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Sommaire
B Le résumé de la pièce
1. Le prologue et l'acte I
2. Un drame familial
3. Un texte testamentaire
IV Textes-clés
A Le prologue
C L'épilogue
Le mot « crise » vient du latin crisis qui signifie « action de juger, de choisir, de séparer ».
On parle de « crise » pour décrire les tensions qui font souffrir un individu (crise identitaire, de
l'adolescence, de la cinquantaine) ou qui déchirent les hommes dans leurs relations humaines
(crise générationnelle), ou lors d'un paroxysme d'une maladie (crise cardiaque) ou dans le cas
d'un problème étendu à tout un groupe (crise sanitaire, crise politique, crise économique).
« La crise » est à la fois le résultat de tensions, qui explosent à la vue de tous, et un déclencheur
de répercussions, qui sont autant de nouvelles crises. La crise met en lumière les fractures d'une
personne ou d'un groupe et peut mener à des ruptures. Cela peut aussi être l'origine d'un
renouveau.
Dans la pièce Juste la fin du monde, la crise personnelle traversée par Louis, qui va mourir vers
l'âge de 34 ans, déclenche la crise identitaire de sa fratrie : chacun se laisse emporter par ses
émotions et prend le risque de faire rompre les liens familiaux. Les rivalités fraternelles amènent
la mère à s'interroger sur l'amour et le lien filial, déclenchant une crise familiale, qui pose la
question de la place de chacun dans le cercle familial et de la transmission d'un héritage à la
descendance. Ce thème est universel, on le trouve déjà dans la Bible.
Comment une crise personnelle peut-elle déstabiliser une famille tout entière ?
Le silence est-il plus signifiant que les mots dans la conversation entre membres d'une même
famille ?
Que nous révèlent les non-dits et les confidences sur les tensions familiales ?
En quoi la famille est-elle propice à un huis clos tragique ?
La fraternité est-elle une passion ?
Peut-on exister sans famille ?
La famille n'est-elle qu'un mythe entretenu par ses membres ?
Partager les liens du sang engage-t-il les membres de la famille les uns envers les autres ?
Liens du sang, maladie du sang, héritage, descendance : quels sont les déclencheurs de crise ?
En temps de crise, faut-il fuir ?
Les parents de Jean-Luc Lagarce sont des ouvriers de l'usine automobile Peugeot. Aîné de trois
enfants, il grandit en province dans le Doubs et reçoit un enseignement religieux protestant. Il fait
partie des « éclaireurs », scouts de cette confession. Lors d'un concours départemental, il est
primé pour un poème adressé à sa mère. Dès la 4e, au collège, il commence à écrire un texte en
lien avec le théâtre de boulevard (texte perdu).
Lors d'une sortie scolaire organisée par son lycée, il a une révélation lors d'une représentation
de la pièce Sarcelles-sur-mer de Jean-Pierre Bisson. Après son baccalauréat, il s'inscrit à la
faculté de philosophie de Besançon et au conservatoire régional dramatique de la ville.
Dès 1977, il rédige un journal qui donne des renseignements sur sa vie et son écriture. À cette
époque, il crée une troupe de théâtre amateur : Le Théâtre de la Roulotte, en référence à Jean
Vilar. Il adapte l'Odyssée et crée une pièce intitulée Carthage, encore. Il obtient sa licence de
philosophie avec mention.
Dès 1980, sa troupe La Roulotte devient professionnelle. Sa pièce La Place de l'autre est diffusée
à la radio France Culture. Il choisit comme sujet de Maîtrise « Théâtre et pouvoir en Occident »
mais abandonne ses études et son projet de thèse pour se consacrer au théâtre et à la mise en
scène.
Dans Vagues souvenirs de la peste (1983), il utilise le signe typographique (…) qui lui est
personnel.
En 1984, il s'installe à Paris. Il adapte et met en scène Les Égarements du cœur et de l'esprit de
Crébillon fils. En 1985, il est responsable d'une importante production « Hollywood » avec des
acteurs extérieurs à sa troupe, notamment Daniel Emilfork. Ce spectacle est salué par la
critique.
Grand lecteur et amateur de films, il écrit des chroniques sous le pseudonyme de Paul Dasté pour
Le Point ou Libération.
