13 & 14 Points-De-Vue-Initiatiques 1974
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13 & 14 Points-De-Vue-Initiatiques 1974
DE VUE
INITIATIQUE S
SOMMAIRE
DU NUMERO 33 34
(Nouvelle série No 13-14)
Pages
Charles Baudelaire 35
Les Livres 50
3
par ses Grandes Constitutions et gouverné par ses Suprêmes
Conseils nationaux. Ceux-ci vont nouer entre eux des relations de
plus en plus étroites et tenir à Lausanne, en 1875, un mémorable
Convent qui rendra manifeste l'unité et l'universalité du Rit en
publiant une Déclaration de Principes.
dont la docilité lui était tout acquise. Aussi l'on ne voit pas que
sous le Consulat et l'Empire les fidèles, les prêtres, les prélats
francs-maçons aient eu maille à partir avec l'autorité ecclésias-
tique. En 1818 encore Louis XVIII nommera à l'évêché de Beauvais
son aumônier Mgr de la Châtre, reçu maçon sous Louis XVI.
A partir de 1821, au contraire, les hostilités vont se rouvrir
après soixante-dix ans d'accalmie, et tous les papes du XIX° siècle
fulmineront l'un après l'autre contre l'Ordre des bulles d'excommu-
nication. Conscients de leur innocence, les maçons catholiques
ne s'en émouvront d'abord guère, et les démissions seront rares,
Mais peu à peu les fidèles pratiquants cesseront de demander à
être admis dans les Loges, dont la composition finira par s'en
trouver radicalement modifiée.
Un certain nombre d'entre elles n'en deviendront que plus
réceptives aux bruits de la cité, aux appels de la liberté plus
sensibles aussi aux incursions de plus en plus insistantes du clergé
dans le domaine politique. En Belgique, puis en France certaines
finiront par trouver intolérable l'obligation traditionnelle de tra-
vailler à la qloire du Grand Architecte de l'Univers. Cette orientation
nouvelle affectera aussi bien les ateliers relevant du Suprême
Conseil que les Loges du Grand Orient mais elle entraînera
pour chacune des deux obédiences des conséquences bien dif-
férentes, notamment en ce qui concerne leurs relations avec les
Maçonneries étrangères.
Telles furent les grandes lignes d'une évolution qu'on va
maintenant décrire plus en détail.
5
I
DU REVEIL DU SUPREME CONSEIL DE FRANCE
AUX TROIS GLORIEUSES
FRANC-MAÇONNERIE ET SOCIETES SECRETES POLTIOUES (1)
6
Amalgame explicable cependant, dans la mesure où les
sociétés secrètes politiques tentaient alors de pénétrer la Maçon-
nerie. Mais qu'en était-il exactement ?
7
dix ans plus tard Barruel (4) devait lui attribuer un rôle de premier
plan dans son imaginaire complot des arrière-loges
Mais la publicité posthume que lui assurait ainsi un « best
seller allait lui susciter plus d'un imitateur, après que la Révolu-
tion eut montré qu'on pouvait renverser un trône, et que Bona-
parte en eut érigé de nouveaux.
C'est en effet pour conspirer contre l'Empereur ou les souve-
rains de sa famille, et parfois... pour restaurer les Bourbons, que
se formèrent les premières sociétés secrètes politiques du XlX
siècle. Tel l'Ordre des Chevaliers de la Foi, institué en 1809 par
le comte Ferdinand de Bertier, fils de l'intendant de Paris mas-
sacré en 89. Deux ans plus tôt les frères de Bertier s'étaient,
comme Weishaupt, fait recevoir maçons pour mieux connaître
l'organisation des Loges. Leur société comportait cinq grades, et
avait pour cellules de base des « bannières « départementales.
Elle avait pour Grand Maître un Montmorency on y trouvait deux
Polignac, un Noailles, un Fitz-James, un Vibraye, et probablement
Chateaubriand. En 1814 elle joua un rôle non négligeable dans
le rétablissement de la monarchie (5).
Il semble aussi que les premiers carbonari de Naples, des-
cendants d'une inoffensive fraternité bien attestée en Franche-
Comté à la fin de l'Ancien Régime, (celle des Bons Cousins Char-
bonniers), aient d'abord lutté, sous Murat, pour la restauration
des Bourbons-Sicile. Mais quand Ferdinand IV eut retrouvé son
trône au lendemain de Waterloo, ils se lancèrent dans une lutte
ardente pour la conquête de libertés constitutionnelles, et c'est
alors qu'ils s'insinuèrent dans certaines Loges italiennes.
Le plus grand des émules franco-italiens d'Adam Weishaupt
fut sans conteste Philippe-Michel Buonarroti, un patricien toscan,
arrière-neveu de Michel-Ange et robespierriste avéré, qui avait
obtenu la nationalité française par décret de la Convention, puis
fomenté sous le Directoire, avec Gracchus Babeuf, la Conspiration
des Egaux. Il avait compris la puissance que pourrait avoir une
action politique utilisant les formes et la renommée de l'Ordre
B
maçonnique assigné à résidence à Genève en 1806, il entra
dans une loge du Grand Orient, celle des Amis sincères, dont il
devint le Vénérable. lI y célébrait chaque mois l'une des fêtes
patriotiques qu'avaient instituées les Jacobins, celles de la Liberté,
de l'Egalité, de la Sagesse... Mais sa tentative tourna court. Dès
1811 les autres Loges de Genève s'émurent de ces applications
contraires au but maçonnique, qui est étranger au système poli-
tique « et le préfet ferma celle des Amis sincères. Après cela
Buonarroti dirigea ou fonda des sociétés secrètes politiques dont
seule la forme était maçonnique les Sublimes Maîtres Parfaits,
:
9
Bien mince apparaît, au total, le dossier qu'avait pu réunir
en 1821 le Vatican pour assimiler la Franc-Maçonnerie toute entière
au carbonarisme politique. Aussi lui faisait-il, de plus, grief d'ad-
mettre dans son sein des hommes de toutes confessions, lui impu-
tant à crime, sous le nom d'indifférentisme, l'esprit de tolérance
qui la caractérisait en effet aux yeux de Pie Vil et de ses suc-
cesseurs, c'était pour un catholique pactiser avec l'erreur, mettre
en péril la vraie religion et son propre salut que nouer des rela-
tions fraternelles avec des hérétiques, des juifs ou de simples
déistes. Cette première condamnation n'eut cependant que peu
d'échos, et ce n'est guère qu'à la fin du Second Empire que la
répétition de telles attaques commença de transformer bien des
loges françaises en foyers d'anticléricalisme, voire d'hostilité
envers l'Eglise catholique.
Dans les dernières années de la Restauration c'est plutôt à
la liberté politique qu'elles se montrent de plus en plus attachées.
Aussi le pouvoir royal les soumet-il à une surveillance policière
fort étroite, mais sans leur retirer le droit de se réunir la pré-
:
Il
refusaient de se soumettre à l'autorité du Grand Orient. Il est de
fait qu'en 1834 celle du Suprême Conseil ne s'exerçait que sur
14 ateliers actifs. Mais le prestige du Rit se mesurait plutôt au
rang et à la qualité de ses dirigeants leur tenace volonté de
;
12
Maçon doit étudier sans cesse et s'efforcer constamment de
pratiquer... Tout Maçon est nécessairement un homme fidèle à sa
foi. à son prince, à sa patrie et soumis aux lois... li est expres-
sément interdit de provoquer ou d'entamer en Loge des discussions
politiques ou religieuses.
De son côté le Grand Orient a adopté en janvier 1848 un
rapport intitulé : Comment rendre à la Franc-Maçonnerie le carac-
tère religieux qui lui est propre ? « L'année suivante il placera en
tète de sa nouvelle Constitution cette formule
La Franc-Maçonnerie, institution éminemment philanthro-
pique. philosophique et progressive, a pour base l'existence de
Dieu et l'immortalité de l'âme.
Il est encore exceptionnel que des incroyants soient reçus
maçons. Tel Proudhon, qui, candidat en 1847 à la Loge écossaise
La Sincérité de Besançon, avait à la question ' Que doit l'homme
Dieu ? « répondu La guerre - et néanmoins avait été admis.
'.qais plus tard il devait écrire Le Dieu des Maçons... c'est la
:ersonnification de l'Equilibre universel Dieu est Architecte
:
La deuxième République
Sitôt après les journées de Février, le Grand Orient envoie
à l'Hôtel de Ville une délégation dont les membres, revêtus de
surs insignes, sont reçus au nom du Gouvernement provisoire
:ar Adoiphe Crémieux, Garnier-Pagès et Armand Marrast, tous
:-is Maçons. Quatre jours plus tard une autre délégation spon-
:anée. conduite par le 33 écossais Jules Barbier (6), sera
-cue par Lamartine. Dans les allocutions enthousiastes qu'on
:iange en ces occasions apparaît pour la première fois, croyons-
-: la légende suivant laquelle la devise républicaine Liberté,
E:aité. Fraternité - aurait été de tout temps « celle de la
-anc-Maconnerie. Lamartine (qui n'était pas Maçon) se déclare
: s justement convaincu que c'est du fond de vos loges que
snt émanés d'abord dans l'ombre, puis dans le demi-jour et enfin
Teine lumière, les sentiments qui ont fini par faire la sublime
z: :sion dont nous avons été témoins en 1790... «. Il conclut
LA SEPTIESME REPUE
17
Près Mont faulcon, c'est chose sceue,
Et dira y la desconvenue
Qu'il advint à de fins ouvriers
Aussi y sera ramenteue
La finesse des escolliers.
21
La septiesme repue franche
de François Villon
Commentaire du texte
INTRODUCTION
loge n'est plus qu'un simple local, bon pour tout faire, travailler
ou forniquer.
I
fut point pendu, car on lui fit grâce de la vie, ayant pris en consi-
dération e fait qu'il était cocu (58).
Les intellectuels, chercheurs, scientifiques de tous ordres,
vont recueillir les éléments de science et tenter d'en dégager
au cours des siècles suivants les principes fondamentaux.
Holywood publie en 1523 un livre intitulé Algorism dans
:
23
I,
24
-e lui pardonnèrent point les preuves expérimentales qu'il
-a à l'appui du système de Copernic et le laissèrent poLirrir
un cachot.
25
Les Compagnons du métier vont conserver intacte leur technique
de taille des pierres ou stéréotomie (16).
Ce retour au classicisme » des constructeurs va provoquer
une sorte de scission dans la corporation.
Les Compagnons vont survivre en tant que groupement, mais
leur lien ne sera plus la grandeur de la tâche. Ils vont cesser de
regarder le ciel pour considérer les hommes et la Cité.
Il ne faut point dauber sur des hommes qui en baissant la
tête ne virent plus que le reflet des étoiles dans une assiette
de soupe. Ils furent les premiers à concevoir la solidarité humaine,
et ils en formuleront les lois d'application. C'est de leurs caisses
de secours et de l'obligation de visiter les malades que naîtra
la fonction d'hospitalier dans la Loge, que les obédiences élar-
giront à la dimension de caisses de secours à vocation générale
d'où, par la suite, procèderont les Compagnies d'Assurances, qui
se donneront toutes le nom d'une Loge.
Ensuite, viendront les Assurances sociales dont la première
forme fut expérimentée par les Francs-Maçons du Rite Ecossais
Ancien et Accepté en 1894. lI n'est que de relire les statuts de
la « Société de secours des Francs-Maçons 8, rue Puteaux à
Paris « pour en être convaincu (29).
Les Compagnons vivant, comme Villon le décrit, les registres
de police (18) seront témoins, sans discontinuer, du XVe au XIX»
siècle de leurs écarts de conduite, mais à aucun moment la pos-
session de leur part d'un secret scientifique n'apparaîtra (19) (20).
Seule une technique, presque un tour de main : Le Trait, forme
très élémentaire de Géométrie descriptive fort bien adapté au
tracé des charpentes de bois et à la taille des pierres (21) (22) (23)
forme le fond des secrets compagnonniques des deux branches
rivales : Les Enfants de Maître Jacques, ou Compagnons du
Devoir, toujours attachés au pèlerinage de Saint-Jacques de Com-
postelle, et les Enfants de Salomon, Compagnons du Devoir de
Liberté, ou Compagnons Etrangers, descendants des constructeurs
de forteresses en pays musulman (49).
Ces deux courants compagnonniques vont tant bien que mal
vivre côte à côte sur le chemin de Saint-Jacques, au moins jusqu'à
Saint-Gilles du Gard, et à la Sainte Baume (48).
Les Enfants de Salomon, roi juif, constructeur du Temple de
Jérusalem, vont être les supports de la tradition biblique, dont on
26
I
e -:rouvera maints témoignages dans le symbolisme maçonnique
partir de l'Empire.
L'autre courant du Compagnonnage va demeurer sur la terre
--e et continuer de cheminer en direction de l'Espagne, tout
s -oins jusqu'au XVIIIe siècle, car au XlXe siècle, Agricol Perdi-
e - -:-- limitera son Tour de France aux seules routes intérieures.
