Description Des Maladies de La Peau

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***** NOTHEEK GENT

$102
22271 ..
Au

Ace22271
DESCRIPTION

DES MALADIES

DE LA PEAU . ·
DESCRIPTION

DES MALADIES

DE LA PEAU ,

OBSERVÉES A L'HOPITAL SAINT-LOUIS , ET EXPOSITION DES MEILLEURES MÉTHODES


SUIVIES POUR LEUR TRAITEMENT ;

PAR J. L. ALIBERT ,

MÉDECIN DE L'HOPITAL St-LOUIS , ET PREMIER MÉDECIN ORDINAIRE DU ROI , Professeur a l'écoLE


DE MÉDECINE , MEMBRE DE L'ACADÉMIE ROYALE DE PARIS , ETC.

DEUXIÈME ÉDITION , ENRICHIE D'APPENDICES.

TOME SECOND .

BRUXELLES ,

AUGUSTE WAHLEN , IMPRIMEUR - LIBRAIRE ,


ÉDITEUR DE L'ANATOMIE DE L'HOMME, PAR J. CLOQUET.

1825.
;
11
#
1:4
DESCRIPTION

DES MALADIES

DE LA PEAU.

LES ÉPHÉLIDES .

CONSIDERATIONS GÉNÉRALES SUR LES ÉPHÉLIDES .

CCCVIII. Je conserve le nom d'Éphélides à des taches solitaires ,


disséminées ou réunies par groupes sur la périphérie de la peau.
Leur forme est en général très- variée . Les unes ressemblent à des
lentilles , les autres à des plaques irrégulières , qui ont plus ou

moins d'étendue , selon la cause qui les a fait naître.


CCCIX . Quoique ces sortes d'affections , dont je vais actuelle
ment m'occuper , ne soient pas ordinairement des maladies très
graves , on les voit néanmoins prendre dans quelques circonstan
ces un caractère très-alarmant. Il est donc utile de rassembler ici

les divers traits qui se rapportent à leur histoire. D'ailleurs , c'est


un point de vue intéressant que d'examiner comment les tégu
mens se décolorent et révèlent , en quelque sorte , par leur surface ,
toutes les altérations intérieures du corps humain .

CCCX . Il faudroit peut-être établir une distinction entre les


taches qui ne sont , à proprement parler , que des affections
idiopathiques de la peau , et celles qui ne sont que des symptô

2 I.
2 MALADIES DE LA PEAU.

mes indicateurs des maladies qui tourmentent des organes cachés.


En effet , comment ignorer les rapports intimes qui existent entre
le système cutané et les viscères abdominaux ? Les observations

journalières des praticiens en font foi . Mille accidens prouvent


que la peau est une sorte de miroir qui réfléchit toutes nos souf

frances. Je pense du reste qu'il seroit superflu de reproduire ici


les phénomènes sans nombre qui constatent cette vérité . Qu'il
nous suffise de savoir que les éphélides sont , dans certains cas ,
le symptôme irrécusable de quelques désordres intérieurs , aussi
bien que l'érysipèle , la fièvre miliaire , la fièvre ortiée , la fièvre
scarlatine , le prurigo et autres maladies qu'on pourroit décrire.
CCCXI. Le vulgaire même s'aperçoit de ces altérations du

système dermoïde qui indiquent un dérangement quelconque


dans les fonctions de l'économie animale ; et l'homme est commu

nément habitué à voir sur le front de son semblable l'empreinte


ou l'image des maladies qui l'affligent. De là dérivent , sans doute ,
les inquiétudes qu'il conçoit sur l'état des individus dont la peau
est flétrie et décolorée . Dans le cas contraire , si la santé se réta

blit , le teint des malades reprend son énergie et son éclat.


CCCXII. Les éphélides , dont je fais l'objet de cette disserta
tion , ne sont pas uniquement le résultat d'une dégradation par
ticulière de l'épiderme. Le tissu réticulaire s'y trouve spéciale
ment intéressé. Ces affections peuvent d'ailleurs atteindre toutes
les races d'hommes ; et , dans tous les climats , les médecins ont

observé de semblables décolorations qui tiennent à un vice sur


venu dans les fonctions du système exhalant. L'Africain même est
enclin à des indispositions qui altèrent singulièrement la noirceur
qui lui est naturelle. En général , on ne voit guère ce genre de
maladie sur le derme des quadrupèdes , parce que les fourrures "
et les poils qui les recouvrent , les protégent contre les causes 2$
nuisibles de l'atmosphère ; mais on le trouve fréquemment sur les 4
végétaux , et les maculations qui se manifestent sur certaines
MALADIES DE LA PEAU. 3

feuilles des arbres , sur les pétales des fleurs , sur la peau des
fruits , etc.
CCCXIII. J'ai dû faire succéder la description des éphélides à
celle des dartres , parce que ces affections se ressemblent sous

quelques points de vue . En effet , il est des dartres qui se conver


tissent en véritables éphélides ; souvent même il arrive que ces
dernières offrent de petites desquammations de la peau , assez
semblables à celles que l'on rencontre dans les éruptions herpéti
ques furfuracées. Je puis même ajouter que , dans certains cas , elles
tiennent tellement au même principe , que la ligne de démarcation
est à peine sensible . La seule différence que l'on aperçoit est que les

tégumens ne s'élèvent presque jamais au-dessus de leur niveau.


CCCXIV . Non-seulement les éphélides ont une certaine con
nexité avec les dartres par la plupart de leurs phénomènes , mais
encore par leur opiniâtreté. On en voit qui résistent à tous les
moyens de guérison. Un autre trait d'analogie les rapproche ; c'est
l'identité du traitement qui leur convient. Ceci s'applique parti
culièrement à l'éphélide hépatique qui cède aux remèdes com
munément dirigés contre les maladies dartreuses.
CCCXV . J'ai cru ne pas devoir placer au rang des éphélides
certaines taches qu'il faut plutôt regarder comme des difformités
du tissu dermoïde , que comme de véritables maladies . Ce sont
celles qui proviennent de l'introduction fortuite d'une matière
colorante dans le tissu réticulaire de Malpighi. Cette matière est

tantôt noire , tantôt fauve , tantôt rouge , tantôt roussâtre ; je ne


parlerai pas non plus de celles que l'on désigne vulgairement sous
le nom de taches de vin . En effet , ces décolorations accidentelles
des tégumens n'ont point de forme déterminée . J'ai examiné avec
soin plusieurs de ces taches , qui souvent ne sont que le résultat
d'un entrelacement particulier des vaisseaux capillaires sanguins ,
et qu'il ne faut considérer que comme des jeux ou des écarts acci
dentels de la nature .
4 MALADIES DE LA PEAU .

CCCXVI . Nous observons fréquemment à l'hôpital Saint- Louis


des taches livides ou d'un rouge noir , assez semblables à des pi
qûres de puces , qui paroissent et s'évanouissent par degrés , et
suivent une marche assez régulière . Nous en avons vu qui for
moient des plaques étendues sur la peau , qu'on eût cru provenir
d'une chute ou d'une contusion violente exercée sur les tégu
mens. Mais ces taches , de nature scorbutique , formées par le
passage du sang dans les capillaires cutanés , n'ont rien de com

mun avec les éphélides .


CCCXVII. Ce n'est pas non plus ici le lieu de parler d'une
sorte de décoloration à laquelle sont sujets les individus foibles
et cachectiques , particulièrement les vieillards. Ce sont de larges
taches d'un rouge obscur , qui dépendent du ralentissement de
la circulation . Elles surviennent ordinairement aux bras , aux

mains , aux jambes , aux pieds ; en un mot , dans les parties les
plus éloignées du corps , parce que la force impulsive des vais
seaux cutanés languit et manque de ton. Les vieillards qui vien
nent chercher des secours à l'hôpital Saint- Louis sont surtout
sujets à cette infirmité , qui est permanente , parce que la même
cause existe toujours.

CCCXVIII . J'ai déjà dit que je ne devois point traiter ici des
nombreux accidens qui peuvent flétrir ou altérer la peau. En
effet , toutes les affections morbifiques du corps vivant sont , en
quelque sorte , signalées par un changement de couleur dans l'ap
pareil tégumentaire. Dans la chlorose , par exemple , la peau est
d'un blanc mat , marquée d'une teinte jaunâtre. La couleur sa
franée décèle l'ictère. Les pathologistes observent presque tou
jours une nuance verdâtre sur le visage de ceux qui sont tour
mentés par le flux hémorroïdal ou par un engorgement de la rate .

On sait que dans les fleurs blanches invétérées , et même dans les

autres affections lymphatiques , les paupières sont le plus commu


nément entourées d'un cercle livide ; c'est une remarque bien
MALADIES DE LA PEAU. 5

commune que la rougeur intense des pommettes , et la pâleur du

reste de la face , indiquent la dégénération organique de la poi


trine. Le vice scrophuleux , la lèpre , la syphilis , communiquent
à la peau une empreinte sui generis . Mais ces sortes de macula
tions rentrent nécessairement dans la description particulière de
ces maladies .

CCCXIX . J'aurois aussi pu faire mention de certains individus.


qui présentent un phénomène de physiologie très-extraordinaire ;
je veux parler de ceux que l'on désigne par le nom vulgaire •
d'Albinos. Les avis ont été très-partagés sur les causes premières

de cette altération de la peau. Certains l'attribuent à la privation


du corps muqueux. Il est un point néanmoins sur lequel on s'ac
corde généralement , c'est que les hommes , ainsi décolorés , ne
sauroient jamais constituer une espèce séparée , comme l'ont pré
tendu beaucoup d'auteurs. On voit à l'hospice de Bicêtre un jeune
idiot , nommé Laroche , dont la peau est fine et très-blanche . Ses
cheveux touffus , presque aussi rudes que la crinière d'un cheval ,
sont aussi d'un blanc éclatant ; les sourcils , les cils , les poils des
aisselles , des parties génitales et de toutes les parties du corps ,
sont de la même couleur. Le blanc des yeux est dans l'état natu
rel; mais la partie colorée est d'un très-beau rose. Il ne peut sup
porter une lumière vive , et il est constamment forcé de tenir un
bandeau sur ses yeux pour en affoiblir l'impression . Laroche est
pourtant issu de parens très-bien portans , dont la peau est brune
et les yeux
très-noirs. Au surplus , je ne parle qu'accessoirement
de cette infirmité du système dermoïde , et je passe à la descrip
tion particulière des éphélides proprement dites . J'ai eu occa
sion d'en distinguer trois espèces durant le cours des recherches
que j'ai faites à l'hôpital Saint-Louis .
3.
NT

a
p

Ephélide Lentiforme.
Gravepar Khonraad leve ala Colcographie Royale des GoubaudImprime dans le mêmeétablissement Braveller
PREMIÈRE PARTIE .

FAITS RELATIFS A L'HISTOIRE PARTICULIÈRE DES ÉPHÉLIDES .

ESPÈCE PREMIÈRE.

ÉPHÉLIDE LENTIFORME. EPHELIS LENTIGO. ( PLANCHE XXVI. )

Éphélide se manifestant sur une ou plusieurs parties des tégumens , par des taches len
ticulaires , éparses ou rassemblées en corymbe , dont la couleur est fauve , roussâtre ou
brune. Ces taches ou éphélides se rencontrent le plus souvent sur le visage , aux mains ,
aux bras, sur le devant de la poitrine , en général sur tous les endroits du corps qui
sont exposés au contact de l'air ou du soleil.
OBs. Il est peut-être minutieux d'indiquer ici les variétés qui se rapportent à cette
espèce ; mais certains pathologistes les ont néanmoins signalées dans leurs ouvrages :
A. L'ÉPHÉLIDE LENTIFORME SOLAIRE. Ephelis lentigo solaris. - Les paysans , les
citadins qui quittent la ville pour aller à la campagne , et s'exposent aux rayons du
soleil, etc. , y sont particulièrement sujets. Le contact de l'air suffit pour la produire chez
certains individus dont le système lymphatique est radicalement affoibli.
B. L'ÉPHÉLIDE LENTIFORME IGNÉALE. Ephelis lentigo ignealis. - Cette variété
mérite à peine d'être indiquée. Elle est produite par l'habitude qu'ont certaines femmes
dans beaucoup de climats de placer sous leurs pieds , durant le froid de l'hiver , des vases
de terre qui contiennent de la braise ou du charbon ardent pour se réchauffer.
ES
ADI U
8 MAL DE LA PEA .

TABLEAU DE L'ÉPHÉLIDE LENTIFORME .

CCCXX . Les éphélides lentiformes , vulgairement appelées ta


ches de rousseur , doivent être nécessairement le résultat d'une af

fection morbifique de la peau ; c'est à tort qu'on voudroit les envi


sager comme des taches ordinaires et accidentelles . En effet , j'ai
observé assez constamment que ces décolorations étoient subor
données à des circonstances locales , et qu'elles disparoissoient aux
approches de l'hiver , pour renaître au printemps ou en été. L'ac
tion immédiate du soleil suffit pour les développer soudainement
et en grand nombre. Il est encore d'observation que ces taches
abondent principalement sur les parties qui sont le plus exposées
au contact de l'air atmosphérique . C'est ainsi que le visage , les
bras et les mains en sont principalement atteints. Il est vrai qu'on
les voit aussi se déclarer quelquefois sur les endroits du corps qui
sont recouverts par des voiles , des mouchoirs ou autres vêtemens .
Autre remarque très-essentielle. Les éphélides lentiformes
n'attaquent ordinairement que les individus dont le système
lymphatique est radicalement et constitutionnellement affoibli .
Ces sortes de malades ont même une habitude de corps qu'il n'est

pas inutile de rappeler : communément leur teint est rouge et


fleuri. Leur peau est très-blanche , très-fine , et d'une contexture
très-délicate. Leurs cheveux sont roux : le plus souvent ils sont
d'un rouge ardent , en sorte que les causes qui influent sur la cou

leur des cheveux , paroissent également influer sur la production


des éphélides lentiformes. Leurs yeux sont d'un bleu céleste
très-prononcé. De là vient , ainsi que l'observe ingénieusement
M. Chiarurggi , que les poètes ont célébré comme un phénomène
rare et extraordinaire la coexistence des yeux très-noirs avec une
blonde chevelure. J'ai observé néanmoins l'éphélide lentiforme
MALADIES DE LA PEAU. 9

sur certaines personnes dont la peau étoit brune et les cheveux


noirs.

Les éphélides que nous décrivons ont une figure sphérique


comme celle des lentilles. Leur couleur n'est pas toujours la même ;

mais le plus souvent elle est brune , assez analogue à celle du


café. Il en est qui forment de petits points jaunes , répandus çà
et là sur la périphérie de la peau. D'autres sont , pour ainsi dire ,
contigues , et forment de larges taches sur les pommettes ou sur

le devant de la poitrine . Quand ces taches sont très-abondantes ,


elles donnent à la peau un aspect très -désagréable .
L'éphélide lentiforme n'excite d'ailleurs aucune douleur
aucun prurit, aucune démangeaison . J'ai interrogé un grand
nombre d'individus sur ce point. Je pense même que ce carac

tère particulier doit établir une différence très - marquée entre


l'éphélide dont il s'agit , et les autres espèces que nous décrirons
ci-après.
Les auteurs ont aussi fait mention d'une autre espèce d'éphé
lide qu'on indique assez fréquemment sous le nom d'éphélide
ignéale. Je crois inutile d'insister sur cette variété . Ce sont des
maculatures qui se forment à la partie interne des cuisses , par
l'effet de l'action immédiate du feu. J'ai dit plus haut qu'elle est
le résultat de l'habitude où sont les femmes de placer des réchauds
entre leurs jambes .

OBSERVATIONS RELATIVES A L'éphélide lentiforme .

CCCXXI. Première Observation.- Jacques Joly , âgé de vingt

deux ans , d'un tempérament lymphatique , ayant les cheveux


1
rouges , très-épais et très -durs , nous a offert un grand nombre de
rousseurs répandues sur le corps , spécialement sur les endroits
2 2.
10 MALADIES DE LA PEAU.

où la peau est fine et délicate , comme sur le visage , sur la poi


trine , sur la face interne des bras et des avant-bras. Les cuisses et
les jambes en présentoient aussi ; mais sur le visage elles étoient en
grande quantité ; elles avoient la largeur d'une lentille ; d'autres
étoient plus petites ; il y en avoit qui étoient rondes , d'autres
étoient ovales . Celles qui se trouvoient situées sur la partie laté
rale du nez , le pourtour des yeux , le front , étoient plus larges
et en plus grand nombre . Cet individu transpiroit peu , et ne
suoit jamais .
Deuxième Observation.- Un jeune homme , nommé Moni
chet , qui exerçoit à Meaux l'état de tuilier , s'est présenté à notre
observation. Doué d'un tempérament très-sec , il a constamment
joui d'une mauvaise santé. Il étoit entré à l'hôpital Saint- Louis
pour se faire traiter d'une fièvre intermittente tierce. Sa peau est
d'une texture très-molle ; elle est blanche sur tout le corps , d'une

couleur rosée à la face . Ses cheveux sont d'un blond pâle , ainsi
-----

que les poils qui recouvrent les autres parties des tégumens . On
aperçoit au visage , au col , à la partie antérieure et supérieure
de la poitrine , aux bras , et surtout aux avant-bras , sur le dos des
mains , des taches de couleur brune , plus ou moins foncées , selon
qu'elles occupent des parties plus ou moins exposées aux rayons
solaires , n'offrant point de forme particulière , se rapprochant
néanmoins de celle d'une lentille. Ces taches ne sont point proé

minentes , et ne paroissent être qu'une coloration plus forte de


certains endroits de la peau. Le sujet dont je parle a observé
qu'elles étoient plus abondantes dans la saison de l'été que dans
les autres saisons . On voit aussi qu'elles sont beaucoup moins bru
nes dans les portions des tégumens qui sont habituellement re
couvertes par des linges ou par des habits. Dans le cas que je cite ,
elles étoient en si grand nombre sur le visage , qu'elles lui don
noient un aspect terreux et dégoûtant.
Troisième Observation . - L'observation que je vais rapporter

I
MALADIES DE LA PEAU. It

a une grande analogie avec la précédente . Le nommé Payan , âgé


de dix-neuf ans , d'un tempérament lymphatique , est doué d'ail
leurs d'une bonne constitution ; ses cheveux sont d'un rouge
brun foncé ; ses sourcils et ses paupières noirs , la peau d'un très

beau blanc , la face , le dessus des mains , et la partie supérieure


du sternum , sont les seules parties affectées de taches d'une cou
leur brune assez unie ; quelques-unes de ces taches sont plus fon
cées : leur forme est très-variée ; leur grandeur change depuis celle
d'une piqûre de puce jusqu'à celle d'une lentille ; elles sont plus
nombreuses autour des sourcils , sur les os des pommettes , à l'an
gle des mâchoires , sur les ailes , le bout du nez , et sur le menton.
Celles de la poitrine sont très-légères depuis que le jeune homme
a pris l'état militaire , à raison de ce qu'il a été obligé de couvrir
cette partie plus souvent qu'il n'avoit coutume de le faire . Mais le
dos des mains , et la moitié supérieure et externe de l'avant-bras
en sont totalement marqués ; elles y sont plus foncées et plus lar
ges que partout ailleurs , ce qui donne , avec le fond blanc de la
peau , l'apparence d'un beau granit . La face est couleur de rose
dans certains endroits ; dans d'autres , elle est d'une blancheur
éclatante. L'individu affecté observe très-bien que ses éphélides

ont été plus abondantes l'été dernier , parce que les chaleurs ont
été plus fortes , et qu'il a été plus exposé aux rayons du so
leil. Elles disparoissoient presque entièrement pendant l'hiver .
Plusieurs de ses parens sont atteints de la même indisposi
tion.

Quatrième Observation . — Quelquefois l'éphélide lentiforme


attaque des individus dont les cheveux sont très -noirs , ainsi que
les yeux. Nous avons vu , à l'hôpital Saint-Louis , une jeune fille ,

brune , nommée Florine Cantal , ouvrière en broderie . Cette jeune


fille étoit communément très-belle ; mais toutes les fois qu'elle

passoit deux jours à la campagne , ou qu'elle éprouvoit l'action


des rayons
du soleil , son visage se recouvroit d'un masque d'éphé
12 MALADIES DE LA PEAU.

lides , qui pourtant s'évanouissoient aussitôt que cette jeune fille


gardoit quelque temps la retraite.
CCCXXII . On jugera peut-être que j'ai décrit avec trop de soin
une altération légère de la peau , qui mérite à peine d'occuper
une place dans les cadres de la nosographie. Mais pourtant il est
----22:

démontré que ,
dans l'étude des sciences naturelles , les moindres
faits peuvent être utiles , parce qu'ils sont liés par une chaîne
presque imperceptible à des phénomènes bien plus importans.

:
·


4P
2

Y
RIT
REF

EphélideHépatique

Grasépar Flass, Rise à la Caleographic Royale deJ.Gouband Imprime dans lemême établissement,àBruxeller.
MALADIES DE LA PEAU. 13

ESPÈCE DEUXIÈME.

ÉPHÉLIDE HÉPATIQUE. Ephelis Hepatica. ( PLANCHE XXVII. )

Éphelide se manifestant sur une ou plusieurs parties des tégumens par des taches
isolées , ou rapprochées en certain nombre , beaucoup plus étendues que celles de
l'éphélide précédente , d'une couleur le plus souvent safranée , se terminant quelque
fois par une légère desquammation. Ces taches ou éphélides se rencontrent ordinai
rement à la partie antérieure , latérale ou postérieure du col , sur l'abdomen , et spé
cialement sur la région du foie , aux reins , aux aines , etc.
OBS. L'éphélide hépatique est tantôt permanente , tantôt passagère , ce qui constitue
deux variétés :
- Cette
A. L'ÉPHÉLIDE HÉPATIQUE PERSISTANTE. Ephelis hepatica persistens.
variété attaque principalement les hommes dont la vie est trop renfermée , trop appli
quée et trop sédentaire. La figure des taches est très-irrégulière. Il en est qui sont très
étendues , qui forment une sorte de cravate autour du col , une large ceinture autour de
l'abdomen , ou de grandes plaques derrière les épaules , etc. Il est de ces taches qui sont
très-difficiles à dissiper ; on en voit qui restent indélébiles.
B. L'ÉPHÉLIDE RÉPATIQUE FUGITIVE. Ephelis hepatica fugitiva. - Les femmes
surtout y sont sujettes. Elle se manifeste ordinairement par des taches circulaires et
isolées , qui abondent sur la région postérieure du col , sur la gorge ou sur le sein , sur
leshypocondres , etc. Elle paroît et s'évanouit très- rapidement.

TABLEAU DE L'ÉPHÉLIDE HÉpatique.

CCCXXIII. Communément l'éphélide hépatique s'offre aux re


gards du pathologiste sous la forme d'un rond irrégulier , de gran
deur différente . On voit certaines de ces taches et qui sont très

étendues , et qui occupent un grand espace. D'autres ont à peine


14 MALADIES DE LA PEAU.

le diamètre d'une pièce de dix sous ; on en 'observe enfin qui sont


aussi petites que des pétéchies.
Les éphélides hépatiques se manifestent d'abord isolées à la
surface de la peau , et assez distantes les unes des autres ; ensuite
elles se joignent en s'élargissant , ou elles se réunissent en grou
pes plus ou moins nombreux. Il est à remarquer que ces taches
produisent le plus souvent de très-légères écailles d'un blanc
jaune , qui ne se détachent guère que lorsqu'on les gratte. Cette
desquammation établit une différence caractéristique entre l'é
phélide hépatique et l'éphélide lentiforme. Au surplus , le fond
des tégumens , attentivement étudié , n'offre aucune espèce d'al
tération . Il est blanc et net.

On peut noter , comme un phénomène qui rapprocheroit l'é


phélide hépatique du genre des dartres , des démangeaisons légè
res qui ne sont pas constantes à la vérité , mais qui se font particu
lièrement ressentir à certaines influences de l'atmosphère . J'ai

remarqué qu'elles étoient plus vives chez les femmes et les jeunes
filles , lorsqu'elles approchent des époques menstruelles . Ce prurit
doit manifestement son origine aux petites exfoliations de l'épi
derme , dont j'ai fait mention , et qui mettent à nu les papilles ner
veuses de la peau. J'ai vu ce prurit occasioner dans une circons

tance des insomnies très-opiniâtres.

La couleur des éphélides hépatiques est d'un jaune plus ou


moins prononcé , qui peut se comparer à celui de la rhubarbe ou
du safran. Quelquefois c'est un jaune très-pâle , comme dans les
feuilles mortes de certains arbres . En général , les éphélides
hépatiques ont des nuances de couleur qui varient selon la
texture naturelle des tégumens et les endroits qui sont af
fectés.

L'éphélide hépatique ne s'élève guère au-dessus du niveau de


la peau , surtout quand elle se manifeste sur une peau blanche
et fine. Quelquefois elle est proéminente , de manière à être sen
MALADIES DE LA PEAU. 15

qui sont sible au toucher , particulièrement à l'époque où la desquamma


tion furfuracée est sur le point de s'accomplir.

ées à la Souvent les éphélides hépatiques sont passagères et fugitives.

ensuite J'en ai observé qui ne restoient qu'une demi-journée sur les


tégumens . Ce caractère de mobilité est surtout propre aux peaux
n grou
staches qui sont blanches et d'un tissu très-fin. Il est des femmes qui ne
blanc sont affectées d'éphélides qu'aux approches de la menstruation ,

. Cette et des hommes qui ne les éprouvent qu'avant l'apparition des hé


morroïdes.
tre l'é
e fond Lorsque j'ai décrit les dartres , j'ai fait mention de l'odeur par

è d'al ticulière qu'exhalent la plupart de ces sortes d'exanthêmes ; mais


chez les individus atteints de l'éphélide hépatique , il n'y a rien

it l'é de semblable à remarquer. On a vu seulement , dans un petit


nombre de cas , se manifester une odeur acide que les malades
¡ légè
rticu comparent à celle des végétaux en fermentation. Ce phénomène a

. J'ai principalement lieu pendant les chaleurs brûlantes de l'été.

unes Mais il est un autre fait qui est bien plus universellement ob

-rurit servé dans l'éphélide hépatique ; c'est que la transpiration s'effec


tue difficilement dans les endroits de la peau qui sont maculés :
l'épi
ner aussi ces endroits sont-ils d'une grande sécheresse . On s'aperçoit ,

cons au contraire , que la transpiration est très-abondante dans les por


tions des tégumens qui sont saines et dépourvues de taches , ce

ou qui sembleroit prouver que l'éphélide hépatique tient à une alté

- ou ration particulière dans l'économie des vaisseaux exhalans. Je ne


dois pas néanmoins omettre de faire mention d'un suintement sé
les
des bacé et onctueux , qui a lieu dans plusieurs parties de la peau ,

la particulièrement à la surface du nez . Ce suintement paroît tenir

af à un relâchement des pores cutanés , et je l'ai vu se manifester dans


quelques espèces de dartres.

de Je pourrois décrire l'éphélide hépatique avec ses diverses com

he plications. En effet , cette éphélide est fréquemment accompagnée

n d'une altération grave dans les fonctions du foie ; et dans ce cas ,


16 MALADIES DE LA PEAU.

la maladie peut faire des progrès très- dangereux. Le fond de la


peau se recouvre alors d'une teinte jaune ; et tout l'appareil tégu
mentaire paroît être engorgé. Les malades ressentent dans toute
la périphérie de cet organe une espèce de gêne et de malaise qui
est difficile à retracer . C'est alors qu'ils sont d'un caractère inquiet
et morose , et continuellement portés aux idées tristes et mélanco
liques.

OBSERVATIONS RÉELATIVES A L'ÉPHÉLIDE HÉPAtique .

CCCXXIV . Première Observation . - Nicolas-Firmin Croupet ,

homme de peine , entra à l'hôpital Saint-Louis , affecté d'une gale


très-ancienne. Cet homme , d'un tempérament lymphatique , avoit
le corps couvert d'une éphélide hépatique , caractérisée par une
couleur jaunâtre , assez analogue à celle du café ou du pain
d'épices . Il éprouvoit parfois de légères desquammations cutanées
dans quelques endroits de la peau ; et à la suite du traitement qu'on
lui fit subir , cette maladie diminua. La peau reprit sa blancheur
et sa couleur ordinaires. Son corps , avant la guérison , étoit cha
marré de taches très-irrégulières , plus foncées vers le col , où elles
formoient une espèce de collier. Les éphélides , qui étoient sur
les épaules , étoient très-larges , et s'étendoient jusque sur le dos ;
elles étoient un peu rudes au toucher . De temps en temps l'épi
derme s'exfolioit .

Deuxième Observation . -Le nommé Joseph Hisson fut admis


à l'hôpital Saint-Louis , dans le mois de juin 1807. Il étoit atteint
d'une éphélide hépatique dans différentes parties du corps. La
partie antérieure de la poitrine , tout le tour du col , les épaules
et toute la région dorsale , étoient couverts de taches qui s'étoient
manifestées , il y avoit un an , pour la première fois . L'éphélide
MALADIES DE LA PEAU. 17

étoit caractérisée par des plaques jaunes , plus ou moins étendues ,

affectant dans certains endroits une forme arrondie , dans d'autres


une forme irrégulière , ne faisant éprouver au malade aucune dou
leur , ni aucune démangeaison . Seulement , lorsqu'il s'échauffoit
en travaillant à son métier de corroyeur , il ressentoit de légers
picotemens dans les endroits malades . Cette éphélide avoit une
couleur qui approchoit beaucoup de celle du foie ; elle ne dépassoit
point la surface de la peau. L'épiderme dans les endroits affectés

étoit fendillé , soulevé , et parsemé de légères écailles furfuracées .


Troisième Observation . - Une jeune dame , très-belle , d'une
peau très-blanche , voyoit se développer à la surface de ses deux
seins , ainsi qu'à la région abdominale , de petites taches circons
crites, isolées , du diamètre d'une monnoie de six sous , toutes les
fois qu'elle éprouvoit la plus légère contrariété. Mais ces taches
ne duroient que cinq ou six heures.
CCCXXV . Les phénomènes de l'éphélide hépatique sont telle
ment analogues dans leur marche , dans leurs progrès , dans leur
terminaison , que je n'ai pas cru devoir citer ici un grand nombre
de faits .

2 3.
S
18 MALADIE DE LA PEAU.

ESPÈCE TROISIÈME .

ÉPHÉLIDE SCORBUTIQUE . EPHelis scorbutICA. ( PLANCHE XXVII bis . )

Éphélide se manifestant sur une ou plusieurs parties des tégumens par des taches d'une
grande étendue , d'une couleur sale et brunâtre , qui a quelques rapports avec l'aspect
de la suie. On observe communément cette éphélide sur le devant de la poitrine , sur
le dos , à la partie externe des bras et des cuisses. Elle s'étale quelquefois sur toute la
surface du corps.
OBS. Parmi les variétés que l'on peut rapporter à l'éphélide scorbutique , les deux
suivantes m'ont paru dignes d'être remarquées :
A. L'ÉPHÉLIDE SCORBUTIQUE NOIRE. Ephelis scorbutica nigro -maculata. — Cette
variété est la plus commune. On la trouve principalement dans l'asile de l'indigence et
de la misère. Ce sont les individus qui languissent dans les prisons , ou dans les lieux ren
fermés , humides ou malsains , qui en sont ordinairement atteints. Quelquefois elle ne
forme point de taches , puisqu'elle est répandue sur la face , sur les membres thorachiques
et abdominaux ; enfin , sur tout le corps.
B. L'ÉPHÉLIDE SCORBUTIQUE PANACHÉE. Ephelis scorbutica variegata. -— Je me
suis surtout attaché à faire retracer cette variété par la peinture , parce que c'est celle que
l'on rencontre le plus rarement. Le corps de ceux qui s'en trouvent affectés est chamarré
comme la peau du léopard ou comme celle de certaines vaches bretonnes.

TABLEAU DE L'ÉPHÉLIDE SCORBUTIQUE .

CCCXXVI . On observe sur la peau de certains individus, particu


lièrement sur la peau des mendians , de tous ceux qui vivent dans

les prisons , qui respirent un air malsain , qui ne changent jamais


de linge , etc. , des taches d'un brun noirâtre ou d'un fauve obscur.
Ces taches impriment aux tégumens un aspect hideux et dégoû
Ephoticb Novobatique ?

Grapespar M Ahorrand élève à la l'alcographie Royale de Loubaudimprimé dans lamême etablissementà Bruxelles
MALADIES DE LA PEAU. 19

tant. Il ne faut pas confondre cette éphélide avec les extravasa


tions sanguines , qui se manifestent le plus souvent aux jambes ,
6
et qui portent le nom de pétéchies scorbutiques.
L'éphélide scorbutique affecte des formes très-différentes . Quel

quefois elle constitue des plaques rondes et circulaires ; dans d'au


tres cas on voit des taches irrégulières , placées çà et là , sur la
périphérie des tégumens ; enfin , il peut arriver que toute la peau

soit , pour ainsi dire , altérée et noircie. Chez certains individus ,

la poitrine offre un aspect luisant et lisse ; chez d'autres , elle est


infiniment rude au toucher. Il n'est pas non plus très-rare d'ob
server que les épaules se recouvrent de furoncles , de clous , ou de

points de suppuration , etc. Il succède alors un assez grand nombre


de petites croûtes qui viennent de ce que les malades se grattent
avec une extrême violence , à cause des démangeaisons qui les
dévorent. J'ai remarqué aussi que dans quelques portions du
corps , la peau offre des granulations qui la font ressembler à ce
qu'on nomme la chair d'oie ou la chair de poule .
L'éphélide scorbutique est le plus souvent d'une couleur brune
et terreuse ; quelquefois cette couleur est analogue à celle du
chocolat ; dans d'autres cas , elle est aussi noire que la suie. Lors
que la peau est continûment altérée , les individus affectés ressem
blent à des ramoneurs. Il peut néanmoins arriver que l'organe
cutané conserve dans certaines parties de sa surface sa couleur
naturelle . Les intervalles sains de la peau , qui sont quelquefois
assez considérables et disséminés sur tout le corps , la font paroître

comme tigrée , chamarrée ou mouchetée . La plupart de ces mala


des ont véritablement un aspect effrayant. Je consignerai ici l'ob
servation d'un infortuné qui offroit un spectacle déplorable , et
ressembloit à un zèbre .

Dans l'éphélide scorbutique , il y a des démangeaisons vives


aussi bien
que dans l'éphélide hépatique . Ces démangeaisons sont
principalement occasionées par le défaut de transpiration , et par
20 MALADIES DE LA PEAU.

des furoncles qui se forment sur tous les points de la surface cu


tanée.

Lorsque l'éphélide scorbutique est ancienne et invétérée ,

lorsqu'elle est surtout répandue sur l'universalité des tégumens ,


elle répand une odeur infecte , qu'on ne peut comparer à rien ,
mais que reconnoissent aisément ceux qui fréquentent les prisons ,

les hôpitaux , etc. Cette odeur est surtout très-prononcée dans la


maison de détention de Saint-Denis , où l'éphélide scorbutique

est si fréquente. Il n'est pas douteux que ces sortes d'émanations ,


long-temps respirées par des individus d'une constitution ner

veuse très-irritable , ne puissent être la cause de plusieurs mala


dies putrides qui règnent dans ces lieux humides et malsains à

certaines époques de l'année .


Nous avons dit , en parlant de l'éphélide hépatique , qu'elle
attaquoit ordinairement ceux qui étoient atteints de quelque em
barras du foie ; et c'est même de cette complication morbifique ,

qu'elle a emprunté sa dénomination . Mais l'éphélide que je dé


cris est surtout familière à ceux qui sont tourmentés d'une affec
tion scorbutique . Aussi voit-on se manifester chez ceux qui sont
affectés de cette éphélide , les divers symptômes qui accompagnent
ordinairement le scorbut , tels que le gonflement des gencives ,

souvent même des hémorragies qu'il est difficile de suspendre ,


l'arrêt de la menstruation chez les femmes , la perte ou l'inactivité
des forces musculaires , un état d'amaigrissement et de marasme ,
un moral triste et habituellement mélancolique.

OBSERVATIONS RELATIVES A L'ÉPHÉLIDE SCORBUTIQUE.

CCCXXVII . Première Observation.- La femme chez laquelle


j'ai remarqué cette éphélide , avoit été sujette à des dartres qui
s'étoient montrées avec une opiniâtreté peu commune . Ces dar
MALADIES DE LA PEAU. 21

tres occupoient les coudes , les aisselles , les jarrets , les cuisses et
presque toute la surface du corps. Après avoir langui long-temps
dans les remèdes , il lui survint des taches à la partie externe des
bras , aux mains , au cou et à la poitrine . Une tache très- considéra
ble lui couvrit le ventre . On en observoit pareillement au dos , aux
reins , à la partie interne des cuisses , etc. Ces taches , qui étoient
d'abord d'un jaune clair , devenoient plus brunes , à mesure que
la maladie faisoit des progrès . Ce qu'il y avoit ici de très-remarqua
ble , c'est que la malade souffroit considérablement lorsqu'elle
étoit dans le bain ; hors du bain , elle n'éprouvoit aucune dou
leur seulement elle restoit foible pendant quelques heures.
Deuxième Observation . - Le nommé Honoré Grandery , com

missionnaire , âgé de soixante-six ans , est entré à l'hôpital Saint


Louis , et nous a présenté le tableau d'une maladie aussi rare que
surprenante. Ce fut au sein de la misère et de la détresse que cette
maladie prit naissance. L'individu dont il s'agit , doué d'un tempé
rament lymphatique , habitoit Arras avant la révolution. C'est
dans cette ville qu'il fut employé à des travaux très -pénibles ,

durant le régime de la terreur . Depuis cette époque , il a langui


dans les rues et les carrefours , demandant l'aumône , ou faisant
des commissions , et manquant quelquefois des choses les plus né
cessaires à la vie. Dans le mois de juillet 1806 , il éprouva des dé
mangeaisons très- incommodes dans toutes les parties du corps . A ces
démangeaisons succédèrent des taches , d'abord grisâtres , puis
d'un brun de café . Elles s'élargirent au point d'occuper une éten
due considérable . Toute la surface cutanée étoit marquée de ces
taches. Dans certains endroits , elles étoient très-larges : dans d'au
tres endroits , elles étoient d'une petite circonférence . Il est à con
sidérer que dans les parties saines , la peau étoit d'un blanc d'al
bâtre , analogue à celui de la peau des cadavres. Ce contraste étoit
vraiment surprenant : le malade paroissoit chamarré comme un
zèbre ou comme certaines vaches des campagnes de la Bretagne ;
22 MALADIES DE LA PEAU.

cet homme éprouvoit des démangeaisons considérables sur diffé


rentes parties du corps. Sa peau offroit aussi des écailles furfu

racées qui provenoient des frottemens réitérés qu'il exerçoit sur


la peau , pour apaiser le prurit dont il étoit dévoré. La face du

malade étoit d'un jaune plombé . Il chanceloit en marchant , tant


sa foiblesse étoit extrême.

Troisième Observation . — Un mendiant , qui couchoit dans


les granges , dans les écuries , et dans tous les lieux malsains , n'a

voit point changé de linge depuis plus de huit mois : quand il se


présenta à l'hôpital Saint-Louis , on lui ôta ses vêtemens pour lui

administrer des soins de propreté ; sa peau s'étoit noircie comme


celle d'un ramoneur. Cette même peau étoit raboteuse , et gra

nulée dans plusieurs points de sa surface : elle offroit l'aspect du


maroquin , ou de la peau d'un quadrupède qui auroit été dessé
chée au soleil .

CCCXXVIII . L'éphélide scorbutique étoit sans contredit celle


qu'il importoit le plus de décrire avec tous les accidens qui lui
appartiennent. En effet , cette maladie formoit une sorte de lacune

dans les systèmes méthodiques des nosographes. Ils n'en ont fait
aucune mention .
1
diffe

urfu
t sur SECONDE PARTIE .
ze du
tant
DES FAITS RELATIFS A L'HISTOIRE GÉNÉRALE DES ÉPHÉlides .
dans
n'a
il se
r lui
mme
CCCXXIX . Présentons sous un point de vue rapide et général
gra
t du les principaux caractères des éphélides . Quoique les espèces par
-
ticulières dont nous avons fixé l'existence , soient revêtues de ca
ssé
ractères tranchés qui ne permettent pas qu'on les confonde , elles

-elle ont néanmoins des phénomènes communs qu'il est avantageux de

lui recueillir et de placer sous les yeux de mes lecteurs.

une
fait
ARTICLE PREMIER .

DES PHÉNOMÈNES GÉNÉRAUX QUI CARACTÉRISENT LA MARCHE DES

ÉPHÉLIDES .

CCCXXX . Toutes les éphélides ont pour caractère commun


de produire des changemens de couleur dans une ou plusieurs
parties des tégumens , sans élévation du moins apparente. Il arrive
néanmoins dans certains cas qu'on aperçoit une légère proémi
nence sur la peau , principalement dans l'éphélide hépatique.
CCCXXXI . Mais la peau ne sauroit être ainsi décolorée par les
éphélides , sans qu'il s'opère un changement physique dans son
24 MALADIES DE LA PEAU.

tissu. Toutefois , comme ce changement n'est point absolument


le même dans toutes les circonstances , il a fallu nécessairement
indiquer des distinctions , et déterminer par conséquent plusieurs
espèces d'éphélides.
CCCXXXII. Au surplus , les éphélides ne doivent point être
uniquement envisagées comme le résultat d'une altération du
tissu tégumentaire , mais plutôt comme le résultat d'un désordre

survenu dans les fonctions de ce même tissu ; ou , ce qui est la


même chose , dans le mécanisme de l'exhalation. Ce qui prouve
cette vérité , c'est que les malades ne transpirent en aucune ma
nière dans les endroits de la peau qui sont maculés par les éphé

lides. Cette observation est constante . Je l'ai réitérée un grand


nombre de fois.

CCCXXXIII. Les éphélides auxquelles la peau humaine se


trouve sujette , sont très-variables par leur forme. Les unes sont
petites , les autres ont beaucoup d'étendue ; il en est qui s'éten
dent en larges plaques , qui recouvrent de très-grandes surfaces ,
et qui finissent par envahir la totalité des tégumens , au point de
laisser peu d'intervalles libres entre elles. Cette disposition donne

au corps l'aspect le plus hideux et le plus repoussant. J'ai vu


des individus tachés et chamarrés comme les zèbres ou les léo

pards .
CCCXXXIV . La couleur des éphélides change selon les idio
syncrasies , les tempéramens et beaucoup d'autres circonstances .

Il en est beaucoup qui sont jaunes et safranées. Il en est qui sont


fauves comme des feuilles d'arbre mortes et desséchées par le so
leil. Plusieurs sont d'un brun noirâtre . Quelques-unes sont d'un
violet foncé. En observant les éphélides sur les mêmes individus ,
on voit qu'elles n'ont pas toujours la même intensité de couleur.
Cette couleur est plus prononcée chez les jeunes filles qui sont
près d'avoir leurs menstrues . Elle s'affoiblit , au contraire , lorsque
les menstrues ont coulé. Les taches sont bien moins apparentes
MALADIES DE LA PEAU. 25

chez les personnes âgées , à cause des rides et de l'épaississement


de l'épiderme .
CCCXXXV . Il est certaines éphélides qui n'ont aucune odeur
sensible ; mais il en est qui ont une odeur fétide et repoussante :
telle est, par exemple , celle que j'ai désignée sous le nom d'é
phélide scorbutique ( Ephelis scorbutica ) . On connoît la cons
titution physique des individus atteints de l'éphélide lentiforme
(Ephelis lentigo ) ; leurs cheveux sont d'un rouge ardent , leurs
yeux d'un bleu pâle , etc. L'odeur qu'ils exhalent aux aisselles ,
aux aines , aux oreilles , est rebutante , et explique en quelque
sorte l'état maladif de leur peau. Cette odeur devient surtout in
supportable lorsqu'ils sont renfermés dans quelque appartement
durant le fort de l'été. C'est alors que leur sueur et toutes leurs
excrétions sont excessivement fétides. On sait aussi que lorsque

les femmes ont un pareil inconvénient , les hommes craignent de


s'unir à elles et de s'en approcher.

CCCXXXVI . Les éphélides n'ont pas toutes la même marche.


Plusieurs se développent avec une rapidité extrême , et du soir au
lendemain. Quelques-unes accomplissent leurs périodes avec beau
coup de lenteur. On en voit même qui restent indélébiles pen

dant plusieurs années , tandis que d'autres s'effacent par un sim


ple bain , par de simples lotions , par un simple changement survenu
dans l'atmosphère. Il arrive aussi quelquefois que lorsque la peau
a perdu tout son éclat , et qu'elle tend manifestement à le recou
vrer, cet éclat ne se rétablit que dans certaines portions du sys

tème dermoïde , tandis que d'autres portions demeurent constam


ment altérées ,

CCCXXXVII. Les éphélides n'ont aucun caractère contagieux ;

et c'est à tort que certaines personnes manifestent des craintes à


ce sujet . Comme presque toutes ces altérations sont liées à un état
intérieur des viscères , ou résultent d'une disposition particulière

des solides et des humeurs , il est évident qu'une semblable dispo


2 4.
26 MALADIES DE LA PEAU.

sition organique ne sauroit en aucune manière devenir transmissi


ble par communication.

ARTICLE II .

DES RAPPORTS D'ANALOGIE OBSERVÉS ENTRE LES ÉPHÉLIDES ET LES

DARTRES .

CCCXXXVIII . On remarque tant d'analogie entre certaines


éphélides et les affections herpétiques , qu'il est facile de tomber
dans des méprises à ce sujet. Qu'on examine , par exemple , avec
attention la marche des éphélides hépatiques ; on verra que
les malades éprouvent fréquemment des picotemens et des déman
geaisons à la peau ; on verra aussi qu'il s'y manifeste dans quel
ques cas des desquammations furfuracées. Il n'est pas rare d'ail
leurs d'observer que les éphélides hépatiques se changent en vé

ritables dartres. Une dame avoit le corps couvert de taches isolées

et circonscrites qui ne dépassoient point le niveau des tégumens.


Elle prit des bains , les sucs de différentes plantes , et bientôt ces
taches se convertirent en une éruption herpétique qui se déve
loppa avec beaucoup d'intensité . Je pourrois encore citer l'exem
ple d'une femme atteinte d'une dartre squammeuse générale ,
avec engorgement des viscères abdominaux . Elle guérit très-bien
de cette première maladie par l'emploi des bains sulfureux . Mais
sa peau s'est recouverte de taches hépatiques depuis cette épo
que. C'est le grand rapport qui existe entre ces deux genres d'af
fection , qui fait que certains médecins ont regardé les éphélides
comme des dartres .
MALADIES DE LA PEAU. 37

ransmissi

ARTICLE III.

DES CAUSES ORGANIQUES QUI INFLUENT SUR LE DÉVELOPPEMENT DES


ÉPHÉLIDES .
ES ET LES

CCCXXXIX . Les causes organiques qui favorisent la forma


tion des éphélides résultent évidemment d'un état maladif des
: certaines propriétés vitales de la peau. Dans un semblable cas , ainsi que
de tomber
l'observe très-bien Darwin , les petits vaisseaux cutanés perdent
ple , avec la force contractile qui leur est propre. Ils admettent dans leur
verra que intérieur , ou laissent transsuder au travers du tissu cellulaire ,
lesdéman
une petite quantité de sérum , laquelle est plus ou moins nuancée
dans quel par la matière colorante du sang.
rare d'ail
CCCXL. De là vient que les peaux blanches qui sont fines
ent en vé et délicates se maculent plus facilement que les peaux brunes , qui
-hes isolées
sont d'une texture plus serrée et plus dense . Ce phénomène est
tégumens . assez constant dans l'éphélide lentiforme . Ceux qui en sont af
Dientôt ces
fectés ont communément les tégumens flasques , le teint vermeil
se déve
et fleuri , les sourcils et les cheveux rouges ; ce signe indique
er l'exem
que chez eux le système lymphatique est radicalement affoibli.
générale , Les individus doués d'une autre constitution physique sont plus
très-bien rarement sujets aux éphélides .
eux. Mais
CCCXLI. Il est des éphélides qui doivent leur origine à une
cette épo influence purement sympathique. Ces éphélides sont presque
nres d'af
toujours compliquées de quelques affections des viscères abdomi
éphélides naux . C'est ainsi , par exemple , que le foie est presque toujours le
centre ou le foyer de quelque altération morbifique , qui , par son
mode d'action , produit un changement dans la couleur de la peau.
28 MALADIES DE LA PEAU.

L'organe utérin joue le même rôle dans l'économie animale. Ne


voit-on pas les éphélides paroître chez les jeunes filles dont les
menstrues sont arrêtées ? Il arrive souvent qu'un simple dérange
ment dans la circulation cause des éphélides sur la périphérie cu

tanée. C'est ce que j'ai fréquemment remarqué chez des hommes


qui éprouvoient une suppression dans le flux hémorroïdal. Chez

les femmes enceintes , on voit paroître sur les seins , sur l'abdo
men , aux aines , des taches superficielles , larges , d'un jaune
obscur ou pâle, qui souillent la peau jusqu'au moment de l'accou
chement , et qui s'évanouissent quelques jours après que cet acte
a eu lieu. Qu'on ne croie pas du reste que de semblables taches
ainsi remarquées chez les femmes grosses , puissent être regardées

comme des changemens éventuels du tissu cutané , puisqu'elles


causent des démangeaisons , des picotemens et quelquefois même
de véritables douleurs . C'est donc une cause organique qui entre
tient et fomente de semblables éphélides.

ARTICLE IV.

DES CAUSES EXTÉRIEURES QUI FAVORISENT LE DÉVELOPPEMENT DES

ÉPHÉLIDES .

CCCXLII. Le calorique et la lumière sont les causes externes


qui influent le plus manifestement sur la production des éphélides.
Lorsque ces deux agens se dirigent plus ou moins énergiquement
sur quelque point de la périphérie cutanée , ils changent sans
doute l'affinité réciproque des principes constitutifs du tissu réti
culaire ; et cette combinaison nouvelle de principes modifie néces
sairement la couleur de la peau. Telle est du moins l'explication la
MALADIES DE LA PEAU. 29

plus raisonnable que puissent donner les physiologistes d'un sem


blable phénomène .
CCCXLIII. Et comment une telle cause seroit-elle contestée ?

Les éphélides se manifestent de préférence sur les parties du corps


que l'on tient découvertes. Qui peut ignorer d'ailleurs les change
mens qui se manifestent chez les individus qui se transportent dans
des climats chauds ? Leur peau contracte une couleur brunâtre ,
et paroît en quelque sorte toute différente . Cette couleur s'affoiblit

pourtant, lorsqu'ils reviennent en Europe habiter un pays plus


doux. Les peuples qui habitent des régions dont la température
est très-élevée , sont très-sujets aux éphélides. L'illustre M. Mutis
a fréquemment observé ce phénomène dans l'Amérique méridio
nale.
CCCXLIV . Le même accident a lieu chez les voyageurs qui

tiennent leurs mains , leur poitrine et leur visage exposés quelque


temps à la lumière et à la chaleur du soleil. Sous l'action de ces
deux puissances , il se forme une tache étendue qui est précisé
ment limitée au point où les vêtemens commencent à couvrir la
peau. Partout ailleurs , les tégumens ont la couleur qui leur est
naturelle. Je vois tous les jours des femmes à Paris qui ne sont

atteintes des éphélides qu'à l'époque où elles vont passer la belle


saison à la campagne , et qui ne se ressentent jamais de cette incom
modité lorsqu'elles séjournent en ville , et qu'elles sont moins en
contact avec l'atmosphère . En général , tout ce qui cause l'aridité
et le desséchement de la peau , peut y faire naître des éphélides.
Sans doute que dans ce cas les principes constitutifs du tissu mu
queux se dessèchent ou s'altèrent.

CCCXLV . L'action immédiate du feu produit le même résultat .


On rencontre une espèce d'éphélide sur les cuisses et les jambes
des femmes qui ont la mauvaise habitude de tenir sous leurs vête
mens des réchauds remplis de braise ou de charbons ardens. Dans
cette circonstance , le feu devient un principe de désorganisation
ბი MALADIES DE LA PEAU.

pour le tissu réticulaire. Aussi les taches que cette cause produit
sont-elles très-lentes à se dissiper.
CCCXLVI. Le calorique et la lumière influent néanmoins très

heureusement sur les propriétés vitales des tégumens , lorsqu'ils


agissent d'une manière modérée ; en sorte que la privation de ces
deux élémens décolore la peau , et constitue alors une éphélide
d'une autre espèce . Les individus pauvres qui couchent dans les
lieux malsains , qui habitent les rues humides et peu aérées , qui
languissent dans les prisons , dans les souterrains , ont la peau ri

dée et noircie. On diroit qu'elle se dessèche comme les feuilles


d'arbres qui manquent d'air.
CCCXLVII . L'emploi des mauvais alimens , particulièrement
des substances putréfiées , contribue singulièrement à décolorer la
peau et à produire des éphélides : tant est grande la sympathie
des tégumens avec les viscères abdominaux ! L'activité des subs
tances vénéneuses produit un dérangement à peu près analogue .
J'ai donné des soins à un homme dont la peau a été constamment

marquée par des éphélides , depuis qu'il avoit avalé par mégarde
de l'arsenic .

CCCXLVIII . Tout le monde sait que les chagrins contribuent


singulièrement à produire par intervalles des éphélides . J'ai vu
fréquemment les malades qui éprouvoient cette espèce d'indispo
sition , la devoir à des peines qu'ils avoient essuyées. Une trop
grande contention de l'esprit , des études trop assidues , peuvent
aussi troubler le système exhalant , et introduire un grand désor
dre dans ses fonctions.
14

MALADIES DE LA PEAU. 31

odnit

ARTICLE V.
= très

qu'ils
de ces CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LE TRAITEMENT DES ÉPHÉLIDES .
élide
ns les

qui CCCXLIX . Ce seroit sans contredit une idée chimérique que

au ri d'aspirer à guérir toutes les espèces d'éphélides ; car il en est qui


uilles résistent à tous les moyens de l'art . Telles sont , par exemple , les
éphélides lentiformes , appelées taches de rousseur par le vul
ment gaire. Il arrive aussi que lorsque les éphélides sont très-anciennes
rer la et très-invétérées , les médecins renoncent communément à les
pathie traiter. En effet , à la longue la peau se modifie et change , pour
subs ainsi dire , de nature . Nous possédons toutefois des moyens assez

ogue. efficaces contre quelques espèces d'éphélides .


ment CCCL . Pour traiter avec certitude les éphélides , il importe

garde de remonter à la cause première qui a pu influer sur leur dévelop


pement. Tant que le foie et les autres viscères abdominaux con

Quent servent de la disposition à s'engorger , la peau est nécessaire


ai vu ment sujette à se maculer. S'il existe une cause toujours présente ,

ispo qui soit en rapport avec les effets que l'on observe ( et le plus sou
trop vent cette cause est interne ) , c'est vers cette cause qu'il faut di
vent riger les remèdes. Il n'est pas néanmoins très-rare d'observer que ,
ésor quoique la cause soit enlevée , les taches formées depuis long
temps dans le tissu des tégumens deviennent incurables .
CCCLI. Peut-être que si l'on connoissoit mieux la théorie des
fonctions du système exhalant , on arriveroit à des méthodes
plus certaines pour guérir les éphélides . En effet , dans la plupart
de ces affections , la peau est en quelque sorte flétrie ; elle a perdu
sa contractilité naturelle. Il importe de lui restituer son ton et sa
vigueur.
32 MALADIES DE LA PEAU.

ARTICLE VI .

DU TRAITEMENT INTERNE EMPLOYÉ POUR LA GUÉRISON DES Éphélides .

CCCLII . Les remèdes internes qu'on applique aux éphélides


ont beaucoup d'analogie avec ceux auxquels on a communé
ment recours pour la curation des dartres. C'est ainsi que presque
tous les praticiens ont conseillé l'emploi des sudorifiques . M. Bu
chaave , de Copenhague , a administré avec succès les prépara
tions antimoniales , et je fais tous les jours l'expérience que les
préparations sulfureuses obtiennent de grands avantages .
CCCLIII. C'est surtout lorsque les éphélides ne sont que des
accidens secondaires de quelque affection abdominale , qu'on peut
approprier les remèdes internes d'une manière très-avantageuse.
Lorsqu'elles dépendent d'une altération particulière dans les fonc
tions du foie , on a recours de préférence aux remèdes propres
à exciter les fonctions de cet organe. On emploie le savon médici
nal , l'aloès , les sucs et les extraits de différentes plantes , etc. Dans
les éphélides qui ont quelques rapports avec le scorbut , on use
des substances propres à combattre cette diathèse : telles sont le
cresson , le ménianthe , les chicoracées , etc. Au surplus
, dans
toutes ces éphélides , il convient de donner beaucoup d'activité au
système lymphatique.
MALADIES DE LA PEAU. 33

ARTICLE VII .

DU TRAITEMENT EXTERNE EMPLOYÉ POUR LA GUÉRISON des éphélides .

CCCLIV . J'ai généralement observé que les substances médica


menteuses qui entretiennent la liberté du ventre et celle des
urines , influent singulièrement sur la guérison des éphélides .
Il est des malades qui n'emploient absolument que ce moyen
curatif. J'ai donné des soins à plusieurs individus qui savoient
faire disparoître des éphélides hépatiques dont leur peau étoit re
couverte , par de simples laxatifs ; j'ai donné des soins à d'autres

qui n'avoient besoin que de quelques légers diurétiques .


CCCLV. Tous les moyens externes qui entretiennent et fa
vorisent la transpiration insensible , sont propres à guérir les éphé
lides. De là vient que les exercices du corps , les bains , les frictions
sont très-convenables. On applique souvent à l'extérieur du corps
des remèdes qui donnent du ton à la peau , comme , par exemple ,
l'extrait de saturne mêlé avec de l'eau , le suc d'oscille , les pomma

des qui contiennent des oxides ou des alcalis , les bains d'eau salée ,
les bains sulfureux .

2 5.
*****

Cancer

Grane par Vanhamme, steve à la Caloographie Royale de Itouhaut.Imprimé dans le même ctablissement à Bruxedos.
LES CANCROIDES

OU KÉLOIDES .

QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LES CANCROIDES .

CCCLVI . Les premiers observateurs ont judicieusement donné


aux diverses maladies qu'ils ont eu occasion de découvrir , des
noms analogues aux choses qu'elles représentent. J'imiterai leur
exemple , en désignant sous le titre de Cancroïdes les tumeurs

singulières que je vais décrire . En attendant que des faits plus


nombreux m'éclairent davantage sur leur nature , je vais exposer

leurs principaux phénomènes.


CCCLVII . Par un double rapport , les cancroïdes semblent se
lier aux affections dartreuses et aux affections cancéreuses . For

meroient-elles un genre intermédiaire ? Ce qu'il y a de positif,


c'est qu'il s'opère quelquefois à leur surface une desquammation
furfuracée qui a la plus grande ressemblance avec les écailles her
pétiques. Souvent ces écailles ne s'aperçoivent point. D'une autre
part, il est des circonstances où le développement de ces tumeurs
est accompagné de douleurs vives , pungitives et lancinantes ,
comme dans le cancer.
CCCLVIII. J'estime que l'étude des cancroïdes est d'une très

grande importance en pathologie. En effet , ces tumeurs sont le


tourment de la vie , et les moyens de l'art sont néanmoins insuffi
36 MALADIES DE LA PEAU.

sans pour les combattre. Malheureusement je ne puis offrir une


dissertation complète sur cet objet. Comme il est de l'exactitude

rigoureuse des sciences de n'indiquer que des faits avérés , je me


bornerai à établir l'existence des cancroïdes , à offrir le tableau
exact de leurs symptômes , et à dire ce qu'on a tenté jusqu'à ce
jour pour les guérir .

TABLEAU DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES QUE PRÉSENTENT LES CANCROïdes .

CCCLIX . Les cancroïdes ( Cancroïdes ) sont des excroissances


carniformes , tantôt ovalaires , tantôt oblongues , situées horizon
talement sur une ou plusieurs parties des tégumens , d'une cou
leur rose pâle , parsemées de lignes blanchâtres et séparées les
unes des autres , profondément adhérentes à la peau dont elles ne
changent la couleur qu'à l'endroit élevé , imitant assez bien la
forme des cicatrices qui succèdent aux fortes brûlures , poussant

quelquefois vers leurs bords de petits prolongemens bifurqués , qui


ont quelque rapport avec les pattes d'une écrevisse ; ce qui justifie
manifestement la dénomination que nous avons donnée à ces tu
meurs extraordinaires .

Les cancroïdes que j'ai observées formoient des tumeurs plates


et compactes , relevées sur les bords , un peu déprimées vers leur
centre , surtout lorsqu'elles étoient d'une figure ovale , proéminen
tes , d'une ou deux lignes au-dessus du niveau des tégumens . Elles
étoient luisantes , un peu ridées , dures et rénitentes au contact ;
elles étoient d'une couleur très-rouge , et l'on voyoit à leur sur
face une multitude de petites veines injectées d'un liquide san
guin. Leur circonférence étoit pourtant beaucoup moins foncée en
couleur. Lorsqu'on les comprimoit , elles blanchissoient momenta
nément sous le doigt. L'épiderme de la partie affectée se conver
1

e
Cancroid Ovalaice?.

GraméparVanhammaélène àla Caloographie Royale de J. Gonband.Imprimé dans le même établissement, à Bruxeller,


T


MALADIES DE LA PEAU. 37

tissoit tous les jours en légères écailles. J'ai vu quelquefois des


cancroïdes qui étoient cylindriques et comme enchâssées dans la
peau. Elles présentoient l'aspect de ces vers oblongs , que les natu
ralistes désignent sous le nom de dragonneaux , et qui serpentent
dans le tissu cellulaire.

Il y a d'ordinaire une augmentation considérable de chaleur

dans les endroits affectés par les cancroïdes . Les malades y éprou
vent des démangeaisons et des picotemens insupportables , des
douleurs vives et pungitives , comme si on leur dardoit les chairs
avec des lances ou des aiguilles ardentes . Souvent ces douleurs se
propagent jusqu'aux parties circonvoisines ; et quelquefois même
c'est la sensation d'un tiraillement intérieur. On diroit que la poi

trine est sur le point d'éclater. C'est surtout la nuit que les déman
geaisons sont brûlantes et très-incommodes. Il est aussi des cas où

ces indurations longitudinales , ovalaires , sont , pour ainsi dire , in


dolentes . Les individus qui en sont atteints éprouvent à peine une
légère roideur à la peau .

Le plus communément , il n'y a qu'une seule cancroïde sur la


peau; mais quelquefois aussi on en observe deux ou trois sur le
même individu , quelquefois même un plus grand nombre . Cette
affection se place presque toujours dans l'intervalle des deux seins ,
à la partie postérieure des bras ou des épaules , à la partie externe
des cuisses , etc.; on l'a vue quelquefois se manifester le long du
dos. Lorsque les cancroïdes se multiplient , elles deviennent infi
niment douloureuses. J'ai vu un malade qui en étoit tellement

affecté , qu'il ne pouvoit exécuter aucun travail pénible , et qu'il


éprouvoit une foiblesse générale dans tous ses membres .
Les cancroïdes disparoissent rarement ; elles sont aussi durables
que les
cancers. Elles restent d'ordinaire beaucoup d'années sur la

peau sans faire des progrès ; et c'est là un caractère qui mérite d'è
tre remarqué. Il peut arriver néanmoins qu'elles se dissipent d'une
manière spontanée. Alors la peau s'affaisse et reste comme si elle
38 MALADIES DE LA PEAU.

étoit altérée par une cicatrice bien guérie , c'est-à-dire , que dans
cet endroit les tégumens sont plus blancs , plus minces , plus ridés ;
ce qui prouve qu'il s'est opéré un vide dans le tissu muqueux . On
sait qu'un pareil phénomène se manifeste dans le cancer , dans
certaines dartres , dans les scrophules , etc. , et que partout où ces

maladies se guérissent , la peau demeure toujours déprimée.


En général les femmes sont beaucoup plus sujettes à la can
croïde que les hommes ; ce qui prouve que dans cette affection le

système lymphatique est radicalement affoibli. On voit à Paris

plusieurs dames qui , affectées d'une tumeur de ce genre à la par


tie antérieure et supérieure de la poitrine , cherchent à la cacher
sous des plaques ou autres bijoux qu'elles suspendent à leurs col
liers.

OBSERVATIONS RELATIVES AUX CANCROÏDES .

CCCLX . Première Observation . - Depuis plusieurs années je


suis témoin du fait suivant : Madame B*** , d'un tempérament

sanguin , née de parens bien portans , ayant eu néanmoins une


sœur qui mourut d'un cancer à l'utérus , âgée de trente-six ans ,
vit survenir entre ses deux seins une espèce de bouton dur qui
donnoit lieu à des démangeaisons brûlantes . Ces démangeaisons
étoient si vives , que la malade ne pouvoit se gratter sur la partie
affectée , mais seulement sur les parties environnantes. On ne fit
pas d'abord une grande attention à ce bouton , dont les progrès
furent très-peu sensibles pendant plusieurs années . Mais lorsque
cette tumeur eut acquis une étendue d'environ un pouce de
long , on se décida à la faire enlever par l'instrument tranchant ,
ainsi qu'une excroissance absolument semblable qui s'étoit mani
festée à peu près dans le même temps sur la partie supérieure et
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MALADIES DE LA PEAU. 39

externe du bras. Un chirurgien très-habile procéda à cette opéra


tion , qui fut infructueuse. On vit renaître cette tumeur avec plus
d'intensité qu'auparavant. Les deux côtés latéraux s'allongèrent
sensiblement , et la cicatrisation de la plaie , qui fut le résultat de
l'extirpation , fut plusieurs mois à s'opérer. Il est à observer que
depuis que l'opération s'est faite , les douleurs et les démangeai
sons sont devenues plus véhémentes ; la tumeur placée à la partie
antérieure de la poitrine offre maintenant l'aspect suivant : sa
forme est cylindrique , son étendue est d'environ deux pouces et
demi de long sur un de large ; sa couleur est d'un rouge plus ou
moins foncé, selon l'état de l'atmosphère . Elle est parsemée de li
gnes blanches , qui lui donnent l'apparence d'une cicatrice de brû
lure. Elle est élevée en quelques endroits à une ligne au-dessus du
niveau de la peau. Le prurit est dévorant. La malade ne peut
s'empêcher de se gratter avec violence . Dans les changemens de
temps et de saison , elle éprouve du côté droit des douleurs lanci

nantes très-fortes . On a essayé divers moyens de traitement , mais


en vain. Tantôt on a mis en usage quelques topiques , tels que le
soufre, l'acétate de plomb , la pulpe fraîche de morelle , l'extrait
de ciguë , etc. D'autres fois on a employé intérieurement des
substances amères , telles que la fumeterre , la chicorée sauvage ,
le houblon , etc. Ces différens moyens ont eu quelquefois une ap
parence de réussite ; mais la maladie recommençoit bientôt avec
une activité nouvelle. Les bains ont été constamment inutiles.
Deuxième Observation . -- Madame D*** , âgée de trente-qua

tre à trente-cinq ans , douée d'un tempérament sanguin , quoi


que ayant la peau
peau un peu brune , née de parens sains , fut réglée
un peu
pour la première fois à l'âge de seize ans , et l'a toujours été depuis
assez régulièrement ; mais en très-petite quantité , sans que néan
moins sa santé en ait jamais souffert. Madame D *** éprouva , en
l'an XI,
de violens chagrins qui changèrent entièrement sa manière
de vivre ordinaire ; elle fut livrée à des inquiétudes continuelles ,
40 MALADIES DE LA PEAU.

à des veilles prolongées , et son régime devint extrêmement irré


gulier. Elle reçut à cette époque une légère égratignure à la par
tie latérale gauche et supérieure de la poitrine , mais elle y fit peu
d'attention ; quelque temps après madame D*** ressentit un pru
rit douloureux à la partie où elle avoit reçu cette égratignure.
Bientôt la douleur fut en augmentant , la peau devint rouge et

élevée ; l'inflammation céda à l'emploi de quelques émolliens ; mais


la douleur subsista toujours ; elle devint lancinante et accompa

gnée de démangeaisons très-vives . On vit alors se former une


espèce d'éruption d'une couleur rouge pâle , offrant une légère
élévation de forme oblongue ; l'épiderme qui la recouvroit étoit
mince , transparent , coupé par des lignes blanchâtres qui lui don
noient une analogie frappante avec une cicatrice de brûlure. Le

prurit qu'éprouvoit la malade étoit vif et lancinant dans le principe.


Cette affection cutanée fit des progrès sensibles pendant les deux
premières années ; mais elle se borna dans la suite , et depuis cinq
ans elle est , pour ainsi dire , stationnaire . Elle occupe maintenant
une surface égale à celle d'un écu de six livres ; sa forme et sa cou
leur sont les mêmes. Cependant les bords de cette élévation sont
devenus plus irréguliers , et se prolongent par des espèces de ra
cines qui vont pénétrer plus avant dans l'épaisseur du derme.
Les démangeaisons sont moins marquées que dans les premiers
temps. Plusieurs circonstances paroissent influer d'une manière

remarquable sur cette maladie de la peau. Par exemple , à chaque


époque menstruelle , l'éruption devient rouge , se gonfle , est sen
sible au toucher , et le prurit est brûlant. Les mêmes phénomènes
ont lieu aux approches des orages. Les affections morales profon
des produisent aussi quelques effets sur cette maladie . Les diverses

tentatives de traitement qu'on a fait subir à madame D*** , ont


toutes été infructueuses . Cependant M. Biett , qui l'a observée avec
la sagacité qui le caractérise , lui a procuré quelque soulagement
en lui prescrivant l'usage des bains tièdes et un régime végétal .
1

MALADIES DE LA PEAU. 41

Troisième Observation . ――――― Monsieur P ***, âgé de cinquante

huit à soixante ans , d'une constitution assez robuste , d'un carac


tère morose , éprouva , dans l'été de 1802 , des démangeaisons très
vives vers la partie supérieure et antérieure de la poitrine ; il se
gratta pendant plusieurs jours avec violence , et on vit peu après
paroître un bouton qui étoit large et dur à sa base . Ses démangeai
sons devinrent plus fortes. Le bouton , au lieu de céder à quel
ques moyens généraux , augmenta sensiblement de largeur . Au
bout de quelques mois , il avoit l'étendue d'une pièce de vingt
quatre sous , mais il n'avoit pas conservé sa forme primitive ; en
s'élargissant il s'étoit aplati tellement , que son élévation au-dessus
du niveau de la peau n'alloit pas au-delà de deux lignes ; sa cou

leur étoit d'un rouge pâle , et la peau qui le couvroit étoit très
amincie. Plusieurs années se passèrent à employer une foule de
moyens contre cette singulière affection cutanée ; mais elle résista

à tous , et ses progrès continuèrent. A l'époque où nous eûmes


occasion de l'observer ( en 1808 ) elle offroit l'aspect suivant : sa
forme étoit celle d'un carré irrégulier de deux pouces de long sur

un de large ; on voyoit plusieurs prolongemens qui portoient des


angles , et qui s'implantoient dans la peau comme des racines ou
comme des pattes d'écrevisses . Sa couleur varioit selon diverses cir

constances : habituellement , elle étoit d'un rouge pâle , mais dans


les temps secs et chauds , ou après quelques excès , elle s'animoit
d'une manière sensible. La peau qui la recouvroit étoit mince ,
fendillée , transparente , et lui donnoit l'apparence d'une brûlure .

Le malade éprouvoit presque toujours à la partie affectée un pru


rit assez marqué , qui devenoit lancinant ou brûlant dans les mêmes
occasions qui faisoient varier sa couleur . Un exercice ou des occu
pations prolongées , des affections morales violentes exaspéroient
singulièrement les symptômes. Cette maladie avoit résisté à tous
les essais qu'on avoit tentés ; cependant il est vrai qu'on parvenoit

quelquefois à lui procurer un peu de calme par des bains tièdes


2 6.
42 MALADIES DE LA PEAU.

ou par des applications sédatives . Du reste M. P*** faisoit assez

bien ses fonctions , excepté dans les transitions d'une saison à l'au
tre ; il étoit sujet alors à des maladies , à un dégoût et à une sorte
de tristesse sombre et mélancolique ; mais tous ces symptômes dis
paroissoient après quelques jours de soins et de repos .
Quatrième Observation.— Mademoiselle A*** , âgée de vingt
ans , a tous les caractères d'un tempérament sanguin. Sa santé n'a
presque jamais été dérangée que par de très-légères indispositions.
Elle éprouva sur la fin de l'automne de 1808 , une légère érup
tion de boutons blanchâtres et durs au toucher , sur la partie laté
rale et supérieure du col . Ces boutons augmentèrent peu de volume W

dans les premiers mois ; néanmoins ils résistèrent à tous les topi
ques dont on fit usage. On essaya de les cautériser avec l'acide
nitrique , et par suite avec le nitrate d'argent ; bientôt leurs pro
grès devinrent plus marqués ; ils s'étendirent en largeur en con
servant leur forme aplatie. Ces petites tumeurs , au nombre de
sept à huit , offrent maintenant l'aspect suivant : elles sont dissé
minées sur la partie gauche et supérieure de la poitrine , ainsi que
8
sur le même côté du cou ; elles diffèrent par leur étendue : les
plus grandes ont à peu près un pouce de longueur sur six lignes
de largeur , les petites n'ont pas au-delà de six à sept lignes ; leur
couleur est d'un rouge vif , plus foncé vers le soir. Ces cancroïdes
offrent des différences quant à leur forme ; les unes sont ovalaires
ou rondes , les autres sont cylindriques. Elles paroissent comme
enchâssées dans la peau ; elles sont rénitentes et peu sensibles au
toucher. Dans l'état habituel , elles causent peu de démangeaisons ;
mais dans l'été ou lorsque la malade se trouve dans un apparte

ment dont la température est élevée , le prurit devient très-vif. Les


essais de traitement qu'on a tentés n'ont pas été suivis avec assez
de persévérance pour qu'on puisse prononcer sur leur effet.
-
Cinquième Observation. — J'ai observé la cancroïde chez une
jeune demoiselle , d'ailleurs très-bien portante . Cette affection
MALADIES DE LA PEAU. 43 "
|
offrit d'abord l'aspect de quelques graines de fraise sur la poitrine.
Elle ne tarda pas à s'accroître considérablement , parce que la
malade se grattoit et s'écorchoit sans cesse . Bientôt l'éruption se
convertit en une espèce de protubérance cordiforme , longue ,
élevée au-dessus de la peau , d'un rouge amarante , brûlante au
toucher , etc. Elle étoit plate , dure , ovale , et présentoit l'aspect
d'une moitié d'amande . On observoit sur la surface de cette

élévation de petites veinules très- analogues à celles qu'on


aperçoit dans la propre substance de la rhubarbe . Les déman

geaisons étoient très-vives durant la nuit , au point de réveiller


la malade. Elles redoubloient aux approches de la menstruation.
Sixième Observation.- Nous avons gardé long-temps à l'hôpital

Saint-Louis le nommé François-Barthélemi C *** . Ce jeune homme


est doué d'un tempérament sanguin ; ses cheveux sont d'un châ
tain clair. Il est né d'une mère bien portante ; mais son père a été

affligé pendant toute sa vie d'une dartre squammeuse. C'est vers


l'âge de seize ans que C*** vit se manifester sur ses deux bras des
boutons rouges , suppurant par leur sommet , renfermant une
matière jaunâtre peu épaisse , rapprochés les uns des autres , et
formant sur les avant-bras deux espèces de cylindre. A ces

pustules succédèrent des croûtes verdâtres , qui se détachèrent


d'elles- mêmes , et laissèrent à nu des enfoncemens ou sillons d'une
couleur rougeâtre , dont quelques-uns étoient profonds , et pré
sentoient la consistance d'une corde dans l'épaisseur de la peau.
Peu à peu ces sillons finirent par reprendre le niveau des tégu

mens , et même par le dépasser dans quelques endroits , au point


de faire saillir à l'extérieur les substances cordiformes dontje viens
de parler. Ces éminences ont quelquefois augmenté et quelquefois
diminué d'une manière sensible. Voici ce que l'on observe à
l'époque présente : plusieurs élévations dures , rénitentes , d'une
couleur rouge obscur ou violet , ressemblant assez bien à des moitiés

de cylindre, et présentant à leurs bords plusieurs prolongemens


44 MALADIES DE LA PEAU.

bifurqués. Leur surface est convexe , marquée de lignes trans


versales , et couverte de légères écailles extrêmement minces et
diaphanes. On voit se ramifier dans l'intérieur même de ces

excroissances irrégulières une foule de petits vaisseaux sanguins.


Le toucher de ces tumeurs produit de la douleur , surtout dans
les premiers temps de leur développement. Le frottement y
développe une chaleur insupportable ; si elles sont long- temps
exposées au froid , ou si le malade se sert long-temps de ses bras
pour faire quelque ouvrage , elles deviennent livides et très

douloureuses ; les avant-bras même se gonflent , lorsque l'exercice


est porté trop loin .

MOYENS CURATIFS ESSAYÉS JUSQU'A CE JOUR POUR LA GUÉRISON DES

CANCROÏDES .

CCCLXI. On a souvent extirpé les cancroïdes ; mais elles n'ont


pas tardé à repulluler ; en sorte que l'opération chirurgicale doit
être ici considérée comme un moyen infructueux. Je pourrois
même citer plusieurs cas où elle n'a fait qu'accroître le mal . On
a voulu aussi détruire les cancroïdes par la pierre infernale ou
autres caustiques plus ou moins actifs , qui suscitoient une sup
puration abondante. Soins superflus ! la maladie n'a point tardé
à reparaître. J'ai pourtant réussi en les cautérisant avec l'acide
nitrique.
CCCLXII . J'ai tenté la guérison de ces tumeurs par l'application
immédiate de la pulpe fraîche de morelle , de l'extrait d'opium ,
de l'extrait de ciguë, du camphre , de l'acétate de plomb , du
soufre , et autres préparations de ce genre : j'ai eu recours aux
douches faites par l'eau factice de Naples et de Barèges , aux

bains domestiques long-temps continués , etc. J'ai observé que ces


MALADIES DE LA PEAU. 45 1

divers topiques procuroient un soulagement momentané , que les


tumeurs devenoient moins fongueuses , etc.; mais bientôt elles
reprenoient leur volume ordinaire. Le malade B*** ayant pris
l'état de mousse , a remarqué que les bains de mer lui étoient
salutaires.

CCCLXIII . Les remèdes intérieurs n'ont pas été négligés. J'ai

conseillé les pilules de ciguë , les différens laits médicinaux ,


plusieurs espèces d'eaux minérales , les préparations diverses de
muriate sur-oxigéné de mercure , etc. J'avoue que les résultats
sont encore loin de me satisfaire ; je termine donc ce que j'avois à
dire sur cet objet. C'est assez pour moi d'avoir fait connoître une
affection qui n'avoit été décrite encore par aucun auteur . Il y a
lieu d'espérer que mes successeurs achèveront un travail que je
n'ai fait qu'ébaucher. Je viens de recommencer une série d'ex
périences sur le traitement. J'en donnerai quelque jour les
résultats.
OBSERVATIONS

ET EXPÉRIENCES SUR LE CANCER .

CCCLXIV . LE cancer n'étant point , à proprement parler , une


affection essentielle de la peau , cette effroyable maladie pouvant
atteindre presque tous les organes de l'économie animale , il seroit

déplacé d'en offrir à mes lecteurs une monographie complète. Cette


dégénération horrible du système humain ne tient à mon sujet que
par quelques phénomènes accessoires que je me bornerai à re
cueillir . Au surplus , que de matériaux n'a-t-on pas rassemblés sur
ce point de pathologie ! Depuis des siècles , tous les esprits se sont
mis à la torture , pour se rendre compte d'un fléau aussi extraor
dinaire ; et moi aussi je veux fournir quelques matériaux à l'his
toire du cancer. Dans un autre temps , je reprendrai en sous-œuvre

cette importante matière ; et j'espère la traiter avec tous les détails


qui lui appartiennent.
CCCLXV . Sans doute il existe des maladies aussi effrayantes que

le cancer ; mais du moins elles sont rares , et regardées en quelque


sorte comme inouies : le cancer , au contraire , est partout. Il afflige
partout l'espèce humaine , et en fait un objet d'épouvante et d'ef

froi. Il dépeuple les villes et les campagnes . Les indigens et les


malheureux qui en sont atteints , tombent dans une sorte de déses
poir. Ils se cachent et vont demander un asile dans les hôpitaux
pour y terminer leur carrière douloureuse . La guérison même leur
offre la triste perspective d'avoir la peau lacérée ou les traits de la
1

MALADIES DE LA PEAU. 47

face horriblement défigurés. L'homme est néanmoins celui de tous 4


les animaux qui est le plus sujet au cancer.
CCCLXVI. Et ce qu'il y a de plus triste encore , c'est que le
cancer résiste à presque tous les moyens qu'on emploie pour arrêter
ses progrès. Il s'irrite même par les remèdes , si on ne vient à bout
de le détruire d'une manière soudaine , et d'éteindre avec rapidité

tous les foyers de l'engorgement. Ce mal affreux rappelle la fable


de l'hydre de Lerne , dont les têtes hideuses ne tardoient pas à
renaître sous le bras terrible qui les coupoit. Il falloit bien qu'il

eût inspiré une grande terreur aux anciens , puisqu'ils en parlent


comme d'une affection due à un principe vénéneux , ou à un fer

ment putride et corrosif. Aussi Hippocrate déclare-t-il qu'il seroit


téméraire de vouloir entreprendre la cure du cancer.
CCCLXVII . Comment croire en effet qu'on pourra parvenir à
une théorie satisfaisante des moyens curatifs qu'il faut appliquer au
cancer, quand ses phénomènes sont si difficiles à concevoir ? Ne

semble-t-il pas que cette dégénération horrible du corps vivant


réunisse seule tous les désastres propres aux autres maladies ?
L'odeur fétide qui s'en exhale est aussi repoussante que celle de la
putréfaction gangreneuse. L'irritation qu'elle excite est aussi vive
que celle des phlegmasies les plus aiguës. Son aspect est aussi dé

goûtant que celui de la lèpre , etc. J'ai peint la dartre phagédéni


que, qui corrode les tégumens , les muscles et les os ; mais du moins
ce phénomène s'opère sans provoquer de grandes douleurs chez
les malades. Le cancer , au contraire , dévore les chairs avec des
déchiremens intolérables. Je dirai plus , il imprime à l'ame , comme

l'a remarqué le célèbre Stahl , une mélancolie profonde plus acca


blante que la douleur même.

CCCLXVIII . Les hôpitaux de Paris présentent le cancer sous


une multitude de formes. Dans le cours de mes recherches , j'ai eu
occasion d'observer la marche de ses phénomènes dans presque tous
les
organes de l'économie animale. Tant de tissus différens doivent
48 MALADIES DE LA PEAU.

it
nécessairement donner naissance à des accidens très-remarquables.
On peut consulter à ce sujet les travaux entrepris au sein de
l'École de Médecine de Paris ; c'est le cancer de la peau que je dois

principalement m'attacher à décrire dans cet ouvrage.

TABLEAUX DES PRINCIPAUX SYMPTÔMES QUI CARACTÉRISENT LE CANCER

DE LA PEAU.

CCCLXIX . Le cancer de la peau se manifeste presque toujours

par la cause la plus légère. Un coup , une contusion , une chu


te , etc., suffisent pour le déterminer , si d'ailleurs une disposition
organique favorise son développement. Un homme s'évade de sa f

prison , durant le régime affreux de la terreur. Il se croit poursuivi


dans une rue de Paris : il précipite sa course et tombe frappé 19

d'épouvante. Il lui survient à la joue droite et le long de la partie


latérale du front , un cancer cutané dont les suites furent très
funestes .

J'ai surtout pu observer à l'hôpital Saint-Louis , les cancers que .


les pathologistes , particulièrement Tulpius , indiquent sous la dé
nomination de cancers ambulans. Une femme infortunée en por r
toit un qui avoit rampé depuis la partie supérieure du col jusqu'à
la partie inférieure de la poitrine . Cette femme avoit d'abord été
atteinte d'un érysipèle malin compliqué de dépôts qui n'abcédè
rent point ; mais leur terminaison s'effectua par induration , sur
tout aux glandes des aisselles et des aines. Bientôt la peau ne de

vint qu'un cancer très- étendu , d'où s'écouloit une matière fétide
et comme corrosive . La malade expira misérablement.
L'horrible maladie que je décris , tire communément son ori
gine d'un petit tubercule qui s'est formé de lui-même , ou qui est
le résultat de quelque accident. Quelquefois on n'aperçoit à la sur
MALADIES DE LA PEAU. 49

face entamée qu'une simple excoriation qui n'offre , dans les pre
miers jours , aucun caractère alarmant , mais qui tout à coup se
gonfle , s'enflamme , et s'ulcère ; du sein de l'ulcération jaillit un
liquide ichoreux et rougeâtre . Enfin , ces tumeurs ouvertes de la
peau deviennent comme le centre d'une foule de végétations char
nues dont l'aspect commence à effrayer l'observateur . On a vaine

ment recours aux caustiques pour réprimer ces végétations , qui


repullulent avec plus d'opiniâtreté que jamais .
Les tumeurs ulcérées dégénèrent de plus en plus : elles s'ac
croissent considérablement. Leurs bords inégaux et bosselés se ren
versent. Leur couleur blafarde , bleuâtre ou livide , suffit pour
décéler leur caractère cancéreux. La matière ichoreuse qui s'en
échappe est mêlée d'un pus verdâtre , dont l'odeur est nauséabonde
et presque insupportable pour tout le monde. Stahl la compare à
celle des chairs qui se corromproient dans du vinaigre. Les ma
lades eux-mêmes ne peuvent s'y accoutumer.
Le tissu cellulaire s'engorge et s'épaissit , ainsi que les glandes
lymphatiques . Les veines environnantes deviennent variqueuses.
On voit çà et là des tumeurs indolentes et des furoncles qui aboutis
sentà suppuration . Mais ce qu'il y a surtout de remarquable , c'est
qu'au sein du désordre effroyable qui règne dans la fonte cancé
reuse , l'œil de l'anatomiste ne distingue plus les différens tissus
dont se compose la peau; tant ils sont mêlés , amoncelés et confon

dus. La mort a fait subir le même genre de dissolution à ces végé


tations informes. Tout s'est converti en une masse homogène et
lardacée par le ferment de la corruption. Les solides vivans en

tièrement désorganisés se liquéfient , et se résolvent en un putri


lage sanguinolent et noirâtre. On voit que la nature a constam
ment en vue de séparer les parties malades des parties saines . C'est
l'obstacle qu'elle rencontre dans cette opération , qui fait que la
matière de la suppuration prend un si mauvais caractère .
Les malades affectés du cancer de la peau, éprouvent des élan
2 7.
50 MALADIES DE LA PEAU.

cemens qui donnent une sensation analogue à celle de coups de

dard ou de piqûres d'aiguille . Ces douleurs , qui sont légères pen


dant le jour , sont très-violentes pendant la nuit. On les prendroit
quelquefois pour des douleurs ostéocopes , analogues à celles qui
s'observent dans les maladies vénériennes . Nous avons gardé pen

dant près de six mois , à l'hôpital Saint- Louis , une malheureuse


femme , très -âgée , qui portoit un large cancer aux tégumens de
la partie latérale et postérieure du dos . Toutes les situations lui
étoient devenues déchirantes. Quelquefois aussi , la souffrance est
pour ainsi dire universelle , et n'a point de siége déterminé. Les
individus éprouvent une difficulté générale de vivre , et d'exécu
ter leurs fonctions.

Enfin , à mesure que le cancer fait des progrès , et que le terme


de l'existence semble approcher , les malades tombent dans un
marasme effrayant. Leur peau se dessèche , et devient d'un livide

plombé. Une fièvre lente les consume lentement. Cette fièvre aug
mente à certaines époques de la journée , mais surtout le soir. Ce
pendant , j'ai remarqué que , chez les agonisans , elle étoit quel
quefois imperceptible. Enfin , toutes les glandes participent à l'in
fection générale , et les malades ne peuvent se tenir debout. Ils
éprouvent des défaillances réitérées. Les douleurs sont moins dé
chirantes , mais elles sont constantes et aussi profondes que si elles
appartenoient au virus syphilitique. Les hémorragies passives , les
diarrhées colliquatives , les sueurs froides et visqueuses , les op
pressions fortes du thorax , et la difficulté extrême de la respira
tion , les soubresauts , les mouvemens convulsifs , un tremblement
universel , le délire , terminent la catastrophe et conduisent le
malade au tombeau.
MALADIES DE LA PEAU. 51

EXPÉRIENCES QUI TENDENT A PROUVER QUE LE CANCER N'EST POINT DE


NATURE CONTAGIEUSE .

CCCLXX . Plusieurs écrivains ont avancé que le cancer étoit émi


nemment transmissible par la contagion . On rapporte même que
Smith , chirurgien de l'hôpital militaire de St- Thomas , à Londres ,
mourut d'un cancer à la langue , pour avoir goûté de l'humeur
fétide qui fluoit d'une mamelle infectée. Je sais que d'autres patho
logistes ont allégué des faits analogues. Les expériences suivantes
semblent néanmoins contredire cette opinion.
Première Expérience . — J'ai fait lécher , par un jeune chien ,

et pendant l'espace de deux mois , un cancer considérable occu


pant toute la lèvre inférieure , ainsi qu'une partie de la lèvre su

périeure et de la joue , chez un homme âgé d'environ soixante ans ,
d'un tempérament bilieux et sanguin . Cet animal n'en a point été
affecté, et n'a rien perdu de sa gaîté naturelle . Il a paru même se
repaître avec volupté de la matière cancéreuse qui ne cessoit de
couler de l'ulcère . On a répété l'expérience avec un autre chien .
Même résultat .

Deuxième Expérience . - On a appliqué deux morceaux de


pain tendre sur deux ulcères cancéreux de la joue et du sein . On
les a laissés pendant un laps de temps suffisant , pour qu'ils fussent
imbibés de l'humeur ichoreuse qui en découloit . Ensuite on les a
donnés au chien , qui les a mangés avec avidité . On a répété l'ex
périence pendant plusieurs jours . Rien n'est survenu .
Troisième Expérience. - Nous avons recommand au malade
é
de faire avaler au même chien des lambeaux de chair cancéreuse
qui étoient tombés de sa lèvre ulcérée . L'animal les a dévorés sans

encourir aucun risque pour sa santé . Nous ajouterons même que


53 MALADIES DE LA PEAU.

ce mets lui a causé tant de plaisir , qu'il dédaignoit ensuite le pain


dont on faisoit précédemment sa nourriture la plus habituelle.
Nous avons fait le même essai sur un autre chien , avec le putri
lage recueilli dans un horrible cancer dont étoit tourmentée une
femme mourante. Le chien n'a point été incommodé.
1 CCCLXXI . Personne n'ignore combien peuvent être défectueu
ses les expériences tentées sur les animaux vivans. Nous avions à

craindre une objection très-fondée . En effet , dans le plus grand


nombre des cas , ce qui arrive chez les animaux peut très-bien
ne pas avoir lieu chez l'homme , ou sé passer du moins d'une ma
nière différente . Sous ce point de vue , nos conclusions n'auroient
pas été exactes. Voici le résultat de quelques nouveaux essais.
— Le lundi 17 octobre de l'an 1808 , en
Première Expérience . -
présence de plusieurs médecins et élèves qui suivoient mes visites
cliniques à l'hôpital St-Louis , je me fis inoculer au bras le virus
cancéreux. La matière ichoreuse fut prise sur un énorme cancer
situé à la mamelle interne droite , chez une femme âgée de soixante
ans , et qui étoit expirante . Je fus imité par M. Fayet , étudiant en
médecine ; et dans la matinée , M. Lenoble se fit pratiquer cinq
piqûres. M. Durand subit aussi cette opération . Une demi-heure
après cette expérience , nous éprouvâmes tous une douleur légè
rement lancinante , et semblable à celle qui résulteroit de l'ap
plication forte d'une épingle sur la peau . Cette douleur se renou
vela plusieurs fois . Il y eut une aréole rouge autour de la piqûre ,
et un léger gonflement. Le deuxième jour , cessation de la dou
leur , mais augmentation de l'aréole et du gonflement , surtout
vers le soir . Formation d'un pus blanchâtre. Le troisième jour , le
gonflement étoit à peine sensible. Le quatrième jour , desséche

ment du pus , qui s'étoit converti en croûte. Vers le cinquième


jour , la croûte étoit tombée. Il restoit une légère tache rouge . Ce
phénomène étoit manifestement le résultat de l'irritation produite
par la lancette .
MALADIES DE LA PEAU. 53

-
Deuxième Expérience. Le lundi suivant , 24 octobre , je
m'inoculai le virus cancéreux pour la seconde fois. Je pratiquai
pareillement deux piqûres à chacun des bras de M. Biett , médecin ,
avec une lancette chargée de la matière ichoreuse , puisée dans un
horrible cancer. Pour ce qui me concerne , j'ai obtenu un résultat
analogue à celui de l'expérience précédente. Mais M. Biett éprouva ,
le troisième jour , de légères douleurs sur le trajet des vaisseaux
lymphatiques , à la partie interne des deux bras. La piqûre du bras
droit s'enflamma légèrement. Le soir il éprouva quelques horripila
tions et des frissons irréguliers. Le mouvement fébrile se prolon
gea toute la nuit , et continua pendant deux jours . Les glandes des
aisselles devinrent un peu douloureuses , ainsi que les glandes du
col. Cet état n'a duré que quarante-huit heures. Au bout de ce
temps , les piqûres se sont éteintes et entièrement cicatrisées.

QUELQUES OBSERVATIONS SUR LE TRAITEMENT DES CANCERS ET ULCÈRES

CARCINOMATEUX .

CCCLXXII . Le cancer est une des maladies les plus opiniâtres


aux moyens de l'art. Jusqu'à ce jour , que d'essais infructueux
pour détruire ce fléau dévastateur ! J'ai répété à l'hôpital St-Louis
la plupart des expériences qu'on a publiées . Je n'ai pas été plus
heureux
que mes devanciers. Je rapporte néanmoins quelques
faits qui m'ont paru de quelque intérêt.
Première Observation. -On a beaucoup loué , depuis quelques

années , l'application topique de la petite joubarbe ( sedum acre ).


J'ai répété cette expérience . Madame *** , d'un tempérament san
guin-bilieux , et d'un caractère mélancolique , avoit constamment
joui d'une santé robuste . Elle avoit nourri quinze enfans sans en
ètre incommodée , seulement on avoit remarqué qu'à chaque sevra
54 MALADIES DE LA PEAU.

ge , la mamelle du côté gauche restoit quelques jours engorgée. L'é


poque critique s'annonça par quelques irrégularités dans la mens
truation vers la fin de septembre 1806 , le volume du sein aug
menta considérablement ; mais aucune douleur ne se faisoit sentir
dans cette partie . On conseilla , dans les premiers temps , quelques
applications répercussives et plusieurs saignées du bras. Ces moyens
ne firent qu'accroître les accidens. La maladie fit des progrès. Il
se déclara des douleurs vives. Il se forma un ulcère qui s'étendit
avec la plus grande rapidité , et qui rongeoit les chairs environ
nantes. Lorsque je fus appelé pour visiter cet ulcère , il étoit
large , surmonté de tubercules inégaux , dont les uns étoient très
volumineux et affectoient la forme de choux-fleurs . Les bords

étoient irréguliers et renversés . Il s'en écouloit une suppuration


blanchâtre et fétide . La peau voisine de l'ulcère étoit rougeâtre ,
violacée , ridée et contractée en quelques endroits , parsemée d'une
grande quantité de tubercules , qui se répandoient jusque sur le
dos et les épaules. L'état de la malade empiroit visiblement à cha
que variation de température . Il survenoit fréquemment des hé
morragies par les extrémités artérielles qui étoient à découvert.
Un mouvement fébrile continuel consumoit les forces . Dans cet

état désespéré , nous nous décidâmes , M. Biett et moi , à tenter


l'emploi de la petite joubarbe , déjà préconisée pour la guérison
des cancers ulcérés. Après beaucoup de précautions , Madame ***
put garder des cataplasmes faits avec des pulpes de cette plante ,
quelques heures dans la journée . Après un long usage de ce topi
que , la plaie devint moins hideuse , la suppuration moins horri
ble , et les hémorragies cessèrent. Il est probable que , si on l'eût

employé à une époque moins avancée de la maladie , le remède


eût obtenu un plein succès ; car la femme se félicitoit tous les jours
du mieux qui s'étoit opéré dans toutes ses fonctions ; mais l'épui
sement dans lequel elle étoit tombée , par des souffrances anté
rieures , la fit succomber.
MALADIES DE LA PEAU. 55

Deuxième Observation . - Je ne veux point passer sous silence

un fait intéressant dont j'ai été le témoin. Une jeune femme , qui
avoit tout au plus atteint l'âge de vingt-huit ans , me consulta pour
un cancer qu'elle portoit à la mamelle gauche : les bords en étoient
durs , et couverts de beaucoup d'aspérités : l'humeur qui en dé
couloit , étoit d'un jaune paille , mais n'étoit pas très-fétide . Le
tissu cellulaire étoit rénitent autour de l'ulcère , et présentoit des
vaisseaux noirs et tuméfiés. Les souffrances ne se manifestoient

que par intervalles . M. Lombard , habile chirurgien , venoit alors


de publier des essais heureux sur les effets de la joubarbe dont je
viens de faire mention . Je proposai au médecin habituel de la ma
lade , ce moyen , qui fut mis en usage avec un succès inespéré. Il
est vrai qu'il fallut terminer la guérison par le caustique de Rous
selot. Depuis cette époque , il n'est resté à cette dame , qu'une
cicatrice informe et de couleur violacée , laquelle est plus ou moins
vivement douloureuse , selon les influences atmosphériques.
Troisième Observation. — J'ai rapporté , dans mes Nouveaux
Élémens de Thérapeutique et de Matière médicale , l'observation
d'un homme âgé de soixante ans , qui étoit tourmenté d'un ulcère
carcinomateux , lequel corrodoit les fosses nasales. Les cataplasmes
de joubarbe détergèrent l'ulcère avec une étonnante rapidité. Ce
n'étoit plus qu'une plaie vermeille ; mais le malade ne voulut pas
continuer le remède .

Quatrième Observation.— Il ne s'agit ici que d'un ulcère car


cinomateux survenu au nez . Martin Dock , domestique , âgé de
cinquante-sept ans , d'un tempérament bilieux , et d'une consti
tution ruinée par la misère , n'avoit éprouvé d'autre affection no
table que celle pour laquelle il se rendit à l'hôpital St-Louis , dans
le mois de février 1808. Cette affection commença par un petit

bouton situé à la partie moyenne et latérale du nez . Dans le prin


cipe , il n'y avoit point de douleur. Le malade n'éprouvoit qu'une
sensation de tiraillement à la peau . Après avoir été stationnaire
56 MALADIES DE LA PEAU.

pendant plusieurs mois , le bouton se convertit soudainement en


il occupa le côté droit du nez ,
ulcère ; et, dans l'espace d'un an ,
la joue , et la paupière correspondante. Le malade , alarmé , se ren
dit à l'hôpital Saint-Louis . La surface de l'ulcère étoit irrégulière ,
blanchâtre dans le fond. Ses bords étoient irréguliers et durs ; il

en découloit une petite quantité de matière ichoreuse. Nous eûmes


recours au caustique de Rousselot , mis en usage avec tant de suc -
cès par le célèbre professeur Sabatier , et nous l'employâmes de la

manière suivante : on formoit , avec cette poudre et le cérat de Ga


lien , une pâte dont on recouvroit la partie ulcérée. Le lendemain ,
il survenoit de la rougeur et du gonflement dans les parties envi
ronnantes. On combattoit cette irritation accidentelle par les émo
liens. L'escarre tomboit , et l'ulcère paroissoit être de meilleure
nature . Trois ou quatre jours après , on faisoit une nouvelle appli
cation. Peu à peu , l'ulcère diminua d'étendue , et son état s'amé
liora. Dans dix -sept jours , la guérison fut complète : il n'y avoit
plus , ni dureté , ni douleur. La cicatrice ressembloit aux cicatrices

ordinaires. Le malade sortit de l'hôpital après un mois et demi de


traitement , parfaitement délivré de son ulcère carcinomateux .

Cinquième Observation.- Henri-Christophe Torbier , ciseleur ,


âgé de cinquante - quatre ans , d'un tempérament sanguin , et
d'une assez bonne constitution , s'aperçut qu'il se formoit un petit
bouton à la partie latérale moyenne et droite du nez. Il n'y res
sentoit aucune douleur. Il s'y formoit , de temps en temps , une

petite croute qui se desséchoit et tomboit au moindre frottement.


Au bout de sept années , ce mal fit des progrès inquiétans. Il sur
vint une ulcération qui occupa rapidement tout le côté du nez . Sa
surface présentoit une infinité de petites végétations bourgeon
neuses. On y appliqua successivement de l'eau forte , d'autres caus
tiques liquides , et divers onguens , etc. Ces moyens ne purent ar
rêter les progrès de l'ulcération , qui avoit déjà envahi la moitié
de la paupière supérieure , lorsque le malade se rendit à l'hôpital
MALADIES DE LA PEAU. 57

St-Louis , plutôt pour éviter à ses enfans le désagrément de le


voir mourir , que pour y trouver sa guérison . On le traita par la
poudre de Rousselot , ainsi que le précédent. On combattit aussi

l'inflammation qui survint , par le même procédé. Au bout de cin


quante jours , l'ulcère étoit parfaitement cicatrisé. Mais des végé
tations blanchâtres étant survenues vers l'angle interne de l'œil ,
et vers la caroncule , retardèrent quelque temps la parfaite gué
rison. Je crus qu'il étoit convenable de les détruire par un caus
tique liquide , ne pouvant faire usage de la poudre. Ces végéta
tions se renouvelèrent à plusieurs reprises , en causant toujours
de petits élancemens . On a continué le même moyen ; et mainte
nant il n'existe plus rien de semblable. En sorte que le malade se
trouva en deux mois parfaitement délivré d'un ulcère carcinoma
teux qui avoit duré plus de quatre ans.

2 8.
LES LÈPRES .

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES LÈPRES.

CCCLXXIII . COMMENT dissiper la confusion qui règne encore


dans l'histoire des lèpres ! Cette maladie offre à l'esprit des images

si repoussantes , elle épouvante à un tel point l'imagination et la


pensée , elle réveille des souvenirs si tristes et si déplorables , qu'on

a souvent appliqué son nom à d'autres affections cutanées , lorsque


leurs progrès étoient alarmans . De là sont provenues une foule
de méprises sur son véritable caractère . Des teignes hideuses qui
s'étoient étendues sur tout l'appareil tégumentaire , des dartres

squammeuses très-invétérées et très-intenses , ont été fréquem


ment désignées sous le nom de lèpres dans les écrits de quelques
auteurs. Avouons même que , de nos jours , malgré les lumières

répandues dans la science par une nosographie exacte , malgré les

avantages procurés par la méthode analytique , on n'a que des


notions insuffisantes sur un fléau si formidable pour la nature
humaine.

CCCLXXIV . Il est vrai que la lèpre est devenue plus rare de nos

* jours ; et , si les méthodes manquoient aux anciens , les cas d'ob


servation manquent aux modernes ; c'est ce qui fait que la plupart
d'entre eux n'ont pu décrire les symptômes de la maladie avec
précision et exactitude ; ils ont souvent été réduits à n'en parler
que sur la foi d'autrui. De là sont nées tant de discussions futiles
δυ MALADIES DE LA PEAU.

parmi les érudits : on s'est vainement disputé , et on n'a répandu


que de l'incertitude sur ce genre d'affection .
CCCLXXV . Dans une matière qui a un si puissant intérêt pour
notre art , on ne sauroit s'imaginer combien les controverses nom
breuses sur la valeur et la signification des mots ont été préjudi
ciables ; combien surtout elles ont entravé la marche progressive
de nos connoissances ! Elles ont infecté la pathologie de mille
erreurs. Ce n'est donc qu'après avoir attentivement contemplé la
nature malade , qu'on peut , sans craindre de s'égarer , chercher
dans les livres les caractères distinctifs de cette étonnante dégra
dation du système humain . Ce procédé est celui que j'emploie
pour la publication de ce travail ; et , d'après l'autorité des meil
leurs écrivains grecs , je n'appliquerai la dénomination de lèpres
qu'aux maladies qu'ils ont eux-mêmes ainsi désignées.
CCCLXXVI. Un médecin , très-habile philologue , s'est donné
beaucoup de peine pour prouver que la lèpre décrite par le légis
lateur des Hébreux , n'est autre chose que l'éléphantiasis , ou la
lèpre tuberculeuse. Il pense que les traducteurs ont mal rendu
le texte. J'avoue qu'il m'est absolument impossible d'adopter son
opinion . Car , pourquoi les Israélites n'auroient-ils pas été égale

ment sujets à la lèpre squammeuse , puisque j'en trouve la des


cription la plus fidèle dans les Livres saints ? Les paroles du Lévi
tique , qui font entendre que les tégumens ne conservent pas le

même niveau , indiquent précisément l'un des caractères les plus


frappans de cette maladie , que je me propose de décrire avec
beaucoup d'exactitude. Si quelqu'autre passage de l'ouvrage que
je viens de citer , signale l'éléphantiasis , je préfère penser que
les deux affections ont pu avoir la même patrie : ne voyons-nous

pas journellement plusieurs espèces de dartres se développer dans


nos climats tempérés ?
CCCLXXVII . Le but auquel j'aspire , n'est point , du reste , d'of

frir à mes lecteurs un traité complet sur la lèpre , mais seulement


MALADIES DE LA PEAU. 61

de ranger dans un ordre méthodique des phénomènes dont le plus


grand nombre ont été sous mes yeux . Je montrerai la chaîne des
rapports qui les lie à ceux déjà consignés dans d'autres ouvrages .
L'expérience est un trésor qui doit se grossir par la masse des

faits , à mesure qu'on les rassemble.

CCCLXXVIII . La lèpre est la plus redoutable des maladies cu


tanées ; elle tient une des premières places dans l'histoire des mal

heurs du genre humain . Nos pères la regardoient comme un signe


non équivoque de la vengeance céleste ; son nom seul inspiroit
l'horreur à tous les peuples. Il est peu de désastres qui aient fait
autant de victimes ; et , ce qu'il y a de plus triste , c'est que la mort
ne termine que lentement les souffrances des infortunés qui en sont
atteints . « Il semble que ce mal , dit énergiquement M. de Pons , en
>> veuille moins à l'existence de l'homme qu'à ses formes , et qu'il

>> fasse plus consister son triomphe à dégrader qu'à détruire . »


Le tableau que nous en présenterons , suffira pour mettre au jour
cette vérité. En effet , pendant que la peau se flétrit et se déco
lore, pendant que le tissu cellulaire s'altère et se tuméfie à un
point extrême , pendant que le corps entier se détériore , jusqu'à
devenir méconnoissable , les fonctions intérieures se maintiennent
souvent dans l'intégrité la plus complète.

CCCLXXIX . Toutefois , parmi les maladies humaines , il en est


peu qui , dans leurs progrès successifs , atteignent d'une manière
plus profonde les différens systèmes de l'économie vivante . Mais d'a
bord on frémit d'effroi quand on songe à la dégénération affreuse
contractée par l'enveloppe cutanée , qui devient épaisse , écailleuse
et rude comme celle des quadrupèdes ; qui prend la consistance
dure et raboteuse de l'écorce des arbres. Le mal s'accroît ; le tissu

muqueux , les membranes , les glandes , les muscles , les cartilages ,


les
os , etc., rien n'est épargné par ce virus extraordinaire . Tout le
corps se convertit en ulcères rongeans , ou se couvre de tumeurs
carcinomateuses ; les membres se détachent et tombent en lam
62 MALADIES DE LA PEAU.

beaux hideux et dégoûtans. Quel tableau plus déchirant que celui

d'un infortuné qui survit ainsi misérablement aux plus nobles et


aux plus importantes parties de son être !
CCCLXXX . La lèpre est une des calamités les plus anciennes
--
qui aient affligé le genre humain : son nom remonte jusqu'à Hip
pocrate . Chez les Perses et autres peuples de l'antiquité , on expul
soit les lépreux des villes , aussitôt après l'apparition du plus léger V

symptôme. J'ai déjà dit qu'on regardoit cette maladie comme un


affreux résultat de la colère des Dieux . Une proscription honteuse
pesoit sur les malheureux qui en étoient frappés , ainsi que le rap

portent les historiens ; aussi chargeoit-on d'offrandes les autels de


Junon et de toutes les Divinités offensées , pour parvenir à apaiser

leur courroux . Il semble même que l'espèce de lèpre qui étoit la Y

plus odieuse , étoit la lèpre squammeuse , qui est communément L


désignée sous le nom de leuce dans les fastes de l'art ; car , dans
plusieurs îles de la Grèce , toute couleur qui se rapprochoit de
celle de la lèpre , étoit un sujet d'épouvante , et bannie de l'en
ceinte des lieux habités.
CCCLXXXI . Les Livres saints nous retracent surtout le tableau

véritable de cette funeste maladie. Ils peignent , avec une fidélité

très-remarquable , les ravages que produisoit la lèpre sur le peu


ple d'Israël . On y retrouve , sur les signes pathognomoniques qui
la distinguent , cet état de stupeur et d'insensibilité absolue , qui
gagne successivement tout l'organe dermoïde ; la décoloration et
la chute des cheveux , qu'on n'observe guère dans les autres ma
ladies. La tête se dépouille , dit le législateur des Hébreux , et
l'homme n'offre alors qu'un spectacle digne de commisération .
Tout le monde sait avec quelles couleurs fortes et pittoresques ,

l'imagination poétique et exaltée des Orientaux a reproduit l'hor


rible infirmité de Job , dont la peau étoit rongée d'ulcères fétides .
Dieu frappa de la lèpre le cruel Pharaon , roi d'Égypte , pour
venger le sang des Juifs , dont les mains de ce tyran s'étoient si
MALADIES DE LA PEAU. 63

souvent souillées. Tous les siècles ont retenti du sort malheureux

de Naaman , ce chef des troupes de Syrie , merveilleusement guéri


par le prophète Élisée , pour s'être baigné sept fois dans les flots
sulfureux du Jourdain.

CCCLXXXII . La lèpre naquit d'abord sous le ciel ardent de


l'Égypte et de l'Arabie . Elle inonda la Grèce et l'Asie , à cause du
commerce continuel de ces deux nations ; mais à l'époque où les
Romains soumirent tout l'Orient , ce fléau se répandit en Italie et
dans toute l'Europe : la France ne fut pas épargnée . On sait que
sous le règne de Philippe Ier , il y avoit des religieux soldats , dé
signés sous le nom d'Hospitaliers , auxquels étoit spécialement
confié le soin des infortunés lépreux ; institution bien digne d'ho
norer tous les siècles. Ils passoient leur vie à protéger les foibles ,
et aux occupations pieuses de la charité. D'une main secourable

ils assistoient les malheureux , et , de l'autre , ils faisoient la guerre


aux Infidèles : tantôt paisibles , tantôt guerriers , leur humanité
égaloit leur valeur militaire. Louis VIII avoit spécialement men
tionné les lépreux dans son testament , et il avoit fait des donations
aux hospices qui les recueilloient .
CCCLXXXIII . II paroît , surtout d'après les recherches histori
ques de M. Valentin , très-habile praticien de Marseille , que l'an

cienne Provence étoit une des contrées où la maladie dont il s'agit

étoit la plus fréquente et la plus répandue ; aussi avoit- on multi


plié les hôpitaux et les infirmeries pour le traitement de ce genre
d'affection , à un excès que l'on ne peut décrire . Toutes les villes

en possédoient . L'hôpital dans lequel on renferme aujourd'hui les


insensés , étoit jadis consacré aux lépreux : on contraignoit tous les
malades à s'y renfermer .

CCCLXXXIV . On est généralement convaincu que cette affec


tion est plutôt le résultat des mœurs et des habitudes des hommes ,

que du climat et des influences atmosphériques . Elle est née au mi


lieu de la barbarie et du désordre des institutions sociales . C'est la
64 MALADIES DE LA PEAU.

corruption des peuples qui a perverti toutes les lois de l'hygiène


publique. Les hommes qui sont habituellement mal nourris , qui
vivent dans la saleté , dans l'indigence et les privations , sont aussi
-
les plus sujets à la lèpre ; mais on a vu ce fléau disparoître à me
sure que la civilisation s'est perfectionnée . Les divers soins de
propreté , le fréquent usage du linge , ont beaucoup contribué à
l'éteindre , et n'en ont laissé presqu'aucun vestige dans nos cli
mats.

CCCLXXXV . On observe qu'elle a été , en quelque sorte , liée


aux grands événemens de ce globe : l'expédition des Croisades con
tribua singulièrement à la développer . Si l'on fouille dans les anna
les des peuples , on voit que les émigrations , les pèlerinages , les
guerres , les mélanges des nations entre elles , ont puissamment con
tribué au développement des affections lépreuses. Que d'exemples
on pourroit citer ! Il paroît , du reste , que toutes les maladies con
sidérées sous un point de vue général , s'éloignent de certains
pays , quand les circonstances cessent de favoriser leur action . Qui
oseroit donc assurer que la lèpre ne reparoîtra pas dans toute son
intensité et avec ses symptômes les plus effrayans !
CCCLXXXVI. Quoique les maladies lépreuses se remarquent

souvent dans des contrées d'une température opposée , il semble


toutefois qu'elles soient particulièrement reléguées au voisinage des
tropiques et de l'équateur. C'est dans ces latitudes , que la nature
plus féconde et plus active , est aussi plus propre à développer les
grands fléaux de l'espèce humaine. Dans tous les temps , les lieux
que le soleil éclaire davantage de ses rayons , ont servi de théâtre
à des affections terribles et extraordinaires.

CCCLXXXVII . Ce phénomène fait naître une observation qui n'a

échappé à aucun médecin philosophe ; c'est que chaque climat pa


roît spécialement favoriser le développement d'une maladie par
ticulière , et la terre a peu d'endroits qui ne soient exposés à
quelque calamité déplorable. Dans certains lieux , c'est le tissu
MALADIES DE LA PEAU. 65

cellulaire qui est radicalement affecté ; dans d'autres lieux , c'est


le système vasculaire sanguin , l'appareil respiratoire , ou les voies
digestives , etc. Les voyageurs les moins instruits ont fait cette re
marque ; les poètes même en font mention . Ne diroit- on pas que
la nature se plait à multiplier sous mille formes la maladie ou la
mort !

CCCLXXXVIII . La lèpre elle- même subit une multitude de


modifications par le pouvoir de cette influence des climats ; c'est là
ce qui lui imprime un caractère prothéiforme. Aussi a-t- on mal-à
propos décrit ses principales métamorphoses , comme des espèces
différentes , chez les divers peuples où elle a été aperçue . Cepen

dant , malgré cette physionomie particulière que la lèpre em


prunte , pour ainsi dire , des causes locales qui la font naître , il

y a des traits généraux qui fixent irrévocablement le genre au


quel elle appartient .
CCCLXXXIX . C'est par conséquent une manière défectueuse
de procéder , que de désigner la lèpre par le nom des pays qui fa
vorisent son développement : une semblable habitude a introduit
beaucoup de méprises dans les ouvrages de l'art. Personne n'ignore
néanmoins que plusieurs espèces de lèpres peuvent se manifester
dans les mêmes lieux ; des voyageurs éclairés ont bien su les dis
tinguer en parcourant l'Égypte et tous les pays où elle est encore
endémique .

CCCXC . Quels inconvéniens n'y auroit-il pas d'ailleurs à fixer


ainsi la dénomination des différentes lèpres , d'après les lieux où
elles se manifestent ! Cette affreuse maladie , qui a eu son berceau
sur le sol brûlant de l'Afrique , aux bords du Nil et du Sénégal ,
n'a-t-elle pas fait , pour ainsi dire , le tour du globe ? Tous les mé
decins qui ont voyagé en Égypte , l'ont rencontrée à Alexandrie ,
à Rosette , au Caire , à Sion , etc.; elle s'est présentée à leurs re
gards , sous les formes les plus dégoûtantes ; les phalanges des
doigts et des pieds tomboient successivement. La Nubie , la Guinée ,
2
9.
66 MALADIES DE LA PEAU.
MAL

le Congo , la Nigritie , l'Abyssinie , la côte d'Ajan , la côte de Zan


guebar , etc .; les îles situées soit dans l'Océan indien , soit dans
l'Océan atlantique , telles que les îles de Socotora , de Madagas
car , etc. , abondent en maladies de ce genre . La lèpre est même
si commune à l'ile de France , que les blancs comme les noirs y
sont sujets. Le nombre des affligés augmente chaque jour , et dans
une proportion tellement alarmante , que l'administration de la
colonie prit, il y a quelques années , un arrêté , pour les transpor
ter tous à l'île de Coïtivy ; mais on n'osa pas mettre cet arrêté à
exécution , tant les malades étoient nombreux , les médecins ayant
été forcés , sous des peines très-graves , de les déclarer tous. Les
familles les plus considérables de l'île s'y trouvoient comprises .
Les îles d'Afrique , situées dans l'Océan atlantique , telles que celles

de Madère , des Canaries , du Cap-Vert , de l'Ascension , etc. , n'en


sont point exemptes .
CCCXCI. Parcourez l'Amérique , et vous verrez que la lèpre

s'y multiplie d'une manière effrayante : parmi les maladies du


Groënland , elle tient un des premiers rangs. Le Canada , la Nou
velle-Écosse , le Mexique , les Antilles , donnent naissance à l'élé
phantiasis des jambes. M. le docteur Valentin rappelle l'habitude
où l'on étoit de reléguer dans l'île de la Desirade tous les blancs
lépreux qui se trouvoient à la Martinique , à la Guadeloupe , à
Sainte-Lucie , à Saint-Vincent , à la Barbade , à Tabago , à la Tri
nité , etc. Rien de plus favorable au développement de la lèpre ,
que le climat malsain de la Guiane. La Terre-Ferme , la Nou
velle-Grenade , le Brésil , le pays des Amazones , le Pérou , les
contrées de la Plata , etc. , tous ces climats renferment des causes

qui contribuent à la production de ce désastreux fléau.


CCCXCII. La lèpre est fréquente dans presque toutes les con
trées de l'Asie . M. de Ste-Croix a eu occasion de l'observer à la

côte de Coromandel pendant son séjour à Manille . L'établissement


des castes et le peu de médecins qui existent dans ce pays , em
MALADIES DE LA PEAU. 67

pêchent que cette maladie , qu'on croit être éminemment conta

gieuse , ne soit convenablement étudiée. Il pense même qu'un mé


decin qui , par l'amour de l'art , se livreroit à ce genre de travail ,
perdroit la confiance publique , tant elle est en horreur. Aussi les
Indiens séquestrent les lépreux , et ils font apporter tous les jours
à leur porte de quoi subsister : ils font laver avec de fort vinaigre
jusqu'aux chaises qui leur ont servi. La lèpre , ainsi que l'a très
bien observé M. de Ste-Croix , est surtout très-commune aux iles
Philippines. Manille possède un hôpital pour la traiter ; cet hôpital
est desservi par les Pères Franciscains , et situé dans un lieu très

salubre. Il contenoit , lorsque M. de Ste-Croix l'a visité , près de


quatre cents malades. Les îles du Japon , les Mariannes , les Caro
lines , les îles de la Sonde , les Moluques , etc. , offrent également
le tableau de cette dégoûtante infirmité : il faut aussi nommer les
royaumes de Tonquin , ceux de la Cochinchine , de Siam , etc.
CCCXCIII. Croira-t- on qu'à la Chine on rencontre une grande
quantité d'individus affectés de la lèpre ? M. de Ste-Croix en a vu
beaucoup à Macao . Les Portugais ont établi au-delà des portes un
hospice pour les recevoir ; mais une condition essentielle pour y
être admis , est d'être Chinois et catholique . M. de Guignes a pa
reillement fait mention des ravages que la lèpre cause dans la
Chine. Il en est qui sont tellement tourmentés par la maladie ,
qu'ils en perdent les doigts des pieds et des mains. Le même voya
geur atteste avoir observé un certain nombre de Chinois auxquels
le nez étoit tombé en mortification . M. de Guignes prétend mal
à-propos que ce n'est point une vraie lèpre , parce qu'elle n'a
point un caractère contagieux : en effet , rien n'est plus douteux
que ce caractère qu'on attribue communément à cette affection .
CCCXCIV. Toute la Turquie d'Asie est en proie aux horreurs
de la lèpre. Les côtes de la Natolie en sont infectées. Les villes
d'Alep , de Damas , de Tripoli et d'Acre , dans la Syrie , ont vu

depuis long-temps cette maladie les épuiser d'habitans , ainsi que


70 MALADIES DE LA PEAU.

les contrées de la Palestine et toutes les cités qu'elles renferment .


Les lépreux abondent en Perse et en Arabie.

CCCXCV. Les savans qui ont voyagé dans la Grèce , ont vu


cette maladie s'y développer avec des symptômes formidables. On
la voit pulluler dans toutes les îles de l'Archipel , dans celles de
Candie , de Tine , d'Andros , de Négrepont , de Ténédos , de Pat
mos et de Rhodes . L'île de Samos surtout est devenue une espèce
de refuge pour les infortunés lépreux . On les rassemble , en plus
ou moins grand nombre , dans des chambres , sans songer à les
guérir on n'a d'autre intention que de les séparer du reste de
la société. Rien de plus lamentable que la situation de ces indi
vidus , lesquels sont devenus , en quelque sorte , le rebut de la
nature et des humains.

CCCXCVI. L'intérieur de l'Europe offroit autrefois une mul


titude immense de lépreux ; mais la maladie a disparu avec les
progrès des lumières et le perfectionnement des institutions civi
les. On la retrouve néanmoins encore dans l'Europe septentrio
nale . Les îles rapprochées de Féroë , qui appartiennent au gou

vernement d'Islande ; toutes les côtes maritimes de la Norwège et


de la Suède , sont le théâtre de la lèpre fameuse connue sous le
nom de Radesyge . Le professeur Pallas , dans son voyage en Rus
sie , fait mention d'une maladie de ce genre , apportée en Crimée
par les troupes qui ont fait la guerre contre les Persans . Les Co
saques du Jaik disent l'avoir héritée d'un détachement d'Astracan.

L'un des premiers symptômes est d'avoir le visage violet . M. Wil


lan dit avoir observé plusieurs espèces de lèpres en Angleterre ;
mais ces lèpres ne sont autre chose que des dartres auxquelles
cet auteur a imposé des noms qui ne leur conviennent pas. La
France , cet empire si policé , compte encore des lépreux à Vi
trolles et aux Martigues. L'Espagne enfin est renommée par la
lèpre des Asturies : cette province possède une foule d'hôpitaux ,
dédiés à saint Lazare , qui étoient destinés pour sa guérison. On
MALADIES DE LA PEAU. 69

la rencontroit aussi , il y a peu d'années , dans quelques cantons


de l'Italie , etc.

CCCXVII. Dans quels détails minutieux il me faudroit entrer


encore , si je voulois procéder ici à l'énumération de tous les
lieux où a pu se montrer ce fléau si triste pour la nature hu
maine ! mais de semblables digressions ne font rien au but que je
souhaite atteindre . Entrons maintenant dans l'histoire des faits

particuliers qui constituent le genre de maladie qui nous occupe .


Traçons avec fidélité le tableau des espèces. Disposons avec ordre
la masse des connoissances qu'on a progressivement acquises sur
cette intéressante matière . Que la méthode analytique nous guide !

notre travail sera plus utile et plus instructif.


·
er
wat

Lépre Squammeuse

brosé par Place, live à la Caleographie Royale deJ. bombaud Imprime dans le même établissement, à Bruxelles.
SECTION PREMIÈRE .

FAITS RELATIFS A L'HISTOIRE PARTICULIÈRE DES LÈPRES.

ESPÈCE PREMIÈRE .

LÈPRE SQUAMMEUSE. LEPRA SQUAMMOSA. ( PLANCHE XXX. )

Lèpre , se manifestant sur une ou plusieurs parties des tégumens , par des écailles plus
ou moins larges , le plus souvent orbiculées , et entourées d'une aréole rougeâtre , dures ,
verruqueuses et rudes au toucher , quelquefois traversées par des sillons profonds , d'une
couleur cendrée ou d'un gris noirâtre , comme l'écorce des arbres , souvent semblables
aux écailles de certains poissons.
Ons. La lèpre squammeuse a plusieurs variétés ; n'est-il pas convenable de les distin
guer, pour dissiper l'obscurité qui règue dans les ouvrages de l'art ?
4. LA LEPRE BLANCHE. Lepra Alphos vel Leuce. - C'est le Zaraab des Hébreux , le
Bothor de Rhazès , l'Albaras ou l'Alguada d'Avicenne , etc. Les Grecs lui ont principa
lement donné la dénomination que je lui conserve , à cause des taches blanches et pou
dreuses qui se trouvent çà et là répandues sur toute la périphérie de la peau. En général ,
ces taches se joignent rarement pour former de grandes plaques ; et cette affection ,
comme l'a dit Galien , a beaucoup moins d'intensité que la lèpre ordinaire. Chaque
tache est circonscrite par une aréole rougeâtre. Les distinctions qu'on a voulu établir
entre l'Alphos et le Leuce , sont illusoires ; car ces deux états de la peau ne peuvent
différer que par le degré , ce qui ne constitue pas une autre nature : seulement on observe
que dans le leuce , la peau a un aspect lanugineux , comme les feuilles du peuplier, d'où
lui est venu le nom qu'elle porte.
72 MALADIES DE LA PEAU.

-
B. La Lèpre noire. Lepra melas. — Il est facile de distinguer cette variété de la pré
cédente. On la nomme ainsi , à cause de la couleur des écailles , qui est d'un gris noirâtre :
c'est la complication scorbutique qui imprime ordinairement cette nuance aux incrusta
tions écailleuses. Les aréoles de la lèpre noire sont par conséquent d'une couleur livide
et violacée , ou d'un rouge sale ; les écailles sont dures et luisantes. On la désigne aussi
sous le nom de Lépre rouge ou de Lèpre scorbutique. Cette variété a beaucoup de
rapport avec le mal de rosa de la province des Asturies , etc.
C. LA LÈPRE TYRIENNE. Lepra tyria. -— Cette lèpre se distingue des variétés déjà indi
quées , parce que la peau a la dureté des écailles des poissons. Souvent ces écailles tom
bent spontanément et ne tardent pas à se reproduire ; souvent aussi , elles forment des
incrustations très-épaisses , en s'accumulant les unes sur les autres ; elles forment quel
quefois une enveloppe universelle sur tout le corps ; les parties que recouvrent les
écailles , sont quelquefois baignées d'une humidité purulente. Le propre de cette variété
est de produire une desquammation d'écailles analogues à celles dont se dépouillent les
serpens , d'où lui est venu son nom.

TABLEAU DE LA LÈPRE SQUAMMEUSE .

CCCXCVIII . L'espèce de lèpre dont nous allons tracer le ta


bleau , est celle que l'on désigne vulgairement sous le nom de
Lepre des Grecs. Elle a une variété de formes qui a introduit
beaucoup de confusion dans les descriptions diverses qu'on en a
données. En effet , beaucoup d'auteurs ont désigné comme des ma
ladies particulières , des degrés ou des modifications différentes
de la même maladie . Pour ce qui me concerne , je me bornerai à
caractériser cette lèpre , d'après la nature de son éruption.
Ceux qui sont atteints de la lèpre squammeuse , ont la peau

âpre , sèche et recouverte d'une poudre farineuse , ou de quelques


écailles analogues. Ces écailles , presque toujours blanches , se ré
pandent d'abord sur le cuir chevelu et sur la nuque ; il est des
individus qui ont la tête comme couverte d'une croûte calcaire ,
au travers de laquelle percent quelques cheveux rares , blanchâ
MALADIES DE LA PEAU. 73

tres et lanugineux . Si l'on gratte les autres parties du corps ,


principalement les cuisses et les bras , ces parties prennent aussi
tôt une couleur cendrée , et finissent par blanchir entièrement.
Ce genre d'altération a été fréquemment remarqué dans la pro
vince des Asturies.

Les écailles de cette lèpre se multiplient et se recouvrent suc


cessivement au point de former , par ce moyen , des croûtes épais

ses ; quelquefois , elles se détachent spontanément du système


dermoïde , et ne tardent pas à être remplacées par d'autres. Ce
renouvellement des écailles , caractérisoit spécialement une lèpre
squammeuse que M. Valentin a eu occasion d'observer à Mar
seille : la peau dépouillée étoit rouge et inégalement enflammée .

C'est un spectacle bien singulier que celui que présente l'al


phos , dans l'Éthiopie et dans tous les pays chauds , dont les ha
bitans ont la maladif, leur peau
peau d'un brun foncé. Par l'état
noirâtre se couvre de taches blanches , qui contrastent singulière
ment avec la noirceur naturelle des tégumens : ces deux couleurs
qui se heurtent , rendent le corps difforme et monstrueux à con
templer.
La lèpre squammeuse excite quelquefois un prurit si considé
rable , que les malades se déchirent impitoyablement la peau avec
leurs ongles , dont l'empreinte devient le foyer horrible d'autant
d'ulcérations .

Improba mordaci serpens prurigine Lepra,

a dit énergiquement un grand poète . Mais ce qu'il y a de plus dé


solant , c'est que les lépreux ne trouvent aucun secours , aucun

refuge contre ces démangeaisons . S'ils se plongent dans le bain ,


ils y éprouvent des crises si douloureuses , que l'eau qui les touche
2 10.
74 MALADIES DE LA PEAU .

est bientôt rougie de leur sang ; s'ils sont dans leur lit , la chaleur
du sommeil les irrite plus vivement encore .
Il arrive , pour la lèpre , un phénomène absolument semblable
à celui qui survient dans certaines espèces de dartres . D'abord ,
on n'aperçoit que des cercles distincts répandus çà et là sur la pé
riphérie des tégumens ; mais , par les progrès de la maladie , ces
cercles s'unissent et forment de larges incrustations. On en voit
dont tout le corps est blanc et écailleux ; alors tous les membres
sont dans un état de torpeur , d'engourdissement général et d'in
sensibilité , etc.
Pourtant , il est assez rare que la lèpre squammeuse , désignée

sous le nom de vitiligue , soit universelle , quoique les auteurs en


citent des exemples. Les taches écailleuses et circulaires qu'elle
produit, se bornent ordinairement à certaines parties du corps ;
leur vrai caractère , comme je l'ai déjà dit , est d'être plus dépri
mées que les parties environnantes , selon l'observation de tous

les siècles , et d'être bornées par une aréole rouge et rosée : la


peau est comme creusée , à mesure qu'elle se dessèche et se rac
cornit.
L'altération du tissu épidermoïque se propage quelquefois jus

qu'aux ongles des pieds et des mains ; ces ongles s'épaississent ,


s'allongent , souvent se recourbent et s'enfoncent dans la substance

propre des chairs : ils acquièrent une difformité remarquable. Ce


qu'il y a de plus surprenant , c'est qu'une croûte lépreuse puisse
ainsi envelopper tout le corps , et intercepter la transpiration sur
une surface aussi étendue , sans que ce phénomène ait des suites
funestes.

On a souvent signalé sous le titre de lèpres , des dartres qui


étoient parvenues à un très- haut degré d'intensité ; mais qui ne
sait que la vraie lèpre affecte plus profondément les chairs , et

les réduit souvent à un état de fonte et de colliquescence ? D'ail


leurs les écailles qu'elle forme , sont d'une consistance plus dure
MALADIES DE LA PEAU. 75

et d'une surface beaucoup plus étendue : les ravages qu'elle pro

duit laissent , après la guérison , la peau toute cicatrisée.


Quelquefois la lèpre se manifeste avec des symptômes super
ficiels , et c'est alors qu'elle prend le nom d'Alphos ; les écailles
ont alors peu de circonférence ; ce ne sont que de légères aspéri
tés , ou de petites écailles blanches et poudreuses , dont la partie
moyenne s'affaisse et se déprime . Dans cette circonstance , elle

gagne rarement toute la surface du corps ; elle ne s'attache qu'à


certains endroits : ce sont , pour me servir des expressions de
Celse , comme des gouttes ou des taches disséminées çà et là , et
laissant entre elles des intervalles considérables .

Tantôt , les écailles qui recouvrent le corps , ont la couleur d'un


blanc de neige ou de farine ; tantôt elles sont d'une couleur gri
sâtre ; tantôt enfin , elles sont d'une couleur foncée et livide. Lors

que les écailles se soulèvent , on voit suinter de la peau un fluide


lymphatique , souvent mêlé d'une matière sanguinolente et comme
corrompue ; elles ne tardent pas à tomber , et elles sont alors

remplacées par des incrustations nouvelles : c'est surtout lorsque


la lèpre se complique d'une affection scorbutique , qu'elles se
détachent avec la plus grande facilité. Comme cette dernière n'at
taque que des individus misérables et ceux qui vivent dans les
lieux malsains , l'irritation s'accroît de plus en plus , et il se ma
nifeste des ulcères dégoûtans ; il arrive , dans d'autres cas , que
la peau ne subit point ce dépouillement périodique dont nous

avons parlé, et que les écailles sont permanentes.


Lorsque la lèpre squammeuse est très - avancée , les jointures
et les articulations semblent être frappées d'une sorte de stupeur
et d'immobilité. La faculté sensitive s'anéantit. Les ongles se cor

rompent et tombent ; les cheveux changent de couleur. Il se dé


clare des sueurs nocturnes et une maigreur déplorable. Les tégu
mens restent desséchés et rudes. Vous croiriez voir des quadrupèdes
épilés. Quel tableau nous offririons à nos lecteurs , si nous vou
DIES
76 MALA DE LA PEAU.

lions retracer ici toutes les complications de la lèpre squam


meuse ! On a vu des malades qui , indépendamment de la vitiligue
dont ils étoient atteints , étoient en proie à des affections artriti
tiques ou rhumatismales . On a vu des enfans se couvrir d'une
vitiligue noire , après avoir éprouvé la gourme muqueuse , ou au

tres éruptions auxquelles ils sont communément sujets . La lèpre


squammeuse peut également se combiner avec les dartres , la

gale , les scrophules , avec toutes les maladies qui attaquent plus
ou moins profondément le système lymphatique.

Au surplus , alors même que la lèpre se manifeste dans son


état de simplicité , il est aisé de voir que l'irritation qu'elle pro

duit est très-profonde , et que tous les tissus cutanés en sont at


teints. On en voit la preuve dans cette sanie fétide qui stagne sous
les écailles et dans de larges fissures ; l'engorgement général des
glandes , la chute des ongles et des cheveux , les diarrhées colliqua
tives , le marasme , cette lassitude affreuse dans laquelle languis
sent tous les membres , et bien d'autres symptômes , prouvent
que le système entier est dans un état de dissolution et de cor
ruption universelle .

Il importe de bien distinguer la lèpre squammeuse des autres


affections cutanées avec lesquelles on lui a trouvé de la ressem
blance et de la connexité : tels sont les dartres , les teignes , les

exanthêmes prurigineux , etc.; car ces dernières maladies pré


sentent aussi des squammes , des aspérités , des ulcérations , des
fissures , des gerçures , etc. Mais la lèpre a des symptômes qui lui
sont propres : telles sont la chute des cheveux , des sourcils , ainsi
que des poils du menton , et la perte successive de la sensi
bilité.
La lèpre squammeuse est subordonnée à l'influence des sai

sons et des variations atmosphériques . Il conste qu'elle a des exa


cerbations qui se déclarent principalement au printemps. Le
grand observateur Forestus avoit eu soin de faire cette remarque ;
MALADIES DE LA PEAU. 77

mais tous les accidens de la maladie se déploient aussi durant les


froids rigoureux de l'hiver.
Les pathologistes ont établi plusieurs distinctions fondées sur
diverses nuances qui caractérisent cette espèce de lèpre ; mais
ces distinctions peu importantes n'expriment que différens degrés
de la même affection . Quelquefois l'alphos se change en leuce ,
le leuce en lèpre tyrienne , etc. On a vu même , à ce qu'on as
sure , la lèpre squammeuse dégénérer à un point extrême , et
manifester successivement tous les symptômes de l'éléphantia
sis , etc. Mais aucun fait irrécusable ne confirme cette complica
tion , et peu d'espèces en nosographie sont aussi constatées et dé
terminées que celle que nous venons de décrire .

OBSERVATIONS RELATIVES A LA LÈPRE SQUAMMEUSE.

CCCXCIX . Première Observation . J'ai observé , à l'Hôtel-Dieu


de Paris , un exemple très-intéressant de cette lèpre squammeuse
que les auteurs désignent dans leurs ouvrages , sous le titre de
lepre des Grecs , à laquelle ils ont donné les noms de leuce ,
d'alphos , de morphæa , etc. C'est le vitiligo des Latins. Mon
collègue Recamier donnoit des soins à la femme qui en étoit at
teinte. La malade étoit d'une stature grêle et petite , âgée d'envi
ron trente-cinq ans : elle se disoit née de parens malsains. Cette
disposition maladive se manifesta dès son enfance , car elle fut
sujette à la teigne . On lui administra dans les hôpitaux les soins
qui conviennent en pareil cas ; mais elle conserva pendant long
temps les glandes du col très-engorgées. On fut d'ailleurs con
traint de lui pratiquer une opération pour une fistule lacrymale ,
qui se déclara soudainement chez elle , et qu'on ne parvint point
à guérir. Cette malheureuse femme éprouva , dans le cours de sa
S
IE
L AD AU
78 MA DE LA PE .

vie , une foule d'autres accidens . Elle fit des chutes qui lui cau
sèrent des hémorragies. Elle fut mordue au bras par un chien en
ragé : le célèbre Desault la cautérisa . Malgré la conduite régulière
qu'elle menoit , les glandes de ses aines se tuméfièrent . Quelques
années après , on jugea convenable de traiter cette affection par
les préparations mercurielles : elle entra pour cet objet à l'hôpital
des vénériens. On lui administra , par la voie des frictions , jusqu'à
trente-deux gros d'onguent napolitain. Ce remède eut des incon

véniens ; il provoqua la salivation , et fit naître des ulcères dans


l'intérieur de la bouche. Nouvel accident ; la malade contracta une

affection psorique , qu'elle garda plusieurs années. Un flux de ven


tre l'exténuoit à un degré difficile à peindre. Son existence fut
désormais très-douloureuse . Lorsque cette femme eut atteint l'âge
de quarante - quatre ans , il lui survint au menton une sorte

d'éruption croûteuse , qui offroit l'aspect d'une dartre , et qui se


dirigeoit vers l'une des régions latérales et supérieures de la poi
trine cette éruption parut céder à des fumigations , et à l'usage
long-temps continué des boissons émollientes. Ce fut environ un
an après , qu'ayant reçu un coup violent dans les seins , il se ma
nifesta , principalement sur le sein gauche , une multitude de

petites pustules blanches , qui arrivoient à suppuration ; ces pus


tules se propagèrent jusque sur la partie intérieure et inférieure

du thorax. La malade y éprouvoit une chaleur cuisante. Enfin


quelques mois s'étant écoulés , on vit paraître sur le sein maigre
et flétri , que j'ai fait peindre dans cet ouvrage. (Voyez la plan
che XXX ) , des taches d'un gris cendré , qui suivoient d'abord le
niveau de la peau : ces taches étoient bornées par un cercle rou
geâtre , d'un rose pâle ; d'ailleurs , les tégumens voisins étoient sains .
Ensuite parurent d'autres taches. Les premières se desséchoient
et contractoient une couleur brunâtre ; le cercle restoit de la même
étendue , mais il étoit d'un rouge beaucoup moins vif. On peut voir
toutes ces différences dans la figure que j'en ai donnée . Les taches
MALADIES DE LA PEAU. 79

se desséchoient avec le temps , et se raccornissoient , en quelque


sorte, à diverses époques de leur existence. Elles présentoient les
modifications suivantes : 1º les taches ou squammes récentes gar

doient exactement le niveau des tégumens , et l'aréole qui les en


vironnoit , étoit d'un rouge très-vif; leur couleur étoit d'un gris
de perle ; quelquefois elles étoient d'un blanc nuancé de jaune ;
elles étoient rénitentes au toucher ; ensuite , à mesure que les taches

croissoient , elles sembloient noircir , se raccornir et se déprimer :


l'aréole se conservoit , mais la partie malade étoit totalement dé
pourvue de sensibilité ; 2º enfin elles devenoient d'une consistance

très-dure , pour ainsi dire coriace , et le cercle aréolaire s'effaçoit


entièrement. On voyoit sur quelques parties de ce même sein ,
des vestiges d'anciennes écailles tout-à-fait desséchées après la
chute de ces mêmes écailles , la peau restoit cicatrisée . Telle étoit

la marche lente , mais régulière , que suivoit cette funeste maladie.


Toutes les fois que les taches avoient parcouru leurs diverses pé
riodes , on n'apercevoit plus sur la peau que des taches brunâtres ;
mais l'aréole étoit entièrement effacée . Il parut ultérieurement
quelques taches superficielles , qui noircissoient rapidement , sans
présenter aucune dépression . Enfin , après avoir long-temps langui
dans les hôpitaux , cette femme a fini par succomber sous le poids
de ses longues souffrances. Lorsque j'ai eu occasion de l'observer ,
elle étoit tourmentée d'un dévoiement qui lui enlevoit toutes ses
forces.
Deuxième Observation. ――――- Il s'est présenté à moi une malheu

reuse femme de Saint-Domingue , qui étoit en proie à toutes les


horreurs de l'indigence. Dans le vaisseau qui l'avoit portée en
France , elle avoit vu se développer , à l'articulation de ses deux
coudes et le long de ses bras , des plaques blanches affectant une
forme circulaire , déprimées et environnées d'un bord de couleur
pourprée ; bientôt il s'en déclara deux à la partie antérieure du
sternum : il y en avoit pareillement à la nuque. Sous ces plaques ,
80 MALADIES DE LA PEAU.

existoient des ulcérations qui rendoient une sanie purulente ; cette


affection fit de tels progrès , que la femme en devint aveugle :

elle a disparu , sans qu'on ait pu savoir ce qu'elle étoit devenue .


