1-Origines Et Itinéraire Des Servera vf2
1-Origines Et Itinéraire Des Servera vf2
1-Origines Et Itinéraire Des Servera vf2
En bas de gauche à droite: Yvonne, Renée, Arlette, Lucie, Rosette (épouse d'Édouard), en haut de gauche à
droite: Raymond (compagnon d'Yvonne), Armand (époux de Lucie), Madeleine (épouse de Vincent), Edouard,
Alfred (époux de Renée), Vincent Llilio, Victor (époux de Arlette), le 11/06/1978 à Pau (64)
- Photo prise par Bernard Pardo -
2
3
INTRODUCTION
En ce jour de juin 1978, les 4 filles et 2 garçons élevés par Elise et Vincent Servera se
retrouvaient, sourires aux lèvres, pour un mariage familial. Ils ont grandi dans le
contexte de vie du 20ième siècle, qui les a confrontés aux 2 guerres mondiales, à
celle d’Algérie, à l’exil et toutes les vicissitudes d’un monde nouveau, pas forcément
accueillant et bienveillant... En 2023 (soit 45 ans après cette photo), on peut évaluer
à 80 le nombre d’arrière-petits-enfants de cette fratrie ! Même si les liens entre
grands-parents et petits enfants se sont étoffés dans certains domaines, combien de
ces descendants connaissent l’histoire de leurs ancêtres, au-delà de 2 ou 3
générations ? Il est vrai que le nom de Servera n’est maintenant porté que par les
enfants de la seule lignée d’Édouard, mais l’ADN des Servera se retrouve quand
même dans tous ces descendants de Vincent et Élise. De plus, le parcours des Servera
a beaucoup de similitudes avec celui des Llilio, des Pardo, des Castellanos, des
German et des Sanchez (du nom de Vincent et des époux des filles Servera), car il
correspond à des trajectoires communes liées au contexte politique, social et
économique du 19ème et 20ème siècles en Europe. Mais nous verrons toutefois qu’à
travers la grande Histoire, il y a des histoires de vies singulières, parfois
douloureuses, parfois héroïques et personnellement elles m’ont souvent émues. Le
devoir de mémoire étant encore plus nécessaire dans un monde aux changements
profonds et rapides, ces quelques pages permettront, je l’espère, de poser quelques
repères au-delà même des origines pieds-noirs, afin de permettre de mieux orienter,
si cela est possible, notre avenir.
4
Comme il est très difficile de retrouver les preuves détaillées de tous ces ancêtres,
surtout après plusieurs siècles, c’est la notion d’itinéraire qui prévaut, sans se perdre
dans trop de précisions qui relèvent davantage d’un travail généalogique étoffé.
Celui-ci sera donné par ailleurs (car il existe), mais le premier objectif reste de tracer
le cheminement d’une lignée sur plusieurs siècles. Cependant, chaque fois que ce
sera judicieux, les informations précises seront données et les faits seront
prioritaires. Les données disponibles étant souvent limitées à l'état civil (naissance,
mariage, décès), réduire une vie à si peu d' éléments serait inacceptable. C’est
pourquoi l’éclairage historique du contexte sera d’une aide précieuse.
L’interprétation des faits ainsi que les ressentis sont parfois énoncés mais cela reste
rare et ils sont clairement présentés comme des éléments d’hypothèses et non pas
comme la sûre réalité.
Pour ceux qui souhaitent une lecture plus rapide, sans s'attarder sur les contextes,
lisez les pages 16 et 19 à 23 qui traitent de l’arbre généalogique. Vous aurez le loisir
de revenir plus tard sur les parties dédiées aux contextes.
5
SERVERA
Servera1 est un nom d'origine catalane, dérivé de “serva”, c’est à dire sorbier en
français et Servera en catalan2. Sur le plan botanique, c’est le nom du “sorbus
domestica”.3 Espèce d'origine méditerranéenne, il vivait à l'origine sur tout le
pourtour du bassin. Il fut répandu au temps de l'Empire romain jusque dans le reste
de l'Europe. Il est particulièrement présent en Catalogne car c’est un arbre fruitier
très rustique, il résiste à toutes sortes de conditions météorologiques défavorables,
telles que le froid et la chaleur extrême, ou la sécheresse.
