source dans le lexème verbal. Sa typologie, depuis 1972, repose
essentiellement sur des traits sémantiques. Cette approche est originale et va être poursuivie,
nous en discuterons par la suite. Enfin, il montre clairement que l’environnement verbal joue
un rôle indéniable sur la détermination du MDP. Ainsi, si l’approche prédicative du MDP est
très discutée, le rôle de l’environnement verbal ne l’est pas, notamment en ce qui concerne la
quantification ou pluralité des syntagmes nominaux. Par ailleurs, ces analyses rendent compte
de phénomènes qui sont exprimés par l’intermédiaire de morphèmes aspectuels dans les
langues slaves. En effet, x manger un gâteau sera traduit par le verbe manger perfectif, tandis
que x manger du gâteau sera traduit par le verbe manger imperfectif.
170
la terminologie de Vet) sont applicables obligatoirement à l’ensemble du prédicat, il semble
difficile dans ce cadre de dissocier verbe et structure prédicative.
Nous avons vu à travers l’analyse de Verkuyl quelques preuves d’instabilité des classes
aspectuelles de Vendler en fonction du contexte. Vet reprend les critiques émises par Verkuyl
en montrant d’autres cas d’instabilité. Martin (1988) part du verbe et de la typologie de
Vendler mais il applique la notion de MDP à la phrase entière 124 . Les deux auteurs utilisent
des traits spécifiques pour pointer les types de modifications entraînées sur le MDP véhiculé
par le verbe. Il n’existe pas de matrice comme chez Verkuyl alliant les différents composants
du prédicat. Pour ces auteurs, ce sont des traits spécifiques qui vont être activés. Ces traits
sont communs à l’ensemble des éléments exprimant un procès. La notion de procès est donc
ici essentielle et centrale. A priori, chez Verkuyl, la notion de procès renvoie strictement à la
notion de prédicat étendue : sujet/verbe/complément. Martin et Vet n’utilisent pas cette
définition syntaxique du procès 125 , ils définissent sémantiquement les limites d’un procès à
l’aide d’un test d’implication.
Il distingue ainsi deux grandes classes : les statifs et les procès. La première a le trait /-
transitionnel/ et la seconde a le trait /+transitionnel/. Les situations qui encadrent le procès
sont toujours des états. Il utilisera plus tard le terme de satellites du procès pour nommer ces
deux états :
124
« […] l’on entendra désormais par procès l’action ou l’état décrit par la phrase entière et non par le verbe
(1988 : 5) […] ».
125
Vet utilise le terme de situation et non de procès pour rendre compte des différents MDP. Il réserve le terme
procès à une catégorie spécifique des MDP.
126
Dans tous les exemples de Vet, le verbe est fléchi à l’IMP.
171
« Contrairement aux états où tout est en repos, les procès sont des situations qui consistent dans une
transition d’un état (ou d’une position) à un autre (ou à une autre position) ». (Vet 1980 ; 63).
Sa typologie s’appuie donc sur une distinction qui veut, comme Mourelatos, prendre en
compte l’opposition qui semble fondamentale entre les procès d’état et d’action, mais
contrairement à Mourelatos, sa classification, mêle dans la catégorie générique des statifs,
verbes d’états et verbes d’activité.
Vet va ensuite donner une grande importance au trait prédicatif /±agentif/ qui permet à lui
seul de distinguer ÉTAT et ACTIVITÉ et ACTION et ACTION-PROCÈS. Ces deux dernières
catégories ne reprennent pas l’opposition entre accomplissement et achèvement de Vendler.
Ci-dessous, nous présentons une version simplifiée de la typologie de Vet (1980) 127 :
Dans cette représentation en arborescence, les distinctions ne se font pas sur le même
plan. Ainsi, au lieu d’une distinction majeure entre ÉTAT / ACHÈVEMENT vs ACTIVITÉ /
ACCOMPLISSEMENT comme c’est le cas chez Vendler, nous avons l’opposition états contre
action chez Mourelatos et Vet, mais dans les deux classifications les verbes d’ACTIVITÉ ont un
statut différent : soit ils appartiennent à la même classe que les verbes d’ÉTAT (Vet), soit ils
appartiennent à la classe des actions (Mourelatos). Le problème de la place des verbes
d’ACTIVITÉ repose dans ces typologies sur la définition de la notion de procès et sur le statut
sémantique, notionnel ou prédicatif du MDP.
Pour conclure sur la typologie de Vet, nous avons pu remarquer qu’elle possède un
point de départ sémantique qui met en lien la notion de procès et sa structure temporelle. Mais
il convient de faire remarquer que la définition de la notion de procès n’englobe pas les états
et les activités, le terme générique pour rassembler tous les MDP est le terme de « situation »
qu’il ne définit pas, mais qui pourrait facilement se justifier dans le cadre d’une définition de
la transitionnalité. Ce point de départ, qui est la notion de transitionnalité, est très important
car il donne une base solide à la notion de MDP. Le MDP n’apparaît plus comme une
construction purement ontologique de la représentation des actions, mais comme un élément
qui représente le procès comme une opération de segmentation sur la ligne du temps. Cette
segmentation va être différente selon le type de procès exprimé. Les limites de l’expression du
127
Vet utilise sept traits pour distinguer douze classes de verbes.
172
MDP ne sont plus le prédicat, mais les différents éléments qui entrent dans l’expression du
procès et donc dans la structure délimitée par la transitionnalité d’une situation.
Nous avons ci-dessus effectué une esquisse du modèle de Vet, nous allons voir dans le
détail les critères ou traits qu’il utilise ainsi que le rôle des éléments phrastiques. Vet propose
une typologie extrêmement fine.
Le trait agentif pour Vet permet de distinguer les verbes d’ÉTAT et d’ACTIVITÉ. Dans
les exemples Le papier était jaune et Jean courait, les deux phrases n’ont pas d’implication ni
de présupposition, mais dans la deuxième, l’agent Jean met de l’énergie dans l’action, c’est ce
qui distingue les deux phrases sur le MDP. Le fait que l’agent mette de l’énergie revient à
distinguer les deux MDP sur l’opposition que nous avons effectuée précédemment entre
processus temporel et processus actionnel. Ce trait [±AG] repose avant tout sur le type de
sujet impliqué par le verbe et non sur le simple sujet car un exemple comme Le crayon court
sur le papier est également agentif même si le sujet est en terme de trait sémantique [-
HUMAIN]. Le verbe courir implique obligatoirement un agent. Un autre exemple que nous
avons déjà discuté dans le chapitre 3 au point 3.2.3 est : La rumeur court dans la ville.
Le premier critère de distinction repose sur le fait que l’agent contrôle ou non la
situation. Cela lui permet de distinguer des MDP du type Jean courait [+CONT] de L’avion
volait [-CONT].
Le second critère repose sur la dynamicité de l’agent impliqué dans le procès. Cette
notion lui permet de distinguer des MDP du type Jean court [+DYN] et Jean chante [-DYN].
Nous pouvons dire que ce trait est relatif au mouvement dans l’espace. Cette présentation de
la dynamicité est originale puisque généralement le trait [±DYN] est lié non pas à une
dimension spatiale de déplacement, mais à ce que nous avons appelé « dynamisme actionnel »
[+DYN] par opposition à ce que nous avons appelé « dynamisme temporel » [-DYN]. Dans ce
cadre classique de l’analyse de la dynamicité, chanter est tout aussi dynamique que courir,
puisque ce n’est pas le temps qui fait progresser l’action de chanter, mais c’est l’agent qui
permet une progression de l’action dans le temps. Le critère spatial utilisé par Vet qui montre
une véritable différence entre les deux verbes est-il pour autant propre à montrer une
distinction aspectuelle ? Il ne nous semble pas que ce soit le cas, car si la dimension spatiale
est importante, elle ne concerne pas le trajecteur mais la trajectoire. En effet, que Jean chante
assis ou en courant, n’influence en aucun cas, la temporalité du verbe chanter, puisqu’il peut
chanter quelque chose en 5 minutes ou pendant une heure dans les deux cas. C’est pourquoi
nous pouvons dire que la dimension spatiale du trajecteur ne joue pas de rôle aspectuo-
temporel. Par contre, la trajectoire est foncièrement spatio-temporelle, puisque la structure
courir un 100m ou chanter une chanson est constituée de la dimension temporelle courir et
chanter et de la dimension spatiale structurée de pas et de mots. Ainsi, la limitation du
nombre de pas ou de mots aura une influence sur la structure aspectuo-temporelle du verbe
puisque le temps de déroulement des procès courir et chanter sera également limité. Ainsi
courir un 100m pendant une heure ou chanter une chanson pendant une heure seront liés à
une lecture itérative que n’auront pas chanter assis pendant une heure ou chanter en courant
pendant une heure. Le déplacement ou non de l’agent dans l’espace ne permet pas d’influer
sur le comportement temporel du verbe.
173
Le troisième critère repose sur la linéarité de l’action [+DYN]. Il distingue par ce trait
des activités du type Jean court [+LIN] de Jean bouge [-LIN]. Même s’il ne le signale pas, ce
trait est important car il permet d’anticiper sur le type de complément impliqué par le verbe.
Ainsi des MDP [-LIN] ne peuvent pas posséder de complément qui limite le mouvement
spatialement ; ce trait permet donc une implication du type : *Y bouger de a à b en X temps,
sauf à modifier le sens lexical du verbe bouger qui est synonyme ici de remuer en synonyme
de se déplacer.
En ce qui concerne les MDP [-TRANS] Vet distingue une troisième catégorie qui
comme la catégorie ÉTAT est [-AG], mais qui se distingue des ÉTAT par le trait occasionnel. Il
distingue par ce trait des exemples du type Jean a les yeux bleus qui désigne une qualité
durable, contingente donc [-OCC], d’exemples du type le livre est posé sur la table ou Jean
est allongé dans le Sofa qui sont [+OCC]. Il appelle cette catégorie à la suite de Dik POSITION.
Ce trait permet d’expliquer la différence de compatibilité des positions et des états avec des
compléments de temps limitatif du type de 8h à 9h : ?Jean a les yeux bleus de 8h à 9h et Jean
est allongé dans le Sofa de 8h à 9h. Enfin, la dernière catégorie de MDP [-TRANS] est [-AG]
et [+OCC], mais contrairement aux ÉTAT, les propositions entrant dans cette catégorie sont
[+DYN], elles évoquent un mouvement spatial, et ce mouvement spatial est [+LIN], car il
mène d’un point a à un point b, ce qui se traduit par une complémentation spatiale possible.
Cette catégorie, qu’il appelle DYNAMIQUE, concerne les procès du type La voiture glissait.
Elle se distingue des ACTIVITÉS car le sujet ne peut pas être agent du verbe glisser. La
complémentation spatiale modifie le trait aspectuel transitionnel, la proposition La voiture
glisse de la chaussée dans la boue est [+TRANS].
Schéma – La typologie de Vet (1980), hiérarchisation des traits sémantiques – Les phrases[-TRANS]
174
Les traits de Vet, contrairement à ceux de Verkuyl, ne spécifient pas le type de sujet
ou de complément ou le type de verbe, mais la relation entre ces éléments, comme nous
l’avons vu avec le trait agentif. Dans la catégorie des MDP non-transitionnels, les
compléments du verbe jouent un rôle minime, seul le trait linéaire implique une structure
spécifique des arguments.
Vet distingue deux grands types de catégories s’opposant sur le trait agentif. Il
distingue ainsi des phrases du type Jean jaunissait le papier [+AG] et Le papier jaunissait [-
AG]. Dans les deux cas, il existe la même présupposition et la même implication. Mais dans
le premier exemple, c’est Jean qui fait l’action de jaunir le papier. L’implication et la
présupposition de ces deux types de phrases ne dépendent pas de l’agent mais du type de
procès exprimé par le verbe. La présence ou l’absence de l’agent permet simplement de
distinguer deux types différents de MDP. Les procès [+AG] sont appelés ACTION-PROCÈS et
les procès [-AG] sont appelés PROCÈS. La catégorie des ACTION-PROCÈS concerne les verbes
d’ACCOMPLISSEMENT de Vendler du type A dessine un cercle et les verbes d’ACTIVITÉ de Dik
du type John répondait à la question.
Schéma – La typologie de Vet (1980), hiérarchisation des traits sémantiques. Les phrases [+TRANS].
128
Vet reprend trois tests pour montrer la spécificité de ce type de MDP sur le plan de l’agentivité et de la
transitionnalité. Le premier test est celui de l’incompatibilité avec des verbes comme persuader et ordonner. Le
deuxième test est celui de l’impossibilité de répondre à la question avec le verbe faire. Enfin, le troisième test est
celui de l’incompatibilité avec l’impératif. Ces tests sont vraiment mauvais !!!
175
Dans cette typologie Vet considère que l’exposant du MDP est la phrase et non le
verbe ou le prédicat. Il ne s’attache donc pas à décrire le sens aspectuel du verbe, ni à
rechercher dans une analyse componentielle le résultat du sens aspectuel de chacune des
parties constituant le prédicat. Mais il s’attache à une analyse globale de l’aspect de la phrase.
Pour cela le trait transitionnel est très utile, car il s’applique justement à la phrase. Ce trait
reprend, en fait, l’opposition entre verbe cyclique et non-cyclique que l’on retrouve chez
Garey, et que nous avons traitée dans le chapitre 2. Il s’agit donc d’une opposition de base
entre verbes impliquant une fin, et donc un état résultatif qui constitue la présupposition du
procès. L’originalité de Vet est qu’il prend en compte dans l’analyse du procès la structure
temporelle totale du procès avec ses phases impliquées et présupposées. Mais, en dehors de ce
trait, Vet argumente très peu les critères permettant de justifier les différents traits
discriminants, et le fait d’attribuer à la phrase le rôle d’exprimer le MDP lui permet de ne pas
justifier les raisons de l’apparition d’un trait agentif dans la phrase ou, par exemple, d’un trait
momentané. Nous l’avons vu, il est difficile d’expliquer pourquoi la rumeur court dans la
ville est [-AG], tandis que le crayon court sur le papier est [+AG]. Une typologie, qui possède
comme exposant la phrase, passe donc à côté de la description des éléments exprimant le sens
aspectuel. Vet, dans son analyse, décrit un type de verbe qui n’est pas analysé auparavant ; il
s’agit des verbes comme rougir, jaunir, bronzer, … qui sont intermédiaires entre les verbes
d’ACTIVITÉ et d’ACCOMPLISSEMENT, puisque ils peuvent être compatibles sans difficultés avec
les compléments temporels « en x temps » et « pendant x temps ».
Si Vet ne distingue pas ce double sens dans ces types de verbes, c’est parce qu’il ne laisse pas
de place dans sa typologie à la notion de « climax ». Le trait transitionnel à lui seul permet de
distinguer les MDP bornés, ce sont ceux qui ont une présupposition, et les MDP non-bornés
ce sont ceux qui n’ont pas de présupposition. Mais nous verrons par la suite que la notion de
climax et la notion de bornage sont deux phénomènes différents. Si Vet multiplie les classes
aspectuelles, ce n’est pas uniquement parce qu’il utilise des traits qui ne portent pas
uniquement sur le verbe, mais c’est essentiellement parce qu’il affine les analyses de
l’expression de l’aspect par le verbe. La plupart de ces traits peuvent être appliqués au verbe
simple. Enfin, la systématisation de l’utilisation des traits aspectuels montre que le MDP peut
être décrit à l’aide de traits sémantico-aspectuels et non plus uniquement sur la base de tests
s’appliquant à un élément morphologique (qui peut être véhicule ou exposant de l’aspect),
qu’il est par ailleurs difficile de délimiter.
176
des concepts aspectuels primaires véhiculés par un exposant central : le verbe, dont la
complexité du contenu aspectuel se révèle lors de sa mise en discours et de ses interactions
avec les autres éléments linguistiques (complémentation verbale et morphèmes flexionnels).
Forme et concept sont donc deux éléments distincts qui ne fonctionnent pas l’un sans
l’autre (une forme n’existe pas sans un concept et vice versa). Et la relation entre les deux
éléments n’est pas équipollente, il n’y a pas forcément de relation de 1 à 1 entre forme et
concept. Plusieurs distinctions doivent être effectuées : (1) une forme peut être en relation
avec un ou plusieurs concepts identiques ou différents 132 , (2) un concept peut être en relation
avec une ou plusieurs formes, (3) certaines formes sont associées spécifiquement à un type de
concepts, d’autres non 133 . Ainsi, dans la perspective universaliste de Karolak, l’aspect est un
concept universel et l’expression de ce concept peut se faire par l’intermédiaire de différentes
formes au sein d’une même langue ; ou bien, une forme peut véhiculer d’autres concepts en
plus du concept d’aspect. Ceci implique qu’il n’y a pas de structuration formelle des unités de
langue à partir de laquelle il est possible de décrire les unités de sens, mais que l’analyse
linguistique doit se faire à partir d’une analyse des concepts. Il faut distinguer la combinatoire
des concepts (à valeur universelle) de la combinatoire des formes. Avant de s’attaquer à
l’analyse des formes, Karolak définit donc les concepts aspectuels de manière logique.
129
Pour effectuer cette synthèse du point de vue théorique de Karolak nous nous sommes appuyés sur ses articles
de 199’, 1998, 2003 et 2005, ainsi que sur un article récent non-publié.
130
On peut opposer la conception de Karolak à celle de Cosériu (1980) dans le sens où ce dernier considère les
concepts comme étant soumis aux variations idiomatiques.
131
Pour une synthèse de cette théorie voir la thèse de Pozierak-Trybisz (2001 : 13-21) et l’habilitation de
Malgorzata Nowakowska.
132
Ceci dans le sens où l’aspect n’est pas la seule catégorie conceptuelle, il existe d’autres catégories de concepts
qui peuvent être monopolisés dans une forme.
133
Dans ce cadre, il reprend l’opposition décrite par Whorf et Sapir entre overt categories, qui sont des
catégories de formes impliquant une régularité morphologique du marquage conceptuel, comme c’est le cas en
français de la flexion verbale ; et covered categories où les formes n’impliquent pas une régularité du marquage
conceptuel, comme c’est le cas pour la catégorie des lexèmes verbaux en français. Les covered categories
peuvent contenir des concepts différents.
177
Définition des concepts aspectuels
178
Karolak défend une analyse atomiste de l’aspect en opposition à l’analyse holiste qui est
actuellement la plus répandue. L’analyse compositionnelle atomiste aboutie à des concepts
complexes dans lesquels se retrouvent le sens de chaque élément simple, contrairement à la
composition holiste qui voit une modification de l’aspect véhiculé par des éléments de base.
De fait, Karolak, refuse toute idée de coercion et de glissement de sens puisque dans son
analyse rien ne se perd, les éléments vont se composer pour créer des objets complexes. Ainsi,
que ce soit dans les langues à morphèmes aspectuels purs (russe, polonais,…) ou dans les
langues à morphèmes temporels potentiellement véhiculant l’aspect (anglais, français,…), la
méthode est la même. Il s’agit d’une composition des formes et des concepts. Il en vient à
conclure qu’il n’y a pas de distinction conceptuelle entre aspect lexical et aspect grammatical.
Karolak met ces exemples en contraste pour indiquer que les verbes véhiculent dans
toutes ces langues des aspects simples. Cette valeur aspectuelle inhérente au lexème verbal est
le fondement de toute expression aspectuelle. A partir de là, Karolak remet en cause
l’existence de deux aspects différents en fonction des formes :
« Le lexème connaî- du verbe connaître représente un cas d’amalgamation de l’aspect continuatif avec
le concept de connaissance qui, lui, est un concept particulier continuatif. En revanche, le grammème de
l’IMP -ait représente le même aspect en abstraction d’un contenu conceptuel spécifique. Dans les deux
cas, il s’agit d’une même entité aspectuelle. Nous le soulignons avec insistance en nous distançant des
conceptions qui admettent l’existence d’aspect lexical, d’une part, et d’aspect grammatical, de l’autre.
Cette division est imposée par les catégories de formes d’expression, ce qui n’a rien à voir avec une
catégorisation sémantique des aspects. » (Karolak 2003 : 78)
179
montrent que les lexèmes verbaux, en bulgare par exemple 134 , peuvent être imperfectifs
(budja « trad », gasja « trad », …) ou perfectifs (mina « trad », globja « trad »,…), il n’existe
pas dans les langues slaves un système stricte imposant que les lexèmes sont imperfectifs et
les morphèmes sont perfectifs. Partant de ce principe et considérant qu’aucun verbe n’est
neutre au regard de l’aspect, il considère le fonctionnement aspectuel des verbes dans les
langues romanes et germaniques par exemple, comme étant identique au fonctionnement
aspectuel slave.
Karolak n’est pas le seul à considérer que les concepts aspectuels véhiculés par le
lexique et la flexion sont identiques. Par contre, l’originalité de son travail réside dans le fait
que les lexèmes verbaux peuvent être composés d’un seul concept aspectuel ou de plusieurs
concepts aspectuels ; il se distingue donc des typologies de procès qui proposent une seule
étiquette pour le lexème ou le prédicat verbal, qu’il s’agisse de typologies ontologiques ou de
typologies effectuées à l’aide de traits aspectuels. Pour ces dernières, les traits peuvent être
analysés comme des concepts aspectuels, mais en aucun cas, il n’y a composition de ces traits
pour aboutir à une classe particulière. Ceci marque la distinction entre une approche atomiste
de l’aspect tel qu’il la propose et une approche holiste majoritairement représentée (travaux de
Gosselin, Vet et Brès par exemple).
134
Ceci vaut également pour le russe comme nous l’avons signalé en 4.3.2.
180
verbe. Le seul rôle que Karolak attribue à la présence du nom et de l’article, est de faciliter le
décodage du sens communiqué (en présence de formes verbales polysémiques, par exemple) :
« Ils peuvent aider à sélectionner la lecture voulue » (2003 : 159). Ainsi, la structure
prédicative, composée d’une variable prédicative et d’arguments, est la base sémantique de
chaque énoncé. Et c’est le prédicat « qui détermine la quantité, les types et les valeurs des
positions d’argument qu’il ouvre ainsi que les fonctions sémantiques des arguments qui y sont
encodés » (Bogacki, K., Karolak, S. (1991 : 35), cité par I. Pozierak-Trybisz (2001 : 15)).
Cette explication ne tient pas pour les exemples (18) et (19), car le contraste ne se fait
pas sur le même niveau. Le fait de ne pas vouloir concéder un quelconque espace aspectuel au
type de complémentation verbale pose problème, mais ne remet pas en cause le fait que
l’aspect véhiculé par le lexème n’est aucunement modifié. Pour nous, dans les exemples (18)
et (19) les procès sont tous les deux constitués de non-continuativité. En effet, l’enfant jette
des pierres est constitué d’une multiplicité d’événements non-continuatif et omettre cette
information en considérant simplement que par opposition à (18) qui est imperfectif que (19)
est perfectif, efface toute la construction et la complexité du procès. Par contre, l’exemple
(19) n’est pas constitué de continuativité. On peut donc affirmer que la valeur du lexème jeter
est fondamentalement non-continuative, quel que soit le complément avec lequel il entre en
collocation. L’aspect de la phrase dans l’exemple (19) apparaît simplement plus complexe que
l’exemple (18), la valeur de (19) peut s’analyser comme une configuration complexe en
raison du complément.
En français, les morphèmes flexionnels véhiculent également l’aspect, ils sont appelés
grammèmes de l’aspect par Karolak. Nous avons vu précédemment que ces morphèmes
aspectuels pouvaient être considérés comme entraînant une valeur aspectuelle spécifique de
l’ordre du point de vue sur l’action (Smith), ou comme modifiant l’aspect du lexème verbal.
Dans la littérature aspectuelle, cette distinction stricte entre deux aspects, qui est
morphologique mais également sémantique puisqu’elle considère que les deux catégories
aspectuelles véhiculent des caractéristiques sémantiques générales différents, est clairement
exprimée par la terminologie utilisée, car on parle d’aspect lexical et d’aspect grammatical.
Cette distinction est souvent utilisée. Karolak (1997) discute de cette opposition et souligne
181
qu’elle implique deux positions : (i) considérer que les sens lexicaux et grammaticaux sont
différents, les seconds sont alors plus abstraits que les premiers, ou (ii) considérer que le sens
aspectuel est grammatical, alors seuls les morphèmes grammaticaux véhiculent l’aspect.
Si la distinction sur le plan morphologique est légitime, il ajoute qu’il ne faut pas pour
autant en conclure que cette distinction entre morphèmes grammaticaux et morphèmes
lexicaux est corrélée automatiquement à une distinction notionnelle ou sémantique. Karolak
montre que certains morphèmes qui sont considérés comme lexicaux ont le même sens que
des morphèmes considérés comme grammaticaux. Il donne l’exemple en russe du morphème
base (lexical) nač(at) qui signifie « commencer à » et du morphème grammatical za- qui
signifie également « commencer à », comme on peut le voir dans les exemples : načat govorit
et zagovorit’ qui signifient tous deux « commencer à parler ».
Les morphèmes grammaticaux de l’aspect expriment les mêmes concepts de base que
les morphèmes lexicaux. Ils agissent sur l’aspect primaire du lexème verbal. Dans ce cadre,
Karolak les considère comme ayant une fonction secondaire et ils ne varient pas dans leur
valeur :
Pour Karolak, contrairement aux autres théories, ces morphèmes qui véhiculent l’aspect
de manière inhérente ne modifient en aucun cas la structure aspectuelle primaire du lexème
verbal ; ils ne véhiculent pas non plus un autre concept aspectuel spécifique, mais ils vont se
composer avec l’aspect véhiculé par le lexème. Il peut y avoir alors : soit, création d’un aspect
complexe ; soit, neutralisation de la valeur du grammème de flexion. En français, on peut se
demander quels sont les marqueurs aspectuels flexionnels et quelles valeurs ils impliquent.
Dans les analyses que nous avons vues précédemment (cf. supra C3), l’IMP et le PS d’un
point de vue aspectuel sont considérés comme imperfectif et perfectif. Mais les divergences
de vues sont liées à l’analyse de la globalité du procès. Si l’aspect imperfectif correspond au
concept simple de continuativité, ce n’est pas le cas du concept perfectif représenté par le PS.
En effet, dans la plupart des analyses, l’aspect véhiculé par le PS est considéré comme
délimitant un procès se déroulant dans le temps, il marque donc les bornes de début et de fin.
Karolak s’appuie sur des exemples pour montrer que le PS ne joue que sur une seule borne du
procès et qu’il correspond parfaitement dans ce cadre à un élément véhiculant le concept de
182
non-continuativité. Dans l’exemple ci-dessous (Karolak non publié, p.13), le PS ne
sélectionne que la borne gauche du procès, entraînant une valeur inchoative :
Ils parlèrent des bobsleighs, des équipes concurrentes. Quand ils eurent terminé,
Husson pria les Serizy de dîner le même soir avec lui. (J. Kessel)
Le vieux Japonais soupira profondément, rapprocha les épaules, bomba les reins,
attaqua la montée. Je le suivis…(J. Kessel)
Ou perfectif :
- … le docteur Bernard Rieux sortit de son cabinet et buta sur un rat mort (Camus)
- … sur le quai de la gare Rieux heurta M Othon, le juge d’instruction (Camus)
Karolak fait observer qu’il est alors superflu de distinguer deux catégories de concepts
spécifiques lexicaux et grammaticaux de perfectivation et d’imperfectivation puisqu’il n’y a
pas de processus de perfectivation ou d’imperfectivation. Les concepts aspectuels primaires
font partie intrinsèquement des unités lexicales :
« l’aspect n’a pas un caractère subjectif : il est prédéterminé par les concepts (prédicats) qui sont ou
bien essentiellement continus (imperfectifs), c’est-à-dire contiennent en soi le concept de continuum, ou
bien essentiellement non-continus (perfectifs) en intériorisant le concept d’instant. » (1994 : 31)
Ce qui est idiomatique, ce sont les moyens de dérivation de l’aspect primaire (par
l’intermédiaire d’affixes flexionnels, dérivationnels, de compléments de temps). S. Karolak,
démontre que la distinction de deux aspects au niveau conceptuel ne se justifie pas.
L’existence d’une différence de nature ne suffit pas à prouver l’autonomie sémantique de
deux aspects différents. Les concepts aspectuels véhiculés par les grammèmes sont identiques
aux concepts véhiculés par les lexèmes, par contre les formes spécifiques véhiculent des
aspect simples ou des combinatoires d’aspects complexes.
135
Exemples cités par Karolak (1994 : 29-30)
183
2.3.2 Typologie et composition sémantico-conceptuelle
L’analyse de Karolak s’organise selon une distinction des formes de l’aspect (lexicale
et grammaticale), mais cette distinction des formes ne correspond pas à une distinction des
concepts aspectuels. Un lexème peut n’exprimer qu’un seul concept, ou dans un même
lexème peuvent se combiner plusieurs concepts aspectuels aboutissant à une valeur
aspectuelle complexe. L’interaction entre un lexème verbal, composé de plusieurs concepts
aspectuels ou d’un seul concept aspectuel, avec un grammème d’aspect peut également
aboutir, mais pas nécessairement, à une valeur aspectuelle complexe, car si les concepts
aspectuels véhiculés par le lexème et le grammème sont identiques, la valeur aspectuelle de
l’ensemble restera identique. Nous allons donc rendre compte, ci-après, de ces différentes
combinatoires sur le plan des concepts et des formes.
Il n’existe que deux types d’aspects simples, puisqu’il s’agit des deux concepts
primaires de l’expression de l’aspect. En français, les aspects simples sont exprimés par
certains lexèmes verbaux qui appartiennent dans les typologies de l’aspect lexical, à des
catégories particulières (nous les avons reprises dans le tableau ci-dessous). Ces aspects
simples font également partie de la structure sémantique de certains morphèmes flexionnels.
Nous avons répertorié ci-dessous les distinctions effectuées par Karolak :
Aspects Simples
Nom Concepts Formes Exemples
Imperfectif simple Etendue dans le Lexème verbal aimer, détester, haïr, exister, vivre, croire,
(continuatif), temps connaître, regarder, appartenir, rire, marcher,
travailler, chercher, courir, dormir, chanter,
crier, pleurer, réfléchir, se reposer, s’étendre,
comprendre, …
Grammème IMP
Perfectif simple Non-étendue ou Lexème verbal sourire, bondir, craquer, sursauter, s’élancer,
(non continuatif) absence d’étendue percuter, crever, s’incliner, exploser, buter, se
dans le temps heurter, embrasser, tressaillir, rater, se
tromper, deviner…
Grammème PS, PC, PQP
Tableau 30 – Typologie du MDP de Karolak : lexèmes et grammèmes véhiculant les aspects simples.
Les configurations d’aspects s’effectuent sur la base des deux concepts primaires qui
sont véhiculés intrinsèquement par le lexème verbal et les grammèmes :
« L’idée de configuration d’aspect est fondée sur la règle de dérivation sémantique selon laquelle la base
dérivationnelle garde sa valeur aspectuelle originelle. » (1998 : 85)
Si les aspects simples sont des propriétés intrinsèques et universelles des lexèmes
verbaux, les configurations d’aspect ou aspects complexes sont des propriétés idiomatiques
des langues sur le plan formel. Elles peuvent se retrouver au sein des lexèmes verbaux
simples (voir tableau ci-dessous), ou dépendre de la combinatoire de différents éléments
184
lexèmes et grammèmes, ou lexèmes et compléments de temps (voir tableau ci-dessous). La
base dérivationnelle conserve toujours sa valeur aspectuelle originelle. Des lexèmes verbaux
tel que s’asseoir, entonner ont une valeur complexe inchoative, insistant sur le début de
l’action.
En français, Karolak décrit plusieurs configurations d’aspect qui reposent sur une
combinatoire entre un lexème verbal et un morphème flexionnel.
Enfin, la configuration télique est particulièrement illustrée par Karolak avec l’anglais.
En anglais, cette configuration intervient lorsque le lexème verbal perfectif est combiné au
progressif, on obtient donc une configuration biaspectuelle avec une dominante continuative.
La compositionnalité formelle est symétrique à la compositionnalité conceptuelle. La
configuration d’aspect télique est glosée par une phrase logique : « il se passe qqch. qui
permet de conclure qu’il adviendra qqch. » Dans cette glose, le progressif signifie il se passe
quelquechose et le lexème perfectif signifie : il adviendra quelque chose.
185
dans la combinatoire du lexème et du grammème d’aspect. Nous venons de montrer quelques
combinatoires entre lexème et grammème, nous allons maintenant rendre compte des aspects
complexes au sein des lexèmes, ce qui abouti à une typologie de l’aspect véhiculé par les
verbes.
Il distingue trois catégories majeurs. La première est la catégorie CONCLUSIVE, elle est
le résultat d’une combinatoire entre le concept de non-continuativité exprimé par le verbe qui
entraîne (ou déclenche) le concept continu. Soit l’événement non-continu est dominant, et
l’événement continu est dominé, c’est événement continu est un état résultatif. Il distingue
deux types de CONCLUSIFS, les CONCLUSIFS INCHOATIFS et les CONCLUSIFS RÉSULTATIFS. Les
premiers sont ceux dont l’état est la conséquence de l’événement non-continu, les seconds
sont ceux dont l’état résultatif est le résultat de l’événement non-continu. Ainsi, on peut dire
que l’état d’être évanoui est la conséquence de l’évanouissement, et que l’état être blessé est
le résultat de la blessure.
Enfin, la dernière configuration est peu détaillée dans ses travaux, elle concerne des
verbes qui sont composés uniquement de concepts non-continuatifs, tel que applaudir.
Aspects complexes
Noms Concepts Exemples Sous-catégories Exemples
Conclusifs Événement (non- accoster, apparaître, « Il est s’évanouir, mourir,
continu) qui s’apercevoir, arriver, advenu/arrivé à x p oublier, perdre, se
déclenche un état dérailler, s’effacer, qui a réveiller, trouver,
(continu) s’endormir, s’enfuir, entraîné/déclenché
Aspect non- s’évanouir, mourir, naître, q » (inchoatifs)
continuatif partir, sortir, rentrer,
dominant et aspect affranchir, allumer, arrêter, Ou « il est arrivé p blesser, briser,
continuatif dominé atteindre,blesser, briser, qui a entraîné/ enlever, tuer,
borner, casser, découvrir, déclenché q » vaincre, éblouir,
élire, joindre, oublier, (résultatifs) surprendre,
rejoindre, rendre, traverser, pétrifier
186
3 BILAN SUR LES TYPOLOGIES
Avant d’aborder les typologies, nous nous étions fixé trois objectifs. Tout d’abord, définir
le MDP, ensuite délimiter le MDP, enfin élaborer une méthodologie nous permettant d’utiliser
des critères discriminants afin d’établir différentes classes de verbes.
Deux réponses peuvent être apportées à la question : qu’est-ce que la temporalité verbale ?
La première réponse consiste à dire que c’est la temporalité exprimée par le verbe (ou les
temporalités exprimées par les verbes) qui renvoie à différents contenus sémantiques. La
seconde réponse est : c’est une notion qui renvoie à différents types de réalisations et donc à
différents contenus sémantiques exprimés dans la langue.
Vendler, dans sa typologie, défend la première réponse. Il remet à l’étude une vieille
question en s’appuyant uniquement sur une analyse purement linguistique qui repose sur des
tests de compatibilité et d’incompatibilité. Il aboutit à une typologie qui est finalement très
différente des typologies précédentes, puisqu’elle se trouve assez éloignée de l’opposition
verbes d’état vs verbes d’actions qui traverse tous les travaux des grammairiens, mis à part
ceux de Brunot. Mais son analyse ne pose jamais la question de la notion de temporalité
verbale. Cette question est très différente puisque la notion une fois définie peut dépasser le
simple cadre du verbe.
Nous avons vu les défauts de ces deux approches. Concernant la première approche les
critiques reposent sur certains tests de compatibilité et d’incompatibilité dans leur
interprétation sémantique. Concernant la seconde, la définition ontologique est bien trop
arbitraire et rend l’opposition état vs action quelque peu artificielle. Nous avons opté pour une
définition du MDP qui repose sur la notion de procès que nous avons redéfini de manière
unitaire. Nous avons pour ce faire conservé la définition traditionnelle de la temporalité
verbale qui concerne la notion de procès ainsi que ses différents modes de réalisation. Nous
avons donc appelé cette notion mode de procès.
187
différents forme une valeur aspectuelle spécifique, le second pense que chaque élément
participe à la modification du sens aspectuel véhiculé par le verbe et le dernier considère que
le verbe véhicule le MDP intrinsèquement et que les éléments prédicatifs mettent en valeur le
sens aspectuel du verbe. En optant pour une approche centrée sur le verbe, nous considérons
que rien ne se modifie mais que des éléments linguistiques qui véhiculent la qualification
temporelle viennent s’ajouter au sens du verbe et donner d’autres valeurs actualisant la
temporalité du procès sur la ligne du temps. Par ailleurs, les éléments qui entrent en
interaction avec le verbe mais qui n’appartiennent pas à la qualification temporelle (type de
sujet et type d’objet) vont également avoir une influence sur le MDP, mais cette influence est
liée à des valeurs quantitatives ou à la structure spatiale de l’objet.
Nous avons vu que les différentes classes de MDP ne peuvent pas être définies par un seul
critère. Il n’existe pas une classe momentanée, ou une classe action, mais chaque classe de
MDP possède plusieurs critères dont certains sont communs à certaines classes et d’autres
sont distincts. Les critères essentiels de délimitation de ces classes résident dans les traits
sémantico-aspectuels. Ces critères ne sont pas organisés hiérarchiquement, ils se situent sur le
même niveau. La dimension qui permet de considérer qu’il s’agit bien de critères sémantico-
aspectuels et non de critères sémantiques purs réside dans la structure temporelle délimitée
par Vet à partir des satellites du procès qui, une fois encore renvoie à la structure linéaire de la
temporalité. Un procès évolue dans le temps, il peut-être composé de bornes et d’intervalles.
Cette structure est à la base de la constitution d’une classe de procès, les traits sémantiques
sont différents en fonction de la nature des bornes et des intervalles du procès.
A partir de ces différents points, nous allons, en nous appuyant sur d’autres travaux qui
ont enrichi la description des classes aspectuelles ainsi que sur l’analyse des traits sémantico-
aspectuels, montrer les spécificités de différentes classes de MDP en français, ainsi que les
critères de distinction de ces classes. Dans le chapitre 5 nous avons pour objectif de fixer les
éléments qui permettent la réalisation d’une typologie et non d’analyser les différents critères
conceptuels nécessaires à l’élaboration d’une typologie comme c’était le cas précédemment.
