Collès Didactique Interculturel 1
Collès Didactique Interculturel 1
Collès Didactique Interculturel 1
Luc COLLÈS
CRIPEDIS – UCL (Louvain-la-Neuve, Belgique)
Aborder le thème de l’interculturel est une initiative pleine de pièges : il n’est pas toujours
aisé de se frayer un chemin entre les différentes approches qui entendent légitimer des
pratiques interculturelles. Dès lors, avant de proposer une série de méthodologies et de
démarches éducatives sur le sujet, ce qui constitue l’objet essentiel de cet exposé, il m’a
semblé utile de mettre en évidence deux pièges classiques qui guettent les pratiques
interculturelles, notamment en milieu scolaire.
A. L’objectivation de la culture
Cela est incorrect, surtout aujourd’hui. Il est de plus en plus évident que chaque individu
participe à plusieurs systèmes de références à l’intérieur de chacun des registres culturel,
linguistique, social…L’identité est plurielle et la pluralité est présente au sein de chaque
individu. Il est dès lors particulièrement trompeur de parler de cultures belge ou russe, comme
s’il s’agissait d’un bagage commun, identifiable, porté par chaque individu.
B. La sacralisation de la culture
Durant plusieurs siècles, le monde occidental a été imprégné des valeurs de l’autoritarisme
culturel. Convaincus de la supériorité de notre culture, nous exportions celle-ci sur les cinq
continents et l’imposions à tous les peuples dits primitifs.
Cette conception a heureusement changé, mais le danger existe aujourd’hui de tomber dans un
autre extrême, le relativisme culturel. Celui-ci se caractérise par le refus délibéré de censurer
une culture et par l’acceptation de toute pratique, parce qu’elle serait représentative d’une
culture déterminée. Je pense au contraire que la culture n’est pas un argument suffisant ou
absolu qui justifierait un comportement et que des considérations éthiques gardent la priorité
sur des expressions culturelles.
D’où ma proposition (mais c’est aussi celle de plusieurs artisans de l’interculturel) de limiter le
relativisme culturel en le soumettant à une Charte qui, aujourd’hui, semble recueillir, du moins en
principe, un très large consensus : la Déclaration des Droits de l’Homme. Mais cette position ne va pas
sans difficultés. Tout d’abord, d’un point de vue pédagogique, une des questions essentielles est de savoir
si une éducation aux droits de l’Homme peut être assurée, quel que soit le type de socialisation dispensé
en famille. En outre, cette éducation aux droits de l’Homme ne doit pas seulement se faire de manière
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théorique. L’enseignement de ces grands principes doit s’accompagner d’une mise en pratique dans
l’environnement de l’élève, à commencer par l’école.
Cela implique que les enseignants apprennent aux élèves à analyser l’actualité en fonction de valeurs
humanistes (condamnation de la violence et de l’apologie de la force par exemple), mais aussi que
celles-ci soient inscrites dans le projet pédagogique de l’école. Cela suppose donc que l’on encourage les
initiatives des élèves, qu’on cherche à rendre ceux-ci autonomes et responsables, aussi bien dans leur
travail que dans l’animation de la vie scolaire.
La pédagogie interculturelle est née en France au début des années soixante-dix dans le contexte des
migrations. Les préoccupations apparues au sujet des difficultés scolaires des enfants de travailleurs
migrants ont donné peu à peu naissance à l’idée que les différences ne constituaient pas un obstacle, mais
pouvaient, au contraire, devenir un enrichissement mutuel pourvu qu’on puisse s’appuyer sur elles.
Quand la didactique des langues étrangères s’est emparée du concept d’interculturalité dans les années
quatre-vingt et quatre-vingt-dix, le succcès de ce concept s’est accru au point de s’étendre aux autres
disciplines et de devenir un des axes essentiels de toute pédagogie. Aujourd’hui, l’interculturel s’est
constitué comme champ d’études universitaires, d’ailleurs largement dominé par les sociologues.
Comme l’ont bien montré les travaux de Martine Abdallah-Pretceille (cf. sa bibliographie
dans L’Éducation interculturelle, 1999), une telle méthodologie se veut formative en
sensibilisant l’élève à l’arbitraire de son système de références maternel. C’est qu’en effet,
l’acquisition de la compétence culturelle en culture d’origine n’est jamais vécue comme un
choix entre plusieurs possibles. Lors de l’éducation, les faits de culture apparaissent comme
des faits de nature tout à fait normaux et universels. Les étapes de la socialisation d’un
individu dans sa communauté sont enfouies dans l’oubli, si bien qu’il va jusqu’à ignorer que
ce qui lui paraît « évident » est une construction du monde qui relève de son environnement.