Pourtant c'est du voyage en Espagne que le Compagnonnage
a Dportera le symbolisme de l'Etoile, car, à l'aller, les Chemins
:e Saint-Jacques se réunissent en Espagne, en un petit bourg
e, :nt le nom est en espagnol La Estella « à partir duquel il
s existe qu'un seul chemin : El Camino Frances pour aboutir
saint-Jacques. Au retour, à partir de ce village, il faut toujours
r- :der '[toile, c'est-à-dire la Polaire, pour retourner en France.
e ' est donc Compagnon que celui qui après avoir suivi La Route
ii aix Etoiles « en se retournant connaît l'Etoile qui lui sert de
.jide. et lui permet de retourner à son point de départ.
e Pendant toute cette période couvrant approximativement la
s oériode qu'il est convenu d'appeler la Renaissance, les maîtres
e = uvre vont entrer en contact avec des savants vivant retirés
à : monde, en ermites de la science.
Sous couvert de l'alchimie ils vont faire progresser la science
S .Dérimentale, et la science appliquée, par exemple les techni-
< :s de calcul (44), réalisant la liaison entre les mathématiques
:éalistes héritées des Grecs et les applications pratiques permet-
:ant dobtenir un résultat déterminé d'avance,
En assimilant des forces à des grandeurs, ils vont transformer
s mathématiques (45), la géométrie (46), la mécanique (47), pour
faire des éléments de culture (28) empiétant ainsi sur le do-
u aine jusqu'alors réservé à la Scolastique et à ces messieurs de
1-
Sorbonne.
e De très grandes découvertes résulteront de cette conjonc-
tion des maîtres d'oeuvre et des savants (40), mais, l'exemple de
Galilée étant là pour rendre prudent, elles ne seront connues
:j'aux alentours du XVII" siècle (41) (42) (44).
a
Ils vont donc oeuvrer à l'abri d'une science officielle l'Alchi-
:
27
I
ment sera le fait de la méthode expérimentale introduite dans
l'analyse des phénomènes physiques par Lavoisier.
Contrairement à une opinion trop répandue, l'Alchimie ne fait
jamais appel à la magie, mais demeure constamment dans le
domaine expérimental. Aucun alchimiste même parmi les religieux,
et il en fut, à commencer par au moins un pape, Jean XXII, ne fait
appel à la prière pour obtenir un résultat.
Entre les Alchimistes des rencontres s'organiseront, des liens
ne manqueront pas de se nouer, des groupes manifesteront leur
existence (31), certains de façon particulièrement éphémère (32)
(33).
28
s Loges écossaises qui vont, les premières, devenir spéculatives. Or,
nous savons que la présence des [cossais en France se manifeste
dès le XVlI siècle, tant à Saint-Germain-en-Laye qu'à Aubigny-sur-
it 'e-e dont la Loge sera inscrite officiellement sur les registres de
e Grande Loge d'Angleterre en 1735, alors que la création de la
K,
-ande Loge dEcosse date de l'année suivante, le 30 novembre
it à [dimbourg.
Louis XIV meurt en 1715, l'Europe peut enfin relever la tête.
s L-:leterre la première va tenter de s'implanter partout où ses
ts commerciaux devront être défendus.
En 1723, paraît le Livre des Constitutions », charte maçon-
:ue élaborée par des partisans d'une expansion économique et
itique de l'Angleterre dont la lutte contre les .. Ancient « du rite
ork, de tendance isolationniste, ne prendra fin qu'en 1813,
la fondation de la Grande Loge Unie d'Angleterre, lorsque lEu-
pourra de nouveau relever la tête après la chute de Napoléon.
Cette fusion intéressera les Loges Anciennes et Modernes
dont on pourra suivre le développement au fur et à mesure
e etablissement de comptoirs anglais dans les colonies.
En réalité, comme le fait apparaître le « Tableau gravé des
(34), la nouvelle obédience va se trouver partout dans
e monde où le commerce britannique s'implantera « Les Anglais
les Hollandais, zélés partisans de cette société, l'ont portée
cc leur commerce dans les régions les plus éloignées, de sorte
il y a des Francs-Maçons à Constantinople et dans toutes les
1- :ielles du Levant, dans les Indes, à la Chine, même jusque dans
s e Japon. (64). Le Lloyd's, l'une des principales compagnies d'as-
-ances du monde fut créée en 1716.
Entre 1720 et 1736, la France va se couvrir de Loges maçon-
e - = es de type anglais qui pour autant n'adopteront pas la Réforme
-esteront catholiques romaines.
Faisant le compte, en 16 ans, il va se trouver en France plus
ir maçons qu'une seule obédience aurait pu en créer, ce qui pose
question de savoir d'où venaient ces nouveaux maçons et ces
velles loges dans lesquelles on trouve des survivances de
ejmétrie opérative, alors qu'il n'y avait aucun homme de métier
e = s les Loges Françaises, où l'on rencontrait des nobles, des
a iriers (comme en 1326) des banquiers, des diplomates, des
1 rimeurs. des juristes, mais pas un homme de l'art, ce qui
d difficile l'explication de la présence du tapis de Loge, inconnu
29
en Angleterre. Le ruban y est bleu, comme en France, mais ne
présente pas tout à fait la même forme.
Le ruban bleu et rouge, du Rite Ecossais Ancien et Accepté,
est d'origine française, datant de l'union entre le Chapitre de Cler-
mont et la Grande Loge de France à laquelle il vint s'agréger en
1772 (8) tout en conservant sa personnalité en plaçant le ruban
bleu des Chevaliers du Saint-Esprit, adopté par l'ancienne Grande
Loge, sur le ruban rouge du Chapitre de Clermont donnant ainsi
naissance au ruban actuel.
Pour ce qui concerne le tapis, il faut convenir que la forme
sous laquelle nous le connaissons est relativement moderne, car,
aux premiers temps de la maçonnerie française, il était tracé à
la craie sur le sol (18). Or, il s'agit bien là d'une survivance opéra-
tive, ainsi que d'une pratique du Compagnonnage. La question se
pose de savoir, pourquoi, en Angleterre, les Loges d'hommes
du métier n'ayant accepté que vers le XVII0 siècle des gens n'ap-
partenant pas à la profession, on ne retrouve rien d'opératif dans
les rituels anglais.
La présence d'éléments géométriques dans le rituel des Loges
françaises milite en faveur de la thèse d'une survivance autoch-
tone de la maçonnerie des cathédrales.
Un élément du tableau d'apprenti semble apporter un argu-
ment en faveur de cette thèse La Pierre Cubique à Pointe «.
Cette dénomination ne peut que surprendre car dans aucun texte,
aucune mention ne permet d'affirmer qu'il s'agit bien d'une pierre.
I
Par contre, on trouve dans un ouvrage (65) le même dessin repré-
sentant le « Pavillon à Toit Carré « dont un modèle typique est
fourni par les cabanes de cantonniers se trouvant en bordure des
routes. Leur charpente est exécutée suivant le Trait « par un
procédé très simple (37) (23). On trouve également dans un
ouvrage consacré à l'histoire de la Franc-Maçonnerie (66) la repro-
duction d'une gravure du XVllle siècle dans laquelle on distingue la
hache posée sur la seule charpente du pavillon il ne peut donc
;
n-
J- CONCLUSION
o
31
I
32
BIBLIOGRAPHIE
33
I
34
Charles BAUDELAIRE
Tout a été dit, tout a été écrit sur ce génial penseur, sur ce
anifique découvreur qui s'est battu pour Listz, Wagner, Corot,
t, Courbet, Delacroix, Daumier. Mais on a tracé de celui POLIT
art était aussi nécessaire que le pain bien des portraits exa-
-as. Baudelaire flOUS appartient encore il reste ce poète, ce cri-
dont l'influence reste indéniable sur notre époque, puisque
particulièrement les surréalistes avec André Breton, ont mis
.'idence ses intuitions de la poésie contemporaine
ux,
LE MILIEU FAMILIAL
35
Revenu en février 1842 de son voyage à l'île Maurice, Baude-
laire atteint sa majorité le 9 avril il entre alors en possession de
l'héritage paternel, resté indivis entre lui et son frère Claude
il touche un capital d'environ 75 000 F (il ne s'entend guère avec
son demi-frère qui, magistrat à Fontainebleau, y meurt le 23 jan-
vier 1862).
Ce n'est cependant qu'en septembre 1844 que le beau-père,
las de la conduite de ce fils qu'il aurait voulu voir évoluer diffé-
remment, se décide à faire donner un conseil judiciaire en la per-
sonne de Narcisse-Désiré Ancelle, notaire à Neuilly.
Ses parents ont le désir de sauvegarder cet héritage, de per.
mettre à Charles de vivre par ses petites rentes sans ce conseil
judiciaire l'argent laissé par son père François aurait très vite
disparu. Toute sa vie Baudelaire recherche des subsides cons-
tamment il emprunte des petites sommes à ses amis, se fait
pressant auprès de sa mère afin d'en retirer quelque bénéfice.
La sagesse mondaine «, selon l'expression de sa mère et du
général Aupick, aurait été très certainement que leur fils Charles ne
s'acharne pas à poursuivre un vain idéal, qu'il se mette réellement
au travail au lieu de vivre dans l'oisiveté, en compagnie d'une
bohème tapageuse et d'une étrange compagne, une mulâtresse
se disant Jeanne Lemer, ou Jeanne Prosper, ou Jeanne Duval.
Mais Charles a détesté la ' morale de comptoir '» de la
bourgeoisie. Et cependant grâce à sa nonchalance apparente, à son
refus de se plier à une situation bien établie, nous bénéficions
aujourd'hui d'une oeuvre considérable, sans doute assez mince par
le nombre de volumes publiés, mais dont l'intérêt n'a cessé de
croître par la pureté et la valeur intrinsèque de cette pensée.
Il ne faut pas exagérer l'agressivité du général Aupick, qui a été
un parfait soldat et qui a su s'élever grâce à son propre travail
puisque tout enfant il a perdu ses parents d'origine irlandaise et
qu'il a été élevé par la famille de Louis Baudard, juge de paix
à Gravelines. Général, il commande ensuite 'Ecole Polytechnique
puis grâce à Lamartine il est nommé ambassadeur à Constantinople
(8 avril 1838), puis à Madrid (1852). Jacques Crepet campe cette
silhouette : Eh bien ! non, ce n'était ni un ogre, ni un sot, ni
une vieille baderne, mais simplement un brave soldat un peu
strict sur ses idées, sanglé dans sa droiture comme dans son
uniforme et la main prompte à atteindre son épée .
36
LE NON-CONFORMISME
le
Charles Baudelaire a été soumis à toutes les contradictions
sest révolté contre ce monde de la bourgeoisie en conservant
n-
:i goût de l'équilibre et de l'honneur. Pour afficher son cynisme,
-ône le dandysme, cette nouvelle façon de vivre qui lui
e, --et d'avoir une façade. Baudelaire porte un masque. Pourquoi
e- besoin d'écrire à son beau-père en mission à Constantinople,
r- :écembre 1848 : Actuellement à vingt-huit ans, moins quatre
avec une immense ambition poétique, moi séparé à tout
r s du monde honorable par mes goûts et par mes principes,
-porte si aboutissant mes rêves littéraires, j'accomplis de
te
E jri devoir, ou ce que je crois un devoir au grand détriment
s-
-E dées vulgaires d'honneur, d'argent, de fortune «. Baudelaire
it pas voulu se plier au conformisme, il a lutté non pas contre
e.
ui était établi, mais contre tout ce qui était faux, falsifié
--e tout ce qui recevait des honneurs et n'en méritait pas.
lu :laire est resté sincère et pur et comme le note Armand
i son oeuvre est une vocifération contre les turpitudes
«
nt nes
is
ar LE PROCES
le
Mais cet odieux procès des Fleurs du Mal dû principale-
té -ent aux maladroits articles de Gustave Bourdin et de J. Habans
:ais les numéros du Figaro des 5 et 12 juillet 1857 a contribué
et faire à ce poète un spécialiste de la perversité prêtant à tous
ix malentendus et à l'incompréhension générale.
e
le Ces six poèmes (Le Lethé, Les Bijoux, Lesbos, Femmes Dam-
te -es. A celle qui est trop gaie, Les Métamorphoses du vampire)
ni - comptent parmi les plus beaux du recueil, donnent lieu à
-s rééditions colportées sous le manteau et dont les illustra-
)r :s manquent le plus souvent de goût.
Le livre est sorti le 11 juillet 1857 des Presses de Poulet-
assis - qui a eu pour emblème le caducée, l'éditeur étant
associé à Eugène De Broise et le 20 août il comparait
37
devant la 6 Chambre correctionnelle présidée par Dupaty. La
belle plaidoirie de M Chaix d'Est-Ange ne peut rien contre le
réquisitoire de Me Ernest Pinard qui la même année a actionné
contre Madame Bovary. Aupick n'a pu connaître ces nouvelles
tribulations puisqu'il est mort le 18 avril 1857. Charles Baudelaire
s'est alors rapproché de sa mère et a affirmé toute la puissance
de son amour filial durant des heures très douloureuses pour lui.
La première édition des Fleurs du Mal doit être vendue au
rabais, mais en 1861 paraît cependant la seconde édition. Les
Pièces condamnées sont réunies en volume, séparément, à
Bruxelles en 1869. Plus tard, une tolérance permet à nouveau de
les inclure dans les éditions des Fleurs du Mal alors que le
jugement du Tribunal de la Seine les a proscrites.
LE DANDYSME
38
En poète, dans sa recherche de la forme littéraire il a imaginé
son climat, transformant poétiquement sa vie, ses amours, sa
pensée les commentateurs ont pris à la lettre ses écrits litté-
raires, pensant que l'auteur avait tout dévoilé. A la base nous
retrouvons un événement réel, mais grâce au travail alchimique
de Baudelaire tout prend une autre coloration.