Autrement dit, le chapitre 4 portaient sur la définition du MDP et le chapitre 5 porte sur la
détermination des différentes classes de MDP afin d’aboutir à une typologie lexicale de la
temporalité verbale. Si nous proposons une nouvelle typologie c’est avant tout parce que les
typologies qui rendent comptent de grandes classes de procès ne permettent pas d’analyser les
verbes dérivés en RE-. En effet, dans les deux exemples Michel marche et Michel remarche,
l’analyse classique permet juste de dire que les deux procès sont des procès d’ACTIVITÉ
puisque compatible avec « pendant x temps », et ceci ne permet pas de rendre compte de
l’aspect véhiculé intrinsèquement par remarcher qui implique deux procès et une relation
qualitative de l’ordre de l’aspectuo-temporalité entre ces deux procès. Il nous faut pour
pouvoir rendre compte de la structure aspectuelle des dérivés en RE-, une typologie basée sur
le lexème verbal et construite à partir de propriétés qui permettent de rendre compte du rôle :
du contexte, de la flexion, mais également de la dérivation au niveau de l’aspect.
188
Chapitre 5. Les modes de procès : quelques propositions pour une autre
typologie
Dans les chapitres précédents nous avons déjà posé quelques jalons permettant de
comprendre comment sont établies les typologies de procès. L’angle sous lequel nous posons
le problème est celui de la nature du procès et de la nature de son expression. Dans ce travail
nous avons posé trois dimensions d’analyses de l’aspect :
(i.) L’analyse de l’aspect entre dans ce que nous avons appelé la qualification temporelle.
Le qualitatif se distingue de la localisation temporelle et de la quantification
temporelle.
(ii.) La qualification temporelle rassemble les informations temporelles de l’ordre de la
durée du procès, de son type de déroulement, de ses phases. Elle est donc liée à la
nature intrinsèque du procès, et dans le même temps, elle relève du type
d’instanciation de ce procès.
(iii.) Le procès est exprimé intrinsèquement par le verbe et il est constitué de l’interaction
entre deux types de dynamisme : le dynamisme temporel et le dynamisme actionnel.
Ces trois éléments n’expriment pas le procès, mais participent à son expression en
discours. Les périphrases aspectuelles y participent en focalisant sur une des phases du procès.
Les tiroirs verbaux focalisent également sur une des phases du procès mais par l’intermédiaire
d’une localisation temporelle de cette phase focalisée. Enfin, les compléments aspectuels
fixent des bornes aux procès.
L’élaboration d’une nouvelle typologie nous est apparue nécessaire pour l’analyse
aspectuelles des dérivés en RE-. En effet, considérer comme dans la plupart des études que le
mode de procès est une propriété du prédicat ou de la phrase empêche toute description fine
de la structure du procès exprimé. Nous exemplifierons rapidement ce problème dans le
premier point de ce chapitre en revenant sur des éléments des chapitre 3 et 4. Les éléments de
typologie du MDP que nous allons présenter ci-dessous concernent les différents types de
structures processuelles propres aux verbes. Les outils que nous avons à notre disposition
pour montrer ces structures sont les tests linguistiques et les traits sémantico-aspectuels. Mais
les tests linguistiques font intervenir la dimension discursive puisqu’ils entrent dans
l’instanciation d’un verbe. Par ailleurs, les traits sémantico-aspectuels s’appliquent souvent
indistinctement à tous les éléments de la qualification temporelle, ce qui empêche toute
tentative de typologisation et de description du sens du verbe. Dans ce chapitre, nous allons
commencer par distinguer les niveaux lexicaux et discursifs de l’expression du procès. Puis,
nous rappellerons quels sont les éléments (tests, et traits sémantico-aspectuels) que nous
prenons en compte dans une typologie du MDP, et comment nous utilisons ces éléments.
189
Ensuite, nous indiquerons quelques éléments de différenciation des types de verbes. Enfin
nous distinguerons quelques catégories de verbes spécifiques en décrivant leur MDP.
Dans le chapitre 3, nous avons montré que le lexème verbal véhiculait intrinsèquement
de la qualification temporelle. Les éléments périphériques des verbes qui interviennent lors de
l’instanciation des verbes véhiculent également de la qualification temporelle qui va interagir
avec les valeurs du verbe. Mais d’autres éléments qui, eux ne véhiculent pas de temporalité,
vont intervenir dans la détermination de la valeur qualitative d’une phrase, il s’agit
notamment de la nature des compléments du verbe. La prise en compte des compléments dans
la détermination du MDP pose la question de la nature des traits (prédicatifs ou verbaux) et de
la validité des tests.
Nous avons vu dans les différentes typologies du chapitre 4 que plusieurs critères
étaient utilisés pour distinguer les différents types de verbes. Les critères d’ordre prédicatif ou
phrastique qui sont la nature du sujet (pluriel ou singulier, agentif ou non-agentif) et la nature
du complément d’objet (massif ou comptable, délimité spatialement ou non) et les critères qui
arguent qu’un lexème verbal peut changer de catégorie en fonction du contexte. L’aspect
prédicatif est issu de la réflexion sur l’aspect lexical. Certains linguistes comme nous l’avons
vu chez Mourelatos (1978), ainsi que dans la citation ci-dessous de Gosselin et François
(1991), ont refusé d’attribuer au seul verbe le MDP 136 mais l’appliquent au prédicat ou à la
phrase :
« Dans une phrase élémentaire ce n’est pas le verbe fini à lui seul qui réfère à un procès singulier, un
ensemble de procès ou une classe de procès, c’est un couple {verbe fini <ou équivalent fonctionnel>,
contexte} que nous appellerons prédication en distinguant la prédication élémentaire (ou minimale),
c’est-à-dire le couple {verbe fini, environnement actanciel} et la prédication élargie, c’est-à-dire le couple
{verbe fini, environnement élargi : actanciel, circonstanciel, aspectuel, etc…}. » (Gosselin et François
1991 : 22).
Les classifications ont été remises en cause car un même verbe selon son emploi était
capable de passer d’une classe à l’autre, ou avoir des traits sémantico-aspectuels de valeur
différente. Nous avons vu dans ce cadre des exemples de Klum et les éléments de
136
Parmi ces linguistes, certains remettent en cause la distinction entre deux aspects (flexionnel et lexical),
d’autres non.
190
modification du MDP (cf. supra. C3-1.2.3), on peut citer également les exemples de Gosselin
et François (1991 : 22) :
Mais ce passage d’une classe à l’autre dépend des délimitations de la classe et donc de
ce qui est appelé aspect lexical. Pour certains auteurs, il n’est pas possible d’attribuer à chaque
verbe une valeur mode-aspectuelle immuable en raison de l’importance du contexte et de la
prédication, leur objectif est alors de découvrir toutes les sortes de MDP. Partant de cette
démarche, ils aboutissent à des typologies qui sont conçues à partir de principes proches de la
sémantique computationnelle. Ils utilisent des traits sémantiques, mais aussi syntaxiques et
pragmatiques pour délimiter le sens et la zone d’action (lexème, prédicat ou phrase) des MDP.
L’analyse prédicative de François (1989) par exemple prend en compte deux facteurs qui
sont : les traits aspectuels – hérités de Vendler et enrichis par Vet (notamment en ce qui
concerne le trait transitionnel) – qu’il attribue au procès dénoté par la phrase ; et des traits
participatifs qui concernent les entités qui participent à l’action et qui se situent au sein du
prédicat – il s’agit des traits agentivité et causativité. Cette typologie très fine aboutit
finalement à caractériser le MDP comme un élément de discours et non de langue, puisque le
prédicat linguistique ne pose pas la valeur en langue des éléments qui le composent. Cette
typologie ne distingue pas la valeur aspectuelle lexicale du verbe de la valeur aspectuelle
lexicale de la phrase. On peut ajouter, que ces typologies prédicatives sont (selon notre
terminologie) des typologies de la qualification temporelle, et elles mêlent des éléments dont
la valeur aspectuelle est simple (par exemple les compléments aspectuels sont tous des
éléments qui fixent des bornes au procès, les périphrases aspectuelles focalisent sur des
phases du procès) à des éléments qui expriment des procès et dont la valeur aspectuelle est
beaucoup plus complexe (un verbe comme s’agenouiller est composé d’une phase de début de
procès, d’une phase de déroulement et d’une finale qui entraîne une phase résultative). Notre
objectif est de décrire la complexité des procès exprimée par les verbes et non d’effectuer une
typologie aspectuelle des phrases ou des types de prédication. Ceci est le seul moyen de
rendre compte de la structure aspectuelle des dérivés en RE-.
Un autre argument pour une délimitation lexicale du MDP est le rôle que Verkuyl
attribue à la pluralité dans sa typologie, qu’il s’agisse de pluralité du sujet Les bombes
explosent ou de l’objet Il lit des livres. Pour Verkuyl, la pluralité participe à la constitution de
l’aspect prédicatif, mais selon notre point de vue, la pluralité ne peut pas constituer un
élément de la structure du MDP du verbe puisqu’elle n’intervient pas sur le plan de la
qualification temporelle, mais qu’elle intervient au niveau de la quantification temporelle.
Même s’il n’y a qu’un seul marqueur de procès, ce marqueur renvoie à plusieurs procès
répétés dans le temps. De plus, l’analyse de ces procès est simple, puisqu’il n’y a pas
d’intervalles qui lient la quantification à la qualification : il s’agit de fréquentativité au sens où
nous l’avons employé au chapitre 1. Le fait d’introduire des éléments quantitatifs ne doit pas
interférer avec la structure proprement qualitative des procès répétés, ou bien il faut analyser
la structure complexe qui lie les différents procès répétés.
191
1.1.2 Mode de prise en compte des tests pour la typologie des verbes
L’utilisation des tests pose les mêmes problèmes de délimitation puisqu’ils peuvent être
indistinctement utilisés pour définir l’aspect du verbe ou de la phrase. Les tests de
compatibilité ne permettent pas non plus de rendre compte de toute la complexité du sens
processuel exprimé par les verbes. Comme nous avons pu l’observer précédemment, ces tests
ont de nombreuses failles lorsqu’ils sont utilisés pour rendre compte de compatibilité et
d’incompatibilité. L’utilisation des tests doit donc être corroborée par une analyse sémantique
de la phrase testée, car le test linguistique crée une nouvelle occurrence du verbe et donc
indique toutes les potentialités de réalisation sémantique du verbe en contexte. En prenant en
compte ces potentialités nous pouvons distinguer réellement différents types de verbes. En
outre, une grande majorité des tests participent à la réalisation en discours de la qualification
temporelle (PV et compléments temporels). Ceci est principalement le cas avec des tests
s’appuyant sur des périphrases aspectuelles, qui mettent l’accent sur une phase particulière de
déroulement du procès, cette phase peut-être interne au verbe ou externe au verbe, comme
dans les exemples avec la périphrase verbale « être en train de » (cf. supra C3-5.3.2). Mais, on
peut faire la même remarque avec les tests « en x temps » et « pendant x temps » qui ne
signifient pas nécessairement que deux lexèmes appartiennent ou non à la même classe. Ces
compléments aspectuels ne classent qu’une instanciation du lexème verbal et non sa valeur
intrinsèque. Nous reprenons l’exemple avec mastiquer et manger qui sont tous les deux
compatibles avec « pendant x temps », et ne sont pas compatibles avec « en x temps » comme
le montrent les exemples (1) et (2). Mais, manger accepte des compléments qui permettent
une compatibilité avec « en x temps » ce qui n’est pas le cas de mastiquer car avec les mêmes
compléments, il reste incompatible avec « en x temps », c’est le cas des exemples (3). Nous
devons donc distinguer deux types différents de verbes.
Ainsi, la différence entre mastiquer et manger qui est visible au niveau prédicatif
dépend foncièrement de la structure du procès spécifique au lexème verbal et l’utilisation
brute des tests ne permet pas de rendre compte d’une distinction entre deux verbes. Dans le
chapitre 3, nous avons fait remarquer que le verbe traverser pouvait être utilisé avec
« pendant x temps », dans La manifestation a traversé la ville pendant deux heures, et avec
« en x temps » dans Ernesto a traversé la rivière en 2mn. Dans ce cadre, on peut se demander
s’il ne participe pas de la même classe aspectuelle que manger qui ouvre aux deux
possibilités. Karolak répond par l’affirmative en considérant que le contexte ne fait
qu’indiquer les potentialités du verbe, et la paraphrase logique s’applique au lexème seul qui
dirige la prédication. En ce qui nous concerne, nous serons plus réservé étant donné que
traverser n’a pas d’emplois intransitif au contraire de manger, il intègre dans son sémantisme
un paramètre actionnel qui est spatial et que nous avons formalisé par les bornes spatiales de
l’objet traversé (cf. C3-3.2.2). Le verbe manger possède également un paramètre actionnel qui
est obligatoirement l’« objet mangé », mais ce paramètre n’est pas déterminé dans son sens
lexical, l’objet n’est pas structuré car il ne possède pas de limites spatiales. Pour cette raison,
192
nous aurons distinguerons ces deux verbes 137 . Le problème essentiel qui se pose est de savoir
quels sont les éléments conceptuels de base de l’aspect étant donné que nous avons éliminé
l’approche se basant sur l’opposition perfectif vs imperfectif, et celle reposant sur des grandes
étiquettes attribuées à l’aspect phrastique ou prédicatif.
Mais cette approche ne dit pas à quel niveau se situe l’expression du procès. Nous avons
vu que l’analyse de Karolak permet de rendre compte de toute la complexité des informations
qualificationnelles dans une phrase. Si la qualification temporelle est une donnée en parole,
nous considérons en suivant Karolak que le MDP est une donnée véhiculée intrinsèquement
par le verbe. Les traits aspectuo-temporels doivent donc être analysés en conséquence et
conjointement aux différentes possibilités d’interaction entre le lexème verbal et les éléments
qualitatifs en parole et la complémentation possible. Il en est de même pour les classes de
verbes dont la valeur ne peut être limitée à leur compatibilité avec un test syntaxique. La
notion de classe aspectuelle rassemblera pour nous les différents types de MDP exprimés par
les verbes. Les critères qui permettent de distinguer les différents types de verbe et qui
rendent compte de grandes classes de procès s’appliquent à trois dimensions : la structure
interne du procès, les bornes du procès et les satellites du procès. Nous précisons bien, que si
nous nous servons d’étiquettes, ces étiquettes rendent compte de la structure du verbe.
137
En ce qui concerne manger, sa structure aspectuelle se retrouve dans de nombreux autres lexèmes (lire,
chanter, …), pour traverser, c’est un peu plus compliqué, ce verbe est étymologiquement construit à partir d’un
préfixe très qui avait pour fonction de perfectiver un verbe imperfectif, on peut postuler que cette origine a laissé
des traces sur le plan synchronique. (Cf.
193
1.2 Les principales distinctions conceptuelles opérées par les traits sémantiques
Dans le chapitre 4, nous avons rendu compte des différents critères de détermination
du sens aspectuel. Les propriétés de Vendler ont été analysées sous la forme de traits
sémantiques. Le statut des traits prête aussi souvent à confusion, parfois il sont utilisés comme
des traits discriminant les classes et parfois ils sont utilisés pour décrire la structure
sémantique des verbes. Dans le tableau ci-dessous nous avons répertorié quelques traits
utilisés par différents auteurs :
Traits non-
Traits processuels
Traits processuels
Dynamique
Duratif
Homogène
Transitionnel
Borné
Télique
Momentané
Occasionnel
Atomique
Terminatif
Linéaire
Changement
Contrôle
Agentif
Causatif
Patient
Auteurs
Vendler 1957 + + +
Dik 1975 + +
Chafe 1970 + +
Vet 1980 + + + + + + + +
Vet 2002 + + + +
Martin 1988 + + + +
François 1989 + + + + + +
Combettes 1993 + + +
Mourelatos
1981
+ + +
Vetters 1996 + + +
Gosselin 1996 + +
Tableau 33 – Différents types de traits sémantico-aspectuels selon les auteurs.
194
entraîne une délimitation du procès sur l’échelle temporelle puisque l’agent peut décider de
mettre fin au procès. Il est à l’interface entre deux facteurs qui sont selon notre terminologie le
processus actionnel et les bornes sur l’axe de ce même processus. Le fait que Vet distingue les
traits contrôle et agentivité au sein des verbes d’ACTIVITÉ a pour conséquence de vider l’agent
de son rôle dynamiseur, par conséquent le critère agentif ne rend plus compte d’une
quelconque fin de l’action. D’autre part, le fait que dans la catégorie des non-agentifs, il existe
une classe DYNAMIQUE, indique que le trait agentif ne rend pas compte de la dynamicité. De
même dans la catégorie des transitionnels, Vet indique une classe de procès non-agentifs, ce
qui signifie que l’agentivité ne joue aucun rôle sur la structure interne dynamique du procès.
Enfin, il distingue dans les verbes transitionnels deux classes de momentanés en fonction de
ce trait agentif, mais il est difficile de distinguer deux processus différents dans J. éteignait la
bougie et J. arrivait au sommet. L’agentivité, qui n’est pas un critère temporel, doit pour
permettre de rendre compte d’un critère temporel, exercer une pression forte sur le verbe. Ce
n’est pas le cas, ce critère ne permet ni d’influer sur la structure interne du procès (il existe
des procès dynamiques agentifs et dynamiques et non-agentifs, il existe également des procès
non-dynamiques et agentifs), ni sur les bornes du procès (il existe des verbes intrinsèquement
bornés sans agent). Dans cette perspective, nous pouvons indiquer que l’agent ne joue pas de
rôle significatif sur le MDP.
Le trait changement signifie que le procès implique ou non un changement d’état entre sa
phase antérieure et sa phase ultérieure. Vet le nomme également transitionnel, il représente le
passage d’une situation à une autre situation. Certains verbes entraînent une transition,
d’autres sont continus : « Contrairement aux états où tout est en repos, les procès sont des
situations qui consistent dans une transition d’un état à un autre » (Vet 1980 : 63). Ce critère
permet de déterminer, à l’aide d’un test d’implication, la nature des éléments que présuppose
ou qu’implique le procès (ses « satellites » pour reprendre le terme de Vet (2001 : 232 et
2002 : 182).
L’exemple prototypique de Vet est celui du verbe jaunir qui indique, ou implique, le
passage d’un état « n’être pas jaune » à un état « être jaune ». Dans sa typologie, il rend
compte d’autres classes de procès, comme celle illustrée par arriver au sommet, nous pouvons
dire que ce procès implique « n’être pas au sommet » et « être au sommet ». Par ailleurs, nous
avons vu que ce verbe possédait une phase préparatoire qu’il était possible de mettre en valeur
à l’aide de la périphrase « être en train de ». Cette phase préparatoire est distincte du satellite
précédant le procès, puisqu’il s’agit d’une phase processuelle et non stative, par contre, elle
est intégrée par le satellite puisque « être en train d’arriver au sommet », c’est « ne pas être au
sommet », tandis que « arriver au sommet » est bien le procès intermédiaire entre les deux
états.
Parmi les procès transitionnels, il prend également en compte éteindre la bougie dont
nous pouvons tirer les implications « la bougie n’est pas éteinte » et « la bougie est éteinte ».
Dans le cas de éteindre la bougie, on peut signaler que la première implication n’est pas
forcément le passage d’un état-négatif 138 à un état, puisque « la bougie n’est pas éteinte »
correspond à « la bougie est allumée ». D’un point de vue lexical nous pouvons considérer
être allumé comme un antonyme de être éteint. Nous pouvons donc indiquer que le satellite
138
Le terme d’état-négatif est le seul que nous ayons trouvé.
195
qui précède le procès exprimé par le verbe n’est pas forcément un état-négatif, il peut
également correspondre à l’état antonyme du satellite qui suit le procès exprimé par le verbe.
Le fait qu’il s’agisse d’un état antonyme n’a pas les mêmes conséquences, puisque cet état
antonyme peut être lui-même l’état résultatif d’un autre procès. D’autres verbes fonctionnent
de la même manière comme laver, sortir où l’état-négatif impliqué correspond à un autre état
( « être sale », « être dedans »).
Concernant, le verbe jaunir, on peut indiquer qu’il n’exprime pas toujours un changement
d’état, puisque jaunir peut impliquer une phase antérieur « être jaune » et une phase ultérieur
« être un peu plus jaune », c’est le cas par exemple dans Le papier jaunit de jours en jours.
Les verbes bronzer, rouiller, vieillir, mûrir fonctionnent de la même manière, Martin (1988 :
6) utilise également l’exemple répandre de l’eau sur le sol. Au contraire arriver au sommet et
éteindre la bougie, impliquent obligatoirement un changement d’état.
Martin (1988 : 5) définit également le trait transitionnel comme le passage d’un état à un
état résultant. Il ajoute qu’il faut faire à attention à ne pas interpréter le changement en
fonction de la situation extra-linguistique dans laquelle la situation décrite par le verbe
s’inscrit. Il utilise l’exemple du verbe courir pour illustrer cette mise en garde :
« On peut certes penser qu’un verbe comme courir n’est pas étranger à la notion de changement : celui
qui court n’arrive-t-il pas au but essoufflé, fatigué ? N’a-t-il pas en tout cas changé de lieu ? Ce serait
cependant se méprendre : ces changement ne sont pas l’objet de la prédication ; ils se situent en dehors
des conditions de vérité attachées au verbe courir. Ce qui importe dans ce verbe, c’est uniquement le
mouvement. On court dès lors qu’on se déplace « par une suite d’élans, en reposant alternativement le
corps sur l’une puis sur l’autre jambe ». Un verbe est transitionnel s’il prédique le passage d’un état à un
autre. » Martin (1988 : 5).
Cette mise en garde est nécessaire, car nous l’avons vu ci-dessous les satellites
peuvent parfois être lexicalisé, cette lexicalisation doit être distinguée des implications extra-
linguistique. Par ailleurs, dans certains cas les satellites propres à un verbe peuvent ne pas être
instanciés, ils ne sont pas pour autant liés à des implications extra-linguistiques lors de leur
non-lexicalisation. Par exemple, le verbe exploser peut impliquer un état « l’objet est intacte »
et un état « l’objet est disloqué ». Cette présupposition fonctionne dans l’exemple, La voiture
est explosée, pourtant dans La bombe a explosé, cette implication n’est pas instanciée car ce
qui intéresse ce n’est pas l’état de la bombe après l’explosion, mais l’effet qu’elle a eu.
Nous avons repris la typologie de Martin dans le tableau ci-dessous pour rendre
compte des spécificités particulières qu’il attribue aux verbes (sur le plan théorique, il s’agit
d’une typologie sous la forme de traits sémantiques comme chez Vet). Nous pouvons
remarquer que le trait changement n’est pas propre aux états. Par contre, il effectue une
distinction entre les prédicats qui possèdent un climax et qui ont un changement, des prédicats
qui ont également un climax mais sans changement. Ainsi, courir un 100m plat n’est pas
compris entre deux états, il ne possède donc pas d’état résultatif, tout comme le courir
(intransitif), contrairement à tracer un cercle, qui lui est résultatif et obligatoirement transitif.
Pourtant, on peut impliquer de courir un 100m, un état antérieur « le 100m n’est pas couru »
et un état ultérieur « le 100m est couru », pourquoi dans ce cas Martin ne prend pas en
considération ces deux phases. On trouve l’explication dans le fait que courir pour Martin est
définit uniquement par le mouvement, quel que soit le complément, la fin du procès courir
sera toujours uniquement la fin d’un mouvement, même si la course est délimitée dans
l’espace. Au contraire, tracer c’est un mouvement qui implique la création dans l’espace d’un
objet, en ce sens il y a changement et transition entre l’état « ne pas être tracé » et l’état « être
tracé ». Cela signifie que des verbes peuvent être bornés intrinsèquement sans qu’il y ait
196
obligatoirement un état résultatif. Le verbe « accoucher » est également un verbe qui possède
des implications complexes, on peut impliquer de accoucher « x n’est pas né » et « x est né »,
c’est le seul changement possible car accoucher en lui-même signifie uniquement le passage
entre une action qui n’est pas réalisée et une action qui est réalisée, et non le passage entre
deux états.
Les satellites initiaux du procès peuvent donc être de deux ordres, soit des satellites
états-négatifs, soit des satellites lexicaux antonymes de l’état résultatif du procès. Les
satellites finaux sont les états résultatifs du procès exprimé par le lexème. Mais la dimension
spatiale du procès doit également être prise en compte pour déterminer ces éléments 139 . Le
verbe traverser par exemple ne possède pas un changement entre « ne pas avoir traversé » et
« avoir traversé » puisque ces deux éléments sont les phases finales du procès, mais il
implique deux états : « un état être d’un côté de x » et un état « être de l’autre côté de x ». Le
processus d’implication est donc beaucoup plus complexe, mais il doit toujours reposer sur le
principe de Martin : un procès transitionnel doit toujours être compris entre deux états et la
nature de ces états dépend du sens lexical du verbe et non de la nature extra-linguistique du
procès.
Le trait /duratif/ ne permet pas les mêmes distinctions que les traits transitionnels et
dynamiques puisqu’il oppose les procès qui ont une certaine durée aux procès qui n’ont
aucune durée. Ce sont, chez Vendler les procès d’ACHÈVEMENT et chez Karolak par exemple,
les procès qui ont l’aspect simple non-continuatif. On attribue à ces procès, qui sont
considérés comme /–duratif/, un trait /+ponctuel/ ou /+momentané/. Un procès est caractérisé
de /+momentané/ si l'intervalle de temps pendant lequel il se réalise est instantané. Il décrit
l'immédiateté de l'événement exprimé par le verbe. Martin en donne la définition suivante :
« Un procès est momentané s’il se réalise dans un intervalle instantané où, du même fait, il est
impossible de discriminer des phases. ( Martin 1988 : 6) »
139
La dimension spatiale n’est pas la seule à influer sur la nature des états du procès, Apothéloz et Nowakowska
(2007) font une distinction entre « résultativité sémantique » et « résultatitivité pragmatique », cette dernière met
en jeu nos connaissances de la situation. Ils indiquent par là que d’autres facteurs permettent de définir la nature
des états résultatifs.
197
Dans cette définition, il utilise les termes instantanés et phases. Le terme phase sert de
caution scientifique au fait que l’on ne peut pas mesurer un procès linguistique, dire qu’un
procès a un intervalle instantané cela signifie que le début et la fin du procès sont confondus.
Ce genres de procès n’existent pas dans la réalité physique. Par contre, dire qu’un procès n’est
pas constitué de phases, cela signifie qu’il désigne uniquement le début ou uniquement la fin
du procès, ce qui n’est pas identique à la notion d’instantanéité. Un verbe comme poignarder
par exemple, peut être considérée comme instantané en tant que transition entre « l’individu x
n’est pas poignardé » et « l’individu x est poignardé » et il peut être conçu en terme de 4
phases, comme par exemple la définition (scientifique) de l’« action de poignarder » ci-
dessous :
(4) Un poignardage réussi est censé résider dans la séquence planter de bas en haut-
pousser-remuer, si possible en dessus du nombril ; à imaginer avec un couteau droit
style baïonnette, et vôtre aorte.
Si bien que c’est la conceptualisation du procès poignarder par chaque individu qui
permet de dire que « être en train de poignarder quelqu’un » consiste à focaliser sur la phase
centrale du procès, ou à focaliser sur la phase préparatoire du procès. Dès lors, la notion de
phase semble aussi aléatoire et dépendante de la réalité physique que la notion d’instantanéité.
« Par exemple, le verbe « accoucher » pourra être considéré comme verbe d’ « accomplissement » (si
l’accouchement est long) ou comme verbe d’achèvement (s’il est rapide) » (1999 : 176)
Le problème avec accoucher est le même qu’avec poignarder et est différent de arriver
au sommet. Arriver au sommet correspond à un point spatial et il est très facile d’associer un
point spatial à un point temporel, avec poignarder et accoucher on ne visualise pas
exactement de point final (pour poignarder, est-ce le moment où le couteau touche le corps ?
est enfoncé dans le corps ?, pour accoucher est-ce le moment où la mère pousse le bébé à
l’extérieur de son corps ? ou est-ce lorsque le bébé est complètement sorti à l’extérieur ?).
Mais, ils effectuent ensuite une distinction linguistique entre ces deux verbes qui montre
pourtant, selon nous, que la structure des verbes d’ACHEVEMENT est bien ponctuelle. Ils
indiquent que lors de leur instanciation, il est possible de focaliser sur la phase de
déroulement ou sur la phase terminale du procès d’ACCOMPLISSEMENT. Au contraire, avec les
198
verbes d’ACHEVEMENT, la focalisation est obligatoirement réalisée sur la phase terminale.
Dans Jean a presque construit sa maison 140 , on peut trouver le sens : « la construction est
commencé et n’est pas loin d’avoir abouti » (focalisation sur la phase terminale) ou bien, on
trouve le sens « la construction n’a pas encore commencée mais Jean n’en est pas loin »
(focalisation sur la phase de déroulement). Au contraire, l’exemple Jean est presque arrivé au
sommet, signifie uniquement que « Jean n’est pas encore au sommet mais n’en est pas loin »
(focalisation sur la phase terminale) et ne peut pas signifier que « Jean n’est pas loin d’être
presque arrivé au sommet ». Un autre élément que nous avons déjà cité permet de montrer
cette différence, il s’agit de l’incompatibilité des verbes d’ACHEVEMENT avec « depuis x
temps » au contraire des verbes d’ACCOMPLISSEMENT (cf. supra C3- 3.1). Ces deux tests
montrent que les verbes d’ACCOMPLISSEMENT possèdent intrinsèquement deux bornes et les
verbes d’ACHEVEMENT une seule.
Selon nous cette distinction linguistique justifie que la structure des verbes
d’ACHEVEMENT est une durée brève, et que la périphrase verbale « être ne train de » ne fait
que focaliser sur la phase préparatoire au procès qui est une phase différente du procès en lui-
même, puisqu’on ne peut pas signifier cette phase préparatoire uniquement avec le verbe. En
ce qui nous concerne, nous considérons que rien ne permet de s’opposer clairement à
l’existence du trait ponctuel, que ce dernier découle d’une déduction logique (Karolak),
ontologique (Vetters) ou cognitive (Gosselin) 141 . En s’opposant à une telle conception, on
pose que le langage n’est pas doté d’outils permettant d’exprimer une telle réalité ou plutôt la
conception d’une telle réalité. La catégorie de procès post-vendlerienne, appelée SEMELFACTIF
par Smith ou NON-CONTINUATIF par Karolak, et qui rassemble des procès qui ont la
particularité d’être ponctuels sans indiquer une transition entre deux états, montre que ce trait
est nécessaire :
« Heurter » n’implique pas un état précédent et un état résultant opposé à l’état précédent.
Dans le cas de ces verbes SEMELFACTIFS, on peut remarquer une particularité supplémentaire,
puisque lorsqu’ils sont fléchis au présent, le procès est forcément indiqué comme réalisé. Ceci
est spécifique à ces verbes puisque dans tous les autres cas, le présent indique qu’un procès
est dans une phase de déroulement.
La question de la durativité chez Récanati et Récanati est analysée sous un autre angle.
Ils ne considèrent pas seulement l’opposition procès duratif vs procès ponctuel, ils font aussi
entrer dans la catégorie des duratifs les procès qui peuvent ne pas être duratif. Cette
redéfinition de la durativité qu’ils appellent « durée intrinsèque » a pour conséquence
d’inclure les procès d’état dans les non-duratifs :
« En gros, un procès a une durée intrinsèque si, de par sa nature, il peut ne pas durer. Les états peuvent
durer, mais ils n’ont pas de durée intrinsèque, parce qu’ils peuvent aussi ne pas durer. » (1999 : 173)
140
Exemple de Récanati et Récanati (1999 : 177).
141
Il est à noter qu’il y a des différences de représentations entre chacun de ces points de vue puisque la
ponctualité peut être représentée par deux bornes confondues (Gosselin), ou par une seule borne (Karolak). Soit
on considère qu’un procès d’ACHÈVEMENT n’est qu’un point de passage, soit on considère qu’il a une vraie
structure temporelle avec un début et une fin, mais que ce début et cette fin sont conçus comme immédiats.
199
Ils font remarquer que la totalité d’un procès d’ETAT peut correspondre à un intervalle t
immédiat du type « à x heure ». Tandis que ce n’est pas possible avec les procès d’ACTIVITE
qui implique forcément un mouvement ayant une certaine durée et donc ils sont
obligatoirement compris dans un intervalle. Dans le cas des verbes qui ont une durée
intrinsèque, lorsqu’ils sont joints à un complément avec « à x heure », il n’y a sélection que
d’un instant du procès et non de tout le procès. Cette analyse correspond à notre description
des procès d’ETAT dont l’intervalle processuel est uniquement temporel, et dans ce cas cet
intervalle correspond à tous les intervalles temporels disponibles, de l’immédiateté à la
durativité. Il est difficile de trouver dans leur cadre une place aux verbes SEMELFACTIFS. En
fonction de quelle particularité n’auraient-ils pas de durée intrinsèque ? Nous pensons que les
procès qu’il considère comme ayant une durée intrinsèque sont en fait dépendant de la
dimension actionnelle, qu’il s’agisse d’un mouvement ou d’une structure spatiale et dans ce
cadre la structure interne peut être durative, si le mouvement ou la structure spatiale sont
étendues, ou ponctuel, si le mouvement ou la structure spatiale sont restreints à un point ou
sont considérés comme un mouvement 142 .
1.2.4 Structure interne du procès, structure externe et bornes : les traits homogènes et
téliques
Parmi l’ensemble des traits aspectuels permettant de distinguer les différentes classes de
verbes, deux nous paraissent fondamentaux et complémentaires. Le trait homogène qui
permet de distinguer les verbes d’ÉTAT et d’ACTIVITÉ des verbes d’ACCOMPLISSEMENT et
d’ACHÈVEMENT et le trait télique qui permet apparemment les mêmes distinctions. Si ces traits
nous paraissent pertinents c’est en partie parce qu’ils décrivent les différents composants d’un
procès, que nous résumons sur trois niveaux : la structure interne du procès correspond au
trait homogène, et les bornes ainsi que la structure externe du procès correspondent au trait
télique.
Homogène Télique
ETAT + - Aimer, savoir, détester, dominer
ACTIVITÉ + - Courir, peindre, chanter
ACCOMPLISSEMENT - + Accoucher, persuader, offrir
ACHÈVEMENT - + Exploser, poignarder, renverser
Tableau 35 – Complémentarité des traits homogènes et téliques.
Il nous faut déterminer en quoi ces deux traits sont complémentaires et redondants –
puisqu’ils permettent de faire les mêmes distinctions en terme de classes aspectuels – et si
l’utilisation de ces traits uniquement en tant que traits discriminants des classes de procès ne
masque pas des distinctions plus fine du sens aspectuel des verbes. Il nous faudra également
observer quel objet linguistique ils s’attachent à décrire (lexique, prédicat, phrase).
Le trait homogène signifie que le procès est constitué ou non d’une succession continue de
moments identiques considérés dans leur continuité (Martin 1988 : 5), ce qui est équivalent
pour Récanati (1999) au théorème suivant : lorsqu’un procès se déroule pendant un intervalle
temporel I, il se déroule également pendant les sous-intervalles compris dans celui-ci. Ce trait
est caractéristique des procès qui peuvent être interrompus à tout moment sans empêcher la
142
Par exemple cligner (de l’œil) est conçu comme correspondant à un seul mouvement (même si ce mouvement
peut être lui-même analysé au ralenti comme une succession de mouvements) et le verbe est considéré comme
un verbe sans durée.
200
réalisation de l’événement. Il s’oppose au trait hétérogène où seul le tout réalise le procès et
non les parties.
Nous avons déjà abordé à de nombreuses reprises la question du trait télique, la définition
que nous avons adopté jusqu’à présent est celle correspondant à la notion de « climax » de
Vendler, et cette définition considère qu’un procès pour être dit télique a besoin d’atteindre un
point culminant, pour être dit réalisé, au-delà duquel il ne peut pas continuer.
Nous allons analyser ces deux traits en relation à la structure du procès dans le point 2.
suivant.
Dans cette partie, nous partons d’analyses qui considèrent que le trait homogène n’est
pas inhérent au lexème verbal, pour ensuite montrer que la description des verbes par ce trait
permet de rendre compte des différents intervalles exprimés et impliqués par le verbe. Les
intervalles peuvent être sujets à deux variables qui sont : la dilatation, preuve d’homogénéité,
et la complémentarité, preuve d’hétérogénéité. La variété des intervalles compris dans les
verbes sert de base à l’expression et à la définition des différents types de procès.
Taylor (1977) 143 est le premier à utiliser la notion d’homogénéité comme facteur de
différenciation entre les verbes. Il établit une comparaison entre l'opposition des syntagmes
nominaux : termes de masse (or et eau) contre termes comptables (un lingot d'or et un litre
d'eau), et les verbes homogènes (chuter) de la classe ACTIVITÉ contre les verbes hétérogènes
(poignarder) de la classe PERFORMANCE, cette classe regroupant chez Taylor les
ACCOMPLISSEMENTS et les ACHÈVEMENTS. Généralement, on considère les verbes hétérogènes
comme ayant la propriété d’être comptables, de ne pas se plier à la division comme les noms
de substance. Au contraire, les verbes homogènes se laissent diviser à l'infini, ils ne sont pas
comptables, ils sont massifs comme les noms de matières. Taylor prend comme exemple les
verbes chuter et poignarder. Chuter est homogène car le procès impliqué par le verbe occupe
du temps, comme une matière occupe de l’espace. Tout moment compris dans le procès
chuter est égal à chuter, comme toute partie d’or est de l’or. Poignarder est hétérogène car le
procès impliqué par le verbe délimite un temps comme une substance délimite un espace 144
(comme une table délimite un espace). Et, le procès de poignarder est compris dans une
période où aucun moment ne peut être considéré comme poignarder, comme aucune partie de
la table n’est égale à la table.
143
Voir François & Gosselin (1991 : 36)
144
Poignarder est glosé par « donner un coup de poignard » François & Gosselin (1991 : 36), nous avons vu que
cette glose était problématique.
