Droit Pénal Des Affaires

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Domaine : Sciences juridiques, politique et de l’administration

Parcours : Droit privé

Établissement : Faculté de Droit, Université de Lomé

Code de l’UE : DRV492

Intitulé de l’UE : DROIT PÉNAL DES AFFAIRES

Crédits : 36

Public cible : étudiants en droit, professionnels du droit

Semestre : 6

Pré-requis : Droit pénal général, Droit commercial général, Droit


des biens, Droit des sûretés, Droit des instruments de crédit et de
paiement, Droit des sociétés, Droit des entreprises en difficulté.

Enseignant responsable de l’UE :

Dr. Serge Kokou EVELAMENOU


Maître-assistant, FDD-UL
Droit des affaires
22 BP. 278 Lomé 22, Togo
+228 90443030 / 99606076
Disponible les vendredis, de 9h15 à 12h15
Droit pénal des affaires

DESCRIPTION DE L’UNITÉ D’ENSEIGNEMENT

Objectif général : Il s’agit pour les apprenants d’assimiler les principales


infractions susceptibles d’être commises à l’occasion des affaires, ainsi que les
modalités de leur répression, aussi bien en droit français qu’en droit togolais et
droit OHADA.

Objectif spécifique : Cet enseignement est particulièrement utile à une grande


majorité de juristes, aussi bien les professionnels, tels que les juristes
d’entreprises, les avocats ou encore les notaires, ainsi que ceux dont la mission
est d’intervenir lors des infractions survenues au moment de la conclusion ou de
l’exécution des relations de la vie juridique, notamment les magistrats ou avocats.

CONTENU DE L’UNITÉ D’ENSEIGNEMENT

Se côtoient dans ce cours de Droit pénal des affaires, des infractions « classiques
», telles que le vol, le recel, l'escroquerie, l’abus de confiance, la tromperie, la
falsification, la violation du secret professionnel et d'autres, plus « modernes »,
comme, entre autres, le délit d’initié, l'exposition d'autrui à un risque, le
harcèlement, les infractions en matière de traitement automatisé d'informations,
l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse, l'organisation frauduleuse
de l'insolvabilité ou encore le blanchiment. Il s’agit, en fait, d’un droit pénal spécial
spécifique à l’entreprise, c’est-à-dire, une délinquance « astucieuse » ou « en col
blanc » privilégiant, en quelque sorte, l’intelligence à la violence et dont l’activité
réside essentiellement dans des atteintes aux biens.

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Droit pénal des affaires

PLAN DU CONTENU DE L’UNITÉ D’ENSEIGNEMENT

Séance Rappel des objectifs Intitulé des parties / titres /


n° spécifiques chapitres / sections
1 Définition, objet et sources du Introduction
droit pénal des affaires
2 Définition et répression du Partie 1, Titre 1, Chapitre 1
vol
3 Définition et répression de Partie 1, Titre 1, Chapitre 2,
l’escroquerie Sections 1 et 2
4 Définition et répression des Partie 1, Titre 1, Chapitre 2,
infractions voisines de Section 3
l’escroquerie
5 Définition et répression de Partie 1, Titre 1, Chapitre 3,
l’abus de confiance Sections 1 et 2
6 Définition et répression des Partie 1, Titre 1, Chapitre 3,
infractions voisines de l’abus Section 3
de confiance
7 Définition et répression de la Partie 1, Titre 2, Chapitre 1
corruption
8 Définition et répression du Partie 1, Titre 2, Chapitre 2
trafic d’influence
9 Définition et répression de la Partie 1, Titre 2, Chapitre 3
prise illégale d’intérêts
10 Infractions relatives à la Partie 2, Titre 1, Chapitre 1
création et à la transformation
des sociétés
11 Infractions relatives à la Partie 2, Titre 1, Chapitre 2
dissolution et à la liquidation
des sociétés
12 Infractions relatives au droit Partie 2, Titre 1, Chapitre 3
des entreprises en difficulté

MODALITÉS D’ÉVALUATION : QCM

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES :

Ouvrages :

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Droit pénal des affaires

- DELMAS-MARTY (M) et GIUDICELLI-DELAGE (G), Droit pénal des


affaires, PUF.
- JEANDIDIER (W), Droit pénal des affaires, Précis Dalloz.
- ROBERT (J.-H.) et MATSOPOULOU (H), Traité de droit pénal des affaires,
Droit fondamental, PUF.
- STASIAK (F), Droit pénal des affaires, LGDJ.

Revues :

- Revue de science criminelle et de droit pénal comparé (Rev. sc. crim.)


- Revue Droit pénal (Dr. pénal)
- Revue des sociétés (Rev. sociétés)
- Revue trimestrielle de droit commercial (RTD com.)
Chacune de ces revues contient une chronique de jurisprudence
concernant les infractions relevant du droit pénal des affaires.

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Droit pénal des affaires

Séance n° 1

Objectif : Définition, objet et sources du droit pénal des affaires

Consignes : Lire et relire, au besoin, l’intégralité de l’introduction, en s’aidant, s’il y a


lieu, du Lexique des termes juridiques ou du vocabulaire juridique, afin de cerner le
domaine global du cours.

INTRODUCTION

Le droit pénal des affaires est né à une époque récente sous l'empire d'une
double nécessité 1. D'une part, les infractions contre les biens incriminées par le
code pénal, notamment l'abus de confiance et l'escroquerie, étaient définies de
manière trop étroite pour permettre de poursuivre et de condamner tous les
hommes d'affaires dont le comportement était moralement blâmable et
socialement dangereux. D'autre part, les sanctions civiles traditionnelles, comme
les annulations ou les dommages-intérêts, s'adaptaient difficilement à la violation
de beaucoup de réglementations économiques.

Cet ainsi qu’on voit, à partir de 1935, se multiplier des infractions spécifiques
dans les domaines les plus divers : sociétés commerciales, prix, concurrence,
relations financières avec l'étranger, crédit, relations du travail, consommation,
construction, fiscalité, informatique, environnement, etc., alors que jusqu'à cette
époque, le droit pénal des affaires se limitait à peu près exclusivement aux
banqueroutes. Il fallait donc trouver l'équilibre entre le laxisme à l'égard des
hommes d'affaires qui dilapidaient l'argent des autres et le soupçon systématique,
qui faisait de tout chef d'entreprise un délinquant en puissance.

1 Y. Guyon, De l’inefficacité du droit pénal des affaires, Revue Pouvoirs - 55, 1990, p. 41-52

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Droit pénal des affaires

SECTION 1- DÉFINITION ET OBJET DU DROIT PÉNAL DES


AFFAIRES

On constate d'emblée qu'il n'existe pas de définition du droit pénal des affaires.
Cette situation n'est que le reflet du flou qui entoure le concept même de droit
des affaires, discipline dont l'existence précède l'essence et dont les limites sont
mal tracées1. Néanmoins le droit pénal des affaires semble se définir davantage
par les infractions qu'il incrimine que par les personnes qu'il permet de
condamner. Il n'est pas le droit pénal des commerçants ou, plus généralement,
de « ceux qui sont dans les affaires », expression d'ailleurs assez péjorative, qui vise
ceux qui s'enrichissent rapidement et d'une manière pas toujours très honnête.
Des hommes d'affaires commettent parfois des infractions de droit commun, à
l'occasion et pour le développement desdites affaires. Le trafic de la drogue, le
proxénétisme, l'exploitation de la pornographie sont des entreprises fructueuses,
qui donnent lieu à des crimes de sang, que l'on ne considère pourtant pas comme
faisant partie du droit pénal des affaires. A l'inverse, de simples particuliers
peuvent émettre des chèques sans provision ou violer la réglementation des
relations financières avec l'étranger, matières qui relèvent du droit pénal des
affaires.

Cette incertitude est aggravée par le fait que les infractions dites d'affaires, à la
différence des infractions politiques, ne donnent pas lieu à des sanctions
spécifiques. L'amende, l'emprisonnement, les peines accessoires ou
complémentaires sont les mêmes qu'en droit commun. Aucune conséquence
juridique précise ne s'attache à la qualification « infraction d'affaires » donnée à tel
ou tel comportement délictueux. Par conséquent, le droit pénal des affaires est
un concept qui intéresse plus les universitaires que les juges ... ou les délinquants.
On peut, au gré de choix finalement assez subjectifs, y englober ou au contraire
en exclure telle ou telle catégorie d'infractions 2.

Néanmoins, selon l'opinion dominante, le droit pénal des affaires concerne les
infractions non violentes dirigées contre les biens et non contre les personnes.
Il s’agit d’une délinquance « astucieuse » ou « en col blanc » privilégiant, en
quelque sorte, l’intelligence à la violence et dont l’activité réside essentiellement
dans des atteintes aux biens. On l’appelle encore le droit pénal de

1 Y. Guyon, Droit des Affaires, t. 1, 5ème éd. Economica, 1988, n° 2


2 A. Vitu, La définition et le contenu du droit pénal économique, Mélanges Hamel, Paris, 1961, p. 71.

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Droit pénal des affaires

l'entreprise, c’est-à-dire un ensemble d’infractions, dont l’entreprise et/ou les


personnes qui la dirigent ou la servent, peuvent être déclarées coupables ou au
contraire victimes. Se côtoient ainsi des infractions « classiques », telles que le
vol, le recel, l'escroquerie, l’abus de confiance, la tromperie, la falsification, la
violation du secret professionnel et d'autres, plus « modernes », comme, entre
autres, le délit d’initié, l'exposition d'autrui à un risque (« la mise en danger »), le
harcèlement, les infractions en matière de traitement automatisé d'informations,
l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse, l'organisation frauduleuse
de l'insolvabilité ou encore le blanchiment.

Portant sur des sommes considérables, la « délinquance en col blanc » est


d'autant plus dangereuse qu'elle est d’ordinaire dissimulée, et d'autant plus
fréquente que, souvent, les auteurs d'escroquerie, d'abus de biens sociaux, de
fraude fiscale, de publicité trompeuse, etc., n'ont pas un sentiment bien net de
leur culpabilité… Quant aux victimes, honteuses d’avoir été dupées, elles ne
portent pas toujours plainte.

Néanmoins, les infractions les plus fréquemment sanctionnées sont le vol, le


recel, l'escroquerie, l'abus de confiance, l'abus de biens sociaux, le faux, la fraude
douanière, la fraude fiscale…, mais également l'ensemble des infractions relatives
à la formation, au fonctionnement, au financement ou à la disparition des
entreprises, au droit de la concurrence ou au droit de la consommation. C'est
donc l'ensemble de la vie des affaires qui se trouve concernée ; ce qui place le
droit OHADA dans un tout premier ordre en raison de la primauté et de
l’applicabilité directe des normes originaires, le traité et les actes uniformes en
l’occurrence. Certes, l’OHADA ne prévoit que les incriminations, la
détermination des peines applicables aux infractions d’affaires étant laissée à la
discrétion de chaque droit national.

Aussi, retrouve-t-on désormais dans le Code pénal togolais un Titre X consacré


aux « infractions relatives au droit OHADA », dont les articles 1103 et suivants
déterminent et sanctionnent les infractions relevant des domaines d’affaires, aussi
variés que le droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt
économique, les procédures collectives, le recouvrement des créances, les
sûretés, le droit comptable, le droit commercial général.

On remarque dès lors que les sources du droit pénal des affaires se distinguent,
en l’absence d’un « Code pénal des affaires », par leur éparpillement : Code

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Droit pénal des affaires

pénal, Code de commerce, Code monétaire et financier, Code de la


consommation, Code OHADA, etc. Une telle multiplication des normes
répressives a certainement contribué à brouiller les frontières du permis et de
l’interdit, d’autant que le domaine du droit pénal des affaires, loin de se
restreindre, s’est, au contraire, élargi avec l’apparition d’un phénomène nouveau
: la cybercriminalité.

SECTION 2- ÉLARGISSEMENT DE L’OBJET DU DROIT PÉNAL DES


AFFAIRES : LA CYBERCRIMINALITÉ

Le droit pénal est désormais face à un nouvel espace qu’il ne peut ignorer, à
savoir le « cyberespace », terme inventé par William Gibson en 1984 dans son
livre Neuromancer1, espace planétaire sans frontière où les ordinateurs sont reliés
entre eux par des réseaux. C’est dans cet univers que va se développer la
cybercriminalité qui va concerner progressivement l’ensemble du champ du droit
pénal.

§.1- Définition et origines de la cybercriminalité

La cybercriminalité, issue du terme « cyber » (kubernan, en grec diriger,


gouverner), vise les traitements informatiques et est associée à la délinquance
utilisant les réseaux informatiques. Ce terme « cyber » est désormais utilisé
fréquemment et associé à toutes sortes de délinquance, qu’il s’agisse de la
cyberfraude ou du cyberterrorisme.

Le cybercrime demeure encore pour les juristes une notion abstraite et la


Convention sur la cybercriminalité du Conseil de l’Europe ne la définit pas. Aucun
texte ne précise la notion de cybercriminalité qui n’est d’ailleurs mentionnée que
dans le cadre de la procédure du mandat d’arrêt européen (art. 695-23 du Code
de procédure pénale français). C’est pourquoi, sur le plan formel, il est important
de cerner la notion de cybercriminalité et de voir quels types d’infractions sont
concernés par ce phénomène. Elle a pour synonyme la délinquance électronique
ou la cyberdélinquance.

1 V. Myriam Quéméner et Yves Charpenel, Cybercriminalité, Droit pénal appliqué, Coll. Pratique du droit, éd.
Economica, 2010

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Droit pénal des affaires

§.2- Infractions visées

Selon la Commission Européenne, la cybercriminalité englobe trois catégories


d’activités criminelles :
- Les infractions visant les systèmes d’information et les systèmes de
traitement automatisé de données (STAD) comme le déni de service et le
piratage ;
- Les formes traditionnelles de criminalité, telles que la fraude en ligne et les
escroqueries ;
- Les infractions dites de contenu comme la pédophilie via internet, le
racisme et la xénophobie.

D’après le concept retenu par l’Organisation pour la Coopération et le


Développement Économique (OCDE), la cybercriminalité est « tout
comportement illégal ou contraire à l’éthique ou non autorisé, qui concerne un
traitement automatique de données et, ou de transmissions de données ».

Selon l’ONU, la cybercriminalité concerne « tout comportement illégal faisant


intervenir des opérations électroniques qui visent la sécurité des systèmes informatiques
et des données qu’ils traitent » 1.

Elle correspond à l’ensemble des infractions pénales susceptibles de se


commettre sur les réseaux de télécommunications en général et plus
particulièrement sur Internet. Il s’agit d’une notion polymorphe qui peut
concerner les infractions classiques commises par le biais des technologies
numériques, comme de nouvelles infractions, nées de l’essence même de
l’informatique. Les technologies numériques permettent la réalisation d’activités
délinquantes et notamment l’Internet apparaît comme un vecteur privilégié pour
le passage à l’acte des délinquants.

Ce qui ne peut laisser indifférent le législateur togolais, qui, à la faveur de la


réforme de novembre 2015, a introduit dans le Titre III du Code pénal, réservé
aux « infractions contre les biens », un Chapitre V, consacré aux « atteintes contre
les systèmes d’information », dont la répression est organisée aux articles 473 à
482 dudit code.

1 10ème congrès des Nations Unies, Vienne, 10-17 avril 2000 (www.uncjin.org)

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Droit pénal des affaires

Par « système d’information », l’article 473, 1° du nouveau Code pénal entend


« un dispositif isolé ou un ensemble de dispositifs interconnectés ou apparentés, qui
assure ou dont un ou plusieurs éléments assurent, en exécution d'un programme, un
traitement automatisé de données informatiques, ainsi que les données informatiques
traitées, stockées, récupérées ou transmises par ce dispositif ou cet ensemble de
dispositifs en vue du fonctionnement, de l'utilisation, de la protection ou de la
maintenance de celui-ci ». Quant à la notion de « données informatiques », elle est
définie à l’article 473, 2° comme étant « une représentation de faits, d'informations
ou de concepts sous une forme qui se prête à un traitement informatique, y compris un
programme de nature à faire en sorte qu'un système d'information exécute cette
fonction ».

On perçoit, par ces définitions, la volonté du législateur d’appréhender, autant


que possible, l’ensemble du phénomène de la cybercriminalité, que l’on appelle
également l’e-fraude ou l’e-délinquance, le préfixe « e » correspondant à
électronique et remplaçant le terme cyber. En tout état de cause, le recours
fréquent au préfixe « cyber » témoigne de la place grandissante des systèmes
d’information électronique dans le monde actuel.

Toutefois, la cybercriminalité n’est pas, à proprement parler, une infraction dite


des affaires, et, par conséquent, relève davantage du droit pénal spécial que du
droit pénal des affaires. Elle ne sera donc pas étudiée en profondeur dans le cadre
de ce cours réservé aux infractions d’affaires.

On envisagera ainsi, dans un premier temps, les infractions de droit commun


susceptibles d’être commises à l’occasion des affaires (Partie 1) et, dans un
second mouvement, les infractions spécifiques au droit des affaires (Partie 2).

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Droit pénal des affaires

Séance n° 2

Objectif : Définition et modalités de répression du vol, en tant qu’atteinte à la


propriété.

Consignes : Lire et relire, au besoin, la première partie jusqu’à la fin du chapitre 1


consacré au vol, en s’aidant, s’il y a lieu, du Lexique des termes juridiques ou du
vocabulaire juridique, afin de cerner tous les contours de cette infraction de droit
commun et la manière dont elle est réprimée et sanctionnée.

Activités : Répondre aux questions suivantes :

1) Qu’est-ce que le vol ?


2) La femme qui prend l’argent de son mari à son insu est-elle coupable de vol ?
3) Si oui, quelles sanctions encourt-elle ?
4) Peut-on voler l’électricité ?

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Droit pénal des affaires

PARTIE 1

LES INFRACTIONS DE DROIT


COMMUN COMMISES À
L’OCCASION DES AFFAIRES

D’une certaine manière, toutes les infractions dites de droit commun, en


l’occurrence, celles prévues par le Code pénal, peuvent être en relation avec le
droit des affaires. Il suffit, par exemple, de songer au chef d’entreprise qui ferait
assassiner un concurrent pour en être débarrassé.

Aussi, même en se limitant aux atteintes contre les biens, qui constituent le cœur
du droit pénal des affaires, un choix s’avère indispensable. On retiendra ici les
infractions qui répriment les atteintes portées à la propriété, au devoir de probité
et à la vérité, sans oublier les infractions de conséquence qui peuvent venir
prolonger les précédentes.

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Droit pénal des affaires

TITRE 1

LES ATTEINTES À LA
PROPRIÉTÉ

On peut, de façon schématique, relever trois types principaux de comportement


permettant de s’approprier frauduleusement la chose d’autrui : les soustractions
par lesquelles le délinquant appréhende les biens de la victime à son insu, les
manipulations qui lui permettent d’obtenir de la victime la remise de la chose
convoitée et les détournements par lesquels il s’abstient de restituer une chose
préalablement et valablement remise par la victime. Ces comportements
correspondent aux trois grandes infractions d’atteinte aux biens qu’il convient
de ne pas confondre : le vol, l’escroquerie et l’abus de confiance.

