Droit Pénal Des Affaires
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Droit Pénal Des Affaires
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Semestre : 6
Se côtoient dans ce cours de Droit pénal des affaires, des infractions « classiques
», telles que le vol, le recel, l'escroquerie, l’abus de confiance, la tromperie, la
falsification, la violation du secret professionnel et d'autres, plus « modernes »,
comme, entre autres, le délit d’initié, l'exposition d'autrui à un risque, le
harcèlement, les infractions en matière de traitement automatisé d'informations,
l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse, l'organisation frauduleuse
de l'insolvabilité ou encore le blanchiment. Il s’agit, en fait, d’un droit pénal spécial
spécifique à l’entreprise, c’est-à-dire, une délinquance « astucieuse » ou « en col
blanc » privilégiant, en quelque sorte, l’intelligence à la violence et dont l’activité
réside essentiellement dans des atteintes aux biens.
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES :
Ouvrages :
Revues :
Séance n° 1
INTRODUCTION
Le droit pénal des affaires est né à une époque récente sous l'empire d'une
double nécessité 1. D'une part, les infractions contre les biens incriminées par le
code pénal, notamment l'abus de confiance et l'escroquerie, étaient définies de
manière trop étroite pour permettre de poursuivre et de condamner tous les
hommes d'affaires dont le comportement était moralement blâmable et
socialement dangereux. D'autre part, les sanctions civiles traditionnelles, comme
les annulations ou les dommages-intérêts, s'adaptaient difficilement à la violation
de beaucoup de réglementations économiques.
Cet ainsi qu’on voit, à partir de 1935, se multiplier des infractions spécifiques
dans les domaines les plus divers : sociétés commerciales, prix, concurrence,
relations financières avec l'étranger, crédit, relations du travail, consommation,
construction, fiscalité, informatique, environnement, etc., alors que jusqu'à cette
époque, le droit pénal des affaires se limitait à peu près exclusivement aux
banqueroutes. Il fallait donc trouver l'équilibre entre le laxisme à l'égard des
hommes d'affaires qui dilapidaient l'argent des autres et le soupçon systématique,
qui faisait de tout chef d'entreprise un délinquant en puissance.
1 Y. Guyon, De l’inefficacité du droit pénal des affaires, Revue Pouvoirs - 55, 1990, p. 41-52
On constate d'emblée qu'il n'existe pas de définition du droit pénal des affaires.
Cette situation n'est que le reflet du flou qui entoure le concept même de droit
des affaires, discipline dont l'existence précède l'essence et dont les limites sont
mal tracées1. Néanmoins le droit pénal des affaires semble se définir davantage
par les infractions qu'il incrimine que par les personnes qu'il permet de
condamner. Il n'est pas le droit pénal des commerçants ou, plus généralement,
de « ceux qui sont dans les affaires », expression d'ailleurs assez péjorative, qui vise
ceux qui s'enrichissent rapidement et d'une manière pas toujours très honnête.
Des hommes d'affaires commettent parfois des infractions de droit commun, à
l'occasion et pour le développement desdites affaires. Le trafic de la drogue, le
proxénétisme, l'exploitation de la pornographie sont des entreprises fructueuses,
qui donnent lieu à des crimes de sang, que l'on ne considère pourtant pas comme
faisant partie du droit pénal des affaires. A l'inverse, de simples particuliers
peuvent émettre des chèques sans provision ou violer la réglementation des
relations financières avec l'étranger, matières qui relèvent du droit pénal des
affaires.
Cette incertitude est aggravée par le fait que les infractions dites d'affaires, à la
différence des infractions politiques, ne donnent pas lieu à des sanctions
spécifiques. L'amende, l'emprisonnement, les peines accessoires ou
complémentaires sont les mêmes qu'en droit commun. Aucune conséquence
juridique précise ne s'attache à la qualification « infraction d'affaires » donnée à tel
ou tel comportement délictueux. Par conséquent, le droit pénal des affaires est
un concept qui intéresse plus les universitaires que les juges ... ou les délinquants.
On peut, au gré de choix finalement assez subjectifs, y englober ou au contraire
en exclure telle ou telle catégorie d'infractions 2.
Néanmoins, selon l'opinion dominante, le droit pénal des affaires concerne les
infractions non violentes dirigées contre les biens et non contre les personnes.
Il s’agit d’une délinquance « astucieuse » ou « en col blanc » privilégiant, en
quelque sorte, l’intelligence à la violence et dont l’activité réside essentiellement
dans des atteintes aux biens. On l’appelle encore le droit pénal de
On remarque dès lors que les sources du droit pénal des affaires se distinguent,
en l’absence d’un « Code pénal des affaires », par leur éparpillement : Code
Le droit pénal est désormais face à un nouvel espace qu’il ne peut ignorer, à
savoir le « cyberespace », terme inventé par William Gibson en 1984 dans son
livre Neuromancer1, espace planétaire sans frontière où les ordinateurs sont reliés
entre eux par des réseaux. C’est dans cet univers que va se développer la
cybercriminalité qui va concerner progressivement l’ensemble du champ du droit
pénal.
1 V. Myriam Quéméner et Yves Charpenel, Cybercriminalité, Droit pénal appliqué, Coll. Pratique du droit, éd.
Economica, 2010
1 10ème congrès des Nations Unies, Vienne, 10-17 avril 2000 (www.uncjin.org)
Séance n° 2
PARTIE 1
Aussi, même en se limitant aux atteintes contre les biens, qui constituent le cœur
du droit pénal des affaires, un choix s’avère indispensable. On retiendra ici les
infractions qui répriment les atteintes portées à la propriété, au devoir de probité
et à la vérité, sans oublier les infractions de conséquence qui peuvent venir
prolonger les précédentes.
TITRE 1
LES ATTEINTES À LA
PROPRIÉTÉ
En outre, une place particulière peut également être faite aux infractions
protégeant les systèmes de traitement automatisé de données qui sanctionnent
des atteintes réelles à une forme de propriété virtuelle.
CHAPITRE 1
LE VOL
L’article 411 du nouveau Code pénal togolais définit le vol comme « la soustraction
frauduleuse de la chose d’autrui ». Le vol, en tant que comportement incriminé et
réprimé (section 2), nécessite que soient réunis des éléments constitutifs
(section 1).
A- La chose d’autrui
1. Une chose
Le juge français reconnaît, toutefois, qu’il peut y avoir vol du support matériel
d’une information3. Un arrêt remarqué a ainsi considéré qu’en photocopiant à
l’insu de son employeur et à des fins personnelles, pour préparer une instance
prud’homale, des documents dont il a la légitime possession dans le cadre de ses
fonctions, un salarié appréhende frauduleusement ces documents le temps de
leur production 4.
2. Propriété d’autrui
1
Crim. 19 juin 1975, Gaz. Pal. 1975, 2, 660
2
Crim. 3 août 1912, DP. 1912, 1, 439
3
Crim. 8 janvier 1979, Bull. crim. n° 13 (vol d’une photocopie) ; 12 janvier 1989, Bull crim. n° 14 (vol de disquettes
et de leur contenu informationnel le temps nécessaire à leur reproduction).
4
Paris, 9 novembre 2000, D. 2001, somm. p. 2345
5
Crim. 12 octobre 1976, Bull. crim., n° 289
maison inachevée qu’il était chargé de construire, un matériel sanitaire payé par
lui et non encore installé, s’il résulte du contrat passé entre les parties que le
matériel en cause était resté la propriété de l’entrepreneur1.
Pour que le vol puisse être retenu, il n’est pas nécessaire d’identifier le
propriétaire de la chose : la preuve de l’appropriation suffit. Il en résulte
classiquement que le vol ne peut pas porter sur des choses communes ou res
communes, comme l’air, la mer ou les eaux courantes, ni sur des choses sans
maître ou res nullius, qui n’appartiennent à personne, comme c’est parfois le cas
du gibier, des poissons ou des produits de la mer.
B- Une soustraction
1
Crim. 13 janvier 1971, Bull. crim., n° 11.
2
Cf. infra
3
Crim. 11 octobre 1990, Bull. crim., n° 341
4
Crim. 12 octobre 1976, Bull. crim., n° 289
1
Cf. infra
2
Crim. 4 novembre 1977, Bull. crim., n° 330
3
Crim. 14 mai 1958, Bull crim., n° 391 ; 10 février 1977, Bull. crim., n° 57.
4
Crim. 10 avril 1959, Bull. crim., n° 209 : scooter remis pour un essai de quelques minutes.
5
Crim. 9 juillet 1959, Bull. crim., n° 350 : une personne qui a obtenu en communication pour signature des traites
ainsi qu’un reçu pour solde de tout compte et qui restitue les traites sans les avoir signées, mais en conserve le
reçu.