201
Cette opposition nominale est complexe, puisqu’elle comprend deux types
d’opposition : celle entre noms massifs et noms massifs qui peuvent devenir comptable
lorsqu’ils sont précédés d’un déterminant dit quantifieur (du type eau vs un litre d’eau), et
l’opposition entre deux noms simples, qui s’effectue entre noms d’objets (table, chaise,
lingot) et noms de substances (eau, or, bois, feu, sable). En reprenant la classification de
Vendler, la frontière tracée par les différents auteurs ayant travaillés sur cette propriété
s’établit entre verbes d’ACCOMPLISSEMENT et d’ACHÈVEMENT (comptables) vs verbes
d'ACTIVITÉ et d’ÉTAT (massifs), voir par exemple Rohrer (1980), Mourelatos (1981), Vet
(2000), Khallouqi (2003).
Procès
Homogènes Micro-hétérogènes
(ETATS) (Processus)
Macro-homogènes Macro-hétérogènes
(ACTIVITÉS) (Processus téliques)
sans focus sur le point terminal avec focus sur le point terminal
(ACCOMPLISSEMENTS) (ACHÈVEMENTS)
202
rendre compte du caractère global ou non cet l’intervalle, soit un regroupement possible ou
impossible de plusieurs procès au sein d’un seul 145 .
Les propriétés propres aux verbes permettant de sélectionner une valeur plus ou moins
homogène sont soumises à deux conditions : i) il faut qu’ils possèdent une borne finale au-
delà de laquelle le procès ne peut pas continuer ; et, ii) il faut que l’intervalle du procès soit
constitué de sous-intervalles identiques. Par ailleurs, cette distinction s’effectue également au
niveau de l’aspect flexionnel, notamment dans l’opposition IMP vs PS (cf. les travaux de
Rohrer 1980, Vet 1980) ou IMP vs PC (cf. Asnes 2005). Elle apparaît donc comme une méta-
catégorie sémantique regroupant nom-verbe-flexion.
La principale difficulté relative à l’étude des traits aspectuels reste la distinction entre
types de verbes et valeurs des verbes. Souvent on retrouve un mélange des deux, certains
auteurs parlent de verbes homogènes ou hétérogènes et d’autres de valeurs homogènes ou
hétérogènes.
Propriété de mesure
Cette propriété signifie qu’on peut mesurer le nombre d’actions exprimées par un verbe.
Elle repose sur l’opposition continuité/répétition. La propriété de mesure ou comptable, est
liée à l’intervalle d’un procès complexe car cet intervalle est construit à partir de l’interaction
entre la valeur qualitative d’un lexème verbal et la valeur qualitative d’un complément
aspectuel. Rohrer (1980) utilise les compléments du verbe du type : une heure, pendant une
heure, depuis une heure, de 2 à 4 heures, jusqu’à, qui servent de test de compatibilité
permettant de distinguer les verbes /+HOM/, des verbes /-HOM/. Ces compléments mesurent
donc la durée du procès en posant des bornes temporelles de début et de fin au procès. Nous
avons déjà vu quelques unes des particularités de ces compléments dans le chapitre 3. D’après
lui, les procès homogènes occupent tout l’intervalle de manière continue, ils sont mesurables,
et les procès hétérogènes se multiplient, deviennent itératifs, ils sont donc non-mesurables car
l’intervalle temporel est constitué de multiples sous-procès. Ces exemples corroborent la
distinction entre ACTIVITÉ /+HOM/ car ils sont mesurables, vs ACCOMPLISSEMENT /-HOM/ et
ACHÈVEMENT /-HOM/ car ils sont non mesurables. En reprenant les exemples de Rohrer, nous
avons effectué ci-dessous un tableau des interactions possibles entre le sens aspectuel des
verbes et les compléments temporels. Nous avons voulu montrer que les tests, plutôt que de
rendre compte d’incompatibilité, rendent comptent d’intervalles différents.
145
On peut parler également de la nature additive ou non-additive des intervalles des procès.
146
C = continu, I = itératif
203
Non- Fermer la I ou C I I ou C I ou C I ou C
mesurable porte
Traverser I ou C I ou C I ou C I ou C I ou C
le fleuve
Tableau 35 – Distinction des traits /+HOM/ et /–HOM/ : possibilité de continuité ou d’itération.
Les tests de Rohrer n’ont pas tous le même degré d’application comme on peut le
remarquer dans la partie /-HOM/ du tableau où dans de nombreux cas, il peut y avoir deux
types d’interprétation. Le test avec « depuis x temps » est plus restrictif dans les effets de sens
que le test avec les autres compléments de temps. Dans ce tableau, nous voyons que les deux
lectures sont possibles dans de nombreux cas, notamment en ce qui concerne les verbes /–
HOM/. Se lever une heure n’est pas complètement hétérogène, la phase finale du verbe se
lever qui est « être debout » ou « être levé » est continue, permettant de rendre le procès
mesurable. Il en est de même avec l’autre procès d’ACHÈVEMENT que Rohrer analyse : fermer
la porte une heure. Quand à l’exemple avec un procès d’ACCOMPLISSEMENT, c’est la phase
centrale du procès qui est continue : traverser le fleuve une heure. Un autre problème est cette
notion d’itération, car si le procès se lever pendant toute sa vie est itératif, il est conçu comme
un procès unique contenant différents sous procès identiques qui ne sont pas comptables, dans
ce cas il n’y a rien de plus homogène ! D’un autre côté, il chante toute la journée est quasi
impossible à se représenter s’il n’est pas compris comme de multiples actions de chanter,
contrairement à dormir une heure. Doit-on dans ce cas considérer que se lever et chanter ont
la même structure aspectuelle et qu’au contraire dormir et chanter ont des propriétés
distinctes ?
Le fait d’attribuer comme seul rôle aux compléments de tester la valeur durative du
procès est trop large. Ces tests ne semblent pas valables car ils transforment la valeur
sémantique du verbe de base. Les principales modifications apportées concernent pour les
verbes d’ACTIVITÉ une possibilité de répétition qui n’est pas mise en relief par le test car les
procès répétés sont considérés comme continus. Ce qui mène à cette interprétation, ce sont
des considérations pragmatiques ou extra-linguistiques qui invitent à une lecture itérative-
continuative. Et, ces considérations dépendent de la nature du procès exprimé par le verbe.
Ceci nous amène à penser que les verbes d’ACTIVITÉ ont potentiellement des bornes
temporelles de fin et de début de procès, qui sont situées dans leur structure intrinsèque.
L’introduction de bornes temporelles externes au procès peut donc entraîner des extensions
différentes du lexème verbal de base en fonction de la structure processuelle qu’il implique.
Cette constatation pose la question de la nature du bornage et de la relation entre les types de
bornes. 147 Cette propriété de mesure ne peut pas permettre de distinguer les types de verbes
sur leur compatibilité ou incompatibilité, puisqu’il peut y avoir continuité ou répétition du
procès dans le cas de verbes d’ACTIVITÉ ou d’ACCOMPLISSEMENT et d’ACHÈVEMENT.
204
statifs qui sont tous uniquement mesurables. D’autres verbes, contrairement aux verbes
d’activité, d’ACCOMPLISSEMENT et d’ACHÈVEMENT, et qui ne sont pas analysés par Rohrer
auront une structure uniquement continuative, c’est le cas de verbes tel que mastiquer, aider,
caresser.
En ce qui concerne les verbes /–HOM/, certains peuvent par contre avoir une lecture
continue, c’est le cas de traverser par exemple, si aucune borne spatiale n’est indiquée. Cette
fois-ci la propriété de mesure dépend de l’étendue spatiale relative à la durée temporelle que
peut mettre un individu pour effectuer le parcours. Enfin, des verbes du type se lever ne sont
pas continus, ils sont fondamentalement itératifs quand ils entrent dans une période temporelle
plus vaste, ou bien c’est la phase résultative du procès qui va être focalisée et dans ce cas, il y
a continuité. Cette fois-ci l’intervalle temporel peut à nouveau être conçu comme une
multiplicité de sous-procès.
Propriété de sous-ensemble
« Si une phrase avec un verbe non-cyclique [ACTIVITÉ ou ÉTAT] est vraie pendant un
intervalle I, alors la phrase est également vraie pendant tout sous-ensemble I’ de I. »
(Rohrer 1980 : 123)
Ou
« Un prédicat P réfère de façon distributive si toute partie de P est toujours dans la
dénotation de P ». (Khallouqi 2003 : 169)
Cette propriété est testée par Rohrer à l’aide du complément « en x temps » et les
périphrases verbales cesser de, arrêter de, continuer à. Il n’utilise plus les mêmes exemples
que précédemment.
Pour Rohrer, cesser de présuppose un intervalle qui mesure la durée d’une action ou
d’un état et comme les verbes d’ACCOMPLISSEMENT et d’ACHÈVEMENT ne peuvent pas être
mesurés, ils sont incompatibles avec cesser de. Nous avons constaté que les verbes
205
hétérogènes pouvaient se plier à la mesure en dilatant une partie de leur sémantisme verbal, ce
que montre le test en + durée.
Dans Il traverse la rivière de 8h à 10h, nous pouvons très bien utiliser cesser de. Pour
Jean se lève une heure aujourd’hui, *Jean cesse de se lever une heure ne fonctionne pas.
*Jean cesse d’ /arrête d’ /continue à / être levé ne fonctionne pas non plus pourtant « être
levé » est un ÉTAT. Enfin les verbes comme rougir, jaunir, bronzer, sont compatibles avec
en+durée et avec cesser de, arrêter de, continuer à. A l’opposé, des verbes comme sursauter,
sont incompatibles avec en+durée et cesser de, arrêter de, continuer de.
Il existe donc trois types d’intervalles, ceux qui sont impliqués par le sens résultatif du
verbe, mais qui existent uniquement à partir de la réalisation du procès, comme par exemple
« traverser l’Atlantique », ils sont constitués de phases distinctes. Ceux qui ne possèdent pas
d’intervalles comme sursauter et tous les verbes SEMELFACTIFS en général, et ceux qui
possèdent un intervalle identique à la phase résultative du procès comme les verbes
d’ACTIVITÉ (courir) et les verbes GRADABLES (bronzer). Dès lors, si nous distinguons trois
types d’intervalles alors que la notion d’homogénéité n’en possède que deux (/+HOM/ et /-
HOM/), elle apparaît à elle seule trop faible pour rendre compte de la structure aspectuelle des
procès.
Ce test permet de distinguer les différents types d’intervalles impliqués par le verbe. Nous
avons deux niveaux d’intervalles, comme le relève Récanati (1999), le macro-intervalle et le
micro-intervalle, le macro-intervalle étant le résultat de la somme de tous les micro-
intervalles.
Propriété d’union
Cette propriété permet de distinguer d’un côté les procès dont le nombre d’actions peut
être comptabilisés et de l’autre les procès constitués de deux actions identiques effectuées à
deux moments différents et qui peuvent être rassemblés sous le même procès. Rohrer
contraste deux types de verbes à l’aide d’une paraphrase logique d’implication :
Si Jean a travaillé une heure le matin et une heure l’après-midi donc Jean a
travaillé deux heures
vs
Si Jean a traversé le fleuve en une heure ce matin et en une demi-heure cette
après-midi donc *Jean a traversé le fleuve en 1 heure 30.
206
Par exemple deux actions de courir séparées par un intervalle de temps où il n’y a pas
« course » peuvent être rassemblées sous le même procès courir. Par opposition deux actions
de poignarder, ne peuvent pas être rassemblés sous la même action poignarder. Cette
propriété se distingue de la première car elle concerne deux intervalles temporels. Cette
propriété est testée pour les prédicats verbaux par Mourelatos (1978 : 204) à l’aide d’un test
de nominalisation et d’un adjectif numéral :
(5) John pushed the cart for hours (« John a poussé le chariot pendant des heures »)
<-> For hours there was pushing of the cart by John (Pendant des heures, il y a eu
poussée d’un chariot par John »)
*He pushes the cart twice for hours (« *Il pousse un chariot deux fois pendant des
heures »)
(6) Jones was painting the Nativity (« Jones était en train de peindre la Nativité »)
<-> There was painting of the Nativity by Jones (« Il y a eu peinture de la Nativité par
Jones »)
D’après Mourelatos, dans les exemples (3) et (4) les événements sont massifs, car il y a
absence d’article indéfini, et les numéraux cardinaux sont impossibles avec ces phrases.
Comme nous l’avons vu, précédemment les tests impliquent une dimension d’orientation
de la lecture choisie (les exemples n’ont d’ailleurs pas tous la même structure). De plus,
certains verbes sont difficiles à nominaliser :
Les exemples de Mourelatos s’appuient sur une analyse prédicative, c’est-à-dire au niveau
de l’événement, et non sur une analyse lexicale. Il ne compare pas la valeur lexicale des noms
à la valeur lexicale des verbes, mais à une valeur temporelle des événements. Rohrer utilise le
même test de nominalisation, en montrant que les noms dérivés de verbes
d’ACCOMPLISSEMENT et d’ACHÈVEMENT peuvent être combinés au pluriel ou à un adjectif
numéral, contrairement aux noms dérivés de verbes d’ACTIVITÉ et d’ÉTAT, c’est le cas par
exemple de : les traversées, deux traversées, *les sommeils, *deux sommeils. Si on rapporte
ces tests aux autres exemples de Rohrer, on peut remarquer qu’ils ne fonctionnent pas :
207
Les Deux
Dormir sommeil * *
Chanter Chant O O
Marcher Marche O O
Danser Danse O O
Se lever ?levée - -
fermer la porte ?fermée - -
Traverser le traversée O O
fleuve
Tableau 37 – Distinction des traits /+HOM/ et /–HOM/ : tests de propriété d’union.
Encore une fois, les tests ne fonctionnent pas lorsqu’ils sont appliqués
systématiquement à tous les verbes. La distinction homogène / hétérogène ne peut pas
s’appliquer aux types de verbes, mais elle concerne le cadre de la qualification temporelle. Il y
a description d’une situation qui est comprise comme contenant différent procès. Cette
propriété d’union paraît superficielle, car dans le cas où X dort trois heures le matin et trois
heures l’après-midi on ne pourra pas dire que X a dormi toute la journée, puisqu’il aura
dormi 6 heures ou 2 fois 3 heures. Tout comme un volcan qui explose en –1256, 89, 1458
aura explosé trois fois ou une fois à trois reprises.
La notion d’homogénéité est donc décrite comme le résultat de trois propriétés. Mais
plutôt que de distinguer les verbes sur des critères de compatibilités nous avons pu montrer
que certains verbes pouvaient être conçu de phases homogènes et de phases hétérogènes.
L’organisation de ces phases et tout l’enjeu des distinctions en langue entre les MDP.
Pour avancer vers notre objectif qui est de tirer les principales caractéristiques
aspectuelles des verbes nous devons rendre compte de l’homogénéité sur la base des
intervalles que ces verbes contiennent ou créent. Nous devons distinguer deux niveaux :
. s’il s’agit de la répétition d’un même procès dans un espace temporel donné, dans ce
cas on analyse la structure quantitative du procès. Nous verrons en détail le problème
de la répétition dans la 6ème partie de ce travail.
. s’il s’agit de l’analyse des composantes du procès, dans ce cas on analyse la structure
interne qualitative du verbe. Dans le cadre de ce type d’homogénéité nous
208
appliquerons la distinction homogène vs hétérogène à l’axe processuel mis en place
précédemment (cf. supra C3-1.2.3), c’est-à-dire aux deux dimensions du processus
actionnel et du processus temporel.
La télicité est liée à deux problèmes distincts. Le premier est formel, il concerne
l’expression de la télicité sur le plan de la langue et du discours. Le second est plus complexe,
il repose sur une opposition entre deux niveaux de conceptions différents de la notion de
télicité qui entraînent une distinction entre la télicité propre au procès et le bornage du procès.
Le fait que la télicité soit le centre de deux problèmes entraîne beaucoup de confusion dans la
compréhension de cette notion et l’analyse des données. La complexité du problème va de
pair avec une profusion terminologique. Depuis que Garey a introduit cette notion dans
l’analyse de l’aspect, un nombre important de travaux a contribué à l'accroissement de la
terminologie utilisée. Dahl (1978) 149 recense douze termes utilisés par les aspectologues pour
parler de cette distinction auxquels on peut ajouter l’opposition télétique vs non-télétique
(Comrie 1989) 150 . Parmi ceux-ci, nous retrouvons des termes redondants et d’autres qui
148
Par structure spatiale on entend structure de l’objet impliqué dans le procès, il peut s’agir aussi bien d’une
route, que d’une pomme.
149
Kinésis/energia, perfective/imperfective, terminative/cursive, résutative/irresultative, non-durative/durative,
ponctuel/non-ponctuel, conclusive/non-conclusive, transformative/non-transformative, cyclique/non-cyclique,
télique/atélique, borné/non-borné, accomplissement/activité, performance/activité, predel’nyj/nepredel’nyj
(russe), grenzbezogen/nicht-grenzbezogen (allemand).
150
Guentchéva (1990 : 32) en mentionne également un grand nombre recensé par Ju. Maslov.
209
marquent des différences notables de point de vue. Dahl met en opposition les approches
slaves et non-slaves. Les approches slaves définissent la télicité comme un point final du
procès réellement atteint, ceci rend compte de l’opposition perfectif (/+TEL/) et imperfectif (/-
TEL/). Tandis que les approches non-slaves définissent la télicité comme un point final
inhérent au procès donc pas forcément atteint. Ce trait permet de rendre compte de
l’opposition aspectuelle entre les classes de procès ACCOMPLISSEMENT (/+TEL/) vs ACTIVITÉ
(/-TEL/) de Vendler. Ces différentes oppositions témoignent des différentes conceptions sur le
type de moyen d’expression de l’aspect et son degré d’application aux formes. Une autre
difficulté terminologique se rapporte aux définitions des différents types de bornes. On
retrouve les concepts de but inhérent, point culminant, point final et point terminal qui
relèvent des deux niveaux de distinction : lexical vs prédicatif, et bornes temporelles vs
bornes aspectuelles.
Dans le point 1.2.4 de ce chapitre, nous avons considéré cette définition de la télicité :
le procès a besoin d’atteindre un point culminant, pour être dit réalisé, au-delà duquel il ne
peut continuer. Dans cette définition nous utilisons le terme procès dans son sens large, sans
statuer sur le rôle lexical ou discursif de la télicité. Nous avons utilisé les notions de point
culminant, de réalisation et de non-continuité. Ces termes impliquent du bornage, mais
également une certaine structuration des intervalles précédant et succédant au bornage
puisque le fait que l’on parle de point culminant de réalisation signifie que l’intervalle du
procès précédant ce point ne constitue un procès en soit réalisé, et le fait que le procès ne
puisse plus continuer signifie que l’intervalle succédant au procès est en rupture avec le
procès exprimé précédemment.
Dans ce point, ce sont ces notions et ces questions qui vont nous intéresser. Nous nous
intéressons particulièrement à cette notion de télicité car ce sont les différentes bornes du
procès et de la qualification temporelle qui sont en jeu. Dans ce point, nous allons donc
revenir sur l’origine de la notion de télicité en montrant que cette notion est plus liée au type
d’intervalle impliquée par le verbe qu’à la nature du bornage. Ensuite, nous définirons les
différents types de bornes et leur lien au différentes phases du procès, en montrant sur quel
niveau de la structure aspectuo-temporelle elles interviennent.
« Puisque aucune des actions qui ont un terme n’est elle-même une fin, mais que toutes se rapportent à
une fin ; qu’ainsi le fait de maigrir ou l’amaigrissement, et les différentes parties du corps elles-mêmes,
quand on les rend maigres, sont en mouvement de cette façon là, c’est-à-dire que ces actes ne sont pas
en vue de quoi le mouvement est ; dans tous ces cas, nous ne sommes pas en présence d’une action ou
du moins d’une action achevée, car ce n’est pas une fin : seul le mouvement dans lequel la fin est
immanente est une action. C’est ainsi qu’en même temps, on voit et on a vu, on conçoit et on a
conçu, on pense et on a pensé ; mais on ne peut pas apprendre et avoir appris, ni guérir et avoir guéri ;
on peut à la fois guérir et avoir bien vécu, être heureux et avoir été heureux. Sans cela, ne faudrait-il pas
210
qu’il y eût des point d’arrêts : on vit et on a vécu. De ces différents processus, il faut appeler, les uns,
mouvements, les autres, actes; car tout mouvement est IMP, comme l’amaigrissement, l’étude, la
marche, la construction : ce sont des mouvements et certes incomplets. On ne peut pas , en effet, en
même temps, marcher et avoir marché, bâtir et avoir bâti, devenir et être devenu, recevoir un
mouvement et l’avoir reçu ; ce n’est pas non plus la même chose que de mouvoir et d’avoir mû.
Mais c’est la même chose qui, en même temps, voit et a vu, pense et a pensé. Un tel processus, je
l’appelle un acte, et l’autre, un mouvement. » (Aristote Métaphysique, 1048B : 17-35)
Pour Aristote la distinction principale relève d’une opposition entre certains verbes qui
expriment une action se dirigeant vers une fin mais ne possédant pas cette fin en soit, ce sont
les verbes de kinesis : « On ne peut pas, en effet, en même temps, marcher et avoir marché,
bâtir et avoir bâti, devenir et être devenu, recevoir un mouvement et l’avoir reçu ; ce n’est pas
non plus la même chose que de mouvoir et d’avoir mû ». Tandis que d’autres verbes ou
prédicats possèdent une fin en soi, toute action est réalisée à chaque moment de son
expression : « C’est ainsi qu’en même temps, on voit et on a vu, on conçoit et on a conçu, on
pense et on a pensé », ce sont les verbes d’energia. Les verbes téliques relèvent de la première
catégorie, c’est-à-dire des verbes de kinesis. À l’opposé se trouvent les verbes d’energia qui
sont donc atéliques. Les deux catégories ne se distinguent pas par le fait qu’elles possèdent
une fin, mais par le type de fin qu’elles impliquent. Les verbes de kinesis impliquent une fin
correspondant à une action distincte du procès initiale, tandis que les verbes d’energia
impliquent une fin comprise dans le temps de déroulement de l’action. Nous pouvons donc
distinguer des procès qui, une fois exprimés, appartiennent au passé ; et d’autres qui
appartiennent au passé une fois qu’ils sont achevés. Cette opposition est mise en relief (dans
la traduction française) par l’utilisation du passé composé qui permet de poser une borne
finale au procès, et surtout un état résultatif cooccurrent avec le moment de l’énonciation.
Sur cette distinction se greffe un problème cette fois-ci formel, sur les éléments
linguistiques qui appartiennent à la catégorie des verbes de kinésis (télique) et à la catégorie
des verbes d’energia (non-télique). Quelles sont les propriétés de la télicité liées au
sémantisme verbal et donc aux caractéristiques lexico-sémantiques du verbe ? et quelles sont
les propriétés de la télicité qui s’occupent des variations aspectuelles et du rôle du contexte
dans le sens aspectuel non plus du verbe mais du prédicat, voir de la phrase (problématiques
discursives) ? Ainsi, les exemples utilisés par Aristote, tels qu’ils sont traduits en français,
relèvent de distinctions lexicales :
Télique Atélique
maigrir (amaigrissement), apprendre, bâtir, Voir, penser, concevoir, être heureux, vivre
recevoir, guérir, marcher, devenir, mouvoir
Tableau 38 – Distinction lexicale des traits /+TEL/ et /–TEL/.
Télique Atélique
courir un 100m Courir
écrire une lettre Écrire
manger une pomme manger des pommes
Tableau 39 – Distinction prédicative des traits /+TEL/ et /–TEL/.
211
Un des objectifs des aspectologues est de résoudre cette instabilité : le passage d’un
lexème non-télique à un prédicat télique et le passage d’un prédicat télique à un prédicat non-
télique s’appuyant sur le même lexème verbal. Dans la plupart des analyses, les auteurs
considèrent que le trait télique doit être attribué au niveau prédicatif. Dans ce cas, les auteurs
considèrent que le type de complément entraîne un changement de catégorie aspectuel. Ce
changement dans le cas de la télicité opère quasiment tout le temps sur les mêmes
catégories puisqu’un verbe d’ACTIVITÉ devient un verbe d’ACCOMPLISSEMENT en fonction du
type de complément. L’utilisation de grandes étiquettes masque en fait la complexité du
problème.
Dans les exemples (1) la borne télique est visible parce qu’elle n’est pas indiquée
comme atteinte. Cela ne signifie pas que le procès désigné dans ces exemples n’ait pas été
réalisé puisque si le fait qu’« il traçait un cercle » n’implique pas qu’« il a tracé un cercle », il
n’implique pas non plus qu’« il n’a pas tracé le cercle » quelques secondes plus tard. Il est
clair que nous avons là un véritable problème de représentation du procès et des interactions
entre des informations temporelles et aspectuelles, puisque les verbes téliques peuvent être
représentés comme des verbes dont le procès est constitué d’éléments différents qui forment
212
une unité à partir du moment où la borne de fin est réalisée. L’actualisation de ces procès
semble donc modifier leur structure.
“A clause is telic if the situation is described as having a natural (Cf (la) and (lb)) or an intended
endpoint (cf. (lc)) which has to be reached for the situation as it is described in the sentence to be
complete and beyond which it cannot continue. Otherwise it is atelic. Examples (la), (lb) and (lc) are
telic, (ld) and (le) are atelic:
A partir des exemples de Depraetere, on peut indiquer qu’un procès peut-être non-
télique et terminatif (2b, 2c, 2d), télique et terminatif (1a, 1b, 1c, 2a), non-télique et non-
terminatif (1d, 1e, 2e) et il peut être télique et non-terminatif (2f), ce dernier cas illustrant « le
paradoxe de l’imperfectif ». L’analyse de ces exemples permet d’illustrer le rôle aspectuel du
type de verbe dans ces distinctions. La télicité dans les exemples (1) est une propriété
213
identifiée à partir du type de verbe lorsqu’il s’agit d’un verbe d’ACHÈVEMENT (exemples a. et
b.), à partir du type de verbe et de son environnement quand il s’agit d’un verbe d’ACTIVITÉ,
notamment l’adverbe délibérément qui marque une intention de l’énonciateur joint au
complément aspectuel (pendant x temps) qui délimite temporellement le procès (exemple c.).
Le complément est dans ce cas obligatoire car la phrase She deliberately swam qui ne possède
pas ce complément, n’est pas bornée. Les situations non-téliques sont illustrées à partir d’un
verbe d’ACTIVITÉ qui n’est pas délimité par un quelconque complément (exemple d.) et d’un
verbe d’état (exemple e.). On peut donc considérer à partir de ces exemples que la télicité est
liée au type de verbe mais également au type de complément du verbe quand il s’agit d’un
verbe d’ACTIVITÉ. Il apparaît clairement que seule cette catégorie de verbe est mise en balance
sur le plan de sa valeur intrinsèquement télique ou non-télique. La télicité telle que définie par
Depraetere ne semble pas liée uniquement au type de verbe.
Le bornage n’est pas non plus uniquement lié à la flexion verbale. Dans les exemples
(2) qu’elle donne, des compléments délimitent temporellement les bornes du procès. Mais
dans l’exemple a., le complément ne fait que marquer la borne télique du verbe
d’ACHÈVEMENT. Dans l’exemple b. le complément est temporel car il est joint à un verbe
d’ACTIVITÉ qui ne possède pas de bornes téliques (ce complément semble donc avoir deux
rôles puisqu’il peux indiquer ici le bornage et dans l’exemple (1c) la télicité). Dans l’exemple
c. le complément marque la borne mais conjointement à la marque de passé de la flexion
verbale, alors que dans l’exemple d., avec le même verbe, seule la flexion verbale indique la
borne temporelle. Les deux exemples qui ne sont pas bornés sont composés d’un verbe
d’ÉTAT au présent (e), et d’un verbe d’ACTIVITÉ borné par un complément au présent continu
(f). Les tiroirs présent et présent continu de l’anglais semblent ne pas borner le procès
temporellement. En ce qui concerne le présent continu, il n’y a pas d’ambiguïté possible mais
concernant le présent, nous pouvons faire remarquer que l’exemple (1a), qui est télique, a la
particularité de marquer une borne discursive si on le combine avec un présent (avec hits par
exemple). Il faut pour cela interpréter la phrase dans le sens de « l’instant où la balle frappe la
cible ». Une autre interprétation est possible si on considère que « la balle frappe
régulièrement la cible », dans ce cas on a une interprétation habituelle stative du procès, liée à
la valeur de non-bornage temporel du présent 151 .
La borne temporelle qui clôt le procès est également appelée dans la littérature
aspectuelle borne « terminative », c’est le terme que nous utiliserons dorénavant. Il y a donc
une opposition entre borne télique inhérente au procès et extralinguistique et borne
terminative actualisée en discours. La nature des bornes initiales ne sont pas traitées dans ces
travaux. Kozlowska (1998a) reprend cette distinction entre le bornage et la télicité. Ces bornes
se distinguent sur deux dimensions. La télicité est vue en terme de propriétés virtuelles d’une
éventualité, tandis que le bornage concerne les propriétés actuelles d’une éventualité. D’autre
part, la télicité est une propriété intrinsèque d’une éventualité et le bornage est une propriété
extrinsèque d’une éventualité :
« La télicité est alors une propriété inhérente (intrinsèque) d’une éventualité : une éventualité est par
défaut télique ou non télique. Par contre, le bornage n’est pas une propriété inhérente (c’est une
propriété extrinsèque). » (1998a : 220)
151
Dans certain cas, ce n’est pas une interprétation habituelle, mais une interprétation stative qui correspond à
l’état résultatif du procès d’ACHEVEMENT, comme dans l’exemple : La flèche touche la cible, avec
l’interprétation « la flèche est en contact permanent avec la cible » qui est l’état résultatif de « l’instant où la
flèche a touché la cible ». Ceci montre une distinction importante entre un verbe comme frapper et un verbe
comme toucher.
214
2.2.4 La frontière linguistique entre télicité et bornage
La distinction entre le bornage et la télicité est établie sur le plan conceptuel. Les
auteurs mentionnent que cette opposition relève du niveau de l’éventualité. Kozlowska utilise
le terme éventualité ou énoncé pour parler des deux notions sans contribuer à délimiter ce
qu’est une éventualité ou un énoncé. Ainsi, elle ne fixe pas réellement les éléments formels
sur lesquels repose le bornage et les éléments sur lesquels repose la télicité. La télicité qu’elle
définit comme étant une propriété inhérente et virtuelle d’une éventualité dans ses exemples et
ses explications aurait tendance à être assimilée à l’aspect lexical 152 , mais certaines
éventualités peuvent être ambiguës, elles possèdent la double appartenance ; elle les nomme
[zéro-] télique : Jean a taillé une haie (1998 : 223). L’existence d’un degré [zéro-] télique
semble remettre en cause le caractère inhérent et virtuel à la situation de la télicité, car
l’ambiguïté ne peut être levée qu’en contexte et donc une fois le procès actualisé, à moins
qu’un autre élément vienne fournir une précision sur la virtualité de la (non-)télicité. Cet autre
élément pourrait être un adverbe limitatif, du type complètement : Jean a complètement taillé
une haie. Peut-on encore dans ce cas parler de borne télique inhérente et virtuelle ?
Dans l’analyse de Depraetere, il est parfois difficile de tracer la frontière entre les
éléments qui participent à la télicité et les éléments qui participent au bornage. Nous avons
fait remarquer la double appartenance de « pendant x temps » et l’exemple du tiroir présent
dont la borne actualisée dépend tout autant du type de télicité que du type de bornage. En ce
qui concerne, la délimitation formelle de l’expression de la télicité et la délimitation formelle
du bornage, Depraetere affirme que la télicité tout comme le bornage sont des propriétés de la
phrase et dépendent fondamentalement d’un choix du locuteur. Elle utilise l’exemple de
peindre (non-télique) et peindre un tableau (télique), et elle indique que seul le locuteur
décide ou non de mettre un complément :
For instance, if a child is painting, this situation may be referred to by means of the sentence Susan is
painting a picture (telic) as well as Susan is painting (atelic). From that point of view, (a)telicity
characterizes a description of a situation. As the subject of the clause also affects (a)telicity (e.g.,
changing a singular NP into a plural NP may coincide with a change in (a)telicity), I consider (a)telicity
to be a property of a sentence. The same comment applies to boundedness; it is a matter of choice on the
part of the hearer how he will represent a particular situation. (1995 : 4)
152
Vetters (1996 : 328) : « c’est l’aspect qui concerne les occurrences actuelles des situations, et non pas le
mode d’action ».
215
dire que peindre qui possède un objet est virtuellement télique puisque la fin de l’activité de
peindre peut correspondre à la fin de l’« objet peint » qui est intégré dans la valence du verbe.
L’« objet peint » entraîne une borne actionnelle au procès « peindre ». Mais la borne de
télicité ne correspond pas toujours à la borne d’actualisation. En aucun cas, on ne peut
affirmer que peindre un mur est dans n’importe qu’elle situation télique, puisque
l’actualisation peut entraîner une autre délimitation du procès sans que cette délimitation soit
liée à des bornes temporelles. On peut pour exemplifier, donner ce petit récit de Huck parlant
avec son ami Tom :
Tom est puni et doit repeindre la barrière de la maison en vert. Huck arrive pour
jouer et constate que la barrière est entièrement couverte de peinture verte :
Huck : « T’as fini, on peut y aller maintenant !
Tom : - Non, je dois passer plusieurs couches »
Dans ce cadre, nous pouvons postuler une distinction de quatre types de bornes : les bornes
téliques virtuelles actionnelles ou temporelles qui sont propres au lexème verbal, les bornes
actionnelles actualisées, et les bornes temporelles actualisées.
Nous voyons donc chez Verkuyl, le lien entre la place de l’aspect au niveau des
formes et son calcul compositionnel qui s’oppose à une vision que l’on pourrait dire
immanente de l’aspect, c’est-à-dire qui prend son essence dans le verbe. Verkuyl s’oppose à
Aristote en prenant le parti que l’aspect appartient au domaine de la situation. Un choix en
détermine d’autres. Comme nous l’avons vu pour Verkuyl, le choix du type de forme
exprimant la télicité détermine le type de point final. Mais, ce passage indique un point de
divergence essentiel avec l’approche de Depraetere, puisque pour Verkuyl la borne de
terminativité est posée par le complément d’objet du verbe au contraire de Depraetere pour
216
qui le complément d’objet pose une borne de télicité. Verkuyl dans son analyse trouve non
pertinente la question de l’existence du procès telle qu’elle est posée dans le paradoxe de
l’imperfectif : peut-on dire que manger un morceau de pomme c’est manger une pomme ?
Que écrire une partie de la lettre, c’est écrire une lettre ? Que courir le début du 100m c’est
courir un 100m ? Que construire les fondations d’une maison, c’est construire une maison ?.
Pourtant cette question intéresse directement le type de structure interne du procès. Par
ailleurs, la détermination prédicative du bornage et la notion de terminativité ne permet pas de
distinguer le bornage temporel du bornage de l’action, et cette distinction est importante pour
comprendre certains emplois de l’imparfait itératif (cf. infra C6-1.3.2). Pour François (1989)
la télicité renvoie également à la notion de borne puisqu’il définit le trait télique comme
représentant un procès borné. Il utilise ce trait distinctif des prédications du type : Paul
construit une maison, Le vent arrache les tuiles du toit, Les tuiles s’envolent du toit
contrairement à Paul agrandit sa maison, Paul retient son souffle, Le rocher dévale la
pente,… On retrouve chez François la même analyse de la télicité en terme de bornage que
pour Verkuyl puisqu’il considère également que le MDP est prédicatif. Ces analyses
prédicatives ne distinguent pas les bornes actionnelles des bornes temporelles.
Nous avons distingué deux grands axes déterminant le type de borne d’un procès, la
question des différents types de bornes va au moins se poser sur deux niveaux. Le premier
niveau est celui de la nature de la borne virtuelle (télique), le second niveau est celui de la
nature de la borne actuelle (bornage). En recoupant les deux niveaux on peut également poser
la question de l’interaction entre borne virtuelle et borne actuelle. Autrement dit, on pose la
question de savoir si les bornes sont des bornes de clôture d’un procès, d’interruption, de fin
intrinsèque? Et cela dans les deux dimensions.
Parmi les différents types de bornes, on va considérer tout d’abord les bornes téliques.
Celles-ci sont conçues comme des bornes qui renvoient à une fin intrinsèque au procès au delà
de laquelle le procès ne peut être continué. Depraetere et Kozlowska indiquent plusieurs
scénarios possibles amenant une borne télique. Nous avons traité l’exemple (1c) Sheila
deliberately swam for 2 hours de Depraetere comme si la télicité allait de soi. Dans cette
phrase, c’est la conjonction de l’adverbe d’intention et du complément aspectuel qui permet
une lecture télique. La télicité, donc le but inhérent, est impliquée par l’ « intention » du
locuteur d’effectuer un procès délimité. Ce type de télicité est distinct d’un procès dont le
climax est inhérent au procès comme dans l’exemple (1a) ou (1b). De fait, plusieurs auteurs
distinguent différents types de bornes téliques. Kozlowska (1998a) précise la notion de télicité
en énonçant les différents types de buts inhérents (elle utilise l’expression « point terminal »)
que cette notion implique :
i. un point terminal inhérent à la situation : Max a dessiné un cercle implique une fin
inhérente qui est celle d’avoir dessiné un cercle
ii. un point terminal attendu de la situation : Max est délibérément resté sous une douche
froide pendant 20 minutes implique la fin attendue d’être délibérément resté sous une
douche froide pendant 20 minutes.
iii. Un point terminal naturel de la situation : La pomme est tombée sur le sol ou Max s’est
évanoui.
