Dark Earth: La Croisade de La Ville Mouvement
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LA CROISADE DE LA VILLE
MOUVEMENT
L’Épopée de Sombre terre
Par Mathieu Massa
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PHÉNICE
2
Regardant une dernière fois la salle, l’Elue se détourna et quitta rapidement le balcon.
La salle immense montrait, sculptées sur ses immenses murs de pierre, les légendes de
la fondation du Stallite. Parmi les enfants présents, un bon nombre était impressionné par les
terribles fresques qui racontaient cette épopée dantesque.
Dans la foule, on pouvait facilement distinguer les futurs gardiens du feu qui, tout de
rouge vêtu, se rassemblaient pour se donner du courage. Un d’entre eux, de plus forte stature,
et plus assuré que le reste de ses compagnons, était Randolf Horback, un nouvel intronisé
gardien du feu. Il paraissait confiant dans le pourpoint rouge synonyme de sa caste. Prêt de lui
se tenait Sark Istarys, un autre futur gardien du feu qui, dans son maintien et ses habits,
montrait qu’il n’était pas de basse extraction. Peut-être était-ce un des ces jeunes nobles un
peu fous, qui choisissaient la dure loi de la vie guerrière plutôt que la vie soyeuse de la
noblesse ?
Les gardiens du feu étaient le bras armé des Prôneurs, les prêtres du Soleil Dieu. Caste
privilégiée, ils étaient indispensables à Phénice. Leur droiture et leur force d’âme étaient
réputées à travers tout Roke et grâce à eux, Phénice restait un îlot de paix au sein du plateau
de Silice.
Non loin des gardiens, on pouvait facilement voir les membres plus fortunés de la
caste des Bâtisseurs. Mêlés à eux, les nourrisseurs, et les futurs Prôneurs, peu nombreux,
attendaient impatiemment l’arrivée des prêtres de Solaar. Ces deux castes, privilégiées à
Phénice, étaient primordiales à tout Stallite. Les nourrisseurs, seule caste chargée de
l’approvisionnement, avaient un poids considérable dans les structures sociales de Phénice. Et
il est inutile de rappeler le poids, inégalé sur Sombre Terre, des Prôneurs, prêtres du père
lumière dans un monde où l’obscurité est souveraine.
A la périphérie, on voyait les moins chanceux, car la basse caste des fouineurs, avant
tout réputée pour sa ruse, ne voulait pas se mêler aux autres. On pouvait y remarquer une très
belle jeune fille aux allures de princesses qui semblait frêle et pleine de raffinement. Mais,
lorsqu’on croisait le regard glacial de Lauralee Tamlin la fouineuse ou lorsqu’on fixait la
ligne dure de son menton, on changeait rapidement d’avis. Près elle, on pouvait voir un
fouineur de plus robuste constitution que les autres. Dask Alron était là pour remplir son
devoir auprès de Phénice mais on voyait que son esprit était ailleurs et aspirait à d’autres
horizons.
En hauteur sur un autre balcon, apparut un Prôneur aux allures dantesques. Ce fut tout
à coup le silence total. Les jeunes Phéniciens contemplaient maintenant le Prôneur qui prit
soudainement la parole.
- Ô fils de la lumière, nés pendant les temps obscurs, écoutez les terribles légendes de
l’Avant !
Le Prôneur leur conta alors l’avènement de ce triste monde. Le grand cataclysme de
l’année de 2054 avait provoqué la quasi-extinction de l’espèce humaine. Le jugement dernier
avait attiré sur la terre une pluie de météorites meurtrières qui avait apporté misère et
désolation. Le Noir-Nuage qui entoure à présent entièrement le monde est un vestige de cette
terrible époque. Chargé de poussières dues aux anges de la destruction, il cache aux enfants de
Solaar sa bienfaisante lumière. Seule une poignée d’humains, grâce à la grande miséricorde de
Solaar, purent survivre en rejoignant des puits de lumières qui maintenaient miraculeusement
la déchirure dans le Noir Nuage. Ils y battirent des cités qu’ils nommèrent des Stallites.
C’était il y a plus de trois siècles.
- Prions Solaar ensemble mes amis ! Prions pour sa Miséricorde ! S’exclama à nouveau le
Prôneur.
Après son élocution, le Prôneur fit un signe aux nourrisseurs d’apporter la vasque d’or pur qui
contenait les cristaux. Chaque enfant présent se mit en ligne afin de recevoir son cristal qui
allait indiquer, son appartenance à Phénice.
3
Tour à tour, ils présentèrent leur avant-bras, et un soigneur nourrisseur leur incrusta
habilement, lors d’une opération douloureuse mais nécessaire, le cristal.
Comme les autres, Randolf dit Rath, Wagner, Sark, Elitia, Lauralee, et Dask étaient à présent
citoyen de Phénice !
4
Solaar voit par nos yeux, parle par notre bouche.
Depuis plusieurs mois déjà, la vaste cité s’affairait à la plus grande expédition de son
histoire. En effet les Prôneurs dans leur plus grande folie destinaient une croisade vers les
Stallites orientaux d’Istan et Nople. Loin à l’Est, ces Stallites inspiraient les plus folles
spéculations. De nombreux réfugiés avaient rapporté la rumeur d’une grande guerre s’y
déroulant. Une guerre que des échos étouffés qualifiaient de terriblement meurtrière. Phénice,
dans l’optique d’étendre sa sphère d’influence, avait décidé de prendre parti et d’envoyer une
armée y apporter la paix d’une manière ou d’une autre. Les sept révérés qui dirigeaient la cité
avaient, sans doute, oublié que même le plateau de Silice, qui entourait Phénice, n’était pas
encore pacifié.
Il fut bien évident que ce fut nous Initiés, artisans de l’ombre, qui fûmes à l’origine de
ce choix. A l’époque, de très nombreuses nouvelles nous étaient parvenues de ces Stallites.
Toutes, sans exception, racontaient l’arrivée de monstrueuses créatures ténébreuses.
A présent tout le Stallite participait à l’effort de guerre. Les nourrisseurs des longues serres,
construites sur les anciennes coulées de lave du vieux volcan, où on avait curieusement
construit Phénice, travaillaient inlassablement afin d’établir suffisamment de rations pour tous
les croisés.
Les grandes confréries de bâtisseurs, les ingénieurs de Phénice, tournaient à plein
régime pour la confection des gigantesques chars qui allaient accompagner la croisade.
Dans l’Atre, la place forte des gardiens du feu, on recrutait jours et nuits.
Les Prôneurs, emblèmes religieux et voix officielles de Solaar, exhortaient, par des
discours religieux extatiques, les fouineurs à participer à la croisade. Et ils s’engageaient avec
joie certains alors de participer à une guerre sainte.
Seuls les marcheurs étaient sceptiques, quant à utilité et aux chances qu’avait la
croisade d'arriver à ses fins. C’est qu’eux savaient ce que contenait l’Obscur. Beaucoup
parlait de folie religieuse et d’inconscience collective, mais à voix basse de peur d’être
emprisonné au puits de Rédemption comme hérétique.
C’est, dans cette fiévreuse activité qu’un beau jour du souffle dans la Halte des Lointains, une
lettre arriva.
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Tu cherches des bibelots de Solaria. Vas à la Halte des
Lointains, tu trouveras ton bonheur. Non ! Tu cherches
aut’chose ? Des objets de l’Avant ! Rien qu’ça ! Ben,
t’en trouveras aussi !
Le soleil dardait de ses rayons bienfaisants les pentes abruptes de Phénice. On était un
de ces jours, appelés jour bénit, où le puits de lumière, qui baignait Phénice, semblait plus
large et, faisait luire avec intensité le FaRaha du cercle de feu de la marche des lumières.
Comme d’habitude, il y avait beaucoup d’animations à la Halte des Lointains.
Située au sud de Phénice, La Halte se targuait d’être le miroir de toutes les cultures de
Roke et de Solaria. La gigantesque porte, qui prenait une place prépondérante dans cette
partie de Phénice, se chargeait de filtrer les caravanes de l’Obscur venues du monde entier.
De nombreux gardiens du feu vigilants notaient, avec attention, et avec l’aide des mémoires,
les moindres visages de ces caravaniers cherchant un asile bienvenu, au cour de ces
éprouvants voyages dans l’obscurité.
Ce gigantesque caravansérail ne se lassait pas de nouvelles expériences. Aujourd’hui,
une troupe de jongleurs de Nâh faisait son numéro autour des étalages bariolés comportant
pour l’occasion de nombreux tissus précieux Nâhiens.
Tout en observant le joyeux spectacle, une silhouette, de très forte stature, et accoutrée
d’un équipement de marcheurs usé par les voyages, déambulait à travers les échoppes de la
Halte.
Brusquement une voix impérieuse se fit entendre.
- Holà, marcheur ! Tonna t elle.
Une patrouille de cinq Gardiens du feu en armes venait de l’interpeller.
Celui-ci se retourna brusquement, et parcouru la place du regard.
- Que me voulez-vous ? Demanda le mystérieux marcheur, fixant alors les cinq gardiens du
feu qui se dirigeaient vers lui.
- Rien de grave Marcheur, répondit le Veilleur.
En se tenant plus près, le chef de la troupe aperçut sous son capuchon un visage érodé par les
terribles épreuves de la Marche. Il avait à présent, de près, un faciès à tout point de vu
impressionnant.
- Expliquez-vous ! Lança Dask, d’une voix peu amène.
- Nous avons un pli à vous remettre.
Sortant une lettre manuscrite de son tube, le Gardien du feu la lui tendit
Dask pris la lettre et la parcourut rapidement.
Ecrite d’une main malhabile, la lettre était rédigée en ces termes.
6
Fait à Phénice 21 juin de l’année 313
Gloire à Solaar !
A Dask Alron.
Voilà très longtemps que ton père et moi n’avons plus aucune nouvelles.
Il est vrai que le tord que tu as causé à ta famille lorsque tu as décidé de rejoindre
ces vagabonds de l’obscur, n’a pas été bénin.
On t’a alors traité durement ton père et moi. Mais ton caractère bagarreur, que
tu avais déjà tout petit, t’a entraîné vers les mauvaises fréquentations.
Mais tout cela est du passé. Ta famille a besoin de toi Daski !
Ta belle cousine, la Marie, l’arrière-petite-fille de grand-oncle Fahar qui t’a
beaucoup aidé quand tu étais tout petit (tu t’en souviens !), s’est acoquinée
d’un voyageur venu de Drön et il n’y a rien eu à faire pour la raisonner !
Il me semble que tu connais ces gens là toi !
Et en plus, Il paraît que tu y as déjà fait un voyage ?
Mais, par Solaar, quelle étrange idée de quitter Phénice !
Enfin bon, te serait-il possible de causer à ce marcheur, histoire de vérifier si sa
bourse est bien pesante et s’il est fréquentable pour la famille ? Sinon je te laisse
libre de lui indiquer que notre famille ne le voudrait en aucun cas comme parent
(il suffit d’un marcheur !). Me suis-je bien fait comprendre Dask ?
Tout ce que je peux te dire, c’est qu’il s’appelle Darko et qu’il traîne le soir au
Chevalier Cul Blanc dans l’Inventorium.
P.S : Evite de passer à la maison, tu sais bien comme ton père prend la mouche
lorsqu’il te voit accoutré en vagabond. Si tu veux me voir passe par ton Oncle
Malrso.
A propos, connais-tu une certaine Geldahine ? Elle est passée plusieurs fois à la
maison pour te voir. J’ai pu remarquer qu’elle était très bien cette petite. Et je
pense que tu devrais aller la voir.
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Relevant la tête, Dask fixa le gardien du feu d’un regard vague.
- Quand vous a-t-on remis cette lettre ?
- Il y a maintenant deux jours Marcheur. Répondit le veilleur.
Dask regarda une dernière fois la lettre et fit un signe de remerciement au gardien du feu.
- Merci à vous Gardien du feu ! Que Solaar garde tes pas !
Il mit brusquement un terme à la conversation, et tourna le dos au Veilleur qui le
regarda s’éloigner d’un pas ferme en direction de la place centrale de la Halte.
En chemin, il repensait au jour où il avait décidé de rejoindre les marcheurs. Aussi loin
qu’il se souvienne, il avait toujours voulu faire partie de ces personnages étranges qui
risquaient leur vie pour aller de Stallites en Stallites. Au fil des années, ce sentiment s’était
fait de plus en plus fort. Un jour alors qu’il regardait à nouveau une caravane s’enfoncer hors
de Phénice, il sentit que c’était sa vraie voie. Il y avait cédé et, tout de go, avait annoncé à ses
parents qu’il comptait rejoindre la prochaine caravane qui partait dans l’obscur.
Il revoyait la peine immense de sa mère, qui avait aussitôt éclaté en sanglots à la
nouvelle. Son père, un modeste artisan du quartier des Echarpes Pourpres, qui le voyait déjà
prendre sa succession, l’avait gratifié d’un regard assassin. Pour ensuite l’avertir qu’il le
reniait et le déshéritait. Après la violente dispute qui s’en suivit, son père, déchiré de douleur
et de honte, l’avait mis à la porte brutalement. Longtemps alors, il avait tambouriné, contre la
porte close en vain, pour enfin, rejoindre la rue qui l’attendait.
Il y avait passé plusieurs mois à se battre pour sa subsistance avant de pouvoir acquérir
son statut de marcheur. Un vieux fouineur, qui l’avait pris en affection, l’avait initié au Katar,
une arme extrêmement meurtrière, avant de mourir lors d’une rixe violente de l’Assommoir.
Ensuite il put gagner sa vie en rejoignant une des caravanes qui parcouraient les plaines arides
et sombres entre les Stallites.
- Et voilà qu’ils se mettent soudain à se rappeler mon existence se dit-il amer.
En plus, il savait qu’il allait répondre à leurs exigences car malgré ce qu’ils lui avaient fait
c’était sa famille et il ne pouvait décemment la renier.
Par ailleurs, cela faisait quelque temps qu’il comptait leur rendre visite.
Dask, très secret n’avait parlé à personne de ses ennuis familiaux. C’est pourquoi, il décida
que seul Randolf allait l’aider. Son esprit terre à terre et son franc parlé lui serait sans doute
nécessaire face à la difficile discussion qu'il devra sans doute avoir avec ses parents.
Son amitié fidèle lui permettra peut-être de mieux encaisser les pleurs de sa mère ou les
paroles cinglantes de son père.
D’un pas décidé, il se dirigea vers la Grande Porte de la Halte.
Un Gardien du feu montait la garde à l’entrée de la caserne creusée à même la muraille.
- Pardonnez-moi cette intrusion, gardien, fit-il en s’approchant de lui mais pourriez-vous
prévenir le Flambeau Randolf Horback que Dask Alron souhaiterait lui parler au sujet
d’une affaire urgente.
