DPLa Balkanisation de La RDC
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La balkanisation de la RDC
Juillet 2011
La balkanisation de la RDC
Y a-t-il quelque chose derrière cette littérature ou est-ce à la manifestation africaine du goût,
fort développé ces dernières années, pour tout ce qui relève de la « Théorie du Complot » ?
Un fait saute aux yeux. Les faits balkaniques – au sens propre - auxquels on se réfère sont
avant tout de nature politique et font appel, chez les peuples manipulés, au nationalisme,
notion elle aussi politique. L’intérêt stratégique de la région (surtout au début du XX° siècle
où elle était immédiatement voisine de l’URSS) est bien plus évident que son intérêt
économique. Affaiblissement et manipulation se font à l’aide d’un seul et même levier :
susciter et encourager particularismes et micro-nationalismes pour découper un grand
ensemble en de multiples ensembles plus petits, mais ayant chacun tous les attributs d’un état.
Tout au long du XIX° siècle, au cours duquel les états nouveaux créés par découpage
d’empires plurinationaux furent tous des monarchies, on alla même jusqu’à leur fournir, en
chair et en os, l’un de ces attributs : le roi lui-même, en la personne de quelque rejeton
désœuvré d’une dynastie allemande (Grèce, Bulgarie).
L’exploitation, dans le même but, d’un état de grande taille mais impuissant, qui a pourtant
été utilisé maintes fois par les puissances occidentales durant leur longue carrière impérialiste,
coloniale ou néocoloniale, n’entre jamais en ligne de compte dans la balkanisation au sens
premier du terme.
Comme on le voit, non seulement la technique existe toujours, mais les argumentaires n’ont
guère changé.
Nationalismes
La balkanisation au sens strict (je veux dire, celle du sud-est européen) avait pour levier
idéologique le nationalisme, et même parfois le micro-nationalisme. Mais celui-ci se rattachait
en général à une mouvance internationale qui se présentait, même si cela peut sembler
paradoxal, comme une sorte « d’internationale du nationalisme ». Par là, un mouvement
nationaliste se trouvait sous l’influence d’une des puissances européennes dominantes de
l’époque et, par là, dans la sphère d’action de sa diplomatie, y compris ses services plus ou
1
Détail anecdotique, l’épouse de Léopold II, la Reine Marie-Thérèse, était une princesse autrichienne. Il est
notoire que ce fut un mariage exécrable et elle ne fut certainement en rien « l’inspiratrice » de son mari. Je veux
simplement faire remarquer que Léopold II connaissait ben l’Autriche et que l’idée d’un état ethniquement
bigarré faisant l’unité d’un bassin fluvial lui était familière.
moins secrets. Le XIX ° siècle est aussi l’époque où apparaissent les mouvements « pan »
rattachés à des identités ethniques, comme le pangermanisme ou le panslavisme. Dans le cas
des Balkans, c’est bien sûr le dernier nommé qui sera surtout en cause avec, derrière lui,
l’action plus en moins discrète de l’empire russe.
Ici apparaissent la notion de « complot » et les fameux « agendas cachés » car, bien sûr, la
grande puissance qui parrainait un mouvement national et la base de ce mouvement sur le
terrain avaient souvent des objectifs pour le moins divergents.
Différences
Il faut souligner que la balkanisation, au sens premier et telle qu’elle fut pratiquée dans les
contrées balkaniques et plus généralement dans l’Est européen, crée certes des désordres, des
guerres et facilite toutes sortes de manipulations, mais que, même créatrice de maint désordre,
elle n’est pas synonyme d’anarchie. Celle-ci, en effet, signifie l’absence d’autorité, le manque
d’état.
Or, dans la balkanisation, puisque l’on crée, là où il n’y avait qu’un état (en général déjà pas
bien grand), une mosaïque de mini-états, il y a donc prolifération d’états, d’autorités et même
concurrence et conflits violents entre eux. Chacune des pièces du « puzzle » découlant du
découpage se dotera autant que possible des attributs de l’état : drapeau, gouvernement,
monnaie, administration, armée. Il y aurait donc plutôt une surabondance d’états qu’un
manque. Les ennuis des habitants de zones contestées viendront fondamentalement de ce que
deux états (ou plus !) prétendent exercer leur autorité sur eux et recourent à la force pour
imposer leur point de vue.
Certains faits qui se produisent dans le contexte africain dit de « balkanisation » présentent les
caractéristiques que je viens de décrire. Mais il s’agit surtout des tentatives de Sécession qui,
parmi les causes de trouble en Afrique, sont en fait très minitaires.
Le document qui suit, repris tel quel sur Internet, annonce bien la création (sur papier) d’un
état doté de tous les attributs de la souveraineté.
Le gouvernement de la République Unie du Kivu élu par le Parlement du Kivu tiendra des élections
démocratiques dans les 3 mois avec l'aide de la société civile et religieuse pour élire tout
organe/post/office d'administration de l'Etat. Tout citoyen du Kivu de plus de 18 ans pourra servir dans
n’importe quel bureau de l'Etat.
Les élections seront libres et transparentes, et chaque électeur aura le droit d'élire la personne de son
choix. La République Unie du Kivu a son propre Parlement où chaque citoyen, cité, village, ville, aura
le droit d'élire son propre candidat au Parlement.
Les Kivutiens auront le droit de proposer, voter, et faire leurs propres lois qui mènent à la bonne
administration du gouvernement où toute la population du Kivu est représentée. L'Etat et l'Autorité de
la République Unie du Kivu garantiront la prospérité de la nation.
L'éradication de la pauvreté dans le Kivu sera une priorité. Le bien-être de la population, son
éducation, ses soins de santé ainsi que les services sociaux seront aussi la préoccupation de l’autorité
de l’Etat du Kivu
L'éducation de chaque Kivutien est très importante. Chaque Kivutien recevra la meilleure éducation et
aura un choix à faire quant à son niveau d’étude. Le gouvernement de la République Unie du Kivu
donnera tout son appui à chaque Kivutien qui souhaite parfaire son éducation. Le gouvernement
construira des hôpitaux dans toutes les villes et les villages. Dans les petites villes, il établira des
Centres médicaux au profit de la population.
Tous les services de santé publique seront gratuits pour la population du Kivu. L’enseignement
primaire, secondaire, universitaire sera libre à chaque Kivutien sans exception de l'âge. Tout Kivutien
qui souhaitera continuer sa formation sera sponsorisé par le gouvernement.
1. - Les jeunes Kivutiens auront la garantie pour continuer leurs études et la garantie d'un travail à la
fin des études. Le gouvernement de la République Unie du Kivu établira un salaire minimum de
$10.000 USD par an.