6
Crim. 24 novembre 1983, Bull. crim., n° 315
7
Bordeaux, 25 mars 1987, D. 1987, p. 424
8
Paris, 24 juin 1987, Gaz. Pal. 1987, 2, p. 512
Ainsi, l’article 413 du nouveau code pénal togolais, sans les qualifier de vol, punit
d'une peine d'emprisonnement d'un an à 3 ans et d'une amende de deux millions
(2.000.000) à vingt millions (20.000.000) de francs CFA, ou de l'une de ces deux
peines seulement, sans préjudice des dommages et intérêts, « toute personne qui,
frauduleusement se sert d'installations ou obtient un service de télécommunications ou
communications électroniques ; utilise à des fins personnelles ou non, un réseau public
de télécommunications ou communications électroniques ou se raccorde par tout moyen
sur une ligne privée ».
Le Code pénal incrimine également certaines soustractions violentes telles que
l’extorsion (art. 464 s.), le chantage (art. 466 s.), et la mendicité (art. 543 s.).
Le vol est une infraction intentionnelle, puisque l’article 411 du Code pénal
précise que la soustraction doit être frauduleuse. Cet élément intentionnel
comprend un dol général (soustraire la chose d’autrui), et un dol spécial
(l’intention de se comporter comme le propriétaire de la chose soustraite). Les
mobiles, mêmes légitimes, sont indifférents quant à la qualification de l’infraction :
la Cour de cassation a décidé que celui qui se prétend créancier ne puise pas
dans son droit de créance celui de commettre une infraction à la loi pénale1.
En revanche, il ne saurait en principe y avoir de vol lorsque l’auteur des faits peut
invoquer une erreur de fait, dès lors qu’il a cru appréhender une chose qui lui
appartenait. Mais il faut préciser que la jurisprudence punit le vol « d’usage », en
estimant le vol réalisé lorsque la personne a eu l’intention de se comporter,
même momentanément, comme le propriétaire de la chose soustraite 2, car elle
ne fait alors qu’exercer l’une des prérogatives du propriétaire, le droit d’usage
(usus), sauf à pouvoir invoquer une éventuelle erreur sur le droit3. Cette solution
est expressément retenue par le législateur togolais, s’agissant de la soustraction
de véhicules automobiles. L’article 412, 1°, C. pén., énumère, parmi les actes
constitutifs de vol au sens de l’article 411 « la soustraction frauduleuse d’un véhicule
ou d’une embarcation même pour un usage temporaire ».
Le vol est, a fortiori, réalisé lorsque la chose est appréhendée pour être détruite,
puisque c’est alors le droit de disposer de la chose (abusus) qui est exercé.
1
Crim. 20 novembre 1947, Bull. crim., n° 227 ; 26 juin 2002, Bull. crim., n° 148
2
Crim. 19 février 1959, Bull crim., n° 123
3
T. corr. Carcassonne, 16 mars 1994, Rev. Sc. Crim. 1998, p. 110
Aux termes de l’article 427 du nouveau Code pénal, « ne peuvent donner lieu qu’à
des réparations civiles les vols commis par le mari au préjudice de sa femme, par la
femme au préjudice de son mari, par un veuf ou une veuve quant aux choses qui avaient
appartenu au conjoint décédé ». Et, selon l’article 428 du même code, « ne peuvent
donner lieu qu’à des réparations civiles et uniquement à la demande de la victime, les
vols commis :
1) par les enfants ou autres descendants au préjudice de leurs père ou mère ou
autres ascendants, par des père ou mère ou autres ascendants au préjudice de
leurs enfants ou autres descendants ;
2) par des alliés au même degré, à condition que les soustractions soient commises
pendant la durée du mariage et en dehors d’une période pendant laquelle les
époux sont autorisés à vivre séparément ».
Concrètement, cela veut dire que les vols commis dans ces conditions ne
peuvent, en aucun cas, donner lieu à des poursuites pénales.
B- Les peines
Le nouveau Code pénal prévoit des peines beaucoup plus sévères que sous
l’égide du droit ancien. L’article 415 du nouveau Code prévoit des peines d’un
an à trois ans d’emprisonnement et/ou de 100 000 à 3 000 000 de Francs
d’amende pour le vol simple, mais les dispositions suivantes énoncent un grand
nombre de circonstances aggravantes.
Le vol est également aggravé lorsqu’il a été commis par une personne qui prend
indûment la qualité d’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée
d’une mission de service public ; par un transporteur, hôtelier ou dépositaire ou
leurs préposés à l’égard des choses déposées sous leur responsabilité ; par une
personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service
public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa
mission.
Les peines sont portées de trois à cinq ans d’emprisonnement par l’article 417,
lorsque le vol a été commis avec une seule des circonstances visées plus haut, et
de cinq à dix ans de réclusion criminelle lorsque le vol a eu lieu avec deux au
moins des circonstances visées.
S'il a été fait usage d'armes ou si les violences ont occasionné à la victime des
blessures ou une incapacité de travail excédant deux semaines, ou encore si le
vol a été commis avec trois au moins des circonstances visées à l’article 416, le
coupable est puni d’une peine de dix à vingt ans de réclusion criminelle.
Si les auteurs du vol ont exercé des violences ayant provoqué une mutilation ou
une grave invalidité de la victime, ils seront punis d’une peine de réclusion de
vingt à trente ans.
Si les violences ont occasionné la mort, même sans intention de la donner, ou si
le vol a été commis avec prise d’otages, le maximum de la réclusion à temps est
appliqué (50 ans).
En outre, le législateur prévoit un certain nombre de peines complémentaires
susceptibles d’être encourues par l’auteur d’un vol simple ou aggravé. C’est ainsi
qu’aux termes de l’article l’art. 79 et s., C. pén., le juge peut à titre de peine
L'interdiction peut notamment porter sur le droit d'exercer une profession, une
fonction élective publique, d'être administrateur ou gérant de société ou
d'association, d'être tuteur, subrogé tuteur, curateur d'un incapable, d'obtenir ou
d'utiliser un permis de chasse ou de pêche, un permis de port d'armes, de voter
dans les scrutins politiques ou syndicaux, d'être entendu sous la foi du serment
en justice ou devant un officier public.
La responsabilité pénale de la personne est, quant à elle, prévue par l’article 53,
selon lequel toute personne morale, à l’exclusion de l’Etat, peut être déclarée
coupable des infractions commises par ses organes ou représentants, pour son
compte, dans les limites de leurs attributions. ·
1) l’amende qui peut être portée au quintuple de celle encourue par les
personnes physiques ou à trois cent millions (300.000.000) de francs CFA,
si aucune amende n'est prévue ;
2) l’exclusion temporaire ou définitive des marchés publics ou du bénéfice
des aides publiques octroyées par l'Etat togolais ou des organisations
internationales étatiques ou non étatiques, ou la perte et le
remboursement des avantages accordés en application des lois et
règlements en vigueur, lorsque ces avantages ont été obtenus
frauduleusement par la commission d'infractions réprimées par le Code
pénal ;
3) la fermeture temporaire ou définitive des établissements ou de l'un des
établissements de la personne morale ayant servi à commettre les faits
incriminés, qui se substitue à l’emprisonnement ;
4) la confiscation spéciale (lorsque l’infraction a été commise à l’aide d’armes,
munitions, explosifs ou tout instrument ou objet dangereux ou d’un usage
réglementé) ou la confiscation générale ;
5) la fermeture temporaire ou définitive de la succursale d'une personne
morale étrangère, ayant servi à commettre les faits incriminés ;
C- La prescription
L’action civile se prescrit selon les règles du Code civil, mais ne peut plus être
engagée devant le juge répressif après l’expiration du délai de l’action publique.
1
Crim. 3 juill. 1979, Bull. crim., n° 236
Séance n° 3
CHAPITRE 2
L’ESCROQUERIE
L’escroquerie est une infraction pénalement punie. Elle suppose donc la réunion
d’un certain nombre d’éléments constitutifs qu’il conviendra d’examiner avant
d’aborder la manière dont sa répression est organisée. Il existe, par ailleurs,
certaines infractions voisines de l’escroquerie, dont l’examen s’avère également
utile.
L’article 448, C. pén. tg., définit l’escroquerie comme étant « le fait, soit par l’usage
d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par
l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et
de la déterminer ainsi à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds,
des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant
obligation ou décharge. »
De ce texte, qui reprend, mot pour mot, la définition donnée par le Code pénal
français en son article 313-1, ils se dégagent certains faits constituant les deux
éléments indispensables de l’infraction pénale, à savoir l’élément matériel (§.1),
et l’élément intentionnel (§.2).