Dans Mon coeur mis à nu il se dépeint partiellement « Mal- :
39
fort proche de tout ce qu'on lui a appris : C'est une gymnastique
propre à fortifier la volonté et à discipliner l'âme «.
Le caractère de beauté du dandy consiste surtout dans
l'air froid qui vient de l'inébranlable résolution de ne pas être
ému on dirait un feu latent qui se fait deviner, qui pourrait mais
qui ne veut pas rayonner «.
La misogynie de Baudelaire est feinte il s'en sert littéraire-
ment dans Fusée, dans Mon coeur mis à nu, sans doute pour
épater le bourgeois « mais aussi parce qu'il aime le paradoxe
et qu'il veut briller dans les salons. Près de Madame Sabatier,
cette belle Présidente, il parle en jetant les gemmes de son esprit,
parfois avec quelque brutalité envers quelques faux génies qui ne
comprennent rien à l'humour étincelant et critique de Baudelaire.
Jeune il a aimé le bal (Lettre à sa mère du 22 novembre
1833), il a joué la comédie, et le portrait dressé par de Banville
le dépeint largement : Baudelaire était partout et en toute
occasion un incomparable charmeur, sachant amuser les femmes,
les toucher par son respect, en même temps qu'il tenait leur
esprit en éveil par des idées des plus étrangement féminines,
et sachant aussi ravir les hommes par ses hardiesses de pensées,
dues au mépris de toute convention et une absolue sincérité... «.
Ce n'est donc pas en prenant à la lettre les écrits de Baudelaire
que l'on parvient à se faire une idée précise de son caractère.
I! a horreur de « prostituer les choses intimes de famille « (lettre
du 11 janvier 1858). Des commentateurs ont été jusqu'à recher-
cher la véritable influence de l'opium sur Charles Baudelaire
alors que son expérience est surtout littéraire d'autres ont
émis des opinions ingénieuses sur l'importance et la grosseur
des seins de sa maîtresse Jeanne Duval. C'est mal comprendre
le processus poétique où un événement de la vie quotidienne peut
provoquer le choc créateur, mais aussi tout est transformé, modi-
fié, sublimé selon l'humeur de l'auteur.
Baudelaire le révolté, postule le fauteuil de Lacordaire à
l'Académie Française en décembre 1861 (le fauteuil de Scribe
est aussi vacant). Il faut toute l'insistance de ses amis pour que
le poète retire sa candidature le 10 février 1862 alors que dans
Mon coeur mis à nu, il a écrit à propos de la Légion d'honneur
Celui qui demande la croix a l'air de dire si l'on ne me
:
LES INFLUENCES
41
Grâce à cette réaction bien légitime Baudelaire non seulement
donne audience à Poe mais il influence aussi tout le roman
moderne
C'est pourquoi je ne puis souscrire entièrement à la pensée
de Paul Valéry qui dans une admirable préface aux Fleurs du
Mal parue chez Payot en 1933 affirme
Le démon de la lucidité, le génie de l'analyse, et l'inventeur
des combinaisons les plus neuves et les plus séduisantes de la
logique avec l'imagination, de la mysticité avec le calcul, le psy-
chologue de l'exception, l'ingénieur littéraire qui approfondit et
utilise toutes les ressources de l'art, lui apparaissent en Edgar
Poe et l'émerveillent. Tant de vues originales et de promesses
extraordinaires l'ensorcellent. Son talent en est transformé, sa
destinée en est magnifiquement changée ».
II faut en effet se souvenir qu'en 1847 Baudelaire a déjà écrit
bien des poèmes, qu'il a affirmé son goût pour Tes sujets maca-
bres, pour le spleen, et l'horreur de soi-même
Ses Conseils aux Jeunes Littérateurs en 1846 mentionnent
qu'aucun point de la composition ne peut être attribué au hasard
ou à l'intuition, tout comme Poe le dit dans la Genèse d'un poème
(publié en avril 1859 dans la Revue Française)
Déjà Baudelaire en pariant de Delacroix pense « qu'il n'y a
a pas de hasard dans l'art, non plus qu'en mécanique ; une chose
heureusement trouvée est la simple conséquence d'un bon rai-
sonnement, dont on a quelquefois sauté les déductions intermé-
diaires
Ces deux poètes, si proches par leur pensée. vivent un même
mouvement intellectuel ; s'ils veulent survivre, ils doivent innover
après leurs grands aînés aux talents encombrants ; tous deux
ressentent l'influence de la science, et recherchent l'art pour
l'art. D'autres auteurs, en même temps que Baudelaire ont pris
connaissance de l'oeuvre américaine sans en être frappés, car leurs
tempéraments différaient. Il convient de parier d'une affinité
entre les deux hommes et non plus d'une influence formelle. Sans
doute Poe a-t-il permis à Baudelaire de prendre plus rapidement
conscience de lui-même et nous devons reconnaître une empreinte
psychologique sur un idéal de vie. Poe renforce les sentiments
de Baudelaire et permet leur cristallisation,
Les véritables influences sont plus lointaines nous en
:
SA RECHERCHE
LE DRAME PHYSIQUE
gagne.
N'est-ce pas là une des causes de cet éloignement et de cette
froideur témoignés à Madame Sabatier ? Faut-il y voir une impuis-
sance ou au contraire la sincérité d'un homme malade qui ne veut
46
pas contaminer une amie très chère ? Respectons son silence,
mais ne prenons pas trop à la lettre cette création littéraire de
Portraits de Maîtresses (Le Spleen de Paris) ' Sois donc impar-
:
LE DRAME MORAL
47
lement admise il n'est qu'à relire les articles nécrologiques,
recueillis par Raoul Besançon pour la revue Palladienne; les critiques
entérinaient pour la plupart la stupide condamnation ; Jules Vallès,
dans La Rue « le traitait de « cabotin «, « de forçat lugubre de
l'excentricité « et ne lui accordait pas plus de dix années d'im-
mortalité «. Seul Barbey dAurevilly rendit justice au novateur.
Sans doute nous touchons là le véritable drame de Baudelaire
qui a voulu cacher ses émotions derrière une façade faite de
cynisme, de dandysme, de révolté. Mais sous ces exagérations
souvent tapageuses, nous pouvons découvrir le vrai masque du
génial poète, le visage de la fraternité douloureuse, de l'amour qui
veut se dissimuler, qui a horreur d'étaler à tous des sentiments
trop personnels, trop humains..., qui déteste la grandiloquence, qui
ne veut pas « faire épanouir la rate du vulgaire
Des petites touches, des notes ténues révèlent l'esprit de
cet artisan tenace et scrupuleux
Et le sombre Paris, en se frottant les yeux,
Empoignait ses outils, vieillard laborieux.
Baudelaire a aimé les travailleurs, leur visage, leurs travaux
et il les a regardé vivre. Il a craint de les mettre en scène, voulant
s'écarter de la verbosité d'un Victor Hugo, il n'a pas voulu étaler
à tous ses sentiments dans la poésie, cet art si délicat mais
il a au contraire dénoncé cette misère intérieure, le goût humain
pour le vice, pour la chute il a voulu lutter contre la bêtise à
;
L'IMMORTALITE
48
sincérité absolue il a recherché avec avidité, allant vers un
;
49
LES LIVRES
A LA RECHERCHE D'UNE SPIRITUALITÉ
Nous avons souvent parlé de la pensée maçonnique niais de
récents travaux nous ont permis d'approfondir cet esprit. Au cours
de ce travail nous avons dû reprendre et relire ces ouvrages que
nous citerons ici très brièvement. La liste n'est cependant pas
exhaustive, on peut aisément l'imaginer. Si nous revenons sur ce
sujet c'est que, à l'heure présente, il nous apparaît que la pensée
traditionnelle peut endiguer ce grand désarroi qui s'est emparé
de l'homme des modifications surgissent de tous côtés, et
l'homme sans repère, désespère. Grâce aux procédés initiatiques,
nous pouvons retrouver un certain équilibre, avoir des données
sûres et tout en restant dans notre siècle avoir des vues plus
larges, plus hardies aussi. Les sciences traditionnelles révèlent
l'homme à lui-même, lui permettent de mieux sentir ses problèmes
et aussi de les résoudre à partir d'une métaphysique sans doute
particulière, mais qui cerne les centres actifs et affectifs de
l'homme.
Sans doute le Franc-Maçon, le Compagnon du Devoir, ne sont
pas des hommes doués de toutes les qualités, ils ne sont pas supé-
rieurs à tous les autres. Mais ils deviennent meilleurs, plLls tolé-
rants, et le nombre des hommes qualifiés « est sans doute supé-
rieur à celui de la moyenne générale. Certaines de nos institutions,
et plus particulièrement l'enseignement, devraient s'interroger sur
les méthodes appliquées par le Compagnonnage qui sait former
non seulement des ouvriers qualifiés mais aussi des hommes
de coeur.
Donc parmi ces lectures notons les trois livres de Oswald
Wirth La Franc-Maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes (L'Ap-
prenti, le Compagnon, le Maître) (1). Nous avons noté l'oeuvre si
dense, si remarquable, faite de pensées et de recherches histo-
riques, celle de Paul Naudon ces livres très documentés. sans
50
doute les plus riches, ont été publiés par les Editions Dervy (2)
mais nous mentionnerons également son remarquable petit ouvrage
La Franc-Maçonnerie (3), une édition récemment remise a jour.
Notons à ce sujet que son Histoire et Rituels des Hauts Grades
Maçonniques (Dervy) a été également revue et enrichie par rapport
à la première édition. Chez le même éditeur, nous n'omettrons
pas Jean Tourniac (4) qui a fait un travail comparable à celui de
Paul Naudon, mais en parlant cette fois du Rite Ecossais Rectifié
et non plus du Rite [cossais Ancien et Accepté. Nous avons parlé
dernièrement des Francs-Maçons de Jean Saunier (5) qui lui aussi
a axé son ouvrage sur le rite anglais Emulation et sur le Régime
[cossais Rectifié. Pierre Mariel avait fait aussi paraître un très
bon livre sur Les Francs-Maçons en France, réédité par les Editions
Marabout (6) et nous sommes aussi heureux de voir la réédition
des Authentiques fils de la Lumière (7), ouvrage excellent qui était
paru en même temps que le volumineux essai de Roger Peyrefitte
Les Fils de la Lumière. Pierre Mariel a revu cette oeuvre en partie
romancée mais que l'on peut recommander à tous, tant l'atmos-
phère est retracée avec talent il semble que dans ce petit livre
de 125 pages tout est dit, tout est exprimé car l'auteur, par petites
touches, sait faire revivre un climat et l'expression d'une pensée.
De Pierre Mariel nous noterons encore Les Hauts Lieux spiri-
tuels de l'humanité (8). Dans la même collection, Pierre Mariel,
avec l'aide de P. Havignant, avait écrit Les Maîtres Spirituels. Parmi
les lieux spirituels traités, notons Louxor, Delphes, Kamakura,
Jérusalem, La Mekke, Chartres, Mont Athos. Mais ces Hauts Lieux
donnent lieu à de multiples interprétations ésotériques Pierre
;
51
et si nous pouvons avoir d'autres idées sur la constitution des
quatre loges fédérées à Londres en 1717, certains arguments de
l'auteur sont à retenir. Jean Baylot pose également le problème
d'une morale maçonnique. L'ancien préfet de Paris réapparaît lors-
qu'il juge les débordements des étudiants, en généralisant sans
doute trop rapidement. L'écrit de Jean Baylot, tout en restant dans
une optique bien définie, mérite d'être lu.
Jacques Brengues, docteur ès lettres, Professeur à lUniversité
de Rennes, présente La Franc-Maçonnerie du Bois (10) aux Edi-
tions ABI qui avaient, entre autres ouvrages, publié de Papus Ce
que doit savoir un maître maçon. La Franc-Maçonnerie du Bois est
un livre dense qui, à partir du symbolisme de l'arbre, donne de
nouveaux aperçus sur les rituels maçonniques et compagnonniques.
Mais on a aussi des considérations sur la croix, l'arbre renversé.
Ce texte aux précieux renseignements, publie partiellement des
rituels des Compagnons Fendeurs et nous abordons ainsi les Car-
bonari. Ce livre riche, qui déborde sur de très nombreux sujets,
se résume difficilement, car nous y découvrons des indications
fort pertinentes aussi bien sur la hache, la rose, le figuier, ou même
la pierre, le caducée, les loups-garous. Jacques Brengues a raison
de chercher les origines corporatives de la Franc-Maçonnerie dans
le travail du bois, ce matériau dont les hommes ont dû se servir
avant la pierre, et sans doute en même temps que la glaise. Le
livre de Jacques Brengues, fort original, est la base d'une recher-
che et son livre doit être lu et relu.
52
Dans cette collection dirigée par Jean-Claude Frère, notons
de Maurice Guingand Le Berceau des Cathédrales, d'Arnold Wald-
stem Lumières de l'Alchimie et de Jean-Claude Frère L'énigme des
Gitans. Une collection qui mérite d'être suivie.
