Secteur Informel

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LA FlSCALISATIO~ DU SECTEUR I~FORMEL :

le gisement existe-t-il et peut-il être exploité?

PAILLAUD Olivier
RAKOTOMANANA Faly
ROUBAUD François
Dans tous les pays en développement, la question de la fiscalisation du
secteur informel est un débat aussi vieux que le secteur lui-même. Il
prend d'autant plus d'acuité à Madagascar aujourd'hui, que. d'une
part, le pays connaît 'une grave crise de ses finances publiques, avec
une érosion constante du taux de pression fiscale, et que, d'autre part.
la contribution du secteur informel au PIB a tendance à croître avec
l'atonie de la demande de travail formel. Face à ce défi, les autorités
malgaches ont décidé de mettre en place un impôt synthétique, dès
Economie
1999. A vec la réalisation de deux enquêtes 1-2-3 (J995, 1998),
de Madagascar
Madagascar dispose aujourd'hui d'instruments d'analyse exceptionnels N"3
pour répondre aux principales questions que pose l'assujettissement du Octobre 1998
secteur informel, et plus globalement sa légalisation.
Après avoir décrit les principales caractéristiques productives du secteur La fiscalisation du
informel, et estimé son poids dans l'économie nationale, les auteurs secteur informel
s'attachent à analyser les relations plus ou moins conflictuelles qu'il
entretient avec l'Etat. Ces éléments jouent un rôle central pour définir Olivier PAILLAUD
la stratégie fiscale à adopter vis à vis du secteur informel Faly RAKOTOMANANA
Dans un second temps, une mesure du potentiel fiscal du secteur Frcnçors ROUBAUD
informel est proposé. L'ampleur du manque à gagner pour l'Etat, de
l'ordre de 64% de l'ensemble des recettes fiscales du pays, atteste de 185
l'existence d'un gisement qui doit être exploité. La législation fiscale en
vigueur s'avérant inadaptée, les auteurs explorent les modalités que
pourraient prendre la fiscalisation du secteur, à la fois pour accroître le
consentement à l'impôt. et pour éviter ses conséquences négatives sur la
pauvreté.
En conclusion, cette étude plaide en faveur d'un nouveau contrat avec
l'Etat, impliquant l'administration centrale, les collectivités locales et
les opérateurs informels. En préalable, une simplification radicale des
procédures d'enregistrement est préconisée, pour réduire les coûts de
légalisation, et prouver la détermination de l'Etat à appuyer ce secteur.

Olivier PAILLAUD, Faly RAKOrOMANANA


et François ROUBAUD sont économistes
ans tous les pays en développement, la question de la fiscalisation du

D secteur informel est un débat aussi vieux que le secteur lui-même. Il


prend d'autant plus d'acuité à Madagascar aujourd'hui, que, d'une
part, le pays connaît une grave crise de ses finances publiques, avec
une érosion constante du taux de pression fiscale, et que, d'autre part, la
contribution du secteur informel au PIB a tendance à croître avec la crise et
l'atonie de la demande de travail formel (publique et privée), De façon
récurrente et malgré la succession d'échecs enregistrés par la plupart des pays
ayant cherché à l'assujettir à l'impôt. l'Etat tourne son regard avec
concupiscence vers ce secteur qu'il considère comme un gisement fiscal
inexploité. Il est conforté en cela par les récriminations tout aussi régulières
des groupes d'opérateurs formels, qui se plaignent de la concurrence déloyale
dont ils sont victimes de la part de produits informels moins chers car non
taxés,

Cette question s'inscrit dans la perspective plus générale de la


«formalisation de l'informel », L'Etat voit d'un mauvais oeil ce pan de
Economie l'économie qui échappe largement aux régulations publiques (enregistrement,
de Madagascar législations du travail. fiscale, réglementations urbaines, etc.), et plus
N°3
largement au contrôle social qu'il cherche à exercer, Velléitaire, la politique
Octobre 1998 .
de l'Etat à l'égard du secteur informel balance entre le laisser-faire, entérinant
son incapacité à proposer une véritable alternative en termes de créations
La fiscalisation du
d'emplois productifs, et la volonté de le soumettre à sa juridiction, afin de
secteur informel
combler le manque à gagner que représente un secteur informel qu'il ne
maîtrise pas,
Olivier PAILLAUD
Faly RAKOTOMANANA,
FrançoIs ROU BAUD Pour bien comprendre l'enjeu que constitue la fiscalisation du secteur
informel et orienter l'action publique, il est nécessaire de définir clairement ce
186 qui se cache derrière l'ensemble de ces activités, souvent considérées comme
insaisissables, Ce sera l'objet de la première partie. Dans la deuxième nous
analyserons les relations qui existent entre le secteur informel et l'Etat. Ces
relations, plus ou moins conflictuelles, conditionnent largement les possibilités
et les modalités de fiscalisation du secteur informel. La troisième partie sera
consacrée à l'estimation du potentiel fiscal que représente le secteur informel,
ainsi qu'à l'incidence en matière de distribution des revenus de la taxation du
secteur, En conclusion, les principaux résultats seront synthétisés et nous
établirons quelques principes pour la mise en place d'une stratégie
d'assujettissement du secteur informel.

Le secteur informel: de quoi parle-t-on?


Depuis son apparition au début des années 70 dans le lexique des
économistes s'intéressant aux questions de développement, le terme de
« secteur infonnel » a longtemps posé problème[pour une revue de la littérature
sur ce point, voir Roubaud. 1994]. Bien qu'il ait donné lieu à une véritable
pléthore d'études thématiques, ni le concept théorique de secteur informel, ni
les définitions opérationnelles mises en oeuvre pour l'appréhender
statistiquement n'ont fait l'objet d'un véritable consensus. Cette confusion a
même conduit certains auteurs à en rejeter la pertinence scientifique [Lautier,
1994, Morrisson, Mead, 1996].

Cependant, la situation s'est notablement clarifiée au début des années


- 90, avec l'adoption par deux organismes internationaux de référence, le BIT et
le bureau des statistiques des Nations Unies, de résolutions visant à la fois à
définir le secteur informel, à l'intégrer dans un cadre cohérent: celui du
nouveau Système de Comptabilité Nationale (SCN93. révision 4), et à en
permettre la mesure concrète[BIT, 1993, ONU, 1993]. Sans reprendre en
détail le contenu de ces deux documents méthodologiques de base, nous
brosserons succinctement les contours qu'ils proposent pour circonscrire le
secteur informel (partie lA), puis nous analyserons les principales
caractéristiques économiques du secteur informel à Madagascar, à partir de Economie
données d'enquêtes récentes appliquant les principes qu'ils préconisent (partie de Madagascar
lB). N°3
Octobre 1998

Secteur informel et économie non enregistrée : un cadre


La fiscalisation du
de référence secteur informel

Le secteur informel peut être décrit comme un ensemble d'unité


OliVier PAILLAUD
produisant des biens ou des services en vue principalement de créer des Faly RAKOTOMANANA,
emplois et des revenus pour les personnes concernées. Les unités de FrançOIs ROUBAUD
production du secteur informel (UPI) présentent les caractéristiques
particulières des entreprises individuelles (le propriétaire est totalement 187
responsable des obligations financières et non-financières entreprises par
l'UPI). telles que définies dans le SCN93. Elles opèrent à petite échelle. avec
un faible niveau d'organisation. et avec peu de division entre le travail et le
capital en tant que facteurs de production. Elles ne sont pas nécessairement
réalisées avec l'intention délibérée de se soustraire aux réglementations
publiques (impôts, cotisations sociales, législation du travail, etc.). même si la
plupart d'entre elles ne sont pas dûment enregistrées. D'un point de vue
opérationnel. les UPI peuvent être définies, compte tenu des circonstances
nationales. selon l'un ou plusieurs des critères suivants:
i) taille des unités inférieure à un niveau déterminé d'emploi;
ii) non enregistrement de l'unité ou de ses salariés.
L'enregistrement peut se référer à l'inscription prévue par la réglementation
industrielle ou commerciale, les lois fiscales ou de sécurité sociale, la
réglementation des groupes professionnels, ou par des textes semblables, des
lois ou des règlements établis par les instances législatives nationales,

Cette perspective permet de distinguer le secteur informel des


différents autres types d'activités économiques, auquel il est trop souvent
amalgamé, à savoir :
l'économie domestique ;
l'économie illégale;
l'économie souterraine ;
et d'un point de vue plus général. l'économie non enregistrée ou non
observée,

En premier lieu, les UPI correspondent à des actlvItes marchandes (ou


principalement marchandes), et n'incluent donc pas les travaux domestiques
que les ménages réalisent pour leur propre compte. En second lieu. elles ne
comprennent pas non plus les activités illégales consacrées à la production ou
au commerce de bien et services prohibés par la loi (production et trafic de
Economie drogue, etc.). En troisième lieu, «l'économie informelle» se différencie de
de Madagascar « l'économie souterraine », qui regroupe l'ensemble des activités légales dont
N°3 les acteurs cherchent délibérément à échapper aux régulations publiques, en
Octobre 1998
général dans le but d'accroître leurs profits. On notera ici que la frontière
entre économie souterraine et secteur informel n'est pas clairement tranchée.
La fiscalisation du
Ainsi, dans les pays développés, les pratiques de fraudes, d'évasion fiscale, ou
secteur informel
le travail au noir relèvent largement de l'économie souterraine. Les entreprises
en question sous-déclarent volontairement leur activité, même si dans la
Olivier PArLLAUD
Faly RAKOTOMANANA,
plupart des cas elles sont légalement enregistrées. En revanche, dans les pays
FrançoIs ROUBAUD en développement, l'informalité est directement associée à une faiblesse
administrative et politique de l'Elat (voir deuxième partie).
188
Figure 1
Les trois dimensions majeures de l'économie marchande non enregistrée
Secteur informel Fraude, évasion fiscale Activités illicites
Univers Umtés économiques non Umtés enregistrées sous- Unités illégales
enregistrées par déclarantes
l'aùmmlstratO
Logique de CréatO d'emplOIs. génératO Baisse des coûts de Sur-profits
production de revenus fanllllaux production délictueux
Sect.institutionnel Ménage (El) Sociétés (SQS), Ménages (El) Ménages (El)
Intégration aux Création d'un ,ous- CorrectIOn du biais dû à la Réestimation par
Comptes Nationaux secteur spécifique sous-évaluation produit
Mode de saisie Enquétes spéCifiques directes Audit de type fiscal Méthodes indirectes
(flux phYSiques)
Sources: ROUBAUD. SERUZIER, 1991.

Finalement, le secteur informel est loin de se confondre à l'ensemble


de l'économie non enregistrée. Il mérite d'être distingué de l'économie
souterraine et des activités illicites, car ces trois dimensions relèvent de
logiques économiques différentes, impliquent différents types d'acteurs, et des
méthodes de mesures propres à chacune, comme l'illustre la figure 1.