A- Une tromperie
Mais, il faut encore que les manœuvres de l’escroc aient déterminé la remise par
la victime. Dans tous les cas, la tromperie se réalisera en usant d’un des
comportements suivants :
Il s’agit de l’utilisation par l’escroc d’un nom ou d’un prénom ou même d’un
pseudonyme qui n’est pas le sien. Toutefois, une homonymie complète utilisée
pour tromper une victime s’analyserait davantage en un autre procédé de
l’escroquerie : l’emploi de fausse qualité, que l’article 449, C. pén., définit dans
les mêmes termes que le faux nom, c’est-à-dire nom ou qualité « dont une
personne n’a pas le droit de se prévaloir ».
Il est indifférent que le faux nom auquel recours l’auteur de l’infraction soit réel
ou imaginaire, même si le nom imaginaire devrait susciter encore plus de
circonspection de la part de la victime. Selon la jurisprudence française, le simple
fait de changer de nom pour faire croire à sa solvabilité caractérise l’infraction
d’escroquerie1.
De même que pour l’emploi d’un faux nom, il est indifférent que cette fausse
qualité soit réelle ou imaginaire. La jurisprudence admet également qu’il puisse
s’agir d’une qualité perdue mais dont la personne continue à se prévaloir. C’est
l’exemple du chômeur ayant retrouvé du travail, mais qui use de son ancienne
qualité pour continuer à percevoir des prestations sociales2.
1
Crim. 26 octobre 1934, Bull. crim., n° 170
2
Crim. 12 février 1942, Bull. crim., n° 9
3
Crim. 7 octobre 1969, Bull. crim., n° 242 : fausse qualité de propriétaire
4
Crim. 18 juillet 1968, Bull. crim., 233
5
Crim. 25 janvier 1935, DH 1935, 165
6
Crim. 21 avril 1970, Bull. crim., n° 136
7
Crim. 25 avril 1972, Bull. crim., n° 142
Pour le législateur togolais, constituent la fausse qualité, le fait pour une personne
de se parer faussement d'un titre délivré ou contrôlé par l'autorité titulaire, d'un
titre universitaire, membre d'une profession réglementée, titulaire d'une
décoration, d'un titre de noblesse, d'une fonction publique ou élective, ou encore
de s’attribuer une fausse profession ou activité ou un faux état civil (art. 449, al.
2).
L’abus de qualité vraie est, selon l’article 450, nouv. C. pén. tg., « le fait pour une
personne d’utiliser une qualité qu’elle possède réellement pour donner force et crédit à
ses allégations grâce à la confiance qu'elle inspire, l'usage de la qualité étant de nature
à imprimer l'apparence de la sincérité ». Il s’agit d’une solution inspirée de la
jurisprudence française, sous l’empire de l’ancien Code pénal, et consacrée par
le nouveau Code pénal, admettant que l’abus de qualité vraie soit constitutive
d’une manœuvre frauduleuse, lorsqu’elle est de nature à donner l’apparence de
la sincérité à des allégations mensongères ou à tromper la confiance de la
victime1. Mais il doit s’agir d’une qualité qui soit de nature à inspirer une confiance
particulière au public, telle que celle d’avocat 2, de conseil juridique 3, de receveur
principal des impôts4 ou de mandataire 5.
Constituent des manœuvres frauduleuses, dispose l’article 451, C. pén., les actes
matériels extérieurs accomplis en vue de donner force et crédit à une affirmation
mensongère, notamment la production d’écrits ou l’intervention de tiers. Cela
suppose donc un comportement positif caractérisant une mise en scène, même
peu élaborée. Il en résulte qu’une abstention ou un simple mensonge, ne portant
ni sur le nom, ni sur la qualité ou les contreparties que l’on peut en attendre, ne
caractérise pas matériellement l’escroquerie, ce qui le distingue du dol, vice du
consentement de l’article 1116 du Code civil. Ainsi, par exemple, le fait de
s’abstenir de révéler à une personne dont on sollicite un prêt qu’on est mis en
liquidation judiciaire n’est pas caractéristique de l’infraction d’escroquerie6.
1
Crim. 11 février 1971, Bull. cim., n° 50
2
Crim. 6 avril 1993, Gaz. Pal. 1993, 2, somm. 443
3
Crim. 27 mars 2002, Bull. crim., n° 70
4
Crim. 29 novembre 2000, Dr. Pénal 2001, 45, obs. Véron
5
Crim. 1er octobre 1986, Bull. crim., n° 263 : négociateur en immobilier
6
T. corr. Lyon, 9 février 1926, DP 1928, 2, 79
Les manœuvres frauduleuses, qui doivent avoir précédé la remise par la victime,
sont aussi nombreuses que variées, en raison de l’imagination débordante dont
peuvent faire preuve les escrocs, l’appât du gain étant un puissant moteur. On
mentionnera, à titre d’illustrations, le fait de passer commande de produits à des
maisons de vente par correspondance en fournissant le numéro de la carte
bancaire d’autrui 3 ; le fait pour une société en cessation des paiements de
continuer à produire des devis pour des travaux, qu’elle sait, irréalisables4 ;
l’établissement et la production d’un bilan comportant des écritures
mensongères certifiées par un expert-comptable indépendant5 ; la présentation
à l’escompte de traites de complaisance tirées sur des tiers insolvables, non-
débiteur du tireur, et acceptées par ceux-ci, l’acceptation obtenue des tirés
réalisant, par l’intervention de tiers, le fait extérieur caractéristique des
manœuvres frauduleuses6 ; le fait de faire porter sur des notes de frais le nom
de tiers fictifs7. Les manœuvres peuvent aussi consister en une mise en scène,
telles des annonces publicitaires accompagnées de mention d’établissements ou
de personnalités imaginaires8 ; ou l’organisation d’une publicité fallacieuse,
destinée à vendre des objets de pacotille, auxquels les prévenus attribuent des
pouvoirs magiques9. D’autres exemples abondent en jurisprudence :
l’escroquerie à l’assurance, consistant en une fausse déclaration de vol d’un
1
Crim. 20 juillet 1960, Bull. crim., n° 382
2
Crim. 8 novembre 1976, Bull. crim., n° 317
3
Toulouse, 15 novembre 2001, Gaz. Pal. 2002, 2, somm. p. 1161
4
Crim. 28 janvier 1992, Dr. Pénal 1992, 230
5
Crim. 9 septembre 1998, Gaz. Pal. 1999, 1, chron. crim., p. 6
6
Crim. 5 août 1932, Bull. crim., n° 29
7
Crim. 8 janvier 1976, Bull. crim., n° 7 ; Crim., 12 mars 1984, Gaz. Pal. 1984, 2, somm. p. 342
8
Crim. 27 novembre 1952, D. 1953, p. 576
9
Crim., 28 avril 1964, Bull. crim., n° 130
B- Une remise
C- Un préjudice
1
Crim. 11 octobre 1989, Bull. crim., n° 353
2
Crim. 1er juin 1994, Dr. Pénal, 234
3
Crim. 19 septembre 1995 Bull. crim., n° 274
4
Crim. 30 novembre 1995, Gaz. Pal. 1996, 2, chron. crim., p. 62
5
La jurisprudence admet que la remise puisse ne pas être directement le fait de la victime elle-même, mais qu’elle
puisse provenir d’une machine : Crim. 10 décembre 1970, Bull. crim., n° 334, rondelle sans valeur introduite dans
un parcmètre, la remise du ticket matérialisant le crédit de temps illégalement obtenu.
SECTION 2- LA RÉPRESSION
L’escroquerie est punie de peines qui varient, selon qu’elle est simple ou
aggravée. L’action publique est susceptible de prescription.
Les peines complémentaires des articles 313-7 et 313-8 peuvent également être
prononcées : interdictions des droits civiques, civils et de famille ; interdiction
d’exercer la fonction publique ou l’activité professionnelle ou sociale dans
l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise ; fermeture
temporaire d’établissement pour cinq ans au plus ; confiscation ; interdiction de
séjour ; interdiction d’émettre des chèques ; affichage ou diffusion de la décision ;
exclusion des marchés publics pour cinq ans au plus.
1
Crim. 15 décembre 1943, D. 1945, p. 131, note Donnedieu de Vabres.
La responsabilité pénale des personnes morales est également prévue par l’article
313-9.
Au Togo, l’escroquerie est punie d’une peine d’emprisonnement d'un à trois ans
et d’une amende d'un million à trois millions de francs CFA ou de l’une de ces
deux peines (art. 452).
