F3E Guide-Genre Web
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REPÈRES
SUR…
Vivre le genre !
9 fiches pratiques pour faire
progresser l’égalité de genre
1
Né en 1994, le F3E est un réseau apprenant d’acteurs français de la solidarité et de
la coopération internationales dédié à l’amélioration de la qualité et de l’impact
de l’action.
Pluri-acteurs, il est composé d’organisations membres (ONG, collectivités territo-
riales, réseaux, fondations, syndicats), conduisant des actions d’aide au développe-
ment, de plaidoyer et d’éducation à la citoyenneté mondiale.
La mission du F3E est de contribuer à améliorer les pratiques, en matière d’appren-
tissage, d’innovation, d’amélioration de la qualité et de l’impact de leurs actions.
Pour cela, il joue un rôle de Centre de ressources et développe une offre d’accompa-
gnement individuel (études, formations, appui-conseil) et collectif (communautés
de pratiques, programmes de recherche-action).
Le genre fait partie intégrante de l’activité au F3E, en tant qu’outil conceptuel et
méthodologique porteur de changements.
Avec le soutien de :
Illustration de couverture :
Annick Kamgang
2 VIVRE LE GENRE !
3
Autrices
Cette publication a été élaborée par :
Armelle BARRÉ – F3E
Vanessa GAUTIER – F3E
Elisabeth HOFMANN – Genre en Action
Yveline NICOLAS – Adéquations et Genre en Action
Annick KAMGANG – autrice des bandes dessinées, avec l’aide de Reine DIBUSSI sur
certaines planches.
Remerciements
Nous remercions les participantes et les participants de l’espace pluri acteurs-
actrices Genre d’avoir relevé le défi du partage et de l’apprentissage collectif. Nous
remercions particulièrement toutes les personnes qui ont accepté de raconter leurs
expériences, dans un esprit de partage et de confiance.
Nous remercions les membres du comité de relecture pour leurs commentaires
avisés et bienveillants. Ils et elles nous ont permis de vous proposer une version
encore plus aboutie de cette publication, notamment : Aurélie CERISOT, Eugénie
CONSTANCIAS, Chloé FREOA, Manuel LEICK-JONARD, Lena NGOUEBENG, Bruno de
REVIERS et Nathalie SARIC.
Nous remercions Louis FONTANIER, bénévole au F3E, qui a participé à la sélection
des ressources « Pour aller plus loin ».
Enfin, nous remercions Perrine DUROYAUME, ancienne membre de l’équipe F3E,
qui a su insuffler un vent de créativité sur l’animation de ces ateliers. Elle nous a
apporté sa grande expérience en capitalisation, ainsi que Claire de RASILLY, qui l’a
remplacée dans l’animation à nos côtés.
Genre, genres...
de quoi parle-t-on ?
Le genre Le genre, en tant que rapport de pouvoir, ne peut pas être
envisagé de manière séparée d’autres rapports de pouvoir
basés sur la couleur de peau, la classe sociale, la sexua-
lité, l’âge, etc. Dès 1981, bell hooks expliquait : « Lorsque
Le genre, la construction sociale l’on parle des personnes noires, l’attention est portée sur les
des différences entre femmes et hommes hommes noirs ; et lorsque l’on parle des femmes, l’attention est
Le genre est un concept sociologique qui permet de pen- portée sur les femmes blanches.3 » Comme elle, les femmes
ser la construction sociale des différences entre le mas- noires américaines étaient invisibilisées, alors qu’elles
culin et le féminin, les hommes et les femmes, dans une subissent des discriminations spécifiques. Ce concept a
société donnée et à une période donnée. Il distingue le été théorisé par Kimberlé Crenshaw4, professeure de droit,
sexe biologique et le sexe social. En 1972, la sociologue sous le terme d’intersectionnalité.
Ann Oakley pose la distinction entre le sexe, renvoyé au
biologique, et le genre, renvoyé au culturel. En France à la Minorités : orientation sexuelle
même époque, plusieurs universitaires préfèrent parler des et identités de genre
« rapports sociaux de sexe ». On parle parfois de « minorités de genre » pour désigner
Le genre – compris comme les rapports sociaux de toutes celles et tous ceux qui ne s’inscrivent pas dans la
sexe – est posé comme construction sociale, fruit d’un norme cis-genre et/ou l’hétéronormativité, c’est à dire
apprentissage tout au long de la vie des rôles, caractéris- « le système, asymétrique et binaire, de genre, qui tolère
tiques, attributs et représentations octroyés à chaque sexe. deux et seulement deux sexes, où le genre concorde par-
faitement avec le sexe (au genre masculin le sexe mâle,
Le concept de genre permet donc de penser les relations au genre féminin le sexe femelle) et où l’hétérosexualité
entre femmes et hommes sous l’angle des rapports sociaux. (reproductive) est obligatoire, en tous cas désirable et
convenable.5 »
Le genre, révélateur des rapports
de pouvoir On peut toutefois distinguer ce qui relève de l’orientation
sexuelle, de l’identité de genre et de l’intersexuation.
Or, les attributs associés aux femmes et aux hommes ne
sont pas mis sur un pied d’égalité. L’anthropologue Fran- « Une orientation sexuelle est dite hétérosexuelle si elle porte
çoise Héritier estime que « partout, de tout temps et en tout sur des personnes de “l’autre sexe”, homosexuelle, si elle porte
lieu, le masculin est considéré comme supérieur au féminin1 ». sur des personnes du “même sexe” ; bisexuelle, si elle porte
C’est ce qu’elle nomme « valence différentielle des sexes » : sur des personnes des “deux sexes”. […] Une orientation est
ce qui est associé au masculin est socialement valorisé. asexuelle s’il y a absence d’inclinaison sexuelle, ce qui arrive
aussi.6 »
Pour l’historienne Joan W. Scott, « le genre est un élément
constitutif de rapports sociaux fondés sur des différences L’identité de genre est le sentiment profond d’apparte-
perçues entre les sexes, et le genre est une façon première nance à une identité féminine, masculine ou autre, indé-
de signifier des rapports de pouvoir2 ». Ainsi, le concept de pendamment des caractéristiques biologiques. Parce qu’il
genre permet de visualiser les relations sociales entre y a une « injonction normative7 » à se conformer au genre
les personnes comme des rapports de pouvoir et de qui nous est assigné à la naissance, et que l’on apprend
domination, qui peuvent être déconstruits. Grâce à ce dès l’enfance à être masculin ou féminin, la plupart des
concept, il est aussi possible de combattre les inégalités, sociétés sanctionnent socialement celles et ceux qui ne
notamment celles qui existent entre hommes et femmes. reproduisent pas ces modèles mais les subvertissent,
1 Françoise Héritier, Michelle Perrot, Sylviane Agacinski et Nicole Bacharan, La plus belle histoire des femmes, Seuil, 2011
2 Joan W. Scott, Eléni Varikas, « Genre : une catégorie utile d’analyse historique », Les cahiers du GRIF, n°37-38, 1988. Le genre de l’histoire
3 bell hooks, Ne suis-je pas une femme ?, Éditions Cambourakis, Collection Sorcières, 2015 (version originale : 1981)
4 Kimberlé Crenshaw, « Demarginalizing the Intersection of Race and Sex: A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist
Theory, and Antiracist Politics », University of Chicago Legal Forum (1989)
5 Cynthia Kraus, traductrice de Judith Butler, Trouble dans le genre, Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La Découverte, 2006
6 Michel Dorais, « Repenser le sexe, le genre et l’orientation sexuelle », Santé mentale au Québec, vol 40 n°3, 2015
7 Judith Butler, Trouble dans le genre, Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La Découverte, 2006
4 VIVRE LE GENRE !
5
Bicatégorisation : Hiérarchisée :
division en deux classes dissymétriques ces groupes sont organisés
et mutuellement exclusives selon un ordre de priorité
Ainsi, non seulement les différences entre hommes et femmes se construisent socialement, mais elles sont hiérarchi-
sées dans la représentation et dans les faits : la répartition des ressources économiques, politiques et symboliques est
défavorable aux femmes.
Par ailleurs, il est important de ne pas prendre en compte uniquement la variable « genre » dans les rapports de pouvoir
et de domination mais de veiller à l’intersectionnalité. Il est également important de ne pas nier tout ce qui sort de
l’hétéronormativité.
notamment via la transidentité. Certaines sociétés tradi- santé, aux retraites […], le genre est un des axes essentiels
tionnelles, toutefois, « peuvent inclure un troisième sexe de la connaissance, un outil indispensable à l’intelligence du
avec des rôles qui sont considérés comme distincts des rôles monde social. La « variable sexe » n’est pas contingente, elle
féminins ou masculins9 ». est nécessaire11 ». C’est une grille de lecture de la société
indispensable pour la comprendre.
Enfin, il existe de nombreuses personnes intersexes, c’est-
à-dire naissant avec des « caractères sexuels (génitaux, Cette perspective de genre apporte des éléments pour la
gonadiques ou chromosomiques) qui ne correspondent déconstruction des relations de pouvoir et de domination,
pas aux définitions binaires types des corps masculins ou en vue d’une société plus égalitaire, que ce soit au plan
féminins.10 » On estime leur nombre à 1.7% de la popula- social, économique, politique, culturel…
tion, soit autant que de personnes rousses.
Les outils disponibles permettent d’analyser les actions
et de savoir dans quelle mesure elles permettent de faire
8 Laure Bereni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait et Anne Revillard, Introduction aux Gender Studies. Manuel des études sur le genre,
Bruxelles, Collection « Ouvertures politiques », De Boeck, 2008
9 Gilbert Herdt, Third Sex Thier Gender: Beyond Sexual Dismorphism in Culture and History, MIT Press, 1996 ; voir aussi Ann Fausto-Sterling, Les
cinq sexes, pourquoi mâle et femelle ne sont pas suffisants, Payot, 2013 (version originale : 1993)
10 Collectif Intersexes & Allié·e·s, Intersexe, c’est quoi ?, http://cia-oiifrance.org
11 Françoise Thébaud, « Sexe et genre » in Magaret Maruani, Femmes, genre et sociétés, l’état des savoirs, La Découverte, 2005
Intégration du genre
Genre et développement dans le développement
L’approche « genre et développement » – GED (« gender
and development » – GAD) émerge dans les années 1980
Pendant de nombreuses années, les politiques de déve-
comme une évolution de l’approche précédente. Elle
loppement ignoraient les réalités sociales différenciées
part du constat que les relations de pouvoir inégales
auxquelles font face les hommes et les femmes. Les pro-
empêchent un développement équitable ainsi que
grammes de développement ne différenciaient pas les
la pleine participation des femmes. Cette approche se
populations bénéficiaires et s’adressaient de fait massive-
nourrit des recherches féministes et des expériences des
ment à des hommes, relativement jeunes et valides, ce qui
organisations de femmes des pays dits du Sud, elle met
a des impacts nocifs au regard de l’égalité de genre.
le focus sur les relations de pouvoir dans les relations de
genre et la subordination des femmes aux hommes.
