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White flag 111

Décembre 2011

edito édito interdit au moins de 35 ans et


aux chats aussi, allez, vire tes poils.

Si le monde actuel des jeux de société connaît un


certain âge d’or, les années 1980 demeurent pour le
joueur nostalgique une période peuplée de doux sou-
venirs, de jeux devenus légendaires et de nuages en
forme de banane. à l’époque, le jeu de rôles prenait
son essor ; les jeux ne paraissaient pas encore à allure
effreinée ; la revue Jeux & Stratégie mettait la barre
haute en terme de presse ludique ; les livres dont vous
êtes le héros multipliaient les collections...

En 1985, tandis que les restos du coeur ouvraient leurs premiers centres et que Marty
Mc Fly retournait dans le futur, Battletech nous mettait au contrôle de robots géants, à
moitié déglingués et un brin sensibles à la surchauffe. Le club Pythagore recrutait de
jeunes gens, prêts à affronter les forces occultes. L’auberge du Sanglier noir se rem-
plissait de naïfs aventuriers. La société ne nous avait pas encore dicté le besoin des
téléphones mobiles, mais les morveux fumaient déjà en entrant au collège. Et puis,
ce fut la découverte de l’épave du Titanic, le lancement de Fun radio. L’ordinateur
Commodore 64 faisait fièrement tourner Gauntlet, Ultima IV et autre Bard’s tale, jeux
vidéo fraîchement sortis sur les étals. à cette époque, on redoutait le plantage critique,
le jeu qui ne se lançait pas, après un chargement cassette de 10 minutes !

Sur l’air de Mistral gagnant ou d’Un autre monde, nous jouions donc à tous ces jeux.
Talisman, Le gang des tractions avant, Scotland Yard... Faisant partie de ces perles sor-
ties en 1985, Sherlock Holmes Détective Conseil s’est longtemps arraché à prix d’or
sur le marché de l’occasion. Le jeu étant désormais réédité par Ystari games pour notre
plus grande joie, il serait criminel de manquer cet ovni ludique, demeuré unique, de
son origine à nos jours. L’évènement ludique de l’année 2011 !

olivier.jahchan@whiteflag.fr
Inspiration
Sherlock Holmes a depuis toujours L’histoire qui nous est racontée L’ultime defi
inspiré les médias les plus divers prend la forme d’une lettre ancien- de Sherlock
- feuilletons, films, livres, BD, jeux ne, écrite de la main du Dr Wat- Holmes
vidéo, etc. La liste des oeuvres im- son. Sherlock Holmes est mort et
pliquant le célèbre détéctive étant Watson envoie une lettre à un vieil L’ultime défi de Sherlock Holmes
trop longue, nous avons choisi de ami d’Amérique, afin d’implorer est l’adaptation du roman épony-
vous présenter trois d’entre elles, son aide. Car le bon docteur est me de Michael Dibdin, publié en
à peu près actuelles. accusé de meurtre, de mutila- 1995. Dans cet ultime opus, le cé-
tion et d’incendie volontaire lèbre détective se lance sur la piste
du 221b Baker street ! Le récit de Jack l’éventreur, le sinistre tu-
décrit donc les circonstances eur dont l’ombre plane à jamais
de l’affaire, vues par l’accusé. sur White Chapel. Faire s’affronter
Le rôle du lecteur est alors de deux figures emblématiques de
suivre ce récit, en consultant les l’Angleterre victorienne décadente
indices disséminés dans le texte est sans nul doute un défi ten-
et d’essayer de déduire l’identité tant pour un écrivain désireux de
du véritable coupable. Enfin, la mettre en scène le célèbre détec-
dernière partie du livre apporte tive. Michael Dibdin s’en est sorti
la solution de l’affaire : le vieil avec brio, en parvenant à créer une
ami de Watson répond à sa lettre œuvre forte, entraînant le lecteur
et le disculpe. à s’enfoncer dans les ténèbres de
l’âme holmésienne, tout en propo-
les crimes Entre la lettre de Watson et les in- sant une relecture des évènements
du docteur dices découverts peu à peu, le texte relatés dans le Problème final qui
watson est très agréable à lire et finalement vit le professeur Moriarty et Sher-
assez court, comparé au nombre lock Holmes disparaître dans les
Voici un livre particulier, car il total de pages (une cinquantaine). chutes du Reichenbach. L’auteur
s’agit aussi d’un jeu et parce que Ainsi, l’impression d’y progresser met également en scène un Holmes
c’est un très bel objet : couverture rapidement captivera les gens plus plus sombre et plus torturé encore,
molletonnée, pages à l’allure vieil- enclins à jouer qu’à lire. Dans le
lie du parchemin, odeur de vieux même esprit, il sera conseillé de
papier, illustrations noir et blanc partager l’expérience à plusieurs
stylisées... L’ouvrage renferme pour renforcer la convivialité mais
douze indices détachables, parmi aussi parce que l’énigme s’avère
lesquels une gazette d’époque, une plutôt ardue. Et, sur certains
pochette d’allumettes, des horaires points, il faudra parfois déduire à
de train et d’autres documents tout force d’extrapolation. Mais, en ré-
aussi insolites qu’intrigants. La alité, peu importe la difficulté : le
nouvelle originale relatant la mort plaisir découlera de la découverte
de Sherlock Holmes - Le problème d’une histoire originale, tout en
final - y est même retranscrite étant pleinement immergé dans
dans son intégralité. Tout est donc l’ambiance, grâce au caractère in-
fait pour plonger le lecteur dans téractif de l’ouvrage. Et, une fois
l’ambiance et l’ensemble y réussit l’énigme révélée, le livre restera
parfaitement ! un très bel un objet collector...
que les auteurs de la BD ont remar- Sherlock
quablement mis en image.
Pour sa modernisation de Sherlock
Le traitement graphique réservé à Holmes, la BBC a été prudente :
l’album est particulièrement origi- au lieu de commander une saison
nal et efficace. En prêtant au héros entière, elle a préféré se contenter
de Conan Doyle les traits de Jere- de trois histoires, développées cha-
my Brett, qui fut l’une des plus re- cune sur 90 minutes.
marquables incarnations d’Holmes
à l’écran, les auteurs ancrent leur D’emblée, l’épisode pilote tou-
récit dans l’imaginaire collectif che juste : John Watson revient
des lecteurs. En donnant à chaque d’Afghanistan où il a été blessé, il
planche l’aspect des unes des jour- cherche un colocataire et découvre
naux à sensation de l’époque, tant alors un drôle de zouave qui bat les
dans leur découpage que dans la cadavres à la morgue pour étudier
trame des couleurs, ils inscrivent les ecchymoses ainsi produites.
l’intrigue dans la veine des récits Nous sommes au 21ème siècle, bien porter le masque de la séduc-
feuilletonesques de l’époque. Les mais ces évènements reprennent tion ou de la compassion pour ar-
postures, savamment exagérées, très exactement les premières river à ses fins... Ce Holmes-ci
presque théâtralisées, finissent de pages du roman A Study in Scar- utilise internet, envoie des textos,
plonger le lecteur dans l’ambiance let, la toute première enquête de et déduit d’un iphone ce que son
de ce récit à la fois dense et prenant, Sherlock Holmes. D’ailleurs, le modèle déduisait d’une montre à
dont la noirceur est émaillée ça et titre de l’épisode, A Study in Pink, remontoir. La transposition fonc-
là d’un humour savamment dosé. annonce la couleur (c’est le cas de tionne et s’avère même particuliè-
Les raccourcis, inévitables pour le dire) : l’adaptation sera à la fois rement stimulante.
cette adaptation BD, sont subtile- scrupuleuse et libre.
ment orchestrés et si le rythme re- Dans les épisodes 2 et 3, les ré-
tombe quelque peu dans le dernier John et Sherlock s’appellent par férences au Canon se mélangent
tiers de l’album, l’ensemble est de leur prénom, mais font partie des allègrement (on y trouve des élé-
très haute tenue. meilleures incarnations des per- ments du Signe des quatre, des
sonnages de Sir Arthur Conan Plans du Bruce-Partington...) et
Sherlock Holmes semble avoir le Doyle. Le premier, joué par Martin servent à alimenter des intrigues
vent en poupe et l’on ne compte Freeman, que l’on n’est pas habi- originales, où le cerveau de Sher-
plus les enquêtes post “Conan- tué à voir aussi sérieux, n’a certes lock peut faire constamment étala-
doyliennes” le mettant en scène. pas de moustache mais possède le ge de sa supériorité. Jouant avec
Cependant, celle ci se démarque, caractère curieux, enthousiaste et le spectateur initié comme avec le
tant par son fond prenant à con- aventureux qui le distingue dans novice, les scénaristes multiplient
tre pied la littérature holmésienne, les livres. Quant au méconnu Be- les défis intellectuels, et terminent
que par sa forme, délicieusement nedict Cumberbatch, il se pose la saison sur un cliffhanger incroya-
désuette. Un album incontourna- en digne héritier de Jeremy Brett blement rageant... Heureusement,
ble pour les fans de Holmes et les et donne au détective le mélange les épisodes suivants sont déjà sur
amateurs de polars noirs... de bizarrerie et de passion qui lui les rails, pour une diffusion prévue
sied : moqueur, cynique, arrogant, fin 2011.
Le korrigan il toise ses interlocuteurs du haut Gautier Cazenave
http://chrysopee.net de son intelligence, mais peut aussi http://www.krinein.com
Interview