Un homme n’est donc jamais dépouvu de savoir culturel. Il dispose d’outils conceptuels qui
jouent le rôle d’un prisme déformant si le regard qu’il porte sur d’autres sociétés ne se fait
qu’à travers eux. Ces cribles peuvent alors être à l’origine de dysfonctionnements et de
jugements aberrants. Ainsi, il arrive fréquemment que l’on se réfère à un schéma universel à
partir duquel s’ordonneraient toutes les cultures. C’est le cas lorsque l’on cherche à retrouver
dans chacune d’entre elles des éléments connus mais sous des formes différentes (la mosquée,
c’est commel’église ou inversement) ou des degrés de maturité spécifiques. Cette façon de
voir peut amener l’individu à tomber dans les pièges de l’ethnocentrisme, source de racisme.
Celui-ci se traduit à la fois dans des attitudes et dans des discours justificateurs ou
moralisateurs. De tels mécanismes d’analyse peuvent être remis en question dans un cours de
langue, où d’autres modes de relation entre cultures maternelle et étrangère(s) peuvent être
proposés.
Les méthodes d’approche interculturelle que nous allons présenter ici envisagent toutes cette
« décentration » et la compréhension de l’Autre au détriment de la description et de la
connaissance théorique. Elles ont en commun de s’appuyer sur des sciences humaines
auxquelles elles empruntent sans compter : la sociologie, la psychologie sociale,
l’anthropologie, l’ethnographie de la communication et la linguistique.
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Première méthodologie : L’approche de l’interculturel par les représentations et les
stéréotypes
De cette notion, Zarate fait un véritable instrument pédagogique rendant caduque toute
description prétendument objective de la réalité : «Comprendre une réalité étrangère, c’est
expliciter les classements propres à chaque groupe et identifier les principes distinctifs d’un
groupe par rapport à un autre » (Zarate, 1993 : 37)
La didactique de l’interculturel vise aussi à développer une réflexion destinée à réduire, voire
à éviter les heurts qui surgissent dans des rencontres entre personnes de cultures différentes.
Le concept de « choc culturel » illustre à lui seul les conséquences de pareilles situations. Ce
n’est que dans les années quatre-vingt que la didactique des langues étrangères se
l’appropriera. Selon Margalit Cohen-Émerique, un tel choc peut être défini comme « une
réaction de dépaysement, plus encore de frustration ou de rejet, de révolte et d’anxiété (…) ;
en un mot, une expérience émotionnelle et intellectuelle, qui apparaît chez ceux qui, placés
par occasion ou profession hors de leur contexte socioculturel, se trouvent engagés dans
l’approche de l’étranger (…). Ce choc est un moyen important de prise de conscience de sa
propre identité sociale dans la mesure où il est repris et analysé » (Cohen-Émerique 1999 :
304).
Pareils chocs concernent tant le langage verbal que non verbal mais aussi tout ce qui a trait
aux valeurs, aux conceptions des choses et du monde…Dans ce type de contexte, l’individu se
trouve « coincé » entre deux modèles culturels. Il peut alors réagir de différentes manières. Je
reprendrai ici le modèle d’analyse proposé par Pierre Casse (1981). L’auteur distingue quatre
phases.
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La première est celle du contact initial avec la personne d’origine étrangère. C’est à ce
moment qu’interviennent nos préjugés dans la perception de la situation nouvelle. Les
réactions peuvent être très différentes selon les personnes (malaise, enthousiasme,
curiosité…). La deuxième correspond au premier ajustement par rapport à cette situation.
L’individu se trouve désarmé face aux résultats obtenus : il ne les comprend pas car ceux-ci
ne répondent pas à ses attentes.
