12 Noel Ramel 2017 Educ Comparee
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12 Noel Ramel 2017 Educ Comparee
Serge RAMEL
Haute école pédagogique du canton de Vaud – Laboratoire LISIS
Suisse
et Isabelle NOEL
Haute École pédagogique de Fribourg
Suisse
Résumé
En Suisse, un nouveau cadre pose comme prioritaire la scolarisation en école
ordinaire des élèves relevant de la pédagogie spécialisée. Il est demandé aux
écoles suisses de privilégier les solutions intégratives à celles séparatives, ainsi
qu’aux institutions de formation d’insérer dans la formation initiale des
enseignants ordinaires des aspects de la pédagogie spécialisée. Comme le
montrent deux études récentes, cet accent peut contribuer à forger une
représentation de la diversité des élèves ancrée1 dans une vision déficitaire de
ceux-ci.
Mots clés
politique, spécialisé, intégration, diversité, formation.
Abstract
In Switzerland, recent policies support the schooling of pupils with special
educational needs in ordinary schools. The latter are invited to give priority to
integrative rather than separate schooling solutions, and universities for
teacher education are required to integrate aspects of special education in their
initial training curricula. As shown by two recent studies, this emphasis may
1 L’ancrage permet d’expliquer comment un sens est donné à un objet nouveau par son
insertion dans un cadre conceptuel existant (Jodelet, 2008).
contribute to the development of representations of pupil diversity rooted in a
deficit model of diversity.
2 Un canton est chacun des États fédérés de la Confédération helvétique (Suisse). Les cantons organisent leurs
propres systèmes scolaires qui sont harmonisés au niveau fédéral par des accords et des concordats.
De l’intégration de certains à l’éducatio n …153
Arnaiz, 2016). Ceci est d’autant plus le cas que l’organisation scolaire
adoptée par les cantons peut être une entrave à des velléités
intégratives, voire inclusives. Si certains cantons connaissent un tronc
commun jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire3, d’autres procèdent à
une orientation en deux ou trois filières de formation à la fin de la
huitième année de scolarité primaire. Cette sélection est antonymique
avec un idéal d’éducation inclusive et il est difficile d’imaginer dans
ces cantons que tout élève ait sa place en classe ordinaire, quels que
soient ses besoins éducatifs, alors que d’autres sont précocement
séparés sur la base de leurs compétences scolaires. Or, l’UNESCO
(2005) rappelle que l’éducation inclusive ne doit pas se limiter à
répondre aux besoins des seuls enfants handicapés et qu’il s’agit avant
tout d’assurer une éducation équitable de qualité et un apprentissage
tout au long de la vie pour tous (UNESCO, 2016). La traduction de ce
principe dans les intentions nationales se limite cependant le plus
souvent à l’intégration de certains.
Malgré le choix fait par de nombreux pays de passer d’une pratique
intégrative à une école inclusive, la Suisse ne s’est pas engagée au-delà
de l’intégration et seul le canton de Genève mentionne explicitement
l’inclusion dans sa loi scolaire4. Au cours des deux dernières
décennies, les représentations de l'intégration puis de l’éducation
inclusive se sont le plus souvent objectivées au travers d'une catégorie
spécifique d'enfants en situation de handicap ou ayant des besoins
éducatifs particuliers (Ramel & Vienneau, 2016), cette objectivation5 se
traduisant dans les lois nationales par un souci particulier accordé à ce
groupe d’élèves (Ramel et al., 2016). Or, il s'agirait au contraire « de
tenir compte de la diversité sous toutes ses formes et de promouvoir
l'égalité des possibilités pour tous les élèves [...], la véritable inclusion
doit concerner tous les élèves, et non seulement une catégorie ou un
groupe particulier » (MacKay, 2007, p. ii).
Cette diversité, lorsqu’elle se traduit par l’origine ou le genre est
cependant source d’inégalité et d’échec scolaire (Gremion-Bucher,
2012). Tant les enfants non suisses que les garçons sont en effet
surreprésentés parmi ceux qui bénéficient de mesures de pédagogie
6 Cette catégorie représente 5 à 10% de la population scolaire selon une source officielle du canton de Vaud
(https://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/organisation/dfj/dgeo/fichiers_pdf/Brochure_Dyslexie.pdf).
ayant des difficultés importantes d’apprentissage est d’autant plus fort
quand il est conjugué avec la représentation du rôle de l’enseignant
centré sur les savoir-faire du métier.
Nous avons mentionné en introduction l’insistance des autorités
scolaires suisses pour que des aspects de pédagogie spécialisée soient
insérés dans la formation initiale des enseignants ordinaires. Or, nous
avons constaté en analysant les différents plans d’études que ces
apports se limitaient à des éléments informationnels visant la
sensibilisation des étudiants à la problématique des personnes
handicapées. Le seul effet mesuré n’était pas une plus grande
ouverture à leur égard qui était de toute façon importante, mais un
accroissement de l’objectivation de la représentation de l’intégration
scolaire par des prototypes de situations (comme la surdité, la cécité,
le handicap moteur ou la déficience intellectuelle) qui condensent à
eux seuls le sens de la catégorie du handicap. Sachant que la majorité
des élèves relevant de l’enseignement spécialisé sont d’origine
étrangère et/ou des garçons, l’arbre du handicap pourrait contribuer à
cacher la forêt de facteurs de discrimination qui sont sans lien avec ce
premier. Par ailleurs, il semble que l’ouverture envers l’intégration
s’ancre plus dans des représentations générales de l’école ou du métier
d’enseignant que dans celles du handicap. Centrer la formation sur
l’éducation pour tous aurait finalement plus d’impact qu’insister sur
l’intégration de certains, l’arbre faisant alors partie de la forêt.