Photo d’un sorbier
En Espagne, comme dans beaucoup de pays européens, les noms de famille sont
apparus vers le 12ème siècle, quand les populations ont augmenté au point qu’il
1
https://dcvb.iec.cat/results.asp?word=Servera
2
voir https://www.catalunyaplants.com/cat/la-servera-arbre-fruiter-molt-rustic/
3
https://jardinage.ooreka.fr/astuce/voir/458773/fruit-sorbier#:~:text=Les%20fruits%20de%20cet%20arbre,on%20les%20nomme
%20parfois%20poirillons. où vous découvrez que, comme le vin, le fruit du “Servera”se bonifie avec le temps et il se magnifie
après un peu de temps de mûrissement !
6
fallait pouvoir distinguer les individus qui portaient le même prénom. Les noms de
famille, ou “apellidos”, étaient souvent basés sur le prénom d’un parent ( Martinez
c'est-à-dire fils de Martin, Fernandez, etc,...), un emplacement géographique (le nom
de leur ville ou pays d’origine), un métier, un sobriquet ou une caractéristique
physique particulière. À l’époque, ceux qui ont pris le nom de Servera avaient
peut-être cet arbre caractéristique près de leur maison.
Le blason de la ville Son Servera4 au nord-est de l’île de Majorque, 12000 habitants,
intègre le dessin particulièrement harmonieux du sorbier.
Il y a une autre ville catalane dont le nom se rapproche de Servera, qui a la même
prononciation mais qui s’écrit différemment: c’est Cervera5 , 9400 habitants, dans la
province de Lérida. Il ne faut pas les confondre car l’origine de ce nom avec un “ C ”
est issue du latin “cervaria”, désignant un lieu aux cervidés. Bien que catalan, ce
nom ne vient donc sûrement pas du même lieu d’origine.
4
voir https://www.wikiwand.com/ca/Son_Servera
5
Il existe une autre approche, différente mais compatible avec celle-ci, voir
https://almirantecervera.com/articulos/origen-e-historia-del-apellido-cervera
7
Il existe encore une autre ville, Cervera de los montes, dans la province de Tolède,
avec 500 habitants. Au Moyen Âge, ce lieu était une épaisse zone boisée de chênes
verts et de genévriers, où l'on trouvait du gros gibier, notamment des cerfs.
Et pour finir cet inventaire des villes pouvant être à l’origine du nom Servera, il faut
citer la ville de Cerbère (Cervera en catalan), 1600 habitants, située à la frontière
franco-espagnole près de la mer méditerranée. Elle est indiquée au premier siècle
comme étant la limite de la Gaule6. Son nom a probablement la même origine, mais
certains linguistes lui donnent une autre étymologie. Écartant un lieu fréquenté par
les cerfs, hypothèse pour eux peu plausible et compte tenu de l'ancienneté du nom,
ils lui supposent une origine pré-latine, et le rattachent à la racine
pré-indo-européenne kar, ker (= rocher), suivie de -erri (= lieu, racine ibéro-basque).
Donc, un lieu rocheux, ce qui convient parfaitement au site de cette ville, mais aussi
aux autres localités portant des noms similaires.
Il faut noter qu’il y a eu certainement des passages d’un nom à l’autre, car ils se
prononcent de la même façon, et le changement du “ C ” en “ S “ (et inversement)
est certainement le résultat d'erreurs de transcription quand on est passé de l’oral à
l’écrit. D’ailleurs le linguiste majorquin contemporain Gabriel Bibiloni considère que
Servera a été une erreur de transcription et qu’il faudrait le corriger en Cervera.7
On retrouve couramment ce même genre de variations du nom de famille lors de
migration dans un pays ou une région qui parle et qui écrit une autre langue.
En avançant dans l’histoire des Servera nous aurons d’autres informations sur cette
transformation.