3. - Aux personnes âgées de plus de 60 ans, le gouvernement de la République Unie du Kivu assurera
une vie digne et commode et leur traitement médical. Les hôpitaux seront progressivement dotés
d’équipements modernes.
Notre devoir en tant que Kivutiens
1. - Notre obligation
Aider dans la libération de notre nation, la République Unie du Kivu. C'est le devoir et l'obligation de
chaque Kivutien de combattre et contribuer pour son auto-détermination, pour sa dignité d’être
humain, et pour l'indépendance de sa nation.
2. - Nos Droits
Chaque Kivutien aura ses propres droits en tant que citoyen de la République Unie du Kivu comme
stipulé et protégé par la constitution de la République Unie du Kivu.
La création de la monnaie nationale du Kivu "Panda" avec la valeur du 1Panda équivalente à $1 USD
Elie-Désiré Atawale
Président élu du Parlement du Kivu
Soit concurremment avec la balkanisation, soit un peu auparavant, les puissances occidentales
usèrent d’une autre technique pour dépecer les empires qui se portaient mal (Turquie, Chine).
Cette autre méthode consistait à amputer les « éléphants malades », non plus d’entités
territoriales pour des raisons ethniques, mais bien de secteurs économiques entiers, sous des
prétextes à la fois financiers et techniques. Cela mérite une attention spéciale, du fait de
l’extrême modernité de cette méthode. En en lisant une description, on croirait prendre
connaissance de faits actuels, à ceci près que les acteurs étrangers y sont alors des banquiers et
des pays précis et non, comme aujourd’hui, des organismes internationaux dépendant de
l’ONU et les institutions de Bretton-Woods.
Le schéma est à peu près celui-ci. Un « éléphant malade » s’endette à l’extérieur, c'est-à-dire
auprès de banques européennes. Bien sûr, ce recours au crédit est en partie dépensé à
d’inutiles dépenses somptuaires2, mais il est souvent consacré pour une part à des choses
réellement utiles, comme l’éducation et la création d’écoles, le développement d’une
infrastructure moderne de transport, l’équipement d’une armée adaptée à la guerre
contemporaine, en un mot à des dépenses qui, sur des fronts divers, étaient des mesures
défensives contre des intentions occidentales dont on soupçonnait la nature coloniale.
Vient le jour où « l’éléphant » se trouve dans l’incapacité d’honorer les créances de sa dette.
Pas de panique ! En tous cas pas pour le banquier, qui est bien sûr de mèche avec son
gouvernement et qui lorgne tel ou tel secteur de l’économie du « malade » d’un œil avide et
colonisateur. Un accord « amiable » est alors conclu entre « l’éléphant » (qui n’a pas le choix,
ayant le couteau sur la gorge), la banque et le gouvernement du pays de celle-ci, intéressé…
au deux sans du terme. Cet accord stipule qu’un certain secteur économique (ex : la
perception des impôts, l’exploitation de certaines mines ou autres produits, la construction et
l’exploitation des chemins de fer, la perception des douanes et accises…), sera désormais
assurée sur le plan technique, au nom de « l’éléphant malade », par des fonctionnaires du pays
européen (y compris quelques militaires car il faut penser aux cas où la violence serait
nécessaire) assistés de quelques employés représentant la banque, laquelle bénéficiera du
produit de l’opération, jusqu’à concurrence du remboursement intégral de sa créance,
augmentée des intérêts. Cette opération peut se répéter plusieurs fois et, dans certains cas,
aboutit finalement à la colonisation pure et simple, ou à la situation de protectorat, qui n’est
au fond qu’une colonisation moins humiliante pour le colonisé, dans la mesure où il conserve
sur le papier une souveraineté… dont le colonisateur exerce à sa place tous les attributs.
2
Les maharajahs indiens sont certainement parmi les souverains exotiques qui ont la réputation la plus détestable
en ce qui concerne les sommes pharamineuses englouties en dépenses de luxe. On se complaît à nous énumérer
complaisamment leurs fantaisies les plus coûteuses : robinetterie en or, écuries pléthoriques et fastueuses de
chevaux et d’éléphants, trains électriques miniatures ou limousines carrossés en métaux précieux incrustés de
gemmes, etc… Mais on ne nous informe jamais de ce que, par rapport aux parties de l’Inde administrées
directement par le colonisateur anglais, « l’Inde des Princes », c'est-à-dire les partie du pays administrée par les
maharajahs, avait aussi un budget plus généreux dans des domaines comme la santé, l’éducation et la culture.
3
Un an plus tard, la Paribas sera en mesure d’offrir à sa clientèle des titres de l’emprunt marocain avec 20 % de
bénéfice pour elle.
qui appellera, qui exigera une intervention française. Elle aura lieu, et sans douceur
excessive…
Le mécanisme est ingénieux. L’accord franco-ang1ais, en outre, comporte des clauses
souterraines : c’est, dans l’ombre, le complet dépeçage du Maroc qui s’y trouve prévu et
organisé, les quatre cinquièmes (et davantage), du territoire allant à la France et une petite
partie à l’Espagne, - les Espagnols estimant du reste que ce qu’on leur réserve est tout à fait
insuffisant. Face à Gibraltar, la zone de Tanger ne sera à personne : internationalisée.
Au bout du compte, le Maroc deviendra un protectorat français.
La Turquie et la Chine feront l’objet de manœuvres du même genre. Mais il s’agit d’un
processus lent, procédant par étapes, ce qui en fait, quand « l’éléphant malade » est vraiment
une très grosse bête, une affaire de vraiment longue haleine. La première, qui se trouvait dans
le camp des perdants en 1918, sera « balkanisée » par les traités qui la terminent et réduite à
son territoire actuel : l’Anatolie. La seconde se défendit mieux, dans les dernières années de
l’Empire chinois, contre les ingérences occidentales puis fut en butte aux entreprises
impérialistes nettement plus brutales du Japon. Bien que celles-ci aient consisté surtout en
opérations guerrières dont la brutalité ne l’a cédé en rien aux atrocités coloniales des
Européens, il faut constater que la création du Mandchoukouo, par exemple, est bien une
entreprise de « balkanisation ».
De plus, cette création reposait sur une opération très comparable à certaines « sécessions »
africaines postérieures aux Indépendances : il s’agissait de détacher de la Chine la province de
Mandchourie, riche en charbon qui faisait défaut au Japon. De manière analogue, les
Britannique détachèrent l’émirat (pétrolier) de Koweit de l’Irak, état lui-même issu de la
balkanisation de l’Empire Ottoman.