Séance n° 4
1
Crim. 20 juin 1994, Dr. Pénal 1994, 260 ; 26 septembre 1995, Bull. crim., n° 288
2
Crim. 4 juin 1935, Bull. crim., n° 80
Actuellement, l’article 313-5, C. pén. fr. incrimine plus généralement « le fait par
une personne qui sait être dans l’impossibilité de payer ou qui est déterminée à ne pas
payer de se faire attribuer un bien ou un service ». Beaucoup plus expressif, l’article
461, C. pén. tg., dresse une liste non exhaustive, et considère comme étant
constitutif de filouterie « notamment le fait par une personne qui sait être dans
l’impossibilité absolue de payer ou qui est déterminée à ne pas payer de se faire servir
et de consommer des boissons ou des aliments dans un établissement servant à titre
onéreux des boissons ou des aliments ; de se faire attribuer et d’occuper effectivement
une ou plusieurs chambres dans un établissement louant des chambres ; de se faire
servir des carburants ou lubrifiants dont elle se fait remplir tout ou partie des réservoirs
d’un véhicule par des professionnels de la distribution ; de se faire transporter en taxi
ou de louer une voiture ; de se faire servir une communication téléphonique ou une
connexion internet ».
Le délit de filouteries ne concerne donc pas seulement les aliments ou les
boissons ; il peut également s’agir de filouterie hôtelière, mais l’article 313-5, 2°,
C. pén. fr., exige alors que l’occupation n’excède pas dix jours. Au-delà de ce
délai, l’infraction n’est plus constituée, même si l’hôtelier a présenté sa note dans
les dix jours. Le législateur a considéré que passé ce délai, l’hôtelier faisait preuve
d’une négligence blâmable en n’exigeant pas d’être payé.
La filouterie peut concerner un transport en taxi ou en voiture de louage, mais
aussi le carburant ou le lubrifiant si, toutefois, la personne fait remplir tout ou
partie du réservoir d’un véhicule par des professionnels de la distribution.
L’infraction n’est pas réalisée, lorsque la personne se sert elle-même en
carburant dans une station en libre-service et qu’elle part sans payer.
Les filouteries sont des infractions intentionnelles supposant que leur auteur ait
voulu se faire délivrer un bien ou un service précédemment décrit en sachant
qu’il ne paierait pas, parce que qu’il ne le veut pas ou ne le peut pas.
L’article 313-5 punit la filouterie de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros
d’amende. En droit togolais, l’article 462, nouv. C. pén., prévoit une peine
d’emprisonnement d’un à six mois et/ou une amende de 100.000 à 500.000
francs.
§.2- L’extorsion
L’article 463, C. pén. tg., définit l’extorsion comme étant « le fait d’obtenir par
violence, menace de violence, physique ou morale, ou contrainte une signature ou la
remise d’un écrit, d’un acte ou pièce quelconque contenant obligation, disposition ou
décharge ; un engagement ou une renonciation ; la révélation ou la non-révélation d’un
secret ; la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien quelconque ; ou tout avantage
indu ».
Matériellement, l’extorsion se manifeste par un acte de pression psychologique
sur la personne d’autrui qui peut être physique ou morale. C’est cette pression
qui permet de distinguer l’extorsion de l’escroquerie et de l’abus de confiance,
car dans ces deux derniers délits, la remise est volontaire, ce qui n’est pas le cas
dans l’extorsion où la remise se fait sans le consentement de la victime, ce qui la
rapproche du vol, sans pour autant s’y confondre, puisque la remise est faite par
la victime elle-même à l’agent.
A- Les éléments constitutifs de l’extorsion
De la définition légale, il résulte que l’extorsion suppose la réunion de trois
éléments constitutifs.
1. L’emploi d’un moyen
La loi vise la violence, menace de violence ou contrainte. Il est impératif que la
remise ait été obtenue par l’un de ces moyens. La difficulté à porter sur la notion
Cours de Serge EVELAMENOU, Enseignant-chercheur, Faculté de Droit, UL
32
Droit pénal des affaires
1
Paris, 27 sept. 1991, D. 1991, 635
2
Crim. 29 janv. 1949, Bull. crim., n° 23 ; 3 oct. 1991, Dr. pén., 1992, comm. 64.
3
TGI Paris, 16 déc. 1986, Gaz. Pal. 1987, 2, 537
3. L’intention coupable
L’extorsion est une infraction intentionnelle. L’intention ici c’est « la conscience
d’obtenir par la force, la violence ou la contrainte, ce qui n’aurait pas pu être obtenu
par un accord librement consenti »1. L’auteur doit donc avoir conscience d’avoir
exercé une pression sur autrui et doit l’avoir fait pour extorquer quelque chose
à la victime.
B- La répression de l’extorsion
Aux termes de l’article 464, C. pén., toute personne coupable d’extorsion est
punie d’une peine d’emprisonnement d'un (01) à cinq (05) ans et d’une amende
d'un million (1.000.000) à cinq millions (5.000.000) de francs CFA. L’article 465
prévoit un certain nombre de circonstances aggravantes. C’est ainsi que la peine
est portée de cinq (05) à dix (10) ans de réclusion criminelle, notamment si, pour
exercer la pression, le coupable abuse des renseignements ou de la situation que
lui fournit sa profession ou sa fonction ; s’il exerce son activité délictueuse au
détriment d'une personne particulièrement vulnérable, en raison notamment de
sa minorité, son âge avancé, un état de grossesse, une maladie, une infirmité ou
d'une déficience physique ou psychique ; ou encore, si le coupable conduit sa
victime, par ces procédés ou leur répétition à la ruine et/ou au suicide.
1
Crim. 9 janv. 1991, Bull. crim., n° 17
1°) le fait, dans une adjudication publique, par dons, promesses, ententes ou tout
autre moyen frauduleux, d’écarter un enchérisseur ou de limiter les enchères ou
les soumissions, ainsi que le fait d’accepter de tels dons ou promesses ;
2°) le fait, dans une adjudication publique, d’entraver ou de troubler la liberté
des enchères ou des soumissions par violences, voies de fait ou menaces ;
3°) le fait de procéder ou de participer, après une adjudication publique, à une
remise aux enchères sans le concours de l’officier ministériel compétent ou
d’une société de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques agréée.
La jurisprudence admet de longue date que toutes les adjudications, volontaires
ou forcées, sont concernées (Crim. 29 décembre 1893, Bull. crim., n° 376), de
même que l’exercice du droit de surenchère après l’adjudication d’un immeuble
(Crim. 18 mars 1848, Bull. crim., n° 72).
Le délit d’entrave à la liberté des enchères peut consister en une entente
résultant d’une convention par laquelle un surenchérisseur s’engage à porter les
enchères à un niveau plus élevé en contrepartie de la renonciation par le
bénéficiaire d’un bail commercial de toute indemnité d’éviction. Cette situation
interdit à l’enchérisseur initial d’être déclaré adjudicateur, sauf à payer un prix
excessif compte tenu de la nécessité dans laquelle il se trouve d’ajouter au prix
d’adjudication le montant de l’indemnité d’éviction (Crim. 18 octobre 1982, Bull.
crim., n° 220).
L’infraction est intentionnelle, puisque l’article 313-6 exige un « moyen
frauduleux ». Le but poursuivi par l’auteur de l’infraction, caractéristique d’un
dol spécial, devant être soit d’écarter un enchérisseur ou de limiter les enchères
ou soumissions, soit d’entraver ou de troubler la liberté des enchères ou
soumissions, soit de procéder ou de faire procéder à une remise aux enchères,
après adjudication publique, sans le concours de la personne compétente.
Les peines prévues sont de six mois d’emprisonnement et de 22 500 euros
d’amende. Les peines complémentaires de l’article 313-7 et 313-8 du Code pénal,
identiques à celles de l’escroquerie, sont applicables à ces fraudes aux enchères
publiques, dont la tentative est punissable en vertu de l’article 313-6, dernier
alinéa.
§.5- Le chantage
Selon l’article 466, C. pén. tg., « le chantage est le fait d’obtenir en menaçant de
révéler ou d’imputer des faits de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la
considération une signature ou la remise d’un écrit, d’un acte ou pièce quelconque
contenant obligation, disposition ou décharge ; un engagement ou une renonciation ; la
révélation ou la non-révélation d’un secret ; la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien
quelconque ; ou tout avantage indu ».
Comme dans l’extorsion, la remise est contrainte et a lieu de façon consciente
en sorte que le chantage permet d’atteindre des comportements non couverts
par le vol ou l’escroquerie. Cependant, il y a une différence entre extorsion et
chantage, malgré l’identité du but poursuivi et cette différence tient au moyen
utilisé : alors que dans l’extorsion, la pression exercée par l’agent consiste en
une violence ou menace de violence, dans le chantage, elle consiste dans une
menace de révéler certains faits. Au-delà, on retrouve encore, à côté du moyen,
un but et une intention coupable.
1
Crim. 25 avr. 1896, D. 1898, 1, 92
pour retirer une plainte qu’il a déjà déposée 1. La menace doit, ainsi, être
antérieure à la révélation.
b) Une révélation ou une imputation
La révélation (ou l’imputation) porte, en principe, sur des faits encore inconnus,
les faits déjà connus excluant le délit de chantage. Cependant, le délit existe
lorsque les faits sont un peu connus ou, lorsque tombés dans l’oubli, la révélation
les ravive à la mémoire 2. La jurisprudence raisonne comme en matière de secret
professionnel, où la révélation peut consister à confirmer un fait encore peu
connu ou douteur, en transformant « en fait avéré et certain ce qui n’était jusqu’alors
qu’une rumeur sujette à controverse »3.