- Tout de suite ! Répondit le Garde qui connaissait déjà le marcheur.
Dask prit le temps de contempler la très lourde porte qui avait si souvent résisté aux
assauts de l’Obscur. Faite en bois, une denrée si précieuse à Phénice par le fait de la
disparition quasi totale des arbres, elle inspirait un sentiment de protection et de sécurité. Il
était encore en train de l’observer lorsque des pas lourds se firent entendre. Une silhouette
colossale se dessina dans l’embrasure de la porte.
Randolf était une montagne d’homme, sa musculature impressionnant et sa taille de
géant qu’il soulignait par le port évident d’une gigantesque forte épée fixée en permanence
dans son dos, inspirait à quiconque le sentiment que la vie pouvait être bien fragile face à
l’acier le plus tranchant. Ses cheveux d’un ébène flamboyant, son regard sombre, et les
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articules qu’il portait aux coudes, entretenaient plus encore le sentiment qu’on avait en face de
soi l’arme absolue.
- Dask ! Cria Randolf d’une voix forte. Qu’est ce qui t’amène ?
Un brusque sourire illumina le visage du géant qui étreignit Dask de ses grands bras.
Celui-ci qui n’était pourtant pas de frêle constitution grimaça tout de même de douleur sous la
puissante étreinte.
Reprenant son souffle, Dask lui lança un regard rapide assez insistant. Randolf, voyant que
l’affaire était sérieuse l’entraîna vers ses quartiers.
- Qu’y a t il ? Le questionna–t-il.
- Rien de grave mais j’ai un problème.
Rapidement le marcheur le mit au courant de la lettre. Randolf saisit rapidement le problème
et reconnut qu’une personne étrangère à l’affaire pourrait être bienvenue.
- Toujours prêt à t’aider, tu as besoin de moi, je suis là. J’ai encore et toujours une dette
envers toi que je n’estime par encore payée.
- Merci, je savais que je pouvais compter sur toi. Je repasse dans une heure.
Lui tournant le dos, Dask s’éloigna et quitta la caserne.
Habitué à sa brusquerie Randolf le regarda s’éloigner songeur. Cet homme sera toujours une
énigme. C’était la première fois en plus de dix ans qu’il se confiait à lui pour un problème
aussi personnel. Songeur, il secoua la tête, il se détourna. Il vit alors un de ses gardes appuyé
sur son esponton et perdu dans ses pensées. Excédé, il cria brusquement.
- Espèce de résidu de fiante de Razorback malade ! Vas prendre ton poste immédiatement !
En un sursaut, Le Gardien du feu s’exécuta avec empressement.
Décidément je n’aime pas cette journée se dit Randolf en observant d’un regard
songeur la trouée de lumière de Phénice. En essayant d’oublier ce sombre pressentiment
Randolf retourna à ses activités.
9
L’Amour est dans Solaar, la vérité est dans les
hommes ! Mais où donc est la Haine ?
Le Léviathan, L’Atre
Monsieur l’Ambre peinait dans l’escalier de fer du Léviathan, sa canne serré en main,
tout à éviter un mauvais geste dans la pénombre. Au-dessus de lui, Othero, le maître
architecte, contemplait son œuvre de l’intérieur. Sans réellement le voir, il s’absorbait dans la
vision des rouages, des poutres métalliques dont l’association complexe formait le plus
ambitieux vaisseau de guerre jamais construit. Une arme et un défi technique sans précédent,
une œuvre dont Othero était fier, et dont il guettait encore, en vain, les failles.
Noir et de sombre vêtu, Othero tendit la main à Monsieur l’Ambre, arrivé au bout de
son ascension. Sans un mot, ils se dirigèrent à tâtons jusqu’à la salle d’état-major et en
poussèrent la lourde porte cuivrée.
L’hermine les attendait, éclairé par la seule Pierre de Lumière. Celle-ci emplissait la
salle d’évanescentes diaphanes, dardant de ses rais étranges le visage chenu de l’albinos et la
large table ronde marquée du Soleil de Syrthes. Un soleil fracturé aux rayons acérés.
Othero rencontrait pour la première fois l’Elu. Le solennel de l’instant, la force diffuse
de la pierre, l’aspect fantastique de l’Hermine, enrobé de blanc, le firent se redresser, les
muscles tendus et l’esprit alerte. Les yeux carmins de l’Hermine brillèrent dans l’obscurité.
Monsieur l’Ambre, de sa voix enrouée par les trop plein d’alcools et de fumées, lança
un rire qui était peut être une toux.
- Ma vie serait une partie d’échecs, j’aurais là deux beaux rois, opposés en tout. Et je ne
saurais dire qui, de la science ou de la lumière triompherait.
L’hermine sourit à peine. Monsieur l’Ambre était un des rares à oser s’adresser ainsi à
un Elu.
Il lui répondit après quelques secondes.
- Sachez L’Ambre, que vous représentez à Sir Othero votre profil d’élégant. Je ne vois moi,
que votre face vérolée, et me dis que vous devez être un piètre joueur à ne pas savoir
choisir votre camp.
L’Ambre sourit de sa gueule bifide, et se retourna vers Othero, lui faisant signe qu’il était
temps.
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L’ambre, de sa canne frappa une dalle au sol comme s’il s’agissait d’un gong. Un
tremblement sourd traversa le vaisseau de guerre et tout l’Atre, dans lequel il était encore
entreposé.
Au cœur de la table, au centre du Soleil des Syrthes, une mécanique subtile dévoila un
écrin. L’Hermine y posa l’inestimable Pierre, et proféra une litanie que l’Ambre n’arriva pas à
saisir. Le Léviathan bougea encore, et la table redevint lisse, son secret enfoui.
Sur le trône de Bellatore, les mains posées sur la table ronde, Letho Gdansk se
retrouva seul dans l’obscurité. Son visage émacié s’éclaira. Une lueur vive venait d’animer les
yeux du chef de guerre de la Croisade de la Ville Mouvement. Letho Gdansk sut qu’il était
devenu une légende en Sombre-Terre.
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Les érudits, petit, apprends qu’ils en savent moins que
le bout de ma botte. Et tu vas voir, elle sait parler !
- Tu es trop secret ! En quoi cela te gène de m’en dire plus ! S'exclama Randolf irrité par le
mutisme de son ami Dask.
- Parce que cela ne te concerne pas Ardent. Rétorqua-t-il sèchement
- Ne m’appelle pas comme ça, tu sais très bien que je laisse de côté mes devoirs des
gardiens du feu lorsque je suis avec toi. Répondit Randolf d’une voix âpre.
Ils remontaient alors le quartier de la Ferraille longeant les énormes amoncellements de
métal que constituait ce vaste dépotoir. Le quartier de la ferraille, juste au Nord de la Halte
des lointains, constituait une réserve de métal pour tous les bâtisseurs de Phénice. Ceux-ci s’y
risquaient très souvent avec l’espoir d’y trouver une relique de l’avant encore utilisable.
Randolf avait proposé d’éviter la Ceinture Nux pour le moment en raison des
nombreux troubles qui se déroulaient dans cet immense lunaparc. En chemin, Randolf avait
tout d’abord parlé avec entrain de ses fonctions d’officier Gardien du Feu pour ensuite
remarquer que son ami marcheur ne desserrait pas les dents, comme soucieux.
Avec son tact habituel, Randolf l’avait questionné à son sujet et ses tentatives
maladroites n’avaient fait que le fermer un peu plus. Une dispute couvait et cela ennuyait
Randolf qui n’avait pas revu son ami depuis quelques jours. Il aurait souhaité des retrouvailles
plus joyeuses. Celles-ci, fortement arrosées de son alcool de rueg préféré, se seraient
terminées dans un bar du quartier de l’assommoir. Ivres et joyeux, ils auraient échangé des
souvenirs passés.
Un silence pesant s’installa entre eux au moment où ils arrivaient aux passerelles enjambant
la coulée de la Fourche.
Peu de temps après, il arrivèrent, non sans avoir fait une petite excursion par le
quartier de l’assommoir, au quartier des Echarpes Pourpres. Randolf, tout en suivant Dask,
inspectait les lieux d'un œil critique. Réputé comme un quartier syndicaliste où les fouineurs
prôleurs essayaient tant bien que mal de faire respecter d’hypothétiques lois sur le travail, les
Echarpes Pourpres avaient sombré dans une certaine déchéance. Faisant anciennement partie
de la grande marche, ce quartier en avait gardé les grandes bâtisses solides. Mais petit à petit,
alors que la population changeait, il avait pris une teinte de défaitisme qui se ressentait dans la
négligence de ses habitants laissant la saleté s’installer avec les rats.
Malgré tout, les Echarpes Pourpres restaient un des meilleurs quartiers de la première marche.
Et les marcheurs y venaient très souvent pour y trouver une auberge potable.
Randolf y voyait, curieusement pour un homme aussi terre à terre, le symbole que Phénice,
confiant dans sa puissance sur Roke, ne comprenait pas que le renouveau était indispensable à
la grandeur d’une cité. La Première Marche, dont ce quartier, à bien des égards, devrait être
sujette à des soins plus nombreux.
Se souvenant du conseil de sa mère, Dask se dirigea vers l’échoppe de tanneur de son
oncle Malrso.
Celui-ci était en train de tanner une peau de yack, et en s’approchant de lui, Dask fut surpris
par une forte odeur qui prenait à la gorge.
12
Relevant la tête de son ouvrage, le vieil homme fixa d’un regard myope la personne qui se
trouvait en face de lui. Plissant les yeux d’effort, son regard s’éclaira brusquement.
- Dask ! S'exclama-t-il en se levant.
Pris par l’émotion, Dask tendit ses bras au vieil homme. Celui-ci, un sourire aux lèvres, lui
serra les mains avec émotion.
- Nous t’avions cru mort ! Des marcheurs de Drön nous avaient parlé de brouilles dans le
chaudron des enfers, et ils avaient perdu ta trace
Observant avec attention le grand marcheur, Malrso reprit.
- Je vois que l’Obscur ne t’a pas laissé indemne.
S’arrêtant un moment. Il reprit d’une voix plus douce chargée d ‘émotion.
- Tu n’aurais jamais du partir. C’était une folie, et je te l’avais dit.
Gêné, Malrso détourna le regard.
Emu, Dask pris par l’épaule son oncle et lui dit
- Ne te tourmente pas Malrso. Oublie ce qui s’est passé. C’était, il y a tellement longtemps !
Dask, même s’il ne le montrait pas, ne n’arrivait pas encore à pardonner au vieil homme. Il
avait fait partie de ceux qui l’avaient rejeté en même temps que son père. Lui aussi, avait
refermé sa porte refusant de lui prêter assistance.
Malrso releva la tête et sentit le ressentiment du jeune homme et, nerveusement, se replongea
dans sa tâche.
Dask lui demanda alors de contacter sa mère afin d’avoir des précisions sur l’affaire qu’elle
lui avait confiée. Malrso se proposa d’aller la chercher tout de suite et Dask irrité par son
attitude trop servile, acquiesça d’un signe de tête.
Randolf le vit tourner en rond le temps que Malrso aille chercher sa mère qui tenait une
échoppe trois rues plus loin. Il ne s’arrêta que lorsque celle-ci fut en face de lui.
Elle était comme le sont la plupart de ces femmes qui travaillent depuis leur enfance : usée et
fatiguée par le labeur incessant. Malgré tout, on voyait que dans sa jeunesse elle avait du être
d’une grande beauté.
- Dask, dit-elle simplement.
- Mère ! Répondit Dask déglutissant avec difficulté.
Avec réticence, Lorena Alron embrassa son fils et le sera fortement. Son fils, que trop de
souvenirs inhibés, ne répondit pas vraiment à son étreinte.
Elle sentait les sentiments mitigés de son fils à son égard. Même si elle ne le montrait pas,
Dask devina son trouble et en fut pris de pitié. D’un sourire crispé, il essaya d’arranger les
choses.
- C’est un plaisir de vous revoir mère.
Malgré toute sa bonne volonté, il ne parvint pas à changer le ton froid de sa voix. Et
contrairement à son souhait, cela fit l’effet inverse sur sa mère. Elle se détourna et sembla
enfin remarquer Randolf qui, poliment s’était mis à l’écart. Se retournant vers Dask, elle
enchaîna.
- La marche t’a marqué et tes yeux montrent les épreuves que tu as du surmonter.
Sa voix était douloureusement étranglée.
Reprenant contenance, et voyant que son fils n’osait pas dire un mot, elle repris.
- Trêve de sentimentalité Dask, si tu es là, c’est que tu veux nous aider.
- En effet, j’ai reçu ta lettre, et ce que tu me demandes ne me pose pas vraiment de
problèmes.
En plus, Mon ami, ici présent, est d’accord pour m’aider.
- C’est exacte Madame ! Randolf Horback pour vous servir, En s’inclinant Randolf montra
le respect qu’il avait envers la femme qu’il avait en face de lui.
Intérieurement, Dask en fut heureux. Et même si sa mère paraissait indifférente, elle était
néanmoins heureuse de l’honneur que lui faisait le gigantesque Ardent.
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La vieille femme se lança alors dans une explication plus détaillée de l’incident. Puis, elle
rajouta enfin.
- La situation est complexe, Dask, lui dit-elle, Marie est complètement obnubilée par cet
homme. Et elle le connaît seulement depuis quelques jours ! Elle parle à présent de
mariage ou de je ne sais quelle folie.
- Je vois la situation, dis-moi seulement où le trouver répondit Dask.
- On a souvent vu Darko dans ce bar de l’Inventorium, le Chevalier Cul Blanc. Tu sais,
c’est là que ces fous d’argonautes se lancent dans la pente avec leurs machines volantes.
- Bien, nous irons donc ce soir. Je n’aime pas faire attendre trop longtemps une affaire.
- Bien, reviens me voir après.
Elle tourna brusquement le dos, elle repartit vers son échoppe au coin de la rue.
Tout en souriant intérieurement, Randolf ne put s’empêcher de remarquer ce trait de famille.
Chez les Alron, partir brusquement était apparemment une habitude.
Sur le retour, l'humeur de Dask s’était considérablement amélioré et il discuta gaiement
jusqu’à son auberge. Il s’attabla, avec son ami, et commanda rapidement deux bouteilles de
Schtoll.
- D’après ce que j’ai entendu dire, il y aurait ce soir une fête au Chevalier Cul Blanc. Dit
Randolf, alors que la serveuse apportait deux chopes bien remplies.
- Tiens, il y a une raison particulière.
- Non. Seulement on fête souvent la pleine lune dans l’Inventorium et ce soir le temps est
superbe.
- Tu ne trouve pas que ce serait une bonne occasion, d’inviter Sark et Lauralee.