217
De ces trois types de points on peut faire remarquer que les points i. et iii. semblent ne
se distinguer que par la valeur aspectuelle des verbes puisque le point terminal inhérent i. ne
peut être qu’illustré par des verbes ayant une phase de déroulement qui aboutit à un climax
(classe des ACCOMPLISSEMENTS de Vendler), et le point terminal naturel iii. ne peut être
illustré que par des verbes n’ayant pas de phase de déroulement (classe des ACHÈVEMENTS de
Vendler), car le point naturel se dissocie de l’événement en lui même. On pourrait par
exemple considérer que le point naturel de « grimper la montagne » est « atteindre le
sommet ». C’est dans ce sens que nous comprenons cette distinction. Quand au type de point
ii., il semble analogue à l’exemple de Depraetere et repose sur un critère d’intentionnalité du
locuteur. Mais alors que l’exemple de Depraetere portait sur un verbe d’ACTIVITÉ à
potentialité télique, l’exemple de Kozlowska repose sur un verbe d’ÉTAT ce qui semble
particulièrement incompatible avec la télicité. Cette distinction peut correspondre à la logique
de distinction des bornes sur le plan cognitif, mais en apparence seulement. En fait, l’exemple
de Kozlowska apparaît modal avec un point terminal potentiel mais qui reste lié au temps et
non à la structure de l’événement. Un objectif qui est fixé par un individu reste un procès dont
la réalisation est hypothétique, et la manière dont l’individu arrive à accomplir cet objectif est
complètement dissocié de cette fin. Ce n’est pas le cas du sens de la télicité qui implique un
lien organique entre le but et le procès qui est réalisé par ce but. De plus pour cet exemple, il y
a une grosse ambiguïté sur la portée de délibérément qui peut ne pas inclure pendant 20
minutes. Dans ce cas, c’est uniquement le fait d’être resté sous la douche qui est délibéré et
non la durée. Le complément pendant 20 minutes reste un complément de bornage. Ce qui
amène de toute façon à indiquer que ce n’est pas le but qui est choisi délibérément par le
locuteur, mais la durée du procès, que ce soit dans le cas de l’exemple de Kozlowska ou dans
le cas de l’exemple de Depraetere. Dans ce cadre, nous considérons qu’il ne s’agit plus de
télicité.
Les bornes terminatives qui sont issues de l’interaction entre la télicité et le bornage
peuvent également être différentes. Dahl (1978 : 8) cite trois types de point terminal :
Dans les exemples ii) et iii) la classification sous forme de situation entraîne des
virtualités qui n’appartiennent plus en propre à l’aspect mais à la modalité, puisqu’il y a
projection à partir d’un procès actualisé d’une borne hypothétique au procès.
218
- Confondues: une seule borne
Les bornes internes correspondent à ce que nous avons appelé bornes virtuelles et les
bornes externes correspondent à ce que nous avons appelé bornes actuelles. L’élément
primordial de cette typologie et qui amène une difficulté concernant la distinction de niveau
conceptuel entre le bornage et la télicité est tout d’abord l’opposition entre borne ouvertes et
bornes fermées. Si la notion de borne fermée correspond à la télicité, la notion de borne
ouverte n’entre ni dans cette case ni dans la case du bornage puisque le bornage est
intrinsèque. Cette borne ouverte peut correspondre à la notion de terminativité de Verkuyl,
mais dans ce cas il n’y a pas la possibilité de distinguer les bornes ouvertes et les bornes
fermées. Enfin, le dernier cas, celui de la borne confondue pose problème puisqu’il n’est ni à
mettre sur le plan de la télicité, ni à mettre sur le plan du bornage.
Pour finir, nous considérons que le niveau de distinction du bornage et de la télicité n’est
pas à effectuer sur le plan conceptuel. Nous avons constaté que tout procès actualisé pouvait
être muni de bornes temporelles, mais dans le même temps les procès ont également des
bornes virtuelles qui peuvent être temporelles ou actionnelles. Ces bornes, établies en langues,
ne consistent pas toujours en une borne de point culminant télique et l’opposition télique vs
bornage ne rend pas compte de ces bornes actionnelles non téliques intrinsèques au verbe. Par
ailleurs, la question de la télicité telle que l’a posée Aristote ne consiste pas simplement dans
l’interrogation de la nature des bornes mais elle pose la relation entre la structure interne du
procès et le type de borne.
Nous venons de voir que la télicité peut être distinguée du bornage, ou que la télicité et
le bornage sont deux éléments identiques. Dans ces travaux, l’expression du bornage est
limité au complément aspectuel et aux tiroirs verbaux puisqu’il est considéré uniquement
comme temporel. Nous ajoutons que le bornage peut également être actionnel et reposer sur la
structure spatiale du complément. La question des bornes est double, il existe des bornes
virtuelles et des bornes contextuelles. Les verbes d’état par exemple ont des bornes virtuelles
temporelles qui ne sont pas exprimées en discours mais qui prennent tout leur sens dans
l’interaction entre certaines périphrases verbales ou certains complément temporels qui
saisissent un espace temporel plus large que la durée de ce procès d’état. Par ailleurs, des
bornes temporelles peuvent être actualisées par les autres éléments de la qualification
temporelle. L’actualisation dépend fondamentalement du type de verbe et du sens lexical du
verbe, les bornes et la structure interne du procès seront différentes selon que le verbe
implique une direction spatiale, que l’objet du verbe est délimité dans l’espace, qu’il peut être
transitif ou intransitif, uniquement transitif ou uniquement intransitif.
219
- Le procès possède une borne actionnelle et une borne temporelle, la conjonction de
ces deux bornes entraîne la clôture du procès, mais cette borne clôture un procès qui
n’a pas de relation lexicale métonymique avec le procès antérieur (arriver au sommet),
il s’agit d’une borne de réalisation.
- Le procès possède une borne actionnelle qui n’est pas une borne de clôture, c’est la
borne temporelle qui clôture le procès. Le procès est terminé, mais il peut reprendre et
poursuivre, la structure interne du verbe est homogène sur le plan de sa progression
sur l’axe actionnel (bouger, marcher, lire, …), la borne est terminative.
- Le procès possède une borne actionnelle et la borne temporelle en conjonction avec
cette borne actionnelle peut clôturer le procès et chaque phase du procès entretient un
rapport métonymique avec le procès total. Mais le procès peut continuer et reprendre
sa progression sur les deux axes (bronzer, rouiller). La borne n’est pas télique, ni
terminative, nous l’appellerons borne intermédiaire.
En ce qui concerne les bornes initiales, il y a les bornes de reprise d’un procès, les bornes
actionnelles de début de procès, les bornes initiales de continuité. Pour exemplifier les
différents types de scénario possible. Il existe donc des bornes temporelles, qui sont des
bornes de focalisation sur l’espace temporel disponible du procès. Les bornes temporelles
intrinsèques au lexème verbal, qui sont pour les statifs par exemple des bornes d’épisodicité.
L’élaboration de notre typologie repose donc sur des caractéristiques sémantiques propres
à différents types de verbe. Ces caractéristiques sont liées à la nature de la structure interne du
procès (homogénéité temporelle, homogénéité actionnelle, hétérogénéité actionnelle), à la
nature des bornes du procès (bornes temporelles, bornes actionnelles terminatives, bornes
actionnelles de clôture), et à la nature de la structure externe des procès (résultativité
temporelle ou actionnelle, phase préparatoire actionnelle ou temporelle). Ces éléments ne se
combinent pas mais forment la structure du procès exprimé par le verbe. L’actualisation du
verbe peut entraîner différentes focalisations sur les parties du procès. Dans cette partie, le
terme de « classes de mode de procès » permet de distinguer différentes classes de verbes qui
ont une structure aspectuelle spécifique en langue et des réalisations spécifiques en discours.
220
Desclés (1996) distingue 3 classes d’état sur le plan prédicatif, qui sont toutes les trois
constituées d’un intervalle non-borné et tous les instants de cet intervalle sont équivalentes les
unes aux autres :
« Une situation est un état lorsqu’elle est perçue comme stable, c’est-à-dire lorsque toutes ses phases
sont équivalentes les unes aux autres. Un état est caractérisé par une absence de prise en compte de tout
début ou et de toute fin. Il est alors réalisé à chaque instant d’un intervalle ouvert. »
Les critères de distinction reposent sur la structure de l’intervalle. Le premier cas qu’il
appelle état permanent est valable lorsque l’intervalle de validation couvre tout le référentiel
réalisé et réalisable sur n’importe quel intervalle : La terre est ronde. Le second qu’il appelle
état contingent est différent du premier car il existe certains instants où la situation n’est pas
réalisée : Pierre est malade. Enfin, le dernier qu’il appelle état borné est différent des deux
autres parce que l’intervalle de réalisation du procès est fini : Il était, cet après-midi, à Paris
entre 2 heures et 5 heures. Cette distinction entre trois classes apparaît problématique, tout
d’abord la première classe se distingue de la seconde sur la structure interne de l’intervalle,
mais on ne voit pas pourquoi Pierre ne serait pas malade pendant tout l’intervalle temporel où
ce dernier est malade. Si la distinction est une question de bornage, cela signifie que la
première est impossible à borner tandis que la seconde est bornable et cela paraît difficilement
envisageable. Par exemple, la terre est ronde depuis Galilée, est bien borné à gauche et si la
terre n’est plus ronde après une nouvelle avancée de la science en 2046, et bien elle sera
bornée à droite également, on pourra dire : La Terre était ronde entre Galilée et 2046. Ceci
pour avancer le fait que ce qui permet de délimiter ou de borner le procès est toujours un
élément extérieur au procès, que ce soit un autre procès ou un adverbe ou circonstanciel
temporel. Le même problème se pose pour la troisième classe.
Dans la distinction de Fuchs (1991), la tripartition n’est pas identique, elle a également
la classe des états permanents, à laquelle elle ajoute celle des propriétés du type Jean est
écrivain. Dans ce cas, la distinction ne nous apparaît pas comme temporelle mais purement
liée a une qualité propre au patient. S’il est vrai que les état permanents ont une durée de vie
plus longue que celle des propriétés dans le temps absolu, les mêmes propriétés temporelles
sur le plan linguistique leur sont attribuées. Il existe tout de même une distinction temporelle
entre les deux cas, sur laquelle nous revenons à la fin de ce paragraphe. Enfin le troisième
type d’état est appelée transitoire : Il fait beau. Cet état est également distingué des autres par
sa relation au temps absolu et non par sa structure interne qui reste propre à un verbe d’état et
à la définition qu’en a donné Vendler. Martin 1981, distingue également deux classes de
verbes d’état, les premiers sont non-bornés et les seconds sont bornés, il utilise respectivement
les exemples je suis à Paris et je suis à Paris jusqu’au 15 août. On remarque bien que le
bornage n’est en aucun cas une particularité du prédicat, mais une dimension introduite par un
marqueur extérieur au procès. Cela signifie que les verbes d’état sont bornables, mais pas
qu’ils sont intrinsèquement bornés. Pour distinguer les deux, il faut effectuer une analyse fine
de ce qu’est le bornage, c’est ce que nous verrons dans la partie suivante. Vet, quand il
distingue les verbes d’ÉTAT et les verbes de POSITION, s’appuie également sur un test de
bornage. Alors que les seconds peuvent être délimités dans le temps Jean est allongé dans le
sofa de 8h à 9h, les premiers ne le pourraient pas ?Jean a les yeux bleus de 8h à 9h. Son
exemple est clair, mais il demande à être expliqué. Il utilise pour cette distinction le trait
/±occasionnel/. Ce trait signifie que certains verbes d’états ont une durée limitée dans le
temps, tandis que d’autres sont à priori illimités. Cette propriété se rapproche de l’exemple
que Récanati et Récanati rapportent : Pierre porte un pull, et qu’il traite en utilisant le critère
d’épisodicité (Cf supra C3-2.3.2). Cette distinction s’oppose à un critère essentiel de la
stativité qui est que le procès en lui-même ne peut pas être conçu comme impliquant des
221
bornes, et il repose sur un facteur lié à la temporalité individuelle qui permet de distinguer
deux types de verbes en fonction de la durée que les individus leur attribuent. Dans l’exemple
?Jean a les yeux les bleus de 8h à 9h, c’est un facteur pragmatique qui vient bloquer cette
interprétation, on ne peut pas à priori changer la couleurs des yeux régulièrement 153 . La
première valeur stative n’est donc liée qu’à un facteur pragmatique et pas proprement
temporel. On peut donc considérer que certains verbes d’états possèdent des bornes
temporelles de début et de fin intrinsèques, ces verbes ont la propriété d’être épisodiques.
Nous pouvons ajouter que les procès d’état possèdent des bornes temporelles
impliquées. Nous pouvons par ailleurs, montrer une autre particularité des verbes d’états dans
la distinction de Desclés entre La terre est ronde et Pierre est malade. Le premier est
incompatible avec « être en train de » : *La terre est en train d’être ronde, tandis que le
second est parfaitement compatible avec cette périphrase verbale : Pierre est en train d’être
malade. Cette distinction montre que la structure du procès est différente dans les deux cas
puisque le second possède une phase préparatoire à l’état « être malade » ce que n’a pas le
premier cas. Cette distinction peut amener à opposer les procès statifs qui sont qualifiés de
propriété, tandis que les seconds peuvent être qualifiés d’« états transformatifs ». Mais la
particularité de posséder une phase préparatoire n’appartient pas à la catégorie que Fuchs
appelle les propriétés qui n’admettent pas une phase préparatoire : ?Jean est en train d’être
écrivain, ou ?Michel est en train d’être linguistique 154 . Ceci signifie que la deuxième
catégorie de verbe d’état possède une borne de début de procès intrinsèque mais qui n’est
présentée que par des éléments externes au verbe.
Ainsi, nous distinguons donc deux types de procès d’état. Le premier type présente le
critère d’identité du procès dans toutes les phases temporelles qu’il occupe, cette temporalité
ou durée du procès statif est liée à la progression temporelle. Ce procès peut être borné, mais
les bornes dépendent de paramètres externes au procès lui-même et elles doivent être
explicitées dans le contexte pour être apparente. Les bornes ne sont que virtuelles c’est-à-dire
qu’elles ne sont pas exprimée mais impliquée par le sens du verbe, tout comme la borne
initiale qui doit forcément avoir eu lieu pour donner naissance à un procès d’état. Nous
représentons donc la progression par une ligne continue, marquée par la flèche du temps
repoussant la borne virtuelle finale. Les deux bornes virtuelles marquent des intervalles
ouverts. Le second type de procès d’état que nous appelons état transformatif est identique au
premier, hormis qu’il possède une phase préparatoire au procès qui peut être activée en
contexte. La phase préparatoire est rendue par les pointillés. On peut signaler un nombre
important de verbes statifs : concerner, paraître, constituer, aimer, craindre, se dévouer,
mériter.
Un verbe comme détester a une structure interne qui dépend uniquement du processus
temporel et les bornes de début et de fin du procès sont déterminées uniquement par des
compléments qualitatifs qui se posent sur l’axe de dynamisme temporel. On peut parler dans
ce cadre de bornage externe qualitatif. Étant donné que le bornage est externe, il n’est pas
obligatoire. Le type de complément d’objet ne joue alors aucun rôle sur la délimitation en
discours du procès. L’exemple ci-dessous contracte deux procès détester, le premier n’est pas
délimité temporellement, et le second est borné à gauche et à droite par un complément
temporel.
153
On peut rétablir la valeur itérative où Jean a les yeux bleus de 8h à 9h s’il met des lentilles de contact de
couleur bleue régulièrement.
154
Contrairement à Jean est en train de devenir écrivain qui est un procès précédant « être écrivain ».
222
(1) brusquement. évidemment, je déteste l'idée que... Il est doué au moins ? - Il ne s'agit pas de dons
de cette sorte, dit-elle. Il m'aime. » Elle le vit se détendre un peu et le détesta une seconde. Il se
rassurait : tout cela était une crise sentimentale, il restait, lui, l'amant, le vrai, le mâle. « Quoique
évidemment, ajouta-t-elle, je ne peux pas dire (SAGAN.F/AIMEZ-VOUS BRAHMS./1959Pages 94-
95 / CHAPITRE XIII)
0 temps 0 temps
Sur ce schéma, le trait grassé part du point 0, qui est l’engagement du processus, et
s’étend uniquement le long de l’axe temporel jusqu’à la borne temporelle qui n’est pas
délimitée sur la figure 1., elle est représentée en pointillés, et qui est marquée sur la figure 2.
par le complément une seconde.
Les satellites des procès d’ÉTAT, puisqu’ils peuvent être compatibles avec la
périphrase aspectuelle contextuelle « être en train » en entraînant l’effet de sens « être en voie
de », peuvent être muni pour ceux que nous avons appelé état transformatif, d’une phase
préparatoire au procès. Cette phase préparatoire est distincte du procès et prépare au point de
départ du procès situé à l’interaction des axes « action » et « temps ». La phase résultative du
procès est également un état qui contraste avec l’état exprimé par le verbe, mais il s’agit d’un
autre procès qui est marqué, soit à l’aide d’une borne temporelle posée sur le procès (la phase
résultative du fait qu’ « il le détesta une seconde » est « il ne le déteste plus »), soit par un
autre procès. En l’absence de ces indicateurs contextuels, un procès d’état n’exprime aucune
information relative à ses satellites.
Les verbes d’activité ont la particularité de posséder des bornes virtuelles qui peuvent
être exprimées en modifiant la structure argumentale du verbe, de plus le sens lexical de ces
verbes implique l’épisodicité comme nous l’avons fait remarquer pour le verbe chanter par
exemple. La structure d’un verbe d’activité est donc composée de bornes actionnelles
virtuelles de début et de fin. La seule différence entre les procès d’activité et d’état concerne
la structure interne du procès qui n’est pas fonction d’une progression temporelle, mais
fonction d’une progression actionnelle. Ainsi, l’intervalle des verbes d’activité est constitué
de sous-procès identiques au procès global, la borne finale des procès d’activité est donc un
de ces sous-procès. Cette borne est fixée par le contexte de deux manière : soit elle est fixée
par un complément aspectuo-temporel du type « de x temps à x temps » ou « pendant x
temps », et dans ce cas le bornage externe est temporel et il est conjoint à un bornage interne
actionnel. On a alors une borne terminative. Soit, la borne est fixée par un complément
d’objet spatial, dans ce cas la borne est actionnelle et télique.
Les verbes d’ACTIVITÉ sont également composés d’un dynamisme actionnel et d’un
dynamisme temporel. Des bornes temporelles peuvent donc délimiter le procès, mais des
155
Les représentations des MDP sont basées sur la structure temporelle des procès que nous avons présentée
dans le chapitre 3 (Cf. supra C3-1.2.3).
223
bornes actionnelles peuvent intervenir ce qui est le cas lorsque le SN objet structure un espace
(limité). Le processus actionnel est donc délimité par l’objet du verbe. Là encore les bornes
sont externes (non obligatoires), elle peuvent être temporelles mais surtout actionnelles. Le
complément « en x temps » déclenche la borne actionnelle. Le complément pendant x temps
déclenche uniquement la borne temporelle.
Fig.2 – activité non borné fig.3 – activité bornage actionnel fig. 4 – activité et bornage temporel
Au niveau des verbes d’ACTIVITÉ, nous avons pu remarquer que Vet distinguait 5 types
de verbes. Parmi ceux-ci une classe importante, est celle qui repose sur des verbes qui ne
contiennent pas dans leur structure des bornes virtuelles actualisables par un complément.
Verkuyl (2004) fait également part de ces types de verbes, les verbes que ces deux auteurs
mentionnent sont bouger (dans le sens de « remuer ») et mastiquer. Étant donné que la
valence verbal n’a pas le même rôle sur les deux types de verbes nous distinguerons ces deux
classes, nous pensons qu’il est donc nécessaire d’effectuer une distinction entre les verbes
caresser (ACTIVITÉ 2) vs lire (ACTIVITÉ 1), bouger (ACTIVITÉ 2) vs manger (ACTIVITÉ 1). Les
verbes d’activité 2 qui se déroulent sur l’axe actionnel et temporel n’ont donc pas de bornes
actionnelles. Leur bornage est uniquement temporel, on peut citer comme type de verbes
bouger, mastiquer, sonder, aider, cajoler, imaginer, parler.
224
Mastiquer son chewing-gum Mastiquer son chewing-gum pendant deux heures
action action
0 temps 0 temps
Sur ce schéma la ligne grassée part du point 0, qui est l’engagement du procès et s’étend
de manière homogène puisque rien ne vient borner le processus actionnel, la structure spatiale
est homogène. La progression sur l’axe du processus actionnel est semblable à la progression
sur l’axe du processus temporel. La borne temporelle marquée par le complément « pendant x
temps » vient poser une borne de clôture qui est virtuellement une borne d’interruption.
Enfin une dernière catégorie, concerne les verbes MULTIPLICATIFS de Karolak qui
concentrent un procès semelfactif itéré. Les verbes MULTIPLICATIFS ont une structure
dépendante du processus temporel et du processus actionnel. Les bornes de début ou de fin
sont uniquement déterminées par des compléments qualitatifs qui agissent sur le processus
temporel. On parle également dans ce cadre de bornage externe, il n’est pas obligatoire. Cette
catégorie concerne la quantification temporelle, mais le quantifieur est intégré au sens lexical
du verbe. Il s’agit des verbes du type : aboyer, tousser, sautiller, tirailler, feuilleter, clignoter,
La structure des accomplissements est télique, mais au sein de ces verbes nous devons
distinguer, les gradables et ceux qui sont intrinsèquement téliques (verbes complexes). En
effet, la valeur de vérité de certains verbes varie en fonction du but atteint ou non-atteint. Si
« quelqu’un trace un cercle » et qu’il s’arrête en plein milieu, « il n’aura pas tracé de cercle »,
par contre « si quelqu’un bronze » et qu’il s’arrête « il aura bronzé ». Pourtant bronzé
implique également un changement, puisqu’on peut passé de l’« état non-bronzé » à l’« état
bronzé ».
0 temps 0 temps
Fig. 7 – bornage ACCOMPLISSEMENT Fig. 8 – bornage spatiale bi-dimensionnel
ACCOMPLISSEMENT
225
Les verbes GRADABLES fonctionnent sur le double mode processus actionnel et
processus temporel. Là encore, le bornage dépend du processus actionnel mais de manière
intrinsèque car les verbes GRADUELS comportent un « état résultatif » déclenché par la borne
actionnelle intrinsèque. Cet état résultatif appelé aussi satellite du procès par Vet (2002) se
déroule uniquement à l’aide d’un processus temporel. Cet état résultatif contenu dans le sens
du verbe peut être actualisé par un complément temporel « pendant x temps » qui déclenche
un processus progressant sur les deux dimensions actionnelles et temporelles. Les verbes
GRADUELS contrairement aux verbes d’ACCOMPLISSEMENT n’ont pas besoin d’un complément
d’objet spécifique pour marquer la borne actionnelle (rouiller, verdir, rancir, épaissir,
cicatriser, durcir, bronzer)
0 temps 0 temps
Fig. 9 – GRADABLE bornage télique Fig.10 – GRADABLE bornage de clôture
Pour la figure 9, le trait grassé indique la progression du procès bronzé sur l’axe actionnel et
temporelle jusqu’au point de conjonction entre la borne d’action qui est la structure de l’objet
bronzé et la borne temporelle qui est la fin du procès de bronzage. Le procès qui est le passage
d’un objet non-bronzé à un objet bronzé est réalisé par la conjonction de ces deux bornes ce
qui mène à un état résultatif être bronzé indiqué en pointillé qui progresse uniquement
temporellement le long de la borne actionnelle.
Pour la figure 10, le trait grassé débute dès le moment où le procès « être bronzé » est existant
et le procès progresse sur l’axe temporel et actionnel de manière régulière jusqu’à la borne
temporelle.
226
yeux). Les verbes SEMELFACTIFS, deviennent alors des verbes MULTIPLICATIFS 156 . Mais ce
n’est pas le cas de tous les SEMELFACTIFS, un verbe comme exploser par exemple ne pourra
pas être MULTIPLICATIF. Par contre, exploser, tout comme poignarder peuvent être vus comme
une succession de phases, un effet de ralenti sur le processus exploser, et sur le processus
poignarder pourront permettre de voir ces phases, ce n’est pas le cas pour arriver au sommet
dont le procès est réduit au point spatial correspondant « à l’arrivée ».
Il est en train de trouver ses clefs Il trouve ses clefs en 5 minutes. Il trouve ses clefs à 8h
action action action
o
0 temps 0 temps 0 temps
Fig. 11 – ACHÈVEMENT Focalisation Fig. 12 – ACHÈVEMENT Procès Fig. 13 – ACHÈVEMENT Procès
sur la phase préparatoire exprimé avec sa phase préparatoire exprimé sans sa phase
préparatoire
La bombe explose
action
o
0 temps
Fig. 14 – SEMELFACTIF procès exprimé
dans son intégralité
156
Il serait intéressant d’observer dans les langues slaves si un verbe imperfectif MULTIPLICATIF peut être
perfectivé et donner un verbe SEMELFACTIF. Cela signifierait qu’un verbe complexe sémantiquement sous l’effet
de la dérivation deviendrait plus simple sémantiquement.
227
Chapitre 6 – Les marqueurs lexicaux de l’aspectuo-temporalité
Dans les travaux aspectuels, le préfixe RE- est considéré comme véhiculant une valeur
aspectuelle (Martin 1971, Franckel 1989, Wilmet 2003). Les préfixes auxquels on attribue
généralement un sens et un rôle aspectuel sont très peu nombreux. Martin considère qu’il y en
a trois (1971 : 81) : « Trois préfixes français ont pour rôle essentiel de signifier l’aspect : a- et
en-, préfixes de la perfectivité, et re-, préfixe de l’itération ». Pour Wilmet (2003), quatre
préfixes sont aspectuels : re- dé- a- en- (bissent le procès : re- : refaire, redire ; idée de
succession : re- : remplir, rentrer, revenir, ramener, reconduire, refiler ; inversif dé- : dédire,
défaire, dépasser, dépaver, détricoter, dévisser ; retardent l’engendrement irrévocable du
procès (perfectivent le verbe imperfectif non préfixé) : a- et en- : amener, emmener, apporter,
emporter, endormir, s’enfuir, attirer). Mais, dans les démarches aspectuelles, le sens du
préfixe est complètement disjoint de son rôle dérivationnel. Par exemple, Wilmet qui
distingue l’aspect en fonction des différentes formes morphologiques qui l’expriment,
considère simplement que l’aspect véhiculé par RE- est itératif ou répétitif et qu’il va venir
s’ajouter aux autres aspects formels. Ainsi, dans cette perspective il considère que
parallèlement à la concaténation morphologique, il y a additivité des aspects. Dans l’exemple
(1) qu’il donne ci-dessous, se remettre à en tant qu’unité périphrastique aura un aspect
spécifique auquel va s’ajouter l’aspect du préfixe RE- :
(1) Allait-il enfin arrêter de se remettre sans cesse à pleuviner pendant des heures ?
« Se remettre à + inf. » = aspect cursif inchoatif
« Re- » = duplicatif
Le segment RE- se trouve finalement associé aux deux sens aspectuels. Ainsi, cette
forme d’analyse omet les formes de compositionnalité morpho-sémantique entre un lexème-
base 157 et un dérivé. Au procédé morphologique de concaténation sémantique (qui par ailleurs
ne tient pas compte tous les cas d’allomorphie) ne correspond pas un cas d’additivité
sémantique. Boyé et Apothéloz (2005) montrent trois types possibles de compositionnalité
morpho-sémantiques. Dans le premier cas, l’affixe peut être considéré comme un opérateur de
spécification sur la base ouvrant une place d’argument instanciée par la base, c’est le cas du
suffixe –ETTE qui spécifie « petit (x) » donnant par exemple FLÉCHETTE. Dans le second
157
On utilise aussi parfois le terme de simplex.
228
cas, l’affixe peut être un opérateur prédicatif à (n) place portant sur la base et l’une de ces
places est instanciée par la base, c’est le cas par exemple de dérivés dénominaux tel que
ENTARTER dont la structure sémantique est « mettre-dans/sur(x,y,z) », la base TARTE
instanciant l’argument y : « x mettre de la tarte dans/sur z ». Enfin, l’affixe peut agir comme
un opérateur de déplacement de la valeur sémantique du procès exprimé par la base, c’est le
cas par exemple de SONNER qui implique : un agent, un instrument et un objet résultant,
chacun de ces éléments pouvant être muni de la valeur sémantique du procès par
l’intermédiaire d’une dérivation : SONN+EUR, SONN+ETTE, SONN+ERIE. Ainsi, s’il y a
un rôle à attribuer à un affixe, ce rôle ne peut pas être uniquement fonction du sens de cet
affixe, mais il doit reposer sur un principe de compositionnalité entre la base et l’affixe.
158
Concernant la signification de « mode de résolution de conflit » cf. supra C2-3.4.4.
229
temporelles, et déterminer s’il s’agit d’un effet de sens aspectuel dérivé du MDP ou de
l’aspect flexionnel, ou s’il s’agit d’une catégorie à part entière c’est-à-dire d’un type d’aspect
à mettre sur le même niveau que le MDP ou l’aspect flexionnel. L’itérativité est clairement
intégrée comme un élément de la temporalité, mais on peut se demander quelles sont les
raisons de ces classements diversifiés qui entraînent une instabilité de son rôle aspectuo-
temporel. Si la variété des marqueurs en est sûrement la cause, elle ne peut en aucun cas
justifier cette absence de statut car nous avons vu dans le Chapitre 1 que chacune des
catégories aspectuo-temporelles est loin d’être exprimée par des marqueurs identiques.
Pour essayer d’organiser et de spécifier le rôle des marqueurs itératifs, nous pouvons
tout d’abord commencer par indiquer que sur le plan notionnel, l’itération fait partie de la
quantification qui se laisse assez bien catégoriser en tant que concept spécifique distinct de la
localisation et de la qualification temporelle 159 . Ensuite, sur le plan des marqueurs formels,
certains adverbes sont exclusivement véhicules de la quantification. Le lien direct entre forme
et expression apparaît assez clairement pour permettre de réserver une place à part entière à
cette notion dans le système aspectuo-temporel. Il reste donc à organiser l’ensemble des
différents marqueurs dans l’analyse aspectuo-temporelle constituée des valeurs aspectuelles
liées à l’actualisation des procès selon les points de Reichenbach. En effet, l’itération en tant
qu’exprimant une pluralité de procès peut être envisagée d’un point de vue référentiel en
observant l’organisation des différents procès entre eux (la structure du point E) et en
observant la structure du point E par rapport au point R. Pour situer l’itération dans le système
aspectuo-temporel, nous rappelons son statut au sein des trois axes de la temporalité
linguistique. Nous montrerons par ailleurs, à partir de quelques observations notamment sur
le plan de la relation entre tiroirs et quantification et entre prédicats temporels et
quantification, quel est son statut dans le système aspectuo-temporel.
Dans le cadre de ce travail, la notion d’itérativité fait partie de ce que nous avons appelé
la quantification temporelle qui est une facette spécifique des procès. Au sein de la
quantification temporelle, nous avons distingué les marqueurs itératifs et fréquentatifs. La
fréquentativité concerne la répétition aléatoire des procès et l’itération concerne la répétition
précise des procès 160 . Les marqueurs de la quantification sont des opérateurs de pluralité qui
agissent sur un prédicat et à ce titre ils entrent en interaction avec la qualification du procès.
La pluralité de procès implique également une interaction avec la localisation temporelle,
parce que les sous-procès sont situés dans le temps les uns par rapport aux autres, de façon
précise et c’est ce que nous avons appelé itérativité (une marche annuelle) ou de façon
aléatoire ce que nous avons appelé fréquentativité (de fréquentes marches). Le fait qu’il y ait
plusieurs procès pose également la question de leur relation vis-à-vis du moment de
l’énonciation : sont-ils tous situés simultanément dans le passé, le présent, le futur, ou bien
peuvent-ils être considérés à des moments différents par rapport au moment de l’énonciation ?
En d’autres termes, on peut se demander si c’est toute la scène quantitative qui est considérée
comme solidaire ou si les multiples actions sont désolidarisées sur le plan de la localisation
temporelle les unes des autres ? La question peut également être formulée comme suit : y a-t-
il un seul ou plusieurs points E et points R ? La question concerne donc le type de
quantification en relation avec la localisation temporelle.
159
Cf. supra C1-3.2.
160
Cf. supra C1-3.4.1.
230
Les informations qui sont véhiculées par les marqueurs quantificationnels sont en lien
avec la qualification temporelle car ils opèrent sur le procès. Les procès qui possèdent des
marques de quantification sont structurés en sous-procès. Nous avons fait état d’un type de
quantification fréquentative intrinsèquement véhiculé par un lexème verbal. Ce type de
fréquentativité qui touche des verbes comme hachurer (verbes appelés MULTIPLICATIF par
Karolak) est lié à la structure homogène interne du procès. Les sous-procès qui constituent
cette structure ne sont pas mis en relief et un unique procès est perçu. Mais l’information
quantitative est une donnée secondaire. Tous les verbes dans leur structure ne sont pas
constitués de quantitatif, et le quantitatif est lié essentiellement au paramètre durativité de la
qualification temporelle. Ce paramètre nous sert à l’interprétation d’une phrase qui mêle un
verbe SEMELFACTIF et un morphème flexionnel IMP du type :
La phrase est interprétable seulement si l’on considère que Jean est tombé plusieurs fois
dans la rue 161 . La semelfactivité liée à la durativité entraîne ce que nous avons appelé une
« dilatation » du procès.
Dans ce point, nous reviendrons sur la valeur quantificationnelle propre au lexème verbal
et sur celle marquée par la pluralité des compléments du verbe que nous avons déjà discutée
dans les parties précédentes, mais nous allons surtout observer les interactions entre
quantification, tiroirs et MDP.
Sur le plan formel, la répétitivité 162 est marquée essentiellement par les adverbes quand
il s’agit de spécifier le nombre de procès 163 . On peut dire que ces marqueurs lexicalisent cette
notion puisque leur sens est spécifique. Il n’existe pas de marqueurs quantificationnels qui
indiquent à la fois la répétitivité et permettent de situer les procès dans le temps par rapport au
moment de l’énonciation. Cela signifie que les éléments morphologiques qui véhiculent la
quantification et la localisation temporelle sont forcément différents. Par exemple, marcher
fréquemment ou marcher quotidiennement ne donnent aucune information sur la localisation
dans une époque temporelle précise. A l’inverse, les marques flexionnelles et les adverbes
localisateurs ne fonctionnent pas spécifiquement comme des marqueurs d’itération et de
localisation, même si dans certains cas ils permettent une lecture quantificationnelle. Hier/Le
3 juillet, il marchait/a marché/avait marché, demain il marchera, n’impliquent pas qu’il y a
eu plusieurs procès marcher (le 3 juillet, etc.). Mais, il existe de nombreux cas de PRE en
161
Cette interprétation itérative est en concurrence avec un sens aoristique que l’on trouve dans : Cinq minutes
plus tard, il tombait dans la rue. L’intervalle temporel désigné par le complément « Cinq minutes plus tard » est
particulier, car il représente l’intervalle entre un procès antérieur au procès tomber et le procès tomber, du type :
Il but énormément et 5 minutes plus tard, il tombait dans la rue. Il y a ici une sorte de « projection dans le futur
narratif » du procès tomber par rapport au procès boire.
162
Terme que nous utilisons pour englober la fréquentativité et l’itération.
163
D’autres indicateurs, notamment la juxtaposition d’indicateurs de localisation précis expriment cette
répétition, par exemple Il marchera lundi et jeudi.
231
emploi qui sont considérés comme atemporels en raison d’un facteur
quantificationnel exprimé par l’intermédiaire d’un adverbe quantificationnel (jamais, tout le
temps, quelquefois). Dans les exemples ci-dessous le PRE ne bloque pas les interprétations
répétitives, ce qui peut être paraphrasé par « ce qui est vrai au moment de l’énonciation l’était
également à des moments antérieurs ». Ceci aboutit à parler de valeur quantitative habituelle,
nous re-prenons les exemples de Touratier 164 :
(3) C’est une étourdie, elle ne réfléchit jamais (PRE d’habitude ou de répétition
étendue)
(4) Vous murmurez tout le temps autour de mes oreilles, impossibles de lire (PRE
d’habitude ou de répétition étendue)
(5) Il vient quelquefois à l’église le dimanche (PRE d’habitude ou de répétition absolue)
Les tiroirs et les marqueurs de quantification temporels sont donc en interaction et sur
le plan aspectuo-temporel, ils modifient la valeur temporelle même du tiroir. La quantification
est donc un marqueur de temporalité ou plutôt d’atemporalité selon ces analyses. Mais, on
peut rendre compte différemment de cette structure en considérant que l’adverbe de
quantification porte uniquement sur le procès E. Ce qui signifie que pour (1) E équivaut à
« elle réfléchit », ce moment E est concomitant à R, et à S. La seule différence réside donc
dans la structure de ce E qui implique des procès antérieurs « x ne pas réfléchir ». Cette
explication vaut pour les deux autres propositions. L’habitualité présentée dans ces procès
n’est valable qu’en raison de procès antérieurs répétitifs, ou encore : si à un moment x on peut
qualifier le procès y d’habituel, cela signifie que sont survenus plusieurs procès y identiques.
Ce qui est présenté au moment de référence ce n’est pas le procès, mais l’habitualité.
Ainsi, les tiroirs composés ne peuvent être lus dans leur sens accompli, la
représentation E-R,S du PC de Reichenbach qui est liée à cette valeur n’est plus valable. On
comprend dès lors que la fréquentativité est en interaction avec l’aspect et donc la
qualification temporelle. L’ensemble des procès est conçu comme un bloc constitué de
multiples procès, et la valeur accomplie qui est aspectuelle va subir les conséquences de cette
structure du procès E fréquentatif.
Pour les marqueurs itératifs, le problème est un peu différent, car ces marqueurs, ont
certaines propriétés qui s’apparentent à la télicité. En effet, quantifier précisément un nombre
164
Cf. supra C2-3.1.1.
165
C’est-à-dire la simultanéité de l’événement désigné par le verbe, du point de référence et du moment de
l’énonciation.