En outre, la révélation doit porter sur des faits assez précis, de nature à
caractériser la malice de l’agent. Mais, on sait qu’en fait, les maîtres chanteurs
procèdent souvent par insinuation, voulant ne pas trop se démasquer pour
parvenir à leurs fins, sans pour autant risquer des poursuites pour chantage.
Aussi, les juges considèrent-ils qu’il y a encore chantage même si le coupable
procède par allusion, à condition bien sûr qu’il n’y ait pas de doute chez la victime.
Cependant, la Cour de cassation exercer son contrôle sur la qualification opérée
par les juges du fond. Elle juge ainsi que l’existence des menaces est une condition
essentielle de l’infraction et elle doit être formellement constatée par les juges
du fond4.
c) Un fait de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération
En droit français, l’ancien 400 du Code pénal parlait de « révélations ou
d’imputations diffamatoires », termes que la jurisprudence avait rapproché de
l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, relatif à la diffamation, qui visait « toute
allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération
de la personne ». La jurisprudence en déduisait que « le chantage consistait à
menacer quelqu’un de faire connaître à des tiers… des faits portant atteinte à l’honneur
ou à la considération de la personne menacée » 5.
En somme, les imputations doivent, soit attaquer la probité de la victime
(honneur), soit troubler la position sociale de la victime (considération). Et il
importe peu que le fait imputé soit exact ou non 6.
1
Crim. 12 mars 1964, Bull. crim., n° 91 ; 22 avr. 1975, Bull. crim., n° 101, JCP 1976, II, 18417, note D. Mayer
2
Crim. 21 juill. 1993, S. 1935, 1, 36 ; 8 févr. 1994, Dr. pén., 1994, comm. 135
3
Crim. 25 janv. 1968, D. 153, note Costa
4
Crim. 12 mars 1964, Bull. crim., n° 91 ; 22 avr. 1975, Bull. crim., n° 101
5
Paris, 24 mars 1953, Gaz. Pal. 1953, 2, 14.
6
Crim. 19 juill. 1985, D. 1985, 1, 567.
Les exemples sont très nombreux. On peut citer la menace de dénoncer des
irrégularités de nature à fonder des poursuites disciplinaires 1, la menace
d’impliquer une personne dans un procès de mœurs, de vol et d’assassinat2, etc.
En revanche, si une personne, notamment une personne connue, reçoit une
lettre ou des appels téléphoniques l’informant qu’à défaut de remise de telle
somme d’argent à telle personne, des violences seront exercées sur elle, il n’y a
pas chantage dans ce cas. En effet, il manque ici l’élément qui menace de révéler
un fait diffamatoire. Mais, il peut y avoir, selon les circonstances, tentative
d’extorsion de fonds ou menaces de violences.
2. Le but poursuivi
Ce but est l’obtention d’une signature, d’un engagement ou d’une renonciation,
la révélation ou la non-révélation d’un secret, ou encore la remise de fonds, de
valeurs et d’un bien quelconque. Il importe peu, décide la jurisprudence française,
que le montant des fonds n’ait pas été précisé 3. Et il n’est pas nécessaire que la
chose extorquée appartienne à la personne menacée4.
Cependant, le domaine du chantage est, et a toujours été, limité au domaine
patrimonial, soit directement, soit indirectement (en matière de révélation d’un
secret). En conséquence, l’agent qui voudrait seulement satisfaire un désir de
vengeance échapperait à une condamnation pour chantage, mais pourrait, en
revanche, être poursuivi pour menaces.
3. L’intention coupable
L’intention est la volonté ou la conscience d’utiliser des menaces illégitimes pour
obtenir une remise indue. Cela dit, il se pose une question, assez complexe : celle
du chantage à la plainte ou menace de révéler à la justice un fait, par exemple
une infraction, en cas de non-versement d’une indemnité. Dans le principe, la
victime peut parfaitement exiger le versement d’une somme d’argent contre
renonciation à sa plainte. Ainsi, le veut la logique de la transaction qui est
d’application courante, et que réaffirme le nouveau Code pénal togolais en ces
articles 58 et suivants, qu’il qualifie « d’alternatives aux poursuites pénales ». Et
la jurisprudence ne manque pas de rappeler que la menace de recourir aux voies
légales pour obtenir le paiement d’une dette ne constitue pas un chantage5.
Mais, il ne s’agit là que d’un principe, car il peut intervenir la notion d’abus de
droit de la part de celui qui use de menace, en profitant de la situation. Il en est
ainsi dans deux cas. Le premier est relatif au créancier qui, pour recouvrer sa
1
Crim. 4 juill. 1874, D. 1875, 1, 288
2
Crim. 4 déc. 1900, Bull. crim., n° 362 ; D. 1901, 1, 512
3
Crim. 17 nov. 1993, Gaz. Pal. 1994, 1, Somm. 21 ; Rev. Sc. Crim. 1994, 564, obs. P. Bouzat.
4
Crim. 3 déc. 1896, D. 1898, 1, 149
5
Crim. 12 mars 1985 précité ; 13 mars 1990 précité.
1
Crim. 13 mars 1990 précité ; 5 mars 1975, Bull. crim., n° 72.
2
Crim. 20 févr. 1963, D. 1963, Somm. 103.
3
Poitiers, 7 févr. 1974, D. 1974, 693
4
Crim. 27 janv. 1960, D. 1960, 247.
Séance n° 5
CHAPITRE 3
L’ABUS DE CONFIANCE
L’abus de confiance est, selon l’article 429, C. pén., reprenant, mot pour mot,
l’actuel article 314-1 du nouv. Code pénal français, « le fait par une personne de
détourner au préjudice d’autrui des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont
été remis et qu’elle a accepté à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire
un usage déterminé ».
L’article 430 ajoute une liste de faits également constitutifs d’abus de confiance.
Commet aussi un abus de confiance, dispose ce texte, « toute personne qui, ayant
obtenu un crédit d’un organisme de crédit public ou privé, en aura fait un usage autre
que celui déclaré ou n’aura pas été en mesure de justifier la conformité de l’emploi à
l’usage initialement convenu ; ayant offert en garantie un bien meuble ou immeuble,
l’aura affecté en sûreté à un autre bien ; l’aura détourné par vente, donation,
destruction ou par tout autre moyen ; aura dissimulé les poursuites et saisies diligentées
par un autre créancier sur ce bien ».
En outre, l’alinéa 2 du texte prévoit la possibilité du délit dans l’intérêt d’une
personne morale. C’est ainsi que « commet également un abus de confiance toute
personne auteur des faits énumérés à l’alinéa précédent, au nom, pour le compte, ou
sous le couvert d’une personne morale ».
Seront donc examinés, les éléments constitutifs, puis la répression de l’abus de
confiance.
1
Crim. 26 sept. 1996, Bull. Joly 1997, 112
2
Crim. 22 oct. 1998, JCP 1999, IV, 1322
3
Crim. 6 mai 1969, Bull. crim., n° 151
4
Crim. 2 déc. 1911, DP. 1912, 1, 343 ; 10 mai 1989, Dr. pén. 1989, comm. n° 17, note Véron
5
Crim. 8 novembre 1982, Bull. crim., n° 242
1
Crim. 4 septembre 1996, Bull. crim., n° 314 : gérant d’une SCI ; 10 avril 2002, Bull. crim., n° 86 : cogérant d’une
SNC ; Aix-en-Provence, 4 juin 1998, JCP 1998, IV, 2757 : détournement de fonds d’un club de football par son
président
2
Crim. 16 décembre 1975, Bull. crim., n° 279
3
Crim. 11 janvier 1968, Bull. crim., n° 10
4
Crim. 13 février 1984, Bull. crim., n° 49
1
Crim. 19 février 1990, Bull. crim. n° 80
2
Crim. 2 mars 1994, Dr. pénal 1994, comm. 159, note Véron
3
Crim. 1er mai 1940, DH 1940, p. 169
4
Crim. 30 décembre 1943, Bull. crim., n° 169
5
Crim. 7 juin 1961, Bull. crim., n° 228
6
Crim. 25 octobre 1935, Bull. crim., n° 118
1
Crim. 21 mars 2000, Bull. crim., n° 122
Séance n° 6
Le nouveau Code pénal togolais, traite dans un même chapitre, intitulé « des
détournements », outre l’abus de confiance, l’abus de blanc-seing (§.1), le
détournement de gage et d’objet saisi (§.2), ainsi que l’organisation frauduleuse
de l’insolvabilité (§.3).