En 1988, il apprend qu'il est séropositif et commence une thérapie AZT. Il poursuit ses activités :
il met en scène sa pièce Music-hall, écrit Quichotte pour un opéra jazz. Malgré son dynamisme,
sa compagnie reste économiquement fragile. Sa troupe n'a pas de théâtre attitré.
En 1990, le Théâtre Ouvert lui consacre un parcours. Lauréat d'une bourse « Villa Médicis hors les
murs », il voyage à Berlin où il termine Juste la fin du monde. Il entreprend de monter un journal
vidéo. Il met notamment en scène une pièce de Georges Feydeau On purge bébé et La Cantatrice
chauve d'Eugène Ionesco qui lui valent un immense succès. Il crée Les Solitaires intempestifs en
1992.
À cette époque, ses défenses immunitaires sont très affaiblies : il est hospitalisé en urgence. Au
sein de La Roulotte est créée une maison d'édition, Les Solitaires intempestifs, pour publier les
pièces qu'il apprécie comme celles d'Olivier Py ou Élizabeth Mazev.
En 1993, son écriture fait l'objet d'une soirée au Centre Pompidou, mais c'est comme metteur en
scène qu'il est davantage reconnu. Il met en scène Le Malade imaginaire de Molière, un autre
immense succès et une tournée très appréciée.
Son traitement est de plus en plus lourd et il va très souvent à l'hôpital ; cela l'empêche de mettre
au jour son projet Nous, les héros inspiré de Kafka. La nouvelle de sa maladie est évoquée dans
la presse.
En 1994, il monte la pièce Les Règles du savoir-vivre dans la société moderne pour la
comédienne Mireille Herbstmeyer, seule en scène. Les commandes affluent. Pour la Revue
esthétique, il rédige un article intitulé « Du luxe et de l'impuissance » qui réunit ses différents
articles et éditos. Il est un metteur en scène reconnu, notamment pour les pièces du répertoire
classique comme L'Île des esclaves de Marivaux.
En 1995, la maladie progresse et l'empêche de suivre correctement les tournées. Une émission
de Lucien Attoun lui est consacrée sur France Culture. Invité du Ruban rouge lors du festival
d'Avignon, il évoque, dans cette émission télévisée consacrée au sida, sa vie avec sa maladie. Il
décède en septembre 1995 et, conformément à son testament, il est incinéré dans la stricte
intimité. Ses cendres reposent au cimetière du Père-Lachaise à Paris.
A L'histoire de la pièce
Juste la fin du monde n'est pas une pièce comprise lors de sa publication et ne rencontre donc
aucun succès. Ce n'est qu'à la mort de Jean-Luc Lagarce que Joël Jouanneau la monte et attire
l'attention sur celle-ci : elle est alors éditée et traduite en quinze langues. La pièce entre dans le
répertoire de la Comédie-Française et se retrouve au programme du baccalauréat.
Dans un premier temps, la pièce ne trouve pas son public. Après le décès de Jean-Luc Lagarce
en 1995, elle suscite un nouvel intérêt : Joël Jouanneau décide de la monter.
Cette pièce est alors éditée aux Solitaires intempestifs une seconde fois dans un des volumes
Théâtre complet consacré à Lagarce en 2000. C'est la reprise par le Théâtre national de la Colline
qui provoque un succès public et critique enthousiaste.
La pièce est traduite en anglais et en allemand en 2001, puis dans treize autres langues. Les
mises en scène se multiplient dans le monde entre 2001 et 2006. En 2007, une nouvelle édition
corrigée est proposée à partir d'une comparaison de ce texte à celui de Pays lointain. Nommée
aux Molières 2008, la mise en scène de François Berreur est l'objet d'une captation par la chaîne
de télévision franco-allemande Arte.
En 2008, la pièce entre au répertoire de la Comédie-Française dans une mise en scène de Michel
Raskine qui reçoit le Molière du meilleur spectacle.
Le texte est au programme du baccalauréat option théâtre de 2008 à 2010. En 2012, il est au
programme de l'agrégation de lettres.