Intégration des femmes
dans le développement L’empowerment (empouvoirement) des femmes est alors
mis en avant dans le sens de renforcement du pouvoir
L’approche « Femmes et développement » – FED (« women d’agir. Il passe par le renforcement du :
in development » – WID) a émergé dans les années 1970
après la publication de l’ouvrage de l’économiste Esther - du « pouvoir de » : de connaître, d’acquérir des
Boserup1. Elle établit le constat que le progrès écono- expériences… ;
mique se fait au détriment des femmes du fait de leur non - du « pouvoir avec » : pouvoir du collectif permettant de
intégration dans le processus de développement et de la sortir de l’isolement, de reconnaître la capacité de ses
non prise en compte de la division sexuelle du travail. membres et de construire du collectif ;
L’approche Femmes et développement promeut donc - et du « pouvoir en » ou « pouvoir intérieur » : la
l’intégration des femmes au développement, en met- confiance en soi.
tant l’accent sur la contribution des femmes comme un L’objectif est donc que les femmes obtiennent l’accès et
élément de la modernisation économique et sociale. De le contrôle de ressources matérielles, intellectuelles et
nombreux projets et programmes de développement sont culturelles pour participer de façon active aux prises de
alors mis en place à partir des années 1970 qui s’adres- décisions qui les affectent et générer des transforma-
saient au « groupe femmes » de façon spécifique (avec des tions sociales. Ainsi, l’approche Genre et développement
budgets mobilisés restant toutefois inférieurs à ceux des met davantage l’accent sur les intérêts stratégiques des
projets majoritairement destinés aux hommes). femmes et non plus seulement sur leurs besoins pratiques.
Ainsi, les causes structurelles des différences consta- L’approche Genre et développement adopte également
tées entre femmes et hommes ne sont alors pas prises pour stratégie la transversalisation du genre (« gender
en compte, et la division sexuelle du travail n’est pas mainstreaming »). Celle-ci implique à la fois l’intégration du
remise en cause. Au contraire, dans certains cas, le rôle genre à toutes les actions menées (projets, programmes,
traditionnel des femmes comme mères et responsables etc.) et sa prise en compte dans la dynamique interne aux
des besoins de base de la famille (nourriture, éducation, organisations qui les portent pour favoriser un change-
santé, etc.) est renforcé par ces programmes. Les femmes ment profond des relations de pouvoir.
font alors face à une surcharge de travail, de nouvelles res-
ponsabilités s’ajoutant à leurs tâches domestiques, produc-
tives, communautaires.
1 Esther Boserup, Women’s Role in Economic Development, 1970, traduction française La femme face au développement économique, Presses
Universitaires de France, 1983.
6 VIVRE LE GENRE !
7
LGBTQI
Sigles
Acronyme désignant des personnes ne s’inscrivant pas
dans la norme dominante des personnes cis-genre (dont BD : bande dessinée
le genre ressenti correspond au sexe assigné à la naissance) ODD : Objectifs de développement durable
et hétérosexuelles.
OSI : organisation de solidarité internationale
Lesbienne : Femme ayant une attirance sexuelle ou
romantique pour d’autres femmes. ONG : organisation non-gouvernementale
Gay : Mot anglais désignant un homme ayant une atti- AFD : Agence française de Développement
rance sexuelle ou romantique pour d’autres hommes.
EPA : espace pluri acteurs-actrices Genre mis en
Bisexuel·le : Personne ayant une attirance sexuelle ou place par le F3E
romantique pour des hommes et des femmes.
FRIO : Fonds de renforcement institutionnel et
Trans : Personne qui ne s’identifie pas (ou pas seulement
ou pas complètement) au genre qui lui a été assigné à sa organisationnel, mis en œuvre par Coordination
naissance ou dans son parcours de vie. SUD
Queer : Mot anglais signifiant « étrange ». À l’origine utilisé Fisong : Fonds d’innovation sectoriel pour les ONG,
de manière péjorative envers les personnes relevant de dispositif de financement de projet mis en place
minorités de genre, qui se le sont réapproprié. par l’AFD
À qui s’adresse
cette publication ?
Nous souhaitons adresser cette publication à toute per- solidarité internationale mais peuvent servir autant aux
sonne désireuse de faire progresser l’égalité de genre actrices et acteurs travaillant à l’international qu’en France,
dans son organisation, ses projets, ses pratiques. et dans d’autres secteurs.
Cet ouvrage est issu de témoignages et de capitalisation Avant chaque fiche, vous découvrirez une bande dessi-
collective. Il en ressort ainsi une grande diversité dans née issue du témoignage ayant inspiré la fiche, comme
les contenus, les formats, les façons d’aborder les sujets. des respirations entre chaque partie.
Nous avons décidé de garder cette diversité de forme et
Dans chaque fiche, vous trouverez :
de fond dans les textes, qui fait sa richesse. L’espace pluri
acteurs-actrices genre a fait la part belle à l’intelligence - un paragraphe définissant la problématique et les enjeux
collective : nous souhaitions que cela se retrouve dans la du sujet abordé ;
production qui en est issue. - des pistes pour agir ;
Les exemples mis en valeur dans ces pages sont princi- - des questions qui, à l’issue de l’atelier, sont restées en
palement issus d’expériences d’acteurs et d’actrices de la débat entre les participants et les participantes.
8 VIVRE LE GENRE !
9
Un an d’échanges
pour intégrer le genre
dans les pratiques
Aider les organisations de solidarité internationale (OSI) elles étaient issu·e·s d’organisations de la société civile,
à relever les défis de l’approche genre et diffuser une d’associations œuvrant en France, de collectivités territo-
« culture genre » pour une intégration durable : c’est l’ob- riales, de fondations…
jectif du programme lancé par Coordination SUD et le F3E
Les participants et participantes ont défini les trois sujets
en 2016, intitulé « Pour une transversalisation du genre
qu’ils et elles voulaient travailler conjointement :
dans les organisations de solidarité internationale et leurs
projets ». D’une durée de trois ans, il a offert un cadre - le thème englobant de l’institutionnalisation de l’ap-
pour renforcer les compétences des structures de solida- proche genre, de son ancrage dans les organisations ;
rité internationale pour intégrer le genre, à la fois dans les - celui de l’intégration de l’approche genre dans les par-
organisations et dans leurs projets, de la conception à la tenariats, question omniprésente dans le secteur de la
mise en œuvre. solidarité internationale ;
Ce programme a comporté entre autres : - celui des relations interpersonnelles dans le cadre pro-
fessionnel, dans un contexte où le niveau de conviction
- la réalisation d’une étude sur l’intégration du genre dans et d’engagement « pro-genre » des acteurs et actrices est
les OSI ;
très variable.
- l’organisation de formations ;
En juin, octobre et décembre 2017, des acteurs et actrices
- la mise en place de sessions de sensibilisation ; de différentes structures se sont réunies pour explorer ces
- l’accompagnement des structures bénéficiant d’un finan- trois thèmes. Au cœur de ces ateliers : les témoignages
cement de l’AFD au titre des Fisong ; d’acteurs et d’actrices, partageant leur vécu et leurs expé-
- et la mise en place d’un « espace pluri acteurs-actrices riences. Cela a constitué une base d’échange solide et a
genre » (EPA). incité les membres du groupe à faire appel à l’intelligence
collective pour en tirer des enseignements. Les fiches pré-
Cet « espace pluri acteurs-actrices genre » a été conçu
sentées ci-après en sont le fruit.
comme une communauté de pratiques destinée à :
Un atelier prospectif a eu lieu en mars 2018. Il a conclu
- créer un réseau de praticiens et praticiennes engagé·e·s le cycle en cours et a cherché à tracer les contours d’un
sur les questions de genre, pour rompre leur isolement ;
prochain cycle d’ateliers.
- échanger les expériences et les outils ;
Pour en savoir plus sur ce qui a été mis en place dans
- produire des repères utiles aux acteurs et actrices. ce cadre, merci de vous référer à la fiche L’espace pluri
Un premier atelier de lancement en mars 2017 a permis à acteurs-actrices genre organisé par le F3E : quelques éléments
une quarantaine de participant·e·s de se retrouver. Ils et de bilan, en annexe de cet ouvrage.
Sommaire
Relations inter-personnelles 39
FICHE 7 FICHE 8 FICHE 9
Les évolutions « Référent·e genre » : L’insoutenable sexisme
personnelles en faveur comment s’y prendre ordinaire : comment
de l’égalité de genre avec ses collègues ? aiguiser les esprits ?
Annexes 53
ANNEXE 1
L’espace pluri acteurs-actrices Genre organisé par le F3E :
quelques éléments de bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
ANNEXE 2
Ressources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
ANNEXE 3
Liste des structures ayant participé à l’espace pluri acteurs-actrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
10 VIVRE LE GENRE !
11
LE GENRE DANS
L’ORGANISATION
Le genre dans
l’organisation
Institutionnaliser l’approche genre, c’est la prendre en compte dans les orientations
politiques de l’organisation, sa vision, sa mission, sa gouvernance, son fonctionne-
ment, sa culture et dans toutes les actions qu’elle met en œuvre.
L’institutionnalisation de l’approche genre est un enjeu majeur, un objectif à
atteindre. C’est une question de légitimité et de responsabilité, notamment pour
les organisations investies dans les enjeux de coopération et de solidarité inter-
nationales. Ces structures ont en effet comme postulat politique le paradigme du
développement humain, la défense des droits. D’autre part, en tant qu’organisation
sociale, non neutre en termes de genre, elles courent le risque de reproduire et
renforcer des divisions et discriminations fondées sur le genre existantes dans la
société.
Comment favoriser l’appropriation de cette « approche intégrée de l’égalité » et l’ins-
crire dans la durée ? Les moyens pour y parvenir, les portes d’entrée pour aborder
cette institutionnalisation sont nombreuses : inscription dans les statuts, stratégies
pluriannuelles, budget, politique d’égalité professionnelle, formations internes des
salarié·e·s, élu·e·s et bénévoles, marqueurs genre dans l’instruction de projets, com-
munication externe et plaidoyer…
Pour différentes raisons (dynamiques propres à chaque organisation, agendas,
opportunités, compétences, etc.), il peut être compliqué d’agir simultanément
dans toutes les directions. Alors, il faut s’adapter à chaque contexte en veillant
à identifier :
- les leviers les plus pertinents ;
- les allié·e·s et moyens qui peuvent être mobilisés ;
- les opportunités à saisir, etc.
Ces éléments sont à prendre en compte pour induire le processus, tout en gardant
l’objectif global en vue et en traçant, sur le long terme, les étapes ultérieures. Cepen-
dant, il se peut aussi que cet enjeu soit considéré comme prioritaire et que l’insti-
tutionnalisation soit abordée de façon globale et dans la durée par l’organisation.