Le livre d'Yves Gaêl Talismans dévoilés (12) est un ouvrage
clair, précis, qui situe parfaitement la connaissance talismanique,
qui montre que l'homme, sous toutes les latitudes, éprouve tou-
jours le besoin de faire appel au surnaturel. Il espère en quelque
chose qui le dépasse. Mais Yves Gaêt montre aussi que l'homme
doit croire avec intensité en la vertu scellée dans cette médaille,
dans cet anneau, dans cette bague c'est la création d'une image
;
53
tions d'animaux sans utilité apparente, tels les scorpions, les ser-
pents. J'ai discuté bien souvent du cas de Gilles de Rais avec
Serge Hutin ce maréchal de France, dit Barbe Bleue, reste une
énigme. Serge Hutin a brossé d'autres portraits et nous noterons
au hasard Papus, Guaita, l'abbé Boullan pour venir aux envoûte-
ments modernes avec le lavage de cerveau «.
Nous songeons aussi au livre qu'avait écrit Roland Villeneuve
L'Envoûtement. Cet ouvrage paru aux Editions La Palatine est
malheureusement introuvable. Nous espérons qu'une réédition
nous permettra de reprendre connaissance de cet excellent texte
de 190 pages qui situait les grandes affaires d'envoûtement jus-
qu'à l'époque contemporaine, après avoir évoqué la pratique de
l'envoûtement.
Notons encore l'excellent écrit de Pierre Mariel, dont nous
avons déjà rendu compte, Magiciens et Sorciers paru aux Editions
Marabout et qui nous avait montré les dessous sataniques de l'his-
toire. Pierre Mariel avec grand talent a, grâce à sa grande docu-
mentation, apporté des faits fort troublants, ignorés et Pascal,
Richelieu. Bonaparte, Louis XVIII, Hitler, Hesse ont pu ainsi être
cités. Nous avions recommandé la lecture de ce livre passionnant,
vivant, écrit dans le meilleur esprit de la recherche diabolique et
spirituelle.
C'est aussi en partie par envoûtement, grâce à l'absorption de
certains breuvages, que les serviteurs se soumettaient totalement
au Vieux de la Montagne, ce chef puissant, guerrier sans doute
mais aussi chef spirituel. Peu après la mort de Mahomet, lis-
maélisme réformé dAlaniout se nomme souvent la secte ou
ordre des Assassins «. Ce nom provient-il de Haschisch, cette
drogue hallucinatoire, ou du fait que Hasan lbn Sabbah fit commet-
tre des crimes dans un but politique parfaitement orienté ? Jean-
Claude Frère, en écrivant ce livre L'Ordre des Assassins (15) nous
restitue une vision excellente de ce vaste mouvement qui fut évo-
qué par Henri Corbin. Ce livre de 280 pages, au ton direct, clair,
précis, aborde ainsi un problème complexe, en général mal connu
ou mal interprété. Le mérite de Jean-Claude Frère est de nous
rapporter la tradition la plus valable, avec sa conception spirituelle
la plus élevée, tout en nous faisant bénéficier d'anecdotes, de
récits vivants qui illustrent ainsi une des plus surprenantes aven-
tures à la fois temporelle et spirituelle. D'ailleurs c'est bien carac-
tériser cette époque puisque l'Ordre des Assassins eut une
influence sur l'Ordre des Templiers. Ginette Ziegler, dans la même
collection, nous avait fort intéressé en évoquant ce mystérieux
54
ordre qui portait le manteau blanc et la croix rouge. Je vous recom-
mande le livre de Jean-Claude Frère qui, lui aussi, sait nous envou-
ter par son écrit et en dehors du plaisir de la lecture vous vous
enrichirez avec la pensée métaphysique de ce Vieux de la Mon-
tagne », un prophète à la fois réaliste et idéaliste.
Voici aussi un remarquable ouvrage La fin de l'ésotérisme
de Raymond Abelllo (16). Cinq conférences président à l'ordonnan-
cement de ce texte où Raymond Abellio dégage quelques fils
conducteurs. Le premier exposé est consacré à définir la doctrine
ésotérique traditionnelle en recherchant le tronc commun à toutes
les traditions. Dans les deuxième et troisième exposés Raymond
Abelljo dit rechercher désocculter la tradition, d'en reconstituer
le sens dans notre langage d'aujourd'hui » (p. 10). On peut être
surpris de ce langage car enfin la Tradition ne peut varier, c'est
un bien immuable. Mais dans ces textes nous découvrons des
vues et des pensées fort pertinentes sur le symbolisme de la croix
(p. 96), sur la Kabbale hébraïque et le Vi-King. Ainsi Abellio cher-
che enfin à concilier la science et l'ésotérisme il désire que
l'homme parvienne à une vraie connaissance, qu'il réunifie les
pouvoirs de l'âme à ceux de l'esprit il pense que la transfigura-
;
55
La Grande Loge de France vous parle...
"AVANT-DERNIERES VOLONTES"
Question:
Mon cher Frère et Ami, vous venez de publier, aux Editions Vitiano, à
Paris, un ouvrage intitulé Avant-dernières Volontés . Vous l'avez dédié à vos
Compagnons de route «. Dès votre introduction, vous dites que ce n'est pas
un testament que vous vous êtes proposé d'écrire. Pouvez-vous nous dire,
d'abord, ce que vous avez voulu faire ?
Réponse:
Volontiers. En ce début de mon troisième âge, je me suis trouvé devant
la tentation de faire état de ce que la vie a pu m'enseigner comme si les
leçons que j'avais apprises étaient valables aussi pour beaucoup d'autres gens.
Or, j'ai compris d'emblée que je n'avais le droit de donner de leçons à personne
que je pouvais, tout au plus, inviter mes amis à procéder à une espèce de
confrontation afin qu'ils sachent, eux aussi et chacun pour soi, quel bilan
établir de l'actif et du passif de leur existence. D'autre part, je ne tiens nulle-
ment à considérer ma vie comme finie, terminée, achevée - il est ainsi trop
tôt - du moins je l'espère - pour parler de « dernières volontés «, de testa-
ment. J'ai donc choisi un moyen terme : prendre ce que j'ai acquis, me deman-
der comment je pourrais encore l'employer utilement, en discuter avec mes
compagnons de route, A notre profit mutuel, il va de soi,
Question
Cela explique que vous vous penchiez sur de nombreux problèmes de fond.
Le matériel y a sa place, le spirituel aussi. Comment concevez-vous le spi-
rituel ?
Réponse:
Ne soyez point choqué : je ne crois pas à ce qu'on appelle l'âme. Ni à l'es-
prit. Mais je constate qu'en tant qu'être humain, j'ai conscience de moi, de ce
que je suis, je pense, je veux. C'en est assez pour me distinguer des autres
ordres de la nature. Appelez cela le spirituel - peu importe le vocable. Quand
je n'aurai plus cette conscience, quand je serai mort, ma vocation humaine
aura pris fin. Je ne puis concevoir qu'elle se continue comme si j'étais un demi-
solde, Je préfère me savoir dissous dans l'univers. Même le souvenir que
mes amis auront gardé de moi disparaîtra inexorablement.
Question
Donc, vous ne croyez pas en Dieu, au sens habituel du terme. N'est-ce
pas inquiétant pour vous ? Ne ressentez-vous aucune angoisse métaphysique ?
Réponse:
Jamais, je n'ai pu me résoudre à proclamer : Dieu n'existe pas ! » ni Il
ne saurait y avoir de Dieu « Non par suite de quelque superstition atavique,
mais parce que je conçois bel et bien que notre monde est nourri de quelque
58
chose de divin, de quelque chose qui dépasse, du moins aujourd'hui, notre
entendement, de quelque chose qui fait que le monde est ce qu'il est. Peu
importe le nom que nous donnons, vous et moi, à ce dépassement : vous avez
le droit de l'appeler Dieu, et je revendique le privilège de l'appeler le divin,
sans majuscule, et de le respecter profondément.
Question
C'est en quoi, je suppose, vous voyez aussi la différence entre Ihomme
et l'animal ?
Réponse:
Effectivement. L'animal n'en a pas conscience et ne saurait donc en tirer
aucune inspiration. Il n'en possède pas les organes et n'en éprouve pas le
besoin. Je me reconnais une certaine responsabilité, et j'essaie d'y faire face.
Le pourquoi de cet état de choses dans la nature me laisse indifférent. Je n'en
tire ni gloire, ni fierté. J'accepte. Un croyant peut-il faire plus ?
Question:
Vous admettez, néanmoins, qu'il existe un certain ordre dans l'univers
comment le concevez-vous ? comment l'homme peut-il s'y insérer pleinement?
Réponse:
Même cet ordre n'est pas immuable, à mes yeux. Et tant qu'hommes, nous
avons même la prétention de le modifier - le croyant par la prière, l'incroyant
par son action personnelle. Quand la pomme aura cessé de tomber de l'arbre
vers le sol, quand les êtres adultes iront en rajeunissant au lieu de vieillir,
quand nous aurons appris à faire des miracles, il y aura un ordre différent. En
attendant, pourtant, nous apprenons à vivre en état d'apesanteur - nous par-
venons à créer de nouveaux équilibres biologiques nous réalisons ce que
dans un passé récent, nous avons encore considéré comme impossible j'en
:
conclus que nous vivons dans un certain ordre, mais que nous évoluons avec
lui et lui avec nous.
Question:
Pensez-vous que l'homme de notre époque puisse être sauvé des dangers
qui le menacent ?
Réponse:
Pour autant que ces dangers sont le fait d'autres hommes, certainement.
A une condition, pourtant que nous prenions conscience aussi bien de ces
:
dangers que de notre faculté de les surmonter. Certains animaux y ont réussi
- l'homme échouerait-il dans cette tâche fondamentalement naturelle ?
Question:
Vous êtes donc optimiste ?
Réponse:
Dans l'ensemble et globalement, oui. Mais je n'oublie pas que des civilisa-
tions hautement développées ont disparu, que demain un accident, une bombe,
un virus peuvent mettre un terme à notre existence collective c'est encore
une loi de la nature elle sacrifie le grand nombre tout en laissant se perfec-
:
tionner ce qui est assez fort pour subsister. Je ne porte pas la responsabilité
de cette loi - seulement la responsabilité d'en faire le meilleur usage, sous
peine d'en tomber victime.
59
Question:
C'est sans doute pour cette raison que vous ne voulez pas vous enfermer
dans un carcan rigide, que vous vous réservez de changer votre itinéraire dans
la vie, et que vous refusez de dicter leur conduite aux autres ?
Réponse:
Vous m'avez bien compris.
Question:
Vous semblez n'avoir pas confiance aux vertus des révolutions, pensant
qu'elles ne servent qu'à échanger un carcan pour un autre. Comment dès lors
améliorer la situation de l'homme contemporain, comment améliorer la société
elle-même ?
Réponse:
J'ai horreur de l'idée que je risquerais de remplacer un ordre trop rigide
par un autre, peut-être plus rigide encore donc encore moins acceptable
pour l'homme. C'est cette rigidité que je considère comme mon ennemie je
voudrais la remplacer par quelque chose de souple, de malléable, de perfectible.
Tenez la rigidité, le sort impitoyable, la condamnation au malheur, c'est Satan,
pour moi plutôt : le satanique. Je le combats à tout instant, sans violence,
presque par instinct. Je réussis plus ou moins bien, parfois pas du tout, Saurez-
vous faire mieux notamment en faisant la révolution ? La guerre peut-être ?
La contrainte sans pitié ?
Question:
Vous écrivez : u Mon violon d'lngres, c'est la Paix » Je commence à
comprendre pourquoi vous y êtes si passionnément attaché. Mais croyez-vous
réellement et sans réserves qu'elle puisse régner entre les hommes ?
Réponse:
Que d'elle-même et par ses vertus propres, la paix puisse, comme une
souveraine, régner sur la terre, je ne le crois pas mais que nous puissions faire
en sorte que la paix règne parmi les hommes, alors là, oui, je suis persuadé
que c'est possible. La paix sera le fruit de nos efforts, ou elle ne sera pas.
Quels efforts ? La lutte contre tous les déséquilibres, toutes les lacunes, toutes
les souffrances, toutes les injustices, toutes les haines. Nous avons du pain
sur la planche
Question:
Comment, selon vous, les hommes peuvent-ils s'y prendre ?
Réponse:
Tout commence par la lucidité il importe de voir les hommes et les
:
60
dans leur existence et dans leur bonheur. J'ai vu deux guerres mondiales, de
nombreuses catastrophes, des sacrifices inutiles à ne pas savoir les compter
ne croyez-vous pas qu'il vaille la peine d'en diminuer les chances et de nous
prémunir contre les risques que nous courons ?
Question:
Les résultats atteints jusqu'ici ne vous découragent-ils pas ?
Réponse:
En tant que Francs-Maçons, formulons cette question autrement : les
hommes ont-ils fait tout ce qu'il fallait pour obtenir la paix ? A mes amis
catholiques romains, je tiens encore un autre langage si l'encyclique de
:
Jean XXIII Pacem in terris avait été promulguée un demi-siècle plus tôt, les
deux grandes guerres mondiales auraient-elles eu lieu ?
Question:
Selon vous, les Francs-Maçons ont-ils une tâche particulière à remplir, en
ce domaine ?