Dans tous les cas, l’origine étymologique du nom montre bien le secteur
géographique où se trouve le berceau de la famille SERVERA et nous débuterons
donc l’itinéraire en Catalogne par son histoire jusqu’au 13ème siècle.
6
voir https://es.wikipedia.org/wiki/Cerb%C3%A8re
7
voir https://www.migjorn.cat/historic/20101122.478.php et https://bibiloni.cat/textos/antropotoponimia.htm mais faire disparaitre
Servera serait une erreur historique car ce nom est étroitement associé au repeuplement de Majorque.
8
8
Dans l’ADN des espagnols et donc des Servera d’aujourd’hui, il reste forcément des traces de ces différents peuples ibériens,
phéniciens, grecs, romains, wisigoths, maures et français…
9
Que dit l’histoire sur les personnes qui ont fait partie de
ce repeuplement ?
En 1229, après la conquête de l'île, le territoire de Majorque a été divisé en 2 parties.
Le roi Jacques 1er s'est réservé la quasi-totalité de l’île. Et il a offert le reste à ses
alliés. Un chevalier catalan du nom de Jaume Cervera a reçu du roi Jacques 1er
11
d’Aragon des terres dans le comté du Llevant (nord-est), en récompense de son aide
dans la reconquête de Majorque.9
Entre les années 1230 et 1300, on trouve deux grands propriétaires terriens dans
cette région : les Ferri et les Cervera. Le domaine fut mentionné pour la première
fois en 1354 sous le nom de Benicanella. Grâce à une série d'alliances familiales, ce
domaine est transmis de génération en génération jusqu'à ce qu'il soit divisé entre
deux frères Servera en 1475 (l'orthographe du nom a changé vers cette époque). Une
partie du terrain s'appelait Son Frai Garí, tandis que l'autre s'appelait Ca l'Hereu. Ces
terres se trouvaient sur le village d’Artà (terminologie arabe Yartan), au nord-est de
l’île. En 1666, Son Frai Garí (qui appartenait à Sebastià Servera) a été vendu aux
enchères par le Conseil de Majorque (Real
Audiencia de Mallorca) et acheté par
l'Université d'Artà, tandis que la possession
de Ca l'Hereu, qui appartenait à Salvador
Servera, a été distribuée en héritage à ses
enfants. La Constitution de Cadix de 1812
stipulait que seules les communes de plus de
1000 habitants pouvaient être constituées en
villages, ce qui fut le cas en 1824 sous le nom
de Son Servera (qui signifie “Propriété des Servera”). On dit que les fondateurs de la
ville ont tous changé leur nom de famille en Servera et aujourd'hui, de nombreuses
personnes dans la ville portent ce nom de famille. Il faut mentionner que le malheur
a frappé Son Servera en 1820, quand la peste bubonique a tué en 8 mois 1040
habitants sur les 1684 habitants de la ville ! 10
On constate dans cet historique détaillé du repeuplement de Majorque que le nom
du chevalier catalan recevant en 1230 des terres offertes par le roi d’Aragon et de
Catalogne s’appelait Cervera et 250 ans plus tard, ses descendants se nomment
Servera. Cette variante paraît spécifique seulement à Majorque et s’est fortement
répandue puisque les habitants de Son Servera auraient adopté massivement ce
nom. Cela permet aujourd'hui d’identifier d’un côté les Cervera originaires de
Catalogne, sans ancêtres ayant vécu dans les Baléares et d’un autre les Servera qui
sont des descendants de catalans ayant repeuplé les Baléares.
9
voir https://viagallica.com/baleares/ville_son_servera.htm et https://de.wikipedia.org/wiki/Son_Servera
10
voir https://www.cairn.info/revue-annales-de-demographie-historique-2017-2-page-125.htm?ref=doi
12
11
http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?l-expulsion-des-morisques-de.html
12
Antoni FURIÓ: Història del País Valencià., València. 1995, 311.