cyril demaegd
éditeur du jeu

Ystari games est un éditeur habi- dition du jeu, Omnibus ayant res- cause du mélange victorien/excen-
tuellement spécialisé dans les jeux sorti l’intégrale dans un format très trique, mais c’est vraiment faire
de gestion et de développement, pratique). Si je devais ressortir des peu de justice aux autres enquêtes !
destinés aux joueurs plutôt expéri- nouvelles, ce serait compliqué ! Di- Je crois que Conan Doyle estimait
mentés. Face aux autres titres de la sons que j’ai de l’affection pour les que sa meilleure nouvelle était “Le
gamme, Sherlock Holmes Détec- histoires courtes, qui résument bien ruban moucheté”. Mais bon, le
tive Conseil (SHDC) dénote donc la manière de procéder de Doyle, mieux est de tout lire et de se faire
quelque peu. Cyril Demaegd, pa- qui se sert à merveille de la nar- sa propre idée !
tron d’Ystari games, nous explique ration du “candide” Watson pour
ce choix éditorial. Parmi les multiples adapta-
tions de Sherlock Holmes,
Quand avez-vous rencontré quelle est la plus fidèle se-
Sherlock Holmes pour la lon vous ?
première fois ? Une nouvelle En fait, je pense qu’il n’y en a
en particulier vous a-t-elle pas vraiment, même si beau-
marqué ? coup d’acteurs ont été remar-
Je pense que, comme pour quables. Mais, j’avoue avoir
beaucoup, mon premier con- été très agréablement surpris
tact avec Holmes s’est fait par par le film de Guy Ritchie
le cinéma - bien que je ne me avec Robert Downey Junior.
rappelle plus par quel film. Pas mal de gens ont considéré
Pour ce qui est des livres, j’ai que c’était un Holmes trop
le souvenir que mon père avait “moderne”, mais en fait c’est
emprunté l’intégrale de Doyle un peu le cas de Holmes. Les
à son travail, en 1984, d’après films l’ont toujours présenté
ma petite enquête. Cela m’a comme un grand gars très
permis de découvrir le “vrai” austère et coincé, mais en
Holmes, mais aussi des personna- préparer ses effets et cacher une fait, si on lit bien les livres, on
ges pour lesquels Doyle avait bien solution que Holmes a subodoré s’aperçoit qu’il n’hésite pas à faire
plus d’amour, comme le professeur depuis longtemps ! Allez, je me le coup de poing et que c’est un ex-
Challenger (“Le monde perdu” et mouille : les nouvelles qui me re- centrique. Bref, le film de Ritchie
ses dinosaures oubliés) ou le bri- viennent souvent à l’esprit sont n’est pas plus faux qu’un autre
gadier Gérard (les aventures d’un sûrement “La ligue des rouquins” puisqu’il présente une autre facette
hussard sous Napoléon). Doyle ne et “Flamme d’argent” ainsi que du personnage généralement “ou-
portait pas forcément Holmes dans “Les hommes dansants”. Si le bliée” dans les autres adaptations,
son coeur, ce n’est pas un secret ! dernier à sûrement quelque chose très marquées par le Holmes in-
Toujours est-il que j’ai vraiment à voir avec mon amour des codes terprété par Cushing ou Rathbone.
adoré lire ces romans et nouvelles secrets, je ne sais pas pourquoi j’ai Le plus gros écart est finalement
(et les relire pour préparer la réé- pensé aux deux autres. Sûrement à Watson, qui est beaucoup moins
“emprunté” chez Ritchie que dans À l’origine du projet, comment
les romans. Mais, cela introduit avez-vous pris la décision de
un peu de nouveauté dans la rela- rééditer SHDC ?
tion entre les personnages. Bref, Le projet est né à la suite d’une
j’ai hâte de voir la suite !... De la partie jouée pendant les vacances,
même manière, j’avoue avoir été il y a trois ans. Il me semble que
épaté par l’adaptation récente de c’était le “Soldat de plomb”. à la
la BBC, avec un Holmes moderne. suite de la partie, quelqu’un a dit
Cette adaptation parvient à rester “Quel dommage tout de même
fidèle à l’esprit de Doyle tout en que ce jeu n’existe plus”. Et j’ai fardeau sur ses épaules (faisant des
dépoussiérant la chose (Holmes répondu “Faisons-le”. C’est aussi tests et des modifications), pendant
envoyant des sms est tout de même simple que cela ! que je m’occupais de tout rescan-
quelque chose à voir !). C’est vrai- ner et de donner sa forme actuelle
ment intéressant dans le sens où Quelles ont été les démarches au jeu. Ce fut un travail de longue
cela prouve, s’il en était besoin, qui vous menèrent de l’idée de haleine mais voilà, finalement nous
l’intemporalité du personnage. départ à l’édition du jeu ? sommes prêts.
Chapeau à nos amis anglais qui Alors là, ça pourrait être long à
savent faire des séries télé, contrai- raconter, donc je vais tenter de Comment avez-vous abordé cet-
rement à nous ! raccourcir. En fait, la route a été te nouvelle édition ?
longue pour retrouver les ayants- Déjà, nous voulions changer la
Avez-vous des souvenirs de par- droits d’un jeu publié il y a 25 forme de base (un classeur), pour
ties jouées avec la première ver- ans. Une vraie enquête policière passer au format livre. De notre
sion du jeu, il y a 20-25 ans ? qui m’a mené dans les bureaux point de vue, les enquêtes devaient
Franchement, c’est très dur. C’est de Chessex (le marchand de dés), former un “tout” et donc présenter
si vieux ! Tout ce que je peux dire puis dans une boutique de livres de le cas, l’enquête, les questions,
c’est que j’avais acheté toutes les San Francisco, pour apprendre que le débriefing et la solution en un
extensions, puis prêté le jeu à un l’auteur principal (Gary Grady) seul bloc. Ensuite, nous voulions
ami qui ne me l’a jamais rendu ! était mort et que Suzanne Gold- séparer le livret des journaux en
Heureusement, je l’ai récupéré berg (co-auteur) s’appelait main- feuilles “volantes” afin de pouvoir
pour une bouchée de pain, quelques tenant Suzanne Grady. Retrouver consulter ceux-ci à plusieurs. En-
années après, et complété grâce fin, nous voulions profiter de
à William Attia (Caylus) ! à la l’avancée technologique offerte
“Tout amateur d’énigmes trouvera
sortie du jeu, en 1987 je crois, par l’informatique pour offrir
son plaisir dans ce jeu, et pour un jeu plus léché graphique-
j’avais lu un article dans feu
“Jeux & Stratégies” qui m’avait jouer, il suffit de savoir lire !” ment, en mettant des illustra-
particulièrement emballé, et tions plus modernes que les
j’ai donc tanné mes parents pour Suzanne a été difficile, mais fina- sempiternelles œuvres de Sydney
l’avoir à Noël ! Je ne me rappelle lement, grâce à un informateur du Paget (très talentueux, mais sur-
plus très bien de ma découverte, nom de Tom Lehmann (Race for exploité quand il s’agit de Hol-
mais je crois avoir commencé avec the Galaxy), j’ai réussi à entrer mes) et aussi des “éléments de
la “Malédiction de la momie” et en contact avec elle ! Il ne restait preuvres” (lettres, télégrammes...)
d’avoir été un peu déçu car, en fait, alors plus qu’à refaire tout le jeu. sous forme graphique. Au final, le
c’était la moins bonne enquête du Une paille ! Heureusement, mes livre a disparu car en assemblant
bouquin. D’ailleurs, on a réécrit un amis de vacances étaient très mo- les enquêtes, je me suis aperçu
peu cette enquête pour la corser... tivés et Yannick Mescam a porté ce qu’un livret par enquête était une
Photo par Gus & Co.
à une unique image de Paget. Or,
si je ne me trompe pas, il n’en est
jamais fait mention dans l’oeuvre
de Doyle et le port de ce chapeau
était plutôt inapproprié dans la so-
ciété victorienne (en fait, dans la
fameuse illustration, Sherlock se
rend à la campagne ce qui justi-
fie un chapeau qu’il n’aurait sûre-
ment jamais porté en ville). Bref,
puisque nous dépoussiérions le
jeu dans son écriture et sa forme
graphique, j’ai souhaité que nous
ayons une approche graphique
différente, plus sombre. J’ai donc
fait appel à deux illustrateurs, l’un
(Arnaud Demaegd) pour la par-
tie couleur (couverture du jeu et
des livrets), l’autre (Neriac) pour
bien meilleure solution pour le gens n’achèteraient plus aussi bien les “vignettes” en noir et blanc.
confort mais aussi donnait un pe- certaines histoires écrites il y a Leur consigne était de de se tenir
tit côté “pulp” à chaque affaire. Et 20 ans et nous nous devions donc à l’esprit victorien, mais en mon-
puis, bien sûr, nous avons réécrit d’intervenir sur la crédibilité de trant un Londres moins “propre”.
pas mal de choses ! certaines choses. Nous discutions Après tout, nous baignons dans les
beaucoup, Yannick menait des histoires de meurtres et dans les
Vous avez utilisé le terme “enfer” tests et réécrivait jusqu’à satisfac- bas-fonds. Pile à l’époque où Jack
en évoquant le travail d’édition tion. Cela a pris pas mal de temps, l’éventreur fait régner la terreur à
du jeu. Avez-vous rencontré des mais si j’évoque l’enfer c’est plutôt Whitechapel !
difficultés en ce qui concerne la pour la somme de toutes les étapes
réécriture des enquêtes ? évoquées jusqu’ici plutôt que pour à qui s’adresse le jeu ?
Oui et non. Au début, nous n’avions la partie “réécriture”. C’est une bonne question ! Est-ce
pas de méthode et ce fut notre plus seulement un jeu ? Probablement,
grande difficulté. Mais, une fois la Pour ce qui est de l’ambiance oui, mais si c’est un jeu, c’est un
méthode trouvée, tout a été beau- graphique, quel ton vouliez-vous réel ovni à la confluence de plu-
coup mieux. En fait, les réécritures donner à l’ensemble, par rap- sieurs genres et à forte connotation
varient beaucoup d’une enquête à port aux célèbres illustrations littéraire. En ce sens, je pense qu’il
l’autre. Le but était de changer les d’époque de Sydney Paget ? s’adresse à un public bien plus large
solutions (cas extrêmes) ou les dé- Comme je l’ai dit, Paget a été que nos précédents jeux. Tout ama-
tails les moins crédibles. Je pense “surexploité” dans le sens où ses teur d’énigmes trouvera son plaisir
que le public est devenu beaucoup illustrations ont vraiment servi de dans ce jeu, et pour jouer, il suffit
plus affuté en matière d’enquêtes base pour forger le personnage de de savoir lire ! Quand je le décris,
policières. Nous sommes assail- cinéma que nous connaissons tous. je dis que c’est un genre de “Livre
lis de séries policières à la télé qui Par exemple, le fameux Deerstalk- dont vous êtes le héros”, mais sans
dissèquent en détail les crimes et er dont Sherlock Homes est per- les renvois en fin de chapitre. Pour
les modus operandi. Au final, les pétuellement affublé correspond jouer il faut aimer lire, chercher une
Interview
Photo par Gus & Co.
énigme et discuter (on peut égale- mais je dirai qu’en
ment jouer seul, mais c’est un peu tout premier lieu il
moins amusant à mon avis). Donc faut une bonne idée
on peut estimer que quelqu’un qui d’exposition, suivie
se reconnait là-dedans est dans la d’une enquête bien
cible. Et si l’on regarde les audien- ficelée ! La diffi-
ces de séries policières, on peut culté majeure est
penser que cela fait du monde ! donc de faire preuve
d’imagination et d’ê-
Envisagez-vous de publier les en- tre doté d’un bon tal-
quêtes supplémentaires parues à ent d’écriture. Dans
l’époque, voire d’éditer des af- les enquêtes, on tom-
faires inédites, soumises par des be très rarement sur
écrivains en herbe ? un chapitre où la so-
Mon espoir est effectivement lution est donnée en
de proposer des enquêtes sup- toutes lettres. Il faut
plémentaires. De plus, le format souvent lire entre les
“livret” nous permet éventuelle- lignes pour faire des
ment de sortir une enquête indivi- déductions. Rendre
duellement. à ce niveau, toutes les cette subtilité est le
pistes sont ouvertes et nous pour- plus difficile à mon
rions même proposer une sorte avis, car la solution
“d’abonnement” pour un certain doit jaillir de la dis-
nombre d’enquêtes. Le but est en cussion. Une bonne
tout cas de proposer les extensions enquête serait celle où les joueurs
ambitions à la hausse. D’ailleurs,
existantes, celles jamais publiées arrivent à la lumière brusquement,
le projet a également séduit une
en français (West End Adventures), rassemblant tous les faisceaux de
grande enseigne (la FNAC) qui
et des enquêtes originales. J’ai preuves, au moment où l’auteur l’a
proposera le jeu (probablement au
d’ailleurs plusieurs propositions voulu. Évidemment c’est très dif-
rayon “jeux d’énigmes”). Bref, les
sous le coude, mais il est en tout ficile à faire ! Mais, comme je l’ai
indicateurs sont au vert et je pense
cas assez difficile de dire quoi que dit, plusieurs personnes très créa-
que le pari pourrait être gagnant.
ce soit avant de voir les résultats Maintenant, c’est toujours difficile
tives m’ont déjà proposé des en-
du jeu de base, qui conditionne- quêtes très intéressantes... de prédire le succès d’un projet à
ront tout le reste ! Si nous devons l’avance et c’est pareil pour tous
penser à une suite, je pense que SHDC est un jeu unique qui dé- les types de jeux. Donc je fais tout
nous commencerons par proposer note encore aujourd’hui. éditer ce que je peux pour proposer le
des choses nouvelles, de manière une telle oeuvre tient-il du pari meilleur jeu possible, je croise les
à offrir de nouvelles enquêtes aux
risqué ou êtes-vous plutôt con- doigts, et nous verrons bien !
“vieux de la vieille”... fiant dans l’avenir ?
Au début, je pensais vraiment faire
Quels sont les éléments d’une une édition confidentielle. Mais,
bonne enquête, selon vous ? je dois admettre que lorsque j’ai WWW
Ce n’est pas vraiment à moi de annoncé la sortie sur le net, les ystari.com
répondre à cette quetion car je réactions ont été très positives et
n’ai rien écrit personnellement, que cela m’a poussé à revoir mes
Interview

yannick mescam
co-développeur du jeu

sions, y compris quelques un scénario valide et complet. Par


raretés comme West End Ad- exemple, la première enquête a
ventures, une extension en demandé beaucoup de temps et de
anglais jamais sortie, Sherlock corrections. Les idées fusaient, il y
Holmes & The Baby, une enquête eut six ou sept versions différentes.
Pouvez-vous nous dire quelques publiée en magazine et même une Heureusement, cela n’a pas été le
mots sur vous ? édition allemande du jeu (alors que cas pour toutes les enquêtes. Cyril
Je suis tombé dans l’univers du jeu je ne parle pas un mot d’allemand). s’est chargé d’une des enquêtes,
de société il y a environ six ans, en Je recroisais Cyril lors de diffé- réputée comme la plus mauvaise
arrivant à Toulouse. Depuis, je joue rentes manifestations ludiques et du jeu. J’ai également été aidé
très régulièrement (au moins deux le projet de réédition prenait petit à dans mon travail par Emilie - aka
soirées par semaine, dans des as- petit corps. Cyril savait que les en- Aëlwyn sur Trictrac - pour les par-
sociations locales), à toutes sortes quêtes devaient être retravaillées, ties de test et les idées d’écriture.
de jeux : Time’s Up!, Battlestar améliorées. Je me suis alors pro-
Galactica, Dr Jekyll & Mr Hyde, posé pour ce travail. Quelques anecdotes de partie ?
Ricochet Robot, Mousquetaires du Je me souviens d’une partie ayant
Roy, Netrunner et, bien sûr, Dé- En quoi consista votre tâche ? duré 18h, sur l’affaire de l’Oiseau
tective Conseil. J’ai également la Il y avait de nombreuses choses de papier (une des extensions,
chance de faire partie des organi- à faire. Corrigier les bugs : pistes une énorme enquête qui se joue
sateurs du festival Alchimie du Jeu manquantes, inutiles, erreurs de moitié à Londres, moitié à Paris).
de Toulouse. traduction, mais aussi éviter au Je me rappelle également une par-
mieux les pistes donnant des in- tie à vingt joueurs, avec un grand
Comment en êtes-vous venu à fos que l’on était pas censé obtenir ta-bleau blanc pour les notes, feu
participer à l’édition du jeu ? déjà, sur un personnage encore in- de cheminée et petits biscuits an-
J’ai découvert SHDC en vacances, connu, par exemple ; corriger les glais inclus ! Enfin, une partie dé-
chez des amis, où Cyril était égale- incohérences dans les enquêtes : butée vers 23h, où l’un des par-
ment présent. Je ne connaissais pas comportement absurde de la part du ticipants demanda si cela poserait
du tout ce jeu, et nous nous sommes coupable, mobile qui ne tient pas problème d’abandonner en cours
lancés tous ensemble dans une par- la route ; donner une part plus im- de route, ayant probablement en-
tie au terme de laquelle j’ai trouvé portante à la déduction du joueur. vie d’aller se coucher avant la fin.
ce jeu très original et l’histoire très Beaucoup de passages textuels ont Je lui répondis qu’on en reparlerait
bien faite. Une année passa. Je ainsi été remplacés par des élé- une heure après. Deux heures plus
trouvai le jeu d’occasion et le fis ments graphiques que les joueurs tard, il était des plus actifs dans la
découvrir aux cercles de joueurs devront décortiquer pour arriver à partie, à discuter, exposer ses théo-
que je fréquentais. L’accueil à été la solution. Grâce aux nombreuses ries, chercher la logique. Quand je
quasi-unanimement chaleureux. associations ludiques toulousaines lui demandai s’il voulait toujours
J’ai achevé les enquêtes du jeu de (Joc-Ere, Akrojeux et Ludimonde, aller se coucher, il me regarda avec
base en quelques semaines, et me notamment), chaque enquête fut un sourire et me dit “Certainement
suis mis à la recherche des exten- jouée et rejouée, afin d’aboutir à pas avant de connaître la fin” !
11ème édition

