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AVERTISSEMENT

Les analyses et conclusions de ce document sont formulées sous la responsabilité


de ses auteurs. Elles ne reflètent pas nécessairement le point de vue officiel de l’Agence
Française de Développement.
Compétitivité
et mise à niveau des entreprises

Approches théoriques
et déclinaisons opérationnelles

Sarah Marniesse
et
Ewa Filipiak

Agence Française de Développement
Sommaire
Introduction ............................................................................................................................................................9

1. Un impératif de compétitivité ...................................................................................................... 13


1.1. Le processus d’ouverture ............................................................................................................ 13
1.2. Ouverture, croissance et développement ........................................................................ 21
1.2.1. Ouverture et croissance : les termes du débat .......................................................... 25
1.2.2. Il ne s’agit pas de mettre en cause l’ouverture économique des PED,
mais de rappeler la nécessité de l’accompagner ..................................................... 34
1.3. L’impératif de compétitivité ...................................................................................................... 43
1.3.1. Qu’est-ce que la compétitivité ? ...................................................................................... 43
1.3.2. La compétitivité en pratique ............................................................................................ 49

2. La compétitivité des nations et de leurs entreprises .............................................. 59


2.1. Le développement industriel au cœur des enjeux
de développement et de compétitivité .............................................................................. 60
2.1.1. Modèles de croissance par l’industrialisation .......................................................... 61
2.1.2. Retards industriels au sud : une politique industrielle
est-elle concevable aujourd’hui ? .................................................................................... 67
2.1.3. D’autres modèles de croissance ? ................................................................................... 72
2.2. Comment améliorer la compétitivité d’un pays et de ses entreprises ? ...... 75
2.2.1. Les conditions de base influencent les performances de l’économie
en général, et des secteurs et des entreprises en particulier ................................ 76
2.2.2. Au niveau des secteurs industriels du pays,
comment identifier l’avantage concurrentiel ? ......................................................... 81
2.2.3. Au niveau de la firme, gain et préservation de l’avantage concurrentiel 82 ..

6
3. Des programmes de mise à niveau pour accompagner l’ouverture ........... 93
3.1. Qu'est ce qu'un programme de mise à niveau ? ......................................................... 93
3.2. Le programme tunisien : un programme processus approprié ......................... 99
3.2.1. Contexte de l’économie tunisienne à la veille du PMN ................................... 99
3.2.2. Présentation du programme tunisien ........................................................................ 105
3.3. Transposition à d’autres contextes en développement :
l’exemple de l’UEMOA ............................................................................................................ 123
3.3.1. Le contexte africain ........................................................................................................... 123
3.3.2. Le programme de restructuration et de mise à niveau
pour les pays de l’UEMOA .......................................................................................... 134

Bibliographie sélective ............................................................................................................................ 141

Annexes ................................................................................................................................................................. 147


Annexe 1 - Autres programmes de mise à niveau ............................................................ 147
A1.1. Le PMN de référence : le PEDIP (programme stratégique de
dynamisation et de modernisation de l’économie portugaise) ...................... 147
A1.2. Les programmes des pays MENA ................................................................ 157
Annexe 2 - Transposition des MAN - Une approche sociologique ...................... 181
Annexe 3 - Contenu d’un programme de mise à niveau ............................................. 188
Annexe 4 - Le programme sous-régional de mise à niveau (UEMOA) ............ 190

7
Cette étude se veut un éclairage du concept de mise à niveau du
tissu productif. Elle décrit le contexte, les enjeux et les soubasse-
ments théoriques de cette approche. Elle présente quelques
exemples de programmes existants. Et elle soulève probablement
davantage de questions qu’elle n’apporte de réponses. En ce sens,
elle devra être complétée par des études de terrain.
Elle est en partie le résultat d’échanges féconds avec des chercheurs
et des opérationnels impliqués dans ces programmes :
– M. Dhaoui, à l’ONUDI, qui nous a fait bénéficier de sa longue
expérience dans ce domaine,
– l’agence de Tunis, le Bureau de Mise à Niveau, et en particulier
son directeur, M. Ben Mosbah, le ministère de la formation pro-
fessionnelle, l’Utica ainsi que les entrepreneurs que nous avons eu
l’occasion de rencontrer,
– l’agence de Dakar et les partenaires locaux du programme,
– les départements “Afrique de l’ouest”, “Méditerranée” et “Secteur
financier et appui au secteur privé” de l’AFD,
– nos collègues du département de la Recherche et gestion des
savoirs, et en particulier Hervé Bougault.
Elle a également bénéficié des commentaires de Bertrand Savoye et
du réseau des économistes.
Nous les remercions pour leur aide précieuse.
Nous sommes seules responsables des erreurs qui pourront subsister.
Introduction
L’ouverture des frontières devient une réalité, y compris
pour des économies longtemps protégées. Depuis une
vingtaine d’années, les PED procèdent, dans le cadre des
plans d’ajustement structurel et suite à leur adhésion à
l’OMC, à une libéralisation de leurs économies. Cette
confrontation avec les marchés internationaux constitue pour
eux à la fois une formidable opportunité et un défi : une
opportunité de croissance, en permettant aux pays d’avoir
accès à de nouveaux marchés et d’attirer des flux d’IDE ; mais
également le risque, pour des pays insuffisamment préparés à
l’ouverture et incapables de développer leur secteur productif,
de rester à l’écart des flux d’échanges et d’accumuler un
retard irrattrapable.
Les pays du Sud sont aujourd’hui en positions inégales
face à l’ouverture. Nombreux sont ceux qui ne sont pas prêts,
aussi bien au niveau technologique, qu’institutionnel ou
humain. L’intégration de certains d’entre eux sera ainsi rendue
difficile par la faiblesse de leur tissu industriel et, plus géné-
ralement, par le manque de compétitivité de leur secteur
productif.
Nombre d’entre eux ne sont pas prêts, mais tous sont à un
tournant : soit ils parviennent à en tirer des bénéfices et peuvent
continuer à croire en un rattrapage socio-économique, aussi
lointain et difficile soit-il, soit ils échouent et les écarts se
creuseront encore.

9
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

Il s’agit donc pour les PED de dynamiser et moderniser


au plus vite leurs secteurs productifs afin de rendre leurs
productions compétitives. Pour cela, des politiques de soutien
à la modernisation des secteurs productifs sont nécessaires,
qui demandent à la fois une volonté politique assise sur une
« vision » à moyen terme de l’économie et un environnement
propice à l’entreprise et à l’investissement.
Le soutien au renforcement des secteurs productifs des
PED, par des politiques d’appui adaptées aux contextes, fait
partie des missions de l’APD. Les programmes de mise à
niveau de l'industrie en sont un exemple récent : il s’agit de
programmes d’appui technique, de restructuration et de mise
à niveau visant à préparer et adapter les industries et leur envi-
ronnement au nouveau contexte de mondialisation. Ils ont
d’abord été mis en place dans des contextes développés, avec
des résultats encourageants : l’expérience portugaise a notam-
ment illustré l’efficacité de programmes intégrés et ambitieux.
Les programmes de mise à niveau ont par la suite été
transposés dans des pays du sud méditerranéen, avec un
certain succès dans le cas de la Tunisie. Cependant, des expé-
riences aux résultats plus mitigés montrent que les
programmes de mise à niveau ne fonctionnent pas partout
aussi bien, probablement parce que les conditions de leur
mise en œuvre ne sont pas réunies. La transposition de
ces programmes exige donc une prise en compte aussi large
que possible des éléments du contexte et des priorités
spécifiques de chaque pays, ces priorités résultant du niveau

10
INTRODUCTION

d’industrialisation atteint et de ses caractéristiques écono-


miques, institutionnelles et humaines.
A la veille de nouvelles transpositions de ces programmes
dans des contextes aussi peu industrialisés que ceux de
l'Afrique Subsaharienne, et alors que l’on s’interroge toujours
sur leur portée dans les pays du Maghreb, il est éclairant de
revenir aux considérations théoriques qui sous-tendent ces
programmes, tout comme il est intéressant d’analyser les
expériences de mise à niveau menées jusque-là.
Le document s’efforcera, dans un premier temps, de
passer en revue la littérature sur les enjeux de l'ouverture et
sur les déterminants de l'industrialisation, en se penchant plus
particulièrement sur les concepts de « compétitivité » et
« d’avantage concurrentiel », aussi bien au niveau macro que
microéconomique. Dans un deuxième temps, il présentera
le concept de « mise à niveau » et développera plus particuliè-
rement l’exemple tunisien (d’autres exemples de programmes
sont présentés en annexe), avant de conclure sur la transposi-
tion des programmes de MAN à d’autres contextes en
développement, et en particulier à l’Afrique subsaharienne.

11
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

1. Un impératif
de compétitivité
1.1. Le processus d’ouverture

La mondialisation n’est pas un phénomène nouveau. Celle


qui caractérise les vingt dernières années constitue en réalité
l’accélération d’un processus plus ancien de globalisation de la
production et des échanges.
La mondialisation de l’économie a commencé avec la
Révolution Industrielle, dans un contexte de chute vertigineuse
des prix du transport : en moins de 100 ans, entre 1830 et
1913, le volume des échanges mondiaux a été multiplié par
vingt avec notamment un accroissement des flux entre
les métropoles européennes et les colonies. Dès 1880, le
commerce représentait 33% de la production mondiale contre
3 % en 1800.
La deuxième vague d’ouverture des économies remonte à
la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, alors que les gouver-
nements occidentaux instituaient un processus de création
d’organisations et de règlements internationaux permettant
de garantir un ordre économique international fondé sur le
libéralisme et la coopération internationale.
La réduction des barrières à l’échange s’est faite de façon
progressive, dans le cadre du GATT (Accord Général sur les

13
Quelques définitions
Le processus de mondialisation se traduit par une interdépendance
accrue des économies nationales. Cette mondialisation concerne les
marchés de biens et services (avec l’apparition de nouveaux concur-
rents étrangers sur les marchés internationaux), mais aussi les facteurs
de production avec d’importants flux d’IDE, des délocalisations, des
fusions d’entreprises, des accords de coopération et des alliances
internationales. Ces évolutions ont été rendues possibles par la
conjonction (i) de la libéralisation par les Etats des mouvements de
capitaux ; (ii) de la déréglementation, de la privatisation et de
l’ouverture de nouveaux marchés aux échanges et aux investisse-
ments ; (iii) du rôle des technologies de l’information et de la
communication.
Quant à l’ouverture, c’est une des dimensions du processus de
mondialisation qui se définit comme « the degree to which nationals
and foreigners can transact without artificial (that is governmentally
imposed) costs (including delays and uncertainty) that are not
imposed on transactions among domestic citizens. Tariffs and non
tariff barriers, domestic content requirements, health and safety
requirements (or inspection delays) above and beyond those imposed
on the domestic products raise the costs of buying from abroad » 1 .

1 A. Berg and A. Krueger, Trade, Growth and Poverty : a Selective Survey, IMF Wor-
king Paper, 2003

14
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

Tarifs Douaniers et le Commerce), créé en 1948 2 puis de


l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), qui lui a
succédé en 1995.
Mais, parallèlement à l’élimination des entraves et des
pratiques restrictives au commerce, les exceptions aux
principes généraux de libéralisation se sont multipliées. En
particulier, le GATT favorisait l’établissement de zones de
libre-échange 3 ou d’unions douanières à l’intérieur desquelles
un traitement préférentiel pouvait être accordé aux parte-
naires de l’union 4. Par ailleurs, les PED ayant souscrit aux
accords du GATT pouvaient bénéficier de la clause de la
Nation la Plus Favorisée sans pour autant être obligés de
pratiquer le principe de réciprocité. En marge du GATT, la
CNUCED a également essayé de mettre en place un système
de préférences tarifaires pour les produits exportés par les
PED vers les pays développés (Système Généralisé des
Préférences, sous la forme d’exemptions partielles ou totales
et non réciproques de tarifs douaniers, à l’exclusion de
certains produits considérés comme sensibles pour les pays

2. Accord signé par 23 pays et prévoyant le démantèlement de 45000 droits de douane.


Il se compose de quatre volets concernant : (i) les obligations des parties contractantes ;
(ii) des exceptions à ces obligations ; (iii) un ensemble d’amendements ajoutés
successivement ; (iv) des articles ayant trait aux PED. Le principe le plus important est
« la clause de la nation la plus favorisée » (tout avantage conféré par un Membre à un
pays tiers, y compris à un non-membre, doit être immédiatement accordé à tous les
Membres), qui assure un traitement identique dans les négociations commerciales quel
que soit le partenaire. Autres principes, ceux de la réciprocité des concessions tarifaires
et de la transparence des politiques commerciales.
3. Les échanges à l’intérieur de la zone se font en franchise de droits, mais chaque
membre applique des propres droits de douane aux importations en provenance de
pays tiers.
4. En 1985, plus de 50 % du commerce international se réalisait à l’intérieur de zones
de libre-échange.

15
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

développés : textile 5, montres, produits sidérurgiques, etc.).


Parallèlement, il convient de rappeler la tendance récente à
la multiplication des barrières non tarifaires (techniques,
sanitaires etc).
Ceci étant, l’ouverture des frontières est, de plus en plus,
une réalité. Si les PED ont longtemps été tenus en dehors de
ce mouvement de libéralisation, ils sont aujourd’hui, en
particulier depuis l’adoption des plans d’ajustement struc-
turel, sur la voie d’une ouverture à marche forcée.
L’accord de Marrakech, qui regroupe 29 accords
juridiques distincts 6 et constitue les règles juridiques de base
du commerce international, institue en 1995 l’OMC, organe
multilatéral de régulation du commerce 7 qui se voit assigner
deux objectifs : (i) libéraliser les échanges internationaux
encore entravés par des protections ; (ii) mieux insérer les
PED dans les échanges internationaux. Pour ce faire, deux
principes de base de l’Accord sont édictés : le principe de
l’engagement unique, selon lequel les pays membres doivent
adhérer à l’ensemble des accords sans exception ; un
traitement spécial et différencié pour les PED, qui bénéficient

5. L’Accord Multifibres, signé en 1974, limitait les importations dans les pays dont
les appareils de production nationaux pouvaient être fragilisés par des produits
étrangers. En 2005, la filière textile devra suivre les règles de l’OMC.
6. Accord sur l’agriculture, accord général sur les marchandises, sur les services,
accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, accord sur les obstacles
techniques aux échanges, accord sur les aspects des Droits de la Propriété
Intellectuelle qui touchent le Commerce, etc.
7. Alors que le GATT était un instrument provisoire, sans instance permanente (les
négociations s’y déroulaient en cycles), l’OMC permet d’assurer un cadre de
négociations permanent. De nouveaux secteurs économiques sont intégrés aux
accords (agriculture, services, textile (dont on décide le retour dans le champ des
règles de l’OMC, par le démantèlement de l’AMF) et habillement).

16
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

de délais de transition plus longs, d’obligations réduites,


d’exemptions et de programmes d’appui technique.
Les conférences ministérielles successives sont l’occasion
d’intégrer de nouveaux membres et approfondissent le degré
de libéralisation des marchés mondiaux : ainsi, en novembre
2002, à Doha, la Chine et Taiwan ont-ils adhéré à l’OMC,
événement majeur étant donné leur poids économique sans
cesse croissant (respectivement 7,7 % et 4,7 % du commerce
mondial en 2000) 8. Des négociations difficiles se poursuivent
sur des sujets cruciaux pour les PED (agriculture, textile,
etc.). La conférence de Cancun devrait ainsi voir abordées des
questions aussi cruciales que l’agriculture ou les droits de
propriété intellectuelle.
Une forte croissance du commerce international accom-
pagne cette ouverture institutionnelle. Depuis le début des
années 80, le volume des échanges internationaux s’accroît,
avec une accélération du rythme de leur croissance, aussi bien
au niveau mondial que régional. La valeur des exportations
mondiales a été multipliée par 21 entre 1980 et 1995,
augmentant en volume deux fois plus vite que le PIB mondial.
La structure par produits du commerce international évolue
également, mettant en évidence une nette suprématie des
produits manufacturés (plus de 80 % des échanges mondiaux
de produits), ce qui constitue, par rapport à la fin des années
30, une parfaite inversion entre le poids des produits

8. Les exportations de la Chine devraient profiter d’une meilleure ouverture aux marchés
extérieurs, notamment pour les biens manufacturés à faible intensité capitalistique,
comme le textile. Cependant, cette évolution devrait fortement pénaliser les pays
voisins producteurs de textile, comme le Cambodge.

17
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

manufacturés et celui de l’agriculture. Dans le secteur des


produits manufacturés, les produits à forte intensité de com-
pétence et de technologie représentent, en 1998, 30 % des
exportations mondiales (contre 20 % en 1980) 9.
L’importance des échanges manufacturés a contribué à
développer un commerce intra-branche 10. Par ailleurs, les
échanges de services se développent, passant de 27 % des
exportations mondiales en 1968 à plus du tiers aujourd’hui.
Les pays en développement prennent une part de plus en
plus importante au commerce mondial 11 : ils ont contribué au
quart des exportations mondiales de produits manufacturés
en 2000 contre 17 % en 1990.
Un premier groupe de PED a joué un rôle important dans
les années 1970 : les NPI, dont en particulier Hong-Kong, la
Corée du Sud, Singapour et Taïwan, ainsi que le Brésil et le
Mexique. Les années 80 ont vu surgir un second groupe de
PED (Thaïlande, Malaisie, Indonésie, Inde, Philippines et
Pakistan) se substituant progressivement aux premiers NPI
dans les exportations de vêtements et autres produits manu-
facturés. Par ailleurs, depuis 1990, la Chine continentale
intervient de plus en plus dans les échanges internationaux de
marchandises.
A l’opposé, certaines régions restent « marginalisées ».
L’Afrique affiche ainsi des performances faibles : en 2002,
alors que les exportations des PED ont progressé de 3,8 %,

9. Rapport sur le commerce et le développement, 2002.


10. Échange par deux partenaires des produits appartenant à la même branche ou
catégorie de produits.
11. J.M. Cardebat la mondialisation et l’emploi, 2002

18
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

celles de l’Afrique n’ont augmenté que de 0,1 % en volume 12.


Dans sa partie subsaharienne, la marginalisation de nombre
de pays est flagrante, illustrant leur incapacité à exporter des
produits « dynamiques » : ainsi, la contribution de cette zone
au commerce mondial de biens est passée de 3,3 % à 1,6 %
entre 1980 et 2000. Dans le même temps, le poids de cette
zone dans la population mondiale passait de 7,5 % à 10 % 13.
La structure des exportations montre la persistance d’une
forte dépendance vis-à-vis des recettes tirées de produits
primaires (60 % de l’ensemble des ventes en 2000, dont 20 %
hors pétrole brut). Parallèlement, la part des produits manu-
facturés de base (une seule transformation), qui pourraient
constituer un déclencheur de l’industrialisation, évolue peu,
excepté dans des pays comme Maurice, l’Afrique du Sud,
Madagascar et, dans une moindre mesure, le Kenya, le Ghana
et l’Ouganda qui ont réussi à élargir leur gamme à l’exporta-
tion. Le quart des exportations de biens et services du
Sénégal, par exemple, est constitué de produits de la pêche,
secteur dans lequel il existe par ailleurs un véritable problème
de ressources.
Finalement, si l’on prend l’Afrique dans son ensemble,
seuls la Tunisie, Maurice, le Maroc, l’Egypte et l’Afrique du
Sud ont su diversifier de manière convaincante leur production
et leurs exportations en délaissant progressivement les produits
traditionnels.
Comme évoqué plus haut, l’ouverture des frontières s’ac-
compagne du renforcement ou de l’émergence d’organisations

12. Perspectives économiques en Afrique, OCDE, 2002-2003.


13. L’insertion de l’Afrique dans le commerce mondial, DREE, août 2002.

19
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

économiques régionales, que tolère l’OMC, la théorie écono-


mique ne tranchant pas, jusqu’alors, sur le bilan coût/avantage
des traités bilatéraux ou régionaux par rapport à une situation de
non discrimination parfaite.
La moitié du commerce mondial s’effectue désormais
dans le cadre d’accords commerciaux régionaux 14 contre 18 %
en 1970. Après une première vague d’accords qui culmine au
milieu des années 1970, une seconde vague s’amorce à la fin
des années 1980. Entre 1947 et 1999, 194 accords régionaux
ont été déclarés au GATT dont 75 entre 1990 et 1998. Parmi
eux, 107 sont toujours en vigueur, parmi lesquels l’ALENA et
le MERCOSUR en Amérique, l’ASEAN en Asie du Sud-Est,
la SADC en Afrique Australe, les accords Union Européenne/
ACP et les accords euroméditerranéens.
Les accords régionaux recouvrent des réalités très différentes,
allant du simple forum de discussion à l’Union douanière et au
Marché commun. Cependant, pour ce qui est des PED, et
contrairement à certains accords commerciaux au Nord
(Union Européenne, ALENA), la plupart des zones de libre-
échange ne concernent qu’une fraction limitée des échanges
de leurs signataires. L’absence de complémentarités des
économies en développement les contraint en effet à
commercer avec les pays plus développés.
Les pays de l’OCDE ont par ailleurs mis en place des
initiatives commerciales pour permettre aux PMA d’augmenter
leurs recettes d’exportation et de renforcer l’investissement et
la croissance. Ces accords sont cependant critiqués pour leur

14. Politiques commerciales n° 4, DREE, janvier 2003.

20
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

faible impact (faible incitation à la diversification, discrimination


de facto des PED non éligibles etc.). Il est cependant trop tôt
pour mesurer le véritable impact de ces initiatives.