14
Il n'est donc pas surprenant que les chrétiens du pays valencien aient préféré
s'installer dans les basses terres et dans les vergers proches de la côte, où ils
pouvaient obtenir des terres avec des rendements acceptables. Dans les zones
montagneuses, moins adaptées à l'agriculture à petite échelle, et surpeuplées
jusqu'au moment de l'expulsion, l'insuffisance de population a finalement été
comblée principalement par l'afflux de personnes provenant de l'extérieur du
Royaume.
La comarque de Marina Alta (ensemble de communes situées au-dessus d’Alicante)
était très touchée, pratiquement inhabitée. Les propriétaires terriens et les seigneurs
féodaux étaient très préoccupés par la situation. Le vice-roi du royaume de
Majorque, Joan Vilaragut, était d'origine valencienne et il était au courant de ce
problème. Il savait qu’à Majorque, c'est le contraire qui s'était produit, la population
avait beaucoup augmenté et les terres à cultiver étaient peu nombreuses. C’est ainsi
que différentes expéditions ont été organisées et des familles entières des villages de
Santa Margalida, Pollença, Artà, Manacor, Alaró, Llucmajor et Puigpunyent ont
répondu favorablement aux offres de repeuplement des seigneurs valenciens et se
sont installées dans la région montagneuse de la Marina Alta, à Tárbena, Xalo, Vall
d'Ebo, la Vall de Laguart et les villages environnants.13
Plusieurs villes ont été repeuplées avec les contributions des habitants de diverses
villes majorquines: par exemple, à Tárbena se sont installés des majorquins des
villages, de Santa Margalida, Manacor, Artà et Pollença. Il y avait aussi ceux qui
venaient principalement d'une localité : la plupart des réinstallés de Llíber étaient de
Llucmajor ; ceux de Xaló, de Santa Margalida; ceux de la Vall de Gallinera, Andratx;
ceux de la Vall de Laguart, d'Artà et Manacor, et ceux de la Vall de Seta de Manacor14.
13
voir https://manacor.org/sites/cilma_manacor/files/files_cilma/231474.pdf
14
COSTA (1977; 1978,1983)
15
L'établissement a été réalisé par le biais de chartes de population, dans lesquelles les
maisons et les terres étaient réparties entre les réinstallés. À de nombreuses
reprises, les bénéficiaires de ces terres, souvent des agriculteurs de Valence ou
d'autres origines, les ont ensuite abandonnées et ont été remplacées par des
Majorquins.
La présence de colons majorquins n'était pas exclusive à la Marina Alta. Mais nous
avons choisi le secteur de la Marina Alta car c’est dans ces villages que nous allons
retrouver les ancêtres des Servera qui font l’objet de cette chronique.
Après l’expulsion des Morisques, Don Carlos de Borja, ou Borgia, duc de Gandia,
propriétaire de la vallée de Vall de Laguar, a accordé par acte du 14 juin 1611, la
concession du village à 27 familles de colons de Majorque15. Parmi ces 27 chefs de
familles de Majorque, tous agriculteurs, natifs de l’île de Majorque, on retrouve les
premiers ancêtres Servera installés dans cette région. Plus exactement, il s’agit de
Mateo Ballester, qui deviendra le beau-père de Rafael Servera y Servera. Ces 27
majorquins sont les véritables patriarches des générations futures qui rempliront la
nouvelle histoire de cette vallée.
Mateo Ballester est né à Arta (Majorque) en 1570. Il a épousé Juana Orpi, née en
1572 dans le même village. Quand ils décident de quitter l’île, ils ont 4 enfants entre
2 et 15 ans et veulent sûrement leur assurer un meilleur avenir. La famille s'agrandit
de 3 nouveaux enfants. Le 21 avril 1624, leur fille Maria Anna Ballester y Orpi , née
en 1608 à Arta, épouse à Laguar Rafael Servera y Servera. Lui aussi est né à Arta,
en 1605, leurs parents se connaissaient sans doute. Ses parents, Salvador et Juana
Servera, sont nés également tous les deux à Artà en 1575. Ils portent le même nom
paternel de naissance, ce qui était courant dans cette région où les Servera
représentaient une grande partie de la population, sans être forcément de la même
famille.