Réponse:
Distinguons bien :la paix que nous voulons est la même que celle à
laquelle tous les hommes dignes de ce nom aspirent mais notre façon de
nous y prendre peut être particulière. Ce n'est pas un hasard si le travail pour
la paix figure en très bonne place parmi mes avant-dernières volontés je :
me sentirais responsable de tout relâchement des efforts tendus vers une meil-
leure harmonie entre les hommes, et je veux en conséquence continuer à
déployer une activité systématique sur ce plan. Le Franc-Maçon n'entend pas
seulement poser les jalons d'une Terre sans guerre, il entreprend sa propre
adaptation au monde qui pourrait être celui de demain.
Question:
Vous ne faites aucune prédiction de ce que sera ou pourrait être ce monde
de demain. Vous semblez pourtant qualifié pour le faire, avec tout ce que vous
avez déjà esquissé dans cet ordre d'idées...
Réponse:
Là encore, là surtout, entendons-nous bien ! li se peut que j'aie réussi,
à force de réflexion, d'expérience et de volonté, à pénétrer dans le fonds de
l'action maçonnique. Cette pénétration, c'est pour moi le sens même qu'on
doit donner au terme d' initiation . Je ne prétends aucunement être ce qu'on
appelle un Initié , un homme qui aurait acquis le Savoir, la Connaissance,
l'identité avec toutes choses. Loin de là ! Je m'en tiens au terme de péné-
tration « - j'ai entrepris la marche dans la direction de l'intérieur, de l'essence
de ce qui fait la Vie. Résultat je ne me sens pas un étranger dans le monde,
:
61
Question:
Pensez-vous que dans notre monde en proie à la peur, à l'angoisse,
au malheur - les sociétés initiatiques, et en particulier la Franc-Maçonnerie,
puissent apporter un secours efficace à l'homme d'aujourd'hui ?
Réponse:
Les hommes sont de nature trop diverse pour qu'on puisse dire que tous
pourraient recevoir une assistance efficace en provenance des sociétés initia-
tiques. Au surplus, nos sociétés s'adressent aux individualités et non aux
masses, Il faudrait trouver le moyen de rendre les structures de masse per-
méables aux courants porteurs de messages individualisés exactement comme
on réussit aujourd'hui à faire passer des milliers de communications à travers
un seul câble de transmission. Dans mes « Avant-dernières Volontés il est
,
OCTOBRE 1973
62
La Grande Loge de France vous parle...
((DIVULGATIONS))
Même, et peut-être surtout, avec le recul du temps, comme elles sont
piquantes, n'est-ce pas, les révélations, confessions et divulgations relatives
à la Franc-Maçonnerie ?
Cela est d'autant plus pimenté, bien sûr, qu'elles ont un petit parfum
d'espionnage ou de trahison, évoquant pour le passé l'agent secret ou la
mouche «, pour le présent le fin limier ou la « table d'écoute
Un éminent vieux Frère belge appelait naguère « cowan « le genre d'infor-
mateur, d'honorable correspondant qui renseignait ainsi sur la confrérie
un public réceptif, après s'être documenté lui-même en écoutant aux portes.
Il avait tiré ce terme, dont l'étymologie nous échappe absolument, d'un
ouvrage anglais du XVIII' siècle traitant déjà de ce sujet (1).
**
La première divulgation connue en France est en effet celle dite de
Hérault, du chevalier René de Hérault, lieutenant général de police, qui diffusa
un papier dont diverses copies circulaient sous le manteau à Paris à la fin
de 1737 et qui faisait déjà grand bruit tant à la cour qu'en province. Elle
fut publiée l'année suivante avec des variantes ou en traduction notamment
en Hollande, en Allemagne, en Angleterre. et partout largement exploitée.
De qui Hérault la tenait-il ? On sut bien vite que c'était d'LIne actrice de
l'Opéra, la Carton ou Cartou, connue par sa beauté alors sur son déclin, par
son esprit toujours scintillant et surtout par ses liaisons bruyantes, multiples
et variées. Elle-même aurait reçu les confidences d'un amant initié, peut-être
Le Noir de Cindré, peut-être Paris de la Montagne ou plutôt encore l'Anglais
lord Kingstori, admis dans une Loge de Paris peu de temps auparavant, son
amant de l'avant-veille dont elle se vengeait du même coup un beau jour ou
une belle nuit car il l'avait trahie la veille au point d'enlever sa fille (2).
On serait tenté de croire que ce sont ces divulgations qui ont déterminé le
ministre Fleury à sévir contre les Loges, alors que le Pape Clément XII (1730-
1741) ne lança sa bulle de condamnation In eminenti apostolatus specula que le
28 avril 1738.
Mais Fleury les avait devancées en demandant à Hérault dès le 17 mars
1737 d'empêcher les assemblées maçonniques, notamment dans les tavernes.
li venait de destituer et d'exiler en province le garde des sceaux Chauvelin,
et savait que lui-même peut-être et certainement plusieurs de ses proches fré-
quentaient les Loges dont son frère avec lequel il était très lié et qui vivait
dans son hôtel. Or on sait à quel point le vieux cardinal craignait les cabales
qui menaçaient son pouvoir et risquaient de lui porter ombrage.
63
Ce qu'on sait sans doute moins, c'est que les divulgations étaient bien
antérieures encore. Bien entendu, elles visaient la Grande Loge de Londres.
cette Obédience que toutes celles du monde considèrent, sinon comme leur
mère, du moins comme leur soeur aînée.
Si sa Constitution, dite encore d'Anderson, a été promulguée à la SaInt-
Jean d'été 1723, au moment où le Grand Maître duc Philippe de Wharton trans-
mettait ses pouvoirs au duc de Montagu, une révélation se donnait, et peut-être
se vendait à Londres, sous le titre A mason's Examination . et cela depuis
le mois d'avril.
Elle affirmait d'ailleurs n'être point la première et évoquait, comme Franc-
Maçon ayant fait connaître les arcanes de sa société avant que de la
ruiner en écartant ses deux colonnes, un prétendu maçon qui n'était rien moins
que Samson, séduit en trois temps par Dalila. Il est vrai qu'à cette époque
on faisait d'Adam le fondateur de la Première Loge
**
On connaît maintenant aussi un grand nombre de brochures de soi-disant
divulgateurs qui apparurent dés les premières années de la Franc-Maçonnerie
moderne, après celle de 1723, et toujours à Londres.
Citons
The Grand Mystery of Free-Masons Dlscover'd Révélation du Grand
Mystère des Francs-Maçons (1724).
The whole Institutions of Free Masons Opened . La mise au jour de
toutes les institutions des Francs-Maçons (1725),
The Grand Mystery Lair Open .. Le Grand mystère divulgué (1726), et sur-
tout, de Samuel Prichard, la célèbre brochure sur la maçonnerie disséquée
Masonry dissected qui est extrêmement utile en ce qu'elle nous transmet des
données qui n'étaient alors communiquées que de bouche à oreille et qui ont
ainsi été gardées comme sous les cendres de Pompéi le souvenir vivant de
cette cité morte.
C'est, au moins, un résultat excellent et que l'auteur ne soupçonnait
pas.
Puis il y eut comme une saturation, une satiété et on parla d'autre chose.
De même qu'il y avait eu, dans la période plus ancienne et plus secrète de
l'Ordre, des maçons plutôt manuels ou opératifs ., et des maçons plutôt
intellectuels, ou spéculatifs ., la confrérie se chercha une tradition entre
deux tendances, celle que nous pourrions appeler d'action , et celle qui
serait plutôt de pensée
li s'en suivit très vite, et d'abord en Angleterre, une divergence qui
alla parfois jusqu'à l'éclatement comme lors de la division de la Franc-
Maçonnerie anglaise en deux Obédiences, celle des soi-disant anciens et
celle des prétendus modernes
On en parla, mais peu, au dehors, et les événements politiques nationaux
et entre les pays eurent de plus en plus la priorité dans la préoccupation
des esprits.
Il faudrait pourtant, dans notre revue sommaire et discursive, faire place
à la plus connue des révélations, celle de l'abbé Barruel, émigré en Angleterre
64
sous la Révolution, Il n'appartenait plus depuis vingt-cinq années à la Compagnie
de Jésus, d'ailleurs.
Passant pour avoir été admis Franc-Maçon et promu aux plus hauts grades
sans aucune formalité, ce qui était du reste possible car on considéra quelques
rares fois comme déjà initiés .. et par conséquent admissibles sans phrase
certains prélats, esprits éminents et princes de haute lignée (3), le Père
Barruel écrivit un réquisitoire massif contre 'Ordre, l'accusant d'être l'arma-
ture d'un complot jacobin «, du complot jacobin permanent, et instigateur de
la révolution, du régicide et de la guerre.
Bien écrit, ce tissu d'affabulations et de sophismes eut un succès consi-
dérable, et ne fut pas étranger au rapprochement à Londres même entre les
Anciens et les .. Modernes «, et à l'élaboration de statuts fort éloignés du
libéralisme d'Anderson et qu'on dit parfois dogmatiques de la nouvelle
Obédience née au moment de Waterloo et qui prit le titre de Grande Loge
Unie d'Angleterre. Nous nous rapprochons dans le temps et, avec la grande
mystification luciférienne de Léo Taxil, nous sommes vraiment aux racines
de notre époque.
65
et la bêtise humaines, d'où, comme l'écrira la revue Etudes , d'absurdes et
horrifiques Tégendes sur « le diable au XlX siècle ou les révélations de
Diana Vaughan '. Ces élucubrations avaient cependant eu une telle audience et
un tel retentissement que bien des esprits en furent ébranlés jusqu'au fond des
provinces et à l'étranger.
Un auteur contemporain rapporte comment se traduisent par exemple
dans la Sarthe ce genre de divulgations
Satan en personne apparaît dans les Tenues pour donner des ordres,
les initiés signent avec leur sang un pacte pour détruire l'Eglise et les monar-
chies (affirmation qui aurait pu faire sourire les prélats et souverains appar-
tenant, à cette époque même à cet Ordre satanique) leur maillet est le signe
de la destruction, toutes les révolutions ont été fomentées par eux. Ils sont
redoutab!es car ils sont 160 000 en France... Mais le doigt de Dieu intervient
pour les faire périr dans d'atroces souffrances.
li nous est dit aussi que les ragots antimaçonniques prennent une allure
plus dangereuse à la suite d'un programme d'action mis au point dans des
congrès à Trente et à Reims en 1896. au cours desquels fut décidée la publi-
cation des noms des Francs-Maçons et des Juifs aux fins de boycottage, sans
dérogation sous quelque prétexte que ce soit (4).
De fait parut notamment, dédié aux électeurs parisiens, un livre imposant
par ses quelque 300 à 400 pages suivant les rééditions Le Tout Paris
maçonnique.
li ne semble pas qu'au plan électoral le but des auteurs ait été atteint.
Au contraire. Mais il put justifier les mesures de prudence et de contre-
offensive entreprises par les Maçons à Paris, au Mans et ailleurs.
Sans sonder les reins et les coeurs, des spécialistes pourraient chercher
les causes profondes de ces manoeuvres et dans quelle mesure d'autres groupes
humains ont pu être attaqués avec les mêmes procédés comme le Protocole des
saqes de Sion, la Monita Secreta ou encore le Serment des Chevaliers de
Cos'omb.
66
Enfin et surtout le climat, depuis le quart de siècle d'une ouverture qui a
commencé par les émissions sur les « divers aspects de la pensée contem-
poraine , est fondamentalement changé.
On ne divulgue plus, on étudie. On ne polémique plus au sens littéral
du terme, et dans un monde où retentissent encore, hélas ! des conflits idéolo-
giques on recherche la paix dans e labeur.
*
Li. Piéral (pseudonyme constitué avec les initiales des mots Parfaite
Intelligence - Espérance - Réunies - Orient - Liège), le Cowan, 1966, cite
(p. 47n) Pritchard : masonry dissected , 1730.
G.H. Luquet : La Franc-Maçonnerie et l'Etat, Paris 1963 (p. 45 et sui-
vantes).
Ce fut, en fait, le cas de Voltaire à la Loge des Neuf Soeurs et
peut-être celui de Napoléon V', reçu à une Loge de Nancy en visiteur.
André Bouton : Les luttes ardentes des Francs-Maçons manceaux pour
l'établissement de la République 1815/1914 (pp. 269-272).
Bulletin mensuel des Ateliers supérieurs (S.C.D.F.) novembre 1934
(p. 143).
R.P. Bertheloot, S.J. Jésuite et Franc-Maçon 1952 (p. 113).
:
NOVEMBRE 1973
67
La Grande Loge de France vous parle...
NOS BUTS
Pour les auditeurs du dimanche matin qui écoutent l'émission intitulée
Divers aspects de la pensée contemporaine », et particulièrement pour ceux
qui s'intéressent à l'émission de la Grande Loge de France du 3 dimanche
de chaque mois, il peut être instructif de connaître les vrais buts de cet Ordre,
sur lesquels on a dit, et continue même à dire, beaucoup de choses erronées.
C'est ce que nous allons essayer de faire aujourd'hui.
*
**
C'est simple. Lorsqu'un homme vient frapper à notre porte pour nous
demander d'être admis parmi nous, nous lui présentons un document qu'il doit
lire attentivement. Nous lui demandons s'il est d'accord sur son contenu. Alors
il signe ce document, confirmant son engagement à adopter notre discipline
de travail.
Dans cet écrit, il est proclamé
La Franc-Maçonnerie a pour but le perfectionnement moral de l'huma-
nité. A cet effet, les Francs-Maçons travaillent à l'amélioration constante
de la condition humaine tant sur le plan spirituel que sur le plan du bien-
être matériel.
