2019 Out Sabbagh N
2019 Out Sabbagh N
2019 Out Sabbagh N
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SABBAGH ABOU ASSI, Nathalie. La réparation en droit pénal : étude comparative, sous la direction
de Anne-Sophie Chavent-Leclère et de Marie-Claude Najm Kobeh. - Lyon : Université Jean Moulin
(Lyon 3), 2019
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N° d’ordre NNT: 2019LYSE3047
La thèse fait sûrement partie des travaux qui s’accomplissent en solitaire et dans lesquels le
temps est le principal ennemi du thésard mais aussi son principal allié, en ce qu’il permet la
maturation de réflexions hasardeuses.
Pour m’avoir accompagné dans l’aventure qu’est la rédaction d’une thèse, je remercie :
Mme Chavent-Leclère, pour avoir accepté les défis d’une cotutelle internationale, pour m’avoir
toujours soutenu et pour avoir trouvé les mots pour me motiver et me pousser à chercher au-delà
de mes acquis ;
Mme Najm Kobeh, pour avoir relevé le défi de diriger une thèse en droit pénal, pour m’avoir
insufflé un esprit de rigueur et de précision et pour m’avoir permis de cheminer moins seule.
Je tiens également à remercier Mme Leila Saadé et M. Jean-Baptiste Perrier pour avoir accepté
de lire la thèse et d’en être les rapporteurs. Je remercie également M. Robert Cario et M. Xavier
Pin pour avoir accepté de faire partie du jury.
Au terme de ce parcours, je tiens surtout à remercier mes parents, mon mari et ma famille pour
avoir été d’un soutien indéfectible et d’une patience infinie.
J’exprime également ma gratitude à Nour, pour la minutie de ses relectures.
Enfin, je tiens à remercier tous mes amis qui m’ont soutenue et encouragée pendant ces années.
LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS
- PREMIÈRE PARTIE -
- DEUXIÈME PARTIE -
LA RÉPARATION, COMPOSANTE DE LA JUSTICE PÉNALE
1
Déclaration de Leuven, 1997, “On the advisability of promoting the restorative approach to juvenile crime”,
European journal of criminal policy and research, vol.5, n°4, p.118.
2
Rudolf von Ihering (1818-1892).
1
3. Après la création et parfois l’abrogation de plusieurs dizaines de mesures, l’analyse de
la situation actuelle de la justice pénale française en matière de mesures alternatives permet de
dégager un fondement qui s’impose de lui-même, celui de la réparation du dommage causé par
l’infraction. Longtemps limitée au droit civil, la notion de réparation fait son entrée en droit
pénal grâce à la mise en œuvre de mesures et de peines alternatives. Le choix d’étudier la
réparation en droit pénal s’est alors révélé être une évidence.
5. La notion de réparation a connu bien des acceptions et des définitions selon les siècles
et les courants et cela dès le 7e siècle avant J.-C. Afin de comprendre au mieux les manifestations
3
Marc ANCEL, Utilité et méthodes du droit comparé. Eléments d'introduction générale à l'étude comparative des
droits., Ides et Calendes, 1971, p.10.
2
de cette notion en droit contemporain, il semble primordial d’en retracer les racines historiques
(A). La réparation a aussi été inspirée par des mouvements plus contemporains du droit (B).
6. Les origines historiques connues de la réparation remontent aux premiers écrits religieux
qui posent les grands principes de la notion (1). La définition de la réparation a ensuite été
laïcisée par différents courants de pensée, de la philosophie de l’Antiquité à celle de l’Ancien
Régime (2).
4
H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité élémentaire de droit criminel et de législation pénale comparée, 2e éd.,
Librairie du recueil Sirey, 1943.
5
Edouard TILLET, « Histoire des doctrines pénales », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale - Dalloz,
octobre 2010; Marcel MAUSS, « La religion et les origines du droit pénal d'après un livre récent », Revue d'histoire
des religions, 1896, n° 34; Roger MERLE et André VITU, Traité de droit criminel, problèmes généraux de la
science criminelle, 7e éd., Editions Cujas, 1997, t. I.
6
Roger MERLE et André VITU, op. cit. p.2.
7
Bernard BOULOC, Droit pénal général, 23e éd., Dalloz, 2013; Adrien-Charles DANA, Essai sur la notion
d'infraction pénale, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1982.
8
Philippe MALAURIE, « Notre droit est-il inspiré? », Répertoire du notariat Defrénois, 30 mai 2002, n° 10, p. 637.
3
mauvais, l’acte permis de l’acte répréhensible. La question que l’on se pose est celle de savoir si
la réparation dans son acception contemporaine a des origines dans les textes religieux (a) et
dans l’application pratique des textes religieux (b), ces textes et pratiques pouvant nous aider à
mieux comprendre ou élaborer la conception de la réparation au XXIe siècle.
8. La loi du talion, une juste réparation ? De la célèbre loi du talion - « œil pour œil, dent
pour dent »9 - au verset coranique qui autorise à couper la main du voleur10, la possibilité de
réparation par l’auteur de sa faute est absente de ces principes. Ces derniers marquent le besoin
d’un châtiment pour assouvir la soif de vengeance de la victime ou de sa famille.
Cependant, la loi du talion a subi maintes interprétations. D’un côté, elle est interprétée comme
un droit de vengeance et perçue comme une loi « barbare »11, d’un autre, elle est vue comme une
limitation du droit à la vengeance, ce qui voudrait simplement dire: si on te cause un dommage,
tu ne peux demander en réparation que l’exacte réciprocité du mal causé 12. Apparaît ainsi de
manière sous-jacente la notion de « juste réparation », de réparation proportionnée, qui limite
l’arbitraire dans la détermination du degré de la sanction. Mais la différence terminologique entre
juste réparation et juste vengeance est mince à l’époque des civilisations anciennes où la
vengeance privée était privilégiée. La justice privée fondée sur la vengeance aboutissait ainsi en
définitive à réparer le dommage causé à la victime ou à sa famille, que la réparation intervienne
par l’intermédiaire d’une autorité publique ou qu’elle ait été la conséquence d’un arrangement
privé.
La loi du talion a son équivalent dans la religion musulmane 13 qui accepte le principe de punir
une mauvaise action par une mauvaise action. Ce n’est pas la réparation du dommage qui est
9
Exode 21:24
10
Coran 5:38
11
H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité élémentaire de droit criminel et de législation pénale comparée, 2 éd.,
Librairie du recueil Sirey, 1943, p.26.
12
Jean-Marie CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, 2e éd., puf, p.14; André LAINGUI et
Arlette LEBRIGRE, Histoire du droit pénal: Le droit pénal, Cujas, t. I; H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité
élémentaire de droit criminel et de législation pénale comparée, 2e éd., Librairie du recueil Sirey, 1943, p. 26.
13
« La sanction d'une mauvaise action est une mauvaise action (une peine) identique. Mais quiconque pardonne et
réforme, son salaire incombe à Dieu. » (Coran, 42 : 40)
4
l’objectif dans ce cas mais la vengeance au travers d’une mauvaise action identique. Mais le
Coran, comme la Bible, laissent aussi une place au pardon.
9. Du pardon à la réparation. Une autre notion fondamentale est aussi présente dans
toutes les religions : le pardon des offenses. Il est au cœur de la religion chrétienne, que ce soit
dans les textes de l’Évangile 14 ou dans la prière fondamentale du Notre-Père15. La religion
musulmane consacre aussi le pardon16 et le repentir du coupable dans la détermination de la
peine. La religion place le pardon au-dessus de la peine. Si celle-ci est acceptée en cas de
dommage, la victime qui accepte le pardon comme réparation de son préjudice est considérée
comme ayant des valeurs supérieures et aura ainsi droit aux bons égards de Dieu.
La perception de la réparation par la religion semble donc plus idéaliste que celle qu’en a le
droit. Le pardon suffirait pour considérer la réparation acquise. On pourrait même se demander si
rendre le bien pour le mal contredit le principe de réparation 17. Dire que lorsque la victime ouvre
une voie à la réparation de l’auteur par son pardon, elle lui rend un bien en lui évitant de subir le
poids d’une peine, pourrait uniquement être une vue de l’esprit. Pourtant on retrouve le pardon
dans certains anciens articles de doctrine qui ont laïcisé la notion 18. Il est question d’un droit de
grâce individuel qui résulterait du pardon et de la réparation. Ce droit de grâce s’exprimerait
lorsque l’intérêt individuel lésé dépasse l’intérêt de la société. Si l’individu pardonne suite à la
réparation du dommage, la société n’aurait plus le droit d’exercer son mandat de protection et de
défense de l’individu. Cette hypothèse est exclue pour les crimes atroces mais semble, selon le
juge au Tribunal de Rennes en 1899, complètement justifiée pour les infractions mineures 19.
14
« Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi; mais si vous ne
pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses. » (Matthieu 6:14-15). « Dans
la punition, comme dans le pardon, il n’y a de bon que ce qui se fait pour rendre les hommes meilleurs » (Saint
Augustin).
15
« Pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. »
16
« Pratique le pardon ; ordonne le bien ; écarte-toi des ignorants. » (Coran, 7 : 199); « Et celui qui endure et
pardonne, cela en vérité, fait partie des bonnes dispositions et de la résolution des affaires. » (Coran, 42 : 43)
17
Pour reprendre la formule de Castiglione BALDASSARRE : « En pardonnant trop à qui a failli, on fait injustice à
qui n’a pas failli » (1528).
18
Raoul DE LA GRASSERIE, « Effet de la réparation et du pardon sur la peine à intervenir », La scala positiva,
1899, Annexe 4, 11-12.
19
Idem.
5
De nos jours, la notion de pardon est notamment consacrée dans des mesures telles que
l’amnistie et la prescription20, comme une « volonté sociale de pardonner »21. Ce pardon n’est
pas conditionné par une réparation du dommage. La prescription, par exemple, entraîne
l’extinction de l’action publique donc l’impossibilité d’accorder une réparation à la victime, d’où
une remise en question de cette mesure dont les causes de suspension sont de plus en plus
utilisées22. La philosophie du pardon sous-tend cependant celle de la réparation ; le travail de
réparation de l’auteur de l’infraction envers la victime ouvre la voie au pardon de celle-ci et au
pardon de la société23. C’est l’acte réparateur qui permettrait au délinquant de mériter le pardon.
Loin de vouloir philosopher sur le sujet, il nous semble qu’il y a matière à réflexion avec
l’exposé des applications pratiques des textes religieux.
20
Arts 7, 8 et 9 C. pr. pén.
21
Caroline GATTO, Le pardon en droit pénal, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2014, [Droit : Université de
Nice Sophia Antipolis].
22
Comme par exemple pour les mesures alternatives utilisées par le procureur de la République (art. 41-1 et 41-2 du
Code de procédure pénale). Voir aussi Ass. plén. 7 nov. 2014, n° 14-83.739, commentaire à l’AJ Pénal 2015 p.36.
Laurent GRIFFON, « Prescription de la peine: de la prescription sans fin à la fin de la prescription », AJ Pénal,
2012, p.462.
23
Caroline GATTO, Le pardon en droit pénal, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2014, [Droit : Université de
Nice Sophia Antipolis], p.379.
24
Fustel DE COULANGES, La cité antique, Librairie Hachette, 1900.
25
« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », Nouveau Testament, Marc, XII, 13-
17; Matthieu, XXII, 21; Luc, XX, 25.
6
L’amendement du criminel était l’objectif premier du droit pénal ecclésiastique 26 qui distinguait
entre le péché, qui pouvait être racheté par la confession, et le délit, qui relevait du for externe et
relevait de la compétence de la juridiction ecclésiastique. L’Église refusait la peine de mort et les
peines corporelles27 et encourageait plutôt les accords privés dans le but de donner satisfaction à
la victime. Elle recherchait le regret sincère du pêcheur qui devait permettre une réconciliation
des parties après acquittement d’une compensation pécuniaire.
Même si les termes employés à l’époque étaient la pénitence et l’expiation, il apparaît que
derrière ces mots, la justice ecclésiastique était essentiellement basée sur la réparation. Cette
réparation prenait deux aspects : un aspect matériel, visant à réparer le dommage causé à la
victime, et un aspect moral, visant à apaiser son désir de vengeance. La réparation matérielle,
jusqu’au début du XIIIe siècle, consistait en ce qui était appelé la pénitence religieuse. Celle-ci
présentait un caractère public. Les clercs avaient établi une grille de « tarifs » de pénitence, les
pénitentiels. Ces recueils regroupaient d’innombrables péchés ainsi que les pénitences
nécessaires pour le rachat des fautes. La réparation morale, quant à elle, consistait à donner à la
peine une fonction de « régénération du coupable et de réconciliation par la voie du pardon »28.
La peine devait permettre l’amendement du coupable et la réconciliation car la religion
catholique prône le pardon réciproque : l’auteur de l’acte répréhensible doit savoir, en échange
de son pardon, pardonner à autrui29. Ces deux formes de réparation sont indissociables dans le
sens où la réparation morale ne peut être envisagée si la réparation matérielle n’a pas été
effectuée. La gratuité du pardon ne fait pas encore partie de la justice pénale.
7
peut aussi déduire de nouvelles normes par analogie afin d’appliquer des normes existantes à de
nouveaux cas. Pour les croyants, ce système permet de limiter l’arbitraire ou la défaillance des
êtres humains car seul Dieu est neutre et juste.
Les délits en droit musulman se divisent en deux catégories : ceux qui sont punis de peines fixes
prédéterminées car toutes leurs conditions sont réunies et ceux qui sont punis de peines
discrétionnaires, soit parce qu’une de leurs conditions manque, soit parce qu’ils ne font pas partie
de la catégorie des délits punis de peines fixes. Une précision s’impose quant aux délits punis
d’une peine fixe : leurs conditions sont tellement précises, voire quasi-impossibles à réaliser,
qu’ils finissent par tomber dans la catégorie des délits aux peines discrétionnaires. Cela permet
au délinquant d’éviter ainsi la peine fixe qui est souvent la plus sévère.
Cependant, dans le cas de certains délits (comme l’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique,
l’adultère, le vol), le pardon du lésé peut jouer un rôle dans le remplacement de la peine. Dans le
cas de l’atteinte à la vie par exemple, le pardon accordé par le lésé permettrait de remplacer la
peine par une réparation financière : le prix du sang31.
Le caractère répressif du droit pénal islamique a cependant pris plus d’ampleur avec la révolution
iranienne de 1979. Il se manifeste par l’acceptation des châtiments corporels qui consistaient soit
à amputer un membre, soit à administrer des coups de fouet, soit à exécuter le délinquant pour
les crimes les plus graves. De nos jours, ces sanctions islamiques ont été abandonnées par la
majorité des pays musulmans (comme l’Égypte) mais elles restent appliquées dans certains pays
de manière plus ou moins étendue (comme en Arabie Saoudite 34, au Soudan35 ou en Iran36).
31
« Celui qui a été gracié d’une chose par son frère, qu’il fasse suivre le pardon par une compensation selon les
convenances et la lui restitue avec bienveillance. Voilà une allègement de la part de votre Seigneur et une
miséricorde. Quiconque transgresse après cela aura un châtiment affligeant. » (Coran 2 :178)
32
Vols, pillages.
33
Abandon public et volontaire de la religion.
34
Sami Awad Aldeeb ABU-SAHLIEH, Religion et droit dans les pays arabes, Presses universitaires de Bordeaux,
2008, p.137. Voir aussi : Article Le Monde du 19 mai 2015, « L’Arabie Saoudite recrute huit bourreaux » : l’offre
8
2. L’ancrage philosophique de la réparation
12. La notion de réparation est aussi développée dans les écrits philosophiques de l’Antiquité
(a) et de l’Ancien Régime (b). On la retrouve dans les écrits relatifs à l’organisation des rapports
entre les citoyens et des rapports entre les citoyens et le pouvoir.
14. La réparation dans la pensée romaine, une composition pécuniaire. Le droit romain a
évolué du stade de la vengeance à celui de la loi du talion, représentée dans la loi des XII Tables.
La réparation juste du talion est combinée avec le système des compositions pécuniaires, les
d’emploi a été mise en ligne sur le site officiel du gouvernement : www.eservices.mcs.gov.sa. Le site décrit le poste
comme consistant à exécuter les jugements d’exécution et d’amputation prononcés selon les lois de la Charia
islamique.
35
Le Soudan a promulgué un nouveau Code pénal musulman en 1991 après avoir abandonné l’usage du droit
religieux musulman en 1983.
36
https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2015/03/iran-eye-for-an-eye-acid-retribution/
37
Edouard TILLET, « Histoire des doctrines pénales », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale - Dalloz,
octobre 2010.
38
Roger MERLE et André VITU, Traité de droit criminel, problèmes généraux de la science criminelle, 7e éd.,
Editions Cujas, 1997, t. I.
9
« poena »39. Dans la conception privée de la justice, la composition avait un aspect de peine
pécuniaire et un aspect de réparation pécuniaire. Elle englobait ce que de nos jours on aurait
appelé les sanctions civiles et pénales.
Cette évolution a été accompagnée par la philosophie de Sénèque qui prône l’abandon de l’idée
de vengeance au profit d’une « volonté curative »40 et se rapproche des pensées de Platon en
faveur d’un amendement du coupable. Cependant, la réparation n’excluait pas le choix de peines
exemplaires et dissuasives qui constituaient l’arsenal répressif du droit romain 41.
La théorie du libre arbitre d’Aristote est adoptée pour justifier la répression large des infractions
(y compris la tentative) qui permet la préservation de la tranquillité de l’État, montre l’exemple
et dissuade le délinquant. L’introduction de la justice pénale dans la sphère publique et dans les
affaires du Roi donne à la réparation un caractère civil qui la rend très accessoire par rapport à la
sentence. La réparation accède cependant au rang de principe dès le XIII e siècle43 mais reste
irrégulièrement admise selon les régions et la nature de l’infraction. En effet, la loi romaine
39
Jean-Marie CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, 2e éd., puf, p.68. H. DONNEDIEU
DE VABRES, Traité élémentaire de droit criminel et de législation pénale comparée, 2e éd., Librairie du recueil
Sirey, 1943, p.26.
40
Edouard TILLET, « Histoire des doctrines pénales », op.cit.
41
Jean-Marie CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, op.cit: la peine de mort, la mort par le
glaive, la condamnation aux bêtes dans le cirque, le supplice de la croix, le bûcher, les travaux forcés.
42
Op.cit. p. 268.
43
Jean-Marie CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, 2e éd., puf, p.309: la charte du
Consulat d’Arles énonçait (vers 1156) qu’une réparation convenable devait être versée à celui qui souffert l’injuria
(injures, coups et blessures).
10
Aquilia empêchait l’évaluation en argent de la vie humaine. La réparation était donc impossible
en cas d’homicide et il a fallu user de détours afin de permettre à la famille de la victime de
recevoir une compensation financière : paiement des frais médicaux et des dépenses liées au
décès et évaluation du manque à gagner de la famille causé par le décès de l’un de ses
membres44.
16. La réparation, grande absente du siècle des Lumières. Le siècle des Lumières a
introduit de grandes innovations au droit pénal dont notamment le principe de la légalité des
délits et des peines et le principe de proportionnalité des peines aux délits. Cependant, le principe
de réparation n’en faisait pas partie. Plus précisément, la définition du principe d’utilité de la
peine a écarté quelque peu les objectifs de réparation attachés à la peine. La peine est juste parce
qu’elle est utile45. Elle a pour but la défense de la société.
Ce principe est illustré en 1764 par Cesare BECCARIA dans son ouvrage, le Traité des délits et
des peines46. BECCARIA y développe un point de vue utilitaire de la peine qui doit être infligée
pour l’avenir, pour éviter que d’autres délits ne se produisent. La peine a donc un but de
dissuasion47. A la sévérité des peines, BECCARIA préfère la modération accompagnée de la
certitude d’une peine en cas de crime ou de délit 48. Cependant, la réparation ne fait l’objet
d’aucune réflexion durant cette période où il était davantage question de se débarrasser de la
sévérité et de l’atrocité des peines. Mais les principes des Lumières ont indirectement servi la
réparation, auparavant liée à la peine. En modifiant les principes de la peine, ils ont ouvert la
44
Jean-Marie CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, op.cit, p.312.
45
« Il faut punir pas plus qu’il n’est juste, pas plus qu’il n’est utile » (Rossi).
46
Marc ANCEL et Gaston STEFANI, Le traité des délits et des peines de Beccaria, Cujas, 1966.
47
Jean-Marie CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, 2e éd., puf, p.396.
48
Cesare BECCARIA, Traité des délits et des peines: les peines doivent produire « l’impression la plus efficace et
la plus durable sur l’esprit des hommes, et la moins cruelle sur le corps du coupable ». H. DONNEDIEU DE
VABRES, Traité élémentaire de droit criminel et de législation pénale comparée, 2e éd., Librairie du recueil Sirey,
1943.
11
voie à une autre perception de la réparation. D’une sanction de la faute, la réparation deviendra le
« remède au dommage »49. Cette différence de perception sera très utile dans la définition de la
notion de réparation qui peut être perçue, d’un point de vue civiliste, comme une réponse au
dommage ou au préjudice, et d’un point de vue pénaliste comme une possible réponse à
l’infraction commise.
17. L’influence du modèle anglais sur les mouvements doctrinaux français. Dans un
contexte français de contestations et de réformes, l’Angleterre a servi de modèle en ce qui
concerne le respect des libertés individuelles (par l’institution de jurys criminels, forme de
jugement par les pairs) et les réformes présentées sous la forme simple de slogan (comme
l’Habeas Corpus)50. Voltaire affirmait même que « en France, le droit criminel paraît dirigé pour
la perte des citoyens, en Angleterre, pour leur sauvegarde »51. L’Angleterre était aussi reconnue
pour son application des principes d’individualisation et de proportionnalité de la peine, illustrés
par Montesquieu dans L’Esprit des lois52.
Il apparaît ainsi, de ce survol historique, que les différents courants de pensée ont chacun pris en
compte la réparation de manière spécifique dans la justice pénale. Toujours liée à la peine, la
réparation était tantôt une composante de la peine, tantôt son accessoire. Les mouvements
ultérieurs la détacheront petit à petit de la peine pour lui accorder une certaine autonomie.
49
Marie-Eve ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur la notion de réparation, Librairie générale de droit et de
jurisprudence, 1974, [Th.doct. : Droit privé].
50
Edouard TILLET, La constitution anglaise, un modèle politique et institutionnel dans la France des Lumières,
Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2001, p.445.
51
VOLTAIRE, Prix de la justice et de l’humanité, 1777, t. III, p.340.
52
MONTESQUIEU, L’Esprit des lois, p.328.
12
concept autonome de réparation a été rendue possible grâce à la distinction de la réparation et de
la peine et l’établissement d’un droit à réparation (2).
19. Avec l’héritage de la période de l’Ancien Régime, il était difficile d’envisager une place
pour la notion de réparation en droit pénal. La sévérité des peines, la confusion de la réparation
avec la peine et la vision utilitaire de la peine avaient pour objectif de traiter le crime du
délinquant dans sa relation avec la société et non dans une optique délinquant-victime. Il a fallu
attendre l’influence de différentes doctrines avant de voir apparaître un droit à réparation. Ces
doctrines ont, en quelque sorte, introduit des prérequis à l’introduction de la réparation en droit
pénal. Ils ont permis le recul du règne quasi-exclusif de la peine en droit pénal (a) et introduit de
nouvelles notions liées à la réparation (b).
Le prononcé d’une peine d’emprisonnement en dernier recours seulement permet de conférer une
plus grande place à la réparation dans les jugements des magistrats, même si la réparation n’est
53
TARDE G., 1890, La philosophie pénale, Lyon, Storck.
54
Revue internationale de droit comparé, « La réforme pénale anglaise de 1967 », avril-juin 1968, n° vol. 20, n°2,
p.355, en ligne : <www.persee.fr>.
13
pas incompatible avec une peine de prison. De même, les peines substitutives à
l’emprisonnement sont conditionnées par la réparation du dommage causé par l’infraction 55.
21. Mouvement d’adoucissement des peines. Ce mouvement a surtout été marqué par
l’abolition de la peine de mort et l’introduction des circonstances atténuantes dans la
détermination des peines et par l’abandon des peines les plus cruelles. En effet, pour atténuer la
rigidité du Code pénal de 1810 en matière de fixation des peines, une première loi du 25 juin
1824 avait permis aux juges des cours d’assises de reconnaître des circonstances atténuantes
dans certains cas. Mais l’application de ces circonstances ne s’est généralisée que quelques
années plus tard avec une loi du 28 avril 1832 qui a permis au jury de reconnaître des
circonstances atténuantes sur la base d’une simple impression ressentie lors des débats.
Cette loi de 1832 a aussi eu pour conséquence d’entraîner un mouvement d’adoucissement des
peines car outre l’introduction des circonstances atténuantes, elle comportait une révision de près
du quart des articles du Code pénal56. Les peines les plus cruelles furent supprimées. La peine de
mort a vu son champ d’application restreint petit à petit jusqu’à n’être prononcée que pour les
crimes les plus abominables. Elle était, au demeurant, appliquée encore plus rarement lorsque le
droit de grâce du Roi n’y faisait pas obstacle. Elle fut finalement abolie en France en 1981.
Ce mouvement a été un préalable nécessaire car la réparation n’aurait pas pu être envisagée dans
un système qui privilégie les peines corporelles et humiliantes et qui ne permet pas la prise en
compte des circonstances ayant conduit à la survenance de l’infraction. Cette tendance vers la
prise en compte de l’individu et du contexte de l’infraction fut confirmée avec le mouvement de
la Défense sociale nouvelle.
55
Arts. 132-59, 132-45 et 131-8 C. pén.
56
Jean-Marie CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, 2e éd., puf, p.453.
14
porté en France par Marc ANCEL57. Ce mouvement se base essentiellement sur deux idées : la
première est que les conditions sociales dans lesquelles vivent les délinquants expliquent leur
passage à l’acte ; la seconde est qu’en replaçant l’infraction dans son contexte (déduit de la
première idée), le délinquant ne doit pas être éloigné ou éliminé mais « soigné et resocialisé »58.
L’État ne devrait pas seulement punir mais resocialiser le délinquant par des mesures curatives et
éducatives. Selon Marc ANCEL, le délinquant doit être vu comme une personne « en danger »59
qu’il faut protéger. La lutte contre l’emprisonnement et la recherche de substituts ont donc
largement occupé les partisans du mouvement de Défense sociale nouvelle 60.
L’influence du mouvement s’est traduite en droit positif par une plus grande individualisation
des peines qui prennent désormais en compte le délinquant en tant que personne. « C’est le crime
que l’on punit, mais c’est la considération de l’individu qui détermine le genre de mesure qui lui
convient. La responsabilité, fondement de la peine, et l’individualisation, criterium de son
application : telle est la formule du droit pénal moderne »61. En pratique, la Défense sociale
nouvelle a, entre autres, favorisé l’introduction des mesures éducatives dans le droit pénal des
mineurs62, a expérimenté les « peines différées » bien avant l’introduction du sursis avec mise à
l’épreuve et a prôné la personnalisation des peines et la resocialisation du condamné 63.
57
Mais lancé par l’italien Felippo GRAMATICA qui publie ses « Principes de défense sociale », Ed. Cujas, 1964.
Marc ANCEL, La défense sociale nouvelle: un mouvement de politique criminelle humaniste, 2e éd., Cujas, 1971.
58
Jean-Marie CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, 2e éd., puf, p.456.
59
Edouard TILLET, « Histoire des doctrines pénales », Répertoire de droit pénal et de procédure penale - Dalloz,
octobre 2010.
60
G. LEVASSEUR, « L'influence de Marc Ancel sur la législation répressive française contemporaine », Revue de
sciences criminelles, 1991.
61
Raymond SALEILLES, L'individualisation de la peine, 3e éd., Eres, 2001, p.121.
62 o
Ordonnance n 45-174 du 2 février 1945.
63
G. LEVASSEUR, « L'influence de Marc Ancel sur la législation répressive francaise contemporaine », Revue de
sciences criminelles, 1991. Christine LAZERGES, « La défense sociale nouvelle a 50 ans », RSC, 2005, p.165.
15
2. La naissance du concept autonome de réparation
- Le critère téléologique : la réparation est tournée vers la victime de l’infraction alors que
la peine vise l’auteur de l’infraction.
Ces critères font ainsi apparaître un droit autonome à la réparation du dommage, distinct du
devoir du juge de prononcer une peine à l’encontre de l’auteur de l’infraction.
64
Voir: MARTY et RAYNAUD, Les obligations, Sirey, 1988 ; HUGUENEY, Le sort de la peine privée en France
dans la première moitié du XXème siècle, in Mélanges Ripert II, p. 249 ; L. RIPERT, La réparation du préjudice
dans la responsabilité délictuelle, Librairie Dalloz 1933, [Th.doct.].
65
Marie-Eve ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur la notion de réparation, Librairie générale de droit et de
jurisprudence, 1974, [Th.doct. : Droit privé].
16
b) De la naissance du droit à réparation
25. Du droit à réparation des victimes. Le droit à réparation des victimes s’exerce grâce à
l’action civile, différente de l’action en responsabilité délictuelle 66 en ce qu’elle est fondée sur
une infraction au droit pénal. L’action civile est régie par l’article 2 du Code de procédure pénale
qui marque dans sa rédaction le droit à réparation : « l'action civile en réparation du dommage
causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement
souffert du dommage directement causé par l'infraction ». Elle est un droit parce qu’elle
appartient à la victime, contrairement à l’action publique qui est confiée aux magistrats, selon la
rédaction de l’article 1 er du Code de procédure pénale. Ce droit à réparation est aussi mentionné
aux articles 75, 142-10, 149, 495-13, 626-1 et 707 du Code de procédure pénale et à l’article
133-8 du Code pénal.
Le droit libanais a aussi inclus le droit à réparation de la victime dans le Code de procédure
pénale67. A l’image du droit français, le droit libanais connaît l’action civile et l’action publique.
Quant au droit anglais, le droit à réparation y est prévu comme l’un des objectifs de toute
condamnation pénale68. Ce n’est donc pas expressément un droit directement accordé à la
victime mais une obligation pesant sur le condamné.
Ces différents mouvements ont conduit à construire le droit tel que nous le connaissons
aujourd’hui. Cet aperçu historique de la notion de réparation était donc un préalable
indispensable à l’étude de la réparation dans les droits contemporains français, anglais et
libanais.
26. Nous aborderons, en premier lieu, la présence de la réparation en matière pénale (A)
avant d’envisager, en second lieu, la contribution de la réparation à la justice pénale (B).
66
Art. 1382 du Code civil.
67
Art. 5 et 7 de la loi n° 328 du 2 août 2001, modifiée par la loi n° 359 du 16 août 2001.
68
Criminal Justice Act, Chapter 44, 2003, en ligne : <www.legislation.gov.uk>.
17
A. La présence de la réparation en matière pénale
27. Le terme « réparation » existe dans 12 articles du Code pénal français et le terme
« réparer » dans un seul article. La présence de la notion de réparation est plus importante dans le
Code de procédure pénale où le terme « réparation » revient dans 75 articles et « réparer » dans 6
articles69. La notion de réparation existe bien en droit pénal (1) et est fortement reliée à celui-ci
(2).
Cependant, la recherche d’une définition juridique de la réparation est primordiale pour poser les
bases de notre analyse. La réparation n’étant pas un terme juridique en soi, elle n’est définit par
les différents lexiques juridiques qu’associée à d’autres termes (comme le principe de réparation
intégrale, ou l’action en réparation). Ainsi, et à défaut de trouver une définition légale de la
69
On ne retrouve le terme « réparation » que dans 9 articles du Code de procédure civile mais dans 45 articles du
Code civil.
70
Dictionnaire Larousse.
71
Dictionnaire Larousse.
18
réparation, nous nous concentrerons sur les définitions jurisprudentielles et doctrinales. Selon
l’expression de la Cour de cassation, la réparation vise « à replacer la victime dans la situation où
elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne se serait pas produit »72. Cette définition suggère
un retour en arrière, une sorte d’effacement des conséquences de l’infraction. Or il est évident
que ce retour en arrière n’est pas possible pour toute sorte d’infractions, notamment les crimes. Il
existerait donc des infractions pour lesquelles la réparation est impossible, ce qui délimite
forcément le champ de recherche.
30. Ce que la réparation n’est pas. Il est important de préciser que la réparation, comme
nous l’entendons, n’est pas l’indemnisation73. Elle ne se limite pas au paiement d’une somme
d’argent en compensation mais peut être réalisée en nature. Elle ne se confond pas avec la
réparation au sens civil du terme et n’est pas synonyme de dommages et intérêts. La réparation
en droit pénal est la réparation prononcée par un juge pénal ou mise en œuvre dans le cadre
d’une procédure pénale. Elle compose la mesure ou la sanction pénale.
31. Une relation équivoque. La réparation en droit pénal semble être une notion
empruntée au droit civil. En effet, l’article 1er du Code de procédure pénale français introduit
l’action civile en réparation du dommage causé par une infraction. Il en est de même de l’article
7 du Code de procédure pénale libanais relatif à l’action de la partie civile en réparation du
dommage résultant d’infractions pénales. Le droit anglais diffère des droits français et libanais en
ce qu’il intègre la réparation au droit pénal. Il qualifie notamment la réparation comme l’un des
objectifs de la peine74.
72
Civ. 2e, 28 octobre 1954, Bull. civ. II, n° 328 ; Civ. 2e, 9 juillet 1981, Bull. civ. II, n° 156 ; Crim., 12 avril 1994,
Bull. crim. n° 146.
73
Catherine LAZERGES, « L'indemnisation n'est pas la réparation », in La victime sur la scène pénale en Europe,
puf, 2008, p.228.
74
Section 142 du Criminal Justice Act, 2003: “Any court dealing with an offender in respect of his offence must
have regard to the following purposes of sentencing: the punishment of offenders, the reduction of crime, the reform
19
Si la relation entre la réparation et le droit pénal est plutôt claire en droit anglais, elle l’est mois
en droit pénal français et en droit libanais. La réparation existe bien dans ces deux droits mais
cela ne suffit pas pour affirmer qu’elle en est une composante. Cela nous ramène à la question de
la fonction du droit pénal. Traditionnellement, le droit pénal est connu pour avoir une fonction
« expressive » et une fonction « répressive »75. Le droit pénal est un droit qui interdit et un droit
qui punit. Il régit donc les relations entre les individus et l’État. Il n’a pas de fonction réparatrice,
la réparation relevant des relations entre individus. Cependant, la relation grandissante entre la
réparation et la peine pourrait porter à équivoque. En effet, si le droit pénal est le droit de la
peine, et si la peine acquiert une fonction réparatrice, cela se répercutera vraisemblablement sur
les fonctions du droit pénal.
32. Une relation circonstancielle. La relation entre la réparation et le droit pénal est
aussi circonstancielle. Elle dépend des politiques pénales adoptées par les États et de leur volonté
d’intégrer la réparation parmi les moyens de prise en charge des infractions. Les mouvements
d’individualisation de la peine et de « contractualisation » du droit pénal on créé un terrain
propice au développement de la réparation en droit pénal 76. On observe toutefois un éclatement
du droit de la peine qui, d’un côté, se tourne vers une plus grande répression pour la grande
criminalité et, de l’autre, assouplit les peines de la petite délinquance 77. Cette situation est
accentuée par les nouveaux défis auxquels fait face la justice pénale, notamment le traitement
des infractions à caractère terroriste78. Les mesures réparatrices, considérées comme des mesures
souples, sont donc reléguées dans la catégorie des réponses pénales aux infractions de faible
gravité.
and rehabilitation of offenders, the protection of the public and the making of reparation by offenders to persons
affected by their offences”.
75
Xavier PIN, Droit pénal général, 9e éd., Dalloz, 2018, p.3.
76
Francoise ALT-MAES, « La contractualisation du droit pénal. Mythe ou réalité? », Revue de sciences criminelles,
2002, p.501.
77
Patricia HENNION-JACQUET, « L'indemnisation du dommage causé par une infraction : une forme atypique de
réparation ? Dommages et intérêts, classement sous condition de réparation, sanction-réparation », RSC, 2013,
p.517. Marie-Ange COCHARD, « La multiplication des peines: diversité ou dilution? », Droit pénal, n° 9, dossier 9.
78
A cet effet, consulter la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019.
20
B. La contribution de la réparation à la justice pénale
1. Un sens à la peine
34. Une relation intermittente. Les développements relatifs aux origines historiques et
religieuses de la réparation nous ont montré que la réparation et la peine ont longtemps été unies,
voire confondues. En 1956, Jean FOYER écrivait : « la distinction de la peine et de la réparation
est une idée récente »79. Ainsi, le temps consacra la séparation de la peine et de la réparation au
point où le lien entre ces deux notions finit par étonner: « Il est donc solide cet espoir que la
peine va agir, faire quelque chose… Mais quoi ? Non pas réparer, c’est le domaine de la
responsabilité civile, et si parfois la sanction pénale devient réparatrice […] c’est par suite d’une
erreur, d’une confusion du législateur ; en réalité, il s’agirait plutôt là, par nature, d’une sanction
civile ou administrative »80. La distinction de l’action publique et de l’action civile par le Code
des délits et des peines du 3 brumaire IV finit par sceller la distinction entre la répression et la
réparation.
En droit français, l’absence d’une définition légale de la peine et de ses objectifs a alimenté
pendant un temps les débats autour des objectifs de la peine et a facilité l’intégration de la
réparation au cœur de certaines peines. On pense notamment à la peine de sanction-réparation.
Dans les cas où la peine et la réparation se confondent, il s’agit de comprendre s’il faut punir
pour réparer ou si réparer permet de punir. La loi du 15 août 2014 donne pour la première fois
une définition légale du sens de la peine. La peine a pour objectif d’assurer la protection de la
société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans
le respect des intérêts de la victime. Elle a pour fonction de sanctionner l’auteur de l’infraction et
79
Jean FOYER, « L'action civile devant la juridiction répressive », in Quelques aspects de l'autonomie du droit
pénal, sous la dir. de G. STEFANI, Dalloz, 1956, p.320.
80
Mireille DELMAS-MARTY, Les chemins de la répression, Ed. puf, 1980, p.11.
21
de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion 81. La réparation n’y est pas
expressément mentionnée mais la référence aux intérêts de la victime et la recherche de
l’amendement de l’auteur de l’infraction ne font qu’alimenter les débats sur la possibilité de
renouer les liens entre la réparation et la peine.
35. Une relation refoulée. La relation que peuvent entretenir la peine et la réparation est,
jusqu’à présent, refoulée. Plusieurs thèses se sont attaquées à la confusion entre la réparation et
la peine. Ainsi, certaines ont avancé que « la peine peut permettre la réparation du dommage
mais ne peut être la réparation du dommage »82. D’autres refusent d’accorder une fonction
réparatrice à la répression pénale 83. Il ne s’agit pas uniquement d’apporter un avis contraire à ce
qui a déjà été avancé mais il s’agit surtout de prendre en compte les développements récents en
matière de législation pénale. En effet, les dernières années ont été riches en réformes favorables
à l’intégration de la réparation dans la justice pénale. En outre, l’aspect comparatif adopté
permettra d’enrichir la réflexion et de rationnaliser les débats autour de l’existence d’une forme
de réparation en droit pénal.
36. Une relation dévoilée. Que la relation entre la réparation et le droit pénal soit
intermittente ou refoulée, soit. Il n’empêche que cette relation est dévoilée par les dernières
réformes législatives qui dessinent, sans doute involontairement, les esquisses d’une notion
pénale de réparation. En droit pénal français, les mesures comme la médiation ou le travail
d’intérêt général ont ouvert la voie à l’entrée de la réparation en droit pénal mais elles étaient
encore perçues comme exceptionnelles. La composition pénale et la peine de sanction-réparation
ont permis d’élargir le domaine d’intervention des mesures réparatrices. La détermination des
fonctions de la peine par la loi du 15 août 2014 et la mise en place de nouvelles mesures telles
que la transaction par officier de police judiciaire et la contrainte pénale ont fini par confirmer la
présence d’une notion de réparation pénale qui vient se joindre aux mesures et peines mises en
œuvre, ou constitue le cœur de ces sanctions.
81
Art. 130-1 C. pén.
82
Claire SAAS, L'ajournement du prononcé de la peine, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, 2004, p. 145-
146.
83
Bertrand PAILLARD, La fonction réparatrice de la répression pénale, L.G.D.J, 2007, [Université Panthéon-
Assas].
22
La réparation existe bien en droit pénal mais elle n’a pas encore de nature bien définie. On la
retrouve parfois sous forme de peine alternative, comme dans la sanction-réparation, et parfois
comme mesure alternative à la peine. Son autonomie reste encore à confirmer. Toutefois, la
ministre de la Justice Nicole Belloubet, en campagne pour le projet de loi de réforme pour la
justice, exprime dans une allocution, la volonté d’œuvrer pour une nouvelle échelle de peines qui
inclurait de nouvelles sanctions autonomes, sans référence à l’emprisonnement 84. La loi de
programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 ne révèle pas encore de
telles sanctions, mais nous pouvons toutefois envisager la présence de la réparation au cœur de
nouvelles sanctions, comme c’est déjà le cas en droit anglais.
2. Un modèle de justice
37. Une justice apaisée. La réparation, aujourd’hui reconnue comme moyen civil de
résolution des conflits, est perçue en droit pénal comme instaurant une sorte de justice apaisée.
Sa pénalisation est reliée avec le phénomène que certains qualifient de « civilisation »85. Ce
phénomène a permis de substituer des sanctions civiles aux sanctions pénales, permettant ainsi
un règlement pacifique des conflits. La civilisation par l’entrée de la réparation dans le domaine
de la justice pénale, marque ainsi un « recul de la force », signe majeur du progrès social.
84
Audition de Nicole Belloubet, ministre de la Justice, à l’Assemblée Nationale, 6 novembre 2018.
85
Roger MERLE et André VITU, Traité de droit criminel, problèmes généraux de la science criminelle, 7 éd.,
Editions Cujas, 1997, t. I.
86
Raymond GASSIN, « Considérations sur le but de la procédure pénale », in Le droit pénal à l'aube du troisième
millénaire, Mélanges offerts à Jean Pradel, Cujas, 2004.
87
Jean-Christophe CROCQ, « Le pouvoir de transaction et de sanction du procureur de la République: le chaînon
manquant », RSC, 2015, p.595.
23
38. Une justice pour la victime et l’auteur de l’infraction. Il est important de spécifier
que la réparation en droit pénal n’instaure pas une justice uniquement orientée vers la victime 88.
Il est évident que la victime est le bénéficiaire direct de la réparation. Mais si on doit envisager la
réparation comme réponse pénale à l’infraction, elle doit surtout être une mesure dirigée vers
l’auteur de l’infraction. C’est sous cet angle que la réparation sera analysée. Nous connaissons
déjà la réparation comme droit pour la victime. Nous ne délaisserons pas cet aspect mais nous
nous intéresserons particulièrement à la réparation comme sanction, devoir, obligation du
délinquant.
39. Une justice réparatrice. Le choix d’une étude comparative a aussi été motivé par le
modèle de justice restaurative, aussi appelée justice réparatrice, venu des pays de Common law89.
La justice restaurative est une philosophie qui prend en compte les besoins des victimes, des
infracteurs et de la communauté touchée par l’infraction. Elle permet d’apporter une réparation
du dommage et de la personne. La justice restaurative assure à la victime ses besoins
d’information, de vérité, de responsabilisation et de réparation. Elle mène l’infracteur à sa propre
responsabilisation et réhabilitation. La justice restaurative est un modèle de réparation globale
qui ne peut remplacer le modèle de justice pénale actuel mais qui offre une philosophie
réparatrice à laquelle le droit pénal contemporain n’est pas indifférent.
88
C’est en cela que l’angle de notre thèse diffère de celle de Nathalie PIGNOUX, La réparation des victimes
d'infractions pénales, 2007, [Université de Pau et des Pays de l'Adour].
89
Lode WALGRAVE et Ivo AERTSEN, « Reintegrative shaming and restorative justice », European journal on
criminology policy and research, 1996, n° 4, p.67. Lode WALGRAVE, « La justice restaurative et la perspective de
victimes concrètes », in Justice réparatrice et médiation pénale, convergences ou divergences, sous la dir. de M.
JACCOUD, L'Harmattan, 2003. Howard ZEHR, Changing lenses, restorative justice for our times, 2015. Howard
ZEHR, La justice restaurative, pour sortir des impasses de la logique punitive, Labor et fides, 2012.
24
dont les conséquences ne peuvent être réparées, mais uniquement compensées. Une entorse à
cette exception sera faite dans le cadre du droit pénal international, la justice transitionnelle
apportant un éclairage intéressant à la question de la réparation en droit pénal. Dans une
approche restaurative transitionnelle, on peut rapprocher la réparation de la guérison. Mais la
guérison reste une démarche individuelle entreprise par la victime dans laquelle l’infracteur peut
ne jouer aucun rôle.
La réparation bute ainsi sur cette part d’irréparable qu’on ne peut compenser car « quand on
cherche à équilibrer une valeur humaine par une valeur comptable, on poursuit une tâche
impossible, en ce sens que l’équivalence laisse toujours un reste. Ici le reste est énorme.
L’équivalence boite furieusement » 90. Mais « l’idée d’équivalence n’est pas si intimement liée à
celle de réparation qu’il faille renoncer à celle-ci par l’impossibilité où l’on est d’obtenir celle-
là »91.
Ainsi précisée, cette problématique dévoile une option alors qu’il se pourrait qu’au bout de
l’étude, les deux possibilités soient valides. Il convient ainsi d’analyser les manifestations de la
réparation dans les mesures alternatives et les éléments qui favorisent son développement au sein
de ces mesures afin de consacrer le rôle de la réparation comme alternative à la justice pénale
(Première partie). En outre, l’étude suivra un chemin audacieux à la recherche de la réparation
comme composante de la justice pénale (Deuxième partie). Il ne s’agit pas de rechercher
comment la justice pénale absorbe la réparation au sens civil mais de rechercher l’existence
d’une notion de réparation pénale, autonome et indépendante de la réparation civile.
90
Marie-Eve ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur la notion de réparation, Librairie générale de droit et de
jurisprudence, 1974, [Th.doct. : Droit privé].
91
Armand DORVILLE, De l'intérêt moral dans les obligations, étude de droit comparé sur le principe de
réparation pécuniaire des dommages non-économiques, 1901, [Université de Paris].
92
Emmanuel DREYER, Droit pénal général, 4e éd., Lexinexis Manuel, 2016, n°82.
25
Première partie – La réparation, alternative à la justice pénale
26
27
- PREMIÈRE PARTIE -
LA RÉPARATION, ALTERNATIVE
À LA JUSTICE PÉNALE
42. Dire que la réparation est une alternative à la justice pénale pourrait sous-entendre,
dans une pensée extrême, une forme de justice alternative extérieure la justice pénale. Mais c’est
à l’intérieur de la justice pénale que se développe cette alternative comme nouveau mode
d’action93. La nécessité d’individualiser la peine et la volonté d’éviter le recours à la peine
d’emprisonnement lorsque cela est possible ont permis le développement de ce qui est désormais
connu comme des alternatives à la justice pénale traditionnelle 94.
Cette nouvelle voie s’est d’abord constituée de mesures prises de manières éparses, sans lien
entre elles. En droit français et anglais, la médiation a ainsi été l’une des premières mesures à se
dérouler en marge du procès pénal. D’autres mesures, comme la composition pénale ou le travail
d’intérêt général, ont permis de diversifier les types de réponses pénales pour mieux
individualiser la sanction. A observer le contenu des mesures alternatives, on remarque que la
grande majorité se base sur l’obligation de réparation du dommage issu de l’infraction, ou au
moins la prend en compte.
43. La notion pénale de réparation se dégage ainsi de ces mesures et se manifeste comme
une alternative sérieuse à la justice pénale (Titre 1). Cette alternative ne peut se développer sans
l’implication du délinquant dans le processus. Les défis auxquels fait face la justice pénale et les
ambitions qu’on lui attribue sont autant de moteurs qui encouragent le développement de la
réparation comme alternative à la justice pénale (Titre 2).
93
Parfois aussi plus modestement appelé la « troisième voie ». Voir : Frédéric DEBOVE, « La justice pénale
instantanée, entre miracles et mirages », Droit pénal, novembre 2009, n° 11, 19. Christophe DUBOIS et Dider
VRANCKEN, « Travail sur soi et justice réparatrice: comptes rendus d'une mise en pratique », Sociologie et
Sociétés, 2014, n° 46, 1, p.249.
94
Dominique GAILLARDOT, « Les sanctions pénales alternatives », Revue internationale de droit comparé, Avril-
Juin 1994, n° 42, p.683. Jean-Hervé SYR, « Les avatars de l'individualisation dans la réforme pénale », RSC, 1994,
p.217.
28
TITRE 1
44. Les mesures alternatives à la justice pénale se sont d’abord manifestées comme une
forme d’évitement de la peine d’emprisonnement. Ainsi, le développement des peines avec sursis
a permis un temps d’éviter des peines de prison non indispensables mais le sursis a vite laissé
place au sentiment d’une réponse pénale incomplète et à une frustration de voir une grâce
accordée au délinquant. La création d’alternatives à l’emprisonnement s’est alors avérée
nécessaire. Ces alternatives ont mis l’accent sur les principes de réparation ou de cessation du
trouble causé à l’ordre social. La réparation fait ainsi son entrée dans la sphère des sanctions
pénales95. Il est donc intéressant d’étudier les manifestations de la réparation comme alternative à
la justice pénale.
95
Marie-Eve ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur la notion de réparation, Librairie générale de droit et de
jurisprudence, 1974, [Th.doct. : Droit privé]. Jocelyne LEBLOIS-HAPPE, « La redéfinition des finalités et fonctions
de la peine - vers des principes directeurs en matière de peine? », Gazette du Palais, 23 mai 2015, 143, p.10.
29
Chapitre 1 : La réparation, alternative aux poursuites
46. La réparation au cœur des alternatives aux poursuites. Les alternatives aux
poursuites irradient depuis la fin du 20e siècle l’évolution de la justice pénale. Le recours aux
modes alternatifs de résolution des litiges répond à une dimension philosophique fondée sur la
possibilité pour les hommes de s’entendre sur un compromis. Ce compromis réside pour le droit
pénal dans la réparation des conséquences de l’infraction, qui forme la majorité des alternatives
aux poursuites. Apporter une réponse alternative permet d’instituer une « troisième voie »96 entre
les poursuites et le classement sans suite.
96
Jean PRADEL, Manuel de procédure pénale, 13e éd., Editions Cujas, 2007, p.539. Fréderic DEBOVE, François
FALLETTI et Emmanuel DUPIC, Précis de droit pénal et de procédure pénale, 5e éd., Point Delta, 2013, p.539.
97
Jean DANET, « La célérite de la réponse pénale », AJ Pénal, 2013, p.576. Jean-Claude MAGENDIE, Célérité et
qualité de la justice, la gestion du temps dans le procès, ministère de la Justice, 2004, en ligne :
<www.presse.justice.gouv.fr>.
98
Les chiffres-clés de la justice, Edition 2018, Sous-direction de la statistique et des études, ministère de la Justice,
en ligne : <www.justice.gouv.fr>.
30
introduit par le Criminal Justice Act de 2003 accorde à chacun de ces organes des prérogatives
en matière d’alternatives aux poursuites et de réparation99.
Nous verrons dans les développements qui suivent quelles sont les évolutions en la matière, les
raisons qui les motivent et les conséquences qu’elles peuvent avoir à travers l’étude de
l’intégration de la réparation dans les prérogatives de la police (I) et les questions soulevées par
cette prérogative (II).
51. Sur la base d’une comparaison entre le droit anglais, le droit français et le droit
libanais, deux tendances apparaissent dans les attributions de la police judiciaire relatives aux
99
Criminal Justice Act, Chapter 44, 2003, en ligne : <www.legislation.gov.uk>.
31
mesures de réparation des conséquences d’une infraction : une tendance classique et une
tendance plus contemporaine.
52. Une tendance classique limitatrice. La tendance classique, au Liban, limite le rôle
de la police à l’enquête et l’arrestation des infracteurs. En effet, l’article 10 du Code de
procédure pénale libanais dispose que « les organes de police judiciaire sont chargés de constater
les infractions, d’en rassembler les preuves, d’en arrêter les auteurs et de les traduire devant les
tribunaux chargés de les punir ». Ces organes sont placés sous l’autorité du procureur de la
République, sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre de
l’instruction. La police ne joue donc pas, dans ce cas, de rôle quant à la détermination ou la
proposition de mesures de réparation. Cette conception a longtemps prévalu en droit français100
avant que le législateur ne fasse le choix de l’élargissement des moyens mis à la disposition de la
police.
100
Il faut noter que pendant le mandat français au Liban, un certain nombre de codes libanais ont été inspirés par les
codes français ou ont été rédigés par des juristes français (comme par exemple le Code des obligations et des
contrats en 1932).
101
Avec la promulgation de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice du 23 mars 2019, qui
supprime la transaction par officier de police judiciaire.
32
A. Le cadre de l’intégration de la réparation dans les prérogatives de la police
54. Une parenthèse en droit français. En France, la police judiciaire est chargée selon
l’article 14 du Code de procédure pénale de « constater les infractions à la loi pénale, d’en
rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs tant qu’une information n’est pas ouverte ».
La loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative l’individualisation des peines et renforçant
l’efficacité des sanctions pénales a toutefois ouvert une parenthèse en ce qui concerne les
prérogatives de la police judiciaire 102. En effet, l’article 35 de la loi accordait à l’officier de
police judiciaire la possibilité de transiger avec l’auteur de l’infraction à condition que ce dernier
répare le dommage résultant de l’infraction. Cette possibilité de transiger sous condition de
réparation était déjà accordée depuis 2006 aux maires, en leur qualité d’officiers de police
judiciaire103. Si ces textes semblent essentiellement évoquer la transaction, la condition de
réparation du dommage résultant de l’infraction qu’ils impliquent est centrale. On la retrouve
dans l’exposé des motifs de la loi qui précise que les mesures prévues visent à « sanctionner
celui qui commet une infraction et s'attacher à permettre sa réinsertion au sein du corps social
afin de prévenir le mieux possible le risque de récidive et de réparer le préjudice causé aux
victimes ».
Cette innovation en matière de mesures alternatives ne fut malheureusement que de courte durée.
En effet, la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice promulguée le 23 mars
2019 vient dans son article 59 abroger l’article 41-1-1 du Code de procédure pénale104. La
promulgation de cette loi ne supprime pas l’intérêt d’étudier la transaction par officier de police
judiciaire qui a permis d’innover, même temporairement, dans le domaine des mesures
102
Muriel GIACOPELLI, « La loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité
des sanctions pénales: un rendez-vous manqué », AJ Pénal, 2014, p.448. Magalie NORD-WAGNER, « Justice
restaurative et transaction policière: un regard sur deux procédures originales issues de la loi du 15 août
2014», Gazette du Palais, 23 mai 2015, n° 143, p.6.
103
Articles 16 et 44-1 c .pr. pén, prérogative accordée depuis la loi n°2006-396 du 2 avril 2006. La transaction existe
aussi pour des infractions en droit pénal spécial, comme en droit fiscal et en droit de l’environnement. On la retrouve
aussi dans le Code des douanes (article 350), dans le Code de la consommation (articles L.141-2 et L.216-11), dans
le Code rural (article L.205-10), dans le Code de commerce (articles L.490-5) et dans le Code des transports (articles
L.6142-3). Elle fait aussi partie des prérogatives du Défenseur des droits qui peut proposer un transaction consistant
dans le versement d’une amende avant la mise en mouvement de l’action publique (loi organique n°2011-333 du 29
mars 2011, art. 28 II). Ces transactions en droit pénal spécial, de par leurs particularités, feront l’objet de la
deuxième partie de la thèse.
104
Loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, publiée au JO le 24
mars 2019.
33
alternatives en droit français. Nous verrons aussi que le rôle des officiers de police judiciaire
persiste, quoique plus limité, grâce à la possibilité ouverte par la modification de l’article 28 du
Code de procédure pénale.
En 1985, le Prosecution of Offences Act a créé le Crown Prosecution Service (CPS), équivalent
du procureur de la République français. Ce service avait des pouvoirs limités car il dépendait
toujours d’une certaine manière de la police, laquelle prenait la décision initiale d’inculpation. La
police pouvait décider d’elle-même de classer le dossier sans suite ou de délivrer un simple
avertissement106. Le Crown Prosecution Service ne prenait en charge le dossier qu’à compter de
la décision d’inculpation de la police. Cette situation a fini par créer des tensions entre les
différentes institutions, jusqu’aux réformes introduites en 2003.
105
Steward FIELD, « La politique pénale en Angleterre et au Pays de Galles : formation et responsabilité », AJ
Pénal, 2012, p. 455.
106
Connu sous le nom de « police caution ».
107
Criminal Justice Act, Chapter 44, 2003, en ligne : <www.legislation.gov.uk>.
108
Ce changement fait du Crown Prosecution Service l’équivalent anglais du procureur de la République. Depuis,
on ne peut que constater un rapprochement entre les droits français et anglais. Voir: Renaud COSLON et Stewart
FIELD, « La fabrique des procédures pénales », Revue de sciences criminelles et de droit comparé, 2010, n° 2, p.
365. Cependant, certaines institutions, comme le Serious Fraud Office et le Health and Safety Commission,
34
L’étendue des pouvoirs du Crown Prosecution Service et la limitation des pouvoirs de la police
vont avoir certaines répercussions. Limitée dans son pourvoir d’inculpation, la police se voit
toutefois dotée de nouvelles prérogatives qui lui permettent de prendre des mesures de
réparation. En effet, si avant 2003 la police avait le pouvoir de délivrer des avertissements
simples, elle peut désormais en vertu du Criminal Justice Act délivrer des avertissements sous
condition109 pour les infractions les moins graves, les summary offences, qui sont jugées par un
juge unique sans jury110. Si cette prérogative n’est pas exclusive puisque le Crown Prosecution
Service et d’autres institutions spécifiques l’exercent également, elle accorde à la police un
nouveau rôle qui, tout en supprimant l’exclusivité de l’inculpation, accorde une participation à la
mise en place d’une mesure de réparation. La limitation des attributions de la police anglaise
rapproche ainsi ces dernières des prérogatives de la police française en matière d’alternatives aux
poursuites.
Cet aperçu historique des différentes législations permet de mieux aborder les conditions (1) et le
contenu (2) de l’action policière en matière de réparation.
continuent d’exercer un droit de poursuites de manière indépendante pour les infractions spécialisées relevant de
leurs compétences.
109
Conditional cautioning.
110
Contrairement aux indictables offences, infractions plus graves qui sont jugées devant une Cour avec jury et dont
la proposition d’avertissement sous condition relève du Crown Prosecution Service.
35
a) La reconnaissance de culpabilité
Mais si cette condition semble bénéficier aux délinquants, ce pourrait être un moyen pour les
officiers de police de pousser une personne à reconnaître sa culpabilité dans l’espoir de
bénéficier d’une transaction. D’une fenêtre ouverte vers la résolution du litige, elle peut se
transformer en moyen de pression.
111
Crim., 22 janv 1970, Bull. crim. n° 37 : la transaction comporte nécessairement la reconnaissance de l'infraction.
Dans sa décision du 26 septembre 2014, le Conseil constitutionnel le confirme aussi dans le consid. n° 15 : « ni le
principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, qui découle de l'article 9 de la Déclaration de 1789, ni aucune autre
exigence constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu'une personne suspectée d'avoir commis une infraction reconnaisse
librement sa culpabilité et consente à exécuter une peine ou des mesures de nature à faire cesser l'infraction ou en
réparer les conséquences ; que, par suite, les dispositions contestées ne méconnaissent pas la présomption
d'innocence ».
36
communication de l’avertissement à l’auteur de l’infraction112. La signature de l’aveu intervient
donc juste après que l’auteur de l’infraction ait été informé du risque d’engagement des
poursuites en cas de non application des conditions. Cette chronologie dans la procédure suscite
des craintes sur l’existence d’une pression exercée sur l’auteur de l’infraction pour l’amener à
reconnaître sa culpabilité. Elle révèle surtout la tournure de négociation que pourrait prendre la
phase de l’arrestation.
Cela étant, le pouvoir de proposition était entre les mains de l’officier de police. Ce pouvoir de
choisir est cependant relatif car si la loi accorde aux officiers de police de nouvelles prérogatives,
112
Code of practice for adult conditional cautions, Ministry of Justice, 2013, p.16.
113
Magalie NORD-WAGNER, « Justice restaurative et transaction policière: un regard sur deux procédures
originales issues de la loi du 15 août 2014 », Gazette du Palais, 23 mai 2015, n° 143, p.6.
114
Infra n° 61.
37
l’absence d’utilisation de celles-ci n’empêchera pas les possibilités de réparation du dommage
grâce à d’autres leviers qui peuvent être actionnés par le procureur de la République (comme par
exemple ceux mentionnés à l’article 41-1 du Code de procédure pénale) et par le juge
d’instruction. La condition d’acceptation du procureur et d’homologation du juge permettait de
relativiser les prérogatives des officiers de police judiciaire. De plus, si l’article 35 de la loi du 15
août 2014 s’inscrivait dans le chapitre des dispositions visant à renforcer les pouvoirs des
services de police, une fois introduit dans le Code de procédure pénale, l’art 41-1-1 (ancien) a été
inséré dans la section consacrée aux attributions du procureur de la République. Le passage d’un
pouvoir des services de police à une attribution de procureur semble avoir facilement été fait de
manière à limiter l’impact de ce texte.
Cette mesure pouvait être envisagée comme une attribution du procureur qui venait renforcer les
pouvoirs des services de police, une attribution qui leur serait déléguée 115. Le procureur ne
pouvait recourir à l’article 41-1-1 sans la proposition d’un officier de police judiciaire et ce
dernier ne pouvait espérer la mise en œuvre du texte sans l’autorisation du procureur. La valeur
ajoutée de cette mesure reste discutable 116 au vu des autres attributions du procureur qui
permettent d’aboutir à des résultats semblables en matière de réparation117. En outre, du point de
vue de la nature de la transaction, la procédure d’homologation adoptée alourdissait le recours à
cette mesure qui ne permettait pas d’éviter l’intervention du juge.
115
Nicolas JEANNE, « Réflexions sur la transaction pénale par officier de police judiciaire », RSC, 2016, p.1.
116
Jean-Baptiste PERRIER, « La transaction pénale de l'article 41-1-1 du code de procédure pénale. Bonne idée ou
outil dangereux ? », Recueil Dalloz, 2014, p.2182. Camille MIANSONI, « La transaction par officier de police
judiciaire ou TOPJ », AJ Pénal, 2015, p.469.
117
Comme les mesures prévues à l’art. 41-2 C. pr.pén.
118
Les indictable offences.
38
sert donc d’alternative aux poursuites au stade de l’enquête de police en droit anglais. Cependant,
bien qu’évitant un jugement, l’avertissement apparaît sur le casier judiciaire de l’auteur de
l’infraction. Son contenu permet toutefois de le qualifier de mesure de réparation.
62. Pour bien identifier l’ampleur des prérogatives de la police en matière de réparation,
il est nécessaire de préciser le domaine et les moyens prévus pour la transaction policière et
l’avertissement sous condition.
63. Le choix audacieux des infractions concernées par la réparation par transaction.
Les mesures annoncées dans les articles 44-1 et 41-1-1 (ancien) du Code de procédure pénale
concernent des délits variés. Si l’article 44-1 inclut uniquement les contraventions que les agents
de la police municipale sont habilités à constater, certains délits assortis d’une peine
d’emprisonnement faisaient partie de l’énumération de l’article 41-1-1.
En effet, jusqu’au 23 septembre 2016, l’article 41-1-1 englobait les infractions suivantes dans le
champ d’application de la mesure de transaction :
« 1° les contraventions prévues par le code pénal, à l'exception des contraventions des quatre
premières classes pour lesquelles l'action publique est éteinte par le paiement d'une amende
forfaitaire en application de l’article 529;
2° Des délits prévus par le Code pénal et punis d'une peine d'amende ;
3° Des délits prévus par le même code et punis d'un an d'emprisonnement au plus, à
l'exception du délit d'outrage prévu au deuxième alinéa de l’article 433-5 dudit code ;
4° Du délit prévu à l’article 311-3 du même code, lorsque la valeur de la chose volée est
inférieure à un seuil fixé par décret ;
39
6° Du délit prévu au premier alinéa de l'article L. 126-3 du Code de la construction et de
l'habitation. »
Les points 3 à 6 concernent des peines d’emprisonnement qui restent cependant limitées à un an
au maximum. L’article 311-1 du Code pénal visé par le 4 ème alinéa mentionne une peine
d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans mais le décret n°2015-1272 a limité119 la
valeur de la chose volée à 300 euros pour la mise en œuvre d’une transaction, ce qui limite par
conséquent la durée d’emprisonnement. Cette précision a été transposée à l’article 41-1-1 par le
législateur suite à la décision du Conseil constitutionnel en date du 23 septembre 2016 qui
déclare contraire à la Constitution le 4e alinéa de l’article 41-1-1 du Code de procédure pénale au
motif que « le législateur a méconnu sa compétence dans des conditions affectant l’égalité devant
la procédure pénale, en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de délimiter le champ
d’application d’une procédure ayant pour objet l’extinction de l’action publique » 120
. Cette
décision ne soulève pas d’objections de fond quant au champ d’application de l’article 41-1-1 du
Code de procédure pénale. Il ne s’agissait pas de refuser d’inclure le délit de vol dans le champ
d’application de la transaction mais de refuser que le montant de la chose volée ne soit pas
délimité par le législateur. Le législateur y a remédié en mentionnant le seuil du montant de la
chose volée au sein de l’article 41-1-1 du Code de procédure pénale121. La loi du 15 août 2014 a
englobé un large contentieux, visant à écarter des procédures judiciaires traditionnelles les
infractions de faible gravité.
64. Le choix mesuré des infractions concernées par l’avertissement sous conditions.
Le Criminal Justice Act et le manuel sur l’application des avertissements sous condition 122 ne
délimitent pas le champ d’application de l’avertissement sous conditions pouvant être prononcé
par un officier de police judiciaire. Le manuel permet au Director of Public Prosecution,
équivalent du procureur général français, de publier un guide qui détermine le champ
d’application des avertissements sous conditions123. Ce guide accorde la possibilité aux officiers
119
Art. R15-33-33-3 du décret.
120
Décision n°2016-569 QPC, Syndicat de la magistrature et autre. Voir : AJ Pénal, « Transaction pénale: vers une
meilleure prise en compte des droits de la défense », 2016, p.546.
121
Article 19 de la loi n°2017-258 du 28 février 2017.
122
Code of practice for adult conditional cautions, Ministry of Justice, 2013, en ligne: www.gov.uk.
123
Dont la 7e édition date d’avril 2013. Il porte le titre de « Director’s guidance on adult conditional cautions ».
Disponible en ligne sur le site du « Crown prosecution service » : www.cps.gov.uk.
40
de police de recourir à des avertissements sous conditions lorsqu’il s’agit de summary offences124
et de either way offences125, toutes deux des infractions de faible gravité. Pour qu’une infraction
entrant dans l’une de ces catégories puisse faire l’objet d’un avertissement sous conditions, elle
ne peut en théorie être sanctionnée de plus de six mois d’emprisonnement. Les infractions plus
graves pouvant faire l’objet d’un avertissement sous condition sont réservées à l’appréciation du
Crown Prosecution Service. Le manuel exclut aussi en principe du champ d’application des
avertissements sous conditions les violences domestiques et les délits motivés par la haine
raciale, xénophobe, religieuse ou homophobe.
b) Le moyen employé
65. Une réparation par transaction. L’article 41-1-1126 du Code de procédure pénale
comprenait le principe même de l’individualisation de la peine, voulu par la loi du 15 août 2014,
qui prend en compte les circonstances de l’infraction et la situation de l’infracteur pour la
détermination de la peine. L’individualisation de la peine passe aussi par la réparation du
dommage sans exclure la détermination d’une peine pour autant. En effet, le 1er point de l’article
concernait la détermination d’une amende transactionnelle. L’association des deux termes
d’amende et de transaction conduisait à une ambiguïté, l’amende sous-entendant une peine et la
transaction l’excluant. La transaction, associée à l’amende, prendrait le caractère d’une sanction.
Ce n’est pourtant pas ce qu’a décidé le Conseil Constitutionnel dans sa décision n° 2014-416 du
26 septembre 2014127. Le Conseil avait été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité
124
Catégorie qui comprend les contraventions et délits routiers, les actes de violences sans conséquences majeures,
les menaces, etc.
125
Catégorie large de délits pouvant aller d’un vol simple à l’étalage à un braquage de banque.
126
« La proposition de transaction est déterminée en fonction des circonstances et de la gravité de l'infraction,
de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de son auteur ainsi que de ses ressources et
de ses charges. Elle fixe :
1° L'amende transactionnelle due par l'auteur de l'infraction et dont le montant ne peut excéder le tiers
du montant de l'amende encourue ;
2° Le cas échéant, l'obligation pour l'auteur de l'infraction de réparer le dommage résultant de celle-ci ;
3° Les délais impartis pour le paiement et, s'il y a lieu, l'exécution de l'obligation de réparer le
dommage. »
127
« Transaction (infractions au code de l'environnement) : constitutionnalité du dispositif », Recueil Dalloz 2014
41
portant sur l’article L. 173-12 du Code de l’environnement comportant une transaction pénale.
La question était de savoir si cette transaction pénale pouvait être qualifiée de sanction ayant le
caractère de punition. Le Conseil répond par la négative car la transaction suppose « un accord
libre et non équivoque de l’auteur des faits. En outre, la transaction homologuée ne présente
aucun caractère exécutoire et n’entraîne aucune privation ou restriction des droits de
l’intéressé »128. Ainsi, une amende transactionnelle peut se cumuler avec une sanction,
administrative dans le cas de l’espèce. Cette décision rejoint celle prise par le Conseil le 30 mars
2006129 sur l’article 44-1 du Code de procédure pénale dont la transaction ne présenterait aucun
caractère exécutoire. Si pour certains cette conclusion est erronée130, nous retenons de ces
différences de points de vue que si la transaction n’est pas une sanction, son contenu pourrait
avoir une nature sanctionnatrice. Selon le Conseil constitutionnel, la nature du contenu de la
transaction disparaît une fois encadrée dans la transaction.
Le caractère de sanction du 1er alinéa de l’art 41-1-1 (ancien) du Code de procédure pénale serait
aussi critiquable au regard de l’existence d’une obligation de réparation. S’il y a lieu, la
transaction prévue doit contenir l’obligation pour l’auteur de l’infraction de réparer le dommage
résultant de celle-ci. L’officier de police judiciaire devient, par la proposition de transaction qu’il
porte au procureur de la République, l’un des garants de la réparation du dommage par l’auteur
de l’infraction. Si l’amende est « transactionnelle », la réparation est une « obligation ». Même si
la non-exécution de l’une ou de l’autre des clauses de la transaction entraînerait pareillement
l’annulation de cette dernière, il ne peut y avoir homologation d’une transaction, qui impliquerait
le paiement d’une amende, sans que le dommage résultant de l’infraction ne soit aussi réparé.
C’est en cela que la réparation est une obligation qui permet l’existence de la proposition de
transaction.
p.2503. AJDA 2014, p.1859. RSC 2014, p.785. HOEPFFNER, « La transaction pénale en matière
environnementale: le clair-obscur de la décision du Conseil constitutionnel », Les Nouveaux Cahiers du Conseil
constitutionnel 2015, p.161; J.-H. ROBERT, Dr. pénal 2014, p.140. Hajer ROUIDI, « Du pouvoir de l'OPJ de
transiger sur l'action publique », Dr. pénal, janvier 2016, n° 1, étude 2.
128
Idem.
129
Conseil constitutionnel, 30 mars 2006, n°2006-535, AJDA 2006, p.732. Voir aussi : RFDA 2006, p.1261.
130
Jean-Baptiste PERRIER, « La transaction pénale et l'erreur du Conseil constitutionnel », Recueil Dalloz, 25 12
2014, n° 44, p.2503. Bertrand DE LAMY, « Où l'on apprend que la transaction n'est pas pénale ...parce que
l'interessé consent », RSC, 2015, p.711.
42
La transaction pénale avait pour effet de suspendre l’action publique et son exécution entraînait
l’extinction de cette-dernière. Elle avait donc des conséquences sur le déroulement de la
procédure judiciaire.
66. Une réparation par avertissement. En droit anglais, les directives de mise en œuvre
des avertissements sous conditions qui peuvent être délivrés par la police ont été élaborées dans
un manuel spécifique131. On y retrouve les objectifs poursuivis, les conditions nécessaires pour
un avertissement sous conditions ainsi que la procédure à suivre. Le manuel précise que les
avertissements sous conditions permettent de donner une réponse proportionnée aux infractions
mineures, d’offrir aux auteurs de l’infraction la possibilité de réparer rapidement les dommages
causés aux victimes et/ou à la communauté, de les réorienter à un stade précoce vers des services
de réhabilitation pour prévenir la récidive et de fixer une sanction à travers une compensation
financière. Il y est aussi spécifié que les conditions contenues dans l’avertissement doivent
poursuivre un ou plusieurs des objectifs suivants : la réhabilitation, la réparation et la sanction,
cette dernière n’étant utilisée que si les deux premières ne peuvent être mises en œuvre ou
n’apportent pas de réponse adéquate à la situation. Pour ce qui est de la condition de réparation,
elle peut inclure des excuses, la réparation du dommage causé ou sa prise en charge et la
possibilité d’une compensation financière. La condition de réparation et son contenu doivent être
acceptés par la victime.
Cette prérogative des officiers de police judiciaire est importante car ceux-ci n’ont pas besoin
d’une autorisation du Crown Prosecution Service ou de toute autre institution pour émettre un
avertissement sous conditions. Ils peuvent le délivrer dans le poste de police « si ceci permet
d’avoir l’impact approprié sur l’infracteur »132. En outre, l’usage du mot « avertissement », bien
loin de celui de « transaction » en France, est révélateur du pouvoir des officiers de police. Si le
terme de « transaction » sous-entend l’implication de deux parties, l’officier de police et l’auteur
de l’infraction, celui d’ « avertissement » n’en implique qu’une seule, l’officier de police qui le
délivre. De plus, les avertissements sous conditions sont inscrits dans le casier judiciaire de
131
Code of practice for adult conditional cautions, Ministry of Justice, 2013. Pour faciliter la comparaison, un
manuel est l’équivalent d’une circulaire en droit français.
132
Op.cit., traduction libre: « the conditional caution may be administered in a police station, court building, the
offices of any prosecutor or any other suitable location consistent with achieving the appropriate impact on the
offender. »
43
l’intéressé, ce qui accorde une importance plus grande aux prérogatives de l’officier de police car
sa décision aura des répercussions plus lourdes sur l’auteur de l’infraction.
67. L’intégration d’une mesure réparatrice aux prérogatives de la police judiciaire a des
conséquences sur le déroulement de la procédure (1) et notamment sur la célérité et l’efficacité
de la réponse pénale (2).
68. Un allègement de la procédure non abouti. Les nouvelles mesures accordées aux
officiers de police judiciaire étaient encore récentes pour qu’on puisse affirmer avec certitude
l’effet qu’elles auraient pu avoir sur la procédure judiciaire et la justice pénale en général, mais
nous pouvons quand même émettre certaines éventualités et certaines interrogations qui
apparaissent à première vue133.
Les mesures prévues aux articles 44-1 et 41-1-1 (ancien) du Code de procédure pénale
permettent vraisemblablement un allègement des peines et des procédures. Un allègement des
peines d’abord, car les transactions que ces mesures prévoient se substituent à des peines plus
sévères. Un allègement des procédures ensuite, car elles ont un délai d’exécution moins long et
ne mobilisent pas longtemps les magistrats. En outre, l’exécution de l’obligation de réparation
par l’auteur de l’infraction rend inutile le déclenchement d’une procédure civile pour obtenir la
réparation du dommage. Sur un autre plan, l’article 41-1-1 (ancien) ne précisait pas si la
133
Il est regrettable que le rapport du ministère de la Justice sur la mise en œuvre de la loi du 15 août 2014 relative à
l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales n’ait pas inclus d’évaluation de la
transaction par officier de police judiciaire. Le rapport, émis le 21 octobre 2016, s’est concentré sur la peine de
contrainte pénale, sur les mesures de suivi post-sentenciel ainsi que sur la justice restaurative. Or la transaction par
officier de police judiciaire mériterait qu’on lui accorde un plus grand intérêt. Rapport consultable sur :
www.justice.gouv.fr. Voir aussi : Maud LENA, « Deux ans après, qu'en est-il de la mise en oeuvre de la loi du 15
août 2014? », AJ Pénal, 2016, p.509.
44
transaction serait inscrite au casier judiciaire de l’intéressé mais se limitait à mentionner
l’inscription de la mesure dans un procès-verbal134.
On remarque cependant que la proposition faite par l’officier de police judiciaire ajoutait une
étape procédurale avec le transfert du dossier au procureur de la République et n’empêchait pas
le traitement du dossier par le juge. Mais ce dernier n’avait qu’à l’homologuer, ce qui constitue
un gain de temps. La procédure soulevait à cet égard quelques inquiétudes. Le texte prévoyait en
effet que la transaction proposée par l’officier de police devait être autorisée par le procureur et
homologuée par le juge. Le caractère purement « formel » que pouvait avoir l’homologation
d’une mesure qui a été proposée par un officier de police judiciaire peut inquiéter car l’article 41-
1-1 (ancien) du Code de procédure pénale ne prévoyait aucune possibilité de comparution de
l’auteur de l’infraction devant le juge135. Le rôle du juge pouvait se limiter à vérifier que les
conditions de détermination de l’amende et de l’exécution de l’obligation de réparation étaient
formellement conformes aux dispositions du texte.
69. D’une réparation à une autre en cas de non-exécution. En cas de non exécution du
contenu de la transaction ou en cas de refus d’homologation, l’article 41-1-1 du Code de
procédure pénale prévoyait que le procureur de la République pouvait soit mettre en œuvre les
mesures prévues à l’article 41-1 du même code, soit opter pour une composition pénale, soit
engager des poursuites. Si la mesure de transaction était perçue comme une seconde chance et
une alternative aux poursuites, l’engagement des poursuites était une suite logique en cas
d’exécution inachevée des mesures prévues par la transaction. Mais le procureur pouvait aussi
opter pour une composition pénale ou pour les mesures prévues à l’article 41-1 du Code de
procédure pénale. Ce choix, avantageux pour encourager le recours à des mesures réparatrices,
entraînait néanmoins quelques questionnements. En effet, l’art 41-1 contient d’autres possibilités
de mesures alternatives mises à disposition du procureur, et présente parmi ces mesures des
options parfois moins sévères que celles de l’article 41-1-1 (ancien) du Code de procédure pénale
comme celle du simple rappel à la loi. De son côté, l’art 41-2 du Code de procédure pénale relatif
à la composition pénale permet au procureur de proposer une amende dont le montant n’est pas
134
Comme dans le cas de la composition pénale, article 41-2 C. pr. pén.
135
Jean-Baptiste PERRIER, « La transaction pénale de l'article 41-1-1 du code de procédure pénale. Bonne idée ou
outil dangereux ? », Recueil Dalloz, 2014, p.2182.
45
limité136 contrairement à l’amende de l’article 41-1-1 (ancien), ce qui n’empêcherait pas
l’hypothèse d’une amende inférieure à celle prévue par la transaction.
Si l’article 41-1-1 (ancien) pouvait être perçu comme une « occasion manquée »137, il faisait
toutefois partie de l’arsenal législatif qui permettait le développement de mesures alternatives
aux poursuites sous condition de réparation des dommages résultant de l’infraction. Il incluait la
police judiciaire parmi les organes pouvant déclencher la réparation des dommages et permettait
ainsi à la réparation d’être réalisée plus rapidement.
70. Des conséquences sur l’action civile. La transaction par officier de police judiciaire
permettait l’extinction de l’action publique lorsque l’auteur de l’infraction avait exécuté
l’ensemble des obligations résultant de l’acceptation de la transaction. Cette extinction de
l’action pénale ne supprimait pas les moyens de recours de la victime qui pouvait toujours, selon
le décret d’application de la transaction, délivrer citation directe devant le tribunal correctionnel
pour que celui-ci statue sur les intérêts civils138. Cette distinction découlait du fait que la victime
de l’infraction est étrangère à la transaction qui intervenait entre les autorités de poursuite et
l’auteur de l’infraction. Cette inopposabilité de la transaction a d’abord été consacrée par la
jurisprudence avant que les textes législatifs ne garantissent la possibilité pour la victime de
délivrer une citation directe suite à une transaction pénale 139. De plus, la validation de la
transaction par le juge n’étant pas une condamnation au sens propre du terme, la transaction
n’avait pas autorité de la chose jugée au pénal sur le civil 140. Si au regard de la nature alternative
de ces mesures cette affirmation semble incontestable, elle l’est moins au regard de la notion de
réparation, commune à la transaction et à l’action civile. S’il n’y a pas identité de parties entre
les deux, il y a une identité d’objet. Le droit de la victime d’intenter une action civile ou de
délivrer citation directe pour ses intérêts civils ne pouvant être ôté, la difficulté aurait résidé dans
la conciliation de la réparation du dommage déjà acquise à travers la transaction dont la victime
136
Jean-Baptiste PERRIER, « La transaction pénale de l'article 41-1-1 du code de procédure pénale. Bonne idée ou
outil dangereux ? », Recueil Dalloz, 2014, p.2182.
137
Idem.
138
Article R15-33-37-6 du décret n°2015-1272 du 13 octobre 2015. Cette possibilité est aussi prévue à l’article 41-2
du C. pr. pén. relatif à la composition pénale.
139
Crim., 18 février 1954, D. 1954, p.421 ; CA Pau, 15 novembre 1962, D. 1963, p.276.
140
Jean-Baptiste PERRIER, La transaction en matière pénale, [Th. doct. : Droit privé et sciences criminelles : Aix
Marseille : 2012], p.340 et suivant. Voir aussi : Soc. 13 janvier 2009, Bull. Civ. V, n°1.
46
est bénéficiaire, même si elle n’en est pas partie, et la réparation demandée dans le cadre de
l’action civile.
71. Une célérité de par les acteurs concernés. Le facteur temporel est un élément
important des mesures alternatives aux poursuites141. En effet, la mise en place d’alternatives
n’aurait pas lieu d’être si elle ne rendait pas le traitement des infractions plus rapide et plus
simple. En ce qui concerne la transaction de l’art 41-1-1 (ancien) du Code de procédure pénale,
la rapidité et l’allègement des procédures venaient du fait que la mesure intervenait au stade de la
police, la survenance de l’infraction étant encore proche dans le temps. Les procédures étaient
simplifiées pour les personnes concernées par l’infraction (auteur et victime) car leur seul
interlocuteur était l’officier de police judiciaire qui s’occupait de la liaison avec le procureur de
la République pour l’autorisation de la transaction et avec le juge pour l’homologation. Les
procédures étaient aussi moins longues, le dossier étant traité par l’organe de police judiciaire.
De même, ce facteur temporel est important dans l’avertissement sous condition anglais qui est
prononcé par l’officier de police sans besoin d’autorisation ou d’homologation du Crown
Prosecution Service.
47
et d’avoir plus de temps à consacrer aux infractions les plus graves 143. Enfin, le gain de temps
procédural permet d’aboutir à une réparation plus rapide des victimes des infractions, une
réparation qui intervient plus tôt, au moment où elle est le plus attendue.
Mais pour permettre une mesure rapide, le législateur a dû accorder de nouvelles prérogatives à
de nouveaux acteurs. Ce nouvel équilibre pourrait ne pas jouer en faveur des droits des victimes
et des auteurs de l’infraction.
II. Les questions soulevées par la réparation comme prérogative de la police judiciaire
73. Des conséquences controversées. Les mesures alternatives développées plus haut
permettent d’éviter des poursuites pénales 144. Cet objectif peut être atteint si certaines conditions
sont établies : la reconnaissance de culpabilité de l’auteur des faits (condition préalable), la
vérification de la nature de l’infraction et de sa prise en compte parmi celles mentionnées par la
loi (condition objective) et la réparation des dommages qui résultent de l’infraction (condition
sine qua non). La réparation des dommages est la seule condition tournée vers l’avenir, les autres
étant déjà vérifiées par la commission de l’infraction. La réparation est une condition posée par
la loi et demandée par les officiers de police judiciaire. C’est une obligation de résultat qui va
permettre l’extinction de l’action publique. Cette condition, présente dans les différentes mesures
françaises ou anglaises, est un élément central des alternatives aux poursuites. Elles donnent plus
de prérogatives aux officiers de police judiciaire (A), mais bouleverse la prise en charge des
droits des victimes et des auteurs de l’infraction (B).
143
J-P EKEU, Consensualisme et poursuite en droit pénal comparé, Travaux de l'Institut de sciences criminelles de
Poitiers, Cujas, 1992, n°19: « L’usage de la négociation permet de désengorger l’appareil judiciaire d’une part
considérable de travail ». L. CADIET, « Procès équitable et modes alternatifs de règlement des conflits », in
Variations autour d'un droit commun, Société de législation comparée, 2002: « l’explosion du contentieux et
l’encombrement des juridictions qu’elle a entraîné ne sont certainement pas pour rien dans la recherche des solutions
alternatives qui sont autant de circuits de dérivation permettant d’éviter la lenteur des procédures, mais aussi leur
coût et leur formalisme ».
144
Supra n°54 et s.
48
A. Un déséquilibre des pouvoirs
1. Un pouvoir de sanction
75. Une nouvelle arme aux mains de la police. Les mesures alternatives aux poursuites ont
accordé aux officiers de police des prérogatives qui dépassent la simple enquête sur les faits
constitutifs de l’infraction et l’arrestation des auteurs suspectés de l’avoir commise. Ces
prérogatives posent la question de savoir si le pouvoir de transiger confié à l’organe de police
judiciaire n’est pas assimilé, dans ce cas, à un pouvoir de sanction.
Cette assimilation repose sur le fait que de véritables peines sont en jeu. Si le Conseil
constitutionnel n’a pas vu, dans la transaction pénale, de « sanction ayant le caractère de
punition »146, l’amende transactionnelle et l’obligation de réparation reflètent quand même une
visée punitive. En effet, si l’amende est acceptée par l’auteur de l’infraction, cela n’empêche pas
qu’elle soit perçue comme une punition par ce dernier qui se voit obligé de l’accepter et de
réparer les conséquences de l’infraction pour éviter que des poursuites ne soient engagées contre
lui. En Angleterre, les avertissements sous conditions relèvent du mouvement de développement
des sanctions non juridictionnelles 147, caractéristique de la justice pénale anglaise 148.
L’opinion du Conseil constitutionnel est reprise par d’aucuns qui estiment que l’homologation du
juge n’était pas nécessaire dans la transaction pénale car les mesures qu’elle englobait ne portent
145
Nicolas JEANNE, « Réflexions sur la transaction pénale par officier de police judiciaire », RSC, 2016, p.1.
146
Jean-Baptiste PERRIER, « La transaction pénale et l'erreur du Conseil constitutionnel », Recueil Dalloz, 25.12.
2014, n°44, p.2503.
147
Nicolas PADFIELD, « Actualités du droit de l'Angleterre et du Pays de Galle en 2008 », RSC, 2009, p.989.
148
En 2007, 26% des infractions constatées ont aboutit à un avertissement de la police (Statistiques criminelles
disponibles sur www.justice.gov.uk/publications/criminalannual.htm).
49
en rien atteinte à la liberté individuelle de la personne 149 et ne nécessitent pas l’intervention d’un
magistrat150.
2. Un pouvoir d’appréciation
76. Une appréciation de l’opportunité de la mesure. De son côté, l’article 41-1-1 (ancien)
du Code de procédure pénale accordait à l’officier de police un pouvoir d’appréciation en ce
qu’il devait tenir compte dans la détermination de la proposition de transaction des
« circonstances et de la gravité de l'infraction, de la personnalité et de la situation matérielle,
familiale et sociale de son auteur ainsi que de ses ressources et de ses charges ». Ce pouvoir
d’appréciation permettait d’assimiler l’organe de police à un organe de sanction chargé d’étudier
le dossier et de transiger. Cette problématique ne se pose pas en Angleterre où les prérogatives
accordées à la police et le rôle quasi-correctionnel qu’elle joue dans les avertissements sous
conditions semblent assumés. Cela s’explique par le fait qu’avant 2003, la police anglaise
détenait encore le pouvoir d’engager des poursuites.
149
L’allusion à la liberté individuelle vient de la décision du Conseil constitutionnel invalidant l’injonction pénale au
motif que dans le cas de l’injonction, l’absence du recours au juge porterait atteinte à la liberté individuelle (Cons.
const. 2 février 1995, n°95-360, consid. n°6).
150
Jean-Baptiste PERRIER, « Réflexions et perspectives sur la transaction en matière pénale », AJ Pénal, 2015,
p.474. D’ailleurs, l’homologation du juge n’est pas prévue pour les transactions spéciales (comme en droit de
l’environnement ou en droit fiscal).
151
Muriel GIACOPELLI, « La loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité
des sanctions pénales: un rendez-vous manqué », AJ Pénal, 2014, p.448.
50
cas échéant, les modalités de réparation du dommage. Le pouvoir d’appréciation était bel et bien
accordé aux officiers de police judiciaire qui pouvaient agir en véritables agents de réparation. Ils
pouvaient même obliger la personne ayant accepté l’amende transactionnelle à consigner une
somme d’argent égale au montant de l’amende, avant même que la transaction ne soit
homologuée152. C’est en partie cette obligation qui avait conduit à l’annulation du décret par le
Conseil d’État sur le fondement du respect du droit au procès équitable (article 6 de la
convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales)153.