Troisième Observation. ―――――― Rien de plus intéressant pour les

progrès de notre art , que l'histoire d'Élisabeth Cayol , non réglée ,


qui m'a été communiquée par M. Valentin , de Marseille , l'un
des médecins modernes qui ont été le plus attachés à la médecine
d'observation. La fille dont il est question , et qui vit encore , est

native des environs de Marseille ; elle quitta son lieu natal , et fut
admise à l'Hôtel- Dieu de cette ville pour y être traitée d'une lèpre
squammeuse qui s'étoit étendue sur l'universalité des tégumens .
Cette fille étoit recouverte , sur tout le corps , d'une enveloppe ou
croûte grisâtre , que M. Valentin compare , avec beaucoup de rai
son , à la peau d'un éléphant épilé. J'ai été à même de juger de la

vérité de cette observation , par les échantillons d'écailles qu'il a


bien voulu me faire parvenir , et que j'ai maintenant sous les yeux .
Ces écailles ou croûtes étoient plus blanches au cou et au visage ;
elles étoient remarquables par leur consistance et par leur épais
seur , ainsi que par leur étendue ; elles se détachoient périodique
ment et par fragmens , comme il arrive aux serpens et aux autres
reptiles qui changent de peau : elles n'étoient d'ailleurs séparées
entre elles par aucun intervalle. On eût dit que cette infortunée
malade étoit , pour ainsi dire , vêtue de cette enveloppe mons
trueuse , jusqu'à l'entrée du vagin et du rectum . Quelle situation

déplorable étoit la sienne ! Ce bouclier hideux interceptoit l'organe


des sensations . Lorsqu'on examinoit attentivement la peau dé
pouillée et privée de son épiderme , on n'y voyoit aucune altéra–
tion ; il n'en suintoit aucune matière purulente ; elle conservoit
toujours le même luisant , le même poli . La tête présentoit un spec
tacle horrible . Elle étoit coiffée d'une calotte épaisse , partagée en
deux parties égales d'avant en arrière , etc.; au travers de cette
calotte , passoient une multitude de cheveux noirs et hideusement
MALADIES DE LA PEAU. 81

entortillés. M. Valentin examina attentivement les urines de la

malade ; elles étoient noires , d'une odeur insupportable ; les selles


n'étoient pas moins repoussantes par leur excessive fétidité. On

ne pouvoit même approcher de cette fille , sans être affecté de la


manière la plus désagréable. L'odeur lépreuse que j'ai eu occasion
d'étudier , a beaucoup d'analogie avec celle qui se fait sentir dans
la petite vérole confluente , durant la desquammation : on observa ,
du reste , que l'éruption épouvantable dont il s'agit , s'effectua dans
l'espace d'environ six semaines. On administra à Élisabeth Cayol
des bains savonneux ; on la frictionna avec de l'huile. La peau fut
absolument nettoyée par ces moyens simples ; on voyoit seulement
çà et là quelques plaques furfuracées. Il s'étoit déclaré sous le
menton un abcès , qui parvint spontanément à suppuration . D’ail
leurs , la jeune malade avoit recouvré un état parfait de santé : ses
ongles n'avoient rien que de naturel . Il paroît , du reste , qu'elle
avoit été frappée de cette éruption lépreuse à six reprises diffé
rentes. C'est à dix -huit mois qu'elle en fut d'abord atteinte. La
maladie ressembloit alors à une espèce de gourme muqueuse , dont

la tète , le col et la poitrine étoient spécialement attaqués. Élisa


beth , parvenue à l'âge de deux ans , eut , à la plante de ses deux
pieds , une croûte épaisse qui gênoit singulièrement la progression :
cette croûte se détacha spontanément . A trois ans et demi , le cuir
chevelu subit une incrustation dans toute sa surface ; incrustation
qui s'enleva avec la même facilité qu'une perruque , par l'appli
cation d'un mélange de cendres et d'huile d'olives. A quatre ans ,
tous les tégumens furent envahis ; six mois après , guérison com
plète. A neuf ans , nouvelle éruption sur le corps , à la paume des

mains , ainsi qu'à la plante des pieds. M. Valentin prétend que

cette robe squammeuse dura trois mois. A treize ans , encore une
éruption qui dura le même temps , et qui est parfaitement guérie
àl'instant où l'on me communique l'observation .
CCCC. Nous aurions pu sans doute consulter les divers auteurs,
2 II.
82 MALADIES DE LA PEAU.

et rapprocher ici toutes les observations qu'on a publiées sur cette


variété de la lèpre squammeuse ; mais le peu de faits qu'on a ras
semblés , n'ont point été décrits avec assez de fidélité et de préci
sion : on s'est souvent mépris sur les symptômes. Or , le but de la
méthode analytique que j'ai adoptée , est d'élaguer de cet ouvrage
tout ce qui est douteux et équivoque . N'est-ce pas l'unique moyen
de débrouiller la confusion qui règne dans la monographie des
lèpres ?
*

"
Lipre Crustacie

trané à la Calcographie Royale de J.boabund. Imprimé dans le même établissement, à Bruxeller


ESPÈCE DEUXIÈME.

LÈPRE CRUSTACÉE. LEPRA CRUSTACEA . ( PLANCHE XXXI.)

Lepre se manifestant sur une ou plusieurs parties des tégumens par des croûtes tubercu
leuses , inégales , sillonnées , et qui offrent beaucoup d'aspérités et de profondes gerçures.
Les croûtes , qui forment de larges plaques sur les tégumens , ont beaucoup plus d'éten
due et d'épaisseur que celles des dartres. Elles laissent après leur chute des cicatrices
indélébiles.
OBS. Cette lèpre offre plusieurs variétés ; je ne citerai que les suivantes :
A.LA LÈPRE CRUSTACÉE VULGAIRE. Lepra crustacea vulgaris. - — Cette variété est celle
qui mérite proprement le nom de lepre. Ceux qui en sont atteints , après avoir passé
plusieurs jours dans un état de débilité et de mélancolie sombre , voient successivement
se manifester sur la périphérie du système dermoïde , des tubercules pustuleux , qui se
convertissent en croûtes rugueuses , âpres et dures. Ces croûtes , qui sont d'abord d'un
-
jaune verdâtre , noircissent en se desséchant ; elles servent , en quelque sorte , de cou
vercle à de petits abcès , qui contiennent une liqueur ichoreuse ou purulente , d'une odeur
très-fétide.

B. LA LÈPRE CRUSTACÉE SCORBUTIQUE. Lepra crustacea scorbutica. -


— Cette variété de
la lèpre s'observe particulièrement dans la province des Asturies , en Espagne. Les habi
tans lui donnent le nom vulgaire de Mal de la rosa , à cause de la rougeur excessive qui
se manifeste sur les tégumens avant la formation des croûtes. Ces croûtes , de couleur cen
drée et rudes au toucher , sont d'un aspect hideux ; elles sont marquées et traversées par
des sillons profonds , ou par des fissures qui pénètrent la peau jusqu'au vif, et sont accom
pagnées d'une grande douleur. Elles occupent ordinairement les métacarpes et les méta
tarses ; quelquefois elles s'étendent en forme de collier à la partie antérieure et inférieure
du col , de l'une à l'autre clavicule . D'autres croûtes descendent en avant en forme d'ap
pendice jusque vers le milieu du sternum . Casal, célèbre espagnol , a décrit et fait dessiner
cette maladie. Les symptômes les plus constans de cette variété de lèpre , sont : 1º une va
cillation continuelle de la tête , au point que les malades ne peuvent jamais rester dans un
repos parfait. Casal parle d'une femme qui se balançoit comme un roseau battu par le vent,
et qui étoit obligée de rétablir à chaque instant l'équilibre , en portant ses pieds en avant ;
84 MALADIES DE LA PEAU.

2º une ardeur douloureuse de la bouche , des vésicules aux lèvres , la langue chargée ;
3º la débilité de l'estomac , une lassitude générale , principalement aux cuisses ; 4º des
croûtes sur les métacarpes et les métatarses , en sorte que ces parties paroissent quelquefois
comme brûlées. Cette ardeur dévorante qui les consume , augmente par la chaleur du lit ;
ils ne peuvent supporter aucune température extrême ; ils pleurent pour la moindre chose ,
et même sans cause connue , etc.
C. LA LEPRE CRUSTACÉE, vulgairement appelée le MAL-MORT. Lepra crustacea Malum
Mortuum. -Cette variété est la lèpre commune de nos climats. Mes prédécesseurs me
paroissent l'avoir décrite exactement et avec tous les détails propres à la faire bien con
noître. Les Arabes en font néanmoins mention. Cette hideuse maladie se manifeste par des
pustules , qui se recouvrent de croûtes larges , profondément sillonnées , tuberculeuses , de
la couleur d'un jaune verdâtre , laissant , après leur chute , la peau cicatrisée. Cette érup
tion attaque principalement les bras , les cuisses et les jambes ; mais je l'ai observée égale
ment au visage et à la partie antérieure de la poitrine. Cette maladie porte une atteinte
profonde à toutes les fonctions. Ceux qui l'éprouvent , sont dans un état de marasme et de
langueur ; lorsqu'elle attaque dans le bas âge , elle interrompt la marche de l'accroissement.
J'en citerai un exemple bien digne d'attention ; c'est celui d'une fille qui , à l'âge de vingt
ans , paroissoit n'en avoir que dix . Chez elle , toutes les fonctions étoient dans un état de
stagnation et comme dans une espèce de mort.
D. LA LEPRE CRUSTACÉE SYPHILITIQUE. Lepra crustacea syphilitica.·- Cette variété
de lèpre , dont je parlerai plus amplement , lorsque je traiterai des maladies vénériennes ,
est caractérisée par des boutons pustuleux , croûteux et tuberculeux , arrondis , inégaux ,
très- élevés au-dessus de la peau ; certains de ces boutons sont rapprochés et comme con
fondus ; d'autres sont entièrement isolés. Les croûtes surtout , dont la couleur est d'un jaune
verdâtre , affectent différentes figures ; tantôt elles sont épaisses , offrent des aspérités
affreuses qui sont quelquefois déprimées dans leur centre, et qui , d'autres fois, sont fendil
lées et sillonnées dans toute leur étendue ; tantôt elles sont proéminentes et mammelonnées
comme des stalactites. On voit des malades dont le front est comme hérissé de tubercules
horribles ; sous les croûtes se trouve souvent une matière puriforme qui est d'une grande
fétidité.
MALADIES DE LA PEAU. 85

TABLEAU DE LA LEPRE CRUSTACÉE .

CCCCI . On a souvent confondu cette maladie , soit avec la lèpre


squammeuse , soit avec l'éléphantiase ou lèpre tuberculeuse . Sa

description exacte fixera sans doute la ligne de démarcation qu'il


faut établir entre les différentes espèces. Nous avons cru devoir la
désigner par le caractère de son éruption dominante . En général ,
cette maladie se manifeste par des croûtes rugueuses , âpres et sil

lonnées , lesquelles sont le résultat de l'épaississement d'une ma


tière ichoreuse et purulente .

Cette apparition de croûtes lépreuses est précédée par d'autres


symptômes. Avant que le mal éclate sur le système dermoïde , les
malades sont atteints d'une morosité sombre et d'une accablante

mélancolie ; ils ne peuvent triompher de l'état de tristesse qui les


gagne. Il survient dans les forces un état extraordinaire de lassi

tude et de foiblesse , qu'aucun repos ni aliment ne sauroient répa


rer. Souvent aussi , les malades n'éprouvent rien qui fasse soup
çonner l'invasion profonde de cette éruption affreuse ; et , la lèpre
a déjà poussé des racines profondes , qu'on s'aperçoit à peine du
danger qu'elle entraîne.
Cependant , on voit paroître sur les tégumens des pustules ou
furoncles d'une teinte bleuâtre et comme livide. Ces pustules se

rassemblent par grouppes à la surface cutanée , et présentent ,


comme je l'ai déjà dit , des aspérités hideuses qu'on ne peut con
templer sans une espèce de dégoût , et souvent même sans une
sorte d'effroi toute la face en est horriblement dégradée . Ces

végétations croûteuses , d'une forme pyramidale ou mammelon


née , mettent beaucoup de temps à se développer , et à atteindre
leur entier accroissement ; quelquefois , elles sont disséminées çà
86 MALADIES DE LA PEAU.

et là sur la périphérie de l'appareil tégumentaire , au point que


le corps en paroît , pour ainsi dire , hérissé ; quelquefois aussi , elles
forment des plaques étendues à la partie postérieure du tronc ;
plus souvent encore , les membres du corps en sont tellement re
couverts , qu'ils éprouvent une sorte de gêne dans les mouvemens
articulaires. Les croûtes lépreuses sont assez constamment dans un
état de siccité ; toutefois , on voit , dans quelques occasions , suinter
de leur base une humeur purulente qui est d'une couleur jau
nâtre , et d'une fétidité insupportable. Lorsque les malades les
arrachent avec violence , il s'en écoule un sang noirâtre ; dès-lors ,
des croûtes nouvelles ne tardent point à se former.
La peau éprouve des altérations qu'il est intéressant de faire
connoître. Elle devient rugueuse , raboteuse , inégale , acquiert
une consistance épaisse , et quelquefois lardacée ; la peau du visage
surtout s'altère à un point extraordinaire : elle prend une couleur
bronzée , cuivreuse et livide . Pallas a vu des lépreux dont le visage
étoit devenu violet. On sent que de pareils désordres doivent ren
dre les tégumens imperméables , et interrompre l'exercice de la
transpiration. Les obstacles que trouve alors la fonction des exha
lans , doit influer sur la nature de l'exhalation pulmonaire , qui , le
plus souvent , est pestilentielle .
Il n'est pas rare de voir qu'il s'établit une irritation vive dans
la membrane muqueuse qui tapisse les sinus frontaux et les fosses
nasales. Une jeune malade , dont je citerai plus bas l'observation ,
rendoit par cette voie une matière qui paroissoit être éminemment
acrimonieuse et presque corrosive ; c'est sans doute cette irritation
morbifique , plus ou moins continuée , qui épaissit les lèvres et di
late prodigieusement les narines : il y survient souvent des ulcères
d'une très-mauvaise nature ; on en remarque pareillement sur
la voûte du palais et dans toute la gorge .
Les fonctions intérieures s'exécutent avec une sorte de trou

ble et de difficulté ; l'estomac et le conduit intestinal partagent les


MALADIES DE LA PEAU. 87

altérations morbifiques du système dermoïde : les forces digestives


languissent. Les malades ont une répugnance constante pour les
meilleurs alimens . Par fois , l'organe du goût est dépravé et n'ap
pette que des substances nuisibles ; aussi les malades tombent - ils

dans un état de marasme qui fait journellement des progrès. Tou


tes leurs sécrétions se pervertissent ; celle des larmes contracte
une telle dégénération , que les bords des paupières sont rongés et
ulcérés. Les urines sont sales , terreuses , jumenteuses , etc.

Chez certains individus , aucun mouvement de fièvre ne se ma


nifeste dans les premières années de la maladie ; chez d'autres , les
désordres de la circulation s'annoncent dès le commencement .

Lorsque la lèpre est très - avancée , le pouls est foible et d'une


extrême petitesse ; c'est à cette même époque des progrès de l'affec
tion , que les malades ne respirent qu'avec une douloureuse op
pression , laquelle redouble par intervalles.

Les ulcères lépreux sont d'une très-longue durée : la matière


purulente qui s'en échappe , est d'une qualité si caustique , que

les tégumens , les cartilages , les os , en sont corrodés. M. Bonpland,


au retour de ses voyages , m'a remis des dessins de lépreux , dont
les doigts avoient été successivement sphacélés. Est-il un spectacle
plus affreux ! Cette horrible décomposition s'effectue progressive

ment et toujours par des accidens inattendus. Un lépreux vit un


jour les doigts de ses mains se couvrir d'un exanthême qui étoit
d'un
rouge foncé , mais qui , d'ailleurs , n'étoit point douloureux .
La nuit suivante , ses doigts tombèrent en putréfaction . On a vu
la
peau entière frappée de gangrène et tomber en lambeaux chez
ces infortunés , ainsi que des membres entiers se détacher du corps
des individus .

Parmi les symptômes qui caractérisent cette lèpre , en est-il un


plus déplorable que cette insensibilité devenue , pour ainsi dire ,
générale sur tout le système tégumentaire ! C'est sans doute parce
que la peau s'épaissit considérablement , que les nerfs perdent la
88 MALADIES DE LA PEAU.

faculté de sentir . On assure qu'on peut l'inciser , sans provoquer

aucune douleur . Toutefois , ce phénomène n'existe pas toujours


dans la lèpre crustacée , car la faculté sensitive n'avoit subi au
cune altération chez deux individus que nous avons observés à
l'hôpital Saint-Louis . Ce qu'il y a de positif , c'est que les énormes
pustules qui se développent sur la peau , n'excitent presque pas

de démangeaisons ; quelquefois même ces démangeaisons sont


nulles. S'il y a des douleurs , elles sont obtuses : on diroit qu'elles
n'ont lieu que dans l'intérieur des os et des articulations .
La lèpre crustacée reçoit une impression particulière du climat
où elle se développe : elle est modifiée par les influences atmos
phériques. J'ai déjà fait mention des singularités remarquables
qu'offre la lèpre des Asturies. Cette variété rappelle d'une manière
parfaite la lèpre rouge mentionnée par les auteurs grecs . Ce sont
des pustules livides , rassemblées en corymbe , environnées de ta

ches jaunes qui se convertissent en croûtes sordides , irrégulières


et sanieuses , lesquelles occupent principalement la face , les na
rines , etc.; les gencives sont sanguinolentes , fétides et fongueu
ses ; la langue se couvre d'un gluten blanchâtre . Sur les lèvres et à

la face interne des joues , se développe une phlogose douloureuse ,


avec éruption de vésicules semblables à celles que forme le con
tact de l'eau bouillante : le scorbut a communiqué son empreinte
à cette affection .
Dans les pays très-chauds , et dans la saison brûlante de l'été ,

la peau se purifie et se nettoie momentanément de toutes ses croû

tes ; sans doute parce que , dans cette saison , la transpiration aug
mente considérablement ; mais au printemps , on voit reparoître
dans toute leur intensité les stigmates de cette dégoûtante mala
die. Les individus frappés de cette variété de lèpre , ont une telle
inaptitude pour le mouvement , qu'ils ont beaucoup de peine à ne
pas chanceler dans les rues : il y en a dont les pieds sont comme
glacés. La lèpre crustacée se prolonge plusieurs années. Il n'arrive
MALADIES DE LA PEAU. 89

guère que les malades meurent promptement. Lorsqu'ils par


viennent à la guérison , leurs cicatrices restent toute la vie .

OBSERVATIONS RELATIVES A LA LÈPRE CRUSTACÉE .

CCCCII . Première Observation . - La lèpre crustacée vulgaire a


été observée à l'hôpital Saint- Louis. Dans le courant de l'an XII ,
nous reçûmes Anne Méthivier , étoffière en soie , d'un tempéra
ment bilieux , et ayant les cheveux très-bruns . Elle étoit née d'une
mère phthysique , et son grand-père étoit mort d'une affection
.
lépreuse ; elle-même n'avoit joui que d'une santé très -foible dans
son enfance . Elle ne fut réglée qu'à l'âge de trente ans . Le flux
menstruel fut toujours très-abondant ; et , à l'époque de sa cessa
tion , cette femme n'en fut aucunement incommodée. Cinq mois
après elle fut atteinte tout à coup d'une maladie fort singulière ,
qui présenta des phénomènes différens dans les diverses parties
où elle se développa . D'abord , il se déclara spontanément sur les
cuisses , dans le court espace d'une nuit , une douzaine à peu près
de tubercules rouges , de la grosseur d'une noix ou même d'un
moindre volume , ne faisant éprouver aucune douleur , et ayant
quelque analogie avec des furoncles. Après avoir resté ainsi indo
lens pendant l'espace de cinq ou six jours , ils se déchirèrent par
leur sommet , s'épanouirent à la manière d'une grenade , pour me
servir de l'expression de la malade , et bientôt après il suinta , de
leur intérieur , une humeur d'une couleur jaune , verdâtre , assez
épaisse , laquelle étant desséchée , forma des croûtes brunâtres ,
inégales , très -luisantes dans certains points où elles sembloient
être le produit d'une cristallisation . Quelques-unes de ces croûtes
étoient contournées à la manière des coquilles de limaçons ; elles
étoient environnées d'un cercle inflammatoire , se desséchoient et
2 12.

L
90 MALADIES DE LA PEAU.

tomboient après un temps plus ou moins long. Lorsque les croûtes


s'étoient détachées , on voyoit alors la peau à nu , ayant une cou
leur amaranthe ; elle étoit beaucoup plus foncée vers les bords

élevés en forme de bourrelet , qu'au centre , où elle avoit une


teinte pâle , et ne paroissoit que très-peu gonflée. La maladie se
montra ensuite aux jambes , aux lombes et aux bras ; enfin on vit
bientôt suinter les divers points de la surface de la peau , qui
n'étoit aucunement malade , du moins en apparence , et qui n'of
froit aucune trace d'inflammation , un fluide ichoreux , semblable
à celui fourni par les tubercules précédens , qui , peu à peu , s'ac

cumula , se consolida , en formant des croûtes rondes , déprimées


vers leur centre , très-proéminentes à leur circonférence , de ma
nière à représenter une espèce d'alvéole ou de godet. Cette élé
vation des bords , qui étoit d'autant plus grande , que la maladie
étoit plus ancienne , tenoit à ce que , dans ces endroits , la peau
s'étoit tuméfiée peu à peu sous les croûtes , restant intacte au
centre. La lèpre dont il s'agit , affecta encore différentes formes
dans son développement : par exemple , au sourcil gauche , les
croûtes s'avançoient comme des pyramides , dont la base touchoit
la peau et dont le sommet se dirigeoit en avant ; après leur chute ,
il restoit des tubercules rouges , arrondis , de la grosseur d'un pois .

Aux deux côtés du col , elles étoient allongées transversalement à


l'axe de ces parties ; il y avoit des croûtes qu'on pouvoit comparer
à des espèces de cristaux qui s'engrènent les uns dans les autres ,
ce qui leur donnoit un aspect tout rocailleux et mural , si l'on peut
ainsi parler . Elles se détachèrent plusieurs fois et se régénérèrent
assez constamment avec la même forme ; lorsqu'elles tomboient
sans se reproduire , la peau restoit flétrie et cicatrisée . Ce qu'il y
avoit de remarquable dans cette lèpre , c'est qu'elle ne causoit au
cune douleur , pas même le plus léger prurit. Lors de son déve
loppement , il ne survenoit aucun trouble dans l'exercice des

fonctions ; la malade n'éprouvoit qu'une prostration extrême dans


MALADIES DE LA PEAU. 91

le système des forces , et à peine pouvoit - elle se remuer. Cette


femme a langui pendant deux années dans le plus déplorable état ;
elle est morte avec tous les accidens de la fièvre hectique.
Deuxième Observation . - Feu le professeur Leclerc me con

duisit un jour à l'hôpital Saint- Antoine , pour me faire observer


l'état de Marie-Claire Mathieu , âgée de cinquante -sept ans , céli
bataire. Son travail consistoit à vendre des gâteaux dans les rues.
Dans le temps de la disette , causée par les troubles de la révolution

française , les menstrues disparurent pour ne plus se montrer .


Alors la malade habitoit une chambre obscure , basse et étroite :
la pénurie absolue où elle se trouvoit , la plongea dans une mal
propreté insigne. Huit mois s'étoient à peine écoulés depuis la ces
sation des règles , lorsqu'elle fut atteinte d'une fièvre continue ,
à laquelle se joignoit un érysipèle caractérisé par un gonflement
considérable , qui étoit douloureux et empêchoit la progression.
Transportée alors à l'Hôtel-Dieu , on appliqua des compresses bai
gnées d'eau de sureau , sur la partie affectée . Au bout de sept se
maines ce gonflement étoit diminué ; mais il parut au bas de la
jambe gauche , des espèces de végétations dures , noirâtres , etc.
Cette singulière production n'occasionoit ni douleur , ni déman
geaison ; aussi la malade abandonna l'hôpital , reprit ses travaux
accoutumés , fit de longues courses , etc. La maladie s'accrut fort
lentement depuis sa première apparition : les croûtes tuberculeu

ses tomboient néanmoins , soit spontanément , soit que leur chute


fût accélérée par des bains , des lotions , etc.; dans tous les cas ,
elles se reproduisoient . Quelquefois il s'écouloit un peu de sang

de la partie dénudée. Voici quel étoit l'état de la malade , le 7 avril


1807. Gonflement rénitent de la partie inférieure de la jambe gau
che , qui offroit une couleur rougeâtre ; peau épaisse et écailleuse .
Immédiatement au-dessus et sur l'articulation tibio- tarsienne et

les malléoles , il s'élevoit de la surface cutanée , une production noi

râtre , dure, solide , rugueuse , comme cornée , insensible , épaisse


92 MALADIES DE LA PEAU.

de deux à trois lignes , parsemée de sillons nombreux , les uns su


perficiels , les autres profonds , qui se coupoient en divers sens.
Une énorme quantité de pus existoit sous les croûtes et entre leurs
intervalles ; la sensibilité de la peau paroissoit un peu exaltée au
fond des scissures. Les fonctions intérieures ne tardèrent pas à se

déranger. Il survint un catarrhe pulmonaire accompagné d'une


débilité considérable et d'une dépravation dans les digestions , au
quel se joignit l'écoulement d'un sang clair , séreux , et en petite
quantité , par les narines. Voici les symptômes qu'on observoit
alors teint cachectique , bouche amère et pâteuse ; soif vive ; ano
rexie , langue humide , blanchâtre , sans enduit ; douleur à l'épi
gastre ; constipation ; peau sèche ; toux fréquente ; crachats mu
queux et légèrement sanguinolens ; oppression ; douleur sous
sternale ; sentiment de chaleur dans la poitrine ; pouls accéléré ,
mou et foible ; la respiration s'exécutoit avec aisance , mais il y
avoit peu de sommeil la nuit. La malade ne s'occupoit guère des
accidens qu'elle éprouvoit , et s'opposoit même à ce qu'on lui ad
ministrât des remèdes.
Troisième Observation. -Catherine Pichon , d'un tempéra

ment lymphatique , d'une constitution foible et irritable , ayant


les cheveux et les sourcils noirs , la peau d'un blanc mat , entra à
l'hôpital Saint-Louis , le 28 janvier 1806 , pour la deuxième fois .
Elle avoit été déjà traitée dans cet hôpital , trois ans auparavant ,
pour une affection lépreuse , qui avoit beaucoup diminué d'inten

sité ; mais il étoit resté quelques croûtes et quelques ulcérations


sur diverses parties du corps . On imagina alors que son séjour à la
campagne acheveroit sa guérison ; cependant la maladie reparut et
exerça de nouveau ses ravages . Son corps se hérissa tout à coup de
croûtes ; les unes grisâtres et tuberculeuses , et semblables à ces
cristallisations et ces stalactites que l'on remarque parfois aux
parois internes des grottes ; les autres croûtes , moins élevées , s'é
tendoient en largeur. Depuis ce temps , Catherine Pichon a séjourné
MALADIES DE LA PEAU. 93

dans plusieurs hospices . On a employé pour elle tous les moyens


connus. Les croûtes sont tombées : il s'en est formé d'autres , et

elle est arrivée à l'âge de dix - neuf ans , sans obtenir aucune gué
rison. Cette lèpre a même entravé la marche de la nature ; l'ac
croissement ne s'est point opéré , les glandes mammaires ne se sont
point développées , et l'on s'étonne , en examinant son corps , de

ne trouver aucun des attributs de la puberté : tout chez elle est


resté dans l'état d'enfance. La surface du système dermoïde offre
ou des croûtes , ou des ulcérations , ou des cicatrices ; sur les côtés
de la face sont des croûtes épaisses , jaunâtres , profondément sil
lonnées , qui s'étendent depuis les deux arcades zigomatiques ,
jusqu'aux deux angles de la mâchoire. On trouve à la partie exté
rieure de la poitrine , un tubercule arrondi qui s'élève en conser
vant la même forme ; ce tubercule est d'une couleur verdâtre , en
touré d'un cercle rougeâtre . Ces jours derniers , il y avoit une
croûte d'une largeur considérable qui couvroit le côté gauche et
la partie postérieure du bassin : elle étoit mince à la circonférence ,
épaisse vers le centre , où elle offroit des sillons plus ou moins pro
fonds ; elle présentoit aussi des excavations dans lesquelles étoient
enchassées des végétations charnues . Sur les jambes , et principa
lement sur la jambe droite , on voyoit des croûtes d'un moindre
volume , les unes blanchâtres , les autres grisâtres , et existant sur
une peau d'un rouge violacé . Sur les épaules , sur le dos , sur les

poignets et sur les pieds , on remarquoit de larges ulcérations su


perficielles , qui causoient à la malade des douleurs atroces toutes
les fois qu'on la pansoit ; le pus qui en découloit , étoit blanc et
séreux dans les endroits où il n'y avoit point de croûtes , ni de
cicatrices , la peau étoit sèche , ridée et flétrie . Elle n'avoit plus sa
souplesse , sa douceur et son coloris naturel. La malade étoit tour
mentée d'un dévoiement continuel ; elle étoit dans un état de mai
greur extrême : toutes ses fonctions étoient altérées .

CCCCIII . J'ai pensé qu'il seroit utile de rapprocher ainsi toutes les
94 MALADIES DE LA PEAU .

affections qui se rapportent à la lèpre crustacée , et de leur avoir


assigné la place qui leur convient. Ces maladies d'ailleurs méri
toient une description détaillée. Quelques auteurs avoient singu
lièrement négligé leurs caractères distinctifs . C'est ainsi que les
affections ordinairement indiquées sous les noms de Mal-mort,
Mal de la rosa , avoient été , sans raison , séparées du genre des

lèpres. Si la nature fait les espèces , c'est le climat qui fait les va
riétés : les phénomènes qui constituent ces variétés , tiennent ,
pour l'ordinaire , à des causes locales , ou à la construction parti
culière de certains peuples , etc.
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Lepre Tubercu

Gravépar Gonbandfils à laCaleographie Royale deJ.Govhand.Imprimé dans lemêmeétablissement. Bruneller


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Lire Lientine

brave par Naer, live à la CaloographicRoyale de J.Gouband Imprimédans lemèneitablement àBruseller.


ESPÈCE TROISIÈME .

LÈPRE TUBERCULEUSE. LEPRA TUBERCULOSA.

(PL. XXXII , XXXIII ET XXXIV. )

Lèpre , se manifestant sur une ou plusieurs parties des tégumens par des tubercules ou des
tumeurs , des végétations , des fongosités , qui rendent le corps des malades plus ou
moins difforme. La peau s'épaissit , devient dure , inégale , rugueuse , et offre l'aspect de
celle d'un éléphant. Les cheveux et les poils tombent ou blanchissent. Les membres
perdent la faculté de sentir.
Oes. Cette espèce de lèpre est celle qui a été la mieux décrite par les anciens. Le pinceau
d'Arétée nous l'a transmise avec les couleurs les plus énergiques et les plus fidèles. J'ai cru
devoir établir deux variétés principales de la lèpre tuberculeuse.
- Les phéno
A. LA LÈPRE TUBERCULEUSE LÉONTINE. Lepra tuberculosa leontiasis.
mènes les plus saillans de cette variété se font observer principalement sur le visage du
malade. La peau du front est traversée par des rides hideuses. Lepra exorta est in fronte
ipsius. Les lèvres sont considérablement épaissies , et les narines effroyablement dilatées.
Ces sortes de lépreux ont une voix rauque et comme rugissante ; les oreilles prennent un
accroissement prodigieux ; les yeux sont rouges , enflammés , scintillans : ils semblent im
primer la terreur et peindre la colère , etc. Tous ces accidens pathologiques donnent aux
malades l'air et la physionomie terrible du lion.
- Les
B. LA LEPRE TUBERCULEUSE ÉLÉPHANTINE. Lepra tuberculosa elephantiasis. —
phénomènes de cette variété se manifestent principalement dans les extrémités inférieures.
On observe sur une ou sur les deux jambes des lépreux , une peau dure , bosselée , de cou
leur grisâtre , laquelle a une ressemblance parfaite avec le cuir de l'éléphant. Les pieds , les
jambes se gonflent successivement , ainsi que les cuisses , au point d'acquérir un volume
prodigieux. Souvent cette tumefaction se propage jusqu'aux hanches , etc. Le tissu cellu
laire ne forme plus qu'une grande masse lardacée ; souvent la peau rompue offre des ulcères
fongueux , dont il n'est plus possible d'arrêter les ravages. Quoique le siége le plus fréquent
de cette variété de lèpre soit dans les extrémités inférieures , les bras ne laissent point d'en
être atteints. Je citerai plusieurs observations de cette singulière maladie , dont Avicenne a
fait mention , et qui s'est montrée quelquefois à Paris. Elle a des rapports manifestes avec
celle dont M. Alard a traité dans un ouvrage particulier sur cette matière. La tumeur res
ES
DI
AL
A AU
96 M DE LA PE .

semble à un œdème , mais elle a plus de rénitence. Il n'est pas rare de voir que son déve
loppement soit précédé par un frisson de fièvre , une douleur et une tumeur glanduleuse
dans l'aine : on aperçoit sur ces parties , de la rougeur et des stries particulières qui indi
quent tout le trajet des vaisseaux lymphatiques. La fièvre continue pendant toute la durée
de l'accroissement des glandes ; souvent elle revient par intervalle et à chaque paroxysme.
1
Les tumeurs semblent s'accroître ; ensuite elles restent stationnaires pendant plusieurs
1
années. La jambe affectée devient alors insensible , et les malades sont condamnés à la
traîner comme un poids inerte pendant toute leur vie ; car ces sortes d'altérations résistent ཟླ
communément à tous les remèdes.

TABLEAU DE LA LÈPRE TUBERCULEUSE . 7

CCCCIV. On a mal à propos confondu cette lèpre , qui porte


aussi le nom d'éléphantiasis , avec les autres espèces que j'ai pré
cédemment décrites ; cependant , je pense qu'elle doit être envi
sagée comme constituant une espèce toute différente . Il suffit ,
pour nous en convaincre , de porter nos regards sur les pustules
tuberculeuses , qui se manifestent principalement aux jambes et
aux bras ; il suffit de diriger surtout notre attention sur l'état pa
thologique des tégumens. S'il survient des croûtes , comme dans
l'espèce précédente , ces croûtes , de couleur cendrée , n'ont point
la même forme que dans la lèpre crustacée : elles sont peu éle
vées , et ne sont absolument que le résultat d'une humeur sanieuse
et tenace qui s'échappe de l'intérieur des pustules . On n'observe ,
dans les autres lèpres , ni ces tumeurs noueuses , ni ces ulcéra
tions lardacées et rougeâtres qui ont lieu principalement aux
oreilles , à la nuque , au dos , etc.; ni ces engorgemens variqueux ,
ni ce soulèvement épouvantable du corps muqueux , ni cette hor

rible déformation des traits de la face , qui rend l'être humain mé


connoissable , et lui donne l'aspect des satyres ou des lions ; ni
cette altération sinistre de la voix , qui imite le rugissement des
MALADIES DE LA PEAU. 97

plus féroces quadrupèdes , etc. Tous ces accidens sont spéciale


ment réservés à la lèpre tuberculeuse.
C'est le système lymphatique qui est spécialement atteint , dans
la lèpre dont il s'agit. La substance graisseuse paroît s'accumuler
dans les cellules du tissu muqueux ; les membres thorachiques et
abdominaux grossissent d'une manière aussi rapide que mons
trueuse ; les extrémités inférieures subissent surtout une altéra
tion très- remarquable . On aperçoit çà et là à leur surface , une
foule de petits boutons charnus , qui s'ulcèrent et donnent lieu à
la formation de quelques croûtes rugueuses , inégales , verdà
tres , etc. Toutes les veines se relâchent et tombent dans un état

variqueux ; on les voit quelquefois se tuméfier au point d'acquérir


le volume des jambes de l'éléphant : c'est ce qui arrive dans la
province des Asturies . Casal a vu aussi les mains de certains ma
lades , tellement gonflées , qu'elles ressembloient aux mains des
géans. Cette remarque a été faite avant lui. Les doigts , dit Avi
cenne , sont cachés sous des tumeurs volumineuses. Comme le
tissu cellulaire est d'une texture très-serrée , soit à la paume des

mains , soit à la plante des pieds , ce tissu n'est jamais tuméfié ; mais
le dos de ces parties est énormément bosselé.
Le même auteur a observé une autre espèce de dégénération
du tissu cellulaire de la face chez trois ou quatre individus. Leur
physionomie étoit tellement altérée , qu'elle n'étoit plus une phy
sionomie humaine . Il n'y avoit ni tubercules , ni croûtes , ni
écailles ; mais le front , les sourcils , les oreilles , les yeux , les na
rines , les lèvres , prenoient un accroissement considérable , au
point que tous leurs traits n'étoient plus connoissables. On désigne
cette circonstance particulière dans les symptômes , sous le nom
de satyriasis ; on ajoute qu'elle est surtout signalée par l'inconti
nence des malades , et par une odeur aussi fétide que celle des
boucs . J'ai fait dessiner la tête d'un homme qui étoit atteint d'une
affection analogue .

2 13.
ES
DI
AL
A AU
98 M DE LA PE .

Il est vrai que la peau ne représente pas toujours ces tubercules

hideux dont j'ai fait mention . Elle se trouve généralement engor


gée , au point que tous ses tissus se confondent ; elle est parsemée
d'éminences psoriques qui provoquent un prurit violent ; elle ne
peut plus nourrir les poils et les cheveux ; aussi s'en dépouille -t
elle entièrement . Les malades deviennent chauves ; les sourcils
tombent , et c'est à cet unique phénomène qu'on reconnoît les
commencemens de l'éléphantiasis : c'est alors que les membres
perdent absolument la faculté de sentir.
Dans ce moment , j'ai sous mes yeux une jeune demoiselle at
teinte de la lèpre tuberculeuse . Sa peau est toute parsemée de
durillons : elle y éprouve les sensations les plus singulières. Il lui
semble , dit-elle , qu'on lui pousse les tégumens en dehors , pour
en faire sortir des bosses. D'autres fois , ses cuisses et ses jambes ,
ses bras , ses avant-bras et ses mains sont fatigués par des engour

dissemens , comme si tous les membres étoient serrés par des liga
tures , ou fortement serrés et comprimés par des gaînes. Quand la
malade gratte sa peau , il lui semble toujours qu'il y a un voile
interposé entre ses doigts et la portion des tégumens qu'elle tou
che. Elle éprouve parfois dans l'intérieur de son corps , des agi
tations , comme si elle étoit ébranlée par le son d'un tambour.
D'ailleurs , sous quelque ciel que se développe cette maladie si
redoutable , on s'aperçoit aisément que les mêmes phénomènes la
caractérisent , et que ses affreux ravages sont les mêmes partout .
Arétée en retrace le tableau le plus terrible et le plus effrayant.
On a eu tort , ce me semble , de blâmer les comparaisons , les ima
ges , les métaphores dont use ce grand peintre pour fortifier ses

descriptions. Les expressions figurées convenoient particulière


ment au langage animé des Grecs ; aussi voit- on que les noms des
maladies les plus extraordinaires , rappellent toujours un objet ma

tériel avec lequel ces maladies ont quelque ressemblance.


La lèpre tuberculeuse s'établit d'une manière presque insen
MALADIES DE LA PEAU. 99

sible dans l'économie animale. Ses premiers symptômes sont trom


peurs et peu alarmans. On voit les malades tomber dans une sorte
de débilité générale qui les rend presque incapables d'aucun
mouvement ; ils ont eux-mêmes un penchant invincible pour la

nonchalance et le repos ; ils sont dans un état continuel de torpeur


et d'assoupissement ; tous leurs membres sont affectés d'une
souffrance vague , et lorsqu'ils veulent les remuer , ils éprou
vent une gêne très-fatigante dans les articulations des mem
bres. J'en ai vu qui croyoient entendre un craquement dans
leurs os.

Bientôt la maladie s'annonce par des signes moins équivoques ;


la face prend une teinte violacée ou bleuâtre. Il se manifeste sur
la peau du front , des oreilles et du reste du corps , des taches

rouges entourées d'une auréole plus vivement colorée ; quelque


fois ces taches sont jaunes et présentent une nuance verdâtre ,
ainsi que je l'ai observé chez un homme qui arrivoit de l'Ile- de
France. Les pommettes surtout sont affreusement maculées. Les

tégumens sont frappés d'insensibilité , symptôme précurseur de


cette épouvantable maladie. Les médecins qui ont eu occasion de
remarquer la lèpre tuberculeuse dans les colonies , ont vu assez
constamment ces deux phénomènes concourir. On peut même
dire que cet accident a lieu dans tous les climats.

L'altération de la peau se prolonge bientôt jusque sur le sys


tème muqueux ; un mouvement fluxionnaire catharral se dirige
vers les sinus frontaux et y cause une douleur forte et gravative ;
de l'intérieur des fosses nasales qui se tuméfient , s'échappe une
humeur âcre qui corrode les tégumens ; les sensations de l'odorat
sont affoiblies ; l'irritation se propage ; la respiration devient pé
nible ; la membrane qui recouvre l'intérieur de la gorge , se couvre
d'aphtes et d'ulcérations ; l'haleine est d'une fétidité extrême , et
les malades épouvantent les assistans par une voix rauque et pres

que rugissante. Ce qui augmente le désordre , c'est que les glandes


100 MALADIES DE LA PEAU.

amygdales se tuméfient , la luette se relâche et il s'établit une sa


livation abondante.
La peau devient calleuse et raboteuse ; le cuir chevelu est af
freusement gercé ; le front , sillonné par des rides larges et pro

fondes , prend un aspect luisant et onctueux. Ce qui ajoute à la

As
difformité , c'est la proéminence des sourcils qui se couvrent de
tubercules pustuleux ; c'est la dilatation prodigieuse des veines des 500

tempes qui noircissent en devenant variqueuses. On est effrayé


P‫أحوا‬
de l'épaisseur des lèvres , qui sont livides ; lorsqu'elles s'entr'ou
vrent , elles laissent apercevoir les dents recouvertes d'un limon
noirâtre et d'une odeur insupportable ; les oreilles , dont la couleur
est d'un rouge sale , sont si monstrueuses , qu'elles ressemblent à
celles des grands quadrupèdes : elles sont d'un tissu si flasque et
si mollasse , qu'elles s'ulcèrent et fournissent , par des crevasses
hideuses , une matière putride. Non , la mort elle-même n'offre
point des traits aussi affreux et aussi dégradés !
Le tissu cellulaire continue de s'altérer et de se convertir en

une masse informe , fongueuse et toute lardacée. Les jambes , les


cuisses et les bras , éprouvent une telle intumescence et une telle
dureté , qu'ils ne prennent point l'empreinte des doigts. Qui croi
roit que ce mal se présente sous des formes plus redoutables , plus
dégoûtantes encore , à mesure qu'il fait des progrès ? La peau qui
avoit commencé par se couvrir de taches de différentes couleurs ,
se couvre bientôt de tumeurs verruqueuses , qui viennent au vi

sage , aux lèvres , au palais , aux parties génitales , etc.; ces tu


meurs acquièrent quelquefois un volume très-considérable : on

en voit qui sont comme des noix ou comme des œufs . Raymond
parle d'une femme dont le visage étoit devenu horrible par l'é

norme quantité de verrues dont il étoit recouvert ; elles étoient


d'une nature gommeuse et d'un roux fauve . Ces tumeurs sup
purent , se recouvrent de croûtes et se convertissent quelquefois
en ulcères rongeans qui se groupent les uns sur les autres , et qui
MALADIES DE LA PEAU. 101

n'épargnent ni les cartilages , ni les os , etc. Tout le corps est en


proie à une fonte purulente et putride.
Mais surtout ce qui répugne à raconter , c'est l'état de sphacèle
ma
dans lequel tombent les parties vivantes ; en sorte que les
lades meurent , pour ainsi dire , en détail , et subissent la plus af
freuse mutilation ; ainsi on voit les doigts des pieds et des mains ,
les oreilles , le nez , etc. , se détacher en lambeaux. M. Bonpland ,
au retour de ses intéressans voyages , m'a remis des dessins de
lépreux , chez lesquels la plus affreuse carie avoit désuni les arti
culations et provoqué la chute des phalanges : les dents tombent
parfois de leurs alvéoles.

Il est utile de décrire les ulcères lépreux . Ces ulcères sont d'un
rouge sale ; leurs bords sont relevés , durs , inégaux , d'une cou
leur livide et bleuâtre : la suppuration énorme qui en découle ,
ressemble à de la lavure de chair. On assure toutefois que cette

suppuration , toute copieuse qu'elle est , soulage les douleurs in

térieures qu'éprouvent certains individus , lesquels ne laissent pas


de vaquer à leurs occupations. Tant de maux doivent sans doute

jeter les malades dans la plus profonde mélancolie ; aussi la plu


part n'éprouvent aucun attrait pour les plaisirs de la vie : tous
les objets leur font horreur. Quelque situation qu'on leur donne ,
cette situation leur devient insupportable ; leur sommeil est in
quiet et agité par les rêves les plus sinistres.
Tous ces désordres que nous venons de décrire , doivent pro
voquer les altérations les plus graves dans les fonctions intérieu
res : le pouls est souvent dans une oppression extrême. Il étoit à
peine perceptible chez un lépreux qui mourut à l'hôpital Saint
Louis. Il est rare que les digestions s'accomplissent avec facilité ;
les facultés du goût sont tellement dépravées , que les malades
éprouvent une aversion invincible pour les alimens . Quelquefois
ils ont une faim canine et une soif dévorante. Ces infortunés ren

dent des urines aussi troubles que celle des jumens ; quelquefois
102 MALADIES DE LA PEAU.

elles sont claires et sans élaboration . L'accident qui alarme le plus ,


est le défaut de respiration qui devient stertoreuse et embarras
(
sée. Il y a un sentiment presque continuel de suffocation. La soif
est pour eux un tourment , parce que la voûte du palais est en
flammée et tapissée d'ulcérations brûlantes.
X
Les organes de la génération sont presque toujours altérés . On
a beaucoup parlé du penchant vers le coït , qui tourmente ordi
nairement les lépreux ; cependant , j'ai observé un phénomène
Tal

M
absolument contraire chez un homme atteint de la lèpre tubercu
leuse. Le professeur Pallas assure avoir vu des lépreux qui avoient
une répugnance constante pour les plaisirs de Vénus : chez les
femmes , même accident ; d'ailleurs , la menstruation est laborieuse
et quelquefois interrompue .
Enfin , les lépreux peuvent mourir épuisés par les progrès de la
maladie . Une fièvre dévorante vient les consumer ; un dévoiement
colliquatif, des flux sanguinolens se déclarent ; c'est dans ces mal
heureuses circonstances que les membres des malades sont frappés
d'une rigidité spasmodique ; c'est alors que les sens de l'odorat ,
de la vue , sont entièrement abolis , que le pouls s'affaisse de plus
en plus , que la respiration se ralentit , que les malades tombent
dans un marasme qui excite la compassion . J'ai assisté à l'agonie
d'un homme qui succomboit à la lèpre tuberculeuse. C'est même
à ses derniers momens que le peintre a saisi les traits horribles de
sa maladie. Il exhaloit une puanteur qui infectoit toutes les salles
de l'hôpital ; ses regards étoient meurtris par la douleur et le dé
sespoir. Il inspiroit une telle épouvante aux assistans , que leur
pitié en étoit , pour ainsi dire , étouffée.
MALADIES DE LA PEAU. 103

OBSERVATIONS RELATIVES A LA LÈPRE TUBErculeuse .

CCCCV . Première Observation . - Le premier exemple de

la lèpre tuberculeuse que j'aie observé , s'est rencontré chez un


pauvre bucheron de la forêt des Ardennes , nommé Arnout : c'est
le même individu que M. Ruette , alors élève de l'hôpital Saint
Louis , eut occasion d'observer à l'époque où il soutint sa thèse sur
l'éléphantiasis. Cet homme , qui pouvoit avoir atteint l'âge d'en
viron trente ans , rapportoit l'origine de sa maladie à une chute
de cheval qu'il avoit faite dans l'eau . Il fut exposé à un froid très
vif et très-prolongé. A cet accident succéda une fièvre très-véhé
mente. Une contusion forte , qu'il reçut à la jambe droite , fut
suivie , deux mois après , d'un épaississement prodigieux de l'épi
derme , et d'un engorgement consécutif de cette même jambe :
il étoit alors âgé de quatorze à quinze ans. Cet engorgement
dura jusqu'à vingt ans , époque à laquelle il se prolongea jusqu'à
la cuisse. Dans la suite , la jambe et la cuisse gauches furent égale
ment attaquées ; elles étoient recouvertes d'écailles qui se dessé
choient , tomboient , et étoient remplacées par d'autres : tel est du
moins le rapport que le malade fit de ce qui avoit précédé , lors
qu'il se présenta à l'hôpital . Mais alors ( c'étoit en l'an 7 ) sa peau
avoit totalement contracté la dégénération lépreuse ; elle étoit
dure , calleuse , hérissée de tumeurs et de tubercules , hideuse
ment traversée par des rides profondes ; elle étoit d'une couleur
grisâtre semblable à celle de l'éléphant ou du chien de mer. Plu–
sieurs personnes furent alors à même d'observer des fragmens de
cette peau dégénérée , que M. Ruette présenta à différentes socié
tés savantes . D'ailleurs , le malade avoit les autres symptômes qui
caractérisent la lèpre tuberculeuse ; son visage étoit horriblement
104 MALADIES DE LA PEAU.

tuméfié ; il offroit deux larges sillons le long de la commissure des


deux lèvres devenues très- épaisses ; le front étoit proéminent , et
présentoit beaucoup de rides ; les oreilles et les ailes du nez
avoient monstrueusement grossi ; sa face étoit huileuse et bla
farde , etc.; son haleine étoit pestiférée . Le malade ne rendoit que
des sons rauques et glapissans ; le ventre étoit extrêmement gon
flé , etc. Le malade succomba . Nous donnerons plus bas son au
topsie cadavérique.
Deuxième Observation . - Je consigne ici l'un des exemples les

plus terribles de la lèpre tuberculeuse. Louis-Joseph Dujardin ,


ancien domestique dans la Guiane française , âgé de quarante
cinq ans , né en France , dans le département du Nord , de parens

morts dans un âge peu avancé. Tempérament bilieux-lympha


tique ; constitution forte ; ayant les cheveux bruns. Dujardin
d'ailleurs ne se rappeloit pas avoir éprouvé , jusqu'à l'âge de dix
huit à dix -neuf ans , aucune maladie remarquable. Arrivé au dé
pôt des troupes , à Lorient , pour se rendre aux colonies , et obligé
de s'embarquer six mois après , il en fut empêché par une légère
inflammation érysipélateuse à la face , qui n'eut aucune suite fà
cheuse. Depuis , parti pour Cayenne , il éprouva , à son arrivée ,
une fièvre qui prit d'abord le caractère de continue , puis celle de
tierce , laquelle ne céda qu'à l'usage long-temps continué du
quinquina aromatisé par la canelle , le girofle et autres épices.
Sorti du service , Dujardin entreprit et conduisit des travaux
pour les chemins de Cayenne . C'est à cette époque , et au milieu
de toutes les intempéries des saisons et du climat , qu'il fit une
chute sur la partie centrale de l'abdomen ; il en résulta un gonfle
ment considérable , qu'on dissipa par l'usage des cataplasmes . Re
levé de maladie , Dujardin entra comme économe à l'hospice de
l'Ile-la-Mer : là, il se traita d'une gonorrhée , ainsi que d'une gale
canine ; mais les remèdes qu'il employa furent insuffisans , ce qui
prolongea long-temps ces maladies . Après trois ans de séjour dans
MALADIES DE LA PEAU. 105

l'ile, il entreprit le cabotage le long de la côte de Cayenne , fit le


voyage de Surinam , etc. Il est utile de rapporter toutes ces cir
constances , parce qu'elles peuvent jeter quelque lueur sur la na
ture des causes qui produisent la lèpre tuberculeuse . Vers ce
même temps , il habita un canton très- marécageux et couvert ,
tous les matins , de brouillards très- épais. Il se sentit saisi d'une
fièvre très-véhémente avec délire : il se rétablit. Après avoir na
vigué et avoir essuyé beaucoup de traverses , il se détermina à
rentrer en France. Il vendit le peu qu'il avoit et s'embarqua. Lors
qu'il se fut approché des contrées européennes , il éprouva une
toux très-rebelle ; cette toux ne lui laissoit aucun repos : elle dura
pendant dix -huit mois . A peine cette affection fut dissipée , qu'il
en survint une autre non moins terrible , et d'où date à- peu-près
la maladie dont il s'agit dans cet ouvrage : c'étoit une fluxion phleg
moneuse à la partie latérale droite de la face ; fluxion formée aux
dépens de la glande parotide du même côté, et pour laquelle
furent employés les résolutifs et les émolliens. La tumeur dissipée ,
il se manifesta une cedématie de la face , des mains , des jambes, etc.;

vers le même temps , on remarqua une exsudation séreuse de la


peau, qui se dépouilla de son épiderme sur les côtés du nez ; il se
formoit sur les joues des croûtes d'un jaune verdâtre , d'où suin
toit un liquide fétide et abondant . D'ailleurs on remarquoit une
bouffissure presque générale , plus sensible vers le visage , ainsi
qu'aux extrémités supérieures et inférieures , avec des rides très
prononcées. Tout le système dermoïde étoit dur à un point qu'on
eût dit qu'il étoit dans un état de squirre ; tous les poils étoient
tombés : il s'en étoit néanmoins conservé quelques -uns sur une
portion de la barbe. Les cheveux avoient subi le même sort . Les

ongles des pieds et des mains étoient altérés par le desséchement ,


autant que par une matière jaunâtre , épaisse , susceptible d'ac
quérir beaucoup de dureté et de consistance . Indépendamment
phénomènes morbifiques , on remarquoit des petits boutons
2 14.
106 MALADIES DE LA PEAU.

isolés , arrondis , élevés , semés de loin sur les bras et les jambes ,
des verrues , aussi
se rapprochant beaucoup , au premier aspect ,
durs qu'elles , mais sans stries. Le mucus du nez couloit difficile
ment : il étoit mêlé d'un sang noir et épais . Bientôt on vit s'ac
croître tous les symptômes. Il arriva un gonflement phlegmoneux
et érysipélateux tout le long du bras gauche , avec des phlyctènes
considérables à la partie interne de l'avant-bras ; la respiration
étoit presque étouffée. Je fis pratiquer des fomentations aroma

tiques ; j'administrai des boissons vineuses , des décoctions de


quinquina, etc. Le pouls se soutenoit ; l'altération et la soif étoient

insupportables. Le nez du malade sembloit acquérir de jour en


jour plus de volume. C'est alors que le visage devint affreux : il
étoit d'une grosseur démesurée. Les élèves qui venoient à l'hôpi
tal Saint-Louis suivre mes leçons de clinique , furent frappés d'une
sorte d'épouvante lorsqu'ils virent ce malheureux étendu sur son
grabat , et qu'ils entendirent sa voix rauque et glapissante ; ils
crurent entendre les rugissemens d'une bête féroce : sa vue seule
inspiroit l'effroi. Le peintre qui le peignoit ne pouvoit supporter
l'odeur fétide qui s'exhaloit de sa bouche ; j'étois contraint de le
supplier pour qu'il supportât courageusement ses dégoûts ; je me
mettois à côté de lui ; je l'aspergeois de vinaigre : je suis encore à
comprendre comment nous avons pu rester, pendant cinq jours ,
environnés de cette infection . Il y eut une nuit terrible : la fièvre
se déclara avec violence ; le malade crachoit le sang et le pus . Les

membres du malade sembloient tomber dans une espèce de mor

tification . Il y avoit des phlyctènes qui perçoient et qui étoient


remplacées par des escarres blanchâtres. L'affoiblissement étoit à
son comble ; les yeux abattus , larmoyans. Les croûtes s'étendirent
considérablement et prirent , du côté de la bouche et du nez , un
aspect brunâtre ; elles étoient situées circulairement sur le côté et

le long de la commissure des lèvres. Ces croûtes , avec les rides hor
ribles du visage , contribuoient à imprimer à la physionomie du

T
MALADIES DE LA PEAU. 107

malade l'aspect du lion . Enfin , la lèpre fit des progrès considéra


bles. La prostration des forces devint extrême ; le pouls étoit foible
et déprimé ; la poitrine s'embarrassa ; le malade cessa d'expectorer.
Il mourut dans les angoisses les plus déchirantes . Nous donnerons
plus bas l'autopsie cadavérique.
Troisième Observation . — M. Valentin a bien voulu me faire

parvenir l'observation et le dessin d'un lépreux de Vitrolles. Il se


nomme Louis Guéidon ; son âge , au moment où il a été observé ,
étoit d'environ trente-six ans. Il étoit célibataire . Sa face étoit hé

rissée de tubercules inégaux , dont la plupart égaloient le volume


d'un gros pois ; il y en avoit de plus considérables encore , parti
culièrement ceux qui étoient situés au milieu du front et à la ra
cine du nez : certains égaloient , par leur grandeur , de grosses ave
lines. Ces tumeurs contigues et rangées avec régularité les unes
sur les autres , s'étendoient dans toute la longueur du front , et
formoient , pour me servir des expressions de M.Valentin , comme
un chapelet qui seroit artistement appliqué au -dessus des arcades
surcilières. Ces tubercules étoient insensibles et non ulcérés ; néan
moins on en distinguoit un à la partie antérieure du col , d'où suin
toit une sanie fétide . Il s'étoit manifesté à la surface des membres

thorachiques et abdominaux , des élévations ou ampoules plus ou


moins aplaties , d'une teinte cuivreuse et indolente. Comme les
tubercules de la face , ces ulcérations étoient recouvertes de
squammes. On les piquoit vainement avec des aiguilles ; on les
pinçoit avec les ongles ; le malade n'éprouvoit absolument rien :
il étoit dans une insensibilité complète . On sent bien que l'en

semble de tous ces tubercules devoit donner au malade l'aspect


le plus hideux . Cet homme d'ailleurs ne pouvoit se livrer à aucun
exercice , ni entreprendre aucun travail , sans que sa respiration
en fût considérablement gênée. Voix rauque , et quelque temps
après , aphonie totale , au point qu'il articuloit à peine quelques
sons. Tubercules et ulcères rongeans dans l'intérieur de la bou
108 MALADIES DE LA PEAU.

che ; au centre de la voûte du palais , on apercevoit aussi quelques


élévations. Pour observer plus soigneusement ce malade , M. Va
lentin l'avoit fait venir à l'Hôtel- Dieu de Marseille , où il fut mis
sous la direction de M. Niel , praticien très-recommandable . Il ne
put y rester qu'environ deux mois ; c'est alors que M.Valentin eut

occasion de le faire peindre et qu'il voulut bien me procurer le To


dessin de la face , lequel est d'une fidélité extraordinaire. Je re
viens au détail des symptômes que le malade éprouvoit. Indépen
damment des tubercules saillans dont nous avons déjà fait men

tion , le tissu cutané étoit parsemé de durillons , qu'on n'aperce


voit qu'en passant la main sur la peau . Cependant , il y en avoit

54
de plus considérables par leur volume , qui se trouvoient situés à
la joue gauche , à la lèvre supérieure et sur toute la surface du

menton . On remarquoit à la surface de quelques-uns des tuber


cules dont nous avons déjà parlé , des ulcérations auxquelles suc
cédoit la formation d'une croûte de couleur verdâtre. Il paroît que
les parens de Guéidon jouissoient d'une santé excellente , et qu'ils

n'avoient aucune infirmité analogue à celle que nous venons de


décrire. On lira , du reste , de plus amples renseignemens sur ce

lépreux , dans un mémoire présenté à la faculté , de médecine de


Paris , par M. Valentin . Peu de médecins montrent autant de
zèle que lui pour le progrès des sciences ; peu les cultivent avec
autant de constance et un désintéressement aussi louable.

Quatrième Observation. -M. Lordat , habile médecin de

Montpellier, a recueilli l'observation d'un matelot de Gênes , qui


étoit atteint de la lèpre tuberculeuse. Ce malheureux avoit été
esclave à Tunis pendant deux années. La maladie avoit commencé
par des' taches brunes : elle fit bientôt des progrès sensibles . Ce
matelot , âgé de trente ans (lorsqu'il se présenta à M. Lordat) , pa
roissoit pourtant avoir sur son visage tous les signes de la décré
pitude et de la vieillesse , quoiqu'il eût autrefois une physionomie
très-agréable. Il n'avoit presque plus de cheveux . Les symptômes
MALADIES DE LA PEAU. 109

les plus remarquables étoient la dépilation de la barbe , des pau


pières et des sourcils , etc.: trois ou quatre poils paroissoient à peine
sur le menton. M. Lordat remarqua que les parties inférieures
des avant-bras , les mains , les jambes et les pieds , etc. , étoient
pareillement privés de poils , etc. La face étoit bosselée çà et là
par des éminences larges et d'une couleur assez analogue à celle du
cuir qu'on a tanné. Dans les intervalles que laissoient ces émi
nences , on voyoit que les tégumens avoient conservé la couleur

qui leur est propre ; de semblables tumeurs s'observoient sur le


tronc , sur les bras , sur les cuisses , etc. On voyoit des rides af
freuses sur le dos des mains , qui étoient d'un gris-brun cendré ;
quand on tendoit la peau et qu'on dissipoit ainsi les rides , alors
cette enveloppe avoit un aspect luisant. Il y avoit des durillons
dans le tissu cellulaire. Ce tissu étoit très - épais sur le dos des
phalanges. Les métacarpes présentoient des raies et des gerçures
transversales , pareilles à celles que l'on observe sur la peau des

éléphans. M. Lordat a remarqué chez ce malade , que le muscle


interosseux de la main et l'adducteur du pouce étoient desséchés
et contractés : cette contracture rapprochoit tellement les doigts ,
qu'elle s'opposoit à son abduction . La peau des jambes et des pieds
étoit tendue et dure , parsemée d'écailles et de tubercules gre
nus, etc. Tuméfaction et dureté du tissu cellulaire , en sorte que
le malade pouvoit à peine fléchir le pied . Il s'étoit formé sur la
peau des pieds , des gerçures profondes , d'où fluoit une sanie pu
tride et infecte . Ce sont particulièrement les traits de la face qui
avoient subi une déformation totale ; les yeux étoient , en quelque
sorte , masqués par la peau des sourcils ; le nez considérablement
grossi et épaté ; fosses nasales presque bouchées par le gonflement

et la tuméfaction des cartilages qui les forment ; les lèvres prodi


gieusement tuméfiées ; la langue profondément sillonnée . La peau
avoit perdu la faculté de sentir : on la traversoit impunément avec
des épingles ; le malade n'éprouvoit aucune douleur, quoiqu'on
110 MALADIES DE LA PEAU.

la piquât jusqu'au sang . Son haleine étoit fétide , repoussante ; sa


A
voix étoit rauque . M. Lordat observe néanmoins que malgré l'ex
tinction de sa voix , on distinguoit son idiôme naturel , au milieu

22
des sons presqu'éteints qui sortoient de sa bouche. Le pouls étoit
remarquable par sa rareté et sa lenteur ; les urines étoient rouges
3
et bourbeuses . Douleurs articulaires assez graves pour gêner con

sidérablement la progression . On n'observoit aucune altération 1


19
dans les facultés intellectuelles ; seulement l'individu étoit enclin
à la mélancolie , etc. ww

Cinquième Observation . — Rien de plus déplorable à raconter



que l'histoire d'un malheureux Colon qui est venu me consulter à
"%%
Paris , et qui périra infailliblement de la maladie qui le tourmente.
*
Mille autres indispositions l'avoient , en quelque sorte , préparé à
cette affection . Il étoit depuis long-temps sujet à de graves ophthal +6
T
mies : il avoit des flux dyssentériques qui ne lui laissoient pas un
instant de calme ; ces flux débilitans étoient , en quelque sorte ,

devenus habituels chez le malade . Un jour , qu'il venoit de dîner,


on vit se manifester tout à coup de grandes taches sur son visage ;
ces taches étoient d'un jaune tirant sur le rouge de feu , à peu
près comme la couleur de la fleur du souci . On mit aussitôt le ma
lade à l'usage des sucs d'herbes. Il sortit alors de nouvelles taches
au bras gauche et à la cuisse du même côté. On fut alarmé , et on
employa les sudorifiques les plus actifs , la squine , la salsepa
reille , etc. le mal , au lieu de diminuer, fit des progrès . Dès-lors
il lui survint au front des taches rouges ; la peau de cette partie du

visage se dessécha et se rida , comme la pellicule qui s'observe à


la surface du lait que l'on fait bouillir. Le bras droit , précisément
à la partie qui porte sur la table lorsqu'on écrit , devint tout-à
fait jaunâtre , et la peau tout-à-fait insensible , jusqu'à ne pas
s'apercevoir de la présence d'une épingle qui y resta attachée .
Toute la nuit cependant les nerfs des bras étoient dans une agi
tation continuelle : il lui survenoit des crampes à la main , et par
MALADIES DE LA PEAU. III

ticulièrement au petit doigt. On avoit soumis ce doigt à l'électri


cité , à l'occasion d'un coup qu'il avoit reçu ; et , depuis ce temps ,
il n'avoit cessé de lui causer les douleurs les plus vives . Lorsque
le malade eut usé des sudorifiques , il se développa une quantité
innombrable de taches sur tout le corps ; aux genoux surtout , il

se manifesta une grande tache rouge , qui prit une apparence

herpétique. Ce malheureux résolut dès-lors de venir à Paris. Dans


ce même temps , il éprouvoit des sueurs si abondantes à la tête
qu'il ne pouvoit faire un pas sans qu'il ne fût singulièrement af
foibli . Il avoit sur les lèvres , sur le nez et sur les joues , des ver

rues qui se dissipèrent avec de l'eau mercurielle. Lorsqu'il me


consulta , la peau de ses bras étoit insensible ; celle des jambes
l'étoit aussi en quelques endroits . On voyoit sur tout le corps des

granulations sans nombre . Le derme étoit comme affecté d'un em


pâtement général. Le malade ressentoit une espèce de gêne dans
ses extrémités inférieures , comme s'il eût été serré par un bro
dequin. Il avoit les yeux gorgés ; ses malléoles s'enfloient par in

tervalles , et il lui restoit une douleur assez habituelle dans les

jointures. Il étoit surtout affecté d'un gonflement extraordinaire


du prépuce . D'ailleurs rien ne l'empêchoit de vaquer à ses affaires
domestiques , de poursuivre même des travaux de tête , qui exi
geoient de profondes méditations . Les remèdes administrés n'eu

rent aucun résultat. Le tissu cellulaire prit dans la suite un ac


croissement qui alarma tout le monde. Le malade tomba dans un
abattement extrême. Il s'est embarqué pour retourner dans son
pays. Ses oreilles étoient monstrueuses et ulcérées.
CCCCVI. La lèpre tuberculeuse pourroit être appuyée par un
plus grand nombre d'exemples ; car c'est la plus commune de
toutes. Il semble même qu'elle n'ait pas sensiblement diminué sur
le globe , comme les autres espèces . Presque tous les voyageurs
modernes l'observent et rapportent , à ce sujet , les détails les plus
affreux .
SECTION DEUXIÈME .

FAITS RELATIFS A L'HISTOIRE GÉNÉRALE DES LÈPRES.

CCCCVII . Les différentes lèpres que nous avons signalées dans


la première section de cette dissertation , se ressemblent par des

symptômes frappans et essentiels : le caractère du genre se re


trouve dans les trois espèces que nous avons décrites . Vallésius et
tous les praticiens expérimentés les désignent sous la commune
dénomination de lèpres. En effet , on observe dans toutes , le
même mode d'altération dans les fonctions les plus importantes de
l'économie animale. On y remarque une lésion profonde dans la
faculté sensitive , la chute des cheveux , des poils et des ongles , qui
semble annoncer une sorte de stagnation dans les actes de la vie
nutritive ; une lenteur extraordinaire dans la marche progressive
des accidens et des phénomènes ; enfin une multitude de traits
d'analogie , qu'il est facile de reconnoître : ces affections ont d'ail
leurs une physionomie particulière qui les rapproche et les sé
pare entièrement des autres infirmités humaines . Retraçons ici les
symptômes généraux de cette épouvantable maladie .

2 15.
114 MALADIES DE LA PEAU.

ARTICLE PREMIER .

DES PHÉNOMÈNES GÉNÉRAUX QUI CARACTÉRISENT LA MARCHE DES

LÈPRES.

CCCCVIII. Le tableau que nous allons tracer à nos lecteurs ,


doit se composer de tous les caractères communs aux différentes
espèces de lèpres ; il doit même comprendre toutes les modifica P

tions que peuvent imprimer à ces espèces , le climat , le tempéra S

ment , mille autres circonstances relatives au régime , à la manière


de vivre de ceux qui en sont affectés.
CCCCIX. La lèpre , comme on a eu occasion de l'observer ,
change très-facilement de physionomie et d'aspect ; elle reçoit les
formes les plus variées de toutes les causes qui contribuent à son
développement. Est-il étonnant que les descriptions aient tant 眼痛M
varié ? Est-il étonnant qu'on lui ait donné tant de noms différens ?
CCCCX . Dans son début , la lèpre est , pour ainsi dire , mé
connoissable . Elle s'annonce par des signes qui n'ont aucun ca
ractère alarmant ; quelquefois elle existe depuis long-temps , sans
que le malade se soit aperçu du danger qui le menace . De simples
taches jaunes , blanches ou rougeâtres s'offrent çà et là sur la pé
riphérie du système dermoïde. Les médecins s'y trompent fré
quemment , et les rapportent à un vice dartreux ou scorbutique .
Il est , en outre , d'autant plus facile de se méprendre sur le vrai
caractère de ces taches , que la plupart ressemblent aux éphélides ;
or, on sait que ces éruptions accompagnent ordinairement les ma
ladies particulières qui surviennent dans l'intérieur des viscères
abdominaux. Souvent , comme l'a observé Casal , la peau prend
MALADIES DE LA PEAU. 115

une couleur noire ; elle devient épaisse , rugueuse et comme onc


tueuse , mais on ne voit aucune écaille , aucune croûte , aucune
pustule , ni aucune autre affection extérieure. Les malades conser
vent un certain embonpoint ; mais la face a quelque chose de
difforme et de repoussant ; la respiration est embarrassée ; le souffle
des malades est continuellement fétide , quelquefois assez analogue

à celui des chairs gangreneuses et en putréfaction.


CCCCXI. Ce changement de couleur dans la peau est parfois
suivi de la chute des cheveux et des poils des sourcils , qui tom
bent d'abord successivement et en petite quantité ; les mains et les
pieds commencent dès-lors à perdre la faculté de sentir , et c'est
déjà un des symptômes qui doit exciter les plus vives craintes . Il
est bon néanmoins d'observer que toutes les fois que la sensibilité

s'altère et s'émousse par le développement de la lèpre , ce n'est


jamais à un égal degré dans toutes les parties du corps. Cette ob

servation a déjà été faite par M. Frank , sur un individu dont le


bras a été modelé en cire ; la pièce m'a été donnée par M. Larrey,
lequel la tenoit de M. le comte d'Harac , disciple du célèbre profes
seur de Vienne. J'ai dans ce moment sous mes yeux une jeune fille
chez laquelle ce phénomène n'a absolument lieu que sur la peau
des épaules. Lorsqu'on lui touche les mains ou le visage , elle a la
sensation d'un voile qui l'empêche de sentir le contact de la main .
CCCCXII . Il peut arriver que la lèpre reste stationnaire pendant
plusieurs années , sans prendre un accroissement notable , sur
tout quand les malades observent très-régulièrement les lois de la
diététique. La lèpre des Kosaques , dont Pallas fait mention , n'ac
quiert toute sa force qu'au bout de quatre ou cinq années : on
assure même qu'elle ne devient mortelle qu'à la septième année
révolue. Il est des individus qui en sont atteints depuis leur bas
âge , et qui la conservent jusqu'à un âge très -avancé. Il est assez
commun de voir que les taches augmentent à peine d'une ligne
dans l'espace de douze mois .
116 MALADIES DE LA PEAU,

CCCCXIII. Indépendamment des symptômes que nous venons


d'énumérer, et qui sont communs à toutes les espèces de lèpres ,
il en est d'autres non moins graves , et dont il importe de tenir dad
compte. C'est ainsi que les parties du corps qui sont couvertes de
"
taches , sont frappées d'engourdissement et de langueur : les lèpres
portent leurs ravages jusque dans les mouvemens articulaires .

CCCCXIV . Bientôt ces taches se convertissent en écailles , qui


sont plus ou moins déprimées dans la propre substance de la peau.
Il paroît du reste que ce genre d'altération cutanée s'est déve

loppé très-anciennement , et qu'Hippocrate avoit eu occasion de


l'observer. Le corps du lépreux se couvre quelquefois de croûtes
horribles , qui sont autant de foyers épars d'une suppuration fétide
et dégoûtante ; dans cette affreuse dégénération , les malades res
semblent à des cadavres desséchés ; leur chair pâle et flétrie n'a
pas seulement l'aspect de la mort , elle en a la triste insensibilité.
Aucune douleur n'est éprouvée , soit qu'on emploie le fer, soit
qu'on emploie le feu pour la provoquer.

CCCCXV . D'autres fois , la maladie propage ses désordres dans

tout le tissu cellulaire , et donne lieu à des difformités qui inspi


rent l'étonnement et l'effroi. La peau du front s'engorge considé
rablement entre les deux sourcils ; elle se hérisse de tubercules
d'une teinte brune ou violacée ; les oreilles changent aussi de cou
leur, et leurs lobes s'accroissent d'une manière monstrueuse ; les
pommettes se tuméfient , deviennent saillantes , d'un aspect livide
et comme vineux ; le nez se dilate effroyablement , ce qui produit
dans la voix une sorte d'extinction , qui est un symptôme sinistre.
Les mains , les bras , les pieds , les jambes s'engorgent ; les ongles
tombent ou se dessèchent. On voit çà et là , sur les extrémités
thorachiques et abdominales , des tumeurs , des nodosités qui dé
forment le système dermoïde .
CCCCXVI. C'est alors que les doigts devenus lourds , épais et
durs comme le marbre , perdent en entier la faculté du sentiment.
MALADIES DE LA PEAU. 117

Le mal rampe de phalange en phalange. Les membres acquièrent


une telle pesanteur, qu'ils deviennent un véritable fardeau ; quel
quefois même , par la plus affreuse catastrophe , les membres se
détachent et meurent avant le corps ; ils tombent dans une fonte
colliquative. On a vu des mains entières se détacher du corps des
lépreux . C'est alors que le désespoir s'empare des malades ; d'autres
cachent soigneusement leur état , rougissent de se montrer, et ,

par une impulsion irrésistible de leur instinct , ils évitent la pré


sence de l'homme sain . M. L. Valentin rapporte que lorsqu'il fut

arrivé à Martigues , et que le bruit se fût répandu dans cette ville


qu'il venoit visiter les lépreux , la plupart de ces infortunés s'en
fermèrent et que d'autres prirent la fuite ; enfin il y en eut qui ne
voulurent point avouer qu'ils en étoient atteints . On en voit
même qui se donnent la mort. Comment supporter la vie dans des
situations aussi déplorables !

CCCCXVII . Cette affreuse dégradation du tissu cellulaire , im


prime à l'homme les formes les plus bizarres. Les extrémités in
férieures imitent quelquefois , de manière à s'y méprendre , les
jambes et les pieds de l'éléphant ; d'autres fois , la face s'altère au
point de présenter l'aspect des Satyres fabuleux , des lions et au
tres animaux féroces. Arétée et Avicenne ont fait mention de ces
monstrueuses métamorphoses .
CCCCXVIII . Parlerai -je des ulcères qui labourent tout le corps ,
et qui ne se cicatrisent qu'en laissant sur la peau des taches indé
lébiles ? Ces ulcères attaquent premièrement le visage et vont en
suite aux parties charnues du corps ; on en voit pareillement dans
les fosses nasales et dans la gorge , ce qui ne contribue pas peu à
donner aux malades une voix rauque et rugissante. L'un des lé
preux qui sont morts à l'hôpital Saint- Louis , avoit la voix mena
çante et sépulcrale , comme si elle sortoit d'un souterrain . Souvent

ces plaies si profondes se guérissent spontanément , et alors ces


infortunés sont remplis d'espérance ; mais quel est leur chagrin ,
118 MALADIES DE LA PEAU .

Va
de les voir renaître dans une autre partie du corps ! C'est une
mutilation continuelle .

CCCCXIX . Les malades ne se meuvent plus qu'avec peine , et


a
comme des masses . Il est des lépreux qui deviennent si mons

a
trueux , qu'ils passent leur vie dans une froide immobilité. A cette

inertie de tout le corps , se joint une stupidité complète de toutes

57
les facultés intellectuelles. Dans un état si misérable , les tégu

mens contractent un tel endurcissement , que la transpiration en


est supprimée ; si elle s'opère , elle est d'une fétidité intolérable :

c'est surtout le produit de l'exhalation pulmonaire qui est pesti


lentiel. Les autres excrétions ne sont pas de meilleure nature :
l'urine est épaisse , bourbeuse , se collant aux parois du vase qui
la reçoit ; les excrémens sont noirs , secs et comme brûlés ; ces ex
crémens passent avec une difficulté extrême , et la constipation est V
très-opiniâtre.
CCCCXX . Les forces digestives sont dans un état de langueur
déplorable. Toutefois les malades sont tourmentés par une soif
inextinguible . La langue est revêtue d'un enduit fuligineux ; elle
est affreusement gercée et couverte de granulations verruqueuses

et confluentes ; les veines qui rampent à sa surface sont prodi


gieusement dilatées . Elle est pesante et sans mouvement ; c'est ce
que Lucrèce a parfaitement rendu par les vers qui suivent :

Atque animi interpres manabat lingua cruore ,


Debilitata malis , motu gravis , aspera tactu.

Certains lépreux ont une aversion invincible pour les substances

grasses et alimentaires : chez d'autres l'appétit est véhément.


CCCCXXI. On peut consigner ici ce que rapporte Aëtius , tou
chant les désirs impétueux qui portent les lépreux au coït. C'est
MALADIES DE LA PEAU. 119

sans doute ainsi que la maladie se perpétue de génération en gé


nération. Quel supplice d'être dégradé dans ses traits , d'être un
objet de dégoût et de répugnance pour ses semblables , et d'être
néanmoins en proie à tous les désirs , à toutes les fureurs de l'u
nion des sexes ! M. Sonnini allègue l'exemple d'un infortuné qui ,
la nuit même où il mourut , se livra à toutes les impulsions phy

siques de son tempérament. Ce fait en rappelle un autre dont le


même observateur a été le témoin . Il a vu à la Canée , dans l'île de
Candie , une assez grande quantité d'individus de l'un et l'autre
sexe , renfermés , selon l'usage , dans de chétives baraques situées
hors des portes de la ville. C'est là que ces misérables s'abandon
noient , sans pudeur, aux vils excès d'une irritation voluptueuse .
M. Sonnini assure qu'on les trouvoit quelquefois prenant leurs dé
goûtans ébats le long des chemins , et au milieu du jour ; les vieil
lards même n'étoient point exempts de ces désirs effrénés . Cepen
dant , il est vrai de dire que ce penchant n'existe pas toujours . J'ai
rapporté l'observation d'un malade , qui avoit perdu la faculté
virile par
les progrès de la lèpre tuberculeuse. Ces sortes de cas ne
sont pas très-rares.
CCCCXXII . D'ailleurs , il peut arriver que les parties de la gé
nération éprouvent une altération profonde , qui est le résultat
des accidens nombreux dont nous venons de faire mention . Casal
parle d'un enfant âgé de quinze ans , dont la peau lisse ne parois

soit atteinte d'aucune espèce d'éruption ; mais ses testicules res


sembloient à une énorme grappe composée de plusieurs grains
blancs , ou à une collection d'avelines , qui seroient dépouillées de
leur enveloppe .

CCCCXXIII . Lorsque la lèpre a fait des progrès considérables ,


la respiration commence à devenir lente et difficile ; il survient des
suffocations aussi violentes que si on avoit le col serré avec un
cordon ; le pouls est petit , inégal , misérable. Les malades finissent

par tomber dans le scorbut ou dans l'hydropisie. Tout devient



120 MALADIES DE LA PEAU.

insupportable à ces êtres si malheureux : ni les bains , ni la nourri


ture , ni la diète , ni le repos ne leur sont favorables ; le sommeil
est nul et la veille est terrible.

CCCCXXIV . Il est une lèpre particulière qui n'altère aucune


fonction de l'économie animale . Dans cette espèce d'éléphantiase
il n'y a souvent qu'une jambe d'affectée , et l'on diroit que cette

infirmité est absolument locale. J'ai montré plusieurs de ces ma


lades à mes élèves. Ils avoient les jambes bosselées , parsemées de
nodosités et d'excroissances . Le danger n'est jamais pressant , à

moins que le gonflement du tissu cellulaire ne dépasse les genoux ,


et n'augmente progressivement ; alors tous les sucs blancs du corps
vivant paroissent se pervertir ; les os tombent dans la nécrose , et
·
les parties molles dans l'athérome. La lèpre a constamment un ca
ractère chronique ; c'est sans doute la perte de la faculté sensitive
durant le cours de cette affection désastreuse , qui empêche la

fièvre de s'allumer. On voit survenir cependant , dans certaines


circonstances , les symptômes d'une fièvre adynamique qui con
duit rapidement le malade à la mort.

ARTICLE II.

CONSIDÉRATIONS SUR LE DIAGNOSTIC DES LÈPRES , ET SUR LEURS RAP

PORTS D'ANALOgie avec quelQUES AUTRES MALADIES CUTANÉES.

CCCCXXV . On trouve dans les Livres saints les caractères les

plus frappans , pour établir le diagnostic de la lèpre ; on y trouve


même des signes qui prouvent que les Juifs ont connu ses diffé
rentes espèces. C'est ainsi que le prêtre ne se méprenoit jamais
sur l'existence de la vitiligue , lorsque le corps se couvroit de ta
MALADIES DE LA PEAU. 121

ches blanches , et que les cheveux et les poils se décoloroient ,


lorsque les parties affectées se déprimoient dans la propre subs

tance des chairs , etc. , affectus facies cute erat depressior : les
anciens ont particulièrement insisté sur l'importance de ce signe .
CCCCXXVI. L'insensibilité est-elle dans tous les cas un signe

non équivoque de la présence de la lèpre ? Non , sans doute ; car la


privation de la faculté sensitive n'existe pas toujours dans toutes
les espèces de lèpre. D'ailleurs elle n'a lieu absolument que dans

la partie de la peau qui est affectée , et M. Ruette en a très-bien

fait la remarque. Si on enfonce bien avant une épingle , ou tout


autre corps , dans la propre substance des tégumens , on produira

certainement une douleur. C'est vraisemblablement à la dureté et

à l'épaississement de l'épiderme qu'il faut attribuer l'insensibilité


qui se manifeste dans l'appareil cutané.
CCCCXXVII . On n'est pas plus fondé à dire ( comme on l'a déjà
avancé) que le caractère spécial de la lèpre consiste dans une dé-
génération du tissu cellulaire en substance lardacée et parsemée
de tubercules ; car, il est des maladies qui ne sont pas lépreuses ,
et dans lesquelles on observe néanmoins ce même genre d'altéra

tion on la rencontre dans plusieurs tumeurs lymphatiques qui


s'observent à l'hôpital Saint- Louis. Beaucoup d'auteurs en rap

portent des exemples . Ceux qui pensent qu'un des signes les plus
caractéristiques de la lèpre consiste dans la chute et la décoloration

des cheveux , qui ressemblent à de la laine fine , ne sont pas fon


dés ; car, sous ce point de vue , elle se rapproche infiniment de la
teigne faveuse. Au surplus , il en est de la lèpre comme des autres
maladies. Pour bien juger de son existence , il ne faut point avoir
égard à un symptôme isolé , mais à l'ensemble de ses symptômes .
CCCCXXVIII . Je pense que pour bien fixer le diagnostic des lè
pres , il est nécessaire de faire une étude de tous leurs rapports d'a
nalogie avec toutes les maladies qui leur ressemblent. On a eu tort ,
en premier lieu , de les confondre avec les dartres. En effet , les
2 16.
122 MALADIES DE LA PEAU.

écailles qui se forment dans le développement de celles -ci , sont


minces , transparentes , absolument semblables aux pellicules qui
recouvrent les ognons ; dans les lèpres , au contraire , les écailles L

sont dures , opaques , d'une consistance très-ferme : les tégumens


sont raccornis comme le cuir desséché . Ce que j'ai dit des écailles
peut s'appliquer aux croûtes qui se manifestent en pareil cas. Dans 4
les dartres , elles sont plates , peu épaisses , et se détachent facile
ment de la peau , par l'action des topiques émolliens ; tandis que

dans les lèpres , elles sont rudes , âpres , tuberculeuses , d'une


surface très-étendue , profondément sillonnées et très-adhérentes
aux tégumens .
CCCCXXIX . On avoit cru trouver des rapports manifestes entre
les affections lépreuses et les affections psoriques . Un auteur an
cien avoit avancé que l'éléphantiase pouvoit être considérée
comme le plus haut degré de ces maladies si communes parmi le
peuple. Mais n'avons - nous pas vu dans nos hôpitaux des gales
compliquées parvenir à un degré d'intensité extrême , et pour
tant , en cette circonstance , jamais les accidens de la lèpre ne se
sont manifestés .

CCCCXXX . On a eu tort de vouloir confondre la lèpre avec la


syphilis et d'assurer qu'elle n'est qu'une modification ou méta
morphose de cette dernière affection : ces deux maladies peuvent
avoir, à la vérité , des phénomènes qui leur sont communs. On
observe effectivement que le vice syphilitique se convertit en élé
phantiase , se hérisse de croûtes tuberculeuses , etc.; mais dans la
lèpre , il survient communément une altération profonde de la
sensibilité , qui en fait une maladie à part. La lèpre est malheureu
sement une affection presque toujours incurable ; au contraire , la
syphilis se guérit assez constamment , quels que soient ses progrès.
CCCCXXXI. Les trois lèpres dont j'ai donné l'histoire , ne peu

vent se confondre entre elles. La lèpre squammeuse diffère mani


festement de la lèpre crustacée ; la présence et la disposition de
MALADIES DE LA PEAU. 123

ses écailles , suffisent pour l'en faire distinguer . Elle ne diffère pas
moins de l'éléphantiase ; car les taches qui la caractérisent ne sont
jamais accompagnées ni du gonflement , ni de l'endurcissement du
tissu cellulaire . Les taches de la lèpre squammeuse sont d'ailleurs
très -remarquables par l'aréole rouge qui les entoure , ainsi que

par la dépression qui s'opère dans leur centre , et dont les plus an
ciens auteurs ont parlé : un seul phénomène peut fréquemment

exister dans les trois espèces , c'est l'altération de la sensibilité.

ARTICLE III.

CONSIDÉRATIONS SUR LE PRONOSTIC DES LÈPRES.

CCCCXXXII . Quoique la nature soit le plus souvent impuis


sante dans les maladies lépreuses , il ne faut pas en conclure que
ses efforts sont , dans tous les cas , inutiles . Si le corps infecté est

robuste , il peut arriver que le venin s'use peu à peu et soit éliminé
de la masse des humeurs. Nous avons vu arriver à Paris un mili

taire de l'armée d'Égypte , entièrement guéri de la lèpre par les

soins de M. Larrey . Ce militaire , qui a obtenu sa réforme , tra


vaille aujourd'hui dans l'un des départemens de la France , et
jouit d'une santé parfaite.

CCCCXXXIII. On doit , du reste , présumer que ces maladies


étoient plus faciles à guérir dans les premiers temps de leur exis
tence ; toutefois , d'après l'aveu des plus anciens maîtres de l'art ,
elles étoient presque toujours suivies de la mort , lorsqu'elles par
venoient à une intensité considérable . Le grand et judicieux Aré
tée désespéroit surtout des malades , lorsqu'ils portoient sur leur
face l'empreinte de tous les désordres intérieurs qui affoiblissent
124 MALADIES DE LA PEAU.

les viscères , lorsque les traits de la physionomie étoient totalement


**
déformés , etc. C'étoit particulièrement un symptôme sinistre ,
que cette fonte colliquative qui s'établissoit dans les humeurs , que
cette horrible ulcération et décomposition du système vivant , etc.

CCCCXXXIV . Quelquefois les malades languissent , mais leurs K

fonctions intérieures , telles que la digestion , la respiration , etc. , 1


s'exécutent avec régularité . Il en est qui , dans cet état , vaquent
même aux devoirs du mariage , et fournissent une très - longue

carrière. Un voyageur m'a dit avoir vu , aux îles Philippines , une


famille entière de lépreux qui parvenoient tous à l'âge de soixante
dix ou soixante-quinze ans. Des médecins qui ont pratiqué leur
art dans les lieux où la lèpre est endémique , attestent que des •
enfans nés de parens infectés , sont fréquemment parvenus à un
état de santé supportable , lorsqu'on avoit soin de leur donner des
alimens choisis , lorsqu'on les confioit à des nourrices bien saines ,
enfin lorsqu'on prenoit toutes les mesures nécessaires pour étouf "
fer les progrès du virus lépreux.
CCCCXXXV . Il en est de la lèpre comme des autres maladies .
Cette affection est nécessairement très-dangereuse pour les com

plications dont elle est susceptible . On comprendra aisément que


lorsque le venin de la variole , du scorbut , du mal syphilitique ,
vient s'unir à une maladie aussi terrible que la lèpre , ces dif
férens maux doivent en accroître singulièrement les symptômes.

Il est néanmoins probable que la complication syphilitique est la


plus fréquente ; car, comme nous l'avons déjà observé , c'est un
des tristes accidens de la lèpre , qu'alors même que certains indi
vidus sont le rebut de la nature entière , ils sont tourmentés par
les désirs et les emportemens lascifs les plus effrénés. Les femmes
qui , dans cette circonstance , cèdent à la fougue de leur tempé
rament , doivent être ce qu'il y a de plus impur.
CCCCXXXVI . Il est encore une bien triste observation , c'est
qu'alors même que la lèpre ne se manifeste qu'avec les symptômes
MALADIES DE LA PEAU. 125

qui lui sont propres , et qu'elle est exempte de tout autre mélange
morbifique , son pronostic n'en est pas moins incertain , et que la
lèpre est presque toujours mortelle. Telle est l'opinion du célèbre
Franck. En effet , cette maladie porte spécialement son atteinte sur
les systèmes les plus importans de l'économie animale ; elle altère
radicalement la fonction la plus nécessaire à la vie , la nutrition ;
elle met obstacle aux sécrétions les plus nécessaires ; elle désorga
nise tous les tissus , et sape la vie jusque dans ses fondemens.
Ainsi donc , en général , on peut assurer que la lèpre est une ma
ladie fort dangereuse ; et , dans les cas même où elle n'entraîne pas
la mort des individus , l'existence qu'elle permet est plus triste
que la mort même.

CCCCXXXVII . D'après ce que nous avons dit sur les effets des
complications , le médecin doit , surtout , examiner ce qui arrive ,
lorsque d'autres maladies attaquent un lépreux . La variole , par
exemple , parcourt chez lui ses périodes comme dans un homme
sain ; si pourtant elle est confluente , et s'il survient de la diarrhée ,
les malades courent le risque d'une mort certaine. Schilling a vu
souvent que ,
dans des membres qui n'étoient que légèrement at
taqués avant l'invasion de la petite vérole confluente , les symp
tômes s'exaspéroient à un tel point que les doigts se séparoient de
leurs articulations , sans douleur et sans difficulté .
CCCCXXXVIII . Les enfans qui naissent de parens lépreux ,
dit l'auteur que je viens de citer, meurent presque toujours , à
moins qu'on ne les sépare , presqu'à leur naissance , de leur mère
infectée . Lorsqu'ils sont confiés à des nourrices saines , et qu'ils
sont transportés dans un air pur, ils sont quelquefois exempts de
cette maladie.

CCCCXXXIX . Il faut tirer le pronostic de la lèpre , non - seu


lement des périodes de la maladie , mais encore du tempérament
et de la constitution physique des individus . Pour qu'un médecin
puisse fixer son jugement , il doit préalablement s'informer des
126 MALADIES DE LA PEAU.

différentes causes qui ont pu produire la lèpre : c'est par cette

保罗
exploration qu'il parviendra à déterminer un traitement utile et
à prédire ce qui doit arriver.

CCCCXL. La lèpre est surtout une maladie dans laquelle il est


impossible de fixer le temps de la guérison . En effet , souvent on
1
ne voit sur le corps des malades que des signes très-légers de
l'existence de la lèpre , et pourtant le mal n'en est pas moins in

vétéré : c'est alors surtout qu'il faut beaucoup de temps et de soin
pour qu'on puisse l'extirper entièrement ; car personne n'ignore
qu'elle n'arrive à sa fin qu'après un intervalle de beaucoup d'an
nées.

ARTICLE IV.

DES CAUSES ORGANIQUES QUI INFLUENT SUR LE DÉVELOPPEMENT DES


LÈPRES .

CCCCXLI . Je ne rappellerai point ici tout ce que les anciens ont


écrit sur les causes organiques qui favorisent le développement
des affections lépreuses . On avoit présumé d'abord que ces fléaux
épouvantables étoient le triste résultat de quelque virus qui avoit
plus ou moins fermenté dans l'économie animale , et qui se déve
loppoit spontanément dans les humeurs . On avoit même disserté
avec plus ou moins de diffusion sur la nature de ce virus terrible

auquel on s'est plu à attribuer des qualités acides , alcalines , sa


lines , visqueuses , acrimonieuses ; enfin les qualités les plus véné
neuses et les plus malfaisantes ; mais le lecteur sentira combien il
est difficile d'écrire avec exactitude et précision sur des matières de
MALADIES DE LA PEAU.
127

ce genre . A quels écarts on se livreroit , si l'on adoptoit de pa


reilles hypothèses ! Les rôles qu'on a fait jouer à la pituite , à l'a
trabile , ne sont pas moins fictifs et imaginaires. On trouve aussi ,
dans les auteurs grecs et arabes , des dissertations prolixes sur la
corruption totale des humeurs dans toutes les affections lépreuses ,
qui ne sont pas mieux fondées.
CCCCXLII. Les symptômes qui se développent dans cette af
freuse maladie , le changement de couleur et l'insensibilité de la
peau , la tuméfaction du tissu cellulaire , la formation des tuber
cules , les ulcérations , les exfoliations écailleuses , les plaques croù
teuses , ne peuvent se manifester sans qu'il survienne une altéra
tion grave et profonde dans les vaisseaux et dans les nerfs qui se

distribuent au système dermoïde . C'est surtout dans les lympha


tiques que l'activité de la vie se ralentit ; le corps muqueux
éprouve des altérations morbifiques qui tiennent à la faculté qu'il
a de croître et de s'allonger ; ses aréoles se remplissent d'un suc
étranger : il se forme des végétations , des fongosités , des bour
soufflemens , des verrues , etc.

CCCCXLIII . Presque tout le monde s'accorde à dire que la voie


héréditaire est la cause la plus fréquente du développement de la
lèpre. On assure dit M. Valentin , que cette affreuse maladie
.

n'existe à Vitrolles , que parce que jadis elle y fut transportée par
les habitans de Martigues , qui s'y marièrent avec des personnes
atteintes de l'infection . Ce fut un nommé Goiran qui vint s'y éta
blir : il eut , dit - on , trois filles qui moururent de la maladie . J'ai
vu deux femmes à l'hôpital Saint-Louis , qui avoient reçu la lèpre
de leurs parens. M. Fodéré a fait la même remarque à Nice , où il
a été consulté par deux lépreux . La cause d'hérédité est si puis
sante , que les enfans qui naissent de parens lépreux , ne tardent
guère à périr, à moins qu'on ne s'empresse de modifier leur cons
titution physique en leur faisant sucer le lait d'une nourrice bien

saine et bien portante , en les faisant changer d'air, de climat et de


128 MALADIES DE LA PEAU .

situation , en n'omettant rien de ce qui peut modifier et améliorer


leur disposition originelle.
CCCCXLIV . Il peut arriver qu'une cause externe , agissant
avec véhémence sur les organes d'une mère , d'ailleurs très-saine ,
le fœtus en reçoive de telles impressions que les phénomènes de
la lèpre se développent quelque temps après la naissance . J'ai été
témoin d'un fait dont il importe de donner communication à nos
lecteurs . Une jeune demoiselle , qui se dirige d'après mes conseils ,
à Paris , est affectée des principaux phénomènes de la lèpre tuber •
culeuse. Son père et sa mère jouissent encore d'une santé par
faite ; mais celle-ci accoucha d'elle au milieu des massacres révo
lutionnaires. Elle avoit vu porter dans les rues la tête d'un mal
heureux , que le peuple de Paris venoit d'immoler à sa vengeance :
cette commotion rejaillit jusque sur l'enfant qu'elle portoit dans
son sein. Elle accoucha d'une fille qui est restée lépreuse depuis
cette époque , signalée par tant de calamités.
CCCCXLV . Parmi les causes originaires qui prédisposent aux
affections lépreuses , ne doit - on pas comprendre le tempérament

physique des individus ? Ceux dont le système lymphatique est


frappé d'une foiblesse relative , y sont plus exposés que les autres ;
aussi la lèpre dirige-t-elle spécialement ses ravages sur les glandes,
sur les membranes , sur les os et sur tous les organes qui coopèrent
à la nutrition.
CCCCXLVI. En faisant mention des dartres , nous avons eu

occasion de remarquer qu'elles devoient souvent leur origine à


d'autres maladies. Je n'ai pas vu à l'hôpital Saint - Louis que les

dartres les plus invétérées , aient jamais donné lieu aux phéno
mènes de la lèpre : on assure pourtant que les maladies herpéti
ques , scorbutiques ou syphilitiques , lorsqu'elles dégénèrent , peu
vent devenir ses causes productrices . D'ailleurs , il est possible que

des topiques indiscrètement employés pour guérir certaines ma


ladies de la peau , irritent cette enveloppe , au point de faire naître
MALADIES DE LA PEAU. 129

l'affection lépreuse : M. L. Valentin cite des exemples qui sem


blent le prouver .

CCCCXLVII . Le trouble ou l'arrêt des sécrétions les plus im


portantes dans l'économie animale , introduisent de grands désor
dres dans le tissu cellulaire et les vaisseaux absorbans : de cette

cause peuvent naître des affections lépreuses. Dans les climats


spécialement propres à favoriser leur marche et leur activité , on
les voit quelquefois succéder à la suppression des hémorroïdes .
Un médecin qui a beaucoup voyagé dans l'Amérique méridio
nale , a observé que la lèpre se manifestoit chez des jeunes filles
dont la menstruation étoit difficile ou interrompue : elle paroît

aussi non moins fréquemment chez des individus en bas âge , dont
l'accroissement s'effectue avec difficulté et irrégularité.

ARTICLE V.

DES CAUSES EXTÉRIEURES QU'ON CROIT PROPRES A FAVORISER


LE DÉVELOPPEMENT DES LÈPRES .

CCCCXLVIII . Le climat paroît influer d'une manière très


directe sur la production des différentes espèces de lèpre : c'est
principalement dans les contrées brûlantes du globe que se dé
ploie ce fléau si terrible pour le genre humain , et probablement
l'Afrique fut son berceau. Il ne faut rien moins qu'une tempéra

ture excessive pour produire les plus affreux résultats : aussi la


rencontre-t-on aux latitudes les plus opposées ; et la lèpre est

aussi funeste sur les glaces du Nord , que sous les feux ardens de
la zone torride .

CCCCXLIX . La lèpre est surtout fréquente dans les lieux où


une extrême chaleur s'unit à un air humide et chargé de miasmes
2 17.
130 MALADIES DE LA PEAU.

marécageux. Elle abonde chez les peuples qui habitent l'Arabie ,


l'Égypte , l'Abyssinie , l'Amérique méridionale , etc. Les îles de Java ,
de Sumatra , etc. , présentent des circonstances atmosphériques
qui favorisent singulièrement son activité . Elle dévaste le royaume
de Siam , parce que les terres y sont basses et presque submergées ,
que les habitations sont situées sur les bords de la mer , etc. On a
souvent parlé de l'île de Bourbon , comme propre au développe
ment de l'éléphantiasis ; or, cette île est remplie de lacs et d'eaux
croupissantes. L'homme que nous avons vu mourir à l'hôpital
Saint-Louis , de la lèpre tuberculeuse , avoit puisé le germe de son
horrible mal dans l'air impur de Cayenne. C'est la position mal

saine de Martigues , et son voisinage des salines , qui y rendent la


lèpre commune : les évaporations continuelles de l'étang contri
buent singulièrement à pervertir le tissu cellulaire.
CCCCL. La lèpre n'épargne que les climats dont l'air est fré
quemment renouvelé ; c'est ce qui arrive dans les pays où la vé
gétation est très -abondante. Mais comment ne pas redouter l'excès
de la chaleur atmosphérique , dans des lieux où tout semble con
courir pour la rendre plus malfaisante ; dans des déserts abandon

nés , où aucun arbre ne vient modérer son action ? Hendy attribue


la maladie glandulaire de l'île de la Barbade , à la disette des arbres
qui protégeoient autrefois cette île contre les ardeurs du soleil .
M. le docteur Alard , observateur exact et judicieux , accuse l'ac
tion des vents sur le système lymphatique . Il pense que parmi les

intempéries atmosphériques , il n'est pas de cause plus directe


que leur influence , pour la production de certaines endémies. Les

vents sont spécialement nuisibles par le contraste de leur fraî


cheur avec la haute température du climat. Les maladies lé
preuses sont également très-communes dans les pays où des nuits.

froides et humides succèdent à des journées brûlantes.


CCCCLI. Les alimens de mauvaise nature engendrent , à la

longue , tous les symptômes de la lèpre . Dans leurs chétives de


meures , les habitans des îles Moluques ne vivent que d'une viande
MALADIES DE LA PEAU. 131

putréfiée et corrompue ; aussi les lépreux de ces îles sont cou


verts de chancres , de verrues , etc. Les pauvres du Japon se
nourrissent de poissons gras et visqueux , et les Siamois préfèrent
le poisson pourri au poisson frais. Il est des peuples qui mangent
des sauterelles , des lézards , etc. L'usage du cochon peut produire
la lèpre ; aussi le législateur des Hébreux avoit-il interdit expres
sément la chair de cet animal. M. Larrey a observé les effets fu
nestes de cette nourriture sur les Français qui étoient en Égypte.
Il est digne d'attention qu'on en fait un fréquent emploi à l'île
de France , et que la lèpre y est très - commune , comme nous
l'avons déjà dit plus haut.
CCCCLII . Casal , qui a tracé une description fidèle de toutes les
affections cutanées , dans la province des Asturies , remarque très

bien que le maïs ou le millet des Indes fait la principale nourriture


de ceux qui sont atteints de cette maladie ; car leur pain est com
posé avec de la farine de maïs. C'est à l'aide de cette même farine ,
qu'ils fabriquent une bouillie qu'ils mêlent avec du lait ou du
beurre de lait. Ils n'ont presque toujours que des viandes salées ,
ou de mauvais fruit. Leur pain est fait avec de la pâte non fer
mentée . Ils n'ont à boire que de l'eau. Les peuples du Nord man
gent également des viandes salées , ou desséchées à l'air, etc. Leur

pain est de mauvaise farine d'avoine . Ils ne boivent que du lait


gâté. Ils se dessèchent l'estomac avec de la mauvaise eau-de
vie, etc.

CCCCLIII . On trouve assez habituellement la lèpre chez les peu


ples qui vivent dans une malpropreté extrême . M. Larrey observe
que les Égyptiens changent rarement de vêtemens ; qu'ils cou
chent, pendant l'été , sur un terrain sale et poudreux , etc. Si cette
maladie fut si commune immédiatement après les Croisades , c'est
qu'alors les hommes manquoient de linge et vivoient dans une
dégoûtante saleté. C'est , en grande partie , pour remédier à ces
inconvéniens , que Louis VIII fit bâtir tant de léproseries , et qu'il
assigna des revenus considérables à ces établissemens . Examinez
132 MALADIES DE LA PEAU.

tous les pays où la lèpre est endémique , vous verrez qu'elle est
presque toujours causée par la manière de vivre des habitans :

c'est un fait digne de remarque , qu'elle a disparu sur la terre à


mesure que les ressources de l'hygiène se sont multipliées. De nos
7
jours , les habitans des côtes de la Norwége ne sont sujets à la
radesyge , que parce qu'ils s'entassent dans des huttes malsaines ;

la fumée ne sort jamais de leurs demeures ; la plupart dorment


sans lit avec des habits mouillés. D'ailleurs leurs vêtemens sont

tissus avec une laine de mauvaise qualité ; on les imbibe d'huile


de poisson pour les rendre imperméables à la pluie : ce sont ces
sales vêtemens que les pêcheurs gardent souvent pendant plu
sieurs mois , jusqu'à ce qu'ils tombent en lambeaux. De là vient
sans doute que le métier de pêcheur contribue si fréquemment à

la production de cette maladie. M. Révolat , médecin de l'hôpital


militaire de Nice , vient de communiquer à M. Valentin l'histoire
d'un lépreux nommé Pierre Saraut , qui d'abord n'avoit eu qu'un
ulcère situé au-dessus de la malléole interne de la jambe gauche.

Mais l'existence pénible qu'avoit cet individu , et le contact habi


tuel de l'eau de la mer , avoient en quelque sorte décidé l'éléphan
tiasis ; cet homme vit encore aujourd'hui. Il se place ordinairement
sur le pont de Nice , pour implorer la générosité des passans .
CCCCLIV. On a , dans tous les temps , répandu l'épouvante

touchant le caractère contagieux de cette horrible maladie ; mais


on s'est trop fié peut-être , sur ce point , à des traditions menson
gères. Les livres saints nous rappellent tous les soins que Moïse se

donnoit pour séparer du peuple Juif les individus infectés de la

lèpre. Les lois anciennes commandoient les précautions les plus


sévères. Qui ne fuiroit un lépreux , dit énergiquement Arétée de
Cappadoce ! Schilling assure que cette affection est communicable
par le coït ; elle peut , dit-il , se transmettre par une co-habitation

continuelle , par l'haleine ,, par


par l'odeur fétide qui s'exhale des ul
cères : elle passe journellement des nourrices aux nourrissons , etc.

CCCCLV . Le virus lépreux , dit Schilling , a une qualité fer


MALADIES DE LA PEAU. 133

mentative ; il produit un mouvement intestin qui infecte succes


sivement la masse entière des humeurs . Aussi voit-on à Bagdad
un lieu solitaire environné d'un mur ; ce lieu est rempli de petites

baraques , dans lesquelles tous les lépreux sont contraints de se


retirer . Niebuhr , du reste , dans son voyage en Arabie , allègue un

fait qui prouveroit la contagion rapide de la lèpre , s'il étoit


d'une authenticité incontestable. Il rapporte qu'un individu lé
preux , ayant conçu une passion très-violente pour une femme ,
eut recours à une supercherie aussi odieuse que coupable pour

la posséder. Il se revêtit , pendant quelques jours , d'une chemise


fine , et parvint ensuite à la lui faire acheter pour un prix très
modique : à peine eut-il appris que la lèpre s'étoit communiquée
à l'objet de son amour , qu'il en fit informer le gouvernement , en
sorte que cette malheureuse victime se trouva bientôt renfermée
dans la même maison que lui.
CCCCLVI . M. de Pons , dans son voyage à la Terre- Ferme ,

parle des précautions sans nombre que prenoit , en Amérique , la


.
police espagnole , pour s'opposer à la propagation de l'infection
lépreuse. On portoit les scrupules jusqu'à classer dans le même
genre des maladies cutanées ou glanduleuses qui s'étoient montrées
rebelles à des remèdes énergiques , souvent même des maladies
qu'on ne se donnoit pas la peine de traiter , et qui offroient un
appareil de symptômes plus ou moins alarmans. M. de Pons fait

aussi mention d'un hôpital dédié à saint Lazare , qui est situé dans
la partie orientale de Caracas , et dans lequel on renfermoit les
personnes de l'un et de l'autre sexe , dont la peau se trouvoit
souillée par quelque ulcération ou par quelque pustule . Le moin
dre indice de lèpre que l'on rencontroit , faisoit décider que la

maladie étoit incurable on avoit soin pourtant de séparer les

sexes dans ces lieux de reclusion ; mais on leur permettoit de


s'unir par les liens du mariage ; grand inconvénient, puisque c'étoit
le moyen de propager une maladie si funeste . M. de Ste-Croix m'a

parlé de l'hôpital de Manille , lequel , au moment de son voyage


134 MALADIES DE LA PEAU.

aux îles Philippines , renfermoit environ une quarantaine de lé


preux. Cet hôpital , situé dans un lieu salubre , est desservi par
des religieux franciscains , qui sont logés à part et prennent des

précautions extrêmes , lorsqu'ils vont faire l'inspection de leurs


malades , etc. Ils ne touchent jamais aux vases ou autres meubles
dont se servent ces infortunés . On lave soigneusement avec de fort
vinaigre , les lieux où ils ont pu se reposer quelques instans , etc.
CCCCLVII. Quelques observateurs citent néanmoins d'autres
faits qui devroient faire révoquer en doute l'influence de la conta
gion sur le développement de la lèpre . M. Sonnini parle d'un
homme doué d'un tempérament très-ardent , qui communiquoit
souvent avec sa femme , quoique celle-ci n'eût jamais éprouvé
aucun symptôme de pareille maladie . Ce qui doit surprendre ,
c'est que trois enfans nés de leur union , jouissoient également de

la meilleure santé . Pallas dit qu'un grand nombre de Cosaques


commercent journellement avec des personnes attaquées de la
lèpre , sans la contracter , ou que du moins cette maladie ne se
communique qu'avec une extrême lenteur. Les deux individus

lépreux que nous avons gardés à l'hôpital Saint-Louis , n'ont ja


mais été séquestrés de leurs voisins . Ils recevoient des soins très
particuliers de nos charitables religieuses et de nos infirmiers.
CCCCLVIII . Rien de plus manifeste que l'action des causes mora
les sur la production de la lèpre. M. le docteur Lordat a justement
apprécié ces causes. Il a vu un homme dont j'ai déjà cité l'obser
vation , et chez lequel la crainte avoit déjà déterminé les premiers
symptômes de cette maladie . Il remarque que ces affections sont
très-souvent le triste résultat de l'oppression et de l'esclavage .
M. Martin a vu l'exemple d'une jeune fille chez laquelle les symp
tômes de la lèpre se manifestèrent quelque temps après être
tombée dans un puits , et avoir éprouvé la plus vive frayeur.
CCCCLIX . Des causes purement mécaniques peuvent déter
miner des accidens absolument analogues à ceux de la Lèpre tu
berculeuse . Nous avons eu occasion d'observer à l'hôpital St. -Louis
MALADIES DE LA PEAU. 135

la nommée Marie-Agnès Lequilien , tapissière , qui , six mois au


paravant , avoit été opérée d'un cancer au sein gauche . Le bras et
l'avant-bras du même côté s'étoient successivement tuméfiés , et

étoient devenus d'un volume et d'une pesanteur aussi considérables

que dans l'éléphantiasis . La peau , prodigieusement tendue , faisoit


éprouver dans toute la longueur du membre un sentiment de cons
triction et de fourmillement ; ensuite le membre devint insensible :

il présentoit plusieurs éminences larges , aplaties et de forme variée,


qui paroissoient tenir à une épaisseur plus considérable du chorion .
On observoit sur la peau des granulations, des rides, des gerçures ,

des dépressions telles qu'on les remarque dans l'espèce de lèpre


que je viens d'indiquer.

ARTICLE VI .

DES RÉSULTATS fournis par L'AUTOPSIE CADAVÉRIQUE des lépreux .

CCCCLX . N'espérons point puiser de grandes lumières dans les


autopsies cadavériques. La lèpre se montre si rarement de nos
jours , que l'occasion manque pour les pratiquer . Personne
n'ignore que l'anatomie est à peine cultivée dans les lieux où
réside cette affection endémique . Jadis , lorsqu'elle infestoit
toutes les contrées de l'Europe , la superstition , l'ignorance , les
préjugés , les vaines craintes , interdisoient aux gens de l'art les
plus utiles recherches. Je vais citer quelques faits qui ne sont
pas sans intérêt.

CCCCLXI . Dans un savant mémoire présenté à la Faculté de


Médecine de Paris , M. le docteur Valentin fait mention de l'ou
verture d'une femme , morte de la lèpre tuberculeuse , par

M. Martin , chirurgien distingué de Vitrolles. Ni les viscères du


thorax , ni ceux de l'abdomen , n'offrirent aucune altération
remarquable . On disséqua avec soin les tumeurs sous-cutanées ;
136 MALADIES DE LA PEAU.

ces tumeurs étoient des kistes contenant une sérosité gluante et


de couleur rougeâtre .

CCCCLXII . M. Larrey ayant ouvert le cadavre d'un militaire


qui avoit succombé à la lèpre , fut frappé du volume extraordi
naire qu'avoit acquis le foie ; la couleur de ce viscère étoit
considérablement altérée et rembrunie ; il étoit d'une dureté

extrême. La vésicule du fiel étoit pleine d'une bile très -épaisse .


La rate étoit squirreuse. Il y avoit un engorgement considérable
dans les glandes du mésentère . On apercevoit çà et là des tuber
cules très-durs , et qui avoient la consistance d'une matière
gypseuse. Le tissu cellulaire , considérablement aminci , étoit
parsemé de granulations plâtreuses et d'une couleur blan
châtre . La peau n'avoit plus l'élasticité qui lui étoit propre ; elle
étoit dure et coriace comme le parchemin.

CCCCLXIII. J'ai été témoin oculaire du fait qui va suivre.


M. Ruette , ancien élève de l'hôpital Saint-Louis , excellent
observateur , procéda , en ma présence , à l'autopsie cadavérique
du nommé Arnout , mort de l'éléphantiasis , et dont j'ai déjà cité
l'observation. Voici les phénomènes dont nous crûmes devoir tenir
compte. L'organe pulmonaire étoit dans une espèce de fonte pu
rulente ; la rate et le foie n'avoient point leur couleur ordinaire ;
le tissu de ces viscères étoit flasque et mollasse ; la langue et tout le
corps muqueux étoient parsemés de tubercules durs ; il y avoit

de fortes adhérences entre les muscles et les tendons ; les vais


seaux artériels étoient remplis d'un sang visqueux et noirâtre .
CCCCLXIV. Cette observation se rapproche beaucoup de celle

qui avoit été faite par Schilling ; il avoit remarqué que toutes les
fois qu'on amputoit la jambe ou la cuisse à un lépreux , on
n'avoit pas besoin de lier l'artère crurale , ni de recourir aux

styptiques , attendu que le jet du sang est très -foible . Schilling


avoit pareillement observé que la couleur du sang des lépreux
étoit plus obscure et comme noirâtre. Le sang des lépreux , re
ceuilli dans des vases , n'offre qu'une très-petite quantité de
MALADIES DE LA PEAU. 137

sérum : j'ai fait la même remarque sur le sang des scorbutiques


à l'hôpital Saint - Louis .

CCCCLXV . Les os d'Arnout, que nous examinâmes de concert


avec M. Ruette , étoient spongieux et ramollis . Ce genre d'alté
ration s'observe fréquemment chez les lépreux . On n'y trouve
aucun vestige de périoste. Leurs lamelles internes se séparent
facilement les unes des autres ; leur cavité ne contient plus de
substance médullaire ; ils ne forment , avec les tendons et les
muscles , qu'une masse compacte et lardacée. On a vu des sujets
chez lesquels le radius , le cubitus , le tibia et le péroné , les petits
osselets des pieds , etc. , étoient tellement réunis , adhérens et
confondus , que le plus habile anatomiste pouvoit à peine les
démêler. C'est surtout à Schilling que l'on doit ces remarques .

CCCCLXVI. Je dois consigner ici l'autopsie cadavérique d'un

individu dont je rapporte l'histoire dans cette dissertation . J'ai


déjà dit qu'il étoit mort après avoir parcouru toutes les périodes
de l'éléphantiasis . Nous procédâmes à l'ouverture du cadavre ,
qui présenta les phénomènes suivans. L'habitude du corps étoit

blafarde , jaunâtre ; le visage offroit des rides très - prononcées ,


surtout au front et au-dessus des commissures des lèvres ; les
yeux dépourvus de cils et de sourcils ; les paupières altérées par
une matière puriforme avec quelques croûtes irrégulières d'un
jaune verdâtre ; tous les poils du menton et des lèvres , en partie
tombés ; enduit fuligineux des gencives et de la langue ; les
bras , particulièrement le bras gauche , dépouillés de l'épiderme ,
laissoient le tissu muqueux à découvert et semé de larges plaques
gangréneuses ; les ongles étoient desséchés et détachés ; même
disposition dans les extrémités inférieures , lesquelles étoient en
partie infiltrées , et en partie phlogosées , etc. L'état intérieur
n'étoit
pas mieux . Les glandes de la peau étoient engorgées ; les
os du crâne étoient friables ; point d'épanchement dans les ven
tricules du cerveau ; seulement à sa partie postérieure nous avons
remarqué un peu de sérosité accumulée entre l'arachnoïde et la

2 18.
138 MALADIES DE LA PEAU.

pie-mère ; le cervelet d'ailleurs très-sain ; dans la poitrine , la


plèvre étoit adhérente avec le poumon ; le péricarde sain sans
épanchement dans sa cavité ; le cœur plus volumineux d'un quart
que dans l'état ordinaire ; dans les ventricules , des portions
polypeuses , offrant l'aspect et la consistance de la fibrine ; pour
ce qui est de l'abdomen , le foie étoit dans son état naturel sans
la moindre lésion ; la vésicule très -distendue par une grande

quantité de fluide jaunâtre , contenant en outre quelques calculs


biliaires ; le mésentère étoit parsemé de tubercules comme pier

reux ; les intestins , l'estomac , l'œsophage , le pharynx , le larynx


étoient recouverts d'un enduit muqueux d'une couleur bleuâ
tre ; la rate étoit plus volumineuse et plus consistante que de
coutume ; le pancréas et les reins dans l'état sain , ainsi que les

capsules et les uretères ; la vessie étoit racornie extraordinaire

ment , au point qu'elle eût pu contenir à peine un œuf de poule ;


les membranes de ce viscère étoient devenues prodigieusement
épaisses.
CCCCLXVII. Vous comparerez cette série de dégradations
observées à l'hôpital Saint- Louis , avec celles qui ont été l'objet
des recherches de Schilling , de Raymond , de Lorry, de Laborde ,
de Bajon , de Vidal , de L. Valentin, et autres auteurs qui se sont
occupés avec zèle de cet intéressant sujet d'observation ; vous y
trouverez une analogie singulière dans les symptômes et dans les
phénomènes , qui ne permet plus de confondre la place qu'il
convient d'assigner aux lèpres dans les systèmes nosologiques.
MALADIES DE LA PEAU. 139

ARTICLE VII.

VUES GÉNÉRALES SUR LE TRAITEMENT DES LÈPRES .

CCCCLXVIII . Tout est à rechercher , tout est à découvrir dans


le traitement qui convient le mieux à la guérison des lèpres .
En effet , comment cette affection seroit- elle combattue avec
succès dans des climats où règne un aveugle empirisme , où
toute méthode curative est négligée , où on se complait , pour
ainsi dire , avec son mal , où l'on se familiarise avec ses symptô
mes , où l'on vit dans une ignorance complète des règles de l'art ?
CCCCLXIX . Ce qui est cause sans doute qu'on a encore si peu

perfectionné les procédés curatifs des lèpres , c'est la persuasion


où l'on est que cette maladie est incurable . J'ai déjà eu occasion
d'observer que dans presque tous les pays , on séquestre les
lépreux , et qu'on les abandonne à leur malheureux sort. Cette
mesure s'exécute même sur les nègres qu'on auroit intérêt de
guérir et de conserver , ainsi que l'assure Bajon , ancien chirur

gien-major de l'île de Cayenne . A peine voit-on se manifester


chez eux quelques légers accidens , qu'on les renferme dans des

cases séparées , et c'est là qu'on se contente de les nourrir pen


dant le reste de leur vie. Bajon ajoute même que lorsque les
blancs sont atteints du Mal-rouge , ou , ce qui est la même chose ,
de la lèpre tuberculeuse , ils n'osent révéler leur maladie à per

sonne , et qu'ils la cachent aussi long-temps qu'ils le peuvent ;


alors même qu'elle se manifeste aux mains et au visage , ils res
tent indifférens et consultent rarement les personnes de l'art
ils ont plutôt recours à des arcanes , ou à des topiques insignifians
qui aggravent singulièrement leur position .
CCCCLXX . D'ailleurs la destruction d'un tel fléau exige
140 MALADIES DE LA PEAU.

munément un très-long espace de temps , et les malades man


quent presque toujours de patience . L'anecdote suivante le
prouve. M. Desgenettes , qui s'est couvert de gloire à l'armée
d'Orient , par ses lumières autant que par son intrépide courage ,
étoit un jour consulté par un Arabe lépreux de la caravane du
Mont Sinaï , qui , malgré sa dégoûtante infirmité , ne laissoit pas
de vaquer encore à des travaux pénibles . La peau de cet homme
ressembloit à du cuir desséché ; elle étoit toute couverte de cica
trices , parce qu'on avoit déjà eu recours à l'application du feu.
Le célèbre médecin que je viens de nommer , lui parla d'abord
d'un traitement préparatoire qui dureroit environ trois mois :
c'étoit des bains tièdes et quelques préparations opiacées. Trois

mois , répondit l'Arabe impatienté ,je pensois qu'à l'aide de quel


que charme tu me soulagerois promptement ; je veux , avant que

le soleil se lève trois fois , étre hors de l'Égypte.


CCCCLXXI . On voit , d'après ce que je viens de dire , d'où
vient que si peu d'individus guérissent de cette horrible maladie.

Bien loin de ralentir leur zèle , les praticiens doivent donc forti
fier le courage des lépreux ; ils ne doivent pas néanmoins leur
dissimuler le danger qui les menace , et combien il faut de
persévérance dans l'observation des lois diététiques et des remè
des que l'art prescrit. Cette observation est si nécessaire , qu'il est

souvent arrivé que les malades tomboient dans le désespoir au

moment où la nature étoit sur le point de reprendre son énergie


et son pouvoir.
CCCCLXXII . Un traitement aussi difficile que celui de la lèpre ,
exige nécessairement quelques moyens préparatoires ; il importe ,
en conséquence , de rechercher quelles sont les causes qui ont
pu la faire naître. Si cette maladie dépend de la violation du
régime , il ne faut donner aux lépreux qu'une nourriture saine
et de bonne digestion . Le savant et laborieux M. Roussille
Chamseru , auteur du Rapport sur le Mal-rouge de Cayenne ,
a judicieusement insisté sur la nécessité de changer les alimens
MALADIES DE LA PEAU. 141

du malade , et de ne lui administrer qu'une nourriture fort


douce , etc. Si la malpropreté la développe , on placera le malade
en bon air , etc. La plupart des affections lépreuses n'étoient
produites autrefois que par l'oubli des règles de l'hygiène , par
la disette du linge , etc. On doit obvier à ces diverses causes
avant de commencer un traitement.

CCCCLXXIII . Comme il est constant que la lèpre est fré


quemment entretenue par des influences locales et atmosphéri
ques , il est parfois nécessaire de faire passer les lépreux dans
d'autres pays : c'est ainsi qu'il seroit utile de transporter ailleurs

ceux de Vitrolles. Une jeune dame est arrivée de Saint- Domingue


à Paris , avec les premiers accidens de la lèpre tuberculeuse .
Son corps étoit souillé de taches et de pustules rougeâtres. Il est
digne d'observation que le mal n'a plus fait de progrès , et qu'il
est au contraire sensiblement diminué depuis qu'elle habite un
climat tempéré . Un des grands moyens pour la réussite d'un
plan de traitement , seroit donc de faire voyager les lépreux et
de les placer sous un nouveau ciel. D'ailleurs , il est hors de
doute que le mouvement doit singulièrement seconder l'action

des divers remèdes , puisque rien ne peut contribuer davantage


à rétablir la transpiration .
CCCCLXXIV . Il paroît que dans le traitement des lèpres , le
froid entrave puissamment la marche et l'activité des efforts de

la nature ; aussi a-t-on constaté , par l'expérience , que les remèdes


qu'on administre pendant l'hiver , sont plus nuisibles qu'utiles ;
qu'ils suscitent le dévoiement , la foiblesse , les spasmes , sans
jamais apporter le moindre soulagement.
CCCCLXXV . Ce qui déconcerte le médecin dans le traitement
des maladies lépreuses , c'est qu'il survient parfois d'autres mala
dies qui peuvent être considérées comme des épiphénomènes ;
telles sont les fièvres inflammatoires et adynamiques , les petites
véroles , etc. Dans ce cas , il est urgent de remédier aux symptômes

de la maladie aiguë ; on a recours sans délai aux anti-phlogistiques ;


142 MALADIES DE LA PEAU.

c'est le précepte que donnent les praticiens exercés. Si la fièvre

est d'un genre très- putride , on a recours aux anti-septiques les


plus forts. On met à contribution l'écorce du Pérou . Il n'est pas
rare de voir les mouvemens fébriles être très-favorables à la cu

ration de la maladie lépreuse. Il n'en est pas de même , lorsque la


lèpre se complique avec d'autres maladies chroniques , particuliè
rement avec des maladies qui atteignent plus ou moins profondé
ment les glandes et le système lymphatique ; ces affections se
fortifient alors l'une par l'autre , et les lépreux sont dans un
danger imminent.

ARTICLE VIII .

DU TRAITEMENT INTERNE EMPLOYÉ POUR LA GUÉRISON DES LÈPRES .

CCCCLXXVI. On est dans un grand embarras , quand on veut

déterminer quels sont les remèdes intérieurs qui conviennent


dans le traitement des diverses lèpres on n'a rien acquis de
positif sur ce point. Il faudroit , dit Pallas , que ces maladies
fussent observées pendant plusieurs années par des médecins
instruits ; alors on parviendroit peut-être à arrêter leurs funestes
progrès et à les détruire entièrement. Je l'ai déjà fait remarquer .
La lèpre semble ne s'être développée , jusqu'à ce jour , que sur le
sol de l'empirisme ; aussi l'a-t-on traitée sans méthode et sans
discernement. Pour trouver , en conséquence , les remèdes les
plus propres à combattre ses accidens , n'est-il pas utile de bien
noter les cas dans lesquels la nature a agi salutairement , et a
triomphe de l'intensité du mal ? Il faut connoître les procédés
curatifs que le hasard a fournis ; car c'est ainsi que la plupart des
remèdes ont été découverts , et qu'on est parvenu à perfectionner

le traitement de presque toutes les maladies .


MALADIES DE LA PEAU. 143

CCCCLXXVII . En attendant que l'expérience ait mieux pro

noncé , je me bornerai à citer quelques faits . Nous avons déjà


parlé plusieurs fois du nommé Fourrat , chez lequel la lèpre s'étoit

portée au plus haut degré d'intensité . Lorsqu'il arriva de l'Égypte


en France , il étoit dans un état de maigreur difficile à décrire ;
ses yeux étoient caves et plombés ; ses lèvres grosses et livides
ses fosses nasales gonflées ; son visage étoit sillonné par des rides
hideuses ; son haleine étoit empestée ; ses mains et ses pieds en
gourdis et presqu'insensibles ; sur ses genoux et sur ses coudes ,
s'élevoient des croûtes tuberculeuses qui recouvroient des ulcères
affreux ; le malade étoit dévoré de mélancolie : tel étoit son état ,

lorsque M. Larrey entreprit de le traiter . On lui administra d'abord


quelques légers laxatifs ; il fut mis ensuite à l'usage d'une décoction
de racine de bardane et de patience. Le matin , Fourrat prenoit
du vin de quinquina à des doses plus ou moins fortes ; le soir , on
lui administroit une petite dose de sirop de salsepareille pour

provoquer la transpiration et pour apaiser les douleurs de la


nuit ; le camphre et l'opium trouvoient leur emploi . Parfois on
substituoit à ces moyens quelques sudorifiques plus actifs , comme ,

par exemple , le soufre doré d'antimoine , etc. On donnoit des ex


traits amers : celui de fumeterre étoit préféré . Quant aux ulcères ,
on avoit d'abord provoqué la chute des croûtes par des applica
tions émollientes , et les pansemens se faisoient avec la pommade
anodine . Quelque temps après , M. Larrey eut besoin de recourir
au cautère actuel , pour rétablir la sensibilité dans les parties qui
environnoient les ulcères lépreux , etc. C'est par ces moyens sim

ples que Fourrat parvint , dans la suite , à une entière guérison .


Depuis ce temps , les cicatrices dont tout son corps est parsemé ,
sont restées fermes et solides .

CCCCLXXVIII. Au surplus , dans une matière aussi nouvelle et


aussi peu avancée que la lèpre , chaque médecin a , pour ainsi dire ,
proposé sa recette , sa plante ou son remède de préférence. Schil
ling préconise la décoction d'un bois et d'une racine qu'on ap
144 MALADIES DE LA PEAU.

pelle Tondin , et que l'on dit appartenir au genre des Paulinia :


c'est un arbrisseau qui croît dans les marais de la colonie de Su
rinam , et qui est remarquable par son amertume et son astrin
gence . En Crimée , on cherche à guérir cette maladie avec la

décoction d'une espèce de raisin de mer ( anapsis aphylla ) , qui


vient dans ce pays , ainsi que sur les bords du Jaïck , où il a été
employé de même , mais sans succès .
CCCCLXXIX . Toutes les plantes toniques et sudorifiques

ont été citées avec éloge. On a loué avec exagération la saponaire ,


la salsepareille , la contrayerva , la serpentaire de Virginie , la
zédoaire , etc. Odhélius recommande le ledum palustre ; Callisen ,
le trèfle d'eau et l'écorce d'orme pyramidal ; Crichton , médecin
de l'hôpital de Westminster , a procédé à quelques essais sur les
effets de la douce-amère , et il assure avoir obtenu les plus grands
succès de l'administration de cette plante. M. de Pons a vu guérir
à Saint-Domingue une maladie qui avoit tous les caractères de la
lèpre . Le malade avoit le corps couvert de pustules , et les pha
langes de ses doigts rongées ; les ongles s'en détachoient déjà. Un
régime convenable et un sirop composé de sassafras , de gayac ,
de salsepareille et de squine , firent disparoître tous ces hideux
symptômes. Dans l'espace de deux mois , le malade recouvra une
santé parfaite . Cette cure honorable fut dirigée par M. Raiffer ,
inédecin français .
CCCCLXXX . Le docteur Mangor , qui s'est beaucoup occupé

de la radesyge ou lèpre du Nord , donnoit six grains d'extrait de


ciguë à prendre deux fois par jour ; il soumettoit en même temps
les malades à une diète très- rigoureuse . Bruce , dans son voyage
en Nubie et en Abyssinie , fait mention des expériences qu'il a
inutilement tentées avec l'extrait de ciguë préparé à la manière
de Stork. Il rapporte lui-même qu'il eut occasion de voir dans une
maison voisine de la sienne , un homme affecté de l'éléphantiasis ,
et qu'il fut à même de l'observer consécutivement pendant deux
années ; c'est alors qu'il fit l'essai de ce remède , soit extérieure
MALADIES DE LA PEAU. 145

ment , soit inté


rieurement , d'après l'indication du célèbre Russel ,
Inédecin d'Alep , sans procurer le moindre soulagement au ma
lade les expériences furent faites dans l'Abyssinie . Bruce , pen
dant son séjour à Gondar , avoit obtenu du roi et du raz Michaël ,
la permission de procéder à tous les essais qu'il jugeroit conve
nables , afin d'éclaircir ce point intéressant de médecine -pra
tique .
CCCCLXXXI. Pour combattre une maladie aussi terrible que

la lèpre , il est probable néanmoins qu'on pourroit tirer quelque


parti des plantes vénéneuses , si on étoit fixé sur leur mode d'ad
ministration. Le fait suivant prouve que leur action perturbatrice

seroit d'une grande utilité. M. de Ste. -Croix a ouï dire dans l'Inde ,
qu'un malheureux lépreux souffroit tant qu'il avoit résolu de se
détruire. Il eut recours , pour y parvenir , aux branches d'une
espèce de thitimale , dont le suc laiteux et corrosif passe dans le
pays pour un poison très-violent. Au lieu de trouver la mort ,

il éprouva une commotion extraordinaire qui fit disparoître la


lèpre.
CCCCLXXXII . Depuis fort long-temps on avoit vanté les effets
de la teinture de cantharides pour le traitement de la lèpre ;
mais M. Robert Willan , qui l'a combinée avec l'écorce du Pérou ,
prétend n'en avoir retiré aucun effet avantageux . N'est- ce pas
ici le cas de parler d'un médicament dont l'administration inspi
roit d'abord de vives craintes , et que les médecins de l'Inde ne
craignoient pas d'opposer aux progrès dévastateurs de l'éléphan
tiasis ? c'est l'arséniate de potasse qui forme la base de la solution
si connue de Fowler. Les docteurs John Redman Coxe et

Thomas Girdlastone affirment avoir opéré des cures merveilleuses


par cette préparation : la dose est de dix ou douze gouttes , qu'on
augmente successivement et qu'on administre dans un véhicule
quelconque. Quelques praticiens ont proposé l'arséniate de soude

qu'on fait dissoudre dans quelque eau spiritueuse , comme l'eau de


fenouil , de menthe , etc. Je ne puis dire à quel point ce remède
2 19.
ES
146 MALADI DE LA PEAU .

a pu être favorable ; j'ignore sur quels faits s'appuient de sembla 1


bles observations .

CCCCLXXXIII . On ne s'est pas contenté de recourir aux sels


neutres arsenicaux . On a osé introduire l'arsenic même dans les

diverses recettes qu'on a proposées pour combattre un mal aussi


!
redoutable que la lèpre . Je crois devoir consigner ici l'extrait
d'un Mémoire persan , rédigé par le fils du médecin de Thamas ar

Kouli-Kan. Il avoit accompagné ce célèbre conquérant dans son H


expédition fameuse pour l'Indoustan , et il raconte lui-même 1
comment ce secret lui fut révélé. Ce fut , dit-il , en 1783 , qu'il
reçut la visite du sage Maulavi -Mir- Muhamet Hussai'n , homme

très-versé dans toutes les connoissances utiles , lequel étoit ac


compagné de M. Richard Johnson , et se rendoit de Lac'hnan à E
Calcutta . Il se fit un plaisir de communiquer à l'auteur du Mémoire
que je cite , une ancienne formule des médecins hindous , qu'il
disoit n'être pas seulement utile pour combattre le jud❜ham ou
éléphantiasis , mais encore toutes les maladies lymphatiques du
même genre. La préparation s'effectue ainsi qu'il suit. On prend
un tolà ( 105 grains ) d'arsenic blanc nouvellement préparé , et six
fois autant de poivre noir ; on les triture et pulvérise ensemble
pendant quatre jours consécutifs dans un mortier de fer ; on les

réduit ensuite en poudre impalpable dans un mortier de pierre ,


avec un pilon de même matière , et on ajoute une quantité suffi
sante d'eau pure pour composer des pilules de la grosseur d'un

grain d'ivraie ou d'un petit pois : on en prend une soir et matin ,


dans une feuille de bétel ou dans de l'eau froide. Le fils du méde

cin de Thamas- Kouli -Kan , conformément aux conseils de son

savant et respectacle ami Maulavi-Mir-Muhamet Hussai’n , l'admi


nistra à plusieurs malades très- dangereusement atteints . Dieu est
témoin , ajoute-t-il , qu'ils se trouvèrent mieux , qu'ils furent

complètement guéris , et qu'ils sont maintenant vivans , à l'excep


tion d'un ou deux qui moururent par d'autres accidens. On peut
consulter les faits qu'il rapporte au sujet de plusieurs individus
MALADIES DE LA PEAU. 147

qui ont été rapidement guéris du jud'ham , par l'emploi d'un tel
remède. Extraits of Asiatic Researches , or Transactions ofthe
society , institutes in Bengal , sor inquiring into they history and
antiquities, the arts , sciences and litterature of Asia.
CCCCLXXXIV . Quelquefois , les moyens les plus doux sont
plus efficaces que les remèdes énergiques dont nous venons de
parler. A l'île de France , un individu attaqué de la lèpre , ayant
ouï dire que l'île déserte et sablonneuse ( Diego Garcias ) abondoit

en tortues de mer , s'y transporta , dans l'idée que les bouillons


faits avec la viande de ces animaux , et qui passent pour être anti
scorbutiques , pourroient opérer sa guérison . La tradition ajoute
qu'au bout de quelques mois , il fut effectivement rétabli . Tous
les jours , dit- on , il prenoit un bain de sable , qui provoquoit une
sueur abondante. Les matelots attaqués du scorbut , en revenant
des Indes orientales , ont recours au même remède à l'île déserte
de l'Ascension , qui fournit beaucoup de tortues , dont le bouillon
leur est prodigué. On a donné trop d'éloges à la chair de vipère
ou de lézard , qui n'agit pas mieux , en pareil cas , que la chair de
poulet les eaux d'orge , de gruau , etc. , sont très-convenables.
CCCCLXXXV. Un changement total dans la nourriture peut

opérer une révolution salutaire , et procurer la guérison. Casal


parle d'une femme lépreuse qui se mit à désirer et à rechercher
avec soin le beurre de lait de vache ; elle vendoit tout ce qu'elle
avoit pour en acheter et s'en nourrir : ce régime fit disparoître tous
les symptômes. J'ai vu , du reste , un homme atteint d'une dartre
squammeuse incurable , que la diète lactée soulageoit insensible
ment aussitôt qu'il s'y soumettoit ; ce qui prouve qu'on pourroit
tirer un grand parti du régime.
148 MALADIES DE LA PEAU .

ARTICLE IX .

DU TRAITEMENT EXTERNE EMPLOYÉ POUR LA GUÉRISON DES LÈPRES .

CCCCLXXXVI. Il faut mettre à la tête des moyens externes

qu'on peut employer avec le plus d'avantage pour la guérison des


lèpres , les bains tièdes et émolliens , dont Raymond faisoit un
fréquent usage. Russel accordoit la préférence aux bains de mer ;
Lorry recommandoit les bains de vapeur. C'est ici le lieu de répé
ter les grands éloges qu'on s'accorde à donner aux eaux sulfureuses
de Barèges , de Bagnères-de-Luchon , etc. Un homme âgé d'en
viron quarante ans , atteint d'une lèpre squammeuse commen–
çante , vint réclamer mes soins à Paris ; je lui conseillai les eaux
sulfureuses de Tivoli . Il fut d'observation authentique qu'à me

sure qu'il prenoit des douches , la peau devenoit plus souple , et


les symptômes extérieurs s'évanouissoient . Cet homme partit à peu
près guéri ; seulement il est vrai de dire que sa peau conservoit
une certaine disposition à s'exfolier . J'ignore si l'hiver aura produit
une rechute.
CCCCLXXXVII . Les médicamens qui sont les plus propres à la

guériron des lèpres , sont , sans contredit , ceux qui sont les plus
propres à rétablir la transpiration . A l'hôpital Saint- Louis , nous
employons les bains fumigatoires sulfureux , les bains de va
peur , etc. Quoique les bains tièdes conviennent principalement
pour remplir ce but , on a observé avec raison qu'il falloit en user
avec une extrême prudence ; car , si la lèpre est parvenue à son
plus haut degré d'intensité , les malades ne peuvent guère les sup
porter sans de grandes anxiétés , des lassitudes , des palpitations ,
des spasmes , des convulsions , etc. J'ai voulu faire administrer des

bains à une jeune lépreuse qui se trouvoit à l'hôpital Saint-Louis ;


elle souffroit davantage , et pouvoit à peine s'y soutenir .
MALADIES DE LA PEAU. 149

CCCCLXXXVIII . M. Lordat a proposé récemment l'usage des fric


tions mercurielles , pour la curation de l'éléphantiasis . Son dessein ,
dit-il , étoit de relever l'activité du système absorbant , et de dé
gorger ainsi le tissu cellulaire. Un semblable moyen avoit été d'a
bord discrédité . M. Lordat pense effectivement que , dans quelques
circonstances , il a pu renforcer la disposition scorbutique : peut

être ce remède réussiroit- il , si l'on prenoit des précautions qui ne


sont pas encore bien déterminées . J'ai lu quelque part qu'à Oren
bourg , on provoqua la salivation chez un Cosaque qui étoit à mi
terme de sa maladie , ce qui lui fit rendre une grande quantité de
sang. La lèpre avoit paru diminuer ; mais ce Cosaque , livré à
lui-même , au lieu d'observer un régime , reprit son service or
dinaire , et le mal reparut avec plus de violence . J'ai voulu faire
l'essai des frictions mercurielles sur une jeune lépreuse dont j'ai

eu occasion de parler dans le cours de cette dissertation . A chaque


friction , la malade éprouvoit de forts accès de fièvre qui m'empê–
chèrent de continuer ; je me bornai alors à des frictions pratiquées

sur toute la peau , avec un linge imprégné de la fumée de soufre ,


comme l'avoit jadis conseillé Boerhaave en semblable occasion ,
pour une femme atteinte de la lèpre squammeuse .
CCCCLXXXIX . Il importe d'avoir un soin particulier des
ulcères lépreux , que l'on pourra panser avec la teinture de myr
the , celle d'aloës , etc. ; on use aussi de la décoction de quinquina

ou de quelque bois aromatique. On interdit l'onguent mercuriel ;


mais quelques médecins anglais indiquent l'onguent de goudron ;
l'on fait en même temps usage des lotions aqueuses ou saturnines ,
fréquemment renouvelées . Quand l'épiderme se régénère , il con
vient de fortifier l'organe cutané par des lotions spiritueuses , et
de pratiquer des embrocations sur toute la surface du corps. Au

surplus , je n'en dirai pas davantage sur une matière de cette im


portance ; j'imiterai la prudence d'un célèbre praticien de nos jours ,
et je dirai comme lui : Nos nostrum his de rebus , donec certior
experientia loquatur , suspendimus judicium.
LES PIANS.