Nos résultats ont également mis en évidence une autre faiblesse du
dispositif de formation tel que perçu par les futurs enseignants.
Quand bien même ont-ils conservé ou renforcé des attitudes
favorables à l’intégration scolaire, ils ont conservé ou renforcé en cours
de formation une appréhension à l’égard de certaines situations qu’ils
s’attendent à rencontrer dans leur future pratique. La fonction
d’orientation des représentations7 va ainsi à fin contraire des intentions
premières de la formation, puisque finalement les situations les plus
attendues sont également celles qui inquiètent le plus les futurs
enseignants. Dans un domaine voisin de recherche, Jodelet (2003)
7 Les représentations sociales remplissent quatre types de fonctions importantes touchant au savoir, à l’identité, à
l’orientation et à la justification (Abric, 1994). Sur la base d’un savoir nouvellement constitué, la fonction identitaire va
ainsi déterminer la manière dont les enseignants se perçoivent en interaction avec d’autres groupes (autorités scolaires,
autres professionnels, parents, élèves) et les fonctions d’orientation et justificatrices vont orienter et de légitimer
certaines pratiques professionnelles (Ramel, 2015).
De l’intégration de certains à l’éducatio n …159
8 Prénoms d’emprunt
De l’intégration de certains à l’éducatio n …161
ont des difficultés de ces derniers. Ceci est d’autant plus le cas que les
jeunes enseignants ayant participé à cette étude accordent un crédit
important aux enseignants spécialisés, alors que ceux-ci restent
largement tributaires d’approche essentiellement biomédicale centrée
sur l’enfant (Cochran-Smith & Dudley-Marling, 2012 ; LePage, Nielsen,
& Fearn, 2008). Lorie se sent ainsi assez rapidement démunie face aux
difficultés qu'éprouve un de ses élèves qu’elle doit gérer seule. Elle
peine à mettre en place sa vision environnementale de la prise en
charge des élèves sans le soutien d’un enseignant spécialisé ou de
collègues. Elle se retranche alors dans une vision individuelle et
biomédicale des difficultés des élèves, invoquant le besoin de séparer
l’élève qui lui pose problème du reste de la classe.
Nous avons également constaté une forme de stabilité dans les
représentations entre les trois temps de mesure : les jeunes enseignants
trouvaient la plupart du temps confirmation de leur manière de
penser lors de leur insertion professionnelle. En effet, comme le
montrent également Lawson, Norwich et Nash (2013), le jeune
enseignant tend à rendre conforme sa conception de la prise en charge
d’élèves ayant des besoins éducatifs particuliers et plus largement de
la gestion de la diversité des élèves à celles des personnes avec qui il
travaille dans son établissement scolaire. Or, le terrain reste largement
imprégné d’une vision individuelle et biomédicale ou caritative
lorsqu’il s’agit d’aborder la question de l’accueil d’élèves qui
présentent des besoins éducatifs particuliers (Ainscow, 2005 ; Dupriez
& Cornet, 2006). Ainsi, Carole et Tatiana cheminent vers une vision
encore plus individuelle et biomédicale qu’au début de l’année
scolaire. Elles travaillent en effet toutes deux dans le même
établissement scolaire visiblement imprégné par cette conception des
difficultés et besoins des élèves. Nous constatons ainsi que les
représentations individuelles de ces jeunes enseignantes sont en
résonnance avec celles collectives de cet établissement.
Au contraire de ses anciennes collègues de formation, Samantha est
porteuse dès la fin de la formation initiale d’une vision orientée par les
facteurs socio-environnementaux. Pour elle, la classe est à envisager
dans sa globalité, chaque élève ayant ses spécificités. La différenciation
doit ainsi permettre de prendre en compte toutes les différences dès le
départ, en partenariat si nécessaire avec les spécialistes. Pour
Samantha, les diagnostics ne doivent pas être pris à la lettre et
considérés comme prémisse de toute action pédagogique. La
collaboration avec l’enseignante spécialisée, qui partage la même
vision que Samantha, permet de concevoir ensemble une organisation
du travail axée sur la gestion de la diversité des élèves dans une
optique inclusive. Elle trouve dans le soutien de cette collègue la force
de garder le cap dans une école qui ne partage pas forcément son idéal
inclusif. Deux autres jeunes enseignantes, Line et Louise, cheminent
également vers une vision plus environnementale. Elles bénéficient
toutes deux de contextes propices à la collaboration. Elles découvrent
progressivement leur rôle en tant qu’enseignantes ordinaires pour
développer une pédagogie qui prend en compte l’ensemble des
différences, ce en partenariat avec les spécialistes. Elles ont ainsi
trouvé une communauté éducative qui leur permet de travailler dans
le sens de l’éducation inclusive. Bien que les contextes soient
différents, les cas de Samantha ou de Line et Louise mettent en évidence
l’importance d’un soutien social et instrumental (Curchod-Ruedi,
Ramel, Bonvin, Albanese, & Doudin, 2013) et d’une communauté
éducative (Noël, 2016) pour favoriser des pratiques intégratives et plus
encore une éducation inclusive.
Références bibliographiques