En outre, une place particulière peut également être faite aux infractions
protégeant les systèmes de traitement automatisé de données qui sanctionnent
des atteintes réelles à une forme de propriété virtuelle.

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Droit pénal des affaires

CHAPITRE 1

LE VOL

L’article 411 du nouveau Code pénal togolais définit le vol comme « la soustraction
frauduleuse de la chose d’autrui ». Le vol, en tant que comportement incriminé et
réprimé (section 2), nécessite que soient réunis des éléments constitutifs
(section 1).

SECTION 1- LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU VOL

Comme toute infraction, le vol nécessite, pour être constitué, un élément


matériel et un élément moral.

§.1- L’élément matériel

De par la définition légale, l’élément matériel suppose, tout d’abord, la présence


de la chose d’autrui (A), puis la réalisation de l’acte matériel de soustraction (B).

A- La chose d’autrui

On ne peut voler une chose appartenant à soi-même. La chose doit


nécessairement appartenir à autrui.

1. Une chose

La chose désigne a priori un bien corporel et mobilier. Le juge répressif ne tient


pas compte des fictions du droit civil relatives aux immeubles par destination ou
aux meubles par anticipation. Il suffit de constater la mobilité de la chose. Tel est
le cas de récoltes sur pied, dont la soustraction frauduleuse est formellement
considérée comme vol par l’article 412, 4° du nouveau code pénal togolais.

La solution paraît logique puisque la soustraction suppose une appréhension et


un déplacement de la chose, incompatible avec la nature immobilière d’un bien.

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Droit pénal des affaires

En revanche, il est parfaitement possible de voler des parties d’un immeuble ou


même le titre de propriété de celui-ci1.

Par ailleurs, la question s’était posée de savoir si l’électricité ou une information


pouvaient faire l’objet d’un vol.

S’agissant de l’électricité, la jurisprudence avait décidé que l’appréhension était


possible puisque la transmission d’électricité pouvait être matériellement
constatée2. Cette solution est formellement consacrée par le législateur. Le
nouveau code pénal togolais admet en son article 412, 2°, sont notamment
considérés comme vol « les branchements, les modifications ou altérations
frauduleuses d’installations de distribution d’eau, de gaz, d’électricité ou de téléphone
ayant pour but de soustraire en tout ou en partie l’utilisateur au paiement des
redevances ».

Il en est de même de « la soustraction ou l’interception d’informations » que l’article


412, 3° considère également comme vol, au sens de l’article 411, alors qu’en
droit français, la jurisprudence paraît la rejeter pour deux raisons principales :
une information n’est pas un bien corporel et elle ne se perd pas par sa
transmission, même involontaire.

Le juge français reconnaît, toutefois, qu’il peut y avoir vol du support matériel
d’une information3. Un arrêt remarqué a ainsi considéré qu’en photocopiant à
l’insu de son employeur et à des fins personnelles, pour préparer une instance
prud’homale, des documents dont il a la légitime possession dans le cadre de ses
fonctions, un salarié appréhende frauduleusement ces documents le temps de
leur production 4.

2. Propriété d’autrui

La chose doit nécessairement appartenir à autrui, car on ne saurait se voler soi-


même. La jurisprudence décide que se rend coupable de vol l’entrepreneur qui
pénètre dans une maison en construction vendue en l’état futur d’achèvement et
reprend des menuiseries qu’il avait fournies et qui avaient déjà été mises en
place5. Mais le vol n’est pas constitué, lorsqu’un entrepreneur reprend dans la

1
Crim. 19 juin 1975, Gaz. Pal. 1975, 2, 660
2
Crim. 3 août 1912, DP. 1912, 1, 439
3
Crim. 8 janvier 1979, Bull. crim. n° 13 (vol d’une photocopie) ; 12 janvier 1989, Bull crim. n° 14 (vol de disquettes
et de leur contenu informationnel le temps nécessaire à leur reproduction).
4
Paris, 9 novembre 2000, D. 2001, somm. p. 2345
5
Crim. 12 octobre 1976, Bull. crim., n° 289

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Droit pénal des affaires

maison inachevée qu’il était chargé de construire, un matériel sanitaire payé par
lui et non encore installé, s’il résulte du contrat passé entre les parties que le
matériel en cause était resté la propriété de l’entrepreneur1.

Pour que le vol puisse être retenu, il n’est pas nécessaire d’identifier le
propriétaire de la chose : la preuve de l’appropriation suffit. Il en résulte
classiquement que le vol ne peut pas porter sur des choses communes ou res
communes, comme l’air, la mer ou les eaux courantes, ni sur des choses sans
maître ou res nullius, qui n’appartiennent à personne, comme c’est parfois le cas
du gibier, des poissons ou des produits de la mer.

B- Une soustraction

Entendu strictement, l’acte de soustraction suppose une appréhension et un


déplacement, entraînant une substitution de possession à l’insu du propriétaire.
Il importe peu que cette soustraction soit temporaire, qu’il ne s’agisse que d’un
« emprunt », puisque le vol est une infraction instantanée : une restitution
ultérieure ne constituerait donc qu’un repentir actif inefficace sur la qualification
de l’infraction. Sauf à l’auteur d’une soustraction temporaire de rapporter la
preuve, nécessairement délicate, qu’il n’a jamais voulu se comporter comme le
propriétaire de la chose.

Il convient, toutefois, d’apporter deux précisions à propos de la notion de


soustraction, précisions qui tiennent, d’une part, à l’hypothèse d’une
conservation de la chose, d’autre part, à celle d’une remise préalable de la chose.

1. Conservation indue de la chose

Il ne saurait y avoir vol en cas de conservation, même indue, de la chose d’autrui,


car il n’existe pas alors d’appréhension. D’autres qualifications pénales, comme
l’abus de confiance2 ne sont toutefois pas à exclure : ainsi en est-il du vendeur
refusant de livrer la chose payée par l’acheteur ou de l’acheteur qui refuse de
payer une chose acquise avec réserve de propriété3. Mais la reprise frauduleuse
par le vendeur impayé caractériserait le délit de vol4.

1
Crim. 13 janvier 1971, Bull. crim., n° 11.
2
Cf. infra
3
Crim. 11 octobre 1990, Bull. crim., n° 341
4
Crim. 12 octobre 1976, Bull. crim., n° 289

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Droit pénal des affaires

2. Remise préalable de la chose

Cette remise semble exclure la qualification de vol, puisque son bénéficiaire ne


peut plus soustraire la chose. Elle est plutôt caractéristique d’une escroquerie ou
d’un abus de confiance 1. Pourtant, la jurisprudence considère qu’une remise
préalable n’est pas nécessairement exclusive de vol, si elle ne confère à son
bénéficiaire qu’une simple détention précaire. Il y aurait alors soustraction, non
pas de la chose elle-même, mais de sa possession, autrement dit une soustraction
intellectuelle. Ainsi par exemple, constitue un vol le fait d’avoir enlevé des
marchandises, dans les magasins d’une société, sans signer le bon de livraison qui
devait en constater la remise et le prix2. La jurisprudence applique cette solution
aux ventes en « libre-service », en décidant que l’acheteur éventuel ne reçoit que
la détention précaire de la marchandise et qu’il commet un vol lorsqu’il a franchi
la caisse sans déclarer les objets qu’il a choisi en rayon 3. La même solution est
appliquée s’agissant des remises à l’essai4 ou encore des remises en
communication 5.

La jurisprudence décide également que le retrait d’un distributeur automatique


de billets de banque par le titulaire d’une carte magnétique, d’une somme
excédant la provision disponible sur son compte bancaire, ne correspond à
aucune infraction, mais s’analyse seulement en l’inobservation d’une obligation
contractuelle6, la remise ayant été voulue par le banquier dans les conditions de
programmation de l’appareil 7. De même, le fait de prendre connaissance, par un
décodeur frauduleusement fabriqué, des émissions d’une chaîne codée n’est pas
constitutif de vol, dans la mesure où le branchement opéré n’a pour effet ni de
déposséder le propriétaire du programme qu’il continue à diffuser, ni le
téléspectateur abonné qui ne subit aucun trouble dans sa réception normale 8.
Mais, dans ce dernier cas, des incriminations spécifiques existent, aussi bien en
droit français (articles 79-1 à 79-5 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986,
relative à la liberté de communication), qu’en droit togolais.

1
Cf. infra
2
Crim. 4 novembre 1977, Bull. crim., n° 330
3
Crim. 14 mai 1958, Bull crim., n° 391 ; 10 février 1977, Bull. crim., n° 57.
4
Crim. 10 avril 1959, Bull. crim., n° 209 : scooter remis pour un essai de quelques minutes.
5
Crim. 9 juillet 1959, Bull. crim., n° 350 : une personne qui a obtenu en communication pour signature des traites
ainsi qu’un reçu pour solde de tout compte et qui restitue les traites sans les avoir signées, mais en conserve le
reçu.
6
Crim. 24 novembre 1983, Bull. crim., n° 315
7
Bordeaux, 25 mars 1987, D. 1987, p. 424
8
Paris, 24 juin 1987, Gaz. Pal. 1987, 2, p. 512

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16
Droit pénal des affaires

Ainsi, l’article 413 du nouveau code pénal togolais, sans les qualifier de vol, punit
d'une peine d'emprisonnement d'un an à 3 ans et d'une amende de deux millions
(2.000.000) à vingt millions (20.000.000) de francs CFA, ou de l'une de ces deux
peines seulement, sans préjudice des dommages et intérêts, « toute personne qui,
frauduleusement se sert d'installations ou obtient un service de télécommunications ou
communications électroniques ; utilise à des fins personnelles ou non, un réseau public
de télécommunications ou communications électroniques ou se raccorde par tout moyen
sur une ligne privée ».
Le Code pénal incrimine également certaines soustractions violentes telles que
l’extorsion (art. 464 s.), le chantage (art. 466 s.), et la mendicité (art. 543 s.).

§.2- L’élément intellectuel du vol

Le vol est une infraction intentionnelle, puisque l’article 411 du Code pénal
précise que la soustraction doit être frauduleuse. Cet élément intentionnel
comprend un dol général (soustraire la chose d’autrui), et un dol spécial
(l’intention de se comporter comme le propriétaire de la chose soustraite). Les
mobiles, mêmes légitimes, sont indifférents quant à la qualification de l’infraction :
la Cour de cassation a décidé que celui qui se prétend créancier ne puise pas
dans son droit de créance celui de commettre une infraction à la loi pénale1.

En revanche, il ne saurait en principe y avoir de vol lorsque l’auteur des faits peut
invoquer une erreur de fait, dès lors qu’il a cru appréhender une chose qui lui
appartenait. Mais il faut préciser que la jurisprudence punit le vol « d’usage », en
estimant le vol réalisé lorsque la personne a eu l’intention de se comporter,
même momentanément, comme le propriétaire de la chose soustraite 2, car elle
ne fait alors qu’exercer l’une des prérogatives du propriétaire, le droit d’usage
(usus), sauf à pouvoir invoquer une éventuelle erreur sur le droit3. Cette solution
est expressément retenue par le législateur togolais, s’agissant de la soustraction
de véhicules automobiles. L’article 412, 1°, C. pén., énumère, parmi les actes
constitutifs de vol au sens de l’article 411 « la soustraction frauduleuse d’un véhicule
ou d’une embarcation même pour un usage temporaire ».

Le vol est, a fortiori, réalisé lorsque la chose est appréhendée pour être détruite,
puisque c’est alors le droit de disposer de la chose (abusus) qui est exercé.

1
Crim. 20 novembre 1947, Bull. crim., n° 227 ; 26 juin 2002, Bull. crim., n° 148
2
Crim. 19 février 1959, Bull crim., n° 123
3
T. corr. Carcassonne, 16 mars 1994, Rev. Sc. Crim. 1998, p. 110

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17
Droit pénal des affaires

SECTION 2- LA RÉPRESSION DU VOL


La répression du vol, comme de toute infraction, est l’œuvre du ministère public,
au moyen de l’action publique, ce qui ne préjudicie en rien à l’action dont dispose
la victime.

§.1- L’action publique

A- Les immunités familiales

Aux termes de l’article 427 du nouveau Code pénal, « ne peuvent donner lieu qu’à
des réparations civiles les vols commis par le mari au préjudice de sa femme, par la
femme au préjudice de son mari, par un veuf ou une veuve quant aux choses qui avaient
appartenu au conjoint décédé ». Et, selon l’article 428 du même code, « ne peuvent
donner lieu qu’à des réparations civiles et uniquement à la demande de la victime, les
vols commis :
1) par les enfants ou autres descendants au préjudice de leurs père ou mère ou
autres ascendants, par des père ou mère ou autres ascendants au préjudice de
leurs enfants ou autres descendants ;
2) par des alliés au même degré, à condition que les soustractions soient commises
pendant la durée du mariage et en dehors d’une période pendant laquelle les
époux sont autorisés à vivre séparément ».
Concrètement, cela veut dire que les vols commis dans ces conditions ne
peuvent, en aucun cas, donner lieu à des poursuites pénales.

On explique ces immunités par l’idée de « paix des familles » ou de patrimoine


familial. Elles ne suppriment pas le fait délictueux, mais fait seulement obstacle
aux poursuites pénales, tout en laissant subsister, la possibilité d’une action au
plan civil, aux fins notamment d’une restitution des objets volés, et
éventuellement d’une réparation du préjudice subi.

B- Les peines

Le nouveau Code pénal prévoit des peines beaucoup plus sévères que sous
l’égide du droit ancien. L’article 415 du nouveau Code prévoit des peines d’un
an à trois ans d’emprisonnement et/ou de 100 000 à 3 000 000 de Francs
d’amende pour le vol simple, mais les dispositions suivantes énoncent un grand
nombre de circonstances aggravantes.

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18
Droit pénal des affaires

Sans prétendre à l’exhaustivité, on signalera qu’aux termes de l’article 416 C.


pén., le vol est aggravé lorsqu'il a été commis de nuit, de concert par plusieurs
auteurs ou complices, en bande organisée, avec usage de fausses clefs ou par
escalade, effraction intérieure ou extérieure, dans un lieu habité ou servant à
l'habitation, avec port d'arme, prise d’otages, avec violences ou menaces sur les
personnes, ou à raison de l’appartenance ou de la non appartenance, vraie ou
supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race, ou une religion
déterminée ; avec usage d'un véhicule à moteur, en usant d'un insigne ou d'un
uniforme pouvant prêter à confusion avec ceux des agents de l'autorité publique
ou en alléguant un faux ordre de ladite autorité.

Le vol est également aggravé lorsqu’il a été commis par une personne qui prend
indûment la qualité d’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée
d’une mission de service public ; par un transporteur, hôtelier ou dépositaire ou
leurs préposés à l’égard des choses déposées sous leur responsabilité ; par une
personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service
public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa
mission.

Les peines sont portées de trois à cinq ans d’emprisonnement par l’article 417,
lorsque le vol a été commis avec une seule des circonstances visées plus haut, et
de cinq à dix ans de réclusion criminelle lorsque le vol a eu lieu avec deux au
moins des circonstances visées.

S'il a été fait usage d'armes ou si les violences ont occasionné à la victime des
blessures ou une incapacité de travail excédant deux semaines, ou encore si le
vol a été commis avec trois au moins des circonstances visées à l’article 416, le
coupable est puni d’une peine de dix à vingt ans de réclusion criminelle.

Si les auteurs du vol ont exercé des violences ayant provoqué une mutilation ou
une grave invalidité de la victime, ils seront punis d’une peine de réclusion de
vingt à trente ans.
Si les violences ont occasionné la mort, même sans intention de la donner, ou si
le vol a été commis avec prise d’otages, le maximum de la réclusion à temps est
appliqué (50 ans).
En outre, le législateur prévoit un certain nombre de peines complémentaires
susceptibles d’être encourues par l’auteur d’un vol simple ou aggravé. C’est ainsi
qu’aux termes de l’article l’art. 79 et s., C. pén., le juge peut à titre de peine

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19
Droit pénal des affaires

complémentaire prononcer contre l'auteur du délit l'interdiction temporaire de


l’exercice de certains de ses droits civils, civiques ou professionnels.

L'interdiction peut notamment porter sur le droit d'exercer une profession, une
fonction élective publique, d'être administrateur ou gérant de société ou
d'association, d'être tuteur, subrogé tuteur, curateur d'un incapable, d'obtenir ou
d'utiliser un permis de chasse ou de pêche, un permis de port d'armes, de voter
dans les scrutins politiques ou syndicaux, d'être entendu sous la foi du serment
en justice ou devant un officier public.

Sauf dispositions particulières, cette interdiction ne peut excéder cinq ans à


compter du jour où la peine est devenue exécutoire.

La responsabilité pénale de la personne est, quant à elle, prévue par l’article 53,
selon lequel toute personne morale, à l’exclusion de l’Etat, peut être déclarée
coupable des infractions commises par ses organes ou représentants, pour son
compte, dans les limites de leurs attributions. ·

Les peines applicables aux personnes morales sont, d’après l’article 54 :

1) l’amende qui peut être portée au quintuple de celle encourue par les
personnes physiques ou à trois cent millions (300.000.000) de francs CFA,
si aucune amende n'est prévue ;
2) l’exclusion temporaire ou définitive des marchés publics ou du bénéfice
des aides publiques octroyées par l'Etat togolais ou des organisations
internationales étatiques ou non étatiques, ou la perte et le
remboursement des avantages accordés en application des lois et
règlements en vigueur, lorsque ces avantages ont été obtenus
frauduleusement par la commission d'infractions réprimées par le Code
pénal ;
3) la fermeture temporaire ou définitive des établissements ou de l'un des
établissements de la personne morale ayant servi à commettre les faits
incriminés, qui se substitue à l’emprisonnement ;
4) la confiscation spéciale (lorsque l’infraction a été commise à l’aide d’armes,
munitions, explosifs ou tout instrument ou objet dangereux ou d’un usage
réglementé) ou la confiscation générale ;
5) la fermeture temporaire ou définitive de la succursale d'une personne
morale étrangère, ayant servi à commettre les faits incriminés ;

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20
Droit pénal des affaires

6) l'interdiction temporaire ou définitive de procéder à une offre au public de


titres et financements ou de faire admettre ses titres financiers aux
négociations d'un marché réglementé ;
7) la dissolution, lorsque la personne morale a été créée ou détournée de
son objet pour commettre les faits incriminés.
En outre les membres des organes d’administration, de direction et de gestion,
de droit ou de fait, qui ont été les instruments de l’infraction commise par la
société peuvent être déchus, pour cinq ans au plus, du droit de diriger,
d’administrer ou de gérer une société.

C- La prescription

Le point de départ du délai de prescription de l’action publique est normalement


fixé au jour de la commission de l’infraction, même dans l’hypothèse de vols
successifs : chaque soustraction fait courir le délai de prescription quinquennale
(art. 7, C. proc. pén.).

§.2- L’action civile

Le propriétaire de la chose soustraite peut demander la réparation du préjudice


découlant directement de l’infraction. Toutefois, la jurisprudence déclare
également recevable l’action civile d’un non-propriétaire qui a souffert
directement et personnellement de l’infraction : ainsi a été admise l’action civile
de la SNCF subissant un préjudice après le vol de marchandises commis par un
de ses employés1.