Cette pièce est aussi adaptée pour le cinéma, notamment par Xavier Dolan en 2016, avec
Gaspard Ulliel, Vincent Cassel, Nathalie Baye, Léa Seydoux et Marion Cotillard. Ce film reçoit le
grand prix du Festival de Cannes et est diffusé dans le monde entier.
B Le résumé de la pièce
1. Le prologue et l'acte I
Le ton de la pièce est donné dans le prologue, avec l'annonce de la mort de Louis. Il souhaite
annoncer sa maladie et son diagnostic à sa famille. Cependant, dès l'acte I, une première crise
familiale est déclenchée par la mère. Elle dépeint un tableau sombre de ce qu'est devenue la
famille. Louis essaie d'avouer la raison de sa venue à son frère, mais ce dernier, sur la
défensive, ne le laisse pas.
Dans le prologue, Louis annonce sa mort prochaine et son désir de se confier à sa famille en
retournant à ses côtés.
Dans l'acte I, Suzanne présente à Louis, Catherine, sa belle-sœur, épouse d'Antoine. La mère
s'étonne qu'ils ne se connaissent pas et déclenche une première crise entre les membres de la
famille. Suzanne est surprise que son frère soit venu en taxi depuis la gare plutôt que de l'avoir
appelée pour qu'elle vienne le chercher. Lors d'un échange banal avec son frère Antoine, Louis dit
aller bien : il ne dit rien de ce qui l'amène. Catherine s'aventure à parler de leurs enfants, à Antoine
et à elle. Elle tente de justifier le fait d'avoir appelé leur fils Louis. Le thème de la descendance
fait ressortir le fait que Louis n'a pas d'enfants.
Suzanne aussi est très bavarde : elle veut tout raconter à Louis. Antoine est irrité par son
verbiage : elle cherche à tout prix à évoquer des souvenirs communs. Louis n'a pas non plus
partagé les moments de la mort du père. Suzanne souffre de ne pas avoir son propre foyer : elle
vit avec leur mère.
La mère continue de vouloir rappeler le passé : les promenades en voiture le dimanche, les
congés, les pique-niques. Elle ajoute que les garçons n'ont plus voulu venir en balade.
Dans l'intermède, Suzanne et la mère ont entendu les éclats de voix. Suzanne tente de dire que
c'est l'amour qui mène à ces discussions passionnées. Louis se renferme car il se dit à lui-même
qu'il ne peut plus tomber amoureux car il va mourir. La famille se met en quête de Louis comme
si elle ne le trouvait plus.
Dans l'acte II, Louis décide finalement de repartir à Paris. Une dispute à l'intensité tragique éclate
car Antoine veut le raccompagner à la gare, ce qui provoque la colère de Suzanne qui veut le faire
elle-même. Louis se plaint de la possessivité de sa sœur et de la pression qu'on exerce sur lui
pour qu'il reste. Cela se retourne contre Antoine à qui l'on reproche ce retour précipité en le
traitant d'homme brutal. En réaction, Antoine cède à la colère et accuse toute la famille de le faire
culpabiliser. La mère intervient pour dire à Antoine que personne ne lui en veut. Antoine prend
alors longuement la parole pour exprimer son ressenti envers son grand frère Louis : il reproche à
Louis d'avoir toujours dit qu'il n'était pas aimé par la famille ; il expose les conséquences que cela
a eu sur sa vie, le fait qu'il a dû prendre sur lui ce malheur supposé de son frère aîné. Il insiste sur
la prévenance qu'il a toujours eue pour lui et qu'il considère comme de l'amour. Il reproche à son
frère son départ loin de la famille et son silence. Selon lui, rien ne l'atteint. Au contraire, Antoine
se sent coupable du malheur supposé de son frère. Antoine annonce qu'il a tout dit et qu'il n'en
parlera plus. Louis a une réaction équivoque.
Dans l'épilogue, Louis, seul, apporte la conclusion à cette évocation de sa famille : il parle depuis
un espace/temps flou, celui de sa mort, d'un départ définitif. Il veut seulement se remémorer la
solitude d'une promenade, au bord de la voie ferrée, la nuit, où il aurait pu se libérer dans un
hurlement. Mais il précise qu'il n'a pas crié et que seuls ses pas ont remplacé, par leur bruit,
l'absence du cri. Il n'a que ce seul regret.
