CAMARA, Nangala, Le Printemps de La Liberté, Paris, Le Serpent À Plumes, 2000

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Études littéraires africaines

CAMARA, Nangala, Le Printemps de la liberté, Paris, Le Serpent


à Plumes, 2000
Molly Grogan Lynch

Numéro 12, 2001

URI : https://id.erudit.org/iderudit/1041865ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1041865ar

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Éditeur(s)
Association pour l'Étude des Littératures africaines (APELA)

ISSN
0769-4563 (imprimé)
2270-0374 (numérique)

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Citer ce compte rendu


Grogan Lynch, M. (2001). Compte rendu de [CAMARA, Nangala, Le Printemps de
la liberté, Paris, Le Serpent à Plumes, 2000]. Études littéraires africaines, (12),
51–52. https://doi.org/10.7202/1041865ar

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COMPTES RENDUS AFRIQUE NOIRE FRANCOPHONE (51

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• CAMARA, NANGALA, LE PRINTEMPS DE LA LIBERTÉ, PARIS, LE SERPENT À

PLUMES, 2000.

Lorsque Wonouplet hésite à prendre rendez-vous avec un bel étranger


rencontré au bord d'un taxi-pays, elle prend son courage à deux mains en
se rappelant un proverbe : "Quiconque est sous la pluie ne craint pas de
se mouiller les pieds en traversant la rivière". Elle ne croit pas si bien dire.
Car l'énigmatique Pessa est nul autre que l'auteur des poèmes subversifs
qui enflamment les milieux estudiantins de la capitale. Avant même que
ses sentiments envers le rebelle ne se transforment en amour, l'étudiante
timide et modeste se jettera dans le courant d'un soulèvement populaire
qui bouleversera sa jeune vie.
Grand cri de colère, Le Printemps de la liberté dessine la grogne de la
génération d'Ivoiriens qui ont atteint leur majorité sous le gouvernement
de l'ancien président Henri Konan Bédié et dont l'agitation a contribué à
balayer ce dernier du pouvoir dans le putsch de décembre 1999. Nangala
Camara dresse le portrait d'unè jeunesse dévergondée et désenchantée,
induite en erreur par une classe dirigeante suffisante, cupide et profondé-
ment corrompue. Mais, si la Côte-d'Ivoire se relève difficilement du pre-
mier coup d'Etat dans l'histoire de la République, dans le roman de
Nangala Camara, la chute du régime ne peut qu'annoncer le triomphe du
peuple. C'est alors vers cette fin que l'action du roman conduit imper-
turbablement sous la houlette des deux amoureux unis dans le désir de
rendre la paix et la dignité à leurs concitoyens.
Cependant, tout est contre Wonouplet et Pessa. D'abord, la classe diri-
geante, ces "grincheux gourous", "caciques", "hommes liges", "faucons",
"vautours", "charognards", "timoniers" et "potentats" qui pillent le pays
et complotent à se débarrasser de l'auteur des vers séditieux. Ensuite, la
famille du jeune révolutionnaire, qui, s'alignant du côté des nantis, a vite
oublié l'exemple de son patriarche, torturé et mort pour la résistance.
Enfin, Wonouplet elle-même : complice involontaire d'une société pour-
rie, elle tombe dans les bras de divers instituteurs, footballeurs et ministres
afin d'arrondir ses fins de mois avec un joli pagne ou d'autres cadeaux
dérisoires que ses prétendants sont susceptibles de lui offrir. Entraînée par
la dissolution de ses cousines et la lâcheté de ses amies, elle finira tout de
même par se racheter, se muant en assassin pour se venger des hommes
qui se sont servis d'elle: c'est à partir de sa métamorphose que la révolu-
tion peut enfin se déchaîner.
Le Printemps de la liberté laisse peu de doute sur les intentions de
Nangala Camara : écrire la souffrance d'un peuple et revendiquer une
société plus juste. Et pourtant, ces objectifs ne sont pas toujours bien ser-
vis par le style particulièrement emphatique de l'auteur. En plus d'un lan-
gage invraisemblablement docte dans les parties dialoguées, le récit a
recours, pour passer la rampe, aux vers sentimentaux de Pessa, qui sont
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scandés sur d'interminables pages, et à des exposés pédantesques, notam-


ment sur le rôle de l'écrivain dans la société africaine. S'inspirant de
l'exemple des écrivains qui ne se sont pas dérobés à leur devoir de dénon-
cer l'arbitraire et l'injustice, Nangala Camara se croit peut-être, et non
sans raison, conforté dans ses ambitions de romancier engagé. C'est pour
cette raison précise que les livres dont Pessa fait cadeau à Wonouplet nous
interpellent, à plus d'un titre.
En signe de sa tendresse pour la jeune fille, le poète lui offre La Ville où
nul ne meurt de Bernard Dadié et Je ne suis pas un homme libre de Peter
Abrahams. Si le titre de l'auteur sud-africain est dans le même registre que
les revendications courroucées des étudiants, moins évident est le choix de
la chronique signée par la figure phare de la littérature ivoirienne. La Ville
où nul ne meurt, où un jeune Africain raconte les péripéties d'un voyage
à Rome dans les années 1950, ne concerne en rien le militantisme du
jeune poète, encore moins la revanche de Wonouplet qui, au nom de la
révolution, tue de sang-froid un soldat et donne la mort à un ministre qui
lui faisait la cour. Au contraire, le récit est traversé par le regard ironique,
perspicace et profondément humain que Dadié sait si bien porter sur son
frère. Si celui qui fut parmi les premiers Ivoiriens à lutter pour l'indépen-
dance du pays réserve des mots durs à ceux qui feront du pigment la
mesure d'un homme, Dadié écrit résolument dans le but de rapprocher
les êtres humains, ct cela norarnmcru dans les chroniques où son airer ego
se positionne délibérément devant le Parisien, le Romain et le New-
Yorkais.
Il est vrai que le théâtre de Dadié, dont un des thèmes principaux est
précisément celui du pouvoir illégitime, présente des peuples affamés et
terrorisés par des rois crapuleux et sanguinaires. Cependant, dans ses
mises en scène, l'homme ne perd pas le sens de la justice : on juge le roi
pour ses crimes ; on ne le livre pas à des esprits habités par une haine
aveugle. Si, en citant La ville où nul ne meurt, il est dans l'intention de
Nangala Camara de doter ses protagonistes des soucis humanistes de
Dadié, l'intrigue du Printemps de la liberté semble le contredire.
Annoncé en quatrième de couverture comme le "récit d'une nouvelle
génération", Le Printemps de la liberté donne à attendre une littérature
qui, près du terrain, reflérera les attentes d'une population africaine pro-
gressivement plus jeune, plus marginalisée et plus prête à prendre des
armes pour faire respecter ses droits. En cela, Nangala Camara ne déçoit
pas. Force nous est d'espérer que l'indignation et l'emportement ne feront
pas oublier à la nouvelle génération que l'art engagé est également bien
servi quand il sert l'Homme aussi.
• Molly G ROGA N LYNCH

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