78. Que les pouvoirs de sanction et d’appréciation soient assumés ou non proclamés, ces
conséquences des mesures alternatives aux poursuites entraînent des interrogations sur la prise en
compte des droits des victimes et des auteurs de l’infraction.
Plusieurs observations nous mènent en effet à douter de l’efficacité de ces mesures alternatives
aux poursuites, tant du côté de la préservation des droits de la victime (1) que de celui de l’auteur
de l’infraction (2). Car « si l’évitement de la poursuite est louable de la part du législateur, il doit
s’accompagner de garanties importantes visant à équilibrer les armes »154.
152
Art. R15-33-37-4 du décret n°2015-1272 en date du 13 octobre 2015.
153
Décision du Conseil d’État en date du 24 mai 2017: AJDA, « La transaction pénale rattrapée par le droit au procès
équitable », 2017, p.1144. Recueil Lebon - Recueil des décisions du Conseil d'Etat, « Transaction pénale et droit au
procès équitable », 2017. Jean-Baptiste PERRIER, « La transaction pénale et les apports du Conseil d'Etat », Recueil
Dalloz, 2017, p.1744. Selon la décision du Conseil d’Etat, le fait que la consignation d’une somme d’argent vaut
paiement de l’amende transactionnelle en cas d’homologation de la transaction prive l’auteur de l’infraction de
refuser de payer la somme due après l’homologation. Aussi, la procédure de transaction pénale doit reposer sur
l’accord libre et non équivoque de l’intéressé alors que le décret ne prévoit pas l’obligation d’informer la personne à
qui est proposée la transaction de la nature des faits reprochés et de leur qualification juridique.
154
Anne-Sophie CHAVENT-LECLERE, « Des évolutions en cours à la révolution attendue en procédure
pénale», Procédures, Janvier 2015, n° 1, dossier 6.
51
1. Les droits de l’auteur de l’infraction
155
Décision du Conseil d’État en date du 24 mai 2017, Syndicat de la magistrature et autres, Syndicat national des
magistrats force ouvrière: AJDA, « La transaction pénale rattrapée par le droit au procès équitable », 2017, p.1144.
Recueil Lebon - Recueil des décisions du Conseil d'Etat, « Transaction pénale et droit au procès équitable », 2017.
Jean-Baptiste PERRIER, « La transaction pénale et les apports du Conseil d'Etat », Recueil Dalloz, 2017, p.1744.
156
Abie LONGSTAFF, Breaking the cycle: effective punishment, rehabilitation and sentencing of offenders: the
Police Foundation Response, The Police Foundation, 2011.
52
septembre 2016157 que « les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître les droits de
la défense, autoriser qu'une transaction soit conclue sans que la personne suspectée d'avoir
commis une infraction ait été informée de son droit à être assistée de son avocat avant d'accepter
la proposition qui lui est faite, y compris si celle-ci intervient pendant qu'elle est placée en garde
à vue ». En ce qui concerne l’avertissement sous condition, le droit anglais prévoit l’obligation
de proposer l’assistance gratuite d’un avocat 158. La présence de l’avocat permet de s’assurer que
le consentement de l’auteur de l’infraction à la transaction est libre et éclairé.
157
Florian ENGEL, « Transaction pénale: vers une meilleure prise en compte des droits de la défense? », AJ Pénal,
2016, p.546. Jean-Baptiste PERRIER, « La transaction pénale et les progrès du Conseil constitutionnel », Recueil
Dalloz, 2016, p.2545.
158
Code of practice for adult conditional cautions, Ministry of Justice, 2013, section 3.5, en ligne: www.gov.uk.
159
Un rapport d’information adressé au Sénat relève l’évolution du taux de recouvrement contentieux des amendes
sur 10 ans : sur la période s’étalant de 1995 à 2004, le taux diminue de 44,4% à 31,6%. Le rapport « Recouvrement
des sanctions pénales et fiscales : la fin de l’impunité » est disponible en ligne sur : www.senat.fr.
160
Anne-Sophie CHAVENT-LECLERE, « Des évolutions en cours à la révolution attendue en procédure
pénale», Procédures, Janvier 2015, n° 1, dossier 6.
53
pas l’acceptation formelle de la victime qui n’était même pas mentionnée dans la rédaction du
texte161.
83. Le droit à l’information. Rien n’était prévu dans l’article 41-1-1 (ancien) du Code
de procédure pénale pour garantir l’information de la victime sur les conséquences de la
transaction conclue entre l’auteur de l’infraction et le procureur de la République. En
comparaison, l’article 41-2 du Code de procédure pénale relatif à la composition pénale prévoit
d’informer « la personne à qui est proposée une composition pénale […] qu'elle peut se faire
assister par un avocat avant de donner son accord à la proposition du procureur de la
République » et prévoit aussi d’informer la victime de la proposition de réparation et de recueillir
son accord. On ne peut que déplorer ce manque de rigueur dans la rédaction de l’article 41-1-1
(ancien) du Code de procédure pénale dont le décret d’application162 n’apportait pas vraiment de
réponses à ces questions. Le décret prévoyait uniquement la possibilité pour la victime de
délivrer citation directe devant le tribunal correctionnel même en cas d’exécution de la
transaction afin que celui-ci statue sur les intérêts civils. Le décret permettait aussi de demander
le recouvrement des dommages et intérêts prévus dans l’ordonnance d’homologation par la
procédure d’injonction de payer. Cela pouvait répondre à l’insatisfaction de la victime face à la
proposition de transaction effectuée par l’officier de police judiciaire, mais la victime restait
toutefois étrangère à la transaction.
En comparaison avec l’avertissement sous condition anglais, l’accord de la victime ne figure pas
parmi les cinq conditions de mise en œuvre de la mesure. Toutefois, l’avis de la victime figure
parmi les points que l’officier de police doit prendre en compte lorsqu’il envisage de proposer un
avertissement sous condition163, ce qui révèle un meilleur équilibre entre les droits des deux
parties, ou en tout cas une meilleure prise en compte de leur opinion.
161
Jean-Baptiste PERRIER, « Réflexions et perspectives sur la transaction en matiere pénale », AJ Pénal, 2015,
p.474.
162
Décret n°2015-1272 en date du 13 octobre 2015.
163
Code of practice for adult conditional cautions, Ministry of Justice, 2013, art. 2.7: “in deciding whether to
give a conditional caution the decision maker will take into account: […] any views expressed by the victim…”,
en ligne: www.gov.uk.
54
84. Il apparaît donc, en définitive, que si les objectifs recherchés par la mise en place de
ces mesures alternatives aux poursuites qui permettent la réparation du dommage par l’auteur de
l’infraction sont louables, il reste toutefois certains points à éclaircir ou à préciser. Alors que les
prérogatives de la police en matière d’alternatives aux poursuites sont dûment acquises en droit
anglais, le développement de telles prérogatives en droit français soulevait des interrogations
quand à la répartition des pouvoirs et l’équilibre entre les droits des victimes et ceux de l’auteur
de l’infraction.
85. Ce débat a été clos en droit français avec la promulgation de la loi de programmation
2018-2022 et de réforme de la justice le 23 mars 2019. La loi continue dans la lancée de la
décision du Conseil d’État abrogeant le décret d’application de la transaction par officier de
police judiciaire et abroge la mesure dans son ensemble164. Cependant, cette loi préserve un rôle
infime aux officiers de police judicaire en matière de mesures alternatives en modifiant l’article
28 du Code de procédure pénale. Désormais, les fonctionnaires et agents de police judiciaire
peuvent, sur instruction du procureur de la République, procéder à la mise en œuvre des mesures
prévues à l’article 41-1 du Code de procédure pénale. L’abrogation de la transaction par officier
de police judiciaire nous fait regretter la créativité et la diversité des mesures alternatives.
Cependant, le recadrage des prérogatives de chacun qu’a entrepris le législateur par la loi du 23
mars 2019 permet de répondre aux critiques. Il serait en effet dangereux si les impératifs de
rapidité et de simplification de la procédure - auxquels permettent de répondre les alternatives
aux poursuites - prennent les devants sur les droits des parties et les prérogatives du procureur de
la République. Ce dernier possède quant à lui une plus grande marge de manœuvre en ce qui
concerne les alternatives à la décision de poursuite.
86. Réparer pour éviter les poursuites. Le procureur joue un rôle central dans la mise
en œuvre de mesures de réparation. Tout comme il peut prendre la décision d’engager des
164
Etienne VERGES, « Réforme de la procédure pénale: une loi fleuve, pour une justice au gré des courants. A
propos de la loi n°2018-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice », Droit
pénal, mai 2019, n° 5, étude 12.
55
poursuites, il peut aussi choisir d’autres mesures pour éviter la mise en mouvement de l’action
publique. Ces mesures qui font partie des prérogatives du procureur sont connues sous le nom de
« mesures alternatives aux poursuites », et de « out of court disposals » en droit anglais. Ces
mesures n’existent pas en droit libanais car les procureurs n’ont pas le droit de transiger avec
l’action publique.
En France, depuis la loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 (article 5), le procureur de la République
veille à la prévention des infractions à la loi pénale « dans le cadre de ses attributions en matière
d’alternative aux poursuites, de mise en mouvement et d’exercice de l’action publique… ». En
droit anglais, la création du Crown prosecution service donne aux procureurs un rôle dans la
gestion de la politique pénale et la responsabilité de la décision d’engager des poursuites 165. Ces
nouvelles attributions permettent de désengorger les tribunaux et d’apporter une réponse plus
adéquate aux infractions de faible gravité.
87. En France et en Angleterre, les mesures alternatives font partie du paysage judiciaire
depuis plusieurs années. Le Liban semble encore loin de les inclure dans le sien, le droit libanais
subordonnant toujours la réparation à l’engagement de poursuites pénales et au choix de la
victime (A). En France et en Angleterre, les mesures alternatives réparatrices opèrent à deux
niveaux : au niveau des conséquences de l’acte et au niveau de ses causes (B).
165
Le Crown prosecution service a été créé par le Prosecution of offences act de 1985. Le Criminal justice act de
2003 élargit ses prérogatives à la décision d’engager des poursuites.
56
A. Une réparation subordonnée
Cette vision est fondée sur un choix de politique pénale qui pourrait être motivé par une sérieuse
étude de terrain et une analyse précise des chiffres de la délinquance pénale au Liban. En
attendant ce changement, le Code de procédure pénale libanais interdit au ministère public de
transiger sur l’action publique 169 mais ouvre cette possibilité aux victimes de l’infraction170. Ces
restrictions rendent la réparation dépendante des poursuites pénales (1), sauf volonté contraire de
la victime (2).
166
Loi n° 328 du 7 août 2001 dont quelques articles ont été modifiés par la loi n° 359 du 16 août 2001.
167
Article 2 de la loi du 2 août 2001, modifiée par la loi du 16 août 2001.
168
Doreid BECHERAOUI, « La place de la victime dans le procès pénal en droit libanais », Revue internationale de
droit comparé, 2007, n° 4, p.891.
169
Article 6 C. pr. pén. libanais.
170
Article 7 C. pr. pén. libanais.
57
1. La réparation subordonnée aux poursuites pénales
89. Les obstacles légaux du ministère public. L’article 6, alinéa 1er, du Code de
procédure pénale libanais dispose que « le ministère public exerce l’action publique. Il ne peut ni
y renoncer ni proposer une transaction »171. C’est parce que le ministère public ne fait qu’exercer
l’action publique qu’il ne peut transiger ou s’en désister. L’action publique ne lui appartient
pas172. Elle appartient à la société. Ce principe implique que le ministère public est obligé de
poursuivre l’action publique s’il existe un fondement juridique. Le classement sans suite n’est
possible qu’en cas d’absence de fondement légal.
90. Les obstacles pratiques du ministère public. Pour comprendre l’origine de cette
limitation, la comparaison avec le droit pénal français permet de relever une différence
essentielle dans les prérogatives du procureur de la République en France. En effet, ce dernier
possède un pouvoir d’appréciation de l’opportunité des poursuites 173 que son homologue libanais
n’a pas. Les articles 40 et 40-1 du Code de procédure pénale français accordent au procureur de
la République français le pouvoir de décider des suites à donner aux infractions : engager des
poursuites, opter pour une procédure alternative aux poursuites ou classer sans suite si les
circonstances particulières de l’infraction le justifient.
171
Traduit de l’arabe par la Maison des publications juridiques sous la supervision de Me Hussam Afif
CHAMSEDDINE.
172
Elias ABOU EID, La procédure pénale, étude comparative des textes, de la jurisprudence et de la doctrine,
Publications juridiques Al Halabi, 2002, t. I (ouvrage en langue arabe).
173
En plus de son pouvoir d’appréciation de la légalité des poursuites. Voir dans ce sens : François MOLINS,
«Ministère public », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, 2014.
58
Sur le plan de la politique pénale des deux pays, le droit pénal libanais préserve l’intérêt général
par la limitation des pouvoirs du procureur, obligé d’engager des poursuites en cas de fondement
légal174. Le droit pénal français voit dans le principe de l’opportunité des poursuites un moyen de
préserver l’intérêt général car il est parfois dans l’intérêt de la société de ne pas poursuivre ou de
procéder à la mise en place de mesures plus douces dans des cas de primo-délinquance par
exemple.
Le ministère public libanais a donc moins de flexibilité dans son action, et c’est la victime qui
reste maître de son action en réparation. Elle peut accepter une transaction ou mettre en
mouvement l’action publique par la constitution de partie civile. La réparation reste donc
subordonnée au choix de la victime.
91. Les options de la victime. La victime d’une infraction pénale a, en droit libanais, le
droit de mettre en mouvement l’action publique si celle-ci n’a pas déjà été déclenchée par le
ministère public. L’article 7 du Code de procédure pénale libanais lui donne le choix de se
désister de sa plainte ou d’accepter une transaction175. Il est précisé que cette transaction n’a pas
d’effet sur l’action publique sauf dans les cas où celle-ci s’éteint par suite d’extinction de l’action
civile176. La transaction intervient ici dans le contexte de l’action publique. Elle est mentionnée
dans le texte relatif à la mise en mouvement de l’action publique par la victime. L’absence
d’effet de la transaction sur l’action publique n’implique pas nécessairement que la transaction
intervienne au cours de l’action publique. On pourrait envisager qu’elle intervienne en amont,
rendant toujours possible le déclenchement de poursuites pénales.
174
L’article 50 du Code de procédure pénale libanais stipule que « le classement de l’enquête peut se faire si le
procureur conclut que le fait ne constitue pas une infraction ou s’il n’existe pas de preuves suffisantes ou si l’action
publique est éteinte ». Il n’a donc pas de pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité des poursuites.
175
L’article 20 du Code de procédure pénale libanais ouvre aussi la possibilité d’engager une transaction avec
l’administration compétente dans les cas d’infractions bancaires, l’administration agissant en qualité de victime.
Dans ce cas particulier, la transaction entraînera l’extinction de l’action publique si elle intervient avant le prononcé
du jugement. A moins que la loi n’en dispose autrement, l’exécution de la peine s’interrompt en cas de transaction
postérieure au jugement.
176
Comme dans le cas des coups et blessures ou de préjudices corporels n’ayant pas entrainé d’arrêt de travail (arts.
554 et 565 C. pén. libanais) ou dans le cas de l’émission de chèques sans provisions (art. 666 C. pén. libanais).
59
92. Une transaction au sens du droit civil. Le Code de procédure pénale libanais ne
développe pas davantage la notion de transaction qui ne se voit pas encadrée comme en droit
français. Il faut revenir au Code des obligations et des contrats177 dont l’article 1035 définit la
transaction comme étant « un contrat par lequel les parties, au moyen de concessions mutuelles,
terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître. » L’article 1037 du
Code des obligations et des contrats précise qu’on ne peut transiger sur une question d’ordre
public mais qu’on peut le faire sur « un intérêt pécuniaire d’une question d’état ou d’un délit ».
Par une transaction sur la réparation, la victime se désiste de son droit de poursuivre son action
civile178. La transaction accorde à la victime un moyen alternatif d’obtenir réparation de son
préjudice en lui permettant d’écourter son action civile. La réparation est dans ce cas une
alternative à l’action civile mais elle n’a pas d’effets sur l’action publique sauf dans les cas
spécifiquement mentionnés par la loi.
177
L’équivalent du Code civil français mais sans les chapitres relatifs au statut personnel qui sont essentiellement
régis au Liban par les communautés religieuses.
178
Art 1042 du Code des obligations et des contrats: « la transaction a pour effet d’éteindre définitivement les droits
et les prétentions relativement auxquels elle est intervenue […] »
60
deux articles sous la catégorie des procédures alternatives aux poursuites faisant partie des
prérogatives du procureur, avec l’engagement des poursuites ou le classement sans suite179.
L’article 41-1 du Code de procédure pénale permet au procureur « s’il lui apparaît qu’une telle
mesure est susceptible d’assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au
trouble résultant de l’infraction ou de contribuer au reclassement de l’auteur des faits » :
d’orienter l’auteur des faits vers une structure sociale, sanitaire ou professionnelle,
de demander à l’auteur des faits de ne pas paraître pour une durée déterminée dans un
lieu déterminé.
L’article 41-2 du Code de procédure pénale est relatif à la composition pénale, mesure spécifique
permettant au procureur de décider de contraventions à l’encontre de l’auteur des faits et de lui
demander de réparer le dommage résultant de l’infraction 180.
Le Crown Prosecution Service anglais a, depuis le Criminal Justice Act de 2003, la possibilité de
prononcer des avertissements sous conditions, même pour des infractions relativement graves 181,
contrairement à la police dont le pouvoir est limité aux infractions mineures182.
179
Jean PRADEL, « Vers un aggiornamento des réponses de la procédure pénale à la criminalité. Apports de la loi
n°2004-204 du 9 mars 2004 dite loi Perben II », La Semaine Juridique, Edition Générale, 5 mai 2004, n° 19,
doc.132.
180
Philippe MILBURN, Christian MOUHANNA et Vanessa PERROCHEAU, « Controverses et compromis dans la
mise en place de la composition pénale », Archives de politique criminelle, 2005/1, 27.
181
“Indictable offences”.
182
Notons ici une mesure alternative spécifique, le “deferred prosecution agreement” (DPA), qui est une mesure
alternative aux poursuites pouvant être proposée uniquement aux entreprises par le “Director of Public Prosecution”
ou le “Director of the Serious Fraud Office” pour traiter d’infractions financières spécifiques telles que la fraude, la
corruption ou la comptabilité frauduleuse. Elle permet, suite à un accord avec la personne morale, d’enclencher les
poursuites pénales et de les suspendre directement dans l’attente de l’exécution des termes de l’accord (amende,
régularisation, etc.). Nous ne la développerons pas étant donné son caractère limité à des infractions spécifiques et
l’absence d’une réelle forme de réparation. Plus de détails en ligne : www.sfo.gov.uk.
61
Ces mesures sont tournées soit vers les conséquences de l’acte (1), par la réparation du
dommage, soit vers les causes de l’acte (2), par la réhabilitation de l’auteur des faits.
94. La réparation des dommages résultant de l’infraction est une mesure tournée vers les
conséquences de l’acte en ce qu’elle vise à rétablir l’équilibre rompu par la commission de
l’infraction. Les mesures réparatrices alternatives envisagent la réparation comme une mesure
concrète, une simple proposition ou un objectif à atteindre.
95. La réparation, une mesure concrète. L’article 41-1 du Code de procédure pénale
est à notre sens très emblématique de la réflexion sur le concept de réparation car il inclut dans sa
rédaction deux orientations : la réparation comme objectif (une mesure susceptible d’assurer la
réparation du dommage) et la réparation comme correctif, action concrète pouvant être
demandée à l’auteur des faits183. Si l’utilisation du terme de réparation à deux reprises semble
faire double emploi, il manifeste la volonté du législateur français d’inclure la réparation au cœur
des mesures alternatives aux poursuites : c’est en même temps la fin et le moyen de la mesure
alternative. La réparation « recherche le désintéressement effectif de la victime, soit par la
restitution de l’objet frauduleusement soustrait, soit par le dédommagement de nature pécuniaire.
En aucun cas cette mesure ne peut servir de fondement à l’accomplissement d’une obligation de
faire, sous forme d’activité non rémunérée. A la marge, la notion de « réparation » peut revêtir
une dimension morale et donc procéder d’une démarche pédagogique comme l’expression
d’excuses à l’égard de la victime 184 ».
96. La réparation, une proposition. L’article 41-2 du Code de procédure pénale est plus
précis que l’article 41-1 du même code, sa rédaction met mieux en évidence la réparation au
183
Cette réflexion sera détaillée plus amplement dans la 2ème partie de cette thèse avec la question de la réparation
comme mesure autonome.
184
J-C MARIN, Circulaire relative à la politique pénale en matière de réponses alternatives aux poursuites et de
recours aux délégués du procureur, Bulletin officiel du ministère de la Justice n°93, 2004.
62
cœur de la mesure de composition pénale. La composition pénale consiste en une forme de
transaction proposée par le procureur de la République à l’auteur d’une infraction, pour un délit
normalement puni d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas 5
ans185. Cette transaction peut être assortie d’une ou de plusieurs contraventions connexes
détaillées en 19 points dans le texte. Ces contraventions consistent en différentes mesures:
amendes, stages, interdictions ou travaux non rémunérés. A ces mesures s’ajoute l’obligation
pour le procureur de « proposer » à l’auteur des faits de réparer les dommages causés par
l’infraction dans un délai de six mois. Il doit informer la victime de cette proposition. Ces
observations soulèvent deux points, l’un négatif et l’autre positif.
Le premier point, négatif, relève du choix des termes : le procureur de la République n’oblige pas
l’auteur des faits à réparer mais « propose ». C’est la proposition qui est obligatoirement incluse
dans la composition lorsque la victime est identifiée et qu’elle n’a pas encore été indemnisée.
Pourquoi ce choix alors que dans l’article 41-1, moins sévère que l’article 41-2, la réparation
constitue une obligation ? La proposition s’expliquerait par la nature de la composition pénale,
transaction entre le procureur et l’auteur des faits. Son contenu est donc proposé à l’auteur des
faits qui peut l’accepter ou le refuser. Cependant, il aurait été plus judicieux de diviser la
composition en une partie négociable et une partie non négociable : si l’auteur des faits accepte
le principe de la composition ainsi que les contraventions choisies par le procureur, il se trouve
dans l’obligation de réparer les dommages résultant de l’infraction. La réparation serait ainsi non
négociable. Cette proposition serait plus en harmonie avec l’esprit des mesures alternatives qui
assurent en même temps une sortie plus douce à l’auteur des faits mais doivent aussi permettre le
désintéressement de la victime résultant de la réparation du dommage.
185
Jean-Paul CERE, « Composition pénale », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Octobre 2014.
63
important de mentionner que la composition pénale, même si elle est acceptée, permet toujours à
la victime « de délivrer citation directe devant le tribunal correctionnel […]. Le tribunal,
composé d'un seul magistrat exerçant les pouvoirs conférés au président, ne statue alors que sur
les seuls intérêts civils, au vu du dossier de la procédure qui est versé au débat. La victime a
également la possibilité, au vu de l'ordonnance de validation, lorsque l'auteur des faits s'est
engagé à lui verser des dommages et intérêts, d'en demander le recouvrement suivant la
procédure d'injonction de payer, conformément aux règles prévues par le Code de procédure
civile »186. La composition pénale permet ainsi le renforcement du droit à la réparation de la
victime.
L’objectif de réparation apparaît plus important à réaliser pour une certaine catégorie
d’infractions et d’infracteurs que celui d’une punition qui interviendrait suite à une procédure
lente et contraignante. En effet, en 2008, le Crown Prosecution Service a délivré 8011
avertissements sous conditions : 707 d’entre eux n’ont pas été exécutés (parmi lesquels 571 ont
été poursuivis en justice, 10 ont vu leurs conditions modifiées et 126 ont été classés sans
186
Art. 41-2 C. pr. pén.
187
Code of practice for adult conditional cautions, Ministry of Justice, 2013: “Reparative conditions may include
apologizing, repairing or otherwise making good any damage caused, provided this is acceptable to the victim.
Specific financial compensation may be paid, for example, to a victim. Where the offending has resulted in damage
to community property, reparation may take the form of: repairing the damage caused; reparative activity within
the community more generally; or a payment to an appropriate local charitable or community fund.”
64
suite)188. La réparation du dommage causé à la victime par l’auteur de l’infraction a donc plus de
90% de chance de réussir, preuve de l’efficacité des mesures alternatives aux poursuites en
Angleterre.
98. Le choix de la simplicité législative. Les textes du Criminal Justice Act relatifs aux
avertissements sous conditions se font remarquer par leur rédaction générale : les mêmes
conditions et les mêmes mesures s’appliquent à toutes les infractions comprises dans le champ
d’application de l’avertissement délivré par le Crown Prosecution Service, qui contrairement au
procureur français n’a pas à se poser la question de la mesure à utiliser pour aboutir au même
résultat189: la réparation et la réhabilitation. Il n’est pas certain que la multiplication des textes
relatifs aux mesures alternatives soit favorable à la cohérence du droit pénal français. Cette
absence d’harmonie entraîne des incompatibilités avec la logique des mesures alternatives,
incompatibilités dont n’est pas épargné non plus le droit anglais.
99. Si la réparation vise à réparer les conséquences de l’action de l’auteur sur la victime,
la réhabilitation est en quelque sorte la « réparation de l’humain », action centrée sur la personne
de l’auteur de l’infraction par la reconstruction du lien qui le lie à la société.
65
déclenchement d’une mission de médiation qui remplit quant à elle deux objectifs : un accord sur
la réparation accordée à la victime et la réhabilitation de l’auteur des faits par la prise de
conscience des conséquences de son acte et sa participation à l’élaboration de l’accord de
médiation. L’article 41-2 du Code de procédure pénale comporte encore plus de mesures
susceptibles d’assurer la réhabilitation de l’auteur des faits 190: stages de formation relatifs à
l’infraction, mesure d’activité de jour ou mesure d’injonction thérapeutique.
La réhabilitation est une notion également présente dans le Criminal Justice Act anglais. L’article
22 de ce texte mentionne en effet que l’avertissement sous conditions doit avoir l’un ou les deux
objets suivants : faciliter la réhabilitation de l’auteur de l’infraction et/ou assurer la réparation par
l’auteur des conséquences de l’infraction191. Les mesures à visées réhabilitatives sont définies
comme permettant de modifier l’attitude de l’auteur de l’infraction, de réduire le risque d’une
récidive et de l’aider à se réintégrer dans la société. Elles consistent en des stages ou des
programmes de prévention relatifs à l’infraction, par exemple lorsque celle-ci concerne l’usage
de stupéfiants ou la conduite en état d’ivresse 192.
101. Des faux doublons. Les mesures des articles 41-1 et 41-2 du Code de procédure
pénale pourraient sembler identiques à premier abord mais le contenu de ces mesures reste à
analyser. Prenons le cas d’une infraction particulière, telle que l’usage et la consommation de
stupéfiants. Alors que l’article 41-1 du Code de procédure pénale oriente l’auteur des faits vers
une structure sanitaire, l’article 41-2 ouvre la possibilité de recourir à une injonction
thérapeutique. La question a été posée de savoir si l’orientation vers une structure sanitaire
pouvait impliquer une mesure d’injonction thérapeutique qui induit une obligation de soins alors
même que l’article 41-2 développe l’alinéa relatif à l’orientation vers une structure sanitaire dans
le sens de l’accomplissement d’un stage ou d’une formation193.
190
Alinéas 4, 6, 7, 13, 15, 16, 17 et 18.
191
The conditions which may be attached to such a caution are those which have either or both of the following
objects: (a) facilitating the rehabilitation of the offender, (b) ensuring that he makes reparation for the offence.
192
Code of practice for adult conditional cautions, Ministry of Justice, 2013, en ligne: www.gov.uk.
193
Aurélie LEGRAS, « L'injonction thérapeutique entre les mains du parquet : quel cadre d'intervention ? », AJ
Pénal, 2013, p.329.
66
Deux circulaires ministérielles du 9 mai 2008194 et du 16 février 2012195 ont prévu que la mesure
d’injonction thérapeutique pouvait être choisie dans le cadre des alternatives aux poursuites,
incluant par cette dénomination les mesures prévues à l’article 41-2 du Code de procédure
pénale. L’intérêt d’avoir deux textes différents pour la décision de recourir à une mesure
d’injonction thérapeutique lorsque ces deux textes sont des alternatives aux poursuites est
discutable. Seules les conséquences différentes de ces deux textes notamment sur le plan de
l’inscription au casier judiciaire et des poursuites de l’action publique peuvent expliquer ce
dédoublement.
102. La réhabilitation des personnes morales. Il est intéressant de faire une petite
digression en mentionnant une mesure réparatrice qui vise les personnes morales mises en causes
dans des affaires de trafic d’influence, de corruption, de blanchiment ou de fraude fiscale. En
effet, l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale permet au procureur de la République, avant
la mise en mouvement de l’action publique, de proposer une convention judiciaire d’intérêt
public à toute personne morale mise en cause pour les délits précédemment cités196. Cette
convention, similaire dans son approche à feu la transaction par officier de police judiciaire 197,
permet au procureur d’imposer plusieurs obligations à la charge de la personne morale : le
versement d’une amende d’intérêt public au Trésor public, le suivi d’un programme de mise en
conformité sous le contrôle de l’Agence française anticorruption et la réparation de son préjudice
à la victime lorsque celle-ci est identifiée. La validation de la convention et l’exécution des
obligations ont pour effet d’éteindre l’action publique.
L’article 41-1-1 du Code de procédure pénale étant abrogé, la convention peut désormais être
comparée à la composition pénale. Contrairement à cette dernière, la convention judiciaire
d’intérêt public n’est pas inscrite au bulletin n°1 du casier judiciaire, elle fait uniquement l’objet
194
Circulaire de la DACG 2008 - 11 G4/ du 9 mai 2008 relative à la lutte contre la toxicomanie et les dépendances,
NOR : JUSD0811637C
195
Circulaire du 16 févr. 2012 relative à l'amélioration du traitement judiciaire de l'usage de produits stupéfiants,
NOR : JUSD1204745C.
196
Astrid MIGNON COLOMBET, « La convention judiciaire d'intérêt public: vers une justice de coopération? », AJ
Pénal, 2017, p.68.
197
Art. 41-1-1 C.pr.pén., abrogé par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, du 23 mars
2019.
67
d’un communiqué de presse du procureur de la République. Cela s’explique par le fait que
l’article mentionne explicitement que la convention n’emporte pas déclaration de culpabilité et
n’a pas la nature ni les effets d’un jugement de condamnation. Cependant, ces arguments sont
aussi valables pour la composition pénale qui est pourtant inscrite au bulletin n°1 du casier
judiciaire. Cette différenciation est critiquable, d’autant plus que les fraudes commises par les
personnes morales visées par la convention s’élèvent à des montants astronomiques, comme
l’atteste la première convention judiciaire d’intérêt public conclue 198.
103. Il semble donc, au regard des développements ci-dessus, que les mesures
alternatives aux poursuites faisant partie des prérogatives du procureur tendent vers un idéal :
celui de permettre la réparation et la réhabilitation en évitant d’engager des poursuites contre
l’auteur de l’infraction et d’espérer rétablir ainsi l’équilibre social rompu. Mais l’application
pratique de ces mesures aboutit parfois à altérer leur esprit et la logique sur laquelle elles sont
bâties.
198
TGI Paris, ord., 14 novembre 2017 : convention conclue entre le parquet national financier et la banque HSBC
Private Bank Suisse SA pour un montant total de 300 millions d’euros. Ophélia CLAUDE, « Réflexions sur la
première convention judiciaire d'intérêt public », AJ Pénal, 2018, p.30. Laurent SAENKO, « Première convention
judiciaire d'intérêt public: HSBC face à l'histoire », RTD Com., 2018, p.230.
68
A. Une sévérité incompatible avec l’esprit des alternatives aux poursuites
105. Envisager des mesures alternatives aux poursuites c’est induire qu’elles seront
nécessairement plus douces que les conséquences des poursuites pénales. Il arrive cependant que
leur contenu (1) et leur impact (2) dépassent le seuil de sévérité que l’on pourrait attendre de ces
mesures.
Ce risque est quant à lui contenu en droit français : l’alinéa 1 de l’article 41-2 du Code de
procédure pénale prévoit que le montant de l’amende payée au Trésor public ne peut excéder
celui de l’amende normalement encourue.
199
“Punishment without prosecution”: Robin WHITE, in The Crown Prosecution Service: Gatekeeper of the
Criminal Justice System, House of Commons, 2008, Ninth Report of sessions 2008-09, en ligne:
www.publications.parliament.uk.
69
préalable de culpabilité (CRPC) 200 à savoir les délits punis d’une peine d’une durée maximale de
cinq ans. On se rend ainsi compte que le législateur français a préservé la spécificité de la
composition pénale : elle permet des mesures alternatives douces, éducatives et surtout
réparatrices contrairement à la CRPC qui peut mener à une peine d’emprisonnement. La question
qui se pose naturellement dans cette situation est celle du critère de choix du procureur :
comment pour une même infraction choisir entre une composition pénale et une comparution sur
reconnaissance préalable de culpabilité ? Comment choisir justement entre une peine
d’emprisonnement et une mesure alternative ?
La comparaison du contenu des textes relatifs à ces deux mesures permet de relever une
différence essentielle, en dehors du fait que la CRPC ne soit pas dans la forme une mesure
alternative : la présence d’une obligation de réparation et d’un souci de réhabilitation dans la
composition pénale. Cet objectif de réparation et de réhabilitation permet au procureur de
décider, en fonction de la personnalité du délinquant, si la composition pénale est la mesure la
plus adaptée au cas de l’espèce ou si la CRPC permet de répondre de manière plus efficace à
l’infraction commise. Lorsque la personnalité du délinquant permet d’envisager la réparation des
dommages causés par l’infraction, la composition pénale devrait être privilégiée.
Nous pouvons regretter que des indications sur les critères de choix du procureur ne soient pas
mentionnées dans les textes relatifs à ces deux mesures, pour tracer la voie et éviter des
disparités dans les décisions des différents procureurs. Cependant, la composition pénale
française reste, dans l’esprit des mesures alternatives une mesure douce, individualisée et
réparatrice. Elle n’est toutefois pas sans conséquence sur l’auteur de l’infraction.
109. Un moyen de pression. Les conséquences des mesures alternatives aux poursuites
sont plus douces que celles des poursuites judiciaires. Pourtant, les conséquences des mesures
alternatives ne sont pas sans importance pour l’auteur de l’infraction, que ce soit en droit français
ou anglais. En effet, « toute la crédibilité de ces mesures se fonde sur la certitude d’une sanction,
200
Jean DANET et Sylvie GRUNVALD, « Brèves remarques tirées d'une première évaluation de la composition
pénale », AJ Pénal, 2004, p.196.
70
en cas d’échec imputable à l’auteur »201. C’est cette certitude de la sanction qui crée
vraisemblablement une pression sur l’auteur de l’infraction et le pousse aux aveux, nécessaires
pour le choix d’une mesure alternative aux poursuites. M. Jean PRADEL a qualifié cette
situation de « promotion de l’aveu »202. La promesse d’un éventuel abandon des poursuites
pénales ou d’un recours à des sanctions excluant toute peine d’emprisonnement aurait un effet
sur les aveux des personnes mises en cause.
Les statistiques relatives aux taux de refus montrent qu’en 2004, moins de 10% des justiciables
ont refusé la proposition de composition pénale émise par un procureur203. Lorsque l’on voit
qu’en 2017, 36,7% des affaires en France ont fait l’objet de mesures alternatives aux
poursuites204, l’opportunité du choix de ces mesures est incontestable quant à leurs effets sur les
aveux des délinquants. La vulnérabilité de ces personnes au moment où elles doivent faire le
choix d’accepter ou non la composition pénale rend nécessaire un respect accru des droits de la
défense par la présence d’un avocat, laquelle n’est pas prévue à l’article 41-1 du Code de
procédure pénale205, mais est simplement proposée à l’article 41-2 du même code ainsi que dans
le Criminal Justice Act qui prévoit que l’infracteur peut demander conseil auprès d’un avocat 206.
201
J-C MARIN, Circulaire relative à la politique pénale en matière de réponses alternatives aux poursuites et de
recours aux délégués du procureur, Bulletin officiel du ministère de la Justice n°93, 2004.
202
Jean-Pierre DINTILHAC, « Rôle et attributions du procureur de la République », Revue de sciences criminelles,
2002, p. 35.
203
Jean DANET et Sylvie GRUNVALD, « Brèves remarques tirées d'une première évaluation de la composition
pénale », AJ Pénal, 2004, p.196. Statistiques issues du rapport général effectué dans le cadre de la Mission de
recherche: Droit et Justice.
204
« Les chiffres clés de la justice », Rapport du ministère de la Justice, 2018. On ne comprend pas pourquoi ce
chiffre n’inclut pas le taux relatif aux compositions pénales, non inclues dans les procédures alternatives aux
poursuites par le rapport et qui est de l’ordre de 4,9% des affaires justiciables.
205
Mais a été reprécisé par le Conseil constitutionnel dans sa décision en date du 23 septembre 2016, n°2016-569.
206
“Before administering a conditional caution the authorized person shall ensure that the offender has the
opportunity to receive free and independent legal advice in relation to the criminal offence” In Criminal Justice Act,
Chapter 44, 2003, en ligne : <www.legislation.gov.uk>.
207
Date de promulgation de la loi n° 2002-1138 d'orientation et de programmation pour la justice, NOR:
JUSX0200117L.
71
depuis 2002, l’auteur de l’infraction subit l’inscription de la composition au bulletin numéro 1 de
son casier judiciaire, mesure prévue à l’article 41-2. Cette inscription de la composition au casier
judiciaire est un élément qui la différencie des autres mesures alternatives aux poursuites car elle
lui donne effectivement une sévérité contraire à l’esprit de ces mesures, sévérité inspirée des
décisions judiciaires. Cela pourrait s’expliquer par le fait que la composition pénale acceptée par
l’auteur des faits doit être validée par le président du tribunal qui décide ou non de rendre une
ordonnance à fin de validation de la composition208. Il y a donc décision de justice entraînant
inscription au casier judiciaire. De plus, cette inscription permettra aux magistrats de connaître le
passé judiciaire d’un individu qui se représenterait devant la justice pour un autre délit et de
prononcer ainsi la sanction la plus adéquate209. Cependant, depuis la loi de programmation et de
réforme pour la justice du 23 mars 2019, l’homologation du tribunal n’est plus requise pour les
propositions de compositions portant sur des délits punis d’une peine d’emprisonnement
inférieure ou égale à trois mois et dont l’amende de composition n’excède pas le montant prévu à
l’article 131-3 du Code pénal. L’inscription au casier judiciaire est dans ce cas moins justifiée.
Les effets de cette mesure doivent cependant être mesurés pour deux raisons : d’abord parce que
l’inscription d’une composition pénale au casier judiciaire n’est faite que pour une durée de trois
ans210 à l’expiration desquels la composition n’apparaît plus sauf si une autre composition a été
prononcée entre temps, et ensuite parce que la consultation du bulletin numéro 1 n’est accessible
qu’aux autorités judiciaires et aux établissements pénitentiaires dans le cadre de l’instruction de
certaines mesures d’exécution de la peine211.
208
Obligation de validation nuancée par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice,
promulguée le 23 mars 2019. L’article 59 de la loi supprime l’obligation de validation par le juge des compositions
comprenant une mesure d’amende ou de restitution inférieure ou égale à 3000 euros pour les délits punis jusqu'à 3
ans.
209
Jocelyne LEBLOIS-HAPPE, « De la transaction pénale à la composition pénale », La Semaine Juridique, Edition
Générale, 19 janvier 2000, n° 3, I 198.
210
Art. 769 C. pr. pén.
211
Art. 774 et suivant C. pr. pén.
72
elle est assortie de mesures qui lui donnent le caractère d’une sanction212. Mais ces mesures sont
essentiellement de nature réhabilitative et non sanctionnatrice. Une réponse tranchée conduirait à
qualifier la réparation soit de composante d’une mesure alternative soit de composante d’une
mesure de peine. A défaut de pouvoir trancher la question, nous penchons vers une nature
hybride de la composition pénale : « mesure alternative à penchant punitif »213.
En droit anglais, les effets de l’avertissement sous condition sont encore plus prononcés car ce
dernier est inscrit au casier judiciaire de l’infracteur et peut même dans certains cas être dévoilé à
l’employeur ou au futur employeur ce qui aboutit à une stigmatisation encore plus forte de
l’auteur de l’infraction. Cette sévérité des mesures alternatives nous amène à aborder les
conséquences de ces mesures, parfois incompatibles avec la logique des alternatives aux
poursuites.
112. Les mesures alternatives aux poursuites dans leurs formes diverses accordent des
prérogatives au procureur qui ne sont pas sans conséquence sur son rôle (1) et sur l’avenir des
poursuites pénales (2).
113. Une autonomie contestée. Le procureur, acteur principal des mesures alternatives
aux poursuites, a vu son rôle évoluer avec l’élargissement du domaine des alternatives aux
poursuites et leur utilisation de plus en plus fréquente. En Angleterre, les alternatives aux
poursuites ou out of court disposals ont donné une indépendance au Crown Prosecution Service
212
Voir dans le sens d’une qualification de la composition d’ « alternative punitive »: Jacques BUISSON, « La
sanction pénale », in La sanction, Université Jean Moulin Lyon 3, 27 novembre 2003, L'Harmattan, p.183.
213
Il faut noter que cette question de la nature de la composition pénale est visible dans le rapport du ministère de la
Justice, « Les chiffres-clés de la justice, 2018 ». Les statistiques relatives à la composition pénale ne sont pas inclues
dans celles relatives aux alternatives aux poursuites mais font l’objet d’une catégorie à part. Suite à un courrier
envoyé à la Sous-direction de la Statistique et des Études, la réponse reçue a confirmé la nature d’alternative aux
poursuites de la composition pénale mais l’a qualifié de « procédure un peu particulière pouvant s’adjoindre une
sanction et s’apparenter en cela à une condamnation », ce qui rend intéressant de montrer ses chiffres à part.
73
qui est autonome en matière d’alternatives aux poursuites. Le législateur français a essayé de
préserver la séparation des pouvoirs d’enquête et de jugement en limitant l’autonomie du
procureur en la matière.
L’autonomie du Crown Prosecution service anglais tient dans le fait que sa décision d’opter pour
une mesure alternative n’a besoin d’aucune validation par un juge 214. Cette prérogative du Crown
Prosecution Service, si elle désencombre les tribunaux et permet plus de rapidité et de flexibilité,
donne au Service une fonction de jugement en lui permettant d’écarter certaines infractions des
procédures habituelles215. Ce pragmatisme anglais qui écarte le principe de séparation des
pouvoirs conduit à la constitution d’une justice silencieuse et cachée, contraire au caractère
public de la justice. La procédure des avertissements sous conditions se fait à huis-clos
contrairement à un procès, ce qui peut ne pas convenir aux victimes. De plus, une trop grande
utilisation des out of court disposals écarte un grand nombre de cas du système judiciaire
classique. Il faudrait alors des garde-fous pour éviter que des cas qui auraient dû être jugés par un
magistrat, soient pour des raisons matérielles traités par le Crown Prosecution Service. Ces
inquiétudes ont conduit à la publication de lignes directrices afin de guider le Crown Prosecution
Service dans ses choix216 mais certains praticiens soulèvent déjà quelques interrogations217.
Le législateur français a emprunté la même voie que son voisin anglais lorsqu’il a voulu faire
valider par le Conseil constitutionnel la mesure d’injonction pénale. Néanmoins, cette mesure
élaborée par le législateur en 1994 a été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision
du 2 février 1995218. Le Conseil a fondé sa décision sur le principe de la présomption
d’innocence, consacré à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et sur
le principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement, séparation qui garantit le
respect des libertés individuelles. De plus, il a jugé que certaines mesures comprises dans
l’injonction pénale avaient la nature de sanctions pénales et ne pouvaient donc être prononcées
214
Article 1.6: Code of practice for adult conditional cautions, Ministry of Justice, 2013.
215
“New powers of the CPS to recommend conditional cautions – whereby prosecution is suspended pending
successful completion of particular conditions within a specific timeframe – were described as giving the CPS the
function of a sentence, fundamentally blurring the boundaries between the role of the courts and the role of the
prosecutor.” In The Crown Prosecution Service: Gatekeeper of the Criminal Justice System, House of Commons,
2008, Ninth Report of sessions 2008-09, en ligne: www.publications.parliament.uk.
216
Code of practice for adult conditional cautions, Ministry of Justice, 2013.
217
The Crown Prosecution Service: Gatekeeper of the Criminal Justice System, House of Commons, 2008, Ninth
Report of sessions 2008-09, en ligne: www.publications.parliament.uk.
218
Décision Cons. Const. N° 95-360 DC.
74
que par un tribunal. La nécessité de mettre en place des mesures alternatives aux poursuites a
conduit le législateur à prendre en compte la position du Conseil constitutionnel lors de
l’élaboration de la loi sur la composition pénale 219.
114. Une autonomie limitée. Afin d’éviter une deuxième censure constitutionnelle, le
législateur a édicté la nécessité d’une homologation par le juge du choix du procureur de recourir
à une composition pénale. Cette homologation respecte en effet le principe de séparation des
autorités de poursuite et de jugement et garantit l’équilibre des droits des parties mais elle
alourdit une procédure qui doit être plus rapide et plus flexible. En effet, l’homologation est
quasiment une procédure administrative car l’audition des parties par le magistrat est
facultative220. La séparation des autorités est en apparence respectée mais la composition les relie
à plusieurs niveaux :
d’abord, la décision initiale de recourir à une composition pénale revient au procureur qui
voit ses prérogatives étendues, et une fois le dossier chez le juge, ce dernier ne peut ni
revenir en arrière s’il juge que des poursuites auraient été plus adéquates, ni proposer de
modifier le contenu de la composition.
enfin, selon une évaluation effectuée auprès des tribunaux, il apparaît que des
concertations informelles entre le parquet et le siège sont effectuées concernant le choix
d’une mesure de composition pénale et la délimitation de son cadre, afin d’anticiper et de
garantir la validation d’une composition pénale proposée par le parquet 221. Les magistrats
219
Jean PRADEL, « Une consécration du "plea bargaining" à la française: la composition pénale instituée par la loi
n° 99-515 du 23 juin 1999 », Recueil Dalloz, 1999, p.379. Pierrette PONCELA, « Quand le procureur compose avec
la peine », RSC , 2002, p.638. Jocelyne LEBLOIS-HAPPE, « De la transaction pénale à la composition pénale », La
Semaine Juridique, Edition Générale, 19 janvier 2000, n° 3, I 198.
220
Circulaire de la direction des affaires criminelles et des grâces, « Présentation des dispositions concernant la
composition pénale issues de la loi du 23 juin 1999 renforçant l’efficacité de la procédure pénale et du décret du 29
janvier 2001 », en ligne: www.justice.gouv.fr. Voir aussi l’article de Philip MILBURN, Mouhanna CHRISTIAN et
Vanessa PERROCHEAU, « Controverses et compromis dans la mise en place de la composition pénale », Archives
de politique criminelle, 2005/1, n° 27, p.151 et s., dans lequel les auteurs décrivent des magistrats qui se chargent de
l’homologation des compositions « durant les heures creuses ».
221
Sylvie GRUNVALD et Jean DANET, La composition pénale, une première évaluation, L'Harmattan, 2005,
p.115 et s.
75
du siège ont donc la possibilité, par cette consultation préalable, de peser sur le choix de
la composition pénale.
D’autre part, la loi limite les prérogatives du magistrat en matière de composition pénale pour
certains délits. En effet, l’article 59, (3e) de la loi dispose que la proposition de la composition
n’est pas soumise à la validation du président du tribunal pour un délit puni d’une peine
d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à trois ans et pour une amende de
composition n’excédant pas 3000 euros ou une remise d’une chose n’excédant pas le même
montant. La composition pénale subit ainsi une « petite révolution » car elle permet désormais
d’apporter une réponse pénale sans la validation d’un juge pour les délits les moins graves et
d’éteindre quand même l’action publique 223. Une deuxième révolution s’est ainsi opérée dans la
décision du Conseil constitutionnel qui n’a pas, cette fois, jugé contraire à la constitution les
modifications apportées à la composition pénale par la loi du 23 mars 2019. Le Conseil a ainsi
assoupli la position qu’il avait adoptée lors de sa décision sur l’injonction pénale en validant
l’absence d’homologation d’une composition pénale pour infraction mineure parce que le champ
d’application est restreint 224.
222
« Le magistrat refuse de valider la composition pénale s’il estime que la gravité des faits, au regard des
circonstances de l’espèce, ou que la personnalité de l’intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société
justifient le recours à une autre procédure, ou lorsque les déclarations de la victime […] apportent un éclairage
nouveau sur les conditions dans lesquelles l’infraction a été commise ou sur la personnalité de son auteur ».
223
Etienne VERGES, « Réforme de la procédure pénale: une loi fleuve, pour une justice au gré des courants. A
propos de la loi n°2018-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice », Droit
pénal, mai 2019, n° 5, étude 12.
224
Cons. const., 21 mars 2019, n°2019-778 DC : JurisData n°2019-004275. William ROUMIER, « Présentation des
dispositions pénales de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la
justice », Droit pénal, mai 2019, n° 5, alerte 26.
76
2. Des conséquences sur les poursuites pénales
115. Des conséquences incertaines. Une alternative est par définition l’obligation de
choisir entre deux possibilités. Le terme ainsi employé conduit naturellement à penser que le
procureur devra choisir entre ces mesures et l’engagement de poursuites judiciaires. C’est le cas
en Angleterre où le Crown Prosecution Service s’oblige à ne pas engager de poursuites lorsque
la proposition d’avertissement sous condition est acceptée par l’auteur de l’infraction. Mais cette
évidence n’est pas aussi tranchée dans le Code de procédure pénale français. En effet, alors que
la composition pénale de l’article 41-2 du Code de procédure pénale semble être une alternative
incomplète en raison de la sévérité de ses mesures, les dispositions prévues à l’article 41-1 du
même code sembleraient aussi ne pas remplir les critères qu’on pourrait attendre d’une mesure
alternative aux poursuites.
116. Des poursuites pénales toujours possibles pour le procureur. En effet, la mesure
de l’article 41-1 du Code de procédure pénale, parfois qualifiée de « classement sous condition
de réparation »225, n’aboutit pas systématiquement au classement même en cas d’exécution de la
réparation. C’est la conclusion délivrée par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans sa
décision en date du 21 juin 2011 226. Dans sa décision, la Cour explique qu’il résulte de l’article
41-1 « que le procureur de la République peut, préalablement à sa décision sur l’action publique,
prescrire l’une des obligations prévues par ledit article, sans que l’exécution de cette obligation
éteigne l’action publique ». Cette décision a soulevé de nombreux débats 227. D’un côté, lorsque
le dernier alinéa de l’article 41-1 dispose qu’« en cas de non-exécution de la mesure en raison du
comportement de l'auteur des faits, le procureur de la République, sauf élément nouveau, met en
œuvre une composition pénale ou engage des poursuites », on peut déduire a contrario qu’en cas
d’exécution de la mesure, le procureur n’engage pas de poursuites. D’un autre côté, si on se base
225
Patricia HENNION-JACQUET, « L'indemnisation du dommage causé par une infraction : une forme atypique de
réparation ? Dommages et intérêts, classement sous condition de réparation, sanction-réparation », RSC, 2013,
p.517.
226
François DESPREZ, « L'illustration d'une insuffisance législative à propos des alternatives aux poursuites »,
Recueil Dalloz, 2011, p.2379. Franck LUDWICZAK, « Procédures alternatives aux poursuites et action publique:
entre apparence de conformité et quête de cohérence », La semaine juridique, Edition générale, 26 décembre 2011,
n° 52, 1453.
227
Olivier SAUTEL, « Les alternatives aux poursuites, un exemple de "dérive" », in Politiques criminelles,
Mélanges en l'honneur de Christine Lazerges, Dalloz, 2014, p.797.
77
sur le premier alinéa de l’article 41-1, rien n’indique que l’objectif de la mesure proposée par le
procureur est de ne pas engager de poursuites. La mesure a textuellement pour objectifs
« d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de
l'infraction ou de contribuer au reclassement de l'auteur des faits ». Seulement la question qu’on
pourrait se poser à la lecture de ces objectifs est celle de savoir ce qui pourrait motiver le
procureur à engager des poursuites lorsque la réparation du dommage a été faite, le trouble a
cessé et l’auteur a été pris en charge. Seule une erreur de jugement de la part du procureur lors du
choix de la mesure alternative le pousserait à décider d’engager des poursuites après avoir voulu
opter pour une alternative.
La volonté de donner une place à la réparation n’entraîne pas encore de conséquences sur
l’action publique qui poursuit son objectif de jugement sanctionnateur. Cette décision de la Cour
de cassation, fondée juridiquement, entraîne une grave incompatibilité entre le texte de l’article
41-1 du Code de procédure pénale et la logique des mesures alternatives aux poursuites : la place
accordée à la réparation se voit diminuée et l’objectif de célérité et de désengorgement des
tribunaux est écarté. Cette incompatibilité nécessite une intervention urgente du législateur soit
en mentionnant, comme pour la composition pénale, l’extinction de l’action publique 228, soit en
écartant l’article 41-1 de la section des mesures alternatives aux poursuites. La Cour de cassation
pourrait aussi opérer un revirement de jurisprudence et modifier son interprétation de l’article
41-1. Une solution médiane a été proposée en faveur d’une possibilité de recours à la seule
composition pénale en cas d’échec de la mesure choisie dans le cadre de l’article 41-1229.
Cette décision de justice a été suivie par une autre décision de la chambre criminelle de la Cour
de cassation en date du 17 janvier 2012230 qui élargit le premier raisonnement en permettant au
plaignant de mettre en mouvement l’action publique même après l’exécution d’une mesure
prévue à l’article 41-1 du Code de procédure pénale. Ce raisonnement est en adéquation avec le
principe d’égalité entre la partie publique et la partie civile 231 mais contrevient à la logique des
mesures réparatrices : si la mesure choisie par le procureur a permis la réparation du dommage
causé à la victime, cette dernière n’aurait plus d’intérêt à poursuivre son action mis à part dans
228
Et à ce moment-là ajouter la mesure parmi les causes d’extinction de l’action publique prévues à l’article 6 C. pr.
pén.
229
Franck LUDWICZAK, « Procédures alternatives aux poursuites et action publique: entre apparence de
conformité et quête de cohérence », La semaine juridique, Edition générale, 26 décembre 2011, n° 52, 1453.
230
Jean PRADEL, « Procédure pénale », Recueil Dalloz, 2012, p.2118.
231
Article 1 C. pr. pén.
78
un esprit de vengeance. La réparation morale passerait peut-être pour certaines victimes par le
prononcé d’une peine à l’encontre de l’auteur des faits, les mesures plus douces n’étant pas
suffisantes.
117. Des moyens de poursuivre toujours possibles pour la victime. Sur un autre plan,
il convient de mentionner que la composition pénale n’empêche pas la victime de demander au
procureur de citer l’auteur des faits à une audience devant le tribunal pour lui permettre de se
constituer partie civile ; le tribunal ne statue alors que sur les intérêts civils. L’article 41-2 du
Code de procédure pénale donne l’exemple de la « remise en état du bien endommagé » avec
l’accord de la victime. Même si en pratique, la réparation du dommage a été réalisée, la
composition pénale ne vient régler que le litige de nature pénale. Ainsi, seule l’action publique
est éteinte232. Il n’y a pas d’autorité de la chose « transigée » car il n’y a pas d’identité de parties
entre les actions civiles et pénales (la composition intervenant entre l’auteur de l’infraction et les
autorités de poursuite)233.
Sur ce plan, la chambre correctionnelle de la Cour d’Appel de Montpellier a, dans son arrêt du
17 mars 2010234, infirmé le jugement qui a déclaré la citation directe des parties irrecevable suite
à l’exécution d’une composition pénale, exécution qui éteint l’action publique mais ne fait pas
échec au droit de la partie civile de délivrer citation directe devant le tribunal correctionnel pour
les seuls intérêts civils235. En l’espèce, deux personnes, coupables d’outrage à une personne
dépositaire de l’autorité publique, avaient accepté une composition pénale qui les a contraint à
payer respectivement une amende de 300 euros et 1000 euros, ce qu’elles ont fait. L’action
publique a donc été éteinte par l’exécution de la composition. Selon les faits, l’infraction
commise est un outrage, le dommage causé est donc moral. Or rien dans la composition de
232
Sur la délimitation de l’effet extinctif des alternatives aux poursuites : Jean-Baptiste PERRIER, La transaction en
matière pénale, [Th. doct. : Droit privé et sciences criminelles : Aix Marseille : 2012], p.336 et suivant.
233
J-B. PERRIER soutient dans sa thèse qu’il n’y pas non plus d’identité d’objet et de cause car l’action publique a
pour objectif d’assurer la répression du comportement infractionnel, l’action civile la réparation des conséquences
de l’infraction. Or cette déduction accorderait à la composition pénale un aspect répressif et au procureur un pouvoir
de sanction. Or la composition pénale n’est pas une peine. Si on prend en compte son objectif préventif, réhabilitatif
et réparateur, et si on compare les objets de la composition pénale et de l’action civile, nous pouvons ne pas adhérer
à l’opinion soulevée dans la thèse de M. PERRIER.
234
CA Montpellier, décision 09/01748.
235
La procédure de citation directe dans le cadre d’une composition pénale a été remplacée par la loi du 23 mars
2019 de programmation et de réforme pour la justice par une citation du procureur de la République sur demande de
la victime.
79
l’espèce, qui détermine uniquement le paiement d’une amende, ne fait état de l’obligation de
réparer le dommage causé par l’infraction, obligation pourtant spécifiée à l’article 41-2 du Code
de procédure pénale. On comprend alors le besoin de la victime de procéder à une citation
directe pour obtenir réparation de son préjudice personnel.
La possibilité de citer l’auteur des faits à une audience permet ainsi de prévenir ces situations. Si
la composition avait pris en compte la réparation du préjudice commis, les victimes n’auraient
plus eu d’intérêt à poursuivre une action civile et la notion de « mesure alternative aux
poursuites » aurait produit tous ses effets.
118. La prévention des poursuites par l’adhésion à la réparation. Sur un autre plan, il
faut relever que l’article 41-2 ne mentionne nullement l’adhésion de la victime à la mesure de
composition pénale, sauf dans le cas de la remise en état du bien endommagé déjà mentionné,
cette-dernière étant juste « informée » de la proposition de réparation. La notion d’adhésion de la
victime à la composition pénale a fait l’objet d’un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de
cassation en date du 24 juin 2008 236. La cour a confirmé l’arrêt rendu par la Cour d’appel qui
« pour déclarer recevable la demande de la partie civile, retient qu’à supposer qu’elle ait perçu la
somme versée par l’auteur des faits en exécution d’une composition pénale, aucune transaction,
au sens de l’article 2044 et suivants du Code civil, n’a été conclue ». Dans le cas de l’espèce, le
procureur avait prévu dans la proposition de composition une somme pour les dommages et
intérêts devant être versés à la victime, en plus du paiement d’une amende, et cette condition a
été exécutée par l’auteur de l’infraction. Cependant, cette condition n’ayant pas emporté
l’adhésion de la victime, celle-ci n’a pas perdu son droit de délivrer citation directe devant un
tribunal correctionnel pour ses seuls intérêts civils, ce qui est de toute logique dans l’état actuel
des textes.
Ce qui reste critiquable c’est que la réparation ne soit pas encore envisagée comme un acte qui
implique les deux acteurs concernés : l’auteur qui l’exécute et la victime qui l’accepte. La
réparation est pourtant un objectif poursuivi, une condition posée mais elle ne déploie pas encore
tous ses effets, ni au stade de la décision d’engager ou non des poursuites ni au stade de la
décision d’allocation de dommages-intérêts.
236
Cass., crim., 24 juin 2008, décision n° 07-87.511 publiée au bulletin criminel 2008, n°162.
80
Conclusion du chapitre 1
119. La réparation est bien au cœur des alternatives aux poursuites : elle est parfois
énoncée comme un objectif, parfois comme la condition d’une mesure et parfois comme une
mesure spécifique. Elle prend diverses formes et appellations mais recouvre une même réalité.
Les mesures réparatrices, alternatives à la justice pénale, ont néanmoins bien des conséquences
sur cette dernière. Elles renforcent l’œuvre de justice en permettant de donner une réponse
pénale plus effective et plus individualisée selon le type d’infraction et selon la personnalité de
l’auteur. Les mesures réparatrices introduisent toutefois une nouvelle donne, celle d’une justice
pénale exercée, parfois en dehors du tribunal, par une multiplicité d’acteurs.
120. La réparation alternative aux poursuites a, certes, bien des avantages mentionnés
dans ce chapitre, mais son caractère transactionnel, conventionnel, qui se déploie en dehors de
tout procès pénal, peut être critiqué. En effet, la réparation alternative évince « le jugement moral
essentiel à tout jugement de responsabilité » et empêche le coupable de rendre des comptes non
seulement à la victime mais aussi à la société237. La réparation alternative aux poursuites est donc
exceptionnelle au regard des principes du droit pénal. La réparation n’y déploie pas encore tous
ses effets pour ne pas perturber l’équilibre traditionnel selon lequel le juge pénal punit et le juge
civil répare. Mais il est des situations où le juge pénal, pour ne pas punir, a recours à la
réparation comme alternative à la peine.
237
Louis CADIET, « Sur les faits et les méfaits de l'idéologie de la réparation », in Le juge entre deux millénaires,
Mélanges offerts à Pierre Drai, Dalloz, 2000, p.495 et s.
81
Chapitre 2 : La réparation, alternative à la peine
121. Alternative aux poursuites pénales, la réparation joue aussi le rôle d’alternative à la
sanction pénale. Elle permet dans certains cas spécifiquement mentionnés par la loi d’éviter soit
le prononcé de la peine, soit l’exécution de la peine. Cet évitement de la peine accorde une place
primordiale à la réparation et nous mène à réfléchir aux objectifs du droit pénal. L’action
publique a pour objectif « l’application des peines »238 et le choix de suppléer la réparation à
l’application, voire au prononcé de la peine nous pousse à nous interroger sur le rôle que joue la
réparation dans ce cadre.
Les peines qui seront envisagées dans ce chapitre sont relatives aux infractions correctionnelles
et contraventionnelles239 en droit français et libanais et aux infractions mineures en droit anglais.
Dès l’origine, les alternatives à la peine, qualifiées de probation en Common Law240, sont
profondément liées à la peine d’emprisonnement. Celle-ci demeure la peine de référence malgré
ses effets pervers. Les alternatives à la peine ont été mises en place afin de permettre de réduire
les coûts engendrés par l’administration des prisons et d’éviter les conséquences néfastes de la
prison sur l’avenir des auteurs d’infractions considérées comme étant mineures. Ces alternatives
font partie des mesures permettant une plus grande individualisation des peines 241.
122. Les mesures alternatives à la peine prennent diverses formes. En droit français il est
question de dispense ou d’ajournement de peine, de sursis probatoire (nouvelle mesure née de la
fusion de la contrainte pénale et du sursis avec mise à l’épreuve 242) et de libération
conditionnelle. Le droit libanais connaît quant à lui le sursis et la suspension de peine. La notion
de probation, parfois retrouvée en droit français, apparaît spécifique à la Common Law dans
238
Art. 1er C. pr. pén. français, Art 132-33 C. pén. libanais.
239
A l’exception des infractions contraventionnelles dont les sanctions ne peuvent faire l’objet d’un ajournement
avec mise à l’épreuve.
240
“Although the early origins of probation were variously and unevenly shaped by a variety of mechanisms,
people, ideologies, economies and politics in diverse orderings across various jurisdictions worldwide, probation’s
one common penal cornerstone was, and continues to be, the prison” in Maurice VANSTONE, « The international
origins and initial development of probation », British journal of criminology, 2008, p.735.
241
Danièle CARON, « Dispense de peine et ajournement », Jurisclasseur Pénal Code, mis à jour le 14 janvier 2015,
Fasc.20.
242
Depuis la loi de programmation et de réforme pour la justice du 23 mars 2019.
82
laquelle elle prend forme sous différentes mesures. M. ANCEL la définit comme étant « une
mesure restrictive de liberté comportant une suspension de peine de la mesure pénale
primitivement encourue (qu’il s’agisse d’une suspension de l’exécution ou d’une suspension de
la condamnation), une surveillance et plus spécialement une assistance éducative organisée, et
enfin une individualisation très poussée qui se manifeste à la fois dans le choix du Probationer et
du Probation Officer et dans une participation active et reconnue indispensable du délinquant à
son propre relèvement, suivant des modalités prévues par le juge dans chaque cas individuel et
toujours modifiables »243.
123. L’ensemble de ces mesures alternatives à la peine sont fondées sur la réparation et
peuvent être regroupées en deux catégories : celles qui permettent d’éviter le prononcé de la
peine (section 1) et celles qui, à la suite du prononcé de la peine, permettent d’éviter son
exécution (section 2).
243
Roland BERGER, Le système de probation anglais et le sursis continental, étude dogmatique, critique et de droit
comparé, Imprimerie Atar, 1953, [Th. doct. : Droit : Université de Genève]. Marc ANCEL, « Quelles mesures
seraient indiquées en lieu et place de la peine, pour tenir compte des nécessités d’une défense sociale humaine ? »,
Actes du XIIe Congrès pénal et pénitentiaire, 1951, vol. I, p.547.
244
Pierre COUVRAT, « L'ajournement du prononcé de la peine », Revue de sciences criminelles, 1985, p. 622.
245
Marc ANCEL, « La césure du procès pénal », in Mélanges en l'honneur de Louis Hugueney, Sirey, 1964, p. 205.
83
Le non prononcé d’une peine ne peut être envisagé en l’absence d’une réparation réalisée ou
réalisable. Lorsque le préjudice causé par l’infraction disparaît, l’intérêt de l’État cesserait
également, ce qui permet de confondre « une logique réparatrice avec la logique punitive »246.
Cette logique fait de la réparation un élément essentiel des alternatives au prononcé de la peine.
C’est d’une part une condition préalable à une dispense de peine (I) et d’autre part une obligation
de l’ajournement du prononcé de la peine en vue d’une éventuelle dispense de peine (II).
L’équivalent en Common Law de la dispense de peine est l’ « absolute discharge »248, mesure
qui permet à la Cour de dispenser de peine l’auteur d’une infraction lorsqu’il apparaît, au regard
de la nature de l’infraction et du caractère de l’infracteur, qu’il est inopportun de prononcer une
peine249. Contrairement à la dispense de peine, la mesure anglaise ne fait pas figurer la réparation
comme une condition mais la prévoit comme une faculté pour le juge250.
Ces deux mesures accordent cependant une place particulière à la réparation, place qui se situe
entre la déclaration de culpabilité et le prononcé de la peine (A). Cette position dans le
246
Guillaume ROYER, « La victime et la peine », Dalloz, 2007, p. 1745.
247
Article 132-59 C. pén.
248
Trdl : décharge absolue, inconditionnelle, par opposition à la « conditional discharge » qui comprend la décharge
sous condition de ne pas commettre d’autres infractions pendant une durée déterminée.
249
Powers of Criminal Courts Sentencing Act (2000), Part II (12).
250
“Nothing in this section shall be construed as preventing a court, on discharging an offender absolutely or
conditionally in respect of any offence, from making an order for costs against the offender or imposing any
disqualification on him or from making in respect of the offence an order under section 130, 143 or 148 below
(compensation orders, deprivation orders and restitution orders).” in Powers of Criminal Courts Sentencing Act
(2000), Part II (12).
84
mécanisme de la dispense de peine conditionne les effets de la réparation sur la décision du juge
et sur l’action civile (B).
126. La césure du procès pénal qu’opère la dispense de peine place la réparation « à mi-
chemin » entre la culpabilité de l’auteur et la peine. Elle est d’un côté une réponse apportée par
l’auteur de l’infraction à sa reconnaissance de culpabilité, et de l’autre un élément clé qui va
permettre au juge d’opter pour une dispense de peine251. La réparation fait donc suite à la
commission de l’infraction (1) et constitue un préalable à la dispense de peine (2).
La réparation des conséquences de l’infraction permet dans certains cas d’éviter les décisions de
relaxe au profit des déclarations de culpabilité car la simple survenance de la réparation pourrait
être interprétée comme une reconnaissance de culpabilité. La réparation forme ainsi l’expression
d’un « repentir actif »252 du coupable qui pourrait aboutir à l’obtention d’une dispense de peine.
Celle-ci est ainsi perçue par certains auteurs comme une forme de « pardon judiciaire »253. Ce
repentir exprimé par la réparation volontaire du dommage afin d’obtenir le pardon de la faute
251
Veronique TARDY, « L'indemnisation de la victime, condition d'octroi d'une mesure de faveur », Petites
affiches, 26 janvier 1998, 11, p.8.
252
Marie-Clet DESDEVISES, « L'opportunité d'une sanction pénale: ajournement - dispense de peine - relèvement
[Leur application par les Cours d'appel de Rennes et d'Angers] », Revue Judiciaire de l'Ouest, 1982-1, p.13.
253
Michel VAN DER KERCHOVE, Quand dire c'est punir, Essai sur le jugement pénal, Publications des Facultés
universitaires Saint Louis, Bruxelles, 2005. Danièle CARON, « Dispense de peine et ajournement », Jurisclasseur
Pénal Code, 14 janvier 2015, Fasc.20.
85
nous rappelle la présence de la réparation dans les textes religieux relatifs au pardon254. Le trait
marquant de la réparation dans la dispense de peine est son caractère volontaire qui ne dépend
pas d’une décision judiciaire. C’est un acte autonome et personnel qui permet d’opter pour une
alternative à la sanction et non une demande formulée par le juge qui oblige l’auteur à réparer les
conséquences de son acte. La réparation exprime ici une reconnaissance de sa faute par le
délinquant qui manifeste son regret par la réparation et efface les conséquences de son acte. Cette
attitude permet d’expliquer l’acceptation de la dispense de peine par la société comme réponse à
l’acte. La dispense de peine ne heurte donc pas la morale car elle a été méritée 255.
En ce qui concerne l’absolute discharge, la réparation n’est qu’une obligation que le juge peut
imposer lorsqu’il opte pour une dispense de peine 256 car sa décision est fondée sur la nature de
l’infraction et la personnalité de l’infracteur. Elle n’intervient donc pas nécessairement avant la
décision du juge. La question de la protection des intérêts de la société, et particulièrement de la
victime, se pose dans cette situation sauf si la prise en compte de la personnalité de l’auteur de
l’infraction suppose son intention réparatrice mais rien dans les textes n’y fait allusion. Par
ailleurs, la déclaration de culpabilité est perçue comme assez stigmatisante socialement pour
qu’une peine supplémentaire soit nécessaire257.
254
Voir supra n° 9. G. LEVASSEUR a même qualifié la dispense de peine d’ « absolution judiciaire » (in
L’absolution en droit pénal, Liber Amicorum Bekaert, Gand, 1977).
255
Danièle CARON, « Dispense de peine et ajournement », Jurisclasseur Pénal Code, 14 janvier 2015, Fasc.20.
David SMITH et Maurice VANSTONE, « Probation and social justice », British journal of social work, 2002, n° 32,
p.818: “the individual had to qualify for the benefits of social justice by demonstrating their deservingness”.
256
La réparation se fera à travers un “compensation order”.
257
Michel VAN DER KERCHOVE, Quand dire c'est punir, Essai sur le jugement pénal, Publications des Facultés
universitaires Saint Louis, Bruxelles, 2005.
86
le fichier national automatisé des empreintes génétiques depuis 2010 en France258. Cependant, la
dispense de peine n’est pas une décision de condamnation, elle fait suite à une déclaration de
culpabilité. L’infraction qui en est l’objet n’est donc pas comptabilisée pour l’établissement
d’une situation de récidive 259.
Deux cas de figure peuvent ainsi être envisagés : d’une part, lorsque la réparation a été
entièrement accomplie et que la question de l’action civile est uniquement envisagée de manière
formelle afin d’affirmer l’exécution de la réparation ; d’autre part, lorsqu’il existe plusieurs
parties civiles, par exemple l’une personne physique et l’autre personne morale, la demande en
réparation de la dernière devant être tranchée.
Un troisième cas de figure peut être envisagé au regard du pouvoir discrétionnaire du juge
d’opter pour la dispense de peine, pouvoir qui ne l’oblige pas à motiver sa décision. Dans
certains cas, la dispense de peine est prononcée par le tribunal sans que le jugement ne précise si
les conditions de la dispense de peine ont été réunies. Il a ainsi été jugé « qu’au vu des
circonstances de la cause, de l’ancienneté de l’affaire, le trouble résultant de l’infraction ayant
258
Ce fichier rassemble depuis 2010 les empreintes des personnes déclarées coupables, en plus des personnes
condamnées. Voir Loi n° 2010-242 du 10 mars 2010.
259
Art. 132-58 et s. relatifs à la dispense de peine et art 132-10 C. pén. qui prévoit que le premier terme d’une
récidive doit être constitué par une condamnation définitive. Voir aussi: Observations de M. Robert, avocat général,
relatives à l’avis de la Cour de cassation du 18 janvier 2010 n°0090005P.
87
cessé, il convient de dispenser le prévenu de peine » 260. Et c’est suite à la dispense de peine que
la Cour statue sur les intérêts civils en se basant sur les requêtes des victimes. Ce cas de figure
sera plus longuement détaillé dans les développements qui suivent et qui concernent les pouvoirs
des juges sur les conditions de la dispense de peine, notamment la condition de réparation 261.
130. L’opportunité de la peine suite à la réparation. La question qui se pose est celle
de l’opportunité de la peine, à la suite de la réalisation de la réparation par l’auteur de
l’infraction. Les développements ci-dessus ont montré le sens que porte la réparation pour
l’auteur comme pour la victime, que ce soit du point de vue de la reconnaissance de culpabilité
ou du point de vue du pardon exprimé par les actes réparateurs. C’est en effet sur la base de la
situation au moment du jugement que les magistrats évaluent l’opportunité de prononcer une
peine ou au contraire d’en dispenser le délinquant. La survenance des trois conditions de la
dispense de peine rend l’infraction, au moment de la décision du juge, obsolète et dépassée. La
réparation du dommage, la cessation du trouble causé et le reclassement du coupable modifient
en effet largement la situation, au point de remettre en question la nécessité de la peine.
La réparation occupe parmi les conditions de la dispense de peine une place primordiale de par la
facilité de sa vérification matérielle. En effet, elle sert d’indicateur matériel important pour la
détermination du reclassement du coupable et de la cessation du trouble causé par l’infraction car
c’est par la réparation que le reclassement peut être atteint et que le trouble causé peut cesser.
Les trois conditions de la dispense sont liées, de sorte que la réalisation de l’une a une incidence
sur les autres : la réparation du dommage fera disparaître une partie du trouble causé par
l’infraction et met en bonne voie le reclassement du coupable 262. D’autres éléments peuvent
également entrer en ligne de compte, comme la formulation d’excuses par le délinquant, ou son
choix d’intégrer des programmes de soutien et de traitement, mais c’est la réparation des
dommages issus de l’infraction qui joue un rôle déterminant dans l’évaluation de la situation au
moment du jugement.
260
CA Metz, 21 avril 1983, D. 1983 p. 567, note Andrée Mayer-Jack et Danièle Mayer.
261
Infra n°133 et s.
262
Claire SAAS, L'ajournement du prononcé de la peine, Dalloz, Nouvelles Bibliothèque de Thèses, 2004, p. 136.
88
L’article 130-1 du Code pénal définit les fonctions de la peine comme permettant de sanctionner
l’auteur de l’infraction et de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. L’alinéa
1er précise que la peine vise à assurer la protection de la société, à prévenir la commission de
nouvelles infractions et à restaurer l’équilibre social dans le respect des intérêts de la victime.
Ces fonctions de la peine rejoignent les conditions de la dispense de peine : la cessation du
trouble résultant de l’infraction revient à assurer la protection de la société ; l’assurance du
reclassement du coupable permet de prévenir la commission de nouvelles infractions ; la
réparation du dommage causé permet de rétablir l’équilibre social dans le respect des intérêts de
la victime.
Une fois ces objectifs atteints, le prononcé d’une peine n’a plus lieu d’être car la cause n’existe
plus. La peine n’est désormais ni nécessaire ni opportune. A cet égard, il existe entre le droit
français et le droit anglais une différence de perception. En droit français, la peine n’est plus
nécessaire alors qu’en droit anglais l’acte n’est plus punissable. La différence est à peine
perceptible mais si on la regarde du point de vue des conditions de la dispense de peine et de
l’absolute discharge, on comprend que c’est la réparation qui neutralise le besoin de recourir à
une peine en droit français alors que le caractère punissable de l’acte en droit anglais ne dépend
pas de la réparation mais de sa nature et de la personnalité de son auteur.
263
Cass. Crim. 27 novembre 1978: Bull. Crim. n°332; D. 1979 IR 271 ; Gaz. Pal 1979.2.311, Revue de sciences
criminelles 1980 p.115 obs. Larguier ; Jean PRADEL et André VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal
général, 5e éd., Dalloz, 2005, p. 704.
264
Jean PRADEL et André VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, 5e éd., Dalloz, 2005.
89
préserver le sens de la dispense de peine. Si un avertissement semble nécessaire c’est que le
reclassement du prévenu n’est pas encore acquis et que la dispense n’est pas la réponse adéquate
à l’acte délictueux. Le prononcé d’une peine dans le jugement suppose une condamnation, ce que
n’est pas la dispense de peine. Celle-ci se limite à la déclaration de culpabilité. Elle n’est donc
pas prise en compte pour la récidive et peut ne pas être inscrite sur le casier judiciaire.
132. La réparation comme condition de la dispense de peine n’a pas les mêmes effets sur
l’action pénale et sur l’action civile. Ses effets sur l’action pénale sont limités en raison du
pouvoir discrétionnaire des juges qui ont la faculté et non l’obligation d’opter pour une dispense
de peine (1). En revanche, la réparation a un effet direct sur l’action civile qui n’a plus lieu d’être
en cas de réparation des dommages (2).
265
Powers of Criminal Courts Sentencing Act , 2000, Part II (12): “The court may make an order either—(a)
discharging him absolutely”
90
La jurisprudence française consacre le principe selon lequel la dispense de peine est une simple
faculté accordée au juge qui n’a aucune obligation de dispenser le prévenu de peine même si les
conditions de la dispense sont réunies 266. Selon un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de
cassation du 20 novembre 1985, « même dans les cas où les conditions des articles 469-1 et 469-
2 du Code de procédure pénale sont réunies, l'application de la sanction de "dispense de peine"
est une faculté discrétionnaire dont les juges du fond ne doivent aucun compte » 267. Le pouvoir
discrétionnaire du juge explique certainement ce raisonnement de la Cour de cassation mais il
faut aussi revenir à l’origine de la dispense de peine, mesure venant proposer une alternative à la
sanction. Cette alternative est toujours une possibilité pour le juge qui a l’obligation de faire un
choix mais non l’obligation de faire un choix spécifique. Le texte de loi précise bien que le juge
« peut » accorder une dispense de peine lorsque les conditions sont réunies. Les conditions
mentionnées à l’article 132-59 du Code pénal ont donc un caractère indicatif dans le cas où le
juge envisagerait une dispense de peine.
Néanmoins, les juges usaient parfois de justifications très personnelles sans être obligés de
justifier le recours à la dispense de peine en caractérisant la réalisation des conditions prévues 270.
266
Danièle CARON, « Dispense de peine et ajournement », Jurisclasseur Pénal Code, 14 janvier 2015, Fasc.20.
267
Cass. crim. 20 novembre 1985, Bull. crim. 1985 n°368.
268
Cass. crim., 9 juill. 1991: Bull. crim. 1991, n° 293.
269
Cass. Crim. 28 sept. 2011, n° 11-82.469. Dans le même sens: Cass. crim., 16 sept. 2014, n° 13-85.526 : JurisData
n° 2014-020961.
270
Cass. crim., 24 juin 2014, n° 13-84.955 : JurisData n° 2014-013814: « qu'il résulte de la procédure que M. X...,
bien qu'auteur de l'infraction reprochée, est l'héritier d'une culture réunionnaise forte soudée par la solidarité
91
Le Conseil constitutionnel, dans une décision rendue le 2 mars 2018, souligne que « le principe
d’individualisation des peines implique qu’une sanction ne puisse être appliquée que si le juge
l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à l’espèce. Ces
exigences constitutionnelles imposent la motivation des jugements et arrêts de condamnation
pour la culpabilité comme pour la peine »271. Cette obligation de motivation a été retranscrite par
la loi du 23 mars 2019 aux articles 365-1 et 485-1 du Code de procédure pénale. La dispense de
peine étant un moyen de personnalisation des peines, elle devrait ainsi succomber à l’obligation
de motivation.
Le caractère indicatif des conditions de la dispense de peine peut être accepté dans les cas où le
juge ne souhaite pas recourir à la dispense de peine qui reste une mesure alternative à la peine.
Cependant, ce caractère indicatif ne doit pas être étendu aux cas où la dispense de peine est
accordée. Cette mesure emporte des conséquences importantes sur l’auteur de l’infraction qui
évite une condamnation pénale. En effet, ce pardon judiciaire n’implique pas automatiquement
un pardon de la victime de l’infraction. La justification de la réalisation de la réparation des
dommages, du reclassement de l’auteur de l’infraction et de la cessation du trouble causé par
l’infraction sont des éléments importants qui permettent de préserver les intérêts de la victime et
de la société. La réparation ne devrait pas être éludée au profit d’autres considérations comme le
fait que l’auteur de l’infraction ait agi avec cœur et dévouement 272 ou que les magistrats aient usé
de leur libre appréciation car cette liberté ne doit pas passer outre le respect des droits de la
victime. L’interprétation jurisprudentielle des textes relatifs à la dispense de peine rend parfois la
preuve de la matérialité de la réparation des dommages causés par l’infraction assez floue.
familiale et réunie autour des morts ; qu'il a agi dans la présente affaire, certes sans discernement suffisant, mais
avec cœur et un dévouement total aux membres de son association ; qu'il est conscient du nécessaire respect des
textes et a toutes les capacités pour régulariser la situation administrative de l'association Saint-Vincent de Paul ;
que, compte tenu de ces éléments, et de l'absence de toute recherche de profit de la part de M. X... dans la présente
cause, il convient de le dispenser de peine ».
271
Décision n°2017-694 QPC du 2 mars 2018, M. Ousmane K. et autres, relative à la motivation de la peine dans les
arrêts de la cour d’assises. Voir aussi : Djoheur ZEROUKI-COTTIN, « Réflexions pluridisciplinaires sur la
motivation des peines par la Cour d'assises », RSC, 2018, p.789. Armand DADOUN, « L'obligation constitutionnelle
de motivation des peines », RSC, 2018, p.805.
272
Idem.
92
nature se rapproche plus d’une obligation de payer des indemnités que d’une obligation de
réparation au sens large. Cet ordre de compensation est une faculté pour le juge.
273
CA Basse-Terre, 17 novembre 1997, Gazette du Palais 1998 (1er sem.), note Henri VRAY, p.25.
93
du juge qui peut ne pas motiver sa décision, l’absence de vérification formelle de la réparation du
dommage l’empêcherait d’avoir le caractère d’autorité de la chose jugée et permettrait ainsi la
possibilité d’une action civile. La deuxième possibilité consiste à sous-entendre la réalisation des
conditions de la dispense de peine qui empêcherait à elle seule la possibilité d’intenter une action
civile en réparation.
Dans le premier cas, si l’action civile peut être reçue dans la forme, la constatation de la
réalisation de la réparation du dommage mettra fin aux prétentions de la partie requérante.
Cependant, le risque d’une contradiction ou d’une différence de jugement existe lors du
traitement de l’infraction par la juridiction civile. Cette situation permet d’insister sur l’intérêt de
constater dans le jugement de dispense de peine la réalisation de la réparation et d’en détailler ses
aspects. Les conséquences d’une telle situation restent cependant limitées aux situations dans
lesquelles il n’y a pas eu de constitution de partie civile lors du procès pénal car dans ce cas la
juridiction aurait statué en même temps sur l’action civile 274.
137. Un temps pour la réparation. La césure du procès pénal opérée par la dispense de
peine sépare la déclaration de culpabilité du prononcé de la sanction. Dans le cas de
l’ajournement du prononcé de la peine, cette césure marque un « temps de pause »275 qui donne
l’opportunité de revenir au procès avec de nouveaux éléments. En droit français, l’ajournement
du prononcé de la peine prend plusieurs formes : trois formes anciennes qui sont l’ajournement
simple276, l’ajournement avec mise à l’épreuve 277 et l’ajournement avec injonction278 et deux
formes plus récentes introduites par la loi du 15 août 2014279, l’ajournement aux fins
274
Article 132-58 C. pén.
275
Claire SAAS, L'ajournement du prononcé de la peine, Dalloz, Nouvelles Bibliothèque de Thèses, 2004, préface.
276
Art. 132-60 à 132-62 C. pén.
277
Art. 132-63 à 132-65 C. pén.
278
Art.132-66 à 132-70 C. pén.
279
Loi n°2014-896 du 15 août 2014, publiée au JO n°189 du 17 août 2014.
94
d’investigation sur la personnalité ou la situation matérielle, familiale ou sociale 280 et
l’ajournement aux fins de consignation d’une somme d’argent 281.
Nous écarterons dans nos développements l’ajournement avec injonction et l’ajournement aux
fins de consignation d’une somme d’argent qui par leur objet s’éloignent de l’objectif de
réparation des dommages causés à la victime. L’ajournement avec injonction vise à obtenir la
conformité aux prescriptions prévues par les lois ou règlements. L’ajournement aux fins de
consignation d’une somme d’argent vise à garantir le paiement d’une éventuelle peine d’amende.
Nous écarterons aussi l’ajournement aux fins d’investigation qui, à défaut de contenir une
condition de réparation, donne la possibilité au juge d’octroyer à la victime, immédiatement
après la décision d’ajournement, des dommages et intérêts à titre provisionnel ou définitif. Ce
type d’ajournement a des objectifs spécifiques, la réparation n’y est pas une obligation à
accomplir. Le juge statue ainsi sur les intérêts civils de la victime. Notons cependant que
l’ajournement aux fins d’investigation sur la personnalité ou la situation matérielle, familiale ou
sociale de l’auteur de l’infraction sert indirectement la réparation du dommage. En effet, à la
lecture des travaux parlementaires de la loi du 15 août 2014, on relève la volonté d’assurer une
meilleure individualisation de la peine. L’ajournement pour investigations permettrait dans
certains cas, par une meilleure connaissance de l’auteur de l’infraction, d’éviter le prononcé
d’une peine d’emprisonnement au profit d’une contrainte pénale (avant la récente abrogation de
celle-ci282), ou de prononcer une peine plus adaptée qui aura un meilleur impact sur le risque de
récidive. L’ajournement permettrait enfin une meilleure prise en compte des préjudices causés
par l’infraction et favoriserait leur réparation283.
280
Art. 132-70-1 C. pén. qui fut modifié par la loi du 23 mars 2019 (la mise en vigueur des modifications est prévue
pour le 24 mars 2020).
281
Art. 132-70-3 C. pén.
282
Par la loi de programmation et de réforme pour la justice du 23 mars 2019.
283
Projet de loi relative à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, Étude d’impact, 7 octobre
2013, en ligne: www.legifrance.gouv.fr.
95
l’obligation de « réparer en tout ou en partie, en fonction de ses facultés contributives, les
dommages causés par l'infraction, même en l'absence de décision sur l'action civile284 ».
138. Afin d’avoir recours à la mesure d’ajournement en vue d’une dispense de peine,
les critères de réalisation de la réparation sont particuliers. Il faut d’abord justifier d’un certain
degré de réparation dans le temps (1) et prouver ensuite l’implication du délinquant dans le
processus de réparation pour l’obtention d’une dispense de peine (2).
284
Art.132-45, 5° C. pén.
285
Jean PRADEL, Droit pénal général, Dalloz, 2008, p.514.
96
1. Le degré de réalisation de la réparation
97
Le droit anglais se rapproche en cela du droit français et n’envisage l’ajournement du prononcé
de la peine que dans les obligations futures qu’il peut créer et non dans ce qui doit déjà être « en
voie » de réalisation.
La réparation du dommage est donc, dans le cas de l’ajournement de peine, plus une obligation
d’action qu’une condition. La condition étant la prévisibilité de la réalisation de la réparation du
dommage, l’obligation consiste à demander une action réparatrice au prévenu en vue d’une
possible dispense de peine. En outre, si la réparation du dommage était une condition, la dispense
de peine devrait être automatiquement accordée suite à la réalisation des conditions de
l’ajournement. Or l’obligation d’agir en vue de la réparation du dommage ne lie en aucun cas le
juge dans sa décision d’accorder une dispense de peine 288.
Mme Claire SAAS observe à juste titre qu’ « en posant cette condition au prononcé d’un
ajournement, on semble ainsi prêter, dans un jeu de miroir, une fonction réparatrice à la peine, et
par voie de conséquence, à l’ajournement du prononcé de la peine »289. Ce « jeu de miroir »
apparaît lorsque la réparation du dommage faisant suite à l’ajournement de peine permet
d’obtenir une dispense de peine. C’est la peur de la peine, la simple idée d’une peine possible,
qui permet d’obtenir une réparation du dommage. C’est donc plus exactement l’idée théorique de
286
Criminal Justice Act, Chapter 44, Schedule 23, 2003, en ligne : <www.legislation.gov.uk>.