Louis est le protagoniste principal de la pièce, il a 34 ans. C'est le frère aîné qui porte le même
prénom que son père décédé et que son neveu, fils d'Antoine et de Catherine. Il vit un drame
personnel : il va mourir dans l'année et veut le confier à sa famille dont il s'est éloigné. Il revient
donc chez sa mère pour l'annoncer, mais en vain.
Suzanne, sa sœur, a 23 ans. Célibataire, elle vit chez sa mère. Elle rêve d'être autonome et
conduit sa voiture. Bavarde, elle cherche sa place entre ses deux frères plus âgés. Elle idéalise
son frère aîné Louis et ne s'entend pas avec Antoine, qu'elle juge brutal.
Antoine, son frère, a 32 ans. Bien qu'il ne soit pas l'aîné, le départ de Louis l'a hissé à cette place.
Marié à Catherine, il a deux enfants dont le garçon, nommé aussi Louis, est l'héritier de la famille.
Antoine se sent responsable et culpabilise de tous les événements qui frappent la famille. Il a
une relation ambivalente avec Louis et ne supporte pas Suzanne. Il coupe la parole à sa femme
Catherine.
Catherine, la femme d'Antoine, a 32 ans. Elle occupe une place importante au début de la pièce
car elle veut faire connaissance avec son beau-frère mais elle ne parvient pas à sympathiser
avec lui. Leur relation est distante, ce qui provoque les moqueries de Suzanne et la colère
d'Antoine. Catherine s'efface dans cette famille dont elle ne partage pas les liens du sang.
La mère, qui n'est pas nommée, a 61 ans : elle évoque sans cesse le passé pour essayer de
trouver des souvenirs communs à la fratrie. Mais ses tentatives d'apaisement restent vaines. Elle
s'interroge sans cesse sur les tensions familiales et évoque la mort du père.
1. Le renouvellement du théâtre
Jean-Luc Lagarce ne puise pas son inspiration dans la tradition théâtrale de son époque, mais
plutôt dans une tradition antérieure. Ce n'est pas l'intrigue qui importe le plus mais plutôt la
portée des mots et l'exploration de l'instant présent. Cela explique la présence de nombreux
monologues dans la pièce.
Beckett et Ionesco créent le théâtre de l'absurde au XXe siècle qui montre l'incommunicabilité
entre les êtres.
Le théâtre de Lagarce puise son inspiration dans la tradition théâtrale antérieure, chez Tchekhov
(théâtre russe) ou Maeterlinck (drame symboliste), qui remettent en question la nécessaire
intrigue au profit des mots porteurs d'un certain onirisme et d'une exploration de l'instant
présent. Ainsi, les phrases sont-elles elliptiques et empreintes de poésie, construites autour de
répétitions qui mettent en valeur des mots-clés.
DÉFINITION
Monologue
Le monologue est le fait de parler seul en scène, en s'adressant à soi-même et/ou aux
spectateurs.
Dans la pièce, trois monologues de Louis fournissent des éléments d'analyse sur ce qui agite sa
famille et sa conscience.
2. Un drame familial
C'est avec Victor Hugo que le drame connaît son apogée. Il met en scène un homme confronté
à des difficultés et se termine par une mort qui aurait pu être évitée. La mort de Louis, elle, est
inévitable et le fait revenir auprès des siens. C'est à ce moment-là que le drame de la pièce se
montre : Louis est pris dans une famille étouffante et envahissante, avec laquelle il ne parvient
plus à communiquer.
Le drame est synonyme de « crise » en français. Au théâtre, le drame est créé au XVIIIe siècle par
Diderot et connaît son apogée sous l'ère romantique avec notamment Victor Hugo. Il dépeint un
univers souvent bourgeois, qui s'émancipe des codes de la comédie et de la tragédie des
aristocrates dont l'hégémonie et la croyance en un au-delà qui dirige le sort des êtres
humains sont passés. Le drame montre un homme, parfois issu du peuple, aux prises avec les
difficultés de la vie, confronté au pouvoir, à l'amour proscrit ou à une condamnation injuste. Le
drame se termine par une mort qui aurait pu être évitée (suicide, meurtre, coups du sort).