27, 28 et 29 avril 2012


Parc des expositions
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Entrée libre so c

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Jeux d’
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Jeux de

Vendredi :18h-02h
Samedi :11h-02h
Dimanche :11h-20h
http://toulouse.festivaldujeu.fr
Chronique
classe ! Aux vieux de la de Holmes lui-même, du docteur
vieille, l’ensemble pourra Watson et des joueurs. Ces der-
même rappeler cette grande niers incarnent un petit groupe de
époque où les jeux de rôles gamins de rue devenus grands et
étaient présentés sous forme habituellement employés par Hol-
de boîte et contenaient quel- mes à la recherche d’informations
ques livrets : L’appel de en tous genres. Parfois, d’autres
Cthulhu, Maléfices, L’oeil personnages interviendront dans
noir... Que de souvenirs ! la scène, tels que l’inspecteur Les-
trade ou tout individu venu implo-
Seul bémol : la police de ca- rer l’aide de Sherlock Holmes.
ractère aurait peut-être gag-
né en lisibilité si elle n’avait Une fois l’affaire énoncée, les jou-
pas été tout en italique, par- eurs commencent à noter les élé-
ticulièrement sur un fond de ments du récit qui leur semblent
papier jauni, tâché par en- importants et les pistes à suivre.
droits. Mais, cela est affaire Suivre une piste consiste à déter-
de ressenti personnel. miner un lieu où se rendre, puis
utiliser l’annuaire ou le plan de
des regles Londres pour faire le lien entre le
la classe ! souples nom du lieu et le numéro du para-
graphe à lire.
Au premier regard, la superbe il- Le sommaire livre de règles expli-
lustration de couverture, qui donne que d’abord comment utiliser les Le journal du Time’s est égale-
la première place à Sherlock Hol- différents éléments de matériel : ment une source d’informations
mes, pose tout de suite l’ambiance. livrets d’enquête, plan de Londres, précieuses. Sa consultation est li-
à l’intérieur de la boîte, le reste annuaire, journaux. Puis, vient bre. Mais, il est interdit de lire les
suit, pour nous ramener à l’époque le déroulement d’un tour de jeu, archives postérieures à la date de
du grand détective : annuaire ; plan selon le mode de partie choisi : en l’enquête en cours. à l’inverse, les
de Londres ; dix livrets d’enquête, solitaire ou à plusieurs, tous en-
chacun présentant une affaire dis- semble ou chacun pour soi. Enfin,
tincte ; dix coupures de journaux une liste d’une quinzaine de per-
indépendantes, fournies au for- sonalités présente les informateurs
mat A3, chacune correspondant qui aideront les enquêteurs dans
à une affaire. Pages glacées, al- leur tâche, d’une enquête à l’autre :
lure de vieux papier, illustrations médecin légiste, avocat, tavernier,
d’ambiance parsemant le texte, bibliothécaire, dépôt central des
travail graphique parfaitement voitures, journaliste, etc.
dans le ton. Aucun dé, pions, ni
plateau de jeu, mais une bonne La partie débute toujours par la lec-
odeur de papier et une sensualité ture à haute voix d’un texte expli-
proche de celle d’un livre. à prio- quant les cironstances de l’affaire
ri, le matériel de jeu promet une et suggérant les premières pistes
immersion totale dans l’histoire. aux joueurs. La scène se déroule au
C’est lourd, c’est beau : la grande 221b Baker Street, en compagnie
numéros précédents
demeurent disponibles,
certains articles parus
antérieurement pou-
vant parfois s’avérer
utiles pour l’affaire
suivante.

à chacun leur tour,


les joueurs lisent un
paragraphe. En cas de
désaccord général sur
la piste à suivre (cas
peu fréquent), le lec-
teur tranche et choisit
le lieu où aller. à plu-
sieurs participants, la
lecture se fait à voix
haute, chacun gardant
pour soi ses conclu-
sions ou les partageant
entre tous, selon qu’on
aura choisi de jouer
ensemble ou les uns contre les au- première série de questions aborde score et de le comparer avec celui
tres. les aspects les plus importants de de Sherlock Holmes et des autres
l’enquête (mobile du crime, iden- joueurs. Moins on aura suivi de
Certaines pistes sont évidentes tité du coupable...). Un second pistes et plus on aura de chances
(lieux du crime, suspects...), tandis questionnaire, moins rémunérateur de battre le score du grand dé-
que d’autres sont subtilement sug- en points, évoque les faits secon- tective. Mais, outre ce système
gérées à la perspicacité des joueurs. daires, voire une affaire annexe et d’évaluation, la vraie satisfaction
Un bijou antique retrouvé dans la parfois des éléments du “Canon”, proviendra de la découverte de la
poche de la victime pourrait ainsi tirés de l’oeuvre littéraire de Sir vérité et de la compréhension des
donner l’idée de rendre visite à un Arthur Conan Doyle. différents éléments de l’affaire.
bijoutier, pour en apprendre davan- En mode coopératif, le système de
tage sur l’origine de l’objet. Mais, Ceci fait, les protagonistes se ren- points s’avèrera d’autant plus anec-
rien dans le texte ne l’indiquera ex- dent de nouveau au 221b Baker dotique. Car SHDC fait clairement
pressément. Ainsi, toutes les pistes street. Un épilogue est alors lu, au partie de ces jeux où définir le ga-
ne seront-elles pas forcément ex- cours duquel Sherlock Holmes re- gnant est accessoire face au plai-
plorées par les joueurs. lie les faits et établit la vérité dans sir partagé en cours de partie. On
les moindres détails. y jouera donc avec ou sans points,
Quand ceux-ci se trouvent à court en adaptant les règles à souhait.
de pistes ou souhaitent arrêter leurs Enfin, en fonction des bonnes
investigations, des questions leur réponses apportées et du nom- WWW
sont posées. Les bonnes réponses bre de pistes suivies, un système Introduction de l’enquête 1
rapportent alors des points. Une de points permet de calculer son
lecture en se fondant sur des hypothèses WWW
et debats erronées, sans parvenir à dissocier Concours pour remporter
les vraies pistes des fausses. C’est une boîte du jeu !
Dès les premières lignes parcou- que certaines enquêtes sont assez
rues, on se rend compte de la qua- dures à résoudre. Mais cela fait camouflage littéraire des auteurs.
lité d’écriture du jeu : le niveau est aussi l’intérêt du jeu et le défi n’en Révéler ces détails et comprendre
soutenu, même si, parfois, quel- est que plus stimulant à relever. les liens entre les personnes et les
ques phrases à rallonge ne facili- Au pire, passer une enquête en évènements se fera ensuite par re-
tent pas la lecture. La psycholo- plein smog ne vous empêchera pas coupements, à la lecture de pistes
gie des personnages principaux de vous amuser. Et, au risque d’en différentes. Pour des joueurs néo-
- Holmes, Lestrade, etc. - respecte dévoiler beaucoup, Mr. Holmes phytes, appréhender l’ensemble et
également l’oeuvre de l’auteur. De pourra même vous remettre sur la prendre des initiatives semblera
quoi se sentir en terrain familier voie, en ultime recours. un peu déroutant au début. Mais,
pour un fan de Sherlock Holmes passée la première affaire et une
et s’immerger totalement dans le indices et fois la méthode acquise, la logique
thème, parmi ses héros favoris. recoupements suffira, sans avoir à suivre les pas
d’un guide expérimenté.
Tout commence donc au 221b Le bon détective s’attachera à re-
Baker street, où loge Mr. Holmes. ceuillir les détails en apparence C’est ainsi que l’on sera amené à
Le texte d’introduction présente anodins mais pouvant devenir cru- vérifier les alibis ; calculer la durée
l’affaire, non pas comme un ex- ciaux, par la suite : le fait qu’il de déplacement d’untel, grâce au
posé technique des faits, mais en neige au dehors, qu’une facture ait plan de Londres ; passer à la loupe
racontant et en mettant en scène les un montant disproportionnée, que le lieu du crime ; fouiner dans les
personnages, en train de dialoguer. tel suspect marche à l’aide d’une journaux d’archives ou le registre
canne, que la mariée ait fait tomber des naissances et des décès ; à la
D’abord, les noms des lieux et des son bouquet quelques pas avant morgue, étudier la blessure ayant
personnages impliqués sont relevés d’atteindre l’autel...* Ces indices entraîné la mort de la victime ; ap-
par les joueurs, indiquant les pre- sont très finement insérés dans le prendre les potins du gotha, auprès
mières pistes à suivre. Certaines texte, grâce à un beau talent de d’un chroniqueur mondain, etc.
de ces pistes en révèleront de nou-
velles, tandis que d’autres seront
stériles. Entre deux paragraphes,
les joueurs vont discuter pour re-
lier les faits et déduire peu à peu la
vérité. Plus ils progresseront, plus
les débats s’étofferont, grâce aux
éléments récoltés. De ces échanges
provient véritablement tout le sel
du jeu : quel plaisir de voir jaillir du
dialogue une ébauche de solution
et de s’écrier “Mais c’est bien sûr”,
dans un éclair de génie ; ou de réa-
liser qu’on est confronté au profes-
seur Moriarty ! à l’inverse, il peut
arriver que les joueurs se perdent
Chronique
vraiment, alors source d’une communion ludique
qu’on connaît la rarement égalée. De ce partage, naî-
solution. Enfin, tront les souvenirs marquants, tels
des affaires nou- qu’une partie de jeu de rôles peut
velles pourraient en laisser, par exemple, en terme
bien voir le jour d’histoire racontée. Pour cela, si le
en provenance de jeu est très bon en solo, jouer à plu-
l’éditeur et, qui sieurs, dans la même équipe, vous
sait, de la part fera entrevoir le nirvana ludique !
de fans inspirés. Et, pour peu que vous y jouiez fré-
Si ces arguments quemment, certains aspects inex-
ne vous ont pas pliqués d’une enquête pourraient
convaincu(e), sa- bien s’éclaircir lors d’une affaire
Chaque enquête installera une am- chez simplement qu’en n’essayant suivante ! De quoi lier l’ensemble
biance différente, entre les beaux pas SHDC, vous manquez une ex- et donner un peu plus corps aux
quartiers de la ville et ses ruelles périence de jeu qui ne ressemble à personnages ! Un pur régal !
sombres et malfamées, le milieu aucune autre. Et, sur ce marché où
de l’armée ou celui des affaires, chaque jeu en rappelle vaguement Vous l’aurez compris, pour avoir
les coulisses d’un cirque ou celles un autre, cela vaut beaucoup. beaucoup estimé l’édition précé-
d’un musée, et bien d’autres at- dente du jeu, l’équipe de White flag
mosphères encore... comme eut la belle surprise de découvrir
si vous cette nouvelle version, corrigée et
et apres ? y etiez restylisée. Il s’agit d’un jeu unique
d’une très grande qualité, et pour
Par nature, quand une enquête a été De par le matériel de jeu, le style tout public, avec ça ! En trois mots
réalisée, il n’est plus possible d’yd’écriture ou le caractère intérac- élémentaires : foncez l’acheter !
rejouer, ou alors très longtemps tif du récit, SHDC vous plongera Parole de fans exigeants !
après, une fois la trame oubliée. totalement dans l’ambiance d’épo-
La boîte contenant dix affaires, on que. Au contraire d’une “simple”
pourait donc imaginer que le jeu aitsoirée passée à jouer à plusieurs
une durée de vie limitée. Ce serait jeux, SHDC vous proposera un
certainement une erreur, Watson. véritable voyage dans le temps et
vous tiendra éveillé(e) de la pre- Auteurs d’origine :
Tout d’abord, étant données les mière à la dernière heure, autour Raymond Edwards,
jeux paraissant de plus en plus d’une histoire captivante, se dévoi- Suzanne & Gary Grady
fréquemment et le fait que l’on lant peu à peu. On préparera la soi- éditeur : Ystari games
passe plus vite d’un jeu à l’autre, rée à la manière d’un moment déli- Réécriture : Yannick
la durée de vie estimée pour SHDC cieusement attendu, comme si on Mescam, Cyril Demaegd
est probablement dans la moyenne s’installait au coin du feu, dans son & Farid Ben Salem
haute. Ensuite, le jeu est purement fauteuil favori, à lire un bon livre.. Illustrateurs :
Arnaud Demaegd & Neriac
de ceux que l’on conserve afin de
le partager avec ses enfants de- Cette immersion dans l’histoire, Nombre joueurs : 1 à 8
venus grands ou simplement ses conjuguant discussions et réfle- Durée moyenne : 3-4h
âge : à partir de 12 ans
amis - cela, même sans y jouer xions intenses entre joueurs, est
Prix : 40 €

* Ces exemples ne sont tirés d’aucune enquête, rassurez-vous.


