Vénus Anadyomène

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Phrase d’accroche

Arthur Rimbaud est un poète révolté, qui n’accepte pas le statu quo et cherche sans
cesse à se renouveler tout en renouvelant la langue et la poésie. Dans deux poèmes
antérieurs, “Invocation à Vénus” et “Soleil et Chair”, il avait donné une image
somme toute assez traditionnelle de la figure de Vénus. Avec “Vénus
Anadyomène”, c’est une tout autre vision de la déesse de l’amour et de la beauté
que propose le jeune poète de 16 ans : celle d’une femme, peut-être même d’une
courtisane, malade et repoussante. En seulement quelques années, de l’adolescence
à ses 21 ans, Arthur Rimbaud va secouer la poésie. C’est sa rencontre avec son
professeur Georges Izambard qui va le pousser à s’intéresser à la littérature en tant
qu’artiste. Commence une quête de liberté pour le jeune Rimbaud. Quête qui
s’exprime par des fugues répétées, et par une volonté de révolutionner le langage
poétique. Finalement, après des années chaotiques passées aux côtés de Paul
Verlaine, à écrire et à vivre follement, Arthur Rimbaud décide d’arrêter
définitivement la poésie. L’auteur des Illuminations décide de voyager et de vivre
du commerce avant de mourir, quelques années plus tard, d’une tumeur au genou.
Le poème “Vénus Anadyomène” se trouve dans le premier recueil d’Arthur
Rimbaud : “Cahier de douai“. Vénus Anadyonème est un sonnet d’Arthur
Rimbaud. Le poète y représente une prostituée sous des traits empruntés à Vénus,
déesse de la beauté, pour laisser voir progressivement sa vulgarité, sa laideur et sa
maladie. Le poème se conclut par une audace, faire rimer Vénus avec Anus.C’est
l’occasion pour le poète de critiquer la poésie traditionnelle et le lyrisme en
proposant une nouvelle esthétique poétique. Ainsi, nous pourrons nous
demander comment ce poème parodie le thème de la Vénus sortie des eaux afin
de rejeter la poésie traditionnelle. Pour mener cette analyse linéaire du poème
Vénus Anadyomène d’Arthur Rimbaud, nous suivrons les strophes du texte qui
donnent à voir un contreblason en insistant tour à tour sur différentes parties du
corps. D’abord la vue d’ensemble de la femme dans la strophe 1. Ensuite le dos de
la femme dans la strophe 2. S’en suit le bas du dos dans la strophe 3. Enfin, les
fesses dans la dernière strophe. On constate que le mouvement est descendant, de la
tête à l’arrière-train.

Vénus Anadyomène
Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés ;
Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;

L’échine est un peu rouge, et le tout sent un goût


Horrible étrangement ; on remarque surtout
Des singularités qu’il faut voir à la loupe…

Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;


– Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.

« Vénus Anadyomène » d’Arthur


Rimbaud : Analyse linéaire
I. Strophe 1
Les premiers mots du poème : “Comme d’un cercueil” peuvent rappeler le premier
vers d’un poème de Ronsard : “Comme un chevreuil”. Les sonorités sont très
similaires. On voit donc d’emblée la volonté parodique de Rimbaud qui reprend un
grand poète de la pléiade pour déformer ses mots. De plus, le nom “cercueil”
s’oppose au thème de la naissance de Vénus car il suggère l’idée de mort. Les
couleurs présentes dans les vers 1 et 2 : “vert” ; “blanc” ; “bruns” peuvent
également rappeler le tableau de La Naissance de Vénus par Cabanel. Seulement,
ici, ces couleurs sensées désigner la mer et l’écume de manière méliorative
qualifient en fait une baignoire usée. L’adjectif épithète péjoratif “vieille” qui
qualifie la “baignoire” confirme d’ailleurs cette lecture. Mais ce que le poète veut
donner à voir, c’est la femme qui émerge de la baignoire. Elle est artificielle, en
témoigne ses cheveux “fortement pommadés”, ce qui s’oppose à la beauté naturelle
de Vénus. Cependant, même avec tous ses artifices, elle ne peut cacher sa laideur
comme le montre le groupe nominal “déficits mal ravaudés”. La baignoire de
laquelle émerge la femme rappelle avec humour le coquillage duquel émerge
Vénus. On sent bien ici la volonté de parodie du poète. Au niveau du rythme,
les enjambements entre les vers 1-2 et 2-3 créent un déséquilibre et une
disharmonie à l’image de la femme présentée ici. De plus, les deux adjectifs “lente
et bête” insistent sur l’idée que la femme est malade. Elle est presque animalisée
par le mot “bête” et son mouvement n’a rien de gracieux.