12 VIVRE LE GENRE !
13
LE GENRE DANS
L’ORGANISATION
FICHE 1
L’indispensable
volonté politique
Problématiques Des pistes
et enjeux pour agir
En France, la prise de conscience autour de la nécessité Les contextes dans lesquels l’intégration de l’approche
de prendre en compte le genre repose encore beaucoup : genre dans son organisation doivent se faire peuvent être
différents. En voici certains exemples :
- sur des obligations légales : égalité salariale et profes-
sionnelle, interdiction des discriminations ; - Un important opérateur qui reçoit de son autorité de
- sur des critères obligatoires mis en place par les insti- tutelle le mandat d’inscrire le genre dans sa convention
tutions publiques de développement ou autres bailleurs d’objectifs et de moyens ;
de fonds ; - Une collectivité territoriale devant transcrire la loi natio-
- sur des incitations extérieures : réseaux internationaux nale sur l’égalité femmes-hommes ;
dont les ONG sont membres, interpellation par des par- - Un collectif associatif dont des permanentes engagées
tenaires aux Suds ; veulent convaincre à la fois les membres du conseil
- ou encore sur le militantisme de personnes à sensibi- d’administration et les organisations membres ;
lité féministe présentes dans l’organisation à un moment - Une association composée de bénévoles ou ayant très
donné. peu de moyens…
Malgré les bonnes intentions de départ, on observe, dans Même si ces situations diffèrent, elles revêtent un même
beaucoup de structures ou de services internes, une dif- impératif : susciter l’adhésion politique, convaincre les ins-
ficulté à ancrer le genre ou l’« évaporation » progressive tances dirigeantes.
de cette approche. Par exemple, quand les personnes en
charge du dossier quittent la structure. Un tel affaiblisse- Convaincre les instances dirigeantes
ment est fréquent quand l’égalité de genre n’entre pas
L’adhésion des instances dirigeantes (conseil d’administra-
dans les missions directes de l’organisation et surtout
tion, direction, cadres) constitue une étape capitale pour
lorsqu’elle n’est pas portée politiquement. Obtenir l’ad-
institutionnaliser l’approche genre. Si une ou des per-
hésion des instances politiques et décisionnelles devient
sonnes placées en haut de l’organigramme sont sensibles
donc un objectif fondamental. Les décideurs·ses peuvent
au genre ou peuvent être convaincues du bien-fondé de
être sensibles à différents arguments : être cohérent·e avec
cette démarche, elles seront une courroie de transmission
ses engagements affichés en faveur des droits humains et
et de décision sur laquelle s’appuyer. L’objectif est d’aboutir
de la réduction des inégalités ; répondre aux obligations
à la formalisation de l’approche genre. Cela peut se tra-
légales ; appliquer en interne ce qu’on essaie d’intégrer
duire par un programme d’activités annuel ou pluriannuel
dans les projets ; assurer la redevabilité quand on reçoit des
de la structure incluant la composante genre. Cette for-
financements. On pourra donc leur apporter des éléments
malisation peut aussi être affichée dans un document de
de réflexion pour qu’ils et elles soient amené·e·s à intégrer,
positionnement stratégique, qui puisse être voté par les
s’approprier et prioriser ces questions.
instances dirigeantes. Dans le cas d’une association, il sera
pertinent de présenter ce document à l’Assemblée géné-
rale annuelle.
La mise à disposition de moyens dédiés dans le budget
découlera de cette légitimation. Et cette orientation genre
peut alors être valorisée dans la communication externe et
les partenariats, ce qui permet de conforter les avancées
internes. Pour développer cette visibilité à la fois interne et
externe, certaines organisations nomment une célébrité,
14 VIVRE LE GENRE !
15
un·e ambassadeur·drice genre, ou un·e référent·e genre plus aider à générer des données sexo-spécifiques rendant LE GENRE DANS
positionnée au niveau de la direction stratégique, dont le visibles notamment les enjeux d’égalité femmes-hommes. L’ORGANISATION
rôle est à la fois d’assurer une dynamique interne et une
Dans les plus grandes structures, partir de certaines
visibilité à l’extérieur.
directions ou fonctions qui ont des obligations légales :
Un bon argument face à des décideurs·ses indécis·es est de la direction des ressources humaines ayant en charge la
se référer à des politiques publiques et des engagements politique d’égalité salariale, de parentalité (cf. fiche n°2 : De
internationaux. Un exemple : les Objectifs du développe- la volonté politique à la mise en œuvre, une question de cohé-
ment durable (ODD) adoptés par la communauté inter- rence) ; les directions juridiques et de l’audit qui doivent,
nationale à l’ONU en septembre 2015, avec l’ODD n°5 sur si la structure dépasse les 50 salarié·e·s, fournir des méca-
l’égalité femmes-hommes et l’accent mis de façon trans- nismes de gestion des situations de harcèlement sexuel au
versale sur la réduction des inégalités. On peut également travail ; ou les directions chargées du plaidoyer, des parte-
mettre en valeur les arguments d’ordre éthique, et la cohé- nariats institutionnels, etc., qui assurent la visibilité de la
rence à avoir entre ce que l’on prône et ce que l’on met en structure à l’extérieur et parfois à haut niveau…
œuvre concrètement en interne (cf. fiche n°2 : De la volonté
Profiter des espaces et des situations où le genre
politique à la mise en œuvre, une question de cohérence).
pourrait être mis à l’ordre du jour et discuté à un niveau
de gouvernance élevé : assemblée générale, réunion de
Un incontournable : former les décideurs comité de direction, d’orientation ou scientifique, repré-
et décideuses sentation publique, intervention à une tribune dans le
L’expérience montre que la formation au genre est un pré- cadre d’une campagne collective avec des partenaires
alable à l’institutionnalisation du genre. Mais on constate ayant eux-mêmes déjà intégré le genre, réponse à un appel
que les membres de conseils d’administration, les cadres d’offre ou un appel à projets important pour le budget de
et dirigeant·e·s viennent rarement aux formations. Com- la structure et qui comporte des critères de genre.
ment faire ?
On peut aussi identifier les processus qui ont accompa-
Les dirigeant·e·s sont trop pris·e·s pour venir à des for- gné les changements dans l’organisation, jusqu’ici, pour
mations d’une journée ou même d’une demi-journée ? Les s’appuyer sur ces leviers. Identifier les freins et blocages,
formations peuvent aller à eux et elles et être dispensées pour chercher des solutions adaptées.
lors de leurs réunions. Elles peuvent prendre la forme de
On peut enfin s’inspirer des organisations similaires ou
modules courts et ciblés de 40 minutes s’appuyant sur un
proches ayant entrepris cette démarche comme exemple.
jeu de rôles, une présentation PowerPoint ou une courte
vidéo. On peut également organiser des temps de réunion
spécifiques permettant de tirer des apprentissages :
On dit que le budget manque pour des prestations
« qu’avons-nous fait bouger, en termes de genre, l’année
extérieures sur la durée ? Un·e expert·e genre externe
dernière ? », « où sont les blocages ? »…
et les responsables internes peuvent créer ensemble un
module de sensibilisation réutilisable pour une première
approche du genre.
Les organisations connaissent un fort turn-over dans
leur direction, les instances élues changent périodique-
ment ? Un dossier sur les orientations en matière de genre
peut être remis aux nouvelles recrues.
Les formations courtes ne suffisent pas à vraiment don-
ner aux décideurs des « lunettes de genre » pour toutes
leurs décisions stratégiques ? C’est vrai ! C’est pourquoi il
En débat
faut envisager leur participation à des accompagnements L’instance dirigeante devrait-elle nommer en son sein un
plus approfondis. Dans les grandes structures notamment, point focal genre au risque de tout reporter sur ce « mon-
on accompagnera alors des responsables de services ou sieur genre » ou cette « madame genre » ?
autres personnes ayant une fonction d’encadrement ou
de coordination. Doit-on expérimenter un système de quotas ou d’ob-
jectifs en termes de représentation pour tendre vers la
Prendre appui sur des leviers parité quand celle-ci n’est pas acquise dans les instances
qui ont du sens pour l’organisation décisionnelles ?
Si l’on sent peu de volonté politique immédiate, on peut L’inscription de la sensibilité genre dans les recrutements
tenter de partir de ce qui est le plus spécifique à l’organi- des cadres et directeurs-trices et dans les professions de foi
sation. On peut se baser sur ce qui pourra faire sens pour des candidat·e·s au CA est-elle pertinente (ainsi que dans
un·e élu·e ou un·e cadre en charge d’un dossier. Quelques les fiches de postes de tou-te-s les salarié·e·s) ?
exemples de leviers :
Intégrer le genre dans des processus stratégiques déjà
prévus : la définition de nouvelles orientations, l’évaluation
de la structure ou d’un programme, etc. Cela pourra de
16 VIVRE LE GENRE !
17
LE GENRE DANS
L’ORGANISATION
FICHE 2
De la volonté politique
à la mise en oeuvre,
une question de cohérence
Problématiques Des pistes
et enjeux pour agir
Les ONG françaises engagées dans des dynamiques d’inté- Le cheminement du genre est propre à chaque structure.
gration transversale de l’approche genre partagent ce On ne peut pas définir des étapes qui seraient toujours les
constat : c’est un travail de longue haleine. Celui-ci démarre mêmes. Cependant, des constances ont émergé des ate-
souvent à partir d’un questionnement, d’une impulsion liers. D’après les témoignages, le processus d’ancrage
de la part de personnes motivées par l’égalité femmes- du genre dans le siège d’une organisation prend au
hommes. Parfois, elles ont tiré la sonnette d’alarme sur des moins trois ans et ne reste pas pour autant un acquis.
inégalités, des discriminations qui s’exercent au sein même
de leur organisation (et pas seulement dans le contexte Porter le genre en interne :
des projets aux Suds) : salaire, organisation du temps de l’argument de la cohérence
travail, responsabilité décisionnelle. Cette alerte suscite un
Dans une ONG qui défend sur le terrain l’approche genre, il
débat, qui peut déboucher sur une prise de conscience de
a fallu du temps pour qu’un groupe informel créé au siège
collègues. Puis la hiérarchie peut accepter la mise en place
autour de cette question s’étende à tous les départements
de dispositifs et de temps de travail dédié : commission
sectoriels et soit accepté. Profitant de toute occasion –
genre, point focal, lettre d’information interne, etc. Elle
actualité, mise en avant d’un projet dans une campagne
peut aussi engager un travail pour lutter contre les inéga-
de communication, discours du directeur en faveur de
lités en interne. Ceci en veillant à la mise en cohérence de
l’égalité femmes-hommes à une tribune, etc. – le groupe
ce que la structure affiche dans sa mission ou ses valeurs,
a rappelé que la cohérence exige qu’en interne aussi, on
et de ce qu’elle applique. Pour ce faire, les organisations
s’en préoccupe. Ici, la gender team en a également profité
ont souvent besoin d’un appui extérieur, par exemple dans
pour réclamer et obtenir le droit de se réunir sur le temps
le cadre du dispositif Frio1 de Coordination SUD.
de travail et non plus sur la pause déjeuner.
Faut-il encourager la désignation d’une personne comme
unique « point focal genre » ? Sollicitée en ce sens, une
jeune salariée d’une ONG a décliné la proposition, estimant
que ce serait un risque de marginaliser le genre avec une
« madame genre » isolée. Elle conseille de commencer au
moins par un binôme, de l’élargir dès que possible, et dans
l’idéal, d’intégrer au moins un homme ! En effet, il semble
que partout, les femmes soient d’emblée plus intéressées
par les enjeux du genre. Éternelle question : comment
faire pour que les hommes se sentent aussi concernés et
prennent conscience que le genre est l’affaire de tous et
toutes ? L’actualité et le débat public souvent riches en
polémiques sur les rapports hommes-femmes constituent
parfois un levier… On peut partir de ces actualités pour
1 Le Frio appuie les ONG françaises dans leur démarche de professionnalisation ou d’amélioration continue. Il cofinance l’intervention
de consultant·e·s externes sur de nombreuses problématiques d’organisation. https://www.coordinationsud.org/nos-appuis-aux-ong/
dispositif-frio-renforcement-ong/
18 VIVRE LE GENRE !
19
animer des petits moments d’échanges internes. La créa- (qui permet une meilleure articulation des temps de vie, LE GENRE DANS
tion d’une lettre d’information sur le genre est aussi un dans un contexte social où les femmes sont majoritai- L’ORGANISATION
moyen de susciter le débat interne. rement en charge de la vie familiale), développer un
module de formation interne organisé périodiquement
Mener un diagnostic organisationnel pour les personnes nouvellement embauchées ou ren-
participatif sur le genre voyer les salarié·e·s vers des modules en lignes gratuits
et déjà existants (de manière facultative ou obligatoire,
Le diagnostic participatif de genre peut comporter les élé-
en l’inscrivant dans les contrats de travail).
ments suivants : analyse de tous les documents et outils
au regard du genre, diffusion d’un questionnaire, entre-
tiens individuels et/ou collectifs, restitutions devant les Ancrer dans la structure
salarié·e·s et les instances dirigeantes, ensemble ou sépa-
Une fois que les constats et problématiques sont soule-
rément, etc.