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES PIANS .

CCCCXC . Je n'ai pu voir que deux fois ce genre extraordi


naire de maladie ; mais j'ai recueilli , sur sa nature , les documens
les plus authentiques . J'ai rassemblé les observations avec la plus
sévère impartialité . Pour éclaircir les faits incertains , j'ai cru qu'il
étoit convenable de m'affranchir de beaucoup de préjugés qui

règnent dans les livres et qui ont obscurci les discussions savantes
de quelques écrivains célèbres. J'ai cherché à considérer les pians
sous toutes leurs formes . J'ose garantir qu'on sera frappé des dif
férences qui distinguent les deux espèces que j'ai déterminées , et
dont je place les figures sous les yeux du public .
CCCCXCI. Le hasard seul m'a présenté cette affection ter
rible ; car elle n'existe guère dans les climats où la température
est modérée . Née au milieu des sables brûlans de l'Afrique , sur
les rives du Sénégal , et dans l'air impur de la Guinée , elle est le
triste apanage des noirs habitans de la zone torride . La honteuse

habitude qu'ont ces peuples barbares de trafiquer de leurs sem


blables , de vendre leurs enfans , et jusqu'à leurs femmes , pour
servir en esclaves chez les Européens , a contribué beaucoup à la
propager.
CCCCXCII . C'est de ces plages arides et perpétuellement
embrasées , que ce fléau dévastateur a , pour ainsi dire , menacé
toutes les races humaines. Les nègres Africains le répandirent
dans le Nouveau-Monde , lorsqu'ils y furent conduits pour en
cultiver les vastes déserts . Personne n'ignore cette fatale époque .

Ainsi , les révolutions du globe servent à étendre les maux du


genre humain .
CCCCXCIII . On a , du reste , remarqué que , parmi ces
MALADIES DE LA PEAU. 151

nations sauvages , celle dont les habitans venus des sources du

Niger sont désignés sous le nom de Banbaras , est communément

la plus exposée aux atteintes des pians. Aussi ne vivent-ils que


de chair corrompue ; ils recherchent de préférence le petit mil , le
maïs et autres substances végétales qui fatiguent à l'excès leurs
organes digestifs .

CCCCXCIV. Un pareil genre de nourriture influe sans doute


sur le développement de cette maladie , en déterminant la dépra
vation de la lymphe . Ce qui sembleroit le confirmer , c'est l'obser
vation intéressante de Pouppé-Desportes , qui a vu le pian se dé

clarer spontanément chez quelques gallinacées de Saint-Domingue ,


surtout chez les pintades et les dindons , qu'on alimente unique
ment avec les semences de l'holcus spicatus , ou petit mil.
CCCCXCV . On a beaucoup disputé sur l'origine du pian . On a
dit que ce virus avoit en quelque sorte fourni le germe de la mala

die syphilitique ; on a prétendu que les compagnons de Christophe


Colomb l'avoient d'abord puisé en Amérique , et qu'à la suite des
modifications imprimées par le changement de climat , l'éruption

pianique avoit pris peu à peu en Europe le caractère que nous


connoissons à la contagion vénérienne. Mais cette conjecture est
absolument fausse et dénuée de tout fondement.

CCCCXCVI . En effet , le pian , ainsi que j'aurai occasion


de l'observer plus bas , ne se communique que très-difficilement

aux blancs , malgré l'intimité des rapports que la plupart


d'entr'eux entretiennent avec les négresses attaquées de ce mal ,

et quelque fréquens que soient devenus ces rapports , depuis que


la dépravation la plus absolue des mœurs a gagné ce pays : d'après
une telle considération , on est suffisamment autorisé à penser

que les équipages de Colomb n'ont pu s'inoculer le virus du pian


en Amérique , et que , par conséquent, ils n'ont pu l'apporter
en Europe .

CCCCXCVII . Il paroît que les Arabes connoissoient cette horrible


maladie , qui ravage encore l'Afrique et les Indes . Dans les siècles
152 MALADIES DE LA PEAU.

moyens , on lui avoit donné le nom de Variola magna , parce


qu'on avoit cru lui trouver quelque ressemblance avec la variole.
Cette ressemblance seroit plus frappante s'il étoit constaté que le
pian ne se manifeste qu'une seule fois chez le même individu ,
comme la plupart des auteurs le présument ; les observations de
Loeffler paroissent du reste confirmer cette assertion . On assure
même qu'il se guérit spontanément et de lui- même , lorsque l'art
ne vient y apporter aucun remède .
CCCCXCVIII. Le pian a néanmoins été soumis aux mêmes in
convéniens que la maladie vénérienne. Les charlatans , les médi
castres , les compositeurs de recettes , se sont emparés de son
traitement : d'ailleurs , par un préjugé aussi injuste que barbare ,
les blancs qui ont subjugué les noirs , ont trop dédaigné de leur
donner les soins convenables. Ce n'est qu'à l'époque où ils ont
redouté pour eux-mêmes cette affection contagieuse , qu'ils ont dû
sérieusement s'en occuper .

CCCCXCIX . Il est intéressant de voir les températures si variées

du globe terrestre influer si puissamment sur les ressorts de la vie ,


et offrir l'empreinte d'une nature , tantôt foible , tantôt énergique.
C'est dans les climats chauds que s'effectue principalement la dé
génération du tissu cellulaire. Il semble que , sous un ciel brûlant ,
ce tissu soit spécialement accessible aux atteintes morbifiques les
plus graves . La patrie de la lèpre devoit être celle du pian et d'une
foule d'infirmités analogues . De pareils fléaux éclatent principale
ment au voisinage de l'équateur . Aussi Loeffler remarque -t-il que
cette éruption horrible se développe avec plus de fréquence dans
l'Amérique méridionale que dans l'Amérique septentrionale .
D. Toutefois , les qualités ardentes de l'atmosphère n'ont pu
influer que secondairement sur la multiplication rapide du pian ,
parmi les nègres . Car , il est positif qu'il est des contrées en Afri
que , particulièrement celles qui sont civilisées , où cette maladie

cutanée est absolument inconnue . On a toujours dit qu'elle n'exis


toit point à la côte de Mosambique ni à Madagascar ; on ne l'a
MALADIES DE LA PEAU. 153

point vue à l'Ile-de-France où l'on n'importe que les nègres de ces


pays. Cette assertion est confirmée par tous ceux qui y pratiquent

la médecine , et qui n'ont jamais eu occasion d'y observer le pian.


DI . On doit du reste peu s'étonner des ravages produits chez

les nègres , par les progrès du pian , si l'on jette un coup d'œil
physiologique sur la constitution particulière de leur espèce ; plus
vigoureusement organisés que les blancs , leur système dermoïde
est d'un tissu beaucoup plus dense et beaucoup plus ferme ; il est
doué d'une sensibilité plus vive et plus exquise , etc. De là vient

qu'ils éprouvent constamment les effets les plus remarquables ,


lorsqu'ils sont atteints par différentes maladies cutanées . Nous
avons eu souvent l'occasion de constater cette observation à l'hôpi
tal Saint-Louis sur les nègres qui viennent y subir un traitement
pour la gale ou pour diverses dartres auxquelles ils sont sujets . On
doit d'ailleurs en être peu surpris ; car c'est une remarque très

vulgaire que les nègres conservent très-long-temps sur leur peau


l'empreinte de châtimens infligés par la brutalité de leurs maîtres .
DII. Au surplus , j'estime que les pathologistes me sauront
gré de leur offrir ici dans toute sa vérité le tableau d'une affection
qui se montre si rarement en Europe , et qui semble n'avoir été
départie qu'à une seule espèce d'hommes. Les faits qui serviront
à cette peinture ont autant d'intérêt que d'importance. On est
frappé de surprise , lorsqu'on contemple les nuances innombrables
que présentent les maladies mises en rapport avec l'organisation
physique des peuples . On voit , ainsi que j'ai déjà cu occasion de
le remarquer , que la douleur règne dans tous les lieux , et que la

nature est aussi prodigieusement diversifiée dans les maux dont

elle nous accable , que dans les biens qu'elle nous dispense .

20.
2
1
pande s

Pian Rubvide

Grave par Slaes,élève à la Calcographic Royale de JGoubaud Imprimé dans le même établissement à Bruxelles
PREMIÈRE PARTIE .

FAITS RELATIFS A L'HISTOIRE PARTICULIÈRE DES PIANS.

ESPÈCE PREMIÈRE .

PIAN RUBOÏDE . FRAMBOESIA BATOÏDES. ( PLANCHE XXXV.)

Pian , se manifestant sur une ou plusieurs parties des tégumens par des excroissances com
posées de petits lobules granulés , qui rendent une humeur ichoreuse et d'un vert
jaunâtre , qui pullulent et se développent à la manière des fraises ou des framboises ,
dont elles ont la forme , la couleur et très- souvent le volume. Cette maladie conta
gieuse n'attaque communément que les nègres : elle est plus rare chez les blancs.

OBS. C'est sans raison que plusieurs nosologistes ont voulu établir des différences entre
le pian d'Amérique , proprement dit , et l'yaws endémique dans la Guinée. Ces maladies
sont absolument identiques et ne sont que légèrement modifiées par les influences du
climat. C'est au pian ruboïde qu'il faut pareillement rapporter l'affection connue sous le
nom de Sibbens ou Siwens , apportée en Écosse dans le temps de Cromwell par les sol
dats qu'il y mit en garnison. On peut consulter la relation de Gilchrist , publiée dans le
troisième volume des Essais physiques et littéraires d'Édimbourg , An Account ofa
very infections distemper prevailing in many places , etc. Cette maladie présente
pour symptôme extérieur des tubercules spongieux qui ressemblent à des fraises. Quand
ces tubercules sont totalement formés , ils s'enfoncent très - profondément dans la chair, qui
paroît excavée tout exprès pour les recevoir. Ils sont fréquemment recouverts par des
croûtes noires dont la surface a beaucoup d'aspérité. Ce qui rapproche surtout le pian
ruboïde ou l'yaws de Guinée du sibbens écossais , ce sont des éruptions verruqueuses
156 MALADIES DE LA PEAU.

qui souillent le visage et qui ont la plus grande analogie avec les pustules de la petite vé
role , lorsqu'elle est parvenue à son entier développement. Elles sont accompagnées de
chaleur et de tuméfaction , de manière que les yeux en sont quelquefois fermés.

TABLEAU DU PIAN RUBOÏde.

DIII . Je vais décrire le pian ruboïde , tel que j'ai pu l'observer

à Paris , sur un individu qui a été long-temps sous mes yeux.


J'ajouterai ensuite à ce tableau les traits recueillis par des voya

geurs sincères et véridiques. Le pian d'Amérique ou yaws d'Afri


que est aussi très-communément désigné par les médecins sous le
nom de framboesia , à cause de la ressemblance qu'on a cru trou
ver entre ses pustules et les fruits rouges du framboisier : il est

appelé gattoo par les nègres de la Guinée . Il peut attaquer les


différentes parties du corps , particulièrement le cuir chevelu , les
oreilles , les lèvres , le visage , les aines , les aisselles , les organes

de la génération , etc. , telle étoit du moins la maladie dont j'ai


été le témoin , et dont je consignerai ici l'histoire fidèle .

Le pian se déclare par l'éruption d'une multitude de petites


pustules granulées et fongueuses , qui croissent successivement
et s'élèvent considérablement au-dessus du niveau de la peau.
Ces pustules rougeâtres ou d'un violet foncé sont tantôt isolées ,
tantôt réunies au nombre de deux ou trois. Des intervalles des

grains qui les forment , s'échappe continuellement une humeur


ichoreuse d'un jaune nuancé de vert , d'une consistance gluante
et visqueuse . Si cette humeur séjourne long-temps sur ces excrois
sances , elle devient d'une puanteur excessive ; les malades éprou
vent des démangeaisons et une sorte de tension dans la totalité
des tégumens .
Lorsque le pian ruboïde commence à se manifester , on aper
çoit d'abord sur la périphérie du système dermoïde quelques
MALADIES DE LA PEAU. 157

maculatures ou taches assez semblables dans leur origine à des


piqûres légères de puces ; à ces taches , succèdent bientôt des

végétations ou éminences qui , par leur aspect , simulent des


framboises ou des mûres . Dans certaines circonstances , le système

dermoïde est si profondément altéré , que les poils et les cheveux


tombent ou paroissent flétris et décolorés.
Le pian ruboïde ne parcourt pas toujours ses périodes avec
une égale rapidité ; ses progrès sont relatifs ou proportionnés
tempérament des individus qu'il attaque . Il arrive pour cette ma
ladie , ce qui survient aux autres éruptions : les framboises ou
mûres sont d'autant plus volumineuses que les malades sont plus
vigoureux et plus robustes , etc. Chez les nègres qui sont foibles
et débiles , d'une maigreur extrême , le pian met beaucoup de *

temps pour parcourir ses périodes. Les pustules sont moins con
sidérables ; il en est qui sont d'une prodigieuse ténuité.
Souvent les framboises ou fraises qui constituent le pian ru
boïde , dégénèrent extraordinairement et se convertissent en hor
ribles ulcères d'une fétidité insupportable . La plupart de ces
ulcères sont recouverts de croûtes noirâtres et d'un aspect hideux .
Souvent , ils offrent des chairs blafardes , boursoufflées , livides et
corrompues. Les chirurgiens apposent quelquefois des caustiques
sur ces végétations opiniâtres ; mais on les voit renaître sous des
formes plus alarmantes encore .

Ce qui est remarquable dans la considération du pian ruboïde ,


c'est la pustule principale qui surpasse les autres par sa circonfé
rence et sa profondeur , et qui se change en ulcère rongeant. Tout
le tissu dermoïde en est dévoré. On croit communément que ce
large
et horrible ulcère est en quelque sorte le réservoir de tout
le venin pianique. Les nègres croient que tous les maux secon
daires qui souillent la peau jaillissent de cette source impure : de

là est venue l'expression vulgaire de mama-pian ou de mère des


pians , à laquelle on a communément recours pour qualifier
cette grande ulcération , qu'on peut comparer au bouton que le
158 MALADIES DE LA PEAU.

peuple nomme maître-grain dans la petite vérole confluente .


Aussi faut-il se garder de sécher trop promptement cette énorme
pustule , qui sert d'émonctoire à l'économie animale .

Les nègres condamnés à des travaux rudes et énervans ont


fréquemment la paume des mains sèche et horriblement lacérée ,
ainsi que la plante des pieds. C'est à ces excoriations , à ces dé

pouillemens du derme , qu'on donne assez communément le nom


de crabes , parce qu'ils offrent des ramifications calleuses sembla

bles aux pattes de ces insectes ; cette affection , purement locale ,


est tout-à-fait indépendante du pian . La peau dans ce cas est
entièrement morte et inanimée , et ressemble à un cuir sec et ra
corni ; ce qui contribue surtout à produire ce phénomène , c'est
l'habitude où sont les nègres de courir les jambes nues sur une
terre brûlante. Ils marchent continuellement sur le sable , sur des
débris ou fragmens de coquilles , etc.; souvent même ces corps
étrangers pénètrent jusque dans les parties charnues , séjournent
dans les crevasses , y causent des inflammations , des douleurs ,
des ulcères , etc. ; et si les nègres sont déjà infectés , tout le virus
pianique se porte vers ces parties .

OBSERVATION RELATIVE AU PIAN RUBoïde .

DIV. J'ai observé le pian dans son plus haut degré d'intensité sur
la personne de Georges Bartos , batteur de blé , âgé de trente ans ,
né dans la Hongrie. Cet homme étoit d'une haute stature , d'une
habitude de corps sèche et maigre. Il nous assura que ses parens
avoient toujours été sains ; il se rappeloit lui-même avoir eu la pe
tite vérole dans son enfance , et une teigne muqueuse dont il avoit
été parfaitement guéri . A quinze ans , il entra au service militaire ,
où il resta jusqu'à dix-huit. Alors , il déserta et passa en France
pour y subsister à l'aide de son travail . Il s'y maria quelque temps
MALADIES DE LA PEAU.
159

après avec une jeune fille très-fraîche et très- bien portante. Il


vivoit dans la plus austère sagesse , lorsque tout-à-coup , sans
cause connue , tant sur la lèvre supérieure que sur le sommet de

la tête , parurent trois boutons pustuleux accompagnés d'une dé


mangeaison assez vive. Un chirurgien de la campagne appliqua
sur ces boutons les feuilles d'une plante dont le malade ne put
nous dire le nom. Cette affection fit des progrès rapides en très
peu de temps , soit d'elle-même , soit qu'elle fût provoquée par
des grattemens fréquens que déterminoit un prurit intolérable.
L'éruption occupa bientôt toute la tête et les deux lèvres de la

bouche. Désespéré , il entra à l'hôpital Saint-Louis , et il étoit alors


dans un état déplorable ; tout son cuir chevelu étoit gonflé , tu
méfié et recouvert de tumeurs fongueuses , sillonnées dans tous
les sens , composées d'une agglomération de grains ou lobules ,
qui leur donnoient l'aspect de bourgeons , ou plutôt de framboises
symétriquement arrangées les unes à côté des autres. Il découloit

de ces tumeurs une matière sanieuse et fétide , qui devenoit épaisse


et se condensoit en croûtes , lesquelles masquoient un peu la forme
des végétations ; même disposition au pubis et aux organes géni

taux. Croira-t-on que les cheveux et les poils se conservoient au


milieu de ce désordre ? Les oreilles ne tardèrent point à être at
taquées. Leur surface étoit enflammée , rouge et comme grenue ;

elles fournissoient un écoulement assez abondant que nous vîmes

se supprimer par intervalles. La membrane muqueuse des fosses


nasales donnoit surtout une grande quantité de mucosités épais
ses , d'un jaune tantôt rougeâtre , tantôt grisâtre , un peu sangui
nolent. Il y avoit un corysa continuel ; la région mastoïdienne
gauche et la partie postérieure du pavillon de l'oreille du même
côté , étoient affectées d'un gonflement inflammatoire. La peau
ainsi distendue se gerçoit , se fendoit , et de ces crevasses il s'écou
loit une humeur assez analogue à celle dont nous venons de parler.
Je n'ai pas besoin de dire ici que tous les remèdes employés en
pareil cas ,
furent mis à contribution : que nous eûmes , particu
160 MALADIES DE LA PEAU.

lièrement , recours aux mercuriaux ; mais ce fut en vain . Après


six mois de souffrances , la position de Georges Bartos empira sin
gulièrement ; il tomba dans le marasme et fut pris d'une diarrhée
colliquative , à laquelle il succomba. Nous donnerons plus bas le
résultat de son autopsie cadavérique.

DV. Cette unique observation me paroît compléter le tableau


que je voulois tracer du pian ruboïde . Je me suis borné à l'expo
sition de tous les symptômes caractéristiques , et n'ai tenu aucun
compte de quelques accidens secondaires , qui dépendent unique
ment des complications de cette maladie avec d'autres éruptions
cutanées .
Pia Fung
n oide

GraveparStaes élève à la CaleographieRoyale J.Grouband. Imprime dans lememe établissementà Bruxelles.


MALADIES DE LA PEAU. 161

ESPÈCE DEUXIÈME.

PIAN FONGOÏDE. FRAMBOESIA MYCOIDES. (PLANCHE XXXVI.)

Pian , se manifestant sur une ou plusieurs parties des tégumens par des tumeurs fon
gueuses , ovales , qui naissent et se développent successivement sur le visage , sur les
membres thorachiques et abdominaux ; ces tumeurs , dont le tissu a beaucoup d'ana
logie avec celui des champignons , s'ouvrent comme des fruits putréfiés , et lais
sent échapper une matière ichoreuse , d'une odeur repoussante.

OBS. N'ayant observé cette maladie qu'une seule fois , je ne puis déterminer s'il y a des
variétés qui se rapportent à l'espèce que je décris. La maladie que j'appelle Pian fon
goïde est vulgairement désignée sous le nom de vérole d'Amboine ; c'est le pian des îles
Moluques dont parle Bontius, le Pokken Amboynse des Hollandais ; on peut néanmoins la
comparer avec les Therminthes des anciens auteurs. Ce sont de petites tumeurs fongueu
ses surmontées d'une pustule , d'une figure orbiculaire , d'une couleur noire ou d'un brun
verdâtre , ce qui les a fait comparer aux fruits du thérébinthe ; qu'on ne s'étonne pas s'il
y a contradiction chez les auteurs , relativement à la grandeur des therminthes. En effet ,
il est de ces excroissances qui ont tout au plus le volume des pois chiches ou des baies
de genièvre , ainsi qu'on peut le voir dans le dessin du pian fongoïde qui se trouve re
présenté dans cet ouvrage. Comme la maladie est généralement fort rare , il est possible
que la plupart des observateurs qui en ont parlé n'en aient vu que d'une très-petite
dimension .

TABLEAU DU pian fongoïde.

DVI. Bontius a fait mention de ce pian ; il se manifeste , selon


lui , par des tubercules qui présentent , pour ainsi dire , la con
sistance et la dureté des squirres. Ces tubercules affectent spécia
lement le visage , et successivement les bras , les extrémités infé
rieures , etc. On les voit avec le temps se ramollir , s'ouvrir , et
fournir un pus épais , gommeux , d'une couleur verdâtre . Il en

2 21.
162 MALADIES DE LA PEAU.

résulte des ulcères virulens ; le liquide qui en découle est d'une


telle acrimonie qu'il cause des escarres sur la peau.
On distingue en conséquence deux périodes dans la marche et
le développement du pian fongoïde . Dans le premier temps de
son existence , les végétations sont tellement dures et rénitentes ,

qu'on est loin de soupçonner une suppuration prochaine . Mais


dans la seconde période , la peau qui les recouvre se déchire , et
chaque tubercule devient un ulcère fétide ; c'est par les progrès
de leur décomposition , que ces tubercules prennent successive
ment la couleur d'un noir verdâtre , ou une teinte violacée très

obscure . On s'imagine voir des fruits se pourrir sur la tige qui les
supporte.
Les pustules du pian fongoïde ressemblent , pour la plupart , à
des verrues , lorsqu'elles commencent à se développer ; ensuite
elles grossissent , prennent la forme des champignons , et se ré
pandent en très-grand nombre à la surface du corps. Il arrive par

fois que presque tout le système dermoïde en est recouvert.


Cette maladie prend absolument le masque de la maladie véné
rienne ; cependant , elle est loin de causer des douleurs aussi vives.

Il est assez rare d'y voir se manifester des exostoses , des caries ,
enfin tous les ravages que la syphilis produit sur les os. Mais les
désordres extérieurs sont presque toujours plus horribles .
Les excroissances du pian fongoïde ne sont pas toutes du même
volume ; il en est qui restent long-temps très-petites , et qui ne
sont pas plus considérables que des grains de raisin ou des len
tilles ; d'autres sont aussi volumineuses que des morilles ou que ces

fruits rouges et sillonnés du solanum lycopersicon , que l'on dé


signe ordinairement dans l'économie domestique sous le nom de
tomates ou pommes d'amour.
Après quelques mois , les tumeurs s'affaissent et se dessèchent ;
la peau ridée et flétrie est d'une telle insensibilité qu'on peut

quelquefois la couper avec des ciseaux , sans que les malades éprou
vent la moindre sensation pénible. Ceux-ci tombent peu à peu
MALADIES DE LA PEAU. 163

dans un amaigrissement qui les énerve à un point extrême ; ils


finissent par succomber , ou par traîner une vie misérable pendant
beaucoup d'années.

OBSERVATION RELATIVE AU PIAN FOngoïde.

DVII . Nous avons vu à Paris le nommé Lucas , âgé de cin


quante- six ans , né d'un père très-robuste. Sa mère cependant
avait eu au visage un ulcère chancreux , qui fut guéri par l'appli
cation d'un caustique ; on ajoute même qu'il avait eu un frère qui
mourut à quelques lieues de Versailles par les progrès d'une mala
die cutanée , laquelle fut constamment méconnue par le chirur
gien dont il réclama les soins. Quant à l'affection extraordinaire
de Lucas , elle débuta par une éruption furfuracée qui n'offrit d'a
bord aucun symptôme alarmant. Peu de temps après , il se déve
loppa sur différentes parties du corps de petits tubercules ,
offrant une surface lisse et comme vernissée , sans changement de
couleur à la peau ; quelques-uns néanmoins présentaient une lé
gère couleur brunâtre . Ils avaient leur siége sur divers points de
la face , tels que le front , les sourcils , les paupières , le nez , les
joues , la lèvre supérieure dans toute son étendue , le menton . Il
en survint aux aisselles , aux jarrets , aux aines , à la hanche droite ,
aux bourses , à la partie interne des cuisses , aux jambes , etc. Ces
tubercules ressemblaient d'une manière parfaite à des morilles
ou aux champignons désignés sous le nom d'agarics ; ils se mul
tipliaient à un tel point , que nous en comptâmes quatorze sur le
visage. Ces tubercules affreux avaient une grande base ; ils avaient
une consistance spongieuse et paraissaient résulter de l'engorge
ment des glandes cutanées ; ils fournissaient une humeur icho
reuse , roussâtre , qui teignait le linge , tantôt en vert , tantôt en
jaune. Cette humeur devenait concrète par l'action de l'air , et
164 MALADIES DE LA PEAU .

formait à leur surface une couche croûteuse de couleur brune ou

grisâtre, ayant un aspect luisant et s'enlevant d'elle-même après


la dessiccation. La plupart de ces tumeurs finissaient par se crever
et s'affaisser sur elles-mêmes ; elles laissaient à leur place une peau
flétrie et inerte , que la fille de Lucas coupait patiemment avec
des ciseaux , sans que jamais elle ait contracté aucun vice analo
gue à celui de son malheureux père , et sans que celui-ci éprou
vât la moindre douleur . Quelques -unes de ces tumeurs avaient
une forme arrondie , de la grosseur d'une aveline ; d'autres étaient
oblongues et simulaient assez bien des pommes de terre ou des
champignons. A la suite d'un vif chagrin , il y eut des vésicules
ou ampoules qui parvinrent rapidement à leur maturité , et qui
n'étaient ici qu'un symptôme secondaire ; la maladie s'accrut con
sidérablement. Lucas fut malade cinq ans , et languit sept mois
dans son lit ; il éprouvait des douleurs lancinantes dans les ulcères

qui s'étaient formés par la décomposition des tubercules ; il devint


extrêmement maigre , et il était à la fois tourmenté par la liente

rie et par un appétit vorace . Il s'éteignit enfin dans les langueurs


de la fièvre hectique .

DVIII. Ce qu'il y a de surprenant dans cette observation , c'est


que le pian fongoïde , qu'on croit relégué aux îles Moluques , et
spécialement à Amboine , se soit montré sur un individu des envi

rons de Paris , qui avait à la vérité voyagé en qualité de militaire ,


mais qui n'avait jamais été exposé aux influences d'un climat très
chaud. On n'est pas moins surpris que cette maladie ait duré cinq
années , sans empêcher Lucas de vaquer aux exercices de son état .
Il était employé dans l'administration des eaux et forêts. Il a
laissé une femme et des enfans qui sont en apparence bien cons
titués ; l'un d'entre eux est néanmoins sujet à l'alopécie et à un

gonflement des testicules qui augmente par intervalles .


DEUXIÈME PARTIE .

FAITS RELATIFS A L'HISTOIRE GÉNÉRALE DES PIANS.

DIX . J'offre maintenant à mes lecteurs , dans un même tableau ,


tous les phénomènes qui concernent les deux espèces de pian que
j'ai décrites. On pourra mieux se convaincre de leurs rapports
nombreux : ce rapprochement a beaucoup d'intérêt.

ARTICLE PREMIER .

DES PHÉNOMÈNES GÉNÉRAUX QUI CARACTÉRISENT LA MARCHE DES PIANS.

DX . Le pian ruboïde ou yaws de Guinée , le pian fongoïde ou


pian des îles Moluques , le sibbens d'Écosse , les therminthes des
auteurs anciens , ne sont absolument que des affections analogues ,
plus ou moins modifiées et nuancées par la puissante influence du
climat , du tempérament physique des hommes , etc. La maladie a
dû recevoir différens noms , selon les pays où elle s'est développée.
DXI. Les divers pians commencent à se développer d'une ma
nière à-peu-près identique. La peau s'altère et se ternit ; on voit
paroître çà et là des éminences fongueuses , qu'on prendroit d'a
bord pour des verrues ; ces verrues ne tardent pas à s'accroître .

2 23.
166 MALADIES DE LA PEAU .

Dans le pian ruboïde et le sibbens d'Écosse , elles prennent et

présentent quelquefois l'aspect d'une grosse mûre ou d'une grande


framboise ; rien de plus distinct que les lobules qui les consti
tuent. Dans le pian fongoïde , les pustules sont encore plus con
"
sidérables ; elles égalent en circonférence les champignons dont
1¿
elles ont la forme et la structure celluleuse . On en voit qui sont
véritablement squirreuses .

DXII . A quelque espèce de pian qu'appartiennent les tumeurs


spongieuses dont nous venons de faire mention , il s'en écoule une
matière gluante , souvent comme gommeuse , d'une qualité telle

ment mordicante , que lorsqu'elle est répandue sur des portions


saines du système dermoïde , elle y creuse des ulcères d'un aspect
affreux , dont les ravages s'étendent rapidement. Les boutons T

mêmes des pians deviennent autant de foyers d'ulcération , et l'on
voit des malheureux porter toute leur vie des traces indélébiles
de ce mal odieux , lorsqu'ils n'ont pu y succomber. La peau est si
profondément altérée que les cheveux et les poils perdent leur
couleur ordinaire.

DXIII . On a remarqué plusieurs différences dans le volume des


pustules produites par le pian ; et cette diversité a fait établir des
distinctions. Il est assez commun de les voir s'élargir considéra 8
blement , quoiqu'elles soient surmontées par des végétations

fongueuses ; ce sont les gros pians . Dans d'autres cas , on n'aper


çoit que des boutons d'une très- petite forme , qui se terminent en
une pointe aiguë ; on les indique sous le nom de petits pians. Leur
couleur est également très-sujette à différer : tels sont les pians
rouges , que l'on regarde comme les plus redoutables et ceux
qu'on aime le moins à traiter.
DXIV. Les pians mûrissent , se dessèchent et se remplacent
successivement avec une lenteur remarquable ; mais alors même
qu'ils disparoissent , ils traînent à leur suite une foule d'incom
modités et d'altérations secondaires : telles sont les guignes , sorte
de végétations charnues , assez semblables aux fruits dont elles
MALADIES DE LA PEAU. 167

portent le nom. On a vu quelquefois la peau s'épaissir d'une ma


nière horrible et difforme , et donner naissance à des tumeurs
plates , dont les racines ont été comparées à des pattes de crabes ,
d'écrevisses ; dans d'autres cas , la peau se recouvre d'une érup
tion squammeuse ou furfuracée. Au surplus , tous ces désordres

n'ont lieu que sur les tégumens , et les parties intérieures ne sont
point encore attaquées ; ensuite , les ravages vont plus loin , etc.
DXV . Il en est des pians comme de tous les autres genres
d'éruption ; plus les tubercules sont petits , plus ils sont dissémi
nés en grand nombre sur la surface dermoïde . Les tubercules.

d'un grand volume se déclarent communément aux parties de la


génération , à l'anus , aux aisselles , au cuir chevelu , parce que la
peau s'y trouve d'un tissu plus spongieux que partout ailleurs .
Ils simulent quelquefois de la manière la plus surprenante les
grands accidens de la maladie vénérienne : la plupart sont envi
ronnés d'une aréole bleuâtre , et se recouvrent de larges croûtes ;
beaucoup diminuent et s'aplatissent graduellement sans arriver
à suppuration .
DXVI. C'est surtout dans le sibbens ou pian écossais qu'on re

marque des phénomènes qui ont le plus grand rapport avec les
phénomènes de la syphilis. Gilchrist , en effet , a vu que presque
toujours le sibbens débute par une inflammation de la luette et
du voile du palais ; il a vu que les amygdales sont fréquemment
ulcérées et recouvertes d'une pellicule blanchâtre . Les enfans à
la mamelle qui en sont attaqués dans la bouche ou dans le gosier ,
meurent de faim , parce qu'ils ne peuvent exécuter le mouvement
de succion . Dans d'autres cas , les glandes sous-maxillaires se gon
flent ; on voit de larges tumeurs dans l'intérieur de la bouche ;
ajoutez à ce symptôme un enrouement continuel qui est d'un si
nistre présage.

DXVII. Le pian se déploie avec plus ou moins de fureur , se


lon les tempéramens qu'il rencontre. Les individus dont la fibre
est molle et lâche , ont à redouter l'ascite ou l'anasarque. Ceux qui
168 MALADIES DE LA PEAU.

sont doués d'une constitution sèche et grêle , tombent peu à peu

dans le marasme. La tête des malades se couvre d'ulcères , dont "


les bords sont calleux et comme déchirés : ces ulcères sont d'une

puanteur si intolérable , que les corps de ceux qui en sont atteints ,


dit Gilchrist , sont , pour ainsi dire , corrompus avant leur mort .
Rien n'excite davantage la compassion que les cris que leur arra
che la douleur.
DXVIII. De tant de maux il résulte souvent des flux violens 46

par les yeux , par les fosses nasales et par les oreilles . Loëffler a

vu même la matière pianique sortir en abondance de l'urètre , en


sorte qu'il croyait d'abord que le malade était affecté d'une blé
norragie syphilitique ; mais quelques jours après , il voyoit paroître
des boutons de framboesia qui terminoient cet écoulement. On a vu
dans quelques circonstances , ainsi que l'observe Peyrilhe , <
« par
» une sorte de crise qui assure la vie et la guérison du malade ,
» l'humeur viciée se jeter sur une partie du corps et y produire
» une maladie incurable. » Il peut en effet survenir des paralysies ,
des oppressions , la cécité , mille autres maux plus accablans en
core.

DXIX . Lorsque l'air est humide et nébuleux, on voit fréquem


ment se former sur le corps des malades des tumeurs leucophleg
matiques. C'est alors qu'on rassemble les nègres autour d'un
grand feu , qu'on les fomente avec des dissolutions astringentes ,
qu'on leur administre des laxatifs doux , qu'on les retient dans
des appartemens chauds , etc. L'éruption pianique est accompa
gnée d'une fièvre assez forte ; d'autres fois , cette fièvre est à peine
sensible , les malades éprouvent des lassitudes , des douleurs gra
vatives dans la tête ; ils ont un dégoût invincible pour les alimens;

ils passent leurs nuits dans les insomnies les plus fatigantes.
DXX. Lorsque les pians ont fait des progrès considérables , le

virus pénètre jusque dans le système osseux , et y produit des


ravages considérables. Les os frappés par la douleur , se gonflent ,
deviennent spongieux ; ils peuvent aussi se carier et tomber dans
MALADIES DE LA PEAU. 169

un véritable état d'ostéo-malaxie ; on croit voir des rachitiques ; les


cartilages s'ulcèrent et augmentent considérablement de volume.
C'est alors que les malades ne trouvent pas un instant de repos .

DXXI. Il semble que les pians soient moins terribles lorsqu'ils


attaquent les blancs que lorsqu'ils attaquent les negres. Les infir
mités du genre humain s'affoiblissent sans doute en passant d'une
espèce à une autre ; ce qu'il y a de positif, c'est que les blancs sont
très-rarement sujets aux petits pians , qui sont les plus opiniâtres
et les plus rebelles. Bajon a rencontré pourtant des malades eu
ropéens qui se plaignoient de douleurs vives dans les articulations
et dans la propre substance des os.

DXXII . On assure que le pian ne se déclare qu'une seule fois


chez le même sujet ; il est malheureux , dit M. le docteur L. Va
lentin, qu'on n'ait pu constater ce fait d'une manière irrécusable ;
il établirait une différence manifeste entre cette maladie et l'affec

tion vénérienne. On ajoute , au surplus , que si on a vu le pian re


paroître dans quelques circonstances , c'est qu'il n'avait pas été

entièrement détruit. Loëffler a voulu tenter des expériences sur


ce point de doctrine , et il atteste que les individus qu'il a radica

lement guéris du pian , ne l'ont jamais repris , quoiqu'il les ait dé


terminés à s'exposer de nouveau à la contagion . Quelques obser
vateurs modernes sont d'un avis absolument contraire.

DXXIII. Lorsque l'éruption pianique n'est point accompagnée


1 de symptômes très-graves , la nature seule opère la guérison dans
la plupart des cas ; il peut néanmoins arriver que l'éruption soit
très-longue , et que les boutons persistent plusieurs années sans
causer précisément des douleurs ou d'autres incommodités . Ce

pendant , malgré cette apparence de bénignité , le poison éclate


quelquefois d'une manière inopinée , et donne lieu à des accidens
désastreux . Nous avons vu à Paris un nègre de Saint- Domingue
qui étoit resté dans un état de paralysie dans les extrémités infé
rieures , après la guérison mal dirigée du pian ruboïde .
170 MALADIES DE LA PEAU.

ARTICLE II.

CONSIDÉRATIONS SUR LE DIAGNOSTIC DES PIANS , ET SUR LEURS RAPPORTS


D'ANALOGIE AVEC QUELQUES AUTRES MALADIES CUTANÉES .

DXXIV. Il est de la plus grande importance d'acquérir toutes


les notions nécessaires pour bien fixer le diagnostic des pians ; car
il est plusieurs maladies dont ils se rapprochent plus ou moins par
leurs signes extérieurs. Il a paru à l'hôpital Saint-Louis un homme
éminemment scrophuleux , et qu'on avoit mal à propos regardé

comme atteint d'une ulcération pianique aux doigts du pied de


l'extrémité inférieure droite . Cette ulcération avoit effectivement

dégénéré en un ulcère fongueux , composé d'une multitude de


petits lobules , que leur agglomération faisoit ressembler à des

framboises. Lorsqu'on le pressoit , on en faisoit sortir un pus blan


châtre , fétide et gélatineux ; le malade éprouvoit d'ailleurs tous
les phénomènes qui signalent la présence , les progrès et l'inten
sité des scrophules : ses extrémités étoient atrophiées . Un habile
médecin de la province m'a donné communication d'un fait très

intéressant , qui prouve que cette maladie peut prendre , dans


beaucoup de circonstances , le masque du pian . Il a décrit , avec
une vérité remarquable , un ulcère situé à la jambe droite d'un
infortuné qui se traînoit sur les chemins publics pour implorer la
charité des passans . Au-dessous de cet ulcère , s'élevoient un assez
grand nombre d'excroissances rondes , plus ou moins volumi
neuses , ayant absolument l'aspect et la forme des framboises . Ces

excroissances , dit M. Martin , environnoient toute la partie anté


rieure de la jambe malade , recouvroient le talon , presque tout
le dessus du pied , ainsi que les orteils . Mais il est évident que ces
épiphénomènes diffèrent essentiellement du pian par leur mar
che et par leur nature.
MALADIES DE LA PEAU. 171

DXXV. Bajon , qui a demeuré long-temps à Cayenne et à la


Guiane françoise , avoit trouvé un rapport si manifeste entre le
pian , la vérole et le mal-rouge , qu'il pensoit que celui- ci n'étoit
qu'un de ces vices dégénéré , auquel des circonstances particu
lières avoient imprimé une physionomie nouvelle. Ces maladies ,
d'après son opinion , provenoient d'un virus identique , et ne dif
féroient entr'elles que par quelques modifications peu importan

tes. D'après l'opinion de cet auteur , l'affection syphilitique n'é


toit que le premier état de ce vice , ses accidens étant moins graves

et moins multipliés ; le pian formoit le second état , parce que


ses symptômes ont plus de violence et sont plus rebelles aux
moyens curatifs ; enfin, il falloit regarder le mal-rouge de Cayenne
comme le plus haut degré de ce virus terrible , à cause de sa
grande véhémence et de son incurabilité. Je n'ai pas besoin de dé
montrer que cette hypothèse est insoutenable.

DXXVI. Presque tous les pathologistes ont fait mention de


l'analogie qui existe entre la maladie vénérienne et le pian.
Pouppé-Desportes néanmoins a très-bien noté quelques différences
remarquables qui existent entre ces deux affections . En effet ,
s'il y a identité entre le pian et la vérole , pourquoi le pian atta
que-t-il les nègres plutôt que les blancs ? Un autre point de dis
semblance , c'est que ce dernier vice peut se développer sponta
nément. L'expérience prouve que des enfans qui tettent encore ,
ou qui sont sevrés depuis quelque temps , éprouvent les symp
tômes de cette maladie , quoique leurs nourrices et leurs mères

n'en aient jamais été atteintes . Souvent même une négresse ac


couche d'un grand nombre d'enfans , et il n'y en a qu'un ou deux
qui sont attaqués du pian .
· DXXVII. Sous d'autres points de vue le pian diffère essentiel
lement de la vérole ; car la plupart des médecins le rangent avec
raison dans la classe des éruptions dépuratoires. Il a une marche
fixe à laquelle le médecin est , pour ainsi dire , contraint d'obéir.

Il a son début , son état et son déclin. L'art doit respecter et con
172 MALADIES DE LA PEAU.

sidérer ces divers états , et leur approprier les remèdes convena


bles . Il n'en est pas ainsi de la vérole , dont on peut attaquer les
premiers symptômes avec une entière sécurité. Ce qui distingue
surtout les pustules syphilitiques des pustules pianiques , c'est que
celles-ci sont accompagnées de démangeaisons insupportables ; ces
démangeaisons ne se déclarent point dans la maladie vénérienne .

Il est pourtant des cas où rien n'est plus difficile que de distinguer
le pian de la maladie vénérienne ; c'est lorsque ces deux maladies
s'unissent et se compliquent mutuellement : ce qui rend toute
fois l'inconvénient moins grave , c'est qu'elles cèdent toutes les
deux aux mêmes remèdes .

DXXVIII . La différence la plus évidente pour tous les esprits


seroit sans contredit de n'attaquer l'économie animale qu'une seule
fois , ainsi que nous l'avons déjà remarqué ; or , ce fait n'est peut
être pas encore confirmé par un assez grand nombre d'observa

tions. Cependant M. Thibault de Chanvalon , auteur d'un Voyage


à la Martinique , assure que lorsque les nègres ont été régulière
ment traités du pian , ils n'en sont plus attaqués pendant le reste
de leur vie . Cette vérité , dit-il , est si connue , que les chirur–

giens ne peuvent exiger leur paiement que six mois après qu'ils
ont remis les esclaves à leurs maîtres de nouvelles infections

communiqueroient certainement le pian , s'il étoit de même na


ture que la maladie vénérienne. Toutefois , il est très - ordinaire
de voir des négresses qui déjà ont été parfaitement guéries du
pian , allaiter ensuite des nourrissons infectés du virus pianique ,
sans le contracter de nouveau.

D'après un semblable phénomène , on seroit plus fondé à rap


procher la marche du pian de celle de la variole , surtout quand
on songe qu'il se développe spécialement chez les enfans .
DXXIX . On s'étonne que certains écrivains , particulièrement
l'auteur du Mémoire consigné dans les Essais d'Édimbourg , aient
voulu trouver la plus grande similitude entre le pian et la lèpre

des Juifs. Leurs traits caractéristiques sont loin d'être les mêmes ,
MALADIES DE LA PEAU. 173

et il est certainement impossible de les confondre. Le pian se dé


veloppe communément avec un appareil fébrile qui n'a point lieu
dans les maladies lépreuses. Celles-ci marchent lentement et par
des degrés presque imperceptibles . D'ailleurs , les tubercules de

l'éléphantiasis ont un aspect tout différent des boutons fongueux


et verruqueux qui caractérisent le pian ruboïde . N'y a-t-il pas
d'ailleurs dans les diverses lèpres une altération chronique de la
faculté sensitive , qui ne s'observe jamais dans les autres maladies
cutanées , et particulièrement dans celle qui nous occupe ?

ARTICLE III.

CONSIDÉRATIONS SUR LE PRONOSTIC DES PIANS.

DXXX . En général , les divers symptômes que provoque

l'éruption des pians , sont très-peu dangereux , si on empêche cette


maladie de faire des progrès , et si on a soin de la combattre dès
les premiers temps de son apparition par un traitement métho
dique. Mais souvent des chirurgiens inexpérimentés la rendent
incurable , parce qu'ils administrent des remèdes sans lumières
et sans discernement . Combien d'accidens consécutifs du pian ne
sont que
le malheureux résultat de l'impéritie des gens de l'art !
DXXXI. Dans l'histoire que nous avons donnée des pians ,
nous avons fait observer que ce genre de maladie produit plu
sieurs éruptions , dont les unes sont plus rebelles , plus opiniâtres,
plus douloureuses que les autres. C'est précisément sur cette con
sidération qu'il faut établir son pronostic. Les pustules que l'on
désigne sous le nom de petits pians , sont d'une difficulté extrême
pour la guérison ; il vaut mieux , dit-on , traiter les gros pians
ou pians blancs ; mais ceux qui résistent davantage sont les
2 24.
174 MALADIES DE LA PEAU.

pians rouges. Ces connoissances sont familières à tous les colons.

DXXXII. Il ne faut pas , comme l'ont dit plusieurs patholo


e
gistes , porter toujours le pronostic des pians , d'après la violence
1
de la fièvre ou celle de l'éruption ; car un pareil signe doit faire
présumer favorablement des malades. Dans le cas contraire , lors
N
que la fièvre et l'éruption ne s'opèrent point avec la force con
venable , on peut envisager le pronostic comme fàcheux , et as
surer que l'économie animale manque d'énergie ; il est alors
nécessaire de donner du ton à tout le système , afin de favoriser
la sortie et le développement des pustules pianiques . Dans la va .
riole , on cherche à atteindre le même but. 8

DXXXIII. Nous observons relativement aux pians , un phé

nomène analogue à ce qui se passe dans les autres exanthemes.


Les pians qui se déclarent chez des individus doués d'une consti •
tution grèle et délicate , sont moins pernicieux que ceux qui se
manifestent chez des personnes vigoureuses et robustes. On dit
également que cette maladie disparoît plus vite chez les femmes
que chez les hommes , qu'elle est plus durable chez les vieillards ,
et qu'elle sévit avec moins de fureur chez les jeunes gens. On
assure aussi que sa durée et son danger sont en raison directe de
la multitude des pustules disséminées sur la totalité de la peau.

ARTICLE IV.

DES CAUSES ORGANIQUES QUI INFLUENT SUR LE DÉVELOPPEMENT DES PIANS .

DXXXIV . Les nègres paroissent naître avec une disposition

particulière à être affectés du pian , comme les blancs viennent au


monde avec la disposition à contracter la petite vérole. C'est en
quelque sorte un germe morbifique natif. Rien de plus absurde
MALADIES DE LA PEAU. 175

que l'opinion d'un médecin anglais , qui rapportoit l'origine pre


mière du yaws de Guinée , au rapprochement sexuel de l'homme
avec les femelles des animaux .

DXXXV. Quelques voyageurs attestent que les individus atta


qués du pian ruboïde , se rapprochent beaucoup par leurs carac
tères physiques des individus enclins aux scrophules ou au ra
chitis .. Ils ont assez ordinairement la tête ronde et aplatie , les
angles de la mâchoire saillans , la bouche grande , les lèvres épais
ses , les cheveux fins et mous , etc. Les tempéramens doués d'une
susceptibilité nerveuse très-active , en sont aussi très-facilement
affectés.

DXXXVI. L'âge dispose singulièrement à l'invasion du pian.


C'est ainsi que les enfans y sont plus sujets que les adultes et
que les vieillards ; de là vient qu'on l'a comparé avec la petite vé
role. Loëffler a noté que les personnes qui ont des plaies ouvertes
contractent cette maladie avec plus de facilité que les autres . Cet
inconvénient a presque toujours lieu pour les nègres , lesquels
sont habituellement couverts de blessures ou d'ulcères . On voit

combien il importe de les tenir dans un état constant de propreté ,


si l'on veut veiller à leur conservation .

ARTICLE V.

DES CAUSES EXTÉRIEURES QU'ON CROIT PROPRES A FAVORISER


LE DÉVELOPPEMENT DES PIANS .

DXXXVII. La production du pian tient sans doute aux loca


lités et à des influences atmosphériques , qu'il conviendroit de
bien étudier ; car il est constant que les nègres d'Afrique sont
beaucoup plus sujets au pian que les nègres créoles . Bontius , qui
176 MALADIES DE LA PEAU.

a particulièrement observé le pian d'Amboine et des îles Molu *


to
ques , l'attribue en grande partie à la température du ciel , et aux
vapeurs salines de la mer.

DXXXVIII. La nourriture des nègres contribue sans doute à


la propagation du pian. Ceux de Guinée usent d'un pain fait avec

le maïs grossièrement pulvérisé et broyé. L'art d'apprêter les


alimens est même chez eux dans une telle imperfection , qu'ils
préparent des nourritures aussi dégoûtantes qu'indigestes , avec
des feuilles d'arbres bouillies jusqu'à la consistance d'un brouet
clair, gluant et visqueux . Ils ont l'habitude pernicieuse de faire
pourrir les poissons avant de les cuire , de les assaisonner d'ail
leurs avec des épices qui ne peuvent que nuire aux fonctions de
l'économie animale . Aussi leurs sauces et leurs ragoûts exhalent
une puanteur insupportable.

DXXXIX . La plupart se nourrissent de crabes , d'araignées de


mer , dont ils font des hachis informes , en y ajoutant à l'excès du
poivre noir. On les voit dévorer la viande gâtée des rats , des ser
pens , des crocodiles ; la plupart vivent de sauterelles . On assure
même que les tourmens de la faim les portent jusqu'à dévorer les

cadavres de leurs semblables , ce que ne font pas les animaux les


plus féroces . Ils vont ensuite étancher leur soif dans l'eau impure
et croupissante des lacs , et se livrent continuellement à leur im

pulsion pour les boissons spiritueuses et fermentées.


DXL. Ce qui prouve du reste l'influence directe du genre de

nourriture sur la production du pian ruboïde , c'est l'observation


que l'on faisoit autrefois , relativement aux nègres esclaves des
Anglais ; on remarquoit qu'ils étoient plus sujets à tous les fàcheux

accidens de cette maladie que ceux qui vivoient sous la domination


des Français , parce qu'ils mangeoient beaucoup de harengs salés ;
ce que je dis de l'effet des mauvais alimens s'applique aussi au
pian fungoïde. Bontius dit très-bien que les habitans de l'île d'Am
boine abusent des poissons de mer , nourriture pesante autant
qu'indigeste . Il dit en outre , qu'au lieu de pain , on use dans ce
MALADIES DE LA PEAU. 177

pays , de mauvais gâteaux composés avec la farine d'écorces végé


tales. Ils boivent également d'une mauvaise liqueur retirée des
arbres par des procédés tout aussi défectueux . Cette liqueur
vénéneuse les enivre comme le vin et la bière . Elle trouble la
tête ; de là vient , à ce qu'on assure , le béribéri , sorte de para

lysie si commune dans ces îles.

DXLI. La malpropreté favorise peut- être la naissance des pians ;


car les nègres ont des habitudes très-nuisibles au système der
moïde . Ils se frottent le corps avec un mastic huileux qui s'op
pose au libre exercice de la transpiration ; la plupart ne se recou
vrent qu'avec des peaux de quadrupèdes non cousues , qui ne
sauroient les défendre des injures de l'air . Parlerons-nous de la sa
leté qui règne dans les cabanes , dans les huttes , dans les cases ,
où les nègres n'ont d'autre plancher qu'un terrain malsain et tou
jours humide ? C'est là qu'ils couchent pêle-mêle avec des ani
maux , etc.

DXLII. Le pian est certainement une maladie contagieuse , puis


qu'il a passé des nègres aux blancs ; Bajon en cite plusieurs exem
ples . M. L. Valentin , qui est un excellent observateur , est du
même avis. Il y a quelques années , dit- il , que toute la famille de
M. Grec , habitant de la paroisse Sainte-Marie , dans l'île de la
Martinique , contracta cette maladie. Une négresse qui portoit ha
bituellement l'enfant de sa maîtresse , fréquentoit des personnes
infectées par
le virus pianique . Madame Grec le gagna bientôt de
son enfant qu'elle allaitoit , et la maladie se propagea rapidement
dans toute sa maison . Cette anecdote est connue de plusieurs ha
bitans de la colonie . Quelques auteurs prétendent néanmoins que
le pian est moins communicable que la vérole .
DXLIII. La contagion du pian est , à ce qu'on assure , singu–
lièrement facilitée par une espèce de mouches que l'on nomme

mouches-frambœsia , et qui sont très- abondantes dans les pays


chauds . Ces mouches se reposent à tous les instans sur les hor
ribles pustules qui proviennent de la maladie , et elles vont ino
DIES U
178 MALA DE LA PEA .

culer le virus aux individus sains , qu'elles piquent jusqu'au sang.

Est-ce aussi par cette voie qu'elle a pu se transmettre aux ani


maux domestiques , comme on prétend l'avoir observé ? Loëffler
assure qu'il y a des endroits en Amérique où la loi défend aux ma
lades attaqués du pian de sortir , et qui leur interdit même tout

accès dans les hôpitaux. On trouve qu'en effet cette précaution


a considérablement diminué la propagation de la maladie.

ARTICLE VI .

DES RÉSULTATS FOURNIS PAR L'AUTOPSIE CADAVÉRIQUE D'UN INDIVIDU


MORT DES SUITES DU PIAN.

DXLIV. Nous avons procédé , avec beaucoup de soin , à l'ou


verture du cadavre du nommé Bartos , dont nous avons donné

plus haut la malheureuse histoire , et qui est mort des accidens


du pian ruboïde à l'hôpital Saint-Louis . Nous avons remarqué les
altérations suivantes : il n'y avoit aucune lésion dans les cavités
crâniennes ; sur les côtés du larynx étoient deux tumeurs ovoïdes
rénitentes ; celle du côté gauche ayant quatre pouces de longueur
sur six de circonférence , celle du côté opposé moins volumineuse ,
lesquelles avoient déprimé les muscles et les vaisseaux du voisi
nage. Ces derniers étoient un peu rétrécis dans leur calibre. Le
centre de chacune de ces tumeurs contenoit une matière puri
forme , rougeâtre et très-consistante , tandis que le reste paroissoit
être de l'albumine concrète , homogène , d'un rouge livide. Aux
côtés de ces tumeurs considérables , il y en avoit d'autres petites
de nature analogue ; les glandes salivaires étoient saines . Nous

jugeâmes convenable de diriger une attention particulière sur -


les altérations du système lymphatique . Les mâchoires écartées ,
MALADIES DE LA PEAU. 179

nous aperçûmes une saillie en avant du voile du palais , avec une

couleur obscure au fond du pharynx. La dissection exécutée , nous


observâmes une érosion de la membrane muqueuse qui tapisse
ces parties , confondue avec l'appareil musculeux qui l'entoure.
La dégénération étoit surtout très- avancée à la partie postérieure
et supérieure du pharynx , et comparable en tout aux squirres
qui affectent l'utérus ; l'engorgement se propageoit dans les fosses
nasales et le larynx , dont l'orifice étoit un peu rétréci , ainsi que
la partie supérieure de l'oesophage. Rien de particulier dans les
cavités thorachique et abdominale ; on observoit seulement que
les intestins étoient un peu rétrécis . Il eût été sans doute inté
ressant pour nos lecteurs de comparer ces altérations diverses avec
celles qu'auroit offertes l'autopsie de l'individu mort à Paris des
accidens du pian fungoïde ; mais des obstacles , dont il nous a été
impossible de triompher , nous ont interdit cet examen.

ARTICLE VII .

VUES GÉNÉRALES SUR LE TRAITEMENT DES PIANS .

DXLV . Les voyageurs attestent que les Africains possèdent


des méthodes sûres pour guérir les pians. On observe , en effet ,
que dès qu'une fois ils ont régulièrement traité cette maladie , elle

ne se manifeste plus. Il y a apparence que ces méthodes , à l'aide


desquelles on procède avec tant de certitude , se transmettent

dans chaque famille comme un héritage précieux . Au surplus , le


simple empirisme des nègres vaut souvent mieux que les raison

nemens futiles de tant de praticiens à systèmes.


DXLVI. Pourquoi dans certains pays regarde-t-on cette ma
ladie comme incurable ? Pourquoi abandonne-t-on les nègres in
180 MALADIES DE LA PEAU.

fortunés qui en sont atteints aux seules ressources de la nature ?


La plupart d'entre eux languissent dans un état d'angoisse et de
désespoir. On les éloigne des habitations de peur qu'ils n'y trans
portent le mal affreux dont ils sont la proie. On les renferme dans
des cases , pour qu'ils y attendent la guérison , qui n'arrive sou
vent qu'après l'espace de dix-huit mois. Lorsque le pian est ainsi
dissipé , alors on les ramène aux travaux les plus pénibles.
DXLVII . On ne se conduisoit pas ainsi dans les vaisseaux des
tinés au transport et à la vente des nègres d'Afrique . Les chirur
giens faisoient tous leurs efforts pour arrêter la maladie dans sa
marche ; l'intérêt des marchands demandoit ces sortes de tenta
tives . Ceux qui trafiquoient des esclaves n'achetoient qu'à un très
bas prix les sujets qui étoient infectés du pian . D'ailleurs , cette
maladie laisse souvent sur le corps des taches indélébiles qui dé
figurent les nègres et diminuent beaucoup leur valeur.
DXLVIII. Depuis qu'on a mieux observé la marche et les phé
nomènes du pian , et qu'on a mieux apprécié l'analogie qui existe
entre ce genre d'éruption et quelques autres maladies cutanées ,
on a introduit une grande perfection dans son traitement. On agit
comme dans la plupart des exanthêmes. On cherche à dévier tout
le levain morbifique vers la périphérie du système dermoïde , et
on a soin de provoquer la transpiration par tous les moyens qui
peuvent la favoriser . Heureusement que les pays où l'on a occa
sion de combattre cette hideuse maladie , abondent en bois sudo

rifiques. Il importe toutefois de ne pas communiquer trop d'ac


tivité au corps vivant ; car on finiroit par corrompre la masse des
humeurs , au lieu de l'épurer et de la mûrir . C'est ainsi , pour

me servir du langage ingénieux de Peyrilhe , qu'une chaleur trop


véhémente étouffe entièrement le germe , bien loin de le faire

fructifier , tandis qu'une chaleur modérée n'eût pas manqué de le


faire éclore .

DXLIX . Les médecins qui se livrent à l'étude des pians , doi

vent par conséquent ne jamais perdre de vue le phénomène de


MALADIES DE LA PEAU. 181

l'éruption et de la maturation ; mais ce travail ne peut s'accomplir


dans des corps foibles et sans énergie . Aussi , dans le premier
temps de la maladie , convient-il de porter une attention particu
lière sur le tempérament physique des nègres , de surveiller par
ticulièrement leur régime , de leur fournir une nourriture saine
et restaurante. Le second temps de la maladie mérite d'autres
considérations ; l'éruption est évidente ; il faut la combattre sans
aucun délai ; car si on se tient trop long-temps dans l'expectation ,
les pustules peuvent se convertir en larges ulcères . Ce sont ces lar

ges ulcères qui deviennent si redoutables , parce qu'ils donnent


naissance à une foule d'accidens consécutifs .

DL. C'est particulièrement chez les nègres , qu'on ne sauroit


trop se hâter d'entreprendre la guérison du pian ; en effet , tous
les rudes travaux auxquels ils sont soumis ne sauroient qu'aggra
ver les symptômes de ce mal affreux. La plupart , malgré la fièvre

qui les dévore , marchent sans aucune chaussure sur une terre
constamment brûlée par les rayons d'un soleil ardent. Il arrive
parfois que des grains de sable , des cailloux , des fragmens de co

quilles , se logent dans les parties charnues de leurs pieds , y occa


sionnent des douleurs et souvent un véritable état de phlegmasie
ou de gangrène , etc .; tous ces accidens finissent par rendre le
pian incurable .

ARTICLE VIII .

DU TRAITEMENT INTERNE EMPLOYÉ POUR LA GUÉRISON DES PIANS.

DLI . Nous avons dit que l'indication urgente étoit de pousser

la matière du pian vers la périphérie cutanée . Pour parvenir à ce


but, on a recours aux décoctions sudorifiques de sassafras, de gaïac ,

2 25.
182 MALADIES DE LA PEAU.

de squine , de salsepareille , etc. Certains médecins administrent le

9 le camphre , le soufre , l'assa foetida , les préparations anti atc


moniales , la thériaque , le safran . Les modes d'administration va
4Jan
rient au gré et au jugement des praticiens. SUCC
DLII . Afin de favoriser l'action des diaphorétiques , on ren D

6 7
ferme les nègres malades du pian dans une chambre bien close et
bien réchauffée . Quelquefois on continue de les faire travailler
et de les soumettre à des exercices qui contribuent d'une manière
particulière à développer l'éruption pianique . On assure que les
pustules ordinairement désignées sous le nom de pians blancs ,
sont celles qui se développent avec plus de facilité : l'éruption des

10
pians rouges ou petits pians , est beaucoup plus tardive .
DLIII. Le remède le plus efficace contre le pian est sans con
tredit le mercure . Bajon observe que pour faire réussir son admi
nistration , il est utile d'attendre que l'éruption des pustules soit
totalement opérée . Une pareille assertion se vérifie du reste en
Europe , pour d'autres maladies cutanées , particulièrement pour
les dartres . J'ai fréquemment expérimenté que , lorsque j'avois
recours au soufre pour les combattre , ce remède n'agissoit jamais
mieux qu'à l'époque où l'affection herpétique étoit complètement
développée. Pourquoi n'en seroit-il pas de même relativement au
muriate sur-oxigéné de mercure qui paroît être le médicament

par excellence pour opérer la cure des pians ?
DLIV . On ne sait trop pourquoi Peyrilhe a pu penser qu'il
falloit bannir le mercure du traitement employé contre l'affection
pianique. Les raisons qu'il allègue pour motiver cette proscription
ne sont rien moins que concluantes . Il dit que certains praticiens

n'ayant pas su distinguer le pian de la syphilis , avoient souvent


traité cette dernière maladie , croyant traiter la première . Cette

méprise a dû nécessairement leur donner une grande confiance


dans les préparations mercurielles. Il ajoute quelques autres ar

gumens qui ne sont pas d'une plus grande valeur , et qui doivent
nécessairement échouer contre l'expérience authentique des plus
MALADIES DE LA PEAU. 183

habiles observateurs ; car MM. Bajon , L. Valentin et tant d'autres ,

ont certainement bien établi les différences qui existent entre le


pian et la vérole , et personne n'ignore qu'ils ont obtenu un plein
succès de l'administration du mercure .

DLV . Nous avons déjà accordé au muriate sur-oxigéné de mer

cure une sorte de prééminence sur les autres préparations mercu


rielles , pour la curation des pians . On le fait dissoudre à la dose de
douze ou quatorze grains dans deux livres d'eau distillée ; on l'ad
ministre ensuite par cuillerée dans une décoction d'orge ou autre
boisson mucilagineuse , comme dans les maladies syphilitiques. Il
est des chirurgiens dans les colonies qui donnent ce sel dans l'eau
de-vie de sucre ou tafia ; d'autres l'associent à la salsepareille , au
gaïac , et à tous les sudorifiques .
DLVI. Comme on voit très-souvent des enfans qui sont encore

à la mamelle être tourmentés par tous les accidens de l'éruption


pianique , ainsi que cela arrive dans la maladie vénérienne , on les
guérit sans aucun inconvénient pour les constitutions foibles et
débiles , en faisant prendre le mercure aux nourrices . Cette mé
thode est merveilleusement salutaire ; beaucoup de faits consta
tent son efficacité.

DLVII. Le pian fungoïde , ou maladie d'Amboine , se traite par


des procédés entièrement analogues à ceux que l'on suit pour
guérir le pian ordinaire ou pian ruboïde ; Bontius en fait lui-même
la remarque. Si la maladie est récente , la cure est assez rapide ; si

elle est ancienne , elle offre un plus grand nombre d'obstacles. Les
bois sudorifiques sont invoqués et fréquemment associés aux plan
tes anti-scorbutiques ; quelquefois on a cru devoir recourir aux
purgatifs violens. Enfin , le mercure , le turbith minéral , l'anti
moine , trouvent surtout leur place dans ce traitement qui réclame
une extrême sagacité de la part du praticien .
1

184 MALADIES DE LA PEAU.

ARTICLE IX .

DU TRAITEMENT EXTERNE EMPLOYÉ POUR LA GUÉRISON DES PIANS .


I
C

DLVIII. L'emploi des frictions dans le traitement des pians a


été avantageux ; mais tous les médecins s'accordent sur l'impor 1

tance qu'il y a de préparer l'onguent mercuriel avec une graisse


pure et fraîche. Lorsque cet onguent est trop vieux , on a remar
qué qu'il irritoit la peau : n'administrez que des frictions très Eic

légères , afin d'éviter tout mouvement perturbateur qui pourroit


seconder les ravages du mercure dans l'intérieur de la bouche. 20
DLIX . Les frictions mercurielles sont particulièrement utiles pour are
combattre les douleurs ostéocopes , lesquelles se réveillent durant I
les intempéries de l'atmosphère . Bajon cite l'exemple d'une jeune
négresse qui pouvoit à peine se mouvoir par la violence de ses
souffrances. Ses douleurs s'apaisoient avec une promptitude sur
prenante toutes les fois que le remède dirigeoit son action sur les

glandes salivaires ; si l'on discontinuoit le traitement , les douleurs


ne tardoient pas à renaître : elle subit pendant deux mois des fric
tions légèrement graduées et ménagées. Il importe donc de ne pas
les cesser trop vite ; car le mal renaîtroit en quelque sorte de ses
propres germes.
DLX . Les soins de propreté influent particulièrement sur la
guérison des pians. Aussi les colons expérimentés sont-ils atten
tifs à faire baigner assiduement les nègres malades. Ce sont particu
lièrement les bains composés avec la décoction des plantes émol
lientes qui conviennent en pareil cas . C'est surtout à l'aide de ces
bains qu'on amollit la plante des pieds , et que l'on coupe ensuite

avec l'instrument tranchant la peau devenue calleuse . On se sert


aussi quelquefois d'un caustique , tel que le sublimé corrosif ou
une forte dissolution de potasse.
MALADIES DE LA PEAU. 185

DLXI. Nous avons parlé des guignes et autres excroissances qui


succèdent d'ordinaire au pian. On les attaque aussi par les caus
tiques : les chirurgiens appliquent tous leurs soins à détruire l'ul
cère principal , désigné , comme nous l'avons déjà dit , sous le nom
de mère-pians ou mama-pians. On sait que cet ulcère est bordé
de chairs fongueuses , qu'il est avantageux de réprimer ; souvent
même à cet accident vient se joindre la carie de l'os , qu'il importe
de combattre par des procédés chirurgicaux . On a pratiqué avec
succès l'amputation. Le topique le plus usité est le précipité rouge
combiné avec l'alun calciné , que l'on incorpore dans l'onguent ba
silicum. Dans le Voyage anglais de Stedman , on lit que les ulcères
de la plante des pieds sont communément brûlés avec un fer in
candescent , que souvent on les incise , et qu'on les arrose ensuite
avec du jus de citron .
DLXII . Je me borne à cette exposition simple des moyens em

ployés jusqu'à ce jour pour opérer la guérison des pians. J'aurois


voulu sans doute pouvoir offrir des vues plus étendues sur un su
jet aussi intéressant ; mais n'ayant eu occasion d'observer que deux

fois cette cruelle infirmité , j'ai dû d'abord m'assujettir aux mé


thodes curatives qu'on avoit déjà expérimentées . Si elles n'ont pas
eu tout le succès désiré , c'est sans doute parce que le ciel de la

France ne se prête qu'imparfaitement aux crises des maladies


propres à d'autres pays.
LES ICTHYOSES .

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES ICTHYOSes .

DLXIII . Je décris sous le nom d'icthyoses des maladies dans les


quelles la surface de l'appareil tégumentaire est recouverte d'é
cailles sèches et blanches , qui paroissent superposées les unes

sur le bord des autres , comme les écailles des poissons . Ces singu
lières altérations de l'épiderme que nous avons observées en assez
grand nombre à l'hôpital Saint-Louis , existoient presque toutes
depuis la naissance des individus qui en étoient atteints . La cou
leur ordinaire des écailles est d'un blanc cendré ou d'un blanc

nacré ; dans quelques cas , elle est d'un brun tirant sur le noir ;
parfois , surtout chez les Asiatiques , les écailles sont entourées
d'une aréole violacée ou rougeâtre .

DLXIV. Souvent l'épiderme a l'aspect luisant des écailles , sans


en avoir la dureté et la rénitence . Cette membrane se flétrit , se
ride et se revêt d'une couleur qui a beaucoup de rapport avec celle
des serpens ou des lézards. Une pareille affection est très- com

mune chez les vieillards , particulièrement chez ceux qui ont été
scrophuleux dans leur enfance. On voit aisément qu'elle est du
même genre que la précédente .

DLXV. Les icthyoses sont endémiques dans quelques climats ;


les voyageurs assurent qu'à l'île de Taïti on rencontre une sorte

de dégénération de l'épiderme , qui se rapporte absolument à celle


dont nous nous occupons . Souvent tout le corps est recouvert
d'écailles qui se détachent à une certaine époque de l'année ; mais
souvent aussi on n'en observe que sur quelques parties de la peau.
La maladie est hideuse lorsqu'elle a fait beaucoup de progrès.
DLXVI. Les pays voisins de la mer , particulièrement ceux qui
188 MALADIES DE LA PEAU.

sont traversés par des rivières très- poissonneuses , présentent sur


tout un pareil phénomène. Le genre de nourriture pourroit-il
influer sur le développement de cette affreuse et dégoûtante infir
mité ? On assure que lorsque les missionnaires chrétiens , mus par
leur zèle apostolique , vinrent s'établir dans le Paraguay , ils furent
frappés d'étonnement à la vue de certains individus sujets à une
éruption cutanée des plus bizarres . Tout leur corps étoit recou
vert d'écailles qui , par leur forme et leur couleur , avoient une
ressemblance manifeste avec celles qui forment l'enveloppe exté
rieure des poissons. D'ailleurs , un accident aussi extraordinaire
ne causoit aucun trouble dans l'exercice de leurs fonctions physi
ques et morales ; ils avoient l'air de n'être tourmentés par aucune
1 douleur ni par aucune démangeaison ; ils n'étoient pas même un
objet de dégoût pour ceux qui les fréquentoient habituellement.
DLXVII . Dans la suite on a donné plus d'extension à la déno
mination d'icthyoses , en l'appliquant à différentes dégénérations
de l'épiderme qui ont causé beaucoup de surprise aux observa
teurs . Tout le monde connoît l'histoire d'Édouard Lambert , qui
a paru dans Londres à deux époques différentes de sa vie , pour
exposer aux regards des curieux le phénomène de l'altération la
plus singulière qui puisse captiver l'attention des hommes . Ses té
gumens étoient couverts d'éminences dures et écailleuses , d'un
brun foncé ou d'un noir roussâtre , roides et douées d'une telle
élasticité , qu'on ne pouvoit promener avec vitesse la main sur ses
membres , sans produire un bruit très-sensible . Deux descendans

de cet individu sont venus , il y a quelques années , à Paris , et ont


été pour nous un objet d'étude et d'observation .

DLXVIII. Qu'on s'imagine toutes les hypothèses émises et pu


bliées , lorsqu'on a vu ces êtres singuliers se promener et se donner
en spectacle à toute l'Europe ! Les physiologistes ont mis leur es
prit à la torture pour expliquer ce nouveau genre de dégrada
tion. On s'est d'abord figuré que ces individus appartenoient à

quelque variété de l'espèce humaine ; les ignorans étoient tentés


MALADIES DE LA PEAU. 189

de les prendre pour des phoques ou des lamentins sortis du gouffre


des mers. Cependant , ce phénomène s'explique aisément par les
simples notions que l'on possède de nos jours sur la nature de
l'épiderme. Il n'est pas plus étonnant de voir cette membrane
mince et ténue acquérir plus de consistance par l'état maladif, et
dégénérer en substance écailleuse , que de la voir se convertir
naturellement en ongles au bout de nos doigts , en cornes ou en

sabots chez les quadrupèdes , en ergots chez les volatiles , etc.


DLXIX . Ces excroissances morbifiques et cuticulaires se pré
sentent sous des formes très-variées. Souvent ce sont des émi

nences disséminées çà et là , à la surface du corps , et qui ressem


blent tantôt à des cornes de bélier , tantôt à des griffes d'épervier .
Lorsqu'on procède à leur incision ou qu'elles tombent spontané
ment , elles ne tardent pas à se régénérer. On observe que ces
excroissances sont quelquefois très-abondantes aux environs des
articulations ; en sorte que les malades peuvent à peine fléchir
leurs membres et vaquer aux divers exercices de la vie . Les Tran
sactions Philosophiques rapportent l'exemple d'une jeune fille
qui étoit sujette à ce genre d'indisposition , et dont les yeux même

étoient recouverts d'une pellicule cornée qui l'empêchoit de bien


discerner les couleurs. La plupart de ces icthyoses sont liées à une
constitution rachitique .

DLXX . Quelquefois ces excroissances sont nombreuses ; mais


quelquefois aussi on n'en aperçoit qu'une scule sur la totalité du
système dermoïde , et ce fait n'est pas rare chez les vieillards.
M. Gastellier a décrit avec un soin particulier dans les Mémoires de
la Société royale de Médecine de Paris , une végétation cornée ,
laquelle étoit survenue vers la partie inférieure du temporal gau

che , chez une femme âgée de quatre -vingt-trois ans environ ; elle
avoit exactement la forme d'une corne de bélier. Un chirurgien
qui pratique son art avec beaucoup de succès dans le midi de la

France , m'a communiqué trois faits analogues , et j'en ai observé


quelques-uns moi-même sur des individus de l'un et de l'autre
2 26.
190 MALADIES DE LA PEAU.

sexe. Toutes ces excroissances de nature cornée appartiennent es


sentiellement au système épidermoïde ; elles s'isolent , pour ainsi
dire , de l'économie animale . Aucun travail organique ne s'établit
dans leur intérieur ; elles n'ont ni des vaisseaux qui les nourris
sent , ni des nerfs qui les animent.
DLXXI . Le caractère endémique des icthyoses , la chute pé
riodique des écailles qui les forment , quelques autres caractères ,
me déterminent à placer dans le même genre une maladie cutanée
sur laquelle on a fait beaucoup de recherches depuis quelques an
nées , je veux parler de la pellagre des campagnes milanaises. En
effet , toutes ces maladies cutanées ont le même siége , et attaquent
constamment l'épiderme. Lorsqu'on examine avec attention les
rides , les rugosités de cette membrane , on ne balance point à ad
mettre cette analogie ; c'est absolument le même aspect , et rien
ne ressemble davantage à l'icthyose nacrée que les tégumens des
pellagreux . Une autre circonstance pourroit servir à faire rappor
ter ces affections au même genre , c'est la presque ressemblance de

leurs causes . En effet , l'icthyose nacrée attaque le plus souvent


des pêcheurs qui existent dans un air empoisonné par des exha
laisons marécageuses , et la pellagre attaque pareillement des vil
lageois qui luttent contre les horreurs de l'indigence , et sont
journellement condamnés aux privations les plus pénibles. Toutes
deux d'ailleurs peuvent se transmettre par la voie de la généra
tion , etc.
1
1
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1
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Sethyos Naorie

Gravepar A Goubaudfils, éleve a la Caleographic Royale do Iboubaud Imprimé dans lemême établissement, à Bruxelles
PREMIÈRE PARTIE .

FAITS RELATIFS A L'HISTOIRE PARTICULIÈRE DES ICTHYOSES.

ESPÈCE PREMIÈRE .

ICTHYOSE NACRÉE . ICTHYOSIS NITIDA. ( PLANCHE XXXVII. )

Icthyose , se manifestant sur une ou plusieurs parties des tégumens par des écailles
plus ou moins dures et rénitentes , d'une couleur nacrée ou grisâtre , ce qui donne
au corps vivant l'aspect de l'enveloppe des poissons ou de la peau des serpens.
OBS. Cette espèce présente en conséquence deux variétés :
A. L'ICTHYOSE NACRÉE CYPRINE. Icthyosis nitida cyprinea. Écailles dures , blanchâ
tres , ayant beaucoup de ressemblance avec les écailles de la carpe ; c'est celle qui a le
plus d'intensité .
B. L'ICTHYOSE NACRÉE SERPENTINE. —· Icthyosis nitida serpentina. Dans cette variété ,

les écailles ne sont pas dures ; elles n'ont aucune consistance ; elles ont la finesse et la
ténuité de la peau des serpens. Cette icthyose attaque presque toujours les vieillards .
Nous en avons recueilli plusieurs exemples à l'hôpital Saint-Louis.

TABLEAU DE L'ICTHYOSE NACRÉE .

DLXXII . L'icthyose nacrée se manifeste communément quel


ques mois après la naissance. Elle s'annonce par une desquamma

tion furfuracée , et l'épiderme se renouvelle plusieurs fois . Bien


tot après , les écailles deviennent plus apparentes ; elles occupent
192 MALADIES DE LA PEAU.

principalement les avant-bras , les bras , les jambes et les cuisses .


On les observe aussi très-fréquemment sur l'abdomen et sur la
partie antérieure du tronc. On n'en voit point à la paume des
mains et à la plante des pieds.

Les écailles de l'icthyose nacrée sont tantôt épaisses et for


mées de plusieurs couches d'épiderme superposées , ce qui leur
donne une teinte plus foncée et plus opaque ; tantôt elles sont
simples et d'un blanc nacré , petites , bornées par des lignes droi
tes qui se coupent à angles , comme les rides qu'offre naturelle
ment la surface de la peau. C'est aux endroits de ces rides que les

écailles sont comme cassées. Il est au contraire de ces écailles qui


sont larges et transparentes , sans être brisées aux surfaces qu'oc
cupent les rides dont nous venons de faire mention. La couleur

luisante de ces plaques les a fait comparer aux écailles dont les
poissons sont revêtus .
On a tracé des descriptions plus ou moins hideuses de l'icthyose
nacrée ; on a cité des individus , dont les extrémités supérieures
et inférieures étoient entièrement écailleuses . On a vu tout le

corps , à l'exception de la tête , envahi par cette infirmité dégoû


tante , et comme recouvert d'une peau de phoque ; les tégumens
étoient durs et scabreux au toucher. Le vulgaire ne manque pas

de débiter des contes absurdes sur de semblables accidens ; tant

ils excitent la surprise ! Cette épaisseur de la cuticule sert en quel


que manière de vêtement , et l'on atteste que les malades frappés
de l'icthyose sont moins susceptibles d'être affectés par le froid
que les autres individus .

Au bout de quelque temps , les écailles , qui sont d'abord très


adhérentes aux tégumens , deviennent moins tenaces , se détachent
et finissent par tomber . Au-dessous , la peau est saine , nullement
douloureuse , ni enflammée ; l'oeil n'y distingue aucune altération .
Tous les ans , il y a un renouvellement complet des écailles .
Dans quelques cas , l'épiderme se détériore sans prendre plus
de consistance et d'épaisseur. La peau a la ressemblance la plus
MALADIES DE LA PEAU. 193

parfaite avec celle des serpens . Nous avons observé plusieurs


exemples de cette variété à l'hôpital Saint-Louis , et il est assez
ordinaire de la rencontrer chez les enfans aussi bien que chez les
vieillards . Il existe à Paris une famille entière composée d'indi
vidus des deux sexes , lesquels sont soumis à une desquammation
furfuracée qui a lieu au renouvellement des saisons . Ces pauvres
gens disent en langage trivial qu'ils ont la peau trop courte , et
que ne pouvant contenir le corps , elle se crève. Une jeune ac
trice d'un de nos petits théâtres , douée d'ailleurs d'une physio
nomie très-agréable , étoit affectée de cette icthyose . Heureuse
ment que son cou et son visage en étoient préservés ; la peau de
l'abdomen avoit non-seulement l'aspect , mais encore la couleur de
la vipère : la peau des cuisses avoit plus de ressemblance avec celle
d'une carpe. Cette maladie disparoissoit par l'usage des bains , et ne

tardoit pas à se remontrer aussitôt qu'on le discontinuoit .


Ce qu'il y a de remarquable , lorsqu'on considère sous un point
de vue général l'icthyose nacrée , c'est que l'épaisseur des
écailles suit en quelque sorte l'épaisseur de la peau. Elles sont

particulièrement très-apparentes à la partie antérieure de la ro

tule , aux coudes , aux parties externes des bras , des jambes et des
cuisses. Au contraire , dans les endroits où la peau est très-mince
et très-fine , et où elle se trouve naturellement lubrifiée par quel
que sécrétion particulière , il n'existe pas d'écailles ; ce phéno
mène est surtout apercevable aux plantes des pieds , lesquelles
sont habituellement humides de sueur. Il existe pareillement aux
aines , aux aisselles , à la face interne des cuisses , aux parties gé
nitales , etc. C'est là que les écailles cessent d'être apparentes et
qu'elles sont brusquement séparées par une peau saine . Le vi
sage et la paume des deux mains sont dans le même cas ; peut
être à cause des fréquentes lotions auxquelles on se soumet com
munément .

Quelque multipliées que soient les écailles , les malades n'é


prouvent ni démangeaisons ni aucune sensation incommode sur
194 MALADIES DE LA PEAU.

l'appareil tégumentaire ; l'appétit se conserve et la digestion s'ac


complit régulièrement. Toutefois , j'ai vu des individus qui étoient
prodigieusement affoiblis par les progrès de l'icthyose nacrée , et
qui tomboient dans une cachexie scorbutique. Le nommé Mont
gobert , dont je donnerai ici l'histoire , est atteint d'une prostra
tion générale dans le système des forces. Il éprouve des gonfle
mens dans les os des jambes ; il ne peut boire ni vin ni liqueurs ,
sans tomber dans une sorte d'anéantissement. Il ne peut travailler
long-temps , sans ressentir un feu brûlant à la tête et à la paume
des mains , etc. Tel est le tableau le plus ordinaire de l'icthyose
nacrée , dans tous ses degrés .

OBSERVATIONS RELATIVES A L'ICTHYOSE NACRÉE .

DLXXIII. Première observation . - François Montgobert , né


dans le département du Mont-Blanc , âgé de trente-trois ans , doué
d'un tempérament lymphatique , a perdu depuis fort long-temps
sa mère , qu'il soupçonne avoir été affectée du même vice que lui. ·

Sa sœur aînée , à laquelle les soins de son enfance furent confiés ,


lui disoit souvent que la triste maladie dont il est encore victime ,
provenoit peut-être de sa nourrice , qui étoit malsaine . Dès son
enfance , sa peau se recouvrit d'écailles dures , brillantes , d'un

blanc de nacre , paroissant posées , par leurs bords , les unes sur
les autres , à la manière des écailles dont les poissons sont recou
verts. Ses camarades lui disoient dans leurs plaisanteries qu'il étoit
sans doute né d'une carpe. Les écailles étoient très-adhérentes à
la peau , et il falloit un frottement violent pour les séparer ; l'ac

tion des bains réitérés en faisoit néanmoins tomber un très-grand


nombre ; mais elles ne tardoient pas à se régénérer aussitôt qu'on
en discontinuoit l'usage . Cette altération bizarre des tégumens
étoit surtout prononcée d'une manière remarquable à la partie an
MALADIES DE LA PEAU. 195

térieure et inférieure des cuisses , aux genoux , à la partie anté

rieure et supérieure des jambes , aux avant-bras , etc. : toute la


peau étoit terne et offroit l'aspect le plus désagréable . Montgobert
conservoit d'ailleurs un très-bon appétit ; toutes ses fonctions pa
roissoient s'exécuter librement. Ses urines étoient chargées ; la
transpiration nulle.

Deuxième observation .- Nicolas Lebrun , commissionnaire , âgé


de dix -sept ans , né de parens morts dans un âge peu avancé, d'une
constitution assez forte , d'un tempérament bilieux et sanguin ,
nous a également présenté un exemple bien frappant de cette
hideuse maladie , dont l'origine remontoit jusqu'à sa naissance .
La peau des bras , des cuisses et des jambes avoit un aspect ru
gueux et blanchâtre ; l'épiderme offroit des squammes qui se re
couvroient par leurs bords à la manière des écailles de poisson .

Dans les endroits où cette membrane n'offroit point ce caractère ,


elle offroit des rides transversales ou obliques , plus ou moins pro
noncées , foncées en couleur rouge ou brune . D'ailleurs , les au
tres fonctions conservoient leur libre exercice .
Troisième observation . - Gertrude Dorothée , âgée de vingt ans ,

éprouva , quinze jours après sa naissance , quelques petits bou


tons à la tête , qui augmentèrent en nombre , et qui au bout d'un
an finirent par s'étendre sur tout le
sur tout le corps , à la réserve de la plante
des pieds et de la paume des mains. La peau subit dès - lors une
altération remarquable. On regarda cette maladie comme véné
rienne ; on la traita comme telle , sans aucun avantage pour la

malade , qui , fatiguée de remèdes inutiles , entra à l'hôpital Saint


Louis avec une icthyose presque universelle , compliquée d'une
affection scorbutique. Cette dernière affection céda aux remèdes
dont nous fimes usage ; mais la peau resta toujours sèche , rude
et recouverte d'écailles lisses et de couleur nacrée . Sur la partie
antérieure de la poitrine , l'épiderme se ridoit et présentoit des
plis profonds assez éloignés les uns des autres , qui circonscri
voient des espaces anguleux . A la face antérieure et externe des
ES
196 MALADI DE LA PEAU .

jambes , depuis quelques pouces au-dessus des malléoles , sur les


membres supérieurs , à la face externe et postérieure , on voyoit
des écailles épidermoïques , larges comme l'ongle sur la jambe ,
moins larges sur les avant-bras , plus petites encore sur les bras ,
toutes formées d'une seule lame , sèches , luisantes comme les
écailles d'une carpe , se brisant quelquefois par le frottement et
se réduisant en poussière . Sous les aisselles et à la partie interne des
cuisses , étoit une peau plus fine , mais plus rude et farineuse . Ce

qu'il y avoit de plus grave dans cette icthyose , c'est que le tissu
cellulaire sous-cutané avoit une épaisseur et une dureté abso
lument analogues à ce qui se passe dans les premiers temps de
l'éléphantiasis.
DLXXIV. Les exemples d'icthyose nacrée se ressemblent tous
d'une manière si parfaite , que j'ai cru inutile de citer ici un plus
grand nombre d'observations . Cette maladie est encore très-fré
quente en France , particulièrement au voisinage de la mer.
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MALADIES DE LA PEAU.
197

DEUXIÈME ESPÈCE .

ICTHYOSE CORNÉE. ICTHYOSIS CORNEA. ( PLANCHE XXXVIII. )

Icthyose , se manifestant sur une ou plusieurs parties des tégumens par des écailles noires ,
dures , et qui présentent absolument la consistance et la dureté de la corne. Ces
écailles sont quelquefois plates ou coniques , très-nombreuses , et posées les unes à
côté des autres ; d'autres fois elles sont rares , cylindriques , se recourbent comme les
ergots des volatiles , ou s'allongent , en se contournant , comme les cornes des béliers.
OBS. L'icthyose cornée a trois variétés principales qui sont très-distinctes les unes des
autres.
A. L'ICTHYOSE CORNÉE ÉPINEUSE. Icthyosis cornea spinosa. ― Cette variété est extrê
mement rare ,
puisqu'il n'y en a encore qu'un seul exemple dans les annales de l'art. C'est
celle que nous avons eu occasion d'observer en France , dans ces dernières années , et
qui s'étoit d'abord montrée en Angleterre. ( Voyez Planche xxxvIII. ) Nous rapporterons
plus bas ce cas unique autant qu'extraordinaire.
B. L'ICTHYOSE CORNÉE ONGULEUSE. Icthyosis cornea ungulata. Dans celle-ci , les
prolongemens cornés simulent les ongles de quelques quadrupèdes ou les ergots des
volatiles , etc.
C. L'ICTHYOSE CORNÉE ARIÉTINE. Icthyosis cornea arietina. - Cette variété est très
commune. Je lui ai donné ce nom, parce que les excroissances ressemblent, par leur forme
et par leur volume , à des cornes de bélier. Le plus communément il n'en vient qu'une
seule sur la totalité du système dermoïde.

TABLEAU DE L'ICTHYOSE CORNÉE.

DLXXV . Rien n'est plus bizarre , mais aussi rien n'est plus in
téressant que la dégénération cornée du système dermoïde . Elle
sera toujours pour les médecins un grand sujet d'étude et de mé
ditation , tant qu'ils ajouteront quelque prix aux recherches phy
siologiques. C'est surtout en parlant d'un phénomène qui a tant
2 27 .
198 MALADIES DE LA PEAU.

piqué la curiosité et tant excité la surprise , qu'il convient de trans


mettre fidèlement à la postérité les faits que l'on observe , et que
l'on doit se garantir de cet esprit d'exagération que donne le goût
irrésistible pour le merveilleux . Lorsqu'on a vu paroître ces singu

liers résultats de l'inadvertance de la nature , on n'a pas manqué


de les rapporter aux terreurs fantastiques d'une imagination agi
tée par des spectacles qui laissent dans l'ame une impression forte

et permanente . Une vieille femme dont je citerai plus bas l'obser


vation , et qui portoit sur sa poitrine une icthyose cornée de la
plus étonnante structure , nous disoit que sa mère , enceinte d'elle ,
avoit été poursuivie dans la campagne par un taureau furieux , et
que ses cornes n'étoient jamais sorties de sa mémoire . Ce trait rap

pelle l'exemple d'une autre femme grosse dont a parlé Stalpart


Van der Viel , laquelle lavant un jour du linge sur les bords de la
mer , dirigea une attention trop vive sur les grands poissons qui
la parcouroient. On assure qu'elle accoucha d'un enfant dont la
peau étoit recouverte d'écailles hideuses.

L'icthyose cornée ne se manifeste communément que quelques


semaines après la naissance . C'est à cette époque que la peau pre

nant une teinte jaune et successivement plus foncée , il se mani


feste çà et là des excroissances cuticulaires , dont la forme varie
selon les parties des tégumens qu'elles occupent. Les unes sont
plates comme des écailles de poisson , d'autres sont concaves ; il
en est qui sont coniques comme les piquans du hérisson , et ran
gées symétriquement les unes à côté des autres , au point de si
muler les crins d'une brosse fort rude. Il est de ces callosités qui
ressemblent beaucoup à des verrues. Le vêtement horrible qu'elles
paroissent former , lorsqu'elles sont observées de loin , donne au
corps humain l'aspect d'une bête fauve . Plusieurs naturalistes ont
comparé cette étrange enveloppe au cuir de l'éléphant ou à la
peau des jambes du rhinocéros . Certains l'ont assimilée à l'écorce
d'un vieux arbre.

Les écailles de l'icthyose cornée suivent ordinairement la mar


MALADIES DE LA PEAU.
199

che de celles qui constituent l'icthyose nacrée. Elles tombent


dans la saison de l'hiver et se régénèrent avec une rapidité sur
prenante ; en sorte que les individus se trouvent bientôt munis
d'une enveloppe nouvelle. Machin rapporte un cas analogue dans
le Recueil des Transactions Philosophiques , et plusieurs auteurs

ont copié par suite sa relation . Il ajoute même que le nommé


Édouard Lambert , dont il donne l'histoire , ayant éprouvé tous les
symptômes d'une petite -vérole assez grave , fut accidentellement

dépouillé de toutes ses écailles ; mais qu'elles ne tardèrent pas à


renaître dans sa convalescence .

Ce qu'il y a de remarquable dans la disposition de ces écailles


dures et élastiques , c'est le bruit qu'elles rendent , lorsque la main
les parcourt et les frotte avec une certaine violence . Ce bruit a la

plus grande analogie avec celui qui résulte du froissement de la


terre par le serpent à sonnettes ( crotalus horridus ) des natura

listes . On sait que la queue de ce reptile se termine par une série


d'écailles coniques et creuses , engrénées les unes dans les autres ,
très-mobiles, et qu'à la faveur de ce mécanisme , on entend un son
comparable à celui qui est causé par la détente d'une pendule .
On a vu quelquefois les écailles de l'icthyose cornée se répan
dre en nombre infini sur la totalité du corps , environner les ar
ticulations au point d'en gêner le jeu et le mouvement. On a
consigné dans quelques journaux l'histoire d'une jeune fille de
Naples qui , par l'effet d'une semblable infirmité , disoit éprouver
une rigidité fatigante dans tout son appareil tégumentaire , et ne
pouvoit mouvoir ses membres qu'avec une difficulté extrême .
Cette éruption affreuse étoit devenue si générale, que les lèvres et
la langue même n'en étoient point préservées : on ajoute que ces
duretés calleuses opposoient une telle résistance , que le système
musculaire étoit dans une sorte d'inaction , que la bouche pou
voit à peine s'entr'ouvrir , et que la malade étoit également inca
pable de tenir le cou tendu et de tourner la tête.
Dans d'autres cas , les éminences de la peau sont d'une consis
200 MALADIES DE LA PEAU.

tance plus dure que la corne même , et ont beaucoup d'analogie


avec les griffes des chats , des éperviers et autres oiseaux carnas
siers. Il est superflu de reproduire ici tout ce qu'on a publié dans
les livres à ce sujet. Une demoiselle très- pieuse est atteinte dans
ce moment d'une semblable icthyose ; elle fait tous ses efforts.
pour dérober aux regards des curieux une maladie aussi rare que
surprenante , parce qu'elle rougit d'en être affectée. Les excrois

sances cornées ressemblent à des ergots de coq , et se trouvent


disséminées sur l'abdomen , le pubis , les extrémités supérieures
et inférieures , etc. Elle croit que cette maladie est une afflic
tion de la Providence , et ne veut tenter aucun remède pour se

guérir.
Enfin , il est des excroissances cornées qui doivent constituer
une variété très-remarquable ; elles sont communément en très
petit nombre ; le plus souvent même , il n'y a qu'une excroissance
unique sur la peau , qui paroît absolument conformée comme une
corne de bélier . J'ai observé , pour mon compte , quelques exem

ples de cette variété, qui est surtout commune chez les vieillards ;
telles étoient , par exemple , ces deux végétations cornées et
cylindriques que nous avons observées à l'occiput d'un men
diant qui étoit venu se faire traiter d'une dartre à l'hôpital Saint
Louis . Telle étoit aussi celle dont j'ai déjà fait mention , et
qui fut recueillie par M. le docteur Gastellier sur une très-vieille
femme : elle étoit située à la partie inférieure du temporal gau

che. Cette végétation profondément enchâssée dans le derme ,


n'avoit contracté aucune adhérence avec la propre substance de l'os.
On la coupa à plusieurs reprises , et toujours on remarqua qu'elle
se reproduisoit ; on observa néanmoins dans les dernières coupes
que l'on pratiqua , que cette production étoit d'une nature moins

compacte et moins parfaitement organisée que les précédentes.


M. Rigal m'a fait parvenir en dernier lieu les échantillons de deux
cornes humaines , prises sur deux individus différens , dont l'une
étoit située sur la partie moyenne de la première pièce du ster
MALADIES DE LA PEAU . 201

num , et l'autre à côté de la première tubérosité de l'ischion . On

m'a souvent parlé d'une jeune fille de Dinan , qui a vu se mani


fester plusieurs cornes sur différens endroits de sa peau. Ce qu'il
importe surtout de bien observer dans la contemplation des ic
thyoses cornées , c'est qu'elles n'entraînent aucune infirmité in
térieure ; c'est que les individus qui en sont atteints jouissent
d'ailleurs d'une santé vigoureuse et régulière : ils voyagent , s'as
sujettissent à des travaux pénibles sans inconvénient. A l'époque
annuelle de la mue où la plupart subissent une desquammation

universelle , ils ne sont pas sensiblement plus incommodés que de


coutume . Leur visage annonce une bonne complexion ; ils sont
d'ailleurs bien conformés ; les fonctions assimilatrices ne subissent
aucune altération , etc .; il est vrai qu'il n'en est pas de même dans
toutes les icthyoses , et que certains de ces malades sont quelque
fois rachitiques .

OBSERVATIONS RELATIVES A L'ICTHYOSE cornée .

DLXXVI. Première observation . - La pathologie cutanée ne

contient aucun fait qui soit aussi extraordinaire que celui dont on
va lire les principaux détails . En l'an 1803 , il parut à Paris deux
individus qui avoient fondé une sorte de spéculation sur la curio

sité publique. Ils s'annonçoient comme frères et portoient les noms


de John et de Richard Lambert . J'allois les visiter et les contem

pler plusieurs fois la semaine . Je me souviens que leur conduc


teur , nommé Joanny , se plaignoit à moi de ce qu'il y avoit à Paris
si peu
d'amateurs , ce qui rendoit leur gain très-peu considérable .
A cette époque , ils avoient déjà parcouru l'Allemagne , et M. Ti
lesius , célèbre médecin de Leipsick , s'étoit donné beaucoup de
peine pour les dessiner et les graver lui-même . Voyez l'ouvrage
in-folio qu'il a publié depuis à ce sujet , et qui a pour titre :
202 MALADIES DE LA PEAU.

Ausführliche Beschreibung und Abbildung der beiden sogenann


ten Stachelschwenmenschen , aus der bekannten Englischen Fa
milie Lambert, oder die Porcupineman, Altenburg, 1802. Lorsque
je vis les deux jeunes gens dont il s'agit , je trouvai qu'ils se ressem
bloient beaucoup par la couleur de leurs cheveux et de leurs
sourcils , qui étoient d'un châtain-clair ; tous deux avoient le front
étroit et haut , le nez gros ; l'un des deux l'avoit néanmoins très

aplati à sa racine. Ils étoient d'ailleurs doués du tempérament qui


prédomine chez les Anglais , et il n'étoit pas difficile de deviner

quelle étoit leur patrie . Tout le corps de ces individus si singuliers


étoit recouvert d'écailles ayant une apparence et une consistance
cornées ; les seules parties qui en fussent dépourvues , étoient la
face , la paume des deux mains et la plante des deux pieds, ainsi que
les interstices et les bouts des doigts , comme nous l'avons observé
dans l'icthyose nacrée. On n'apercevoit pas non plus d'écailles
sur le gland , et sur un petit espace des aines et des aisselles , etc.
On imagine bien qu'à mesure que ces individus parcouroient les
différentes villes de France , pour se donner en spectacle , on les
accabloit de questions ; on vouloit tout savoir sur leur origine.
Voici ce qu'ils racontoient à ceux qui alloient les voir avec sur
prise et curiosité ; ils prétendoient descendre en droite ligne d'un
sauvage écailleux , lequel fut autrefois trouvé au détroit de Davis ,
et conduit par des voyageurs à Philadelphie. Ce sauvage , qui
étoit pour le moins un Africain , ayant épousé une femme euro
péenne , eut un fils qui hérita de cette enveloppe cornée. On
le nomma Lambert. Celui-ci eut à son tour six enfans mâles qui
présentoient absolument le même phénomène. De ces six enfans ,
il n'y en eut qu'un seul qui se conserva ; c'étoit Édouard Lam
bert , auquel John et Richard , qui font le sujet de cette observa
tion , doivent le jour. Il vivoit à Eustonhall, dans le comté de Suffolk ,
servoit le lord Huntingfield en qualité de chasseur , et fut tué fort
vieux , pendant qu'il exerçoit ce métier. A ce mélange du faux

avec le vrai , le spéculateur Joanny , dont j'ai déjà fait mention ,


MALADIES DE LA PEAU. 203

qui promenoit les frères Lambert , comme on promène tous les


jours divers objets de curiosité , joignoit une fable plus absurde ,
pour mieux capter la crédulité populaire. Il assuroit , dans ses
affiches , qu'on avoit rencontré dans les contrées désertes de Bo
tany-Bay des peuplades d'hommes porcs-épics , absolument sem
blables à ceux qu'il montroit au public. Les vrais savans n'ajou
toient aucune foi à des assertions si ridicules ; ils connoissoient
d'ailleurs la généalogie des frères Lambert par les Transactions
Philosophiques. Personne n'ignore qu'en 1732 , Jean Machin ,
professeur d'astronomie à Gresham , décrivit le père primitif de
cette étrange famille. Il ajouta à sa notice la gravure d'une de ses
mains. Vingt-quatre années s'écoulèrent , sans qu'il fût rien pu
blié sur cet homme écailleux qui avoit tant excité l'attention gé
nérale. Mais en 1755 , Henri Baker raconta dans le même Recueil
qu'un homme affecté d'une maladie de peau des plus rares , se fai
soit voir à Londres pour de l'argent , et qu'il conduisoit avec lui
son fils , âgé de huit ans , ayant la même maladie . Ce dernier est

précisément le père des deux frères Lambert , dont nous donnons


ici l'histoire ; il est digne d'observation que leur infirmité se pro

page toujours en ligne masculine , et qu'ils ont eu sept sœurs dont


aucune n'a eu part à cet accident. Eux-mêmes attestent qu'ils
étoient exempts de l'icthyose cornée dans les premiers jours de
leur naissance . Ce ne fut qu'environ six semaines après, qu'ils com
mencèrent à en être attaqués ; elle acheva de se développer
dans l'espace d'un an , et sembloit ensuite prendre de l'accroisse
ment , à mesure qu'ils avançoient en âge . Ces deux individus
avoient été foibles dans leur enfance , l'aîné surtout avoit été ra

chitique ; ils n'étoient pas d'ailleurs mal constitués ; aucun vice


organique ne se présentoit à l'extérieur; les traits de la face avoient
leur conformation naturelle ; le sommet de leur tête était écail
leux et presque chauve . Partout où les écailles abondoient , les

poils étoient rares : il n'y en avoit que dans les intervalles ;


malgré le fourreau dur et corné dont ces hommes étoient inves
204 MALADIES DE LA PEAU.

tis , il était facile de voir que les viscères contenus dans les ca
vités thorachique et abdominale n'étoient aucunement endom
magés ; leurs facultés cérébrales n'avoient jamais été troublées ;
les parties de leur corps privées d'écailles , jouissoient d'une sen
sibilité ordinaire . On observoit seulement que ces individus exha
loient assez habituellement une odeur fétide et forte . Lorsqu'ils
se montrèrent à Paris , les médecins , les naturalistes s'empres
sèrent d'observer la position , la direction , la forme de leurs sin
gulières écailles ; ils tâchèrent même d'en arracher quelques-unes
pour les étudier avec plus de soin . Celles qui étoient situées sur
le dos , sur les flancs , sur la région abdominale , étoient séparées
les unes des autres par leur sommet , quoique réunies par leur

base . On en voyoit de prismatiques , de rondes , de rhomboïdales ,


de quadrangulaires ; la plupart étoient d'une figure conique. Leur
tête étoit noire , leur racine blanche , et leur corps grisâtre ; elles
étoient d'une grande fragilité ; elles n'avoient point partout ni la
même dimension ni la même longueur . Les frères Lambert étoient
souvent obligés de couper celles qui correspondoient au tendon
d'Achille , parce qu'elles prenoient un accroissement extraordi

naire , ce qui gênoit sans doute la progression . Les écailles du


dos , des mains et des pieds étoient surtout très- considérables ;
leur largeur étoit proportionnelle à leur longueur en général ;
les écailles se développoient de la manière suivante : l'épiderme
commençoit par s'épaissir ; il pulluloit d'abord des rudimens d'é
cailles blanches et d'une consistance molle ; mais elles devenoient
plus dures , et prenoient une couleur noire très-intense et très
prononcée . Ce qu'on observoit de plus intéressant dans cette dé

génération , c'est la mue périodique qu'éprouvoient les frères


Lambert , aux équinoxes de l'hiver et du printemps. On assure
néanmoins que cette mue singulière d'écailles a fini par n'avoir

plus lieu chez leur père , lorsqu'il est parvenu à sa quarantième


année . Quand elle s'opère chez ceux- ci , les écailles se détachent
spontanément et sans inconvénient , de la peau. Une fois tom
MALADIES DE LA PEAU. 205

bées , elles se reproduisent dans l'espace d'environ un mois. Si on


les arrache avec violence , on fait couler du sang ; mais le corps

muqueux ne tarde pas à se régénérer , ainsi que l'épiderme ; les


écailles peuvent être coupées en divers sens sans produire de
douleur. Il y avoit des écailles qui étoient peu dures ; il y en avoit
aussi qui n'avoient aucune consistance , qui étoient comme mem
braneuses , etc. J'ignore si un phénomène aussi prodigieux repa
roîtra jamais dans la suite des siècles , et si mes lecteurs de l'ave
nir pourront constater un jour par eux-mêmes la vérité du tableau
que je leur présente . Plusieurs de mes contemporains se sont oc
cupés des frères Lambert ; j'ai déjà cité l'ouvrage très - étendu de
M. Tilesius , qui , par zèle pour la vérité , est entré peut-être dans
des détails trop minutieux ; ce savant n'a pas voulu confier à d'au
tres qu'à lui-même le soin du dessin et de la gravure , de peur que
le vrai caractère de la maladie ne s'altérât sous des mains étran

gères ; je dois aussi parler d'un Mémoire plein d'intérêt et de


recherches , qui ne tardera pas à voir le jour , et qu'a bien voulu
me communiquer M. Buniva , infatigable pour tous les genres
d'observation . Il n'a négligé aucun moyen pour faire connoître
les phénomènes singuliers de ces hommes qui ont servi de spec
tacle à toute l'Europe .
Deuxième observation . ____ Il convient de rapporter à l'icthyose

cornée l'accident bizarre qui est arrivé à Catherine Cheveville ,


âgée de soixante-dix ans , née à Melun , et qui a long- temps ha
bité le faubourg Saint-Antoine , à Paris . Cette vieille femme
n'avoit jamais eu aucune maladie , pas même la petite-vérole , du
rant le cours de sa vie ; mais elle étoit d'une maigreur extrême.
La
peau de son visage étoit très- colorée ; celle de son corps étoit
terreuse , et sèche à l'excès ; les veines superficielles étoient très
dilatées , et le sang paroissoit n'y circuler qu'avec lenteur . Cette
femme portoit depuis long- temps à la partie inférieure de l'ex
trémité interne de la clavicule une tumeur de la grosseur d'une

petite poire. Cette tumeur , qui n'étoit dans son principe que
2. 28
206 MALADIES DE LA PEAU.

comme la tête d'une épingle , avoit acquis ce degré d'accroisse


ment dans plusieurs années ; la tumeur étoit environnée à sa base

par une substance cornée qui formoit une espèce de coquille ;


son sommet étoit partagé en deux portions recouvertes d'un pro
longement de la peau , sous lequel on distinguoit les vaisseaux
sanguins. Un chirurgien la fit beaucoup souffrir en essayant de
lui arracher cette tumeur. Il paroît qu'une partie resta implantée
dans les tégumens , et qu'elle donna lieu à un prolongement qui
s'accrut beaucoup dans l'espace d'une année . Lorsque j'eus occa
sion de voir cette femme , elle portoit à la partie antérieure et
supérieure de la poitrine , dans le voisinage de la fourchette du

sternum , une production cornée de la longueur de quatre à cinq


pouces au moins , qui avoit quelque analogie avec une gousse de

haricot. Cette production tenoit à la peau par un pédicule très


mince , et son poids déterminoit des mouvemens de tournoiement

qui étoient douloureux pour la malade ; quant à l'excroissance


cornée , elle étoit absolument insensible ; on la touchoit et on la
manioit impunément ; l'extrémité inférieure néanmoins lui faisoit
éprouver des picotemens qu'elle comparoit à ceux que produi
roit une piqûre d'épingle . Catherine Cheveville étoit très -supers
titieuse ; elle avoit la ferme persuasion que cette excroissance étoit
un ver animé qui la rongeoit : elle mourut dans la cachexie scor
butique.
-
Troisième observation . — Voici un fait qui m'a été communi
qué par un habile chirurgien de province . Ce chirurgien m'a en
voyé dans le temps deux morceaux considérables d'une produc
tion cornée , lesquels avoient été recueillis sur la personne de
M. Crayon , prêtre , ci- devant curé de Ville-Neuve , aujourd'hui
retiré dans l'hôpital d'Alby , département du Tarn . Cet ecclésias
tique est âgé de soixante- seize ans . Son tempérament est sanguin ;
sa peau remplit très-bien ses fonctions , elle · transpire habituel
lement beaucoup et avec facilité. Il est né de parens sains et ro
bustes. Depuis près de quarante-cinq ans , il porte une assez longue
MALADIES DE LA PEAU. 207

corne sur la partie moyenne de la première pièce du sternum.


Ce fut vers l'âge de trente ans que cette végétation singulière
commença à se manifester ; elle s'accrut progressivement dans
ses diverses dimensions , se contourna ensuite comme la corne d'un
bélier , et dans l'espace de cinq années , elle avoit déjà acquis neuf
pouces de longueur sur deux de circonférence qu'elle avoit à sa
base. M. Crayon éprouva dans la suite un accident . Étant monté
sur une échelle et s'occupant un jour à tailler une vigne qui
rampoit au bord d'une muraille , il fit une chute ; en tombant ,
sa corne s'accrocha à l'un des échelons supérieurs , et fut soudai
nement arrachée ; il n'y eut presque pas d'hémorragie. On crut
d'abord que cette excroissance ne reparoîtroit plus ; mais elle vé

géta derechef, en sorte qu'au bout du huitième mois elle avoit


déjà cinq pouces. M. Crayon s'avisa un jour de la couper à deux
pouces environ de sa base . Il a répété plusieurs fois la même opé
ration . Cette corne appartient exclusivement aux tégumens ; car
la peau n'est point adhérente à l'os , elle conserve
sa mobilité na
turelle ; je pourrois alléguer d'autres exemples . J'ai vu à l'hôpital
Saint-Louis une corne cylindrique et recourbée , laquelle étoit
venue à l'occiput d'un malheureux vieillard . On m'en a fait éga
lement parvenir une qui s'étoit développée à la tubérosité de
l'ischion.

DLXXVII. J'ai publié les faits majeurs qui concernent l'icthyose


cornée ; qu'on les rapproche maintenant de ceux que j'ai précé
demment rapportés sur l'icthyose nacrée ; qu'on examine avec
soin et qu'on compare les figures qui représentent ces deux es
pèces , et l'on sera persuadé sans peine qu'elles appartiennent
absolument au même genre. Que deviennent actuellement les
conjectures chimériques auxquelles on s'est livré , pour expliquer
l'origine de cette singulière altération de l'épiderme ? Je revien
drai sur ce point dans la seconde partie de cette dissertation .
208 MALADIES DE LA PEAU.

ESPÈCE TROISIÈME.

ICTHYOSE PELLAGRE. ICTHYOSIS PELLAGRA. ( PLANCHE XXXIX . )

Icthyose , se manifestant sur une ou plusieurs parties des tégumens par des rides et par
une disposition écailleuse de l'épiderme. Ce phénomène est communément accom
pagné d'un grand affoiblissement dans le système des forces , et du trouble des fa
cultés intellectuelles .

OBS. L'icthyose pellagre est chargée d'une multitude d'épiphénomènes , qui en font
une affection très-bizarre ; elle se complique d'une foule de symptômes qui dépendent
d'autres maladies . Ce qui lui appartient proprement se réduit à une phlogose locale
produite par l'activité des rayons solaires sur des corps; appauvris par le manque de
nourriture ou par des alimens de mauvaise qualité ; à cet accident viennent constam
ment se joindre la débilité des muscles et un délire triste. On a écrit des volumes en
tiers sur cet exanthème ; on a traité avec une diffusion singulière les questions les
plus minutieuses. C'est certainement servir la science que de rejeter de cet Ouvrage ces
inutiles divagations ; l'icthyose pellagre offre deux variétés assez distinctes .
A. L'ICTHYOSE PELLAGRE VULGAIRE. Icthyosis pellagra vulgaris. ― C'est la plus
commune et celle que Titius avoit proposé de désigner sous le nom de dermatagra ,
dénomination qui ne vaut pas celle qui est communément adoptée. Cette maladie
flétrit et ride les tégumens ; mais sans observer aucune forme régulière. On prétend
qu'elle attaque aussi les animaux domestiques : je dois rendre graces au célèbre
M. Moscati , qui a bien voulu me procurer les tableaux les plus variés de cette ma
ladie , et qui m'a mis à même de l'étudier sous toutes ses formes ; je ne dois pas
moins aux soins officieux de M. Buniya. Il est du reste peu de maladies qu'on ait
étudiées avec autant de zèle et de persévérance depuis quelques années. Que d'au
teurs il faudroit désigner , si je voulois donner de justes éloges à tous ceux qui s'en
sont occupés avec succès ! Frappolli , Zanetti , Cherardini , Jansen , Albera , Vide
mar , Strambio , etc. , à Milan ; Allioni , à Turin ; Fanzago , à Padoue ; Paolo della
Bona , Soler et Ghirlanda , à Trévise ; Odoardi , à Bellune ; Facheris , au grand hôpital
de Bergame ; Villa , aux environs de Lodi , etc. , ont trouvé et recueilli les faits les plus
intéressans. Il paroît , du reste , que l'icthyose pellagre étend plus loin son domaine
qu'on ne l'avoit cru ; M. Buniva observe qu'on la voit quelquefois franchir les Alpes.
Un élève de ce professeur découvrit un cretin pellagreux dans la ville de Saint-Jean de
6822
O
R

Sothyose Pellagre

brave à la lakographie Royale de Jooubaud imprimédans le meme tablissement à Bruxelles


Q
d
DS
0
1
MALADIES DE LA PEAU. 209

Maurienne ; M. le docteur Louis Careni croit l'avoir remarquée trois fois dans la ville de
Vienne. Le faits qu'il rapporte ont la resemblance la plus manifeste avec ceux qui s'obser
vent journellement dans les campagnes du Milanais. Enfin , mon collègue M. Husson ,
observateur très-exact , qui déjà avoiť eu occasion de voir l'icthyose pellagre , dans
son voyage en Italie , l'a retrouvée dans l'Hôtel-Dieu de Paris , et s'est empressé de
placer ce malade sous mes yeux , en le faisant transporter à l'hôpital Saint-Louis. Je
donnerai plus bas son histoire. En général , l'icthyose pellagre n'attaque que l'indi
gence et la misère. Aussi J.-M. Albera a-t-il dédié aux pauvres le Traité théorique et
pratique qu'il a composé sur cette maladie.
B. L'ICTHYOSE PELLAGRE ORBICULAIRE. Icthyosis pellagra orbicularis. - Dans cette
variété de la pellagre , assez fréquente aux environs de Milan , la desquammation s'ef
fectue circulairement comme dans la dartre furfuracée (herpes furfuraceus circinatus).
On assure que cette pellagre se répand sur tout le corps , et non de préférence sur
les parties exposées au soleil ; elle est moins dangereuse que la précédente , et se mani
feste dans tous les temps de l'année. Les paysans la nomment la salsedine , à cause
de la salive salée , dont il s'opère une sécrétion très-abondante dans la bouche ; elle
exhale une odeur qui est ordinairement très-fétide.

TABLEAU DE L'ICTHYOSE PEllagre .

DLXXVIII. Le symptôme le plus frappant de l'icthyose pel


lagre est la desquammation épidermoïque qui s'observe sur le dos
des mains et des pieds , à la partie antérieure du cou , au-devant
du sternum , au visage , etc. La peau est rugueuse et ridée , par
ticulièrement aux jointures et au voisinage des articulations ; elle
est parsemée de taches fauves et blanchâtres qui ressemblent quel
quefois aux échimoses scorbutiques. Dans d'autres cas , la cuticule
desséchée et noirâtre se réduit en une matière furfuracée , ou

se soulève en formant des ampoules remplies d'une sérosité jau


nå tre et de nature ichoreuse ; il survient fréquemment des pus
tules accompagnées d'un prurit aigu , d'une sorte de tiraillement
incommode , d'une sensation de brûlement , après lequel l'appa

reil tégumentaire s'endurcit , se gerce et se fend , au point d'offrir


210 MALADIES DE LA PEAU.

des crevasses et des sillons affreux. Les bras deviennent durs et

écailleux comme dans l'icthyose nacrée.


Ce qu'il y a surtout de remarquable dans cette altération sin
gulière de l'épiderme , c'est qu'elle se déclare d'ordinaire au prin
temps , diminue l'été et s'évanouit entièrement en automne . C'est
précisément à l'époque où les villageois quittent leurs cabanes
humides et malsaines , et commencent à se répandre dans les
campagnes pour vaquer aux travaux champêtres , qu'ils sont comme
frappés par les premières impressions du soleil , qui darde ses
rayons sur leurs corps affoiblis ; alors , les différentes parties de la
peau qui sont habituellement nues , rougissent , deviennent in
sensiblement érysipélateuses , et l'icthyose pellagre commence ses
périodes. Aux approches de l'hiver , l'épiderme se régénère ; mais
comme cette membrane a été profondément atteinte , elle reste
long-temps ridée , sale , et comme enduite d'un vernis; elle est sur

tout très-attaquée par l'action du froid et de l'atmosphère. On


observe toutefois que l'icthyose pellagre orbiculaire est moins
subordonnée au pouvoir des saisons que la précédente , et qu'elle
n'a point de temps fixe pour se développer .

Qu'on ne croie pas du reste que l'affection pellagreuse soit uni


quement due à l'action des rayons solaires ; il faut nécessairement

qu'il y ait une cause interne qui la favorise : car pourquoi ce phé
nomène n'auroit-il pas lieu indistinctement sur tous les paysans

qui sont exposés à la même influence , qui sont assujettis aux mêmes
travaux, etc. ? D'ailleurs , pourquoi l'apparition de l'icthyose pella
gre n'auroit-elle lieu que dans le printemps ? Pourquoi cette ma .

ladie commenceroit- elle à s'affoiblir pendant les chaleurs de l'été?


Les pellagreux sont dans une foiblesse extrême ; il y a un tel
accablement dans toute leur personne qu'ils peuvent à peine se.

soutenir sur leurs pieds , et qu'ils sont forcés de garder un con


tinuel repos. Cet état misérable , qui se rencontre souvent dans le
scorbut , dépend de la rigidité des fibres musculaires , et devient
quelquefois très-douloureux . La langue de ces infortunés est re
MALADIES DE LA PEAU. 211

couverte d'un limon rougeâtre ou livide . Il s'échappe de leur bou


che un flux salivaire abondant ; les dents s'ébranlent dans leurs
alvéoles ; les ongles deviennent difformes et crochus , comme dans
la teigne faveuse ou dans la dartre squammeuse. Il découle des
yeux et du nez des pellagreux une humeur séreuse , dont la source
ne tarit pas durant des mois et des années. Les urines sont pâles ,

copieuses , âcres et fétides : la sueur surtout a une odeur particu


lière , qui a quelque rapport avec celle du pain moisi ou des vers à
soie putréfiés. Soler dit que les cheveux acquièrent dans la pel
lagre une couleur roussâtre , comme s'ils avoient été brûlés. Ils se
détachent spontanément ou deviennent minces et lanugineux .
Les affections nerveuses tiennent une des premières places
parmi les symptômes de l'icthyose pellagre . Les malades ont été
parfois assaillis par des crampes si extraordinaires qu'on a vu suc

céder les grincemens des dents , le spasme des muscles de la


mâchoire inférieure , la carpologie , la syncope , l'épilepsie , les
phénomènes du tétanos , etc. Il n'est pas de mouvement convulsif
auquel ils ne soient sujets ; il en est un surtout très-extraordi
naire , et dont beaucoup d'auteurs ont parlé ; c'est celui par lequel

les pellagreux éprouvent une sorte d'entraînement qui les porte


à marcher en avant avec précipitation et en ligne droite , sans
qu'ils puissent s'arrêter au gré de leur volonté , ni se tourner d'un
A côté ou de l'autre : ils tâchent alors de s'appuyer
sur les premiers
objets qui s'offrent à leur passage ; certains restent dans une cons
tante immobilité. On en remarque d'autres qui sont sujets à des
tremblemens continuels dans tous leurs membres .

On est particulièrement surpris des troubles qu'éprouve le cer


veau dans l'icthyose pellagre . Ces troubles consistent dans un dé
lire , tantôt aigu , tantôt chronique ; le premier est accompagné
d'une fièvre irrégulière , dont les paroxysmes sont précédés de sa
livation et d'une sorte d'allégement dans les douleurs : ils se ter
minent ensuite par des sueurs et par des taches rougeâtres sur la
face et sur les bras ; les malades sont tristes , étonnés et muets ; il
212 MALADIES DE LA PEAU.

en est qui paroissent frappés d'épouvante , comme s'ils voyoient


des fantômes. Dans la seconde espèce de délire , qui est un délire
chronique , on observe souvent une vraie démence , une stupidité
complète , une mélancolie sombre , accompagnée d'un morne si
lence. On en voit qui sont extrêmement loquaces et qui finissent
par se donner la mort. M. Buniva rapporte qu'une pellagreuse se
coupa la gorge dans la commune de Piossasco . On a consigné dans

quelques journaux scientifiques d'Italie , l'histoire d'un fana

tique nommé Matteo Lovat , né dans les montagnes de l'État de


Venise , qui fit de funestes tentatives pour se crucifier. J'ai lu ,
dans un Mémoire de M. Ghirlanda , l'histoire d'une paysanne du
village de Cornuda , dans le territoire de Trévise ; quelques jours
après ses couches , avant éprouvé un dérangement dans le flux des
lochies , et des chagrins très-vifs , elle fut soudainement atteinte de
tous les symptômes de la pellagre. Les accidens extérieurs n'étoient
pas très-graves ; mais elle étoit plongée dans une mélancolie si af

freuse qu'elle y succomba. Elle se déroboit à tous les regards ,


versoit sans cesse des larmes , s'écrioit qu'elle étoit condamnée
par la justice divine aux peines éternelles ; elle se croyoit tou
jours environnée des flammes de l'enfer ; elle vaquoit d'ailleurs
aux occupations de son ménage , et ne déraisonnoit que sur cet
objet. La plupart des pellagreux vont se noyer dans des fleuves ;
c'est ce penchant funeste que Strambio désigne sous le nom d'hy
dromanie. Ce penchant proviendroit- il de la sensation brûlante
qu'on éprouve dans toutes les parties du corps , surtout dans celles
qui sont frappées par le soleil ? L'individu pellagreux que nous
avons eu occasion d'observer à Paris , disoit ressentir une ardeur
générale qui consumoit son corps.
Il est une multitude d'accidens secondaires qui accompagnent

presque toujours l'icthyose pellagre ; les malades éprouvent des


douleurs vives et brûlantes à la tête et le long de l'épine du dos.
Ces douleurs se répandent et suivent le trajet des troncs ner
veux ; elles se propagent jusqu'à l'os sacrum , provoquent un four
MALADIES DE LA PEAU. 213

millement considérable sur les bras et sur les jambes , particuliè

rement à la plante des pieds , envahissent fréquemment le thorax ,


les lombes et l'abdomen . Ce qu'il y a de plus surprenant , c'est

qu'il n'y a quelquefois qu'un seul côté du corps qui soit malade ,
tandis que l'autre demeure parfaitement sain .

Tous les désordres de la sensibilité se manifestent chez les pel


lagreux . Leur vue est soudainement obscurcie ou troublée ; ils sont
sujets au pica , à la boulymie . Le pellagreux que nous avons vu

ne pouvoit se contenter de la nourriture de l'hôpital , et se jetoit


avidement sur tous les alimens qu'on lui présentoit. L'odorat est
tellement dépravé , que la plupart croient sentir les odeurs les
plus fétides ; il en est qui sont tourmentés par un bourdonnement

d'oreilles très-remarquable , qui croient entendre le son importun


d'une roue de moulin , des coups de marteau sur l'enclume , le
chant des cigales , le cri des grenouilles , etc. Titius dit que les
pellagreux sont constamment portés à la volupté , à cause de
l'exaltation de la faculté sensitive . Il est très-commun de voir des

flux dyssentériques , particulièrement la diarrhée , occasioner le


marasme , l'hydropisie , la consomption pulmonaire , etc. Les crises
de l'icthyose pellagre sont presque toujours irrégulières , et quoi
qu'elle paroisse diminuer d'intensité dans l'automne et durant
l'hiver , elle se déclare les années suivantes avec non moins de
violence , et finit par précipiter une foule de victimes dans le
tombeau .

OBSERVATIONS RELATIVES A L'ICTHYOSE Pellagre .

DLXXIX . Première observation. - Louis Taugiers , tirailleur


chasseur , âgé de vingt-deux ans , entré au service militaire de
puis huit mois seulement , né Breton et de parens villageois , qui
n'ont jamais eu d'affections cutanées , livré lui-même dès sa jeu
2 29.
214 MALADIES DE LA PEAU.

nesse aux travaux pénibles de l'agriculture , se nourrissoit le plus


ordinairement avec du pain et de la bouillie de blé noir. Il pre
noit beaucoup de laitage , jamais de vin ; faisoit surtout un usage
soutenu de cidre : il avoit joui d'une bonne santé pendant son
habitation dans la maison paternelle ; mais depuis qu'il suivoit le
sort des armes , exilé de son pays natal , il étoit constamment ma
lade. C'est le changement de vie , d'habitude , de nourriture , qui
occasiona une altération profonde dans la santé de l'individu ,
lequel ne quitta plus les hôpitaux : l'ennui étoit peint sur sa
physionomie. Il étoit sombre , triste , taciturne ; il ne paroissoit
point absorbé par des réflexions , ni plongé dans des rêveries ;
mais il avoit une insouciance totale pour ce qui le touchoit de
plus près , et recherchoit la solitude . Après quelques mois de sé
jour dans l'Hôtel- Dieu de Paris , il lui survint une diarrhée san
guinolente qui l'affoiblit considérablement vers les premiers jours
du mois de juin 1810. Fuyant tout le monde , il alla se placer dans
une belle exposition au soleil , s'y coucha , les mains appliquées
sur la tête , de manière que les doigts s'entre-croisoient ; s'étant en
dormi dans cette position , le soleil darda ses rayons brûlans sur
la peau de la partie postérieure des deux mains avec une telle

violence , pendant environ deux heures , qu'il s'y manifesta une


légère phlogose. La peau devint rouge ; le malade y sentit une

chaleur ardente à son réveil ; il éprouva en même temps une vive


céphalalgie . Au bout de quelques jours , l'épiderme se fendit et
tomba par desquammation ; les articulations métacarpo-phalan
giennes furent surtout altérées ; il s'y forma des crevasses profon
des , très- sèches , à bords inégaux et écailleux ; la peau environ

nante étoit cuivreuse et noirâtre . Ce fut alors que MM . Husson et


Assalini ayant observé le malade avec la plus scrupuleuse atten
tion , confirmèrent l'existence de la pellagre. On le transféra à
l'hôpital Saint-Louis ; l'usage des bains fit tomber les écailles ; mais

l'épiderme régénéré se gerça de nouveau , et il se forma une


seconde desquammation . Cet individu étoit tourmenté par une
MALADIES DE LA PEAU. 215

espèce de boulymie ou faim dévorante , malgré la grande quantité


d'alimens qu'il prenoit ; la diarrhée persistoit toujours et parois

soit revêtir un caractère chronique. Louis Taugiers étoit considé


rablement affoibli ; il étoit devenu comme stupide. On lui a accordé
sa réforme , et on l'a renvoyé dans son pays , où il étoit impatient
de se rendre.
Deuxième observation . - Nous avons déjà parlé du délire par

ticulier des pellagreux , qui les porte à se noyer dans des fleuves ,

sans qu'ils puissent modérer ce penchant funeste , dont la plu


part ont été les victimes ; souvent ils rêvent que ce malheur arrive
à d'autres. M. Ghirlanda m'a raconté l'histoire de la femme d'un

pêcheur des environs de Trévise ; elle étoit âgée de vingt -deux


ans , et d'une constitution robuste . Quelques jours après un ac
couchement , elle rêva une nuit que son mari s'étoit précipité
dans une rivière voisine ; elle s'éveilla tout effrayée , et sortant
brusquement de son lit et de sa maison , elle courut long- temps
à demi - nue sur le gazon baigné par la rosée . Elle appeloit son
époux à grands cris , et comme il ne répondoit point , elle en con
clut que le songe qu'elle venoit d'avoir , n'étoit qu'une affreuse

vérité ; elle retourna chez elle , et s'abandonna à tout son déses


poir. Après quelques heures , son mari rentra ; mais il fut mé

connu : cette infortunée persista dans sa croyance , et ne recouvra


que long-temps après l'usage de sa raison . M. Ghirlanda prit des
informations sur sa famille , et on lui assura qu'elle étoit née d'une
mère pellagreuse .

DLXXX . Il paroît généralement prouvé aujourd'hui que la


pellagre est fréquemment héréditaire ; c'est encore ici une cir
constance qui la rapproche des autres icthyoses que j'ai décrites.
En rassemblant ses principaux traits d'analogie , on se convaincra
que la place que je donne à cette affection dans la méthode noso
logique est véritablement la seule qu'elle puisse occuper.
SECONDE PARTIE .

FAITS RELATIFS A L'HISTOIRE GÉNÉRALE DES ICTHYOSES.

DLXXXI. Pour peu qu'on veuille maintenant comparer ensem


ble les différentes espèces d'icthyoses , dont j'ai tracé le tableau
individuel , on ne pourra s'empêcher de voir que ces maladies
manifestent une analogie incontestable par leur siége et le mode
d'altération qu'elles font subir à l'épiderme . On aura même occa
sion d'observer plus bas , qu'elles se rapprochent par l'identité
des circonstances qui contribuent à leur donner naissance ; il fal
loit par conséquent les comprendre dans le même genre. Expo
sons maintenant leurs phénomènes communs , leurs rapports avec
les autres maladies cutanées ; recherchons leurs causes , et exami
nons s'il est des cas où l'art peut atteindre leur guérison .

ARTICLE PREMIER .

DES PHÉNOMÈNES GÉNÉRAUX QUI CARACTÉRISENT LA MARCHE DES ICTHYOSES .

DLXXXII . Le phénomène spécial des icthyoses est d'altérer ,


d'augmenter ou de diminuer l'épaisseur autant que la consistance
naturelle de l'épiderme humain , de manière à lui donner l'aspect
de l'enveloppe tégumentaire de quelques animaux , tels que les

poissons , les serpens , etc. Ceux qui connoissent la structure par


218 MALADIES DE LA PEAU .

ticulière de l'épiderme se rendent facilement compte de cet acci


dent pathologique . Malgré l'opinion d'un anatomiste célèbre , on
sait que cette membrane se compose naturellement d'écailles
presque imperceptibles et disposées d'une manière très-symétri
que. Ces écailles sont très-apparentes dans certaines classes d'ani
maux , particulièrement chez les poissons , etc.
DLXXXIII . L'insensibilité de l'épiderme , l'isolement de sa vi
talité , l'extrême simplicité de son organisme et l'homogénéité
de sa composition , la privation des nerfs et des vaisseaux san

guins , etc. , expliquent la plupart des phénomènes que nous of


frent les icthyoses. On voit pourquoi le système dermoïde n'est
tourmenté par aucune douleur , n'est en proie à aucune déman

geaison , ce qui n'arrive point dans les maladies qui attaquent plus
profondément la substance des tégumens : telles sont les dartres ;
tel est le prurigo , etc.
DLXXXIV . Les icthyoses se présentent sous autant de formes
que l'épiderme est susceptible de recevoir de modifications . Le

plus communément , c'est un simple épaississement des écailles


qui les constituent , ce qui donne à la peau l'aspect de l'enveloppe
des poissons ; d'autres fois , ce sont des écailles si fines , si minces ,
qu'au tact on croit poser la main sur un assemblage d'épines ai
guës , et que le corps des malades a l'air d'être revêtu d'une peau

de chagrin ; de tels exemples sont très-nombreux . J'ai vu deux


enfans mâles nés d'un père malsain , chez lesquels cette disposi
tion existoit à un très -haut degré . La plante de leurs pieds et la
paume de leurs mains en étoient seulement préservées . Il s'opéroit
par ces parties une sueur si abondante , que les souliers en étoient
traversés et pénétrés : cette sueur étoit très-fétide . Ce qu'il falloit
remarquer dans cette famille , c'est que les sœurs étoient exemptes
d'un pareil inconvénient ; sans doute parce que leur peau étoit

naturellement d'une texture plus fine et plus délicate .


DLXXXV . Dans certains cas , mais ces cas sont rares , on a vu

Ja peau humaine se couvrir d'excroissances d'une consistance ab


MALADIES DE LA PEAU. 219

solument cornée. Nous avons déjà raconté l'histoire intéressante


des frères Lambert , dont l'appareil tégumentaire étoit devenu ,
pour ainsi dire , méconnoissable . (Voyez la Planche XXXIII . ) On
lit aussi dans les Transactions Philosophiques l'exposé des symp

tômes qu'éprouvoit Anne Jackson , d'origine anglaise . Son corps


étoit parsemé de callosités dures et contournées à la manière des
griffes d'un coq d'Inde ; elle en avoit même sur la langue et dans
l'intérieur de la bouche ; ses yeux étoient en outre recouverts par

une pellicule épaisse , en sorte qu'elle ne pouvoit distinguer les


objets qu'avec la plus grande difficulté . Ces prolongemens cornés
étoient implantés dans la peau par des racines , et dans leur
principe ressembloient assez à des verrues .
DLXXXVI . Nous avons déjà fait observer que dans quelques

circonstances ces sortes de végétations sont très-peu nombreuses ,


que souvent on n'en voit qu'une seule sur toute la périphérie
cutanée . A mesure qu'elles prennent de l'accroissement , elles se
contournent comme les cornes des béliers. J'ai déjà cité plusieurs
exemples de ces végétations qui n'appartiennent qu'aux tégu
mens , et ne contractent jamais d'adhérence avec les os.

DLXXXVII. Au surplus , quelque multipliées que soient les ex


croissances cornées dont nous venons de faire mention , les fonc
tions intérieures n'en sont point altérées . Les hommes écailleux qui
se montroient à Paris étoient d'une complexion très-forte ; cepen
dant on a observé qu'une femme napolitaine qui étoit atteinte
d'une maladie analogue , n'étoit pas réglée , qu'elle éprouvoit une
sorte de malaise toutes les fois qu'elle avoit pris de la nourriture ,
que ses urines surpassoient la quantité des boissons , etc. Lafille
anglaise dont j'ai parlé plus haut avoit une intelligence très
bornée ; son physique n'étoit pas moins déplorable ; elle touchoit
déjà à sa quatorzième année et avoit à peine la stature d'un enfant
de cinq ans .

DLXXXIII . Dans l'icthyose nacrée tout annonce pareillement


la foiblesse radicale du système lymphatique. Ces sortes d'individus
220 MALADIES DE LA PEAU.

sont portés à une mélancolie habituelle. Montgobert , dont j'ai

cité plus haut l'observation , est dans une disposition scorbutique


qui l'a prodigieusement débilité . Il ne peut se livrer à son travail
sans ressentir une vive céphalalgie et un feu brûlant dans la

paume de ses mains ; d'ailleurs il est toujours rêveur et taci


turne. Ce symptôme rapproche singulièrement l'icthyose nacrée
de l'icthyose pellagre . J'ai déjà dit que dans cette dernière mala
die , il survenoit un délire triste , souvent suivi d'une sorte de
stupidité.
DLXXXIX . Ce qui est frappant dans la considération générale
des icthyoses , c'est l'extrême variété qui règne entre les indivi
dus qui en sont atteints . Les uns n'ont sur leur peau que les

plus légères traces de cette bizarre altération ; les autres ont tout
leur corps gravement affecté. Il en est qui ont la membrane épi
dermoïque mince et diaphane ; d'autres l'ont épaisse et rénitente
dans toute sa périphérie : quelle différence entre les frères Lam
bert , recouverts d'excroissances affreuses et tant d'autres sujets
sur lesquels il vient çà et là quelques végétations de nature cor
née ! quelle différence non moins sensible entre les personnes
atteintes de l'icthyose pellagre ! on en voit qui sont comme brû
lées et qui ressemblent à des momies ; on en voit aussi dont la
peau n'est que foiblement ridée , et qui ont une apparence de
santé dans toute leur personne , etc.

DXC. Les icthyoses sont quelquefois universelles ; quelquefois


elles ne sont que partielles ; souvent elles n'attaquent que les
bras et les jambes . J'ai vu une icthyose singulière qui n'affectoit
que le côté droit ; ce qu'il y avoit de remarquable , c'est qu'elle
étoit périodique et qu'elle se manifestoit à chaque printemps.
Cette observation a été faite sur une femme parvenue à l'âge

mûr ; lorsqu'elle étoit malade , sa peau étoit rude et écailleuse


comme l'enveloppe des poissons.
DXCI . La plupart des icthyoses sont endémiques , parce qu'elles
tiennent à des causes locales ou au genre de nourriture dont
MALADIES DE LA PEAU. 221

usent certains peuples. Les hommes qui habitent plus ou moins


le bord des mers ou des rivières poissonneuses sont spécialement
sujets à l'icthyose nacrée : on sait combien la manière de vivre

des paysans de la Lombardie influe sur la production de l'icthyose


pellagre ; il n'y a que l'icthyose cornée qui paroît être le résultat
fortuit de quelque cause non encore appréciée .
DXCII. Les icthyoses paroissent subordonnées à l'influence des
saisons , et avoir quelque analogie avec la mue de certains ani
maux. Dans les trois espèces que j'ai établies , les écailles tombent
communément dans l'automne ou dans l'hiver ; souvent même ,

lorsque cette crise s'opère , les individus se trouvent plus malades


ou plus indisposés qu'à l'ordinaire ; mais bientôt les écailles se
reproduisent et reprennent toujours leur ancienne forme.

ARTICLE II.

DES RAPPORTS D'ANALOGIE OBSERVÉS ENTRE LES ICTHYOSES ET QUELQUES


AUTRES MALADIES CUTANÉES .

DXCIII. On a eu tort de comparer les icthyoses aux affections


herpétiques , celles-ci suscitent des démangeaisons vives , qu'on
n'observe jamais dans les maladies dont nous traitons ; l'insensi
bilité naturelle de l'épiderme explique aisément l'absence du
prurit. La desquammation dartreuse est le résultat d'une phleg
masie chronique de la peau , laquelle s'annonce communément
par un amas de petits boutons pustuleux qu'on n'observe jamais
dans les icthyoses . Cette même desquammation n'offre point l'idée
ni l'aspect de l'enveloppe extérieure des poissons , etc. Comment
pourroit-on se méprendre sur leur vrai caractère ?

DXCIV . On a long -temps envisagé l'icthyose nacrée comme


2 30 .
222 MALADIES DE LA PEAU.

une affection lépreuse ; mais il est manifeste que cette analogie


prétendue est sans aucune sorte de fondement ; car l'icthyose na

crée se dirige spécialement sur l'épiderme. La lèpre , au contraire ,


attaque l'ensemble des tégumens , et le tissu cellulaire sous
cutané ; de là proviennent ces tuméfactions des membres qui de

viennent quelquefois monstrueux et gigantesques , etc. L'aspect


hideux de certaines icthyoses a sans doute induit en erreur quel
ques observateurs superficiels .
DXCV . C'est relativement à l'icthyose pellagre qu'on s'est atta
ché surtout à faire de semblables rapprochemens. On connoît le
parallèle ingénieux établi par Paolo della Bona dans un discours
qu'il prononça en 1791 dans l'École de Padoue . Pour bien affer

mir son opinion , il compara habilement le tableau énergique de


l'éléphantiasis tracé par Arétée , avec les descriptions nombreuses
qu'on nous a données de l'affection terrible qui tourmente les
pauvres villageois du Milanais ; et il conclut par dire que ces
deux maladies se ressembloient , non -seulement par leurs symp

tômes caractéristiques , mais encore par leurs symptômes secon


daires . Une telle assertion n'exige sans doute aucune réfutation
sérieuse .
DXCVI . M. Strambio a , ce me semble , parfaitement indiqué les

différences qui séparent la lèpre de l'icthyose pellagre . En effet ,


dans cette dernière maladie , la peau n'est ni épaisse ni tubercu
leuse ; on n'y observe pas cette altération du tissu muqueux , qui
augmente à un point prodigieux le volume du nez , des lèvres ,
du front , etc.; la voix n'est pas rauque. On n'y remarque jamais
ces taches tantôt brunes , tantôt blanches , qui annoncent l'inva
sion de l'éléphantiasis . Une différence non moins essentielle , c'est
le délire singulier qui lui est propre , et qu'on n'a jamais pu voir
chez aucun lépreux .