Forts de ce cadre conceptuel. deux enquètes sur le secteur informel


dans l'agglomération d'Antananarivo ont été menées au cours des trois
dernières années [MADlO, 199.5 et 1998]. Nous ne reviendrons pas sur la
méthodologie originale des enquêtes 1-2-3, si ce n'est pour rappeler qu' cl le
fournissent une image réellement représentaI ive du secteur informel.
notamment des activités qui s'exercenl à domicile ou sur la voie publique, à la
différence de la plupart des enquêtes réalisées à ce jour dans les PED sur ce
thème [STATECO, 1994]. Cette précision revêt toute son importance, dans la
mesure où les résultats obtenus de ces investigations risquent d'induire en
erreur les politiques publiques du fait même de biais grossiers d'estimation.

La définition du secteur informel adoptée à Madagascar est


l'ensemble des unités de production non constituées en société qui ne
possèdent pas de numéro statistique et/ou ne tiennent pas de comptabilité Economie
écrite formelle, Parmi les critères proposés par le BIT, celui du non de Madagascar
N°3
enregistrement administratif a été préféré à celui de la taille. En dehors de
Octobre 1998
raisons d'ordre général [énumérées dans ROUBAUD, SERUZIER, 1991], cette
définition s'imposait naturellement à Madagascar en vertu de l'impératif
La fiscalIsation du
d'exhaustivité de couverture de l'activité économique: les enquêles sur le
secteur Informel
secteur formel ne portant que sur le champ des entreprises pourvues d'un
numéro statistique. De plus, l'obtention d'un numéro statistique constilue la
OliVier PAILLAUD
première étape obligatoire sur la voie la légalisation d'une unité économique. Faly RAKOTOMANAN
Mentionnons enfin que les UPI du secteur primaire (agricultures urbaine et FrançOIs ROUBAUD
péri-urbaine) n'ont pas été enquêtées pour des raisons pratiques.
189
Principales caractéristiques économiques et poids du
secteur informel à Madagascar

Dans la perspective de fiscaliser ce secteur" il est nécessaire de cerner


les caractéristiques des UPI et l'ampleur du phénomène pour déterminer le
profil du contributeur informel Iype, et l'importance du gisement fiscal
potentiel.

Principales caractéristiques économiques

La précarité des conditions d'exercice est le premier dénominateur


commun aux établissements du secteur informel. Moins de 16% des UPI
disposent d'un local spécifique d'activilé, 46% exercent à domicile et 38% ne
possèdent aucun local. Même à domicile, la présence d'une pièce réservée à
l'activité économique est extrêmement rare. La précarité des locaux prive
d'accès aux principaux services publics la plupart des UPI (électricité, eau
courante, etc.).
Tableau 1
Quelques caractéristiques des unités de production informelles
% T~pe de local Accès aux services publics
Type d'Url Avec local Domicile Sans Total Electricité Eau Courante Téléphone
local
Salis n° Stat 12,1 50.0 37.9 100 24.1 9.0 1,4
A\'cc n° StaL 35.2 27.1 17.7 100 4.1.7 12.5 9.3
Total 1998 15.9 46.3 37.8 100 27,4 9.6 2.7
Total 1995 11.9 43.3 44.8 100 24.7 13.7 0.8
Sources: Enquete 1-2-3. phase~2. 1995. 19911. MADIO. nos propres calculs.

Le secteur informe! est atomi~é et la dynamique cntrepreneuriale


limitée. La précarité des établissements se répercute sur l'échelle d'activité et les
performances économiques des UPI. Souvent dépourvues de local, les UPI se
trouvent physiquement limitées dans leur capacité d'embauche. Dans l'immense
Economie majorité des cas, le secteur informel est constitué de micro-unités: 1.5 personnes
de Madagascar en moyenne dans l'agglomération d'Antananarivo. L' autu-emploi domine (71 %
N°3 des UPI) ct près de 90% des UPI comptent deux personnes ou moins. En
Octobre 1998 conséquence, la relation salariale est très minoritaire.

La flScalJ,atlon du La comparaison avec les caractéristiques productives du secteur


sec leur Informel formel montre l'écart incommensurable qui sépare les deux secteurs (cf.
tableau 2). En 1995, la taille moyenne des établissements industriels formels
Olivier PAILLAUD était de 28 personnes (185 dans les sociétés et quasi-sociétés), contre 1,5 pour
faly RAKOTOMANANA.
les UPI. Le capital moyen atteignait 449 millions de Fmg, contre 1.6 millions
françols ROUBAUD
dans le secteur informel. tandis que le rapport de l'investissement était de 1 à
125. Même mises en regard des entreprises individuelles formelles, les unités
190
de production du secteur informel se montrent beaucoup moins performantes.

Tableau 2
Performances économiques comparées
des secteurs informel et formel en 1995
MIllions de Fmg Valeurs moyennes par étahlissement
Type d'UPI Nh d'emplois Capital Val. Ajoutée 1m'estissement VA/L
Sans nO Statistique 1.5 1.4 2,4 0.3 1.8
A"cc n° StatislÎfJU(' 1.9 3.7 9.3 1.2 4.8
Total informel 1.6 1.6 3.0 0,4 2.3
El Formelle 8 77 .lI 5 3.4
SQS 180 2261 2024 400 11.0
Total formel 28 449 251 SO 8.9
Sources' EnqllL'll' 1-2-3. phase 2. 1995, EAI95. MADIO. nos propre, calculs. VA/L. valeur
ajoutée par per,onne
L'absence de protection est le lot commun de la main-d'oeuvre du
secteur informel: pas de contrat, pas de couverture sociale, elle ne bénéficie
pratiquement d'aucun,:: prestation (primes, congés payés, avantages en nature,
participation aux bénéfices, clc.). De plus, la rémunération moyenne dans le
secteur informel est faible. En mars 1998, un salarié du secteur formel (public
ct privé confondus) gagnait 300 000 Fmg par mois, contre seulement 152 000
Fmg pour les travailleurs informels. Si cet écart s'explique en partie par des
différences de qualifications ct de structures des emplois, à travail égal. les
employés du secteur informel se trouvent systématiquement défavorisés. Ces
piètres performances individuelles se répercutent au niveau des ménages.
Ainsi, le revenu moyen par unité de consommation (u.c.) des « ménages
informels », c'est à dire dont le chef exerce dans ce secteur, n'atteint que 75%
de celui des autres ménages.
Tableau 3
Caractéristiques comparées des emplois et des ménages
informels et formels
(1000 Fmgi TOUS ACTIFS TRA VAILLEURS DEPENDANTS MElI\AGES
Revenus mensuels Bulletin.. . Avec COnlrJI Couvert Revenu Conso EJU
Economie
moyen médltlll T, SEI' Je pale Ecnt OH oral Soc',lle moy / uc mcm lu C L'IJurJnlt:
de Madagascar
Informel 152 96 58,8'7c 2,5% 4,3% 1,0% 102 58 8,8% N°3
Formel 300 200 15.4% 69,8% 62,8% 50.1% 133 92 25,6~é'
Octobre 1998
Total 215 t50 40,0% 45,9% 42,0% 32.ï% Il'1 ï8 18,3"'0
Sources. Enquete emplOI 1998. Enquete con,ommallon 1995, MADIO, nos propres ealcub LL's
travailleurs dépend,tnts ,ont les salanés, les apprentis et les aides familiau!<. U.c .. un.té de La f,scalisatIOn ùu
consommation, correspondant à ('échelle (f'éqlJlvalence où chaque adulte compte pour 1 et ,ecteur Informel
chaque enfant pour 0,5 Toutes les données sonl de 1998. sauf la consommation moyenne par
u.c .. qUI date de 1995. SEI' sous-emploI inVIsible, so.t les actifs qUI travaillent mOins de 35
OliVIer PAILLAUD
heures par semaine et qUi voudra.t travailler plus. Faly RAKOTOMANANA
FrançOIs ROU BAUD
Les informations disponibles par ailleurs confirment le dénuement réel
des «ménages informels ». En 1995, la consommation moyenne par u.c. des
191
«ménages informels » ne représentait que 63% de celle des autres ménages.
De plus, tous les indicateurs de bien-être convergent dans le même sens. A
titre d'exemple, alors que plus d'un quart des «ménages fonnels » disposent de
l'eau courante à domicile, ils ne sont que 9% chez les «ménages informels ".

La pauvreté se concentre donc fortement sur les «ménages


informels ». La précarité des conditions d'activité el la Lublesse des
rémunérations font tomber le mythe de l'informel, eldorado caché. Ce ré~\lJltat
conduit à deux conclusions importantes en terme de fiscalisation du secteur
informel. D'une part, la capacité contributive du secteur est limitée. D'autre
part, son assujettissement risque d'avoir des conséquences régre""ives en
termes de distribution des revenus.
Une estimation de l'ampleur du phénomène

Il est difficile de se faire une idée précise du poids du secteur informel


dans l'économie malgache. Autant les investigations poussées dans la capitale
permettent une quantification fiable. autant les estimations restent hasardeuses
à l'échelle nationale. En effet. les données fournies par la comptabilité
nationale sont éminemment fragiles. et on ne sait pas exactement si le secteur
informel est inclus (totalement ou partiellement) dans les chiffres officiels.

Si l'on se restreint dans un premier temps à l'agglomération


d'Antananarivo. sur une population active occupée estimée à 476 000
personnes en 1998. 270 000 exerçaient dans le secteur informel. soit une
proportion de 57%. En termes de revenus, la part de l'informel « tombe» à
40%. soit 490 milliards de Fmg sur un total de 1 230 milliards.

Au ni\'eau national. l'enquête permanente auprès des ménages


permettait de dénombrer. en 1993, 1.1 millions d'emplois informels pour une
Economie population active occupée de 6,4 millions. Le poids du secteur informel (hors
de Madagascar agriculture) représentait 17% de l'emploi total. et près de 80% de l'emploi non
N°3 agricole. L'estimation en termes de PIB est plus problématique. Cependant,
Octobre 1998
moyennant quelques hypothèses raisonnables. on peut évaluer la production
du secteur informel non agricole au niveau national à 2 830 milliards de
La fiscalisation du
Fmg et sa valeur ajoutée à 1 865 milliards de Fmg entre mai 1994 et avril
secteur tnf ormel
1995 [MADIO, 1995a]. En ajustant ces chiffres pour tenir compte des
décalages temporels (données calendaires pour la comptabilité nationale ct
Olrvler PAILLAUD
Faly RAKOTOMANANA.
données courant de mai 1994 à avril 1995 pour l'enquête 1-2-3). le secteur
Français ROUBAUD informel représenterait 17% du PIB officiel, et 26% du PIB marchand non
agricole à Madagascar. en 1995. En 1998. les mèmes calculs conduirait à une
192 part du secteur informel équi\'alente à 18% du PIB. Ces résultats montrent
toute l'importance que joue le secteur informel dans la production nationale.