vées, comment s’assurer qu’ils soient suivis d’un plan d’ac-
Un budget interne doit être dégagé pour une première tion ? Une volonté politique formalisée, avec un vote du
étape d’appui extérieur. Le recours à une personne ou conseil d’administration ou de l’assemblée générale, peut
structure-ressource permettra de puiser dans des métho- engager formellement la structure (cf. fiche 1 : L’indispen-
dologies existantes tout en présentant l’avantage d’un sable volonté politique). Si c’est possible, il est pertinent de
regard extérieur indépendant. Celui-ci, de même que le flécher un budget à la mise en œuvre du plan d’action. Il
caractère anonyme de questionnaires d’enquête, facilite la est également important de définir de façon précise les
mise en avant de certaines réalités délicates. Par exemple, rôles et statuts des personnes ou des instances officielle-
il peut s’agir de contradictions entre le discours en faveur ment chargées d’élaborer, de suivre et d’évaluer la mise en
de l’égalité et certaines pratiques. Ainsi, des inégalités en œuvre du plan d’action. Enfin, il faut formuler des indica-
matière de genre à l’intérieur des organisations peuvent teurs vérifiables qui seront suivis dans un reporting (dans
être mises au jour, des « non-dits » peuvent émerger : la le rapport d’activité annuel par exemple).
faible proportion de femmes aux postes décisionnels, les
Pour éviter que l’intégration de l’approche genre dans l’or-
inégalités salariales induites par le système d’évaluation
ganisation soit l’affaire d’une seule personne, il faut qu’elle
des résultats ne prenant pas en compte les congés mater-
soit portée par l’organisation entière – et perdure en cas de
nités – et cela dans un secteur où pourtant les femmes
turn-over. Là encore, la volonté politique est primordiale,
constituent la majorité des salariées, etc.
ainsi que la formation de l’ensemble des acteurs et actrices
Si l’on identifie une marge de manœuvre importante sur de la structure. L’inscription dans des procédures permet
un domaine spécifique, il peut être intéressant de faire d’ancrer sur le long terme et contribue à ce que toutes et
appel à plusieurs structures d’appui, chacune spécialisée tous s’en saisissent. On peut ainsi adapter les règlements
dans un des aspects identifiés. Par exemple : l’égalité pro- intérieurs et documents sur l’organisation du travail, docu-
fessionnelle, au-delà de ses aspects juridiques ; la commu- ments d’instruction de projets, marqueurs, budgétisation,
nication non sexiste, etc. termes de référence d’évaluation, capitalisation, etc.
22 VIVRE LE GENRE !
23
Capitaliser l’expérience acquise Développer un projet de recherche-action sur plusieurs LE GENRE DANS
L’ORGANISATION
dans un champ thématique années, avec une interaction entre le siège et le terrain.
Ceci permet une dynamique collective très favorable au
Une organisation, qui intervient depuis des années dans développement d’une expertise genre : modules de for-
un domaine sectoriel et dont les membres ont des com- mation, outils méthodologiques, indicateurs, expérimen-
pétences spécialisées, a toujours une histoire implicite liée tations, capitalisations…
au genre. En effet, une organisation qui n’a jamais abordé
la question et pour laquelle le genre est complètement Favoriser un dialogue sur le genre en créant les condi-
absent des projets, publications, procédures, a sans le tions favorables dans le cadre des activités en France :
savoir, certainement fait perdurer – ou aggravé – des iné- - composition paritaire, par exemple, pour des tables-
galités liés au genre. rondes de conférences ou la venue de membres du
Alors, après une prise de conscience, cette histoire peut réseau du Sud ;
être revisitée à la lumière des évolutions sociales et des - participation à des plateformes ou commissions collec-
nouveaux outils du genre. tives sur l’égalité femmes-hommes, à des campagnes de
plaidoyer diffusant des messages intégrant le genre ;
Une grosse organisation de professionnel·le·s, travaillant
notamment des enjeux agricoles, témoigne ainsi de diffé- - éducation à la citoyenneté intégrant l’approche genre,
rentes phases au cours des trente dernières années : interventions en milieu scolaire, actions avec des
migrant·e·s…
- le genre perçu comme « non-sujet » voire de façon
négative ; Intégrer les questions de genre dans un ou des pro-
jets de façon systématique : cela permet d’aborder ces
- l’intégration de « bénéficiaires » femmes dans les projets questionnements dans le reste de l’organisation, de se les
ou la mixité confondues avec le genre ;
approprier et de les rendre petit à petit plus systématiques.
- la prise de conscience des potentialités d’une approche
de genre à la suite d’interpellations internes (par des
personnes sensibilisées) et externes (conditionnalités
instaurées par des bailleurs) et à des observations sur le
terrain d’impacts négatifs de projets aveugles au genre.
Il existe plusieurs solutions pour aider les membres de
l’organisation ou du réseau à réorienter la démarche et à
légitimer l’approche genre :
Mener une analyse critique des impacts négatifs de
l’absence de prise en compte du genre. Par exemple, la
structuration de projets agricoles a entraîné de fait l’exclu-
sion de femmes de la commercialisation, parce qu’aucune
analyse des rôles selon le genre n’a été faite dans la filière,
de la production à la consommation.
Documenter les impacts positifs de l’intégration du
genre dans d’autres projets.
Faciliter l’appropriation en organisant un débat interne
(et avec les partenaires) sur une manière commune de défi-
nir l’approche genre et ses applications concrètes dans le
champ thématique.
Le genre dans
les partenariats
Dans le secteur de la solidarité et la coopération internationales, la sensibilité aux
enjeux de genre représente un défi particulier dans la mise en œuvre des projets
en partenariat. En effet, bien que le travail autour des questions de genre relève
du droit et de la justice sociale, ce n’est pas encore appréhendé comme tel par
toutes et tous. Par ailleurs, les expériences ont montré que les projets « aveugles
au genre », loin d’être neutres, risquent de renforcer les inégalités existantes. Forts
de ce constat, de nombreux bailleurs de fonds exigent désormais une perspective
de genre dans les projets qu’ils financent.
Au niveau de la relation partenariale, le défi est important. Par exemple, s’il est
évident que cette valeur faire partie du socle peu négociable pour de plus en plus
d’organisations actrices de la coopération, qu’elles soient « Nords » ou « Suds », il
n’est pour autant pas possible, par principe, d’imposer l’objectif de l’égalité à ses
partenaires.
Comment alors travailler entre partenaires, dans un climat de confiance, sans
paternalisme et d’égal à égal ? Parallèlement, comment encourager et appuyer une
meilleure prise en compte du genre ? Comment également être à l’écoute de nos
partenaires, parfois plus avancé·e·s que nous sur ces questions ? Comment prendre
en compte la diversité des cultures et des contextes tout en promouvant l’univer-
salité des droits ?
Les réponses s’apparentent souvent à des exercices d’équilibrisme complexes, dont
les fiches suivantes vont présenter trois variantes types :
- la stratégie du genre implicite dans un contexte peu ouvert à l’égalité de genre ;
- la mise en réseau multilatéral comme leviers Sud-Nord ;
- l’appui sur les allié·e·s stratégiques.
26 VIVRE LE GENRE !
27
LE GENRE
DANS LES
PARTENARIATS
FICHE 4
Dans des contextes a priori
peu favorables à l’égalité de
genre : comment avancer ?
Problématiques Des pistes
et enjeux pour agir
Dans certains contextes, il peut être très difficile d’aborder Les pistes suivantes peuvent être explorées dans des
frontalement les enjeux de l’égalité femmes-hommes. Il contextes délicats.
peut s’agir d’environnements où certains groupes sociaux
peuvent être attachés à une culture patriarcale, où la Ne pas « crier le genre sur les toits »,
sexo-séparation est la règle et où la religion est souvent mais le faire avancer
interprétée de manière à justifier des inégalités de genre.
En partant sur la base d’accords de coopération très
Par exemple, en mettant en avant l’idée d’une préten-
larges, avec des entrées comme l’eau, l’alimentation,
due « complémentarité » entre les rôles des femmes et
l’environnement ou le soutien aux initiatives citoyennes,
des hommes, etc. Comment, en tant qu’acteurs-actrices
la marge de manœuvre reste importante. L’approche genre
souhaitant avancer avec ses partenaires sur le chemin
peut être intégrée transversalement comme une évidence
de l’intégration du genre, peut-on procéder ? Le choix de
liée au secteur. Il peut s’agir du cas où la division sexuée du
la stratégie à déployer est délicat. On cherche à la fois à
travail saute aux yeux, comme l’approvisionnement en eau,
soutenir les forces les plus progressistes, à ménager celles
par exemple. L’approche genre peut être intégrée dans la
et ceux qui réagissent avec inquiétude et à contrer ou
composition du groupe cible sans forcément que cela soit
contourner les opposant·e·s (cf. fiche 5 : Identifier et soutenir
formulé explicitement. Par exemple, quid d’un échange de
des allié·e·s à tous les niveaux).
jeunes impliquant filles et garçons sur le sujet ?
Le soutien aux activités génératrices de revenus des
femmes peut aussi être une opportunité pour créer
des espaces de rencontres non-mixtes. Ceux-ci leur per-
mettent de s’exprimer et de travailler à déconstruire les
rapports de domination entre hommes et femmes. Le
recours à des terminologies peu explicites sur le genre
comme l’expression « promotion de la condition féminine »
peut montrer l’intention de travailler avec des femmes,
sans utiliser le terme inquiétant de « genre » ou « égalité
femmes-hommes ». L’argument de la formation technique
et du renforcement de capacités suscite plus facilement
l’adhésion que la mention des droits, de l’égalité ou de
l’empowerment…
28 VIVRE LE GENRE !
29
LE GENRE
DANS LES
PARTENARIATS
internationales (avec leur traduction en politiques natio- des femmes, leur prise de parole en public, la mixité, etc.)
nales) comme conditions non (ou peu) négociables. On doivent être réalistes et adaptés à la durée du projet. En
peut faire référence à des arguments religieux allant cas de doute, le principe de précaution s’impose pour ne
dans notre sens. Par exemple, dans le Coran, rien n’in- pas mettre des personnes ou structures en porte-à-faux
terdit aux femmes de voyager ni d’avoir recours à la avec leur communauté, sauf si elles assument ce choix et
contraception. souhaitent être accompagnées dans cette prise de risque.
Et dans ces contextes difficiles encore plus qu’ailleurs, il est
Contourner les réticences essentiel de travailler aussi avec les hommes, pour changer
de façon durable les rapports sociaux de sexe et émanciper
Parfois, l’usage d’une terminologie plus générale, englo-
les femmes (et les hommes) des déterminismes de genre.
bante, permet de contourner des obstacles. Par exemple,
pour aborder la question des violences intrafamiliales (sur Ces stratégies des petits pas nécessitent des compromis
demande de certaines femmes impliquées), un atelier plus ou moins difficiles à accepter par les organisations
intitulé « relations parents-enfants » peut éviter d’aborder porteuses de ces questions. Un exemple type concerne la
frontalement ce sujet tabou. La question des violences question LGBTQI. Dans beaucoup de partenariats, le déno-
intrafamiliales est en effet sensible dans tous les milieux et minateur commun acceptable ne permet pas de ques-
contextes. En travaillant avec des femmes dans un espace tionner l’hétéronormativité, qui est souvent une question
de confiance, c’est une thématique qui a tendance à faire particulièrement sensible.
surface, même si les projets au cours desquels les langues
L’horizon temporel est aussi très important : il faut pouvoir
se délient n’ont rien à voir avec ce sujet (cf. aussi fiche 6 :
se laisser le temps, si possible travailler dans la durée, pour
Identifier et soutenir des allié·e·s à tous les niveaux).
accompagner les évolutions, pas toujours linéaires. Et por-
Autre solution envisageable dans un contexte très sexo- ter une attention particulière aux « petits » changements et
séparatiste : organiser une rencontre mixte « quasi acci- à ces petites graines semées…
dentellement » une première fois pour banaliser cette
mixité et pouvoir se référer à cette expérience ultérieu-
rement. L’habileté joue sur des zones grises qu’il faut iden-
tifier pour faire bouger petit à petit les marges. Ces pistes
s’apparentent à des tâtonnements permanents et certaines
comportent une prise de risque. Par exemple, si une ren-
contre ou un voyage mixte se passe mal, les détracteurs et
détractrices auront « eu raison » et, par conséquent, l’option
mixité deviendra impossible pendant un certain temps. En débat
Bien évidemment, l’élément décisif pour le choix de la
stratégie est la bonne connaissance des partenaires et N’est-ce pas contraire à notre déontologie de poursuivre
des autres parties prenantes. Le rapprochement avec ainsi un « agenda caché » ?
des associations féministes dans la même région ou Comment favoriser l’auto-détermination des groupes de
ailleurs dans le pays peut être utile. Il faut également personnes concernées ?
prendre en compte que des clivages traversent également
les sociétés d’intervention (urbain-rural, niveau de forma-
tion, classe sociale…).