Les premières indépendances de pays balkaniques, d’où le mot tire son origine, remontent à
plus de 150 ans. Les mœurs diplomatiques et politiques ne sont pas restées stables d’un bout à
l’autre de cette période.
En particulier, l’on est passé d’un monde où la souveraineté nationale était quasiment un
tabou, même s’il y avait de manière presque incessante de grandes conférences internationales
sur toutes les questions d’intérêt planétaire, à un univers où les organisations internationales
(mondiales ou régionales) occupent une place prépondérante.
Il convient de remarquer que cela va de pair avec un déficit démocratique. Les états nationaux
sont, dans leur écrasante majorité, des démocraties parlementaires. Même si les élections, la
propagande, la manipulation de l’information, les coalitions politiques, les interactions entre
Parlement et Gouvernement peuvent brouiller les cartes et, dans une certaine mesure,
déformer ce qu’ont décidé les électeurs, il ne reste pas moins vrai que cette décision existe.
Par contre, les organismes internationaux, depuis les unions régionales, comme l’UE, jusqu’à
ce « Grand Machin » qu’est l’ONU s’il faut en croire De Gaulle, sont des machines
bureaucratiques et technocratiques où les rapports de force sont « verrouillés » au profit de
certaines puissances et, surtout, aux intérêts d’argent qui se cachent derrière leurs
gouvernements.
Si l’on devait imaginer une version contemporaine de ce que nous avons décrit à propos du
Maroc en 1904, la principale différence serait sans doute qu’au lieu d’un endettement envers
des banquiers français, il serait question du FMI et qu’au lieu d’envoyer le soldat Bidasse
d’heureuse mémoire, on aurait vu entrer en scène les Casques bleus. Quant à la nature même
de l’opération, il suffit de rappeler la « mise sous tutelle » de la Banque du Zaïre par Erwin
Blumenthal du FMI à l’époque de Mobutu pour montrer qu’elle est toujours possible !
Ce qui est intéressant dans la tactique des « éléphants malades », c’est que contrairement à ce
qui se disait pour la « balkanisation » classique, on n’évoque pas la force tyrannique et
répressive d’un empire (austro-hongrois, ottoman…) pluriethnique écrasant des nationalités
opprimées, mais au contraire la faiblesse d’un état obsolète. L’état n’existe plus que sur e
papier, il est incapable de rendre aux citoyens les services que l’on en attend.
Il existe une abondante littérature sur l’inexistence des états africains, leur caractère artificiel,
les découpages contre nature opérés par la Conférence de Berlin, etc… Il y en a tout autant
sur les remèdes que l’on pourrait y apporter, et cela va de l’Union de tous les états d’Afrique,
prônée par les panafricanistes comme Nkrumah ou Cheik Anta Diop, ou des suggestions de
type fédéral, à la résurrection des états précoloniaux en passant par des suggestions pour
intégrer les « nations tribales » dans l’état moderne. L’éventail des auteurs est aussi large au
moins que celui des solutions proposées : cela va du scientifique pointu au visionnaire plus ou
moins lunatique en passant par toutes les variétés de politiques et de politologues.
Tout ce que l’on a pu écrire sur la « diversité de l’Afrique » ou « les nombreux visages du
Congo » a pu, un jour ou l’autre, être utilisé comme argument au profit de projets de
« balkanisation ».
Il serait assez vain de vouloir isoler, dans ce vaste corpus, un « texte fondateur ». Ce n’est en
tous cas pas ce que je prétends faire. Le texte qui suit n’est certainement pas le premier, mais
il est radical, puisqu’il prétend constater, tout simplement, que le Congo n’existe pas.
Ce qui rend les problèmes du Congo presque toujours insolubles, c’est qu’il s’agit d’un vaste
territoire, faiblement peuplé mais regorgeant de richesses naturelles. Etendue presque
enclavée au cœur de l’Afrique, le Congo a 67 millions d’habitants répartis entre plus de 200
groupes ethniques. Le pays est frontalier avec neuf autres – dont certains sont parmi les plus
faibles du continent.
Un dicton local en Swahili dit « Le Congo est grand – on peut en manger jusqu’à ce qu’on
éclate ». Et, en effet, pendant des siècles, c’est précisément ce que les occupants coloniaux,
les voisins et même certains Congolais ont fait : dévorer la vaste fortune minérale du Congo
sans trop se soucier de la cohésion du pays qu’ils laissaient derrière eux. Le Congo n’a rien
de ce qui fait un état-nation : les interconnections, un gouvernement qui soit capable
d’exercer son autorité jusqu’en des territoires très éloignés de la capitale, une culture
partagée qui promeuve l’unité nationale, ou une langue commune. Au lieu de cela, le
Congo est devenu une juxtaposition de peuples, de groupes, d’intérêts et de pillards qui,
au mieux, coexistent5.
D’innombrables tentatives de sécessions7, y compris celles instiguées par son père, ont
transformé le Congo en un ensemble de fiefs ingouvernables n’ayant que des liens ténus avec
le centre.
Kabila a peu d’instruments à sa disposition. Il n’y a pas grand-chose qui ressemble à une
armée disciplinée ou à une force de police ; elles ont plus pour fonction d’en vivre que de
servir la population. Tout comme Mobutu avant lui, Kabila dépend du patronage pour
rester au pouvoir et du revenu des aides internationales et des taxes minières8.
Sur le plan économique, les parties périphériques du Congo sont mieux intégrées avec les
états voisins qu’avec le reste du pays. Il est par exemple difficile à quelqu’un qui se trouve à
Lubumbashi, la capitale de la province riche en minerais du Katanga à l’extrémité sud-est du
pays, de constater que Kinshasa « gouverne ». Aller de L’shi à Johannesbourg, en Afrique du
Sud, est un voyage de deux jours ; le voyage du Katanga a Kinshasa – a distance à peu près
égale – est rarement accompli, ou même envisagé. Le Katanga ayant plus de choses en
commun avec ses voisins anglophones du Sud qu’avec Kinshasa9, il n’est pas étonnant qu’un
ministre zambien l’ait appelé un jour « la 10° province de la Zambie ».
6
Cela prouve simplement le caractère artificiel et imposé des élections, et le bien-fondé de l’opinion de Laurent
Kabila « Nous ne devons organiser des élections que quand le Congo pourra les organiser et les financer lui-
même. Si nous les laissons financer par l’étranger, ils croiront pouvoir acheter et nos votes, et notre âme ».