Louis fait figure de marginal au sein de sa famille. C'est pourquoi il la fuit tout en étant attiré en
son sein par la fatalité née des liens du sang et de l'éducation. La famille est un groupe
d‘appartenance qui s'impose et que l'on ne choisit pas. C'est le lieu où l'on devrait pouvoir être et
parler sincèrement. Toutefois, la promiscuité, l'impossible préservation de son intimité au sein du
cercle familial étouffant, fait de la famille un puissant catalyseur tragique où la mort d'une
génération appelle la disparition de la suivante, comme le suggèrent les Labdacides (Œdipe) et
les Atrides (Oreste).
3. Un texte testamentaire
La dimension testamentaire du texte est annoncée dès le titre qui annonce la fin d'un monde,
celui de Louis. La mort est omniprésente dans la pièce avec la mort du père qui s'appelle
également Louis et la mort du héros. La mort semble peser comme une ombre sur le neveu de
Louis, également prénommé Louis. La maladie contamine tous les liens familiaux.
Comme Ulysse qui est sans cesse éloigné de Pénélope dans l'Odyssée, comme le mythe du
retour vengeur d'Oreste, comme le fils prodigue dans l'Évangile de Luc, Louis permet d'aborder
combien le retour est toujours une épreuve qui contraint à s'expliquer de tout changement à ceux
qui sont restés et qui oblige à mesurer le temps passé et si on l'a bien occupé.
Le titre est une allusion à l'Apocalypse, la fin du monde citée dans la Bible, dont l'étymologie
grecque tend à l'assimiler à une révélation. Ici, on peut considérer que, pour Louis, sa propre mort
est une fin du monde. La mort hante ce drame : la mort du père annonçant celle du fils qui porte
le même nom et faisant peser sur le petit-fils, lui aussi nommé Louis, une fatalité tragique
inquiétante.
En rapportant le texte au sida, on peut lire le texte comme une révélation à teneur
autobiographique : la découverte de la séropositivité est comme une fatalité tragique qui
contamine tous les liens familiaux même dans le non-dit.
Le titre de la pièce était au tout début du projet Les Adieux. Lagarce a également donné ce titre à
son roman intitulé auparavant Mes deux dernières années. C'est lors de sa résidence à Berlin
qu'il achève la pièce et lui donne le titre définitif Juste la fin du monde. Par effet de ressassement
et au fil de réécriture, la pièce Juste la fin du monde trouvera son écho final dans Pays lointain.
IV Textes-clés
A Le prologue
« LOUIS.
– Plus tard‚ l'année d'après
– j'allais mourir à mon tour –
j'ai près de trente-quatre ans maintenant et c'est à cet âge que je mourrai‚
l'année d'après‚
de nombreux mois déjà que j'attendais à ne rien faire‚ à tricher‚ à ne plus savoir‚
de nombreux mois que j'attendais d'en avoir fini‚
l'année d'après‚
comme on ose bouger parfois‚
à peine‚
devant un danger extrême‚ imperceptiblement1‚ sans vouloir faire de bruit ou commettre un geste
trop violent qui réveillerait l'ennemi et vous détruirait aussitôt‚
l'année d'après‚
malgré tout‚
la peur‚
prenant ce risque et sans espoir jamais de survivre‚
malgré tout‚
l'année d'après‚
je décidai de retourner les voir‚ revenir sur mes pas‚ aller sur mes traces et faire le voyage‚ pour
annoncer‚ lentement‚ avec soin‚ avec soin et précision
– ce que je crois –
lentement‚ calmement‚ d'une manière posée
– et n'ai-je pas toujours été pour les autres et eux‚ tout précisément‚ n'ai-je pas toujours été un
homme posé ?‚
pour annoncer‚
dire‚
seulement dire‚
ma mort prochaine et irrémédiable3‚
l'annoncer moi-même‚ en être l'unique messager‚
et paraître
– peut-être ce que j'ai toujours voulu‚ voulu et décidé‚ en toutes circonstances et depuis le plus
loin que j'ose me souvenir –
et paraître pouvoir là encore décider‚
me donner et donner aux autres‚ et à eux‚ tout précisément‚ toi‚ vous‚ elle‚ ceux-là encore que je
ne connais pas (trop tard et tant pis)‚
me donner et donner aux autres une dernière fois l'illusion d'être responsable de moi-même et
d'être‚ jusqu'à cette extrémité4‚ mon propre maître. »
1
Imperceptiblement : qui est très difficile à percevoir, qui échappe à l'attention de celui qui
regarde.