232
d’occurrences renvoie à un calcul mathématique additionnel, ainsi le nombre qui apparaît
n’est pas une occurrence du procès, ni un ensemble de procès successifs et distincts mais le
résultat de la somme des occurrences de procès. Dans ce cadre en tant que somme ou résultat,
elle se dissocie des autres procès. Au moment d’instanciation R d’un procès itératif, on peut
dire que c’est l’état résultatif final ou la borne finale du procès itératif qui est instanciée. Il en
est de même avec les ACCOMPLISSEMENTS qui sont constitués d’un procès étendu et d’un
résultat final (la borne de télicité). Dans la phrase Il est venu trois fois à la messe, c’est le
résultat « trois », qui est la somme des occurrences d’unités « un » qui est instancié. Il vient
trois fois à la messe indique aux moments E et R le résultat de ces « venus » qui peuvent être
réalisés dans n’importe quelle époque temporelle par la suite. Au moment de l’expression de
la localisation c’est le résultat des procès qui est pointé et non la suite de procès. Il en est de
même pour le futur « Il viendra trois fois à la messe le dimanche. Pour l’instant, il est déjà
venu deux fois, il ne lui reste plus qu’une fois à venir », car ici encore c’est le résultat des
procès qui est pointé dans le futur. Cette perspective dissocie l’observation des procès dans le
temps (1+1+…) de l’observation des procès à un moment du temps (1,2,3,4…). Le PRE
permet et oblige une lecture des procès à un moment du temps, puisqu’il est en concomitance
avec le moment de l’énonciation, mais il ne peut pas couvrir tout l’espace temporel désigné
par un procès itératif.
Dans tous ces exemples, nous avons essayé de montrer que la répétitivité n’était pas
propre à modifier la valeur de vérité temporelle de la phrase, mais qu’elle agissait sur la
structure du procès non pas dans ce qu’il exprime, mais dans ce qu’il implique. Le rapport de
la quantification à la structure aspectuo-temporelle relève donc, pour nous, d’une particularité
liée au mode de procès et à son type de focalisation (actualisation) par le tiroir utilisé.
Des adverbes temporels ou des compléments particuliers peuvent être ambigus, ils
peuvent indiquer la pluralité ou l’unicité des procès. Dans ces cas, nous pouvons signaler que
la quantification n’est pas une valeur propre à ces adverbes. Borillo (1988) en donne quelques
exemples, il s’agit principalement d’adverbiaux de localisation qui peuvent avoir une valeur
itérative lorsqu’il sont associés aux tiroirs PRE et IMP. Les exemples a) montrent que la
lecture itérative n’est pas possible, et les exemples b) montrent qu’elle est possible, mais la
phrase reste ambiguë.
(7a) Ils sont partis dans la soirée et sont revenus ensemble le lendemain. (unicité)
(7b) Ils partent dans la soirée et reviennent ensemble le lendemain. (unicité ou
pluralité)
Il en est de même avec des compléments tels que « pendant x temps » et « depuis x
temps » qui sont généralement duratifs mais qui peuvent également « mesurer l’intervalle
dans lequel la situation s’inscrit en discontinu » (1988 : 153). Les exemples a) ci-dessous
marquent l’unicité du procès et les exemples b) la pluralité de procès :
233
(9a) Il a dormi pendant quelques heures (unicité)
(9b) Il est arrivé en retard pendant plusieurs jours (pluralité)
Ici, on peut remarquer que la distinction entre les deux valeurs duratives et itératives dépend
en partie du type de verbe. La lecture est durative avec des verbes non-bornés intrinsèquement
et itérative avec des verbes intrinsèquement bornés et surtout avec des verbes semelfactifs.
Mais bien souvent, la distinction dépend, outre du type de verbe, de la durée de l’intervalle
marquée par depuis et pendant. La distinction entre les deux niveaux d’expression est donc
également liée à la distinction entre instantanéité et durativité :
Pour exemplifier le problème, nous reprenons les exemples de Gosselin (1996b : 94) :
Dans ces exemples, la répétitivité est la seule interprétation plausible, l’interprétation non
répétitive marquant une valeur aspectuelle imperfective impliquant qu’il n’y a qu’un seul
procès, n’est pas inférable d’où les incompatibilités du type :
234
(13b)*Pierre mangeait en dix minutes, quand je suis arrivé. 166
Dans l’exemple (14), le verbe d’activité est borné par un complément qui n’implique
pas de télicité, l’intervalle temporel reste homogène. Pourtant, la répétitivité est la seule
valeur inférable. La valeur d’unicité n’est pas possible, comme le montre l’exemple (14a). Il
en est de même avec l’exemple statif (14b).
Dans l’exemple (15), les deux interprétations procès unique et répétitif sont plausibles.
L’unicité peut être illustrée par l’exemple (15a) 167 et la répétitivité par l’exemple (15b) :
L’interprétation de répétitivité est due au prédicat « aller au cinéma » télique et au tiroir IMP,
joints à l’adverbe temporel de durée étendue « l’année dernière ». Le MDP aller au cinéma
est télique et il implique deux satellites, au sens de Vet 168 , qui sont « ne pas être au cinéma »
et « être au cinéma ». Le satellite (1) peut être conçu comme la phase préparatoire « se diriger
vers le cinéma » et le satellite (2) est l’état résultatif « être au cinéma ». La répétitivité n’est
pas due uniquement à l’IMP, mais à la structure du MDP qui accepte les deux tests avec « en
x temps » et « pendant x temps », comme l’illustrent les exemples (15c) et (15d) :
235
La répétitivité qui est possible dans les cas précédents ne l’est apparemment pas dans
l’exemple ci-dessous de Ducrot (1983). Le procès est conçu comme unique et ne peut pas être
interprété comme itératif.
Dans l’exemple (16) deux interprétations ou analyses sont possibles. On peut considérer que
la phrase ne se suffit pas à elle-même. Pour être interprétable elle a besoin d’un contexte
étendu avec un point de référence délimité intérieur au procès, ce dernier étant montré comme
non-borné, du type : L’année dernière, ils se mariaient quand Jeanne est née, ou L’année
dernière, ils se mariaient à cette heure-ci. On peut également faire appel à un facteur
pragmatique qui peut rendre cette phrase valide. Il faut alors considérer que pour le locuteur
cet événement a marqué l’année entière par son importance, d’autres exemples de ce type
peuvent fonctionner : L’année dernière/en 2001, les avions détruisaient le World Trade
Center. Pour rendre compte de ce phénomène il apparaît opportun d’utiliser le terme
d’événementialité.
Dans les exemples ci-dessous, le procès est conçu comme étendu sur toute la durée de
l’intervalle temporel :
Il y a dans tous ces exemples une interaction entre l’intervalle de référence marqué par
le complément temporel et le mode de procès impliqué par le verbe et le tiroir. L’interaction
est liée non pas à la valeur localisatrice de l’adverbe, qui est dans tous ces exemples une
époque du passé, mais elle est liée à sa valeur qualitative qui implique un intervalle temporel
délimité ayant une certaine durée. Il en est de même pour la valeur du tiroir, ce n’est pas la
localisation temporelle passée de l’IMP qui implique dans certains cas une valeur répétitive,
mais sa valeur qualitative (aspectuelle) de durée non-bornée.
IMP et itérativité
Cette interférence entre deux valeurs qualitatives ne permet pas tous les types
d’expression de quantification. En effet, on sait que l’IMP est incompatible avec les adverbes
cardinaux et donc avec l’itérativité :
Les adverbiaux cardinaux attribuent aux phrases (19) à (21) une valeur itérative en présentant
un nombre donné d’occurrences particulières de l’action. Comme il s’agit d’occurrences
discrètes (bornées) d’une part, et que d’autre part l’IMP présente le procès de manière non
bornée, ces phrases ne sont pas grammaticales.
236
Par contre, l’IMP est compatible avec les adverbes fréquentatifs qui n’indiquent pas la
cardinalité des occurrences et présentent une évaluation de l’étendue de l’intervalle du
procès :
Nous pouvons donc dire que les phrases où la répétitivité est possible sont fréquentatives et
non itératives. Les phrases à l’IMP contenant des adverbiaux fréquentatifs ne distinguent pas
les occurrences individuelles du procès. Les occurrences individuelles des procès sont
homogénéisées et finalement le fonctionnement aspectuo-temporel de ces phrases répétitives
est identique au sens de (10) et (11), même si le degré de granularité est différent, et elles
aboutissent à une interprétation non pas quantificationnelle mais durative et donc qualitative
du procès. La particularité de cette durativité est quelle implique plusieurs procès.
De ces exemples, il apparaît clairement que la valeur quantitative n’est pas propre à un
tiroir particulier, mais quelle est due à l’interaction des adverbes temporels de localisation,
associés au tiroir et au prédicat dans leurs valeurs qualitatives, c’est-à-dire dans leurs valeurs
d’expression et de délimitation du procès. Les principaux ingrédients construisant une
interprétation répétitive sont donc l’interaction entre aspect prédicatif borné (prédicat
d’accomplissement, prédicat d’activité, prédicat statif borné) et aspect flexionnel non-borné
qui se situe dans un espace temporel délimité.
Le rôle de l’IMP est central dans ces problèmes de répétitivité, l’utilisation de l’IMP en
discours entraîne une lecture d’un procès en cours de déroulement au moment de référence
inclus dans le procès. Le procès ne peut donc être télique ou borné car dans ce cas il est déjà
réalisé. Si nous maintenons les différentes étapes de détermination du sens aspectuo-temporel,
nous devons donc considérer tout d’abord la valeur mode aspectuelle actualisée par le
complément temporel. L’IMP en tant que tiroir localisant le procès dans le passé devrait
pouvoir marquer l’antériorité par rapport au moment de l’énonciation, mais cette particularité
de non-bornage à droite bloque la valeur d’antériorité. Tout bornage du procès implique donc
une valeur contradictoire avec l’instruction de l’IMP qui rend la phrase agrammaticale :
237
me suis lavé ». Pour que l’utilisation de l’IMP soit valide, il faut donc que R soit toujours
conçu comme un intervalle qui se situe au sein de la période du procès. Dès lors que l’on
délimite le procès, R se trouve à son tour lié à cette délimitation et ne paraît donc plus
interprétable ou récupérable, d’où les incompatibilités de (16). Pour que le sens répétitif soit
interprétable, il faut que l’intervalle de localisation soit assez grand pour permettre la
répétitivité du procès, ainsi la phrase Le mois dernier, Noa dormait de deux heures à quatre
heures, permet cette répétitivité, parce que l’intervalle du procès implique un déroulement
unique sur « une journée » et que le mois dernier ouvre un intervalle de « plusieurs jours ».
169
Hormis avec le présent de propriété, du type Je marche signifiant « je suis un marcheur ».
238
avait lieu à une certaine époque à de multiples reprises (Il marchait de 8h à 9h). La répétition
fonctionne avec des adverbiaux qualificationnels et également sans ces adverbiaux en
interaction forte avec des éléments temporels duratifs exprimant des intervalles de localisation
dans lesquels la répétition des procès est possible. Ceci signifie que le MDP est un indicateur
de durée qui peut se lire avec deux bornes, mais il est également un indicateur de localisation
temporelle en tant que moment unique dans un espace temporel. Cette dernière caractéristique
permet des interprétations localistes sans dilatation nécessaire du procès, c'est-à-dire sans
habitualité ou marquage événementiel.
On peut lire deux choses dans l’expression de ces procès répétés, tout d’abord le procès
et ensuite l’histoire de ce procès. En discours un procès n’est pas forcément exprimé dans son
intégralité, mais cela ne remet pas pour autant en cause son existence, d’où la caractéristique
aspectuelle imperfective. On peut exprimer ou rendre visible ou focaliser une partie de ce
procès au moment R, et le reste du procès qui n’est pas exprimé, est impliqué et inféré à partir
de ce point focalisé. Cela implique qu’à un moment t un procès se déroule et qu’un intervalle
t’ englobe plusieurs procès. Le t’ est bien sur l’élément complexe.
Les procès itératifs et fréquentatifs sont valables dans un intervalle temporel. Si nous
essayons de caractériser ces deux types de notions à l’aide des concepts aspectuels perfectifs
et imperfectifs, nous pouvons assez clairement considérer que les procès itératifs sont
perfectifs, dans le sens où l’ensemble des événements est conçu comme borné par le premier
et dernier événement. La valeur de vérité de la phrase change au moment où un autre procès
vient s’ajouter à la suite de procès itérés. Et les procès fréquentatifs sont imperfectifs, car la
valeur de vérité de la phrase ne change pas si d’autres procès viennent s’ajouter
successivement dans un intervalle temporel. Tandis que les procès itératifs fixent les bornes
de leur propre durée, les bornes temporelles des procès fréquentatifs sont fixées par une
délimitation externe.
Dans ce chapitre, nous avons dit que la quantification temporelle était à l’intersection de
la localisation temporelle et de la qualification temporelle. En effet, les expressions
quantifiantes impliquent plusieurs procès identiques ayant lieu à des moments différents et
dans ce cadre, elles localisent ces procès relativement les uns par rapport aux autres, mais
jamais directement ou indirectement par rapport au moment de l’énonciation. La
quantification porte sur E et est repérée par rapport à R. C’est ce mode spécifique de repérage
qui fait de la répétition une valeur propre à une période temporelle unique. Les considérations
239
ci-dessus montrent que la répétition porte sur le procès et qu’elle a donc un lien privilégié
avec l’aspect.
La répétitivité véhiculé par le préfixe RE- est spécifique. Dans un exemple tel que : Il
remarche enfin ! Deux périodes temporelles distinctes sont dissociées. Ces deux périodes ne
sont pas localisées par rapport à R, seul l’élément posé, c’est-à-dire « le fait qu’il puisse
marcher pour la seconde fois » est situé au moment R, le second procès présupposé est
toujours antérieur au premier, il est donc relatif à E. Il en est de même pour un exemple tel
que Il retraverse la route ou Il retraversait la route ou Il remarchera. Le préfixe RE- permet
de faire référence à un procès actuel tout en indiquant l’histoire de ce procès actuel. Un seul
élément verbal exprime un procès posé et un procès présupposé qui sont localisés dans deux
périodes temporelles distinctes. D’un point de vue temporel ce phénomène est rare, puisqu’il
n’est pas possible avec les adverbes fréquentatifs ou itératifs, même lorsqu’ils sont associés à
des tiroirs temporels particuliers. Nous avons signalé dans le chapitre 1 que le préfixe RE- était
itératif par opposition à fréquentatif, parce qu’il concerne deux procès distincts, mais nous
pourrions préciser qu’il concerne deux séries de procès distincts. Notre hypothèse est donc
que le préfixe véhicule deux informations notionnelles différentes, l’une quantitative et l’autre
qualitative. L’information qualitative se situe dans le lien entre les deux procès, elle est
fondamentalement aspectuelle et dépendante du type de MDP des verbes. Cette information
est invisible dans le cadre d’une analyse de l’aspect lexical qui repose sur des tests et un
étiquetage du domaine situationnel ou événementiel.
Notre étude étant avant tout aspectuo-temporelle, nous allons tout d’abord cerner les
différents sens et effets de sens attribués au préfixe en passant rapidement sur les problèmes
de délimitations morphologiques de l’objet d’étude.
240
2.1 Les différentes formes du préfixe RE-.
Ce premier point très court nous permettra de discuter en partie de la distributivité de RE-.
Le préfixe RE- possède trois formes lexicales : re-, ré- et r-. Dans toutes les analyses, ces trois
formes sont considérées comme des allomorphes. Donc, qui dit allomorphe, dit également
règles de distributivité de ces allomorphies. Les allomorphes ont une distribution dépendante
de l’initiale du lexème-base, ré- et r- se trouvent tous les deux devant une base à initiale
vocalique, tandis que re- se trouve devant une base à initiale consonantique. Cette distribution
des allomorphes entraîne une restriction quant aux types de dérivés en RE- puisque tous les
lexèmes ayant ré- devant une consonne sont considérés comme n’étant pas dérivés. Ce qui
permet d’écarter automatiquement récompenser, réconcilier, réconforter, récapituler, réciter,
réclamer, récréer, récrier (se), récurer, réfléchir, réformer, régénérer, régurgiter, réformer,
réjouir, réparer, répartir, répercuter, répéter, répondre, réprimer, résigner, résonner,
rétracter, réviser qui ont tous la particularité de posséder une base morphologiquement
équivalente à un lexème-base 170 . Mais la coexistence de r- et ré- sur les mêmes bases et de re-
qui peut fonctionner devant toutes les bases à initiales vocaliques entraîne de nombreux
doublons qui n’ont pas tous les mêmes effets de sens 171 . La distribution morphologique se
double d’une distribution sémantique. Les allomorphes r- et ré-, qui apparaissent sur les
mêmes bases, peuvent toutes deux avoir un sens itératif, mais seul r- peut avoir un sens
spécifique dit intensif, comme par exemple rabaisser dans le sens « abaisser un peu plus ».
Apothéloz (2005) fait remarquer que les dérivés en re- devant voyelle n’ont qu’une valeur
itérative, tandis que r- et ré- ont une valeur itérative ainsi que une valeur spécifique
annulative en fonction de la base avec lesquels ils se concatènent, comme par exemple
réabaisser/rabaisser le levier signifiant « le levier est à nouveau en bas après qu’il ai été
levé », cette valeur ne peut pas être instanciée avec reabaisser.
Apothéloz propose donc une distinction entre deux préfixes RE-1 et RE-2. Le premier RE-
comprend trois allomorphes, re-, r- et ré- qui se distribuent respectivement en ré- et r- devant
voyelle, et re- devant consonne. Le second RE- se trouve devant voyelle, il est représenté par
re- homonyme du précédent qui produit uniquement une itération. Le dégroupage des unités
permet de bien rendre compte des particularités du sens du préfixe et notamment de mettre en
exergue un préfixe uniquement itératif qui a un rôle très important dans le phénomène de
remotivation et de productivité de ce préfixe.
2.2 Analyse descriptive en discours des effets de sens des lexèmes en RE-, l’empirisme
des anciennes descriptions
L’analyse sémantique des dérivés concourt à l’attribution, dans certains travaux, d’un sens
au préfixe qui appartient en fait au simplex. Certains auteurs relèvent plusieurs sens et dans
tous les cas de multiples effets de sens.
Ainsi, dans les travaux les plus anciens, Dolbec (1988) qui expose les travaux de Meinicke
(1904), montre que celui-ci attribue de multiples effets de sens, qui pour la plupart ne sont pas
à attribuer au préfixe, mais au dérivé, ou bien ne sont pas des effets de sens du préfixe mais
170
Seul rénover, réchauffer, construits qui possèdent une base adjectivale, font exception. Nous verrons le
problème de la distributivité du préfixe en fonction de la catégorie grammaticale du lexème-base dans un point
suivant.
171
Sur ce point ré- ne peut en aucun cas suppléer re- devant consonne ce qui semble être favorable à la
restriction de l’emploi de ré- devant une voyelle.
241
des possibilités de distribution de la structure argumentative autour du dérivé. Le tableau ci-
dessous, que nous avons réalisé à partir du résumé des travaux de Meinicke par Dolbec
(1988 : 192-196) en respectant l’organisation hiérarchique des sens et des effets de sens du
préfixe tels qu’ils sont mentionnés par Dolbec, et en y répertoriant l’ensemble des catégories
et des exemples, donne un aperçu du travail de Meinicke:
Répétition Unique 1. Répétition du même sujet de la Je ne lis déjà plus, madame, je re-lis
phrase
2. Répétition d’un sujet différent Exemple d’ancien français
3. Répétition sur le même objet par Il compta et recompta les écus
le même sujet
4. Répétition sur le même objet par J’attendrai que tu puisses me redire la parole que
un autre sujet la nature t’aura dite
5. Répétition sur un autre objet par Je vais férir x, puis je revais férir y
le même sujet
6. Répétition sur un autre objet par X va férir y, puis z refiert un autre
un autre sujet
7. Contrepartie pour qqch reçu Rémunérer, revenger, revaloir
8. Réciproquement l’un à l’autre Ils se refiancèrent
9. Opposition ou réaction Répudier, remédier, réagir, récrier
10. Rétablissement d’une chose Rebâtir une église
dans un état antérieur
11. Rétablissement d’une chose Récupérer un objet perdu, reconquérir, reperdre
dans une possession antérieure
12. L’entrée dans un autre état Rembellir, rembrunir
13. Sens d’une augmentation Radoucir, raffermir, raffiner, rafraichir, ramollir,
rélargir
14. Renforcement Recouvrir, rechercher, recommander, renfermer
15. Dépourvu de sens Rabougrir, raconter, rafistoler, rassasier, remuer,
renifler, retentir, réjouir, raccourcir, rapetisser,
réconforter, remplir, renverser, répandre, revêtir
Multiple 16. Une phrase remâchée, un chemin rebattu
Changement de 17. Action qui se produit dans le Elle amène des nourrices à Paris, et chaque fois
direction sens contraire d’une direction elle remmène des nourrissons, pour les placer là-
antérieurement prise bas
Passer son temps à repêcher des gens qui se
jettent à l’eau
18. Renvoyant à un moment du Je me reportais aux souvenirs de mon enfance
temps écoulé Je regrette le temps où vous étiez esclave
19. ramenant au fil d’un récit Revenons à nos aventures, remontons aux noces
tragiques de la reine
20. Marque le retour de qqch dans se lever/se rasseoir, se dresser/retomber,
une position antérieure s’ouvrir/se refermer, remettre une jambe cassée
21. Retour d’une chose à un état Retomber dans sa contemplation
antérieur
22. Éloignement d’une chose d’un Rejeter son bonnet, retirer son gant, recracher le
point occupé jusque là venin
23. Transport d’une chose d’un état
Rejeter la faute sur qq’un, repasser à un ami la
à un autre femme dont on ne veut plus
24. Indicateur de la direction selon
Ses cheveux retombaient flottant sur sa cuirasse,
laquelle un événement s’effectue
des favoris rejoints aux moustaches, rabattre,
rapprocher, raccrocher
25. Restriction dans l’espace Un lieu retiré, un recoin,
26. Marque une séparation Il retranche du gouvernement quelques membres
excentriques
27. Re- + verbes signifiants un Reluire, réfléchir, resplendir, refléter, résonner,
phénomène lumineux, sonore ou rebondir
de rebondissement
242
28. Annulation de l’action signifiée Révéler, révoquer
par le verbe simple
29. Événement d’orientation opposé Renfoncer sa douleur, ravaler ses cris
à un autre événement simultané
30. Événement contraire à la Un arbre renversé, remonter son pantalon,
direction naturelle d’une chose relever sa jupe, rebrousser les poils d’un chapeau
31. Une seule partie de l’objet est Retrousser ses manches, relever le bas de son
concernée par un mouvement pantalon
orienté en sens inverse
Tableau 40 – Les différents sens des dérivés en RE- par Meinicke (1904).
Par ailleurs, ce qui est également frappant ce sont dans les exemples, le nombre de
formes litigieuses, qui ne semblent pas être des formes dérivées, mais des unités lexicales à
part entière. On trouve notamment : retrousser (trousser a quasiment le même sens et a
pratiquement complètement disparu 172 ) ; en ce qui concerne renverser, enverser a disparu ;
rebrousser n’a jamais eu de base brousser mais il est formé sur rebours ; révéler est un
emprunt au latin revelare, révoquer est un emprunt au latin dérivé de vocare en diachronie
signifiant « appeler », il n’y a donc pas de lien étymologique entre évoquer et révoquer, de
plus en synchronie il n’y a pas de lien sémantique entre les deux verbes ; regretter l’origine
étymologique de ce terme n’est pas fiable et en synchronie gretter n’existe pas ; réfléchir est
construit en latin sur flectere actuellement fléchir, mais le lien sémantique a disparu en
synchronie ; resplendir est un emprunt au latin respendēre,et il ne possède pas en synchronie
de base lexicale ; refléter est dérivé de reflet, il ne possède pas en synchronie de base lexicale,
répudier et remédier sont des emprunts au latin et n’ont pas de base lexicale non plus en
synchronie (pudier ?, médier ?) ; réagir est construit en latin sur agir, en synchronie agir n’a
pas beaucoup de lien sémantique avec réagir et le sens que Meinicke attribue au préfixe RE-
est en fait le sens lexical du dérivé, rémunérer est un emprunt au latin, il ne possède pas en
synchronie de base lexicale (munérer ?), ravaler ses cris ou ses larmes est une locution
signifiant « masquer sa peine ».
On peut remarquer que certains dérivés entrent dans plusieurs catégories : remonter
son pantalon, remonter dans le temps, les cheveux retombent, retomber dans la
172
Nous avons repris les analyses étymologiques du TLF issues pour la plupart du FEW.
243
contemplation, rejeter son bonnet, rejeter la faute sur quelqu’un. De cette typologie deux sens
importants se dégagent : le sens de répétition et le sens de changement de direction. Ces deux
sens seront discutés dans tous les travaux.
Si cette analyse des différents sens du préfixe sont autant sujettes à caution, c’est parce
qu’elles partent d’une analyse des faits de discours centrée uniquement sur le critère
sémantique sans aucun préalable morphologique, avec l’idée sous-jacente que le préfixe en
RE- implique simplement une mise en relation de deux procès. Cette difficulté entraîne ce que
l’on peut appeler un risque de « surmotivation » par le linguiste du corpus des verbes dérivés
en RE-. L’analyse qui s’appuie sur un sens minimal du préfixe peut favoriser par extension
l’intégration d’effets de sens particuliers à des éléments qui ne sont pas des dérivés. Ce risque
est d’autant plus grand quand on observe un élément comme ce préfixe qui semble véhiculer
une valeur aspectuelle répétitive ou un sens anaphorique qui n’est pas spécifique à la
dérivation mais qui est très présente dans l’ensemble des éléments lexicaux. Ceci entraîne
l’auteur à une catégorisation des verbes dans la classe 27. qui expriment un phénomène
lumineux de réfléchissement, un phénomène d’écho sonore, ou de rebondissement physique.
Le fait de ne pas distinguer l’étude diachronique et l’étude synchronique de ce préfixe peut
contribuer à multiplier des effets de sens qui ne sont pas liés à l’opération dérivationnelle de
RE-.
Malgré tous ces défauts, cette analyse contribue à une première mise en perspective, une
première vision des multiples effets de sens des dérivés en RE- ainsi que des problèmes
rencontrés lors de l’analyse du préfixe.
2.3 Analyse du sens et des effets de sens des dérivés en RE-, analyse structuraliste et
réduction des sens.
Mok dans deux articles (1968 et 1980), propose dans une démarche structuraliste une
analyse de la préfixation en considérant uniquement les dérivés en RE-. Son analyse ne
cherche pas à trouver une homogénéité ou un sens spécifique au préfixe RE-, mais reste dans
la description des sens des dérivés en RE-. Il fixe tout d’abord un cadre théorique lui
permettant de distinguer les dérivés des non-dérivés. Il donne six critères qui permettent de
dire qu’il ne s’agit pas d’un dérivé et qui sont :
(i) le dérivé doit faire système avec d’autres dérivés sur le plan paradigmatique. La
non-satisfaction de ce critère correspond aux cas où le sens du préfixe est spécifique à un
lexème, dans ce sens il n’est pas catégoriel (le sens est décelé après comparaison du sens du
dérivé et du sens du lexème-base) : reconnaître, retarder, recueillir, renier
(ii) le sens du préfixe doit être productif. Les verbes reconduire et rebondir signifient
respectivement dans leur sens courant « accompagner quelqu’un qui s’en va » et « faire un ou
plusieurs bonds après avoir touché un autre corps » (et non « conduire à nouveau » et « bondir
à nouveau »). Cette valeur sémantique correspond selon Mok à des sens du préfixe, mais qui
ne permettent pas en synchronie actuelle de servir à la dérivation de nouveaux lexèmes.
244
(iv) il doit exister une relation sémantique évidente entre le lexème-base et le dérivé, le
sens du dérivé doit être différent du sens du lexème-base. Les lexèmes regarder, redouter,
réagir, réitérer possèdent tous un lexème-base identifiable qui sont garder, douter, agir,
itérer, mais ils ne satisfont pas à un des deux autres critères. Concernant garder qui est très
polysémique et qui peut avoir les sens de « surveiller, protéger », « conserver », « se
soumettre à quelque chose », « se prémunir contre quelque chose », aucun de ces sens n’est en
lien direct avec regarder qui signifie « porter la vue sur quelque chose » ou « considérer avec
attention ». Il en est de même avec douter et redouter. Quant à agir et réagir et itérer et
réitérer, les sens du lexème-base et du dérivé sont identiques.
(v) la relation de sens entre le lexème-base et le dérivé ne doit pas être synonyme. Les
verbes ressentir, recopier sont synonymes ainsi que d’autres du type rentrer, rajouter,
raugmenter. Pour ces derniers Mok signifie que les doublons sémantiques sont parfois liés
aux variations diastratiques ou diaphasiques qui amènent un renforcement inutile. Il considère
que ces verbes ne sont pas dérivés en RE-.
(vi) le préfixe doit respecter la règle de distribution des allomorphes, présentée infra
C6-2.1. Ainsi tous les lexèmes en ré- devant consonne doivent également être éliminés :
récapituler, récompenser, récréer, réfléchir, réformer, réprouver, réparer, répéter, …
Mok distingue ensuite trois valeurs lexicales du préfixe qui reposent sur des descriptions
déjà anciennes du sens du préfixe :
Il pose enfin la question du nombre de préfixes. Il considère qu’il ne peut s’agir de trois
préfixes homonymes, car un même dérivé selon le contexte peut avoir l’un des trois sens ci-
dessous :
i) ii) iii)
Renfermer Enfermer de nouveau Enfermer avec précaution
Resserrer Serrer de nouveau Serrer d’avantage
Repousser Pousser de nouveau Pousser en arrière
Reporter Porter de nouveau Porter à sa place primitive
Tableau 41 – Les trois sens du préfixe et leur distribution au sein d’un même dérivé par Mok (1968)
Mais, il considère que ce critère doit être relativisé, car le critère dominant est celui de
la productivité du préfixe, ainsi que celui de la répartition des allomorphes en fonction de la
valeur lexicale du préfixe. Pour lui, les valeurs lexicales i) et ii) sont productives tandis que
iii) est improductive, et i) et ii) ont les trois variantes, tandis que iii) n’a pas la variante ré-.
Donc il distingue deux RE- :
RE-1 (re-r-/ré-) exprimant la répétition et/ou l’opposition à une action précédente, et productif
RE-2 (re/r-), exprimant l’intensité, et improductif
245
Cette analyse amène à considérer deux dérivés homonymes pour resserrer, le premier
ayant le sens de répétition : il resserre le boulon qui s’était desserré et le second ayant le sens
d’intensité : il resserre le boulon qui n’était pas assez serré. Jalenques critique cette
bipartition qui selon lui entraîne une multiplication de dégroupements homonymiques. Pour
nous, il n’en est rien car le dégroupement des sens du préfixe n’entraîne pas de dégroupement
des unités lexicales, il n’y a donc pas d’homonymie. En reprenant l’analyse de Polguère
(2002 : 42) nous pouvons considérer ces cas comme des lexèmes du même « vocable 173 » et
non comme des homonymes, les deux lexèmes ayant le même lexème-base, leur sens est lié
essentiellement en raison de cette identité commune. D’autre part, si deux sens du dérivé sont
différents, il faut bien marquer cette distinction à un quelconque niveau de langue, et Mok
l’attribue au préfixe.
Dolbec attribue au préfixe une valeur à partir de laquelle tous les effets de sens du
préfixe pourront être déterminés. L’analyse de Dolbec est élaborée dans le cadre de l’analyse
théorique psychomécanique de Guillaume. Cette valeur générale consiste dans le signifié de
puissance du préfixe et les valeurs ou effets de sens du préfixe sont considérés comme des
signifiés d’effets 174 . Le signifié de puissance du préfixe RE- est constitué de trois éléments : un
point de visée v sur un événement x, posé en discours, cet événement x mène à un terme x’
présupposé qui se trouve dans l’antécédence de x :
Point de visée
v
x’ x
x’ x’’ x
173
Un vocable est un regroupements de lexies qui sont associées au même signifiant et qui ont un lien
sémantiques évident entre elles.
174
Cf. Supra C2-3.2. pour la définition de ces termes.
246
Cet exemple indique qu’un procès voir Marie qui correspond à x est instancié. A partir
de ce procès un autre événement x’ présupposé et qui se situe dans l’antériorité de x est visé.
Ce procès est dans cet exemple voir qui est identique à x’. Cette relation d’identité notionnelle
entre le procès présupposé et le procès posé amène à définir la relation de sens entre les deux
procès comme une itération. Mais x’ même s’il entretient un rapport d’identité à x n’est pas x,
il s’agit d’un autre procès « voir Marie ».
Le premier point important sur lequel il insiste dans son analyse est que
l’interprétation des dérivés ne suit pas l’ordre de déroulement naturel des phénomènes car
temporellement le premier procès est x’, mais l’interprétation suit, selon ses termes, un « ordre
de raison selon lequel l’événement invite à remonter à son antécédence » (1988 : 222). Ceci
est important selon lui, car ce rôle spécifique permet de distinguer RE- et à nouveau.
Le second point important concerne la mise en relation par le préfixe RE- de deux
procès distincts. Ceci joue un rôle important dans la relation aspectuelle entre les deux entités
et sur le sens aspectuel du dérivé. Nous avons vu que Gosselin (1996a : 25) utilisait le test
avec l’adverbe encore pour distinguer les prédicats ayant des bornes extrinsèques des
prédicats ayant des bornes intrinsèques. Dans le premier cas, il y a une ambiguïté : le procès
peut être interprété comme duratif ou répétitif, dans le second cas il n’y a pas d’ambiguïté, le
procès ne peut être interprété que comme itératif. Nous rappelons ci-dessous ses exemples :
A partir du signifié de puissance, Dolbec va rendre compte de six différents types d’effets
de sens du préfixe, décrit dans les travaux antérieurs.
i) Le sens itératif illustré par l’exemple Il faut tout lui redire (itération), où (x) => redire
mène à l’événement antérieur présupposé (x’) => dire.
ii) Le sens de rétablissement dans un état antérieur est illustré par l’exemple On songe à
reprivatiser les banques où (x) => reprivatiser mène à l’état résultant (x’) => être privé.
iii) L’effet de sens retour à l’état antérieur est illustré par Tous les assistants lui faisaient
signe de revenir où cette fois-ci c’est « z dans lieu 1 » que l’on retrouve dans x’, c’est-à-
dire un argument spécifique aux verbes spatiaux.
iv) J’entre dans la maison et je ressors tout de suite illustre l’effet de sens « opposition à
l’action précédente » où dans la structure de (x) qui est ressortir, c’est la relation spatiale
« int->ext » qui est l’objet de l’instruction, et (x’) est donc le lexème qui s’oppose à sortir
et qui est donc entrer.
v) L’opposition à l’action précédente repose à peu près sur le même procédé, mis à part
que le lexème est un verbe d’échange et non un verbe spatial, il est illustré par Je cherche
247
à revendre la maison que j’avais achetée à la campagne où x revendre (z a m -> z n’a pas
m) mène à l’interprétation acheter (z n’a pas m).
vi) Enfin, le dernier effet de sens est l’intensité où cette fois-ci le lexème (x) implique une
gradation et c’est cette gradation qui se retrouve dans (x’) avec un degré moindre. On
retrouve cet effet de sens dans l’exemple : Votre visite va resserrer les liens d’amitié entre
nos deux pays.
On peut remarquer que dans tous ces effets de sens x’ n’est pas uniquement le résultat
de l’instruction donnée par le verbe, mais il est également le résultat de l’instruction donnée
par des paramètres sémantiques et lexicaux véhiculés par le verbe. Dans ce cadre, il peut
s’agir d’un argument du verbe, de la phase résultative du verbe quand celui-ci en possède une,
de la structure lexicale du verbe et donc des relations qu’il implique avec d’autres lexèmes. Il
va également étudier les relations entre le sens du préfixe et le sens de la base. Le terme de
base ne renvoie pas forcément au segment morphologique concaténé au préfixe, mais il peut
s’agir de l’élément présupposé (x’) sur le plan du sens du dérivé. Ainsi, le préfixe RE-
s’applique à un événement qui fait référence à un événement antérieur avec lequel il a des
affinités sémantiques mais dont il est différent.
Il explique la première restriction par la spécificité du préfixe RE- qui demande deux
procès différents. Dans le cas des verbes d’état qui sont des situations stables, les deux procès
(x’) et (x) seraient trop similaires pour pouvoir entrer dans le champ d’utilisation du préfixe :
« On peut donc penser que dans le cas des états, l’absence de transformation de l’ordre des choses serait
responsable du fait que le phénomène aurait naturellement tendance à être envisagé en terme de
nouvelle occurrence d’un événement plutôt que d’événement second, parce que conceptuellement
insuffisamment différent du premier. » (1988 : 341)
A contrario, « à nouveau » fonctionne très bien dans les phrases statives (Le directeur
paraît à nouveau fatigué), ce qui lui fait dire que « à nouveau » permet une réplique exacte
d’un procès au contraire de RE-.
La seconde restriction provient du fait que les trois effets de sens mentionnés font
appel à un état résultatif du procès qui se situe au niveau de (x’). Les verbes non téliques ne
possèdent pas de tel état résultatif, ils sont donc forcément de moins bon candidats pour ces
effets de sens.
248
2.4.2 RE- opérateur itératif portant sur les différents constituants de la scène actancielle
Elle s’appuie sur l’article du TLF consacré au préfixe RE- qui recense trois catégories de sens
de dérivés construits en RE- :
(1) Celui-là agite rudement sa jambe pour faire redescendre sur sa botte le pantalon trop
étroit que le frottement d'une jambe voisine a replissé jusqu'au genou (SOULIÉ, Mém.
diable, t. 2, 1837, p. 89).
(2) Si tu avais mis de côté tout l'argent qu'on t'a donné depuis ta naissance, au lieu (...) de
le reprêter inconsidérément à ton père, tu pourrais très bien avoir un petit appartement
(MIOMANDRE, Écrit sur eau, 1908, p. 179)
- le sens de répétition ou de reprise après une interruption, seul ce quatrième sens est
considéré comme purement itératif dans le TLF :
Tout comme Mok, elle ne prend pas en compte les lexèmes qui n’ont pas de lien
morphologique et sémantique clair avec un lexème-base, elle exclut donc des verbes comme
rendre dont la base est non identifiable, et des verbes tels que recueillir, réparer, repriser car
ils n’ont pas de lien sémantique avec leur lexème-base, respectivement cueillir, parer, priser.
Par ailleurs, elle ne prend en compte que les dérivés verbaux. Elle ne prend pas position pour
ou contre une analyse de ces verbes en tant que dérivés en RE-, son principe de restriction des
données n’est pas fondé sur des raisons méthodologiques mais sur la complexité des données.