Retro interview

En 1985, Sherlock Holmes Détec-


tive Conseil remporta le “Spiel juergen herz
des Jahres” (SdJ), le prix du meil-
leur jeu de l’année, en Allemagne. Fondateur du Spiel des Jahres
Juergen Herz, alors membre du
jury, nous fait l’honneur d’évoquer
cette époque. Souvenir, souvenir ! Le SdJ est aujourd’hui le con- plupart des gens ne connaissait que
cours n°1 mondial en ce qui con- les classiques, comme les échecs,
Pouvez-vous vous présenter ? cerne les jeux de société. Quel etc. Grâce à la presse se chargeant
J’ai 66 ans, j’habite à Essen, en aura avait-il en 1985 ? de relayer les jeux primés, les gens
Allemagne, et je suis ingénieur à l’échelle nationale, le prix était furent soudainement mis au cou-
retraité de l’électrotechnique. Je déjà établi auprès du public, des rant que d’autres jeux intéressants
travaille encore deux jours par se- éditeurs et des magasins qui réali- existaient. Il se mirent bientôt à
maine pour mon anicienne société, saient de fortes ventes, au sens du suivre les jeux primés, comme
spécialisée dans le développement marché des jeux spécialisés. Par références en terme de qualité
de logiciels éducatifs (www.lernes. ludique.
de). En 1976, l’idée de créer le
prix de l’année m’est venue. Pour Quels étaient les critères de sé-
créer une association au sens de la lection pour qu’un jeu remporte
loi allemande, je recrutai alors six le concours ?
personnes, en l’occurence des col- Les mêmes qu’aujourd’hui : un jeu
lègues à moi, devenus les premiers pouvant plaire aux familles et pas
membres du jury. Dans les années seulement aux joueurs experts, une
70, j’avais également écrit et ani- certaine qualité du matériel, quali-
mé quinze émissions de divertisse- té de conception, idées nouvelles,
ment pour la télévision allemande, règles claires.
ayant pour but de présenter les dif-
férents types de jeux existants. SHDC est une oeuvre atypique,
entre littérature et jeu. Com-
Avez-vous le souvenir des jeux ment fut-il selectionné parmi les
auxquels vous jouiez, à cette autres jeux, plus classiques ?
époque ? Ce choix fut en partie dû au fait
En 1985, huit ans après avoir re- que le docteur Juan Hartwig, chef
mis le prix pour la première fois, contre, au niveau international, le de projet de la société Kosmos,
son impact financier était déjà tel prix était encore assez méconnu. présenta le jeu à Bernard Thole et
que nous croulions sous les jeux à à mon avis, le fait que nous ayons moi-même, de façon extrêmement
essayer, envoyés par les éditeurs. créé une association, un genre de convaincante. Cela se passait lors
Nous n’avions donc pas beaucoup club amateur, a été l’une des causes des deuxième et troisième salons
de temps pour jouer à d’autres de notre réussite : il est inscrit dans d’Essen, à l’époque où ce salon
choses. Aussi loin que je me sou- les statuts de l’association qu’une était encore petit. Nous avons été
vienne, mes jeux préférés étaient personne retirant un bénéfice fi- tellement enthousiastes de ce nou-
le Go, le Rummikub, quelques nancier de l’industrie du jeu, ne veau genre de jeu que nous som-
jeux de cartes et d’autres que j’ai peut devenir membre du jury. En mes arivés à persuader les autres
oubliés, pratiqués avec mes filles, second lieu, le public avait besoin membres du jury de le sélectionner
âgées alors de dix et douze ans. d’une référence, un guide. Car la pour le concours.
Le choix du vainqueur fut-il una- d’arriver sur le marché. Cela ali- Pour cela, ce genre de jeu est sensé
nime ou plutôt partagé ? menta et enrichit nos discussions, mieux fonctionner en version jeux
Je ne me souviens pas des notes ob- comme vous pouvez l’imaginer. vidéos, joueur contre ordinateur.
tenues par chaque jeu. Mais, à cette
époque, le système prévoyait que Le jeu fut-il bien accueilli par le Que pensez-vous du SdJ, com-
chaque membre du jury donne cinq public allemand en 1985 ? paré à ses débuts ?
notes réparties entre les cinq jeux Non. En fait, il s’agit de notre plus Si l’on m’avait dit au départ ce que
nominés : 15, 10, 6, 3 et 1. Ainsi, gros manqué dans le choix d’un jeu deviendrait mon idée, je ne l’aurais
en faisant le total des points pour primé. SHDC était trop compliqué pas cru. Avec le temps, le prix n’a
chaque jeu, un titre avait peu de pour la plupart des joueurs ciblés cessé de prendre de l’importance et
chances de remporter l’unanimité. par le prix et notamment le public son organisation est devenue de plus
Avant cela, un pré-vote avait été familial. Les enquêtes étaient très en plus professionnelle. Au début,
effectué, fonctionnant sur le même difficiles à résoudre. De plus, pour nous étions quelques journalistes
système, afin que chaque membre que le jeu fonctionne au mieux, un idéalistes - la plupart écrivant pour
s’assure de ne pas être passé à côté joueur expérimenté devait diriger le plaisir pour tel ou tel magazine -
d’un jeu. Ce concept se base sur la la partie, en guidant les autres et ayant un “vrai” métier pour gagner
méthode de prévision dite Deplhi, en leur donnant des indices, au de l’argent. Aujourd’hui, plusieurs
que j’avais moi-même testé dans moment où il les sentait bloqués. membres sont des journalistes de
l’entreprise où je travaillais. Ap- Un peu comme un maître de jeu de presse salariés. Mais, le plus im-
pliqué au Spiel, un membre pou- Donjons & dragons. portant persiste, une règle stricte
vait se dire “si un collègue donne à laquelle nous nous sommes tou-
15 points à ce jeu, je vais éventu- Cela signifie-t-il que le jeu ne jours tenus : aucun des membres
ellement y rejouer et changer ma remporterait pas le prix s’il pa- ne tire de revenu de l’industrie du
notation”. Après ce pré-vote, fait à raissait de nos jours ? jeu. Cette règle, apportant au Spiel
titre indicatif, les membres débat- Tout à fait. Pas le Spiel des Jah- indépendance et crédibilité, est la
tirent et argumentèrent abondam- res, mais peut-être le Kennerspiel clef de son succès.
ment leurs points de vue. De plus, des Jahres, prix du meilleur jeu de
une rencontre avait été organi- l’année pour joueurs experts. Et WWW
sée précédemment, durant trois même pour eux, le jeu requiert un
jours, pour jouer aux jeux venant meneur éloquent et expérimenté. spiel-des-jahres.org
Par neriac & arnaud demaegd

Premiers pas
Du coté de Baker Street...
Neriac : trouver les dessins fondateurs
Quand Cyril m’a proposé de faire les illustrations intérieures du jeu, il m’a deman-
dé de faire du noir et blanc. L’idée me plaisait, parce que cela pouvait être l’occa-
sion de créer une ambiance visuelle particulière… et comme j’avais plutôt l’habi-
tude de faire de la couleur, c’était un exercice de style intéressant.
J’ai hésité entre plusieurs styles…
J’ai pensé à du dessin au trait, avec des hachures… une sorte de mix improbable
entre les illustrations à l’ancienne et les dessins de la BD From Hell. J’étais bien
tenté également par un style avec de grandes surfaces noires, au feutre… un peu
comme certains dessins de Mignola.
Et puis, j’ai essayé un style plus réaliste, inspiré par la photographie. J’ai griffonné
le soir-même l’ébauche de 3 dessins, les ai envoyés à Cyril… et on a vu qu’on
tenait l’ambiance qu’on imaginait pour ce jeu : un climat un peu sombre, mysté-
rieux, sans être horrifique.
Il fallait ensuite décliner cet univers...

Arnaud : étape 1: se jeter à l’eau


Un illustrateur de jeux doit savoir passer instantanément d’un univers à l’autre.
Au début de l’année 2011, j’ai jonglé avec Olympos, au dessin réaliste et aux
couleurs très vives, la réédition de Caylus, dans un style plus comique, et Détec-
tive Conseil, qui se devait d’être un jeu à l’ambiance forte et sombre. Pour ce
dernier, j’ai commencé par peindre l’illustration qui me semblait la plus
« facile », tant techniquement qu’au niveau de l’atmosphère, celle pour laquelle
je n’avais besoin d’aucune référence textuelle : l’image de la momie. Cela m’a
permis de me mettre vite dans le bain et de déterminer l’aspect du reste de mes
illustrations : un aspect à la fois réaliste (dans le trait) et théâtral (dans la mise en
scène), texturé, avec des tons rompus, salis.
Les visages
De Sherlock Holmes...

Arnaud : un Sherlock « réaliste » ?


Sherlock est à la fois un homme d’action, un ermite casanier capable
de résoudre certaines enquêtes sans quitter son fauteuil, et un dé-
sespéré qui se drogue pour tromper l’ennui.
J’ai essayé de montrer tous ces aspects dans son regard perçant, sa
mâchoire volontaire, son col ouvert, mais aussi à travers sa pâleur et
ses cernes violacées. Les objets qui l’entourent complètent le por-
trait, notamment les livres et almanachs, le boîtier contenant une
seringue, et le métronome, symbole de la perfection de son esprit.

Neriac : créer sans trahir… pas si facile


Une des premières questions quand on s’attaque à illustrer un jeu comme SHDC,
c’est : quel aspect vais-je donner à Sherlock Holmes ?
L’image du personnage est tellement ancrée dans la culture populaire par les
dessins, les films, les séries… que c’est presqu’une icône immuable.
Or, le personnage de Conan Doyle est assez différent de la représentation qui s’est
peu à peu imposée dans l’inconscient collectif : il est plus jeune qu’on ne l’imagine
(il a 27 ans quand il rencontre Watson en 1881 et a déjà résolu un millier d’en-
quêtes à 37 ans), il y a peu de chances qu’il ait beaucoup porté le fameux chapeau
(deerstalker), il ne fume sûrement pas le modèle de pipe qu’on lui prête, etc. etc.

Du coup, nous avons eu envie, avec Arnaud et


Cyril, de représenter le Sherlock Holmes
qu’on imaginait, tout en essayant d’être
proches du personnage de Conan Doyle.

Cela ne m’a pas empêché de dessiner quand


même un portrait plus habituel de Holmes
(voir ci-contre), mais nous trouvions intéres-
sants de ne pas l’enfermer dans la caricature
qui lui est souvent apposée.
Les brouillards
de la tamise...

Neriac : Evoquer le Londres de Holmes


Mon envie était de recréer la capitale victorienne, mais en essayant
de ne pas me limiter à la seule reconstitution historique : je voulais
faire de Londres-même un des éléments de l’ambiance du jeu…
J’ai essayé de créer une ville mystérieuse, où le smog et l’éclairage
des lampadaires projettent des ombres propices aux intrigues…

Arnaud : un peu de tourisme historique


Quand j’illustre un jeu au contexte historique, je fais
généralement des recherches assez poussées pour
essayer de « reconstituer » l’époque avec une cer-
taine fidélité. Dans le cas de la vue de la Tamise, par
exemple, j’ai dû étudier des cartes et me renseigner
sur la date (et la durée) de construction des diffé-
rents bâtiments, ce qui m’a amené à éliminer cer-
tains immeubles actuels et à placer des échafau-
dages sur d’autres. Je trouve particulièrement inté-
ressant de prendre un lieu actuel, comme Westmins-
ter ou la National Gallery, et d’essayer de déterminer
à quoi il pouvait bien ressembler à la fin du 19ème
siècle.
L’angleterre
victorienne...
Neriac : décors et personnages d’époque ?
Le bobby londonien, les rues éclairées au gaz, les murs
de brique tapissés d’affiches, les bas-fonds, les ruelles
et leur lot de miséreux et de prostituées… la bourgeoi-
sie des beaux quartiers, les gentlemen et les tenues de
soirée… sont autant d’éléments de l’imaginaire collec-
tif que j’avais envie d’invoquer.
Mine de rien, il y a eu pas mal de recherche documen-
taire derrière tous ces dessins, quitte à ne pas tout
utiliser et à s’autoriser parfois quelques approximations
dans l’intérêt narratif de l’image…
Mais je suis devenu un pro des chapeaux et des robes
des années 1880 et 1890 !

Arnaud : 1 stylo + 1 chaussure = l’Angleterre


Le facteur le plus important dans la réussite d’illustrations de ce genre, c’est l’ambiance. Cela
dit, une fois l’image composée à grands traits, il est temps de faire quelques recherches pour
éviter les anachronismes trop flagrants. Exemple : à quelle date les stylos plumes ont-ils été
créés et, s’ils existaient en 1890, à quoi ressemblaient-ils ? L’une de mes illustrations, représen-
tant une chaussure d’homme en gros plan, m’a aussi amené à me renseigner sur les modèles
qu’un avoué aurait été susceptible de posséder à l’époque.
Des crimes
Dans l’ombre...

Arnaud : le crime paie les illustrateurs


Même si le Sherlock Holmes de Conan Doyle enquête souvent sur
des vols et des supercheries, les affaires de Détective Conseil portent
pour la plupart sur des meurtres. Je me suis un peu creusé la cervelle
pour présenter ces enquêtes sans trop me répéter.
J’ai montré un corps sur la scène du crime, un cadavre à la morgue,
un livre ensanglanté, le quartier où se déroulent des meurtres, le
portrait d’une victime à travers divers objets lui ayant appartenu…
Afin d’éviter que les illustrations soient trop riches en indices, Cyril
m’a seulement fait lire l’intro des enquêtes. De cette manière, j’ai pu
poser une ambiance à partir d’un titre et d’une situation de départ
sans craindre de trop en dire.