Tableau 4
Le poids du secteur informel dans l'économie malgache
Agglomération National (1993 pour l'emploi,
d'Antananarivo (1998) 1 1995 pour Je pm)
Informel Total Part de Informel Total Part de
l'informel l'informel
Emplois (1 0(0) 270 476 57% 1116000 6400 000 17%
Revenus ( Mt.!, rmgl 490 1 230 40%
PIB - - 2300 l.1 700 17%
Source.. ' Enquete emploI 199~, Enquetc1-2-3, pha,e 2, 1995, MADIO, EPM 1993, cadrage
macro-0CDnomlque, nos propres calculs. Le, revenus du travail et IL- PIE .,onl e\pnmés en
mililanis de Fmg courant> (1998 pour les premiers et 1995 pour les seconds).
Le secteur informel et l'Etat relations conflictuelles
ou ignorance mutuelle ?
La nature des relations du secteur infonnel avec l'Etat est au coeur
des enjeux sur le rôle que ce secteur joue dans le processus de développement
des pays du tiers-monde. L'ambivalence et l'inconstance de l'Etat à son égard
constitue une source d'incertitude qu'il convient de lever pour que l'effort
productif des entrepreneurs infonnels ne soit pas sans cesse contrarié.

Le secteur informel et les registres administratifs

Le type de registres administratifs mesure la nature des liens


institutionnels que le secteur infonnel entretient avec l'Etat. Nous avons
identifié, en dehors du numéro statistique, au moins quatre registres sur
lesquels les unités infonnelles étaient susceptibles d'être inscrites: le registre
du commerce, la patente, la carte rouge et enfin l'organisme de sécurité sociale
(la CNaPS).
Economie
de Madagascar
Lors de sa création, toute unité de production non constituée en W3
socIete est censée suivre un certain nombre de démarches officielles pour Oclobre 1998
obtenir un statut légal. Tout d'abord, l'entrepreneur doit se déclarer auprès du
Fokontany dans lequel son établissement est localisé. Puis, il est censé remplir La fiscalisation du
une déclaration d'existence aux contributions et payer la patente, puis secteur informel
demander une carte statistique à l'INSTAT. Ensuite, il retourne aux
contributions afin d'obtenir sa carte professionnelle (plus connue sous le nom OliVier PAILLAUD
de « carte rouge »), qui devra être renouvelée chaque année et lui donnera la Faly RAKOTOMANANA.
François ROUBAUD
possibilité de se fournir chez les grossistes. Enfin, il peut s'inscrire au Registre
du Commerce, ce qui lui permettra de recourir au système judiciaire en cas de
litige, et de se faire connaître en apparaissant au Journal Officiel. Si ces 193
démarches sont obligatoires pour toute activité marchande, les autres registres
que nous avons identifiés ne sont nécessaires que dans certains cas. Ainsi par
exemple, l'affiliation à la CNaPS est liée à l'emploi de salariés dans
l'établissement.

Encadré 1
Le parcours du combattant des PME menant à l'enregistrement
Les PME dont le chiffre d'affaires est inférieur à 250 militons de FMG, c'est-à-dire la tranche où
l'on trouve la quasi totalité des entreprises inforrhelles. doivent suivre un circUIt pour ètre en
règle vis à vis de la loi. Voici les différentes étapes de ce parcours «complexe >,

.1) Déclaration et enregistrement fiscal


Li.!lli : Bureau des Contributions Directes à Faravohitra. porte III ou 200
Documents nécessaires: certifIcat de résidence : 1 exemplaire ; présentation des pièces
d'Identité ; formulaire de déclaration de patente: 1 exemplaire
Pièces délivrées: établissement de la taxe professionnelle sur le formulaire de déclaration de
patente visé; émission du rôle des patentes (2 volets)
Délai de délivrance des pièces : 112 Journée théorique

2) Paiement de la patente ou taxe professionnelle


Lieu: Perception principale dont dépend le siège social
Documents nécessaires : formulaire de déclaration de patente enregistré à présenter (pour
vérificatIOn) ; rôle des patentes (2 volets)
Piéces délivrées: quittance de paiement de la patente
Délai de délivrance des pièces: 112 journée théonque

3) Immatriculation statistique
~ : INSTAT, ANOSY. porte 201
Documents nécessaires . formulaire de déclaration de patente enregistré à présenter (pour
vérification) ; photocopie certifiée conforme d' une pièce d'identIté du crèateur : quittance de
paiement de la patente
Pièces délivrées: carte statistIque, numèro stallstique
Délai de délivrance des pièces: 1/2 journée théorique

4) Immatriculation fiscale
Lieu: CFPE, Amparibe, 1er étage
Documents nécessaires: numéro statistique; formulaire pour l'immatriculation
Economie Pièces délivrées: attestation d'Immatncula on fiscale; numéro d'IdentificatIon fiscale
dc Madagascar Délai de délivrance des pièccs : 2 jours au moins
W3 5) Délivrance de la carte professionnelle
Octobre 1998
~ : Bureau des Contributions Directes, Faravohitra, portc 200
Documents nécessaires: carte statistique: numéro d'identIficatIOn fiscale; quittance de paiement
La fiscalisation du de la patente
secteur informel Pièces délivrées: carte professionnelle
Délai de délivrance des pièces: 2 jours théonques

Olivier PAILLAUD Remarque: elles peuvent encore s'immatriculer au registre du commerce afIn de bénéficier d'une
Faly RAKOTOMANANA. publication au journal officiel, mais ce n'est pas oblIgatoire.
François ROUBAUD
L'estimation du temps nécessaire aux démarches est largcment théonque. Il suppose une parfaite
connaissance de cIrcuits admimstratIfs, généralement opaques pour la plupart des micro-
194 entrepreneurs, D'ailleurs, un certain nombre de cabincts de conseil, se sont spéCialIsés dans la
prise en charge des formalItés, Ce service nécessite de 15 jours à un mois pour un coût vanant
entre 1,5 et 2,5 millions de Fmg. Une somme hors de portée des opérateurs Informels

Dans l'immense majorité des cas, les unités informelles sont


inconnues de l'ensemble des services de l'Etat (tableau 5). L' affiliation la
plus fréquente correspond à la patente, au numéro statistique et à la carte
rouge, avec de 19% à 15% d'unités informelles inscrites. Ainsi, malgré la
multiplicité des registres potentiels, près de 80% des DPI sont totalement
inconnues des services publics, c'est à dire qu'elles ne possèdent ni numéro
statistique, ni carte rouge, qu'elles ne sont enregistrées ni au Registre du
commerce, ni à la CNaPS, et qu'elles ne paient pas la patente. Il semble ainsi
que dans le secteur informel le non enregistrement soit la norme. En revanche,
si les unités informelles ne sont pas enregistrées, cela ne signifie pas qu'elles
ne s'acquittent pas, au moins partiellement, de leur devoir fiscal. En effet,
20% d'entre elles sont enrôlées à la patente.

Tableau 5
Taux d'affiliation des DPI aux différents registres administratifs
% Type d'UPI Total
Type de registres Sans n statistique
G
Avec n statistique
G 1998 1995
Numéro statistique 0,0 100 16,3 16.8
Patente 6,5 87,1 19,7 18,9
Carte rouge 3,4 70,4 14,4 15,4
Registre du Commerce 0,6 16,1 3,1 6,1
CNaPS 0,0 1,3 0,2 0,5
~

Sources: Enquete 1-2-3, phases 2. 1995 et 1998, MADIO, nos propres calculs. Carte rouge:
carte professionnelle. CNaPS: Caisse Nationale de Prévoyance sociale.

Les raisons du non enregistrement

On a souvent prétendu que l'informalité provenait d'un excès de


régulations publiques et d'une volonté délibérée des informels de contourner la Economie
législation. Cette thèse est partiellement démentie dans le cas d'Antananarivo. de Madagascar
Quel que soit le type de registres considérés, entre 60% et 90% des DPI ne W3
connaissent pas la réglementation, soit qu'elles considèrent que l'inscription Octobre 1998
n'est pas obligatoire, soit qu'elles ne savent pas auprès de quelle institution il
faudrait le faire. Donc, c'est avant tout la méconnaissance des obligations La fiscalisation du
juridiques qui induit les chefs d'unités de production informelles à ne pas se secteur informel

déclarer. Le refus ostensible de toute collaboration avec les organismes publics


n'est le fait que d'une infime minorité (moins de 7% des DPI). Les activités Olivier PAILLAUD
Faly RAKOTOMANANA,
informelles apparaissent donc plus comme un secteur de développement
François ROUBAUD
spontané {les activités économiques des ménages que comme une stratégie
de "contournement" de la législation en vigueur jugée inhibante. La solution
195
au problème du non enregistrement du secteur informel passe avant tout par
une politique de communication active de la part de l'Etat et sans doute par
une simplification administrative des démarches liées à l'enregistrement.

Tableau 6
Les raisons du non enregistrement des unités de production informelles
Type de Raisons du non enregistrement
registres Trop Démarches Ne veut pas Non Ne sait pas En cours Autres
cher trop collaborer obligatoire s'il faut d'inscrip raison Total
comphquées avec l'Etat s'Inscrire -tion s
Patente 16,3 5,1 6,9 39,6 22.4 2,2 7,5 100
Carte rouge 9,5 8,0 6,4 44,4 22,3 2,2 7,2 100
Registre Commerce 6,5 11,4 5,9 43,7 25,1 1,4 6,0 100
CNaPS 5,7 4,2 5,6 59,6 17,5 1,2 6,2 100
.
Source: Enquete 1-2-3, phase 2, 1998, MADIO, nos propres calculs. Carte rouge: carte
professionnelle. CNaPS: Caisse Nationale de Prévoyance sociale. Les raisons du non
enregistrement n'ont pas été collectées pour Je nOstatistique.
Si le secteur informel ne va pas à l'Etat, l'Etat ne va pas
non plus au secteur informel

Si les informels n'effectuent pas les démarches nécessàires' pour


légaliser leur activité, existe-t-il une volonté de l'Etat d'insertion des informels
au sein du cadre réglementaire? Les résultats de l'enquête montrent que non.
Ainsi, moins de 7% des chefs d'UPI déclarent avoir connu des problèmes
avec les agents de l'Etat au cours de l'année écoulée, Il convient de noter
que les UPI enregistrées, c'est à dire les plus grosses, plus facilement
repérables et solvables, sont aussi les plus touchées par ces frictions avec les
agents publics. 18% d'entre elles se plaignent d'avoir eu maille à partir avec
l'autorité publique.