287
Art. 132-45 (5°) C. pén.
288
Georges VERMELLE, « Conditions de l'ajournement simple (Cass. crim. 18 mai 2004, Bull.crim. n°122, JCP
2004. 2517) », RSC, 2004, p.874. Voir aussi: Cass. Crim. 2 septembre 2004, n° 03-82.965.
289
Claire SAAS, L'ajournement du prononcé de la peine, Dalloz, Nouvelles Bibliothèque de Thèses, 2004, p. 130.
98
la peine, et non son prononcé, qui aurait une fonction réparatrice, une capacité à obtenir la
réparation du dommage issu de l’infraction.
141. Partant de l’idée que dans le cadre d’un ajournement de peine, la réparation du
dommage constitue une obligation d’agir, l’implication du condamné est primordiale pour
remplir cette obligation et espérer obtenir une dispense de peine. Par son comportement, le
condamné doit accepter le principe de la réparation et doit apporter la preuve qu’aucune sanction
n’est nécessaire290.
Le consentement du condamné est clairement mentionné dans le Criminal Justice Act comme
étant la première condition qui permet au juge d’exercer son pouvoir d’ajournement du prononcé
de la peine291. La décision du juge sur la peine étant dépendante du comportement futur du
prévenu, son consentement constitue une première manifestation de sa volonté de prouver son
amendement.
En droit pénal français, le consentement du condamné n’est pas expressément mentionné comme
condition nécessaire à l’ajournement de peine. Cependant, et contrairement à la mesure de
dispense de peine, la présence à l’audience du prévenu est nécessaire pour que le juge lui accorde
le bénéfice d’un ajournement du prononcé de la peine 292. La jurisprudence est unanime : cette
présence doit être mentionnée par le juge dans sa décision, sous peine de nullité293.
290
Marie-Clet DESDEVISES, « L'opportunité d'une sanction pénale: ajournement - dispense de peine - relèvement
[Leur application par les Cours d'appel de Rennes et d'Angers] », Revue Judiciaire de l'Ouest, 1982-1, p.4.
291
Criminal Justice Act 2003, Schedule 23, 1 (3): “The power conferred by subsection 1 above shall be exercisable
only if the offender consents…”
292
Art. 132-60 et 132-63 c. pén.
293
Crim. 22 mai 1986, Bull. crim. n°166; Crim. 17 novembre 1987, Bull. crim. n°414 ; Crim, 24 mars 2015, Dalloz
2015 p.735.
99
Il est évident que cette condition de présence du prévenu manifeste le besoin de recueillir
l’acceptation par le condamné des obligations qui découleront de l’ajournement de peine. Cela
permet au juge de s’assurer qu’ils se sont entendus sur la procédure qui doit suivre. Mme SAAS
parle d’une forme d’« engagement moral »294 entre le juge et le condamné. Cette notion
d’engagement apparaît de manière encore plus poussée dans un rapport de l’Assemblée
Nationale précisant que « le tribunal conclut une sorte de contrat avec le prévenu. C’est pourquoi
l’ajournement du prononcé de la peine ne peut évidemment être prononcé en cas de jugement par
défaut ; le prévenu doit comparaître personnellement »295.
Le terme de contrat employé dans ce rapport doit, nous semble t-il, être évité car il pourrait sous-
entendre l’existence d’obligations à la charge des deux parties. Or le juge n’a aucune obligation
vis-à-vis du condamné et n’est pas contraint de prononcer une dispense de peine même lorsque la
réparation est prouvée. On pourrait de même y voir une forme de contrat unilatéral, mais l’idée
que le juge puisse conclure une forme de contrat avec le condamné reste surprenante.
294
Claire SAAS, L'ajournement du prononcé de la peine, Dalloz, Nouvelles Bibliothèque de Thèses, 2004, p.71.
295
Claude GERBET, Rapport A.N. n° 75/1616, p.40.
296
Bernard BOULOC, « Ajournement du prononcé de la peine », RSC, 1993, p.313.
297
Cass. Crim. 16 octobre 1991, Recueil Dalloz 1992 p. 321, note J. Pradel, Bull. Crim. n°352.
100
La formulation adoptée par la Cour qui qualifie la réparation d’obligation confirme le fait que la
réparation du dommage est plus une obligation d’action qu’une condition 298. Préciser que la
réparation est une « obligation prise par lui » éloigne ainsi la théorie du contrat entre le juge et le
prévenu et renforce l’idée d’un engagement moral en vue de la réparation du dommage.
En droit anglais, la situation est différente car le Criminal Justice Act prévoit la possibilité pour
le juge de décider, pendant la période d’ajournement, de faire superviser le prévenu par un
officier du local probation board299 ou par une personne qu’il juge appropriée. C’est cette
personne qui sera chargée d’apporter à la Cour les informations relatives à l’accomplissement
par le prévenu des obligations rattachées à la période d’ajournement de la peine. Du point de vue
de l’encadrement qui suit la décision d’ajournement du prononcé de la peine, la mesure de
deferment of sentence se rapproche plus de l’ajournement avec mise à l’épreuve du droit français
qui prévoit l’intervention du juge d’application des peines et/ou d’un travailleur social désigné.
298
Voir supra n° 140.
299
L’équivalent du Service pénitentiaire d’insertion et de probation français, le « local probation board » assure le
rôle du juge de l’application des peines ou du travailleur social désigné.
300
Cass. Crim., 2 septembre 2004, AJ Pénal 2005, p. 163.
101
A l’issue de la période d’ajournement, le juge peut soit dispenser le prévenu de peine, soit
prononcer la peine prévue par la loi, soit ajourner une nouvelle fois le prononcé de la peine 301. Et
comme la dispense de peine n’est qu’une possibilité pour le juge 302, l’ajournement n’aboutit pas
nécessairement, en théorie, à une dispense de peine. Dans cette optique, Mme Claire SAAS
envisage l’ajournement comme une aide à la détermination de la peine 303. On pourrait ainsi
considérer que la réparation du dommage causé par l’infraction entraînerait la détermination
d’une peine d’une autre nature, d’une durée ou d’un montant inférieurs à ce qui aurait été
prononcé en l’absence d’ajournement du prononcé de la peine.
Cependant, il apparaît plus vraisemblable que lorsqu’un magistrat décide d’ajourner le prononcé
d’une peine, c’est bien dans l’optique d’aboutir à une dispense de peine. En effet, l’objectif de
réparation du dommage causé par l’infraction tient une place centrale au sein du dispositif
d’ajournement. Si le dommage causé est réparé, le juge devrait en principe prononcer une
dispense de peine. Ce postulat est conforté par l’étude des statistiques du ministère de la Justice
qui révèlent qu’entre 2008 et 2012, le nombre de personnes physiques ayant bénéficié d’un
ajournement du prononcé de la peine est passé de 4486 à 2625, soit une baisse d’environ 58%304.
Cette baisse est significative lorsqu’elle est mise en rapport avec la nette augmentation des
mesures alternatives aux poursuites qui concernaient en 2017 36.7% des affaires
poursuivables305. La réparation du dommage ainsi acquise à travers une mesure alternative aux
poursuites diminue le nombre d’affaires qui pourraient faire l’objet d’une dispense de peine.
301
Art. 132-61 et 132-65 C. pén.
302
Art 132-59 C. pén.
303
Claire SAAS, L'ajournement du prononcé de la peine, Dalloz, Nouvelles Bibliothèque de Thèses, 2004, p.140.
304
L'actualité judiciaire pénale en 2012, Sous-direction de la statistique et des études, ministère de la Justice, 2013,
p.9.
305
Les chiffres clés de la justice, Edition 2018, Sous-direction de la statistiques et des études, ministère de la Justice,
en ligne : <www.justice.gouv.fr>.
102
ajournement du prononcé de la peine. Dans ce cas, elle est proposée ou imposée par le juge, de
sorte que certains auteurs posent la question du fondement de l’indulgence accordée 306.
Si la peine se rattache uniquement à l’acte délictueux, si la peine punit l’acte, la réparation des
conséquences de l’acte permettrait une exemption de peine. Cependant, il est difficile de
dissocier la dispense de peine de l’homme car la réparation volontaire est liée à la personnalité
du délinquant. Or c’est cette « volonté » qui est discutable en matière d’ajournement du prononcé
de la peine. C’est cette volonté, caractéristique de la personnalité du délinquant, qui motive le
juge à opter pour une dispense de peine. Il y a donc deux conceptions de la réparation du
dommage en jeu : la conception objective d’une réparation matérielle du dommage et la
conception subjective qui prend en compte les efforts effectués par le délinquant et sa volonté de
réparer le dommage307. Dans le cas de l’ajournement du prononcé de la peine, nous pensons que
la réparation effective du dommage doit être combinée à la volonté et aux efforts de l’auteur de
l’infraction car ces éléments constituent aussi des indices en faveur de la détermination du
reclassement du coupable.
Cette question de conception de la réparation ne se pose pas en Common Law car le deferment of
sentence est basé sur l’appréciation de la conduite du coupable pendant la période
d’ajournement, la réparation étant un élément de cette conduite. Cette appréciation ne pouvant
être que subjective, rien ne garantit donc la dispense de peine après la période de probation.
306
Philippe CONTE et Patrick MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, 5e éd., Armand Colin, 2000,
p.285.
307
Dans sa thèse, Claire SAAS défend la conception subjective de la réparation: Claire SAAS, L'ajournement du
prononcé de la peine, Dalloz, Nouvelles Bibliothèque de Thèses, 2004, p.134.
308
Gabriel ROUJOU DE BOUBEE, « L'ajournement et la dispense de peine », in Mélanges dédiés à Gabriel Marty,
Université des sciences sociales de Toulouse, 1978, p.955.
103
2. Conséquences de la réparation sur l’action civile
147. Dans le cadre des mesures de dispense ou d’ajournement de peine, l’article 132-58
du Code pénal français dispose qu’« en même temps qu’elle se prononce sur la culpabilité du
prévenu, la juridiction statue, s’il y a lieu, sur l’action civile ». Ainsi, dans le cas où la partie
civile a porté son action en réparation devant le juge pénal, celui-ci doit statuer sur l’action civile
dès qu’il se prononce sur la culpabilité du prévenu. Selon la chronologie prévue par le texte, ce
n’est qu’après s’être prononcé sur l’action civile que le juge prononce la dispense ou
l’ajournement de peine.
Cette disposition pousse à la réflexion car l’action civile est une action en réparation du
dommage causé par l’infraction309 et la réparation est au cœur des mesures de dispense et
d’ajournement de peine. Si la notion de réparation du dommage ne peut être divisée de manière
pratique, car il n’y a qu’une seule réparation, la réparation peut être envisagée sur le plan
théorique du point de vue des conditions de la dispense ou de l’ajournement de peine et du point
de vue de l’objet de l’action civile. Cette dissociation théorique s’explique de manière
chronologique : la réparation-condition intervient antérieurement à la demande de réparation-
objet. Dans cette perspective, il doit donc nécessairement y avoir une influence de la réparation,
condition de la dispense ou de l’ajournement, sur la réparation, objet de l’action civile. Cette
influence est différente dans le cas d’une dispense de peine et dans le cas d’un ajournement du
prononcé de la peine.
309
Art. 2 C. pr. pén.
104
réparation identique. Ce n’est que de cette façon que la dispense de peine sera validée. Si la
réponse apportée à l’action civile en réparation portée devant le juge pénal était différente du
contenu de la réparation déjà réalisée par le coupable, la condition de la dispense de peine serait
invalide. L’appréciation par le juge de la réparation effectuée par le coupable antérieurement au
procès a donc une incidence directe sur la réponse apportée à l’action civile de la victime.
Cependant, si on considère qu’il n’y a qu’une seule réparation possible au dommage causé par
l’infraction, la distinction opérée plus haut peut sembler une pure figure de l’esprit. Mais comme
les prétentions des parties civiles peuvent varier, le choix d’une dispense de peine par le juge
signifierait que son évaluation de la réparation concorderait avec celle réalisée par le coupable et
non avec celle contenue dans les demandes de la victime.
Cette situation nous ramène à la notion de volonté du délinquant de réparer le préjudice issu de la
commission de l’infraction. Au jour du procès, si le juge constate un début de réalisation de la
réparation, c’est que celle-ci a été entreprise volontairement par le coupable de l’infraction.
Statuer sur l’action civile avant la réalisation complète de la réparation du dommage permettrait
de préciser et de déterminer le contenu et le montant de la réparation. Le jugement ôterait ainsi
tout le caractère volontaire de la réparation qui est à la base de la décision d’ajournement. La
décision sur l’action civile va tracer la voie de l’avenir de la réalisation de la réparation du
dommage par le coupable qui devra satisfaire les exigences posées par la décision du juge 310.
150. Ainsi, il apparaît qu’au travers des mesures de dispense de peine et d’ajournement,
la considération de la réparation du dommage manifeste davantage une vision pragmatique de la
310
A titre d’exemple: CA de Toulouse, 3e chambre correctionnelle, 11 février 1999, Borrego-Nunez c/Ministère
public, D. 2015.
105
justice pénale au détriment de la symbolique du procès pénal. Il s’agirait moins de montrer
l’exemplarité de la peine comme réponse à la délinquance mais d’assurer la réparation du
dommage causé par l’infraction dans un but de reclassement et de resocialisation du coupable et
de satisfaction des revendications des victimes. La réparation du dommage joue dans ce cas de
figure le rôle d’alternative au prononcé de la peine. Ce n’est pas la peine qui met fin au trouble
causé à l’ordre social mais la réparation, plus adaptée aux troubles mineurs. La réparation accède
ainsi au rang de réponse pénale à l’infraction. Mais lorsque le prononcé de la peine est
nécessaire, la réparation intervient comme alternative à l’exécution de la peine.
151. Les développements ci-dessus ont permis de mettre en relief le rôle et la présence
constante de la réparation du dommage dans les mesures alternatives au prononcé de la peine. Il
aurait sans doute fallu préciser « de toute peine » car ces mesures alternatives concernent des
peines de différentes natures (peine d’emprisonnement, amende, etc.). En revanche, dans le cas
de l’étude de la réparation comme alternative à l’exécution de la peine, il apparaît très
rapidement, au regard des mesures concernées, qu’il s’agit principalement de trouver une
alternative à la peine d’emprisonnement afin de permettre l’exécution de la peine en milieu
ouvert, au sein de la société.
Le droit français, le droit libanais et le droit anglais offrent une diversité de mesures alternatives
à l’exécution de la peine d’emprisonnement qui peuvent être divisées, selon leur nature, en deux
106
catégories: les mesures alternatives à l’exécution de la peine d’emprisonnement (I) et les peines
alternatives à l’exécution de la peine d’emprisonnement (II). La réparation du dommage causé
par l’infraction est un élément commun à ces deux catégories de mesures mais sa présence
permet aussi de questionner l’intérêt d’avoir une telle diversité de mesures et de peines
alternatives.
153. La mesure principale en droit français est le sursis311, il a pour origine la probation
anglaise312. En droit pénal français, il se présentait sous plusieurs formes : le sursis simple, le
sursis avec mise à l’épreuve et le sursis assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt
général313. Nous ne traiterons pas dans cette partie du sursis simple qui ne comprend pas
d’obligation de réparation et qui est accordé dans le but d’éviter la peine d’emprisonnement et
d’individualiser la peine. Le sursis avec mise à l’épreuve ainsi que le sursis assorti de
311
Arts. 132-29 à 132-39 C. pén.
312
Muriel GIACOPELLI, « Sursis avec mise à l'épreuve », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, janvier
2011.
313
Veronique TARDY, « L'indemnisation de la victime, condition d'octroi d'une mesure de faveur », Petites
affiches, 26 janvier 1998, 11, p.8.
107
l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général314 peuvent tout deux être assortis d’une
obligation de réparer les dommages causés par l’infraction. Ces deux formes de sursis ont été
fusionnés en un « sursis probatoire » par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour
la justice en date du 23 mars 2019. La mise en vigueur de cette modification a cependant été
reportée au 24 mars 2020.
Le sursis existe en droit pénal libanais sous une seule et unique forme qui comprend le
« dédommagement de la partie civile ». La Common Law anglaise surnomme cette forme de
probation le suspended sentence order315 ou suspended sentence of imprisonment.
Toutes ces mesures laissent, chacune d’une façon particulière, une place à la réparation du
dommage (1). La portée de la réparation est cependant différente selon le type de sursis envisagé
(2).
154. La notion de réparation est présente sous différentes formes dans le sursis français,
le sursis libanais et le suspended sentence order anglais. Si l’objectif de ces mesures est
unanimement d’éviter l’exécution de la peine d’emprisonnement, la réparation du dommage y est
présentée sous un angle sensiblement différent.
155. Une réparation en demi-teinte en droit français. Le droit pénal français assortit le
sursis probatoire d’un régime particulier de « probation316 » qui, en plus d’accorder au condamné
une seconde chance, le soumet au respect de certaines mesures de contrôle317 et obligations318
pendant un délai de probation. C’est parmi ces obligations que se trouve l’obligation de « réparer
en tout ou partie, en fonction de ses facultés contributives, les dommages causés par l'infraction,
même en l'absence de décision sur l'action civile » (article 132-45, 5° du Code pénal)319. Si on
314
Art. 132-54 C. pén.
315
Jean PRADEL, Droit pénal général, Dalloz, 2008, p.517.
316
Nommé « mise à l’épreuve » avant la loi du 23 mars 2019.
317
Article 132-44 du Code pénal.
318
Article 132-45 du Code pénal.
319
Cette obligation restera identique pour le sursis probatoire à compter du 24 mars 2020.
108
peut regretter la place accordée à la réparation, noyée dans la liste des obligations énumérées à
l’article 132-45, il faut cependant noter qu’après comparaison des obligations, l’obligation de
réparation est la seule ayant une portée générale. Nous entendons par là qu’elle serait la seule
obligation qui pourrait être conjuguée à toute sorte de délits, les autres obligations semblant
répondre à des catégories particulières d’infractions (par exemple : se soumettre à des mesures
d’examen médical, s’abstenir de conduire certains véhicules, ne pas fréquenter les débits de
boissons, etc.). En outre, elle est la seule qui pourrait apaiser le besoin de justice de la victime de
l’infraction lorsqu’un sursis est accordé à l’auteur de l’acte délictueux.
Sous un autre angle, l’obligation de réparation du dommage tire sa force de la 2ème partie de
l’alinéa qui écarte la nécessité d’une décision sur l’action civile 320 et de son caractère réaliste qui
subordonne sa détermination aux facultés contributives du condamné. L’objectif est donc de
permettre au juge pénal d’assurer une réparation effective du dommage, indépendamment de
l’action civile et fixée de manière à rendre possible sa réalisation.
156. Un dédommagement en droit libanais. L’article 169 du Code pénal libanais relatif
au sursis précise que le juge peut y recourir lorsqu’il prononce une peine délictuelle ou
contraventionnelle si le condamné n’a pas antérieurement encouru une peine de même nature ou
une peine plus grave. L’article 170 du même code ajoute que « le juge peut subordonner l’octroi
du sursis à une ou plusieurs des obligations suivantes : 1- que le condamné fournisse un
cautionnement préventif, 2- qu’il soit soumis au patronage321, 3- que la partie civile soit
dédommagée en tout ou en partie dans un délai qui n’excèdera pas deux ans si le fait constitue un
délit et six mois s’il constitue une contravention. »
320
Ce n’était pas le cas avant le nouveau Code pénal, la jurisprudence antérieure subordonnait l’obligation de
réparation du dommage à l’existence d’une condamnation civile (Crim. 10 déc. 1990, n° 90-82.329, Bull. crim.
n° 423 ; RSC 1992. 67, obs. Vitu).
321
Le patronage est une mesure de sûreté restrictive de liberté (article 71 du Code pénal). Il est confié à des
institutions privées reconnues par l’État. L’institution procurera du travail au patroné. Ses délégués surveilleront
discrètement sa manière de vivre et lui donneront conseil et appui [...] (article 87 du Code pénal).
109
Ce texte ne traduit pas exactement la volonté de la commission chargée de la réforme du code.
La commission a fait référence dans son rapport322 au code italien qui, sous l’impulsion des
pensées de Garofalo, a soumis l’octroi de la faveur du sursis à la réparation du préjudice causé à
la victime. Le législateur libanais a opté, comme son homologue français, pour l’octroi d’une
possibilité pour le juge de choisir parmi les obligations énumérées à l’article. La liste des
obligations ne comportant que trois choix, l’obligation de réparation est mise en relief et devrait
donc être davantage utilisée par les magistrats.
La forme libanaise du sursis se différencie du sursis français par son champ d’application : le
sursis en droit pénal libanais ne s’applique pas aux crimes. Il concerne cependant les peines
délictuelles comme les peines contraventionnelles. Il ne se limite donc pas aux seules peines
d’emprisonnement. Cette particularité permet de pallier l’absence en droit libanais de mesures
alternatives au prononcé de la peine. Il n’aurait pas été cohérent de prévoir une alternative aux
peines délictuelles et non aux peines contraventionnelles. Cela reste cependant critiquable : de la
même manière qu’il existe une échelle des peines, il devrait exister une échelle des alternatives à
l’exécution des peines compatibles avec la sévérité des peines. Les contraventions mériteraient
d’avoir en droit pénal libanais des alternatives à leur exécution plus adaptées à leur nature.
322
Rapport général sur la réforme pénale, commission de révision du Code pénal présidé par M. Fouad AMMOUN,
24 mars 1939, publié dans le Code pénal, Éditions Antoine 2009.
323
Il a d’abord été introduit en 1967 mais a subi diverses modifications qui ont altéré sa substance. George MAIR,
Noel CROSS et Stuart TAYLOR, The community order and the suspended sentence order, the views and attitude of
sentencers, Center for crime and justice studies, 2008, en ligne : <www.crimeandjustice.org.uk >.
324
Criminal Justice Act, Part 12, section. 190 (1), Chapter 44, 2003, en ligne : <www.legislation.gov.uk>.
110
d’activité325, définie par la section 201 du Criminal Justice Act comme étant une obligation pour
le condamné de se présenter selon un calendrier établi à des rencontres avec un officier de
probation et de participer à des activités prédéterminées. Ces activités pourraient avoir pour objet
la réparation, comme celles impliquant un contact entre les auteurs de l’infraction et les victimes.
La réparation figure donc, comme en droit français, parmi une liste d’obligations dont la mise en
œuvre dépend du choix du juge. Le recours à l’obligation d’activité ne semble pas être la voie
privilégiée, elle ne constituait que 9% des obligations prononcées dans le cadre d’un SSO au
deuxième trimestre 2012326. Ce taux peu élevé a été soulevé dans un rapport du ministère de la
Justice327 qui, à la suite d’une consultation, avait recommandé d’établir une stratégie afin de
passer d’une culture de compensation par l’État à une culture de compensation directe par le
coupable du dommage causé à la victime. Le rapport a soulevé le besoin de réformer les peines
exécutées dans la communauté, comme le SSO, afin qu’elles permettent d’accomplir cet objectif.
Cela a été mis en œuvre en théorie grâce au Offender Rehabilitation Act328 qui a modifié les
sections relatives au SSO dans le Criminal Justice Act de 2003 en introduisant une nouvelle
obligation aux douze originales : l’obligation d’effectuer une activité de réhabilitation. Cette
activité y est définie comme une activité ayant un objectif de réparation, par exemple les activités
de justice restaurative. La volonté de réforme a donc bien été traduite dans les textes mais les
statistiques actuelles ne permettent pas encore de prouver son effectivité sur le terrain.
325
“Activity requirement”
326
Offender management statistics quarterly, April 2010 to September 2012, England and Wales, Ministry of
Justice. En ligne sur: www.gov.uk.
327
Lord Chancellor and Secretary of State for Justice, Punishment and reform: effective community sentences,
Ministry of Justice, March 2012, p.13, en ligne : <www.justice.gov.uk>.
328
Offender Rehabilitation Act, Ministry of Justice, 2014, en ligne : <www.justice.gov.uk>.
111
manières dans les législations objet de notre étude. La question reste de savoir si cette différence
de perception a des répercussions sur la portée de la réparation du dommage.
En effet, le Code pénal français place le sursis dans la section relative aux « modes de
personnalisation des peines ». Le sursis probatoire est ainsi placé dans la même catégorie que la
dispense de peine, l’ajournement de peine et les autres mesures alternatives à la peine. Il se
distingue cependant de ces autres mesures par sa fonction : c’est une alternative à l’exécution
d’une peine déjà prononcée et non une alternative au prononcé d’une peine. Dans l’optique des
modes de personnalisation des peines, il est donc logique que l’obligation de réparation du
dommage soit une option comme une autre pour le juge.
159. Une forme de peine en droit anglais. La Common Law a une approche différente.
Le suspended sentence order figure dans la partie du Criminal Justice Act consacrée aux peines,
spécifiquement sous le chapitre des peines d’emprisonnement inférieures à douze mois. Il est
présenté en théorie comme une forme de peine d’emprisonnement effectuée dans la communauté
mais sa définition en fait une vraie mesure alternative à la peine d’emprisonnement et c’est ainsi
qu’il est perçu par les praticiens du droit 329. On aurait pu s’attendre à ce que la réparation ne soit
pas une obligation facultative pour le juge mais qu’elle fasse partie des conditions nécessaires
pour la mise en œuvre d’un suspended sentence order. Si le SSO fait partie des formes de peines
d’emprisonnement au regard de sa position dans le Criminal Justice Act, il devrait répondre aux
objectifs de la détermination d’une peine prévus à la section 142 du Criminal Justice Act : (a) la
punition des délinquants, (b) la baisse de la criminalité, (c) la réforme et la réhabilitation des
délinquants, (d) la protection de la société et (e) la réalisation de la réparation par les délinquants
aux victimes des dommages causés par leurs infractions. S’il est vrai que le SSO est une
alternative à l’exécution de la peine d’emprisonnement, la peine est tout de même prononcée et
devrait donc respecter les objectifs visés à la section mentionnée ci-dessus.
329
George MAIR, Noel CROSS et Stuart TAYLOR, The community order and the suspended sentence order, the
views and attitude of sentencers, Center for crime and justice studies, 2008, p.23, en ligne :
<www.crimeandjustice.org.uk>.
112
160. Un mode d’extinction de la peine en droit libanais. Le Code pénal libanais se
rapproche du droit anglais car il fait figurer le sursis sous le titre relatif aux condamnations
pénales et plus spécifiquement sous le chapitre relatif à l’extinction des condamnations pénales.
Le sursis y est donc perçu comme un mode d’extinction de la peine, au même titre que la
prescription, par exemple, qui figure au même chapitre. Cette catégorisation du sursis le limite à
son effet de suspension de l’exécution de la peine d’emprisonnement et ne prend pas en compte
ses objectifs de politique criminelle, tels que la personnalisation de la peine et la réhabilitation du
délinquant par l’octroi d’une seconde chance. De plus, elle ne prend pas en compte les objectifs
des éléments qui composent le sursis : le cautionnement, le patronage330 et le dédommagement
qui permettent la responsabilisation de l’auteur de l’infraction et la réparation du dommage causé
à la victime. Ce sursis, dans sa forme la plus simple, peut être qualifié, pour emprunter
l’expression à Mme Lara MOUNAYAR, d’ « embryon de sursis »331, qui, par manque de
moyens, n’a pas évolué comme le sursis en droit pénal français.
162. La possibilité d’une peine mixte. Le droit pénal français permet au juge, dans
certaines situations, de ne pas trancher en faveur d’une peine d’emprisonnement ou d’un sursis,
330
Équivalent du travail d’intérêt général.
331
Lara MOUNAYAR, Le sursis à l'exécution de la peine: étude de droit libanais à la lumière du droit français,
[Droit pénal : Université de Poitiers et Université Saint Esprit de Kaslik : 2001].
113
mais d’opter pour une peine mixte. Ainsi, une partie de la peine sera constituée d’une peine
d’emprisonnement fixe et une autre d’une période de sursis 332. Dans le cas du sursis probatoire,
le délai de probation333 est suspendu pendant la période d’incarcération334. Les obligations, dont
l’obligation de réparation, sont donc reportées jusqu’à la remise en liberté du condamné.
Dans le cas de ces peines d’emprisonnement mixtes, le sursis probatoire, s’il favorise la
personnalisation de la peine, permet surtout de donner un sens à la peine. Lorsque la situation
personnelle de l’intéressé et les circonstances de l’infraction rendent l’application de la peine
prévue trop sévère, la juxtaposition d’un sursis vient assouplir les modalités d’exécution de la
peine335. Le régime de la mise à l’épreuve favorise aussi la mise en liberté progressive du
condamné et l’exécution des obligations choisies par le juge favorisera sa réhabilitation et sa
réinsertion dans la société.
Cependant, dans le cas où la partie civile existe, le juge devra statuer sur l’action civile et juger
du montant ou de la forme de la réparation accordée à la victime de l’infraction. La réparation
retombe ainsi dans le volet civil et obéira aux règles de procédure civile336. Elle prendra
généralement la forme de dommages et intérêts alors que dans le cas où elle fait partie des
obligations du régime de probation, on pourrait imaginer d’autres formes de réparation.
163. L’imposition d’une peine mixte. Le droit anglais a une approche beaucoup plus
simple du sursis. Alors qu’en droit français, le sursis vise indirectement la personnalisation des
332
Article 132-42 al.2 C. pén.
333
A partir du 24 mars 2020, date de la mise en vigueur des modifications apportées par la loi de programmation
2018-2022 et de réforme pour la justice.
334
Article 132-43 al. 2 C. pén.
335
Sarah DINDO, Sursis avec mise à l'épreuve: la peine méconnue, Direction de l'administration pénitentiaire, mai
2011, p.15.
336
Article 10 C. pr. pén.
114
peines et la réhabilitation de leur auteur, le droit anglais s’y oblige. En effet, le Criminal Justice
Act prévoit que pour les peines d’emprisonnement inférieures à douze mois, le juge doit assortir
la peine d’une période de mise à l’épreuve pendant laquelle le condamné devra accomplir
certaines obligations337. Il doit ainsi déterminer dans son jugement la période que le condamné
devra passer en prison, celle-ci devant être comprise entre deux et treize semaines. La période
restante sera consacrée à l’exécution d’une des obligations mentionnées à la section 182 : le
travail d’intérêt général, l’obligation d’activité (définie comme comprenant une activité
réparatrice), l’obligation de suivre un programme déterminé, l’interdiction d’exercer une activité
déterminée, l’obligation de respecter un couvre-feu, etc. Cette exécution partielle en milieu
ouvert de la courte peine d’emprisonnement favorise la réalisation concrète d’une activité
réparatrice en faveur de la victime de l’infraction. Elle raccourcit aussi la période écoulée entre le
moment de la commission de l’infraction et celui durant lequel intervient la réparation du
dommage. On peut regretter dans ce cas que le caractère systématique de l’application d’une
période de sursis aux peines inférieures à douze mois ne s’applique pas à l’obligation de réparer
le dommage causé par l’infraction.
En outre, si le juge trouve la période d’incarcération trop courte (entre deux et treize semaines), il
sera tenté d’augmenter la durée de la peine d’emprisonnement à douze mois et plus afin de
contourner l’obligation de l’assortir d’une période de mise à l’épreuve 338. Cette situation agirait à
contresens de la volonté d’assortir les courtes peines d’emprisonnement d’une période de
réhabilitation.
164. L’absence de peine mixte. En droit libanais, les textes relatifs au sursis ne
mentionnent pas la possibilité d’un sursis partiel. Le sursis n’étant possible que pour les peines
délictuelles et contraventionnelles, il englobe toute la période de la peine. Cet aspect du sursis le
rend plus difficile à octroyer et n’apporte pas vraiment aux magistrats un moyen de
personnalisation de la peine. Ces derniers pourraient y recourir pour faire pression sur le
condamné en vue d’obtenir la réparation du préjudice subi par la victime de l’infraction. En
337
Criminal Justice Act, 2003, chapter 3, section 181, en ligne : <www.legislation.gov.uk>.
338
Mike MAGUIRE, Rod MORGAN et Robert REINER, The Oxford Handbook on Criminology, 4th éd., Oxford
university press, p.1009.
115
dehors de cette motivation, le sursis est rarement utilisé faute de textes législatifs le régissant et
par manque de moyens matériels de suivi du condamné, une fois le sursis prononcé.
165. Il nous a paru intéressant de voir si la réparation du dommage existe toujours parmi
les préoccupations du juge pénal, même suite à l’exécution de la peine d’emprisonnement. Nous
nous arrêterons sur les situations d’arrêt anticipé de la peine d’emprisonnement. Le droit
français prévoit la possibilité de recourir à des aménagements de peine, le droit libanais connaît
la mesure de suspension de peine339 et le droit anglais la mesure de « release on licence ». Ces
mesures permettent toutes de mettre un terme prématuré à la peine d’emprisonnement, sans que
ce terme ne soit déterminé dès la prononciation de la peine. Le critère de réparation du dommage
causé par l’infraction y est présent sous différentes dénominations.
Les efforts d’indemnisation de la victime ne sont pas déterminants à eux seuls des efforts
de réadaptation sociale du condamné mais font partie d’un faisceau d’autres critères (la
participation à la vie de famille, l’exercice d’une activité ou d’une formation
professionnelle, etc.). En outre, l’existence de ces efforts d’indemnisation en plus
d’autres efforts ne garantit pas l’obtention de la libération conditionnelle. C’est ce que
confirme la jurisprudence341 lorsqu’elle privilégie le « principe de crédibilité de la peine »
339
La suspension de peine a un sens différent en droit français, voir article 720-1-1 C. pr. pén.
340
Articles 721 al.1 et 729 al.2, 4° C. pr. pén.
341
Cass. crim., 28 avril 2011, AJ Pénal 2012 p.107, note de Martine HERZOG-EVANS.
116
et l’intérêt de la victime qui passe aussi par l’application d’une peine et non seulement
par la réparation du dommage. Cette position peut être déplorée du point de vue de la
réinsertion sociale des détenus et de l’évitement des sorties sèches de prison, au point que
certains considèrent que c’est la généralisation de la libération conditionnelle qui
donnerait un sens à la peine, par une réflexion sur le passage à l’acte et la construction
d’un projet de réintégration sociale 342.
C’est le terme d’indemnisation et non de réparation que l’on retrouve dans ces textes. Si
l’indemnisation renvoie à l’action de payer des indemnités, la réparation a une définition
bien plus large et englobe toute opération qui consiste à réparer quelque chose 343. Si les
termes d’indemnisation et de réparation sont souvent utilisés comme synonymes,
l’utilisation de l’indemnisation dans le cas de ces aménagements de peine est judicieux et
s’explique par la nature même de la réparation qui sera accomplie. Le détenu étant privé
de sa liberté ne pourra que verser des indemnités à la victime en vue de réparer les
conséquences de son infraction.
167. Le choix de la suspension. Le Code pénal libanais de 1983 prévoyait dans son
article 176 la possibilité d’une suspension conditionnelle d’une peine ou d’une mesure de sûreté
privative de liberté qui pouvait être subordonnée à une ou plusieurs des obligations prévues à
l’article 170 du Code pénal (relatif au sursis). Ce texte prévoit l’obligation de dédommager la
partie civile en tout ou en partie dans un délai relatif au type d’infraction. La réparation du
dommage était donc une possibilité et non une obligation en cas de libération conditionnelle en
droit libanais.
342
Philippe POTTIER, « Nouveaux aménagements de peine, libération conditionnelle et SPIP », AJ Pénal, 2005,
p.105.
343
Catherine LAZERGES, « L'indemnisation n'est pas la réparation », in La victime sur la scène pénale en Europe,
édité par P. U. FRANCE, 2008, p.228.
117
combler cette lacune pour les détenus qui présenteraient des signes d’amendement. Les articles
173 et 175 à 178 du Code pénal ont cependant été respectivement abrogés par l’article 47 de la
loi du 5 février 1948 et par l’article 7 du décret-loi n° 112 du 16 septembre 1983. Il ne reste dans
la partie du Code pénal réservée à la suspension conditionnelle de la condamnation que l’article
174 qui dispose que la suspension conditionnelle de la peine ne peut être accordée si le
condamné doit subir en fin de peine une mesure de sûreté privative de liberté. La suspension de
peine n’a point d’effet sur les peines accessoires et complémentaires. En pratique, cette mesure
est désuète, aucun condamné n’en a bénéficié jusqu’en 2016344.
168. Un choix fondé sur l’évaluation du risque. En droit anglais, le Criminal Justice
Act prévoit la possibilité d’une libération conditionnelle, appelée « release on licence », et la
confie à un organe nommé le « Parole board ». Il est précisé que cet organe prend en compte
dans son jugement le risque qui serait encouru par la société si le prévenu était libéré avant le
terme prévu345. L’évaluation de ce risque prend aussi en compte les bénéfices qui pourraient
exister en terme de réhabilitation et de réduction de la récidive. Mais dans la pesée des divers
impératifs en jeu, le risque qui pourrait être encouru par la société prend le dessus sur les
possibilités de réhabilitation346. La réparation du dommage ne rentre pas en ligne de compte dans
l’évaluation du Parole board, contrairement à la notion de risque qui occupe une place centrale.
Cependant, il semble logique de dire que la réparation pourrait aider à l’évaluation de ce risque
car un détenu qui aura réalisé la réparation du dommage causé par son infraction présente
vraisemblablement un risque moindre en cas de libération. Mais rien dans les textes ou dans les
faits ne permet d’affirmer que le critère de la réparation du dommage est pris systématiquement
en considération par le Parole board lors de son évaluation.
344
Selon les statistiques issues du programme informatique de gestion des prisons tenu par le ministère de la Justice
libanais.
345
Criminal Justice Act, Chapter 44, section 239 (6), 2003, en ligne : <www.legislation.gov.uk>.
346
David TIDMARSH, « Necessary but not sufficient », in Remorse and reparation, sous la dir. de M. COX, édité
par J. K. PUBLISHERS, 1999, p.52.
118
II. La réparation dans les peines alternatives à l’exécution de la peine
d’emprisonnement
169. Les développements ci-dessus ont permis de mettre en relief les mesures alternatives
qui permettent d’éviter l’exécution de la peine d’emprisonnement. Cette partie sera consacrée
aux peines alternatives qui jouent ce rôle 347. Il s’agit évidemment d’une différence de nature
mais cette différence ouvre la voie à une réflexion sur le lien entre la peine et la réparation,
réflexion qui sera approfondie dans la deuxième partie de cette thèse. Les peines alternatives
englobent différents types de peines : nous exclurons de nos développements les peines
privatives ou restrictives de droits qui ne comportent pas de fonction réparatrice, et nous nous
concentrerons sur les peines alternatives incluant un aspect réparateur comme, en droit français,
la contrainte pénale348, le travail d’intérêt général, la sanction-réparation, et en droit anglais, le
community order. En droit libanais, il n’existait pas de peines réparatrices alternatives à
l’emprisonnement jusqu’à l’adoption d’une loi le 26 juin 2019 qui instaure la peine de travail
d’intérêt général pour les majeurs349.
L’accent sera mis sur l’analyse de la place de la réparation dans ces peines alternatives à
l’emprisonnement. Celle-ci constitue d’une part une constante de ces peines alternatives (A) et
pourrait être d’autre part, la solution au problème de confusion des peines alternatives à
l’exécution de la peine d’emprisonnement (B).
170. La réparation semble être un élément constant des peines alternatives à l’exécution
de la peine d’emprisonnement, au point de permettre de qualifier ces peines de « peines
347
Dominique GAILLARDOT, « Les sanctions pénales alternatives », Revue internationale de droit comparé,
Avril-Juin 1994, n° 42, p.683.
348
Désormais abrogée par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, en date du 23 mars
2019.
349
Jusqu’à cette date, le travail d’intérêt général n’était prévu que dans la loi 422/2002 relative aux mineurs en
conflit avec la loi.
119
réparatrices » (1). Ces peines demeurent cependant des alternatives à l’exécution des peines
d’emprisonnement (2).
171. Si nous ne trouvons pas de peines réparatrices en droit libanais 350, le droit français et
le droit anglais sont d’un intérêt certain. En effet, nous retrouvons, en droit pénal français, des
peines fondées sur la réparation du dommage causé par l’infraction, comme la contrainte pénale
et la sanction-réparation. Nous déplorons l’abrogation récente de la contrainte pénale par la loi
de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, car même si cette peine semblait
porter à confusion, son existence permettait d’incarner un modèle de peine réparatrice. Certains
développements relatifs à la contrainte pénale restent intéressants au regard de l’aspect
comparatif de notre thèse.
Outre les peines réparatrices, il existe des peines qui ont une visée réparatrice, même si la
réparation du dommage n’est pas explicitement mentionnée au nombre de leurs objectifs, tels
que le travail d’intérêt général en droit français et le community order en droit anglais. Même si
nous saluons la volonté du législateur libanais d’adopter une loi sur le travail d’intérêt général,
première peine alternative à l’emprisonnement en droit des majeurs (après l’amende), nous ne
pouvons qu’être sceptiques (et effarés !), au regard du contenu de cette loi, tant son esprit
s’éloigne de la réparation. La loi, publiée au Journal officiel le 11 juin 2019, instaure
pratiquement une peine de travaux forcés et son adoption confirme qu’il ne suffit pas de mettre
un cadre technique aux alternatives mais qu’il faut surtout adhérer à la philosophie des
alternatives réparatrices351.
350
En ce qui concerne les majeurs, les mesures réservées aux mineurs étant traitées dans une partie qui leur est
réservée.
351
A première lecture, plusieurs critiques peuvent être adressées : la première est le lien inutile effectué avec la
peine de TIG prévue pour les mineurs qui, elle, est mieux définie dans la loi 422/2002 ; la seconde est le mode de
calcul de la durée du TIG qui selon l’article 2 de la loi équivaut à 8h de travail par jour de prison, la durée pouvant
ainsi atteindre 2920 heures pour une peine d’un an d’emprisonnement ; et la troisième étant la mention du TIG
comme alternative aux peines d’amendes prononcées à la place de l’emprisonnement, une sorte d’alternative à
l’alternative ! Enfin, la loi manque de précision au niveau de la prise en compte des droits des auteurs et des
victimes, notamment en ce qui concerne le consentement de l’auteur de l’infraction qui n’est pas requis. La peine de
TIG se rapproche plus ici des travaux forcés que des réelles alternatives réparatrices.
120
172. La combinaison peine-réparation. La contrainte pénale et la sanction-réparation
sont la manifestation flagrante de l’intégration de la réparation du dommage au sein d’une peine.
En effet, l’article 131-3 du Code pénal français qui énumère les différentes peines
correctionnelles faisait figurer – jusqu’à la loi du 23 mars 2019 - la contrainte pénale en
deuxième position après l’emprisonnement, démontrant ainsi son importance dans l’échelle des
peines352. La réparation-sanction figure quant à elle en neuvième et dernière position353. La
nature de peine de ces deux mesures ne peut donc être contestée et elle est reprise dans leurs
textes respectifs : l’article 131-4-1 relatif à la contrainte pénale disposait que « la juridiction peut
prononcer la peine de contrainte pénale » et l’article 131-8-1 du Code pénal relatif à la sanction-
réparation utilise également le terme de « peine de sanction-réparation ». D’ailleurs, la
dénomination de sanction-réparation suffit à associer les deux concepts punitifs et réparateurs.
l’obligation d’effectuer un travail d’intérêt général qui, comme nous le verrons ci-
dessous, a une visée réparatrice356,
352
Jean-Jacques URVOAS, Rapport sur la mise en œuvre de la loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des
peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, ministère de la Justice, 2016, en ligne :
<www.justice.gouv.fr>.
353
En 8e et dernière position à compter du 20 mars 2020.
354
5° : « Réparer en tout ou partie, en fonction de ses facultés contributives, les dommages causés par l'infraction,
même en l'absence de décision sur l'action civile ».
355
La mesure de réparation du dommage est utilisée dans 11,5% des contraintes pénales prononcées. C’est la 3 ème
mesure la plus utilisée derrière l’exercice d’une activité professionnelle ou d’une formation et le suivi médical. Ceci
s’explique car la contrainte pénale est majoritairement utilisée dans les cas de délits routiers (conduite avec alcool ou
sous stupéfiants). Chiffres issus du Rapport sur la mise en oeuvre de la loi du 15 août 2014 relative à
l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, ministère de la Justice, 2016, en ligne :
<www.justice.gouv.fr>.
356
Le travail d’intérêt général est uniquement utilisé dans 4,9% des contraintes pénales (rapport précité).
121
La sanction-réparation est, quant à elle, fondée sur la réparation qui détermine sa définition.
Selon l’article 131-8-1 du Code pénal, « la sanction-réparation consiste dans l'obligation pour le
condamné de procéder, dans le délai et selon les modalités fixés par la juridiction, à
l'indemnisation du préjudice de la victime ». Nous aurions sans doute critiqué le traditionnel
rapprochement entre réparation et indemnisation si l’article ne prévoyait pas dans son 3 ème alinéa
la possibilité d’une réparation en nature, dépendante de l’accord de la victime et du prévenu. En
outre, le terme d’indemnisation pourrait renvoyer au vocabulaire employé par le juge civil
lorsqu’il statue sur les dommages et intérêts. L’importance de les différencier vient du fait que
rien n’empêche la victime ayant obtenu réparation au pénal de demander des dommages et
intérêts au civil, dommages et intérêts qui prendront dans ce cas un caractère punitif 357. La
réparation du dommage ne pouvant avoir lieu qu’une seule fois, toute autre forme de
compensation serait une indemnisation supplémentaire des conséquences de l’infraction.
La possibilité d’une réparation en nature prévue par la sanction-réparation est d’autant plus
importante qu’elle permet à l’auteur de contribuer effectivement à la réparation de son erreur et
donc de rétablir plus sûrement le trouble causé à l’ordre public car l’auteur de l’infraction sera au
plus près de la situation de la victime et prendra réellement conscience du dommage qu’elle a
subi358. D’autres peines, à défaut d’être centrées sur la réparation, comportent une visée
réparatrice.
173. Une peine avec un volet de réparation. Distinguer le travail d’intérêt général et le
community order de la sanction-réparation s’explique par le fait que ces peines ne ciblent pas
directement la réparation du dommage causé par l’infraction mais comporte néanmoins un aspect
réparateur. Le community order ressemble par ailleurs étrangement à la contrainte pénale.
Introduit dès le 4 avril 2005, il a permis de rassembler en une seule mesure plusieurs peines : les
community rehabilitation order, community punishment order, community punishment and
357
Patricia HENNION-JACQUET, « L'indemnisation du dommage causé par une infraction : une forme atypique de
réparation ? Dommages et intérêts, classement sous condition de réparation, sanction-réparation », RSC, 2013,
p.517.
358
Caroline GATTO, Le pardon en droit pénal, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2014, [Droit : Université de
Nice Sophia Antipolis]: « d’un point de vue pratique, lorsque la remise en état d’un bien endommagée est réalisée
par le condamné lui-même et non par un professionnel qu’il rémunère, l’auteur inspire davantage de confiance à la
victime et à la société » , p.383.
122
rehabilitation order, drug treatment and testing order, curfew order, attendance centre order359.
Le parallèle avec la contrainte pénale qui rassemblait les obligations du sursis avec mise à
l’épreuve, le travail d’intérêt général et l’injonction de soin, semble facile à opérer, à la seule
différence que le community Order est venu remplacer les peines qu’il a absorbé, ce qui permet
d’éviter les critiques de doublons dirigées vers la contrainte pénale. Au regard des modifications
apportées par la loi du 23 mars 2019, on pourrait se demander s’il n’aurait pas mieux fallu que la
contrainte pénale absorbe le sursis avec mise à l’épreuve, le travail d’intérêt général et
l’injonction de soin afin d’éviter les doublons et par là-même sa disparition programmée du Code
pénal.
L’aspect réparateur du community order se présente dans deux des obligations qui font partie de
la liste des mesures offertes aux magistrats pour composer le community order360 :
Ces deux obligations auraient été identiques sans la mention de la justice restaurative dans
l’obligation de réhabilitation, obligation qui semble avoir été introduite dans le but d’inclure la
justice restaurative parmi les mesures et peines alternatives à l’emprisonnement.
Sur un autre plan, le travail d’intérêt général qui figure à l’article 131-13 du Code pénal
français en 6ème position des peines correctionnelles, est défini à l’article 131-8 du même code
comme une « peine de travail d’intérêt général » effectuée au profit soit d’une personne morale
de droit public soit d’une personne morale de droit privé chargée d’une mission de service
public, ou d’une association habilitée à mettre en œuvre des travaux d’intérêt général. Il est
comparable à l’ancienne forme du community order connu sous la dénomination de community
359
George MAIR, Noel CROSS et Stuart TAYLOR, The community order and the suspended sentence order, the
views and attitude of sentencers, Center for crime and justice studies, 2008, en ligne : www.crimeandjustice.org.uk ,
p. 7.
360
Samuel KING, Going straight on probation: desistance transitions and the impact of probation, [Th. doct. :
Philosophy : University of Birmingham : 2010].
361
Elle a été introduite par le “Offender Rehabilitation Act”, Ministry of Justice, 2014, en ligne :
www.justice.gov.uk, p. 13, section 15-(1), qui vient insérer une section 200A au “Criminal Justice Act” de 2003.
123
service order362. Si l’objectif premier du travail d’intérêt général est de punir, il comporte un
objectif réparateur indéniable. Cet objectif transparaît d’abord dans le fait que le juge essaye
autant que possible de trouver un lien entre l’infraction commise et la nature du travail d’intérêt
général choisi, et ensuite dans le fait que l’activité effectuée par l’auteur de l’infraction profite à
la communauté en réparation du trouble causé à celle-ci. Il s’agit ici d’un effort de réparation
globale envers la société, d’une réparation symbolique, plutôt que d’une action de réparation
particulière envers la victime de l’infraction.
En droit libanais, la loi du 26 juin 2019 vient modifier le code pénal en introduisant la
peine de travail d’intérêt général. Il est mentionné dans les – très brefs - motifs de la loi que la
peine ne doit pas seulement viser la répression de l’auteur de l’infraction mais aussi sa
réhabilitation en vue de sa resocialisation. Si cette définition des fonctions de la peine est
louable, la loi sur le travail d’intérêt général manque de clarté sur le sens de la mesure.
174. Si ces peines figurent dans la partie de la thèse relative aux alternatives c’est qu’elles
ont pour mission d’être une alternative à l’emprisonnement. En droit pénal français, elles
pourraient pourtant avoir le caractère de peines autonomes car ce sont des sanctions pénales à
part entière qui figurent dans la liste des peines correctionnelles à l’article 131-3 du Code pénal,
au même titre que l’emprisonnement. Le droit libanais qualifie le travail d’intérêt général
d’alternative à la peine d’emprisonnement pour les contraventions et les délits et d’alternatives
aux peines d’amendes qui remplacent une peine d’emprisonnement ou une peine d’amende
additionnelle. Le droit anglais considère le community Order comme une peine à part entière et
le fait figurer dans la partie consacrée à la condamnation, sentencing, au sein du Criminal Justice
Act. Le choix a cependant été pris de les analyser dans la partie relative aux peines alternatives à
l’exécution d’une peine d’emprisonnement pour plusieurs raisons que nous développons ci-
dessous.
362
Bernard BOULOC, Droit pénal général, 23e éd., Dalloz, 2013, p. 455.
124
175. Le non-cumul avec la peine d’emprisonnement. L’article 131-9 du Code pénal
prévoit que l’emprisonnement ne peut être prononcé cumulativement avec une des peines
prévues à l’article 131-6, ou avec la peine de travail d’intérêt général. Cette interdiction de cumul
soutient le choix de qualifier d’alternatives à l’emprisonnement la peine de travail d’intérêt
général. De plus, les articles relatifs à la sanction-réparation et au travail d’intérêt général
précisent que ces mesures peuvent être prononcées « à la place » de l’emprisonnement. La
mention « à la place de l’emprisonnement » a été ajoutée à l’article 131-8 du Code pénal relatif
au travail d’intérêt général uniquement depuis la loi n°2004-204 du 9 mars 2004, soit 21 ans
après l’introduction du travail d’intérêt général. Le renforcement de la place du travail d’intérêt
général au sein de l’échelle des peines est de plus en plus souhaitée par la doctrine qui exprime la
volonté que le cette peine soit considérée comme une peine à part entière et non comme une
alternative à l’emprisonnement 363.
En droit libanais, l’article 6 de la loi du 26 juin 2019 précise qu’en cas de non-exécution de tout
ou partie du travail d’intérêt général, la peine d’emprisonnement initiale sera mise à exécution.
La situation est identique en droit anglais où en cas d’échec du community order, le juge peut
revoir le dossier comme si le community order n’avait jamais été prononcé et que l’affaire devait
363
Didier PARIS et David LAYANI, Les leviers qui permettent de dynamiser le travail d'intérêt général, Rapport
remis au Premier Ministre Edouard Philippe, Mars 2018, en ligne : <www.justice.gouv.fr>. Bruno COTTE, Pour
une refonte du droit des peines, Rapport adressé à Mme la Garde des Sceaux, ministère de la Justice, Décembre
2015.
125
être jugée à nouveau 364. Dans ce cas, et comme le community order est une alternative à
l’emprisonnement, la peine d’emprisonnement serait le choix le plus probable du juge, ce qui
mène certains auteurs à affirmer que le community order encouragerait l’emprisonnement en cas
de non réalisation des obligations qui le composent alors que d’autres alternatives prévoient
d’autres mesures, comme l’amende ou l’avertissement, en cas de non réalisation des obligations
du condamné365. Cette solution de secours vient consolider la qualification de ces peines comme
alternatives à l’emprisonnement, et les différencie des mesures alternatives, traitées au chapitre
premier, qui forment de manière plus globale des alternatives aux poursuites et interviennent plus
en amont de la procédure pénale.
364
Criminal Justice Act, Chapter 44, 2003, schedule 8, p. 258, en ligne : <www.legislation.gov.uk>.
365
George MAIR, Noel CROSS et Stuart TAYLOR, The community order and the suspended sentence order, the
views and attitude of sentencers, Center for crime and justice studies, 2008, p.15, en ligne :
www.crimeandjustice.org.uk.
366
Ce consentement peut être recueilli depuis la loi n°2016-731 du 3 juin 2016 (art. 107), même en cas d’absence du
condamné à l’audience, s’il a fait connaître par écrit son accord et qu’il est représenté par son avocat.
126
amende, ce qui, pour certains, remet en question l’autorité de la justice 367 car ce serait donner le
choix de la peine au condamné.
En droit libanais, la nouvelle loi du 26 juin 2019 instaurant la peine alternative de travail
d’intérêt général ne fait aucune référence au consentement du condamné, ce qui est regrettable
mais pas surprenant, le code pénal libanais comprenant encore la peine de travaux forcés pour les
crimes.
367
Xavier PIN, « Le travail d'intérêt général, peine principale de référence: l'innovation en vaut-elle la
peine?», Dalloz, 2003, p.75.
368
Article 71 de la loi de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice, promulguée le 23 mars 2019.
127
alternatives ainsi qu’à la pertinence des catégories de peines principales, complémentaires et
alternatives369. Dans ce rapport, la commission propose de regrouper les peines alternatives en
deux catégories : les peines alternatives communes à l’emprisonnement et à l’amende et les
seules peines alternatives à l’emprisonnement. Cette proposition est critiquable car elle considère
toujours la peine d’emprisonnement comme la peine de référence et lui conserve une place
prépondérante dans l’arsenal des peines parmi lesquelles le juge peut choisir. Ces peines
n’existeraient qu’en tant qu’alternative à l’emprisonnement. Or les critiques auxquelles fait face
la peine d’emprisonnement 370 et la quasi-certitude qu’elle ne permet pas de lutter contre la
récidive ont conduit au mouvement d’individualisation de la peine qui incite à chercher la
meilleure peine pour chaque infraction et son auteur. L’article 3 de la loi n°2014-896 du 14 août
2015 confirme cette tendance en disposant qu’ « en matière correctionnelle, une peine
d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de
l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre
sanction est manifestement inadéquate ; dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la
personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire
l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux sous-sections 1 et 2 de la section 2 du
présent chapitre »371. Ce texte consacre le principe de subsidiarité de l’emprisonnement et devrait
amener à réduire l’automatisme du recours à la peine d’emprisonnement qui ne devrait être
utilisée qu’en dernier recours en matière correctionnelle. Le principe de subsidiarité a été
renforcé par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice
qui permettra, à partir du 24 mars 2020, d’interdire le prononcé de peines d’emprisonnement
ferme inférieures ou égales à un mois. De plus, l’aménagement de peine deviendra le principe
pour les peines d’emprisonnement inférieures à six mois.
Le juge devrait ainsi rechercher la peine adéquate par elle-même sans qu’elle ne soit reliée à
l’emprisonnement. Car l’allusion à l’emprisonnement dans la définition de ces peines ne leur
accorde pas de nature propre.
369
Commission présidée par Bruno COTTE, Pour une refonte du droit des peines, Rapport adressé à Mme la Garde
des Sceaux, Ministre de la Justice, Décembre 2015.
370
De la plus traditionnelle des critiques qui qualifie la prison comme étant l’école du crime aux études qui
démontrent le effets néfastes de la prison sur la plan de la désocialisation et de la récidive. Pour plus de détails, se
référer au chapitre relatif au réalisme du droit.
371
Article 132-19 C. pén.
128
180. Un lien de dépendance critiquable. La sanction-réparation et le travail d’intérêt
général mériteraient d’avoir une nature indépendante de la peine d’emprisonnement. Ces
mesures sont en effet citées en tant que peines correctionnelles à part entière à l’article 131-3 du
Code pénal. Mais pour leur permettre d’être autonomes, la mention de la peine
d’emprisonnement dans les textes y relatifs devrait disparaître372. Les mentions « à la place de
l’emprisonnement » et « lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement » devraient être
supprimées des articles relatifs au travail d’intérêt général et à la sanction-réparation373. Dans le
cas contraire, l’article 131-3 du Code pénal ne devrait pas énumérer les peines de 1 à 8 mais il
devrait être rédigé de la sorte : la peine correctionnelle encourue par une personne physique est la
peine d’emprisonnement. Pour tout motif relié à la situation de l’auteur ou à la commission de
l’infraction mentionnée aux articles suivants, le juge peut substituer l’une ou plusieurs des peines
suivantes à la peine d’emprisonnement : le travail d’intérêt général, l’amende, etc.
Sur un autre plan, plus sociologique, qualifier ces peines d’alternatives à l’emprisonnement fait
allusion au fait que les condamnés auraient dû être emprisonnés mais ne le seront pas, ce qui peut
ne pas être accepté par la société. La mise en relief de l’aspect réparateur de ces peines
permettrait de leur donner une nature propre de peines réparatrices qui devraient pouvoir
intervenir en cas de primo-délinquance et d’infractions délictuelles mineures, sans lien avec une
éventuelle peine d’emprisonnement. Cependant, cela ne pourrait se faire qu’une fois la confusion
entre ces peines réparatrices est résolue.
181. Une confusion entre la contrainte pénale et le sursis avec mise à l’épreuve,
aujourd’hui résolue. Les peines alternatives à fonction réparatrice font l’objet de critiques car
leur multiplicité crée une certaine confusion et remet ainsi en question l’utilité de certaines
372
Gérard PITTI, « La contrainte pénale, cette peine inachevée », Gazette du Palais, 13 juin 2015, n° 164. Muriel
GIACOPELLI, « La loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des
sanctions pénales: un rendez-vous manqué », AJ Pénal, 2014, p.448.
373
Le rapport du jury de consensus remis au Premier ministre le 20 février 2013 et intitulé : « Pour une nouvelle
politique publique de prévention de la récidive, Principes d’action et méthodes » recommande spécifiquement
l’instauration du peine de probation indépendante et sans lien ni référence avec l’emprisonnement, en ligne :
www.justice.gouv.fr.
129
mesures. La principale confusion touchait le sursis avec mise à l’épreuve et la contrainte pénale,
récemment abrogés par la loi 2019-22 du 23 mars 2019 et fusionné en une même mesure : le
sursis probatoire. Cette confusion ne tenait pas uniquement au fait que la contrainte pénale
renvoyait en premier lieu dans la liste de ses obligations et interdictions à celles prévues à
l’article 132-45 du Code pénal relatif au sursis avec mise à l’épreuve374. Elle relevait aussi de la
finalité des deux mesures. En effet, ces mesures visaient à éviter au condamné la peine
d’emprisonnement et la remplaçaient par des obligations et des interdictions similaires. Du point
de vue de leur domaine, ces mesures concernaient toutes deux les infractions punies de cinq ans
d’emprisonnement. En outre, le non respect de l’une ou de l’autre mesure aboutissait à la mise à
exécution d’une peine d’emprisonnement.
Mais du point de vue de leur définition, le sursis avec mise à l’épreuve était une suspension sous
condition de l’exécution de la peine d’emprisonnement, la contrainte pénale était quant à elle une
peine alternative à l’emprisonnement prononcée à titre principal et qui était non cumulable avec
l’emprisonnement. Cependant, il n’était pas certain que cette différence de nature aboutisse à une
réelle différence en pratique. D’ailleurs, c’est le rejet par les praticiens de la contrainte pénale qui
a probablement contribué à son abrogation.
La contrainte pénale visait à remplacer le sursis avec mise à l’épreuve dans le cas de personnes
nécessitant un suivi renforcé et à garder le sursis pour les infractions mineures qui nécessitent
uniquement le contrôle formel du respect des obligations du sursis375. Cette différence de degré
au niveau du suivi remet cependant en cause la définition de la probation dont l’une des bases est
le suivi individualisé du condamné. Différencier la nature de ce suivi mettrait à mal l’objectif
probationnaire des deux mesures et transmettrait un message négatif aux institutions
responsables de ce suivi.
374
La confusion aboutit parfois à qualifier la contrainte pénale de « fausse peine » : Pierrette PONCELA, « Les
peines extensibles de la loi du 15 août 2014 », Revue des sciences criminelles, 2014, p.611.
375
Anne GROSCLAUDE-HARTMANN, « Modalités et régime de la nouvelle peine: la contrainte pénale et le
sursis avec mise à l'épreuve », La Gazette du Palais, 23 mai 2015, n° 143.
130
évaluation. Ce point n’a pas suffit pas à évincer le sursis avec mise à l’épreuve qui garde
l’avantage de la mixité possible avec une peine d’emprisonnement et l’avantage de l’effacement
de la mesure du casier judiciaire qui sont, selon certains auteurs, les principaux atouts qui ont fait
que le sursis avec mise à l’épreuve n’a pas reculé pas devant la contrainte pénale 376.
Mais cet avis ne rejoint pas le point de vue émis par le rapport COTTE qui proposait une
promotion de la contrainte pénale au détriment du sursis avec mise à l’épreuve que la
commission en charge du rapport propose de supprimer. Pour pallier les conséquences de cette
suppression, la commission proposait la transformation du suivi socio-judiciaire en « suivi socio-
judiciaire probatoire ou de probation »377 qui pourrait suivre une peine d’emprisonnement purgée
et qui comprendrait en plus du suivi et du contrôle des mesures telles que celles prévues par
l’article 132-45 du Code pénal et telles que l’injonction de soins.
Cette proposition est critiquable car elle n’aurait servi qu’à promouvoir la contrainte pénale en
évinçant sa concurrence : le sursis avec mise à l’épreuve prononcé sans peine d’emprisonnement.
Le rapport répondait au besoin de préserver les peines mixtes en accordant au suivi socio-
judiciaire un cadre plus général. Cependant, nous pensons que la promotion de la contrainte
pénale devait se faire indépendamment du sursis avec mise à l’épreuve : le second est par
essence relié à l’emprisonnement qu’il permet d’éviter en tout ou en partie alors que la première
devait gagner en autonomie et devait devenir une peine de référence pour certaines catégories
d’infractions et de délinquants. Pourtant, le projet de loi de programmation et de réforme pour la
Justice a interrompu ce débat en fusionnant le sursis avec mise à l’épreuve et la contrainte pénale
en une nouvelle mesure, le sursis probatoire, qui consiste en un suivi avec mise à l’épreuve
376
Anne GROSCLAUDE-HARTMANN, « Modalités et régime de la nouvelle peine: la contrainte pénale et le
sursis avec mise à l'épreuve », La Gazette du Palais, 23 mai 2015, n° 143. Martine HERZOG-EVANS, « La
contrainte pénale ne marche pas... c'est donc une bonne mesure? », en ligne : <http://herzog-evans.com/la-
contrainte-penale-ne-marche-pas-cest-donc-une-bonne-mesure/>. Voir aussi dans ce sens: URVOAS JEAN-
JACQUES, Rapport sur la mise en œuvre de la loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et
renforçant l'efficacité des sanctions pénales, ministère de la Justice, 2016, p.17, en ligne : www.justice.gouv.fr: au
30 septembre 2016, une contrainte pénale pour 32 sursis avec mise à l’épreuve a été prononcée en répression
d’infractions entrant dans le champ d’application de la contrainte pénale. Philippe PIROT, Brigitte POULAILLER
et Nicolas SIGLER, Le sursis avec mise à l'épreuve en 2016, Infostat Justice n°155, ministère de la Justice,
septembre 2017, en ligne : <www.justice.gouv.fr>.
377
Bruno COTTE, Pour une refonte du droit des peines, rapport adressé à Mme la Garde des Sceaux, ministère de la
Justice, Décembre 2015, p.45.
131
assorti d’un suivi socio-éducatif individualisé et soutenu et pouvant être prononcé en même
temps qu’une peine d’emprisonnement378.
182. Une confusion similaire en droit anglais. Le parallèle effectué entre la contrainte
pénale et le community order refait surface ici quant à la confusion qui peut exister entre le
community order et le suspended sentence order, deux mesures qui partagent le même contenu.
Les réflexions menées sur le community order sont, de manière surprenante, assez comparables à
celles qui visaient la contrainte pénale, notamment celles qui portent sur le caractère novateur ou
non de ces mesures qui semblent plutôt concentrer en une seule peine des mesures éparpillées
déjà existantes379. Cependant, leur définition les différencie sur le plan de leur nature : le
community order est une peine exécutée au sein de la communauté alors que le suspended
sentence order est une peine d’emprisonnement 380. C’est sans doute cette clarté qui manquait
dans les définitions de la contrainte pénale et du sursis avec mise à l’épreuve afin d’éviter la
confusion entre ces deux peines, et leur récente abrogation.
378
Loi 2019-222 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, en date du 23 mars 2019. Jenny
FRINCHABOY, « Le sens et l'efficacité des peines dans la Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la
justice », AJ Pénal, 2019, p.198.
379
George MAIR, Noel CROSS et Stuart TAYLOR, The community order and the suspended sentence order, the
views and attitude of sentencers, Center for crime and justice studies, 2008, p.7, en ligne :
<www.crimeandjustice.org.uk>. Anne GROSCLAUDE-HARTMANN, « Modalités et régime de la nouvelle peine:
la contrainte pénale et le sursis avec mise à l'épreuve », La Gazette du Palais, 23 mai 2015, n° 143.
380
MAIR, CROSS & TAYLOR, p. 20.
132
Conclusion du chapitre 2
183. La réparation apparaît sous différentes formes dans les mesures alternatives au
prononcé ou à l’exécution de la peine d’emprisonnement. Condition de la dispense de peine ou
obligation de l’ajournement en vue d’une dispense de peine, la réparation pèse dans la décision
du juge pénal. Ce dernier choisit de ne pas prononcer de peine car le dommage est réparé et
l’intérêt individuel à l’action largement diminué. Dans le cadre des délits mineurs et des
contraventions, l’atteinte à l’ordre public est tellement faible que l’intérêt de l’État à prononcer
une peine est moins important que l’intérêt de la victime à recevoir une réparation. Cet intérêt
étant satisfait, l’État choisit de se limiter à une déclaration de culpabilité qui s’avère plus
proportionnée.
381
Sens et efficacité des peines, les axes de la réforme, Ministère de la Justice, mars 2018, en ligne:
www.justice.gouv.fr.
133
Conclusion du Titre 1
185. Envisager la place de la réparation au sein des alternatives aux poursuites et des
alternatives à la peine nous mène à une évidence, celle de l’intégration de cette notion au sein de
la justice pénale. En outre, qualifier les mesures étudiées dans ce titre d’alternatives à la justice
pénale ne devrait pas laisser penser qu’elles existent « en dehors » de la justice pénale. Elles
forment effectivement ce qui y est communément appelé la « troisième voie », une voie
supplémentaire et non différente, qui vient s’ajouter aux autres voies de la justice pénale. Cette
voie est encore aujourd’hui considérée comme une alternative, une bifurcation lorsqu’on ne veut
pas s’embarquer dans la voie principale, celle des poursuites pénales et de la condamnation à une
peine d’emprisonnement.
187. Si le droit français et le droit anglais semblent bien engagés dans la voie des
alternatives réparatrices, on ne peut que déplorer l’immobilisme du droit libanais en la matière.
Pourtant, l’incapacité de la justice libanaise à faire face aux problèmes qu’elle rencontre devrait
pousser le législateur à prendre exemple sur le droit français et le droit anglais. Les mesures
alternatives comptent aussi et surtout sur le réalisme du droit pour défendre et réussir pleinement
leur intégration dans la justice pénale.
134
TITRE 2
De plus, les politiques pénales cherchent à répondre aux besoins et aux difficultés de la justice
pénale de la manière la plus concrète possible. Des défis tels que la hausse du nombre des
classements sans suite, l’insatisfaction des victimes, l’engorgement des tribunaux, les contraintes
budgétaires des acteurs judiciaires, la lutte contre la délinquance et la récidive, imposent aux
législateurs et aux gouvernements d’y faire face avec réalisme par l’adoption de politiques
concrètes. La réparation apparaît comme un outil pratique et concret pour les politiques d’action
publique et les politiques pénales. Ainsi, le réalisme du droit est aujourd’hui un moteur de la
réparation (Chapitre 2).
135
Chapitre 1 : L’implication du délinquant, facteur de réparation
189. Garantir l’implication du délinquant est la première étape d’un processus qui lui
permettra de prendre ses responsabilités, dans le cadre d’une « justice de dialogue »382 dont les
mesures seront plus efficaces car elles seront acceptées. La place qu’a pris le consentement du
délinquant en droit pénal a déjà été relevée par de nombreux auteurs dès la fin du 20e siècle et le
renforcement du consensualisme dans la procédure pénale déjà anticipé 383. Au regard des
alternatives aux poursuites ou des alternatives à la peine, la formule « un mauvais accord vaut
mieux qu’un bon procès » prend une toute autre dimension. La recherche d’un consensus au
moyen des alternatives est privilégiée. Le dialogue permet d’aboutir à une solution négociée et
non imposée384. On retrouve ainsi la notion de consentement de l’auteur de l’infraction, en droit
français et en droit anglais, dans les textes relatifs aux mesures et peines réparatrices. Cette
notion reste absente du droit pénal libanais qui consacre encore les travaux forcés parmi les
catégories des peines385, même si ces derniers ne sont pratiquement plus utilisés par les
magistrats de nos jours.
382
J., SALVAGE, Ph. FRANCILLON, « Les ambiguïtés des sanctions de substitution », JCP, 1984, 3133.
383
Philippe SALVAGE, « Le consentement en droit pénal », Revue de sciences criminelles, 1991, p.699. Xavier
PIN, Le consentement en matière pénale, L.G.D.J, 2002. Françoise ALT-MAES, « La contractualisation du droit
pénal. Mythe ou réalité? », Revue de sciences criminelles, 2002, p.501. J-P EKEU, Consensualisme et poursuite en
droit pénal comparé, Travaux de l'Institut de sciences criminelles de Poitiers, Cujas, 1992, n°19.
384
Françoise ALT-MAES, « La contractualisation du droit pénal. Mythe ou réalité? », Revue de sciences
criminelles, 2002, p.501.
385
Articles 37 et 39 du Code pénal libanais.
136
Section 1 : Le consentement du délinquant à la réparation
L’évolution du droit pénal fait apparaître le consentement du délinquant comme une condition
nécessaire pour la mise en œuvre de mesures réparatrices (I) mais les interrogations concernant
son caractère libre et éclairé doivent être soulevées au regard de la procédure de recueillement du
consentement et du contexte vécu par le délinquant (II).
386
Michel DANTI-JUAN, « Le consentement et la sanction », in La sanction du droit - Mélanges offerts à Pierre
Couvrat, puf, 2001, p.367.
387
« Lexique des termes juridiques », sous la dir. de S. GUINCHARD et T. DEBARD, 25 éd., Dalloz, 2017-2018,
p.286.
388
Idem.
137
A. Le consentement, une condition obligatoire
192. Le consentement est devenu une condition obligatoire lors de la mise en place de la
sanction de nombreuses infractions (1). Autrefois absent de la matière pénale car incompatible
avec la justice répressive, il fait son entrée dans le Code pénal français grâce aux apports du droit
international et de la tendance d’une justice réparatrice. Le recueil du consentement,
puisqu’obligatoire, doit être entouré de garanties afin de protéger son caractère libre et éclairé
(2).
193. Les mesures et peines alternatives étudiées dans le titre premier de cette partie
n’accordent pas la même place au consentement au sein de leurs conditions d’exécution. Cela
dépend du contenu de la peine et de l’autorité judiciaire qui les propose.
Ce facteur peut être recoupé avec celui de la nature de peine de la mesure concernée. Si on peut
tolérer qu’une mesure soit acceptée, on ne pourrait pas en dire autant pour une peine qui par
389
Avant son abrogation par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019.
390
Criminal Justice Act, Chapter 44, 2003, Part 3 (22), en ligne : www.legislation.gov.uk.
138
nature est imposée. La sanction-réparation, peine qui comporte un objectif de réparation, ne
nécessite pas le consentement du prévenu pour leur mise en œuvre 391.
Il existe cependant, en droit français, une exception à ce principe dans des peines qui nécessitent
le consentement du prévenu, en raison de leur contenu.
Cependant, le travail d’intérêt général est une peine qui par nature devrait être imposée et non
acceptée. Si dans la rédaction de l’article 131-8 du Code pénal, le juge ne propose pas de travail
d’intérêt général mais le prescrit, son choix reste suspendu à l’intervention du prévenu. Le
législateur a ainsi privilégié la formulation tendant à recueillir le refus du condamné d’exécuter
un travail d’intérêt général, ce dernier n’ayant pas le droit d’accepter le travail d’intérêt général
mais « le droit de refuser l’accomplissement d’un travail d’intérêt général »393. Ce jeu de mots
cache une même réalité car ne pas refuser une peine, c’est bien l’accepter. Il n’y a peut-être pas
d’offre formulée pour parler d’acceptation mais il y a un droit de veto accordé au prévenu.
391
Il en était de même pour la contrainte pénale, abrogée par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour
la justice, du 23 mars 2019.
392
L’Organisation Internationale du Travail définit le travail forcé comme étant « tout travail ou service exigé d’un
individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de son plein gré »,
art. 2, para. 1 de la Convention n°29 de l’OIT sur le travail forcé, adoptée en 1930. Voir aussi : art. 4 de la
Convention européenne des droits de l’homme relatif à l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé. Une requête
contre la Russie relative à une peine de travail d’intérêt général non exécutée est toujours pendante devant la Cour
(Tiunov c. Russie, requête n°29442/18), Fiche thématique en ligne sur : www.echr.coe.int.
393
Art. 131-8 C. pén.
139
La situation est similaire en matière de libération conditionnelle, mesure que le prévenu a le droit
de refuser car elle est assortie de conditions particulières, notamment celles mentionnées aux
articles 132-44 et 132-45 du Code pénal394. Ces conditions sont pourtant celles qui assortissent
aussi le sursis probatoire qui, lui, est imposé et ne nécessite pas le consentement de l’intéressé
pour sa mise en place. La nécessité du consentement en matière de libération conditionnelle
pourrait s’expliquer par les mesures d’aide et de contrôle supplémentaires prévues aux articles
D.532 à D.536 du Code de procédure pénale 395 (comme le suivi renforcé du SPIP, ses visites à
domicile et au lieu de travail, la remise du compte nominatif au SPIP, l’engagement dans
l’armée, etc.). Cependant, ces mesures sont nettement moins contraignantes que
l’emprisonnement, l’imposition du recueil du consentement du prévenu semble inutile au regard
de l’allègement de la peine.
En Common Law, le consentement à la réparation n’est pas requis pour les mesures de
suspended sentence order et de community order. Ces peines et leur contenu (activité de
réparation, travail non payé) sont imposés, à l’exception des obligations de soins ou de
traitements lesquelles, si elles sont inclues dans les obligations proposées par le juge, doivent être
acceptées par l’auteur de l’infraction.
Le consentement à la réparation n’est pas requis non plus en droit libanais en ce qui concerne le
sursis396, le juge pouvant subordonner l’octroi du sursis au dédommagement de la victime sans
recueillir le consentement de l’intéressé.
Il ne suffit pas que le consentement soit obligatoire pour préserver les droits des auteurs
d’infraction, encore faut-il qu’il soit entouré de garanties visant à assurer son caractère éclairé.
394
Philippe SALVAGE, « Le consentement en droit pénal », Revue de sciences criminelles, 1991, p.699.
395
Xavier PIN, Droit pénal général, 8e éd., Dalloz, 2016, p.472 et s.
396
Articles 169 et s. du Code pénal libanais.
140
relatif à la composition pénale prévoit explicitement dans son alinéa premier la condition de
reconnaissance de culpabilité. Cette reconnaissance est sous-entendue dans l’acception de la
proposition de médiation pénale, mesure alternative aux poursuites. Pour sa part, le Conseil
constitutionnel estime qu’il n’y a pas atteinte à la présomption d’innocence et qu’aucune
exigence constitutionnelle « ne fait obstacle à ce qu’une personne suspectée d’avoir commis une
infraction reconnaisse librement sa culpabilité et consente à exécuter une peine ou des mesures
de nature à faire cesser l’infraction et à en réparer les conséquences »397.
En Common Law, il est prévu dans les dispositions du conditional caution que la reconnaissance
de culpabilité est l’une des conditions de mise en œuvre de la mesure398.
Afin que cette reconnaissance de culpabilité soit libre, des garanties doivent être prévues pour
permettre un consentement éclairé.
L’assistance de l’avocat permet une meilleure prise en compte des droits de la défense et assure
une meilleure information de l’accusé (ce qui n’exclut pas qu’elle puisse être faite par le juge).
Cette garantie est prévue dans la composition pénale qui mentionne le recueil du consentement
de l’accusé. Les textes relatifs à la composition pénale prévoient l’établissement d’un procès-
verbal signé par l’auteur des faits, document qui précise la nature des faits reprochés et leur
qualification juridique, la nature et le quantum de mesures proposées et le montant ou la nature
de la réparation. Le procès-verbal indique aussi que la victime a été informée de ses droits et de
la procédure de composition pénale 400.
397
Conseil constitutionnel, décision n°2014-416 QPC, 26 septembre 2014.
398
Criminal Justice Act, Chapter 44, 2003, Part 3 (23), en ligne : <www.legislation.gov.uk>.
399
L’art. R15-33-39 C.pr.pén. accorde dix jours de réflexion à la personne à qui est proposée une mesure de
composition pénale.
400
Arts. 41-2 et R15-33-40 C.pr.pén.
141
La possibilité d’accorder un temps de réflexion n’était pas prévue dans toutes les mesures
réparatrices, ce qui pouvait être un facteur de pression sur l’auteur de l’infraction. L’explication
du mécanisme et des droits du prévenu n’était par exemple pas explicitement prévue pour la
transaction policière. Le Conseil d’État a d’ailleurs annulé, dans une décision du 24 mai 2017,
l’ensemble des dispositions du décret du 13 octobre 2015 portant application des mesures
prévues à l’article 41-1-1 (ancien) du Code de procédure pénale au motif que le texte ne
prévoyait pas que les personnes se voyant proposer une transaction pénale soient informées de la
nature des faits reprochés et de leur qualification juridique 401. Le Conseil constitutionnel vient
cependant apporter une précision quant à la question de l’assistance de l’avocat pour la mise en
place d’une transaction : la personne suspectée doit être informée de son droit à être assistée
d’un avocat avant d’accepter la proposition qui lui est faite 402.
Le consentement à la réparation est en théorie une condition nécessaire, il devrait être protégé
par certaines garanties afin de permettre qu’il soit émis par l’auteur de l’infraction de façon libre
et éclairée. Toute lacune des textes législatifs relatifs aux mesures et peines réparatrices forcerait
le prévenu à consentir à la mesure proposée.
198. S’il apparaît que le consentement est nécessaire pour la mise en œuvre des mesures
et des peines alternatives, son essence est remise en cause au point de se demander s’il s’agit
bien d’un consentement. En droit civil des contrats, le consentement n’est plus libre et éclairé
401
CE, Syndicat de la magistrature et autres, Syndicat national des magistrats force ouvrière, 24 mai 2017.
402
Conseil const., décision n°2016-569 en date du 23 septembre 2016.
403
Arts. D.1-1 C. pr. pén et R. 73-2 C. envir.
142
lorsqu’il est atteint d’un vice. L’application de cette théorie en droit pénal se révèle
infructueuse404, les vices n’étant pas compatibles avec les principes de la procédure pénale. Il
n’empêche que le consentement à la réparation semble être donné de façon forcée (1), ce qui
remet en cause la qualification de justice pénale consensuelle (2).
1. Un consentement forcé
Les moyens employés et le but poursuivi sont sans doute légitimes, le consentement n’en reste
pas moins forcé en réalité. Il ne viendrait pas exprimer un choix réel mais serait plutôt une
condition de forme pour permettre de poursuivre une certaine procédure. La mesure ou la peine
alternative proposée au délinquant serait en quelque sorte imposée par le procureur ou le juge.
404
Evan RASCHEL, « Le consentement à la transaction en matière pénale », AJ Pénal, 2015, p.463.
405
Brigitte PEREIRA, « Justice négociée: efficacité répressive et droits de la défense? », Recueil Dalloz , 2005,
p.2041.
406
Françoise ALT-MAES, « La contractualisation du droit pénal. Mythe ou réalité? », Revue de sciences
criminelles, 2002, p.501.
143
d’application de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant
l’efficacité des sanctions pénales, que la transaction ne pouvait être proposée à une personne
durant sa garde à vue407 car elle pourrait faire l’objet de pression408. Cette pression existe
cependant de par la qualité des personnes qui communiquent avec l’auteur de l’infraction, que ce
soit le procureur de la République ou le magistrat. La pression sur le consentement de l’accusé
existe donc bel et bien dans la réalité, la relation entre les deux parties étant par nature
déséquilibrée409.
2. Un consensualisme critiqué
407
Article R15-33-37-2 C. pr. pén.
408
On retrouve cette interrogation parmi les motifs soulevés dans la QPC relative à la transaction policière et posée
au Conseil d’État par le syndicat de la magistrature et le syndicat des avocats de France. Les syndicats requérants
soutiennent que « la procédure prévue à l’article 41-1-1 du Code de procédure pénale ne présente pas les caractères
d’une transaction librement consentie et exécutée […] la personne à laquelle la transaction est proposée serait
exposée à un risque de pression résultant directement de la qualité et des pouvoirs de l’officier de police judiciaire
qui présente cette proposition ». Cette situation méconnaissait selon eux le droit à un procès équitable et les droits de
la défense, motif que n’a pas retenu le Conseil constitutionnel qui a jugé conforme à la constitution cet aspect de
l’article 41-1-1 du Code de procédure pénale. Voir : CE, Syndicat de la magistrature et autres, Syndicat national des
magistrats force ouvrière, 24 mai 2017.
409
D’où les réserves énoncées au sein de la décision du Conseil const., n°2016-569 en date du 23 septembre 2016.
410
Jean PRADEL, Manuel de procédure pénale, 13e éd., Editions Cujas, 2007, p.539. Françoise ALT-MAES, « La
contractualisation du droit pénal. Mythe ou réalité? », Revue de sciences criminelles, 2002, p.501. Xavier PIN, « La
privatisation du procès pénal », Revue de sciences criminelles, 2002, p.245. Yannick JOSEPH-RATINEAU,
«Contractualisation de la procédure pénale et liberté procédurale du parquet », Recueil Dalloz, 2008, p.1035.
Brigitte PEREIRA, « Justice négociée: efficacité répressive et droits de la défense? », Recueil Dalloz , 2005, p.2041.
144
validité, le consentement ayant à lui seul le pouvoir de créer des obligations »411. Or dans le
consentement à la réparation en droit pénal, il n’y a pas d’autonomie de la volonté, celle-ci étant
dépendante d’une proposition faite par une autorité judiciaire et influencée par la perspective
d’échapper à la peine d’emprisonnement. Il n’y a pas non plus absence de forme particulière, la
procédure pénale étant très détaillée quant au recueil du consentement et à l’exécution de la
mesure. En outre, le consentement, quoique nécessaire, ne suffit pas à lui seul à créer des
obligations, l’homologation du juge étant nécessaire pour la validité de la mesure alternative.
Seul, peut-être, le consentement à exécuter un travail d’intérêt général est constitutif de la mesure
comme c’est le juge qui le propose.
De plus, si le procureur fait une offre, il ne la négocie nullement. Donner à la justice un caractère
négocié insinuerait qu’il y aurait échange, discussion entre deux parties, chacune pouvant
proposer quelque chose afin d’arriver à une entente. Or dans le cadre des mesures alternatives, le
procureur ne négocie pas, il propose. Il accorde une option que le délinquant n’est pas en
position de négocier. La présence du consentement dans les législations actuelles ne changerait
donc pas le caractère infligé de la peine 414.
411
« Lexique des termes juridiques », sous la dir. de S. GUINCHARD et T. DEBARD, 23 éd., Dalloz, 2015-2016.
412
Michel DANTI-JUAN, « Le consentement et la sanction », in La sanction du droit - Mélanges offerts à Pierre
Couvrat, puf, 2001, p.367 et s.
413
Anne-Sophie CHAVENT-LECLERE, « La transaction existe-t-elle en droit pénal? », in La transaction dans
toutes ses dimensions, Dalloz, coll. Thèmes & commentaires, 2006.
414
Mattias GUYOMAR, « Les conditions de la transaction pénale », RFDA, 2006, p.1261.
145
202. Choix d’une option. A l’origine du consentement à la réparation, il y a une
proposition du procureur ou du juge qui accorde au délinquant une option. Cette option est
l’ouverture d’une autre voie possible, subordonnée au consentement de l’intéressé. Il y a certes
une offre et une acceptation, comme dans un contrat, mais il n’y a pas contrat, uniquement un
engagement du coupable à exécuter les obligations proposées par le procureur ou le juge.
L’option est une « manifestation de volonté par laquelle le justiciable accepte de se soumettre à
un ensemble de règles que les autorités répressives (de poursuite, d’instruction ou de jugement)
proposent de substituer aux règles normalement applicables »415. Nous rejoignons la qualification
d’ « acte unilatéral substitutif » adoptée par le professeur Xavier PIN, et écartons les
qualifications contractuelles issues de la théorie du consentement.
Le choix de cette option permet donc au délinquant de bénéficier d’un changement de procédure
et d’accéder à une autre forme de justice qui requiert son implication dans la mise à exécution
des mesures, au lieu de sa passivité à subir une peine d’emprisonnement. On pourrait parler
d’une plus grande souplesse de la justice, d’un souci d’individualisation de la peine et
d’implication du condamné dans la réalisation de son amendement.
203. Le consentement est nécessaire pour préserver les droits des auteurs et victimes de
l’infraction. La présence du consentement entraîne toutefois des effets qui dépassent le simple
respect de la philosophie des mesures alternatives. Le consentement à la réparation a des effets
sur la procédure pénale (A) et sur le droit pénal (B).
146
1. Quant au rôle du juge
205. Un rôle formel. Le rôle du juge est différent selon qu’il s’agit de mesures ou de
peines alternatives. Dans le cas de la composition pénale, le consentement de l’auteur de
l’infraction intervient suite à la proposition du procureur. Le juge n’intervient qu’à la suite de
l’acceptation du délinquant afin d’homologuer la composition qui est transmise au juge lorsque
l’auteur des faits donne son accord « aux fins de validation ». L’accord sur le principe et le
contenu de la mesure proposée ayant déjà été donné, le juge se contente de vérifier le respect de
la loi pour l’homologation de la mesure416. L’accord du prévenu a donc un effet décisif quant au
contenu de la mesure imposée. Il n’est pourtant pas suffisant du point de vue procédural,
l’intervention du juge reste nécessaire pour la validation.
Dans le cas des peines alternatives où le consentement de l’auteur de l’infraction est requis (par
exemple le travail d’intérêt général417), la décision du juge n’est pas suffisante. L’accord de
l’auteur a donc un effet constitutif de la peine prévue par le juge, que Dan KAMINSKI a qualifié
de juge « castré de son pouvoir contraignant »418. Cette interdépendance de la décision de
l’autorité judiciaire et du consentement de l’intéressé porte en quelque sorte atteinte à l’autorité
de la justice419. L’officier de police judiciaire (mandaté par le procureur) ou le procureur seraient
tentés, pour recueillir le consentement de l’intéressé d’utiliser des moyens de pression ou de
menace et le juge serait tenté d’utiliser une « logique de marchandage » pour contraindre le
délinquant à accepter un travail d’intérêt général.
416
Coralie AMBROISE-CASTEROT, « Le consentement en procédure pénale », in Le droit pénal à l'aube du
troisième millénaire, Mélanges offerts à Jean Pradel, Ed. Cujas, 2006, p.29.
417
Il est important de relever que le consentement du délinquant n’est plus requis en cas d’absence lors du procès, et
ce depuis la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, du 23 mars 2019.
