Evaluation
Evaluation
Evaluation
L'évaluation médicale est sortie progressivement d'une certaine confidentialité dans les deux
dernières décennies. Le concept d'évaluation de la qualité des soins était apparu aux États-Unis en
1920, mais c'est surtout après la seconde guerre mondiale qu'il s'est développé dans ce pays et
au Canada, ainsi qu'au Royaume-Uni. Les Pays-Bas l'ont développé à partir des années 1970.
En France, en 1985, un Comité National pour l'évaluation a été créé. Ce n'est que par la création
de l'Agence Nationale pour le Développement de l'Évaluation en Médecine (ANDEM), que
l'évaluation médicale et ses outils se sont vraiment développés dans notre pays [1].
Pendant de nombreuses années, et malgré les références réglementaires comme la loi hospitalière
du 31 juillet 1991, l'évaluation médicale est restée quasiment confidentielle. Le personnel de
l'ANDEM et les experts impliqués faisaient plutôt penser à des « croisés » répandant une nouvelle
parole et les réunions ne rassemblaient qu'un nombre limité de participants. Progressivement,
grâce aux actions de l'Agence, les premiers outils d'évaluation ont été développés : audits
cliniques, conférences de consensus et recommandations de pratique clinique [1].
Les ordonnances d'avril 96 ont renforcé la place de l'évaluation en créant une nouvelle structure :
l'Agence Nationale d'Accréditation et d'Évaluation en Santé (ANAES) qui a constitué la deuxième
étape fondamentale de développement du concept. Le travail entrepris par cette Agence a été
considérable en terme d'organisation et de production, notamment par l'intermédiaire de son
Conseil Scientifique. Des développements récents, législatifs, ont modifié la structure gestionnaire
de l'évaluation médicale en France, en créant la Haute Autorité de Santé (HAS) qui a des missions
élargies, recentrées sur l'Évaluation des Pratiques Professionnelles (EPP) transversale à toutes ses
commissions de travail, ainsi qu'à ses structures administratives [2].
Ceci ne change pas ou peu les méthodes et outils utilisés. Du plus ancien (l'audit clinique) aux
plus compliqués comme les plans d'assurance qualité, les outils utilisables dans l'évaluation
médicale nous viennent pour la plupart des expériences étrangères. Il est important de les
connaître dans leur globalité pour pouvoir les utiliser à bon escient.
Ils doivent cependant être replacés dans le contexte français, centré sur l'EPP [2] et qui a donné à
cette évaluation une nouvelle légitimité.
Présenter les outils de l'évaluation médicale ne doit pas se traduire par une simple énumération,
mais essayer de replacer chaque technique dans son indication. Dans cet article, nous
présenterons successivement
le chemin clinique consiste à regarder quel est le parcours de soins des patients et
comment ils sont pris en charge dans une situation donnée ;
la revue de pertinence des soins est basée sur l'appréciation de la justification de
l'admission en secteur hospitalier ou des journées d'hospitalisation ;
la revue mortalité-morbidité consiste, sans aucun jugement de valeur, à essayer de
rechercher les causes de survenue de certains événements pathologiques graves et
à analyser les raisons pour lesquelles les patients sont décédés.
Les concepts nés dans le monde industriel
La gestion des risques
Initialement développée en secteur industriel et notamment dans les industries à haut risque
technologique comme l'aviation civile, l'énergie nucléaire ou la chimie, elle a été introduite en
santé dès les années 1980 aux États-Unis, sous la pression juridique et les différents procès
développés à partir de la iatrogenèse. Les différentes techniques d'analyse de cette gestion des
risques reposent
Le tableau I, qui ne se veut pas exhaustif, reprend de façon synthétique quelques problématiques
posées dans le cadre de l'évaluation de la qualité des soins, ainsi que les techniques qui peuvent
être utilisées. L'identification du type d'approche permet d'orienter le choix de la méthode pour
initier le projet d'amélioration de la qualité. Les ressources, humaines ou financières, sont bien sûr
très différentes, selon que l'on réalise un audit clinique sur 50 dossiers ou que l'on met en place
une conférence de consensus en cas d'hétérogénéité de la littérature. Le choix du sujet influence
le choix de la méthode. L'HAS ou une société savante auront plus de facilités pour réaliser une
conférence de consensus. Un établissement de soins utilisera les données existantes pour bâtir
des critères d'évaluation des pratiques professionnelles. Il est très important de ne pas perdre du
temps à recréer des informations existantes. C'est la raison pour laquelle l'HAS a mis en place une
Banque Française d'Evaluation en Santé (BFES), reprenant l'ensemble des recommandations de
pratique clinique de langue française et anglaise. Une banque d'évaluation des pratiques sera
également rapidement mise en place pour permettre d'avoir accès à ces référentiels.
La principale difficulté des conférences de consensus repose sur leur actualisation, car le
promoteur doit faire évoluer les recommandations en fonction de l'actualisation des données de la
science.