Pour la petite minorité des établissements informels qui ont eu un


différend avec l'Etat, l'objet du litige est dans 55% des cas un problème
concernant l'emplacement de l'activité. En revanche, le contentieux à propos
du paiement des impôts ou de la patente est rarement invoqué, puisqu'il ne
Economie touche que 3140 UPI sur les 164500 que compte la capitale, soit 1,9%.
de Madagascar
N"3
Octobre 1998
Lorsqu'un litige survient, le différend se règle par le paiement d'une
amende dans 11 % des cas. Plus intéressant encore, le paiement d'un
« cadeau», symptôme du phénomène de la corruption, ne représente le
La fiscalisation du
secteur informel mode de règlement du conflit «que» pour 34% des chefs d'UPI interpellés
par les agents de l'Etat, chiffre incommensurablement plus faible que celui
Olivier PAILLAUD
qui avait été obtenu à Yaoundé au Cameroun. Dans l'immense majorité des
Faly RAKOTOMANANA, cas. le contentieux se résout à l'amiable. Concernant le montant moyen des
François ROUBAUD amendes, pour les rares UPI qui en ont payées, il est de 159 000 Fmg sur
l'année, tandis que le montant des "cadeaux" atteint 70 000 Fmg. Si on
196 rapporte ces chiffres à l'ensemble du secteur informel. les amendes auront été
de 1 159 Fmg par UPI au cours de l'année écoulée, et les "cadeaux" n'ont pas
excédé 1 585 Fmg. montants qui sont très faibles.

Tableau 7
Le secteur informel et l'Etat: mode de règlement des litiges
Problèmes Pour les UPI ayant eu des problèmes , Montant moyen paIements
(cn 1000 Fmg/an)
BRANCHE avec l'Etat quel a èté le mode de règlement
oui Amendes "Cadeaux" Autres Total Amendes "Cadeaux"
Sans nO Stat 4,5 Il,8 23,3 64,9 100 231 26
Avec n° Sta!. 17,6 10,0 48,7 41.3 100 47 98
Total 1998 6,7 11,0 34,3 54,7 100 159 70
Total 1995 5,0 10,3 17,4 72,3 100 46 55
-
Sources: Enquete 1-2-3, phases 2,1995, 1998, MADIO, nos propres calculs. Le montant des
amendes et cadeaux est calculé pour ceux ayant effectivement payé. La catégorie « autres» pour
les litiges correspondent dans 80% des cas au déménagement d'activités exercées sur la voie
puhlique.
Cela signifie que d'une part, les sanctions monétaires de l'Etat à
l'encontre du secteur informel ne constituent pas une entrave majeure au
développement de leurs activités, et que d'autre part, le détournement de
fonds publics associé à la corruption envers le secteur informel représente
un manque à gagner dérisoire pour les finances publiques, que l'on peut
chiffrer à 260 millions de Fmg.

Pour conforter l' hypothèse selon laquelle l'Etat ne constitue pas la


contrainte majeure au développement des activités économiques informelles à
Madagascar, on mentionnera le fait que seuls 7,7% des chefs d' DPI
mentionnent l'excès de réglementation, d'impôts ou de taxes comme un réel
problème.

Potentiel fiscal et stratégie d'assujettissenlent


Les deux premières parties nous ont permis de tordre le cou à un
certain nombre d'idées reçues sur la nature du secteur informel. En premier
lieu, il se présente plus comme un secteur de développement spontané des Economie
de Madagascar
activités économiques des ménages que comme un secteur mettant en oeuvre N°3
une stratégie délibérée de contournement de la législation en vigueur. En Octobre 1998
second lieu, et bien que le secteur informel opère hors cadre légal, il entretient
avec l'Etat des relations d'ignorance mutuelle, par conséquent peu La fiscalisation du
conflictuelles. En fait, la faiblesse de l'Etat et la généralisation du secteur secteur informel
informel sont' deux manifestations d'un même phénomène: le sous-
développement de l'économie malgache. Voilà pourquoi la fiscalisation du Olivier PAILLAUD
secteur informel représente un défi qui n'a jamais pu trouver de solution Faly RAKOTOMANANA,
satisfaisante dans aucun pays aussi pauvre que Madagascar. Dans cette partie, François ROUBAUD
nous chercherons à apporter quelques éléments de réflexion sur la question de
la politique fiscale à l'égard du secteur informel. 197

Fiscaliser le secteur informel : dans quel but?


D'abord et en amont, il convient de s'interroger sur l'objectif et le
bien-fondé d'une politique de fiscalisation du secteur informel. L'impôt
constitue de très loin la première ressource financière de l'Etat, gage de sa
souveraineté. Or la pression fiscale à Madagascar se situe parmi les plus
faibles du monde, et qui plus est en baisse depuis le milieu des années 80,
malgré un léger redressement observé récemment. De l'ordre de 9% du PIB
depuis quelques années, elle se situe très en deçà du taux moyen observé dans
des économies de niveau de développement comparable, où le taux de pression
fiscale atteint 15%.
Non seulement, le taux de pression fiscale est notoirement insuffisant,
mais en plus, Madagascar est engagé dans un processus de transition fiscale
qui a pour effet de réduire la base imposable actuelle. Aujourd'hui, celle-ci
repose avant tout sur les transactions internationales, et dans une moindre
mesure sur la partie formelle de l'économie intérieure. Or, pour des raisons
d'efficacité économique, l'Etat cherche à transférer une partie des ressources
générées par le commerce extérieur vers des ressources assises sur l'activité
intérieure. Transférer le surcroît de charge fiscale sur le seul secteur formel
orienté sur le marché local risque d'en compromettre la compétitivité, et donc
à terme de réduire encore l'assiette de l'impôt, déjà trop étroite. La marge de
manoeuvre est donc particulièrement faible.

Dans ces conditions, la fiscalisation du secteur informel est une


nécessité. En fait, le problème fiscal se pose aussi bien pour le secteur
informel que pour l'agriculture de type familiale, qui en plus des difficultés
partagées avec l'informel, en ajoute d'autres: poids de l'auto-consommation,
dispersion sur le territoire et inaccessibilité. Si l'on ajoute au secteur informel
Economie l'agriculture familiale, c'est près de la moitié du PIB qui 'se trouve
de Madagascar massivement sous-fiscalisé. Il ne s'agit pas tant 'd'une question d'équité,
ND 3
Octobre 1998
puisque informels comme agriculteurs forment le gros bataillon des pauvres à
Madagascar, qu'une question de civisme. En effet, comment légitimer
l'impôt à Madagascar quand plus de 90% de la population n'y contribuent pas?
La fiscalisation du
secteur informel Pour mettre en oeuvre une politique publique ambitieuse, il est nécessaire que
l'ensemble des citoyens participe à l'effort fiscal de la Nation.
Olivier PAILLAUD
Faly RAKOTOMANANA, Jusqu'à maintenant nous nous sommes interrogés sur l'intérêt pour
François ROUBAUD l'Etat de fiscaliser le secteur informel. Mais en contrepartie, quels avantages
pourraient en retirer les opérateurs informels? En théorie, ces avantages sont
198 de deux ordres. D'une part, les recettes publiques sont supposées bénéficier à
l'ensemble de la Nation. D'autre part, la légalisation des activités informelles,
dont le respect de la législation fiscale est un élément essentiel, est censé
réduire leurs coûts de transaction. Etre en règle avec l'Etat réduit la probabilité
de contrôle et de harcèlement de la part des agents publics (amendes,
corruption, fermeture). Mais c'est aussi une condition préalable pour
bénéficier. d'un certain nombre de services aux entreprises (publics et privés)
comme l'accès aux marchés publics, aux grossistes, aux importations, aux
institutions de crédit, aux programmes de promotion, etc. En réalité, étant
donné l'inadéquation des instruments des services existants aux besoins des
micro-entreprises à Madagascar. il est possible que la fiscalisation du secteur
informel ne soit pour lui qu'un coût supplémentaire, sans contrepartie tangible.
Un secteur partiellement fiscalisé qui paie quoi et
combien?

Pour estimer le potentiel fiscal du secteur infonnel, il est nécessaire


de savoir s'il échappe aujourd'hui totalement à l'impôt, comme on a souvent
tendance à le supposer. En réalité, le secteur infonnel est partiellement
fiscalisé, comme le montre les résultats de l'enquête sur le secteur infonnel
dans l'agglomération d'Antananarivo (MADIO, 1998a).

Encadré 2
L'inadaptation du système d'imposition des PME
Les PME dont le chiffre d'affaires (CA) est inférieur à 250 millions de FMG sont obligées de
payer plusieurs impôts d'Etat et locaux. Parmi ces impôts, trois sont particulièrement
importants: il s'agit, d'une part, de la patente (ou taxe professionnelle) et de l'impôt général sur
les revenus non salariaux (IGRNS) qui sont des impôts directs, et, d'autre part, de la taxe sur les
transactions (TST) , impôt indirect. En considérant seulement le calcul de ces trois principaux
impôts dont doivent s'acquitter les PME, on comprend pourquoi peu d'entrepreneurs se
soumettent à leurs devoir fiscal.
Economie
La patente (ou taxe professionnelle)
Base et mode de calcul: La taxe professionnelle comporte un droit fixe, un droit proportionnel et de Madagascar
les centimes additionnels. Le calcul de l'administration fiscale se base sur la déclaration de W3
patente qui doit étre remplie par les contribuables. Il est fonction, d'une part de l'activité, Octobre 1998
différenciée selon sa classe, sa nature et sa catégorie, et, d'autre part de ses moyens
d'exploitation (local et matériel). La fiscalisation du
Le droit fixe: il est établi d'après les tableaux A et B annexés au CG! en fonction de la nature de secteur informel
l'activité, de la population de la localité d'exercice et du nombre de salariés de la PME.
Le droit proportionnel: il est établi à raison de la valeur locative des locaux et de l'outillage
utilisé. La base de taxation tient compte de tous les biens affectés aux besoins de la profession, Olivier PAILLAUD
dont le contribuable a disposé au cours de l'année précédente. S'il n'est pas possible de disposer Faly RAKOTOMANANA,
d'une valeur locative, le montant de ce droit est un multiple du droit fixe en fonction des classes François ROUBAUD
d'activité.
Les centimes Additionnels : le montant est égal à 30 % de la somme des droit fixe et
proportionnel.
199
Inadaptation: Dans la majorité des cas, il est très difficile aux petits entrepreneurs de calculer la
valeur locative de leur local et de leur matériel. Le calcul du droit proportionnel se base donc,
soit sur des chiffres non fiables, soit uniquement sur le droit fixe, ce qui conduit à d'énormes
biais. De plus, en raison du système de calcul (au cas par cas) et des moyens matériels et humains
dont dispose l'administration fiscale, il est évident que la base d'imposition calculée est erronée.