7
Il y a eu dans l’histoire du Congo DEUX tentatives de sécession, dans les années ’60, celle du Katanga, et
celle, qui lui était subordonnée, du Sud Kasai. Durant d’autres épisodes violents, le Congo a été divisé, mais
divisé entre des factions rivales qui, toutes, prétendaient au pouvoir central sur tout le Congo. Ce fut tout autant
le cas pour les gouvernements rivaux de Léopoldville et de Stanleyville dans les années ’60, que pour les
épisodes plus récents des « rebellions » du MLC et du RCD. Quant à un mouvement sécessionniste qui aurait eu
Laurent Kabila pour instigateur, c’est une pure fantaisie ! S’il y a bien une position dans laquelle un homme ne
voudra jamais la division du Congo, c’est bien celle de Président (même théorique) ! Les « innombrables »
tentatives de sécession sont, ou bien une erreur, ou un mensonge délibéré.
8
En effet, le Congo a eu le plus grand tort de continuer une économie coloniale axée sur les mines, plutôt que
d’exploiter ses vraies richesses, qui sont hydrologiques et agricole. Leur mise en valeur suppose, toutefois, le
maintien de l’unité du pays !
9
Ce n’est pas neuf : Léopold II redoutait déjà les visées anglo-saxonnes sur le Katanga. Cela dit, le Katanga
congolais et la « copper belt » zambienne sont situées sur un même gisement transfrontalier. Il en a été de même,
autrefois, avec un gisement de fer sur lequel se situaient la sidérurgie française en Lorraine, belge à Athus,
luxembourgeoise et allemande. Est-ce un argument pour la disparition de ces quatre pays ?
10
C’est ici que se situe le nœud du sophisme. Toute vulnérabilité peut engendrer la tentation de l’agression, et
même le passage à l’acte. Les vieilles dames plutôt fragiles physiquement ont avantage à éviter les rues désertes
entre chien et loup, surtout si elles ont avec elles un sac bourré d’argent. Il est légitime de mettre en garde les
victimes potentielles contre les risques. Il ne faut cependant pas aller trop loin, et ne pas considérer la victime
comme plus coupable encore, par sa fragilité exhibée, que l’agresseur. Or, c’est ce que l’on fait en accusant,
pratiquement, le Congo d’être une victime trop tentante !
infrastructure sanitaire.11
Sur le plan international, le Congo est devenu célèbre pour les terribles violences qu’a
dû subir sa population civile et pour le large usage qui y a été fait du viol comme
méthode de coercition.
Les nombreux combattants du Congo, aujourd’hui, se sentent peu motivés pour la formation
d’un pays uni ; ils tirent profit du violent chaos qui permet à tant de monde de piller les
ressources du pays .
A la Communauté internationale, la volonté ou les moyens font défaut pour construire un
Congo qui fonctionne. Et les voisins ne veulent pas à d’un Congo uni car beaucoup d’entre
eux préfèrent avoir affaire à une pléthore de fractions anarchiques où ils peuvent exercer leur
influence. Le Rwanda, l’Angola et l’Ouganda12, par exemple, sont tous intervenus pour
protéger leur propre sécurité au cours des dix années écoulées.
Pour remettre de l’ordre, ce pays d’Afrique centrale a été le cadre de l’une des plus grandes
opérations de maintien de la paix qu’on ait vues au monde. Plus de 18.400 casques bleus de
l’ONU y sont stationnés pour un coût global de $1.24 milliards. Mais des événements récents
ont montré combien leur tâche est impossible13.
Au début de cette année14 , les troupes rwandaises sont entrées dans les deux provinces du
Kivu, à l’Est du Congo avec la permission de Kinshasa pour y combattre les milices Hutu,
résidu du génocide rwandais d’il y a 10 ans15. Malgré quelques succès militaires, les
représailles exercées par les milices Hutu ont coûté la vie à plus d’une centaine de civils.
Les provinces des Kivu ne sont pas les seules régions troublées. Des troubles sporadiques ont
eu lieu au Bas-Congo, en Ituri, au Katanga et au Kasai. Lors des négociations de paix de
janvier 2008, le gouvernement avait affaire à l’un des plus importants groupes rebelles, mais
aussi à une trentaine d’autres milices armées échappant à son contrôle. Des élections
nationales tenues en 2006, pour lesquelles la communauté internationale a dépensé plus
d’un milliard de dollars, n’ont guère apporté de remède aux multiples divisions du
Congo.
11
Reconnaissons que ce qui est dit des diverses factions congolaises est assez vrai. Mais notons aussi au
passage « la destruction du système de transport et du système de culture du pays et l’effondrement de ce qu’il
pouvait y avoir comme infrastructure sanitaire ». Si on a pu détruire, c’est que quelque chose existait ! On ne
peut pas prendre à partie, pour une même carence, l’Etat congolais et les états agresseurs.
12
Il est abusif de mettre dans le même sac les agresseurs, comme le Rwanda et l’Ouganda, et l’Angola qui est
intervenu dans la guerre à la demande du gouvernement congolais. Que l’Angola ait eu AUSSI des visées qui lui
étaient propres est parfaitement admissible dans la mesure où elles n’entraient pas en conflit avec les intérêts du
Congo, alors que les intérêts et les ambitions du Rwanda et de l’Ouganda y étaient parfaitement opposés !
13
Evidemment ! puisqu’on s’est mêlé de « maintenir » une paix que l’on n’avait pas d’abord
ETABLIE. Elle est impossible parce qu’ils ne sont pas assez nombreux pour le peacemaking qui devrait
précéder le peacekeeping, qu’ils n’ont pas assez de moyens et qu’ils sont de plus entravés par des instructions de
leurs gouvernements nationaux, en contradiction avec les ordres de l’ONU. La mission militaire de la MONUC
est un échec pour la simple raison que l’on n’a jamais essayé sérieusement, même pas de gagner la guerre, mais
de la faire. Il serait logique de parler de peacemaking d’abord, de peacekeeping ensuite. Mais voilà, le
peacemaking, sur un terrain dur et difficile, exigerait 500.000 hommes et coûterait de lourdes pertes. L’ONU n’a
donc jamais mis en ligne que, tout au plus, 1/25° des troupes qui auraient été nécesaires.
14
Le texte a été écrit en 2009.
15
Comme on le sait, les massacres de 1994 n’ont pas été un génocide ! Et quinze ans après les faits, si l’on tient
absolument à parler de « génocidaires », il faudrait parler plutôt de « fils de génocidaires ». Faut-il qu’un
document qui se veut une analyse novatrice reprenne à la propagande de Kagame un mensonge éculé ?
Compte tenu de l’immensité de cette tragédie humaine, il est temps de poser la question
de savoir si des provinces comme les Kivu ou le Katanga (aussi grandes à elles seules que
certains états d’Afrique) connaîtront jamais un meilleur sort tant qu’elles seront
soumises à la fiction d’un « Etat Congolais ».