Neriac : jouer avec les codes du roman policier


SHDC est avant tout un jeu d’enquête, et d’enquête criminelle.
Certes dans les romans et nouvelles de Conan Doyle, Sherlock n’enquête pas
que sur des crimes, mais le jeu est plutôt orienté vers cette partie de son acti-
vité. Il fallait donc donner une connotation « polar » à certaines de nos images
pour créer ce genre d’ambiance.
Je me suis donc amusé à jouer avec les codes de ce genre et notamment avec
les « armes du crime » : le pistolet, le coupe-papier, le pied-de-biche, le poi-
son dans la tasse de thé… et avec des références aux criminels eux-mêmes :
Moriarty, le génie criminel, le tueur en série façon Jack l’éventreur dont on
devine l’ombre menaçante… ou bien la bande criminelle à la « patron-
minette » (mais version londonienne, of course).
Les détails
holmésiens...
Neriac et Arnaud : les clins d’œil au « canon » �
Que ce soit sur la couverture ou à l’intérieur des livrets, nous nous
sommes amusés à intégrer des références à l’œuvre originale, des
détails sur Holmes et sa vie bien connus des passionnés du person-
nage. Il faut dire que Sherlock Holmes est un sujet particulièrement
riche en détails divers...

Le Diogenes Club est le


célèbre gentlemen’s club
de Mycroft Holmes, le frère
ainé de Sherlock.

Holmes joue du violon en robe de


chambre (la pourpre, la bleue ou la
grise ?) devant le mur de son apparte-
ment, sur lequel il a lui-même tiré…

Les impacts de balle forment les


Holmes a une méthode de rangement lettres VR (pour Victoria Regina… la
de son courrier… assez particulière : Reine Victoria).
cloué par un couteau à cran d’arrêt fiché
dans la tablette de sa cheminée.

Sherlock a pour habitude de garder son


tabac dans une babouche persane et ses
Le buste de Napoléon représenté ici sur
cigares dans un seau à charbon.
la cheminée de Holmes est une réfé-
rence à l’affaire des 6 Napoléon.

Contrairement à une idée reçue, Sherlock fume


aussi des cigarettes et des cigares… et il prise.
Quant aux modèles de pipes qu’il fume, il est
fait référence dans les écrits de Doyle à une
Watson est médecin, mais c’est aussi un
pipe en terre de couleur noire, une pipe de
ancien soldat de la couronne britannique,
bruyère ou encore une longue pipe en meri-
vétéran d’Afghanistan, qui sait se servir
sier… jamais à une pipe calebasse.
de son pistolet d’ordonnance.

Nous espérons que vous aurez autant de plaisir à découvrir les enquêtes

et à résoudre les énigmes que nous en avons eu à illustrer ce jeu...


mémoires
uête
Et une enq
a c’est
inédite ! ç
White flag
! 12 Fevrier 1891
L’affaire de la lettre piégée

Quand nous pénétrons au 221b Baker street, nous retrouvons Holmes en pleine réfle-
xion, devant la fenêtre de son bureau. La neige qui tombe dans la rue semble absorber
toute son attention, le laissant impassible à notre arrivée. Assis dans son fauteuil, le Dr
Watson interrompt sa lecture du Time’s pour nous faire signe de prendre place silen-
cieusement. Nous nous installons donc, dans l’attente d’un mouvement du plus célèbre
détective conseil de Londres. Après un court instant, Mrs Hudson introduit dans la pièce
l’inspecteur Lestrade. Au moment où nous nous levons pour le saluer, Holmes se retourne
et prend enfin la parole.
“Votre venue n’est pas tout à fait une surprise, inspecteur. Vous devez nous rendre vi-
site quant à la mort de Sir George Lewis, qui comptait parmi les riches dirigeants de la
compagnie d’assurance Lloyd. J’imagine que vous êtes sur le point de classer l’affaire en
concluant au suicide.”
“C’est exact, mon cher Holmes. L’affaire est d’une clarté évidente.”
“Dans ce cas, pourquoi nous la soumettre ?”
“Il se trouve que le coroner ne veut écarter aucune hypothèse, aussi improbable soit-elle.
Malgré mes conclusions, il persiste à envisager un possible meurtre et m’a implicitement
enjoint de confronter mon avis au vôtre.”
“Eh bien ! L’affaire doit être importante ! Installez-vous donc, inspecteur. Et exposez-nous
les faits, je vous prie.”
Après s’être assis dans un fauteuil libéré par l’un de nous, Lestrade tire de sa poche un
rapport de police. Mettant ses petits lorgnons sur son nez, il en débute la lecture.
“Voici le témoignage de Mrs Stewart, la gouvernante de Sir Lewis. L’ex-gouvernante,
devrais-je dire. C’est elle qui nous donna l’alerte, hier, aux alentours de midi.”

“Sir Lewis se réveilla vers 7h00, comme d’habitude. Les personnes de nos âges se lèvent
tôt, vous savez. Je lui servis son petit déjeuner à 8h30. Marmelade et jus de fruit. Nous
échangâmes quelques mots à propos du tournoi de bridge qu’il comptait disputer le soir
même, au cercle de jeu Baldwin. Vers 10h15, je lui apportai le courrier du matin : une simple
lettre, vierge, sans cachet ni adresse. Il était alors occupé à consulter des documents person-
nels, dans son bureau. Avant que je ne fus sortie de la pièce, il me retint pour me suggérer le
menu du déjeuner. Tout en discutant, il ouvrit distraitement la lettre. Mais, quand ses yeux
se posèrent sur son contenu, toute son attention en fut captée. Sa voix se coupa, net. Il devint
soudain blême, presque tremblant, haletant. Après quelques instants de complète paralysie,
ses esprits lui revinrent. Jetant un oeil par la fenêtre, il se raidit brutalement, comme s’il ve-
nait d’apercevoir quelque horreur, puis se précipita pour fermer les persiennes, dans le plus
grand affolement. Se rappelant enfin ma présence, il m’entraîna vigoureusement hors de la
pièce puis s’enferma à l’intérieur. Si j’avais su qu’il possédait une arme, j’aurais prévenu la
police aussitôt. Au lieu de ça, je retournai dans la cuisine, très inquiète. De temps à autre,
j’entendis des objets tomber sur le plancher, à l’étage. Enfin, à 12h15, un coup de feu reten-
tit. Je m’élançai vers le bureau aussi vite que mes vieilles jambes me le permirent, mais la
porte demeurait toujours fermée. La police enfonça la porte un peu plus tard et découvrit le
corps gisant par terre, le crâne défoncé par une balle de revolver.”
“Pouvez-vous me donner la fameuse lettre à présent, inspecteur, demande Holmes ?”
Sortant l’enveloppe d’un repli de son veston, Lestrade la tend à Holmes. Après l’avoir exa-
minée rapidement, celui-ci tire une cigarette de sa poche et la porte à sa bouche, sans
toutefois l’allumer. Pendant de longues minutes, nous restons suspendus à ses gestes,
tandis qu’il tire des bouffées de fumée imaginaires, en déambulant entre nous. Le Dr Wat-
son en profite pour poursuivre la discussion.
“Mrs Stewart était-elle au service de Sir Lewis depuis longtemps ?”
“Une dizaine d’année, selon ses dires.”
“Hormis la compagnie de sa gouvernante, Sir Lewis habitait-il seul ?”
“Oui. Il vivait seul depuis la mort de sa femme, il y a cinq ans. Et Mrs Stewart n’était pas
à demeure chez lui. Elle possède son propre appartement.”
Sur ces mots, Holmes saisit paisiblement son pardessus et son couvre-chef, s’apprêtant
visiblement à sortir.
“Déjà à pied d’oeuvre, l’interroge Lestrade, plutôt surpris ?”
“Si elle ne manque pas d’exotisme, répond Holmes, j’imagine que votre affaire doit être
assez simple à résoudre. Et vous pouvez avoir la certitude que mes chers amis vous ap-
porteront sous peu le nom du coupable, inspecteur... Regardez, Wiggins : pour une fois, le
coupable a eu l’amabilité de nous indiquer son identité !”
Un sourire en coin, Holmes nous donne le contenu de l’enveloppe puis quitte la pièce :

J’espere qu
e vous n’av
pas oublie ez
notre rendez
vous. Me re -
joindrez-vou
ou preferez s
-vous que je
passe vous
prendre ?

Mortlock
& fils 86, Great Portland Street
N°33251 LONDRES, JEUDI 12 FEVRIER 1891 Prix : 3 pence

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des six marins naufragés à Victoria souhaite rencontrer
bord du Glenmore à proximité l’homme au chapeau aplati, allemagne
du Cap Horn, le mois dernier. qu’elle contacte le journal, qui
transmettra. Le 7 février dernier, le quartier-
avis et annonces maître général von Schlieffen a
Paul. Ne puis plus attendre succédé au comte von Walder-
LA BOISSON AU CACAO CAD- votre retour davantage. Départ see, au poste de chef d’état-
BURY est facile à digérer, déli- Nouvelle Orléans confirmé le major de l’armée allemande.
cieusement goûtue et pleine 16 février. Andréa. Depuis sa participation à la
de propriétés bénéfiques à la guerre franco-allemande de
santé ! Autant de raisons expli- D&B. Suis de retour, comme 1870, l’officier von Schlief-
quant la popularité de la bois- promis. à bientôt. C.B. fen a gravi les échelons de sa
son au cacao CADBURY dans hiérarchie, en démontrant ses
le monde entier ! divertissements qualités, en matière de stratè-
gie militaire. Ses dernières dé-
Installé depuis plus de dix La compagnie internationale clarations sur la grandeur de
ans dans la capitale, Cyrus Agamemnon se produira du 20 l’empire allemand ont donné
MOCKBEE, voyant médium au 25 février au Théâtre Olym- un signe supplémentaire aux
de réputation mondiale, met à pia, 63 Middletown street SO, analystes internationaux, se-
votre service son don de clair- pour donner six représenta- lon lesquels l’Allemagne n’a de
Le time’s, JEUDI 12 FEVRIER 1891

cesse de se développer militai- considérablement enrichi en privées de la comtesse Henrica


rement, en vue de préparer une tant que dirigeant de la com- de Catalogne. Articles relevant
nouvelle guerre. pagnie d’assurance Lloyd. Son davantage du potin mondain
enterrement aura lieu samedi que d’une information digne de
portugal 14 février, à l’abbaye de West- publication. Je crois prendre
minster. la parole au nom de nombreux
Suite à l’ultimatum du 11 lecteurs réguliers en expri-
janvier 1890 exigeant le re- Climatologie mant un réel mécontentement,
trait des troupes portugaises doublé d’une certaine incom-
postées entre le Mozambique Le 21 février prochain, au Prin- préhension quant à ce choix
et l’Angola, le gouvernement cess Theâtre, une conférence éditorial. à persévérer dans
anglais poursuit les négocia- sera donnée par le profes- cette voie, la réputation de sé-
tions avec le général De Abreu seur Frédérick T. Brodie sur rieux du Times serait tôt ou
de Souza, promu président du la fréquence des brouillards, tard remise en cause. Votre dé-
conseil portugais, en octobre à Londres, pendant les an- voué serviteur. X.R.
dernier. Les pourparlers sem- nées 1871-1890. S’appuyant
blent avoir provoqué un sen- sur des relevés techniques, il y un nouvel
timent anti-anglais au sein fera la démonstration et énon- lloyd’s act ?
de la population portugaise. cera ses explications quant à
L’opposition a lancé un appel l’augmentation du nombre de Depuis que les contrats d’as-
au boycott de nos produits et jours de brouillard sur la pério- surance ont acquis une défi-
une souscription publique a de étudiée. nition légale en 1871, la Lloyd
même été organisée pour do- n’a eu de cesse de développer
ter le pays d’un croiseur. Des Le mort se relève ! ses activités. Aujourd’hui, la
émeutes contre la monarchie compagnie cherche des appuis
en place ont également éclaté Dans la nuit du mardi 10 au politiques afin de préparer un
au cours de ces derniers jours. mercredi 11 février, une tombe projet de loi visant à établir
a été profanée dans le cimetière un régime d’assurance con-
divers de Archbishop’s park. Le cer- tre les risques de maladie et
cueil a été vidé et le corps du de chômage. En contrepartie
Suicide dans les défunt demeure à ce jour in- d’une telle couverture, chaque
beaux quartiers ! trouvable. Selon les éléments employé gagnant moins de 160
receuillis, la police privilégie livres par an paierait une co-
Hier, un coup de feu a retenti la piste de vandales cherchant tisation de 4 pence par mois,
dans le quartier de Grosvenor à faire croire à la résurrection 3 pence pour l’employeur et
street, à l’heure du déjeuner. du mort, par supercherie. Le 2 pence à la charge des servi-
Selon le rapport de police, le gardien du cimetière a refusé ces fiscaux. Toutefois, le projet
coup de revolver a été tiré de de répondre à nos questions, est loin de faire l’unanimité.
la résidence située au 63 de la la police lui ayant visiblement S’exprimant récemment à ce
rue, une grande maison bour- ordonné de ne pas témoi- sujet, Mr Ormond, chef du parti
geoise appartenant à Sir George gner publiquement, tant que conservateur, a estimé que les
Lewis. Tout porte à croire que l’enquête est en cours. contribuables n’ont pas à sou-
l’homme s’est donné la mort tenir une telle charge. Les so-
après s’être cloîtré dans son lettre au rédacteur ciétés de secours mutuels ainsi
bureau. En effet, les policiers en chef du times que certains syndicats offrant
découvrirent son corps, alors déjà un système de protection
que les portes et fenêtres de la Monsieur, étant fidèle lecteur sont farouchement opposés au
pièce étaient encore fermées de du Times, je déplore la présence projet.
l’intérieur. La nouvelle a déjà d’annonces à mon sens fort dé-
fait grand bruit dans les hautes placées dans les colonnes d’un
sphères de la société car Sir journal dit d’information. Je
Lewis s’était fait un nom dans veux bien sûr évoquer les ar-
le milieu des affaires, s’étant ticles concernant les affaires
pistes

12 Fevrier 1891

L’affaire de la lettre piégée

“Il faut se méfier de la preuve par les circonstances. Elle semble


conduire tout droit à une seule conclusion ; mais si vous modifiez
votre point de vue, vous constaterez qu’elle conduit non moins
catégoriquement à une conclusion très différente.”