Dans de telles situations où des positionnements poli-
tiques divergents se côtoient, le pragmatisme est essen-
tiel. Les objectifs en termes de genre (comme la mobilité
30 VIVRE LE GENRE !
31
LE GENRE
DANS LES
PARTENARIATS
FICHE 5
Se mettre en réseau pour
se nourrir mutuellement
Problématiques Des pistes
et enjeux pour agir
Dans certains cas, ce sont les ONG dites « du Nord » qui Prendre le temps de se connaître
interviennent auprès de leurs partenaires pour une meil-
Que l’on rejoigne un réseau déjà existant, ou que l’on en
leure prise en compte de l’approche genre. Dans d’autres
crée un nouveau, il est important que les différents parte-
cas, ce sont au contraire les partenaires qui les font évoluer
naires partent d’un constat partagé mais aussi – surtout –
sur ces questions. C’est notamment le cas de cette asso-
qu’ils aient une certaine convergence de vue. Il faut savoir
ciation, qui s’est mise en réseau avec huit autres, de trois
oser donner la possibilité à tous les membres du réseau
continents différents (Amérique du Sud, Afrique, Europe).
d’exprimer leur vision du problème à résoudre, de ses
Ce réseau s’est formé dans le cadre d’un multi partena-
enjeux et des solutions envisageables. L’objectif : être
riat d’égal à égal. Ceci lui a permis de progresser plus vite
clair·e·s sur ce qui lie et ce qui différencie les membres du
sur l’intégration des questions de genre dans sa propre
réseau. En bref, il faut prendre le temps de se connaître.
structure.
Par exemple, pour la directrice de l’association française, ins-
Malgré les apparentes différences d’un contexte cultu-
crite dans ce réseau multi-partenarial, il était important de
rel à l’autre, le déséquilibre des rapports sociaux de
préciser ce qui était entendu par « travailler sur les questions
genre, au détriment des femmes, est un invariant cultu-
de genre ». S’agissait-il de travailler sur les questions d’égalité
rel. À des degrés différents, on retrouve partout dans le
entre les femmes et les hommes ? S’agissait-il de remettre
monde la ségrégation des lieux. Aux hommes, l’espace
en cause les relations de domination et de pouvoir issues du
public. Aux femmes, l’intérieur ou un espace public res-
système patriarcal ? Et quels étaient les moyens que chaque
treint autour du lieu de vie. Ces lieux sont hiérarchisés.
structure souhaitait mobiliser pour faire changer les choses ?
L’espace public masculin est le lieu des activités sociales,
Si l’on ne prend pas le temps de se connaître, le réseau aura
politiques, économiques, lié au pouvoir et à la reconnais-
du mal à garder sa cohérence, son unité. Si l’on reste sur
sance. L’espace privé féminin est, quant à lui, le lieu de la
des définitions trop larges ou peu précises, sur une vision
famille et de la reproduction symbolique, invisible et invisi-
consensuelle, on risque de manquer d’actions concrètes, et
bilisant. Appartenir à un réseau de partenaires qui travaille
de s’éparpiller. Par exemple, comment pourraient travailler
les questions de genre permet de connaître la réalité des
dans le même sens d’une part des structures ayant pour
autres membres du réseau et de prendre conscience des
objectif la remise en cause des structures de pouvoir, et
convergences et des combats à mener ensemble.
notamment du capitalisme, et d’autre part des structures
relevant du féminisme néolibéral ?
Il faut également être clair·e·s sur l’investissement
attendu de chaque entité du réseau, en termes de
temps comme de ressources financières. Un budget
dédié à des activités genre est-il prévu ? La budgétisation
sensible au genre est-elle envisageable ? De quel temps
disposent les personnes en charge des projets sur cette
dimension ?
Enfin, il ne faut pas ignorer les rapports de domination et de
pouvoir qui peuvent se mettre en place entre les membres
du réseau et les individu·e·s qui le composent. En effet,
les relations de pouvoir ne se limitent pas au genre. Inté-
grer une approche intersectionnelle permet de mettre en
lumière ces rapports et de les prendre en considération.
32 VIVRE LE GENRE !
33
Travailler en réseau : se décentrer du réseau, que l’on se découvre des affinités particulières LE GENRE
DANS LES
avec telle ou telle personne, représentante de telle ou
Un réseau n’est pas une juxtaposition de partenariats bila- PARTENARIATS
telle organisation. Le concret semble indispensable. C’est
téraux. Il se construit autour d’un intérêt commun pour un préalable à toute collaboration à distance, il faut s’en
une situation problématique (ici, les inégalités de genre). donner les moyens.
Il repose sur les échanges entre différents membres auto-
nomes, ayant des positions égalitaires et venant d’horizons Le multilinguisme, une richesse
différents. Dans l’expérience rapportée, chaque structure
à tous égards
a travaillé avec des outils d’éducation populaire et avec le
réseau. Ceci a permis de mutualiser les connaissances, les Est-il possible pour des organisations de faire réseau avec
méthodologies et les outils. Et chacun·e a pu apprendre de d’autres qui ne parlent pas la même langue ? Non seule-
l’expérience de l’autre et a pu la réinvestir dans sa propre ment, c’est possible, mais c’est même une richesse sup-
pratique. plémentaire à condition de s’en donner les moyens. Une
réunion regroupant des personnes de langues diffé-
Les réseaux internationaux permettent également, dans de
rentes peut donner lieu à une traduction simultanée.
nombreux cas, un effet « Sud-Nord » qui fait levier. On croit
Celle-ci aiguise l’attention et favorise un temps réflexif :
souvent – à tort – que la réflexion sur les questions d’éga-
lorsque l’on sait que l’un·e de ses collègues va traduire
lité de genre est plus avancée dans les pays dits du Nord.
chaque étape de son discours, on le construit différem-
Dans de nombreux cas, le regard et le positionnement de
ment. On évite de s’éparpiller, on structure sa pensée. On
partenaires du Sud font avancer plus rapidement les per-
pense alors à la façon dont le discours va être reçu et pas
sonnes réticentes au Nord que leurs propres collègues…
seulement à la façon dont on va l’émettre. Cela fait éga-
Alors que l’on risque parfois, lorsque l’on travaille avec
lement travailler la terminologie, centrale aux questions
des partenaires sur l’approche genre, de tomber dans
de genre.
un piège « le Nord impose au Sud », un dispositif de
réseau international déplace la perspective. Il montre
Des outils et méthodologies partagées
alors toutes les différences entre les différents contextes
locaux, créant davantage d’ouverture. Le partage, et donc, la traduction linguistique et cultu-
relle de méthodologies et d’outils, permet de renforcer
Par ailleurs, le partage des expériences au sein du réseau
le réseau. Mettre en place les mêmes outils, en même
rend possible la perspective comparative. En découle un
temps, est aussi une piste intéressante, développée dans
décentrage utile sur un sujet sensible comme le genre.
le réseau témoin. Si toutes les structures d’un même réseau
élaborent une cartographie sociale genrée1 dans la même
Identifier les thématiques sur lesquelles période de temps et partagent leurs résultats, elles iden-
ont avancé les autres structures tifieront de façon très claire à la fois les ressemblances et
Le réseau se nourrit de la diversité de ses membres. Suivant les différences entre elles. Si une des structures a mis en
les contextes culturels, certaines thématiques sont davan- place une charte, elle peut la diffuser à ses partenaires,
tage abordées que d’autres. Dans l’exemple rapporté, la qui pourront s’en inspirer. Lorsque l’une des structures a
question des masculinités non hégémoniques avait été tra- expérimenté un nouvel outil, elle peut faire bénéficier le
vaillée en Amérique du Sud. Celle du harcèlement sexuel réseau de ses retours…
en milieu scolaire au Sénégal. Celle du harcèlement de rue
au Maroc. Les liens entre femmes et écologie au Canada. La
répartition genrée des espaces privés et publics en France,
etc. S’appuyer sur ce qui a déjà été fait, testé, s’inspirer et
adapter les outils et méthodologies qui ont fonctionné,
permet d’aller plus vite dans son propre cheminement,
pour chacune des structures partenaires.
1 Outil d’éducation populaire qui propose, à partir de la représentation physique (dessin, par exemple) d’un espace public, quartier, village,
etc., d’identifier où se trouvent les femmes et les hommes, dans quelle proportion, ce qu’ils/elles font, etc. Cela permet de prendre
conscience de la division spatiale de genre et de partager ses propres représentations sur les différents espaces.
34 VIVRE LE GENRE !
35
LE GENRE
DANS LES
PARTENARIATS
FICHE 6
Identifier et soutenir des
allié•e•s à tous les niveaux
Comme dans toute stratégie de changement social, l’enjeu
Problématiques clé est d’identifier les personnes, groupes de personnes ou
structures, et d’agir de manière diversifiée, appropriée à
et enjeux chaque acteur ou actrice :
- soutenir et renforcer les plus convaincu·e·s et « pro-genre » ;
Les partenaires locaux jouent souvent le rôle d’intermé- - convaincre celles et ceux qui ne le sont pas encore, mais
diaires face à d’autres parties prenantes dans leurs pays. qui manifestent une ouverture aux questions de genre ;
Par conséquent, il est intéressant d’échanger sur la façon
dont ils et elles se positionnent par rapport au genre et
- prendre en compte les réticences des sceptiques et les
rassurer (s’il n’est pas possible de les faire changer d’avis) ;
décliner ce questionnement de manière plus fine. Quelles
personnes au sein des structures partenaires et parmi les - et éviter d’alarmer et si possible contourner celles et
autres parties prenantes des projets sont favorables à une ceux qui restent résistant·e·s à l’idée de faire évoluer les
évolution des rapports sociaux vers plus d’égalité ? Qui est relations femmes-hommes vers plus d’égalité ; en tous
peu conscient·e des enjeux de genre, qui est plutôt réti- les cas, il faudrait gérer avec beaucoup d’attention les
cent·e, qui est ouvertement résistant·e ? Et quel est le cadre relations avec ces personnes. Notamment si ce sont des
légal, le contexte socio-culturel dans lequel les partenaires leaders d’opinions ou s’ils ou elles détiennent de l’autorité
évoluent ? et du pouvoir.