1.2. Ouverture, croissance et développement

L’idée selon laquelle le commerce international est le


moteur de la croissance économique est ancienne. Elle
remonte à A. Smith 15 (1776) et la nouvelle économie politique
qui prônait, contre le mercantilisme, l’idéal moderne d’un
monde unifié et pacifié par le commerce 16. Après une éclipse
qui a vu la prédominance des théories protectionnistes, elle
revient aujourd'hui en force, portée par ce que l’on a appelé le
« Consensus de Washington ». Ce Consensus, issu de la théo-
rie classique de l’économie internationale, défend l’idée d’une
optimalité du libre-échange dont découlerait un surcroît de
croissance, et prône l’ouverture comme seule solution soute-
nable pour favoriser le développement.
Or, s’il est généralement admis que l’ouverture des économies
est la voie la plus sûre vers la croissance et le développement,
elle n’est probablement pas une condition suffisante pour que
s’initie un processus de croissance ni, qui plus est, de déve-
loppement. Le contexte d’ouverture et d’intensification des
échanges, s’il offre des opportunités nouvelles aux pays qui
peuvent les saisir, présente aussi des risques, aussi bien dans les
pays où le tissu industriel est encore « en construction »
que dans ceux qui vont voir leurs avantages, jusqu’alors

15. A.Smith De la Richesse des Nations, 1776.


16. C. Deblock, 2002.
21
Les PED dans les partenariats régionaux
avec l’Union européenne
Afin d’aider les PED à se préparer à l’ouverture, l’Union européenne tente de promouvoir les
échanges par des accords commerciaux. Souvent, ces accords visent à soutenir la constitution
de marchés régionaux. Dans certains de ces accords figurent par ailleurs des clauses de
soutien au développement, comme une assistance financière dans le cadre du partenariat euro-
méditerranéen ou dans le cadre des accords entre l’UE et les pays ACP.

Le Partenariat Euro-Méditerranéen
Le Partenariat Euromed est une démarche qui découle notamment des relations historiques de
l’Union avec ses partenaires méditerranéens et d’une volonté de stabiliser les relations politiques
et économiques à ses frontières. Mis en place lors de la conférence de Barcelone de novembre
1995, c’est un accord entre 27 pays du pourtour méditerranéen visant à assurer une meilleure
intégration régionale en vue de créer “une zone de prospérité partagée”.

ACCORDS UE-PAYS MÉDITERRANÉENS

* application par anticipation depuis janvier 1996

Le Partenariat se compose de trois volets :


– le volet politique et sécurité visant à créer un espace commun de paix et de stabilité, facili-
ter l'échange d'informations pour lutter contre toutes les activités illicites et coopérer pour
assurer la prévention des conflits ;
– le volet économique et financier ;
– le volet social et culturel dont le but est d'assurer la multiplication des échanges, promou-
voir l'égalité entre hommes et femmes, améliorer l'éducation et la formation professionnelle.
Parmi les moyens proposés pour la réalisation de la clause “développement économique et
social équilibré et durable”, figurent :
– la création progressive d’une zone de libre échange euro-méditerranéenne en 2010, recou-
vrant la plupart des échanges dans le respect des obligations de l’OMC.

22
– la mise en œuvre d’une coopération économique appropriée et d’actions concertées dans de
multiples domaines (création d’un climat favorable à l’investissement, renforcement des
échanges entre les partenaires eux-mêmes, accords inter-entreprises, action dans le domaine
de l’environnement, de l’eau, de l’énergie, des infrastructures, de l’agriculture, participation
accrue des femmes dans la vie économique et sociale, soutien à la RD etc).
– le renforcement de l’assistance financière de l’Union Européenne aux pays partenaires
(subventions MEDA de la Commission Européenne, prêts de la BEI et aide bilatérale des
Etats-membres) afin de soutenir les réformes visant à rétablir les grands équilibres macro-
économiques et assurer la croissance. Les mesures d’accompagnement financières et
techniques MEDA sont ainsi conditionnées à la collaboration des pays avec les institutions
de Bretton Woods et à l’examen de la situation budgétaire, et notamment de l’état de la dette.
Le partenariat vise donc une ouverture dans les domaines de l’économie, de la société et du cadre
institutionnel au niveau régional, mais aussi dans une perspective plus large de globalisation.
Un des défis du partenariat sera de confronter les pays sud-méditerranéens à d’autres régions
économiques, et notamment aux pays d’Europe de l’Est, futurs membres de l’UE.

Les Accords UE - pays ACP


En 1975, neuf pays européens et 46 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) ont signé
une première convention à Lomé. Cet accord, dit de Lomé, définissait les relations d’aide et de
commerce entre l’UE et les pays ACP. Il reconnaissait la différence de développement entre les
pays et instaurait des mesures de “préférences commerciales non réciproques” sur la quasi-
totalité des produits primaires, industriels et transformés exportés vers l’Europe. La Convention
a été renouvelée à cinq reprises, sa dernière version prenant fin en février 2000. En effet, il était
nécessaire de procéder à un nouveau type d’accord, la convention de Lomé étant critiquée pour
son manquement aux engagements à l’OMC (préférences discriminatoires et non-réciproques)
et pour son inefficacité à intégrer les pays ACP dans le commerce mondial.
L’Union Européenne et 77 pays ACP ont signé à Cotonou un nouvel accord en juin 2000,
régissant les relations d’aide et de commerce pour une période de 20 ans (révisé tous les 5
ans). Cet accord maintient le niveau des préférences tarifaires accordées par la convention de
Lomé, mais reconnaît l’intégration régionale comme l’instrument clé de l’intégration des pays
ACP dans l’économie mondiale. L’Accord de Cotonou débouchera sur la création en 2008 d’un
accord de libre-échange et non plus de préférences unilatérales : à cette date devront être mis
en place des accords de partenariat économique avec l’UE d’une part, et entre les pays ACP
regroupés en blocs régionaux d’autre part (Union économique et monétaire ouest-africaine,
Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, Communauté de l’Afrique de
l’Est, Communauté des Caraïbes). L’accord prévoit néanmoins la possibilité de négociations
pays par pays.

23
Initiatives pour les PMA
Initiative « Tout sauf les armes » 17
Le 26 février 2001, l’Union européenne a décidé de supprimer quotas et tarifs pour
l’ensemble des importations de produits en provenance de 49 pays les moins avancés
(PMA), à l’exception des armes et des munitions. La libéralisation sera néanmoins
progressive pour trois produits agricoles sensibles (le riz, le sucre et les bananes) afin
d’adapter les dispositions de la PAC sur ces trois produits 18. Afin de compenser ce délai,
l’UE a créé un quota à tarif nul sur le sucre et le riz 19. Si les PMA bénéficiaient déjà d’une
exemption des droits de douane pour la majorité de leurs exportations vers l’UE, la
nouveauté de l’initiative « Tout sauf les armes » est d’ouvrir le marché européen à des
produits agricoles, notamment ceux couverts par la PAC.

Initiative AGOA (African Growth Opportunity Act 20)


L’AGOA a été signé en mai 2000, dans le cadre du Trade and Development Act. Il s’agit
d’un accord de préférences commerciales qui offre à certaines exportations africaines un
accès libre au marché des Etats Unis. Les 38 pays21 peuvent être inclus ou supprimés de la
liste des bénéficiaires, ce qui représente une forme d’incitation à adopter des réformes éco-
nomiques. Le bilan actuel est mitigé : si les importations en provenance des 38 pays
éligibles ont augmenté de 10 % en valeur en 2002 par rapport à 2001, le commerce des
Etats Unis avec l’Afrique s’est contracté en 2002 (-15 % en valeur sur un an), du fait notam-
ment du ralentissement de l’économie américaine et des variations des prix du pétrole.
L’AGOA semble aussi ne pas avoir aidé à l’augmentation et à la diversification des produc-
tions manufacturières (les importations sont surtout des produits pétroliers), excepté dans
des pays disposant d’un appareil productif réactif comme celui du secteur textile kenyan.
On observe enfin un faible impact sur les investissements directs étrangers nouveaux.

17 http://europa.eu.int/comm/development/publicat/courier/courier186/fr/fr_030.pdf
18 Les droits de douane sur la banane fraîche seront réduits de 20 % par an à partir du 1 janvier 2002 et
éliminés totalement au plus tard le 1 janvier 2006. Les droits de douane sur le riz seront réduits de 20
% le 1 septembre 2006, de 50 % le 1 septembre 2007, de 80 % le 1 septembre 2008 et éliminés tota-
lement au plus tard le 1 septembre 2009. Enfin, les droits de douane sur le sucre seront réduits de 20
% le 1 juillet 2006, de 50 % le 1 juillet 2007, de 80 % le 1 juillet 2008 et éliminés totalement au plus tard
le 1 juillet 2009.
19 Quota basé initialement sur les meilleurs chiffres d'exportation des PMA dans les dernières années, plus
15 %. Ces quotas augmenteront de 15 % par an pendant la période de transition.
20 www.agoa.gov ; Th. Latreille Les préférences commerciales en Afrique sub-saharienne : quels béné-
fices pour l’African Growth and Opportunity Act ?, AFD, 2003
21 Bénin, Bostwana, Cameroun, Cap-vert, République centrafricaine, Tchad, Congo, Côte-d’Ivoire,
Djibouti, Erytrée, Ethiopie, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Kenya, Lesotho, Mada-
gascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Maurice, Mozambique, Namibie, Niger, Nigeria, RDC, Rwanda, Sao
Tome et Principe, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Afrique du Sud, Swaziland, Tanzanie, Ouganda et
Zambie.
24
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

compétitifs, menacés. Dès lors, l’ouverture est porteuse de


risques si des politiques d’accompagnement ne sont pas mises
en oeuvre dans les pays en développement.

1.2.1. Ouverture et croissance : les termes du débat

Alors que les analyses théoriques donnent une vision plu-


tôt nuancée de la relation entre ouverture et croissance, une
littérature empirique consistante s’est développée sur ce
thème. On citera de manière non exhaustive : D. Dollar (1992
puis 2002), S. Edwards (1993 et 1998), J. Sachs et Warner
(1995), J. Frankel et D. Romer (1999). La plupart de ces
études s’efforcent d’étudier par des méthodes de plus en plus
complexes l’impact de l’ouverture sur la croissance écono-
mique à partir de données en coupe transversale ou en panels.
Une vision plutôt optimiste s’en dégage, tendant à conforter
les convictions qui prévalent dans les cercles politiques européens
et américains. D’autres auteurs, plus critiques, mettent cepen-
dant en garde contre les conclusions d’analyses empiriques
trop rapides et invitent à une réflexion plus poussée sur les
conditions de mise en oeuvre de l’ouverture des frontières.

La théorie
Les arguments théoriques en faveur du libre-échange sont
nombreux, des avantages comparatifs à la discipline concur-
rentielle. Mais, dès lors que l’on aborde, dans une perspective
dynamique, les effets de l’ouverture sur la croissance et le
développement, les conclusions sont plus ambiguës.
C’est avec A. Smith, prônant la supériorité du libéralisme

25
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

sur tout autre système économique « dans sa capacité à


produire des richesses comme dans celle à produire l’harmonie
des intérêts » 22, que le commerce international est pour la
première fois présenté comme un élément intégrateur des
nations.
L'optimalité du libre-échange et de la libre circulation des
facteurs trouveront des éléments d’argumentaire théorique
dans la théorie des avantages comparatifs de Ricardo et la
théorie plus récente du commerce international fondée sur
des dotations factorielles 23. Cette dernière version, la plus
largement acceptée de la loi des avantages comparatifs, part
du principe que les pays peuvent tous accéder à une techno-
logie équivalente, mais sont inégalement dotés en facteurs de
production (terre, main d’œuvre, ressources naturelles et
capitaux). D’une part, l’ouverture des frontières permet de
profiter des opportunités d’arbitrage découlant des diffé-
rences de prix relatifs, d’où un gain de bien-être ; d’autre part,
la spécialisation des pays en fonction de leur dotation en
facteurs crée également des opportunités de gains de bien-
être. En libre-échange, une fois que toutes ces opportunités
ont été exploitées, on assiste à une égalisation des prix relatifs.
La principale conclusion de cette théorie concerne la spécialisa-
tion de chaque économie dans les productions qui incorporent
le plus de facteur abondant comparativement : dans les pays
développés, les productions seront à forte intensité de capital ;
dans les PED, fortement dotés en facteurs de production travail
et en ressources naturelles, elles seront à fort coefficient de

22. C. Deblock, 2002.


23. Dite de Heckscher Ohlin Samuelson (HOS).

26
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

travail et les exportations seront constituées pour une grande


part de productions primaires non transformées.
Les mécanismes par lesquels une allocation des ressources
efficace en statique se traduit par un surcroît de croissance en
dynamique sont multiples :
– les exportations génèrent des ressources qui permettent
d’importer des biens de production faisant défaut dans le
pays. L’accroissement de la productivité du capital découle-
rait ainsi de la part croissante des biens de production
importés 24 ;
– cet accroissement est renforcé par l’amélioration des tech-
nologies et des compétences 25 – le rôle majeur du transfert
technologique dans les pays en « retard » est d’ailleurs mis
en avant dans le dernier rapport de l’ONUDI 26 ;
– l’élargissement de la taille des marchés permet une exploitation
croissante des économies d’échelle et, du moins pour un certain
temps, des rendements constants plutôt que décroissants ;
– l’épargne et les IDE peuvent se développer sous l’effet de
l’efficacité accrue des investissements ;
– la discipline concurrentielle est bénéfique. A l’abri de la
concurrence, les producteurs acquièrent un pouvoir de marché

24. P. Jacquet (2002), reprenant Krugman : « trade can be thought of as a production


process through which exports are transformed into imports ».
25. Cette possibilité d’appropriation de nouvelles technologies et de compétences,
entraînant une augmentation de la productivité des facteurs, est un argument
développé à partir des thèses de Lucas et Romer sur la croissance endogène :
elles montrent le rôle du commerce et de l’intégration économique internationale
dans la diffusion du progrès technique et la hausse de la productivité globale des
facteurs.
26. Rapport sur le développement industriel 2002/2003 : la compétitivité par l’innovation
et l’apprentissage : « L’intégration dans les chaînes de valeur mondiales, en particulier
dans les secteurs à forte intensité de savoir, peut être un bon moyen d’accéder aux
marchés mondiaux ainsi qu’à de nouvelles technologies et au savoir-faire ».

27
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

à l’origine de distorsions « destructrices » de bien-être. A


l’opposé, la concurrence étrangère peut affaiblir des positions
monopolistiques internes et se traduire par une baisse des
prix et une amélioration de la qualité ;
– par ailleurs, l’augmentation de la production dans les secteurs
exportateurs peut engendrer des créations d’emplois directs
et indirects, donc de la consommation et de la croissance ;
– l’ouverture accroîtrait les recettes publiques, pouvant être
converties en dépenses publiques porteuses de croissance.
– enfin, l’ouverture des économies soutiendrait le processus de
réforme économique et juridique, lui-même favorable au
développement économique par son impact sur les IDE et
par la stimulation de l’investissement en général.
Les arguments en faveur du libre échange ne manquent
pas. D’autres analyses, pourtant, sont plus prudentes, voire
critiques, notamment dans des contextes où les spéciali-
sations se concentrent dans le secteur primaire.
F. List 27, dès le milieu du XIXe siècle, s’oppose à la théorie
des avantages comparatifs et à son corollaire, la spécialisation
des pays les moins développés dans le commerce des matières
premières. Selon lui, l’analyse ricardienne des avantages
comparatifs répond aux intérêts de l’économie « dominante ».
En effet, le libre-échange ne profiterait aux nations que dès
lors que l’échange se fait d’égal à égal. Dans le cas contraire,
l’échange profite aux nations les plus avancées au détriment
des économies faiblement industrialisées.

27. F.List (1841) : « Système national d’économie politique ».

28
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

Il convient donc d’aier ces dernières à s’industrialiser, en


protégeant les « industries naissantes ». Dans la lignée de
cette analyse, les stratégies d’import-substitution, théorisées
par R. Prebish et H. Singer, reposent sur deux idées clés : (1)
une détérioration séculaire des prix des matières premières se
traduira, en l’absence d’industrialisation des PED, par un
fossé croissant entre pays riches et pays pauvres ; (2) pour
s’industrialiser, les petits pays ont besoin, au moins temporai-
rement, de protéger leur secteur manufacturier émergent.
Dans le même ordre d’idées, un argument repose sur le
constat que certaines industries sont davantage sujettes que
d’autres au progrès technique et aux économies d’échelles
dynamiques. Les pays spécialisés dans ces industries (déve-
loppés pour la plupart) croîtraient plus vite que les autres,
induisant un creusement du gap de développement.
Enfin, un dernier argument met en doute le caractère
évident du rattrapage grâce à « l’appropriation de la techno-
logie » : cette appropriation suppose que les pays suiveurs
profitent des échanges pour améliorer leurs capacités de
production. Or, Posner (1961), par exemple, explique qu’un
pays leader dispose d’un avantage initial qui entraîne des
opportunités d’innovation pouvant consolider voire accroître
son avance.
Rodrik et Rodriguez (1999) ont proposé une synthèse
modélisée de ces débats, qui débouche sur une vision nuancée
de la liaison théorique entre ouverture et croissance. Consi-
dérons une petite économie « price taker » :

29
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

– Dans des modèles statiques sans défaillance de marché et


autres distorsions, les restrictions commerciales induisent
une réduction du niveau du PNB réel. Le modèle de réfé-
rence est celui de Solow, où le revenu par tête à l’équilibre
et le taux de croissance pour parvenir à l’équilibre dépen-
dent directement de tout ce qui peut affecter la productivi-
té (allocation des ressources, déterminants du stock de capi-
tal, etc). Cependant, dès lors que des distorsions existent, la
théorie du second best suggère que l’ouverture n’est peut-
être pas la meilleure voie vers la croissance.
– Dans les modèles de croissance endogène (générés par des
rendements croissants, par du « learning by-doing » et autres
changements technologiques endogènes), la suppression des
barrières commerciales accroît la production mondiale.
Toutefois, dans certains pays, sous certaines hypothèses qui
concernent les dotations initiales en facteurs et les niveaux
de développement technologique, la suppression des barrières
commerciales peut entraîner une diminution de la production
(ce cas de figure est celui de pays où des « industries
naissantes » ont besoin d’être protégées). A la question
« l'ouverture engendre-t-elle l'innovation dans les petites
économies ? », la réponse est liée aux trajectoires adoptées 28.
Des auteurs comme Helpman (1991) ou Matsuyama
(1992) ont montré que certains pays, en retard sur le plan
technologique, et qui ont un avantage comparatif dans des
secteurs traditionnels, peuvent ne pas parvenir à progresser

28. « The answer varies depending on whether the forces of comparative advantage push
the economy's resources in the direction of activities that generate long-run growth (via
extemalities in research and development, expanding product variety, upgrading product
quality, and so on) or divert them from such activities » (Rodrik and Rodriguez).

30
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

dans l’échelle de qualité. L’incitation à accumuler du capital


diminue en conséquence 29, induisant une réduction de leur
taux de croissance à long terme.
Ainsi, la théorie reste ambiguë. L’ouverture devrait affecter
positivement les moteurs de la croissance (économies d’échelle,
allocation optimale des facteurs, accumulation de facteurs,
progrès technique, discipline concurrentielle, etc.). Toutefois,
nombre de restrictions rendent vaine toute tentative de géné-
ralisation. Une chose est sûre : si elle ne tient pas compte du
niveau de développement des pays et de leur capacité à la
gérer, l’ouverture porte en germes des risques.
Restent les arguments « empiriques »…

...et l’empirique
A défaut d’isoler un argumentaire théorique solide, il
convient de se tourner vers les résultats des nombreuses
études empiriques qui ont cherché à mettre en évidence un
lien statistique entre croissance et ouverture.
Là aussi, les difficultés se sont accumulées, notamment
dans la définition des indicateurs d’ouverture et la validation
des causalités entre des variables corrélées (une corrélation
entre deux variables ne disant rien sur le sens de la causalité).
Les études économétriques récentes ont tenté d’utiliser
des méthodologies innovantes pour mesurer l’ouverture :
Ainsi, D. Dollar, ou bien J. Sachs et A. Warner se sont-ils
efforcés de construire de nouveaux indicateurs plus proches
de la réalité ; Edwards a testé la robustesse de la relation entre

29. J.L. Guérin Les pays en développement profitent –ils du commerce international ?,
alternative économique n° 2645.

31
Quels indicateurs d’ouverture ?
L’ouverture est la suppression, tout au moins la diminution, des barrières institu-
tionnelles et réglementaires aux échanges de biens, de services, de facteurs et
d’idées 30. Elle concerne les politiques d’échanges et non les volumes d’échanges.
Une grande partie de la difficulté à appréhender l’ouverture d’un pays provient
de ce que les Etats continuent à protéger leurs marchés et leurs entreprises par
des mesures tarifaires ou non tarifaires. La mesure de la protection, qui permet
l’étalonnage de la politique commerciale, est ainsi devenue très complexe : les
niveaux différents de tarifs selon les produits ou pour un même produit selon
les pays, la complexité des barrières non tarifaires, les réexportations, la prise
en compte de subventions, le commerce intrafirmes, etc. rendent la construc-
tion d’un indice global d’ouverture très délicate. En même temps, des progrès
sont faits dans cette direction… Mais il reste pratiquement autant de méthodes
de calcul que d’économistes 31. Deux méthodes sont cependant couramment
utilisées pour mesurer l’ouverture : la modélisation d’une participation théo-
rique aux échanges comparée avec la participation réelle (avec tout le
problème de la difficulté de détermination d’un Etat théorique) et la mesure de
la politique du pays en attribuant une note aux institutions et politiques rela-
tives au commerce ou à l’investissement (mesure qualitative et arbitraire).

L’indicateur de Sachs et Warner 32

L'indicateur de Sachs et Warner est une variable muette qui prend la valeur 0
si l’une des mesures suivantes de la fermeture de l’économie est vérifiée :
– droit de douane moyen supérieur à 40%,
– barrières non tarifaires couvrant plus de 40% des importations,
– économie de type socialiste,
– exportations contrôlées par un monopole d’Etat,
– prime sur les devises étrangères sur le marché noir de plus de 20%.
De cette étude ressort la conclusion suivante : les pays en développement
ouverts ont sur la période 1970-1989 un taux de croissance annuel moyen de
4,49% contre 0,74% dans les pays en développement fermés.

30 Voir définition de Krueger à la section 1 ou J.L.Guérin, Problèmes économique n° 2645.


31 C. Chavagneux Commerce : pas seulement une affaire d’Etats, alternatives économiques
n° 213.
32 J. Sachs, A. Warner, Economic Reform and the Process of Global Integration, in Brookings
Papers on Economic Activity, 1995.