Cela changerait Sark, de ses obligations de gardien du Feu, et Lauralee ne demande pas
mieux que de sortir et de voir de nouveaux visages.
- Pour sur ! ! Répondit fermement Randolf.
- Bon, Monsieur l’Ambre veut me voir, tout à l’heure. Ca tombe bien, j’avais des questions
à lui poser. Pendant ce temps, va les prévenir, je vous retrouve ce soir au Chevalier Cul
Blanc.
Dask finit d’un trait l’alcool brunâtre qu’il tenait dans ses mains, et sortit l’auberge.
Pensif, Randolf sirota encore quelques minutes son Schtoll, puis se leva et quitta la salle.
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Ne mange pas d’animaux difformes ! Méfie-toi des gens
qu’ont de la vérole sur la goule ! Dors pas à côté d’un
type qui tousse !
Adages marcheurs
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- Comme vous le savez la croisade va partir incessamment.
Levant la main pour retenir la réponse de Dask, l’Ambre poursuivit
- Oui, j’ai pu vous trouver des places comme Veilleur. Cela a d’ailleurs été très facile au vu
de vos antécédents. Et puis, vous avez déjà deux gardiens du feu avec vous.
En outre Randolf garde son grade actuel.
Inquiet, Dask s’enfonça dans son siège. Il prit conscience qu’il s’était engagé lui et ses amis
dans une entreprise très périlleuse. La croisade, comme il le savait par les rumeurs, pouvait
fort bien être sans retour. Mais les initiés tenaient particulièrement à ce qu’une troupe de
révélés plus ou moins expérimentés accompagnent la croisade. Attiré par le danger et
l’opportunité de découvrir de nouveaux horizons, Dask s’était proposé spontanément.
Randolf, fidèle, s’était joint à lui. Sark qui n’était encore jamais allé dans l’obscur, s’était
proposé à les accompagner plus par jeu et par plaisir du risque que par dévouement envers les
Initiés des Runkas.
Cela étant, ils avaient, il y a quelques jours, demandé à L’Ambre de leur trouver une place
dans la croisade.
- Et nous la rejoignons quand ?
Bientôt ! Mais avant ça, je souhaiterais avoir une longue conversion avec vous. Disons,
demain. Ça vous va ?
- Pas de problème, mais Lauralee n’a pas encore donné sa réponse. A priori, elle ne
souhaite pas quitter Phénice. Trop de choses passées lui font craindre l’Obscur.
- Amène la quand même ! J’aurai des choses d’importance à lui dire ainsi qu’à vous tous.
L’Ambre recula sur son siège, alluma, puis tira un moment sur la longue pipe en rueg qu’il
affectionnait particulièrement.
L’entretien été fini, et Dask repoussant sa chaise se leva.
- Ainsi à demain L’Ambre, Lumière sur toi !
- Et sur ta famille, Dask ! Rétorqua-t-il rituellement.
Il traversa rapidement l’épais nuage de fumée qui emplissait l’auberge, et se dirigea vers la
porte. Aspirant profondément à sa sortie des Portes Fumantes, il partit en direction de son
auberge. La soirée ne faisait que commencer !
16
C’est qui l’maître à Phénice ? Ben tiens, c’est les
Prôneurs ! Et les Clans ? Quels Clans ?
Il était déjà très tard lorsque Lauralee obtint enfin une chambre dans une auberge
sordide de l’Assommoir. Epuisée, elle pensait seulement à entrer dans son lit et à se reposer
une heure ou deux en attendant le rendez-vous avec Dask et Randolf. La journée avait été
rude et fatiguante. Lorsque Randolf était venu la voir pour une soirée à l’auberge du Chevalier
Cul blanc, elle avait accepté avec plaisir. Malgré sa fatigue, il lui plaisait de se changer les
idées avec ses vieux amis. Ils avaient une façon très terre à terre de voir la vie et cela la
changeait de ses habituelles manigances de la Première Marche. Mais pour le moment, elle
n’aspirait qu’à rejoindre son lit et à prendre un peu de repos.
Voilà pourquoi son mécontentement fut grand lorsque au moment où elle se coucha,
de légers frappements sur la porte se firent entendre.
En tenue légère, qui faisait enfin paraître ses formes plus que sensuelles, elle sortit de son
lit sans n’avoir pris, bien sûr, au passage, l’aileron posé sur sa table de nuit qu’elle laissait
toujours à porter de mains.
Aux aguets, elle s’approcha de la porte.
- Qui est là dit-elle dans un chuchotement menaçant ?
- C’est Tymm répondit une voix étouffée derrière la porte, ouvre vite j’ai un message.
Reconnaissant, la voix de son ancien ami du très sinistre clan du Padre, elle réfléchit un
instant. Sa prudence instinctive lui avait souvent fait éviter des risques mortels. Et si elle s’en
souvenait, c’est que d’autres y avaient laissé la vie.
Les Clans étaient des groupes politico-mafieux qui gangrenaient de plus en plus Phénice.
Le clan du Padre, le plus grand de tous, avait la main mise sur la quasi-totalité des trafics
douteux de la Première Marche. Elle et ses amis, au cour d’une difficile infiltration mandatée
par les Gardiens du feu, avaient approché le clan. Situation périlleuse, ils avaient du louvoyer,
pour préserver leur propre intérêt tout en restant loyaux envers les autorités phéniciennes.
Finalement, ils avaient contenté les gardiens du feu en leur révélant de très nombreuses caches
du Clan à Phénice. En même temps, avec beaucoup de chance, ils avaient réussi à garder des
contacts avec le clan qui ne sut jamais les véritables tenants de l'affaire. Ce tour de force avait
marché surtout à cause du fait qu’ils avaient prévenu à temps, Don Fratone, le chef incontesté
du clan, de l’arrivé d’un très fort contingent de gardiens du feu. En effet, ils n’avaient pas eux
d’autre choix que d’informer les Contrefeux de la localisation secrète du complexe souterrain
du Clan situé dans L’Obscur.
Tymm avait toujours été loyal envers elle et ses amis, mais il valait mieux être prudente. Elle
passa son deuxième aileron et ouvrit prudemment la porte. Tymm se tenait devant elle mais
ne fit pas mine de rentrer.
- Houla ! Je vois que tu es toujours aussi prudente, dit-il en observant les deux ailerons
sortis.
- Toujours lui répondit-elle acerbe. Que veux-tu ?
17
- Un rendez-vous ! Le clan veut vous voir demain ! Et il ne s’agit pas de les faire attendre si
tu vois ce que je veux dire, ajouta t-il avec empressement.
- A mon local ! Demain à dix heures, la maison à côté du Paradis Perdu, rétorqua Lauralee
après quelques secondes de réflexion.
Sur ces derniers mots, Tymm s’éclipsa rapidement, et se perdit dans l’obscurité du couloir.
Elle referma la porte, et réfléchit quelques instants à la situation. Il était évidemment hors de
question de manquer ce rendez-vous. Surtout que depuis quelques mois le Clan des Susanos
recherchait âprement un groupe d’individus qui correspondait plus ou moins à leur
description. Actuellement, la protection du Clan pourrait être très utile, sinon indispensable.
Sur ces pensées et après bien évidemment avoir fermé la porte à double tour, elle se recoucha
pour une sieste de quelques heures
18
A-t-on jamais vu l’aube et le crépuscule ainsi réunis en
une même image ? Le mal est la lueur et le bien son
ombre... Bienheureux les aveugles le jour où Solaar
s’éveillera !
L’Ambre
Sark arriva le premier dans la taverne. Ayant gardé son uniforme de gardien du feu, il
fit sensation en entrant dans l’auberge. Non que son uniforme lui attira l’attention des autres
habitués de la taverne, mais son gigantesque fauchard qu’il portait dans son dos était peu
commun dans cette partie de la marche. A Phénice, peu de personne avait assez d’assurance
pour arborer une telle arme. Apparemment, Sark n’était pas gêné outre mesure, par l’attention
que les habitués du bar lui portaient. Au contraire il les jaugeait d’un coup d’œil narquois,
comme s’il les incitait à venir lui chercher des noises pour avoir l’occasion de manier son
redoutable engin. Reconnaissant cette attitude du guerrier sur de lui, les habitués piquèrent le
nez sur leur alcool.
Généralement son grade de veilleur lui permettait d’éviter la majorité des embûches. Mais ce
n’était pas toujours le cas. Et les longues cicatrices qu’il portait sur ses bras nus indiquaient
entre autres qu’il avait souvent du se battre pour garder cet air arrogant. On l’avait compris
dans la taverne et personne n’osa le provoquer.
Il s’installa près d’une fenêtre donnant sur la ruelle en contrebas d’où on avait une
superbe vue sur la pleine lune.
Il commanda, un alcool fort, très cher, puis commença à le siroter lentement.
- Belle nuit pensa-t-il en contemplant l’œil de Solaar qui luisait avec éclat dans la trouée de
Phénice
La trouée était le nom que donnaient les célestes au puits qui permettaient au soleil d’éclairer
un Stallite.
- J’espère que les autres ne seront pas longs, cette bauge est immonde.
Sark était d’une famille noble et il répugnait de devoir traîner dans les bas quartiers de la
Grande Marche. Très hautain et sur de lui, il pouvait être extrêmement désagréable pour un
fouineur de la Première Marche. Il avait peu d’amis et on pouvait difficilement aimer ce
personnage pompeux. Mais Lauralee, Sark, et Randolf avait su le faire. Sark avait un cœur
d’or et un courage à toute épreuve. Il pouvait, si le besoin s’en faisait sentir, donner sa vie
pour un ami. Les biens matériels avaient peu d’emprise sur lui et il pouvait spontanément
offrir un objet coûtant une fortune à un ami comme s’il lui offrait un simple mouchoir. Ce
trait, qu’il fallait voir en lui pour le comprendre, en faisait un ami d’exception.
Il attendit encore quelques minutes quand Lauralee entra. Sa beauté comme toujours le
stupéfia. D’ailleurs de nombreux regards avaient convergé vers elle au moment où elle entra
dans la taverne. Mais les deux gantelets des ailerons suspendus à son côté, pouvaient en
dissuader plus d’un, de pousser plus avant ses investigations.
Elle s’assit en face de Sark. Repoussant ses cheveux noirs d’une main fine, elle fixa le gardien
du feu de son regard sombre et pénétrant.
- Il y a un problème Sark. Dit-elle abruptement.
Subitement inquiet, Sark se redressa.
- Quoi donc ? Questionna-t-il.
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Lorsque Lauralee s’inquiétai pour quoique ce soit, c’était généralement très dangereux. Elle
ne s’effrayait pas facilement.
- Le clan du Padre, ils veulent nous rencontrer. Répondit Lauralee
- Pour quelle raison ?
- Tymm ne me l’a pas dit ! Cela avait l’air d'être urgent.
S’enfonçant à nouveau dans sa chaise, Sark répondit
- On en parlera à Dask et Randolf quand ils arriveront.
Il ne s’en faisait pas trop. Non seulement, il n’était pas vraiment concerné par l’affaire,
n’ayant eu que très peu de rapport avec le Clan, mais de plus Lauralee avait contacté Tymm,
qui, il le savait, était un ami sûr.
- Tiens quand on parle du voulpe. Dit Lauralee fixant la ruelle.
- On en voit la queue. Enchaîna Sark en voyant Randolf et Dask venir en direction de
l’auberge.
Se regardant amicalement, ils éclatèrent de rire.
- Pourquoi riez-vous, Demanda Randolf en voyant leurs deux amis hilares.
- Rien, c’est juste une blague entre nous. Répondit Sark.
Et, derechef ils rirent.
Amusé Dask vit Randolf se rembrunir. Il n’aimait pas ces messes basses. Surtout qu’il ne
parvenait pas toujours, à percevoir la finesse de ses amis.
- Bon, il faut qu’on parle. Mais avant j’ai quelques chose à régler. Fit Dask
Il se dirigea vers le comptoir. En commandant un alcool, Dask appela l’aubergiste.
C’était un gros homme rougeaud qui ne semblait pas boire que de l’eau.
L’ambiance de l’auberge était joyeuse, et il fallait presque crier pour pouvoir se faire
entendre.
- Dis-moi, est ce que Darko est ici ? Demanda Dask près de l’oreille de l’homme.
- Darko ? Non, il n’est pas encore arrivé. Il va sans doute venir dans une heure ou deux.
C’est un habitué, il ne manquera pas de venir.
- Bien, ne lui dis pas que quelqu’un l’a demandé.
Tout en glissant quelques lux sur le comptoir, Dask ajouta.
- Et préviens-moi quand il arrivera.
L’aubergiste empocha rapidement les lux et répondit d’un grand sourire.
Dask retourna à la table avec ses amis.
Randolf le questionna, d’un coup d’œil.
- Non il n’est pas encore là.
Attentive comme toujours, Lauralee surprit l’échange, et lui demanda.
- De quoi parlez-vous ? Il y a des choses qu’on devrait savoir.
- Rien de très important. Dit Randolf
Et il les mit rapidement au courant de l’affaire qui les amenait ici. Passant sous silence
l’entrevue avec la mère de Dask, il leur raconta sommairement les tenants de l’affaire.
Voyant que c’était anodin, Lauralee se détendit et à son tour elle leur parla de l’entrevue avec
Tymm.
- Bon, il faudra essayer de régler ce problème avant notre départ. Annonça Dask.
- Notre départ ? Non, non, je n’ai pas changé d’avis, je ne pars pas. Même pour qui vous
savez, je ne partirais pas dans cette expédition démente. Elle avait baissé
considérablement la voix sur ses derniers mots.
Regardez autour de vous c’est dément, cette expédition va laisser exsangue Phénice. Et
pour quoi ! Une foutaise, une folie. Eclata-t-elle brusquement.
Dask, regarda autour de lui et s’empressa de rajouter inquiet.
- Parle moins fort. Les Prôneurs punissent sévèrement les gens qui tiennent de tels propos.
De plus il n’y a aucun problème, si tu ne veux pas partir, tu ne partiras pas.
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- Mais ce n’est pas seulement ça, tu ne comprends pas que si vous partez, c’est la mort qui
vous attend au bout du chemin. Cria-t-elle presque.
- C’est notre devoir. Rétorqua Randolf.
- Votre devoir de vous suicider ! S’exclama Lauralee. Sang noir, mais quelle inconscience !
Lauralee avait souvent le langage très cru lorsqu’elle était en colère.
Pendant l’altercation, Sark regardait dehors. Il savait qu’il n’y aurait pas de solution à
leurs différents. Lauralee n’avait pas la même conception que Dask de ses devoirs envers les
initiés.
Pour lui, tant qu’il serait avec eux, rien ne le gênait. Mais il lui peinait de devoir partir sans
elle.