418
Dan KAMINSKI, « Un nouveau sujet de droit pénal? », in La responsabilité et la responsabilisation dans la
justice pénale, sous la dir. de F. DIGNEFFE et T. MOREAU, De Boeck & Larcier, 2016, p.329.
419
Xavier PIN, « Le travail d'intérêt général, peine principale de référence: l'innovation en vaut-elle la
peine?», Dalloz, 2003, p.75.
147
utilisés comme des menaces d’une peine d’emprisonnement en cas de non exécution de la
mesure420. Pour ces deux peines, le rôle du juge est préservé car il en est l’instigateur et n’a pas
besoin de recueillir le consentement de l’auteur de l’infraction pour leur mise à exécution. Mais
l’intervention du juge est inexistante dans la procédure de mise en œuvre du conditional caution
qui reste sous l’emprise de l’officier de police judiciaire et du Crown prosection service.
Contrairement au droit français qui prévoit l’homologation du juge pour les mesures
alternatives421, le droit anglais assume une vision tranchée des alternatives à la justice
traditionnelle. On devrait y voir une remise en question des pouvoirs du juge comme on pourrait
considérer qu’il n’y a pas d’atteinte à ses prérogatives, les alternatives n’en faisant pas partie.
207. L’analyse des conséquences de la réparation du dommage issu de l’infraction sur les
poursuites avait déjà été réalisée dans le chapitre 1er du Titre 1 relatif à la réparation comme
alternative aux poursuites. L’exécution de la réparation entraîne en effet, dans certaines mesures,
l’extinction de l’action publique. Il s’agit dans cette partie d’étudier les conséquences de la
manifestation du consentement à la réparation sur la poursuite de l’infraction, dans le cas où il
est requis.
420
George MAIR, Noel CROSS et Stuart TAYLOR, The community order and the suspended sentence order, the
views and attitude of sentencers, Center for crime and justice studies, 2008, p.29, en ligne :
<www.crimeandjustice.org.uk >.
421
En principe, car la validation de la composition pénale par le juge n’est plus nécessaire si la mesure d’amende est
inférieure à 3000 euros, et ce depuis la loi 2019-222 du 23 mars 2019.
422
Relevons ici à nouveau l’exception introduite par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la
justice, du 23 mars 2019, qui exempte les propositions de compositions pénales de l’obligation de validation par le
juge pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à trois ans ou si elles
portent sur une amende de composition n’excédant pas le montant prévu à l’article 131-3 C.pén. ou lorsque la valeur
de la chose remise n’excède pas ce montant.
148
208. Un consentement qui lie. Le consentement de l’auteur de l’infraction a un effet
particulier en matière de composition pénale. Une fois émis, il lie le procureur de la République
qui se voit contraint de saisir le tribunal pour validation de la composition. Ce principe a été
déduit par la Cour de cassation423 dans sa décision en date du 20 novembre 2007. La Cour, vu les
articles 41-2 et 591 du Code de procédure pénale, a estimé que « dès lors qu'est signé le procès-
verbal de proposition de composition pénale prévoyant les mesures décidées, le procureur de la
République doit saisir le président du tribunal aux fins de validation de la composition, et ne
recouvre la possibilité de mettre en mouvement l'action publique que si ce magistrat refuse de
valider la composition ou si, une fois la validation intervenue, l'intéressé n'exécute pas
intégralement les mesures décidées »424. Cette interprétation stricte de l’article 41-2 du Code de
procédure pénale a ravivé les discussions sur l’aspect contractuel de la composition pénale 425.
Nous y voyons plutôt une re-délimitation des pouvoirs du parquet qui semblaient s’être
largement renforcés avec la multitude des mesures alternatives ainsi qu’une affirmation des
garanties procédurales dont le juge vient assurer le respect.
Cette décision de la Cour de cassation sur l’irrévocabilité du choix procédural effectué par le
parquet vient suggérer aux procureurs de bien réfléchir avant de proposer l’option d’une
composition pénale et vient protéger le consentement de l’auteur de l’infraction, vu les
concessions faites notamment au regard de la reconnaissance de culpabilité. Cela ne va pas à
l’encontre de l’individualisation de la peine car si de nouveaux éléments sont portés à la
connaissance du procureur et justifieraient d’écarter la composition pénale, le juge appréciera si
la composition pénale est adaptée ou non à la situation présentée.
423
Cass. Crim. 20 novembre 2007, n°07-82.808. Yannick JOSEPH-RATINEAU, « Contractualisation de la
procédure pénale et liberté procédurale du parquet », Recueil Dalloz, 2008, p.1035. Danièle CARON et Sylvie
MENOTTI, « Chronique de jurisprudence de la Cour de cassation », Recueil Dalloz, 2008, p.109.
424
Situation où le procureur avait avancé l’option de la composition mais avait décidé d’engager des poursuites
pénales malgré la signature par l’intéressé du procès-verbal de composition pénale. Il n’envoie donc pas l’accord sur
la composition au tribunal.
425
Idem.
426
Articles 41-1-1 et 41-2 C. pr. pén.
149
par la composition. La suspension dure jusqu’à expiration des délais accordés pour l’exécution
de la mesure. C’est uniquement l’exécution de la mesure qui viendra éteindre l’action publique
ou permettre un classement sans suite. Le consentement suspend aussi indirectement l’action
publique tant qu’il n’a pas été donné. Cette suspension dure tant que le délinquant n’a pas fait
part de sa décision.
427
Conseil const. 26 septembre 2014, n°2014-416 QPC, consid. 8, AJDA 2014. 1859.
150
judiciaire auquel on ne peut accorder la prérogative du choix d’une sanction. D’où l’obligation
de recueillir le consentement de l’accusé.
Le consentement n’aurait pas, selon nous, d’effet sur la qualification pénale des mesures qui le
prévoient. Dire qu’il s’agit de « peines ou de mesures consenties » ne remet pas en cause la
nature de la peine car son caractère consenti ne lui retire pas son caractère imposé.
D’un point de vue sociologique, la contrainte ne fonctionne vraiment que si la personne adhère à
la mesure imposée. On n’invite plus le condamné à subir, à se conformer, mais à participer, à se
transformer. Son consentement ne renie pas les caractères fondamentaux de la peine mais
manifeste sa soumission volontaire aux mesures infligées, indicateur d’une responsabilisation. La
responsabilité pénale est prononcée par le juge, mais la responsabilisation429 ne peut venir que
d’une prise de conscience du condamné. Selon Dan KAMINSKI, la manifestation du
428
Supra n°196 et s.
429
Dan KAMINSKI, « Un nouveau sujet de droit pénal? », in La responsabilité et la responsabilisation dans la
justice pénale, sous la dir. de F. DIGNEFFE et T. MOREAU, De Boeck & Larcier, 2006.
151
consentement du délinquant permet de passer d’une logique d’obéissance à une logique
d’ « allégeance »430. Les deux comportent une soumission mais l’allégeance relève, selon
KAMINSKI, d’un « compromis spécifique dans la distribution des rôles qu’elle opère, dans les
effets de la parole qu’elle exige et dans le ressort amoureux de son fonctionnement idéal »431.
Nous préférons le terme d’adhésion432 à celui d’allégeance.
430
Dan KAMINSKI, « Un nouveau sujet de droit pénal? », in La responsabilité et la responsabilisation dans la
justice pénale, sous la dir. de F. DIGNEFFE et T. MOREAU, De Boeck & Larcier, 2006, p. 328.
431
Idem, p.337.
432
Michel VAN DE KERCHOVE, « Le consentement dans le champ de la sanction pénale: portée et enjeux », in La
responsabilité et la responsabilisation dans la justice pénale, sous la dir. de F. DIGNEFFE et T. MOREAU, De
Boeck & Larcier, 2006, p. 401.
433
Jean-Jacques ROUSSEAU, Discours sur l'économie politique, Oeuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade,
1964, t. III, p.251.
152
Section 2 : La participation du délinquant à la réparation
216. D’abord simple pratique mise en place de manière expérimentale par certains
tribunaux434, elle fut légalisée par la loi du 4 janvier 1993. La médiation pénale fait aujourd’hui
partie des mesures alternatives dont dispose le procureur de la République afin d’éviter
d’engager des poursuites. Consacrée à l’article 41-1 du Code de procédure pénale, elle fait partie
des mesures que le procureur peut utiliser « s’il lui apparaît qu’une telle mesure est susceptible
d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de
l'infraction ou de contribuer au reclassement de l'auteur des faits ». En droit anglais, la médiation
pénale435 fait partie des mesures de justice restaurative qui peuvent être utilisées dans le cadre
d’un conditional caution, soit pour déterminer les conditions de cet avertissement sous condition,
soit comme une des conditions de l’avertissement.
434
Marie-Clet DESDEVISES, « L'évaluation des expériences de médiation entre délinquants et victimes: l'exemple
britannique », Revue de science criminelle, 1993, p.45. Thierry LEBEHOT, « Le cadre juridique de la médiation
pénale », AJ Pénal, 2011, p.216.
435
Appelée “victim-offender mediation”.
153
217. En droit libanais, une loi sur la médiation judiciaire a récemment été adoptée par le
Parlement libanais436. La loi prévoit la possibilité pour le juge d’orienter les parties vers un
processus de médiation, quel que soit le domaine du litige, à l’exception de ce qui a trait à l’ordre
public et aux lois impératives. Les limites quant à l’application de la loi en matière pénale se
dessinent, quoiqu’une médiation sur la réparation civile serait envisageable. Cependant, la loi sur
la médiation n’est toujours pas entrée en vigueur, dans l’attente d’un décret d’application qui
devrait, on l’espère, éclaircir le champ d’application de la loi. Nous nous concentrerons donc sur
le droit français et le droit anglais en matière de médiation.
219. La médiation pénale est une forme de médiation judiciaire. Elle « consiste à
rechercher, grâce à l’intervention d’un tiers, une solution librement négociée entre les parties à
un conflit né d’une infraction »440. Si l’on reprend la définition de la médiation judiciaire de M.
JARROSSON, on retient que c’est « celle qui est organisée, le plus souvent par le législateur,
436
Loi 82/2018 relative à la médiation judiciaire, publiée au Journal officiel n°45 en date du 18 octobre 2018.
437
Thierry LEBEHOT, « Le cadre juridique de la médiation pénale », AJ Pénal, 2011, p.216.
438
Sandrine VOISIN, « La médiation pénale est-elle juste? », Petites affiches, 26 août 2002, 170, p.49.
439
Frédéric DEBOVE, François FALLETTI et Emmanuel DUPIC, Précis de droit pénal et de procédure pénale,
5e éd., Point Delta, 2013, p. 541.
440
Jean PRADEL, Manuel de procédure pénale, 13e éd., Editions Cujas, 2007, p.146.
154
autour ou à l’orée de la procédure judiciaire »441. La médiation pénale, et plus généralement la
médiation judiciaire, est donc un processus parajudiciaire qui se déroule en marge de la
procédure pénale traditionnelle (1), mais qui n’est pas autonome pour autant (2).
1. Un processus parajudiciaire
220. Il s’agit d’abord d’expliquer pourquoi c’est un processus et ensuite en quoi il est
parajudiciaire. La médiation pénale, à la différence des autres mesures alternatives dont le
contenu est défini par l’autorité judiciaire et dont le résultat est connu, est un processus à part
entière. Lorsqu’une médiation pénale est engagée, ce n’est pas une mesure qui est définie mais
une procédure qui est adoptée. C’est donc une procédure alternative qui permet d’aborder les
contours de l’infraction et de déterminer la réparation qui s’ensuit. Ce processus peut être pré-
sentenciel comme post-sentenciel. En droit anglais, la médiation pénale fait partie des moyens
employés dans le cadre de la justice restaurative. Si la législation et la doctrine françaises
s’accordent aussi à inclure la médiation dans la justice restaurative442, le législateur lui donne
depuis bien longtemps une place à part. Nous nous limiterons dans cette partie à la phase
précédant le jugement car c’est là où la médiation joue comme alternative 443.
441
Jean-Philippe TRICOIT, La médiation judiciaire, L'Harmattan, 2008, p.24.
442
Comme dans l’article 10-1 du Code de procédure pénale. Le thème de la justice restaurative sera abordé en 2e
partie, nous étudierons uniquement ici les cas où la médiation joue comme alternative, c.-à-d. ceux reliés à l’article
41-1 du Code de procédure pénale.
443
La médiation post-sentencielle sera étudiée dans la deuxième partie de la thèse, notamment dans la partie
consacrée à la justice restaurative, car elle n’a pas de conséquences sur l’issue de la procédure et bénéficie d’une
certaine autonomie.
155
qu’elle est dirigée par un médiateur, tiers neutre et indépendant 444. Ce médiateur, garant du
processus, est membre d’une association habilitée par le ministère de la justice à effectuer des
missions de médiations pénales. Il est mandaté à effectuer la médiation entre la victime et
l’auteur de l’infraction. C’est ce deuxième point qui confirme ensuite le caractère parajudiciaire
de la médiation pénale : la présence de la victime et de l’auteur de l’infraction au sein d’une
même procédure. Même si la victime acquiert de plus en plus de place au sein du procès pénal,
elle n’est pas pour autant partie au procès pénal et peut uniquement se constituer partie civile. La
médiation met dans le même cadre les parties concernées par l’infraction. Elle accorde même à la
victime un statut important : le droit français se caractérise par la possibilité accordée à la
victime de demander elle-même la médiation au procureur.
Ces deux points marquent moins le caractère parajudiciaire de la médiation en droit anglais
fondé sur une procédure accusatoire, qui accorde donc une place plus importante à la victime et
est ainsi ouvert à une certaine forme de négociation. De plus, on retrouve en Common Law des
juges non professionnels qui siègent dans les tribunaux correctionnels 445, ce qui rend plus
admissible l’idée de déléguer à un médiateur le processus d’élaboration d’un accord de
réparation. Le caractère parajudiciaire de la médiation est déduit de sa catégorisation en justice
restaurative.
222. L’adhésion des parties. En droit anglais comme en droit français, le consentement
des parties à la médiation est nécessaire 446. Ce consentement implique une reconnaissance
implicite de culpabilité et par conséquent une renonciation à la présomption d’innocence.
L’auteur de l’infraction, ayant reconnu sa culpabilité, y voit un moyen d’éviter une peine
classique et une seconde chance accordée par l’autorité judiciaire. Du côté de la victime, l’accord
en vue d’une médiation est plus difficile à avoir car il nécessite une volonté de conciliation qui
dépasse le seul souci de réparation ou le désir de vengeance. La victime peut aussi dans certains
cas être motivée pour collaborer avec la justice dans la lutte contre la récidive et se positionne
ainsi en acteur d’une justice pénale réparatrice et restaurative. En droit français, on pourrait
444
Art. R15-33-30: Personne physique ou association habilités comme médiateurs du procureur de la République.
445
Magistrates Courts.
446
Emmanuel DREYER, « La médiation, objet juridique mal identifié », La Semaine Juridique, Edition générale, 2
avril 2008, n° 14, doct.131. Sophie POKORA, « La médiation pénale », AJ Pénal, 2003, p.58, sur « la condition sine
qua non de la médiation: la reconnaissance des faits ».
156
s’étonner du fait que l’alinéa 5 de l’article 41-1 du Code de procédure pénale ne requiert que le
consentement de la victime pour la mise en route d’une médiation, alors que le consentement de
l’auteur de l’infraction serait un bon indicateur de la réussite ou de l’échec futur du processus car
il témoignerait de sa volonté de conciliation. Son consentement pourrait être présumé, la
médiation étant une sortie de secours face à la menace des poursuites. Cependant, l’expression de
son consentement est importante du point de vue de son reclassement.
La communication a pour objectif principal d’aboutir à un accord sur la réparation. Mais mis à
part la négociation de la réparation des conséquences de l’infraction, la médiation permet surtout
à la victime d’exprimer ses ressentis sur ce qu’elle a vécu et permet à l’auteur de l’infraction de
s’exprimer sur les circonstances de l’infraction. Grâce à cette communication, la médiation
permet une prise de conscience par l’auteur de la gravité des faits commis et une meilleure prise
en considération de la victime.
Ainsi, il ressort des expériences de médiation que la réparation du dommage causé à la victime
ne se limite souvent pas à une réparation pécuniaire sous forme de dommages et intérêts mais
comprend parfois un aspect moral, caractéristique de la médiation pénale, qui se manifeste sous
différentes formes (notamment la formulation d’excuses écrites ou orales à la victime ou
l’engagement de ne pas récidiver). La possibilité d’une réparation symbolique est caractéristique
à la médiation pénale447.
447
Marie-Clet DESDEVISES, « L'évaluation des expériences de médiation entre délinquants et victimes: l'exemple
britannique », Revue de science criminelle, 1993, p.45.
157
2. Un processus à l’autonomie relative
224. Le lien avec la matière pénale. La médiation pénale semble à première vue être un
processus autonome car elle a été construite en dehors des tribunaux, effectivement pour
proposer une solution différente, contraire, aux réponses judiciaires répressives classiques. Mais
la matière pénale d’ordre public ne peut se conjuguer avec une procédure autonome qui n’y
serait pas un tant soit peu rattachée. C’est ainsi que le besoin d’institutionnaliser la médiation
pénale s’est fait ressentir et que les bases de cette institutionnalisation ont rendu l’autonomie de
la médiation pénale toute relative448.
Bien qu’elle soit une procédure parajudiciaire, la médiation pénale marque son lien avec la
matière pénale simplement de par sa dénomination449. L’expression « victim-offender
mediation » est tout aussi reliée au droit pénal du fait de l’utilisation des termes de victimes et
d’auteur de l’infraction450.
448
Jacques FAGET, « Les "accommodements raisonnables" de la médiation pénale », RSC, 2009.
449
Emmanuel DREYER, « La médiation, objet juridique mal identifié », La Semaine Juridique, Edition générale, 2
avril 2008, n° 14, doct.131.
450
Termes qui peuvent être critiqués dans le cas de la médiation pré-sentencielle car en théorie, avant le jugement, il
n’y a qu’un mis en cause, qui bénéficie de la présomption d’innocence, et un plaignant. Voir : Jacques FAGET, «Les
"accommodements raisonnables" de la médiation pénale », RSC, 2009, p.981.
158
226. L’autonomie du médiateur. Le médiateur est certes un tiers neutre et indépendant
vis-à-vis du conflit et des parties. En droit français, le médiateur est habilité par le procureur de
la République. Les textes prévoient son autonomie en ce qu’il ne peut exercer de fonctions
judiciaires ou être investi d’un mandat électif, et ne peut en principe être conjoint ou parent d’un
magistrat ou fonctionnaire de la juridiction. Il doit présenter des garanties de compétence,
d’indépendance et d’impartialité451.
Le médiateur ne fait pas partie de l’autorité judiciaire mais il subit cependant ses exigences. Il a
l’obligation de remettre un rapport sur le déroulement de la médiation au magistrat en charge du
dossier, ce qui pourrait mettre en danger l’obligation de confidentialité du processus. Il est
rémunéré selon le nombre de dossiers qu’il prend en charge ce qui pourrait créer une certaine
dépendance financière. Selon J. FAGET452, la mission du médiateur est aussi dépendante des
délais accordés pour la médiation et d’un souci de productivité qui pourraient amener le
médiateur à accélérer le processus et proposer des solutions pour garantir la réussite de la
médiation (qui se traduit par la rédaction d’un accord entre les parties). Pourtant, le médiateur ne
doit en aucun cas être tenu à une obligation de résultat, mais uniquement à une obligation de
moyens. Seules l’implication et la volonté des parties sont garantes du résultat de la médiation.
227. De manière générale, on pourrait voir dans la médiation une pénalisation du social
ou une socialisation du pénal. La médiation pénale, c’est plus précisément une « procédure
sociétale sous contrôle judiciaire »453. Conçue par la société, placée sous le contrôle du Ministère
public mais mise en place par une association, cette alternative souffre aujourd’hui d’une
instabilité et d’un écartèlement qui nuit sensiblement à ces principes éthiques.
451
Art. R15-33-33 C.pr.pén. Aussi selon l’art. R15-33-36 C.pr.pén., le médiateur doit prêter serment devant le TGI
ou la cour d’appel en jurant d’exercer ses fonctions « avec rigueur, loyauté, impartialité et dignité et de respecter le
secret professionnel ».
452
Jacques FAGET, « Les "accomodements raisonnables" de la médiation pénale », RSC, 2009, p.981.
453
Jean-Philippe TRICOIT, La médiation judiciaire, L'Harmattan, 2008, p. 540.
159
B. L’issue de la médiation pénale
228. La médiation pénale n’étant pas une mesure à contenu défini mais un processus, son
issue tient dans l’accord conclu entre les parties (1). C’est cet accord qui déterminera les
modalités de réparation acceptées par chacun et qui aura des conséquences sur les poursuites
pénales (2).
229. Un accord négocié. L’accord de médiation pénale vient consacrer les modalités de
réparation convenues entre les parties, que ce soit une indemnisation financière, une réparation
matérielle ou une réparation symbolique. Le processus de médiation permet certes de revenir sur
les faits précurseurs et constitutifs de l’infraction et d’instaurer une communication entre les
parties. Mais il permet surtout de négocier un accord en vue d’une réparation des conséquences
de l’infraction. La médiation est la mesure alternative aux poursuites qui est réellement basée sur
une négociation libre d’un accord sur la réparation. Contrairement à la composition pénale dans
laquelle les modalités de la réparation sont proposées (quasi-imposées) par le procureur, la
médiation pénale permet aux parties de proposer ou de demander des mesures réparatrices, et de
les négocier afin d’aboutir à un accord. C’est ce caractère négocié qui remet en cause, entre
autres, la présence de la médiation dans le domaine pénal454. Et c’est ce caractère négocié qui fait
que l’accord de médiation soit qualifié de transaction.
Cet accord est matérialisé dans un procès-verbal signé par le médiateur et par les parties qui en
gardent une copie. Ce formalisme permet aux parties de garantir l’exécution des engagements de
réparation.
230. Une transaction au sens du droit civil. Le processus menant à l’accord de médiation a
finalement poussé la jurisprudence de la Cour de cassation à confirmer le caractère
454
Emmanuel DREYER, « La médiation, objet juridique mal identifié », La Semaine Juridique, Edition générale, 2
avril 2008, n° 14, doct.131.
160
transactionnel de l’accord de médiation455. Selon la Cour, « le procès-verbal établi et signé à
l'occasion d'une médiation pénale, qui contient les engagements de l'auteur des faits incriminés,
pris envers sa victime en contrepartie de la renonciation de celle-ci à sa plainte et, le cas échéant,
à une indemnisation intégrale, afin d'assurer la réparation des conséquences dommageables de
l'infraction et d'en prévenir la réitération par le règlement des désaccords entre les parties,
constitue une transaction qui, en dehors de toute procédure pénale, tend à régler tous les
différends s'y trouvant compris et laisse au procureur de la République la libre appréciation des
poursuites en considération du comportement du mis en cause. » De cette décision, nous tirons
deux enseignements. Le premier est que l’accord de médiation est une transaction au sens des
articles 2044 et suivant du Code civil456, au regard des concessions faites par l’auteur de
l’infraction et la victime. Étant une transaction, les parties sont obligées d’exécuter les
obligations qui y sont prévues. Cette exécution forcée a été facilitée par l’article 41-1 du Code de
procédure pénale qui prévoit que la victime peut demander le recouvrement des dommages et
intérêts selon la procédure d’injonction de payer, conformément aux règles prévues par le Code
de procédure civile. Mais de manière plus générale, tout engagement pris dans le cadre de
l’accord de médiation peut faire l’objet d’une demande d’exécution forcée ou d’une exception
d’inexécution et la victime peut en conséquent saisir le juge civil (ou le juge pénal pour
l’exception d’inexécution).
Le deuxième enseignement, que nous étudierons ci-dessous, est déduit de l’affirmation selon
laquelle le procureur de la République garde la libre appréciation de l’opportunité des poursuites,
ce qui n’est pas sans conséquences.
455
Cass, 1e civ., 10 avril 2013, n°12-13.672, AJ Pénal 2013, p.422.
456
Jean-Baptiste PERRIER, « Le caractère transactionnel de l'accord issu d'une médiation pénale », Recueil Dalloz,
2013, p.1663.
161
procédure de médiation. Dans le cas où un procès-verbal a été établi, il est joint au compte-
rendu. Le compte-rendu est aussi envoyé dans le cas où la médiation n’aboutit pas à un accord ou
dans le cas où l’une des parties refuse la médiation. Les conséquences sur les poursuites pénales
varient selon l’issue positive ou négative du processus de médiation.
Il faut ajouter à cela que dans le cas où le procureur de la République choisit de continuer les
poursuites, la victime peut se joindre à l’action publique pour tout ce qui n’est pas en lien avec la
demande réparation du dommage qui a déjà été satisfaite.
Cependant, ces limitations légales et jurisprudentielles, bien que contestables, n’ont pas
d’applications pratiques très importantes. Quand on pense que les mesures alternatives viennent
457
Cass, 1e civ., 10 avril 2013, n°12-13.672, AJ Pénal 2013, p.422.
458
Crim. 21 juin 2011, n° 11-80.003, Bull. crim. n° 141 ; D. 2011. 2379, note F. Desprez, 2349, point de vue J.-B.
Perrier, et 2012. 2118, spéc. 2120, obs. J. Pradel; AJ pénal 2011. 584, note L. Belfanti; RSC 2011. 660, obs. J.
Danet; Gaz. Pal. 19 juill. 2011, p. 18, note S. Detraz ; Procédures 2011. Comm. 312, obs. J. Buisson ; JCP 2011.
1453, note F. Ludwiczak.
162
aujourd’hui éviter, entre autre, les classements sans suite et non les poursuites459, il est rare que
dans cette optique un procureur décide d’engager des poursuites suite à la réussite d’une
médiation. Le succès de la médiation révèle en pratique l’inopportunité des poursuites.
En droit anglais, la médiation étant une des conditions pouvant accompagner un conditional
caution, la réussite de ce processus entraîne normalement l’arrêt des poursuites 460. Ceci
s’explique par le fait que l’avertissement sous conditions suspend les poursuites le temps
nécessaire à la réalisation de la réparation du dommage. Cette mesure agit en réelle alternative
aux poursuites.
En second lieu, il est fait mention dans l’article 41-1 au comportement de l’auteur des faits. Il est
évident que si celui-ci ne manifeste pas de volonté de réparation en vue de la conclusion d’un
accord et ne s’engage pas à mobiliser ses efforts en vue d’une réparation, une autre procédure
plus contraignante doit être mise en route par le procureur. Cependant, il arrive parfois que ce
soit le comportement de la victime qui empêche la réussite de la médiation. Dans le cas où celle-
ci a accepté la médiation mais ne manifeste durant le processus aucun effort de conciliation avec
l’auteur de l’infraction et qu’aucun accord n’est conclu, engager des poursuites contre l’auteur de
459
Emmanuel DREYER, « La médiation, objet juridique mal identifié », La Semaine Juridique, Edition générale, 2
avril 2008, n° 14, doct.131.
460
Code of practice for adult conditional cautions, Ministry of Justice, 2013.
461
Ce mécanisme de renforcement de la répression causé par l’échec des mesures alternatives est mis en relief par
plusieurs auteurs dont : Sylvie GRUNVALD, « Les choix et schémas d'orientation », in La réponse pénale, dix ans
de traitement des délits, sous la dir. de J. DANET, Presses universitaires de Rennes: “Un certain nombre de dossiers
qui autrefois n’allaient jamais à l’audience parce qu’on les classait sans suite, aujourd’hui on les retrouve parce que
ce sont des échecs de mesures alternatives[…]”.
462
Code of practice for adult conditional cautions, section 1, Ministry of Justice, 2013, en ligne: www.gov.uk.
163
l’infraction pourrait paraître injuste. Permettre au procureur de recourir à une composition pénale
en cas d’échec maintient une possibilité de résolution consensuelle des conséquences de
l’infraction463, qui servirait grandement dans ce cas.
234. Vu l’absence d’un réel caractère alternatif, la médiation serait ainsi réduite à une
mesure de réparation anticipée du préjudice 464 et cette limitation ne nuit pas tant à la médiation
qu’à la réparation en elle-même. C’est les effets de la réparation qui sont limités et non ceux de
la médiation qui n’est que le moyen d’aboutir à la réparation du préjudice. Cette limitation est
bien traduite par J. PRADEL selon qui « par l’effet de la médiation, le parquetier devient un peu
le juge civil des petites affaires pénales »465. La médiation, et la réparation qu’elle permet, restent
en dehors de la sphère pénale et ne sont que des alternatives potentielles et non garanties aux
poursuites pénales.
235. La participation active du délinquant est au cœur du processus de réparation 466. Elle
lui donne son sens et sa valeur en tant que mesure alternative. Le délinquant ne subit plus la
mesure mais agit afin d’y mettre un terme. Il détermine la fin de la mesure grâce à l’exécution
de ses obligations. La teneur de la participation du délinquant à la réparation a donc un aspect
particulier (A). En cas de non-exécution de la réparation, les textes prévoient des conséquences
variables (B).
463
Jean-Baptiste PERRIER, « La médiation pénale », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, sous la
dir. de Y. MAYAUD, Dalloz, 2013.
464
Jean-Baptiste PERRIER, « Le caractère transactionnel de l'accord issu d'une médiation pénale », Recueil Dalloz,
2013, p.1663.
465
Jean PRADEL, Manuel de procédure pénale, 13e éd., Editions Cujas, 2007, p.542.
466
Henriette POUPET, La probation des délinquants adultes en France, Editions Cujas, 1955, p.4.
164
A. La teneur de la participation du délinquant à l’exécution de la réparation
236. Nous avons envisagé la réparation du dommage causé par l’infraction depuis le
début de cette thèse sans nous arrêter vraiment sur la teneur de cet acte de réparation. Il convient
de voir de plus près en quoi consiste exactement cet acte de réparation qui est demandé à l’auteur
de l’infraction (1) et quel sens ce passage à l’acte réparateur cache t-il (2).
1. L’acte réparateur
237. L’acte réparateur des alternatives aux poursuites. Il est intéressant de constater
en premier lieu la différence des termes employés pour qualifier la manière dont la réparation est
demandée à l’auteur de l’infraction. En ce qui concerne les alternatives aux poursuites, on
retrouvait une « obligation de réparation » au sein de la proposition de transaction467, une
« demande de réparation » qui peut assortir la proposition du procureur468 et une « proposition de
réparation » qui peut compléter une composition pénale 469. Ainsi, les mesures alternatives aux
poursuites étant à l’initiative du procureur ou d’un officier de police judiciaire, la réparation du
dommage causé par l’infraction, tout comme plus largement la mesure alternative en elle-même,
ne devraient être que proposées et non imposées. Or les termes employés peuvent porter à
confusion. L’obligation de réparation mentionnée à l’article 41-1-1 du Code de procédure pénale
n’en était pas une car elle était comprise dans une proposition de transaction. L’article 41-2 du
même code est lui plus clair dans son choix de terminologie et adopte la formulation de
« proposition de réparation ». Il reste l’article 41-1 du Code de procédure pénale dans lequel on
retrouve une « demande de réparation » du dommage qui ressemble plus à une obligation. En
effet, étant comprises dans une mesure alternative aux poursuites, ces propositions sont plutôt
perçues comme des obligations car leur inexécution pourrait entraîner l’engagement des
poursuites pénales par le procureur.
467
Article 41-1 C. pr. pén., récemment abrogé par la loi du 23 mars 2019.
468
Idem.
469
Article 41-2 C. pr. pén.
165
238. L’acte réparateur des alternatives à la peine. Dans le cas des alternatives à la
peine, la question ne fait pas débat car la réparation du dommage est communément imposée,
c’est une obligation qui vient assortir l’alternative à la peine ou la peine alternative. L’obligation
de réparation est mentionnée, de manière générale, sans autres explications. Dans certains cas,
quelques précisions sont apportées et nous permettent de distinguer plusieurs types de
réparations :
Par rapport au dommage : la réparation peut consister en une indemnisation qui viendrait
couvrir financièrement, de manière indirecte, les frais encourus suite à l’infraction. La
réparation peut aussi être directe et consister, comme dans la composition pénale, en la
remise en état du bien endommagé par la commission de l’infraction, ou comme dans la
sanction-réparation, en une réparation en nature effectuée par l’auteur de l’infraction ou
par un professionnel qui sera rémunéré par le délinquant. Dans le cas de la réparation
directe, l’accord de la victime est nécessaire.
239. Le sens de cet acte pour l’auteur de l’infraction. La réparation du dommage par
l’auteur de l’infraction n’est pas un acte anodin. C’est un acte porteur de sens pour le délinquant
et c’est un acte qui reflète une certaine politique criminelle. Participer à la réparation des
dommages causés par l’infraction permet au délinquant d’être un sujet actif et non passif de la
mesure qui lui est proposée ou imposée. Cette démarche active est possible grâce à une prise de
conscience du délinquant qui se rend compte de sa responsabilité et décide de l’assumer. Il y a de
166
même une prise de conscience du tort causé à la victime et des conséquences que l’infraction a
eu pour elle. Le délinquant entre dans un processus de responsabilisation, premier pas vers sa
réhabilitation et sa resocialisation.
Ce sont toutes ces notions qui font des mesures et peines étudiées dans les précédents chapitres
des alternatives à la peine traditionnelle, des mesures de probation. La mise à l’épreuve du
délinquant n’est efficace qu’avec la coopération active de ce dernier 470. Il ne se rend pas
seulement compte des conséquences matérielles de l’infraction commise mais aussi du tort
personnel causé à la victime. Tous les délinquants ne peuvent pas réussir cet effort, c’est ce qui
fait que la probation et ses résultats se méritent.
L’acte de réparation nous ramène en outre aux valeurs chrétiennes, notamment celle de
rédemption qui suppose un effort personnel de la personne afin de racheter la faute commise.
L’auteur de l’infraction exprime ainsi sa volonté de se faire pardonner pour devenir un homme
meilleur.
Enfin, nous ne pouvons pas éluder le fait que le sens et l’importance de cet acte de réparation ont
d’abord été relevés dans le domaine de l’enfance délinquante. Il était plus facile de croire en la
réhabilitation d’un mineur qu’en celle d’un adulte chez qui l’intention criminelle pourrait
sembler plus ancrée. Le droit des mineurs a souvent été le terrain d’expérimentation de nouvelles
470
Marc ANCEL, La défense sociale nouvelle: un mouvement de politique criminelle humaniste, 2e éd., Cujas,
1971, p.305 et s.
471
Marc ANCEL, La défense sociale nouvelle: un mouvement de politique criminelle humaniste, 2e éd., Cujas,
1971, p.294.
167
politiques criminelles qui, une fois leur efficacité prouvée, ont fini par intégrer le droit pénal des
majeurs.
Afin d’y voir plus clair dans la multitude de mesures et dans la diversité des conséquences, elles
ont été regroupées dans le tableau ci-dessous. Cette division nous permet de mettre en relief deux
conséquences principales à la non-exécution de la réparation : le retour à la peine initiale (qui
avait été écartée en faveur de l’alternative) dans le cas des mesures alternatives (1) et
l’introduction de peines anticipées dans le cas des peines alternatives (2).
168
Catégorie Mesure Conséquences
242. Prévoir une troisième chance. Dans le cas des mesures alternatives, elles sont
comme leur nom l’indique des « alternatives à ». Lorsque l’alternative ne fonctionne pas, il est
logique de revenir à la mesure à laquelle l’alternative est liée. Pour les mesures alternatives aux
poursuites, on observe en droit français une certaine gradation de la réponse donnée en cas
d’inexécution de la mesure. En effet, les mesures alternatives étant considérées comme des
chances données à l’auteur de l’infraction afin de s’amender et réparer le dommage causé par
l’infraction, le législateur a jugé utile de prévoir, dans une perspective de politique criminelle
plus douce, des alternatives aux alternatives, avant de lancer les poursuites pénales.
169
Le tableau ci-dessus révèle cette gradation des mesures alternatives aux poursuites qui
s’ordonnent, de la plus légère à la plus sévère, de la sorte : la transaction pénale (aujourd’hui
abrogée), la mesure de réparation pénale et la composition pénale. Ces mesures s’emboîtent
comme des poupées russes, chacune ouvrant la voie, en cas d’inexécution, à celles qui la suivent.
La composition pénale, la plus sévère des trois, entraîne elle directement l’engagement des
poursuites pénales.
243. S’en tenir à une seconde chance. La situation est plus simplifiée en droit anglais :
l’alternative aux poursuites qu’est l’avertissement sous condition prévoit l’engagement des
poursuites comme seule conséquence de l’inexécution des conditions. Dans le cas des
alternatives au prononcé de la peine, comme l’ajournement simple ou l’ajournement avec mise à
l’épreuve, si, pendant le délai d’ajournement, les conditions de l’ajournement ne sont pas
satisfaites, le juge peut accorder un second ajournement selon le cas, ou prononcer la peine
prévue par la loi (amende et/ou emprisonnement). Le cas est similaire pour le sursis probatoire
(mesure alternative à l’exécution de la peine d’emprisonnement), et son corollaire anglais, le
suspended sentence order. En cas de non-exécution des conditions affectées à ces mesures, le
juge procède à la révocation du sursis et à l’exécution de la peine d’emprisonnement 472.
244. Une peine pour garantir l’avenir de la procédure. Les articles relatifs aux peines
alternatives que sont le travail d’intérêt général et la sanction-réparation, contiennent une
particularité par rapport aux dispositions des mesures alternatives. En effet, le juge fixe, dès le
472
En droit anglais, un avertissement précède la révocation du “suspended sentence order”. George MAIR, Noel
CROSS et Stuart TAYLOR, The community order and the suspended sentence order, the views and attitude of
sentencers, Center for crime and justice studies, 2008, p.15, en ligne : <www.crimeandjustice.org.uk >.
170
prononcé de la peine alternative, le maximum du montant de l’amende et de la durée de la peine
d’emprisonnement auxquels sera astreint le condamné en cas de non-exécution de la peine
alternative. La détermination du montant exact de l’amende ou de la durée exacte de
l’emprisonnement est laissée au juge d’application des peines.
Cette situation diffère de celle du sursis probatoire à deux niveaux. D’abord, dans le cas du
sursis, c’est par définition qu’il est sursis à l’emprisonnement. La nature de la peine qui sera mise
en place en cas de non exécution des obligations du sursis est donc prédéterminée naturellement
mais n’est pas délimitée. Dans le cas des autres peines alternatives, la loi permet au juge de fixer
à l’avance la peine d’inexécution de la première peine, une sorte de « peine de peine »473.
Ensuite, c’est le juge qui a accordé le sursis qui revoit le dossier une fois la période écoulée, pour
le clôturer ou pour prononcer la peine d’emprisonnement. Dans le cas du travail d’intérêt général
et de la sanction-réparation, c’est au juge d’application des peines de juger de l’exécution de la
peine alternative ou dans le cas contraire de fixer le montant de l’amende et/ou la durée de
l’emprisonnement dans les limites déterminées par le juge d’instruction. Le juge d’application
des peines voit ainsi ses prérogatives augmenter de manière notable.
245. Une peine pour forcer l’exécution du premier jugement. Cette peine programmée
vient confirmer la nécessité d’avoir des mesures contraignantes pour favoriser l’exécution des
alternatives. C’est une peine qui facilite l’exécution d’une autre peine dont les mesures sont
insusceptibles d’exécution forcée. Elle est en quelque sorte « virtuelle »474 car elle est encourue
pour l’avenir. Elle intervient en cas d’inexécution de la peine initiale. Or par principe, une peine
vient sanctionner une infraction. La présence de cette peine programmée qualifie ainsi
indirectement l’inexécution d’une des peines concernées d’infraction pénale. Par conséquent,
l’inexécution de l’obligation de réparation infligée par une peine est constitutive d’une infraction
pénale475. La condamnation de cette nouvelle infraction ne vient en aucun cas dispenser le
condamné de l’exécution de la peine initiale 476. La réparation du dommage résultant de
l’infraction ne peut être évitée par le prononcé d’une peine d’emprisonnement venant sanctionner
473
Philippe SALVAGE, « Les peines de peine », Droit pénal, Juin 2008, n° 6, étude 9.
474
Philippe SALVAGE, « Les peines de peine », Droit pénal, Juin 2008, n° 6, étude 9.
475
Philippe SALVAGE, « L'inexécution d'une peine insusceptible d'exécution forcée, source de responsabilité
pénale », Droit pénal, Janvier 2000, n° 1, chron.1.
476
La Semaine Juridique Edition Générale, « Cass. Crim. 7 janvier 1997 », 9 juillet 1997, II, 22878.
171
la non-exécution de la réparation. Si ces dispositions viennent confirmer le caractère alternatif
aux peines de sanction-réparation et de travail d’intérêt général, elles ancrent plus profondément
la réparation dans le droit pénal français.
En comparaison avec le droit anglais, le non respect du community order oblige le magistrat à
juger l’affaire à nouveau. Les résultats de cette procédure seraient probablement identiques à
ceux du droit français, le juge allant sans doute vers une peine d’emprisonnement ou d’amende
pour assurer la réparation à la victime et l’amendement du condamné. La différence réside ici
dans le fait que ce sera au juge d’instruction de revoir l’affaire à nouveau.
Le législateur français a opté pour une procédure simplifiée en donnant au juge d’application des
peines les prérogatives de révision du dossier. En permettant au juge d’instruction de
programmer à l’avance une peine en cas de défaut d’exécution de la peine initiale, il favorise le
recours à une procédure simplifiée pour la mise en œuvre de la seconde peine, tout en
contournant les critiques sur les pouvoirs d’instruction du juge d’application des peines.
172
Conclusion du chapitre 1
247. La vision d’un délinquant passif qui subit sa peine comme moyen de réparer le tort
causé à la société ne suffit plus. Même dans les cas où son exclusion est nécessaire au regard du
crime commis et de son état de dangerosité, la passivité et l’absence d’effort du délinquant en
vue de sa réhabilitation et de sa resocialisation sont les indices d’une récidive assurée. Les
victimes demandent des efforts concrets, elles sont à la recherche d’un contact avec leur
agresseur afin de comprendre et de communiquer leurs sentiments, dans un but ultime de
guérison. Même si la place de la victime dans le procès pénal a connu des évolutions positives en
droit français notamment, elle ne permet pas de prendre en compte l’ensemble de ses besoins qui
ressortent plus du psychologique que du juridique477. La médiation pénale, ainsi que d’autres
moyens de prise en charge des victimes permettent de répondre à leurs attentes hors du procès
pénal.
248. Dans cette optique, l’implication du délinquant est primordiale pour assouvir les
attentes de la société et les objectifs personnels fixés pour le délinquant. La réparation s’est
révélée être un outil important de cette implication car elle vise tous les acteurs touchés par
l’infraction : l’auteur, qui par la réalisation de la réparation va assumer les conséquences de ses
actes et commencer un processus de réhabilitation, la victime qui ne va plus se sentir mise à
l’écart de la procédure pénale et la société en faveur de laquelle pourra être mise en œuvre la
réparation.
Les mesures réparatrices sont ainsi développées et favorisées au sein de la justice pénale qui y
voit un moyen de faire face à bien d’autres défis.
477
La place accordée à la victime en droit pénal ne fait pas non plus l’unanimité : Robert CARIO, « Qui a peur des
victimes? », AJ Pénal, 2004, p.434. Nous développerons ce point dans le chapitre consacré à la réparation,
accessoire du droit pénal (voir infra n°439).
173
Chapitre 2 : Le réalisme du droit, moteur de réparation
249. Il apparaît évident au regard des chapitres précédents que les mesures de réparation
alternative se greffent une place aux abords de la justice pénale traditionnelle. Si les avantages
apparents de la réparation ont été évoqués, c’est au réalisme du droit qu’elle doit aussi sa place
croissante478. En effet, c’est au regard de la réalité de la justice pénale contemporaine, de la
justice de terrain, que la réparation alternative fait son entrée parmi les moyens mis à la
disposition des magistrats et des parquets.
La réparation fait ainsi intervenir la réalité, car elle a souvent émergé de pratiques
expérimentales avant d’être consacrée par le droit, comme cela a été le cas pour la médiation par
exemple. La recherche de moyens efficaces pour une meilleure justice, une justice qui mène son
combat contre la délinquance et la récidive, a été le moteur de la réparation.
250. Le réalisme du droit fait intervenir, quant à lui, des réalités et des considérations
morales, sociales, économiques et politiques. Lorsque la réalité s’impose, le droit doit répondre
aux besoins du fonctionnement quotidien de la justice et à la nécessité d’adapter les politiques
pénales. Du point de vue de l’administration de la justice, la justice anglaise a été le précurseur
dans son application de principes issus du monde de l’économie et de la gestion479. Ce mode de
management ne tardera pas à influencer le législateur et le gouvernement français qui tenteront
de l’adapter aux spécificités de la justice française480. Sur le plan du mode de justice, les moyens
alternatifs adoptés en Common Law et en droit français ouvrent la voie à un nouveau système.
Le réalisme du droit se retranscrit au travers d’une politique, terme pris dans le sens de moyens
mis en œuvre en vue d’atteindre un objectif. Parmi ces moyens mis en œuvre par le législateur et
les praticiens du droit, la réparation sert vraisemblablement d’instrument de régulation de la
478
« Rien de moins juridique que le droit, rien de plus déterminé par des facteurs désordonnés, tels la morale,
l’économie, la politique, les enjeux sociaux », François Colonna D'ISTRIA, « Contre le réalisme: les apports de
l'esthétique au savoir juridique », RTD Civ, 2012, 1.
479
Jean-Paul JEAN, « L'administration de la justice en Europe et l'évaluation de sa qualité », Recueil Dalloz, 2005,
p.598.
480
Jean-Paul JEAN, « De l'efficacité en droit pénal », in Le droit pénal à l'aube du troisième millénaire, Mélanges
offerts à Jean Pradel, Cujas, 2006, p. 135.
174
politique d’action publique (section 1) et d’instrument de définition des politiques pénales
(section 2).
252. La politique d’action publique et l’administration de la justice du 21e siècle font face
à de nombreux défis parmi lesquels les défis majeurs d’assurer l’effectivité et l’efficacité de la
réponse pénale, défis communs à la justice française, anglaise et libanaise 483. Pour répondre
concrètement à ces défis, les mesures réparatrices ont été introduites pour garantir une
systématisation et une humanisation de la réponse pénale 484, une réponse pénale effective (I). Un
nouveau mode d’administration de la justice devait alors être pensé. Le droit français s’est ainsi
481
Cette complexité de la notion de justice est définie dans le Vocabulaire juridique de l’Association Henri Capitant,
Puf, 10e édition, 2014.
482
Denis MONDON, « Pour une analyse systémique de la politique pénale? », AJ Pénal, 2012, p.442.
483
Ces objectifs ont été relevés à maintes reprises par différents rapports d’évaluation du fonctionnement de la
justice: Jean-Claude MAGENDIE, Célérité et qualité de la justice, la gestion du temps dans le procès, ministère de
la Justice, 2004, en ligne : <www.presse.justice.gouv.fr>. Pour une administration au service de la justice, Rapport
publié sous la direction de Loïc CADIET, Commission Gouvernance de la justice, Le Club des juristes, en ligne :
<www.leclubdesjuristes.com>. Rapport sous la présidence de Jean-Louis NADAL, Refonder le ministère public,
Commission de modernisation de l'action publique, ministère de la Justice, 2013, en ligne : <www.justice.gouv.fr>.
Rapport sous la présidence de Pierre DELMAS-GOYON, Le juge du 21e siècle, Ministère de la Justice, 2013,
en ligne : <www.justice.gouv.fr>. Rapport sous la présidence de Didier MARSHALL, Les juridictions du 21e siècle,
ministère de la Justice, 2013, en ligne : <www.justice.gouv.fr>. Rapport La prudence et l'autorité, l'office du juge au
21e siècle, Institut des Hautes Etudes sur la Justice, 2013, en ligne : <www.ihej.org>.
484
Philippe POUGET, « La mise en place de la diversification du traitement des délits à travers la législation », in
La réponse pénale, dix ans de traitement des délits, sous la dir. de J. DANET, Presses universitaires de Rennes,
2013, p.49.
175
peu à peu rapproché du mode de gestion anglo-saxon et a intégré la notion de « management » de
la justice. Ce mode de gestion emprunté aux entreprises porte en lui l’espoir d’assurer une
meilleure efficacité de la réponse pénale (II).
Avec en France un taux de classement sans suite de 12,4% des affaires poursuivables en 2017, et
des procédures alternatives représentant 36,7% des affaires poursuivables 487, la réparation
alternative sert vraisemblablement d’outil pour une systématisation de la réponse pénale (A).
485
Jean PRADEL, Droit pénal général, 16e éd., Editions Cujas, 2006, n°1.
486
Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri CAPITANT, 10e éd., puf, 2014.
487
Les chiffres-clés de la justice, Sous-direction de la statistique et des études, ministère de la Justice, 2018.
488
Cesare BECCARIA, Marc ANCEL et Gaston STEFANI, Le traité des délits et des peines de Beccaria, Cujas,
1966.
176
réponse pénale, c’est assurer une réponse pénale rapide et juste489. Cette systématisation fait face
à un obstacle majeur, le principe d’opportunité des poursuites qui permet au procureur de classer
sans suite certaines affaires. La réparation joue dans ce combat un rôle intéressant car elle facilite
l’existence d’une opportunité de la réponse pénale, à défaut d’une opportunité des poursuites (1).
Les poursuites ne deviennent qu’une forme de réponse pénale.
Cette réponse pénale fondée sur la réparation du dommage causé par l’infraction nous renvoie au
principe d’objectivité. Ce principe est fondé sur le traitement de l’infraction en elle-même et non
sur la prise en charge de la personne du délinquant (2).
489
La systématisation de la réponse pénale a notamment été relevé dans les travaux parlementaires précédant la loi
du 23 juin 1999 renforçant l’efficacité de la procédure pénale.
490
Rappelons ici que ces procédures ont d’abord été l’œuvre des praticiens du droit qui y avaient recours
localement, elles ont ensuite été consacrées par le législateur par la loi n°99-515 du 23 juin 1999.
491
Code for Crown Prosecutors.
492
Code des procureurs de la Couronne, en ligne : <www.cps.gov.uk>.
177
preuves et l’étape de l’intérêt public. Pour résumer ces deux étapes, les preuves doivent être
suffisantes, crédibles et recevables devant un tribunal. Une fois cette étape franchie, et même si
ces preuves existent, le procureur doit évaluer si les poursuites sont dans l’intérêt public 493.
Ces critères ne sont pas absents du droit français. En raisonnant a contrario, le procureur les
utilise indirectement pour décider d’un classement sans suite de l’affaire qu’il doit justifier par
des raisons juridiques et d’opportunité494.
256. L’appréciation de l’opportunité des poursuites. La question qui reste à poser est
celle de cerner le rôle que pourrait avoir la réparation du dommage sur le principe de
l’opportunité des poursuites. Sur la base de l’article 40-1 du Code de procédure pénale et du
Code des procureurs de la Couronne, la possibilité de recourir à des mesures alternatives aux
poursuites - qui comme nous l’avons déjà exposé dans les chapitres précédents, ont une forte
dominance réparatrice495 - fait de la notion de réparation un critère de choix. Le procureur n’est
plus face à la question de l’opportunité des poursuites mais face à celle de l’opportunité d’une
réponse pénale496.
Cette recherche de la réponse pénale conduit dans certaines situations les victimes à se constituer
partie civile pour forcer le déclenchement des poursuites, lorsque le procureur juge inopportun
493
Il peut être dans l’intérêt public d’avoir plutôt recours à des alternatives ou de classer l’affaire, cela en fonction
de plusieurs critères listés par le Code: la gravité du délit, le degré de culpabilité du suspect, la situation de la
victime, l’âge du suspect, l’impact sur la communauté, la proportionnalité des poursuites par rapport au résultat
attendu et la protection des sources d’information.
494
Art. 40-2 C. pr. pén.
495
Frédéric DEBOVE, François FALLETTI et Emmanuel DUPIC, Précis de droit pénal et de procédure pénale,
5e éd., Point Delta, 2013, p.539.
496
D’aucuns font allusion à une « opportunité des alternatives aux poursuites » : Jean DANET, La justice pénale
entre rituel et management, Presses universitaires de Rennes, 2010.
178
d’engager des poursuites pénales. La systématisation de la réponse pénale viendrait diminuer ce
genre de situations qui pourraient alimenter le sentiment d’injustice chez les victimes et
d’impunité chez les auteurs d’infractions pénales. Elle viendrait surtout réduire le taux de
classement sans suite.
257. Les conséquences sur les classements sans suite. La loi n°2004-204 du 9 mars
2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité reflète, par la rédaction de
l’article 40-1 du Code de procédure pénale, le souhait du législateur de permettre une réponse
pénale systématique en empêchant les classements sans suite « secs »497. En effet, l’article 40-1
accorde au procureur la possibilité de classer sans suite la procédure uniquement si les
circonstances particulières liées à l’infraction le justifient 498. Le classement serait ainsi une forme
particulière de réponse pénale qui fait de l’absence de réponse une réponse individualisée
justifiée par les circonstances de l’infraction. Limiter les possibilités de recourir aux classements
sans suite ne suffit pas pour empêcher les procureurs d’y recourir. Ce sont surtout les procédures
alternatives aux poursuites qui constituent les véritables moyens de lutte effective et active
contre les classements sans suite. Elles permettent un traitement simplifié de l’infraction afin de
garantir l’efficacité de la réponse pénale 499.
En France, les chiffres de la justice pour l’année 2017 révèlent un taux de réponse pénale de
87,6%500, somme des taux de poursuites pénales (46%), de compositions pénales (4,9%) et de
procédures alternatives aux poursuites (36,7%). Le taux de classements sans suite est par
conséquent de 12,4%. L’évolution de l’orientation donnée par le parquet aux affaires
poursuivables révèle deux mouvements opposés : le nombre de classements sans suite diminue
progressivement de 2005 à 2017 (jusqu’à atteindre un plateau dû aux classements sans suite
justifiés) alors que le nombre de mesures alternatives augmente corrélativement.
497
Jean PRADEL, « Vers un aggiornamento des réponses de la procédure pénale à la criminalité. Apports de la loi
n°2004-204 du 9 mars 2004 dite loi Perben II », La Semaine Juridique, Edition Générale, 5 mai 2004, n° 19,
doc.132.
498
Projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, exposé des motifs (disponible sur
www.assemblee-nationale.fr).
499
Renaud COLSON et Stewart FIELD, « La fabrique des procédures pénales », Revue de sciences criminelles et de
droit comparé, 2010, n° 2, p. 365.
500
Les chiffres-clés de la justice, Sous-direction de la statistique et des études, ministère de la Justice, 2018.
179
Le rapport du Ministère de la Justice avance, pour expliquer le taux de classements sans suite, les
motifs suivants : « recherches infructueuses, désistement ou carence du plaignant, état mental
déficient, responsabilité de la victime, victime désintéressée d’office, régularisation d’office,
préjudice ou trouble peu important ». Ces motifs révèlent deux catégories de classements sans
suite : les classements justifiés par des éléments objectifs ou légaux (recherches infructueuses,
état mental déficient, responsabilité de la victime), et les classements basés sur le pouvoir
d’appréciation de l’opportunité des poursuites du procureur (victime désintéressée d’office,
régularisation d’office, préjudice ou trouble peu important). Les motifs choisis pour expliquer les
classements viennent confirmer le fait que les mesures réparatrices visent la réduction des
classements « d’opportunité ». Ces motifs sont en effets rattachés au principe de la réparation des
dommages que ce soit par le désintéressement de la victime à obtenir réparation, à la
régularisation d’office qui peut impliquer une réparation volontaire, ou à l’absence de nécessité
de demander réparation au regard du peu d’importance du trouble causé.
501
« Narrowing the justice gap », en ligne : <www.cps.gov.uk>. L’article définit le “justice gap” comme la
différence entre le nombre d’infractions enregistrées et le nombre d’infractions dont l’auteur est présenté à la justice.
Ce taux est un indicateur clé de l’effectivité du système judiciaire et un critère de lutte contre le crime.
502
Différence entre le nombre d’affaires traitées par les parquets et le nombre d’affaires poursuivies. Les chiffres-
clés de la justice, Sous-direction de la statistique et des études, ministère de la Justice, 2018.
503
Criminal justice statistics quarterly England and Wales 2016, Ministry of Justice, May 2017, en ligne :
<https://www.gov.uk/government/statistics/criminal-justice-system-statistics- quarterly-december-2016 >.
180
2. L’objectivité de la réponse pénale
258. Une réponse pénale en lien direct avec l’infraction. Outre le fait de permettre une
plus grande opportunité de la réponse pénale, la notion de réparation joue en faveur de la
systématisation de la réponse pénale grâce au caractère objectif qu’elle donne à cette réponse.
On entend par caractère objectif le fait que la réponse pénale donnée suite à la commission de
l’infraction est équivalente au dommage causé et vise uniquement à réparer les conséquences de
l’infraction. La réponse pénale, ici alternative à la peine, est dans ce cas une sanction au sens
large. C’est toute mesure justifiée par la violation d’une obligation 504.
Si on revient aux origines du mot « peine », issu du grec poïne et du latin poena, la peine était
synonyme de compensation. Le criminel devait payer pour s’acquitter de sa dette envers la
société et non pas pour se racheter505. Ainsi, l’objectif est la réparation du dommage et non la
punition, donc la détermination du montant de la sanction ou de sa teneur est équivalente au
montant ou à la teneur du dommage causé. Cette détermination étant objective, elle peut être
faite de manière systématique et ne nécessite pas l’intervention d’un magistrat. Elle vient
compenser le dommage causé, elle lui est équivalente. Elle est équitable.
L’objectivité de cette réponse pénale consiste à relier le dommage causé à la sanction et non la
sanction à l’auteur de l’infraction. C’est une réponse apportée à l’acte commis et non à la
personne qui en est l’auteur506. L’aléa que l’on connaît en matière de détermination de la peine
n’existe pas en matière de réparation alternative. En effet, la réparation est équivalente au
dommage et non proportionnelle comme l’est la peine par rapport à la gravité de l’infraction et à
la situation du délinquant. Cette objectivité de la réponse pénale acquise par la réparation permet
de renouer avec la fonction rétributive traditionnelle de la peine. La réparation, lorsqu’elle fait
partie de la peine au sens large, permet de ramener le droit de la peine à un droit de l’acte et non
à un droit du délinquant.
504
Jean PRADEL, Droit pénal général, 16e éd., Editions Cujas, 2006, p.519.
505
Frédéric DEBOVE, François FALLETTI et Emmanuel DUPIC, Précis de droit pénal et de procédure pénale,
5e éd., Point Delta, 2013, p.237.
506
Cela rappelle la position de Beccaria selon laquelle la responsabilité pénale est fondée sur le trouble à l’ordre
public, donc les conséquences de l’infraction, et non sur l’intention coupable, donc l’auteur de l’infraction. Ce débat
est repris par Emmanuel DREYER, « L'objet de la sanction pénale », Recueil Dalloz, 2016, p.2583.
181
259. Une concurrence possible des alternatives réparatrices. Pour optimiser la
systématisation de la réponse pénale, son objectivité doit influer sur son mode de détermination.
Dans le cadre traditionnel de traitement des infractions, il existe une peine pour chaque crime ou
délit. En droit français, le cadre des alternatives aux poursuites offre une diversité de mesures
réparatrices qui pourraient entrer en concurrence. Pour une même infraction, le procureur de la
République pourrait avoir le choix entre plusieurs mesures alternatives (composition pénale,
médiation pénale, sanction-réparation, etc.). La réponse pénale, si elle demeure systématique,
perd cependant en uniformité et objectivité. L’appréciation du procureur déterminera quelle
mesure sera privilégiée et la concurrence sera tranchée en fonction des objectifs poursuivis :
célérité de la procédure, économie de l’audience, recueillement du consentement du délinquant à
la mesure proposée507, etc. Le danger est que chaque ministère public se crée une propre grille
d’utilisation des mesures alternatives qui aboutirait à une différence dans l’utilisation des
procédures dans chaque tribunal pour des dossiers comparables. L’absence d’uniformité de la
réponse pénale aboutirait à créer un aléa de la procédure au détriment des droits des justiciables.
La concurrence des mesures a permis à d’aucuns de les qualifier de produits susceptibles d’être
choisis différemment selon l’appréciation du procureur508. L’orientation des délits entre les
différentes mesures alternatives devient un enjeu important de la politique d’action des parquets.
Cette politique d’action publique est menée par le ministre de la Justice qui veille à la cohérence
de son application509 et par le procureur général qui veille à l’harmonisation dans le ressort de la
cour d’appel. Cette situation contribue à alimenter le développement d’un système de
« management » de la justice qui jouerait en faveur d’une systématisation de la réponse pénale
mais pourrait nuire à sa qualité510.
507
Jean DANET, La justice pénale entre rituel et management, Presses universitaires de Renne, 2010.
508
Idem.
509
Article 30 C. pr. pén. Notons aussi la circulaire n°04-3/E5 du 16 mars 2004 relative à la politique pénale en
matière de réponses alternatives aux poursuites et de recours aux délégués du procureur, qui détaille les conditions
d’applications des différentes alternatives (en ligne : www.textes.justice.gouv.fr).
510
Renaud COSLON et Stewart FIELD, « La fabrique des procédures pénales », Revue de sciences criminelles et de
droit comparé, 2010, n° 2, p. 365.
182
suffit pas à garantir sa qualité. Cet aspect dépend notamment d’une humanisation de la réponse
pénale au travers de la réparation alternative.
261. Le projet annuel de performance annexé à la loi de finances pour 2017 cite parmi les
objectifs du programme « Justice judiciaire » : rendre plus efficace la réponse pénale, l’exécution
et l’aménagement des peines. Le premier indicateur de performance de cet objectif est le taux
d’alternatives aux poursuites511.
La réponse pénale fondée sur la réparation est reliée à l’infraction en tant qu’acte. Ce caractère
objectif n’empêche pas la réparation alternative d’être tournée vers l’auteur et la victime de
l’infraction. La réponse pénale fondée sur la réparation du dommage répond au droit à un recours
effectif de la victime, consacré par l’article 8 de la Déclaration universelle des droits de
l’Homme de 1948 et à sa volonté de participer à la manifestation de la vérité et de la justice512.
Cette réponse participe ainsi au sentiment de satisfaction de la victime.
Le sentiment de satisfaction des victimes est un indice de qualité de la justice (1), qualité qui
repose sur la prise en charge de l’auteur de l’infraction (2).
262. Les différentes mesures de réparation du dommage font partie des réponses pénales
apportées aux infractions de faible gravité. A cet effet, d’aucuns seraient tentés de les appliquer
de manière systématique. Mais ces mesures engagent l’auteur de l’infraction tout comme la
victime. Leur contenu et leur contour sont objectifs mais leur but ultime est de garantir une
réponse pénale de qualité car « l’exigence de qualité du procès doit faire en sorte que la justice,
même dans les contentieux répétitifs, permette au juge de porter une attention suffisante à chaque
511
Avec le délai moyen de transmission des décisions au casier judiciaire national, le taux de mise à exécution et le
délai moyen de mise à exécution. Données disponibles sur : « Projet de loi de finances pour 2017 », en ligne :
<https://www.performance-publique.budget.gouv.fr>.
512
Robert CARIO, « De la victime oubliée... à la victime sacralisée? », AJ Pénal, 2009, p.491.
183
affaire, toujours considérée comme unique par le citoyen concerné, qu’il soit auteur ou
victime »513. La recherche d’une justice de qualité motive la multiplication des réponses pénales,
mais l’évaluation de cette qualité demeure ardue et les critères d’évaluation multiples.
Dans le cadre de ces mesures, nous nous concentrerons sur les critères objectifs et subjectifs de
satisfaction des victimes.
263. Les critères objectifs de satisfaction. Les travaux parlementaires et les motifs des
lois instaurant des mesures alternatives aux poursuites font penser que ces mesures permettent
principalement d’améliorer le taux de réponse pénale. L’insatisfaction des victimes et de la
société serait causée par le taux de classements sans suite qui entraînent un sentiment d’impunité
chez les délinquants et un découragement chez les victimes 514. En France, le taux de réponse
pénale est par ailleurs un « indicateur de performance » important dans le Programme annuel de
performance de l’administration de la justice judiciaire 515. Il traduirait le niveau de satisfaction
des victimes qui saisissent la justice dans l’attente d’une réponse à leur requête. En 2017, il
s’élevait à 87,6% de réponses apportées aux affaires poursuivables516. 41,6% des affaires
poursuivables ayant reçu une réponse pénale ont fait l’objet d’une mesure alternative aux
poursuites ou d’une composition pénale, c’est dire la part que prennent les mesures alternatives
dans le renforcement du taux de réponse pénale.
Cependant, le taux de réponse pénale n’est pas révélateur à lui seul du taux de satisfaction des
victimes, même s’il est considéré comme un enjeu politique et une preuve du bon
fonctionnement de la justice 517. Encore faut-il que la réponse pénale corresponde aux attentes des
victimes. Les mesures alternatives réparatrices ont pour avantage d’assurer la conformité du
délinquant à la mesure de réparation, ce qui augmente pour les victimes les chances d’exécution
de la réparation. Des enquêtes ayant été menées afin de recueillir le sentiment de satisfaction des
513
Jean-Paul JEAN, « De l'efficacité en droit pénal », in Le droit pénal à l'aube du troisième millénaire, Mélanges
offerts à Jean Pradel, Cujas, 2006.
514
Philippe POUGET, « La mise en place de la diversification du traitement des délits à travers la législation », in
La réponse pénale, dix ans de traitement des délits, sous la dir. de J. DANET, Presses universitaires de Rennes,
2013, p.53.
515
Sylvie GRUNVALD, « Les choix et shémas d'orientation », in La réponse pénale, dix ans de traitement des
délits, sous la dir. de J. DANET, Presses universitaires de Rennes, 2013.
516
Les chiffres-clés de la justice, Sous-direction de la statistique et des études, ministère de la Justice, 2018.
517
Jean-Paul JEAN, « Politique criminelle et nouvelle économie du système pénal », AJ Pénal, 2006, p.473.
184
victimes d’infractions révèlent que l’élément objectif qui influence le plus le sentiment de
satisfaction des victimes est celui des dommages et intérêts518. La question de la réparation du
dommage est intimement liée au sentiment de justice rendue. En effet, les résultats de l’enquête
montrent que 72% des victimes ayant reçu des dommages et intérêts d’un montant qu’elles ont
jugé équitable estiment avoir été satisfaite du rendement de la justice. Il est important de noter
que parmi les procédures aboutissant à cette réparation, la médiation vient en première position,
avant le jugement. Ils sont suivis par deux autres mesures alternatives : la régularisation de la
situation de l’auteur de l’infraction et le rappel à la loi.
Le taux de réponse pénale et la réparation du dommage ne suffisent pas à eux seuls à influencer
le sentiment de satisfaction des victimes. Des critères subjectifs participent aussi à ce sentiment.
264. Les critères subjectifs de satisfaction. Selon certaines études, les critères subjectifs
pèsent plus sur le degré de satisfaction des victimes d’infraction519. La victime a certaines
attentes de la justice qui concernent notamment son efficacité à lutter contre la récidive et sa
manière de prendre en compte sa situation de victime. Sans nous attarder sur la lutte contre la
récidive qui dépasse le cadre limité de l’infraction en question et qui sera le sujet de la deuxième
partie de cette section, nous tenterons de développer la teneur du critère de prise en compte de la
situation de la victime qui est un sentiment personnel subjectif. Selon certaines statistiques, « une
victime qui pense n’avoir pas été considérée comme telle a cinq fois moins de chances d’être
satisfaite qu’une victime pour qui ce serait le cas »520. La considération de la victime passe
d’abord par sa relation avec le juge ou le médiateur : la victime accorde une importance à la
qualité d’écoute qu’elle a reçu, le respect à son égard, le temps consacré à son dossier et la
reconnaissance par le juge ou le médiateur de sa qualité de victime. Des enquêtes menées en
Angleterre auprès de victimes ont permis de relever leur satisfaction concernant les out-of-court
disposals qui ont recueilli des taux de satisfaction élevés lorsque leurs processus étaient bien
expliqués aux victimes et lorsqu’elles étaient consultées a priori sur l’administration d’une de
518
Zakia BELMOKHTAR, Les victimes face à la justice: le sentiment de satisfaction sur la réponse judiciaire,
Infostat Justice numéro 98, ministère de la Justice, décembre 2007, en ligne : http://www.justice.gouv.fr/ .
519
Valérie CARRASCO-AUTHIER et Abdellatif BENZAKRI, La satisfaction des victimes de délits suite au
jugement de leur affaire: quels facteurs explicatifs?, Infostat Justice numéro 112, ministère de la Justice, janvier
2011, en ligne : <http://www.justice.gouv.fr/ >.
520
Idem.
185
ces mesures521. Quant aux processus de médiations, les victimes sont satisfaites car ils sont
menés rapidement, permettent de prendre en compte leurs points de vue et déterminent des
résultats convenus entre les parties 522. Le sentiment de reconnaissance passe ainsi surtout par la
réparation du préjudice, preuve de cette reconnaissance. Les critères objectifs et subjectifs sont
étroitement liés et leurs effets sur la satisfaction de la victime très proches.
521
Initial findings from a review of the use of out-of-court disposals, Office for criminal justice reform, 2010,
en ligne : <https://www.gov.uk>.
522
Inventaire des dispositifs et des procédures favorisant les rencontres entre les victimes et les auteurs dans le
cadre de la mise en oeuvre de la justice restaurative. Le cas de l'Angleterre et du Pays de Galles, Service des
affaires européennes et internationales, ministère de la Justice, 2008, p.23.
523
Comme étudié dans le chapitre relatif au consentement de l’auteur de l’infraction.
524
Le terme de « réhabilitation » en droit français renvoie à la mesure spécifique de réhabilitation judiciaire ou la
réhabilitation de droit prévues aux articles 782 et suivants C. pr. pén. et 133-12 et 133-16 C. pén. Il en est de même
en droit libanais.
525
« Le patronage est une mesure exécutée dans des institutions privées reconnues par l’État et qui procureront du
travail au patroné ; des délégués surveilleront discrètement sa manière de vivre et donneront conseil et appui. Le
péculé du libéré pourra lui être remis. Mais un rapport par trimestre sur sa situation devrait être présenté à la
juridiction qui a prononcé la mesure. » in Philomène NASR, Droit pénal général, Etude comparée entre les deux
Codes libanais et français, Imprimerie St Paul, 1997, p.252.
186
266. La prise en charge médicale. En droit français, l’article 41-2 du Code de procédure
pénale prévoit la possibilité d’assortir la composition d’une mesure d’injonction thérapeutique
lorsqu’il apparaît que l’intéressé fait usage de stupéfiants ou fait une consommation habituelle et
excessive de boissons alcooliques. Le régime de mise à l’épreuve 526 comprend aussi l’obligation
de se soumettre à des mesures d’examen médical, de traitement ou de soins, même sous le
régime de l’hospitalisation, et la possibilité de recourir à la mesure d’injonction thérapeutique en
cas de consommation excessive d’alcool ou d’usage de stupéfiants. On retrouve des mesures
similaires en droit anglais. Le community order permet entre autre d’obliger l’auteur de
l’infraction à suivre un traitement contre son addiction à l’alcool ou à la drogue ou un traitement
pour sa santé mentale527. Cette prise en charge médicale permet de traiter la source de la
commission de l’infraction et de tenter ainsi de prévenir toute récidive.
267. La prise en charge sociale. Cette prise en charge est moins lourde que la prise en
charge médicale. Elle consiste en droit français à orienter l’auteur de l’infraction vers une
structure sanitaire, sociale ou professionnelle afin qu’il y effectue un stage ou une formation. Les
dénominations sont nombreuses : stage de citoyenneté, stage de responsabilité parentale, stage de
sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels, stage de responsabilisation pour la
prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes, stage de sensibilisation
aux dangers de l'usage de produits stupéfiant, stage de sensibilisation à la sécurité routière528. En
droit anglais, le Offender Rehabilitation Act de 2014529 introduit la notion de « rehabilitation
activity requirement » qui signifie obligation de suivre une activité de réhabilitation au sens
large. Le genre d’activités n’est pas spécifié mais l’existence de programmes prédéfinis par le
secrétaire d’État est mentionnée. Ces programmes visent à permettre au délinquant de changer et
donc à prévenir la récidive. Ils peuvent être spécifiques à certaines catégories de délinquants.
Toutes ces mesures ont un aspect éducatif certain et participent à la lutte contre la récidive.
526
Art. 132-45 c. pén.
527
Criminal Justice Act, Chapter 44, 2003, en ligne : <www.legislation.gov.uk>.
528
Ces stages sont énumérés dans un ou plusieurs de ces articles: 41-1-1 et 41-2 C. pr. pén. et 132-45 C. pén. A
compter de la loi du 23 mars 2019, ils ont été regroupés dans une peine unique de stage qui entrera en vigueur le 24
mars 2020 (art. 131-5-1 C.pén.).
529
Offender Rehabilitation Act, Ministry of Justice, 2014, en ligne : <www.justice.gov.uk>.
187
268. La prise en charge de l’auteur de l’infraction permet de soigner l’humain, dans son
corps et son esprit. Les mesures de soins et les stages ne doivent cependant être que
complémentaires à une mesure réparatrice qui reste indispensable pour une justice de qualité530.
Loin de réparer les dommages issus de l’infraction, elles réparent ce qui dans le parcours du
délinquant s’est brisé. Cette vision humaniste de la réparation ne peut exister sans l’implication
des associations ou des institutions publiques ou privées chargées de la mise en place de ces
mesures. Elles contribuent, en marge du système judiciaire, à la préservation d’une justice de
qualité.
269. La loi de finances pour 2018 prévoit comme objectif premier du programme
« Justice judiciaire » l’amélioration de la qualité et de l’efficacité de la justice. Les indicateurs de
performance de cet objectif se concentrent sur le délai moyen de traitement des procédures et le
nombre d’affaires traitées par un magistrat531. Cet objectif fait écho aux décisions de la Cour
européenne et aux recommandations du Conseil de l’Europe en matière d’administration de la
justice. Ces deux institutions s’accordent sur la nécessité d’organiser les juridictions de manière à
améliorer leur efficacité, par le développement de mesures alternatives et la simplification des
procédures, afin de garantir un délai raisonnable de traitement des infractions 532. Pour atteindre
cet objectif d’efficacité, le droit français s’inspire de plus en plus d’une vision managériale
anglo-saxonne, le « new public management »533.
L’efficacité exprime la qualité de l’adéquation entre le résultat et le moyen utilisé pour y arriver.
Poussée par cet objectif de qualité, une justice pénale simplifiée a émergé et se répand
progressivement. Elle mise surtout sur les mesures alternatives pour la résolution des litiges.
530
Les stages peuvent aussi être prononcés à titre de peines complémentaires.
531
« Rapport sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques », juillet 2017,
https://www.performance-publique.budget.gouv.fr.
532
Jean-Paul JEAN, « L'administration de la justice en Europe et l'évaluation de sa qualité », Recueil Dalloz, 2005,
p.598. La règle du délai raisonnable est consacrée à l’article 6 (1) de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales.
533
On retrouve dans la doctrine française une notion qui s’en rapproche: la gouvernance pénale. Juliette TRICOT,
« L'hypothèse de la gouvernance pénale », in Humanisme et justice, Mélanges en l'honneur de Geneviève Giudicelli-
Delage, Dalloz, 2016, p.1021 et s.
188
Dans ce cadre, la notion de réparation permet de réaliser cette adéquation entre l’efficacité de la
réponse pénale - le résultat – et les mesures alternatives réparatrices - le moyen utilisé -. La
réparation est une réponse à l’engorgement des tribunaux (A) et aux facteurs économiques (B)
auxquels fait face l’administration judiciaire.
271. Bien avant d’étudier les moyens pour faire face au défi du délai raisonnable, il
convient d’abord, à défaut de pouvoir le définir, de savoir comment l’évaluer. La Cour
européenne des droits de l’homme « apprécie le caractère raisonnable de la durée de la procédure
534
Conseil Supérieur de la Magistrature, Recueil des obligations déontologiques des magistrats, point (a.15), Dalloz,
2010, en ligne : <http://www.conseil-superieur-magistrature.fr>.
535
Cécile CASTAING, « Les procédures civile et administrative confrontées aux mêmes exigences du management
de la justice », AJDA , 2009, p.913.
189
suivant les circonstances de la cause et eu égard à la complexité des affaires, ainsi qu’en fonction
du comportement du requérant et des autorités, mais aussi en fonction de l’enjeu du litige »536.
Ainsi, pour les infractions de faible gravité dont les enjeux sont peu importants, il apparaît
normal que les délais procéduraux soient courts. Afin de garantir le caractère raisonnable de ces
délais, une diversification des processus et une simplification des procédures se sont avérés
nécessaires.
A défaut d’augmenter les moyens humains et financiers des juridictions, une variété de processus
a été adoptée pour pallier le manque de célérité. A côté des techniques contentieuses destinées à
modérer l’afflux de recours541, les processus de troisième voie ont permis de diversifier les
réponses apportées aux infractions pénales tout en simplifiant les procédures pour y arriver, par
l’intervention directe des officiers de police judiciaire et des procureurs de la République 542. La
multiplication des acteurs a permis de prendre en charge de manière plus rapide les dossiers de
536
Décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 24 septembre 1997. Sophie PEREZ, « Notion de "délai
raisonnable" au sens de la Convention européenne des droits de l'homme dans lequel doit intervenir une décision sur
une accusation en matière pénale », Recueil Dalloz, 1998, 207. La CEDH a déjà sanctionné la France pour non
respect du délai raisonnable. Voir en ce sens : CEDH, Cour (Première section), 26 septembre 2000, Guisset c/
France ; et plus récemment : 8 février 2018, Goetschy c. France.
La notion de délai judiciaire a aussi fait l’objet d’un rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la
justice (CEPEJ) intitulé « Analyse des délais judiciaires dans les Etats membres du Conseil de l’Europe à partir de la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », publié en juin 2007 et disponible sur :
https://www.euromed-justice.eu.
537
Les chiffres-clés de la justice, Sous-direction de la statistique et des études, ministère de la Justice, 2018.
538
Idem.
539
Criminal courts statistics quarterly, England and Wales, April to June 2016, Ministry of Justice, 29 september
2016, en ligne : <https://www.gov.uk>.
540
Cécile CASTAING, « Les procédures civile et administrative confrontées aux mêmes exigences du management
de la justice », AJDA , 2009, p.913.
541
L’obligation de présence d’un avocat, la suppression partielle de l’appel et la régulation des flux de dossier admis
en cassation.
542
Jean-Paul JEAN, « Politique criminelle et nouvelle économie du système pénal », AJ Pénal, 2006, p.473.
190
faible gravité. Ce n’est pas un hasard si ces processus ont été mis en place par la loi du 23 juin
1999 intitulée « loi renforçant l’efficacité de la réponse pénale ». Le délai moyen de traitement
des procédures est devenu un indicateur de performance récurrent de la loi organique relative aux
lois de finances (LOLF). Rendre une décision dans un délai raisonnable fait plus que jamais
partie de la culture de la performance imposée aux acteurs judiciaires. Nous pouvons cependant
questionner le moyen choisi pour la meilleure prise en charge des dossiers. Le choix de
multiplier et diversifier les acteurs judiciaires en augmentant leur prérogatives serait-il plus
bénéfique pour la justice que celui d’augmenter le nombre de magistrats, le nombre de tribunaux
et leur répartition dans les régions et les moyens qui leurs sont accordés pour faire face au flux
des dossiers ? A défaut d’être bénéfique pour l’image de l’institution judiciaire, ce choix l’est
sûrement pour le budget alloué à la justice.
En outre, l’article L141-1 du Code de l’organisation judiciaire dispose que « l’État est tenu de
réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Sauf
dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un
déni de justice ». Depuis le 20 novembre 2016 545, l’article a été amendé afin d’ajouter, entre
autre, l’adjectif « public » à service, consacrant ainsi la vision gestionnaire de l’administration
judiciaire.
543
La France a été sanctionnée 277 fois par la CEDH pour violation de l’article 6§1 de la convention relative au
délai raisonnable (résultats obtenus sur HUDOC, base de données en ligne de la CEDH). On peut citer notamment:
CEDH 24 oct. 1969, n° 10073/82, § 58, H. c/ France. CEDH 25 mars 1999, n° 25444/94, Pélissier et Sassi c/
France. Le Royaume-Uni a aussi connu des sanctions de la part de la CEDH dont par exemple : CEDH 21 juil.
2015, n° 44547/10, Piper c/ Royaume-Uni.
544
Cass. Crim., 24 avril 2013, n°12-82.863 : « il se déduit des articles préliminaires du code de procédure pénale et
6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droit de l’homme que, si la méconnaissance du délai raisonnable
peut ouvrir droit à réparation, elle est sans incidence sur la validité des procédures ».
545
Loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
191
2. Le défi de la charge de travail des magistrats
274. Le manque de célérité de la justice est non seulement dû à la lenteur des procédures
mais aussi et surtout à la charge de travail des magistrats qui se voient noyés par la quantité de
dossiers à gérer. Afin de faire face à ce défi, les techniques de management influencent de plus
en plus les obligations des magistrats. Le parquet joue, quant à lui, le rôle de filtre afin de
diminuer le flux de dossiers transmis au tribunal.
546
La prudence et l'autorité, l'office du juge au XXIe siècle, Institut des Hautes Etudes sur la Justice, mai 2013, p.70,
en ligne : <www.ihej.org>.
192
276. Le rôle de filtre du parquet. L’un des principaux moyens de lutte contre
l’engorgement des tribunaux consiste dans le rôle de filtre que joue le parquet. La gestion des
flux de dossiers par le parquet, ou le Crown prosecution service en Angleterre, vise à ne
transmettre aux tribunaux que les affaires les plus importantes. Le parquet joue ce rôle de filtre
grâce aux mesures alternatives qui, par une quasi-délégation de la décision, permettent aux
procureurs d’apporter une réponse pénale à son stade547. Les juges se retrouvent réduits à
homologuer ou valider leur proposition, ce qui pourrait déplaire à l’indépendance et l’autonomie
de certains, mais force est de constater que ces procédures allègent nettement leur charge de
travail. Les impératifs d’efficacité et de productivisme ont même été à la source d’initiatives
locales qui ont ensuite été étendues à l’échelle nationale 548. La diversification des procédures et
la répartition des prérogatives ont permis la mise en place d’une nouvelle logique de gestion des
flux549.
Les contraintes budgétaires de la justice ont certainement un impact sur son mode de
fonctionnement et sur les choix de sanctions possibles en fonction du budget disponible (1). Il ne
s’agit donc pas seulement d’augmenter la productivité du système mais de diminuer les coûts
pour que celui-ci soit réellement efficace (2).
547
Nicolas D'HERVE, « La magistrature face au management judiciaire », RSC, 2015, p.49. Notons aussi la
procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, forme de « plaider-coupable », qui permet au
procureur de la République de proposer à une personne qui reconnaît avoir commis un délit, une peine qui, si elle est
acceptée par l’intéressé, sera homologuée par le président du tribunal (art. 495-7 c.pr.pén.).
548
Nous pensons à la médiation, au traitement en temps réel, etc.
549
Jean DANET (dir), La réponse pénale, dix ans de traitement des délits, Presses universitaires de Rennes, 2013,
p.291.
550
Les chiffres-clés de la justice, Sous-direction de la statistique et des études, ministère de la Justice, 2018.
193
1. Les contraintes budgétaires de la justice
278. Les contraintes budgétaires de la justice ont toujours été l’objet de débats et sont
brandies comme l’une des causes principales du mauvais fonctionnement de la justice,
notamment lors de la médiatisation d’affaires aux fins sordides. Or l’étude du budget de la justice
révèle une hausse constante du budget depuis les années 1970 551, budget qui atteint en 2017 plus
de 8,5 milliards d’euros552, soit 4,2% de plus que le budget de 2016. Les moyens disponibles
restent cependant insuffisants pour faire face aux exigences d’une justice de qualité.
L’augmentation annuelle du budget s’accompagne d’une augmentation parallèle voire supérieure
de l’activité judiciaire. Le défi est de pouvoir répartir le budget afin de pouvoir répondre aux
besoins de la justice. Cette répartition dépend fortement de la politique pénale mise en œuvre par
l’État.
551
Antoinette HASTINGS-MARCHADIER, « Les contraintes budgétaires de la justice pénale », AJ Pénal, 2013,
p.584.
552
Budget général 2017, projet annuel de performance, annexe au projet de loi de finances pour 2017, disponible en
ligne sur: https://www.performance-publique.budget.gouv.fr.
553
Le programme « justice judiciaire » englobe les volets civil et pénal. Budget général 2017, projet annuel de
performance, annexe au projet de loi de finances pour 2017, disponible en ligne sur: https://www.performance-
publique.budget.gouv.fr.
554
Delphine BOESEL, « Ce que coûte la prison », AJ Pénal, 2016, p.520.
194
réduire la récidive 555. Le projet de budget englobe dans une même catégorie le budget alloué aux
prisons et aux services de probation556, nous ne pouvons donc pas les distinguer. Il est cependant
fait mention d’une augmentation du budget de ce service pour le programme de réforme des
prisons, nous pouvons donc douter du fait que la répartition du budget est aussi inégalitaire, en
faveur du programme des prisons.
Alors qu’il apparaît dans les textes que la politique pénale de la France et de l’Angleterre vise la
promotion des alternatives aux poursuites et à l’emprisonnement comme moyen de lutte contre la
récidive, l’étude des budgets de leurs ministères respectifs permet de douter qu’ils accordent les
moyens nécessaires à cette politique. Les lois visant à limiter l’emprisonnement en dernier
recours ne pourront être efficacement mises en œuvre tant que l’effort financier est dirigé vers le
secteur pénitentiaire. Il reste qu’en pratique, les contraintes budgétaires imposées aux tribunaux
bénéficient sans doute aux alternatives.
280. Le poids du budget sur l’orientation des affaires. Nous avons déjà étudié les
conséquences positives qu’ont les mesures alternatives sur la célérité de la justice. Or une
procédure plus rapide ne joue pas seulement sur l’efficacité de la justice mais aussi sur son
économie. Économiser du temps sur la procédure permet d’économiser des dépenses 557. Ainsi,
lorsqu’un procureur doit choisir la voie à emprunter dans une affaire, la rationalité économique
le fera pencher vers la voie qui lui apportera le résultat le plus satisfaisant par rapport au budget
et au temps qu’il aura engagé 558. Il évaluera donc l’opportunité des poursuites non seulement en
fonction de critères juridiques et d’opportunité mais aussi en fonction des capacités financières
de son parquet. Cette conception encore timidement dévoilée en France est plus ouvertement
assumée en Angleterre où les procureurs de la Couronne agissent dans les limites d’un budget
mis à leur disposition et sont parfois contraints de classer sans suite des affaires bénignes non
prioritaires faute de budget559. Cette rationalité joue en faveur des mesures alternatives qui
devraient être favorisées pour le gain de temps et d’argent qu’elles permettent. Elles sont en
elles-mêmes moins chères à mettre en œuvre pour l’État.
555
Memorandum on main estimate 2017-18, Ministry of justice, en ligne : <http://www.parliament.uk>.
556
Sous la dénomination de “Her Majesty’s Prison and Probation Service”.
557
Antoinette HASTINGS-MARCHADIER.
558
Jean-Paul JEAN, « Politique criminelle et nouvelle économie du système pénal », AJ Pénal, 2006, p.473.
559
Idem.
195
2. Le coût de la sanction
281. Les facteurs économiques auxquels fait face la justice permettent d’apporter un
regard rationnel à l’utilisation des mesures alternatives réparatrices. Au delà de leurs bénéfices
sur le plan moral et humain, elles permettent vraisemblablement de faire des économies
financières. Elles sont d’un côté moins chères à mettre en place et elles permettent, de l’autre, de
lutter contre la surpopulation carcérale.
282. La réparation, moins chère que la prison. La prison est économiquement la peine
la plus chère à mettre en place de par ses besoins en locaux, en ressources humaines et en frais de
fonctionnement. N. BISHOP a résumé la situation en notant que « les prisons sont un moyen
onéreux de rendre des délinquants plus délinquants encore »560. En effet, si les résultats des
peines d’emprisonnement étaient positifs en matière de lutte contre la récidive, personne n’aurait
remis en cause le budget englouti par l’administration pénitentiaire. En France en 2014, le coût
d’une année de prison par personne était estimé à 32000 euros alors que le coût d’une peine
exécutée en milieu ouvert était estimé à 1014 euros561. Ce coût va vraisemblablement augmenter
avec l’accroissement du budget prévu chaque année pour l’administration pénitentiaire,
notamment pour l’accroissement du parc pénitentiaire. En Angleterre, le coût d’une année en
prison s’élevait en 2017 à 24.664 pounds562. Ce coût est en légère régression par rapport aux
années précédentes parce que l’Angleterre, contrairement à la France, réduit progressivement le
budget alloué à l’administration pénitentiaire en faisant notamment des économies sur les
ressources humaines563.
560
Norman BISHOP, « Une question de détermination », Dedans Dehors (octobre 2016), en ligne :
<https://oip.org/>, n°93. Norman Bishop est fondateur du département recherche et développement de
l'administration pénitentiaire suédoise et expert en pénologie pour le Conseil de l'Europe.
561
Avis du Sénat sur le budget 2015 de l’administration pénitentiaire, novembre 2014.
562
Costs per place and costs per prisoner by individual prison, National offender management service, Ministry of
Justice, 2016, en ligne : <https://www.gov.uk/>.
563
Ce budget reste cependant élevé et constitue environ 40% du budget total alloué au ministère de la Justice. En
2015, le coût d’une année de prison par personne s’élevait à 23.854 pounds. Voir les rapports : Costs per place and
costs per prisoner by individual prison, National offender management service, Ministry of Justice, de 2009 à 2015.