Bien que les états africains reconnaissent les frontières sur le papier, les voisins
du Congo se conduisent comme si de telles lignes n’existaient pas. La communauté
internationale est le seul intervenant qui consacre encore d’importantes ressources à l’idée du
Congo uni – avec peu de réponse16.
Il faudrait imaginer une nouvelle approche dans la recherche de solutions pour le Congo.
L’Occident devrait commencer par faire du développement et de l’ordre en territoire
congolais sa priorité numéro 1, plutôt que de se concentrer sur la promotion de l’état
congolais. Cette simple distinction place d’emblée la problématique congolaise sous un
nouvel éclairage. Cela signifierait par exemple que les gouvernements étrangers ou les
organisations d’aide s’entendraient avec n’importe quelle autorité de fait contrôlant
réellement les lieux plutôt que de continuer à prétendre que Kinshasa contrôle et dirige
tout le pays. Une telle approche ferait sans doute émerger un assez étrange assortiment
de gouverneurs, chefs coutumiers, seigneurs de la guerre et autres, plutôt que l’habituelle
panoplie de ministres17. Mais ce ne serait là que le reflet de qui exerce actuellement le pouvoir
réel au Congo.
Au lieu de continuer à dépenser des milliards pour recoller ensemble les morceaux du
Congo, la communauté internationale devrait considérer régionalement les problèmes
politiques et de sécurité18.
Par exemple, les troubles dans l’Est du Congo ont beaucoup plus à voir avec la insécurité qui
perdure au Rwanda qu’avec ce que le gouvernement de Kinshasa peut (ou ne peut pas) faire.
Une politique étrangère de sécurité plus réaliste pour l’est du Congo consisterait à donner
une haute priorité à la sécurité du Rwanda, étant donné que beaucoup de choses découlent
encore du génocide de 199419. Redresser cela, c’est contribuer pour une large part à réduire
16
Nous y voici ! On reconnaît que c’est des voisins que viennent les problèmes, mais c’est au Congo et à son
existence dans ses frontières reconnues que l’on s’en prend. L’agresseur a raison d’agresser, le violeur, de violer.
La coupable, c’est la fille dont la mini jupe était vraiment trop courte !
17
Il y a dans ces suggestions du bon et du nouveau. Mais ce qu’il y a de bon n’est pas nouveau, et ce qu’il y a de
nouveau n’est pas bon ! Travailler directement avec des partenaires qui sont des instances locales, provinciales
ou diocésaines fait depuis longtemps partie de la routine des ONG, en tous cas européennes. Cette pratique
pourrait s’étendre aux grandes organisations internationales ou officielles, non pas pour « laisser de côté le
Congo inexistant », mais pour éviter d’inutiles, coûteux et paperassiers détours par Kinshasa. Et il serait tout à
fait envisageable de tenir mieux compte des chefs coutumiers. Par contre, l’idée d’agir ainsi avec le propos
délibéré de faire la nique à Kinshasa et au Congo inexistant, jusqu’à collaborer avec des « seigneurs de la
guerre », qui sont en règle générale des comparses des entreprises de prédation rwandaises et ougandaises, est
une idée farfelue, non pas au nom d’un quelconque respect de principe pour l’état congolais, mais parce que
l’idée même d’une prime à l’abus de la force et à la criminalité heurte le minimum de morale qu’il faut garder
partout, même en politique.
18
Bravo ! Applaudissons ! Cette idée est excellente. Il faut simplement l’appliquer à l’endroit et non, comme le
font les auteurs, à l’ envers !
19
Une idée plus réaliste de la situation régionale serait de la considérer comme empoisonnée par les velléités
expansionnistes d’un Rwanda qui n’a aucun problème de sécurité ! Il y a un problème INTERNE rwandais qui
peut se résumer ainsi : le FPR de Kagame a refusé de poursuivre les processus de dialogue inter-rwandais qui
devait mener à une réforme de l’état. Il a préféré plonger le pays dans une guerre civile au cours de laquelle ont
eu lieu les massacres de 1994, qui ont bien fait 800.000 victimes, mais n’ont pas été un génocide. Kagame s’est
servi du génocide allégué pour justifier ensuite sa mainmise sur le pays, sa dictature et faire admettre ses
la violence qui hante les Kivu. Cela motiverait aussi les Rwandais à considérer le Congo
comme un partenaire naturel de développement et de commerce plutôt que comme un
problème de sécurité dont on ne peut avoir qu’une approche unilatérale. Les opérations
conjointes Congo/Rwanda, au début de cette année, ont été un pas dans cette direction.
Le Congo est considéré à bon droit comme l’un des résultats les plus pathologiques de la
division de l’Afrique par les Européens. C’est peut-être pour cela que les puissances
occidentales ont toujours été intimidées par toute idée qui ne se situerait pas dans les
frontières fixées en 1885, notamment par le Roi des Belges20.
Même sans parler de la tragédie humaine qui s’y déroule, il y a de bonnes raison de considérer
qu’il est plus urgent que jamais de ramener l’ordre au Congo. Ce pays est comme un
tourbillon dans la région, dans le passé, ses troubles ont souvent entraîné avec eux les pays
voisins21. L’idée même d’un Etat congolais a survécu alors qu’elle a cessé d’être utile
Pour une communauté internationale qui n’a que bien trop longtemps pris ses désirs pour des
réalités et a donc repoussé tout pragmatisme, il serait temps de se baser sur la réalité plutôt
que sur des fictions diplomatiques.
élections truquées. Il faut que le Rwandais relance son dialogue interne, y compris avec les FDLR, et résolve ses
problèmes lui-même. Il cessera alors de déstabiliser la région. D’autre part, les auteurs oublient que le Rwanda a
un très grave problème de surpopulation, ce qui l’amène a être non pas simplement hégémoniste, mais
annexionniste. Comme sa population est rurale dans sa grande majorité, il lui faut des TERRES. Imaginer que
l’on résoudra cela avec du commerce, des investissements et des emplois frontaliers est une illusion très
répandue chez les anglo-saxons, qui ne repose sur rien.
20
Le premier état étranger à avoir reconnu l’Etat Indépendant du Congo ont été … les Etats-Unis d’Amérique, et
ils ont été participants à la Conférence de Berlin et signataires de l’Acte de Berlin. Pour autant que la situation
découle de la Conférence de Berlin, ils en sont donc tout aussi responsables que les Belges ou les Français.
21
Retournement parfait par rapport à la réalité : ce sont au contraire les troubles des voisins qui ont entraîné la
RDC dans leur spirale.