Soudain, alors qu’il observait la ruelle en contrebas. Il remarqua un homme qui
semblait s’y déplacer furtivement. Intrigué, il observa avec plus d’attention le personnage.
Un rayon de lune éclaira fugitivement un visage vérolé. C’était Monsieur l’Ambre.
Surpris Sark agrippa le bras de Randolf qui se tenait près de lui.
- Regarde c’est l’Ambre !
Surprenant leur mouvement, Dask et Lauralee s’arrêtèrent de parler et tous fixaient à présent,
la silhouette en contrebas.
Elle passa silencieusement sous la fenêtre. Lauralee, toujours aux aguets, remarqua une autre
silhouette qui semblait suivre la première. Glacée, elle aperçut l’éclat froid d’une lame dans
l'ombre du suiveur.
- Regardez, on le suit et ils sont armés.
En effet elle venait de remarquer, derrière la première, une deuxième ombre.
L’étrange procession semblait se diriger vers la place face au palais arachnéen.
- Il a des problèmes, suivons-le. Dit Randolf en se levant Brusquement.
- Tu as raison, allons-y vite ! Répondit Lauralee passant ses deux ailerons.
Il sortirent rapidement de l’auberge et chacun vérifia ses armes. Randolf s’assura que sa forte
épée coulissait bien dans son fourreau. Dask sortit ses deux katars et passa son aileron. Sark
ôta de son dos le monstrueux fauchard.
Le temps qu’ils parviennent à la ruelle, l’Ambre avait atteint la place du palais
arachnéen.
Courant sur les derniers mètres, les trois amis débouchèrent sur la place.
Ils n’eurent le temps d’empêcher la scène terrible qui se passa devant leurs yeux.
L’Ambre avait été subitement attaqué par ses quatre agresseurs. La mâchoire fracassée par un
large coup d’esponton, il s’écroula au sol en apparence sans vie.
Hurlant de rage, Randolf fonça vers les agresseurs. Dask le suivit de près. Médusée Sark et
Lauralee les suivirent avec plus de circonspection guettant les alentours avec craintes et
suspicions.
Et ce fut le combat. Tout se déroula très vite. Les adversaires de l’Ambre, quoique
étant vraisemblablement des guerriers aguerris ne faisaient pas le poids face à de tels
combattants.
La méthode de combat tournoyante de Dask faisait une nouvelle fois ses preuves. En quelques
secondes, il expédia son adversaire la tète ensanglantée par un large coup d’aileron qui avait
suivi un coup de Katar meurtrier. Randolf quoique ayant un style de combat plus classique,
prit plaisir à couper en deux son adversaire à l’aide de sa monstrueuse forte épée qu’il maniait
avec perfection. Surtout que sournoisement, au cour du combat, il se servait de sa basse lame
qu’il rendait meurtrière par sa force titanesque.
Sark expédia son adversaire en un seul coup. C’était généralement le nombre de coups qu’il
fallait pour terrasser quelqu’un avec un fauchard. Lauralee, au contraire des trois autres, laissa
venir son adversaire.
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Prudente comme toujours, elle attendit une opportunité sûre pour attaquer. Elle n’eut
d’ailleurs pas l’occasion car Dask rapidement vint à son aide et à deux contre un la silhouette
drapée de noir n’eut aucune chance.
Il y avait à présent sur le sol cinq corps. Rengainant ses Katars, Dask s’agenouilla auprès
de l’Ambre. Son horrible blessure ensanglantait complètement sa face. Un râle continue
d’agonie s’échappait par bouillon des lèvres rouges de sang de leur mentor. Paniqué Dask
releva la tête, et cria à ses amis.
- Vite, il faut trouver un nourrisseur, aidez-moi à le porter vers une coulée.
Passablement affolé, Dask ne prêtait pas attention à ce qui se passait autour de lui.
Lauralee qui avait comme toujours gardé son sang froid et surtout parce qu’elle se
sentait relativement moins concernée par le sort de l’Ambre, agrippa le bras de Dask et le
força à se relever.
Sur ses pieds, Dask vit la cause de son inquiétude. Des mouvements et des bruits étouffés de
course semblaient venir des quatre grandes ruelles qui aboutissaient à la place du palais
arachnéen.
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De la fatigue ou de la peur, laquelle est la plus tenace ?
Ce qui est sûr, c’est que quand il faut réveiller l’autre,
on se met à gueuler comme un hibour s’il traîne une
minute de trop. Il faut se réveiller à la gnole ou à la
haine. A la haine d’être là ou à la peur au ventre.
Comme lors de toutes les situations critiques, ils agirent de concert, le groupe sans un
mot se repartit inconsciemment les tâches.
Dask prit l’Ambre sur ses épaules. Randolf sortit son arbalète et se plaça en compagnie de
Sark en arrière pour couvrir leur fuite. Sark et Lauralee se portèrent en avant et se ruèrent vers
le seul endroit accessible, le palais arachnéen.
Courant à perdre haleine, les quatre amis parvinrent au parvis du palais quand il
entendirent des cliquetis métalliques derrière eux. Les hommes en noirs s’étaient rendu
compte qu’ils n’arriveraient pas à les rejoindre assez tôt et avaient décidé d’utiliser d’autres
armes.
Randolf, avec horreur, reconnut le bruit caractéristique de plusieurs arbalètes de poing.
- A terre vite ! Cria-t-il en s’y jetant lui-même.
Dask, encombré par l’Ambre ne put réagir assez vite. Il poussa un grognement étouffé lorsque
deux flèches le touchèrent à la jambe et au bras. Randolf, quant à lui, fut sauvé par sa réaction
rapide. Une flèche le toucha mais ricocha sur ses vêtements de cuir.
Il se releva rapidement, et pris l’Ambre sur ses épaules, et soutint Dask qui accusait le coup
de ses blessures.
Lauralee, et Sark tambourinaient déjà aux portes du gigantesque palais.
Voyant que le passage n’était pas encore ouvert, Dask et Sark dans un sursaut d’orgueil, se
retournèrent pour affronter à distance cette fois ci leurs adversaires.
Randolf parvint à l’aide de plusieurs flèches bien ajustées à ralentir l’avancée de la
troupe drapée de noir. Dask, malgré sa cruelle blessure, d’un puissant et ample mouvement du
bras qui indiquait une maîtrise totale de son arme, lança son disque.
Celui-ci lancé à toute vitesse accomplit une de ces trajectoires qui stupéfiait plus d’un par sa
précision. Le disque sembla voler une éternité, il toucha deux adversaires cruellement en leur
labourant le visage puis obligea, par sa courbure admirablement effectuée, deux hommes à se
jeter à terre pour éviter le projectile mortel.
Se mettant rapidement à courir, les hommes en noir, espérèrent arrêter cette pluie mortelle.
Entre temps, Lauralee de sa plus belle voix, tragique et désespérée, avait réussi à faire
ouvrir la large porte du palais.
Tous se ruèrent à l’intérieur. C’était un vestibule admirablement décoré de divers tableaux.
Dask n’attendit pas une seconde. Se tournant vers le vieil homme qui leur avait ouvert la
porte, il tempêta.
- Vite de quoi bloquer cette porte, où il t’en cuira ! !
Il agita avec fureur son Katar ensanglanté à la tête du pauvre homme qui palissait.
Bredouillant de terreur il leur indiqua la pièce à côté où se trouvait une large armoire qui
pouvait bloquer la porte.
Sark et Randolf la ramenèrent et la placèrent contre la porte qui subissait déjà les coups de
buttoir.
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- Vite, il ne faut pas moisir ici cria Lauralee ! Trouvons une sortie !
Tous se retournèrent vers le vieil homme, apparemment un majordome, qui tremblait de la
tête aux pieds.
- Au fond de ce couloir après trois portes, vous pourrez trouver Othero le maître de ce
palais, lui connaît sans aucun doute une autre sortie.
Il n’attendirent même pas la fin, et les quatre combattants se ruèrent en direction de la
porte du fond. La défonçant presque de ses bras puissants, Randolf prit la tête de la file. Dask
perdait de plus en plus de sang qui perlait lentement sur le sol marbré du palais.
Malgré leur peur d’être rattrapés, ils ne purent que s’arrêter un moment dans la pièce dans
laquelle ils venaient de rentrer tant leur fatigue était grande.
Tout d’abord un effroyable craquement se fit entendre, suivi d’un grincement sourd puis le
son d’un mécanisme bien huilé. Pris d’un soupçon subit, Lauralee ouvrit à nouveau la porte
derrière eux.
Ce n’était plus la même pièce ! Le vestibule qui était derrière eux avait fait place à une pièce
sombre et étrange. Un débarras où s’entassait un tas de breloques toutes aussi inutiles les unes
que les autres.
Elle remarqua même un des ces talismans qu’aiment à arborer les ferrailleurs : rectangulaires,
d’une matière curieuse, avec une languette en forme de tube qui dépassait à leur sommet.
Elle se retourna vers ses amis épouvantés par ce changement de la pièce. Elle les rassurant
d’un sourire crispé.
- Nous sommes dans le palais du maître bâtisseur Othero. Ne l’oubliez pas. Au-dessus des
Affres, il bouge sans cesse et ses pièces peuvent varier d’une minute sur l’autre. Le génie
d’Othero est ici en œuvre.
- Tant mieux répondit Dask pragmatique, ça nous aidera à fuir.
Prenant la porte du fond, il débouchèrent dans un autre long couloir bordé de très
nombreuses portes.
S’avançant avec prudence il se dirigèrent vers la porte visible au loin.
Il arrivèrent à mi-chemin, lorsque brusquement ce fut de nouveau l’enfer.
Des deux portes de chaque côté, de nouveaux adversaires se ruèrent traîtreusement sur eux.
Heureusement pour eux, ils réagirent suffisamment rapidement pour sauver leurs vies.
Randolf et Sark se mirent en travers et stoppèrent, grâce à l’allonge de leur arme, l’avancée de
leurs nouveaux adversaires. Malheureusement il ne purent éviter le coup que se prit Lauralee
surprise par l’intrusion et arborant maintenant une large plaie au flanc qui tachait de rouge ses
vêtements.
Sans un mot, elle surmonta la douleur et aida Dask à porter L’Ambre vers la porte.
Sark et Randolf se battaient avec acharnement, mais ils durent reculer pas à pas.
Heureusement pour eux on ne pouvait se battre qu’à deux de front dans cet étroit corridor.
Bataillant dans l’embrasure de la porte, Randolf parvins d’un coup puissant de sa forte épée à
rejeter au loin, mort, son adversaire et à refermer d’un coup de pied la porte.
Il y eut un autre grincement et un mouvement. Les pièces se déplaçaient de nouveau et
les mirent hors d’atteinte de leurs adversaires pour le moment.
La pièce où ils se trouvaient était un autre dépotoir d’objets hétéroclites de l’avant. Sans
aucune valeur, ils s’entassaient ici plus ou moins par thème comme si on était dans un
poussiéreux musée dédié à une civilisation disparue.
Ils durent se frayer un passage dans la pièce. Toujours courant, il traversèrent ainsi de
nombreuses pièces. Par moments un autre grincement se faisait entendre indiquant que
quelque part une pièce se mettait à bouger.
Brusquement il entrèrent dans une autre partie du palais sensiblement différente.
Les salles étaient d’un luxe inouï. Par contre, comme ne manqua pas de le remarquer Lauralee
malgré sa douleur, celle-ci avait bénéficié à n’en pas douter d’une touche féminine.
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En effet, ils avaient un moment débouché dans une salle vitrée laissant voir en cette nuit de
pleine lune les Affres, les extrémités des Echarpes Pourpres, et les Echafaudages.
Mais leurs regards à tous se fixaient sur de magnifiques tableaux représentant tous la même
femme intriguante et belle, peinte avec un je ne sais quoi d’envoûtant.
Finalement, il parvinrent dans le dernier sanctuaire du palais.
La pièce, où ils arrivèrent, était très large. Un bureau était placé contre un des murs. Il
débordait de plans, de maquettes, de clepsydres, de sabliers, de parchemins griffonnés en
toute hâte. Un homme était en ce moment courbé dessus et semblait travailler à quelque
chose. Se retournant brusquement à leur approche, il s’avança vers eux étonné, et en même
temps médusé, par leurs blessures.
C’était un jeune noir robuste, portant les habits d’un bâtisseur de très haut rang. Se
dégarnissant un peu, il portait très court ses cheveux d’un brun très sombre.
- Qui êtes-vous ? Que faites-vous chez moi ? Demanda-t-il d’une voix forte.
Tout en questionnant, il portait instinctivement la main à son entrailleur et s’avançait sans
peur vers les quatre intrus.
Brusquement, il remarqua le corps que portait à présent Sark.
- Soleil Dieu, c’est L’Ambre. Cria-t-il estomaqué.
L’allongeant par terre, il approcha son visage de celui de l’Ambre.
Celui-ci sentit, le changement de rythme et parvint à extirper de son pourpoint un manuscrit
ensanglanté. Puis brusquement sombra dans l’inconscience.
Othero le prit, le lut et le tendit à Dask qui le réclamait du regard.
Une inscription fébrile accompagnait l’emblème du Soleil des Syrthes, le symbole de la
croisade. Il était rédigé en ces termes
« Méfiez-vous du retour de la flamme ».
Message énigmatique, que tous regardaient médusés, fit s’interroger du regard, un bon
moment, tous les personnages de la pièce.
Othero reprit.
- Que signifie tout ceci ?
Qui êtes-vous ?
Qu’est-il arrivé à L’ambre ?
A-t-il parlé d’une pierre ? Pourquoi êtes-vous blessé ? ?
Il interrompit brusquement ses questions et il sembla attendre presque gêné une réponse.
Tous étaient essoufflés et seul Dask pris le temps de répondre au maître bâtisseur.
- Nous sommes poursuivis par les hommes qui ont agressé l’Ambre. Ils nous poursuivent
ici même dans votre palais.
- Soleil Dieu, chez moi ! S’exclama Othero.
Othero sembla guetter un moment comme s’il entendait quelque chose.
- Vite partons ! J’entends des voix pas très loin. On se rapproche d’ici ! Reprit-il.
- Je vais vous aider. Ne serait ce que pour L’Ambre. De plus je n’apprécie pas qu’on fasse
irruption dans mon palais.
Il alla rapidement vers une porte adjacente à son bureau. Il passa alors devant une de ses
horloges qui semblait particulièrement peaufinée. Le mécanisme associait une roue à aube,
alimentée par un compte goutte, et un mécanisme relié à ce qui ressemble à une boite à
musique, alors que l’ensemble du complexe est placé sur une plaque vibratile soutenue par
des pistons et des amortisseurs.
Intrigué, Sark s’arrêta un moment devant l’horloge et courut rejoindre ses amis.