2
Posé : calme, réfléchi, sérieux.
3
Irrémédiable : irréparable, sans solution, qui n'a pas de remède.
4
Extrémité : le bout, la fin ou l'état critique. Synonyme de « mort ».
Mouvements du texte :
Premier mouvement, l'annonce de sa mort par Louis : du début jusqu'à « prenant ce risque et
sans espoir jamais de survivre‚/malgré tout‚/l'année d'après, ».
Deuxième mouvement, la présentation de l'intrigue du retour dans sa famille : de « je décidai »
jusqu'à « l'unique messager ».
Troisième mouvement, le sens que Louis donne à ce projet : de « et paraître » jusqu'à la fin.
Un prologue pour l'exposition : Louis, seul en scène, présente le drame qui va se jouer ensuite,
directement aux spectateurs, à travers un prologue qui sert d'exposition théâtrale : le
personnage principal précise le temps (un an avant sa mort) et la nature de l'action (le retour
dans sa famille pour annoncer sa mort prochaine).
Le brouillage des repères dans la présentation du personnage et de l'action : Toutefois, en
observant les compléments circonstanciels de temps et la conjugaison des verbes, on note un
brouillage déréalisant : Louis annonce sa mort future sur un ton qui suggère que sa voix s'élève
d'outre-tombe « plus tard, l'année d'après, j'allais mourir ». Il se décrit comme « l'unique
messager » de sa propre mort et explique pourquoi il va retourner auprès des siens, en
analysant ce qu'il donne à voir de son caractère aux autres (« posé, responsable, son propre
maître »).
Un tragique plein de modernité : La tonalité tragique s'impose car le personnage fait face à
une mort inéluctable, un « danger extrême » et « irrémédiable » (qui n'a pas de remède, comme
le sida). En contraste, la structure des phrases ciselées en versets fondés sur des répétitions,
procède de manière hésitante, par corrections successives (épanorthoses), ce qui confère un
caractère banal au prologue. L'alliance du thème de la mort et de ce ton familier rend ce texte
universel et plus touchant pour le spectateur.
1
Fatalement : inévitablement.
2
Logique : qui suit la raison.
Définition de la famille.
L'exclusion de Louis hors de la famille.
La dépendance de Catherine envers ce que pense Antoine.
La répétition du mot « logique ».
Mouvements du texte :
La conception traditionnelle de l'aîné comme héritier dans la famille : Dans cette tirade,
Catherine présente de façon maladroite sa conception traditionnelle de la famille à Louis. Au
départ, il n'est question que d'un sujet banal : Catherine veut présenter sa famille à son beau-
frère qu'elle ne connaissait pas encore. Le fait que le fils de Catherine et Antoine s'appelle
Louis, comme le frère aîné et comme le père d'Antoine, provoque une crise familiale. En effet,
traditionnellement, le prénom du père se transmet uniquement à l'aîné de la fratrie. Ici, la
tradition n'a pas été respectée. C'est le neveu de Louis qui porte ce nom et non son fils.
Une argumentation maladroite et cruelle : Catherine tente de banaliser cette tradition en
évoquant sa propre famille et en utilisant des expressions péjoratives : « l'enfant mâle.. ; toutes
ces histoires ». Toutefois, son malaise à poursuivre ses idées se dévoile dans le fait qu'elle
n'assume pas le contenu de son propos : elle multiplie les hésitations (verbe « croire »,
tentative pour définir la logique) et finit par avouer qu'elle répète ce que dit Antoine. Elle répète
à diverses reprises que Louis n'a pas d'enfants et n'en aura pas : ce rappel est d'autant plus
cruel que Louis sait qu'il va mourir. Il est privé de son héritage et de sa lignée par cette mort
inéluctable. Sa belle-sœur en tire avantage comme son frère puîné.