Consulter aussi les rapports sur les prisons sur: https://www.instituteforgovernment.org.uk/.
196
Il n’existe malheureusement pas de statistiques relatives au coût de chaque peine ou mesure
alternative séparément. En France, la moyenne de leur coût, trente fois inférieure à une peine de
prison, est significative à elle seule. Développer le recours à ces mesures permettrait de réaliser
des économies non négligeables564.
Le cas de la France est particulier car elle dispose de plusieurs types de prisons suivant la
catégorie de détenus569. Lorsqu’on observe le taux d’occupation de chaque structure, la
différence de densité est frappante : les maisons d’arrêt ont une densité de 140% alors que les
maisons centrales ont un densité de 74,9%570. Ce sont donc les prisons qui accueillent les
délinquants ayant commis les délits les moins graves qui ont le plus fort taux de surpopulation.
564
Antoinette HASTINGS-MARCHADIER, « Les contraintes budgétaires de la justice pénale », AJ Pénal, 2013,
p.584.
565
La CEDH a d’ailleurs, à maintes reprises, sanctionnée les États européens pour ce qui a trait aux conséquences de
la surpopulation carcérale, notamment les conditions de détention. On cite : Canali c. France, 25 avril 2013 ; Yengo
c. France, 21 mai 2015 ; Orchowski c. Pologne, 22 octobre 2009 ; Torreggioani et autres c. Italie, 8 janvier 2013
(dans lequel la Cour recommande 4m2 d’espace habitable par personne) ; Varga et autres c. Hongrie, 10 mars 2015.
566
Principe promu dans le code pénal de 1875 et consacré par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Le 31 août
2016, une requête (A. B. c/ France, n°51808/16) a été déposée contre la France au sujet des conditions de détention à
la maison d’arrêt de Fresnes.
567
Jean-Jacques URVOAS, En finir avec la surpopulation carcérale - Rapport au parlement sur l'encellulement
er
individuel, ministère de la Justice, 2016, p.16, en ligne : www.justice.gouv.fr: « Au 1 août 2016, pour héberger 68
819 personnes détenues, la France ne compte que 58 507 places de prison, soit un manque brut de 10 312 places et
une surpopulation de 118 %. »
568
Offender management statistics quarterly, Justice statistics analytical services, Ministry of Justice, 2017,
en ligne : < https://www.gov.uk/government/collections/offender-management-statistics-quarterly >.
569
Les maisons d’arrêt pour les condamnés à moins de 2 ans d’emprisonnement, les centres de détention pour les
condamnés à plus de 2 ans d’emprisonnement et dont la détention est axée sur la réinsertion et les maisons centrales
pour les condamnés à plus de 2 ans d’emprisonnement et dont la détention est axée sur la sécurité.
570
Taux d’occupation au 1er août 2016. Jean-Jacques URVOAS, En finir avec la surpopulation carcérale - Rapport
au parlement sur l'encellulement individuel, ministère de la Justice, 2016, p.18, en ligne : <www.justice.gouv.fr>.
197
Ce sont ces mêmes délinquants qui sont la cible privilégiée des mesures et des peines alternatives
réparatrices. Au lieu d’essayer d’absorber cette augmentation de détenus en créant de nouvelles
places en prison, pourquoi ne pas utiliser plus largement les moyens octroyés par les alternatives
réparatrices afin de réduire au contraire la demande de places en prison. La croissance de la
surpopulation carcérale relève d’un choix571, il faut donc que les magistrats soient les principaux
agents de réduction de l’incarcération572. Les alternatives à l’emprisonnement ne devraient plus
être l’exception. En mars 2018, le ministère français de la Justice avait annoncé les chantiers de
la justice sous le thème « Sens et efficacité des peines » et s’était fixé pour objectif de la réforme
d’interdire les peines d’emprisonnement de un jour à un an, ce qui aurait sûrement joué en faveur
des mesures alternatives573. En mars 2019, la promulgation de loi 2019-222 ne permet d’interdire
que les peines d’emprisonnement inférieures à un mois574.
Le constat au Liban est édifiant : en 2016, 30% des personnes incarcérées l’ont été pour des
durées inférieures à deux mois et plus de 47% pour des durées inférieures à six mois 575. La
création et la mise en œuvre de mesures alternatives aux poursuites et à la peine apparaît
primordiale. Même si ces mesures sont au cœur de la politique pénale de la France et de
l’Angleterre, leur utilisation n’est pas aussi systématique qu’elle le devrait et les taux de
surpopulation carcérale laissent à penser que ces alternatives luttent aujourd’hui plus contre les
classements sans suite que contre les courtes peines d’emprisonnement 576. Les mesures
réparatrices auraient cependant un effet positif sur la diminution du taux de surpopulation
carcérale, ce qui permettrait plus largement d’œuvrer en faveur de la réinsertion et de la lutte
contre la récidive.
284. Les politiques d’action publique sont le moteur de la généralisation des mesures
alternatives comme outil d’une justice de qualité. La réparation contrebalance l’approche
économique de l’administration de la justice et préserve les intérêts des victimes face aux
571
Nils CHRISTIE, L'industrie de la punition, Autrement, 2003, p.19.
572
Martine HERZOG-EVANS, « Récidive et surpopulation: pas de baguette magique juridique », AJ Pénal, 2013,
p.136.
573
Les chantiers de la justice - Sens et efficacité des peines, ministère de la Justice, Mars 2018, en ligne :
<www.justice.gouv.fr>.
574
Article 132-19 du Code pénal, mis en vigueur à compter du 24 mars 2020.
575
Statistiques issues du programme informatique de gestion des prisons tenu par le ministère de la Justice et obtenu
suite à une requête personnelle.
576
Idem, p.50.
198
exigences d’efficacité des parquets. Elle est en même temps un outil de cette économie et permet
de réduire les coûts engendrés par l’administration. Outil des politiques d’action publique, la
réparation est aussi au cœur des politiques pénales.
286. En France, aux termes de l’article 30 du Code de procédure pénale, le garde des
sceaux « conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de
son application sur le territoire de la République. A cette fin, il adresse aux magistrats du
ministère public des instructions générales. Il ne peut leur adresser aucune instruction dans des
affaires individuelles ». Les procureurs généraux déclinent la politique pénale dans l’étendue du
577
Camille MIANSONI, « Politique pénale et management des juridictions ou la politique pénale comme
composante du projet de juridiction », AJ Pénal, 2012, p.448.
578
Denis MONDON, « Pour une analyse systémique de la politique pénale? », AJ Pénal, 2012, p.442.
579
Yves CHARPENEL, Les rendez-vous de la politique pénale, Armand Colin, 2006. Le garde des sceaux, M. Jean-
Jacques URVOAS, définit le concept de politique pénale dans son rapport de politique pénale de mai 2017 comme
suit: « politique, au sens de manière concertée de répondre à des situations données, et pénale, évoquant les
orientations générales et des priorités d’actions du Gouvernement dans le domaine répressif », rapport disponible en
ligne : www.justice.gouv.fr.
199
ressort de leur cour d’appel580 et animent et coordonnent l’action des procureurs de la
République qui met en œuvre la politique pénale en tenant compte du contexte propre à leur
ressort581. Cette chaîne de mise en œuvre de la politique pénale permet d’assurer son efficacité et
une certaine cohérence. C’est vraisemblablement l’absence d’une telle chaîne de collaboration en
Angleterre, et le rôle assez récent du Crown Prosecution Service dans la conduite des poursuites,
qui rendent la définition de la politique pénale moins aisée 582. La politique pénale relève en
Angleterre des compétences du Home Office, équivalent du ministère de l’Intérieur français. Le
ministère de la Justice se charge des matières relatives à la probation, à l’emprisonnement et à
l’exécution des peines, tandis que le Home Office conserve les compétences relatives à la police,
la politique pénale, le développement de la justice restaurative et la politique relative au
terrorisme, à l’immigration et au droit d’asile 583. La politique pénale se développe principalement
au niveau local à travers les Crime and policing plans, mais les plans d’action élaborés au niveau
national ne sont pas à négliger 584.
287. La politique pénale est souvent désignée au singulier, comme une politique unique,
un ensemble cohérent. Mais en réalité, cette politique varie au gré des tendances politiques, des
gouvernements au pouvoir, des objectifs ministériels. Il existe donc au fil du temps des politiques
pénales qui se côtoient, se suivent ou se superposent. De même, pour une même politique,
plusieurs actions peuvent être mises en place. Parmi ces actions, l’instauration de mesures
réparatrices devient de plus en plus fréquente dans les politiques pénales. Nous nous limiterons à
en étudier les raisons et les conséquences sur la base de deux politiques pénales, récurrentes et
stables par leur nécessité et leur actualité : la lutte contre la délinquance (I) et la lutte contre la
récidive (II).
580
Art. 35 C. pr. pén.
581
Art. 39-1 C. pr. pén.
582
Steward FIELD, « La politique pénale en Angleterre et au Pays de Galles : formation et responsabilité », AJ
Pénal, 2012, p. 455.
583
Inventaire des dispositifs et des procédures favorisant les rencontres entre les victimes et les auteurs dans le
cadre de la mise en oeuvre de la justice restaurative. Le cas de l'Angleterre et du Pays de Galles, Service des
affaires européennes et internationales, ministère de la Justice, 2008.
584
Consulter par exemple: “Transforming the criminal justice system – Strategy and action plan”, disponible en
ligne: www.gov.uk.
200
I. Les atouts de la réparation dans les politiques pénales de lutte contre la
délinquance
288. La lutte contre la délinquance a toujours été la raison d’être des politiques pénales.
La lutte contre les infractions aux limites posées par la loi et la société a motivé bien d’autres
politiques plus ciblées sur des problèmes qui découlent de la délinquance. Dans le cadre des
mesures alternatives, le phénomène qui retient notre attention est celui qualifié de « petite
délinquance » et qui renvoie aux infractions de faible gravité. Cette petite délinquance regroupe à
elle seule la majeure partie des infractions enregistrées585. Elle est ainsi devenue une des
préoccupations du législateur qui tente d’y faire face par plusieurs moyens. Les mesures
réparatrices sont mises en avant dans les politiques pénales de lutte contre la petite délinquance
(A) et leur rôle se justifie à plusieurs niveaux (B).
289. La réparation se manifeste dans les politiques pénales de lutte contre la petite
délinquance comme faisant partie des mesures qui constituent les réponses apportées à la
délinquance (1). Sous un autre angle, la réparation cible en pratique les actes de petite
délinquance (2).
585
Les chiffres-clés de la justice, Sous-direction de la statistique et des études, ministère de la Justice, 2018 : en
2017, l’activité de la justice pénale a compris 2212 condamnations pour des crimes contre 610 761 pour des délits et
5689 condamnations pour des contraventions de 5e classe contre 353 345 pour des contraventions des quatre
premières classes.
201
fallu innover. La délinquance qualifiée de « petite », ou « d’ordinaire »586 se traduit par une
banalisation de la violence et un sentiment d’impunité, et peut être perçue comme une situation
d’insécurité par la société. Une multitude d’actions a été entreprise afin de faire face à ce
contentieux de masse : instauration de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable
de culpabilité, création (puis suppression) des juges de proximité, l’utilisation de la comparution
immédiate, et l’instauration de la comparution à délai différé, etc. Il a ainsi été question
d’assurer une réponse systématique à cette forme de délinquance et d’éviter que son traitement
ne prenne plus de temps que nécessaire. La véritable question reste cependant celle de la nature
de la réponse à apporter.
En Angleterre, le système de probation déjà centenaire est passé par plusieurs phases. La réponse
qu’il souhaitait d’abord apporter était plutôt de nature curative. Venant d’une inspiration
religieuse, il s’agissait surtout de trouver un remède pour les délinquants, de les guérir 587. A la
fin du 20e siècle, le système de probation devient plus pragmatique et n’est plus considéré
comme un traitement mais comme une simple alternative à l’emprisonnement dont la réparation
est un des objectifs. C’est ce que traduit le Criminal Justice Act.
En France, les différentes lois pénales qui se sont succédé ont donné plusieurs réponses à la
problématique de la délinquance. Par exemple, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la
justice aux évolutions de la criminalité a introduit la procédure de comparution sur
reconnaissance préalable de culpabilité pour améliorer l’effectivité de la réponse pénale mais a
surtout introduit précisé le principe de l’opportunité des poursuites à travers l’article 40-1 du
Code de procédure pénale, donnant ainsi une place plus importante aux procédures alternatives
aux poursuites588. Cette loi complète aussi l’article 41-1 du même code pour que la composition
pénale devienne la réponse à l’échec d’une mesure alternative.
586
Jocelyne LEBLOIS-HAPPE, « De la transaction pénale à la composition pénale », La Semaine Juridique, Edition
Générale, 19 janvier 2000, n° 3, I 198.
587
Gwen ROBINSON et McNeill FERGUS, « Probation in the United Kingdom », in Transnational criminology
manual, Wolf Legal Publishers.
588
William ROUMIER, « Mise en oeuvre de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de
la criminalité », Droit pénal, avril 2005, n° 4, alerte 29.
202
il est précisé que cette sanction permettra une « véritable prise de conscience du dommage causé
à la victime » car elle oblige l’auteur à remettre, dans la mesure du possible, la situation dans son
état d’origine589. En dernier exemple, la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des
peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales face à la délinquance, avait introduit la
contrainte pénale et la transaction policière pour renforcer cette efficacité, deux mesures
récemment abrogées par la loi 2019-222 du 23 mars 2019.
Sans vouloir dresser une liste exhaustive des lois pénales du 21e siècle, les principales lois, dont
l’un des objectifs est de lutter contre la délinquance quotidienne, introduisent des mesures de
nature réparatrice. Que ce soit pour des objectifs cachés de réduction des coûts, de
démobilisation de magistrats surchargés ou pour une véritable croyance en ce processus, la
réparation est souvent la réponse choisie face à la petite délinquance. Cette volonté législative se
traduit dans la pratique.
291. Une cible compatible. L’usage des mesures alternatives et de la composition pénale
en matière de petite délinquance est nettement plus important que pour les infractions plus
graves. Les statistiques de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales 590
montrent que 48,8% des atteintes aux biens ont fait l’objet en 2015 d’alternatives aux poursuites
lorsqu’il s’agit de vols et recels sans violence contre 17% lorsqu’il s’agissait de vols avec
violence. Sur la même année, 50,6% des atteintes aux personnes ont été résolues par une
alternative aux poursuites contre 26,3% lorsque ces atteintes avaient un caractère sexuel. La
réponse pénale en matière de petite délinquance vise donc majoritairement la réparation et la
réhabilitation.
Cette affirmation se confirme lorsqu’on observe la structure de la réponse pénale selon les
grandes catégories d’affaire. En effet, les mesures alternatives sont privilégiées dans les
catégories d’infractions qui touchent des victimes (économie, finances, travail, personnes, bien,
589
Exposé des motifs du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, disponible en ligne : www.senat.fr.
590
L'activité judiciaire pénale en 2015, Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, Observatoire
national de la délinquance et des réponses pénales, 2016, en ligne : www.inhesj.fr.
203
etc.)591. Les infractions liées à la circulation routière font beaucoup plus l’objet de poursuites que
de mesures alternatives car elles constituent principalement des infractions aux codes de la route
n’ayant pas entraîné d’accidents.
En Angleterre, l’écart entre les infractions de petite délinquance et les infractions plus graves est
visible dans les statistiques relatives aux conditional cautions. En 2016, il y a eu cinq fois plus de
cautions accordées pour des violences contre la personne que pour des atteintes sexuelles et
trente fois plus de cautions accordées en cas de vols sans violence en comparaison avec les vols
avec violence592. Ces observations ne font que conforter l’idée que les mesures alternatives sont
choisies en matière de petite délinquance pour favoriser le processus de réparation en présence
d’une victime. Le recours à ces mesures se justifie aussi pour des arguments en rapport avec la
personnalité du délinquant.
292. Les politiques pénales de lutte contre la délinquance cherchent à apporter une
réponse pénale adaptée aux actes de petite délinquance. Le constat de l’inefficacité des courtes
peines d’emprisonnement ou des classements sans suite pour raison d’opportunité a conduit le
législateur et la doctrine à réfléchir à la nature des mesures qui seraient le plus adaptées pour
affirmer l’autorité de l’État et assurer aux victimes le sentiment que la justice a été rendue. Le
choix des mesures réparatrices se justifie à plusieurs égards, d’abord quant à la personne du
délinquant (1) et ensuite quant à la méthode en tant que telle (2).
293. Le choix de recourir à des mesures réparatrices comme réponse pénale à une
infraction ne dépend pas uniquement du type d’infraction et de sa gravité mais aussi du profil du
591
Idem.
592
Criminal courts statistics quarterly, England and Wales, April to June 2016, Ministry of Justice, 29 september
2016, en ligne : <https://www.gov.uk>.
204
délinquant auteur de l’infraction et de son degré de dangerosité. La réponse pénale doit garder un
caractère de sanction pour influer sur l’auteur de l’infraction et provoquer sa responsabilisation.
Les mesures réparatrices ne sont donc pas adaptées à tous les profils de délinquants.
593
Le traitement judiciaire des auteurs d'infractions pénales, ministère de la Justice, 2015, en ligne :
<www.justice.gouv.fr>. Le rapport révèle que 79% des affaires traitées par les parquets en 2015 ont pour auteur des
hommes.
594
Thierry MAINAUD, La délinquance des jeunes évolue avec l'âge, la réponse pénale aussi, Infostat Justice
n°145, ministère de la Justice, novembre 2014, en ligne : <www.justice.gouv.fr>.
595
Le traitement judiciaire des auteurs d'infractions pénales, figure p.53. Voir aussi : Shadd MARUNA et Thomas
P. LE BEL, « Les apports de l'étude de la désistance à la réinsertion », AJ Pénal, 2010, p.367: « la violence est
typiquement un vice de jeune homme et il a été affirmé que l’arme la plus efficace pour lutter contre le crime est un
trentième anniversaire ».
596
Ce taux est inférieur à celui de 2010 qui était de 34 %. Offender equalities annual report, National Offender
Management Service, Ministry of Justice, 2015, en ligne : <www.gov.uk>.
597
Thierry MAINAUD, La délinquance des jeunes évolue avec l'âge, la réponse pénale aussi, Infostat Justice
n°145, ministère de la Justice, novembre 2014, en ligne : <www.justice.gouv.fr>.
205
295. Le degré de dangerosité des auteurs d’infraction. Le principe d’évaluation de la
dangerosité des délinquants et ses outils forme une controverse car le résultat de l’évaluation
justifie le recours aux mesures de rétention de sûreté598. Ces mesures sont basées sur une
évaluation du délinquant pour ce qu’il est et non pour ce qu’il fait 599. Or ce qu’il fait permet
vraisemblablement de comprendre ce qu’il est. C’est précisément le cas des « petits »
délinquants dont les infractions ne dépassent pas un certain seuil de gravité. C’est parce qu’ils ne
représentent pas un danger pour la société qu’ils peuvent être les destinataires de mesures
alternatives.
296. La réparation se justifie comme outil des politiques pénales de lutte contre la
délinquance car elle constitue un processus à part entière. Outre le résultat final qui est d’assurer
la réparation des dommages aux victimes, elle permet au délinquant d’intégrer un processus de
responsabilisation et de rééducation. La mesure alternative réparatrice, sorte de seconde chance
accordée au délinquant, devrait l’inciter à s’amender et à choisir de ne plus récidiver. Cette
vision s’apparente au concept de désistance qu’il est intéressant d’aborder.
598
Art. 706-53-13 et suivant C. pr.pén. Martine HERZOG-EVANS, « Outils d'évaluation: sortir des fantasmes et de
l'aveuglement idéologique », AJ Pénal, 2012, p.75. Arnaud COCHE, « Faut-il supprimer les expertises de
dangerosité? », RSC, 2011, p.21.
599
Geneviève GIUDICELLI-DELAGE, « Droit pénal de la dangerosité - Droit pénal de l'ennemi », RSC, 2010, p.69.
600
Martine HERZOG-EVANS, « Définir la désistance et en comprendre l'utilité pour la France », AJ Pénal, 2010,
p.366. Il faut noter qu’un Observatoire de la récidive et de la désistance a été créé par un décret du 1 er août 2014
mais ses membres n’ont été nommés qu’en janvier 2016. Cet observatoire publiera un rapport annuel ayant pour
objectif d’analyser scientifiquement et statistiquement les causes ou facteurs de récidive et de désistance.
601
Gill KELLY, « Qualités personnelles et professionnelles des agents de probation », in L'efficacité de l'exécution
des peines, sous la dir. de M. HERZOG-EVANS, Mare & Martin, 2014, p.48.
206
d’effectuer un travail sur lui-même afin d’arriver à se sortir de la délinquance par ses propres
moyens. Les auteurs et chercheurs qui se sont penchés sur le processus de désistance ont relevé
des facteurs favorisants comme par exemple l’avancement en âge, le mariage ou le fait de
trouver un emploi stable602. Il est donc intéressant de voir s’il y aurait des moyens de provoquer
la réalisation de la désistance sans attendre que le délinquant y parvienne seul et si la réparation
pourrait être un de ces moyens. Parmi les multiples théories qui ont tenté de définir la désistance,
celle de W. GOVE retient notre attention. Selon GOVE, la désistance résulterait entre autre
« d’un passage d’un égocentrisme vers un intérêt pour les autres, d’une acceptation des valeurs
sociales, d’un confort croissant dans les relations sociales et d’un regain d’intérêt pour la
société »603. Ce changement d’ordre psychologique chez le délinquant entraînant sa désistance
est assez proche de ce qu’on pourrait accorder comme vertu aux mesures réparatrices. En effet,
les mesures comme le travail d’intérêt général ou le community order mettent l’individu dans une
situation où il doit renouer avec la société. La médiation permet au délinquant de comprendre les
sentiments qu’a eu la victime de l’infraction et le pousse ainsi à sortir ainsi de son égocentrisme.
Il se rend compte du tort qu’il a causé aux autres. Sans étude scientifique sur le sujet, nous ne
pouvons que relever les points communs entre les effets des mesures réparatrices et les facteurs
favorisant la désistance des délinquants. D’un point de vue plus général, la vision participative de
la réparation comme méthode sert la politique de lutte contre la petite délinquance.
298. Une vision participative. Les mesures alternatives réparatrices ont en commun une
méthode d’action : la participation du délinquant à son propre relèvement. Que ce soit dans la
recherche du consentement du délinquant à la mesure, ou dans une approche transactionnelle,
dans le travail effectué par le délinquant ou même dans sa rencontre avec la victime, la vision
participative est essentielle pour assurer l’efficacité des politiques pénales de lutte contre la
délinquance. L’emprisonnement est une peine passive qui ne requiert aucun acte positif de la part
du délinquant qui ne fait que subir la peine. La mesure réparatrice est une mesure ou une peine
active.
602
Morvan PATRICK, Criminologie, 2e éd., LexisNexis, 2015, p.355. Shadd MARUNA et Thomas P. LE BEL,
«Les apports de l'étude de la désistance à la réinsertion », AJ Pénal, 2010, p.367.
603
W. GOVE, The effect of age and gender on deviant behavior, A.S. Rossi, 1985.
207
299. Inclure la réparation au cœur des politiques pénales de lutte contre la délinquance
donne à ces politiques le caractère de politique pénale d’action. Les mesures employées
requièrent une certaine action positive du délinquant en réponse à la commission de l’infraction.
Les dispositifs mis en place pour permettre cette réparation influent activement sur la lutte contre
la petite délinquance. Sur un autre plan, la notion de réparation joue un rôle préventif en matière
de lutte contre la récidive.
II. Les promesses de la réparation dans les politiques pénales de lutte contre la
récidive
300. La récidive a toujours été un enjeu de politique pénale car elle met en évidence la
question de l’efficacité des peines et de la justice pénale en général. En droit français, la récidive
est, dans son sens juridique, le fait de commettre une infraction de même nature (ou de nature
assimilée) qu’une infraction pour laquelle une condamnation pénale a déjà été prononcée, dans
les délais prévus par la loi604. Nous retiendrons pour l’objet de cette partie la définition de la
récidive au sens large qui prend en compte la réitération d’infractions605, sens large aussi adopté
en droit anglais. La récidive au sens large se définit comme le fait pour une personne déjà
condamnée d’être à nouveau sanctionnée pour des faits commis après la première condamnation.
En France, 59% des sortants de prison récidivent dans les cinq années qui suivent leur
libération606. Au Liban, environ 33,8% de la population carcérale est composée de récidivistes607.
En Angleterre, 43,4% des adultes sortants de prison ont récidivé dans l’année qui a suivi leur
libération608. Les statistiques officielles sur la récidive prennent en compte les personnes
condamnées ayant une inscription sur leur casier judiciaire. Les personnes ayant déjà eu affaire à
la justice dans le cadre d’une mesure alternative aux poursuites ne sont donc pas concernées par
604
Art. 132-8 et suivants C. pén.
605
Art. 132-16-7 C. pén.
606
Rémi JOSNIN, Une approche statistique de la récidive des personnes condamnées, Infostat Justice, ministère de
la Justice, avril 2014, en ligne : <www.justice.gouv.fr>.
607
Statistiques non publiées, obtenues sur demande auprès de la Direction des prisons rattachée au ministère de la
Justice.
608
Statistiques d’octobre 2014 à septembre 2015. Proven Reoffending Statistics Quarterly Bulletin, October 2014 to
September 2015, National statistics, Ministry of Justice, 27 July 2017, en ligne : <www.gov.uk>.
208
les études sur la récidive, ce qui est à déplorer quant à l’intérêt d’évaluer l’efficacité de ces
mesures.
301. La réparation ne prétend pas être une réponse efficace à la récidive, mais
uniquement un moyen de prévention. C’est un des moyens qui permettrait de prévenir qu’un
primo-délinquant ne s’engouffre dans la spirale de la récidive. Certes, l’instauration de sanctions
sévères en cas de récidive est un élément dissuasif 609, mais il n’est pas suffisant. Une politique
pénale de prévention comprend aussi des mesures visant la réhabilitation des délinquants comme
moyen de lutte contre la récidive. Cette réhabilitation passe par les mesures réparatrices. La
corrélation entre les notions de réparation et de récidive a été argumentée et parfois contestée
(A), influençant la réalité de la prise en compte de la réparation dans la politique pénale de lutte
contre la récidive (B).
609
On pense notamment au système des peines plancher. Martine HERZOG-EVANS, « Prévenir la récidive, les
limites de la répression pénale », AJ Pénal, 2007, p.357. Pascal CLEMENT, « Mieux prévenir la récidive », AJ
Pénal, 2005, p.345.
209
1. Une corrélation contestée
303. Prison et récidive ne sont pas liées. Le rapport entre la prison et la récidive a été
contesté par un courant doctrinal selon lequel la prison joue un effet dissuasif important. La
simple perspective d’une peine de prison ou l’expérience antérieure d’une incarcération devrait
suffire pour empêcher toute activité délinquante610. Comme l’emprisonnement est la peine la
plus sévère qui puisse être prononcée, on devrait s’attendre à ce qu’elle ait les effets les plus
directs.
Ce lien a aussi été contesté par certains chercheurs qui affirment que les courtes peines de prison
n’ont pas plus d’effets néfastes sur les délinquants que les mesures effectuées en milieu
ouvert611. Certaines études statistiques associent principalement le risque de récidive aux facteurs
de l’âge et de la présence d’antécédents judiciaires612 et non à la prison en elle-même. En outre,
les programmes d’action et les politiques sociales de prévention de la récidive privilégient une
prise en charge globale comportant une évaluation des besoins du délinquant, son insertion
socio-professionnelle et un travail sur ses besoins en matière de santé, de logement, d’emploi,
etc613, autant de facteurs qui peuvent influer sur le risque de récidive.
304. Insuffisance des données scientifiques. Les effets que sembleraient avoir les
mesures alternatives réparatrices sur la prévention de la récidive peuvent être contestés dû au
manque de recherche scientifiques et de statistiques sur l’incidence des mesures réparatrices sur
la récidive des délinquants614. S’il existe quelques études relatives à la récidive suite à
l’exécution d’une peine alternative à la prison (travail d’intérêt général, sursis), les études
610
Paul GENDREAU, Claire GOGGIN et Francis CULLEN, L'incidence de l'emprisonnement sur la récidive,
Solliciteur général du Canada, en ligne : <www.sgc.gc.ca>. José CID, « L'emprisonnement est-il criminogène? », AJ
Pénal, 2011, p.392.
611
Benjamin MONNERY, « Milieu ouvert, milieu fermé: quels effets sur la récidive? », AJ Pénal, 2016, p.253.
L’article fait référence à une étude suisse menée par M. Killias et al. en 2010 qui compare l’avenir d’un groupe de
délinquants incarcérés et d’un groupe de délinquants ayant bénéficié d’une mesure de community service, 11 ans
après leur condamnation.
612
Rémi JOSNIN, Une approche statistique de la récidive des personnes condamnées, Infostat Justice, ministère de
la Justice, avril 2014, en ligne : <www.justice.gouv.fr>.
613
Prévention de la récidive, guide pratique, La documentation française, Comité interministériel de prévention de
la délinquance, Mars 2016.
614
Martine HERZOG-EVANS, « L'efficacité dans la probation à la française: difficultés et enjeux », in L'efficacité
de l'exécution des peines, sous la dir. de M. HERZOG-EVANS, Mare & Martin, 2014, p.87.
210
relatives aux effets des mesures alternatives aux poursuites sur la récidive manquent en France.
Or il est important de connaître les effets de ces mesures sur la lutte contre la récidive car elles
visent les délits qui forment le plus grand taux de récidive. Les rares études anglaises se limitent
à une période donnée et à un échantillon limité de délinquants. Elles affirment avec une certaine
précaution que les mesures ayant eu des effets bénéfiques sur la récidive des jeunes délinquants
sont les aménagements de peine, les modèles de justice restaurative (surtout en matière d’atteinte
à la propriété) et les programmes de réhabilitation au sein des prisons615. La compatibilité de la
réparation et de la récidive peut donc être argumentée.
305. Le rapport entre la prison et la récidive. Il est courant aujourd’hui d’affirmer que
la prison ne permet pas de lutter contre la récidive, elle serait au contraire un facteur déterminant
de récidive. Des avis plus nuancés estiment que la prison peut avoir un effet dissuasif selon les
profils de délinquants616. Les statistiques du ministère de la Justice révèlent qu’en France, un
condamné à une peine de prison ferme a 1,6 fois plus de risque de récidiver qu’un condamné à
une peine de prison avec sursis ou une peine d’amende 617. Ce facteur de risque est assez faible en
comparaison avec le facteur de l’âge ou celui de la nature de l’infraction. Il existe différentes
études menées localement sur l’impact de la prison sur la récidive. Dans celle effectuée par le
service des études de la Direction de l’administration pénitentiaire, il ressort que les condamnés à
une peine de prison ont un risque de récidive plus important que ceux condamnés à un sursis-
TIG, à un travail d’intérêt général, à un sursis avec mise à l’épreuve ou à un sursis simple 618. En
Angleterre, les statistiques révèlent que le taux de récidive dans l’année des personnes
615
James MCGUIRE, What works in reducing reoffending in young adults? A rapid evidence assessment, National
Offender Management Service, Ministry of Justice, 2015.
616
Paul GENDREAU, Claire GOGGIN et Francis CULLEN, L'incidence de l'emprisonnement sur la récidive,
Solliciteur général du Canada, en ligne : <www.sgc.gc.ca>.
617
Rémi JOSNIN, Une approche statistique de la récidive des personnes condamnées, Infostat Justice, ministère de
la Justice, avril 2014, en ligne : <www.justice.gouv.fr>.
618
Pierre TOURNIER, « Peines d'emprisonnement ou peines alternatives: quelle récidive? », AJ Pénal, 2005, p.315.
211
condamnées à un suspended sentence order ou à un community order s’élève à 31%, contre
43,4% pour les personnes sortant de prison619.
Éviter les courtes peines de prison jouerait aussi en faveur de la lutte contre la récidive : en
Angleterre, les adultes ayant effectué une peine de prison inférieure à 12 mois ont un risque de
récidive de 58,4%, alors que ceux qui ont effectué une peine plus longue ont un risque de
récidive de 31,1%620.
Même dans les cas où le délinquant a exécuté une peine de prison, le mode de sortie de prison
influencera sa propension à la récidive. Les études montrent que lorsque le délinquant vit une
sortie sèche de prison à la date prévue initialement, il a plus de chance de récidiver qu’un
délinquant ayant bénéficié d’un aménagement de peine621. En outre, il apparaît que plus l’écart
entre la peine effectuée en prison et la peine initialement prononcée est grand, donc plus le temps
passé en prison est raccourci, plus de chances à le condamné de ne pas récidiver 622. Ainsi, plus la
proportion de temps effectué en prison est faible, plus le risque de récidive l’est aussi. Les
aménagements de peine exerceraient donc une influence sur la récidive, mais ils sont encore trop
peu utilisés.
619
Proven Reoffending Statistics Quarterly Bulletin, October 2014 to September 2015, National statistics, Ministry
of Justice, 27 July 2017, en ligne : <www.gov.uk>.
620
Proven Reoffending Statistics Quarterly Bulletin, October 2014 to September 2015, National statistics, Ministry
of Justice, 27 July 2017, en ligne : <www.gov.uk>.
621
Josefina ALVAREZ, « Prison et récidive. Chronique de recherche sur les apports de la socio-démographie pénale
au débat sur l'inflation carcérale et la récidive. », RSC, 2008, 667.
622
Annie KENSEY, « Définir et mesurer la récidive: nécessité d'éclairer le débat », AJ Pénal, 2007, p.393.
623
Rapport parlementaire d'information de l'Assemblée nationale n°652/2013, Dominique RAIMBOURG, Penser la
peine autrement : propositions pour mettre fin à la surpopulation carcérale. Avis de la Commission nationale
212
à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales. Il semble que
l’affirmation de la compatibilité des mesures de réparation et de la lutte contre la récidive vient
essentiellement de l’observation d’expériences concrètes plus que d’explications théoriques. Que
ce soit en comparaison avec des expériences étrangères ou sur la base d’une comparaison
statistique, il semblerait que les alternatives réparatrices ont un effet bénéfique sur la diminution
du taux de récidive624.
On pourrait expliquer ces observations par différents arguments relevés par les chercheurs et les
praticiens625 : la manière dont est pris en charge le délinquant, l’accompagnement dont il
bénéficie dans l’exécution d’une peine en milieu ouvert, la responsabilisation et le changement
de comportement qu’il peut expérimenter lors de l’exécution d’une mesure de réparation et la
réinsertion qu’il entame lorsqu’il n’est pas exclu de la société. Ces arguments jouent en faveur
d’une réelle prise en compte de la réparation dans la lutte contre la récidive.
307. Les politiques pénales en matière de lutte contre la récidive varient en fonction des
gouvernements. En France, sous la Ve République, les gouvernements de droite ont privilégié
une approche sévère en introduisant les peines planchers alors que les gouvernements de gauche
ont tenté de renverser la tendance avec la conférence de consensus suite à laquelle plusieurs
mesures d’assouplissement ont été introduites626. En Angleterre, le gouvernement de coalition
conservateur et libéral démocrate a publié une feuille de route sur la récidive et la
réhabilitation627. Le gouvernement a estimé que la récidive coûte très cher au contribuable628 et
s’est donc fixé pour objectif de diminuer le taux de récidive. Ont ainsi été développés, entre
consultative des droits de l’homme du 21 février 2013, en ligne : www.cncdh.fr. Jean PRADEL, « Les
recommandations de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive », Recueil Dalloz, 2013, p.725.
Christine LAZERGES, « Du consensus sur la prévention de la récidive », RSC, 2013, p.191.
624
Pierre TOURNIER, « Peines d'emprisonnement ou peines alternatives: quelle récidive? », AJ Pénal, 2005, p.315.
625
Circulaire du 2 juin 2016 de politique pénale de Monsieur le garde des sceaux, n°2016-06, publiée au bulletin
officiel du 30 juin 2016 et qui fait référence à la contrainte pénale comme moyen de lutte contre la récidive.
626
Libération conditionnelle automatique, annulation des peines planchers, ouverture des aménagements de peines
aux récidivistes, etc. Ces mesures sont critiquées par une partie de la doctrine : Jean PRADEL, « Les
recommandations de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive », Recueil Dalloz, 2013, p.725.
627
« 2010 to 2015 government policy: reoffending and rehabilitation », en ligne : <www.gov.uk>.
628
Entre 9,5 et 13 milliards de pounds par an.
213
autre, les programmes de réhabilitation dont les acteurs sont rémunérés suivant leurs résultats, les
sanctions effectuées en milieu ouvert et les mesures de justice restaurative.
De ces mesures mises en place par les différents gouvernements, deux tendances apparaissent
quant à la prise en compte de la réparation dans la lutte contre la récidive. La première limite les
possibilités d’alternatives réparatrices en cas de récidive (1) et la deuxième n’inclut pas les
mesures alternatives dans le compte de la récidive (2).
308. La récidive est, de manière constante au fil du temps et des différentes législations,
une cause d’aggravation des peines629. En France, le doublement de la durée de la peine est du
montant de l’amende constitue la règle de base 630. En Angleterre, la récidive permet au magistrat
de traiter l’affaire plus sévèrement. Cette sévérité n’exclut pas la possibilité de recourir aux
mesures alternatives, même si la personne est en état de récidive légale.
309. Ouverture aux récidivistes des mesures alternatives aux poursuites. L’opinion la
plus commune est celle qui prétend que les mesures alternatives ne seraient pas adaptées aux
délinquants récidivistes, car dépourvues de tout cadre contraignant 631. Or les législations
française et anglaise n’excluent pas les récidivistes du champ d’application des mesures
alternatives. En cas de récidive, c’est moins l’infraction qui est punie que le délinquant dont on
apprécie la dangerosité632. L’individualisation des peines est donc encore plus importante en cas
de récidive633. En droit anglais, les règles relatives au conditional caution prévoient
explicitement que le magistrat doit prendre en compte les antécédents judiciaires du délinquant
mais que ceci ne doit pas exclure la possibilité de lui administrer un avertissement sous
629
Pierre TCHERKESSOFF, « Récidive: soigner ou punir? Introduction à la thématique », in Incriminer et protéger,
sous la dir. de C. PHILIPPE et S. TZITZIS, 1e éd., Dalloz, 2014, p.7.
630
Art. 132-8 et suivant du Code pénal.
631
Circulaire n°2011-03 du 15 février 2011 relative à des instructions générales de politique pénale. La circulaire
recommande même aux parquets d’interjeter appel si « les décisions ne s’inscriraient pas dans cette logique de
cohérence de la réponse pénale », en ligne : www.textes.justice.gouv.fr.
632
Marie-Hélène RENAUT, « Une technique juridique appliquée à un problème de société, la récidive », RSC, 2000,
p.319.
633
Elise LETOUZEY, La répétition d'infractions, Dalloz, 2016, [Toulouse 1 Capitole : 2014], p.329.
214
conditions. Ce dernier peut être approprié si un temps suffisant est passé entre les deux
infractions634, si l’infraction est de faible gravité ou est de nature différente des précédentes, si
l’avertissement sous conditions produira vraisemblablement le meilleur résultat pour la victime
et pour le délinquant et si le délinquant a déjà accompli positivement une autre forme de mesure
alternative635. Le droit français ne prévoit pas de dispositions particulières aux récidivistes dans
les textes relatifs aux mesures alternatives. Leur utilisation dépendra donc du pouvoir
d’appréciation du juge et du procureur de la République.
Dans le cas des mesures qui permettent de suspendre l’exécution partielle de la peine
d’emprisonnement comme le régime de la semi-liberté, le placement sous surveillance
électronique ou le fractionnement de la peine, les textes prévoient des conditions d’accès plus
634
Plus de deux ans.
635
Code of practice for adult conditional cautions, section 2,11, Ministry of Justice, 2013.
636
Art. 132-41 C. pén. Charlotte CLAVERIE-ROUSSET, L'habitude en droit pénal, L.G.D.J, 2014, p.316.
637
Art.132-42 C. pén.
215
difficiles aux personnes en état de récidive légale. Dans ces cas, les durées des peines
d’emprisonnement concernées par ces mesures sont réduites638. Ceci rend l’accès à ces mesures
plus difficile et restreint aux récidivistes qui commettent des infractions mineures.
En droit anglais, les community orders peuvent être prononcés en cas de récidive, uniquement
pour les infractions les moins graves. Le Sentencing Act prévoit en effet des mesures
d’emprisonnement quasi-obligatoires pour les infractions les plus graves639.
311. Les alternatives aux poursuites ne comptent pas. Les mesures alternatives aux
poursuites sont une seconde chance accordée aux délinquants, non seulement parce qu’elles lui
permettent d’éviter des poursuites pénales mais parce que ces mesures ne constituent pas le
premier terme de la récidive. Cette règle est a été déduite par la jurisprudence à partir de l’article
132-10 du Code pénal qui définit la personne en état de récidive comme celle ayant déjà été
condamnée définitivement pour un délit et qui commet dans un délai de cinq ans à compter de
l’expiration ou de la prescription de la précédente peine, soit le même délit, soit un délit assimilé.
En effet, la chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé, dans un avis, qu’une amende de
composition pénale ne pouvait constituer le premier terme d’une récidive au sens de l’article
132-10 du Code pénal car la composition pénale n’est pas une condamnation définitive 640.
Malgré son inscription au casier judiciaire, la composition pénale n’est pas une peine et ne peut
constituer le premier terme d’une récidive. Cet avis peut être étendu à toutes les mesures
alternatives aux poursuites mentionnées à l’article 41-1 du Code de procédure pénale.
638
Respectivement les articles 132-25, 132-26-1 et 132-27 C. pén.
639
Powers of Criminal Courts Sentencing Act, 2000, sections 110-112.
640
Avis de la Cour de cassation, 18 janvier 2010, Bull. 2010, Avis n°1, demande n°09-00.005 ; Muriel
GIACOPELLI, « Les procédures alternatives aux poursuites », RSC, 2012, p.505. Jean DANET, « Une amende de
composition pénale ne peut constituer le premier terme de la récidive », AJ Pénal, 2010, p.187. Recueil Dalloz,
« Composition pénale et récidive, arrêt rendu par la Cour de cassation crim., 30-11-2010 », 2011, p.166.
216
s’agit d’un sursis, mesure alternative à la peine. Dans ce cas, une fois les conditions de la
probation réalisées et/ou le délai écoulé, la condamnation est réputée non avenue641. Cependant,
dans un avis en date du 29 janvier 2009, la Cour de cassation estime « qu’une condamnation
assortie d’un sursis, bien que réputée non avenue, peut constituer le premier terme de la
récidive »642. Cet avis a été suivi par la chambre criminelle 643 qui a précisé que le délai de
récidive ne court qu’à compter du jour où la décision assortie du sursis est réputée non avenue.
Cette position est critiquable car contraire à l’esprit même du sursis. Le sursitaire sera soumis à
deux délais : le délai de probation du sursis et le délai de récidive qui ne commence qu’une fois
le premier délai écoulé. Cet allongement des délais pourrait décourager le délinquant qui, de
surcroît, subit un traitement plus sévère qu’un autre délinquant qui aurait été condamné à une
peine d’emprisonnement ferme car dans le cas de ce dernier, le délai de récidive pourrait
commencer à courir plus tôt.
313. Il nous apparaît ainsi évident que les mesures réparatrices jouent un rôle de
prévention dans les politiques pénales de lutte contre la récidive. L’intérêt de les développer
ressort encore plus au vu du taux de récidive par type de délits. Il y a une corrélation entre les
délits qui ont les plus hauts taux de récidive et ceux qui peuvent faire l’objet de mesures
réparatrices. Ces mesures viennent ainsi cibler la majeure partie du taux de récidive en étendant
leur rôle de prévention à un rôle d’action.
641
Art. 132-52 C. pén.
642
Claire SAAS, « Les sursitaires en danger au regard de la récidive », AJ Pénal, 2009, p.173.
643
Cass, crim. 14 octobre 2014 – D. 2014. 2113.
217
Conclusion du chapitre 2
Au cœur des politiques d’action publique en faveur d’une meilleure administration du service de
la justice, les mesures réparatrices permettent d’apporter de nouveaux outils pour permettre une
systématisation de la réponse pénale, une réponse pénale de qualité dans un délai raisonnable et
une réponse pénale à bas coût. Les politiques pénales qui s’attaquent aujourd’hui aux défis que
sont la délinquance et la récidive optent pour les mesures réparatrices qui semblent plus adaptées
au format actuel de la délinquance et au profil des délinquants et qui portent encore en elles
l’espoir de réduire la récidive, espoir perdu avec la peine d’emprisonnement.
315. Très récemment, une nouvelle tendance apparaît en France, celle d’une forme de e-justice
qui relie technologie et justice, déjà instaurée au Royaume-Uni et aux États-Unis. Cette justice
des temps modernes pourrait bien devenir un moteur supplémentaire de la réparation. En France,
la loi Lemaire du 7 octobre 2016 fonde la République numérique et permet au passage de mettre
gratuitement à la disposition du public les décisions rendues par les juridictions judiciaires, dans
le respect de la vie privée des personnes concernées 644. La loi de programmation 2018-2022 et
de réforme pour la justice du 23 mars 2019 instaure, elle, la possibilité pour les victimes de
porter plainte en ligne pour certaines infractions qui seront précisées par décret 645.
644
Art. L.111-13 du Code de l’organisation judiciaire.
645
Art. 15-3-1 C.pr.pén.
218
relatives à l’affaire visée dans un logiciel, d’avoir, suite à un calcul algorithmique, une réponse
prévisionnelle. Pour les individus et les avocats, cela permet d’anticiper un jugement probable
tandis que pour les magistrats, cela leur permettrait de trouver les tendances majoritaires dans un
type de conflit déterminé. Très décriée par certains en raisons des risques qu’elle comporte646,
cette justice prédictive pourrait servir les alternatives à la justice car elle permettrait aux
justiciables et aux avocats de se rendre compte qu’ils pourraient dans certains cas aboutir à une
meilleure solution s’ils ont recours à des mesures alternatives. Cet argument ne peut cependant
fonctionner en matière pénale, le traitement des infractions relevant de l’ordre public. La justice
prédictive permettrait cependant, selon ses adeptes, d’apporter transparence, prévisibilité et
discipline à la jurisprudence 647. Le risque en matière pénale est que la justice prédictive limite le
recours aux alternatives à la peine à certaines catégories d’individus. Il semblerait que les
algorithmes utilisés par certains logiciels aux États-Unis font apparaître des peines plus longues
si le coupable est afro-américain et rend la probabilité d’une liberté conditionnelle plus grande si
l’individu bénéficie d’un emploi, et a une famille et un domicile 648. Le Royaume-Uni et les
États-Unis abordent la justice prédictive sous une autre forme. Ils l’utilisent dans un but de
profilage en vue de déterminer, au stade de l’enquête de police, le risque de récidive d’un
individu et la nécessité de le maintenir en détention provisoire, et au stade du jugement si son
risque de récidive nécessite une peine spécifique 649. C’est sous cette forme que la justice peut
devenir un moteur de la réparation alternative. En cas de risque de récidive faible, la police
judiciaire, le procureur ou le magistrat pourraient être encouragés à recourir aux mesures et
peines alternatives.
Ce phénomène est trop récent pour qu’on puisse l’analyser en tant que réel moteur de la
réparation alternative. Il nous est apparu néanmoins important de l’aborder comme une
possibilité intéressante qui devrait être suivie de près.
646
Risque d’uniformisation des décisions judiciaires sur la base de statistiques, risque d’encadrement du pouvoir
souverain du juge, risque de représentations politiques du monde et de la justice, risque de reproduire les stigmas
sociaux, etc. Pour plus de détails voir : Lêmy GODEFROY, « La performativité de la justice "prédictive": un
pharmakon? », D. 2018, p.1979. Antoine GARAPON, « Les enjeux de la justice prédictive », La semaine juridique -
Edition générale, 9 janvier 2017, n° 1-2, p.47. Frédéric ROUVIERE, « Le raisonnement par algorithmes: le
fantasme du juge-robot », RTD civ., 2018, p.530.
647
Yannick MENECEUR, « Quel avenir pour la "justice prédictive"? », La semaine juridique - Edition générale, 12
février 2018, n° 7, p.316.
648
Antoine GARAPON, « Les enjeux de la justice prédictive », La semaine juridique - Edition générale, 9 janvier
2017, n° 1-2, p.47.
649
Fabrice DEFFERRARD, « Le pouvoir de jurisdictio des algorithmes aux Etats-Unis: entre fantasme et réalité
jurisprudentielle », Dalloz IP/IT, 2017, p.668.
219
220
Conclusion du Titre 2
316. L’implication du délinquant et le réalisme du droit nous ont semblé être les
principaux moteurs de la réparation dans la justice pénale. Dans une justice pénale qui accorde
de plus en plus de place à la victime, il était important de se recentrer sur la personnalité du
délinquant. Les mesures et peines réparatrices sont venues rompre avec la passivité des peines
d’emprisonnement. Contenant une obligation de faire, elles nécessitent le consentement de
l’intéressé et sa participation pour la réalisation de la réparation. Le cadre pénal dans lequel ce
consentement est donné nous permet d’émettre des doutes quant à son caractère libre et éclairé.
Nous pouvons concevoir que le caractère libre du consentement soit purement théorique, au
regard des circonstances. Son caractère éclairé est cependant nécessaire afin de préserver les
droits de la défense650. En outre, le consentement du délinquant à la mesure de réparation n’est
pas sans conséquences sur les poursuites pénales. Mais il semblerait que le droit pénal n’est pas
prêt d’accorder au consentement tous les effets qu’on pourrait lui attribuer. Certaines peines
réparatrices conservent ainsi leur caractère de peine malgré la condition du consentement. Il ne
s’agit donc pas d’une justice consensuelle ou négociée mais plutôt d’une justice d’adhésion.
317. Dans cette forme de justice, la recherche de sanctions plus adaptées à chaque
catégorie d’infraction et à chaque profil de délinquant s’est avérée primordiale. Le législateur a
ainsi trouvé dans la réparation une réponse pénale satisfaisante pour les infractions de faible
gravité. Que ce soit pour la lutte contre la récidive et la lutte contre la délinquance, la réparation
porte en elle les espoirs d’une justice participative651, plus humaine et plus apaisée652. Les
mesures réparatrices s’avèrent aussi moins coûteuses à mettre en place que les peines
d’emprisonnement. Cela ne suffit pas pour que la réparation soit plus utilisée. Un changement de
mentalité et une meilleure mobilisation des magistrats en faveur des mesures réparatrices sont
primordiaux. L’abrogation de la contrainte pénale et de la transaction par officier de police
650
Brigitte PEREIRA, « Justice négociée: efficacité répressive et droits de la défense? », Recueil Dalloz , 2005,
p.2041.
651
Florence G'SEIL-MACREZ, « Vers la justice participative? Pour une négociation à l'ombre du droit », D., 2010,
p.2450.
652
Serge GUINCHARD, L'ambition raisonnée d'une justice apaisée, Rapport au ministère de la Justice, juillet 2008.
221
judiciaire est symptomatique du manque de mobilisation des acteurs judiciaires en faveur d’une
justice réparatrice.
222
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
319. La réparation alternative a ainsi pour bienfait de porter en elle le potentiel d’une
autre forme de justice qui pourrait en même temps satisfaire la victime et mener le délinquant sur
la voie de la réhabilitation. Ce constat peut pourtant n’être que temporaire car il dépend des
politiques pénales adoptées par les gouvernements, souvent influencés par les faits divers et la
pression de la société qui réagit à la suite de crimes atroces. Afin d’inscrire cette tendance dans la
durée, les mesures réparatrices ne doivent pas seulement être limitées à des mesures alternatives
à la justice pénale mais doivent acquérir plus d’autonomie au sein de la justice pénale.
653
Jean-Baptiste PERRIER, « Les (r)évolutions de la procédure pénale », D. 2019, 1061.
223
224
- DEUXIÈME PARTIE -
LA RÉPARATION, COMPOSANTE
DE LA JUSTICE PÉNALE
A défaut d’être l’objet de la justice pénale, la réparation en est un complément (Titre 2).
Envisager la réparation comme objet de l’action civile ne la sépare pas vraiment de l’action
pénale. L’action civile étant accessoire à l’action pénale, la réparation demeure liée à la justice
pénale. En outre, le débat autour des véritables objectifs de l’action civile permet de douter de
l’exclusivité de son objectif réparateur655.
654
Jean-Marie CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, 2e éd., puf, p.267.
655
Claire ROCA, De la dissociation entre la réparation et la répression dans l'action civile exercée devant les
juridictions répressives, Dalloz, 1991, p.85. Fernand BOULAN, « Le double visage de l'action civile exercée devant
la juridiction répressive », JCP, 1973, n° I, doct.2563.
656
Pierre NOREAU et Romilda MARTIRE, « L'institutionnalisation de la justice réparatrice », in Justice
réparatrice et médiation pénale: convergences ou divergences?, sous la dir. de M. JACCOUD, L'Harmattan, 2003,
p.209. Lode WALGRAVE, « Comment combiner justice restauratrice et justice pénale: questions et discussions »,
in La justice restauratrice, sous la dir. de P. GAILLY, Larcier, 2011, p.417.
225
TITRE 1
LA RÉPARATION, OBJET DE LA JUSTICE PÉNALE
321. L’objet de la justice pénale est la répression, elle a des fins vindicatives657. Cette
vérité de La Palice est tellement ancrée dans notre mode de réflexion qu’il nous semble difficile
d’envisager la justice pénale sous un autre angle. Or ce titre aura pour ambition d’envisager la
réparation comme objet de la justice pénale. Il ne s’agit pas de bouleverser la nature et la
fonction du droit pénal qui reste un droit répressif, mais d’étudier la possibilité d’y voir une
forme de réparation spécifique qui viendrait compléter le mode d’expression traditionnel du droit
pénal qu’est la sanction. En effet, il existe des domaines dans lesquels l’objectif de réparation
dépasse l’objectif de sanction. En droit pénal interne, le droit des mineurs a été précurseur en
matière de réparation658. Le droit des mineurs français, anglais et libanais accorde à la réparation
une place autonome. De même, les droits de l’environnement et de l’urbanisme sont les terreaux
d’une autonomie de la réparation. Ce principe d’autonomie de la réparation commence aussi à se
répandre en droit pénal général (Chapitre 1).
En droit pénal international, la punition est parfois impossible lorsque c’est un État qui est
coupable d’une violation d’un droit fondamental. La sanction est parfois insuffisante face au
crime international commis 659. La notion de réparation s’internationalise alors pour répondre à la
mission de la justice pénale (Chapitre 2).
657
Didier REBUT, « Justice pénale et justice civile - évolution, instrumentalisation, effets pervers... », Pouvoirs,
2009/1, n° 128, p.49.
658
Sylvain JACOPIN, « Le droit pénal français des mineurs, évolutions et transformations juridiques », Revue
pénitentiaire et de droit pénal, octobre-décembre 2015, n° 4, p.792.
659
Florence BRISSET-FOUCAULT ET AL, « Vérité, justice, réconciliation ou comment concilier
l'inconciliable», Mouvements, 2008/1, n° 53, p.9. Jean-Baptiste JEANGENE VILMER, Réparer l’irréparable, Les
réparations aux victimes devant la Cour pénale internationale , puf, 2009.
226
Chapitre 1 : L’autonomie de la réparation
323. À l’origine du droit des mineurs, on retrouve la conception qu’un mineur délinquant
est un mineur en danger661. Les peines d’emprisonnement sont très tôt reléguées au second rang
dans la justice des mineurs comme étant des peines de dernier recours. Ce principe a été consacré
en 1985 dans l’ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la
justice pour mineurs, connues sous l’appellation de Règles de Beijing 662. La justice des mineurs
se démarque par son mode de prise en charge spécifique des jeunes délinquants, fondé
660
Dictionnaire de français Larousse.
661
Sylvain JACOPIN, « Le droit pénal français des mineurs, évolutions et transformations juridiques », Revue
pénitentiaire et de droit pénal, octobre-décembre 2015, n° 4, p.792.
662
Règles adoptée par l’Assemblée générale dans la résolution 40/33 du 29 novembre 1985.
227
essentiellement sur un processus éducatif. La forme (I) et les caractéristiques (II) de la réparation
en droit des mineurs permettent d’argumenter son autonomie.
324. La réparation devient une notion autonome lorsqu’elle existe abstraction faite de
toute autre mesure, c’est une réponse pénale qui se suffit à elle-même. Elle n’est pas
complémentaire à une peine d’emprisonnement ou à une quelconque mesure. La réparation est
une notion autonome lorsqu’elle est choisie pour ce qu’elle est et non dans la poursuite d’un
autre objectif. Elle n’est plus une alternative qui se définit par ce qu’elle permet d’éviter, les
poursuites ou la peine. Cette autonomie de la réparation lui donne une définition propre (A), elle
se décline sous plusieurs formes (B).
325. En France, le concept juridique de réparation pénale a d’abord été abordé dans
différents documents institutionnels 663. La réparation a ensuite pris forme grâce à diverses
initiatives expérimentales de quelques juridictions qui ont mis en place des formes de
« médiation-réparation » à l’intention de mineurs délinquants. Ces initiatives ont été encouragées
par l’administration, notamment à travers une circulaire du 15 octobre 1991 relative à la
politique de protection de la jeunesse, qui définit les actions de médiation-réparation comme des
réponses compréhensibles par le mineur et qui permettent de prendre en considération les droits
des victimes et favorisent le respect d’autrui664. La définition de la réparation prend sa forme
finale dans l’article 12-1 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante,
introduit par la loi du 4 janvier 1993.
663
Rapport de la commission Menga portant sur l’adaptation des structures et des méthodes éducatives à l’évolution
de la Protection judiciaire de la jeunesse (1982) ; Rapport de la commission Martaguet portant sur la réforme du
droit pénal des mineurs (1983).
664
Circulaire, ministère de la Justice, n° NOR JUS F 91 50 0083 C, 15 octobre 1991.
228
En Angleterre, il ne semble pas que le concept de réparation soit défini en tant que tel dans la
justice des mineurs, ce qui n’empêche pas pour autant l’existence de mesures réparatrices
autonomes, différentes des alternatives aux poursuites ou à la peine.
La notion de réparation est plus récente dans la justice pénale des mineurs au Liban, elle apparaît
pour la première fois dans la loi n°422 du 6 juin 2002 relative à la protection des mineurs en
danger ou en conflit avec la loi.
Ces différents éléments ont posé les fondations de la définition juridique (1) et de la dimension
globale (2) de la réparation comme mesure autonome du droit des mineurs.
326. Ce qu’est la réparation en droit des mineurs. En droit français, l’article 12-1 de
l’ordonnance de 1945 dispose que le procureur de la République ou le juge chargé de l’affaire
ont la faculté de proposer au mineur une mesure ou une activité d’aide ou de réparation à l’égard
de la victime ou dans l’intérêt de la collectivité665. La notion de réparation est plus détaillée dans
la circulaire d’application de l’ordonnance en date du 11 mars 1993 666 qui précise que la
réparation est une réponse pénale qui revêt un caractère éducatif certain pour les mineurs car elle
permet « de leur faire mieux comprendre la portée de leur acte et s’appuie sur leur propre
capacité à réparer le tort causé à la victime ». Celle-ci y trouve une réponse rapide et adaptée au
dommage subi. L’environnement peut être associé à la mise en œuvre de cette mesure, ce qui
pourrait contribuer à modifier la perception qu’a la société de la délinquance des mineurs. La
réparation en droit français a donc une dimension globale qui comprend un aspect psychologique
et un aspect matériel. Transposé dans un cas réel, le contenu de la réparation n’est pas vraiment
défini. La circulaire se limite à comparer la réparation directe, effectuée auprès de la victime et
en lien avec le dommage causé, à la réparation indirecte, effectuée auprès de la communauté et
en lien avec l’infraction commise.
665
JCI Pénal Code, Art 122-8 Fasc. 20: Mineur délinquant.
666
Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, ministère de la Justice, note n° NOR JUR F 93 500 13 C, 11
mars 1993, « Mise en œuvre à l’égard des mineurs de la mesure de réparation pénale », en ligne :
www.legifrance.gouv.fr.
229
Le droit libanais ne définit pas la réparation dans la loi 422/2002 mais sa position dans l’article 5
relatif aux mesures non privatives de liberté pourrait nous donner un indice sur la vision qu’a le
législateur de cette mesure. En effet, l’une des mesures est: « le travail d’intérêt général ou le
travail en réparation à la victime ». Il n’est pas clair si le législateur a voulu distinguer au sein
d’une même mesure entre la réparation indirecte, au profit de la communauté, et la réparation
directe au profit de la victime, ou s’il distingue entre deux mesures : l’une étant le travail
d’intérêt général et l’autre la réparation. Si l’on considère que la loi 422/2002 ne prévoit la
mesure de réparation qu’envers la victime de l’infraction, on peut comprendre pourquoi la
mesure est très peu utilisée. En effet, au regard de la longueur des délais de jugement, la mesure
de réparation devient obsolète au moment du jugement, souvent parce que la victime aura déjà
réparé par elle-même le dommage causé, aura obtenu réparation ou se sera retirée en tant que
partie civile667.
Quant au droit anglais, le caractère éducatif manque dans les textes et les mesures qui visent la
réparation la définissent en se basant sur ce qu’elle n’est pas.
327. Ce que la réparation en droit des mineurs n’est pas. Il apparaît des différents
textes législatifs anglais qu’il est plus aisé de dire ce que la mesure de réparation n’est pas plutôt
que ce qu’elle est. Son caractère individualisable suivant l’infraction commise rendrait chaque
mesure de réparation unique. Cependant, différencier la réparation d’autres mesures permet de
mieux cerner ses contours. La réparation n’est pas celle que recherche la victime en se
constituant partie civile. Elle ne se limite pas à une simple indemnisation. En ce sens, en droit
anglais, les textes de loi mentionnent que « faire réparation » pour le délinquant signifie faire
réparation pour l’infraction « autrement que par le payement d’une compensation »668.
En droit français, la mesure de réparation ne doit pas être confondue avec la médiation pénale. Si
ces deux mesures se ressemblent, elles n’en restent pas moins distinctes : la première est une
mesure éducative adressée à un mineur et exige d’engager des poursuites pénales ; la deuxième a
pour objectif le règlement rapide des conséquences de l’infraction, la satisfaction des victimes et
667
Dans une décision rendue par le tribunal pour enfant du Liban-Sud en date du 1er février 2010 (inédit, décision
n°18), la mesure de réparation intervient trois ans après la commission de l’infraction.
668
Traduction libre. Powers of Criminal Courts Sentencing Act , 2000, section 73 relative aux “reparation orders”.
230
peut servir comme alternative aux poursuites 669. La médiation pénale vise aussi la réparation des
dommages causés par l’infraction mais elle constitue un moyen spécifique permettant d’aboutir à
la réparation matérielle ou symbolique du dommage et peut s’appliquer aux majeurs comme aux
mineurs délinquants. De plus, la mesure de réparation n’est pas la peine de travail d’intérêt
général même si elles partagent parfois le même terrain d’application670. Cette différenciation
entre la réparation et le travail d’intérêt général est moins marquée en droit libanais qui comme
mentionné précédemment intègre ces deux mesures dans un même alinéa en tant que mesures
alternatives. Ceci s’explique par le fait que le travail d’intérêt général en droit libanais est une
mesure alternative et non une peine comme en droit français. Si en droit français, la nature de la
mesure permet de différencier la réparation du travail d’intérêt général, en droit libanais, cette
différenciation est plus difficile à opérer car la nature des deux mesures est identique et leurs
objectifs et moyens de mise en œuvre similaires.
Du point de vue de son champ d’application, la réparation n’est pas une réponse rattachée à un
type d’infraction spécifique mais constitue plutôt une réponse en lien avec la personnalité du
mineur délinquant. Le choix de la réparation est pris en vue de l’effet potentiel de cette mesure
sur la réhabilitation du délinquant671. Elle exclut certes les crimes dont les conséquences ne sont
pas « réparables » mais elle garde un champ d’application très vaste en matière délictuelle.
328. Une dimension psychologique. Contrairement à ce que son nom pourrait indiquer,
la réparation telle que décrite dans le Code pénal français ne vise pas principalement la
réparation du dommage issu de l’infraction mais elle est tournée vers l’auteur de l’infraction 672.
Il ne s’agit pas pour l’auteur « d’effacer l’acte transgressif, mais de le reconnaître »673.
Reconnaître l’acte transgressif permet d’entamer un processus de responsabilisation qui aboutira
669
Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, ministère de la Justice, note n° NOR JUR F 93 500 13 C, 11
mars 1993, « Mise en œuvre à l’égard des mineurs de la mesure de réparation pénale ».
670
Alain BRUEL, Pratiques et évolutions de la justice des mineurs, Erès, 2015, p.237.
671
Philippe MILBURN, « La réparation pénale à l'égard des mineurs: éléments d'analyse sociologique d'une mesure
de justice restaurative », Archives de politique criminelle, 2002/1, n° 24, p.147.
672
Idem.
673
Maryse VAILLANT, La réparation. De la délinquance à la découverte de la responsabilité, Gallimard, 1999,
p.20.
231
à la réparation matérielle des conséquences de l’infraction. La circulaire de mise en œuvre de
l’article 12-1 de l’ordonnance de 1945 précise que la mesure « favorise un processus de
responsabilisation du mineur en lui faisant prendre conscience d’une loi pénale, de son contenu
et des conséquences de sa violation pour lui-même, pour la victime et pour la société »674. La
réparation a une dimension psychologique car elle fait réfléchir le mineur 675 sur l’acte qu’il a
commis.
En droit anglais, le système de la justice des mineurs a pour principal objectif la prévention de la
récidive des mineurs676. Cet objectif final passe par le même processus psychologique qui permet
au mineur d’entamer un processus de désistance.
674
Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, ministère de la Justice, note n° NOR JUR F 93 500 13 C, 11
mars 1993, « Mise en œuvre à l’égard des mineurs de la mesure de réparation pénale ».
675
Michel ALLAIX et Michel ROBIN, « La genèse de la mesure de réparation pénale à l'égard des mineurs », in De
la dette au don. La réparation pénale à l'égard des mineurs, sous la dir. de M. VAILLANT, ESF Editeurs, p.40.
676
Crime and Disorder Act 1998, section 37.
677
Traduction de “make reparation”, section 70, Powers of Criminal Courts Sentencing Act, 2000.
678
D’une durée de 20h à 400 heures, article 131-8 C. pén.
679
Powers of Criminal Courts Sentencing Act , 2000, section 74.
232
entre vingt et soixante heures de travail concret, réparties sur une période n’excédant pas six
mois680.
331. Si le principe de la réparation est acquis dans la justice des mineurs, il se décline de
plusieurs façons. En droit français et en droit libanais, la mesure de réparation a une forme
unique (1). Le droit anglais se caractérise par la multiplicité des mesures de réparation en droit
des mineurs (2).
332. Une seule mesure. Le principe de réparation est représenté en droit français par une
mesure phare introduite en 1993 au sein de l’ordonnance de 1945 : la mesure de réparation. C’est
la seule forme que prend la réparation dans l’ordonnance et cette mesure constitue la réponse
pénale de référence en matière d’infractions délictuelles. Contrairement au droit pénal des
majeurs où on retrouve différentes mesures de réparation, le droit des mineurs français se
démarque par une approche unique en matière de réparation. La mesure de réparation ne diffère
pas selon les stades de la procédure, elle peut être mise en œuvre par le procureur de la
680
Manuel du ministère de la Justice sur « Les mesures éducatives alternatives aux mesures privatives de liberté »,
2006, www.justice.gov.lb.
233
République comme alternative aux poursuites ou par le juge des enfants à titre préjudiciel ou à
titre de jugement 681. Cette approche confère une certaine cohérence au principe de réparation.
Cependant, cette cohérence est mise à mal car certaines mesures alternatives aux poursuites - ou
mesures alternatives à la peine - applicables aux majeurs sont aussi applicables aux mineurs. En
effet, la médiation pénale, la composition pénale et l’ajournement sous condition sont applicables
aux mineurs682. Comme nous l’avons étudié dans la première partie de cette thèse, ces mesures
permettent la réalisation de la réparation du dommage causé par l’infraction. Or la réparation
visée par ces mesures n’est pas la réparation voulue par le droit des mineurs, axé sur la
dimension pédagogique qui caractérise ce droit. Cette infiltration du droit des majeurs pourrait
annoncer le début d’une déspécialisation de la justice des mineurs.
En droit libanais, il existe une seule mention de la mesure de réparation dans la loi 422. Cette
mesure manque d’une réelle définition propre car elle est associée au travail d’intérêt général
mais est dirigée vers la victime. Elle n’en demeure pas moins unique, ce qui assure une certaine
cohérence au principe de réparation en droit des mineurs.
333. Une mise en œuvre multiple. La mesure de réparation est unique par définition en
droit des mineurs mais on observe en droit français une certaine confusion dans sa mise en
œuvre. En effet, la mesure de réparation peut être mise en œuvre soit en tant que mesure
éducative soit en tant que sanction éducative683. La catégorie de sanction éducative a été
introduite par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 684.
Les sanctions éducatives sont applicables aux mineurs âgés de dix à dix-huit ans et formeraient
une catégorie intermédiaire entre les mesures éducatives et les peines. Ces sanctions qui sont
énumérées à l’article 15-1 de l’ordonnance de 1945, comportent la « mesure d’aide ou de
réparation mentionnée à l’article 12-1 » et peuvent être prononcées lorsque les circonstances et la
personnalité des mineurs l’exigent 685. Voulant introduire une approche plus ferme et répressive
au sein de la justice des mineurs, les sanctions éducatives introduisent surtout une confusion dans
681
Philip MILBURN, La réparation pénale à l'égard des mineurs, puf, 2005, p.20.
682
Art. 7-1 et 7-2 de l’ordonnance de 1945.
683
Jean PRADEL, « Les fondements nationaux de la justice pénale des mineurs », in Réformer le droit des mineurs
délinquants, sous la dir. de F. LUDWUCZAK, L'Harmattan, 2016, p,38.
684
Loi 2002-1138.
685
Art. 2 de l’ordonnance de 1945.
234
l’ordonnance de 1945. Pour d’aucuns, associer le terme « éducatives » à celui de « sanctions » ne
suffirait pas à les distinguer des peines686, alors que d’autres estiment que sanctionner n’est que
« constater et tirer la conséquence d’un fait »687. De plus, la réparation mesure éducative n’est
pas inscrite au casier judiciaire du mineur alors que la réparation sanction éducative l’est. En
résumé, cette catégorie de mesures ne fait qu’ajouter de la confusion notamment quant à la
mesure de réparation qui peut ainsi être mise en œuvre de plusieurs façons.
334. Des mesures calquées sur le droit des majeurs. Le droit anglais des mineurs se
différencie des droits français et libanais en ce qu’il comprend différentes mesures réparatrices
à l’attention des mineurs délinquants. Ces mesures se répartissent tout au long de la procédure,
comme pour les majeurs : certaines sont des alternatives aux poursuites, d’autres des alternatives
à la peine et des sanctions autonomes. Lorsque l’affaire est encore entre les mains de la police, le
droit anglais accorde aux officiers une prérogative importante, celle d’opter pour une mesure de
résolution « non-statutaire » au sein de la communauté690. En effet, depuis la mise en place en
2013 du Legal Aid, Sentencing and Punishment of Offenders Act 2012, les officiers de police
judiciaire peuvent décider de mettre en œuvre une mesure de résolution au sein de la
communauté, si le mineur est primo-délinquant ou lorsque l’infraction est d’une faible gravité.
686
Arlène DOUMIT EL KHOURY, « Les sanctions éducatives », Vie sociale et traitements (2005/3), p. 144, n°87.
687
André VARINARD, « La justice pénale des mineurs: une justice qui reste à réformer », in Entre tradition et
modernité: le droit pénal en contrepoint. Mélanges en l'honneur d'Yves Mayaud, Dalloz, 2017, p.685.
688
André VARINARD, Adapter la justice pénale des mineurs, Entre modifications raisonnables et innovations
fondamentales: 70 propositions, Rapport au Ministre de la Justice, La documentation française, 2008.
689
Idem. Voir aussi : « Présentation du projet de réforme relatif à la justice pénale des enfants et des adolescents -
Un avant-projet de réforme et après? », Revue Pénitentiaire et de Droit Pénal, Ed. Cujas, 2015 (4), pp.827-846.
690
Traduction libre de “non-statutory community resolution”.
235
Ce qui caractérise cette mesure c’est le caractère informel de l’accord entre les parties qui
dépend de la reconnaissance de culpabilité et de l’accord du mineur ainsi que de la prise en
compte de l’avis de la victime. Cette mesure peut comprendre des moyens de justice
restaurative691. La mise en œuvre de cette mesure n’implique pas nécessairement la participation
des « youth offending teams » et ne garantit donc pas le caractère éducatif de la mesure, surtout si
celle-ci ne comprend pas des moyens de justice restaurative. De plus, comme pour les majeurs, il
existe une forme d’avertissements spécifiques aux mineurs : les « youth simple cautions » et les
« youth conditional cautions ». Ces derniers peuvent être prononcés par la police judiciaire et par
le Crown Prosecution Service ; elles visent la réparation, la réhabilitation et la sanction à travers
la mise en place d’obligations à l’encontre du mineur.
335. Des mesures spécifiques aux mineurs. Les mesures réparatrices spécifiques aux
infractions commises par des mineurs font partie des moyens mis à la disposition des juges. Elles
sont principalement au nombre de trois : le « reparation order » et le « referral order »
mentionnés dans le Power of Criminal Courts Sentencing Act de 2000 et le « youth rehabilitation
order » mentionné dans le Criminal Justice and Immigration Act de 2008. Ces mesures sont
autonomes car elles ne viennent pas remplacer une peine d’emprisonnement. Pour les deux
premières, elles peuvent être mises en œuvre uniquement lorsque la loi ne prévoit pas de sanction
spécifique et sont incompatibles avec une peine de prison692. Le « youth rehabilitation order »
peut quant à lui être une alternative à une peine d’emprisonnement.
On peut distinguer dans le contenu de ces mesures une sévérité graduelle. La mesure la moins
sévère est le « reparation order » qui vise à obtenir réparation pour la victime ou la communauté
à travers un travail effectué par le mineur n’excédant pas 24 heures au total. Le « referral order »
transfère la responsabilité du mineur à un « Youth offending panel »693 avec qui le mineur conclut
un contrat694 qui comprend les mesures et l’attitude qu’il doit observer pendant une période
pouvant varier entre trois et douze mois. Enfin, en plus de la réparation, le « youth rehabilitation
order » permet au juge d’imposer l’exécution d’autres mesures, comme le couvre-feu, les
691
Youth Out-of-Court disposals, Guide for Police and Youth Offending Services, Ministry of Justice, Youth Justice
Board, 2013, en ligne : <www.yjlc.uk>.
692
Power of Criminal Courts Sentencing Act, 2000, section 16, section 73 (4).
693
Sorte de comité de suivi du mineur.
694
“Youth offender contract”.
236
mesures d’interdiction ou d’exclusion, les mesures d’assignation à résidence ou de surveillance
électronique si la mesure est utilisée comme alternative à l’emprisonnement. Ces mesures
peuvent être ordonnées pour une période allant jusqu’à trois ans, ce qui donne au « youth
rehabilitation order » le caractère d’une peine alternative et non d’une simple mesure.
337. L’autonomie qu’acquiert la réparation en droit des mineurs vient, outre sa définition
et sa forme, de ses caractéristiques. Ses principales caractéristiques sont son aspect pédagogique
qui donne tout son sens à la mesure (A) et son caractère individualisable qui lui permet de
s’adapter à chaque infraction et à chaque délinquant (B).
695
Loraine GELSTHORPE et Caroline LANSKEY, « Youth Justice in England and Wales », Oxford Handbooks
Online, en ligne : <www.oxfordhandbooks.com>, décembre 2016.
696
Tim BATEMAN, The state of youth justice 2017, National association for youth justice, Septembre 2017,
en ligne : www.thenayj.org.uk, p.32.
237
A. La réparation, une mesure pédagogique
338. Dans la justice des mineurs, le délinquant est au centre de l’attention, et non
l’infraction. La mesure de réparation vise principalement le mineur, la réparation de l’infraction
fait partie du processus de réparation du délinquant. Le droit des mineurs a donc un objectif
pédagogique, éducatif. Cet objectif est l’un des principes directeurs de la justice pénale des
mineurs et il se décline sous deux aspects : la finalité éducative de la réponse pénale et le
caractère subsidiaire de la peine 697. Il s’agira dans cette partie d’approfondir le caractère
pédagogique de la réparation en droit des mineurs. Cette pédagogie qu’on associe à la réparation
se fonde principalement sur la responsabilité (1) et la désistance (2).
1. La pédagogie de la responsabilité
Dans un rapport de l’Inspection de la protection judiciaire de la jeunesse qui évalue les aspects
de l’ordonnance de 1945 vue par 331 mineurs, il a été observé que les mineurs ont peu
697
André VARINARD, Adapter la justice pénale des mineurs, Entre modifications raisonnables et innovations
fondamentales: 70 propositions, La documentation française, Rapport au ministre de la Justice, 2008.
698
André VARINARD, Adapter la justice pénale des mineurs, Entre modifications raisonnables et innovations
fondamentales: 70 propositions, La documentation française, Rapport au Ministre de la Justice, 2008, p.29.
699
Jeanne CLAVEL, « La réparation pénale: une nouvelle utopie? », AJ Pénal, 2012, p.326.
238
conscience de l’impact de leurs actes sur les victimes 700. Ils sont, pour la majorité, incapables de
prendre en considération autrui. Cette observation renforce l’intérêt que la mesure de réparation
revêt pour ces jeunes et pour les victimes. La prise de conscience est ainsi nécessaire lors du
lancement d’une mesure de réparation car elle permet de déclencher l’adhésion du mineur à la
réparation qu’il acceptera comme mesure valide par rapport à l’acte701.
700
Aspects de l'ordonnance du 2 février 1945 vue par 331 mineurs, Inspection de la Direction de la protection
judiciaire de la jeunesse, 2008, en ligne : <www.justice.gouv.fr>. Dans le rapport, il est mentionné que seuls 70
mineurs sur 331 indiquent avoir pensé à la victime et 5 disent s’être spontanément excusés.
701
Philippe MILBURN, « La réparation pénale à l'égard des mineurs: éléments d'analyse sociologique d'une mesure
de justice restaurative », Archives de politique criminelle, 2002/1, n° 24, p.147.
702
Michel ALLAIX et Michel ROBIN, « La genèse de la mesure de réparation pénale à l'égard des mineurs », in De
la dette au don. La réparation pénale à l'égard des mineurs, sous la dir. de M. VAILLANT, ESF Editeurs, p.40.
703
Philip MILBURN, La réparation pénale à l'égard des mineurs, puf, 2005, p.7.
704
Marc ANCEL, La défense sociale nouvelle: un mouvement de politique criminelle humaniste, 2e éd., Cujas,
1971. Christine LAZERGES, « Processus de socialisation et apprentissage de la règle de droit », RSC, 1993, p.593.
705
Philip MILBURN, La réparation pénale à l'égard des mineurs, puf, 2005, p.7.
706
Idem.
239
2. L’éducation pour la désistance
En demandant au mineur de donner de son temps ou de son argent pour la réussite de la mesure
de réparation, on contribue à restaurer son estime de soi. Plus confiant en lui-même et en ses
capacités, le mineur peut à nouveau envisager son rapport au monde. La réparation contribue
ainsi à construire une nouvelle relation entre le mineur et son entourage et favorise sa réinsertion
dans la société. L’exécution de la mesure de réparation aidera le mineur à dépasser sa culpabilité
par la restauration de son image dans la société 709. La réparation permet donc le rétablissement
du lien social brisé par la commission de l’infraction. Elle ne sera pas une sanction qui stigmatise
mais elle aura « la valeur d’un seuil qui est franchi »710. Sur un plan plus éducatif, la réparation
accompagne la désistance par l’intégration de nouvelles valeurs qui permettront au mineur
délinquant de construire son identité sociale. Le mineur gagne la possibilité d’assumer ses
erreurs, de comprendre les lois pénales et les interdits et de prendre la responsabilité de la
réparation.
707
Alain BRUEL, Pratiques et évolutions de la justice des mineurs, Erès, 2015, p.249.
708
Youth Out-of-Court disposals, Guide for Police and Youth Offending Services, Ministry of Justice, Youth Justice
Board, 2013, en ligne : <www.yjlc.uk>. Tim BATEMAN, The state of youth justice 2017, National association for
youth justice, September 2017, en ligne : www.thenayj.org.uk, p.56. Sebastien DELARRE, Trajectoires judiciaires
des mineurs et désistance, Infostat Justice, ministère de la Justice, Novembre 2012, en ligne :
<www.justice.gouv.fr>, n°119.
709
Jeanne CLAVEL, « La réparation pénale: une nouvelle utopie? », AJ Pénal, 2012, p.326.
710
Christine LAZERGES, « Processus de socialisation et apprentissage de la règle de droit », RSC, 1993, p.593.
240
accompagné. La pédagogie de la réparation est portée par un ensemble d’acteurs qui seront les
garants du caractère éducatif de la mesure. Ces éducateurs sont les agents qui traduiront la
mesure pénale en action sur le terrain, la sanction en démarche de responsabilisation 711. En
France, ils feront partie de la Protection judiciaire de la jeunesse, en droit anglais, ils seront
membres d’un Youth offender panel. Au Liban, dans l’hypothèse où une mesure de réparation est
choisie comme réponse pénale par un juge 712, le suivi de son exécution devrait être pris en
charge par l’Union pour la protection de l’enfance au Liban (UPEL), qui est une association
mandatée par le ministère de la Justice pour le suivi des jugements des mineurs.
711
Maryse VAILLANT, La réparation. De la délinquance à la découverte de la responsabilité, Gallimard, 1999,
p.61.
712
Ce qui n’a pas encore été le cas jusqu’à présent.
713
Alain BRUEL, Pratiques et évolutions de la justice des mineurs, Erès, 2015, p.238.
714
Alain BRUEL, Pratiques et évolutions de la justice des mineurs, Erès, 2015, p.246.
241
1. Une individualisation selon la personnalité du mineur
715
Jeanne CLAVEL, « La réparation pénale: une nouvelle utopie? », AJ Pénal, 2012, p.326.
716
CEDH, 15 juin 2004, SC c/Royaume-Uni, Dr. fam. 2004, Alertes n°30.
717
Cons. Const. n°2002-960, 29 août 2002, JO 30 août 2002, p.14411.
718
Sylvain JACOPIN, « Le droit pénal français des mineurs, évolutions et transformations juridiques », Revue
pénitentiaire et de droit pénal, octobre-décembre 2015, n°4, p.792.
242
signifie pas que ces éléments ne doivent pas être pris en compte. C’est sur la base de l’étude de la
personnalité et du profil du mineur que les magistrats peuvent adapter la mesure de réparation.
Des statistiques du ministère de la Justice français différencient les types de réponses pénales
suivant l’âge du mineur. Il apparaît ainsi que plus le mineur est jeune, plus il fera l’objet d’une
mesure alternative aux poursuites719, plus il approche des 18 ans, plus il encourt le risque d’une
peine de prison720. L’adaptation de la mesure dépendra aussi de la personnalité du mineur. Nous
reprenons ici l’exemple donné par Jeanne CLAVEL, dans son article sur la réparation pénale 721.
Elle y présente le cas d’une mineure de 16 ans, Sonia, qui accuse à tort un jeune garçon de viol,
voulant cacher les circonstances de son premier rapport sexuel à ses parents. Les réunions avec le
personnel du service éducatif ont permis de découvrir le profil d’une jeune femme qui manque
de confiance en elle et en son image. Le travail sur ses complexes a ouvert la voie à un travail de
réparation adapté (dans son cas ce fut l’entretien d’un jardin de fleurs).
719
76% des réponses pénales sont des mesures alternatives aux poursuites si le mineur est âge de moins de 13 ans,
58% si le mineur a entre 13 et 15 ans et 51% si le mineur est âgé de 16 et 17 ans, consulter : Les mineurs
délinquants, Références statistiques Justice, ministère de la Justice, 2015, en ligne : <www.justice.gouv.fr>.
720
Thierry MAINAUD, La délinquance des jeunes évolue avec l'âge, la réponse pénale aussi, Infostat Justice
n°145, ministère de la Justice, novembre 2014, en ligne : <www.justice.gouv.fr>.
721
Jeanne CLAVEL, « La réparation pénale: une nouvelle utopie? », AJ Pénal, 2012, p.326.
722
Philippe BONFILS, « L'autonomie du droit pénal des mineurs, entre consécration et affaiblissement », AJ Pénal,
2012, p.312.
243
est souvent appelé à prononcer des mesures de protection en marge des mesures ou des sanctions
éducatives.
723
Thierry MAINAUD, Une justice pénale des mineurs adaptée à une délinquance particulière, Infostat Justice,
Bulletin d'information statistique, ministère de la Justice, Février 2015, en ligne : <www.justice.gov.lb>.
724
Tim BATEMAN, The state of youth justice 2017, National association for youth justice, September 2017, p.18,
en ligne : <www.thenayj.org.uk>.
725
Youth Justice Statistics 2016/17, Youth Justice Board / Ministry of Justice, 25 January 2018, p.18, en ligne :
<www.gov.uk>.
726
Chiffres communiqués suite à notre demande par le Département des mineurs du de la Justice libanais, pour
l’année 2016.
244
des délais de jugements s’oppose à la rapidité nécessaire dans la mise en œuvre de la mesure de
réparation afin que celle-ci soit utile et cohérente, notamment en matière d’atteinte aux biens. Il
est aussi surprenant de relever que la majorité des jugements rendus par un juge pour enfant
comprenant une mesure de réparation concernent une atteinte physique aux personnes727. Ceci
confirme le flou existant autour de la définition de la mesure de réparation en droit libanais.
Les mesures de réparation apparaissent donc comme appropriées pour individualiser la réponse
pénale. Elles représentent d’ailleurs plus de la moitié des mesures et sanctions éducatives dont
l’exécution est prise en charge en France par la protection judiciaire de la jeunesse en 2013 728.
Dans les affaires de violences et atteintes aux personnes, la réparation est concurrencée par les
mesures de placement. Mais si on rassemble les mesures de réparation prises en tant
qu’alternatives aux poursuites et les mesures de réparation prononcées par le tribunal, la
réparation se retrouverait en première position des mesures assurant la désistance, pour d’autres
catégories d’infractions (violences, vol simple, vol aggravé).
727
Voir par exemple les décisions rendues le 1er février 2010 et le 21 juin 2010 par le juge pour enfants au Liban-
Sud qui obligent le mineur à effectuer un travail en réparation d’une durée de 20 heures au profit de la victime
(décisions inédites procurées par le Département des mineurs du ministère de la Justice libanais).
728
Thierry MAINAUD, Une justice pénale des mineurs adaptée à une délinquance particulière, Infostat Justice,
Bulletin d'information statistique, ministère de la Justice, Février 2015, en ligne : <www.justice.gov.lb>.
729
Voir supra n°338 et s.
730
Sébastien DELARRE, Trajectoires judiciaires des mineurs et désistance, Bulletin d'information statistique,
ministère de la Justice, Novembre 2012, en ligne : <www.justice.gouv.fr>, n°119.
245
349. En conclusion, la réparation acquiert son autonomie en droit pénal des mineurs
d’abord sur le fondement de la spécialisation de ce droit. Les procédures et objectifs propres à la
justice des mineurs ont permis la mise en œuvre de mesures qui se distinguent par leur
autonomie. La réparation est la mesure-phare de la justice des mineurs en France. En droit
anglais, les mesures prises à l’encontre des mineurs délinquants ont plus la forme de procédures
ou de regroupement d’action sous une mesure déterminée, un « order ». La réparation reste
cependant au cœur de ces mesures. En droit libanais, la réparation n’existe toujours pas de
manière autonome, ce qui est regrettable vu les avantages indéniables qu’elle possède dans la
prévention de la récidive des mineurs et leur resocialisation.
Le droit pénal des mineurs a indéniablement inspiré le droit pénal des majeurs, notamment en
matière de mesures de réparation. Certains le qualifient même de « droit précurseur » du droit
pénal moderne731. La réparation a ainsi fait son apparition sous plusieurs formes en droit pénal
des majeurs mais son autonomie apparaît moins solide.
350. Le droit pénal général est traditionnellement synonyme du droit pénal des majeurs.
Mais les interactions qui existent entre droit pénal spécial, ou technique, et droit pénal général,
témoignent de l’existence d’un droit pénal commun qui les englobe732. Nous différencierons
cependant au sein de cette section le droit pénal général et le droit pénal spécial.
En droit pénal général, l’autonomie de la réparation est moins claire, que ce soit dans l’énoncé
des textes de loi ou dans son application pratique. Dans notre recherche de cette autonomie de la
réparation, des particularités propres à certains droits spéciaux nous ont paru mériter d’être
analysées dans une partie spécifique à l’autonomie de la réparation en droit pénal spécial (II). La
question de l’autonomie de la réparation en droit pénal général se nourrira de la richesse de
l’étude comparée des différents droits qui font l’objet de cette thèse (I).
731
Sylvain JACOPIN, « Le droit pénal français des mineurs, évolutions et transformations juridiques », Revue
pénitentiaire et de droit pénal, octobre-décembre 2015, n° 4, p.792.
732
Elisa BARON, « Existe-t-il un droit pénal commun? », Droit pénal, Septembre 2013, n° 9, dossier 2.