- Curieuse mécanique ! Se dit-il pensif.
Ils suivaient à présent Othero qui avec aisance parcourait son palais. Il savait à l’avance les
déplacements des pièces du palais et grâce à lui il parvinrent rapidement à une pièce à
l’extrême ouest du palais.
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Essoufflé, il s’arrêta un moment. Il consulta un objet bizarre qu’il sortit de son gilet.
- Passez par cette porte. Dans, cinq minutes elle conduira à la sortie.
Laissez-moi l’Ambre, je m’en occuperai.
- Comment allez-vous semer nos poursuivants ?
- Je me débrouillerai, et si je suis pris, j’ai quand même certaines connaissances qui
pourront m’aider.
Fuyez vite ! Il ne faut pas qu’ils vous retrouvent.
Que Solaar vous protège !
Prenant L’ambre sur son dos, il quitta rapidement la pièce.
Cinq minutes plus tard, ils prirent la porte qu’il leur avait indiquée et ils se retrouvèrent
dans une salle plus vaste donnant par ses fenêtres directement sur les Affres. Aussitôt arrivée
dans la pièce, Lauralee, la plus près de la porte, entendit de nombreux bruits de pas proches.
- Vite ! Ils sont déjà là ! Aidez-moi, il faut bloquer la porte !
Randolf, et Sark, l’aidèrent rapidement et placèrent une lourde table contre la porte.
Apparemment, le raclement sourd, qu’ils avaient occasionné, avait averti les hommes de la
pièce à côté. Dès qu’ils eurent fini de placer la table, des coups sourds très violents
ébranlèrent le battant.
- Au nom de Solaar, Ouvrez ! Cria une voix péremptoire.
Aussitôt les coups s’intensifièrent et la porte commença à s’ébrécher.
Ne perdant pas de temps, Dask aussitôt rentré s’était mis à la fenêtre et cherchait à présent une
issue.
A trois mètres sous la fenêtre, on pouvait voir une rigole d’un mètre environ de
largeur.
En la suivant, on pouvait atteindre le long aqueduc qui surplombait les Affres.
Le trajet allait être très difficile car suintant et dégoulinant, l’aqueduc allait être très peu
praticable.
Mais avaient-ils le choix ?
Se tournant vers ses amis, Dask cria.
- Vite par la fenêtre, on va essayer de rejoindre l’aqueduc !
Passant le premier, il enjamba le rebord et descendit prudemment vers la rigole.
Il y arriva sans problème et se plaqua contre la paroi. Sous lui, il y avait au moins quinze
mètres de vide. Un vent froid balaya son visage. Sa blessure, qui lui faisait de plus en plus
mal, ne facilitait en rien sa prise sur la paroi rendue glissante par un lever brusque de
brouillard.
Le temps avait étonnamment changé. Comme il arrive très souvent sur Sombre Terre,
le climat avait changé du tout au tout. La nuit qui s’annonçait encore, il y a quelques heures
comme paisible et dégagée, était à présent chargée de nuages et un vent froid du Nord s’était
levé. Simple inconvénient dans un Stallite, ce revirement de temps pouvait être fatal à une
caravane de Marcheurs.
Tour à tour, ses compagnons le rejoignirent. Seul Randolf dérapa un peu mais fut vite
rattrapé par ses amis. Tous à présent longeaient la rigole en direction de l’aqueduc.
C’est Dask qui s’engagea le premier sur le cylindre glissant.
Sark qui jetait fréquemment des regards en arrière, cria brusquement.
- Regardez, ils nous suivent !
En effet, ils pouvaient voir cinq silhouettes qui descendaient à leur tour la paroi.
- Foutrefeu, ils sont aussi fous que nous ! S’exclama Randolf.
Dask inquiet regarda l’aqueduc dont l’extrémité se perdait dans le brouillard.
- Ne perdons pas de temps, on a une chance d’atteindre le bout avant eux !
Enjoignant le geste à la parole, il s’engagea sur l’aqueduc.
Randolf le suivit aussitôt, suivi de Lauralee, et Sark ferma la marche.
26
Les dix premiers mètres furent sans problème car cette partie n’était pas encore extrêmement
humide.
Mais ils arrivèrent dans une partie nettement plus glissante. Dask ralentit le pas et
prudemment s’avança. Il posa précautionneusement ses pieds sur les zones les moins
mouillées.
Il avait parcouru comme ça plusieurs mètres quand brusquement derrière lui, il
entendit un cri étouffé. Se retournant brusquement, il vit Randolf perdre l’équilibre. En voyant
l’avance qu’ils avaient prise tous les deux sur le reste du groupe, il pesta intérieurement, il
aurait du avancer beaucoup moins vite. Surtout que Lauralee, à cause de sa blessure ne
pouvait pas se déplacer aussi rapidement que d’habitude.
Ce fut donc seul, qu’il essaya de rattraper le lourd guerrier. Randolf avait perdu complètement
l’équilibre. Il s’écroula lourdement sur l’aqueduc et commença à glisser.
- Dask, à moi, je glisse !
In extremis, Dask empoigna une de ses mains et arrêta brusquement sa glissade. Les pieds de
Randolf se balançaient à présent dans le vide à plus de quinze mètres du sol.
Dask grimaça de douleur. Sa blessure se réveillait. Il sentit sa prise faiblir. Epouvanté, il jeta
des regards désespérés autour de lui.
Ce qu’il vit, le glaça.
Les hommes qui les suivaient avaient été plus rapides qu’il le pensait !
Sark Bataillait à présent contre un adversaire sur l’aqueduc. Lauralee se tenant juste derrière
essayait, en vain jusqu’à présent, de lancer ses poignards en direction de son agresseur.
Epouvanté, il vit un très large coup de fauchard éventrer l’adversaire de Sark mais celui-ci
emporter par son élan bascula dans le vide. Lauralee désespérément essaya de le rattraper
mais en vain. Pire même, alors qu’elle était en position défavorable, l’adversaire juste après le
premier, la bouscula vilement d’un brusque coup d’épaule, et elle bascula à son tour dans le
vide.
Dask, pleurant de désespoir, les vit tous les deux se perdre dans le précipice.
Contenant sa rage, il mit toutes ses forces pour ramener son dernier ami sur l’aqueduc.
Le désespoir, lui insuffla une énergie supplémentaire, et il parvint à ramener Randolf sur
l’aqueduc. Les autres hommes se ruèrent dans leur direction. Dask comprit qu’il ne pouvait
pas atteindre avant eux le bout de l’aqueduc et les attendit de pied ferme. Averti par son
attitude, le premier homme drapé de noir, sortit un lancat de sa manche et le visa
soigneusement. Tant bien que mal, Dask essaya de se jeter au sol. Il parvint à esquiver de
justesse le projectile mais son élan le déséquilibra. Il tomba dans le vide battant des bras
désespérément. Randolf essaya à son tour de le rattraper mais le poids de son ami ainsi que
son élan l’empêcha d’avoir une bonne prise. De plus, il glissa sur une partie humide de
l’aqueduc et ne put rien faire pour stopper sa chute. Il sombra à son tour dans le vide.
Une chute interminable, une douleur, puis plus rien, le néant !
27
Le puits de Rédemption révèle la trempe de quelqu’un.
Seule une épreuve de ce genre peut révéler un vrai
Garde des Purs. L’esprit de meute et la discipline du
puits en fait une unité d’élite apte au combat et à tous
les risques.
Letho Gdansk
Dask marchait. Un rayon de lumière inondait devant lui l’herbe verte du chemin sur
lequel il déambulait. Il était entouré de plantes gigantesques qui pliaient doucement sous un
vent doux provenant de sa droite. Celui-ci, à travers les grandes ramures des arbres, car c’était
des arbres, il en était certain, chantait un chant doux et triste.
Une plainte, un cri, retentit loin au-dessus de sa tête. Un oiseau blanc le surplombait et
de sa voix aiguë l’interpellait. Surpris et curieux, il suivit ce compagnon impromptu. Ses pas
guidés par le bel oiseau le mena vers le haut d’une butte.
S’arrêtant stupéfié, Dask regarda l’oiseau immaculé s’éloigner au-dessus d’une masse
mouvante d’un bleu azur.
La mer, il ne l’avait jamais vu, et pourtant elle était à présent devant lui. Un bruit étrange mi-
roulement mi-bruissement emplit ses oreilles comme un écho étouffé du cri nasillard de
l’oiseau qui venait de le surplomber.
Le ciel était bleu, entièrement bleu. Aucun nuage, aucune obscurité ne menaçait ce ciel si
paisible.
Quelque chose n’allait pas, et Dask ne parvenait pas à savoir quoi. Peut-être est-ce ce
bruit, très inhabituel pour lui, des très nombreux oiseaux qui tournaient autour de lui ? Ils
l’accompagnaient d’ailleurs dans sa déambulation le long de l’étendue sablée qui bordait cette
étrange masse bleue crissante et luisante.
Soudain, le ciel se couvrit. De l’Est vint un nuage sombre menaçant qui avançait très
rapidement. Les cris des oiseaux se turent et il les vit partir à tire d’aile en direction de l’ouest.
Même l’oiseau blanc qui l’avait accompagné un temps s’enfuit au loin. Et le nuage avança. Il
avança jusqu’à recouvrir tout le ciel. Cachant le soleil, il instaura l’obscurité. Mais qu’avait-
elle de si particulière cette obscurité ? Pourquoi lui semblait-elle si familière ? Un sourd
grondement emplit l’air et des éclairs assourdissants éclatèrent tout autour de lui.
Pris de panique, il courut vers l’horizon lumineux qui s’amenuisait de plus en plus. Il
courut à perdre haleine, se cognant contre chaque tronc d’arbre qui petit à petit, se muèrent
sous ses yeux ébahis en de monstrueux champignons gris. Tout à coup le sol se mit à
trembler. Déséquilibré, il trébucha et tomba la tête la première dans la poussière grise du sol.
Une voix féminine se fit entendre.
- Dask, Dask !
Il se redressa brutalement dans l’obscurité, et deux mains fines le secouaient doucement.
Hébété pendant quelques secondes, il reconnut enfin la voix familière.
- Lauralee ? Ses yeux essayaient de percer l’obscurité ambiante.
- Oui, c’est moi. Ne bouge pas trop ! Tu es encore blessé. Reprit-elle, en le forçant à
s’allonger de nouveau.
- Mais je t’ai vu tomber avec Sark ! Ne comprenant plus rien, la voix de Dask se faisait
tremblante.
28
- Nous aussi, on se croyait mort, dit la voix de Sark proche.
- On s’est réveillé comme toi ici, apparemment indemne, reprit Lauralee
- Enfin, presque ! Reprit la voix de Randolf. Mon bras me fait un mal de chien, et je ne sens
plus du tout mon pied droit.
- On est tous en vie ! S’écria Dask. Mais que nous est-il arrivé ?
- On est dans une sorte de prison. dit Lauralee
Il l’entendit se lever et s’éloigner de quelques pas. Quelques secondes plus tard, Lauralee
sembla tirer sur les barreaux d’une grille un peu plus loin.
Peu à peu, sa vue s’habituait à la pénombre, et il parvins à distinguer la silhouette de Lauralee
à côté d’une large grille de métal. De l’autre côté, on pouvait voir une espèce de rambarde
métallique. Etrangement, la coursive derrière la grille n’avait pas de mur opposé à eux et
semblait s’enfoncer en suivant un arc de cercle.
- On est dans un puits. Confirma Sark.
- C’est le puits de Rédemption ! lui apprit Randolf d’une voix lugubre
Le sang de Dask, se glaça à ce nom sinistre.
Le Puits de Rédemption était la prison la plus dure de Phénice. On y entreposait les
pires malfrats et les pires canailles. Régulièrement un bataillon de gardiens du feu y était
assigné en punition disciplinaire. C’était le plus souvent des gardiens du feu qui avaient
transgressé les lois ou qui s’étaient montrés particulièrement violent dans l’exercice de leur
fonction. Rares furent ceux, après y être passé, qui osèrent parler de cette expérience.
C’était un puits monstrueux d’une cinquantaine de mètres de diamètre. Parcouru par
un chemin de Ronde en spiral, il était bordé de cellules plus ou moins insalubres. Au fond on
trouvait une cour où se déroulaient les punitions. A heures fixes, tous les détenus sortaient de
leurs cellules et étaient menés en une longue procession vers leurs tâches quotidiennes.
On disait que le niveau dans lequel on était incarcéré, dépendait de la faute qu’on avait
commise. Plus la cellule est profonde, plus la punition était sévère voir mortelle.
Ils étaient malheureusement dans les derniers niveaux.
Chaque jour, toutes les cellules sont ouvertes, et toute la faune des prisonniers se mêle
et se livre à un jeu de domination ritualisé, aux codes presque animaux. Ainsi, les
démonstrations de force et les défis ne sont pas rares et donnent lieu à des duels sanglants
sous le regard impassible des gardiens.
Dask était prostré par leur mauvaise fortune.
Mais pourquoi donc avaient-ils échoué ici dans la prison la plus officielle de Phénice. Qui
étaient donc ses hommes noirs qui avaient attaqué l’Ambre ?
Ses réflexions faisaient écho à un lourd sentiment d’angoissant qui commençait peu à peu à
l’étreindre.
Intensément, il se remémora, l’agression, le combat, et la fuite.
Des flashs remplirent son esprit : l’aspect des armes des hommes noirs, leurs styles de combat
revinrent dans sa mémoire, analysés et décortiqués.
Quand brusquement, tout fut clair.
Se redressant, il interpella Randolf.
- Rath ! La façon dont se battaient les agresseurs de L’Ambre ! Ca ne te rappelle pas
quelque chose ?
Un silence, puis la voix sourde de Randolf se fit de nouveau entendre.
- Si, Tu as raison ! On a déjà rencontré ce style de combat.
C’était chez ce gardien du feu véreux de la Halte des Ombres.
Il disait... Attends, je ne m’en souviens plus.
- Qu’il avait été entraîné... Ajouta Dask.
- Au puits de Rédemption ! S’exclama Randolf.
Mon dieu, on a attaqué des Purs !
29
Le souffle coupé, Randolf s’adossa à la paroi de la cellule.
Dask, qui était arrivé juste avant aux mêmes conclusions, était lui aussi atterré par toutes les
implications.
Lauralee et Sark qui n’avaient pas connu le gardien du feu et qui ne connaissaient pas
non plus les purs, questionnèrent avec insistance leurs deux amis.
Dask leur expliqua brièvement.
La Garde des Purs était une unité d’élite des gardiens du feu. Extrêmement efficace au
combat, ils faisaient des troupes de choc d’exception. Garde personnelle de Letho Gdansk, un
commandore influent et ambitieux de l’Atre, ils étaient véritablement une armée personnelle
et indépendante chez les gardiens du feu. De plus, l’influence de Letho était grandissante et
peu de commandore de l’Atre osaient s’opposer à lui. On murmurait qu’il fomentait depuis
peu un complot à vaste échelle pour renverser les sept Grands Révérés.