L'impôt général sur les revenus non salariaux OGRNS)


Base de calcul : Le calcul effectué par les services des contributions directes se base sur la
déclaration de revenus qui doit être remplie par les contribuables. Il est fonction du bénéfice net.
Mode de calcul: En fonction de différentes tranches de bénéfices nets, un taux d'imposition est
appliqué, et on obtient ainsI le montant de la taxe.
Remarque: Il y a trois types de régimes : au forfait, le résultat réel et celui des PME. Le calcul
de l'impôt se fait toujours sur la méme base, mais la plupart des PME choisissent le régime du
forfait car, dans ce cas, elles ne sont pas obligées de tenir une comptabilité. Cependant, pour
choisir ce régime, il y deux conditions: a) pour les prestataires de services, leur CA doit être
inférieur à 50 millions de FMG ; b) pour les activités d'achat revente, leur CA doit être inférieur
à 100 millions de FMG (nouvelles dispositions de la 101 de finances 1998).
InadaptatIOn: Tout le système est basé sur la déclaration de revenus. Or, d'une part. la plupart
des entrepreneurs informels sont incapables de la remplir, et, d'autre part, les moyens de contrôle
de l'administration fiscale sont quasi inexIstants.

La taxe sur les transactions (TSTl


Base et mode de calcul : Le calcul effectué par l'agent des contributions directes se base sur la
déclaration de revenus qui doit être remplie par les contribuables. Il est fonction du CA.
Le montant est fixe selon différentes tranches de CA pour les contribuables des deux catégories
mentionnées plus haut (CA inférieurs à 50 et 100 millions de FMG), et il est égal à 5 % du CA
pour les contribuables dont les CA sont supérieurs aux seuils précédents.
Inadaptation: Il y a toujours le problème de la fiabilité de la déclaratIOn de revenus. Mais, en
plus, pour les tranches de CA comprises entre 20 et 50 millions de FMG pour les prestataires de
services, et entre 50 et 100 millions de FMG pour les activités d'achat revente; les agents dés
contributions directes. en l'absence de la révision des textes fiscaux à ce jour. n'ont pas les
montants correspondants et appliquent alors l'imposition de 5 %. réservée aux seuils supérieurs.

5 types d'impôts ont été identifiés: les cotisations sociales payées par
les employeurs à la CNaPS, l'impôt sur les revenus non salariaux (lRNS) , la
taxe professionnelle (patente), les divers impôts locaux (tickets, place de
marché, etc,), et enfin les autres impôts (TUT, TST, TVA, droits de douanes,
Economie
de Madagascar droits de timbre, etc.). En premier lieu, l'analyse des résultats montre que
N"3 40% des UPI paient effectivement au moins un de ces types d'impôts: 30%
Octobre 1998 pour celles qui ne sont pas enregistrées et plus de 90% de celles qui possèdent
un numéro statistique. Si la patente est la plus répandue pour les secondes
La fiscalisation du (81 % la paient) ainsi que chez les transporteurs, ce sont les impôt locaux qui
secteur informel dominent largement pour les premières (27% les acquittent contre seulement
5% pour la patente). Plus de la moitié des commerçants et un tiers des
Olivier PAILLAUD gargotiers non enregistrés y sont soumis.
Faly RAKOTOMANANA,
François ROU BAUD
En second lieu, et en termes df( montants, chaque DPI paie en
moyenne 234 000 Fmg par an sous forme d'impôts divers aux autorités
200 publiques. Ce résultat global est évidemment très différent suivant le type
d'UPI. Les 137 000 UPI sans numéro statistique versent 54 000 Fmg, dont
plus de 80% en impôts locaux. Cette somme se monte à près de 1,2 millions
pour les UPI enregistrées. Même parmi ces UPI, l'impôt est très concentré
puisque la moitié d'entre elles paient moins de 156000 Fmg par an.

Si l'on rapporte les chiffres précédents à l'activité du secteur on peut


calculer un taux de pression fiscale effectif sur le secteur informel. Ainsi, les
divers impôts représentent 1,5% du chiffre d'affaires du secteur informel.
A titre de comparaison, en 1996 les taxes indirectes (TVA, TST, etc.) et
l'impôt sur les bénéfices des sociétés (lBS) représentait 6% du chiffre
d'affaires des entreprises industrielles formelles (6,6% pour les sociétés et
1,1% les entreprises individuelles: MADIa, 1998c).
Cette pression fiscale est six fois plus importante pour les UPI
enregistrées que pour celles qui ne le sont pas, où le taux est dérisoire: resp.
3,1 % et 0,5%. En revanche, le montant annuel pour l'ensemble de
l'agglomération est loin d'être négligeable, puisqu'il est supérieur à 37
milliards de Fmg, dont 30 milliards provenant des UPI avec numéro
statistique.
Tableau 8
Montants des prélèvements obligatoires payés les UPI'
Types de prélèvements Pression
(Montant annuel moyen par UPI en 1 000 Fmg) Total fiscale
Type d'UPI Cocisat IRNS Patente Impôts Autres Total Mt/liards de % du chIffre
o soc locaux impôts Fmg d'affaires
Sans nO Stal. 0 0 6 45 3 54 7 0.5
Avec nO Stat. 12 17 167 104 875 1 175 30 3,1
Total 1998 3 3 32 55 140 233 37 1.5
~ : Enquete 1-2-3, phases 2,1995, 1998, MADIO. nos propres calculs. Les «autres
impôts» comprennent toutes les taxes payées par les UPI : TVA, TST, TUT, taxes douanières,
vignettes, etc.

Economie
Le manque à gagner pour l'Etat de Madagascar
W3
L'enquête sur le secteur informel permet d'estimer le montant des Octobre 1998
impôts que devraient théoriquement acquitter le secteur informel dans
l'agglomération d'Antananarivo, compte tenu de la législation fiscale en La fiscalisation du
vigueur (voir encadré 2), et partant le manque à gagner pour l'Etat. Le calcul secteur informel
a été effectué pour trois types de taxes: la TST (fiscalité indirecte), l'IRNS et
la patente (fiscalité directe) (1). L'estimation n'a pas été menée pour les impôts Olivier PAILLAUD
locaux, bien qu'elle pèse lourdement sur le secteur informel, du fait de la Faly RAKOTOMANANA,
multiplicité des taxes prélevées et du manque d'homogénéité de leur mode de François ROUBAUD

calcul. Pour les trois impôts considérés seulement 30% de la patente est versé
aux collectivités locales, le reste revenant au Trésor public. 201

Dans l'agglomération d'Antananarivo

En 1998, les 164000 UPI de l'agglomération d'Antananarivo auraient


dû acquitter un montant total de 121 milliards de Fmg au titre de la TST, 182
milliards pour l'IRNS et 8 pour la patente. soit un total de 311 milliards de
Fmg, Si l'on tient compte des impôts effectivement versés, le manque à
gagner pour l'Etat est énorme. Il se chiffré à 300 milliards de Fmg pour
les trois principaux impôts.

1 ) Les calculs ont été menés à partir de la législation et des barèmes en vigueur pour les trois
impôts. L'IRNS greffé à la patente n'a pas été réimputé à l'IRNS potentiel, mais reste inclus dans
la patente potentielle. De plus, une fois le montant de la TST potentielle effectué, nous l'avons
déduit du bénéfice net sur lequel est assis l'IRNS, puisqu'il viendrait le grever s'il était
effectivement collecté.
On peut aussi comparer nos estimations aux rôles émis par
l'administration fiscale pour la capitale en 1998. Bien que les données
concernent toutes les entreprises de moins de 250 millions de chiffre
d'affaires, dont une bonne partie appartient au secteur formel, les montants à
recouvrer sont sans commune mesure avec ceux qui devraient être perçus.
Ainsi, pour la TST, les rôles issus des contributions directes se montent à 1
milliard contre 120 milliards pour la TST potentielle du seul secteur informel.
Les chiffres sont respectivement de 8,6 et 182 milliards pour l'IRNS. Seule la
patente semble mieux appréhendée avec 7,6 milliards de rôles émis contre 8
milliards dû par l'informel. Mais cette meilleure couverture n'est
qu'apparente, puisque au bas mot, 130000 UPI ne la paient pas.

Tableau 9
Le potentiel fiscal du secteur informel dans l'agglomérat O d'Antananarivo
Milliards de Fmg Types d'impôts Presse fiscale théorique Manque à gagner
Type d'UPI TST IRNS Patente Total TST/CA IRNS/BNET TST IRNS Total
Sans n° Stat. 72 116 6 194 4,9% 27.8% 72 116 188
Economie Avec nO Stat, 49 66 2 117 5,0% 34,2% 46 66 95
de Madagascar Total 121 182 8 311 4,9% 29,8% 118 182 300
W3 Rôles émis par l'adminlstrat' fiscale d'Antananarivo Renivohitra (entreprises dont CA < = 250 nllons Fmg)
Nb contribuables 3399 7146 42964
Octobre 1998
Montants émis 0,8 8,6 7,6 17
.
Source: Enquete 1-2-3, phases 2, 1998, MADIa, ContrIbutions Directes, nos propres calculs .
La fiscalisation du CA : chiffre d'affaires. BNET : bénéfice net.
secteur informel

De plus, une étude réalisée en 1997 montrait que pour la patente


Oliv.ler PArLLAUD environ 1 200 entreprises personnes morales (qui par définition ne font pas
Faly RAKOrOMANANA.
partie du secteur informel) concentraient 55% du volume des émissions, mais
FrançoIs ROUBAUD
moins de 3% des contribuables [BREEF-DIRASSET, 1997]. Au total pour les
trois taxes, la somme des montants émis est de 17 milliards, :quand le secteur
202
informel est redevable de 310 milliards. Encore convient-il de préciser qu'il ne
s'agit que des rôles et non du recouvrement effectif. Toujours selon l'étude
mentionnée précédemment, le taux de recouvrement était inférieur à 75%, plus
élevé pour les petites cotes que pour les grosses.

Au niveau national

Pour aller plus loin, on peut proposer une estimation du potentiel


fiscal du secteur informel au niveau national. L'enquête prioritaire sur les
ménages (EP97) , réalisée en 1997, comprend un module sur les entreprises
non agricoles des ménages, pour lesquels des comptes de production ont été
établis. Les valeurs obtenues dans l'EP97 n'ont pas été retenues, car elle n'a
pas été spécialement conçue pour la mesure des activités informelles, à la
différence de l'enquête 1-2-3. En revanche, et en faisant l'hypothèse
raisonnable que le biais est constant en moyenne pour chaque région, l'EP97
donne la part de la capitale dans le total national, pour l'ensemble des agrégats
économiques des unités de production sans numéro statistique. Il suffit alors de
diviser les montants plus précis issus de l'enquête 1-2-3 par cette proportion.

Notre estimation ne portera que sur le potentiel fiscal (TST et IRNS)


des UPI dépourvues de numéro statistique et réalisant un chiffre d'affaires
inférieur à 250 millions de Fmg, donc soumises au régime de la TST ; soit un
sous-ensemble du secteur informel tel que défini dans cette étude. Le manque
à gagner pour l'Etat est abyssal. En 1997, la législation fiscale en vigueur sur
le secteur informel (TST. IRNS, Patente), aurait dû générer 1 080 milliards
de Fmg. Seul un montant dérisoire est entré dans les caisses de l'Etat. A titre
de comparaison, l'ensemble de toutes les recettes fiscales du pays se monte à 1
688 milliards. Le manque à gagner sur le seul secteur informel atteint donc à
64% des impôts effectivement collectés. Si ces recettes avaient été récupérées
la pression fiscale serait passée de 9,3% du PIE à 15,3%.