Et plus loin
Dans la recherche constante de la vérité et de la justice, les Francs-
Maçons n'acceptent aucune entrave et ne s'assignent aucune limite. lis res-
pectent la pensée d'autrui et sa libre expression.
Voilà l'engagement qu'un candidat à notre Ordre prend envers nous avant
toute procédure d'acceptation.
Tout le reste des particularités maçonniques ne constituant que des
méthodes de travail. Nos rituels et notre symbolisme ne sont que des moyens,
des méthodes appropriées, des mises en condition de réflexion, d'aide-mémoire,
d'attention et de pensée.
*
**
Si, dans ses Déclarations de principes, la Grande Loge de France annonce
qu'elle travaille à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers «, cette for-
mule n'est en aucun cas une acceptation religieuse quelconque.
Cette invocation consacre seulement la régularité de notre Ordre par
68
I
69
Vous le voyez, chers auditeurs, la tâche est immense, mais passionnante.
Nous sommes toujours dans le mouvement de la vie, car constamment dans
le temps des éléments nouveaux surgissent de partout qui remettent en ques-
tion nos conclusions précédentes. Pour prétendre suggérer des améliorations
constantes du sort moral et matériel de l'humanité, il faut savoir de quoi Il
s'agit dans tous les domaines en particulier, il ne faut pas négliger de savoir
comment fonctionnent tous les aspects économiques et sociaux de notre
temps.
70
Fraternité C'est un mot de rêve, qu'il faut s'efforcer de rendre tangible.
Tous les problèmes philosophiques et sociaux sont chez nous sujets à analyse.
Les Maçons s'efforcent de les disséquer méthodiquement, de les démonter, de
les comparer, de suggérer des modifications en vue de plus de justice.
Nous ne sommes pas des rêveurs, ni des exaltés. Nous sommes des
réalistes. Nous ne projetons pas de nous battre contre des moulins à vent
comme Don Ouichotte, nous ne nous proposons pas d'être des redresseurs de
tort, comme le Cyrano d'Edmond Rostand. Nous ne prétendons pas faire des
miracles mais seulement de suggérer des attitudes justes et fraternelles, appli-
cables entre les hommes.
Aux gouvernements et aux responsables, aux législateurs de prendre en
considération nos suggestions, de les juger à leur tour et de les mettre en
pratique.
Notons avec satisfaction que nos recherches passées, nos voeux d'innova-
tion et de réforme, ont été souvent pris en considération par les législateurs.
Citons seulement l'école laïque, publique, obligatoire et gratuite, les assu-
rances sociales, les congés payés, entre autres. Et ces Innovations sont deve-
nues quasi irréversibles.
*
**
Mais ce n'est pas tout, l'évolution poursuit sa marche, les aspirations
au bonheur se transforment et comme toujours les espoirs et les idéaux de
chacun sont loin d'être les mêmes pour tous. Et lis ne peuvent être imposés.
L'un recherche la tranquillité, l'autre l'aventure. L'un la victoire sur lui-
même contre ses penchants et ses phantasmes. L'autre recherche la fantaisie
distrayante. Faust veut la folle orgie du coeur et des sens. Le stoïcien professe,
lui, l'indifférence devant ce qui affecte sa sensibilité. La recherche du but
est, comme l'on dit maintenant, du sur mesure , du à la carte ». Com-
ment harmoniser tout cela ? Que de chemin à parcourir, que de victoires sur
nous-mêmes devons-nous remporter ? Que de comoétences à acquérir pour
savoir penser, juger et agir conformément à nos buts.
Certes, la science depuis un siècle a permis de soulager beaucoup de
misère, nous e mis à même de nous procurer beaucoup de satisfactions sur
cette terre. Mais paradoxalement cela pose d'innombrables problèmes.
Si nous en avions le temps ici, nous pourrions prouver aisément que ces
problèmes sont cruciaux qu'ils ont des côtés tragiques contrairement à ce
au'un bon sens primaire et Incomplet peut suggérer. Et ces problèmes doivent
être abordés, disséqués, analysés. Des solutions doivent apparaître sous peine
de mort de l'humanité.
A chaque tournant d'époque surgissent de nouveaux problèmes, et ces
problèmes sont vitaux. Le vieux Maçon blanchi à la tâche le sait bien, Il sait
que ses investigations nécessaires sont sans limite. Il sait que son travail est
un travail de Pénélope, non qu'il détruise la nuit ce qu'il e fait le jour, mais il
est conscient que, lorsqu'il croit arriver au but, des notions nouvelles surgis-
sent, des difficultés nouvelles apparaissent, aberrantes parfois, et sans pou-
voir prévoir ou deviner d'où elles viennent ni en mesurer l'ampleur.
71
Alors, tout est encore à modifIer, tout est encore à rééquilibrer.
D'ailleurs, dans les textes symboliques de nos Rituels ii est énoncé que
le Temple que construit le Franc-Maçon ne sera jamais terminé.
***
Ainsi, chers auditeurs, pour conclure cet exposé, nous avons souhaité
vous apporter quelques éclaircissements sur ce qu'est la Franc-Maçonnerie
de la Grande Loge de France.
Certes les Francs-Maçons ne sont pas des anges, mais ils se défendent
d'être des démons. Ils sont tout simplement des hommes. Des hommes de
bonne volonté, qui s'efforcent dans la quiétude de la Loge, d'exercer un cer-
tain sacerdoce dont le but est, dans la limite de leurs forces, de faire quelque
chose d'utile pour le progrès de l'Humanité.
Oui nous approuve nous assiste.
DECEMBRE 1973
72
La Grande Loge de France vous parle...
ALLOCUTION DU NOUVEL AN
du Docteur PIERRE-SIMON
Grand Maître de la Grande Loge de France
Le nouvel initié. - Docteur PIERRE-SIMON, vous êtes Grand Maître de
la Grande Loge de France. vous avez accepté de répondre à un jeune Franc-
Maçon. Je suis encore étudiant et je suis un Franc-Maçon nouvellement initié.
Je vais vous poser quelques questions, qui ne vous paraîtront peut-être pas
essentielles, - je vous prie de bien vouloir m'en excuser mais qui
auront au moins le mérite de la spontanéité, de la sincérité, puisqu'elles
sont directement suscitées par ma toute récente expérience initiatique, mais
aussi par ma préoccupation, en tant qu'étudiant, d'être constamment en prise
directe sur les événements qui concernent l'ensemble de la société.
Or, pour tous les Français, pour tous les Européens, mais aussi pour de
nombreux hommes et femmes à travers le monde, les Fêtes de Noêl et du
Nouvel An, cette année, ont laissé un goût quelque peu amer, malgré les
traditionnels échanges de bons voeux. Aussi, dans son universalisme, quels
sont les bons voeux de la Franc-Maçonnerie tout entière et quels sont les
voeux du Grand Maître de la Grande Loge de France aux Français ?
Le Grand Maître. - Effectivement, il nous a paru plus intéressant de
transformer nos voeux en manière de dialogue. Et ce dialogue que je voulais
engager avec vous me paraît bien utile pour la compr4hension de notre
Ordre.
Pour un Franc-Maçon, sachez-le, le Nouvel An est le moment opportun
pour le bilan. Ce n'est pas le moment où l'on se congratule, mais au contraire,
c'est le moment où le Franc-Maçon dresse son bilan et examine s'il a bien
rempli son rôle.
Remplir son rôle pour un Franc-Maçon, qu'est-ce ? C'est d'avoir analysé
les objectifs qu'il s'est proposé librement, de lui-même, en concertation avec
les Frères de sa Loge et de les inventorier. En réalité Il s'interroge A-t-il
r
bien vécu sa vie de Maçon ? A-t-il de l'intérieur analysé les difficultés qu'il
aura éprouvées et se sera-t-il projeté au dehors, dans sa vie profane, dans
son métier, dans la société, dans sa famille ? Aura-t-il réussi, du premier
jour de l'année au dernier, à être l'homme qu'il était déterminé à devenir ?
73
En réalité, qu'est-ce que pour le Franc-Maçon, le devenir d'une année à
l'autre ? C'est de contribuer davantage à la promotion du bonheur. Il sait
que toutes les sociétés se sont fixé pour objectif le bonheur. Comment
pourrons-nous le définir ? Le sentiment qui accompagne le passage d'une
moindre à une plus grande perfection. En quelque sorte, pour nous, la
recherche du bonheur, c'est le perfectionnement constant, quotidien.
N.I. - Mais les voeux de la Franc-Maçonnerie ne sont-ils pas quelque
chose de plus qu'une invocation au bonheur ?
Je m'explique : les fêtes de Noél et du Nouvel An, avec leur cortège
de personnages mythiques, leurs rites, leurs références religieuses aussi, sont
de grandes fêtes symboliques. La Franc-Maçonnerie, puisque le Symbolisme est
son outil de travail privilégié, interprète-t-elle de façon particulière la nouvelle
année 7
G.M. - Non, ainsi que je vous le disais, la Franc-Maçonnerie célèbre à
sa façon la nouvelle année, car pour le Franc-Maçon, le premier janvier n'est
ni un anniversaire, ni la célébration de la circoncision d'un Prophète... pour
le Franc-Maçon, la célébration du Nouvel An coïncide, « colle « en quelque
sorte, à la célébration du Solstice d'Hiver. Vous le savez, ou vous allez
l'apprendre bientôt dans votre Loge, le Maçon est un homme qui s'accommode
d'un seul maître. Le maître, c'est la nature. Pour nous, par conséquent, la
communion est quotidienne. C'est notre grand maître, la nature. Au terme de
l'hiver, au solstice d'hiver, quand le soleil est au plus bas, quand ses rayons
ne dardent que faiblement dans la grisaille ouatée de l'horizon, notre terre
est arrivée à la phase où s'achève son repli sur elle-même. C'est l'instant
où elle bande ses forces. c'est le temps, en quelque sorte, où elle reprend
vigueur. Et c'est finalement un phénomène cosmique que nous connaissons
bien, que les scientifiques ont très bien défini dans les temps modernes
nous savons que deux mouvements président à notre Cosmos l'expansion
:
puis la condensation.
Le Nouvel An, salué par la célébration du Solstice, est le point d'invo-
lution extrême de la nature.
Nous allons repartir pour l'expansion, c'est-à-dire la reconstruction. Le
Franc.Maçon, comme la nature, part pour la construction du monde, il met sa
règle de Compagnon sur l'épaule et s'en va.
N.I. - Pour le jeune Franc-Maçon récemment initié, la recherche constante
de la vérité, cette « marche vers la Lumière que vous évoquiez à l'instant,
c'est une voie difficile et fascinante. Difficile, parce que la voie est parsemée
d'obstacles, mais fascinante, parce qu'affronter ces obstacles procède d'un
choix conscient. Or, l'initié dispose d'une seule arme, à la fois dérisoire
et puissante sa volonté de progresser sur le chemin du perfectionnement
individuel.
Mais ce choix ne le dispense pas, au contraire, de regarder, de part et
d'autre du chemin, le monde qui l'entoure. Or, de nombreux observateurs,
compétents pour en juger, nous prédisent des jours difficiles notre société,
:
74
dans ses fondements matériels et spirituels les plus établis, est aujourd'hui
fortement ébranlée et, même si elle parvenait à résister, elle demeurerait
néanmoins très sérieusement remise en cause. Alors, pourriez-vous me dire
si cela vous surprend et surtout quelle réponse la Franc-Maçonnerie peut
apporter à l'interrogation que suscite cette remise en cause de la société ?
G.M. - Votre question pourrait paraître judicieuse si elle ne s'adressait
à la Franc-Maçonnerie. La Franc-Maçonnerie ne peut être désarmée par une
remise en cause, cela simplement en raison de son principe. La Franc-Maçon-
nerie est la contestation permanente. Le travail dans la Loge, qu'est-ce ?
Vous êtes initié maintenant depuis quelques mois et peut-être vous êtes-
vous aperçu que ce que dans la Loge nous recherchons, c'est de ne jamais
conserver une vérité pour acquise. Ce que nous appelons vérité le lundi n'a
pour nous de valeur que le lundi, mais le mardi nous remettons ce concept
en cause. Et c'est peut-être là l'originalité la plus fondamentale, la plus
profonde de la Franc-Maçonnerie. Vous êtes étudiant, vous avez sans doute
connu Mai 1968, vous avez probablement participé aux réunions qui se multi-
pliaient dans le monde du travail (à 'Odéon ou à la Sorbonne) où les
jeunes essayaient de confronter leurs différentes pulsions, remettant en cause
leurs propres modalités d'existence. Ils n'ont fait que réinventer, sans en
posséder la méthode, la maïeutique maçonnique. Les étudiants l'avaient perçue,
de façon sourde, confusément et avaient tenté de l'utiliser afin de reconstruire
leur monde,
La vérité est l'objet de notre quête permanente. Alors, disons-le tout bref,
nous connaissons e leurre de la société de consommation. Vous avez pris
connaissance des questions mises à l'étude des Loges nous avons toujours
répudié le quantitatif au bénéfice du qualitatif. Pour ce faire, nous ne nous
sommes jamais référés ni au dogmatisme religieux intransigeant, ni aux
nécessités technocratiques, encore moins à la dictature idéologique et. d'ail-
leurs, vous le voyez, elles se sont avérées aujourd'hui impuissantes. Mais la
Loge, elle, réalise une micro-société, de par son fonctionnement, de par sa
conception. Elle reproduit le monde du dehors. Tous les Frères qui la compo-
sent viennent y travailler, de concert, et il se dégage des individus les aspi-
rations profondes qu'ils ont puisées chacun dans leur milieu, dans le monde
où ils sont nés. Aussi, cette prise en considération de l'aspect qualitatif de
la question fait que nous avons toujours stigmatisé le travail parcellaire, celui
qu'on appelle encore le travail « en miettes «. Cette Loge va, par conséquent,
exister en tant qu'institution non marginale, non contestataire pour le dehors
mais au-dedans seulement. Culturellement puissante, elle tourne délibérément
le dos au phénomène contre-culturel.