- Ils ont quasiment tout pouvoir chez les gardiens du feu. Finit Dask.
- On a rencontré lors de l’infiltration dans le clan du Padre, un certain Hubert Crête de sang
qui se vantait d’être aller dans le puits de Rédemption et d’avoir participé à l’entraînement
des Purs. Son style de combat se rapproche beaucoup trop de ceux des hommes qui nous
ont attaqués pour en être étranger. Compléta Randolf
- En gros, on a tué au moins six gardiens du feu d’élite ! Renchérit Sark
- C’est ce qui semblerait. Sinon pourquoi se retrouverait-on ici au puits de Rédemption et
non pas égorgés dans les Affres où nous avons sans doute atterri.
- Tu as raison, il n’y a pas d’autres explications. Affirma Lauralee.
Sark se rendit compte, peiné, du ton angoissé de la voix de Lauralee. Elle semblait
oppressée par la cellule.
Sark savait que la majorité de sa vie s’était passé dans la Première Marche. Elle avait du se
battre pour survivre et avait fait quasiment tous les boulots. L’illégalité avait du être son lot
quotidien. Et chez les Rôdeurs, le puits de Rédemption avait une réputation de puits des
enfers. Ceux qui y rentraient n’en sortaient jamais ou alors réduit à des automates incapables
d’avoir la moindre pensée consciente.
La voir ainsi à l’impuissance choquait au plus au point le fier gardien du feu. Silencieusement
il se rapprocha d’elle, et prit dans ses lourdes mains calleuses les mains douces et fines de son
amie. Les serrant avec affection, il essaya de donner un maigre réconfort à la très belle
fouineuse. Il sentit, un serrement en retour et rassuré Sark laissa Lauralee appuyer sa tête sur
son épaule.
Il restèrent ainsi un moment, sans dire un mot de plus, quand soudain des bruits de pas
se firent entendre. Quatre gardiens éclairés par deux lampes à rueg se tenaient à présent
devant la grille. Le premier sortit un trousseau de clé et fit jouer la serrure.
Tous très vigoureux, Lauralee comprit soudain pourquoi ils étaient venus. La première
brute, sans un mot, parcourut du regard les quatre prisonniers et son regard s’arrêta sur
Lauralee appuyée contre Sark.
- Toi, suis-nous ! En vitesse !
Deux de ses acolytes s’approchèrent et tirèrent Lauralee par les bras.
Sark pris d’une rage subite se rua sur les deux hommes. Choqué, ils reculèrent et portèrent les
mains à leurs armes.
Les trois gardiens du feu se jetèrent alors sur lui pendant que le quatrième recula et sortit un
mousquet à rueg. Un échange brutal de coups s’ensuivit et Sark se défendit comme un diable
mais commença à succomber sous les coups brutaux des trois hommes. Randolf et Dask
étaient eux tenus en respect par la gueule noire du mousquet dirigée dans leur direction.
Lauralee s’interposa brutalement entre les trois geôliers et Sark.
- Arrêtes Sark, c’est pas la peine !
Se rapprochant de Sark, elle lui murmura à l’oreille.
30
- Ce n’est qu’une épreuve de plus, sois fort, je reviendrai !
Faisant comprendre aux trois gardes que c’était fini, Lauralee d’elle-même alla à la rencontre
du troisième garde. Elle s’éloigna alors en leur compagnie et ils entendirent ses pas se perdre
dans la longue coursive qui montait au-dessus d’eux. Le quatrième, frappé auparavant par
Sark, referma la grille et cracha dans leur direction. Il eut ensuite un ricanement sinistre suivi
d’un sourire mauvais.
- T’en fais pas vermine ! On va bien s’occuper de ta copine.
Et il s’éloigna tout en poussant de nouveau un ricanement plein de sous-entendus mauvais.
Fou de rage, Sark se jeta contre la grille qu’il ébranla par son poids.
Il cria d’une voix haineuse torturée par le désespoir.
- Si vous la touchez, je vous tue ! Vous entendez, je vous tue !
Donnant encore un grand coup dans la grille, il se recroquevilla ensuite dans un coin de la
cellule.
Randolf et Dask entendirent peu de temps après un sanglot sourd. Les deux amis essayèrent
de le réconforter mais en vain. Dask, bouleversé par la scène, sentit une sourde colère
l’envahir. Ils allaient payer, il se le jura intérieurement, ils allaient payer !
Une étrange amitié s’était installée entre Sark et Lauralee. Ambiguë cette amitié Sark
ne l’avait jamais compris, il n’avait jamais su les véritables sentiments qu’elle avait à son
égard. Elle pouvait être enjouée, aguichante par moments, pour être ensuite dure comme de la
glace à d’autres. Parfois de violentes dispute éclatait entre eux. Le plus souvent pour des
différences de points de vue car il était bien évident que la mentalité d’un noble gardien du
feu et celle d’une fouineuse de la ceinture de Nux étaient très dissemblables. Mais malgré ses
différences, ils se respectaient, voir, ils s’admiraient.
Sark, au fil des épreuves qu‘ils avaient subit, avait vu son sentiment d’amitié se
modifier quelque peu jusqu’à ce jour. Il était maintenant anéanti par la situation.
Pendant un moment, il resta prostré sans que rien ne puisse le sortir de son hébétude.
Puis il se mit à tourner comme un urs en cage, proférant des menaces et jurant.
Plusieurs heures plus tard, des bruits vinrent de l’escalier plus bas. Des hommes arrivaient.
Sark se rua contre la grille et essaya de percer l’obscurité. Son visage s ‘éclaira soudain.
Lauralee revint accompagnée des trois gardes qui n’étaient curieusement pas les mêmes qu’à
l’allée. Rapidement mais avec un certain respect, il firent rentrer Lauralee dans la geôle.
Celle-ci les traits tirés et les vêtements en désordre s’assit sans un mot à même le sol. Sark les
traits torturés se tenait debout devant elle sans pouvoir faire quoi ce soit. Randolf approcha du
visage de Lauralee une écuelle d’eau qu’elle but avec avidité.
- Merci. Dit-elle en gratifiant le gardien du feu d’un sourire.
- Que s’est-il passé ? Questionna t il.
- Ils m’ont interrogé plutôt durement
Elle s’arrêta un moment. Puis elle reprit d’un souffle rauque après une autre gorgée d’eau.
- Ils ont essayé de me forcer.
Elle partit d’un étrange petit rire qui résonnait très mélodieusement dans le cachot moite et
lugubre.
- Ils croyaient que j’étais inoffensive. Ils ont vite changé d’avis quand le plus entreprenant
d’entre eux a eu son propre poignard planté dans un endroit plus que sensible.
Avec un sourire, elle rassura alors Sark qui fulminait et s’agitait de plus en plus.
- Ca aurait pu mal finir. Mais au moment où tout était fini pour moi. Un officier est
intervenu, un grand, très baraqué. Apparemment, il avait un grade assez élevé puisque ces
trois porcs me laissèrent aussitôt tranquille. Rapidement, il m’a confié aux hommes qui
m’ont ramené jusqu’ici.
- Tu as eu de la chance, les purs ne sont pas réputés pour leur clémence surtout à l’égard
des femmes.
31
- Celui là semblait différent des quatre. Plus posé et apparemment d’un très haut statut, je
ne sais de lui que son prénom, Orso.
- Mouais, s’il t’a aidé, il doit avoir quelques chose derrière la tête. Cela ne me dit rien qui
vaille. Grommela Sark toujours énervé.
Les jours suivants furent mornes, sans intérêts, et parfois dangereux. Comme tous les
prisonniers, ils durent à maintes reprises descendre au fond du puits. Fort heureusement, les
problèmes semblaient éviter. Dask, au milieu de cette pègre si particulière, parvenait assez
facilement à se faire respecter. Randolf, par sa taille imposante en dissuadait plus d’un à le
défier. Et l’acharnement rageur que mettait Sark à protéger Lauralee évitèrent tous conflits. Il
restèrent un groupe soudé qui réussit à surmonter les épreuves du puits de Rédemption.
Tour à tour, durant les semaines qui suivirent, ils furent tous brutalement interrogés
l’exception de Lauralee qui en fut curieusement exempté. Tous s’inquiétaient d’un tel
traitement de faveur qui ne présageait rien de bon.
Les questions étaient sans cesse les mêmes. Trois purs les introduisaient toujours seuls dans
une pièce sombre et exiguë. Là ils subissaient un interrogatoire éprouvant et très violent où les
questions pleuvaient. Ils semblaient tout savoir d’eux. Un bon nombre de fois, ils furent
épouvantés par certaines questions précises sur leur passé. Dask avec effrois s’attendait
presque à ce qu’ils parlent, à un moment ou à un autre, des initiés mais rien de tel ne se passa.
Rompus, minés par ces interrogatoires incessants qui ne rimaient à rien, ils commençaient peu
à peu à sombrer dans le désespoir. Au puits, tous les prisonniers les considéraient comme des
morts en sursis.
- T’as vu où ils sont ? Le bourreau ne les laissera pas s’échapper, ils sont foutus.
Entendirent-ils dire à mainte reprise à leur sujet.
Lentement le désespoir les gagnait, et plusieurs fois Lauralee, la seule qui gardait encore et
toujours la tête froide, dut intervenir et les motiver pour qu’ils continuent d’espérer. Elle
jouait surtout sur l’orgueil de ses compagnons. Les initiés les avaient choisis en raison leur
force de caractère et d’âme. A eux d’être dignes de ce choix.
- Les initiés ne nous laisserons pas tomber. Disait-elle pour les rassurer.
Ils nous retrouveront, vous verrez.
Dask en était moins sur. Ils n’étaient que des révélés faciles à sacrifier. Les initiés n’allaient
sûrement pas prendre de risques pour les faire sortir du Puits de Rédemption même s’ils
parvenaient par miracle à savoir où ils se trouvaient. Peu à peu il s’enfonçait dans un
désespoir noir dont il avait de plus en plus de mal à se dépêtrer.
Ils étaient tous dans cet état d’esprit lorsqu’un soir, un événement accéléra les choses.
Allongés sur la paille humide du cachot, ils attendaient le lever du jour et le commencement
de leurs corvées journalières. Ils entendirent tout à coup un grincement puis un bruit de pas
qui descendait la coursive.
Quelque temps après ils virent passer un homme, un colosse, armé d’une lourde hache qui
passa ostensiblement devant leur cellule. Accompagné des trois gardiens du feu, une cagoule
noire couvrait la totalité de son visage.
La hache sur l’épaule, on parvenait presque à deviner le sourire qui se dessinait sous sa
cagoule. Il descendit plus bas.
Quelques minutes plus tard, après le grincement d’une cellule proche, ils entendirent des
pleurs, un cri, puis un affreux râle d’agonie.
La silhouette cagoulée repassa devant leur cellule. Après un temps d’arrêt, il lança d’une voix
narquoise.
- Pour vous, je repasse à l’aube.
Et il partit d’un ricanement sinistre.
Glacés d’effroi, les quatre révélés le regardèrent s’éloigner avec désespoir. Leur fin était
proche.
32
Ceux qui refusent la bataille doivent être détruits eux
aussi.
Un initié Sarkesh
Les heures suivantes furent éprouvantes. Malgré leur fatigue, aucun d’eux n’avaient
vraiment pu trouver le sommeil. Alors qu’on voyait du fond du puits poindre le jour, on
entendait de nouveau le brouhaha de Phénice qui s’éveille. Lauralee restait blottie contre Sark.
Dask et Randolf restait chacun dans un coin sans dire un mot. Des pas résonnèrent de
nouveau, et une angoisse glacée les étreignit une nouvelle fois. Peu de temps après, quatre
hommes entrèrent dans la cellule. Tous fortement charpentés, ils avaient le visage grave. Seul
point positif, ce n’était pas des purs. De plus comme le remarqua Dask, l’un d’eux drapé dans
une espèce de robe blanche semblait être un Prôneur. Mais sa forte carrure, ses mains
calleuses, et l’arme qu’il portait à son coté démentaient radicalement cette impression.
Silencieux un moment, le Prôneur présumé les fixa. Il porta sur chacun des occupants de la
cellule un regard vif et pénétrant qui les laissa sans force.
En apparence soulagé, il soupira profondément.
- On vous a trouvé ! S’exclama t il.
On désespérait d’y parvenir un jour.
Tout en parlant, le Prôneur s’était mis à faire les cent pas dans la cellule. Dask ainsi que Rath
s’était levé et semblait attendre quelque chose. Eberlués Sark et Lauralee ne réagissaient pas
encore.
Le Prôneur reprit.
- Je me nomme Aton Sumak initié de la maison Sarkesh. En l’absence de l’Ambre, je suis
votre nouveau mentor.
- Vous voilà ! Enfin ! Eclata Dask.
- Pourquoi avez vous mis autant de temps ? Demanda Lauralee d’une voix très froide.
- Cela n’a pas du tout été facile. Répondit le Prôneur sèchement. Seul le témoignage
d’Othero, que nous avons interrogé, il y a quelque temps, nous a permis de comprendre
que c’était du coté des purs qu’il fallait chercher. On vous a ensuite cherché au puits de
Rédemption. C’est seulement hier que j’ai pu avoir la permission de vous rencontrer.
- Vous allez nous faire sortir d’ici ? Demanda Rath avec espoir.
- Il y a un problème. Reprit Aton. Des purs sont morts et leurs pairs voudront se venger. Ils
ne vous laisseront pas partir facilement. Il fit une pause. Se détournant vers l’extérieur de
la cellule, il ajouta.
- Le seul moyen s’est de vous engager dans la campagne. En ce moment
les Gardiens du Feu recrutent sans poser de questions. A vrai dire, même des condamnés à
mort comme vous, peuvent trouver une place dans la croisade.
- S’engager dit Lauralee avec effroi. Il n’y pas d’autres moyens ?
- Non ! Si vous refusez, le prochain visiteur sera beaucoup moins amical que moi et sa
conversation très limitée.
Acceptez donc ! Vous n’avez pas le choix.
- Pour ma part, je comptais déjà m’engager. dit Dask
Mais je suppose que nous aurons à présent un statut complètement différent.
- En effet ! rétorqua Aton.
33
Dask interrogea du regard Sark et Rath qui acquiescèrent chacun d’un signe de tête. Il se
tourna ensuite vers Lauralee qui froidement avait pris sa décision.
- Mieux vaut cette folie que la hache du bourreau. Il n’y a même pas à y réfléchir.
J’accepte !
Aton les regarda un moment.