Nationalités
La balkanisation, même quand elle se passe loin des Balkans, reste marquée par ses origines,
c'est-à-dire par l’Europe du XIX° siècle, marquée par des nationalismes incandescents. Il faut,
pour la justifier, pouvoir mettre en avant une conscience identitaire nationale enfouie et
réprimée.
Cela peut mener, comme dans le cas du fractionnement de l’ex-Yougoslavie, à des choses
assez cocasses. Comment définir la Bosnie autrement qu’en termes religieux (l’état où les
musulmans sont majoritaires) ? Les Kosovars parlent albanais, se sentent albanais et ont
d’ailleurs manifesté leur joie le leur de leur indépendance unilatérale en brandissant le
drapeau albanais… sans que cela semble beaucoup intéresser, ni même émouvoir Tirana.
Or, la place du nationalisme dans un conflit n’est pas forcément évidente. Européens et
Américains ne semblent pas interpréter de la même manière la Guerre de Sécession, que les
seconds appellent « Civil War », la « guerre civile ». Cela revient à dire que les Américains –
qui sont quand même les principaux intéressés – y ont vu moins une tentative de sécession
que l’affrontement violent entre deux conceptions de l’état (fédéralisme contre
confédéralisme).
J’ai fait remarquer, à propos de « There is no Congo », que les auteurs pratiquaient largement
un sophisme qui consiste à faire de tout conflit en Afrique une « guerre de sécession ». Or,
dès qu’on y regarde de plus près, on n’en trouve guère !
La RDC a connu deux « sécessions », d’ailleurs simultanées : Katanga et Sud Kasai, dans les
années ’60. Le Nigéria, une, lors de la fameuse « guerre du Biafra ». Toutes trois
correspondent d’ailleurs à des régions riches en matières précieuses, ce qui donne à penser…
La « division » du Soudan n’est en rien une sécession. C’est un épisode comparable à la fin de
l’apartheid en Afrique du Sud : la fin, dans un Soudan devenu indépendant en maintenant en
place les inégalités coloniales, de ce régime suranné. Il en va de même de la « partition » de la
Côte d’Ivoire après 2002 : le conflit n’était pas entre des « séparatistes » au Nord et des
« unitaires » au Sud, mais entre des groupes comprenant différemment la fameuse « ivoirité ».
Une guerre civile vise à changer par la force le régime politique d’un pays entier sans en
changer la configuration géographique. Le fait que, durant le conflit, le pays soit coupé en
deux par la ligne de front ou que les « rebelles » doivent forcément se donner une « capitale
provisoire » pour y installer leur administration sont des nécessités pratiques qui ne
correspondent à aucune volonté de rendre ces faits définitifs et permanents.
Lorsqu’en juillet 1960 Moïse Tshombe proclama l’indépendance du Katanga, il s’appuya sur
trois arguments. L’un est politique, c'est-à-dire qu’il relève de la guerre civile, le second peut
être invoqué à l’appui de n’importe quoi, le troisième seul est de nature « sécessionniste ».
Ces arguments sont :
1 – Le Congo de Lumumba est un état communiste et raciste (anti-blanc), idéologies que le
Katanga n’accepte pas.
2 - Le Congo est tombé dans l’anarchie, en fait il n’y a plus d’état congolais.
3 - Les colonisateurs n’ont pas trouvé de « Congo » à leur arrivée, mais de multiples états
précoloniaux. L’indépendance doit signifier la fin de l’ensemble artificiel « Congo ».
(Ce troisième argument aurait dû mener logiquement à proclamer aussi la fin d’une entité
« Katanga » tout aussi artificielle !)
Ce troisième argument repose sur une identité, non démontrée ni même clairement affirmée,
mais toujours sous-entendue. Identité ethnique = nationalité.
Le raisonnement est « Il n’y a pas de Congo ni de Congolais, parce qu’il y a des Kongo, des
Luba, des Tetela, des Mongo, des Azande, des Bashilele, etc…tout comme il n’y a pas de
Yougoslaves, mais des Slovénes, des Serbes, des Croates, des Bosniaques, etc… »22.
Or – et là cela devient vraiment curieux ! – les intéressés eux-mêmes ne semblent pas croire à
cette thèse !
Lorsqu’on interroge un Congolais sur la manière dont il perçoit les choses, on reçoit
habituellement comme réponse : « Je suis Congolais de l’ethnie X. Je tiens au Congo, mais je
voudrais que les X soient mieux représentés dans tous les organes de l’état ». Cela laisse pas
mal de problèmes à résoudre, dont certains sont de vrais casse-tête, mais c’est une attitude
classique de minorité (toutes les ethnies le sont !) et non une revendication séparatiste.
On a donc affaire à une situation de négation de la nationalité congolaise au nom des
« nationalités ethniques », manifestement inventée « en chambre » par des « africanistes en
pantoufles », qui est rejetée par une écrasante majorité de Congolais, et que l’on voudrait
malgré tout nous faire accepter comme une « description objective » de la réalité locale. « Y a
quéq’chose qui cloche là-dedans », comme disait l’autre.
Dans le texte de Jeffrey Herbst et Greg Mills, on lit notamment : « Cela motiverait aussi les
Rwandais à considérer le Congo comme un partenaire naturel de développement et de
commerce plutôt que comme un problème de sécurité dont on ne peut avoir qu’une approche
unilatérale ».
Affirmer que le commerce, finalement, est la clé de tous les problèmes représente, lorsqu’on
s’adresse à un public anglo-saxon, une ce qu’en argot on appelle une « valise », c'est-à-dire
une affirmation considérée par le public auquel on s’adresse comme un truisme, une vérité
évidente. Il y en a dans toutes les cultures. En France, une solution passera toujours pour
bonne si on la qualifie de « républicaine ». Outre-manche, comme Outre-Atlantique, le « free
trade » est la panacée universelle qui guérit tous les maux.
La « valise » oratoire sert aussi, comme le bagage du même nom, à transporter des choses et
même parfois des denrées de contrebande. La pseudo-évidence des « bienfaits du commerce »
sert à véhiculer l’idée que la RDC et le Rwanda seraient « naturellement » des partenaires
économiques.
Le texte de Herbst et Mills est contemporain du « retournement des alliances » survenu dans
les derniers jours de 2008, ce qui fait de lui également un contemporain de deux autres textes,
connus un peu abusivement sous les noms de « plans » Cohen et Sarkozy. En réalité, ni l’un,
ni l’autre, n’ont à proprement formulé un véritable « plan ». Les textes connus sous ce nom
sont, respectivement, un article de journal23 par lequel Herman Jay Cohen avait peut-être
surtout l’intention de rappeler son existence à Barrack Obama, et un discours de Nicolas
Sarkozy qui reprenait des idées du même ordre.