L’action civile se prescrit selon les règles du Code civil, mais ne peut plus être
engagée devant le juge répressif après l’expiration du délai de l’action publique.

1
Crim. 3 juill. 1979, Bull. crim., n° 236

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21
Droit pénal des affaires

Séance n° 3

Objectif : Définition et modalités de répression de l’escroquerie, en tant qu’atteinte à


la propriété.

Consignes : Lire et relire, au besoin, toute la partie du chapitre 2, consacrée à


l’escroquerie (jusqu’à la fin de la section 2) en s’aidant, s’il y a lieu, du Lexique des
termes juridiques ou du vocabulaire juridique, afin de cerner tous les contours de cette
infraction de droit commun et la manière dont elle est réprimée et sanctionnée.

Activités : Répondre aux questions suivantes :

1) Qu’est-ce que l’escroquerie ?


2) Quels en sont les éléments constitutifs ?
3) Est-il vrai que seules certaines catégories de personne peuvent être des escrocs ?
Expliquer.
4) Un simple mensonge peut-il être constitutif d’escroquerie ? Justifier.
5) Donner au moins dix exemples d’escroquerie, en tenant compte de l’imagination
débordante dont peuvent faire preuve les escrocs.

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22
Droit pénal des affaires

CHAPITRE 2

L’ESCROQUERIE

L’escroquerie est une infraction pénalement punie. Elle suppose donc la réunion
d’un certain nombre d’éléments constitutifs qu’il conviendra d’examiner avant
d’aborder la manière dont sa répression est organisée. Il existe, par ailleurs,
certaines infractions voisines de l’escroquerie, dont l’examen s’avère également
utile.

SECTION 1- LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE L’ESCROQUERIE

L’article 448, C. pén. tg., définit l’escroquerie comme étant « le fait, soit par l’usage
d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par
l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et
de la déterminer ainsi à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds,
des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant
obligation ou décharge. »

De ce texte, qui reprend, mot pour mot, la définition donnée par le Code pénal
français en son article 313-1, ils se dégagent certains faits constituant les deux
éléments indispensables de l’infraction pénale, à savoir l’élément matériel (§.1),
et l’élément intentionnel (§.2).

§.1- L’élément matériel

Il se présente en trois phases : une tromperie, une remise et un préjudice.

A- Une tromperie

Matériellement, l’infraction consiste à tromper une personne par l’utilisation de


l’un des procédés énumérés par l’article 448. Cette tromperie est caractéristique
de l’infraction : abuser de la crédulité d’une personne pour obtenir des fonds,
valeurs ou un bien quelconque ne constitue pas une escroquerie en l’absence de

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23
Droit pénal des affaires

tromperie. Toutefois, d’autres infractions pourraient être retenues, comme


l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse.

Mais, il faut encore que les manœuvres de l’escroc aient déterminé la remise par
la victime. Dans tous les cas, la tromperie se réalisera en usant d’un des
comportements suivants :

1. L’emploi d’un faux nom

Il s’agit de l’utilisation par l’escroc d’un nom ou d’un prénom ou même d’un
pseudonyme qui n’est pas le sien. Toutefois, une homonymie complète utilisée
pour tromper une victime s’analyserait davantage en un autre procédé de
l’escroquerie : l’emploi de fausse qualité, que l’article 449, C. pén., définit dans
les mêmes termes que le faux nom, c’est-à-dire nom ou qualité « dont une
personne n’a pas le droit de se prévaloir ».

Il est indifférent que le faux nom auquel recours l’auteur de l’infraction soit réel
ou imaginaire, même si le nom imaginaire devrait susciter encore plus de
circonspection de la part de la victime. Selon la jurisprudence française, le simple
fait de changer de nom pour faire croire à sa solvabilité caractérise l’infraction
d’escroquerie1.

2. L’emploi d’une fausse qualité

De même que pour l’emploi d’un faux nom, il est indifférent que cette fausse
qualité soit réelle ou imaginaire. La jurisprudence admet également qu’il puisse
s’agir d’une qualité perdue mais dont la personne continue à se prévaloir. C’est
l’exemple du chômeur ayant retrouvé du travail, mais qui use de son ancienne
qualité pour continuer à percevoir des prestations sociales2.

La fausse qualité devrait être suffisamment crédible pour tromper la victime3,


comme celle de mandataire 4, d’intermédiaire pour l’exécution d’opérations de
bourse5 ou de commerçant 6. Toutefois, la jurisprudence considère que le simple
fait de se prévaloir de la qualité de créanciers d’organismes sociaux suffit à
caractériser l’infraction d’escroquerie7.

1
Crim. 26 octobre 1934, Bull. crim., n° 170
2
Crim. 12 février 1942, Bull. crim., n° 9
3
Crim. 7 octobre 1969, Bull. crim., n° 242 : fausse qualité de propriétaire
4
Crim. 18 juillet 1968, Bull. crim., 233
5
Crim. 25 janvier 1935, DH 1935, 165
6
Crim. 21 avril 1970, Bull. crim., n° 136
7
Crim. 25 avril 1972, Bull. crim., n° 142

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24
Droit pénal des affaires

Pour le législateur togolais, constituent la fausse qualité, le fait pour une personne
de se parer faussement d'un titre délivré ou contrôlé par l'autorité titulaire, d'un
titre universitaire, membre d'une profession réglementée, titulaire d'une
décoration, d'un titre de noblesse, d'une fonction publique ou élective, ou encore
de s’attribuer une fausse profession ou activité ou un faux état civil (art. 449, al.
2).

3. L’abus de qualité vraie

L’abus de qualité vraie est, selon l’article 450, nouv. C. pén. tg., « le fait pour une
personne d’utiliser une qualité qu’elle possède réellement pour donner force et crédit à
ses allégations grâce à la confiance qu'elle inspire, l'usage de la qualité étant de nature
à imprimer l'apparence de la sincérité ». Il s’agit d’une solution inspirée de la
jurisprudence française, sous l’empire de l’ancien Code pénal, et consacrée par
le nouveau Code pénal, admettant que l’abus de qualité vraie soit constitutive
d’une manœuvre frauduleuse, lorsqu’elle est de nature à donner l’apparence de
la sincérité à des allégations mensongères ou à tromper la confiance de la
victime1. Mais il doit s’agir d’une qualité qui soit de nature à inspirer une confiance
particulière au public, telle que celle d’avocat 2, de conseil juridique 3, de receveur
principal des impôts4 ou de mandataire 5.

4. L’emploi de manœuvres frauduleuses

Constituent des manœuvres frauduleuses, dispose l’article 451, C. pén., les actes
matériels extérieurs accomplis en vue de donner force et crédit à une affirmation
mensongère, notamment la production d’écrits ou l’intervention de tiers. Cela
suppose donc un comportement positif caractérisant une mise en scène, même
peu élaborée. Il en résulte qu’une abstention ou un simple mensonge, ne portant
ni sur le nom, ni sur la qualité ou les contreparties que l’on peut en attendre, ne
caractérise pas matériellement l’escroquerie, ce qui le distingue du dol, vice du
consentement de l’article 1116 du Code civil. Ainsi, par exemple, le fait de
s’abstenir de révéler à une personne dont on sollicite un prêt qu’on est mis en
liquidation judiciaire n’est pas caractéristique de l’infraction d’escroquerie6.

1
Crim. 11 février 1971, Bull. cim., n° 50
2
Crim. 6 avril 1993, Gaz. Pal. 1993, 2, somm. 443
3
Crim. 27 mars 2002, Bull. crim., n° 70
4
Crim. 29 novembre 2000, Dr. Pénal 2001, 45, obs. Véron
5
Crim. 1er octobre 1986, Bull. crim., n° 263 : négociateur en immobilier
6
T. corr. Lyon, 9 février 1926, DP 1928, 2, 79

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25
Droit pénal des affaires

S’agissant plus particulièrement du mensonge, la jurisprudence paraît exiger qu’il


soit accompagné d’un fait extérieur, tel que l’intervention d’un tiers, accréditant
l’allégation mensongère 1. Néanmoins, certaines décisions semblent se satisfaire
parfois d’un simple mensonge écrit, particulièrement pour la présentation de faux
bilans attestant de la prospérité de l’entreprise2. Mais il est possible de considérer
que la qualité de professionnel du rédacteur du bilan permet légitimement aux
victimes de penser qu’il établira un bilan sincère. À défaut, il les induit en erreur
sur les contreparties qu’elles pouvaient en attendre et le mensonge écrit se
trouve ainsi conforter par un abus de qualité de nature à donner une apparente
sincérité à des allégations mensongères.

Les manœuvres frauduleuses, qui doivent avoir précédé la remise par la victime,
sont aussi nombreuses que variées, en raison de l’imagination débordante dont
peuvent faire preuve les escrocs, l’appât du gain étant un puissant moteur. On
mentionnera, à titre d’illustrations, le fait de passer commande de produits à des
maisons de vente par correspondance en fournissant le numéro de la carte
bancaire d’autrui 3 ; le fait pour une société en cessation des paiements de
continuer à produire des devis pour des travaux, qu’elle sait, irréalisables4 ;
l’établissement et la production d’un bilan comportant des écritures
mensongères certifiées par un expert-comptable indépendant5 ; la présentation
à l’escompte de traites de complaisance tirées sur des tiers insolvables, non-
débiteur du tireur, et acceptées par ceux-ci, l’acceptation obtenue des tirés
réalisant, par l’intervention de tiers, le fait extérieur caractéristique des
manœuvres frauduleuses6 ; le fait de faire porter sur des notes de frais le nom
de tiers fictifs7. Les manœuvres peuvent aussi consister en une mise en scène,
telles des annonces publicitaires accompagnées de mention d’établissements ou
de personnalités imaginaires8 ; ou l’organisation d’une publicité fallacieuse,
destinée à vendre des objets de pacotille, auxquels les prévenus attribuent des
pouvoirs magiques9. D’autres exemples abondent en jurisprudence :
l’escroquerie à l’assurance, consistant en une fausse déclaration de vol d’un

1
Crim. 20 juillet 1960, Bull. crim., n° 382
2
Crim. 8 novembre 1976, Bull. crim., n° 317
3
Toulouse, 15 novembre 2001, Gaz. Pal. 2002, 2, somm. p. 1161
4
Crim. 28 janvier 1992, Dr. Pénal 1992, 230
5
Crim. 9 septembre 1998, Gaz. Pal. 1999, 1, chron. crim., p. 6
6
Crim. 5 août 1932, Bull. crim., n° 29
7
Crim. 8 janvier 1976, Bull. crim., n° 7 ; Crim., 12 mars 1984, Gaz. Pal. 1984, 2, somm. p. 342
8
Crim. 27 novembre 1952, D. 1953, p. 576
9
Crim., 28 avril 1964, Bull. crim., n° 130

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26
Droit pénal des affaires

véhicule1 ou en une fausse déclaration de sinistre2 ; les escroqueries en matière


de jugement, telle la production en justice d’une fausse facture émanant d’une
société pour justifier d’une prétendue créance et obtenir un jugement de
condamnation 3 ; ou encore la production, par l’intermédiaire de son avocat,
devant la juridiction prud’homale, d’un faux contrat de travail à durée
déterminée, reproduisant par montage la signature de son adversaire dans un
litige pour licenciement abusif4.

B- Une remise

Selon l’article 448, C. pén., la tromperie doit permettre un résultat déterminé :


une remise5 « de fonds, valeurs ou d’un bien quelconque, à fournir un service ou à
consentir un acte opérant obligation ou décharge ». L’objet de cette remise se trouve
donc largement appréhendé. À la différence du vol qui porte sur une « chose »,
l’escroquerie peut porter sur un « bien quelconque », qui peut être corporel ou
incorporel. Toutefois, comme pour l’abus de confiance, il semble que ce bien
doit avoir une certaine valeur vénale, ce que conforte, a priori, l’exigence d’une
remise préjudiciable.

C- Un préjudice

Aux termes de l’article 448, C. pén., la remise doit intervenir au préjudice de la


victime ou d’un tiers, la jurisprudence rappelant constamment qu’il est inutile que
les biens ou valeurs escroqués aient tourné au profit de l’auteur de l’infraction.

§.2- L’élément intellectuel

L’infraction est intentionnelle puisque l’article 448, C. pén., évoque des


manœuvres « frauduleuses » : l’auteur doit avoir voulu tromper sa victime pour
obtenir une remise de sa part. L’individu qui, de bonne foi, se prévaut d’une
qualité ou d’un nom qu’il pense posséder ne peut être pénalement responsable,
car il ne saurait y avoir escroquerie, si l’on trompe autrui en se trompant soi-
même.

1
Crim. 11 octobre 1989, Bull. crim., n° 353
2
Crim. 1er juin 1994, Dr. Pénal, 234
3
Crim. 19 septembre 1995 Bull. crim., n° 274
4
Crim. 30 novembre 1995, Gaz. Pal. 1996, 2, chron. crim., p. 62
5
La jurisprudence admet que la remise puisse ne pas être directement le fait de la victime elle-même, mais qu’elle
puisse provenir d’une machine : Crim. 10 décembre 1970, Bull. crim., n° 334, rondelle sans valeur introduite dans
un parcmètre, la remise du ticket matérialisant le crédit de temps illégalement obtenu.

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27
Droit pénal des affaires

Mais les mobiles, même légitimes1, sont indifférents quant à la qualification de


l’infraction.

SECTION 2- LA RÉPRESSION

L’escroquerie est punie de peines qui varient, selon qu’elle est simple ou
aggravée. L’action publique est susceptible de prescription.

§.1- Les pénalités

En droit français, l’article 313-1 punit l’escroquerie de cinq ans


d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende. Ces peines sont aggravées,
selon l’article 313-2, lorsque l’escroquerie est réalisée : par une personne
dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public,
dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission ;
par une personne prenant indûment la qualité d’une personne dépositaire de
l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ; par une personne
faisant appel au public en vue de l’émission de titres ou en vue de la collecte de
fonds à des fins d’entraide humanitaire ou sociale ; au préjudice d’une personne
dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à
une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente
ou connue de son auteur. L’auteur encourt alors sept ans d’emprisonnement et
750 000 euros d’amende.

Les peines complémentaires des articles 313-7 et 313-8 peuvent également être
prononcées : interdictions des droits civiques, civils et de famille ; interdiction
d’exercer la fonction publique ou l’activité professionnelle ou sociale dans
l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise ; fermeture
temporaire d’établissement pour cinq ans au plus ; confiscation ; interdiction de
séjour ; interdiction d’émettre des chèques ; affichage ou diffusion de la décision ;
exclusion des marchés publics pour cinq ans au plus.

La tentative est punissable (art. 313-3) ; les exemples sont particulièrement


nombreux en matière d’escroquerie à l’assurance : constitue un commencement
d’exécution, caractérisant la tentative, la déclaration de sinistre faite à l’assureur

1
Crim. 15 décembre 1943, D. 1945, p. 131, note Donnedieu de Vabres.

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28
Droit pénal des affaires

lorsqu’elle est accompagnée de faits extérieurs destinés à donner force et crédit


à la réalité du sinistre 1. Il n’est pas nécessaire que l’assuré ait fait une demande
formelle d’indemnisation 2.

La responsabilité pénale des personnes morales est également prévue par l’article
313-9.

Au Togo, l’escroquerie est punie d’une peine d’emprisonnement d'un à trois ans
et d’une amende d'un million à trois millions de francs CFA ou de l’une de ces
deux peines (art. 452).

En outre, depuis la réforme du 24 novembre 2015, le droit togolais assimile à


l'escroquerie et punie des mêmes peines que celle-ci, l'exploitation frauduleuse
de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse d'une personne infectée ou
affectée par le VIH et d’autres maladies, soit pour lui proposer un traitement
fallacieux avec extorsion de fonds, soit pour faire consentir cette personne à un
acte qui lui est manifestement préjudiciable.

Dans l’hypothèse où l'administration de substances nuisibles à la santé


occasionne une invalidité grave, son auteur est puni d'une peine de réclusion
criminelle de dix à vingt ans et d'une amende de cinq millions à vingt millions de
francs CFA.
Dans les différents cas d’escroquerie, la juridiction saisie peut éventuellement
priver les coupables de leurs droits civiques ou professionnels énumérés à
l’article 80, C. pén., tels l’interdiction d’exercer une profession, une fonction
élective publique, d’être administrateur ou gérant de société ou d’association,
d’être tuteur, subrogé tuteur d’un incapable, d’obtenir ou d’utiliser un permis de
chasse ou de pêche, un permis de port d’arme, de voter dans les scrutins
politiques ou syndicaux, d’être entendu sous la foi du serment en justice ou
devant un officier public. Cette interdiction, sauf dispositions particulières, ne
peut excéder cinq ans à compter du jour où la peine est devenue exécutoire.

§.2- La prescription de l’action publique

Le point de départ du délai de prescription de l’action publique est normalement


fixé au jour de l’infraction, c’est-à-dire au jour de la remise3. Toutefois, en cas de
1
Crim. 6 février 1994, Bull. crim., n° 135
2
Crim. 22 février 1996, Bull. crim., n° 89
3
Pour un rappel : Crim. 30 juin 1999, Bull. crim., n° 170

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29
Droit pénal des affaires

remises successives formant un tout indivisible, c’est-à-dire une opération


délictueuse unique, la jurisprudence reporte ce point de départ au jour de la
dernière remise ou tentative de remise1.

Dans le cas d’une escroquerie consistant en des opérations portées en compte


courant, c’est au jour de l’arrêté de clôture du compte que le délit est consommé
et que la prescription commence à courir 2.

Séance n° 4

Objectif : Infractions voisines de l’escroquerie : filouterie, extorsion, chantage, fraudes


aux enchères publiques, abus frauduleux de l’état d’ignorance et de faiblesse.

Consignes : Lire et relire, au besoin, à partir de la section 3 du chapitre 2 jusqu’à la


fin du chapitre, en s’aidant, s’il y a lieu, du Lexique des termes juridiques ou du
vocabulaire juridique, afin de cerner tous les contours des infractions envisagées comme
étant voisine de l’escroquerie, et la manière dont elles sont réprimées et sanctionnées.

Activités : Répondre aux questions suivantes

1) Qu’est-ce que la filouterie ?


2) Qu’est-ce que l’extorsion ?
3) Qu’est-ce que le chantage ?
4) En quoi consiste la fraude aux enchères publiques ?
5) En quoi réside l’abus frauduleux de l’état d’ignorance et de faiblesse ?
6) En quoi réside l’intention coupable de la filouterie ? du chantage ? de l’extorsion ?

1
Crim. 20 juin 1994, Dr. Pénal 1994, 260 ; 26 septembre 1995, Bull. crim., n° 288
2
Crim. 4 juin 1935, Bull. crim., n° 80

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30
Droit pénal des affaires

SECTION 3- LES INFRACTIONS VOISINES DE L’ESCROQUERIE

Selon le nouveau Code pénal togolais, les infractions voisines de l’escroquerie


sont les tromperies, la publicité mensongère, les filouteries, l’extorsion et le
chantage. À cette liste, il convient d’ajouter la fraude aux enchères publiques, la
mise à disposition frauduleuse d’un bien immobilier appartenant à autrui, ainsi
que l’abus de l’état d’ignorance ou de faiblesse. Seules quelques-unes de ces
infractions seront examinées ici.