DXCVII . Les raisons qu'allègue M. Facheris , médecin du grand

hôpital de Bergame , ne sont pas mieux fondées lorsqu'il a voulu


assimiler la pellagre au mal de la Rosa de la province des Astu
MALADIES DE LA PEAU. 223

ries , variété de lèpre qui a été parfaitement décrite par Casal et


Thierry ; mais la nature de ce dernier exanthème est tout-à-fait

différente. Il se manifeste par des croûtes horribles qui tombent


et se succèdent , en laissant sur le système cutané des cicatrices
indélébiles ; or , ces croûtes ne s'observent jamais dans l'icthyose
pellagre . D'ailleurs le siége du mal de la Rosa est beaucoup plus
profond , etc.
DXCVIII . L'espèce de délire que l'on remarque , soit dans l'ic

thyose pellagre , soit dans le mal de la Rosa , n'établit certaine


ment aucun rapport intime entre ces deux affections ; car ce dé
lire n'a pas le même objet . J'observe , en outre , que le trouble
des facultés cérébrales se déclare souvent dans les maladies cu
tanées parvenues à un très-haut degré d'intensité. Je l'ai souvent

observé dans le prurigo , et dans la dartre squammeuse universelle .


Comment d'ailleurs peut-on comparer une éruption aussi hideuse
que celle du mal de la Rosa , à une simple exfoliation épider
moïque que l'action du soleil , ou l'usage d'une mauvaise nour
riture détermine le plus souvent !
DXCIX . On a voulu comparer l'icthyose pellagre au scorbut ,
parce qu'on observe dans cette première maladie les symptômes
d'une débilité extrême , des hémorrhagies passives , etc. Les paysans
des campagnes milanaises habitent , il est vrai , des cabanes hu

mides qui les disposent singulièrement à des accidens de ce genre ;


mais ces deux maladies n'en sont pas moins différentes l'une de
l'autre , comme Soler en a fait la remarque . En effet , l'icthyose
pellagre se montre dans des pays chauds , dans des lieux où l'air
est extraordinairement vif , etc. Le scorbut , au contraire , n'ha
bite que les climats froids et marécageux ; l'icthyose pellagre est
favorisée par l'influence des rayons solaires . Le scorbut , au con

traire , se dissipe lorsqu'une température chaude a changé l'atmo


sphère ; enfin , les scorbutiques conservent constamment leurs
facultés intellectuelles , et les pellagreux sont presque toujours
dans le délire , etc.
224 MALADIES DE LA PEAU.

DC. Videmar a émis une autre opinion. Il estime que l'ic

thyose pellagre se rapporte absolument à l'hypocondrie ; il cherche


à le prouver par l'énumération des symptômes. On a fortement
combattu son assertion . N'est-il pas constaté que l'hypocondrie

attaque ordinairement les citadins et ceux qui vivent dans l'opu

lence ? L'icthyose pellagre , par opposition , est la maladie des


villageois et des pauvres ; elle paroît au printemps et se dissipe en
hiver ; elle est mortelle pour un grand nombre d'individus ; il y
a toujours et tôt ou tard une altération de l'épiderme. Ces carac
tères ne sont pas certainement ceux de l'hypocondrie .

ARTICLE III.

DES CAUSES ORGANIQUES QUI INFLUENT SUR LE DÉVELOPPEMENT


DES ICTHYOSES .

DCI . Que d'hypothèses n'a-t-on pas imaginées pour expliquer


la formation des écailles qui constituent les différentes icthyoses !
C'est surtout à mesure que les deux frères Lambert parcouroient
les villes de l'Europe , que les physiologistes mettoient leur es
prit à la torture pour se rendre compte d'un phénomène aussi
étrange. Trompés par des rapports chimériques , certains auteurs
ont été jusqu'à prétendre que cinq ou six semaines après la nais
sance de ces hommes singuliers , il étoit survenu à la périphérie
de leur corps un suintement copieux d'humeur sébacée , laquelle
transsudoit çà et là de tous les pores cutanés. La matière de ce
suintement mise en contact perpétuel avec l'oxygène de l'atmo
sphère , avoit d'abord formé un enduit solide , lisse et poli ;
mais cet enduit n'avoit pas tardé à se fendre et à se partager di
versement par les mouvemens nombreux auxquels les membres
MALADIES DE LA PEAU. 225

sont naturellement assujettis . Ce sont , dit-on , ces incalculables


gerçures qui donnoient lieu à autant d'écailles différentes : peut-on
ajouter foi à une supposition aussi absurde ?

DCII . L'explication que donne M. Tilesius n'est guère plus ad


missible . J'ai déjà cité l'ouvrage fort étendu qu'il a publié sur la
famille des frères Lambert . Ce savant rapporte la formation de la
couche écailleuse à la désorganisation des cryptes muqueux , ou
du moins à une sécrétion troublée de la graisse de la peau , dans

toutes les parties du corps , qui sont recouvertes par les vête
mens. Cette matière onctueuse s'accumule avec trop d'abondance
dans ses réservoirs par l'effet d'un stimulus morbifique. C'est là
qu'elle se mêle avec la lymphe naturellement disposée à se coa
guler ; l'accroissement successif de cette sécrétion vicieuse doit
donner naissance à ces plaques lamelleuses par un mécanisme
semblable à ce qui se passe dans l'éruption des teignes , des dar
tres , etc. Je renvoie à l'ouvrage de M. Tilesius ceux de mes lec
teurs qui voudroient avoir une idée plus complète des argumens
ingénieux sur lesquels il appuie son hypothèse.
DCIII. Il suffit toutefois de considérer attentivement les écailles

qui se développent dans les icthyoses les plus graves , pour se


convaincre qu'elles sont de la même nature que l'épiderme , et
qu'elles ne sont en conséquence qu'un simple résultat de la dé
génération de cette membrane. On se convaincra pareillement
qu'elles ont le plus grand rapport avec la structure des ongles , etc.
Ceux-ci présentent en effet les mêmes phénomènes dans leur
origine et dans leur développement ; M. Buniva a très-bien observé
que les écailles , les cornes , etc. , ne possèdent ni nerfs , ni vais
seaux , ni aucun des caractères des autres parties du corps vivant.

DCIV . Quel soin ne faudroit-il pas prendre pour corriger les


dispositions originelles. Parmi les causes organiques qu'on croit
propres au développement des icthyoses , il n'en est pas de plus

constante que l'hérédité . C'est un fait bien constaté que la pré


disposition à la pellagre se transmet de génération en génération
226 MALADIES DE LA PEAU .

chez les paysans de la Lombardie . J'observe très- communément


que des parens dartreux ou scrophuleux ont donné le jour à des

individus écailleux. Un enfant qui a tous les phénomènes d'une


icthyose nacrée , est né d'un père atteint d'une teigne faveuse
depuis son enfance.

DCV. Un état de la peau , semblable à l'icthyose , se manifeste


souvent après certaines maladies longues qui ont considérable
ment affoibli l'exercice de la transpiration . Dans des ulcères
vieillis , qui n'ont pas été pansés convenablement , il se forme
souvent à la surface des jambes des écailles sèches et dures , qui
ressemblent presque aux écailles des poissons. On voit également
cette disposition écailleuse se manifester après l'anasarque : la
peau devient rugueuse et ridée comme dans l'icthyose. Souvent
cette maladie n'est que le symptôme d'une autre affection mor
bifique. M. Corona l'a observée à la suite d'une goutte rebelle :
ce fait mérite certainement d'être conservé . L'icthyose nacrée
serpentine succède très-souvent au vice scrophuleux ; il n'est pas
rare de la voir se déclarer après les ravages de la petite- vérole
confluente , et persister pendant plusieurs années. En général ,
toute altération profonde dirigée sur le système lymphatique ,
imprime à la peau un aspect écailleux ou farineux .

ARTICLE IV.

DES CAUSES EXTÉRIEURES QUI INFLUENT SUR LE DÉVELOPPEMENT


DES ICTHYOSES .

DCVI. Les icthyoses produites par des causes extérieures se


rencontrent rarement ; il arrive toutefois que chez les individus
dont l'habitude est de se mettre fréquemment à genoux , la peau
MALADIES DE LA PEAU. 227

de ces parties contracte une dégénération qui a beaucoup de rap


port avec l'icthyose nacrée. Le même phénomène a lieu , lorsque
la peau a été long-temps comprimée par une cause quelconque ;

mais cet accident mérite à peine le nom de maladie.


DCVII. Le genre de nourriture paroît influer singulièrement
sur la production des icthyoses . Les peuples qui habitent les
bords de la mer , qui se nourrissent perpétuellement de poissons
putréfiés , sont surtout sujets à ces affections ; les eaux stagnantes
et corrompues dont la plupart font usage , ainsi que l'humidité

constante qui les environne , doivent pareillement contribuer à


les produire .

DCVIII . Ce que nous disons de l'icthyose nacrée peut aussi se


dire de l'icthyose pellagre. Les paysans du Milanais , après avoir
vaqué aux travaux les plus durs et les plus pénibles , prennent
des alimens gâtés et de mauvaise qualité qui dépravent les or
ganes de la digestion ; les enfans même tettent un lait détestable ,
auquel on substitue quelquefois la bouillie la plus indigeste.
Comment veut -on qu'élevés ainsi dès l'âge le plus tendre , ils ne
soient pas foibles et délicats , et par conséquent enclins aux infir

mités les plus tristes ?

DCIX . Quelques auteurs prétendent néanmoins que les ali


mens ne sont pour rien dans la production de l'icthyose pellagre ,
et qu'il faut en accuser principalement les intempéries atmo
sphériques. Ils assurent en effet avoir observé la maladie chez des

personnes qui usoient d'une excellente nourriture , ainsi que

d'un vin tonique et généreux . On ne peut pas non plus , d'après


l'opinion des mêmes auteurs , accuser le maïs , le petit millet , le
riz , le seigle , etc. , puisque ceux qui s'en abstiennent ne sont
pas préservés de cette affection . On a vu beaucoup de pellagreux

qui ne vivoient que de froment.


DCX . Plusieurs ont avancé que l'exposition au soleil étoit l'uni
que cause de l'icthyose pellagre ; Albera a particulièrement sou
tenu cette assertion . Il observe que les parties du corps garanties
228 MALADIES DE LA PEAU.

par les vêtemens de l'influence solaire , ne sont point atteintes


de la desquammation pellagreuse . Aussi conseille-t- il aux pau
vres paysans de ne jamais commencer leurs travaux dans la cam
pagne sans être parfaitement vêtus. Cependant comme l'altéra

tion cutanée n'est point proportionnée à la force des rayons


solaires , il faut en conclure que cette cause ne suffit pas pour la
déterminer , puisqu'il est certain d'ailleurs que les attaques de la
pellagre s'étendent , et sur ceux qui s'abstiennent du soleil , et
sur ceux qui ne s'y exposent point : on peut se contenter de re
garder son action comme contraire à la santé des pellagreux , et
comme plus propre à développer les germes de la maladie qu'à
les produire.
DCXI . Facheris observe du reste , qu'indépendamment du so

leil , la disette de la nourriture peut produire la pellagre . Dans


une année où les vivres manquoient, ainsi que le travail, il y eut un
accroissement considérable dans le nombre des pauvres. Dans ce

même temps ceux qui s'occupoient à la filature étoient attaqués de


la pellagre , quoiqu'ils fussent moins exposés aux rayons du soleil
que les paysans et les agriculteurs. Au surplus , la pellagre s'as

sociant à toutes les maladies qui règnent dans les endroits maré
cageux , il n'est pas étonnant qu'on l'ait attribuée à une multi
tude de causes différentes . Peut-être que cette affection dépend
d'un concours de causes locales . Il est certain que la campagne

de la Lombardie est un pays humide , coupé de canaux , semé


d'une grande quantité de rivières , etc.; l'humidité n'est pas moins
entretenue par la grande quantité des lacs , par le voisinage des

Alpes , qui empêche la circulation des vents salubres : en général ,


les paysans habitent des terres constamment méphitisées par les
exhalaisons atmosphériques .

DCXII. Les icthyoses ne sont point communicables par conta

gion ; tous les malades que j'ai vus à l'hôpital Saint- Louis avoient
impunément et longuement communiqué avec des femmes. Il y
avoit à Paris un Italien qui avoit cohabité avec une jeune pella
MALADIES DE LA PEAU. 229

greuse , et qui pourtant n'avoit contracté aucun germe de cette


affection ; combien de fois n'a-t-on pas vu dans les campagnes de

l'Italie, des enfans très- sains coucher impunément à côté de leurs


pères pellagreux ! M. Buniva , qui est animé d'un grand zèle pour
les'expériences physiologiques , s'est inoculé lui - même la matière
ichoreuse , ainsi que la salive et le sang des pellagreux , et pour

tant il a été exempt de toute infection ; le même essai a été vai

nement tenté sur les animaux domestiques , également sujets à la


maladie .

ARTICLE V.

DES RÉSULTATS FOURNIS PAR L'AUTOPSIE CADAVÉRIQUE DES INDIVIDUS


MORTS DES SUITES DES ICTHYOSES .

DCXIII . Nous avons ouvert le cadavre de Théodore Michel ,


tailleur de pierre , âgé de soixante ans ; il étoit , pour ainsi dire
né avec l'icthyose nacrée ; il avoit passé une grande partie de sa
vie avec une santé chancelante ; il fut atteint finalement d'une toux
sèche , avec une gêne considérable de la respiration , qui l'obligea
à suspendre tout travail . Cette toux fréquente étoit suivie de
l'expectoration d'une matière puriforme ; l'émaciation faisoit tous

les jours des progrès ; il avoit peu d'appétit , et un mouvement


febrile tous les soirs . Voici quel étoit l'état de l'épiderme : cette
membrane étoit grisâtre et de la couleur de la nacre de perle ;
les écailles étoient de diverse grandeur. En exerçant le plus léger

frottement avec la main , on produisoit un bruit très-sensible .


Les écailles se détachoient difficilement ; elles étoient plus épaisses

dans les endroits du corps soumis à des pressions fréquentes. Ce


pendant le malade tomba dans un tel état de foiblesse , qu'il tom
2 31.
230 MALADIES DE LA PEAU.

boit en défaillance à tous les instans . La mort survint après neuf


mois de dépérissement et de langueur . Nous procédâmes à l'au
topsie du cadavre : maigreur extrême dans toute l'habitude du
corps ; l'épiderme , qui sembloit avoir acquis de la rudesse , tom

boit par plaques des parois de la poitrine ; le poumon du côté


droit raboteux à l'extérieur , étoit rempli à l'intérieur d'une infi
nité de tubercules miliaires , dont la plupart étoient en suppura
tion. Le cœur étoit très-volumineux et très-aminci dans ses parois ;
l'anévrisme du cœur avoit-il quelque rapport avec l'affection de
l'épiderme ? Cet exemple est du nombre de ceux dont l'étio
logie ne sauroit être déterminée que d'une manière douteuse.
DCXIV . On a fait un grand nombre de recherches sur les ca
davres des pellagreux. Ces cadavres sont prodigieusement amai
gris ; l'épiderme s'en détache par écailles ; les chairs sont flasques
et molles ; toute la peau est couverte de taches livides ; les articu

lations sont d'une rigidité extraordinaire ; les glandes du cou sont


souvent très -engorgées . Les observations de Fanzago peuvent se
réduire à différentes altérations des viscères , particulièrement
du foie et de la rate . On a trouvé des amas de sérosité entre le

cerveau et les méninges , dans les ventricules , dans la tente du


cervelet. Le poumon est quelquefois macéré dans la matière sé
reuse ; d'autres fois on le trouve adhérent à la plèvre. Il y a des
épanchemens dans le péricarde , des stéatomes dans la cavité tho
rachique , des ulcérations à la membrane interne de l'estomac , etc.
On a vu les intestins frappés de gangrène , la vessie phlogosée.
Ce qu'il y a de plus fréquent , c'est une tuméfaction des vais
seaux de la dure -mère et du plexus- choroïde . Ces membranes
présentent elles-mêmes des traces d'inflammation , phénomène que

M. Strambio attribue au délire aigu dont la plupart des malades


se trouvent attaqués. Au surplus , M. Villa observe que lors
qu'on compare entr'elles les diverses autopsies cadavériques , quel
ques recherches que l'on fasse sur les nerfs , sur les glandes et

dans tout le système lymphatique , il est impossible de rien dé


MALADIES DE LA PEAU. 231

couvrir qui puisse éclairer sur le siége de la pellagre et sur la


nature même de la maladie. Cette observation s'applique malheu
reusement à un grand nombre de maladies cutanées.

ARTICLE VI .

DES RÉSULTATS FOURNIS PAR L'ANALYSE CHIMIQUE DES ÉCAILLES


DES ICTHYOSES .

DCXV. Je n'ai entrepris aucun travail de ce genre ; je sais seu

lement que M. Tilesius a procédé à plusieurs essais qui n'ont


révélé aucun fait intéressant , qu'il a surtout examiné avec le
microscope les changemens subis par les écailles de l'icthyose
cornée dans une dissolution de potasse caustique , etc. M. Buniva
a depuis constaté que la substance écailleuse n'étoit autre chose

que de la gélatine devenue solide , consistante et dure , par son


union avec une certaine proportion de phosphate calcaire et de
carbonate calcaire .

ARTICLE VII.

VUES GÉNÉRALES SUR LE TRAITEMENT Des Icthyoses .

DCXVI. Les icthyoses ne sont , comme on a pu le voir , que


des affections propres à l'épiderme ; de là vient sans doute que
les remèdes ont généralement une action très-foible et très-peu
énergique pour les combattre . En effet , cette membrane est
232 MALADIES DE LA PEAU.

dépourvue des facultés vitales , dont jouissent les autres organes


de l'économie animale ; elle ne sauroit par conséquent être médi–
camentée par des procédés analogues.

DCXVII. La structure de l'épiderme diffère essentiellement


de celle de la peau elle-même. Cette membrane n'a , pour ainsi
dire , qu'une vie d'emprunt , et cette vie est obscure et comme
isolée ; les phénomènes de son altération ne sont par conséquent
accompagnés d'aucun symptóme fébrile . Il est en quelque sorte
passif, jusque dans les maladies qui l'affectent, et ces maladies ne
sont , pour la plupart , que des vices de nutrition ; il se dessèche
alors et devient aride , comme un végétal sur une terre qui ne

seroit point arrosée . S'il partage quelquefois les affections du cho


rion , c'est à cause des changemens opérés dans les prolongemens
vasculaires qui l'unissent à cette membrane. Ce qu'on a dit de la
dégénération écailleuse s'applique parfaitement aux transforma
tions ou aux excroissances cornées ; car ces excroissances ne dif
fèrent de l'épiderme que par leur apparence extérieure ; mais
elles sont absolument de la même nature , pour peu qu'on les sou

mette à des expériences ou à divers essais physiologiques .


DCXVIII . La première et la plus pressante indication , est de
soustraire les malades à l'influence des causes qu'on soupçonne

avoir produit les icthyoses ; les individus qui habitent le bord de


la mer se transporteront dans l'intérieur des terres et se place
ront dans des situations tout-à-fait contraires. Le changement

d'air et des alimens ne tardera pas à exercer une heureuse in


fluence . Ce que nous disons ici de l'icthyose nacrée peut s'ap
pliquer à Picthyose pellagre. Gherardini avoit proposé de faire
conduire les pellagreux dans un autre pays , et Titius parle d'un
homme qui trouva le moyen de se soustraire aux plus terribles
accidens de cette maladie , en s'expatriant pendant vingt ans ; on

pourroit même adopter cette mesure pour d'autres affections en


démiques.
MALADIES DE LA PEAU. 233

ARTICLE VIII .

DU TRAITEMENT INTERNE EMPLOYÉ POUR LA GUÉRISON DES ICTHYOSES .

DCXIX . Tous les médicamens qui agissent favorablement sur


le système lymphatique , peuvent adoucir ou pallier jusqu'à un
certain point les symptômes des icthyoses ; les préparations mar
tiales m'ont paru obtenir quelque avantage dans l'une de ces ma
ladies que j'ai eu occasion de traiter. Il conviendroit de les em
ployer au besoin ; les préparations de soufre ne sont pas moins
efficaces , et c'est même le médicament le plus généralement usité
dans l'hôpital Saint- Louis.
DCXX . Que signifie cet appareil de polypharmacie contre une
maladie aussi simple que l'icthyose pellagre ? Quelle nécessité
d'employer l'antimoine , l'oxide de ce métal , le mercure , la tein
ture de benjoin , l'eau de chaux , l'élixir de gayac , etc. ? Jansen
vouloit qu'on fit des essais avec l'opium , le camphre , le musc ,

la ciguë , le stramonium , la jusquiame , l'aconit , le colchique , la


belladona , etc. Si les forces étoient dans un état de prostration
extraordinaire , le quinquina , les vins généreux étoient invoqués .
Les accidens scorbutiques faisoient employer le cresson , le bec
cabunga , le cochléaria , l'eau de goudron , etc. Dans le cas de
diarrhée , on avoit recours aux astringens et aux corroborans ; on
prescrivoit la cascarille , le simarouba , la tormentille , le sang
dragon , la décoction blanche de Sydenham , etc.
DCXXI. Après l'emploi des moyens ordinaires , Albera conseil
loit simplement l'eau fraîche d'une source pure ; il la regardoit
comme pourvue de grandes propriétés médicinales ; il la faisoit
prendre à jeun aux mois de juin , de juillet et d'août ; il en don
noit une aussi grande quantité que le malade pouvoit en sup
234 MALADIES DE LA PEAU.

porter. Il assure que des symptômes qui avoient résisté à tous les
remèdes ont néanmoins cédé à ce moyen simple . Il y joignoit

du tartrite acidule de potasse , lorsqu'il y avoit infiltration ou


hydropisie .
DCXXII. En général , ce qui convient le mieux à l'icthyose
pellagre est un bon régime et d'excellens alimens . On a recom
mandé , avec raison , les chairs récentes de jeunes animaux , les
bouillons de vipères , de lézards , etc. Facheris proposoit l'admi
nistration de la gélatine animale de Seguin ; il proposoit surtout
le lait comme un excellent spécifique en pareil cas . Au surplus ,
lorsqu'on me présenta le pellagreux dont j'ai déjà fait mention ,
je n'employai pas d'autre moyen . Il étoit dans le marasme et
affamé ; je lui fis donner une nourriture restaurante ; on lui ad
ministra tous les soins de propreté qui convenoient à son état ;
bientôt il se trouva mieux et les symptômes s'adoucirent.

ARTICLE IX.

DU TRAITEMENT EXTERNE EMPLOYÉ POUR LA GUÉRISON DES ICTHYOSES.

DCXXIII. Les remèdes locaux sont généralement plus conve

nables dans les icthyoses que les remèdes internes . J'ai retiré un
grand fruit de l'usage très-long -temps continué des bains chauds
avec l'eau émolliente de guimauve , avec l'eau sulfureuse , etc. Je
pourrois alléguer deux cas d'une entière guérison ; le plus sou
vent , il est vrai , les individus sont enclins à des récidives , ou
doivent être considérés comme incurables.

DCXXIV . Dans l'icthyose pellagre , Albera proposoit de cor


riger le vice externe des tégumens par des fomentations adou
cissantes , résolutives ou sédatives : si , malgré ce moyen , la ma
MALADIES DE LA PEAU. 235

ladie repulluloit , il avoit recours à l'eau vinaigrée ou à l'eau de


Saturne ; il louoit , en pareille circonstance , l'application de l'eau
de chaux . Frapolli , depuis très -long-temps , avoit indiqué l'usage
des bains que Strambio désapprouve et croit même nuisibles .
Gherardini les recommande par-dessus tous les autres moyens.

Un individu fut singulièrement soulagé par des lotions pratiquées


sur la peau avec le sérum du lait.

DCXXV . On a proposé les saignées dans les cas où il y auroit


pléthore ; mais Albera les regarde comme pernicieuses. Lorsque
le délire est furieux et que le cerveau paroît vivement phlogosé ,
lorsque l'irritation pellagreuse paroît spécialement fixée sur tel
ou tel viscère important , on doit nécessairement recourir aux
topiques vésicans , aux ventouses , aux douches , etc. Mais ces
moyens ne peuvent être considérés comme directs ; car la pellagre
et les autres icthyoses sont , pour ainsi dire , des exanthèmes
passifs , et il n'y a rien qu'on puisse considérer comme critique
dans ces singulières éruptions .
LES SYPHILIDES.

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES SYPHILIDES .

DCXXVI. Je ne dois parler , dans cet ouvrage , que des altéra


tions diverses que la contagion syphilitique fait subir à la peau ;
c'est décrire sans doute ce qu'il y a de plus intéressant dans son
histoire : les premiers observateurs s'en étoient particulièrement

occupés. Quand ce fléau s'offrit à eux pour la première fois , ils


firent d'abord une énumération fidèle de tous les phénomènes
extérieurs qu'ils eurent occasion de remarquer .
DCXXVII. Leur langue s'épuisa dès-lors en expressions de res
semblance ,. en comparaisons , en métaphores , pour retracer les
formes variées d'une maladie qui est aussi funeste dans ses résul
tats. Que de termes ne fallut-il pas inventer lorsqu'on voulut
peindre avec vérité cette multitude infinie de signes et d'exan
thèmes hideux , d'excroissances et de végétations fongueuses , d'ul

cères profonds et fétides , qui attristent les regards , qui placent


sans cesse la crainte à côté des plus douces illusions de la vie , et
qui désenchantent les plus tendres rapports de notre existence
fugitive !
DCXXVIII . Il est incontestable que les premiers symptômes de
cette maladie se sont manifestés à la peau. On ne peut que s'en

convaincre , si on lit avec quelque attention les premiers auteurs


qui en ont écrit. La plupart s'accordent à la représenter comme
produisant de nombreuses pustules qui se répandent insensi
blement sur toute la surface du corps ; la plupart s'étudient
à chercher des caractères positifs qui puissent faire distinguer
cette affection de la lèpre , de l'éléphantiasis , du feu persan , etc.
DCXXIX . D'ailleurs , tous les accidens de la syphilis n'ont pu
2. 32
238 MALADIES DE LA PEAU.

se déployer à la fois dans l'économie animale ; ils ont dû même ac


quérir progressivement de l'intensité à mesure que la maladie a
parcouru le globe terrestre : ajoutons que l'homme en a singuliè
rement multiplié les effets en trompant les sages intentions de la
nature , en exaltant sa sensibilité par des excès inouis, en se créant
des besoins et des penchans qui sont l'opprobre de l'espèce humaine .
DCXXX . Les peuples de l'Europe paroissent surtout avoir con
tribué à étendre la maladie vénérienne. La propagation de ce
fléau est une des suites fàcheuses de leurs voyages , de leur com
merce , de leur industrie , de leurs guerres , de leurs victoires ,
de leur domination . Il faut dire aussi que , transportée de climat
en climat, cette contagion terrible s'est en quelque sorte exas
pérée par les influences d'une température étrangère. Le docteur
Bowman a décrit une variété de cette affection , répandue dans
le Canada vers le milieu du siècle qui vient de s'écouler , et dont les
symptômes formidables sévissoient avec une rapidité funeste . On
connoît aussi la marche alarmante et les ravages de la syphilis

illyrienne , qui se communique et se propage par tous les contacts.


L'usage commun des mêmes meubles a suffi quelquefois pour
exposer à sa virulence , etc.
DCXXXI. M. de Ste.-Croix assure , d'après ses propres obser

vations et d'après les témoignages certains qu'il a recueillis dans


ses voyages , que la maladie vénérienne prend un caractère infi
niment dangereux , lorsqu'elle provient d'un Chinois infecté dans
son pays natal ; il ajoute que la maladie venue de ces lieux résiste
à tous les remèdes connus ; le mercure même n'a aucun pouvoir
contre un tel fléau . M. de Ste. -Croix pense qu'il faut peut-être

attribuer ce phénomène au genre de nourriture des Chinois , qui


abusent des substances froides et aphrodisiaques.

DCXXXII. Il seroit , du reste , intéressant d'examiner jusqu'à


quel point les alimens , le genre de vie des hommes , les qualités
de l'air et la température du climat , qui entretiennent avec plus
ou moins d'énergie l'exercice de la transpiration , etc. , influent
MALADIES DE LA PEAU. 239

sur l'intensité des maladies. On assure que la syphilis , par l'effet


d'une multitude de causes non encore appréciées , a subi des
modifications dont nous n'avons aucune connoissance en Europe .

M. Pearson , docteur de la Compagnie anglaise , le même qui a


introduit la vaccine en Chine , s'occupe spécialement de ce sujet ;

et déjà des faits importans ont été le fruit de ses recherches.


DCXXXIII. Cette dissertation n'étant consacrée qu'à l'exposi

tion des faits qui se sont présentés à moi dans l'intérieur de l'hô
pital Saint-Louis , je ne prétends faire ici aucun étalage d'érudi
tion , ni disserter sur les époques précises où la maladie vénérienne
a pu se répandre en Europe. Mon but n'est point de reproduire
ces discussions historiques ; tant d'auteurs les ont agitées , qu'il
seroit fastidieux , ce me semble , de revenir encore sur une sem
blable matière.

DCXXXIV . Sans balancer , en conséquence , les autorités d'une


multitude d'écrivains célèbres , sans prononcer au milieu des peu

ples qu'on a vus s'accuser réciproquement d'avoir propagé cette


horrible peste , je me contente d'observer que M. Sprengel a puis
samment combattu l'opinion de ceux qui font provenir la maladie
vénérienne des Indes Occidentales. Les annales des nations con

tiennent des témoignages irrécusables qui prouvent l'existence


de ses symptômes long- temps avant que Christophe Colomb mit à
la voile pour entreprendre son immortelle découverte : cette affec
tion s'est seulement montrée plus terrible aux temps que la plu
part des auteurs assignent pour sa première apparition.
DCXXXV. Un auteur remarque , avec juste raison , qu'on avoit
intérêt à charger les Américains des plus grands crimes , pour jus

tifier en quelque sorte le système d'oppression et de tyrannie dont


on usoit à leur égard . Afin de les rendre plus odieux , ne falloit-il
pas les peindre comme des peuples féroces et corrompus , qui
s'abandonnoient à tous les vices et contractoient toutes les mala

dies qui en sont le triste apanage? Leur attribuer un fléau aussi


affligeant que la maladie vénérienne , entroit nécessairement dans
240 MALADIES DE LA PEAU .

le plan de leurs ennemis implacables . C'est ainsi que les passions ,


les intérêts individuels et les ressentimens particuliers , brouillent
à chaque instant la généalogie et l'ordre des événemens ; c'est
ainsi que nous trouvons , jusque dans l'exposition des faits histori

ques , des traces de haine et de persécution .


DCXXXVI . On a dit pareillement que les accidens syphiliti

ques ne furent jamais plus terribles que dans leur origine. Vers le
milieu du seizième siècle parut, ajoute -t-on , la blennorrhagie, qui

les mitigea jusqu'au point où nous les voyons éclater de nos jours.
Mais , sans doute , les symptômes propres à cette affection re
doutable n'auront été d'abord représentés avec des couleurs si
effrayantes qu'à cause de leur nouveauté , et par la tendance que
les hommes ont à trouver sans cesse du merveilleux dans ce qui
les épouvante. A la première apparition de la peste , on exagéra
d'abord ses dangers et ses ravages ; dans la suite , les craintes
qu'elle inspiroit diminuèrent à mesure qu'on trouva des armes
pour la combattre.

DCXXXVII . Au reste , cette affreuse maladie a des aspects si

divers lorsqu'elle souille la peau humaine , que j'ai été nécessaire


ment contraint de disposer ses phénomènes sous trois chefs prin
cipaux , pour les maintenir dans la mémoire et les offrir dans un
ordre méthodique . On ne peut ignorer sans doute que les divisions

établies sous le nom d'espèces en nosologie , ne sauroient , en au


cune manière , être assimilées à celles qu'indiquent journelle
ment les naturalistes. Ce ne sont ici que des abstractions utiles
pour aider les combinaisons de notre esprit , et qui ne séparent les
faits que pour mieux faire juger de leur analogie et de leur diffé

rence. Je prie , en outre , mes lecteurs de n'envisager ces recher


ches que comme un travail partiel , qui peut ajouter quelque

chose à l'histoire d'une affection dont les accidens se reprodui


sent sous tant de formes , et qui sera long-temps encore l'objet
des études des médecins .
I
おぐまぐ!

Syphilide Pustulcuse Crustacie

GraveparKhonraad eleve ala CalcographieRoyale de Couband. Imprimedans le même établissement,à Bruxelles



Syphol
ode euse e
Pustul enGrapp
men t
GraveparM.Khonraad, élève à la Calcographie Royale de boubaud Imprimé dans lemême établisse , à Bruxelles.
te
Plat se
Pus uleue
Syphilid

patie
to
no
dubtesso
même
le
dans
Imprime
l'oubaud
de
Royale
Calcograph
efils roeband ie
là,par
Aalève
GGrave

Syphilide Pustuleuse Lenticulaire.

GravéparAboubaud fils, élève à la CalographieRoyale de boubaudImprime dans lemême établissement à Bruxelles


Syphilide Pustuleuse Merisie

Grave par Charette éleve àla Calographie Royale de JCoubaud. Imprimé dans le méme etablissement a Bruxelles
PREMIÈRE PARTIE .

FAITS RELATIFS A L'HISTOIRE PARTICULIÈRE DES SYPHILIDES .

ESPÈCE PREMIÈRE.

SYPHILIDE PUSTULEUSE. SYPHILIS PUSTULOSA. ( PLANCHES XL , XLI ,


XLII , XLIII ET XLIV . )

Syphilide , se manifestant sur une ou plusieurs parties des tégumens par des élévations
circonscrites , communément désignées sous le nom de pustules , qui contiennent une
matière ichoreuse ou purulente. Ces pustules ont des formes très-variées ; elles laissent
d'ordinaire, après leur entière dessiccation , des taches rougeâtres et cuivreuses , qui
disparoissent avec le temps.
OBS. L'hôpital Saint-Louis nous a offert les variétés suivantes :
A. LA SYPHILIDE PUSTULEUSE SQUAMMEUSE OU PLATE. Syphilis pustulosa squammosa vel
compressa. - Cette pustule est une des plus communes. Elle est écailleuse et d'une forme
assez plate . Ses bords sont durs , élevés , et d'une couleur rougeâtre ; elle est plus pâle dans
son centre ; la teinte cuivreuse qui l'environne décèle sa nature syphilitique , et la fait
toujours distinguer des autres affections herpétiques avec lesquelles on seroit tenté de la
confondre. ( Voyez la planche XLII . )
―― Elle est
B. LA SYPHILIDE PUSTULEUSE CRUSTACÉE. Syphilis pustulosa crustacea.
plus grave que la précédente . Elle prend quelquefois l'aspect et le génie particulier de la
lèpre , d'où lui est venu le nom de lepra venerea . Ces pustules varient par la forme , le
volume, l'étendue , la couleur de leurs croûtes , et offrent véritablement un spectacle hi
deux : elles donnent lieu à une suppuration extraordinairement abondante . Lorsqu'elles
éclatent sur le front , elles constituent l'affection désignée sous le nom de corona Veneris .
(Voyez la planche XL. )
C. LA SYPHILIDE PUSTULEUSE EN GRAPPE . Syphilis pustulosa racemiformis. — Ces pus
tules ne sont point aplaties , ainsi que les squammeuses ; elles ne sont ordinairement re
242 MALADIES DE LA PEAU.

couvertes ni par des écailles , ni par des croûtes ; elles sont d'une dureté considérable ,
grosses et rondes comme des pois , quelquefois oblongues et ovoïdes : leur surface est
comme chagrinée ou grenue. ( Voyez la planche XLI. )
D. LA SYPHILIDE PUSTULEUSE MERISÉE. Syphilis pustulosa cerasiformis. — Elle se
manifeste par de petites pustules noires , plus ou moins volumineuses , qui ressemblent à
des merises ou à des baies de cassis. Les unes sont sphériques et isolées ; d'autres sont mul
tiples : il en est qui sont d'une extrême petitesse. J'invite le lecteur à méditer attentivement
l'observation que je rapporte plus bas à ce sujet. ( Voyez la planche XLIV. )
E. LA SYPHILIDE PUSTULEUSE LENTICULAIRE. Syphilis pustulosa lenticularis. — Elle se
déclare par des pustules d'une couleur brune absolument aplaties comme des lentilles.
(Voyez la planche XLIII. )
F. LA SYPHILIDE PUSTULEUSE MILIAIRE. Syphilis pustulosa miliaris. - C'est une va
riété qui s'observe fréquemment à l'hôpital Saint-Louis , et que l'on considère mal à pro
pos comme le résultat de la gale. Cette éruption a la forme de grains de millet : ce sont
des boutons presque imperceptibles , s'élevant en pointe , et environnés d'une très-petite
aréole rougeâtre. Sans leur couleur , qui est un peu cuivreuse , on pourroit les confondre
avec les pustules de la dartre miliaire.
G. LA SYPHILIDE PUSTULEUSE ORTIÉE. Syphilis pustulosa urticata. - Elle se manifeste
par des élevures rougeâtres sur la peau , semblables à des piqûres d'orties.
H. LA SYPHILIDE PUSTULEUSE SERPIGINEUSE. Syphilis pustulosa serpiginosa . - — La ser
pigineuse forme de longues spirales sur la peau : ces spirales forment à leur tour des ulcè
res profonds et sinueux , qui imitent des chiffres , des lettres , des segmens de cercle , des
cercles entiers , etc.
N. B. Telles sont les variétés de la syphilide pustuleuse que j'ai eu occasion de ren
contrer à l'hôpital Saint-Louis. Je ne doute pas qu'il n'y en ait un plus grand nombre ,
dont je m'abstiens de parler, parce qu'elles ne se sont point présentées dans le cours de
mes observations. M. Cullerier a fait , sur les pustules et les autres éruptions vénériennes ,
un travail qui est d'un grand intérêt pour la science.

TABLEAU DE LA SYPHILIDE PUSTULEUSE .

DCXXXVIII. L'affection cutanée que je vais décrire est celle


qui a été d'abord remarquée dès la première apparition de la ma
ladie syphilitique en Europe. Les pustules qui constituent son ca
ractère essentiel ont , comme nous venons de le dire , des formes
extraordinairement variées. Elles peuvent se développer sur toute
MALADIES DE LA PEAU.
243

la périphérie du corps ou sur les membranes muqueuses du nez ,


de la gorge , du gland , des grandes lèvres , du vagin , etc.

Il n'est pas rare de voir que tout le front des malades en est re
couvert ; c'est là qu'elles naissent en très-grand nombre , et que
souvent elles sont rangées les unes à la suite des autres comme les

grains d'un chapelet. Le cuir chevelu en est particulièrement in


fecté , malgré la densité de son tissu . La surface du nez , le pour

tour de la bouche , le menton , la poitrine , les membres thorachi


ques et abdominaux , les organes sexuels , etc. , en sont fréquemment
souillés . Elles se montrent à la plante des pieds , à la paume des

mains , et c'est dans ce siége qu'elles sont particulièrement rebel


les et inexpugnables : alors les ongles se dessèchent et deviennent
rougeâtres ou violacés .

Les pustules syphilitiques paroissent être le résultat d'un tra


vail morbifique qui s'établit dans le tissu cellulaire ; leur explosion
est quelquefois précédée d'une sorte d'orgasme fébrile , et d'une
tension générale de la peau . Plusieurs malades sont atteints d'un
prurit incommode : il en est qui éprouvent des sueurs comme dans
les exanthèmes aigus , et même des douleurs ostéocopes , signes
infaillibles de la présence du virus syphilitique .

L'éruption est d'abord précédée par de petites taches rougeâ


tres , qui résultent d'un léger engorgement opéré dans le tissu
réticulaire de la peau . Insensiblement les pustules se dessinent et
deviennent très-apparentes ; c'est alors qu'elles prennent une mul
titude de formes différentes. Il faut compter , parmi les variétés
les plus effrayantes , des pustules volumineuses qui hérissent le
front de certains malades , et auxquelles le vulgaire donne le nom
de couronne de Vénus. Les croûtes qui les recouvrent , prodigieu
sement épaisses et sillonnées à leur surface , s'élèvent en mamelons ,
en cônes , en pyramides , et impriment l'aspect le plus hideux à
la physionomie. Lorsque ce masque horrible se détache , on ne
voit plus que des excavations profondes qui mettent à nu les papil
les nerveuses et causent de vives douleurs .
244 MALADIES DE LA PEAU.

Il est des pustules disposées en grappe , qui ne fournissent


aucune exsudation croûteuse. Elles se montrent comme des tuber

cules ronds ou ovoïdes qui sont quelquefois d'une grosseur très


considérable . J'ai vu ces tubercules rassemblés en tel nombre sur
le visage , que les cavités nasales en étoient obstruées. On obser

voit un tubercule pisiforme au bout du membre viril , qui gênoit


singulièrement l'érection de la verge et la sortie des urines.

Les pustules tuberculeuses se rassemblent quelquefois par grou


pes sur certaines parties de la peau . On en voit qui sont rangées
symétriquement les unes à la suite des autres , au point de former
comme des grappes de raisin . Plusieurs se disposent en cercles ;

d'autres sont multiples et semblent adhérer à un point commun .


Il est des pustules que l'on prendroit pour des mûres , des merises
ou des baies de cassis , dont elles ont absolument la forme et la
couleur. On en remarque de moins graves qui ont absolument la
figure des lentilles. Nous les observons fréquemment à l'hôpital
Saint-Louis , chez les jeunes femmes ou les jeunes soldats . Elles se
placent à la partie supérieure du col et de la poitrine , et se mul
tiplient à l'excès ; elles attaquent aussi l'abdomen , les cuisses et les
jambes ; elles sont d'une teinte cuivreuse , et contrastent singuliè
rement avec la blancheur de la peau . Lorsqu'elles disparoissent ,
elles donnent lieu à une légère desquammation de l'épiderme .

Les pustules miliaires sont plus rares que les précédentes ; elles
sont rondes , élevées en pointe , souvent imperceptibles , environ
nées d'une aréole inflammatoire , etc. Leur couleur est d'un rouge
ardent lorsqu'elles sont récentes , d'un rouge pâle lorsqu'elles sont

près de se guérir ; à l'instant où elles s'évanouissent , il survient


une petite pellicule blanchâtre , qui se détache en partie et adhère
encore à leur base . Ces pustules se manifestent plus souvent sur
le front que partout ailleurs on en voit qui se réunissent et se
groupent par plaques sur différentes parties du corps. Ces plaques
sont d'un rouge amaranthe.
La maladie vénérienne produit des pustules qu'on pourroit
MALADIES DE LA PEAU. 245

appeler psoriques , parce qu'elles ressemblent absolument aux


boutons de la gale ; ce sont des vésicules contenant un liquide
séreux . Elle en produit aussi qui sont d'un si petit volume qu'elles

sont à peine apercevables sur la peau ; ce sont de simples taches


rougeâtres , qu'on a comparées aux piqûres des fourmis . Enfin ,
nous avons eu occasion d'observer , avec une attention particu
lière , les pustules ortiées : ce sont des ampoules ou tumeurs bour
souflées , irrégulières , dont le sommet est légèrement aplati , et
dont la base est plus ou moins étendue . Ces pustules sont tantôt
isolées , tantôt groupées et confondues avec d'autres , affectant la
plus grande diversité de forme ; elles offrent absolument l'aspect
que produiroit la percussion des orties. Il en est qui sont blan
ches , d'autres sont rosacées ; la plupart sont dures et rénitentes :
elles restent dans le même état pendant deux ou trois jours ; au bout
de ce temps , elles s'affaissent et fournissent de petites écailles qui se
détachent en plus ou moins grande quantité : il ne reste plus sur
la peau que des taches brunes ou rougeâtres qui s'éteignent suc
cessivement .

Parmi les pustules qui naissent de la maladie vénérienne , il en


est peu qui soient d'un caractère plus opiniâtre que les pustules
serpigineuses ; elles ne se bornent pas seulement à former des spi
rales ou des contours sinueux sur la peau ; elles y produisent une

suppuration âcre qui la corrode horriblement , et la couvre de


honteuses cicatrices . L'ulcération gagne le système membraneux ,
les Os, les cartilages , et parcourt les différentes parties du corps.

Au surplus , ces pustules que nous venons de décrire sont sus


ceptibles de varier à l'infini , et de se transformer les unes dans
les autres , de manière à déconcerter l'observateur le plus attentif.
Les pustules miliaires peuvent devenir lenticulaires ; les tuber
culeuses se convertissent en serpigineuses ; les squammeuses en

crustacées , etc. J'ai vu aussi , dans quelques circonstances , plu


sieurs de ces variétés se développer à la fois sur le même individu .

2. 33
246 MALADIES DE LA PEAU

OBSERVATIONS RELATIVES A LA SYPHILIDE PUSTULEUSE .

DCXXXIX . Première observation. - Marie - Marguerite

Constance P ***, âgée de vingt-sept ans , avoit contracté un écou


lement vénérien , qui fut supprimé spontanément , et sans qu'on
y apportât le moindre remède . Cinq mois après elle éprouva un
mal-aise général , des démangeaisons violentes , accompagnées
d'une chaleur brûlante , qui se faisoient ressentir principalement
derrière les épaules , sur la poitrine , l'abdomen et les bras . Quel
ques semaines se passèrent sans qu'aucune éruption se manifestât ;
mais au bout de ce temps , il survint dans les différentes parties
que nous venons d'indiquer , des taches d'un rouge obscur , de
forme irrégulièrement ronde . Ces taches ne dépassoient pas
d'abord le niveau des tégumens ; mais ensuite elles s'élevèrent
peu à peu , surtout vers les bords qui étoient plus saillans que

le centre ; ceux - ci se couvrirent bientôt de petites écailles blan


ches , qui se renouveloient presque aussitôt qu'elles étoient tom
bées ou détruites. La malade consulta plusieurs médecins , qui la
crurent atteinte d'une affection herpétique , et la décidèrent à se
faire admettre à l'hôpital Saint-Louis . Elle étoit dans l'état sui
vant : la région gauche externe et inférieure du col présentoit
environ une quinzaine de pustules rougeâtres , rondes et squam
meuses , ce qui les faisoit aisément prendre pour des dartres fur
furacées. Ces pustules avoient des bords durs , élevés et circulaires.
Le centre étoit d'une couleur plus pâle ; on y remarquoit de lé

gères aspérités recouvertes par des écailles épidermoïques ; leur


teinte cuivreuse décéloit leur nature vénérienne . Lorsqu'elles

disparoissoient , elles laissoient sur la peau des cicatrices blanches


et profondes qui indiquoient encore l'existence de la syphilis.
Deuxième observation . - Marie-Adélaïde M...., née à Arcueil ,

âgée de trente ans , se maria , il y a environ trois ans , avec un


soldat , qui cohabita quelque temps avec elle après son retour de
MALADIES DE LA PEAU. 247

l'armée. Elle en eut deux enfans. Ses couches n'eurent rien de

fâcheux. Douée d'un tempérament lymphatique , d'une consti


tution foible et détériorée , elle contracta un écoulement véné
rien qui se supprima inopinément : cette suppression fut suivie
d'une éruption de croûtes sur toutes les parties du corps , sur les
cuisses , les jambes , les bras , le tronc , etc .; le cuir chevelu et le
visage en étoient surtout chargés . Ces croûtes avoient diverses
formes ; les unes se montroient sous la figure de mamelons , les
autres sous celle de tubercules. Elles étoient situées tantôt obli

quement , tantôt horizontalement. Il y avoit des croûtes qui res


sembloient à des cristallisations . Le front en étoit tellement hérissé ,
que, vu en masse , il offroit comme des créneaux de murailles.

Lorsqu'elles se détachoient , elles laissoient sur la peau des taches


de couleur amaranthe , qui ne s'effaçoient qu'avec le temps et
avec la plus grande difficulté. En général , ces croûtes étoient
rugueuses , inégales , excavées dans leur milieu , et profondément
sillonnées ; elles n'étoient d'ailleurs accompagnées d'aucun prurit ,
ni d'aucune cuisson.
Troisième observation. -Jean Lef....., âgé de vingt ans , con

tracta une affection syphilitique , affection qui se manifesta d'abord


par des pustules , et peu de jours après le coït , sans offrir aucun
autre symptôme vénérien. Ces pustules qui , dans leur principe ,
étoient petites , rondes , et très-peu élevées au-dessus des tégu
mens , changèrent peu à peu de nature ; elles formèrent de vrais

tubercules , disséminés sur le scrotum , offrant chacun une figure


différente , mais se rapprochant tous plus ou moins de celle d'une
sphère. Ces tuburcules occupoient les deux parties du scrotum
que sépare le raphé. Leur surface étoit lisse , luisante , et d'un
rouge pâle; elle n'étoit point ulcérée ; elle laissoit seulement trans
suder une espèce de sérosité jaunâtre , dont l'action irritante et
caustique excorioit la peau par le contact . Chacun de ces tubercu
les étoit environné d'une aréole inflammatoire. La verge étoit saine ;
mais la cavité de la bouche étoit couverte d'ulcérations syphiliti
248 MALADIES DE LA PEAU .

ques. Le voile du palais étoit dévoré par un ulcère , lequel s'éten


doit du pilier antérieur gauche jusqu'à la partie la plus reculée de
la voûte palatine .

Quatrième observation.- Le nommé R ..... éprouvoit des dou


leurs sourdes et profondes dans tous les membres ; il étoit excessi
vement foible , et la fièvre venoit l'attaquer tous les soirs ; ses
membres thorachiques et abdominaux étoient recouverts de larges
pétéchies scorbutiques. Sur ces pétéchies on voyoit s'élever des
tumeurs noires plus ou moins volumineuses , surtout variées dans
leur forme la plupart étoient rondes , absolument semblables à
des merises ou aux fruits du cassis ; plusieurs étoient multiples et
disposées en grappes ; on les eût prises d'abord pour des mûres.
On en observoit aussi qui étoient petites , isolées, irrégulières, d'un
rouge tirant sur le jaune , résultat des anciennes pustules qui
s'étoient affaissées .

Cinquième observation . - L'histoire de Julien -Joseph L.....,

soldat au premier régiment de la garde de Paris , présente beau


coup d'intérêt . Il étoit âgé de vingt- deux ans , et natif du dépar
tement de Seine- et-Oise. Il avoit toujours été valétudinaire . Il
vint à l'hôpital Saint-Louis réclamer nos soins pour une affection de
poitrine , dont il fut radicalement guéri soixante jours après son
entrée. Cet homme fut couvert d'une éruption boutonneuse dans
toutes les parties de son corps , particulièrement sur les jambes ,
les cuisses et les lombes . Cette éruption se déclara spontanément

et sans aucun autre symptôme syphilitique. Il y avoit cinq mois


que l'individu ne s'étoit point livré à un coït impur . Les pustules
qui vinrent l'assaillir avoient une forme lenticulaire ; elles étoient
tantôt groupées , tantôt isolées ; elles commençoient par de petites
élévations sur la peau , devenoient coniques , puis s'aplatissoient

et prenoient une teinte d'un brun foncé ; elles étoient dures et


rénitentes , tantôt passagères , tantôt permanentes , ne laissant
après elles qu'une tache cuivreuse , avec une légère élévation du
système cutané. Les parties génitales étoient extraordinairement
MALADIES DE LA PEAU. 249

recouvertes par l'éruption que je viens de décrire ; phénomène


rare et curieux . Nous devons ajouter qu'il se manifesta sur la par
tie antérieure du coronal , près la bosse nasale de cet os , une tu
meur dont l'accroissement fut très-rapide ; elle étoit du volume
et de la forme d'une noix ; elle se déclara avec des douleurs vio
lentes , qu'augmentoit le toucher , et qui se propageoient dans l'in
térieur du crâne . Les paupières étoient œdématiées . Une tuméfac
tion assez considérable se faisoit remarquer sur les autres parties mol
les environnantes. Les mercuriaux firent disparoître cette maladie.
Sixième observation. - La nommée Adèle R..... , âgée de dix
sept ans , d'une constitution assez forte , quoique douée d'un tem
pérament lymphatique , fut atteinte d'une blennorrhagie véné
rienne , qui disparut très- promptement. Il se passa environ un
mois sans qu'il se manifestât chez elle aucun symptôme syphiliti

que ; mais , au bout de ce temps , elle se vit inopinément couverte


par une multitude de boutons pustuleux , qui ressembloient à des
grains de millet ; ils étoient répandus sur toute la surface du corps ;
plus abondans aux jambes , où ils se réunissoient par leur circon
férence pour former des plaques plus ou moins étendues ; ils se

développoient très-promptement , n'étoient précédés ni accompa


gnés d'aucune démangeaison . Ce signe , en cette circonstance ,
sert assez communément à faire distinguer une affection cutanée
vénérienne d'une affection qui seroit produite par un autre virus.
Les boutons miliaires avoient une forme ronde , surtout lorsqu'ils
étoient récens et bien isolés. Leur couleur se rapprochoit assez de

la lie de vin ; ils laissoient exsuder , en très-petite quantité , une

sérosité purulente de couleur blanche tirant sur le jaune clair ,


qui formoit , en s'épaississant , de petites écailles transparentes ,
lesquelles tomboient avec facilité et se reproduisoient prompte
ment. Ces boutons étoient très-nombreux aux jambes ; certains
d'entre eux , réunis par leurs bords , donnoient naissance à de
larges plaques de figure très-irrégulière .

Septième observation.- La syphilide pustuleuse ortiée est un


250 MALADIES DE LA PEAU .

des résultats les plus extraordinaires du vice vénérien. Nous en


avons observé une foule d'exemples à l'hôpital Saint-Louis . Une
jeune femme , âgée d'environ vingt-quatre ans, avoit eu commerce
avec un homme très-débauché ; quelques jours après , elle éprouva
des ulcérations à la gorge , et sa peau se couvrit de pustules très
abondantes à la face , ainsi qu'à la partie antérieure du col et de la
poitrine. On en observoit pareillement aux extrémités supérieures
et inférieures. Ces pustules ressembloient , à s'y méprendre , aux
ampoules aplaties que fait naître communément sur le corps la
percussion opérée par le moyen des orties. Elles étoient irrégu

lières et affectoient une grande diversité de formes : elles étoient


tantôt isolées , tantôt groupées , et comme confondues ; toujours
ovales ou circulaires . Leur couleur étoit d'un rouge-rosacé ; elles

duroient de trois à cinq jours , en causant des démangeaisons . Il


y en avoit un très-petit nombre qui étoient fugaces et ne se mon
troient que vingt-quatre heures. La maladie , parvenue à son entier
développement, se maintenoit stationnaire pendant quelque temps ;
ensuite les ampoules s'affaissoient et fournissoient de petites écail
les qui tomboient en plus ou moins grande quantité . Il ne restoit
alors sur la peau qu'une tache brune plus ou moins foncée. Ce
qu'il y avoit de très-remarquable , c'est que la température froide
de l'atmosphère nuisoit singulièrement à la malade , en facilitant
l'éruption de nouvelles pustules . Dans les temps humides, au con
traire , elles étoient singulièrement amorties , et disparoissoient
quelquefois entièrement . Elles furent promptement guéries par
l'administration du mercure .

DCXL. Les syphilides pustuleuses se manifestent à l'hôpital


Saint-Louis , dans une proportion qui est au moins double de celle
des autres altérations cutanées que peut produire la présence du
même virus. Elles succèdent le plus souvent à l'infection première
des membranes muqueuses de la bouche ou du canal de l'urètre ;
mais il est ordinaire aussi de les voir survenir spontanément , et

sans qu'aucun symptôme précurseur ait indiqué la source qui les


produit.
Framboisées
Syphilide
Végétante

sto
l,eve
Marguer
par
Brave établere
même
le
dans
Brunelles
ne
prime
Cubased
de
Raynte
MALADIES DE LA PEAU. 251

DEUXIÈME ESPÈCE .

SYPHILIDE VÉGÉTANTE . SYPHILIS VEGETANS. ( PLANCHE XLV. )

Syphilide se manifestant sur une ou plusieurs parties des tégumens , par des végétations
le plus souvent indolentes , dont les unes adhèrent à la peau par toute leur surface ,
et les autres n'y tiennent que par un pédicule plus ou moins aminci. Ces végétations
se manifestent principalement à l'anus , aux grandes lèvres , aux bords du vagin , aux
bourses , sur le membre viril , etc. Les formes variées dont elles sont susceptibles , leur
ont fait attribuer diverses dénominations.
OBS. Les variétés qui suivent me paroissent dignes d'être remarquées.
A. LA SYPHILIDE VÉGÉTANTE FRAMBOISÉE. Syphilis vegetansframbasia. - On nomme
ainsi les végétations syphilitiques qui se composent d'un assemblage de grains divisés
par des rainures profondes elles different très-peu des végétations nommées fraises ,
dont les sillons sont moins apparens .
B. LA SYPHILIDE VÉGÉTANTE EN CHOUX-FLEURS. Syphilis vegetans cauliflora. - On
qualifie de ce nom singulier les végétations dont la surface est très-inégale : leur volume
est quelquefois si considérable , qu'il ferme l'entrée du vagin chez les femmes.
C. LA SYPHILIDE VÉGÉTANTE EN CRÊTE. Syphilis vegetans crista-galli. - Elle se com
pose d'excroissances spongieuses, aplaties à un tel point, qu'on les prendroit pour des crê
tes de coq la similitude est frappante.
D. LA SYPHILIDE VÉGÉTANTE EN PORREAUX . Syphilis vegetans porriformis. ――――·Dans

cette syphilide , le gland se trouve recouvert de petites élévations dures , rénitentes , grê
les et filiformes , comme les racines des porreaux.
E. LA SYPHILIDE VÉGÉTANTE VERRUQUEUSE. Syphilis vegetans verrucosa . - Petits

tubercules indolens , à surface dure et grenue. Ils ont tantôt un pédicule , et tantôt ils
en sont dépourvus.
F. LA SYPHILIDE VÉGÉTANTE EN CONDYLOME. Syphilis vegetans condyloma. -- Ce sont
des protubérances larges , à base étroite. On les nomme condylomes , parce qu'on a cru
trouver une ressemblance entre ces végétations et un condyle.
N. B. Certains pathologistes rangent dans deux classes très- distinctes les symptômes
syphilitiques dont nous venons de parler. Les uns sont indiqués sous le nom de végéta
tions ; les autres ne sont que de pures excroissances : ces dernières sont formées par de
simples développemens de la peau , avec engorgement du tissu cellulaire subjacent; mais
les végétations sont en outre pénétrées et nourries par des vaisseaux sanguins. C'est à
M. Cullerier qu'est due cette distinction ingénieuse.
252 MALADIES DE LA PEAU.

TABLEAU DE LA SYPHILIDE VÉGÉTANTE .

DCXLI. On est frappé d'étonnement quand on songe à cette


variété infinie d'excroissances et de végétations que produit le vi
rus syphilitique : c'est sur le bord des grandes lèvres , sur la sur
face muqueuse du membre viril , au pourtour de l'anus , au pé
rinée , qu'elles se développent avec le plus de fréquence. Les
nymphes , le clitoris même ne sont point épargnés ; on en voit sur
le visage ; elles peuvent croître sur la langue et embarrasser tout
le palais. Partout on trouve de ces végétations hideuses autant
que rebelles , que les moyens de l'art peuvent à peine surmonter.

Les malades commencent par éprouver un léger prurit à la sur


face des parties qui doivent être affectées . Le prurit s'accroît à
chaque instant , et finit par devenir presque intolérable . On voit
enfin s'élever de petites végétations de forme ronde , de couleur
rouge , et d'une extrême dureté. L'éruption finie , la démangeai
son cesse ; il ne reste que le sentiment d'une tension très-légère à
la peau. Souvent même la plupart de ces végétations sont absolu
ment indolentes.

Les végétations syphilitiques sont si variées , qu'il a fallu néces


sairement leur donner une multitude de noms différens. Quel

quefois leur aspect offre une extrême analogie avec des fruits qui
sont d'un usage très-vulgaire ; telles sont celles que l'on désigne

sous le nom de framboises. ( Voyez la planche XLV. ) Elles se


composent d'un amas de petits grains rouges , divisés par des rai

nures profondes. On les nomme fraises , lorsque les sillons de


leur surface sont moins marqués et moins apparens : montrent

elles , au contraire , une surface très-inégale , forment- elles plu


sieurs tumeurs groupées et d'un volume très - considérable , sont
elles surtout recouvertes d'une matière ichoreuse et verdâtre , on
les indique par la dénomination absurde de choux-fleurs.
MALADIES DE LA PEAU. 253

Par leur réunion et leur rapprochement , ces végétations for


ment des plaques étendues autour de l'ouverture inférieure du
rectum , et se propagent au loin sur le scrotum ou sur le vagin . Si
l'on examine séparément chacune d'elles , on voit qu'elles sont

implantées dans les tégumens par un large pédicule , et qu'elles


offrent à leur sommet des granulations miliaires , d'une couleur
violacée , à leur surface surtout ; mais elles sont d'une teinte rouge
dans les endroits où elles se touchent , et se trouvent constam
ment contiguës. Le rectum est quelquefois bouché par ces masses
fongueuses ; quelquefois même elles forment obstacle à l'accou

chement .
Nous avons fréquemment observé des tumeurs qui ressem
bloient à des figues ouvertes ; les plus considérables avoient leurs
bords découpés et frangés , assez analogues aux appendices auri
culaires du cœur . Parmi ces excroissances les unes avoient leur

base dirigée en dehors , tandis que les autres y présentoient leur


sommet . Plusieurs enfin , de forme conique , ressembloient à des
pyramides couchées sur le côté. Il y a entre elles un espace assez
considérable pour laisser voir le système dermoïde , qui dans ces
parties conserve souvent sa couleur naturelle .
• D'autres fois , les organes souillés par la syphilis présentent des
tubercules filiformes et de dure consistance , avec orifice à leur
milieu . Le nom de porreau qu'on leur donne , vient de cette struc
ture grêle qui les fait ressembler aux racines de ces végétaux. Le
membre viril en est fréquemment infecté ; ils sont remarquables

leur rénitence.
par
Il faut rapprocher des porreaux les verrues syphilitiques , qui
sont de petits tubercules dont la surface est âpre , rude et pareil
lement grenue . Quelquefois elles ont un pédicule ; d'autres fois

elles en sont dépourvues . Les verrues sont très-opiniâtres , et il


faut les combattre pendant un très-long espace de temps. Ce sont
ces corps surtout qu'il importe de dénaturer par les caustiques .
Le tissu de la peau dégénère souvent à un tel point , qu'il forme

34.
2
254 MALADIES DE LA PEAU .

des excroissances aplaties , spongieuses , rougeâtres , qu'on pren


droit pour de vraies crêtes de coq , ce qui leur a fait donner ce
nom . Le gland y est très-sujet ; l'anus en est parfois entouré . Ces
crêtes , d'une couleur purpurine , offrent une surface lisse et unie ;

elles ont des espèces d'appendices séparés les uns des autres par
des échancrures plus ou moins profondes ; leur face interne est légè
rement concave pour s'accommoder à la convexité du gland ; mais ,

lorsque celui-ci est mis à découvert , ces excroissances , qui sont


d'une certaine consistance , se tiennent droites et élevées , comme

celles que l'on voit sur la tête des poules et des coqs. Les malades
n'éprouvent d'ailleurs qu'un prurit léger et fort peu incommode.

L'une des formes les plus hideuses que puisse prendre la syphi
lide végétante , porte le nom de condylomes , sortes de protubé
rances à corps volumineux et à base étroite , lisses , qui se mani
festent communément à la marge et au pourtour de l'anus ; leur

couleur est absolument celle de la peau. Nous les avons vues quel
quefois prendre une consistance comme calleuse : elles ne font
éprouver aucune douleur .
Les végétations dont nous venons de parler sont susceptibles
de naître sur toutes les parties de la surface cutanée , mais spécia
lement à l'anus , aux petites lèvres , au gland , etc. On en trouve ,

quoique rarement , dans le vagin , dans l'intérieur des fosses na


sales , dans la cavité de l'ombilic , sur les bords des paupières . Il
arrive quelquefois qu'on en observe dans les oreilles ; et , comme
la perversité est pleine de caprices , elles ont été , dans certaines
circonstances , le résultat d'une communication immédiate. Nous

avons vu , à l'hôpital Saint- Louis , un charlatan des boulevards ,


connu par ses mauvaises mœurs : il étoit devenu sourd par l'effet
de deux végétations syphilitiques qui obstruoient chez lui les con
duits auditifs , et qui ressembloient à deux grosses prunes . Nous

avons pareillement recueilli l'histoire d'une excroissance en forme


de grappe , qui avoit eu lieu sous l'aisselle droite d'une jeune indi

gente , par les bizarres fantaisies d'une inconcevable lubricité.


MALADIES DE LA PEAU. 255

OBSERVATIONS RELATIVES A LA SYPHILIDE VÉGÉTANTE .


"

DCXLII. Première observation . — Angélique L.... arriva à l'hô


pital Saint-Louis avec un écoulement jaunâtre , tantôt verdâtre ,
plus souvent de cette dernière couleur. Cet écoulement étoit
accompagné de douleurs tensives dans la vessie , la matrice , le
dos , les aines , etc. La vulve éprouvoit une irritation si forte que
souvent les nymphes et les grandes lèvres étoient très-engorgées ;
elles étoient si douloureuses que le contact du corps le plus léger
étoit insupportable. L'entrée du vagin étoit occupée , et comme
distendue par une énorme végétation fongueuse , divisée d'abord
en cinq ou six lobes granulés , d'une couleur rouge , et absolument
analogues à des framboises par leur forme et par leur volume . Ces
excroissances ne provoquoient aucune douleur chez la malade , et
on les pressoit impunément avec la main ; elles n'excitoient point
de prurit. Il nous fut facile d'en faire l'excision , parce qu'elles ne
tenoient à la peau que par des pédicules très-amincis.
Deuxième observation. - Pierre F.... étoit atteint , depuis fort
long-temps , d'une affection vénérienne dégénérée . Cette affec

tion se manifesta par les symptômes que nous allons exposer. Une
démangeaison considérable se fit sentir à la couronne du gland ; la
peau s'enflamma avec une médiocre intensité ; une petite pustule
rouge parut s'élever de sa surface , et bientôt , en s'épaississant ,
elle prit l'aspect d'un porreau ; elle s'accrut , devint inégale ,
rugueuse , dentelée , s'aplatit sur ses côtés , et constitua une véri
table crête de coq . Quelques jours après , l'individu dont nous

parlons sentit le besoin de se gratter au pourtour de l'anus , pour


pallier un prurit incommode ; ce prurit fit bientôt place à un nom
bre considérable de végétations , qui prirent la forme de choux
fleurs , et augmentèrent considérablement de volume. Ces végé
tations présentoient du reste quelques différences selon le siége
256 MALADIES DE LA PEAU.

qu'elles occupoient ; elles étoient continuellement baignées par


un mucus jaunâtre .
Troisième observation. — Marguerite B.... , âgée de quarante

deux ans , présente le tableau le plus triste et le plus effrayant de


la syphilide végétante. Il y a dix-huit mois que sa maladie s'est

annoncée par des douleurs ostéocopes ; ces douleurs avoient eu


d'abord les jambes pour siége ; ensuite les lombes , puis les bras ,
enfin la tête. Ces douleurs s'accrurent et finirent par devenir in
tolérables : des bourdonnemens continuels se faisoient entendre ,
et la malade fut long-temps privée du sommeil. Au bout de deux
mois , l'anus fut entouré et recouvert d'une multitude de crêtes
spongieuses , absolument indolentes , qui avoient la couleur de la
peau , et paroissoient avoir la même organisation . On les excisa

vainement à plusieurs reprises : bientôt une éruption analogue se


manifesta au périnée , aux grandes lèvres , etc.; elle étoit accom
pagnée d'une démangeaison légère qui augmentoit par les chaleurs
et aux approches de la nuit. La face de la malade étoit d'un rouge
de lie de vin , et recouverte par des pustules proéminentes , de la
grosseur d'un pois , qui offroient à leur centre un petit point
purulent ; le front en étoit surtout affecté ; on y remarquoit des
groupes de ces pustules , qui étoient plus volumineuses que les
autres et d'une couleur plus foncée ; de nombreuses écailles s'en
détachoient ; le nez étoit enflé considérablement , tuméfié , parti
culièrement vers les ailes ; les cuisses de la malade présentoient à
leur partie supérieure et externe des croûtes verdâtres et éten
dues ; la plupart étoient très-épaisses et avoient l'aspect de cer
taines cristallisations , tant leur surface étoit âpre et sillonnée ; elles
étoient circonscrites par un cercle d'un rouge livide ; très- adhé
rentes à la peau , elles en laissoient sortir un sang
noir et cor
rompu . Plusieurs de ces croûtes offroient des circonvolutions , des

spirales , etc.; elles étoient douloureuses seulement par la pression .

Lorsqu'elles tomboient , on ne voyoit que des taches sales et livides


sur la peau. Malgré tant d'infirmités , la malade mangeoit et digé
MALADIES DE LA PEAU. 257

roit bien ; mais elle ne goûtoit jamais le moindre repos , et le som


meil lui étoit absolument interdit.

Quatrième observation. - J'ai observé sur le même individu


presque toutes les variétés de la syphilide végétante . Un artiste ,

âgé de vingt-six ans , avoit eu commerce avec une femme de mau


vaise vie ; il fut d'abord pris d'une inflammation dans l'intérieur
de la bouche , qui se termina par des ulcérations aux piliers du
voile du palais. On méconnut cette maladie , dont la personne
d'ailleurs étoit intéressée à cacher la nature . On se borna à lui

administrer quelques gargarismes qui parurent d'abord apaiser


les symptômes ; mais six mois après on vit se manifester , sur plu
sieurs parties du corps , une multitude d'excroissances très-variées
par leur forme , et dont le nombre étoit prodigieux. Le rectum
étoit , pour ainsi dire , obturé par six protubérances dures et rou
geâtres , que leur base étroite doit faire ranger parmi les condy
lomes. La face interne des deux cuisses , le visage , et particulière
ment les bords des deux paupières , étoient hérissés de porreaux
indolens ; la couronne du gland étoit bordée de crêtes rouges ,
larges et spongieuses ; au périnée étoit une masse énorme de
choux- fleurs , d'où suintoit une humeur roussâtre , ichoreuse , et
d'une insupportable fétidité. Ce qu'il y avoit de plus opiniâtre ,
c'étoient des verrues disséminées à la partie postérieure du col et
aux oreilles ; il en existoit une sous la verge , que les divers caus
tiques n'avoient fait qu'exaspérer. On observoit d'autres symp
tômes : le système osseux étoit tuméfié dans plusieurs endroits du
corps ; c'est dans ce système que résidoient des douleurs exces
sives , lesquelles se renouveloient surtout pendant la nuit. La voix
étoit rauque et altérée , ce qui dépendoit de la destruction d'une
portion du voile du palais. La sensibilité s'étoit accrue à un tel
point que les moindres causes pouvoient la développer ; le plus
petit mouvement suffisoit pour réveiller les douleurs ; des tour
mens inexprimables lui faisoient à chaque instant sentir l'horreur
de sa situation. L'habitude du corps présentoit un état d'amai
258 MALADIES DE LA PEAU.

grissement considérable . Le tissu cellulaire étoit mol , flasque ,


sans ton et sans ressort.
DCXLIII. Les excroissances et les végétations sont beaucoup
moins abondantes que les pustules ; mais elles sont bien plus re
belles à l'action des remèdes , sans doute parce qu'elles sont beau
coup moins sous l'empire de la vie . Aussi est-on contraint , pour
les détruire , de recourir aux caustiques , à l'instrument tran
chant, aux ligatures , etc. Je reviendrai sur ce phénomène quand
il sera question du traitement qu'il faut opposer à de pareils
symptômes .
MALADIES DE LA PEAU. 259

ESPÈCE TROISIÈME .

SYPHILIDE ULCÉRÉE. SYPHilis exulcerANS.

Syphilide se manifestant sur une ou plusieurs parties des tégumens , par des ulcères ron
geans , profondément excavés , taillés en biseau , dont les bords sont rouges et calleux,
ayant tantôt une forme ronde , tantôt une forme oblongue ou triangulaire , etc. Ces
ulcères attaquent le plus souvent les surfaces muqueuses ; mais ils attaquent aussi d'or
dinaire les extrémités inférieures.
OBS. Nous avons remarqué les variétés suivantes à l'hôpital Saint-Louis :
A. LA SYPHILIDE Ulcérée serpigineusE. Syphilis exulcerans serpiginosa. - Ulcère
sinueux , qui bourgeonne , serpente et parcourt quelquefois un grand espace en excoriant
la peau.
B. LA SYPHILIDE ULCÉRÉE PERSISTANTE. Syphilis exulcerans persistens . — Cet ulcère
est fixe , isolé et très-profond , puisqu'il laisse souvent les os à nu. Cette syphilide gagne
en profondeur ce que la serpigineuse gagne en superficie.
C. LA SYPHILIDE ULCÉRÉE EN RHAGADES. Syphilis exulcerans fissata. — C'est le siége
de cette syphilide qui lui donne communément cette forme. Elle se développe au pour
tour de l'anus , et par conséquent dans une peau qui offre une grande quantité de plis et
de rides. Comme ces ulcères imitent absolument des fentes et des fissures , on les désigne
sous le nom de rhagades.

TABLEAU DE LA SYPHILIDE ULCÉRÉE.

DCXLIV . L'économie animale contient une multitude de ger

mes de maladie qui peuvent faire naître et développer des ulcères.


Ces ulcères peuvent se manifester dans toutes les parties du corps ;

mais l'affection syphilitique imprime à ceux qu'elle produit un


caractère particulier qui ne sauroit être méconnu . C'est ce carac
tère qu'il importe d'étudier ; car combien de praticiens regardent
260 MALADIES DE LA PEAU.

journellement comme syphilitiques toutes les ulcérations qui ont


pour siége les organes de la génération !
Cependant l'hôpital Saint-Louis nous offre journellement des
individus chez lesquels on observe des excoriations de la verge ,
des bourses , des grandes lèvres , etc. , accidens qui ne doivent leur
existence qu'au progrès du vice dartreux ou du vice psorique , et
qui n'ont absolument rien de commun avec la syphilis. Une leu
corrhée de mauvaise nature engendre fréquemment des ulcéra
tions à la vulve , chez de jeunes filles qui mènent la vie la plus
continente et la plus pure. Ces ulcérations simulent des chancres ,
et pourtant nulle contagion n'a agi sur elles. On voit donc qu'il
est de la plus urgente nécessité de reconnoître les signes positifs
des ulcères vénériens , et de les distinguer de ceux qui émanent
d'une autre source .

J'ai été importuné , durant près de deux années , par un jeune


homme pusillanime , qui se croyoit atteint de la plus horrible ma
ladie vénérienne , parce que , de temps à autre , il voyoit se dé
clarer , aux parties génitales , quelques légères ulcérations , résul
tat d'un vice herpétique dont il étoit attaqué depuis son enfance.
Il est une foule de circonstances où les malades finissent non-seu

lement à se persuader qu'ils sont infectés , mais encore à commu


niquer cette opinion à ceux qui les dirigent.
Nous avons fréquemment observé les ulcères qui affectent les
parties génitales et les autres parties du corps , à la suite du coït
vénérien. Leurs bords sont communément très-rouges , durs et

calleux ; mais on les reconnoît particulièrement à leur excavation.


J'ignore pourquoi on a pu écrire que les ulcères syphilitiques
étoient généralement superficiels . Cette assertion est une erreur ;
car ils sont presque toujours profonds et taillés en biseau , surtout
lorsqu'ils se déclarent aux jambes . Leur fond est inégal et tuber
culeux , et constamment rempli d'un pus verdâtre. Leur caractère
principal est de creuser la peau , de dévorer les muscles , le tissu
cellulaire , de mettre quelquefois les os à nu , etc. La facilité avec
MALADIES DE LA PEAU. 261

laquelle les chairs se détachent , fait quelquefois d'un individu le


spectacle le plus repoussant et le plus hideux pour ses semblables.
On diroit que les membres se putréfient et appartiennent plus au
cadavre qu'à l'homme vivant. J'ai vu naguère un infortuné qui
étoit atteint de trois ulcères situés au coronal , à la clavicule et au

sternum. Le premier étoit de forme irrégulière , s'étendoit jus


qu'aux protubérances frontales ; ses bords étoient taillés et unis
si on l'eût creusé avec l'instrument tranchant. Le deuxième

ulcère offroit des fongosités , et rendoit un pus abondant et gluti


neux plusieurs petites ulcérations de même nature en bornoient
la circonférence . Le troisième présentoit une excavation profonde

et large qui se dirigeoit de l'apophyse acromion jusqu'à la partie


moyenne de la clavicule . Une croûte jaunâtre le recouvroit pres
qu'entièrement , et ne laissoit qu'une ouverture par laquelle
s'échappoit une petite quantité de pus , de même nature que celui
de l'ulcère du front. Il étoit très-enfoncé dans son milieu , et bour

geonnoit vers ses bords , qui étoient d'une rougeur intense .


Les ravages de l'ulcération syphilitique sont quelquefois d'une
immense étendue . MM. Sicard et Grellier , médecins d'Angou
lême , m'ont communiqué l'observation d'un individu qui étoit
tout couvert d'ulcères syphilitiques. Ces ulcères étoient devenus
très-profonds et fistuleux ; ils s'étoient agrandis à un tel point
qu'ils s'étoient tous réunis , en sorte qu'au lieu de tégumens , on
voyoit sur l'universalité du corps une vaste croûte suppurante ,
exhalant une puanteur horrible . La face n'offroit également qu'un
seul masque ulcéreux , au-dessous duquel le pus se rassembloit ,
pour s'échapper à travers les trous dont il étoit criblé. La moitié de

la lèvre inférieure étant tombée en gangrène , et s'étant détachée


du visage , un écoulement de salive par cet endroit vint contribuer
à l'affoiblissement du malade. Les parties molles qui complètent
en devant le sac lacrymal , ayant été détruites par les progrès du
virus syphilitique , les larmes couloient sur la face . Les os un
guis , l'apophyse montante des os maxillaires et des os propres du
2 35.
262 MALADIES DE LA PEAU.

nez étoient dépouillés et frappés de carie. Enfin , l'ulcère primi


tif se dessécha , noircit et devint extrêmement fétide . Le dévoie

ment et les plus vives souffrances terminèrent cette épouvantable


maladie .

C'est pour exprimer le degré de malignité et le caractère pha


gédénique des ulcères vénériens , qu'on les désigne communé
ment sous le nom de chancres . Il en est qui sont stationnaires , et
qui conservent toujours la même place. Il en est d'autres qui sont
remarquables par leur mobilité extrême . Ces chancres ambulans

et serpigineux s'étendent en contours plus ou moins sinueux , et


rongent le corps en le parcourant. On en voit qui se développent

avec plus d'intensité dans les parties de la peau où il y a des plis


et des rides , parce que cette disposition physique favorise davan
tage l'accumulation du virus ; alors ils prennent une forme oblon
gue , qui les fait ressembler à des fentes ou à des fissures . C'est
pour cela qu'on les désigne sous le nom de rhagades.
La matière qui s'échappe des ulcères syphilitiques est , dans
quelques cas , un pus louable et de bonne consistance ; mais le

plus souvent elle acquiert une qualité âcre et corrosive , on la dis


tingue surtout par sa couleur , qui est d'un jaune-verdâtre . Cette
dégénération a lieu lorsque la maladie est ancienne , et qu'elle a
vieilli dans l'économie animale : elle est alors d'une fétidité ex
trême que peu de personne peuvent supporte . Il n'est pas rare
s r
de voir les ulcères subir encore des changemens plus horribles , et
se convertir en carcinomes dévorans .
Il seroit intéressant d'assigner quelles sont les parties du corps

qui sont les plus attaquables par les ulcères vénériens . Les gran
des lèvres , les nymphes , la verge et le prépuce en sont quelque
fois corrodés ; mais l'anus en est particulièrement le siége ; et ce qu'il

y a de plus remarquable , c'est que les ulcères ne s'y montrent


jamais plus fréquemment que lorsque la contagion syphilitique
s'est opérée par la bouche . Cette assertion se confirme par la mul
titude d'enfans qui reçoivent la maladie avec le lait qu'ils ont
MALADIES DE LA PEAU. 263

sucé , et par la quantité de nourrices dont l'anus se couvre d'ulcè


res , lorsqu'elles ont donné leur sein à des nourrissons infectés.
On rencontre des ulcères vénériens sur d'autres parties du
corps ; on en trouve journellement sur les fesses , les cuisses et le
ventre des enfans malsains . J'en ai vu de très-rebelles qui avoient
lieu dans le nombril . Les doigts et les orteils y sont fréquemment

exposés. On a dit , mal à propos , qu'ils se montroient rarement à


la surface interne du vagin : l'autopsie cadavérique nous a prouvé
le contraire . J'ai vu un cas particulier où le canal étoit totalement
rongé par un chancre très- étendu . J'ai observé pareillement un
ulcère de cette nature qui occupoit tout le trajet du conduit de
l'urètre , chez un soldat mort douloureusement à la suite d'une

suppression totale des urines. L'ulcération syphilitique s'effectue


assez ordinairement sur le cuir chevelu ; les yeux , les oreilles , le
nez , la bouche , la gorge , etc. , sont fréquemment infectés par des

ulcères du plus mauvais caractère . On peut dire que ceux -là sont
les plus opiniâtres , à cause du siége qu'ils occupent. J'en ai vu
dans l'arrière-bouche , que tout l'art de la thérapeutique n'a pu
détruire. Quels ravages ne font-ils pas dans les fosses nasales ! les
n
os propres du ez , les cartilages sont quelquefois détruits , et lais
sent le visage horriblement défiguré pour toute la vie .
D'après l'observation des pathologistes , la syphilide ulcérée
se manifeste trois ou quatre jours après le coït impur. La surface
muqueuse ou cutanée , sur laquelle le virus vénérien s'applique
pendant un plus ou moins long espace de temps , commence à être

affectée par une démangeaison qui se change quelquefois en une


véritable douleur. L'oeil aperçoit d'abord un point blanchâtre
qu'entoure une aréole enflammée . Enfin il se manifeste un ulcère

de forme ronde , qui ne tarde pas à acquérir de l'étendue et de la


profondeur . Quand cet ulcère a vieilli il est souvent difficile de
borner ses ravages. Nous avons donné des soins à deux individus

chez lesquels le membre viril a été totalement détruit par les pro
grès d'un horrible chancre .
264 MALADIES DE LA PEAU.

OBSERVATIONS RELATIVES A LA SYPHILIDE ULCÉRÉE .

DCXLV. Première observation. -Antoine M..... avoit.contracté

une blennorrhagie virulente , qui ne fut combattue par aucun traite


ment. Il éprouva dès-lors des douleurs intolérables dans les jambes ,
particulièrement à la gauche. Deux mois s'écoulèrent sans qu'il
s'opérât d'autre changement ; enfin il s'éleva sur la partie anté
rieure et supérieure de la crête du tibia une tumeur qu'on prit
d'abord pour une exostose, tant sa dureté étoit considérable ; mais
l'on fut bientôt détrompé ; cette tumeur s'ouvrit , et laissa couler
en abondance un pus épais , verdâtre et sanguinolent. Elle dégé
néra en ulcère profond , dans lequel s'établit une suppuration
abondante , ce qui affoiblit extrêmement le malade. Une seconde
tumeur se manifesta à la région interne et moyenne de la même
jambe , et eut la même terminaison que la précédente . Voici quel
étoit l'état de ces deux ulcères , lorsque nous eûmes occasion de
les observer : le premier avoit un fond inégal et tuberculeux ; ses
bords étoient épais , dentelés et rugueux , couverts d'excroissances
fongueuses et granulées. Ces excroissances abondoient principa
lement dans le centre de l'ulcère , où elles étoient entassées les
unes sur les autres . L'autre ulcère , situé à la région interne et
moyenne de la jambe , étoit beaucoup plus étendu que le précé
dent ; il suppuroit avec abondance ; il étoit en tout semblable au
précédent, excepté pourtant qu'il étoit beaucoup plus large. D'ail
leurs , cinq ou six sinus se dirigeoient en divergeant du centre
à la circonférence , et en augmentoient la largeur et la capacité.
Deuxième observation. - Le nommé Jean- Louis C..... avoit

déjà éprouvé une blennorrhagie très- intense , qui se supprima


subitement par une imprudence ; mais, ayant eu de nouveau com

merce avec une femme impure , cette blennorrhagie reparut , et


fut accompagnée d'une multitude d'ulcères syphilitiques qui re
MALADIES DE LA PEAU. 265

couvroient le gland et le prépuce . Ces ulcères étoient de forme


ronde , creusés en quelque sorte , taillés en biseau. Le fond étoit
recouvert d'une couenne purulente , de couleur jaune-verdâtre.
Il négligea néanmoins tout traitement , et ne se présenta à l'hôpi
tal que lorsque la vérole l'eut entièrement affoibli. On lui pres

crivit les remèdes convenables. L'écoulement disparut après un


certain temps ; mais il se déclara bientôt des exostoses sur toute
la surface du corps ; ces exostoses s'abcédèrent , et produisirent de
larges ulcérations qui firent des progrès rapides . Leurs bords
étoient élevés et taillés à pic ; le pus étoit grisâtre et très-abondant.
Les douleurs étoient vives , surtout la nuit , et sembloient n'avoir
lieu , selon le rapport du malade , que dans les os. Les yeux de cet

infortuné furent détruits par les progrès de la syphilis. Il y avoit


des exostoses ouvertes à l'épaule , à la partie supérieure de la poi
trine , à la partie inférieure du sternum , à la crête des os des îles ,
au tibia ; enfin sur toutes les éminences osseuses extérieures .
Troisième observation . - Edme C... se rapprocha d'une femme
affectée de la syphilis. Pendant l'acte du coït et l'effervescence
réciproque de leurs sens , leurs lèvres restèrent pendant quelque
temps dans un contact immédiat , et celle- ci lui insinua profondé
ment la langue dans la bouche. Le lendemain C..... ressentit une
douleur légère à la partie antérieure de la voûte palatine . Deux ou
trois jours après , la membrane muqueuse s'enflamma et présenta
des crevasses dans plusieurs points de son étendue ; il s'y mani
festa de petits ulcères d'où s'écouloit un pus fétide ; enfin , l'in
fection étoit complète. La prononciation devenoit laborieuse et la
mastication difficile. On eut recours à un chirurgien qui fit dispa
roître les chancres , au moyen d'un gargarisme dont le malade
ignoroit la composition. Deux ans après , en 1799 , de larges pla
ques rougeâtres parurent derrière les oreilles et à la partie posté

rieure du col . Bientôt la suppuration s'établit , et le pus qui en


découloit formoit , en se desséchant , des croûtes jaunâtres qui
tiroient un peu sur le noir . Ce fut à cette époque qu'il entra dans
266 MALADIES DE LA PEAU.

un hôpital , et qu'il y fut traité et guéri , du moins en apparence ;


mais quelques années après , des tumeurs dures , circonscrites et
sans rougeur , s'élevèrent à la partie antérieure et supérieure du
coronal , à la partie moyenne de la clavicule et à la moitié supé
rieure du sternum . Ces protubérances n'étoient pas d'abord très
douloureuses ; mais bientôt elles grossirent à vue d'œil , et prirent
le volume d'une noix ; enfin elles se ramollirent et se convertirent
en trois larges ulcères dont les bords étoient unis , comme si on
les eût creusés avec un instrument tranchant. Leur fond offroit

des fongosités et rendoit un pus abondant , qui étoit verdâtre et


glutineux. L'ulcère du coronal s'étendoit depuis la suture qui unit
cet os aux pariétaux jusqu'aux bosses frontales ; sa circonférence

étoit bornée par plusieurs autres petits ulcères , de la grandeur


d'une lentille , qui n'offroient ni inflammation , ni rougeur. Le
malade éprouvoit des douleurs vers cette partie , mais elles étoient
supportables et de peu de durée. L'ulcère de l'épaule , étroit ,
allongé , se dirigeoit de l'apophyse acromion jusqu'à la partie
moyenne de la clavicule . Une croûte jaunâtre la recouvroit pres
que entièrement et ne laissoit qu'une ouverture par laquelle
s'échappoit une quantité de pus de même nature que celui qui
suintoit du front. Ses bords étoient d'une rougeur intense ; ils
s'élevoient en bourgeons , etc. L'ulcère du sternum n'étoit pas
considérable ; il étoit formé par deux ouvertures peu grandes et
rapprochées l'une de l'autre ; il offroit dans sa forme ronde les
caractères principaux des ulcères vénériens ; il étoit rouge , sup

puroit abondamment , et étoit cerné de toutes parts par un grand


cercle livide .

Quatrième observation . - Étienne - Toussaint D ...., contracta ,

dans sa jeunesse , plusieurs affections vénériennes très -graves. Il


y a trois ans que , pour la sixième fois , il fut atteint de la même
maladie , laquelle fut traitée sans méthode et sans exactitude. Il

la conserva pendant une année ; il éprouvoit aux jambes , aux


épaules , des douleurs qui finirent par devenir insupportables. Ces
MALADIES DE LA PEAU. 267

douleurs étoient accompagnées d'un sentiment de chaleur et de


tension vive dans le cuir chevelu . Plusieurs tumeurs demi-sphé

riques et dures s'y développoient : on les prit d'abord pour des


exostoses ; mais leur suppuration les fit bientôt reconnoître pour
de vrais ulcères syphilitiques. Peu à peu ils s'étendirent en pro
fondeur et en largeur , au point de labourer successivement tout
le sommet de la tête ; il y avoit en outre de petites ulcérations su
perficielles qui fournissoient une sérosité purulente ; les bords en
étoient épais et découpés. On remarquoit à la joue un ulcère de
même nature , lequel s'étendoit de la paupière inférieure de l'œil
droit et de la racine du nez jusqu'à la commissure des lèvres et la
partie inférieure du nez. La circonférence de cet ulcère présentoit
un bord épais , noirâtre , croûteux et inégal ; le prurit étoit con
tinuel et véhément . Les douleurs ostéocopes se fixèrent au bras
droit et à l'avant-bras du même côté ; elles étoient si vives qu'elles
empêchoient le malade de mouvoir ce membre , et particulière
ment les doigts , qui étoient comme engourdis.
DCXLVI. Les ulcères syphilitiques sont moins rebelles aux
remèdes que les excroissances et les végétations ; mais ils exercent

de si profonds ravages sur la peau par leur caractère serpigineux ,


qu'ils lui impriment des cicatrices irréparables . Souvent ils ron
gent et détruisent entièrement les organes les plus essentiels à la
vie. Nous avons vu les parties génitales totalement consumées par
cette altération dévorante : le voile du palais , l'os ethmoïde , les
os propres du nez , etc. , tombent quelquefois par lambeaux . Que
d'exemples aussi tristes on pourroit citer !
DEUXIÈME PARTIE .

FAITS RELATIFS A L'HISTOIRE GÉNÉRALE DES SYPHILIDES .

DCXLVII . On a pu se convaincre , par les tableaux individuels


que je viens de tracer , que les distinctions spécifiques auxquelles
j'ai eu recours , sont aussi utiles pour la méthode que pour le classe
ment des faits. Il sera aisé de voir , dans la suite de cette disser
tation , qu'elles ne sont pas moins avantageuses pour appliquer
les règles du traitement. Réunissons d'abord les traits variés qui
se rapportent à ce hideux fléau de l'espèce humaine : plusieurs
écrivains nous assurent que , lorsqu'il se répandit avec tant d'im
pétuosité dans toutes les parties de l'Europe , tous les regards
furent frappés de son extrême analogie avec les éruptions de la
lèpre.
Protinus informes totum per corpus achores
Rumpebant , faciemque horrendam et pectorafæde
Turpabant.

Il est certain qu'on observe encore à l'hôpital Saint-Louis , des

dégénérations syphilitiques, qui, par leur intensité , rappellent les


maladies les plus épouvantables dont l'antiquité fasse mention.
Celle que l'on désigne sous le nom vulgaire de corona Veneris ,
n'a-t-elle pas l'aspect de la lèpre par ses croûtes tuberculeuses ,

et par l'odeur fétide qui s'exhale des corps qui en sont infectés ?

2. 36
270 MALADIES DE LA PEAU.

ARTICLE PREMIER .

DES PHÉNOMÈNES GÉNÉRAUX QUI CARACTÉRISENT LA MARCHE


DES SYPHILIDES .

DCXLVIII . C'est toujours des syphilides qui se portent à l'exté


rieur du corps , que je me propose de parler . Je vais recueillir les
phénomènes principaux qui caractérisent cette effroyable mala
die , soit qu'elle se manifeste sous forme de pustules , soit qu'elle
couvre la peau d'excroissances et de végétations , soit qu'elle la
souille par des ulcérations profondes . Que de symptômes affreux

n'avons-nous pas à rassembler !


DCXLIX . Il paroît que, dans son origine , la syphilis ne se
manifestoit guère que par des pustules aux organes de la géné
ration . Ces pustules abondoient quelquefois à la surface du corps ;
elles occupoient surtout les parties où le tissu cellulaire est dense
et serré de là vient qu'elles paroissoient si fréquemment sur le
, cuir chevelu , à la paume des mains , à la plante des pieds , etc.
DCL. En général , les pustules syphilitiques s'annoncent par
des taches éparses çà et là , lesquelles n'offrent d'abord que la
grandeur ou le volume d'un pois. Elles s'étendent peu à peu , et
servent ensuite de base à des croûtes saillantes , pyramidales ,

coniques ou mamelonnées , lesquelles se compliquent , par inter


valles , d'ulcères sordides , rongeans ou phagédéniques . Il est ,

je pense , peu d'accidens aussi terribles que celui où la face des


malades se recouvre de tubercules inégaux , raboteux , qui laissent ,
même après la guérison , des cicatrices ineffaçables .
DCLI . L'apparition des taches auxquelles succèdent les pus
tules est souvent précédée par des douleurs vagues dans les mem
bres . Ces taches simulent quelquefois les pétéchies scorbutiques ,
MALADIES DE LA PEAU. 271

et s'élèvent bientôt en pointe pour former des éminences verru


queuses ces éminences se recouvrent de croûtes dont les formes
sont très-bizarres ; lorsqu'elles tombent , on s'aperçoit qu'elles sont
profondément excavées ; à peine séparées de la peau , elles ne

tardent pas à renaître pour s'en détacher de nouveau . Pendant


le cours de cette horrible éruption , les malades sont d'ailleurs
exempts de tout prurit véhément ; le sommeil et l'appétit se con
servent ils ne se plaignent d'aucune douleur , si ce n'est de la
difficulté qu'ils trouvent à exécuter les divers mouvemens .
DCLII. On a pu voir néanmoins , par les descriptions parti
culières que j'ai présentées plus haut , que les syphilides n'ont
pas toujours un caractère aussi alarmant. Nous en observons quel

quefois qui ressemblent , d'une manière frappante , aux dartres


farineuses et furfuracées ; elles occupent absolument le même
siége : l'épiderme se soulève et se détache par petites écailles ;
leur forme est constamment circulaire ; et l'on tomberoit dans de
graves méprises , si les maux de gorge , l'ulcération des amygdales ,
les chancres , etc. , ne mettoient à découvert leur caractère véné
rien. Il est vrai qu'elles ont une teinte cuivreuse , qu'on reconnoît
toujours quand on a l'habitude de les observer , et qu'elles sont
circonscrites par un bourlet plus saillant que celui des affections
herpétiques dont il s'agit : elles n'excitent d'ailleurs aucune dé

mangeaison.
DCLIII. La syphilide pustuleuse forme quelquefois des grains
tuberculeux qui augmentent successivement de volume : ces
grains conservent parfois la couleur de la peau ; et , dans d'autres
cas , prennent une couleur brune ou rougeâtre , qui les fait res
sembler à de petites merises , aux baies du cassis ou du gené
vrier , etc. J'ai vu ces grains boucher , dans une circonstance ,
toutes les cavités du visage , le nez , les oreilles , les yeux , etc.; ce
qui rendoit la physionomie extraordinairement difforme.
DCLIV . Souvent ce sont de petites pustules aplaties , qu'on
prendroit pour des lentilles , et qui s'en rapprochent autant par
MALADIES DE LA PEAU.
272

leur forme que par leur couleur ; d'autres s'élèvent en pointe et


sont entourées d'une aréole inflammatoire , comme les exanthèmes
miliaires ; plusieurs sont vésiculeuses , comme les boutons de la
gale ; plusieurs aussi irritent et boursouflent la périphérie de la
peau , comme si elle avoit été percutée par des orties ou assaillie
par les insectes de l'atmosphère : elles sont d'un rouge ardent

quand elles sont récentes , d'un rouge pâle quand elles sont an
ciennes. Ce qui m'a paru surtout très -remarquable , c'est que
l'explosion de ces pustules est fréquemment déterminée par des
fièvres accidentelles , qui communiquent une sorte de fermen
tation au virus syphilitique dans l'économie animale . Une jeune
fille étoit entrée à l'hôpital Saint-Louis , uniquement pour y être

traitée d'une fièvre bilieuse qui fut très-intense. Cette fièvre se


termina par le développement d'une multitude de pustules lenti
culaires aux grandes lèvres , qui envahirent bientôt les membres
thorachiques, et qui ne cédèrent qu'à une administration prolongée
des mercuriaux .

DCLV . Les pustules les plus funestes et les plus opiniâtres nous
ont paru être les serpigineuses , qui rampent successivement sur

toute la surface de la peau , qui y forment des contours plus ou


moins sinueux , qui y tracent de longues spirales , des cercles
entiers , des segmens de cercle , etc. Ces pustules ne se terminent
que trop souvent par des ulcérations horribles : elles résistent par

fois à tous les moyens curatifs , et sont un sujet de désespoir pour


les malades autant que pour les gens de l'art.

DCLVI . Nous avons rencontré quelques individus chez lesquels


la peau présentoit , au lieu de pustules , de simples taches d'un

rouge violet et d'un caractère mobile et fugace : elles s'évanouis


soient quand les malades éprouvoient quelque chaleur , et le plus
léger froid ne tardoit pas à les faire reparoître : très-rarement
alors la peau s'élève au-dessus de son niveau ; le plus souvent ,

cette saillie n'est aucunement apparente . Au surplus , les taches


pont il s'agit décèlent d'autant mieux la présence du virus syphi
MALADIES DE LA PEAU. 273

litique , qu'il n'est pas rare de les voir accompagnées de douleurs


nocturnes et d'exostoses.

DCLVII. Nous avons indiqué , comme constituant une espèce


particulière dans le genre des syphilides , les végétations sessiles

et pédonculées qui se développent dans le tissu muqueux , et


quelquefois dans le corion . Ces végétations paroissent avoir une
force d'accroissement qui leur est propre ; elles acquièrent quel
quefois un volume extraordinaire , et prennent les formes les plus
bizarres.

DCLVIII . C'est surtout au périnée , aux parties génitales , à


l'anus , que se trouvent les vaisseaux aux dépens desquels elles se
développent : on en remarque aussi au voile du palais et dans l'in

térieur de la bouche. Une femme mourut par une excroissance


énorme qui se forma à la base de la langue , et qui finit par empê

cher la déglutition . L'anus est souvent obturé par des crêtes ou


autres végétations , qui sont hors de la sphère d'action de tous les
remèdes : les chirurgiens sont forcés de les faire disparoître par
des excisions douloureuses , et souvent elles repullulent avec une
inconcevable rapidité . Ces crêtes se placent principalement sur le
frein de la verge : il est fort rare au contraire d'en voir sur le som
met du gland , quoique cette partie soit mise le plus souvent en
contact avec le virus syphilitique . Sans doute les frottemens con
tinuels émoussent la sensibilité du gland , et affoiblissent l'action
des vaisseaux absorbans.
DCLIX . Ces végétations ou crêtes sont très-différentes par leur

forme ; elles sont aplaties sur leurs faces : l'un de leurs bords est

adhérent au prépuce ; l'autre est libre , et présente un grand nom


bre de dentelures. Toutes n'ont point pourtant cette exacte res
semblance : il en est qu'on peut comparer avec les roues des lami
noirs , etc. Souvent ces excroissances sont absolument sphériques ,
et ne sont qu'un amas plus ou moins considérable de granulations
blanchâtres ou de couleur rouge , continuellement humectées
par une humeur ichoreuse et diaphane . Ces fongosités disposées
274 • MALADIES DE LA PEAU.

par paquets , et marquées par des rainures ou sillons plus ou moins

profonds , ont été successivement comparées à des framboises , à


des choux-fleurs , etc. On a honte d'exposer toutes les parties où
elles peuvent naître par une infection immédiate : on les voit pa
roître non - seulement aux petites et grandes lèvres , à la verge , I
aux bourses ; mais à l'anus , à l'ombilic , à la bouche , dans les fosses

nasales , aux paupières , aux oreilles , etc.


{
DCLX . J'ai souvent soumis au plus scrupuleux examen ces émi
nences ou végétations syphilitiques , ces masses charnues de cou
leur rosacée , etc. L'oeil ne peut se méprendre sur la nature de
leur substance intérieure , qui présente une quantité considérable
de petits vaisseaux solidement unis les uns aux autres . L'une des
extrémités de ces petits cylindres vasculaires forme les racines
implantées dans la peau , et l'autre , qui dépasse la masse des vé
gétations , sert à former les granulations dont nous avons déjà
parlé , ou les dentelures qu'on remarque sur leur bord libre.
DCLXI . Quels ravages nous offre à chaque instant la syphilide
ulcérée ! La plupart de ceux qui en sont frappés , commencent
d'abord à être inquiétés par des douleurs légères au voile du pa
lais ; d'autres fois ces douleurs sont très-vives , et s'établissent dans
les os de la tête , où elles sont intolérables : bientôt la peau rougit
et s'enflamme ; il s'y établit de petites ulcérations , qui s'agrandis
sent insensiblement , et fournissent une suppuration très-abon
dante : leurs bords sont inégaux , durs et squirreux , tandis qu'on
observe dans leur milieu des enfoncemens considérables . Souvent

ce sont des exostoses volumineuses qui précèdent la formation des


ulcères , et les os eux-mêmes sont atteints d'une horrible carie .
Fracastor a énergiquement parlé de ce phénomène :

Tunc squallida tabes


Artus ( horrendum ) miseros obduxit , et altè
Grandia turgebant fœdis abscessibus ossa.
Ulcera (proh divûm pietatem ! ) informia pulchros
Pascebant oculos et divæ lucis amorem ,
Pascebantque acri corrosas vulnere nares.
MALADIES DE LA PEAU. 275

DCLXII. En général , les ulcères syphilitiques se manifestent


plus particulièrement sur les surfaces muqueuses , et dans toutes
les parties où il y a exhalation d'humeur sébacée . Le dégoût par
ticulier qu'inspirent ces ulcères et les ravages qu'ils occasionnent ,
les a fait désigner sous le nom de chancres , quoiqu'ils n'aient au
cune analogie avec les cancers : il est vrai que leur caractère ron

geant semble justifier cette dénomination . Ils sont plus ou moins


pernicieux , selon qu'ils attaquent l'intérieur ou l'extérieur des or
ganes : il est assez commun de les voir se diriger vers la membrane
du larynx , détruire les cartilages de cet organe , produire de
vraies fistules aériennes , ou y développer tous les phénomènes de
la phthisie . Mon élève et ami M. Biett a fréquemment remarqué de
semblables accidens , et j'en ai rencontré un grand nombre à l'hô
pital Saint-Louis ; mais je pense avec lui qu'on a eu tort de regar
der cette affection comme incurable . Il a vu , ainsi que moi , plu
sieurs malades dont on avoit désespéré , et qui néanmoins ont
recouvré une santé durable.

DCLXIII. Les ulcères de la voûte palatine sont suivis des incon


véniens les plus graves . Personne n'ignore ( et c'est un symptôme
qui n'est que trop fréquent ) que la carie des os qui concourent à
sa formation , finit par établir une communication incommode en
tre la bouche et le nez : le son de la voix reste alors altéré pour
toute la vie ; et l'individu ne peut proférer une seule parole , sans
décéler le vice honteux qui l'a atteint. Des chirurgiens habiles ont
inventé divers obturateurs pour remédier à ce triste inconvénient.
M. Cullerier , qui excelle dans l'art de l'observation , s'est surtout
distingué sous ce point de vue.
DCLXIV . J'ai vu des vénériens chez lesquels la langue étoit de
venue le siége d'ulcérations primitives et consécutives : les pre
mières sont la suite des baisers lascifs . Si ces ulcères sont anciens ,

ils sont compliqués de l'engorgement des glandes , ce qui cause la


plus vive douleur au malade . Nous avons donné des soins à une
malheureuse femme , dont la langue avoit acquis le triple de son
276 MALADIES DE LA PEAU.

volume ; elle étoit perforée de part et d'autre , et dégénéra en


ulcère cancéreux . L'aspect de cet ulcère étoit horrible ; il étoit
profond , surmonté de chairs tuberculeuses ; ses bords étoient
épais et durs ; il s'en écouloit une suppuration cendrée , et qui
exhaloit l'odeur la plus fétide. Que ne doit-on pas craindre de
l'ulcère qui s'établit , dans quelques cas , à la paroi intérieure du
pharynx ? La plume se refuse à rappeler les désordres qui peuvent
donner lieu à de tels symptômes : cet accident gêne horriblement
la déglutition , et détermine un épuisement suivi de la mort .
DCLXV. Les ulcères vénériens peuvent attaquer tous les
organes . Nous avons vu beaucoup d'ozènes provenus de cette
cause , chez des enfans nés de parens infectés , ainsi que l'abo
lition entière de la perception des odeurs . Un individu avoit non
seulement les cartilages de l'oreille cariés , mais l'ulcération , s'étant
propagée jusque dans l'intérieur du conduit auditif, avoit détruit
la membrane du tympan et les osselets de l'ouïe . Combien de
fois les yeux ne sont-ils pas affectés d'ulcères et d'un flux blennor

rhagique ! Les muscles , et les os surtout , sont très-accessibles aux

atteintes du virus syphilitique . J'ai vu un ulcère qui étoit d'une


profondeur si considérable , que tout le bras gauche avoit été en
quelque sorte disséqué par les ravages du mal : ce membre donnoit

de toutes parts issue à une sanie ichoreuse , putride , et d'une


puanteur insupportable. J'en ai observé un autre qui avoit laissé
tout le tibia à découvert ; la substance de l'os étoit entièrement
désorganisée ; l'ulcère étoit douloureux et saignant ; son fond étoit
grisâtre , et rempli de bourgeons charnus.
DCLXVI . C'est surtout à l'hôpital Saint-Louis qu'on a occasion
de remarquer les diverses métamorphoses de la maladie syphili
tique ; c'est là qu'on la voit prendre successivement la physio
nomie du coryza , de la goutte , du rhumatisme , de la consomption

pulmonaire ou de la phthisie trachéale : heureusement , sous toutes


ces formes , elle est très - accessible à l'action du mercure ; et on la

voit quelquefois céder à ce remède avec une promptitude qui


MALADIES DE LA PEAU. 277

étonne d'abord ceux qui l'avoient méconnue. M. Cullerier a vu


des accès d'épilepsie , qui étoient la suite manifeste du dévelop
pement du virus vénérien dans l'économie animale . Nous avons
observé un vieux débauché atteint d'une atrophie paralytique ,

survenue après de longs maux de ce genre ; il fut miraculeuse


ient rétabli par les moyens ordinaires.

DCLXVII. La réunion du scorbut avec la syphilis est très


fréquente dans le même hôpital . Lorsque ces infortunés viennent
réclamer des soins , ils sont dans un état de maigreur difficile à
décrire . Teint cuivreux et blafard ; gencives molles , fongueuses et

sanguinolentes ; apathie ; morosité ; langueur ; douleurs ostéocopes c


et très-vives ; tumeurs articulaires , recouvertes d'une peau lisse

et tendue , sans rougeur et sans chaleur , etc. Des pétéchies viola


cées recouvrent çà et là toute la surface cutanée. Hémorrhagies
nasales ; ténesme continuel ; selles fort rares ; urines sédimenteuses
et rougeâtres. J'ai vu un jeune homme qui étoit à la fois consumé
par la maladie vénérienne et par le scorbut . Il étoit dans un abat
tement général , qui l'empêchoit de se mouvoir ; ses membres
thorachiques et abdominaux étoient recouverts de tâches livides ;
il avoit la bouche amère et la langue chargée d'un mucus noirâtre.
Les accidens de la syphilis marchoient avec non moins de violence .
Son corps étoit parsemé de pustules , dont le sommet étoit aplati et

couvert de croûtes grisâtres : ces pustules , sans s'élever , s'agran


dissoient du centre à la circonférence. Le malade éprouvoit des
souffrances vives dans les muscles postérieurs des jambes , dans
les articulations fémoro-tibiales , etc. Il rendoit une humeur noire
et fétide.
DCLXVIII . Cette réunion de la syphilis avec le scorbut invétéré
est fréquemment mortelle. Les cris lamentables que poussent ces
infortunés , lorsqu'ils touchent à leurs derniers momens , indi

quent assez quelle est la violence de leurs douleurs : leur amai


grissement s'accroît de jour en jour c'est surtout la difficulté

extrême de la respiration qui les fatigue à l'excès ; les frissons ,

2. 37
278 MALADIES DE LA PEAU.

les nausées se succèdent ; leur ventre se tend et se tuméfie . La


plupart ont un enrouement accompagné d'une grande altération
et du hoquet : céphalalgies intolérables , tiraillemens atroces dans
l'estomac , insomnies continuelles : les cheveux tombent ; les ongles
se rident ; une mucosité abondante et fétide s'échappe quelque
fois de l'intérieur des fosses nasales ; la fièvre est continue ; le pouls
est misérable .

ARTICLE II .

CONSIDÉRATIONS SUR LE DIAGNOSTIC DES SYPHILIDES , ET SUR LEURS


RAPPORTS D'ANALOGIE AVEC QUELQUES AUTRES MALADIES CUTANÉES .

DCLXIX . L'expérience prouve que le virus syphilitique peut


rester caché dans l'économie animale , et s'y maintenir dans l'inac
tion ; qu'il est utile de faire en quelque sorte éclater la maladie ,
pour que le remède puisse l'atteindre. Ce phénomène explique
pourquoi , dans certaines circonstances , on a vainement adminis
tré des doses considérables de mercure , sans obtenir le moindre

succès : il explique aussi pourquoi des affections accidentelles sont


très- propres à développer un vice vénérien dont on n'eût jamais
soupçonné l'existence .
DLXX . Communément les éruptions vénériennes perdent
leurs caractères extérieurs par l'effet des remèdes ou par la vé
tusté : elles n'ont plus cette teinte cuivreuse qui les caractérise
d'une manière spéciale , et qui sert à les faire distinguer des exan
thèmes herpétiques . J'ai remarqué aussi que chez les individus
dont la constitution est foible et valétudinaire , les pustules squam

meuses sont dépourvues de cette aréole rougeâtre dont elles sont


communément entourées : on peut alors tomber dans quelques
méprises ; mais ces méprises sont rares ; et c'est presque toujours
MALADIES DE LA PEAU. 279

la faute de l'observateur , qui ne s'est point assez accoutumé à en


saisir toutes les nuances .

DCLXXI. Peu de maladies ont autant d'analogie et de simili


tude que la syphilis et les scrophules : il est néanmoins des diffé

rences tranchées , dont le pathologiste doit tenir compte . En effet ,


le vice scrophuleux épargne presque toujours les parties géni
tales , qu'affecte communément le vice vénérien ; il affecte rare
ment les glandes des aines , siége ordinaire des bubons ; il ne pro
duit pas non plus cette variété infinie de pustules que développe

la syphilis : ses exanthèmes sont informes et irréguliers ; ses ulcé


rations sont moins profondes ; ses végétations moins prononcées .
On peut ajouter aussi que les douleurs ostéocopes qui poursuivent
les vénériens sont étrangères aux scrophuleux , etc.

DCLXXII. Dans quelques circonstances , il a pu être facile de


confondre la maladie vénérienne avec la lèpre ; car il est des pus

tules et des ulcères syphilitiques qui présentent absolument l'as


pect horrible de cette dernière affection . Toutefois , les deux mala
dies n'ont point le même mode de propagation. Un signe distinctif
non moins caractéristique , c'est l'insensibilité complète de la
peau chez les lépreux , tandis qu'elle est quelquefois si doulou
reuse chez les individus atteints du vice vénérien .

DCLXXIII . On a voulu assimiler la syphilis au scorbut ; mais


Stahl a tracé d'une manière frappante les différences essentielles
qui séparent ces deux maladies. Ce grand praticien observe d'abord
qu'elles diffèrent par leur origine. La première naît dans les lieux
froids , humides et marécageux : des alimens grossiers et salés , le
défaut d'exercice , sont les principales causes qui concourent à la
produire. Le mal vénérien , au contraire , n'a aucun rapport avec
les qualités de l'air , et son principal foyer semble être dans les
pays chauds.
DCLXXIV. Le scorbut n'est point ou est rarement l'effet de la
contagion , au lieu que le mal vénérien se développe presque tou

jours par cette voie . Ces deux maladies diffèrent encore par les
280 MALADIES DE LA PEAU.

parties qu'elles affectent d'une manière spéciale . Le scorbut at


taque le plus fréquemment les gencives , qui sont flasques et san
guinolentes ; les dents sont cariées et la langue gercée , etc. La
vérole siége de préférence dans les organes de la génération ; et ,
si ses effets se propagent jusque dans la bouche , elle n'en altère
que les parties glanduleuses , ainsi que les os du palais et du
nez , etc. On pourroit en outre faire voir que la méthode de traite

ment qui convient à l'une de ces affections , seroit capable d'ag


graver les effets de l'autre , etc.

ARTICLE III.

CONSIDÉRATIONS SUR LE PRONOSTIC DES SYPHILIDES .

DCLXXV . Le pronostic de la maladie vénérienne dépend de


l'activité plus ou moins intense du principe contagieux , de la
nature et du caractère propre du mal , de son ancienneté dans
l'économie animale , de son étendue , de sa situation , etc. Plus
surtout l'infection est récente , plus on doit présumer que les

symptômes disparoîtront avec facilité et promptitude.


DCLXXVI. Le pronostic des syphilides est fâcheux , lorsqu'elles
ont produit , sur le corps vivant , tous les phénomènes dont elles
sont susceptibles ; lorsqu'on voit les taches hideuses , les pustules
suppurantes , les végétations rebelles , les larges ulcères se suc
céder tour-à-tour sur la peau , ou exister ensemble sur le même
individu en prenant tous les jours un accroissement considérable.
DCLXXVII . Les malades sont surtout dans un danger immi
nent , lorsque le vice vénérien se combine avec les scrophules ou
avec le scorbut. Cette dernière complication est celle que nous

observons le plus fréquemment à l'hôpital Saint- Louis. Les ma


lades sont dans un état de langueur et de débilité incompréhensi
MALADIES DE LA PEAU. 281

bles ; ils ne peuvent respirer que lorsqu'ils sont assis ou debout ; ils
sont dévorés par une soif violente ; leur pouls est foible et petit ;
leur visage pâle et décoloré ; leurs yeux sont caves , et toute l'ha
bitude du corps est sale et terreuse ; les gencives tuméfiées devien
nent rouges , douloureuses et saignantes ; les dents vacillent dans

les alvéoles relâchées ; la bouche se remplit d'ulcères et de végé


tations syphilitiques.

ARTICLE IV.

DES CAUSES ORGANIQUES QUI INFLUENT SUR LE DÉVELOPPEMENT


DES SYPHILIDES .

DCLXXVIII. Nous ne redirons point ici toutes les assertions


plus ou moins absurdes qu'on n'a pas craint de publier sur l'étio
logie de la maladie vénérienne . Sous le ciel brûlant de l'Amé
rique , on a rapporté sa première origine à des insectes veni
meux que des femmes lascives de ces contrées appliquoient aux
organes sexuels de leurs époux , pour les provoquer aux plaisirs
de l'amour. Il seroit sans doute difficile de croire à une assertion

aussi hasardée : d'ailleurs , quand bien même on lui supposeroit


quelque fondement , il resteroit à déterminer si c'est par l'intro

duction d'un virus particulier que les insectes dont il s'agit


développèrent les symptômes d'une aussi funeste maladie , ou si

cette dernière est le simple produit de la conversion de la plaie


en miasmes syphilitiques. Girtanner adopte la première hypo
thèse. Il classe la matière de cette infection parmi les poisons
animaux , et assimile son mode de communication à celui de la
rage.
DCLXXIX . Comment a-t-on pu contester la transmission du
virus vénérien par voie de génération ? ces sortes de faits sont si
282 MALADIES DE LA PEAU.

fréquens dans les grandes villes ! Il est vrai qu'il est une multitude
de questions qui seront long-temps insolubles , parce qu'il n'y a
aucun moyen infaillible de les vérifier. Tous les pathologistes ont
néanmoins été à même d'éclaircir les problèmes suivans : Le virus

syphilitique est- il propagé avec le germe qui doit développer


l'enfant ? L'embryon puise-t-il le virus avec la vie dans le sein de
la mère ? Celui qui est depuis long-temps infecté par la vérole , et
chez lequel cette maladie est en quelque sorte devenue constitu
tionnelle , peut certainement la communiquer avec le principe de
la fécondation . J'ai même vu , dans l'hôpital Saint-Louis , un en
fant né d'un père vénérien , qui jouissoit en apparence de la meil
leure santé à l'âge de dix ans , le vice syphilitique lui corroda
la cloison moyenne du nez. En second lieu , nous avons donné des
soins à une fille de joie devenue enceinte par l'œuvre d'un indi
vidu très-sain qu'elle infecta ; l'enfant naquit avec des pustules à
l'anus , telles qu'on les voit dessinées dans cet ouvrage , etc.
DCLXXX . Les syphilides héréditaires produisent fréquemment
des ulcères incurables . L'ozène vénérien est surtout observé à

l'hôpital Saint-Louis. Louis B.... reçut le jour d'une mère infectée ;


il vint au monde , petit , maigre , atteint d'une ophthalmie chro
nique , ainsi que d'une ulcération grave dans l'intérieur des na
rines cette dernière maladie donnoit lieu à la sécrétion d'une

grande quantité de fluide purulent. La première de ces affections


disparut peu de temps après la naissance , par suite d'un traite
ment que subit la mère ; mais il n'en fut pas de même de la se
conde , qui continua à faire des progrès , malgré tous les moyens
qu'on employa pour la combattre. Les os et les cartilages du nez
furent successivement attaqués ; en sorte qu'il ne reste plus , en
ce moment , qu'une très- petite portion de l'aile droite de cet.

organe ; il paroît même qu'une partie des apophyses montantes


des os maxillaires fut détruite par la maladie . Je pourrois égale
ment rappeler ici l'exemple d'une jeune fille , âgée de treize ans ,
née d'une mère autrefois atteinte d'un virus syphilitique : elle
MALADIES DE LA PEAU. 283

éprouvoit une douleur obtuse habituelle dans les fosses nasales ;


le fluide qui s'en échappoit étoit roussâtre , sanguinolent , d'une

odeur repoussante et analogue au fromage pourri.

ARTICLE V.

DES CAUSES EXTÉRIEURES QUI FAVORISENT LE DÉVELOPPEMENT


DES SYPHILIDES.

DCLXXXI . La source la plus commune de la syphilis est, comme


tout le monde le sait , celle du rapprochement des sexes : cette
sorte d'inoculation n'est que trop fréquente aujourd'hui chez
l'espèce humaine. Il est d'autres voies de communication : l'épi
derme même ne sauroit défendre la peau de ce levain contagieux .

On a cité, dans plusieurs journaux scientifiques , l'histoire d'un


accoucheur , qui contracta le virus vénérien en délivrant une
femme malade , quoiqu'il n'y eût aucune excoriation à sa main .
Nous avons traité , à l'hôpital Saint-Louis , une femme qui avoit
gagné cette horrible maladie pour avoir pratiqué des attouchemens
illicites sur une de ses voisines de lit , qui en étoit infectée.
DCLXXXII . La contagion est surtout facile autant que rapide ,

quand le virus est mis en contact avec les surfaces muqueuses.


Les baisers voluptueux , même passifs , sont quelquefois une cause
de propagation pour la maladie syphilitique. On a fait mention ,
dans quelques ouvrages , d'une jeune fille qui , ayant été embras
sée , contre son gré , par un soldat impudique , ne tarda pas à
éprouver des symptômes syphilitiques à la lèvre supérieure .
Aussi avons-nous grand soin de recommander aux nourrices qui
viennent se faire traiter à l'hôpital Saint-Louis , de ne point laisser
caresser leurs enfans par les femmes qui seroient atteintes d'un

pareil mal.
S
284 MALADIE DE LA PEAU.

DCLXXXIII. Il est d'autres voies de communication qui frap


pent d'un étonnement extrême ceux qui en ont été les témoins .
J'ignore quelle confiance il faut ajouter à un fait extraordinaire ,
rapporté par Fabrice de Hilden : il s'agit d'une jeune demoiselle

qui contracta la maladie vénérienne , pour s'être masquée avec les


vêtemens d'un homme qui en étoit atteint depuis long-temps . Qui
sait si , dans les hôpitaux , les mouches , les linges , la charpie , etc. ,
ne peuvent pas être les véhicules de cette maladie horrible ! .....

L'usage des mêmes verres pour les boissons sert quelquefois à la

propager. Une petite fille de cinq ans , appartenant aux parens


les plus sains et absolument irréprochables , se servoit de la même
tasse qu'un enfant infecté du vice vénérien , qu'on avoit placé en
sevrage chez sa mère. Elle contracta un ulcère profond , inégal ,
qui se développa spontanément et sans vive inflammation : cet

ulcère fut jugé syphilitique , et céda aux moyens administrés en


pareil cas.
DCLXXXIV . Beaucoup d'enfans contractent la maladie véné 1

rienne par la voie de l'allaitement , et trouvent un poison destruc


teur dans le premier aliment de la vie . Apolline , âgée de vingt
deux mois, devoit le jour à des parens très-sains et de mœurs très
pures . Elle fut confiée à une nourrice des environs de Paris , et y
demeura près d'un an sans éprouver la moindre altération dans sa
santé. A cette époque , il se manifesta une légère éruption aux
environs des lèvres , et quelque temps après sur le dos : cette
éruption n'offroit d'abord aucun caractère particulier ; cependant
elle persista , nonobstant l'emploi des bains et des délayans ; elle
acquit même plus d'intensité. La petite fille maigrit d'une manière
sensible on conçut quelques soupçons sur la nature du mal , et
les informations que l'on prit ne servirent qu'à les confirmer
encore. Les pustules se convertirent en ulcérations rondes , dont
les bords étoient coupés perpendiculairement : la suppuration qui
s'en exhaloit , avoit une odeur fade et nauséabonde. La nourrice
visitée offrit un ulcère vénérien à la gorge.

1
1
MALADIES DE LA PEAU. 285

DCLXXXV . Les enfans communiquent souvent la maladie à


leurs nourrices . La nommée Marie-Géneviève , âgée de trente

ans , douée d'un tempérament sanguin , jouissoit d'une santé par


faite . Relevée de couches depuis quelques jours , elle vint à Paris
chercher un nourrisson , qu'elle emporta dans son pays . Il y avoit
près de quatre mois qu'elle l'allaitoit , lorsqu'elle éprouva une
chaleur intense à la marge de l'anus , accompagnée d'un prurit
très-incommode : peu de jours après , plusieurs pustules groupées

s'y développèrent. Cette paysanne , ne soupçonnant point la cause


de son indisposition, n'en dit rien à son époux , s'abandonna même à
ses caresses; mais celui-ci ne tarda pas à en être affecté. Tous deux
frappés d'étonnement , et ne connoissant la syphilis que de nom ,
allèrent trouver un médecin , qui les éclaira sur leur état : ils de
mandèrent en outre des renseignemens sur la mère de leur nour

risson , et apprirent qu'elle étoit atteinte de cet horrible mal , lors


qu'elle le mit au monde . Les pustules dont il s'agit étoient aplaties
et de forme ovale ; elles étoient recouvertes d'une croûte mince et
rugueuse , et baignées par une exsudation presque imperceptible.
Ces deux individus furent traités et guéris dans l'intérieur de
l'hôpital Saint- Louis. La nommée Marie Martine fut encore plus
malheureuse que la précédente . Elle eut l'imprudence de se char
ger du fils naturel d'une fille prostituée . Cet enfant n'avoit
point , à cette époque , de symptômes prononcés de la syphilis :
cependant , deux mois s'étoient à peine écoulés depuis qu'elle le
nourrissoit , qu'elle fut toute couverte de pustules , dont on mécon
nut le caractère et le danger : aussi cette femme demeura-t- elle

plusieurs années dans une sécurité pleine et entière sur sa posi


tion. Pendant ce temps elle devint successivement enceinte de
trois filles , qui apportèrent en naissant le germe d'une maladie

vénérienne aussi grave que rebelle à tous les moyens de l'art . Des
pustules de couleur olivâtre se manifestèrent sur différentes régions
de la peau gonflement des amygdales ; voix foible et enrouée ;

douleur dans les os pendant la nuit , et surtout dans une tempé


2 38.
286 MALADIES DE LA PEAU.

rature élevée. Tels sont les symptômes qu'on a vainement com


battus pendant quatorze ans de leur déplorable existence.

ARTICLE VI .

DES RÉSULTATS Fournis par L'AUTOPSIE CADAVÉRIQUE DES INDIVIDUS


MORTS DE LA MALADIE SYPHILITIQUE .

DCLXXXVI. Les chaleurs de la saison dans laquelle nous nous


trouvions à l'époque où plusieurs individus ont péri des suites
de la maladie syphilitique , la putréfaction rapide et l'extrême fé
tidité des cadavres , n'ont pas permis de multiplier les dissections .
Je me contente d'exposer les faits qui suivent : Pierre T...... depuis
plus de dix ans étoit en proie à des symptômes vénériens d'une

gravité extrême. Il mourut à l'hôpital Saint-Louis , après une longue


et déchirante agonie. Son corps , pâle et prodigieusement émacié ,
offroit , dans toute sa surface , des pustules larges , aplaties et pro
fondément ulcérées : si on enlevoit avec le scalpel les croûtes
énormes qui les recouvroient , on apercevoit des excavations con
sidérables : le cuir chevelu en étoit particulièrement atteint , ainsi
que les jambes , les cuisses , les bras et les avant- bras. Les parties
génitales étoient rouges et enflammées. Rien d'extraordinaire dans

le cerveau , dont les circonvolutions étoient distendues par une


grande quantité de sérosité : les vaisseaux étoient gorgés de sang ;
le cervelet étoit intact. Il n'y avoit aucune lésion dans le système

pulmonaire : la plèvre étoit saine ; le cœur étoit plus volumineux


que de coutume. Nulle altération sensible dans le larynx et le pha
rynx , qui étoient pleins d'un mucus grisâtre : la membrane mu
queuse de l'estomac et des intestins étoit pâle et blafarde ; le
foie étoit volumineux ; la vésicule très - distendue par un fluide
MALADIES DE LA PEAU. 287

verdâtre ; la rate avoit une mollesse peu ordinaire ; les capsules


sus-rénales étoient comme cartilagineuses : point de lésion dans
le pancréas ; point de sérosité dans l'abdomen.
DCLXXXVII. Nous avons procédé à l'autopsie du cadavre de
Jean R..... , mort des suites d'une affection vénérienne et scor
butique. Un dévoiement colliquatif l'avoit conduit insensiblement
à la mort. La tête et la poitrine n'offrirent aucun phénomène in
téressant à notre examen : l'abdomen étoit légèrement tuméfié ;

le péritoine étoit rouge et comme gangrené ; les intestins présen


toient , dans leur intérieur , quelques légères ulcérations ; les
glandes du mésentère étoient engorgées et volumineuses ; le foie
étoit grand ; atrophies des vésicules séminales ; engorgement de
l'épididyme. La couronne du gland étoit surmontée de chancres
profonds et étendus ; les jambes et les cuisses offroient un très

grand nombre de taches cuivreuses , et de petites tumeurs noi


râtres élevées au-dessus de la peau , qui ressembloient à des
grains de cassis ou à des merises : sur les parties latérales du col et
près des angles de la mâchoire inférieure , existoient des ulcères
ronds , avec amincissement et même dénudation de la peau ; les
parotides étoient ulcérées et en suppuration ; les submentales
étoient fortement gonflées.

ARTICLE VII.

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LE TRAITEMENT DES SYPHILIDES .

DCLXXXVIII . Voici encore une des maladies qui attestent le


mieux l'excellence ainsi que la certitude de notre art. L'espèce
humaine a peu
de maux qui soient combattus avec plus d'efficacité
que les affections vénériennes , lorsqu'une bonne méthode guide
288 MALADIES DE LA PEAU.

les médecins ; lorsqu'ils ont appris à discerner exactement les cir


I
constances qui rendent tel ou tel remède fructueux ; lorsqu'ils
savent le continuer aussi long-temps que le cas l'exige , etc.
DCLXXXIX . Le traitement des syphilides a été singulière

ment perfectionné dans ces temps modernes. Dans l'origine de


ces affreuses éruptions , on n'employoit que des végétaux qui
avoient acquis une grande renommée , quoique leur action fût
presque toujours insuffisante . On sait que Gonzalve Ferrand fit
tout exprès un voyage aux Indes Occidentales pour chercher un
remède à ses souffrances , et qu'il en rapporta le gayac. On ajoute

qu'à son retour en Espagne , il établit une •sorte de spéculation sur


ce bois précieux , et qu'il s'enrichit par la vente de ce remède ,
qui étoit dans un grand crédit et d'un prix énorme. Le sassafras ,
la salsepareille , la squine , etc. , ont été pareillement en grande
vénération. L'expérience a toutefois démontré que rien n'étoit
plus incertain que les vertus attribuées par l'esprit de routine à

un grand nombre de plantes.


DCXC. Il est prouvé , de nos jours , que le médicament le plus
approprié à la curation des syphilides est , sans contredit , le
mercure ; qu'il dompte seul , avec énergie , les symptômes nom
breux qui en dérivent : mais ce qui nuit dans quelques circons
tances à son succès , est l'abandon des méthodes simples pour des

méthodes plus compliquées et moins efficaces. Comme de pareils


maux sont presque toujours le résultat des excès ou de la débau

che , ceux qui en sont frappés se réfugient , par l'effet de la honte ,


auprès des charlatans et des empiriques , qui en aggravent com
munément l'intensité par leur impéritie et leur mauvaise foi.

DCXCI. Telles sont les syphilides observées à l'hôpital Saint


Louis elles sont invétérées , et rarement exemptes d'une com

plication funeste. L'expérience nous a démontré qu'il faut un


temps très-long pour détruire et dénaturer les formes terribles

qu'elles manifestent ; mais toute assertion qui tendroit à détermi–


ner la durée de ce temps seroit inexacte et incertaine . Les dis
MALADIES DE LA PEAU. 289

positions du corps ne déconcertent que trop souvent les calculs


des praticiens à cet égard : on n'est pas mieux fondé , je pense ,
lorsqu'on songe à établir , d'une manière positive , la dose ou la
quantité du remède qu'il convient d'opposer à telle ou telle forme
de la maladie vénérienne : tout est encore problème sur ce point.

Nous avons vu , à Paris , un malheureux individu qui avoit langui


pendant cinquante années dans les traitemens anti- syphilitiques ,
et qui n'avoit obtenu qu'au bout de ce long intervalle la guérison
de tous ses maux.

ARTICLE VIII.

DU TRAITEMENT INTERNE EMPLOYÉ POUR LA GUÉRISON DES SYPHILIDES .

DCXCII . Les auteurs étalent communément une grande éru


dition sur les traitemens divers qui conviennent à la maladie
vénérienne : il seroit fastidieux de les imiter . Je ne dois compte à

mes lecteurs que de la méthode suivie depuis long- temps à l'hô


pital Saint-Louis . On ne rencontre d'ordinaire , dans ce précieux
établissement , que des syphilides invétérées , ou des accidens con

sécutifs d'une contagion désastreuse , qui a plus ou moins vieilli


dans le corps humain .

DCXCIII . Or , presque toutes ces affections finissent par céder


au pouvoir incompréhensible du mercure. Toutefois , on voit jour
nellement des empiriques proposer d'autres moyens , et les pro

clamer comme étant plus énergiques pour combattre un fléau qui


désole la génération actuelle. L'inconstance, si naturelle à l'homme,
le rend ingrat envers les remèdes les mieux accrédités par l'expé
rience : pourquoi vouloir bannir de notre art une substance médi

camenteuse qui seule a opéré tant de guérisons radicales , et à


290 MALADIES DE LA PEAU.

laquelle tant d'individus doivent leur bonheur et leur conser


vation ?

DCXCIV . L'observation a particulièrement sanctionné les effets


salutaires du muriate de mercure sur-oxidé . Lorsque ce sel , si
avantageux dans ses résultats , est administré dans des propor

tions convenables ; lorsque son emploi est accompagné de toutes


les circonstances propres à seconder son activité inconcevable ;
lorsqu'on l'associe , par exemple , à des sudorifiques puissans , il
est rare qu'il ne fasse point évanouir les symptômes dont le carac
tère est le plus rebelle. On remarque , à l'hôpital Saint-Louis , que
cette préparation est spécialement utile , quand les syphilides sont
très-anciennes. Nous avons vu , en outre , qu'il étoit important de

ne pas se lasser de son usage , malgré les craintes que peut inspirer
la résistance apparente du mal. On est frappé d'une surprise inex
plicable , quand on songe aux propriétés d'un sel qui agit , à si
petite dose , sur le système entier de l'économie animale. De tous

les mystères de la thérapeutique , il n'en est aucun qui étonne


autant notre imagination , que la promptitude avec laquelle la
moindre quantité de ce médicament modifie avantageusement les

forces vitales , et purge la masse des humeurs d'un levain aussi


funeste.
DCXCV. J'ai fait administrer ce sel , comparativement avec

beaucoup d'autres préparations mercurielles. Il a montré , dans


presque tous les cas , une énergie médicamenteuse qui lui assure
à jamais la prééminence . Quelques praticiens avoient proposé le
muriate mercuriel doux ; mais les expériences nombreuses qu'on a

tentées prouvent que son action est bien moins puissante sur la
maladie dont il s'agit , quoiqu'il puisse provoquer avec plus de
promptitude le phénomène d'une salivation extraordinaire. On a

fait aussi des efforts pour accréditer le carbonate ammoniacal ,


l'acide nitrique , le muriate d'or , etc. , qui sont encore des remèdes
très-incertains,

DCXCVI. La dissolution de muriate de mercure sur-oxidé s'ap


MALADIES DE LA PEAU. 291

plique avec plus d'efficacité aux innombrables symptômes de


cette affection protéiforme , et en triomphe presque toujours. On
augmente insensiblement ses doses , jusqu'à l'instant où il s'excite
dans les vaisseaux une sorte de fièvre dépurative , et des mouve
mens perturbateurs propres à dénaturer l'irritation vénérienne.
DCXCVII. Mais on ne peut assigner rigoureusement (ainsi que
je l'ai dit plus haut) la quantité de mercure qui doit être intro
duite dans le corps humain , pour la destruction des syphilides
invétérées : cette quantité ne sauroit être , dans tous les cas , en
rapport avec la violence de la maladie. Les effets d'un pareil
remède dépendent , plus qu'on ne le croit communément , de
l'idiosyncrasie des individus , et de l'état des forces vitales . Rien

n'est plus varié que la susceptibilité des malades pour les im


pressions des différentes préparations mercurielles : je pourrois
appuyer cette assertion par beaucoup de preuves.
DCXCVIII . Il arrive quelquefois que les pustules , les ulcères ,
les végétations syphilitiques , croissent d'intensité après l'usage du
muriate de mercure sur-oxidé : c'est là un des effets les plus
remarquables de cette substance , alors même qu'elle est adminis
trée avec méthode et discernement. Mais cette augmentation
apparente des symptômes n'est que momentanée ; elle est le ré
sultat de l'action du mercure sur l'irritabilité des organes ; et si cette

action exaspère parfois les accidens , elle finit presque toujours


par en mieux combattre la violence. Il importe que les praticiens
connoissent ce phénomène , pour qu'ils ne soient jamais décou
ragés dans la poursuite d'un mal aussi opiniâtre . Les malades eux
mêmes ont besoin d'être rassurés : la plupart accusent le remède ,
quand il ne faudroit blâmer que la méthode.
DCXCIX . L'emploi intérieur du inuriate de mercure sur-oxidé
nous a paru plus spécialement efficace dans le traitement des
pustules syphilitiques , que dans celui des végétations ou des
ulcères qui résultent d'une infection analogue. Les pustules croû
teuses , les tuberculeuses , les ortiées , etc., s'évanouissent surtout
292 MALADIES DE LA PEAU.

avec promptitude par l'emploi méthodique de ce remède. Les pus

tules lenticulaires , les pustules miliaires , etc. , résistent davan


tage . Nous avons même fait la remarque que plus les pustules
sont volumineuses , plus elles cèdent aisément aux moyens de
guérison j'excepte néanmoins de cette règle les pustules serpigi
neuses , qui causent tant de ravages , et qui souvent ne se cica

trisent , dans certaines parties du corps , que pour se reproduire


ailleurs avec une égale intensité .
DCC . Au surplus , tout en louant les effets rapides et presque
merveilleux du muriate de mercure sur-oxidé , nous ne devons
pas exclure la considération des circonstances nombreuses qui
peuvent faciliter son succès : telle est , en premier lieu , l'habita
tion d'un lieu pur et exempt de toute exhalaison marécageuse.
Nous avons vu un malheureux militaire , chez lequel ce remède
n'avoit eu aucune action favorable, pendant un laps considérable
de temps qu'il fut contraint de rester au bord de la mer. Un
voyage changea totalement chez lui le mode de sensibilité des

absorbans : transporté dans un autre lieu , il employa les mêmes


méthodes , qui furent suivies d'un plein succès. Des alimens doux ,
un repos convenable ou un exercice modéré , l'abstinence de toute
passion vive , etc., peuvent également influer sur la célérité de la

guérison.
DCCI . Dans quelques circonstances nous nous sommes très
bien trouvés d'allier l'opium au mercure , pour combattre avec
succès des syphilides rebelles , et qui étoient accompagnées d'in
tolérables douleurs . Il nous a semblé que ce précieux remède ,
introduit dans l'estomac , tempéroit en quelque sorte la trop
grande activité des sels mercuriels , sans néanmoins affoiblir leurs
vertus. Marie R..., couverte d'ulcères rongeans et phagédéniques ,
étoit en proie à de cruelles souffrances ; elle éprouvoit des spas
mes , des vomissemens , des insomnies , aussitôt qu'elle avoit pris
la plus légère dose de mercure : la liqueur de Van Swieten , admi
nistrée aux doses ordinaires dans un verre d'eau d'orge édulcorée
MALADIES DE LA PEAU. 293

par trois gros de sirop de diacode , fut suivie d'un calme inac
coutumé. Depuis cette époque les symptômes s'adoucirent , et la
malade parvint assez promptement à sa guérison .
DCCII . Il existe , en outre , beaucoup de cas où le traitement des
malades , par les remèdes les mieux éprouvés , devient absolument
impossible : souvent l'estomac repousse le mercure , ou ne peut le
supporter sans inconvénient. Nous avons reçu , à l'hôpital Saint
Louis , une jeune femme chez laquelle les préparations ' anti
syphilitiques suscitoient toujours des convulsions : cependant les
symptômes de son mal se déployoient avec une intensité ef

frayante ; les pustules , les végétations , les ulcères s'aggravoient


de jour en jour ; toutes ses articulations s'étoient recouvertes de
périostoses ; la cloison du nez étoit enfoncée ; un horrible chancre
se développoit dans l'intérieur des fosses nasales ; la malade étoit
consumée par la fièvre hectique , et les douleurs nocturnes étoient

excessives . Dans ce déplorable état , nous ne vîmes rien de mieux


à tenter que de lui administrer le mercure sous forme de lavemens .
Une semblable méthode avoit été autrefois mise en usage avec

quelque succès. Après deux mois de persévérance , nous vîmes les


ulcérations se fermer , les douleurs spasmodiques s'évanouir , et la
malade fut en état de prendre , par les voies digestives , les pré
parations mercurielles que nous jugeâmes être le plus utiles à sa
position.

ARTICLE IX.

DU TRAITEMENT externe employé pour la GUÉRISON DES SYPHILIDES .

DCCIII. L'expérience a prouvé qu'un traitement interne , quel


que bien dirigé qu'il soit , ne suffit pas toujours pour détruire
radicalement les syphilides. On peut se convaincre , par une mul
titude d'exemples , que lorsque ces affections ont été nouvellement

2 39.
294 MALADIES DE LA PEAU.

contractées , et que le levain de leur contagion se trouve encore

dans le plan superficiel des vaisseaux lymphatiques , le mercure ,


incorporé dans des substances onctueuses , et administré par les
surfaces du corps , à l'aide de frictions plus ou moins énergiques ,

porte un calme réparateur dans le système de la circulation géné


rale . Ce procédé n'est pas moins efficace , quand la diathèse véné
rienne existe depuis long-temps dans la masse de nos humeurs :
les malades sont presque toujours guéris par l'absorption salutaire
de ce remède.