32
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

ouverture et croissance en utilisant une large palette d’indica-


teurs, y compris subjectifs ; d’autres enfin ont comparé les
trajectoires de groupes de pays ouverts ou non. Ces études,
mettant plutôt en évidence une liaison positive entre l’ouverture
des frontières et la croissance économique, ont eu un grand
écho dans les sphères économico-politiques et constituent
souvent l’argumentaire du consensus « pro-ouverture ».
Toutes ces études ont été récemment critiquées par
D. Rodrik et Rodriguez (1999), sur la base de nombreuses
objections statistiques et de réserves relatives à la compré-
hension des mécanismes de liaison entre ces différentes
variables économiques. L’assertion « toutes choses égales par
ailleurs », par exemple, est très difficile à respecter car les
politiques protectionnistes ont été souvent associées à
d’autres politiques nocives pour la croissance (déséquilibres
budgétaires persistants, réglementation excessive, etc.).
De manière générale, l’analyse fine des mécanismes en jeu
est requise pour progresser dans ce débat. Si l’on regarde de
près quelques cas emblématiques, force est de constater que
le processus d’ouverture (i) a été mené dans des conditions
très différentes d’un pays à l’autre : les stratégies de libéralisation
générale et unilatérale observées à Hong-Kong ou Singapour
sont très différentes des stratégies d’exportation avec soutien
de l’Etat, caractéristiques de pays comme la Corée ou Taïwan,
ou bien des stratégies de libéralisation limitées aux zones
franches, comme à Maurice et en Tunisie dans un premier
temps ; (ii) a parfois été très « piloté » par l’Etat.
En Corée, par exemple, l’ouverture a été asymétrique, les
importations étant libéralisées beaucoup plus lentement que

33
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

les exportations. Entre 1950 et 1963, les importations étaient


très taxées et réglementées par des licences. Suite à la politique
offensive mise en place en 1964, l’ouverture aux importations
s’est faite progressivement alors que les exportations étaient
largement subventionnées (directement ou indirectement),
que le taux de change était contrôlé de façon à rester déprécié
et que le transfert de technologie était favorisé, notamment
par un soutien public à la recherche.
Aussi, la relation entre ouverture et croissance reste
controversée : « Our bottom line is that the nature of the
relationship between trade policy and economic growth remains
very much an open question… Research aimed at ascertaining the
circumstances under which open trade policies are conductive to
growth (as well as those under which they may not be) and at
scrutinizing the channels through which trade policies influence
economic performance is likely to prove more productive » (Rodrik
et Rodriguez, 1999).

1.2.2. Il ne s’agit pas de mettre en cause l’ouverture


économique des PED, mais de rappeler la nécessité de
l’accompagner

Tous les pays ne sont pas également préparés à l’ouverture


Pour mesurer les bénéfices de l’ouverture, une variable
interessante est l’élasticité de la production à l’ouverture. Or,
cette élasticité est faible dans nombre de PED, très en retard
dans le double processus de construction d’un tissu productif
et d’un environnement des affaires propice à l’industrialisation.

34
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

Ils restent spécialisés dans des productions primaires, peu


diversifiées, qu’ils ne transforment pas, et qui s’avèrent donc
peu rentables. Leurs exportations, principa-lement primaires,
sont vendues sur des marchés souvent saturés et sont soumises
à la volatilité des prix internationaux. Ils n’en retirent pas
suffisamment de devises pour initier un processus de moder-
nisation de leur tissu productif. Incapables de combler leur
retard en matière d’industrialisation, ils ne peuvent pas
développer leurs exportations et tirer ainsi partie de l’ouverture
commerciale.

– Un tissu productif insuffisamment développé


La densité et le dynamisme du tissu productif conditionnent
fortement les retombées à attendre de l’ouverture, aussi bien
dans l’optique de se protéger de la concurrence extérieure
que dans celle de conquérir des parts de marché au delà des
frontières.
En premier lieu, il convient de rappeler que les entreprises
ne sont pas également concernées par l’ouverture. Certaines
d’entre elles produisent sur des marchés de proximité et
sont peu concernées par la concurrence internationale. Il en
va ainsi des nombreuses petites entreprises qui produisent
pour une clientèle traditionnelle, en répondant parfaitement
à ses attentes en terme de rapport qualité/prix, facilités de
paiement, proximité, habitudes culturelles, etc. C’est
notamment le cas des menuisiers de quartiers ou des ateliers
de réparation. Ces entreprises ne devraient pas être menacées
à court terme.

35
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

A titre d’illustration 33, au Maroc, ces entreprises sont suffi-


samment nombreuses pour que l’impact du démantèlement
tarifaire, bien que mal évalué, semble limité (le Centre
Marocain de Conjoncture évaluait que le démantèlement
tarifaire devrait toucher 48 % des importations, 44 % des
importations appartenant à des secteurs non concernés par
ce démantèlement et 8 % des importations étant d’origine
non européenne). Suivant des estimations très rapides 34,
il apparaissait que l’impact serait circonscrit au tiers de
la valeur ajoutée et des emplois industriels (c’est-à-dire
4000 entreprises formelles).
Pour autant, le tissu industriel marocain, comme celui
de nombreux pays du Sud, est insuffisamment dense et
dynamique pour tirer parti des bénéfices potentiels de
l’ouverture et les convertir en points de croissance et en
création d’emplois.
Un enjeu majeur consiste à renforcer la compétitivité des
firmes en prise directe avec les marchés internationaux ou
les marchés locaux concurrentiels. Dans un contexte
d’ouverture des frontières, la firme « menacée » se trouve
face à un double défi : préserver son marché face à l’arrivée
de concurrents (concurrence accrue des importations et,
liée aux opportunités d’exportation, entrée d’entreprises
additionnelle sur le marché) et conquérir de nouveaux mar-
chés pour se préparer à l’évolution de la demande à moyen
terme.

33. S. Marniesse, B. Savoye : Analyse macroéconomique, financière et sociale au


Maroc, AFD 2000.
34. Les entreprises totalement ou majoritairement exportatrices ont été exclues du
groupe des entreprises « menacées ».

36
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

Une entreprise menacée le sera d’autant plus qu’elle ne


modernisera pas son outil de production et ne se positionnera
pas sur les créneaux porteurs (étant donné les avantages
comparatifs qui sont les siens). Or, ses marges de manœuvre
sont très dépendantes du contexte dans lequel elle produit
(densité et degré d’intégration du tissu industriel, accès au
crédit, forme et degré d’insertion dans les chaînes de
production internationale, capital humain disponible, etc).
Elles dépendent également des politiques publiques
d’accompagnement à la modernisation du tissu productif.
Ce point sera évoqué plus loin.

– Une faible insertion sur des marchés dynamiques


Les gains de l’ouverture dépendent en particulier, de manière
directe, du type d’intégration des pays dans les échanges
internationaux : ainsi, il existe des marchés porteurs, des
branches de production caractérisées par une forte croissance
de la demande mondiale, une valeur ajoutée élevée, des
gains de productivité rapides. Un pays dont le tissu productif
est suffisamment dense, et positionné sur ces marchés
profite de l’ouverture des frontières : la contribution du
commerce extérieur à sa croissance s’en trouve renforcée.
A l’opposé, les pays qui n’ont que des débouchés peu dyna-
miques parviennent plus difficilement à s’insérer dans le
commerce mondial et se trouvent marginalisés.

37
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

* classement en fonction du taux de croissance de la valeur des exportations entre 1980 et 1998
Source : Rapport sur le Commerce et le Développement, 2002

Le tableau ci-dessus illustre l’absence de l’Afrique sur les mar-


chés dynamiques à l’exportation. Globalement, les marchés
« dominés » par les pays industrialisés sont davantage porteurs
que les marchés où les pays en développement sont majoritaires.
Dans le domaine des produits primaires par exemple, les pays
industrialisés contrôlent les exportations de la plupart des pro-
duits agricoles « nécessaires » 35 : marché des céréales, maïs,
viande bovine. A l’inverse, les PED sont spécialisés dans des
produits « non nécessaires » et aux prix volatiles. Ils sont, par

35. Nord/Sud export, Pourquoi les prix des produits du sud sont-ils orientés à la baisse ?
21 février 2003.

38
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

ailleurs, spécialisés dans des productions dont l’exportation


est encore soumise à des contraintes (ouverture asymétrique
dans le cas de produits « sensibles » au nord, comme le coton
ou le sucre).
Enfin, lorsque les exportations manufacturières se développent
dans ces pays, le revenu manufacturier n’augmente pas néces-
sairement dans les mêmes proportions que le volume des expor-
tations. L’insertion dans les chaînes de production internatio-
nales est en effet telle que la valeur ajoutée produite est limi-
tée. Rares sont finalement les pays en développement qui par-
viennent à combiner expansion du commerce et accroissement
des revenus.

– Un risque de cercle vicieux


L’incapacité de certains pays à exporter se traduit, en l’ab-
sence d’autres recettes extérieures significatives, par une
incapacité à importer, notamment des investissements pro-
ductifs. Ceci induit un déficit de capacités de production,
d’où des possibilités d’exportation limitées et des rentrées de
devises faibles. Un cercle vicieux se met ainsi en place, com-
promettant dans ces pays le développement des capacités
productives.

Quelles politiques d’accompagnement ?


Comme mentionné plus haut, F.List a le premier insisté
sur les risques du libre-échange dans les pays les moins déve-
loppés. Le libre-échange, a-t-il souligné, ne profite aux nations
que dans la mesure où l’échange se fait d’égal à égal. Parallè-
lement, déplaçant l’analyse économique du marché vers la

39
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

production, il a insisté sur le fait que la création de richesses


passait par le développement des forces productives, appelant
de ses vœux une « intervention de l’Etat dans le domaine
industriel, accompagnée d’une protection éducative en faveur
des industries naissantes, le temps de mettre à niveau les
capacités de production de la nation avec celle des nations les
plus avancées » 36.
Les réflexions de F. List sont actuelles, dans la mesure où
de nombreux pays restent très en retard dans le processus de
construction de leurs « forces productives » tout en étant
confrontés à l’ouverture de leurs frontières. Certes, le débat
reste ouvert sur la pertinence de favoriser l’industrialisation
dans tous les contextes. Mais, si l’on fait l’hypothèse qu’une
industrialisation minimale est nécessaire pour profiter de
l’ouverture, alors il convient d’aider au renforcement des
capacités de production des PED.
Un consensus semble ainsi s’établir sur le fait que (i) « au
lieu d'être un moteur de la croissance, l'ouverture en serait
plutôt un catalyseur, susceptible de l'accélérer mais ne suffisant
pas à l'initier » 37 ; (ii) la croissance en économie ouverte peut
être atteinte grâce à des stratégies très différentes ; (iii) la poli-
tique commerciale n’est qu’un élément parmi d’autres de ces
stratégies ; (iv) à côté des politiques commerciales, certains
éléments sont essentiels pour que la croissance et le dévelop-
pement s’instaurent :
– Il ne doit pas y avoir de barrières à la diffusion de technologies,

36. C.Deblock, 2002.


37. L. Fontagné et JL.Guérin L’ouverture, catalyseur de la croissance, Economie inter-
nationale n° 71, 1997.

40
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

de « désincitation » à l’investissement ou à l’importation de


biens intermédiaires, de monopoles trop facilement accordés,
de protection aux industries reposant sur des technologies
anciennes (même si ce dernier terme donne lieu à nombre
d’interprétations).
– Il convient de soutenir le renforcement des capacités
productives des pays en retard, par des politiques ou
programmes bien ciblés et bien dosés.
– Les institutions doivent également être renforcées. Les tra-
vaux de D. Rodrik, en particulier, ont mis en avant le rôle
déterminant du développement des institutions dans le pro-
cessus d’ouverture.
– L’éducation doit être soutenue et les infrastructures écono-
miques et sociales de qualité.
Plus globalement, l’ouverture doit donc s'inscrire dans une
stratégie visant à envoyer de bons signaux 38 dans l’économie,
des incitations à être productif, un pilotage fin pour éviter les
écueils d'une mauvaise spécialisation dynamique ou d'une
vulnérabilité accrue aux chocs. En économie ouverte, la sanction
des mauvaises politiques est plus violente qu’en contexte
fermé ; d’où l’impératif de mettre en œuvre des réformes
appropriées : politiques d’amélioration du climat des affaires,
politiques d’appui direct au secteur productif.
Les politiques internationales de développement ont ainsi
un rôle à jouer à deux niveaux : non seulement dans la
promotion d’une ouverture équitable, comme il l’est souvent

38. L’adhésion aux institutions et autres accords internationaux a au moins l’avantage


d’envoyer un signal clair aux investisseurs étrangers, ainsi qu’aux groupes de
pression internes. Mais elle ne suffit pas.

41
Rodrik et le rôle des institutions
dans l’ouverture 39

Les gains de l’ouverture sont notamment déterminés par la


mise en œuvre de réformes et de politiques d’accompagne-
ment adéquates. Rodrik dénonce, à ce titre, des politiques
d’ouverture trop rapides. Selon lui, une intégration réussie,
pour être viable et devenir moteur de croissance, doit reposer
sur un ensemble de réformes institutionnelles, depuis les
réformes législatives et administratives jusqu’à des mesures de
protection sociale. Elle doit aussi se fonder sur les spécificités
socio-politiques et culturelles du pays afin de mettre en place
des innovations institutionnelles adaptées.
Rodrik fait un certain nombre de suggestions, défendant
notamment l’idée que les PED ne devraient pas définir leurs
besoins en terme d’accès au marché mais en terme d’autono-
mie politique nécessaire à la mise en place d’innovations
institutionnelles.

39. Dani Rodrik Trade Policy Reform as Institutional Reform, August 2000.

42
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

rappelé, mais également dans l’amélioration de la compétiti-


vité des pays qui ne sont pas suffisamment préparés à l’ouver-
ture. Des politiques et programmes de soutien au développe-
ment du secteur privé, par exemple, sont anciennes. Des pro-
grammes de « mise à niveau du tissu productif » ont été
« conceptualisés » plus récemment (nous y reviendrons lon-
guement dans la deuxième partie).
Dénominateur commun à beaucoup de ces programmes,
l’amélioration de la compétitivité apparaît comme déterminante
pour parvenir à s’insérer efficacement dans le commerce
mondial. Pourtant, ce concept reste mal cerné.
Il est important de comprendre (1) ce que recouvre le
concept de compétitivité ; (2) ce qui détermine la compétitivité
de l’économie dans son ensemble, en étudiant des secteurs et
des segments industriels spécifiques.

1.3. L’impératif de compétitivité

1.3.1. Qu’est-ce que la compétitivité ?

La compétitivité est une notion encore mal cernée. Long-


temps réservée à l’analyse de la gestion des entreprises, elle a
progressivement été utilisée pour qualifier l’état d’une nation,
sans que, pour autant, l’on donne à cette qualification un sens
précis. Certains auteurs refusent encore de l’utiliser pour qua-
lifier une économie. P. Krugman 40 dénonça ainsi l’utilisation
du concept de « compétitivité » pour qualifier une économie

40. P. Krugman (1994).

43
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

nationale, moins pour son sens flou que pour l’idéologie qu’el-
le véhicule : en laissant supposer que les nations se font
concurrence au même titre que les firmes, l’enseignement
essentiel du principe des avantages comparatifs (toutes les
nations gagnent à l’échange international) est occulté. Par
ailleurs, la croissance du revenu réel d’une nation repose
fondamentalement sur la productivité des facteurs domes-
tiques, et non sur la notion, mal définie, de compétitivité.
Pourtant, dans un contexte d’imbrication croissante des
économies, la notion de compétitivité d’une nation revêt
quelque intérêt : certains l’appréhendent en tant que facteur
de compétitivité des firmes (Porter, par exemple) ; d’autres
voient en elle le déterminant de la localisation des IDE, donc
un enjeu majeur. Un consensus se dessine peu à peu, justifiant
l’utilisation de cette expression.

Quelques tentatives de définition …


On appelle productivité d’une entreprise le rapport entre
la production et les unités de capital ou de travail nécessaires
à la production.
La compétitivité d’une entreprise exprime ses performances
à long terme, c’est-à-dire essentiellement sa croissance 41. Elle
est reliée à ses produits, ses prix, son positionnement. En
termes relatifs, elle introduit une dimension de comparaison
entre concurrents. On peut la définir comme la capacité de
l’entreprise à réaliser des performances supérieures à la moyenne
(gain de parts de marché). La compétitivité de l’entreprise
dépend de la gestion interne de l’entreprise, de la capacité

41. J.L. Mucchielli La compétitivité : définitions, indicateurs et déterminants (2002).

44
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

d’investissement, de la capacité d’adaptation à la demande et


à l’environnement.
Par analogie, la compétitivité d’une nation a été, au moins
jusqu’à Krugman, abordée en termes de performances com-
merciales : dans cette approche, un pays s’avère compétitif
par rapport à d’autres pays concurrents s’il est capable de
maintenir ses parts de marché ou de gagner des parts de marché
supplémentaires, ce qui implique de se diversifier, de conquérir
des marchés où il était absent ou marginal, de défendre ses
positions sur ses marchés traditionnels d’exportation 42. Pour
rester compétitif dans un environnement concurrentiel, il doit
poursuivre des efforts permanents de modernisation des
entreprises comme de l’environnement économique.
Aucune notion unitaire globale n’émerge vraiment. Il
convient dès lors de prendre en compte les différents types de
compétitivité :
(1) compétitivité prix : Elle exprime la structure des prix et
coûts d’une économie par rapport à celle de ses parte-
naires commerciaux et est loin de refléter l’ensemble des
caractéristiques permettant la vente d’un produit. Elle
repose en partie sur le taux de change, mais également sur
des coûts internes, comme les coûts salariaux.
(2) compétitivité hors prix : Elle exprime la faculté d’une
économie à capter la demande grâce à des facteurs autres
que les prix et à s’adapter aux évolutions de la demande
(traduisant la qualité de la spécialisation). Elle est essen-

42. CNUCED Diversification des exportations, accès aux marchés et compétitivité,


2002.

45
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

tiellement fondée sur l’investissement, la souplesse et la


flexibilité de l’allocation des facteurs et l’innovation. Elle
peut également recouvrir la compétitivité technologique
et la compétitivité structurelle :
• La compétitivité technologique fait référence, dans la
lignée des préoccupations d’auteurs comme Schumpeter
ou Marshall, à une « forme de concurrence entre les
firmes et les pays qui, au lieu de s’opérer par les prix et
les coûts (comme c’est le cas dans l’analyse des marchés),
porte sur les produits eux-mêmes. Elle se réfère à la
recherche, à l’innovation, à l’accumulation du savoir
technologique et à la compétence » 43.
• Quant à la compétitivité structurelle, elle pourrait
exprimer les capacités internes de production et de
commercialisation au sens large 44. Ce concept met en
lumière tous les facteurs « structurels » susceptibles de
freiner ou de stimuler la production (goulets d’étrangle-
ment, capacité de financement, encadrement, structuration
de la filière, etc.). Un auteur comme Chesnais (1986) lui
attribue la fonction d’accorder à la nation un rôle actif par
rapport aux firmes. Ainsi « le terme de compétitivité
structurelle permet d’exprimer l’idée (…) que si la com-
pétitivité des entreprises traduit l’efficacité des pratiques
de gestion de l’entreprise, elle procède aussi de la cohé-
rence et de l’efficacité des structures productives de
l’économie nationale, du taux d’évolution à long terme et
de la structure de l’investissement dans le pays, de son

43. B. Nezeys.
44. C. Minguy.

46
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

infrastructure technique et d’autres facteurs qui déter-


minent les avantages externes sur lesquels peuvent
s’appuyer les entreprises ». On retrouve ici la qualification
du rôle de la nation en tant que facteur de compétitivité des
firmes que développe Porter, comme on le verra plus loin.

Par ailleurs, la notion de compétitivité ainsi définie fait


référence à deux temporalités :
• la compétitivité à court terme, en un instant t, en
comparaison avec les performances des concurrents,
• la compétitivité à long terme, comme processus de
préparation des conditions structurelles de l’amélioration
de la compétitivité du pays.

La compétitivité hors prix rejoint l’approche temporelle de


la compétitivité. Au départ, il y a l’idée que la compétitivité
internationale dépend certes des coûts relatifs (coûts de main
d’œuvre et mouvement de taux de change), mais qu’elle ne
peut se maintenir par la seule compression chronique des
coûts salariaux ou par une série de dévaluations compétitives.
A long terme, la compétitivité exige un progrès soutenu de la
productivité. Il convient donc d’insister sur l’importance des fac-
teurs structurels qui affectent à long terme la compétitivité d’une
économie : investissement public, protection commerciale, inves-
tissement dans le capital humain, etc.
Plus récemment, la notion de revenu durable a été intro-
duite dans les réflexions sur la compétitivité, cette dernière
étant considérée comme la capacité d’entreprises, d’industries,
de régions, de nations ou d’ensembles supranationaux à
générer de façon durable un revenu et un niveau d’emploi

47
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

relativement élevés, tout en étant et en restant exposés à la


concurrence internationale.
Selon le rapport Jacquemin et Pench (1997) 45, « la notion
de compétitivité ne constitue ni une fin en soi, ni un objectif.
Elle est un moyen efficace de relever le niveau de vie et d’amé-
liorer le bien-être social. C’est un outil… ». De cette façon, on
respecte les axiomes qui posent que (1) l’objectif d’une nation
est la croissance du revenu réel de ses citoyens et (2) la
croissance du revenu réel d’une nation ne se fait pas au
détriment de celle d’une autre nation.
Le récent rapport du CAE sur la compétitivité de la France
le confirme : « par la suite, les différentes publications offi-
cielles ne font plus référence à la concurrence internationale
et retiennent l’objectif d’améliorer et d’accroître le niveau de
vie et plus généralement le bien-être de ses habitants » 46.
Dans cette acceptation, la compétitivité d’une nation serait
ainsi la capacité de cette nation à améliorer durablement le
niveau de vie de ses habitants et à leur procurer un haut niveau
d’emploi et de cohésion sociale. Elles procèderaient d’un
processus où les externalités offertes par les nations constitue-
raient un facteur de compétitivité important des firmes, ainsi
qu’un déterminant des flux d’IDE et, en conséquence, un
facteur d’amélioration du niveau de vie des populations et de
leur bien-être. Il importe, en conséquence, de s’interroger sur
les fondements de la compétitivité d’un pays, sur les externalités

45. Synthèse des travaux du groupe consultatif sur la compétitivité de la Commission


Européenne.
46. M. Debonneuil, L. Fontagné, Compétitivité, CAE, 2003.

48
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

qu’offrent les nations, sur les facteurs spécifiques qui favorisent


l’insertion des firmes dans le commerce international.

1.3.2. La compétitivité en pratique…

Cette définition, large et englobante, n’échappe pas à une


traduction « opérationnelle », beaucoup plus réductrice, sous
la forme de différents indicateurs multi-critères, très critiqués.
Au niveau de l’entreprise, les indicateurs de compétitivité sont
moins complexes.