15
voir https://gw.geneanet.org/lu777?lang=fr&n=pons&oc=0&p=jean+baptiste
16
Après près de 4 siècles d’installation à l’île Majorque, ils sont les premiers de la
lignée à être nés à Majorque et à décéder au Royaume de Valence.16
Rafael Servera y Servera (1605-1648) et Maria Anna ont eu 9 enfants, dont 3
garçons.
Leur fils Salvador Servera y Ballester17 (1631-1707), épouse en 1666 Juana Vaquer
y Volta et ils s’installent au village d’Orba où naissent 8 enfants, dont 6 garçons.
Leur fils Pedro Servera y Vaquer (1686-?) épouse à Orba en 1715 Maria Peña y
Suñer. Ils ont 6 enfants dont 4 garçons.
Leur fils Joaquin Servera y Peña (1728-?) épouse en 1751 Maria Ana Soler y
Torrens. Ils ont 7 enfants dont 3 garçons.
Leur fils Joaquin Servera y Soler (1752-1828) épouse à Laguar en 1780 Josefa
Borras y Moll. Ils ont 4 enfants dont 2 garçons.
Leur fils Vicente Servera y Borras (1780-1846), briquetier, épouse à El Verger vers
1812 Josefa Gilabert y Caselles.
Ils ont 6 enfants nés à Orba, dont Antonio et Pascual Servera y Gilabert (1827-?).
Avec son père devenu veuf et au moins un frère, Pascual émigre en Algérie vers 1845,
environ 230 ans après que son ancêtre Salvador soit arrivé dans la Marina
Alta.
Donc, 7 générations de cette branche Servera ont vécu dans la Marina Alta.
Le contexte de l’Espagne va nous éclairer sur les raisons de ce départ.
16
voir cette généalogie détaillée:
https://gw.geneanet.org/pedreguerxalo?lang=fr&n=servera&nz=perez+martinez&oc=0&p=salvador&pz=juan+ramon&type=tree
17
Ce n’est que dans les années 1800 que l’utilisation des doubles noms de famille est devenue courante, quand une loi est
sortie sur le sujet. Les parents devaient dès lors donner le nom de famille paternel et maternel aux enfants. Traditionnellement
le premier nom est souvent le premier du père suivi du premier de la mère, parfois séparés par “et” (en espagnol: y; en catalan:
i), bien que ce ne soit plus aussi courant qu’auparavant.
https://www.equinoxmagazine.fr/2022/01/02/noms-de-famille-en-espagne/#:~:text=Mais%20ce%20n%27est%20que,qui%20po
rtaient%20le%20m%C3%AAme%20nom .
17
Grâce au travail, au service militaire (et la guerre), à l’école, aux mariages mixtes et à
la naturalisation automatique, le processus d’intégration-acculturation-assimilation
des espagnols s’est réalisé en 2 générations (50 ans)18.
Nous allons maintenant faire un zoom sur l’émigration des Espagnols de la
région d’Alicante et plus particulièrement de la Marina Alta vers l’Oranie afin
de suivre le parcours des ancêtres Servera, ainsi que le contexte économique et
social.
Les Espagnols les plus pauvres se retrouvent à Elche, Monovar, Aspe, Novelda et
Altea. En 1845, la mairie de Elche informe l'Intendance provinciale que la sécheresse
que connaît la commune a déterminé une émigration de plus de 500 familles.
On sait que l’histoire de la ville d’Oran est marquée par une longue période de
présence espagnole, pratiquement de 1505 à 1790. Ceci explique qu’après la
parenthèse ottomane, les Espagnols s’y soient rendus plus nombreux qu’ailleurs en
Algérie après la prise d’Oran en 1830.