Pour réduire les chocs culturels et arriver à un ajustement positif, Raymonde Carroll préconise
un dialogue en quatre temps. On s’efforcera tout d’abord de « faire le guet » en apprenant à
reconnaître ses jugements de valeur quand on croit décrire (se méfier de phrases
« essentialistes » où le verbe être est suivi d’un adjectif du type : « Les enfants américains
sont gâtés, mal élevés », ou de phrases négatives qui suggèrent un manque). Il s’agit, dans un
second temps, de mettre provisoirement entre parenthèses ce que l’on pense pour écouter le
point de vue de l’autre. Dans un troisième temps, on lèvera les parenthèses et l’on expliquera
son point de vue en s’articulant sur l’exposé de son interlocuteur. On s’attachera enfin, par la
lecture de textes de sociologues ou d’anthropologues (à la portée des élèves), à éclairer ce qui
a fait l’objet du choc (Carroll 1987).
Cette théorie peut s’appliquer à la rencontre de deux cultures ou de deux milieux et aux
changements que ce contact implique. Ainsi, des élèves issus de milieux populaires ou de
l’immigration ont développé d’autres réflexes culturels que ceux qui sont attendus en milieu
scolaire. Ils peuvent, par exemple, préférer des relations interpersonnelles basées sur des
valeurs plus humaines qu’intellectuelles ou encore apprécier davantage les éléments concrets
que ceux requérant une certaine abstraction. Tant de différences sont potentiellement
porteuses de dissonances par rapport à l’appropriation d’une nouvelle culture.
Ici encore, la démarche didactique tente d’utiliser la dissonance elle-même pour la réduire et
parvenir à un changement qui ne soit pas conflictuel pour le sujet, mais au contraire positif.
Pour cela ; il faut commencer par valoriser la culture et la langue de l’autre afin de s’en servir
comme outil de développement linguistique et vecteur de reconnaissance identitaire.
Envisagée comme une herméneutique permettant d’approcher les faits culturels présents dans
les textes littéraires, voire dans tout type de discours, l’approche anthropologique est une
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autre clé essentielle. Son enjeu est de voir comment chaque locuteur utilise des faits de sa
culture pour agir et s’affirmer.
Je propose de confronter, en classe de langue, des textes littéraires avec des textes non
littéraires émanant d’études de sociologues ou d’anthropologues et de soumettre les uns et les
autres à une lecture de type anthropologique. L’objectif que je poursuis est de favoriser la
découverte réciproque des cultures belges et maghrébines mises en évidence dans un contexte
de français langue seconde. Je suggère d’utiliser des textes issus des littératures françaises de
France et de Belgique, ainsi que du Maghreb et de l’immigration, comme points de rencontre
et de confrontation entre des univers culturels profondément divergents.
L’interprétation anthropologique que les élèves sont invités à pratiquer met l’accent suir les
perceptions différentes que ces cultures ont de l’espace et du temps. Je prévois, en outre, de
prolonger ces activités par des exercices de production orale ou écrite qui visent à renforcer
l’ouverture interculturelle en suscitant l’échange de points de vue et le décentration par
rapport aux cribles de la culture maternelle.
Un travail semblable porte sur la littérature migrante dans l’espace francophone (Belgique,
France, Belgique, Suisse). Je le mène en collaboration avec Monique Lebrun de l’UQAM
(Québec) : tous deux nous étudions les implications didactiques qui résultent de l’nsertion de
cette littérature en classe de français.
Autrement dit, il s’agit pour chacun, mais surtout pour l’apprenant étranger, de comprendre de
quelle manière son interlocuteur utilise la culture « pour dire et se dire » ou, tout simplement,
pour entretenir la relation engagée avec lui. Cette perspective est pragmatique.
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Salins proposait d’appliquer cette perspective à la didactique des langues vivantes, en
particulier le FLE.
L’objet d’étude est relativement limité puisqu’il s’agit des interactions. Salins précise même
qu’un des objectifs visés est « l’observation des interactions entre membres de communautés
linguistiques différentes et l’étude des difficultés qui peuvent se rencontrer dans la
communication interculturelle quand les partenaires ne partagent pas les mêmes règles, en
matière de comportements langagiers ou non langagiers ». Elle signale d’ailleurs l’étroite
parenté qui existe, sur ce point, entre cette approche et la linguistique interactionniste.
Pour Kerbrat-Orecchioni, les variations culturelles peuvent se localiser à tous les niveaux du
fonctionnement des interactions : tours de parole, rituel de salurtation, etc. La pragmatique
dite « contrastive » a d’abord pour objectif de décrire toutes les variations observables dans
les comportement qu’adoptent les membres de différentes sociétés dans une situation
communicative particulière.