Les indicateurs de compétitivité


Au niveau de l’entreprise, l’analyse des indicateurs de part
de marché peut s’accompagner de l’examen de ratios plus précis
concernant sa rentabilité, sa productivité et sa profitabilité :
« les taux de marges, [par exemple], permettent de mesurer la
capacité d’une entreprise à contrôler ses coûts et à fixer ses
prix, l’excellence de ses processus de production, ses compé-
tences en matière de gestion des ressources humaines » 47.
Au niveau des nations, à côté d’indicateurs comme les
« parts de marché (en valeur et en volume) à l’étranger », on
trouve surtout des indicateurs synthétiques. Les deux sources
majeures sont le « Global Competitiveness Report » préparé
par le World Economic Forum (WEF) et le « World Compe-
titiveness Yearbook », préparé par l’International Institute for
Management Development (IIMD). Chacun propose ses
indices synthétiques de compétitivité et son classement.
– Pour le WEF, la compétitivité est approchée par un output

47. JL.Mucchielli, op.ci. (2002).

49
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

global directement mesurable (richesse des pays en termes


de PIB par tête ou de sa croissance). Les indices qui en
découlent (Growth Competitiveness Index et Current
Competitiveness Index) sont censés « expliquer » au mieux
la croissance à moyen terme ou le niveau de richesse des
pays 48 : le premier vise à mesurer les perspectives de croissance
à moyen terme tandis que le second entend mesurer le
potentiel productif instantané des mêmes pays en niveau.
Ces indices de compétitivité sont conçus comme une
moyenne pondérée d’un ensemble de variables normalisées,
considérées comme les déterminants de la variable à expliquer,
respectivement la croissance du PIB conditionnellement au
niveau initial et le niveau de PIB par tête. La construction
des indices se fonde sur un ensemble d’indicateurs quanti-
tatifs (variables macroéconomiques standard) et sur des
indicateurs issus d’enquêtes qualitatives auprès des chefs
d’entreprises. Ces indicateurs sont conçus sur la base d’un
questionnaire dont les variables sont organisées en grands
thèmes : environnement macroéconomique, innovation et
diffusion technologique ; infrastructures générales ; institutions
publiques (contrats et lois) ; gouvernance (corruption) ;
concurrence sur le marché intérieur ; développement des
clusters ; marche des affaires et stratégie d’entreprises ; politique
environnementale.
– Le second indice, élaboré par l’IIMD est construit à partir
des indicateurs suivants : données macroéconomiques ;
internationalisation ; secteur financier ; infrastructure ;

48. S. Gregoir, F. Maurel les indices de compétitivité des pays : interprétations et


limites, INSEE, 2002. Ce paragraphe s’inspire largement de l’article cité.

50
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

management ; science et technologies ; ressources


humaines. Toutes les données statistiques ont le même
poids.
Il convient d’utiliser ces indices avec précaution : les indi-
cateurs du WEF, par exemple, intègrent une dose de subjec-
tivité importante, notamment par le biais des réponses aux
questions qualitatives et par le choix des pondérations retenues
(toujours plus élevées pour les variables quantitatives, en les-
quelles les concepteurs de ces indices ont davantage confiance) ;
d’autre part, ils reposent sur de nombreux a priori quant
aux déterminants (au sens causal) de la croissance et de la
compétitivité : ainsi est affirmée l’existence d’effets négatifs
des déficits publics et de l’inflation sur la croissance et d’effets
positifs de l’ouverture au commerce, alors que ces relations
sont très controversées, cf. infra ; les déterminants sont mesu-
rés quantitativement par des indicateurs contestables ; les
indices couvrent un champ si large qu’il est parfois difficile de
percevoir les véritables relations causales entre certains indi-
cateurs et la compétitivité d’une économie 49.
Ainsi, les arguments théoriques et empiriquement fondés
qui justifieraient la prise en compte de tel ou tel déterminant,
ainsi que ceux qui justifieraient le choix des différents indicateurs
de compétitivité ou leurs pondérations, font largement défaut.
Pourtant, ils inspirent de nombreux observatoires nationaux
de la compétitivité et influencent la perception qu’ont les
investisseurs d’un pays donné.

49. S.Gregoir, F.Maurel, op.cit.

51
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

La compétitivité insuffisante des PED


Dans les classements officiels (qui, même s’ils sont très
contestables d’un point de vue scientifique, reflètent un
sentiment général auto-entretenu), les PED sont, lorsque les
classements les intègrent, logiquement mal notés car, pour
beaucoup d’entre eux, ils cumulent des handicaps dans les
deux domaines que sont l’environnement des affaires en général
et le dynamisme des entreprises.
Dans le classement 2002 du WEF qui porte sur 80 pays
(dont peu de pays d’ASS), on trouve par exemple, Haïti en
dernière position devant le Zimbabwe, la Bolivie, l’Ukraine, le
Honduras. Le Nigeria est en 71e position, le Vietnam en 65e,
le Maroc en 55e, la Namibie en 53e, la République Domini-
caine en 52e, l’Inde en 48e, le Botswana en 41e. Puis à partir de
la 35e position, on compte l’Ile Maurice, derrière la Tunisie, la
Chine, l’Afrique du Sud, la Thaïlande, et immédiatement
devant, la France.
Les pays d’Afrique Subsaharienne seraient, s’ils étaient
notés, probablement très mal classés, pour des raisons qui
tiennent à un certain nombre de traits communs (développés
plus longuement dans la dernière partie de ce document).
Même si toute tentative de généralisation a ses limites, on
peut citer comme traits communs : tissus industriels embryon-
naires ; faible capital humain ; infrastructure matérielle insuffi-
sante ; coûts des transports élevés 50 ; coûts de transaction éle-
vés ; faible part d’IDE dirigés vers l’Afrique ; taux de change

50. ONUDI, The Globalization of Industry : Implications for Developing Countries


beyond 2000, 1996

52
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

peu compétitifs en termes réels, surtout après la crise


asiatique, notamment en zone Franc ; faible accès aux
marchés mondiaux ; protection importante ; faibles taux
d’épargne et d’investissement intérieur ; instabilité politique et
corruption ; etc.
Un programme de recherche lancé dans les années 90 par
la Banque Mondiale sur l’analyse du climat des affaires dans
les PED, auquel s’est récemment associé l’AFD 51, donne une
vision très pessimiste de l’environnement des affaires dans ces
pays 52 : ainsi, les enquêtes réalisées au Burundi (1993), au
Cameroun (1993), au Ghana (1992), au Kenya (1993), en
Tanzanie (1993), en Zambie (1993) et au Zimbabwe (1993)
ont permis d’isoler les principales contraintes à la production
dans ces pays : ressortent partout le manque d’accès au crédit,
les marchés insuffisants, le manque d’infrastructures et de
services publics, les charges fiscales élevées, le capital humain
insuffisant qui affecte la productivité globale des facteurs (les
faibles compétences technologiques des entrepreneurs et des
salariés sont souvent considérées comme la cause première de
la faible productivité des entreprises d’ASS) et le niveau très
élevé d’incertitude et de risque (alors que les investissements
y sont relativement irréversibles, du fait de l’absence de marché
d’occasion, par exemple).

51. Dans le cadre de l’enquête RPED (regional program on enterprises development)


au Sénégal, 2003.
52. In P.Bennell, 1998.
53. Le textile habillement dans les pays méditerranéens et d’Europe centrale : l’enjeu
de la compétitivité in Les enjeux économiques internationaux, Dossiers de la DREE,
décembre 2002.

53
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

Le cas du textile habillement dans les pays méditerranéens :


la compétitivité, défi d’un secteur en voie d’ouverture 53
Les échanges dans le secteur textile habillement se situent
aujourd'hui au troisième rang des échanges mondiaux, après
l’électronique et l’automobile. Ils ont représenté 147 milliards
de dollars pour les tissus et 195 milliards pour l’habillement en
2001 (chiffres de l’OMC). Si l’on assiste actuellement à une
contraction de ce marché au niveau mondial (l’augmentation
la plus spectaculaire ayant eu lieu dans les années 70 et 80),
le textile habillement reste néanmoins crucial pour de nombreux
pays, notamment d’Asie (Chine, Bangladesh, Inde, Cambodge)
ou du pourtour méditerranéen (Turquie, Tunisie, Maroc).
Le démantèlement de l’Accord Multifibres, prévu en
2005, et l’adhésion de la Chine à l’OMC vont radicalement
modifier les conditions de concurrence internationale dans ce
secteur.
Le secteur textile a très tôt été soumis à des mesures régle-
mentaires de la part des pays développés, visant à protéger
leurs marchés : en 1973, le premier Accord Multifibre a imposé
des quotas bilatéraux sur les quantités exportées par les PED,
surtout d’Asie. L’objectif était de libéraliser le secteur, mais de
façon progressive, en évitant des chocs trop importants sur les
marchés. L’AMF a été prorogé à trois reprises et a régulé les
échanges dans le secteur jusqu’en 1995, date de la mise en
place de l’Accord Textile Vêtement à Marrakech. Cet accord
fixe les conditions de la réintégration du textile habillement
dans les règles de non-discrimination (démantèlement de
toutes les restrictions quantitatives) d’ici 2005.

54
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

Les échanges dans le secteur se sont fortement régionalisés


dans la dernière décennie, sous l’effet conjugué des politiques
préférentielles mises en place par les pays industrialisés, de la
stratégie de développement régional adoptée par certains
pays en développement, et d’une nouvelle organisation de la
production axée sur l’importance des délais 54. Sont ainsi apparus
deux ensembles régionaux importants : d’un côté, les Etats
Unis et leurs périphéries (Mexique, République Dominicaine,
Caraïbes) et, de l’autre, l’Union Européenne avec les pays
méditerranéens (Turquie, Tunisie, Maroc) et les PECO
(Pologne, Roumanie). Les pays développés exportent leurs
tissus vers les PED les plus proches et réimportent des vête-
ments fabriqués à partir de ces tissus (après transferts de
savoir-faire pour les productions les plus complexes). Cette
stratégie peut apparaître comme un soutien à l’industrialisation
des pays du Sud, tout en accompagnant les processus d’adap-
tation de l’industrie textile dans les pays développés.
Mais les avantages qu’ont pu tirer les pays bénéficiaires de
partenariats régionaux seront remis en cause par l’ouverture
progressive du marché.
La perspective du démantèlement des quotas conjuguée à
l’adhésion de la Chine à l’OMC vont intensifier la concurrence
au sein du secteur textile-habillement. Il s’agira alors, pour des
pays jusque-là « protégés » par des règles à la fois interna-
tionales et régionales, de rivaliser en terme de compétitivité
avec des pays asiatiques dont les exportations ne feront plus
l’objet d’aucune restriction. En conséquence, la recherche des

54. Mondialisation et régionalisation : le cas des industries du textile et de l’habillement,


CEPII, 2002.

55
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

gains de productivité, mobilisés à l’échelle régionale, sera un


enjeu majeur des années à venir pour les pays de l’espace
paneuroméditerranéen.

LE TEXTILE HABILLEMENT DANS LA ZONE PAN-EUROMÉDITERRANÉENNE (2001)

* estimation
Source : ME des divers pays et Euratex cité in le textile habillement
dans les pays méditerranéens et d’Europe Centrale : l’enjeu de la compétitivité

L’enjeu est de taille : ce secteur est le premier employeur


(de main d’œuvre surtout féminine) au Maroc, en Egypte, en
Turquie et le premier secteur d’exportation en Tunisie,
Turquie et Maroc.
Quel est le niveau de compétitivité des pays méditer-
ranéens à la veille de l’ouverture des marchés du textile
habillement ?
En premier lieu, la compétitivité de l’industrie du textile-
habillement ne se limite pas à la seule comparaison des coûts
de main d’œuvre et des prix à l’échelle mondiale 55. Un produit
textile est un ensemble d’attributs (prix, délais, qualité, matière,
style…). Le prix synthétise les données relatives aux salaires,

55. CEPII, op.ci.

56
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

à la productivité (qui réduit les écarts liés aux seuls salaires),


à la part salariale dans le coût de revient industriel et aux coûts
indirects (transport, etc.). Si le prix reste important, notam-
ment dans la distribution et pour les produits dits « basiques
», la compétitivité hors prix est devenue déterminante pour les
produits « mode », plus « risquées », qui donnent lieu à des
petites séries avec possibilité de réassortiment. Les délais
rapides, adaptés au circuit court et à l’accélération de la mode,
sont désormais une exigence des donneurs d’ordre. Autre
composante très valorisée, la qualité des produits, que l’on
peut lier à la « créativité ». Or, les collections « créatives », qui
nécessitent un important travail de mise au point, sont
d’autant mieux réalisées que les usines de production sont
proches des donneurs d’ordre.
D’un point de vue empirique, les études sur la compéti-
tivité des pays méditerranéens font ressortir les conclusions
suivantes : (i) La compétitivité des salaires est un avantage
fragile, les salaires des pays méditerranéens étant supérieurs à
ceux d’Asie 56 ; (ii) La productivité, mesurée en prix nominaux,
est sensiblement plus faible au Maghreb qu’en France. Toutefois,
appréciée en prix à la production, elle serait, en Turquie,
proche (textile), voire supérieure (habillement) à celle de la
France – mais elle en est toujours très éloignée au Maroc et
en Egypte ; (iii) La facilité d’accès au marché est un atout qui
disparaît avec le démantèlement de tous les avantages asymé-
triques en 2005 ; (iv) La proximité géographique jouerait

56. Un salaire ouvrier (en euros par mois) est de 80 en Egypte, 160 en Turquie, 170 en
Tunisie, 206 au Maroc, alors qu’il est de 100 en Chine et en Indonésie, 60 en Inde
et 45 au Bangladesh. Source Mission économique, cité in Le textile habillement
dans les pays méditerranéens et d’Europe Centrale : l’enjeu de la compétitivité.

57
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

davantage en terme de réactivité que de coût ; (v) La qualifi-


cation de la main d’oeuvre est un point faible dans les pays
méditerranéens, avec notamment un fort désavantage par
rapport aux PECO ; (vi) Quant au tissu industriel, les pays
méditerranéens ont toujours des difficultés à remonter les
filières ; un effort d’investissement a néanmoins été fait,
comme le montre l’exemple de la Turquie 57.
Ainsi, les pays méditerranéens sont placés devant la néces-
sité de se préparer plus efficacement à l’échéance de 2005,
d’une part en remontant la filière (ce mouvement étant favorisé
notamment par des programmes de modernisation – en parti-
culier les programmes de mise à niveau – et l’IDE), et en déve-
loppant des stratégies de différenciation des produits ; d’autre
part en élargissant dès à présent le marché – une solution
serait de développer les échanges pan-euroméditerranéens
mais il est nécessaire pour cela de mieux harmoniser les
normes et les règles d’origine ainsi que de réduire les coûts de
transport.

57. 3 332 millions de dollars en moyenne sur 3 ans, 9.2 % de la production, alors qu’il
a été de 213 millions de dollars en moyenne sur 3 ans au Maroc et de 169 millions
en Tunisie, soit 7.1% et 4% de la production.

58
2. LA COMPÉTITIVITÉ DES NATIONS ET DE LEURS ENTREPRISES

2. La compétitivité
des nations
et de leurs entreprises
Les avantages résultant de l’intégration et de l’expansion
du commerce extérieur dépendent ainsi des modalités de la
participation de chaque pays au système commercial et des
liens entre son commerce extérieur et son activité écono-
mique intérieure. La compétitivité de l’économie, et en parti-
culier la présence d’un tissu industriel intégré et dynamique,
déterminent en grande partie les bénéfices qu’un pays peut
tirer de l’ouverture des frontières. Mais une situation a priori
défavorable peut évoluer favorablement si de bonnes
politiques sont proposées.
L’objet de cette partie consiste à passer en revue, sans
ambition d’exhaustivité, la théorie économique sur l’indus-
trialisation et la compétitivité des nations, de manière à
comprendre comment améliorer la compétitivité d’un pays et
de ses entreprises, afin d’en éclairer les choix stratégiques.
Différentes questions seront abordées :
– Au niveau macroéconomique :
• Quels sont les déterminants de la compétitivité d’une
nation, de plus en plus conçue, comme on l’a vu précé-
demment, comme facteur de compétitivité des firmes ?

59
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

• Quel rôle joue l’industrialisation dans la croissance et la


compétitivité ? Quelle forme doit prendre cette industriali-
sation ? Existe-t-il d’autres modèles de développement,
fondés sur la compétitivité d’autres secteurs économiques,
tels les services ?
– Au niveau mésoéconomique : Sur quels secteurs stratégiques
repose la compétitivité d’un pays ? Quels sont les déterminants
de l’émergence d’un secteur d’activité compétitif ? Comment
identifier les secteurs porteurs ?
– Au niveau microéconomique : Parce que les gains et les
pertes de marché ont vocation à cristalliser la capacité à
vendre des firmes, l’entreprise se trouve au coeur des enjeux
de compétitivité. La dimension microéconomique de la
compétitivité apparaît donc cruciale. Dans un contexte
d’ouverture des frontières, les entreprises sont en ligne de
front : comment expliquer que certaines réussissent quand
d’autres échouent ? Comment aider des entreprises à survivre
dans un contexte de concurrence accrue ?

2.1. Le développement industriel au cœur des


enjeux de développement et de compétitivité

Les préoccupations relatives à la croissance, longtemps


assimilée au développement des pays du Sud, renvoient aux
débats qu’ont animés, dans l’après-guerre, les « pionniers du
développement » 58. Le contexte est, certes, différent. A
l’époque, les frontières étaient encore peu ouvertes et les pays

58. Economistes des années 40 et 50 qui se sont interrogés sur les moteurs de la
croissance, comme Nurkse, Rosenstein-Rodan, Hirschman, Rostow, Lewis…

60
2. LA COMPÉTITIVITÉ DES NATIONS ET DE LEURS ENTREPRISES

du Sud se trouvaient, à quelques exceptions près, sur la même


ligne de départ. Aujourd’hui un certain nombre de PED ont
décollé après avoir misé sur les exportations. Et, dans un
contexte de mondialisation, l’ouverture des économies est
devenue incontournable.
L’industrialisation conditionne-t-elle la croissance et
l’insertion « gagnante » dans les échanges internationaux ? Par
ailleurs, une politique industrielle peut-elle aujourd’hui se
concevoir ? Si oui, à quoi doit-elle ressembler pour contribuer
à initier des dynamiques d’industrialisation dans les contextes
les moins industrialisés ?

2.1.1. Modèles de croissance par l’industrialisation

L’industrie au coeur de la croissance


Les pionniers du développement élaborent leurs théories
dans un contexte historique bien spécifique de reconstruction
après-guerre, de plan Marshall, de décolonisation, et d’in-
fluence keynésienne. L'industrialisation y est considérée
comme la clé de la croissance, synonyme à leurs yeux, de
développement 59. Elle est contrainte, dans les PED, par une
insuffisante accumulation de capital, qui s’explique par le
manque de ressources épargnées. Compte tenu de l'imperfection
des marchés, la mobilisation des ressources doit impliquer
une large intervention de l'Etat, par le biais d’une planification
considérée comme l’outil indispensable du développement.
Le modèle de référence est celui d’Harrod-Domar, qui fait

59. Selon le principe largement invoqué, mais très souvent contesté, des retombées
automatiques de la croissance (trickle down effect, dans la théorie néoclassique,
ou théorie du ruissellement) sur le niveau de vie des populations.

61
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

reposer la croissance sur l'épargne intérieure, censée financer


intégralement les investissements. Plus un pays a un taux
d'épargne élevé, plus il peut investir et donc croître. L’autre
variable déterminante du modèle de croissance de Harrod-
Domar est la productivité de l’investissement. Le taux de
croissance final dépend donc à la fois du montant d’épargne
et de son investissement, ainsi que de la productivité des
facteurs et donc des mesures susceptibles de l’accroître.
Dans la lignée de Harrod-Domar, on trouve les approches
linéaires (Rostow, 1960) ou dualistes (Lewis, 1954). Elles font
également de l’accumulation du capital le facteur décisif de la
croissance, tout en étudiant plus en profondeur les conditions
de réalisation de cette accumulation. Le développement,
mesuré par la croissance du revenu par habitant, suppose la
transformation, grâce à l’émergence d’une classe d’entre-
preneurs et d’un excédent de main d’oeuvre dans le secteur
traditionnel/agricole, de la société traditionnelle en une
économie capitaliste dynamique fondée sur le salariat.
Il apparaîtra par la suite que la corrélation entre taux
d'épargne élevé et croissance n'est pas systématique, ce
qu’illustrera le modèle à double déficit (Chénery et Strout,
1966). L’insuffisance d’épargne y représente une forte
contrainte dans la première phase du processus d’accumulation
du capital. Mais une fois le processus d’industrialisation lancé,
la principale contrainte devient la disponibilité en devises
nécessaires à l’importation des biens nécessaires à la croissance
industrielle. Le déficit en devises peut devenir la contrainte
majeure au développement d’un pays et l’aide étrangère est

62
2. LA COMPÉTITIVITÉ DES NATIONS ET DE LEURS ENTREPRISES

alors une solution pour lever cette contrainte, au moins tant


que les exportations restent insuffisantes pour accroître les
réserves de devises.
On s’apercevra également que, bien qu’au cœur du
processus de croissance, l’industrialisation, si elle ne s’accom-
pagne pas d’un développement parallèle du secteur rural, peut
échouer à initier un processus de développement. En effet,
une large part de la population restant en marge des dyna-
miques de croissance, ces dernières finissent par s’essouffler.
En Asie, l'expérience de l’Inde ou de la Chine a montré que la
progression du pouvoir d'achat des paysans a été un atout
décisif pour l'industrie. La réforme agraire initiée en Corée
dans les années 1950 est par ailleurs considérée comme l’un
des facteurs explicatifs de la réussite industrielle des décennies
qui ont suivi. Ainsi, une politique industrielle bien conçue doit
mettre l’accent sur la manière de répartir les retombées du
développement économique : retombées en particulier sur les
revenus des plus pauvres en milieu urbain, mais aussi dans le
monde rural, de manière à créer une demande effective et des
débouchés internes importants.
Enfin, les théories de la croissance endogène, fondées sur
le postulat d'une productivité déterminée par un processus
endogène, résultat des forces de marché et non plus d'une
progression exogène, ont démontré le caractère crucial, pour
la productivité et la croissance, des politiques publiques dans
le domaine de la fiscalité, de l’éducation, de la santé et du
commerce.