22
La question est bien sûr : pourquoi cette affirmation serait-elle vraie, alors que l’on n’entend que rarement :
« Il n’y a pas de France parce qu’il y a des Bretons, des Occitans, des Alsaciens, des Rouergats et des
Ch’timi… ». Le seule réponse claire semble être que la question ne se pose pas lorsque, dans les diverses
« nationalités » - en RDC, dans les diverses ethnies – la volonté de rester ensemble l’emporte sur le
particularisme, même si celui-ci est dynamique et vivace. Le problème ne devrait donc pas se poser pour le
Congo ou, plus exactement, s’il se pose, c’est qu’il est apporté de l’extérieur.
23
New York Times : Can Africa Trade Its Way to Peace ?, NYT, 16/12/2008,
Sans être une nouveauté,
le « plan de fin de
guerre » imaginé par
Herman J. Cohen avait
pour but de conférer une
réalité juridique à la
nouvelle donne
géopolitique des Grands
Lacs. Tenant compte de
l’intégration économique
de fait du Kivu au
Rwanda et de
l’importance pour l’économie rwandaise de pouvoir continuer à profiter de l’exploitation de
l’Est du Congo, il s’agirait d’instaurer un « marché commun » incluant l’Ouganda, le
Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, le Kenya et la RDC elle-même. Avec la libre circulation des
personnes et des biens, ce « marché commun » garantirait aux entreprises des pays membres
– comprenons celles du Rwanda, essentiellement – l’accès aux ressources minières et
forestières du Kivu contre le versement de droits de douane et de taxes à l’État congolais.
Selon M. Cohen, ce « marché commun » permettrait à la RDC d’utiliser les ports de l’Océan
indien qui sont le débouché naturel des produits du Congo oriental plutôt que ceux de
l’Océan atlantique, à plus de 1600 km de là »24. Le plan du lobbyiste américain qui projetait
de le soumettre à M. Obama, n’était encore qu’à l’état de simple article, mais il est sans doute
conforme à la conception que se font les États-Unis de ce que devrait être la région des
Grands Lacs.
L’ouvrage que Sarkozy a brodé sur ce canevas ne se distinguait que par une référence au
caractère « bizarre » des ressources minières congolaises, situées si « étrangement » près de
ses frontières. On en retirait l’impression que lorsque Dieu a créé l’Afrique et ses mines, il
aurait été mieux inspiré en passant d’abord un coup de fil à Sarkozy…
Dans un cas comme dans l’autre, ce sont des monuments d’hypocrisie, dans la mesure où
l’intérêt que l’on montre pour les Africains en cause – en l’occurrence, en particulier le
Rwanda – fait un peu penser à l’intérêt que les spécialiste de la fraude et du blanchiment
d’argent manifestent pour la Suisse ou les Iles Caïman, en prenant l’air de s’intéresser au
climat sain des montagnes ou à la douceur de l’air dans les Caraïbes. Le Rwanda intervient
fondamentalement comme « plaque tournante » de tous les trafics qui intéressent, fort loin de
l’Afrique, les opérateurs de toutes les grandes places financières internationales.
J’ai expliqué par ailleurs25 les origines lointaines de la problématique de l’Est congolais, aussi
me contenterai-je ici de les résumer très succinctement.
En 1960, il existait déjà une concurrence pour l’hégémonie dans les Kivu entre les ethnies
congolaises (Nande, Shi, Havu…) et des populations d’arrivée plus récente, installés avant la
colonisation dans le Bwisha ou originaires du Ruanda/Urundi déplacés sous la colonie.
Comme les indépendances du Rwanda et du Burundi mirent en place des régimes ethnistes,
les candidats à l’émigration furent en général des membres des ethnies défavorisées (Tutsi
rwandais, Hutu burundais).
Durant les premières années du régime Mobutu, celui-ci chercha à consolider son emprise sur
l’ensemble du pays en recherchant la complicité de minorités locales, fidèles parce que
24
Plan américain de « fin de guerre ». Herman Cohen piège Obama et la RDC, Le Potentiel, 29/12/2008
25
Dialogue « Dossier Est » de février 2009
dépendant pour leur propre sécurité de la protection du Guide. Sans doute en grande partie
sous l’influence de Bisengimana, il choisit pour ce rôle, dans les Kivu, les « zairwandais ».
Ceux-ci, comme le reste de la bourgeoisie mobutiste, purent s’enrichir de diverses spoliations,
notamment à l’occasion de la « zairianisation », à nouveau pour partie au détriment des
populations appartenant à d’autres groupes ethniques.
Cela créa entre les « zairwandais » et le reste de la bourgeoisie congolaise des liens de
solidarité de classe qui se sont toujours maintenus depuis, puisque cette bourgeoisie, si elle a
connu des éclipses, surtout politiques, n’a jamais été chassée du pouvoir, en particulier de
celui qui compte : le pouvoir économique.
Dès lors, alors que le contentieux, étant un
problème de spoliation, donc de propriété,
mais qu’on ne pouvait pas y toucher car il
n’était pas question pour la bourgeoisie au
pouvoir de laisser crier la branche sur
laquelle elle était assise, on n’aborda plus
jamais la question que sous un angle
parfaitement inefficace, celui de la
nationalité congolaise26 , que Bisengimana
avait beaucoup trop largement distribuée à
ses congénères.
Ce conflit était au départ relatif à la possession de terres agricoles et d’entreprises
commerciales. D’autre part, il concernait une population qui n’avait que des relations
négatives avec son pays d’origine.
Entre 1990 et 1994 se produisent les événements qui aboutissent à la prise de pouvoir par
Kagame au Rwanda. Celle-ci représente un changement fondamental à beaucoup de points de
vue : entrée en fanfare des USA dans une sphère jusque là plutôt dominée par la France,
redistribution des cartes dans la région de Grands Lacs. Je ne mentionnerai ici que ce qui a
directement trait à notre sujet : le virage à 180° que cela représente, au Rwanda même et dans
ses environs immédiats, du point de vue ethnique. La place forte du « Hutu Power » devient
une citadelle Tutsi. La question n’est pas de nous demander ici si un racisme a succédé à un
autre ou non. Elle est de constater que les « zairwandais » étaient pour la plupart des gens qui
26
En effet, le fait qu’une personne soit éventuellement un faux congolais ne prouve pas qu’il n’ait pas le droit de
posséder ce qu’il a. Or, c’est là le fond du problème.
avaient quitté le Rwanda par antipathie27 envers le régime que Kagame venait précisément de
renverser. Il y aura donc presque fatalement entre eux une tendance spontanée à la sympathie.