En différenciant par types d'impôts, la TST potentielle sur secteur Economie


de Madagascar
informel est de 349 milliards, soit une somme du même ordre de grandeur que
W3
le total des impôts sur les biens et services intérieurs (369 milliards, et Octobre 1998
seulement 178 pour les impôts indirects de type TVA/TST/TUT). C'est en fait
sur l'IRNS que la défaillance de l'Etat est la plus criante. L'ensemble des
La fiscalisation du
impôts sur les revenus et les gains ont généré 329 milliards de Fmg. En secteur informel
comparaison, l'IRNS potentiel sur le secteur informel est estimé à 727
milliards, soit un montant 3 500% supérieur aux 20 milliards d'IRNS collecté OliVier PArLLAUD
au niveau national. Faly RAKOTOMANANA,
Tableau 10 François ROU BAUD
Le potentiel fiscal du secteur informel au niveau national
Milliards de Fmg Potentiel fiscal Recettes fiscales 97 Recettes potentielles 203
Pan de la Types d'impôts En % du type d'Impôts
Capitale/national collectés
Capitale CA BNET National Biens, Revenus, Biens, Rev" IRNS
Gains
Services Sery. Gams
TST potentielle 53 15,2% 349 370 - 94% - -
IRNS potentiel 80 - Il,O% 727 - 329 -
221% 3500%
Total 133 - - 1 076 370 329
.
Source: Enquete 1-2-3, phases 2, 1998, MADIO, Enquete Pnontalre 1997, INSTAT, Tresor,
nos propres calculs, CA : chiffre d'affaires. BNET : bénéfice net. Les trois dernières colonnes se
lisent comme suit: la TST potentielle sur l' infonnel représente 94% des impôts collectés sur les
biens et services. L'IRNS potentiel représente 221% des impôts collectés sur les revenus et gains,

Une fiscalité inadaptée

Les calculs de recettes potentielles sur le secteur informel montre


clairement l'existence d'un gisement fiscal réel. Cependant, l'application de la
loi fiscale en vigueur pose de véritables problèmes de redistribution. Les taux
théoriques semblent bien trop élevés, en particulier sur les petits
contribuables. Ainsi, alors que 55% des entrepreneurs informels perçoivent
moins de 150 000 Fmg par mois (un montant équivalent au salaire minimum,
qui permet à peine de vivre), l'application de la TST ferait passer cette
proportion à 60% ; elle atteindrait même 63% si on y ajoute le paiement de
l'IRNS.

En fait, ces résultats ne font que refléter la concentration de l'impôt,


elle-même engendrée par l'extrême diversité des UPI. Si l'on rapporte ce
potentiel fiscal théorique à sa base fiscale, la TST due représenterait 5% du
chiffre d'affaires du secteur informel, l'IRNS atteindrait 30% du bénéfice net,
sur lequel il est assis. Le poids de la patente théorique est quant à lui
dérisoire, avec 0,1% du bénéfice net. Si l'IRNS potentiel (non compris IRNS
greffé) est fortement progressif (de 1% à un tiers du bénéfice), en revanche
la patente est nettement régressive, les UPI réalisant moins de 500 000 Fmg
de chiffre d'affaires étant censées payer jusqu'à 30% de leurs maigres revenus.

Economie Graphique 1
de Madagascar Taux de pression fiscale effectif et théorique suivant le volume d'activité
W3
Octobre 1998 35
30
La fiscalisation du 25
secteur informel 20
al, 5
10
Olivier PAILLAUD
5 --
Faly RAKOTOMANANA, o ~::::;'...-o-~~~~...._ _ jl
François ROU BAUD
~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ .~ -~ ;;...
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204 CI.lles d. chlffr. d'.ft.lr•• (million. d. Fm;)

i"':"'-IR NS 1héoriquelBénéfice net ~ TST 1héQ;;q~~/Chiffre-d~~ff"lres-1


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1· .. - - 'PetentepayéatBénéfica nat ! " • • • .lmpOt psyélChiffred'effairea :

~ : Enquête 1·2·3, phase 2, 1998. MADIO, nos propres calculs. Non compris sur les UPI
dont le bénéfice est négatif.

En termes de recettes fiscales à recouvrer, l'impôt est


particulièrement concentré. Ainsi, les UPI du décile supérieur de chiffre
d'affaires (plus de 37,5 millions de Fmg) réalisent 57% du chiffre d'affaires
total et seraient censées payer 58% de la TST potentielle et 61 % de l'IRNS
potentiel. Ce qui signifie qu'en termes de stratégie d'assujettissement, les
autorités ont tout intérêt à concentrer leur effort sur les plus grosses
entreprises du secteur informel.
Une fiscalité simplifiée pour le secteur informel la mise
en place de l'impôt synthétique

A l'heure actuelle, le secteur informel échappe largement à l'impôt.


Compte tenu de la spécificité des activités informelles, il est clair que la
fiscalisation de ce secteur doit passer par une simplification radicale du
système d'imposition auquel il est soumis, Conscient de ce problème, les
autorités ont introduit dans la loi de finance 1998, le principe de l'impôt
synthétique pour les établissements opérant en deçà d'un certain seuil
économique, Sans entrer dans le détail de cette réforme fiscale, son principe
est basé sur le regroupement de toutes les taxes sur l'activité (TVA, impôt sur
les bénéfices, patentes. etc.) en un impôt unique, dont les modalités de calcul
doivent être aisément mises en oeuvre, du fait de l'absence de document
comptable de la plupart de ces entreprises individuelles, L'impôt synthétique
est censé entrer en vigueur dès ['exercice fiscal 1999,

Encadré 3
La mise en place de J'impôt synthétique: où en est-on? Economie
de Madagascar
Le titre XVII de la 101 de finance 1998 stipule qu' «il est institué un Impôt N°3
forfauaire unique représentatif et libératoire de la Taxe professionnelle, de l'Impôt Général sur Octobre 1998
les revenus non salariaux et des Taxes sur les chiffres d'affaires. dénommé Impôt synthétique
(J.S.J, perçu au profit des Budgets des Col/ecllvités territoriales décentralisées », Toutes les
La fiscalisation du
personnes physiques et entreprises exerçant des activités indépendantes dont le chiffre d'affaIres
secteur informel
est inférieur à un seuil (qui sera déterminé après recensement fiscal) y seront soumises
(agriculteurs, artisans, commerçants, etc.) Le barème de cet impôt annuel sera établi en fonction
du chiffre d'affaires. L'Impôt sera recouvré par le Receveur des impôts territorialement OliVIer PAILLAUD
compétent. Tout redevable de l'Impôt doit déposer chaque année une déclaration suivant un faly RAKOTOMANANA,
imprimé fourni par l'Administration. françols ROUBAUD

La mise en place de l' IS est conditionnée à la réalisation du recensement fiscal (RF).


Le 17 août 1998, une note interministérIelle lançait l'opération en urgence absolue. Le RF 205
débutait début septembre, malgré un retard dans certaines provinces, et doit s'achever
impérativement avant le début de la saison des plUIes, pour raison d'accessibilité. Il s'agit d'un
recensement exhaustif sur l'ensemble du pays des immeubles bâtis, terrains, cultures, élevage,
véhicules, et toutes les activités lucratives. Mis en oeuvre par l'administration fiscale, le RF
mobilise plus de 1 000 agents recenseurs, et est réalisé en collaboration avec les autorités locales.

L'ampleur de la tâche, eut égard aux délais et aux moyens impartis, ne manquera pas
de poser problème. Que ce soit en termes de couverture géographique, qu'en termes de fiabilité
des Informations collectées aInSI que de leur traitement, on est en droit de douter de la possibilité
d'atteindre les objectifs fixés au RF. L'expérience internationale en matière d'évaluation de
l'assiette par RF s'est souvent rèvèlée décevante, même s'il reste irremplaçable pour appréhender
la matière fiscale [CHAMBAS, 1994]. Dans ces conditions, il paraît peu probable que l'IS puisse
entrer en vigueur comme prévu au 1"' janvier 1999. De plus, cette initiative, pour louable qu'elle
soit ne résout en rIen la question du mode d'Imposition ni celle de la stratégie fiscale opportune
vis il VIS des activités agricoles ou informelles.
Notre objectif n'est pas ici d'estimer précisément la capacite
contributive du secteur informel ou le rendement de l'impôt synthétique, ni
d'en proposer les modalités d'exécution, mais de mettre en lumière les
attentes des opérateurs informels en matière de fiscalité,

En premier lieu, nous avons vu plus haut que l'immense majorité des
UPI est favorable à une collaboration avec l'administration, Plus de 60% se
déclarent même spontanément prêts à payer des impôts, Encore faut-il que cet
impôt soit adapté à leur rythme d'activité spécifique et à leur capacité
contributive effective. En premier lieu, l'unicité de l'impôt est revendiquée
par 52% des UPI, tandis que moins de 10% la rejette. En second lieu, la
périodicité annuelle du recouvrement de l'impôt est plébiscitée par plus de
80% des opérateurs informels. On est cependant en droit de s':nterroger sur le
réalisme d'une telle déclaration, compte tenu de l'échelle et du mode de
gestion des activités informelles. En effet, recouvrer une somme conséquente
une seule fois par an supposerait que les UPI soient en mesure de s'imposer
d'épargner progressivement (mensuellement, voire toutes les semaines) une
Economie partie de leurs gains, ce qui semble peu probable eût égard à leur montant.
de Madagascar D'ailleurs, on comprend mieux ce choix de l'année, lorsqu'on interroge les
N°3
Octobre 1998 chefs d'UPI sur le montant qu'ils seraient prêts à payer. En moyenne, les UPI
considèrent qu'un montant de 5 000 Fmg par mois serait approprié. Il
convient de souligner l'étonnante homogénéité de l'impôt désiré moyen en
La fiscalisation du
secteur informel
fonction des branches d'activité. Seuls les transporteurs se démarquent avec 10
000 Fmg mensuels.
OlivIer PAILLAUD
Faly RAKOTOMANANA, Cette somme paraît dérisoire, aussi bien dans l'absolu que rapportée
François ROU BAUD au chiffre d'affaires du secteur, puisqu'elle ne représente qu'un taux ~e
pression fiscale de 0,2%. Malgré tout. cette déclaration spontanée conduit à un
206 montant de l'ordre de 10 milliards de Fmg par an pour l'ensemble de
l'agglomération d'Antananarivo. En fait, ce qu'il faut retenir de ces
résultats, ce n' est pas tant un taux d'imposition souhaitable (dans aucun pays
du monde le taux de contribution n'est laissé à la discrétion des contribuables),
que la volonté des opérateurs informels de contribuer à l'effort fiscal du pays.