II. Strophe 2
La seconde strophe commence par un adverbe de liaison : “puis”. Cet adverbe,
repris au vers 7, montre une volonté d’exagération du poète dans la précision avec
laquelle il décrit la femme. L’animalisation se poursuit car Rimbaud évoque, non
pas le cou, mais le “col” de la femme. On assiste à une sorte de transformation en
vache : “col gras et gris” ; “larges omoplates / qui saillent”. De plus, le poète
cherche à donner un sentiment désagréable au lecteur, notamment par l’usage
de l’allitération en -g (“gras et gris”) qui émet un son disgracieux. Le mouvement
de la femme est répétitif et évoque celui d’un animal en mouvement avec
le parallélisme “le dos court qui rentre et qui ressort”. La maigreur suggérée par
la proposition subordonnée relative “qui saillent” rejetée en début de vers 6
participe au portrait horrible d’une femme laide et malade. Pourtant, la maigreur est
contredite par “les rondeurs des reins” au vers 7. On voit donc que le physique de la
femme est tout sauf harmonieux. Il s’oppose parfaitement à la perfection habituelle
de Vénus. On note ici une nouvelle allitération en -r (vers 7 et 8) qui continue
d’émettre des sons désagréables, proches d’un râle. La graisse n’est pas non plus la
belle graisse de la Vénus traditionnelle. Au contraire, elle “parait en feuilles
plates”, ce qui signifie qu’elle ne participe pas à lui octroyer de chaleureuses
rondeurs.

III. Strophe 3
Le premier tercet apporte une nouvelle couleur au tableau d’ensemble : le rouge.
Cette couleur vient s’opposer à la blancheur pure avec laquelle est fréquemment
représentée Vénus. Ici, “L’échine est un peu rouge” suggère une fois de plus que la
colonne est saillante, et donc que la maigreur de la femme décrite est maladive.
Dans cette strophe, le poète mobilise plusieurs sens du lecteur pour mieux montrer
l’horreur de la femme décrite. On trouve l’odorat avec “sent”, le goût avec “goût”
et la vue avec “voir” et “loupe”. On a donc affaire à une synesthésie détournée
dans laquelle le poète sature sa description de détails afin de confronter le lecteur à
la laideur de la femme. L’oxymore “Horrible étrangement” donne un nouveau sens
à la laideur. Le goût est horrible, mais suscite la curiosité du poète. Il faut donc
voir ici une sorte de beauté du laid, du mal, qui attire Rimbaud. On peut rapprocher
cela de sa volonté de combattre la poésie traditionnelle et son éloge de la beauté.
Dans ce même vers, Rimbaud s’éloigne également du lyrisme traditionnel dans
lequel le “je” et les sentiments personnels sont exacerbés. Ici, le pronom
impersonnel “on” remplace le “je”, et les sentiments sont absents, au profit d’une
description précise de l’objet du poème. En cela, le poème se rapproche de
l’esthétique parnassienne que Rimbaud recherche dans ses plus jeunes années. Se
poursuivent dans cette strophe les jeux d’enjambements qui disloquent le rythme
traditionnel. Ces enjambements continuent de mimer la démarche disgracieuses de
la femme. Enfin, les “singularités qu’il faut voir à la loupe” du vers 11 renforcent le
sentiment parnassien avec l’idée d’une description aussi précise que possible de
l’objet du poème. On peut presque lire ici une règle de l’esthétique que crée
Rimbaud : se focaliser sur les détails.
IV. Strophe 4
Comme souvent dans les sonnets, le dernier tercet offre une chute. Ici, la chute est
double. D’une part, la femme semble porter un tatouage avec un nom qui évoque
celui d’une courtisane : “Les reins portent deux mots gravés : Clara Vénus”.
D’autre part, le poème se conclut par un pied de nez à l’esthétique traditionnelle,
celui de faire rimer Vénus avec Anus. La trivialité s’oppose ici à l’emphase avec
laquelle le thème de Vénus Anadyomène est habituellement traité.

Concernant le tatouage “Clara Venus” qui représente la vulgarité car il est placé sur
les reins, et visible donc dans des situations où la femme est déshabillée et de dos, il
évoque également un vers de Louise Labé : “Clere Venus, qui erres par les cieux”.
On peut donc voir encore ici une moquerie de Rimbaud vis-à-vis de la tradition
poétique. Au vers 15, le groupe nominal “tout ce corps” déshumanise la femme.
Elle n’est plus qu’un corps, qui plus est repoussé par le démonstratif “ce”. Il est
présenté comme un objet de dégoût inqualifiable. La posture ostentatoire de la
femme est montrée par l’emploie du verbe tendre : “tend sa large croupe”. Elle
présente donc son postérieur, mais la vision n’est pas agréable.
La métaphore “large croupe” animalise la femme ironise sur la laideur de son
arrière-train, comparé à celui d’un cheval. Le dernier vers s’ouvre par un
nouvel oxymore : “Belle hideusement”. Rimbaud fait ici encore une fois l’éloge de
la beauté du laid et s’éloigne des canons de l’esthétique poétique.
D’ailleurs, l’assonance en -e dans ce vers crée un effet de maladresse, notamment
avec la prononciation du -e de “belle”. On sent donc la volonté du poète d’ajouter à
la laideur d’ensemble en concluant son poème par un vers presque boiteux.
L'”ulcère à l’anus” affirme d’une part la maladie et la saleté de la femme décrite et
clôt la parodie sur une note triviale et humoristique.