Les plus les soutenir, les renforcer (com- s’appuyer sur eux-elles pour faire
convaincu·e·s pétences, opportunités, etc.), les bouger les autres, sans les mettre
légitimer en difficultés
Les « ouvert·e·s » les informer (données sur contexte les accompagner dans leur prise
au genre local), les former, les rencontrer de conscience à travers différentes
là où ils-elles sont pour les faire étapes
avancer
Les sceptiques les informer (données sur contexte entretenir le dialogue, fournir des
local), chercher des arguments exemples positifs d’un contexte
« entendables » (législation, etc.), similaire, répondre à leurs
les rassurer interrogations
Les résistant·e·s
à contourner, surveiller
36 VIVRE LE GENRE !
37
Cette catégorisation des partenaires et partie-prenantes LE GENRE
demande à être adaptée et peaufinée dans chaque DANS LES
contexte. En tous les cas, elle exige une bonne connais- Des pistes PARTENARIATS
sance des acteurs et actrices et demande de notre part
une posture de vigilance permanente. Par exemple,
l’identification de personnes ouvertes, d’allié·e·s avéré·e·s
pour agir
ou potentiel·le·s, est particulièrement cruciale dans les Développer une stratégie partenariale
contextes où le cloisonnement entre espaces des femmes diversifiée
et espaces des hommes est rigide.
Il faut commencer par identifier les plus progressistes des
Parfois, quand la visite est faite par un homme du siège, parties prenantes. Elles peuvent en effet constituer des
certaines personnes pourraient ne pas parler avec la même relais locaux. Il est nécessaire de les soutenir, et de déci-
confiance. Des échanges en tête-à-tête entre le collègue der avec elles de la stratégie et du partage des tâches à
du siège et la collègue de l’équipe locale peuvent être déli- adopter. Cela demande une connaissance fine du contexte
cats, alors qu’il est socialement tout à fait acceptable de et des acteurs-actrices. Il s’agit aussi de tenir compte du
discuter « entre femmes »… Par ailleurs, d’autres facteurs « point de départ » du partenaire en termes de genre pour
que le sexe interviennent pour faire de chacun et chacune ne pas créer ou renforcer les éventuelles résistances et ne
des interlocuteurs·trices plus ou moins légitimes. Notam- pas mettre les allié·e·s en danger.
ment, pour les femmes, le statut marital fait souvent l’objet
de questions : être mère, mariée ou veuve est dans certains Expérimenter des cadres non-mixtes
contextes perçu positivement et rassurant pour des inter- et mixtes
locutrices de sociétés plus traditionnelles.
Souvent, il est pertinent de jongler entre différents
La bonne connaissance des partenaires, avec une cadres : la non-mixité peut être un moyen efficace pour
stratégie diversifiée et adaptée, s’impose particulière- libérer la parole des femmes d’un côté, mais aussi des
ment dans le cas de sujets comme les violences intra- hommes de l’autre côté. Des séances mixtes (éventuel-
familiales, le VIH/Sida, l’accès à la contraception, l’IVG, lement seulement avec des représentant·e·s de chaque
l’homosexualité, etc. Le passage d’une approche de santé groupe) peuvent compléter ce processus. Une telle
maternelle vers celle de la santé sexuelle et reproductive, approche peut d’ailleurs s’articuler avec des formats
fondée sur des droits, demande une stratégie « à géomé- individuels et collectifs. Il est en effet important de rester
trie variable », en fonction des partenaires. Des échanges attentif·ve à celles et ceux qui ne s’expriment pas dans un
et débats sur les termes et concepts, avant et pendant cadre collectif. On peut éventuellement les rencontrer à
les projets, peuvent être déclencheurs d’une prise de part, dans un vis-à-vis de préférence non-mixte aussi. Par-
conscience. fois, lorsque la personne qui pose les questions n’est pas
Voici un exemple de débats terminologiques. Le terme « étrangère », on constate plus de liberté dans les réponses.
« grossesses non-désirées » se réfère dans certains Attention, dans certaines situations, la non-mixité peut
contextes exclusivement à des grossesses hors mariages renforcer le clivage femmes-hommes ou être contre-
(incluant celles issues de viol et d’inceste). Cela induit que productive. Par exemple, un représentant d’une ONG
la célébration d’un mariage en cours de grossesse peut travaillant dans une région rurale d’Afghanistan indique
enlever le statut « non-désiré », sans pour autant changer que le moindre atelier non-mixte était l’occasion pour
les risques sanitaires et le traumatisme subi. Cette défini- certain·e·s de remettre en question toutes les activités
tion tient compte de l’âge du mariage (âge légal ou âge qui ne l’étaient pas. La non-mixité doit donc rester un
socialement accepté, mariage formel ou pas…). Toute- outil, choisi dans le cadre d’une stratégie consciente. Cela
fois, le terme peut aussi faire référence à des grossesses implique de veiller de près à ce qu’elle ne renforce pas un
non-planifiées, même au sein d’un couple marié. La ques- cloisonnement et qu’elle contribue à terme à une évolution
tion des traductions diverses en langues locales alimente vers plus d’égalité.
aussi la réflexion et éventuellement une certaine prise de
conscience. Une telle discussion peut permettre d’aborder Partir d’une entrée technique pour
la planification familiale et l’IVG de façon indirecte voire ouvrir sur une approche par les droits
directe.
Dans beaucoup de secteurs, une porte d’entrée tech-
Ce type d’approche s’inscrit nécessairement dans le temps nique peut favoriser des discussions plus larges. Celle-ci
et demande un accompagnement des différents parte- permet en effet d’aborder la question des droits des per-
naires tout au long du projet. Et ceci même dans le cas de sonnes, par exemple dans l’accès aux ressources, qui est
projets où les femmes n’ont pas pu être impliquées direc- souvent différencié entre hommes et femmes. D’abord,
tement à l’étape initiale. Par exemple, parce qu’il n’y avait l’analyse du contexte, notamment le recueil de données
pas de femmes parmi les interlocuteurs traditionnels (les sexo-spécifiques liées au contexte local, est un minimum
leaders communautaires et religieux). indispensable. Néanmoins, ce n’est pas un objectif en soi.
Ensuite, il faut généraliser la sexo-différentiation des don-
nées produites par le projet lui-même. Ceci permettra de
comprendre comment femmes et hommes bénéficient
du projet. Dans certains contextes, il peut être intéressant
d’identifier des partenaires qui agissent déjà en faveur des
droits (ONG nationales ou locales, féministes notamment)
et de les renforcer sur les aspects techniques. Dans d’autres d’attitude – et donc les éventuels changements dans les
cas, lorsque l’on travaille avec des partenaires doté·e·s de objectifs du projet. L’inclusion de problématiques qui
solides capacités techniques mais ayant une approche n’apparaissent qu’en cours de projet peut être difficile, les
faible en termes d’analyse de genre, il peut être intéressant modes de financement des projets laissant souvent peu
de les renforcer sur cet aspect. Une piste pour aller dans de marges de manœuvre. Toutefois, beaucoup de bail-
ce sens : réaliser une cartographie des structures menant leurs acceptent aujourd’hui des modifications justifiées
des actions en faveur de l’égalité de genre au niveau local. en faveur d’une plus grande prise en considération des
La réalité de travail quotidien tout comme le discours par- enjeux de genre.
leront au partenaire.
Dans certains cas, les collègues au sein des organisa-
tions partenaires entendent des témoignages durs
Les limites potentielles et confidentiels. Ils et elles doivent savoir que cela peut
Pour contextualiser de façon appropriée, l’idéal est de arriver. Y être préparé·e·s. Disposer le cas échéant de res-
s’ancrer dans une connaissance socio-anthropologique sources pour y répondre. Le recueil de ces témoignages
fine. En ce sens, des collaborations avec le milieu de crée une charge psychologique importante pour laquelle
la recherche sont souhaitables. Il reste néanmoins diffi- peu de mécanismes de régulation existent. Ceci implique
cile de mettre en adéquation le temps universitaire avec de veiller à ce qu’il y ait une masse critique d’allié·e·s au
celui des projets de développement ou interventions sein de la structure ou dans l’entourage qui peuvent se
humanitaires. soutenir mutuellement, ou qu’il y ait des mécanismes ou
espaces permettant de se soutenir (organiser des super-
Varier les façons d’interagir avec des parties prenantes sur
visions collectives, etc.).
le genre favorise la prise de conscience et les changements
En débat
Jusqu’à quel point peut-on accueillir des divergences sur
les questions de genre dans un réseau ? Comment se cen-
trer sur ce qui rassemble ?
Comment gérer l’intersectionnalité des rapports de pou-
voir intra-membres et interpersonnels au sein d’un réseau ?
Comment faire dialoguer, au sein d’un réseau des struc-
tures avec des conceptions différentes du genre, des asso-
ciations mixtes et non-mixtes ?
38 VIVRE LE GENRE !
39
RELATIONS INTER-
PERSONNELLES
Relations
inter-personnelles
La prise en compte du genre dans une structure est a priori tributaire d’une poli-
tique, de moyens, d’outils et de compétences… Mais elle est vécue et portée in fine
par les personnes qui composent cette structure. Ces personnes viennent dans le
monde professionnel et/ou bénévole avec leur identité, leur vécu, leur sensibilité,
leurs convictions, des modes d’interactions forgés par leur socialisation depuis leur
plus jeune âge. Tout ceci étant marqué par le genre de ces personnes.
Dans beaucoup de contextes, les processus de prise en compte du genre sont
déclenchés, portés ou renforcés par des individu·e·s. Ces personnes sont, en géné-
ral, particulièrement intéressées par les questions de genre. C’est elles qui ont été
qualifiées, lors du premier atelier de l’espace pluri acteurs-actrices, d’« accompa-
gnantes » de l’intégration du genre dans les structures.
En devenant proactives sur l’approche genre au sein de leurs organisations, ces
personnes s’exposent et s’embarquent dans un difficile exercice d’équilibrisme. Cela
consiste à faire bouger la structure et convaincre les collègues tout en évitant de
devenir le donneur ou la donneuse de leçons et le ou la « gendarme » du genre.
Au-delà de ce positionnement des accompagnant·e·s, le niveau interpersonnel est
crucial aussi pour deux autres raisons. D’une part, pour être cohérente, la prise
en compte du genre doit être transversale jusque dans les relations informelles
au travail (pas de « blagues » sexistes autour de la machine à café). D’autre part,
comme les témoignages de parcours individuels l’ont très bien montré, le renfor-
cement des compétences en genre passe par une phase réflexive-introspective
de chaque apprenant·e. Cette phase permet de se rendre compte de ses propres
représentations genrées très ancrées, les déconstruire autant que possible. Elle offre
la possibilité de devenir plus conscient·e du défi que cela représente pour chaque
individu·e, notamment dans ses interactions avec d’autres.
Ces questionnements personnels/interpersonnels concernent les femmes (« pour-
quoi je n’arrive pas à dire que leurs compliments sur ma tenue vestimentaire me
gênent ? ») et les hommes (« suis-je encore censé leur tenir la porte ou pas ? »). Trois
ateliers ont abordé ces thématiques très complexes, où ce que l’on considère habi-
tuellement comme relevant du privé se mêle au vécu et aux processus en cours
dans la sphère professionnelle.
40 VIVRE LE GENRE !
41
RELATIONS INTER-
PERSONNELLES
FICHE 7
Les évolutions personnelles
en faveur de l’égalité de genre
professionnels, etc. Dans ces espaces se glissent des mani-
Problématiques festations des rapports sociaux de genre : des « blagues »
sexistes, une répartition traditionnelle des rôles et des
et enjeux tâches (les femmes qui préparent le repas pendant que les
hommes servent l’alcool…), des incertitudes concernant
de vieilles habitudes (la « galanterie » par exemple), etc.