Tableau Il
Le secteur informel et l'instauration d'un impôt synthétique
Etes-vous favorable à l'apphcatlOn Avec quelle pérIodIcIté CombIen PressIOn
'icnC7 VOU'i
BRANCHE d'un Impôt unIque sur "acuvlté ? de recouvrement fIscale
prêt à payer?
Oui Non Ne sait Total Annuel TrImes Jour, IOOOFmgl % du CA
pas -triel sem. mOIs
Sans nO StaL 47.8 9,0 43,2 100 81,1 11,8 7,1 4 0.2
Avec nO StaL 72,5 10.1 17,4 100 78.9 19.3 1.8 11 0,2
Total 51.9 9.2 38.9 100 80.7 13.0 6,3 5 0,2
Source: Enquete 1-2-3. phase 2. 1998, MADIO. nos propres calculs.
Pour aller plus loin sur la voie de la fiscalisation du secteur informel,
nous avons interrogé les UPI sur la question de savoir à qui devait revenir
l'impôt synthétique et à quoi il devait servir. En ce qui concerne le premier
point, les collectivités territoriales décentralisées, et plus particulièrement
les communes, semblent avoir la préférence des opérateurs informels.

Cette orientation s'explique largement par le type d'usage qu'ils


souhaitent voir affecter à leur contribution. Parmi les six options proposées.
trois dominent largement. D'abord et avant tout. 40% privilégient les dépenses
sociales de base, dans la santé et l'éducation. Ensuite, apparaissent les
investissements en infrastructures de base (routes, marché, adduction,
etc.) et les programmes d'appui aux micro-entreprises (avec 30% et 25%
resp. des réponses). En dehors de mesures sectorielles qui leurs profitent au
premier chef, les opérateurs informels se montrent favorables à une fiscalité de
proximité, orientées vers la satisfaction des besoins essentiels de la population,
notamment des plus pauvres dont ils font partie dans leur majorité.

Tableau 12 Economie
L'impôt synthétique: pour qui et pour quoi faire? de Madagascar
A quelle entité publique A quOI devrait servir cet Impôt? N°3
devrait revenir cet impôt?
Octobre 199B
BRANCHE Etat Corn· Ne salt Total Santé, Infrastructures AppUI aux Autres
mune pas éducatIon (route,marché) ITIlCrO-entrep
La fiscalisation du
Sans nO Stal. 29,5 48,1 22.4 100 40.8 26.6 25.5 7,1
secteur mformel
Avec n' StaL 42.6 45.2 12,2 100 31,8 45,6 20,0 2,6
Total 31,7 47,6 20.7 100 39,4 29,7 24,6 6.3
Source: Enquete 1·2·3, phase 2, 1998, MADlO, nos propres calculs. OliVier PAILLAUD
Faly RAKOTOMANANA,
FrançOIs ROU BAUD
Finalement, les mesures engagées par les autorités concernant la mise
en place d'un impôt synthétique, avec pour principe l'unicité de la taxe
207
(simplification) et son attribution aux collectivités locales (fiscalité de
« proximité ») paraissent d'autant plus pertinentes qu'elles rencontrent le désir
des opérateurs du secteur informel. Reste maintenant à en déterminer les
modalités concrètes d'application.

L'incidence distributive de la fiscalisation du secteur


informel

Outre les difficultés, techniques de mise en oeuvre, ainsi que son


éventuel coût politique, la fiscalisation du secteur informel aura~ussi des effets
sur le niveau et la distribution du revenu des ménages. Cet aspect mérite toute
l'attention dans le contexte malgache actuel. En effet, les autorités ont fait de
la lutte contre la pauvreté le maître mot de leurs actions [DCPE, 1996].
A priori et mécaniquement, c'est à dire indépendamment des effets de
« bouclage» macro-économiques (2), la mise à contribution du secteur informel

devrait réduire le pouvoir d'achat de ses membres, avec deux conséquences


directes: un accroissement de la pauvreté, et une augmentation des inégalités
(les informels faisant déjà partie des plus pauvres). En fait, l'impact de la
mesure est plus complexe à déterminer. Il dépend du comportement des
opérateurs informels, notamment en matière de formation des prix. Nous
étudierons deux cas extrêmes :
1. - le surcroît de coût engendré par l'impôt est totalement absorbé par
réduction des marges, et les prix restant constants;
2. - le surcroît de coût engendré par l'impôt est totalement ou partiellement
répercuté dans les prix.

On peut penser que l'effet réel d'une telle mesure serait une
combinaison de ces deux mécanismes: les informels étant d'une part tentés
d'accroître leurs prix (comportement de « mark-up »), mais d'autre part
contraints par la concurrence à limiter leurs marges, pour ne pas perdre de
Economie parts de marché. Les enquêtes 1-2-3 menées dans l'agglomération
de Madagascar
d'Antananarîvo, qui mesurent l'ensemble des revenus J'activité, formels et
N°3
Octobre 1998 informels (enquête emploi. phase 1), la structure de production des UPI
(enquête secteur informe\' phase 2). et la répartition de la consommation des
La fiscalisa lion du
ménages entre secteurs formel et informel (enquête consommation, phase 3),
secteur informel permettent de mesurer l'impact distributif des deux modes d'ajustement sur les
ménages, de façon plus précise que les travaux antérieurs portant sur cette
Olivier PAILLAUD question (voir par exemple dans le cas béninois, ATTIN,1994). Trois variantes
Faly RAKOTOMANANA, ont été simulées.
FrançoIs ROU BAUD

Dans le premier cas, où l'IS est supposé représenter 5% des revenus


208 informels, ces derniers sont amputés de 5%, tandis que les revenus formels
restent constants. Les prix restent stables. Globalement, le revenu moyen des
ménages baisse et la pauvreté s'accroît. De plus, comme les ménages dont la
part des revenus informels dans le revenu total sont aussi parmi les plus
pauvres, cette mesure est régressive, l'impôt venant accroître les
inégalités. Ainsi. le revenu des ménages régresse en moyenne de -2,1 %, mais
la baisse atteint -3,4% pour les plus pauvres et -4,2% pour les « ménages
informels ». Les taux de pauvreté augmentent fortement pour le dernier
quartile de revenus (+ 4 points) (le plus pauvre) et les informels (+ 2 points 3).

2 ) Une tentative de prise en compte de ces effets pour Madagascar a été menée à l'aide d'un
modéle d'équilibre général calculable statique et à prix flexible (voir l'étude de DISSOU et alii,
dans ce rnême numéro). Les auteurs concluent à un Impact régressif de l'Impôt synthétique sur la
distribution des revenus des ménages,
3 ) A "Instar de nombreux travau" la ligne de pauvreté relative retenue représente la demi
médiane du revenu des ménages par unité de consommation
Dans le second cas en revanche, l'impact de la mise en place de
J'impôt synthétique est très différent. Nous avons distingué deux variantes,
suivant d'une part la base fiscale de l'impôt synthétique, et d'autre part le
pouvoir d'indexation des prix informels. La simulation 2a suppose comme
précédemment que l'impôt synthétique représente 5% du revenu. En
conséquence, les producteurs informels décident d'augmenter leurs prix de
5%(4). D'un côté, le chiffre d'affaires informel en Fmg courant croît de 5%.
Comme l'impôt n'est assis que sur les revenus, qui ne comptent que pour 31 %
du chiffres d'affaires, les producteurs informels devraient récupérer la
différence, soit O,05*O,69*chiffre d'affaires [MADIa, 1995a]. En fait,
l'augmentation du revenu est plus faible, car une partie de leurs coûts est
constituée de consommations intermédiaires achetées dans le secteur informel,
qui par définition augmentent elles aussi de 5%. Cette ponction est non
négligeable, car 60% des CI informelles viennent du secteur informel [MADIa,
1995a]. De l'autre, la croissance des prix informels affecte le pouvoir d'achat
des ménages, d'autant plus négativement que la part consommée dans le
secteur informel est importante. Ainsi, alors que 90% de la consommation des
plus pauvres provient du secteur informel, cette part n'est que de 60% chez les Economie
plus riches [MADIa, 1998b]. de Madagascar
W3
Octobre 1998
Finalement, la variation du revenu réel des ménages dépend
positivement de la part de leurs revenus qui provient du secteur informel, et
La fiscalisation du
négativement de la part de leur consommation acquise dans le secteur secteur informel
informel. Les résultats de la simulation 2a, qui cumulent ces deux effets
opposés, montrent que si le revenu moyen des ménages baisse comme dans la
OliVier PAILLAUD
simulation l, le pouvoir d'achat des «ménages infonnels» est le moins Faly RAKDTDMANANA,
affecté par la mise en place de l'IS. En revanche, l'incidence négative de la François ROUBAUD
taxe pèse toujours sur les plus pauvres, car malgré leur baisse, le revenu des
ménages appartenant aux trois quartiles supérieurs est suffisamment élevés 209
pour les empêcher de passer sous la ligne de pauvreté.

Examinons maintenant la simulation 2b, où l'impôt synthétique


représente 5% du CA des informels, qui réagissent en augmentant leurs prix
de 5%. Comme dans la simulation 2a, le CA avant impôt augmente de 5%,
mais le revenu informel baisse, du fait que les CI informelles qui entrent dans
leur processus de production ont elles aussi crû de 5% à cause de la mise en
place de l'ISo On retrouve ici « l'effet en cascade» des taxes sur le chiffre
d'affaires, distorsion qu'élimine en principe la TVA. De plus, et comme
précédemment, les prix de consommation croissent d'autant plus que les
ménages se fournissent dans le secteur informel. Aussi, et malgré l'apparence

4) Un tel comportement a pu être observê fin 1997. Suite à l'assujettissement de la farine à la


TVA (loi de finance rectificative 1997), les boulangers ont dêcidê d'augmenter le prix du pain.
de parfaite indexation, cette mesure est la plus régressive car les deux effets
de baisse des revenus informels et d'augmentation des prix se cumulent pour
frapper de plein fouet les plus pauvres.

Tableau 13
Impact distributif sur le revenu des ménages de l'impôt synthétique
Quarti les revenus par uc Il
Sect. mstitutlOnnel du chef de ménage Total
QI Q2 Q3 Q4 Public Pnvé Informel Autres
fonnel
Hypothèse 1 : L'impôt synthétique = 5% du revenu .. les prix infonnels restent constants, 1'/5
ampute les revenus injonnels de 5%
Variation du ruc -1,8 -2,3 -2,5 -3,4 -0,7 -0,7 -4,2 -1,8 -2,1
% pauvres avant 0 0 0 85,8 5,4 7.3 23,2 58,9 21,5
% pauvres après 0 0 0 90.2 5,4 7,4 25,5 59,5 22,6
Hypothèse 2a : L'Impôt synthétique = 5% du revenu .. les prix mjonnels = + 5%
Variation du ruc -1,7 -2,2 -2.4 -2,0 -2,7 -2.9 -0,9 -2,3 -2,0%
% pauvres avant 0 0 0 85,8 5.4 7,3 23,2 58,9 21,5
% pauvres après 0 0 0 88,1 5.4 8,2 23,6 59,4 21.9
Hypothèse 2b: L'Impôt synthétique = 5% du chiffre d'affaires .. les prix Infonnels = + 5%
Economie VarIation du ruc -5,2 -6,7 -7,3 -8.6 -4,0 -4,3 -9,0 -5,8 -6,0
% pauvres avant 0 0 0 85,8 5,4 7,3 23,2 58.9 21.5
de Madagascar
% pauvres après 0 0 0,2 97,4 5.4 9,5 27,9 60,8 24,3
W3
Source: Enquete EmploI, 1998, MADIO. nos propres calculs. La hgne de pauvrete est définie
Octobre 1998
comme la demie médiane du revenu par unité de consommation. Les chocs ne sont pas normés.

