1 EL Venus Anadyomène Rimbaud
1 EL Venus Anadyomène Rimbaud
1 EL Venus Anadyomène Rimbaud
[Intro]
– Rimbaud naît le 20 octobre 1854 à Charleville. Jeune prodige, il maîtrise parfaitement le
grec et le latin ; il lit énormément, notamment les écrits de Victor Hugo et les poèmes des
Parnassiens (dont Théodore de Banville à qui il adresse trois poèmes) et de Baudelaire.
– Cahiers de Douai est un recueil de 22 poèmes rédigés durant l'année 1870 et copiés à Douai,
chez son professeur de rhétorique, Georges Izambard, auprès de qui il se réfugie après sa
première fugue. On y trouve une grande variété des formes et des registres employés, ainsi
que des thèmes abordés (la sensualité, la dénonciation de la guerre, le voyage, la révolte et la
misère). Cet ensemble de poèmes, confiés au poète douaisien Paul Demeny, n'a été publié
qu'à titre posthume, c'est-à-dire après la mort de Rimbaud survenue en 1891.
– « Vénus anadyomène » est un contre-blason [càd blason 1 dégradant ou blason d'un élément
jugé laid du corps de la femme], puisque le corps de la déesse n'est pas célébré mais profané.
Nous nous demanderons pourquoi le poète choisit ici le registre parodique.
– Le poème proposant une description continue de la femme, de la « tête » (v.1) à la
« croupe » (v.13), nous l'analyserons donc strophe par strophe, afin de bien souligner
l'organisation verticale du portrait.
L'arrivée de Vénus est mise en valeur par le contre-rejet (« une tête / De femme »),
cependant Rimbaud rend cette apparition très commune par l'emploi de l'article indéfini « une ». En
outre, si le verbe « émerge » du v.3 évoque bien la Vénus anadyomène (= qui sort de l'eau) désignée
par le titre, on est frappé de constater qu'ici cette « naissance » de la déesse mythologique est
associée à la mort, avec la comparaison du v.1 (« un cercueil »), et à la domesticité triviale (« une
vieille baignoire »). On notera que cet adjectif caractérisant l'objet pourrait tout aussi bien
s'appliquer à la baigneuse.
De plus, la laideur de Vénus est mise en exergue. L'expression « cheveux bruns fortement
pommadés » (v.2) offre un contraste avec la blondeur légendaire de la déesse. L'épithète « fortement
pommadés » révèle l'artifice et le mauvais goût. En effet, l'adverbe « fortement » est péjoratif et
montre un excès. Au vers suivant, les adjectifs dévalorisants « lente et bête » insistent sur le manque
d'intelligence qui transparaît du visage de cette femme – les mots « tête » et « bête » étant par
ailleurs associés à la rime, cela crée un effet d'insistance. Enfin, le vers 4 apparaît comme un
euphémisme invitant à imaginer les imperfections physiques grossièrement et maladroitement
camouflées sur le visage, probablement maquillé de cette femme. Finalement, tout est paradoxe
dans cette strophe : la naissance annoncée par le titre est assimilée à la mort, la baignoire « en fer-
blanc » est en réalité « vert[e] », la propreté suggérée par la « baignoire » est démentie par la
« pommad[e] » et le dernier vers du quatrain.
Le douzième vers du sonnet permet de justifier son titre. En effet, le tatouage inscrit sur les
reins de la femme décrite (« Clara Venus) explique le rapprochement avec « Vénus anadyomène ».
L'expression latine est d'ailleurs mise en valeur dans le texte par le recours à l'italique et l'usage
d'une ponctuation forte (les deux points). En outre, ce tatouage apporte un éclairage nouveau sur
cette femme, puisqu'au XIXè siècle, le tatouage était souvent l'un des signes de reconnaissance des
prostituées. Cette allusion constitue donc le comble de la parodie et du détournement de la figure de
la déesse de l'amour.
Ensuite, le vers 13 poursuit la dégradation de la femme entreprise depuis le début du poème.
L'expression conclusive « tout ce corps » envisage la femme dans son ensemble après l'avoir décrite
partie par partie. Elle semble définitivement la réduire à son corps lourd et inélégant. Puis les verbes
d'action « remuer » et « tendre la croupe » accentuent encore la dégradation : ils donnent à voir des
mouvements disgracieux et le substantif en fin de vers poursuit l'animalisation amorcée au début du
poème par les termes « bête » et « échine ».
Finalement, les deux derniers vers, isolés par un tiret marquant une pause, créent un effet de
surprise renforcé par l'oxymore « belle hideusement ». Celui-ci annonce la découverte d'un élément
à la fois répugnant et presque fascinant. L'audace est poussée à son paroxysme : par cette chute, le
poète fait rimer « Venus » et « anus » (rime riche par conséquent très sonore) ; il associe le sacré au
profane, le sublime au bas corporel et fait sombrer la naissance mythique de la déesse dans un
humour tendancieux et scatologique, très inattendu en poésie.
CCL : Par conséquent, ce sonnet n'est pas sans faire penser à « Une Charogne » issu des Fleurs du
mal. On y découvre une liberté affirmée, avec le ton parodique. Rimbaud s'approprie un mythe
(Vénus) et des formes littéraires (le sonnet et le blason) dans un acte provocateur. Son projet a-t-il
été de transformer « la boue en or », à l'instar de Baudelaire, de rendre beau ce qui est laid ou de
désacraliser la beauté ? Force est de constater que l'adolescent revendique une culture littéraire et
artistique, dont par ailleurs il s'affranchit.