DCCIV . Le traitement local des syphilides est toujours relatif


et approprié aux formes différentes dont elles se masquent , lors
qu'elles attaquent les tégumens. Les pustules , les végétations , les
ulcères , réclament des procédés particuliers , lesquels varient
encore selon leur siége , selon leur nature et l'ancienneté de leur
développement .
DCCV . L'effet du mercure appliqué à l'extérieur doit être de mo
difier avantageusement les propriétés vitales du système humain ,
en détruisant l'influence maladive du virus syphilitique , sans pro
I
voquer aucun spasme ni aucun excès de sécrétion dans les glandes
salivaires. Quand l'infection est ancienne et très-invétérée , il faut
surtout éviter ce mouvement local et perturbateur qui ne contri
bue en rien à la guérison , et qui irrite quelquefois les symptômes .
C'est un fait curieux constaté à l'hôpital Saint-Louis , et qu'on

pourroit consigner dans tous les livres de la science qui ont du


rapport avec cet important objet , que ce remède incompréhen
sible n'agit jamais mieux contre la maladie que lorsqu'il épargne la
constitution physique, et qu'il pénètre sans trouble dans les organes.
DCCVI. J'ai recueilli une multitude d'observations qui prouvent
qu'il n'est pas nécessaire que le mercure augmente les sécrétions

de l'économie animale pour la destruction des syphilides , et que


le mal ne disparoît jamais plus vite que lorsque les effets du
mercure sont modérés . J'ai expérimenté que la susceptibilité des
glandes salivaires est un phénomène fatal , particulièrement chez
MALADIES DE LA PEAU. 295

les personnes scorbutiques et atteintes du vice scrophuleux . Dix


individus , par un résultat de leur idiosyncrasie , ayant subi la sali
vation mercurielle , ont été infiniment retardés dans leur guéri
son : un grand nombre d'autres ont pris naguère les frictions sous
mes yeux , sans éprouver le moindre changement , sur les surfaces
muqueuses de l'estomac et des intestins ; il n'y a eu ni accroisse
ment dans la vitesse de leur pouls , ni altération dans leurs urines ;
et pourtant les symptômes ont été radicalement détruits avec une
surprenante rapidité.
DCCVII . On a avancé , relativement à l'administration exté

rieure du mercure , beaucoup de faits sur lesquels il est difficile de


compter , et auxquels il seroit peu philosophique d'ajouter quelque
croyance . C'est ainsi , par exemple , que les empiriques pres
crivent une multitude de règles minutieuses , qu'ils croient favo
rables à l'activité d'un pareil remède : la plupart défendent rigou
reusement de s'exposer à l'air , interdisent l'usage des viandes les
plus saines , des boissons les plus salutaires ; mais il faut convenir
qu'il n'y a que du vague en pareille matière . Connoît-on les cir

constances atmosphériques qui peuvent seconder l'absorption du


remède ? A-t-on découvert quels sont les alimens qui peuvent
fortifier son action ? Sait-on quels degrés de froid ou de chaud
influent sur l'activité du virus vénérien , ou affoiblissent son
pouvoir délétère ?
DCCVIII . N'est-on pas , au contraire , très-fondé à croire que
l'emploi d'un régime restaurant , des nourritures succulentes , que
des circonstances morales , les douces distractions , les jeux , les
divers moyens de l'hygiène , les promenades , souvent même les
voyages dans un pays plus salutaire , peuvent influer avantageu
sement sur le mode de sensibilité de tout le système lymphatique ,
et le mieux disposer à l'absorption du mercure ? Ce qu'il y a de
positif, c'est que ce remède n'a aucune action sur les corps dessé
chés et consumés le marasme , ainsi que nous avons pu nous
par
en convaincre par bien des exemples . Les frictions n'avoient opéré
296 MALADIES DE LA PEAU.

aucun effet sur un vieux officier pendant son séjour en Pologne ,


où il avoit contracté un amaigrissement extraordinaire : trois mois
de repos dans un village de France lui restituèrent son ancien

embonpoint on recommença dès-lors le traitement qu'on avoit


employé sans fruit dans une occasion moins favorable , et ce trai
tement dissipa bientôt tous les symptômes . J'ai déjà cité plus haut
un fait qui est absolument analogue.
DCCIX . Le traitement local s'applique rarement avec avan
tage aux syphilides pustuleuses , particulièrement lorsqu'elles sont
la suite d'une infection ancienne et profonde : cependant il est vrai
de dire que , lorsqu'elles sont accompagnées d'un état inflamma
toire , les bains tièdes facilitent singulièrement les bons effets du
traitement intérieur que l'on a prescrit . J'ai également constaté ,
par mes observations , que , lorsque les pustules sont agglomérées
et indolentes , il est salutaire de les humecter avec quelque liqueur
plus ou moins caustique , qui ranime les propriétés vitales de la
peau , et prévient par ce moyen une rétropulsion qui seroit fu
neste . Les plus rebelles de toutes les pustules sont , ainsi que j'ai
déjà eu occasion de l'observer , celles qui affectent la forme miliaire
ou même lenticulaire. J'ai employé avec un bonheur inattendu ,
contre ces deux dernières éruptions , la pommade composée avec

le sulfate jaune de mercure , à l'aide duquel j'ai obtenu une gué


rison assez rapide.

DCCX . C'est surtout pour la destruction des syphilides végé


tantes que le traitement extérieur est utilement invoqué. Il est
digne d'observation que ces productions ou excroissances morbi
fiques ne jouissent point des propriétés vitales du derme ; qu'elles
sont en quelque sorte isolées de l'organisation : aussi les procédés
chirurgicaux les font aisément disparoître. On a recours aux liga
tures , à l'excision par l'instrument tranchant , aux escarotiques
qui les flétrissent : on fait un usage fréquent de la pierre à cautère ,
de la pierre infernale : je me sers de préférence des acides plus ou
moins concentrés.
MALADIES DE LA PEAU. 297

DCCXI. Souvent les végétations reparoissent après avoir été


liées , excisées ou cautérisées . Quelquefois leur retour a lieu , parce
que la cause qui a opéré leur développement agit encore , et cette
circonstance nécessite de faire concourir les préparations inté
rieures avec le traitement local : c'est par l'administration simul
tanée du muriate de mercure sur-oxidé qu'on arrête leur tendance
ou leur disposition à repulluler. Il peut , du reste , arriver que la
syphilide végétante se montre de nouveau , parce que ses racines
n'ont point été détruites en totalité , et qu'il en est resté quelques
vestiges dans le tissu cellulaire : dans ce cas , il est urgent de reve
nir aux moyens énergiques qu'on a déjà employés .
DCCXII. Les caustiques conviennent principalement quand les
végétations sont d'une texture lâche , et qu'elles ont besoin d'être
réprimées : les chirurgiens ont recours à l'eau phagédénique , qui
suffit quelquefois pour les faner et pour les détruire . Les dissolu

tions de sulfate de zinc , de sulfate de cuivre , opèrent un effet


semblable : le muriate de mercure sur-oxidé , incorporé en grande

proportion dans l'alcool et dans l'eau distillée , agit avec un succès


plus certain : l'alun calciné est pareillement applicable. On em
ploie , à l'hôpital Saint -Louis , des caustiques qui ne sont pas
moins actifs tels sont l'acide nitrique , l'acide muriatique , le mu
riate d'antimoine , etc. , dont on imbibe de très -petits pinceaux
destinés à n'atteindre que la propre substance des végétations .

DCCXIII . Toutes les fois que les syphilides végétantes offrent


beaucoup de consistance et de dureté ; toutes les fois qu'elles ne
sont ni rougeâtres , ni saignantes , et qu'elles affectent une forme
oblongue et conique , on préfère communément le moyen de
l'excision , qui s'effectue à l'aide des ciseaux courbes ou plats ; les
excroissances se trouvant placées sur une surface convexe , l'opé
ration dont je parle exige plus ou moins d'adresse , afin de bien

déterminer préalablement leur saillie , et les emporter en totalité :


les chirurgiens préfèrent se servir du bistouri si les végétations
sont larges , et si leur base occupe un grand espace sur les tégu
DIES DE LA PEAU .
298 MALA

mens . Enfin , il est des circonstances où les végétations que l'on


doit extraire , se trouvent recélées dans l'intérieur des organes af

fectés ; c'est alors que le génie particulier de l'opérateur doit fa


briquer l'instrument le plus convenable pour l'approprier au siége
du mal.

DCCXIV . Les ligatures sont employées , lorsqu'on ne peut pro


céder commodément à l'excision par le secours des instrumens

dont nous venons de faire mention . Il est facile de mettre à profit


ce moyen , quand les tumeurs sont isolées , et qu'elles sont portées
sur un pédicule long et étroit ; c'est ce qui arrive quelquefois dans
celles qui sont situées au pourtour de l'anus , aux bords du va
gin , etc.; on serre progressivement et tous les jours leur tige ,
jusqu'à leur chute totale : il importe de détruire toutes les racines ,
pour éviter leur reproduction , ce qui est difficile à exécuter , sur
tout si elles sont volumineuses .
DCCXV . Le traitement local et extérieur ne convient pas uni
quement aux syphilides pustuleuses et végétantes ; il est aussi
très-favorable aux ulcères vénériens , soit qu'ils proviennent d'une
contagion primitive , soit qu'ils se développent à la suite d'une
infection générale de tout le système . Les ulcères primitifs se re
connoissent communément à l'intensité de l'inflammation qui les
accompagne , au renversement et au déchirement de leurs bords ,
à leur excavation plus ou moins profonde dans la substance de la
peau , à la vive douleur qu'ils occasionnent , etc .; mais les ulcères
qui ne sont que secondaires offrent un caractère plus bénin , et
marchent surtout avec moins de rapidité . Pour suivre une mé
thode exempte de danger dans le traitement de ces affections , on
évite , en ce dernier cas , toute application irritante : on se contente
de recouvrir les ulcères superficiels avec un linge enduit de cérat
simple , ou légèrement animé par l'onguent mercuriel. La fré
quence des pansemens et la propreté constante qu'on entretient ,
suffisent pour amener sans délai une guérison radicale .

DCCXVI. Mais lorsque les ulcères s'étendent en profondeur ,


MALADIES DE LA PEAU. 299

lorsqu'ils sont livides et couenneux , on y applique des substances


caustiques , pour dénaturer le vice vénérien et en borner les pro
grès. M. Cullerier , si habile dans la curation de la maladie qui
nous occupe , préfère le muriate d'antimoine liquide , parce que
son effet est extraordinairement prompt , et qu'il arrête comme
par enchantement l'activité du virus. Ce caustique convertit
bientôt l'ulcère en plaie simple , quelle que soit sa malignité ; mais
son emploi exige de la prudence et beaucoup d'adresse . A l'hô

pital Saint- Louis , on a recours à l'acide nitrique médiocrement


concentré ; on a soin de cerner habilement tous les contours de
l'ulcération , et d'en atteindre tous les bords : par cet unique
moyen , on l'empêche de se reproduire elle-même , et de s'étendre

quelquefois avec plus de violence qu'auparavant.


DCCXVII . Le traitement extérieur des ulcères syphilitiques.

varie , du reste , selon le siége qu'ils occupent : ceux qui se mani


festent à la paroi interne des joues et dans l'intérieur de la bou
che , au pharynx et au voile du palais , doivent principalement
être combattus par des gargarismes adoucissans et médicamen
teux . De semblables moyens ne sont pas toujours très-efficaces ,
surtout si la langue est profondément attaquée : ce dernier genre
d'ulcération est si long à guérir , qu'il dure quelquefois plusieurs
années , et qu'il résiste à toutes les méthodes curatives . Nous avons
eu , à l'hôpital Saint-Louis , un individu qui en a été la victime.
DCCXVIII . Au surplus , il faut une multitude de précautions
et de soins pour l'efficacité des pansemens , selon que les ulcères

syphilitiques se placent à la marge ou dans l'intérieur de l'anus

aux grandes lèvres ou dans le vagin , à l'ombilic , entre les orteils ,


dans les oreilles ou dans les fosses nasales , etc. La maladie s'ag
grave partout où il y a frottement de surfaces , et lorsque les par
ties se trouvent dans un mutuel contact : les ulcères résistent

souvent à tous les moyens qu'on leur oppose. Cette opiniâtreté


dans les symptômes est surtout plus marquée , quand les individus
infectés continuent de se livrer à la débauche ou à de honteuses
300 MALADIES DE LA PEAU.

communications. Je ferois rougir la pudeur , si j'exposois les vices


insurmontables des personnes qui viennent réclamer des secours
à l'hôpital Saint -Louis . Les remèdes ne produisent aucun bon
effet , si l'on ne vient à bout de réprimer ces coupables et illicites
habitudes.
DCCXIX . Personne n'ignore que les ulcérations vénériennes
peuvent se compliquer d'un état de phlogose , qui s'entretient par
la disposition physique des parties vivantes. C'est ainsi que le ré

trécissement du prépuce , le gonflement du gland , et autres phé


nomènes de ce genre , peuvent être portés à un degré de violence
extrême : ce sont les bains tièdes , les lotions douces , les larges
saignées , la diète sévère , etc. , qui parviennent à apaiser ces ac
cidens funestes . Sans ces moyens , qui arrêtent presque toujours
les progrès du mal , la gangrène fait de tels ravages qu'elle dé
truit quelquefois rapidement , et en totalité , les organes de la gé
nération. J'ai vu ce mal déplorable survenu à un militaire , pour
avoir voyagé pendant un mois avec un paraphymosis enflammé :
à son arrivée à Paris , la suppuration chancreuse avoit entièrement
dévoré le membre viril.

DCCXX . Les syphilides cutanées qu'on observe à l'hôpital


Saint-Louis , sont constamment d'une nature rebelle , parce

qu'elles sont rarement exemptes de mélange et de complication.


On ne sauroit décrire avec des couleurs assez vives cet assemblage

de misères qui viennent quelquefois se réunir sur un même in


dividu : le scorbut , le vice scrophuleux , les dartres , le prurigo ,
la goutte , le rhumatisme , tous les maux se réunissent , se forti
fient en quelque sorte de leur réciproque influence , et vieillissent
ensemble dans les mêmes corps. C'est dans ces divers cas que les

symptômes deviennent plus véhémens et plus furieux , et qu'ils


s'irritent par tous les moyens qu'on oppose à leur funeste propa
gation .
LES SCROPHULES .

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES SCROPHULES .

DCCXXI. J'ai cru devoir placer l'histoire des scrophules immé


diatement après celle des syphilides , parce que les altérations par
ticulières que produisent l'un et l'autre de ces deux genres de

maladie ont des traits frappans de similitude qui n'ont échappé à

aucun observateur. Un point de ressemblance incontestable sur


tout , est cette disposition constante du tissu cellulaire à produire
des pustules , des végétations , des ulcérations , des engorgemens
glanduleux , etc. Il est même des cas où l'analogie est si frappante ,
qu'on se méprendroit sur l'identité des scrophules , si l'on n'étoit
d'ailleurs averti de leur présence par des signes commémoratifs
ou par des caractères particuliers que fournit l'inspection même
des individus entachés d'un vice aussi déplorable.

DCCXXII . Pour peu d'ailleurs qu'on veuille remonter jus


qu'aux premières sources de ce fléau , on a occasion de se con
vaincre que , dans beaucoup de circonstances , il n'a pas de cause
plus directe que la syphilis. Lorsqu'au quinzième siècle , l'armée

de Naples fit des excursions multipliées dans les campagnes de


l'Italie , on observa que les descendans des femmes qui avoient été
infectées par ce foyer de corruption , étoient presque tous de
venus écrouelleux. Ce phénomène a été pareillement observé
dans les villes long-temps occupées par des garnisons militaires.
Enfin , les mêmes remarques ont eu lieu dans l'intérieur de l'hô
pital Saint-Louis , où j'ai eu plus d'une fois sous les yeux trois gé
nérations successives d'individus qui expioient en quelque sorte
l'inconduite et les débauches de leurs pères par les accidens les

2. 40
302 MALADIES DE LA PEAU.

plus terribles de la maladie scrophuleuse . Je parlerai plus bas de


ce fait extraordinaire , que je n'offre ici que sous un point de vue

général.
DCCXXIII . Parmi les maladies chroniques qui affligent de
toutes parts l'espèce humaine , il n'en est certainement aucune

qui soit plus digne d'une discussion sérieuse et qui mérite autant
de fixer l'attention des médecins , que celle dont nous allons nous
occuper. C'est un des vices originaires les plus communs et les
plus rebelles aux moyens curatifs . Il n'en est guère de plus fu
neste , au jugement même d'Hippocrate. Quelquefois le temps lui
donne des forces et ajoute en quelque sorte à l'horreur de ses
symptômes. Quoiqu'il n'excite pas de grandes souffrances , il at
triste néanmoins les plus beaux momens de la vie ; souvent même
il en tarit les sources et trouble toutes les lois de l'accroissement.

J'ai observé à ce sujet les anomalies les plus singulières. J'ai fait
paroître naguère devant mes élèves un homme âgé d'environ
trente-deux ans , et frappé , pour ainsi dire , d'une hypertrophie
universelle . Sa taille , devenue gigantesque , avoit acquis plus de
six pieds. Les parties molles , telles que la langue , la verge , etc. ,

offroient une dimension démesurée . Par le plus bizarre des con


trastes , j'opposois à cet exemple celui d'un autre individu non

moins écrouelleux que le précédent , et à peu près du même âge.


Ce dernier avoit la petitesse et la régularité des formes d'un nain .
Il étoit imberbe ; et les parties génitales n'offroient encore chez lui
aucun signe de virilité. La même maladie produit une multitude
d'autres dérangemens qui n'ont pas été considérés sous leur véri
table aspect.

DCCXXIV . Malgré leur fréquence , les écrouelles inspirent un

effroi général. Les personnes douées d'une certaine prudence


craignent , avec raison , de s'allier avec celles que l'on suppose

infectées d'un pareil vice , et qui en offrent quelques vestiges sur

la peau . D'autres s'imaginent à tort que le moindre attouchement


communique cette maladie , et ne peuvent se défendre à ce sujet
MALADIES DE LA PEAU. 303

des terreurs les plus exagérées. Enfin , il en est qui pensent qu'elle
est d'une nature tellement maligne , qu'il faut nécessairement la
regarder comme un résultat de la colère céleste. Ils ont cru même
que cette affection surnaturelle étoit au-dessus de tout pouvoir

humain , et que c'étoit aux rois seuls que Dieu avoit délégué la
faculté de la guérir. Clovis passe pour être le premier qui ait été
revêtu d'un privilége aussi auguste , et pour l'avoir transmis à ses
successeurs. Rex te tangit et Deus te sanat apposito statim crucis
signaculo.
DCCXXV . Dans l'impuissance de l'art , d'autres ont eu recours
aux amulettes. Ils ont envisagé comme fort utile la coutume de

suspendre au col des malades la plante désignée sous le nom de


scrophulaire. Que d'autres pratiques superstitieuses n'a-t-on pas
inventées ! Au déclin de la lune , il en est qui attachent un crapaud

vivant sur les parties mêmes qui offrent les signes de cette affec
tion dégoûtante , et qui l'y retiennent jusqu'à ce qu'il meure. Le
vulgaire prétend que si on met les glandes engorgées en contact
avec la main glacée d'un cadavre , on peut espérer la guérison ,
sans doute à cause de la frayeur qu'inspire un acte aussi insolite.
L'an dernier , mourut , dans un château de la Normandie , un
homme fort révéré , et qui jadis avoit été religieux dans l'ordre
austère de la Trappe : il passoit pour avoir le don de faire dispa
roître les écrouelles par la simple apposition des mains . Dans les
pays où les écrouelles abondent , il est des fontaines consacrées par

la piété populaire , et où un grand nombre de personnes souf


frantes vont chercher un soulagement à leurs maux . Sans doute
que les émotions que l'on éprouve dans ces pèlerinages , impri

ment au système lymphatique une activité salutaire. J'ai pensé ,

du reste , qu'il n'étoit pas inutile de reproduire ici ces croyances


et ces coutumes locales qui renferment toujours quelque fait ins
tructif pour l'observateur. Ne sont-ce pas ces croyances qui nous
ont révélé les effets de la méthode perturbatrice , dont on a retiré
les plus manifestes avantages depuis quelques années ?
304 MALADIES DE LA PEAU.

DCCXXVI. Lorsque j'ai traité de la maladie scrophuleuse dans

le premier volume de ma Nosologie naturelle , et que j'ai voulu la


classer dans le rang qui lui convient , j'ai cru devoir la rapporter
à la famille des adénoses , parce qu'en effet cette maladie a pour
siége spécial le tissu des glandes conglobées ou absorbantes. C'est
l'intumescence de ces glandes qui les fait saillir dans des endroits
où elles sont d'ordinaire peu apparentes . Les vaisseaux lympha
tiques participent nécessairement à l'altération , et quelques dis
sections anatomiques très-attentivement pratiquées dans l'amphi
théâtre de l'hôpital Saint-Louis , démontrent qu'ils sont parfois
obstrués , souvent noués et variqueux . Quant aux scrophules cu
tanées qui sont l'objet principal de cette dissertation , il faut les
regarder comme le résultat ou la suite de l'altération primitive
des ganglions absorbans , et particulièrement de ceux qui abon
dent sous l'appareil tégumentaire .
DCCXXVII. Parmi les considérations intéressantes auxquelles
donne lieu cette affection extraordinaire , il en est une à laquelle

on ne s'attend pas , et qui n'en est pas moins digne de toutes les
méditations des médecins physiologistes ; c'est que dans les grandes
villes elle est devenue si fréquente et si générale , que peu de fa
milles en sont préservées. Elle constitue une sorte de tempérament

particulier dans la vie sociale . Lorsqu'elle est peu prononcée dans


l'économie animale et qu'elle se borne à y faire prédominer le

tissu cellulaire , il en résulte une beauté factice qui flatte agréa


blement les regards , et qui exerce même un certain empire sur
les passions dans les rapports naturels des sexes.
DCCXXVIII . J'ai souvent appelé l'attention de mes élèves sur
cette multitude de jeunes filles qui , parvenues à la fleur de l'âge ,
viennent toutefois réclamer nos soins à l'hôpital Saint- Louis pour
quelque accident de la maladie scrophuleuse . On est réellement
surpris de tous les contrastes que l'on observe sur une peau frai

che , et souvent colorée du plus vif incarnat ; on voit s'élever çà et


là , ou sur une seule partie du corps , des pustules et des croûtes
MALADIES DE LA PEAU. 305

sordides , qui se changent en ulcères hideux . Le mal semble s'être ,


pour ainsi dire , concentré sur un point des tégumens , tandis
que les autres présentent l'aspect de la santé la plus régulière et
la plus brillante.
DCCXXIX . C'est surtout chez les femmes et chez les enfans

que l'on remarque ces formes arrondies , ces contours polis , et "

surtout cette, fraîcheur qui tient à la redondance des sucs mu


queux dans les alvéoles du tissu cellulaire . Telle étoit une jeune
actrice d'un des théâtres de la capitale ; aucune n'avoit des regards

plus expressifs et plus animés , un teint plus pur et plus éclatant


de blancheur ; elle charmoit la ville par la beauté de sa voix et la
grace infinie de ses attitudes , etc. Cependant elle portoit sur l'une
des parties latérales de son col un ulcère sanieux , dont il falloit
sans cesse masquer la présence par une fraise de gaze , ou pallier
la fétidité par des parfums. Dans les grandes villes , ne voit-on pas
tous les jours une multitude d'enfans qui , semblables à des plantes
étiolées ou à ces fruits trop succulens que détériore la culture ,
recèlent une maladie fàcheuse sous les formes les plus agréables à
la vue?

DCCXXX . Qui croiroit que la dépravation physique de l'un


des systèmes les plus essentiels à la nutrition , n'est en aucune
manière défavorable à l'exercice des fonctions intellectuelles et

morales ! En général , les scrophuleux ont l'ame très-active et


très -passionnée ; ils manifestent une aptitude singulière pour les
travaux de l'esprit . On diroit que les idées circulent avec plus de
liberté au milieu des circonvolutions et des anfractuosités céré

brales , ordinairement plus dilatées et plus volumineuses chez ces


sortes de malades , comme l'anatomie le démontre . Une remarque
que tout le monde peut faire , c'est qu'il y a eu parmi eux beau
coup d'hommes d'un ordre supérieur , et qui ont efficacement
contribué à la gloire des sciences et des arts. Ceci n'est point un
paradoxe , et donne matière à des réflexions importantes . On dira
tout ce qu'on voudra , mais on connoît tel poète , ou tel savant ,
306 MALADIES DE LA PEAU.

dont les chefs-d'œuvre ne sont parfois que le résultat d'un tem


pérament exalté par la fièvre , ou d'une susceptibilité nerveuse
exaspérée par l'insomnie. Il faut avoir vu comme nous les malades
en masse , pour être assuré de la justesse de ces observations.
DCCXXXI . On croira facilement que les mêmes causes qui dé

veloppent avec tant d'activité l'intelligence des scrophuleux , doi


vent pareillement influer sur l'énergie et l'intensité de leurs pas
sions. La plupart sont très-portés aux plaisirs de l'amour . A l'hô
pital Saint-Louis , j'en ai vu plusieurs singulièrement disposés
à des sentimens de haine et de vengeance , et qui s'abandonnoient
quelquefois à des mouvemens de colère incoercibles. Dans les mai

sons d'éducation , les instituteurs éprouvent des difficultés sans


nombre pour corriger ces penchans précoces , résultat d'une irri

tabilité morbifique qu'on n'a point encore étudiée.


DCCXXXII. Tout ce que j'ai dit jusqu'à présent n'est relatif
qu'à la scrophule des villes ; mais lorsque cette maladie est endé
mique , lorsqu'elle se manifeste au sein de la misère et des qualités
malfaisantes de l'atmosphère , elle offre un aspect tout différent
aux regards de l'observateur. C'est bien le même genre d'affection ,

mais avec des caractères tranchés qui en font une espèce particu
lière. Nous avons eu occasion de recevoir , à l'hôpital Saint- Louis ,
quelques -uns de ces scrophuleux , qui arrivoient du département
de la Lozère . Ils étoient presque tous dans un état effrayant de dé
charnement et de maigreur ; les glandes cervicales et sous-maxil
laires étoient prodigieusement engorgées et se prononçoient en
tumeurs sous les tégumens amincis ; la thyroïde sembloit mons
trueuse ; la couleur de leur peau étoit sale et terreuse ; leur épi
derme étoit dur et calleux dans plusieurs parties de leur corps ;
leurs mains et leurs avant-bras étoient desséchés comme les mem

bres d'une momie d'Égypte ; leurs ongles étoient raccornis et re


courbés ; la plupart étoient chauves et d'une stature raccourcie ;
ils avoient le regard terne et pour ainsi dire inanimé , la voix rau
que et sourde , comme si elle sortoit d'un tombeau ; leur marche
MALADIES DE LA PEAU. 307

étoit vacillante ; enfin , la vie sembloit n'exister que par un souffle


chez tous ces individus flétris et absolument dégradés par les ra
vages de l'atrophie scrophuleuse.
DCCXXXIII . Quand on visite chez eux ces malheureux villa
geois , on ne s'étonne plus des ravages que produit dans leur éco
nomie physique la maladie déplorable dont nous nous occupons.
La plupart vivent constamment dans des vallées étroites , obscures ,
entrecoupées , où pénètre à peine le soleil ; leurs chétives cabanes

sont presque toujours adossées à des tertres ou appuyées sur la


base des collines , où elles se trouvent sans cesse en butte aux eaux
qui proviennent de l'accumulation des pluies ou de la fonte des
neiges. Quelques-uns couchent dans des granges ou dans des écu
ries , pêle-mêle avec les animaux domestiques. Leur lit touche à
des murailles humides , et le linge qui les recouvre est d'une mal
propreté aussi nuisible que les vapeurs ammoniacales qu'ils y res
pirent ; ajoutons qu'ils ne se soutiennent que par une nourriture
malsaine , et qu'aucune éducation morale ne vient d'ailleurs cor
riger chez eux les rigueurs de l'indigence ou l'âpreté du climat.
Toutes ces causes doivent certainement dépraver à la longue le
système lymphatique , et donner lieu à tous les fàcheux accidens
que nous observons.

DCCXXXIV . Le traitement de la maladie scrophuleuse est

essentiellement lié à la prospérité publique ; toutes les académies ,


tous les cabinets savans devroient proposer ce sujet à l'émulation
générale . Parmi les fléaux sans nombre dont la race humaine est
accablée , aucun en effet n'oppose aux ressources de notre art une
opiniâtreté plus désespérante. Je me propose de donner sur ce
point de doctrine quelques aperçus utiles , que l'expérience m'a
suggérés ; mais afin de procéder dans cette dissertation avec plus
d'ordre et de convenance , je commencerai préalablement par ex
poser , avec l'exactitude rigoureuse des sciences naturelles , les
divers symptômes de cette infirmité , aussi honteuse que dégoû
tante , qui nous rend le rebut de nos semblables , qui fait redouter
308 MALADIES DE LA PEAU.

l'union conjugale , qui se transmet à nos descendans , qui frappe


l'enfant dans les bras de sa mère , et transforme les plus belles an
nées de la vie en une série de peines et de souffrances.

Ų
Scrophule Vulgaire.
I
H
i

Scrophule
Variqueuse
Scrophule Cancéreuse??
1 soulp!
k
c
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D

Scrophule Endémique.
1

PREMIÈRE PARTIE .

FAITS RELATIFS A L'HISTOIRE PARTICULIÈRE DES SCROPHULES.

·
ESPÈCE PREMIÈRE.

SCROPHULE VULGAIRE. SCROPHULA VULGARIS. ( PLANCHES XLVI , XLVII


ET XLVIII . )

Scrophule , se manifestant sur une ou plusieurs parties des tégumens , surtout aux angles
de la mâchoire inférieure , par l'accroissement , l'induration et la saillie des glandes
lymphatiques , par la tuméfaction de la lèvre supérieure , par des gonflemens et des
caries articulaires , par des taches , des écailles , des croûtes ou des ulcérations à la
peau , par des végétations celluleuses , etc. , d'où naissent les variétés suivantes :
A. LA SCROPHULE VULGAIRE GRANDULEUSE . Scrophula vulgaris glandulosa . -
— Ce sont
les glandes du col et des aisselles , qui sont le plus sujettes à s'engorger par l'effet de l'irri
tation scrophuleuse. Les ganglions lymphatiques , qui se trouvent immédiatement situés
sous la peau , se gonflent parfois dans toutes les parties du corps , en sorte qu'en parcou
rant avec les doigts ces petites éminences , on croit sentir les grains d'un grand chapelet
ou des œufs de perdrix . La scrophule vulgaire glanduleuse est tantôt stationnaire ; tantôt
elle arrive à suppuration et forme des abcès plus ou moins étendus ; quelquefois elle con
tracte la dégénérescence cancéreuse.
B. LA SCROPHULE VULGAIRE ARTICULAIRE. Scrophula vulgaris articularis. -
— La scro
phule des articulations est la plus commune après celle que nous venons de signaler. Nos
hospices de charité en sont remplis. Elle se montre indifféremment aux pieds et aux
mains , dont elle carie et détruit les petits os ; aux genoux , où elle détermine des épan
chemens de synovie ; autour de la tête du fémur , dont elle cause la luxation , etc. Cette
maladie est très -fâcheuse , puisqu'elle réduit les individus qu'elle attaque à un état de
2. 41
310 MALADIES DE LA PEAU.

nullité absolue. Comme la précédente variété , elle se manifeste principalement dans le


jeune âge ; mais ses traces persistent jusque dans la vieillesse la plus reculée.
C. LA SCROPHULE VULGAIRE cutanée. Scrophula vulgaris cutanea. Lorsque la ma
ladie scrophuleuse s'étale sur la peau , elle y produit des effets qui simulent d'une manière
frappante ceux de la dartre ou de la syphilis. Ces effets sont si différens , qu'on pourroit
établir une multitude de sous-variétés intéressantes , si l'on avoit égard à toutes les formes
qui se présentent. Ainsi , par exemple , je ne pense point qu'aucun auteur , avant moi ,
ait jamais signalé une sorte de scrophule superficielle , dont il est singulièrement difficile
de concevoir la marche et les progrès. Lorsque la peau commence à s'altérer , elle devient
très- poreuse ; ensuite il se manifeste sur l'endroit attaqué une tache jaunâtre , à laquelle
succède une cicatrice légère de même étendue , dont la couleur est d'un blanc de nacre.
Mais il est des phénomènes plus communs , et qui caractérisent la variété dont nous par
lons. Quelquefois la peau s'amincit, se gerce et devient squammeuse , comme dans cer
taines dartres ; d'autres fois elle exhale une humeur ichoreuse , qui s'épaissit et se condense
en croûtes épaisses d'une couleur verdâtre ou jaune. Souvent ce sont des pustules ana
logues , par leur forme , à celles de la syphilis , mais moins proéminentes sur les tégu
mens. Ces pustules s'arrangent d'ordinaire circulairement , et l'aréole qu'elles tracent va
toujours en s'élargissant , d'où lui est venu le nom de centrifuge que je lui donne dans
mes leçons cliniques. Enfin , qui n'est pas journellement effrayé de voir dans les rues
ou dans les hôpitaux , tant d'individus de l'un et de l'autre sexes , dont les lèvres et le
nez sont journellement atteints et successivement dévorés par des ulcérations sanieuses et
fétides !
D. LA SCROPHULE VULGAIRE CELLULEUSE. Scrophula vulgaris cellulosa. ――― Cette va
riété de scrophule est celle qui porte spécialement son impression sur le tissu cellulaire.
Elle détermine souvent sur les extrémités inférieures , ou sur quelqu'autre partie du corps ,
des végétations humides , qui simulent des fraises , des champignons , comme dans la sy
philis ou dans la lèpre tuberculeuse. Il convient aussi de rapporter à cette variété les ac
cumulations prodigieuses de graisse qui s'effectuent dans quelques portions du tissu adi
peux. J'ai recueilli à l'hôpital Saint-Louis plusieurs exemples de cette altération , aussi
singulière qu'intéressante pour l'art.
E. LA SCROPHULE VULGAIRE VASCULEUSE. Scrophula vulgaris vasculosa. — Il s'établit
quelquefois sur la peau des scrophuleux , particulièrement au visage , de vrais tubercules
hématodes scrophuleux. J'en ai brûlé un avec succès au nez d'une jeune demoiselle , et un
autre qui étoit situé à la tempe gauche chez une femme nouvellement mariée . Ces bizarres
fongosités sont à peu près indolentes au toucher. Cependant , lorsqu'on les irrite impru
demment , onpeut les faire tourner à l'état cancéreux , et j'ai recueilli un exemple funeste
du fait que j'avance. La dégénérescence variqueuse par l'effet de la diathèse scrophuleuse
est moins commune .
MALADIES DE LA PEAU. 311

TABLEAU DE LA SCROPHULE VULGAIRE .

DCCXXXV . La scrophule vulgaire mérite surtout le nom parti

culier par lequel on la désigne ; car elle encombre , pour ainsi dire ,
nos cités et nos campagnes ; elle infecte dans tous les lieux les po
pulations les plus nombreuses. Dans la description que je vais en
donner , j'insisterai principalement sur les ravages qu'elle produit
à la peau. Rien n'est plus facile que de tracer un pareil tableau ,
dans un hôpital où tant de malades de ce genre viennent frapper

mes regards. On n'est , pour ainsi dire , embarrassé que sur le


choix des traits dont il convient le mieux de faire usage.

Personne n'ignore que la scrophule vulgaire fait souvent les pro


grès les plus rapides , sous les dehors trompeurs d'une constitu
tion vigoureuse et robuste . On prendroit , au premier coup d'œil ,
l'embonpoint des malades pour celui d'une santé imperturbable.
C'est la plénitude graisseuse des alvéoles cellulaires qui rend leurs
formes rondes et agréables à la vue. Presque toujours leur peau
www.
flatte l'œil de l'observateur par une blancheur éclatante qui con
traste avec le vif incarnat de leurs joues . Les couleurs néanmoins
n'y sont pas alliées et fondues , comme dans les beaux ouvrages
de la nature . Ils ressemblent , pour la plupart , à ces statues mode
lées en cire , qui représentent des personnages célèbres , et qui
attirent la curiosité sur nos boulevards . Il est d'autres signes exté

rieurs qui caractérisent leur physionomie ; parmi ces signes , il faut


surtout rappeler la teinte bleue de la sclérotique , la dilatation
habituelle des pupilles , la finesse et la teinte dorée de leurs blonds

cheveux. Mais , quand le vice scrophuleux se prononce davantage ,


on en est averti par la bouffissure de la face , la blennophthalmie
des paupières , la tuméfaction particulière de la lèvre supérieure ,
par la saillie des angles de la mâchoire , et enfin par l'engorge

ment plus ou moins sensible des glandes lymphatiques qui appar


312 MALADIES DE LA PEAU.

tiennent à la région cervicale. Le moral des individus qui sont


atteints de la scrophule des villes , mérite une attention très- par
ticulière . En général , ils sont précoces dans leurs facultés intel
lectuelles , et montrent une sagacité rare pour les conceptions de
l'esprit ; lorsqu'ils n'ont pas été perfectionnés par l'éducation , ils
sont très- portés à la colère . Il est dangereux de les irriter. Nous
en avons vu qui étoient si peu maîtres de la violence naturelle de
leur caractère , qu'ils ne craignoient pas d'insulter jusqu'aux per

sonnes qui pouvoient en imposer davantage par leur puissance et


leur autorité .

Les tumeurs scrophuleuses se manifestent communément sur


les parties latérales , antérieures et postérieures du col . Elles per
sistent souvent durant un certain nombre d'années , sans rien

perdre de leur dureté et de leur volume. Enfin , après un certain


laps de temps , si la maladie continue de parcourir ses périodes ,
il survient une fluctuation sourde et lente , qui annonce une sup

puration prochaine . C'est alors que la couleur des tégumens


change et devient livide ou d'un rouge pourpre , chez presque tous
les sujets. Les tumeurs s'amollissent , mais arrivent difficilement
à une maturité louable ; le pus qui résulte de ces froids abcès n'a
ni la consistance ni l'épaisseur de celui du phlegmon ; il est icho
reux et délayé c'est une sérosité visqueuse qui acquiert dans
quelques circonstances l'odeur la plus fétide et la plus repous
sante . Pour comble de fatalité , l'ulcération profonde autant qu'o
piniâtre se termine par des cicatrices informes , dont l'empreinte
indélébile atteste , pendant toute la vie , la hideuse infirmité dont
on a été victime .

Ce qui caractérise les abcès scrophuleux , c'est leur promptitude


à renaître dans une autre partie du corps , dès qu'une fois ils ont
été terminés et guéris par un traitement méthodique . En général ,
ils sont peu douloureux , et ce n'est que dans les premiers mòmens
où ils se préparent , que les malades se plaignent d'une tension
incommode dans la peau. On en voit néanmoins qui déterminent
MALADIES DE LA PEAU. 313

des souffrances assez vives , et qui suscitent dans les membres des
élancemens insupportables. La scrophule vulgaire se montre le
plus souvent aux ailes du nez ; elle corrode successivement tous
les cartilages ; elle envahit parfois tous les tégumens de la face.
L'hôpital Saint- Louis est plein de ces êtres horriblement défigu
rés , qui redoutent de se montrer aux regards de leurs semblables.
L'un d'eux porte depuis long-temps à la joue gauche un ulcère
fort large , dont les bords frangés semblent avoir été découpés par
des insectes . Le même phénomène a lieu sous l'angle droit de la
mâchoire inférieure ; la glande paroît à nu au milieu de cette
grande fonte suppuratoire.
Les ravages que le vice scrophuleux produit à la peau doivent

être plus particulièrement signalés . Ce vice se déclare quelquefois


par une énorme quantité de pustules , dont la configuration est
moins prononcée que chez celles qui résultent de la présence du
virus syphilitique ; elles affectent communément une couleur

d'amaranthe ou de lie de vin ; rangées par traînées ou par séries


les unes à la suite des autres , comme les grains d'un chapelet ,
tantôt elles s'agglomèrent par groupes inégaux et irréguliers , tan
tôt elles forment des segmens de cercle à bords proéminens et
relevés , dont le centre va toujours en s'élargissant , comme cela
s'observe dans certaines dartres ( Herpes furfuraceus ) . Les unes
se recouvrent d'écailles légères , les autres sont surmontées par
des croûtes épaisses , tuberculeuses et sillonnées à leur surface.
Presque toujours les parties où résident ces pustules sont sensible
ment tuméfiées ; la face surtout est atteinte d'un boursouflement

rougeâtre et érysipélateux.
Jusqu'à présent je n'ai parlé que des effets les plus communs
de la scrophule vulgaire ; mais il est des accidens qui , quoique
plus rares , ne doivent point être omis dans une description . C'est
ainsi que la maladie scrophuleuse produit souvent sur la peau les

altérations les plus bizarres et les plus singulières. Tel est le cas
d'une petite fille âgée d'environ douze ans , qui jouissoit d'ailleurs
314 MALADIES DE LA PEAU .

d'une bonne santé ; mais qui éprouvoit un accident dont il est dif
ficile de rendre un compte fidèle . Lorsque la maladie débutoit , la
peau commençoit par s'épaissir et prenoit plus de consistance dans
l'endroit affecté ; ensuite elle blanchissoit et présentoit un aspect

luisant ; enfin , elle se déprimoit et demeuroit légèrement cicatri


sée , comme dans une brûlure superficielle ; il se formoit plusieurs
autres points d'altération analogues , qui étoient en quelque sorte
disséminés sur toute la périphérie des tégumens .
L'affection scrophuleuse doit nécessairement varier dans ses si
gnes et dans ses symptômes , selon la nature des organes où elle a
établi son siége principal : de là vient que , dans un cadre nosolo
gique , elle seule paroît constituer plusieurs genres de maladies .
La mésentérie , communément désignée sous le nom de Carreau ,
n'est très-souvent qu'une dépendance des scrophules : lorsqu'elle
se dirige vers les glandes du poumon , elle détermine tous les phé
nomènes de la phthisie dans cet important viscère. J'ai déjà dit ,
en commençant cette dissertation , que la scrophule vulgaire avoit
la plus grande analogie avec la syphilis ; en effet , l'une et l'autre
ravagent le système osseux. On les voit fréquemment gagner les
articulations des membres abdominaux ou thorachiques , et y sus
citer des caries , des tumeurs blanches , etc. Enfin , la scrophule

vulgaire est une maladie de tous les systèmes ; elle introduit même
dans les sécrétions muqueuses un ferment corrupteur qui les dé
tériore , et ceux qui refusent de croire à la dégénérescence des
humeurs dans l'économie animale , n'ont qu'à considérer avec at
tention ce qui se passe à cet égard dans la maladie qui nous oc
cupe. Il n'est pas rare de voir suinter de l'intérieur des narines
une matière ichoreuse , qui a des qualités plus ou moins âcres ; il

faut porter le même jugement sur le cérumen qui découle de l'in


térieur des oreilles , et de la chassie qui s'accumule autour des
yeux ; la sueur est d'un jaune verdâtre , les urines sont presque
toujours sablonneuses et sédimenteuses. Les salles de nos hôpitaux ,
qui contiennent un grand nombre de scrophuleux , ont une odeur
MALADIES DE LA PEAU. 315

sui generis , qu'il est impossible de ne pas reconnoître . Cette


odeur est acescente ; elle a quelque rapport avec celle de la viande
fraîche des boucheries . J'ai donné des soins à une jeune dame ,
d'une blancheur éblouissante , et dont les formes agréables te

noient à la prédominence du tissu cellulaire par la présence du


vice scrophuleux ; il étoit difficile de supporter les émanations
qu'elle exhaloit à son réveil , et lorsqu'on n'avoit point encore
ouvert les fenêtres de son appartement . Nul doute que pour se

conserver dans leur intégrité , les humeurs vivantes du corps


n'aient besoin de recevoir l'action contractile des vaisseaux qui les

renferment ; dès qu'elles cessent d'être frappées du même carac


tère de vitalité , elles subissent des altérations qu'il importe de
soumettre à l'examen le plus attentif.
Je ne finirois pas si je voulois rapporter ici tous les faits extraor
dinaires dont j'ai été le témoin dans le vaste hôpital que je dirige.

Ce sont surtout les désordres du système nutritif qu'il faut consi


dérer dans cette maladie . Souvent l'accroissement s'arrête , et plu
sieurs individus , par leur petitesse ou leur difformité , sont un
objet de commisération ou de rebut pour le reste des hommes.
Quelquefois c'est un phénomène contraire , et une sorte d'exubé
rance dans les puissances assimilatrices , qui imprime à tous les
membres des dimensions démesurées . J'ai fait paroître naguère à

mes leçons cliniques Pierre Du *** , âgé de trente-deux ans ; il étoit


né foible et resté maigre jusqu'à la puberté ; mais à cette époque ,
sa taille s'accrut à un tel point , qu'elle arriva presque soudaine
ment à six pieds quatre pouces ; ses bras, ses mains, ses cuisses et ses
pieds étoient d'un volume proportionné , c'est-à- dire , du double
de l'état ordinaire ; sa figure étoit oblongue , sa langue d'une lar
geur considérable ; sa voix étoit rauque et ressembloit à celle d'un

acteur qui contrefait la voix d'un vieillard . Ce géant scrophuleux


éprouvoit des tiraillemens dans les jambes et des douleurs conti
nuelles dans les reins . Il étoit tourmenté d'une soif si vive , qu'il

buvoit jusqu'à dix-huit bouteilles d'eau pure tous les jours. Cet
316 MALADIES DE LA PEAU.

homme colossal urinoit parfois avec tant d'abondance , qu'il pro


duisoit une sorte d'inondation dans les lieux où il se trouvoit ; il

avoit d'autres infirmités , qui sont inutiles à décrire ; il n'éprouvoit


aucun attrait pour le sexe féminin.
Parmi les dégénérescences qu'entraîne la diathèse scrophu
leuse , la plus redoutable est sans contredit celle qui conduit à la
mélanose ou au cancer. J'ai vu , à l'hôpital Saint- Louis , une mul
titude d'individus qui nous arrivoient déjà frappés , sans aucun
espoir , de cette maladie épouvantable. Chez eux , le tissu cellu
laire de la face présentoit une induration rénitente et comme
éburnée ; les plus nobles traits de la physionomie étoient absolu
ment défigurés par la hideuse tuméfaction. J'ai vu un petit garçon
de douze ans , dont le visage , horriblement déformé , offroit à s'y
méprendre l'aspect de la tête d'un lionceau. Je me souviens d'une

jeune fille dont le front , le pourtour du nez et le bas des pau


pières étoient hérissés de petits tubercules de couleur violacée et
absolument semblables à des hæmatoncies tubéreuses , par leur

forme et leur consistance ; l'extrémité du nez et la lèvre supé


rieure avoient monstrueusement grossi. Toutes ces parties étoient
rougeâtres , et paroissoient avoir été ecchymosées par de fortes
contusions ; les dents des deux mâchoires étoient ébranlées ; le
menton étoit surmonté de plusieurs tumeurs fluctuantes et rem
plies d'une matière sanguinolente et pultacée . Cette petite fille
mourut, et la dissection prouva que ces nombreuses éminences
n'étoient que des carcinomes , tantôt lardacés , tantôt mélanés .
J'ai fait représenter un de ces accidens qui glacent d'épouvante les
spectateurs .
Que n'aurois -je point à retracer encore , si je voulois consigner
ici tous les phénomènes morbifiques que j'ai eu occasion de ren
contrer ! Mais , je m'arrête , et si mes lecteurs jugent qu'il manque

quelque chose à ce tableau , ces omissions seront infailliblement


réparées dans la description générale de cette maladie , que je me

propose de produire dans la seconde partie de cette dissertation .


MALADIES DE LA PEAU. 317

Afin d'éviter des répétitions fastidieuses , je m'en tiens provisoi


rement aux traits caractéristiques de la scrophule vulgaire. Les
naturalistes ne procèdent pas autrement dans leurs recherches ;
rien n'est plus utile que de les imiter.

OBSERVATIONS RELATIVES A LA SCROPHULE VULGAIRE .

DCCXXXVI. Première observation. - Voici l'exemple d'une

scrophule vulgaire , qui s'est déployée avec une intensité très


remarquable chez le nommé Claude Beer , employé dans les con
tributions indirectes. Cet individu avoit eu pendant son enfance
les glandes cervicales plusieurs fois engorgées ; mais ce ne fut qu'à
la puberté qu'il sentit à la région droite et vers la partie supé
rieure du col une petite tumeur qui paroissoit fuir sous le doigt ;
quelques semaines après , elle avoit déjà triplé de volume et fai
soit une saillie de la grosseur d'un œuf
oeuf de pigeon. Elle augmenta
peu à peu et devint , au bout de deux ans , si volumineuse , qu'elle
fatiguoit singulièrement le malade par son poids incommode. Il
n'y avoit point d'ailleurs d'accidens inflammatoires , et la peau
n'avoit point changé. Mais cet état d'indolence ne dura pas ; bientôt

elle fut le siége d'une sensation pungitive , et fut presque aussi


grosse qu'une tête d'homme ; les tégumens qui la recouvroient ac

quirent une couleur violacée ; les vaisseaux jugulaires se gor


gèrent de sang , augmentèrent de calibre ; le malade ne dormoit

plus. C'est dans ce malheureux état qu'il vint se faire admettre à


l'hôpital Saint- Louis. La tumeur glanduleuse dont il s'agit , s'éten
doit du côté droit et de haut en bas , depuis le condile de la mâ
choire inférieure jusqu'à la quatrième ou cinquième côte ; elle
avoit dans certaines parties plus de six pouces d'épaisseur . Du côté
gauche , un pareil engorgement de la grosseur du poing , s'éten
doit de la partie postérieure du bord inférieur de l'os maxillaire

2. 42
318 MALADIES DE LA PEAU.

jusque vers l'apophyse genie , et là se réunissoit à la tumeur du

côté opposé. Du côté droit , l'engorgement s'étendoit jusqu'à la


partie la plus postérieure du col ; il étoit si considérable , surtout
à la région supérieure , que le lobe de l'oreille se trouvoit refoulé
et reployé en haut par cette volumineuse tumeur. Cette dernière ,
par son énorme masse , empêchoit le malade de mouvoir l'omo
plate sur le tronc , parce qu'elle reposoit en partie sur le sommet.
de l'humerus , et en même temps sur l'apophyse acromion du sca
pulum . C'est avec une pareille infirmité que se présenta à nous
cet infortuné , qui termina bientôt ses jours dans les plus cruelles
souffrances.
Deuxième observation . - Voici un exemple de scrophule qui
se dirigeoit à la fois sur les glandes et les articulations . La nommée
Louise-Élisabeth Hareng , âgée de trente- quatre ans , présenta

dans sa jeunesse tous les symptômes d'une affection scrophuleuse ;


mais c'est surtout dans l'âge avancé , que plusieurs tumeurs lym
phatiques s'élevèrent de la partie externe et intérieure du col .
Bientôt elles disparurent , et ce fut alors que la tumeur articulaire
dont je vais parler , se manifesta. Elle venoit de faire une chute
violente ; dès-lors gonflement et douleur de l'articulation fémoro
tibiale; il lui fut impossible de se tenir debout ; il fallut se rendre
à l'hôpital. Le genou gauche étoit au moins doublé de volume ; la

peau qui le recouvroit étoit lisse , tendue et comme œdémateuse .


Une grande quantité de veinules se prononçoient sur le tissu cu
tané : les règles se supprimèrent. Nous fimes appliquer des vési
catoires volans , nous lui fimes prendre les eaux de Vichy , et

autres remèdes analogues à sa situation ; le gonflement lympha


tique se dissipa , et la malade étoit rétablie après dix- huit mois de
repos.
Troisième observation . - Je pourrois citer beaucoup d'exem
ples de la scrophule cutanée. Laurette Genti étoit née de parens
sains ; à l'âge de huit ans , elle fut atteinte d'un petit bouton au
bout du nez . Ce bouton ne tarda pas à occasioner dans cette partie
MALADIES DE LA PEAU. 319

un prurit très-incommode , qui contraignit la jeune malade à le


gratter et à l'excorier ; une petite croûte se forma , et fut à son tour
écorchée. Cette manoeuvre indiscrète exaspéra le mal , qui fit en
très-peu de temps des progrès rapides ; des boutons et des croûtes
de même nature se développèrent en même temps sur l'avant
bras , le bras et l'articulation huméro-cubitale droite. Une année
s'écoula ; même accident sur la jambe et la cuisse du côté gauche.
L'aspect de ces croûtes , leur étendue et les traces qu'elles ont
laissées dans les parties qu'elles occupoient , leurs irradiations ,
nous présentoient les caractères suivans : l'éruption qui avoit com
mencé au bout du nez , avoit envahi tout le lobe et les ailes de cet
organe ; elle s'étoit ensuite propagée sur toute la lèvre supérieure ,
où elle formoit un tubercule d'un demi -pouce et d'une couleur
noirâtre. Il y avoit autour de ce tubercule d'autres petites croûtes
provenant des ulcérations profondes de la peau et de l'exhalation
séro-albumineuse qui s'écouloit sans cesse à leur surface ; la joue
droite offroit des croûtes de même nature , à quelques différences
près pour la couleur , qui étoit ici d'un jaune- verdâtre très
prononcé ; lorsqu'elles venoient à tomber , elles laissoient sur la
peau des cicatrices légères. Dans la région des glandes parotides
et sous - maxillaires , on voyoit des sutures inégales et difformes ,
qu'on auroit pu comparer à des coutures mal faites sur de gros
drap , et qui dérivoient manifestement d'une perte de substance
dans le tissu cellulaire des mêmes glandes . Les yeux de la petite
malade étoient atteints d'une blennophthalmie chronique . Si de la
face on portoit ensuite ses regards sur les croûtes qui occupoient
le bras droit , on y retrouvoit surtout les caractères de la scrophule
crustacée centrifuge ; les boutons croûteux étoient disposés en
forme de chapelet , ou plutôt représentoient parfaitement les cir
convolutions , les orbes que le serpent décrit par les mouvemens
variés de ses nombreuses articulations. Dans les espaces rhomboï
daux , elliptiques , que ces croûtes circonscrivoient , on distinguoit

facilement les innombrables sutures qui se portoient du centre à


320 MALADIES DE LA PEAU.

la circonférence ; le pli du coude présentoit surtout cette dispo


sition , au point que la peau y avoit perdu toute son extensibilité ,
et que l'avant-bras étoit retenu dans une demi-flexion sur le

bras , comme si les cicatrices résultoient d'une véritable brûlure ;


les boutons situés sur la cuisse et la jambe gauche avoient pareil
lement une disposition circulaire et serpigineuse.
Quatrième observation.- Un des phénomènes les plus extraor
dinaire que puisse produire la scrophule vulgaire , est sans contre
dit celui des intumescences graisseuses qui se forment dans une ou
plusieurs parties du corps ; je pourrois en citer plusieurs exem
ples ; je me borne au suivant : André Larive , âgé de vingt-sept ans,
avoit joui pendant long-temps d'une santé parfaite ; il fut atteint
d'une maladie longue et dangereuse , à la suite de laquelle sur
vinrent plusieurs tumeurs des articulations. Le vice scrophuleux
dont le malade étoit atteint , parut alors bien manifeste ; une tu
meur située à la région cubitale inférieure de l'avant -bras s'ab
céda , et il en sortit un pus très-fluide ; l'ouverture resta fistu
leuse ; le pus qu'elle fournissoit acquit de plus en plus de la
consistance. Le malade souffroit beaucoup , lorsqu'il s'aperçut
d'une grosseur qui se portoit à la partie inférieure et droite de la

région dorsale ; plusieurs autres parties du corps , mais surtout


l'avant-bras , devinrent le siége de tumeurs pareilles. Deux sur
tout étoient fort remarquables : la première se trouvoit placée à
la partie externe , postérieure et supérieure de l'avant- bras ; elle
étoit oblongue , dirigée de haut en bas , et d'avant en arrière ; elle
avoit environ deux pouces de large sur trois de long. La seconde
étoit un peu plus en dehors ; elle étoit arrondie , peu saillante , et
occupoit un plus grand espace. Il y en avoit encore plusieurs au
tres , de grandeur et de forme différentes . Toutes ces tumeurs
étoient pâteuses au toucher ; la peau qui les recouvroit paroissoit
un peu livide. Ce qu'il y avoit d'intéressant dans le cas que je cite ,
c'est qu'à mesure que ces tumeurs se développoient , l'état du
malade s'amélioroit , les articulations reprenoient leur volume
MALADIES DE LA PEAU. 321

naturel. Ces hypertrophies graisseuses étoient d'ailleurs indo


lentes ; elles ne causoient que de la gêne au malade .
Cinquième observation . - Ainsi que la syphilis , la maladie

scrophuleuse simule quelquefois la framboesia . J'ai montré , dans


mes leçons cliniques , plusieurs exemples de ce genre ; mais je
préfère rapporter le cas qui suit , lequel a été recueilli en province
par M. Martin , résidant à Aubagne , et qui s'est rendu recomman
dable par de grands succès dans son art . Cet habile praticien m'a

communiqué l'histoire d'un individu nommé Tabaud , âgé d'en


viron soixante -huit ans , scrophuleux dès sa première enfance .
A quarante ans cet homme reçut un violent coup de pierre , vers
le tiers inférieur et antérieur de la jambe droite ; cette plaie ne fut
pas bien pansée ; on l'irrita par des topiques astringens qui ne
firent qu'arrêter le travail salutaire de la suppuration . Cependant ,
Tabaud ne laissoit pas de vaquer aux travaux pénibles de la cam
pagne , et il se négligea ainsi pendant trois ans , laissant la guérison
de sa plaie à la merci du temps et du hasard . Le seul topique dont
il usoit pour la recouvrir , étoit une feuille de chou ou de poirée ,

parfois une compresse de linge sale , etc.; dans quelques cas il


l'humectoit avec de l'huile de térébenthine ; et s'imaginoit tem

pérer par ce remède les douleurs vives qui commençoient à se


faire sentir. Tous ces soins peu méthodiques ne firent qu'exaspé

rer l'ulcère ; une multitude de végétations verruqueuses s'élevè


rent dans son pourtour ; elles se multiplièrent d'une manière
alarmante , en sorte qu'au bout de dix ou douze mois , toute la
partie inférieure de la jambe et le pied même , jusqu'aux orteils ,
furent environnés et masqués , pour ainsi dire , par ces singulières
excroissances . Le mal parut ensuite s'arrêter dans sa marche ; mais
l'infortuné Tabaud ne pouvoit plus subsister du travail de ses
mains . Plein de courage et de résignation , par le secours d'une
béquille , il se transportoit sur les routes publiques pour implorer
la compassion des passans . Qu'on juge de ses angoisses et de son
malheur , lorsqu'il fut contraint , pour subsister , d'affronter toutes
322 MALADIES DE LA PEAU .

les intempéries des saisons , pour aller mendier son pain dans tous
les lieux les plus fréquentés ! M. Martin raconte que , dans le fort

de l'été , lorsque son malade se trouvoit assis sur les bords d'un
grand chemin , et qu'il exposoit sa jambe aux regards des voya
geurs , les mouches venoient déposer leurs larves dans les inter

stices des végétations cellulaires , et se repaissoient à l'envi des


chairs ulcérées de ce malheureux . De là provenoit une sensation
de fourmillement insupportable qu'il est difficile d'exprimer.
M. Martin a décrit avec une énergie très- remarquable la triste
situation de cet homme, dont le supplice le plus cruel étoit de
lutter pendant tout le jour contre cette vermine dévorante . << Mais ,
>> dit-il , une circonstance qui ajoute à l'affligeante émotion que
>> faisoit naître la vue de cette victime déplorable de la douleur ,
>> c'étoit l'empressement , l'avide complaisance avec laquelle un
>> chien fidèle et bienfaisant , accourant à la voix de son maître ,
>> léchoit mollement sa jambe malade , malgré l'odeur repoussante
>> qui s'en exhaloit , et endormoit ainsi , pour quelque temps , ses
>>> cruelles souffrances. Je n'oublierai jamais la soumission , que
» dis-je ! le zèle affectueux , impatient de cet animal , le plus
>> aimant de tous , pour dépouiller la jambe de son maître de tou
>> tes les impuretés qui s'y étoient amassées. A peine ce dernier
>> commençoit à enlever les sales chiffons qui enveloppoient cette
>> jambe , et détachoit la ficelle grossière qui les maintenoit , que
>> le chien , averti par ce signal , attentif à tous les mouvemens de
>> son maître , épioit et saisissoit le moment où l'ulcère , mis à nu,
>> pourroit lui permettre de témoigner son ardeur et son attache
>> ment. Les chaleurs de la canicule rendoient cette opération
» nécessaire jusqu'à quatre fois par jour : pendant l'hiver , il suf
>> fisoit de la répéter le soir et le matin . Le malade , ajoute M. Mar
» tin , m'a assuré en avoir toujours éprouvé du soulagement ; et
» quelquefois à des douleurs cruelles , à des tiraillemens violens ,
» l'allèchement du chien faisoit succéder un calme si prompt et si
» parfait , que ce bon-homme croyoit presque qu'un pouvoir
MALADIES DE LA PEAU. 323

>> enchanteur étoit départi à un animal si ami de l'espèce hu


>> maine. » Je passe d'autres détails non moins intéressans , pour
insister davantage sur la nature des végétations qui constituent
la variété de scrophule dont il s'agit. Je me sers encore pour la
décrire des propres expressions de l'auteur. « A quatorze travers
>>> de doigt au- dessus de la malléole interne , étoit un ulcère très
>> superficiel , dont les bords ni élevés ni durs , étoient découpés
» en zig-zag, lequel avoit deux travers de doigt et demi dans
>> sa plus grande largeur , et environ deux pouces de longueur ;
» sa forme , un peu courbée , ressembloit assez à la surface d'une

>> poire coupée par le milieu dans le sens de sa longueur , dont la


>> partie la plus étroite correspondroit à la crête du tibia , et seroit
>> supérieure à l'autre extrémité plus large qui descendroit sur la
>> surface interne de cet os ; la superficie de cet ulcère étoit pâle
» et blafarde. Un peu au-dessous de cet ulcère , à un demi-pouce
» de la malléole externe , on voyoit s'élever une multitude d'ex

>> croissances rondes , plus ou moins grosses , en forme de fram


» boises , lesquelles entouroient toute la partie inférieure de la

>> jambe , recouvroient le talon , presque tout le dessus du pied ,


>> ainsi que les orteils. Ces espèces de fraises étoient d'abord pla

» cées irrégulièrement les unes à côté des autres , et tellement


>> rapprochées entre elles , que , par suite de leur compression
>> réciproque , d'arrondies qu'elles étoient primitivement , elles
>> avoient toutes pris des formes variées , telles qu'un tétraèdre
» ou autre polyèdre d'un nombre de faces différent . Mais à me
» sure que ces excroissances s'approchoient antérieurement de
>> l'articulation du pied avec la jambe , elles sembloient être im

» plantées sur des lignes horizontales , et laissoient un peu plus


>> d'espace entre elles . Il est à présumer que cette direction leur
» avoit été donnée par les rides ou les plis que forme la peau vers
>> cette partie , lorsque le pied est appuyé à plat sur le sol ; cela
>> paroît d'autant plus vraisemblable , que précisément dans l'an
» gle rentrant , formé par l'articulation fibro-astragalienne , la
MALADIE
324 S DE LA PEAU.

>> peau présentoit horizontalement deux larges plis demi- circu


» laires , séparés entre eux par deux rainures , deux scissures de
>> deux travers de doigt de profondeur , recouvertes dessus et
>> dessous de petites excroissances , et bordées chacune par une
>> rangée d'autres végétations ; les plus grosses de ces excroissan
>> ces , bien arrondies , portées sur des pédicules très-distincts ,
» étoient de l'épaisseur d'un petit tuyau de plume plus ou moins
>> long. Ces deux espèces de crêtes horizontales , assez rapprochées
>> l'une de l'autre lorsque le pied étoit fléchi sur la jambe , s'ou
>>> vroient dans certains mouvemens de ces parties , et laissoient
>> entrevoir les deux scissures dont je viens de parler ; ce qui
>> produisoit presque l'effet de deux grandes bouches qui se se
>> roient ouvertes , et faisoit naître une sensation difficile à rendre,
>> en augmentant l'horreur du spectacle. »
Sixième observation . - Marguerite Pavillon , âgée de quarante

quatre ans , s'est présentée à l'hôpital Saint- Louis , avec une tu


meur cancéreuse , surmontée d'une multitude de tubercules de

couleur amaranthe , située à la partie latérale de la face . Cette


femme avoit eu plusieurs enfans . Tout-à-coup elle vit ses glandes
parotides se gonfler , se tuméfier , sans pourtant qu'on observât
• aucun changement à la peau. On appliqua des cataplasmes sur la

tumeur . Soins superflus ! Marguerite étoit dévorée par le chagrin ,


à cause de l'invasion des Cosaques , dont elle redoutoit la fureur.
Ce fut alors que la tumeur se bossela et prit une couleur rougeâtre
foncée ; cette couleur provenoit des vaisseaux capillaires cutanés ,
qu'on distinguoit très-bien et qui étoient dilatés par l'abord du

sang. La paupière du même côté étoit tuméfiée , au point que l'œil


en étoit totalement clôturé. La malade éprouvoit des élancemens
intolérables dans les gencives , et une gêne considérable dans la
mastication. Tout l'intérieur de la bouche étoit ulcéré ; et ce qu'il

y avoit d'affreux , c'est que les alimens se mêloient avec la pourri


ture émanée de l'ulcère , en sorte que la malade se voyoit obligée
le plus souvent de la revomir , avec des dégoûts qu'on ne peut
MALADIES DE LA PEAU. 325

exprimer. Toute sa face étoit horriblement défigurée . Sa maigreur


croissoit tous les jours ; elle avoit perdu l'appétit , et supportoit à

peine quelques tasses de bouillon ; la viande et le pain lui répu


gnoient. Les menstrues se supprimèrent ; son sommeil étoit presque
nul ; elle finit par succomber . Nous donnerons plus bas son au
topsie cadavérique.
Septième observation . — Voici un exemple fort intéressant de
scrophule variqueuse : une jeune fille de douze ans , douée d'une
constitution lymphatique , fut affectée dès l'âge de deux ans par
des tumeurs scrophuleuses à la région du col ; mais particulière
ment sur la face dorsale de la main gauche . Bientôt l'affection se
propagea et envahit les doigts , la paume de la main , l'avant-bras

et le bras . Un engorgement assez étendu occupoit la partie supé


rieure de la poitrine , au-dessus de la mamelle gauche . L'augmen
tation graduée de ces diverses tumeurs fit ressentir à la malade
des douleurs légères dans les membres . Voici quel étoit leur carac
tère principal au moment où nous eûmes occasion de les consi
dérer : c'étoit des tubercules coniques , manifestement variqueux ,
dont la base étoit fixée au derme , et dont le sommet , plus ou

moins proéminent et arrondi , avoit une couleur tantôt bleuâtre ,


tantôt rouge , tantôt violette ou d'un brun terne ; leur surface

étoit recouverte d'écailles farineuses qui ne cessoient de tomber


et de se reproduire ; il en découloit une humeur fétide .

2. 43
326 MALADIES DE LA PEAU.

DEUXIÈME ESPÈCE .

SCROPHULE ENDÉMIQUE . SCROPHULA ENDEMICA. ( PLANCHE XLIX. )

Scrophule se manifestant , comme l'espèce précédente , sur une ou plusieurs parties des
tégumens , par des engorgemens du tissu glanduleux , par des squammes , des croûtes ,
des ulcérations , des végétations cellulaires , etc. , mais imprimant à la peau une cou
leur sale et comme terreuse , produisant une atrophie universelle et un affoiblissement
dans les facultés intellectuelles.
Cette espèce a les variétés qui suivent :
A. LA SCROPHULE ENDÉMIQUE RHUMATISMALE. Scrophula endemica rhumatica.
C'est la complication la plus fréquente dans des pays humides et malsains , particulière
ment sur les bords de la mer , des lacs , des étangs , etc. Elle attaque principalement les
individus qui exercent le métier de batelier , de pêcheur , les bergers qui couchent la nuit
à la belle étoile pour veiller à la garde des troupeaux.
B. LA SCROPHULE Endémique rachitiqUE. Scrophula endemica rachitica. - On ob
serve la plus grande affinité entre le vice scrophuleux et le vice rachitique. Dans cette
variété, les jambes surtout sont minces et grêles. Les dents sont noires et cariées. Leur
deuxième développement est toujours incomplet. Il y a déviation de la colonne vertébrale ,
gonflement de ses apophyses , gibbosité , tuméfactions articulaires , etc.
C. LA SCROPHULE ENDÉMIQUE CRÉTINIQUE. Scrophula endemica cretinica. -
— Les Ca
gots de la vallée d'Aure , les Crétins de la Suisse , etc. , présentent quelquefois cette réu
nion du vice scrophuleux avec toutes les altérations qui constituent leur genre d'infirmité,
et qu'il n'est pas de mon sujet de traiter ici. C'est chez ces derniers qu'on observe plus
spécialement une augmentation considérable de volume dans la glande thyroïde .

TABLEAU DE LA SCROPHULE ENDÉMIQUE .

DCCXXXVII. La scrophule endémique agit comme la scro

phule vulgaire ; elle se manifeste dès la plus tendre enfance , et


continue ses ravages jusqu'au moment de la puberté , quand tou
MALADIES DE LA PEAU. 327

tefois le sujet résiste à sa maligne influence. En général , tous ceux

qui en sont affectés ont une mine triste , pâle ou d'une couleur
jaunâtre et comme terreuse ; leurs yeux sont mornes et inanimés ;
toute leur physionomie est chétive et sans aucune sorte d'expres
sion ; leur teint n'offre jamais ni cette blancheur éblouissante , ni

ce rouge fleuri qui est l'attribut de la scrophule des villes ; leurs


joues sont tellement flétries et desséchées , que lorsqu'ils arrivent
à l'hôpital Saint-Louis , on les prendroit pour des cadavres qu'on
a fait sortir de leur tombeau . Il n'y a pas long-temps qu'à mes

leçons cliniques je vis paroître un de ces infortunés , qui avoit


tout l'aspect d'une momie égyptienne ; il falloit le faire parler
pour savoir qu'il vivoit encore ; sa voix étoit foible et pour ainsi

dire sépulcrale ; on distinguoit avec peine les paroles qu'il proféroit .


La scrophule endémique dirige spécialement son activité fu
neste sur la fonction de l'accroissement ; elle arrête presque tou

jours ses progrès . Les individus qu'elle attaque dans la première


enfance arrivent lentement à la puberté. Nous avons vu quelques
paysannes chez lesquelles les menstrues n'avoient point encore
paru avant l'âge de vingt-cinq ans. J'ai déjà fait mention , dans
mes Considérations générales , d'un frêle individu qui mourut ,
il y a quelques années , à l'hôpital des Incurables , et qui comptoit

déjà six lustres depuis qu'il avoit reçu la naissance au pied des
montagnes du Cantal ; il avoit absolument la petitesse d'un nain ,
et ressembloit pour la dimension de la taille aussi bien que des

membres , au fameux Bébé du roi de Pologne , dont on conserve


encore le modèle dans quelques cabinets d'histoire naturelle ;
mais chez lui les glandes maxillaires et cervicales se trouvoient
singulièrement tuméfiées et endurcies . Il étoit d'ailleurs imberbe ,
et lorsqu'on le considéroit avec attention , on voyoit tous les traits
d'une précoce vieillesse se heurter de la manière la plus hideuse
avec ceux de la jeunesse. Cet être manqué contrastoit singulière
ment avec le géant scrophuleux dont j'ai aussi parlé en décrivant
la scrophule vulgaire .
328 MALADIES DE LA PEAU.

Cependant , il faut en convenir , chez ces êtres dégradés , les

différentes parties du corps se trouvent rarement dans une har


monie réciproque ; la nature procède de la manière la plus irrégu
lière dans la distribution du suc osseux. La plupart viennent au
monde avec une fatale disposition à tous les accidens du rachi
tisme ; la colonne épinière se courbe en divers sens : quoiqu'il n'en
résulte aucun inconvénient pour les viscères renfermés dans l'in
térieur de la poitrine , souvent les vertèbres se luxent progressi
vement et forment d'horribles saillies . Aussi voit-on qu'en géné
ral , tous leurs mouvemens sont d'une lenteur extrême ; ils ont
l'allure cambrée et se balancent beaucoup en marchant ; quelques
uns se voûtent comme des vieillards décrépits , et tiennent leur
tête constamment baissée vers la terre, dans l'attitude de ceux qui
cherchent un objet perdu . La plupart ont les glandes du col en
suppuration ; mais ce sont surtout les jambes qui se recouvrent
d'ulcères hideux .

Une complication très- fréquente de la scrophule , dans les con


trées où elle est endémique , est celle du rhumatisme , qui rend
une multitude d'individus boiteux ou absolument impotens de
leurs bras ; ainsi la plupart n'ont pas même les facultés physiques
nécessaires à leur conservation . Cette infirmité se fortifie à me

sure qu'ils avancent en âge , parce qu'ils passent toute leur vie
sous la même influence atmosphérique. Comme leurs membres et
leurs corps sont absolument privés de tout exercice , et qu'ils ne
se nourrissent que de mauvais alimens , le sang circule à peine
dans leurs veines , et ils tombent progressivement dans une éma
ciation qui les dessèche comme des squelettes.
Le moral des individus qui se trouvent atteints de la scrophule

endémique , diffère essentiellement de celui qu'on observe dans


l'espèce précédente , ils sont en général d'une conception très
lente , et mettent beaucoup de temps pour prendre la décision
la plus simple ; ils sont mornes et presque toujours silencieux
comme les solitudes qui les environnent ; il en est qui sont presque
MALADIES DE LA PEAU. 329

idiots , et ceux même dont la tête est moins mal organisée , sont

ignorans et enclins à la superstition . En général , rien n'est plus


triste à considérer que la misérable condition de ces villageois ,
qui errent comme des spectres dans des lieux sauvages , où règne
une nature marâtre ; qui existent sans jamais manifester aucune
énergie intérieure , et dont la vie enfin n'est qu'une obscure végé
tation depuis la naissance jusqu'à la mort.

OBSERVATIONS RELATIVES A LA SCROPHULE ENDÉMIQUE .

DCCXXXVIII . Première observation. J'ai fait graver , dans

le premier volume de ma Nosologie naturelle , le buste d'un


garçon âgé d'environ quatorze ans , et qui étoit rongé par les scro
phules depuis sa plus tendre enfance . La paysanne qui le nour
rissoit n'espéroit pas pouvoir le conserver . Il eut un accroissement
très-pénible. Lorsqu'on nous le présenta , il avoit l'air d'un dé
terré ; et certes une semblable expression n'est pas trop forte ,
pour exprimer la triste situation où il se trouvoit : son visage étoit
couleur de feuille morte ; son nez étoit mince , court et écrasé ; ses
yeux étoient ternes , et il n'y avoit pas d'ailleurs le moindre jeu
dans les muscles qui animent l'ensemble de la physionomie. On
observoit sur ses lèvres quelques croûtes sèches et noirâtres , et
sur sa tête quelques cheveux rares et clair- semés , comme on en
rencontre sur le crâne des momies ou des cadavres embaumés de

puis plusieurs siècles ; les dents se trouvoient habituellement re


couvertes par un enduit fuligineux ; toute la conque de ses deux
oreilles étoit endurcie comme du parchemin. Les mains de cet
individu mériteroient une description particulière ; elles parois
soient raccornies , comme si elles avoient été rôties par le feu ; les
ongles manquoient ou croissoient à peine ; toutes les articulations
des doigts étoient comme soudées entre elles : aussi le malade
330 MALADIES DE LA PEAU .

ne pouvoit en user pour saisir les objets qui se trouvoient à sa


portée . Il avoit une voix foible et grêle , en sorte qu'il falloit s'ap
paroles qu'il
procher très-près de lui pour entendre le peu de
proféroit . Ses camarades de l'hôpital essayoient quelquefois de
l'exciter à la gaieté ; mais rien de plus sinistre que le sourire errant
sur les lèvres d'un être dont la peau flétrie offre les couleurs et les
dégradations de la mort.
Deuxième observation . -Antoinette Vazon étoit une pay

sanne de la Lozère , très-retardée dans son accroissement ; ses


menstrues étoient irrégulières et n'avoient paru que très -tard ;
elle souffroit d'une blennophthalmie chronique , qui résistoit à tous
les moyens usités . A la suite de cette blennophthalmie , les glan
des du col s'engorgèrent , ainsi que celles des deux aisselles ; il se
forma en outre , à la partie inférieure de l'oreille droite , un ulcère
dont les bords étoient durs , calleux et rougeâtres ; sa circonfé

rence présentoit une aréole violacée . La physionomie de cette


malade avoit quelque chose d'ignoble et d'abject ; son nez étoit
aplati et comme écrasé dans sa partie supérieure ; elle avoit les
lèvres singulièrement épaisses , les joues bouffies , le teint blafard ,
le regard hébété , et les facultés intellectuelles abruties ; elle s'ex

primoit avec lenteur et bégayoit péniblement. Elle mourut de


la consomption scrophuleuse .
Troisième observation . - Marie Pouzoulet avoit trente -six-ans ,

et paroissoit n'en avoir que vingt . Elle avoit des caries scrophu
leuses au doigt médius de la main gauche , et au pouce de la main
droite ; depuis six ans cette infirmité la tourmentoit . Un énorme
gonflement s'étoit manifesté à l'articulation du carpe de l'avant
bras du côté droit . Cette pauvre malade éprouvoit une douleur
sourde dans les os ; mais elle avoit un autre symptôme qu'on ob
serve fréquemment dans la scrophule des campagnes ; c'étoit un

engorgement considérable dans la glande thyroïde . Marie Pou


zoulet avoit eu et conservoit encore une gibbosité très-apparente
dans les dernières vertèbres lombaires . Cette gibbosité étoit pres
MALADIES DE LA PEAU. 331

que toujours douloureuse , surtout dans les temps humides et ora


geux. Le visage de la malade étoit pâle , bouffi et luisant comme
celui des hydropiques .

Quatrième observation . — La nommée Pierrette Collot s'étoit


présentée à l'hôpital Saint- Louis , avec une scrophule crustacée
très-remarquable , qu'elle portoit depuis huit mois. Cette éruption
s'étoit , pour ainsi dire , opérée spontanément et subitement ; elle
se manifesta par des croûtes verdâtres qui noircissoient avec le

temps ; toutes ces croûtes étoient tuberculeuses ; il y en avoit à la


paupière gauche , à la racine et sur les deux ailes du nez , aux lè
vres , au menton ; toute la face en étoit , pour ainsi dire , hérissée ;
lorsqu'elles tomboient , elles laissoient sur la peau des cicatrices
analogues à celles qui succèdent parfois à l'application des vésica
toires. La maladie avoit commencé par l'engorgement des glandes
cervicales ; le col étoit pour ainsi dire labouré par les progrès de

l'ulcération ; les cils absolument détruits et les paupières rongées ;


il y avoit sur le cuir chevelu plusieurs protubérances énormes et
de nature celluleuse .

Cinquième observation . - On vient de nous envoyer de la cam


pagne , à l'hôpital Saint-Louis , une jeune fille de quinze ans , dont
la peau est toute ridée comme chez les femmes accablées par la

vieillesse. Son visage est d'une couleur sale et couvert de taches


de rousseur ; elle porte un goître qui a beaucoup d'étendue , pour

sa petite taille ; ses paupières sont attaquées par la blennophthal


mie . Elle prétend appartenir à une famille dans laquelle tous les
individus viennent au monde avec une pareille infirmité.
Sixième observation . - Le pâtre Jacques , né au milieu des
marais de la Sologne , de parens malsains , éprouva une maladie
scrophuleuse qui se jeta d'abord sur l'articulation de l'avant -bras

droit avec le coude . Le chirurgien de son village chercha dès -lors


à faire résoudre cette tumeur , par diverses applications qui n'eu
rent aucun succès ; la tumeur se tourna vers la suppuration ; il se
fit trois petites ouvertures de forme ronde , desquelles s'échappoit
1
332 MALADIES DE LA PEAU.

une certaine quantité de pus jaunâtre et très-fétide . Ce malheu


reux paysan ne fut pas plus tôt arrivé à l'hôpital Saint-Louis , qu'il
se déclara une inflammation nouvelle aux malléoles des deux

pieds ; il fut pris d'une leucopyrie dévorante , qui mina lente


ment ses forces ; les glandes axillaires s'engorgèrent d'une manière
alarmante : il se manifesta divers abcès à la surface du corps. Le

berger Jacques étoit d'ailleurs très- cacochyme depuis son enfance ;


sa colonne épinière s'étoit totalement déformée ; sa peau étoit
flétrie et singulièrement ridée par les progrès d'une ichtyose con
géniale ; elle s'exfolioit par intervalles , surtout aux bras et aux
cuisses. Jacques étoit d'ailleurs horriblement défiguré par le sim
ple effet de la vieillesse . Dans les derniers temps de sa vie , il étoit
devenu pour ainsi dire insensible à toutes les impressions exté

rieures ; il ne répondoit pas un seul mot aux questions qu'on lui


adressoit , lorsqu'il étoit interrogé sur ses besoins. Il s'éteignit ,
après avoir langui deux années dans l'affaissement et le marasme.
DCCXXXIX . Je souhaite que ces observations , toutes recueil
lies en présence des nombreux élèves qui ont écouté mes leçons
cliniques , puissent démontrer d'une manière satisfaisante la ligne
tranchée qui sépare la scrophule vulgaire de la scrophule endé
mique . Ce point de vue , ce me semble , n'avoit pas été saisi jus
qu'à nous. Examinons maintenant les phénomènes généraux
d'une maladie qui afflige tant de générations , et qui s'est en quel
que sorte identifiée avec l'espèce humaine.
SECONDE PARTIE .

FAITS RELATIFS A L'HISTOIRE GÉNÉRALE DES SCROPHULES.

DCCXL. J'arrive à la partie la plus intéressante de ma disser


tation je vais présenter en masse les nombreux phénomènes
d'une maladie que tout le monde connoît , et qui attriste en tous
lieux les regards. Il n'est personne qui n'ait été le témoin des
accidens que je vais mettre sous les yeux de mes lecteurs ; le vul

gaire même pourra juger de la vérité de mes recherches , puisque


le mal affreux dont il s'agit empoisonne toutes les classes de la
société , depuis les palais du riche jusqu'à la cabane du villageois .

ARTICLE PREMIER .

DES PHÉNOMÈNES GÉNÉRAUX QUI CARACTÉRISENT LA MARCHE


DES SCROPHULES.

DCCXLI . Personne n'ignore que les premières atteintes de la


maladie scrophuleuse se dirigent communément vers les glandes
du col ; c'est de ce premier siége que ses progrès s'étendent , et
qu'elle se propage successivement jusqu'aux autres systèmes ou
appareils dont l'économie animale se compose . Le vulgaire , qui
a observé la lenteur avec laquelle cette affection parcourt d'ordi
2. 44
334 MALADIES DE LA PEAU.

naire ses périodes , la désigne avec beaucoup de justesse sous le


nom d'humeurs froides. Une semblable épithète , ainsi que je l'ai
déjà dit dans le premier volume de ma Nosologie naturelle , ex
prime une des plus justes idées dont la multitude soit en pos
session.
DCCXLII. Une dissection exacte met facilement en évidence

ce grand nombre de glandes lymphatiques qui sont , pour ainsi


dire , incrustées dans le tissu cellulaire ; celles qui sont suscep
tibles d'être infectées par le vice scrophuleux , se rencontrent
surtout aux deux angles de la mâchoire inférieure , et dans toute
la région cervicale . Ces glandes s'engorgent , augmentent de vo
lume , jusqu'au point de devenir très -saillantes par l'effet de la
maladie ; elles contractent une dureté très-remarquable ; la peau

qui les recouvre conserve d'abord sa couleur ordinaire , et n'a pas


plus de sensibilité que de coutume ; mais à mesure que les glandes
s'irritent pour devenir le centre d'un travail suppuratoire , elle
s'altère et prend une couleur rougeâtre ou purpurine .
DCCXLIII . Les tumeurs scrophuleuses ne suppurent point ré

gulièrement et en masse , comme les abcès dus à toute autre


cause ; il est des parties qui se ramollissent pour fournir un pus

homogène , et offrent les conditions louables de la maturité , tandis


que d'autres ne fournissent qu'une sérosité visqueuse , où nagent
une sanie ichoreuse et une matière blanche , comme caséeuse ,

qui se fait jour par plusieurs petites ouvertures ou perforations ,


comme au travers des trous d'une écumoire. Telle est du moins

la comparaison dont se servent communément les pathologistes ,


pour rendre compte de cet accident ; cette matière est plus ou
moins félide , selon qu'elle a plus ou moins séjourné dans le foyer
où elle a pris naissance .
DCCXLIV. Les engorgemens scrophuleux ne font d'abord
éprouver aux malades qu'une sorte de gêne dans le mouvement
des muscles cervicaux , gêne qui provient manifestement de la
compression qu'éprouvent les ganglions lymphatiques. La plupart
MALADIES DE LA PEAU. 335

des malades se plaignent d'étourdissemens , de céphalalgies , etc. ,

qu'il faut sans doute attribuer à la stagnation du sang dans le cer


veau. Cependant les tumeurs deviennent douloureuses , lors

qu'une phlegmasie propre à les amener à suppuration s'en empare ,


et bientôt la peau amincie vers leur sommet par la destruction du
tissu cellulaire sous-jacent , se déchire pour donner une issue aux

flocons purulens qu'elle renferme .


DCCXLV . Les cicatrices qui succèdent aux ulcérations scrophu
leuses mériteroient une description fidèle ; elles ne sont jamais
régulières , comme dans les abcès qui résultent d'une cause acci
dentelle ; les tégumens restent déprimés dans l'endroit où elles
s'opèrent, et leurs bords sont fongueux et proéminens , comme
s'ils avoient été réunis par une suture grossière : on en voit qui
restent béantes ou qui se rouvrent instantanément , lorsque le
ciment muqueux n'a point les conditions requises pour les conso
lider . Quelques-unes se recouvrent d'une croûte verdâtre et tu
berculeuse ; d'autres d'un boursouflement celluleux ; enfin , il est
des circonstances où la matière de la suppuration , loin de se vider
au- dehors , s'épanche au contraire dans les aréoles du corps cel
lulaire , pour y détruire en totalité les glandes , ou pour y former

de vastes et tortueux clapiers. Cet accident ne sauroit avoir lieu


sans que le malade ne soit consumé par une leucopyrie continue ,

qui dessèche et dévore progressivement tout le corps de l'individu .


DCCXLVI . Il est démontré , par l'observation journalière , que
le vice scrophuleux ne se borne point aux glandes du col , et qu'il
peut s'établir communément dans toutes les parties où abondent
les ganglions lymphatiques. La mésentérie , qui moissonne une si
grande quantité d'enfans dans les murs de Paris et dans toutes les
grandes villes , ne reconnoît pas d'autre origine . Chez les adultes ,
nous voyons fréquemment les sous-clavières et toutes les glandes

situées sur le trajet des glandes axillaires , s'engorger successive


ment; c'est surtout la suppuration de ces dernières qui est lente ,
difficile et laborieuse. On en voit qui restent toute la vie dans un
336 MALADIES DE LA PEAU.

état d'induration ; d'autres , après un laps de temps considérable ,


laissent échapper un pus âcre et corrosif. C'est même de ce siége
qu'elle se propage ordinairement jusqu'au poumon , pour y sus
citer tous les phénomènes d'une consomption lente et progressive .
Je crois devoir remarquer à ce sujet , que cette phthisie scrophu
leuse manifeste des caractères qui lui sont particuliers ; elle est la
plus lente de toutes et a des momens de repos ou de véritable in
termittence ; nous la voyons quelquefois s'assoupir pendant plu
sieurs années , ce qui plonge les malades dans une fausse sécurité.
Tel étoit précisément l'état d'une jeune dame intéressante , qui
s'étoit confiée aux soins de plusieurs médecins de la capitale ; on
s'imaginoit que la nature avoit épuisé sur elle tous ses efforts des
tructeurs , et l'on croyoit qu'elle en seroit quitte pour quelques
tumeurs extérieures , qui déformeroient plus ou moins la régula
rité de ses traits ; mais les progrès de l'inflammation , après avoir
été très-lents , furent tout-à-coup extraordinaires ; la fièvre con
somptive se ralluma , et la mort survint après quelques jours de
souffrance et de langueur .

DCCXLVII. Le fait que nous venons d'énoncer s'explique ai


sément , par ce que les physiologistes observent journellement sur
la vie particulière des glandes dans l'économie animale ; elles sont
la
sujettes à une sorte de sommeil et de lassitude , ce qui fait que
nature perd tout-à-coup son activité dans le cours des maladies
scrophuleuses. D'ailleurs , comme je l'ai fréquemment remarqué ,
elles ne sauroient être simultanément mises en action dans le sys
tème des fonctions humaines. On n'ignore pas que souvent elles
s'affoiblissent dans une partie du corps , et augmentent d'énergie
dans une autre ajoutons même que le travail glanduleux paroît

en général subordonné à l'empire des saisons et d'autres influences


atmosphériques ; phénomène qui mériteroit une étude appro
fondie. C'est ainsi qu'au sein de l'hôpital Saint-Louis , où rési
dent tant de scrophuleux , nous voyons les ganglions lymphati
ques s'irriter d'une manière spéciale à l'arrivée du printemps
MALADIES DE LA PEAU. 337

et de l'automne , etc. Je reviendrai sur ce point de doctrine.


DCCXLVIII. L'irritation scrophuleuse ne se borne point aux

glandes conglobées ; elle se déploie souvent dans les capsules des


articulations , au point d'y déterminer des gonflemens , des nodo
sités , des caries , des dépôts purulens qui détruisent les phalanges
des doigts ; elle fuse le long des gaînes tendineuses et y suscite des
douleurs intolérables . J'ai fait paroître devant mes élèves l'indi
vidu qui est l'objet de l'observation suivante : François Bayer , âgé
de soixante-quatre ans , apporta en naissant une tumeur de la gros

seur d'une aveline au bout du doigt médius de la main gauche ;


cette difformité , qui parut d'abord singulière à ses parens , ne les
inquiéta que fort peu , surtout lorsqu'ils virent qu'elle n'augmen
toit pas avec l'âge . Effectivement , cette tumeur ne prit que très

peu d'accroissement pendant les 25 premières années de la vie


de Bayer ; mais , depuis cette époque , le doigt n'a cessé de grossir ,
en sorte qu'il a aujourd'hui trois pouces de circonférence et six de
longueur. A mesure que la tuméfaction s'est opérée de bas en
haut , c'est-à -dire de la dernière phalange à la première , le doigt
malade s'est toujours incliné de droite à gauche , de manière à dé
crire une sorte de demi -cercle ; les articulations ankylosées sont
encore senties à travers cet engorgement , qui n'est autre chose
qu'un amas de graisse , puisqu'il en a la consistance , et puisque
d'ailleurs les parties osseuses ne sont en aucune façon altérées. Le
doigt indicateur de la même main participe au même état patho
logique , à cette différence près , qu'il a mieux conservé sa forme
et sa direction naturelles ; mais il est sans mouvement , tandis que
le doigt médius se meut encore dans son articulation métacarpo
phalangienne : tous deux ont une température moindre et une
sensibilité plus obtuse ; mais ils ne sont jamais le siége d'aucune
douleur ; seulement ils sont lourds et engourdis , lorsqu'il fait froid.
Sur le même bras on trouve d'autres tumeurs d'un volume assez

considérable , principalement sur la face dorsale de l'avant - bras ,


au bord externe du cubitus ; la plus volumineuse de toutes se trouve
338 MALADIES DE LA PEAU .

sous la peau qui recouvre la longue portion du triceps brachial.


DCCXLIX . Dans un ouvrage tel que celui qui nous occupe ,

nous devons spécialement nous attacher à décrire les ravages exté


rieurs des scrophules . J'ai déjà parlé des ulcérations qui s'éta
blissent sur diverses parties du corps , et qui sont constamment
abreuvées par une humeur jaunâtre et ichoreuse ; nous devons
dire aussi que cette activité corrosive se dirige de préférence vers

les tégumens et les cartilages qui concourent à la formation du


nez ; ces parties sont presque toujours corrodées , ainsi que les

paupières et la lèvre supérieure. Quand cet accident funeste s'unit


au gonflement des joues et au boursouflement du tissu cellulaire

ambiant, le patient perd tous les caractères distinctifs de la figure


humaine. L'hôpital Saint-Louis est en quelque sorte peuplé de
ces êtres infirmes et horriblement dégradés , qui ne laissent pas
de travailler dans les cours , pour l'utilité de ce vaste établisse
ment , mais dont l'aspect hideux épouvante les personnes qui ne
sont pas dès long-temps aguerries à la contemplation des misères
humaines .

DCCL . Jusqu'ici j'ai particulièrement entretenu mes lecteurs


des ulcérations scrophuleuses qui font que la peau se trouve per

forée en plusieurs endroits , comme si elle avoit été rongée par des
insectes , ou découpée avec des ciseaux ; quelquefois la face se re
couvre de tubercules celluleux , qui ont la grosseur d'une aveline.
Ces tubercules sont tantôt circulaires , tantôt oblongs , comme on
peut le voir dans le portrait que j'ai consigné dans cet ouvrage.
J'en ai vu qui formoient comme des languettes à la périphérie
des tégumens. En général , on peut dire que le tissu muqueux
a une grande propension à végéter dans la maladie scrophuleuse .
On vient de nous annoncer une jeune fille , âgée d'environ vingt
ans , dont les extrémités inférieures sont hérissées d'indurations et

de fongosités informes , absolument analogues par leur configu


ration à des mûres ou à des champignons. J'ai conservé long-temps
dans mon hôpital une vieille femme , non moins malheureuse que
MALADIES DE LA PEAU. 339

la précédente , et chez laquelle on observoit deux excroissances


polypeuses dans l'intérieur des oreilles , et qu'on avoit inutile
ment excisées jusqu'à six fois par le secours du bistouri. Je ne
finirois pas , si je voulois exposer ici avec détail tous les phéno

mènes rares et pour ainsi dire incompréhensibles , dont j'ai été le


témoin. Hélène Micant nous fut présentée dans l'état le plus dé
plorable , quoiqu'elle fût encore à la fleur de l'âge ; sa face et ses
membres étoient successivement recouverts d'une quantité de
tumeurs piriformes , qui avoient la même couleur que la peau

dans les premiers temps de leur existence ; ces tumeurs finissoient


par s'amollir et donnoient alors issue à une matière albumineuse ,

mêlée de quelques stries sanguinolentes. Hélène étoit d'ailleurs


d'une foiblesse extrême , et pouvoit à peine bouger de son lit ;
deux énormes staphylomes interceptoient chez elle les rayons lu
mineux ; les bords des paupières étoient, rouges et enflammés ;
toute la région cervicale des deux côtés se trouvoit bosselée par la
saillie des ganglions lymphatiques engorgés , et une mésentérie
opiniâtre s'étoit déclarée dans l'abdomen , à la suite d'une longue
fièvre adynamique ; sa peau entière sembloit gercée , ou plutôt
brûlée par une multitude de cicatrices scrophuleuses : jamais il
n'y avoit eu de menstruation . J'ai recueilli d'autres faits non
moins extraordinaires . Julienne portoit à la jambe droite une

hypertrophie celluleuse , qui étoit d'un volume prodigieux , et


qui avoit la mollesse d'une éponge . Antoinette Silet avoit toutes
les veines de la surface du corps saillantes et variqueuses ; les pha
langes de ses doigts tomboient successivement , sans qu'elle en fût
avertie par aucune douleur. Geneviève Rubio offroit à la fois
des engorgemens glanduleux et tous les caractères extérieurs de

l'ichtyose nacrée. Sa peau , recouverte d'écailles aussi dures que


celles de certains poissons , paroissoit comme noircie et dessé
chée par les ardeurs du soleil . Sophie étoit sourde de ses deux
oreilles ; ses yeux , voilés par des taches laiteuses , étoient d'une

étonnante convexité ; toutes ses articulations se détruisoient par


340 MALADIES DE LA PEAU.

des fistules caverneuses , et le tissu cellulaire dans son entier sem


bloit se résoudre par des apostèmes purulens. J'ai eu l'occasion de
montrer à mes élèves plusieurs individus qui traînoient une
jambe singulièrement tuméfiée et déformée , comme les lépreux
de l'île de Barbade. Cette dégénérescence éléphantine se manifes
toit avec plus de disgrace encore chez un mendiant défiguré de la
manière la plus étrange par les progrès de la maladie ; avec son nez
aplati et comme enfoncé par la destruction totale de sa cloison
moyenne , avec son front tuméfié et hideusement sillonné de rides,
ses pommettes gonflées , ses joues bouffies , ses mâchoires larges , il
avoit plutôt l'air d'un sapajou que d'un homme.
DCCLI. Mais attachons- nous plutôt à décrire pour nos lecteurs

les altérations cutanées qui résultent le plus communément de la


présence du vice scrophuleux ; ces altérations se manifestent d'or
dinaire sous la forme de dartres squammeuses ; la plupart se ras

semblent sur le visage par plaques rougeâtres , et le recouvrent


d'un masque hideux et dégoûtant ; elles se dessinent en quelque
sorte sur l'appareil tégumentaire , par des segmens de cercle , qui
vont toujours en s'agrandissant , et dont les bords sont relevés et
saillans. Germaine a eu le corps labouré par une éruption de ce
genre : on apercevoit çà et là , sur son visage et sur ses membres ,
des séries ou rangées de pustules , qui laissoient au milieu d'elles
des aréoles plus ou moins étendues , selon les progrès et l'ancien
neté du mal . Je crois devoir rapporter ici l'observation suivante ,
qui ne fait qu'ajouter à la vérité de ce tableau . Alexandre D ***
âgé de vingt- deux ans , d'un tempérament lymphatique , né de
parens sains , et qui n'avoient jamais éprouvé aucune maladie
analogue , fut atteint d'une petite-vérole confluente à l'âge de huit
ans. Cette maladie parcourut ses périodes avec la plus grande dif
ficulté ; l'éruption se fit mal et mit plusieurs jours pour s'effectuer
entièrement ; après la cessation de cet exanthème , il resta au
malade , à la partie moyenne de la joue droite , un petit cercle
enflammé , circonscrit par des boutons miliaires très - rapprochés .
MALADIES DE LA PEAU. 341

Chaque année , ce cercle s'agrandissoit , et lorsque le temps étoit


humide , il s'en écouloit un fluide séreux très -abondant ; la sur
face du derme se couvroit souvent de petites croûtes , que le ma
lade détachoit en se lavant. Tel fut à peu près son état jusqu'à la

puberté. On comptoit beaucoup sur cette époque , pour opérer


une révolution favorable ; mais , au contraire, l'éruption acquit une

étendue triple de ce qu'elle étoit auparavant : bornée naguère


au tiers de la joue droite , elle envahit presque subitement la
moitié du visage , et en même temps il se développa une affection
semblable à la partie moyenne du dos ; quelques autres plaques se
montrèrent pareillement aux avant-bras et sur les extrémités in
férieures. Il y avoit un gonflement manifeste sur tous les endroits
que la maladie avoit atteints .
DCCLII . Je laisse à d'autres le soin de suivre la maladie scro

phuleuse dans tous les systèmes de l'économie animale ; car il est


des circonstances où elle n'en épargne aucun . Mais dans quels
détails m'entraîneroit une description complète de cette affection
universelle et protéiforme ! Je finirai donc cette esquisse , en ob
servant de nouveau que tant d'infirmités ne sont dans aucun cas
préjudiciables à l'exercice plein et entier des fonctions cérébrales :
nous remarquons , au contraire , que la plupart des individus nés

scrophuleux sont capables des plus grands efforts de l'esprit ; que


plusieurs se sont éminemment distingués par un entendement
vaste et par une mémoire prodigieuse . A l'hôpital Saint- Louis ,
nous voyons même des enfans sans culture manifester une intelli

gence précoce , et répondre avec une sagacité surprenante aux


questions diverses que nous leur adressons . Le médecin philoso–
phe s'étonne , lorsqu'il voit ainsi les prodiges de la pensée humaine
s'allier avec l'état maladif des organes. A la vérité , l'anatomie nous
démontre que l'encéphale a plus de volume chez tous les sujets
dont la constitution est écrouelleuse , et que les circonvolutions
de la pulpe cérébrale y sont plus distinctes et plus marquées.
Certes , je voudrois , comme je l'ai déjà dit ailleurs , que les méta
2. 45
342 MALADIES DE LA PEAU.

physiciens étudiassent profondément les effets de nos maladies

physiques sur l'énergie des facultés morales ; ils y puiseroient des


renseignemens précieux pour l'agrandissement d'une science dont
ils ne possèdent que des lambeaux .

DCCLIII. Au surplus , si je ne craignois de m'écarter de mon


sujet , je donnerois une description plus étendue de l'état moral
des scrophuleux , que j'ai observés en si grand nombre et dans
toutes les conditions de la vie . Comme ils ont les perceptions très
promptes , ils montrent ordinairement beaucoup de facilité dans
la conversation . Plusieurs , à la vérité , ont plus d'imagination que

de jugement ; ils ne prêtent aux choses qu'une attention peu éner


gique et ne font qu'effleurer les divers sujets ; mais la plupart ,
doués d'une volonté ferme , parviennent aux plus hauts résultats ,
lorsqu'ils embrassent une carrière ou une profession quelconque.
Les scrophuleux sont presque tous portés à la colère ; ils n'obser
vent aucune retenue , quand cette passion les entraîne. On en voit
de très -courageux et qui se défendent avec opiniâtreté contre les
adversités de l'existence . Lorsque la fortune les seconde , ils sont
gais , voluptueux , lascifs , ils aiment la bonne chère , etc. Il en est
peu de mélancoliques , à moins que quelque autre maladie ne les
jette dans la tristesse et le découragement.
DCCLIV . Je viens d'exposer les traits généraux et caractéris
tiques de la maladie scrophuleuse , telle que nous l'observons le
plus fréquemment dans l'intérieur des grandes villes ; mais il est
des malades qui diffèrent absolument de ceux que nous venons de
décrire , quant au physique et quant au moral. Tels sont ceux qui
naissent en quelque sorte victimes des circonstances locales et
endémiques . Au sein même des nations les plus civilisées , il est
des lieux marécageux dont la population entière se trouve enta
chée d'une espèce particulière de scrophule , qui mériteroit une
description à part. J'ai eu occasion de considérer plusieurs de ces
infortunés , venus au monde avec tous les attributs d'une foiblesse

qui entrave continuellement toutes les fonctions de la vie assimi


MALADIES DE LA PEAU. 343

latrice. On n'observe chez eux ni cette redondance cellulaire , ni


cette pléthore lymphatique , ni ces formes arrondies , ni cette blan
cheur des tégumens , ni ce teint frais et rosé , ni cette vivacité
morale qui donne tant d'expression à la physionomie et qui trompe
souvent l'observateur sur la santé de nos scrophuleux citadins.
En général , leur peau est flétrie , d'un jaune sale et comme ter
reux ; leur stature est grêle et raccourcie ; leur corps décharné ,
leur visage abattu , leur regard terne et presque éteint . On en
voit qui ressemblent à des fantômes , et qui , peu avancés dans
leur carrière , portent déjà sur leur visage toutes les rides de la
décrépitude et d'une effrayante vétusté ; leur marche est lente
comme celle des vieillards , leur voix est sourde et cassée ; on pour

roit même ajouter que l'ame de ces infortunés villageois est aussi
inerte que les rochers qu'ils habitent. Tout leur moral se réduit
à deux ou trois sensations relatives au maintien de leur existence
abrutie. Comme leurs cabanes sont constamment adossées à des

terrains humides , presque toujours la scrophule endémique se


trouve compliquée d'ulcérations aux jambes , de phlébectasie et
d'affections rhumatismales ; les articulations des mains et des pieds
sont engorgées et pâteuses ; les mouvemens y sont presque impos
sibles , etc. Je dirai plus bas quelles causes établissent des diffé
rences spécifiques entre deux maladies qui se rattachent néan
moins au même genre , ce qui nous conduira infailliblement à des

considérations utiles pour perfectionner le traitement.


344 MALADIES DE LA PEAU .

ARTICLE II.

CONSIDÉRATIONS SUR LE DIAGNOSTIC DES SCROPHULES , ET SUR LEURS


RAPPORTS D'ANALOGIE AVEC QUELQUES AUTRES MALADIES CUTANÉES.

DCCLV . Il faut n'avoir aucune sorte d'expérience pour se mé

prendre sur les vrais signes qui décèlent la présence du vice scro
phuleux dans l'économie animale. Quoique cette affection se
modifie selon la nature des organes où elle établit son siége prin
cipal , il est néanmoins très -facile de la reconnoître . Il importe
seulement de ne pas la confondre avec les tumeurs glanduleuses ,
qui sont le résultat de tout autre cause , qui proviennent par
fois d'une phlegmasie chronique , de l'application des vésicatoi
res , etc. Lorsque le travail de la dentition se prépare , lorsque
la
puberté éclate , il survient des engorgemens qui ne sont souvent
que l'effet d'une irritation sympathique . A l'hôpital Saint-Louis
nous observons des ulcères sinueux , ouverts , de large circonfé
rence , qui sont tout-à-fait étrangers à la maladie qui nous
occupe .
DCCLVI . Pour s'éclairer sur le diagnostic des scrophules , il

suffit de diriger notre attention sur la constitution particulière des


individus qui sont l'objet de nos soins. On les reconnoît sans peine
à la tuméfaction de la lèvre supérieure , à la grosseur du col , au
volume des parties molles et celluleuses , particulièrement de la
langue et des mamelles , à la teinte bleuâtre de la cornée transpa
rente , à la dilatation de la pupille , etc. J'ai déjà fait observer à
mes lecteurs que la peau des scrophuleux a un éclat , une net

teté , une coloration particulière qui flattent l'œil , et que bien des
personnes considèrent comme le résultat de la santé. Le tissu cel

lulaire est tellement abreuvé de sucs albumineux , la lymphe est


MALADIES DE LA PEAU. 345

si abondante dans les vaisseaux qui la contiennent , que toutes ces

dispositions donnent aux membres une rondeur agréable , tant il


est vrai de dire que la beauté de convention n'est souvent qu'une
imperfection physique pour celui qui l'explique avec les données
nécessaires.

DCCLVII. Les caractères les plus saillans de la maladie scro


phuleuse se manifestent dans les os , qui , ordinairement , sont très
spongieux et d'un gros volume. Il y a peu de fibrine dans les
muscles. Tous les tissus sont blancs et comme adipeux. Tous les

fluides sont, pour ainsi dire , de nature lymphatique. Toutes les


articulations sont plus fortes , parce que les ligamens sont plus
consistans et plus épais . La graisse des scrophuleux est très-jaune
et constamment disposée à la concrescibilité . Leur transpiration
a quelque chose de fade , de nauséabond et d'agaçant pour l'odo
rat. Les jeunes filles , d'ailleurs fraîches et vivement colorées , ont
souvent l'arôme de la viande fraîche de boucherie. Cette odeur

se remarque surtout le matin , lorsque les malades ont long-temps


séjourné dans une chambre close. Les urines sont copieuses et
très -chargées.
DCCLVIII. Il existe une analogie incontestable entre la scro
phule et la syphilis . En effet , l'une et l'autre de ces deux maladies
altèrent la peau par des pustules , des végétations , des ulcé
rations , etc. L'une et l'autre se portent , avec une sorte de préfé
rence , sur les ganglions lymphatiques , sur les membranes mu
queuses et sur le système osseux . Toutes deux produisent des
caries , des tumeurs blanches dans les articulations , etc. Les
éruptions scrophuleuses ont néanmoins un caractère particu

lier et qui les distingue des éruptions syphilitiques. La peau


sur laquelle on les voit se développer , est constamment tumé
fiée et comme boursouflée . Ajoutons que les pustules , ainsi que

les végétations résultant de la présence du levain scrophuleux ,


ont une configuration moins prononcée et moins régulière que
celles produites par une cause vénérienne : elles sont commu
346 MALADIES DE LA PEAU.

nément plates et fixées sur une grande base rougeâtre et tuméfiée.


DCCLIX . On peut aisément distinguer les scrophules de toutes
les affections qui sont purement herpétiques. Car ces dernières
provoquent sur les tégumens des démangeaisons constantes , dont
les écrouelleux sont exempts . D'ailleurs , elles disparoissent com
munément sans laisser sur les tégumens ni cicatrice , ni aucune
trace de leur apparition .

ARTICLE III.

CONSIDÉRATIONS SUR LE PRONOSTIC DES SCROPHULES .

DCCLX . Les scrophules constituent une affection d'autant


plus rebelle aux moyens curatifs et d'autant plus fatale à l'es

pèce humaine , que leur source est originelle , et fait en quelque


sorte partie de notre être . De là vient que le pronostic est toujours
fâcheux , si l'art n'est secondé par des circonstances extraor
dinaires et par les moyens puissans d'une nature réagissante.
DCCLXI. Les scrophules sont moins dangereuses lorsqu'elles
se bornent à la surface des tégumens. Mais il n'en est pas ainsi si
elles attaquent l'ensemble des ganglions lymphatiques. C'est alors
qu'elles interceptent toutes les voies de la nutrition , et qu'une
sourde leucopyrie réduit les malades à un état de marasme ou de
consomption. Les scrophules ne sont pas moins funestes lors
quelles se concentrent sur les articulations . Elles y déterminent

des caries , des suppurations , des épanchemens , souvent même


des douleurs atroces , qui nécessitent l'amputation des membres .
DCCLXII . C'est surtout chez les adultes que les scrophules sont
interminables , parce qu'alors on ne sauroit attendre aucun se
cours des révolutions qui pourroient s'opérer dans la constitu
MALADIES DE LA PEAU. 347

tion physique des individus et des secousses critiques de l'âge.


Nous voyons arriver à l'hôpital Saint-Louis des scrophuleux sep
tuagénaires , auxquels il est difficile de procurer le moindre soula
gement. La réaction lymphatique ne s'opère avec quelque succès
que dans la première enfance. Il n'y a qu'une époque pour la
vigueur du système absorbant. Cette assertion est d'une vérité
frappante , surtout lorsqu'il s'agit des femmes ; si non curatæ
fuerint infoeminis obstructæ glandulæ ante ætatis annum quadra
gesimum quintum , vel circiter , tum cessante menstruorum
fluxione , plerumque recrudescit morbus.

DCCLXIII. La maladie scrophuleuse dure communément jus


qu'à la septième , treizième , quatorzième ou quinzième année.
Elle se guérit ensuite par les soins de la nature ou par ceux du
médecin. Quelquefois elle se convertit en anasarque , en phthisie
pulmonaire , en atrophie universelle , etc. Ces affections secondaires
conduisent insensiblement les malades à la mort. Il est rare de

les voir succomber dans le premier stade de l'infection. Dans


certains cas les scrophules dégénèrent en ulcères chroniques , qui
ne cèdent ni au temps , ni à la puissance d'un traitement métho
dique. Leur conversion en cancer est rare ; mais elle est rapide
ment sinistre.

ARTICLE IV .

DES CAUSES ORGANIQUES QUI INFLUENT SUR LE DÉVELOPPEMENT


DES SCROPHULES.

DCCLXIV . La plupart de ceux qui ont écrit sur les scrophules


ont erré lorsqu'ils ont prétendu faire dériver les causes organiques
de cette maladie d'une acrimonie particulière , d'une acidité pré
dominante et autres phénomènes analogues. Avoient-ils des preuves
suffisantes pour appuyer une semblable assertion ?
348 MALADIES DE LA PEAU.

DCCLXV . Les causes organiques des scrophules doivent certai


nement être recherchées dans la foiblesse radicale des absorbans

et des ganglions lymphatiques. Des observations faites avec soin


sur un grand nombre de cadavres , ont démontré que ces vais
seaux blancs se dilatoient , devenoient turgescens et comme

noueux . La sécrétion de la lymphe doit nécessairement se per


vertir , puisque la force des organes qui la recèlent est manifeste
ment diminuée.

DCCLXVI . Personne ne doute aujourd'hui que les scrophules


ne soient héréditaires . Les faits militent à chaque instant en faveur
de cette opinion. Cette cause organique est , je dois le dire , la plus
fréquente. Il suffit même que l'un des parens soit infecté de ce
vice , pour que la postérité ne soit pas épargnée. Alors même qu'il
ne se développe point , il n'est pas difficile de s'apercevoir que les

enfans en portent le germe dans leur économie physique . Telle est


d'ailleurs l'opinion de M. le docteur Baumes , qui a écrit une dis
sertation complète sur cette matière , et qui en a traité tous les
points avec une lucidité digne des plus grands éloges . << Pour moi ,
>> dit cet auteur , je crois avoir des raisons suffisantes pour admet
>> tre cette hérédité . Je pense même que si la forme de l'action hé
>> réditaire ne va chez quelques individus que jusqu'à produire la
>>> constitution scrophuleuse , tandis que la génération qui suit est
>> affligée de véritables scrophules , c'est qu'il faut un certain con
>> cours de circonstances et de dispositions , qui font qu'une mala
>> die passe aux descendans d'une manière directe et non inter

>> rompue , ou par des interruptions et une espèce de substi


>>> tution . >>>

DCCLXVII . Les causes qui disposent aux scrophules tiennent


donc communément à une disposition native , et aucune maladie
ne se transmet plus aisément par voie de génération . Un père
qui est naturellement foible et qui se trouve encore trop jeune
lorsqu'il se marie , doit engendrer un être débile . Lorsqu'il y a
chez les parens une altération congéniale des glandes lymphati
MALADIES DE LA PEAU. 349

ques , cette altération doit nécessairement passer à leur progéni


ture et se retrouver dans la construction et la mixtion de leurs
organes.
DCCLXVIII. Si des personnes ont été long-temps tourmentées
par la maladie syphilitique et ont négligé les soins convenables à
sa guérison , il est rare que leurs descendans ne soient pas infectés
d'une maladie qui a toutes les apparences du vice scrophuleux .

A l'hôpital Saint-Louis il se présente une foule d'individus des


deux sexes qui se trouvent dans ce cas ; et dans une circonstance
j'ai vu jusqu'à trois générations d'un aïeul qui avoient été infec
tées par le virus vénérien . Tous les sujets appartenant à cette race

avoient les lèvres grosses et tuméfiées , les glandes submentales


frappées d'engorgement , le tissu cellulaire flasque , les os spon
gieux , et tous les autres signes de la diathèse écrouelleuse. Nul

doute que la plupart des scrophules , à Paris , ne soient des syphi


lides déguisées .

ARTICLE V.

DES CAUSES EXTÉRIEURES QUI INFLUENT SUR LE DÉVELOPPEMENT


DES SCROPHULES.

DCCLXIX . Lorsque les enfans sont mal nourris , lorsqu'ils su


cent un lait corrompu , la maladie scrophuleuse se développe ; les
glandes du mésentère s'engorgent ; les malades tombent insensi
blement dans l'amaigrissement et la consomption . Chez les adultes
pauvres , ce sont aussi les vices de la puissance digestive qui pré
parent de loin la maladie dont il s'agit. La plupart ne se soutien
nent qu'avec des alimens gâtés et qui n'ont rien de substantiel.
Ils mangent du pain fait avec des farines gâtées , boivent du lait

2. 46
350 MALADIES DE LA PEAU.

aigri et du vin tourné , abusent des substances graisseuses et buty


reuses , etc.
DCCLXX . On observe que les individus renfermés dans des
prisons malsaines , dans les cachots , ont parfois les glandes du col
engorgées ; que ces mêmes glandes finissent par abcéder et par se
convertir en ulcères fongueux . Il est une multitude de gens qui ,
par état , travaillent et habitent dans des lieux humides , comme
les blanchisseurs , les tisserands , les vignerons , les portiers , etc.
Les jeunes villageois qui , dans les campagnes , sont préposés à la
garde des bestiaux et qui passent les nuits dans les pâturages , su
bissent le même sort. Le tiers du département de la Lozère est
occupé à une fabrique de cadisserie , connue sous le nom de serge
de Mende. C'est la principale ressource et la seule industrie du
pays. On travaille les laines sans huile ; et , pour en faciliter la
fabrication , on manufacture dans des boutiques basses et voûtées ,
où l'humidité et la chaleur se concentrent à la fois . C'est dans cette

classe d'artisans qu'on trouve le plus grand nombre de scrophu


leux .

DCCLXXI, Il y a un effroi généralement répandu touchant la


génération et la propagation des scrophules. Des auteurs très
recommandables n'ont pas craint d'avancer dans leurs ouvrages

qu'elles sont éminemment contagieuses ; ce qui est manifestement


une erreur . M. Hébréard a tenté des expériences sur des animaux
vivans , dont aucun n'a contracté la maladie par la voie de l'ino
culation . Mais une expérience plus décisive est la cohabitation jour
nalière de certaines femmes scrophuleuses avec des hommes qui
n'ont jamais eu lieu de s'en repentir.
MALADIES DE LA PEAU. 351

ARTICLE VI .

DES RÉSULTATS FOURNIS PAR L'AUTOPSIE CADAVÉRIQUE DES INDIVIDUS


MORTS DES SUITES DE LA MALADIE SCROPHULEUSE.

DCCLXXII . Première autopsie cadavérique.- La nommée


Éléonore Marchand , née à Versailles , âgée de vingt-huit ans ,'d'un

tempérament lymphatique , entra à l'hôpital Saint-Louis . Elle


présenta à notre examen diverses tumeurs scrophuleuses d'un
volume assez considérable , placées dans différens points de la ré
gion du col. Le coude droit étoit affecté d'un gonflement pâteux .
Les mouvemens de l'articulation étoient gênés. On appliqua des
cataplasmes pour dissiper l'inflammation . On eut recours aux em
plâtres de ciguë et de mercure . La malade faisoit en même temps
usage de la décoction de houblon et de l'élixir amer. Tous ces

moyens furent sans succès. A l'affection principale vinrent se


joindre la fièvre , la tuméfaction de l'abdomen , et , par suite , la
gêne de la respiration , ainsi qu'un commencement d'infiltration

dans les grandes lèvres . La fluctuation que l'on ressentoit dans


l'intérieur de l'abdomen , la tuméfaction des extrémités inférieu
res , la soif vive que la malade ressentoit , etc. , ne laissoient aucun
doute sur l'existence de l'hydropisie ascite. On combina les diuré
tiques avec les anti-scrophuleux . La malade s'affoiblit graduelle
ment , et finit par succomber . On ouvrit le cadavre en ma pré
sence : les glandes lymphatiques du col formoient des tumeurs ,

qui paroissoient dans divers points de cette région , principalement


vers la partie supérieure droite. Un foyer purulent se trouvoit à
leur centre . Leur tissu offroit au scalpel beaucoup de dureté et de
résistance. L'articulation de l'avant-bras offroit une fausse anky
lose. Le tissu cellulaire environnant étoit épaissi et tuméfié. L'exa
352 MALADIES DE LA PEAU.

men de la poitrine montra une adhérence très-forte du poumon


avec la plèvre costale. Les poumons étoient tuberculeux dans une

grande étendue ; on remarquoit des vomiques vers leur partie


supérieure. L'ouverture de l'abdomen donna issue à une sérosité
très-abondante. Les organes contigus de cette cavité offroient
diverses altérations : le foie étoit d'un volume énorme , et avoit
subi une transformation entièrement graisseuse. La rate , très
volumineuse , offroit aussi une consistance très- ferme , et divers
tubercules étoient placés , soit à l'intérieur , soit à l'extérieur de
ce viscère. Les glandes du mésentère étoient toutes engorgées , la
vessie rétrécie , la matrice squirrheuse . Il y avoit un abcès au
rectum. Cet abcès avoit probablement son siége hors du sac péri

tonéal . Tels sont les principaux phénomènes que nous observâmes.


―――――――
Deuxième autopsie cadavérique. Le nommé Thevenard mou
rut à l'hôpital Saint- Louis , des suites d'un engorgement considé
rable dans les glandes du col . Je fis l'ouverture de son corps. Une

tumeur très -volumineuse occupoit le côté gauche du col , s'éten


dant supérieurement jusqu'à la région parotidienne , et jusqu'à la
base de la langue , se portant en bas jusqu'à la clavicule . En devant
elle recouvroit en partie la glande thyroïde , et postérieurement
elle commençoit à gagner le côté droit du col . Cette tumeur , divi
sée dans sa partie moyenne , offroit une épaisseur d'environ trois
pouces. La substance qui la formoit étoit blanche et dure , en un
mot , squirrheuse. Le lieu seul où le moxa avoit été appliqué offroit
de la suppuration. Tout le reste de la tumeur paroissoit très
éloigné de cette dégénérescence . Voici ce que présentoient les trois
principales cavités : dans la tête , rien de particulier. Les veines
cependant paroissoient plus gorgées de sang que ne l'avoit fait
présumer l'état de foiblesse du sujet ; mais ce sang , que l'on re

marquoit surtout du côté gauche , pouvoit être le résultat de la


situation du cadavre ou de la compression des jugulaires par la

tumeur. Les poumons , quoique peu volumineux , étoient cepen


dant pleins de sang ; le diaphragme , par sa convexité , laissoit à
MALADIES DE LA PEAU. 353

ces organes peu de place pour se dilater. Mais c'étoit dans la cavité
abdominale que se trouvoient les plus grands désordres. Le péri
toine étoit le siége d'une suppuration très-abondante . L'épiploon

gastro-hépatique offroit , dans sa partie moyenne , une escarre


gangréneuse ; l'estomac s'étoit rapetissé , et la rate avoit acquis un
volume triple de ce qu'elle est ordinairement. ――――― Troisième auto
psie cadavérique . J'ai procédé à l'ouverture du corps d'un autre

scrophuleux . Nous avons observé un accroissement considérable


dans la plupart des glandes , particulièrement dans celles du col
et du mésentère . La plupart avoient acquis une dégénérescence
réniforme et comme couenneuse . Leur substance intérieure offroit

l'aspect d'un marbre jaspé . Il y avoit des points steatomateux . —


Quatrième autopsie cadavérique. Voici ce que nous avons ob
servé dans le cadavre d'Agathe Micoult , morte à la suite d'une
maladie scrophuleuse . Maigreur de tout le corps ; peau dans l'état
ordinaire. Fistule au côté droit du col , dont le trajet suivoit le
bord antérieur du muscle sterno - cléido - mastoïdien , et aboutissoit
à l'angle de la mâchoire , qui étoit affecté de carie , d'où il étoit
sorti plusieurs esquilles. Tissu musculaire du côté droit de la joue
engorgé , épaissi et comme lardacé. Le masseter de ce même côté
étoit pâle , et les glandes cervicales réduites en une substance
blanche et pour ainsi dire homogène. Foie très-volumineux . Tous
les autres organes dans l'état ordinaire . - Cinquième autopsie ca
davérique. Nous avons exploré avec beaucoup d'attention une tu
meur scrophuleuse , dégénérée en cancer , dont j'ai déjà donné
le dessin dans cet ouvrage . Vue extérieurement , cette énorme
tumeur étoit d'une couleur bleuâtre - violacée. Elle étoit recou

verte d'une multitude de tubercules ou tumeurs particulières

plus ou moins ovales ou globuleuses , contiguës les unes aux


autres , mais qu'on pouvoit aisément séparer par le scalpel. Quel
ques-unes de ces tumeurs étoient extraordinairement petites , et
ne ressembloient pas mal , pour la forme , à des pommes de terre .
On observoit à la partie supérieure de cette aggrégation de tu
354 MALADIES DE LA PEAU ..

meurs diverses , une tumeur beaucoup plus considérable que les


autres , mamelonnée à sa surface. Il paroît que c'est en croissant

que ces mamelons devenoient de véritables tumeurs . Un grand


coup de scalpel dans cette masse tuberculeuse fit voir une subs
tance lardacée et couenneuse. Cette consistance n'empêchoit pas
le sang de couler par une multitude de vaisseaux . La glande paro

tide avoit la dureté du cartilage . Elle avoit doublé de volume.


L'intérieur de la bouche étoit ulcéré et mamelonné . L'arcade

dentaire disparoissoit dans cette masse dégénérée. L'agonie de


cette femme fut longue. Un long affaissement avoit précédé sa
mort. — Sixième autopsie cadavérique . Une femme d'une consti
tution scrophuleuse éprouva , à l'âge de trente ans , un gonflement
de l'avant-bras . Tout annonçoit un engorgement scrophuleux .
Des abcès se formèrent , et laissèrent échapper un pus jaunâtre et
ichoreux . Ensuite la tumeur demeura stationnaire. A l'âge de
quarante ans , elle mourut accidentellement d'une fièvre adyna
mique. La dissection de l'avant-bras se fit avec soin . La peau ,
quoique d'une épaisseur considérable , résistoit peu à la lame du
scalpel. Le tissu cellulaire du membre étoit très- abondant , et con
tenoit beaucoup de graisse . Les vaisseaux et les nerfs , qui se distri
buoient à ces parties , étoient d'une grosseur proportionnelle . Tout
annonçoit les traces d'un engorgement lymphatique , qui exhaloit
une odeur semblable à celle de la viande bouillie. - - Septième au

topsie cadavérique. Marie-Louise Robert , âgée de trente-neuf ans ,


nous a présenté une tumeur curieuse , qu'elle portoit à la face
depuis vingt mois , et que j'ai fait dessiner avec soin . Cette tumeur
s'étoit formée lentement et sans faire souffrir la malade. Enfin , elle

avoit acquis un volume considérable , et voici quels étoient ses ca


ractères : La tumeur avoit son siége sur la branche de la mâchoire.
Elle s'étendoit depuis l'arcade zigomatique jusqu'à la base du
même os , et depuis l'oreille jusqu'au milieu de la joue. Cette tu
meur avoit le volume d'une très -grosse poire. Sa forme étoit à peu
près conique , et c'étoit par la base qu'elle appuyoit sur la mâchoire.
MALADIES DE LA PEAU. 355

Sa surface étoit bosselée , d'un rouge brun-violet , suivant l'endroit


dans lequel on l'examinoit. Elle présentoit en quelques points ,
mais surtout en haut et en dedans , de petits tubercules durs et
comme carrés par leur consistance et leur couleur , espèce de dé
générescence de l'épiderme . La base étoit dure et avoit la consis
tance des engorgemens scrophuleux. Le reste de la tumeur offroit
une mollesse d'autant plus grande et d'autant plus ressemblante
à une véritable fluctuation , qu'on se rapprochoit davantage du
sommet. Elle étoit mobile . Sa base ne paroissoit point adhérente .
Il s'échappoit de la surface de la tumeur , par une sorte de trans
sudation , une rosée ichoreuse d'un jaune doré , et dont l'âcreté
avoit enflammé les tégumens. Il s'étoit formé des ulcérations su
perficielles , par lesquelles ce liquide s'écouloit plus abondamment ,
mêlé parfois d'une petite quantité de sang. Ces ulcérations , de
couleur grisâtre et blafarde , augmentoient d'étendue , et en même
temps ces hémorrhagies devenoient passives et plus abondantes.
Voulant m'assurer de la nature de la tumeur et la croyant en

suppuration , j'y plongeai une lancette . Mais au lieu de pus , je


ne vis sortir que du sang. La surface des deux lèvres étoit d'un

blanc-grisâtre et d'apparence lardacée. En y introduisant l'extré


mité du petit doigt , on n'éprouvoit aucune résistance , et on auroit
pu facilement l'enfoncer dans la propre substance de la tumeur.
Dès-lors plus de doute sur sa nature , qu'on jugeoit être de celles des
fongus hæmatodes. Dans cet état de choses il survint un embarras
gastrique. L'appétit étoit perdu , la bouche étoit amère , la langue
étoit recouverte d'un enduit jaune et épais. La malade s'étoit long
temps plainte d'un sentiment d'inquiétude à la région épigastrique.
Mais bientôt il se déclara un dévoiement , contre lequel on em

ploya vainement toutes sortes de moyens convenables . La malade


s'affoiblit peu à peu , et fut bientôt dans l'impossibilité de garder

le lit. Les petites ulcérations de la surface de la tumeur se con


fondirent en une seule , et son aspect changea de nature. On ne
vit plus alors qu'une large ulcération , grise , blafarde , fongueuse ,
356 MALADIES DE LA PEAU.

à bords durs et renversés , et qui avoit vraiment l'apparence d'un


champignon. Les hémorrhagies passives devenoient de plus en
plus fréquentes , les douleurs vives et plus rapprochées , la gêne
plus grande. Cependant la diarrhée fut bientôt colliquative. La
malade s'affoiblissoit considérablement. Les toniques , les cordiaux
furent employés pour relever les forces , et n'eurent d'autre effet
que de retarder pour quelques jours les symptômes adynamiques
qui se prononcèrent. La prostration des forces devint extrême :
les dents , les gencives et la langue se couvrirent d'un en
duit fuligineux ; le pouls devint petit , foible , accéléré ; le ven
tre se météorisa . La malade mourut. La peau seule et le tissu
cellulaire étoient malades. Il n'y avoit aucune altération dans

les os . On procéda à l'ouverture du corps , qui étoit devenu


d'une maigreur extrême. L'organe encéphalique n'avoit rien
de remarquable à l'observation ; mais la poitrine offroit des alté
rations sensibles. Les poumons étoient remplis de tubercules
purulens. Les glandes du médiastin étoient dures , squirrheuses et
aussi volumineuses que des œufs de pigeon . Le même phénomène
affectoit les ganglions mésentériques. L'ouverture œsophagienne
de l'estomac étoit , pour ainsi dire , obturée par un épaississement
prodigieux de sa membrane interne. Le foie et la rate avoient pris
un grand accroissement et avoient dégénéré de leur tissu ordi
naire . L'infection scrophuleuse avoit envahi toutes les parties du
corps. N'oublions pas de dire que tout le système osseux , particu

lièrement les côtes , étoient d'une friabilité singulière. - Huitième


autopsie cadavérique . Nous avons disséqué une tumeur qu'avoit
portée long-temps le nommé Frimont , couvreur de son métier.
Cette tumeur existoit depuis vingt ans , lorsqu'il vint mourir
d'une autre maladie à l'hôpital Saint-Louis. Elle étoit circonscrite ,
et avoit son siége sur la rotule. Elle n'avoit aucune adhérence avec
le ligament de cet os . Elle étoit assez mobile , et se portoit tantôt
d'un côté , tantôt de l'autre , suivant que l'individu s'appuyoit
sur la partie interne ou sur la partie externe de l'articulation . La
T

"

MALADIES DE LA PEAU. 357

matière contenue dans cette espèce de kyste avoit une consis


tance semblable à celle du suif. On assure que le malade avoit eu
d'autres tumeurs de ce genre , et qu'elles avoient été pareillement
ouvertes par le bistouri.

ARTICLE VII .

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LE TRAITEMENT DES SCROPHULES .

DCCLXXIII. Plusieurs considérations générales se présentent


à l'esprit lorsqu'il s'agit de déterminer le meilleur mode de traite

ment qui convient aux maladies scrophuleuses . Ces maladies ont


trois époques distinctes aux yeux d'un observateur exercé , et il
importe de mesurer en quelque sorte l'échelle que parcourt la
sensibilité pour les faire arriver à une maturation complète. Per
sonne n'ignore que la nature est plus lente dans les abcès scrophu
leux que dans les phlegmons ordinaires ; qu'elle y marche en quel
que sorte par sauts et par une succession d'actes souvent interrom
pus. Il est rare que ses efforts se soutiennent. Elle s'abat par
intervalles , et il est des cas néanmoins où elle se montre éner

gique et puissante.
DCCLXXIV . Pour établir un traitement sage et bien raisonné ,
nul doute qu'il ne faille avoir égard au génie particulier des
symptômes qui signalent la première invasion de la maladie scro
phuleuse . Si la peau est sèche , aride et brûlante , s'il y a dans le

pouls une plénitude remarquable , si les urines sont rouges , flam


boyantes et sédimenteuses , si la susceptibilité nerveuse des en
trailles est manifestement exaltée , si l'on observe un état d'exci
tation dans toutes les facultés vitales , on a de suite recours à tous

les moyens de thérapeutique qui doivent apaiser cet orgasme gé


2. 47
358 MALADIES DE LA PEAU.

néral . Dans une circonstance absolument contraire , lorsque l'action


médicatrice languit , lorsque de l'inertie des solides dérivent des
résolutions incomplètes , des suppurations inactives , des cicatrices
informes , etc. , c'est l'occasion de mettre en œuvre les ressources
sans nombre que peut offrir la méthode perturbatrice. Ici surtout

la doctrine de l'expectation ne seroit en aucune manière admis


sible.

DCCLXXV . Un des secrets les plus importans de la thérapeu


tique , pour la guérison des maladies chroniques , est d'appeler sur
le système affecté les secours tutélaires des autres systèmes. La
réaction la plus utile dans l'économie animale , est celle qui pro
vient de la synergie de tous les organes. Afin d'effectuer cette
réaction , l'art prescrit de mettre en jeu les excitations artificielles

qui sont en son pouvoir. Les voyages , les distractions , les exer
cices de la danse ou de l'équitation , le changement d'air et de
nourriture , etc., contribuent efficacement à ce but. Les passions
même de tous les genres ont une puissance qu'on ne sauroit con
tester , quand elles sont provoquées à l'improviste ; et les Anglais ,
qui font toucher à leurs malades le corps glacé des pendus , comp
tent sans doute sur les effets salutaires de la surprise ou de la ter
reur. Lorsque le sens de l'amour s'éveille , il en résulte un effet
plus avantageux encore. Cette passion exhalante provoque dans
tous les organes un mouvement fébrile , ou , pour mieux dire , une

sorte de tumulte qui accélère le cours de la lymphe , et qui est


très-favorable au dégorgement des glandes. J'en ai vu un exem
ple frappant chez une jeune demoiselle écrouelleuse depuis l'en
fance , et à laquelle on avoit inutilement administré beaucoup de
remèdes. La plus étonnante métamorphose se manifesta dans son
état physique dès qu'elle se fut enflammée pour un jeune homme
qui passoit souvent sous les fenêtres d'une maison où elle étoit
élevée . Ces faits s'expliquent par la physiologie des âges .

DCCLXXVI . Au surplus , je répète ce que j'ai déjà énoncé dans


d'autres ouvrages . Le temps est un élément indispensable dans la
MALADIES DE LA PEAU. 359

curation des maladies chroniques , et particulièrement des mala


dies scrophuleuses. Les traitemens doivent être en général con
tinués pendant plusieurs années. Il importe , en outre , de les pra
tiquer dans les temps les plus favorables à leur réussite. Pour les
mettre en pratique , on m'a vu souvent attendre les révolutions
d'un âge critique ou l'arrivée d'une saison chaude. Si l'on néglige
cette condition , les essais de l'art sont infructueux et tournent
parfois au détriment des malades.

ARTICLE VIII .

DU TRAITEMENT INTERNE POUR LA GUÉRISON DES SCrophules .

DCCLXXVII . Il est peu de maladies qui résistent autant que


les scrophules aux moyens internes de la médecine pratique . Les
substances pharmaceutiques n'exercent qu'une action indirecte
sur les systèmes affectés. Il faut , en conséquence , préférer celles
qui manifestent une sorte d'affinité pour le système absorbant .
Sous le rapport de cette propriété médicinale , le mercure , le fer
et le soufre se trouvent certainement en première ligne . Mais l'or ,
considéré comme un métal si précieux , n'occupe ici qu'un rang
très-secondaire , malgré les vaines prétentions des alchimistes ; et
les effets miraculeux qu'on lui attribue , ne sont appuyés sur au
cune observation positive.
DCCLXXVIII . Le mercure remplit d'autant mieux les vues
pratiques du médecin dans le traitement des maladies scrophu
leuses , que la cause organique de ce fléau désespérant est presque
toujours un levain syphilitique , ainsi que nous l'avons souvent
constaté à l'hôpital Saint- Louis par des observations précises . La
plus active des préparations que nous offre ce métal extraordi
naire , est sans contredit le muriate de mercure sur-oxidé , com
360 MALADIES DE LA PEAU.

plètement dissous dans l'eau distillée , et incorporé dans des véhi


cules mucilagineux ; j'ai communément recours à ce sel , si diffusible

et si pénétrant , pour arrêter les progrès des tumeurs lympha


tiques ou pour prévenir leur développement . Il faut bénir les effets
perturbateurs de ce médicament , l'un des plus salutaires que pos
sède notre art. A Paris , on fait un fréquent emploi du calomélas
ou muriate de mercure doux , qui passe avec célérité dans le sys
tème absorbant , et modifie avec plus ou moins d'avantage ses pro
priétés vitales. On l'administre sous forme de pilules , qui sont
devenues une branche considérable de commerce pour les offi
cines de nos pharmaciens. Qui n'a pas entendu parler d'un sirop
médicamenteux auquel la renommée de Bouvard a donné une
grande vogue , et dont le nitrate mercuriel forme la base spé
ciale ! Ce sirop jouit d'une activité salutaire . Mais il faut avouer
que quelques praticiens de nos jours le prodiguent avec un empi
risme risible et qui ne s'accorde guère avec les progrès de la mé
decine philosophique. Cette pratique routinière est d'autant plus
condamnable , qu'il faudroit , au contraire , varier infiniment les
essais dans une maladie aussi rebelle , et pour ainsi dire incompré

hensible , par les nombreux ravages qu'elle occasionne.


DCCLXXIX . Les divers produits que nous donne le fer plus ou
moins oxidé par l'atmosphère ou autres agens chimiques , ont une
action bienfaisante sur l'économie animale . Le safran de mars apé
ritif est très-accrédité. L'eau martiale est la meilleure tisane dont

puissent user les scrophuleux . Le vin chalybé seconde miraculeu


sement les effets d'une bonne méthode curative . Toutes les subs

tances quasferrea virtus nobilitavit semblent augmenter les oscil


lations du système vasculaire , et réveiller les forces médicatrices.
J'ai vu toute une famille singulièrement tourmentée par des

symptômes écrouelleux , et qui s'étoit presque entièrement guérie


par l'usage continué des eaux de forges . Les médecins de l'Europe
s'accordent aujourd'hui sur l'efficacité des ferrugineux dans le trai
tement des affections scrophuleuses .
MALADIES DE LA PEAU . 361

DCCLXXX . Je n'ai jamais trop compté sur les vertus du soufre


lorsqu'il est uniquement administré à l'intérieur. Mais je parlerai
plus bas des effets avantageux qui résultent de son application
extérieure. Le carbonate de potasse étoit fort vanté par Peyrilhe ,

qui lui attribuoit gratuitement une propriété fondante et résolu


tive. D'autres praticiens donnoient la préférence aux préparations
antimoniales. Nous avons répété devant nos élèves les essais entre
pris avec le muriate de chaux , et nous n'avons recueilli que des

doutes . Un docteur anglais , M. Crawfort , a postérieurement donné


de grands éloges au muriate de baryte , et l'avoit présenté comme
un stimulant spécial des glandes lymphatiques. M. le professeur
Baumes cite un exemple très-remarquable des bons effets de ce
sel dans son ouvrage sur le vice scrophuleux , qui est un vrai mo
dèle d'expérience médicinale . Il fait mention d'un homme traité

par M. le docteur Poutingon , et chez lequel toutes les glandes du


col étoient considérablement engorgées. Cet homme désespéroit
de sa situation. Il fut néanmoins radicalement guéri par la dissolu
tion du sel de baryte , qu'on administra d'une manière soutenue
et méthodique . Les expériences de mon condisciple , M. Hébréard ,
méritent d'être citées. Elles ont été faites avec la plus scrupu

leuse exactitude . J'en avois tenté de pareilles à l'hôpital Saint


Louis , et j'avois aussi signalé la substance dont il s'agit comme un
médicament très-énergique lorsqu'il s'agit de combattre les mala
dies lymphatiques .

DCCLXXXI . Au surplus , lorsque la thérapeutique d'une ma


ladie est peu avancée , chaque médecin , chaque apothicaire a ,
pour ainsi dire , son arcane . A Paris , les teintures , les élixirs , sont
dans une vogue extraordinaire . On les compose communément
avec la racine de gentiane , l'écorce d'orange , le carbonate ammo
niacal , etc. On y fait entrer la poudre de scrophulaire , la résine
de scammonée ou de jalap. On vend aussi des pilules dont les in
grédiens sont le calomélas , le sulfure d'antimoine , l'éthiops miné
ral , etc. Il est bien certain que si , à l'aide de ces médicamens ,
362 MALADIES DE LA PEAU.

on peut parvenir à rétablir le ton des organes digestifs , le cours


de la lymphe doit reprendre son activité première , et les engor
gemens doivent diminuer.

DCCLXXXII . Le traitement que l'on fait suivre aux malades


de l'hôpital Saint- Louis est simple et souvent efficace . Lorsque les
premières voies ont reçu un ébranlement salutaire par l'adminis

tration des émétiques et des purgatifs , nous associons l'usage des


plantes amères à celui des préparations mercurielles. Les décoc
tions de quinquina , de houblon , de bardane , et de tous les bois
sudorifiques , nous ont paru très-utiles dans beaucoup de circons
tances , pour remédier aux langueurs des forces digestives. Il est
peu d'années où on ne renouvelle les essais qu'on avoit d'abord
tentés sur la ciguë , la phellandrium aquaticum , la digitale , l'a
conit , etc .; et nous pouvons dire que les mêmes incertitudes nous
arrêtent encore , lorsqu'il s'agit de déterminer les meilleurs effets
de leur administration . On est faché de voir dans les livres de la

science tant de promesses vaines , tant d'assertions futiles , tant de


guérisons imaginaires , tant de détails mensongers. Gardons - nous
donc de rien affirmer sur la foi trop prompte de nos prédécesseurs.
C'est au temps seul qu'il appartient d'affermir les pas de l'expé
rience et d'en épurer tous les résultats .

ARTICLE IX .

DU TRAITEMENT EXTERNE EMPLOYÉ POUR LA GUÉRISON DES SCROPHULES .

DCCLXXXIII . Les frictions mercurielles ont des effets très

remarquables lorsqu'elles sont pratiquées avec discernement et


continuées avec méthode sur les tumeurs scrophuleuses . Elles sont
le meilleur résolutif qu'on puisse employer ; mais il importe d'y
MALADIES DE LA PEAU. 363

recourir de bonne heure , et avant que les absorbans qui avoisi

nent la glande engorgée aient cessé d'être perméables par ce mé


dicament salutaire .