1
Crim. 12 janvier 1987, Gaz. Pal. 1987, I, somm. 200.
En outre, le blanc-seing doit avoir été volontairement remis à celui qui est
accusé d’en avoir abusé. D’où il suit que toute violence, par l’emploi de
laquelle aurait été obtenu le blanc-seing, exclurait cette mise de confiance
qui est l’élément primordial du délit.
Mais l’emploi de manœuvres frauduleuses, propres à tromper la victime, et
à l’amener à donner un blanc-seing, qu’elle n’aurait pas donné sans cela, fait
qui, en lui-même, est susceptible de constituer une escroquerie, peut-il faire
dégénérer l’abus du blanc-seing obtenu par la fraude en crime de faux ?
Une distinction s’impose, entre le cas où la remise du blanc-seing est
déterminée par des manœuvres excluant toute confiance dans la personne à
qui la signature est confiée, et celui où la remise n’exclut pas cette confiance.
Exemple : un avocat obtient de son client une feuille de papier timbré, signée
en blanc, en le persuadant qu’il en a besoin pour faire un acte de procédure
au nom du signataire, et il en abuse, en inscrivant une obligation, à son profit,
pouvant compromettre la fortune de ce client. Bien que la volonté de celui
qui a remis le blanc-seing ait été plus ou moins trompée par cette manœuvre,
on verra simplement dans ce fait un abus de confiance. Mais, lorsque les
manœuvres employées ont été telles que le signataire n’a jamais eu la volonté
de remettre un blanc-seing destiné à contenir un acte déterminé, c’est sous
la qualification de faux que le fait doit être poursuivi.
Enfin, le blanc-seing ne peut être réputé avoir été confié à un tiers que
lorsqu’il a été remis à cette personne à titre de blanc-seing et avec un mandat
quelconque. Ainsi, lorsqu’un individu remet ses nom et prénoms, à titre
d’adresse, à un tiers, et que celui-ci fabrique, au-dessus de ces nom et
prénoms, une obligation à son profit, il y a faux et non simplement abus de
blanc-seing. Ainsi encore, le fait par celui qui a reçu une quittance d’insérer,
dans un blanc laissé par inadvertance, une mention préjudiciable, ne constitue
pas l’abus de blanc-seing, mais le délit de faux 1.
2. Un abus commis par le bénéficiaire du blanc-seing
Le second élément du délit résulte de cette circonstance que l’auteur de
l’abus est précisément celui à qui le blanc-seing a été confié pour en faire un
usage déterminé. La question s’est, en effet, posée de savoir s’il y a abus de
blanc-seing ou s’il y a faux, lorsque la personne à qui le blanc-seing a été
confié, le fait remplir par un tiers. La réponse à cette question découle de
l’application des principes de la complicité.
Ou le tiers, auquel le blanc-seing a été remis pour qu’il y écrive la convention,
est réputé auteur principal, et dans ce cas il a commis un faux, dont doit être
réputé complice celui qui lui a remis le blanc-seing ; ou c’est bien ce dernier
1
Crim. 14 mars 1988, Bull. crim., n° 191, p. 102
que l’on répute auteur principal, celui qui a écrit pour lui la convention n’étant
considéré que comme son instrument et son complice, et dans ce cas, tous
les deux n’ont commis qu’un abus de blanc-seing.
3. Un abus frauduleux
La troisième condition du délit, c’est qu’il y ait un abus frauduleux du blanc-
seing ainsi confié. Cet abus consiste, aux termes de l’article 438, dans
l’inscription d’un acte au-dessus de la signature. Il faut en réalité préciser qu’il
doit s’agir d’un acte non conforme aux conventions arrêtées entre la
personne qui l’écrit et le signataire ; dans le cas contraire, il n’y aurait aucun
délit, non pas faute de préjudice, mais faute d’abus, puisque l’acte écrit serait
conforme au mandat donné par le signataire.
L’abus doit être frauduleux, c’est-à-dire que l’acte doit être écrit avec la
conscience et la volonté d’opérer une obligation ou décharge différente de
la convention arrêtée avec le signataire, et de nature à compromettre, au
moins d’une manière éventuelle, sa fortune ou sa personne. Cet abus
implique, en général, l’intention frauduleuse, laquelle sera rendue plus
manifeste encore par l’usage même du blanc-seing ainsi rempli.
Mais il n’est pas nécessaire, pour que le délit existe, qu’il ait été fait usage de
l’acte frauduleusement rédigé au-dessus de la signature. C’est
la fabrication même d’une convention, différente de celle pour la constatation
de laquelle le blanc-seing avait été confié, qui caractérise l’abus.
Sans doute, comme dans toute falsification d’écriture, ce n’est pas
précisément le faux qui est préjudiciable, mais plutôt l’usage du faux. Mais on
admet que si, d’un côté, l’abus du blanc-seing est consommé par le simple fait
de l’inscription frauduleuse d’une obligation ou d’une décharge au-dessus de
la signature, d’un autre côté, l’usage d’un blanc-seing, déjà frauduleusement
rempli, constitue aussi et toujours le délit d’abus de blanc-seing. L’usage, en
effet, comme l’exprime une jurisprudence aujourd’hui bien constante,
« reproduit et perpétue » l’abus de blanc-seing, déjà consommé par
l’inscription frauduleuse ; d’où il suit que la prescription ne commence à
courir qu’à dater du dernier usage qu’on a fait du blanc-seing1.
3. Un abus opérant obligation ou quittance
La dernière condition du délit est que l’écriture, mise au-dessus de la
signature, opère obligation ou quittance, c’est-à-dire décharge, ou qu’elle
puisse compromettre, d’une façon quelconque, la personne ou la fortune du
signataire.
Il faut donc, pour l’existence du délit d’abus de blanc-seing, relever
un préjudice. Mais le principe que le délit est constitué par la simple fabrication
1
Crim. 21 septembre 1994, Bull. crim., n° 300, 730
S’agissant d’un gage sans dépossession (art. 441, 1° et 2°), l’objet gagé reste entre
les mains du débiteur qui voit ses prérogatives limitées sur ce bien. Le
détournement intervient dès lors que le débiteur détruit, altère ou soustrait le
bien à la garantie du paiement de sa dette.
S’agissant d’un gage avec dépossession, le détournement est moins évident,
puisque, par définition, le bien se trouve entre les mains du créancier. L’article
441, 3°, prévoit, néanmoins, qu’il y a détournement dès lors que le créancier
bénéficiaire du gage détruit, altère, refuse de restituer, s’approprie ou fait
obstacle aux droits du débiteur sur l’objet gagé ou nanti.
Ce qui, matériellement, ne pourrait être constaté qu’à l’échéance de la dette et
après règlement complet de celle-ci.
L’infraction est donc imputable, aussi bien au donneur de gage, le débiteur, qu’au
bénéficiaire du gage, le créancier.
Au plan intellectuel, l’infraction est intentionnelle, le donneur de gage ou le
bénéficiaire doit avoir voulu porter atteinte, non pas au bien lui-même, mais aux
droits de son créancier ou de son débiteur en détournant l’objet gagé 1.
S’agissant des sanctions, l’article 442 prévoit des peines identiques à celles
applicables en matière d’abus de confiance, c’est-à-dire un à trois ans
d’emprisonnement et/ou une amende d’un million à trois millions de Francs CFA.
B- Le détournement d’objet saisi
Selon l’article 443, C. pén. tg., « le détournement d’objet saisi est le fait, par le saisi,
de détruire, de s’approprier, de ne pas restituer ou de faire obstacle aux droits d’autrui
sur un objet saisi entre ses mains en garantie des droits d’un créancier et confié à sa
garde ou à celle d’un tiers ».
L’existence d’une saisie constitue donc une condition préalable à l’infraction,
mais la poursuite répressive est indifférente à la validité de la saisie : il importe
peu que la saisie soit annulée après l’acte de détournement2.
Matériellement, l’infraction consiste en un détournement ou une destruction de
l’objet saisi, l’auteur de l’infraction étant la personne saisie. Intellectuellement, le
délit requiert une intention frauduleuse, exclusive de la bonne foi, caractérisée
par la connaissance que l’objet détourné avait été placé sous main de justice3.
1
Crim. 23 juin 1965, D. 1965, p. 778
2
T. corr. Seine, 18 décembre 1926, DP. 1928, 2, 199
3
Crim. 22 janvier 1953, Bull. crim. n° 23
Séance n° 7
1) Qu’est-ce que la corruption ? Quelles en sont les deux formes ? Définir chacune
d’elles.