Ces descriptions doivent permettre de définir le profil d’une société donnée, sa manière de se
présenter dans l’interaction, en relation avec un certain nombre de valeurs partagées. C’est
ainsi que l’on distinguera des sociétés à « éthos » plus ou moins proche ou distant, égalitaire
ou hiérarchique, consensuel ou conflictuel, ces caractérisations reposant sur un certain nombre
de marqueurs pertinents. A terme, ces descriptions devraient permettre de dégager la part
relative des universaux et des variations culturelles dans le fonctionnement des interactions
(Kerbrat-Orecchioni 1994).
Ainsi, le « tact system » est une stratégie universelle : c’est l’ensemble des procédés mis en
œuvre pour ménager la « face » de l’autre. Mais ces diverses normes conversationnelles sont
sujettes à d’importantes variations culturelles. Ainsi, au Vietnam, il est de mise d’inaugurer
une conversation par une question telle que « Vous avez mangé du riz ? » ou « Que faites-
vous là » et de la clore par une recommandation : « Mangez du riz, s’il vous plaît ». Autre
exemple : le fonctionnement des tours de parole : le « gap » en France et aux U.S.A. Le gap
est l’intervalle qui sépare la fin d’une prise de parole et le début de la suivante. En France, le
rythme est rapide : le gap est de 3/10e de seconde alors qu’aux U.S.A.,il est de 5/10e de
seconde. Ainsi, un Américain discutant avec un français aura les plus grandes difficultés à
« en placer une ».
En 1984, Robert Galisson ébauche une idée qu’il développera dans des publications
ultérieures. Il fonde son approche sur ce que Vincent Louis appelle « l’hypothèse
lexicologique ». J’ai moi-même suivi cette piste linguistique en l’élargissant à l’analyse de
l’implicite dans le discours et dans la communication en général.
L’hypothèse lexicologique
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Galisson fonde son approche sur la distinction qu’il opère entre culture savante et culture
comportementale (ou « culture partagée »). Si l’on veut que les étrangers puissent comprendre
les natifs dans leur vie quotidienne et être compris par eux, il faut, selon lui, leur donner les
moyens d’accéder en profondeur à la culture partagée par ceux-ci, laquelle gouverne la
plupart de leurs attitudes, représentations et coutumes (Galisson 1991).
Or cette culture comportementale se dépose avec prédilection dans certains mots que Galisson
appelle « mots à charge culturelle partagée » et qu’avec les auteurs de Que voulez-vous dire ?
(1988) j’appellerai plus tard « culturèmes ». Ce sont ces mots que l’on se propose
d’inventorier, de définir et de consigner dans un auto-dictionnaire (constitué au fil de
l’apprentissage). Cette entreprise, qui consiste à accéder à la culture partagée par le lexique,
présente l’avantage de ne pas séparer l’enseignement de la culture de celui de la langue. Elle
prend en compte le poids de la pragmatique lexicale dans le discours.
Outre que, d’une culture à l’autre, la langue ne découpe pas la réalité de la même façon, des
signes dits équivalents (procédant d’un même référé) peuvent avoir des signifiés identiques et
des charges culturelles partagées (des CCP) différentes. Ainsi, le mot « vache » désigne, en
Inde comme en France, la femelle du taureau, mais sa CCP diffère d’un pays à l’autre : en
Inde, elle est protégée parce que sacrée, alors qu’en France elle est exploitée parce que
nourricière.
Par rapport aux dictionnaires actuels, où c’est la culture savante qui est privilégiée (notices
encyclopédiques, nombreuses citations d’auteurs légitimés…), le dictionnaire des CCP (ou
culturèmes) à construire met davantage l’accent sur les usages courants : « La dragée est bien
traitée dans le Petit Robert pour ce qui touche au référent (…), puisqu’on y apprend qu’il
s’agit d’une « confiserie formée d’une amande, ou praline, ou noisette, etc., recouverte de
sucre durci » ; et qu’il existe « une dragée à la liqueur où l’amande est remplacée par une
goutte de liqueur ». En revanche, on ne nous dit pas que les dragées accompagnent toujours la
cérémonie du baptême, qu’elles sont en principe offertes par le parrain du nouveau-né, que le
choix de leur couleur obéit à un code largement observé en France, à savoir que les dragées
roses sont réservées aux bébés de sexe féminin, les bleues aux bébés de sexe masculin, les
blanches convenant aussi bien aux filles qu’aux garçons » (Galisson 1991 : 122).