Les ports d'Alicante, d'Almeria et de Santa Pola représentent les principaux ports
d'embarquement vers l'Oranie, avec Valence dans les années 1860. La plupart des
migrants partent en famille. Entre 1830 et 1860, le transport des passagers et
marchandises entre l'Espagne et l'Oranie s'effectue irrégulièrement sur des bateaux
de petit tonnage. Le commerce illégal de contrebande, qui se fait par Mers el-Kebir
principalement, est entièrement aux mains des Espagnols. Quant aux migrants, la
balancelle utilisée est un moyen bien commode pour une traversée de quelques
heures. Pourtant, dès 1846, quelques
initiatives personnelles créent une ligne
régulière entre Oran et Valence. La
balancelle, cependant, reste très appréciée
et apparaît souvent comme la contrepartie
"clandestine" du navire. Et durant les années
1830-1860 les Espagnols qui arrivent sans
passeport représentent une fraction
considérable des arrivées à Oran.
Et pourtant, la vie en Oranie n’était pas des plus facile. Suite au déclin de l'empire
ottoman, la France prend le contrôle de l'Algérie en 1830, déclenchant des batailles
contre Abd-El-Kader, l'armée marocaine et les Berbères jusqu'en 1870. En 1847, des
Français, Espagnols, Maltais, Italiens, Suisses et Allemands affluent à Oran. Une
18
voir le livre “Espagnol en Oranie: histoire d'une migration, 1830-1914” de Jean-Jacques Jordi - 1996 - Editions Jacques
Gandini à Nice
19
épidémie de choléra en 1849 (et entre 1861 et 1872) ainsi que d'autres crises
climatiques, sanitaires, famines et épidémies réduisent la population locale.
L'annexion de l'Alsace-Lorraine par l'Allemagne en 1870 entraîne un nouvel exode de
population vers l'Algérie. Le nombre de colons triple entre 1872 et 1914. Oran
devient la ville la plus européenne d’Algérie avec une forte présence d’origine
espagnole, soit 65% de sa population en 1948.
Quand Pascual Servera y Gilabert prend sa décision d’émigrer en Oranie, la
sécheresse de 1846 dans la région d'Alicante était si forte et les conditions de vie
devenues si difficiles que même le capitaine général de Valence en 1849 écrivait: "la
situation est si dure qu'ils ont la triste alternative de mourir de faim avec leur
familles ou d’émigrer vers les côtes africaines voisines »19. Le niveau de vie était l'un
des plus bas du pays, avec peu de travail possible. Les régions un peu plus prospères
de la province comme Alcoy, avec une industrie naissante, ou le travail dans le port
d'Alicante, ne pouvaient absorber tous les travailleurs. Ainsi, on peut dater
l'émigration d'Alicante vers l'Algérie au début de la colonisation française. C’est à
partir de 1845 que l'émigration d'Alicante vers l'Algérie atteint son plein
développement. Les premiers émigrants appartenaient aux vergers d'Alicante, puis
se sont ensuite étendus à la terre ferme, comme Muchamiel, San Juan, Benimagrell,
Santa Faz, Villafranqueza20.
Son père, Vicente, n’a pas 60 ans quand il décède en octobre 1846 à Oran. Puis en
juin 1850, c’est à Mers-el-Kébir (à 7 kms d’Oran) que Pascal, briquetier, épouse
Joséphine Yvanez y Silvestre, originaire d’Altea, à 33 kms d’Orba. Leurs trois
premiers enfants naissent dans cette ville: Vincent 1854-1857, Joséphine 1856-1857,
Sébastien 1858-1914. Les deux derniers naissent à Nemours (Ghazaouet), qui se
trouve à 180 kms au sud-ouest d’Oran, sur la côte méditerranéenne, près de la
frontière avec le Maroc : Vicenta 1863-? et Gabriel 1866-1919. Sébastien et Gabriel
deviendront briquetiers.
Cette génération est devenue la cible de la politique d’assimilation fondée sur le
droit du sol laquelle trouva son aboutissement dans la loi du 26 juin 1889. Elle
instaurait la naturalisation automatique des enfants d’étrangers nés sur le sol
national - ce qui, depuis le décret du 5 mai 1848, incluait l’Algérie - et y résidant à
leur majorité, à moins qu’ils ne le refusent explicitement dans l’année. Un double
droit du sol était même consacré, puisque la deuxième génération étrangère née en
France était déclarée française dès sa naissance.