Elle commence par analyser les dérivés considérés comme itératif par le TLF afin de
déterminer le schéma de fonctionnement de l’itérativité du préfixe. Elle reprend pour cela des
exemples en contexte issus du TLF en distinguant deux séries de verbes : (i) Réinviter,
réopérer, recalculer, (ii) rebriller, recouler, remarcher. Dans la série (i), illustrée par
l’exemple (5), il s’agit d’une itération simple qui peut être paraphrasée par « à nouveau un
autre procès ». Dans (ii), illustrée par l’exemple (6), l’itération est plus complexe car le verbe
recouler implique une reprise et une continuité du procès couler antérieur, ce qu’elle
paraphrase par « à nouveau avec retour à la situation antérieure ». Cette paraphrase entraîne
249
une grande complexité temporelle, car elle implique un effacement de l’espace temporel situé
entre les deux procès, nous préférons dire « à nouveau avec continuité/ou reprise du procès
antérieur ».
En analysant les dérivés qui sont considérés comme itératif dans le TLF, Amiot pose
un schéma en trois temps de l’itération. Le préfixe RE- entraîne une première occurrence du
procès, un événement intermédiaire et une seconde occurrence du procès. Les deux premiers
temps sont présupposés et le second est posé. Elle considère que le préfixe RE- obéit donc
majoritairement à ce schéma qui représente donc le type d’itération spécifique du préfixe. Les
effets de sens du préfixe vont donc être fonction du type de procès présupposé et du lien entre
ce procès et le procès posé. Mais en considérant que tous les dérivés en RE- sont itératifs, ils
respecteront tous ce schéma.
Elle va donc s’attacher à décrire les autres effets de sens, notamment celui de la
réciprocité ou de l’inversion spatiale qui est spécifiquement rendue par des verbes d’échange
du type relancer, réexpédier, redonner qui peuvent tous avoir comme incluant « envoyer »
dans la paraphrase « x envoie y à z, et z reenvoie y à x ». L’exemple (7) qui illustre cet effet
de sens peut être glosé par « à nouveau le procès mais avec changement des actants ». Si elle
relève cet effet de sens c’est parce qu’il y a modification dans l’itération de la scène
processuelle.
Elle donne trois conditions pour que cet effet de sens puisse avoir lieu ; il faut que le verbe
soit de valence trois, que le premier et le troisième argument réfèrent à de l’humain et que le
second argument réfère à une entité concrète. Le fait que toutes ces conditions soient remplies
n’empêche pas l’ambiguïté sur l’itération, dans le cas (7) Jean peut très bien renvoyer la balle
à Marie parce qu’elle ne l’a pas rattrapée la première fois. Il y aurait donc dans ce cas une
itération simple. Le préfixe RE- ne donne pas d’informations sur la prédictibilité de
l’information précédente, les effets de sens ne peuvent donc pas être attribués au préfixe, ce
dernier ne bloque pas de telles situations.
Elle redéfinit également l’effet de sens « retour à un état initial », illustré par des verbes du
type réemmancher, reboutonner. Cet effet de sens doit être distingué de la continuité ou
reprise car il implique dans la situation intermédiaire un événement qui a annulé le procès
antérieur. Cet événement peut être très souvent exprimé par un dérivé en DÉ-. Ainsi l’exemple
(8) implique une première occurrence de boutonnage, une situation intermédiaire aboutissant
à l’état déboutonner et la deuxième situation qui est le boutonnage. Elle paraphrase le sens
itératif de RE- par « à nouveau le procès avec retour à l’état initial ». Mais elle signale que
pour certains verbes tels que reboiser la première situation n’est pas forcément un procès.
Ainsi, reboiser n’implique pas forcément un premier procès boiser, mais un état être boisé.
Ce sens est valable pour les dérivés construits sur un adjectif mais ayant comme lexème-base
un verbe, qui sont tous par ailleurs sur le plan aspectuel des graduels (télique au sens de
250
Karolak). L’élément présupposé est une qualité naturelle (état) rebrunir (« être brun »),
redresser (« être droit ») ou il peut être une qualité acquise salir (« être sale »).
Pour Amiot, les trois sens du TLF sont donc itératifs, puisqu’il y a toujours une
nouvelle occurrence d’un procès antérieur impliqué. Amiot dans son article, donne une grande
importance à la nature de l’élément présupposé par le procès exprimé en RE- – qui peut être
par ailleurs fortement variable pour un même verbe comme nous l’avons fait remarquer – et
elle en tire des implications quant à la nature processuelle ou non du préfixe. Si la
présupposition implique un procès antérieur, RE- est aspectuel, sinon, il ne l’est pas. Dans ce
cadre, elle analyse les dérivés considérés comme ayant le sens de retour à un état antérieur qui
n’impliquent pas dans la première situation présupposée un procès, comme n’étant pas
itératifs au sens aspectuel du terme. Les dérivés qui ont des lexèmes-bases à visée locative tel
que reconduire, ramener, raccompagner, réemmenager, réintroduire et qui sont décrits avec
le sens de mouvement d’inversion ne sont pas eux non plus itératifs au sens aspectuel du
terme. Pour ces derniers, elle signale que la première occurrence de la situation n’est pas un
procès mais un lieu, une localisation de position. Le préfixe agit donc sur la localisation. Dans
l’exemple Paul reconduit Marie à l’école, la première situation présupposée peut être :
« Marie était à l’école ». il n’y a dans ce cadre qu’un seul procès « conduire à l’école ». Le
sens du dérivé peut être paraphrasé ainsi : « à nouveau Marie être à l’école, et cette fois-ci par
l’action de conduire ». Dans ce cas là, il y a également une ambiguïté possible, puisque la
première situation présupposée pouvait être réalisée par une action de conduire, la paraphrase
peut donc être : « à nouveau Marie être à l’école par l’action de conduire » où « à nouveau »
porte sur « Marie être à l’école » et sur l’action de « conduire ». Le même sens se retrouve
dans : Paul repart dans le Sud. Amiot conclut que :
« […] le verbe préfixé par re-, ici partir, n’indique que le moyen, la manière, etc. grâce auxquels la
relation de localisation va pouvoir être établie. » (2002 : 17)
Elle distingue donc un sens principal itératif qu’elle attribue à tous les dérivés, ainsi que cinq
effets de sens différents, qui sont dus au sens aspectuel du lexème-base, à la structure
valancielle du lexème base (valence 3, verbe d’échange qui doit comporter deux agents et une
entité concrète), verbes transitifs qui possèdent un nom dans leur structure, les verbes ayant
un adjectif dans leur structure, les verbes de mouvement à visée locative. Elle fait bien
apparaître que les effets de sens sont liés au lexème-base du dérivé.
251
Dans tous ces exemples Amiot s’efforce de distinguer la relation établie entre les deux
procès, sur le plan des actants et de la réalité de la situation antérieur. Mais souvent, il est très
difficile de restreindre le type de compléments pouvant entrer dans l’antériorité.
2.4.3 RE- opérateur itératif portant sur la base et les paramètres de la base
La notion de foncteur
Apothéloz (2005) restreint le cadre d’analyse du préfixe RE- en partant d’une définition
du rôle de la dérivation et en opposant lexique et construit. Il donne trois conditions à
l’existence des dérivés en RE- : (i) sur les deux plans de la forme et du sens, on doit retrouver
en synchronie au sein du dérivé le lexème-base correspondant à la base ; (ii) on doit
également retrouver le sens de l’opération préfixale, et enfin (iii) entre le lexème-base et le
dérivé, il doit y avoir une relation sémantique d’hyperonymie qui correspond à la nature de
l’opération préfixale sur le lexème-base.
Nous allons commencer par rappeler le rôle qu’il attribue au préfixe RE-. Il ramène les
effets de sens du préfixe à deux classes principales qui sont le « sens itératif » (réopérer =>
« opérer à nouveau », redessiner => « dessiner à nouveau », …) et le « sens annulatif » (
redescendre => descendre après qu’on est monté », recracher => « cracher après avoir
avalé »…). Les paraphrases explicatives du sens utilisées dans les exemples ci-dessus ne
permettent pas d’expliquer le fonctionnement du préfixe. Pour, lui un dérivé est le résultat
d’une relation entre le préfixe et la base, cette relation est associée à une opération sémantique
spécifique. L’élément affixal est la trace matérielle laissée par cette opération. Le préfixe a
donc un rôle d’exposant qui permet de construire une opération sémantique en interaction
avec le lexème-base. Pour déterminer le rôle sémantique du préfixe ainsi que son sens, il faut
se donner les moyens de décrire l’opération sémantique. Il s’appuie pour cela sur la notion de
foncteur lexicale, qui consiste en un objet logique représentant l’opération de factorisation
sémantique entre l’élément affixal et un argument représenté par la base lexicale du dérivé. Le
foncteur qu’il utilise est dérivé de la paraphrase du sens itératif, considéré déjà par Amiot
comme représentant le sens en langue du préfixe RE- : il s’agit de « à nouveau (x) », où (x) est
un argument inféré à partir du lexème-base.
Le foncteur, tout comme le schéma de Amiot, permet de rendre compte de tous les
effets de sens du préfixe RE-. Mais, alors que Amiot posait la question de la nature de
l’élément présupposé, Apothéloz pose la question de la nature du procès itéré. La nature du
procès itéré va dépendre du type d’argument itéré et non de la nature du procès présupposé.
Cette distinction est essentielle, car Amiot comparait des dérivés différents et elle montrait
que ces dérivés, en raison de leurs spécificités, posaient des contraintes spécifiques sur l’effet
de sens de RE-. Mais, elle montrait également que de la nature du procès présupposé dépendait
la nature de l’itération ce qui l’a amenée à conclure que l’itération ne porte pas toujours sur un
procès. Tandis que Apothéloz montre qu’un même dérivé en fonction de son emploi peut
monopoliser plusieurs effets de sens, mais que l’itération est toujours dépendante de la base
sur laquelle porte le foncteur, et que l’itération engage donc toujours un procès. Il n’y a pas de
dissociation entre l’élément présupposé et le lexème-base, mais il y a toujours un lien
sémantique entre ces deux éléments. Pour exemplifier cette distinction, nous pouvons
reprendre l’exemple de reboiser de Amiot :
252
(9) Ils reboisent cette partie de la forêt
Pour Amiot, deux effets de sens sont possibles : soit, l’élément présupposé est un procès
« boiser », qui a subit un « déboisage », il s’agit donc d’un cas d’itérativité qui porte sur le
procès. Soit, l’élément présupposé est l’état « être boisé », il n’y a jamais eu auparavant
d’activité de boisage, il s’agit donc d’un cas d’itérativité portant sur un état antérieur. Dans ce
deuxième cas, elle indique que l’itération ne porte pas sur le procès. Pour Apothéloz, boiser
implique un état résultatif et dans le deuxième effet de sens, l’itération s’effectue sur cet état
résultatif du procès boiser qui est « être boisé ». Bien sûr l’effet de sens (i) est possible ainsi
que d’autres effets de sens en fonction du type d’argument appartenant au lexème-base qui va
être actualisé en contexte. Ci-dessous nous présentons les quatre itérations de RE- :
(10) Il a calculé et recalculé plusieurs fois ce que ce voyage allait lui coûter
(11) Hier je l’ai accompagné à la gare. Aujourd’hui je l’ai re-accompagné.
Apothéloz indique que l’exemple (14), avec réexpédier 175 , offre des possibilités de
modification de l’effet de sens différentes des autres exemples, car la structure argumentale à
deux places du verbe est plus riche. En effet, la répétition peut porter sur le complément
d’objet direct ou sur le complément d’objet indirect, ou sur les deux ensembles. Si la valence
verbale est très importante dans la détermination de l’effet de sens du préfixe, on peut alors
avoir au moins deux autres possibilités qui ne sont pas répertoriées :
Dans le premier cas (14a), l’itération porte sur le procès indépendamment de ses arguments
« à nouveau (expédier) ». Dans le deuxième cas (14b), l’itération porte sur le procès et le
complément 2 « à nouveau (expédier à A) ». Dans le troisième cas (14c), l’itération porte sur
l’ensemble des arguments « à nouveau (expédier X à A) ». L’ajout d’un argument multiplie
les possibilités d’itération sur la structure argumentale. On peut dans ce cas se demander si
dans le processus de répétition en RE-, il n’est pas préférable de se limiter à la description des
possibilités d’itération selon la structure argumentale du procès, plutôt que selon la nature des
arguments. Cette hypothèse permet en outre de délimiter cet effet de sens « itération de
l’événement » uniquement en fonction de la structure du lexème-base. L’exemple (15) ci-
dessous permettrait ainsi d’être expliqué par cet effet de sens, alors que des approches qui
reposeraient uniquement sur la nature de l’élément présupposé auraient beaucoup de difficulté
à l’expliquer. En effet, la structure argumentale de écrire dans l’exemple (15) ci-dessous est
175
Il y a de nombreux synonymes partiels à ce verbe, notamment : retourner, renvoyer,
253
écrire (x, y) où y est impliqué. L’itération porte bien sur un procès antérieur présupposé, mais
avec modification de tous les éléments puisque la situation antérieure est une activité de
parole effectuée par un individu différent avec une forme différente. La seule chose qui est
itérée est « raconter le contenu de l’histoire ». On retrouve donc ici une itération de type ii).
(15) « Le cousin Gaston parlait patois. Un patois que je comprenais parfaitement mais
quand il m’a raconté, là, sur ce formica tout fendillé, le pourquoi des fêlures de mon
père, il s’est appliqué. L’exact de ses mots, ses barbarismes, j’ai presque oublié. J’ai
réécrit. Et, sauf des expressions, des passages que j’ai encore dans l’oreille, j’ai fini
par oublier la chair de cette langue, que Gaston faisait pas semblant, que ses mots
étaient pas l’ombre des choses et des moments inhumains […]. » (Michel Quint,
Effroyables jardins, édition Joëlle Losfeld, 2000 : 26)
Cette catégorie pose à nos yeux deux problèmes, celui de la transitivité et celui de la
continuité. L’opération de préfixation portant sur des verbes intransitifs ou en emploi
intransitif tel que Jean recourt, et qui ne possèdent pas de complément relève-t-elle de (iii) ou
de (i) ? Dans Jean recourt, c’est toute la scène « à nouveau (Jean courir) » qui est itérée, on
peut donc dire que cette itération appartient à (i). Mais, dans le même temps l’itération porte
uniquement sur le sujet de l’action puisqu’il n’y a pas d’argument, on peut donc dire
également que l’itération est de type (iii). Dans l’exemple, de la situation (iii) avec calculer, le
verbe est utilisé dans un emploi intransitif (absolu) où le procès calculer est une propriété du
sujet entraînant un processus aspectuel temporel (MDP ÉTAT avec une valeur inchoative) qui
bloque tout utilisation ou toute implication d’un argument. Mais cet emploi intransitif n’est
pas le seul possible, car si on asserte Michel recalcule, le procès calculer n’est pas une
propriété du sujet mais un processus aspectuel actionnel (MDP ACTIVITÉ), l’agent Michel peut
très bien calculer la même chose qu’auparavant, le locuteur nous informe simplement que
pour lui ce qui est important c’est qu’il soit à nouveau dans la situation de calculer. L’effet de
sens des dérivés en RE- en emploi intransitif sera donc toujours considéré comme (iii). Par
contre, dans l’hypothèse où c’est le type de situation antérieure présupposé qui commande
l’opération de préfixation dans le cas des verbes intransitifs, l’analyse serait de dire que
l’itération est de type (i) puisque dans La calculette recalcule, c’est l’ensemble du procès
antérieur qui est itéré.
Un second problème concerne l’effet de sens décrit par Amiot et qu’elle a appelé
« retour à la situation antérieure ». Cet effet de sens est lié à la structure aspectuelle du dérivé.
Avec les verbes intransitifs d’activité et statifs, l’effet de sens sera toujours celui-ci car quand
« la calculette recalcule » cela signifie qu’elle retrouve l’état de calcul 176 qui s’était
interrompu. Les verbes en emploi intransitifs ont pour particularité aspectuelle de ne pas être
176
Cela signifie que calculer a le sens de « être en mesure de faire des calculs », de la même façon que fumer
peut renvoyer à l’ACTIVITE « fumer » et à l’ETAT de propriété « être fumeur ».
254
délimités par un complément spatial, ils n’ont donc pas, pour la grande majorité, de bornes
exprimées ce qui entraîne un effet de reprise après une interruption 177 .
(iv) itération d’un paramètre du verbe de base, c’est-à-dire de l’état résultatif associé au
lexème-base : « A fait à nouveau l’action dans le but d’être à nouveau dans l’état antérieur » :
Cette quatrième forme d’emploi correspond à l’effet de sens annulatif. Cet emploi annulatif
est restreint à certains lexèmes. On peut remarquer que Apothéloz n’utilise pas l’exemple de
recalculer pour illustrer le sens de (iv), pourtant recalculer peut impliquer un état résultatif
qui est être calculé et dans le cas d’un scénario où « Michel calcule quelque chose et aboutit à
un résultat, mais il perd son résultat et doit à nouveau calculer pour retrouver son résultat
antérieur », on pourrait considérer que le « re-calcul » renvoie à la situation antérieure qui est
l’état résultatif « avoir le résultat du premier calcul ». Cette construction demande au
préalable une itération de type (i) ou (iii), c’est-à-dire au moins sur le même objet. Mais cet
effet de sens n’est pas lisible dans Michel recalcule son addition car comme le souligne
Apothéloz (2007 : 149) la valeur annulative est seconde puisqu’elle présuppose une valeur
itérative. En effet, s’il y a deux opérations de calcul identiques, c’est qu’entre les deux, il y a
eu annulation du premier résultat de calcul. Si on reprend le schéma en trois temps de Amiot,
on peut dire que l’annulativité dans ces cas est restreinte à la relation entre le procès posé et le
procès intermédiaire présupposé. Comme ce procès intermédiaire n’est pas lisible, son statut
est différent du premier procès réellement présupposé. Nous pourrions dire dans ce cas qu’il
n’est pas présupposé mais il reste à en déterminer son rôle.
Le sens annulatif de recalculer est secondaire et il n’est pas lisible, parce que l’état
résultatif présuppose obligatoirement une activité de calcul préalable et l’annulativité est un
retour à un état antérieur. Pour qu’il y ait un véritable sens annulatif, il faut donc que dans la
structure du verbe l’état antérieur puisse être détaché d’un procès le précédant. C’est le cas
des exemples (18) à (20) avec raccompagner, refermer et réexpédier, où l’état antérieur « être
à la gare » ne demande pas une action « d’accompagnement » précédente, « être en bas » ne
demande pas une action de « descendre » précédente, « être fermé » ne demande pas une
action de « fermer » précédente, « être en possession de qqch. » ne demande pas une action d’
« expédier » précédente. Mais à chaque fois, les verbes doivent présupposer un procès
antérieur de « montée », ou un procès antérieur d’« ouverture ».
177
Dowty reprend une analyse de Marchand sur le préfixe RE- de la langue anglaise, ce dernier note que RE- ne se
compose que très rarement en anglais avec des verbes ou dans des emplois intransitifs :
« The prefixe is rare with intransitive or intransitively used verbs … there are no recome*, relie*,
resmoke*, and words like re-arise, rebecome, rego, remeet, respeak have not gained general currency »
(Marchand (1960) cité par Dowty (1979 : 257)).
Ceci parce qu’en anglais le préfixe RE- ne peut pas répéter uniquement le procès exprimé par le verbe, dans de
nombreux cas ce procès n’est d’ailleurs pas répété (sens annulatif du préfixe), mais il entraîne obligatoirement
une répétition de l’objet connecté au procès :
« re- does not express mere repetition of an action ; it connotes the idea of repetition only with actions
connected with an object. And it is with a view to the result of the action performed on an object that re-
is used. » (Marchand (1960) cité par Dowty (1979 : 256)).
Le préfixe RE- français n’est pas du tout aussi contraint.
255
Pour qu’il y ait un sens annulatif, il faut qu’il y ait possibilité d’un retour à un état
antérieur. Mais cette composante d’état antérieur n’est pas suffisante, il faut également qu’il
apparaisse comme « naturel ». Ainsi, recalculer est une activité qui donne lieu à une
transformation n’impliquant pas que l’état antérieur est naturel, mais plutôt que le résultat du
procès est nouveau. Apothéloz formalise cette notion d’état naturel dans l’analyse lexicale
des dérivés en RE- en relation d’antonymie directionnelle (2007). En comparant réteindre et
rallumer, il constate que le dérivé réteindre ne peut pas instancier un sens annulatif, réteindre
implique toujours avant l’état antérieur « être éteint » un procès d’« éteignage »,
contrairement à rallumer dont l’état antérieur « être allumé » n’implique pas une activité d’
« allumage ». L’analyse qu’il fait repose sur la nature des satellites du procès. Les procès ont
un état antérieur et un état résultatif dont l’un peut paraître plus naturel que l’autre. Il appelle
respectivement cet état naturel état primaire tandis que l’autre est appelé état secondaire. En
ce qui concerne refermer, l’état antérieur est « être ouvert », et le résultatif est « être fermé »,
tandis que pour rouvrir l’état antérieur est « être fermé » et l’état résultatif « être ouvert ».
Nous avons vu que l’effet annulatif est possible uniquement avec le verbe rallumer, qui
indique un retour à l’état primaire « être allumé ». En conjuguant ces deux éléments, il déduit
que pour qu’un dérivé en RE- puisse rendre compte d’un effet de sens annulatif, c’est-à-dire un
retour à l’état primaire, cet état primaire doit correspondre à l’état résultatif du lexème-base. Il
appelle les verbes qui ont un état final primaire et qui permettent l’effet de sens annulatif des
verbes centripètes, et les verbes qui ont un état initial primaire et qui ne permettent pas une
valeur annulative des verbes centrifuges.
En observant les données à partir des verbes préfixés en RE- dans le TLF, on se trouve face
à de nombreuses difficultés d’analyses. Par exemple, un verbe comme rentrer a dans le TLF a
21 sens différents (nous ne parlons pas de 21 lexies différentes, ni de 21 vocables, mais de 21
définitions de sens différentes illustrées par des exemples). Les 21 sens impliquent tous,
« entrer à nouveau pour être dans l’état antérieur ». Et il n’y a aucun sens « à nouveau
entrer ». Le verbe revêtir pose problème dans le sens de « pourvoir de vêtements celui qui en
manque », le verbe ne signifie pas « vêtir à nouveau x », mais « faire de tel sorte que
l’individu x soit à nouveau vêtu ». Le sens de revoir dans : « rencontrer quelqu'un avec
régularité dans le cadre d' une relation amoureuse », où voir est l’état naturel. Voir dans le
sens de « Retrouver quelque part ce que l' on avait déjà rencontré ailleurs » retour à un procès
initial avoir vu qqch.
Cette analyse permet de rendre compte de nombreux effets de sens du préfixe qui
peuvent être dus au type d’actualisation, mais également à la structure lexicale du lexème-
base. En outre, elle contribue à une distinction sémantique entre deux effets de sens du préfixe
qui sont l’itérativité et l’annulativité :
« L’opération morphologique marquée par RE- peut ainsi être caractérisée comme construisant : (i) des
verbes centripètes, quand ces verbes sont aptes à lexicaliser une valeur annulative et à entrer dans un
rapport d’antonymie directionnelle (cas de rallumer); (ii) des verbes centrifuges, quand ces verbes ne
peuvent lexicaliser qu’une valeur itérative (cas de réteindre). » (Apothéloz 2007 : 156).
On remarque très bien que les différents effets de sens itératifs des catégories i) à iii) sont
possibles sans restriction, hormis en ce qui concerne le statut valanciel du lexème-base, et que
les lexèmes verbaux ayant une possibilité de sens annulatifs peuvent tous être également
itératifs. Tandis que le sens annulatif est beaucoup plus contraint.
256
L’analyse de Apothéloz distingue donc cinq effets de sens itératifs répertoriés dans le
tableau ci-dessous :
2.5 Bilan
Il ressort de ces analyses que deux étapes sont nécessaires pour décrire et identifier le
rôle de ce préfixe. Tout d’abord, le sens en langue du préfixe et ses effets de sens possibles ne
peuvent s’analyser qu’en tenant compte de la structure complète du lexème-base, dans ses
paramètres valanciels, argumentatifs, et lexicaux. Ce sens en langue qualifié d’itératif met en
relation un élément posé avec un élément présupposé, voire deux éléments présupposés. Mais
ce sens ne doit être mis en relation avec l’élément présupposé que dans une seconde étape,
pour éventuellement déterminer des effets de sens 178 . En effet, le dérivé en RE- signale
qu’antérieurement il y a un procès présupposé, ce qui signifie que c’est à partir de la structure
du procès posé que nous sommes amené à déterminer le sens compositionnel du dérivé, et non
dans l’analyse discursive des procès successifs. Cette analyse discursive n’intervient donc que
dans une seconde étape pour déterminer les effets de sens. Nous avons vu que dans ce cadre
les effets de sens étaient très hétérogènes, puisqu’il peut y avoir répétition d’un procès dont
aucun des paramètres ne correspond exactement à la structure lexicale entière de l’élément
posé. La nature du procès présupposé peut être variable, seul le co(n)texte nous permet d’en
avoir une image réelle, le dérivé ne force aucunement un type d’interprétation, mais il
restreint les possibilités d’effets de sens.
Dans les travaux récents, l’itérativité reste la valeur principale en langue attribuée au
préfixe. Dans de nombreux travaux, le sens de retour en arrière ou d’antériorité est également
utilisé. Nous ne pensons pas que le préfixe marque un retour possible au sens temporel de ce
terme. La personne qui retourne à son point de départ, est à nouveau à son point de départ,
elle n’est pas revenue dans l’état antérieur, elle est à nouveau dans l’état. D’un point de vue
temporel, rien ne s’efface, ne disparaît, les informations sont successives et c’est à partir de
cette successivité que doit se calculer le sens du préfixe en contexte. On voit d’ailleurs bien le
problème entre le « retour à un état antérieur » décrit par Amiot, qui est la continuité après
178
Nous distinguons sens et effets de sens du préfixe. Le sens du préfixe est établi à partir du calcul de
l’interaction entre le préfixe et le lexème-base, ce sens est catégoriel puisque valable pour tous les dérivés en RE-,
mais les spécificités lexicales de chaque base ainsi que la mise en discours contribue à créer des modifications de
ce sens de base, c’est ce que nous appelons effets de sens.
257
interruption d’un état antérieur, et le « retour à un lieu antérieur » qui est être à nouveau à
l’état antérieur. Cette question de la restitution est centrale et entraîne de nombreuses
difficultés d’interprétation, puisque dans la plupart des itérations de l’objet, le procès posé
n’est plus exactement le même que le procès présupposé et de nombreux dérivés on le sens à
nouveau un procès x avec modification de l’objet x.
D’un point de vue aspectuel, pour rendre compte de la distinction entre continuité et
nouveau procès, le MDP du lexème-base apparaît essentiel, notamment dans la distinction
entre procès borné de manière intrinsèque et procès borné de manière extrinsèque. Pour
rendre compte du retour à un lieu antérieur, là encore la nature du MDP va être
prépondérante, puisque cet effet de sens va principalement concerner les procès téliques, et la
nature de leur état résultatif. Enfin, le sens annulatif décrit par Apothéloz semble reposer sur
la nature de l’état résultatif associé au procès, il s’agit une nouvelle fois d’un élément
touchant particulièrement le MDP.
Sur le plan de la délimitation des données, la distinction entre diachronie et synchronie est
essentielle si l’on veut aboutir à une analyse permettant de comprendre le rôle aspectuel du
préfixe dans le cadre de la dérivation. Une analyse qui mêle ces deux plans restera une
analyse lexicale avec des risques de surmotivation du sens des lexèmes. Nous allons aborder
ces problèmes morphologiques dans le point suivant, avant de passer à l’analyse aspectuelle.
L’analyse de la dérivation, c’est avant tout l’analyse d’un dérivé constitué de deux
éléments : (i) une base que l’on retrouve sous la forme d’un lexème-base qui possède un sens
qui se réalise en discours, et (ii) un affixe qui n’a de sens qu’en composition avec le lexème-
base et qui, en discours, n’a pas de sens indépendamment d’un lexème-base. Un affixe
dérivationnel dans ce sens n’est qu’un exposant d’un lexème-base. Ceci implique que le sens
d’un dérivé est le résultat du sens de ses deux composants, ce qui est affirmé dans la
définition de Corbin :
« Un mot construit est un mot dont le sens prédictible est entièrement compositionnel par rapport à la
structure interne, et qui relève de l’application à une catégorie lexicale majeure (base) d’une opération
dérivationnelle (effectuée par une Règle de Construction de Mots associant des opérations catégorielles,
sémantico-syntaxiques et morphologiques). » (1987 : 22)
L’analyse sémantique est donc avant tout une analyse reposant sur la composition d’un
lexème-base et d’un affixe. Le principe de compositionnalité sémantique est nécessaire si on
ne veut pas analyser le sens uniquement lexical d’un item, c’est-à-dire indépendamment de
tout le système dans lequel il s’inscrit. Par système, nous entendons le système de
fonctionnement de la morphologie dérivationnelle sur le plan du langage (production et
compréhension de nouveaux lexèmes), le système des relations paradigmatiques des différents
constituants des unités dérivés. Ce type d’analyse présuppose que la forme d’un lexème
complexe donne des indications sur l’organisation de son contenu sémantique et doit donc
258
respecter le principe de compositionnalité selon lequel la signification du tout est déterminée
par celle de ses parties. L’instruction compositionnelle particulière est liée au préfixe et elle
dépend également de la nature du lexème-base, notamment dans ses propriétés catégorielles
(verbe, nom, adjectif), mais également en fonction de ses propriétés valancielles ou de sa
structure lexicale. A ce titre, il existe plusieurs modes de composition. Dans Apothéloz et
Boyé (2005), les auteurs indiquent trois modes de composition dérivationnelle, tout en
précisant qu’il ne s’agit pas d’une description exhaustive du nombre des possibilités. Le
premier mode de composition intègre par ailleurs le fonctionnement du préfixe RE-. Les
différents types de compositionnalité entraînent dans certains cas des relations lexicales
spécifiques entre le lexème-base et le dérivé (relation d’hyperonymie dans le premier mode de
compositionnalité et de métonymie dans le troisième mode de compositionnalité). Nous avons
repris l’intégralité du passage, sans les notes de bas de page, où ils abordent ces trois modes
de composition :
« – Un premier mode de composition, qu’on observe dans un grand nombre de dérivés, repose sur une
opération de spécification : FLÉCHETTE, JAUNÂTRE, TAPOTER, RECALCULER appartiennent à
ce mode de construction. Dans chacun de ces exemples, l’affixe (–ETTE, –ÂTRE, –OTE, RE–) spécifie
la base et fonctionne, relativement à celle-ci, à la manière d’un prédicat de propriété, autrement dit d’un
prédicat à 1 place d’argument : petit (x), plus-ou-moins (x), un-petit-peu-et-par-intermittences (x), à-
nouveau (x). Cette place est instanciée par la base. Ce rapport entre affixe et base a pour effet que le
dérivé entretient toujours avec sa base une relation d’hyponymie : une fléchette est un genre de flèche,
jaunâtre est une façon d’être jaune, etc. d’où l’importance à accorder à cette dimension. Pour un rapide
aperçu des principales positions sur ce problème, voir par exemple Dal (2003). L’absence d’hyponymie
est alors un indice de non-compositionnalité ou de moindre compositionnalité (comme par exemple
dans CIGARETTE). On ne trouve donc, dans ce mode de composition, que des dérivations
intracatégorielles. Le même mode de construction se rencontre dans certains lexèmes « composés » :
OISEAU-MOUCHE, FUSIL DE CHASSE, par exemple.
– Un deuxième mode de composition est celui où l’affixe fonctionne comme un prédicat à n places (n >
1), l’une de ces places étant instanciée par la base. Exemple : les dérivés dénominaux comme
ENTARTER, ENCOLLER, ENCADRER, EMPRISONNER, etc. Ces verbes impliquent 3 places
d’argument. On peut représenter schématiquement leur structure sémantique comme : mettre-dans/sur
(x, y, z). Étant donné que leur base (respectivement TARTE, COLLE, CADRE, PRISON) peut
instancier soit y soit z, il y a plusieurs façons de composer le sens du dérivé. Ainsi, dans ENTARTER et
ENCOLLER, la base instancie l’argument y, d’où les gloses :
Tandis que dans ENCADRER et EMPRISONNER, la base instancie l’argument z, d’où les gloses :
Mais rien, sur un plan théorique, ne s’oppose à ce que ce soit l’autre des deux solutions qui soit
lexicalisée : par exemple, ENCOLLER pourrait lexicaliser le sens « x mettre y dans/sur de la colle ».
D’où des cas de polysémie, ou de sous-spécification sémantique, comme par exemple ENFUMER : « x
mettre y dans la fumée », ou « x mettre de la fumée dans z ». Les places argumentales non instanciées
par la dérivation sont celles qui demeurent libres pour être ensuite saturées par la syntaxe : x, dans tous
les cas (sujet grammatical) ; et soit y (complément d’objet) soit z (complément prépositionnel).
259
– Un troisième mode de composition peut être illustré par l’exemple suivant. Soit le verbe SONNER.
Son contenu sémantique implique une scène actantielle qui inclut notamment un agent, un instrument
(i.e. un artefact fonctionnel) et un objet résultant. Or, on observe qu’une partie de la morphologie
dérivationnelle sert précisément à déplacer la valeur sémantique de procès caractérisant le verbe sur l’un
de ses actants. Par exemple, on peut construire à partir du verbe SONNER le nom de l’agent
(SONN+EUR), de l’instrument (SONN+ETTE), de l’objet résultant (SONN+ERIE). Une scène
actantielle n’a pas nécessairement à son origine un lexème verbal. Des dérivations comme VIOLON >
VIOLON+ISTE, GANGRÈNE > GANGRÉN+EUX, BANQUE > BANQU+IER, relèvent
fondamentalement de cette même logique actantielle. La dérivation peut être ici aussi bien
intracatégorielle que transcatégorielle. Quand elle est intracatégorielle, le dérivé n’est jamais un
hyponyme de sa base. Au plan sémantique, le transfert opéré relève de la métonymie. On en a une
confirmation dans le fait que la même valeur-cible peut avoir été lexicalisée à la suite d’un processus
purement métonymique, sans trace morphologique d’aucune sorte (comme par exemple dans un
premier violon). En tant que mécanisme de formation de lexèmes, la flexibilité des processus
sémantiques, via les figures, entre donc en concurrence avec certaines opérations proprement
morphologiques. » (2005 : 379-380).
La productivité est une notion qui ne fonctionne principalement qu’en synchronie, elle
comprend plusieurs paramètres. On parle d’un préfixe productif lorsqu’il permet en
synchronie de créer de nouveaux lexèmes. Un préfixe a pu être très productif à une époque
pour un type de construction précis et ne plus l’être actuellement – c’est le cas cité par Dal
(2003 : 4) de –ABLE qui a été productif entre les XIIè et XVIè siècles pour former des adjectifs
à partir de noms de propriété et de sentiment (charitable, effroyable, équitable, pitoyable) –
ou bien il peut être actuellement productif. A titre d’exemple, le préfixe RE- est très productif
actuellement dans le sens « à nouveau », ce qui témoigne de cette forte productivité est
l’absence de la plupart des lexies en RE- dans les dictionnaires. A cet égard, sur internet,
l’Antidico 179 , qui rassemble près de 9000 mots trouvés dans la presse (Le Monde et Le Soir)
et absents des dictionnaires, recense environ 600 mots préfixés par RE-. On peut également
179
http://membres.lycos.fr/antidico/QR.htm
260
citer dans une publicité récente l’exemple de revitellisez-vous construit sur ce modèle. Ceci
signifie que les locuteurs sont pleinement conscients de la nature et du sens du préfixe,
puisqu’ils peuvent créer et comprendre de nouveaux lexèmes non-attestés dans les
dictionnaires. La création de nouveau lexème par dérivation peut se faire sous deux formes,
soit elle est intentionnelle, soit elle est non-intentionnelle, ce sont deux arguments qu’utilise
Mok pour délimiter l’opération préfixale :
« Les emplois non-intentionnels sont ceux au moyen desquels l’usager de la langue poursuit
uniquement un but communicatif, ne cherche qu’à établir une concordance entre lui et son auditeur ou
son lecteur ; les emplois intentionnels, au contraire, sont ceux qui, par le fait même qu’ils dépassent le
cadre de ce qui est accepté par la communauté, visent à produire sur l’auditeur ou le lecteur un effet
spécial. » (1964 : 98)
« la conscience morphologique des locuteurs est éminemment variable, et un mot peut passer inaperçu
chez l’un et être repéré comme nouveau chez l’autre (même quand il est installé de longue date dans le
lexique attesté) » (Dal 2003 : 7).
Par ailleurs une autre particularité de la dérivation qui concerne toujours la productivité
peut être attribuée au préfixe. Il s’agit de celle de compositionnalité morphologique sans
restrictions. C’est-à-dire que si le préfixe est productif, il est possible d’avoir potentiellement
une opération de préfixation sur tous les lexèmes-bases qui entrent dans le champs syntaxique
de l’opérateur. Nous spécifions syntaxique, car si un préfixe agit sur un nom pour construire
un verbe, il ne peut pas se composer avec un adjectif, il y a une restriction obligatoire qui est
fonction de la valeur indicielle du préfixe. Par contre, on peut poser l’hypothèse qu’il peut
agir sur tous les noms pour fabriquer des verbes. Mais, la contrainte syntaxique (ou
261
catégorielle) n’est pas la seule, le préfixe entraîne également des contraintes d’ordre
phonologique, sémantique et structurelle ; le préfixe RE- est à cet égard assez particulier car
plusieurs auteurs ont déjà relevé plusieurs types de contraintes. Mok (110-112) relève que RE-
est improductif devant les verbes commençant par r- ( ?rerugir), il va même jusqu’à signaler
l’impossibilité de redoublement de RE- ( ?rereculer). Nous considérons au contraire que la
possibilité de réduplication, voire même plus, est une spécificité de la préfixation en RE-. Ce
préfixe permet de construire des chaînes infinies de procès, contrairement à d’autres préfixes
(a-, in-, dé-) :
(1) On te fout la marmite sur le bord - tellement sur le bord de la pomme de rampe,
qu' il aurait suffi de tousser sur le plancher, pour faire tout tomber... - et on y re-re-
refout un pétard à la con. BAYON (1987 : 218)
Ainsi, un dérivé préfixé par RE- peut très bien être repréfixé, re-repréfixé, re-re-repréfixé… Ce
qui signifie également qu’il est toujours possible de trouver le préfixe devant une initiale
consonantique r-, les exemples ci-dessous tirés de la littérature ne posent aucun problème
d’interprétation, même si l’exemple d’Hugo, sans contexte, est ambigu :
Mok ajoute un autre élément de restriction qui est le problème de la multiplication des
homonymes. En effet, de nombreux lexèmes apparaissent avec un élément RE- à l’initial, mais
cet élément n’est pas un segment morphologique. Ils ont un élément graphique qui
correspondrait à un lexème-base mais il n’existe aucun lien dérivationnel dans ce lexème.