§.1- Les filouteries

La première infraction de filouterie date de 1873 et visait les aliments : elle


réprimait l’individu qui se faisait servir un repas dans un restaurant en sachant
qu’il ne pourrait pas payer l’addition. Les autres infractions de droit commun
étaient inapplicables en raison du principe de légalité criminelle et de
l’interprétation stricte des dispositions pénales : le vol ne pouvait être retenu
puisqu’il n’y avait pas soustraction frauduleuse ; l’abus de confiance devait être
écarté en raison de la liste limitative des contrats énumérés par le Code pénal ;
l’escroquerie devait être également exclue en l’absence de manœuvres
frauduleuses.

Actuellement, l’article 313-5, C. pén. fr. incrimine plus généralement « le fait par
une personne qui sait être dans l’impossibilité de payer ou qui est déterminée à ne pas
payer de se faire attribuer un bien ou un service ». Beaucoup plus expressif, l’article
461, C. pén. tg., dresse une liste non exhaustive, et considère comme étant
constitutif de filouterie « notamment le fait par une personne qui sait être dans
l’impossibilité absolue de payer ou qui est déterminée à ne pas payer de se faire servir
et de consommer des boissons ou des aliments dans un établissement servant à titre
onéreux des boissons ou des aliments ; de se faire attribuer et d’occuper effectivement
une ou plusieurs chambres dans un établissement louant des chambres ; de se faire
servir des carburants ou lubrifiants dont elle se fait remplir tout ou partie des réservoirs
d’un véhicule par des professionnels de la distribution ; de se faire transporter en taxi
ou de louer une voiture ; de se faire servir une communication téléphonique ou une
connexion internet ».
Le délit de filouteries ne concerne donc pas seulement les aliments ou les
boissons ; il peut également s’agir de filouterie hôtelière, mais l’article 313-5, 2°,
C. pén. fr., exige alors que l’occupation n’excède pas dix jours. Au-delà de ce
délai, l’infraction n’est plus constituée, même si l’hôtelier a présenté sa note dans

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31
Droit pénal des affaires

les dix jours. Le législateur a considéré que passé ce délai, l’hôtelier faisait preuve
d’une négligence blâmable en n’exigeant pas d’être payé.
La filouterie peut concerner un transport en taxi ou en voiture de louage, mais
aussi le carburant ou le lubrifiant si, toutefois, la personne fait remplir tout ou
partie du réservoir d’un véhicule par des professionnels de la distribution.
L’infraction n’est pas réalisée, lorsque la personne se sert elle-même en
carburant dans une station en libre-service et qu’elle part sans payer.
Les filouteries sont des infractions intentionnelles supposant que leur auteur ait
voulu se faire délivrer un bien ou un service précédemment décrit en sachant
qu’il ne paierait pas, parce que qu’il ne le veut pas ou ne le peut pas.
L’article 313-5 punit la filouterie de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros
d’amende. En droit togolais, l’article 462, nouv. C. pén., prévoit une peine
d’emprisonnement d’un à six mois et/ou une amende de 100.000 à 500.000
francs.

§.2- L’extorsion
L’article 463, C. pén. tg., définit l’extorsion comme étant « le fait d’obtenir par
violence, menace de violence, physique ou morale, ou contrainte une signature ou la
remise d’un écrit, d’un acte ou pièce quelconque contenant obligation, disposition ou
décharge ; un engagement ou une renonciation ; la révélation ou la non-révélation d’un
secret ; la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien quelconque ; ou tout avantage
indu ».
Matériellement, l’extorsion se manifeste par un acte de pression psychologique
sur la personne d’autrui qui peut être physique ou morale. C’est cette pression
qui permet de distinguer l’extorsion de l’escroquerie et de l’abus de confiance,
car dans ces deux derniers délits, la remise est volontaire, ce qui n’est pas le cas
dans l’extorsion où la remise se fait sans le consentement de la victime, ce qui la
rapproche du vol, sans pour autant s’y confondre, puisque la remise est faite par
la victime elle-même à l’agent.
A- Les éléments constitutifs de l’extorsion
De la définition légale, il résulte que l’extorsion suppose la réunion de trois
éléments constitutifs.
1. L’emploi d’un moyen
La loi vise la violence, menace de violence ou contrainte. Il est impératif que la
remise ait été obtenue par l’un de ces moyens. La difficulté à porter sur la notion
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32
Droit pénal des affaires

de contrainte, notamment pour identifier le seuil à partir duquel une pression


psychologique peut être qualifiée de contrainte au sens du délit d’extorsion.
En l’absence de critère sûr, la jurisprudence procède au cas par cas. L’extorsion
a ainsi été retenue à la charge d’un pharmacien qui au cours de sa période de
garde exigeait un supplément de prix de 100F à ses clients pour leur délivrer les
médicaments dont ils avaient besoin1.
De façon générale, la pression s’apprécie in concreto, c’est-à-dire en fonction de
l’âge et de la condition physique et intellectuelle de la personne sur laquelle elle
s’exerce2.
Dans le cas où l’extorsion se réalise par le moyen d’une violence, il peut s’avérer
délicat de la distinguer de l’infraction de vol avec violence. Le critère de
distinction retenu est donc que, contrairement au vol, l’extorsion suppose que
la victime se dessaisisse elle-même des biens qui lui sont extorqués.
Par exemple, lors d’une agression, si l’agresseur prend une chose appartenant à
la victime, on parlera de vol ; mais si la chose lui est remise par la victime, il y a
extorsion. Le critère paraît assez faible, mais il se révèle parfois très utile. C’est
ainsi qu’on parlera d’extorsion, s’agissant des rackets opérés notamment par la
police routière.
2. Le but poursuivi
Pour qu’il y ait extorsion, il faut donc que le résultat, c’est-à-dire la remise du
bien convoité, soit atteint. Cette remise est l’élément constitutif du délit.
Le moyen de pression tend à l’obtention de la victime de l’une des nombreuses
prestations indiquées à l’article 463, C. pén. Le préjudice peut être non
seulement pécuniaire, mais aussi moral. L’extorsion peut avoir pour objet une
reconnaissance de dette, une promesse de vente, une résiliation de bail, un reçu.
De plus, l’engagement peut être aussi bien verbal qu’écrit. On notera encore qu’il
y a extorsion même si la signature est obtenue d’une personne morale, victime
de l’infraction 3. Et, conformément à une tradition pénale autonomiste, il importe
peu que le titre soit nul.
S’agissant de la révélation ou la non-révélation de secret, une interprétation large
s’impose, à défaut d’une précision législative. Concrètement, il peut s’agir d’un
secret médical ou professionnel, voire d’un secret de fabrication ou sur les
négociations d’une affaire.

1
Paris, 27 sept. 1991, D. 1991, 635
2
Crim. 29 janv. 1949, Bull. crim., n° 23 ; 3 oct. 1991, Dr. pén., 1992, comm. 64.
3
TGI Paris, 16 déc. 1986, Gaz. Pal. 1987, 2, 537

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33
Droit pénal des affaires

3. L’intention coupable
L’extorsion est une infraction intentionnelle. L’intention ici c’est « la conscience
d’obtenir par la force, la violence ou la contrainte, ce qui n’aurait pas pu être obtenu
par un accord librement consenti »1. L’auteur doit donc avoir conscience d’avoir
exercé une pression sur autrui et doit l’avoir fait pour extorquer quelque chose
à la victime.
B- La répression de l’extorsion
Aux termes de l’article 464, C. pén., toute personne coupable d’extorsion est
punie d’une peine d’emprisonnement d'un (01) à cinq (05) ans et d’une amende
d'un million (1.000.000) à cinq millions (5.000.000) de francs CFA. L’article 465
prévoit un certain nombre de circonstances aggravantes. C’est ainsi que la peine
est portée de cinq (05) à dix (10) ans de réclusion criminelle, notamment si, pour
exercer la pression, le coupable abuse des renseignements ou de la situation que
lui fournit sa profession ou sa fonction ; s’il exerce son activité délictueuse au
détriment d'une personne particulièrement vulnérable, en raison notamment de
sa minorité, son âge avancé, un état de grossesse, une maladie, une infirmité ou
d'une déficience physique ou psychique ; ou encore, si le coupable conduit sa
victime, par ces procédés ou leur répétition à la ruine et/ou au suicide.

§.3- L’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse


« Constitue un abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse », dispose l’article
194, C. pén. tg., « le fait pour une personne, d’exercer des pressions graves ou réitérées
sur autrui ou d’user de techniques propres à altérer son jugement en vue de le conduire
à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ».
Matériellement, l’auteur de l’infraction doit avoir abusé de l’état d’ignorance ou
de faiblesse de la victime pour en tirer profit. La tromperie peut donc
caractériser un tel abus, mais pas seulement : la victime peut être parfaitement
consciente que son acte, ou son abstention, lui est gravement préjudiciable mais
céder quand même à l’auteur de l’infraction par crainte.
Selon la jurisprudence française, si l’acte de la victime doit être de nature à lui
causer un grave préjudice, il n’est pas nécessaire que cet acte soit valable ni que
le dommage se soit réalisé (Crim. 12 janvier 2000, Bull. crim., n° 15) ; ce qui
revient à considérer qu’il s’agit d’une infraction formelle.

1
Crim. 9 janv. 1991, Bull. crim., n° 17

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34
Droit pénal des affaires

L’infraction d’abus frauduleux de l’état d’ignorance et de faiblesse est


intentionnelle. L’intention réside dans la volonté et la conscience de profiter de
cette situation de faiblesse ou de dépendance (dol général) pour obtenir de la
victime un acte ou une abstention qui lui est gravement préjudiciable (dol
spécial).
Les peines encourues sont de six mois à deux ans d’emprisonnement et d’une
amende de cinq cent mille (500.000) à deux millions (2.000.000) de francs CFA
ou de l’une de ces deux peines, mais elles sont portées de trois à cinq ans et
d’une amende de trois millions (3.000.000) à cinq millions (5.000.000) de francs
CFA, l'infraction prévue à l'article précédent est commise par le dirigeant de fait
ou de droit d'un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour
effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique
des personnes qui participent à ces activités, ce qui vise clairement les
groupements sectaires.
Les mêmes peines sont applicables lorsque la victime est soit une personne en
état de sujétion psychologique ou physique, soit une personne dont la
particulière vulnérabilité, due notamment à sa minorité, son âge avancé, un état
de grossesse, une maladie, une infirmité ou une déficience physique ou psychique,
est apparente ou connue de son auteur (art. 195 et 196, C. pén. tg.).

L’article 197, al. 1, prévoit un certain nombre de peines complémentaires :


interdiction des droits civiques, civils et de famille ; interdiction d’exercer une
fonction publique ou l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à
l’occasion de laquelle l’infraction a été commise pour une durée de cinq ans au
plus, etc.
S’agissant des personnes morales, leur responsabilité pénale est expressément
prévue par l’alinéa 2 du même texte et, selon l’alinéa 3 du texte, la juridiction
saisie peut en outre, si elle l’estime nécessaire interdire l'activité dans l'exercice
ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise.

§.4- Les fraudes aux enchères publiques


Cette forme de délinquance n’est pas connue du droit togolais. En droit français,
l’article 313-6 du Code pénal incrimine plusieurs comportements et protège la
liberté des enchères, ainsi que l’intérêt du débiteur et de ses créanciers en
permettant que les biens saisis soient vendus à leur juste valeur. Le texte vise
plusieurs comportements :

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35
Droit pénal des affaires

1°) le fait, dans une adjudication publique, par dons, promesses, ententes ou tout
autre moyen frauduleux, d’écarter un enchérisseur ou de limiter les enchères ou
les soumissions, ainsi que le fait d’accepter de tels dons ou promesses ;
2°) le fait, dans une adjudication publique, d’entraver ou de troubler la liberté
des enchères ou des soumissions par violences, voies de fait ou menaces ;
3°) le fait de procéder ou de participer, après une adjudication publique, à une
remise aux enchères sans le concours de l’officier ministériel compétent ou
d’une société de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques agréée.
La jurisprudence admet de longue date que toutes les adjudications, volontaires
ou forcées, sont concernées (Crim. 29 décembre 1893, Bull. crim., n° 376), de
même que l’exercice du droit de surenchère après l’adjudication d’un immeuble
(Crim. 18 mars 1848, Bull. crim., n° 72).
Le délit d’entrave à la liberté des enchères peut consister en une entente
résultant d’une convention par laquelle un surenchérisseur s’engage à porter les
enchères à un niveau plus élevé en contrepartie de la renonciation par le
bénéficiaire d’un bail commercial de toute indemnité d’éviction. Cette situation
interdit à l’enchérisseur initial d’être déclaré adjudicateur, sauf à payer un prix
excessif compte tenu de la nécessité dans laquelle il se trouve d’ajouter au prix
d’adjudication le montant de l’indemnité d’éviction (Crim. 18 octobre 1982, Bull.
crim., n° 220).
L’infraction est intentionnelle, puisque l’article 313-6 exige un « moyen
frauduleux ». Le but poursuivi par l’auteur de l’infraction, caractéristique d’un
dol spécial, devant être soit d’écarter un enchérisseur ou de limiter les enchères
ou soumissions, soit d’entraver ou de troubler la liberté des enchères ou
soumissions, soit de procéder ou de faire procéder à une remise aux enchères,
après adjudication publique, sans le concours de la personne compétente.
Les peines prévues sont de six mois d’emprisonnement et de 22 500 euros
d’amende. Les peines complémentaires de l’article 313-7 et 313-8 du Code pénal,
identiques à celles de l’escroquerie, sont applicables à ces fraudes aux enchères
publiques, dont la tentative est punissable en vertu de l’article 313-6, dernier
alinéa.

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36
Droit pénal des affaires

§.5- Le chantage
Selon l’article 466, C. pén. tg., « le chantage est le fait d’obtenir en menaçant de
révéler ou d’imputer des faits de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la
considération une signature ou la remise d’un écrit, d’un acte ou pièce quelconque
contenant obligation, disposition ou décharge ; un engagement ou une renonciation ; la
révélation ou la non-révélation d’un secret ; la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien
quelconque ; ou tout avantage indu ».
Comme dans l’extorsion, la remise est contrainte et a lieu de façon consciente
en sorte que le chantage permet d’atteindre des comportements non couverts
par le vol ou l’escroquerie. Cependant, il y a une différence entre extorsion et
chantage, malgré l’identité du but poursuivi et cette différence tient au moyen
utilisé : alors que dans l’extorsion, la pression exercée par l’agent consiste en
une violence ou menace de violence, dans le chantage, elle consiste dans une
menace de révéler certains faits. Au-delà, on retrouve encore, à côté du moyen,
un but et une intention coupable.

A- Les éléments constitutifs du chantage


De l’article 466, il ressort que la réalisation de l’infraction de chantage nécessite
la réunion de trois éléments : l’emploi d’un moyen, la poursuite d’un résultat et
l’intention coupable.
1. L’emploi d’un moyen
Le moyen du chantage consiste à menacer de révéler ou d’imputer des faits
portant atteinte à l’honneur ou à la considération. Dès lors, le moyen, premier
élément constitutif du délit, se subdivise lui-même en trois sous-éléments.
a) Une menace
Trois caractères principaux ont été dégagés par la jurisprudence. D’abord, la
menace peut être écrite ou verbale. Mais, dans les deux cas, le message est
souvent anonyme, ce qui rend difficile la détermination du maître chanteur.
La menace peut, ensuite, être adressée à la victime ou à un tiers. Cette seconde
situation, plus rare, s’est trouvée réalisée dans le cas d’un individu qui, par écrit,
avait menacé une mère, si elle ne remettait pas une somme d’argent, de révéler
un crime de faux commis par son fils1.
Enfin, comme le chantage consiste dans la menace d’une révélation, il n’y a pas
menace si l’agent a déjà révélé les imputations diffamatoires et exige de l’argent

1
Crim. 25 avr. 1896, D. 1898, 1, 92

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37
Droit pénal des affaires

pour retirer une plainte qu’il a déjà déposée 1. La menace doit, ainsi, être
antérieure à la révélation.
b) Une révélation ou une imputation
La révélation (ou l’imputation) porte, en principe, sur des faits encore inconnus,
les faits déjà connus excluant le délit de chantage. Cependant, le délit existe
lorsque les faits sont un peu connus ou, lorsque tombés dans l’oubli, la révélation
les ravive à la mémoire 2. La jurisprudence raisonne comme en matière de secret
professionnel, où la révélation peut consister à confirmer un fait encore peu
connu ou douteur, en transformant « en fait avéré et certain ce qui n’était jusqu’alors
qu’une rumeur sujette à controverse »3.
En outre, la révélation doit porter sur des faits assez précis, de nature à
caractériser la malice de l’agent. Mais, on sait qu’en fait, les maîtres chanteurs
procèdent souvent par insinuation, voulant ne pas trop se démasquer pour
parvenir à leurs fins, sans pour autant risquer des poursuites pour chantage.
Aussi, les juges considèrent-ils qu’il y a encore chantage même si le coupable
procède par allusion, à condition bien sûr qu’il n’y ait pas de doute chez la victime.
Cependant, la Cour de cassation exercer son contrôle sur la qualification opérée
par les juges du fond. Elle juge ainsi que l’existence des menaces est une condition
essentielle de l’infraction et elle doit être formellement constatée par les juges
du fond4.
c) Un fait de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération
En droit français, l’ancien 400 du Code pénal parlait de « révélations ou
d’imputations diffamatoires », termes que la jurisprudence avait rapproché de
l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, relatif à la diffamation, qui visait « toute
allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération
de la personne ». La jurisprudence en déduisait que « le chantage consistait à
menacer quelqu’un de faire connaître à des tiers… des faits portant atteinte à l’honneur
ou à la considération de la personne menacée » 5.
En somme, les imputations doivent, soit attaquer la probité de la victime
(honneur), soit troubler la position sociale de la victime (considération). Et il
importe peu que le fait imputé soit exact ou non 6.

1
Crim. 12 mars 1964, Bull. crim., n° 91 ; 22 avr. 1975, Bull. crim., n° 101, JCP 1976, II, 18417, note D. Mayer
2
Crim. 21 juill. 1993, S. 1935, 1, 36 ; 8 févr. 1994, Dr. pén., 1994, comm. 135
3
Crim. 25 janv. 1968, D. 153, note Costa
4
Crim. 12 mars 1964, Bull. crim., n° 91 ; 22 avr. 1975, Bull. crim., n° 101
5
Paris, 24 mars 1953, Gaz. Pal. 1953, 2, 14.
6
Crim. 19 juill. 1985, D. 1985, 1, 567.