Sherlock Holmes
Quartier sud-est prenant Dieu à témoin et tout le bazar. Il dit
même qu’il reviendrait pour les punir, ou un
truc dans ce goût là, vous voyez. Une ver-
6 SE sion moderne de la malédiction du temple !
On n’avait pas l’habitude d’entendre ce genre
de menaces envers des magistrats ! Surtout
à l’image du parfait gentleman londonien, de la part d’un petit étudiant boursier, pour
évoluant avec élégance et finesse, Mr Aragon une banale affaire de cambriolage. Du coup,
nous reçoit dans son bureau, nous mettant il s’en tira avec une année de prison supplé-
parfaitement à l’aise pour évoquer la mort de mentaire !”
Sir Lewis.
“Je ne vois pas en quoi mon avis peut vous
intéresser, nous dit-il. Mais je suis tout dis-
posé à répondre à vos questions.”
38 SE
“Merci beaucoup, lui répond Wiggins. Nous Mrs Stewart est une belle femme se situant
aimerions d’abord savoir quel était l’objet du entre deux âges. La peine qui l’affecte ren-
rendez-vous qui aurait dû avoir lieu samedi, force la distinction qui émane de sa per-
entre Sir Lewis et vous-même.” sonne. Nous invitant à nous installer dans le
“Sir Lewis voulait m’entretenir du projet de salon de son petit appartement, elle s’absente
la Llyod concernant les nouveaux contrats quelques minutes puis revient vers nous, po-
d’assurance. Il savait que j’y étais opposé, sant un service à thé sur la table basse.
comme la plupart des membres du parti con- “Nous aimerions vous poser quelques ques-
servateur. Vous savez peut-être que Mr Or- tions concernant le témoignage que vous avez
mond, notre chef de file, est parti en cam- fait à la police, lui dit Wiggins. Nous travail-
pagne pour que ce projet n’aboutisse pas.” lons pour Mr. Holmes.”
“Oui effectivement. Nous l’avons lu dans la “Je suis heureuse que Mr Holmes vous envoie
presse. Dans ce contexte, comment Sir Lewis pour assister la police dans sa tâche, répond-
pouvait-il espérer vous convaincre ?” elle d’une voix mal assurée.”
“Il faudrait être naïf pour croire que la corrup- “D’ordinaire, un parent du défunt s’enquiert
tion n’atteint pas le milieu politique, n’est-ce de rendre visite à la police. Sir Lewis n’a-t-
pas ? Et votre question semble prouver que il aucune famille pour que vous ayez vous-
vous n’avez rien d’un naïf... Pour vous répon- même prévenu le Yard ?”
dre tout à fait franchement, je ne crois pas “Exceptée son épouse, Elisabeth, décédée il
que Sir Lewis m’aurait donné un rendez-vous y a quatre à cinq ans, je ne l’ai jamais en-
au grand jour dans le but de me corrompre. tendu évoquer le moindre parent. Sir Lewis
J’imagine que ce genre de tractation se fait le avait 65 ans. Il n’avait pas d’enfants et je pré-
plus discrètement possible. Les membres du sume que ses père et mère sont morts depuis
parti au gouvernement seraient plus aptes à longtemps.”
vous renseigner sur ces pratiques.” “Pouvez-vous nous décrire la scène du crime,
“Connaissiez-vous bien Sir Lewis ?” à l’arrivée de la police ?”
“Nous nous étions rencontrés à quelques re- “à la vue du corps, je ne me suis pas attar-
prises au parlement. Mais, il ne faisait pas dée, vous savez. Sir Lewis était étendu sur le
partie de mes proches.” flanc, le crâne défoncé. Le sang inondait le ta-
“Merci pour votre aide, Sir. Nous n’avons pas pis. Des litres et des litres avaient dû couler.
d’autres questions.” C’était horrible. Son revolver d’officier gisait à
“Je vous en prie, messieurs. côté de lui. Je me souviens qu’il m’avait par-
fois demander de le nettoyer. Si j’avais su à
19 SE quoi il servirait...”
à l’évocation des faits, Mrs Stewart s’inter-
rompt, les sanglots lui montant dans la voix.
“Si je me souviens de la condamnation de Tirant un mouchoir de sa poche, elle le porte
Barsky, s’écrie Maître Doty ?! Le procès se à ses yeux larmoyants.
déroula le 5 décembre 1870, exactement : “Nous sommes désolés, Mrs Stewart. Nous
c’est le jour où ma femme a fait ses valises savons que ces souvenirs sont frais et cruels
pour suivre ce vendeur de chaussures fran- mais nous aurions une dernière question, s’il
çais ! Faut dire aussi que le procès de Bar- vous plaît.”
sky fit grand bruit, à l’époque : quand le juge “Bien sûr, répond-elle, en se reprenant. Je
rendit la sentence, Barsky lança un genre de vous écoute.”
malédiction à ceux qui le condamnaient, en
“Avez-vous remarqué chez Sir Lewis le moin-
dre changement d’humeur durant les jours
90 SE
qui ont précédé sa mort ?”
En ces périodes de grand froid et de chute
“Depuis une semaine, il semblait très préoc-
de neige, le cimetière de Archbishop’s park
cupé, voire agité, par ses projets profession-
est généralement désert. Mais, l’article paru
nels. Il y travaillait tard et se démenait pour
dans le Time’s semble avoir donné du cou-
les faire aboutir, en rencontrant de nombreu-
rage à une poignée de curieux. Quand nous
ses personalités, que ce soit à domicile ou au
arrivons sur place, un sergent de police,
parlement. Samedi soir, par exemple, il me
chargé d’éloigner d’éventuels badauds, sur-
donna congès assez tôt. Je compris qu’il sou-
veille la tombe ouverte. Par chance, l’homme
haitait recevoir quelqu’un en mon absence.
nous a déjà croisé plusieurs fois au Yard
Je partis en retard et le fameux visiteur ar-
ou sur les lieux d’affaires criminelles. Aus-
riva en avance. J’eus le temps de le recon-
si nous aborde-t-il avec un entrain contenu
naître : il s’agissait du colonel Ormond. Au
mais réel.
lendemain, je remarquai à son visage que Sir
“Pourriez-vous nous parler de la tombe pro-
Lewis n’avait pas dû fermer l’oeil de la nuit.”
fanée, lui demande Wiggins ?”
“Merci, Mrs Stewart. Nous vous laissons en
“Que voulez-vous savoir ?”
paix, à présent. Portez-vous bien.”
“à qui appartenait cette tombe ?”
“Merci à vous, messieurs.”
“Un certain Charles Barsky. Un ex-tolard, je
crois. Un petit voyou qui n’a pas fait long feu,
65 SE on dirait. Regardez, c’est écrit sur la pierre
tombale : 1849-1871.”
“Le corps a-t-il été retrouvé ?”
Mr Riley est un petit homme corpulent dont
“Les restes du corps, vous voulez dire ! Un tas
le visage s’est laissé envahir de cheveux gris
de cendres, à mon avis. Le vandale qui a fait
et de poils de barbe en broussaille. Sa robe de
ça n’a surement pas eu de mal à les trans-
chambre un peu trop ample pour sa taille lui
porter, j’imagine.”
donne un air plutôt burlesque.
“Auriez-vous d’autres détails que l’article du
“Que voulez-vous les gars, nous demande-t-il
Time’s n’aurait pas mentionnés ?”
d’une grosse voix ?”
“Gardez-le pour vous, mais... à la place du
“Nous enquêtons sur la mort de Sir Lewis. Il
corps, nous avons retrouvé... une corde de
comptait parmi vos amis, n’est-ce pas ?”
pendu !... L’information a été dissimulée à
“Affirmatif. Nous avons fait nos armes en-
la presse pour ne pas inquiéter l’opinion et
semble, au Kenya. On a gagné nos premiers
aviver les peurs irrationnelles.”
grades à peu près en même temps. Puis, il
“Merci pour ces renseignements.”
a été blessé à la jambe, à cause d’une balle
“Au plaisir, messieurs.”
perdue... Il rentra en Angleterre. Pendant ce
temps-là, je fis carrière en combattant sur
tous les fronts, en Afrique. J’ai fini capitaine.
Lui a continué le combat sur un autre front :
Quartier sud-ouest
il a rencontré sa femme. Nous nous sommes
alors perdus de vue pendant des années.”
“Mis à part vous, avait-il gardé contact avec 2 SO
ses anciens camarades de l’armée ?”
“Pas à ma connaissance, même si l’on savait “Bien sûr que je connais Sir Lewis, nous dit
que certains d’entre eux habitaient Londres l’éxubérant Langdale Pike en riant. Mais,
aujourd’hui. En général, George évoquait peu il n’a jamais mis les pieds dans les soirées
le passé. Il était plutôt du genre secret, vous mondaines ! Aucune chance qu’il ait un jour
savez.” croisé la belle comtesse Henrica de Catalo-
“Connaissez-vous cette personne, lui de- gne ! Savez-vous qu’on ne parle que d’elle au-
mande enfin Wiggins en lui montrant la pho- jourd’hui ?”
to que nous détenons ?” “Je crains que son cas ne nous éloigne de
“Inconnu au bataillon.” l’affaire Lewis, lui répond Wiggins...”
“Merci, capitaine.” “Eh bien, vous devriez vous rapprocher des
“De rien, les gars. Bonne chance pour votre vivants, mon garçon, et un peu vous éloigner
enquête.” des morts...”
“Nous y songerons. Merci tout de même, Mr
Pike.”
8 SO 16 SO
Nous exposons à Mycroft Holmes les éléments Il nous est bien difficile d’obtenir quelques
rassemblés sur l’affaire Lewis et lui deman- informations sur les allers et venues de Sir
dons son avis. Lewis auprès des membres du parlement. à
“Au sein de la Lloyd, nous dit-il, Sir Lewis force d’indiscrétions, nous parvenons toute-
était l’instigateur du projet d’extension des fois à apprendre qu’un rendez-vous entre Sir
contrats d’assurance. Il s’est rendu au bu- Lewis et le député Aragon avait été fixé pour
reau du gouvernement pour soliciter une en- le samedi 16 février prochain.
trevue avec le premier ministre. Rendez-vous
lui fut fixé à une date distante de quelques
semaines. Un rendez-vous auquel il ne pour- 22 SO
ra plus se rendre... Malgré sa mort, le pro-
jet sera poursuivi par Mr Culligan, second Lorsque nous entrons dans son bureau, nous
co-dirigeant de la Lloyd. S’il ne s’agit encore trouvons Murray à quatre pattes, occupé à
que d’un avant projet, les pays voisins y sont chercher quelque objet égaré sur le sol.
d’ores et déjà très attentifs. L’Allemagne est “Bonjour Hoggins ! Qu’est-ce qui vous amène
en avance sur le sujet, suivie par l’Angleterre. ici, nous dit-il sans se détourner ?”
La France et l’Espagne sont à priori plutôt “Nous enquêtons sur l’affaire Sir Lewis...”
hostiles à la chose.” “Ah, oui ! Le Yard m’a demandé d’analyser
en urgence une bouteille de whisky retrouvée
sur le lieu du drame.”
13 SO “Et qu’en avez-vous conclu ?”
“Un single malt. La bouteille était à demi
Assis derrière son bureau, encombré de mille pleine. Un vingt ans d’âge, si vous voulez mon
dossiers et feuilles volantes, l’inspecteur Les- avis. Un Connemara.”
trade semble remplir un document officiel, “Y’avait-il trace de poison ou de quelque subs-
quand il lève la tête à notre approche. tance chimique insérée à l’intérieur ?”
“Alors, Wiggins ! Où en est donc votre en- “Pas moyen de s’empoisonner avec ça, foi de
quête, nous demande-t-il, avec une pointe Murray ! Ah, ça, non !”
d’ironie ?” “Merci, professeur.”
“Nous collectons les indices et il est encore “à votre service, Hoggins.”
tôt pour tirer nos conclusions, lui répond
Wiggins. à ce propos, le bureau de Sir Lewis
a été fouillé par vos services et nous aime- 54 SO
rions savoir si vous avez recueilli quelques
éléments intéressants.” “Envie de connaître l’avenir, messieurs,
“Rien de très instructif, ma foi. Nous avons nous demande Cyrus Mockbee ? Argent, san-
conservé l’arme ayant provoqué la mort, un té, amour : vous êtes bien tombés car rien
vieux Westley, calibre 475, en bon état de n’échappe à l’oeil mystique de Cyrus, l’initié !
marche ; une bouteille de whisky que nous Par ici, je vous prie.”
avons envoyée au labo, pour analyse ; et un Drapé dans une large toge africaine aux
morceau de papier à moitié calciné, retrouvé couleurs vives et bariolées, un caftan enroulé
parmi les cendres fumantes de la cheminée. sur la tête et des babouches orientales aux
Tenez.” pieds, ce londonnien pure souche nous invite
“Merci, inspecteur.” à le suivre dans sa cuisine. Posée sur le feu,
“Pas de quoi.” une casserole exhume une bonne odeur de
poulet aux épices, frémissant dans sa sauce.
“L’avenir ne nous intéresse pas véritablement,
lui dit Wiggins, avec un brin d’hésitation dans
la voix. Nous aimerions plutôt avoir des infor-
mations sur la personne photographiée sur
ce portrait.”
En saisissant une grande cuillère en bois, notre
médium pose son regard sur la photo. Puis,
fermant les yeux comme en s’assoupissant,
il plonge la cuillère dans la casserole et com-
mence à remuer lentement la sauce.
“Je vois un homme assis devant une chemi- “Messieurs ?”
née, annonce-t-il en prenant un vague acent “Bonjour Sir, lui répond Wiggins. Nous aime-
belge. à ses pieds est couché un grand chien rions vous parler de la mort de Sir Lewis.”
blanc. Une ombre est également présente, dif- “Faîtes-vous partie de Scotland Yard ?”
fuse. Une odeur de cuisine remplit la pièce. “Disons plutôt que nous aidons la police
L’homme tend une pomme de terre ! Elle dans ses enquêtes, en tant que détectives in-
symbolise la saveur de la vie !” dépendants. Nous connaissons personnelle-
Sans en attendre davantage, Wiggins règle ment l’inspecteur Lestrade, à qui nous avons
la consultation, remercie Cyrus Mockbee et rendu plusieurs services et qui pourrait nous
nous entraîne rapidement à l’extérieur. recommander.”
“Pas un mot de tout ceci à Holmes, messieurs, “Je répondrai officiellement aux questions
nous souffle-t-il une fois dehors.” de l’inspecteur Lestrade de Scotland Yard
s’il souhaite me les poser. Au revoir, mes-
sieurs.”
88 SO “Permettez-moi d’insister, Sir. Une simple
question...”
à notre arrivée, le cercle de jeu Baldwin Ne daignant même pas abaisser les yeux sur
n’accueille encore aucun client. la photo que lui tend Wiggins, Mr Bakerfield
“Il est encore un peu tôt, nous dit le barman. met un terme à la discussion.
En général, les membres du cercle se réunis- “Je fus juge durant toute ma carrière, mes-
sent après dîner. Si vous voulez faire des ren- sieurs. J’ai toujours pensé que les détectives
contres, nous organisons prochainement un privés sont les parasites de notre société. Vous
tournoi de bridge fort bien doté.” ne me ferez pas changer d’avis aujourd’hui.
“Le tournoi ne devait-il pas se tenir hier ?” Adieu, messieurs.”
“Si, tout à fait. Mais, suite au décès d’un
membre à l’initiative du tournoi, nous avons
décidé de lui dédier la soirée et de reporter 18 NO
l’évènement après son enterrement.”
“Vous voulez parler de Sir George Lewis ?” Sam Parsons nous remet un petit paquet
“Oui, exactement. Sir Lewis comptait par- dans lequel deux ours en peluche ont été
mi nos membres les plus anciens. Il avait rangés. Ils s’agit de modèles identiques mais
l’habitude de réunir trois vieux amis, une fois de tailles différentes.
par mois, autour de la table de jeu : messieurs
Diggs, Bakerfield et Riley. Avec sa mort, j’ai
bien peur qu’aucun d’entre eux ne continue 26 NO
à fréquenter le club. Vous savez, la réputa-
tion du cercle Baldwin a été construite en Le majestueux et très select hôtel Picadilly fait
partie grâce à ce genre de clients prestigieux face à la résidence de Sir Lewis. Quand nous
qui occupent les très hauts postes de notre pénétrons dans le hall d’entrée, quelques
société...” clients de passage nous dévisagent avec cet
“Nous ne sommes pas aussi prestigieux mais air de dédain qu’ont au naturel les gens des
nous aimerions faire un petit bridge autour classes aisées envers les plus modestes. N’y
d’un verre, s’il vous plaît.” prenant garde, nous nous dirigeons vers le
“Avec plaisir. Installez-vous, messieurs.” réceptionniste. Par effet de mimétisme am-
biant, il nous accueille d’une moue la plus
sinistre qu’il lui soit possible d’afficher.
Quartier nord-ouest “Bonjour, lui dit Wiggins, le plus aimable-
ment du monde. Nous cherchons cette per-
sonne. Pourriez-vous nous dire si elle réside
6 NO dans votre hôtel, actuellement ?”
à la vue de la photo tendue par Wiggins,
Le majordome de la maison Bakerfield nous l’employé redouble de mépris, démontrant
prie de patienter un instant, dans le vesti- qu’il pouvait en exprimer encore davantage.
bule. Il revient en compagnie d’un homme “Je reconnaîtrai ce regard noir et ses mous-
d’une soixantaine d’années, de haute et mai- taches mal taillées entre mille, messieurs. Ce
gre stature, vêtu de riches habits de soie. à jeune homme a réservé la suite n°7, du lundi
notre approche, ce dernier fronce le front et 9 février au jeudi suivant. Il a quitté l’hôtel
nous reçoit d’un regard sévère. hier, mercredi, aux alentours de 12h, sans
payer la note. Il n’est pas revenu depuis. Son
style vestimentaire ressemblait un peu au
86 NO
vôtre, voyez vous. Serait-ce l’un de vos amis
“Bienvenue, messieurs, chez Mortlock, pho-
ou peut-être un membre de votre famille ?”
tographes de père en fils, nous dit aimable-
“En réalité, nous ne l’avons jamais rencontré.
ment le patron de la boutique. Que puis-je
Auriez-vous son nom ?”
faire pour vous ?”
“Certainement. Et j’indiquerai volontiers son
“Nous aimerions avoir des informations sur
nom à quiconque me le demandera. Ce mau-
un portrait réalisé par vous, répond Wiggins
vais payeur s’appelle Charles Barsky. L’hôtel
en lui montrant le cliché en notre posses-
a d’abord porté plainte contre lui. Puis, la
sion.”
plainte a été retirée ce matin quand une dame
Exprimant un léger attendrissement, il
est venue payer la facture, à la place de cet
l’examine brièvement avant de s’adresser à
individu... à présent, vous me permettrez de
nous, sans équivoque.
prendre congès, car j’ai beaucoup à faire et
“Cette photo n’a pas été prise par moi, mais
peu de temps à perdre en discussions inu-
par feu mon père. Il est décédé il y a quinze
tiles.”
ans. Je ne pourrai vous en dire davantage.”
“Excusez-nous du dérangement. Merci pour
Le remerciant cordialement, nous décidons
votre aide.”
de prendre congès.