63
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

Quelle accumulation ?
On ne revient pas sur le débat entre croissance tirée par les
exportations et import-substitutions, les avantages du premier
type de croissance, qui permet d’importer du capital productif
et de la technologie, d’améliorer la productivité de l’économie
et donc de produire de la croissance, ayant été largement
développés.
Une autre controverse, récurrente et d’actualité, porte sur
l’alternative entre croissance équilibrée et croissance déséqui-
librée. Enfin, le choix des techniques et technologies, plus ou
moins capitalistiques, a fait l’objet de débats.

– Croissance équilibrée versus croissance déséquilibrée


Une croissance équilibrée (Nurkse, 1953) consiste en un
effort d’investissement simultané dans plusieurs branches
industrielles. Au centre du schéma se situe la demande finale :
un accroissement de la production, réparti sur toute une
série de biens de consommation, dans des secteurs complé-
mentaires, intégrés horizontalement, et correspondant à la
structure des préférences des consommateurs, crée sa
propre demande (théorie rattachée à la loi de Say). Cette
demande stimule à son tour le développement du salariat.
La mise en place d’une croissance équilibrée suppose une
planification importante de l’Etat, de manière à coordonner
des investissements nationaux et étrangers en vue d’un « big
push » 60 et le développement des infrastructures sociales.
Intéressante d’un point de vue conceptuel, cette théorie est

60. Rosenstein-Rodan appelle ainsi l’effort d’investissement qui stimule, au départ, la


croissance dans plusieurs branches d’activités complémentaires.

64
2. LA COMPÉTITIVITÉ DES NATIONS ET DE LEURS ENTREPRISES

critiquable en ce qu’elle ne semble pas prendre en compte la


faiblesse et le déséquilibre du secteur industriel des économies
en développement. Une critique radicale, formulée par
Hirschman, porte sur son manque de réalisme : un pays qui
aurait assez de ressources financières pour mener une
stratégie de croissance équilibrée ne pourrait être qu’un
pays développé !
Hirschman (1958) propose une alternative qui se veut plus
réaliste. La théorie de la croissance déséquilibrée, fondée
sur la nécessité de déséquilibres calculés, trouve son origine
dans les travaux de Schumpeter 61. Hirschman reprend à son
compte l’idée selon laquelle c’est le déséquilibre qui
provoque le mouvement et le changement et que c’est le
passage d’une situation de déséquilibre à une autre qui crée
le développement. Les déséquilibres, créés par des impulsions
initiales, génèrent des goulets d’étranglement qui, pour être
éliminés, doivent susciter en retour des investissements en
matière d’infrastructures économiques et sociales.
Hirchman souligne la faiblesse des relations inter-
sectorielles dans les PED. Il insiste sur le fait que des inves-
tissements localisés induisent des liaisons entre industries
(amont ou aval), premier temps de la construction progressive
d’un tissu industriel intégré. Le choix des industries à

61. Pour ce dernier, le développement est un processus cumulatif, qui naît de la


combinaison de trois éléments : mobilisation des facteurs de production existants
ou leur combinaison nouvelle, extension du crédit et présence d’un entrepreneur.
Le banquier fournit le capital et supporte le risque alors que l’entrepreneur
détermine les opportunités et organise les nouvelles combinaisons productives. Le
processus de développement repose sur l’innovation. Il est perçu comme la mise
en œuvre de nouvelles combinaisons de moyens de production de façon à créer
de nouveaux produits, à favoriser la naissance de nouveaux marchés, à modifier la
structure de marché (révolutions productives).

65
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

privilégier repose sur (i) le seuil de production optimale,


suffisamment bas si le marché est étroit ; (ii) les avantages
comparatifs du pays ; (iii) le coût des technologies requises
(notamment si elles sont importées).
Perroux prolonge cette analyse en avançant le concept de
« secteurs d’impulsion », à l’origine d’effets d’entraînement
et d’économies externes, qui seraient des « pôles de crois-
sance », incluant par là même une dimension géographique.
Si ces dernières théories paraissent plus réalistes que le
schéma de croissance équilibrée, on peut toutefois s’interroger
sur les capacités de réaction spontanée aux déséquilibres,
dans des contextes où l’action est souvent paralysée par des
goulets d’étranglement (difficultés d’accès aux financements,
imperfection de l’information, etc.).

– Quelles techniques de production ?


Une autre controverse a porté sur les techniques de
production : faut-il privilégier les techniques les plus
productives ou les plus créatrices d’emploi ? Ce débat a été
important en Inde dans les années 1950 et 1960. Il est
toujours d’actualité dans de nombreux pays en développe-
ment à taux de chômage et de sous-emploi très élevés, d’autant
plus que les objectifs de réduction de la pauvreté sont désor-
mais affichés comme prioritaires. Ceci étant, l’ouverture des
frontières modifie quelque peu les termes du débat. Dans
les secteurs concurrentiels, la survie des entreprises passe-
t-elle nécessairement par l’adoption des techniques les plus
productives ? La réponse dépend du positionnement de

66
2. LA COMPÉTITIVITÉ DES NATIONS ET DE LEURS ENTREPRISES

l’entreprise : sur les marchés de production en grandes


séries, où la compétitivité-prix est obtenue par la combinaison
d’économies d’échelle et de technologies modernes, la réponse
est positive ; sur des marchés de petites séries, exigeant une
grande flexibilité, les dotations technologiques sont moins
déterminantes.
Les questions relatives aux techniques d’industrialisation
ont ensuite été déplacées sur le terrain de l’appropriation.
Les techniques importées sont-elles adaptées aux pays en
développement ? Que faire des techniques traditionnelles
existantes ? Faut-il les abandonner ou les combiner avec les
techniques modernes ? Des expériences très différentes ont
été réalisées dans ce domaine, sans toutefois apporter de
réponses tranchées.

2.1.2. Retards industriels au sud : une politique industrielle


est-elle concevable aujourd’hui ?

Etat des lieux


Les mauvaises performances du secteur industriel, en
particulier manufacturier, en Afrique, et plus particulièrement
en ASS, sont assez bien documentées 62. Ce secteur a longtemps
été très protégé, dans le cadre de modèles de développement
qui favorisaient les grandes entreprises ; il a été dominé par les
petites et microentreprises, souvent peu productives et inca-
pables de se développer ; il se caractérise par des situations de
monopoles fréquentes sur le marché des produits ; il est

62. Lall et Wangwe, 1998 ; Benell, 1998 ; Tybout, 1998.

67
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

constitué d’industries de transformation minimale des ressources


naturelles ou industries de biens de consommation primaires.
Des auteurs comme J.Tybout 63 ont cependant démontré
que ces traits simplificateurs ne pouvaient pas être généralisés :
si ce dernier confirme qu’une protection de l’industrie entraîne
une perte d’efficacité des entreprises, il montre également que
les firmes « inefficaces » sont moins nombreuses qu’on a
coutume de le dire (les taux de disparition sont élevés) et que
les petites entreprises sont parfois capables de se développer,
en particulier quand elles se positionnent sur des marchés non
saturés et qu’elles disposent d’un niveau suffisant de ressources
humaines et financières pour accompagner l’accroissement de
leurs coûts fixes.
Il reste que les dynamiques d’industrialisation sont rares,
et que les performances industrielles de nombreux pays d’ASS
sont réellement faibles.
Bien sûr, une partie de l’explication des faibles perfor-
mances industrielles en ASS réside dans des facteurs exogènes
(sécheresses, guerres, termes de l’échange, etc.) ou structurels
(étroitesse et fragmentation des marchés, base entrepreneu-
riale réduite, dont il serait, par ailleurs, utile d’identifier les
causes, faiblesse du niveau de capital humain, etc.).
Mais des leviers d’action existent, notamment dans le
domaine politique. Les gouvernements ont un rôle détermi-
nant à jouer.

63. J.Tybout Manufacturing Firms in Developing Countries : How well do they do, and
why?, août 1998.

68
2. LA COMPÉTITIVITÉ DES NATIONS ET DE LEURS ENTREPRISES

Quelle place pour une politique industrielle ?


« The new consensus seems to be that all selective industrial
policy is economically undesirable and harmful 64 ».
Partant de ce constat, S.Lall montre que, bien au contraire,
des politiques industrielles bien conçues seraient, plus que
jamais, déterminantes pour inverser les dynamiques de désin-
dustrialisation qui caractérisent de nombreuses économies en
développement. Ainsi, dans un contexte de changements
techniques très rapides, où la pression étrangère est de plus en
plus forte, les arguments théoriques ne manquent pas pour
justifier une intervention de l’Etat : en particulier, l’approche
néoclassique, qui s’oppose à toute politique industrielle, ne
tient plus dans un contexte où les défaillances de marchés
(concurrence imparfaite, externalités, biens publics, et surtout
information imparfaite) compromettent l’allocation optimale
des ressources. L’approche évolutionniste de Nelson et Winter
(1982) offre alors un cadre d’analyse intéressant : ces auteurs,
en « ouvrant la boîte noire de l’entreprise », soulignent la
différence entre d’un côté, des compétences et des équipe-
ments (capacity) disponibles au sein de l’entreprise, et, de
l’autre, la capacité à les utiliser efficacement (capability) : les
compétences techniques, managériales et organisationnelles
de l’entreprise sont à l’origine d’une utilisation plus ou moins
efficace des équipements et de l’information technologiques.
Or, ces « capabilities », propres à chaque firme, sont faites de
compétences individuelles et d’expérience accumulée, et
résultent pour partie des interactions entre l’entreprise et les

64. S.Lall, QEH Working papers Series 48.

69
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

individus qui y travaillent. Il est en conséquence illusoire de


penser que la technologie peut être transférée aux PED
comme n’importe quel produit physique. Ce transfert doit
s’accompagner d’une dose importante de « capability building »
et son résultat, qui plus est, s’avère très incertain. La conclusion
de l’analyse n’est pas qu’aucune industrie ne se développera
dans un contexte de marché libre : des activités simples et
intensives en travail pourront se développer dans un environ-
nement où des compétences et des infrastructures font
défaut, alors que le coût du travail est faible. Ceci étant, pour
évoluer vers des industries plus complexes, une intervention
publique qui réduirait les coûts d’apprentissage s’avère néces-
saire. La protection des industries naissantes peut s’inscrire dans
ce processus.
L’expérience des quatre tigres d’Asie de l’Est a montré
combien une politique industrielle bien ciblée pouvait être
couronnée de succès. Des politiques très sélectives y ont été
mises en oeuvre avec les résultats que l’on connaît. S. Lall
reprend ces exemples, en montre les vertus dans leur contex-
te, tout en mettant en garde contre le risque de répliquer des
politiques sélectives dans des contextes très différents. Deux
questions doivent être prioritairement considérées pour limi-
ter les risques d’échec d’une politique industrielle sélective
mais inadaptée :
Quelles interventions sont envisageables étant donné le
niveau de « capabilities » du gouvernement ? Cette ques-
tion renvoie (i) à la capacité du gouvernement à définir des
objectifs clairs et cohérents de politique économique et

70
2. LA COMPÉTITIVITÉ DES NATIONS ET DE LEURS ENTREPRISES

commerciale ; (ii) à l’information dont il dispose sur les


technologies, les marchés, les « capabilities » locales (et la
rapidité avec laquelle elles peuvent être développées), et
les institutions. De ces éléments dépend le choix des indus-
tries que le gouvernement choisit de promouvoir. Une
erreur des gouvernements qui ont promu l’industrialisa-
tion par import-substitution a été de croire que les « capa-
bilities » requises existaient localement ou se développe-
raient rapidement, sans coût supplémentaire.
Comment les « capabilities » gouvernementales peuvent-
elles être améliorées ? En particulier, elles doivent être
renforcées pour « dessiner » une stratégie industrielle
cohérente, pour aider les marchés à bien fonctionner, pour
gérer les relations d’agence avec les partenaires (secteur
privé), prévenir les risques de corruption, etc.
S’il ne fait pas de doute que l’abandon de certaines
politiques inefficaces est salutaire pour le développement
(politiques de soutien à l’import-substitution, politiques qui
encouragent la captation de rentes), s’il est vrai également que
les marges de manœuvre d’une politique industrielle se sont
réduites avec la globalisation du système productif, il reste
pourtant un espace pour des politiques industrielles efficaces,
en particulier pour définir des objectifs clairs et cohérents dans
un contexte socio-économique donné, pour améliorer l’envi-
ronnement des affaires et contribuer à remédier aux
défaillances de marché, et notamment pour soutenir les processus
d’apprentissage… même si, dans des contextes peu lisibles,
S. Lall met en garde contre une trop grande sélectivité.

71
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

2.1.3. D’autres modèles de croissance ?


Un pays, pour se développer et s’insérer efficacement dans
l’économie internationale, doit-il nécessairement s’industrialiser ?
Ou bien peut-il fonder son processus de développement sur
une ou plusieurs activités de services ?
Les services recouvrent des activités aussi diverses que le
transport de marchandises et de voyageurs, l’intermédiation
financière, la communication, la distribution, la comptabilité,
les prestations de conseils aux entreprises, le tourisme, l’ensei-
gnement, les soins de santé, ou la construction. Généralement,
on considère qu’ils représentent une part croissante de la pro-
duction des pays au fur et à mesure de leur développement. En
effet, l’agriculture est le secteur le plus développé dans les éco-
nomies les moins avancées, cédant du terrain au fur et à mesu-
re que l’industrie se développe. Puis, le développement des ser-
vices caractérise la phase de « post-industrialisation ».
Cette évolution s’explique généralement par des change-
ments structurels dans la demande finale (une hausse des revenus
induit une demande croissante pour des produits manufacturés,
puis pour de l’immatériel et des services), et dans la productivité
relative du travail dans ces trois secteurs. Toutefois, il est éga-
lement courant d’observer, dans les pays les moins développés,
une forte croissance du secteur tertiaire (notamment mesurée
en terme d’emplois plus qu’en valeur ajoutée) alors même que
la phase d’industrialisation n’a pas débuté. Cette évolution,
très caractéristique des PED (notamment, comme le montre
l’histogramme qui suit, en Afrique Subsaharienne), illustre la
part prépondérante de ce que l’on a coutume d’appeler « sec-
teur informel » dans l’économie.

72
2. LA COMPÉTITIVITÉ DES NATIONS ET DE LEURS ENTREPRISES

RÉPARTITION DE LA VALEUR AJOUTÉE EN 2000

Source : ONUDI

Pourrait-on envisager qu’un pays se développe sans passer


par une phase d’industrialisation ?
– En premier lieu, comme on l’a évoqué plus haut, on observe,
dans certains PED, un accroissement du secteur tertiaire
alors même que l’industrialisation est embryonnaire. C’est
souvent un mauvais signe, car le secteur tertiaire en question
recouvre des activités de survie (petit commerce de rue par
exemple) qui ne sont pas porteuses de dynamiques de déve-
loppement.
– Ensuite, des pays misent sur des services tels que le tourisme,
mais il est rare qu’ils ne développent pas, parallèlement,
d’autres secteurs. En République dominicaine, par exemple,

73
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

l’agriculture continue de jouer un rôle important dans l’éco-


nomie ; l’agro-industrie et l’industrie légère y tiennent égale-
ment une place importante.
Dès lors que le pays atteint une certaine taille, l’absence
d’industrialisation ne se traduirait-elle par un poids trop
important des importations en biens de consommation
courante ? Par ailleurs, une stratégie qui implique pour un pays
d’être fortement dépendant de l’extérieur pour la plupart des
produits industriels n’est-elle pas trop risquée (risque de hausse
des prix, etc.) ?
Ceci étant, les PED ont tout intérêt à miser sur certains
services « exportables » dans lesquels ils ont des avantages
comparatifs : c’est un excellent moyen d’obtenir les devises
nécessaires à la construction d’un tissu productif ; c’est aussi
un excellent moyen de fournir du travail à la main-d’œuvre
qualifiée de ces pays ; c’est, enfin, pour certains services, un
moyen d’améliorer la compétitivité du pays et le bien-être des
populations.
Même dans les pays les moins développés, les services
représentent aujourd’hui plus d’un tiers du PIB. Le tourisme et
les activités de transports prennent une part de plus en plus
importante dans les PED, de même que, de plus en plus, les
service de traitement d’opérations commerciales, d’exécution,
de suivi et d’enregistrement comptable, de services d’informa-
tique et de développement des logiciels.

74
2. LA COMPÉTITIVITÉ DES NATIONS ET DE LEURS ENTREPRISES

2.2. Comment améliorer la compétitivité d’un pays


et de ses entreprises ?

Parce que les gains de l’ouverture des frontières dépendent :


(1) de la compétitivité « de départ » : forces et faiblesses des
industries nationales, mais aussi coût des facteurs, stabilité
politique, qualité des institutions, efficacité des structures
bancaires, qualité des infrastructures, niveau d’épargne,
capital humain, innovation, etc. ;
(2) de la pertinence des politiques d’amélioration de la
compétitivité des pays ;
les politiques en charge de l’amélioration de la compétitivité
sont au cœur des enjeux de développement.
Certains gouvernements ont la capacité et la volonté de
définir des orientations économiques claires et cohérentes, sur
la base de priorités bien établies. Ces orientations peuvent
prendre la forme d’une véritable politique industrielle approuvée
par l’ensemble des acteurs publics et privés concernés. Le plus
souvent, elles se concrétisent en une stratégie de développe-
ment du secteur privé et de modernisation de l’environnement
des affaires. Les politiques publiques d’aide au développement
n’ont alors plus qu’à s’inscrire dans ce cadre pour en renforcer
les orientations et l’impact.
D’autres gouvernements, à l’opposé, sont en retard dans
l’établissement de stratégies de développement économique.
Parfois, ces stratégies existent sans que de véritables priorités
en ressortent. Les politiques publiques d’aide au développement
ont alors également à jouer, en amont, un rôle de « capability

75
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

building » (au sens de S. Lall, défini précédemment).


Si la stabilité macroéconomique et celle des taux de change
compétitifs en termes réels sont des préalables indispensables
à l’industrialisation des pays, le développement de la compéti-
tivité nécessite bien d’autres conditions. Des questions sont
ainsi déterminantes : quelle spécialisation privilégier étant
donné la situation de départ et l’évolution prévisible de la
demande ? Pourquoi et comment se créent les compétences
technologiques qui déterminent le niveau de compétitivité
dans un secteur d’activité donné ? Quel que soit le secteur
d’activité, comment améliorer la compétitivité des entreprises ?
Pour répondre à ces questions, revenons à l’économie
industrielle, qui incite à prendre en considération le rôle
majeur de l’environnement et à identifier des secteurs porteurs,
tout en mettant en évidence la responsabilité déterminante de
l’entrepreneur dans la réussite de son entreprise.

2.2.1. Les conditions de base influencent les performances


de l’économie en général, des secteurs et des entre-
prises en particulier
L’économie industrielle, qui s’est construite aux Etats-Unis
dans les années 50, présente une entreprise dont les décisions
et les performances dépendent étroitement de l’environnement
dans lequel elle évolue, même si elle sait également mettre
en œuvre des stratégies, pouvant à leur tour transformer
l’environnement.

65 The Competitive Advantage of Nations, 1990, The free Press, Macmillan, et 1993
pour la version française.

76
2. LA COMPÉTITIVITÉ DES NATIONS ET DE LEURS ENTREPRISES

M. Porter, dans son ouvrage sur « l’avantage concurrentiel


des nations » 65, inscrit son analyse dans la lignée des réflexions
sur la « compétitivité structurelle » (Chesnais), selon lesquelles
l’environnement national joue un rôle majeur dans la compéti-
tivité des firmes. Porter, cherchant à identifier les « national
attributes » qui renforcent la compétitivité d’un pays, revisite
les conditions de base (environnement national) qu’il appelle
les déterminants de l’avantage national, et les rassemble en
quatre ensembles :
– Les facteurs de production. Ils sont déterminants dans ce
que l’on a coutume d’appeler le « climat des affaires »,
déterminants aussi dans l’incitation à investir. Ils recouvrent
des éléments tels que les ressources humaines, y compris les
habitudes et disciplines de travail et les relations sociales
dans la production, les ressources physiques, y compris les
conditions climatiques, la situation géographique et les
ressources en capital, et l’infrastructure, y compris le degré de
socialisation des coûts de la santé, le degré de divulgation et
de vulgarisation de l'information, la densité des infrastruc-
tures de transport et de communication et tous les éléments
qui déterminent la qualité de la vie, ainsi que l’attrait d’un
pays en tant que lieu où vivre et travailler. Souvent, ils ne sont
pas dévolus a priori à un pays, il faut les créer.
– La demande intérieure. Par son effet sur les économies
d’échelle, elle a un intérêt statique. Mais l’essentiel de son
influence est d’ordre dynamique. Cette influence passe
par trois canaux : la nature des besoins des consommateurs
en interne (la composition de la demande domestique

77
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

est à la base de l’avantage concurrentiel des nations,


avec éventuellement un effet d’anticipation des besoins
internationaux 66), le volume et le type de croissance (la demande
interne peut conforter un avantage concurrentiel national au
travers de son volume et de son mode de croissance), et
les mécanismes par lesquels les préférences domestiques sont
transférées aux marchés étrangers.
– Les industries amont et apparentées. Les avantages procurés
par les industries amont ou apparentées sont comparables.
Les effets directs des premières sur l’avantage concurrentiel
passent par les canaux suivants : inputs d’un bon rapport
qualité/prix ; coordination entre les activités ; avantages au
niveau des processus d’innovation et de modernisation.
Quant aux industries apparentées (industries dont certaines
activités figurant dans leurs chaînes de valeur respectives
peuvent être coordonnées ou partagées), leur présence dans
un pays donné conduit fréquemment à l'apparition de
nouvelles industries compétitives. Mais la portée des avan-
tages procurés par les industries amont et apparentées
locales reste fonction des autres éléments du losange.
– La structure et la rivalité des entreprises : La nature de la
concurrence domestique joue un rôle déterminant sur les
performances des secteurs et des entreprises. Elle détermine
la structure d’une industrie. Ces structures, longtemps
décrites uniquement par leur degré de concentration
(secteur proche du modèle de la concurrence pure et parfaite,

66. La théorie du « cycle du produit » de Vernon est à ce titre très intéressante,


expliquant l’avance des Etats-Unis dans de nombreux produits de haute techno-
logie grâce à une demande intérieure précoce.