Dans le domaine pneumologique, l'une des plus récentes est la conférence de consensus
« tabagisme et grossesse ». Elle a permis de répondre à 6 questions concrètes concernant ce
facteur de risque [11].
Les recommandations de pratique clinique (RPC)
Les recommandations médicales et professionnelles sont définies dans le domaine de la santé,
comme « des propositions développées méthodiquement pour aider le praticien et le patient à
rechercher les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données ». Par opposition
aux conférences de consensus [12], la méthode RPC trouve sa place quand
le thème à traiter est vaste et se décline en de nombreuses questions et sous-
questions ;
le travail consiste à faire une synthèse des données multiples et dispersées et qui
n'ont pas à résoudre une controverse.
La méthode RPC permet l'analyse d'une littérature abondante par le groupe de travail qui rédige
les recommandations et la prise en compte de l'avis des experts. Le promoteur peut développer
lui-même la RPC ou travailler en partenariat avec l'HAS.
un bref résumé, qui est souvent destiné à la médecine générale, sauf lorsque la RPC
porte sur une activité spécifique de cette discipline ;
un texte court, qui permet d'avoir une information rapide sur le thème étudié,
d'environ 10 à 20 pages ;
et enfin un texte long qui amène toute l'information disponible et qui a servi aux
différents groupes participants.
La SPLF a élaboré de nombreuses RPC, soit seule, soit en partenariat avec l'ANAES. Celles-ci
seront détaillées tout au long de cette série. On peut citer comme exemple la RPC sur la prise en
charge des BPCO [13] qui a permis de réactualiser les données sur ces pathologies, réaffirmer leur
importance en terme de santé publique et s'intégrer dans un plan national de prévention.
Les différentes recommandations sont gradées en fonction des niveaux de preuve de la littérature
scientifique, selon le document préconisé par l'ANAES [14]. Même si elles sont plus simples à
organiser que les conférences de consensus, les RPC demandent un temps de réalisation
important, de l'ordre de 6 à 9 mois. Face à la complexité de l'appréciation des recommandations,
a été développée une grille d'analyse de ces recommandations, la grille AGREE [15]. Cette grille,
développée au départ par l'union européenne et la fédération des centres de lutte contre le cancer
a ensuite fait l'objet d'un partenariat avec l'ANAES. Elle permet en une quarantaine de questions
de porter un jugement sur la qualité des recommandations. C'est cette grille qui est utilisée par le
groupe de travail de l'HAS pour introduire les RPC dans la BFES. Cette banque est importante car
elle met à la disposition des professionnels les recommandations de langue française, mais aussi
de langue anglaise, par l'intermédiaire de liens informatiques.
Le Consensus Formalisé d'Experts (CFE) [16]
La méthode CFE répond, par sa formalisation, à la nécessité d'objectiver l'obtention des accords
professionnels, de rendre compte avec transparence du processus qui a guidé leur élaboration.
Cette méthode est à envisager lorsque
Applications
Les grilles d'AEPf s'inscrivent dans une démarche d'auto-évaluation, dont l'objectif est de
rechercher les causes des journées non pertinentes. Leur analyse est donc primordiale. Une fois la
ou les causes identifiées, les professionnels de l'hôpital peuvent mettre en place des mesures
correctives, en particulier sur les causes internes. Un travail réalisé au CHU de Limoges, [22] a
montré que le service de neurologie de l'hôpital pouvait perdre jusqu'à 4 lits/jour d'accueil des
patients, dans l'attente d'examens complémentaires ou de résultats de scanner. La correction de
ces dysfonctionnements a permis un meilleur accueil des patients neurologiques dans ce service.
L'AEPf a cependant un certain nombre de limites
Sur le plan juridique, les objectifs de ces réunions étant clairement définis, leur existence ne
modifie en rien les principes généraux de la responsabilité civile, pénale ou administrative ou
disciplinaire. Les comptes rendus sont clairement distincts du dossier patient. Ces documents,
anonymisés, non discriminants, non-identifiants, respectent les dispositions en relevant du secret
professionnel. Il faut donc rassurer les professionnels de santé quant à leur utilisation.
L'intérêt de la méthode est
Il existe un lien entre les revues mortalité-morbidité et les analyses des événements indésirables,
tels qu'ils sont étudiés en gestion des risques. Les revues de mortalité-morbidité doivent faire
l'objet d'une politique institutionnelle inscrite au Projet d'Etablissement et décrite dans le
règlement intérieur. Une grande liberté doit être laissée au service pour déterminer leurs
modalités de fonctionnement.
La figure 4 montre la relation pouvant exister entre les deux thèmes. La revue mortalité-morbidité
n'a pas comme objectif de réduire les déclarations de risques. C'est un dispositif complémentaire
de l'analyse de la gestion des risques.