3) Le 16 octobre 1985 (Gaz. Pal. 1986, p. 152), une affaire remarquable a été soumise
à la Cour de cassation française. En l’espèce, un étudiant de la Faculté de Droit de
Metz, ajourné à une épreuve de deuxième année, avait fait parvenir à l’enseignant un
chèque de 10 000 Francs accompagné d’une lettre indiquant qu’il « s’en remettait à
l’indulgence et à la bienveillance du professeur pour obtenir une note de 13/20, soit
par une nouvelle interrogation orale, soit par tout autre moyen ».
La Cour de cassation a déclaré l’étudiant coupable de corruption active de fonctionnaire.
Partagez-vous cette décision des juges ? Justifiez votre réponse par des
arguments juridiques.
TITRE 2
En son chapitre V, du Titre IV, intitulé « des infractions contre l’Etat », le nouveau
Code pénal togolais incrimine et réprime, divers comportements sous
l’appellation de « manquements au devoir de probité ». Il s’agit « des soustractions et
détournements de deniers et biens publics », « de la concussion », ainsi que de la
corruption à laquelle l’article 607 du Code assimile, le trafic d’influence, l’abus de
fonction, la prise illégale d’intérêt et l’enrichissement illicite.
Les soustractions et détournements de deniers et biens publics peuvent être le
fait de tout agent ou préposé de l’Etat, d’une collectivité territoriale secondaire,
d’un établissement public, d’une société dans laquelle l’Etat ou une autre
collectivité publique a pris une participation et plus généralement tout agent ou
préposé d’une personne morale de droit public, à l’occasion de l’exercice de ses
fonctions. Il peut également être le fait de toute personne physique ou morale,
commerçante ou non, tout dirigeant, qui de commun accord avec un agent public
a surévalué la valeur ou le prix de vente, de location d’un bien, d’un service ou
d’une fourniture par rapport au prix couramment pratiqué.
Les peines en la matière se veulent exemplaires et dissuasives et vont, en
fonction du montant de la chose détournée, de 5 à 20 ans de réclusion criminelle
et une amende de 10 millions à 100 millions de FCFA.
S’agissant de la concussion, elle est définie par l’article 592 comme le fait, par une
personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service
public, de recevoir, d’exiger ou d’ordonner de percevoir à titre de droits ou
contributions, impôts ou taxes publics, une somme qu'elle sait ne pas être due,
ou excéder ce qui est dû2. Elle se distingue donc de la corruption, en
l’occurrence, de la corruption passive. En effet, alors que dans cette dernière
infraction, l’agent malhonnête sollicite des avantages que le corrupteur est libre
1
Qualité de quelqu'un qui observe parfaitement les règles morales, qui respecte scrupuleusement ses devoirs,
les règlements, etc. (Larousse)
2 La concussion est punie d’une peine d’emprisonnement d'un (01) à cinq (05) an(s) et d’une amende d'un million
(1.000.000) à cinq millions (5.000.000) de francs CFA ou de l’une de ces deux peines.
de ne pas accorder, dans la concussion l’agent exige des sommes qu’il sait
excessive et au paiement desquelles la victime ne peut pas se soustraire.
Seules seront, dès lors, étudiées ici les infractions ayant en commun de réprimer
la collusion entre deux personnes, l’une possédant certaines prérogatives
découlant de ses fonctions, l’autre entendant exploiter ces prérogatives. Il s’agit
essentiellement de la corruption et des infractions assimilées, que sont le trafic
d’influence et la prise illégale d’intérêts, commis pour l’essentiel par des agents
publics ou assimilés.
CHAPITRE 1
LA CORRUPTION
non suivie d’effet. Le schéma est ici essentiellement contractuel : les parties au
pacte corrupteur négocient la récompense et sa contrepartie, l’exécution ou
l’inexécution d’un acte de la fonction du corrompu.
Elle se consomme ensuite lorsque le corrompu demande un avantage, voire une
simple offre ou promesse d’avantage, indépendamment de ses suites : il peut
donc y avoir un comportement actif de sa part.
Dans tous les cas, les différentes propositions peuvent se faire par le biais d’un
intermédiaire, puisque le Code pénal incrimine le fait de solliciter ou agréer non
seulement directement mais aussi indirectement. De plus, au sens de la loi,
l’agrément ou la sollicitation suffit à caractériser la corruption passive,
indépendamment de tout résultat matériel ; ce qui permet de la considérer
comme une infraction formelle.
La sollicitation ou l’agrément doit encore se faire « sans droit », c’est-à-dire sans
correspondre à la rétribution normale de l’agent. L’expression surprend, car elle
laisse entendre qu’un fonctionnaire ou un élu aurait, dans certains cas, le droit
de solliciter ou d’agréer des avantages pour exécuter ou – pire – s’abstenir
d’exécuter un acte de sa fonction.
S’agissant de la nature de l’avantage demandé ou accepté, les textes
d’incrimination permettent d’englober les récompenses les plus diverses, à
condition qu’elles soient « sans droit » : argent liquide, commissions, primes,
prêts, paiement de dettes, ristournes, objets précieux, voyage d’agrément1, voire
des… arbustes2.
Quant au moment auquel doit intervenir la sollicitation ou l’agrément, il est
indifférent, puisqu’elle peut intervenir « à tout moment ».
B- La finalité
La sollicitation ou l’agrément doit avoir pour objectif d’obtenir du corrompu qu’il
accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission, de
son mandat. En d’autres termes, il doit exister une relation causale entre
l’avantage sollicité ou accepté et l’acte ou l’abstention en cause ; ce qui renforce
l’idée selon laquelle, en dépit de la lettre du texte, la sollicitation ou l’agrément
doit être antérieur à l’acte, ou à l’abstention requis, puisque, logiquement, la
cause doit précéder l’effet.
1
Crim. 27 octobre 1997, Bull. crim., n° 352
2
Crim. 4 juillet 1974, Bull. crim. n° 249
1
Crim. 28 mars 1955, Bull. crim. n° 181
2
Crim. 17 novembre 1955, Bull. crim. n° 494
3
Crim. 3 juin 1997, Dr. pénal 1997, comm. n° 150
§.3- L’intention
Qu’il s’agisse de la corruption passive ou de la corruption active, le délit est
intentionnel. Le dol général réside dans la conscience de porter atteinte au
devoir de probité inhérent à la fonction, à la mission ou au mandat en cause. La
recherche d’un objectif précis, l’accomplissement ou le non-accomplissement
d’un acte de la fonction, de la mission ou du mandat est caractéristique du dol
spécial.
Le juge pénal apprécie souverainement cette intention, sous réserve de ne pas
se contenter de relever que les avantages ont eu pour résultat un acte ou une
abstention relevant de la fonction. Le juge doit vérifier qu’il s’agissait bien de leur
objectif précis 1.
1
Crim. 21 novembre 1972, Bull. crim., n° 350
promesses agréées ou des choses reçues ou demandées, sans que ladite amende
puisse être inférieure à 2 000 000 FCFA.
La juridiction saisie, peut en outre prononcer, accessoirement, la confiscation
des sommes, objets ou valeurs irrégulièrement acquis ou détenus, l’affichage ou
la diffusion de la décision prononcée aux frais du condamné, l’interdiction de
séjourner au Togo pendant une période ne pouvant excéder 10 ans après
l’exécution de la peine, si le condamné est étranger.
Enfin, bien que le Code pénal ne l’ait pas, expressément, envisagée, il n’est pas
exclu que les personnes morales encourent les peines prévues par les articles 53
et 54, pour la corruption de fonctionnaires, nationaux ou étrangers, commise
par leurs organes à leur seul profit, dans les limites de leurs attributions.
1
Crim. 1er décembre 1992, Dr. pénal 1993, comm. n° 126, obs. Véron
2
Crim. 21 mai 1997, Bull. crim. n° 193
3
Crim. 27 février 1997, Bull. crim. n° 45
4
Crim. 8 juin 1999, Bull. crim. n° 123
Séance n° 8
1) Qu’est-ce que le trafic d’influence ? Quelles en sont les deux formes ? Définir chacune
d’elles.
CHAPITRE 2
LE TRAFIC D’INFLUENCE
Le trafic d’influence est, à bien des égards, une infraction voisine de la corruption
d’agents publics. Un voisinage textuel d’abord, puisque le Code pénal l’assimile
expressément à la corruption. Un voisinage structurel ensuite, car il obéit à la
même dichotomie passif/actif et comprend la mise en œuvre de moyens
identiques.
Seule la finalité de ces moyens permet de distinguer les deux infractions : alors
que la corruption nécessite l’accomplissement ou le non-accomplissement d’un
acte de la fonction, le trafic d’influence suppose un abus « de son influence réelle
ou supposée » (article 608, C. pén. tg.). Pourtant, dès lors que la corruption existe
lorsque le comportement a été simplement facilité par la fonction, la distinction
s’obscurcit, puisque certaines fonctions publiques éminentes confèrent
assurément une influence dont il peut être tentant d’user, voire d’abuser, en
particulier quand il s’agit d’une personne dépositaire de l’autorité publique,
chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public ou
de tout agent de l’Etat.