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Droit pénal des affaires

Les exemples sont très nombreux. On peut citer la menace de dénoncer des
irrégularités de nature à fonder des poursuites disciplinaires 1, la menace
d’impliquer une personne dans un procès de mœurs, de vol et d’assassinat2, etc.
En revanche, si une personne, notamment une personne connue, reçoit une
lettre ou des appels téléphoniques l’informant qu’à défaut de remise de telle
somme d’argent à telle personne, des violences seront exercées sur elle, il n’y a
pas chantage dans ce cas. En effet, il manque ici l’élément qui menace de révéler
un fait diffamatoire. Mais, il peut y avoir, selon les circonstances, tentative
d’extorsion de fonds ou menaces de violences.
2. Le but poursuivi
Ce but est l’obtention d’une signature, d’un engagement ou d’une renonciation,
la révélation ou la non-révélation d’un secret, ou encore la remise de fonds, de
valeurs et d’un bien quelconque. Il importe peu, décide la jurisprudence française,
que le montant des fonds n’ait pas été précisé 3. Et il n’est pas nécessaire que la
chose extorquée appartienne à la personne menacée4.
Cependant, le domaine du chantage est, et a toujours été, limité au domaine
patrimonial, soit directement, soit indirectement (en matière de révélation d’un
secret). En conséquence, l’agent qui voudrait seulement satisfaire un désir de
vengeance échapperait à une condamnation pour chantage, mais pourrait, en
revanche, être poursuivi pour menaces.
3. L’intention coupable
L’intention est la volonté ou la conscience d’utiliser des menaces illégitimes pour
obtenir une remise indue. Cela dit, il se pose une question, assez complexe : celle
du chantage à la plainte ou menace de révéler à la justice un fait, par exemple
une infraction, en cas de non-versement d’une indemnité. Dans le principe, la
victime peut parfaitement exiger le versement d’une somme d’argent contre
renonciation à sa plainte. Ainsi, le veut la logique de la transaction qui est
d’application courante, et que réaffirme le nouveau Code pénal togolais en ces
articles 58 et suivants, qu’il qualifie « d’alternatives aux poursuites pénales ». Et
la jurisprudence ne manque pas de rappeler que la menace de recourir aux voies
légales pour obtenir le paiement d’une dette ne constitue pas un chantage5.
Mais, il ne s’agit là que d’un principe, car il peut intervenir la notion d’abus de
droit de la part de celui qui use de menace, en profitant de la situation. Il en est
ainsi dans deux cas. Le premier est relatif au créancier qui, pour recouvrer sa

1
Crim. 4 juill. 1874, D. 1875, 1, 288
2
Crim. 4 déc. 1900, Bull. crim., n° 362 ; D. 1901, 1, 512
3
Crim. 17 nov. 1993, Gaz. Pal. 1994, 1, Somm. 21 ; Rev. Sc. Crim. 1994, 564, obs. P. Bouzat.
4
Crim. 3 déc. 1896, D. 1898, 1, 149
5
Crim. 12 mars 1985 précité ; 13 mars 1990 précité.

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39
Droit pénal des affaires

créance, menace le débiteur de révéler les dessous de l’affaire, c’est-à-dire des


circonstances étrangères à la créance. Tel est le cas de l’individu qui, désireux
d’obtenir une transaction, menace de dénoncer une infraction fiscale, « laquelle,
par sa nature même, est étrangère à un litige entre particuliers » 1. Le second cas est
celui dans lequel le créancier réclame davantage que ce à quoi il a droit. Cette
question se pose, par exemple, dans les magasins de vente en « libre-service » et
les juges s’attachent aux circonstances particulières pour retenir ou exclure le
chantage.
C’est ainsi que l’exploitant d’un grand magasin, qui certes demandait aux clients
voleurs le versement immédiat d’une somme hors de proportion avec la valeur
des objets volés, a été sauvé par le fait qu’il y avait dans son établissement un
grand nombre de larcins, qu’il avait dû organiser une surveillance spéciale et qu’il
éprouvait un trouble commercial2. Dans une autre affaire, un gérant de magasin
a également obtenu la relaxe, alors qu’il demandait des sommes allant jusqu’à
cinq fois la valeur des objets volés, les juges indiquant que demander une somme
égale à la valeur des objets volés donnerait à certains la tentation de voler dans
l’espoir de n’être pas découverts3. A été, en revanche, condamné, le directeur
qui réclamait 200 000 F pour 1 350 F de marchandises volés4.
B- La répression du chantage
La répression du chantage est, normalement, moins lourde que celle de
l’extorsion. Les sanctions, d’après l’article 467, C. pén., sont une peine
d’emprisonnement d'un (01) à trois (03) an(s) et une amende de cinq cent mille
(500.000) à trois millions (3.000.000) de francs CFA ou l’une de ces deux peines.
Mais, des circonstances aggravantes existent, et il s’agit des mêmes circonstances
prévues au titre de l’infraction d’extorsion, à savoir la mise à exécution de la
menace, ou encore, le fait pour le coupable de conduire sa victime, par ces
procédés ou leur répétition à la ruine et/ou au suicide, etc. Dans ce cas, la peine
est portée d'un (01) à cinq (05) ans d'emprisonnement, et peut aller jusqu’à cinq
(05) à dix (10) ans de réclusion criminelle en cas de chantage assorti de violences
physiques ou morales, selon l’article 468, al. 1 et 2.

1
Crim. 13 mars 1990 précité ; 5 mars 1975, Bull. crim., n° 72.
2
Crim. 20 févr. 1963, D. 1963, Somm. 103.
3
Poitiers, 7 févr. 1974, D. 1974, 693
4
Crim. 27 janv. 1960, D. 1960, 247.

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40
Droit pénal des affaires

Séance n° 5

Objectif : Définition et répression de l’abus de confiance

Consignes : Lire et relire, au besoin, le chapitre 3 jusqu’à la fin de la section 2, en


s’aidant, s’il y a lieu, du Lexique des termes juridiques ou du vocabulaire juridique, afin
de cerner tous les contours de l’infraction d’abus de confiance, et la manière dont elle
est réprimée et sanctionnée.

Activités : Analyser le cas suivant :

M. Kodjo est Gérant de la Sarl « Beaud Évènementiels », au capital de 5.000.000 de


FCFA. Le 15 mars dernier, il reçut de M. Kossi, associé de la Sarl, la somme de
1.000.000 de FCFA représentant le montant des parts souscrites par ce dernier dans
l’augmentation du capital de la société. Au lieu de procéder au versement de cette
somme sur le compte ouvert au nom de la société, M. Kodjo estimant celle-ci à court
de trésorerie, décida d’affecter la somme à l’achat de nouveaux matériels de production.

1) L’action de M. Kodjo est-elle constitutive d’abus de confiance ? Justifier.

2) Si oui, quelles peines M. Kodjo encourt-il ? Peut-il échapper à la condamnation et


comment ?

3) Quels sont les éléments constitutifs de l’infraction d’abus de confiance ?

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Droit pénal des affaires

CHAPITRE 3

L’ABUS DE CONFIANCE

L’abus de confiance est, selon l’article 429, C. pén., reprenant, mot pour mot,
l’actuel article 314-1 du nouv. Code pénal français, « le fait par une personne de
détourner au préjudice d’autrui des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont
été remis et qu’elle a accepté à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire
un usage déterminé ».
L’article 430 ajoute une liste de faits également constitutifs d’abus de confiance.
Commet aussi un abus de confiance, dispose ce texte, « toute personne qui, ayant
obtenu un crédit d’un organisme de crédit public ou privé, en aura fait un usage autre
que celui déclaré ou n’aura pas été en mesure de justifier la conformité de l’emploi à
l’usage initialement convenu ; ayant offert en garantie un bien meuble ou immeuble,
l’aura affecté en sûreté à un autre bien ; l’aura détourné par vente, donation,
destruction ou par tout autre moyen ; aura dissimulé les poursuites et saisies diligentées
par un autre créancier sur ce bien ».
En outre, l’alinéa 2 du texte prévoit la possibilité du délit dans l’intérêt d’une
personne morale. C’est ainsi que « commet également un abus de confiance toute
personne auteur des faits énumérés à l’alinéa précédent, au nom, pour le compte, ou
sous le couvert d’une personne morale ».
Seront donc examinés, les éléments constitutifs, puis la répression de l’abus de
confiance.

SECTION 1- LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS


Comme toute infraction, l’abus de confiance suppose la réunion d’un élément
matériel (§.1) et d’un élément psychologique (§.2).

§.1- L’élément matériel


L’abus de confiance suppose que l’auteur de l’infraction ait usé du bien ou des
valeurs reçues, dans un but autre que celui pour lequel ces objets lui avaient été

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42
Droit pénal des affaires

remis. Il y a donc un détournement, mais aussi un usage différent de celui prévu


lors de la remise, et qui causent un préjudice à autrui.
A- Un détournement
Théoriquement, la notion de détournement ne semble pas soulever de
problèmes majeurs, mais dans la pratique, certaines difficultés, notamment de
preuve, subsistent.
1. Notion du détournement
En l’absence de définition légale, c’est la jurisprudence qui a dû préciser la notion.
Au sens strict, le détournement suppose une utilisation du bien différente de
celle prévue lors de la remise. C’est notamment le cas lorsqu’il y a un
changement d’affectation ou de destination du bien (détérioration, mis en gage).
Plus largement, le détournement peut se réaliser par une dissipation, c’est-à-dire
une disparition de la chose remise, résultant soit d’une vente ou d’une donation,
on parle alors de dissipation juridique, soit de sa perte, de sa destruction ou de
sa consommation, il s’agit alors d’une dissipation matérielle. Les illustrations
jurisprudentielles sont nombreuses : détournement d’une subvention par le
président d’une chambre des métiers 1 ; détournement par des bénéficiaires
d’une procuration sur un compte bancaire 2 ; détournement par le gérant d’une
SARL de fonds reçus d’un souscripteur à une augmentation de capital et qui les
a affectés aux besoins de trésorerie de la société3.
Il n’est pas nécessaire que le prévenu se soit approprié le bien confié, ni qu’il en
ait tiré un profit personnel : il suffit que le propriétaire ne puisse plus exercer
ses droits sur ce bien 4.
L’abus de confiance est une infraction instantanée, qui ne nécessite pas de mise
en demeure préalable pour être constituée. D’ailleurs, le détournement peut
même consister en une simple omission. C’est le cas du détournement par un
mandataire de fonds remis pour son mandant et qu’il omet de révéler, afin de ne
pas devoir les représenter5.

1
Crim. 26 sept. 1996, Bull. Joly 1997, 112
2
Crim. 22 oct. 1998, JCP 1999, IV, 1322
3
Crim. 6 mai 1969, Bull. crim., n° 151
4
Crim. 2 déc. 1911, DP. 1912, 1, 343 ; 10 mai 1989, Dr. pén. 1989, comm. n° 17, note Véron
5
Crim. 8 novembre 1982, Bull. crim., n° 242

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43
Droit pénal des affaires

Mais le domaine privilégié de l’infraction d’abus de confiance réside dans les


détournements d’actifs des sociétés de personnes, mais aussi des associations,
l’abus de biens sociaux étant réservé aux sociétés de capitaux1.
Il importe de signaler que le quitus éventuellement donné par l’assemblée
générale ne fait pas disparaître le caractère délictueux des détournements
réalisés2. De même, la restitution ultérieure de la chose détournée ou le
désintéressement de la victime ne constitue qu’un repentir actif inefficace quant
à la qualification de l’infraction.
Cependant, dans la pratique, la caractérisation de l’infraction d’abus de confiance
peut se heurter à certaines difficultés.
2. Preuve du détournement
Il ne saurait, en principe, y avoir de présomption de détournement du seul fait
de la non-remise de la chose au propriétaire. La jurisprudence rappelle d’ailleurs
que le seul usage de la chose confiée ne caractérise pas l’infraction3. Mais il en va
différemment en cas d’une utilisation à des fins étrangères à celles qui avaient été
stipulées, particulièrement lorsque cet usage non prévu implique la volonté de
l’utilisateur de détourner la chose, voire de se comporter, même
momentanément, comme le véritable propriétaire du bien. Autrement dit, la
preuve du détournement résulte souvent, comme dans un très grand nombre
d’autres infractions, d’éléments de fait souverainement appréciés par les juges du
fond. Ils ont ainsi retenu, à titre d’exemple, l’utilisation d’un véhicule de fonction
à des fins personnelles 4.
C’est dire que tout usage autre que celui initialement prévu ne caractérise pas
nécessairement un détournement, sauf à prouver l’élément intellectuel de
l’infraction ou, tout au moins, à le déduire du comportement du prévenu, surtout
s’il s’agit d’un professionnel. Des auteurs ont proposé un critère de distinction
pertinent, à savoir, l’incompatibilité entre l’usage effectif et l’usage initialement
prévu. En d’autres termes, l’abus de confiance ne serait pas constitué lorsque
l’usage différent n’est pas incompatible avec celui envisagé, mais il le serait dans
le cas contraire, notamment lorsque le propriétaire se trouve dans l’impossibilité
d’exercer ses droits sur la chose.

1
Crim. 4 septembre 1996, Bull. crim., n° 314 : gérant d’une SCI ; 10 avril 2002, Bull. crim., n° 86 : cogérant d’une
SNC ; Aix-en-Provence, 4 juin 1998, JCP 1998, IV, 2757 : détournement de fonds d’un club de football par son
président
2
Crim. 16 décembre 1975, Bull. crim., n° 279
3
Crim. 11 janvier 1968, Bull. crim., n° 10
4
Crim. 13 février 1984, Bull. crim., n° 49

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44
Droit pénal des affaires

De la même manière, la restitution tardive, voire l’absence de restitution,


n’implique pas, ipso facto un détournement, même après une mise en demeure 1.
Mais, il en irait autrement, si la preuve est rapportée que les raisons invoquées
pour justifier le retard sont mensongères2.
En outre, il ne saurait y avoir abus de confiance lorsque les conditions d’exercice
du droit de rétention se trouvent réunies, notamment lorsqu’un agent d’affaires
retient, de bonne foi, les pièces d’un dossier jusqu’au paiement de ses frais3. En
revanche, la rétention injuste, faite dans une intention frauduleuse, caractérise le
détournement. Il a ainsi été jugé qu’un agent d’affaires retenant de mauvaise foi
et contre la volonté du mandant des pièces qui lui avaient été remises à titre de
mandat ne peut se prévaloir d’un droit de rétention4. A, de même été jugé
coupable d’abus de confiance, l’employé d’une société conservant des documents
remis dans l’exercice de ses fonctions, après la cessation de celles-ci pour les
besoins d’une entreprise concurrente5.
S’agissant de la charge de la preuve de la remise, le nouveau Code pénal togolais
apporte une précision importante. Cette charge, selon l’article 431, incombe à
celui qui prétend avoir été victime du détournement. Et d’après ce texte, dès
lors que la preuve de la remise de l’objet ou valeur a été rapportée, celui qui l’a
reçu est présumé l’avoir détourné, dissipé ou détruit s’il ne peut le rendre, le
représenter ou justifier qu’il en a fait l’usage ou l’emploi prévu.
Toutefois, cette présomption n’est pas irréfragable. Pour la faire tomber, il suffit
au prévenu d’établir que l’impossibilité dans laquelle il se trouve de rendre ou de
représenter l’objet ou la valeur reçue ou de justifier qu’il en a fait l’usage ou
l’emploi prévu, n’a pas une origine frauduleuse ou, si cette origine est frauduleuse,
qu’elle ne lui est pas imputable (art. 431, al. 3).
B- Un préjudice causé à autrui
La victime du préjudice peut être le remettant, mais aussi une tierce personne.
C’est l’exemple du détournement réalisé par le livreur d’une chose vendue par
son employeur et qu’il est chargé de livrer au client qui en était devenu
propriétaire 6. Il importe donc peu que la remise ait été effectuée par la victime
elle-même ou par un tiers.

1
Crim. 19 février 1990, Bull. crim. n° 80
2
Crim. 2 mars 1994, Dr. pénal 1994, comm. 159, note Véron
3
Crim. 1er mai 1940, DH 1940, p. 169
4
Crim. 30 décembre 1943, Bull. crim., n° 169
5
Crim. 7 juin 1961, Bull. crim., n° 228
6
Crim. 25 octobre 1935, Bull. crim., n° 118

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Droit pénal des affaires

§.2- L’élément intellectuel


Le délit d’abus de confiance est intentionnel. L’auteur doit avoir voulu détourner
en ayant conscience du caractère précaire de sa détention (dol général), dans le
but d’intervertir les titres de manière préjudiciable à la victime (dol spécial).
L’intention réside, par conséquent dans la réalisation d’un résultat préjudiciable
pour la victime, dans l’interversion des titres, afin de se comporter, selon les cas,
comme le possesseur ou comme le véritable propriétaire du bien remis. Si
l’exception de bonne foi peut être admise, notamment lorsque le remettant a
autorisé le prévenu à utiliser le bien remis, les mobiles du détournement sont en
revanche indifférents 1.

SECTION 2- LA RÉPRESSION DE L’ABUS DE CONFIANCE


Un certain nombre de peines sont prévues et peuvent recevoir application en
réponse aux comportements délictueux constitutifs d’abus de confiance ; mais
encore faut-il que le poursuivant ait qualité pour agir.

§.1- Recevabilité de l’action civile


La Chambre criminelle de la Cour de cassation admet que les détournements
commis par un associé en nom collectif occasionnent aux autres associés, qui
répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales, un préjudice
personnel et direct2. Pourtant, en matière d’abus de biens sociaux, elle a
récemment aligné sa jurisprudence sur celle de la Chambre commerciale, en
déclarant irrecevable la constitution de partie civile des associés pour leur
préjudice personnel, au motif que « le délit d'abus de biens sociaux n'occasionne un
dommage personnel et direct qu'à la société elle-même et non à chaque associé »3.
C’est dire que la nature de la société détermine la recevabilité de l’action
personnelle des associés, ce qui peut ne pas apparaître satisfaisant.
S’agissant d’un détournement commis au préjudice d’une collectivité territoriale
ou d’un établissement public, la jurisprudence admet la constitution de partie
civile d’un Office public d’HLM, pour son préjudice moral, dans des poursuites
pénales dirigées contre son directeur du chef de corruption passive de
fonctionnaire et d’abus de confiance4. Mais elle déclare irrecevable, faute de
1
Crim. 20 février 1980, Bull. crim., n° 66
2
Crim. 10 avril 2002, Bull. crim., n° 86
3
Crim.13 décembre 2000, Juris-classeur Droit pénal, avril 2001, p. 16-17, note Robert
4
Crim. 18 décembre 1996, Bull. crim., n° 474

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Droit pénal des affaires

préjudice personnel direct et de qualité pour agir, la constitution de partie civile


déposée par des conseillers généraux pour abus de confiance et détournement
de fonds publics contre le directeur général des services du département, ayant
utilisé des fonds provenant du budget départemental pour effectuer des
dépenses personnels1.