Ainsi, des verbes comme renier, regarder, … bloquent selon lui la construction d’un dérivé
ayant le sens de re-nier ou re-garder. Cette contrainte morpho-sémantique apparaît trop
faible, vu le nombre très important d’homonymes en RE-, d’autre part une telle contrainte
devrait s’appliquer à tous les dérivés et pas uniquement à ceux préfixés avec RE-, et ce n’est
pas le cas. Si les contraintes de Mok ne semblent pas valables, d’autres contraintes
sémantiques sont plus importantes, mais tout aussi discutables. Pour Buyssens, le préfixe ne
s’ajoute pas à certains verbes comme être, aimer, posséder, continuer, finir, savoir, pouvoir,
quant à ravoir il n’existe qu’à l’infinitif. Pour lui, cela témoigne de l’arbitraire de la langue
contre la créativité du locuteur (1975 : 80). Dolbec ajoute à cette liste d’autres éléments plus
récalcitrants, et qui demandent selon lui un contexte spécifique (1988 : 332), il explique que
l’incompatibilité est aspectuelle car ce sont tous des verbes d’état : ?reparaître,
?reconcerner, ?reconstituer, ?replaire, ?revaut :
On trouve tout de même sur Google ainsi que dans Frantext de nombreux emplois de ces
verbes;
262
(9) « […] coquette, gentille et repentante, quel éclair blafard jaillit soudain de ses
yeux ! Comme tous ses traits se tendirent ! Presque aussitôt, elle se maîtrisa. Elle
reparut une petite soeur attristée d'être en butte à de vilains soupçons, une soeur
douce, plaignant le mauvais esprit de son frère, une soeur innocente et sainte, […] »
(Paul ADAM « L'Enfant d'Austerlitz », 1902)
(10) « […] conservions l'un pour l'autre... et puis, ces prussiens, ils ne vont peut-être
pas faire du mal à une femme seule et à un enfant malade. Weiss, à cet instant,
reparut, satisfait d'avoir tout barricadé chez lui. -là, pour entrer, il faudra casser
tout... maintenant, en route ! » (Émile ZOLA « La Débâcle », 1892)
(11) « j’aurais pu m’en passer mon futur mari est banquier il gagne bien sa croûte
mais je refuse de redépendre financièrement une seconde fois de quelqu’un » (Forum
google)
(12) « selon les modèles qui revoient un peu les précipitations à la hausse, des
précipitations neigeuses pourraient nous reconcerner dans la journée de lundi. » (cite
internet de Météofrance)
(13) « je veux redevenir sexy, replaire à nouveau » (Forum google)
La contrainte sémantique semble être une contrainte aspectuelle, comme l’a indiqué
Dolbec (cf infra. C6-2.4.1.). Mais, il ne s’agit pas d’une contrainte d’incompatibilité stricte,
puisqu’il est possible de trouver énormément d’exemples de constructions de ce type. Dolbec
souligne que le sens annulatif du préfixe n’est pas possible pour certains verbes tel que
remanger, relire, resourire, contrairement à repeindre, réorganiser, refranciser. Nous avons
vu que Apothéloz expliquait les raisons d’une telle contrainte. Dolbec évoque également des
raisons pragmatiques à l’impossibilité de ?refinir, puisqu’on ne peut pas finir à nouveau ce
qui a déjà été fini, ceci ne tient pas compte du fait que RE- ne porte pas uniquement sur le
procès, il ne peut itérer que l’objet du procès. Enfin, une autre contrainte décelée par Franckel
(1989 : 238) permet de montrer selon lui que le sens aspectuel lexical du verbe de base et le
sens aspectuel lexical du dérivé n’ont pas le même degré de complexité :
180
Nous avons déjà fait remarquer les spécificité du préfixe RE- « anglais ». A la suite de Marchand et Dowty,
Wechsler note que les contraintes sur le préfixe RE- « anglais » sont d’ordre aspectuelles. Le préfixe est
compatible avec les prédicats téliques mais pas avec les prédicats atéliques, parce que les prédicats téliques ont
un état résultatifs contrairement aux prédicats atéliques. Il considère que la télicité est liée au type d’argument et
non au simple verbe comme le montre la liste d’exemples ci-dessous (1989 : 430) :
*John reswam from France to England
John reswan the English Channel
*John reclimbed over the fence
John reclimbed the fence
263
3.1.4. Distinction entre diachronie et synchronie
« La conclusion est que l’état d’une langue à un moment donné, dans la mesure où on considère son
organisation systématique, n’est jamais rendu plus clair – qu’on veuille le décrire ou l’expliquer – par
une référence à son passé. » (183 : 1972)
181
Le lexème entre alors dans une série de dérivé qui fonctionnent sur le même principe bandeau, naseau,
plumeau, pommeau, créneau etc…. La composition est du modèle 3. présenté ci-avant.
264
n’apparaît dérivée sur ce modèle. Ainsi, le petit groupe de dérivés construits sur ce modèle
(bandeau, naseau, plumeau, bureau) n’apparaît plus lié synchroniquement, bureau
aujourd’hui n’entre plus dans aucun système. Le lien sémantique entre le lexème-base bure et
le dérivé bureau a disparu, le dérivé spécialisé au départ s’est généralisé entraînant la
disparition du lien sémantique qui existait entre la base et le lexème-base et par là même la
valeur du préfixe a également disparu. Nous pouvons par ailleurs remarquer que si le sens a
évolué, la forme est restée stable. L’évolution dans le temps d’un signe linguistique n’est pas
identique pour son signifié et son signifiant.
La description de la langue ne dépend pas de son histoire mais relève donc de son état
à un moment donné. Pour connaître cet état, il faut avoir des critères clairs de délimitation qui
ne reposent pas uniquement sur des perceptions et des intuitions de locuteurs, sinon nous nous
retrouvons confrontés aux mêmes difficultés que celles rencontrées dans la délimitation des
unités sur le critère d’intentionnalité. Dans l’exemple ci-dessus, toute l’architecture propre à
la dérivation s’est effondrée et notamment le fait qu’il n’existe plus actuellement aucun
groupe de lexèmes qui apparaît dérivé sur le modèle décrit ci-dessus 182 . Il faut donc respecter
plusieurs degrés d’homogénéités dans l’analyse morphologique des dérivés qui relèvent du
lien entre le dérivé et le système dans lequel il entre en synchronie. L’opération de sens du
préfixe sur le lexème-base doit être homogène, et la relation entre le lexème-base et le dérivé
doit également être homogène.
Les analyses de RE- que nous avons mentionnées ont attribué plusieurs caractéristiques
au préfixe. Elles ont permis de distinguer deux effets de sens principaux qui sont l’effet de
sens itératif et l’effet de sens annulatif. Les deux modélisations qui nous ont semblé rendre
compte avec le plus de précision des sens et effets de sens du préfixe sont celles de Amiot et
de Apothéloz. Pour Amiot RE- est un opérateur qui ouvre un espace à trois places et pour
Apothéloz un opérateur prédicatif qui agit sur la base ou un argument de la base. La notion de
foncteur permet de rendre compte du rôle indiciel du préfixe dans l’analyse compositionnelle.
Elle permet en outre de se détacher de la nature des éléments antérieurs présupposés pour
caractériser le sens du préfixe. De plus, en contexte, il permet de répondre aux différents
effets de sens, des plus simples aux plus complexes.
Nous pouvons donc en nous appuyant sur Apothéloz caractériser le sens indiciel du
préfixe RE- comme opérant sur un verbe pour construire un verbe [re- [x]v]v. Soit : RE- est une
opération qui s’applique à un élément catégorisé comme verbe et produit un élément
catégorisé comme verbe. En nous appuyant sur cette caractérisation, nous nous éloignons de
toutes les analyses qui dissocient complètement analyse du sens et analyse de la forme des
éléments construits.
Les deux effets de sens itératif et annulatif semblent cruciaux dans l’analyse de la
relation entre le lexème-base et le dérivé. Le lexème-base dans l’effet de sens itératif se
retrouve en relation avec le sens de la base, par l’intermédiaire de ses arguments. Quel que
soit le type d’argument impliqué dans l’itération, la base reste présente, si bien que la relation
entre le lexème-base et le dérivé est une relation d’hyperonymie. Cela signifie que le sens du
182
En synchronie actuelle, le suffixe –EAU, permet de construire des noms à partir de noms signifiants « petit de
x », du type éléphanteau, renardeau, …
265
lexème-base inclue le sens du dérivé. Dans l’exemple ci-dessous le verbe élire possède une
structure à trois places, soit ÉLIRE (X, Y, Z), et l’opération de préfixation opère sur élire, soit
RÉÉLIRE « à nouveau ÉLIRE (X,Y, Z) ». On peut remarquer que le sens de élire est inclue dans
le sens de réélire qui comporte par ailleurs la composante « à nouveau » et ceci quel que soit
l’élément x, y ou z qui est réellement répété :
Dans de nombreux cas, l’interprétation est très complexe, le verbe allouer par exemple
possède une structure argumentale à trois places « allouer (X,Y,Z) ». Le préfixe sur le plan de
l’itération se comporte sur le modèle [à nouveau (x)V]V. Ceci fonctionne dans le cas de Ils
réallouent tous les ans le même budget à l’université. Mais, même dans les cas de
modification d’un élément de la structure argumentale, la relation entre le lexème-base et le
dérivé est toujours une relation d’hyperonymie. Dans l’exemple ci-dessous, allouer est itéré,
mais avec modification de la localisation du don, c’est-à-dire Z. Et Y est complexe car il
englobe une partie du Z de la première action itérée. L’élément sur lequel porte l’itération
n’est pas inférable à partir du sens en langue des éléments, il dépend du contexte.
(12) L'OCDE pense que la France pourrait "réallouer" ses dépenses du secondaire
vers le supérieur, mais aussi mieux orienter ses étudiants et, éventuellement, les
encourager à écourter leurs études. » L'enseignement supérieur en France épinglé par
l'OCDE. LEMONDE.FR | 13.09.05 | 18h29
Il n’y a pas de procès annulatif intermédiaire, car allouer est un verbe d’ACHÈVEMENT, il
pose lui-même la fin du procès présupposé. Il y a par contre un état résultatif intermédiaire qui
est « le secondaire a ses allocations », mais qui ne joue aucun rôle dans la structure du préfixe.
On peut donc signaler que l’élément (x) de l’opération dérivationnelle est directement induit
de la nature du lexème-base ou d’un paramètre de la base, dont la nature exacte sera fixée par
le contexte.
« J’appelle « irrégularités de façade » les fausses irrégularités, celles qu’une grammaire ne doit pas
assigner à la compétence dérivationnelle parce qu’elle proviennent soit d’accidents du lexique attesté
(lacunes accidentelles de tous ordres, formelles et sémantiques, distorsions apparentes entre le sens des
266
mots et leur structure morphologique, qui seront traités dans les §1. à 5.), soit de spécialisations ou de
corrections conventionnelles par rapport à des propriétés sémantiques linguistiquement prédictibles
(§6.). Dans les deux cas, le statut grammatical de ces fausses irrégularités ne doit pas être analogue à
celui des irrégularités véritablement linguistiques : conformément à ce qui a été dit de la nature
composite, hétéroclite et aléatoire du lexique attesté et de la nature arbitraire du savoir conventionnel,
ces irrégularités apparentes des données observables ne peuvent pas être prises pour des exceptions. »
(Corbin 1987 : 171)
Parmi les irrégularité de façades qu’elle cite, nous rencontrons les dérivés potentiels qui
n’ont pas été activés ou créés, ce qui peut entraîner une constitution de lacunes dans le
lexique. Nous avons déjà mentionné ce problème en lien au préfixe RE- qui prend position
dans le débat entre dérivés attesté, construit, potentiel. Il est facile avec le préfixe RE- de
trouver des verbes non attestés et que rien n’empêche pourtant de construire. Nous pouvons
mentionner des cas, où à partir d’une base polysémique un seul sens de la base est utilisé pour
construire un dérivé, alors que les autres sens pourraient très bien être activés. Par exemple,
un lexème comme accorder a différents effets de sens, notamment des emplois spécialisés qui
concernent la musique (Il accorde sa guitare), ou la grammaire (Il accorde le verbe et son
sujet) et un emploi plus général qui peut être glosé par « mettre en harmonie des choses qui
sont ou semblent s’opposer » (Il accorde ses positions avec celles d’un autre). Le dérivé
raccorder, n’est pas attesté pour l’utilisation spécifique grammaticale : ?Il raccorde le verbe,
mais existe pour les deux autres. D’un autre côté, désaccorder est attesté pour l’emploi
spécifique musical : Il désaccorde sa guitare (ou sa guitare est désaccordée) mais ne l’est pas
pour les deux autres emplois ?Il désaccorde le verbe (le verbe est désaccordé). Quant à
accorder dans certains emplois il apparaît comme suppléé par raccorder, c’est le cas de
« raccorder deux tuyaux » ; dans tous ces cas, il ne s’agit que de lacunes lexicales et en aucun
cas de problèmes liés à l’opération de dérivation. En effet, dans tous ces cas, raccorder peut
respecter le schéma [à nouveau (x)v]v.
Parmi les éléments des irrégularités de façade, Corbin mentionne les bases non-
autonomes 183 , qui, nous l’avons vu, sont considérés par Mok comme un indice d’une structure
non dérivationnelle. Sur ce point, elle est beaucoup moins catégorique que ce dernier et
considère qu’une base non autonome peut être une base dérivationnelle lorsqu’on on peut par
une règle minimale retrouver une base autonome à laquelle elle se rattache. Par exemple, dans
parité, la base non autonome par se rattache à pair par une alternance régulière [ai]/[a] que
l’on retrouve dans les couples vain/vanité, clair/clarté, etc. Nous n’avons pas trouvé de tels
cas parmi les dérivés potentiels en RE-. En effet, des lexèmes qui semblent avoir un exposant
en RE- mais qui n’ont pas de base autonome, n’ont pas de base reconnaissable. Il n’y a donc
pas de lacunes accidentelles morphologiques au niveau des bases en ce qui concerne ce
préfixe. Par contre, il peut y avoir des lacunes sur le plan sémantique, ainsi retaper
dans l’exemple ci-dessous n’a pas de lexème-base correspondant à cet emploi :
267
Il en est de même avec l’exemple de regagner dont le lexème-base gagner ne correspond pas
sur le plan sémantique à l’emploi de regagner ci-dessous :
Ces deux dérivés peuvent être glosés par « à nouveau x par un déplacement est au lieu
antérieur y ».
Enfin, parmi les bases non-autonomes, nous pouvons citer des cas comme renifler, qui
possède une base attestée nifler ayant apparu avant renifler. La base a disparu, elle a été
suppléée par le dérivé (voir le FEW). Il s’agit ici d’un « fossile » morphologique.
Alors que certains lexèmes apparaissent dans des usages courants, d’autres lexèmes
avec lesquels il pourraient être liés apparaissent dans des usages spécifiques. De fait, le
lexème dans son utilisation spécifique est inconnu pour la grande majorité des locuteurs du
français. De sorte que si l’un pourrait apparaître comme dérivé par rapport à l’autre, la
distance « variationnelle » entre les deux lexèmes empêche en synchronie tout essai de
relation dérivationnelle. C’est le cas pour des couples tels que ravitailler ~ avitailler
(utilisation technique dans le domaine maritime et aérien), reculer ~ culer (utilisation
technique dans le domaine de la navigation), rembarrer ~ embarrer (utilisation technique
dans le domaine maritime), rembourrer ~ embourrer (utilisation technique par les
céramistes), qui sont répertoriés par Jalenques (2000 : 37), mais qu’il considère comme
dérivés.
268
X rafistoler Y « à nouveau X en bon état »
X résorber Y « à nouveau sans X »
X restaurer Y « à nouveau X en bon état »
X restituer Z à Y « à nouveau X appartient à Y »
X régulariser Y « à nouveau X en règle »
X ressusciter « à nouveau X vivant »
X renflouer Y « à nouveau X à flot »
X rassasier Y « à nouveau dans l’état initial « ne pas avoir faim »
Tableau 43 – Effet de sens annulatif sans processus dérivationnel
Parmi les éléments ayant une composante RE- dont nous ne tiendrons pas compte, nous
pouvons placer tous les éléments n’ayant pas de base verbale. Ainsi des exemples que l’on
trouve dans la littérature ainsi que dans les courriers électroniques, ayant des bases nominales,
se trouvant sur des éléments périphrastiques, dans des interjections 184 , mais dont le segment
RE- modifie fortement le rôle de la base en impliquant souvent un procès et toute une scène
actancielle comme dans les exemples ci-dessous :
(15) Enfin bon, au crépuscule re-camion. Michel Quint, Effroyables jardins, édition
Joëlle Losfeld, 2000 : 33.
(16) Re-adieu et je te re-embrasse. FLAUBERT.G / CORRESPONDANCE 1858-1860 /
1860 page 383 / 1860 T 4
(17) J'attends mardi une re-lettre du susdit bardache. FLAUBERT.G /
CORRESPONDANCE 1877-1878 / 1878 page 43 / 1877 SUPPL. T 4
(18) Bref, un accès terrible de re-goutte. FLAUBERT.G / CORRESPONDANCE 1877-
1878 / 1878 page 48 / 1877 SUPPL. T 4
(19) Je sais seulement que Mme Daudet est re-mère. FLAUBERT.G /
CORRESPONDANCE 1877-1878 / 1878 page 86 / 1878 SUPPL. T 4
(20) Re-bière pour mezigue, café pour lui. DEGAUDENZI.J-L / ZONE / 1987 page 101 /
Zone 8
(21) On ne sait jamais ce que les autres projettent et reniflent sur vous, ils vous prêtent,
vous retirent, vous reprêtent, vous re-retirent... Pas grave, ils s'arrangent comme ils
veulent avec votre image et la leur, ils vous accrochent comme ci ou comme ça, en haut,
en bas, en travers SOLLERS.P / LE SECRET / 1993 page 232 / III
(21) Quant à moi, je crois que je suis en re-train de travailler. FLAUBERT.G /
CORRESPONDANCE 1861-1865 / 1865 page 177 / 1865 T 5
184
On en trouve des exemples dans la bande dessinée, nous pouvons citer Repaf dans « Vol 714 pour Sydney »
de Hergé.
269
Tous ces exemples ont la particularité de dissocier graphiquement l’élément préfixal RE-
du lexème-base par un trait d’union. Mais ce n’est pas le cas de toutes les constructions sur
des bases autres que verbales. L’exemple (21) de Flaubert est très particulier puisque
l’utilisation du préfixe sur une structure périphrastique peut se faire également à l’initiale de
la structure (je suis re-en train de travailler) ou sur le verbe à l’infinitif (je suis en train de re-
travailller). L’utilisation de RE- sur train apparaît incongrue et ouvre à de multiples
interprétations.
Par exemple entre repasser son linge et repasser son bac, le premier ne peut pas
s’interpréter comme « à nouveau passer quelque chose ». Il n’y a pas de relation
d’hyperonymie entre la base et le dérivé, contrairement à repasser son bac. On peut donc
distinguer repasser(1) qui est dérivé, et repasser(2) qui n’est pas dérivé. Il en est de même
pour reposer une question correspondant à reposer(1) vs se reposer correspondant à
reposer(2), recourir un grand prix correspondant à recourir(1) vs recourir à la force
correspondant à recourir(2), remporter (1) remporter ses affaires et remporter (2) remporter
la victoire, ressuyer (1) essuyer à nouveau le meuble, ressuyer (2) « enlever l’humidité d’une
substance en la faisant chauffer ».
270
Raccommoder un pantalon *Reaccommoder un pantalon
Reaccommoder un plat
Rallier la frontière *Reallier la frontière
Michel se reallie à Jean-Luc
Rappliquer chez moi : synonyme de « revenir » *Reappliquer chez moi
Reappliquer de la pommade
Rassurer Michel sur tes intentions *Reassurer Michel sur tes intentions
Reassurer la maison de Michel
Ravaler la façade *Reavaler la façade
Reavaler le cachet
Tableau 45 – Dérivation et homonymie.
(22) Je précise que je connais bien ce type de jeu, j'ai fini et refini BG2, Diablo2 etc..
sans difficulté.
Dans ce cas, si on ne peut pas finir à nouveau ce qui vient d’être fini, on peut par
contre refaire tout le processus et finir à nouveau ce processus.
3.3 Bilan
En guise de bilan sur cette partie, nous pouvons souligner que les problèmes relevés
sont principalement dus à la grande productivité du préfixe RE- et à la facilité à construire des
dérivés quand il s’agit du sens itératif, notamment en raison du faible nombre de contraintes
qui pèsent sur son utilisation. Ceci a tendance à favoriser les « trous » lexicaux, puisque de
nombreux lexèmes ou tous les lexèmes d’un même vocable ne sont pas attestés comme
préfixés en RE-, alors que rien ne les en empêche. De l’autre côté, l’effet de sens annulatif, qui
n’agit que sur un élément de la base, amène certains chercheurs à « surmotiver »
l’interprétation des dérivés en s’appuyant sur une dissociation de l’analyse du sens et de
l’analyse de la forme. Le principe de compositionnalité nous apparaît indispensable pour
271
effectuer une analyse du préfixe qui prenne en compte les particularités de la dérivation. À
partir de toutes ces considérations, nous n’avons pas restreint notre corpus, mais plutôt
« nettoyé » ce corpus. Concernant l’ensemble de nos données, nous nous sommes appuyés sur
une analyse systématique de tous les verbes présents dans le TLF et munis d’un segment RE- à
l’initiale. Ce qui au total amène à un recensement de plus de 3000 sens différents et de 480
vocables (ou entrées lexicales). Après avoir passé les différents filtres morpho-sémantiques,
l’ensemble des vocables que nous considérons comme dérivés est de 270 pour 1000 sens
distingués. Nous avons mis en annexe4 la liste des lexies dérivées en RE-
Dans cette partie, nous posons plusieurs questions. Tout d’abord : quel est le type de
répétition aspectuelle exprimée par le préfixe RE- ? Nous avons déjà lié certaines formes de
répétitions exprimées par des marqueurs spécifiques à la quantification et en interaction forte
avec la qualification temporelle. Ce préfixe qui exprime un type de répétition spécifique va
interagir avec les deux pôles de la localisation et de la qualification temporelle. De cette
première question découle deux autres questions : qu’est-ce qui est actualisé au sein des
procès en RE- sur le plan de la qualification temporelle ? D’autre part, pour la seconde, quels
sens temporels engendrent les interactions entre les tiroirs temporels et les dérivés en RE- ?
Nous avons relevé que le préfixe RE- entraîne une structure reposant sur au moins deux
procès qui sont le procès posé et le procès présupposé. La question de la relation entre ces
deux procès est importante car elle permet de rendre compte de problèmes aspectuels
notamment liés aux incompatibilités relevées par Dolbec entre les verbes d’ÉTAT et le préfixe.
Jalenques (2000 : 321) va plus loin en faisant remarquer que les verbes d’ACTIVITÉ sont
contraints dans l’effet de sens du préfixe, ils ne peuvent indiquer que la continuité et non un
nouveau procès. On peut se demander si ces incompatibilités et si les types d’effets de sens
sont uniquement liés au MDP.
Tout au long de ce parcours, nous sommes revenu à plusieurs reprises sur la relation entre
la qualification temporelle et le sens de RE-. Nous avons tout d’abord adjugé au préfixe RE-
une valeur itérative-binaire, en nous appuyant sur l’exemple Jean recalcule qui n’indique en
aucune manière le nombre de calculs effectués par Jean, mais qui distingue spécifiquement
272
deux zones temporelles de calcul : ]]p1, …pn] A--[p]B[P 185 . Cette analyse considère qu’un seul
procès exprimé sur la ligne du temps permet de rendre compte d’une pluralité de procès d’où
le ‘P’ en majuscule qui englobe différents ‘p’ en minuscule. Après l’étude des différents effets
de sens du préfixe, on peut affirmer que la particularité du préfixe est de dissocier deux
ensembles de procès. Le premier ensemble est le procès posé. Le second ensemble est le
procès présupposé. Si cette distinction est nette c’est en raison de la rupture ou de la phase
d’interruption nécessaire entre les deux procès. Cette rupture est pour Jalenques la
particularité essentielle du sens véhiculé par le préfixe. Elle entraîne notamment sur le plan de
l’analyse temporelle une dissociation du procès posé et du procès présupposé dans la mise en
relief discursive des événements, ce qui est un phénomène très particulier de la quantification
temporelle. On peut dire sur le plan de l’analyse référentielle de la temporalité que le procès
posé est compris dans R tandis que le procès présupposé est extérieur à ce point R. Ce qui
permet de rendre compte des deux procès dans deux périodes temporelles disjointes. Noa
remarchera peut donc être analysé selon les points de Reichenbach et en considérant
simplement le point E comme un intervalle marqué par une borne initiale (Bi) de début de
procès et une borne finale (Bf) de fin de procès, comme ci-dessous 186 :
Eprésupposé S R,Eposé
Dans ce schéma, le procès présupposé est borné à droite (borne Bf de Eprésupposé), il s’agit
d’une borne de rupture indiquée par le préfixe. Dans une analyse référentielle, cette borne doit
avoir un statut dans le système de repérage. Pour l’instant, nous l’appellerons borne de RE-.
L’autre borne de début de procès posé a le statut du point R et du début du procès posé. Le
point S se situe dans l’intervalle entre les deux procès, et le point R se situe à l’initiale du
procès « marcher à nouveau », il s’agit du moment où « Noa se mettra à remarcher » qui est
également la borne initiale du procès posé marcher. On voit clairement la dissociation
temporelle entre les deux procès. On trouve la même dissociation avec le PC : Noa a
remarché.
Eprésupposé R,Eposé S
Dans cet exemple, le point S se situe après les deux procès, mais la borne finale du procès
posé peut très bien aller au-delà du moment de la parole. D’ailleurs cette borne finale peut
aussi bien être celle du procès d’ACTIVITÉ « être en train de marcher », que celle de l’état
résultatif, « être capable de marcher ». Nous pencherons plutôt dans le cadre d’un procès sans
contexte sur la première hypothèse en considérant que le PC focalise uniquement sur la borne
initiale du procès « marcher ».
185
Cf. C1-3.4.1.
186
Une borne qui n’est pas fixée par le contexte est ouverte, elle est représentée en pointillés. Les bornes fermées
sont indiquées par un trait plein. Le trait grassé indique les bornes de repérage.
273
L’utilisation de la notion de borne est essentielle dans cette analyse, et elle est également
spécifique. Le bornage dans le cadre des dérivés en RE- est une limite qui sépare deux procès
qui ont un rapport d’identité. Cette particularité confère à la borne deux réalisations possibles.
Soit elle établit un rapport de continuité entre les deux procès, il s’agit dans ce cas d’une
borne d’interruption, soit elle commande une rupture entre les deux procès et dans ce cas, il
s’agit d’une borne de rupture. Les notions de rupture et d’interruption interviennent quand
l’aspect lexical est enrichi par un élément extérieur (cf. intra deuxième prémisse de
l’introduction). Pour reconnaître une rupture, on doit comprendre que l’événement exprimé
par le verbe est considéré comme achevé sans possibilité de continuité ou de reprise. Dans ce
cadre la borne de rupture est actionnelle. Tandis que l’interruption indique la fin d’un
événement sans qu’il y ait pour autant une impossibilité de le continuer. Dans ce cas, la borne
d’interruption est temporelle. La combinaison des différents traits aspectuels entraîne
différents types de bornage et d’intervalle propres aux valeurs lexicales des verbes. Si
l’hétérogénéité processuelle et la télicité entraînent automatiquement une borne de rupture et
l’homogénéité une borne d’interruption au niveau des lexèmes verbaux, d’autres facteurs
peuvent également, dans certains cas particuliers, transformer ou modifier la valeur
aspectuelle intrinsèque des verbes, notamment en lien avec la télicité.
Dans l’analyse de la quantification, nous avons montré quelques types de relations entre
les éléments répétés. Ils peuvent être considérés comme un tout lié par une période temporelle
globale. Dans le sens fréquentatif, c’est même la nature de cette période qui fixe les bornes de
l’expression du procès P, les bornes de l’intervalle R sont donc concomitantes au bornes du
procès E. Dans le sens itératif, les procès sont distincts mais pas dissociés. L’intervalle
temporel permet de rendre compte d’une période dans lesquels ces procès ont eu lieu. Dans
chaque cas, les procès sont analysés comme un tout que nous avons représenté par un P.
(2) Il a marché trois fois cette année. Il marchera trois fois l’année prochaine.
[p1- p1- p1]P3
La structure de ces procès implique un lien de continuité entre les deux procès en 1. et
un lien de discontinuité entre les deux procès en 2. La comparaison est possible car la
structure de P est homogène, les procès ne peuvent pas être conçus sur des intervalles de
références différents. En effet, l’intervalle délimité par l’adverbe temporelle de localisation
vaut pour l’ensemble des procès itérés. On peut donc à juste titre affirmer que les adverbes
temporels contribuent à l’élaboration d’un MDP complexe qui peut être étudié en relation aux
différents adverbes temporels « pendant x temps », « en x temps » et en relation aux
différentes périphrases verbales – tout comme les procès MULTIPLICATIFS par exemple. Tandis
qu’en ce qui concerne la structure du MDP des dérivés en RE-, cette analyse aspectuelle
globale n’est pas possible puisqu’il y a interférence entre la localisation temporelle et
l’expression des procès. Dans ce cadre, l’analyse des MDP dérivés est plus complexe, car
l’application des tests ne concernera que le procès posé. L’ambiguïté repose sur la nature de
l’objet impliqué. En effet, dire Il remarchera pendant une heure implique que le procès posé
de « marche » durera « une heure », mais cela ne signifie pas que cette durée n’est pas
identique pour le procès présupposé. Il peut y avoir itération de toute la scène et donc dans ce
274
cas le procès présupposé implique également une marche d’une durée de « une heure ». Par
contre, dans Il remarchera en une heure ce n’est pas du tout le même sens qui est monopolisé
mais c’est le retour à l’état résultatif « être en état de marcher ».
Il faut donc distinguer l’analyse aspectuelle des procès présupposés et des procès
posés. Dans ce cadre, nous serons amené à nous éloigner de l’analyse purement lexicologique
pour appréhender la structure de l’itération des procès dérivés en RE- à travers la relation
discursive des éléments posés et présupposés. Pour cette analyse discursive de RE-, nous
utilisons la schématisation de Amiot (2002) qui montre que le préfixe joue un rôle sur la
relation entre une première occurrence (implicite) et une seconde occurrence (explicite). Cette
relation est marquée par un intervalle spécifique (implicite). Amiot démontre que chaque
verbe préfixé entre dans ce schéma, et que les différentes interprétations traditionnelles du
préfixe sont dues à l’aspect lexical des verbes. Elle considère que le préfixe a toujours un sens
d’itération matérialisé par cette représentation, les autres interprétations du sens du préfixe
sont en fait dues au sens aspectuo-lexical.
Il peut signifier « absorber de nouveau », c’est par ailleurs le seul sens présent dans le
TLF. Ce sens peut être illustré par l’exemple (1) ci-dessous :
275
(3) Quoique je fusse un peu choqué par leur canaillerie et leur cynisme, j’avais
absorbé et réabsorbé Les Pieds nickelés, dont la dénomination a toujours été pour moi
une énigme. « Contre les dégoûts de la vie » Jean DUTOURD.
Dans ce cas, la structure de (a) sera absorber qui implique une phase homogène de
progression sur l’axe temporel et actionnel. Le procès (c) est constitué d’une borne de reprise
d’un procès absorber. L’intervalle relationnel (b) est constitué d’une borne indiquant la fin du
premier procès et d’un espace vide, puisqu’il s’agit uniquement d’un espace temporel.
Le verbe absorber peut également signifier « absorber qqch. après qu’il ait été
évacué », ce sens est illustré par l’exemple (2). Dans ce sens qui est annulatif, le procès posé
[absorber] est en relation avec un procès présupposé qui est antonyme du procès posé, il s’agit
dans cet exemple de [dégager de la pollution]. Nous pouvons nous poser la question du statut
de ce procès présupposé. S’agit-il de l’intervalle intermédiaire (b), ou du procès présupposé
(a) ? Dans tous les cas annulatifs, nous considérons qu’il s’agit bien du procès intermédiaire
(b), car absorber la pollution entraîne un état résultatif qui est « la pollution n’existe plus »,
cet état résultatif constitue à notre sens le procès présupposé (a).
(4) Le bois de chauffage peut il être considéré comme une source d'énergie puisque la
pollution dégagé par cette combustion sera réabsorbé par les forêts. (forum internet).
Enfin, réabsorber peut signifier également « absorber à nouveau quelque chose qui a
été évacué », nous retrouvons ce sens dans l’exemple (3). On retrouve dans ce sens deux
composantes absorber qui sont séparées par un procès antonyme du procès absorber et qui est
dans l’exemple ci-dessous exprimer l’eau. Ce procès est le procès intermédiaire (b), tandis
que les deux procès « absorber » compose les phases (a) et (c).
(5) On pourrait comparer le cartilage à une « super éponge ». Il absorbe l'eau (ou
plus précisément le liquide synovial) lorsqu'une articulation est au repos et il exprime
l'eau lorsque l'articulation est en mouvement. Puis, lorsque l'articulation est de
nouveau au repos, il réabsorbe l'eau. (article internet).
Nous pouvons donc indiquer que la composante (a) peut être un procès identique au
procès posé, ou bien un état, qui est l’état résultatif du procès exprimé par le lexème-base, ou
bien un état « naturel » dans le sens de Apothéloz (2007). La composante (b) de l’intervalle
du procès, peut être composée d’une borne de fin du procès présupposé (a) et d’un intervalle
temporel vide, ou d’un intervalle processuel antonyme du procès posé. Enfin la composante
(c) est toujours composée du procès posé issu du sens du lexème-base.
Concernant les dérivés en ré-, on peut remarquer que la structure en trois temps peut
être composée de différents éléments, soit des procès, soit des états résultatifs, soit des états
annulatifs, soit des procès annulatifs. Cet exemple du verbe réabsorber illustre les différents
types de structure possibles. Mais ces multiples sens ne sont pas uniquement dus au simple
fait de la présence de ré-, ils sont liés également au sens aspectuel du verbe de base. Le verbe
réutiliser par exemple ne peut être constitué que de deux types d’intervalle (b) qui sont « ne
plus utilisé », ou « avoir arrêté d’utiliser ».
276
4.3. Les interactions entre la structure aspectuelle de la base et l’opération de
dérivation
Dans ce point, nous souhaitons montrer quelques cas où la structure en trois temps
correspond à un enchaînement des trois procès. Cet enchaînement est lié au propriétés
aspectuelles du verbe de base et aux différentes contraintes de construction exercées sur le
verbe par ses compléments. Nous rappelons que les trois éléments essentiels distinctifs de
chaque classe sont la structure du bornage, la structure de l’intervalle interne, et la structure
externe du procès. Les contraintes discursives reposent sur le type de complémentation et
l’effet de sens construit, le type de tiroir verbal et les interactions avec la structure aspectuelle
du tiroir, le type de périphrase aspectuelle et les effets de sens possibles. Certaines catégories
sont spécifiques car elles possèdent des propriétés appartenant à différentes catégories. Nous
n’établirons pas systématiquement tous ces liens, nous montrerons quelques cas où la
structure aspectuelle du procès entraîne des effets de sens spécifiques, ou plutôt nous
montrerons que certains effets de sens ne sont pas possibles en raison de la structure
aspectuelle du lexème-base.
L’intervalle négatif n’est pas obligatoire pour avoir ce type d’interprétation, les bornes
des procès d’état sont uniquement temporelles. Il suffit donc que le procès posé soit borné
temporellement pour distinguer les deux procès. C’est le cas dans l’exemple, de rebriller
dans : Hier le soleil brillait, aujourd’hui il rebrille qui équivaut à Hier il pleuvait, aujourd’hui
le soleil rebrille. L’adverbe temporel Aujourd’hui délimite les bornes du procès posé et cela
suffit pour permettre une répétition du procès.
277
Eprésupposé S,R,Eposé
La borne du premier procès est fermée par le procès intermédiaire qui peut être : soit un
procès antonyme du procès exprimé, soit une borne temporelle marquée par un adverbe.
Ce qui peut être remarqué, c’est que dans la phrase simple Aujourd’hui le soleil
rebrille, le fait de rebriller est conçu comme s’étendant sur l’ensemble de la journée, si bien
que le procès présupposé se situe obligatoirement dans une période temporelle antérieure
(hier la semaine dernière, etc…). Dans les exemples cités par Dolbec, où il indique que le
préfixe n’est pas compatible avec les verbes d’ÉTAT (cf. intra 3.1.3), le procès présupposé
n’est pas indiqué. On peut remarquer que tous ses exemples sont utilisés au présent. Nous
venons d’indiquer que les procès d’état n’ont pas de bornes temporelles et le présent n’en fixe
pas non plus. Il n’y a aucune borne temporelle exprimée et pas de procès négatif entre a) et c).
A partir du moment où on pose des bornes temporelles, toutes ces phrases apparaissent sans
ambiguïté possible acceptable, c’est le cas de la liste (10) ci-dessous :
Nous pouvons donc faire remarquer qu’il n’y a aucune incompatibilité entre les verbes
statifs et le préfixe RE-. Mais, pour être plus facilement interprétable, ils faut un intervalle
fermé entre le procès a) et le procès b). La raison pour laquelle les exemples (11) apparaissent
plus acceptables que les exemples a) n’est pas la même, puisque l’IMP n’est pas un tiroir qui
borne le procès aspectuellement. Mais peut-être que la raison de cette meilleure compatibilité
avec l’IMP est plutôt liée à la relation entre le préfixe RE- et le PRE. Les verbes d’état n’ont
potentiellement que cet effet de sens itératif avec reprise et continuité du procès a)
présupposé.