19
VILAR RAMÍREZ, Juan Bautista, (1982), Los alicantinos en la Argelia Francesa, Alicante, Anales de la Universidad de Alicante,
Colección de Historia Contemporánea. Page 23
20
BONMATÍ ANTÓN, José Fermín (1988), La emigración alicantina a Argelia, Alicante, Universidad de Alicante. Page 45
20
21
http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/regmatmil/osd.php?clef=Servera-S%C3%A9bastien-1880-122-Alg%C3%A9rie-Oran
-1858-12-11-Mers+el+K%C3%A9bir-Oran-
22
L'accroissement de la stature en France de 1880 à 1960 ; comparaison avec les pays d'Europe occidentale (article de
M.-C Chamla) - https://www.persee.fr/doc/bmsap_0037-8984_1964_num_6_2_1275
21
Nous sommes dans les années 50 et la Métropole se reconstruit tandis que les
colonies françaises d'Afrique du Nord vivent des tensions puis des événements de
plus en plus graves.
De la lignée des Servera, il en reste 2 et leurs descendants.
À L'Hillil (Algérie), Vincent avec sa femme et leurs 6 fils et filles, tous mariés ayant
eux-mêmes des enfants (certains sont déjà installés en métropole.
À Casablanca (Maroc), Sébastien, veuf accompagné de sa fille Albertine, son gendre
Joachim Seldran et leurs enfants.
Après 130 ans au nord du continent africain, une nouvelle migration se prépare, et
à la différence des autres, elle n'est pas choisie…
24
Aujourd’hui, en 2023, les blessures ne sont sûrement pas refermées pour ceux qui
sont vivants et ont connu le “rapatriement”. Et les générations suivantes de leurs
23
En 1962, sur les 900 000 Pieds-noirs qui débarquent en France, 400 000 sont Espagnols ou descendants d’Espagnols.
25
Pour finir avec un clin d'œil, cette entreprise24 vue à Majorque, distributeur de produits
alimentaires, a un logo qui résume bien le cheminement des Servera :
toujours en mouvement !
24
https://grupo.distribucionesservera.com/
28
Photo prise en 1933 devant la cordonnerie et logement familial, 42 avenue Aristid Briand, quartier Choupot à Oran (colorisée)
29
Postface
Retracer 8 siècles (de 1229 à 2023) de cheminement d’une lignée des SERVERA était
un défi osé mais important pour moi. Car regarder dans le passé permet de mieux se
connaître soi-même et de voir plus loin dans le futur. Un dicton chinois dit
qu’oublier ses ancêtres, c’est être un ruisseau sans source, un arbre sans racines.
Mon plus grand souhait est d’avoir apporté un peu d’eau au moulin de la belle
histoire familiale Servera en faisant cette longue fresque historique.
Ce livret n'aurait pas été possible sans le travail précurseur de Vincent Lillio et
surtout sans l'aide efficace récente de Richard Pardo grâce à son réseau important
sur la région d’Alicante, notamment l’apport fantastique de Francisco Caravaca,
historien de Orba rencontré par Richard en 2021. Les cousinades organisées à Estang
en septembre 2011 et à Gruissan en mai 2013 avaient déjà renforcé ce désir de
retrouver et de présenter ces racines.
SOMMAIRE
Introduction page 3
Postface page 29
NB Un livret sur la vie de Vincent Servera est à l’étude ainsi qu'un autre sur la
branche Segura.
Pour plus de détails sur la généalogie des Servera, il y a geneanet.org où vous pouvez
ouvrir un compte gratuit vous permettant de consulter cette généalogie détaillée et
remonter l'arbre à partir de Chantal German pour la branche Servera. De même,
vous trouverez sur filae.com la même généalogie plus complète, avec accès à
certains documents familiaux historiques.
Version 2023.09A