§.2- Les peines


L’article 436, C. pén. tg., renvoyant aux dispositions des articles 427 et 428 du
même code, relatives aux immunités familiales, exclut des poursuites pénales, au
titre d’abus de confiance, contre les personnes visées.
Au-delà, outre la peine d’un (01) an à trois (03) ans d’emprisonnement et/ou
d’une amende d'un million (1.000.000) à trois millions (3.000.000) de francs CFA
prévu par l’article 432 pour toute personne coupable d’abus de confiance, les
articles 433 et suivants prévoient un assez grand nombre circonstances
aggravantes, tenant aux qualités ou fonctions de l’auteur de l’infraction. C’est
ainsi qu’en cas d’abus de confiance commis, dans l’exercice de sa profession, par
un professionnel, tel qu’un officier public ou ministériel, un syndic des procédures
collectives de redressement judiciaire ou de liquidation des biens, un liquidateur
de société, un séquestre, un mandataire commercial ou par toute personne qui
gère les affaires d’autrui, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses
fonctions ou de sa profession ; ou encore par une personne faisant appel au
public, afin d’obtenir soit pour son propre compte, soit comme directeur,
administrateur ou gérant d’une société ou d’une entreprise commerciale ou
industrielle, la remise de fonds ou valeur à titre de dépôt, de mandat ou de
nantissement, la peine est portée d’une peine d’emprisonnement d'un (01) an à
cinq (05) ans et d'une amende d'un million (1.000.000) à cinq millions (5.000.000)
de francs CFA.
Le coupable peut, en outre, être déchu du droit d’exercer son activité
professionnelle pendant une période de cinq (05) ans au plus.

1
Crim. 21 mars 2000, Bull. crim., n° 122

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47
Droit pénal des affaires

Séance n° 6

Objectif : Définition et répression de l’abus de blanc-seing, du détournement de gage


et d’objet saisi, ainsi que de l’organisation frauduleuse de l’insolvabilité.

Consignes : Lire et relire, au besoin, à partir de la section 3 du chapitre 3 jusqu’à la


fin du chapitre, en s’aidant, s’il y a lieu, du Lexique des termes juridiques ou du
vocabulaire juridique, afin de cerner tous les contours des infractions voisines de l’abus
de confiance, et la manière dont elles sont réprimées et sanctionnées.

Activités : Répondre aux questions suivantes :

1) Qu’est-ce que l’abus de blanc-seing ? Quels en sont les éléments constitutifs ?

2) En quoi consiste le détournement de gage ? et le détournement d’objet saisi ?

3) Comment se caractérise l’organisation frauduleuse de l’insolvabilité ? Qui peut en


être coupable ?

SECTION 3- LES INFRACTIONS VOISINES DE L’ABUS DE


CONFIANCE

Le nouveau Code pénal togolais, traite dans un même chapitre, intitulé « des
détournements », outre l’abus de confiance, l’abus de blanc-seing (§.1), le
détournement de gage et d’objet saisi (§.2), ainsi que l’organisation frauduleuse
de l’insolvabilité (§.3).

§.1- L’abus de blanc-seing


Il est possible, et le fait se présente même assez souvent, que, dans une
circonstance de la vie, un individu ait besoin de donner sa signature d’avance,
sur une feuille de papier blanc, pour ratifier une écriture privée qui sera
placée ultérieurement au-dessus de la signature : c’est ce que l’on appelle un
blanc-seing.

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48
Droit pénal des affaires

Aux termes de l’article 438, C. pén., « l’abus de blanc-seing consiste de la part


d’une personne à qui un papier portant une signature en blanc a été confié, à
inscrire frauduleusement, au-dessus de cette signature, une obligation ou une
quittance ». Il n’est donc pas nécessaire, comme l’avait admis la jurisprudence,
que la feuille de papier soit entièrement blanche. Aussi, l’article 437, C. pén.,
donne-t-il au blanc-seing deux définitions. Constitue un blanc-seing, selon ce
texte, 1) le titre signé en blanc, un document à compléter que le signataire
confie à une personne afin que celle-ci remplisse elle-même les blancs en
déterminant les éléments qui manquent ; 2) la signature apposée à l’avance
au bas d’un document sur lequel le signataire a laissé intentionnellement un
blanc destiné à être rempli ultérieurement.
En analysant les termes de l’art. 438, on constate que le délit d’abus de blanc-
seing suppose quatre conditions essentielles, qu’il importe d’analyser, avant
d’examiner les peines applicables.
A- Les éléments constitutifs d’abus de blanc-seing
Pour qu’il y ait abus de blanc-seing, il faut, d’une part, que la feuille de papier ait
été confiée en blanc avec la seule signature de la victime, d’autre part, que l’abus
ait pour auteur celui à qui la feuille a été confiée ; il faut en plus que l’abus ait été
commis frauduleusement, et enfin, que cet abus soit de nature à compromettre
la personne ou la fortune du signataire.
1. Une signature donnée en blanc
L’élément primordial du délit est un acte de confiance de la victime, acte qui
implique un mandat quelconque. Une signature donnée en blanc révèle, en
effet, que le papier, sur lequel elle est apposée, doit contenir un écrit dont
cette signature est la ratification anticipée. Le but de la remise du blanc-seing
peut être de diverses natures ; mais il est nécessaire que la feuille revêtue de
la signature soit destinée à être remplie.
Si la signature était précédée de quelques mots écrits ou imprimés, et que le
prévenu n’ait fait que remplir les blancs laissés à dessein entre ces mots, cette
action constituerait-elle un abus de blanc-seing ? Cette question s’est, à
plusieurs reprises, posées au juge. La Cour de cassation a toujours jugé que
lorsque les mots écrits ou imprimés se rattachaient à la signature pour lui
donner sa force juridique, il y avait abus de blanc-seing de la part de celui qui
a écrit frauduleusement, dans les intervalles, une obligation, une décharge,
ou tout autre acte pouvant compromettre la personne ou la fortune de
signataire1.

1
Crim. 12 janvier 1987, Gaz. Pal. 1987, I, somm. 200.

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49
Droit pénal des affaires

En outre, le blanc-seing doit avoir été volontairement remis à celui qui est
accusé d’en avoir abusé. D’où il suit que toute violence, par l’emploi de
laquelle aurait été obtenu le blanc-seing, exclurait cette mise de confiance
qui est l’élément primordial du délit.
Mais l’emploi de manœuvres frauduleuses, propres à tromper la victime, et
à l’amener à donner un blanc-seing, qu’elle n’aurait pas donné sans cela, fait
qui, en lui-même, est susceptible de constituer une escroquerie, peut-il faire
dégénérer l’abus du blanc-seing obtenu par la fraude en crime de faux ?
Une distinction s’impose, entre le cas où la remise du blanc-seing est
déterminée par des manœuvres excluant toute confiance dans la personne à
qui la signature est confiée, et celui où la remise n’exclut pas cette confiance.
Exemple : un avocat obtient de son client une feuille de papier timbré, signée
en blanc, en le persuadant qu’il en a besoin pour faire un acte de procédure
au nom du signataire, et il en abuse, en inscrivant une obligation, à son profit,
pouvant compromettre la fortune de ce client. Bien que la volonté de celui
qui a remis le blanc-seing ait été plus ou moins trompée par cette manœuvre,
on verra simplement dans ce fait un abus de confiance. Mais, lorsque les
manœuvres employées ont été telles que le signataire n’a jamais eu la volonté
de remettre un blanc-seing destiné à contenir un acte déterminé, c’est sous
la qualification de faux que le fait doit être poursuivi.
Enfin, le blanc-seing ne peut être réputé avoir été confié à un tiers que
lorsqu’il a été remis à cette personne à titre de blanc-seing et avec un mandat
quelconque. Ainsi, lorsqu’un individu remet ses nom et prénoms, à titre
d’adresse, à un tiers, et que celui-ci fabrique, au-dessus de ces nom et
prénoms, une obligation à son profit, il y a faux et non simplement abus de
blanc-seing. Ainsi encore, le fait par celui qui a reçu une quittance d’insérer,
dans un blanc laissé par inadvertance, une mention préjudiciable, ne constitue
pas l’abus de blanc-seing, mais le délit de faux 1.
2. Un abus commis par le bénéficiaire du blanc-seing
Le second élément du délit résulte de cette circonstance que l’auteur de
l’abus est précisément celui à qui le blanc-seing a été confié pour en faire un
usage déterminé. La question s’est, en effet, posée de savoir s’il y a abus de
blanc-seing ou s’il y a faux, lorsque la personne à qui le blanc-seing a été
confié, le fait remplir par un tiers. La réponse à cette question découle de
l’application des principes de la complicité.
Ou le tiers, auquel le blanc-seing a été remis pour qu’il y écrive la convention,
est réputé auteur principal, et dans ce cas il a commis un faux, dont doit être
réputé complice celui qui lui a remis le blanc-seing ; ou c’est bien ce dernier

1
Crim. 14 mars 1988, Bull. crim., n° 191, p. 102

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50
Droit pénal des affaires

que l’on répute auteur principal, celui qui a écrit pour lui la convention n’étant
considéré que comme son instrument et son complice, et dans ce cas, tous
les deux n’ont commis qu’un abus de blanc-seing.
3. Un abus frauduleux
La troisième condition du délit, c’est qu’il y ait un abus frauduleux du blanc-
seing ainsi confié. Cet abus consiste, aux termes de l’article 438, dans
l’inscription d’un acte au-dessus de la signature. Il faut en réalité préciser qu’il
doit s’agir d’un acte non conforme aux conventions arrêtées entre la
personne qui l’écrit et le signataire ; dans le cas contraire, il n’y aurait aucun
délit, non pas faute de préjudice, mais faute d’abus, puisque l’acte écrit serait
conforme au mandat donné par le signataire.
L’abus doit être frauduleux, c’est-à-dire que l’acte doit être écrit avec la
conscience et la volonté d’opérer une obligation ou décharge différente de
la convention arrêtée avec le signataire, et de nature à compromettre, au
moins d’une manière éventuelle, sa fortune ou sa personne. Cet abus
implique, en général, l’intention frauduleuse, laquelle sera rendue plus
manifeste encore par l’usage même du blanc-seing ainsi rempli.
Mais il n’est pas nécessaire, pour que le délit existe, qu’il ait été fait usage de
l’acte frauduleusement rédigé au-dessus de la signature. C’est
la fabrication même d’une convention, différente de celle pour la constatation
de laquelle le blanc-seing avait été confié, qui caractérise l’abus.
Sans doute, comme dans toute falsification d’écriture, ce n’est pas
précisément le faux qui est préjudiciable, mais plutôt l’usage du faux. Mais on
admet que si, d’un côté, l’abus du blanc-seing est consommé par le simple fait
de l’inscription frauduleuse d’une obligation ou d’une décharge au-dessus de
la signature, d’un autre côté, l’usage d’un blanc-seing, déjà frauduleusement
rempli, constitue aussi et toujours le délit d’abus de blanc-seing. L’usage, en
effet, comme l’exprime une jurisprudence aujourd’hui bien constante,
« reproduit et perpétue » l’abus de blanc-seing, déjà consommé par
l’inscription frauduleuse ; d’où il suit que la prescription ne commence à
courir qu’à dater du dernier usage qu’on a fait du blanc-seing1.
3. Un abus opérant obligation ou quittance
La dernière condition du délit est que l’écriture, mise au-dessus de la
signature, opère obligation ou quittance, c’est-à-dire décharge, ou qu’elle
puisse compromettre, d’une façon quelconque, la personne ou la fortune du
signataire.
Il faut donc, pour l’existence du délit d’abus de blanc-seing, relever
un préjudice. Mais le principe que le délit est constitué par la simple fabrication
1
Crim. 21 septembre 1994, Bull. crim., n° 300, 730

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51
Droit pénal des affaires

de l’acte, indépendamment de son usage, entraîne l’assimilation, au préjudice


matériel et effectivement réalisé, du préjudice simplement éventuel, et du
dommage uniquement moral.
Il faut préciser qu’en droit français, l’abus de blanc-seing, qui était
spécialement incriminé par l’art. 407 du Code pénal de 1810, ne l’est plus par
le nouveau Code pénal, qui s'en tient simplement à l’abus de confiance, ou
éventuellement à l'infraction de faux.
B- La répression du délit d’abus de blanc-seing
L’abus de blanc-seing est puni des mêmes peines que l’abus de confiance
simple, savoir un (01) an à trois (03) ans d’emprisonnement et/ou une
amende d'un million (1.000.000) à trois millions (3.000.000) de francs CFA.
Les immunités familiales des articles 428 et 429 sont, en outre, applicables.

§.2- Le détournement de gage ou d’objets saisis


Le nouveau Code pénal togolais distingue le détournement de gage du
détournement d’objets saisis, deux phénomènes délictueux différents. Aussi,
convient-il de les étudier séparément.
A- Le détournement de gage
Le détournement de gage est, selon l’article 441, C. pén., le fait :
1) par un débiteur, un emprunteur ou un tiers donneur de gage ou détenteur
de gage, de détruire, d’altérer, de ne pas restituer, de s’approprier ou de
faire obstacle aux droits du créancier sur l’objet constitué en gage ;
2) par un débiteur, un détenteur d’outillage ou de matériel d’équipement objet
d’un nantissement, de détruire, d’altérer, de ne pas restituer, de
s’approprier ou de faire obstacle aux droits du créancier sur l’objet
constitué en gage ;
3) par un créancier bénéficiaire du gage, de détruire, d’altérer, de ne pas
restituer, de s’approprier ou de faire obstacle aux droits du débiteur sur
l’objet gagé ou nanti.
Il résulte de ce texte que l’existence du gage est une condition préalable à
l’infraction, le droit pénal étant, toutefois, indifférent à la validité de l’acte
constitutif du gage. L’objet constitué en gage doit, en outre, être mobilier et
corporel, l’article 441 faisant nettement une distinction entre gage avec
dépossession et gage sans dépossession.

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52
Droit pénal des affaires

S’agissant d’un gage sans dépossession (art. 441, 1° et 2°), l’objet gagé reste entre
les mains du débiteur qui voit ses prérogatives limitées sur ce bien. Le
détournement intervient dès lors que le débiteur détruit, altère ou soustrait le
bien à la garantie du paiement de sa dette.
S’agissant d’un gage avec dépossession, le détournement est moins évident,
puisque, par définition, le bien se trouve entre les mains du créancier. L’article
441, 3°, prévoit, néanmoins, qu’il y a détournement dès lors que le créancier
bénéficiaire du gage détruit, altère, refuse de restituer, s’approprie ou fait
obstacle aux droits du débiteur sur l’objet gagé ou nanti.
Ce qui, matériellement, ne pourrait être constaté qu’à l’échéance de la dette et
après règlement complet de celle-ci.
L’infraction est donc imputable, aussi bien au donneur de gage, le débiteur, qu’au
bénéficiaire du gage, le créancier.
Au plan intellectuel, l’infraction est intentionnelle, le donneur de gage ou le
bénéficiaire doit avoir voulu porter atteinte, non pas au bien lui-même, mais aux
droits de son créancier ou de son débiteur en détournant l’objet gagé 1.
S’agissant des sanctions, l’article 442 prévoit des peines identiques à celles
applicables en matière d’abus de confiance, c’est-à-dire un à trois ans
d’emprisonnement et/ou une amende d’un million à trois millions de Francs CFA.
B- Le détournement d’objet saisi
Selon l’article 443, C. pén. tg., « le détournement d’objet saisi est le fait, par le saisi,
de détruire, de s’approprier, de ne pas restituer ou de faire obstacle aux droits d’autrui
sur un objet saisi entre ses mains en garantie des droits d’un créancier et confié à sa
garde ou à celle d’un tiers ».
L’existence d’une saisie constitue donc une condition préalable à l’infraction,
mais la poursuite répressive est indifférente à la validité de la saisie : il importe
peu que la saisie soit annulée après l’acte de détournement2.
Matériellement, l’infraction consiste en un détournement ou une destruction de
l’objet saisi, l’auteur de l’infraction étant la personne saisie. Intellectuellement, le
délit requiert une intention frauduleuse, exclusive de la bonne foi, caractérisée
par la connaissance que l’objet détourné avait été placé sous main de justice3.

1
Crim. 23 juin 1965, D. 1965, p. 778
2
T. corr. Seine, 18 décembre 1926, DP. 1928, 2, 199
3
Crim. 22 janvier 1953, Bull. crim. n° 23

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53
Droit pénal des affaires

La répression du détournement d’objet saisi est identique à celle du


détournement de gage.

§.2- L’organisation frauduleuse de l’insolvabilité


« Constitue une organisation frauduleuse de l’insolvabilité le fait pour un débiteur, de
chercher, même avant que sa dette ne soit judiciairement reconnue, à se soustraire à
l’exécution d’une condamnation pénale, délictuelle ou alimentaire, soit en augmentant
le passif ou en diminuant l’actif de son patrimoine, soit en dissimulant tout ou partie de
ses biens ou revenus » (article 445, C. pén. tg.).
Le délit suppose donc une organisation de l’insolvabilité, faite intentionnellement
et destinée à se soustraire à une condamnation résultant d’une décision
judiciaire.
En outre, le texte parlant de « débiteur », sans autre précision, on doit en déduire
que l’infraction concerne également le dirigeant, de fait ou de droit, d’une
personne morale qui organise l’insolvabilité de celle-ci pour la faire échapper aux
condamnations pécuniaires prononcées en matière pénale, délictuelle ou quasi-
délictuelle.
S’agissant des sanctions applicables, on retiendra que les peines applicables en
matière d’organisation frauduleuse de l’insolvabilité sont identiques à celles
prévues au titre de détournement de gage ou d’objet saisi.
Par ailleurs, aux termes de l’article 446, al. 2, le complice qui a reçu les biens
pour les distraire du patrimoine de l’auteur de l’infraction peut être tenu
solidairement, dans la limite des fonds ou des biens reçus à titre gratuit ou à titre
onéreux, aux obligations pécuniaires auxquelles l’auteur de l’infraction a voulu
se soustraire.
La juridiction saisie peut, en outre, priver les coupables de leurs droits civiques,
civils et professionnels, ou s’il s’agit d’étrangers, l’interdiction du territoire
national, conformément aux dispositions de l’article 79, 131 et 132, C. pén.
La prescription de l’action publique, quant à elle, ne court qu’à compter de la
condamnation à l’exécution de laquelle le débiteur a voulu se soustraire.
Toutefois, elle ne court qu’à compter du dernier agissement ayant pour objet
d’organiser l’insolvabilité du débiteur lorsque le dernier agissement est
postérieur à cette condamnation (art. 446, al. 3).

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54
Droit pénal des affaires

Séance n° 7

Objectif : Définition et répression des atteintes au devoir de probité : la corruption

Consignes : Lire et relire, au besoin, le chapitre 1 du Titre 2, en s’aidant, s’il y a lieu,


du Lexique des termes juridiques ou du vocabulaire juridique, afin de cerner tous les
contours de l’infraction de corruption, et la manière dont elle est réprimée et
sanctionnée.

Activités : Répondre aux questions suivantes :

1) Qu’est-ce que la corruption ? Quelles en sont les deux formes ? Définir chacune
d’elles.

2) Tout le monde peut-il être corrupteur ? ou corrompu ?

3) Le 16 octobre 1985 (Gaz. Pal. 1986, p. 152), une affaire remarquable a été soumise
à la Cour de cassation française. En l’espèce, un étudiant de la Faculté de Droit de
Metz, ajourné à une épreuve de deuxième année, avait fait parvenir à l’enseignant un
chèque de 10 000 Francs accompagné d’une lettre indiquant qu’il « s’en remettait à
l’indulgence et à la bienveillance du professeur pour obtenir une note de 13/20, soit
par une nouvelle interrogation orale, soit par tout autre moyen ».
La Cour de cassation a déclaré l’étudiant coupable de corruption active de fonctionnaire.
Partagez-vous cette décision des juges ? Justifiez votre réponse par des
arguments juridiques.