78
2. LA COMPÉTITIVITÉ DES NATIONS ET DE LEURS ENTREPRISES

ou plutôt proche du monopole), sont, depuis l'apparition de


la théorie des marchés contestables, analysées en termes de
concurrence potentielle (appréciée par les possibilités d’en-
trer et de sortir d’une industrie) 67. La détermination des prix
et les marges bénéficiaires qui vont en découler ne dépen-
dent pas de la concurrence effective (degré de concentration
constaté) mais de la concurrence potentielle, qui dissuade
une firme d’exercer un « pouvoir de marché ». Les forces
concurrentielles au sein d’une branche, dont dépend en
général la rentabilité des firmes, reposent sur le nombre de
producteurs en présence ou potentiellement entrants, sur le
rythme de croissance de la demande, la concurrence de pro-
duits de substitution et sur le pouvoir de négociation des
clients et des fournisseurs 68.
Chaque paramètre, et l’association des quatre, créent le
contexte où évoluent les entreprises, c’est-à-dire le contexte qui
offre la disponibilité relative des ressources et des compétences
indispensables à l’obtention d’un avantage concurrentiel dans
une industrie ; les informations induisant le type d’opportunités
qui seront perçues et les directions dans lesquelles ressources
et compétences seront déployées ; les objectifs des actionnaires,
des dirigeants et des salariés impliqués dans la poursuite de la
compétitivité ; la pression incitant les firmes à investir et à
innover.

67. Un marché est considéré comme contestable lorsqu'il n'y a aucune barrière à sa
pénétration, ni à sa sortie. Ainsi, les entrants potentiels et les firmes en place béné-
ficient des mêmes conditions de coût et de prix (prix qui résulterait d'une situation
de CPP). cf La nouvelle économie industrielle : Baumol, Panzar, Willig (1982).
68. M. Porter, 1993.

79
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

Il convient également d’ajouter le rôle du hasard (inventions,


grands bouleversements technologiques, évolution des taux de
change, etc.) et le rôle de l’Etat, qui selon Porter, doit se résumer
dans l’influence qu’il exerce sur les quatre déterminants.
En résumé, le système complet présente comment chacun
des déterminants, seul ou en association avec les autres,
intervient dans l’établissement de l’avantage national ou dans
l’absence de ce dernier.

80
2. LA COMPÉTITIVITÉ DES NATIONS ET DE LEURS ENTREPRISES

Dunning ajoutera à ce Diamant l’influence des IDE sur


chacun des quatre pôles mais également sur l’attitude du
gouvernement.

2.2.2. Au niveau des secteurs industriels du pays, comment


identifier l’avantage concurrentiel ?
On appelle « industrie » un ensemble d’entreprises pro-
duisant des biens et services et directement concurrentes sur
le marché. Il est important de bien identifier l’industrie, ou
les industries, ou encore les segments pour lesquels le pays
constitue un cadre favorable.
La solidité d’un avantage national dans une industrie repose
sur le bon fonctionnement du losange, mais il est rare que ce
système soit entièrement en place dès l’origine. Il convient
donc de le « construire ». En premier lieu, il convient de
s’interroger sur la réalité des sommets du losange : quels
facteurs de production compétitifs, quels handicaps, quelle
demande domestique, quels canaux de distribution, quelles
pratiques managériales, quels talents, etc. Une fois qu’un
avantage concurrentiel national a été identifié dans un secteur

69. Le contexte influence les conceptions et des pratiques managériales. Sur ce plan,
il existe, d’un pays à l’autre, de considérables différences à de nombreux égards :
formation, expériences et style des leaders (que l’on abordera plus particulièrement
ci-après), structures hiérarchisées ou consensuelles, importance de l’initiative indi-
viduelle, nature des instruments de prise de décision, nature des relations avec la
clientèle, etc. De manière générale, le cadre national exerce une influence sur la
façon dont sont menées et organisées les entreprises. Parmi les éléments spéci-
fiques d’une culture nationale, fruit du système éducatif, de l’histoire sociale et reli-
gieuse, des structures familiales et d’un grand nombre de facteurs difficilement sai-
sissables, on cite souvent : l’attitude à l’égard de l’autorité, les habitudes de com-
munication entre les personnes, l’attitude des salariés face à la hiérarchie et vice
versa, les normes de comportements des individus et des groupes et les pratiques
professionnelles (Voir annexe 2, pour une analyse plus fouillée sur les pratiques
managériales).

81
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

industriel donné, il convient d’en soutenir le développement, si


toutefois le « déclic » ne se produit pas spontanément.
Par exemple, l’avantage concurrentiel national apparaît
dans les industries où les pratiques de management 69 et les
pratiques organisationnelles induites par le cadre national
conviennent bien aux sources d’avantage concurrentiel
spécifique de l’industrie considérée. Ainsi, en Italie, nombre de
firmes bien placées dans la concurrence internationale sont des
entreprises de taille relativement petite ou moyenne, financées
par des capitaux privés et gérées comme des familles étendues.
Elles sont performantes dans toute une série d’industries
fragmentées où les économies d’échelle sont peu importantes
ou bien susceptibles d’être obtenues grâce à une collaboration
entre firmes qui n’implique pas de liaisons contraignantes par
ailleurs. Ces entreprises sont souvent amenées à user de
stratégies de spécialisation, à éviter les produits standardisés et
à opérer dans des niches, en tablant sur leur style propre ou sur
une variété de produits personnalisés.

2.2.3. Au niveau de la firme, le gain et la préservation de


l’avantage concurrentiel
L’environnement économique national ou les conditions
spécifiques au secteur d’activité, s’ils jouent un rôle majeur, ne
déterminent pas de manière infaillible la réussite d’une entreprise.
Les entreprises ont un rôle essentiel à jouer dans la compétition
internationale. Comment s’assurent-elles un avantage concur-
rentiel et comment l’entretiennent-elles ? La réponse à cette

70. Firme « point » dans un environnement de concurrence pure et parfaite, avec un


entrepreneur rationnel maximisateur de profit.

82
Favoriser la construction de grappes industrielles
Dans les théories économiques de la spécialisation internationale,
la théorie des filières a été développée par F. Hayek. Elle préconi-
se la maîtrise de l’intégration verticale de la production. Elle est
aujourd’hui ardemment défendue par M. Porter, qui l’a rebaptisée
« théorie des grappes ». Une grappe est constituée par l’ensemble
des entreprises « leaders » d’un secteur donné, ainsi que par tous les
acteurs contribuant à la compétitivité de ces entreprises (fournis-
seurs de matières premières, de biens intermédiaires et de
services), soutenus par une infrastructure économique solide. Les
éléments d’une grappe se renforcent grâce à leur coopération tech-
nologique, aux relations clients-fournisseurs et aux liens avec
l’infrastructure économique de base.
La formation de grappes découle directement des déterminants de
l’avantage national. Une industrie compétitive contribue à la nais-
sance d’une autre industrie compétitive par un processus de
renforcement réciproque. Une fois la grappe formée, les diffé-
rentes entreprises vont s’apporter un renfort réciproque. Une
dynamique d’expansion de la grappe s’instaure, les industries
compétitives en engendrant d’autres dans divers domaines, et cela
en fonction des processus qui prédominent dans les pays en matiè-
re de regroupement d’industries. Ces grappes prennent souvent
une dimension géographique, pour un ensemble de raisons qu’on
imagine aisément (partage de l’information, échanges facilités,
externalités, relations familiales, etc.).
On le voit, l’avantage concurrentiel national réside autant au
niveau des grappes qu’au niveau des industries.

83
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

question est déterminante pour identifier les politiques de


« renforcement » des capacités des entreprises les moins armées.
Abandonnant le modèle de la firme néoclassique 70, les
théories qui voient le jour à partir des années 30 se fondent sur
des hypothèses plus réalistes pour comprendre les conditions
de réussite d’une entreprise : les marchés sont imparfaits ;
l’information est imparfaite ; les économies d’échelle existent
et peuvent, dans certaines conditions, conduire à la consti-
tution de monopoles ; les entrepreneurs ont une rationalité
limitée et des objectifs qui ne sont pas nécessairement ceux
du bâtisseur d’empires 71, tandis que les entreprises sont des
organisations complexes, qui évoluent en fonction des
différentiels de stratégie et d’organisation 72, de coordination et
de motivation 73 et 74.
Marshall (1906) est un des premiers auteurs à avoir insis-
té sur les conséquences de l’hétérogénéité des talents entre-

71. Marshall ou Mill avaient très tôt mis l’accent sur la notion de capacité entrepre-
neuriale. Hayek le premier montre que l’absence d’entrepreneurs dans l’économie
néoclassique est intimement associée à l’hypothèse d’équilibre de marché. La
remise en question du modèle d’équilibre ouvre un espace de liberté qui réhabilite
la fonction entrepreneuriale. L’agent ne se contente plus d’exécuter un calcul, il doit
aussi juger, décider et imposer ses décisions. S’ouvre un large éventail de
comportements possibles.
72. La naissance de la théorie institutionnelle moderne date de 1937 (année de
parution du célèbre article de Coase, The Nature of the Firm, où il s’interroge sur
les raisons de l’existence de la firme en tant que forme organisationnelle, c’est-à-
dire sur les avantages de la « forme-entreprise » par rapport à ceux de la « forme-
marché »).
73. L’approche managériale, par exemple, part du divorce entre propriété et pouvoir au
sein d’une firme capitaliste moderne. Le manager, salarié de l’entreprise, n’a pas
nécessairement un intérêt personnel direct qui le pousserait à orienter la gestion de
l’entreprise vers la recherche du profit maximum.
74. L’approche par les routines, « règles » routinières (rules of thumb) qui peuvent
entraîner une certaine rigidité au regard des changements de l’environnement,
illustre le besoin de concilier l’ensemble des intérêts (Leibenstein).

84
2. LA COMPÉTITIVITÉ DES NATIONS ET DE LEURS ENTREPRISES

preneuriaux. Un entrepreneur plus efficace parvient à tirer


davantage d’outputs de la même quantité d’inputs et « l’hom-
me d’affaire talentueux voit généralement le capital qu’il diri-
ge croître à long terme proportionnellement à sa capacité ».
Le problème de la définition du talent se pose cependant.
Nous retenons deux approches.
– Le talent comme capacité à réduire l’inefficacité (Leibenstein) :
le degré d’X-inefficiency varie selon les différences de psy-
chologie des membres de la firme ou en relation avec la
firme, mais aussi selon les niveaux de pression, à la fois
externe et interne, sur ces membres. La fonction essentielle
de l’entrepreneur serait ainsi d’apporter une réponse créative
à l’X-inefficiency. Les entrepreneurs talentueux parviennent,
grâce à l’organisation et au contrôle de la main d’œuvre, à
accroître la production marginale d’un niveau d’emploi
donné par rapport à des firmes dirigées par un entrepreneur
ordinaire.
– Le talent comme capacité à créer des marchés et du profit
(Schumpeter): l’entrepreneur schumpétérien efficace perçoit
des opportunités de profit que l’incomplétude de l’information
dissimule au commun des entrepreneurs. Il innove en
conséquence et peut profiter d’une situation de monopole
pour développer son entreprise. E. Penrose inscrit ses analyses
dans la lignée de Schumpeter, en étudiant plus précisément
les ressorts de l’attitude entrepreneuriale « conquérante ».
Elle distingue deux types d’ambition : celle de l’entrepreneur
« orienté vers le produit » ou « orienté vers le travail bien
fait » qui peut être satisfait de maintenir une firme à une

85
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

taille relativement stable, et celle du « bâtisseur d’empire »,


orienté vers la domination de sa firme sur le secteur d’activité
concerné. Ce bâtisseur d'empire était déjà présent chez
Schumpeter, qui considérait que « les entrepreneurs talentueux
se font très rares et se distinguent non par leur vigilance ou
leur professionnalisme, mais plutôt par leur psychologie, qui
développe des facteurs de motivation comme le rêve et le
désir de fonder un royaume privé, la volonté nietzschéenne
de puissance, le désir de conquête et de supériorité, la joie de
créer, d’exercer son énergie et son ingéniosité ».
Plus récemment, M. Porter (1993) a étudié de manière
empirique les déterminants du succès d’une entreprise. Dans
la lignée de Schumpeter, il présente l’entrepreneur talentueux
comme celui qui sait innover, au sens large, qui sait prendre les
bonnes décisions dans son environnement et les mettre en
œuvre, grâce à sa capacité à planifier, contrôler, coordonner et
animer.
Au sein de l’industrie où elle évolue, deux éléments déter-
minent la stratégie de l’entreprise :
– la structure de cette industrie,
– le positionnement de l’entreprise.

La structure de l’industrie détermine l’intensité des cinq


forces qui forment le jeu concurrentiel 75 : (1) la menace de nouveaux
entrants, (2) la menace de produits de remplacement, (3) le
pouvoir de négociation des fournisseurs, (4) le pouvoir de
négociation des clients, (5) la rivalité entre les firmes du secteur.
Ces forces influent :

75. M. Porter, 1993, p. 37.

86
2. LA COMPÉTITIVITÉ DES NATIONS ET DE LEURS ENTREPRISES

- sur les prix praticables par les firmes ;


- sur les coûts qu’elles ont à supporter ;
- sur les investissements qu’elles ont à réaliser.

Ensuite, chaque entreprise doit se positionner au sein de


l’industrie, c’est-à-dire définir les grandes options à suivre par
rapport au marché. A long terme, le positionnement d’une
entreprise est viable si, et seulement si, elle possède un avantage
concurrentiel durable.
Cet avantage concurrentiel est obtenu en produisant avec
une productivité supérieure à celle des autres entreprises du
secteur. Cette productivité découle du fait qu’une nouvelle
manière, plus efficace, d’aborder une industrie a été décou-
verte et concrétisée : en bref, il y a eu un acte d’innovation 76.

76. Porter, 1993, p. 48.

87
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

L’entrepreneur doit, par ailleurs, bien choisir la largeur de


la cible visée au sein de l’industrie (champ concurrentiel),
l’étendue de la gamme de produits proposée, les circuits de
distribution utilisés, le type de clients auxquels il s’adresse, les
zones géographiques qu’il investit, la batterie d’industries appa-
rentées dans lesquelles il voudra être présent.
Ce croisement entre avantage concurrentiel et champ
concurrentiel définit sa stratégie de base.
– L’évolution d’un avantage concurrentiel dépend de la façon
dont une entreprise organise et mène ses différentes activités :
démarches auprès des clients, conceptions des méthodes et
des produits par le service de la recherche, recherche de
capitaux par le service financier, etc. Pour se procurer cet
avantage, l’entreprise doit soit proposer aux clients une
valeur comparable à la valeur proposée par la concurrence
mais être plus efficace dans la production (coût), soit élaborer
des types d’activités uniques en leur genre, qui génèrent une
plus grande valeur finale et autorisent des prix de vente élevés
(différenciation). Cet avantage concurrentiel repose donc
fondamentalement sur l’amélioration, l’innovation et le
changement.

88
2. LA COMPÉTITIVITÉ DES NATIONS ET DE LEURS ENTREPRISES

Le terme « innovation » fait référence non seulement à de la


technologie mais aussi à des méthodes, des pratiques et des
procédures, même les plus banales.
– L’avantage concurrentiel implique l’ensemble de la chaîne
de valeur 77, qu’il importe d’optimiser et de gérer comme un
système.
La chaîne de valeur d’une firme, à la base de sa compétitivité
dans une industrie donnée, s’inscrit dans un système de
valeur, ensemble des activités concourant à la création et à
l’usage du produit, qui comprend les fournisseurs, les circuits
de distribution et les différents clients.
Selon l’industrie concernée, l’importance relative des diffé-
rentes activités varie. M. Porter donne l’exemple du secteur
des presses d’imprimerie, pour lequel le développement

77. Porter, 1993, p. 44.

89
Quelques conclusions de cette revue de littérature
1. L’ouverture des frontières est aujourd’hui incontournable.
2. L’ouverture stimule (catalyse) l’industrialisation et la croissance.
3. Toutefois, l’ouverture peut aller à l’encontre de l’objectif d’indus-
trialisation si elle est mal préparée. Loin d’induire un rattrapage
systématique, elle peut contribuer à creuser les écarts entre Nord et
Sud.
4. Parce que les risques d’échecs sont importants, il convient de
préparer au mieux l’ouverture, de rassembler les ingrédients d’un
processus réussi : cadre institutionnel, infrastructures, systèmes
financiers, formation professionnelle, etc.
5. L’industrialisation est au coeur du processus de croissance et de
développement. Sur elle ont reposé les grandes réussites de
croissance par les exportations.
6. Plusieurs stratégies d’industrialisation sont envisageables, plus ou
moins adaptées aux contextes des PED.
7. L’approche « déséquilibrée » sectorielle, qui consiste à « miser » sur
quelques secteurs prioritaires susceptibles de « tirer » le développe-
ment de secteurs qui leur sont liés, serait probablement adaptée à
un contexte en développement où les ressources, limitées, méritent
d’être concentrées (même si elle n’a pas toujours donné les résul-
tats escomptés, dans les pays où elle a été appliquée). La théorie
des pôles de croissance, avec regroupement géographique, est
potentiellement très intéressante dans un PED. Elle rejoint l’analy-
se des grappes industrielles.
8. Dans un marché concurrentiel, les entreprises ont intérêt à adopter
des stratégies concurrentielles qui leur permettent de s’assurer un

90
avantage compétitif durable dans leur domaine d’activité (stratégie
de domination par les coûts (bas/moyen de gamme) ou stratégie
de différenciation (haut de gamme).
9. L’Etat joue un rôle primordial dans le soutien de l’industrialisation
et dans le renforcement de la compétitivité d’une nation.
10. La densification du tissu d’entreprises est un préalable à toute
tentative d’amélioration de sa compétitivité.
11. Dans la vision de M. Porter, l’Etat intervient essentiellement sur
l’environnement. Toutefois, dans un pays en développement, une
vraie politique industrielle peut se justifier, englobant à la fois une
intervention sur l’environnement des affaires, indispensable pour
promouvoir le développement du tissu d’entreprises et améliorer
sa compétitivité et une intervention directe auprès de l’entreprise
(de préférence ciblée dans des secteurs peu nombreux mais bien
identifiés), pour l’aider à surmonter l’importance des goulets
d’étranglement et les nombreuses imperfections de marché, en par-
ticulier dans l’accès très difficile aux capitaux et à l’information.
Cette aide peut prendre la forme de primes ou subventions, de
prêts, de formation, d’accompagnement du chef d’entreprise, etc.
12. Une question importante en découle : quelles entreprises aider en
priorité ? Il ressort de la littérature quelques éléments de
réponses : il est important (1) d’identifier des secteurs et des
créneaux porteurs ; (2) de favoriser la constitution de grappes
pour obtenir des effets d’entraînement ; (3) d’aider des entrepre-
neurs talentueux (ou potentiellement talentueux) à identifier les
stratégies adéquates pour améliorer ou du moins conserver leurs
avantages concurrentiels.

91
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

technologique, l’assemblage (au sein de la production) et le


service après-vente sont essentiels.
Un diagnostic stratégique permet à l’entreprise de comparer
sa chaîne de valeur à celle de ses principaux concurrents, de
manière à détecter ses faiblesses et ses points forts.
– Enfin, l’avantage concurrentiel ne perdure que s’il y a une
volonté indéfectible de l’améliorer ; pour le préserver, il faut
enrichir les sources de compétitivité, à n’importe quel
maillon de la chaîne de valeurs. Pour ce faire, l’entreprise
doit mettre en place une stratégie globale, en exploitant les
avantages procurés par le pays et le secteur.

92
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

3. Des programmes
de mise à niveau
pour accompagner
l’ouverture
3.1. Qu’est-ce qu’un programme de mise à niveau ?

Le concept de «mise à niveau » du tissu industriel est


récent. Au delà des ressemblances avec les « anciens » pro-
grammes d’industrialisation qui se sont succédé depuis les
indépendances, l’objectif d’un programme de mise à niveau
(PMN) répond aujourd'hui avant tout à l’impératif d’amélio-
ration de la compétitivité : il ne s’agit plus d’industrialiser (le
processus d’industrialisation étant bien avancé dans les premiers
pays qui ont bénéficié de ces programmes) mais de moderniser
les entreprises et l’environnement économique dans un
contexte de globalisation. Directement inspiré par l’expérience
portugaise, il recouvre différents objectifs et modalités orientés
vers l’amélioration de la compétitivité du tissu industriel et de
l’environnement des affaires. A partir des enseignements tirés
de l’expérience portugaise (années 80), l’ONUDI s’est attachée
à conceptualiser et à faire connaître la « mise à niveau », dans
le cadre de réflexions plus générales sur la relance de la

93
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

compétitivité des entreprises et de leur environnement. A


l’ONUDI, les programmes de « mise à niveau » ou « de
modernisation » sont conçus comme des sous-ensembles de
programmes plus globaux appelés programmes intégrés
(« integrated programs »). Ces programmes présentent des
traits communs mais aussi, selon les contextes, de nom-
breuses spécificités. Des programmes de mise à niveau ou de
modernisation de l’industrie ont déjà été mis en oeuvre, avec
l'appui de l'ONUDI et différents bailleurs, en Europe de l’Est
(Pologne, Roumanie), au Kazakhstan, en Amérique Latine
(Colombie, Argentine), au Sri Lanka, au Maghreb, et au
Proche-Orient.
Adapté avec succès au contexte tunisien à partir de 1995,
ce type de programme est actuellement présenté comme une
réponse au déficit de compétitivité des pays du sud, à la veille
de l’ouverture des frontières. Des tentatives de transposition
de ces programmes sont ainsi en cours dans des économies
très peu industrialisées.
Un programme de mise à niveau, conçu dans un contexte
national et sectoriel spécifique, doit faire écho à ses spécificités.
Son contenu précis découle (ou devrait découler) du contexte
de mise en œuvre. Les différents programmes se caractérisent
cependant par un soubassement théorique commun, largement
inspiré des analyses de M. Porter.
Définition : De manière très synthétique, un programme
de mise à niveau est un processus continu qui vise à préparer
et à adapter l’entreprise et son environnement aux exigences du
libre-échange : (i) en aidant à lever certaines contraintes qui

94
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

altèrent le climat des affaires (institutions, réglementation, etc.) ;


(ii) en aidant les entreprises à devenir compétitives en termes
de prix, qualité, innovation et à être capables de suivre et de
maîtriser l’évolution des techniques et des marchés 78.
Un programme de mise à niveau vise à atteindre des
objectifs précis, que l’ONUDI présente de la manière suivante :
– moderniser l’environnement industriel ;
– renforcer les structures d’appui ;
– promouvoir le développement des industries compétitives ;
– améliorer la compétitivité et le développement de l’entreprise
industrielle.
Il convient de préciser que les programmes de mise à
niveau sont de plus en plus conçus pour le secteur productif
dans son ensemble, intégrant à la fois l’industrie et les services.
La modernisation de l’environnement des affaires, de
même que la mise en cohérence des structures d’appui est un
préalable indispensable.
L’objectif de promotion du développement d’industries
compétitives répond à l’analyse théorique des grappes indus-
trielles, fondée sur un avantage national. Cet avantage national
découle de l’analyse des caractéristiques du losange, et de la
manière dont un pays souhaite le faire évoluer (quels facteurs
de production sont compétitifs ? quels handicaps ? quelle
demande domestique ? quels canaux de distribution ? quelles
pratiques managériales ? quels talents ? etc.).
Des études sont menées sur chaque filière productive pour

78. ONUDI Guide méthodologique : Restructuration, mise à niveau et compétitivité


industrielle, 2002.