Les indicateurs
Les indicateurs sont maintenant largement utilisés dans les démarches d'évaluation. Ils sont
également très largement utilisés dans la gestion des risques, dans le processus d'accréditation
des établissements. Ceux-ci mettent en place des suivis longitudinaux d'indicateurs pour répondre
à certains thèmes du formulaire d'accréditation. On peut citer de nombreux exemples où ces
indicateurs sont maintenant largement utilisés
Les limites de l'utilisation de ces indicateurs reposent sur leur qualité (en terme de validité), sur la
lourdeur éventuelle du recueil (si les données ne sont pas disponibles dans le système
d'information). C'est la raison pour laquelle il vaut mieux essayer de limiter leur nombre lorsque
l'on démarre cette approche et toujours essayer de valider le système d'information permettant le
recueil.
La recherche évaluative
La recherche évaluative, telle que nous l'avons définie plus haut, porte sur plusieurs thèmes
l'utilisation de l'épidémiologie ;
les techniques économiques ;
les mesures d'évaluation des interventions ; comme les études « ici-ailleurs » ou
« avant-après » ;
la maîtrise statistique des processus de santé (MSPS) [28].
Elle est issue de l'industrie est adaptée au suivi en continu d'indicateurs pour une amélioration
dynamique de la qualité d'un processus. Son objectif est de comprendre la variation des valeurs
recueillies (notamment pour les indicateurs) et d'appliquer cette variation à une nouvelle forme de
pilotage des institutions. Elle repose sur une mesure spécifique (la capabilité) qui établit un
rapport entre la performance réelle d'un procédé et la performance demandée. Les dispersions
d'un processus peuvent être dues à deux grandes causes
les causes communes, les plus nombreuses, qui sont dues au hasard et qui sont
utilisées par les statistiques ;
les causes spéciales qui sont les causes identifiables, irrégulières, instables et
difficiles à prévoir. L'apparition d'une cause spéciale nécessite une intervention sur le
procédé. La MSPS prévient l'apparition de ces causes spéciales car la dispersion sera
visualisée en temps réel sur une carte de contrôle.
Plusieurs outils sont utilisables dans cette technique
les cartes de contrôle ou de suivi, tel que le taux de chute présenté dans la figure 4 ;
le journal de bord ou de suivi : c'est un document sur lequel sont consignées les
interventions et les modifications effectuées sur les processus et les anomalies
rencontrées. Il est associé en fait à la carte de suivi de l'indicateur ;
les indicateurs dits de « capabilité ». Ils permettent de déterminer si un processus
d'étape doit obtenir des résultats conformes à des spécifications formulées par
ailleurs. Ces indicateurs sont spécifiques à chaque indicateur choisi.
Les principaux domaines d'application de la MSPS sont le suivi chronologique d'un indicateur sur
un thème précis et, au niveau institutionnel, l'évaluation de la qualité des établissements. Il s'agit
alors d'une démarche s'intéressant à une batterie de l'indicateur prédéfini.
Ces techniques ont essentiellement été développées au niveau des hôpitaux nord-américains De
nombreux exemples d'application de la MSPS sont donnés dans le document de l'HAS [28]. Il touche
le plus souvent le domaine de l'infectiologie et des pathologies nosocomiales, mais on peut
également l'utiliser pour analyser un programme de formation à la qualité des soins aux urgences,
l'insatisfaction des patients en consultation, la variabilité d'un examen paraclinique (comme la
mesure du débit de pointe chez l'asthmatique). Ces techniques demandent des compétences
statistiques particulières et ne sont en tout cas pas applicables directement lorsque l'on met en
place des actions d'évaluation de la qualité des soins.
• La recherche évaluative, issue de l'industrie, suit en continu des indicateurs pour une
amélioration dynamique de la qualité d'un processus.
Conclusion
Ce texte a permis de décrire de nombreux outils, des plus simples aux plus complexes,
notamment sur le plan statistique. Il doit permettre au lecteur d'apprécier les différentes
techniques auxquelles il sera un jour ou l'autre confronté, dans sa pratique comme dans ses
lectures.
La France a souvent besoin de catalyseurs et l'EPP en est un très bon exemple. Sa situation
transversale entre l'évaluation des pratiques des soins ambulatoires, l'évaluation des pratiques
hospitalières, l'évaluation des réseaux doit permettre de promouvoir l'évaluation de la qualité des
soins à l'échelle nationale.
Annexe
Annexe 1 : Glossaire des termes employés
ANDEM : Agence Nationale pour le Développement de l'Evaluation en Médecine
AC : Audit Clinique
À RETENIR
• La Haute Autorité de Santé (HAS) a des missions élargies, recentrées sur l'Évaluation des
Pratiques Professionnelles.
• Les méthodes utilisables pour l'évaluation de la qualité des soins sont résumées dans
le tableau I.
• L'évaluation de la qualité des soins peut porter sur plusieurs points, comme élaborer un
référentiel utile pour les professionnels de santé, résoudre une difficulté en cas d'hésitation de la
littérature, obtenir un état des pratiques professionnelles dans une situation donnée, résoudre un
dysfonctionnement, comparer une pratique par rapport à une référence, améliorer la prise en
charge d'une pathologie.