- Bien. Affirma t il.
D’un signe de main, il s’effaça et demanda à deux de ses hommes de s’avancer.
Les quatre nouveaux croisés virent que l’un d’eux portait un brasero. Fumant et brûlant, une
longue tige de métal y était plongée.
- Il faut à présent vous marquer du signe de la croisade. Reprit Aton Sumak.
Et il sortit lentement la tige de métal brûlant. Tous voyaient à présent le soleil des Syrthes
gravé sur son extrémité.
34
LA CROISADE
L’Atre
36
Pointu à la proue, carré à la poupe, il était maté d’une gigantesque cheminée qui
crachait une fumée âcre et noire. Son moteur éructait un grondement sourd et perpétuel, de
multiples sabords laissaient entr’apercevoir des tirailleurs lourdement armés, des couleuvrines
étaient parées à canonner l’ennemi.
Lauralee percevait à présent les vivats des milliers de phéniciens qui s’étaient amassés
le long de ce fossé pour voir le départ du mastodonte. Il y avait d’immenses acclamations, des
cris de liesse, une effervescence que Phénice n’avait jamais connue auparavant.
Alors que le Léviathan approchait de l’ouverture qu’on avait pratiqué pour l’occasion
dans une des épaisses murailles de Phénice, une sonnerie de cors et de trompettes retentit et
résonna un long moment sur les parois de la coulée.
Une troupe de vingt purs en uniformes d’apparats s’avança en direction du Léviathan.
Au milieu d’eux, très grand, s’avançait, un homme somptueusement drapé dans une cape
noire brodée d’or. Tous reconnurent le grand Bellatore Letho Gdanz qui prenait possession du
Léviathan. Dix minutes plus tard, un gigantesque gong ébranla la totalité du Léviathan et
celui-ci se mit à produire abondamment une fumée noire et épaisse. On entendit plus
fortement la longue et régulière respiration de la machinerie du Léviathan, et brusquement
celui se mit en branle plus rapidement sous les vivats soudain plus intenses de la foule.
Lentement le monstre de métal sortait de Phénice et l’armée phénicienne lui emboîta le pas.
Les dizaines de chars plus petits, mais néanmoins considérables, le suivirent de près.
Derrière les onze phalanges de la croisade de lumière, dans un bruissement d’armes immense,
se levèrent et suivirent le véhicule géant qui s’avançait alors dans l’Obscur du Plateau de
Silice. La Croisade de la Ville Mouvement était en marche.
37
Alors Solaar reprendra corps.
Du feu des âmes phéniciennes
Renaîtra le Phénix.
Il s’avancera dans l’Obscur
Pour pourfendre le Noir-Nuage
Et plonger les ténèbres dans l’oubli.
Intrépide, Juste et Courageux,
Il se voilera d’oripeaux,
Il sera décrié et honni,
Avant un geste si princier
Qu’il soulèvera les cendres du monde
Et en rallumera la flamme.
En même temps que les autres croisés, les quatre révélés se mirent en marche.
Une longue marche allait commencer et Lauralee, après avoir lentement posé sur son dos son
lourd paquetage, contempla plein d’appréhension la ligne d’horizon. L’Obscur, dans tout son
ampleur, lui tendait à présent les bras. Une angoisse sourde commença à l’étreindre. Ces
quelques kilomètres de marche, dus à l’avancée de la Croisade qui s’éloignait de Phénice,
faisait pour elle figure de marche funèbre. Son moral descendait aussi vite que la lumière sans
cesse plus lointaine du puits de lumière du Stallite immortel.
Tout au long de sa vie, elle avait été obligée de suivre des parcours périlleux dans cet univers
sombre et dangereux. A chaque fois, c’était la Mort qui l’avait guettée au détour du chemin.
L’Obscur nommé ainsi par les survivants du Grand Cataclysme était l’univers
ténébreux hors des Stallites et de leur puits de lumière. Un univers, où la lumière du soleil ne
brillait jamais. Un univers qui représentait vraiment Sombre Terre et non pas simplement ces
petits îlots de survivants, que sont les Stallites, disséminés ça et là.
Monde périlleux, inconnu car très vaste, mystérieux car cause de bon nombre d’histoires et de
légendes, merveilleux en raison des trésors resurgis de l’Avant, il était le symbole de la folle
aventure des marcheurs des temps modernes. Le Grand Cataclysme avait rasé la totalité des
grandes cités des Anciens et celles-ci resurgissaient parfois au détour d’un voyage. Il fallait
un courage à toute épreuve pour oser s’y aventurer. Un danger que bravaient chaque jour des
marcheurs seul caste à s’y risquait régulièrement.
Cet Obscur pouvait avoir toutes les formes ; plaines grisâtres et lunaires, semblable au plateau
de Silice, où quelques plants de rueg parvenaient tant bien que mal à survivre ; montagnes
gigantesques rehaussées par le choc titanesque du Cataclysme nappées d’une couche de neige
qui ne disparaissait jamais ; enfers noirs et humides à l’instar des immenses marais, restes de
l’ancienne Méditerranée où la faune était aussi étrange que mortelle ; ou encore zones
effroyables des emplacements des anciennes centrales nucléaires où la nature avait muté
d’une façon horrible.
L’Obscur était pour elle une horreur, une malédiction du Shankr pour les hommes.
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. Ils étaient pour le moment dans la Phalange commandée un très haut officier de la
garde des purs : le Commandore Orso Vecress. Pour l’avoir entr’aperçu lors de la revue des
troupes à Phénice, Lauralee, sans hésitation, le désigna comme l’homme qui était intervenu
dans le puits de Rédemption. Ils restèrent d’ailleurs un moment à s’interroger sur les raisons
qui l’avait poussé à agir ainsi.
Sa phalange était en tête et placée sur le flan gauche de la Croisade qu'elle était en principe
censée protéger. Du fait de sa position, les quatre révélés était, au cour de la marche, près du
Léviathan situé en pointe de la croisade. Ils pouvaient à loisir le contempler et entendre la
respiration du gigantesque engin qui donnait le rythme de la marche aux Ardents,
responsables chacun d’une cohorte d’une centaine de guerriers. Chose étrange dans la
mécanique du Léviathan, il existait une rupture dans ses souffles répétitifs. Toutes les trois
minutes environ, une cassure de quelques secondes brisait son rythme. Etonné par cette
cassure qui ne durait qu’un temps, Sark s’interrogeait sur son importance dans la machinerie
du Léviathan. En se renseignant auprès des concasseurs, les quelque trois cent cinquante
bâtisseurs de la Croisade, il apprit que c’était le maître bâtisseur Othero qui avait crée le
Léviathan. A partir de ce moment là, il s’attendit à tout de la part de sa création et cessa de
s’en étonner comprenant qu’il ne parviendra jamais à en saisir tout les tenants.
La marche était rude. Pas seulement pour eux mais aussi pour l’ensemble des croisés.
La plupart d’entre eux était des célestes peu habitués aux marches longues et difficiles. Le
rythme s’en faisait ressentir. Mais les trois premiers jours furent sans histoire. Et c’est le cœur
gonflé à bloc que les croisés parcouraient le Plateau de Silice. Dans leur esprit la croisade était
invincible et rien ne pourrait l’arrêter.
Une petite ville en guise de campement se construisait chaque soir. Ça et là des tentes
se montaient et un mur d’enceinte, muni d’un fossé, entourait la totalité du camp. Celui-ci ne
se terminait d’ailleurs qu‘au bout de plusieurs heures efforts mais une fois fini c’était une
véritable forteresse que d’éventuels attaquants nocturnes devaient affronter.
Le soir du deuxième jour, nos trois amis, assis en cercle avec le reste de la meute, se
partageaient un brouet chaud. L’attente, auprès des chaudrons-carrioles des nourrisseurs.
avait été longue, car tous les croisés brisés par la marche s’y ruaient pour y retrouver des
forces.
- Pouah ! S’exclama Dask. Qu’est ce qu’il peuvent bien mettre dans ce rata pour que ça
soit aussi mauvais. Le piment arrive à peine à en cacher le goût rance.
- Ouais ! Mais c’est chaud. Rétorqua Rath en se goinfrant de morceaux de barbaques qu’il
avait réussi à glaner en arrivant parmi les premiers. Et ça réchauffe.
Depuis le matin, de violentes bourrasques de vent avaient considérablement rafraîchi
l’atmosphère. Et bon nombre de croisés se plaignaient à présent du froid.
- Attention, vl’à le Grognard ! avertit Sark à voie basse.
En effet le flambeau de leur meute, Le Grognard, courtaud, barbu, l’air mauvais, s’approchait.
On l’avait surnommé ainsi en raison de ses brusques coups de gueules aussi bruyants
qu’inutiles.
- Rath, espèce de résidu de fond de chiottes ! hurla-t-il en se rapprochant. Lève toi et va vite
t’occuper des tranchées. Une forte tête comme toi a sans doute besoin d’un peu
d’exercices, non ?
Rath n’avait pas fini son repas et prit très mal la nouvelle. Depuis un moment, les deux
hommes se livraient une guerre larvée par l’intermédiaire de regards et d’ordres exécutés avec
mauvaise grâce. Agacé une fois de plus par les insultes qu’il parvenait tant bien que mal à
encaisser depuis deux jours, il avait de plus en plus de difficultés à garder son calme en
présence de cette caricature de sergent instructeur débile et borné.
- J’suis en train de manger. Grogna-t-il en engouffrant une nouvelle bouchée de son écuelle.
- Rien à faire ! Lève toi ou je t’amène par la peau du cul !
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Apparemment, Le grognard n’était absolument pas intimidé par la stature herculéenne de son
subordonné. Au contraire, sa force tranquille et son apparence d’ours débonnaire, l’irritaient
encore plus, et Rath devenait peu à peu sa tête de turc.
Avec violence, piqué au vif, Rath se leva poings serrés.
- Vous allez attendre que je finisse ! hurla-t-il hors de lui.
- Quoi ! Tu discute mes ordres, ordure ! Attend, j’vais t’apprend le respect moi.
Le gourdin levé, il s’approcha du géant, menaçant. Dask, qui avait aperçu du coin de l’œil que
Rath portait les yeux sur son grand fauchard posé non loin de là, intervint pour éviter le pire.
La mort du grognard aurait entraîné l’incarcération définitive de toute la meute dans les cales
du Léviathan.
- Attends ! Je vais la faire cette corvée. Déjà, il se levait et prenait une des pelles de la
meute.
Médusé Rath retint son geste.
- D’accord va-y ! Mais cette immondice va creuser la fosse à chiotte ! Dit Le grognard en
fixant Rath d’un air sadique.
Il ne se rendait pas compte du danger. Trois purs, qui avaient entendu les éclats de voies,
s’approchèrent. La tension était à son paroxysme.
- Il y a un problème ? dit l’un d’entre eux. Une forte tête ?
- Non, non. Répondit Le Grognard goguenard. Ce croisé se proposait justement de creuser
nos fosses d’aisance. N’est ce pas Rath ? Fit-il en le regardant d’un ton lourd de menaces.
Rath, voyant le regard de ses amis, se contint, ravala son orgueil, et prit une autre pelle. Sans
un mot, il s’éloigna. Le trois révélés enrageaient de voir l’ex-ardent à la botte de cette larve de
flambeau.
Les purs voyant que tout était arrangé s’éloignèrent poursuivant leur ronde..
Lorsque à son tour Dask, abattu d’avoir obtenu aussi inutilement une corvée supplémentaire,
s’éloigna. Un des croisés de leur meute, un homme qui disait se nommer Le Sparte,
s’approcha de lui en posant une main sur son avant-bras.
- Attends, fils ! Laisse tomber. J’te le fait. Lui fit-il.
Sans un mot, il lui prit la pelle des mains et partit en direction du chantier.
Reconnaissant, Dask le regarda partir. Ce n’était pas la première fois qu’il prenait sur lui les
corvées des autres. Plusieurs fois il était intervenu pour aider la jolie Louloute, la seule femme
de leur meute hormis Lauralee. Celle-ci l’avait alors gratifié d’un regard que Dask aurait bien
souhaité avoir pour lui. Le Sparte était un compagnon jovial et plein d’entrain. Il disait que
son nom venait de son Stallite natal, Sparta, et cherchait à créer dans la meute, malgré le
Grognard, un sentiment de camaraderie. Il y parvenait plutôt bien et à présent Dask était près
à y mettre du sien pour l’aider dans ses futurs tentatives. Apprécié de la gent féminine, Dask
enviait un peu la facilité inhérente qu’il avait dans ses paroles et dans ses gestes.
Malgré son œil de verre, il dégageait un certain charisme de cet homme robuste qui semblait
en plus connaître très bien l’Obscur. Seul Sark gardait une certaine réserve à son encontre.
Peut-être était-ce simplement un peu de jalousie car le beau croisé ne cachait pas s’intéresser à
la belle Lauralee qui apparemment n’était nullement insensible à ses charmes ?
- En tout cas. Se dit Dask. On a évité le pire. Mais pour combien de temps ? Leur patience à
tous aura forcément un jour ses limites.
Songeur, il s’allongea sous ses couvertures et s’endormit avec les autres croisés bercé par les
soufflements rauques du Léviathan.
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Et si seulement tu pouvais voir mon visage. Tu
comprendrais qu’il ne te dit pas que la vérité. Sous son
apparente placidité, tu comprendrais qu’il te ment,
qu’il t’a toujours menti. N’as-tu jamais rien compris ?
Au matin, le réveil fut difficile. Le tocsin fut, pour les plus fatigués, encore plus
strident que d’habitude. Dask, sortant lentement des brumes du sommeil, se mit sur son séant
et regarda tout autour de lui les milliers de croisés qui, péniblement, remballaient leurs
maigres affaires. Cela faisait un brouhaha qui sans cesse augmentait de volume. Certains,
comme Rath, restaient encore allongé essayant encore de dormir malgré le bruit. Le géant
paraissait épuiser. Signe qu’hier soir la tâche avait du être particulièrement rude. Il s’approcha
de lui et secoua doucement son épaule. Les yeux papillotants, il se réveilla les traits tirés.
- On part ! Une rude journée nous attend. Lui fit Dask.
- J’ai les épaules en bouilli. Si tu savais comme la terre est dure ici. Répondit Rath.
Il se leva en grimaçant de douleur.
- Combien de temps avant le bout du plateau ?
- Dans deux jours, on tombera sur le pont suspendu.
Le pont suspendu était une ouvrage, créée par le Clan du Padre qui avait cette région sous son
contrôle. C’était un système de nacelles qui utilisait les piliers d’un immense pont de l’avant
encore intact. Il enjambait le profond précipice entre le plateau de Silice et le reste du
continent. Le clan moyennant un péage plus que conséquent permettait aux caravanes
d’utiliser leur système. Celles-ci, qui voulaient ainsi utiliser la voix la plus facile et la plus
rapide pour accéder au plateau, étaient bien obligées de s’y plier. Phénice quoique forcément
au courant du trafic, n’était pour d’obscurs raisons jamais intervenue. Mais le passage de
Croisade allait bien évidemment changé cet état des choses.