95
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

identifier les filières les plus compétitives dans un contexte


d’ouverture croissante.
En théorie, une fois qu’un avantage concurrentiel national
a été identifié dans un secteur industriel donné, il convient
d’en soutenir le développement, en aidant à la mise à niveau
des entreprises du secteur, à la création d’entreprises amont
ou apparentées, au renforcement de liaisons interfirmes.
La mise à niveau des firmes potentiellement compétitives
débute par un diagnostic global, mené dans chaque entreprise
(le diagnostic stratégique global est présenté en annexe 3), de
manière à ce qu’elle renforce ou acquière un avantage concur-
rentiel durable dans son secteur, eu égard au jeu concurrentiel.
Il se décompose en 5 sous-diagnostics : (1) diagnostic de
l’environnement ; (2) analyse des produits-marchés et du posi-
tionnement stratégique ; (3) diagnostic financier ; (4) dia-
gnostic des compétences techniques ; (5) diagnostic des com-
pétences managériales.
Ce diagnostic doit permettre au chef d’entreprise de
répondre aux questions suivantes :
– Comment va évoluer son marché en termes de taille, de
croissance, de comportement d’achat de ses clients, de prix ?
– Quelles sont les conséquences de l’ouverture sur son
secteur d’activité, sur ses technologies, sur ses clients ?
– Quelles sont les exigences du marché en matière de qualité,
de normes de production, d’emballages, d’étiquetage, etc. ?
– Quelle stratégie adopter face au jeu concurrentiel ?
• identification du positionnement sur un marché et sur un
segment de marché.

96
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

• différenciation par le coût des produits : contrôle des


achats, refonte du pilotage de la production (standardisation
de la production, automatisation, sous-traitance, etc.) et
processus qualité.
• différenciation par le coût du service :rapprocher la pro-
duction, la recherche et le service technico-commercial
du service d’achat, marketing, ventes ; et investir dans la
communication.
• différenciation par les produits :investir dans la production
flexible, anticiper les fluctuations des recettes, le besoin en
main d’œuvre qualifiée, etc.
• différenciation par le service : assurer la flexibilité maximum
des processus de production, être à l’écoute du client.
• différenciation par l’innovation : importance de la RD,
écoute du client, créativité du personnel. Dans les PED,
elle est souvent hors de portée des entreprises. En
revanche, elles mettent parfois en place une veille techno-
logique et commerciale, et négocient éventuellement des
partenariats technologiques avec des entreprises du nord.
• différenciation par le marketing : comment développer
une politique de communication efficiente et asseoir une
notoriété nationale et internationale ?
– Quels sont les changements internes à introduire dans l’en-
treprise pour conserver ou augmentre sa part de marché ?
• amélioration des méthodes, pratiques de gestion et compé-
tences au niveau des activités principales (logistique interne,
production, logistique externe, commercialisation, service
aux clients) et de soutien (approvisionnements, dévelop-

97
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

pement technologique, gestion des ressources humaines,


organisation) ?
• recentrage des activités et redimensionnement de l’entreprise
autour du métier de base de manière à favoriser la création
d’une image personnalisée ?
• partenariat, alliance, fusions ?
• flexibilité des moyens humains et matériels, pour répondre
à une demande de plus en plus homogène et personnalisée,
et pour disposer d’une capacité à réagir à temps ?

Ainsi, l’entreprise adhérant au programme cherche à


améliorer sa productivité dans le secteur « grâce à un acte
d’innovation », non seulement technologique mais aussi dans
le domaine des méthodes, des pratiques et des procédures :
redéfinition de sa stratégie de base dans le secteur, moderni-
sation de ses méthodes de gestion, de production, de
commercialisation, etc.
De l’expérience portugaise ont pu être tirés certains ensei-
gnements. L’ouverture aura permis le décollage économique
du Portugal. Mais, ce succès repose avant tout sur quelques
éléments déterminants : un événement déclencheur du pro-
cessus, une volonté politique forte d’accompagner l’ouverture,
une action intégrée et cohérente, l’accent mis dès le départ sur
les PME, un contexte international favorable, un soutien
financier extérieur, un programme de mise à niveau qui aura
évolué en fonction de l’avancée du processus.
Une description du PEDIP portugais est présentée en
annexe.

98
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

Au plan institutionnel, un programme national de mise à


niveau doit s’inscrire dans une stratégie nationale. Il fonction-
ne grâce à un organe assurant le relais entre les principaux
acteurs économiques concernés (Etat, entreprises, associa-
tions professionnelles, organisations patronales et syndicales,
bailleurs de fonds internationaux etc). Il requiert un finance-
ment important, d’où dans certains contextes, l’appui des
bailleurs de fonds à l’Etat. Un programme de mise à niveau
doit par ailleurs être soumis à des évaluations ponctuelles afin
de mesurer son avancement et d’envisager, en fonction des
résultats, des améliorations.

3.2. Le programme tunisien : un programme processus


approprié

3.2.1. Contexte de l’économie tunisienne à la veille du PMN


A l’instar d’autres nations nouvellement indépendantes, la
Tunisie a très tôt opté pour la stratégie des « industries indus-
trialisantes », misant sur les effets d’entraînement directs et
indirects à partir de certaines branches motrices (pôles de
développement, évoqués dans la partie précédente).
Parallèlement, ce pays a initié un développement auto-
centré, très « dirigé », qui, malgré certaines réussites, conduit
progressivement la Tunisie à l’étranglement financier. Les
orientations industrielles des années 70, qui tendent à
promouvoir l’investissement privé tourné vers les activités
exportatrices, seront insuffisantes pour inverser la tendance.
Comme dans les pays voisins, la sous-utilisation des capacités

99
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

de production (marché étroit), le système de fixation des prix


et les formes de protection érigées par l’Etat ainsi que
l’ensemble des effets pervers rassemblés sous le terme de
« syndrome hollandais » se sont cumulés pour engendrer une
industrie très peu compétitive et un modèle de développement
socioéconomique qui s’est « asphyxié » dans les années 80.
Depuis 1986, l’économie tunisienne s’est engagée dans
une nouvelle stratégie de développement axée sur la libérali-
sation et l’ouverture progressive de l’économie, pour stimuler
la concurrence et tirer partie d’une meilleure allocation des
facteurs et des ressources. Ce processus de libéralisation et
d’ouverture a été initialement marqué par une nouvelle donne
politique et un programme d’ajustement structurel. Il s’est
caractérisé par une forte souveraineté de l’Etat, qui a gardé la
main sur la politique économique, définissant le rythme et le
contenu des réformes, sans jamais laisser le marché prendre
plus de place qu’il ne le jugeait souhaitable. En ce sens, on
peut parler d’un « processus de changement maîtrisé locale-
ment par l’Etat » 79. Les objectifs économiques et sociaux du
nouveau gouvernement (stabilisation macro-économique,
redressement de l’économie, relance de la croissance, reprise
de l’investissement, création d’emplois), 80 ont été prioritai-
rement planifiés, dans un souci de conciliation du retour aux
équilibres macroéconomiques et de la préservation de la paix
sociale.
Deux moments-clés marquent ce processus : l’adhésion au
GATT (devenu ensuite OMC) en 1990, et la signature en

79. Philippe Béraud : La mise à niveau d’une économie en transition, Les cahiers de
l’Orient.

100
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

juillet 1995 de l’accord d’association avec l’Union Européenne,


concrétisant l’ouverture de l’économie. L’accord d’association
est d’abord un accord de partenariat et de co-développement,
dont la composante principale est l’instauration progressive
d’une zone de libre échange pour les produits industriels
(démantèlement tarifaire avec l’UE entre 1996 et 2008) 81. Il
est, à première vue, défavorable pour la Tunisie, puisque asy-
métrique. Le démantèlement va en effet ouvrir le marché
tunisien à la concurrence étrangère (70 % des importations
tunisiennes proviennent de l’Union Européenne), sans que,
pour autant, les exportations tunisiennes bénéficient d’un régi-
me plus favorable. En réalité, l’accord est perçu comme une
opportunité de rattrapage des économies plus performantes
et ses effets attendus sur la modernisation de l’économie sont
très valorisés.
A côté de réussites indéniables, en particulier dans le
domaine de la stabilisation économique (sauvegarde des
équilibres financiers, contrôle de l’inflation, amélioration du
taux d’endettement), de la croissance et de l’amélioration
des conditions de vie des ménages (notamment grâce au
développement d’infrastructures socio-économiques), des
inquiétudes demeurent. Les questions relatives à la compéti-

80. Rapport de coopération au développement, 1990, Programme des Nations Unies


pour le Développement, Tunisie, p.17.
81. Le démantèlement tarifaire sur les importations en provenance de l’Union Euro-
péenne est aujourd’hui (i) achevé pour les biens figurant sur les listes 1 et 2 de l’ac-
cord d’association (matières premières, équipements et produits finis non fabriqués
localement), (ii) réalisé à 56% sur les produits de la liste 3 (produits fabriqués loca-
lement susceptibles de supporter la concurrence étrangère) et (iii) réalisé à 24% sur
les produits figurant sur la liste 4 (produits fabriqués localement et jugés à la date
de la signature de l’accord comme ne pouvant pas supporter la concurrence exté-
rieure), voir compte-rendu de V.Caupin, …

101
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

tivité du tissu productif, notamment, recouvrent des enjeux


cruciaux pour l’évolution à moyen terme de la Tunisie.
Si l’on s’arrête sur la composition de l’appareil productif, le
secteur des industries manufacturières 82 joue un rôle majeur
dans l’économie tunisienne. La valeur de la production des
industries manufacturières a atteint, en 2000, 19,8 milliards
de dinars contre 9,3 milliards de dinars en 1992 ; soit un taux
de croissance annuel moyen de 10 %. Les investissements ont
évolué de 515 millions de dinars en 1992 à 928 millions de
dinars en 2000. La valeur des exportations des industries
manufacturières est passée de 3 milliards de dinars en 1992
à 7 milliards de dinars en 2000, accusant ainsi un taux de
croissance annuel moyen de 11,2 % 83.
Le système off shore a été un élément essentiel dans
l’émergence d’un secteur industriel exportateur performant,
initialement centré autour de l’industrie textile.
Certaines branches ont accumulé un grand nombre de
compétences et maîtrisent des techniques de production et de
marketing modernes. C’est le cas dans les industries de trans-
formation de phosphates et des matériaux de construction.
C’est également le cas pour des dizaines d’entreprises dans les
secteurs textile, agroalimentaire, électrique ou mécanique.
Parallèlement, des faiblesses structurelles et organisa-
tionnelles freinent toujours l’émergence d’entreprises compé-
titives au niveau international et des pans de l’économie
restent très peu compétitifs :

82. IAA, industries des matériaux de construction, industries mécaniques et


électriques, industries chimiques et de caoutchouc, industries de textiles et de cuir,
industries diverses.
83. http://www.tunisieindustrie.nat.tn/index.htm

102
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

– les spécialisations de l’économie tunisienne reposent encore


fortement sur des activités primaires avec des avantages
naturels parfois fragiles, comme dans l’agriculture et les
industries extractives, ou sur des activités de transformation
très concurrencées, qui pourraient se voir menacées par la
« déprotection » à venir (textile, agroalimentaire) ;
– le processus d’industrialisation s’est accompli à l’abri de
barrières douanières, sur un marché étroit. Le tissu industriel
compte, en conséquence, de nombreuses PME aux capacités
de production limitées (les PME représentent 96 % des
entreprises manufacturières), de grands groupes familiaux aux
activités trop diversifiées, des entreprises tournées vers l’ex-
portation dans des secteurs « risqués » (textile ou tourisme).
– la densité de la population d’entreprises reste relativement
faible, traduisant notamment l’insuffisance de services aux
entreprises. En outre, les relations de complémentarité
entre acteurs du système de production sont très faibles («
la mentalité du tunisien, sa culture individualiste, sa méfiance de
l’autre et la rigidité de la législation fiscale et commerciale expli-
quent en partie ce comportement », écrit M.Dhaoui 84).
– le climat des affaires se caractérise par d’importantes
lacunes (administration trop contraignante ; marché financier
peu dynamique ; cadre institutionnel perfectible, etc.) qui
expliquent le faible volume d’IDE.
Selon les premières analyses (très sommaires et peu
documentées) menées sur les conséquences de l’ouverture de
l’économie et de la création de la zone de libre-échange, il
apparaît qu’environ 30 % des entreprises industrielles

103
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

devraient disparaître (soit 120000 emplois) et que 30 % sont


menacées si elles ne s’adaptent pas aux nouvelles contraintes.
L’économie tunisienne, pour réussir sa transition vers la
modernité, doit parvenir à (i) inciter et aider les PME à se
tourner vers le marché international (avec les exigences de
développement des capacités de production et d’amélioration
de la qualité que cela implique) ; (ii) soutenir la création d’en-
treprises pour densifier le tissu industriel ; (iii) accompagner
le repositionnement stratégique des groupes ; (iv) construire
des avantages comparatifs à long terme (segments bien iden-
tifiés du secteur textile comme le réassortiment, les télécoms,
la santé, l’électromécanique, etc.) ; (v) améliorer l’environ-
nement des affaires : dynamisation des marchés financiers
et de l’administration, transparence du cadre juridique et
réglementaire, fourniture d’infrastructures adéquates, etc.
D’où l’intérêt majeur porté au Programme de Mise à
Niveau de l’industrie, et aux programmes de modernisation
qui l’accompagnent (comme celui de Mise à Niveau de la
Formation Professionnelle).

3.2.2. Présentation du programme tunisien

Description du programme tunisien


Dès la signature des accords de Barcelone, l’Etat tunisien
a choisi d’accompagner le processus d’ouverture de l’économie,
faisant de la mise à niveau des entreprises un objectif prioritaire
de sa politique économique.

84. M.Dhaoui Mise à niveau et compétitivité de l’entreprise industrielle en Tunisie,


Édition Arabesques, 1996.

104
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

L’appropriation du programme de mise à niveau par


les autorités a été très forte. Concrètement, cet intérêt de la
Présidence pour le programme s’est traduit par la mise au
point rapide de ses différentes composantes, inspirées du
PEDIP, mais adaptées au contexte tunisien, par une cam-
pagne de presse très importante et par la mise à disposition de
fonds et une implication personnelle du Président, qui suivait
mensuellement les avancées du programme.
Largement soutenu par la coopération italienne lors de son
lancement, le programme a également bénéficié de l’appui de
l’ONUDI dans la phase pilote. L’ONUDI s’est ensuite chargée
de « formaliser » le programme et de le faire connaître.
S’appuyant sur le modèle portugais, le programme tunisien
vise à élever la compétitivité de l’industrie tunisienne au
niveau de la concurrence internationale, notamment grâce à
l’exploitation d’avantages compétitifs, à l’acquisition de com-
pétences distinctives, à un repositionnement industriel, à la
promotion des ressources humaines et l’assainissement des
situations financières (cette dernière composante ayant été
ajoutée plus tardivement). Il s’agit non seulement de
renforcer la capacité à résister des entreprises tunisiennes à la
concurrence à venir, mais également de les mettre aux normes
de l’économie mondiale. C’est un programme qui s’inscrit
dans une mise à niveau globale de l’entreprise et de son envi-
ronnement (transport, infrastructures, coûts des facteurs,
système financier, institutions, administration, formation).
Ainsi, ce programme s’inscrit dans une vision politique
d’ensemble. Il s’agit de profiter des échéances régionales ou

105
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

internationales pour favoriser la mutation globale de l’éco-


nomie tunisienne et l’émergence de nouveaux secteurs de
croissance. Ce programme est présenté comme « stratégique »
pour l’évolution de l’économie tunisienne.

Eligibilité

Sont éligibles les entreprises industrielles, quel que soit leur


secteur d'activité, disposant d’un potentiel de croissance, en
activité depuis deux ans, et qui ne sont pas en situation de dif-
ficulté économique. Elles relèvent des secteurs industriels ou
des secteurs de services liés à l’entreprise 85. Le choix a été fait
de sélectionner sur un critère de capacité de gestion et de
« vision stratégique » de l’entrepreneur plutôt que sur celui de
l’appartenance sectorielle. Dans le contexte tunisien, comme
au Portugal, ce choix se défend. En effet, il a le mérite de
mobiliser très largement les acteurs économiques. Ensuite, le
tissu industriel tunisien, au lancement du programme de mise
à niveau, est relativement diversifié, constitué de nombreuses
PME souvent insuffisamment compétitives mais potentiel-
lement dynamiques. Par ailleurs, la Tunisie promeut une poli-
tique industrielle qui définit clairement les priorités d’inter-
vention. Le programme de mise à niveau, qui s’inscrit dans ce
cadre, applique en conséquence les orientations générales de
cette politique industrielle, favorable à certains secteurs plus
qu’à d’autres.

85. Toutes les activités industrielles telles que définies par le code d’incitation aux
investissements et les activités de services liées à l’entreprise (services informa-
tiques, services d’études, de conseil, d’expertise et d’assistance, formation
professionnelle, montage d’usines, contrôle technique et maintenance industrielle,
et autres services).

106
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

Une logique de ciblage des firmes les plus dynamiques se


conçoit, dans la mesure où leur mise à niveau (i) devrait « se
diffuser » en amont et en aval des firmes qui en ont bénéficié
et donc concerner une grande partie du tissu industriel à
terme ; (ii) ne serait pas freinée par un contexte « bloquant ».

Composantes

Le programme définit une stratégie de mise à niveau de l’in-


dustrie : évaluation des besoins industriels, technologiques,
financiers, commerciaux des entreprises ; amélioration de la
compétitivité par le renforcement des compétences
humaines, par la maîtrise de la qualité, l’acquisition de nou-
velles technologies, le renforcement de la structure financière
de l’entreprise… A ce dernier titre, des restructu-rations
financières sont engagées, de manière à permettre aux entre-
prises de trouver les sources de financement nécessaires
(apport principal de l’AFD dans l’architecture du PMN, qui
n’avait pas prévu au lancement d’outil pour accompagner les
restructurations financières).
…alors que, parallèlement, sont initiés des réformes dans le
domaine de l’environnement économique, financier,
réglementaire et social (redéfinition et refonte du rôle de
l’administration ; renforcement des structures d’appui, notam-
ment techniques ; renforcement des moyens et des structures
de formation professionnelle ; rénovation des zones indus-
trielles existantes et création de zones franches ; dynamisation
des marchés financiers ; dynamisation du marché de l’informa-
tion économique, commerciale et technique).

107
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

Coordination et fonctionnement

Le programme est coordonné par deux organes de gestion : le


bureau de mise à niveau et le comité de pilotage.
Le bureau de mise à niveau, qui est, dans les faits, le secré-
tariat du comité de pilotage,
– Définit et met en oeuvre la politique du gouvernement sur
la mise à niveau industrielle ;
– Procède à l’élaboration, à l’exécution et au suivi des PMN ;
– Procède aux études nécessaires pour l’amélioration des PMN ;
– Négocie les programmes de financement aux niveaux bilatéral,
multilatéral et régional relatifs aux domaines d’amélioration
de compétitivité industrielle ;
– Assure la programmation des sources intérieures et extérieures
de financement allouées aux divers programmes de restruc-
turation et de mise à niveau.
Le comité de pilotage (COPIL) est composé de 16 repré-
sentants (5 du secteur privé, 5 du secteur financier, 5 de
l’administration et 1 syndicat). Présidé par le Ministre de
l’Industrie, il rassemble les représentants de l’industrie, des
finances, de la coopération internationale et de l’investis-
sement extérieur, de l’emploi, de la formation professionnelle,
du commerce, des institutions financières, des représentants
du patronat et du syndicat. Il a pour rôle d’examiner les
programmes des entreprises industrielles désireuses de béné-
ficier du programme de mise à niveau et d’octroyer des primes
à la restructuration.
Enfin, le secrétariat d’Etat auprès du Ministre de l’industrie
est chargé du suivi du programme.

108
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

Etapes du programme

L'entreprise commande un diagnostic stratégique global (qui


sera pris en charge à 70 %) au centre technique, à un bureau
d’étude ou à des consultants privés de son choix, ce qui suppose
l'existence d'un tissu de consultants compétents 86. La qualité
et la crédibilité du diagnostic dépendent du choix de l’inter-
venant. Ce diagnostic, développé précédemment, consiste à :
– replacer l’activité de l’entreprise dans le contexte international
et les mutations en cours ;
– analyser les forces et les faiblesses de l’entreprises (com-
merciales, financières, techniques, humaines, de gestion) ;
– identifier les enjeux (commerciaux, technologiques,
comptables, financiers, en terme de gestion des ressources
humaines).
Ce diagnostic donne les orientations « stratégiques » à adopter
pour améliorer la productivité de l’entreprise et tenter de
mettre en place les conditions de sa survie et de son dévelop-
pement.
L'entrepreneur se rapproche du système bancaire, afin de
« monter » un dossier de financement, qui sera ensuite, après
approbation du financement des actions, présenté au bureau
de mise à niveau, constitué d’une demande de mise à niveau,
d’une fiche projet, du diagnostic et du plan de mise à niveau.
Le système bancaire joue un rôle très important dans le
processus de mise à niveau : la banque contactée pour contri-

86. Un aspect positif pour l’économie tunisienne concerne la création d’un milieu de la
consultance : il n’y avait que 5 à 6 cabinets en 1995, et l’ONUDI a réalisé de nombreux
diagnostics stratégiques dans la phase pilote (108 premières entreprises).