DCCLXXXIV . Nous venons d'employer avec quelque succès la

pommade de tartre stibié , dont j'ai donné la formule dans mes


Nouveaux Élémens de Thérapeutique et de Matière médicale.
Cette pommade a pour singulier effet de provoquer une sorte

d'orgasme fébrile sur la peau affectée , et d'y susciter une érup


tion de petits boutons qui ont quelque ressemblance avec ceux
qui résultent de l'inoculation de la vaccine . Ces érysipèles artifi
ciels impriment une excitation salutaire et finissent quelquefois .
par diminuer le volume des tumeurs. Mais j'ai vu aussi des cir
constances où ce moyen a été infructueux. Il faut en réitérer

les applications avec prudence , et les soutenir assez long - temps


pour effectuer la résolution des tumeurs.
DCCLXXXV. Le soufre a une action très-favorable sur les

individus qui se trouvent atteints de la maladie scrophuleuse ,


lorsqu'il est toutefois administré avec les procédés qui peuvent lui
donner l'impulsion nécessaire . Je suis souvent à même de consta
ter les propriétés médicinales de cette substance aux bains de
Tivoli , où les eaux minérales se trouvent imitées avec un art si
parfait. C'est à l'arrosoir que je les fais communément adminis
trer , et presque toujours sur les parties malades. J'ai donné des

soins à la santé d'une jeune demoiselle dont les deux joues étoient
couvertes de pustules hideuses , et qui fut miraculeusement guérie
par l'emploi continué de ce moyen. Je puis dire pareillement
avoir vu des personnes qui se louoient beaucoup d'un voyage fait
à Barèges , à Cauterets ou à Bagnères de Luchon . En général ,
toutes les eaux qui charrient le soufre et qui jouissent d'une tem
pérature très-élevée , sont salutaires dans les scrophules , parce
qu'elles réveillent par la percussion l'action assoupie ou languis
sante de toutes les glandes lymphatiques. Les eaux chargées de
sels alkalins , tels que le carbonate de soude ou de potasse , etc.,
364 MALADIES DE LA PEAU.

celles qui contiennent des substances ammoniacales , sont d'une


grande utilité. Enfin , de grands avantages sont accordés à l'eau de
mer , et il paroît surtout que les Anglais la font servir avec un

plein succès à leurs divers systèmes de guérison . Il faut toutefois


savoir l'approprier aux circonstances et aux périodes de la mala
die. Marina aqua et magná et variá quádam vi pollet : sed impe

riti facilè ipsa perperàm uti possunt. Russel. De tabe glandularI


SIVE DE USU AQUÆ MARINE , IN MORBIS GLANDULARUM , elc.

DCCLXXXVI . On peut employer avec succès , à l'extérieur


des glandes engorgées , des emplâtres qui ont pour base de leur
composition , la ciguë , le savon , les oxides mercuriels , etc. Lorsque
la scrophule se manifeste par des pustules , et qu'elle s'étale uni

quement sur l'appareil tégumentaire , aucun topique ne m'a paru


préférable au nitrate d'argent fondu , pour amoindrir les ravages
de la maladie scrophuleuse , et je supplie mes lecteurs d'y faire
une attention sérieuse . Ce tonique a pour avantage de produire
une excitation permanente sur la peau et d'y susciter tous les
phénomènes d'une fièvre locale . Il est rare que la maladie ne perde
pas de son intensité lorsqu'on a pratiqué plusieurs couches suc
cessives de cette préparation à des intervalles convenables. Le
nitrate d'argent dénature à la longue les irritations morbifiques.
Les médecins étrangers qui sont venus visiter l'hôpital Saint
Louis , ont été frappés d'étonnement en voyant une si grande
quantité de malades guéris ou soulagés par ce procédé extérieur ,
dont je puis dire avoir donné le premier l'idée et suggéré le mode
d'application .
DCCLXXXVII. Les vésicatoires , les cautères , les sétons , les
ventouses , le moxa , etc. , trouvent leur emploi dans le traitement
des scrophules cutanées. Le feu semble épurer le ferment corrup
teur de cette maladie. Il semble empêcher les déviations funestes
de ce vice , qui a tant d'affinité pour les organes de la poitrine. Que
ne dirois-je pas , si je voulois exposer ici toutes les précautions à

prendre pour assurer la cure des ulcérations , pour consolider la


MALADIES DE LA PEAU. 365

réunion des plaies et diminuer la difformité des cicatrices , etc. ?

Les physiologistes seuls , qui ont une idée exacte des lois de la
réaction vitale , peuvent saisir les heureux effets de tous ces
moyens extérieurs , tandis que les médicastres s'abusent et prodi
guent infructueusement une multitude de remèdes absurdes et
insignifians.
DCCLXXXVIII . Une discussion sérieuse s'est élevée dans nos

écoles cliniques , relativement à l'utilité des opérations chirurgi


cales pour les scrophules articulaires. Un moyen aussi hardi
m'avoit paru d'abord très-redoutable. Mais le raisonnement doit se

taire devant des expériences décisives. Sans doute il seroit impru


dent d'enlever des tumeurs scrophuleuses dans des parties pour

vues de nerfs ou de vaisseaux importans ; mais il n'en est pas de


même pour les caries qui attaquent les articulations des membres.
J'ai vu pratiquer plusieurs opérations de ce genre par mon ami ,
M. Richerand ; et toujours le succès a couronné cette tentative :
à la vérité les sujets étoient vigoureux et robustes . Mais M. Lalle
ment n'a pas été moins heureux dans l'hospice de la Salpêtrière .
Nous conservons dans l'hôpital Saint-Louis une jeune fille de vingt
ans dont l'exemple doit encourager ceux qui voudroient tenter de
pareils essais. Il s'étoit établi à sa cuisse et à sa jambe droite une
dégénérescence éléphantine qui avoit acquis un volume mons
trueux , et qu'on désespéroit de pouvoir guérir par les moyens
communément usités . Il est digne d'observation que , depuis que

cette jeune personne a eu l'extrémité inférieure amputée , son


embonpoint s'est accru à un point prodigieux ; son teint a pris
toutes les couleurs de la santé la plus vive . On diroit qu'il se passe
ici un phénomène analogue à celui de l'émondation des arbres .
Les membres qui restent semblent augmenter d'énergie et de
vigueur .
DCCLXXXIX . Je ferai remarquer , du reste , que les remèdes

appliqués à la curation des scrophules n'obtiennent quelque réus


site qu'autant que les malades ne négligent aucun des moyens
2. 48
366 MALADIES DE LA PEAU.

diététiques , . et qu'ils s'astreignent aux lois du régime . Ils doi


vent n'user que d'une nourriture saine et facile à digérer ; mais
on a tort , ce me semble , d'imaginer qu'il ne faut les alimenter

qu'avec une viande bonne et succulente . Ce préjugé est un de


ceux qu'il est le plus important de détruire. En effet , si la
diète , purement animale , influoit tant , comme on le dit en

France , sur la guérison de la maladie qui nous occupe , l'Angle


terre seroit-elle peuplée de scrophuleux ? Ce régime fortifiant ne
convient réellement qu'aux malheureux habitans des campagnes ,

dès long-temps affoiblis par tous les genres de privation . Ce qui


convient , du reste , aux scrophuleux de toutes les classes , c'est de

respirer un air salubre , de rechercher les lieux secs et bien expo


sés , de se livrer à un exercice habituel , de monter à cheval , de

cultiver la natation , de se fortifier par des voyages ou par des tra
vaux rustiques , de se distraire par la chasse , la pêche , ou par des

jeux propres à raffermir la fibre et à provoquer une transpiration


abondante. Je l'avouerai toutefois , la thérapeutique des scrophules
forme véritablement un grand vide dans les fastes de notre art.
Tout est , pour ainsi dire , à rechercher contre cette maladie , si
profondément invétérée dans l'économie physique de l'homme .
Rien n'est plus inexpugnable que ce mal factice de notre vie
sociale. Il faudroit d'autres habitudes et surtout d'autres mœurs
pour s'en délivrer.
LES PSORIDES .

DCCXC. Je comprends sous le genre des psorides toutes les


affections cutanées dont le caractère général est de provoquer à

la surface de la peau un prurit plus ou moins énergique qui porte


les malades à se gratter sans cesse pour éteindre ou apaiser la sen
sation pénible qui les incommode . Ce caractère , qui les accompa
gne toujours , en fait une famille à part. Le vulgaire même est tel
lement frappé de la similitude de ces éruptions superficielles , qu'il
les confond sous la dénomination commune de gale. Un des grands
points d'utilité de cette dissertation sera , je l'espère , d'avoir soi
gneusement séparé par des caractères positifs des maladies qu'on
avoit confondues.

DCCXCI. Quelques auteurs ont donné à ces maladies l'épithète


de sordides . Ils ont voulu ainsi les distinguer de ces efflorescences
fébriles , plus communément désignées sous le nom d'exanthemes ,
et enfin de toutes les maladies qui peuvent attaquer la peau. Ce
sont des éruptions sans fièvre primitive , dont la plupart ne sont
point contagieuses , mais qui , presque toujours , s'offrent à nos
regards sous l'aspect le plus hideux et le plus dégoûtant.
DCCXCII . Ces sortes d'affections p'attaquent ordinairement
que la lie du peuple , et c'est dans les classes les plus inférieures

de la condition humaine qu'elles exercent leurs affreux ravages.


Parfois , il arrive néanmoins que malgré tous les soins de l'hygiène
la plus éclairée , on les voit s'attacher à tous les rangs et à toutes
les classes de la société. Parmi ces maladies dont nous nous pro
posons de donner l'histoire , on en remarque qui dérivent manifes
tement d'une cause interne , comme , par exemple , d'un vice
particulier qui s'est introduit par degrés dans le système lympha
tique ; mais il en est d'autres qui proviennent d'une cause exté
rieure , et qu'on peut attribuer à la présence de certains animal
368 MALADIES DE LA PEAU.

cules dont les naturalistes ont particulièrement étudié la forme et


la configuration .
DCCXCIII. C'est depuis la découverte du microscope , c'est
surtout depuis que l'histoire naturelle sert quelquefois de guide à
la médecine pratique , qu'on a rectifié beaucoup d'idées sur la
nature des causes et l'origine de certaines maladies psoriques :
tant il est vrai que les recherches les plus disparates et les plus
éloignées en apparence de notre art ne laissent pas d'être d'un
grand avantage pour l'éclaircissement de certains problèmes ,
souvent même pour la solution des questions les plus difficiles de
la science !

DCCXCIV. J'ajouterai que ces sortes de recherches ont intro


duit une précision extrême dans nos connoissances ; car rien n'é
gale la confusion qui régnoit auparavant dans l'histoire des affec
tions psoriques chez les anciens . Il semble qu'effrayés par les
dégoûts que leur inspiroient de pareils maux , ils aient tout mêlé
et tout confondu dans leurs observations.

DCCXCV. C'est donc une grande faute de n'étudier la nature


malade que par les yeux de nos prédécesseurs et de se persuader

qu'ils ont tout vu et tout aperçu avant nous . La vieille érudition


embrouille presque toujours ceux qui veulent acquérir des no
tions exactes en pareille circonstance. De quel secours en effet
peuvent être les livres pour des objets journellement exposés à
nos regards ? Pour s'instruire en semblable cas , ne suffit-il pas de
tracer fidèlement des histoires particulières dans l'intérieur de
Los hôpitaux ? Quand je vois , par exemple , nos érudits , au sujet
de la gale , si commune de nos jours , compulser Oribase , Paul
Æginète , Aëtius , Rhazès et Avicenne , je ne m'attends pas à
plus de lumières , que si j'allois étudier les plantes dans Mathiole
ou dans Dioscoride. A quoi sert donc ce luxe de citations et
d'autorités insignifiantes ? un latin élégant , un choix de termes
bien appropriés , peuvent-ils remplacer un vide réel dans la des
cription des faits qu'il est important de recueillir ?
MALADIES DE LA PEAU. 369

DCCXCVI. Les anciens n'avoient pas les mêmes moyens que

nous pour constater l'existence des insectes qui s'attachent à la


peau. On trouve néanmoins dans leurs écrits des assertions qui
prouvent qu'ils en avoient connoissance . Plusieurs d'entre eux ont

dit d'une manière expresse qu'il pouvoit se développer des êtres


vivans sous la peau des mains , des jambes et des pieds. Avenzoar ,
médecin arabe , prétend qu'au moment où on aperçoit sur les
boutons un suintement léger , il en sort des animaux d'une si
petite dimension , que l'œil peut à peine les distinguer . Ces ani
maux se trouvent sous l'épiderme , où ils cheminent comme la
taupe sous la terre. Ne trouvons-nous pas dans les livres saints les
tableaux les plus pittoresques de la maladie pédiculaire ?
DCCXCVII . J'ai déjà dit plus haut que toutes les maladies pso
riques n'étoient pas contagieuses , et c'est là un des caractères qui
servira à faire distinguer les espèces qui se rattachent au genre
que nous décrivons , ainsi que j'aurai occasion de le démontrer
dans la suite de ce travail ; il est donc des psorides qui ne peuvent
se contracter , ni par le contact du visage et des mains , ni par le

voisinage de l'être infecté , ni par l'usage des mêmes vêtemens , etc.


Le caractère contagieux ne convient qu'à la gale proprement dite ;
je l'assigne comme un des phénomènes essentiels qui séparent
cette maladie de la psoride papuleuse.

DCCXCVIII . Les psorides se manifestent communément par


des pustules conoïdes , contenant une lymphe incolore et qui jau
nit en s'épaississant ; dans certains cas , ce fluide aqueux est promp
tement résorbé . Quelquefois , comme dans la psoride papuleuse ,
ce sont de simples élevures , irrégulièrement répandues et à peine
visibles , qui sont accompagnées du plus violent prurit. Il en est
qui forment de petites tumeurs circonscrites , à base dure , circu
laire , enflammée , qui tournent à une suppuration lente mais com
plète , comme dans la psoride crustacée.
DCCXCIX . On voit toutes ces éruptions se terminer en général
par de petites exfoliations de l'épiderme , par de petites écailles
370 MALADIES DE LA PEAU.

opaques ou transparentes ; quelquefois par des croûtes qui couvrent


des ulcérations plus ou moins superficielles. A ces ulcérations suc
cèdent parfois des stigmates ou des pétéchies livides. J'aurai occa
sion de revenir sur ces caractères spéciaux qui signalent le genre
des psorides .

DCCC. Quelle que soit l'irritation occasionée par la présence


des psorides , il est rare que ces maladies excitent une rougeur
considérable sur la périphérie de la peau , comme il arrive dans
les efflorescences fébriles plus communément désignées sous le
nom d'exanthemes . Dans la psoride papuleuse , par exemple , on
n'en observe pas la moindre trace ; quand on gratte ou qu'on
écorche le sommet des papules , on n'en fait jaillir qu'un peu de

sérosité sanguine , simple résultat de la déchirure des tégumens .


Le développement des poux sous l'épiderme de certains malades

produit pareillement un malaise qui n'est jamais assez puissant


pour provoquer les phénomènes de l'inflammation , ou pour dé
terminer une suppuration véritable ; d'ailleurs cette maladie a
principalement lieu à l'époque de la vie où le système cutané a
perdu toute son énergie et son activité.
DCCCI . On verra dans le cours de cette dissertation , que chaque

espèce de maladie prurigineuse a , pour ainsi dire , son mode par


ticulier de distribution à la surface de la peau; et c'est d'après ce

mode de distribution , qu'elles produisent des irritations plus ou


moins prolongées , plus ou moins incommodes. On verra par les
descriptions exactes que nous allons mettre sous les yeux de nos
lecteurs , que la psoride pustuleuse se montre principalement dans
les intervalles des doigts , sous les aisselles , au pli des jarrets, etc .;
que la psoride papuleuse éclate principalement derrière les épaules ,
où elle détermine une si vive irritation , qu'il est impossible de
vaincre ce genre de souffrance ; on verra enfin que la psoride crus
tacée a lieu à la partie externe des cuisses et des jambes. Dans
quelques occasions , on la voit néanmoins se manifester aux bras
et aux avant- bras.
MALADIES DE LA PEAU. 371

DCCCII. Les psorides dont je vais donner l'histoire ne sont pas


seulement des maladies fréquentes dans les grandes villes et pro

pres au cercle de notre civilisation ; des voyageurs dignes de foi


ont remarqué que les sauvages y étoient particulièrement sujets.
Dans les forêts de la Guiane , les tribus qui forment leurs établisse
mens au milieu des marécages et qui vivent dans une saleté dé
goûtante sont très-fréquemment sujettes soit à la psoride pustu
leuse , soit à la psoride papuleuse , maladies qu'elles exaspèrent
très-souvent par une médecine empirique , ou qu'elles parvien
nent à guérir par des plantes dont l'expérience leur a révélé les
propriétés. M. de Préfontaine avoit fait des remarques très- curieuses
sur les races indiennes qui sont particulièrement sujettes aux ma
ladies cutanées.

DCCCIII . Les correspondances que j'ai établies avec les méde


cins qui pratiquent leur art dans les campagnes les plus isolées ,
et particulièrement dans la Basse-Bretagne , m'ont fourni aussi

quelques renseignemens précieux à ce sujet. On sait , par exem


ple , qu'il existe depuis un temps immémorial une gale , qui est ,
dit-on , héréditaire dans la commune de Plouquernével , ainsi que
dans celles de Plouveney et de Goarec ; on y rencontre des familles
entières d'individus qui , de génération en génération , en sont
constamment atteints. Je discuterai ce point plus bas , lorsque je
traiterai des causes qui influent le plus directement sur la produc
tion des maladies psoriques .
DCCCIV . Ces mêmes affections se montrent aussi très-fréquem
ment chez les animaux domestiques . Le cheval , si utile à l'homme ,
le chien fidèle , le chat , hôte auxiliaire qui purge nos maisons des
êtres les plus incommodes , les moutons mal nourris , etc. , présen
tent quelquefois les symptômes de la psoride papuleuse dans toute
leur intensité. Les différentes sociétés , établies pour les progrès de
l'agriculture et de l'économie rurale , rassemblent journellement

à ce sujet les observations les plus remarquables .


DCCCV . Je ne traiterai ici que des psorides qui attaquent l'es
372 MALADIE DE LA PEAU .
S

pèce humaine ; c'est après les avoir long-temps étudiées dans l'in
térieur des hôpitaux et dans les différentes classes de la société ,
que je crois devoir ranger leurs phénomènes caractéristiques sous
trois chefs principaux . En exposant d'une manière successive les
symptômes de la psoride pustuleuse , de la psoride papuleuse et de
la psoride crustacée , on voit que je ne m'écarte jamais de la mé
thode que j'ai adoptée dans cet ouvrage , qui est de grouper les
maladies qui s'appartiennent par le plus grand nombre de rap
ports. C'est en vérité sans fiel , mais c'est avec étonnement , que
nous avons vu quelques hommes se montrer contraires à cette

marche , qui est si favorable aux progrès de notre art , et nous


combattre par des objections que je ne puis sérieusement réfuter.
DCCCVI. Je suis sur le théâtre de l'observation , et j'avoue que

je ne saurois m'entendre avec ces spéculateurs de cabinet , qui


donnent pour des résultats certains les conceptions imaginaires de
leur cerveau. Pour classer les accidens de la nature malade ,
de quoi nous serviroit le faste des mots et l'arrangement symétri–
que d'un brillant système ? C'est la vérité des choses et non l'éclat
des paroles stériles qui peut satisfaire les observateurs.
R
00 cop
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DUE & O 80
C 8
2 088
8
88
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90 168

Pustuleu
Poride se Vulgaire
Plaes, Sculpt
!
51

Psoride Pustuleuse canine!

Staes, Soulp!
PREMIÈRE PARTIE .

ESPÈCE PREMIÈRE .

PSORIDE PUSTULEUSE . PSORIS PUSTULOSA. ( PLANCHES L ET LI. )

Éruption contagieuse , s'étendant sur une ou plusieurs parties du corps , le plus souvent
dans les interstices des doigts , ou à la face interne des poignets , au pli des coudes et
des genoux , sous les aisselles , aux parties latérales du ventre , le long des cuisses , etc. ,
sous forme de petits boutons ou nœuds , dont nous décrirons plus bas la forme et
la marche.
On rattache communément à cette espèce les deux variétés suivantes :
A. LA PSORIDE PUSTULEUSE PURULENTE OU VULGAIRE. Psoris pustulosa. —On la nomme
aussi gale humide. Elle est plus particulièrement désignée sous cette dernière dénomi
nation , parce que les boutons qu'elle détermine renferment une matière qui tend de plus
en plus à devenir purulente. Cette variété attaque principalement les personnes grasses,
douées d'un tempérament lymphatique ou sanguin.
B. LA PSORIDE PUSTULEUSE SÉREUSE OU CANINE. Psoris pustulosa . On la nomme aussi
gale canine à cause de sa ressemblance avec l'éruption qui attaque si souvent nos chiens
domestiques , et que ces animaux peuvent communiquer à l'homme. Dans le bouton qui
distingue cette variété de gale , il n'y a guère qu'une matière séreuse et très-limpide.
Elle attaque de préférence les individus maigres , d'un tempérament mélancolique ou bi
lieux , doués d'une fibre sèche.
OBS. Ces deux variétés de gale sont absolument la même maladie. S'il y a quelque
différence dans les boutons qui la constituent , il faut l'attribuer à l'idiosyncrasie du
sujet qui s'en trouve affecté.

2. 49

374 MALADIES DE LA PEAU.

TABLEAU DE LA PSORIDE PUSTULEUSE .

DCCCVII . La psoride pustuleuse se montre à peine sur les té


gumens , que les malades éprouvent déjà un sentiment de prurit ,
de cuisson ou d'ardeur. La peau est quelquefois rouge et comme
un peu phlogosée ; mais bientôt l'apparition des boutons décèle le
caractère de la maladie . Ces boutons se montrent dans les parties

du corps qui ont été primitivement infectées ; mais , comme je l'ai


déjà dit , on les remarque le plus souvent aux faces internes des
doigts des deux mains , aux poignets , aux jarrets , aux aisselles
d'où ils peuvent se propager ensuite sur tout le reste du corps.

J'en ai vu se développer sur le visage des enfans , quand ils em


brassent trop souvent le col de leurs nourrices galeuses . Le même
phénomène a lieu sur toutes les portions de l'appareil tégumen
taire qui se trouvent exposées à la contagion.
Personne n'ignore que la psoride pustuleuse se manifeste par
de petits boutons blancs et comme noueux , tantôt rapprochés les
uns des autres , tantôt disséminés çà et là sur la périphérie de la
peau. Ces boutons , dont la base est plus ou moins dure , se conver
tissent en pustules vésiculeuses , lesquelles ne tardent pas à se
remplir d'une humeur séreuse , limpide et transparente : on les
voit s'élever et augmenter progressivement de volume. Quand ils
ont atteint leur accroissement , les démangeaisons redoublent ;

elles se font particulièrement sentir quand les malades se couchent


et s'échauffent par la chaleur du lit.
Il est digne d'observation que les pustules prennent plus ou
moins d'étendue , selon l'idiosyncrasie , le tempérament de chaque

sujet , le relâchement du tissu muqueux , le genre de vie et le dé


faut de propreté ; en général , elles se multiplient davantage dans
les endroits où la peau est moins exposée à l'action de l'atmo
sphère. L'humeur transparente qu'elles renferment prend avec le
MALADIES DE LA PEAU. 375

temps plus de consistance . Les boutons s'élargissent en suppurant


et se couvrent enfin d'une écaille sale et grisâtre ; quelques - uns

d'entre eux deviennent plus ou moins confluens ; ils s'agglomèrent


et parfois se confondent . Le prurit devient alors si véhément , que
chez certains individus il provoque la fièvre , en sorte qu'ils ne
peuvent goûter un seul instant de sommeil , et qu'on les trouve le
matin avec une peau tout-à-fait déchirée ou lacérée par leurs
propres ongles. Tel est le spectacle ordinaire des souffrances que
nous offre l'intérieur de l'hôpital Saint-Louis , où la psoride pustu
leuse sévit sous toutes ses formes.

Nous représentons ici la psoride pustuleuse exempte de toute com


plication ; car , si elle se manifeste avec d'autres maladies , on con
çoit qu'elle doit plus ou moins participer de ces divers modes d'al
tération . Il auroit beaucoup de choses à dire sur le genre de
y
prurit qui l'accompagne ; ce prurit suscite une sorte d'ardeur

dans toute la peau , ardeur qui redouble quand on viole les lois du
régime, quand on s'abandonne avec excès aux liqueurs spiritueuses,
quand on se nourrit de matières épicées , de viandes lourdes et
indigestes , etc. Les individus qui sont en proie à ce violent prurit
éprouvent même une sorte de volupté lorsqu'ils se grattent : cette
observation n'échappe à personne . On a souvent parlé des habitans
de la Basse-Bretagne et d'autres lieux où se déclare fréquemment
cette sordide éruption ; on sait qu'ils aiment à faire usage de che
mises de toile neuve , particulièrement de celles dont le tissu est
rude et grossier : le frottement habituel qui en résulte , leur pro
cure par intervalles les plus agréables sensations .

Mais les boutons qui se manifestent dans la psoride pustuleuse


n'ont pas toujours la même physionomie : tous les observateurs

ont fait mention du genre d'éruption que l'on désigne communé


ment sous le nom de gale canine ou gale miliaire . Cette variété se
manifeste par des vésicules qui n'acquièrent jamais qu'une très
petite dimension ; sans doute parce que la matière qu'elles con
tiennent reste toujours à l'état séreux . Ici les boutons ne s'élar
376 MALADIES DE LA PEAU.

gissent point comme dans la variété précédente ; ils conservent


toujours leur forme conique : c'est celle qui se déclare si souvent
sur la peau du chien domestique , et que l'homme peut contracter
de cet animal . J'ai traité à l'hôpital Saint- Louis des postillons qui
l'avoient gagnée par le contact de chevaux infectés qu'on avoit
confiés à leurs soins.

La gale proprement dite , canine ou miliaire , a un caractère

d'opiniâtreté qu'on ne remarque point dans celle qui vient à


une complète suppuration ; d'ailleurs , elle se place pareillement
aux poignets, dans les interstices des doigts, aux plis des bras et des
genoux , à la partie interne des cuisses , etc. La peau est comme
papuleuse ; de petits boutons luisans en proviennent quand ils
s'ouvrent d'eux -mêmes ou quand on les perce , il en sort un fluide
transparent ou limpide ; le bouton s'affaisse ensuite ; il s'y forme
une écaille légère qui ne tarde pas à tomber. Il est facile de voir
qu'ici l'épiderme soulevé ne contenoit qu'une matière séreuse.
Les démangeaisons sont surtout très- vives lorsqu'il y a beaucoup
de chaleur dans l'atmosphère ; mais elles sont moindres lorsqu'il
fait froid : les boutons ont même ceci de particulier , qu'ils dispa
roissent soudainement pendant le frisson de la fièvre , pour se

remontrer dans le période de la chaleur. En général , tout ce qui


augmente la chaleur interne est propre à accroître le volume des
boutons psoriques , sans qu'on puisse en assigner la cause . Cepen
dant , lorsqu'une maladie aiguë se déclare , il est fréquent de voir
que pendant toute sa durée la gale s'évanouit , pour ainsi dire , au
point que les boutons ne sont plus apercevables . Nous remarquons
ce phénomène dans la fièvre angioténique , dans la fièvre adyna
mique , dans les violentes attaques de rhumatismes , etc .: j'en
pourrois citer une multitude d'exemples. Ajoutons , néanmoins ,
que lorsque ces diverses maladies parviennent à leur entière solu
tion , la gale reparoît avec son même mode d'éruption , et le genre
de prurit qui la caractérise . Ce fait est certainement curieux à
remarquer : nous y reviendrons quand il sera question del'étio
MALADIES DE LA PEAU. 377

logie des psorides , qui dans tous les temps a occupé les natura
listes et les médecins . Je ne puis néanmoins m'empêcher de citer
ici l'histoire d'un malheureux cordonnier , qui a gardé pendant

sept ans la gale canine sans le savoir ; il attribuoit constamment les


démangeaisons qu'il ressentoit , à des maladies antérieurés qu'il
avoit éprouvées et qui étoient sans cesse remplacées par un prurit
des plus insupportables . Enfin , cet individu arriva un jour à l'hô
pital Saint-Louis dans un état d'épuisement difficile à décrire . Il
avoit l'air égaré , les yeux fixes , un délire fugace et une absence
totale de sommeil ; son corps étoit parsemé de boutons blancs et
comme perlés , qui se montroient en plus grand nombre aux
doigts et aux poignets que partout ailleurs. Le caractère de cette

éruption fut soudainement reconnu , et l'administration méthodi


que des bains sulfureux ramena le malade à l'état de santé le plus
satisfaisant.

Il est du reste dangereux de garder long-temps la psoride pus


tuleuse ; chez certains individus , elle finit par désorganiser abso
lument la peau. Ce qu'il y a surtout à redouter , lorsque la gale a
vieilli sur les tégumens , et qu'on a négligé de la combattre , c'est
l'apparition d'une certaine quantité de clous , de furoncles , ou
autres éruptions secondaires , qui sont le pur résultat de l'irrita
tion générale où nous place cette désolante maladie. Ses ravages
sont tels , qu'il survient par intervalles des ulcères chroniques ,
des abcès interminables ; j'ai vu de vastes clapiers , tout pleins
d'une matière purulente , qui se formoient sous la peau et qui
résistoient à tous les moyens curatifs . J'ai vu des phlegmons né
gligés entraîner la mort d'un individu qui avoit long-temps langui
dans les cachots , et qui s'étoit desséché par les progrès d'une
fièvre hectique. Un matelot se grattoit depuis plusieurs années ,
sans avoir jamais connu la véritable source du mal qui le dévoroit .
Dans ce déplorable état , les boutons ne laissoient , pour ainsi dire ,
aucun intervalle entre eux ; ce n'étoient que de larges croûtes
sur quelques parties des tégumens. Sa peau étoit devenue comme
378 MALADIES DE LA PEAU.

une râpe. Quand de tels accidens surviennent , la gale est en


quelque sorte méconnaissable . Elle change absolument de forme
et de physionomie .
Il est donc des individus qui augmentent eux-mêmes les acci
dens funestes de la psoride pustuleuse par l'irrégularité de leur
régime , par leurs habitudes crapuleuses , par l'excessive malpro
preté de leur linge et de leurs vêtemens. De là vient que les
peuples qui négligent les règles de l'hygiène sont sujets à des in
flammations graves par l'effet des gales longues et invétérées .
M. le docteur Vallerand a vu un grand nombre d'Espagnols ren
fermés dans l'hospice Saint-Jacques de Dijon , en 1812 , époque
à laquelle une dyssenterie contagieuse moissonnoit une grande
partie des sujets et se trouvoit entretenue par une négligence
constante des soins de propreté. On voyoit des furoncles survenus
dans plusieurs parties du corps , surtout au creux des aisselles
quelques-uns de ces furoncles se développoient sur un même point
et formoient comme des anthrax , suivis d'une suppuration aussi
abondante que long-temps continuée . Plusieurs fois on fut con

traint d'ouvrir de vastes abcès , qui ne connoissoient d'autres causes


que la gale négligée . Ce qu'il y avoit de remarquable dans ces fu
roncles et dans ces abcès , c'est leur caractère opiniâtre . Quelques

malades gardoient le lit pendant plusieurs mois. M. Vallerand


cite surtout l'exemple d'une femme âgée de quarante -deux ans ,
d'une constitution vigoureuse et qui avoit des boutons psoriques
sur toutes les parties de son corps ; elle étoit dans un état de souf
france dont on se fera facilement une idée , lorsqu'on saura
qu'une quantité prodigieuse de ces boutons suppuroient à leur

sommet , et qu'il existoit en outre douze ou quinze phlegmons


de différens volumes , aux aisselles , aux aines , aux parties laté
rales du col . Il lui étoit presque impossible de se mouvoir. Cette
personne infortunée étoit en proie à une fièvre de résorption qui
donna les plus vives inquiétudes pour ses jours. Il fallut des pré
cautions infinies pour l'arracher au danger qui la menaçoit .
MALADIES DE LA PEAU. 379

Heureusement que , de nos jours , les soins de l'hygiène sont

trop bien administrés dans nos hôpitaux , pour qu'on puisse y


observer tous les résultats tragiques des gales négligées . Qui croi
roit pourtant qu'une maladie aussi légère en apparence , peut avoir
des effets sinistres ; qu'elle fait maigrir les malades ; qu'elle les jette
dans le dépérissement et la consomption ; qu'elle détermine une
véritable dégénérescence des tégumens , au point d'en interrom
pre toutes les fonctions ? Tous les organes liés au derme par des
communications sympathiques éprouvent des altérations plus ou
moins graves , et un individu qui seroit abandonné à lui-même
.
dans un désert , en proie à cette horrible maladie , y subiroit des
tourmens dont il est impossible de concevoir la violence . J'en ai
rencontré un , dont la raison s'étoit totalement aliénée depuis
qu'on l'avoit livré à son isolement et à sa misère , dans l'une des
rues indigentes de Paris.

OBSERVATIONS RELATIVES A LA PSORIDE PUSTULEUSE .

Première observation.- Alexandrine Vollet , couturière de son


état , est affectée depuis un mois d'une psoride pustuleuse ,
qu'elle a contractée au bal par le seul contact des mains . Les
boutons ne sont pas très- nombreux ; on en voit principalement
dans les intervalles des doigts , aux poignets , au pli des articula
tions , etc.; les mains sont engorgées , et la malade ne s'en sert
qu'avec difficulté ; il est des boutons volumineux , d'autres qui le
sont moins : tous s'élèvent en pointe et se remplisssent d'un pus
blanc , un peu séreux ; quand on les crève , ils s'affaissent et quel
quefois il se forme une nouvelle collection de matière. Le plus
ordinairement les boutons se couvrent d'une croûte légère , qui se

dessèche et tombe après un temps plus ou moins long. Voilà un


des cas les plus vulgaires de la psoride pustuleuse et purulente .
380 MALADIES DE LA PEAU.

Deuxième observation . ― Marie Branche entra à l'hôpital

Saint-Louis six semaines après avoir contracté la maladie. Elle


éprouvoit de vives démangeaisons aux doigts , aux poignets , sous
les aisselles , aux jarrets ; ces démangeaisons augmentoient le soir ,
dans la nuit et toutes les fois que la malade avoit chaud : elles pré
cédoient le développement d'une multitude de boutons , d'abord
remplis d'une sérosité limpide ; ces boutons grossissoient et se rem
plissoient ensuite d'un véritable pus. La base de ces boutons
étoit d'une couleur rouge et animée ; quelques-uns étoient très
larges et finissoient par s'affaisser , mais leur base restoit toujours
environnée d'une aréole inflammatoire. Cette femme , qui étoit
nourrice , avoit une petite fille dont les fesses étoient couvertes
de boutons psoriques .
--
Troisième observation . — M. Jannin , de Besançon , élève de
l'hôpital Saint-Louis , a tracé ainsi sous mes yeux le tableau de la
psoride pustuleuse purulente . Les boutons qui n'ont que douze
heures d'existence sont petits , conoïdes , transparens , environnés
d'une aréole inflammatoire assez prononcée ; quelques -uns plus

anciens sont de la grosseur d'une lentille , et même plusieurs ont


plus d'étendue ; leur sommet est jaunâtre , déprimé au centre ,
leur base d'un rouge plus prononcé. Les cercles inflammatoires
sont confondus ; les pustules contiennent une assez grande quantité
de sérosité purulente , sans odeur désagréable. Une inflammation
érythémateuse occupe tout le dos des deux mains ; les doigts sont
gonflés , ce qui gêne leurs mouvemens . La peau est le siége d'une
douleur et d'une tension analogues à celles qu'éprouvent les ma
lades atteints de variole lorsque survient le période de suppura

tion . Quelques-uns de ces boutons , déchirés par l'action des on


gles , ont laissé des croûtes brunâtres agglomérées entre elles ;
d'autres ont rendu la peau rugueuse , dure et d'une couleur vio
lacée : dans ce cas- ci , le prurit n'étoit pas très-incommode , surtout
dans la journée. Le malade se plaignoit plutôt d'un sentiment de
brûlure assez pénible .
MALADIES DE LA PEAU. 381

Quatrième observation . ―――― Un perruquier nommé Gaspard


Ondin vient demander du secours à l'hôpital Saint-Louis . Il est
atteint d'une éruption de boutons sur toute l'enveloppe cutanée :
ces boutons lui causent des démangeaisons qu'il a toute la peine
du monde à apaiser ; ils sont particulièrement fixés dans les inter
valles des doigts et aux articulations radio - carpiennes . Ces bou
tons , tantôt solitaires , tantôt rassemblés en plus ou moins grand
nombre , offrent différentes formes : quelquefois ils sont larges

et aplatis , d'autres fois demi-sphériques . Leur base est rouge et


enflammée , leur sommet présente une vésicule le plus souvent
déprimée à son centre , et remplie d'un liquide puriforme : l'ef
fusion de ce liquide est bientôt suivie de croûtes rougeâtres , qui

tombent par portions squammeuses furfuracées . Le malade éprouve


de fortes démangeaisons qui semblent partir du sein même de ces
pustules ; elles s'apaisent par le frottement et à mesure que le ma
lade se gratte : elles sont plus violentes la nuit que pendant le jour.
Cinquième observation . - Voici maintenant un tableau exact
de la psoride pustuleuse canine . Sophie Pruneau , âgée de vingt
deux ans , d'un tempérament sanguin , entra à l'hôpital Saint-Louis
pour se faire guérir d'une gale qu'elle avoit contractée en cou
chant avec une personne qui en étoit pareillement affectée . Bien
tôt après , éruption d'une multitude de boutons blanchâtres dans

les interstices des doigts , aux poignets , aux aisselles , entre les
deux mamelles , au ventre , à la partie interne des cuisses ; le vi
sage seul étoit excepté de l'invasion . Ces boutons ressembloient

d'une manière parfaite à des grains de millet , assez rapprochés ,


sans pourtant jamais se confondre , tantôt rouges , tantôt de la cou
leur de la peau , présentant une vésicule cristalline et transpa
rente , d'où découloit une sérosité limpide . Alors la pointe acu
minée du bouton s'affaissoit ; mais la base restoit dure , rouge et

un peu animée . Pendant toute la durée de ces boutons , il se ma


nifestoit des démangeaisons insupportables , qui empêchoient tout
sommeil .
"
2. 50
382 MALADIES DE LA PEAU.

Sixième observation. - Mon élève M. Jannin a tenu pareille

ment registre de plusieurs faits relatifs à la psoride pustuleuse


canine ou miliaire . Dans cette gale , les boutons sont peu volu
mineux , très-rapprochés les uns des autres , surtout au dos des
mains et à la face interne des doigts ; ils sont conoïdes et transpa
rens , quelques-uns sans changement de couleur à leur base ,

d'autres ayant une aréole inflammatoire très-peu prononcée.


Leur apparence est celle d'un grain de millet ; ils contiennent un
liquide visqueux et transparent ; le malade les déchire avec ses

ongles , la sérosité s'écoule : alors on aperçoit la base du bouton ,


qui est d'abord d'une couleur rosée , forme ensuite un point
rouge , puis noirâtre ; il succède une écaille très -mince , qui dis
paroît à la longue et ne laisse point de cicatrice . Cette courte des

cription est le résultat de ce qu'on peut observer chez le plus


grand nombre des individus atteints de psoride pustuleuse canine .
Septième observation . — En voici encore un exemple , re
cueilli avec une exactitude particulière. La nommée Brideron ,
âgée de vingt-neuf ans , d'un tempérament sanguin , n'a jamais
eu qu'une seule fois la gale : elle l'a contractée en se servant d'une
couverture de laine qui avait été à l'usage d'autres malades . Ce
n'est que deux jours après l'infection , qu'elle s'est aperçue de

son existence : il a paru un grand nombre de boutons aux mains ,


aux bras , sur la poitrine et sur le ventre ; les boutons sont en
grand nombre et comme groupés . Ce qu'il y a de surprenant
dans cette observation , c'est qu'il y a manifestement deux sortes
de boutons sur la périphérie de la peau : les uns sont vésiculeux
et renferment constamment de la sérosité , tandis que d'autres

ne contiennent aucune matière et sont uniquement le résultat


des frictions que la malade pratique pour calmer les démangeai
sons qui la tourmentent. Ces derniers se montrent sous la forme
de petits boutons luisans , souvent répandus par plaques , et res
semblent à ces rougeurs que produit une irritation prolongée ;
dans l'endroit où ces plaques existent , la malade n'éprouve point
MALADIES DE LA PEAU. 383

ce prurit insupportable que ne cessent d'entretenir les véritables


boutons de la gale : c'est seulement un léger picotement qui se
développe à des intervalles plus ou moins éloignés . Quant aux
premiers boutons signalés , ils proéminent très-peu au- dessus
des tégumens , dans les premiers temps de leur naissance , et on
est obligé de les examiner de très- près pour les apercevoir ce
n'est que lorsque la malade a promené ses ongles sur la peau que
les vésicules se développent ; dans cet état , les boutons sont très
le som
petits , offrant une forme arrondie à leur base , tandis que
met s'élève en pointe . Il est bon de noter que chez cette femme ,
douée d'une santé robuste et d'un tempérament sanguin très
prononcé , les boutons ont conservé à leur base la même couleur

que le reste de la peau , laquelle est rosée sur presque toute la


surface du corps. Enfin , à force de se gratter, la malade fait écouler
la sérosité , et voici ce que l'on remarque à l'instant même où les

boutons se crèvent on aperçoit un point rougeâtre , qui n'est


autre chose que le tissu muqueux mis à nu dans une très- petite
étendue. Quelque temps après la rupture , on remarque une
croûte formée par le sang coagulé et la sérosité sortie de la vési

cule : cette croûte tombe lorsque la malade se gratte , et se trouve


bientôt remplacée par plusieurs autres , qui ne laissent point de
cicatrice . Seulement , après la guérison complète , on voit une
simple tache rougeâtre de la peau dans l'endroit même où on
remarquoit des boutons psoriques : cette tache disparoît peu à
peu , et la peau reprend sa couleur naturelle. La malade a eu
principalement des démangeaisons très- vives au début de la ma
ladie , et la chaleur du lit les rendoit intolérables : lorsqu'elle
étoit ainsi tourmentée , elle trouvoit un plaisir indicible à se
gratter. Le matin , le prurit s'apaisoit , mais il étoit remplacé par
la cuisson . Pendant tout le temps que cette psoride s'est fait sentir ,
il n'y a eu aucune irrégularité dans la menstruation . L'appétit
s'est conservé ; le pouls a été constamment dans son état naturel .
Il suffit , ce me semble , de cette observation que j'ai rédigée en
384 MALADIES DE LA PEAU.

présence de la malade , pour avoir une idée complète de la variété


de la gale dont il s'agit.
DCCCXVIII. J'ai cru inutile d'accumuler les faits nombreux

dont je suis journellement le témoin dans le vaste hôpital que je


dirige depuis plusieurs années. Il faut regarder comme futiles et
comme étant de nulle valeur , les distinctions en gale sèche et
humide , en gale spontanée et en gale consécutive . Les dénomi
nations de gale syphilitique , de gale dartreuse , etc. , ne sont pas
moins illusoires .
52

MALADIES

ESPÈCE

PSORIDE PAPULE

J'ai décrit,le premier en France , cette


gale proprement dite ; les anciens
phthyriasie ou maladie pédiculaire.
A. LA PSORIDE PAPULEUSE FORMICANT
cans , etc. Nous désignons ainsi cette
sensation la plus terrible et absolum
d'une multitude de fourmis attachées
tellementvive que les malades ne ces
endurent.

B. LA PSORIDE PAPULEUSE PÉDICU


cularis , etc. Le symptôme spécial
une quantité plus ou moins abond
pour ainsidire ,spontanée. Onob
lespouxde têteou du cuir chevel
vent gorgés de sang, cette circons
Wi
n
Ons. On a établi plusieurs di
mentdésignée , d'aprèsle degré
rige ferox ,etc. On s'est aussi
quandon aparlé decette affec
teurs qui ,la considérant d'ap
rens nomsdeprurigo podic
distinctionssont tropminuti
concerne ,nous n'assignons
psoride papuleuse formica
rattachent , d'une manièr

Prorid Papule pédicu


e use laire.
f
Stars, Sculp
MALADIES DE LA PEAU. 385

ESPÈCE DEUXIÈME .

PSORIDE PAPULEUSE . ( PLANCHE LII. )

J'ai décrit , le premier en France , cette maladie qu'on confondoit généralement avec la
gale proprement dite ; les anciens ne font guère mention dans leurs écrits que de
phthyriasie ou maladie pédiculaire. Voici comment nous établissons ces variétés :
A. LA PSORIDE PAPULEUSE FORMICANTE. Psoris papulosa formicans , prurigo formi
cans , etc. Nous désignons ainsi cette affection prurigineuse de la peau qui provoque la
sensation la plus terrible et absolument analogue à celle que détermineroit la présence
d'une multitude de fourmis attachées à la périphérie des tégumens. Cette sensation est
tellement vive que les malades ne cessent de se gratter , pour apaiser les tourmens qu'ils
endurent.

B. LA PSORIDE PAPULEUSE PÉDICULAIRE. Psoris papulosa pedicularis , prurigo pedi


cularis , etc. Le symptôme spécial de cette psoride papuleuse est de produire sur la peau
une quantité plus ou moins abondante de poux , qui s'y développent d'une manière ,
pour ainsi dire , spontanée. On observe que ces poux sont ordinairement plus gros que
les poux de tête ou du cuir chevelu ; leur corps est diaphane ; mais , comme ils sont sou
vent gorgés de sang , cette circonstance leur donne souvent une teinte rougeâtre .

OBS. On a établi plusieurs distinctions de la psoride papuleuse ; on l'a comparative


ment désignée , d'après le degré de sa violence , sous les noms de prurigo mitis , de pru
rigoferox , etc. On s'est aussi servi des noms de prurigo infantilis , prurigo senilis ,
quand on a parlé de cette affection d'après la différence de l'âge : enfin , il est des au
teurs qui , la considérant d'après son siége , l'ont successivement indiquée sous les diffé
rens noms de prurigo podicis, prurigo pudendorum , prurigo vulva , etc.; mais ces
distinctions sont trop minutieuses et inutiles au progrès de la science. Pour ce qui nous
concerne , nous n'assignons à la psoride papuleuse que deux variétés bien tranchées , la
psoride papuleuse formicante , et la psoride papuleuse pédiculaire : ces deux variétés se
rattachent , d'une manière évidente , à l'espèce qui va faire l'objet du tableau suivant :
386 MALADIES DE LA PEAU.

TABLEAU DE LA PSORIDE PAPULEUSE .

DCCCXIX . Nous voudrions vainement offrir le tableau de


-
cette affection si désolante ; nous ne retracerons jamais avec as
sez d'énergie ce que nous avons vu souffrir aux victimes infortu

nées qui ont reçu nos soins dans l'intérieur de l'hôpital Saint
Louis. A chaque instant du jour et de la nuit , les malades sont
en proie à ce prurit insupportable qui est le symptôme caractéris
tique de la maladie. Un feu dévorateur les consume et les enve
loppe , pour ainsi dire ; pour l'apaiser , ils se grattent avec fureur
et ne cessent de déchirer leurs tégumens avec leurs ongles .
Efforts superflus ! la sensation prurigineuse redouble. Dès - lors , ils
se plaignent et expriment avec tant de vérité ce qu'ils éprou
vent , qu'ils font passer leur inquiétude dans l'ame des assistans .
Au milieu de ces agitations et de ces impatiences non-inter
rompues , il en est qui sont saisis par de véritables accès de délire .
Un homme étoit si malheureux de l'impuissance des remèdes ,
qu'il se tua en route d'un coup de pistolet , en revenant des eaux
de Cauterets . Il écrivit à ses parens , qu'il n'avoit pu supporter
plus long- temps le fardeau d'une existence aussi tourmentée.
Qu'on ne compare point l'état de certains dartreux à celui des

individus affectés de la psoride papuleuse. Les premiers se sou


lagent du moins en se grattant , et plusieurs d'entre eux avouent
qu'ils n'ont pas de plus exquise jouissance. Mais ces derniers ont

beau recourir à ce moyen , ils ne peuvent ni échanger un seul


instant le mode de cette sensation brûlante , ni procurer la moin

dre trève à leurs perpétuelles souffrances.


Il est des douleurs que l'habitude émousse et rend du moins
plus supportables ; mais il n'en est pas ainsi de celles que suscite

la psoride papuleuse. Ces douleurs se maintiennent toujours aussi


vives et aussi intenses . Elles ne se ralentissent que par une forte
MALADIES DE LA PEAU. 387

occupation. La solitude et l'imagination semblent même en ac


croître la vivacité. A chaque instant, c'est la sensation d'une légion

de fourmis qui parcourroient les tégumens , sensation désespé


rante , d'où est venu le nom de psoride papuleuse formicante , de

prurigo formicans.
La psoride papuleuse est le plus souvent une affection conti
nue , et , dans ce cas , il se manifeste des redoublemens qui ont
lieu le soir ou dans la nuit. Dans ce dernier cas , le sommeil est

brusquement interrompu ; et les malades portent involontaire


ment leurs mains à la peau . S'ils s'éveillent , c'est pour recommen
cer leurs souffrances. Chaque moment de la journée est pour eux
une angoisse déchirante ; et le soir encore , ils ne rentrent dans
leur lit que pour y épuiser toutes les nuances de la douleur , que
pour y lutter contre les insomnies les plus accablantes.
Il est difficile de trouver des termes , pour les approprier aux

divers tourmens que l'on endure . Presque tous les individus qui
sont affectés de la psoride papuleuse ne parlent que d'ácreté, d'ar–
deur du sang , de feu brúlant , etc.: Je suis sur le gril qui afait le

martyre de saint Laurent , me disoit un malheureux ecclésiastique.


Un militaire m'écrivoit qu'il étoit en butte à mille hallebardes ; il
est des sensations plus fréquentes dont il faut faire mention . Un
vieillard octogénaire n'a pas craint de m'avouer que son corps se

trouvoit parfois dans un tel état d'irritation , que les organes


mêmes qui sont muets dans un âge aussi avancé entroient dans
une érection insolite dont il résultoit des pollutions énervantes .
Rien n'est comparable à la honte d'un semblable état.
Dans les cas ordinaires , la maladie se déclare par un prurit ar
dent sur les épaules , sur le devant de la poitrine , aux bras , aux
cuisses , au ventre , etc. Ce prurit porte impérieusement les ma
lades à se gratter ; mais plus ils continuent cette opération, plus les
démangeaisons s'accroissent.

Lorsqu'on considère la partie affectée , on aperçoit de très
petits boutons presque imperceptibles , qui s'élèvent légèrement
388 MALADIES DE LA PEAU.

en pointe. Ces boutons peu enflammés , rapprochés les uns des


autres , ne contiennent aucune matière dans leur intérieur ;
ils se recouvrent , lorsqu'ils ont été déchirés par l'action des

ongles , d'une légère croûte ou squamme arrondie de la grosseur


d'une tête d'épingle et d'une couleur noire ou brunâtre . Cette
croûte , qui se détache après un certain temps , est formée par le
desséchement d'une gouttelette de sang , ou de sérosité qu'on fait
sortir par le déchirement des petits boutons.
Les démangeaisons varient d'intensité selon les circonstances
où se trouvent les malades : elles sont plus vives quand il fait
chaud , le soir , la nuit , après le travail , etc.; il s'agit quelquefois
de toucher légèrement les papules de la peau pour qu'elles se dé
veloppent avec promptitude. Le simple frottement produit par les
babits peut les provoquer. Il faut alors que le malade se hâte de

gratter les tégumens , et il est rare qu'il puisse résister à un besoin


aussi impérieux .
La psoride papuleuse a souvent des intermittences de trois ou

quatre heures , surtout quand le malade mange ou qu'il est ab


sorbé par une occupation sérieuse. Quelquefois , le prurit ne dure
que cinq ou six minutes et disparoît ensuite pour plusieurs
jours. J'ai connu un homme d'environ cinquante- cinq ans et
d'une constitution saine autant que robuste , lequel se trouve
sujet à un prurigo plantaire. Cette affection le saisit si vite et le

maîtrise à un tel point , que dans les rues ou même dans les so
ciétés , il est contraint d'ôter son bas et son soulier , pour se grat
ter en liberté , jusqu'à ce que la démangeaison soit apaisée . Le
malade se trouve-t- il dans une assemblée nombreuse, ou devant
des personnes qui méritent les plus grands égards , il faut qu'il
obéisse au penchant irrésistible qui l'entraîne. J'ai donné des
soins à un autre individu qui est pareillement tourmenté d'une
psoride papuleuse à la plante des pieds ; il ne parvient à l'apaiser
qu'en marchant et en fatiguant considérablement. S'il s'arrête ,
son supplice recommence. Lorsqu'il est dans les accès il court
MALADIES DE LA PEAU.
389

les champs et les grands chemins , comme un vagabond . Ses ca

marades l'appeloient par dérision le Juif errant.


La psoride la plus douloureuse est celle qui attaque les parties.

génitales dans les deux sexes ; elle est accompagnée d'une foule
de symptômes secondaires qui varient chez les différens individus
et qui sont en rapport avec le degré de la sensibilité particulière
qui les distingue. Une malheureuse femme éprouvoit au clitoris
une démangeaison vive , qu'elle cherchoit à apaiser en y appli
quant à chaque instant des linges mouillés . L'impression d'un
froid glacial sembloit amoindrir pour quelques minutes l'horreur
de ses souffrances.

Il est une autre psoride papuleuse , qui est , pour ainsi dire ,
inexorable , c'est celle qui attaque les vieillards . J'en ai rencontré
qui éprouvoient des tintemens d'oreilles , des foiblesses de vue ,
des crampes , des lassitudes , des tiraillemens d'estomac , des op
pressions , des gonflemens de l'épigastre . Toutes les fonctions se
dérangent , particulièrement les fonctions digestives . Les ma
lades s'épuisent et tombent dans l'amaigrissement : ils s'abandon
nent au découragement et au désespoir .
Il en est qui ont un appétit vorace et qui n'ont d'autre jouis
sance que de se gorger d'alimens salés ou épicés. Ils aiment aussi

par goût les liqueurs fortes et alcooliques ; mais leur repas est à
peine terminé , que les démangeaisons se font sentir comme
auparavant. Bientôt les épaules écorchées sont inondées de sang
et d'une humeur ichoreuse . On diroit que toute la peau a été
brûlée par l'eau bouillante.

Dans la psoride papuleuse , les muscles sont quelquefois tel


lement irrités , qu'ils se gonflent , se durcissent , et se dessinent
d'une manière frappante sur les membres supérieurs et infé
rieurs. Une religieuse hospitalière , très-exercée à la considération
des maladies , appeloit ce phénomène les cordes du prurigo. Nous
avons vu quelquefois les jambes de ces infortunés se roidir par
une sorte de contraction musculaire , en sorte qu'ils ne pouvoient
2. 51
MALADIES DE LA PEAU,
390

plus exécuter les mouvemens de progression et mouroient im

potens.
Mais c'est spécialement vers le système lymphatique que les
ravages de la psoride papuleuse se manifestent. La plupart des
malades succombent par les progrès d'une infiltration qui s'étend à

tout le système de l'économie animale . Voici un fait qui s'est passé


à l'hôpital Saint-Louis . Le nommé Jean Maxac , âgé de soixante
dix ans , faisoit le métier de cocher , et avoit été très-malheureux
pendant toute sa vie . Il fut toujours très-mal nourri et couchoit
dans des endroits humides. Il éprouva des démangeaisons qui se
firent sentir particulièrement sur les épaules , sous les aisselles ,
sur le devant de la poitrine , au col et à la partie interne des
cuisses. De petites papules soulevoient l'épiderme et rendoient
la peau très-inégale à la suite des frottemens réitérés . Les dé

mangeaisons qui étoient extrêmes diminuèrent tout-à-coup par


l'effet d'un vif chagrin qui lui survint ; mais aussitôt ses bras , ses
cuisses , ses jambes se tuméfièrent . Le malade étoit oppressé ; il
respiroit difficilement et se trouvoit pris d'une diarrhée excessive .
Il éprouvoit pendant la nuit des défaillances qui donnoient des
craintes excessives pour sa vie. La prompte application de deux
vésicatoires lui devint très-favorable . Trois jours après , la psoride
papuleuse avoit reparu et le tissu cellulaire étoit affaissé. Il se

trouva bien pendant quelques jours. Il sortit même de l'hôpital .


Mais nous avons appris depuis cette époque , qu'il étoit mort chez
lui d'un hydro-thorax .

Les effets de la psoride papuleuse sur les facultés intellec


tuelles sont également très-remarquables . Nous avons conservé
long-temps à l'hôpital Saint-Louis le nommé Marade , chez le
quel cette affection cutanée alternoit avec une aliénation mentale ;
lorsqu'il arriva , il se montroit très- raisonnable ; mais alors tout
son corps étoit couvert de papules qu'il se plaisoit à gratter et à
excorier jour et nuit. Un matin nous trouvâmes sa peau naturelle
et absolument nettoyée. Mais il avoit un accès de délire si violent ,
MALADIES DE LA PEAU. 391

qu'il fallut assujettir ses bras par une camisole ; il rioit aux éclats ;
témoignoit une joie cynique ; prétendoit être un littérateur cé
lèbre ; se faisoit appeler Voltaire . Il racontoit d'une manière bur
lesque les détails de son mariage avec une veuve , etc.

Quelquefois les malades se trouvent atteints d'un état de stupi


dité par la rétrocession soudaine de la psoride papuleuse , et dans

les instans où l'éruption est dans toute sa vigueur , il est rare


qu'ils puissent se livrer à aucune occupation sérieuse de l'esprit.
Ils ne savent que souffrir et se plaindre . On en voit qui sont tel
lement pressés par le besoin d'exprimer ce qu'ils éprouvent , qu'ils
écoutent à peine le médecin qui veut leur donner des conseils .
Ils interrompent à chaque instant le fil de ses discours et ne ces
sent de le fatiguer par un récit fidèle autant que prolixe des maux
qu'ils endurent .

Quoique la psoride papuleuse pédiculaire ne soit qu'une va


riété de l'espèce qui nous occupe , elle mériteroit un chapitre à
part. Attachons-nous à reproduire ici cette maladie extraordinaire ,
dont les anciens nous ont laissé des peintures si hideuses . Qu'on
lise en effet leurs ouvrages , on l'y trouvera fidèlement décrite
avec les singularités les plus dignes de notre observation. Souvent
même on prendroit leurs récits pour le résultat des prestiges de
leur imagination abusée , si l'on n'avoit occasion de se convaincre

par soi-même de la vérité de ce qu'ils rapportent ; mais les mêmes


phénomènes existent et se remarquent encore dans le siècle où
nous sommes.

Il y a dans cette infirmité quelque chose de dégoûtant qui


n'existe pas dans la psoride formicante . Les animalcules qui se

propagent en nombre incalculable , et , pour ainsi dire , sponta


nément sur les tégumens , rendent les malades le rebut de la na
ture entière . Ce sont d'ailleurs les mêmes tourmens ; c'est la même

violence dans le prurit. C'est , en outre , une sombre inquiétude ,


qui absorbe toutes les facultés morales ; l'homme qui se voit ainsi

dévorer comme une proie vivante , n'ose porter ses regards sur
392 MALADIES DE LA PEAU.

lui-même , sans éprouver la plus douloureuse de toutes les hu


miliations .

Le développement des poux sur la peau humaine produit tous


les symptômes imaginables : les anxiétés , les frissons , les lypo
thimies , les essoufflemens , un malaise général , enfin tous les plus
fàcheux résultats de l'accablement et de la foiblesse . La peau n'est
pas seulement tourmentée à l'extérieur ; il y a irritation dans
toutes les surfaces muqueuses. On voit des malades , qui , pour la

moindre cause , éprouvent des affections catarrhales , la toux


opiniâtre et le dévoiement. Ce qui frappe souvent les regards
dans le développement de la psoride pédiculaire , c'est une ma
tière exsudée par le corps du malade , et qui se concrète sur la
peau pour y former une couche sale et dégoûtante . Les bains
dissolvent cette crasse qui semble boucher les pores exhalans.

La psoride pédiculaire se borne parfois à certaines parties ;


d'autres fois elle est générale et se fait sentir dans tous les points
du corps ; c'est surtout dans ces derniers cas que tous les systèmes
de l'économie participent en quelque sorte à l'infection de la
peau. Toutes les excrétions sont fétides , particulièrement celle
des urines . Les malades tendent au marasmie . La mort vient ter
miner leur affreux supplice.
A l'hôpital Saint-Louis , nous voyons souvent des individus
qui ne sont que périodiquement affectés par la psoride pédicu
laire. C'est surtout pendant l'été que ces insectes se multiplient
d'une manière surprenante. Ils disparoissent aux approches de
l'hiver pour se montrer au printemps , sans être d'ailleurs an
noncés par aucun symptôme particulier.

Lorsqu'un malade se gratte avec vivacité , les papules de la


peau ne font qu'accroître en nombre et en grosseur . Elles sont ,
pour la plupart , très-rouges et de forme oblongue. Durant la
nuit surtout , les individus , plus irrités par la violence du prurit ,
se lèvent en sursaut , sortent de leur lit et appliquent sur leurs
tégumens des linges mouillés . Cette impression d'un froid glacial
MALADIES DE LA PEAU. 393

suspend pour un temps leurs horribles souffrances , en changeant


le mode de sensation.

Parmi les observations que j'ai rassemblées , la suivante surtout


me paroît propre à donner une idée complète de cette désolante
maladie : il s'agit de l'histoire tragique du sieur Laval , qui subsis
toit à Paris par le produit d'une petite rente . C'étoit un homme
doué d'un tempérament sanguin , et n'ayant eu dans son bas âge
que les maladies propres à l'enfance , telles que la variole et la
rougeole . Il est vrai que mille chagrins l'avoient assailli durant le

cours de la révolution française . Il y a une douzaine d'années


qu'il fut atteint du prurigo pédiculaire , sans qu'il pût assigner
une cause récente à cette cruelle affection , dont les progrès
furent très-rapides . Il employa inutilement plusieurs remèdes ,
entre autres la poudre de staphysaigre , très-renommée en pareil
cas. Il avoit beau changer de linge , les poux se multiplioient à
chaque instant ; ce qui le détermina à négliger tous les soins de
propreté , et plongea son esprit dans une sorte d'apathie. De pe
tites papules s'élevoient sur toute la périphérie de son corps
et sembloient fournir un asile à cette vermine rongeante. C'est

dans cet état qu'il entra à l'hôpital Saint-Louis , où il fut vi


sité par tous les assistans de ma clinique. Il ne pouvoit résister au

prurit qui le tourmentoit ; il s'acharnoit contre son épiderme , qu'il


déchiroit avec ses ongles . Les poux se manifestoient de toutes.
parts et refluoient jusque dans les replis de son linge. Les parties
exposées à l'air , comme , par exemple , les mains et le visage , en
étoient exemptes . Il y avoit sur le corps de cet homme , des pa
pules celluleuses , aussi grosses qu'un grain de poivre . Elles se
développoient avec autant de rapidité que les petites . En moins
de vingt-quatre heures , il s'y engendroit des poux de différen
tes dimensions et tellement nombreux , que , suivant l'expression
du malade , il y en avoit plusieurs générations. Mais , ce qu'il y a
de plus extraordinaire dans l'histoire de cet infortuné , c'est
qu'aussitôt que ces animalcules eurent disparu , il lui survint des
394 MALADIES DE LA PEAU.

symptômes d'adynamie ; son pouls s'affoiblit ; sa langue devint


noire et sèche ; il avoit une odeur qu'on ne pouvoit mieux com
parer qu'à celle des gaz qui se dégagent d'un mélange de subs
tances animales et végétales en putréfaction . Il mourut.

OBSERVATIONS RELATIVES A LA PSORIDE PAPULEUse .

Première observation . ―――――― Louis Crozier , boulanger , âgé de

trente- neuf ans , ayant la peau blanche , les cheveux cendrés , les
muscles assez développés , étoit né de parens sains . Cet homme
n'avoit éprouvé pendant le cours de sa vie que de légères incom
modités , qui toutes avoient été de courte durée. Habitant Paris
depuis quelques mois et étant obligé de travailler malgré les in

tempéries de l'atmosphère pour subvenir à ses besoins , il gagnoit


à peine de quoi pourvoir à sa subsistance . Il étoit logé dans une
chambre extrêmement étroite , peu aérée et se nourrissoit de vian
des fumées ou de fromage à moitié pourri . Cet homme étoit cou
vert d'une éruption papuleuse qui existoit par tout le corps.

Cette éruption étoit accompagnée d'un prurit que le malade ne


pouvoit apaiser par aucun moyen , et qui prenoit surtout de l'in
tensité aux approches de la nuit. Alors le malade sortoit de son lit
et se rouloit sur le carreau , où il trouvoit un léger soulagement .
Cet homme , malgré ce tourment continuel , n'avoit jamais de
symptômes fébriles ; il mangeoit avec un appétit vorace .
Deuxième observation . - La malade qui va faire le sujet de cette
observation , est une jeune femme de vingt- deux ans , d'une cons
titution lymphatico - sanguine , caractérisée par un embonpoint
très-prononcé , le coloris de la face , la blancheur de la peau et
la couleur foncée des cheveux . Le prurigo de cette femme n'est
certainement pas le résultat de la misère , ni de la malpropreté ;
car elle vivoit hors de toute privation et prenoit un soin excessif
MALADIES DE LA PEAU. 395

de sa toilette . Mais se trouvant en service chez un pâtissier , le

calorique exerçoit une action continuelle sur ses tégumens . Sa


maladie datoit depuis son entrée dans cette maison . Elle con
sistoit dans une infinité de petits boutons , arrondis , n'offrant
point de vésicules , et répandus sur toute la surface du corps. On

les remarquoit cependant de préférence sur les parties munies


d'aponévroses , sur les avant-bras , à la partie externe des cuisses
et tout le long du dos . La peau étoit rugueuse dans tous les en
droits où les boutons se trouvoient agglomérés ; mais elle conser
voit sa couleur naturelle . Nous remarquions que le café ainsi que

les alimens fortement épicés déterminoient une exacerbation ma


nifeste. La malade étoit pendant plusieurs jours dans un état d'a
gitation continuelle ; elle avoit une faim canine ; son sommeil
étoit de courte durée .

Troisième observation . - Le nommé Étienne Pinchon , âgé de


soixante-six ans , d'une constitution éminemment nerveuse , doué
de peu d'embonpoint , pâle et tout-à- fait flétri de la face , avoit été
admis à l'hôpital Saint-Louis , pour y être traité d'une déman
geaison insupportable. Cet homme , pendant le cours de sa vie ,
n'avoit été sobre sous aucun rapport. Il avoit abusé des liqueurs
fortes , et n'usoit que de nourritures stimulantes. Il étoit particu
lièrement tourmenté par une démangeaison qui ne lui laissoit
aucun repos , et qui se faisoit spécialement sentir au dos , le long
des extrémités inférieures et sur la face palmaire des avant-bras .
Cette démangeaison devenoit tellement cuisante pendant la nuit ,
que le malade étoit contraint de se mettre sur le carreau de la
salle , où il pouvoit se gratter tout à son aise et calmer la cha

leur brûlante qui le dévoroit . Lorsqu'on examinoit avec une


loupe les endroits de la peau où les démangeaisons se faisoient
ressentir, on les voyoit recouvertes d'une infinité de papules , qui

excédoient à peine la surface de l'épiderme ; il y avoit ici pareil


lement appétit insatiable et penchant irrésistible au rapproche
ment des sexes .
396 MALADIES DE LA PEAU.

Quatrième observation . - Un ouvrier , âgé de vingt- neuf ans ,


d'une taille très-élevée , ayant la barbe et les cheveux très- noirs ,
la peau d'une teinte légèrement ictérique , les muscles bien dé

veloppés , entra à l'hôpital Saint- Louis le 21 juillet 1825. Depuis


environ quatre mois il éprouvoit une démangeaison très-vive ,
qui devenoit insupportable vers le milieu de la nuit. En exami
nant la peau , on apercevoit une multitude de papules dont les
unes étoient entières et les autres déchirées. Elles étoient d'une

dimension variable ; mais en général du volume d'une tête d'é


pingle. On en voyoit qui ressembloient aux boutons d'une gale
miliaire et par leur forme et par leur développement ; excepté
qu'elles ne contenoient rien dans leur intérieur. Cet homme nous
disoit n'avoir goûté aucun sommeil depuis l'apparition de sa ma
ladie. Il avoit toujours un air inquiet et se trouvoit dans un mou
vement perpétuel . Il ne faut pas oublier de dire que cet individu
avoit des pollutions nocturnes et qu'il éprouvoit le besoin de s'a
bandonner à la masturbation , ce qu'il n'avoit jamais eu avant
l'apparition de sa maladie .
Cinquième observation . - L'individu dont il s'agit étoit âgé

de cinquante -deux ans , d'une constitution bilieuse ; il étoit tour


menté par des hémorrhoïdes fluentes , auxquelles le malade étoit
sujet depuis un grand nombre d'années . L'éruption existoit de
puis plus de six mois . Elle consistoit en une infinité de petits bou
tons papuleux de même forme et de grosseur variable , conservant
la couleur de la peau. Ces boutons , déchirés par les ongles , lais

soient une petite croûte grisâtre , tout-à-fait semblable à celle qui


se développe à la suite d'une égratignure ; ils étoient accompagnés
d'une démangeaison vive et cuisante , qui avoit lieu particulière
ment le soir et quand le malade étoit couché . Une insomnie opi
niâtre le tourmentoit , et il ne pouvoit s'assoupir que le matin ;
cet homme avoit toujours le visage inquiet ; il étoit d'une loquacité
fatigante pour toutes les personnes qu'il fréquentoit .
Sixième observation . Cette observation et les suivantes ont
1
MALADIES DE LA PEAU. 397

pour objet cette variété de la psoride papuleuse , communément


désignée dans notre école sous le nom de prurigo pédiculaire .
Le nommé Michi , attaqué depuis plusieurs années de cette ma
ladie , venoit de temps en temps réclamer nos soins à l'hôpital
Saint- Louis . On voyoit sur sa peau se développer des poux

par centaines , et il se plaignoit d'une démangeaison insuppor


table . Il y a ceci de particulier dans l'histoire de cet individu , c'est
qu'il lui survint , à la suite des plus longues souffrances , des
tumeurs dans l'aine , grosses comme de petits œufs , indolentes ,
qui paroissoient être la suite d'une dégénérescence lymphatique.
Ce phénomène étoit purement accidentel , et je m'abstiens de le
développer.
Septième observation. - Le nommé Loyer , âgé de quarante
ans , d'un tempérament éminemment sanguin , avoit été
atteint ,
il y a plusieurs années , d'une éruption , dont
on ne pouvoit guère
assigner la cause. Elle reparut avec un très-haut degré d'inten
sité. Il entra à l'hôpital Saint- Louis couvert de boutons et dévoré
par la vermine. On voyoit sortir de dessous son épiderme une
quantité prodigieuse de poux . Plusieurs bains lui furent adminis

trés ; lorsqu'il sortoit de l'eau , les papules s'affaissoient , et il ne


restoit sur la peau que des taches brunâtres . Quand il avoit
chaud , et surtout immédiatement après le bain , il éprouvoit des
picotemens et des fourmillemens insupportables . Il nous assuroit
qu'il sentoit bien manifestement les poux le mordre et marcher
avec rapidité sur les tégumens , dans un espace d'un à deux pou
ces. C'est surtout entre les épaules , derrière les aisselles , sur
les bras et sur les parties latérales externes des articulations fé
moro-tibiales , que cette sensation étoit plus vivement distinguée .
Le malade exhaloit une odeur sui generis extraordinairement
repoussante . Nous observâmes que les bains produisoient sur lui
deux effets différens . Tantôt ils faisoient sortir une quantité pro

digieuse de vermine , qui fourmilloit ensuite sur son corps et dans


ses vêtemens. Tantôt ils la faisoient disparoître , en excitant néan
2. 52
398 MALADIES DE LA PEAU.

moins un plus violent prurit . Cette différence ne tiendroit - elle


pas au degré de chaleur du bain ?

Huitième observation. - Catherine Rousselet , âgée de soixante


cinq ans , n'avoit jamais éprouvé aucune maladie grave . 11 y a
environ quinze mois qu'il lui apparut sur diverses parties de la
peau , une multitude de petites élevures , de couleur rouge et
accompagnées de vives démangeaisons , en même temps que son
corps se couvrit d'un nombre considérable de poux . La malade ,
entraînée par un besoin irrésistible de se gratter , se déchiroit la
peau , sans alléger ses souffrances , qui augmentoient toujours pen
dant la nuit. La sensation étoit surtout plus forte , lorsque les té
gumens, imprégnés de la sueur qu'ils exhaloient , sembloient avoir

acquis une sensibilité plus vive. Ces boutons disparurent dans


l'intervalle d'environ six semaines , ainsi que la démangeaison , et
les poux qui avoient suivi leur apparition ; mais ils revenoient par
intervalles et duroient environ un mois. Les papules que l'on

apercevoit encore dans leur intégrité , étoient d'une couleur


rouge , éparses dans quelques endroits , rapprochées dans d'autres,
et , en quelque sorte , comparables par leur volume et par leur
forme , à ces aspérités que fait paroître sur la peau l'action d'un
froid intense. Quant aux papules déchirées , elles présentoient
une petite écaille due à un sang desséché , et elles étoient entou
rées d'un cercle rouge assez vif; ce qui leur donnoit l'apparence
des morsures de puces.

Neuvième observation . - La malade qui fait le sujet de cette


observation , étoit âgée de soixante-dix -neuf ans . L'habitude ex
térieure de son corps offroit des traits frappans de ressemblance
avec la malade dont nous venons de parler. Il y avoit seulement
dans quelques endroits de la peau des espèces de durillons qui
sembloient s'être développés dans son tissu . Tout annonçoit que
les tégumens étoient frappés d'atonie , circonstance presque tou
jours liée à la maladie pédiculaire . La malade se souvenoit qu'il
y a environ trente ans , elle avoit eu une apparition de boutons ,
MALADIES DE LA PEAU. 399

sans développement de poux , ce qui prouve manifestement la


liaison qui existe entre le prurigo formicans et le prurigo pé
diculaire. Mais , quand nous la vîmes , elle avoit une si grande
quantité de ces animalcules , qu'il sembloit , d'après son expres
sion , qu'il lui en étoit tombé une pluie sur le corps. Les déman

geaisons étoient si vives , que la malheureuse patiente se déchi


roit continuellement la peau. En se grattant , elle éprouvoit un

mélange extraordinaire de souffrance et de volupté , qui lui fai


soit perdre , du moins pour quelques instans , l'usage de ses fa
cultés intellectuelles .

Dixième observation . - — Jacques Drouet , âgé de cinquante


neuf ans , d'une taille élevée et d'une foible constitution , fut ad

mis dans l'hôpital Saint-Louis , pour y être traité de la maladie


pédiculaire , dont il étoit atteint depuis deux ans . Cet homme
offroit à la partie postérieure du col et à la partie antérieure
de la poitrine , des petits boutons qui conservoient la couleur de
la peau ; ils étoient suivis du développe
ment d'une multitude de
poux très-gros , d'un blanc mat , qui , lorsqu'on les détruisoit ,
étoient bientôt remplacés par d'autres. Ces animaux mouroient
peu de temps après avoir été séparés de la peau . Le malade étoit
saisi par de telles démangeaisons , qu'il se frottoit avec une brosse

très-rude pour les apaiser . Il avait la figure inquiète et se trou


voit agité d'un mouvement continuel.
DCCCXX . Ces observations réunies donnent le tableau vé

ritable de la psoride papuleuse , soit qu'elle se déclare par de


simples démangeaisons , soit que les poux la compliquent. Je re

viendrai sur cette affection dans la description générale que je


donnerai des psorides .
400 MALADIES DE LA PEAU.

ESPÈCE TROISIÈME.

PSORIDE CRUSTACÉE . ( PLANCHE LIII. )

C'est ainsi que nous désignons communément une éruption pustuleuse et croûteuse ; qui
se manifeste d'ordinaire à la partie externe des cuisses , des bras , des avant-bras ,
souvent même dans les interstices des doigts , et que le vulgaire prend quelquefois
pour la gale. Cette éruption , qui est presque toujours le résultat de la malpropreté et
du genre de vie , n'a aucun effet contagieux . On peut en faire deux variétés.
A. La psoride crustacée chronique. Psoris crustacea chronica . On la nomme aussi
la psoriasie sordide ou scorbutique ; elle est sans fièvre , c'est celle qui attaque les in
digens , les prisonniers , ceux qui vivent dans des rues malsaines , qui manquent de
linge et de tous les moyens de la salubrité.
B. La psoride crustacée aiguë. Psoris crustacea acuta . J'ai vu plusieurs personnes
sujettes à cette éruption cutanée qui se déclare chez elles au renouvellement de chaque
saison , ou par l'effet de quelques intempéries atmosphériques ; elle attaque principale
ment les enfans et les individus doués d'une constitution lymphatique. Souvent elle est ac
compagnée de quelques mouvemens fébriles .

TABLEAU DE LA PSORIDE CRUSTACÉE .

On n'a pas assez étudié les phénomènes particuliers de cette


maladie , qui est pourtant fréquente dans les grandes villes , dans
les hôpitaux , dans les ateliers , dans les manufactures , dans les
garnisons. Cette affection se manifeste communément par de
larges pustules , un peu aplaties , environnées d'une aréole rou
geâtre , lesquelles se convertissent en croûtes grises , ou d'un
jaune foncé. Ces pustules se montrent quelquefois vésiculeuses ;
j'en ai observé quelques-unes qui présentoient l'aspect de la fausse
vaccine . Le plus souvent , elles sont de la grosseur d'un petit pois
53.


o
F

Poride Crouteuse sordide


.
Saes, Sculp
MALADIES DE LA PEAU. 401

et contiennent une sérosité opaque ou purulente , assez semblable


à celle des boutons de la variole.

Les pustules de la psoride crustacée ont pour siége ordinaire


les bras , les avant-bras , les extrémités inférieures , à la face externe
des cuisses , spécialement à la région lombaire , la partie anté
rieure de la poitrine ; elles ont une marche lente , et en desséchant
elles laissent sur la peau une empreinte durable , mais qui n'est
pas suivie de cicatrice. Les démangeaisons qu'elles déterminent
sont brûlantes dans le début de la maladie. Elles se rapprochent

de celles qui sont déterminées par la présence de l'érysipèle . Elles


occasionnent une grande tension sur toute la peau . Mais ces dé
mangeaisons s'affoiblissent et sont à peu près nulles quand la des
siccation des croûtes s'est entièrement effectuée . Souvent la pso

ride crustacée se développe sans occasioner la moindre sensation


pénible.
La psoride crustacée se manifeste , dans quelques cas , sur le dos
des mains et dans les interstices des doigts ; et à mesure qu'elle se

développe , elle excite parfois un prurit analogue à celui que


provoque la gale . Il est vrai qu'ensuite ce prurit cesse entière
ment quand les boutons sont tout-à-fait parvenus à leur maturité,
ce qui peut fournir , jusqu'à un certain point , un caractère dis
tinctif entre les deux affections.

J'ai observé dans certaines circonstances que les boutons de la


psoride crustacée étoient assez nombreux et comme confluens
sur la peau . A mesure qu'ils se desséchoient , ils étoient remplacés

par d'autres qui suivoient la même marche . Leur sommet étoit


aplati ; leur base étoit rouge et enflammée . Quand ils avoient dis
paru , la peau restoit partout légèrement endurcie .

Les individus qui sont sujets à la psoride crustacée se trouvent


pour la plupart dans un état de cachexie scorbutique . Leur peau
est sale , blafarde et dans une sorte de relâchement universel .

Les pustules , éparses sur toute la périphérie du corps , après


avoir fourni une matière séro-purulente se dessèchent , pour
402 MALADIES DE LA PEAU.

se convertir en croûtes noires , ou d'un jaune - verdâtre plus


ou moins foncé ; elles sont inégales , tantôt isolées , tantôt amonce
lées ; elles se multiplient d'autant plus , que les causes qui favo
risent leur développement sont plus ou moins long- temps con
tinuées. Elles se brisent par le frottement et se réduisent en une
sorte de poussière grisâtre .
La psoride crustacée n'est quelquefois qu'une maladie passa
gère ; mais , dans d'autres circonstances , c'est une maladie per
manente , ou du moins sujette à reparoître après des intervalles
plus ou moins rapprochés. La peau , dans ces cas-là , finit par de

venir dure et rugueuse . On y remarque des froncemens assez


prononcés , qu'il est difficile de faire disparoître malgré les to
piques émolliens qu'on ne cesse d'employer en pareil cas. Les ma
lades jouissent d'ailleurs d'une santé intérieure qui n'éprouve
pas le plus léger trouble , à moins que la psoride ne se manifeste
avec une marche aiguë. Les observations suivantes finiront par
donner à nos lecteurs une idée complète de cette maladie .

OBSERVATIONS RELATIVES A LA PSORIDE CRUSTACÉE.

Première observation. ——— Marie-Madeleine Dorman , âgée de

quarante-deux ans , d'un tempérament sanguin , ayant les che


veux blonds , née d'une mère foible et valétudinaire , fut atteinte
d'une maladie de peau , d'abord considérée et traitée comme la
gale . C'étoient des éruptions sur le col , sous les aisselles et le long
des extrémités inférieures. Ces éruptions pustuleuses , arrivées à
leur dessiccation , se changeoient en croûtes plus ou moins infor
mes . Elles se montroient en automne , se continuoient durant
tout l'hiver , pour disparoître au printemps. Sur ces entrefaites ,
la malade éprouva quelques chagrins et prit une mauvaise nour
riture. Dès -lors l'indisposition dont je parle gagna toute la surface
MALADIES DE LA PEAU. 403

du corps. Voi
ci quelle étoit la forme et la configuratio des bou
n
tons : ils étoient petits , rouges , légèreme élevés en pointe , ou
nt
environn d'une aréole enflammé . Leur sommet étoit marqué
és e
par un petit point obscur , autour duquel se formoit une suppu
ration abondant . Ces pustules se confondoi et se rouvroien
e en t t
par intervalle , pour donner issue à la matière qu'elles conte
s
noient . Cette matière , exposée à l'air , se condensoi et se conver
t
tissoit en une croûte verdâtre , d'une forme ronde et allongée .
Ces croûtes se brisoient , s'enlevoie par fragmens , ou se sépa
nt
roient en totalité . Le cercle inflammato s'étendoit en pâlissant
ire
et laissoit une tache sur la peau .

Deuxième observation . - Un artiste , nommé Antoine Vial ,


âgé d'environ soixante ans , d'un tempérament sanguin et ro
buste , s'étoit longuement fatigué par les soins qu'il avoit donnés
à son épouse malade ; à cause de son peu d'aisance , il n'avoit pris
depuis long-temps que de très-mauvaise nourriture . Il éprouva
d'ailleurs un violent chagrin de la mort de sa compagne et de
celle de sa fille . Il ne put résister à tant de secousses . Il lui sur
vint sur les jambes , les cuisses et les fesses une éruption de bou
tons assez considérables par leur volume ; ces boutons se dessé
choient et se couvroient de croûtes verdâtres , qui causoient une
légère démangeaison . On voit clairement l'analogie qui rattache
cette affection à la précédente .

Troisième observation . — Un porte-faix , nommé Firion , d'un


tempérament sanguin , habitoit une maison basse et humide , et il
y séjournoit long -temps . Il lui survint sur les épaules , derrière
le col et à la partie supérieure des cuisses un grand nombre de

boutons rouges , très-rapprochés et confondus , qui parcoururent
la même marche que ceux de l'observation précédente.
Quatrième observation . - Le nommé Boissy , âgé de quarante
quatre ans , d'une constitution détériorée par une longue suite
d'excès , fut admis à l'hôpital Saint-Louis , pour y être traité
d'une éruption pustuleuse bornée aux extrémités. Cette éruption,
404 MALADIES DE LA PEAU.

survenue tout-à-coup et sans cause connue , consistoit en des


pustules arrondies , renfermant une sérosité opaque et puriforme ;
ces pustules , plus volumineuses que celles de la gale , différoient
en outre par le genre de sensation qu'elles déterminoient ; en ef
fet , les pustules s'étoient développées sans causer le moindre
prurit ; les croûtes grisâtres qu'elles avoient formées , ressem
bloient assez bien aux lichens que l'on remarque sur beaucoup
d'arbres. Cette maladie se rapprochoit néanmoins de la gale ,
1º en ce que ces croûtes laissoient des taches rougeâtres sur la
peau ; 2º en ce qu'il se développoit vers la fin de la maladie d'au

tres pistules qui quelquefois étoient en aussi grand nombre que


dans l'éruption première . Le malade a vu reparoître plusieurs fois
la maladie , alors même qu'elle étoit sur le point de s'éteindre.
Cinquième observation . — La nommée Michel , ouvrière en

linge , d'une constitution lymphatico-sanguine , arriva à l'hôpital


Saint -Louis pour y être traitée d'une aménorrhée et d'une
éruption pustuleuse bornée à la face dorsale des avant-bras et à

la partie antérieure du sternum . Cette fille , depuis qu'elle vivoit


à Paris , ne se nourrissoit que de harengs ou d'autres alimens salés.
L'éruption s'étoit développée , pour ainsi dire , spontanément et
sans presqu'aucune démangeaison . Elle avoit été très-surprise
d'apercevoir en se réveillant ces pustules qui présentoient déjà un
volume considérable .
Sixième observation . ―― Julie Baudoin , âgée de vingt-neuf

ans , d'une constitution éminemment lymphatique , avoit été va


létudinaire dans son enfance ; mais , depuis l'âge de la puberté , sa
santé s'étoit raffermie et n'avoit été troublée que par des incom
modités légères et de peu de durée. Seulement , depuis six mois ,
il lui étoit survenu une éruption , que plusieurs personnes de
l'art avoient cru être la gale , et pour laquelle on l'avoit envoyée à
l'hôpital Saint-Louis. Cette éruption étoit bornée aux membres
supérieurs et inférieurs . Les pustules étoient également venues ,
sans avoir été précédées d'aucun accident ou phénomène ap
MALADIES DE LA PEAU. 405

parent d'irritation . Elles étoient très-rapprochées et de la gros

seur d'un petit pois. Elles étoient pleines d'une sérosité puri
forme , qui donnoit lieu à la formation de croûtes grisâtres . Cette
fille vivoit de son travail , et gagnoit fort peu de chose . Elle chan
geoit rarement , et se trouvoit logée dans un endroit malsain et
tout-à-fait privé des rayons du soleil .
Septième observation . - Charles Gillet étoit un maître de

danse , d'une constitution athlétique ; mais il avoit été considéra


blement affoibli par les chagrins , la misère et toutes les vicissitu
des d'une vie errante . Il s'étoit engagé depuis l'âge de seize ans ,

dans une troupe ambulante de comédiens . Une éruption consi


dérable s'étoit manifestée sur plusieurs parties de son corps ,

surtout aux mains et aux jambes . C'étoient de petites pustules


enflammées , circonscrites , laissant apercevoir à leur centre un
point plus élevé et comme vésiculeux , de couleur jaunâtre , en
vironnée d'une liqueur séro- purulente , dont la dessiccation ,
assez prompte , donnoit lieu à la formation de quelques croûtes
brunâtres . L'épiderme enlevé , il restoit une portion du derme
à découvert , de grandeur variable ; la surpeau se régénéroit avec
lenteur . L'individu étoit maigre et pâle ; il présentoit tous les
phénomènes d'une diathèse scorbutique , marquée par l'altéra
tion des gencives et une œdématie presque générale .
Huitième observation . ·_________ Loiselet , âgé de dix-neuf ans , a été

particulièrement observé par mon très-estimable élève , M. De


villiers. Tous ses membres sont couverts de plaques croûteuses
plus ou moins étendues , tantôt isolées , tantôt unies par leurs

bords , légèrement saillantes , rudes au toucher , recouvertes d'é


cailles très-petites ; ces écailles tombent par le frottement , sous la
forme d'une poussière grossière et blanchâtre. Le prurit est peu
considérable ; il augmente néanmoins pendant la nuit et sous l'in
fluence de la chaleur. D'ailleurs , la santé est parfaite. Quand cette
maladie débute , il paroît de petits points rouges , disséminés ; leur
volume augmente , et leur sommet se couvre d'une petite écaille .

2. 53
406 MALADIES DE LA PEAU .

Le siége des boutons étoit d'abord sur les coudes et les genoux ;
de là , cette affection s'est étendue aux avant-bras, aux bras et aux
cuisses. Elle a ensuite envahi le tronc , le col , le derrière des
oreilles ; le visage en étoit exempt . Les petits boutons enflam
més , en augmentant d'étendue , se sont réunis dans plusieurs.
endroits , et ont formé les plaques que nous avons décrites plus
haut. De nouveaux points rouges se manifestent de temps à autre
et suivent la même marche . Ils se réunissent aux plaques ancien
nes , ou en forment de nouvelles parfaitement isolées.
Neuvième observation. ―――― Voici un fait recueilli , il y a fort

long-temps , par M. Fauché l'un de mes autres élèves . Jean


Baptiste Richard , âgé de treize ans , étoit né à Paris , de parens
ignorés. Il fut atteint du scorbut , dont il fut fort bien guéri à
l'hôpital des Enfans-Malades . Peu de temps après , retenu dans
son lit pour des engelures aux pieds , il lui survint , spontané
ment et sans cause connue , de petits boutons par tout le corps ,

avec un aspect tout-à-fait analogue à celui de la gale pustuleuse.


Ces boutons se crevèrent et donnèrent lieu à la formation de

croûtes squammeuses , bosselées , inégales . Ces boutons , inégale


ment répandus sur toute la surface du corps , étoient tantôt isolés ,
tantôt rapprochés , au point souvent de se confondre et de ne pou
voir plus être distingués . Il y avoit chez cet enfant des déman
geaisons assez vives , qu'on pouvoit prendre pour la gale . Les
oreilles , les bras , les poignets , les intervalles des doigts étoient
affectés , ce qui eut pu donner lieu à une méprise complète sur
la nature de la maladie.
Dixième observation . - Nous avons vu la psoride crustacée se
développer spontanément chez un enfant qui n'avoit que trois
mois. Les boutons étoient volumineux et d'un rouge amaranthe .

Ils formoient par leur agglomération des plaques , qui étoient ré


pandues çà et là sur tout le corps . Pour guérir cet enfant , on mit
en usage une pommade , qui ne fit que contribuer au développe
ment des boutons. Ils conservoient la couleur de la peau , et of
MALADIES DE LA PEAU. 407

froient une ampoule très- développée , d'ou s'échappoit une matière


opaque et tout- à-fait puriforme. La dessiccation ne tardoit pas à

s'opérer.
Onzième observation . — M. Jannin de Besançon a recueilli le
fait suivant : chez un adulte , d'un tempérament sanguin , d'une
forte constitution , des plaques , arrondies , circonscrites , proémi
nentes, du diamètre d'environ deux lignes , occupoient une grande
partie du tronc ; elles étoient couvertes de squames qui adhéroient
fortement à la peau. Leur surface , grisâtre , étoit parsemée de pe
tits points rouges , occasionés par le développement et l'injection
du système capillaire sous-cutané. La peau étoit rougeâtre et ru
gueuse ; il y avoit des desquammations successives de l'épiderme.
Il restoit des taches violettes quand les boutons avoient disparu.
Douzième observation . - Ce qui prouve que la psoride crus

tacée se distingue par des caractères positifs et immuables , ce


sont les diverses observations recueillies en divers temps par les

nombreux élèves qui ont fréquenté l'hôpital Saint-Louis. En voici


une qui date de vingt ans , et conservée par M. Cagnon : Grosme
nil , âgé de soixante -dix ans , étoit un ivrogne de profession . Il
habitoit des lieux bas et humides , et s'abandonnoit à la plus vile
crapule . Il se présenta un jour à nous avec de larges plaques
croûteuses répandues sur l'enveloppe cutanée , mais surtout sur
les régions mastoïdienne , pectorale et dorsale . Variant par leur

forme et leur grandeur , la base sur laquelle reposoient ces


croûtes étoit rouge et enflammée . Le sommet des boutons présen
toit une petite vésicule remplie d'un liquide plus ou moins épais et
jaunâtre ; l'exsiccation des boutons s'effectuoit avec promptitude .
DCCCXXI. Ces douze observations suffisent incontestablement

pour établir l'existence et le caractère particulier de la psoride


crustacée. Les méprises fréquentes qui ont eu lieu , et les points
de ressemblance qu'on lui trouve avec la gale , prouvent égale
ment qu'elle se rattache au groupe des psorides . Nous allons main
tenant considérer le genre sous un point de vue général.
SECONDE PARTIE .

DES FAITS RELATIFS A L'HISTOIRE GÉNÉRALE DES PSORIDES.

DCCCXXII ..Telle est l'identité apparente des trois espèces qui


composent mon genre des psorides , qu'au sein même des hôpi

taux où elles se présentent en si grand nombre , il arrive journel


lement qu'elles soient classées de la manière la plus arbitraire.
Après avoir retracé pour chacune d'elles l'ensemble des signes
qui les spécifient individuellement , je crois utile de présenter
un aperçu rapide des traits généraux qui établissent la physio
nomie , si je puis m'exprimer ainsi , du genre lui-même , pour
venir ensuite à l'appréciation des caractères distinctifs de chacune
des trois espèces , dans l'article où je traiterai de leur diagnostic.
Ces rapprochemens ne faciliteront pas seulement leur étude com
parative , ils nous serviront encore à fixer les modifications que
celle-ci doit introduire dans la thérapeutique .

ARTICLE PREMIER .

DES PHÉNOMÈNES GÉNÉRAUX QUI CARACTÉRISENT LA MARCHE DES


PSORIDES .

DCCCXXIII. Un phénomène commun aux trois espèces de


psorides , et le plus général par conséquent , puisqu'il existe tou
jours dans une nuance diversement tranchée , c'est incontestable
410 MALADIES DE LA PEAU.

ment le prurit avec ses formes particulières de continuité plus ou


moins soutenue , ou de rémittence. Il n'y a peut-être pas d'affec
tion cutanée , qu'elle suive le mode aigu ou le mode chronique ,
qui ne présente ce symptôme , pour ainsi dire inévitable ; tant le
réseau nerveux de la peau , que d'ingénieux physiologistes ont
nommé l'épanouissement , ou les feuilles de l'arbre sensitif , est ,
à cause de sa délicatesse , susceptible de s'altérer par les causes les
plus légères. C'est dans les psorides qu'il paroît atteindre le sum
mum de susceptibilité , et le symptôme dont je parle , qui les con
fond pour l'observation vulgaire , est pourtant aux yeux du pra

ticien exercé , le trait caractéristique qui les distingue ; mais le


le second compare et
premier regarde et voit les objets en masse ,
analyse .
DCCCXXIV . La forme de l'éruption , dans chacune des trois
espèces de psorides , a aussi quelque chose d'analogue , qui permet ,
jusqu'à un certain point , de les confondre entre elles. Dans tou
tes , on observe des boutons qui , après s'être terminés par sup
puration , ou avoir été excoriés par les ongles des malades , don
nent lieu à des croûtes furfuracées plus ou moins épaisses , qui
tombent bientôt , laissant à leur place des taches ou des cicatrices
plus ou moins durables. On a vu l'humeur séreuse ou purulente
que renferment ces boutons acquérir une causticité qui corrodoit
la peau et y déterminoit des ulcérations profondes.
DCCCXXV . Si les régions de l'enveloppe tégumentaire où se
manifestent ordinairement les éruptions qui constituent les pso
rides , ont quelque chose de spécial pour chacune d'elles , il est ,
à cet égard , un caractère commun à toutes , c'est de respecter éga
lement le visage . On n'a pas assez remarqué cette loi de physio
logie pathologique , qui assigne , en quelque sorte , un genre par
ticulier de maladie à chaque partie du corps vivant , suivant ses
degrés propres d'énergie vitale ou d'activité sensitive. C'est ainsi ,

pour ne pas sortir de notre point de comparaison , que l'érysipèle


attaque plus fréquemment la face , le cancer , le pourtour des
MALADIES DE LA PEAU. 411

lèvres et les autres parties où le système nerveux prédomine , et


que les psorides , sauf l'exception pour la qualité contagieuse de

l'espèce pustuleuse , troublant beaucoup moins , en général , l'en


semble de l'économie , occupent aussi des points de la surface té
gumentaire dont les sympathies sont moins étendues ou moins
importantes.
DCCCXXVI. Il ne faut point chercher ailleurs l'explication d'un
autre caractère commun à toutes les psorides , qui est de ne jamais
provoquer la réaction fébrile , à moins qu'elles ne soient influen
cées par quelque complication plus ou moins grave , qui les rend

toujours presque méconnoissables . On trouve certainement dans

ce fait un argument bien fort contre les pathologistes qui veulent


réunir dans la même étiologie , et par suite rattacher aux mêmes
méthodes de traitement les exanthèmes aigus et les exanthèmes
chroniques. Les premiers , dont le siége paroît être le système ca
pillaire du réseau muqueux , s'accompagnent rarement de dé
mangeaison ou de douleurs vives , et provoquent néanmoins ,
dans tous les cas , une réaction fébrile intense ; tandis que les se
conds , dont le siége semble être sur tout le système exhalant , ex
citent un prurit affreux , des cuissons et des ardeurs intolérables
sans réaction , la plupart du temps , du système circulatoire. N'y
a-t-il pas dans cette disposition contradictoire quelque obstacle à

cette unité de principes qu'on voudroit établir dans la pathologie ?


DCCCXXVII. Ce que les psorides ont encore de général , c'est

une opiniâtreté , une sorte de ténacité qui s'oppose à ce qu'elles


se terminent d'une manière spontanée ; mais qui les porte plutôt
à s'accroître , à s'aggraver sans cesse . J'ai vu des familles entières.

dans ces tristes réduits qu'habite l'indigence , consumées lente


ment par les cuissons dévorantes et l'anxiété inséparables de ces
dégoûtantes éruptions ; leur teint pâle et plombé , l'oedématie gé
nérale des membres , qui leur laissoit à peine la forme humaine ,
annonçoient le terme prochain de leur existence douloureuse , et
cependant elles recouvroient la santé et revenoient , pour ainsi
412 MALADIES DE LA PEAU.

dire , à la vie , aussitôt qu'une main bienfaisante venoit soulager


leur infortune et les soumettre à des soins médicaux appropriés .
Ainsi , il n'y a rien à espérer dans les psorides , des mouvemens
de la nature .

DCCCXXVIII . On observe particulièrement ces maladies ,


comme je l'ai déjà dit , dans les lieux où des masses d'individus
réunies dans des espaces trop étroits , ne permettent que diffici

lement d'observer les soins ordinaires de la propreté et les autres


règles de l'hygiène. C'est dans les prisons , dans les maisons de
travail , souvent même dans les établissemens pour l'éducation des
enfans du peuple , quand ils ne sont pas tenus avec l'ordre et la
sévérité nécessaires , qu'elles sévissent avec plus de fureur . Un
médecin éclairé et judicieux assure avoir fait la remarque que des
deux insectes de la gale et du prurigo pédiculaire , l'un nuisant à
la subsistance de l'autre , il est rare de les rencontrer ensemble . Ce
qu'il y a de positif, c'est que certaines professions , celle de vidan
geurs , par exemple , sont funestes à tous les deux ; le gaz hydro
gène sulfuré est ici manifestement l'agent de leur destruction.
Nous aurons occasion de signaler , au contraire , d'autres métiers
qui paroissent favoriser la propagation de ces animalcules ; comme
aussi d'apprécier les circonstances d'âge , de constitution et de tem
pérament qui prédisposent plus immédiatement à la psoride pa
puleuse et à la psoride crustacée ; mais ces détails trouveront

mieux leur place dans le chapitre suivant.


MALADIES DE LA PEAU. 413

ARTICLE II.

CONSIDÉRATIONS SUR LE DIAGNOSTIC DES PSORIDES , ET SUR LEURS RAP

PORTS D'ANALOGIE AVEC QUELQUES AUTRES MALADIES CUTANÉES .

DCCCXXIX . On a long-temps confondu , et beaucoup de mé


decins confondent encore entre elles ces éruptions. Il importe
donc que leurs caractères spécifiques soient exactement indiqués

ici pour que leur détermination soit aussi dans la circonstance ,


sûre et facile.

DCCCXXX . La plus commune des trois espèces , la pustu


leuse , présente dans l'état simple , des traits assez prononcés ,
mais qui deviennent plus incertains lorsqu'on arrive à ses diverses
nuances. Le siége qu'occupent ordinairement ses boutons est déjà
une donnée très- utile pour apprécier la nature de la maladie .
Ainsi , nous avons vu que ce sont l'interstice des doigts , le pli des
articulations , le creux des aisselles , et toutes les parties , en un
mot , qui fournissent une espèce d'abri à la cause propagatrice de
la maladie , et en facilitent la contagion , où se montrent presque

toujours les pustules de la gale . Les exceptions , sous ce rapport ,


sont néanmoins assez communes ; on cite , par exemple , le cas d'un
seigneur italien , qui fut atteint de la psoride pustuleuse au vi
sage , pour avoir appliqué sur cette partie son manteau sortant

des mains d'un domestique infecté de cette éruption . On voit


les nourrices ou les servantes galeuses en déposer le germe sur les
fesses des enfans , parce qu'elles sont dans l'habitude d'appliquer
leurs mains sur ces parties en les portant à la promenade .
DCCCXXXI. Il existe , pour le prurit de la psoride pustuleuse ,

un trait particulier qu'on ne rencontre point dans les autres ; je


veux parler du soulagement et même du plaisir momentanés que
2. 54
414 MALADIES DE LA PEAU.

l'action de se gratter procure au malade . Le moment de la journée


où cette démangeaison devient plus vive , la circonstance de son
accroissement par la chaleur du lit , du foyer ou de l'atmosphère ,
sont , comme l'observe Wichmann , autant de particularités pro
pres à décéler la nature de l'affection . Il semble effectivement , dit
cet écrivain , que la chaleur produise alors sur les sarcoptes l'in
fluence qu'elle a sur tous les insectes , c'est - à - dire qu'elle les ex
cite , les tire de leur engourdissement , par où s'explique le sur
croît d'incommodité dont nous parlons . La marche naturelle et la
forme des pustules de la gale , mais surtout sa propriété conta
gieuse , sont d'autres conditions à l'aide desquelles il devient im
possible de la méconnoître .
DCCCXXXII . Ces notions sur les diagnostics de la psoride pus
tuleuse peuvent servir , en quelque sorte , de type pour estimer

les modifications dont elle est susceptible , et établir les signes dis
tinctifs des autres espèces. Qu'au lieu de ces boutons miliaires ,
cristallins , très-rapprochés , qui constituent la gale vulgairement
dite canine , il se présente de gros boutons purulens , discrets ,
formant par leur dessiccation des écailles plus ou moins épaisses ,
cette différence dans la forme ne saurait induire en erreur , sur la

nature de la maladie qu'indique suffisamment la réunion des autres


caractères ; leur absence est comme une démonstration négative
pour les autres espèces.
DCCCXXXIII . La psoride crustacée , ou psoriasie , se distingue

des précédentes non-seulement par la forme de l'éruption elle


même , dont chaque bouton offre ordinairement une petite aréole
violette ; mais leur siége n'est presque jamais celui de la psoride

pustuleuse , puisque c'est sur les membres inférieurs et supé


rieurs , particulièrement sur leur face externe qu'on les rencon
tre . Une dissemblance plus saillante encore , est que le prurit
est très-rare dans la psoride crustacée , et qu'elle ne se transmet
point par contagion . M. Devilliers , élève de l'hôpital Saint-Louis ,
a recueilli sous mes yeux l'observation suivante , qui suffiroit à
MALADIES DE LA PEAU. 415

elle seule pour donner le diagnostic exact , et confirme pleine


ment ce que je viens de dire de la psoride crustacée . Le nommé
Bonito , âgé de vingt ans , d'un tempérament sanguin , d'une cons
titution robuste , présente derrière les épaules des boutons papu

leux , tantôt isolés , tantôt unis par les bords , légèrement sail
lants , recouverts d'écailles très-petites , et tombant sous forme de
poussière grisâtre. Démangeaison à peu près nulle . Le début fut
l'apparition de petits boutons rouges disséminés sur les coudes ,
les genoux , d'où ils s'étendirent aux bras et aux cuisses , pour bien

tôt envahir le tronc , le cou , le derrière des oreilles ; la figure en a

été constamment exempte . En se réunissant, ces boutons formèrent


des plaques diversement étendues ; de nouveaux se manifestent
de loin à loin , suivent la même marche que les précédens : et c'est
ainsi que la maladie s'entretient depuis son origine , dont la cause
demeure tout-à-fait ignorée.

DCCCXXXV . A leur invasion irrégulière , à l'aspect des aspé


rités blanchâtres , pleines , sèches , analogues à ce qui se montre
dans le phénomène nommé chair de poule ; mais en considérant
surtout les régions de la peau , les épaules , les lombes , etc. , où ils
se manifestent , on doit reconnoître assez facilement les boutons de
la psoride papuleuse. Il sera impossible de conserver le moindre

doute à son égard , après avoir constaté la démangeaison vive et


continue dont elle est accompagnée. J'ai connu un académicien
également distingué par la finesse de son esprit et la noblesse de
son caractère , qui passa les dernières années de sa vie dans les

tortures inouïes d'un prurigo formicans , dont la démangeaison


lui laissoit à peine quelques instans de calme , et s'exaspéroit , au
contraire , très-souvent par les manoeuvres du domestique , inces
samment occupé à frotter cet infortuné malade.

DCCCXXXVI . Il seroit superflu de nous arrêter sur la seconde


variété de psoride papuleuse , celle qui constitue la phthiriasis ou
maladie pédiculaire . Quelle que soit son origine , dont nous aurons
à nous occuper plus loin , il est évident que la seule présence de
!

416 MALADIES DE LA PEAU.

l'insecte particulier qui forme la cause immédiate de la maladie ,


suffit dans toutes les circonstances pour décéler sa nature et son
caractère .

DCCCXXXVII. En continuant le parallèle des psorides , il de


viendra de plus en plus aisé de préciser ce que chacune a de spé
cial ; dès-lors on n'assimilera plus , comme cela arrivoit fréquem
ment autrefois , toutes les éruptions anomales à la psoride pus
tuleuse . Il est certain que celle- ci disparoît assez brusquement
par l'effet du frisson fébrile , ou à la suite de quelqu'irritation dé
veloppée dans l'intérieur de l'économie. Ce phénomène ne tien
droit-il pas à ce qu'une température basse venant à s'établir sou

dainement dans la surface cutanée , asphyxie les sarcoptes qui


recouvrent le mouvement et la vie dès que la chaleur périphé
rique et les autres conditions favorables à leur existence sont ré
tablies ? telle étoit l'opinion de Morgagni ; et ce que j'ai vu arri
ver dans plusieurs cas de prurigo pedicularis , où les insectes dé
sertoient les corps dès que se manifestoit le froid de l'agonie ,
justifie , jusqu'à un certain point , cette conjecture. On voit du
reste qu'elle se concilie parfaitement avec le résultat de la dispo
sition contraire , c'est-à-dire avec le surcroît d'activité que le sar
copte reçoit de l'impression du calorique . Une circonstance qui
c'est que
doit singulièrement éclaircir le diagnostic en pareil cas ,
la psoride pustuleuse reparoît toujours sur les parties où elle exis
toit d'abord et qui sont , comme on sait , les lieux d'élection ; tan
dis que les éruptions diverses auxquelles on attribue quelquefois
un caractère critique , n'ont jamais une station déterminée , et
varient , sous ce rapport , autant que sous celui de leur étendue
et de leur figure .

DCCCXXXVIII. Parmi les accidens qui peuvent compliquer


et par conséquent obscurcir le diagnostic des psorides , je noterai
les dépôts purulens , les furoncles et autres phénomènes inflam
matoires dont le développement s'allie assez souvent à la maladie
éruptive . Bien qu'ils n'aient rien de commun au fond avec la
MALADIES DE LA PEAU. 417

cause essentielle de la psoride pustuleuse où on les observe la


plupart du temps , leur appréciation peut être extrêmement utile

pour établir le diagnostic exact de la maladie. Cette espèce d'ac


cident ne diffère pas au reste de ce qui se voit toutes les fois
qu'une suppuration plus ou moins ancienne , trop brusquement
supprimée , donne naissance à quelque autre travail morbide que
la nature suscite à propos pour prévenir l'irritation des organes
internes , comme nous allons le voir , en traitant du pronostic des
psorides. Mais déjà nous voyons par ce qui précède que la manifes
tation des accidens dont je m'occupe , exige toujours l'existence
préalable d'une suppuration qu'on ne rencontre véritablement

que dans la psoride pustuleuse ; ce qui est un moyen de la distin


guer non-seulement de toutes les éruptions cutanées anomales ,
mais encore de celles qui ont avec elle le plus d'analogie .

ARTICLE III .

1 DU PRONOSTIC DES PSORIDES .

DCCCXXXIX. Ce n'est qu'au sein des asiles ouverts à l'in


fortune et à la douleur par la piété et la philanthropie , qu'on peut

rencontrer ces maladies en assez grand nombre pour être à même


d'apprécier exactement leur gravité respective . La pratique iso
lée ne sauroit fournir à cet égard que des données imparfaites
et absolument incertaines. Il ne pouvoit donc pas y avoir de si

tuation plus favorable à cet ordre de recherches que celle où


je me trouve depuis tant d'années à l'hôpital Saint- Louis , ce
vaste réceptacle de tous les genres de maladies cutanées qui af
fluent dans la capitale de tous les coins de l'Europe . C'est là que
j'ai pu soumettre à une révision sévère les jugemens divers portés
ES
418 MALADI DE LA PEAU

sur le danger des psorides , et rectifier le long tissu d'erreurs ou


de chimères enfantées à cet égard par l'amour du merveilleux et
par l'esprit de système. On ne citeroit pas peut-être , en effet , une
seule maladie dont on n'ait attribué la production aux différentes
espèces de psorides , et particulièrement à la gale . L'imagination
des médecins s'est donnée sur ce point une si ample carrière , qu'il

a fallu , pour sortir de ce dédale , recourir à l'observation directe.


Celle-ci m'a bientôt appris que la gravité doit être évaluée non
seulement d'après le genre de complications qui peuvent exister
dans les psorides , mais encore en particulier pour chacune d'elles.
Je n'ai pas tardé non plus à me convaincre que leur importance
pathologique , souvent méconnue , a plus souvent encore été exa
gérée. Hélas ! ne devroit-il donc pas suffire de tant de maux réels
qui affligent incessamment la condition humaine , sans y joindre
encore les déplorables suggestions de la foiblesse et de la crainte!
DCCCXL . Considérée dans sa forme la plus simple , la pso

ride pustuleuse est une maladie totalement dépourvue de danger.


Il y a pourtant cette remarque à faire qui me paroît importante ,
parce qu'elle nous fournit , en passant , un indice sur la nature de

l'éruption, c'est que la gale , quelque bénigne qu'elle soit , ne cesse


de s'accroître si elle est livrée à elle -même , tandis qu'on voit
guérir quelquefois spontanément les diverses éruptions anomales
qu'on a cru pouvoir lui être comparées . Dans la vieillesse , où
elle est en général plus rare , elle s'accompagne de plus d'incom
modités qu'à tout autre âge de la vie . La délicatesse du tissu der

moïde chez la femme et l'énergie de sa sensibilité peuvent lui


rendre la démangeaison très -désagréable et même nuisible . Il
n'est pas sans exemple que ce prurit , plus ou moins intense , ait

produit chez les enfans des convulsions à la manière de ce qui ar


rive dans les affections vermineuses .

DCCCXLI . On conçoit encore qu'une abondante suppuration


des pustules de la gale puisse avoir des effets fàcheux pour cer
taines constitutions délicates , et j'ai signalé d'un autre côté le
MALADIES DE LA PEAU. 419

danger qu'a eu quelquefois sa rétrocession imprudemment dé


terminée . Pour ces cachexies , ces fièvres hectiques , etc. , qu'on a
cru être souvent l'effet de la psoride pustuleuse , elle ne m'a paru

le produire que chez les individus tombés dans le dernier degré de


la misère , ou minés par quelque vice organique ; et il est bien
plus ordinaire alors de rencontrer chez eux le prurigo et la pso
riasie que la gale proprement dite .

DCCCXLII. Nul doute que la psoride crustacée et la psoride


papuleuse ne comportent un pronostic plus fâcheux que la pus
tuleuse. Cette circonstance dont nous aurons occasion encore de

mieux nous convaincre , en étudiant leur étiologie , pourroit être


appuyée de faits sans nombre. On peut dire en général que la

psoriasie est une maladie plus grave que la gale , puisque la plu
part du temps elle montre une opiniâtreté et une tendance à se
reproduire qu'on n'observe pas dans la seconde . Cette disposition
n'est pas moins marquée dans la psoride papuleuse . Mais ses ef
fets sont encore souvent beaucoup plus graves , et la mort peut
en être assez promptement la suite. J'ai cité un exemple dans le
quel l'acuité des souffrances conduisit le malade au délire suicide ;
elle n'en détermine jamais de plus vives que dans le cas où elle
occupe les parties génitales dans l'un et l'autre sexe. Il n'est pas
absolument rare de voir la psoride pustuleuse elle-même alter
ner , pour ainsi dire , avec l'aliénation mentale , circonstance tou
jours bien importante à noter , alors qu'elle est tout-à- fait étran
gère à l'éruption elle - même .

DCCCXLIII . On sentira , du reste , qu'il doit être fort difficile
d'apprécier d'une manière générale l'influence des maladies qui
excitent si diversement la sensibilité cutanée , dont l'énergie
offre elle-même tant de variété dans l'espèce humaine . Il est ce
pendant toujours permis de dire qu'à un haut degré d'exaspéra
tion , il ne peut en résulter que des conséquences fâcheuses pour

l'économie . Indépendamment des irritations sympathiques aux


quelles un prurit de cette nature donne fréquemment naissance ,
420 MALADIES DE LA PEAU.

il est aisé de comprendre qu'il doit plus souvent encore détermi


ner le marasme . Ce résultat se présente jusque dans le prurigo
pédiculaire. J'ai vu du moins les hôtes parasites qui le consti
tuent dévorer assez promptement la substance de ses victimes.

Des maladies capables d'occasioner des troubles organiques ; tels


que ceux qui viennent d'être indiqués , sont donc quelquefois des
états graves , et toujours dignes de fixer l'attention du praticien
éclairé qui trop souvent éprouve encore la douleur de les voir
exaspérées , par les préjugés et les aveugles pratiques du vulgaire.

ARTICLE IV .

DES CAUSES ORGANIQUES QUI INFLUENT SUR LE DÉVELOPPEMENT DES


PSORIDES.

DCCCXLIV . Il ne seroit pas facile d'indiquer d'une manière


très-précise toutes les dispositions de ce genre qui concourent à
la production de ces maladies. A l'hôpital Saint- Louis , je les vois
presque toujours chez des individus que l'indigence et la privation
des choses les plus nécessaires à la vie ont réduits au dernier de
gré de dégradation morale et physique. Leur constitution pré
sente ordinairement un état de débilité très-favorable au déve

loppement de ces éruptions . La peau de ces personnes , sèche ,


inerte , en quelque sorte , est on ne peut plus appropriée à la pso
ride crustacée ; ou bien le système lymphatique a acquis une pré
dominance et contracté un degré d'irritation qui favorise singu
lièrement la manifestation de la psoride papuleuse.

DCCCLXV . L'interruption de l'exhalation cutanée chez les


vieillards est une circonstance très-favorable au développement
du prurigo qu'on sait être une maladie particulière à la vieillesse.
On le voit s'allier fréquemment avec la disposition scorbutique.
MALADIES DE LA PEAU. 421

DCCCXLVI. Dans l'enfance , qui est très-souvent exposée


aux éruptions prurigineuses , dont le privilége semble ainsi ap
partenir aux deux extrêmes de la vie , ce sont d'autres causes par
ticulières à cet âge auxquelles ces maladies doivent être alors rap
portées. Le tempérament nerveux et la prédominance du système
lymphatique , ordinaires à l'époque dont nous parlons , exercent
à cet égard une grande influence. Ce qui le prouve manifeste

ment , c'est qu'on les voit d'autant plus opiniâtres que cette cons
titution organique est plus prononcée , comme on l'observe chez
les individus blonds , à cheveux rouges , dont la peau est en même
temps molle et irritable.

DCCCXLVII. Chez les enfans à la mamelle , la psoride papu


leuse peut tenir encore à l'état particulier de la nourrice . Une
constipation opiniâtre , l'apparition des règles ou d'un écoulement
leucorrhéique , ont suffi quelquefois pour lui donner naissance .

Si le lait est trop vieux , trop caséeux , ou même trop peu abon
dant , il y a dans l'une ou l'autre de ces conditions de quoi pro
duire chez les petits nourrissons des éruptions prurigineuses
très-pénibles et souvent très-rebelles. La pléthore qui accompa
gne ordinairement la première période de la grossesse les déve
loppe aussi quelquefois chez les femmes . Je ne sais si elles peu
vent se communiquer aux foetus dans cette conjoncture ; mais
j'ai du moins la preuve qu'elles sont héréditaires . Trois jeunes
garçons , nés du même père , vinrent au monde affectés de la pso
ride papuleuse ; un chirurgien sans expérience , qui fut consulté ,
prit cette éruption pour des boutons de gale , et les traita en con
séquence , ce qui ne fit qu'exaspérer le mal et rendre l'existence

de ces petits êtres plus douloureuse .


DCCCXLVIII . J'ai presque constamment observé parmi les
enfans de l'hôpital Saint-Louis que les plus sujets à cette affection
sont ceux qui n'ont eu ni croûte laiteuse , ni autre exsudation ana

logue , qu'on doit considérer comme une sorte de dépuration pour


la nature . Elle paroissoit tenir uniquement à cette circonstance

2. 55
422 MALADIES DE LA PEAU.

chez deux enfans , âgés de trois à quatre ans , nommés Jacques et


Félix Fanier , qui me furent amenés , il y a quelques années , cou
verts de boutons peu saillans , mais très-nombreux et accompa
gnés d'une démangeaison extrêmement vive ; ils n'avoient encore
eu ni gourmes , ni rougeole , ni variole.
DCCCXLIX . Le régime chez les adultes a sur le développe
ment des psorides une influence non moins remarquable. Ainsi ,
on les voit se manifester très-souvent après l'abus plus ou moins

prolongé des boissons alcooliques , des ragoûts fortement épicés , et


des diverses substances alibiles ou des condimens culinaires doués

de propriétés âcres et irritantes . Une nourriture malsaine , insuf


fisante , composée exclusivement de végétaux fades et peu riches
en matière nutritive , est aussi très - propre à déterminer ce genre

d'affection ; je crois , d'après mes observations , qu'elle engendre


particulièrement la psoriasie.
DCCCL. Au nombre des causes internes qui contribuent en
core à la production des psorides , il faut ranger enfin les diverses
irritations viscérales aiguës ou chroniques. De même que dans le

cours des fièvres dites putrides ou adynamiques , la peau se couvre

quelquefois de petites élevures séreuses nommées sudamina par


les pathologistes , ou bien de taches particulières nommées pété
chies ; ainsi qu'on observe des maculations particulières de la
peau dans les irritations chroniques du foie , il est pareillement
assez commun de rencontrer les psorides papuleuse et crustacée
liées à divers états inflammatoires des organes et notamment du
tube alimentaire.

DCCCLI . On sait que la psoride pédiculaire se développe


aussi dans ces circonstances ; les poux pullulent alors de toutes
parts , et la quantité en est quelquefois si grande que leur pro
duction ne peut guère s'expliquer que par la génération sponta
née . Telle est au reste l'opinion émise par Aristote , adoptée par
Théophraste , et reproduite par Bremser dans ces dernières an
nées . Les exemples de Platon , d'Hérode , d'Ennius , de Phéré
MALADIES DE LA PEAU. 423

cide , etc. , sont trop connus pour être reproduits ici ; nous lisons
dans Plutarque des détails fort curieux en ce genre sur la mala
die de Sylla ; les débauches excessives dont il avoit contracté l'ha
bitude finirent par rendre sa maladie , qui , dès le principe , étoit
assez légère , tout-à-fait incurable. Il fut long-temps à s'apercevoir ,
dit son historien , qu'il avoit un abcès dans le corps . Cet abcès vint
à pourrir les chairs , et à les convertir en poux . La quantité en
étoit si considérable qu'il ne sembloit pas qu'on en retirât , bien
qu'on y fût occupé sans cesse ; les habits , les bains , les purifica
tions , jusqu'à la table où il prenoit ses repas , en étoient comme
inondés . Plusieurs fois le jour il se faisoit nettoyer le corps , mais

tous ces soins étoient inutiles , les poux ne paroissoient que se re


produire en plus grand nombre.

DCCCLII. Des auteurs plus modernes , des écrivains même de


nos jours ont rapporté des observations analogues également sur
prenantes. Bremser cite , d'après Rust , le fait d'un enfant , âgé de
treize ans , atteint d'une énorme tumeur sur les tégumens de la
tête , et à l'ouverture de laquelle on vit sortir une quantité pro
digieuse de petits poux blancs , ce qui fut bientôt suivi de la gué
rison du malade . M. Valentin a vu un homme dont la peau étoit
couverte de petits tubercules , d'où il s'échappa une très-grande
quantité de poux , après quoi la guérison fut parfaite . Blondelin ,
Amatus Lusitanus , M. Hufeland , citent des faits à peu près sem
blables. M. Serrurier a observé des douleurs arthritiques chez un
individu , qui disparurent par la manifestation d'une très-grande
quantité de poux , survenue malgré tous les soins de la plus ex
quise propreté , et qui périrent avec le retour des souffrances ar
ticulaires. On est fréquemment à même de répéter cette observa
tion chez les enfans qui , plus que tous les autres individus , sont
sujets à cette maladie. Dans une famille où il y a plusieurs frères
tous soumis aux mêmes soins hygiéniques et au même régime , les
uns sont infectés par les poux , tandis qu'ils semblent ne pouvoir

subsister chez les autres. Quelle que soit la théorie qu'on adopte
424 MALADIES DE LA PEAU.

sur la génération de ces animalcules , on ne peut donc guère nier


qu'il existe un état particulier des solides et des fluides plus ou
moins favorable à leur développement , sans préjudice des causes
externes qui peuvent favoriser leur propagation ordinaire .
DCCCLIII . Ces considérations sur l'origine interne des psorides

ne sont nullement applicables à la psoride pustuleuse que nous


allons montrer dans l'article suivant , toujours dépendante d'une
cause externe tout-à-fait spéciale.

ARTICLE V.

DES CAUSES EXTERNES QUI DÉTERMINENT LE DÉVELOPPEMENT DES PSORIDES.

DCCCLIV. S'il est vrai que la malpropreté , avec ses attributs


ordinaires , soit une condition favorable à la production des pso

rides papuleuse et crustacée , il est plus certain encore qu'on au


roit tort de lui attribuer celle de la gale , sans que je veuille nier
d'ailleurs la part réelle qu'elle peut y avoir. Mais parce que cette
affection se rencontre plus communément dans les dernières classes
du peuple , et paroît inhérente , en quelque sorte , aux haillons et à
la misère , il ne faut pas conclure que ces causes suffisantes , à la
vérité , pour l'entretenir , suffisent aussi pour la produire. Une
preuve qui paroîtra décisive , à cet égard , c'est que les soins de
propreté les plus assidus , le changement fréquent de linge et l'ob

servation des pratiques les plus minutieuses de l'hygiène dans les


classes riches de la société , ne mettent point à l'abri de la psoride
pustuleuse ; pas plus qu'une fois développée , ces moyens ne suf
fisent pour la détruire. Il y a donc une autre cause de cette affi

nité , si je peux m'exprimer ainsi , de la gale pour les personnes de


condition , de fortune , d'habitudes si opposées ; et cette cause se
MALADIES DE LA PEAU. 425

trouve évidemment dans son principe contagieux , c'est - à -dire ,


dans le sarcopte .

DCCCLV . Avant l'importante découverte qui changea entière


ment l'étiologie de la psoride pustuleuse , les médecins ne trou
voient rien de plus commode pour s'en rendre raison , que de sup

poser une matière fermentescible , un principe âcre particulier ,


déposé par le mouvement circulatoire sur divers points de l'enve

loppe tégumentaire . Ce fut la théorie de toute l'antiquité , qui ,


conservée de siècle en siècle , malgré les observations contradic
toires , mais trop peu authentiques de quelques naturalistes , ré
gna exclusivement jusqu'à une époque assez rapprochée . Il est
évident qu'on rangeoit alors indistinctement sous le titre de gale ,
des éruptions de nature et de caractère fort différens , notamment
les psorides crustacée et papuleuse . On s'étonne qu'il ait fallu au
tant de temps pour arriver à la vérité sur un point de pure intui

tion ; car il me semble que les hypothèses humorales devoient na


turellement tomber en présence des faits si nombreux de gales
développées instantanément et au milieu de la santé la plus floris
sante. Mais , comme l'a dit un philosophe , l'homme ne sait presque
point voir , parce qu'il trouve plus facilement d'imaginer !
DCCCLVI. Il n'est pas sans importance de connoître la marche
progressive et la série d'aperçus , d'observations et d'expériences
par lesquelles on est enfin parvenu à la véritable étiologie de la

psoride pustuleuse. L'Arabe Avenzoar paroît le premier qui , au


douzième siècle , ait eu réellement connoissance d'un insecte ana
logue au pou , qui , dit-il , se développe dans certaines éruptions
cutanées. Mais ce trait de lumière étoit resté sans application jus
qu'à ce que le médecin anglais , Th . Moufet , s'en étant emparé
vers le milieu du seizième siècle , compara cet insecte au ciron du
vieux fromage , et donna quelques formules de médicamens pour
le détruire . Après que Drebel eut perfectionné le microscope , cet
instrument fut appliqué de la manière la plus utile à la recherche
de l'insecte de la gale par Kircher , Hafenreffer , et surtout par
426 MALADIES DE LA PEAU.

Hauptmann , qui le premier le décrivit et en donna une figure


dessinée dans l'année 1657. Nonobstant ce que pouvoient avoir de
positif ces premières données , c'est au célèbre médecin italien

Rédi , qui vivoit vers le milieu du dix-septième siècle , qu'il faut en


définitive attribuer la découverte qui nous occupe. Les détails les
plus curieux , à cet égard , sont consignés dans une lettre de Bo

nomi à Rédi , par laquelle il paroît que les premières expériences


furent dirigées par Hyacinthe Cestoni , naturaliste et pharmacien
de Livourne . Ces idées ne tardèrent pas à se répandre ; elles furent
accueillies et vérifiées par les observateurs le plus recommanda
bles . L'illustre Morgagni leur accorda son suffrage . Bientôt les na
turalistes s'occupèrent de classer l'insecte de la gale . Le grand
Linné l'a confondu avec la mitte de la farine et du fromage ; De
Géer releva cette erreur en 1758 , en même temps qu'il donna de
l'insecte une description fort exacte. Elle se rapporte parfaitement
avec celle qu'a donnée depuis notre célèbre entomologiste , M. La
treille , qui imposa à l'insecte le nom caractéristique de sarcopte ;
M. Bosc , de l'Académie des Sciences , ainsi que M. Duméril , lui ont
assigné les mêmes caractères .
DCCCLVII . C'est au milieu de ces brillans travaux que de nou
velles recherches furent néanmoins tentées dans le but de cons

tater d'une manière , en quelque sorte , plus solennelle , l'existence


de cet insecte . Elles furent faites en ma présence à l'hôpital Saint
Louis , et sont dues au zèle et à la sagacité de M. Galès , ancien
pharmacien en chef de cet établissement , qui leur consacra trois
mois entiers pendant l'année 1812. Une commission , dont je fai
sois partie , prise dans la Faculté de Médecine , et une seconde
fournie par l'Académie des Sciences , y assistèrent régulièrement ,

et chacun de leurs membres fut à même de voir le petit animal ,


objet de ces perquisitions attentives.
DCCCLVIII . On a écrit , et même des hommes d'une véracité
reconnue , tels que Rédi , Wichmann , assurent qu'il est possible

quelquefois de retirer des sarcoptes des boutons de gale avec la


MALADIES DE LA PEAU. 427

pointe d'une épingle. Le résultat ne fut pas aussi facile et demanda

plus de précautions dans les expériences de M. Galès . La première


fois qu'on y procéda , un temps assez long s'écoula sans qu'aucun
mouvement se manifestât au sein du liquide qui avoit reçu le fluide
des pustules galeuses ; mais , lorsque l'insecte eut surmonté l'en

gourdissement que l'impression du liquide lui avoit communiqué


par sa fraîcheur , il commença alors à s'agiter et devint manifeste

à tous les yeux . On abrégea beaucoup l'expérience en se servant


plus tard d'eau tiède pour la renouveler .
DCCCLIX . Une autre épreuve , également intéressante , que

tenta M. Galès , ce fut de faire développer des boutons de gale


bien reconnus par tous les commissaires , en tenant pendant une
seule nuit sur le dos de sa main et sous verre , trois ou quatre sar

coptes. De pareils faits me paroissent porter avec eux tous les ca


ractères de l'évidence .

DCCCLX . On seroit étrangement dans l'erreur, si ce que je viens

d'exposer faisoit penser que la démonstration du sarcopte est une


chose facile . Non-seulement il n'est presque jamais visible qu'au
microscope ou du moins à la loupe , mais il faut encore savoir choisir

les pustules ; car on ne le trouve pas , à beaucoup près , dans toutes ;


et pour tout cela il faut une habitude , une sagacité et une pa
tience dont peu de personnes sont capables. J'ai dit plus haut que
beaucoup de médecins se méprennent encore sur les caractères de

la psoride pustuleuse ; à plus forte raison est-il aisé de se tromper


sur la période à laquelle il convient d'ouvrir les boutons pour en
extraire le sarcopte . M. Galès assigne le moment de la plus vive dé
mangeaison des pustules , qui est aussi celui de leur état séreux

et de leur aspect blanchâtre . Plus tard , quand elles sont devenues


tout-à-fait purulentes , toute espèce de recherche à cet égard pa
roît devoir être inutile .

DCCCLXI. Je ne m'étendrai pas davantage sur ce qui concerne


ce point de l'étiologie de la gale . Mon très- estimable collègue ,

M. le docteur Lugol , a essayé de le mettre de nouveau en ques


428 MALADIES DE LA PEAU.

tion ; mais avant de donner un démenti aussi formel à ce que


l'Europe compte de plus recommandable dans les sciences natu

relles et dans la médecine , son amour pour la vérité l'a engagé à


tenter de nouvelles expériences dont on attend avec impatience
les résultats . Je pense , au reste , que de nouvelles recherches ne
feront que confirmer ce que nous ont appris celles dont j'ai rendu

compte .
DCCCLXII . Il seroit superflu de m'arrêter à décrire ici le sar
copte. On trouve ces détails dans les ouvrages des entomologistes ,
auxquels je dois seulement joindre , parmi les noms précités , celui
du Suédois Fabricius , qui a beaucoup contribué à nous faire con
noître exactement cet insecte. Quant au nombre de ses pattes ,
de six suivant les uns , de quatre seulement suivant les autres , qui
soutiennent que les deux premières de devant sont des antennes ;
cette discussion , bien qu'intéressante , m'écarteroit trop du but
que je dois me proposer en ce moment , et qui est la détermination

de l'influence du sarcopte dans le développement de la psoride


pustuleuse.
DCCCLXIII . Si l'expérience particulière de M. Galès , à cet
égard , pouvoit laisser quelques doutes , il n'est plus permis d'en
conserver aucun , quand on réfléchit à la manière dont se fait la

propagation de la psoride pustuleuse . Des médecins qui n'ont point


osé nier tout-à-fait l'existence du sarcopte , ont demandé si , au
lieu d'être la cause déterminante de la gale , il n'en seroit pas plu

tôt un effet , un accident plus ou moins singulier , le comparant à


certains vers qu'on voit se développer dans quelques ulcères sor
dides. Auroit-on fait une objection pareille , pour peu qu'on eût

voulu se rappeler que la psoride pustuleuse attaque indistincte


ment tous les hommes , sans en excepter même les têtes cou
ronnées ?
1
DCCCXIV . Mais d'où vient donc cet insecte ? Cette question est
la
tout aussi difficile à résoudre pour le moindre ciron que pour

plus admirable créature . J'ai déjà dit que quelques naturalistes ad


MALADIES DE LA PEAU. 429

mettent la génération spontanée des poux , dont la propagation se


feroit ensuite suivant les lois ordinaires . M. Bory Saint-Vincent
a rapporté le fait singulier d'une femme qui , après avoir été gué
rie par un remède violent d'une maladie qui la tourmentait de
puis vingt ans , fut très-surprise de se voir , pour ainsi dire , en
veloppée d'une innombrable quantité d'acarides , genre très- voisin
des ixodes , qui sortoient spontanément de toutes les parties de la
peau où il lui arrivoit de se gratter. Pourquoi n'admettrions-nous
pas aussi ce mode de développement du sarcopte , avec faculté pour
lui de vivre et de pulluler sur les tissus animaux où il peut être
transplanté ? Mais ce n'est là qu'une conjecture ; ce qu'il y a de plus
positif, c'est que le sarcopte produit et entretient la psoride pus

tuleuse , fait remarquable à l'appui duquel déposent à la fois les


recherches expérimentales et l'observation clinique .
DCCCLXV. Pour les causes externes dont l'influence peut

concourir à la production des deux dernières espèces de psorides ,


nous les trouverons presque toutes dans la négligence plus ou
moins entière des pratiques de l'hygiène . Ainsi , le manque de
linge qui ne permet point de le renouveler aussi souvent que l'exi

geroit l'abondance de la sueur incessamment accrue par l'habitude


de travaux pénibles , et le défaut de propreté entretenue par des
bains ou des lotions assez réitérées , sont deux circonstances qui
m'ont paru prédisposer à la psoriasie . On a remarqué que les poux
et les autres insectes se développent très-facilement dans les étoffes
de laine , sans doute à cause de la chaleur qu'ils y trouvent. Ce
fait peut expliquer pourquoi la phthiriasis affecte d'une manière

spéciale les tailleurs qui n'observent pas assez rigoureusement les


règles hygiéniques relatives à la propreté.
DCCCLXVI. L'habitude d'une vie inactive et sédentaire , par
l'influence qu'elle a sur l'exhalation cutanée qui est toujours alors
en foible proportion , paroît être une des circonstances externes

les plus favorables au développement de la psoride papuleuse .


C'est à cette cause du moins qu'on est en droit d'attribuer la fré

2. 56
430 MALADIES DE LA PEAU.

quence de cette éruption chez les gens de lettres , les artistes , et


en général chez tous les hommes que leur genre d'occupations

condamne à une sorte d'immobilité. Le séjour dans un lieu froid


et humide produit le même résultat par la même influence . Un de
mes élèves , M. le docteur Vacquié , m'a communiqué l'observation
d'un vieillard , ancien garçon boucher , qui , n'ayant jamais eu la
gale , ni aucune autre maladie cutanée , fut atteint , il y a quinze
mois , d'une éruption pemphigoïde intense , à laquelle a succédé
un prurigo formicans extrêmement opiniâtre. Les papules peu sail
lantes , mais très - nombreuses , blanchâtres , avec une aréole rou
geâtre légère à la base , occupent la partie externe des membres et
les épaules. La démangeaison est tellement vive qu'il arrive sou
vent que la peau soit déchirée par les ongles du malade qui , peu

fortuné , a déjà fait inutilement beaucoup de remèdes . L'origine de


cette affection paroît tenir , d'une part , à un changement de ré
gime devenu beaucoup moins substantiel , et de l'autre , à la cessa
tion totale , par le séjour dans une chambre humide , de la trans
piration très-abondante autrefois.
DCCCLXVII. Les deux sexes sont également sujets à de vives

démangeaisons des parties génitales , par suite de l'âcreté que peut


acquérir le fluide séro-muqueux abondant fourni par les glandes ,

situées aux environs , ou même par l'accumulation simple de ce


produit sécrétoire . Il est enfin un autre prurigo de ces mêmes or
ganes , lequel est déterminé par la présence d'un pou d'une espèce
particulière. J'ai cru devoir mentionner cette cause , comme une
des innombrables circonstances externes qui peuvent servir d'une
manière plus ou moins immédiate à la production de l'une ou de
l'autre des trois espèces d'éruptions prurigineuses dont il nous
reste à faire connoître les méthodes de traitement les plus efficaces
et les plus usitées.
MALADIES DE LA PEAU. 431

ARTICLE VI .

DES MÉTHODES DE TRAITEMENT EMPLOYÉES POUR LA GUÉRISON DES


PSORIDES.

AF
DCCCLXVIII . On n'aura pas de peine à croire qu'un genre de

maladies dont le caractère est de ne respecter aucune condi

tion sociale , et d'atteindre le riche dans son palais aussi bien que
le pauvre dans sa chaumière , a dû naturellement faire éclore

une immensité de recettes et de formules plus ou moins utiles.


Quand quelque turpitude s'attache à une maladie , il faut toujours
s'attendre à ce que la cupidité spéculera sur la honte de ceux que
cette maladie afflige , et que le charlatanisme cherchera à s'en faire
un monopole . Telle est aujourd'hui l'histoire de la maladie vé

nérienne , et telle a été de temps immémorial celle de la psoride


pustuleuse.
DCCCLXIX . Un écrivain a dit qu'il est toujours possible de
calculer assez exactement l'étendue des notions positives qu'on a
sur une maladie d'après le nombre des médicamens préconisés
pour la combattre. Cette idée , qui , prise d'une manière trop gé
nérale , cesseroit d'être juste , s'applique parfaitement à la théra
peutique des deux maladies précitées ; et nous y trouverons en
particulier , pour la psoride pustuleuse , la confirmation de ce

que nous avons dit touchant sa véritable étiologie .

DCCCLXX . La simple énumération des remèdes dangereux


ou bizarres , puissans ou inertes qui ont été proposés pour le trai
tement de la gale , à des époques plus ou moins éloignées , exige
roit à elle seule plusieurs pages. Chaque médecin qui crut devoir
s'en occuper (car elle fut long-temps abandonnée à la routine po
pulaire ) réglant sa thérapeutique d'après l'idée qu'il se formoit
432 MALADIES DE LA PEAU.

de la maladie , il dut en résulter le chaos le plus impénétrable.


Tirons un voile sur ces travers de l'esprit humain ; car que nous
serviroit de savoir que le pissat d'âne , l'eau distillée de fiente de
renard , les lotions avec le sang de vipère , ont joui autrefois de
quelque crédit dans le traitement de la gale ? Si l'histoire des
erreurs n'est pas totalement dépourvue d'intérêt , il n'y a du
moins que les vérités positives qui aient une utilité directe.
DCCCLXXI. On fut long-temps dans l'incertitude pour savoir

s'il convenoit de traiter la psoride pustuleuse par des moyens ex


ternes ou par des médicamens internes. Ces derniers , générale
ment abandonnés aujourd'hui , faisoient toujours partie des
méthodes suivies par les anciens , s'ils n'obtenoient pas exclusi
vement la préférence . Ainsi , les malades devoient subir une ou

plusieurs saignées , prendre quelques potions purgatives et se te


nir à l'usage des décoctions de plantes dites dépurantes, telles que
la chicorée , la patience sauvage , la bardane , la saponaire , etc. ,
avant de passer aux moyens dirigés contre l'éruption elle-même ,
et qui consistoient , comme aujourd'hui , en onguents , en pomma
des et lotions diverses . Il est évident que ces précautions de ré
gime inutiles pour la gale , ne pouvoient que prolonger sa
durée , et que , si elles réussissoient seules quelquefois , ce n'étoit
que dans de certaines éruptions prurigineuses que l'on confon
doit avec elle .

DCCCLXXII. Lorsque son étiologie commença d'être un peu


mieux appréciée , les remèdes restèrent encore remarquables par
leur extrême énergie . C'est ainsi que Baldinger faisoit usage
d'un onguent composé d'acide nitrique et de fleurs de soufre.
Zacutus Lusitanus recommandoit , à l'imitation de Pline , une
pommade faite avec les amandes amères ; Trécourt employoit une
dissolution de soufre et d'arsenic ; Heister un amalgame de plomb

et de mercure . Enfin on a employé avec plus ou moins d'avan


tage toutes les substances douées de quelque propriété active , que
fournissent les trois règnes de la nature .
MALADIES DE LA PEAU. 433

DCCCLXXIII . Parmi les plantes qui ont été alternativement


vantées pour le traitement externe de la gale , je ne mentionnerai
que les principales. L'herbe aux gueux ( clematis vitalba ) fut
beaucoup prônée dans le temps par un médecin d'Avignon , et ce
moyen étoit populaire en Provence , il y a une quarantaine d'an
nées. Un autre médecin du même pays , M. Sumeire , a célébré
depuis les vertus antipsoriques de la dentelaire ( Plumbago Eu
ropœa , LIN. ). Ce remède obtint même le suffrage de l'ancienne
Société royale de Médecine , sur le rapport qui lui fut fait , à cet
égard , par M. Hallé. M. Rangue , d'Orléans , a composé un livre pour
établir l'utilité de la staphysaigre (Delphinium staphysagria, LIN.),
pour le même objet. Toutes ces plantes et une foule d'autres que
nous pourrions mentionner encore , étoient , ainsi que le tabac
( nicotiana tabacum , LIN. ) que Dodoens , J. Bauhin , Matthiole ,
J. P. Franck, ont considéré comme antipsorique , étoient , dis-je ,
employées en décoction , ou bien en macération dans l'huile, dans

le vin , combinées quelquefois à certaines préparations opiacées ,


dans la vue de modérer leur propriété irritante , et administrées
plusieurs fois le jour en frictions. Leur usage a été totalement
abandonné pour des substances plus faciles à manier et d'une ef

ficacité plur sûre . Un médecin militaire distingué , M. Vaidy , a


employé avantageusement le camphre dans le traitement de la
gale , et quelques autres assurent avoir obtenu des succès du lini

ment ammoniacal , recommandé par Peyrilhe.