La fiscalisation du En conclusion, les simulations précédentes montrent que


secteur informel
contrairement à l'intuition, l'impact distributif de la taxation sur le secteur
informel n'est pas nécessairement régressif. Tout dépend évidemment des
Olivier PAILLAUD
caractéristiques propres du nouvel impôt (progressif ou régressif) mais aussi de
fair RAKOTOMANANA,
françols ROU BAUD la façon dont les informels s'ajustent à ce nouveau coût. notamment en matière
de fixation des prix.
210
L'exercice que nous venons de mener suppose que les volumes
produits restent constants. Or, il est clair que ces derniers sont sensibles aux
prix. Deux mécanismes supplémentaires sont susceptibles de jouer. D'abord,
la baisse du pouvoir d'achat des ménages aura tendance à déplacer leur
consommation vers des produits informels, en moyenne moins chers et de
moins bonne qualité (effet revenu). Ensuite, l'augmentation du prix relatif des
produits informels par rapport au produits formels va accroître la part de
marché du secteur formel dans la consommation. Ces deux effets opposés
rendent encore plus complexe la détermination de l'impact de l'impôt sur la
distribution des revenus. Seul un modèle macro-économique prenant en
compte l'ensemble de ces mécanismes pourrait permettre d'en estimer la
résultante. Ce modèle reste à construire.
Conclusion : pour un nouveau contrat avec l'Etat
La fiscalisation du secteur informel apparaît comme une nécessité.
Sa mise en oeuvre constitue un véritable défi, qui dépasse largement le cadre
de Madagascar. et touche la plupart des pays en développement. Non pas tant
parce que les informels sont des fraudeurs invétérés, comme les résultats de
cette étude l'attestent sans conteste, les relations entre ce secteur et l'Etat y
étant plutôt moins conflictuelles qu'ailleurs, mais du fait de la nature même du
secteur informel malgache. La distinction entre secteur informel et économie
souterraine est évidemment capitale en matière de stratégie fiscale. Si le
contrôle et la régularisation des entreprises pratiquant l'évasion fiscale ne pose
peu de problèmes techniques majeurs (grandes entreprises peu nombreuses et
aisément localisables), tel n'est pas le cas pour le secteur informel.

La question centrale n'est pas tant la mise en place d'un dispositif


répressif que la conception d'une forme d'imposition adaptée aux modalités de
fonctionnement de l'informel. En effet, de nombreux problèmes techniques se
posent. Comment calculer l'impôt (sur les bénéfices par exemple), quand la Economie
de Madagascar
quasi totalité des DPI ne tient pas de comptabilité? Par ailleurs, si la masse
N°3
totale des revenus informels est importante, son volume par DPI est Octobre 1998
ridiculement faible. Face à cette capacité d'épargne et d'accumulation limitée,
quelles procédures adopter pour que les coûts de recouvrement ne soient pas
La fiscalisation du
supérieurs aux recettes collectées? secteur informel

Non seulement, l'organisation technique d'un impôt sur le secteur Ohvier PAILLAUD
informel est beaucoup plus complexe à mettre en oeuvre qu'un service Faly RAKOTOMANANA,
d'inspecteurs des impôts chargé de résorber la fraude fiscale des gros François ROU BAUD
opérateurs, mais il n'est pas certain que les masses financières à recouvrer
soient plus importantes dans le secteur informel. L'administration fiscale 211
malgache, avec l'appui du FMI, ne s'y est d'ailleurs pas trompée. Le Centre
Fiscal Pilote des Entreprises (CFPE), récemment mis en place à Antananarivo,
a choisi comme cible première les grandes entreprises (plus de 250 millions de
Fmg de chiffre d'affaires), reléguant au second plan la fiscalisation du secteur
informel. .

Les principes établis dans la loi de finance 1998 pour l'instauration


d'un impôt synthétique sont des plus judicieux. L'unicité de l'impôt permet de
simplifier une fiscalité jusqu'alors totalement inadaptée, car trop complexe, et
par là opaque pour les contribuables. De plus, la mobilisation des collectivités
décentralisées, aussi bien pour la collecte que pour l'affectation des fonds, est
d'autant plus pertinente qu'elle rejoint le souhait des opérateurs informels, qui
y voient un gage de rapprochement entre les nouveaux contribuables et
l'administration de l'impôt, pour définir collectivement le choix de l'usage des
fonds collectés.

Cependant, l'état actuel de la fonction publique territoriale et des


collectivités locales (effectif, compétence) conduit à rester sceptique sur son
aptitude à gérer l'impôt synthétique. Si les services fiscalo-douaniers préfèrent
instaurer un régime de TVA remboursable pour toutes, au risque de pénaliser
la dynamique des entreprises régulières (loi de finances rectificative 1998),
pour contrôler quelques dizaines d'entreprises franches indélicates,
parfaitement connues et localisées dans leur immense majorité dans la capitale,
on ne voit pas comment les collectivités locales, autrement moins bien outillées
seraient à même de gérer un système de taxation concernant plusieurs millions
d'unités informelles ou agricoles, présentes jusque dans les régions les plus
inaccessibles du pays, pour un rendement unitaire incommensurablement plus
faible.

De plus, la précipitation avec laquelle est menée le recensement fiscal


Economie en cours, qui doit servir de support à la définition opérationnelle de l'impôt
de Madagascar synthétique (base fiscale, barème) ainsi qu'à la stratégie d'assujettissement, ne
W3
Octobre 1998
laisse pas d'inquiéter. Si à long terme, la contribution de tous à l'effort fiscal
de la Nation est une nécessité, cet objectif apparaît clairement hors de portée à
court terme.
La fiscalisation du
secteur informel
Les résultats de cette étude conduisent à formuler quelques
Olivier PAILLAUD
propositions :
Faly RAKOTOMANANA,
François ROU BAUD 1.- préalablement à toute tentative de fiscalisation, il convient de procéder à
une simplification radicale des procédures de formalisation auprès de
212 l'administration. Au delà des discours, l'instauration d'un «guichet unique»
pour l'enregistrement des unités de production, afin de réduire les coûts de
légalisation, est un impératif de bon sens, susceptible de prouver la
détermination de -l'Etat (au sens large) à favoriser l'émergence d'un secteur
privé, qui ne serait pas réduit aux seules grandes entreprises. Ce premier pas
de l'administration permettrait de restaurer la confiance, en renforçant le
consentement à une éventuelle fiscalisation ;

2.- les principes de l'impôt synthétique doivent être maintenus. Cependant,


pour mener à bien cette oeuvre de longue haleine, les ambitions devront être
revues à la baisse, et la démarche progressive, Elle doit s'asseoir sur une
véritable concertation, impliquant ['Etat central, en charge de la politique
général, les collectivités décentralisées, qui sont les seules à même de
collecter l'impôt, sur la base d'une action d'îlotage et de proximité, et les
opérateurs informels. Un modus vivendi doit être trouvé entre ces trois
acteurs, à la fois pour le partage des ressources et pour que ces dernières
puissent bénéficier directement aux informels afin de favoriser l'émergence
d'activités plus productives.

3.- dans un premier temps, il conviendrait de concentrer les efforts sur les
plus grosses des entreprises informelles, à la fois pour des raisons de
rendement fiscal (gestion plus facile, concentration de l'impôt), et pour des
raisons d'équité. Une majorité d'UPI opérant deçà du seuil de subsistance,
l'impôt ne ferait qu'aggraver le niveau déjà très élevé de la pauvreté de la
population. Temporairement, un seuil minimal de perception devrait être
instauré, exemptant les UPI les plus marginales;

4.- La question du mode de calcul de l'impôt reste entière. Cependant, les


données disponibles (notamment celles de l'enquête 1-2-3), en attendant les
résultats éventuels du recensement fiscal, fournissent de précieux éléments
pour la mise en place d'un impôt indiciaire, assis sur des indicateurs simples
et facilement quantifiables, afin d'éviter de se fonder sur les seules déclarations
de chiffres d'affaires ou de résultat, qui conduisent inévitablement à une sous- Economie
estimation massive. Encore faut-il que l'administration fiscale comprenne de Madagascar
W3
l'intérêt de les mobiliser, cette étude ne constituant qu'un premier pas; Octobre 1998

5.- L'effort de fiscalisation ne doit pas porter uniquement sur le secteur


La fiscalisation du
informel. D'une part, il doit aussi toucher les autres contribuables concernés secteur informel
par l'impôt synthétique: à savoir les unités de production agricoles, mais aussi
et surtout les entreprises personnes physiques du secteur formel dont l'échelle Olivier PAILLAUD
d'activité est très supérieur à celle du secteur informel et qui échappent Faly RAKOTOMANANA.
largement à l'impôt. D'autre part, il convient de porter remède parallèlement François ROUBAUD
aux traitements de faveur accordés à certains des plus gros contribuables,
comme le prouvent les derniers avatars en matière de gestion fiscale qui 213
défrayent la chronique (exonérations discrétionnaires. fraudes avérées, etc.).
Une stratégie qui ferait d'abord supporter la charge fiscale par les plus pauvres
ne manquerait pas d'engendrer un profond sentiment d'injustice, et se
révélerait contre-productive. L'instauration de l'impôt synthétique ne
pourra pas faire l'économie d'une amélioration décisive de la transparence
fiscale [voir sur ce point, dans ce même numéro, ANDRIANOMANANA et alii] ;

Finalement, la fiscalisation de l'informel, qui passera obligatoirement


aussi par la formalisation de ce secteur, devra se concevoir comme la mise en
place d'un nouveau contrat avec l'Etat, avec pour maîtres-mots simplification,
concertation, transparence et efficacité, Ce nouveau contrat ne pourra voir le
jour que si l'immense chantier de la réforme de la fonction publique, de la
réhabilitation de l'efficacité de l'administration, et de la mise en plllce effective
de la décentralisation est entrepris parallèlement avec succès. On peut d'ores et
déjà pronostiquer que ce processus prendra du temps. En particulier, ceux qui
attendent pour demain un redressement spectaculaire de la pression fiscale
seront sans aucun doute très déçus.

BIBLIOGRAPHIE
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