Certes, un natif connaît ces usages, mais c’est loin d’être le cas de tous les étrangers, surtout si
la dragée n’existe pas dans leur pays ou n’appelle pas la même symbolique.
Pour ne pas s’égarer dans un domaine d’investigation si vaste, Galisson propose une typologie
élémentaire qui se veut une recension des lieux où se concentrent les mots « plus culturels que
les autres ». Ceux-ci se regrouperaient en trois catégories :
- ceux dont « la CCP est le produit de jugements tout faits véhiculés par les
locutions figurées » ; c’est le cas de celles qui relèvent du bestiaire culturel, qui assignent des
qualités ou des défauts à tel ou tel animal (exemples : « fort comme un bœuf », « sale comme
un cochon », « gai comme un pinson », etc.) ou de celles qui désignent des « inanimés
culturels » (ex. »sourd comme un pot », « dur comme une pierre »…) ;
- ceux dont « la CCP résulte de l’association automatique d’un lieu à un produit
spécifique » (la moutarde et Dijon, les nougats de Montélimar) ;
- ceux dont « la CCP est la coutume suggérée par le mot » ; c’est le cas des idées
associées aux fêtes et à certaines cérémonies (« Noël, évoquant le sapin, la bûche, la
crêche…).
L’hypothèse de l’implicite
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J’ai moi-même exploité (Que voulez-vous dire ? 1998) certaines pistes lancées par Galisson,
mais en les intégrant progressivement dans une attitude de prévention contre les malentendus
nés de la mécompréhension des implicites discursifs. Je fais de la bonne compréhension de
ceux-ci un instrument actif de la démarche interculturelle.
Tirant d’abord parti de la théorie des maximes conversationnelles de Grice, je fais remarquer
que certains implicites découlent du respect de la maxime de quantité selon laquelle le
locuteur ne doit pas exprimer ce que l’interlovuteur sait déjà. Ces connaissances peuvent être
encyclopédiques (ainsi, tout le monde sait qu’une voiture fonctionne à l’essence, au diesel ou
au gaz), mais aussi linguistiques et rhétoriques (par exemple, la connaissance des normes
littéraires et rhétoriques dans une langue) ou liées à la situation de communication (il s’agit
des déictiques qui concernent les interlocuteurs, le temps ainsi que l’espace de l’énonciation).
J’ai défini l’ensemble de ces connaissances comme le « savoir partagé », expression que j’ai
empruntée à Galisson.
Selon moi, bon nombre de malentendus verbaux proviennent d’une mauvaise interprétation
des implicites contenus dans le message. Certes, il ne s’agit pas d’enseigner aux apprenants
l’ensemble des situations qui se prêtent à des malentendus culturels, mais il est possible
d’entraîner les apprenants à prévoir ceux-ci et à en limiter les risques.
Ces deux approches se complètent du reste parfaitement. D’un côté, Galisson met en lumière
les connotations associées au lexique ; de l’autre, je tente d’élargir la problématique à
l’ensemble du discours. Nous nous rejoignons sur l’idée que l’élucidation des valeurs
implicites de la langue constitue une voie d’accès à cette culture partagée qui crée un
sentiment de complicité entre natifs.
Au-delà de l’interculturel
Dans un article paru en 2002 dans la revue de l’APLV, Langues modernes, Christian Puren
défend l’idée que la nouvelle perspective actionnelle proposée dans le Cadre européen
commun de référence pour les langues (CECR) du Conseil de l’Europe constitue un
dépassement de la perspective actionnelle de l’approche communicative, et qu’elle implique
par conséquent un dépassement de la perspective culturelle qui lui était liée, celle de
l’interculturel.
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Il ébauche les grandes lignes de ce qu’il nomme une « perspective co-actionnelle co-
culturelle ». C’est qu’en effet, lorsqu’il s’agit non plus seulement de « vivre ensemble » (co-
exister ou co-habiter) – ce qui, d’après Maddalena De Carlo – constitue l’objectif de
l’éducation interculturelle – mais de « faire ensemble » (co-agir), nous ne pouvons plus nous
contenter d’assumer nos différences ; il nous faut impérativement créer ensemble des
ressemblances. Il s’agit donc de « se forger des conceptions identiques, c’est-à-dire des
objectifs, principes et modes d’action partagés parce qu’élaborés en commun par et pour
l’action collective ».
Bibliographie