On examinera donc les éléments constitutifs de l’infraction de trafic d’influence,
avant d’aborder la manière dont elle est réprimée.
1. Les moyens
Les agissements sont identiques à ceux de la corruption passive d’agents publics :
solliciter ou agréer sans droit, à tout moment, directement ou indirectement,
des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques,
directement ou par personne interposée. Leur analyse permet donc de dégager
des solutions identiques à celles admises en matière de corruption ; l’acceptation
comme la sollicitation, même non suivies d’effet, permettent de constituer le
délit qui s’avère être, par conséquent, une infraction formelle. Les sollicitations
ou les agréments peuvent donc être, en principe, antérieurs comme postérieurs
à l’abus d’influence.
Le fait que l’influence puisse ne pas être réelle, mais seulement supposée permet
d’appréhender les agissements d’un adjoint technique de mairie qui, moyennant
rémunération, s’était présenté comme étant « en raison de ses fonctions à la mairie
(…) et de ses relations, en mesure d’obtenir de l’autorité compétente la délivrance des
permis (de construire) sollicités » 1.
C’est dire que si l’influence n’est même pas supposée, mais est purement
imaginaire, c’est la qualification d’escroquerie qui devrait être privilégiée.
2. La finalité
Les agissements précédemment décrits doivent avoir pour objectif d’abuser de
son influence réelle ou supposée en vue « de faire obtenir d’une autorité ou d’une
administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou tout autre
décision favorable » (article 608, 1°). Selon la Cour de cassation, « la prévention du
trafic d’influence (…) exige que le bénéficiaire des dons ou présents soit considéré ou
se présente comme un intermédiaire », dont l’influence peut permettre l’obtention
d’une faveur quelconque2.
Le destinataire de cet abus d’influence peut être une autorité législative,
judiciaire, administrative ou militaire, ou même une autorité du secteur privé. La
décision favorable, quant à elle, peut par exemple, consister dans la délivrance
d’un permis de construire3, la conclusion d’une transaction dans le cadre de
poursuites en matière économique 4 ou encore l’obtention d’une naturalisation 5.
1
Crim. 4 juillet 1974, Bull. crim. n° 249
2
Crim. 1er octobre 1984, Bull. crim. n° 277
3
Crim. 4 juillet 1974 précité
4
Crim. 20 janvier 1949, Bull. crim. n° 21
5
Crim. 26 novembre 1927, Bull. crim. n° 274
SECTION 2- LA RÉPRESSION
Un certain nombre de peines sont prévues, en matière de trafic d’influence, alors
que la poursuite de cette infraction obéit à certaines modalités procédurales.
1
Crim. 16 décembre 1997, Bull. crim. n° 428
1
Crim. 13 juin 1978, Bull. crim., n° 194 ; 7 février 2001, Bull. n° 38
Séance n° 9
1) Qu’est-ce que la prise illégale d’intérêts ? Quelles en sont les deux formes ? Donner
un exemple de chacune d’elles.
CHAPITRE 3
La prise illégale d’intérêts est prévue aux articles 613 à 619, C. pén. tg., dont
l’économie générale tend à éviter l’ingérence d’agents publics dans la vie des
affaires et à les inciter à faire preuve d’un minimum de probité et d’impartialité
dans le cadre de leurs fonctions, afin d’assurer, autant que possible, une relative
moralisation de la vie publique. Ces dispositions visent aussi bien l’agent public
en fonction que l’agent public qui a cessé ses fonctions.
La qualité de l’auteur de l’infraction sera donc examinée, avant de préciser les
manières dont celle-ci est réalisée et réprimée.
1
Crim. 20 novembre 1980, Bull. crim. n° 310
2
Crim. 11 juin 1998, D. 1999, somm. p. 159
3
Crim. 14 juin 2000, Bull. crim. n° 221
1
Crim. 7 octobre 1976, Bull. crim. n° 285
2
Crim. 21 juin 2000, Bull. crim. n° 239
1
Crim. 23 février 1966, Bull. crim., n° 64
2
Crim. 18 juin 1996, Dr. pénal 1996, comm. n° 263 : 1er arrêt
1
Crim. 20 février 1995, Dr. pénal 1995, comm. n° 173
2
Crim. 7 octobre 1976, Bull. crim., n° 285
3
Crim. 6 août 1996, Dr. pénal 1996, comm. n° 263 : 2ème arrêt
4
Crim. 14 juin 1988, Bull. crim., n° 272
5
Crim. 20 novembre 1980, Bull. crim., n° 301
6
Crim. 3 mai 2001, Bull. crim., n° 106
7
Crim. 19 mai 1999, Bull. crim., n° 101
8
Crim. 29 septembre 1999, Bull. crim., n° 202
B- L’élément intellectuel
L’infraction est intentionnelle et se satisfait d’un dol général : la conscience de
prendre illicitement un intérêt dans une entreprise que l’agent doit surveiller1.
La jurisprudence fait preuve d’une sévérité manifeste en présumant cet élément
intentionnel 2, présomption difficile, voire impossible à renverser, en raison de la
nature même des fonctions exercées par l’agent qui ne lui permettront pas
d’invoquer sa bonne foi3.
§.2- Les peines
Depuis la réforme du Code pénal, toute personne coupable de prise illégale
d’intérêt est punie d’une peine d’emprisonnement d'1 an à 3 ans et d’une amende
de 5.000.000 à 20.000.000 de francs CFA, qu’il s’agisse d’un agent public en
fonction ou d’un ancien agent public.
Les complices et les personnes qui se sont interposées dans la commission de
l’infraction, sont punis des mêmes peines.
En outre, l’article 617, C. pén. tg., a innové, en assimilant à une prise illégale
d’intérêts, le fait pour tout agent de l’Etat, d’une collectivité locale, d’un
établissement public, d’une société d’Etat ou d’une société d’économie mixte à
participation étatique majoritaire, dans une adjudication publique ou dans un
contrat ou marché public, d’encourager ou d’admettre, soit directement, soit
indirectement, les surfacturations ou les facturations fictives par le
soumissionnaire ou le fournisseur, dans le dessein d’en tirer un quelconque
profit.
Dans ce cas, la peine encourue est de 5 à 10 ans de réclusion criminelle et une
amende de 5.000.000 à 20.000.000 de francs CFA.
La juridiction saisie peut, le cas échéant, prononcer à l’encontre du condamné les
peines complémentaires suivantes : la confiscation des sommes, objets ou valeurs
irrégulièrement acquis ou détenu ; l’affichage ou la diffusion de la décision
prononcée aux frais du condamné ; l’interdiction de séjourner au Togo pendant
une période ne pouvant excéder 10 ans après l’exécution de la peine, si le
condamné est étranger.
1
Crim. 15 décembre 1905, Bull. crim., n° 554
2
Crim. 18 février 1987, Bull. crim., n° 80
3
Crim. 25 juin 1996, Bull. crim., n° 273
PARTIE 2
Depuis le Code de commerce français de 1807, le rôle des sociétés, mais aussi
des personnes physiques, commerçants ou professionnels indépendants, dans la
vie économique, s’est développé de façon exponentielle. Le droit pénal avait,
dans le contexte africain, suivi, tant bien que mal, le mouvement jusqu’à
l’adoption en 1993 du Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en
Afrique, donnant naissance au droit OHADA.
Aux termes de l’article 5, al. 2 dudit Traité, « les actes uniformes peuvent inclure
des dispositions d’incrimination pénale. Les Etats parties s’engagent à déterminer les
sanctions pénales encourues ». La Partie III de l’Acte uniforme relatif au droit des
sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, de même que
le Titre VI de l’Acte uniforme portant droit des procédures collectives
d’apurement du passif prévoient ainsi des incriminations sans les assortir de
sanctions pénales, « les personnes déclarées coupables » des actes incriminés étant
« passibles des peines prévues pour ces infractions par les dispositions prises par
chaque Etat partie conformément à l’article 5 du Traité Ohada » 1.
C’est ainsi que le législateur togolais, à la faveur de la réforme du 24 novembre
2015 portant Nouveau Code pénal2, consacre un titre X aux « infractions relatives
au droit OHADA ».
Aussi, loin d’être exhaustive, cette seconde partie s’attachera-t-elle
essentiellement à l’examen des principales infractions intéressant, d’une part, le
droit OHADA, en l’occurrence le droit des sociétés commerciale et du GIE,
ainsi que le droit des entreprises en difficulté, et d’autre part, les autres secteurs
de l’activité économique, tels que le droit bancaire et financier, le droit boursier,
ou encore le droit de la concurrence et de la consommation.
1
Article 226, AUPC.
2
Loi n° 2015-010, J.O.R.T., n° spécial, 24 novembre 2015.