DCCCLXXIV. Les oxides métalliques , les sels mercuriels , cui
vreux , de zinc , de plomb , ont aussi trouvé leur emploi dans le

traitement de la gale . Werlhof se servoit d'un onguent dans la


composition duquel entroit le mercure précipité ; M. Hufeland
fait entrer le zinc dans sa pommade . Mais de toutes les substances
minérales , la seule qui a justifié le mieux tous les éloges des pra
ticiens , et qui par suite s'est maintenue en possession de leur
confiance exclusive dans le traitement de la maladie qui nous oc
cupe , c'est incontestablement le soufre. Connu sous ce rapport de
434 MALADIES DE LA PEAU.

puis des siècles , c'est par mes soins , après une expérience longue
ment acquise , qu'il a été généralement substitué à tous les autres
moyens depuis une vingtaine d'années .

DCCCLXXV . Je n'entreprendrai point ici de faire connoître en


détail les diverses préparations ou les procédés particuliers qui ont
été conseillés pour l'emploi de cette substance . Une telle énumé

ration , fort insipide , seroit d'ailleurs à peu près dépourvue d'u


tilité. Depuis l'œuf de l'abbé Quiret , qui consiste dans l'introduc
tion pratiquée bien long- temps avant qu'il ne la renouvelât , d'une
certaine quantité de fleurs de soufre dans un œuf dont on extrait
préalablement l'albumine , et qu'on fait cuire ensuite pour s'en
servir en guise de pommade , la pharmacie a vu se multiplier à
l'infini les préparations analogues. Le liniment de M. Louis Va

lentin , qui se compose de soufre natif et de chaux vive par par


ties égales , triturés en poudre très -fine et incorporés dans suffi
sante quantité d'huile d'olive ou d'amande douce , m'a paru consti
tuer une pâte de consistance médiocre , utile pour frictionner ma

tin et soir les pustules de la gale. La même formule tant soit peu
modifiée a été long-temps adoptée dans les hôpitaux militaires.
DCCCLXXVI. Indépendamment de la rancidité qu'elles con
tractent assez promptement , la graisse ou les huiles qui servent
d'excipient au soufre dans les compositions précitées , ont encore
l'inconvénient d'occasioner une malpropreté rebutante et d'al
térer le linge. La pommade dite improprement d'Helmerich ,
puisque j'en avois consigné la formule dans un de mes ouvrages ,
même avant que M. Burdin divulguât la recette dont ce chirurgien
faisoit un secret , cette pommade , quoique faite avec la graisse ,
n'a pas l'inconvénient que nous avons reproché aux autres. Elle
se compose de deux parties de soufre sublimé , d'une de potasse
purifiée et de huit d'axonge. Pour en user , il faut d'abord met
tre le galeux dans un bain ordinaire , l'y frotter avec un savon
liquide de Flandre ; et ensuite il se frictionne lui-même deux ou
trois fois le jour avec la pommade indiquée . M. le docteur Lugol
MALADIES DE LA PEAU. 435

obtient le même résultat à l'hôpital Saint- Louis , par des lotions


dans lesquelles le soufre et le savon se trouvent unis par portions

égales. Percy fit dans le temps à l'hôpital Militaire de Paris , par


ordre du ministre de la guerre , des expériences avec la pommade

d'Helmerich , qui toutes confirmèrent ses avantages. Un chirur


gien-major nommé Pihorel , a proposé une autre préparation qui
diffère à peine du liniment déjà cité de M. Valentin . Beaucoup
d'autres ont été mises en usage ; mais les unes sont d'une assez
grande cherté par leurs ingrédiens , et les autres ne laissent pas
que d'être , à quelques égards , dangereuses ; il étoit donc très
important de simplifier et d'assurer tout à la fois l'administration

de ce précieux moyen thérapeutique.


DCCCLXXVII. Ma longue pratique à l'hôpital Saint-Louis
m'ayant mis à même de constater le degré d'utilité et les avan
tages respectifs de chacune des méthodes précitées et de la plu
part de celles que je crois devoir passer sous silence , j'ai fini par
adopter un procédé qui me paroît à la fois plus efficace et plus fa
cile à mettre en pratique ; voici en quoi il consiste : on prend une
certaine quantité de dissolution de sulfure de soude ou de potasse,
à laquelle on ajoute , au moment de s'en servir , une dose déter
minée d'acide sulfurique . Pour la commodité des personnes qui
veulent faire usage du remède , je suis dans l'habitude de le faire

préparer et mettre dans deux bouteilles . L'une portant le nº 1 ,


contient la dissolution de sulfure de potasse ou de soude ; l'autre ,
étiquetée nº 2 , contient de l'acide sulfurique non concentré. Pour
s'en servir on remplit jusqu'aux trois quarts d'eau bouillante une
cuvette ordinaire , dans laquelle on verse ensuite plein un verre
à liqueur de la dissolution nº 1 ; on agite le mélange , ajoutant en
même temps une égale quantité de la liqueur nº 2 , et à l'instant
même on voit un léger dégagement gazeux se produire. La per
sonne qui doit se servir de cette préparation y trempe alors une
éponge fine , et fait matin et soir des lotions sur les parties cou
vertes de pustules.
436 MALADIES DE LA PEAU.

DCCCLXXVIII . Outre que ce procédé curatif n'altère en aucune


manière le linge , et ne laisse après lui aucune espèce d'odeur dé
sagréable , ce qui permet son emploi chez les gens du monde , j'ai
constaté depuis plus de vingt ans son utilité immédiate . Ainsi ,
sept à huit jours suffisent avec lui pour guérir les gales simples , et
je ne l'ai point vu échouer contre celles qui se montrent le plus
opiniâtres. On trouve dans le bel établissement sanitaire de

Tivoli , sihabilement dirigé par MM. Audéoud et Jurine , les deux


substances parfaitement préparées , en sorte que nous n'hésitons
pas à adresser là toutes les personnes qui auroient à en faire usage.
DCCCLXXIX . Depuis que j'ai donné cette méthode de trai
tement pour la psoride pustuleuse , quelques praticiens en ont
proposé d'autres plus ou moins analogues . M. Dupuytren , par
exemple, emploie à l'Hôtel-Dieu la dissolution suivante : eau com
mune , une livre et demie ; sulfure de potasse , quatre onces ; acide
sulfurique , demi once ; la dissolution doit être faite en plein air
dans un vase de terre ou de faïence ; on ajoute l'acide sulfurique
par degrés , en agitant doucement le mélange qu'on renferme en
suite dans une bouteille exactement bouchée avec du liége. On
voit que cette préparation diffère très-peu de celle que j'em
ploie ; l'une et l'autre s'administrent également en lotions , et sans
aucune espèce de soins préliminaires.
DCCCLXXX . M. Jadelot , dont j'aurais dû mentionner déjà le
liniment antipsorique à base de sulfure de potasse , qu'il a parti
culièrement composé pour la commodité des gens du monde et des
voyageurs, se sert encore à l'hôpital des Enfans , pour le traitement
de la psoride pustuleuse , des bains sulfureux déjà introduits par
J. P. Franck dans la pratique ; voici comment on les prépare sui
vant les principes de M. Jadelot : dans une baignoire de bois ou
construite en maçonnerie , remplie d'eau à 29° de Réaumur , on
met quatre à cinq onces de sulfure de potasse ou de soude , con
cret , qui , en se dissolvant , donne au liquide une couleur ver
dâtre à la surface , jaune et rouge foncé au centre . On peut
MALADIES DE LA PEAU . 437

ajouter une petite quantité d'acide sulfurique qui favorise le dé


gagement du gaz sulfureux , lequel est extrêmement délétère
pour le sarcopte ; les malades supportent parfaitement ce bain ,
qui peut être d'une heure. Les eaux minérales artificielles ont ce
grand avantage pour le cas dont il s'agit ici , sur les eaux natu
relles qu'on a conseillées aussi contre la gale , qu'on peut y ac
croître à volonté la dose du soufre. J'ajouterai qu'entre autres
avantages des lotions sur les bains avec ces eaux , c'est que les

premières ne portent que sur les points contaminés de la peau ,


tandis que les seconds irritent fort souvent les parties saines.
DCCCLXXXI . Je ne dois point omettre de parler ici d'un
autre mode d'administration du soufre dont l'efficacité a été dé

montrée il y a quelques années , je veux parler des fumigations

sulfureuses. Depuis long-temps nous avions fait à l'hôpital Saint


Louis , la remarque que la gale n'attaque jamais les religieuses
ni les infirmiers attachés au service des salles où l'on traite les

malades affectés des psorides pustuleuses . Des individus ont été


fréquemment guéris de cette affection pour être restés exposés
simplement à l'exhalation de la vapeur sulfureuse dans des salles
très-chaudes où des galeux se frottoient avec diverses pommades
soufrées. Il y a d'ailleurs près de deux siècles que Glaubert a re

connu cette propriété de la vapeur du soufre , qui depuis a pa


reillement été constatée en Allemagne ; mais c'est à M. Galès , an

cien pharmacien en chef de l'hôpital Saint-Louis , qu'appartient


l'honneur d'avoir popularisé son usage.

DCCCLXXXII . Le procédé de ce chimiste , défectueux à plu


sieurs égards , comme celui de Lalouette dont il paroît être une
imitation , a été modifié de la manière la plus avantageuse par

M. Darcet , chimiste aussi profondément instruit que physicien ha


bile. Je ne ferai point ici la description de l'appareil dit de Darcet ,
il me suffira d'observer que sa simplicité inappréciable attire les
regards et l'admiration des étrangers qui visitent l'hôpital Saint
Louis , et que depuis sa construction , il a été imité avec le plus
2. 57
438 MALADIES DE LA PEAU .

grand succès , non-seulement dans les nombreux établissemens de


bains que possède la capitale , mais jusque dans les moindres villes
de province. Voilà donc encore une nouvelle méthode de traite
ment pour la gale , et qui peut avoir son utilité spéciale . Cependant ,
M. Biett , qui a expérimenté particulièrement ce procédé dans le
même hôpital où il a pris naissance , pense qu'il faut beaucoup ra
battre des éloges qu'on lui avoit d'abord donnés. Suivant ce mé
decin , la méthode par les fumigations sulfureuses peut convenir
dans les hôpitaux militaires , mais elles ne sauroient être employées
aussi utilement dans les hôpitaux civils , consacrés à une classe d'in
dividus épuisés ordinairement , quand ils y arrivent , par de lon
gues maladies et par la misère . Elle guérit d'ailleurs plus lentement,
ajoute-t-il , que quelques autres ; et , si elle offre l'avantage de l'éco
nomie et de la conservation du linge , il est plus que compensé par

la foule de contre-indications qui s'opposent à son emploi . Au reste,


pour en faire usage , il faut se servir de l'appareil de Darcet , ne pas
y brûler au-delà de huit à douze gros de soufre , par une tempé
rature qui ne doit point dépasser 50 à 52° de Réaumur ; en ayant
de plus l'attention de mêler au gaz sulfureux une certaine quan
tité de vapeur aqueuse , précaution très-utile , surtout à l'égard
des personnes qui ont la peau très-irritable ; chaque fumigation
doit être de trente à trente-cinq minutes.
DCCCLXXXIII . Je ne parlerai maintenant , après les détails dans
lesquels je suis entré touchant les moyens proposés pour le trai
tement de la gale , je ne parlerai , dis-je , d'une certaine quintes
sence antipsorique dont le nitrate de mercure fait la base , que
pour justifier l'oubli où elle est tombée. La pommade oxygénée
s
dite d'Alyon , a joui quelque temps d'une grande vogue ; mai
l'expérience m'a prouvé que c'est un moyen toujours lent dans
son action et peu fidèle , qu'il faut bannir de la matière médicale

avec cette foule de recettes mystérieuses qui souvent ont pro


duit les effets les plus funestes , et ne peuvent profiter dans tous
les cas qu'au charlatanisme.
MALADIES DE LA PEAU. 439

DCCCLXXXIV . Quelques expérimentateurs ont essayé de gué


rir la psoride pustuleuse par les bains d'eau tiède . Il n'est pas im
possible que ce moyen ait modéré pour un temps la démangeaison ,
et même fait cesser entièrement des gales légères ; mais il expose
les individus à d'inévitables récidives , parce qu'il n'a point d'ac
tion délétère sur le sarcopte , et que s'il l'entraîne quelquefois , ce
n'est jamais complètement , ce qui lui laisse la faculté de se repro
duire. J'en dirai autant de la vapeur émolliente , qui a été pareil
lement employée sans plus d'avantage. L'un et l'autre de ces moyens
conviennent cependant dans quelques circonstances , pour dimi
nuer l'inflammation des pustules , affoiblir la démangeaison , ou
calmer l'irritation de la peau , que ne laissent pas d'exciter vive
ment certaines préparations antipsoriques qui , sans cette précau
tion , pourroient devenir fort incommodes , et même nuisibles à
quelques malades.
DCCCLXXXV. Il est facile de concevoir que les bains doivent ,
au contraire , constituer la base des méthodes de traitement des

psorides crustacée et papuleuse . D'abord , ils conviennent toujours


comme détersifs de l'enveloppe tégumentaire , et comme calmans
du prurit insupportable dont l'éruption est accompagnée . A ce ti- '
tre , il est rare qu'on ne soit pas obligé d'en faire usage dans toutes
les circonstances. Quelquefois , pour activer l'exhalation cutanée
sans irriter l'organe , on emploie avec succès la vapeur émolliente
qui remplit alors une double indication.
DCCCLXXXVI. Le traitement , au reste , doit naturellement va
rier comme les causes qui peuvent donner naissance à ces érup
tions prurigineuses . Si elles dépendent d'un état de pléthore , de la
suppression de quelqu'ex anthème ou d'un exutoire anciennement

établi , il est évident qu'on n'y remédiera que par les évacuations
sanguines ou par le rétablissement de la sécrétion supprimée . J'ai es
sayé , dans cette intention , mais sans pouvoir encore prendre , à cet
égard , une décision définitive , les douches sulfureuses , chez une
jeune demoiselle entre autres qui avoit été fort imprudemment
440 MALADIES DE LA PEAU.

traitée d'une psoride papuleuse par les répercussifs, et chez laquelle


il étoit resté depuis sur les tégumens une démangeaison intolérable.
DCCCLXXXVII . Les lotions hydro-sulfureuses que j'ai aussi
voulu employer par analogie , m'ont paru constamment exaspérer
l'irritation de la peau ; j'ai observé le même résultat des douches à
l'arrosoir ; ces moyens devront dès-lors convenir beaucoup mieux
à la psoriasie qui est presque toujours indolente. Les bains alca
lins et savonneux , tels que ceux de Plombières , sont infiniment
plus utiles dans la psoride papuleuse. Je me suis encore assez bien
trouvé de quelques pommades composées avec les divers précipités
de mercure , qui m'ont paru d'ailleurs réussir particulièrement
dans le prurigo pédiculaire .
DCCCLXXXVIII . A l'intérieur, les moyens curatifs appropriés

aux psorides papuleuse et crustacée , n'exigent pas moins de pré


cision dans le choix et d'habileté dans l'administration . Le régime
des malades doit surtout être sagement dirigé. Il convient de pros
crire toujours les alimens échauffans , âcres , fortement épicés ; et
d'insister , à cet égard , avec d'autant plus de sévérité que les ma
lades ont , en général , une certaine propension pour ce genre de
nourriture.

DCCCXXXIX . On se trouve bien quelquefois d'un vomitif en


débutant ; il agit , dans ce cas , comme révulsif, de même que les

purgatifs , tels que le calomélas , que j'emploie alors de préférence.


Le petit-lait au jus d'herbes , les décoctions de plantes amères et
diurétiques , la chicorée , la patience sauvage , la pariétaire , la bour
rache trouvent aussi une application fort avantageuse. Mais c'est
encore plus vers les moyens extérieurs qu'il faut spécialement di
riger son attention . Cette remarque s'applique surtout , comme
on le sentira facilement , à la thérapeutique du prurigo pédicu
laire . Il est néanmoins des cas où les poux semblent engendrés
spontanément par un état particulier d'altération des solides et des

fluides de l'économie , et dans lesquels les toniques , le vin généreux ,


le quinquina , le sirop antiscorbutique , les élixirs amers , etc. , sont
MALADIES DE LA PEAU. 441

indispensables. Je n'ai pas besoin de dire que toutes les fois que
leur apparition a un caractère critique , chez les enfans par exem
ple , il seroit superflu de s'en occuper et quelquefois dangereux
de les combattre .

DCCCXC . En général , les affections cutanées dont je m'occupe ,


suivant leur intensité particulière ou leurs complications , exigent
de la part du médecin beaucoup de discernement , de sagacité
pour la direction des moyens curatifs , et de persévérance dans
l'usage de ces derniers de la part des malades . Il est infiniment
plus facile de les prévenir par une sage prophylactique.
DCCCXCI. Tout ce qui contribue à l'entretien de la propreté
doit , sans contredit , être mis au premier rang des moyens hygié
niques contre les psorides. Rien n'est plus simple que les précau
tions indiquées par l'expérience , à cet égard. Toutes les fois qu'il
s'agit de la psoride pustuleuse , éviter autant que possible le con
tact , qui est son mode unique de propagation , avec les personnes
qu'on soupçonne d'en être affectées , devient la première règle à

suivre. Mais nulle part elle ne doit être plus rigoureusement obser
vée que dans les grandes réunions d'hommes , telles que les corps

de troupes , où la contagion trouve tant de facilité à se répandre .


Les exemples en ce genre abondent ; mais le suivant , qui a été
rapporté par un médecin digne de foi , est certainement un des

plus remarquables .
DCCCXCII . Deux bataillons d'un régiment d'infanterie traver
sant la Bretagne , où l'on sait que la gale est endémique , pour
venir à Paris dans les mois de janvier et février 1812 , eurent onze
cent quatre-vingt - seize hommes atteints de cette affection , pendant
que les troupes qui , dans le même temps , traversèrent le Poitou

et d'autres provinces limitrophes , où la même disposition n'existe


pas , en furent tout-à-fait exemptes.
DCCCXCIII . Il n'y a donc , en pareille circonstance , qu'une sé
questration sévère qui puisse empêcher l'accroissement et la pro
pagation de la maladie. Dans la société , la défense de contact ne
442 MALADIES DE LA PEAU.

doit pas être moins absolue. Non-seulement elle embrasse tout ce

qui est communication immédiate d'individu à individu ; mais en


core les objets tels que les vêtemens , par lesquels s'établit une
communication indirecte. Il n'est pas nécessaire d'ajouter que la

précaution doit être la même envers les animaux qui , vivant avec
l'homme , lui transmettent souvent la psoride pustuleuse à laquelle
ils sont plus ou moins sujets.
DCCCXCIV . Pour les autres espèces , il n'est pas , à beaucoup
près , si facile d'indiquer les moyens d'en prévenir l'atteinte . Ce
pendant l'expérience et l'observation nous montrent qu'elles pa
roissent affecter plus spécialement certaines classes de la société
que d'autres ; d'où il semble permis de conclure que cette prédilec
tion doit tenir à quelque circonstance de position sociale et de ré
gime. Ainsi l'habitant de la campagne sobre et laborieux , en est à
tous égards moins affecté que cette population misérable qui végète
au sein des grandes cités , où elle offre le type de la dépravation
morale avec le cortége de toutes les dégénérescences organiques.
DCCCXCV. Les peuples les plus civilisés de l'antiquité , les
Grecs et les Romains surtout , ne connurent presque point le
fléau des maladies cutanées, parce que les soins rigoureux de pro
preté , l'usage non interrompu des bains , et de diverses onctions
journalières entroient , pour ainsi dire , dans leur éducation , et
faisoient partie de leurs habitudes . Ces soins occupèrent de tout
temps la sollicitude des philosophes et des législateurs . Ils formoient
l'un des points les plus importans dans les lois de Solon et de
Lycurgue ; on sait quelle sévérité régnoit , à cet égard , dans celles

de Moïse ! Toutes les peuplades, en effet , qui vivent dans une sale
apathie , traînent misérablement leur existence au milieu des hi
deux et dégoûtans exanthèmes dont elle entretient ou favorise la

production. C'est donc à l'hygiène publique et privée à en déra


ciner le germe ; et cette entreprise est bien digne des gouverne

mens éclairés qui cherchent à la fois l'agrandissement et le bien


être des peuples .
QUELQUES RECHERCHES

FAITES A L'HÔPITAL SAINT- LOUIS

SUR LA PEAU ,

CONSIDÉRÉE DANS SES RAPPORTS ANATOMIQUES , PHYSIOLOGIQUES


ET PATHOLOGIQUES ;

RÉDIGÉES SOUS LES YEUX DE M. ALIBERT

PAR LE DOCTEUR FÉLIX VACQUIÉ.

CHAPITRE PREMIER.

DES TEGUMENS EN GÉNÉRAL .

DCCCXCVI. La nature , qui a répandu tant de richesse et de


variété dans la composition intime et dans les formes extérieures
des êtres organisés, ne s'est pas bornée néanmoins à l'agréable ; elle
a su y joindre heureusement l'utile . L'un et l'autre se montrent
en effet au milieu de ces nuances de qualités protectrices , de cou
leurs brillantes , ou de texture suave qu'offre à nos yeux l'enve
loppe cutanée de l'homme et des animaux . Quelle distance n'y
a-t-il pas du tissu ravissant de finesse et de blancheur chez les
beautés voluptueuses qui peuplent les sérails de l'Asie , à la peau
cuivrée des Mongoles , et au corps muqueux tout-à-fait noir des
peuplades africaines ! La différence à cet égard n'est pas moins

sensible , quand on compare les innombrables espèces animales


444 MALADIES DE LA PEAU.

qui couvrent la surface du globe , habitent les hautes régions de


l'atmosphère ou vivent au sein des vastes mers. Dans l'hémisphère
boréal , les animaux se distinguent par l'épaisseur et le moelleux
particuliers aux fourrures qui nous viennent de ces contrées ; dans
l'hémisphère austral , au contraire , la peau des animaux plus ou
moins dénudée de poils , souvent même absolument rase , présente
en même temps des couleurs étincelantes en rapport avec la lu
mière des régions qu'ils habitent , comme chez les premiers l'ap
pareil pileux a été modifié d'après la température à laquelle ils sont
soumis .

DCCCXCVII . Une des modifications qui impriment à la peau les

différences d'aspect les plus prononcées , se trouve dans les plis


turels ou accidentels qu'on remarque à sa surface On connoît l'im
mense pli antérieur qu'elle forme chez le bœuf, où il est désigné
par le mot fanon ; le rhinocéros en présente qui ne sont pas moins
remarquables dans les régions des épaules et des lombes ; le scro
tum enfin laisse apercevoir une disposition analogue dans l'espèce
humaine . Mais chez celle-ci les progrès de l'âge et les maladies
développent sur la peau plusieurs plissemens auxquels les habi
tudes sociales attachent la même défaveur qu'à ce qui affoiblit en

général les agrémens et la beauté physiques. En détruisant ces


qualités passagères , les rides que la perte de l'embonpoint ou les
approches de la vieillesse déterminent , deviennent , à la vérité ,

les élémens principaux dans l'expression de la physionomie. Le


front de l'homme offre presque toujours par là le témoignage d'une
intelligence précoce ou trop active , de même que la sérénité du
cœur s'annonce presque infailliblement chez lui par une douce
régularité et le calme parfait des traits du visage.
DCCCXCVIII . Les animaux présentent d'autres dispositions par
ticulières à leur enveloppe tégumentaire externe . C'est ainsi que
l'épiderme prend chez eux des degrés divers de consistance , comme
on le voit depuis la peau pulpeuse des mollusques et même des
batraciens , jusqu'à sa composition écailleuse et calcaire dans les
MALADIES DE LA PEAU. 445

serpens et la tortue. De pareilles modifications qui ne sont pas


moins saillantes que celles dont nous avons cité des exemples dans
quelques autres espèces , fournissent en même temps la preuve
que , dans les transitions graduées de la texture tégumentaire chez
les animaux , un principe d'utilité préside incessamment à cette
multiplicité de formes plus ou moins régulières et harmoniques.
DCCCXCIX . Ce n'est pas seulement dans la comparaison d'une
espèce animale avec l'autre , ou entre plusieurs individus de la
même espèce , mais entre les diverses parties de l'enveloppe

tégumentaire chez un seul et même individu qu'il est possible


d'apprécier des différences de structure. L'homme , par exemple ,
est loin d'offrir le même degré de consistance sur tous les points
de cette membrane. Ainsi qu'on le sait généralement , des nuances
très-marquées existent entre la peau de la plante des pieds et
celle de la paume des mains . Celles -ci sont même sensibles de si
bonne heure dans le foetus qui vient de voir le jour que , tout en

reconnoissant la part que les influences physiques peuvent avoir


plus tard sur cette disposition , il n'est pas permis de nier qu'elle
ne tienne à une circonstance native .

DCCCC . On remarque quelques particularités analogues dans


les animaux . Ainsi l'éléphant , qui avoit besoin d'une base capable
de soutenir , sans comprimer les nerfs et les vaisseaux , le poids
énorme de sa masse , offre en conséquence la plante des pieds pro
tégée par une couche abondante de graisse outre l'épaisseur très
remarquable de la peau dans cette partie.
DCCCCI. On connoît l'aspect particulier et la modification re
lative de structure existans dans quelques autres parties de la
peau humaine . En général la partie interne des membres est d'un
tissu plus mou , moins serré , et dès-lors moins résistant que la
partie externe . Ce caractère , qui d'ailleurs se montre dans tous
les points que les vêtemens soustraient à l'action de la lumière ,
est encore plus marqué aux creux des aisselles , aux plis des aines

et dans quelques autres points naturellement protégés et plus


2. 58
446 MALADIES DE LA PEAU.

éloignés en quelque sorte de la périphérie. La peau du crâne dif


fère notablement de celle de la face ; et cette différence nécessitée
par la diversité de fonctions , est également évidente dans les

conditions pathologiques. Bichat a donc fait remarquer très-judi


cieusement l'influence que le tissu plus lâche , plus épanoui , plus
riche en vaisseaux sanguins des tégumens du visage , exerce sur
le développement des affections , et notamment des érysipèles de
cette partie. L'un de nous , par sa position dans un vaste hôpital
où affluent tous les genres des maladies cutanées a été souvent à
même de reconnoître aussi ce rapport de la texture particulière de
la peau avec la fréquence et le caractère des éruptions qui s'y
manifestent.

DCCCII . On ne trouve nulle part l'enveloppe tégumentaire


externe modifiée d'une manière plus sensible que sur les points
qui, tels que les lèvres , la marge de l'anus , la surface du gland , etc. ,
établissent ses limites relativement aux membranes muqueuses ,

ou à l'enveloppe tégumentaire interne . Une ligne rougeâtre ,


l'amincissement de son épaisseur , l'enlèvement plus facile de l'épi
derme , tels sont les caractères qui distinguent essentiellement sa
texture dans ces parties . Également justifiée par les phénomènes
physiologiques et par les données de la pathologie , cette différence
ne détruit pas néanmoins l'analogie manifeste des deux surfaces.
A défaut de démonstration anatomique , des faits nombreux et ir
récusables d'un autre ordre attesteroient suffisamment cette iden
tité de structure .

DCCCCIII . Quelques anatomistes rejettent , à la vérité , le sen


timent de Lieberkuhn sur l'existence de l'épiderme dans la mu

queuse gastro-intestinale , mais son évidence dans l'œsophage , et


la terminaison par un bord frangé de cet epithelium au cordia , dé
notent à la fois sa présence et les modifications qu'il subit dans
l'étendue de la peau interne . La continuité des deux surfaces ne
paroît pas moins incontestable ; et , si quelques caractères de
dissemblance semblent exiger certaines restrictions à cet égard ,
MALADIES DE LA PEAU.
447

comme pour la conjonctive à son passage devant la cornée , pour


le prolongement de la membrane muqueuse du vagin à l'intérieur
de la matrice , suivant les observations de MM. Chaussier et Ribes ,

il est au moins certain que partout ailleurs dans leurs points de


jonction les deux membranes, interne et externe , sont absolument
confondues. L'observation du polype à bras qu'on retourne à vo

lonté et qui , dans cet état où ses deux surfaces deviennent alter
nativement internes ou externes , continue à vivre sans altération
notable dans l'activité de ses fonctions ordinaires , fournit une
nouvelle preuve de l'analogie dont il s'agit , alors même qu'on lais

seroit indécise la question de l'existence d'une membrane mu


queuse et même d'une véritable peau chez cet animal.

DCCCCIV . Mais il est possible d'arriver à la même conclusion


sans en chercher les preuves hors de l'espèce humaine . On a vu ,
par exemple , les membranes muqueuses soumises par une cir
constance accidentelle quelconque à l'action de l'air atmosphéri
que , ainsi que cela arrive quelquefois dans les chutes du rectum ,

et dans les anus contre nature , etc. , prendre , et même assez


promptement , toutes les apparences de la peau . Celle-ci , soustraite
au contraire pendant un temps plus ou moins long à l'impression
des agen's extérieurs , ne tarde pas à revêtir l'aspect et jusqu'à un
certain point le rôle des membranes muqueuses . C'est ce qui se
voit dans les plis existans aux articulations des membres lorsque
ceux-ci se trouvent depuis quelque temps dans un état de flexion
continue. Des faits très-intéressans de ce genre ont été cités par

Hébréard , qui , d'ailleurs , a fait ressortir avec une nouvelle évi


dence la conformité des deux organes par des rapprochemens phy
siologiques et pathologiques multipliés. Nous avons vu nous-mêmes
à l'hôpital Saint-Louis un polype muqueux du vagin ayant plus
de vingt ans d'existence , dont la partie qui faisoit saillie au dehors
offroit tous les caractères de l'enveloppe cutanée.
DCCCCV . L'étude assidue des maladies si variées dont elle est

le siége , nous a fourni de fréquentes occasions de constater l'inti


448 MALADIES DE LA PEAU.

mité des rapports existans entre les deux surfaces. Ainsi, nous avons

signalé , les premiers , les traces de l'inflammation herpétique


dans la muqueuse gastro-intestinale . Qui ne sait aujourd'hui que
les boutons de la variole peuvent tout aussi facilement se dévelop
per à l'intérieur des membranes muqueuses gastrique et pulmo
naire que sur la peau ? Il en est de même de ces irritations éri
thémateuses que l'on rencontre presque aussi fréquemment sur
l'une que sur l'autre surface ; et , quant à leur mode chronique ,
nous avons , dans le cours de cet ouvrage , cité divers exemples ,
particulièrement celui de la dartre squammeuse que l'on rencontre
assez communément à l'intérieur des fosses nasales , de la bou
che , etc. , et qui sert à justifier encore l'identité précédemment
établie . Une autre source de preuves à cet égard , mais que nous
nous contenterons de signaler pour le moment aux observateurs

physiologistes , c'est celle des affections auxquelles la peau et les


membranes muqueuses se trouvent soumises par l'influence d'une
sympathie réciproque.
DCCCCVI. C'est sur ces faits et beaucoup d'autres observations
plus ou moins analogues que se sont établis les deux sentimens
contraires relatifs à la génération ou à l'ordre de développement
des deux divisions de l'enveloppe tégumentaire. Autant qu'il est
permis de se prononcer sur une question aussi difficile que celle

des formations organiques , nous pensons avec la plupart des ana


tomistes de nos jours , et particulièrement avec M. F. Meckel , que
les membranes muqueuses ont la priorité d'origine , et qu'ensuite
par une progression successive du centre à la périphérie , leur
tissu s'avance et se modifie pour constituer l'enveloppe . Il est
constant que , jusqu'à la sixième semaine de la vie foetale , les ou
vertures naturelles par lesquelles s'établissent les communica
tions des deux organes n'existent pas encore ; le canal intestinal
est déjà déroulé que la peau n'est pas même distincte. La forma

tion de ces ouvertures arrive- t-elle, comme paroît l'admettre l'a


natomiste que nous venons de citer , par une déchirure lente et
MALADIES DE LA PEAU. 449

graduée du tissu des deux membranes ; ou bien celui de l'interne


ne fait-il que se replier , pour ainsi dire , sur lui -même sans al
tération dans la continuité des mailles qui le composent , toujours

est-il certain que la progression de développement de la surface


au centre n'est plus soutenable.
DCCCCVII . Les changemens que la peau subit depuis l'instant
où elle commence à prendre un caractère marqué dans l'embryon
méritent d'être appréciés. D'abord incolore, mince et transparente ,
elle acquiert vers le milieu de la grossesse un degré sensible de
consistance , et se recouvre bientôt d'une substance grasse et ca
séiforme qui , suivant l'âge du foetus , ou le terme de l'accouche
ment , se montre plus ou moins abondante à sa naissance . A cette

époque , molle , rougeâtre , tomenteuse et par conséquent assez


analogue aux membranes muqueuses , la peau prend progressive

ment une densité de mieux en mieux appropriée au milieu dans


lequel l'individu est appelé à vivre et aux fonctions qui plus tard
lui seront départies. C'est par ces gradations qu'elle arrive chez
l'adulte à l'état de composition qu'on lui connoît et dont nous al
lons maintenant exposer les caractères.

CHAPITRE DEUXIÈME .

DE LA STRUCTURE DE LA PEAU.

DCCCCVIII . Cette membrane est composée de deux feuillets ;


l'un intérieur et constituant le tissu essentiel , fondamental de la
peau , a reçu le nom de corium ou derme ; l'autre , visible extérieu
rement , porte celui d'épiderme . Comme le mot seul l'indique ,

celui-ci forme une sorte de gaine au premier et le suit dans tous


ses enfoncemens ou plicatures. Ses formes varient d'une manière
450 MALADIES DE LA PEAU.

très-sensible non- seulement dans la série animale , mais sur les


divers points de sa surface chez le même être. Qui n'a pas été
frappé de cette différence , en comparant l'épiderme mince ,
souple , uni des batraciens , aux écailles épaisses , sèches et ru
gueuses qu'il présente chez les poissons ; et dans l'homme lui

même , tout le monde ne connoît-il pas la différence existante


entre l'épiderme du talon ou du gros orteil , par exemple , et celui
de la face dorsale de ces parties? Quoique l'épiderme conserve gé
néralement une épaisseur assez uniforme dans toute son étendue ,
il y a néanmoins quelques exceptions facilement appréciables à

cet égard. Ainsi , les points de sa surface qui se trouvent exposés


à une pression plus considérable de la part des agens extérieurs
sont constamment protégés par un épiderme d'une épaisseur et
d'une densité plus considérables . Cette disposition se montre à la
plante des pieds dans l'espèce humaine ; elle devient plus saillante
encore et a reçu en conséquence le nom de callosités chez quel
ques animaux , tels que les singes de l'ancien continent , les cha
meaux et les dromadaires , où elles sont diversement situées.

Telle est sous ce rapport chez l'homme la disparité d'épaisseur que


l'épiderme présente dans les parties indiquées et le reste du
corps , que c'est uniquement là que sa formation par couches

superposées est véritablement appréciable ; partout ailleurs une


lame unique paroît constituer sa texture . Cette circonstance peut
expliquer dès-lors , comme on le sait , le peu d'action des vésica

toires et autres épispastiques sur cette région du corps , nonobs


tant l'innombrable quantité de nerfs dont elle est pourvue.
DCCCCIX . L'épiderme suit nécessairement toutes les modifi
cations qu'éprouve le feuillet profond de la peau auquel il adhère
par sa face interne. On le trouve sillonné par des rides plus ou
moins apparentes , disposées en général assez irrégulièrement ,
excepté à l'extrémité pulpeuse des doigts où elles décrivent des
courbes concentriques . Une circonstance qui ne doit pas être né

gligée , c'est l'espèce d'antagonisme , si l'on peut le nommer ainsi ,


MALADIES DE LA PEAU.
451

qu'on observe entre le développement de l'épiderme et celui des


autres élémens protecteurs de la peau , les poils par exemple.
Il est constant en effet que là où ces derniers abondent , l'autre
présente une ténuité remarquable ; réciproquement où les pre
miers , les poils , les plumes , etc. , sont plus ou moins en défaut ,
l'épiderme acquiert toujours un degré notable d'épaisseur et de
consistance . Cette particularité est déjà appréciable chez l'homme ;
mais elle devient bien plus marquée quand on prend dans l'é
chelle animale deux termes un peu éloignés de comparaison ,

comme les petits rongeurs et les pachydermes. Dans quelques


autres animaux les poils et la couche épidermique se combinent
pour former un épiderme tout-à-fait particulier , comme il arrive

chez les cétacés ; mais partout on admire cette facilité qu'a la na


ture d'étendre et de varier ses effets sans vain étalage , ni stérile
multiplication de moyens .
DCCCCX . Il existe plusieurs procédés , soit artificiels , soit natu
rels , presque également avantageux pour mettre à découvert la
structure de l'épiderme qu'il est toujours indispensable pour cela
d'isoler des parties sousjacentes. Vésale employoit à cet effet la
flamme d'une bougie ; Malpighi avoit recours au fer rouge , Ruisch

se servoit de l'eau bouillante , et Fantorini de la macération qui , à


tout prendre , est encore la méthode préférable. Indépendam
ment de ce qui arrive à cet égard par l'effet de certains exan
thèmes aigus ou chroniques , le soulèvement de l'épiderme peut
être produit , comme on le sait , par les vésicatoires , et son déta
chement du corps muqueux a lieu aussi par suite de la putréfac
tion cadavérique . Toutes les fois que par l'effet d'une brûlure ou
de toute autre irritation une phlyctène se développe à la surface
de la peau , l'épiderme soulevé et distendu retient la sérosité
épanchée et s'oppose à son écoulement . Cette expérience si fami
lière , a suffi pour mettre hors de doute le développement de l'é

piderme en membrane partout plane et continue . Il fut cepen


dant contesté par de célèbres anatomistes , Winslow , Leuwen
452 MALADIES DE LA PEAU.

hoeck et Boerhaave qui soutinrent que l'épiderme se compose

d'écailles superposées. Son épaisseur en général n'est guère que


le cinquième ou le sixième de l'épaisseur totale de la peau. Percé

nécessairement d'une innombrable quantité d'ouvertures pour le


passage des poils et de la matière de la transpiration , il a été
néanmoins tout-à-fait impossible de les découvrir , ce qui les a fait
comparer avec raison à ces trous qu'on pratique avec une épingle
dans une substance molle , telle que la gomme élastique, et qui s'ef
facent dès que les mailles du corps cessent d'être séparées . On ne

s'étonnera donc pas que les prétendus pores dont Leuwenhoeck


a pourtant donné la figure , soient demeurés inappréciables à des
observateurs aussi exacts que Meckel , Cruikshank et M. de Hum
boldt , bien qu'ils se soient aidés pour cette recherche des plus
forts microscopes. Il est dès -lors permis de douter de leur exis
tence , malgré ce que peut offrir de spécieux à cet égard le fait
constant de l'inégalité de transparence que l'épiderme laisse aper
cevoir sur l'étendue de sa surface.

DCCCCXI. La membrane épidermique est étroitement liée aux


parties sousjacentes au moyen de brides cellulaires , nerveuses et
vasculaires. Cette disposition devient surtout apparente dans les cas
où l'on soulève légèrement l'épiderme , car il se présente une quan
tité considérable de filamens qui se rompent au delà d'un certain
degré de traction et sur la nature desquels il règne encore des
sentimens très-divers parmi les anatomistes. Bichat les considéroit
comme des vaisseaux exhalans et absorbans ; opinion que Hunter

n'a jamais partagée . On peut dire au reste que l'épiderme tient


par là le milieu entre les corps organisés et les corps inorgani
ques , participant à la fois de la nature des uns et des autres , à
cause des vaisseaux de toute espèce qui lui arrivent par sa face
interne , et des caractères qui extérieurement décèlent son
inertie.

DCCCCXII. Le mode de formation de l'épiderme long- temps


controversé donna naissance à une foule d'hypothèses . L'opinion
MALADIES DE LA PEAU. 453

la plus générale aujourd'hui le regarde comme le résultat de la


concrétion d'un fluide exhalé à la surface des corps vivans . Tel
est le motif qui l'a fait classer parmi les membranes couenneuses
ou albumineuses , et M. Chaussier avoit pour habitude de citer en
preuve à cet égard la possibilité de fabriquer à volonté un épi
derme artificiel , ou au moins une pellicule très-analogue , en cou
lant et laissant ensuite se coaguler lentement un suc albumineux .
L'identité du mucus et de l'épiderme a d'ailleurs été mise hors de
doute , sans qu'il soit nécessaire , pour démontrer leur analogie ,
de citer , comme l'a fait Haller , ces fausses membranes dont les

muqueuses sont quelquefois le siége , et qu'une observation super


ficielle a pu faire confondre avec les tégumens de la surface interne
elle-même .

DCCCCXIII . On commence à distinguer l'épiderme sur la peau

du foetus dès le deuxième mois de son existence , qui est aussi l'é
poque où la peau elle-même se montre avec ses véritables caractères.

Depuis cet instant jusqu'à la vieillesse , où l'épiderme desséché , ru


gueux et friable a perdu jusqu'aux foibles vestiges d'organisation
qu'on y apercevoit dans les âges précédens , il est aisé de conce
voir l'infinité de modifications qu'il doit éprouver par le concours

de mille influences diverses durant la période entière de la vie.


Sa transparence varie également à mesure que l'individu avance
en âge , et dans aucun temps elle n'est absolument uniforme sur

toute sa surface. On a dit avec raison que les points par où la


transpiration s'effectue sont ceux où la membrane sensiblement

amincie présente aussi la transparence la plus prononcée .


DCCCCXIV . L'analyse chimique n'a rien découvert de particu
lier dans la composition de l'épiderme. Elle n'a fait que confirmer
davantage , pour ainsi dire , son analogie avec le mucus desséché.
Peu ou presque point perméable , il ne jouit non plus de presque
aucune élasticité ; semblable en cela aux substances inertes ou

inorganiques. Une propriété qu'il partage avec ces dernières "


c'est une inaltérabilité qui le met à l'abri de la putréfaction ; par

2. 59
454 MALADIES DE LA PEAU.

où s'expliquent naturellement les cas où il a été trouvé parfaite


ment conservé dans les tombeaux sur des cadavres enfouis depuis
un demi-siècle. Quant à l'odeur que l'épiderme exhale en brûlant ,
elle ne diffère en rien de celle des autres substances cornées ,
poils , plumes , etc. , qui sont d'ailleurs des annexes.

DES POILS.

DCCCCXV . Ce n'est pas seulement à la surface externe du


corps des animaux que se montre ce nouvel élément , on le ren
contre aussi sur les limites et même jusque dans la profondeur
de l'enveloppe tégumentaire interne. Des poils existent presque
toujours à l'entrée du conduit auditif et des fosses nasales ; et
cette identité de produits ajoute une nouvelle preuve à ce
que nous avons dit de l'identité de texture des deux mem
branes . Parlerons-nous des noms divers que les poils pren
nent suivant la place qu'ils occupent à la surface du corps ? Ce
sont des distinctions trop connues pour nous y arrêter ; nous di
rons seulement que leur structure ne paroît pas être entière
ment la même dans les cheveux et la barbe , dans les poils des
autres parties et ceux qui couvrent le corps des animaux. On
sait en général quelles différences peuvent exister encore dans la
couleur , la longueur , ainsi que les autres modifications particu
lières aux sexes et aux races humaines. Ornement naturel de la

beauté , les cheveux ont toujours chez la femme un développe


ment plus considérable que chez l'homme ; ils blanchissent aussi
plus tard et se conservent encore long -temps après que l'âge a
ravi à la femme tout ce que la nature lui avoit donné d'attraits.
D'assez grandes variétés existent pour la quantité et la longueur
des cheveux dans le foetus ; mais en général leur présence est tou

jours l'indice d'une naissance à terme. Courts et crépus chez le


MALADIES DE LA PEAU. 455

Nègre , ils sont souples et allongés chez l'Américain , qui , d'un


autre côté , se distingue des autres races par le défaut de barbe , si
son absence n'est pas due plutôt à l'épilation , comme le pensent
quelques voyageurs et certains naturalistes. Toutes ces variétés

ne sont pas exclusives à l'espèce humaine , et les animaux ne


diffèrent pas moins entre eux par l'aspect particulier de leur poil

et de leur plumage que par les conditions de leur organisation


intérieure .

DCCCCXVI. Mais les poils doivent encore être étudiés dans


leur structure et leur composition intimes . Implantée dans le tissu
cellulaire sous-dermoïde ou dans le derme lui-même , leur racine
toujours blanche , quelle que soit la couleur du poil lui - même , est
reçue dans un bulbe , ou espèce d'ampoule dans laquelle pénètrent
des nerfs , des vaisseaux sanguins et lymphatiques , et d'où sort à
sa partie supérieure une tige cornée plus ou moins longue . Le
bulbe constitue réellement leur seule partie vivante ; car bien que
Rudolphi , et tout récemment M. Andral fils , aient suivi des filets

nerveux dans la moustache du phoque , la nature des poils n'en


paroît pas moins tout-à-fait inorganique. Leur tige est composée
d'une série de cônes embouchés les uns dans les autres et sécrétés
1
par la pulpe contenue dans le bulbe , suivant un ordre tel que le
plus élevé est toujours le dernier produit. L'épiderme et même la
peau entière se replient pour concourir à leur formation , et cette
circonstance explique les douleurs que détermine leur tiraille
ment. Au sortir du bulbe , les poils traversent le derme qu'ils
percent suivant une direction plus ou moins oblique , et après
avoir franchi le corps muqueux et l'épiderme , arrivent enfin à la
surface accompagnés par une expansion de la cuticule , à laquelle
est due leur nature cornée . Une gaîne formée par cette subs
tance inerte et remplie par un fluide qui paroît provenir de la
partie colorée du réseau de Malpighi , telle est la structure des
poils à la surface desquels on chercheroit d'ailleurs vainement les

épines ou arêtes admises par quelques anatomistes . Leur compo


456 MALADIES DE LA PEAU.

sition diffère à quelques égards de celle de l'épiderme ; aussi quel


ques élémens particuliers y ont-ils été découverts par la chimie.
Le savant M. Vauquelin a obtenu par leur analyse une matière
animale qui paroît constituer leur base , une huile blanchâtre
concrète , une seconde huile noirâtre , du fer , un oxide de manga
nèse , du phosphate et du carbonate de chaux , du soufre et de
la silice , toutes substances plus ou moins indispensables à leur
constitution physique , ainsi que l'ont prouvé les expériences sur
la coloration artificielle des cheveux .

DES ONGLES.

DCCCCXVII . On ne trouve dans ces corps inorganiques qu'une

couche d'épiderme d'une épaisseur plus ou moins accrue . Cer


tains anatomistes , Blancardi entre autres , ont prétendu que les

ongles sont le résultat d'une agglomération des poils ; d'autres les


font dépendre d'écailles épidermiques superposées. Quoi qu'il
en soit , l'ongle est retenu par sa racine dans un repli du derme ,
et l'épiderme l'accompagne par un feuillet léger dans toute son
étendue. La transparence des ongles permet , comme on sait, d'a
percevoir au-dessous d'eux la couleur du corps muqueux avec
lequel ils n'ont aucune communication et qui n'est nulle part
aussi appréciable que dans la race blanche . Les variétés de forme

dont les ongles sont susceptibles dans les diverses espèces animales
pour passer à l'état de griffes , de sabots , etc. , sont suffisamment
connues. De même que les poils , les ongles se montrent d'assez
bonne heure chez le fœtus , et comme eux et la membrane épi
dermique , ils ne sont que des élémens accessoires , des efflores
cences , pour ainsi dire , de la peau , que nous allons considérer
maintenant dans ses parties vraiment essentielles ou fondamen
tales.
MALADIES DE LA PEAU. 457

CHAPITRE TROISIÈME.

DU DERME ET DES ÉLÉMENS QUI EN FONT PARTIE.

DCCCCXVIII . Après les différences de ses formes extérieures "


la peau n'a rien sans contredit de plus saillant parmi ses carac

tères physiques que les nuances de couleur qui lui sont particu
lières , et les éminences nommées papilles qui se dessinent à la
surface , bien qu'assez profondément situées au-dessous de l'épi
derme. Le cadavre et l'écorché présentent toutefois à cet égard

une disparité notable , et on peut même dire que la surface ex


terne de la peau ne reproduit jamais qu'imparfaitement l'inti
mité de sa texture . Il est à la vérité quelques circonstances où
celle-ci devient plus apparente ; c'est particulièrement dans le
phénomène désigné par le mot vulgaire chair de poule , que les
papilles se prononcent davantage ; elles consistent en une sorte
de boursouflement du tissu dermoïde lui-même , faisant saillie à
travers le réseau de Malpighi qui leur est superposé . Celui- ci , dans
l'ordre de description que nous avons adopté , de la circonférence
au centre , trouve ici naturellement sa place , puisqu'il est inter
médiaire aux deux feuillets de l'enveloppe cutanée ; il paroît con
sister en un tissu cellulaire demi-fluide , déposé au-dessus du ré
seau que forment les nerfs et les vaisseaux de toute espèce à la

face supérieure du derme . Telle est l'opinion la plus générale sur


ce point , mais qui n'est peut-être pas incontestable . Bichat et plu
sieurs autres anatomistes n'admirent jamais le corps muqueux
comme ayant une existence propre et distincte . Le premier pensa
qu'il étoit dépendant d'un ordre particulier de vaisseaux remplis
eux-mêmes d'un fluide variable dans les animaux et les races hu

maines. Ce qui est certain , c'est qu'on ne le sépare qu'avec beau


458 MALADIES DE LA PEAU .

coup de peine et même jamais qu'incomplètement des deux mem


branes entre lesquelles il se trouve placé. Cette séparation
devient néanmoins possible au scrotum , quoique Littre assure
l'avoir inutilement tentée. Le corps muqueux a même été di
visé , avec plus de subtilité peut-être que de fondement , en plu
sieurs couches distinctes et comme superposées . On ne peut nier
à la vérité que son épaisseur ne soit soumise à des modifications
très-marquées. Chez le nègre , par exemple , où Cruikshank , et
après lui M. Gauthier l'ont examiné avec beaucoup de soin ; dans
quelques animaux où il a été soumis à la même investigation par
M. Dutrochet , il semble que l'existence de ces couches soit réel
lement démontrée. Sans l'admettre irrévocablement , il faut con
venir que, si le corps muqueux ( rete glutinosum Malpighianum),

décrit et figuré avec tant de précision par le célèbre anato


miste qui lui a donné son nom , et ensuite par Albinus et
Meckel , n'a pas une structure aussi spéciale , celle - ci offre du
moins quelques particularités qu'on retrouve dans tous les ani
maux , et qui surtout deviennent évidentes par les phénomènes
physiologiques et les accidens de la pathologie.
DCCCCXIX . Dans le corps muqueux réside le pigmentum,

ou principe colorant de la peau . Bichat , qui croyoit cette qua


lité inhérente au fluide contenu dans un ordre de vaisseaux

unis entre eux par un tissu plus ou moins serré , ce qui expli
quoit , suivant lui , l'intensité variable de coloration , se méprit
avec Camper , en admettant que les cicatrices étoient blanches

chez le nègre. Il est incontestable que le réseau de Malpighi offre


des différences notables de densité dans la peau des diverses races;
mais il paroît également certain qu'il y existe un principe colorant
particulier , susceptible de réparation quand il a été détruit par
quelque circonstance accidentelle. Il est d'ailleurs passible de
modifications presque infinies , comme l'attestent les nuances in
termédiaires de la teinte la plus foncée qui constitue le mélanisme
jusqu'à son entière décoloration , ou l'albinisme . On ne doit pas
MALADIES DE LA PEAU. 459

perdre de vue néanmoins que le corps muqueux éprouve tou


jours des modifications de densité correspondantes à ces nuances
de coloration ; qu'il est sensiblement plus mince dans une peau
blanche que dans celle d'un nègre , et le devient bien davantage

encore chez les albinos , ce qui démontre que ces deux conditions
physiques sont inséparables.
DCCCCXX . Le pigmentum est-il , comme le pensent quelques

anatomistes , le produit d'une humeur analogue à celle qui forme


l'enduit noirâtre de la choroïde , et soumis aux alternatives d'une
sécrétion et d'une résorption qui le renouvellent incessamment ;
ou bien faut-il le considérer , avec quelques autres , comme l'effet
d'une certaine quantité de globules colorés disséminés dans le
corps muqueux ? L'expérience ne permet peut-être pas de pro
noncer à cet égard d'une manière bien décisive , et la même
difficulté se présente toutes les fois qu'il s'agit de déterminer
la nature intime d'une partie quelconque des êtres vivans. Il
paroît toutefois que la source du pigmentum est dans le sang ,
car il offre une analogie frappante avec la partie colorante de ce
fluide. Soumis à l'influence de quelques réactifs , sa décoloration
opérée chez le nègre , par Beddoës et Fourcroy , au moyen du
chlore en vapeur , n'a , dans aucun cas , été que très -temporaire ,

la couleur reprenant en peu de jours son intensité primitive .


D'autres expériences de Davy , de Coli , etc. , n'ont fait que con

firmer une très-ancienne conjecture de Blumenbach touchant la


formation du pigmentum par le carbone . S'il a son siége dans la
couche moyenne du corps muqueux , comme le pense M. Gau
thier , on ne conçoit pas comment on pourroit refuser à celui-ci
un caractère organique que sa communication avec le réseau
du derme , dont il est difficile de le distinguer , rend incon
testable.

DCCCCXXI. A la face supérieure du derme apparoît d'abord un


lacis de vaisseaux et de nerfs qui forment , dans l'épaisseur de la
peau , une couche , pour ainsi dire , distincte , et qui est même
460 MALADIES DE LA PEAU .

toujours décrite ainsi par les anatomistes. Cet entrelacement n'a


rien de particulier ; il est formé au moyen d'un tissu lamelleux
d'une densité ordinaire . Il recouvre immédiatement ces éminences

conoïdes , ou ces saillies de la surface du derme , décrites pour la


première fois sous le nom de papilles par Malpighi , figurées en
suite par Ruisch et Albinus , tandis que Chéselden et quelques au
tres en nioient l'existence . Peu prononcées , à la vérité , à travers
l'épaisseur entière de la peau , elles deviennent manifestes pour
celui qui les observe immédiatement au-dessus du derme. Il est
d'ailleurs quelques points de la peau où elles sont plus apparentes.
Elles sont très -visibles surtout à la surface de la langue. C'est sur
celle du bœuf que Malpighi les étudia particulièrement . On les
voit encore assez distinctement , rangées par doubles lignes , à la
face pulpeuse des doigts. Appréciables aussi , mais disposées sans
ordre aux mamelons , à la surface du gland , aux lèvres , etc. , on
ne les découvre que très-difficilement sur le reste de la peau , où
on les admet même plutôt par analogie. Ainsi que nous l'avons dit ,
les papilles sont formées par la dilatation de quelques parties du
tissu cellulaire du derme , si abondamment pourvu de vaisseaux
et de nerfs qui , en les pénétrant , se dépouillent de leur névrilème .
Le tissu des papilles est de plus éminemment érectile . On a re
marqué que là où elles sont moins saillantes , les nerfs sont aussi
moins nombreux , ce qui peut indiquer à la fois leur nature et leurs
usages . Quel que soit d'ailleurs le développement respectif des unes
et des autres , on conçoit aisément combien il seroit difficile d'éta
blir leurs limites.

DCCCCXXII . Les anatomistes ont agité la question de savoir si


les vaisseaux et les nerfs qui viennent s'épanouir à la face supé
rieure ou externe du derme , ne font que le traverser , ou bien se
mêlent , en le traversant , au tissu de cette membrane . Ce dernier
sentiment paroît en tout plus conforme à l'observation que l'autre,
et quoique la texture du derme ne soit pas aussi pourvue de vais

seaux que l'ont prétendu quelques auteurs , il est au moins impos


MALADIES DE LA PEAU. 461

sible de ne pas y reconnoître leur présence. Au reste , cette mem


brane nommée aussi corium , vera cutis , etc. , constitue réellement
la partie essentielle de la peau , celle qui détermine son aspect et
ses formes. Elle consiste en un tissu aréolaire , variant dans son
épaisseur d'une ligne à une ligne et demie sur les divers points de
son étendue. Les endroits où il est le plus mince chez l'homme ,
sont les organes de l'appareil génital et les paupières ; le summum
de son épaisseur est à la plante des pieds . Les interstices de ses
aréoles sont remplis par du tissu adipeux , de la graisse , du tissu
cellulaire , et leur fond est percé d'un trou pour livrer passage aux
vaisseaux et aux nerfs qui vont former le réseau sous- muqueux .

On ne trouve pas les aréoles également développées partout ; elles


le sont particulièrement à la paume des mains , à la plante des
pieds , au cou , etc. , moins à la face , et presque plus au scrotum
et aux lèvres de la vulve . D'après ce que nous avons dit de sa struc
ture , on conçoit que le derme offre quelque chose de l'apparence
d'un crible. Sa couleur ne varie pas dans toute la série animale ,
non plus que dans les différentes races ; elle est donc toujours blan
châtre dans le nègre aussi bien que dans la race blanche. Quant à
la nature même de son tissu , il appartient à celui des membranes
fibro-celluleuses , où quelques auteurs , et particulièrement Osian
der , ont cru reconnoître aussi l'élément musculaire . Rougeâtre à
sa face externe par l'effet de l'épanouissement des vaisseaux qui le
traversent , le derme conserve néanmoins assez de transparence
encore pour permettre de distinguer ceux qui rampent au-dessous

de lui. Par ce qu'on sait de sa texture et de son organisation , il est


facile de concevoir qu'il se rapproche par sa consistance de l'épi
derme plus que de toute autre partie ; la détermination de ses pro
priétés découle naturellement des qualités particulières à son tissu
et qui sont la cohésion et la résistance.

DCCCCXXIII . On trouve dans le tissu du derme , mais plus sou


vent encore dans le tissu cellulaire sous-dermoïde , les bulbes des

poils et les follicules sébacés. Les premiers , que Chirac a parfaite


2. 60
462 MALADIES DE LA PEAU.

ment décrits , ont une forme ovoïde , et sont composés extérieu


rement d'une membrane épaisse et serrée , adhérant par des espè
ces de racines au tissu cellulaire sous-cutané , et offrant à l'intérieur
une capsule rougeâtre qui paroît une continuation du corps mu
queux. Les follicules sébacés ne diffèrent pas sensiblement des
cryptes muqueux qui existent dans l'enveloppe tégumentaire in
terne ; ils sont situés , comme les bulbes des poils , dans l'intérieur ,
ou au-dessous du derme. Leur nombre varie suivant les diverses
régions de la peau ; mais ils abondent toujours là où l'on trouve

des poils , comme aux creux des aisselles , aux plis des aines , etc .;
ce qui confirme assez l'analogie , ou plutôt la communauté d'ori
gine qu'on a assignée à ces deux productions . Pour les bien voir , il
faut faire à la peau une incision oblique , et alors on les aperçoit
comme autant de bulbes ou petites ampoules . Ils n'acquièrent pas
généralement un volume au-dessus de celui d'un grain de millet ;
et souvent encore il est moindre . La différence la plus prononcée,
à cet égard , existe entre ceux du nez qui sont toujours les plus
gros et ceux des joues qui sont les plus petits . Leur cavité est rem
plie d'une matière oléo - albumineuse qui diffère un peu par sa con
sistance et même par ses principes sur les divers points de la peau.
Ce fluide gras et onctueux , plus ou moins odorant , abonde surtout
dans la peau du nègre ; diminue beaucoup dans les peaux blan
ches ; se montre très-analogue au blanc de baleine par ses proprié
tés chimiques , et s'en rapproche encore davantage par l'état de
concrétion où on le trouve sur la peau de l'enfant avant et même
au moment de l'accouchement à terme .

DCCCCXXIV . Telle que nous venons de la décrire dans sa


structure, ou dans l'ensemble de ses parties constituantes, la peau,

libre par sa face externe , adhère par l'interne à un tissu cellu


laire plus ou moins serré , selon les régions où on l'examine . Daus
quelques endroits , celui- ci est dense et ferme ; comme on le voit
au crâne , à la nuque , au dos , etc.; dans d'autres , la peau est sou
tenue par un véritable tissu ligamenteux dont l'existence est évi
MALADIES DE LA PEAU. 463

dente au coude-pied et au poignet. Le tissu cellulaire sous-cutané


se montre , dans certaines parties , rougeâtre et demi-musculaire ,
comme dans le dartos , le scrotum et la vulve. Il arrive enfin que
c'est à des muscles que se fait l'adhérence de la peau ; tels sont ces
nombreux peauciers , l'occipito -frontal , la plupart des muscles fa
ciaux, etc. , qui forment dans l'espèce humaine les analogues du
pannicule charnu des animaux . Cette analogie se montre encore dans
les mouvemens que la peau reçoit de ces muscles . Le pannicule
charnu imprime à la peau des animaux les modifications destinées
à peindre , jusqu'à un certain point , leurs passions et leur carac
tère. Chaque point de l'enveloppe cutanée peut fournir , suivant
l'aspect que le pannicule charnu lui donne par ses mouvemens ,
l'indice d'un sentiment de bienveillance ou de colère. C'est ainsi

qu'il hérisse la crinière du lion irrité , de même qu'il donne , en


n
pareil cas , à la figure de l'homme , suivant la remarque de Buffo ,
une apparence convulsive . Cette harmonie , ou du moins ces rap
l'anatomie nous fait découvrir entre les parties consti
ports que
tuantes de l'enveloppe tégumentaire chez l'homme et chez les
animaux , se manifestera encore de temps en temps , à mesure
que nous pénétrerons leurs usages ; nous demeurerons surtout
convaincus que tout est sagement calculé , et non livré à l'aveu

gle hasard dans les plans et les créations de la nature .

99!
464 MALADIES DE LA PEAU.

CHAPITRE QUATRIÈME.

DES FONCTIONS DÉPARTIES AUX DIVERS ÉLÉmens de l'ENVELOPPE


TÉGUMENTAIRE .

DCCCCXXV. Soumis par son organisation et par l'ensemble


de son être aux besoins et aux habitudes de la vie sociale , l'homme
devoit être dirigé par des sens actifs et délicats , pour qu'avec
leur secours il pût ensuite trouver , dans son intelligence , les
moyens de se défendre contre les effets plus ou moins défavo
rables des impressions extérieures. Aussi la surface qui le met
plus immédiatement en rapport avec les corps de la nature, est-elle
plus propre à lui en faire connoître les qualités avantageuses ou
nuisibles , qu'à le garantir de leurs atteintes. L'organe qui limite
ainsi son existence est donc chargé de percevoir l'influence des
modificateurs et d'en apprécier jusqu'à un certain point les con
ditions convenables pour l'entretien de la santé et même de la

vie . C'est en effet par la surface cutanée que lui arrive le plus
grand nombre des sensations générales , et , si on considère qu'à
l'exception de la vue , la peau , ou du moins le repli de cette en

veloppe qui constitue les membranes muqueuses , entre comme


il sera
élément principal dans l'appareil de tous les autres sens ,
facile de juger encore de son importance dans l'exercice des sen
sations spéciales .

DCCCCXXVI . Parmi les impressions du premier ordre aux


quelles l'homme se trouve soumis , la plus commune sans contre
dit est celle des variations en plus ou en moins de la tempéra
ture . Tandis que l'oiseau voyageur n'échappe à son action funeste
qu'en obéissant à l'instinct qui lui fait changer de climat aux ap
proches de certaines saisons ; pendant que le quadrupède ne doit
MALADIES DE LA PEAU. 465

la faculté précaire de lui résister qu'aux modifications alternatives


du feutre protecteur que lui donna la nature ; avertie incessam
ment par l'éveil d'une sensibilité exquise , l'espèce humaine se
hâte alors d'accumuler les ressources que les arts fournissent en
foule à cet égard chez les nations civilisées. Aussi , comparez les
ravages que ce fléau exerce sur elle et sur les animaux , même
dans l'état sauvage , et vous apprécierez facilement tous les avan
tages d'une intelligence supérieure sur les inspirations d'un ins
tinct toujours borné , encore qu'il suggère une infinité de pré
cautions aussi admirables que salutaires. Le froid de certains hi
vers , par exemple , fait périr les plantes et les animaux de quel
ques contrées , nonobstant la couche épaisse et diversement
protectrice des tégumens qui sembleroit devoir lui opposer une
barrière insurmontable . L'homme , au contraire , avec sa peau

mince et glabre , peut braver impunément , dirigé par l'expé


rience et la raison , l'inclémence de l'air jusqu'au milieu des pri
vations et des souffrances de la misère. Cette enveloppe a donc
chez lui et chez les différentes espèces animales des fonctions
très-dissemblables sous ce rapport , puisque dans un cas elle est
destinée à fournir les élémens des déterminations intellectuelles ,
et se trouve bornée dans l'autre au rôle d'une enveloppe tutélaire
passive.
DCCCCXXVII. Quelle harmonie néanmoins dans les principes
qui ont présidé aux détails d'arrangement et de texture variés
qu'exigeoient chez ces derniers les différences si saillantes de leurs

moeurs et de leurs habitudes ? Ce n'étoit pas assez qu'ils trou


vassent dans leur enveloppe tégumentaire les moyens de lutter

avec avantage contre les vicissitudes atmosphériques ; elle a souvent


encore été modifiée , du moins dans son feuillet externe , de ma
nière à rendre plusieurs services à la fois . La coquille de quelques
mollusques , et l'écaille de la tortue , par exemple , défendent en
même temps ces animaux de toute influence délétère pendant
leur engourdissement hivernal , et les mettent dans toutes les cir
466 MALADIES DE LA PEAU.

constances à l'abri des chocs extérieurs de la voracité des animaux

dont ils risqueroient de devenir la proie. Les poils , qui , chez la


plupart des animaux , font simplement l'office d'un appareil calé
facteur , acquièrent chez certains , comme dans le hérisson , une
forme éminemment défensive ; non qu'ils puissent jamais prendre

le caractère d'armes en quelque sorte offensives , comme on l'a pré


tendu à tort pour le porc-épic en supposant que par la rétraction
prompte de son pannicule charnu il avoit la faculté de lancer
ses dards à une certaine distance . Au reste , toutes ces nuances par

ticulières de formes et d'usages dans l'enveloppe cutanée des


animaux , coïncident constamment avec l'absence plus ou moins
absolue de cette sensibilité que nous avons vue former la qualité
dominante de celle de l'homme . Le type le plus prononcé peut
être de cette disposition négative existe dans le porc ; car on ob
serve souvent que la couche abondante de graisse située sous la
peau de cet animal , et qui , par sa qualité non conductrice de la
chaleur , a au moins l'avantage de maintenir l'équilibre de sa tem
pérature , devient le séjour d'insectes et autres animaux para
sites , sans qu'il paraisse se douter seulement de leur présence.
Ainsi , on pourroit établir deux termes opposés de sensibilité très
développée et d'inertie de la peau , entre lesquels viendroient se
ranger les degrés qui caractérisent les nombreuses espèces ani
males.
MALADIES DE LA PEAU. 467

CHAPITRE CINQUIÈME .

DES USAGES PARTICULIERS A CHAQUE ÉLÉMENT DE L'ENVELOPPE


TÉGUMENTAIRE .

DCCCCXXVIII . Les parties inorganiques de la peau dans l'es


pèce humaine ne sont pas , tant s'en faut , dénuées d'utilité , et
établies là uniquement comme ces organes rudimentaires des
tinés chez quelques animaux à montrer l'uniformité du plan de
la nature dans l'universalité des êtres vivans. Pour cesser d'être
une barrière conservatrice de la chaleur , comme dans la plupart

des autres espèces , les productions cornées de la peau humaine ,


mais surtout l'épiderme , ne remplissent pas moins des fonctions
éminemment protectrices. Ce n'est qu'à l'abri de cette couche
inorganique que peut s'exercer convenablement le tact général ,
source des facultés et des fonctions qui établissent la suprématie
intellectuelle de l'homme . Qu'elle soit en effet trop développée ,

ou bien qu'elle manque entièrement , la sensibilité s'affoiblit ou


s'exalte , devient inertie ou douleur. Il n'est pas jusqu'à l'appareil
pileux qui , fort étranger sans doute au rôle qu'il joue chez la plu
part des animaux , n'ait cependant quelque part à l'exercice de la
faculté sensitive . La preuve , à cet égard , c'est qu'on rencontre
constamment des poils aux environs de chaque appareil des sens ,
de l'œil , du nez , de l'oreille , où ils ont , comme on sait , pour
usage d'atténuer , en quelque sorte , l'impression des agens qui
mettent leur fonction en jeu , le son , les odeurs , la lumière.
DCCCCXXIX . L'épiderme exigeoit à son tour un degré con
venable de mollesse et même d'élasticité sans lequel il n'eût pu
qu'être un obstacle à la précision des fonctions tactiles . Le fluide
gras , onctueux , qui se dépose en plus ou moins grande quantité
468 MALADIES DE LA PEAU.

à sa surface , paroît essentiellement destiné à l'entretenir dans

cette condition . C'étoit probablement à l'imitation de ce pro


cédé de la nature que les anciens faisoient un si fréquent usage
des frictions huileuses , dont les modifications apportées dans les
vêtemens , et surtout l'emploi du linge , ont pu seuls dispenser les
peuples modernes.
DCCCCXXX . On ne peut guère assigner exactement les usages

du pigmentum et du corps muqueux qui en est le siége ; cepen


dant il est présumable qu'ils ne sont autres que ceux dont nous
venons de constater l'existence dans les élémens plus excentri
ques de la peau : on observe du moins que l'activité sensitive se

montre assez généralement en rapport inverse du développement


des parties dont il s'agit. Dans la race blanche , par exemple , la
sensibilité est toujours plus vive sur les parties naturellement
moins colorées et sur celles que l'influence des vêtemens ramène
à la même condition physique . On peut vérifier encore cette ob
servation dans la race nègre dont la sensibilité est si intense à la
plante des pieds et à la paume des mains , qui sont aussi beau
coup moins noires que le reste de la surface . C'est dans le tout

jeune âge que les individus de cette même race sont particulière
ment sujets au tétanos , et on sait que , nés blancs , la couleur noire
n'a pas encore pris chez eux toute son intensité à cette époque
de la vie. La qualité protectrice du pigmentum et du corps mu
queux devient beaucoup plus évidente encore chez les Albinos, où
l'un et l'autre existent à un degré si imparfait , et qui sont aussi
sujets aux irritations variées de la peau pour les impressions les
plus légères qu'éprouve cette membrane . L'âge fait encore subir
à la peau des changemens sensibles ; mais ils le sont bien davan

tage dans les cheveux , qui du reste perdent alors quelques-uns


de leurs principes constituans , que l'art parvient , jusqu'à un cer
tain point , à leur rendre . Si la peau est disposée à l'accomplisse
ment de tous les phénomènes sensitifs , par l'effet de son organisa
tion générale , les faits précités montrent aussi que cette propriété
MALADIES DE LA PEAU. 469

varie dans son intensité sur certains points de sa surface , où elle

présente en même temps , comme nous l'avons déjà vu , une mo


dification relative dans sa composition et dans sa structure .
DCCCCXXXI. La surface tégumentaire externe se trouvant ex

posée à des chocs , pour ainsi dire continus et plus ou moins vio
lens , il étoit indispensable que la partie fondamentale de son tissu
pût supporter sans inconvéniens , et même favoriser à quelques
égards le développement de certaines de ces impressions . Nul doute
que le tact ne s'exerçât avec beaucoup moins d'avantage si , au
lieu de ce point d'appui ferme et résistant que le derme présente

à l'action des corps extérieurs , il n'avoit que la consistance molle


et pulpeuse de la surface tégumentaire interne . Cette circonstance
expliqueroit déjà suffisamment la diversité des fonctions des deux
membranes , l'une étant un organe d'absorption , l'autre servant sur
tout à un usage excrétoire et tactile ; mais celui-ci même indiqueroit,
à défaut de faits plus décisifs , la possibilité de la première de ces
fonctions dans l'enveloppe cutanée : car on ne voit par pourquoi ,

destinés à livrer passage aux différentes matières excrémentitielles ,


les vaisseaux , pores , ou autres voies d'éliminations ne pourroient
pas servir aussi à transporter à l'intérieur les substances dépo
sées à la surface . Il est toujours certain que l'état ordinaire de
vacuité des vaisseaux situés au-dessous de l'épiderme , que par

cette raison même on a nommés vaisseaux blancs , et qui forment


peut-être en grande partie le corps muqueux , ne peut qu'être
favorable au phénomène dont nous parlons . On sait que ces vais
seaux se remplissent quelquefois de sang , même dans l'état phy
siologique , ainsi qu'on le voit au visage qui vient à se colorer par
l'effet d'un sentiment de honte ou de pudeur . Cette coloration ac
cidentelle ne doit pas être confondue , sans qu'il soit besoin de le
dire , avec celle qui constitue le pigmentum naturels de la peau . S'il
est vrai que des sueurs de sang aient été observées , on ne peut pas
douter que c'est par les mêmes canaux qui contenoient le sang

dans le simple cas d'injection que ce fluide est exhalé dans celui -ci .

2. 61
470 MALADIES DE LA PEAU.

DCCCCXXXII . Le réseau vasculaire sous-muqueux de la peau

paroît naturellement destiné à fournir à chacune des parties cons


tituantes de cet organe les matériaux nutritifs indispensables à leur
développement ou à leur réparation . Telle que nous l'avons vue
organisée , la double surface tégumentaire devient pour le corps

vivant l'intermédiaire de toutes les impressions extérieures . For


mée , comme nous l'avons dit , d'assez bonne heure , elle devient
dans l'embryon le canevas des organes qui rempliront des fonc
tions plus ou moins importantes par la suite. Organe de nutrition
et de défense , l'enveloppe tégumentaire devient encore le do
maine le plus vaste pour le médecin ; et cette variété d'usages ,
que nous avons signalée , rendra facilement raison de l'étendue

des considérations que l'étude de cette membrane nous fournira


sous le point de vue pathologique.

ARTICLE PREMIER .

DU TOUCHER.

DCCCCXXXIII . C'est avec raison qu'on a distingué ce sens ,

éminemment actif, de la perception involontaire et passive quefour


nit le tact proprement dit , ou ce sentiment qui accompagne toute
impression d'un corps sur une partie quelconque de la surface cu
tanée. Mais , pour obtenir cette perfection , ou plutôt cet accrois
sement d'action dans le phénomène du toucher , il falloit que l'or
gane sentant subit une modification relative ; et cette condition se
trouve parfaitement remplie dans la main de l'homme . C'est en
elle que la sensibilité , de générale et vague , pour ainsi dire ,
MALADIES DE LA PEAU. 471

qu'elle étoit à la surface de la peau , acquiert ce degré d'énergie


et de finesse dont le toucher nous offre toute l'étendue . La main

peut à bon droit justifier , à cet égard, l'enthousiasme de Galien ,


enthousiasme que partagea depuis un philosophe moderne , tou
chant l'importance de cet organe dans lequel ces auteurs voulu
rent trouver la source unique de la supériorité morale qui place
l'espèce humaine si fort au-dessus des autres créatures.
DCCCCXXXIV . Il est certain que les organes des animaux dans
lesquels on observe quelqu'analogie de sensibilité avec la main "
sont encore bien loin de présenter la délicatesse dont elle jouit
dans ses fonctions , même dans les individus chez lesquels le tra

vail et les autres influences physiques favorisent le moins leur


exercice. Jamais , en effet , la trompe de l'éléphant , la lèvre supé
rieure du cheval , le grand pli de la peau , à la manière des espa
ces interdigitaires , qui est doué dans la chauve-souris d'une sen

sibilité extrêmement prononcée ; jamais , disons-nous , ces parties ,


l'admiration des observateurs et des philosophes , par l'heureuse

harmonie de leur forme et de l'organisation , n'ont pu être com


parées sous ce rapport à la main de l'homme. La supériorité de
celle-ci tient surtout à la faculté particulière aux doigts , dont elle
se compose , de pouvoir être opposés ; faculté dont est privé le
singe lui-même par la situation de son pouce . Par elle et à la fa
veur des nombreuses articulations que forment entre eux les os de
la main et des doigts , cet organe se moule , pour ainsi dire , sur les
corps , ou bien les touche par un grand nombre de points , d'où

la facilité accordée à l'homme d'apprécier plus exactement les for


mes et les autres qualités physiques des corps. Toutes les autres

dispositions organiques y ont été ménagées avec autant d'avantage


que de précision , ainsi que nous l'avons fait remarquer en décri
vant l'aspect particulier , l'épaisseur de la peau , mais surtout le

développement des papilles dans cette partie . Partout où se mani

feste une sensibilité vive et énergique , les papilles présentent


aussi un développement plus considérable . Une seule exception
MALADIE
472 S DE LA PEAU .

existe peut-être à cet égard , et encore est-elle susceptible de


beaucoup de restrictions ; car , si le chatouillement , ou cette sen

sation mixte qui tient à la fois du plaisir et de la douleur , se ma


nifeste dans certaines parties qui ne présentent pas le développe

ment prononcé des papilles dont nous avons fait mention , comme
cela se voit , par exemple , au défaut des côtes , il ne seroit pas im

possible que le caractère particulier de cette sensation tînt à la


combinaison des deux systèmes nerveux dont les effets sont si
marqués dans le centre épigastrique .
DCCCCXXXV. L'importance particulière inhérente au sens du
toucher explique naturellement l'utilité de ces détails de struc
ture que présente la main , puisqu'ils assurent l'exactitude et la

régularité de sa fonction . Ce sens préside en quelque sorte à l'édu


cation de tous les autres. En effet , dès que l'enfant commence à

remuer ses mains , un instinct naturel le porte à toucher tout ce


qui se trouve à sa portée ; souvent même , sans tenir compte des
distances qu'il ignore , on le voit diriger ces parties vers les objets
les plus éloignés , les étoiles , par exemple , et les autres corps cé
lestes , comme poussé par le besoin de soumettre tout ce qui l'en
vironne à ce régulateur . Tous les autres sens sont encore engour
dis , quelques-uns même n'existent pas , comme celui de l'odorat ,
que déjà le toucher paroît avoir acquis chez l'enfant un dévelop
pement remarquable. Il n'en est aucun d'ailleurs qui soit suscep
tible de se perfectionner autant que lui dans les circonstances où
les autres viennent à s'affoiblir ou à se détruire . Les observations

d'aveugles dont ce sens est devenu le guide sûr et habile sont aussi
nombreuses qu'intéressantes. Est-il nécessaire de rappeler le fait
de ce sculpteur célèbre , qui , grace à la finesse de son toucher ,

put continuer avec succès l'exercice de son art , après avoir perdu
la vue ? Tout le monde connoît l'histoire de l'antiquaire Saun
derson , qui , également aveugle , distinguoit de même les mé
dailles avec une grande précision . Parlerons-nous enfin de cet
aveugle - né de Puiseaux , dont on a raconté les ouvrages faits à
MALADIES DE LA PEAU. 473

la main , comme formant autant de merveilles ? Tous ces faits sont


suffisamment connus ; ils attestent sans doute le haut degré de
perfection que le sens du toucher peut atteindre ; mais ils ne jus

tifient pas davantage l'opinion des physiologistes métaphysiciens


qui en exagérèrent beaucoup trop l'influence. Il est surtout bien

impossible de ne voir dans l'action des autres sens qu'un mode


particulier , ou une nuance du toucher , aujourd'hui que l'anato
miste découvre dans chaque appareil une disposition du système
sensitif tout-à-fait spéciale .
DCCCCXXXVI. Le toucher fournit à l'homme un moyen sûr

de rectifier une foule d'erreurs dans lesquelles il se trouve en


traîné par les autres sens . Ce service est aussi précieux qu'incontes
table dans beaucoup de cas pathologiques , où seul il peut fournir
les élémens d'un diagnostic solide . Il devient aisé de s'en convain
cre encore par la comparaison que permet son état imparfait et ,
pour ainsi dire , grossier , chez le vieillard , en qui l'enveloppe cu
tanée de plus en plus racornie , a perdu en même temps sa sou
plesse . Indifférent et presque étranger aux passions qui agitent la
société autour de lui , le vieillard ne vit désormais que par ses be
soins naturels et ses appétits ; ce qui explique pourquoi , seul au
milieu de l'affoiblissement , souvent même de la perte absolue de
tous les autres sens , celui du goût conserve toute son activité jus
qu'au dernier moment.
474 MALADIES DE LA PEAU.

ARTICLE II .

' DE L'EXHALATION CUTANÉE .

DCCCCXXXVII. La vieillesse n'apporte pas dans la peau hu

maine le seul changement que nous venons de signaler dans l'or


dre le plus important toutefois de ses fonctions ; il en est encore
alors de non moins remarquables dans l'exercice de plusieurs au
tres phénomènes organiques dont elle est le siége. Aussitôt que
l'économie animale est parvenue au summum ou à l'apogée de son
développement , il faut s'attendre à la voir se détériorer , et en même
temps languir par une conséquence tout-à-fait nécessaire à l'exer

cice des fonctions qui lui sont départies . Cette observation géné
rale pour l'ensemble des appareils organiques devient plus évi
dente encore par ce qui arrive alors à la peau. L'extrême diminution ,
pour ne pas dire la cessation totale de l'exhalation cutanée à cette

époque de la vie , répond au reste à l'état de constriction et de ra

cornissement qu'a subi particulièrement la couche épidermique.


Mais combien la nature s'est encore montrée prévoyante et sage ,
s'il est permis de parler ainsi , dans cette nouvelle disposition ! Dans
les deux modes de transpiration insensible et de sueur , qui ne
sont au fond que deux degrés du même phénomène , l'exhalation
a pour effet immédiat d'enlever à l'économie , d'une part , le pro
duit d'une sécrétion dont le séjour pourroit lui être préjudiciable ,
et de l'autre , un excès de calorique qui ne lui seroit quelquefois pas
moins funeste . Or , aucune de ces conditions exubérantes n'existe

dans le vieillard qui n'a plus de matériaux nutritifs excédans à dé


penser ; car une alimentation languissante les répare à peine , et le
foyer de la chaleur vitale étant presque éteint , il a constamment
besoin que la chaleur intérieure ranime sa peau glacée. Il étoit
MALADIES DE LA PEAU.
475

donc bien important que dans cet état où le travail nutritif ne se


fait presque plus , les déperditions devinssent moins abondantes

ou plus difficiles . Tel est justement le but du changement qu'é


prouve l'enveloppe cutanée aux approches de la vieillesse . Ce chan
gement est également marqué chez les animaux par l'obstacle

qu'oppose à l'évaporation la couche écailleuse qui recouvre cer


tains reptiles , comparativement à la facilité qu'elle trouve dans la
peau lisse et éminemment perspirable des batraciens . Une obser
vation qui a mis cette circonstance hors de doute est celle des cra

pauds qu'on a trouvés vivant encore , après être demeurés quel


quefois enfouis dans des troncs d'arbres , ou dans des blocs de
pierre durant un laps de temps plus ou moins considérable . L'ex
périence tentée à cet égard , dans le sein de l'Académie des Scien
ces , il y a plus d'un demi-siècle , et renouvelée dans ces dernières

années par M. Edwars , a fait voir que le prolongement d'existence


acquis aux animaux de cette espèce , qu'on enferme dans des
boîtes hermétiquement fermées , sur ceux qu'on laisse exposés à
l'action libre de l'atmosphère , ne peut être rapportée qu'à l'acti
vité de l'évaporation dans ce dernier cas , et à sa lenteur dans l'au
tre. Une grenouille qu'on expose ainsi quelque temps à l'action de
l'air se dessèche et se momifie assez promptement. Autant en ar

rive aux poissons qu'on retient hors de l'élément qu'ils habitent ;


car cet élément les défend plus efficacement encore que leur épi
derme écailleux contre les suites funestes de cette décomposition

trop prompte. C'est par analogie que , d'après ces faits , Mauper
tuis avoit imaginé que l'application d'un vernis sur la peau de
l'homme pourroit bien servir à prolonger son existence au-delà
des bornes ordinaires ; conséquence absurde , et dont la subtilité
n'a guère pu sauver le ridicule.

DCCCCXXXVIII . Une conséquence plus légitime à déduire


des expériences et des observations que nous venons de citer ,
c'est qu'il existe une connexion intime entre l'exhalation cutanée
et la chaleur animale . L'une et l'autre ont été soumises à des es
Be
a S

476 MALADIES DE LA PEAU.

sais réitérés de calcul par d'habiles et laborieux observateurs


B dont les travaux , comme on devoit le prévoir , n'ont jamais donné
des résultats identiques . Depuis les célèbres expériences de Sanc
E

torius à Venise , répétées avec une précision bien supérieure par


Lavoisier et Seguin , les auteurs ont très-diversement évalué les

quantités de transpiration insensible produite dans une période de


temps donnée . Ainsi , le premier estima que , déduction faite de

ce qui s'échappoit par les urines et par les autres matières excré
mentitielles , la perte par la transpiration cutanée étoit encore de
cinq livres. Dodart arriva par les mêmes expériences à ce résultat
d'une once de transpiration insensible environ par heure ; sa quan
tité générale étant d'ailleurs à toutes les autres excrétions dans le
rapport de douze à quinze . Robinson renouvela ces recherches
sur des individus d'âge très - différent , et crut pouvoir en déduire
des règles constantes pour les quantités d'exhalation cutanée qui ,
suivant lui , est à l'urine , comme treize cent quarante à mille
pendant la jeunesse , et dans la vieillesse , comme neuf cent

soixante-sept à mille . Sauvages , Gorter , Keil , Rye , Linnings


établirent aussi les bases de leur estimation à cet égard avec toute

l'exactitude que comportent des recherches aussi compliquées


avec des données aussi fugitives. Suivant les résultats obtenus par
Lavoisier et Séguin , trente-deux grains constituent la plus forte
quantité de transpiration évacuée par minute ; dans une heure
deux onces trois gros quarante- huit grains ; cinq livres par jour.
Huit à dix grains forment son type ordinaire ; quantité qui varie
d'ailleurs en plus ou en moins pendant tel ou tel autre acte orga
nique , durant la digestion , par exemple , et durant les alterna
tives ' de santé et de maladie .

DCCCCXXXIX . On sent tout ce qu'ont de précaire des obser

vations et des expériences de ce genre , lorsqu'on connoît toute


l'incertitude et le peu de fixité du point de départ. Loin d'être sur

pris de la dissidence qui règne entre les diverses appréciations , il


faudroit bien plutôt s'étonner qu'elles eussent plus de concor
MALADIES DE LA PEAU. 477

dance . Seguin et Lavoisier furent les premiers qui tinrent compte


de l'exhalation pulmonaire. On a comparé aussi les différentes
quantités de déperdition à celles des matières ingérées ; et les
bases ne sont pas plus fixes à cet égard que celle dont nous avons
déjà fait mention . L'influence relative des saisons , des climats ,
été encore évaluée aussi bien que celle des impressions physi
ques auxquelles les hommes se trouvent naturellement soumis ;
et cette énumération qui ne présente que le très-petit nombre des
difficultés qu'on a eu à vaincre , indique néanmoins la défiance que
doivent naturellement inspirer de pareils documens . Que seroit
ce s'il eût fallu tenir compte de ces dispositions morales tout- à-fait
insaisissables , alors cependant que leur influence se fait sentir si
profondément dans l'accomplissement des phénomènes physiques !
De pareils obstacles doivent arrêter bien des expérimentateurs ,
par la crainte fort naturelle de n'obtenir , après des recherches
quelquefois très -pénibles , que des résultats complètement il
lusoires.

DCCCCXL . C'est avec juste raison que M. Edwards a pris le


parti de diriger d'abord son attention à cet égard sur des animaux
placés dans des conditions moins variables ; les ayant ensuite mo
difiées d'une manière plus ou moins sensible , il a pu en suivre les
effets d'une manière également claire et positive . Ces observations ,
-
faites avec une grande sagacité , peuvent servir sans doute à es
timer assez exactement les lois qui règlent l'exhalation cutanée

dans les batraciens qu'on met dans des conditions physiques dé


terminées ; mais il me paroît bien difficile , sinon tout-à-fait impos
sible de les appliquer à l'homme.
DCCCCXLI. Quoi qu'il en soit , le fluide qui constitue la transpi
ration insensible est très- limpide , incolore , exhalant une odeur

plus ou moins acide. Plus pesant que l'eau , il contient , selon


M. Thénard , une petite quantité d'acide acétique libre , d'hydro
chlorate de soude et de potasse , très-peu de phosphate de chaux
et d'oxide de fer ; moins encore d'une matière animale gélatineuse ;
2. 62
1:

"

478 MALADIES DE LA PEAU.

l'eau en fait essentiellement la base. M. Berzélius pense qu'au

lieu d'acide acétique , c'est de l'acide lactique libre que contient


l'humeur de la transpiration ; suivant le même chimiste , il y a
également de l'acide carbonique. Ce dernier fait seroit propre
peut-être à concilier les opinions dissidentes , ainsi que nous le
verrons plus loin , touchant l'exhalation de l'acide carbonique
admise par les uns et l'absorption de l'oxigène soutenue par les

autres. L'humeur de la transpiration au reste vient se déposer


continuellement à la surface de la peau , étant dès - lors éliminée
de l'économie animale à la manière des autres fluides excrémen

titiels. Sa quantité ne varie pas seulement suivant les circonstan


ces particulières de température et de prédispositions indivi
duelles , mais elle est encore loin de se montrer égale sur tous
les points de la surface. En général elle abonde sur les parties
pourvues naturellement de plus de chaleur , ou moins exposées
aux influences atmosphériques , comme les creux des aisselles , le
pourtour de l'anus , etc. , qui , dans l'état ordinaire , sont toujours
plus ou moins humides. Promptement réduite en vapeur , elle
disparoît presqu'aussitôt après avoir été déposée à la surface de la
peau ; car ce n'est que sous certaines conditions ( comme d'être
recouvertes par les vêtemens , ou bien par le passage de la lumière

à l'obscurité ou par l'influence d'une chaleur humide , ) qui per


mettent qu'elle afflue en plus ou moins grande quantité sur
quelques parties , où elle devient aussi sensible et appréciable.
Dans ce cas , la transpiration prend le nom de sueur. Celle - ci ne
se manifeste que par intervalles , tandis que l'autre se produit
d'une manière continue : la première paroît plus étroitement liée
à l'état de la température , la seconde a , comme nous l'avons ob
servé , un tout autre usage .

DCCCCXLII. La peau humaine est sans aucun doute une des


mieux disposées pour l'accomplissement de la fonction qui nous
occupe. Il est certain au moins qu'elle n'existe pas pour un assez
grand nombre de mammifères. On sait , par exemple , que le chien
MALADIES DE LA PEAU.
479

ne sue jamais et qu'il supplée à l'évaporation du calorique qui de


vroit se faire par cette voie , au moyen de celle qu'il obtient en
exposant sa langue à l'air lorsqu'il éprouve une chaleur trop forte.
Il ne paroît pas moins impossible que la transpiration puisse se
faire à travers l'enveloppe dure et calleuse des pachydermes.
Peut-être seroit-il intéressant de rechercher par quoi cette fonc
tion se trouve suppléée dans ces animaux : la formation de la
graisse sous - cutanée si abondante chez le porc , par exemple , ne
coïncideroit - elle pas avec cette circonstance ?
DCCCCXLIII. Indépendamment des deux modes d'exhalation
séreuse que nous venons de considérer , il en est un troisième qui
fournit à la peau un fluide onctueux nommé sébacé ou follicu
laire. Plus ou moins abondant suivant les espèces animales , et
même chez l'homme , dans les différentes races , il présente encore

des variations très- sensibles , suivant les parties où on l'examine .


Dans l'espèce humaine , il abonde particulièrement à la tête où
il est destiné à garantir non - seulement les tégumens , mais plus
particulièrement encore leurs élémens accessoires , les poils . Ce
fluide étoit extrêmement nécessaire , dans cette partie , afin de
préserver les cheveux de l'humidité à laquelle on sait qu'ils sont
très-exposés à cause de leur propriété hygrométrique . On sait
d'ailleurs que c'est sur cette propriété qu'est fondé leur emploi
dans la construction d'un instrument des plus utiles pour les ob
servations météorologiques. L'utilité du fluide sébacé n'est pas
moins évidente chez quelques animaux , dans les oiseaux aquati
ques , par exemple. La manière d'ailleurs dont il se répand à la
surface de leur enveloppe , explique parfaitement la disposition
si connue qui empêche l'humidité de pénétrer et par conséquent
d'altérer leur plumage .

DCCCCXLIV. L'organe sécréteur de ce fluide est l'appareil


glanduleux que nous avons décrit sous le nom de cryptes ou folli
cules , en indiquant leur ressemblance avec ceux qu'on trouve
dans les membranes muqueuses. Outre les usages que nous lui
480 MALADIES DE LA PEAU.

avons assignés , on lui attribuoit encore une qualité dépuratrice ,


purement gratuite , à moins qu'on ne fasse de ce mot le sy
nonyme d'excrémentitielle , en renonçant à l'idée humorale
qu'il rappelle naturellement. Il est versé sur l'enveloppe tégu
mentaire par l'orifice qui termine le canal des organes sécréteurs.

Ce mode d'excrétion paroît laisser moins d'incertitude que celui


de la transpiration insensible et de la sueur elle-même . Les vais
seaux exhalans en effet admis par Bichat , par M. Chaussier et
beaucoup d'autres anatomistes non moins recommandables , ne
sont guère en réalité susceptibles d'une autre démonstration
que celle qui découle de l'existence de l'exhalation elle -même.
Celle- ci ne pourroit- elle pas se faire , comme le pensoit Hunter,
à travers les interstices naturels , ou pores de l'enveloppe tégu
mentaire ? De nouvelles recherches , des expériences réitérées et
directes sont encore indispensables pour éclaircir l'obscurité dont
cette question importante est encore enveloppée . Il faut bien l'a
vouer , les deux sentimens n'ont pas d'autre valeur que toute
idée conjecturale , basée sur des probabilités et des raisonnemens
également spécieux ; il est donc bien à désirer que de bons ob
servateurs reprennent les travaux au point où les ont laissés les
dernières découvertes ; car il est peu de sujets plus remplis d'un
véritable intérêt dans ce qui touche aux principes les plus fé
conds de l'anatomie , de la physiologie , et de la médecine pra
tique.
MALADIES DE LA PEAU. 481

ARTICLE III.

DE L'ABSORPTION CUTANÉE .

DCCCCXLV . Il n'est peut-être aucune question physiologique

un peu importante qui n'ait été plus ou moins agitée , et résolue


souvent par des explications contraires ; de ce nombre est particu
lièrement la propriété qus la peau possède d'absorber par sa face
externe : démontrée par des faits et des expériences irrécusables ,

elle n'en est pas moins niée encore par beaucoup de physiologistes.
La première condition à constater étoit la réalité du passage des

corps à travers l'enveloppe cutanée recouverte de son épiderme ,


et ce point est précisément celui qui a fait naître le plus de dissi
dence . Mais les antagonistes de l'absorption cutanée n'ont jamais
détruit à cet égard certaines observations qui paroissent établir le
fait sans réplique. Ainsi , le sentiment de la soif a pu quelquefois
être apaisé, au rapport des voyageurs, par l'application à la surface
du corps
de linges trempés dans l'eau de la mer qu'il est impos
sible de prendre en boisson . Il est constant qu'après un bain plus
ou moins prolongé , la quantité des urines est sensiblement accrue ,
et rien n'indique que cette circonstance arrive autrement que par
l'effet de l'absorption . On ne peut pas invoquer dans les deux cas
que nous venons de citer l'intervention de la membrane muqueuse
pulmonaire et gastrique , ainsi qu'on l'a fait pour l'absorption de
quelques substances , telles que la vapeur de l'essence de téré
benthine qui , comme on le sait , se manifeste ensuite par l'odeur

de violette qu'elle communique aux urines ; ou bien encore pour


celle des miasmes marécageux , puisque la peau seule , dans les
exemples cités par nous, s'est trouvée soumise à l'impression des
fluides absorbés . Mais d'un autre côté , comme les agens dont nous
482 MALADIES DE LA PEAU .

avons fait mention sont incapables d'altérer la substance de l'épi


derme , il faut bien conclure de ces observations que celui- ci n'est

point un obstacle aussi grand qu'on l'a prétendu à l'inhalation


dont la peau est véritablement le siége .
DCCCCXLVI. Placé aussi avantageusement qu'on peut désirer

de l'être pour ce genre de recherches , nous n'avons cessé de met


tre à profit les nombreuses occasions que l'hôpital Saint- Louis
nous a fournies de constater de pareils phénomènes . Ce n'est même
pas sans étonnement que nous voyons les résultats dont il s'agit
contestés par des auteurs , qui paroissent croire que des expérien

ces artificielles peuvent détruire les preuves péremptoires que

- fournit à cet égard une longue pratique dans les hôpitaux. Il est
bien permis à des écrivains qui n'ont jamais eu l'occasion d'obser
ver l'effet dont nous parlons , de soutenir que l'épiderme doit
être nécessairement détruit ou enlevé pour que l'absorption de

certaines substances puisse s'opérer ; mais peut-on encore recourir


à ce subterfuge dans le cas , par exemple , dont nous sommes té
moins tous les jours , d'urines exhalant l'odeur caractéristique du
soufre , après quelques frictions avec une pommade dans la com
position de laquelle entre cette substance , ou bien après l'exposi
tion du tronc seul et des membres à sa vapeur , dans la boîte fu
migatoire , alors qu'aucun changement appréciable ne se montre
dans la couche épidermique ? Est-elle beaucoup plus altérée par
des frictions légères avec l'onguent napolitain , faites même quel
quefois dans les parties où la peau présente sa plus grande épais
seur, comme à la plante des pieds , et après lesquelles cependant ,
outre les phénomènes organiques qu'elle détermine , l'absorption
du mercure se manifeste encore par l'altération que subissent alors
les bijoux d'or et d'argent ? Il est donc prouvé que l'absorption
peut réellement se faire à travers la surface intacte de la peau ,
c'est-à -dire sans écartement préalable de l'épiderme , et bien
les
entendu sans imbibition de cette couche superficielle par
fluides.
MALADIES DE LA PEAU. 483

DCCCCXLVII. Ce n'est pas que nous méconnoissions le fait non


moins positif de l'absorption plus facile là où la couche épidermi
que ne lui oppose aucun , ou seulement un très-foible obstacle . Il

n'y a , pour acquérir cette certitude qu'à voir l'activité de cette


fonction dans les parties où l'épiderme est le plus mince , comme
à la partie interne des membres , aux creux des aisselles , etc .; ou
bien il n'y a qu'à comparer la promptitude de ses effets dans les
cas où la peau en est totalement dépourvue , comme on le voit dans
les plaies , et en général dans toutes les solutions de continuité de
cette membrane. L'un des premiers nous avons encore constaté à

cet égard l'influence diverse d'un grand nombre d'agens , suivant


la propriété qu'ils ont de se combiner avec l'épiderme , ou d'altérer
sa substance. Des purgatifs plus ou moins forts , d'autres médica
mens doués de propriétés actives ont été mis par nous et main
tenus en contact avec la peau de l'abdomen , et constamment leur
action s'est montrée en rapport avec l'étendue de leurs effets sur
l'épiderme. On sait que la contagion de beaucoup de maladies
trouve en lui une barrière quelquefois insurmontable ; car il n'est
guère possible d'attribuer la non-susceptibilité de certains indi
vidus , sous ce rapport , à une autre circonstance organique . Le
virus vaccin ne seroit pas introduit dans l'économie , et son action
demeureroit totalement nulle , s'il n'étoit déposé immédiatement
au-dessous de l'épiderme et offert en quelque sorte aux bouches
absorbantes qui abondent , comme on voit , dans cette partie . Les
faits de ce genre sont , pour ainsi dire , innombrables , et tous at
testent également la réalité d'une absorption plus active toutes les
fois qu'elle s'exerce sur une peau délicate ou privée entièrement
d'épiderme ; ce principe et le contraire nous paroissent établis
d'une manière irrécusable.
484 MALADIES DE LA PEAU.

ARTICLE IV.

DE L'ABSORPTION CUTANÉE , COMPARÉE A L'ABSORPTION DES MEMBRANES


MUQUEUSES .

DCCCCXLVIII . L'enveloppe externe des animaux n'est pas la


seule par laquelle les corps extérieurs puissent l'introduire dans
l'économie ; elle n'est pas même la partie où l'absorption est le plus
active. Ce phénomène se produit en effet sur tous les points du
corps vivant et jusqu'au sein des viscères le plus profondément si

tués , puisqu'il est la condition indispensable de la nutrition gé


nérale. Mais , en nous bornant à le considérer sur la double surface
de l'enveloppe tégumentaire , il nous sera facile d'apprécier com
bien l'interne est plus favorablement disposée pour cette fonction
que l'externe , où elle n'a lieu , pour ainsi dire , qu'accidentelle
ment , tandis qu'elle constitue le rôle fondamental de la première.
Parmi les faits nombreux qui démontrent la propriété absorbante
des membranes muqueuses, nous citerons le passage presque subit,
dans quelques circonstances , des boissons par les voies urinaires ,
et dont l'explication bien plausible n'a pas encore été donnée par
les physiologistes . Beaucoup d'observations analogues pourroient
être encore rapportées à l'appui du principe établi ; mais celui de
la sueur plus ou moins abondante dont l'apparition suit l'injection
dans l'estomac d'une grande quantité de boisson aqueuse , ne nous
paroît pas plus appartenir à l'absorption que la disparition de la
sueur , après le développement de l'irritation de la plèvre , par
exemple , n'indique la congestion du fluide séreux sur l'organe ma
lade. N'y a-t- il pas simplement dans l'un et l'autre cas influence
ou réaction sympathique ?
DCCCCXLIX . L'absorption que nous venons de considérer sur
MALADIES DE LA PEAU. 485

la surface de la membrane muqueuse gastro-intestinale se fait éga


lement par celle de la muqueuse pulmonaire . Celle-ci paroît être

effectivement la voie que suivent une infinité de substances ga


zeuses pour s'introduire dans l'économie animale . Les effluves
marécageux sont particulièrement dans ce cas aussi bien que les

autres gaz méphitiques dont l'impression est si constamment mar


quée sur l'odorat , alors que la chimie ne fournit aucun moyen
d'apprécier leur nature intime. Ces trois espèces d'absorption ,
ou , pour parler plus exactement , l'absorption qui se fait par les

trois surfaces , s'opère-t-elle par le même ordre de vaisseaux ab


sorbans , proprement dits , lymphatiques , artériels , veineux ? Cette
question n'est pas facile à résoudre : quoi qu'il en soit , c'est à tra

vers les aréoles du tissu pulmonaire que paroît du moins se faire


la séparation des élémens constituans de l'air atmosphérique , et
que l'oxigène absorbé va se mêler au sang pour lui donner sa cou
leur rouge et vermeille. Pour ce cas , l'absorption a lieu sans con
duits particuliers ou absorbans , et par les interstices naturels des
pores du tissu pulmonaire . Quelle que soit d'ailleurs son impor
tance , elle paroît être encore moindre chez les animaux à sang
froid que celle qui s'opère à la surface cutanée. Ainsi , Spallanzani

avoit déjà reconnu que les obstacles qui empêchoient celle - ci ,


abrégeoient sensiblement la vie des grenouilles. D'autres expéri
mentateurs , et tout récemment M. Edwards , ont pareillement
constaté que toutes les fois qu'on retient ces animaux éloignés de
l'air libre , en les privant de communiquer , par exemple , avec l'air
autrement que par la surface pulmonaire , ils périssent assez
promptement , beaucoup plus surtout que lorsqu'on les laisse res
pirer en même temps par la surface externe. De pareilles obser
vations , extrêmement curieuses , sans doute , ne peuvent néan
moins devenir concluantes à l'égard de l'espèce humaine. Aussi ,

nonobstant les expériences de Spallanzani , Jurine , etc. , qui pen


sent qu'il se fait par la peau une absorption de l'oxigène de l'at
mosphère , et celles de Priestley , Galtoni et autres physiologistes ,
2. 63
486 MALADIES DE LA PEAU.

qui contradictoirement soutiennent que cette membrane exhale


du carbone , parce qu'ils ont trouvé l'air dans lequel un membre

avoit séjourné plus ou moins long-temps , chargé d'une quantité


plus notable qu'à l'ordinaire d'acide carbonique : aussi dirons
nous qu'il y a loin de ce fait , différemment explicable , à l'exis

tence d'une véritable respiration cutanée . La peau de l'homme


du moins n'est point organisée pour cela ; si la faculté absorbante y
est prouvée , quoique inférieure à celle de l'autre surface tégu
mentaire , rien ne démontre qu'elle s'exerce dans l'état ordinaire ,
et cette circonstance doit éloigner tout soupçon d'inhalation at
mosphérique par cette voie.

CHAPITRE SIXIÈME .

DE L'ÉTAT PATHologique de l'enveloppe tÉgumentaire en GÉNÉRAL .

DCCCCL . Ce n'est pas une question stérile que celle de savoir


si les viscères , et en général toutes les parties vivantes qui se
trouvent contenues entre la double surface tégumentaire , peu
vent s'affecter directement et sans modification préalable de cette
membrane . Présentée de cette manière , il paroît difficile de la
résoudre autrement que par l'affirmative ; car , quelles que soient

la nature et la forme des agens physiques propres à déterminer


ces altérations , ils ne peuvent s'introduire par d'autres voies. Mais
rien ne prouve qu'il faille que les tégumens internes ou exte ^nes
soient malades pour transmettre leurs affections à d'autres parties

plus ou moins éloignées . L'expérience journalière démontre com


bien une semblable opinion seroit erronée , puisque l'impression
MALADIES DE LA PEAU. 487

du froid , qui n'altère en rien la texture de la peau , développe ce


pendant à l'intérieur de l'économie une infinité de lésions plus
ou moins graves. A la vérité , la transpiration alors est toujours
suspendue ; mais cette circonstance dépendant d'un obstacle
tout-à-fait mécanique , le resserrement des vaisseaux exhalans ou
des pores cutanés est loin de constituer une maladie. Il y a plus :
la peau peut résister par son élasticité particulière à des chocs

plus ou moins violens qui , sans lui porter atteinte , déterminent


quelquefois la rupture d'organes d'un tissu plus ferme que le sien ,
aponévroses , vaisseaux , os , etc. , situés plus ou moins profondé
ment au- dessous d'elle . Il demeure donc prouvé que tout ce qui
du dehors agit physiquement sur les organes de l'économie , soit
pour favoriser leurs fonctions , soit pour les dépraver , ne produit
cet effet qu'avec l'intermédiaire de l'enveloppe tégumentaire ;
car il nous sera facile d'appliquer aux membranes muqueuses le
principe que nous venons d'établir pour la peau , lorsque nous
considérerons leur état morbide sous le rapport sympathique. Il
ne reste d'ailleurs que trop d'élémens d'altération pour les orga

nes , et même destructeurs de la vie , qui ne prennent leur


source qu'à l'intérieur de l'économie elle-même , qui , par consé
quent , agissent d'une manière directe sur les viscères les plus
importans , le cœur , l'estomac , le tube intestinal , sans l'interven

tion des surfaces tégumentaires. Mais pour ne pas sortir de notre


sujet , nous nous contenterons d'indiquer à cet égard les in
fluences morales .
488 MALADIES DE LA PEAU .

ARTICLE PREMIER.

DES VICES PRIMITIFS OU CONGÉNIAUX DES TÉgumens .

DCCCCLI. Les altérations de l'enveloppe tégumentaire sont


tellement nombreuses et si variées dans leurs formes , que , pour

en donner une idée , même sommaire , il devient nécessaire de


les rattacher à quelques divisions générales qui serviront de types
pour comparer ces affections entr'elles . Celle dont nous croyons
devoir indiquer d'abord les caractères , se compose de ces vices de
conformation des tégumens originels et qui intéressent soit l'é
paisseur entière , soit une partie seulement de cette membrane.
On les distingue en ceux par défaut , c'est-à-dire qui sont consti
tués par une imperfection , un manque de développement des
élémens organiques ; et en ceux par excès , c'est-à- dire dans les
quels ces mêmes élémens ont pris un développement considérable.
Au premier ordre appartiennent les cas cités par les auteurs, d'ab
sence totale de la peau sur une surface plus ou moins étendue ;
et, pour les membranes muqueuses , les exemples qui ne sont pas
absolument rares de non-formation ou d'occlusion de certaines

cavités , comme on l'a quelquefois observé à l'égard du vagin


chez les femmes . Il arrive aussi que cette lacune , s'il est permis de
s'exprimer ainsi , n'est que partielle , relativement aux parties
constituantes de la peau ; alors on remarque que l'altération porte

le plus souvent sur l'épiderme. Mais ce genre de lésion est encore


plus fréquemment accidentel que naturel ; il rentre alors dans
une autre division , que nous étudierons plus loin , celle des per
tes de substance et des cicatrices .

DCCCCLII . Le vice d'organisation opposé , ou celui par excès,

est beaucoup plus commun que le précédent , et comme le


MALADIES DE LA PEAU. 489

précédent , il peut affecter l'épaisseur totale ou seulement quel


ques parties de la membrane tégumentaire . Mais il est facile de
concevoir que son développement accidentel doit être , sinon
tout-à-fait impossible , au moins extrêmement rare . On y ratta
chera , si on veut , à ce titre , les plis que la peau présente après la
perte de l'embonpoint , ou qui sillonnent l'abdomen des femmes
qui ont eu plusieurs grossesses. Il convient toutefois d'entendre

plus rigoureusement par cette exubérance l'étendue extrême que


prennent quelquefois les élémens divers de l'appareil tégumen
taire . Tout le monde connoît l'excessive longueur que sont sus

ceptibles d'atteindre les poils de quelques parties , ceux qui nais


sent dans les narines , par exemple , chez l'espèce humaine.
A cette disposition appartient le développement considérable , ca
ractère d'ailleurs d'agrément et de beauté , qu'acquièrent les plu
mes dites de luxe chez les oiseaux , L'épiderme présente aussi assez
souvent un surcroît très -sensible de consistance et d'épaisseur ; et
la maladie nommée ichthyose n'a pas d'autre origine , laquelle peut
être également assignée aux cors et aux durillons. On a vu les
ongles se former chez certains individus en véritables griffes par
leur disposition recourbée au terme d'une longueur considérable.
Chez les animaux , les cornes peuvent également atteindre un dé
veloppement prodigieux . On observe enfin assez fréquemment
sur la peau des élevures ou espèces de tubercules de nature et
de consistance très-variables : les uns , tels que le mélicéris , le

stéatôme , le lipome , paroissent formés par l'accroissement inso

lite des follicules sébacés et de la matière graisseuse qu'ils sé


crètent; les autres , tels que les verrues , sont une dépendance du

derme lui-même ; mais tous reconnoissent pour cause fonda


mentale cette exubérance de développement que nous avons
signalée.
DCCCCLIII . Si nous jetons maintenant un coup d'œil sur
d'autres altérations plus analogues qu'on ne le croit à celles qui
viennent de nous occuper , mais dont le siége est à la surface de
490 MALADIES DE LA PEAU.

la membrane tégumentaire interne , elles nous offriront des ca


ractères fort remarquables . Ce sont en général des amas plus ou
moins considérables de graisse pareils au lipôme , ou des tu
meurs d'un tissu spongieux érectile . Celles-ci ont reçu le nom

générique de polypes. Les points où on les rencontre le plus


communément sont l'entrée des replis internes de la peau , ou les

limites des deux surfaces tégumentaires. Les fosses nasales , les


sinus maxillaires , le pharynx , le vagin , l'intérieur de la matrice ,
en sont ordinairement le siége. Le tissu qui les forme diffère
d'une manière plus ou moins sensible de celui des membranes
muqueuses à la face externe desquelles ils adhèrent par un pédi
cule d'une longueur variable qui leur permet de flotter libre
ment dans ces cavités. L'aspect général des polypes présente
une couleur ordinairement brune ou rougeâtre ; leur surface est
lisse et polie ; l'homogénéité fait le caractère fondamental de leur
texture , quoiqu'on y distingue parfois , comme l'observe F. Mec
kel , l'apparence fibreuse en sens inverse de la surface qui les
porte. D'une consistance presque toujours molle et pulpeuse fort
analogue au tissu des mollusques , les polypes peuvent néanmoins
acquérir quelquefois un degré de consistance qui les rend durs
et calleux ; des vaisseaux d'un calibre variable et plus ou moins
nombreux y existent souvent et forment parfois de grands sinus
présentant cette particularité qu'ils n'ont pas de membranes
propres. La présence de ces vaisseaux explique les inflammations ,
les hémorrhagies et autres accidens de même nature qui ont si
souvent lieu dans les tumeurs polypeuses. Elles ne deviennent
guère incommodes d'ailleurs , et partant dangereuses , sauf les ac
cidens dont il vient d'être question , que par suite des obstacles
qu'elles apportent à l'exercice de certaines fonctions importantes ,
comme la déglutition et la respiration pour ceux du pharynx ; ou
bien par leur présence seule qui devient , comme tout corps
étranger , cause d'irritations plus ou moins profondes dans quel
ques organes , tels que la matrice , le vagin : aussi , l'art n'a-t- il
MALADIES DE LA PEAU. 491

d'autre ressource que leur extirpation , qui d'ailleurs est trop


souvent impuissante pour s'opposer à l'extrême tendance que ces
tumeurs ont à se reproduire.

ARTICLE II.

DES ALTÉRATIOns de texture de l'enveloppe tÉGUMENTAIRE .

DCCCCLIV . La peau peut être diversement modifiée dans ses


élémens de texture qui subissent alors des changemens plus ou

moins remarquables. Un des plus fréquens et tout à la fois des plus


dignes de fixer l'attention des observateurs , est celui que présen

tent ces taches congéniales connues généralement sous le nom de


nævi materni , et qui ne diffèrent pas moins entre elles par l'in
tensité de la couleur , que par leurs formes et leur étendue. On
sait que les pathologistes les considèrent comme des tumeurs san

guines analogues à celles qui constituent les fongus . Il est certain


que les variations qu'on observe dans leur couleur , au printemps ,
par exemple , où son intensité s'accroît presque toujours sensible
ment , viennent à l'appui de cette opinion ; mais leur caractère de

fixité et de circonscription ne permet pas davantage d'y mécon


noître une modification primitive de la partie colorante ou du
pigmentum de l'enveloppe cutanée . Cette disposition ne correspond
elle pas à ce qui se passe en sens contraire dans la peau des nègres

pies, ainsi nommés à cause des taches blanches dont leur surface

tégumentaire externe est en quelque sorte parsemée ? Ici du


moins il faut bien reconnoître que l'absence du pigmentum ou
plutôt de sa nuance ordinaire , ne tient pas à l'abord et à la stase
492 MALADIES DE LA PEAU.

du sang , comme on l'a supposé pour les taches congéniales. Mais


ce vice partiel de coloration se montre aussi quelquefois sur d'au
tres parties de l'appareil tégumentaire , et particulièrement sur les
cheveux. Il n'est pas rare en effet de rencontrer des individus
ayant au milieu d'une chevelure très-noire , une ou plusieurs mè
ches tout-à-fait blanches et qui ont été telles dès la plus grande
jeunesse . Ce phénomène a pareillement été observé dans toutes les
autres nuances. On ne trouve peut-être pas dans les faits de ce genre
la preuve de l'opinion émise par M. Gauthier relativement à la

coloration de la peau , qu'il fait dépendre de la substance mu


queuse sécrétée dans le bulbe des poils. Mais il est constant d'une
part que les taches diverses peuvent exister sur certains points de
la peau où on n'observe pas le moindre vestige de poils ; et de l'au

tre , il ne paroît pas , chez les vieillards , après que les cheveux et
les poils ont subi une décoloration entière , que la peau présente

aucun changement analogue. Quoi qu'il en soit , cette disposition


vicieuse des divers élémens tégumentaires , ne mérite pas absolu
ment le nom de maladie , ou ne peut du moins être considérée
comme telle que relativement à l'espèce aussi est-elle toujours
au-dessus des moyens de la thérapeutique. On connoît les conjec
tures et les hypothèses auxquelles l'imagination de quelques écri
vains s'est laissée entraîner pour établir des analogies plus ou

moins subtiles entre les formes presque innombrables des taches


cutanées et différens corps de la nature , croyant d'ailleurs y dé

couvrir les effets directs des impressions morales produites par ces

dernières durant la grossesse . Mais , énoncée d'une manière aussi


vague , cette idée ne peut être accueillie par la physiologie ration
nelle ; il faut l'abandonner au vulgaire .
MALADIES DE LA PEAU. 493

ARTICLE III .

DE L'ALBINISME.

DCCCCLV . Cet état de la peau peut être considéré comme l'ex


tension à toute sa périphérie de celui que nous venons de voir
partiel ou local. Il s'en faut bien que ce soit l'unique changement
de coloration que cet organe puisse ainsi subir en totalité ; mais il
nous paroît véritablement le seul constitutionnel , c'est- à -dire dé
pendant d'une modification primitive de texture . Les autres , en
effet , tels que la couleur jaune dans l'ictère , l'aspect jaune-paille

qu'on observe dans l'aménorrhée et dans la plupart des phlegma


sies chroniques ; la couleur même tout-à- fait noire dont certains
individus ont offert l'exemple , dans quelques maladies très-graves,
au rapport des observateurs , toutes ces nuances , auxquelles nous
pourrions en ajouter beaucoup d'autres , nous paroissent essen
tiellement le résultat d'une disposition morbide , et n'avoir par

conséquent qu'une existence secondaire . De tels états rendent bien


facilement appréciable la différence existante entre leur cause in
time qui , quelle que soit la théorie qu'on adopte , paroît toujours
être la présence ou l'absence du sang dans le réseau muqueux ,

et celle de l'albinisme qui ne reconnoît qu'une altération primi


tive de la partie colorante. Les caractères physiques ne rendent
pas d'ailleurs la différence moins sensible . Chez les albinos , en
effet , la couleur blanche n'a rien d'analogue à ce qu'elle est dans
les individus de cette race , non plus qu'avec celle des états mor
bides dont il vient d'être fait mention . Cette blancheur , d'un as

pect laiteux , uniforme et en même temps blafarde , a aussi parfois


quelque chose de poli et de luisant , ainsi que nous l'avons observé
chez une femme assez belle d'ailleurs , et qui faisoit un très-grand
2. 64
494 MALADIE DE LA PEAU.
S

usage des cosmétiques . Comme la plupart des individus de sa cou


leur , elle avoit les cheveux d'un blond très-pâle , d'une finesse ex
trême, et en même temps mous et sans énergie . Les yeux , très
petits et fort sensibles à la lumière , étoient , ainsi que cela se voit

généralement en pareil cas , saillans et comme bombés ; l'iris et la


pupille avoient une couleur rouge assez foncée , et la personne
étoit fortement myope. Le tissu cellulaire sous-cutané ne man
quoit pas d'ailleurs d'une certaine résistance ; et ce qui nous paroît
encore plus décisif, cette femme , assujettie par sa triste situation à
des privations et à des excès de toute espèce , jouissoit néanmoins
d'une santé parfaite.
DCCCCLVI . Il est incontestable que dans les degrés d'étendue
ou d'intensité variables dont l'albinisme est susceptible , comme
toute autre modification de la texture organique , celui que nous
venons de décrire est un des plus rapprochés de l'état de la peau
dans la race blanche . Ordinairement , les individus affectés d'al
binisme sont d'une petite stature , débiles et rabougris . C'est ce
qu'on observe surtout en Afrique parmi les albinos qui existent
en petit nombre au milieu des nègres dont ils sont presque toujours
les victimes. Ils sont aptes à se reproduire , et ne donnent pas tou
jours naissance à des enfans de leur couleur. La plupart des al
binos dont on connoît l'histoire n'ont eu qu'une existence ché
tive et misérable. Un médecin nous en a communiqué deux
nouveaux exemples fort intéressans le premier a pour sujet
un enfant demeurant à Paris , né d'un père très-robuste et fort
brun , et d'une mère blonde assez délicate , lequel offroit tous les
caractères de l'albinisme au plus haut degré ; peau lisse , molle et
blafarde ; cheveux très-blonds ; myopie extrême , avec l'iris et la
pupille rouges . Tous les frères de cet enfant étoient sains et robus

tes, excepté une petite sœur qui avoit avec lui une ressemblance

marquée ; mais dans une disposition beaucoup moins considéra


ble. Le second fait est celui d'un jeune homme né à Caen et observé
par M. Sauvages à l'hôpital de Lizieux ; où il réside encore en ce
MALADIES DE LA PEAU. 495

moment. La constitution éminemment lymphatique fait la base du


tempérament de ce jeune homme qui , avec la lèvre supérieure
très-tuméfiée , présente une coloration vive des joues , ce qui n'est
pas ordinaire aux albinos , et contraste d'ailleurs singulièrement
avec le reste de la peau terne et blafarde . Les cheveux , les yeux
et tous les autres caractères sont chez lui tels qu'on les rencontre
dans les individus de cette espèce. Celui-ci rapporte son état à l'im
pression profonde qu'auroit faite à sa mère , pendant sa grossesse ,
la mort d'un lapin blanc qu'elle aimoit beaucoup , et que son père
tua dans un moment de colère . De telles sensations peuvent sans
doute avoir des suites plus ou moins fâcheuses soit pour le foetus ,

soit pour la mère ; et , si la nature est surprise par de pareils chocs


au milieu du travail plastique , il est certain qu'il peut en résulter ,
ainsi que l'a démontré le célèbre M. Geoffroy Saint-Hilaire , des

vices de conformation ou des monstruosités plus ou moins remar

quables. Mais là s'arrêtent les données de l'observation ; et vouloir


établir des rapprochemens et des comparaisons entre les agens
producteurs ou les causes occasionelles , et la nature ou les formes

des altérations , c'est , comme l'a judicieusement fait observer


encore l'académicien que nous venons de citer , se perdre dans
un dédale de vaines conjectures .

DCCCCLVII . On sait que les animaux sont sujets à l'altération


de couleur de la peau que nous venons de décrire , aussi bien
que l'espèce humaine ; ils paroissent en être atteints également
dans l'état de domesticité et dans la vie sauvage ; les renards ,

les souris , dans la seconde condition , présentent aussi fréquem


ment cette disposition que les lapins et les chats dans la première.
Le pelage des uns et des autres offre effectivement les traits con

nus de l'albinisme , jusqu'à la coloration de l'iris et de la pupille ,


ainsi que l'extrême foiblesse de la vue ; ils sont identiquement

ceux qu'on rencontre dans l'espèce humaine. Dans les deux cas ,
il est également difficile d'expliquer la coïncidence qu'on observe
constamment entre la teinte albinique de la peau ou du pelage ,
DIES
496 MALA DE LA PEAU .

et l'état particulier des yeux qui paroît tenir d'ailleurs au défaut


de l'enduit qui recouvre ordinairement le choroïde. Nous avons
observé que l'explication de la couleur cutanée par le fluide sé
crété dans le bulbe des poils ne rend pas exactement raison de
toutes les circonstances du phénomène ; celui dont nous venons
de parler doit paroître plus difficile encore à pénétrer : aussi four
nit-il un beau sujet de méditations et de recherches aux physio
logistes. Quant à l'analogie qu'on a voulu établir entre les effets

des maladies lymphatiques et l'albinisme , elle ne nous paroît rien


moins que fondée . Il y a sans contredit plus de rapport entre

cet état et ce qu'on observe chez les animaux qui blanchissent


durant l'hiver , où ils vivent à l'abri de l'influence de la chaleur
et de la lumière , et qui reprennent leur couleur au retour de la
belle saison ; ce changement n'est autre que celui produit par
l'étiolement sur les plantes et sur l'espèce humaine elle -même ,
et on ne peut nier qu'il n'ait avec l'albinisme toute la ressem
blance que l'art et les modificateurs externes peuvent donner

avec d'autres effets qui ont une cause originelle ou organique .

ARTICLE IV .

DES EXANTHÈMES EN GÉNÉRAL.

DCCCCLVIII . Nous comprenons sous ce titre toutes les ma


ladies éruptives dont l'enveloppe tégumentaire peut devenir le
siége , en les distinguant par leur marche aiguë ou chronique.
Celles-ci ont été décrites sous toutes les formes qu'elles sont sus
ceptibles de revêtir , et avec tout le soin qu'elles méritoient. Il
MALADIES DE LA PEAU. 497

seroit donc superflu de revenir sur une exposition descriptive

épuisée , et nous croyons devoir nous arrêter seulement au paral


lèle intéressant de ces deux ordres de maladies. Une circonstance
bien digne de remarque dans la nature des exanthèmes chroni
ques , c'est cette lenteur de leur mode inflammatoire dont il ne

faut chercher la cause que dans la présence des vaisseaux lympha


tiques qui existent en si grand nombre dans la peau. A quelque
profondeur que pénètre dans le tissu tégumentaire l'altération
qui constitue l'exanthème chronique , il est certain que l'inflam

mation des vaisseaux blancs y joue le principal rôle . L'exhalation


est interrompue aussi dans ce cas , non plus par un simple obs
tacle mécanique , mais par l'altération des organes mêmes qui

l'exécutent. Tel est le principe dont l'évidence est établie par


cette longue et précieuse série d'observations plus intéressantes
les unes que les autres dont le tableau est sans cesse offert à nos

yeux dans l'hôpital Saint-Louis , et qui est devenu , après une


grande expérience , la règle constante de notre thérapeutique.
DCCCCLIX . Mais il ne suffisoit pas de connoître ce résultat
majeur d'une observation attentive , qui permet néanmoins
d'apprécier la véritable nature des exanthèmes ; notre investiga
tion s'est encore dirigée vers le but de préciser plus exactement
qu'on ne l'avoit fait jusqu'à présent , le siége que chacun d'eux
occupe dans les élémens de l'enveloppe tégumentaire . Il y a ,
comme on l'a vu , des différences bien importantes à noter sous
ce rapport , et qui méritent plus de considération qu'on ne
le croit généralement dans la direction des méthodes cura
tives . Les dartres elles -mêmes , qui , au premier aspect , sem
blent se confondre dans un centre commun d'origine , ont ce

pendant des traits de dissemblance bien prononcés. Aussi , tandis


que les unes développent un sentiment de cuisson , de pru
rit, ou de douleur insupportable , les autres envahissent l'é

paisseur entière des tégumens , sans produire d'autre incommo


dité , pour ainsi dire , que le malaise et la gêne inséparables de
498 MALADIES DE LA PEAU.

toute altération organique un peu considérable . L'affinité , s'il est


permis de s'exprimer ainsi , que chaque espèce d'éruption her
pétique a pour telle ou telle autre partie des membranes mu
queuses , méritoit aussi une étude spéciale , et cependant il ne
paroît pas que ce sujet eût encore fixé l'attention des hommes de

l'art qui s'étoient livrés avant nous à la pathologie cutanée.


Ainsi que nous l'avons observé , la dartre phlycténoïde rongeante

a été reconnue et constatée plusieurs fois dans la membrane mu


queuse de l'estomac et des intestins ; et aujourd'hui que la con
noissance des phlegmasies abdominales a acquis tant de précision ,
il sera facile de vérifier ce que nous avons dit de la modification
qu'elles reçoivent du caractère herpétique. On rencontre aussi la
plupart de ces maladies à l'orifice ou au point de jonction des deux
surfaces tégumentaires , et cette particularité s'observe également
chez les animaux .

DCCCCLX . Tous les exanthèmes chroniques sont loin d'exer


cer la même influence , comme il étoit aisé de le pressentir , sur
l'état général du système , ou sur l'ensemble de l'économie ani

male. La simple éphélide ou même la dartre furfuracée , qui in


téressent à peine le corps muqueux de la peau , pourroient-elles
avoir des effets aussi étendus à cet égard que ces désorganisations
également repoussantes et cruelles qui constituent les différentes
lèpres , les pians et tous les autres exanthèmes enfin qui attaquent
si profondément le système lymphatique ? Une autre condition
qu'il n'est pas moins facile d'apprécier , c'est l'existence de telle ou

telle évacuation purulente , sanieuse , dont la quantité seule


peut être déjà d'une conséquence funeste pour l'économie ; mais
l'influence des exanthèmes méritoit d'être considérée sous un

autre point de vue nous voulons parler de cette action directe


qu'ils paroissent avoir sur les fonctions de tel ou tel autre appareil
organique. Chacun connoît l'observation très-ancienne du stimu

lus de l'éruption herpétique relativement à la cohabitation des


sexes ; mais nous avons rapporté quelques faits qui établissent
MALADIES DE LA PEAU. 499

des exceptions à cette règle générale . Un autre rapport qui n'est


pas moins digne d'intérêt , est celui que la présence des exan
thèmes chroniques a sur la direction des facultés intellectuelles.
Plusieurs des infortunées victimes de ce cruel fléau ne trouvent

de terme à leurs longues souffrances que dans le suicide ; et l'ex


plication de ce nouveau rapport n'est pas un des moins obscurs
problèmes offerts à la physiologie par les maladies cutanées.
DCCCCLXI . Il y a déjà long-temps que nous nous sommes ef
forcés de porter les lumières de cette science dans la thérapeu
tique générale , et à plus forte raison dans l'ordre des maladies

que nous étudions . « Étrange traitement ( disions- nous dans la


>> Ire livraison de cet ouvrage ) , que celui qui ne met pas les
>> moyens en rapport avec l'état des organes ! » L'exclusion de

toutes ces recettes mystérieuses , de ces arcanes infaillibles , que le


charlatanisme colporte et livre à l'avidité de l'ignorance crédule ,
ne pouvoit dès-lors trouver grace devant l'inflexibilité du principe
qui nous dirigeoit. Détruire l'élément inflammatoire constituant
des exanthèmes , à quelque degré d'ailleurs qu'il se présente , a
donc été le but constant de nos moyens curatifs dans les premiers
momens de toute affection exanthématique ; et c'est à cette règle
fondamentale que nous devons incontestablement nos plus beaux
succès. Mais alors même que les progrès de la dégénération organi
que , ou l'état de débilité consécutif des malades rend l'emploi de la
méthode adoucissante impraticable , nous n'avons eu garde de nous
jeter dans les procédés empiriques. L'ignorance et la paresse intel
lectuelles peuvent seules vanter les spécifiques ; mais le praticien
éclairé par une sage expérience , ne s'abandonne point à de pa

reilles chimères. On se dirige encore en effet par des principes


rationnels dans le traitement des exanthèmes qui ont résisté aux
premiers moyens , en changeant , par l'application judicieuse et
convenablement graduée des divers caustiques , le mode inflam
matoire de la peau , ainsi que cela se pratique journellement avec

succès dans beaucoup d'autres phlegmasies. Malheureusement ,


500 MALADIES DE LA PEAU.

trop de cas restent encore au-dessus de cette ressource puissante ;


mais le médecin philosophe sait s'arrêter à propos , et ne mécon
noît jamais les bornes de son art.

ARTICLE V.

DES EXANTHÈMES AIGUS OU MALADIES ÉRUPTIVES .

DCCCCLXII . Il n'entre pas dans le plan de cet ouvrage de tra

cer en détail l'histoire de ces maladies , qui d'ailleurs sont décrites


dans tous les traités généraux de médecine. En vain la physiologie
s'est-elle efforcée de pénétrer la cause primitive et la nature de
quelques -unes d'entre ces affections , et particulièrement de l'é
ruption variolique . Celle-ci peut sans doute servir de type pour
toutes les autres ; mais elle a de plus certaines particularités de
forme et de développement qui doivent être sévèrement distin
guées. On chercheroit inutilement , par exemple , dans beaucoup
de maladies éruptives , pour ne pas dire dans toutes , cette fixité
de caractères extérieurs et d'élémens producteurs qui , bien
qu'inconnus dans leur principe , n'en conservent pas moins leur
physionomie dans tous les temps et dans tous les lieux , au milieu
de l'influence sans cesse agissante des modificateurs physiques les

plus variés. Les différentes espèces d'érysipèle , les mille nuances


d'éruption miliaire sont assez souvent erratiques et presque tou
jours en rapport dans leur apparition avec la nature des vicissi
tudes atmosphériques que les malades ont éprouvées . La variole
n'échappe pas entièrement , sans doute , à cette cause puissante
de modification dont les effets acquièrent même quelquefois , ainsi
MALADIES DE LA PEAU. 501

que l'a démontré une expérience récente , la plus grande évi


dence ; il est seulement digne de remarque qu'elle est le résultat
d'un agent aussi insaisissable dans sa nature que constant dans sa
manifestation et dans ses formes , et susceptible de neutralisation
par la vaccine , autre agent non moins puissant et jusqu'à ce jour
pareillement impénétrable .
DCCCCLXIII. On sait que l'apparition de toutes les maladies
éruptives est précédée d'accidens variés plus ou moins intenses ,
à l'ensemble desquels le nom de période d'incubation a été donné
par les pathologistes . Ce n'est pas sans fondement qu'on a dans ces
dernières années attribué à l'irritation des membranes muqueuses

la série des phénomènes qui constitue les prodromes de ce genre de


maladie. L'observation prouve en effet que cette surface tégumen
taire est toujours alors le siége de l'irritation primitive ; ce qui
n'établit pas néanmoins que la rougeole ne soit qu'un catarrhe

pulmonaire , et la variole une gastrite . La circonstance dont nous


parlons manque totalement dans les exanthèmes chroniques , et
c'est un des caractères qui les distinguent des maladies éruptives
proprement dites. On peut y voir également que l'influence sym
pathique ne s'exerce pas dans ces dernières , suivant la même di
rection que dans les autres ; elle est néanmoins réciproque pour
les deux ordres de maladies ; nous ferons seulement une remarque

qui n'a pas encore été présentée : c'est que dans les dernières , la
sympathie s'exerce généralement du dedans au dehors , et dans
le sens contraire pour les premières , ce qui nous paroît comporter
très-peu d'exceptions importantes.
DCCCCLXIV . Ce n'est pas seulement à l'espèce humaine qu'est
échu en partage le triste lot des maladies éruptives . Ainsi que les
exanthèmes chroniques , on les observe chez les animaux qui vi
vent avec l'homme , en partageant ses travaux et sa misère . L'un
des patriarches de la médecine française , M. Paulet , nous a com
muniqué le cas fort intéressant d'une rougeole observée par lui

sur un jeune singe . Prodromes , fièvre concomitante , éruption de


2. 65
502 MALADIES DE LA PEAU.

taches rouges analogues à des piqûres d'épines , très-rapprochées


à la partie interne des extrémités antérieures et postérieures, ainsi
que sur toutes celles dépourvues de poils , comme les joues et les
abajoues, le cou, etc.; aucun des caractères de ce genre d'affection ne
manqua à celle-ci. Elle se termina heureusement pour l'animal , qui
devint , pendant son cours , un objet d'étude intéressant pour plu
sieurs médecins . Ce n'est pas d'ailleurs la seule analogie en ce
genre existant entre l'homme et les différentes espèces animales.
La clavelée , dont sont particulièrement affectées les bêtes à laine,
présente la plus grande analogie avec la variole de l'espèce hu
maine , bien que les expériences de Camper , de Voisin , et celles

plus récentes de la Faculté de Médecine de Paris , aient prouvé


qu'on ne pouvoit point reproduire l'une de ces maladies par l'au

tre. Il existe probablement à cet égard la même différence qu'on


observe dans la même éruption comparée à celle , d'ailleurs fort
analogue , que présentent quelques autres animaux ; ce sont , pour
ainsi dire , des spécialités de races.
DCCCCLXV . Indépendamment de l'origine assez connue de la
vaccine , les deux espèces de varicelles désignées chez les Anglais
par les noms de chicken pox (pustules de poulet) , swine pox (pustu
les de porc) , indiquent encore clairement l'analogie que nous avons
seulement voulu faire entrevoir existant à cet égard entre la gé
néralité des êtres animés . Qu'il nous suffise d'avoir montré dans
ces considérations ce dont commencent d'ailleurs à être générale
ment convaincus les médecins éclairés , nous voulons parler de l'in
térêt qu'offre la comparaison raisonnée des animaux dans l'état
sain et malade pour l'avancement de la physiologie pathologique.
MALADIES DE LA PEAU. 503

ARTICLE VI .

DU SIÉGE DES MALADIES ÉRUPTIVES .

DCCCCLXVI. L'aspect ou les formes de ces maladies ne sont


guère moins variables que celles des exanthèmes chroniques ; mais
leur nature inflammatoire ne sauroit être aussi contestée. En

effet , quelle que soit la différence extérieure de la variole , de l'é


rysipele et du pemphigus , des caractères sûrs décèlent constam
ment l'élément inflammatoire de ces maladies. Les unes soulèvent

l'épiderme , en déterminant çà et là des phlyctènes remplies de séro


sité plus ou moins âcre et limpide , tandis que les autres provoquent

des abcès formés par une suppuration plus ou moins abondante ; et


il en est enfin qui se bornent à produire une rougeur vive , avec un
sentiment d'ardeur et quelquefois de douleur gravative . On ne peut
méconnoître là les signes ordinaires aux phlegmasies , et l'identité
doit sous ce rapport laisser peu d'incertitude. Les mêmes nuances
d'irritation ont été reconnues de nos jours sur l'enveloppe tégu
mentaire interne . Des nécroscopies fréquentes ont mis en évidence
la réalité de l'érythème , des abcès , de l'emphysème dans l'éten
due des membranes muqueuses , et particulièrement de la mu
queuse gastro -intestinale .
DCCCCLXVII . De telles nuances pathologiques n'indiquent pas

seulement des degrés d'intensité différens , elles annoncent encore


une certaine modification dans le siége des maladies . Seroit- ce
porter trop loin l'analyse physiologique de dire que l'irritation
peut dans ce cas être plus particulièrement fixée sur tel ou tel

élément organique , nerf, vaisseaux blancs ou sanguins ? Il est cer


tain du moins que si l'observation confirme ce sentiment en ce
qui concerne les exanthèmes chroniques , on ne voit pas pourquoi
on se refuseroit à l'admettre pour les maladies éruptives. C'est dans
504 MALAD DE LA PEAU.
IES

le corps muqueux d'ailleurs que les premiers ont essentiellement

leur siége ; et , si l'épiderme et le derme y participent , ce n'est


que d'une manière accessoire ou secondaire.
DCCCCLXVIII . Dans quelle partie de la peau autre que le

corps muqueux pourroit se développer le principe des maladies


contagieuses ? Bien que la nature intime des virus nous soit en
core inconnue , l'observation nous en a suffisamment appris sur
leur origine et sur leur mode de propagation pour ne nous laisser
aucune incertitude à cet égard . Partout où se produit une sécrétion
quelconque , ne fût-ce qu'un fluide purulent , la présence d'un
appareil propre à développer ce résultat , c'est-à-dire des vais

seaux et des fluides , devient indispensable . Nous ne prétendons


pas soulever ici le problème de la contagion , qui embarrassera peut
être encore long-temps les praticiens et les physiologistes ; nous
avons seulement voulu noter la part que le corps muqueux a dans

la production de ce phénomène , et cette part nous paroît extrê


mement importante. Sans discuter la question de l'absorption, qui
d'ailleurs a été déjà décidée sous un autre point de vue , sans abor

der par conséquent l'hypothèse de l'infection générale à la suite


d'une contagion locale impure ou plus ou moins délétère , ce qui
sort tout-à-fait de notre sujet , nous nous sommes bornés à ce qu'il
y a de vraiment positif et accessible aux sens dans le fait patholo
gique dont il s'agit ; ce résultat nous paroît incontestable , quand
on indique simplement le réseau de Malpighi comme générateur
et point de départ du principe contagieux . Ainsi , quelle que soit
sa nature , c'est toujours à ce point qu'il doit aboutir ; et ce fait , dé
montré par la pathologie , est encore justifié par la physiologie et

l'anatomie comparée. On avoit du reste jusqu'à nous singulière


ment exagéré les limites de la qualité contagieuse pour les maladies
éruptives et les exanthèmes en général. Une observation long
temps suivie , et une expérience lentement acquise nous ont mis

à même d'apprécier toute la fausseté de ce principe relativement


à celles de ces affections qui suivent le mode chronique.
MALADIES DE LA PEAU. 505

CHAPITRE SEPTIÈME.

DES PERTES DE SUBSTANCES QUE PEUT SUBIR L'ENVELOPPE TÉGUMENTAIRE .

DCCCCLXIX . Indépendamment des lésions mécaniques qui dé


truisent les tégumens dans une plus ou moins grande étendue ,
et dont nous n'avons point à nous occuper ici , il est différentes
causes qui peuvent amener ces mêmes déperditions de substance.