Rath arrêta Dask qui s’apprêtait à partir, et lui posa à voix basse une question qui, de toute
évidence, lui brûlait les lèvres
- Je me demande comment le Clan va réagir en nous voyant arriver. Une armée de dix
milles hommes, du jamais vu ! Ca va leur faire un choc. Il vont croire qu’on vient pour
eux. S’esclaffa-t-il.
- T’inquiète pas pour eux, ils l’ont su bien avant notre départ ! Lui fit Lauralee.
Bien leur a pris puisque très tôt ce matin, une cohorte est allée préparer le terrain au pont
suspendu. Ils ont reçu comme consigne d’annexer le pont et d’annihiler toute résistance.
Dask lui jeta un long regard interrogateur.
- J’ai entendu les purs en parler. Fit-elle, sur la défensive.
Lauralee n’avait jamais caché sa sympathie envers le clan et cela malgré toutes les exactions
qu’il commettait dans le milieu pauvre de la Première Marche. Dask n’avait jamais été
véritablement certain quelle l’eut vraiment quitté.
Les croisés commençaient lentement à se mettre en route. Le fracas de machine à vapeur se
firent soudainement plus intense.
La journée fut de nouveau identiques à toutes celles qui l’avaient précédée : fatigante
monotone. L’Est du plateau de Silice n’était pas du tout réputé pour ses variations de terrains.
C’était une plaine morne sans grand relief, grise et triste. Seule parfois, un forêt de
champignons gris de près de 3 mètres de haut rompait tristement le paysage. La croisade dans
la mesure du possible essayait d’éviter ses entendues grisâtres car, même s’elles étaient la
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plupart du temps inoffensifs, certaines sortes de champignons pouvaient être mortelles pour
les voyageurs. Ils étaient en effet capables de projeter une fumée acre pleine de spores capable
d’étourdir un marcheur aguerri. Des voulpes venaient ensuite l’achever.
En fin d’après midi, au moment où le Noir-Nuage commençait de nouveau à s’assombrir vers
l’obscurité totale, les éclaireurs revirent affolés à la croisade.
Une agitation commençait à s’emparer des marcheurs engagés comme guides en tête de la
croisade. Dask intrigué s’approcha discrètement de leur chef le fameux Che Manego, le
marcheur légendaire. Attentif, il surprit quelques propos et son sang se glaça subitement. En
courant presque, il rejoignit ses amis.
- Vite ! Des couvertures, beaucoup ! Rath va chercher de l’huile de rueg, plusieurs litres !
Lauralee, les couvertures vite !
- Qu’est ce qu’il y a ! Questionna Sark voyant ses deux autres amis s’affairaient sous les
injonctions de Dask de plus en plus pressantes.
Il voyait très bien que Dask était effrayé voir paniqué. Tout à ses préparatifs, il ne prit même
pas le temps de lui répondre. Il se tourna en direction de l’horizon vers lequel se dirigeait la
croisade. Rien d’anormal toujours cette plaine grise. Tiens ! Plus loin, on dirait que la couleur
du sol change. Mais non, il y a quelque chose qui se rapproche.
En quelques secondes, l’horizon que parcourait Sark du regard s’embrasa en une immense
barrière brunâtre qui semblait se ruer sur la croisade sans le moindre souffle de vent.
- Dask. Cria Sark épouvanté. Qu’est ce que s’est ?
- Tiens ! Fit Dask en lui jetant une lourde couverture. Protège-toi ! Et que Solaar nous
garde !
- C’est quoi. Refit Sark en s’emmaillotant dans la lourde couverture et tout en suivant Dask
vers un gros char d’amertume non loin de là.
- Des brouilles. Lui fit celui-ci.
Les brouilles était une de nombreuses horreurs que comptait l’Obscur. Le Chaudron des
enfers, l’immense marais au pied du Plateau de Silice, abritait une vie étrange et en particulier
une multitude d’insectes dangereux. Il arrivait parfois que ces insectes se réunissent, comme
poussés par une conscience collective, en une masse énorme et compacte. Ils sortaient alors
des limites du marais et assaillaient les caravanes marcheurs aux alentours. Les brouilles ainsi
nommées sont un agglomérat d’insectes mutés, dangereux et venimeux. On raconte même,
chez les marcheurs, qu’elles apportent avec leurs piqûres un mal mortel. Chez les initiés, on
sait que ces insectes sont contaminés dans leur ensemble par le mal de L’Obscur.
Dask avait déjà eu à faire à ce phénomène lors de sa traversé du chaudron des enfers, il y a
maintenant bien longtemps. Mais il n’en avait jamais vu sur le plateau. Ni même entendu
parlé autre part que dans les abords d’un marais. Il connaissait les mesures pratiquées
couramment par les marcheurs. Mais comment les inculquer, en quelques minutes, aux
milliers de croisés qui venaient à peine de quitter Phénice ?
- Ca va être le massacre. Dit-il, à Rath et Sark en se pelotonnant avec eux sous le char,
emmitouflé de couvertures.
Rapidement avec l’huile qu’avait récolté Rath, il allumèrent un feu qui fuma abondamment.
Bonne dernière, Lauralee arriva enfin alors que les premiers insectes envahissaient le camp.
Elle ramenait avec elle Le Sparte et Louloute paniquée et inquiète. Sans un mot il les
rejoignirent et attendirent la fin de l’horreur.
Ce fut l’horreur effectivement. La jeune fouineuse se couvrit les oreilles pour ne plus entendre
l’affreux bourdonnement des millions d’insectes ainsi que les cris de douleur des croisés qui
ne s'étaient pas protégés. Dask avec le regard froid qu’il avait parfois devant l’adversité vit
bon nombre de croisé passé devant leur refuge agitant les bras en quête d’un refuge illusoire.
Le plus souvent, ils tombaient au sol immobile alors que les insectes pondaient dans son corps
des larves immondes.
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Le feu allumé devant leur cache repoussait la majorité des insectes mais une forte bourrasque
du vent qui venait à peine de se lever comme pour aider cette engeance de l’Obscur, en
introduisit bon nombre sous le char. Tous sentir alors brutalement la brûlure des innombrables
piqûres. Folle de douleur, Louloute, dans un instant d’inconscience, hurla et faillit quitter
leurs abris. Le Sparte avec un sang froid étonnant la retint et l’immobilisa dans ses bas
puissants. Les quatre révélés stoïquement résistèrent à la douleur qui disparut progressivement
car peu à peu l’attaque touchait à sa fin. L’affreux bourdonna baissa d’intensité puis s’arrêta
totalement.
Lentement, il sortirent de leur cachette et contemplèrent le désastre qui s’offrait maintenant à
leurs yeux.
La croisade était complètement désorganisée. Comme eux, de nombreux croisés sortirent de
dessous des chars. Les marcheurs avaient suivi leur exemple. D’autres avaient essayé de
creuser des tranchées pour s’y se réfugier mais très peu avaient eu le temps de finir. Ca et là
des corps affreusement tourmentés jonchés le sol entre les véhicules. Quelques-uns uns
étaient même agglutinés devant la large porte du Léviathan qui, bien évidemment, ne s’était
pas ouverte.
Des cris de douleur résonnèrent parmi quelques corps étendus et déjà les nourrisseurs
s’affairaient. Dask n’y pouvant plus, alla aider certains croisés. Très vite, il vit qu’il ne
pouvait rien faire. Déjà certains nourrisseurs isolaient les condamnés et ceux qu’on pouvait
sauver à l’aide d’amputation des membres contaminés par les larves. Accablé, il revint vers
ses amis qui se passaient un baume, donné par les nourrisseurs, sur leurs piqûres.
- Tu ne pouvais rien faire ! Pas le temps ! Lui fit Le Sparte en lui tendant la mixture.
Ne répondant rien, il s’assit sur une caisse.
- Des brouilles ! Pourquoi est ce qu’il a fallu que cela soit des brouilles ? Gémit-il
doucement.
Une rumeur parcourait la croisade. Une phalange avait réussit beaucoup mieux que les autres
à se protéger des brouilles. Guidée par une certaine Alianante Cascatelle, elle avait réussi, en
moindre temps, à créer un refuge à l’aide d’un immense cercle de flamme. Bon nombre de
croisé louait à présent la courageuse commandore. A présent selon les dires, sa phalange lui
vouait une admiration sans borne.
L’attaque avait laissé un sentiment affreux d’angoisse sur tous les croisés. Le voyage n’était
pas comme il le croyait une formalité ni une partie de plaisir. Il allait être dangereux et les
trois cents morts de l’attaque leur criaient l’éclatante vérité : L’Obscur est sans pitié.
Railleurs les marcheurs qui avaient subit très peu de perte ironisaient sur pareille débandade.
Furieux les croisés en virent aux mains tout en les vouant aux affres des cales du Léviathan.
La cohésion primale de la croisade commençaient lentement à se fissurer.
Deux heures plus tard la croisade repartait pour stopper dix kilomètres plus loin. Harassés,
tous avaient besoin de se reposer.
Avant le repas, les quatre révélés eurent la visite d’Aton Sumak.
- Terrible ce qu’il vient d’arriver, n’est ce pas ? Leur fit-il.
Venez, j’ai quelque chose à vous montrer.
Aton s’était lui aussi engagé dans la campagne en tant que simple croisé. Il se trouvait dans
une meute, à l’avant de la procession, qui avait particulièrement souffert lors de l’attaque.
On racontait parmi la phalange que ses réflexes éclaires lors de l’avertissement tardif des
marcheurs avaient pu éviter le pire. On parlait de lui comme un futur flambeau.
Il les mena vers sa meute, zigzaguant entre les nombreux chars et les campements de fortune
des croisés. Sous des couvertures trois hommes affreusement défigurés étaient allongés. Leurs
veines saillaient à travers leur peau et on voyait pulser un sang noir et visqueux. Nauséeuse,
Lauralee détourna le visage. Chacun d’entre eux avait une fièvre féroce qui les faisait gémir
dans leur coma. Une odeur de putréfaction émanait d’eux.
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Ces insectes étaient contaminés ! Affirma Aton en repoussant une couverture d’un d’entre eux
et montrant le reste du corps dans le même état.
- Ils sont condamnés. C’est l’œuvre de l’Archessence Shankr.
L’Archessence Shankr était le nom donné les initiés à la cause du Mal de L’Obscur. Eux en
tant que révélés connaissaient le terme mais avaient une vision très flou de ce qu’elle était
exactement, et de ce qu’elle représentait.
Il se tut car un nourrisseur arriva et s’affaira autour des corps.
- Je ne vois pas pourquoi je me fatigue avec eux. Tout en passant une pommade sur leurs
membres torturés. J’ai entendu que l’Ardent a décidé de leur sort.
Je hais ses marcheurs. Pourquoi nous ont-ils prévenu si tard ? Comme s’ils voulaient que
nous nous fassions exterminer.
Prenant les nouveaux venus à témoin, il haussa brusquement le ton.
- On n’a jamais vu des brouilles aussi loin des marais ! Il y a une perversion ! La croisade
est maudite !
- Tais-toi ! Répondit sèchement Aton. Va-t’en ! Retourne à ta meute !
L’autre sursauta et s’éloigna rapidement en marmonnant suffisamment fort pour être entendu.
- M’empêche que j’suis pas le seul à l’penser.
Aton se retourna vers les quatre croisés.
- Les rumeurs vont bon train. Ca ne va pas s’arrêter, loin de là ! Il y a des forces à l’œuvre
dans la Croisade. Il faut que vous soyez vigilants sur tout ce que vous verrez et entendrez.
Pour le moment, allez-vous en, je m’occupe d’eux. Fit-il, en désignant les trois malades.
Faites de même s’il y en a dans votre meute.
Les trois révélés s’éloignèrent et essayèrent de ne pas prêter attention aux bruits qui leur
parvirent faiblement alors qu’ils étaient encore à quelques mètres de Sumak.
Adages Marcheurs
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de bâtisseur. Il réfléchissait à la façon dont la croisade allait réussir à traverser ce précipice de
près d’un kilomètre de long. Les hommes et le matériel pourraient passer par les nacelles du
clan du Padre qui avait été chassé des lieux comme le témoigner les reste noircies d’un fortin
à quelques kilomètres de là. Mais comment faire passer les chars lourdement charpentés et le
formidable Léviathan qui devait peser au moins une centaine de tonnes ?
Le camp fortifié se montait lentement et Sark eut sa réponse lorsqu’il vit les immenses ballons
qu’on commençait lentement à sortir des énormes ballots entreposés dans les cales du
Léviathan..
Le Léviathan allait être démonté partiellement pour le rendre plus léger puis il passera sur les
énormes câbles du pont suspendu aidé par le énormes ballons que les bâtisseurs d’Othero
s’acharnaient à gonfler. Ce projet grandiose et fou, avait pris corps l’esprit d’un homme
d’exception, le Marcheurs Che Manego. Ce dirigeant des marcheurs qui guidait la croisade
était une légende parmi les gens de sa caste. Extravagant par son accoutrement, cet ancien
bâtisseur était l’âme de ce projet. Un projet qu’Othero n’aurait jamais pu en voir le bout seul.
Et c’est à présent de paire qu’ils organisent et préparent le formidable défi à la physique.
Le travail était titanesque et les deux dirigeants bâtisseurs estimaient un délai de quatre à cinq
jours avant de commencer à envisager le passage du Léviathan.
Les croisés de la meute du Grognard purent relativement se reposer pendant la durée des
opérations. Tout au plus, on leur demandait de transporter telles ou telles marchandises dans
les grandes nacelles qui faisait à présent l’allée retour le long du pont suspendu.
Les jours passèrent et ils eurent un repos bien agréable. De plus le Grognard semblait les
avoir quelque peu oublié.
Depuis un certain, on assistait à quelques belles prises de bec entre lui et Louloute Celle-ci,
loin de se démonter face aux incessantes agressions verbales du flambeau rendait coup pour
coup les insultes. C’était finalement le flambeau qui avait le dernier mot et fort de son grade
envoyait l’énergique fouineuse à des tâches humiliante et éprouvante.
Une fois la totalité des marchandises du Léviathan déchargée et passée via les nacelles.
Les bâtisseurs de la croisade s’apprêtèrent enfin à l’ultime épreuve : la traversée du fer
de lance de l’armée phénicienne.
Les immenses ballons furent alors lentement gonflés et les concasseurs commencèrent à les
fixer soigneusement au flan du Léviathan.
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