31 NO Quartier centre-ouest
“Le calibre 475 fut le pistolet de prédilection
des soldats britanniques, durant les luttes
coloniales en Afrique, nous apprend l’employé 5 CO
des établissements Westley Richards. C’est
une pièce de collection aujourd’hui. Il a été Quand nous montrons aux cochers la photo
remplacé par le calibre 490, dont le méca- remise par l’inspecteur Lestrade, l’un d’eux
nisme de percussion a été amélioré. Le risque se souvient avoir embarqué un client corres-
d’explosion est désormais quasiment nul.” pondant à notre homme.
“Voyons, dit-il. Oui, cela lui ressemble, je
crois. Je l’ai pris vers 12h, au coin de Clarges
63 NO Street, NO. La course nous mena sur Holborn
Circus, CE. Après m’être garé, je l’ai regardé
Le gardien de la paix Wilson nous conduit machinalement s’éloigner et descendre la rue
dans la pièce où le coup de feu a été tiré. Holborn Viaduct. Un autre client m’a alors
L’unique porte d’entrée a été enfoncée par la hélé et je suis parti.”
police, comme en a témoigné la gouvernante.
Les volets de l’unique fenêtre demeurent
clos. Chaque chose a été laissée à sa place, 8 CO
telle qu’au moment du drame. Un désordre
étonnant défigure littéralement la pièce. Au La gouvernante de Mr Diggs nous apprend
sol, gît le socle d’un verre brisé, ainsi qu’une que ce dernier est parti en voyage en Europe
bouteille de whisky vide ; apparemment tom- et n’en reviendra que dans plusieurs semai-
bés de la grande bibliothèque murale, des nes.
livres parsèment le sol, pages ouvertes ; une
vieille boîte de biscuit en métal rouillé repose
à l’envers, comme jetée par terre, sur le ta- 14 CO
pis maculé de sang ; près de la cheminée, un
fauteuil a été renversé. Après une rapide recherche parmi ses fiches,
“Tiens, tiens, dit Wiggins en soulevant une Disraéli O’Brian nous apprend que Charles
latte du plancher, située sous le tapis. Une Barsky a été condamné en 1870 à deux ans
cache secrète se trouve ici. Elle est vide...” de prison, pour cambriolage et menaces pro-
“...Et ce n’est pas tout, poursuit Simpson, en férées envers un magistrat. La fiche relate
examinant les cendres dans l’âtre, des photo- également sa mort, par pendaison, début
graphies ont apparemment été brûlées à cet 1871, dans sa cellule.
endroit. Malheureusement, il n’en reste pas
le moindre indice exploitable...”
17 CO Quartier centre-est
Parvenus au bureau d’archives de Somerset
House, nous prions l’employé de nous mon- 17 CE
trer le testament de Sir Lewis. Après quelques
minutes d’absence, il revient vers nous et Depuis la mort de Sir Lewis, Mr Culligan est
met le document à notre disposition. Outre devenu le seul dirigeant de la société Llyod.
le charabia légal habituel, une phrase épurée “Je n’ai que peu de temps devant moi, nous
nous révèle que l’entière fortune du défunt dit-il. Je vous prierai d’être brefs, mes-
est destinée à une certaine Mrs Sandra Le- sieurs.”
wis. Cherchant à connaître le lien de parenté “Très bien, Sir. Nous aimerions d’abord savoir
qui la relie à Sir Lewis, nous demandons à si Sir Lewis vous avait fait part de quelques
consulter le registre général des naissan- inquiétudes personnelles avant sa mort.”
ces. Après un nouvel aller retour, l’employé “Non, aucune inquiétude. Mais, il faut dire
nous apporte l’un des volumineux tomes que que nous étions très occupés à communi-
compte le registre. quer sur le projet d’extension des contrats
“Il semble que Mrs Stewart se soit trom- d’assurance. Nous n’avons pas eu beaucoup
pée en affirmant que Sir Lewis n’avait pas de temps pour nous-mêmes, ces jours-ci.”
eu d’enfant, dit Wiggins. Sandra est sa fille “était-il dépressif ?”
unique. Elle doit avoir 41 ans, si je me fie à la “Pas que je sache.”
date de naissance inscrite ici.” “Depuis quand le connaissiez-vous ?”
“Une trentaine d’années, environ.”
“Sa vie personnelle a-t-elle été bouleversée
54 CO par quelque évènement notable, durant ces
années ?”
Mr Ormond est un vieil homme de grande et Mr Culligan marque une hésitation, fouillant
forte stature. Son crâne rasé traversé d’une visiblement dans sa mémoire.
cicatrice profonde et son regard fixant lui “Exceptée la mort de son épouse qui le tou-
donnent un aspect assez inquiétant, nous cha profondément, désolé mais, je ne vois
mettant plutôt mal à l’aise. rien d’autre. Vous voudrez bien m’excuser, à
“Bonjour, messieurs.” présent. J’ai beaucoup à faire, messieurs.”
“Bonjour, Sir. Pourriez-vous nous accorder “Merci pour votre aide. Au revoir.”
quelques instants afin de discuter de l’affaire
Lewis, s’il vous plaît ?”
“Je vous écoute.” 30 CE
“Le connaissiez-vous personnellement ?”
“La vie nous fit se croiser à plusieurs repri- Le secrétaire de Mr Hellis nous apprend qu’il
ses. Mais, dès notre première rencontre, nous séjourne actuellement en France, afin de ren-
nous sommes très peu appréciés, lui et moi : contrer les rédacteurs en chef des quotidiens
divergence de valeurs.” nationaux.
“à quand remonte votre rencontre ?”
“à l’époque du conflit colonial au Kenya. Nous
étions tout deux jeunes soldats.” 35 CE
“Vos divergences de vue se sont poursuivies
jusqu’à aujourd’hui, semble-t-il.” “Bonjour, Wiggins. En quoi puis-je vous être
“Tout à fait. Sous couvert d’humanisme et utile, nous demande Quentin Hogg ?”
de bonnes intentions, le projet de la Llyod a “Avez-vous des pistes sur l’affaire Lewis ?”
pour seul but d’enrichir la classe aisée, au “Je ne me suis pas encore penché sur la ques-
détriment des plus modestes. Cupidité et ma- tion, mais il me semble qu’un article est paru
nipulation : les valeurs de Lewis.” il y a fort longtemps concernant la disparition
“L’avez-vous rencontré en particulier, au d’une personne proche de Sir Lewis.”
cours de ces derniers jours ?” “La personne fut-elle retrouvée ?”
“Ma dernière rencontre avec Lewis remonte “Je ne m’en rappelle pas, mais je vais essayer
à une dizaine d’années. Si nous nous étions de faire des recherches dans les archives du
rencontrés de nouveau, une balle se serait journal, en espérant vous en dire davantage
perdue, entre lui et moi.” la prochaine fois...”
“Merci, Sir. Ce sera tout.” “Merci pour votre aide, Quentin.”
“Je vous en prie, messieurs. Au revoir.” “Je vous en prie, Wiggins. à bientôt.”
36 CE sa cellule, à l’époque où j’étais moi-même
enfermé à Parkhurst. Je me souviens de lui
parce qu’il s’obstinait à toujours clamer son
Edward Hall est sur le point de partir plaider
innocence... Vous savez, quand on pose la
quand nous le croisons dans les coursives de
question à un criminel qui débarque en tôle,
Old Bailey.
il a plutôt tendance à dire ce qu’il a fait, his-
“Vous tombez mal, Wiggins. Je suis déjà en
toire de s’affirmer auprès de la population lo-
retard ! Que voulez-vous ?”
cale. Mais, pas ce gamin, là.”
“Nous enquêtons sur un certain Charles Bar-
“D’autres personnes de votre connaissance
sky qui a été incarcéré en 1870.”
pourraient-elles se souvenir de Charles Bar-
“1870 ! Désolé, mais je débutais à peine mes
sky ?”
études de droit à cette époque. Rendez-vous
“Ma foi, le gros Hogan Parson partageait sa
plutôt chez Eric Doty. C’est un vieil ami de
cellule au moment où le gamin s’est tué.
mes parents. Il plaidait en ce temps-là. Peut-
Mais, je ne sais pas ce qu’il est devenu depuis
être pourra-t-il vous aider. Allez, au revoir !”
tout ce temps. Je crois qu’il a quitté le pays il
“Au revoir et merci, Mr Hall !” y a longtemps ou un truc dans le genre. Il a
été libéré en 1872, suite à une réduction de
37 CE peine, je crois.”
“Merci Porky.”
“De rien, les gars. à la prochaine.”
Après que nous lui ayons montré sa photo
et indiqué l’heure présumée de la venue de
notre homme, l’employé télégraphiste nous 91 CE
montre une copie d’un message envoyé la
veille à destination du bureau du télégraphe “Je ne vous cache pas la gravité de l’affaire,
de Dublin, Irlande, à l’attention d’une cer- messieurs, nous dit Randel Ffoulke, coroner
taine Mrs Lewis. de Londres. Je présume que vous n’êtes pas
sans savoir que Sir George Lewis était l’un
11 février - Grand père parti. serai de des influents dirigeants de la Lloyd, société
retour bientôt. plan sûr. sois tran- qui a pour projet actuel d’étendre le domaine
quille. jim. d’application des contrats d’assurance. S’il
s’agit d’un crime lié à ces affaires, le scandale
sera d’envergure politique.”
38 CE “Des personalités hauts placées auraient-
elles joué d’influence auprès de vous quant à
Sir Jasper Meeks nous explique que la balle la conduite de l’enquête ?”
qui fit exploser le crâne et arracha une par- “Ne jouez pas l’idiot avec moi, Wiggins. Rap-
tie du visage de Sir Lewis fut tirée à même portez-moi simplement vos conclusions au
la tête, le canon du revolver appuyé sur la plus vite, je vous prie.”
tempe. “Très bien, sir.”
“Le corps ne révèla aucune anomalie notable,
nous dit-il, excepté un taux très élevé d’alcool
dans le sang.”