Quelquefois c'est l'épiderme seul qui se trouve intéressé ; d'autres


fois le pigmentum ou le corps muqueux sont détruits en même
temps. En relevant l'erreur que quelques écrivains et observa
teurs, d'ailleurs très -recommandables , partagèrent avec Camper ,

touchant la couleur qu'il dit être blanche dans les cicatrices du


nègre, nous avons par là même prouvé que , si la partie colorante
de la peau est susceptible de reproduction , elle peut aussi être
affectée isolément. Lorsque les cicatrices restent blanches chez les
individus de cette race , c'est que l'épaisseur entière de la peau, et
fort souvent encore plusieurs de ses parties subjacentes ont été
comprises dans la déperdition de substance ; le changement de
couleur qui subsiste alors indique que le derme , pour le moins ,
a été intéressé , et nous avons vu qu'il est blanc dans toutes les
races.
DCCCCLXX . Parmi les maladies cutanées proprement dites ,

il n'y a guère , dans le mode aigu , que la variole qui laisse des
traces bien marquées de son passage , par des pertes de substance ,
avec des cicatrices indélébiles . Celles-ci sont même , on peut le
dire , les caractères les plus sûrs auxquels on reconnoisse sa véri
table nature ainsi que celle de la vaccine, sur laquelle de fausses
analogies et une observation superficielle ont seules pu faire com

mettre tant de méprises. La varicelle entraîne bien aussi quelque


506 MALADIES DE LA PEAU.

fois un travail inflammatoire capable d'user la peau jusqu'à un


certain point ; mais il est rare que la perte de substance qui en ré
sulte soit assez profonde pour être durable , et plus rarement en
core elle est comparable à celle qu'entraînent les maladies précé
dentes . Pour les autres exanthèmes aigus, l'érysipele, la rougeole,

la scarlatine , la miliaire , bien que leur siége soit aussi dans le ré


seau vasculaire et le corps muqueux de la peau , il est , pour ainsi
dire , sans exemple qu'ils se soient terminés par suppuration ;
comment dès-lors pourroient-ils détruire des tissus qu'ils affectent
si superficiellement ? Ce sont les exanthèmes chroniques surtout
qui portent avec eux ce caractère de destruction . On pourroit
dire des premiers que les tissus n'y sont intéressés qu'à titre d'ins
trumens des phénomènes morbides , tandis que pour les seconds
c'est dans l'intimité de leur structure que ces phénomènes se pas
sent. Aussi ces dernières affections donnent-elles constamment lieu

à des pertes de substance plus ou moins considérables , pendant


que les autres ne laissent pas le moindre vestige de leur passage.
DCCCCLXXI. Il seroit fort utile , sans doute , de pouvoir dé

terminer à quelles conditions physiques tiennent les différences si


nombreuses entre les résultats de lésions presque identiques en

apparence. Pour ne parler que des deux circonstances opposées ,


ulcération et hypertrophie d'organes , nous n'avons guère encore
que des conjectures sur la nature de ces phénomènes pathologi
ques , bien que tout semble placer dans l'existence du travail in

flammatoire la solution de ce problème . Entre les exanthèmes di


vers , il en est auxquels semble plus spécialement départie la
qualité destructive des tissus ; telle est la dartre rongeante, ainsi
nommée de la circonstance même qui fait son principal caractère.
Mais tel est , à un degré bien plus prononcé , le cancer, dont les
affreux ravages détruisent quelquefois avec tant de rapidité jus
qu'aux élémens les plus résistans de l'organisation . C'est à la peau
surtout qu'il est intéressant et facile d'en suivre les progrès. D'au
tres affections peuvent produire des symptômes et des désordres
MALADIES DE LA PEAU. 507

plus violens aucune n'use aussi rapidement l'organisation et la


vie , parce qu'elle épuise l'une par la douleur , et détruit l'autre

par une fonte des matériaux nutritifs également prompte et con


tinue. On a dit que l'inflammation simultanée des systèmes san
guin et lymphatique donne la clef de cette question obscure , et il
est réellement possible que la circonstance dont il s'agit soit une des
conditions de ce mode d'altération pathologique ; mais pour l'ex

plication des causes de déperdition plus ou moins rapide de subs


tance , par l'effet de certaines maladies , et particulièrement de
celles qui affectent l'enveloppe cutanée , elle est tout entière pro
bablement dans la constitution des individus et dans la nature
des tissus organiques .

DCCCCLXXII . Les déperditions de substance dont la sur


face tégumentaire interne peut être affectée , n'étoient pas moins

importantes à connoître que celles de la surface externe , et il


faut convenir que ce n'est guère que dans ces derniers temps
qu'elles ont été convenablement étudiées . C'est vers la muqueuse
gastro-intestinale qu'ont été presqu'exclusivement encore diri
gées les recherches . Si quelques points de cette surface ont paru
être plus disposés à ce genre de lésion que les autres , tels , par
exemple , que le grand cul- de-sac de l'estomac , les environs de

la valvule iléo-cœcale , outre que la prédominance relative du sys


tème sanguin dans ces parties peut expliquer déjà cette diffé
rence , il est constant , d'un autre côté , qu'aucune partie n'en
est véritablement exempte . Les déperditions de substance s'y pro
duisent quelquefois avec une rapidité pour ainsi dire prodigieuse ,
comme le prouvent ces perforations dites spontanées , dont l'ex

plication n'est pas moins embarrassante pour la physiologie , que


leur étude et leur appréciation exactes ne sont intéressantes pour
la médecine légale. M. Cruveilher en a donné une théorie assez
satisfaisante , en les rapportant à l'inflammation chronique. De

même qu'à la peau , la perte de substance peut ici ne pas com


prendre la totalité de la membrane , cas plus rare , à la vérité , à
508 MALADIES DE LA PEAU.

cause de la différence d'épaisseur des deux organes. La chirurgie


enseigne à corriger et à réparer en quelque sorte ces altérations
dans le premier cas ; et , pour le second , les moyens de la médecine
se bornent à peu près à ceux du temps et du régime ; leur issue
néanmoins est loin d'être toujours défavorable , comme nous al
lons le voir dans l'histoire des cicatrices.

ARTICLE PREMIER.

DE LA CICATRISATION DES TISSUS TÉGUMENTAIRES .

DCCCCLXXIII . Aucun phénomène organique ne mérite de


fixer l'attention du physiologiste à plus juste titre , alors même
qu'il ne se rattacheroit point aux questions les plus importantes
de médecine pratique , que celui qui a pour objet le mode de co
aptation des tissus divisés , la réparation qu'ils peuvent éprouver ,
et la reproduction de quelques-uns de leurs élémens. Mais , au lieu
de s'égarer dans la recherche stérile des causes premières , ou de
la nature intime de ce travail organique , il est plus utile et plus
sage de se borner à déterminer exactement les conditions phy
siques sous l'influence desquelles il se réalise , et apprécier les
formes multipliées qu'il subit , suivant la nature ou l'espèce des
tissus où il se développe . Peu de praticiens et d'observateurs ont
été dans une position aussi favorable , à cet égard , que nous , au
sein de l'hôpital Saint-Louis , où les phénomènes dont nous par
lons se présentent chaque jour à notre examen , sous un aspect
également curieux et varié : c'est le résultat de cette longue et
constante investigation que nous allons ici retracer à nos lecteurs.
DCCCCXXIV . Le terme de comparaison , ou le point de dé
MALADIES DE LA PEAU. 509

part le plus sûr qui vient s'offrir naturellement , est , sans aucun
doute , la cicatrice par laquelle se terminent les plaies des vésica
toires. Lorsque ces dernières ont été entretenues durant un
intervalle de temps plus ou moins long , toutes les substances des
tinées à favoriser la sécrétion du pus finissent par demeurer sans

action ; celui- ci acquiert alors une épaisseur et une consistance


qui lui donnent l'aspect d'une membrane couenneuse , au-dessous
de laquelle se développe la pellicule qui doit rétablir la continuité
de la surface cutanée . Cette dernière , d'abord plus rouge que les

parties qui l'entourent , prend , à la longue , une certaine pâleur ,


avec un degré sensible d'amincissement du tissu qui la forme , et
une susceptibilité très-prononcée à se dépouiller de l'épiderme .
Les cicatrices qui succèdent aux plaies des tégumens faites pour
l'inoculation et pour la vaccine , offrent , outre ces caractères , une
dépression générale sensible , tandis que d'autres dépressions par

tielles leur donnent un aspect gaufré , caractère existant surtout


dans la vaccine , et qu'on ne remarque point dans les cicatrices
précédemment indiquées.
DCCCCLXXV . Dans les cicatrices qui sont le résultat de brû
lures plus ou moins profondes , des inégalités , c'est- à-dire des en
foncemens et des élevures très-sensibles , se font ordinairement

apercevoir ; des brides les tiraillent aussi presque toujours en


divers sens ; ce qui paroît dépendre de l'endurcissement du tissu
cellulaire sous- cutané , assez fréquent dans les cas de ce genre.
On ne sauroit noter avec trop de soin l'aspect particulier que

présentent les cicatrices de la variole ; mais d'abord nous rappel


lerons ce que nous avons observé à cet égard chez un nègre dont
l'éruption fut confluente , et qui d'ailleurs étoit d'une constitu
tion éminemment lymphatique , caractérisée par la suppuration
de plusieurs ganglions cervicaux . Chez ces individus , la dépression
qui suit la dessiccation des boutons varioleux , et la saillie de ses
bords , est plus prononcée qu'à l'ordinaire ; mais la couleur du

nouveau tissu , d'abord rougeâtre , puis brune , finit par acqué


2. 66
510 MALADIES DE LA PEAU.

rir la même nuance à peu près que les parties environnantes. La


même observation sur la couleur des cicatrices , déjà faite par

M. le professeur Dupuytren , a été encore répétée par nous sur un


individu de la même race , mais d'un tempérament sanguin , dont la
variole n'a rien offert qui s'écartât de sa marche dans la race blanche.
Une comparaison qui nous paroît exprimer exactement l'appa
rence de la cicatrice d'un bouton varioleux , c'est l'impression qui
résulte d'une morsure , ou de l'application d'une dent sur quel
que point de la surface cutanée. Dans la variole confluente , il
n'est pas rare que plusieurs cicatrices se trouvent confondues , et
cette circonstance entraîne des froncemens , ou des brides ana
logues à celles que nous avons dit exister dans les brûlures. Pour
l'enfoncement des cicatrices elles-mêmes , il est toujours plus con

sidérable dans la variole confluente que dans la variole bénigne ;


il offre aussi , assez souvent , une consistance comme calleuse , et
une couleur luisante , qui , ne faisant que se développer avec le
temps , finit , comme nous l'avons observé quelquefois , par deve
nir nacrée. La forme des cicatrices en godets se montre également
dans l'une et l'autre espèce de variole , aussi bien que la blan
cheur et la finesse du tissu ; il n'y a , à proprement parler , que

des différences de degré , sous ce rapport , entre la variole con


fluente et la variole bénigne.
DCCCCLXXVI . Si , des cicatrices particulières aux maladies ai

guës de l'enveloppe tégumentaire , nous passons à celles des exan


thèmes chroniques , nous aurons à signaler des particularités bien
importantes. La texture de la peau , plus profondément affectée
dans les cas de ce genre , ou modifiée d'une manière spéciale par le
degré de la phlegmasie , devoit nécessairement contracter une dis
position propre pour les cicatrices qui accompagnent les pertes de
substance dont elles sont la source. Aussi les ulcérations scrophuleu

ses , les différentes espèces de dartres , les pertes de substance des


ulcères vénériens , offrent-elles dans leurs cicatrices une physiono
mie, s'il est permis de parler ainsi , toute particulière et facile à
MALADIES DE LA PEAU. 511

reconnoître . Qui pourroit se méprendre à la vue de ces bourrelets ,


quelquefois linéaires , assez souvent irréguliers', d'une couleur rose
ou violacée , environnés d'un tissu cellulaire boursouflé , très-sujets
à se rouvrir , ou à se rompre , et dont le siége occupe les parties
latérales du cou ? Tout le monde à coup sûr reconnoît sur-le-champ
des cicatrices scrophuleuses . De même , à la rugosité , à l'épaisseur
de la cicatrice surtout , et à sa couleur rougeâtre et blafarde , nous

reconnoissons presque toujours une dartre squammeuse ; tandis


que la dartre rongeante offre une cicatrice à bords irréguliers , iné
gaux dans leur épaisseur , et affecte ordinairement la couleur des

membranes muqueuses , non loin desquelles elle a fréquemment


son siége . Les pustules et autres solutions de continuité provenant
de la contagion syphilitique , ont également leurs traits particu
liers , parmi lesquels nous nous contenterons d'indiquer l'inégalité
de surface et la couleur cuivrée des cicatrices . Le médecin obser

vateur et familier avec les données de la pratique , se trompe ra


rément dans l'appréciation de ces divers caractères , qui , en même
temps qu'ils lui révèlent la nature des affections , deviennent aussi
pour lui l'indice le plus sûr du degré et de l'étendue qu'elles ont

pris sur l'enveloppe tégumentaire.


DCCCCLXXVII . Les cicatrices de la surface tégumentaire in
terne n'ont peut-être pas été étudiées encore avec assez de soin
.
pour pouvoir être exactement décrites ; elles ont été observées

particulièrement sur la muqueuse gastro-intestinale de l'homme


et des animaux . Elles ont pour caractère distinctif, aussi bien que
certaines cicatrices de la peau , un aspect lisse et luisant , une blan
cheur marquée , et le peu d'épaisseur du tissu qui les forme ; leur
étendue et leurs autres dispositions physiques n'ont d'ailleurs rien
de fixe , non plus que les signes qui décèlent leur formation du
rant la vie. On s'explique facilement la raison qui rend leur ren
contre plus fréquente sur la muqueuse gastro-intestinale que sur
toute autre ; mais on sait que les autres parties de la surface tégu

mentaire interne n'en sont pas complètement dépourvues.


512 MALADIES DE LA PEAU.

ARTICLE II .

DE L'ORGANISATION ET DES PROPRIÉTÉS DU TISSU QUI FORME LES


CICATRICES .

DCCCCLXXVIII. On a constaté depuis fort long-temps que le

tissu des cicatrices , toujours plus pâle que le reste des tégumens ,
est aussi moins élastique. D'une épaisseur moindre que ces der
niers , il résiste moins aux tiraillemens exercés sur leur surface ,
et les déchirures ont presque toujours lieu dans ces parties. Le
resserrement des mailles de leur texture rendroit peut-être déjà rai
son de la difficulté qu'on éprouve à y développer la rubéfaction ,
sans y supposer , comme l'ont fait quelques auteurs , absence totale
des vaisseaux sanguins . En effet , dès que le phénomène peut être
produit , la présence des vaisseaux devient irrécusable . Une autre
preuve plus décisive à cet égard , est l'observation assez souvent
réitérée du développement de boutons de varicelle sur les cicatri
ces varioliques et vaccinales. Ce travail inflammatoire exige néces
sairement le concours des vaisseaux sanguins , et peut-être révèle
t-il encore mieux la présence des nerfs dans les cicatrices , que la

preuve qu'on a cru pouvoir tirer à cet égard des douleurs dont
elles sont quelquefois le siége , sans faire attention que leur dispo

sition physique , relativement aux parties sous-jacentes , pourroit


expliquer cette dernière circonstance. Quoi qu'il en soit , il est cer
tain que
le tissu des cicatrices , sauf quelques modifications indi
quées , présente tous les caractères des autres tissus organiques.
DCCCCLXXIX . La même modification devoit exister dès -lors

dans les usages , ou les fonctions dont elles sont investies. Ainsi , il
est constant , par exemple , que l'exhalation et l'absorption sont
beaucoup moins actives dans les parties occupées par des cicatrices
que sur les autres points de la surface cutanée. La même remar
MALADIES DE LA PEAU. 513

ble
que a été faite relativement à la faculté tactile . Il est très -proba
que , si l'état de la surface tégumentaire interne eût pu être soumis
à l'examen des sens sous ce rapport , l'observation faite pour la
peau lui eût été également applicable . C'est une conséquence di
recte des lois de la mécanique , que le résultat fonctionnel des or
ganes soit constamment en rapport avec la précision et le bon état
de l'instrument qui l'exécute .
DCCCCLXXX. Il seroit superflu de s'arrêter à l'enumération
des perfectionnemens introduits successivement dans les procédés
chirurgicaux destinés à favoriser la cicatrisation des solutions de
continuité et de leurs pertes de substance . Une des réformes les
plus heureuses , sans contredit , fut la suppression de tous les corps
gras et onguens dits incarnatifs , qui ne faisoient que retarder le
travail de la nature . L'éloignement de toute substance de cette es
pèce est donc une condition importante à cet égard ; et à l'inté
rieur , la soustraction de tout agent irritant n'est pas moins rigou
reuse dans le cas d'ulcération de la muqueuse gastro-intestinale.
Cependant on ne doit pas méconnoître qu'un degré modéré d'ex
citation est on ne peut plus favorable , ou , pour mieux dire , indis
pensable à l'accomplissement de ce résultat organique ; ce que nous
avons particulièrement reconnu dans les maladies cutanées.

DCCCCLXXXI . Jusqu'à Fabre , qui , le premier , démontra , au


milieu de l'Académie de Chirurgie , l'absurdité de l'opinion qui ad
mettoit la régénération des tissus vivans , cette idée avoit constam
ment servi de base dans la direction du traitement des plaies ; on
connoît l'équivoque des faits et des observations sur lesquels étoit
1
fondée cette théorie , sans qu'il soit utile de les reproduire. Louis
comparoît la méprise dont ils avoient été la source , « à l'illusion des
personnes qui , assises dans une barque , croient , en s'éloignant
du bord , que c'est le rivage qui fuit ; de même , dit-il , que la bar
que seule se meut , tandis que le rivage reste immobile ; de même ,
ce sont les bords d'une plaie qui s'affaissent et non le fond qui
s'élève. » Quesnay remarqua que la rapidité de la cicatrisation est
514 MALADIES DE LA PEAU.

en raison de la vitalité des tissus ; ce qui explique la promptitude

de la cicatrisation des plaies cutanées , et le principe recommandé


par les chirurgiens , de conserver le plus possible de tegumens aux
lambeaux formés dans l'amputation des membres. Bichat a vu et
expliqué , avec sa sagacité ordinaire , la formation de la pellicule
qui constitue la cicatrice , par l'adhérence mutuelle des bourgeons
charnus , resserrés alors sur eux-mêmes et convertis , pour ainsi

dire , en une membrane cellulaire , dont la macération a fait recon


noître parfaitement la nature organique.
DCCCCLXXXII . Il n'y a de régénération admise aujourd'hui ,
et véritablement incontestable , que celle des parties inorganiques,
telles que les poils , les ongles et l'épiderme . Ces deux derniers ne

manquent jamais de se reproduire , et on a vu même des ongles se


former à l'extrémité des doigts , après l'amputation des premières

phalanges. Les poils ne jouissent pas de ce privilége , car ils ces


sent de se reproduire dès que leurs bulbes sont détruits ; ce dont
il est facile de se convaincre pour les cheveux , par exemple ,
dans la comparaison de différentes espèces de teigne. Mais , alors
même que l'industrie humaine parvient à corriger assez heureu

sement les défauts de ce genre , et à prévenir les inconvéniens qui


pourroient en être la suite , l'homme ne sauroit apporter trop de
soin à conserver dans leur intégrité tous les élémens de son enve
loppe tégumentaire. Source pour lui de tant de fonctions impor
tantes et de jouissances variées , elle possède aussi ce haut degré
d'action organique ou de vitalité , avec lequel coïncident la fré
quence et même la gravité des maladies . De là , la nécessité absolue

de ces précautions hygiéniques , mises au premier rang des rè


gles de salubrité publique par les médecins et les législateurs de
l'antiquité , et par l'oubli desquelles naissent la plupart des mala
dies , mais particulièrement ces repoussantes dermatoses , qui ne
sont pas seulement un fléau pour l'espèce humaine , mais qui , par
le dégoût et l'horreur qu'elles inspirent , deviennent l'obstacle le
plus puissant aux communications et aux besoins de la vie sociale.
APPENDICE .

ÉPHÉLIDES .

M. ALIBERT a donné au mot éphélide beaucoup trop d'extension .


Le nom d'éphélides, d'après l'étymologie , ne devroit être donné
qu'aux taches produites sur les tégumens par les rayons solaires ,
tandis que M. Alibert a placé , parmi les variétés de ce genre , des

affections produites par d'autres causes , et qui sont essentielle


ment différentes les unes des autres , telles que les hémorrhagies

scorbutiques, et certaines maculatures brunâtres , qui se dévelop


pent quelquefois sur la peau , dans les gastro-duodénites , et aux

quelles on a donné le nom d'éphélides hépatiques. Il en est résulté


que le mot éphélide, étant devenu synonyme de tache , cet auteur
s'est vu obligé d'associer à chaque variété une épithète qui fìt con
noître la nature de l'affection qu'il étoit appelé à désigner . Ces
dénominations vicieuses ont donné lieu à une étrange confusion
de langage. C'est ainsi que les taches produites sur la peau par
l'influence du soleil , ont été nommées éphélides solaires , qui est
un véritable pléonasme , et que celles qu'on a désignées sous le
nom d'éphélides scorbutiques et hépatiques , présentent des idées
totalement fausses , un contre-sens manifeste.
516 MALADIES DE LA PEAU.

ÉPHÉLIDE SOLAIRE ET LENTIFORME.

Cette affection , vulgairement appelée taches de rousseur , et


et qui seule dorénavant doit porter le nom d'éphélides, ne paroît
être qu'une très-légère altération du tissu muqueux de Malpighi ,
lequel , comme on sait , donne à la peau la couleur que nous lui
voyons. Elle se développe le plus souvent chez les sujets lympha
tiques , chez les personnes blondes ou rousses , chez les enfans ,
parce que ces sujets ont en général la peau fine et délicate , et
très-disposée à s'altérer par l'influence des agens extérieurs , et

plus particulièrement du soleil. C'est une difformité plutôt qu'une


maladie , et les personnes qui désirent conserver la beauté de leur

teint peuvent s'en garantir facilement , en évitant de s'exposer


aux ardeurs du soleil.

Il nous semble que M. Alibert n'auroit pas dû établir de dis


tinction entre l'éphélide proprement dite ou l'éphélide solaire ,
ce qu'il appelle éphélide lentiforme, puisqu'elles constituent l'une
et l'autre la même affection. Ce sont les mêmes symptômes , les

mêmes altérations organiques , à l'intensité près. Toutes deux re


connoissent une cause identique , attaquent le même genre d'in
dividus et les mêmes parties de la superficie. Les motifs , qui ont
engagé M. Alibert à faire d'une même affection deux variétés dif

férentes , ne nous paroissent pas très- plausibles . Qu'importe en


effet que des taches de rousseur ne disparoissent point en hiver
chez quelques enfans et chez certains individus , dont la peau est

plus fine et plus délicate ? La nature intime de la maladie , ou plu


tôt de la difformité , subit- elle , pour cela , un changement quel
conque ? N'est-il pas bien naturel qu'une grande disposition de

l'individu et l'action plus énergique du soleil rendent quelquefois


permanente une affection , qui , dans d'autres circonstances , dis
paroît aux approches de l'hiver ?
MALADIES DE LA PEAU. 517

Pour rendre à la peau brunie par le hále sa blancheur et son


éclat , on a conseillé de fréquentes lotions sur les parties affectées ,
avec la crême , le petit lait , les solutions de gomme et d'albumine,
les eaux distillées aromatiques , et plus tard , avec des liqueurs
plus actives , telle que l'eau froide chargée d'alun ou d'acétate
de plomb, l'eau de sureau acidulée , etc .; mais ces remèdes
échouent le plus souvent contre les éphélides , qui s'effacent or
dinairement au retour des frimas , pour reparoître l'été suivant ,

si l'on n'a soin de se prémunir contre l'action des causes aux


quelles elles doivent leur développement.
Si les moyens que nous venons d'énumérer sont si peu effi

caces contre l'éphélide dite solaire , il n'est pas étonnant qu'ils


ne réussissent point contre l'éphélide dite lentiforme; mais nous
ne pensons pas que ce soit là un autre motif pour faire de cette
dernière une variété particulière .

ÉPHÉLIDE LENTIFORME IGNÉALE .

Cette affection n'est qu'une forme de la brûlure superficielle


et doit être considérée, comme le premier degré de celle- ci . Elle
se compose de taches offrant d'abord une teinte rouge animée ,
foncée ou brune , qui deviennent ensuite d'un jaune sale et comme
marbrées. Ces différentes teintes sont le résultat de l'accumulation

morbide du sang dans les capillaires cutanés ; rouges ou brunes ,


dans le principe , elles deviennent jaunes et marbrées quand la
résorption commence à s'opérer.
L'éphélide ignéale se forme d'une manière lente et graduée

sur les jambes et les cuisses des vieillards , qui , pendant l'hiver ,
exposent fréquemment ces parties à l'ardeur d'un foyer , ou chez

2. 67
518 MALADIES DE LA PEAU .

les femmes , qui se servent habituellement de chaufferettes . Elle


est constamment apyrétique.
On la prévient et on la détruit assez facilement , en se mettant
à l'abri des causes qui leur donnent naissance.

ÉPHÉLIDE HÉPATIQUE . CHLOASMA.

Cette affection consiste en une altération du pigmentum , dont


quelques faits nous autorisent à expliquer la production par l'irri

tation morbide du tissu réticulaire . Ce qui semble prouver en


effet que , primitivement , il y a une accumulation morbide de

sang dans les points maculés , c'est qu'il existe une analogie très
marquée entre les taches du chloasma et celles qui succèdent à
l'application des vésicatoires. Ajoutons encore que , dans certaines

circonstances , ces points maculés sont légèrement proéminens ,


et que leur surface devient le siége d'une démangeaison , qui
augmente par la chaleur et l'exercice , et par l'usage des liqueurs
fortes.

Plusieurs morceaux de peau présentant des taches de chlo


asma ont été traitées par la putréfaction à l'air libre et par la
macération . Sur les premiers , l'épiderme enlevé n'a pas emporté
avec lui la matière colorante , qui est restée à la face externe du
derme , sous la forme d'une couche brune , noirâtre ou grisâtre ,
facile à se détacher avec le dos du scalpel. Sur les autres , la ma
tière colorante s'est partagée entre l'épiderme et le derme , à la
surface duquel elle s'est présentée sous la forme d'une matière
liquide noirâtre ou grisâtre , stagnante dans ses petits sillons , et
disposée en couche d'une inégale épaisseur. A la surface du derme,

on remarquoit en outre une bande de couleur noirâtre et profonde,


MALADIES DE LA PEAU. 519

que l'instrument ne pouvoit enlever , sans intéresser le tissu de


la peau.

Les taches , dites hépatiques , sont le résultat de diverses affec


tions morbides. Lorsqu'elles coïncident avec la suppression des
règles et des hémorrhoïdes , on doit les envisager comme des hé
morrhagies supplémentaires , dans le tissu cellulaire qui entre dans
la composition de la peau. Quand elles surviennent pendant la
grossesse , elles sont le résultat de l'accumulation du sang dans les

parties supérieures. Souvent aussi elles se développent , pendant


l'existence d'une gastro-duodénite ; elles sont alors la conséquence
de l'étroite sympathie qui unit les membranes tégumentaires
interne et externe. Malgré l'opinion vulgaire , qui attribue ces
taches à une maladie du foie , il est certain qu'elles ne sont unies
aux affections de cet organe que lorsque la gastro-duodénite , qui
précède , a fait naître une irritation sympathique du tissu réticu
laire ; de sorte que le pathologiste qui le premier les a désignées
sous le nom d'héphélides hépatiques , a créé une dénomination
que repoussent à la fois la sévérité du langage et l'observation
clinique.
Les taches hépatiques , ou plutôt le chloasma , ne réclament
en général d'autre traitement que celui des affections qui
leur ont donné naissance. Cependant , tout en insistant sur la
nécessité de combattre ces lésions primitives , nous ne prétendons
point proscrire certains topiques qui peuvent concourir à faire
disparaître ces taches de la peau ; nous pensons au contraire que

les bains tièdes simples ou sulfureux , les lotions avec l'oxycrat ,


la décoction d'oseille , le sous-acétate de plomb , très-étendu d'eau ,
sont en général très-favorables , lorsqu'ils sont administrés avec

sagacité et circonspection .
520 MALADIES DE LA PEAU.

ÉPHÉLIDE SCORBUTIQUE.

Les éphélides scorbutiques n'ont aucun rapport avec les précé


dentes ; c'est donc à tort qu'on les en a rapprochées. Leur histoire
se rattache à celle du scorbut , et leur traitement doit être en
tièrement calqué sur celui de cette affection.
CANCROÏDE .

Les cancroïdes autrement dites kéloïdes forment un genre d'af

fections de la peau encore très-peu connu , ce qui dépend appa- .


remment de ce qu'elles sont extrêmement rares . M. Alibert leur
a imposé ce nom , à cause de leur forme particulière , qui imite
tantôt un rond , entouré de prolongemens semblables à des pattes ,
tantôt un corps allongé , dépassant le niveau de la peau , ressem
blant parfaitement à une cicatrice de brûlure , autour de laquelle
on remarque des prolongemens de même nature , qu'on ne peut
mieux comparer qu'à des pattes de crabe ou d'écrevisse .

M. Alibert décrit les symptômes de la kéloïde , de la manière la


plus frappante . Il confesse néanmoins que la nature intime de
cette affection ne lui est que très-imparfaitement connue et que
le traitement en repose encore sur des bases très-incertaines.

L'esprit d'analyse introduit dans la science médicale , depuis


l'ère de la doctrine physiologique , fait entrevoir sur-le-champ
que cette maladie consiste en une simple irritation de la peau et

du tissu cellulaire , qui paraît tenir à la fois , ainsi que l'a fort bien
dit M. Alibert , et de la dartre et du cancer. L'examen attentif
de son mode de développement , ses causes , ses symptômes , tout
se réunit pour ne laisser aucun doute sur cette assertion.

Ainsi qu'on l'aura pu remarquer , en parcourant le chapitre qui


traite des cancroïdes , les tumeurs de ce genre n'affectent que les

personnes d'un tempérament sanguin , et presque toujours du


sexe féminin ; elles ne paroissent pas non plus avant l'âge de la
puberté , et c'est presque toujours au moment où le système
sanguin a le plus d'activité , qu'on les voit se manifester . C'est sur
tout vers l'âge de trente à trente-cinq ans , qu'on les observe chez
les femmes , et , ce qui n'est pas moins digne de remarque , c'est
522 MALADIES DE LA PEAU.

qu'elles semblent affecter une prédilection particulière pour les


parties antérieures de la poitrine ; c'est ordinairement sur la partie
moyenne antérieure du sternum qu'elles se développent chez les
femmes brunes , sanguines , et qui ont les seins volumineux et
charnus . Le tempérament sanguin paroît en être la cause prédis
posante principale , et si l'on fait attention aux phénomènes
qu'éprouvent les malades qui sont tourmentés par les kéloïdes ,
on s'apercevra que toutes les causes qui donnent de l'activité
au système sanguin , telles que la chaleur , les alimens nourris
sans et excitans , l'approche du printemps , la pléthore , etc. , aug
mentent la douleur et les démangeaisons , dans la partie qui est le
siége de la maladie . Le froid , la diète , les adoucissans , les déplé
tions sanguines produisent des effets contraires.

La marche de la cancroïde n'est pas toujours la même dans


tous les cas . Tantôt elle est lente et peu douloureuse ; c'est lors
que les vaisseaux lymphatiques sont presque seuls affectés ; elle
peut alors durer un grand nombre d'années sans faire des pro
grès , à moins qu'on n'ait l'imprudence de la stimuler. Tantôt son
développement est rapide et accompagné de douleurs et de dé
mangeaisons insupportables ; le système sanguin paroît alors être
plus particulièrement le siége de la maladie. Elle ne dégénère en
véritable cancer que par l'usage continu de topiques irritans.
Ce qui nous a surtout surpris dans M. Alibert , c'est que , mal
gré les caractères inflammatoires bien prononcés de la maladie et
la nullité bien constatée , pour ne pas dire le danger des moyens

qu'il a employés , il n'ait point songé à mettre en usage les déplé


tions sanguines. L'expérience a prouvé de nos jours que le traite
ment antiphlogistique est le seul sur lequel on puisse réellement
compter. La plupart des individus qui sont attaqués de cancroïde
étant d'un tempérament sanguin , il convient de débuter dans le

traitement de cette affection par une ou deux saignées générales.


On continue ensuite par des applications répétées d'un certain
nombre de sangsues autour de la partie malade . On fait concourir
MALADIES DE LA PEAU. 523

avec ces moyens l'emploi de cataplasmes émolliens ou narcotiques ,


les bains généraux et le régime végétal. Dans sa seconde observa
tion sur les cancroïdes , M. Alibert semble reconnoître lui-même
l'efficacité de ces moyens , puisqu'il signale le succès qu'en a obtenu
M. Biett , dans un cas où il avoit vainement employé lui-même une
infinité d'autres agens. Combien ce succès n'eût-il pas été plus bril

lant , si au lieu de se borner aux émolliens , M. Biett eût fait con

courir avec eux les saignées générales et locales !


CANCER .

A l'exemple de M. Alibert , nous ne nous étendrons guère sur


le cancer de la peau , cette affection rentrant plutôt dans le do
maine de la chirurgie proprement dite , que dans celui de la pa
thologie médicale. Nous croyons néanmoins devoir dire ici quel
ques mots de sa nature et de son traitement.

Le cancer de la peau n'est qu'un des derniers degrés de l'in


flammation de cette membrane. Il est toujours le produit d'une
cause stimulante quelconque ; il débute par une irritation simple ,
qui ne se transforme en cancer que lorsque la partie qui en est
le siége a été imprudemment et long-temps irritée , ou que le
sujet qui la porte , ne s'est point soumis à un traitement conve
nable , et a continué à mener son genre de vie habituel. Dans ces
deux cas , la peau et le tissu cellulaire , en proie à une subinflam

mation lente , s'altèrent de plus en plus , et aboutissent enfin à la


désorganisation , qui constitue le cancer.
Suivant M. Alibert , la nature auroit constamment en vue , dans
l'ulcération du cancer , de séparer les parties malades des par
ties saines , et l'obstacle qu'elle rencontre dans cette opération ,
seroit cause que la matière de la suppuration prend un si mauvais
caractère . Nous n'avons pas besoin de dire que cette opinion est
erronée , et M. Alibert lui-même apparemment ne la soutiendroit
plus aujourd'hui. Ce que M. Alibert appelle un bienfait de la na
ture n'est autre chose que le résultat fàcheux et inévitable d'une
inflammation qui va toujours en croissant , et qui n'a point été
arrêtée dans son principe , et si la suppuration prend un si mau
vais caractère , c'est qu'elle est jointe au détritus de la partie dé
sorganisée , tombée en putréfaction.
Si l'on avoit toujours soin de combattre par les moyens conve
MALADIES DE LA PEAU. 525

nables l'inflammation de la peau et du tissu cellulaire , qui


précède le développement du cancer , il n'arriveroit que très

rarement qu'on auroit à combattre cette terrible affection . Quoi


qu'il en soit , lorsqu'un ou plusieurs tubercules se sont récem
ment développés sur une région déterminée du corps , on doit
chercher à en obtenir la résolution , à l'aide d'émissions sangui

nes , répétées tous les quatre à cinq jours , d'applications émol


lientes ou narcotiques et de dérivatifs à l'intérieur . Lorsque la dou
leur est dissipée et l'irritation en grande partie effacée , il convient
de faire appliquer sur la partie malade des topiques légèrement
stimulans , et il ne faut avoir recours à l'extirpation , que lorsque

ces moyens auront été employés , pendant un temps assez long .


Si les tubercules se sont ulcérés , il n'est pas nécessaire de re
courir de suite aux applications caustiques ; il convient d'essayer
auparavant l'emploi des moyens que nous venons d'indiquer dans
le paragraphe précédent. Depuis l'ère de la doctrine physiologi
que , on a vu souvent des ulcères carcinomateux céder aux anti
phlogistiques locaux et aux dérivatifs internes. Si nonobstant ce

traitement , dirigé avec non moins de prudence que d'énergie , la


maladie continuoit ses progrès , il faudroit se résoudre , soit à ex
tirper la tumeur ulcérée , soit à la cautériser au moyen d'escarro
tiques . Parmi les préparations conseillées , la poudre arsenicale et
de proto -chlorure de mercure , composée de 199 parties de ca
lomel et d'une partie d'acide arsénieux , est un des remèdes les
plus efficaces . On en saupoudre l'ulcère avec une petite houpe ,
de façon à le couvrir d'une couche épaisse d'un millimètre au
plus. Cette poudre a sur la pâte arsenicale du frère Come l'avan
tage de ne point déterminer l'érysipèle autour des parties sur les
quelles on l'applique . Elle cautérise moins fortement que cette
dernière , mais on peut revenir sans danger plusieurs fois à son ap
plication . Quelques chirurgiens ont aussi obtenu la cicatrisation
d'ulcères très-rebelles , à l'aide de cautérisations pratiquées avec
le nitrate d'acide de mercure .

2. 68
526 MALADIES DE LA PEAU.

On a cru long-temps que ces moyens escarrotiques exerçoient


une action spécifique sur le point ulcéré ; mais on sait aujourd'hui
qu'ils n'agissent qu'en détruisant les parties désorganisées , et qui
ne sauroient revenir à leur état normal , et en substituant ainsi
une plaie simple , dans celles dont la composition n'est que peu
ou point altérée.
LÈPRE.

L'histoire des lèpres , telle que nous l'a donnée M. Alibert , est
entièrement à refaire. Il a confondu sous cette dénomination des

affections qui en diffèrent essentiellement , et il en a séparé d'au


tres qui ont avec la lèpre proprement dite les rapports les plus frap
pans. En effet , l'éléphantiasis des Arabes et celui des Grecs , que
M. Alibert a compris parmi les lèpres , sont plutôt des maladies du
système lymphatique et du tissu cellulaire que de la surface cu
tanée ; et , d'un autre côté , les dartres furfuracée et squammeuse
sèche , et , en général , toutes les maladies de la peau caractérisées
par des squammes qui n'ont point été précédées de vésicules et de

pustules , ont , avec la lèpre , une analogie si parfaite qu'il est le


plus souvent impossible de les distinguer . Il étoit donc inutile de
les séparer. Ce ne sont jamais des squammes plus ou moins épaisses ,
rondes ou irrégulières , disséminées ou confluentes , qui puissent
permettre d'établir des différences entre des affections qui ont
d'ailleurs le même siége et la même nature .
Nous ne pouvons donc admettre qu'une seule espèce de lèpre ,

qui est celle que M. Alibert a classée dans la première espèce de


ce genre , et dont il a cru devoir admettre trois variétés , la blan

che , la noire et la tyrienne . Nous nous sommes déjà élevés plu


sieurs fois contre cette singulière tendance à multiplier à l'infini
les maladies de la peau ; nous avons fait voir combien ces déno
minations vagues et superflues étoient propres à rendre plus dif
ficile l'étude de ces affections ; mais jamais nos récriminations ne
nous ont paru plus fondées que dans le cas actuel ; et d'abord , la

dénomination de lèpre squammeuse est un pléonasme , puisque


lèpre est un mot qui , provenant du grec , signifie squamme.
Qu'est-ce ensuite que des distinctions basées sur l'étendue , sur la
528 MALADIES DE LA PEAU.

couleur des squammes , qui sont naturellement plus ou moins fon


cées , selon l'injection plus ou moins considérable du tissu réticu

laire , et qui , ainsi que M. Alibert lui -même l'avoue , se succèdent


le plus souvent les unes aux autres . On ne parviendra jamais à
introduire la lumière dans le chaos des affections du système der

moïde , tant qu'au lieu de considérer leur essence et leur siége


comme seuls caractères qui puissent les différencier , on n'envisa
gera comme tels que des phénomènes purement secondaires.
La lèpre consiste en une inflammation du tissu réticulaire , qui
s'annonce par des élevures solides , autour desquelles se dessinent

de petites taches d'une ligne de diamètre , unies , rougeâtres , lui


santes , légèrement proéminentes. Elle est spécialement caracté
risée par des plaques écailleuses , éparses ou réunies , de forme et

de dimensions différentes , déprimées à leur centre , et entourées


d'un cercle rougeâtre et proéminent.

La lèpre , telle que nous venons de la décrire , ne peut être con


fondue avec aucune autre phlegmasie cutanée . On observe bien
quelquefois des écailles dans la seconde période de quelques autres
affections , mais elles n'en constituent point le phénomène essen
tiel , et on découvre toujours , dans le voisinage de ces surfaces
squammeuses , quelques vésicules et papules qui , ainsi que nous
venons de le dire , ne s'observent jamais dans le développement
de la lèpre proprement dite.
Lorsque cette maladie a été long- temps abandonnée à elle
même , ou lorsqu'elle envahit les doigts , le mal peut se propager
jusqu'au tissu réticulaire situé sous les ongles. Ceux- ci devien
nent alors épais , rugueux , opaques , d'un jaune sale , et se recour
bent à leur extrémité libre . Leur surface est inégale et irrégulière,
et leur racine épaissie paroît formée par un assemblage de cou
ches distinctes superposées . Plus rarement le derme , qui sécrète
l'ongle , fournit une sanie plus ou moins abondante.
A une époque déjà avancée de la maladie , il arrive assez souvent
que les articulations sont frappées d'une sorte de stupeur et d'im
MALADIES DE LA PEAU. 529

mobilité , et que la faculté de sentir s'anéantit complètement. Ces


phénomènes dépendent de l'accumulation d'un grand nombre de
plaques sur la surface du corps , qui rendent les mouvemens diffi
sen
ciles et forment une espèce d'enveloppe qui empêche que la
sibilité de la peau soit mise en jeu par les agens extérieurs.

Tous les tissus élémentaires qui entrent dans l'organisation de


la peau ne sont point affectés dans la lèpre : les vaisseaux qui
sécrètent l'épiderme semblent seuls être atteints d'inflammation :
c'est elle qui rend la production de cette matière plus abondante
et qui provoque ensuite la chute des écailles. Si tous les vaisseaux

de la peau étoient également affectés , il seroit difficile d'expliquer


pourquoi le travail inflammatoire seroit borné à une sécrétion mor
bide de l'épiderme , sans être jamais accompagné d'un développe
ment de vésicules ou de pustules . La forme des plaques , assez souvent
circulaire , est la conséquence de leur début sous forme d'une éle
vure solide , autour de laquelle l'inflammation irradie plus ou
moins circulairement.

L'étiologie de la lèpre est assez obscure . Cette maladie ne se


propage point par contact médiat ou immédiat. Le mari et la femme

peuvent habiter ensemble sans se la communiquer. Tout ce qu'on


a écrit sur la contagion de la lèpre est inexact , et les établissemens
de léproseries pendant les huitième , neuvième et dixième siècles

ne prouve que l'ignorance des médecins de ces diverses époques .


L'expérience a prouvé que la lèpre est souvent la suite de l'in

gestion des alimens épicés et des liqueurs alcooliques . On l'a vue


survenir , peu de temps après l'introduction dans les organes di
gestifs , de quelques substances vénéneuses , des sels de cuivre , par
exemple, ou à la suite de l'abus des acides. On l'a aussi attribuée à

l'usage habituel du gibier , des viandes salées et épicées , des pois


sons et des coquillages , etc.

Dans la plupart des livres qui traitent de la lèpre , et plus spé


cialement dans l'ouvrage de M. Alibert , le diagnostic de ce genre
de maladies est environné d'obscurités . Il nous semble cependant
530 MALADIES DE LA PEAU.

que dans l'état actuel de la science il est possible de lui assigner


des caractères qui le fassent aisément distinguer de toutes les au
tres affections de la peau . Les squammes lépreuses ne pourront
être confondues avec les croûtes formées par la dessiccation des
humeurs que
fournissent les phlegmasies vésiculeuses et pustu
leuses ; car ces phlegmasies apparoissent sous la forme de taches ,
sur lesquelles se dessinent de petites pustules qui fournissent une
humeur dont la dessiccation produit des croûtes de couleur jaune ,
brunâtre ou verdâtre , bien distinctes des exfoliations de l'épi
derme qu'on observe dans la lèpre . D'un autre côté , on commet
troit une erreur grave , si l'on s'obstinoit à vouloir la distinguer
des autres inflammations squammeuses , telles que la dartre furfu
racée , la dartre squammeuse sèche , la teigne furfuracée , la tei
gne amiantacée , etc. Car , nous le répétons , ni la forme et les
dimensions des plaques , ni le plus ou moins d'inflammation au
tour et au- dessous , ne peuvent constituer des caractères distinc
tifs. Le siége et la nature diverse des maladies donnent seuls le
droit de leur imprimer des dénominations différentes.
Le traitement de la lèpre , ainsi que celui de toutes les affections
dont la nature est bien définie , est très-facile à diriger . Si la ma
ladie est récente et accompagnée d'une grande irritation , on doit
débuter par des saignées générales et par des applications de sang

sues autour des plaques , lorsqu'elles sont larges et peu nom


breuses. On emploiera conjointement des bains de vapeurs hu
mides et des bains émolliens , gélatineux ou autres . Lorsque l'in

flammation est chronique , on pourra avoir recours à des applica


tions topiques plus ou moins irritantes , à des dérivatifs internes , et
des exutoires établis sur l'un ou l'autre endroit de la peau.
Si les écailles sont fortement adhérentes ou disposées en couches

épaisses , les lotions stimulantes , telles que celles faites avec de


l'eau alcoolisée , etc. , peuvent favoriser la chute des écailles et
modifier heureusement la marche de cette maladie. Lorsque les

écailles sont détachées , on applique sur les points affectés de la


MALADIES DE LA PEAU. 531

peau une légère couche d'onguent de poix blanche , de goudron


ou de nitrate de mercure. C'est dans de semblables occasions
qu'on a employé avec avantage les bains et les lotions sulfureuses .

L'expérience a également démontré que les bains de vapeurs


acides , les bains de mer naturels ou artificiels , les bains alcalins ,
peuvent être utilement conseillés .

Lorsque les plaques lépreuses sont peu nombreuses et très


anciennes , on en obtient quelquefois la guérison en les couvrant
successivement de vésicatoires volans , ou en les cautérisant super
ficiellement.

LÈPRE CRUSTACÉE .

D'après la définition que nous venons de donner du mot lèpre ,


et surtout d'après son origine étymologique , il est évident que la
maladie que M. Alibert a désignée sous le nom de lèpre crustacée ,

doit cesser de porter ce nom , pour être classée parmi les inflam
mations pustuleuses de la peau.
M. Alibert a mis sur le compte de cette maladie plusieurs symp
tômes qui ne lui appartiennent pas plus exclusivement qu'à beau
coup d'autres. Cette simple remarque mettra le lecteur en garde
contre la description qui en a été donnée dans cet ouvrage . Voyez
Dartre crustacée .

LÈPRE TUBERCULEUSE .

Sous le nom de lèpre tuberculeuse , M. Alibert a compris l'élé


phantiasis des Grecs et celui des Arabes. Ces deux maladies dif
532 MALADIES DE LA PEAU.

fèrent pourtant essentiellement. La première consiste en une in


flammation de la peau et du tissu cellulaire , caractérisée par des
tubercules et de la bouffissure ; la seconde constitue une phlegmasie
des vaisseaux et des ganglions lymphatiques sous-cutanés , qui s'é
tend ensuite au tissu cellulaire et quelquefois à la peau.

ÉLÉPHANTIASIS DES GRECS .

L'éléphantiasis des Grecs est une inflammation chronique et


apyrétique de la peau et du tissu cellulaire , caractérisée par de

nombreux tubercules plus ou moins larges , saillans , irréguliers ,


assez mous , rouges ou livides à leur début , mais présentant plus
tard une teinte fauve ou bronzée ; quelquefois indolens , ils sont
d'autres fois au contraire très- sensibles au toucher. Ces tubercules

sont accompagnés d'un boursouflement du tissu cellulaire sous


cutané et se terminent par résolution , suppuration , ou par de pe

tites ulcérations qui s'étendent rarement en largeur et en pro


fondeur , et se couvrent de croûtes adhérentes , au-dessous des
quelles se forme une cicatrice.

Cette maladie peut se manifester sur tous les points du corps ,


mais on l'observe le plus souvent à la face , et surtout aux oreilles
et au nez , aux membres , et spécialement aux membres inférieurs.
Tantôt elle est ainsi bornée à un seul siége , tantôt elle est presque

générale. Toutefois , elle occupe rarement le tronc , même dans


les cas où elle a fait beaucoup de progrès sur la face et sur les
inembres .

L'apparition des tubercules est ordinairement précédée de lé


gères taches d'une couleur différente chez les nègres et chez les
blancs ; chez les premiers elles sont plus noires que le reste de la
MALADIES DE LA PEAU. 533

peau , ordinairement fauves ou rougeâtres chez les seconds ; bientôt


ils se manifestent , tantôt spontanément , tantôt au contraire d'une

manière lente , sous l'apparence de petites tumeurs molles , rou


geâtres ou livides , d'un volume qui varie depuis celui d'un pois
jusqu'à celui d'une noix , et quelquefois plus. La peau , à cette

époque , devient quelquefois tellement sensible , que l'on a en


tendu dire à des malades , que lorsqu'on les touchoit , même aux
endroits qui n'étoient pas le siége des tubercules , ils ressentoient
une douleur qu'ils comparoient à celle que l'on éprouve à la
suite de la contusion du nerf cubital , lorsqu'on se frappe le coude.
Ces tubercules , comme nous l'avons dit , se développent le plus
ordinairement à la face , et y déterminent souvent une bouffissure

générale.
La maladie peut rester ainsi stationnaire pendant un temps plus
ou moins long; mais quelquefois elle fait des progrès terribles ; ce
ne sont plus quelques tubercules que l'on rencontre çà et là , mais
la face entière se couvre de ces tumeurs noueuses , séparées par
des rides très -prononcées. On observe une horrible déformation
des traits les narines se dilatent , et des tubercules tout-à-fait
informes se développent sur les ailes et sur le lobe du nez ; les

oreilles deviennent monstrueuses , les lèvres sont grossies , les


sourcils et les cils tombent ; la peau prend une teinte bronzée gé
nérale , qui s'étend jusque sur les muqueuses qui l'avoisinent . Aux
membres , profondément sillonnée , onctueuse et luisante , elle se
couvre de tubercules énormes , aplatis , répandus surtout sur les
faces externes. Le tissu cellulaire sous -jacent est tuméfié , et ces

régions plus ou moins déformées , présentent un aspect souvent


repoussant. La sensibilité , qui étoit si vive , devient tout-à-fait

obtuse , et même peut disparoître entièrement ; la voix s'éteint , la


vue s'affoiblit , l'odorat est réveillé avec peine par les stimulans les

plus énergiques ; le tact est singulièrement émoussé et quelquefois


perverti de la manière la plus étrange.
L'état général du malade se ressent de cette altération : il est

2. 69
534 MALADIES DE LA PEAU .

abattu , il a perdu de son énergie morale , il tombe dans une non


chalance , dans un découragement fort remarquable . Quant au
libido inexplebilis , qui , suivant quelques auteurs , accompagne
roit presque constamment cette maladie , il n'a pas été générale
ment observé.

Enfin , l'éléphantiasis des Grecs peut se présenter avec des ca


ractères plus graves encore les tubercules s'enflamment ; ils de
viennent le siége d'ulcérations blafardes et de mauvaise nature ;
ils sont baignés par un liquide sanieux , qui se concrète et forme
des croûtes adhérentes , noirâtres , plus ou moins épaisses. Ces
croûtes laissent quelquefois des cicatrices après elles , et c'est une
des terminaisons heureuses de cette maladie , quand elle est bor
née à de petites surfaces ; mais quand tout le corps en est couvert ,
on conçoit facilement ce que présente tout-à-la-fois de hideux et
de grave l'état d'un malade en proie à cette horrible affection.
Indépendamment de ces altérations des tégumens et du tissu
cellulaire sous-cutané , il en existe ordinairement d'analogues dans
la bouche. Les tubercules , moins volumineux que ceux observés
à la peau, sont principalement situés sur la voûte palatine et for
ment une sorte de bande mamelonnée qui , des dents incisives , va
en s'élargissant vers le voile du palais . Celui- ci est lui-même af
fecté ainsi que la luette . Chacun de ces tubercules , après être resté

plus ou moins long-temps stationnaire , s'enflamme isolément , et


se termine par une petite ulcération qui ne s'étend presque jamais
en largeur ou en profondeur. Les malades n'éprouvent souvent
aucune incommodité de la présence de ces tubercules dans la bou
che , et ne se doutent pas même de l'existence de ces élevures .
On en observe plus rarement sur d'autres régions de la bouche.
Les amygdales , le pharynx et la membrane muqueuse des fosses
nasales sont également affectés d'une inflammation chronique :
l'odorat se perd ou diminue ; un flux considérable a quelquefois

lieu par les narines ; une douleur gravative se fait sentir vers
les sinus frontaux ; la voix s'éteint et devient nasillarde , etc. Les
MALADIES DE LA PEAU. 535

principaux organes de la digestion et de la respiration restent , du


moins en apparence , long- temps étrangers à ces désordres.
Diverses inflammations de la peau et des membranes muqueuses

peuvent compliquer accidentellement l'éléphantiasis des Grecs ,


et modifier son expression symptomatique. Quelques semaines
avant la mort , chez les vieillards ou chez les individus épuisés par
d'autres inflammations internes , la sensibilité s'éteint quelquefois
totalement dans les membres inférieurs , et les ulcérations des tu
bercules sont bientôt frappées de gangrène .
La durée de cette maladie est toujours de plusieurs années ,
lorsqu'une complication grave ne la rend pas plus tôt mortelle .
L'étude anatomique des tubercules de l'éléphantiasis , dans leurs
différens degrés de développement , celle des organes sécréteurs
des poils , dont la chute est un des symptômes fréquens de cette
maladie , l'examen de chacune des parties constituantes de la peau
et celui du tissu cellulaire sous-cutané correspondant aux points af
fectés , n'ont pas encore été faits avec cet esprit d'exactitude qu'on

apporte aujourd'hui dans les recherches d'anatomie pathologique.


On n'est pas même encore fixé sur la structure des tubercules de
l'éléphantiasis: les uns disent qu'ils les ont trouvés solides et grais
seux ; d'autres les ont comparés à de petits kystes qui contenoient
une sérosité gluante et d'une couleur rougeâtre. Le derme n'est
ordinairement enflammé que sur les points où les tubercules sont
en suppuration , ou remplacés par des ulcérations plus ou moins
considérables . On a trouvé quelquefois les muscles et les tendons
si adhérens les uns aux autres , qu'il étoit difficile de les isoler. Les
malades ont ordinairement succombé à des phlegmasies chroni

ques de la membrane muqueuse des voies aériennes , du pharynx


et des poumons .
Arétée et plusieurs autres médecins avoient avancé que l'élé
phantiasis étoit contagieux . Vidal et Th . Fléberden ont soutenu ,
avec raison , qu'il n'existoit pas une seule expérience positive
qu'on pût citer en faveur de l'assertion du médecin grec. On pense
536 MALADIES DE LA PEAU.

assez généralement que la malpropreté , l'usage d'alimens de mau

vaise qualité et l'habitude de se nourrir de poissons , peuvent avoir


quelqu'influence sur la production de cette maladie.
L'éléphantiasis des Grecs est presque constamment une maladie
incurable . Lorsque les tubercules ne sont pas enflammés , ou lors
qu'ils suppurent et s'ulcèrent à des époques éloignées , cette ma
ladie peut coïncider avec l'exercice libre et régulier des fonctions
de la digestion , de la respiration , de l'innervation , de la circula
tion , etc .; mais si l'inflammation s'empare à-la-fois de plusieurs de
ces tubercules , et si elle vient à se propager sur la membrane mu
queuse des voies aériennes , la multiplicité des points enflammés
et l'importance des organes secondairement affectés rendent le

pronostic beaucoup plus fâcheux.


Le traitement de l'éléphantiasis est aujourd'hui un des points
les plus obscurs de son histoire .
Le règne végétal , les bouillons faits avec les viandes les plus
saines , la chair de tortue , le lait coupé avec les décoctions d'orge
et de gruau , ont été spécialement recommandés plutôt dans le but

d'arrêter les progrès de cette maladie que dans l'espoir de la guérir .


On se sert utilement des bains frais , émolliens et narcotiques ,

pour diminuer l'irritation de la peau , lorsque l'inflammation des


tubercules est trop générale ou trop intense.
Diverses médications ont été tentées , dans l'espoir de favoriser
la résolution des tubercules. Les émissions sanguines , les purga

tifs , les sudorifiques , les préparations antimoniales et mercu


rielles , la teinture de cantharides , ont été employés successive
ment. Le protoxide d'arsenic , indiqué comme un moyen infailli
ble , a été récemment essayé par plusieurs médecins distingués ,
qui lui ont trouvé plus d'inconvéniens que d'avantages.
L'action des préparations arsenicales sur la peau est trop lente
et trop éloignée , pour être facilement appréciée. Toutefois , l'in
troduction de l'arsenic dans les organes digestifs , donnant quel
quefois lieu au développement de l'érysipèle , et cette inflammation
MALADIES DE LA PEAU. 537

ayant elle-même une influence très-remarquable sur la résolution


et la suppuration des tubercules de l'éléphantiasis des Grecs , il est
probable que l'arsenic produit sur la peau un mode d'irritation
particulier , lorsque son administration est utile.
Dans cette hypothèse , il convient de chercher à obtenir le même
résultat par des médications extérieures. Les bains sulfureux ont
paru peu avantageux dans le petit nombre des cas où ils ont été

employés. Des frictions ou des onctions avec des linimens volatils


ou avec la pommade d'hydriodate de potasse provoqueroient plus
facilement une inflammation aiguë dans les tubercules. Si elle
étoit trop intense , on la modéreroit en suspendant l'usage des
frictions ou par l'emploi des bains tièdes.
Sur les membres supérieurs , les ulcérations de l'éléphantiasis se
couvrent de croûtes et se cicatrisent , sans nécessiter aucune ap
plication extérieure ; les ulcères des jambes , des malléoles , des
pieds et des orteils exigent souvent des soins particuliers , qui ont
presque toujours pour but de modérer ou de raviver l'inflamma

tion , suivant son degré d'intensité.

ÉLÉPHANTIASIS DES ARABES .

L'éléphantiasis des Arabes est une inflammation des vaisseaux

et des ganglions lymphatiques du tissu cellulaire , et quelquefois


de la peau. Elle est caractérisée , au début , par la formation d'une
corde dure , noueuse et douloureuse , suivant le trajet des vais
seaux et des ganglions lymphatiques , suivie plus tard d'un gon
flement dur , difforme et permanent du tissu cellulaire , du tissu
adipeux sous-cutané , et de la peau des parties affectées , dont les
dimensions deviennent de plus en plus considérables . Cette in
538 MALADIES DE LA PEAU.

flammation est primitivement étrangère au système dermoïde ,


mais elle lui imprime plus tard diverses altérations pathologiques.
Lorsqu'elle se développe chez un individu sain , l'invasion est or

dinairement brusque et inattendue. Une douleur plus ou moins


vive se déclare sur le trajet des principaux troncs des vaisseaux
lymphatiques et dans les ganglions d'une région du corps , et le
plus ordinairement d'un des membres abdominaux. Suivant la di
rection de la douleur , apparoît bientôt une corde dure , noueuse
et tendue , ressemblant à un chapelet de petites tumeurs sous
cutanées. L'inflammation poursuivant ses progrès , la partie des
tégumens qui recouvre les vaisseaux et les ganglions lymphati
ques , s'enflamme par sympathie de continuité ; elle prend une

teinte érysipélateuse . L'irritation se propage au tissu cellulaire


sous-cutané voisin du mal , et elle est suivie d'une tuméfaction
considérable. Des phénomènes généraux accompagnent le plus
souvent cette affection locale . Au début , frissons prolongés , soif
très-vive , malaise , anxiété , efforts violens pour vomir , vomisse
mens des matières contenues dans l'estomac , de sang , etc. Dans
quelques cas , le cerveau lui-même s'affecte, et il survient du délire ;
une chaleur intense succède au frisson ; la fièvre survient et est
bientôt suivie de sueurs abondantes qui amènent sa cessation . Après
s'être calmés , ces phénomènes locaux et généraux reparoissent sous
la forme d'accès , à des intervalles plus ou moins éloignés , toujours
précédés de nouveaux progrès de l'irritation locale , et suivie d'une
augmentation successive de la tuméfaction de la partie enflammée.
La durée de cette première période est très-variable ; les phéno
mènes généraux diminuent ensuite en nombre et en intensité. A
chaque attaque , la rougeur , la douleur et la chaleur de la partie

enflammée se dissipent assez rapidement , tandis que le gonflement


augmente de jour en jour , et fait des progrès plus ou moins considé

rables , dans les deux ou trois mois qui suivent l'invasion de la ma


ladie. La tumeur est d'abord assez molle ; mais plus tard elle devient
de plus en plus dure et ne cède plus à l'impression du doigt. Par
MALADIES DE LA PEAU. 539

fois les ganglions lymphatiques suppurent et s'ulcèrent , ou restent


atteints d'une induration chronique . La maladie , arrivée à cette
seconde période , existe ordinairement sans trouble autre que ce
lui des fonctions des organes qui en sont affectés . Après être resté
stationnaire pendant quelques mois , le mal semble se ranimer , et
il n'est pas rare de voir se développer de nouveaux accès inflam
matoires , suivis d'une nouvelle augmentation des parties affectées ;
le nombre de ces attaques est très -variable. La paume des mains
et la plante des pieds ne participent point à l'affection .
La peau , qui , comme on le voit , n'est point le point de départ
de la maladie , peut se présenter alors à des états différens ; ainsi
elle peut rester tout-à-fait intacte , et offrir seulement une teinte
plus blanche et une résistance très-marquée ; d'autres fois , les

veines sous-cutanées , distendues et élargies , la sillonnent de toutes


parts et présentent une foule de tumeurs variqueuses qui lui im
priment une espèce de coloration violacée ; cependant cette mem
brane peut présenter de véritables altérations . Ainsi elle devient

souvent le siége d'une véritable inflammation érythémateuse , et


quelquefois même vésiculeuse : dans ce dernier cas , il s'établit un
léger suintement , et plus tard de petites squammes minces , mol
lasses , jaunâtres ; d'autres fois , elle devient de plus en plus ru
gueuse , et présente des espèces d'écailles , semblables à celles de

l'icthyose , ou bien encore elle se recouvre de petites végétations


molles , fongueuses ; enfin , dans quelques circonstances , elle pré
sente des fissures , des crevasses , des ulcérations , qui sont recou
vertes de croûtes jaunes , épaisses.
La sensibilité ordinairement n'est pas détruite dans les parties
malades , mais souvent les articulations voisines deviennent le siége
d'inflammations chroniques ; il s'y établit des adhérences , et , les
mouvemens articulaires devenant nuls , le membre n'est plus
qu'un fardeau incommode pour le malade.
Cette affection n'est ni contagieuse , ni héréditaire ; elle affecte
tous les âges , les riches comme les pauvres , ceux qui font bonne
540 MALADIES DE LA PEAU.

chère et ceux qui se nourrissent d'alimens malsains . L'impression


soudaine du froid , la fraîcheur pénétrante des nuits dans quel
ques pays chauds , les courans d'air , les vents d'Est, qui règnent
constamment dans certaines contrées et qui font un contraste
avec la chaleur du jour , sont les causes les plus communes de
cette maladie peu fréquente en Europe.

Il est rare que les malades succombent dans la première pé


riode de l'éléphantiasis des Arabes. Les observations anatomiques
sur cette maladie n'ont été faites que sur des individus qui en
:
étoient atteints depuis plusieurs mois ou même depuis plusieurs
années. On a trouvé les ganglions lymphatiques endurcis ou en
suppuration et plus volumineux que dans l'état raturel ; les vais
seaux lymphatiques étoient gros et mous , au point de ne pouvoir
résister à la moindre injection . Le tissu cellulaire étoit rempli
d'une humeur épaisse , visqueuse , tenace , présentant quelquefois
la consistance d'une gelée , souvent mêlée d'une sorte de sérosité .
Le tissu adipeux avoit acquis un développement très-marqué.
Les artères des parties affectées avoient des dimensions plus con
sidérables que dans l'état sain ; les muscles étoient mollasses et
décolorés.

La peau est le plus ordinairement endurcie , tantôt elle est cou


verte de squammes jaunâtres , ou de croûtes épaisses , et tantôt
elle est fendillée , et présente de petites squammes dures , quel

quefois analogues à celles de l'icthyose . L'épiderme est très-épais ,


fendillé et fort adhérent . Le corps muqueux , alors très -distinct ,
offre les diverses couches admises par Gaulthier , et depuis par
Dutrochet , entre le derme et l'épiderme . Le corps papillaire est
très- distinct du derme ; les papilles sont allongées , élargies et
proéminentes. Le derme présente un volume considérable ; on
l'a trouvé dans quelques cas tellement hypertrophié qu'il avoit une
épaisseur de plus d'un demi-pouce.
Au début , l'inflammation des vaisseaux lymphatiques doit être
combattue par les antiphlogistiques et les émolliens. Lorsqu'elle
MALADIES DE LA PEAU. 541

est fort étendue , on pratique une ou plusieurs saignées gé


nérales , que l'on fait suivre de l'application d'un assez grand
nombre de sangsues , renouvelée à plusieurs reprises tout le long
de la corde enflammée , non pas précisément sur son trajet lui
même , mais un peu au-delà et de chaque côté. Si la maladie
étoit bornée , les sangsues seules suffiroient. On recouvre ensuite
les parties affectées de cataplasmes émolliens ou de fomentations
de même nature.

Les scarifications sont aussi fort utiles dans cette maladie ; elles
doivent être faites à une assez grande distance les unes des autres ,
afin que les cercles inflammatoires qui peuvent se développer au

tour d'elles , ne se réunissent point. Avant d'en faire de nouvelles ,


il faut attendre que les premières soient cicatrisées .
Les vésicatoires et les cautères ont le plus ordinairement échoué ;
il en est de même du traitement mercuriel : les frictions d'onguent

napolitain seules nous sembleroient devoir présenter quelques


chances de succès .

Les frictions résolutives peuvent être mises en usage avec

quelque espoir de toutes les applications de ce genre , la préfé


rable est la pommade d'hydriodate de potasse .
Dans le principe , on fera usage des bains simples . Plus tard les
bains sulfureux au contraire peuvent devenir fort utiles.
Les douches de vapeur sont aussi très-efficaces ; elles déve
loppent dans les régions affectées une vitalité plus grande ,
elles activent la résolution et contribuent ainsi puissamment à la
guérison de cette maladie ; elles seront dirigées pendant un quart
d'heure sur les parties tuméfiées , et l'on recommandera au ma
lade, pendant l'administration de cette douche, de masser fortement
et à plusieurs reprises toutes les parties gonflées et endurcies.
La compression est un des meilleurs moyens que l'on puisse
opposer à cette maladie . Elle doit être faite avec une bande mé

diocrement serrée. Le plus ordinairement elle diminue très-promp


tement la tuméfaction des parties .
2.
70
542 MALADIES DE LA PEAU.

Quant au traitement interne , à l'exception de la teinture d'iode


à la dose de 15 à 20 gouttes par jour , et de l'administration de
quelques purgatifs , il est tout-à-fait nul.
PIAN.

Nous avons très-peu de chose à dire sur cette maladie , très-bien


décrite d'ailleurs par M. Alibert , si nous comparons avec le ta
bleau qu'il nous en a donné , ceux des autres écrivains .
Cette affection est si rare en Europe , et y a été si peu observée ,
qu'on n'est point encore parvenu jusqu'ici à en découvrir la vé
ritable essence. Sa nature inflammatoire paroît néanmoins très
probable. Les caractères anatomiques qui se sont présentés , sont
les suivans :
Caractères anatomiques. ――――― Les parties affectées présentent

dans leur section par le scalpel un aspect jaunâtre et compacte


comme la graisse de porc. L'épiderme est considérablement
épaissi , de même que la peau , qui est coriace , fendillée . Dans le

tissu cellulaire existent des pelotons graisseux ressemblant à du


suif, des masses fibrineuses ; les ganglions et les vaisseaux lym
phatiques sont distendus , en partie ulcérés et désorganisés :
quelquefois la désorganisation est complète , et on ne trouve plus
à leur place qu'une masse blanchâtre . La même altération se ren

contre dans les muqueuses et dans les organes parenchymateux


quand ils sont envahis par la maladie . Les muscles , les ligamens ,
les cartilages et même les os , sont susceptibles de présenter la
même désorganisation .
Le traitement conseillé en ces derniers temps est le suivant :
Traitement hygiénique . -- Mettre le malade dans un endroit

sec et élevé ; interdire toute communication avec d'autres indi

vidus affectés de la même maladie ; un régime végétal , si le sujet


est fort ; animal , s'il est foible.
Traitement thérapeutique . - La saignée , si l'état du malade le
permet , les sudorifiques , les sucs de plantes dépuratives , les mi
544 MALADIES DE LA PEAU.

noratifs ; les bains tièdes , ceux de vapeur , simples ou émolliens ;


les eaux sulfureuses.

S'il arrive que quelques tubercules dégénèrent en ulcères ron


geans , on les couvre de plumasseaux de charpie imbibés d'une
dissolution de chlorure d'oxide de sodium.

L'emploi du mercure a été totalement proscrit. Il ne nous ap


partient pas de décider si c'est à tort ou à raison.
ICTHYOSE .

L'icthyose proprement dite est une inflammation chronique des


vaisseaux chargés de la sécrétion de l'épiderme .
M. le professeur Alibert a divisé les icthyoses en trois espèces :
1º l'icthyose nacrée , dont il a fait deux variétés , suivant qu'elle se
rapproche par son aspect de l'enveloppe des poissons ou des ser
pens , icthyose nacrée cyprine ; icthyose nacrée serpentine ; 2º l'ic
thyose cornée qui est constituée par une entière dégénération de la
peau, dont il distingue trois variétés à cause de leur forme : l'ic
thyose cornée épineuse , l'icthyose cornée onguleuse , et l'icthyose
cornée ariétine suivant qu'elles sont coniques et pointues ou re
courbées comme les ergots des volatils , ou contournées comme les
cornes des béliers : 3º l'icthyose pellagre , maladie tout-à-fait par
ticulière , inconnue en France , et qui règne endémiquement dans
les plaines de la Lombardie.

L'icthyose proprement dite est caractérisée par un développe


ment morbide de l'épiderme , souvent accompagnée d'une hyper
trophie du chorion . L'épiderme forme , à la surface d'une partie ou
de presque toute la totalité de la peau, une couche épaisse , grise ,
divisée en petits compartimens irréguliers , et non imbriqués
comme les écailles des poissons .
Lorqu'on soumet pendant quelques jours à la macération un
morceau de peau affectée d'icthyose , pris au devant des rotules

ou derrière l'olécrâne , on observe les dispositions suivantes : les


petits compartimens dont se compose la couche épidermique

épaisse qui imprime à la maladie ses caractères extérieurs , peu


vent être facilement détachés de la peau. Les squammes ne sont

jamais superposées les unes sur les autres comme les écailles des
poissons ; la dénomination d'icthyose imposée à cette affection
546 MALADIES DE LA PEAU.

tend à consacrer une erreur anatomique . Au-dessous de cette


première couche on trouve l'épiderme . Le chorion est , en outre ,
ordinairement plus épais que dans l'état naturel , et les lignes ou
sillons qui parcourent sa surface sont beaucoup plus prononcés
que dans l'état sain. On ne guérit jamais l'icthyose , à moins
qu'elle ne soit très-légère et accidentelle. Heureusement que
cette affection de la peau n'offre aucune gravité. C'est sans fonde
ment que quelques auteurs ont prétendu que les personnes qui
en étoient atteintes succomboient , à un âge peu avancé , aux pro

grès de la phthisie pulmonaire , ou épuisées par des diarrhées col

liquatives.
Les applications émollientes long - temps continuées , les fric
tions légères , les lotions mucilagineuses et adoucissantes , les bains
tièdes fréquemment répétés ou alternés avec les bains de vapeurs
aqueuses et avec les bains alcalins , de manière à n'apporter aucun

dérangement dans l'exercice des principales fonctions , sont utile


ment employés pour débarrasser la peau , des squammes qui la
recouvrent , et la maintenir dans un état voisin de son organisa
tion naturelle . Dans l'icthyose locale et accidentelle , on pourroit
essayer avec quelque probabilité de succès , l'action des vésica
toires volans , l'observation ayant démontré que les icthyoses

générales et congéniales disparoissoient pour quelque temps , à la


suite de plusieurs inflammations cutanées , de la variole , par
exemple.
Willan vante comme un excellent remède contre l'icthyose , la
poix administrée pendant long -temps , à la dose d'une demi-once
par jour . A l'aide de ce moyen , il assure être parvenu , non- seu
lement à détacher de la peau les couches épidermiques acciden
telles qui la recouvroient , mais à donner à cette membrane une
douceur et une souplesse qui se sont opposées au retour ultérieur
de la maladie . Des expériences plus récentes n'ont pas confirmé
les résultats annoncés par Willan .

D'autres pathologistes ont essayé contre l'icthyose l'action des


MALADIES DE LA PEAU. 547

préparations arsénicales ; l'inutilité et le danger d'un tel remède


doivent dégoûter désormais de semblables tentatives.
Nous n'avons pas cru devoir nous occuper de la maladie dési
gnée par M. Alibert , sous le nom d'icthyose cornée . Il nous a
paru que bien qu'elle soit le résultat de la lésion des vaisseaux
chargés de la sécrétion de l'épiderme , il n'auroit pas dû la ran

ger dans le cadre des affections squammeuses. A part ce vice de


nomenclature , l'article consacré à l'icthyose cornée par ce célèbre
médecin , est très-bien fait et il seroit difficile de rien dire de
mieux sur cette affection.

L'icthyose pellagre n'a aucun rapport avec le genre d'affec


tions auquel elle a été rapportée .
La pellagre est une maladie cutanée qui règne dans les provin
ces septentrionales de l'Italie , et principalement en Lombardie.
Cette phlegmasie débute par l'apparition d'un érythème sur les
parties qu'on laisse le plus ordinairement à découvert . Elle at
taque rarement le visage , et jamais la paume des mains. Cette
inflammation offre une particularité remarquable : c'est qu'elle
ne survient jamais , primitivement comme secondairement , sans
que les parties qui en sont le siége n'aient été exposées à l'action
des rayons solaires . Le soleil la détermine si évidemment , qu'elle

disparoît et qu'on s'en préserve en se soustrayant à l'influence


de cet astre. Si l'érythème est accompagné d'une vive inflam
mation , il devient alors l'érysipèle proprement dit et est suscep
tible d'acquérir toutes les nuances que les degrés d'intensité im
priment à toutes les affections morbides. La pellagre se manifeste

durant le printemps et l'été , et disparoît rigoureusement à l'au


tomne , après une durée plus ou moins longue et qui dépend de
l'éloignement de sa cause ( l'insolation ) ; l'érysipèle se calme et
est suivi d'une desquammation furfuracée de l'épiderme. Au prin
temps des années suivantes , l'érysipèle se renouvelle pour suivre
la même marche , si les conditions dont il dépend sont encore les
mêmes , laissant toutefois des traces de plus en plus profondes
548 MALADIES DE LA PEAU .

sur la surface cutanée . Des symptômes de la gastro -entérite ,


toujours concomitante , parcourent en même temps ses phases de
l'état aigu à l'état chronique : ainsi , on observe l'anorexie , la bou
limie , la soif, la colique , la constipation , la dyssenterie , l'hypo
chondrie , etc.; les viscères s'affectent ensuite et le marasme suc
cède . En cette extrémité les malades sont comme dans un état de

dessiccation , consumés par une ardeur intérieure qui porte un


grand nombre d'entre eux à abréger leurs souffrances en se
noyant.
L'ouverture des cadavres a montré des taches rouges, ainsi que

des ulcérations à l'estomac , et sur le tube digestif , des rétrécisse


mens des intestins ; en un mot tous les résultats des gastro -enté

rites prolongées. Avant l'ère de la médecine physiologique , tous


ces symptômes ont paru composer une maladie d'une espèce
particulière , et on a essayé d'en expliquer la nature à l'aide des

théories médicales qui se sont succédées ; aussi ce qu'on a écrit


sur ce sujet ne présente à l'esprit qu'un chaos dégoûtant.
Les moyens thérapeutiques par lesquels on a tenté de combattre

la pellagre ont varié comme les explications , ils ont été si infruc

tueux, qu'on abandonne ordinairement les pellagreux à leur funeste


destinée et qu'on leur ouvre avec peine l'asyle des hospices. On
avoit même proposé de leur interdire le mariage , considérant la
pellagre comme un mal héréditaire. Les médecins à qui l'ontolo
gie ne fascine pas les yeux , ne verront dans cette phlegmasie
cutanée que l'effet de l'insolation chez les sujets prédisposés à

en recevoir l'influence par une affection préexistante de la


membrane muqueuse gastro- intestinale , qui sympathise si étroi
tement avec la peau . Ainsi considérée la pellagre cessera d'être
une monstruosité pathologique , et on pourra la combattre vic
torieusement .
SYPHILIDE .

Il est presque superflu d'ajouter quelque chose à tout ce qu'a


dit M. Alibert , sur cette affection .

Nous ferons néanmoins observer que l'existence du virus vé


nérien comme cause productrice et permanente de tous les phé
nomènes qui apparoissent sous la dénomination de symptômes
secondaires , est vivement controversée de nos jours . Notre inten
tion n'est point de reproduire ici la plupart des argumens qu'on
a fait valoir en faveur de cette opinion. Ils ne peuvent trouver
place que dans un traité complet des maladies vénériennes , et
nous engageons fortement nos lecteurs à consulter , à ce sujet ,
l'excellent traité de M. Jourdan sur ces affections , et l'ouvrage

non moins remarquable de M. Richond Des Brus , sur la non exis


tence du virus vénérien.

Quelle que soit la théorie qui puisse un jour prévaloir , il sera


toujours difficile , de l'aveu même des adversaires du virus , de se

passer , dans le traitement des maladies vénériennes , du moyen ,


qui jusqu'ici a été regardé comme le plus approprié à la nature
de ces affections , nous voulons parler du mercure. Toutefois ,
dans l'état actuel de nos connoissances , il ne peut être permis de
reconnoître à cet agent thérapeutique d'autre puissance qu'une
puissance de révulsion , et nullement une faculté particulière
d'expulser ou de neutraliser le principe générateur de la vérole .
Que les phénomènes de la vérole soient simples ou qu'ils soient
entretenus par un principe spécifique , toujours est-il qu'ils sont
de nature inflammatoire ; c'est-à- dire qu'ils consistent dans une
augmentation évidente des propriétés vitales de la partie affectée.

Tout porte à croire que les mercuriaux n'agissent qu'en portant


2. 71
550 MALADIES DE LA PEAU.

un surcroît de vitalité sur d'autres parties , ou en dispersant


celle-ci d'une manière plus égale.
On ne médite pas assez , en général , sur le mode d'action des
substances stimulantes . On ne croit pas le plus souvent qu'un mé
dicament est révulsif, lorsque son action ne se manifeste pas au
dehors par des signes certains et irrécusables. Lorsque le calo
mel , par exemple , produit des selles , et qu'il fait ainsi dispa
roître soit des dartres , soit toute autre maladie , on dit qu'il agit
par dérivation . Lorsque ce même médicament n'agit point comme
purgatif, et que néanmoins il fait cesser la maladie contre la

quelle on l'administre , on a peine à se rendre compte d'un pa


I
reil résultat , aucun effet apparent n'ayant eu lieu ; et tout de
suite de se récrier sur la spécificité de son action . Il paroît , néan
moins, que l'action d'un même médicament doit être constam
ment identique , et que son intensité seule doit différer , soit à
raison de la susceptibilité de l'individu , soit à cause de la quantité
employée. Parce qu'un médicament tel que le calomel , ou le
sublimé , ne produit point d'effet apparent , sensible , extérieur ,
est- ce à dire , pour cela , qu'il n'agit point comme révulsif? Con
noissons-nous l'intensité de son effet sur la trame de nos tissus?
Et pour être peu sensible au dehors , est- ce à dire que cet effet

est peu énergique ? Une augmentation d'action a lieu , par exem


ple , dans les viscères digestifs ; cette augmentation se répète
souvent , ou plutôt a lieu d'une manière non interrompue et sur
une surface extrêmement étendue ; n'est-il pas conforme aux lois
qui régissent notre économie , que cette augmentation fasse cesser
une autre excitation existant dans un autre endroit et à un moin

dre degré ? que si l'on révoque en doute que le mercure produise

réellement cette augmentation d'action , qu'on lise ce qu'en ont dit


des hommes habitués à voir des maux vénériens , et dont le té
moignage ne sauroit être suspect.

Écoutez ce que pense M. Lagneau de cet agent thérapeutique.


<
«
< Nous croyons conforme à la saine physiologie , dit- il , de
MALADIES DE LA PEAU. 551

croire que l'excitation que les mercuriaux occasionnent dans

chaque organe en particulier et sur toute l'économie en général ,


a pour résultat une fébricule dont la crise , presque insensible , est
le plus souvent caractérisée par la sortie de la matière conta
gieuse. • • • · Cette propriété stimulante du mercure se mani
feste par des phénomènes si faciles à saisir , qu'elle ne peut être

révoquée en doute : la plénitude , la fréquence du pouls , les hé


morrhagies , la soif, l'agitation de tout le corps , et l'accroissement
plus ou moins sensible de quelques -unes des sécrétions , accompa
gnent ordinairement son administration . Ces effets dont le déve
loppement est essentiel pour la guérison , se prolongent aussi long
temps qu'on le désire , si on conduit le malade de manière à être

constamment dans un état de vigueur uniforme . . . .. . Cette ma


nière de concevoir le mode d'action des remèdes antivénériens

n'offre rien qui répugne à l'observation la plus scrupuleuse , et


l'on se persuade encore mieux du léger mouvement fébrile qui en
est le résultat , en considérant que , parmi la grande quantité de
médicamens de cette espèce qui ont été proposés jusqu'à ce jour ,
ceux qui sont les plus propres à l'exciter par leurs propriétés sti

mulantes , ont obtenu les succès les plus nombreux . »


Si M. Lagneau a pensé que cette augmentation d'action pro
duite par les mercuriaux doit nécessairement produire une espèce
de crise , c'est qu'il était prévenu en faveur de l'existence d'un
virus , car , cette existence une fois admise , il falloit , pour être
conséquent , reconnoître à ces modificateurs la propriété de pro
duire , en vertu de la surexcitation qu'ils procurent , une sorte
d'évacuation qui entraînât avec elle la matière contagieuse. M. La
gneau a sacrifié ainsi à l'opinion générale , et fait plier à sa théorie

des faits d'ailleurs incontestables , et que sa pratique journalière


ne lui permettoit pas de récuser. Mais les médecins qui n'admet
tent point de virus , n'ont pas besoin de recourir à une prétendue
expulsion de matière contagieuse , pour se rendre compte du
bon effet des mercuriaux dans la syphilis . Ils expliquent plus
552 MALADIES DE LA PEAU.

naturellement ce fait par l'augmentation qu'ils procurent du


ton et de la vitalité des organes, et principalement du tissu blanc ,
· sur lequel ils exercent une véritable révulsion . Ne sait-on pas ,
dit à ce sujet M. Richond , que les sudorifiques ne font pas tou
jours suer et qu'ils sont pourtant également efficaces ? y eut-il

toujours des crises dans les cas rapportés par Vigaroux et Peyrilhe,
¦ de malades guéris par un régime frugal et l'air de la campagne ?
L'expulsion du virus est chimérique , tandis que la guérison par
la stimulation ressort de faits journaliers ; et c'est pour cette rai
son que Peyrille n'avoit pas craint d'avancer qu'il est plus indif
férent qu'il ne paroît d'abord , d'employer tel ou tel moyen ; la
chose importante , la chose essentielle , c'est l'augmentation d'un
mouvement des solides ; il faut exciter , soutenir une émotion fé
brile , la fièvre même dans quelques cas ; il faut aiguillonner le
principe conservateur .
Ceux qui connoissent le système de l'homoeopathie , savent de
quelle manière quelques médecins allemands se rendent compte
de l'action des mercuriaux dans la syphilis , et comment ils veu
lent qu'ils soient spécifiques. De même que l'ingestion de la bella
done cause la coqueluche, tandis qu'elle est, à ce qu'ils prétendent,

le meilleur moyen pour guérir cette affection chez les individus


qui en sont naturellement atteints ; de même encore que les can
tharides inattentivement administrées affectent les voies urinaires,
tandis que dans certaines circonstances leur usage est salutaire

contre les maladies de ces parties , de même aussi l'administration


intempestive des mercuriaux produit une affection similaire à la
syphilis , et sagement et prudemment employés ils combattent
victorieusement la maladie. Mais qu'est- ce que tout cela prouve ?

Rien , sinon qu'il existe , dans la nature , des modificateurs qui


agissent de préférence sur certains organes , sur certains tissus ;
mais personne n'a jamais osé soutenir le contraire. Dira -t-on
qu'ils agissent d'une manière spécifique , et autrement que par
la seule stimulation ? Alors naîtra une question nouvelle d'une
MALADIES DE LA PEAU. 553

tout autre nature. Quant à nous , nous croyons pouvoir le nier


positivement , et nous arrêtons ainsi tout court quiconque vien
droit nous l'opposer ; car on sait qu'en bonne logique , celui qui
avance une proposition est seul obligé à en fournir la preuve .
Or nous pensons qu'il seroit difficile de fournir une pareille preu
ve. Nous allons plus loin , et nous n'hésitons pas à déclarer pour

quoi nous nous croyons en droit de nier cette allégation : de même

que les cantharides ont une action directe sur la vessie , la bella
done sur la muqueuse bronchique , etc. , de même aussi le mer
cure, à certaine dose et chez certains individus, agit d'une manière
irrécusable sur le tissu cutané et sur la partie céphalique du ca
nal alimentaire . Les mouvemens organiques que ces divers moyens

suscitent sont-ils spécifiques ? rien ne le prouve; car d'abord ils ne


présentent rien de particulier , d'anomal dans leur essence , et , en
second lieu , les mêmes phénomènes apparoissent quelquefois sous
l'influence de tout autre agent stimulant ; nous avons donc le
droit de dire : mêmes symptômes , par conséquent mêmes mou
vemens organiques. Reconnoît -on quelque chose de spécifique
(dans les mouvemens organiques qu'elle suscite ) , à l'action des
moules , des champignons , parce que leur ingestion est souvent
suivie d'une éruption cutanée ; à certaines irritations gastriques ,
sans cause connue , parce qu'elles excitent dans quelques circons
tances des érysipèles et des dartres ? La constitution , la composi
tion organique , la trame intime du tissu peut n'être pas la même
chez tous les individus et faire varier ainsi à l'infini l'action des

agens modificateurs ; mais le mode de cette action est constam


ment identique , les formes seules sont diverses. Cette prétention

est donc incompatible avec les lois de la saine physiologie , et il


ne peut être permis de dire que tel ou tel médicament agit spé
cifiquement , si l'on entend par-là qu'il agit de préférence sur
tel ou tel organe , sur tel ou tel tissu . Mais si , par ces mots agir
spécifiquement , on prétend déclarer qu'il agit en produisant des
mouvemens organiques particuliers , anomaux , en modifiant la
554 MALADIES DE LA PEAU.

partie d'une manière particulière , on retombe évidemment dans


le chaos si redoutable des hypothèses , dans lequel nous avons été
enfoncés pendant de si longues années et dont on n'est parvenu à
se dégager que par des efforts nombreux et d'immenses travaux .
Il résulte de ces considérations que l'on ne peut accorder au
mercure d'autres qualités que celles que l'on reconnoît générale

ment aux sudorifiques, aux diurétiques , etc. , c'est-à-dire une action


directe sur l'organe sur lequel on l'applique , et une action sympa
thique sur des organes d'élection , et par conséquent , puisque ces
actions consistent dans la simple stimulation , que cet agent théra
peutique ne peut être envisagé que comme révulsif dans la vérole.
Le traitement des syphilides ayant été perfectionné depuis la
publication de l'ouvrage de M. Alibert jusqu'à nos jours , nous
croyons devoir faire connoître celui qui est le plus généralement
employé aujourd'hui .
Les malades doivent renoncer à l'usage de toutes les substances
âcres et épicées , à toutes celles que l'on appelle échauffantes ,
aux ragoûts, aux viandes salées ou enfumées, au vin, au café, etc.;
du vin étendu de beaucoup d'eau , ou une bière légère , des sou
pes aux herbes , des légumes , des viandes blanches , seront la

base de leur nourriture . En hiver et dans les saisons pluvieuses ,


pour se garantir du froid et de l'humidité , ils porteront des vête
mens de flanelle .

1º Le deuto-chlorure de mercure , uni aux sudorifiques , est de


tous les remèdes antisyphilitiques le plus fréquemment employé.
Le malade prend dans une tasse de tisane de salsepareille com
posée , le matin à jeun , une cuillerée à bouche de la liqueur de
Van Swieten , qui contient à peu près un quart de grain de su
blimé. On fractionne cette dose dans la journée , ou l'on débute
par un huitième de grain , si l'estomac est très-irritable . Chez les

enfans, la dose ordinaire est d'un vingt-quatrième de grain. Chez


les adultes , on l'élève graduellement jusqu'à un demi -grain par
jour , et pour les enfans jusqu'à un seizième de grain . Chez les
MALADIES DE LA PEAU. 555

adultes , douze , quinze et vingt grains ; et chez les enfans , deux


ou trois grains suffisent, dans beaucoup de cas , pour un traitement.
Les malades boivent chaque jour , une pinte de tisane de salse
pareille composée , et prennent un bain tiède tous les deux ou
trois jours .

Cette méthode a l'avantage de ne point gâter le linge , de ne

pas être accompagnée de la malproprété dégoûtante , inséparable


des frictions mercurielles , d'occasioner plus rarement la saliva
tion que ces dernières , enfin d'avoir sur la syphilide une action
plus marquée que les autres préparations mercurielles . Mais le
sublimé employé sans mesure ou intempestivement , provoque

des gastrites , des entérites , des hépatites chroniques ; il importe


donc de surveiller attentivement les effets d'un moyen aussi

énergique , et de ne jamais l'administrer aux malades atteints


d'inflammation des organes de la digestion et de la respiration.
2º Pommade mercurielle et sudorifique. -- Cette méthode est

également fort usitée . Après avoir pris quelques bains pour net
toyer la surface des tégumens , et après avoir rasé les poils des
membres inférieurs , le malade fait chaque jour sur une des
jambes, depuis la malléole jusqu'au genou , une friction de quinze
à vingt minutes , avec un demi -gros d'onguent mercuriel . Le
lendemain il fait une semblable friction sur la cuisse du même
membre . Le surlendemain , le malade prend un bain , et recom
mence les frictions de la même manière , sur le membre du côté

opposé. Jour et nuit le malade porte des bas et des caleçons , afin
de ne pas imprégner les draps de cette pommade , qui laisse des
taches qu'on ne fait disparoître que très-difficilement .

La dose de l'onguent mercuriel peut être successivement portée


à un gros par jour. Dans les cas ordinaires , quarante à cinquante
frictions administrées de concert avec la tisane de salsepareille

composée, suffisent chez les adultes pour obtenir une guérison com
plète. La facilité de l'absorption chez les enfans et son peu d'ac
tivité chez les vieillards , exigent qu'on diminue singulièrement.
556 MALADIES DE LA PEAU.

la dose et le nombre des frictions pour les premiers , et qu'on


en prolonge l'usage chez les derniers.
Cette méthode, préférable au deuto - chlorure de mercure , lors
qu'il s'agit de combattre les accidens primitifs de la vérole , réus
sit moins souvent que ce dernier contre les inflammations syphi
litiques de la peau. D'ailleurs le traitement par les frictions.

permet difficilement d'apprécier la quantité de mercure absorbé.


Il donne souvent lieu à une stomatite mercurielle accompagnée
d'une salivation dégoûtante , à la suite de laquelle les malades de
viennent quelquefois foibles et languissans . Enfin une malpro
preté habituelle est une suite inévitable de ce traitement.
3º Tisane de Feltz. - La tisane de Feltz est un moyen fort

actif, auquel on a recours quelquefois avec un succès vraiment


surprenant , lorsque la syphilide est compliquée d'exostoses , de
douleurs ostéocopes , de périostoses , de caries des os et des car
tilages du nez , etc. On recommande de purger deux ou trois fois
le malade avant la fin de ce traitement , qui opère souvent une
guérison complète dans l'espace d'un ou deux mois.
-
4° Sous-carbonate d'ammoniaque. Après avoir préparé le
malade comme pour les frictions , il prend chaque jour un gros de
sous- carbonate d'ammoniaque dissous dans une pinte de tisane
de chicorée ; on en porte successivement la dose à deux et même
à trois gros par jour après quarante , cinquante ou soixante do
ses , la guérison de la syphilide est quelquefois complète.
Quoique l'une ou l'autre de ces méthodes suffise ordinairement
pour procurer la guérison des affections syphilitiques de la peau ,

simples ou compliquées de lésions des os , des cartilages , etc.; pour


hâter ou pour assurer le succès de ces méthodes, on leur associe

quelquefois certaines médications extérieures, à l'aide desquelles ,


et indépendamment de tout traitement interne , on a aussi guéri
des syphilides rebelles.
1º Les bains de deuto-chlorure de mercure ont été employés
avec succès , surtout chez les enfans , les femmes et les individus
MALADIES DE LA PEAU. 557 .

dont la peau étoit fine et délicate. On se sert aussi en lotion des


solutions mercurielles appelées eau rouge et eau phagédénique.
Des solutions plus concentrées irriteroient la peau et aggrave
roient les syphilides très - enflammées ou déjà terminées par une
ulcération .

2º Les fumigations mercurielles , et surtout les fumigations de


cinnabre administrées dans des appareils convenables , réussissent
surtout dans les syphilides bornées à une région du corps , telles .
que la face , les parties génitales , la marge de l'anus , etc.
3º L'onguent citrin , la pommade de sous- proto-nitrate de mer
cure et d'ammoniaque , l'onguent de Zetler , etc. , ont été souvent
employés avec succès pour exciter les affections cutanées syphi
litiques peu enflammées , ou développées chez les vieillards.

Chacune des formes de la syphilide présente en outre des in


dications particulières :
1º Les taches syphilitiques , primitives ou consécutives à l'affais

sement des pustules ou des tubercules , disparoissent plus rapide


ment à la suite de légères onctions avec un liniment muriatique
ou de lotions alcoolisées , que lorsqu'on les abandonne à elles
mêmes.

2º Les papules syphilitiques s'affaissent et se flétrissent à l'aide


de lotions alcoolisées et mercurielles.

3º Les pustules non ulcérées doivent être d'abord combattues

par les bains émolliens , puis par les lotions avec l'onguent de
nitrate de mercure .

4° Les plaques cuivreuses exigent , indépendamment du traite


ment général , l'administration fréquente de bains tièdes , et
quelquefois celle de bains de vapeurs ou de fumigations de cin
nabre.

On se sert aussi , avec avantage , des frictions avec les pommades


de proto -chlorure ou de sous-deuto-sulfate de mercure . Il con
vient même de couvrir les larges plaques ovales et boursouflées de
la marge de l'anus avec des plumaceaux d'onguent
mercuriel
2. 72
558 MALADIES DE LA PEAU.

laudanisé affoibli , qu'on remplace ensuite par la pommade mer


curielle pure , lorsque ces plaques sont peu enflammées ; on en
favorise la résolution à l'aide de lotions répétées avec l'eau pha
gédénique , la liqueur de Van Swieten , ou avec une solution de
sulfate de zinc ou de sulfate de cuivre.

5º On obtient la résolution des tubercules par la saignée gé

nérale et les saignées locales pratiquées non loin de leur circon


férence , par l'emploi des douches de vapeur , et par celui des
frictions de deuto-iodure de mercure , lorsqu'ils sont anciens et
indolens.

6º Les ulcères syphilitiques , après avoir été combattus par les


lotions et les applications émollientes , doivent être pansés avec
un mélange de parties égales d'onguent mercuriel et de cérat .

Sous l'influence de ce topique , les ulcères se couvrept de bour


D
geons charnus, vermeils et consistans; ils se cicatrisent à la fois vers
leurs bords et sur plusieurs points de leur surface . Lorsque ces
ulcères sont très - anciens et indolens , on les avive à l'aide des
pommades de deutoxide , de deuto et de proto-iodure, ou de nitrate
acide de mercure. Cependant ces topiques , employés sans me
sure ou d'une manière intempestive , entretiennent et aggravent
ces inflammations locales .

70 Les rhagades résistent rarement à l'action combinée du


deuto - chlorure de mercure , des sudorifiques , des bains tièdes ,
des soins de propreté et des applications de cérat mercuriel. Lors
que les gerçures sont très- douloureuses et paroissent s'aggraver
pendant le traitement mercuriel , on se sert avec avantage de
lotions émollientes et narcotiques et de légères onctions avec le
cérat opiacé.
8° Lorsque les végétations existent en même temps que d'au

tres altérations produites par la syphilis , elles doivent être trai


tées par les mercuriaux et les sudorifiques . Souvent alors elles se

flétrissent et tombent spontanément. Toutefois , si ces végétations


étoient le symptôme prédominant de la syphilide , l'emploi du
MALADIES DE LA PEAU. 559

chlorure d'or seroit préférable à celui des préparations mercu


rielles. Ce chlorure s'administre à la dose d'un demi-grain par

jour , en trois doses ; soixante-dix prises suffisent ordinairement


pour un traitement. Quelquefois même plusieurs de ces végéta
tions se détachent de la peau dès le vingtième jour.

Lorsque ces productions accidentelles existent indépendam


ment de toute autre affection syphilitique , ou bien lorsqu'elles
ont survécu à la disparition de tous les autres symptômes , opérée

par un traitement régulier , on flétrit ces végétations à l'aide


de lotions répétées avec l'eau de chaux , l'eau phagédénique , ou
avec une solution de sulfate de cuivre , ou bien encore en les
couvrant d'un plumasseau d'onguent mercuriel , saupoudré de
sabine pulvérisée . On peut aussi les détruire avec le nitrate d'ar
gent , le nitrate de mercure , l'acide nitrique ou l'acide sulfuri
que. Les cautérisations avec le nitrate d'argent sont ordinairement
trop superficielles ; celles avec l'acide nitrique et l'acide sulfuri
que demandent quelques précautions , afin de ne pas porter trop
loin l'action des caustiques. La ligature n'est praticable que lors
que ces tumeurs , peu nombreuses , sont élevées sur un pédicule
grêle , susceptible d'être facilement embrassé par l'anse d'un fil .
Enfin dans le plus grand nombre des cas , il est préférable de
les exciser avec des ciseaux courbés sur le plat, en ayant soin d'en
lever la portion de peau ou de membrane muqueuse qui leur
sert de base . On cautérise ensuite la petite plaie produite par cette
opération en promenant le nitrate d'argent à sa surface.
L'existence antérieure des scrophules ou du scorbut , ou le dé
veloppement accidentel de quelques inflammations graves du
poumon, de l'intestin , du larynx, etc. , rendent le traitement de la

syphilide plus difficile et plus complexe . Il faut alors remplir les


indications particulières que présente chacune de ces maladies ;
se borner à des médicamens extérieurs contre la syphilide ; ou

même en ajourner le traitement jusqu'à la disparition des com


plications les plus graves .
560 MALADIES DE LA PEAU.

Lorsqu'un nouveau né est atteint de la syphilide , si la mère ou


la nourrice sont affectées de la même maladie , pour en obtenir la
guérison chez l'enfant il suffit en général de faire subir à la mère
ou à la nourrice un traitement par les sudorifiques et le deuto
chlorure de mercure. Lorsque les symptômes développés chez
l'enfant sont très -graves ou très-multipliés , des bains émolliens
répétés tous les jours , et quelques -unes des médications externes
dont il a déjà été fait mention , sont généralement utiles .

1
SCROPHULES .

Les scrophules ne constituent point une maladie de la peau ,


comme l'avoit pensé M. Alibert ; mais bien une inflammation des
vaisseaux blancs et des ganglions lymphatiques sous- cutanés. Aussi
tous ceux qui ont écrit sur les maladies de la peau depuis M. Ali
bert , les ont-ils rayées du cadre de ces affections. M. Alibert en a
admis deux espèces auxquelles il a rattaché différentes variétés :
ces espèces sont la scrophule vulgaire et la scrophule endémique.
La scrophule vulgaire comprend cinq variétés :
1º La scrophule vulgaire glanduleuse . C'est la scrophule propre
ment dite ; elle consiste en une inflammation des vaisseaux et des

ganglions lymphatiques et ne sauroit , par conséquent , être com


prise parmi les maladies de la peau.

2º La scrophule vulgaire articulaire . Cette affection comprend


aussi des maladies tout-à-fait étrangères à la peau , des tumeurs
blanches , des caries , des luxations spontanées , etc. , qui ne sau
roient trouver place ici.

3º La scrophule vulgaire cutanée , qui n'est autre chose qu'une


variété de la dartre rongeante . (Voyez Dartre rongeante .)

4º La scrophule vulgaire celluleuse. M. Alibert , a décrit sous


ce nom , des tumeurs adipeuses , des tumeurs et des végétations
celluleuses ; elle ne peut donc appartenir à la peau.
5º La scrophule vulgaire vésiculeuse . En lisant attentivement
la description qu'en donne M. Alibert , on s'aperçoit facilement
qu'elle a les rapports les plus frappans avec les tubercules de la
dartre rongeante ; il étoit donc inutile d'en faire une affection
spéciale .
La scrophule endémique comprend trois variétés.
1º La scrophule endémique rhumatismale . Ce nom a été imposé
par M. Alibert aux cas de scrophules compliquées de rhumatisme.
562 MALADIES DE LA PEAU.

2º La scrophule endémique rachitique . C'est une complication


de la scrophule et du rachitisme. Elle est caractérisée par la dé
viation de la colonne vertébrale , le gonflement de ses apophyses ,

la tuméfaction des surfaces articulaires , etc. C'est conséquem


ment une maladie des os dont il étoit fort inutile de surcharger
la nomenclature déjà si étendue des maladies de la peau.
3º La scrophule endémique crétinique n'est point une maladie
de la peau , mais bien une dégénérescence plus ou moins com
plète de tout le système lymphatique.
Nous croyons , d'après ce que nous venons de dire , pouvoir
nous dispenser de nous occuper plus longuement d'une affection
tout-à -fait étrangère à la peau et qui n'auroit pas dû trouver
place dans l'ouvrage de M. Alibert.
PSORIDES .

D'après la définition que M. Alibert a donnée des psorides , on


pourroit ranger au nombre de ces maladies la plupart des in
flammations cutanées , car presque toutes provoquent un prurit

plus ou moins prononcé. Le phénomène du prurit est trop général


dans ces inflammations , pour en faire le caractère d'un genre .
D'ailleurs M. Alibert avoit signalé ce symptôme comme étant un
caractère des dartres , et parmi les espèces du genre psoride ,
on en trouve une ( la psoride crustacée ) dans laquelle le prurit
n'est pas un phenomène constant et inséparable de la maladie.
Le groupe psoride se compose d'une inflammation vésiculeuse

( gale ) , d'une inflammation papuleuse , autrement nommée


prurigo , de la maladie pédiculaire et d'une inflammation pus
tuleuse , à laquelle quelques auteurs anciens et modernes ont im

posé le nom d'impetigo . Les vices d'un tel groupe sont évidens ;
il rompt les liens naturels qui existent entre les formes phlegma
siques élémentaires , en rapprochant les unes des autres les lé
sions les plus disparates .

PSORIDE PUSTULEUSE . ―――― GALE.

Cette inflammation , à raison de son caractère contagieux ,


doit nécessairement être séparée de toutes les autres irritations
vésiculeuses de la peau. M. Alibert pense qu'elle se communique

au moyen d'un insecte ( acarus scabiei , sarcopte ) ; cependant


564 MALADIES DE LA PEAU.

M. Mouronval n'a pu inoculer , par frottement ou par insertion, la


sérosité des vésicules , et M. Biett et plusieurs autres médecins
ont vainement cherché l'acarus de la gale. Toutefois , il seroit dif
ficile de ne pas ajouter foi au résultat des expériences faites sur
ce sujet , à l'hôpital Saint-Louis , en présence de M. Alibert et de
plusieurs autres personnes distinguées.
Le soufre est regardé avec raison comme un excellent remède
contre la gale. M. Alibert a décrit avec beaucoup de soin les di
vers moyens de l'employer dans cette maladie. De nos jours on
a eu recours à d'autres agens , qui ont parfaitement réussi . Parmi
eux nous citerons plus spécialement l'huile simple , employée en
lotions , sur tous les endroits où siégent les boutons vésiculeux.
M. Derheims a également traité avec succès plusieurs individus ,
par le chlorure de chaux employé en lotions sur les cuisses , les
jambes et les bras , répétées plusieurs fois par jour . La solution
est faite avec trois onces de chlorure sec et une livre d'eau distil

lée . Les chlorures de potasse et de soude ont également bien réussi .


Enfin M. Derheims a reconnu que le chlorure de chaux , préparé
en faisant passer un excès de chlore dans de l'eau de chaux , pro
duisoit un effet plus prompt . Six ou dix jours ont suffi pour opé
rer la guérison .

Dans les gales anciennes et accompagnées d'une vive inflam


mation de la peau , il sera toujours avantageux de débuter par
une ou deux saignées du bras , quelques bains et l'usage des bois
sons antiphlogistiques .
Si la gale est compliquée d'une phlegmasie gastro- intestinale ,
tout traitement externe doit être ajourné. Il faut se borner à
l'emploi des bains tièdes et aux soins de propreté , jusqu'à ce
qu'on ait obtenu la guérison de l'inflammation intérieure.
MALADIES DE LA PEAU. 565

PSORIDE PAPULEUSE .
PSORIDE PRURIGO.

Le symptôme de la démangeaison ou du prurit , porté à un


degré plus ou moins considérable , est commun à la plupart des
maladies de la peau , à l'urticaire , à la gale , et en particulier à la
dartre squammeuse , humide , etc. Quoique cette sensation ait un

caractère particulier dans le prurigo , elle ne peut en constituer


le caractère pathognomonique. Le véritable caractère de cette
maladie est de consister dans une éruption de papules , que leur
forme et leur couleur , semblable à celle de la peau , distinguent

des papules de la dartre farineuse ( lichen ) et d'une autre affec


tion appelée strophulus (1 ) .

Les pathologistes modernes ont reconnu deux espèces de pru


rigo , le prurigo mitis , et le prurigo formicans. Mais , ainsi que le

comporte leur dénomination , elles ne différent qu'à raison de


leur intensité .

Le prurigo n'attaque pas toujours toutes les parties de l'enve


loppe tégumentaire ; il se borne souvent à un seul endroit , tel

qu'à l'anus ( prurigo podicis ) , au scrotum ( prurigo scroti ) , aux


parties sexuelles de la femme ( prurigo pudendi muliebris ) , à la
plante des pieds (prurigo plantaris ) . ( Voyez page 388 de cet ou
vrage .) Mais il est à remarquer qu'il n'est pas fait mention de l'exis

tence des papules , dans ces deux observations ; et comme une dé


mangeaison plantaire , même très-vive , peut être produite par
diverses maladies , cette variété du prurigo ne pourra être ad

(1) Le strophulus est une inflammation cutanée , fréquente chez les enfans à la ma
melle , caractérisée par des papules prurigineuses , rouges ou blanches , d'un volume
variable, apparoissant d'une manière successive , le plus souvent sur la face et les mem
bres , disparoissant et se reproduisant quelquefois d'une manière intermittente et se ter
minant par une résolution ou une desquammation furfuracée.

2. 73
566 MALADIES DE LA PEAU.

mise , que lorsqu'elle aura été établie par des observations plus
complètes.
Le prurigo attaque spécialement les deux extrêmes de la vie ;
il est plus fréquent chez les pauvres que chez les riches , ainsi
que l'a dit M. Alibert , et on l'observe plus souvent chez les hom-.
mes que chez les femmes. On a aussi remarqué que le prurigo
mitis survient généralement au printemps et au commence
ment de l'été , tandis que le prurigo formicans se montre in
différemment dans toutes les saisons de l'année . Le prurigo mitis
affecte plus ordinairement les enfans , tandis que le prurigo for
micans attaque de préférence les adultes .
Les bains sont , de tous les remèdes extérieurs , ceux dont les
effets sont le plus constamment avantageux , dans le prurigo
général. Par leur seul usage on guérit assez promptement le
prurigo produit par la malpropreté et la misère. Les bains doi

vent être administrés frais ou tièdes ; une température trop éle


vée seroit nuisible. Ils sont particulièrement utiles dans le pru
rigo mitis et dans le prurigo senilis. Leur usage doit être habituel

et prolongé , lors même qu'il seroit suivi de quelque aggravation


momentanée des symptômes. Les bains nettoient la surface de
la peau , rendent la transpiration plus facile , et la démangeaison
disparoît graduellement.
Les malades éprouvent quelquefois un soulagement plus mar
qué en se plongeant tous les jours , pendant une heure , dans des
bains émolliens ou de décoction du son . Des bains simples ou émol
liens sont encore utiles pour prévenir le retour de cette maladie.
Après l'emploi des bains simples , si l'éruption papuleuse per
siste , les bains alcalins et savonneux , tels que ceux de Plombières,
produisent des effets très-avantageux ; ils ne laissent pas d'odeur

après leur emploi , comme les bains sulfureux qui sont eux
mêmes très-efficaces. Lorsque ces derniers exaspèrent l'irritation
de la peau , on en mitige l'action par l'addition de la gélatine ,
ou bien en alternant leur usage avec celui des bains tièdes . Ce
MALADIES DE LA PEAU. 567

traitement externe réussit presque constamment chez les enfans


atteints du prurigo mitis. Les bains de mer froids ou tièdes s'em
ploient dans les mêmes circonstances.
On a aussi obtenu quelques guérisons à l'aide des fumigations
sulfureuses : cependant l'irritation qu'elles déterminent à la peau

oblige souvent d'en suspendre l'emploi , ou de le combiner avec


celui des bains simples , des bains de vapeur ou des bains émol
liens . Chez les enfans , on ne doit pas employer les fumigations
sulfureuses .

Lorsque le prurigo est ancien , ou bien lorsque la peau est


rude et épaisse , il convient de recourir aux bains de vapeur
aqueuse. Ils peuvent être nuisibles chez les sujets jeunes ou plé
thoriques ; chez les enfans et chez les vieillards, on les a vus don
ner lieu à des syncopes , sinon dangereuses , du moins très -fati

gantes .
Il est rare qu'on retire quelque avantage des pommades mer
curielles ou sulfureuses , des lotions d'eau de chaux ou des

solutions de sublimé . On est quelquefois parvenu à diminuer le


prurit , en pratiquant des onctions avec la pommade d'ellébore et
d'hydro-chlorate d'ammoniaque. Les lotions mercurielles peuvent
être conseillées avec avantage dans le prurigo formicans , surtout
lorsqu'il est compliqué de pédicule . Dans d'autres circonstances ,

de simples lotions avec de l'eau fraîche ou de l'eau tiède ont pro


curé un grand soulagement.
De tous les remèdes généraux employés contre le prurigo , les
émissions sanguines , et les boissons délayantes , telles que le petit
lait , l'eau de veau , les décoctions légères d'orge et de chiendent ,
les limonades , etc. , sont sans contredit les plus utiles . La saignée
est presque constamment indiquée chez les individus jeunes et
pléthoriques. Chez les femmes atteintes du prurigo , si les mens
trues ont été supprimées, on cherchera à les rappeler par une ap
plication des sangsues à la vulve. Les personnes qui auront abusé

des alimens épicés et des boissons spiritueuses , seront astreintes ,


568 MALADIES DE LA PEAU.

pendant quelque temps , à un régime végétal , ou à l'usage du


lait d'ânesse ou du lait de chèvre.

Les variétés du prurigo local présentent elles-mêmes quelques


indications particulières .

1º Le prurigo podicis est , en général , d'une guérison difficile.


Lorsqu'il est intense , il exige impérieurement l'emploi des sai
gnées locales. Dans le cas où elles paroissent moins nécessaires ,
elles sont toujours suivies d'une amélioration , au moins momen
tanée , des symptômes . Les cataplasmes émolliens frais ou froids ,
les suppositoires de beurre de cacao , les lavemens opiacés , sont
utiles pour diminuer le prurit. Après un usage convenable de
ces remèdes , et quelquefois de prime-abord , chez les individus
dont la peau est peu irritable , on retire de très-bons effets des

douches gélatino-sulfureuses. On emploie quelquefois aussi , avec


succès , de légères onctions avec l'onguent de nitrate de mercure
affoibli , ou des lotions avec l'acide acétique étendu . Ces moyens
seroient nuisibles , si la peau de la marge de l'anus étoit excoriée
ou mème légèrement enflammée entre les papules.
2º Le traitement du prurigo podicis est applicable au prurigo
scroti. Les lotions avec une solution de sublimé dans l'eau de

chaux , et les onctions faites avec des linimens mercuriels , sont


généralement moins utiles que les lotions , les douches et les bains
gélatino -sulfureux .

3º Le prurigo pudendi muliebris doit d'abord être combattu par


la saignée du pied , par des applications répétées de sangsues à la
vulve , par les lotions et les douches d'eau fraîche , chargées de sucs
de plantes émollientes et narcotiques . Les douches gélatino -sul
fureuses sont sans doute plus propres à flétrir et à dessécher les
papules ; mais elles ne doivent jamais être employées dès le début
de l'éruption . Elles augmenteroient l'inflammation de la vulve
et du vagin qui accompagne presque toujours cette variété du
prurigo.
Les malades doivent , en outre , éviter l'usage des siéges et des
MALADIES DE LA PEAU. 569

lits mous , qui entretiennent une trop grande chaleur autour des
parties affectées. Dans les paroxysmes , qui se déclarent presque
toujours pendant la nuit , ils parviennent quelquefois à apaiser
le prurit ardent qui les dévore , en appliquant sans cesse sur les
parties génitales , des linges imbibés d'eau très-froide.

PSORIDE PAPULEUSE PÉDICULAIRE .

MALADIE PÉDICULAIRE. ―――― PHTHIRIASE.

Nous n'avons rien à ajouter à tout ce qu'a rapporté M. Alibert


touchant cette dégradante infirmité. Nous nous bornerons à faire
remarquer que la génération spontanée des poux a été vivement

contestée dans ces derniers temps . La prodigieuse fécondité de


ces animalcules suffit seule , dit-on , pour expliquer leur dévelop
pement et leur propagation . On prétend que la maladie pédicu
laire est toujours le résultat des pontes successives d'un ou de
plusieurs de ces insectes accidentellement contractées . Les lentes .
ou œufs du pediculus corporis sont déposées sur les poils.
La peau n'est jamais altérée dans cette maladie , à moins que

les poux ne soient très-nombreux et anciennement développés .


Dans ce cas on observe souvent de petites élevures papuleuses ,
coniques et rougeâtres , et plus rarement de larges tubercules . On
remarque aussi des égratignures et des excoriations de dimensions

variées . Enfin , il peut exister d'autres lésions concomitantes ou


accidentelles , telles que le prurigo , des ecchymoses , etc.
On détruit facilement les pediculi corporis à l'aide des bains
sulfureux , des frictions sulfuro -alcalines et des fumigations sul
fureuses , ou des bains de deuto-chlorure de mercure . On emploie
570 MALADIES DE LA PEAU.

aussi avec succès une pommade composée de trois parties de sul


fure de mercure , d'une partie d'hydro-chlorate d'ammoniaque ,
sur trente -deux d'axonge. Les vêtemens doivent être fumigés à
la vapeur du soufre ou du mercure.
Les auteurs qui croient à la génération spontanée des pediculi
ont recommandé , pour détruire la cause occulte qui donne lieu
au développement de ces insectes , la saignée , les purgatifs , les
amers , les anti - scorbutiques , les pilules de proto- chlorure de
mercure , etc. , et une foule d'autres rémèdes qui peuvent être
nuisibles ou utiles , suivant la nature des maladies dont sont at
teints les individus , chez lesquels les pediculi corporis se sont dé
veloppés.

PSORIDE CRUSTACÉE .

Le prurit est moins encore le signe pathognomonique de la


psoride crustacée que des espèces précédentes. On rencontre assez
souvent des psorides dites crustacées , sans prurit , ou du moins
avec un prurit très-peu considérable . Dans l'article qui traite du
diagnostic des psorides en général , voici comment M. Alibert s'ex
prime lui-même sur la psoride crustacée : « une dissemblance plus
saillante encore , est que le prurit est très-rare dans la psoride

crustacée. » Cette maladie , telle que l'a décrite M. Alibert , appar


tient aux inflammations pustuleuses de la peau . Les caractères, à
l'aide desquels ce célèbre pathologiste s'est efforcé d'en faire une
espèce particulière , ne sont pas assez réguliers ni assez tranchés ,
et si on les examine de près on trouve qu'ils ont une analogie
etc.
frappante avec ceux de la dartre crustacée , l'impetigo sparsa ,
Le traitement de cette maladie est tout anti-phlogistique , lors
MALADIES DE LA PEAU. 571

qu'elle est à son début. Plus tard , lorsque la peau est peu en
flammée et peu excitable , surtout chez les vieillards et les sujets
affoiblis , il convient d'employer les bains sulfureux de Barèges ,
de Loëch , de Cauterets , ou les bains de mer. C'est dans de sem
blables circonstances que l'onguent de nitrate de mercure et
l'application extérieure des caustiques ont quelquefois réussi .
Si l'état des viscères digestifs le permet , on emploie avec suc
cès les purgatifs salins , tels que le tartrate acidule de potasse
ou les limonades fortement acidulées , pour opérer une révulsion
momentanée sur les viscères digestifs . On sait que ces médications
seroient nuisibles , si l'inflammation de la peau étoit compliquée
d'une gastro-entérite , et que l'application des sangsues à l'épigas
tre et à la marge de l'anus seroit alors indispensable.

FIN.
TABLE DES MATIÈRES .

TOME PREMIER.

AVIS DE L'ÉDITEUR DE LA DEUXIÈME ÉDITION. Page 1


DISCOURS PRÉLIMINAIRE. · III
-
PREMIÈRE SECTION. Coup-d'œil général sur les Maladies qui sont le su
jet de cet ouvrage . • ibid.
DEUXIÈME SECTION. ―― Des Modifications que l'âge , le sexe, le tempéra
ment , les saisons et le climat impriment aux Ma
ladies de la Peau. • XV
TROISIÈME SEction. ―― Des Causes diverses qui contribuent au développe
ment des Maladies de la Peau. · XX
QUATRIÈME SECTION. -Des Phénomènes physiologiques que peut révéler
l'étude des Maladies de la Peau. XXIX
CINQUIÈME SECTION. - Considérations générales sur les Procédés curatifs
appliqués au traitement des Maladies de la Peau. XXXVI
SIXIÈME SECTION. ――― Exposition sommaire de la Méthode que j'ai suivie
dans la confection de cet Ouvrage. . XLV

DESCRIPTION DES MALADIES DE LA PEAU.. • 1


LES TEIGNES. - CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES Teignes. ibid.
PREMIÈRE PARTIE. - Faits relatifs à l'histoire particulière des Teignes.. 3
ESPÈCE PREMIÈRE. - Teigne faveuse. Tineafavosa. - Tableau de la
Teigne faveuse. • ibid.
Observations relatives à la Teigne faveuse. 6
Note de l'Éditeur. • II
ESPÈCE DEUXIÈME. ―――
– Teigne granulée. Tinea granulata.
―― Tableau
de la Teigne granulée. 13
Observations relatives à la Teigne granulée. 15
ESPÈCE TROISIÈME.— Teigne furfuracée. Tinea furfuracea. - Ta
bleau de la Teigne furfuracée. 19
Observations relatives à la Teigne furfuracée. 21

2. 74
574 TABLE DES MATIÈRES .

ESPÈCE QUATRIÈME. - Teigne amiantacée. Tinea asbestina. Ta


bleau de la Teigne amiantacée. 24
Observations relatives à la Teigne amiantacée.. 25
ESPÈCE CINQUIÈME. - Teigne muqueuse. Tinea muciflua. - Tableau
de la Teigne muqueuse. 30
Observations relatives à la Teigne muqueuse.. 33
SECONDE PARTIE.Faits relatifs à l'histoire générale des Teignes. " 37
ARTICLE PREMIER. — Des Phénomènes généraux qui caractérisent la
marche des Teignes . . ibid.
ARTICLE II. - Des Causes organiques qui influent sur le développe
ment des Teignes. 41
ARTICLE III. - Des Causes extérieures que l'on croit propres à favori
ser le développement des Teignes. 46
ARTICLE IV. - Du Siége spécial des différentes espèces de Teignes. 49
ARTICLE V. - Des Résultats fournis par l'analyse cadavérique dans
les différentes espèces de Teigne. 50
ARTICLE VI.
VI. ―― Des Résultats fournis par l'analyse chimique des ma
tières croûteuses ou furfuracées qui appartiennent
aux différentes espèces de Teigne. . 53
ARTICLE VII . Considérations sur les Méthodes employées pour la
guérison des Teignes. 54
ARTICLE VIII. Du Traitement interne employé pour la guérison
des Teignes. * 56
ARTICLE IX . — Du Traitement externe employé pour la guérison des
58
Teignes.
28680

APPENDICE. CONSIDÉRATIONS PHYSIOLOGIQUES SUR LES AFFECTIONS DU SYS


TÈME DERMOÏDE APPELÉES TEIGNES. • 71
LES PLIQUES . ――――――― CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES PLIQUES. 79
PREMIÈRE PARTIE. __ Faits relatifs à l'histoire particulière des Pliques. 85
ESPÈCE PREMIÈRE. ――――― Plique multiforme . Plica caput-medusæ .- Ta
bleau de la Plique multiforme. ibid.

Observations relatives à la Plique multiforme. 87


ESPÈCE DEUXIÈME. - Plique à queue ou solitaire. Plica longicauda.
- Tableau de la Plique à queue ou solitaire. 94
Observ. relatives à la Plique à queue ou solitaire. 96
ESPÈCE TROISIÈME. ―――
Plique en masse. Plica cespitosa. - Tableau
100
de la Plique en masse .
102
Observations relatives à la Plique en masse.
TABLE DES MATIÈRES . 575

SECONDE PARTIE . - Des Faits relatifs à l'Histoire générale des Pli


ques. 109
ARTICLE PREMIER. - Des Phénomènes généraux qui caractérisent la
marche des Pliques . ibid.
ARTICLE II . -- Des Rapports d'analogie observés entre la Plique et
les autres Maladies. • 116
ARTICLE III. Des Causes organiques qui influent sur le développe
ment des Pliques. 123
ARTICLE IV . ― Des Causes extérieures qu'on croit propres à favoriser
le développement des Pliques. . 126
ARTICLE -
V. Considérations physiologiques sur les fonctions des
cheveux et des poils dans l'économie animale ; uti
lité de ces considérations pour l'intelligence des
Phénomènes de la Plique. 129
ARTICLE VI. - Des Résultats fournis par l'autopsie cadavérique
VI.
des sujets qui ont succombé à la Plique , ou
qui sont morts pendant l'existence de cette affec
tion. • 136
ARTICLE VII. -- Des Résultats fournis par l'analyse chimique des che
veux et de la matière de la Plique.. 139
ARTICLE VIII. - Considérations sur les Méthodes employées pour la
guérison des Pliques. 143
ARTICLE IX . - Du Traitement interne employé pour la guérison des
Pliques. • 144
ARTICLE X. - Du Traitement externe employé pour la guérison des

1 Pliques. 146
LES DARTRES. - CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES DARTRES. 151
PREMIÈRE PARTIE. - Faits relatifs à l'Histoire particulière des Dartres. 161
ESPÈCE PREMIÈRE. Dartre furfuracée . Herpesfurfuraceus . ibid.
Tableau de la Dartre furfuracée. · 162
Observations relatives à la Dartre furfuracée.. 166
ESPÈCE DEUXIÈME. - Dartre squammeuse. Herpes squammosus. . 172
Tableau de la Dartre squammeuse . 173
Observations relatives à la Dartre squammeuse. 178
ESPÈCE TROISIÈME. - Dartre crustacée. Herpes crustaceus. · 184
Tableau de la Dartre crustacée. · 185
Observations relatives à la Dartre crustacée. 190
5,6 " TABLE DES MATIÈRES .

ESPÈCE QUATRIÈME. ――― Dartre rongeante. Herpes exedens . - Tableau


de la Dartre rongeante. 196
Observations relatives à la Dartre rongeante. 202
ESPÈCE CINQUIÈME. - Dartre pustuleuse . Herpes pustulosus. • • 208
Tableau de la Dartre pustuleuse. . 209
Observations relatives à la Dartre pustuleuse. 213
ESPÈCE SIXIÈME. — Dartre phlycténoïde. Herpes phlyctenoïdes. 219
Tableau de la Dartre phlyctenoïde . 220
Observ. relatives à la Dartre phlycténoïde . 224
ESPÈCE SEPTIEME. -Dartre érythémoïde. Herpes erythemoïdes. --
Tableau de le Dartre érythémoïde . 230
Observations relatives à la Dartre érythé
moïde. . . 232
SECONDE PARTIE . --- Des Faits relatifs à l'Histoire générale des Dartres. 235
ARTICLE PREMIER . - Des Phénomènes généraux qui caractérisent la
marche des Dartres. • ibid.
ARTICLE II. -- Des Rapports d'analogie observés entre les Dartres
et les autres Maladies. 245
ARTICLE III. -
Des Métastases dartreuses. 249
ARTICLE IV. - Des Causes organiques qui influent sur le développe
ment des Dartres. 252
ARTICLE V. - Des Causes extérieures qu'on croit propres à favoriser
le développement des Dartres. 258
ARTICLE VI. - Du Siége spécial des différentes espèces de Dartres. 264
ARTICLE VII. ---- Des Résultats fournis par l'autopsie cadavérique des
sujets qui ont succombé au vice dartreux , ou qui
sont morts pendant l'existence de cette affection. 265
ARTICLE VIII. - Des Résultats fournis par l'analyse chimique des
écailles et des croûtes qui se manifestent pendant
le cours des affections herpétiques . • 270
ARTICLE IX . ―――― Considérations sur les méthodes employées pour la
guérison des Dartres. 271
ARTICLE X. - Du Traitement interne employé pour la guérison des
Dartres. 278
ARTICLE XI. - Du Traitement externe employé pour la guérison des
Dartres. 285

ARTICLE XII . - Des Moyens à employer pour rendre la guérison des


Dartres permanente .. · 295
TABLE DES MATIÈRES . 577

APPENDICE. 297
PATHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE DES PLIQUES ET DES Dartres. ibid.
PLIQUES. ibid.
DARTRES. 315

TOME SECOND.

DESCRIPTION DES MALADIES DE LA PEAU. 1


LES ÉPHÉLIDES. ――――― CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES ÉPHÉLIDES. ibid .
PREMIÈRE PARTIE. - Faits relatifs à l'Histoire particulière des Éphélides. 7
ESPÈCE PREMIÈRE. -— Éphélide lentiforme. Ephelis lentigo. · • ibid.
Tableau de l'Éphélide lentiforme.. 8

Observations relatives à l'Éphélide lentiforme. 9


ESPÈCE DEUXIÈME. - Éphélide hépatique. Ephelis hepatica. - Ta
bleau de l'Éphélide hépatique. 13
Observations relatives à l'Éphélide hépatique. 16
ESPÈCE TROISIÈME. - Éphélide scorbutique. Ephelis scorbutica. — -
Tableau de l'Éphélide scorbutique. 18
Observations relatives à l'Éphélide scorbu
tique. 20
SECONDE PARTIE. -- Des Faits relatifs à l'Histoire générale des Éphélides. 23
ARTICLE PREMIER. Des Phénomènes généraux qui caractérisent la
marche des Éphélides . ibid.
ARTICLE II. - Des Rapports d'analogie observés entre les Éphélides
et les Dartres. 26
ARTICLE III. -- Des Causes organiques qui influent sur le dévelop

pement des Éphélides. 27


ARTICLE IV. - Des Causes extérieures qui favorisent le développe
ment des Éphélides. · 28
ARTICLE V. ―――
Considérations générales sur le traitement des Éphé
lides. 31
ARTICLE VI. - Du Traitement interne employé pour la guérison des

Éphélides. 32
ARTICLE VII. G Du Traitement externe employé pour la guérison des
Éphélides. 33
5-8 TABLE DES MATIÈRES .

365
LES CANCROIDES - QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LES CANCROÏDES..

88888
Tableau des principaux Phénomènes que pré
sentent les Cancroïdes. " 36
Observations relatives aux Cancroïdes. · 38
Moyens curatifs essayés jusqu'à ce jour pour la
guérison des Cancroïdes.. 44
OBSERVATIONS ET EXPÉRIENCES SUR Le Cancer. . 46
Tableau des principaux symptômes qui carac
térisent le Cancer de la Peau. . 48
Expériences qui tendent à prouver que le Can
cer n'est point de pature contagieuse... 51
Quelques Observations sur le Traitement des
Cancers et ulcères carcinomateux . 53
LES LÈPRES. - CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES LÈPRES. 59
PREMIÈRE PARTIE. ―――――― Faits relatifs à l'Histoire particulière des Lèpres. •
ESPÈCE PREMIÈRE. ―――――― Lèpre squammeuse . Lepra squammosa. • ibid.
Tableau de la Lepre squammeuse. 72

ម ី ន
Observations relatives à la Lèpre squammeuse.

៩ឌ
ង៖ឌ៦
77
ESPÈCE DEUXIÈME. ― Lèpre crustacée. Lepra crustacea. 83
Tableau de la Lépre crustacée.. 85
Observations relatives à la Lèpre crustacée. . 89
ESPÈCE TROISIÈME. - Lèpre tuberculeuse. Lepra tuberculosa.. • 95
Tableau de la Lèpre tuberculeuse. 96
Observations relatives à la Lèpre tuberculeuse. 103
SECONDE PARTIE. - Faits relatifs à l'Histoire générale des Lèpres.. . . 113
ARTICLE PREMIER. - Des Phénomènes généraux qui caractérisent la
marche des Lèpres. 114
ARTICLE II. - Considérations sur le diagnostic des Lèpres , et sur
leurs rapports d'analogie avec quelques autres ma
1280
12

ladies cutanées.
ARTICLE III. ――― Considérations sur le pronostic des Lèpres.
ARTICLE IV. - Des Causes organiques qui influent sur le dévelop
pement des Lèpres. 126
ARTICLE V. - Des Causes extérieures qu'on croit propres à favoriser
le développement des Lèpres. 129
ARTICLE VI. -- Des Résultats fournis par l'autopsie cadavérique des
135
Lépreux.
ARTICLE VII . - Vues générales sur le Traitement des Lèpres. 139
TABLE DES MATIÈRES . 579

ARTICLE VIII. - Du Traitement interne employé pour la guérison


des Lèpres. . 142
ARTICLE IX . - Du Traitement externe employé pour la guérison des
Lèpres.. 148
LES PIANS. ― CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES PIANS. 150
PREMIÈRE PARTIE. - Faits relatifs à l'Histoire particulière des Pians. • 155
ESPÈCE PREMIÈRE . ――――― Pian ruboïde. Framboesia batoïdes. ibid.
Tableau du Pian ruboïde. 156
Observation relative an Pian ruboïde. 158
ESPÈCE DEUXIÈME. Pian fongoïde. Framboesia mycoïdes. - Ta
bleau du Pian fongoïde. · • 161
Observation relative au Pian fongoïde. 163
―― 165
SECONDE PARTIE. Faits relatifs à l'Histoire générale des Pians. .
ARTICLE PREMIER. - Des Phénomènes généraux qui caractérisent la
marche des Pians. ibid.
ARTICLE II. - Considérations sur le diagnostic des Pians , et sur
leurs rapports d'analogie avec quelques autres ma
ladies cutanées. 170
ARTICLE III. -
Considérations sur le pronostic des Pians. 173
ARTICLE IV. ―――― Des Causes organiques qui influent sur le développe
ment des Pians... 174
ARTICLE V. -- Des Causes extérieures qu'on croit propres à favoriser
le développement des Pians. 175
ARTICLE VI. ― Des Résultats fournis par l'autopsie cadavérique d'un
individu mort des suites du Pian. 178
ARTICLE VII. - Vues générales sur le Traitement des Pians.. 179
ARTICLE VIII . -- Du Traitement interne employé pour la guérison des
Pians. 181
ARTICLE IX . - Du Traitement externe employé pour la guérison
des Pians.. 184
LES ICTHYOSES. - CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES ICTHYOSES. 187
PREMIERE PARTIE. ―――― Faits relatifs à l'Histoire particulière des Icthyoses .. 191
ESPÈCE PREMIÈRE. - Icthyose nacrée. Icthyosis nitida. - Tableau
de l'Icthyose nacrée. . ibid.
Observations relatives à l'Icthyose nacrée. . 194
ESPÈCE DEUXIÈME. -- Icthyose cornée. Icthyosis cornea. — Tableau

de l'Icthyose cornée. · 197


Observations relatives à l'Icthyose cornée. 201
580 TABLE DES MATIÈRES .

ESPÈCE TROISIÈME. - Icthyose pellagre. Icthyosis pellagra. • * 208


Tableau de l'Icthyose pellagre. · • . 209
Observations relatives à l'Icthyose pellagre. 213
SECONDE PARTIE. ― Faits relatifs à l'Histoire générale des Icthyoses. . 217
ARTICLE PREMIER. — Des Phénomènes généraux qui caractérisent la
marche des Icthyoses. ibid.
ARTICLE II. — Des rapports d'analogie observés entre les Icthyoses
et quelques autres maladies cutanées. 221
ARTICLE III. - Des Causes organiques qui influent sur le développe
ment des Icthyoses. 224
ARTICLE IV . - Des Causes extérieures qui influent sur le développe
ment des Icthyoses. 226
ARTICLE V. ―――――― Des Résultats fournis par l'autopsie cadavérique des
individus morts des suites des Icthyoses. 229
ARTICLE VI. - Des Résultats fournis par l'analyse chimique des
écailles des Icthyoses . 231
ARTICLE VII. - Vues générales sur le traitement des Icthyoses. . ibid.
ARTICLE VIII. - Du Traitement interne employé pour la guérison des
Icthyoses. . 233
ARTICLE IX. - Du Traitement externe employé pour la guérison
des Icthyoses. 234
LES SYPHILIDES. - CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES SYPHILIDES. 237
PREMIÈRE PARTIE. - Faits relatifs à l'Histoire particulière des Syphilides. 241
ESPÈCE PREMIÈRE. - Syphilide pustuleuse . Syphilis pustulosa. · ibid.

Tableau de la Syphilide pustuleuse. 242


Observations relatives à la Syphilide pustuleuse. 246
ESPÈCE DEUXIÈME. - 251
Syphilide végétante. Syphilis vegetans.
Tableau de la Syphilide végétante. 252

Observations relatives à la Syphilide végétante. 255


ESPÈCE TROISIÈME. - Syphilide ulcérée. Syphilis exulcerans. — Ta
bleau de la Syphilide ulcérée. 259
Observations relatives à la Syphilide ulcérée.. 264
SECONDE PARTIE. -— Faits relatifs à l'Histoire générale des Syphilides. 269
ARTICLE PREMIER. - Des Phénomènes généraux qui caractérisent la
marche des Syphilides. • 270
ARTICLE II. - Considérations sur le diagnostic des Syphilides et
sur leurs rapports d'analogie avec quelques autres
Maladies cutanées. 278
TABLE DES MATIÈRES . 581

ARTICLE III. -Considérations sur le pronostic des Syphilides. 280


ARTICLE IV. - Des Causes organiques qui influent sur le développe
ment des Syphilides. 281
ARTICLE V. ――――― Des Causes extérieures qui favorisent le développe
ment des Syphilides. 283
ARTICLE VI.
VI. ―――― Des Résultats fournis par l'autopsie cadavérique des
individus morts de la Maladie syphilitique. • · 286
ARTICLE VII. ――――― Considérations générales sur le Traitement des Sy
philides. . . 287
ARTICLE VIII . Du Traitement interne employé pour la guérison des
Syphilides. 289
ARTICLE IX. - Du Traitement externe employé pour la guérison
des Syphilides . 293
LES SCROPHULES. ― CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES SCROPHULES.. 301
PREMIÈRE PARTIE. ― Faits relatifs à l'Histoire particulière des Scrophules . 309
ESPÈCE PREMIÈRE. - Scrophule vulgaire. Scrophula vulgaris. . ibid.
Tableau de la Scrophule vulgaire. 311
Observations relatives à la Scrophule vulgaire. 317
ESPÈCE DEUXIÈME. - Scrophule endémique. Scrophula endemica.
- Tableau de la Scrophule endémique. 326
Observations relatives à la Scrophule endé
mique.. 329
SECONDE PARTIE. Faits relatifs à l'Histoire générale des Scrophules. 332
ARTICLE PREMIER. Des Phénomènes généraux qui caractérisent la
marche des Scrophules . • ibid.
ARTICLE II . - Considérations sur le diagnostic des Scrophules , et
sur leurs rapports d'analogie avec quelques autres
Maladies cutanées. 344
ARTICLE III. Considérations sur le pronostic des Scrophules. . 346
ARTICLE IV. - Des Causes organiques qui influent sur le développe
ment des Scrophules. 347
ARTICLE V. Des Causes extérieures qui influent sur le dévelop
pement des Scrophules. • 349
ARTICLE VI. -Des Résultats fournis par l'autopsie cadavérique des
individus morts des suites de la Maladie scro
phuleuse.. 351
ARTICLE VII . Considérations générales sur le Traitement des Scro
phules.. 357
2. 75
582 TABLE DES MATIÈRES .

ARTICLE VIII . - Du Traitement interne employé pour la guérison des


Scrophules. 359
ARTICLE IX. Du Traitement externe employé pour la guérison des
Scrophules. 362

53
LES PSORIDES. - CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES PSORIDES. 367
PREMIÈRE PARTIE. ――――――― Diverses espèces de Psorides. 373
ESPÈCE PREMIÈRE. -- Psoride pustuleuse. Psoris pustulosa. ibid.

5 53 8 7
Tableau de la Psoride pustuleuse. . 374
Observations relatives à la Psoride pustuleuse. 379
ESPÈCE DEUXIÈME. -- Psoride papuleuse. Psoris papulosa. 385
Tableau de la Psoride papuleuse. 386
Observations relatives à la Psoride papuleuse. 394
ESPÈCE TROISIÈME. - Psoride crustacée. Psoris crustacea. - Ta

LEE
bleau de la Psoride crustacée. 400
Observations relatives à la Psoride crustacée. 402
SECONDE PARTIE. Des Faits relatifs à l'Histoire générale des Psorides. 409
ARTICLE PREMIER. - Des Phénomènes généraux qui caractérisent la
marche des Psorides. • ibid.
ARTICLE II. - Considérations sur le diagnostic des Psorides , et sur
leurs rapports d'analogie avec quelques autres ma
ladies cutanées. 413
ARTICLE III. ― Du Pronostic des Psorides. 417
ARTICLE IV. - Des Causes organiques qui influent sur le développe
ment des Psorides. • 420
ARTICLE V. -- Des Causes externes qui déterminent le développe
ment des Psorides. 424
ARTICLE VI. - Des Méthodes de Traitement employées pour la gué
rison des Psorides. 431
QUELQUES RECHERCHES faites à l'Hôpital Saint-Louis sur la Peau
considérée dans ses rapports anatomiques , physiologiques et
pathologiques ; rédigées sous les yeux de M. ALIBERT , par
M. le Docteur Félix VACQUIÉ. 443
CHAPITRE PREMIER. - Des Tégumens en général. ibid.
CHAPITRE DEUXIÈME. - De la structure de la Peau . 449
ARTICLE PREMIER . ―――― Des Poils. 454
ARTICLE II. Des Ongles . 456
CHAPITRE TROISIÈME. - Du Derme et des élémens qui en font partie.. 457
S

1
TABLE DES MATIÈRES . 583

CHAPITRE QUATRIÈME. - Des Fonctions départies aux divers élémens de


l'Enveloppe tégumentaire. 464
CHAPITRE CINQUIÈME. ▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬ Des Usages particuliers à chaque élément
de l'enveloppe tégumentaire. 467
ARTICLE PREMIER. Du Toucher. 470
ARTICLE II . - De l'Exhalation cutanée. 474
ARTICLE III. - De l'Absorption cutanée. 481
ARTICLE IV. - De l'Absorption cutanée comparée à l'Absorption
des membranes muqueuses. 484
CHAPITRE SIXIÈME. - De l'État pathologique de l'Enveloppe tégumen
taire en général. · 486
ARTICLE PREMIER. Des Vices primitifs ou congéniaux des Tégu
mens.. 488
ARTICLE II. - Des Altérations de texture de l'enveloppe tégumen
taire. . . 491
ARTICLE III . - De l'Albinisme. 493
ARTICLE IV. -Des Exanthèmes en général. 496
ARTICLE V. - Des Exanthèmes aigus , ou Maladies éruptives. · 500
ARTICLE VI . Du Siége des Maladies éruptives. • 503
CHAPITRE SEPTIÈME. - Des Pertes de substances que peut soutenir l'enve
loppe tégumentaire. . 505
ARTICLE PREMIER. - De la Cicatrisation des Tissus tégumentaires. . 508
――――――
ARTICLE II. De l'Organisation et des Propriétés du Tissu qui forme
les Cicatrices. 512

APPENDICE. 515
ÉPHÉLIDES. ibid.
Éphélide solaire et lentiforme. 516
Éphélide lentiforme ignéale. . 517
Éphélide hépatique ; Chloasma. 518
Éphélide scorbutique. 520
CANCROÏDE . 521
CANCER. 524
LEPRE. 527
Lèpre crustacée . 531
Lèpre tuberculeuse . ibid.
Éléphantiasis des Grecs. 532
Éléphantiasis des Arabes. 537
584 TABLE DES MATIÈRES.

PLAN. • 543
ICTHYOSE. 545
SYPHILIDE. 549
SCROPHULES. 561
PSORIDES. 563
Psoride pustuleuse. - Gale. ibid.
Psoride papuleuse. - Prurigo. 565
Psoride papuleuse pédiculaire. 569
Maladie pédiculaire. - Phthiriase. ibid.
Psoride crustacée. 570

FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.


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