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Droit pénal des affaires

TITRE 2

LES ATTEINTES AU DEVOIR DE


PROBITÉ 1

En son chapitre V, du Titre IV, intitulé « des infractions contre l’Etat », le nouveau
Code pénal togolais incrimine et réprime, divers comportements sous
l’appellation de « manquements au devoir de probité ». Il s’agit « des soustractions et
détournements de deniers et biens publics », « de la concussion », ainsi que de la
corruption à laquelle l’article 607 du Code assimile, le trafic d’influence, l’abus de
fonction, la prise illégale d’intérêt et l’enrichissement illicite.
Les soustractions et détournements de deniers et biens publics peuvent être le
fait de tout agent ou préposé de l’Etat, d’une collectivité territoriale secondaire,
d’un établissement public, d’une société dans laquelle l’Etat ou une autre
collectivité publique a pris une participation et plus généralement tout agent ou
préposé d’une personne morale de droit public, à l’occasion de l’exercice de ses
fonctions. Il peut également être le fait de toute personne physique ou morale,
commerçante ou non, tout dirigeant, qui de commun accord avec un agent public
a surévalué la valeur ou le prix de vente, de location d’un bien, d’un service ou
d’une fourniture par rapport au prix couramment pratiqué.
Les peines en la matière se veulent exemplaires et dissuasives et vont, en
fonction du montant de la chose détournée, de 5 à 20 ans de réclusion criminelle
et une amende de 10 millions à 100 millions de FCFA.
S’agissant de la concussion, elle est définie par l’article 592 comme le fait, par une
personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service
public, de recevoir, d’exiger ou d’ordonner de percevoir à titre de droits ou
contributions, impôts ou taxes publics, une somme qu'elle sait ne pas être due,
ou excéder ce qui est dû2. Elle se distingue donc de la corruption, en
l’occurrence, de la corruption passive. En effet, alors que dans cette dernière
infraction, l’agent malhonnête sollicite des avantages que le corrupteur est libre

1
Qualité de quelqu'un qui observe parfaitement les règles morales, qui respecte scrupuleusement ses devoirs,
les règlements, etc. (Larousse)
2 La concussion est punie d’une peine d’emprisonnement d'un (01) à cinq (05) an(s) et d’une amende d'un million

(1.000.000) à cinq millions (5.000.000) de francs CFA ou de l’une de ces deux peines.

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56
Droit pénal des affaires

de ne pas accorder, dans la concussion l’agent exige des sommes qu’il sait
excessive et au paiement desquelles la victime ne peut pas se soustraire.
Seules seront, dès lors, étudiées ici les infractions ayant en commun de réprimer
la collusion entre deux personnes, l’une possédant certaines prérogatives
découlant de ses fonctions, l’autre entendant exploiter ces prérogatives. Il s’agit
essentiellement de la corruption et des infractions assimilées, que sont le trafic
d’influence et la prise illégale d’intérêts, commis pour l’essentiel par des agents
publics ou assimilés.

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57
Droit pénal des affaires

CHAPITRE 1

LA CORRUPTION

La corruption consiste à octroyer, en vertu d’un accord préalable, un avantage à


une personne pour qu’elle accomplisse, ou qu’elle n’accomplisse pas, un acte de
sa fonction. Il s’agit, selon les termes du Code pénal togolais, de solliciter ou
d’agréer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres,
des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour soi-
même ou pour autrui ou une entité pour l’accomplissement ou l’abstention d’un
acte de sa fonction ; de proposer à tout moment lesdits avantages, afin d’obtenir
d’une des personnes visées, l’accomplissement ou l’abstention d’un acte de sa
fonction, ou de céder aux sollicitations de ces personnes.

Du point de vue de la personne qui octroie l’avantage, il s’agit d’une corruption


active ; du point de vue de celle qui reçoit cet avantage, on parle de corruption
passive.
Cependant, si tout le monde peut corrompre, seules certaines personnes
peuvent être corrompues. La qualité du corrompu doit donc être préalablement
précisée.

SECTION 1- LA QUALITÉ DU CORROMPU


Le nouveau Code pénal togolais distingue plusieurs cas de corruption fondés sur
la qualité du corrompu. Les articles 594 et suivants, répriment la corruption
passive et active des agents publics nationaux, c’est-à-dire « toute personne
dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou investie
d’un mandat électif public ou tout agent de l’Etat ». Les dépositaires de l’autorité
publique sont des personnes disposant d’un pouvoir de décision et de contrainte,
permanent ou temporaire. Il s’agit d’abord des représentants de l’Etat et des
collectivités territoriales, ce qui rejoint la catégorie des personnes investies d’un
mandat électif telles qu’un maire, un conseiller municipal ou régional, un député,
etc. Il s’agit ensuite des fonctionnaires de l’ordre administratif (police, fisc,
douane, enseignement) ou encore des officiers publics et ministériels (huissiers,
notaires, commissaires-priseurs…).
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58
Droit pénal des affaires

Les personnes chargées d’une mission de service public ne disposent pas de


pouvoirs décisionnels ou contraignants, mais exercent une fonction ou une
mission d’intérêt général, permanente ou temporaire comme les mandataires
judiciaires, tels que le syndic ou comme les séquestres ou les interprètes.
Peuvent être également corrompus, « tout magistrat, juré ou toute autre personne
siégeant dans une formation juridictionnelle, tout fonctionnaire au greffe d'une
juridiction, tout arbitre ou tout expert nommé soit par une juridiction, soit par les parties
ou toute personne chargée par l’autorité judiciaire d’une mission de conciliation ou de
médiation », de même que les agents publics étrangers et les fonctionnaires
internationaux, c’est-à-dire « toute personne qui détient un mandat législatif, exécutif,
administratif ou judiciaire d’un pays étranger, qu’elle ait été nommée ou élue, et toute
personne qui exerce une fonction publique pour un pays étranger », ainsi que tout
fonctionnaire d’une organisation internationale publique.

Le législateur togolais punit, enfin, la corruption des agents du secteur privé,


autrement dit, de « toute personne qui dirige une entité du secteur privé ou travaille
pour une telle entité, en quelque qualité que ce soit ». Il s’agit des dirigeants de
personnes morales de droit privé, tels que le directeur général, le président du
Conseil d’administration, l’Administrateur ou encore le gérant d’une société
commerciale, et, généralement de tout mandataire social, agissant au nom et
pour le compte d’une personne morale de droit privé.

SECTION 2- LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS


Le législateur distingue la corruption passive de la corruption active, qui peuvent
exister l’une sans l’autre ou l’une avec l’autre.

§.1- La corruption passive


Elle suppose le déploiement de moyens en vue d’atteindre une finalité.
A- Les moyens
Matériellement, ce cas de corruption réside dans la sollicitation ou l’agrément
sans droit, direct ou indirect, d’offres, de promesses, de dons, de présents ou
d’avantages quelconques.
La corruption passive est d’abord réalisée lorsque le corrompu accepte une
récompense, mais également lorsqu’il agrée une offre ou une promesse, même
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59
Droit pénal des affaires

non suivie d’effet. Le schéma est ici essentiellement contractuel : les parties au
pacte corrupteur négocient la récompense et sa contrepartie, l’exécution ou
l’inexécution d’un acte de la fonction du corrompu.
Elle se consomme ensuite lorsque le corrompu demande un avantage, voire une
simple offre ou promesse d’avantage, indépendamment de ses suites : il peut
donc y avoir un comportement actif de sa part.
Dans tous les cas, les différentes propositions peuvent se faire par le biais d’un
intermédiaire, puisque le Code pénal incrimine le fait de solliciter ou agréer non
seulement directement mais aussi indirectement. De plus, au sens de la loi,
l’agrément ou la sollicitation suffit à caractériser la corruption passive,
indépendamment de tout résultat matériel ; ce qui permet de la considérer
comme une infraction formelle.
La sollicitation ou l’agrément doit encore se faire « sans droit », c’est-à-dire sans
correspondre à la rétribution normale de l’agent. L’expression surprend, car elle
laisse entendre qu’un fonctionnaire ou un élu aurait, dans certains cas, le droit
de solliciter ou d’agréer des avantages pour exécuter ou – pire – s’abstenir
d’exécuter un acte de sa fonction.
S’agissant de la nature de l’avantage demandé ou accepté, les textes
d’incrimination permettent d’englober les récompenses les plus diverses, à
condition qu’elles soient « sans droit » : argent liquide, commissions, primes,
prêts, paiement de dettes, ristournes, objets précieux, voyage d’agrément1, voire
des… arbustes2.
Quant au moment auquel doit intervenir la sollicitation ou l’agrément, il est
indifférent, puisqu’elle peut intervenir « à tout moment ».
B- La finalité
La sollicitation ou l’agrément doit avoir pour objectif d’obtenir du corrompu qu’il
accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission, de
son mandat. En d’autres termes, il doit exister une relation causale entre
l’avantage sollicité ou accepté et l’acte ou l’abstention en cause ; ce qui renforce
l’idée selon laquelle, en dépit de la lettre du texte, la sollicitation ou l’agrément
doit être antérieur à l’acte, ou à l’abstention requis, puisque, logiquement, la
cause doit précéder l’effet.

1
Crim. 27 octobre 1997, Bull. crim., n° 352
2
Crim. 4 juillet 1974, Bull. crim. n° 249

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60
Droit pénal des affaires

S’agissant d’actes positifs, il peut s’agir de l’exemple de l’inspecteur des impôts


qui consent, moyennant rémunération, un abattement sur les revenus
imposables d’un individu 1. En matière d’abstention, l’incrimination permet
d’appréhender le fonctionnaire de police qui s’abstient de dresser un procès-
verbal pour constater une infraction 2.
L’incrimination vise également l’acte ou l’abstention facilitée par la fonction, la
mission ou le mandat. Ainsi en est-il du fonctionnaire de préfecture en charge
du service du logement qui facilite, moyennant rétribution, l’octroi d’un titre de
séjour à un ressortissant étranger 3.

§.2- La corruption active


Elle suppose, tout comme la corruption passive, un déploiement de moyens,
d’une part, une finalité, d’autre part.
A- Les moyens
L’élément matériel de l’infraction est identique à celui de la corruption passive,
mais il est appréhendé du point de vue du corrupteur. Est donc réprimé le fait,
pour toute personne de proposer sans droit, à tout moment, directement ou
indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des
avantages quelconques pour obtenir d’une personne dépositaire de l’autorité
publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif
public, d’un agent public étranger ou d’un fonctionnaire international ou encore
de toute personne qui dirige une entité du secteur privé ou travaille pour une
telle entité, en quelque qualité que ce soit qu’elle accomplisse ou s’abstienne
d’accomplir un acte de sa fonction ou un acte facilité par celle-ci.

Mais il y aura également corruption active si le corrupteur adopte un


comportement passif en se contentant d’accepter la sollicitation du corrompu.
L’article 594, 3°, C. pén. tg., vise ainsi expressément le fait « de cédé aux
sollicitations » des personnes visées.
Comme pour la corruption passive, il importe peu que la proposition du
corrupteur ou du corrompu ne soit pas suivie d’effet pour consommer

1
Crim. 28 mars 1955, Bull. crim. n° 181
2
Crim. 17 novembre 1955, Bull. crim. n° 494
3
Crim. 3 juin 1997, Dr. pénal 1997, comm. n° 150

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61
Droit pénal des affaires

l’infraction (infraction formelle) et qu’elle intervienne avant ou après l’acte ou


l’abstention requise.
Un exemple remarquable de corruption active peut être tiré d’une affaire
soumise à la Cour de cassation le 16 octobre 1985 (Gaz. Pal. 1986, p. 152). En
l’espèce, un étudiant de la Faculté de Droit de Metz, ajourné à une épreuve de
deuxième année, avait fait parvenir à l’enseignant un chèque de 10 000 Francs,
sans provision, accompagné d’une lettre indiquant qu’il « s’en remettait à
l’indulgence et à la bienveillance de son professeur pour obtenir une note de 13/20,
soit par une nouvelle interrogation orale, soit par tout autre moyen ». L’étudiant a été
déclaré coupable de corruption de fonctionnaire et d’émission de chèque sans
provision.
B- La finalité
Comme pour la corruption passive, la proposition du corrupteur doit tendre à
obtenir du corrompu qu’il accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de, ou
facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat. Le lien de causalité est, ici
encore, indispensable pour constituer l’infraction.
Pour reprendre les illustrations précédentes, seront poursuivies pour corruption
active les personnes qui ont proposé ou offert un avantage matériel à : un
inspecteur des impôts, afin qu’il consente un abattement sur les revenus
imposables d’un individu ; un fonctionnaire de police, pour qu’il s’abstienne de
dresser un procès-verbal de constatation d’une infraction.

§.3- L’intention
Qu’il s’agisse de la corruption passive ou de la corruption active, le délit est
intentionnel. Le dol général réside dans la conscience de porter atteinte au
devoir de probité inhérent à la fonction, à la mission ou au mandat en cause. La
recherche d’un objectif précis, l’accomplissement ou le non-accomplissement
d’un acte de la fonction, de la mission ou du mandat est caractéristique du dol
spécial.
Le juge pénal apprécie souverainement cette intention, sous réserve de ne pas
se contenter de relever que les avantages ont eu pour résultat un acte ou une
abstention relevant de la fonction. Le juge doit vérifier qu’il s’agissait bien de leur
objectif précis 1.

1
Crim. 21 novembre 1972, Bull. crim., n° 350

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62
Droit pénal des affaires

SECTION 3- LA RÉPRESSION DE LA CORRUPTION


On appréhendera les peines encourues par les corrompus et les corrupteurs,
avant d’examiner les modalités procédurales de la répression de la corruption.
§.1- Les peines
Il est inutile de réprimer la tentative de corruption passive ou active, dès lors
qu’une sollicitation, un agrément ou une offre, même non suivie d’effet,
consomme déjà l’infraction.
Depuis la réforme du Code pénal, la sanction de la corruption est la même, qu’il
s’agisse de corruption passive ou de corruption active. Elle tient, néanmoins,
compte de la qualité du corrompu ou du corrupteur, et de la valeur des
promesses agrées ou des choses reçues. Ainsi, la corruption passive ou active
d’une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de
service public ou investie d’un mandat électif public ou de tout agent de l’Etat,
est punie, à titre principal, de 5 à 10 ans de réclusion criminelle et d’une amende
égale au double de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues ou
demandées, sans que ladite amende puisse être inférieure à 2 000 000 FCFA.
Les peines sont identiques pour la corruption de magistrats, jurés ou toute autre
personne siégeant dans une formation juridictionnelle, tout arbitre ou expert
nommé par les parties ou par une juridiction.
Lorsque cette infraction est commise au bénéfice ou au détriment d’une
personne faisant l’objet de poursuites criminelles, l’auteur encourt une peine de
10 à 20 ans de réclusion criminelle et une amende égale au quintuple de la valeur
des promesses agréées ou des choses reçues ou demandées, sans que cette
amende puisse être inférieure à 2 000 000 FCFA.
Peuvent, en outre, être prononcées à titre accessoire ou complémentaire, les
peines de la déchéance civique, la confiscation des sommes ou objets
irrégulièrement reçus…, ainsi que l’affichage ou la diffusion de la décision
prononcée.
La corruption passive ou active d’un agent public étranger ou d’un fonctionnaire
international, ou celle d’une personne qui dirige une entité du secteur privé ou
travaille pour une telle entité, est punie, principalement, de 5 à 10 ans de
réclusion criminelle et d’une amende égale au quintuple de la valeur des

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63
Droit pénal des affaires

promesses agréées ou des choses reçues ou demandées, sans que ladite amende
puisse être inférieure à 2 000 000 FCFA.
La juridiction saisie, peut en outre prononcer, accessoirement, la confiscation
des sommes, objets ou valeurs irrégulièrement acquis ou détenus, l’affichage ou
la diffusion de la décision prononcée aux frais du condamné, l’interdiction de
séjourner au Togo pendant une période ne pouvant excéder 10 ans après
l’exécution de la peine, si le condamné est étranger.
Enfin, bien que le Code pénal ne l’ait pas, expressément, envisagée, il n’est pas
exclu que les personnes morales encourent les peines prévues par les articles 53
et 54, pour la corruption de fonctionnaires, nationaux ou étrangers, commise
par leurs organes à leur seul profit, dans les limites de leurs attributions.

§.2- Les modalités procédurales


Selon la Cour de cassation française, le délit de corruption passive, bien
qu’institué à titre principal en vue de l’intérêt général, tend également à la
protection des particuliers. C’est ainsi qu’a été jugé recevable, la plainte du
contribuable victime des sollicitations financières appuyées d’un fonctionnaire du
fisc en vue d’une réduction de majorations de retard1.
La jurisprudence accueille également les actions civiles de personnes morales de
droit public, telles une Office publique d’HLM 2, et de personnes morales de droit
privé, telles une fédération sportive3.
A, en revanche, été jugée irrecevable, l’action civile d’une personne morale pour
la corruption réalisée par l’un de ses propres dirigeants4.

1
Crim. 1er décembre 1992, Dr. pénal 1993, comm. n° 126, obs. Véron
2
Crim. 21 mai 1997, Bull. crim. n° 193
3
Crim. 27 février 1997, Bull. crim. n° 45
4
Crim. 8 juin 1999, Bull. crim. n° 123

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64
Droit pénal des affaires

Séance n° 8

Objectif : Définition et répression des atteintes au devoir de probité : le trafic


d’influence

Consignes : Lire et relire, au besoin, le chapitre 2 du Titre 2, en s’aidant, s’il y a lieu,


du Lexique des termes juridiques ou du vocabulaire juridique, afin de cerner tous les
contours de l’infraction de trafic d’influence, et la manière dont elle est réprimée et
sanctionnée.

Activités : Répondre aux questions suivantes :

1) Qu’est-ce que le trafic d’influence ? Quelles en sont les deux formes ? Définir chacune
d’elles.

2) Le Code pénal assimile le trafic d’influence à la corruption. Pourquoi ?

3) Comment distinguer le trafic d’influence de la corruption ?

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65
Droit pénal des affaires

CHAPITRE 2

LE TRAFIC D’INFLUENCE

Le trafic d’influence est, à bien des égards, une infraction voisine de la corruption
d’agents publics. Un voisinage textuel d’abord, puisque le Code pénal l’assimile
expressément à la corruption. Un voisinage structurel ensuite, car il obéit à la
même dichotomie passif/actif et comprend la mise en œuvre de moyens
identiques.
Seule la finalité de ces moyens permet de distinguer les deux infractions : alors
que la corruption nécessite l’accomplissement ou le non-accomplissement d’un
acte de la fonction, le trafic d’influence suppose un abus « de son influence réelle
ou supposée » (article 608, C. pén. tg.). Pourtant, dès lors que la corruption existe
lorsque le comportement a été simplement facilité par la fonction, la distinction
s’obscurcit, puisque certaines fonctions publiques éminentes confèrent
assurément une influence dont il peut être tentant d’user, voire d’abuser, en
particulier quand il s’agit d’une personne dépositaire de l’autorité publique,
chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public ou
de tout agent de l’Etat.
On examinera donc les éléments constitutifs de l’infraction de trafic d’influence,
avant d’aborder la manière dont elle est réprimée.