Référez-vous à la démographie de ceux qui frappent à notre porte, vous
constaterez qu'aujourd'hui c'est le monde technologique qui vient à nous les
jeunes hommes qui demandent à être initiés Francs-Maçons sont des hommes
qui, ayant vu les Eglises déshabitées, les partis politiques abandonnés à
eux-mêmes, viennent à nous parce qu'ils sentent qu'eux-mêmes, que l'Europe,
que le monde entier, ont soif d'une philosophie.
75
N.I. - A travers cette réponse transparaissent des références à l'idéal
maçonnique traditionnel et permanent, dont les deux maîtres-mots sont
Fraternité et Tolérance. Mais ces deux concepts ne suffisent pas à l'élabo-
ration d'une philosophie, d'une éthique ou d'une morale. Et constater l'im-
puissance des idéologies contemporaines, explicites ou implicites, est une
attitude qui comporte un prolongement immédiat le jeune Franc-Maçon,
:
parce qu'il est ouvert aux problèmes de son temps, recherche au sein de
l'Ordre initiatique les moyens de se forger son idéal, tant au plan intellectuel
qu'au plan spirituel. La Franc-Maçonnerie peut-elle les lui offrir ?
G.-M. La Franc-Maçonnerie peut les lui offrir, parce que la Franc-Maçon-
nerie pratique sa méthode propre. Fraternité et Tolérance sont les termes de
vous connus parce que, effectivement, à votre degré d'Apprenti, ils furent
significatifs de l'entrée en Franc-Maçonnerie. Mais, vous le savez, le Franc-
Maçon est un homme qui s'élève par degrés au fur et à mesure où vous
vous élèverez par degrés, Fraternité et Tolérance se transformeront en deux
autres maîtres-mots de même essence Amour et Connaissance.
Amour et Connaissance, c'est par ces clefs que, dans son année, tout
Maçon réalise trois catégories de travaux : le premier travail a nécessaire-
ment un impact sur l'actualité. Par le deuxième nos Frères sont toujours
concernés philosophiquement, dans le cadre de la morale. Vous savez que ce
qui distingue essentiellement la Franc-Maçonnerie des Eglises est la pratique
d'une morale, non point la morale figée mais évolutive. Je suis convaincu qu'en
1974, ce que demandent ceux qui viennent à nous, au sortir de leur Université,
de leurs études de technologie, de l'Ecole Nationale d'Administration ou de
Polytechnique, est la recherche d'une morale, aspiration conforme à leur
temps pour ce que l'on appelle asseoir son âme
76
I
JANVIER 1974
77
La Grande Loge de France vous parle.,.
HISTOIRE ET UNIVERSALISME
*
**
78
religion dans laquelle la philosophie éternelle pure a été recouverte, tantôt
plus, tantôt moins, d'une préoccupation idolâtre d'événements et de choses
dans le temps, considérés comme des fins intrinsèquement sacrées et effec-
tivement divines
Lorsque le Christianisme cesse d'être l'idéologie dominante, l'Humanisme
prend e relais et s'efforce, après la Révolution Française, notamment, d'orga-
niser la société sur des bases équitables. L'homme prend en main son propre
destin et les progrès techniques mettent à sa disposition les moyens matériels
du bonheur sur terre. On peut croire au progrès. A cet espoir d'un succès
définitif à court terme, le Marxisme apportera bientôt l'appui d'une analyse
historique et, pour beaucoup, scientifique.
Enfin l'Existentialisme dégage clairement notre pleine et entière respon-
sabilité par le moyen du politique, c'est nous-même qui forgeons le destin
:
A cette façon de voir et de vivre les choses, on peut faire deux procès
d'une part, de relever d'un acte de foi plus que d'une analyse sérieuse de la
réalité d'autre part, d'être source d'appauvrissement au niveau de la réflexion
individuelle,
7g
férentes, selon l'époque, la mode et le régime politique auxquels ils sont atta-
chés. Car, dans maints pays, ils sont les grands prêtres d'une nouvelle
théocratie :celle des politiciens. A leur demande, ils vaticinent et dans les
entrailles d'on ne sait quel poulet, ils lisent et disent le sens de l'histoire. Et
chacune de ces nouvelles religions a ses rites, ses lieux saints, ses chapelles
et ses Judas, son Orthodoxie, ses dogmes et ses hérétiques. Elles satisfont
en nous ce double besoin de haine et de communion ou plus exactement de
communion dans la haine qui doivent faire partie des besoins fondamentaux
de l'homme.
80
Souvenons-nous de l'enseignement de Jésus à Marthe et Marie. Marthe
se plaignait que sa soeur, attentive aux paroles du Christ, la laisse seule occu-
pée aux soins domestiques : Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites
pour beaucoup de choses. Une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la
bonne part qui ne lui sera point ôtée. »
Tout ce qui est historique est contingent, restrictif et sépare les hommes
les uns des autres. Les anciens Egyptiens, les Indous, les Chinois nous sont
étrangers par leur langue, leur costume, leur organisation sociale, leur système
religieux pourtant la joie et l'amour, la souffrance et la mort font partie de
notre lot commun. Fait aussi partie de ce lot commun, la vie religieuse,
c'est-à-dire la pratique de rites et la référence à des symboles qui, d'une tra-
dition à l'autre, montrent des convergences frappantes et si les théologies
divisent, les symboles rapprochent l'origine même du mot le dit, puisqu'il
s'agissait au départ de cette petite plaquette de bois ou sumbolon, que les
Crecs anciens brisaient en deux lors d'une séparation lorsque plus tard on
rapprochait les deux extrémités, le fait qu'elles s'ajustent parfaitement authen-
tifiait la rencontre.
Ce sont, pensons-nous à la Grande Loge de France, ces considérations
qui sont à la base de l'Institution Maçonnique. Le même Anderson que nous
citions au début de cette chronique, indique dans la Constitution de 1723 que
la Franc-Maçonnerie, laissant à chaque individu les opinions qui lui sont pro-
pres, se propose de réunir les hommes dans la religion sur laquelle ils sont
tous d'accord : d'être d'authentiques hommes de bien.
C'est pourquoi, précise-t-il encore, les querelles d'ordre personnel et, a for-
tiori, les discussions de nature religieuse ou politique ne pénètrent pas dans
le temple. Car, en tant que Maçons n et appartenant à la religion universelle
mentionnée ci-dessus, nous sommes de toutes les nations, de toutes les
langues, de toutes les espèces et n resolved against ail Politics. as what neyer
yet conduced to the Welfare of the Lodge, nor ever will ». Ce qui peut se
traduire par dressés contre la Politique qui n'a jamais contribué à l'épanouis-
sement des loges et ne le fera jamais n.
Les Maçons se réunissent dans un Temple. Certains Philologues pré.
tendent que ce mot vient du latin Temnere : couper. Le Temple c'est la part
d'espace qui est mis à part du reste du monde. Les anciens rituels maçon-
niques indiquent qu'il suffit de tracer sur le sol, les limites de l'espace consa-
cré pour établir symboliquement un Temple.
Celui-ci est ouvert à tous ceux qui, dans le cadre d'une religion établie,
:
ont déjà trouvé leur chemin, ceux qui cherchent encore le leur et ceux qui
pensent qu'ils n'auront jamais fini d'en chercher un.
Dans le Temple Maçonnique, la pratique des rites, dans la mesure où
ceux-ci furent de tout temps à la base d'une attitude religieuse, l'étude des
symboles, dans la mesure où ceux-ci furent de tout temps le support d'une
médiation tournée vers le spirituel la référence à une tradition immémoriale,
permettent à l'individu d'échapper un instant au siècle, au contingent, élargis-
sent le champ de la réflexion, mettent la personne en contact avec le
cosmos et donnent à sa pensée un goût d'éternel.
FEVRIER 1974
81
La Grande Loge de France vous parle..
PERSPECTIVES D'AVENIR
Parmi les griefs majeurs qu'adressent à l'Ordre maçonnique ses adver-
saires déclarés, on trouve en bonne place l'attribution de visées occultes à
la domination du monde Les Francs-Maçons au pouvoir Les autres à
leur service !« Tel serait le but ultime de notre institution.
82
accumulé dans le passé, la manière dont les Francs-Maçons peuvent s'y
prendre pour concevoir, envisager et préparer cet avenir sera certainement
fondamentale, car leur méthode repose sur des piliers sûrs tels que l'objec-
tivité, le souci de la liberté, la volonté tenace d'aboutir et aussi, ne l'oublions
point, la maîtrise qui sait faire la part de ce qu'il est possible d'atteindre et
de ce qui dépasse les capacités de l'homme de notre temps.
En bref, comment les Francs-Maçons envisagent-ils l'avenir ?
Excluons d'emblée ce qu'on appelle les « utopies la construction de
ce qui n'existe encore nulle part mais qu'il serait souhaitable de voir s'ins-
taurer partout. Lorsque certains prétendent que la réalité de demain, c'est
l'utopie d'aujourd'hui, ils jouent avec les mots car sur dix, cent ou mille
:
83
Or la sphère d'activités des êtres humains dépasse aujourd'hui l'altitude
des tours de télévision : il y a les satellites tournant autour de la Terre,
il y a les véhicules spatiaux envoyant leurs messages à travers le système
solaire il y a peut-être les communications psychiques... mais arrêtons-nous
là dans notre énumération qui ne peut être que fragmentaire, et contentons-
nous d'insister sur l'extraordinaire complexité du savoir qui doit être le
nôtre si nous voulons aborder les problèmes de l'avenir en toute objectivité.
*
l'avenir or, nous nous rendons compte que chacun d'entre nous a une
vision un tant soit peu différente de lui-même et de son milieu, et qu'en
conséquence, nous envisageons chacun notre propre avenir, individuel et col-
lectif. selon notre optique personnelle. Que nous subordonnions, comme nous
le faisons généralement en Occident, l'image collective à la conception per-
sonnelle alors que, dans les pays de l'Est, la vision d'ensemble l'emporte sur
e souhait de l'individu, nous avons toujours à faire à une multitude de
comportements, et en tant que Francs-Maçons, nous nous en réjouissons.
Notre liberté d'envisager l'avenir chacun à notre façon ne va pas, faut-
il dire, jusqu'à l'anarchie dans l'exécution de nos desseins. Nous nous
le
imposons une discipline, tantôt appelée tolérance, tantôt respect d'autruI,
tantôt dignité de l'homme. La liberté de tous ne sera réalisée que par la
concertation entre tous nous saurons trouver mieux : il sera indispensable
que nous trouvions, à tout moment et en chaque époque, la meilleure manière
de garantir le respect de notre liberté mutuelle.
..
* I'
84
Quatrième critère : la volonté, l'orientation dynamique. Sommes-nous
certains que nous faisons, tous et chacun, assez d'efforts pour réaliser ce
que nous concevons - voire pour concevoir ce que nous aimerions réaliser?
Il y a là un domaine peu exploré et pourtant digne d'être approfondi.
*
**
Nous aurons fait le tour de nos réflexions en arrivant au cinquième
critère - que l'on pourrait aussi bien placer en premier, comme point de
départ : celui de la sagesse, de l'équilibre interne de chacun d'entre nous.
Fondamentalement, cela revient à exiger du Franc-Maçon qu'en envisageant
l'avenir, il sache ce qu'il veut, pourquoi il le veut et comment il compte
y parvenir. Acquérir cette sagesse - qui n'a rien à voir avec le renonce-
ment - c'est probablement le travail le plus difficile mais aussi le plus
enrichissant. Chacun doit mesurer ses forces et ses capacités, en évaluer la
portée, en doser l'emploi.
Les Francs-Maçons ne prétendent pas avoir le monopole de la sagesse
- loin de là peut-être la proportion d'hommes équilibrés est-elle simple-
!
ment un peu plus grande, parmi eux, qu'au dehors. Mais cela n'a qu'une
importance relative : les sages sans tablier
s'entendront toujours avec
«
ceux qui portent nos insignes, et inversement. Aussi est-il souhaitable que
dans les grandes tâches que nous réservent les années qui viennent, des
liens toujours plus étroits et plus confiants se créent entre tous les hommes
libres et de bonnes moeurs, tous les chercheurs désintéressés, tous les
hommes de science et tous les hommes de sagesse.
li fut un temps où de nombreux obstacles s'opposaient à un tel dessein.
Mais de nos jours, on semble avoir compris que l'avenir de tous les hommes
est lié et qu'un sort commun est devenu concevable.
Les Francs-Maçons de la Grande Loge de France entendent être de
ceux qui oeuvrent à l'avènement d'un avenir fait pour apporter le bonheur
à l'humanité tout entière.
MARS 1974
85
I
La Grande Loge de France vous parle...