Une image dégradée de la mère : Catherine symbolise une mère dépendante de son mari qui
pense à sa place. Elle agit pour « faire plaisir » à son époux et à sa belle-mère. Elle « ne déteste
pas ce prénom » : cette litote montre qu'elle n'a pas vraiment d'avis. Elle s'exprime avec
maladresse, vouvoie son beau-frère comme pour l'exclure de la famille et met sa famille en
valeur en faisant de l'ombre aux autres membres de la famille. Elle semble exercer une cruauté
tragique malgré elle. D'ailleurs, elle est nommée par son prénom et non comme « mère » dans
la pièce, comme si la seule mère était celle de Louis et Antoine, comme si cette « pièce
rapportée » n'avait servi qu'à enfanter la descendance de la lignée du fait que Louis n'a pas
d'enfants.
C L'épilogue
LOUIS.
Après, ce que je fais, je pars. Je ne reviens plus jamais. Je meurs quelques mois plus tard, une
année tout au plus. Une chose dont je me souviens et que je raconte encore (après j'en aurai
fini) : c'est l'été, c'est pendant ces années où je suis absent, c'est dans le Sud de la France. Parce
que je me suis perdu, la nuit, dans la montagne, je décide de marcher le long de la voie ferrée.
Elle m'évitera les méandres1 de la route, le chemin sera plus court et je sais qu'elle passe près de
la maison où je vis. La nuit, aucun train n'y circule, je n'y risque rien et c'est ainsi que je me
retrouverai. À un moment, je suis à l'entrée d'un viaduc2 immense, il domine la vallée que je
devine sous la lune, et je marche seul dans la nuit, à égale distance du ciel et de la terre. Ce que
je pense (et c'est cela que je vais vous dire) c'est que je devrais pousser un grand et beau cri, un
long et joyeux cri qui résonnerait dans toute la vallée, que c'est ce bonheur-là que je devrais
m'offrir, hurler une bonne fois, mais je ne le fais pas, je ne l'ai pas fait. Je me remets en route
avec le seul bruit de mes pas sur le gravier3. Ce sont des oublis comme celui-là que je regretterai.
1
Les méandres : les virages et tournants.
2
Un viaduc : pont très élevé qui passe au-dessus d'une vallée.
3
Le gravier : petits cailloux répandus sur les allées.
Les expressions du temps et de l'espace.
Le souvenir.
Le bruit.
Les actions réelles et oniriques du personnage.
Le bonheur inaccompli.
Premier mouvement, l'annonce courte et brutale de son départ et de sa mort par Louis : du
début jusqu'à « une année tout au plus ».
Deuxième mouvement, le récit du souvenir emblématique : de « Une chose dont je me
souviens » jusqu'à « du ciel et de la terre ».
Troisième mouvement, le message onirique transmis par Louis au spectateur : de « ce que je
pense » à la fin.
Épilogue en réponse au prologue tragique : Cet épilogue rappelle le prologue et le rend encore
plus tragique : Louis, seul sur scène, clôt la pièce, comme il l'a commencée, mais rien ne s'est
déroulé comme prévu et c'est inéluctable puisqu'il affirme qu'il est mort.
Le thème du silence contraint : Il n'a pas pu délivrer le message de sa mort à sa famille. Il a à
nouveau choisi la fuite mais cette fuite est alors définitive et tragique puisqu'il meurt peu de
temps après son départ. Louis livre alors un souvenir qui montre que sa fuite perpétuelle l'a
toujours condamné au silence et lui a interdit de s'exprimer et de rayonner dans la vallée du
monde.
Onirisme et symbolique : La fin de la pièce est onirique et symbolique. Louis raconte un
souvenir d'un été, dans le Sud de la France où il s'est perdu en chemin, et passe au-dessus de
la vallée où se trouve sa maison. Sa marche, entre ciel et terre, sous le signe de la lune,
ressemble à une nouvelle naissance au monde, où il est dans un viaduc qui doit lui permettre
de retrouver son chemin. Toutefois, cette expérience reste inaccomplie car, au cri primal d'une
renaissance, Louis substitue le bruit de la fuite de ses pas. Toutefois, on peut considérer que
cette vallée ressemble à un théâtre et que la pièce est le cri qui a été retenu par le personnage.
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