EL A Une Passante Baudelaire
EL A Une Passante Baudelaire
EL A Une Passante Baudelaire
[Intro]
– Baudelaire = naît le 9 avril 1821 à Paris. Pensionnaire au collège Louis le Grand, il obtient
en 1837 et en 1838 des prix de vers latins et de discours français au concours général. Il
fréquente les Romantiques, mais les dettes qu'il contracte poussent sa famille à l'éloigner : il
séjourne alors à La Réunion ; de nombreux poèmes témoignent de l'influence de cette île. En
1848, il commence à traduire l’œuvre d'Edgar Allan Poe, tout en rédigeant des poèmes
(publiés dans des revues) et des critiques d'art.
– Les Fleurs du mal = recueil de cent poèmes publié en 1857, fait l'objet d'un procès : 6
poèmes doivent être supprimés. Il prépare alors la 2de édition des Fleurs du mal, publiée en
1861, dans laquelle figure notre poème. Ce recueil marque un accomplissement (celui du
romantisme et d'une certaine tradition poétique), mais produit surtout une profonde fracture
en introduisant la modernité dans la tradition lyrique occidentale.
– « A une Passante » appartient à la section « Tableaux parisiens » ; il présente le portrait
d'une femme en mouvement. Or, si Baudelaire reprend ici les topoï de la fuite du temps et de
la célébration de la femme (mise en valeur par le blason en vogue au XVIe siècle), comment
produit-il par ailleurs un sonnet résolument moderne ?
– Les quatrains nous présentent tout d'abord une rencontre atypique, puis les tercets livrent les
sentiments qu'elle a engendrés.
Le 1er vers présente un cadre urbain, qui place d'emblée le sonnet sous le signe de la
modernité, tout en prenant appui sur la tradition, comme en témoigne le rythme binaire de ce vers et
de toute la 1re strophe (6 // 6). Le poète désigne les passants qui l'entourent à l'aide d'une
métonymie (« la rue ») qui les dépersonnalise, afin de mieux traduire la gêne éprouvée par la
présence de la foule. Les sensations négatives du poète sont en outre rendues perceptibles par les
sonorités : les allitérations en [s] et en [r], consonnes sifflantes pour la 1re et dure pour la 2de, le
traduisent. Mais cette métonymie personnifie du même coup le lieu, sujet d'un verbe d'action très
puissant : « hurlait ». L'inconfort provoqué par le désagrément auditif (« assourdissante ») est
renforcé par l'imparfait de second plan à valeur durative.
Toutefois, c'est dans ce cadre hostile que surgit l'inattendu : une femme, qui arrête le regard
du poète et à qui sont consacrés les cinq vers suivants. On notera que cette passante mise en valeur
est pourtant loin de l'idéal féminin poétique. Tout d'abord, les adjectifs épithètes (« longue,
mince »), le complément du nom (« en grand deuil ») et le GN apposé (« douleur majestueuse »),
antéposés au GN sujet « une femme », ne la caractérisent pas de façon méliorative. En effet,
l'inconnue ne correspond pas aux canons de beauté de l'époque, tels qu'on les découvre à l'aide de la
peinture. Cependant les adjectifs mis en relief par la rime : « majestueuse ; fastueuse [= qui aime le
faste, le luxe] » lui confèrent par l'hypallage une certaine noblesse (cf. vers 5), qui entre en
contradiction avec la sensualité émanant de sa démarche (vers 4). Ainsi, c'est une femme tout en
contraste qui apparaît de façon furtive, comme le signale l'emploi du passé simple (« passa »), mais
dont les gestes semblent comme suspendus par le recours au participe présent (« soulevant,
balançant »). Le vers suivant poursuit le portrait ambivalent, puisque la femme est qualifiée
d’« agile », alors que la métaphore désignant sa jambe insiste sur la rigidité.
Enfin, des vers 6 à 8, le poète nous livre ce qu'il fait et ressent. Son immobilité (« je
buvais ») et sa tension extrême, soulignée par l'allitération de l'occlusive [k] (« crispé comme un
extravagant ») et par le rythme de ce 2nd quatrain qui n'est plus ni binaire ni régulier, s'opposent à la
légèreté du passage de la passante, en qui il voit de la gravité, voire du danger. En effet, le poète lit
dans son regard, « son œil », caractérisé par la métaphore du « ciel » blanc comme avant une
tempête, un « ouragan », les dangereux délices qu'on pourrait goûter auprès d'elle. La gradation qui
vient clore les quatrains (« la douceur qui fascine et le plaisir qui tue ») dit le pouvoir d'attraction, le
charme au sens propre, qu'elle exerce.
[CC]
Finalement, Baudelaire a composé un sonnet lyrique dans la veine romantique en exprimant ses
sentiments personnels, en les exaltant. Toutefois, il s'émancipe des codes poétiques : il s'éloigne des
contraintes de la forme fixe qu'il a choisie, mais surtout il sublime le fantasme. L'éloge paradoxal
qu'il propose est celui d'une parfaite inconnue, apparue dans un univers urbain hostile, qui fascine
par cette sorte de force destructrice émanant d'elle. Cette femme incarne l'idéal baudelairien ; elle
allie douceur et violence. Et ce poème annonce ce que développeront les Surréalistes au XXe
siècle : le thème de l'amour fou.
Grammaire
Analysez l'expression de la néga° du vers 13
– néga° lexicale : « j'ignore » = je ne sais pas
– néga° grammaticale elliptique : « tu ne sais où je vais » = seul un adverbe sur deux (ne) est
employé ; néga totale.