Le genre « débordant » sur la vie privée
Se pose alors la question du positionnement de cha-
Les relations interpersonnelles au sein des organisations cune et chacun par rapport aux autres et dans le collec-
sont marquées par le genre, et personne, professionnel·le tif et sa capacité à faire évoluer ces interactions. Pour
ou bénévole, n’y échappe. Le genre marque en effet la certaines personnes, ces situations peuvent être source
répartition du pouvoir, les prises de parole, l’appréciation de souffrance. De fait, interroger sa propre construction
de la légitimité et de l’expertise de chacun et chacune… identitaire peut mettre dans une posture inconfortable
Lorsque l’on pose la question du genre dans l’espace pro- de doute permanent. L’enjeu central est de tenter de faire
fessionnel, et que l’on cherche à rendre visible les inégali- bouger les lignes chez soi et chez les autres tout en se pro-
tés, stéréotypes, discriminations, etc. afin de les combattre, tégeant comme individu·e. Il faut, par exemple, face à une
on fait implicitement ou explicitement référence au vécu situation sexiste, trouver le juste équilibre entre l’envie de
de chaque personne, à son histoire, sa « réalité », parfois partager ses propres valeurs et principes d’action d’une
jusqu’à son intimité… Ce n’est pas un sujet qui peut être part et, d’autre part, la crainte de devenir le rabat-joie ou la
traité seulement de manière technique et distanciée, can- donneuse de leçon de service, faisant face à plus d’hostilité
tonné aux actions et au fonctionnement dans la structure. que d’ouverture.
L’intégration du genre s’apparente à un processus qui
déborde spontanément sur la vie privée des personnes
concernées.
42 VIVRE LE GENRE !
43
de l’équipe et les réticences et résistances identifiées ou Exemples : RELATIONS INTER-
soupçonnées. Un tel espace de confiance confidentiel (safe PERSONNELLES
Outil déclencheur de réflexivité : lors d’une forma-
space) peut permettre de partager son vécu, de prendre
tion ou d’une réunion, poser la question à tou·te·s les
du recul et de réfléchir collectivement aux réactions ou
participant·e·s « qu’est-ce qui serait différent dans votre vie
initiatives possibles. Quand une personne est devenue
aujourd’hui si vous étiez né·e de l’autre sexe ? ». Laisser 5 à 10
malgré elle « monsieur genre » ou « madame genre » dans
minutes de réflexion avant le partage des réponses. Faire réa-
l’imaginaire collectif, suscitant avec ses remarques des
gir les participant·e·s aux réponses reçues : qu’est-ce qui les a
réactions dévalorisantes, ce groupe solidaire peut agir.
frappé·e·s, étonné·e·s ? Pour finir, on peut inciter les personnes
Par exemple, en décidant entre allié·e·s de se répartir les
à creuser cette question individuellement pour aiguiser leur
prises de parole pour montrer que le genre est porté par
conscience sur le poids du genre.
d’autres personnes. Un tel espace collectif de confiance
peut conforter et renforcer les personnes souhaitant Travaux autobiographiques : réaliser une ligne de temps :
accompagner l’intégration du genre dans leur structure. - Autobiographie illustrée avec des dessins, des illustra-
tions découpées dans la presse… sous forme d’une frise
Créer un espace d’expression écrite retraçant le parcours de vie ;
Pour partager les petits évènements de la vie profession- - Autobiographie genrée (rédaction en réponse à la ques-
nelle de tous les jours (cf. fiche 9 : L’insoutenable sexisme ordi- tion « comment suis-je devenu·e socialement femme ou
naire, comment aiguiser les esprits ?), mais aussi les « coups homme ? », en mobilisant des éléments relatifs au milieu
de gueule » ou des anecdotes qui font rire ou réfléchir, on familial, au travail, à la classe sociale, au groupe ethnique
peut également prévoir un espace dédié. Cela peut prendre ou religieux, etc.) ;
la forme d’un espace physique (mur ou tableau : le « mur des - Parfois, il est plus pertinent de partager uniquement l’ana-
lament’actions ») sur lequel n’importe qui peut afficher une lyse de l’apport et des difficultés du processus autoréflexif
note écrite, un dessin, une coupure de presse commentée, et non pas son produit (frise, autobiographie genrée…).
etc. La forme d’un forum en ligne ou d’autres espaces virtuels
Ce type de travail demande une animation très subtile.
ouverts est aussi une option. L’idée est de partager, sponta-
En effet, il peut déclencher des prises de conscience per-
nément, des éléments vécus, entendus, lus, observés…
turbantes, voire douloureuses, pour certaines personnes.
Cela peut être anonyme ou pas, tout en gardant à l’esprit Attention : on risque parfois de franchir involontairement
que la possibilité de partager sans dévoiler son identité la frontière vers un travail thérapeutique, qui nécessite-
peut libérer une parole cachée et ce dans deux sens. Un rait la supervision par un·e professionnel·le. Si l’on sent
sens constructif et libérateur pour la personne qui « vide qu’une personne aurait besoin d’un accompagnement
son sac ». Ou, dans le sens contraire, laisser libre cours à qui va au-delà que celui que l’on est en mesure de lui
des commentaires peu constructifs, dédaigneux, voire vio- apporter, il ne faut pas hésiter pas à la renvoyer vers des
lents. C’est un outil qui doit être expérimenté et, au moins professionnel·le·s qui pourront lui fournir ce soutien. Ce
dans un premier temps, surveillé de près avant d’appré- « travail sur soi » est très formateur et permet d’illustrer la
cier sa nécessité et sa plus-value (par rapport à un espace complexité et l’impact des rapports de genre.
d’échange oral, par exemple).
Dans tous les cas, il convient d’insister sur l’espace de
confiance dans lequel ces échanges doivent se dérouler,
Proposer des démarches autoréflexives ainsi que sur le caractère confidentiel de ces derniers. Cet
pour une meilleure prise en compte du engagement peut par exemple prendre une forme écrite,
poids du genre sur les identités en faisant signer aux participant·e·s un accord de confi-
L’expérience a confirmé que les personnes qui travaillent sur dentialité, dont les principes sont rappelés en fin d’atelier.
la prise en compte du genre passent fréquemment par une
phase de prise de conscience. Celle-ci se manifeste souvent
par des « déclics », sur leur propre construction identitaire
genrée. Il existe des outils qui amènent à analyser explicite-
En débat
ment sa propre histoire, sa trajectoire. La prise de conscience
que son genre influence ses réalités, ses perceptions et ses Comment accompagner des individus volontaires pour
rapports aux autres, aussi dans son travail professionnel, est faire un travail personnel sur le genre, tout en respectant
une étape importante en termes de conscientisation. Elle les zones de confort de chacun-e ?
permet aussi de mieux comprendre et appréhender des réti- Comment différencier ce qui relève de sa compé-
cences exprimées par d’autres (collègues, partenaires, etc.). tence d’accompagnant-e genre et de celle d’un-e autre
Différents outils de conscientisation réflexive peuvent professionnel-le (par exemple un-e psychologue) ?
être utilisés dans l’espace d’échange, de préférence Comment éviter la pression du groupe en la matière ?
encadrés par des personnes expérimentées, et dans le
cadre de sensibilisations ou formations genre. Il faut aussi Comment juger si le capital confiance est suffisant pour
être conscient·e que lorsque l’on commence à réfléchir sur pouvoir compter sur la bienveillance des collègues
l’influence de ses constructions genrées sur son identité et impliqué·e·s dans des processus collectif autoréflexifs ?
son parcours, cela se fait souvent avec des allers-retours. Est-ce sain d’entamer un tel travail personnel sur son lieu
Cette démarche de réflexivité n’est pas un processus de travail ?
linéaire. Avoir commencé à prendre conscience de ses biais
incite une remise en question continuelle.
44 VIVRE LE GENRE !
45
RELATIONS INTER-
PERSONNELLES
FICHE 8
« Référent•e genre » : comment
s’y prendre avec ses collègues ?
de soutien hiérarchique, de manque de vision), il s’agit
Problématiques alors d’un titre « alibi » voire de « genderwashing1 ».
1 Mot formé sur le modèle du « greenwashing » en matière écologique. Il désigne l’utilisation de l’argument de l’égalité pour se donner une
bonne image, sans mener la moindre action en faveur de celle-ci.
46 VIVRE LE GENRE !
47
RELATIONS INTER-
PERSONNELLES
pour agir que l’intégration du genre ne soit pas portée par une seule
personne mais partagée.
50 VIVRE LE GENRE !
51
D’autres formes de sexisme ordinaire concernent des RELATIONSINTER-
RELATIONS INTER
mécanismes subtils et souvent inconscients. Ils sont à PERSONNELLES
PERSONNELLES
l’œuvre dans les interactions verbales entre femmes et Des pistes
hommes et s’opèrent notamment dans le cadre de réu-
nions ou d’autres cadres collectifs : pour agir
Le « mansplaining » (ou « mecsplication » en français) :
ce néologisme anglais formé à partir des mots « man » Le point commun de ces différentes formes de sexisme
(homme) et « explaining » (expliquer) fait référence à une banalisées est que, pour des personnes pas ou peu sensi-
situation où un homme explique quelque chose à une ou bilisées, elles sont souvent niées ou considérées comme
des femmes de manière condescendante. un « non-sujet ». Lutter contre ces formes diverses et mul-
tiples de disqualification des femmes est donc d’autant
Le « manterrupting » : la contraction de « man » (« homme ») plus difficile.
et « interrupting » (« interrompre ») renvoie au fait, pour un
homme, d’interrompre, sans justification, une femme en Dans le domaine de la solidarité internationale, la diversité
train de s’exprimer, ce qu’il n’aurait pas fait avec un autre des cultures peut potentiellement représenter un levier
homme. pour aborder le sexisme ordinaire, permettant de percevoir
ses variations et évolutions et facilitant le décentrage du
Le « bropropriating » : cette contraction entre « bro » (l’équi- regard. Quelques pistes ont émergé des échanges en ate-
valent de « mec » en anglais) et « appropriating » (« s’appro- lier qui peuvent s’adapter de manière variable à différents
prier ») désigne les situations où un homme s’approprie niveaux d’intervention, individuel, interpersonnel, collectif.
l’idée d’une femme. Le même mécanisme d’invisibilisa-
tion des femmes dans l’espace public et professionnel est L’humour comme arme d’autodéfense
à l’œuvre quand la même idée, exprimée par un homme,
a plus de poids que quand c’est une femme qui l’avance. On peut tenter d’étoffer son stock de parades ou de
Ou encore quand le public s’adresse très majoritairement contre-humour contre les « blagues » et remarques
à l’homme dans des cas d’intervention en tandem mixte, sexistes. Les personnes très spontanées peuvent retour-
considérant spontanément la femme comme assistante. ner la « blague » sexiste qui devient alors absurde aussi aux
yeux de leur auteur ou autrice. Les blagues antisexistes
Lors de l’atelier, ont été citées aussi des formes de sexisme sont aussi une manière de faire passer le message – les
insidieux concernant par exemple des questions sur la vie afficher à la vue de toute l’équipe, en parler, y faire réfé-
privée lors des entretiens d’embauches. Ces cas ne peuvent rence plus tard…
être banalisés, car ils tombent sous des dispositifs législa-
tifs anti-discrimination. Même s’il reste de fait très difficile Des dispositifs ludiques peuvent aussi être mobilisés :
d’engager des poursuites dans ces cas, notamment si la un cochon tirelire avec une amende symbolique pour
candidate veut tout de même obtenir l’emploi concerné. les remarques sexistes effectuées sur le ton de l’humour
(attention à l’effet contre-productif de l’affranchissement
par le paiement…), des cartons jaunes et rouges qui
permettent de montrer son désaccord de manière non-
verbale, etc.