SECTION 1- LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS


On y distingue, comme dans toute infraction, un élément matériel et un élément
moral.

§.1- L’élément matériel


Tout comme en matière de corruption, on distingue le trafic d’influence passif
du trafic d’influence actif.
A- Le trafic d’influence passif
Ici encore, on distinguera les moyens déployés en vue d’atteindre une finalité.

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66
Droit pénal des affaires

1. Les moyens
Les agissements sont identiques à ceux de la corruption passive d’agents publics :
solliciter ou agréer sans droit, à tout moment, directement ou indirectement,
des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques,
directement ou par personne interposée. Leur analyse permet donc de dégager
des solutions identiques à celles admises en matière de corruption ; l’acceptation
comme la sollicitation, même non suivies d’effet, permettent de constituer le
délit qui s’avère être, par conséquent, une infraction formelle. Les sollicitations
ou les agréments peuvent donc être, en principe, antérieurs comme postérieurs
à l’abus d’influence.
Le fait que l’influence puisse ne pas être réelle, mais seulement supposée permet
d’appréhender les agissements d’un adjoint technique de mairie qui, moyennant
rémunération, s’était présenté comme étant « en raison de ses fonctions à la mairie
(…) et de ses relations, en mesure d’obtenir de l’autorité compétente la délivrance des
permis (de construire) sollicités » 1.
C’est dire que si l’influence n’est même pas supposée, mais est purement
imaginaire, c’est la qualification d’escroquerie qui devrait être privilégiée.
2. La finalité
Les agissements précédemment décrits doivent avoir pour objectif d’abuser de
son influence réelle ou supposée en vue « de faire obtenir d’une autorité ou d’une
administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou tout autre
décision favorable » (article 608, 1°). Selon la Cour de cassation, « la prévention du
trafic d’influence (…) exige que le bénéficiaire des dons ou présents soit considéré ou
se présente comme un intermédiaire », dont l’influence peut permettre l’obtention
d’une faveur quelconque2.
Le destinataire de cet abus d’influence peut être une autorité législative,
judiciaire, administrative ou militaire, ou même une autorité du secteur privé. La
décision favorable, quant à elle, peut par exemple, consister dans la délivrance
d’un permis de construire3, la conclusion d’une transaction dans le cadre de
poursuites en matière économique 4 ou encore l’obtention d’une naturalisation 5.

1
Crim. 4 juillet 1974, Bull. crim. n° 249
2
Crim. 1er octobre 1984, Bull. crim. n° 277
3
Crim. 4 juillet 1974 précité
4
Crim. 20 janvier 1949, Bull. crim. n° 21
5
Crim. 26 novembre 1927, Bull. crim. n° 274

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67
Droit pénal des affaires

B- Le trafic d’influence actif


Le délit réside dans le fait, pour une personne, soit de céder aux sollicitations
d’une autre personne, soit de lui proposer, sans droit, à tout moment,
directement ou indirectement, une récompense pour qu’elle abuse de son
influence auprès d’une autorité, afin d’obtenir de celle-ci une décision favorable.
Il peut s’agir, par exemple, de dirigeants d’une société qui, en exécution d’accords
préalables, reçoivent des fonds d’entreprises ayant obtenu des marchés publics,
afin de rémunérer leur intervention auprès d’élus chargés de les attribuer 1.

§.2- L’élément intellectuel


Le trafic d’influence passif ou actif est une infraction intentionnelle. Cette
intention suppose d’abord un dol général, la conscience d’abuser illégalement de
son influence. Elle comprend également un dol spécial, une finalité particulière :
faire obtenir d’une autorité une décision favorable.

SECTION 2- LA RÉPRESSION
Un certain nombre de peines sont prévues, en matière de trafic d’influence, alors
que la poursuite de cette infraction obéit à certaines modalités procédurales.

§.1- Les peines


Le nouveau Code pénal punit, à titre principal, le trafic d’influence passif ou actif
d’une peine de réclusion de 5 à 10 ans et d’une amende égale au double de la
valeur des promesses agréées ou des choses reçues ou demandées, sans que
ladite amende puisse être inférieure à 1.000.000 de francs CFA.
Peuvent, en outre, être prononcées à titre accessoire ou complémentaire, la
confiscation des sommes, objets ou valeurs irrégulièrement acquis ou détenus,
l’affichage ou la diffusion de la décision prononcée aux frais du condamné,
l’interdiction de séjourner au Togo pendant une période ne pouvant excéder 10
ans après l’exécution de la peine, si le condamné est étranger.

1
Crim. 16 décembre 1997, Bull. crim. n° 428

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Droit pénal des affaires

§.2- Les modalités procédurales


La jurisprudence française a décidé que la personne qui, de mauvaise foi, a remis
une somme d’argent à l’auteur du délit ou à son complice, en vue d’obtenir une
décision favorable de l’autorité publique est irrecevable à se constituer partie
civile1.

1
Crim. 13 juin 1978, Bull. crim., n° 194 ; 7 février 2001, Bull. n° 38

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Droit pénal des affaires

Séance n° 9

Objectif : Définition et répression des atteintes au devoir de probité : la prise illégale


d’intérêts

Consignes : Lire et relire, au besoin, le chapitre 3 du Titre 2, en s’aidant, s’il y a lieu,


du Lexique des termes juridiques ou du vocabulaire juridique, afin de cerner tous les
contours de l’infraction de prise illégale d’intérêts, et la manière dont elle est réprimée
et sanctionnée.

Activités : Répondre aux questions suivantes :

1) Qu’est-ce que la prise illégale d’intérêts ? Quelles en sont les deux formes ? Donner
un exemple de chacune d’elles.

2) Tout le monde peut-il se rendre coupable de prise illégale d’intérêts ? Justifier.

3) Comment distinguer la prise illégale d’intérêts du trafic d’influence et de la


corruption ?

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70
Droit pénal des affaires

CHAPITRE 3

LA PRISE ILLÉGALE D’INTÉRÊTS

La prise illégale d’intérêts est prévue aux articles 613 à 619, C. pén. tg., dont
l’économie générale tend à éviter l’ingérence d’agents publics dans la vie des
affaires et à les inciter à faire preuve d’un minimum de probité et d’impartialité
dans le cadre de leurs fonctions, afin d’assurer, autant que possible, une relative
moralisation de la vie publique. Ces dispositions visent aussi bien l’agent public
en fonction que l’agent public qui a cessé ses fonctions.
La qualité de l’auteur de l’infraction sera donc examinée, avant de préciser les
manières dont celle-ci est réalisée et réprimée.

SECTION 1- LA QUALITÉ DE L’AUTEUR DE L’INFRACTION


La prise illégale d’intérêts peut aussi bien être le fait d’un agent public ou assimilé
en fonction que d’un ancien agent public ou assimilé.

§.1- La prise d’intérêts de l’agent public ou assimilé en fonction


L’article 613, C. pén. tg., désigne comme auteur possible de l’infraction, toute
personne dépositaire de l’autorité publique, ou chargée d’une mission de service
public ou investie d’un mandat électif public. Ces différentes qualités, précisées
précédemment à propos de la corruption, sont encore illustrées abondamment
s’agissant de la prise illégale d’intérêts, notamment en droit français. L’officier
public ou la personne chargée d’une mission de service public peut ainsi être le
président d’une chambre de commerce et d’industrie ayant en charge le service
public de gestion d’un port1, le directeur général d’un service d’une agence de
développement rural et d’aménagement foncier susceptible d’attribuer des
subventions au nom des pouvoirs publics2, mais aussi l’architecte chargé d’une
mission de maîtrise d’œuvre par et pour le compte d’une collectivité ou
d’organismes publics 3.

1
Crim. 20 novembre 1980, Bull. crim. n° 310
2
Crim. 11 juin 1998, D. 1999, somm. p. 159
3
Crim. 14 juin 2000, Bull. crim. n° 221

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71
Droit pénal des affaires

Un arrêt de la Cour de cassation du 26 septembre 2001 retient cette qualité,


s’agissant d’administrateurs judiciaires et de mandataires judiciaires à la
liquidation, bien que ceux-ci ne soient pas chargés d’une mission de service public
stricto sensu. La Chambre criminelle estime que ce texte « n’exige pas que les
personnes chargées d’une mission de service public qu’il vise disposent d’un pouvoir de
décision au nom de la puissance publique » (Bull. crim., n° 193).
La personne investie d’un mandat électif peut, quant à elle, bien être un
parlementaire, un président ou un membre du conseil général, régional ou
municipal. Mais, en pratique, c’est le maire qui est le plus souvent poursuivi, en
particulier lorsqu’il délivre un permis de construire à une entreprise dont il est
gérant1 ou lorsqu’il intervient en tant que président de la commission d’appel
d’offres, dans l’attribution de marchés de travaux publics à des sociétés
exploitées par ses enfants2.

§.2- La prise d’intérêts de l’ancien agent public ou assimilé


L’article 615, C. pén. tg., réglemente, de manière à le retarder, le passage d’une
personne de l’administration publique à l’entreprise privée, comportement
qualifié trivialement de « pantouflage ». Le texte interdit la prise d’intérêts d’un
ancien agent public dans une entreprise privée qu’il a surveillée, contrôlée ou
administrée, avant l’expiration d’un délai de 5 ans depuis la cessation de ses
fonctions. La justification de cette prohibition résiderait, en quelque sorte, dans
une double concurrence déloyale : entre l’administration et les grandes
entreprises privées d’abord, ces dernières pouvant débaucher de hauts
fonctionnaires en leur offrant des « ponts d’or » ; entre entreprises privées
ensuite, dès lors que les plus grandes d’entre elles peuvent, en matière de
marchés publics, par exemple, profiter des réseaux de connaissances tissés par
les agents publics lorsqu’ils étaient en fonction.
Sont visés, tout fonctionnaire, tout officier public ou tout agent de l’Etat ou d’une
collectivité locale, ainsi que les agents des établissements publics, des sociétés
nationalisées, des sociétés d’économie mixte dans lesquelles l’Etat ou les
collectivités locales détiennent directement ou indirectement plus de 50% du
capital.

1
Crim. 7 octobre 1976, Bull. crim. n° 285
2
Crim. 21 juin 2000, Bull. crim. n° 239

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72
Droit pénal des affaires

SECTION 2- LA RÉALISATION ET LA RÉPRESSION DE


L’INFRACTION
Les éléments constitutifs de l’infraction seront précisés, avant d’examiner la
peine encourue.

§.1- Les éléments constitutifs de l’infraction


La prise illégale d’intérêts comporte bien un élément matériel et un élément
intellectuel.
A- L’élément matériel
Selon l’article 613, C. pén. tg., constitue la prise illégale d’intérêts, le fait pour
l’une des personnes précédemment mentionnées, de prendre, recevoir ou
conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une
entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou
partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le
paiement.
L’article 615 énonce, s’agissant de l’ancien agent public ou assimilé, qu’est
également coupable de l’infraction de prise illégale d’intérêt, tout fonctionnaire,
officier public ou agent de l’Etat ou d’une collectivité locale qui, dans les cinq ans
à compter de la cessation de sa fonction, par suite de démission, destitution,
congé, mise à la retraite ou en disponibilité ou pour toute autre cause, a pris un
intérêt quelconque dans les actes, opérations ou entreprises susmentionnées,
soumis précédemment à sa surveillance, à son contrôle, à son administration ou
dont il assurait le paiement ou la liquidation.
La prise illégale d’intérêts peut donc être, en premier lieu, directe. Elle peut
résider dans un comportement, soit isolé, comme la vente d’un terrain municipal
par l’entremise d’un maire rémunéré en tant que mandataire de la société de
construction acquéreuse1, soit renouvelé, comme les demandes de permis de
construire présentées en sa qualité d’architecte par l’adjoint au maire, délégué à
l’urbanisme 2.
La prise illégale d’intérêts peut, en second lieu, être indirecte et se faire, par
personne interposée. Sera présumée personne interposée, selon l’article 616, le
conjoint, le parent jusqu’au quatrième degré ou la personne vivant en
concubinage notoire avec le fonctionnaire, l’officier public ou l’agent de l’Etat,

1
Crim. 23 février 1966, Bull. crim., n° 64
2
Crim. 18 juin 1996, Dr. pénal 1996, comm. n° 263 : 1er arrêt

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73
Droit pénal des affaires

d’une collectivité locale, d’un établissement public, d’une société d’Etat ou


d’économie mixte à participation étatique majoritaire, chargé de fonctions
d’administration, de surveillance ou de contrôle. C’est l’exemple d’un maire qui
conclut des contrats avec une société dont les associés ne sont que les prête-
noms de son fils1.
La Cour de cassation veille, cependant, à ce que l’obligation de surveillance,
d’administration, de liquidation ou de paiement relève bien de la fonction de
l’agent. Ainsi, s’il n’est pas permis à un maire de formuler des propositions au
préfet pour la délivrance de permis de construire d’un bâtiment dont la
construction devait être assurée par sa société 2, un adjoint au maire chargé de
l’état civil peut, sans enfreindre la loi pénale, être le directeur salarié d’une
association ayant reçu une subvention de la commune3.
S’agissant de la nature de l’intérêt illégalement acquis, la jurisprudence est
extensive. L’avantage matériel est bien évidemment visé : un maire se procurant
un terrain à un prix presque neuf fois inférieur à sa valeur réelle, avec la
complicité de son premier adjoint4 ; un président d’une chambre de commerce
et d’industrie faisant attribuer à son entreprise un marché de travaux
d’équipement 5.
Mais la Cour de cassation décide constamment que la recherche d’un
enrichissement ou d’une contrepartie pécuniaire n’est pas un élément constitutif
de l’infraction6. En conséquence, il importe peu que le contrat censé procurer
illégalement l’intérêt recherché n’ait pas reçu exécution ou qu’il soit susceptible
d’annulation.
De même, un intérêt moral, d’ordre familial par exemple, peut suffire, comme le
fait pour un conseiller municipal de participer à la délibération permettant
l’octroi d’une subvention à une association comprenant son épouse et son fils7,
ou le fait pour un maire de confier la construction d’immeubles communaux à
son gendre8.

1
Crim. 20 février 1995, Dr. pénal 1995, comm. n° 173
2
Crim. 7 octobre 1976, Bull. crim., n° 285
3
Crim. 6 août 1996, Dr. pénal 1996, comm. n° 263 : 2ème arrêt
4
Crim. 14 juin 1988, Bull. crim., n° 272
5
Crim. 20 novembre 1980, Bull. crim., n° 301
6
Crim. 3 mai 2001, Bull. crim., n° 106
7
Crim. 19 mai 1999, Bull. crim., n° 101
8
Crim. 29 septembre 1999, Bull. crim., n° 202

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74
Droit pénal des affaires

B- L’élément intellectuel
L’infraction est intentionnelle et se satisfait d’un dol général : la conscience de
prendre illicitement un intérêt dans une entreprise que l’agent doit surveiller1.
La jurisprudence fait preuve d’une sévérité manifeste en présumant cet élément
intentionnel 2, présomption difficile, voire impossible à renverser, en raison de la
nature même des fonctions exercées par l’agent qui ne lui permettront pas
d’invoquer sa bonne foi3.
§.2- Les peines
Depuis la réforme du Code pénal, toute personne coupable de prise illégale
d’intérêt est punie d’une peine d’emprisonnement d'1 an à 3 ans et d’une amende
de 5.000.000 à 20.000.000 de francs CFA, qu’il s’agisse d’un agent public en
fonction ou d’un ancien agent public.
Les complices et les personnes qui se sont interposées dans la commission de
l’infraction, sont punis des mêmes peines.
En outre, l’article 617, C. pén. tg., a innové, en assimilant à une prise illégale
d’intérêts, le fait pour tout agent de l’Etat, d’une collectivité locale, d’un
établissement public, d’une société d’Etat ou d’une société d’économie mixte à
participation étatique majoritaire, dans une adjudication publique ou dans un
contrat ou marché public, d’encourager ou d’admettre, soit directement, soit
indirectement, les surfacturations ou les facturations fictives par le
soumissionnaire ou le fournisseur, dans le dessein d’en tirer un quelconque
profit.
Dans ce cas, la peine encourue est de 5 à 10 ans de réclusion criminelle et une
amende de 5.000.000 à 20.000.000 de francs CFA.
La juridiction saisie peut, le cas échéant, prononcer à l’encontre du condamné les
peines complémentaires suivantes : la confiscation des sommes, objets ou valeurs
irrégulièrement acquis ou détenu ; l’affichage ou la diffusion de la décision
prononcée aux frais du condamné ; l’interdiction de séjourner au Togo pendant
une période ne pouvant excéder 10 ans après l’exécution de la peine, si le
condamné est étranger.

1
Crim. 15 décembre 1905, Bull. crim., n° 554
2
Crim. 18 février 1987, Bull. crim., n° 80
3
Crim. 25 juin 1996, Bull. crim., n° 273

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Droit pénal des affaires

PARTIE 2

LES INFRACTIONS SPÉCIFIQUES


AU DROIT DES AFFAIRES

Depuis le Code de commerce français de 1807, le rôle des sociétés, mais aussi
des personnes physiques, commerçants ou professionnels indépendants, dans la
vie économique, s’est développé de façon exponentielle. Le droit pénal avait,
dans le contexte africain, suivi, tant bien que mal, le mouvement jusqu’à
l’adoption en 1993 du Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en
Afrique, donnant naissance au droit OHADA.
Aux termes de l’article 5, al. 2 dudit Traité, « les actes uniformes peuvent inclure
des dispositions d’incrimination pénale. Les Etats parties s’engagent à déterminer les
sanctions pénales encourues ». La Partie III de l’Acte uniforme relatif au droit des
sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, de même que
le Titre VI de l’Acte uniforme portant droit des procédures collectives
d’apurement du passif prévoient ainsi des incriminations sans les assortir de
sanctions pénales, « les personnes déclarées coupables » des actes incriminés étant
« passibles des peines prévues pour ces infractions par les dispositions prises par
chaque Etat partie conformément à l’article 5 du Traité Ohada » 1.
C’est ainsi que le législateur togolais, à la faveur de la réforme du 24 novembre
2015 portant Nouveau Code pénal2, consacre un titre X aux « infractions relatives
au droit OHADA ».
Aussi, loin d’être exhaustive, cette seconde partie s’attachera-t-elle
essentiellement à l’examen des principales infractions intéressant, d’une part, le
droit OHADA, en l’occurrence le droit des sociétés commerciale et du GIE,
ainsi que le droit des entreprises en difficulté, et d’autre part, les autres secteurs
de l’activité économique, tels que le droit bancaire et financier, le droit boursier,
ou encore le droit de la concurrence et de la consommation.

1
Article 226, AUPC.
2
Loi n° 2015-010, J.O.R.T., n° spécial, 24 novembre 2015.

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