Malgré ces constations, dans le TLF, nous n’avons trouvé comme verbe d’ÉTAT que
redevoir qui est préfixé à partir d’un lexème-base statif. Par ailleurs, ce verbe est un peu
particulier puisqu’il peut être délimité par une borne actionnelle (« donner ce qu’on doit »),
mais sa structure interne n’est pas actionnelle, il n’évolue qu’en fonction du processus
temporel. Le sens attribué à redevoir dans le TLF est « devoir de nouveau après un compte
fait ; être en reste », il est illustré par l’exemple (12) du TLF, qui indique clairement un sens
278
annulatif entre redevoir et l’antonyme de devoir qui est donner. Ce sens annulatif est donc lié
à cette borne actionnelle :
(12) [Ragotte] ne peut rendre la monnaie que sur dix sous. Par exemple, si on lui
achète un sou de lait, elle redoit neuf sous. À partir de dix sous, elle s'embrouille
(RENARD, Nos frères farouches, 1910, p. 4)
Mais redevoir peut signifier également « devoir à nouveau qqch. à qq’un », comme dans
l’exemple fabriqué ci-dessous :
La structure interne de redevoir est spécifique aux verbes d’état en général puisqu’elle
est uniquement constituée d’une progression temporelle, mais ce verbe possède une borne
spécifique ce qui entraîne d’autres combinaisons de sens possibles avec le préfixe.
Les verbes GRADUELS ont deux propriétés particulières : ils possèdent une transition et
une borne intermédiaire, et ils sont constitués de deux phases majeures. Dans une première
phase, ils passent donc d’un état à un autre état aboutissant à la réalisation d’un procès. Et
dans une seconde phase, le procès réalisé peut être continué jusqu’à ce qu’une borne
temporelle vienne le fermer. Dans ce cadre, ils entraînent potentiellement plusieurs
possibilités d’effets de sens lorsqu’ils sont joints au préfixe. Nous pouvons en illustrer deux
l’aide du verbe bronzer :
(14) Vivement l’été que Michel puisse rebronzer et avoir meilleure mine.
(15) Après être allé se baigner, Michel s’allonge sous le soleil de Capri pour
rebronzer jusqu’au soir.
279
présupposé (b) est constitué d’une interruption qui est [« arrêter de bronzer »], et le procès
posé (c) est constitué de [« bronzer »].
Ainsi les deux phases du procès rendent compte de deux effets de sens différents du
préfixe qui sont « être à nouveau dans l’état antérieur » et « à nouveau bronzer dans la
continuité de l’action précédente ». On peut remarquer dans cet exemple le lien entre la
structure aspectuelle du procès (les propriétés de transition et de bornage) qui découpent
structurellement le verbe, et le sens du dérivé.
Dans le TLF on retrouve quelques exemples de verbes GRADUELS (rebronzer n’en fait
pas partie). Le verbe reblanchir par exemple est défini dans le sens « enduire à nouveau d’un
produit blanc ». Il est ajouté un deuxième sens spécifique qui est lié au type de complément
et correspond à « blanchir du linge », reblanchir est dans ce cas définit comme : « laver de
nouveau, remettre dans un état de propreté impeccable ». Ce dernier sens cumule les deux
effets de sens « à nouveau être blanc » et « continuer à blanchir » qui est compris dans « laver
de nouveau ». Nous pouvons encore relever le verbe recreuser qui est défini dans les sens
« creuser de nouveau » et « creuser davantage », et le verbe retordre qui est défini dans les
deux sens « tordre de nouveau (ce qui est détordu ou ce qui est déjà tordu ) ».
Le verbe repousser qui est construit sur le lexème-base pousser dans le sens de
« croître », est décrit avec deux sens différents qui sont « pousser, croître de nouveau ,
notamment après une coupe » et « faire naître, produire de nouveau ». Ils sont illustrés
respectivement par les exemples (16) et (17) :
(16) Les feuilles repoussent aux arbres; mais pour nous, où est le mois de mai qui
nous rende les belles fleurs enlevées et les parfums mâles de notre jeunesse?
(FLAUBERT., Correspondances, 1846, p. 208).
(17) Tu ne retrouveras pas ton nez, bien sûr, mais ça s'arrangera mieux que tu ne le
penses; tu repousses des chairs comme un homard ses pinces (LA VARENDE, Nez-
de-cuir, 1936, p. 28)
Les deux sens impliquent un intervalle (c) qui marque une rupture en impliquant l’antonyme
de pousser qui est tomber. Contrairement à Les cheveux poussent qui peut être utilisé pour
signifier « apparaître » et « continuer à grandir », Les cheveux repoussent ne peut être utilisé
que pour signifier la transition entre « être tombé de la tête » et « être à nouveau sur la tête »,
c’est-à-dire uniquement dans un sens annulatif. Avec repousser, le sens « *Les cheveux
s’arrêtent de pousser puis repoussent » ne fonctionne pas. Nous retrouvons le même
phénomène avec repeupler.
(18) Après la tempête de 1999, il fallut reboiser plusieurs millions d’hectares de forêt.
Ils indiquent uniquement le sens annulatif qui repose sur le schéma à 3 temps :
280
- [Etre boisé qui présuppose boiser]
- [déboiser qui implique être déboisé]
- [Boiser implique être boisé]
Eprésupposé Eposé
La borne Bd du procès présupposé est marquée par un premier procès boisé présupposé
par l’état être boisé, mais cette présupposition n’est pas obligatoire car « être boisé » peut être
un état naturel. La borne Bf du procès présupposé est marquée par le procès antonyme de
boiser qui est déboiser, cette borne marque la transition entre les deux états être boisé et être
déboisé. Enfin, la borne Bd du procès posé est marquée par la reprise d’un procès boiser qui
indique la transition entre les deux états être boisé et être déboisé. La borne de fin de procès
posé n’est pas marquée, le procès peut continuer.
5 BILAN
Dans tout ce chapitre, nous avons proposé une analyse aspectuelle des lexèmes
dérivationnels complexes. Cette analyse part de la distinction entre étude lexicale et étude
dérivationnelle. Il s’agit non pas d’étudier l’aspect du lexème verbal construit par un
processus de dérivation, mais d’analyser l’effet du processus dérivationnel sur le lexème-base.
Pour réaliser ce travail, nous avons dû établir une frontière entre les lexèmes dérivés et les
lexèmes non-dérivés qui soit assez fiable pour ne pas analyser des dérivés qui se sont
lexicalisés et dont le sens a pu évoluer, voire des éléments qui n’ont aucun lien avec un
processus dérivationnel. Une fois cette délimitation faite, nous sommes partis d’un corpus de
dérivés issus du TLF. Ce corpus présente de nombreux problèmes, d’une part de nombreux
dérivés en RE- ne sont pas répertoriés dans le dictionnaire, d’autre part de nombreux effets de
sens des dérivés ne sont pas non plus répertoriés. Pour essayer de trouver des exemples
contrastifs, nous avons dû relever quelques exemples prototypiques de certaines classes de
verbes et en observer les différentes acceptions sur internet ou dans la littérature. L’analyse
aspectuelle des dérivés en RE- ne peut se faire qu’en ayant auparavant déterminé les
contraintes de l’opération de dérivation. Ensuite, ces contraintes impliquent différents
schémas de réalisation du sens du dérivé. Ces schémas mettent en lien trois procès. Ces procès
sont liés en fonction de la structure aspectuelle du lexème qui ouvre à différentes
combinaisons possibles entre sa structure interne homogène actionnelle, homogène
temporelle, hétérogène temporelle, ses bornes de télicité, intermédiaires ou terminatives, et
puis les satellites du verbes qui indiquent une transition entre deux états. Dans ce cadre, nous
avons pu remarquer que du type de transition dépendait le sens annulatif du verbe. Nous
pouvons dire que le préfixe RE- est un opérateur de dérivation qui agit sur le lexème-base et
qui produit un sens quantificationnel qui implique la répétition d’un procès et un sens
qualificationnel qui consiste dans le lien entre les différents procès répétés.
281
Conclusion
Dans ce travail, conçu au départ comme une exploration de l’aspect lexical et des
ressources du lexique, nous avons été rapidement confronté aux problèmes de la
représentation du temps. Comment le temps est-il perçu dans la langue? Comment les
informations temporelles sont-elles organisées ? Pour décrire le sens temporel du verbe, il
nous fallait déjà comprendre et rendre compte de ce que représente le sens temporel en
général et plus particulièrement comment il est représenté dans la langue. Tout ce travail, en
tant qu’introduction aux notions de bases du problème de la temporalité dans le langage est
exposé au chapitre 1. Le lien entre le temps linguistique et ce que nous avons appelé le temps
empirique (ou temps extralinguistique) n’est pas aisé à réaliser, parce que ces deux
dimensions comprennent plusieurs facteurs indépendants les uns des autres. Après avoir tenté
de réaliser des arbres relationnels entre les différents niveaux de conception et de
représentation du temps, nous nous sommes rendus compte que la meilleure approche résidait
dans les caractéristiques spécifiques de trois dimensions du temps extralinguistique, qui sont
décrites notamment par Benveniste, Vetters, Wilmet, Desclés. Ces dimensions sont le temps
physique, temps conventionnel et temps individualisé, et leurs caractéristiques sont
respectivement, la linéarité et la progression, le découpage en intervalle, et la flexibilité des
intervalles temporels. Nous retrouvons ces trois dimensions dans le temps linguistique à
travers les notions de localisation temporelle, quantification temporelle et qualification
temporelle. Nous avons organisé ces trois dimensions notionnelles à partir de la spécificité du
temps linguistique (le présent de l’énonciation) et en fonction de la relation entre les
différentes formes linguistiques et leur sens. La qualification temporelle nous a intéressé plus
particulièrement parce qu’elle est le lieu de l’expression de la temporalité par le verbe.
Une fois délimitées les principales informations temporelles véhiculées par la langue,
nous pouvions commencer à observer et à définir le rôle et le sens du verbe au sein de la
qualification temporelle, nous avons montré que le verbe était le lieu de l’expression du
procès. Au chapitre 3., nous avons donné une définition de la notion de procès qui réunit les
notions d’action et d’état. Nous avons posé le procès en tant qu’élément de base du sens
temporel du verbe. Il sera le point de départ notionnel de notre catégorisation aspectuelle des
verbes.
Les premières difficultés surviennent tout d’abord quand on cherche à effectuer une
distinction entre le sens temporel du verbe et son sens lexical, ou ce qui distingue la catégorie
verbe des unités verbes. Nous avons alors cherché à définir une frontière entre ces deux
282
éléments à partir de l’opposition grammaire vs lexique. Cette opposition est traitée dès le
début de notre travail (C1-2), parce qu’il s’agit d’une opposition de base dans l’analyse
linguistique, et parce qu’elle pose également la question de la légitimité de la présence au sein
d’une même unité linguistique d’une valeur lexicale et d’une valeur « grammaticale ». Il
s’agissait notamment de pouvoir définir le statut linguistique du sens temporel lexical. Nous
avons posé que cette opposition entre grammaire et lexique relevait de tous les niveaux du
signe linguistique, car elle oppose catégorie grammaticale vs catégorie lexicale, mots
grammaticaux vs mots lexicaux et sens grammatical vs sens lexical. Toutes ces oppositions ne
se recoupent pas, mais offrent de multiples possibilités de combinaisons : ainsi un mot lexical
(ou lexème) peut véhiculer un sens lexical et un sens grammatical. Le sens grammatical du
verbe est fonctionnel, on parle d’opérateur prédicatif. Le sens temporel, lui, n’est pas une
fonction, nous considérons qu’il correspond à la dimension notionnelle du verbe. En tant que
notion, le sens temporel peut apparaître aussi bien au sein de morphèmes que de lexèmes. Le
lexème verbal est donc composé d’un sens lexical spécifique au sein de chaque unité verbe et
d’un sens notionnel temporel qui repose sur une définition unitaire du procès, et qui sera plus
ou moins spécifique en fonction des verbes. L’opposition grammaire vs lexique est abordée
au début de notre travail, parce qu’elle est également nécessaire pour comprendre d’autres
phénomènes, notamment le passage entre l’aspect tel qu’il est exprimé dans les langues slaves
et l’aspect tel qu’il est exprimé dans les langues romanes et germaniques.
En français, l’aspect n’est pas marqué par des formes spécifiques, il manque donc le
chaînon entre les valeurs aspectuelles lexicales et les valeurs aspectuelles flexionnelles. Cette
difficulté est résolue à partir de l’analyse de Agrell, qui distingue dans les langues slaves (en
l’occurrence le polonais) des valeurs aspectuelles véhiculées par les lexèmes verbaux et des
valeurs aspectuelles véhiculées par les affixes slaves. Cette opposition marque, à notre sens, la
frontière entre la valeur aspectuelle exprimée intrinsèquement par le verbe (la notion de
processus) et la valeur aspectuelle actualisée de ces verbes lors de leur interaction avec les
283
morphèmes aspectuels slaves. Nous maintenons l’idée que la valeur des affixes slaves est
spécifiquement aspectuelle, mais qu’elle se compose avec le sens aspectuel lexical des
lexèmes et avec le sens aspectuel des morphèmes flexionnels. Ainsi, s’il existe une distinction
entre aspect lexical et aspect grammatical, elle n’est pas de l’ordre du contenu des
informations aspectuelles, mais uniquement de l’ordre des formes, car les formes ne sont pas
spécialisées dans un type de contenu notionnel spécifique.
Ces constatations nous permettent de justifier une distinction entre contenu aspectuel
et contenu lexical au sein des verbes. En ce qui concerne la dimension de l’aspect
grammatical en français, les auteurs la situent principalement sur le plan des morphèmes
flexionnels. Nous avons passé en revue les principaux travaux centrés sur l’analyse du sens
des tiroirs verbaux, notamment ceux qui ont été initiés par Guillaume à la suite de sa théorie
psychomécanique et ceux qui se situent dans la lignée des travaux référentialistes de
Reichenbach (cf. C2-3.). Nous avons pu observer que la présence de multiples sens au sein
des tiroirs ne pouvait s’expliquer que par la distinction au sein des tiroirs verbaux, d’une
valeur temporelle et d’une valeur aspectuelle. Par ailleurs, les travaux de Gosselin montrent
que l’aspect lexical, l’aspect grammatical et le temps fonctionnent tous trois sur un continuum
permettant le repérage du procès par un locuteur dans une période temporelle particulière à un
moment t.
284
typologie de Vendler basée sur les tests ainsi que les typologies prédicatives ne permettent pas
de rendre compte du sens (ou rôle) aspectuel de ce préfixe car l’élément minimal d’analyse de
l’aspect est le lexème. Ainsi, pour rendre compte de la structure aspectuelle des dérivés et des
lexèmes verbaux, il nous fallait trouver une typologie ou des critères assez fins de description
du sens des éléments aspectuels.
Après avoir décrit le rôle des différentes éléments discursifs dans la construction du
sens aspectuel et dissocié le sens aspectuel propre au verbe du rôle des compléments et de
l’environnement verbal, nous pouvions aborder l’étude du sens lexical des verbes. Cette étude
passe tout d’abord par les typologies présentées au chapitre 4. Nous nous sommes appuyé
principalement sur quatre typologies. Il existe de nombreuses typologies des procès, mais
notre objectif était de montrer les principaux problèmes relevés par les typologies et
d’indiquer quelques méthodes d’analyse de la construction du sens aspectuel. Notre point de
départ est l’analyse de Vendler, les débats que cette typologie a suscité portent sur la
définition ontologique ou linguistique de la notion de procès, sur le statut lexical, prédicatif ou
phrastique de l’expression du procès, sur les critères de détermination des classes (tests
linguistiques, traits sémantiques, concepts logiques) et enfin sur les différents types de
compositionnalité (syntaxique, sémantique holiste, sémantique atomiste). De notre point de
vue, les analyses prédicatives ou phrastiques, en attribuant le même type de valeurs
aspectuelle au verbe et à la phrase, mènent à une analyse extensive du sens qui ne s’intéresse
plus aux éléments linguistiques qui construisent la complexité du sens général. Par là, ils
évacuent toute la complexité du sens processuel. Mais ce qui masque les données, ce n’est
souvent que l’étiquette utilisée pour décrire le sens aspectuel qui renvoie bien souvent au sens
global processuel.
Ces deux chapitres nous ont permis de d’aboutir sur une définition de l’aspect lexical
et de son expression qui précise notre point de vue. Pour rendre compte du rôle aspectuel de la
dérivation, nous avons entrepris de mettre en place une typologie lexicale qui repose sur
l’aspect spécifique du verbe et la notion de processus. Pour cela, nous nous sommes appuyé
sur des éléments qui permettent de décrire la structure interne du procès véhiculé par le verbe
285
et les bornes de délimitation de cette structure. Ces deux éléments sont inspirés des concepts
de continuité et de non-continuité de Karolak qui lui servent à décrire la structure interne de
différents types de verbe et les différentes natures des bornes et du contenu
Notre typologie s’appuie également sur les traits téliques et homogènes qui ont fait l’objet de
beaucoup de débats. Nous reprenons donc à notre compte ces critères, en considérant que les
différents types de structure interne sont l’homogénéité temporelle, l’homogénéité actionnelle
et l’hétérogénéité actionnelle et les différents types de bornes sont des bornes temporelles, des
bornes actionnelles de clôture du procès et des bornes simultanément actionnelles et
temporelles qu’on appelle téliques. Pour rendre compte de différents types de verbe, il faut
pouvoir également prendre en compte leur potentialité contextuelle, c'est-à-dire les différents
types de complémentation qu’ils impliquent et le résultat de ces interactions avec la
complémentation. Il faut également considérer les différents espaces temporels que peuvent
créer les périphrases verbales et les tiroirs temporels au sein de la structure du procès (dans ce
cadre, il faut tenir compte de phases préparatoires au procès et d’états résultatifs qui sont
impliqués par la valeur du verbe). La typologie aboutit à une description de plusieurs classes
de mode de procès, c’est-à-dire de l’aspect lexical propre au verbe. Ces classes avaient
d’ailleurs déjà été décrites dans différents travaux. Parmi celles-ci, outre les classes ÉTAT,
ACCOMPLISSEMENT, ACHÈVEMENT et ACTIVITÉ de Vendler, nous distinguons une classe
supplémentaire ACTIVITÉ2 exemplifiée par Vet et Verkuyl et qui concerne des verbes qui
n’ont pas de bornes actionnelles, quel que soit leur type de complémentation. Nous
considérons aussi les verbes GRADUELS qui sont distingués par Bertinetto, par Martin et déjà
exemplifiés par Vet, possèdent des bornes actionnelles mais avec une structure interne
homogène. Nous distinguons également deux classes de verbes fortement liées qui sont les
MULTIPLICATIFS de Karolak et les SEMELFACTIFS de Smith, les multiplicatifs apparaissant
comme la catégorie quantificationnelle des semelfactifs. Cette typologie est pour nous apte à
rendre compte du sens aspectuel des dérivés en RE-, car les notions de bornes et d’intervalles
s’appliquent bien à la structure linéaire des procès, de plus le fait d’intégrer les paramètres
contextuels permet de rendre compte de toutes les phases du procès qui peuvent être
actualisées et donc activées également par le préfixe.
Dans le dernier chapitre, nous posons le problème de la nature du sens aspectuel des
dérivés en RE-. Cette question se divise en deux parties, puisqu’il y a d’un côté la
problématique dérivationnelle et de l’autre la problématique lexicale. L’analyse
dérivationnelle a pour objet la recherche du sens produit par le préfixe dans le processus de
dérivation, l’analyse lexicale a pour objet l’étude du sens des dérivés lexicaux en RE-. Ces
deux niveaux sont différents car le préfixe RE- est très productif, et le dérivé peut très bien
subir un processus de lexicalisation qui rend le lexème autonome. Puisque le lexème a acquis
sa propre autonomie, il n’est plus lié à la base lexicale du verbe à partir duquel il a été
construit, mais il peut subsister un sens résiduel du préfixe dans le sens du lexème. Même si,
d’un point de vue aspectuel l’analyse du sens de ces verbes reste très intéressante, notre
objectif est d’établir une analyse dérivationnelle permettant de rendre compte de l’effet de
sens du préfixe sur la base lexicale. Une des étapes était donc de chercher les critères
nécessaires à la délimitation des verbes dérivés en RE-. Nous les avons posés après avoir
défini le sens du préfixe et caractérisé son rôle opératif en nous appuyant sur les travaux de
Amiot et Apothéloz.
286
partie de la quantification temporelle et, à ce titre, elle informe sur la pluralité des procès mais
n’informe pas sur la relation qui existe entre ces procès. Seule la qualification, et donc
l’aspect, informe de ce lien, c’est d’ailleurs souvent par l’intermédiaire de marqueurs
aspectuels qualitatifs que se produit un effet de sens itératif (ce que Gosselin appelle
glissement de sens). Le préfixe RE- est typique de ce fonctionnement. En superficie, le préfixe
indique uniquement la quantification (deux procès sont itérés) mais l’analyse du dérivé
montre qu’il implique un schéma processuel entre les deux procès, le lien entre ces deux
procès étant expressément marqué par un troisième procès intermédiaire. Nous nous sommes
arrêté sur ce point en montrant différents types de scénario processuel en fonction du sens
aspectuel du lexème verbal. Nous pensons que les dérivés en RE-, qui sont très utilisés dans la
publicité et que nous avons trouvé en grande nombre au début de romans, impliquent déjà un
mini-scénario narratif qui permet de créer ou de densifier une histoire. Cette dernière
remarque reste à explorer.
Ce travail a été pour nous une aventure intellectuelle très enrichissante. En mêlant la
sémantique de la temporalité et la morphologie dérivationnelle, nous avons interrogé sans
cesse le lien qui unit la forme au sens, dans ses multiples dimensions : notionnel, cognitif,
référentiel, lexical, grammatical, en langue, en discours, virtuel et actuel. Mais, les nombreux
problèmes de fonds soulevés dans cette thèse ont été autant d’écueils qui ont ralenti sa
progression. Les difficultés de description de l’aspect lexical et les difficultés de distinction
des verbes dérivés et non-dérivés en RE-, ont ralenti le travail sur corpus. L’influence du sens
lexical sur le sens aspectuel des verbes mérite beaucoup plus d’approfondissement notamment
pour préciser les différentes structures de l’axe actionnel. La typologie des verbes mériterait
elle aussi d’être affinée, nous n’avons pas pu prendre la mesure de tous les paramètres
spatiaux. Mais la méthode que nous avons mise en place de description du sens aspectuel
lexical à partir de la notion de progression temporelle, qui nous a été fortement inspirée par
les travaux de Karolak, nous paraît assez solide pour être approfondie, et concernant l’analyse
du préfixe RE-, nous pensons qu’en montrant qu’il implique un processus actionnel complexe
nous aboutirons à la meilleur description possible de son rôle aspectuo-temporel.
Depuis une centaine d’années, le nombre important de travaux sur l’aspect a entraîné
une multiplication des axes de recherches théoriques. Du syntagme verbal au discours en
passant par la phrase et même en allant jusqu'à la structure de la pensée, chacun attribue à
l’aspect une place et un rôle différent. Les travaux que nous avons du consulter sont
nombreux et très variés : sémantiques (Dowty, Vet), pragmatiques (Moeschler), syntaxiques
(Verkuyl, Smith), référentiels (Gosselin, Vetters), logiques (Karolak), cognitifs (Brès, Croft),
énonciatifs (Desclés, Franckel). La perspective de sémantique lexicale que nous avons prise,
nous a conduit à écarter certains travaux, notamment les travaux de pragmatique de la
temporalité et les travaux énonciatifs. D’autres travaux auraient mérité plus d’attention,
notamment le point de vue cognitif de Croft (2000) dans Verbs. Aspect and Argument
Structure. Pour finir, nous pouvons ajouter qu’il reste encore beaucoup de pistes à
approfondir, si ce travail de recherche est un travail borné temporellement, il reste que ce
n’est pas un travail télique, car c’est un travail que nous poursuivrons.
287
Annexes
© Scott Mc Cloud « L’art invisible : comprendre la bande dessinée », Paris : Vertige Graphic..
288
ANNEXE 2 – Différentes conceptions du temps subjectif
289
Annexe 3 – Typologie des Aktionsart de Agrell
290
ANNEXE 4 – Liste des 270 RECOURIR REGAGNER
lexies dérivées en RE- RECOUVRIR REGARNIR
RECRACHER REGELER
issues du TLF RECRÉER REGONFLER
RÉCRÉER REGRATTER
RÉABONNER RECRÉPIR REGREFFER
RÉABSORBER RECREUSER REGRIMPER
RÉACCOUTUMER RÉCRIER (SE) REGROUPER
RÉADAPTER RÉCRIRE RÉÉCRIRE RÉHABILITER
RÉADMETTRE RECUEILLIR RÉHABITUER
RÉAFFIRMER RECUIRE REHAUSSER
RÉAJUSTER RECUIRE RÉHYDRATER
RÉAMÉNAGER RECYCLER RÉIMPLANTER
RÉAPPARAÎTRE REDÉCOUPER RÉIMPORTER
RÉAPPRENDRE REDÉCOUVRIR RÉIMPOSER
RÉAPPROVISIONNER REDÉFAIRE RÉIMPRIMER
RÉARMER REDÉFINIR RÉINCARCÉRER
RÉARRANGER REDEMANDER RÉINCARNER
RÉASSURER REDÉMARRER RÉINCORPORER
REBAPTISER REDÉPLOYER RÉINSCRIRE
REBÂTIR REDESCENDRE RÉINSÉRER
REBATTRE REDEVENIR RÉINSTALLER
REBLANCHIR REDEVOIR RÉINTÉGRER
REBOISER REDIFFUSER RÉINTRODUIRE
REBORDER REDIRE RÉINVENTER
REBOUCHER REDISTRIBUER RÉINVESTIR
REBOUCLER REDONNER RÉITÉRER
REBOUTONNER REDORER REJAILLIR
REBRODER REDORMIR REJETER
RECALER1 REDOUBLER REJETER
RECAUSER REDRESSER REJOINDRE
RECÉDER RÉÉDIFIER REJOUER
RECENTRER RÉÉDITER RELÂCHER
RECHANGER RÉÉDUQUER RELANCER
RECHANTER RÉÉLIRE RÉLARGIR
RÉCHAPPER RÉEMBAUCHER RELAVER
RECHARGER RÉEMPLOYER RELÉGUER
RECHASSER RÉENGAGER RELEVER
RÉCHAUFFER RÉENSEMENCER RELIER
RECHAUSSER RÉENTENDRE RELIRE
RECHERCHER RÉÉQUILIBRER RELOGER
RECLASSER RÉESSAYER RELOUER
RECOIFFER RÉÉVALUER REMÂCHER
RECOLLER RÉEXAMINER REMANGER
RECOMBINER RÉEXPÉDIER REMANIER
RECOMMANDER RÉEXPOSER REMARIER
RECOMMENCER REFABRIQUER REMARIER
RECOMPOSER REFAÇONNER REMARQUER
RECOMPTER REFAIRE REMBARQUER
RÉCONCILIER REFENDRE REMBOÎTER
RECONDUIRE REFERMER REMÊLER
RECONQUÉRIR REFLEURIR REMETTRE
RECONSIDÉRER REFONDRE REMEUBLER
RECONSTITUER REFORMER REMMAILLOTER
RECONSTRUIRE REFORMULER REMMENER
RECONVERTIR REFOUILLER REMODELER
RECOPIER REFOULER REMONTER
RECORRIGER REFOURRER REMONTRER
RECOUCHER REFROIDIR REMORDRE
RECOUDRE REFUIR REMOUCHER
RECOUPER
291
REMOUDRE RÉTABLIR
REMOUILLER RETAILLER
REMOULER RETAPER
REMPAILLER RETENDRE
REMPILER RETIRER
REMPLIR RETOMBER
REMPOCHER RETOQUER
REMPORTER RETORDRE
RENAÎTRE RETOUCHER
RENCHÉRIR RETOURNER
RENDORMIR RETRACER
RENFILER RETRADUIRE
RENFLAMMER RETRAIRE
RENFONCER RETRAITER
RENOMMER RETRANSCRIRE
RENOUER RETRANSMETTRE
RENTRER RETRAVAILLER
RENVOYER RETRAVERSER
RÉOCCUPER RETREMPER
RÉORDONNER RETROUVER
RÉORGANISER RÉUNIFIER
RÉORIENTER RÉUTILISER
REPARAÎTRE REVACCINER
REPARLER RÉVEILLER
REPARTIR2 REVENDRE
REPASSER REVENIR
REPAVER REVERDIR
REPÊCHER REVERSER1
REPEINDRE REVÊTIR
REPENSER REVITALISER
REPERCER REVIVIFIER
REPERDRE REVIVRE
REPÉTRIR REVOIR1
REPEUPLER REVOLER2
REPINCER
REPINCER
REPIQUER
REPLACER
REPLANTER
REPLÂTRER
REPLIER
REPLONGER
REPORTER1
REPOSER1
REPOUSSER2
REPRENDRE
REPRÉSENTER1
REPRODUIRE
RESSAISIR
RESSAUTER2
RESSERRER
RESSERVIR
RESSORTIR1
RESSOUDER
RESSOUVENIR1(SE)
RESSUER
RESSURGIR
RESSUYER
RESTRUCTURER
RESUCER
292
Index des auteurs
A D
Agrell · 57, 68, 75, 76, 77, 78, 79, 87, 95, Dahl · 71, 85, 86, 209, 213, 218
283, 284, 290, 296 Dal · 259, 260, 261
Amiot · 228, 240, 243, 249, 250, 251, 252, Damourette et Pichon · 15
253, 254, 255, 257, 265, 266, 275, 277, David · 74, 151
286, 296 Declerck · 213
Apothéloz · 24, 197, 228, 235, 240, 241, Depraetere · 213, 215, 217, 218
252, 253, 255, 256, 257, 258, 259, 263, Deschamps · 162
265, 276, 286, 296 Desclés · 16, 17, 162, 220, 221, 222, 282,
Archaimbault · 59, 60 287, 298
Aristote · 13, 79, 93, 210, 211, 216, 219 Dik · 50, 54, 87, 174, 175, 194
Arrivé · 18, 19 Do-Hurinville · 16, 298
Asnes · 203 Dolbec · 228, 240, 241, 246, 247, 248,
262, 263, 272, 278
B Donzé · 35, 36
Dowty · 85, 137, 171, 212, 255, 263
Barcelo · 37 Duchacèk · 50, 72, 84, 87
Benveniste · 14, 16, 21, 22, 41, 148, 282, Ducrot · 11, 74, 85, 104, 105, 109, 132,
296 133, 236, 264
Bergounioux · 11 Durkheim · 19
Bertinetto · 286, 302
Binnick · 63, 79 E
Blanche-Benveniste · 148
Bogacki · 23, 30, 31, 181 Eliade · 19
Borik · 87 Evans-Pritchard · 19
Borillo · 42, 46, 134, 233
Bouscaren · 162 F
Boyé · 228, 259
Brès · 37, 87, 97, 117, 180, 287, 296, 297 Fradin · 23, 24, 25, 32, 121, 130, 156
Brunot · 122, 187 Franckel · 228, 263, 287, 298
Buyssens · 75, 262 François · 33, 79, 122, 155, 156, 162, 190,
191, 194, 201, 210, 217
C François-Geiger · 33
Fuchs · 155, 220, 221, 222
Choi · 18
Cohen · 15, 53, 65, 68, 70 G
Combettes · 194, 226
Comrie · 63, 85, 93, 135, 137, 177, 209 Garey · 79, 80, 83, 95, 100, 120, 176, 209,
Confais · 14 210
Coquet · 71 Gerhard-Kraitz · 240
Corbin · 249, 258, 266 Golian · 85, 127
Coseriu · 84 Gosselin · 9, 39, 79, 83, 93, 105, 106, 107,
Creissels · 73 108, 109, 110, 112, 113, 114, 115, 116,
Croft · 85, 121, 287 117, 122, 131, 132, 138, 139, 140, 162,
Culioli · 85, 240 180, 190, 191, 193, 194, 199, 201, 210,
293
218, 229, 234, 235, 247, 284, 287, 298, Marchand · 255
299 Martin · 24, 27, 74, 124, 125, 162, 171,
Gougenheim · 134 194, 196, 197, 200, 220, 221, 228, 284,
Greč · 15, 59, 60, 61 286, 297, 298, 301
Guentchéva · 209 Mazodier · 162
Guillaume · 9, 19, 41, 85, 92, 93, 94, 95, Mc Cloud · 19
96, 97, 104, 106, 117, 122, 123, 127, Meillet · 26, 31, 32, 72, 122
131, 133, 177, 178, 246, 284, 299, 302 Meinicke · 240, 241, 243
Mel’čuk · 50, 51
H Moeschler · 98, 105, 287, 300, 301, 302
Moignet · 85
Hagège · 11 Mok · 240, 244, 245, 246, 249, 261, 262,
Hall · 19 267
Hjemslev · 177 Mounin · 74, 83
Mourelatos · 10, 139, 161, 162, 163, 164,
165, 168, 172, 180, 187, 190, 194, 202,
I 207
Muller · 151, 153
Imbs · 23, 30, 31, 34, 39, 40, 57, 88, 90,
91, 93, 127
N
J Naert · 127, 128
Nowakowska · 77, 177, 197
Jalenques · 240, 246, 268, 270, 272, 273
P
K
Polguère · 24, 26, 27, 31, 121, 246
Karolak · 10, 65, 70, 73, 110, 117, 162, Port-Royal · 34, 35, 36, 39, 40, 57, 88, 98
176, 177, 178, 179, 180, 181, 182, 183, Pozierak-Trybisz · 177, 181
184, 185, 186, 187, 192, 193, 197, 199, Pusch · 86, 135
225, 229, 231, 251, 283, 286, 287, 299,
300
Khallouqi · 202, 205 R
Kleiber · 36, 38, 49, 52, 53
Klein · 105 Recanati · 48, 162, 198, 202
Klum · 128, 190 Reichenbach · 9, 41, 98, 99, 100, 101,
Kozlowska · 214, 215, 217, 218 102, 103, 104, 105, 107, 108, 109, 117,
133, 230, 232, 234, 273, 284, 300, 302
Reiff · 59, 60, 64, 65, 70, 74
L Ricœur · 12
Rohrer · 202, 203, 204, 205, 206, 207
Laca · 87, 88, 134, 135, 136
Langacker · 21, 141
Leeman-Bouix · 55 S
Lipsky · 123
Lo Cascio · 37 Samain · 60, 75, 78
Lyons · 16, 57, 60, 71, 124 Sarda · 151, 153
Sasse · 32, 85
Saussure · 18, 92, 137, 138, 177, 260
M Saussure L. · 138
Schaeffer · 11, 74, 85, 104, 105, 109, 133
Maingueneau · 85
294
Smith · 42, 87, 107, 130, 181, 199, 226, Vet · 10, 54, 55, 85, 87, 91, 132, 138, 162,
286, 287, 302 166, 167, 168, 170, 171, 172, 173, 174,
Sthioul · 92 175, 176, 180, 187, 188, 191, 194, 195,
Swiatkowska · 65 196, 202, 203, 220, 221, 224, 226, 235,
286, 287, 297, 302, 303
T Vetters · 16, 17, 36, 38, 42, 79, 83, 86, 98,
100, 105, 118, 137, 140, 162, 194, 199,
Taylor · 201 210, 215, 282, 287, 303
Tesnière · 43, 44, 98, 148 Veyrenc · 15, 62, 65, 67
Todorov · 264 Victorri · 31, 32, 151
Touratier · 88, 123, 232 Vuillaume · 44
V W
Vendler · 9, 10, 62, 79, 80, 81, 82, 85, 87, Wechsler · 263
105, 107, 113, 114, 118, 119, 120, 128, Whorf · 19, 177
137, 139, 143, 144, 145, 146, 149, 153, Wilmet · 16, 17, 53, 60, 87, 93, 95, 118,
158, 159, 160, 161, 162, 163, 164, 165, 123, 140, 228, 282, 284, 303
166, 167, 168, 169, 170, 171, 172, 175,
187, 191, 194, 197, 198, 201, 202, 209, Y
210, 211, 212, 218, 221, 226, 229, 284,
285, 286, 302 Yvon · 37, 77
Verkuyl · 10, 162, 166, 167, 168, 169,
170, 171, 175, 180, 187, 191, 216, 219,
224, 286, 287, 302
295
Bibliographie
296
Borillo A. (1991) « De la nature compositionnelle de l’aspect », Travaux de linguistique et
philologie 29, Strasbourg-Nancy : Klincksieck, pp. 97-102.
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Borillo A. (2005) « Peut-on identifier et caractériser les formes lexicales de l'aspect en
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303
RESUME DE THESE
Notre travail de recherche est consacré à l’analyse, d’un point de vue aspectuel, du rôle
de la morphologie dérivationnelle dans le processus de construction du sens aspectuel lexical.
Le préfixe RE- est très intéressant parce que sa structure processuelle est complexe. Il
implique une relation entre un procès présupposé et un procès posé et cette relation est établie
par un troisième procès, intermédiaire, qui crée un lien de continuité, de reprise ou
d’interruption. L’activation de ces liens est notamment dépendante du sens de la base lexicale
du dérivé et du sens aspectuel de cette même base. Le préfixe RE- est donc un opérateur de
dérivation dont une des valeurs est aspectuo-temporelle et agit sur deux dimensions de la
temporalité linguistique : la première est quantitative, il s’agit de l’itération ; la seconde est
qualitative, elle traduit la relation temporelle établie entre les trois procès signifiés par le
dérivé.
Our research is centered on the analysis of the role of morphological derivation in the
elaboration of the lexical aspectual meaning.. The prefix RE- is particularly interesting because
of the complexity of its processual structure. RE- implies a relation between a presupposed
process and a posited process, and this relation is established by a third – intermediate –
process, which can signify continuity, resumption or interruption. The activation of this
relation depends in particular on the meaning of the lexical base of the derived term and on
the aspectual meaning of this base. The prefix RE- is thus an operator of derivation which
possesses a temporal/aspectual value acting on two dimensions of linguistic temporality : the
first, iteration, is quantitative, and the second is qualitative, as it expresses the temporal
relation established between the three processes signified by the derived term.
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