Un des registres de parades verbales est le renvoi vers la
femme, la sœur ou la fille de l’auteur du sexisme ordinaire.
S’il s’imagine un inconnu dire la même chose à quelqu’un
qu’il voit comme une personne à part entière, individua-
lisée, incarnée, comment le percevrait-il ? On peut égale-
ment insister sur le fait que ce paternalisme est déplacé
entre collègues. Un autre registre fait le parallèle avec le
racisme. Remplacer « femme » par « noir » et « homme » par
« blanc » aide parfois à faire ressortir l’inacceptabilité du
propos.
Sensibiliser à la nuisance
du sexisme ordinaire
L’utilisation du théâtre-forum peut être efficace pour cari-
caturer les situations ordinaires et changer alors les rôles.
D’autres supports de sensibilisations plus légers peuvent
être également mobilisés. La série de petits clips vidéo
« Martin sexe faible » en est un exemple. Les rôles féminins
et masculins y sont inversés. Il peut être difficile de trouver
le temps et le bon moment pour aborder ces sujets. Une
heure à la fin d’une assemblée générale, des pauses genre
à l’heure du déjeuner, un goûter de Noël avec visite de la
mère Noël ou un 8 mars dédié sont des possibilités.
Une autre porte d’entrée possible est d’ouvrir la discus- tourner cette responsabilité pour éviter qu’elle soit vue
sion sur l’adoption du langage inclusif par l’organisation. comme un rôle « féminin ». Ce rôle automatiquement attri-
Même s’il n’y a pas (encore) de majorité pour faire le pas, la bué empêche de plus la femme concernée de participer
mise sur l’agenda du sujet du caractère sexiste de la langue activement à la réunion. Il est important de veiller à ce que
peut permettre d’aborder aussi d’autres formes de sexisme la répartition des rôles de service et de ménage lors des
ordinaire. moments informels ou festifs soit équilibrée et tournante,
etc.
Rendre visible la répartition
de la parole et instaurer quelques Limites
règles dans les réunions Comme les causes du sexisme ordinaire sont large-
Charger une personne de comptabiliser pendant quelques ment inconscientes, il est indispensable de passer par
réunions le sexe des personnes qui prennent la parole (et de la sensibilisation dont les fruits seront nécessai-
le temps que durent les interventions) et de notifier les cas rement partiels, variables et longs à se produire. Un
d’interruptions (en fonction du sexe) peut aider à démon- des pièges à éviter est de tomber dans le « paritarisme »
trer le déséquilibre des prises de paroles. Certains principes où l’équilibre quantitatif cache souvent le déséquilibre
de fonctionnement peuvent alors aider. Charger une per- qualitatif et de pouvoir (ne pas s’arrêter aux apparences !).
sonne relativement extérieure d’animer la réunion ou faire Un enjeu clé est d’avancer sur la conscientisation tout en
des animations tournantes, en insistant sur la nécessité de évitant la culpabilisation qui se révèle souvent contrepro-
veiller à l’équilibre de la prise de parole. Faire des tours de ductive, déclenchant surtout des réactions défensives.
table. Donner prioritairement la parole à des personnes Des facteurs comme l’âge, l’origine ethnique, familiale et
qui n’ont pas encore parlé. Alterner la prise de parole des socio-professionnelle, voire la dimension Nord-Sud jouent
femmes et des hommes (dans des assemblées équitable- également dans cette déconstruction de rapports sociaux
ment mixtes). Utiliser un bâton de parole pour éviter les complexes qu’on touche en abordant le sexisme ordinaire.
interruptions, etc. Et pourtant, ce thème n’est jamais prioritaire…
Afin d’éviter la répartition stéréotypée des rôles, on peut
désigner des hommes pour la prise de note ou faire
En débat
Comment répondre à l’argument de l’obligation du « poli-
tiquement correct » qui fait qu’on ne pourrait plus rien dire
sans être taxé-e de sexisme ?
Peut-on réduire le sexisme ordinaire sans passer par des
formations, en décrétant sa fin ?
Comment inscrire la chasse au sexisme ordinaire dans la
durée ?
52 VIVRE LE GENRE !
53
ANNEXES
Annexes
54 VIVRE LE GENRE !
55
ANNEXES
ANNEXE 1
L’espace pluri acteurs-actrices
Genre organisé par le F3E :
quelques éléments de bilan
Après avoir capitalisé, dans les pages précédentes, sur
les expériences des participantes et des participants aux
espaces pluri acteurs-actrices genre, nous nous propo-
sons maintenant de prendre un peu de recul sur notre
« Ce que je trouve dans ces ateliers
que je ne trouve pas ailleurs, c’est le
concret. À chaque fois, je repars avec
propre action. Qu’avons-nous souhaité mettre en place ? au moins une idée, un outil, quelque
Qu’avons-nous réussi à créer ? Quels sont nos points
d’amélioration ?
À quels enjeux
chose que je vais pouvoir mettre en
application immédiatement.
Une participante
»
répondions-nous ? De la diversité des acteurs et actrices
Forte de son expertise en matière d’échanges entre pairs, Afin d’offrir aux participants et aux participantes un
d’analyses de pratiques pour l’apprentissage et la produc- contenu riche, nous avons souhaité réunir au sein de l’es-
tion de connaissances méthodologiques à diffuser dans le pace pluri acteurs-actrices des membres les plus diversifiés
secteur de la coopération et de la solidarité internationale, possibles, que ce soit :
l’équipe du F3E a été mandatée pour mettre en place un - Au niveau des postures individuelles de chacun·e dans
espace pluri acteurs-actrices Genre. sa structure (référent·e genre avec une mission officielle ?
Intéressé·e par le sujet mais sans mandat ?…) ;
Du concret dans les échanges - Au niveau de la sensibilité au genre des structures d’où
Les différents espaces collectifs existants créés autour du ils et elles viennent ;
genre ont chacun leur spécificité. La commission Genre de - En ce qui concerne les types de structures et leur secteur
Coordination SUD regroupe des ONG membres du réseau (ONG de solidarité internationale de différentes tailles,
et se concentre sur une action de plaidoyer. La Plateforme collectivités territoriales, fondations, bailleurs publics,
Genre et développement rassemble différentes familles secteur académique, associations d’autres secteurs…)
d’acteurs impliquées dans les enjeux de genre, du déve-
loppement, de la coopération et de la solidarité interna-
tionale (pouvoirs publics, ONG, associations féministes,
collectivités territoriales, milieu de la recherche, etc.). C’est
un espace d’échanges d’expériences, de concertation et de
suivi des politiques de genre et développement entre les
« Comme leur nom l’indique, ces
ateliers sont véritablement pluri
acteurs-actrices. […] Les points
pouvoirs publics et les OSC françaises.
de vue et pratiques partagés
L’objectif était donc d’organiser un espace d’échanges
d’outils et d’expériences : en partant des bonnes pratiques
existantes (comment les divers outils existants étaient uti-
lisés et appropriés), chacun et chacune était amené·e à se
questionner sur ses propres pratiques pour les améliorer. Il
témoignent de la complémentarité
des personnes présentes.
Une participante
»
nous semblait également important que les participant·e·s
aux ateliers s’inscrivant dans cet espace puissent se sen-
tir en sécurité pour s’exprimer le plus librement possible,
notamment sur les difficultés qu’ils et elles rencontrent.
56 VIVRE LE GENRE !
57
ANNEXES
Ce que nous avons fait
L’atelier de lancement, intitulé « Imposer, suggérer,
argumenter… Comment accompagner l’intégration du
genre ? », a permis de préciser collectivement les contours
du sujet. Grâce à un world-café (pratique collaborative
et créative visant à faciliter le dialogue constructif et le
partage d’idées) et une intervention autour de la posture
d’accompagnement, les participants et participantes ont
défini les trois niveaux d’intégration qu’ils et elles souhai-
taient voir aborder dans les ateliers ultérieurs : organisa-
tionnel, partenarial, interpersonnel.
Un webinaire a été organisé à la suite de l’atelier pour per- Atelier de lancement pour
mettre à celles et ceux qui l’avaient manqué (par manque préciser les contours du sujet
de disponibilité ou par éloignement) d’en connaître les
Imposer, suggérer, argumenter…
résultats.
Comment accompagner l’intégration du genre ?
À trois reprises, en juin, octobre et décembre 2017, nous
avons convié des témoins à raconter leurs expériences en
lien avec les questions de genre sur différents sujets, abor-
dés dans les fiches regroupées dans cet ouvrage.
À chaque fois, ces ateliers se déroulaient sur le même
modèle : après un accueil dynamique, les participants
et participantes se divisaient en trois groupes. Chaque
groupe écoutait un ou plusieurs témoignages, puis tirait,
collectivement, les leçons capitalisables de ces expé-
riences. Ces leçons étaient ensuite partagées en plénière
pour une rapide mise en débat collective. Cette matière a
nourrit une production collective rédigée par la suite par
une équipe restreinte avec un appui externe. 3 ateliers d’approfondissement
58 VIVRE LE GENRE !
59
ANNEXE 2
ANNEXES
Ressources
F3E, Adéquations, Aster-International, Ciedel, Fiches péda- Adéquations, Fiche 6. Les indicateurs de genre, 2009, http://
gogiques Genre et développement, 2010, https://f3e.asso.fr/ www.adequations.org/IMG/article_PDF/article_a1269.pdf
wp-content/uploads/11_fiches_web_2.pdf
Fiches pays et statistiques
Haut Conseil de la coopération internationale, Intégrer le
genre dans les actions de solidarité internationale, prendre Wikigender, fiches pays : https://www.wikigender.org/
en compte les rapports sociaux entre femmes et hommes, countries
une condition pour un développement durable, 2007, Agence française de développement, Profils genre :
http://www.adequations.org/IMG/pdf/IntegrerGenreDan Proche et Moyen-Orient, 2016 https://www.afd.fr/fr/
sCoopInternationale.pdf profil-genre-proche-et-moyen-orient
Adéquations, Définitions de l’approche de genre et genre et Agence française de développement, Profils genre :
développement, 2016, http://www.adequations.org/spip. Amérique latine et Caraïbes, 2016, https://www.afd.fr/fr/
php?article1515 profil-genre-amerique-latine-et-caraibes
Coordination SUD, Nos actions pour une intégration du Agence française de développement, Profils genre : Afrique,
genre dans les politiques françaises de développement, 2017, 2016, https://www.afd.fr/fr/profil-genre-afrique
60 VIVRE LE GENRE !
61
Agence française de développement, Profils genre : Asie, violence basée sur le genre dans l’action humanitaire. Réduc- ANNEXES
2016, https://www.afd.fr/fr/profil-genre-asie tion des risques, promotion de la résilience et aide au relè-
vement, 2015, https://gbvguidelines.org/wp/wp-content/
Organisation de coopération et de développement éco-
uploads/2016/03/2015-IASC-Directrices-VBG_version-
nomique (OCDE), Base de données Genre SIGI (Social Insti-
francaise.pdf
tutions & Gender Index) – en anglais : http://stats.oecd.org/
index.aspx?datasetcode=GIDDB2014 IASC, Comité permanent interorganisations, Le guide
des genres pour les actions humanitaires, 2018, https://
Division Statistiques des Nations Unies, Minimum set of
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62 VIVRE LE GENRE !
63
ANNEXE 3
ANNEXES
64 VIVRE LE GENRE !
65
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Ces fiches s’organisent autour de trois de thèmes :
• l’institutionnalisation de l’approche genre et de
son ancrage dans les organisations ;
• l’intégration de l’approche genre dans les
partenariats ;
• les relations interpersonnelles, dans un contexte
où le niveau de conviction et d’engagement Graphisme :
« pro-genre » est très variable.