D’autant plus que le nouveau régime rwandais manifeste très tôt des visées expansionnistes,
notamment en direction des Kivu. Il y a à ce sujet de déclarations publiques28 qui ne laissent
place à aucun doute. De ce point de vue, il est bien pratique, pour Kagame, d’avoir un
« cheval de Troie » à l’intérieur du Congo.
Dès lors, les bourgeois prédateurs de l’Est du Congo ne sont plus seulement protégés par la
solidarité de classe entre nantis de la bourgeoisie congolaise. Ils bénéficient aussi d’un appui
extérieur, de la part d’une puissance régionale elle-même protégée par l’hégémonie mondiale
américaine. Et les USA sont, par définition, intéressés par les profits miniers et par les
technologies de pointe.
Les « plans », genre Cohen ou Sarkozy, visent donc à conférer une réalité juridique à la
nouvelle donne géopolitique des Grands Lacs, qui tiendrait compte de l’importance pour
l’économie rwandaise de pouvoir continuer à profiter de l’exploitation de l’Est du Congo à
intégrer économiquement le Kivu. A la limite, cela pourrait aller jusqu’à instaurer un
« marché commun » incluant le Rwanda, l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, le
Kenya et la RDC elle-même. Mais il s’agit de le faire en reprenant à la balkanisation
« classique » et à « l’éléphant malade » ce qu’ils ont de positif, sans tomber dans ce qu’ils
peuvent avoir comme défaut.
Il est bien entendu que « qualités « et « défauts » ne s’ sauraient entendre s’entendre ici du
point de vue des populations. Pour e sens de ces adjectifs, nous adoptons résolument le point
de vue des gens qui comptent… C'est-à-dire des gens qui ont des sous à compter. Est « bon »
tout ce qui maximise les profits, « mauvais » tout ce qui accroît les coûts.
27
Antipathie qui n’était pas forcément politique. Il y avait, et il y a toujours, des problèmes économiques graves
dans le Rwanda surpeuplé. Etre de la mauvaise ethnie ou de la mauvaise région pouvait être très handicapant
dans la recherche d’un emploi.
28
Elles ont été le fait avant tout du Président Pasteur Bizimungu (voir Dialogue, Dossier Est). Mais, même si
Kagame se contentait à cette époque d’être l’homme fort en coulisse, alors qu’aujourd’hui il affronte
ouvertement les projecteurs, il ne fait aucun doute que déjà à cette époque il tirait les ficelles. Il n’a jamais
désavoué ces propos.
La chasse à « l’éléphalkan »
Comme il a été dit plus haut, la « balkanisation » consiste à remplacer un grand ou un moyen
état par plusieurs petits ou minuscules. Peu importe. Ce sont toujours des états. Ils sont donc
toujours censés protéger leurs citoyens, assurer le maintien de l’ordre, etc… De plus, en tant
qu’entités juridiques, les états sont responsables de leurs actes, peuvent être traînés en justice
s’ils ont lésé des gens, etc…
Et nus avons dit, à propos des « éléphants malades » que le terme logique du processus, s’il a
le loisir de se dérouler jusqu’au bout, ce qui a été le cas au Maroc, mais pas en Chine, ni en
Turquie, est l’absorption de la victime dans un empire colonial, ne fût-ce que sous forme de
protectorat. La colonisation, elle aussi, a un coût, qui n’est pas mince, ce qui réduit les profits.
Or, la situation qui résulte des hasards de la géographie et de l’histoire est déjà, du point de
vue du capital exploiteur, magnifique.
29
Peut-être faut il rappeler encore une fois que reprendre et sécuriser les Kivu demanderait un demi-million
d’hommes, c'est-à-dire plus que l’armée congolaise, et ceci du simple point de vue du nombre, sans parler de
l’aspect qualitatif.
30
Ce qui signifie en pratique que c’est à tort qu’on s’empoigne à propos de chromosomes tutsi ou de tests ADN.
Les pro-rwandais se reconnaissent à la grosseur de leur portefeuille et à celle de leur voiture
31
Pour rappel, le « renversement des alliances », fin 2008, est arrivé à point nommé pour éviter qu’un rapport
d’experts de l’ONU sur les « blood minerals », à la fois accablant pour le Rwanda et précis quant à l’identité
d’un certain nombre d’opérateur, ne fasse trop de bruit. Curieux, non ?
Cette situation permet de prévoir que l’on évitera sans doute un certain nombre d’erreurs qui
réduiraient à néant ces magnifiques et juteux avantages. Notamment :
1. Même s’il existe un site web des « indépendantistes kivutiens », il ne faut guère
s’attendre à une sécession « façon Katanga 60 ». L’un des buts de celle-ci était de
laisser entre les mains de l’UMHK de précieuses installations minières et industrielles.
Il n’y a rien de tel à protéger au Kivu. Par contre, le fait qu’il soit toujours partie
intégrante de la RDC permet d’y maintenir les FARDC qui participent à l’insécurité,
nécessaire au recrutement d’esclaves.
2. Il est peu probable que Kagame ait fort envie soit d’annexer tout ou partie des Kivu,
soit d’entretenir à sa porte un Kivu indépendant. Encore une fois, cela supposerait des
dépenses de souveraineté, un minimum de réalisations sociales qui coûteraient, alors
que le rôle de plaque tournante du trafic rapporte et ne coûte rien32.
3. Les Kivu, qui sont très peuplés par rapport à la moyenne nationale congolaise, le sont
cependant de manière beaucoup moins dense que le Rwanda. Cela crée ipso facto une
sorte de « vide » relatif qui attire fatalement les gens des zones surpeuplées. Il se peut
que certains jugent souhaitable que l’Est du Congo joue ce rôle d’exutoire. Il peut
même être double : permettre de « lâcher de la pression » en diminuant la pression
démographique en général, mais aussi utiliser au Congo des militaires trop remuants.
Tout ceci ne demande pas forcément une sécession ou une annexion. Il suffit que par
des accords (p.ex. la CEPGL) la liberté de circuler, de travailler, de s’établir, d’investir
soient assurés aux ressortissants d’un certain nombre de pays. Compte tenu de sa
taille, la RDC sera d’office le dindon de la farce.
4. L’insécurité étant partie intégrante du système productif, basé en partie sur la terreur,
il faudrait également que ces accords comprennent des clauses de libre circulation
militaire.
32
Il est tellement préférable de trafiquer plutôt que de produire, que le Rwanda ne met même pas en valeur ses
propres gisements de ces mêmes minerais.