246
I. L’autonomie de la réparation en droit pénal général
351. L’analyse de l’autonomie de la réparation dans chaque droit pris à part ne s’est pas
révélée suffisamment riche en enseignements. En revanche, l’approche comparée a permis de
mettre en relief les fondements qui permettent l’autonomie de la réparation (A) et les
manifestations de cette autonomie, notamment en droit anglais et en droit français (B). La notion
de réparation pénale en droit libanais étant encore embryonnaire, il serait prématuré d’envisager
son autonomie.
733
Antoine BULLIER, La Common Law, 4e éd., Dalloz, 2016, p.104. Maximo LANGER, « La portée des catégories
accusatoire et inquisitoire », RSC, 2014, p.707.
247
procédure - et l’auteur de l’infraction – le prévenu. De par son caractère contradictoire, la
procédure est ouverte à l’idée de négociation entre les parties734. La pratique du « plea
bargaining »735 permet en effet au prévenu de plaider coupable pour un chef d’inculpation moins
grave, suite à une négociation avec le procureur, en échange d’une sentence moins sévère. Le
prévenu peut donc négocier la durée de la peine d’emprisonnement mais il peut aussi négocier le
remplacement de cette peine par une « community sentence »736.
Cette possibilité de négociation est possible grâce à l’une des particularités de la procédure
accusatoire : la distinction entre la phase d’établissement de la culpabilité et celle de la
détermination de la peine. Le délai entre ces deux phases permet de négocier des accords de
réparation en vue d’une réduction de peine.
Le profil des acteurs judiciaires permet de mieux comprendre la facilité avec laquelle des accords
de réparation sont conclus suite à une phase de négociation. En effet, l’action en justice est
souvent exercée par un « solicitor » au nom de la police qui a gardé ses pouvoirs de poursuite
pour les infractions de faible ou de moyenne gravité. La négociation ne se fait donc pas avec les
magistrats. De plus, une partie de ces magistrats, les « magistrates »737, siègent dans les
tribunaux qui traitent des délits et ne sont pas des juges professionnels. Ils sont issus de la
communauté locale et ne doivent pas nécessairement avoir suivi des études juridiques. De par
leur profil, ils sont plus enclins à recourir à des mesures de réparation ou à déléguer leurs
pouvoirs à des médiateurs738. Les caractéristiques du système accusatoire et de la procédure
pénale anglaise sont donc favorables à l’autonomie de la réparation au sein de la justice pénale.
Cette autonomie n’est pas aussi évidente dans le système inquisitoire qui commence néanmoins à
ouvrir une brèche à la réparation.
734
Marie-Clet DESDEVISES, « L'évaluation des expériences de médiation entre délinquants et victimes: l'exemple
britannique », Revue de science criminelle, 1993, p.45.
735
Traduite par négociations de plaidoyer ou négociations de peine.
736
« Reduction in sentence for a guilty plea, Definitive Guideline », Sentencing Council, p.6, en ligne :
<www.sentencingcouncil.org.uk>.
737
Aussi nommés “justices of the peace” ou juges de paix.
738
Marie-Clet DESDEVISES, « L'évaluation des expériences de médiation entre délinquants et victimes: l'exemple
britannique », Revue de science criminelle, 1993, p.45.
248
et la procédure n’est pas contradictoire 739. Le rôle de l’accusé est donc en principe limité. En
droit français, la procédure inquisitoire est aujourd’hui bousculée par des outils et des moyens
issus du système accusatoire740. C’est notamment le cas depuis la loi du 9 mars 2004 portant
adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité qui met en place la procédure de
comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), inspirée du « plea
bargaining »741. Cette procédure permet au procureur de proposer à la personne d’exécuter une
ou plusieurs des peines principales ou complémentaires en échange de sa déclaration de
culpabilité742. Sur la base de l’article 131-3 du Code pénal, le procureur pourrait proposer un
travail d’intérêt général ou une sanction-réparation à la place d’une peine d’emprisonnement
dans le cas de la commission d’un délit. Les statistiques révèlent cependant une réalité
différente : les mesures et peines réparatrices ne bénéficient pas encore des possibilités offertes
par la CRPC. En effet, les peines prononcées à la place des peines encourues se limitent aux
peines d’emprisonnement avec sursis (sursis simple, sursis probatoire), aux amendes et aux
travaux d’intérêt général743.
Cela pourrait s’expliquer par la concurrence entre la CRPC et la composition pénale qui serait
une forme de reconnaissance de culpabilité qui ne dit pas son nom744 ; mais aussi par le fait que
bien qu’inspirées par le « plea bargaining », les pratiques de négociation de peine ne se sont pas
réellement développées en droit français dans le sens où la peine n’est pas assouplie en échange
de la reconnaissance de culpabilité. Il s’agit plutôt d’un compromis sur la procédure ou la mesure
adoptée. La CRPC n’est donc pas la mesure qui permettra de favoriser l’autonomie de la
réparation en droit pénal français. L’article 495-13 du Code de procédure pénale invite la victime
739
Jean LARGUIER et Philippe CONTE, Procédure pénale, 24e éd., Dalloz, 2016, p.3.
740
Xavier PIN, « La privatisation du procès pénal », Revue de sciences criminelles, 2002, p.245 : « les justiciables
ont acquis, dans une certaine mesure, un véritable pouvoir de diriger voire de modeler la procédure, à la recherche
d’une vérité plus subjective. Le procès pénal est un peu plus leur procès, ce qui le rapproche du modèle anglo-
saxon ».
741
Jean-Paul CERE et Pascal REMILLIEUX, « De la composition pénale à la comparution sur reconnaissance
préalable de culpabilité: le "plaider-coupable" à la française », AJ Pénal, 2003, p.45. Jean DANET, « La CRPC: du
modèle législatif aux pratiques... et des pratiques vers quel(s) modèle(s)? », AJ Pénal, 2005, p.433.
742
Art. 495-7 et s. C. pr. pén. Edouard VERNY, Procédure pénale, 4e éd., Dalloz, 2014, p.176.
743
Rodolphe HOULLE et Guillaume VANEY, La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, une
procédure pénale de plus en plus utilisée, Bulletin d'information statistique, ministère de la Justice, Décembre 2017,
en ligne : <www.justice.gouv.fr>, n°157.
744
Jean-Paul CERE et Pascal REMILLIEUX, « De la composition pénale à la comparution sur reconnaissance
préalable de culpabilité: le "plaider-coupable" à la française », AJ Pénal, 2003, p.45. Jean DANET et Sylvie
GRUNVALD, « Brèves remarques tirées d'une première évaluation de la composition pénale », AJ Pénal, 2004,
p.196.
249
à se constituer partie civile pour demander réparation de son préjudice, ce qui diffère de
l’approche de la composition pénale qui invite quant à elle l’auteur de l’infraction à réparer le
dommage causé, à la seule condition que la victime soit identifiée 745. Cette différence de voie
pour permettre la réparation est discutable et ne fait qu’ajouter des obstacles à l’autonomie de la
réparation en droit pénal français.
La conception de la peine n’a fait qu’évoluer avec le temps et les modèles de justice 746. A
observer de plus près le sens donné à la peine aujourd’hui, la dichotomie entre la réparation et la
peine semble discutable. La peine est une « réaction punitive prononcée par le juge pénal » et
subie par l’auteur d’une infraction747. En droit français, les pénalistes s’accordent sur les
fonctions de la peine : la peine a une fonction rétributive et intimidante. Afin de pouvoir
rapprocher la réparation de la peine, il faudrait que la réponse pénale basée sur la réparation
puisse remplir ces fonctions assignées à la peine748. La fonction rétributive de la peine consiste à
rétablir l’équilibre brisé par la commission de l’infraction et à « faire payer » au délinquant le
mal causé à la société. Cette fonction n’est pas étrangère aux mesures et aux peines de réparation
qui, par l’action en réparation demandée au délinquant, rétablissent l’équilibre rompu vis-à-vis
de la victime (en cas de réparation directe) ou de la société (en cas de réparation indirecte et par
la réponse pénale apportée). La fonction intimidante consiste à prévenir la récidive et la
745
Art. 41-2 C. pr. pén.
746
Voir supra n° 13 et s. Bertrand DE LAMY, « A la recherche de la peine perdue », Droit pénal, Septembre 2015,
n° 9, dossier 1.
747
Jean PRADEL, Droit pénal général, 16e éd., Editions Cujas, 2006, p.519.
748
Le Conseil constitutionnel s’est aussi basé sur ce raisonnement pour comparer les peines et les mesures de sûreté
dont il a comparé les finalités. Voir : Etude par les étudiants du Master 2 Droit pénal et sciences criminelles de
l'université Toulouse 1 Capitole, « Les fonctions de la peine », Droit pénal, Septembre 2015, n° 9, dossier 8.
250
commission d’infractions en général. La peine vise donc à empêcher le délinquant concerné de
récidiver 749, ce que les mesures de réparation permettent, mais la peine vise de plus à montrer
l’exemple en société pour susciter la crainte chez ceux qui seraient tentés de commettre une
infraction. Cette crainte ne se traduit pas par la peur dans le cas des mesures réparatrices mais par
la certitude et le caractère systématique de la réponse pénale qu’elles engendrent. Ces mesures
empêchent ainsi le sentiment d’impunité que pourraient ressentir les auteurs d’actes de
délinquance. La fonction dissuasive se réalise aussi, sur un plan individuel, grâce au caractère
éducatif des mesures de réparation, et sur un plan collectif, par la simple application du droit
pénal qui permet à la société de distinguer les actes répréhensibles à éviter 750.
749
Voir supra n° 361.
750
Jean PRADEL, Droit pénal général, 16e éd., Editions Cujas, 2006, p.527.
751
Bertrand DE LAMY, « A la recherche de la peine perdue... », Droit pénal, Septembre 2015, n° 9, dossier 1.
752
D’ailleurs, l’article 130-1 du Code pénal français dispose entre autre que la peine a pour fonction de sanctionner
l’auteur de l’infraction.
753
Claire SAAS, « Les sanctions pénales: de nouvelles donn(é)es? », AJ Pénal, 2013, p.581.
754
Jean PRADEL, Droit pénal général, 16e éd., Editions Cujas, 2006.
755
Xavier PIN, Droit pénal général, 9e éd., Dalloz, 2018, p.345.
251
reste difficile à assumer pleinement, le rapprochement entre la réparation et la sanction est plus
facile à faire. Du point de vue de l’autorité concernée, la sanction peut ne pas être prononcée par
un juge, contrairement à la peine. Dans le cas des mesures réparatrices, certaines font partie des
prérogatives des magistrats et pourraient ainsi être qualifiées de peines mais d’autres font partie
des pouvoirs du ministère public ou d’autorités administratives. Elles sont qualifiées de sanctions
pénales. Si la conception de la peine ne permet pas l’autonomie de la réparation en droit pénal, la
notion de sanction suffirait largement à la rendre possible.
358. La réparation, une fonction du jugement pénal. En droit anglais, la réparation est
l’un des objectifs assignés à toute condamnation. La section 142 du Criminal Justice Act de 2003
détermine cinq objectifs que doit prendre en compte tout tribunal avant de prononcer son
jugement : la sanction des délinquants, la réduction de la criminalité (incluant la réduction par
dissuasion), l’amendement et la réhabilitation du délinquant, la protection de la société et la
réalisation de la réparation par les délinquants en faveur des personnes affectées par leurs
252
infractions756. Ces objectifs sont ambitieux, tellement qu’on se demande s’ils peuvent tous être
atteints par une même condamnation. On relève dans des discussions publiées du « Justice
Committee » du Parlement anglais qu’il n’est pas clair si ces objectifs sont cités de manière
hiérarchique ou s’ils sont énumérés à titre informatif et combinés au besoin lors de chaque
condamnation757. Le plus important, dans le cadre de cette étude, est la présence de la réparation
parmi les objectifs de toute condamnation pénale.
Si l’autonomie de la réparation en droit pénal anglais est ainsi sans équivoque, elle reste plus
discutée en droit français.
756
Criminal Justice Act, Chapter 44, 2003, en ligne : www.legislation.gov.uk, (traduction libre).
757
Justice Committee CONTENTS, « Sentencing guidelines and Parliament: building a bridge », en ligne :
<www.parliament.uk>.
758
Powers of Criminal Courts Sentencing Act , 2000, s.130.
759
Sous la direction de Géraldine GADBIN-GEORGE, Glossaire de droit anglais, Dalloz, 2014, p. 333 et s.
760
Powers of Criminal Courts Sentencing Act , 2000, s.130 (3).
253
2. Une autonomie discutée en droit français
360. Des fonctions de la peine. Contrairement au droit anglais, le droit pénal français -
avec sa dualité de procédure civile et pénale – ne consacre pas la réparation au rang de fonction
de la peine. L’article 130-1 du Code pénal, créé par la loi n°2014-896 du 15 août 2014,
détermine désormais les finalités et les fonctions de la peine. Elles sont comparables aux
objectifs fixés au jugement en droit anglais, la réparation en moins. Mais la loi distingue les
finalités des fonctions de la peine, ce qui est une vision plus réaliste du sens de la peine. Les
finalités de la peine sont au nombre de trois : la peine tend à assurer la protection de la société,
prévenir la commission de nouvelles infractions et restaurer l’équilibre social dans le respect des
intérêts de la victime. La peine a aussi pour fonction de sanctionner l’auteur de l’infraction et de
favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion761. On peut aisément discerner la
réparation à travers le respect des intérêts de la victime mais cette formulation préserve le socle
de la procédure pénale française.
Cependant, une peine originale est venue accorder à la peine une fonction réparatrice : la
sanction-réparation. Nous avons déjà envisagé cette peine sous l’angle des alternatives à la peine
d’emprisonnement et regretté la formulation employée par l’article 131-8-1 du Code pénal qui
présente la peine de sanction-réparation comme substitut à l’emprisonnement 762. La sanction-
réparation n’en demeure pas moins une peine à part entière et présentée comme telle à l’article
131-3 du même code. Le plus grand apport de cette peine est à notre sens d’associer la réparation
et la sanction et de faire de la réparation la fonction de la peine. Elle permet la mise en œuvre
d’une réparation pénale, même en l’absence de partie civile au procès.
761
Jocelyne LEBLOIS-HAPPE, « La redéfinition des finalités et fonctions de la peine - vers des principes directeurs
en matière de peine? », Gazette du Palais, 23 mai 2015, 143, p.10. Emmanuel DREYER, « L'objet de la sanction
pénale », Recueil Dalloz, 2016, p.2583.
762
Voir supra n°179 et s.
763
Michèle-Laure RASSAT, Droit pénal général, édité par ELLIPSES, 3e éd., 2016, p.535. Muriel GIACOPELLI,
« Libres propos sur la sanction-réparation », Dalloz, 2007, 1551.
764
Pierre-Jérôme DELAGE, « C. Mascala (dir), A propos de la sanction, Presses de l' Université des Sciences
Sociales de Toulouse, LGDJ », RSC, 2008, 778.
254
obligation de réparer les dommages causés par l’infraction suffit à faire prendre conscience au
délinquant de la gravité de son acte. De plus, cette peine ne peut être comparée à la réparation
civile car elle est assortie d’une « peine de peine » en cas de non-exécution.
L’autonomie de la réparation n’est pas consacrée textuellement comme finalité de la peine, mais
elle se manifeste au niveau de l’échelle des peines correctionnelles.
361. De l’échelle des peines correctionnelles. A lire uniquement l’article 131-3 du Code
pénal comme modifié par la loi du 15 août 2014, on croirait que la réparation accède au rang de
peine, au même titre que la peine d’emprisonnement. En effet, l’article 131-3 dispose que « les
peines correctionnelles encourues par les personnes physiques sont : l’emprisonnement, la
contrainte pénale765, l’amende, le jour-amende, le stage de citoyenneté, le travail d’intérêt
général, les peines privatives ou restrictives de droit prévues à l’article 131-6, les peines
complémentaires prévues à l’article 131-10, la sanction-réparation ». On compte dans cet article
non moins de trois mesures réparatrices : la contrainte pénale, abrogée par la loi du 23 mars
2019, le travail d’intérêt général et la sanction-réparation766. Deux premières observations sont à
faire. D’abord, le texte qualifie ces mesures de peines correctionnelles. Ensuite, il les cite à côté
d’autres peines sans établir de hiérarchie entre elles. Il n’est pas fait mention de peines
principales et de peines de substitution.
Mais ce texte ne donne qu’une fausse impression de l’autonomie de la réparation en droit pénal
français. Nous avons déjà vu qu’en pratique, le recours à la peine d’emprisonnement est toujours
très important, et que dans les textes, la conception de la peine d’emprisonnement comme peine
de référence est toujours présente dans les articles relatifs aux mesures alternatives qui ne sont
mises en place que comme substituts à l’emprisonnement 767. Il convient d’ajouter que cette
échelle de peines correctionnelles que vient introduire l’article 131-3 de Code pénal serait au
mieux une déclaration d’intention en faveur d’une nouvelle conception de la peine, au pire un
cafouillage juridique non assumé et non abouti. En effet, si le droit pénal général souhaite établir
une nouvelle échelle de peines, le droit pénal spécial régissant chaque infraction demeure sous
765
Remplacée dans le texte par la détention à domicile sous surveillance électronique, à compter du 24 mars 2020.
766
A partir du 24 mars 2020, l’article 130-1 du Code pénal n’inclura plus la contrainte pénale qui a été abrogée par
la loi 2019-222 du 23 mars 2019.
767
Voir supra n°179 et s.
255
l’empire d’une échelle fondée sur les durées de peines d’emprisonnement et les montants
d’amendes768. Aucune infraction spécifique ne mentionnera comme peine principale de référence
la sanction-réparation ou le travail d’intérêt général, alors que pour certaines infractions, elles
seraient les peines les plus adéquates.
L’échelle des peines introduite par la loi du 15 août 2014 a rapidement été discutée. Le rapport
Cotte a préconisé une nouvelle échelle de peines qui comprend : l’emprisonnement, le placement
sous surveillance électronique, la contrainte pénale, l’amende, la peine de jours-amendes et le
travail d’intérêt général. Le rapport a préconisé le retrait de la sanction-réparation (car il propose
par ailleurs sa suppression) mais a conservé la contrainte pénale et le travail d’intérêt général
comme peines principales769. En tant que peines principales, elles déterminent à elles seules la
qualification de l’infraction en délit.
362. L’autonomie de la réparation en droit pénal révèle ici des contradictions pratiques et
théoriques qui nécessitent une révision de fond du droit pénal français en la matière. Comparée
au droit anglais, l’autonomie de la réparation en droit pénal général français n’est pas encore
assez assumée par le législateur. Elle se fait ressentir à travers des textes particuliers mais reste
absente des principes généraux du droit de la peine. Cette recherche de l’autonomie de la
réparation en droit pénal français est cependant plus concluante en droit pénal spécial.
363. À observer les mesures de réparation en droit pénal spécial, on relève deux
tendances qui participent à l’autonomisation de la réparation. Dans la première, l’autonomie de
la réparation s’explique par la spécialisation des acteurs (A). Ces acteurs aux compétences
spécifiques et particulières, hors du cadre judiciaire, se voient dotés de prérogatives leur
permettant de mettre en œuvre des mesures ou des sanctions réparatrices. La deuxième tendance
768
Michèle-Laure RASSAT, Droit pénal général, édité par ELLIPSES, 3e éd., 2016, p.525.
769
Bruno COTTE, Pour une refonte du droit des peines, ministère de la Justice, Décembre 2015. Le rapport précise
que « si en pratique le PSE et la contrainte pénale seront sans doute rarement prévues à titre de peine principale, il a
paru important de les compter au nombre des peines principales ». Voir aussi : Virginie PELTIER, « Sens et
efficacité des peines », La Semaine Juridique, Edition Générale, 19 mars 2018, n°12, 310.
256
fonde l’autonomie de la réparation par la spécialité du domaine concerné (B). Certains droits
techniques, comme le droit de l’environnement et le droit de l’urbanisme, ont en effet été
précurseurs dans l’application de mesures de réparation.
364. L’autonomie de la réparation s’explique ici par le fait qu’elle sort du cadre
judiciaire. S’intéresser à cette forme de réparation dans une section consacrée à l’autonomie de la
réparation en droit pénal général pourrait surprendre. Cependant, les mesures de réparation qui
ont été mises en œuvre par des autorités indépendantes ont été précurseur dans l’institution de la
réparation comme réponse légale aux infractions à la loi. La réparation est ainsi mise en œuvre
dans le cadre de mesures et sanctions administratives par des administrations spécialisées dotées
d’un pouvoir de police dans leur domaine (1). Elle fait aussi partie des moyens attribués au
Défenseur des droits (2).
770
Jean PRADEL, Droit pénal général, 16e éd., Editions Cujas, 2006, p.520. Jean-Christophe CROCQ, « Le
pouvoir de transaction et de sanction du procureur de la République: le chaînon manquant », RSC, 2015, p.595.
771
Xavier PIN, Droit pénal général, 9 éd., Dalloz, 2018, p.355.
772
François BRUNET, « De la procédure au procès: le pouvoir de sanction des autorités administratives
indépendantes », RFDA, 2013, p.113.
257
la carence du redevable dans le cas où celui-ci [...] néglige de s’acquitter des impôts mis à sa
charge, mais doit être regardée comme un accessoire de l’impôt institué pour préserver les
intérêts du Trésor public »773. Cette décision a été suivie par la Cour de cassation774 et par le
Conseil constitutionnel775. Ces majorations ont donc le caractère d’une réparation pécuniaire car
elles visent à compenser le préjudice subi par le Trésor public dû au retard d’encaissement de
l’impôt et ne sont pas reliés à l’appréciation du comportement du contribuable 776.
773
Article 1730 CGI. CE, 10 mai 1952, Sté X, JCP 1952.II.7151. Stéphane AUSTRY, « Les sanctions
administratives en matière fiscale », AJDA, 2001, p.51.
774
Cass. com, 25 octobre 1960 et 29 avril 1997, Ferreire.
775
Cons. Const. n°82-155 DC 30 décembre 1982; Cons. Const. n°2010-103 à 106 QPC, 17 et 18 mars 2011.
776
Les sanctions administratives dans les secteurs techniques, Centre d'Etude et de Recherche sur l'Administration
Publique, Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne, Université Panthéon-Sorbonne, Recherche
effectuée avec le soutien de la Mission de recherche Droit et Justice, Septembre 2016, p.29.
777
Mouvement encouragé suite au rapport de Philip HAMPTON, “Reducing administrative burden: effective
inspection and enforcement”, Mars 2005, www.hm-treasury.gov.uk, et au rapport du Pr. Richard MACRORY,
“Regulatory justice: making sanctions effective”, Novembre 2006, www.nationalarchives.gov.uk.
778
Fixed monetary penalties.
779
Discretionary requirements.
780
Stop notice.
258
ou les intérêts financiers des consommateurs. Ainsi, l’objectif ultime de ces sanctions, en France
et en Angleterre, est d’agir au service de la régulation des situations illégales781.
Notons ici que le droit libanais connaît une forme de transaction pénale permise en matière
bancaire et douanière784. L’administration concernée peut effectuer une transaction avec le
contrevenant, ce qui permet d’arrêter les poursuites pénales avant le prononcé d’un jugement. La
781
Les sanctions administratives dans les secteurs techniques, Centre d'Etude et de Recherche sur l'Administration
Publique, Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne, Université Panthéon-Sorbonne, Septembre
2016, Recherche effectuée avec le soutien de la Mission de recherche Droit et Justice, p.62.
782
Géraldine CHAVRIER, « Réflexions sur la transaction administrative », RFDA, 2000, p.548.
783
A ce sujet, la thèse de Jean-Baptiste PERRIER est un outil précieux d’analyse des transactions pénales: Jean-
Baptiste PERRIER, La transaction en matière pénale, 2012, [Université Aix Marseille], p.133 et s.
784
Art. 20 C. pr. pén. libanais.
259
transaction peut aussi intervenir suite au commencement de l’exécution de la peine. Elle
interrompt ainsi son exécution, à condition qu’aucun texte de loi ne l’interdise spécifiquement.
Quant au droit anglais, il accorde un caractère civil aux transactions que les administrations
peuvent réaliser car elles sont reliées aux sanctions administratives et non aux poursuites pénales.
En effet, la loi prévoit la possibilité pour les administrations de négocier le montant de
l’indemnité avec le contrevenant si ce-dernier le règle avant qu’il ne reçoive de sanction
officielle785. Ce montant sera évidemment inférieur au montant de l’amende.
368. La transaction du Défenseur des droits. Le Défenseur des droits est une autorité
administrative indépendante786. Il a pour fonction de « défendre les droits et libertés dans le cadre
des relations avec les administrations de l’État [...], de défendre et de promouvoir l’intérêt
supérieur et les droits de l’enfant [...], de lutter contre les discriminations [...] et de veiller au
respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la
République »787.
Outre le fait que le Défenseur des droits peut procéder à la résolution d’un différend par voie de
médiation, il peut proposer à l’auteur d’une réclamation et à la personne mise en cause de
conclure une transaction dont il recommande les termes788. Cette transaction consiste dans le
versement d’une amende transactionnelle avant la mise en mouvement de l’action publique et,
s’il y a lieu, dans l’indemnisation de la victime. Comme pour les transactions des autorités
administratives techniques, la transaction du Défenseur des droits doit être homologuée par le
procureur de la République. Mais l’indépendance de cette institution soutient l’autonomie de la
réparation qu’elle permet grâce à la médiation ou à la transaction. Dans cette hypothèse, la
réparation n’est plus une alternative mais fait partie d’un processus autonome.
785
Regulatory Enforcement and Sanctions Act (2008), s.40, “fixed monetary penalties”.
786
Art. 2 de la loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits.
787
Art. 4, loi précitée.
788
Art. 28, loi précitée. Jean-Baptiste PERRIER, La transaction en matière pénale, 2012, [Université Aix
Marseille], p.158 et s.
260
369. Lorsque l’autonomie de la réparation est fondée sur la spécialisation des acteurs, la
réparation se réalise hors de la sphère du droit pénal, même si elle y est reliée comme pour
l’homologation de la transaction par le procureur de la République. Cependant, dans certains
droits pénaux spéciaux, la réparation fonde son autonomie à l’intérieur de la sphère pénale.
370. Il existe dans certains droits pénaux spéciaux des formes autonomes de mesures de
réparation. Nous avons choisi de nous attarder sur le droit de l’environnement et sur le droit de
l’urbanisme en droit français, dont les positions relatives à la notion de réparation enrichiront le
débat général. La spécificité du préjudice causé à l’environnement donne un caractère particulier
à la réparation de ce préjudice (1). Le droit de l’urbanisme s’est lui révélé moteur de
l’autonomisation de la réparation et de son assimilation à la peine (2).
789
La transaction environnementale a été étendue à l’ensemble des infractions au Code de l’environnement suite à la
réforme pénale du droit de l’environnement en 2014. Voir: Louis DE REDON, « Climat judiciaire et protection de
l'environnement: pas de risque de surchauffe », Droit pénal, février 2019, n° 2, p.17.
261
372. La spécificité du préjudice environnemental. Pour comprendre la spécificité de la
réparation en droit de l’environnement, il est d’abord nécessaire de faire le point sur la notion de
préjudice environnemental. Ce préjudice a une signification particulière depuis l’affaire Erika790.
En effet le jugement du TGI de Paris et l’arrêt de la Cour de cassation qui a suivi, ont reconnu
l’existence d’un préjudice autonome résultant de l’atteinte à l’environnement, préjudice distinct
du préjudice social dont la réparation est assurée par l’exercice de l’action publique et du
préjudice personnel des parties civiles 791. Le préjudice écologique résulterait du dommage causé
à l’environnement lui-même, dans ses éléments inappropriés ou inappropriables,
indépendamment de ses répercussions sur les personnes juridiques et sur leur patrimoine. Ce
préjudice sui generis a donc une signification différente du préjudice au sens du droit de la
responsabilité civile. On lui attribue un caractère « objectif »792 car il n’est pas relié à un
préjudice personnel. Le demandeur n’a donc pas besoin de prouver un intérêt personnel à agir
pour engager des poursuites. Il suffit qu’il fasse partie des personnes spécialement habilitées à
agir en matière d’atteinte à l’environnement 793.
790
TGI Paris, 16 janvier 2008. CA Paris, 30 mars 2010. Cass, crim., 25 septembre 2012, Bull. crim. n°198 ; AJDA
2013. 667 ; D. 2012. 2711 ; AJ Pénal 2012. 574.
791
Laurent NEYRET, « Naufrage de l'Erika: vers un droit commun de la réparation des atteintes à
l'environnement», Recueil Dalloz, 2008, p.2681. Suzanne SPRUNGARD, « L'environnement est-il l'avenir du
droit?», Tourisme et Droit, 2008, n° 95, p.28.
792
Laurent NEYRET, « La réparation des atteintes à l'environnement par le juge judiciaire », Recueil Dalloz, 2008,
p.170.
793
Art. L.142-2 C. envir.
794
Vincent REBEYROL, « Où en est la réparation du préjudice écologique? », Recueil Dalloz, 2010, p.1804.
262
jurisprudence Erika a encouragé la création d’un régime spécial de réparation du préjudice
écologique.
La loi du 1er août 2008 a ainsi consacré une définition autonome, spécifique, de la réparation en
droit de l’environnement. Cette réparation ne peut cependant être mise en œuvre que dans le
cadre d’un régime de police administrative et non d’un régime de responsabilité, ce qui en limite
la portée796.
795
Olivier FUCHS, « Le régime de prévention et de réparation des atteintes environnementales issu de la loi du 1er
août 2008 », AJDA, 2008, p.2109.
796
La loi est aussi limitée dans le temps (aux dommages ayant eu lieu après le 30 avril 2007) et limitée dans son
domaine. Voir: Laurent NEYRET, « La réparation des atteintes à l'environnement par le juge judiciaire », Recueil
Dalloz, 2008, p.170.
797
Cass, crim., 22 mars 2016. Aude-Solveig EPSTEIN, « La réparation du préjudice écologique en droit commun de
la responsabilité civile », Recueil Dalloz, 2016, p.1236.
798
Yves JEGOUZO, Pour la réparation du préjudice écologique, Rapport remis à la Ministre de la justice le 13
septembre 2013, en ligne : <www.justice.gouv.fr>. Laurent FONBAUSTIER, « Promouvoir et améliorer la
réparation du préjudice écologique. A propos du rapport du 17 septembre 2013 », Semaine judique, Edition
générale, 30 septembre 2013, n° 40, p.1773.
263
responsabilité civile de réparation du préjudice écologique. La loi du 8 août 2016 relative à la
reconquête de la biodiversité introduit dans le Code civil un chapitre consacré à la réparation du
préjudice écologique799. Les articles 1246 et suivants du Code civil mettent en place un régime
de responsabilité spécifique au préjudice écologique. Le préjudice écologique est défini comme
consistant en une atteinte non négligeable aux éléments et aux fonctions des écosystèmes et aux
bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement. L’article 1248 du Code civil
détermine les titulaires de l’action et l’article 1249 du même code pose le principe de la
réparation prioritairement en nature. En cas de réparation pécuniaire, elle devra être affectée à la
réparation de l’environnement. L’évaluation de la réparation prendra compte des mesures de
réparation déjà effectuées dans le cadre du régime spécifique de réparation du Code de
l’environnement.
375. La loi du 8 août 2016 semble avoir répondu à toutes les critiques soulevées par les
jugements relatifs à l’affaire Erika et par la loi du 1 er août 2008. Elle consacre ainsi, par la
définition du préjudice écologique, une forme autonome de réparation de ce préjudice. Nous
demeurons cependant perplexe quant à l’intérêt de consacrer un régime spécifique de
responsabilité civile pour la réparation d’un préjudice écologique « objectif » qui devrait en
principe consister en une réparation en nature, alors que la responsabilité pénale pourrait
permettre au juge d’ordonner la réparation/remise en état du dommage causé à l’environnement,
comme mesure complémentaire, ou comme injonction de faire dans le cadre d’un ajournement
de peine800. Cette mesure aurait pu s’inspirer des dispositions de droit spécial en matière de
réparation prévues dans le Code de l’environnement 801. Construire un régime dans lequel le
bénéficiaire de la réparation n’est pas le demandeur à l’action pousse à réfléchir à la différence
matérielle entre la notion de préjudice objectif et de dommage. Envisager le préjudice écologique
comme un dommage résultant d’une infraction au droit de l’environnement permettrait de
surcroît au juge d’ordonner sa réparation même en l’absence de constitution de partie civile.
799
Mathilde HAUTEREAU-BOUTONNET, « Quelle action en responsabilité civile pour la réparation du préjudice
écologique? », Jurisclasseur, Juin 2017, dossier 14.
800
Thierry FOSSIER, « La répression des infractions au droit de l'environnement », AJ Pénal, 2017, p.525.
801
On pourrait aussi prendre comme exemple l’article 131-39-2 du Code pénal relative aux sanctions prises en cas
de délit de corruption et qui instaure un programme de mise en conformité.
264
2. La réparation et le droit de l’urbanisme
La nature de ces mesures de restitution est depuis longtemps débattue par la jurisprudence 803.
Elles ont d’abord été considérées comme une forme de réparation civile car elles ont pour
objectif d’effacer les conséquences de l’infraction804. Cette analyse fondée sur une conception
traditionnelle de la réparation et de la peine a été battue en brèche par la jurisprudence qui a
commencé à y voir « une réparation civile qui n’en constitue pas moins également une
peine »805. Afin de ne pas avoir à se prononcer sur la nature civile ou pénale de ces mesures de
restitution, la jurisprudence a intelligemment qualifié ces mesures de « mesures à caractère
réel »806, catégorie sui generis ayant un régime propre. Ces mesures à caractère réel ne seraient
pas destinées à punir mais à faire cesser une situation illicite. Elles n’ont donc pas un caractère
personnel et sont liées à l’infraction. La jurisprudence en déduit ainsi qu’elles ne peuvent être
prononcées à titre de peine principale. Les mesures de restitution ne peuvent être assimilées à des
peines car elles échappent à la prescription des peines et elles ne peuvent faire l’objet d’un sursis
ou d’un relèvement. Cette position de la jurisprudence semble être stable mais elle est combattue
par certains magistrats courageux qui luttent pour conférer aux mesures de restitution la nature
802
Art. L.152-5 C. const. hab.; art. L.480-5 C. urb.
803
« La sanction des atteintes pénales en matière de construction », in Répertoire de droit pénal et de procédure
pénale, 2018, n°81 et s.
804
Cass.crim., 15 novembre 1961, Bull.crim. n°465; Cass.crim., 29 avril 1970, Bull.crim. n°149.
805
Cass.crim., 12 janvier 1982, RDI 1982 p.562.
806
Cass.crim., 14 novembre 1989, Bull.crim. n°410; RDI 1990.131, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE ; Cass.crim., 8
juin 1989, Bull.crim. n°248, RSC 1990.131, obs. ROUJOU DE BOUBEE ; Cass.crim., 19 octobre 2004, RDI 2005
p.125, Droit pénal 2005 n°8.
265
de peine807. Plusieurs arguments jouent en faveur de cette qualification. Les mesures de
restitution sont rattachées à une faute pénale, elles sont consécutives à une infraction et sont
prononcées par une juridiction répressive saisie de l’action publique. Pour reprendre les
caractères généraux de la peine, les mesures de restitution ont un caractère afflictif et infamant
car elles occasionnent une atteinte importante au droit de propriété, notamment la mesure de
démolition dont l’ampleur est certainement ressentie comme une punition par celui qui la subit.
Enfin, même si ces mesures ne respectent pas le principe de personnalité des peines, leur régime
prévoit qu’en cas de changement de constructeur, de bénéficiaire ou d’utilisateur, c’est le
constructeur initial qui demeure responsable 808. Nous adhérons à cette analyse de la nature des
mesures de restitution, même si, à observer l’exécution de ces mesures, certains obstacles
viennent contredire cette position. La prise en compte de l’intérêt général et d’intérêts individuels
fondamentaux comme le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par la Convention
européenne des droits de l’homme, empêche dans certaines situations l’exécution des mesures de
restitution prononcées par jugement 809, ce qui n’aurait pas pu être le cas si la nature de peine de
ces mesures avait été consacrée. Les mesures de restitution n’en restent pas moins les mesures
privilégiées en droit de l’urbanisme pour leur efficacité incontestable et sont en pratiques
utilisées au titre de sanctions principales 810.
807
Cass.crim., 6 novembre 2012, n°12-89.449, Bull.crim. n°239 ; JCP 2013.144 ; RTDI 1/2013 ; Semaine juridique,
Edition Générale n°43, 21 octobre 2013, p.1946.
808
Ce qui en pratique n’est pas à l’abri de critiques: Gabriel ROUJOU DE BOUBEE, « Le risque pénal en droit de
l'urbanisme », RDI, 2001, p.421.
809
Cass.crim., 28 juin 2017, n°16-86.261, RDI 2017 p. 409 ; Cass.crim., 15 janvier 2013, n°12-80.552, RDI 2013
p.270 ; Cass.crim., 31 janvier 2017, n°16-82.945, AJDA 2017 .258, D.2017 .352, RDI 2017 p.195.
810
Hugues PERINET-MARQUET, « L'inefficacité des sanctions du droit de l'urbanisme », Recueil Dalloz, 1991,
p.37. Camille DE JACOBET DE NOMBEL, « Le droit de l'urbanisme à l'épreuve des principes du droit
criminel», Droit pénal, septembre 2017, n° 9, dossier 7.
266
pluralité de mesures. Les magistrats pourraient d’une part se fonder sur l’article 131-10 du Code
pénal pour qualifier les mesures de restitution de peines complémentaires qui, d’après le texte,
peuvent emporter une obligation de faire811. Ils pourraient aussi s’inspirer des évolutions du droit
pénal qui connaît aujourd’hui des peines de substitution à l’emprisonnement ou l’amende ; des
mesures alternatives qui ont pour objectif, entre autre, de « mettre fin au trouble résultant de
l’infraction »812 ; et une peine de sanction-réparation qui est la preuve que le législateur accepte
que la répression de l’infraction consiste dans la réparation du dommage causé.
Ainsi, que les mesures de restitution soient qualifiées de peines ou de mesures à caractère réel ne
gêne en rien leur autonomie. Elles constituent des mesures réparatrices intégrées à la justice
pénale, avec un régime qui leur est propre.
811
Jacques LEROY, « De l'assimilation des mesures de restitution à des sanctions pénales », La semaine juridique,
Edition Générale, 21 octobre 2013, n° 43, p.1946.
812
Art. 41-1 C. pr. pén.
267
Conclusion du chapitre 1
379. Les mesures de réparation qui existent dans le droit pénal des mineurs et dans le
droit pénal des majeurs définissent les contours d’une nouvelle définition juridique de la
réparation. La réparation acquiert une définition autonome en droit pénal, au regard de ses
spécificités par rapport à la réparation au sens civil du terme 813. Dans la notion de réparation
pénale, on élargit le champ de vision au-delà de la notion d’indemnisation pour inclure la
dynamique de l’acte réparateur entre le délinquant et la victime, l’engagement du délinquant
dans l’accomplissement de la réparation en tant qu’acte réhabilitateur, la prise en compte des
besoins et intérêts de la victime dans la détermination de la nature de la réparation et surtout
l’inclusion de la réparation dans une démarche de prise en charge globale du délinquant. La
notion de réparation pénale est aussi reliée à des dommages et préjudices spécifiques, comme le
préjudice environnemental. Cela nous mène à réfléchir à la question de l’objet de la réparation
pénale que nous développerons dans le second titre de cette partie.
380. Refuser d’accorder une fonction réparatrice au droit pénal, c’est se fonder sur la
conception civiliste de la réparation. Mais envisager la réparation pénale comme une notion
distincte permettrait de renforcer une conception plus moderne du droit pénal. Nous
complèterons les éléments d’une définition autonome de la réparation par l’analyse de la notion
de réparation en droit international.
813
A ce titre, la thèse de M. Paillard était avant-gardiste sur le sujet car elle est paru notamment avant l’adoption de
la loi du 5 mars 2007 portant création de la sanction-réparation. Les évolutions législatives qui ont suivi nous
permettent de défier son opinion sur la question. Bertrand PAILLARD, La fonction réparatrice de la répression
pénale, L.G.D.J, 2007, [Université Panthéon-Assas].
268
Chapitre 2 : L’internationalisation de la réparation
382. La matière pénale est développée en droit international par les instances
internationales qui consacrent dans leurs instruments une place particulière à la notion de
réparation (section 1). La réparation fait aussi l’objet des préoccupations des juridictions pénales
internationales qui tentent d’assurer un droit à réparation aux victimes de crimes internationaux
(section 2).
383. On retrouve la réparation dans le terrain d’action des instances internationales. Ces
instances, internationales ou régionales, peuvent définir une politique commune, une vision
commune à leurs États membres. On retiendra notamment la politique de l’ONU et celle du
Conseil de l’Europe. Ces deux instances s’intéressent à la justice pénale de leurs États membres
pour ce qu’elle reflète comme considérations pour les droits de l’homme. A travers leurs rapports
officiels, on remarque que le principe de réparation fait partie du modèle de justice pénale
encouragé par ces instances internationales (I). De plus, ces instances sont garantes de la
protection des droits qu’elles reconnaissent comme fondamentaux à travers l’adoption de
déclarations ou de conventions. La réparation apparaît alors comme une réponse appropriée à la
violation des droits reconnus internationalement (II).
269
I. La réparation, objet de la justice pénale voulue internationalement
384. Les instances visées dans ce chapitre seront l’ONU au niveau international et le Conseil
de l’Europe au niveau régional814. Dans ces deux cas, ces organisations définissent leur politique
et leurs valeurs communes au travers d’instruments à objectifs et portée variables. Il s’agira en
premier lieu d’étudier la présence de la réparation au sein des instruments internationaux qui
définissent le modèle de justice pénale défini par les instances concernées (A). Nous verrons en
second lieu comment s’est opérée l’adaptation des législations nationales au contenu de ces
instruments (B).
386. La réparation dans les textes généraux. Les textes généraux des Nations-Unies
ouvrent la voie à l’établissement d’un droit à réparation. La Déclaration universelle des droits de
l’homme, adoptée le 10 décembre 1948, proclame dans son article 8 le droit à un recours effectif
devant les juridictions nationales compétentes à toute personne contre les actes violant les droits
fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi815. On retrouve ce même
814
Nous nous limiterons à ces organisations car la France, le Liban et l’Angleterre sont membres de l’une ou des
deux.
815
Emmanuel DECAUX, « Les droits fondamentaux en droit international », AJDA, 1998, p.66.
270
droit de recours à l’article 2 et l’article 14 du pacte international relatif aux droits civils et
politiques816. Le droit à un recours effectif et le droit à réparation sont souvent associés car ils
relèvent tout deux de la place accordée aux victimes par la justice.
387. La réparation dans les textes spéciaux. L’ONU a à plusieurs reprises manifesté son
intérêt pour l’élaboration d’une justice réparatrice. Nous insisterons principalement sur ces
différents textes :
La Déclaration de Vienne sur la criminalité et la justice : relever les défis du XXI e siècle
(2000) qui encourage « l’élaboration de mesures, de procédures et de programmes de
justice réparatrice qui respectent les droits, les besoins et les intérêts des victimes, des
délinquants, des collectivités et de toutes les autres parties »817. La Déclaration mentionne
aussi « la promesse qu’offrent les conceptions réparatrices de la justice visant à réduire la
criminalité et promouvoir la guérison des victimes, des délinquants, des communautés »
et encourage l’adoption de mécanismes de médiation et de justice réparatrice.
La Résolution du Conseil économique et social de l’ONU (2002) qui incite les États
membres à s’inspirer des Principes fondamentaux relatifs au recours à des programmes
de justice réparatrice en matière pénale (ci-après les Principes fondamentaux) 818.
816
Organisation des Nations-Unies, New York, 16 décembre 1966 : « garantir que toute personne dont les droits et
libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile... » (art.2), « toute personne a
droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et
impartial... » (art.14).
817
Dixième Congrès des Nations-Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, Vienne 10-17
avril 2000, A/CONF.187/4/Rev.3, disponible sur www.unodc.org.
818
Disponibles en ligne: www.unodc.org.
271
Les Règles minima des Nations-Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de
liberté (appelées les Règles de Tokyo) qui encouragent à recourir à des substituts à
l’emprisonnement à tout stade de la procédure, tels que, entre autres, les mesures de
probation ou le travail d’intérêt général.
388. Nous nous attarderons surtout sur l’approche des Principes fondamentaux qui
consacrent la définition donnée par l’ONU à la justice réparatrice. En reprenant les différents
éléments du Préambule, nous pouvons définir la justice réparatrice comme une justice qui
s’inspire des formes de justice traditionnelle et autochtone et qui constitue « face à la
criminalité, une réponse dynamique qui respecte la dignité de chacun et l’égalité entre tous,
favorise la compréhension et contribue à l’harmonie sociale en veillant à la guérison des
victimes, des délinquants et des communautés ». Elle permet « à ceux qui subissent les
conséquences d’une infraction de faire part ouvertement de leurs sentiments et de leur expérience
et vise à répondre à leurs besoins ». De plus, elle « offre la possibilité aux victimes d’obtenir
réparation, de se sentir davantage en sécurité et de trouver l’apaisement, permet aux délinquants
de prendre conscience des causes et des effets de leur comportement et d’assumer leur
responsabilité de manière constructive et aide les communautés à comprendre les causes
profondes de la criminalité »819. Le Préambule précise aussi que les mesures de justice
réparatrice s’adaptent avec souplesse et complètent les systèmes de justice pénale existants.
819
Disponibles en ligne: www.unodc.org.
820
Comme la réparation, la restitution, le travail d’intérêt général.
272
englobent une vision plus large de la justice réparatrice qui devrait inspirer les États à adopter
une vision moderne du droit pénal qui ne refoulerait plus son aspect réparateur.
La résolution (65) 1 adoptée par les Délégués des Ministres du Conseil de l’Europe le 22
janvier 1965 sur le sursis, la probation et les autres mesures de substitution aux peines
privatives de liberté821. Elle soulève les inconvénients de l’incarcération et l’intérêt que
revêt la probation pour les délinquants n’ayant pas commis d’infractions graves.
821
En ligne: www.coe.int.
822
Adoptée par le Conseil des Ministres le 9 mars 1976 lors de la 255e réunion des Délégués des Ministres. En ligne:
www.coe.int.
823
Adoptée par le Conseil des Ministres le 15 septembre 1999.
273
La recommandation (2008)11 sur les règles européennes pour les délinquants mineurs
faisant l’objet de sanctions ou de mesures qui encourage le recours à la médiation et aux
autres mesures réparatrices à toutes les étapes des procédures impliquant des mineurs 824.
La promotion des mesures réparatrices au travers des recommandations du Comité des Ministres
du Conseil de l’Europe est d’abord motivée par leurs aspects positifs par rapport à la peine
d’emprisonnement mais ensuite par leur apport à la justice pénale en général.
824
Adoptée par le Conseil des Ministres le 5 novembre 2008.
825
Conseil de l’Europe, 26e Conférence des ministres européens de la justice (Helsinki, 7-8 avril 2005) – Résolution
n°2 relative à la mission sociale du système de justice pénale – Justice réparatrice, Journal du droit des jeunes
2014/4, n°334, p.16. En ligne : www.cairn.info.
826
Adoptée par le Comité des Ministres le 20 janvier 2010.
827
Résolution adoptée le 31 mai 2013.
828
Ces règles ont été adoptées par la recommandation n° R(92) 16 en date du 16 octobre 1992. La recommandation
(2000)22 a été adoptée le 29 novembre 2000.
274
règles européennes et prend en compte les « possibilités nouvelles » et « les développements
importants » en matière de sanctions et mesures appliquées dans la communauté. Suite à ces
développements, le Comité des Ministres demande au législateur d’envisager pour certaines
infractions « d’indiquer une peine ou une mesure privative de liberté au lieu de
l’emprisonnement comme sanction de référence »829. Le législateur est aussi encouragé à établir
« des principes de base pour le prononcé des peines [...] afin de réduire le recours à
l’emprisonnement et de recourir davantage aux sanctions et mesures appliquées dans la
communauté et de pourvoir à l’indemnisation des victimes ». La prise de position en faveur de
l’autonomie des mesures réparatrices est claire au niveau européen, son application au niveau
national est moins certaine. La recommandation Rec (2017)3 relative aux règles européennes sur
les sanctions et mesures appliquées dans la communauté830 vient désormais remplacer la
recommandation de 2000.
829
Pierrette PONCELA et Robert ROTH, « Quelles sanctions pour quelle Europe? », Archives de politique
criminelle, 2005/1, 27, p.105.
830
Adoptée par le Comité des Ministres le 22 mars 2017.
275
qu’une valeur juridique. Les États expriment leur accord sur le principe et le contenu des
déclarations lors du vote et se lient donc eux-mêmes par leur adoption des déclarations ou
résolutions831. La situation est identique en ce qui concerne les recommandations du Comité des
Ministres du Conseil de l’Europe832. Les recommandations, de par leur définition, n’ont pas de
force obligatoire. Ces recommandations, de la catégorie d’instruments qui est qualifiée de « soft
law », sont des instruments qui reflètent un consensus politique des États membres du Conseil de
l’Europe. Elles visent à élaborer un certain standard européen dans les matières qui en sont
l’objet833. Les recommandations du Conseil de l’Europe ont pour but d’influencer les législations
nationales et sont rédigées de manière à pouvoir être mises en place directement par les États qui
le souhaitent. Même si elles sont dépourvues de toute force contraignante, les États signataires
s’engagent, par leur adhésion, à une sorte d’obligation sociale 834, les recommandations étant
l’instrument qui exprime leur collaboration avec le Conseil de l’Europe.
Une particularité existe pour les recommandations du Comité des Ministres du Conseil de
l’Europe. En effet, le Statut du Conseil de l’Europe accorde au Comité des Ministres le droit
d’inviter les gouvernements à lui faire connaître la suite donnée aux recommandations 835. Cette
possibilité ouverte de manière générale par le Statut est déclinée de façon particulière dans
certaines anciennes recommandations qui contiennent parfois des dispositions concernant le suivi
de la mise en œuvre des recommandations par les États membres. Cette pratique est moins
courante aujourd’hui même si elle s’avèrerait pratique pour le développement pratique du suivi
prévu à l’article 15(b) du Statut du Conseil836. Comme l’intégration des recommandations
831
Emmanuel DECAUX et Olivier DE FROUVILLE, Droit international public, 10e éd., Dalloz, 2016, p.62 et s.
Michel VIRALLY, « La valeur juridique des recommandations des organisations internationales », Annuaire
français de droit international, 1956, n° 2, p.66.
832
Nous devons préciser que parmi la liste des instruments du Conseil de l’Europe mentionnés et les résolutions de
1965 et 1976 ont la valeur de recommandation. Les recommandations antérieures à 1979 ont été publiées sous le
titre de résolutions.
833
Pierrette PONCELA et Robert ROTH, « Quelles sanctions pour quelle Europe? », Archives de politique
criminelle, 2005/1, 27, p.105. Voir aussi : Pierrette (dir.) PONCELA, Roth ROBERT et Sara LIWERANT, La
fabrique du droit au Conseil de l'Europe: promotion et mise en oeuvre des sanctions pénales alternatives, Mission
de recherche Droit et Justice, septembre 2004, La documentation Française, en ligne : www.gip-recherche-justice.fr,
rapport dans lequel les auteurs qualifient les recommandations de texte juridique « tendant davantage à la circulation
des idées qu’aux changements directs dans les législations ».
834
Alexandre Charles KISS, « Le Conseil de l'Europe et les suites données par les Etats membres aux textes adoptés
par ses organes », Annuaire français de droit international, 1967, n° 13, p.547.
835
Article 15(b) du Statut du Conseil de l’Europe.
836
Alexandre Charles KISS, « Le Conseil de l'Europe et les suites données par les Etats membres aux textes adoptés
par ses organes », Annuaire français de droit international, 1967, n° 13, p.547.
276
internationales ne peut dépendre de leur valeur contraignante, elle est encouragée par d’autres
moyens mis en œuvre par les organisations internationales.
394. Une expertise au service de l’intégration. La volonté exprimée par les États lors de
leur adhésion à certaines recommandations ou déclarations est parfois insuffisante au regard des
moyens qu’ils possèdent pour l’application de ces recommandations. Afin d’accompagner les
États dans la mise en œuvre des instruments qu’elles édictent, les organisations internationales
ont mis en place plusieurs stratagèmes. Le premier consiste en une assistance technique, un
partage d’expertise de la part des organisations internationales. L’ONU montre l’exemple en la
matière avec la publication de divers manuels sur la justice pénale censés servir d’outils
pratiques pour aider les pays à réformer leur système de justice pénale 837. Le manuel sur les
programmes de justice réparatrice comprend, outre une présentation des différentes mesures
possibles, des conseils allant de la mise en place d’une stratégie et la conception d’un programme
de justice réparatrice à son fonctionnement et son évaluation.
Le deuxième stratagème repose sur une collaboration entre les États et l’organisation
internationale pour un soutien et un échange d’expertise. L’ONU propose aux États membres qui
le souhaitent des services d’experts et des programmes de collaboration technique qui visent à
incorporer les droits et principes prévus dans les déclarations et résolutions de l’organisation.
Plus spécifiquement, l’ONU les accompagne dans l’élaboration de réformes législatives, la mise
en place de programmes et de procédures, la sensibilisation et la formation dans les domaines de
la justice réparatrice et des alternatives à l’emprisonnement838. Les recommandations du Conseil
de l’Europe sont en elles-mêmes des instruments de coopération entre les États en matière de
droit pénal. C’est par la collaboration, l’échange d’expériences et d’expertise que les États se
mettent d’accord sur les principes de base d’une recommandation. Le Conseil de l’Europe peut
837
Manuel sur les programmes de justice réparatrice, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, 2008,
en ligne : <www.unodc.org>. Manuel des principes fondamentaux et pratiques prometteuses sur les alternatives à
l'emprisonnement, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, 2008, en ligne : <www.unodc.org>.
838
Office Des Nations Unies contre la drogue et le crime, « Crime prevention and criminal justice reform - Thematic
program 2012-2015 », p.10, en ligne : <www.unodc.org>.
277
aussi fournir son appui par la voie de programmes de coopération technique dans certains
domaines particuliers839.
395. Une évaluation au niveau européen. Une évaluation pratique des législations
nationales est effectuée par le Conseil de l’Europe à travers des études statistiques comparatives.
Les Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe (connues sous l’acronyme SPACE)
compilent des données rassemblées auprès des États membres afin de pouvoir établir des
comparaisons statistiques sur deux grands thèmes : la population carcérale (rapport SPACE I) et
les sanctions et mesures non privatives de liberté (rapport SPACE II)840. Le dernier rapport
SPACE II date de 2016 et prend en compte les données de l’année 2015. La publication de ces
rapports permet au Conseil de l’Europe d’évaluer la situation des États membres au regard de ses
thèmes d’action prioritaires en matière pénale : la réduction de la surpopulation carcérale et le
développement des mesures alternatives à l’emprisonnement. Le Conseil de l’Europe pourra
ainsi adapter ses recommandations en fonction de la réalité du terrain des États membres.
Chaque État membre peut aussi comparer ses statistiques à celles des autres États et en tirer les
conclusions qui s’imposent 841. Selon Marcelo F. AEBI842, le nombre de personnes concernées
par les mesures de probation, qu’il qualifie « d’incroyable », permet de penser que ces mesures
seraient plutôt utilisées comme supplément et non comme alternative à la peine 843. Elles sont
prononcées à l’encontre d’individus qui auraient soit reçus une peine d’emprisonnement soit
auraient vu leur dossier classés. Le risque selon M. AEBI est d’élargir la toile du champ de la
justice pénale en accroissant le nombre de personnes placées sous une forme de contrôle.
Cependant, l’utilisation des mesures alternatives ou de probation ne rend pas les États moins
839
Comme exemples de programmes de coopération technique: les programmes « Octopus » sur la cybercriminalité
et PACO sur la lutte contre la corruption.
840
Les rapports SPACE sont disponibles en ligne sur: www.coe.int.
841
Observatoire international des prisons, « Statistiques pénales du Conseil de l'Europe: la France dans le bas du
tableau », en ligne : <www.oip.org>.
842
Professeur à l’université de Lausanne ayant travaillé sur les derniers rapports SPACE. Propos recueillis dans une
interview vidéo disponible en ligne sur le site du Conseil de l’Europe : www.coe.int, rubrique : « Prisons and
community sanctions and measures ».
843
M. AEBI mentionne 1.600.000 personnes concernées par une forme de probation ou d’alternative à travers
l’Europe.
278
punitifs et M. AEBI relève que l’Angleterre a un taux d’emprisonnement assez élevé, le pays
étant le premier pays européen à apparaître dans les statistiques du taux d’emprisonnement après
les pays de l’ex-URSS.
844
Résolution 1938 (2013) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, art.5. En ligne:
www.assembly.coe.int.
845
Déclaration de Vienne sur la criminalité et la justice : relever les défis du XXIe siècle, avril 2000, en ligne sur :
unodc.org.
279
II. La réparation, réponse à la violation des droits reconnus internationalement
397. L’ONU et le Conseil de l’Europe ont tous les deux été bâtis autour de la défense des
droits de l’homme. L’action du Conseil de l’Europe en la matière est fondée sur la Convention
européenne des droits de l’homme et celle de l’ONU sur la Charte internationale des droits de
l’homme composée de la Déclaration universelle des droits de l’homme, du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels. Nous étudierons dans un premier volet comment s’opère la réparation des
droits reconnus internationalement (A) et dans un second volet comment est mise en œuvre cette
réparation (B).
398. Dans la continuité des instruments étudiés ci-dessus, nous concentrerons nos
recherches dans la direction de l’ONU et de l’Europe afin de déterminer sur quelles bases
existent la réparation de la violation des droits de l’homme (1) et la réparation des conséquences
des crimes contre l’humanité (2).
846
A/RES/60/147. Résolution consultable en ligne : www.ohchr.org.
280
pas sur les développements historiques qui ont abouti à l’adoption de ces principes847, ni sur la
question de la délimitation de leur champ d’application848. Les Principes et directives définissent
la responsabilité de l’État ou d’acteurs non étatiques envers des victimes de violations du droit
international des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Leur apport principal
du point de vue notre thèse est la définition apportée la réparation. En effet, les Principes et
directives consacrent un droit à réparation qui se développe en une vaste gamme de moyens
permettant d’indemniser les victimes, matériellement et symboliquement. Il est d’abord précisé
que « le but d’une réparation adéquate, efficace et rapide est de promouvoir la justice en
remédiant aux violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et aux violations
graves du droit international humanitaire. La réparation doit être à la mesure de la gravité de la
violation et du préjudice subi ». La réparation est donc la réponse apportée aux violations de
droits internationaux ; elle doit être proportionnelle et intégrale. Les Principes et directives
comprennent différents moyens permettant d’assurer la réparation 849 :
847
L’historique est largement détaillé par : Pierre D'ARGENT, « Le droit de la responsabilité internationale
complété? Examen des Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des
victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l'homme et de violations graves du droit
international humanitaire », Annuaire français de droit international, 2005, n° 51, p.27. Théo VAN BOVEN,
«Principes fondamentaux et directives des Nations-Unies concernant le droit à un recours et à réparation des
victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l'homme et de violations graves du droit
international humanitaire », United Nations Audiovisual Library of International Law, en ligne :
<www.un.org/law>.
848
Finalement, les adjectifs « flagrantes » et « graves » ne limitent pas l’application de ces Principes et directives qui
s’appliquent à toutes les violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire.
A ce propos : Pierre D’ARGENT, op.cit.
849
Principes 19 à 23 des Principes et directives.
281
d) le dommage moral ;
e) les frais encourus pour l’assistance en justice ou les expertises, pour les médicaments
et les services médicaux et pour les services psychologiques et sociaux.
La réadaptation devrait comporter une prise en charge médicale et psychologique ainsi
que l’accès à des services juridiques et sociaux.
La satisfaction devrait comporter, le cas échéant, tout ou partie des mesures suivantes :
a) mesures efficaces visant à faire cesser des violations persistantes ;
b) vérification des faits et divulgation complète et publique de la vérité [...] ;
c) recherche des personnes disparues [...] ;
d) déclaration officielle ou décision de justice rétablissant la victime et les personnes
qui ont un lien étroit avec elle dans leur dignité, leur réputation et leurs droits ;
e) excuses publiques, notamment reconnaissance des faits et acceptation de
responsabilité ;
f) sanctions judiciaires et administratives à l’encontre des personnes responsables des
violations ;
g) commémorations et hommages aux victimes,
f) inclusion dans la formation aux droits de l’homme [...] des violations qui se sont
produites.
Les garanties de non-répétition » (incluent des mesures structurelles de nature politiques
qui contribueront à la prévention, telles que des réformes institutionnelles).
Les moyens de mise en œuvre de la réparation énoncés aux principes 19 et 23 donnent une toute
autre dimension à la notion de réparation qui englobe non seulement des droits individuels mais
aussi des droits collectifs. La force des Principes et directives, leur « génie »850, réside dans ces
droits collectifs (divulgation de la vérité, excuses publiques, déclarations officielles, etc.) qui
portent en eux un certain aspect révolutionnaire, un pouvoir de transformation des sociétés, voire
un changement de régime politique 851. Cette conception de la réparation est profondément liée à
la nature de la violation. Lorsqu’il s’agit d’atteinte aux droits de l’homme ou au droit
humanitaire, c’est toute la société qui est touchée. La réponse à la violation doit donc être
collective et elle dépasse le simple rapport entre la victime et le responsable de la violation. Cette
850
Pierre D'ARGENT, « Le droit de la responsabilité internationale complété? Examen des Principes fondamentaux
et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit
international des droits de l'homme et de violations graves du droit international humanitaire », Annuaire français de
droit international, 2005, n° 51, p.27.
851
D’ARGENT, op.cit. p.27: « le génie de ces Principes et directives […] est de saisir l’occasion de rendre justice
aux victimes pour transformer profondément les sociétés traumatisées ».
282
dimension collective qui donne sa force aux Principes et directives est aussi un des obstacles à
leur pleine application. De par la formulation au conditionnel des formes de réparation, la force
obligatoire des Principes en ressort affaiblie. La réalisation et la vérification de la réparation ne
sont donc pas garanties.
400. Une réparation sous forme de satisfaction équitable. Sur un plan régional, la
Convention européenne des droits de l’homme est l’instrument qui permet la protection des
droits de l’homme et la réparation des violations à leur encontre. L’article 41 de la Convention
dispose que « si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si
le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les
conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction
équitable ». Le choix du terme de « satisfaction équitable » est anodin lorsque la simplicité du
mot réparation suffit à compléter le sens de l’article. Outre ce détail terminologique, il est
important de relever que la réparation ne peut avoir lieu selon la Convention que : (i) si les
procédures internes de l’État ne l’ont pas déjà permise et (ii) « s’il y a lieu » d’accorder une
réparation. Dans une instruction pratique édictée par le président de la Cour européenne des
droits de l’homme au sujet de la satisfaction équitable, le sens du mot équitable est développé 852.
La Cour doit prendre en compte les circonstances de la cause, les caractéristiques de l’affaire, les
situations respectives du requérant et de l’État mis en cause, afin d’accorder une satisfaction
équitable. Les formes de réparation ne sont pas aussi détaillées que celles des Principes et
directives. Les instructions précisent que pour la réparation du dommage matériel le principe est
la restitutio in integrum, donc que le requérant soit placé dans la situation dans laquelle il serait
trouvé si la violation ne s’était pas produite. La réparation du dommage moral a quant à elle une
nature pécuniaire. Les instructions accordent cependant une grande liberté au juge qui pourrait
même estimer que le simple constat de la violation de la Convention constitue une satisfaction
équitable suffisante853.
852
« Demandes de satisfaction équitable - Instructions pratiques, Règlement de la cour, 19 septembre 2016 »,
en ligne : <www.echr.coe.int>.
853
Fabien MARCHADIER, « La réparation des dommages à la lumière de la Convention européenne des droits de
l'homme », RTD civ, 2009, p.245.
283
En outre, le caractère collectif de la réparation, comme prévu dans les Principes et directives, est
lui très restreint pour la CEDH: « ce n’est que très exceptionnellement que la Cour peut
envisager d’inviter la Partie contractante défenderesse à prendre telle ou telle mesure pour mettre
fin ou remédier aux violations en question. Toutefois, la Cour a la faculté de donner des
indications quant à la manière dont il convient d’exécuter ses arrêts »854. Cette exception est plus
souvent utilisée dans la jurisprudence de la Cour, point que nous développerons dans la partie
relative à la mise en œuvre de la réparation des droits reconnus internationalement.
854
« Demandes de satisfaction équitable - Instructions pratiques, Règlement de la cour, 19 septembre 2016 »,
en ligne : <www.echr.coe.int>.
855
A/CN.4/L.892, Commission du droit international, soixante-neuvième session, 26 mai 2017, en ligne:
www.legal.un.org.
856
Article 12 (3) du projet de Convention.
284
402. Des réserves françaises. Le projet de convention de la Commission du droit
international a été envoyé aux États membres de l’ONU pour avis. En France, la Commission
nationale consultative des droits de l’homme a rendu son avis relatif au projet le 27 mars 2018,
suite à son assemblée plénière857. En ce qui concerne l’article du projet relatif à la réparation
accordée aux victimes, la Commission nationale recommande qu’il soit mentionné que les
victimes ont doit à une réparation « pleine, effective et rapide » et propose le renvoi explicite aux
Principes et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violation
flagrantes du droit international relatif aux droits de l’homme et au droit international
humanitaire. La Commission nationale recommande aussi l’inclusion de mesures de justice
transitionnelle qui permettraient de renforcer la prévention de tels crimes et la reconnaissance
des victimes. Nous ne pouvons que soutenir cet avis.
857
Commission nationale consultative des droits de l’homme, « Avis relatif au projet de convention sur les crimes
contre l'humanité », Journal officiel, 1er avril 2018, n° 77.
858
Veronica BILKOVA, « Vers un droit des victimes des conflits armés à la réparation pour les violations du droit
international humanitaire? », in L'Homme dans la société internationale, Mélanges en hommage au Professeur Paul
Tavernier, sous la dir. de J.-F. AKANDJI-KOMBE, Bruylant, 2013, p.1203.
285
matière. Les organisations internationales et régionales se sont dotées de Cours de justice pour
mettre en œuvre la réalisation des objectifs de leurs conventions respectives (1)859. Le Conseil de
l’Europe a institué en 1959 la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après CEDH) afin de
garantir le respect de la Convention européenne des droits de l’homme. L’ONU s’est doté d’un
organe judiciaire, la Cour internationale de Justice (ci-après CIJ)860. De plus, afin d’éviter qu’une
obligation de réparation prononcée par une Cour ne reste lettre morte, des fonds d’indemnisation
ont été mis en place pour assurer la satisfaction des victimes (2).
859
Nous avons choisi de rattacher l’étude de ces cours à cette section relative aux instance internationales parce
qu’elles y sont rattachées et qu’elles ne sont pas spécialisées en droit pénal international. La section relative à
l’apport des juridictions internationales en matière de réparation se concentrera sur la Cour pénale internationale,
juridiction indépendante de droit pénal international.
860
La CIJ a été instituée en 1945 par la Charte des Nations-Unies, elle a son siège au Palais de la paix à La Haye. La
CIJ a pour mission de régler, conformément au droit international, les différends d’ordre juridique soumis par les
États.
861
« Demandes de satisfaction équitable - Instructions pratiques, Règlement de la cour, 19 septembre 2016 »,
en ligne : <www.echr.coe.int>.
862
Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l'homme, 10e éd., Puf, 2011, p.84.
863
Art. 46 de la Convention européenne des droits de l’homme.
286
constatées864. Ce qui est surprenant, ce n’est pas de demander à l’État de prendre des mesures
mais d’identifier pour lui les mesures adéquates pour la réparation 865. Il ne se dégage pas encore
de forme générale pour ces mesures et la Cour préserve le principe de la liberté de l’État dans le
choix des mesures en exprimant ses propositions au conditionnel.
Les mesures proposées par la CEDH sont individualisées selon le droit de l’homme objet de la
violation ou selon le problème identifié. Dans le cadre des atteintes au droit à la vie ou de
disparition forcée, par exemple, la CEDH demande souvent à l’État concerné de mener des
enquêtes dans le but d’identifier les auteurs de ces atteintes et de les poursuivre 866. Dans les cas
de torture et de mauvais traitement, la Cour a recours à des mesures non pécuniaires telles que la
réouverture d’enquêtes, la mise en place de programmes de formation pour prévenir la répétition
des violations, l’instauration de mesures normatives qui garantissent les droits des personnes
durant la garde à vue ou la détention, etc867. De plus, lorsque la CEDH identifie un problème
structurel qui cause la violation de la Convention, elle se permet de déterminer les mesures à
prendre pour y remédier 868. Les mesures générales et individuelles sont à plus fortes raisons
demandées par la Cour lorsque les affaires soumises sont d’une extrême gravité et nécessitent
des mesures urgentes, comme en matière de privation de liberté ou de droit à la vie 869.
Sur un second plan, c’est le sens accordé à réparation pécuniaire qui est parfois réinterprété par
la CEDH. Un arrêt très controversé a révélé la tendance de la CEDH à accorder une satisfaction
équitable qui s’apparente plus à des dommages et intérêts punitifs 870. Dans l’affaire Trevalec c.
Belgique, la Cour a accordé au requérant la somme de 50.000 euros pour dommage moral alors
que ce même requérant avait déjà perçu la somme de 170.182 euros de la Commission française
d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI). La réparation intégrale ayant déjà été accordée
par la CIVI, la somme supplémentaire demandée à la Belgique par la Cour ne fera qu’enrichir le
requérant, et de surcroit parce que la Cour exclue le recours de la CIVI en remboursement des
864
Mamadou Falilou DIOP, Essai de construction de poursuites des auteurs de crimes internationaux à travers les
mécanismes nationaux et régionaux, Institut Universitaire Varenne, Collection des thèses, 2014, p.374 et s.
865
Jean-François RENUCCI, « Droit européen des droits de l'homme », Recueil Dalloz, 2011, p.193.
866
CEDH, arrêt Abuyeva et autres c. Russie, 2 décembre 2010, arrêt Tahsin Acar c. Turquie, 6 mai 2003.
867
CEDH, arrêt Alver c. Estonie, 8 novembre 2005; arrêt Velikova et 7 autres affaires c. Bulgarie, pris entre 2000 et
2006; arrêt Al Saadoun et Mufdhi c. Royaume-Uni, 2 mars 2010, arrêt Gagfen c. Allemagne, 1er juin 2010.
868
Comme par exemple lorsque la Cour juge le moyen de détermination des indemnités d’expropriation inadapté car
ne prenant pas en compte la dépréciation du bien : arrêt Yetis et autres c. Turquie, 6 juillet 2010.
869
Jean-François RENUCCI, « Droit européen des droits de l'homme », Recueil Dalloz, 2011, p.193.
870
CEDH, affaire Trevalec c. Belgique, requête n°30812/07, 25 juin 2013.
287
sommes perçues. Elle a donc la forme de dommages et intérêts punitifs, ce que les avis des
magistrats de la Cour confirment, malgré la contradiction avec les instructions pratiques en
matière de satisfaction équitable871. La CEDH a voulu sanctionner l’État belge et ne souhaitait
pas que la charge de la réparation soit supportée par un organisme indépendant étranger, la CIVI.
Cet arrêt n’en demeure pas moins critiquable sur plusieurs plans, notamment parce que la notion
de satisfaction équitable a été détruite pour des objectifs punitifs qui ne font pas partie de la
mission de la Cour872. La notion de réparation ne se trouve qu’affaiblie par ce manque de
cohérence. Heureusement que cet arrêt n’a pas encore été imité.
871
CEDH, Arrêt Trevalec c. Belgique, Opinion concordante du juge Pinto de Albuquerque : « A mon avis, ces lignes
ne cadrent plus avec l’évolution de la pratique de la Cour. [...] L’octroi de dommages-intérêts punitifs ou
exemplaires est un fait dans la pratique de la Cour. » Opinion dissidente commune aux juges Jociene et Raimondi.
872
Pierre-Yves GAUTIER, « La Cour européenne des droits de l'homme poursuit la révolution normative », Recueil
Dalloz, 2013, p.2106. Olivia SABARD, « Le principe de réparation intégrale menacé par la satisfaction
équitable», Recueil Dalloz, 2013, p.2139.
873
CPJI, arrêt n°13, 13 septembre 1928, Usine de Chorzow, Série A n°17 p.4.
874
Mamadou Falilou DIOP, Essai de construction de poursuites des auteurs de crimes internationaux à travers les
mécanismes nationaux et régionaux, Institut Universitaire Varenne, Collection des thèses, 2014, p.359.
288
matériellement impossible ou emporte une charge hors de toute proportion avec l’avantage qui
en dériverait, la réparation prend alors la forme de l’indemnisation ou de la satisfaction... »875. La
restitution intégrale constitue le principe de la réparation, les autres formes lui sont subordonnées
et n’interviennent qu’en cas d’impossibilité de la première.
407. Quand la réparation devient justice. Lorsque la justice nationale est défaillante,
que les instruments internationaux et les jugements des cours internationales n’ont pas de force
exécutoire au niveau national, l’absence de réparation pourrait être perçue comme une absence
875
CIJ, affaire relative à l’usine de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), 20 avril 2010,
en ligne : www.icj-cij.org.
876
CIJ, Avis consultatif du 9 juillet 2004, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire
palestinien occupé, en ligne : www.icj-cij.org.
877
Pierre D'ARGENT, « Le droit de la responsabilité internationale complété? Examen des Principes fondamentaux
et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit
international des droits de l'homme et de violations graves du droit international humanitaire », Annuaire français de
droit international, 2005, n° 51, p.43.
289
de justice. Afin d’assurer l’effectivité de la reconnaissance de droits fondamentaux et du statut de
victime, des fonds d’indemnisation ont été mis en place par les institutions internationales. Ces
fonds, en assurant la réparation aux victimes, donnent à la justice internationale son caractère
réel. La notion de fonds d’indemnisation recouvre des formes très diverses878. Il y a d’abord les
fonds dont l’objectif est de centraliser les ressources du coupable avant de les redistribuer aux
victimes. Ces fonds permettent donc d’assurer l’exécution effective des réparations attribuées
aux victimes par une Cour internationale. C’est le cas par exemple de la Commission
d’indemnisation des Nations Unies mise en place en 1991 pour indemniser les pertes liées à
l’invasion et à l’occupation du Koweït par l’Irak.
Les fonds peuvent aussi être constitués par des organisations internationales pour indemniser les
victimes de violations de droits fondamentaux, en dehors de toute déclaration de responsabilité.
C’est le cas de la majorité des fonds de l’ONU qui sont fondés sur l’assistance aux victimes,
comme par exemple : le fonds pour les victimes de la torture, le fonds pour la lutte contre les
formes contemporaines d’esclavage et le fonds en faveur des victimes de la traite des personnes.
Ces fonds financent le plus souvent des projets menés par des ONG ou des organisations
nationales qui ont pour but d’assurer la réparation à une catégorie particulière de victimes.
Des types de fonds internationaux, ceux qui sont les plus intéressants du point de vue de la mise
en œuvre de la justice internationale sont les fonds qui ont pour objectif de garantir la réparation
due aux victimes par le biais de ressources propres. Ces fonds permettent de palier l’absence de
volonté ou de capacité du coupable de réparer le préjudice causé, l’impossibilité d’identifier le
coupable et l’insuffisance d’une réparation déjà exécutée. Ils manifestent la solidarité
internationale à l’égard des victimes et accordent surtout un sens, une suite concrète aux
jugements internationaux qui, sans cette solidarité auraient une « existence virtuelle879 ». Ce
modèle de fonds de garantie existe aussi au niveau national : la Commission d’indemnisation des
victimes d’infractions (CIVI) en France et le « Criminal injuries compensation scheme » en
Angleterre880. Ces fonds nationaux ont cependant pour spécificité de régler l’indemnisation au
878
A ce sujet, la thèse de Daisy SCHMITT est exhaustive : Daisy SCHMITT, Les fonds internationaux en faveur
des victimes de violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire, [Droit : Université Panthéon
Sorbonne - Paris I : 2016].
879
André SCHNEIDER, « La dérive des notions (la CIVI: de la solidarité au droit à réparation) », Dalloz, 1998,
p.384.
880
Plus de détails sur ce fond existent en ligne sur: www.gov.uk.
290
nom et place de l’auteur de l’infraction et ont ainsi la faculté d’exercer une action récursoire
contre lui en sa qualité de débiteur de l’obligation de réparation.
408. Il apparaît ainsi que les instances internationales dressent à travers leurs instruments
juridiques et la jurisprudence de leurs cours une vision ambitieuse de la réparation des violations
de droits fondamentaux. Au niveau international, les procédures engagées devant la CIJ ou la
CEDH ne sont pas à proprement parler des procédures pénales mais elles visent à traiter de
situations qui auraient pu constituer une infraction pénale au niveau national. Il existe cependant
des voies de recours qui ont pour objectif de traiter de crimes internationaux. Ce sera l’objet de
cette deuxième section.
409. Les juridictions internationales ont pour mission de juger les auteurs de crimes
internationaux. Par crimes internationaux, on entend « les crimes les plus graves touchant
l’ensemble de la communauté internationale » tels que le crime de génocide, les crimes contre
l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression 881. Or l’horreur et la souffrance causées
par ces crimes permettent de douter de la possibilité d’une réelle réparation. La justice n’est-elle
pas impuissante face à la gravité des faits et leur caractère massif882 ? Comment les coupables de
tels crimes peuvent-ils réparer le mal commis ? Nous avions, dans l’introduction de cette thèse,
délimité le champ d’application des recherches aux délits et contraventions pour éviter le
caractère irréel d’une réparation des crimes. Celle-ci est pourtant définie en droit international
comme couvrant « les mesures visant à éliminer toutes les conséquences dommageables d’une
violation des règles de droit international applicables dans un conflit armé et à rétablir la
situation dans l’état qui aurait existé si la violation n’avait pas eu lieu »883. La particularité de ces
mesures de réparation expliquent le choix que nous avons fait de sortir du cadre des délits pour
881
Article 5 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
882
Henri-D BOSLY et Damien VANDERMEERSCH, Génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre face
à la justice, 1e éd., L.G.D.J, 2010, p.227. Florence BRISSET-FOUCAULT et al., « Vérité, justice, réconciliation ou
comment concilier l'inconciliable », Mouvements, 2008/1, n° 53, p.9.
883
Définition donnée par l’Association de droit international dans sa résolution n°2/2010, 74e Conférence de droit
international.
291
envisager la réparation de crimes internationaux. Il s’agira dans un premier temps d’étudier la
réparation comme résultat des procès pénaux internationaux (I) et d’envisager, comme dans le
cadre de la première partie de cette thèse, l’alternative réparatrice de la justice pénale qui, dans le
champ du droit pénal international, est connue sous le nom de « justice transitionnelle » (II).
410. La réparation n’a pas toujours été un résultat évident des procès pénaux
internationaux. A l’issue d’un conflit duquel ont découlés des crimes indescriptibles par leur
atrocité, l’objectif principal a été de punir les coupables et de rétablir la justice. La réparation a
longtemps été absente des procès pénaux internationaux (A). Ce n’est qu’avec l’institution de la
Cour pénale internationale qu’un véritable droit à réparation des victimes a été mis en place par
une juridiction pénale internationale (B).
411. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la poursuite des crimes commis a été
perçue comme une nécessité. Vu le caractère grave et les importantes répercussions des crimes
commis, le processus d’internationalisation de la justice fut accéléré avec la création des
tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo. Depuis, les tribunaux pénaux internationaux ont
continué à voir le jour, au gré des évènements politiques tragiques. Ces tribunaux, qui visent à
punir la commission de crimes internationaux, ont pris plusieurs formes dont les principales
sont : les tribunaux ad hoc et les tribunaux dits internationalisés ou mixtes (1). Principalement
institués pour juger les auteurs des crimes commis, la réparation ne semble pas faire partie de
leurs objectifs (2).
292
1. La punition des crimes internationaux, responsabilité des tribunaux ad hoc et mixtes
412. Plusieurs formes, un même objectif. Dans le paysage du droit pénal international,
les tribunaux internationaux mis en place pour répondre aux crimes commis sont de deux sortes.
Les tribunaux pénaux internationaux (TPI) créés par le Conseil de sécurité des Nations Unies
sont des juridictions ad hoc qui ont pour mission la résolution d’un conflit ou d’une situation
unique, déterminé(e)884. Notons par exemple les TPI pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda.
Les tribunaux dits « internationalisés » ou mixtes sont mis en place en collaboration avec l’ONU
mais ils comportent des éléments internationaux et nationaux 885. Nous citons les tribunaux
institués pour résoudre les conflits du Cambodge, du Kosovo, du Sierra Leone et du Timor Leste.
La nature du Tribunal spécial pour le Liban est similaire. Quelque soit la forme de ces
juridictions pénales internationales, elles sont toutes instituées dans le but de poursuivre les
auteurs de crimes internationaux et de déterminer les responsabilités 886. Elles jouent un rôle qui
permet de rétablir la paix sociale en promettant la poursuite des coupables des crimes qui ont
marqué le conflit.
413. Une reconnaissance limitée de droits aux victimes. Le rôle de la victime est très
limité dans le procès pénal international. Le procès pénal a pour objectif de lutter contre
l’impunité, c’est le procès de la communauté internationale contre l’auteur d’un crime
international887. Officiellement, les victimes sont reléguées au rang de simples témoins durant la
procédure pénale. Le statut du Tribunal spécial pour le Liban prévoit à l’article 17 que « lorsque
les intérêts personnels des victimes sont concernés, le Tribunal permet que leurs vues et
préoccupations soient exposées et examinées, aux stades de la procédure que le juge de la mise
en état ou la Chambre estiment appropriés et d’une manière qui n’est ni préjudiciable ni contraire
aux droits de la défense et aux exigences d’un procès équitable et impartial »888.
884
Jurisclasseur, « Les juridictions internationales ad-hoc », 3241.
885
Mathieu JACQUELIN, « Juridictions pénales mixtes », RSC, 2018, p.229.
886
Robert CARIO, « Les droits des victimes devant la Cour pénale internationale », AJ Pénal, 2007, p.261.
887
Xavier PHILIPPE, « Vers une reconnaissance accrue de la place de la victime dans le procès pénal international?:
De Nuremberg au Statut de Rome... Aperçu général des règles applicables devant la CPI », in L'actualité de la
justice pénale internationale, Centre de recherche en matière pénale, Université Paul Cézanne, Aix Marseille III,
Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2008, p.117.
888
Centre international pour la justice transitionnelle (éd.), Manuel sur le Tribunal spécial pour le Liban, 2008, p.28.
293
Il ne faut cependant pas sous-estimer leur poids politique, les victimes pouvant exercer, avec
l’aide des organisations internationales, une pression en vue de la constitution des tribunaux
internationaux et des charges contres les auteurs des crimes. Néanmoins, les tribunaux pénaux
internationaux peuvent, quand leurs statuts le prévoient, ordonner la restitution des biens retirés
illégalement ou par la contrainte à leurs propriétaires889. La restitution est certes une forme de
réparation, quoique limitée au regard des dommages subis en conséquence des crimes
internationaux. Dans le cas des TPI, l’absence de restitution ne peut pas donner lieu à une
indemnisation, qui relève de la compétence des juridictions nationales.
Les jugements des cours internationales constituent souvent la seule chance pour les victimes
d’obtenir réparation892. Pour cela, transférer la responsabilité de la détermination des réparations
aux juridictions nationales laisse perplexe quant à la réalisation des réparations. L’effectivité des
réparations pourrait varier dépendamment de la situation de l’État concerné, de son implication
889
Didier REBUT, Droit pénal international, 2e éd., Dalloz, 2015, p.606.
890
Idem.
891
Statut du Tribunal spécial pour le Liban, article 25 : « Le tribunal peut identifier des victimes ayant subi un
préjudice en raison de crimes commis par un accusé reconnu coupable par le Tribunal. Le Greffier transmet aux
autorités compétentes de l’État concerné le jugement par lequel l’accusé a été reconnu coupable d’une infraction qui
a causé un préjudice à une victime. Une victime ou ses ayants droit peuvent, en se fondant sur la décision du
Tribunal spécial et conformément à la législation nationale applicable, intenter une action devant une juridiction
nationale ou toute autre institution compétente pour obtenir réparation du préjudice subi, que cette victime ait été ou
non identifiée comme telle par le Tribunal conformément au paragraphe 1 du présent article. Aux fins de l’action
prévue au paragraphe 3 du présent article, le jugement du Tribunal spécial est définitif et déterminant quant à la
responsabilité pénale de la personne condamnée. »
892
Mamadou Falilou DIOP, Essai de construction de poursuites des auteurs de crimes internationaux à travers les
mécanismes nationaux et régionaux, Institut Universitaire Varenne, Collection des thèses, 2014, p.415.
294
dans la commission des crimes internationaux et de sa capacité à avoir reconstruit la stabilité de
ses institutions. Elle dépend aussi de la solvabilité du coupable et de la capacité de l’État à se
substituer à lui en cas de carence, afin de garantir des réparations aux victimes. Lorsque le conflit
concerne deux États, la réparation est souvent dépendante de la volonté de l’un des États de faire
un geste politique en faveur des victimes. Dans le cadre du conflit au Timor Leste en 1999,
l’Indonésie a fini par accepter en 2008 de verser des réparations aux victimes 893. Dans ce cas, et
dans d’autres, le versement de réparation a souvent pour signification l’admission par le
coupable de sa responsabilité.
La prise en compte de réparations collectives par ce tribunal pénal mixte est un compromis à
saluer car il a permis de rendre justice non seulement en punissant les coupables mais en
893
Jean-Marc SOREL, « Les tribunaux pénaux internationaux. Ombre et lumière d'une récente grande ambition »,
Revue Tiers Monde n°205 (2011/1), p.29-46.
894
Hervé ASCENSIO, Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD et Jean-Marc SOREL, Les juridictions pénales
internationalisées, édité par Société de droit comparé, 2006, p.21.
895
Pour l’historique de la constitution de ces chambres extraordinaires, consulter: Didier REBUT, Droit pénal
international, 2e éd., Dalloz, 2015.
896
Photini PAZARTZIS, « Tribunaux pénaux internationalisés: une nouvelle approche de la justice pénale
(inter)nationale? », Annuaire français de droit international, 2003, n° 49, p.641.
295
s’adressant aussi aux victimes. L’affirmation du droit à réparation des victimes n’a cependant été
faite qu’avec l’institution de la Cour pénale internationale.
416. La Cour pénale internationale (CPI) est l’unique juridiction pénale à caractère
permanent. Elle a été instituée par le traité de Rome le 17 juillet 1998, entré en vigueur le 1 er
juillet 2002. Selon l’article 5 de son statut, la compétence de la Cour est « limitée aux crimes les
plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale », le crime de génocide, les
crime contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression 897. La CPI a déjà vingt ans
et elle est aujourd’hui la seule juridiction pénale internationale à accorder aux victimes la
possibilité de participer à la procédure et à demander réparation. C’est ce qui fait sa particularité
et, selon les magistrats de la Cour, c’est ce qui assure son succès 898. Le droit à réparation et le
statut des victimes sont étroitement liés car c’est la garantie de la réparation par le Statut de la
CPI qui explique la participation de la victime à tous les stades de la procédure 899. Le droit à
réparation participe à la consécration d’un véritable statut de la victime au sein de la CPI (1).
L’exécution de la réparation comporte quant à elle des spécificités propres à la Cour (2).
417. La reconnaissance d’un statut des victimes au sein du procès. Le statut de la CPI
accorde à la victime des prérogatives qui lui permettent d’avoir un véritable statut au sein du
procès pénal. La victime a un rôle à jouer tout au long de la procédure, et avant le même
l’enclenchement de celle-ci. En effet, les modes de saisine de la CPI permettent au Conseil de
897
Le statut de la CPI est disponible en ligne: www.icc-cpi.int.
898
« La Chambre tient à souligner l’importance de la phase des réparations, qui représente une étape essentielle de
l’administration de la justice et convient avec la Chambre de première instance I dans le Procureur c. Thomas
Lubanga Dyilo que le succès de la Cour est, dans une certaine mesure, lié à son système de réparation », CPI,
Chambre de première instance II, affaire Le procureur c. Germain Katanga, Ordonnance de réparation en vertu de
l’article 75 du statut, en ligne : www.icc-cpi.int. Consulter aussi le rapport de Redress : The Redress Trust, Faire
avancer la réparation à la CPI: recommandations, Novembre 2016, en ligne : <www.redress.org>.
899
Robert CARIO, « Les droits des victimes devant la Cour pénale internationale », AJ Pénal, 2007, p.261.
296
sécurité de l’ONU, à un État partie et au procureur de la CPI de saisir le Cour. Le procureur agit
selon un principe de complémentarité : il ne peut intervenir que si l’État concerné n’a pas la
capacité ou la volonté de rendre justice. Dans cette situation, il est généralement incité à saisir la
Cour grâce aux informations qu’il reçoit d’ONG et de victimes liées au crime commis 900. La
victime a donc un rôle à jouer dans la constitution du dossier de l’affaire en vue de la saisine de
la CPI. Une fois la Cour saisie d’une affaire, les victimes souhaitant déposer un dossier en vue
d’une réparation sont prises en charge par le Greffe de la Cour, plus particulièrement la Section
de la participation des victimes et des réparations. Cette section assure la notification des
victimes sur le déroulement de la procédure et reçoit les demandes des victimes de participer à la
procédure901. La participation des victimes aux audiences peut aussi être demandée par la
Cour902. Cette participation est très large, les victimes peuvent interroger des témoins, demander
des compléments d’enquête et exprimer leur opinion sur la sanction et la réparation903. Le Statut
réserve donc aux victimes « une voix et un rôle indépendants dans la procédure devant la Cour »,
il leur confère « le droit de participer à la lutte contre l’impunité »904. La CPI offre ainsi aux
victimes une réelle participation à la procédure avec pour visée une réparation effective. Si le
droit à réparation des violations de droits fondamentaux n’est pas nouveau en tant que tel, le
statut des victimes accordé par la CPI est autonome et la procédure relative aux réparations est
unique en son genre sur le plan du droit international905.