LA FRANCMAÇONNERIE
FACE A LA SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE
DU 20e SIÈCLE
La Maçonnerie symbolique avec son rituel a-t-elle sa place dans la
nouvelle société du XX. siècle, que l'on appelle la société industrielle ?
Il convient pour répondre à la question d'examiner quelques traits carac-
téristiques de notre époque.
*
**
Il est exact, comme l'avait constaté Karl MARX, qu'il existe un lien étroit,
entre le caractère structural d'une société et son évolution économique.
Nombreux sont, cependant, ceux qui ne se sont pas rendu compte des
mutations de la société.
lis continuent à voir, avec des yeux de libéraux des siècles passés, un
monde qui a subi des métamorphoses extraordinaires.
Une ère nouvelle est née qui leur échappe totalement.
Mais d'aucuns plus malins, ont appris à manipuler les hommes, qui devien-
nent entre leurs mains de simples marionnettes.
Nous devons tout d'abord, constater le déclin de la liberté dans une
société devenue de plus en plus policière.
Nous ne parlons pas, bien entendu, des pays soumis à la dictature où
la liberté est bannie purement et simplement, aussi bien d'ailleurs que les
Obédiences Maçonniques. Notre propos s'adresse essentiellement aux pays
où la liberté de l'homme est garantie par les Constitutions et les Lois, où
pour reprendre un exemple classique, si l'on sonne à votre porte à quatre
heures du matin, ce n'est pas le policier, mais le laitier 1
86
Cette liberté de l'homme est encore plus limitée par l'importance de la
publicité et de l'audiovisuel.
Vance PACKARD a calculé que le consommateur moyen recevait quoti-
diennement aux U.S.A. plus de 1 500 messages publicitaires.
Cette publicité, non seulement conditionne l'homme, mais l'incite à des
dépenses injustifiées et souvent ridicules.
L'Amérique consomme plus en carte de voeux qu'en recherches médi-
cales.
On gaspille les matières premières et on ne sait plus comment se
débarrasser des déchets.
Le gaspillage est d'autant plus criminel que les ressources en matières
premières sont limitées, et qu'il existe encore de véritables famines dans le
Tiers-Monde.
Des milliers, pour ne pas dire des centaines de milliers d'hommes,
meurent en Ethiopie ou en Inde, tandis que les automobilistes se lamentent
parce que les restrictions d'essence peuvent leur être imposées ou les
vitesses limitées sur les autoroutes.
Certes les problèmes démographiques n'ont pas atteint dans les pays occi-
dentaux l'ampleur tragique des pays en voie de développement, mais on
continue à contester le bien fondé du contrôle des naissances sans se
rendre compte qu'il est difficile d'imposer aux autres ce que l'on refuse
d'admettre pour soi.
Les jeunes deviennent des êtres sans idéal, préoccupés trop souvent
d'avantages matériels. Comment en serait-il autrement ?
Ils ne trouvent dans leurs foyers, ni discipline, ni principes moraux. Les
pressions extérieures, comme nous l'avons vu, ne tendent qu'à accentuer le
besoin de désirs matériels.
Notre Siècle a pu devenir pour eux celui où n'existait plus de normes,
le temps de l'ANOMIE pour reprendre l'expression chère à DIJRKHEIM.
li ne faut pas exagérer. De nombreux jeunes se refusent à accepter une
telle situation, ils aspirent à la pureté et créent à l'extérieur des villes
polluées des communautés ressemblant à celles des Esséniens.
87
Dans un monde sans idéal ni foi, s'est produit une énorme mutation due
à l'accélération de l'Histoire.
La Franc-Maçonnerie Ecossaise peut-elle apporter une solution à tous ces I
problènies ? C'est ce que nous allons essayer d'examiner maintenant.
88
La Loge doit être à limage de celle de R. KIPLING, sans distinction de
religion, croyance ou race et je vous rappelle ce magnifique poème de notre
Frère KIPLING
LA LOGE MERE
Il y avait Rundle, le chef de station,
Beaseiey, des voies et travaux.
Ackman, de l'intendance.
Donkin, de la prison,
Et Blacke, le sergent instructeur,
qui fut deux fois notre vénérable,
Et aussi le vieux Franjee Eduljee
qui tenait le magasin « Aux Denrées Européennes
Dehors, on se disait :« Sergent, Monsieur, Salut, Salam
Dedans, c'était Mon frère », et c'était très bien ainsi.
Nous nous rencontrions sur le niveau et nous quittions sur l'Equerre.
Moi, j'étais second diacre, là-bas
Dans ma Loge-mère.
li y avait encore Sofa Nath, le comptable,
Sahi, le juif d'Aden,
Din Mohamed, clv bureau du cadastre,
le sieur Chuckerbutty,
Arnir Singh, le Sick,
Et Castro, des ateliers de réparation,
lequel était catholique romain.
Nos décors n'étaient pas riches,
Notre temple était vieux et dénudé,
Mais nous connaissions les anciens Landmarks
Et les observions scrupuleusement.
Quand je jette un regard en arrière,
Cette pensée me vient souvent à l'esprit
Au fond il n'y a pas d'incroyants
Si ce n'est, peut-être, nous-mêmes
Car, tous les mois, après la tenue,
Nous nous réunissions pour fumer,
Nous n'osions pas faire de banquets
(de peur d'enfreindre la règle de caste de certains frères)
Et nous causions à coeur ouvert de religions et d'autres choses,
Chacun de nous se rapportant
Au Dieu qu'il connaissait le mieux.
L'un après l'autre, les frères prenaient la parole
Et aucun ne s'agitait.
On se séparait à l'aurore, quand s'éveillaient les perroquets
et le maudit oiseau porte-fièvre
Comme après tant de paroles
Nous nous en revenions à cheval,
Mahomet, Dieu et Shiva
jouaient étrangement à cache-cache dans nos têtes.
Bien souvent, depuis lors,
Mes pas, errants au service du gouvernement,
Ont porté le salut fraternel
De l'Orient à l'Occident,
Comme cela nous est recommandé,
De Kohel à Singapour.
89
Mais combien je voudrais les revoir tous
Ceux de ma Loge-mère, là-bas
Comme je voudrais les revoir,
Mes frères noirs ou bruns,
Et sentir le parfum des cigares indigènes
Pendant que circule l'allumeur,
Et que le vieux limonadier
Ronfle sur le plancher de l'office.
Et me retrouver parlait maçon
Une fois encore, dans ma loge d'autrefois,
Dehors, on se disait : Sergent, Monsieur, Salut, Salam
Dedans c'était : Mon frère ., et c'était très bien ainsi,
Nous nous rencontrions sur le niveau et nous quittions sur l'Equerre.
Moi, j'étais second diacre, là-bas
Dans ma Loge-mère.
Mais avant tout, l'homme ne doit pas se sentir isolé dans la foule soli-
taire. La Loge doit être la structure d'accueil où chaque homme retrouve la
chaleur humaine qui lui manque,
Il ne s'agit pas pour les Francs-Maçons de se retirer dans le passé.
Le Sérénissime Grand Maître PIERRE-SIMON le disait il y a quelques
jours, de même que les Francs-Maçons opératifs ont construit les cathédrales
du Moyen Age, nous devons construire la cathédrale du savoir au XX siècle.
***
Vous voyez donc, pour répondre à la question que nous posions au
début de ce propos, que notre Obédience a sa place, plus que jamais, dans le
monde d'aujourd'hui, car elle est le lien de rassemblement par excellence
des hommes de bonne volonté de tous ceux qui veulent venir témoigner au
procès de l'homme engagé dans 'Histoire,
AVRIL 1974
90
La Grande Loge de France vous parle.,.
91
Mais tout ce qui est profond est simple. Tout ce qui est intérieur, autre-
ment dit ésotérique, est profond et simple, à 'image de la vérité qui est
profonde, simple, intérieure. Esotérique. La vérité est la vie. La vie est la voie.
Esotérique. par construction.
De e comprendre achemine vers l'initiation, au sens vrai. C'est s'initier à
s'initier. Reste à vivre, et c'est l'initiation.
Caricaturer l'initiation, manière de la récupérer, convient à une civilisa-
tion qui, officiellement, l'abolit et cultive des valeurs contradictoires des
valeurs que l'initiation découvre et favorise.
Mais comment abolir le besoin de ces valeurs ? le besoin, la nostalgie
de l'initiation ? Elles sont vitales, elles disparaissent quand la mort avance.
Seule sa victoire en remplirait le vide.
Parce qu'une civilisation se détermine et doit donc se définir par ses
valeurs axiales, Te problème de notre société - l'ignorance et l'angoisse -,
le problème de toute société n'est pas d'abord un problème d'institutions,
mais un problème de mentalité.
Les sciences humaines étudient l'initiation. Tant qu'on demeure au niveau
de l'étude, elles en ont capté l'idée et gelé la réalité. C'est un peu comme
procèdent les sciences occultes, à leur façon. Mais la récupération peut
aussi s'exercer sur les sciences humaines, et sur les sciences occultes, pour
l'initiation.
Au point où nous en sommes, le premier pas consiste à comprendre, et,
préalablement, à expliquer. Expliquer les faits.
Le fait de l'initiation confirme d'abord que celle-ci est universelle, à
travers le temps et l'espace. Aussi, que son arbre a porté de bons fruits.
Le même fait, général et bénéfique, s'avère non pas une démarche tout
intellectuelle, voire scientifique, mais une expérience plénière dont les motifs
sont eux aussi constants : l'ordre du monde la sexualité la société
la mort.
Mais ordre du monde » résume tout. En le connaissant, en l'éprouvant,
en refusant d'y échapper, l'homme trouve son ordre, l'ordre de sa personne,
et sa paix, son bonheur et sa liberté.
De pareils thèmes, qui oserait prétendre qu'au-delà de formulations par-
fois exotiques, parfois archaïques, ils ne réfèrent à des soucis, à des pro-
blèmes actuels, actuellement urgents ?
L'initiation signifie à l'homme d'Occident, en 1974, ceci On ne peut
:
92
et la nature est une invention moderniste. Et catastrophique. Regardez autour
de vous. Après la civilisation rurale, la civilisation urbaine succombe.
Dans toute société, sauf la nôtre, la culture vise à comprendre la nature,
à comprendre que la nature nous comprend. li advient qu'aujourd'hui et Ici,
la culture est anti-naturelle notre culture est une contre-nature. C'est
pourquoi le passage de la nature à la culture, ainsi que les spécialistes des
sciences humaines décrivent l'initiation, prend un nouveau sens. S'initier signi-
fie maintenant revenir à la nature.
Rapport enfin, dans l'initiation, de l'homme à lui-même, à son principe,
qui est le principe de l'humanité et celui du monde leur lieu de même
qu'ils sont le sien le Grand Architecte de l'Univers.
:
Ces rapports de trois sortes ne font qu'un. Ils composent une même
mentalité, une même attitude. L'attitude, la mentalité qui tiennent pour valeur
essentielle l'harmonie. Et de l'harmonie, la profondeur, l'intériorité, la sim-
plicité sont alors valeurs corrélatives, dans la vie.
li n'est jusqu'à la sexualité et la mort sur quoi l'absence angoissante
d'un savoir concret ne se dissimule derrière le masque de la désinvolture.
On s'acharne à désacraliser le sexe et le passage à l'éternité. Et ce sont
les moyens de cette désacralisation qui deviennent I'oblet d'une si grande
révérence qu'ils ss trouvent sacrés à leur tour. Et terroristes de surcroît. Car
c'est un faux sacré, de la fausse magie, de fausses initiations.
S'initier, c'est apprendre que la sexualité n'est ni à mépriser ni à Ido-
lâtrer. Car, selon que l'écrivait le docteur Pierre-Simon dans son Rapport
sur le comportement sexuel des Français, Est-il un plus bel hymne à
l'architecture de l'univers qu'une sexualité bien entendue ? »
93
Et ces symboles on les reçoit normalement au sein d'un groupe, car il
ne serait pas facile, le plus souvent il serait même impossible, de les réin-
venter dans l'isolement.
On les reçoit au sein d'un groupe que l'usage même des symboles,
I
engendrant l'harmonie qu'ils manifestent, a rendu fraternel. Il serait encore
plus difficile, et plus fréquemment encore impossible, de le constituer autour
de soi. Or, le petit milieu fraternel est indispensable à l'homme qui veut
apprendre à vivre dans le dialogue afin d'étendre ce dialogue, par contagion,
par contamination, à l'humanité,
La tradition, c'est précisément la communication de ces symboles conser-
vés, avec leur mode d'emploi, dans le groupe fraternel. Et parmi ces symboles,
les rites font répéter comme on répète au théâtre et déposent un germe,
à faire fructifier par le désir.
Aujourd'hui, en Occident, il n'existe qu'une seule école d'initiation vraie
la Franc-Maçonnerie.
La Franc-Maçonnerie n'est pas une organisation politique ni qui ait droit
de s'occuper de politique. Son travail ne s'opère pas au plan des institutions
mais au plan des mentalités ce en quoi elle est société initiatique, La
Franc-Maçonnerie n'a pas à intervenir en corps, dans le jeu d'un système.
Quand elle verse dans l'action politique, elle fait fausse route.
La Franc-Maçonnerie est une école de spiritualité. Et c'est aussi, et c'est
en même temps l'école de la contestation,
Nous sommes les vrais contestataires déclarait le passé Grand
,
MARS 1974
94