52 CE
“L’affaire Lewis, interroge Porky ? Il vaudrait
mieux fouiner dans les beaux quartiers, les
gars. Peu de chances que vous trouviez un
indice dans une ruelle sombre de la ville !”
“Probablement, lui répond Wiggins. Mais,
nous suivons également la piste d’un certain
Charles Barsky, qui aurait séjourné en pri-
son, il y a longtemps.”
“Attendez un peu... Ce nom me dit quelque
chose... Si ma mémoire est bonne, je dirais
qu’il s’agit de ce gamin qui s’est suicidé dans
énigmes

12 Fevrier 1891

L’affaire de la lettre piégée

“Mieut vaut parfois des balivernes claires qu’une vérité


brumeuse, dit Holmes à Lestrade, en riant.”
! Ne
Attention
ette page
lisez pas c
oir fini
avant d’av
r!
d’enquête

questions
Première série Seconde série

1. Qui a envoyé à Sir Lewis la lettre contenant 1. Comment Mr Barsky est-il mort ? 10 points
le portrait mystérieux ? 10 points 2. Quel est le motif de sa mort ? 10 points
2. Qui a tiré sur Sir Lewis ? 10 points 3. Qui a profané sa tombe dans le cimetière
3. Quel est le motif de sa mort ? 30 points d’Archbishop’s park ? 10 points
4. Pour quelle raison le témoignage donné de 4. Quelle est l’identité des personnes contre qui
vive voix par Mrs Stewart est-il incohérent face il lança sa malédiction, lors de son procès, en
à celui donné à la police ? 10 points 1870 ? 10 points
5. Pourquoi a-t-elle agi ainsi ? 20 points

réponses
Première série (10 points). Elle est venue d’irlande à la recher-
che de son fils afin de l’empêcher de se venger
(10 points).
1. Jim Lewis, petit fils de Sir Lewis. 10 points
2. Sir Lewis s’est suicidé. 10 points
3. Il s’est tué par remords, à cause du meurtre Seconde série
de Charles Barsky, (10 points) mais aussi sous
l’effet de l’alcool dont il avait abusé (5 points) et 1. Il a été assasiné dans sa cellule de prison,
surtout, terrifié à l’idée que le fantôme de Bar- par son co-détenu, Hogan Parson. 10 points
sky venait le punir (15 points). 2. Sir Lewis voulait le faire disparaître afin que
4. Car il s’agit de Mrs Sandra Lewis. 10 points sa fille abandonne le projet de l’épouser. 10
5. Elle se fit passer pour Mrs Stewart, en sé- points
questrant celle-ci dans son appartement et en 3. Jim Lewis, son fils. 10 points
donnant de fausses pistes aux enquêteurs, 4. Sir George Lewis, Woodmark Bakerfield et
pour qu’ils ne retrouvent pas son fils avant elle Harold Diggs. 10 points

Holmes a résolu cette enquête en suivant 14 pistes : Sir George Lewis (63NO), l’hôtel Picadilly
(26NO), le cercle de jeu Baldwin (88SO), Woodwark Bakerfield (6NO), Mrs Stewart (38SE), Regi-
nald Ormond (54CO), Archbishop’s park (90SE), Scotland Yard (13SO), le bureau d’archives de
Somerset House (17CO), le dépôt central des voitures (5CO), le bureau du télégraphe (37CE),
Edward Hall (36CE), éric Doty (19SE) et Porky Shinwell (52CE).
SOLUTION

12 Fevrier 1891

L’affaire de la lettre piégée

La nuit est tombée sur Baker street quand nous sommes de nouveau réunis, en compagnie du Dr
Watson et de l’inspecteur Lestrade. Nous en profitons pour échanger nos conclusions, entre faits
établis et incertitudes. Holmes, jusqu’alors occupé à entretenir le feu dans la cheminée, prend
enfin la parole.

“Comme je vous l’ai souvent répété, rien de plus trompeur qu’un fait évident. Ceci étant, il serait
absurde d’exclure que l’évidence puisse aussi exprimer la vérité. Et, ce fut précisément le cas dans
cette affaire. Vous serez donc rassuré d’apprendre, inspecteur, que je suis parvenu à la même
conclusion que vous.”
“Le suicide de Sir Lewis, conclue Lestrade, triomphant.”
“Suicide, dans le sens où il appuya lui-même sur la détente de son revolver, reprend Holmes.
Meurtre, si l’on considère qu’il fut conditionné pour se donner la mort. Par souci de clarté, vous me
permettrez d’expliquer l’affaire de façon chronologique... Tout débuta en 1870. Mrs Sandra Lewis,
fille de George Lewis, s’éprit d’un jeune homme peu fortuné répondant au nom de Charles Barsky.
Quand Sir Lewis apprit la liaison de sa fille, il fut hors de question de lui faire prendre pour époux
un petit étudiant, dénué de richesse personnelle. Pour lui faire oublier Barsky, Lewis lui imposa
un mari respectable, en la personne du fils d’Harold Diggs, un vieil ami de la famille. Mais, comme
les amants s’obstinaient à vouloir s’unir à tout prix, Lewis, grâce à des amis influents de faible
moralité, mit sur le dos de Barsky une affaire de cambriolage, afin de l’éloigner de sa fille.”
“Le préfet de police de l’époque l’y aida-t-il, demande Watson ?”
“Probablement, mon ami, mais ce n’est pas tout. Lors de son procès, Barsky fut rapidement con-
damné par le juge Bakerfield, un autre ami de Lewis. On enferma l’innocent dans une cellule de la
prison de Parkhurst, en compagnie d’un criminel dangereux, Hogan Parson. C’est lui qui assasina
Barsky quelques semaines plus tard et maquilla le meurtre en suicide. Pour ce service rendu,
Parson quitta la prison, suite à une remise de peine... Le mari idéal, fils d’Harold Diggs, aurait pu
alors épouser Mrs Sandra Lewis, comme le plan du père le prévoyait. Mais, elle s’enfuit alors en
secret et s’exila en Irlande, sans que personne ne put jamais la retrouver. Le mariage n’eut donc
pas lieu et personne ne sut alors qu’elle était enceinte... Les années passèrent. Jim lewis, fils de
Sandra Lewis et feu Charles Barsky, naquit en Irlande. Vingt ans après ces faits, Jim apprit la
vérité et le désir irrésistible de venger son père l’envahit. Quittant sa mère en secret, il se présenta
à Londres récemment, ayant établi son plan d’attaque. Désirant déguster sa vengeance lentement,
il prit soin de sa mise en scène, afin d’inspirer la terreur à ses victimes et obliger les souvenirs à
ressurgir. Ainsi se rendit-il d’abord au cimetière d’Archbishop’s park pour y déterrer les restes de
son père et jeter dans le cercueil une corde de pendu, en mémoire de sa mort. Puis, il glissa dans
la boîte aux lettres de son grand père la fameuse lettre contenant le portrait de Barsky, son père, à
l’âge de vingt ans - portrait lui ressemblant terriblement. Au moment où Lewis ouvrit la lettre, Jim
se trouvait de l’autre côté de la rue, à l’une des fenêtres de l’hôtel Picadilly, faisant face à la fenêtre
du bureau de Lewis. Se rappelant la malédiction lancée par Barsky lors de son procès, Lewis
commença à paniquer. Quand il crut appercevoir par la fenêtre Charles Barsky lui-même, tel un
revenant, sa panique se changea en terreur. Il se cloitra soudain dans son bureau, commença à
entamer sa réserve de whisky, brûla les photos de sa fille qu’il conservait dans une vieille boîte de
biscuit, cachée sous une latte du plancher. Finalement, entre l’ivresse, la terreur et quelques pos-
sibles remords, il se suicida d’un coup de revolver.”
“Mais alors, Jim Lewis va vouloir s’en prendre au juge Bakerfield et à Mr Diggs, s’exclame soudain
Lestrade, en se levant d’un bond !”
S’habillant rapidement, il quitte la pièce en trombe, oubliant même de nous saluer.
“Tout paraît se tenir, en effet, poursuit Watson. Mais qu’en est-il des propos tenus par Mrs Stewart
à son appartement, en contradiction avec la déposition faite à la police ?”
“En effet, quand je me rendis chez Mrs Stewart, la gouvernante de Lewis, je relevai plusieurs
incohérences. Je m’attendais d’abord à rencontrer en elle une vielle femme, quand le rapport
évoquait ses vieilles jambes ou son âge, proche de celui de Lewis. Mais surtout, elle me parla du
revolver d’officier de Sir Lewis alors qu’elle avait affirmé dans sa déposition ne pas savoir qu’il
possédait une arme... Après quelques recoupements et notamment une visite chez Mr Ormond, je
compris que tout ce que Mrs Stewart put me déclarer n’était que mensonges et fausses pistes : la
présumée visite d’Ormond et le fait même que Lewis n’avait pas eu d’enfant.”
“Pourquoi donc aurait-elle menti après avoir déclaré la vérité ?”
“Pour la simple et bonne raison que cette prétendue Mrs Stewart, rencontrée à son propre domi-
cile, voulait nous éloigner de la piste du jeune Jim Lewis, afin qu’elle puisse mettre la main dessus
avant nous. Et qui d’autre qu’une mère aimante pourrait prendre un tel risque, en séquestrant
chez elle la véritable Mrs Stewart ?”
“Mrs Sandra Lewis !”
“Elle-même. Peut-être aura-t-elle retrouvé et raisonné son fils à temps. Dans le cas contraire, la
surveillance de ces hauts malfrats que sont Bakerfield et Diggs pourrait mener la police à Jim
Lewis...”
Sur cette conclusion, Holmes appelle alors Mrs Hudson, la conviant d’apporter le diner.
“à présent que cette affaire est résolue, j’espère que vous me ferez l’honneur de partager le repas
avec nous, mes amis ! Mrs Hudson a préparé une de ses spécialités : poulet aux épices à l’orientale.
Un pur régal !”
ANTOINE BAUZA

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