Nous avons pu voir que Rimbaud développe dans “Vénus Anadyomène” une
parodie du topos de Vénus sortie des eaux. En se moquant des critères de beauté
traditionnels et du lyrisme poétique, le jeune poète se range dans les rangs des
parnassiens tout en laissant déjà entrevoir la révolution du langage qu’il prépare.
Ainsi, en faisant le portrait d’une femme laide et malade avec de nombreuses
références à Vénus, Rimbaud se moque de la tradition artistique et rejette le
lyrisme.

Comme son titre l’indique « Vénus anadyomène » renvoie à la figure mythologique de Vénus
sortant des eaux, représentée par de nombreux peintres tels que Raphael et Botticelli au
XVIesiècle, mais aussi par Ingres et Cabanel au XIXe siècle. On sait que Rimbaud a écrit
ce poème dans sa jeunesse aux alentours des années 1870 et que le recueil des Cahiers de
Douai exprime son désir de liberté physique, morale, mais aussi poétique. En effet, ce sonnet
irrégulier dans la disposition de ses rimes (composé de deux quatrains et de deux tercets
d’alexandrins aux rimes croisées/embrassées/suivies/croisées) témoigne de sa volonté de
rompre avec une tradition poétique et de bousculer ses représentations, notamment en
suscitant la surprise par le traitement qu’il fait du mythe. Le texte emprunte au blason, genre
littéraire qui désigne la description élogieuse des parties du corps de la femme, pour mieux le
détourner en mettant l’accent sur la laideur du modèle décrit. Il s’agira de voir comment
Rimbaud parodie1 le mythe de Vénus. On pourra dès lors décomposer l’étude du texte en
trois mouvements. Nous étudierons dans un premier mouvement, correspondant au premier
quatrain, l’apparition effrayante de Vénus, puis nous analyserons le développement du portrait
de la « déesse » sous la forme d’un contre-blason. Enfin, nous mettrons en évidence ce qui
caractérise la « chute » du sonnet présentée comme une provocation.

La description se poursuit par l’enjambement au vers suivant pour porter sur sa chevelure.
.« La rondeur des reins » renvoie à un embonpoint peu gracieux confirmé par la description de
« la graisse sous la peau » et par la métaphore « feuilles plates » évoquant la cellulite.
L’animalité de la femme transparait à travers le terme « échine » pour désigner la colonne
vertébrale la présentant comme une créature mi-bête, mi-femme.La référence aux différents
sens : la vue avec « rouge », l’odorat avec « sent » mêlé au « goût » créent une synesthésie
surprenante dans sa recherche formelle et dans l’effet d’écœurement recherché. L’oxymore «
Horrible étrangement » résume la conception de la poésie pour le poète qui cherche par une
poésie nouvelle à sublimer le laid pour faire de tout sujet, même le plus prosaïque, un thème
poétique. Le tour impersonnel « qu’il faut voir » invite le lecteur à se rapprocher, comme le
suggèrent les points de suspension, de ces « singularités ». Par antiphrase, le poète met en
valeur le dégoût généralisé qui se dégage de cette description.

Bilan de partie : la description de chaque partie du corps est rythmée par la répétition de
l’adverbe « puis » qui additionne en détail les laideurs dans une forme de crescendo
aboutissant à la chute du poème.

Troisième mouvement : une chute provocatrice


Si la description suit depuis le début un mouvement ascendant à la manière des blasons
traditionnels, le poète parodie le genre en prenant pour sujet anatomique une partie intime et
de surcroit en renvoyant à une description médicale. La transition s’effectue entre le haut du
corps et le bas de son dos par l’inscription polysémique « Clara Vénus ». En effet, ces deux
mots renvoient au tatouage de la prostituée et à son identité, mais aussi au caractère célèbre et
lumineux de la déesse : « illustre » ou « claire » Vénus. À la place de la pose classique de
Vénus idéalisant la nudité féminine, le poète met en scène sa « croupe » tel un animal qui
exhibe son corps. Cette posture rappelle le racolage de la prostituée sous les yeux du lecteur
devenu voyeur dans une mise en scène perverse créant le malaise.

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