900
Joël HUBRECHT, « Forces et faiblesses de la justice pénale internationale », AJ Pénal, 2007, p.253.
901
Règles 89 et 92 du Règlement de procédure et de preuve de la CPI. Disponible en ligne : www.icc-cpi.int.
902
L’article 68-3 du Statut de la CPI prévoit que « lorsque les intérêts personnels des victimes sont concernés, la
Cour permet que leurs vues et préoccupations soient exposées et examinées, à des stades de la procédure qu’elle
estime appropriés et d’une manière qui n’est ni préjudiciable ni contraire aux droits de la défense et aux exigences
d’un procès équitable et impartial. »
903
Robert CARIO, « Les droits des victimes devant la Cour pénale internationale », AJ Pénal, 2007, p.261. Voir
aussi l’article 75 du Statut de la Cour, alinéa 3.
904
Décision ICC-01/04-112, 8 février 2006.
905
Xavier PHILIPPE, « Vers une reconnaissance accrue de la place de la victime dans le procès pénal international?:
De Nuremberg au Statut de Rome... Apercu général des règles applicables devant la CPI », in L'actualité de la
justice pénale internationale, Centre de recherche en matière pénale, Université Paul Cezanne, Aix Marseille III,
Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2008, p.117.
297
commission d’un crime relevant de la compétence de la Cour906. Le statut de victime peut
influencer la réparation positivement et négativement. Négativement d’abord, seules les victimes
d’un crime ayant donné lieu à des poursuites devant la CPI pourront espérer recevoir une
réparation pour les préjudices subis. Or dans les affaires de crimes internationaux, les victimes
sont souvent démunies, affaiblies et n’ont pas les moyens matériels et psychologiques de porter
leur cause auprès de la CPI907. De plus, la jurisprudence de la Cour distingue les victimes de
l’affaire et les victimes de situation : « La Chambre considère que le Statut, le Règlement de
procédure et de preuve et le Règlement de la Cour envisagent la distinction entre situations et
affaires comme faisant l'objet de procédures distinctes engagées par l'un quelconque des
organes de la Cour. Les situations, généralement définies par des paramètres temporels,
territoriaux et éventuellement personnels, telle que la situation sur le territoire de la République
démocratique du Congo depuis le 1er juillet 2002, font l'objet de procédures prévues par le
Statut afin de décider si une situation donnée doit faire l'objet d'une enquête pénale, et de
l'enquête en tant que telle. Les affaires, comprenant des incidents spécifiques au cours desquels
un ou plusieurs crimes de la compétence de la Cour semblent avoir été commis par un ou
plusieurs suspects identifiés, font l'objet de procédures qui ont lieu après la délivrance d'un
mandat d'arrêt ou d'une citation à comparaître »908. Ainsi, selon que les victimes soient des
victimes d’affaire ou de situation et que la Cour rend une décision concernant une affaire ou une
situation, elles pourront ou non obtenir réparation 909.
906
Règle 85 du Règlement de procédure et de preuve de la CPI, qui admet aussi le statut de victime à « toute
organisation ou institution dont un bien consacré à la religion, aux arts, aux sciences ou à la charité, un monument
historique, un hôpital ou quelque autre lieu ou objet utilisé à des fins humanitaires a subi un dommage direct ».
907
Jean-Baptiste JEANGENE VILMER, Réparer l'Irréparable, Les réparations aux victimes devant la Cour pénale
internationale , PUF, 2009. L’auteur suggère que la réparation fasse partie d’un programme distinct, non relié à la
procédure judiciaire, pour permettre l’accès à la réparation à toutes les victimes, même celles qui ne sont pas
rattachées à la procédure pénale.
908
CPI, Situation en République démocratique du Congo, décision ICC-01/04/101 du 17 janvier 2006, chambre
préliminaire I, paragraphe 65.
909
Gilbert BITTI, « Les victimes devant la Cour pénale internationale. Les promesses faites à Rome ont-elles été
tenues? », RSC, 2011, p.293.
910
Robert CARIO, « Les droits des victimes devant la Cour pénale internationale », AJ Pénal, 2007, p.261.
298
2. Les moyens de la réparation
La réparation peut être accordée à titre individuel, et/ou à titre collectif912. La réparation à titre
individuel est accordée aux victimes reconnues comme telles par la Cour, la réparation à titre
collectif vise un groupe de victimes ou une communauté et est attribuée à une organisation
intergouvernementale internationale ou nationale agréée par lui et qui mettra en place des projets
à moyen et long terme en faveur de la réparation et la réhabilitation des victimes. En théorie, les
principes de la réparation semblent simples mais la complexité de la procédure et les moyens
limités du Fonds spécial pour les victimes ont jusque-là empêché une effectivité réelle de la
réparation à l’issue des procès de la CPI. Les premières mesures individuelles de réparation ont
été accordées dans l’affaire Katanga par la décision du 24 mars 2017913. Dans cette affaire, la
Cour a ordonné des mesures de réparation individuelle et collective en faveur des victimes des
crimes commis par Germain Katanga, chef de guerre congolais. Les demandes de 297 victimes
sur 341 demandeurs ont été considérées par la Cour qui leur a attribué la somme symbolique de
250 dollars américains dans le but de les soulager. De plus, 3.7 millions de dollars américains ont
été jugées nécessaires pour la mise en place de projets de réparation collective, dont un million
est porté à la charge du coupable. Cette décision est une première dans l’histoire de la CPI, elle
marque les fondements de l’application de l’obligation de réparation des préjudices subis suite
aux crimes internationaux.
911
Règle 98 du Règlement de procédure et de preuve de la CPI.
912
Règle 97 du Règlement de procédure et de preuve de la CPI.
913
CPI, Chambre de première instance II, décision ICC-04/04/01/07-3728 du 24 mars 2017; AJ Pénal, « Premières
mesures de réparation individuelle pour des victimes de crime internationaux », 2017, p.346.
299
420. Le Fonds au profit des victimes. Le statut de la CPI crée le Fonds au profit des
victimes qui gère la mise en œuvre des ordonnances de réparation. Par ce Fonds, doivent
transiter les montants versés par les personnes reconnues coupables et alloués aux victimes ou
aux organisations chargées de mesures de réparation collective. Le Fonds gère aussi les amendes
imposées au coupable ainsi que le résultat de la confiscation de ses biens. En ce qui concerne la
réparation, le Fonds joue le rôle de garant vis-à-vis des victimes. Il peut leur apporter des aides
urgentes avant même toute décision de condamnation914 et il se substitue au coupable si ce-
dernier est incapable de payer les montants de la réparation. Le Fonds utilise alors ses propres
fonds qui sont constitués grâce à des contributions volontaires et des dons. De plus, le Fonds peut
financer des programmes d’assistance qui dépassent le cadre des procès, afin de tenter de
répondre à la demande de justice des victimes, bien plus globale que la demande de réparation
qui réussit à se faire une place dans le cadre d’un procès915.
914
Pour toutes les règles concernant le Fonds, consulter en ligne le « Règlement du fonds d’affectation spécial au
profit des victimes ».
915
Joël HUBRECHT, « Forces et faiblesses de la justice pénale internationale », AJ Pénal, 2007, p.253.
916
CPI, Chambre de première instance II, décision ICC-04/04/01/07-3728 du 24 mars 2017; AJ Pénal, « Premières
mesures de réparation individuelle pour des victimes de crime internationaux », 2017, p.346. Consulter aussi : Jean-
Baptiste JEANGENE VILMER, Réparer l'Irréparable, Les réparations aux victimes devant la Cour pénale
internationale , PUF, 2009.
917
Paragraphe 318 de l’ordonnance de réparation rendue par la CPI dans l’affaire Katanga, disponible en ligne:
www.icc-cpi-int/courtrecords.
300
situations à une mesure matérielle, elle consiste aussi en l’accès à la justice, la détermination des
coupables et en des mesures de soins et d’accompagnements aux victimes 918.
422. Le choix de traiter la justice transitionnelle dans la section relative aux juridictions
pénales s’explique par le fait que cette forme de justice, tout en étant un processus non pénal,
traite d’une matière pénale identique à celle qui fait l’objet de procès internationaux. Elle partage
avec les juridictions internationales l’objectif de rendre justice suite à la commission de crimes
internationaux. La justice transitionnelle fait partie de ces concepts de justice réparatrice qui est
souvent dénommée différemment par la doctrine. On la retrouve souvent sous l’appellation de
« justice restauratrice », « justice restaurative » ou de « justice réparatrice »919. Même si elle
partage avec ces notions les mêmes principes de réparation, chacune d’entre elles a une identité
propre. La justice transitionnelle est, selon Kofi ANNAN, « l’éventail complet des divers
processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour faire face à des exactions massives
commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre
la réconciliation »920.
La justice transitionnelle intervient dans une société post-conflit et instaure un cadre particulier
(A) pour rendre possible une réparation toute aussi particulière (B).
A. Un cadre particulier...
423. La justice transitionnelle n’a pas de format unique prédéterminé. C’est ce qui fait sa
spécificité. Elle consiste en « l’ensemble des processus judiciaires et non judiciaires visant à la
manifestation de la vérité à l’issue de périodes de crises ou troublées, à l’identification des
918
Robert CARIO, « Les droits des victimes devant la Cour pénale internationale », AJ Pénal, 2007, p.261.
919
Comme c’est le cas par exemple dans l’article de Christian NADEAU, « Responsabilité collective, justice
réparatrice et droit pénal international », Revue française de science politique, 2008/6, volume 58, p.915.
920
Rétablissement de l'Etat de droit et administration de la justice de la justice pendant la période de transition
dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d'un conflit, Rapport du Secrétaire général de l'ONU présenté au
Conseil de Sécurité, août 2004, en ligne : <www.un.org>.
301
responsabilités ainsi qu’à l’octroi de réparations aux victimes »921. La justice transitionnelle
diffère de la justice pénale traditionnelle mais n’est pas autant en contradiction avec cette
dernière. C’est une justice circonstancielle et contextuelle qui s’adapte à l’État concerné et aux
crimes commis922 (1). Elle permet de tourner un page de l’histoire sans l’oublier, mais au
contraire en la confrontant, en parlant des horreurs commises pour effectuer un travail de deuil et
de mémoire (2).
921
Xavier PHILIPPE, « Les solutions alternatives et complémentaires à la justice pénale internationale: la justice
transitionnelle exercée à travers les commissions Vérité et Réconciliation », in L'actualité de la justice pénale
internationale, Actes du colloque, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2008, p.132.
922
S. ESSOMBA, « Quelle complémentarité entre la justice transitionnelle et la justice pénale
internationale?», Revue internationale de droit pénal, 2013/1, vol.84, p.181.
923
Parfois même en plein air, sous un arbre, les personnes assises sur l’herbe, selon l’expérience d’Hélène DUMAS,
« Histoire, justice et réconciliation: les juridictions gacaca au Rwanda », Mouvements, 2008/1, n° 53, p.110.
924
Sandrine LEFRANC, « La professionnalisation d'un militantisme réformateur du droit: l'invention de la justice
transitionnelle », Droit et société, 2009/3, n° 73, p.561.
302
internationaux. Elles participent à la restauration de la dignité des victimes et peuvent recueillir
de la part des auteurs beaucoup plus d’informations précises sur les crimes commis, informations
qu’il aurait mieux valu de dissimuler lors d’un procès925. Cet avantage, les Commissions Vérité
et Réconciliation l’ont parce qu’elles offrent l’amnistie aux auteurs de crimes en échange de leur
participation au processus. Ces immunités de poursuites ne sont pas envisageables dans le cadre
d’un procès pénal international, les crimes visés étant imprescriptibles.
925
Pierre HAZAN, « Les dilemmes de la justice transitionnelle », Mouvements, 2008/1, n° 53, p.41.
926
François SOBO, « Justice transitionnelle, le point sur les juridictions Gacaca au Rwanda », RSC, 2009, p.763.
927
Idem.
928
Xavier PHILIPPE, « Les solutions alternatives et complémentaires à la justice pénale internationale: la justice
transitionnelle exercée à travers les commissions Vérité et Réconciliation », in L'actualité de la justice pénale
internationale, Actes du colloque, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2008, p.132. Mamadou Falilou DIOP,
Essai de construction de poursuites des auteurs de crimes internationaux à travers les mécanismes nationaux et
régionaux, Institut Universitaire Varenne, Collection des thèses, 2014, p.413.
303
internationale, il apparaît que c’est par leur complémentarité que la justice est le mieux rendue 929.
En effet, l’absence de sanction dans la justice transitionnelle laisse comme un aspect d’inachevé.
La sanction participe aussi au soulagement psychologique et à la satisfaction des victimes,
notamment au regard des crimes commis 930. Cependant, la justice transitionnelle permet de cibler
de larges groupes de victimes ce que la justice pénale traditionnelle ne peut faire en raison de la
rigidité de ses procédures, de son coût qui la rend inaccessible pour beaucoup de victimes et de la
complexité des procédures permettant l’acquisition du statut de victime. Il est rapporté que la
Commission Vérité et Réconciliation présidée par Desmond Tutu en Afrique du Sud a permis à
20 000 victimes et criminels de témoigner931. Le service national des juridictions gacaca dit avoir
jugé près d’un million de personnes932. La justice transitionnelle permet donc d’agir pour la
réparation lorsque les procédures judiciaires ne suffisent pas à soulager toutes les victimes.
Cette complémentarité est envisageable à la lecture des statuts de la Cour pénale internationale
qui accordent au Procureur la possibilité de ne pas ouvrir une enquête ou engager des poursuites
si cela ne servirait pas les intérêts de la justice, compte tenu de toutes les circonstances 933. En
pratique, les deux processus ont souvent cohabité ou se sont suivis dans la gestion des
conséquences des crimes internationaux934.
929
Emilie MATIGNON, « Les dispositifs restauratifs mis en oeuvre à la suite de victimisations de masse », in La
justice restaurative, une utopie qui marche?, sous la dir. de R. CARIO et P. MBANZOULOU, L'Harmattan, 2010,
p.69.
930
S. ESSOMBA, « Quelle complémentarité entre la justice transitionnelle et la justice pénale
internationale?», Revue internationale de droit pénal, 2013/1, vol.84, p.181.
931
Pierre HAZAN, Juger la guerre, juger l'Histoire, puf, 2007, p.100. Sandrine LEFRANC, « La
professionnalisation d'un militantisme réformateur du droit: l'invention de la justice transitionnelle », Droit et
société, 2009/3, n° 73, p.561.
932
Op.cit. S. ESSOMBA.
933
Article 53, Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
934
Comme cela a été le cas au Rwanda entre le TPIR et les juridictions gacaca, au Timor oriental.
304
2. Une justice de confrontation
935
Sandrine LEFRANC, « La professionnalisation d'un militantisme réformateur du droit: l'invention de la justice
transitionnelle », Droit et société, 2009/3, n° 73, p.561.
936
A ce propos, il est intéressant de consulter les dossiers et rapports de l’International Center for Transitional
Justice (ICTJ) concernant la situation au Liban, en ligne: www.ictj.org.
305
Les Commissions Vérité et Réconciliation, n’étant pas des instances judiciaires, n’ont pas à
qualifier juridiquement les faits commis. C’est plutôt une qualification politique des faits qui
permettra une transition politique de l’État937. C’est la société toute entière qui est confrontée aux
récits des victimes et des criminels. La plus grande réparation que l’État peut alors accorder à la
société est sa transition d’une situation qui a causé la violation des droits fondamentaux à une
autre qui garantira la non-répétition de telles violations.
429. Reconstruire l’humain. La justice transitionnelle est une justice qui place à pied
d’égalité les auteurs des crimes et les victimes : des premiers elle recherche l’aveu et idéalement
une formulation d’excuses et de regrets. Aux seconds, elle donne l’opportunité de raconter un
vécu, des douleurs et d’obtenir une réparation, souvent plus morale que matérielle. Les aveux et
la réparation permettent la reconnaissance sociale des victimes qui est une forme de réparation938
car elle participe à la restauration de la dignité des victimes. On pourrait critiquer le contexte
dans lequel les aveux sont donnés, au regard de l’immunité des poursuites accordée en échange.
Mais la stigmatisation sociale qui en découle est en elle-même une sanction qui ne facilite pas la
formulation des aveux.
937
Sandrine LEFRANC, « La professionnalisation d'un militantisme réformateur du droit: l'invention de la justice
transitionnelle », Droit et société, 2009/3, n° 73, p.561.
938
Pierre HAZAN, Juger la guerre, juger l'Histoire, puf, 2007, p.52.
306
La question qui se pose au regard de la violence des crimes commis, multipliée par leur effet de
masse, est celle de l’objectif de la réparation aux victimes. On pourrait parler de reconstruction,
voire de guérison des victimes939. Le processus de guérison commence par le témoignage du
crime vécu, l’accès à la vérité et la reconnaissance de culpabilité des auteurs par des aveux ou
des excuses. Mais la guérison ne peut aboutir sans une prise en charge médicale et psychologique
afin d’accompagner les victimes. La guérison des victimes ne veut pour autant pas impliquer le
pardon. Le pardon est un principe aussi difficile à envisager que la véritable réparation des
conséquences des crimes commis. La participation des victimes aux processus de justice
transitionnelle n’aboutit pas forcément au pardon. Le pardon n’est pas une issue garantie du
processus, il demeure une faculté personnelle que chaque victime peut décider d’octroyer comme
une étape de sa guérison940. L’immunité de poursuites accordée aux criminels n’est donc pas une
forme de pardon, elle n’est qu’une étape obligatoire dans la construction de la paix.
De par son nom, la justice transitionnelle va permettre la transition d’une situation de guerre, de
crise, de tension, à un nouveau statuquo. La communication engagée par le processus de justice
939
Idem, p.54.
940
Xavier PHILIPPE, « Les solutions alternatives et complémentaires à la justice pénale internationale: la justice
transitionnelle exercée à travers les commissions Vérité et Réconciliation », in L'actualité de la justice pénale
internationale, Actes du colloque, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2008, p.132.
941
Christian NADEAU, « Responsabilité collective, justice réparatrice et droit pénal international », Revue française
de science politique, 2008/6, volume 58, p.915.
942
Cité par Louis JOINET, « Face aux dilemmes de l'instauration des processus de justice
transitionnelle», Mouvements, n° 53/2008, p.49.
307
transitionnelle a permis dans certains cas à critiquer l’ancien régime en vigueur et à manifester la
volonté d’établir un nouveau système 943. Il est évident que cette transition ne sera pas aboutie
avec la fin du travail de la Commission ou de l’instance chargée du processus transitionnel.
Celles-ci fondent les bases de la réconciliation qui ne se renforcera qu’à travers les générations
futures. Le facteur temps est donc primordial pour la réparation des conséquences du conflit 944.
943
Comme par exemple au Pérou où la Commission de vérité et de réconciliation a permis de faire ressortir les
critiques contre le racisme subi par les communautés indigènes et l’expression de la volonté d’établir une démocratie
plus participative. Plus de détails décrits par Sandrine LEFRANC, « La professionnalisation d'un militantisme
réformateur du droit: l'invention de la justice transitionnelle », Droit et société, 2009/3, n° 73, p.561.
944
Pierre HAZAN fait « l’éloge des processus lents » dans son article « Les dilemmes de la justice
transitionnelle», Mouvements, 2008/1, n° 53, p.41. Xavier PHILIPPE, « La flexibilité des sanctions: une question de
temps? L'exemple de la justice restauratrice », in La flexibilité des sanctions, XXIes Journées juridiques Jean Dabin,
sous la dir. de D. KAMINSKI, Bruylant, 2013
945
Idem.
946
Sandrine LEFRANC, « Pleurer ensemble restaure-t-il le lien social? », in La justice pénale internationale face
aux crimes de masse, sous la dir. de R. NOLLEZ-GOLDBACH et J. SAADA, A. Pedone, 2014, p.199.
308
s’avèrent nécessaires. Elles répondent au besoin d’inscrire la vérité dans l’histoire du pays. Ces
réparations symboliques peuvent prendre plusieurs formes : l’édification de monuments, la
construction de musée à la mémoire du conflit et des victimes, l’instauration d’une journée de
commémoration des crimes, etc.947. Le symbolisme peut avoir des répercussions pratiques dans
la vie des citoyens. Suivant les causes des crimes commis, l’État peut aussi choisir de consacrer
de nouveaux droits, d’effectuer des réformes institutionnelles, pour essayer de garantir la non-
répétition des crimes passés948.
433. C’est cette symbolique que nous retiendrons en conclusion de cette section pour
définir la réparation visée par les juridictions internationales et par la justice transitionnelle. La
réparation se trouve plus dans le processus que dans le résultat des procès internationaux. Elle
s’exprime par la reconnaissance de culpabilité, l’expression de remords de la part des auteurs ou
la solidarité de la communauté internationale. Dans la justice transitionnelle, la réparation réside
dans la démarche, dans le passage de situation conflictuelle à une situation apaisée par l’écriture
de la vérité, de l’histoire.
947
Mamadou Falilou DIOP, Essai de construction de poursuites des auteurs de crimes internationaux à travers les
mécanismes nationaux et régionaux, Institut Universitaire Varenne, Collection des thèses, 2014, p.415.
948
Pierre OSSELAND, « L'approche française de la justice transitionnelle », Recueil Dalloz, 2017, p.2472.
309
Conclusion du chapitre 2
310
Conclusion du Titre 1
435. Ce titre renferme la présentation d’une notion de réparation tellement multiple qu’il
semble difficile d’y déceler des dénominateurs communs. La réparation en droit spécial de
l’urbanisme n’est surement pas comparable à la réparation en réponse aux crimes internationaux.
Néanmoins, la réparation semble acquérir une certaine autonomie dans le droit des mineurs et
certains droits pénaux spéciaux. La réparation existe en tant que mesure indépendante de la peine
d’emprisonnement. Elle possède des objectifs et des caractéristiques spécifiques 949. Lorsqu’elle
n’est pas définie comme une peine, la réparation finit même par avoir une nature propre, plus
proche de son caractère matériel950.
436. En définitive, nous pouvons nous accorder sur le fait que la réparation est une notion
flexible qui s’adapte aux profils des délinquants, à la spécificité du dommage causé et au
caractère des crimes commis. A caractère multiple, la réparation permet d’apporter, dans toutes
les situations, une réponse à l’infraction en cause. L’exposé de la diversité des formes
d’expression de la réparation, de son autonomie et de sa particularité nous permet d’espérer une
plus grande autonomisation de la réparation en droit pénal.
Dans l’attente que la réparation soit considérée comme un objet de la justice pénale, la réparation
est certainement un complément à la justice pénale.
949
Philippe BONFILS, « L'autonomie du droit pénal des mineurs, entre consécration et affaiblissement », AJ Pénal,
2012, p.312. Mathilde HAUTEREAU-BOUTONNET, « Quelle action en responsabilité civile pour la réparation du
préjudice écologique? », Jurisclasseur, Juin 2017, dossier 14.
950
Gabriel ROUJOU DE BOUBEE, « Nature de la démolition et de la mise en conformiteé », RDI, 1990, p.131.
Gabriel ROUJOU DE BOUBEE, « Les mesures de restitution ne sont pas des peines », RDI, 2013, p.87.
311
TITRE 2
LA RÉPARATION, COMPLÉMENT DE LA JUSTICE PÉNALE
437. Si la réparation objet de la justice pénale est un sujet plutôt controversé 951, affirmer
que la réparation est un complément de la justice pénale fait plutôt consensus 952. Complément, la
réparation vient en effet s’ajouter à la justice pénale.
Cela s’illustre d’abord lorsque la réparation est accessoire au droit pénal (Chapitre 1). Dans les
droits français et libanais, la réparation est accessoire car elle complète l’action publique à
travers l’action civile. Il a fallu des années pour séparer ces deux actions et pour que l’action
civile devienne une action en réparation et non plus une « action criminelle privée »953. Le
changement de nom n’a pas forcément changé la réalité des faits, l’action civile est, comme nous
le verrons, encore rattachée à l’esprit de vengeance des victimes. L’action pénale ouvre, en
contrepartie, plusieurs voies pour la prise en charge de la réparation des dommages. En outre, le
droit anglais, par son inclusion de la réparation comme objectif de la peine, nous pousse à
envisager la définition d’une notion de réparation pénale.
438. Ensuite, la réparation peut être un supplément à la justice pénale. Elle vient s’y
greffer non pour la compléter mais pour y apporter un plus. C’est le cas de la justice restaurative,
parfois appelée justice réparatrice (Chapitre 2). Les méthodes de la justice restaurative ne sont
pas récentes. Elles ont longtemps été utilisées par les populations aborigènes comme moyen de
résolution des conflits. L’étude de ces méthodes et leur professionnalisation ont permis
d’institutionnaliser la justice restaurative dans les différents systèmes juridiques 954. L’articulation
de la justice restaurative et de la justice pénale classique révèle des créneaux d’influence
mutuelle.
951
Bertrand PAILLARD, La fonction réparatrice de la répression pénale, L.G.D.J, 2007, [Université Panthéon-
Assas].
952
Robert CARIO, « Justice pénale et justice restaurative: entre complémentarité et autonomie assumées », AJ
Pénal, 2017, p.252.
953
Jean FOYER, « L'action civile devant la juridiction répressive », in Quelques aspects de l'autonomie du droit
pénal, sous la dir. de G. STEFANI, Dalloz, 1956, p. 320.
954
John BRAITHWAITE, Restorative justice and responsive regulation, Oxford university press, 2002. Howard
ZEHR, La justice restaurative, pour sortir des impasses de la logique punitive, Labor et fides, 2012.
312
Chapitre 1 : La réparation, accessoire au droit pénal
440. Dire que la réparation est accessoire à l’action publique, c’est faire référence au lien
entre l’action publique et l’action civile. Suite à la survenance d’une infraction, l’action civile est
accessoire à l’action publique, elle la suit. La condamnation vient avant la réparation car on ne
peut, en principe, obliger une personne à réparer les conséquences d’un acte qui n’a pas été
caractérisé en justice comme étant une infraction. La réparation, accessoire, doit attendre la
condamnation. Entre l’action civile et l’action publique, la réparation constitue un critère de
distinction (I). La réparation est aussi au centre des interactions entre l’action publique et l’action
civile, elle constitue un indice d’espacement de ces deux actions (II).
955
Voir l’avis critique de Bertrand PAILLARD, La fonction réparatrice de la répression pénale, L.G.D.J, 2007,
[Université Panthéon-Assas]. Charlotte DUBOIS, Responsabilité civile et responsabilité pénale. A la recherche
d'une cohérence perdue., L.G.D.J., 2016, [Paris II]. Jean-Christophe SAINT-PAU, « La responsabilité pénale
réparatrice et la responsabilité civile punitive? », Responsabilité civile et assurances, Mai 2013, n° 5, dossier 23.
313
I. La réparation, critère de distinction de l’action civile et l’action publique
441. Distinguer l’action civile de l’action publique lorsque chacune est portée devant son
juge naturel, n’est pas difficile. Cependant, lorsque l’action civile est portée devant le juge pénal,
la distinction est moins aisée car le juge pénal endosse la casquette du juge civil. La réparation
permet alors de différencier les actions civile et pénale en caractérisant l’action civile.
La distinction légale de ces deux actions repose sur la réparation comme objet de l’action civile
(A). Mais la réparation est aussi au cœur de la remise en cause de la distinction entre l’action
civile et l’action publique (B).
442. En droit français, en droit anglais et en droit libanais, la loi distingue clairement
l’action civile et l’action publique. Cette distinction prend son importance lorsque ces deux
actions sont portées devant le même magistrat (1), ce qui entraîne plusieurs conséquences quant
à la réparation (2).
956
L’article de Jean FOYER est à ce sujet très intéressant: Jean FOYER, « L'action civile devant la juridiction
répressive », in Quelques aspects de l'autonomie du droit peénal, sous la dir. de G. STEFANI, Dalloz, 1956, p. 320.
314
privée », différente de l’action civile uniquement exercée à l’époque devant le juge civil.
L’action pénale avait pour objectif de « rechercher l’intérêt des particuliers et en même temps la
punition du crime »957. Cette unicité d’action a pris fin dans le Code des délits et des peines du 3
brumaire an IV qui distingue l’action publique « qui a pour objet de punir les atteintes à l’ordre
social » et l’action civile qui a pour objet « la réparation du dommage que le délit a causé ». Le
Code d’instruction criminelle de 1808 a gardé ce même principe qui perdure de nos jours. La
distinction des deux actions n’est cependant pas radicale puisque la victime conserve le droit de
déclencher l’action pénale. La survivance de ce droit conduit jusqu’à présent à maintes critiques,
incohérences et remises en question qui apparaîtront dans nos développements.
Le droit libanais n’a pas connu cette même phase de transition car le premier Code de procédure
pénale libanais, promulgué en 1948, est fortement inspiré du Code d’instruction criminelle
français de 1808958. Ce Code a introduit la possibilité d’une action civile accessoire à l’action
publique, tout en préservant le pouvoir de poursuivre dans les mains du ministère public. Avant
sa promulgation, le Liban était sous domination ottomane et les magistrats appliquaient les
principes du Code de procédure pénale ottoman, en partie similaire au système inquisitoire. Un
nouveau code de procédure pénale fut promulgué au Liban en 2001, et reste appliqué jusqu’à
présent.
957
F. JOUSSE, Traité de la justice criminelle de la France, 1771, t. I, p.563, cité dans: Jean FOYER, « L'action
civile devant la juridiction répressive », in Quelques aspects de l'autonomie du droit pénal, sous la dir. de G.
STEFANI, Dalloz, 1956, p. 320.
958
Doreid BECHERAOUI, « La place de la victime dans le procès pénal en droit libanais », Revue internationale de
droit comparé, 2007, n° 4, p.891.
315
d’infractions pénales. L’action publique a un objectif d’intérêt général et vise à répondre au
trouble à l’ordre social causé par l’infraction. L’action civile répond à l’intérêt privé des victimes
de l’infraction959. La clarté de la distinction cache cependant des contradictions qui remettent en
question la distinction des actions civiles et pénales960.
445. Là où l’action civile et l’action publique font toujours une. En droit anglais, la
victime ou même toute personne étrangère au dommage, peut déclencher les poursuites
pénales961. Cependant, cette faculté ne lui accorde pas le droit de prendre la direction des
poursuites qui restent sous l’emprise du Crown Prosecution Service. La victime n’est donc pas
partie au procès pénal et n’est pas partie civile devant le juge pénal. Cette caractéristique du
système accusatoire oblige la victime à porter ses prétentions devant le juge civil. Les actions
civile et pénale sont donc séparées, la première n’est pas l’accessoire de l’autre. Le principe du
criminel qui tient le civil en l’état ne s’applique pas en la matière 962. Cette séparation n’empêche
pas le magistrat anglais d’accorder une réparation des dommages causés par l’infraction. Afin
d’apporter une réponse globale à l’infraction commise, le magistrat peut délivrer des
« compensation orders » afin de permettre la réparation du dommage 963. Il apprécie la réparation
compte tenu des ressources du prévenu et non de l’importance du dommage et des préjudices, ce
qui peut paraître surprenant pour un juriste français au regard du principe de la réparation
intégrale, mais reste cohérent si on considère que le juge pénal est le juge de l’infraction et du
délinquant et non le juge des victimes. Ceci peut être nuancé car si le magistrat souhaite imposer
une amende et un « compensation order » et que le coupable n’a pas les moyens de s’acquitter
des deux, la priorité sera donnée au second. La réparation passera ainsi avant la punition devant
le juge pénal anglais.
959
Bernard BOULOC, Précis, Procédure pénale, 24e éd., Dalloz, p.153.
960
Pourtant, à en croire la thèse de J.C. Schmidt (Faute civile et faute pénale, Paris, 1928), les actions civiles et
pénales seraient parfaitement complémentaires : « tout semblerait être donc pour le mieux dans le meilleur des
mondes ; le droit civil et le droit pénal, chacun dans son domaine, seraient tout les deux prêts à intervenir lorsque se
produit un accident : l’un répare, l’autre réprime : la faut pénale entraîne une punition, la faute civile une
réparation ».
961
C’est le système de la “private prosecution”. Voir : Encyclopédie Dalloz, Action civile.
962
Sous la direction de Géraldine GADBIN-GEORGE, Glossaire de droit anglais, Dalloz, 2014.
963
Powers of Criminal Courts Sentencing Act , 2000, section 130: “A court by or before which a person is convicted
of an offence, instead of or inaddition to dealing with him in any other way, may, on application or otherwise, make
an order (in this Act referred to as “compensation order”) requiring him to pay compensation for any personal
injury, loss or damage resulting from that offence or any other offence which is taken into consideration by the court
in determining sentence; or to make a payment for funeral expenses […]”
316
2. Les conséquences de la distinction de l’action civile et l’action publique
447. Une réparation accessoire. L’action civile et l’action publique étant deux actions
séparées, le législateur français accorde un droit d’option aux victimes d’infraction. Elles
peuvent exercer l’action civile en même temps que l’action publique devant le juge pénal, ou
l’exercer devant une juridiction civile, séparément de l’action publique 966. La loi de
programmation 2018-2022 et de reforme pour la justice du 23 mars 2019 a même introduit une
nouvelle option : la possibilité pour la victime de se désister de l’action civile afin de se
constituer partie civile967.
Un droit d’option existe aussi en droit libanais, comme dispose l’article 6 du Code de procédure
pénale : « l’action en constitution de partie civile peut être intentée consécutivement à l’action
publique par devant la juridiction saisie de celle-ci ; de même qu’il est possible de l’intenter
964
Art. 2 et 3 C. pr. pén. français.
965
Bernard BOULOC, Précis, Procédure pénale, 24e éd., Dalloz, p.275 et s.
966
Art. 3 et 4 C. pr. pén. français. Art. 8 C. pr. pén. libanais.
967
Art. 85 C.pr.pén.
317
indépendamment, par devant les juridictions civiles ». Ce droit d’option, sorte de reliquat de
l’époque où l’action pénale recherchait la réparation du dommage, entraîne des conséquences
quant à la coordination des deux actions. Lorsque l’action civile est exercée devant une
juridiction pénale, il est question du caractère accessoire de cette action par rapport à l’action
publique968. Le terme accessoire signifie que la réparation vient postérieurement au jugement sur
la responsabilité pénale. La réparation au pénal dépend ainsi, en principe, de la déclaration de
responsabilité969. De même, lorsque l’action civile est portée devant une juridiction civile après
la mise en mouvement de l’action publique, le principe d’accessoire demeure : le criminel tient le
civil en l’état970. Ce principe qui obligeait le juge civil à sursoir à statuer a, depuis la loi du 5
mars 2007, une portée limitée à la seule réparation. En effet, l’article 4 du Code de procédure
pénale dispose qu’il est sursis au jugement de l’action civile en réparation du dommage
directement causé par l’infraction mais que la mise en mouvement de l’action publique n’impose
pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile 971. Dès lors,
on peut se permettre d’affirmer, quoique timidement, que c’est la réparation qui est accessoire à
l’action publique et non l’action civile dans sa globalité. Distinguer ainsi la réparation et l’action
civile peut paraître risqué, mais cette idée se confirme au regard de la remise en cause de la
distinction de l’action civile et l’action publique.
448. En droit français, la distinction de l’action civile et de l’action publique sur la base
de leurs finalités respectives, la réparation et la punition, n’est plus aussi tranchée depuis que
l’action publique s’est ouverte aux revendications des victimes972. L’action publique est depuis
968
Doreid BECHERAOUI, « La place de la victime dans le procès pénal en droit libanais », Revue internationale de
droit comparé, 2007, n° 4, p.891.
969
Il existe aujourd’hui une exception à ce principe, voir infra n°462.
970
Pour plus de développements sur ce principe: Bernard BOULOC, Précis, Procédure pénale, 24e éd., Dalloz,
p.321 et s.
971
On distingue désormais entre les actions civiles et les actions à fin civiles. Depuis cette réforme législative, la
jurisprudence abonde, voir par exemple : Cass. 1ère civ. 20 septembre 2017, n°16-19.643, Procédures n°11,
Novembre 2017, comm. 260.
972
Pour une approche critique : Patricia HENNION-JACQUET, « L'indemnisation du dommage causé par une
infraction : une forme atypique de réparation ? Dommages et intérêts, classement sous condition de réparation,
sanction-réparation », RSC, 2013, p.517. Eric MATHIAS, « Action pénale privée: cent ans de sollicitude. A propos
318
détournée de son objectif initial (1). L’introduction de la réparation dans le procès pénal change
la dynamique du procès. L’action civile portée devant le juge pénal finit par devenir une fausse
action en réparation (2).
449. Le pouvoir d’action de la victime. La victime, partie civile au procès pénal, peut
s’y joindre par voie d’intervention, lorsque le ministère public a déjà exercé l’action publique, et
par voie d’action, en cas d’inertie du parquet. Depuis le célèbre arrêt Laurent-Atthalin du 8
décembre 1906, toute personne qui se prétend victime d’une infraction pénale peut déclencher
l’action publique, nonobstant l’inertie voire l’opposition du parquet, en déposant auprès du juge
d’instruction une plainte avec constitution de partie civile 973. Ce pouvoir accordé aux victimes
est aussi consacré en droit libanais : l’article 7 al.2 du Code de procédure pénale dispose que la
victime, en se constituant partie civile, met en mouvement l’action publique si le ministère public
ne l’a pas fait. Cette jurisprudence qui n’a pas été remise en cause pendant plus de cent ans est
toujours perçue par certains comme une victoire légitime pour les victimes 974.
de la loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale », Procédures, 2007, étude 6. Jocelyne
LEBLOIS-HAPPE, « Continuité et discontinuité dans les nouvelles réformes de la procédure pénale », JCP, 5
septembre 2007, n° 36.
973
Cass. crim, 8 décembre 1906, Laurent-Atthalin: D. 1907, I, p.207. Jean PRADEL et André VARINARD, Les
grands arrêts du droit pénal général, 5e éd., Dalloz, 2005, n°7.
974
Jean PRADEL, « Les suites législatives de l'affaire dite d'Outreau. A propos de la loi n°2007-291 du 5 mars
2007», JCP, 14 avril 2007, doct.138.
975
Xavier PIN, « La privatisation du procès pénal », Revue de sciences criminelles, 2002, p.245. Yvonne
LAMBERT-FAIVRE, « L'éthique de la responsabilité », RTD civ., 1998, p.1.
976
Charlotte DUBOIS, Responsabilité civile et responsabilité pénale. A la recherche d'une cohérence perdue,
L.G.D.J., 2016, [Thèse, Paris II].
319
qualifier leur démarche d’« action pénale privée »977. En France, il a fallu près d’un siècle et le
drame de l’affaire d’Outreau pour mettre un terme aux effets néfastes de la constitution de partie
civile. En effet, le pouvoir d’action accordée aux victimes engendrait des constitutions abusives
ou dilatoires de partie civile 978. La loi du 5 mars 2007 a ainsi modifié l’article 85 du Code de
procédure pénale français pour limiter le pouvoir accordé aux victimes et les obliger à passer par
le parquet avant de saisir le juge d’instruction. En matière de délits, ces dernières ne pourront
déposer plainte avec constitution de partie civile qu’à condition qu’elles justifient soit que le
procureur de la République leur a fait connaître qu’il n’engagera pas lui-même des poursuites,
soit qu’un délai de trois mois s’est écoulé depuis qu’elles ont déposé plainte devant ce
magistrat979. Les conséquences de cette réforme législative sur le plan du pouvoir d’action des
victimes seront fortement réduite par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la
justice en date du 23 mars 2019 qui, par dérogation à l’article 5 du Code de procédure pénale,
permet à la victime qui a exercé son action devant une juridiction civile de se constituer partie
civile devant le juge d’instruction après s’être désistée de l’instance civile 980.
450. La répression à tout prix. Malgré les limites posées par la loi pour empêcher les
dérives, la faculté accordée aux victimes de déclencher les poursuites pénales au même titre que
le procureur de la République a des conséquences non négligeables. Cette faculté remet d’abord
en cause le pouvoir d’apprécier l’opportunité des poursuites dont jouit le procureur de la
République. Une décision de classement sans suite n’empêchera pas la victime de déposer
plainte avec constitution de partie civile, ce qui peut être préjudiciable pour la célérité de la
justice981. Ensuite, en ce qui intéresse cette recherche, il est surprenant que le recours du
procureur de la République à des mesures alternatives réparatrices n’empêche pas la victime de
977
Eric MATHIAS, « Action pénale privée: cent ans de sollicitude. A propos de la loi du 5 mars 2007 tendant à
renforcer l'équilibre de la procédure pénale », Procédures, 2007, étude 6.
978
Jean PRADEL, « Les suites législatives de l'affaire dite d'Outreau. A propos de la loi n°2007-291 du 5 mars
2007», JCP, 14 avril 2007, doct.138.
979
Ce délai ne pouvait pas être imposé en matière criminelle, au regard de l’importance du préjudice subi par la
victime. Dans ce cas, la victime peut directement déposer une plainte avec constitution de partie civile.
980
Art. 85 C. pr. pén.
981
En 2006, lors des travaux préparatoires relatifs au projet de loi tendant à renforcer l’équilibre de la procédure
pénale, il était fait allusion qu’en 2005, près de 80% des informations ouvertes sur plainte avec constitution de partie
civile s’achèvent par une ordonnance de non-lieu. Ces informations constituaient le quart du total des ouvertures
d’informations, ce qui constitue un poids non négligeable dans la charge de travail des magistrats. A ce sujet : Guy
GEOFFROY, Rapport A.N. n°3505, en ligne : <www.assemblee-nationale.fr>.
320
déposer une plainte avec constitution de partie civile. En effet, l’article 85 du Code de procédure
pénale permet à la victime de déclencher l’action publique en cas de classement sans suite par le
procureur, en cas d’inaction de ce dernier pendant un délai de six mois ou en cas d’absence de
volonté d’engager des poursuites. La loi du 23 mars 2019 vient accentuer ce droit en modifiant
l’article 85 pour permettre à la victime de se désister de l’instance civile dans les délais prévus
afin de porter son action devant le juge pénal. Or lorsque le procureur décide de ne pas engager
de poursuites mais d’avoir recours à des mesures alternatives réparatrices, il ne laisse pas
l’infraction sans suite. L’action consécutive de la victime vient ainsi mettre un frein à
l’engagement du procureur en faveur d’une alternative réparatrice. La démarche de la victime a
sans aucun doute un caractère vindicatif, nous ne nous engagerons pas dans la distinction faite
par FAUSTIN-HELIE selon qui la victime « appelle le châtiment, elle ne le requiert pas »982. La
victime exprime ainsi sa volonté de ne pas se limiter à la réparation dont elle aurait pu bénéficier
grâce à la mesure alternative. Pourtant, le rapport de la mission Magendie préconisait que la
constitution de partie civile par voie d’action ne puisse être possible qu’en cas de classement
sans suite983. Il est regrettable que cette recommandation n’ait pas été entendue par le législateur.
Cette constatation ne fait que conforter le point de vue selon lequel l’action civile est une fausse
action en réparation.
982
M. FAUSTIN-HELIE, Traité de l'instruction criminelle, 1865, t. II, p.180.
983
Sur lequel se sont basés les travaux préparatoires à la loi du 5 mars 2007, Jean-Claude MAGENDIE, Célérité et
qualité de la justice, la gestion du temps dans le procès, ministère de la Justice, 2004, en ligne :
<www.presse.justice.gouv.fr>.
984
Fernand BOULAN, « Le double visage de l'action civile exercée devant la juridiction répressive », JCP, 1973,
n° I, doct.2563.
321
plaidant pour une réparation pécuniaire »985. L’arrêt Laurent-Atthalin a ouvert la voie en
permettant aux victimes de déclencher les poursuites par voie d’action devant le juge
d’instruction986. Ce dépôt de plainte, sous couvert de prétentions civiles, met en mouvement
l’action publique. Depuis, en droit français, plusieurs éléments permettent d’affirmer que l’action
civile est indifférente à la réparation. En premier lieu, la victime peut se constituer partie civile
sans user de son droit de demander réparation. C’est la jurisprudence de la chambre criminelle de
la Cour de cassation qui a dissocié le droit de se constituer partie civile du droit de demander
réparation. L’arrêt Charrat ouvre la voie en admettant que la constitution de partie civile ne
préjuge en rien de l’existence du droit à réparation qui sera soumis à la juridiction de
jugement987. L’arrêt Boyoud entérinera, par une interprétation prétorienne, la distinction de la
recevabilité de l’action civile et du droit à réparation et précisera en ce qui concerne l’article 418
du Code de procédure pénale « qu’après avoir reconnu dans son premier alinéa à toute personne
qui, conformément à l’article 2 du même Code, prétend avoir été lésé par un délit, le droit de se
constituer partie civile devant la juridiction de jugement, ledit article, dans son alinéa 3, accorde
à la partie civile ainsi constituée, la faculté, distincte de ce droit et dont elle est libre de ne pas
user, de demander réparation de son préjudice »988. Depuis, il est admis que « l’intervention
d’une partie civile peut n’être motivée que par le souci de corroborer l’action publique et
d’obtenir que soit établie la culpabilité du prévenu »989. Cette jurisprudence conduit certains à
distinguer une action civile à fins patrimoniales, tendant à la réparation du dommage causé, de
l’action civile à fins extrapatrimoniales qui a pour but de corroborer l’action publique990. La
demande de réparation vient alors changer la nature de l’action civile.
985
M. FAUSTIN-HELIE, Traité de l'instruction criminelle, 1863, t. I, p.552.
986
Ch. Criminelle, 8 décembre 1906, Placet, dit Laurent-Atthallin. Depuis, le procureur n’a plus le pouvoir
discrétionnaire de mise en œuvre des poursuites.
987
Cass. Crim. 16 mars 1964, J.C.P. 1964. II. 13744, note A.P.; RTD civ. 1964 p.748, obs. R. Rodière selon qui :
« l’action civile intentée devant les juridictions répressives n’est pas une action en réparation civile et l’on a pu
montrer que les victimes avaient gagné au mouvement récent, au terme duquel cette action civile présente d’abord
un caractère pénal ».
988
Cass. Crim. 15 octobre 1970, D. 1970, 733, note Costa; RTD civ. 1971 p.190, obs. Hébraud. Voir aussi : Claire
ROCA, De la dissociation entre la réparation et la répression dans l'action civile exercée devant les juridictions
répressives, Dalloz, 1991, p.85. Roger MERLE, « La distinction entre le droit de se constituer partie civile et le droit
d'obtenir réparation du dommage causé par l'infraction (consolidation, mise au point, ou fluctuations?) », in Droit
pénal contemporain, Mélanges en l'honneur d'André Vitu, Editions Cujas, 1997, p.399.
989
Cass. Crim. 8 juin 1971, D. 1971, note Maury. Cass. Crim. 17 janvier 1991, Dr. pénal 1991, Comm. 122, obs.
Maron.
990
Bernard BOULOC, Précis, Procédure pénale, 24e éd., Dalloz, p.221.
322
En second lieu, l’action civile de la victime est acceptée par la juridiction même si cette dernière
est incompétente pour statuer sur la réparation. C’est le cas notamment en matière de transport
aérien, de transport maritime, de transports routiers internationaux de marchandises, d’accidents
d’origine nucléaire, d’accidents du travail, de faute d’un fonctionnaire non détachable de son
service, d’entreprises en difficulté et de liquidation judiciaire991. La victime peut aussi se
constituer partie civile même si son dommage a déjà été réparé, par son assureur ou par
transaction992. N’ayant plus d’intérêt civil à la poursuite pénale, la victime aurait toujours un
intérêt moral993. L’action civile semble donc bien indifférente, au stade de sa constitution, à la
notion de réparation.
452. Des associations parties civiles. Le caractère répressif de l’action civile se retrouve
aussi dans l’action civile des associations. Les articles 2.1 et suivants du Code de procédure
pénale accordent à certaines catégories d’associations spécifiquement mentionnées la possibilité
« d’exercer les droits reconnus à la partie civile ». Une partie de ces articles fondent la réparation
sur le préjudice causé à la mission de l’association alors que d’autres ne font pas mention de ce
préjudice. Dans cette hypothèse, la jurisprudence accepte la constitution de partie civile
d’associations même si elles n’allèguent pas avoir subi de préjudice 994. Comme leur constitution
de partie civile déclenche l’action publique, leur rôle s’apparente largement à celui du ministère
public. Leur action a donc une visée répressive indéniable 995.
En ce qui concerne les fédérations sportives, la Cour de cassation admet qu’elles se constituent
partie civile lorsque l’infraction en cause est de nature à porter atteinte à la régularité des
compétitions qu’elles organisent ainsi qu’au respect des règles techniques et déontologiques de
leurs disciplines996. Cette jurisprudence a été consacrée par la loi n°2000-627 du 6 juillet 2000
qui accorde aux fédérations sportives agréées le droit de se constituer partie civile pour des
991
Pour plus de détails sur chaque situation: Encyclopédie Dalloz, Action civile.
992
Assureur : Cass. Crim. 28 mai 1998, n°97-80.970, Bull. crim. n°176. Transaction : Cass. Crim. 29 avril 1996,
n°95-85.038, Bull. crim. n°166.
993
Roger MERLE, « La distinction entre le droit de se constituer partie civile et le droit d'obtenir réparation du
dommage causé par l'infraction (consolidation, mise au point, ou fluctuations?) », in Droit pénal contemporain,
Mélanges en l'honneur d'André Vitu, Editions Cujas, 1997, p.399.
994
Cass. Crim. 1 décembre 1981, Bull. crim. n°317.
995
Claire ROCA, De la dissociation entre la réparation et la répression dans l'action civile exercée devant les
juridictions répressives, Dalloz, 1991, p.85. Xavier PIN, « La privatisation du procès pénal », Revue de sciences
criminelles, 2002, p.245.
996
Cass. Crim. 4 février 1997, Bull.crim. n°45.
323
atteintes directes ou indirectes à l’intérêt collectif de leurs licenciés et de leurs associations
respectives. Cette faculté accordée aux fédérations est cependant limitée en matière de dopage.
Le Conseil constitutionnel a en effet considéré qu’il était contraire aux droits de la défense
qu’une autorité investie d’un pouvoir de sanction puisse, à l’égard de la même personne et pour
les mêmes faits, se constituer partie civile car leur intérêt n’est pas distinct de l’intérêt général997.
Les fédérations ne peuvent donc se constituer partie civile en cas de dopage parce qu’elles ne
peuvent prétendre à un droit à réparation.
454. Au regard des arguments exposés ci-dessus, l’action civile n’est donc pas
nécessairement une action en réparation. M. van de KERCHOVE parle d’un « intérêt privé à la
répression » et d’un « intérêt public à la réparation »999. Définir l’action civile comme une action
en réparation du dommage c’est se rattacher inutilement aux principes qui ont permis de la
distinguer initialement de l’action publique, principes qui souffrent aujourd’hui d’un grand
997
Cons. const. n°89-260, 28 juillet 1989.
998
J. GARNIER, J.C.P. 1957, p.1386.
999
Michel VAN DE KERCHOVE, « L'intérêt à la répression et l'intérêt à la réparation dans le procès pénal », in
Droit et intérêt, sous la dir. de P. GERARD, F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Publications des facultés
universitaires Saint-Louis, 2002, p.83.
324
nombre d’exceptions. La doctrine hostile à l’intrusion des victimes au sein de l’action pénale et
qui dénonce un dévoiement de l’action civile reste attachée dans sa réflexion à l’image d’une
action civile réparatrice1000. Se délaisser de cette nature, aujourd’hui factice, de l’action civile
permettrait de l’envisager sous un autre angle. L’action civile serait simplement l’action par
laquelle la victime de l’infraction déclenche l’action publique ou se joint à cette dernière pour
devenir partie au procès pénal. La victime peut joindre à cette action une demande en réparation.
455. Outre le fait de distinguer l’action publique de l’action civile, la réparation joue le
rôle d’indice de rapprochement entre ces deux actions. Elle permet de déterminer le degré de
rapprochement ou inversement le degré d’éloignement entre l’action civile et l’action publique.
D’une part, la réparation établit une connexion entre l’action civile et l’action pénale (A).
D’autre part, elle marque la scission entre la responsabilité civile et la responsabilité pénale (B).
456. En droit anglais, l’action civile est toujours portée devant le juge civil, donc la
question du rapprochement de l’action publique et l’action civile ne se pose pas. En droit
français, la réparation établit un lien entre l’action publique et l’action civile lorsque cette
dernière est portée devant les juridictions civiles. Elle relie ces deux actions et crée une certaine
dépendance entre les jugements des juridictions civiles et pénales. Ce lien s’explique d’une part,
par le fait que l’action civile en réparation vise un dommage causé par une infraction pénale (1)
et d’autre part, par le principe de l’autorité au civil de la chose jugée au pénal (2).
1000
Eric MATHIAS, « Action pénale privée: cent ans de sollicitude. A propos de la loi du 5 mars 2007 tendant à
renforcer l'équilibre de la procédure pénale », Procédures, 2007, étude 6.
325
1. La réparation du dommage causé par une infraction pénale
1001
Michel ROGER, « La réforme du délai de prescription de l'action civile », Dalloz 1981, chron. 175.
1002
Loi n°2008-561, articles 2224 et 2226 C.civ. Bénédicte FAUVARQUE-COSSON et Jérôme FRANÇOIS,
«Commentaire de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile », Dalloz, 2008 .2512.
1003
Loi n°2017-242 du 27 février 2017.
326
plus que pour l’action personnelle en réparation portée devant une juridiction civile 1004. Notons
aussi que pour certaines infractions, la prescription est allongée, comme en matière de violences
sexuelles sur mineur. La prescription a été portée à 30 ans à compter de la majorité des victimes,
afin de leur donner le temps de trouver le courage de dénoncer les actes qu’elles ont subis1005.
La prescription pénale renforce ainsi le lien entre l’action publique et l’action civile et encourage
les victimes à porter leurs revendications devant le juge pénal. Le doublement des délais de
prescription allonge les délais de constitution de partie civile et rattache un peu plus la réparation
au juge pénal. On hésite à dire si la réparation sort gagnante de ces réformes.
En droit libanais, l’article 10 alinéa 8 du Code de procédure pénale dispose que l’action civile se
prescrit selon les règles du droit civil, soit un délai de droit commun de dix ans et des délais
d’exception pour des catégories particulières d’infraction 1006. La prescription de l’action
publique a pour délai dix ans en matière criminelle, six ans en matière délictuelle et un an en
matière contraventionnelle. Porter l’action civile en réparation en matière délictuelle devant le
juge civil est donc plus favorable à la victime.
1004
Pourtant, la mission d’information de la commission des lois du Sénat sur le régime des prescriptions civiles et
pénales avait recommandé d’allonger la prescription en matière délictuelle à cinq ans (recommandation n°4).
Consulter à cet effet : HYEST, PORTELLI et YOUNG, Pour un droit de la prescription moderne et cohérent,
Rapport d'information n°338, 2007, en ligne : <www.senat.fr>. Jean-Jacques HYEST, « Le régime des prescriptions
civiles et pénales », Dalloz 2007 .1944.
1005
Art. 1er de la loi du 3 août 2018 modifiant l’art. 7 C.pr.pén.
1006
Art. 344 à 361 du Code des obligations et des contrats.
1007
David DECHENAUD, « Les concours de responsabilité civile et de responsabilité pénale », Responsabilité
civile et assurances, Février 2012, n° 2, dossier 5.
327
civil. Le juge pénal peut avoir choisi, afin de personnaliser la peine, des modalités de réparation
qui ne prennent pas en compte la totalité des préjudices. La victime pourra ainsi recevoir une
réparation complémentaire devant une juridiction civile. Le cumul des réparations est aussi
difficile par l’application du principe « le criminel tient le civil en l’état ». La juridiction civile ne
pourra prononcer de réparation avant le jugement pénal qui peut désormais prendre la main en
matière de réparation et devancer le juge civil sur son propre domaine de compétence.
Cependant, certaines prérogatives du juge civil ne sont pas soumises au principe « le criminel
tient le civil en l’état ». L’article 5-1 du Code de procédure pénale dispose que si le demandeur
s’est constitué partie civile devant la juridiction répressive, la juridiction civile, saisie en référé,
demeure compétente pour ordonner toutes mesures provisoires relatives aux faits qui sont l’objet
des poursuites, lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable 1008. La
victime peut ainsi obtenir la restitution d’un objet ou le versement de provisions sur
l’indemnisation de ses préjudices avant toute condamnation pénale. Ceci devrait être pris en
compte par le juge pénal lors de son évaluation de la réparation en réponse à la constitution de
partie civile.
1008
Sur l’interprétation de l’obligation sérieusement contestable: Cass. 2e civ. 28 sept. 2000, pourvoi c/ CA
Montpellier, Droit pénal n° 12, Décembre 2000, comm. 141.
1009
Bernard BOULOC, Précis, Procédure pénale, 24e éd., Dalloz, p.329.
328
culpabilité de celui à qui le fait est imputé »1010. Le juge civil ne peut donc entrer en
contradiction avec le jugement pénal. Le caractère nécessaire et le caractère certain de la
décision du juge criminel sont les critères qui permettent au juge civil de déterminer s’il doit
subir ou non l’autorité de la chose jugée au pénal. De plus, les faits constitutifs de l’infraction, la
qualification et la culpabilité du condamné, qui ont fondé le jugement pénal, ne peuvent être
remis en cause par le juge civil. En ce qui concerne la réparation, le juge civil tire les
conséquences de la condamnation pénale pour attribuer des dommages-intérêts aux victimes. La
réparation suit la condamnation. De même, une mesure de réparation ordonnée au pénal ne peut
aussi être remise en cause par le juge civil. Cependant, lorsque les caractères nécessaire et certain
de la décision font défaut, l’autorité de la chose jugée au pénal se retrouve affaiblie 1011.
L’absence du caractère nécessaire de certains éléments du jugement pénal les prive aussi de
l’autorité au civil. C’est le cas de toutes les constatations surabondantes que le juge répressif
n’est pas obligé de faire pour justifier sa décision. Le juge pénal étant le juge de la sanction, les
éléments nécessaires à son jugement sont ceux reliés à la constitution de l’infraction. Ainsi, la
détermination de la victime, l’existence et l’étendue du préjudice ne sont pas considérées comme
1010
Civ. 23 mars 1953, D. 1953. 363, JCP 1953. II. 7637, note Savatier.
1011
Certains vont même jusqu’à demander la fin du principe: Véronique TELLIER, « En finir avec la primauté du
criminel sur le civil! », RSC, 2009, p.797.
1012
« Composition pénale: pas d'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil - Cour de cassation, soc. 13 janvier
2009 », D. 2009 .709.
329
nécessaires1013. Le juge civil reste donc libre d’évaluer le préjudice. Les modalités de la
réparation ne subissent pas l’autorité de la chose jugée du criminel, seul le principe et le moment
de la réparation dépendent de la survenance d’une condamnation pénale. Cette affirmation
souffre pourtant d’exceptions sur le plan des responsabilités civile et pénale.
1013
Bernard BOULOC, Précis, Procédure pénale, 24e éd., Dalloz, p.1127. Raphaële PARIZOT, « Principe de
l'autorité, au civil, de la chose jugée au pénal: à certaines conditions », RSC, 2018, p.125.
1014
Bernard BOULOC, Droit pénal général, 25e éd., Dalloz, 2017, p.348.
330
celui d’exemption de peine. La réparation ne fait donc pas suite à la peine dans ce cas, elle lui est
indépendante, malgré le fait qu’elle soit prononcée par le juge pénal. En matière délictuelle,
l’article 470-1 du Code de procédure pénale dispose que le tribunal saisi, à l’initiative du
ministère public ou sur renvoi d’une juridiction d’instruction, de poursuites exercées pour une
infraction non intentionnelle, et qui prononce une relaxe, demeure compétent pour accorder, à la
demande de la partie civile, et en application des règles du droit civil, réparation des dommages
résultants des faits qui ont fondé la poursuite. Ce texte reste limité aux infractions non
intentionnelles et aux cas où le tribunal est saisi à l’initiative du ministère public ou sur renvoi
d’une juridiction d’instruction. Il marque cependant le renforcement d’un droit à réparation des
victimes devant le juge pénal et une scission entre l’infraction et la réparation, cette-dernière
étant reliée dans ce cas à la faute civile1015.
1015
Laurent SAENKO, « L'infraction, la faute et le droit à réparation », D. 2014, p.807.
1016
Idem.
1017
Sur l’explication des faits objets de la poursuite: Hélène DANTRAS-BLOY, « L'interprétation stricte de
l'infraction et le droit à réparation des victimes », D. 2014 .1188. AJ Pénal, « Les derniers rebondissements d'une
faute civile appréciée par un juge répressif - Cour de cassation, crim. 17 février 2016 », 2016, .436.
331
prix une réparation aux victimes le pousse à emprunter les principes du droit civil, au lieu de se
créer ses propres moyens. Ceci peut créer la confusion entre l’action civile en réparation et
l’action en réparation de l’article 1240 du Code civil et la confusion entre le rôle du juge pénal et
celui du juge civil. Cette volonté manifeste d’appropriation du droit à réparation par le juge pénal
conduit ici à oublier le fondement du droit pénal : l’infraction. Or, même pour les défenseurs de
l’intégration de la réparation comme objectif du droit pénal, celle-ci devrait se construire sur la
base de fondements propres, étrangers à toute confusion avec le droit civil.
La décision de la Cour de cassation mentionnée ci-dessus est dans la lignée d’un mouvement
plus large de référence à la faute qui prit son ampleur avec la consécration de la dualité des
fautes civiles et pénales.
464. Une dualité des fautes au service de la réparation. Le principe d’identité des
fautes civiles et pénales avait été consacré par l’arrêt Brochet et Deschamps le 12 décembre
1912. En l’absence d’une faute pénale, une faute civile ne pouvait être caractérisée sous peine de
contradiction avec le jugement pénal et de mise en danger de la présomption d’innocence. Cet
état de fait obligeait ainsi les magistrats à rechercher « des poussières de fautes » afin de pouvoir
indemniser les victimes1018. Or depuis la loi du 10 juillet 20001019, la dualité des fautes civiles et
pénales fut consacrée à l’article 4-1 du Code de procédure pénale qui marque une rupture avec le
principe d’identité des fautes. L’exercice d’une action devant les juridictions civiles en l’absence
de faute pénale non intentionnelle est ainsi possible afin d’obtenir la réparation d’un dommage
sur le fondement de l’article 1241 du Code civil si l’existence de la faute civile prévue par cet
article est établie ou en application de l’article L.452-1 du Code de la sécurité sociale si
l’existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie. Cette distinction déconnecte
la condamnation de la réparation, cette dernière devenant possible sur la base d’une faute civile.
1018
Patrice JOURDAIN, « Autorité au civil de la chose jugée au pénal et principe d'unité des fautes: la rupture est
consommée entre faute civile et faute pénale, mais l'est-elle totalement? », D. 2001, .2232. Yvonne LAMBERT-
FAIVRE, « L'éthique de la responsabilité », RTD civ., 1998, p.1.
1019
Loi du 10 juillet 2000 n°2000-647, D. 2000, Lég. p.325. Christine DESNOYER, « L'article 4-1 du code de
procédure pénale, la loi du 10 juillet 2000 et les ambitions du législateur: l'esprit contrarié par la lettre », Recueil
Dalloz, 2002, p.979.
332
Cependant, l’abandon du principe d’unicité des fautes n’est que partiel puisque seule la faute
pénale non intentionnelle est distinguée de la faute civile. Cette dualité joue en faveur de la
réparation car en dehors des cas de relaxe, la condamnation pénale impliquera nécessairement
une réparation, que ce soit devant le juge pénal – à travers l’action civile – ou devant le juge
civil, par l’autorité au civil de la chose jugée au criminel. L’article 4-1 du Code de procédure
pénale évince ainsi en quelque sorte l’autorité du criminel sur le civil en permettant au juge civil
d’accorder réparation pour des faits n’ayant pas été condamnés au pénal 1020. De plus, la dualité
des fautes permet une interprétation plus large de l’article 470-1 du même code dont la mise en
œuvre n’est plus limitée aux hypothèses de responsabilité sans faute 1021.
465. Les hypothèses de réparation par le juge pénal en application des règles du droit
civil et les hypothèses de réparation par le juge civil suite à une relaxe au pénal étirent le lien
entre la responsabilité civile et la responsabilité pénale au point de le rompre. Les grands
principes du droit pénal sont affaiblis par les exceptions adoptées par le législateur français afin
d’accorder réparation aux victimes dans toute situation. Cette recherche constante de la
réparation ne doit pas passer outre une réflexion profonde sur le sens de cette réparation et sa
place dans le droit pénal. Un changement de fond éviterait des modifications particulières par à-
coup qui ne font qu’affaiblir la cohérence du droit pénal. Une réflexion sur le sens de la
réparation comme accessoire de la peine paraît donc indispensable.
466. S’il est acquis en droit pénal français que la réparation est accessoire à l’action
publique, il est moins évident d’avancer que la réparation est un accessoire de la peine. Un
accessoire de la peine et non un accessoire à la peine, car la question que l’on se pose ici, est
celle de savoir si la réparation peut être un outil de sanction. La réparation, accessoire, viendrait
compléter ce qui est principal, la peine. De ce fait, la réparation aurait aussi un caractère pénal et
1020
Philippe BONFILS, « Consécration de la dualité des fautes civile et pénale non intentionnelles », D. 2004, .721.
André GIUDICELLI, « Principe de l'autorité de la chose jugée du pénal sur le civil », RSC, 2003, p.125.
1021
Philippe BONFILS, « Consécration de la dualité des fautes civile et pénale non intentionnelles », D. 2004, .721.
333
non plus uniquement un caractère civil. En droit anglais, la réparation des dommages causés par
l’infraction ne peut être demandée que devant le juge civil. Le juge pénal peut cependant
accorder une indemnisation qui semblerait être une forme de réparation pénale. Cette mesure
prend la forme d’une peine complémentaire1022.
Sur la base de nos réflexions antérieures relatives à la réparation comme alternative et comme
composante de la justice pénale, et dans les situations où le juge pénal garde sa casquette de juge
pénal et n’agit pas selon les règles du droit civil, il conviendrait de se demander s’il est possible
de confirmer l’émergence d’une notion de réparation pénale en droit pénal français et de dégager
une définition spécifique à la réparation pénale. Plusieurs éléments permettent de militer en
faveur d’une notion de réparation pénale (I). D’autres facteurs freinent cette démarche et jouent
contre la définition d’une notion de réparation pénale (II).
467. L’observation de l’évolution du droit civil et du droit pénal en France révèle que le
premier se durcit pour ressembler au second et que le second ne se limite plus à sa fonction
punitive mais déborde sur le terrain réparateur du premier. Les manifestations de cette évolution
et de la fonction réparatrice du droit pénal ont déjà fait l’objet de plusieurs études 1023. Cependant,
ces études restent fondées sur l’affirmation que la réparation a une nature purement civile. De
cette affirmation, on conclut nécessairement que le droit pénal se civilise. Or il serait intéressant
de sortir de ce cadre et d’envisager la possibilité que la réparation puisse aussi avoir une nature
pénale, sans remettre en cause l’équilibre dans la répartition des fonctions du droit civil et du
droit pénal. Il faudra à cet égard envisager l’existence d’une notion de réparation pénale qui n’a
pas encore été conceptualisée, en définissant ses contours (A) et ses conséquences (B).
1022
Powers of Criminal Courts Sentencing Act , 2000, section 130.
1023
Charlotte DUBOIS, Responsabilité civile et responsabilité pénale. A la recherche d'une cohérence perdue.,
L.G.D.J., 2016, [Paris II]. Bertrand PAILLARD, La fonction réparatrice de la répression pénale, L.G.D.J, 2007,
[Université Panthéon-Assas].
334
A. Les contours de la notion de réparation pénale
468. La définition d’une nouvelle notion ne peut se faire isolément, sans liens avec
d’autres notions préexistantes. On ne peut cependant définir la réparation pénale par rapport à la
définition générale de la réparation car cela n’ôterait pas le risque de confusion avec la réparation
civile. De même, on ne pourrait pas définir la réparation pénale sur sa seule comparaison avec la
réparation civile car cela nous limiterait à les différencier sur la base des juridictions compétentes
pour les mettre en œuvre. La réparation en tant que telle n’est pas définie par le législateur mais
on la retrouve néanmoins associée à d’autres notions : le dommage, le préjudice et la victime.
C’est à partir de ces notions que nous espérons retirer une définition spécifique à la réparation
pénale, grâce à l’apport de la distinction entre dommage et préjudice (1) et à l’apport de la
distinction entre victime directe et indirecte (2).
1024
Fabrice LEDUC, « Faut-il distinguer le dommage et le préjudice?: point de vue privatiste », Responsabilité
civile et assurances, Mars 2010, n° 3, dossier 3. Christine PAILLARD, « Faut-il distinguer le dommage et le
préjudice?: point de vue publiciste », Responsabilité civile et assurances, Mars 2010, n° 3, dossier 4.
1025
Loïc CADIET, « Les métamorphoses du préjudice », in Les métamorphoses de la responsabilité, Sixièmes
journées René Savatier, Presses universitaires de France, 199, p. 37 et s.
1026
Romain OLLARD, « La distinction du dommage et du préjudice en droit pénal », RSC, 2010, p.561.
335
l’origine de la lésion affectant la personne »1027. Il est distinct du préjudice qui correspond à la
conséquence de cette lésion, aux répercussions du dommage. A cette définition, la doctrine
ajoute plusieurs caractéristiques spécifiques : le dommage est un fait objectif alors que le
préjudice est une notion subjective « appréciée en fonction d’une personne déterminée »1028. Le
dommage est donc une notion indépendante de la victime et/ou de la partie civile. Un autre
critère de distinction réside dans le fait que le dommage est une notion factuelle alors que le
préjudice est le produit d’une qualification juridique1029. Le préjudice existe parce que le droit
accepte de le réparer. Ainsi, il ne peut y avoir de préjudice sans dommage et tout dommage ne
cause pas nécessairement de préjudice 1030. La spécificité du dommage et du préjudice se
manifeste aussi dans les cas de dommages collectifs qui sont indépendants des préjudices
individuels causés aux victimes, comme c’est le cas du dommage écologique 1031. M. Fabrice
LEDUC a tenté de caractériser le dommage comme une donnée autonome mais il s’est heurté à
une limite qui rend la distinction impraticable. En effet, lorsque le dommage est corporel ou
matériel, la distinction entre le dommage et le préjudice est lisible 1032. Néanmoins, lorsque le
dommage est incorporel, immatériel, le caractère praticable de la distinction dépendrait de la
caractérisation de l’atteinte : si elle nécessite un jugement de valeur de la part du juge, la
distinction entre le dommage et le préjudice serait impossible 1033. Ces subtilités théoriques et les
limites d’une distinction radicale ont mené à la confusion des notions de dommage et de
préjudice.
1027
« Lexique des termes juridiques », sous la dir. de S. GUINCHARD et T. DEBARD, 25 e éd., Dalloz, 2017-2018.
Yvonne LAMBERT-FAIVRE, Rapport sur l'indemnisation du dommage corporel, Conseil national de l'aide au
victimes, 2003, en ligne : www.justice.gouv.fr, p.9.
1028
Romain OLLARD, « La distinction du dommage et du préjudice en droit pénal », RSC, 2010, p.561. Yves
CHARTIER, La réparation du préjudice, Dalloz, 1996.
1029
Christine PAILLARD, « Faut-il distinguer le dommage et le préjudice?: point de vue publiciste
», Responsabilité civile et assurances, Mars 2010, n° 3, dossier 4.
1030
Christine GUILLARD, « Préjudice réparable », 1er juin 2015, JCA Fasc. 842. Romain OLLARD, « La
distinction du dommage et du préjudice en droit pénal », RSC, 2010, p.561.
1031
C. PAILLARD, op. cit.
1032
C’est d’ailleurs ce que confirme le rapport sur « L’indemnisation du dommage corporel » publié par le Conseil
National de l’Aide aux Victimes en juin 2003 et dont le groupe de travail était présidé par Y. LAMBERT-FAIVRE :
« le groupe de travail a entériné la distinction entre les notions de dommage corporel et de préjudices, qui fonde
toute méthodologie de l’indemnisation. [...] Cette fausse synonymie est sans doute à l’origine de la confusion qui
règne dans la réparation du dommage corporel ».
1033
Fabrice LEDUC, « Faut-il distinguer le dommage et le préjudice?: point de vue privatiste », Responsabilité
civile et assurances, Mars 2010, n° 3, dossier 3.
336
470. La confusion du dommage et du préjudice. En droit français, si on passe en revue
les articles du Code pénal, du Code civil et des Codes de procédures pénale et civile qui
mentionnent le dommage et le préjudice, il est évident qu’aucune de ces deux notions n’est
exclusive du droit pénal ou du droit civil. De même, il n’est pas certain que les termes de
dommage et de préjudice soient toujours employés selon leur définition propre. A la lecture de
l’article 3 du Code de procédure pénale, nous pouvons nous demander si tous les chefs de
dommage qui font l’objet de l’action civile ne sont pas plutôt les préjudices subis par la
victime1034. La notion de dommage est ainsi employée dans son sens large, notamment dans les
articles 2, 4 et 4-1 du Code de procédure pénale relatifs à l’action civile en réparation du
dommage. La confusion dans l’utilisation des deux termes que le législateur emploie comme
synonymes prend plus d’ampleur lorsqu’on observe leur association avec les notions de
réparation et d’indemnisation. En effet, le Code pénal fait parfois référence à l’indemnisation du
préjudice (article 131-8-1), la réparation du préjudice (articles 40-4, 133-8, 706-9), la réparation
des dommages (articles 41-1, 41-2). De surcroît, l’alinéa d’un même article, en l’occurrence
l’article 41-2 du Code de procédure pénale, comprend simultanément la référence à la
« réparation du préjudice commis » et la « réparation du dommage causé ». Il ne serait pas inutile
ici d’inverser les associations de mots afin que le préjudice soit « causé » et le dommage soit
« commis ». L’article 706-3 du même code renvoie lui aussi à toute personne « ayant subi un
préjudice » et qui peut obtenir « la réparation intégrale des dommage ». Ceci n’est qu’un
échantillon de l’utilisation similaire des notions de dommage et de préjudice, malgré leur
distinction sémantique.
En droit libanais, il semble que la même confusion règne. En effet, l’article 6 du Code de
procédure pénale utilise les termes de « réparation du dommage » pour qualifier l’objet de
l’action de la partie civile. Cependant, l’article 436 du même code relatif à l’extinction de
l’action civile et de l’action publique utilise les termes « d’action en indemnités personnelles » et
de « victime du préjudice ».
1034
Romain OLLARD, « La distinction du dommage et du préjudice en droit pénal », RSC, 2010, p.561. Dans son
article, R. OLLARD envisage les conséquences de l’utilisation spécifique des termes de dommage et de préjudice
dans l’art. 3 c. pr. pén : le dommage serait relié à la question de la recevabilité de l’action civile, ce qui limiterait le
droit d’exercer l’action civile à ceux qui ont personnellement subi l’infraction ; et la réparation du préjudice serait
reliée à l’issue de l’action civile.
337
En droit anglais, il n’y a pas de notions distinctes pour qualifier les dommages et les préjudices
mais uniquement une qualification des différents types de préjudices (matériel, moral, perte
financière, etc.). En droit pénal anglais, on retrouve cependant la distinction entre « faire
réparation1035 » et « payer une compensation », l’accent étant mis sur la première notion au
regard de l’objectif de réparation et de réhabilitation de certaines peines.
1035
« Make reparation », sections 73 et 134 du Powers of Criminal Courts Sentencing Act, 2000.
1036
Christine PAILLARD, « Faut-il distinguer le dommage et le préjudice?: point de vue publiciste
», Responsabilité civile et assurances, Mars 2010, n°3, dossier 4.
1037
Idem. Avis contentieux du 4 juin 2007, M. Lagier et consorts Guignon, AJDA 2007, p.1800; JCP A 2008, 2055 ;
RTD civ. 2007 p. 577.
1038
Patrick CHARIOT, Menouar TEDLAOUITI et Michel DEBOUT, « L'incapacité totale de travail et la victime de
violences », AJ Pénal, 2006, p.300.
338
souffrance psychologique sur les actes quotidiens, etc.). Il est important de préciser que la
définition de l’incapacité totale de travail n’est pas synonyme de préjudice, elle prend
uniquement en compte, entre autre, certains préjudices 1039.
473. Une proposition de combinaison des termes. Nous ne nous attarderons pas sur les
répercussions que la distinction du dommage et du préjudice a sur le fond du droit et sur la
définition de l’infraction. Dans le cadre de notre étude, c’est l’association des notions qui nous
paraît importante. Dès l’université, les juristes apprennent la rigueur dans l’utilisation des termes
juridiques. La distinction des notions de réparation, indemnisation, dommage et préjudice ne
devrait pas faire défaut à ce principe. Afin de pouvoir identifier la notion de réparation pénale,
il serait bon d’éclaircir en premier lieu la définition de la réparation par rapport à l’indemnisation
et en second lieu, l’objet de la réparation et l’objet de l’indemnisation 1040. La réparation est, selon
une définition générale, « l’opération, le travail qui consiste à réparer quelque chose »1041.
L’indemnisation consiste, quant à elle, en « l’action d’indemniser, le paiement d’une
indemnité ». La différence est importante entre un travail et un paiement. Le travail consiste en
une remise en état, un retour vers la situation antérieure à l’infraction, alors que l’indemnisation
constitue une compensation du mal subi par la victime. De ces définitions, il est possible de
rattacher la réparation et l’indemnisation au dommage et au préjudice. Il y a, d’un côté, la
1039
Cass. Crim. 13 juin 1996: Dr. pénal 1996, comm. n°267, obs. M.VERON ; JCP 1996, IV, 2357 : la Cour
d’appel ne s’est pas contredite lorsque, après avoir condamné un prévenu pour violences volontaires ayant entraîné
une ITT de plus de 10 jours, elle a ordonné une expertise médicale aux fins d’évaluation du préjudice corporel de la
victime.
1040
Voir en ce sens l’opinion de Catherine LAZERGES, « L'indemnisation n'est pas la réparation », in La victime
sur la scène pénale en Europe, édité par puf, 2008, p.228.
1041
Dictionnaire Le Robert.
339
position classique qui ne différencie pas le dommage et les préjudices quant à leurs conséquences
pratiques. La réparation ne concernerait que les préjudices, le dommage étant uniquement une
notion théorique permettant la définition de l’infraction. Cela expliquerait l’utilisation confuse
des deux termes par le législateur. D’un autre côté, certains auteurs affirment que la réparation
du dommage est une réparation en nature et la réparation du préjudice, une réparation par
équivalent qui permet de compenser sans effacer le mal1042. D’autres contredisent cette opinion
en opposant le fait que la réparation d’un préjudice peut aussi être effectuée en nature1043. De
plus, la réparation en nature peut être monétaire si le dommage subi est de nature financière.
Par une combinaison réfléchie des termes, seul le dommage peut être réparé. Le dommage, fait
objectif, peut par la réparation disparaître et faire revenir à la situation antérieure à l’infraction.
Les préjudices, subjectifs et relatifs à la victime, ne peuvent disparaître par la réparation dans le
sens où la victime ne sera plus jamais la même après la commission de l’infraction. Qu’ils soient
matériels ou moraux, les préjudices peuvent être indemnisés, ou compensés. Un fait objectif
peut, dans les limites du possible, être remis en état, réparé, substitué à l’identique, mais les
conséquences subjectives de l’infraction sur la victime ne peuvent disparaître que par
l’indemnisation. Elles sont uniquement compensées par un équivalent. Rattacher la réparation au
dommage, au sens strict du terme, est un premier pas vers l’explication de l’incursion de la
réparation dans la sphère pénale et la définition d’une notion de réparation pénale.
1042
Gaëlle RABUT-BONALDI, Le préjudice en droit pénal, 2014, [Thèse, Université de Bordeaux], p.20.
1043
Fabrice LEDUC, « Faut-il distinguer le dommage et le préjudice?: point de vue privatiste », Responsabilité
civile et assurances, Mars 2010, n° 3, dossier 3.
1044
A ce sujet, voir l’introduction de la thèse de Nathalie PIGNOUX, La réparation des victimes d'infractions
pénales, 2007, [Université de Pau et des Pays de l'Adour].
340
français. Pourtant, aucun texte ne définit ce que cette notion sous-entend, que ce soit en droit
français ou en droit libanais. Or cette définition entraînera des conséquences sur le plan de
l’étendue de la règle de droit concernée 1045. On retrouve en droit anglais une définition juridique
de la notion de victime dans le « Victims’ Code »1046. La victime est y est définie comme étant
une personne physique qui a souffert d’un dommage, physique, mental, émotionnel ou
économique directement causé par une infraction ou, une personne liée par filiation ou alliance
(au premier degré) à une victime décédée. L’absence de différenciation entre le dommage et le
préjudice conduit à une définition unique de la notion de victime.
Or il est possible d’affirmer que la victime du dommage n’est pas forcément la victime du
préjudice. En droit français, La jurisprudence et la doctrine distinguent les victimes directes et les
victimes indirectes de l’infraction1047. Cette distinction ne correspond pas à celle qui différencie
la victime du dommage de la victime du préjudice car par « victime directe », la jurisprudence
signifie parfois la personne ayant subi un préjudice découlant directement de l’infraction. S.
DETRAZ qualifie de « victime textuelle » ou de « victime personnelle » celle qui « subit dans sa
chair, dans son esprit, dans son patrimoine [...] les éléments constitutifs de l’infraction
commise »1048. Or, en se basant sur les définitions du dommage et du préjudice, il nous semble
bien que cette qualification correspond à la victime du dommage. C’est à partir du dommage
causé à cette victime que d’autres victimes peuvent prétendre subir un préjudice. La définition de
la victime est d’autant plus nécessaire au regard de sa place et son rôle au sein du procès pénal.
1045
Stéphane DETRAZ, « La notion textuelle de "victime" en matière pénale », in Humanisme et justice, Mélanges
en l'honneur de Geneviève Giudicelli-Delage, Dalloz, 2016, p.67.
1046
The Code of practice for victims of crime, 2015.
1047
S. DETRAZ, op.cit. V. par exemple Crim. 20 novembre 2013, n°12-85.185.
1048
S. DETRAZ, op.cit. p.74.
341
distinction des notions de victime et de partie civile fut consacrée par la jurisprudence 1049. Elle
permet ainsi une définition plus précise des contours de la notion de victime. Les victimes
pouvant se constituer partie civile et obtenir réparation de leur préjudice ont des identités
multiples et doivent prouver le lien direct entre leurs préjudices et l’infraction. Elles ne peuvent
être considérées comme victimes par le juge pénal que grâce à leur statut de partie civile. Or, la
victime du dommage est une victime naturelle 1050. Son statut ressort des faits constitutifs de
l’infraction. La question est de savoir s’il peut être tenu compte de cette victime de fait, même si
cette dernière ne s’est pas constituée partie civile.
1049
Depuis l’arrêt : Crim. 30 octobre 1985, n°85-92.109, Bull. crim. n°337; JCP 1987, II, 20727, note Ph. Conte.
1050
Cette formulation n’exclue pas la possibilité d’une pluralité de victimes d’un dommage.
342
477. De la définition des notions de dommage, préjudice et victime, nous pouvons retenir
certains éléments de définition de ce que nous appelons la « réparation pénale ». La réparation
pénale désigne la réparation, par l’auteur, du dommage causé par l’infraction à la victime directe
de celle-ci. Le dommage est la conséquence directe de l’infraction et la victime, la victime
« textuelle », personnelle, de l’infraction. La réparation pénale consiste à effacer les
conséquences directes de l’infraction.
478. Définir la réparation pénale c’est intégrer un concept, un principe, au droit pénal en
général et à la procédure pénale en particulier. La notion de réparation pénale aurait des
incidences sur le plan conceptuel (1) et bouleverserait certains principes établis en droit pénal. La
réparation pénale aurait, de surcroît, des conséquences sur le plan pratique en droit positif (2).
Comme l’affirment plusieurs auteurs qui observent l’accroissement de la fonction réparatrice de la responsabilité
1051
343
conception de la réparation qui transparaît clairement en droit anglais. En effet, on retrouve en
droit anglais la réparation sous forme de peine. Les « compensation orders » peuvent être
ordonnés en tant que peine principale ou en complément à toute autre peine 1052. Ils correspondent
à la définition que nous donnons à la réparation pénale car :
Ils visent la réparation des dommages causés aux victimes directes de l’infraction1053.
Ils ne prennent pas en compte les demandes des victimes mais uniquement l’évaluation
des dommages et les moyens financiers de l’auteur de l’infraction.
Ils sont différents des mesures de réparation prises devant les juridictions civiles. Les
préjudices sont évalués par le juge civil comme tout montant excédant la réparation des
dommages et peuvent inclure toute portion des « compensation orders » qui n’a pas été
perçue par la victime 1054.
Cependant, les « compensation orders » ne différencient pas dommage et préjudice au sens strict.
D’un côté, ils se rapprochent un peu de la réparation civile en ce qu’ils réparent les blessures
personnelles, en plus des pertes et des détériorations. Les blessures personnelles englobent les
préjudices psychologiques et les conséquences personnelles de l’infraction sur la victime
directe1055. D’un autre côté, les « compensation orders » ne réparent que les dommages
directement identifiables et quantifiables 1056, les dommages objectifs, réels, et non les manques à
gagner1057.
punitive?», Responsabilité civile et assurances, Mai 2013, n° 5, dossier 23. Charlotte DUBOIS, Responsabilité civile
et responsabilité pénale. A la recherche d'une cohérence perdue., L.G.D.J., 2016, [Paris II]. Bertrand PAILLARD,
La fonction réparatrice de la répression pénale, L.G.D.J, 2007, [Université Panthéon-Assas].
1052
Powers of Criminal Courts Sentencing Act , 2000, section 130. Pour les infractions les plus graves, les
“compensation orders” ne peuvent être prononcés qu’en complément de peine. LexisPSL Corporate crime practical
guidance, « Compensation orders in criminal cases », en ligne : <www.lexisnexis.com>.
1053
Mais en cas de décès, les frais funéraires sont compris dans les « compensation orders » et sont attribués à toute
personne qui les a pris en charge.
1054
Powers of Criminal Courts Sentencing Act , 2000, section 134.
1055
En cas de décès, la compensation est attribuée à l’époux du défunt ou ses parents si ce dernier est mineur. Le
montant de la réparation ne pourra excéder 7500 pounds.
1056
“The court should avoid making compensation in any case other than a simple and straightforward one”, Hyde
v. Emery (1984); jurisprudence en ligne: www.cps.org.uk.
1057
“Compensation orders are for amounts readily and easily ascertained. The quantum for loss of use was open to
argument”, R v. Donovan (1981), jurisprudence en ligne: www.cps.org.uk.
344
480. Une redéfinition des rôles des juges civils et pénaux en matière de réparation.
Le magistrat anglais n’attribue pas ces mesures de réparation en vertu des règles du droit civil
mais bien en fonction des principes du droit pénal anglais. Ce pouvoir, ou plutôt ce devoir 1058,
des magistrats anglais, nous incite à reconsidérer le rôle des juges civils et pénaux en droit
français. Le juge pénal français a aujourd’hui la possibilité de prononcer des mesures de
réparation pénale, différente de la réparation civile qu’il détermine lorsqu’il est saisi de l’action
civile. Il n’est pas certain que cela fasse du juge pénal le juge de la réparation. Cet élargissement
de fonction n’est pas dû à l’intégration de la réparation dans les prérogatives du juge pénal mais
par la redéfinition des fonctions de la peine. Outre ces trois fonctions rétributive, protectrice et
éducative, la peine a acquis, avec la prise en compte toujours plus grande des victimes, une
fonction réparatrice1059. Le juge pénal est toujours le juge de la peine, mais c’est la peine qui
prend différents visages dépendamment de la fonction de la peine qui est mise en avant. De
même, la réparation ne doit pas faire du juge pénal le juge des victimes. Malgré l’accroissement
de la présence et des pouvoirs des victimes tout au long de la procédure pénale, délimiter la
notion de réparation pénale permettrait au juge pénal de se concentrer sur le dommage en tant
que fait objectif. Cela limiterait les craintes de certains qui estiment que la victime prend trop de
place et cela préserverait les spécificités du droit pénal1060.
1058
En effet, la Cour doit se justifier si elle décide de ne pas recourir aux « compensation orders ».
1059
Antoine GARAPON, et al., La prudence et l'autorité, l'office du juge au XXIe siècle, IHEJ, Mai 2013, en ligne :
www.ihej.org, p.106.
1060
Jean CARBONNIER, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion, 1997, p.147: les victimes se
seraient transformées de « sujets passifs du délit en agents martiaux de la répression ».
345
combinaison de la mise en œuvre d’une sanction et de la réalisation d’une réparation du
dommage.
Cependant, les mesures de réparation alternative n’ont pas d’incidence sur l’action civile qui
demeure possible. L’article 41-2 du Code de procédure pénale dispose expressément que
l’exécution de la composition ne fait pas échec au droit de la partie civile de délivrer citation
directe devant le tribunal correctionnel qui statuera sur les seuls intérêts civils 1061. En outre,
l’ordonnance du président du tribunal validant ces mesures n’est pas un jugement pénal et n’a
donc pas l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil1062.
Cette comparaison des effets des mesures alternatives sur l’action publique et l’action civile
conforte la possibilité d’accorder un caractère pénal à la réparation. Si la réparation, auquel font
référence les mesures alternatives, est la réparation au sens civil du terme, il aurait fallu prévoir
de quoi permettre aux victimes de présenter leurs requêtes en réparation des préjudices subis, ce
qui aurait conduit à la tenue d’une audience par le président du tribunal. Or la réparation
envisagée dans le cadre des mesures alternatives, afin d’être cohérente avec les prérogatives des
procureurs, devrait se limiter à la réparation des dommages (au sens strict) des victimes directes.
1061
Cass. Crim. 24 juin 2008, n°07-87.511, AJ Pénal 2008 p.422, obs. SAAS ; D.2008 .2146 ; D. 2009, Chron. 44,
obs. Chaumont et Degorce.
1062
Cass. Soc. 13 janvier 2009, n°07-44.718, D. 2009, p.291, obs. Lavric.
346
II. Les éléments contre une notion de réparation pénale
483. Accorder un caractère pénal à la réparation n’est pas chose acquise. Le droit pénal
est classiquement défini comme traitant le préjudice collectif subi par la société 1063. A ce
préjudice collectif, non réparable en nature, le droit pénal répond par la peine. La nature du
préjudice et la réponse du droit pénal semblent empêcher toute introduction de la réparation dans
la sphère pénale. La définition d’une réparation pénale se heurte ainsi à des limites matérielles
qui ne peuvent être ignorées (A). Des obstacles plus théoriques empêchent aussi d’affirmer avec
certitude qu’il pourrait y avoir un caractère pénal à la réparation (B).
484. Il existe certains éléments matériels et d’autres théoriques qui limitent la possibilité
d’une définition de la réparation pénale. Sans la rendre impossible, ces éléments permettent
d’envisager la réparation pénale de manière plus réaliste. Il s’agit en premier lieu du caractère
réparable du dommage (1) et en second lieu du caractère secondaire de la réparation (2).
1063
Jean-Maurice VERDIER, « La réparation du dommage matériel en droit pénal », in Quelques aspects de
l'autonomie du droit pénal, sous la dir. de G. STEFANI, Librairie Dalloz, 1956, p.352.
347
l’indemnisation des préjudices. D’autres dommages sont plus facilement réparables, comme le
vol d’une somme d’argent ou d’un objet, la destruction ou la dégradation d’un bien, etc. La
remise en état est ici envisageable et permet de revenir à la situation antérieure à la commission
de l’infraction. On serait tenté d’assimiler les dommages irréparables aux atteintes à la personne
et les dommages réparables aux atteintes aux biens. Cette distinction est trop facile et mérite
d’être nuancée. Dans le cas, par exemple, de coups et blessures ayant entraîné une fracture au
bras, la réparation peut consister dans la prise en charge des frais médicaux qui permettront à la
victime de retrouver l’entier usage de son bras. L’indemnisation des préjudices portera sur le
préjudice moral éventuellement subi, le manque à gagner dû à l’arrêt temporaire de travail, et
toute autre conséquence personnelle subie par la victime. Notons ici la possibilité d’obtenir une
indemnisation des préjudices grâce à un fonds d’indemnisation, lorsque la réparation par l’auteur
de l’infraction est impossible (si l’auteur est inconnu ou insolvable). Cette forme de réparation
solidaire a un caractère civil car elle dépend de la demande faite par la victime ; la décision est
prise par la commission qui gère le fonds sur la base de la réparation accordée par le tribunal.
La réparation pénale serait donc une mesure uniquement possible lorsque la réparation du
dommage est réalisable. Elle ne concernerait ainsi que certaines catégories d’infractions,
notamment les délits et les contraventions. Ce constat est dans la lignée du champ d’application
des mesures alternatives réparatrices, restreint aux contraventions et aux délits punis jusqu’à cinq
ans d’emprisonnement.
348
2. Le caractère secondaire de la réparation
A moins de contredire les principes du droit pénal, la réparation pénale ne peut donc exister de
manière autonome que si elle est qualifiée de peine ou de sanction. A défaut, la réparation pénale
ne peut qu’être accessoire à la peine, sans laquelle elle ne peut être mise en œuvre. Ainsi, à
moins d’être qualifiée de peine, la réparation ne peut être privilégiée à la sanction en droit pénal.
1064
H. DONNEDIEU DE VABRES, Précis de droit criminel, 3e éd., Dalloz, 1953, n°1.
1065
Roger MERLE et André VITU, Traité de droit criminel, problèmes généraux de la science criminelle, 7e éd.,
Editions Cujas, 1997, t. I. n°142.
1066
Bernard BOULOC, Droit pénal général, 25e éd., Dalloz, 2017, p.21.
349
488. La réparation, un complément à la peine. L’absence de qualification de la
réparation pénale limite certes son intégration au droit pénal. Cette limite peut néanmoins être
contournée si l’on envisage la réparation pénale comme une mesure complémentaire à la peine.
Le droit pénal français comprend déjà la notion de peine complémentaire. Les peines
complémentaires peuvent venir s’ajouter aux peines principales. Le juge a, selon la loi,
l’obligation ou la faculté de prononcer telle ou telle peine complémentaire. En matière de
réparation, il existe déjà une peine complémentaire, la - très controversée - sanction-réparation
qui peut être prononcée à la place ou en même temps que la peine d’emprisonnement ou la peine
d’amende1067. Or cette peine est différente de la définition que nous proposons pour la réparation
pénale. La sanction-réparation vise l’indemnisation du préjudice de la victime, donc la réparation
civile du dommage. La nature de peine accordée à la sanction-réparation n’est pas non plus
compatible avec sa dénomination de « sanction », terme plus large que celui de peine et auquel le
législateur aurait pu se limiter. Même si nous sommes favorables à l’existence d’une mesure
réparatrice complémentaire, la peine de sanction-réparation comporte certains défauts qui nous
empêchent de défendre la nécessité de son application1068.
489. La notion de réparation pénale telle que nous la présentons peut être une mesure
complémentaire ou alternative à la peine. La réparation pénale serait une sanction au sens large
du terme, et non une peine. Le droit pénal reste répressif mais cela ne signifie pas que la
réparation ne peut faire partie de la réponse pénale apportée par le magistrat.
490. Outre les limites inhérentes à la réparation en tant que telle, l’existence d’une forme
de réparation en droit pénal, manifestement distincte de la réparation civile dans son approche et
sa nature, est certaine. La définition de cette réparation pénale fait cependant face à certains
obstacles. D’une part, la confusion des termes reliés à la réparation empêche de caractériser son
1067
Art. 131-8-1 c. pén.
1068
Patricia HENNION-JACQUET, « L'indemnisation du dommage causé par une infraction : une forme atypique
de réparation ? Dommages et intérêts, classement sous condition de réparation, sanction-réparation », RSC, 2013,
p.517.
350
domaine (1). D’autre part, l’étude des lois pénales relatives aux mesures et peines réparatrices
reflète l’absence d’un régime applicable à la réparation en droit pénal (2).
La confusion dans l’utilisation des termes de dommage et de préjudice et leur association avec
des termes tels que victime ou action civile soulève des questionnements quant à la nature propre
de la réparation en droit pénal. Les mesures qui présentent le moins de doute, selon nous, sont la
réparation alternative et la composition pénale1069. Ces deux mesures réparatrices sont fondées
sur des faits objectifs : le dommage et l’infraction. La réparation alternative est la réparation du
dommage causé par les faits. La composition pénale vise à réparer les dommages causés par
l’infraction mais mentionne une exception, celle de la réparation préalable du préjudice
commis. La référence dans ce contexte au préjudice est malencontreuse parce que le préjudice ne
peut être commis mais causé et parce qu’au stade des alternatives aux poursuites, il n’est pas
encore question de détermination des préjudices.
Une autre mesure permet de douter de l’existence d’une distinction entre une réparation pénale et
une réparation civile. Il s’agit du sursis probatoire1070. En effet, le sursis probatoire vise, selon la
loi, à réparer en tout ou en partie les dommages causés par l’infraction, même en l’absence de
décision sur l’action civile. La référence à l’action civile provient d’une jurisprudence antérieure
1069
Arts. 41-1 et 41-2 C. pr. pén. respectivement.
1070
Art. 132-45 C. pén.
351
au nouveau code pénal qui subordonnait l’obligation de réparer le dommage à l’existence d’une
condamnation civile1071. L’article 132-45 vient mettre un terme à cette jurisprudence en excluant
la nécessité d’une décision sur l’action civile. Cependant, cette précision permet de douter que le
dommage visé par cette mesure est le dommage au sens strict du terme. Il s’agit plutôt du
dommage comme synonyme de préjudice, le dommage tel qu’entendu en droit civil.
Une dernière mesure pénale est quant à elle plus clairement imprégnée de droit civil. La
sanction-réparation, peine controversée depuis son adoption, comporte l’obligation pour le
condamné de procéder à l’indemnisation du préjudice de la victime. Malgré la référence à la
possibilité d’une réparation en nature par la remise en état du bien endommagé, la sanction-
réparation vise le préjudice et la victime, objet et partie qui définissent traditionnellement le
domaine de la réparation civile. Les mesures et peines réparatrices en droit pénal n’ont pas pour
l’heure un domaine unique bien défini. Certains regroupements peuvent cependant être faits.
Sur la base du second critère, celui de la prise en compte de la victime, les mesures se regroupent
différemment. Les textes relatifs à la médiation, la réparation pénale, la composition pénale et la
sanction-réparation font référence à la victime de l’infraction, contrairement au sursis probatoire.
Si la prise en compte de la victime se comprend dans le processus de médiation pénale, son
1071
Muriel GIACOPELLI, « Sursis avec mise à l'épreuve », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale,
janvier 2011. Voir aussi: Crim. 10 déc. 1990, n°90-82.329, Bull. crim. n°423; RSC 1992. 67, obs. VITU ; Crim. 11
oct. 1978, n°78-90.735 : « le juge pénal, qui place un condamné sous le régime du sursis avec mise à l’épreuve, peut
imposer une obligation de réparer le dommage causé par l’infraction dès lors que le préjudice a été évalué par une
décision intervenue sur l’exercice de l’action civile ».
352
intrusion dans d’autres mesures et peines réparatrices accentue la confusion entre les champs
civil et pénal de la réparation.
493. Une absence de régime spécifique. Définir une nouvelle notion juridique telle que
la réparation pénale ne peut se faire sans définir un régime juridique qui permettra sa mise en
œuvre en droit positif. L’absence de régime juridique de la réparation pénale est aujourd’hui un
obstacle à sa distinction de la réparation civile. En effet, les mesures et peines réparatrices qui
font référence à la réparation du dommage ne précisent pas le moyen de détermination de ce
dernier, ni le mode d’évaluation à adopter. De plus, la loi ne prévoit pas un mode de conciliation
entre la réparation pénale, sous forme de mesure ou de peine, et la réparation civile 1072. Cette
absence de régime spécifique a mené les magistrats des tribunaux pénaux, à d’abord tenter de se
démarquer de leurs confrères des tribunaux civils, pour finir par recourir aux principes civils de
la réparation notamment : le principe de réparation intégrale et la prise en compte de la faute de
la victime pour la détermination du montant de la réparation.
1072
Charlotte DUBOIS, Responsabilité civile et responsabilité pénale. A la recherche d'une cohérence perdue.,
L.G.D.J., 2016, [Paris II], p.378.
1073
Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD, « Lexique des termes juridiques », sous la dir. de S. GUINCHARD
et T. DEBARD, 26e éd., Dalloz, 2018-2019.
353
accordant la réparation à la victime1074. Cette jurisprudence qui paraît injuste permet cependant
de ne pas confondre la compétence du juge pénal avec celle du juge civil et distinguent ainsi les
parties qui peuvent exercer un recours au pénal de celles qui peuvent exercer leur recours devant
un juge civil. La Cour de cassation semble être revenue à sa jurisprudence antérieure par un arrêt
qui applique le principe de la réparation intégrale en précisant que « le préjudice résultant d’une
infraction doit être réparé dans son intégralité sans qu’il n’en résulte, pour aucune des parties, ni
perte ni profit. Par voie de conséquence, les juges répressifs qui sont informés du versement, par
un assureur, d’une somme à la victime, doivent tenir compte de cet élément pour évaluer le
préjudice, nonobstant le fait que ledit assureur soit irrecevable à intervenir devant eux »1075.
1074
L’assureur est dans ce cas obligé d’exercer son recours devant les juridictions civiles. Par exemple : Crim. 14
nov. 2007, pourvoi n°06-88538, Bull. crim. 2007 n°278 ; RTD civ. 2008 p.309 ; Crim. 9 fev. 1994, pourvoi n°93-
83047, Bull.crim. 1994 n°59.
1075
Crim. 22 janv. 2008, pourvoi n°07-82555, note: Albert MARON, « La mort du petit cheval », Droit pénal, avril
2008, n° 4, comm.58.
1076
Loïc CADIET, « Les métamorphoses du préjudice », in Les métamorphoses de la responsabilité, Sixièmes
journées René Savatier, Presses universitaires de France, 1997, p.37.
1077
Anne-Sophie CHAVENT-LECLERE, « Retour sur la réparation intégrale du préjudice », Procédures, Mai 2014,
n° 5, comm.157.
1078
Idem. Cass. crim. 19 mars 2014, n°12-87.416. CA Versailles, 23 septembre 2016, D. 2016. 1927.
354
certainement facilité ce revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation. Ainsi
« lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs
auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l’appréciation appartient souverainement aux
juges du fond ». Le juge pénal a désormais une plus grande liberté d’appréciation du dommage
subi1079.
La faute de la victime est ainsi prise en compte quand le juge pénal statue sur la réparation civile,
ce qui redonne indéniablement à cette dernière une fonction répressive 1080. La réparation civile
est évaluée en fonction du partage des responsabilités et non des préjudices subis par la victime,
ce qui la rattache un peu plus à la justice pénale.
496. Quid lorsque la mesure de réparation a une nature pénale ? En l’absence d’action
civile ou en dehors de cette question, sur la base de quels principes la réparation imposée au
travers des diverses mesures et peines est-elle évaluée ? En l’absence d’une réponse à ces
questions, la confusion entre la réparation en droit pénal et la réparation en droit civil persistera
et ne pourra être éclaircie qu’en présence d’une définition et d’un régime juridique spécifiques à
la réparation pénale.
1079
Julie GALLOIS, « Action civile: l'auteur d'une infraction contre les biens peut enfin demander le partage des
responsabilités en cas de faute de la victime », AJ Pénal, 2014, p.293. Patrice JOURDAIN, « Incidence de la faute
de la victime en cas d'infraction volontaire contre les biens: la Cour de cassation modifie sa jurisprudence », RTD
civ., 2014, p.389. Laurent SAENKO, « Affaire Kerviel: quand la faute de la victime réduit (beaucoup) son droit à
réparation », RTD com., 2016, p.873.
1080
Patrice JOURDAIN, « Incidence de la faute de la victime en cas d'infraction volontaire contre les biens: la Cour
de cassation modifie sa jurisprudence », RTD civ., 2014, p.389.
355
Conclusion du chapitre 1
356
Chapitre 2 : La restauration, supplément du droit pénal
Le Pr. Robert CARIO, dans une allocution dans le cadre d’une conférence de la Cour de
cassation, présente la justice restaurative comme une justice « logiquement seconde est
existentiellement première [...] c’est une justice ancestrale qui a précédé notre système de justice
pénale et qui aujourd’hui la réinvite tout doucement. C’est dans la complémentarité avec le
système de justice pénale qu’un épanouissement est possible »1083.
La justice restaurative propose un nouveau modèle de justice, diffèrent du modèle classique. Elle
porte en elle de nombreuses promesses 1084. A en croire les adeptes, la justice restaurative ne vise
pas à supplanter la justice pénale mais viendrait transformer les fondements de la justice pénale
traditionnelle (section 1). D’un point de vue plus pratique, nous questionnerons l’intégration de
la justice restaurative dans la justice pénale, dans une optique de complémentarité (section 2).
499. Mis à part toute ambition qu’on pourrait lui attribuer, la justice restaurative
influence, par sa seule existence, une certaine transformation de la justice pénale. Étudiée de
1081
Lors du XIe Congrès des Nations Unies en avril 2005. Voir : Jacques FAGET, « Les dynamiques de transfert des
idées restauratives », Raisons politiques, 2015/3, n° 59, p.109.
1082
Robert CARIO, « Justice restaurative », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, mai 2018.
1083
Allocution en date du 20 septembre 2018 et disponible en ligne sur: www.courdecassation.fr.
1084
Denis SALAS, La volonté de punir, Essai sur le populisme pénal, Hachette, 2005, p.248. Moonkwi KIM, Essai
sur la justice restaurative illustré par les exemples de la France et de la Corée du Sud, [Droit : Université
Montpellier : 2015].
357
manière indépendante, la justice restaurative définit un nouveau modèle de justice pénale (I).
Comparée à la justice pénale classique, elle contribue à redéfinir les fondements de cette dernière
(II).
Une approche participative car la justice restaurative vise à accorder une place à chaque acteur
concerné par la commission d’une infraction. La justice restaurative, contrairement à ce qu’on
pourrait reprocher à la justice pénale, ne laisse pas les victimes sur le banc de touche, en simples
1085
Antoine GARAPON et Denis SALAS, Les nouvelles sorcières de Salem. Leçons d'Outreau, Le Seuil, 2006.
358
spectateurs du procès pénal. Elle les invite à participer, de manière active, au dénouement du
conflit généré par l’infraction.
Une approche collective car la justice restaurative invite les différentes personnes concernées à
rechercher ensemble les solutions aux répercussions que l’infraction a pu avoir sur chacune
d’entre elle. Par cette approche globale, la justice restaurative répond aux revendications des
victimes que l’on désapproprie aujourd’hui de l’infraction subie, qui ne se sentent pas entendues
par le système actuel de justice pénale et qui recherchent souvent plus une oreille bienveillante
qu’une réparation prononcée mais non aboutie 1086. L’approche collective favorise en outre le
sentiment de faire partie d’une communauté en impliquant cette dernière, victime secondaire de
l’infraction, dans le processus1087.
1086
Sur les revendications des victimes, voir: Robert CARIO, « Justice restaurative », in Répertoire de droit pénal et
de procédure pénale, Dalloz, mai 2018. Nathalie PIGNOUX, La réparation des victimes d'infractions pénales,
2007, [Université de Pau et des Pays de l'Adour]. Robert CARIO, « De la victime oubliée... à la victime
sacralisée?», AJ Pénal, 2009, p.491.
1087
Pour approfondir le rôle de la communauté, consulter: Gordon BAZEMORE et Mara SCHIFF, Restorative
community justice: repairing harm and transforming communities, Anderson, 2001.
1088
Robert CARIO, « Justice restaurative », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, mai 2018.
Howard ZEHR, La justice restaurative, pour sortir des impasses de la logique punitive, Labor et fides, 2012, p.38.
John BRAITHWAITE, Restorative justice and responsive regulation, Oxford university press, 2002, p.112.
1089
Jean CARBONNIER, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion, 1997.
359
La responsabilisation ne rend pas le prononcé de la responsabilité pénale inutile. Elles se
complètent et il est aussi important, au moins symboliquement, que la responsabilité de
l’infracteur soit prononcée par la justice. La déclaration de responsabilité est importante aux
yeux de la société et participe au sentiment de justice recherché par les victimes d’infractions.
Tony MARSHALL1092 définit plus objectivement la justice restaurative comme étant « a process
whereby all the parties with a stake in a particular offence come together to resolve collectively
how to deal with the aftermath of the offence and its implications for the future »1093. Bien
qu’apparemment neutre et objective, T. MARSHALL n’exclut pas dans sa définition le caractère
1090
Howard ZEHR est l’auteur de plusieurs ouvrages: La justice restaurative, pour sortir des impasses de la logique
punitive, Labor et fides, 2012; The little book on restorative justice, 2002 ; Changing lenses, restorative justice for
our times, 2015.
1091
Howard ZEHR, Changing lenses, restorative justice for our times , 2015.
1092
Chercheur pour le Home Office au Royaume-Uni.
1093
Tony MARSHALL, « The evolution of restorative justice in Britain », European journal on criminal policy and
research, December 1996, n° 4, p.21.
360
collectif de la justice restaurative (« coming together »), la satisfaction matérielle et morale des
victimes (« the aftermath of the offence ») et la nécessaire réhabilitation des auteurs
(« implications for the future »).
L’Union européenne opte dans une directive pour la définition suivante : la justice restaurative
est « tout processus permettant à la victime et à l’auteur de l’infraction de participer activement,
s’ils y consentent librement, à la résolution des difficultés résultant de l’infraction pénale, avec
l’aide d’un tiers indépendant »1097. Cette définition a pour particularité de relever le
1094
Robert CARIO et Paul MBANZOULOU, La justice restaurative, une utopie qui marche?, L'Harmattan, 2010,
p.10.
1095
Manuel sur les programmes de justice réparatrice, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, 2008,
p.7, en ligne : <www.unodc.org>.
1096
Rapport sur la 11e session, 16-25 avril 2002, Conseil économique et social, Commission pour la prévention du
crime et la justice pénale, en ligne : <www.un.org/french/ecosoc.>.
1097
Directive du 25 octobre 2012, 2012/29, art. 2, 1, d, disponible en ligne sur eur-lex.europa.eu. Précisions que le
terme choisi par la directive est celui de justice réparatrice et non justice restaurative.
361
consentement libre des parties au processus restauratif, consentement induit dans les autres
définitions par la référence à leur participation active.
Au niveau national, les législations française et anglaise ont chacune apporté leur propre
définition au concept de justice restaurative. En droit français, la loi du 15 août 2014 introduit un
nouvel article 10-1 au Code de procédure pénale qui dispose qu’ « à l’occasion de toute
procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution de la peine, la
victime et l’auteur de l’infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir
proposer une mesure de justice restaurative. Constitue une mesure de justice restaurative toute
mesure permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur de l’infraction de participer activement la
résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des préjudices de
toute nature résultant de sa commission. Cette mesure ne peut intervenir qu’après que la victime
et l’auteur de l’infraction ont reçu une information complète à son sujet et ont consenti
expressément à y participer. Elle est mise en œuvre par un tiers indépendant formé à cet effet,
sous le contrôle de l’autorité judiciaire, ou à la demande de celle-ci, de l’administration
pénitentiaire. Elle est confidentielle, sauf accord contraire des parties et excepté les cas où un
intérêt supérieur lié à la nécessité de prévenir ou de réprimer des infractions justifie que des
informations relatives au déroulement de la mesure soient portées à la connaissance du procureur
de la République »1098. Nous reviendrons dans la deuxième section de ce chapitre sur
l’opportunité de cette légalisation de la justice restaurative en droit français et nous nous
arrêterons ici à l’étude de la définition qui est un savant mélange de notions humanistes et
juridiques. En effet, l’article fait référence aux « difficultés résultant de l’infraction », notion que
l’on retrouve dans la définition de l’UE mais qui n’est pas juridiquement définie, et aux
« préjudices de toute nature » résultant de la commission de l’infraction, notion plus facile à
cerner par les juristes. La définition inclut aussi des éléments de procédure tels que l’information
et le consentement préalable et la confidentialité des échanges.
1098
Loi n°2014-896 du 15 août 2014, art.18.
362
moyen, des mesures, que comme un concept 1099. On retrouve cependant dans le « Offender
Rehabilitation Act » la définition des mesures de justice restaurative qui peuvent être
caractérisées comme telles si « les participants sont l’auteur de l’infraction et une ou plusieurs
victimes, si l’objectif de la mesure est de maximiser la prise de conscience de l’auteur quant à
l’impact de l’infraction sur les victimes et si la mesure donne à la (ou les) victime(s)
l’opportunité de parler de l’infraction et de son impact ou de s’exprimer par tout autre
moyen »1100.
506. L’étude des mesures de justice restaurative s’avère primordiale car ce sont les
premières expérimentations de ces mesures qui ont permis d’aboutir à la définition d’un nouveau
modèle de justice. La doctrine et les organisations internationales ont identifié trois catégories de
mesures restauratives que l’on qualifiera ici de « principales » et que l’on retrouve sous
différentes dénominations et variantes dans chaque pays (1). L’adaptation des principes
restauratifs aux spécificités des législations nationales a fait naître des mesures « d’inspiration
restaurative » (2).
1099
Inventaire des dispositifs et des procédures favorisant les rencontres entre les victimes et les auteurs dans le
cadre de la mise en œuvre de la justice restaurative. Le cas de l'Angleterre et du Pays de Galles, Service des affaires
européennes et internationales, Ministère de la justice, 2008, p.5.
1100
Traduction libre. Offender Rehabilitation Act, 2014, c.11, 8.
1101
Manuel sur les programmes de justice réparatrice, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, 2008,
p.17, en ligne : <www.unodc.org>.
363
service de médiation à Coventry, et par Martin WRIGHT à Wolverhampton1102. En France, ce
sont les associations d’aide aux victimes qui furent les premières à mettre en place des projets
pilotes pour expérimenter la médiation pénale. La médiation pénale sert tout d’abord à permettre,
avec l’intervention d’un médiateur, la rencontre entre la victime et l’auteur de l’infraction, dans
le but de créer un échange qui permettra d’aboutir à un accord sur les modalités de réparation des
conséquences de l’infraction. Ces médiations se limitent par conséquent aux infractions mineures
auxquelles une réparation est possible. Cependant, il n’est pas exclu qu’une médiation puisse être
mise en place après la détermination de la peine ; la réparation sert dans ce cas uniquement à une
réparation personnelle de la victime qui désire assouvir son besoin d’avoir des explications et
d’exprimer ses sentiments. Elle permet à la victime et au délinquant de comprendre leur vécu
mutuel, et souvent, à la victime, de recevoir des excuses.
1102
Marie-Clet DESDEVISES, « L'évaluation des expériences de médiation entre délinquants et victimes: l'exemple
britannique », Revue de science criminelle, 1993, p.45. Tony F. MARSHALL, « The evolution of restorative justice
in Britain », European journal on criminal policy and research, 1996, n° 4, p.21.
1103
Manuel sur les programmes de justice réparatrice, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, 2008,
p.20, en ligne : <www.unodc.org>.
1104
Robert CARIO, « Justice restaurative », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, mai 2018.
364
cercle de détermination de la peine est basé sur une approche collective qui permet la
participation de la victime, de l’infracteur, des familles et de membres de la communauté. Il se
distingue de la conférence car il peut prendre un aspect plus juridique par la participation du
juge, des avocats et des officiers de police 1105. Ainsi, une sanction pourra être prononcée à l’issue
du processus mais ce qui reste le plus important dans le cadre du cercle c’est la procédure et les
échanges qui permettent d’aborder le conflit de manière large, ne le limitant pas à l’infraction
elle-même mais englobant le cadre social des personnes concernées. Le cercle permet ainsi
d’aborder et de traiter autant que possible les causes du problème, en plus des conséquences. Ce
type de mesure est le plus proche des systèmes de justice actuels car il peut s’effectuer avec la
participation des acteurs de la justice pénale, avec l’aide d’un comité de justice communautaire
qui aidera à la mise en place de la procédure.
510. Les mesures d’inspiration restaurative en droit français. On peut, sans doute
avec quelques interrogations, s’avancer à dire que les mesures et peines à caractère réparateur en
droit pénal français sont d’inspiration restaurative 1106. Il convient cependant de différencier celles
qui permettent la rencontre entre l’auteur de l’infraction et la victime, de celles qui se limitent à
faciliter la réparation et la réhabilitation de l’auteur de l’infraction. La médiation pénale semble
être la mesure la plus proche de l’esprit restauratif car elle combine la rencontre infracteur-
victime et l’objectif de réparation globale des conséquences de l’infraction. Le travail d’intérêt
général quant à lui ne prévoit pas cette rencontre mais est néanmoins d’inspiration restaurative
car il met en lien l’infracteur avec la communauté et envisage la réparation dans une approche
globale et humaine. La composition pénale a un aspect restauratif de par l’objectif manifeste de
réhabilitation du délinquant (par les interdictions et les obligations de suivre des stages ou des
formations). Cette mesure n’envisage cependant la réparation que dans son aspect matériel et
directement relié au préjudice. Enfin, la sanction-réparation est la mesure du droit pénal français
1105
Manuel sur les programmes de justice réparatrice, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, 2008,
p.22, en ligne : <www.unodc.org>.
1106
Jacques-Henri ROBERT, « La honte réintégrative, moteur de la justice restaurative », La semaine juridique,
Edition générale, 2 mars 2015, n° 9, 273.
365
qui est la plus éloignée de l’esprit de la justice restaurative. La rencontre des parties concernées y
est absente et la réparation se limite à l’aspect matériel des conséquences de l’infraction.
Outre les mesures restauratives légales, la France expérimente la mise en place de rencontres
détenus-victimes à travers l’implication des associations de victimes. Ces rencontres, issues du
modèle des conférences restauratives, n’ont pas encore pour objectif d’influer sur le cours de la
procédure pénale ou de l’exécution de la peine. Elles ont été mises en place en milieu ouvert et
en milieu carcéral afin d’instaurer un temps de partage entre les participants pour leur permettre
de cheminer vers un apaisement des souffrances et une reconstruction de soi1107.
511. Les mesures d’inspiration restaurative en droit anglais. En droit anglais, il n’y a
pas à proprement parler des mesures d’inspiration restaurative mais des mesures qui font
référence dans leurs moyens de mise en œuvre à la justice restaurative. C’est le cas par exemple
des avertissements sous condition1108 ou des « suspended sentence orders »1109 dont les textes
citent parmi les obligations possibles du délinquant la possibilité d’effectuer une activité de
réparation impliquant un contact entre la victime et l’auteur de l’infraction 1110. C’est aussi le cas
des « compensation orders » et des « community orders » et, pour les mineurs, des « reparation
orders »1111. La justice restaurative fait ainsi son entrée dans la justice pénale des majeurs et des
mineurs à travers des activités de réparation et de réhabilitation auxquelles le juge peut recourir
pour assortir les modalités d’exécution des mesures ou peines qu’il prononce.
512. La justice restaurative, dans sa définition originelle, semble proposer une justice à
l’opposé du modèle de justice pénale actuellement adopté. Pourtant, les principes qui la fondent
1107
Robert CARIO, « Les rencontres restauratives en matière pénale: de la théorie à l'expérimentation des RDV», AJ
Pénal, 2011, p.294.
1108
“Conditional cautions”.
1109
Équivalent du sursis avec mise à l’épreuve.
1110
Criminal Justice Act, Chapter 44, 2003, section 201, en ligne : <www.legislation.gov.uk>.
1111
Powers of Criminal Courts Sentencing Act, 2000. Inventaire des dispositifs et des procédures favorisant les
rencontres entre les victimes et les auteurs dans le cadre de la mise en œuvre de la justice restaurative. Le cas de
l'Angleterre et du Pays de Galles, Service des affaires européennes et internationales, Ministère de la justice, 2008.
366
et les arguments de ces adeptes véhiculent l’idée d’une justice « idéale » qui résoudrait tous les
problèmes qui ralentissent aujourd’hui la justice pénale et empêchent de présenter des résultats
satisfaisants. La justice restaurative est donc une justice ambitieuse mais la réalité de la pratique
pourrait l’empêcher d’être mise en œuvre à la hauteur de ses ambitions. Développer à l’extrême
la place accordée aux parties concernées par l’infraction semble être une ambition utopique (A)
mais l’approche proposée en ce qui concerne le sens de la peine est une ambition louable qui
devrait résonner dans la justice pénale (B).
1. L’auteur et la victime
1112
Robert CARIO, « La justice restaurative: vers un nouveau modèle de justice pénale? », AJ Pénal, 2007, p.373.
1113
Conférence de consensus sur la prévention de la récidive, « La justice réparatrice », en ligne : <conference-
consensus.justice.gouv.fr>.
1114
Robert CARIO, « De la victime oubliée... à la victime sacralisée? », AJ Pénal, 2009, p.491.
367
lui donner le droit d’entendre et d’être entendue. La victime n’est plus uniquement le destinataire
de la réparation mais elle participe à l’élaboration du processus réparation. Elle en est l’auteur et
le sujet. Ayant participé à la solution, la victime ne peut que trouver l’issue du conflit équitable
et satisfaisante.
Une étude réalisée en Angleterre et en Australie révèle une diminution du désir de vengeance
chez les victimes ayant participé à une mesure de justice restaurative1115. La victime se voit
apaisée car la justice restaurative lui permet une meilleure compréhension des causes ayant mené
à l’infraction. Selon le Pr. CARIO, la justice restaurative permet un renforcement du sentiment
de justice, une diminution de la peur du crime par la découverte de l’humanité de l’auteur de
l’infraction et un mieux-être physique et psychologique car elle permet de prévenir et d’apaiser
les symptômes post-traumatiques1116.
La réhabilitation de l’auteur de l’infraction que vise la justice restaurative permet d’envisager des
conséquences positives sur le risque de récidive de ce dernier. Cependant, tandis qu’une étude
semble confiante sur l’impact positif de la justice restaurative sur la récidive en mentionnant des
statistiques assez larges allant de 25% à 84% de taux plus élevés de non-récidive1118, d’autres
1115
Lawrence SHERMAN, et al., « Effects of face-to-face restorative justice on victims of crime in four
randomized, controlled trials », Journal of experimental criminology, September 2005, n° vol.1 , 3, p.367.
1116
Robert CARIO, « Justice restaurative », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, mai 2018.
1117
Robert CARIO, « Justice restaurative », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, mai 2018.
1118
Lawrence SHERMAN et Heather STRANG, Restorative justice: the evidence, édité par T. S. INSTITUTE,
2007, en ligne : <irrp.edu>. Robert CARIO, « Justice restaurative », in Répertoire de droit pénal et de procédure
pénale, Dalloz, mai 2018, §142. Jeff LATIMER, Craig DOWDEN et Danielle MUISE, L'efficacité des pratiques de
la justice réparatrice: méta-analyse, Division de la recherche et de la statistique, Ministère de la justice - Canada,
2001.
368
études soulèvent l’impossibilité de mesurer l’impact que peut avoir la justice restaurative sur la
récidive des délinquants, voire affirment son absence d’impact réel1119.
516. Les mesures de justice restaurative accordent ainsi une place prépondérante à la
victime et à l’auteur de l’infraction par l’espace de parole qu’elles créent. L’échange entre les
parties leur permet de s’approprier le processus et de répondre à leurs besoins spécifiques. Cette
mise en scène est aujourd’hui difficile à imaginer dans le cadre de la justice pénale car elle n’est
pas compatible avec le rôle du juge et avec les limites du temps accordé à chaque affaire.
L’intervention d’un tiers indépendant est donc primordiale pour le bon déroulement des mesures
restauratives.
2. Le tiers indépendant
Cependant, la dénomination de « tiers indépendant » peut cacher des réalités diverses. Le profil
de la personne, ses qualifications et sa fonction au sein de la procédure ne sont pas encore
déterminés uniformément et avec précision par les textes législatifs et la doctrine.
En droit français, le Code de procédure pénale précise uniquement que le tiers est « formé à cet
effet », sans d’autres précisions sur son identité ou son rattachement (ONG, bureau d’aide aux
victimes, etc)1120. Dans la doctrine on retrouve quelques précisions supplémentaires ce tiers serait
1119
James BONTA, et al., « An outcome evaluation of a restorative justice alternative to
incarceration», Contemporary justice review, 2002, n° 5, p.319.
1120
Article 10-1 c. pr. pén. Gaëlle RABUT-BONALDI, « La mesure de justice restaurative, ou les mystères d'une
voie procédurale parallèle », Recueil Dalloz, 2015, p.97.
369
formé « aux principes déontologiques et méthodologiques de la justice restaurative »1121, encore
faudrait-il que ces principes soit légalement déterminés ou au moins déclarés par une autorité
compétente. En Angleterre, il n’y a pas un organisme unique habilité à mettre en œuvre la justice
restaurative. Plusieurs organismes offrent commercialement ou bénévolement des services de
médiation et établissent leur propre programme de formation et d’accréditation de médiateurs1122.
Une institution vient cependant chapeauter les différentes initiatives sous la dénomination de
« Restorative justice council » et vise à rassembler et accréditer les organismes qui le
souhaitent1123.La situation est identique en France mais dans ces deux pays, ces organismes
reçoivent en principe une autorisation d’exercer leur mission de l’État qui accréditent ainsi
indirectement leur mode de fonctionnement. La circulaire du 15 mars 2017 vient ainsi préciser
que « la loi ne prévoit pas d’habilitation particulière de structures associatives », et qu’il serait
fait appel au réseau des associations du secteur socio-judiciaire habilité et à celui des associations
conventionnées1124.
518. L’identification du rôle du tiers. Du point de vue du rôle du tiers, il varierait selon
la mesure restaurative en question. Il serait « animateur » dans le cadre d’une rencontre détenu-
victime, « médiateur » dans le cadre d’une médiation » et « accompagnateur » dans le cadre d’un
cercle de soutien »1125. En l’absence d’une formation universitaire unique dont le contenu serait
accrédité par l’État, on ne peut que s’inquiéter d’une disparité des niveaux des programmes de
formation dispensés par les organismes et ONG qui œuvrent dans le domaine de la justice
restaurative. En France, la circulaire du 15 mars 2017 vient limiter les organismes habilités à
dispenser une formation à la justice restaurative et recommande de ne pas recourir à d’autres
intervenants.
1121
Robert CARIO, « Justice restaurative », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, mai 2018.
1122
Inventaire des dispositifs et des procédures favorisant les rencontres entre les victimes et les auteurs dans le
cadre de la mise en œuvre de la justice restaurative. Le cas de l'Angleterre et du Pays de Galles, Service des affaires
européennes et internationales, Ministère de la justice, 2008.
1123
Consulter: www.restorativejustice.org.uk.
1124
Circulaire du 15 mars 2017, BOMJ 2017-03 du 31 mars 2017, 5.2 (b).
1125
Robert CARIO, « Justice restaurative », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, mai 2018.
370
B. Une ambition louable : le sens de la peine
1. De la punition à la réparation
En droit français, l’article 130-1 du Code pénal dispose que la peine a pour fonction de
sanctionner l’auteur de l’infraction et de favoriser son amendement son insertion ou sa
réinsertion. La réparation ne fait pas encore partie des fonctions de la peine comme en droit
1126
Michel VAN DE KERCHOVE, « Les fonctions de la sanction pénale », Informations sociales, 2005, n° 7, 127,
p.22.
1127
Robert CARIO, « Justice restaurative », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, mai 2018.
371
anglais 1128, mais si on considère que cet article n’est qu’une première tentative de définition de la
peine, on peut apprécier la référence aux concepts de réhabilitation, d’équilibre social et
d’intérêts de la victime. De plus, comme nous l’avons démontré tout au long des précédents
chapitres, la réparation, longtemps réservée au juge civil ou à l’action civile, est de plus en plus
présente au sein de mesures ou sanctions pénales. La justice restaurative a sans doute permis
d’atténuer les frontières entre la réparation et le droit pénal.
521. La réparation, un bien pour un mal. La justice restaurative repose sur l’inclusion
et non l’exclusion de l’auteur de l’infraction. Son inclusion dans le processus restauratif, son
inclusion dans la prise en charge des conséquences de l’infraction, et son inclusion dans la
société. Elle ne répond pas au mal par le mal mais elle y répond pas une forme positive de prise
en charge tournée vers l’avenir. Ce principe d’action est rendu possible par la réparation globale
des conséquences de l’infraction :
la réparation du dommage,
2. La honte réintégrative
1128
Criminal Justice Act, Chapter 44, 2003, art.142, en ligne : <www.legislation.gov.uk>.
1129
John BRAITHWAITE, Crime, shame and reintegration, Cambridge university press, 1989.
372
communauté1130. Le sentiment de honte n’est pas induit par la morale qui est une façon
rationnelle d’expliquer une norme ou une valeur. La honte réintégrative doit toucher les
sentiments de l’infracteur et le mettre mal à l’aise vis-à-vis de l’image que son action renvoie aux
autres.
La honte réintégrative se déroule en deux temps. Dans un premier temps, l’infracteur doit
éprouver un sentiment de honte au regard de l’indignité de son acte. Cette honte naîtra en lui
grâce aux témoignages des victimes, des proches et des membres de la communauté qui lui
feront prendre conscience de la gravité de la situation. Dans un second temps, et parce que faire
naître le sentiment de honte n’a pas pour objectif d’exclure l’infracteur de la société, la mesure
de justice restaurative doit permettre d’apporter à l’infracteur le support nécessaire afin de lui
permettre de réintégrer la société1131. Le support peut être moral, par le soutien de sa famille, ou
plus concret par toute aide apportée afin de lui permettre de réparer le dommage, de réparer les
torts causés à la société par un service communautaire, d’intégrer une formation ou de trouver un
emploi, etc.
La honte réintégrative n’a pas seulement un effet sur l’infracteur. Selon J. BRAITHWAITE, elle
permet à la société d’exprimer, par l’intermédiaire de ses représentants, sa désapprobation du
comportement délictueux en ce qu’il contredit ses normes sociales. Cela permet ainsi d’avoir un
effet restauratif sur la société qui sera apaisée. Ainsi, cette honte offre indirectement un geste de
solidarité envers la victime et la restitue dans sa valeur et sa dignité, en tant que membre de la
communauté dont les droits doivent être défendus 1132.
1130
Jacques-Henri ROBERT, « La honte réintégrative, moteur de la justice restaurative », La semaine juridique,
Edition générale, 2 mars 2015, n° 9, 273.
1131
Robert CARIO, « Justice restaurative », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, mai 2018.
1132
Lode WALGRAVE et Ivo AERTSEN, « Reintegrative shaming and restorative justice », European journal on
criminology policy and research, 1996, n° 4, p.67.
373
Dans leurs principes, la justice restaurative et la justice pénale semblent s’opposer. Pourtant, le
développement de la première en marge de la seconde a permis aux praticiens du droit et au
législateur de repenser le système pénal classique à la lumière des notions restauratives. D’une
influence de la justice restaurative sur la justice pénale à l’intégration de la justice restaurative
dans la justice pénale, il n’y a qu’un pas... que la France et l’Angleterre ont franchi.
523. Les réformes législatives sont souvent le fruit d’une évolution culturelle et sociale.
L’étude des besoins et attentes des victimes et des délinquants par la victimologie et la
criminologie a permis de repenser les réponses apportées à la délinquance. Parallèlement à cette
réflexion, des réponses se développaient déjà auprès de certains tribunaux ou dans certaines
associations de victimes grâce à la mise en place d’expériences pilotes entre délinquants et
victimes. Ces expériences, fondées sur les principes de la justice restaurative importée des pays
d’Amérique du Nord, ont fini par porter leurs fruits. D’abord limitée à des projets expérimentaux
et principalement associatifs, la justice restaurative finit par s’institutionnaliser (I). Toutefois,
cette institutionnalisation ne s’est pas produite sans en altérer certains principes (II).
374
A. La légalisation de la justice restaurative
525. L’Angleterre a légalisé la justice restaurative au début des années 2000, bien après le
développement de celle-ci dans des procédures parajudiciaires 1133. La France a tardé à légaliser
la notion, sans doute à cause de la présence d’autres mesures réparatrices qui semblaient pouvoir
être confondues avec des mesures restauratrices, telles que la médiation ou la composition
pénale. Le besoin de distinguer la justice restaurative d’autres mesures réparatrices et de lui
donner un cadre juridique propre est apparu nécessaire (1). La légalisation de la justice
restaurative n’a néanmoins pas évité certaines difficultés de mise en œuvre (2).
1. Le cadre juridique
1133
Tony MARSHALL, « The evolution of restorative justice in Britain », European journal on criminal policy and
research, Décembre 1996, n° 4. Best practice guidance for restorative justice, Restaurative justice council, Ministry
of Justice, 2011, en ligne : <www.restorativejustice.gov.uk>.
1134
Résolution 1999/26 du 18 juillet 1999.
1135
Résolutions du 27 juillet 2000 et du 24 juillet 2002 relatives aux principes fondamentaux concernant le recours à
des programmes de justice réparatrice en matière pénale.
1136
Résolution 69/194 du 18 décembre 2014.
375
réparatrice. La directive développe aussi les garanties nécessaires pour une bonne application des
mesures restauratives telles que la protection de la victime contre une victimisation secondaire, la
formation adéquate des personnes chargées de la justice réparatrice, l’accès des victimes à
l’information et aux conseils concernant le processus1137, etc. La directive de 2012 a été
complétée par une recommandation du Conseil de l’Europe relative à la justice restaurative en
matière pénale1138. La recommandation définit la justice restaurative comme étant tout
« processus permettant aux personnes qui ont subi un préjudice résultant d’une infraction et aux
responsables de ces préjudices de participer activement, s’ils y consentent librement, au
règlement des problèmes résultant de l’infraction, avec l’aide d’un tiers qualifié et impartial ».
Nous rejoignons l’avis du Pr. Robert CARIO en déplorant l’utilisation du terme « préjudice » qui
renvoie en France au droit civil, tandis que la version anglaise de la recommandation utilise
l’expression « harmed by the crime »1139.
528. Le cadre juridique anglais. Le Criminal Justice Act de 2003 a ouvert la voie à
l’institutionnalisation de la justice restaurative en définissant la réparation comme l’un des
objectifs de toute condamnation1140. Dans une contribution présentée en 2007 devant la
commission européenne pour l’efficacité de la justice, le Royaume-Uni a développé la stratégie
du gouvernement en matière de justice restaurative 1141. L’objectif général est que le système
judiciaire pénal maximise le recours à la justice restaurative pour répondre aux besoins des
victimes et réduire la récidive. Cet objectif serait atteint par la mise en place d’une justice
restaurative de qualité à tous les stades de la justice pénale et par la compréhension de sa
meilleure utilisation afin de l’intégrer pleinement, à long terme, au sein de la justice pénale. En
2014, le Offender rehabilitation Act inclut la justice restaurative parmi les activités réparatrices
favorisant la réhabilitation des délinquants. Elle y est définie comme une activité qui rassemble
l’auteur de l’infraction et la victime, dont le but est de faire prendre conscience au délinquant de
1137
Directive disponible en ligne sur: eur-lex.europe.eu.
1138
Recommandation CM/Rec (2018)8 du 5 octobre 2018. Robert CARIO, « Les apports de la recommandation
(18)8 du Conseil de l'Europe dans la consolidation de la justice restaurative en France », AJ Pénal, 2019, p.87.
1139
Voir en ce sens le chapitre consacré à la réparation, accessoire de la peine.
1140
Criminal Justice Act, Chapter 44, 2003, en ligne : <www.legislation.gov.uk>.
1141
Restorative justice: the government's strategy. Contribution by the United Kingdom, Working group on
Mediation, European commission for the efficiency of justice, 2007, en ligne : <rm.coe.int>.
376
l’impact de son acte sur la victime et qui donne à la ou les victime(s) l’opportunité de s’exprimer
sur son vécu1142.
La volonté d’intégrer la justice restaurative au système pénal existant ayant été exprimée, le
gouvernement anglais poursuit son action en faveur de l’institutionnalisation de la justice
restaurative à travers des stratégies pluriannuelles et des plans d’actions 1143.
L’imposition d’une évaluation continue des pratiques restauratives à tous les stades de la
procédure pour analyser leur impact sur les différents acteurs (victimes, jeunes, adultes,
etc.) et pour favoriser un échange d’informations entre les professionnels du secteur1144.
529. Le cadre juridique français. La loi du 15 août 2014 pose le cadre juridique de la
justice restaurative en incluant l’article 10-1 dans le Code de procédure pénale. Ce texte définit
les mesures de justice restaurative et le cadre dans lequel elles sont mises en œuvre. Le choix
d’accorder à ce texte un sous-titre spécifique sous le titre préliminaire des dispositions générales
du code est à souligner. Même si la loi définit ici la mesure de justice restaurative, il semble bien
qu’il ne s’agit pas d’une mesure comme le sont par exemple la médiation pénale ou la
composition pénale, rangées parmi les attributions des autorités chargées de la conduite de
l’action publique. Le symbole est fort et on pourrait envisager à l’avenir que d’autres articles
1142
Offender Rehabilitation Act, section 200 A.
1143
L’ensemble de ces documents institutionnels peuvent être consultés en ligne sur: www.gov.uk sous le mot-clé
“restorative justice”.
1144
Restorative justice action plan for the criminal justice system, Ministry of Justice, November 2012, en ligne :
<www.gov.uk>.
377
relatifs à la justice restaurative viennent compléter ce sous-titre et contribuent à faire de la justice
restaurative un modèle de justice au sein de la justice pénale. La loi du 15 août 2014 introduit
aussi l’article 707 au Code de procédure pénale et accorde à la victime, lors de l’exécution de la
peine, le droit d’obtenir la réparation de son préjudice, par l’indemnisation de celui-ci ou par tout
autre moyen adapté, y compris, s’il y a lieu, en se voyant proposer une mesure de justice
restaurative.
La loi du 17 août 2015 complète la définition en créant l’article 10-2 sous un sous-titre 3
intitulé « des droits des victimes ». Ce texte dispose entre autres que « les officiers et agents de
police judiciaire informent par tout moyen les victimes de leur droit, (1) d’obtenir réparation de
leur préjudice, par l’indemnisation de celui-ci ou par tout autre moyen, y compris, s’il y a lieu,
une mesure de justice restaurative ; [...] ». Ce cadre législatif, quoique prometteur, manque de
préciser les modalités concrètes d’application des mesures de justice restaurative 1145.
Il a fallu attendre la circulaire du 15 mars 2017 pour comprendre les conditions préalables à la
mise en œuvre et les modalités de mise en œuvre et de contrôle des mesures de justice
restaurative1146. La circulaire précise notamment que la justice restaurative est un « modèle de
justice » et non une simple mesure, ce qui explique que lui soit consacré un sous-titre spécifique
au sein du Code de procédure pénale. Elle annonce aussi la création d’un comité national de la
justice restaurative comprenant des représentants de chacune des directions du ministère de la
justice qui sera chargé d’évaluer la pertinence des formations et expérimentations en cours.
530. Des difficultés relatives à la communication. Bien avant les difficultés qui peuvent
survenir au cours d’une procédure de justice restaurative, la première difficulté à laquelle font
1145
Benjamin SAYOUS, « La justice restaurative dans la réforme pénale: de nouveaux droits pour les victimes et les
auteurs d'infractions pénales », AJ Pénal, 2014, p.461. Gaëlle RABUT-BONALDI, « La mesure de justice
restaurative, ou les mystères d'une voie procédurale parallèle », Recueil Dalloz, 2015, p.97. Jacques-Henri
ROBERT, « La honte réintégrative, moteur de la justice restaurative », La semaine juridique, Edition générale, 2
mars 2015, n° 9, 273.
1146
Circulaire du 15 mars 2017, publiée au BOMJ 2017-03 du 31 mars 2017. Nathalie MAZAUD, « Retour sur
l'expérimentation de la justice restaurative - A propos de la circulaire du 15 mars 2017 », Semaine juridique -
Edition générale, 29 mai 2017, n° 22, p.601.
378
face les professionnels est celle de rendre possible les choix de recours à la justice restaurative.
Récemment légalisée en France et en Angleterre, il s’agit de sensibiliser la société et les
professionnels de la justice aux intérêts de recourir à la justice restaurative car la réussite de
celle-ci dépend de la participation de tous : victimes, infracteurs, officiers de police, proches et
membres de la communauté. La sensibilisation permet aussi d’apporter une vision réaliste sur ce
que la justice restaurative peut permettre et ce qu’elle ne peut réaliser, pour éviter toute
désillusion1147. La formation des professionnels est un levier majeur pour la diffusion des
mécanismes et principes de la justice restaurative 1148.
Absence d’une procédure de contrôle de la qualité des services délivrés par les
associations et institutions de justice restaurative, associé à cela un manque d’évaluation
permanente des processus restauratifs.
Absence d’uniformité en matière d’offre de mesures restauratives dans toutes les régions
ce qui conduit à une inégalité, une différence de traitement entre les victimes en fonction
de leur lieu de résidence1149.
1147
Restorative justice action plan for the criminal justice system, Ministry of Justice, November 2012, en ligne :
<www.gov.uk>.
1148
Circulaire du 15 mars 2017, publiée au BOMJ 2017-03 du 31 mars 2017.
1149
Restorative justice action plan for the criminal justice system, Ministry of Justice, November 2012, en ligne :
<www.gov.uk>.
379
En France, la circulaire du 15 mars 2017 préconise plusieurs actions en faveur d’une
uniformisation, sans toutefois imposer leurs applications. Nous relevons notamment la
proposition de créer un comité de pilotage au sein de la juridiction afin de suivre, évaluer et
assurer la pérennité du dispositif.
533. Droits de la défense. Les mesures restauratives, notamment lorsqu’elles sont mises
en place avant toute condamnation pénale, doivent prendre en compte les droits de la défense et
la présomption d’innocence. En droit français, l’article 10-1 du Code de procédure pénale
impose le consentement exprès des parties à participer au processus restauratif. En ce qui
concerne l’auteur de l’infraction, ce consentement ne doit pas être interprété comme un aveu
judiciaire ou extra-judiciaire mais à une « absence de dénégation »1150. La circulaire du 15 mars
2017 précise que les parties doivent s’accorder sur « les faits principaux de la cause ». La
participation à une mesure de justice restaurative a cela d’ambiguë qu’elle ne peut se faire sans
que l’auteur des faits accepte d’assumer ses torts, donc avoue indirectement être à l’origine de
l’infraction. Cependant, cet aveu indirect n’a pas de valeur judiciaire d’abord parce que la
mesure est extra-judiciaire et facilitée par un tiers indépendant qui ne peut recueillir des aveux et
ensuite parce que cela ne motiverait pas les infracteurs à accepter de participer à une mesure
1150
Robert CARIO, « Justice restaurative », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, mai 2018.
380
restaurative. Les droits de la défense sont aussi protégés par la confidentialité des échanges, sauf
accord des parties ou intérêt supérieur lié à la nécessité de prévenir ou réprimer des infractions.
En droit anglais, l’accord des parties est aussi une condition de mise en œuvre d’une mesure
restaurative car il représente une garantie de participation et d’implication dans le processus. Les
mesures de justice restaurative étant incluses dans des mesures judiciaires plus larges prononcées
dans le cadre de la procédure pénale (comme un avertissement sous condition ou un sursis), elles
sont soumises à la condition de la reconnaissance de culpabilité de l’infracteur. Le « Criminal
Justice Act » le précise à l’article 23 (3).
En droit anglais, il n’est pas fait mention légale de l’obligation d’informer l’auteur de l’infraction
et la victime sur le déroulement de la mesure restaurative. Nous pouvons juste relever dans le
cadre des mesures alternatives, l’obligation d’informer l’auteur de l’infraction des conséquences
de l’échec de la mesure : le déclenchement des poursuites pénales. Cette condition soulève un
point d’interrogation en cas d’échec de la mesure restaurative. La caractérisation de l’échec
d’une mesure restaurative n’est pas clairement opérée, à supposer qu’une mesure restaurative
puisse « échouer », ce que certains réfutent car le processus en lui-même serait un succès même
s’il n’aboutit pas à un accord. On peut cependant considérer qu’il y a échec si la mesure
restaurative n’aboutit pas à la réparation des conséquences de l’infraction, objectif énoncé de la
mesure.
381
2. L’articulation des procédures
Cette approche est illustrée dans les stratégies du gouvernement en matière de justice
restaurative. Le premier plan d’action précise que l’objectif est d’actionner les leviers nécessaires
afin de permettre l’intégration de la justice restaurative nationalement grâce à une approche
centralisée1153.
1151
Christophe BEAL, « Justice restaurative et justice pénale », Collège international de philosophie, 2017/3, n° 93,
p.58, en ligne : <cairn.info>.
1152
Lode WALGRAVE, « Comment combiner justice restauratrice et justice pénale: questions et discussions », in
La justice restauratrice, sous la dir. de P. GAILLY, Larcier, 2011, p.417.
1153
Restorative justice action plan for the criminal justice system, Ministry of Justice, November 2012, p.1,
en ligne : <www.gov.uk>. Ce plan d’action a été suivi d’un deuxième plan d’action en novembre 2014 pour une
période allant jusqu’à mars 2018: Restorative justice action plan for the criminal justice system for the period to
March 2018, Ministry of Justice, November 2014, en ligne : <www.gov.uk>.
1154
Circulaire du 15 mars 2017 relative à la mise en œuvre de la justice restaurative, BOMJ n°2017-07 du 31 mars
2017. Robert CARIO, « Justice pénale et justice restaurative: entre complémentarité et autonomie assumées », AJ
Pénal, 2017, p.252.
382
autant contrôler le déroulement de la mesure individuelle, qui se déroule en toute
confidentialité ». Il est aussi précisé qu’au cours des premiers stades de la procédure, la mesure
de justice restaurative ne doit pas interférer avec le déroulement de la procédure pénale.
Les principes directeurs de procédure pénale n’ont pas lieu de s’appliquer et l’échec ou le succès
de la mesure restaurative sont sans incidence sur la réponse pénale. La circulaire qualifie les
deux procédures d’imperméables: la mesure de justice restaurative n’a pas d’incidence sur la
décision d’engager des poursuites ou sur le choix de la peine, la décision de l’auteur de quitter le
dispositif ne peut lui être préjudiciable et la mesure n’a pas d’effet sur l’octroi de dommages-
intérêts à la partie civile ou sur l’indemnisation de la victime dans le cadre d’une alternative aux
poursuites. Cette vision minimaliste est critiquable car elle enferme la mesure restaurative dans
une simple approche de dialogue entre les parties et n’accorde pas d’effet à tout accord sur la
réparation qui pourrait s’ensuivre. On pourrait ainsi affirmer que la loi du 15 août 2014 s’est
limitée à légaliser la justice restaurative, sans vraiment l’intégrer à la justice pénale.
1155
Pierre NOREAU et Romilda MARTIRE, « L'institutionnalisation de la justice réparatrice », in Justice
réparatrice et médiation pénale: convergences ou divergences?, sous la dir. de M. JACCOUD, L'Harmattan, 2003,
p.209.
383
II. L’altération de la justice restaurative
1156
Christophe BEAL, « Justice restaurative et justice pénale », Collège international de philosophie, 2017/3, n° 93,
p.58, en ligne : <cairn.info>.
1157
Pierre NOREAU et Romilda MARTIRE, « L'institutionnalisation de la justice réparatrice », in Justice
réparatrice et médiation pénale: convergences ou divergences?, sous la dir. de M. JACCOUD, L'Harmattan, 2003,
p.209.
1158
Christophe BEAL, « Justice restaurative et justice pénale », Collège international de philosophie, 2017/3, n° 93,
p.58, en ligne : <cairn.info>.
1159
Manuel sur les programmes de justice réparatrice, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, 2008,
en ligne : <www.unodc.org>.
384
1. La limitation de son champ d’application
540. Une justice pour infractions mineures. La première erreur est d’affirmer que la
justice restaurative est uniquement destinée à répondre aux infractions mineures. La justice
restaurative est certes une alternative à la justice pénale traditionnelle mais ce statut ne doit pas
être comparé à celui des mesures alternatives réparatrices qui visent principalement une certaine
catégorie d’infraction. Il est sans doute plus facile d’intégrer de nouvelles mesures lorsqu’elles
visent les infractions mineures mais il ne faudrait pas limiter la justice restaurative à cette
catégorie d’infractions. Bien au contraire, le Pr. Robert CARIO démontre que la justice
restaurative n’est pas adaptée à la petite délinquance dont les faits sont mineurs et les dommages
faibles. Selon lui, ce n’est pas la gravité de l’acte qui commande la mise en place d’une mesure
restaurative mais la gravité des répercussions sur les personnes concernées1160.
541. Une justice pour infractions de mineurs. Les caractères humain, réhabilitateur et
éducateur de la justice restaurative sont très appropriés au traitement de la délinquance des
mineurs mais ce serait une erreur de limiter cette forme de justice à ce domaine d’intervention.
Pourtant, l’intégration de la justice restaurative se fait plus facilement au sein de la justice des
mineurs, réputée pour être plus douce1161. Souvent, les législations nationales commencent par
intégrer des pratiques restauratives au sein du droit des mineurs avant de les étendre à la justice
des majeurs. Ce fut le cas par exemple en France pour la médiation pénale et la réparation pénale
et en Angleterre pour les « youth offending teams ».
542. Une justice pour qui ? La justice restaurative peut d’un côté être vue comme la
justice des victimes. Une justice qui leur donne la parole, crée un espace de communication de
leurs sentiments et comble tous les manques reprochés à la justice traditionnelle en matière de
1160
Robert CARIO, « Justice restaurative », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, mai 2018.
1161
La Nouvelle-Zélande a, dès 1989, fait de la justice restaurative le cœur de son système de traitement de la
délinquance juvénile. Howard ZEHR, La justice restaurative, pour sortir des impasses de la logique punitive, Labor
et fides, 2012, p.26.
385
prise en charge des victimes. Les infracteurs pourraient se sentir entraînés dans une mesure
thérapeutique au profit de la victime, dans laquelle ils ne voient qu’un moyen d’éviter une
sanction plus lourde.
D’un autre côté, la justice restaurative pourrait être perçue comme une justice en faveur des
délinquants, dans laquelle les victimes ne feraient que participer à l’effort de réhabilitation1162.
La justice restaurative serait uniquement un modèle de prise en charge des délinquants afin de les
« redresser » et empêcher la récidive. Ces deux visions opposées ne reflètent pas la réalité des
fondements de la justice restaurative qui mise sur l’interaction de l’auteur et la victime de
l’infraction pour une réparation mutuelle et la possibilité d’envisager l’avenir et de se
reconstruire après l’infraction. La justice restaurative prend en compte les besoins de chacun.
2. La labellisation restaurative
543. Des semblants de mesures restauratives. Une étude basée sur une enquête de
terrain parmi les professionnels du secteur a mis en relief une absence de connaissance réelle du
terme de justice restaurative et des mesures qui y sont associées 1163. Parfois, le manque de
connaissance des fondements de la justice restaurative conduit à qualifier de restauratives des
mesures qui ne le sont pas. La présence d’éléments communs avec la justice restaurative peut
prêter à confusion, notamment celle de la réparation. Or toute mesure réparatrice n’est pas une
mesure restaurative. Il suffit de penser en droit français à la sanction-réparation ou à la
composition pénale.
De même, en droit anglais, la seule référence à la réparation comme objectif de la peine dans
le Criminal Justice Act ne suffit pas pour conclure en la possibilité d’une mesure restaurative.
Les mesures réparatrices peuvent ne pas être fondées sur les principes restauratifs.
1162
Howard ZEHR, La justice restaurative, pour sortir des impasses de la logique punitive, Labor et fides, 2012,
p.28.
1163
Sid ABDELLAOUI, Nicolas AMADIO et Patrick COLIN, Freins et leviers de la justice restaurative en France,
GIP Mission Droit et Justice, décembre 2016, en ligne : <www.gip-recherche-justice.fr>.
386
544. Des mesures identiques pour des objectifs différents. Il existe certaines mesures
qui peuvent être mises en place dans une approche et un objectif restauratif, ou peuvent
poursuivre d’autres objectifs. Le travail d’intérêt général peut par exemple faire partie d’un
programme restauratif mais il peut aussi être mis en place dans le cadre d’une action éducative,
voire même d’une action punitive 1164. La médiation peut être mise en œuvre dans un cadre civil
et commercial, et peut même dans le cadre pénal se rapprocher plus d’une négociation sur la
réparation que d’une véritable approche restaurative. L. WALGRAVE estime que le critère de
distinction de ces pratiques avec les mesures restauratives réside dans la dimension socio-éthique
qui les inspire.
387
contre les classements sans suite qui nuisent fortement au taux de réponse pénale. Enfin, la mise
en œuvre d’une mesure de justice restaurative, utilisée comme alternative aux courtes peines
d’emprisonnement, coûterait moins cher et allègerait le budget alloué à la justice.
Cependant, la justice restaurative ne doit pas être institutionnalisée en tant que « technique
d’établissement de sanctions » mais en tant que modèle de définition de la justice 1166. Ainsi, s’il
apparaît qu’elle a des effets positifs sur la bonne administration de la justice, ce ne serait que des
conséquences indirectes de son application. Ce ne doit pas être le moteur de son développement,
au risque d’altérer son véritable objectif.
1166
Pierre NOREAU et Romilda MARTIRE, « L'institutionnalisation de la justice réparatrice », in Justice
réparatrice et médiation pénale: convergences ou divergences?, sous la dir. de M. JACCOUD, L'Harmattan, 2003,
p.209.
1167
Manuel sur les programmes de justice réparatrice, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, 2008,
en ligne : <www.unodc.org>.
1168
Idem. James BONTA, et al., « An outcome evaluation of a restorative justice alternative to
incarceration», Contemporary justice review, 2002, n° 5, p.319. John BRAITHWAITE, Restorative justice and
responsive regulation, Oxford university press, 2002.
1169
Robert CARIO, « Justice restaurative », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, mai 2018.
388
à une mesure restaurative. La diminution du taux de récidive pourrait aussi être expliquée par
d’autres facteurs tels que le soutien familial du délinquant, la nature de l’infraction commise, le
suivi psychologique effectué, etc.
548. La justice restaurative n’est pas une justice alternative. La justice restaurative
n’est pas une justice alternative dans le sens où elle vient remplacer la justice pénale
traditionnelle. On pourrait la qualifier d’alternative si on la définit comme une autre forme de
justice, une autre voie possible, et non une voie de remplacement. Ainsi, la justice restaurative ne
devrait pas être utilisée uniquement dans le but d’éviter des peines d’emprisonnement. Elle
pourrait ne pas être adaptée au cas en question car ce n’est pas une réponse universelle à la
criminalité. En outre, la justice restaurative n’est pas exclusive de la prison ; certaines mesures se
déroulent en parallèle à l’exécution d’une peine d’emprisonnement telles que les rencontres
détenus-victimes.
La justice restaurative ne devrait pas non plus être perçue comme une mesure alternative à la
peine. Cela donnerait de fausses motivations aux infracteurs et leur consentement à participer à
une mesure restaurative sera faussé. En Angleterre, le ministère de la Justice le précise
clairement : « restorative justice is not an alternative to sentencing ; a way of an offender getting
a lighter sentence by expressing insincere remorse »1170.
1170
Restorative justice action plan for the criminal justice system, Ministry of Justice, November 2012, p.1,
en ligne : www.gov.uk.
389
Conclusion du chapitre 2
1171
Recommandation CM/Rec (2018)8. Robert CARIO, « Les apports de la recommandation (18)8 du Conseil de
l'Europe dans la consolidation de la justice restaurative en France », AJ Pénal, 2019, p.87.
1172
Lode WALGRAVE, « Comment combiner justice restauratrice et justice pénale: questions et discussions », in
La justice restauratrice, sous la dir. de P. GAILLY, Larcier, 2011, p.417.
390
Conclusion du Titre 2
552. L’idée que la réparation soit un complément de la justice pénale est plus facile à
accepter par les juristes français car cela ne remet pas en cause la répartition des fonctions de la
justice pénale et de la justice civile. La réparation à travers l’exercice de l’action civile n’est pas
prête de laisser la place à une réparation pénale globale car cela bouleverserait la place de la
victime au sein du procès pénal, le sens de la peine et la mission de la justice pénale.
La réparation pénale fait son entrée dans la justice pénale à travers la restauration. Le
développement et l’institutionnalisation de la justice restaurative ne pourront que participer à
l’autonomie d’une notion de réparation pénale. Par rapport à son expansion, la Common Law
permet une plus grande flexibilité dans la réintégration de pratiques ancestrales de résolution des
conflits1173, à la différence des pays d’Europe continentale qui n’envisagent les mesures
réparatrices que comme des mesures additionnelles. Cela s’expliquerait par l’importante minorité
indigène des pays de Common Law dont les coutumes permettent le traitement de la criminalité
de façon participative et orientée vers le rétablissement de la paix sociale 1174. Le développement
de la justice restaurative en France devra être évalué avec du recul afin de déterminer si elle se
réduit à une simple mesure alternative ou si elle déploie un modèle de justice réparatrice au sein
de la justice pénale.
1173
Howard ZEHR, La justice restaurative, pour sortir des impasses de la logique punitive, Labor et fides, 2012,
p.27.
1174
Lode WALGRAVE, « La justice restaurative et la perspective de victimes concrètes », in Justice réparatrice et
médiation pénale, convergences ou divergences, sous la dir. de M. JACCOUD, L'Harmattan, 2003, p.162.
391
CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE
392
CONCLUSION GÉNÉRALE
555. Se lancer dans une étude de la réparation en droit pénal ne permettait pas
d’envisager une justice pénale favorable à l’intégration, dans sa sphère, de la réparation. En effet,
nombreuses sont les critiques contre ce qui semble être un renversement des fonctions du droit
pénal et du droit civil1175. Or, il s’agirait d’un renversement si c’était la réparation au sens civil
du terme qui était transposée en droit pénal. Cependant, ce que nous avons tenté de démontrer
c’est l’existence d’une notion pénale de réparation, distincte de la réparation civile, et qui évolue
en droit pénal, dans l’attente d’une reconnaissance. En droit civil, la réparation est l’objet de la
responsabilité civile. La définition de la notion de réparation pénale est plus difficile à poser tant
la réparation apparaît de multiples façons en droit pénal. Elle est tantôt la condition d’une mesure
qui permet d’éviter les poursuites ou l’exécution d’une peine, tantôt l’obligation d’une mesure
sanctionnatrice, une peine à part entière, voire même l’essence d’un modèle de justice. C’est sur
ce plan que la comparaison avec le droit anglais est la plus bénéfique car la réparation y est
principalement définie comme l’une des finalités de la peine.
Plusieurs éléments permettent de définir la place de la réparation en droit pénal. Il s’agit d’abord
des prérequis au développement de la réparation en droit pénal (I) et ensuite des conséquences de
la réparation sur le droit pénal (II).
1175
Bertrand PAILLARD, La fonction réparatrice de la répression pénale, L.G.D.J, 2007, [Université Panthéon-
Assas]. Xavier PIN, « La privatisation du procès pénal », Revue de sciences criminelles, 2002, p.245. Charlotte
DUBOIS, Responsabilité civile et responsabilité pénale. A la recherche d'une cohérence perdue., L.G.D.J., 2016,
[Paris II].
1176
Loi 422/2002 du 6 juin 2002 relative à la protection des mineurs en danger ou en conflit avec la loi.
393
libanais mais cette loi, vide de toute philosophie réparatrice, ne fait qu’instaurer une peine de
travaux forcés déguisée. En effet, dans le cas où la peine de travail d’intérêt général vient
remplacer une peine d’un an d’emprisonnement, la durée du travail d’intérêt général peut
s’élever à 2920 heures, effectuées sans le consentement de l’intéressé.
557. Permettre une justice multi-acteurs. Il ressort des développements de cette thèse
que les droits dans lesquels les mesures réparatrices sont les plus développées sont ceux qui
accordent des prérogatives judiciaires à une multiplicité d’acteurs. En effet, en droit anglais, les
officiers de police, le Crown Prosecution Service et les magistrats ont la possibilité de choisir,
d’ordonner et de mettre en œuvre des mesures réparatrices de manière autonome. Car ce qui fait
l’efficacité et la crédibilité de la réparation c’est sa réalisation dans un délai proche de la
commission de l’infraction. Il est donc important d’accorder aux acteurs judiciaires qui
interviennent au commencement de la procédure judiciaire des prérogatives pour favoriser la
mise en œuvre de mesures réparatrices.
En droit français, l’abrogation de la transaction par officier de police judiciaire limite leur
possibilité d’intervention en amont des poursuites. Les officiers de police judiciaire peuvent
toutefois servir d’intermédiaire au procureur de la République qui lui a la faculté d’ordonner, ou
de proposer, des mesures réparatrices.
1177
Jean PRADEL, « Des dispositions de la loi du 23 mars 2019 sur le renforcement de l'efficacité et du sens de la
peine: texte fondateur ou texte d'ajustement? », D. 2019, p.1002. Yves MAYAUD, « De la loi au Conseil
constitutionnel, une réforme contrastée de la procédure pénale », AJ Pénal, 2019, p.176.
394
judiciaire, récemment adoptée1178, ne permettra pas à la médiation d’évoluer de manière
optimale, la médiation ne pouvant être proposée que par le juge en charge du dossier.
Permettre une justice multi-acteurs c’est aussi intégrer au processus de prise en charge des
infracteurs et des victimes, des professionnels extra-judiciaires. Un réseau de professionnels
formés à la médiation, au suivi de l’exécution de travaux d’intérêt général et autres mesures de
réparation, à la protection et la prise en charge des victimes, est nécessaire pour le
développement de mesures réparatrices en droit pénal 1179.
La prise en compte de la victime n’implique pas qu’elle devienne acteur du procès pénal. A
travers la réparation pénale, elle devient bénéficiaire du processus. L’objectif de la réparation
pénale n’est donc pas directement la réparation à la victime mais la réparation du dommage
causé par l’infraction dans un but de responsabilisation de l’auteur et de rétablissement de
l’équilibre rompu par la commission de l’infraction.
1178
Loi 82/2018 relative à la médiation judiciaire au Liban, publiée au JO le 18 octobre 2018.
1179
Denis L'HOUR, « Le secteur associatif: un acteur incontournable mais méconnu des mutations judiciaires », AJ
Pénal, 2011, p.228. Stéphanie LASSALE, « La réforme pénale peut-elle se passer d'une complémentarité entre le
secteur public et le secteur associatif socio-judiciaire? », AJ Pénal, 2014, p.272.
1180
Voir supra n°468 et s.
395
II. Les conséquences de la réparation sur le droit pénal
L’adhésion de l’auteur de l’infraction est primordiale au regard de l’obligation de faire que les
mesures de réparation impliquent. Le consentement de l’auteur protège ainsi le procureur qui n’a
pas de pouvoir de jugement et ne peut donc imposer unilatéralement d’obligations de faire.
L’expression du consentement écarte aussi tout soupçon de travail forcé qu’on pourrait adresser
aux mesures de réparation1182. L’adhésion de l’auteur de l’infraction à la mesure réparatrice est
d’autant plus nécessaire parce que cette mesure implique une participation active de l’auteur qui
ne subit plus passivement sa peine. La mesure de réparation donne à l’auteur de l’infraction la
clé pour clore les poursuites ou pour exécuter la sanction.
560. La réparation instaure une justice participative. Une justice d’adhésion suppose
la participation des parties à la résolution des conséquences de l’infraction. La participation la
plus importante est celle de l’auteur de l’infraction car sur elle repose la particularité de la notion
1181
Yannick JOSEPH-RATINEAU, « Contractualisation de la procédure pénale et liberté procédurale du
parquet », Recueil Dalloz, 2008, p.1035. Philippe SALVAGE, « Le consentement en droit pénal », Revue de
sciences criminelles, 1991, p.699. Brigitte PEREIRA, « Justice négociée: efficacité répressive et droits de la
défense? », Recueil Dalloz , 2005, p.2041.
1182
Comme c’est le cas en droit libanais pour la loi sur le travail d’intérêt général, adoptée le 26 juin 2019, et qui
n’inclut pas la nécessité de recueillir le consentement de l’auteur de l’infraction.
396
de réparation pénale. Il ne s’agit pas d’une indemnisation de la victime mais de la réparation du
dommage par le délinquant. La participation de l’auteur de l’infraction au processus de
réparation sous-entend une prise de conscience de ses torts, sa responsabilisation et sa
réhabilitation. La réparation est ainsi un outil prometteur dans la lutte contre la récidive.
En outre, la justice réparatrice est participative parce qu’elle invite aussi la victime et la
communauté à participer au processus de réparation et à en bénéficier. La victime est entendue
dans ses droits et gagne la possibilité de s’exprimer et de communiquer ses sentiments et ses
besoins, parfois même directement à l’auteur de l’infraction. Elle participe ainsi à la prise de
conscience de l’infracteur. La communauté peut aussi être investie dans le processus réparateur.
La présence de représentants de la société rappelle au délinquant que l’infraction perturbe aussi
l’ordre public. De plus, lorsque la communauté est impliquée, par la mise en place d’un travail
d’intérêt général ou par la participation à un processus de justice restaurative, elle participe à la
réalisation de la justice et aide à la resocialisation du délinquant.
1183
Voir par exemple art. 41-1 C.pr.pén.
397
aux procureurs et aux magistrats une pluralité d’outils pour adapter la réponse pénale aux
infractions. La réparation est une alternative de la justice pénale et elle profite de ce statut
d’alternative qui la différencie pour permettre d’apporter une réponse pénale autrement. La
réparation bouleverse la distribution des rôles des acteurs judiciaires et implique de nouveaux
acteurs dans le processus. Elle redonne aux auteurs et aux victimes la possibilité de prendre en
charge le processus de réparation et de redevenir des parties actives et impliquées, dans un
conflit qui les concerne en premier lieu.
La réparation en droit pénal est aussi une composante de la justice pénale. La réparation a en
effet gagné en autonomie par rapport à l’action civile et elle évolue désormais au cœur de peines
et de processus purement pénaux. La réparation peut être une fonction de la peine, c’est ainsi
qu’elle évolue en droit anglais. En droit libanais, les quelques mesures qui prévoient la réparation
du dommage ne suffisent pas pour affirmer que la réparation est une réelle composante du droit
pénal. Enfin, en droit français, la fonction de la réparation n’est pas encore conceptualisée. La
réparation apparaît sous de nombreuses facettes pour répondre à des besoins spécifiques :
sanction-réparation, objectif d’une mesure ou d’une peine, obligation de faire ou condition de la
mesure. Cette diversité peut jouer en défaveur d’une théorisation de la réparation en droit pénal.
Pourtant, la présence de la réparation de manière aussi plurielle témoigne d’une réalité
incontournable, celle de l’existence sous-jacente d’une notion de réparation pénale. Parfois,
certaines réalités existent avant d’être définies. C’est le cas de la réparation pénale.
398
399
400
ANNEXE
Tableau de concordance des textes de loi
401
402
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Crim. 21 juin 2011, n° 11-80.003, Bull. crim. n°141 ; D. 2011. 2379, note F. Desprez, .2349,
point de vue J.-B. Perrier, et 2012 .2118, obs. J. Pradel; AJ pénal 2011. 584, note L. Belfanti;
RSC 2011. 660, obs. J. Danet; Gaz. Pal. 19 juill. 2011, p.18, note S. Detraz ; Procédures 2011,
comm. 312, obs. J. Buisson ; JCP 2011. 1453, note F. Ludwiczak.
Crim. 2 septembre 2004, AJ Pénal 2005, p. 163.
Crim. 19 octobre 2004, RDI 2005, p.125 ; Droit pénal 2005, n°8.
Crim. 14 novembre 2007, pourvoi n°06-88538, Bull. crim. n°278 ; RTD civ. 2008, p.309.
Crim. 20 novembre 2007, pourvoi n° 07-82.808, D. 2008, p.109.
Crim. 22 janvier 2008, pourvoi n°07-82555, Droit pénal, avril 2008, n° 4, comm. 58.
Crim. 24 juin 2008, pourvoi n°07-87.511, Bull. crim. n°162 ; AJ Pénal, 2008 p.422, obs. Saas ;
D. 2008, .2146; D. 2009, chron. 44, obs. Chaumont et Degorce.
Crim. 28 avril 2011, AJ Pénal 2012, p.107, note M. Herzog-Evans.
Crim. 28 sept. 2011, pourvoi n° 11-82.469.
Crim. 25 septembre 2012, Bull. crim. n°198 ; AJDA 2013. 667 ; D. 2012, p.2711 ; AJ Pénal
2012, p.574.
Crim. 6 novembre 2012, pourvoi n°12-89.449, Bull. crim. n°239 ; JCP 2013, p.144; RTDI
1/2013; Semaine juridique, Edition Générale n°43, 21 octobre 2013, p.1946.
Crim. 15 janvier 2013, pourvoi n°12-80.552, RDI 2013, p.270.
Crim. 24 avril 2013, pourvoi n° 12-82.863, Bull. crim. n°100.
Crim. 19 mars 2014, pourvoi n°12-87.416.
Crim. 24 juin 2014, pourvoi n° 13-84.955, Bull. crim. n°160.
Crim. 16 septembre 2014, pourvoi n° 13-85.526 : JurisData n° 2014-020961.
Crim. 14 octobre 2014, D. 2014, p.2113.
Crim. 24 mars 2015, D. 2015, p.735.
Crim. 22 mars 2016, D. 2016, p.1236.
Crim. 31 janvier 2017, n°16-82.945, AJDA 2017, p. 258 ; D. 2017, p. 352 ; RDI 2017, p.195.
Crim. 28 juin 2017, pourvoi n°16-86.261, RDI 2017, p. 409.
446
Cour de cassation, chambre civile
Civ. 2e, 23 mars 1953, D. 1953 .363, JCP 1953. II. 7637, note Savatier.
Civ. 1e, 20 septembre 2017, pourvoi n°16-19.643, Procédures n°11, Nov. 2017, comm. 260.
Juridictions d’appel
CA Pau, 15 novembre 1962, D. 1963, p.276.
CA Metz, 21 avril 1983, D. 1983, p. 567, note A. Mayer-Jack et D. Mayer.
CA Basse-Terre, 17 novembre 1997, Gazette du Palais 1998 (1er sem.), p.25, note H. Vray.
447
448
INDEX
Les numéros indiqués renvoient aux numéros de pages.
A
community order · 42, 45, 51, 59, 287
absolute discharge · 4
comparution sur reconnaissance préalable de
culpabilité · 70
action civile · 17, 13, 24, 234, 242, 266
compensation orders · 173, 237, 265
action publique · 17, 234, 266
composition pécuniaire · 9
ajournement
avec mise à l’épreuve · 14
composition pénale · 45, 75, 68, 123, 263,
du prononcé de la peine · 14, 25
286
simple · 18
conférence restaurative · 285
alternative
à l’exécution de la peine · 26, 135
consensualisme · 63
au prononcé de la peine · 4
à l’emprisonnement · 48
consentement · 19, 45, 56, 60, 62, 75
aux poursuites · 30, 56, 69, 134
contrainte pénale · 40, 48
aménagement de peine · 36
Convention européenne des droits de
amende transactionnelle · 41, 50
l’homme · 207
associations · 244
convention judiciaire d’intérêt public · 67
autorité de la chose jugée · 249
Cour pénale internationale · 217
avertissements sous condition · 35, 40, 49,
64, 287
Crown Prosecution service · 74
449
J
délai raisonnable · 109
justice réparatrice · 192
délinquance · 120
justice restaurative · 278
délinquant · 289
justice transitionnelle · 222
dépénalisation · 13
L
désistance · 126, 160, 165
libération conditionnelle · 59, See
dispense de peine · 4, 10, 21 aménagement de peine
F M
I O
450
police judiciaire · 33 réparation intégrale · 201, 274
451
V Y
452
TABLES DES MATIÈRES
INTRODUCTION 1
PREMIÈRE PARTIE
LA RÉPARATION, ALTERNATIVE À LA JUSTICE PÉNALE ....................................... 28
TITRE 1
LES MANIFESTATIONS DE LA RÉPARATION COMME ALTERNATIVE À LA
JUSTICE PÉNALE ............................................................................................................. 29
453
II. Les questions soulevées par la réparation comme prérogative de la police
judiciaire ..................................................................................................................... 48
A. Un déséquilibre des pouvoirs ............................................................................... 49
1. Un pouvoir de sanction............................................................................................ 49
2. Un pouvoir d’appréciation ....................................................................................... 50
B. Des droits fragilisés.............................................................................................. 51
1. Les droits de l’auteur de l’infraction ..................................................................... 52
2. Les droits de la victime de l’infraction ................................................................. 53
454
A. Spécificités de la réparation du dommage dans la mesure d’ajournement ............. 96
1. Le degré de réalisation de la réparation ................................................................ 97
2. L’implication du délinquant pour l’obtention d’une dispense de peine.................. 99
B. Conséquences de la réparation sur l’avenir des poursuites pénales ..................... 101
1. Conséquences de la réparation sur le jugement pénal ......................................... 101
2. Conséquences de la réparation sur l’action civile................................................ 104
TITRE 2
LES MOTEURS DE LA RÉPARATION COMME ALTERNATIVE À LA JUSTICE
PÉNALE ............................................................................................................................ 135
455
1. Les raisons du caractère obligatoire du consentement ......................................... 138
2. Les garanties du consentement ........................................................................... 140
B. Le consentement, une condition bafouée ............................................................ 142
1. Un consentement forcé ....................................................................................... 143
2. Un consensualisme critiqué ................................................................................ 144
456
1. La satisfaction de la victime, indice d’une justice de qualité ............................... 183
2. La prise en charge de l’auteur de l’infraction, facteur d’une justice de qualité .... 186
I. Les atouts de la réparation dans les politiques pénales de lutte contre la délinquance
201
A. Les manifestations de la réparation dans les politiques pénales de lutte contre la
délinquance ............................................................................................................... 201
1. La réparation, réponse à la petite délinquance .................................................... 201
2. La petite délinquance, cible de la réparation ....................................................... 203
B. Les justifications de la réparation au sein des politiques pénales de lutte contre la
délinquance ............................................................................................................... 204
1. Les justifications liées à la personne du délinquant ............................................. 204
2. Les justifications liées à la réparation en tant que méthode ................................. 206
II. Les promesses de la réparation dans les politiques pénales de lutte contre la
récidive ..................................................................................................................... 208
A. La corrélation entre la réparation et la récidive ................................................... 209
1. Une corrélation contestée ................................................................................... 210
2. Une corrélation argumentée ............................................................................... 211
B. La réalité de la prise en compte de la réparation dans la lutte contre la récidive .. 213
1. L’ouverture des alternatives réparatrices aux récidivistes ................................... 214
2. L’alternative réparatrice dans le calcul de la récidive ......................................... 216
DEUXIÈME PARTIE
457
LA RÉPARATION, COMPOSANTE DE LA JUSTICE PÉNALE ................................... 225
TITRE 1
LA RÉPARATION, OBJET DE LA JUSTICE PÉNALE ............................................... 226
Section 1 : L’autonomie de la réparation dans le droit pénal des mineurs ...................... 227
II. Des caractéristiques spécifiques pour affermir l’autonomie de la réparation ....... 237
A. La réparation, une mesure pédagogique.............................................................. 238
1. La pédagogie de la responsabilité ....................................................................... 238
2. L’éducation pour la désistance ........................................................................... 240
B. La réparation, une mesure individualisable ......................................................... 241
1. Une individualisation selon la personnalité du mineur ........................................ 242
2. Une individualisation selon l’infraction .............................................................. 244
Section 2 : L’autonomie de la réparation dans le droit pénal des majeurs ...................... 246
458
Conclusion du chapitre 1 .............................................................................................. 268
II. La réparation, réponse à la violation des droits reconnus internationalement ...... 280
A. La détermination de la réparation des droits reconnus internationalement ........... 280
1. La réparation de la violation des droits de l’homme............................................ 280
2. La réparation des crimes contre l’humanité ........................................................ 284
B. La mise en œuvre de la réparation des droits reconnus internationalement.......... 285
1. La protection du droit à réparation par les cours rattachées aux instances
internationales ........................................................................................................... 286
2. La garantie d’une réparation grâce aux fonds d’indemnisation ........................... 289
459
Conclusion du chapitre 2 .............................................................................................. 310
TITRE 2
LA RÉPARATION, COMPLÉMENT DE LA JUSTICE PÉNALE ............................... 312
II. Les éléments contre une notion de réparation pénale .......................................... 347
A. Les limites de la réparation au pénal................................................................... 347
1. Le caractère réparable du dommage ................................................................... 347
2. Le caractère secondaire de la réparation ............................................................. 349
B. Les obstacles à la définition de la réparation au pénal ......................................... 350
1. Les obstacles au regard du domaine de la réparation .......................................... 351
460
2. Les obstacles au regard du régime de la réparation ............................................. 353
461
Conclusion du Titre 2 ................................................................................................... 391
INDEX................................................................................................................................ 449
462
463
TITRE : LA RÉPARATION EN DROIT PÉNAL. ÉTUDE COMPARATIVE.
Résumé
Mots-clés : action civile, action pénale, délinquance, dommage, justice pénale, justice
restaurative, justice transitionnelle, médiation, mesures alternatives, peine, poursuites pénales,
récidive, réparation, sursis, transaction, travail d’intérêt général, victime.
464
TITLE : REPARATION IN CRIMINAL LAW. COMPARATIVE STUDY.
Abstract
The concept of reparation is becoming more common in criminal law. In fact, reparation is
evolving, independently of the civil aspect of the notion, at the heart of alternative measures,
commonly known as a “third way”, and in the essence of some sentences. This brings us to
questioning the place of the notion of reparation in criminal law: is reparation an alternative to
criminal justice or a component of criminal justice? The comparative study of French law,
English law and Lebanese law will shed the light on some interesting aspects of the question. It
will open the possibility to analyze the different approaches in terms of reparation and to enrich
the study of the reparation’s position in criminal law. In a first part, the study of the reparation’s
expressions in criminal law will reveal the concept of reparation as a new response to offences.
In a second part, the idea of considering reparation as a component of criminal justice will reveal
the notion’s special characteristics that make reparation an autonomous concept that needs to be
defined. Nowadays, reparation in criminal law redefines the outlines of criminal justice.
Key words: alternative measures, civil action, community service, criminal action, criminal
justice, criminal pursuit, delinquency, harm, mediation, recidivism, reparation, restorative
justice, sentence, suspended sentence order, transaction, transitional justice, victim.
465