109
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

buer au plan de mise à niveau de l’entreprise peut accepter ou


rejeter ce plan et orienter les décisions à prendre. Les banques
se rapprochent éventuellement des bailleurs pour que ces
derniers prennent en charge des restructurations financières.
Le comité de pilotage décidera in fine de la participation ou
non de l’entreprise au programme. Dans tous les cas, le coût
du diagnostic sera financé à hauteur de 70 % du montant
après l’acceptation du rapport de diagnostic par le Copil.
Les primes de financement du plan d’action ne sont accordées
qu’après signature par le chef d’entreprise et le Ministre de
l’Industrie d’une convention qui engage l’entreprise à exécuter
son plan de mise à niveau.
Le déblocage du montant des primes est effectué au fur et à
mesure de l’exécution du programme de MAN.

Coût et financements

Le coût total du programme pourrait atteindre 2,5 milliards


de dinars entre 1996 et 2006.
Sur la période 1996-2004, l’investissement total généré est
prévu à 6 milliards de dinars, dont 40 % pour la mise à niveau
de l’environnement et 60 % pour les entreprises.
Ce montant est financé par :
– le Fonds de développement de la compétitivité (FODEC) ;
– les subventions de l’Union européenne (entreprises, API,
Centres techniques), dans le cadre du programme MEDA,
jusque-là très marginales. L’UE finance également Euro
Tunisie Entreprise. Elle n’est pas parvenue à imposer au
PMN cette structure, dans ses objectifs et modes de fonc-

110
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

FONCTIONNEMENT DU PROGRAMME DE MISE À NIVEAU TUNISIEN

111
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

tionnement initialement envisagés. Un accord n’a été trou-


vé avec la Tunisie qu’en 1999. Depuis cette date, ETE est
entièrement intégré à l’architecture du programme, impli-
qué dans la réalisation de diagnostics « filières » et de dia-
gnostics stratégiques.
– les lignes de crédit de la France pour la mise à niveau des
entreprises : l’AFD, par exemple, octroie des crédits de
restructuration financière (trois concours en 1997, 1999 et
2001 pour 65 millions d’euros) ;
– les prêts des organisations internationales (Banque Mondiale,
pour la mise à niveau des centres techniques notamment) ;
– les banques tunisiennes (crédits pour la mise à niveau des
entreprises, formation de personnel), les sociétés d’investis-
sement et la bourse ;
– les entreprises.
Le FODEC a été créé et mis en place en 1995. Ce fonds est
alimenté par une taxe parafiscale de 1 % sur les ventes et
importations des produits industriels.
Le Fonds explique en partie le rythme d’avancement du
programme, car il lui donne une autonomie financière
considérable.
– Il contribue au financement des actions relatives à l’amélio-
ration de la qualité ;
– Il contribue au financement des opérations de restructuration ;
– Il finance les études sectorielles stratégiques ;
– Il accorde des subventions aux centres techniques industriels ;
– Il finance toute autre action visant à développer la compéti-
tivité industrielle.

112
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

En 1999 et 2000, les missions du FODEC ont été élargies. Il


contribue désormais :
– Au financement des investissements technologiques à
caractère prioritaire ;
– A la prise en charge du recrutement des cadres par la petite
et moyenne entreprise dans les fonctions stratégiques,
recherche, innovations, qualité et méthode.
Les primes que peut octroyer le FODEC concernent :
– Pour les investissements immatériels : 70 % du coût de l’étude
de diagnostic approuvé par le Comité de Pilotage (COPIL),
avec un plafond de prime ne dépassant pas 30 000 dinars ;
et 70 % du coût des autres investissements immatériels.
– Pour les investissements matériels : 20 % de la part de
l’investissement éligible financé par des fonds propres et
10 % de l’investissement financé par des crédits.
– Pour les investissements technologiques à caractère prioritaire :
50 % du coût des équipements (plafond de 100 000 dinars)
et 70 % du coût des investissements immatériels (plafond de
70 000 dinars).
– Pour l’incitation au recrutement des cadres par les PME
(nouveauté) : prime s’élevant au plus à 7 000 dinars par an
pendant deux ans pour chaque recrutement effectif (maximum
3 recrutements).

Prolongements

Le programme s’inscrit dans une logique de processus et prévoit


des évolutions sur la base de leçons tirées de l’expérience. Il est
actuellement en phase d’évolution, élargissant la cible et redéfi-

113
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

nissant des modalités d’intervention en vigueur jusque-là.


– Ce programme n’a pas été conçu, initialement, pour les
PME. Or, au fur et à mesure que les adhésions se font plus
nombreuses, la cible est élargie aux PME (les trois quarts
des investissements approuvés en 2002 sont inférieurs à
1 million de dinars). Les actions des centres techniques et
de l’API sont davantage orientées vers l’appui aux PME,
avec la réalisation de diagnostics et des plans de mise à
niveau collectifs ; les exigences au niveau des diagnostics et
des plans sont allégées ; on insiste sur un suivi plus rapproché
et un accompagnement de la mise à niveau (« coaching »).
– Il existe également, désormais, un guichet pour les entre-
prises en difficulté.
– Par ailleurs, pour remédier à certains dysfonctionnements,
des améliorations devraient intervenir, notamment sur les
délais de versement de la prime et le soutien aux entrepre-
neurs qui en ont besoin.

Résultats du programme
A l’heure d’aujourd'hui, le programme tunisien est perçu
comme un succès : le projet prévoyait 2000 entreprises adhé-
rentes fin 2001, et 1600 entreprises supplémentaires entre
2001 et 2005. Sur 5300 entreprises de plus de 10 emplois,
on compte 2429 adhésions en janvier 2003 et 1373 dossiers
approuvés, dont 40% dans le seul secteur du textile-
habillement.
Globalement, plus de 2,3 milliards de dinars d’investisse-
ment ont été approuvés, dont 61 % ont été financés sur fonds

114
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

propres. Les investissements immatériels restent très infé-


rieurs aux investissements matériels (environ 10 % du total
pour les premiers contre 90 % pour les derniers). Le FODEC
a approuvé, entre 1996 et janvier 2003, 334 millions de dinars
de prime, dont 100 millions de dinars ont été déboursées, ce
qui peut paraître somme toute modéré 88.

Des enquêtes de suivi sont régulièrement réalisées par le


bureau de mise à niveau afin de mettre en évidence les insuf-
fisances du programme et de le réorienter.
– Une enquête quantitative auprès de 590 entreprises ayant
joint le PMN en 1996-1999 montre que le taux de réalisation
global 89 s’établit à 68 %. Seulement 5 % des entreprises
interrogées ont un taux de réalisation inférieur à 10 %, alors
que 11 % des entreprises ont réalisé entièrement ou dépassé
les investissements prévus. Le génie civil et les équipements
informatiques sont réalisés en priorité ; suivent les équipe-
ments de production et le reste du matériel.
– Une enquête qualitative auprès de 80 entreprises semble
indiquer que le PMN stimule l’activité et vitalise l’emploi.
La croissance moyenne du chiffre d’affaires entre 1997 et
2000 est de 65 %, alors que l’évolution globale du chiffre
d’affaires du secteur productif sur la même période a été de
35 %. Le chiffre d’affaires à l’exportation a évolué globalement
de 65 % pendant les mêmes 3 années, 11 % des entreprises
exportant en 2000 n’étant pas exportatrices en 1997. 43 %

88. V. Caupin : Le Partenariat Euroméditerranéen huit ans après Barcelone : état des
lieux et premiers impacts macro-économiques sur le Maroc et la Tunisie, AFD, 2003

115
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

des entreprises interrogées ont une moyenne d’évolution du


chiffre d’affaires à l’exportation de 300 % entre 1997 et
2000. La moyenne d’évolution de l’emploi est de 31 % pour
les 3 années, avec une nette amélioration de l’encadrement
(surtout dans les fonctions marketing, RD, qualité et
méthode). L’emploi a globalement évolué de 16 % pour la
même période.
Toutefois, il n'est pas possible de tirer de conclusions solides
sur l'impact du programme de mise à niveau des entreprises à
partir de ces seules données. Une enquête comparative fait
défaut (évaluation de type avec / sans), seule à même de per-
mettre d'isoler l'impact du programme toutes choses étant
égales par ailleurs. Une enquête est en cours, en collaboration
le bureau de mise à niveau, pour appréhender de manière plus
représentative et plus scientifique les points forts et les dys-
fonctionnements de ce programme.

Leçons et observations
Le programme de mise à niveau tunisien est cité en
exemple, et est globalement considéré comme une réussite. A
juste titre, nous semble-t-il : ainsi, ce programme est parvenu
(i) à initier une prise de conscience de l’impératif de moder-
nisation face à un processus de démantèlement perçu comme
irréversible et (ii) à lancer une dynamique positive d’adaptation
de l’appareil productif tunisien et de la structure financière
des entreprises.
La crédibilité de la politique gouvernementale est incon-
testable et l’implication du gouvernement constitue un facteur

89. Rapport de la somme des investissements réalisés par les investissements approuvés.

116
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

d’accompagnement décisif, susceptible, dans une certaine


mesure, de compenser la faiblesse des primes distribuées.
Les grandes entreprises structurées semblent avoir largement
profité de ce processus de mise à niveau : de nettes évolutions
ont pu être constatées dans les modes de gestion (passage
d'une gestion familiale à une gestion « moderne ») et l’amé-
lioration de leur compétitivité. On a pu observer un
« changement des conditions mentales des chefs d’entreprises » 90,
une sensibilisation à la nécessité de se moderniser, d’acquérir
des savoir-faire humains et technologiques, de disposer d’un
capital ouvert au grand public, d’évoluer d’un style autocra-
tique de commandement vers un management participatif, de
mettre en place un système d’information.
Quelques problèmes sont néanmoins ressortis d’entretiens
(certes non représentatifs) avec les chefs d’entreprise. Ces
« impressions » devront être confirmées par une enquête
réalisée selon une méthodologie robuste.
– Dans le cas d’entreprises « de pointe » (imprimeries utilisant
du matériel technologique performant, par exemple), les
compétences dont elles auraient réellement eu besoin ont fait
défaut parmi les consultants du marché et les centres tech-
niques.
– Plus généralement, il est reproché aux consultants de ne
pas être capables d’apporter des informations « opération-
nelles » en terme de positionnement stratégique, d’identifi-
cation de créneaux porteurs, de niches. Le diagnostic est
parfois uniquement technique, et parfois « insuffisamment

90. M.Dhaoui, op.cit.

117
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

stratégique ». Les aspects de perennité de l’entreprise sont


ainsi peu étudiés.
– Dans certains cas, les investissements préconisés ont
conduit, faute d’une bonne étude de coût de revient, à des
surcapacités de production, induisant des coûts de produc-
tion supplémentaires sans perspective d’accroissement des
chiffres d’affaires.
– Une modernisation trop lente de certains domaines de l’en-
vironnement administratif ou institutionnel constitue un
obstacle à l’amélioration de la compétitivité des entreprises
(lenteurs persistantes aux frontières, etc.)
– Le retard dans le versement de la prime est souvent reproché.
– L’accès à des financements bancaires est souvent très diffi-
cile pour les PME, alors même qu’elles manquent de tréso-
rerie pour fonctionner une fois leur entreprise modernisée.
Sur ce dernier point, le problème « visible » de trésorerie
insuffisante des entreprises masquerait peut-être, plus qu’un
crédit rationné, un financement bancaire inadapté (essen-
tiellement à court terme), l’insuffisance chronique de fonds
propres et un défaut systématique de qualité dans la gestion
(cf dernier point ci-dessous).
– Il est important de noter que l’adhésion de certaines entre-
prises au programme repose parfois sur une confusion entre
subvention (cadeau de l’Etat sans contrepartie) et prime
(qui est conditionnée à une modernisation et une restructu-
ration financière de l’entreprise). Le versement de la prime
FODEC est subordonné à la réalisation du PMN, elle vient
en refinancement de ressources sur fonds propres ou

118
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

emprunts mobilisés pour la réalisation du programme. Cer-


tains entrepreneurs semblent s’être lancés dans l’aventure de
la MAN parce qu’ils ont été séduits par l'opportunité à sai-
sir, sans mesurer les implications de la condition d’obten-
tion, c’est-à-dire la modernisation de l’entreprise.
– Enfin, dans la lignée du constat d'une gestion parfois
déficiente, certaines difficultés recensées s’expliquent par
les compétences insuffisantes des chefs d’entreprise, qui
auraient besoin d’être davantage suivis. Certains entrepre-
neurs développent ainsi leur appareil productif sans antici-
per correctement l’évolution de la demande, ni les implica-
tions d’un développement de l’entreprise en termes de
management du personnel et gestion de l’activité. Ainsi, le
financement des stocks, la modification du processus de
production et des délais de fabrication, la modification des
conditions de commercialisation induisent un renouvelle-
ment parfois sous-estimé et négligé des pratiques de ges-
tion. Cette négligence conduit à des problèmes de trésore-
rie. Le bureau de mise à niveau a-t-il les moyens de jouerun
rôle accru de suivi ? Ou bien faudrait-il privilégier des initia-
tives moins « administrées », du type « appui à la mobilisa-
tion de compétences nécessaires pour maîtriser le risque
d’activité (incitations fiscales, primes à l’emploi…) »,
meilleur accès à l’information, etc. ?

Un point fort du programme tunisien : le volet appui à la


formation professionnelle.
Pour répondre au double défi de modernisation de l'éco-
nomie et de lutte contre le chômage, l’Etat tunisien accorde

119
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

une attention toute particulière aux questions de qualification


professionnelle des ressources humaines de l’entreprise.
Un partenariat avec le secteur privé a été engagé avec
l’objectif de renforcer la qualité de l’offre publique de
formation professionnelle et de la mettre au service du systè-
me productif (approche client). Les entreprises sont impli-
quées dans la définition des besoins, la réalisation des pro-
grammes et la gestion des Centres de Formation. Ce parte-
nariat a par ailleurs été étendu aux professionnels français,
(les branches professionnelles françaises sont associées à la
mise en place de centres professionnels financés par l’AFD).
Un protocole d’accord entre le MEDEF, l’UTICA et le minis-
tère de la formation professionnelle coiffe ces partenariats
professionnels.
Le programme Manforme 91 est un cadre de cohérence
pour un ensemble d’actions ciblant à la fois les structures de
formation (centres de formation sectoriels qui assurent les dif-
férents services vis-à-vis de la branche professionnelle), les
entreprises et groupements professionnels ainsi que les structures
de conception et de gestion de la formation professionnelle. Il
est fondé sur :
– Une démarche qualité : la satisfaction de la demande en
compétences est placée de manière structurelle à la base de
toutes les actions projetées. L'aptitude au suivi du changement
de ce besoin doit être développée (gestion active et dyna-
mique).

120
Le recensement de 1994 a montré que les 3/4 de la population
active occupée n’avaient pas de qualification professionnelle
formelle (déficit dans les niveaux intermédiaires de qualification,
ouvriers qualifiés, techniciens).
Sur la période 1990-97, le budget du ministère de la formation
professionnelle a quadruplé, en valeur absolue, passant de 23,5
millions de dinars à 91,5 millions (de 0,8 % du Budget Général de
l’Etat, à 1,8 %). La formation continue est financée par une taxe sur
la formation professionnelle à laquelle les entreprises, à l’exception
des sociétés exportatrices et de l’agriculture, sont assujetties. Les
entreprises de produits manufacturés versent 1 % de la masse
salariale au titre de cette taxe, par exemple. Les entreprises qui
organisent une formation bénéficient d’une ristourne totale ou
partielle sur la taxe versée.

121
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

– Une démarche pragmatique : le programme est fondé sur la


demande (pilotage par la demande), la profession est
présente tout au long du processus, y compris dans la
gestion des centres (les conseils d'établissement des centres
sont présidés par la profession).
Le projet part de l’identification des besoins (formation du
privé à l’identification de ses besoins), en partenariat avec les
branches professionnelles et les entreprises. Des organismes
publics valident l'identification en confrontant les orientations
politiques (choix de filières par exemple) avec les besoins du
secteur privé. Depuis 1996, 19 accords-cadre de partenariats
ont été signés, avec tous les secteurs de l’économie.
Grâce au partenariat avec les branches professionnelles,
l’évolution des centres et du dispositif devient de plus en plus
une responsabilité partagée entre le secteur productif et le
secteur de la formation. Certes, le partenariat semble devoir
s’élever en niveau, pour passer d’un partenariat conceptuel,
volontariste, à un partenariat contractuel (objectifs, rôle de
chacun, prise en charge des coûts, etc.). En particulier, les
rôles devront être mieux définis, les responsabilités bien établies.
Le privé doit s’engager à embaucher : c’est l’emploi qui est en
ligne de mire. A plus long terme, il pourrait peut-être prendre
en charge une partie du financement du système. Le public,
de son côté, doit associer, sans réticence aucune, le secteur

91. L’AFD participe activement, avec la Banque Mondiale et l’Union Européenne, à la


mise en oeuvre du programme Manforme. Sa spécificité est de financer, au travers
de « lignes de crédit de formation professionnelle » la création ou la restructuration
de centres de formation sectoriels . Voir la note Projet d’appui au programme MAN-
FORME, AFD, 2002.

122
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

privé à la définition des orientations et le considérer comme


un véritable partenaire.
Ainsi, les résultats globaux sont à ce jour très encoura-
geants. Par exemple, les jeunes sortant des centres sont
embauchés quasi automatiquement.

3.3. Transposition à d’autres contextes en dévelop-


pement : l’exemple de l’UEMOA

3.3.1. Un contexte africain…


Longtemps restée à la traîne dans le processus de globali-
sation, l’Afrique sub-saharienne doit aujourd'hui se préparer à
l’ouverture prochaine de ses frontières.
Entre le début des années 60 et le début des années 90, les
parts de marché de l’Afrique sub-saharienne ont baissé 92, et
les produits exportés – surtout des produits de base – ont
perdu de l’importance dans le commerce mondial. Par
ailleurs, la part des exportations africaines de produits mar-
chands est passée de 4,2 % des exportations mondiales en
1985 à 2,3 % en 1996. Les exportations en provenance de
l’Afrique sub-saharienne sont aussi devenues moins diversi-
fiées 93. D’une manière générale, les pays africains ont été lents
et peu efficaces dans leur intégration commerciale 94 et 95.
En dépit de nombreuses particularités, des traits communs
semblent caractériser les tissus industriels africains :
– Les pays africains ont le plus souvent des tissus industriels
embryonnaires, en partie parce que l’histoire de l’industrie

92. A la recherche d’une voie pour l’industrie africaine – enjeux et options stratégiques
par John Thoburn, ONUDI, 2002.

123
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

manufacturière est courte: en Afrique, l’agriculture emploie


près de deux tiers de la population active, tout en produisant
moins d’un quart du PIB.
– Les ressources humaines sont limitées : le niveau d’instruction
primaire et secondaire étant peu élevé, les pays manquent
de personnel qualifié. Dans l’ensemble de l’Afrique sub-
saharienne, le taux de scolarisation des filles et des garçons
dans l’enseignement primaire est réellement tombé entre
1980 et 1993 à 65 pour cent pour les filles et à 78 pour cent
pour les garçons 96.
– L’infrastructure matérielle est largement insuffisante, du fait
de la faiblesse des investissements publics et de la réticence
du secteur privé à investir dans ces secteurs, y compris sous
la forme de partenariats, et du manque de politiques de
maintenance.
– Les coûts des transport sont élevés 97 et entravent les expor-
tations africaines bien plus que les droits de douane: les
coûts moyens de fret de l’Afrique sub-saharienne sont de
plus de 20 % supérieurs à ceux d’autres pays 98.

93. Les produits à trois chiffres de la Classification type pour le commerce internatio-
nal (CTCI) étant passés de 36 pour cent à 62 pour cent des recettes totales d’ex-
portation.
94. F. Ng et A. Yeats, Open economies work better! Did Africa’s protectionist policies
cause its marginalization in world trade?, World Development, vol. 25, n° 6 (juin 1997).
95. Un indice de la vitesse d’intégration dans l’économie mondiale que la Banque
mondiale a établi en utilisant la moyenne des changements pour quatre indicateurs
– le rapport échanges réels/PIB, le rapport IED/PIB, la cote de crédit des investis-
seurs institutionnels et la part de produits manufacturés dans les exportations – a
permis de comparer les changements intervenus dans différents PED au cours de
périodes comprises entre le début des années 80 et le début des années 90. Les
résultats ont indiqué que 26 des 36 pays de l’Afrique sub-saharienne étudiés
étaient lents et peu enthousiastes à s’intégrer ; alors que deux pays seulement de
la région s’intégraient rapidement. World Bank Global economic prospects and the
developing countries, 1996.

124
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

– Les coûts de transaction atteignent des niveaux particu-


lièrement élevés 99 : selon Paul Collier, le niveau élevé de
ces coûts de transaction, conséquence de la mauvaise
gouvernance des pouvoirs publics, est la principale cause
expliquant leur désavantage comparatif dans le domaine des
exportations des produits manufacturés. Une étude de
I. Elbadawi confirme que l’ASS est restée en marge des
courants d’exportation de produits manufacturés en grande
partie pour cette raison-là.
– Par ailleurs, la part d’IDE dirigés vers l’Afrique est faible :
les entrées d’IDE en Afrique sub-saharienne ont plus que
doublé entre 1993 et 1996, passant de $1,95 milliard à
$4,02 milliards et à $5,29 milliards en 1998. Cette augmen-
tation est cependant nettement inférieure à celle des IDE
pour l’ensemble des pays en développement, qui ont plus
que triplé entre 1993 et 1998. Plus récemment, le dernier

96. Alors que dans les pays d’Afrique du Nord et dans certains pays (principalement à
revenus plus élevés) de l’Afrique sub-saharienne (Botswana, Lesotho, Zimbabwe,
Swaziland), une proportion importante des enfants d’âge scolaire sont scolarisés,
dans nombre de pays cette proportion est encore faible. En dehors des pays
d’Afrique du Nord et de l’Afrique du Sud, seuls le Botswana et Maurice ont plus de
la moitié des jeunes en âge de fréquenter une école secondaire qui y sont réellement
inscrits. in African Development Report 1997, Banque Africaine de Développement.
97. ONUDI, The Globalization of Industry : Implications for Developing Countries
beyond 2000, 1996.
98. Pour certains articles, tels que les vêtements, les textiles et les chaussures, pour
lesquels l’Afrique est potentiellement compétitive, les coûts de transport moyens
se situent entre 15 et 20 pour cent de la valeur de l’article. Pour les pays sans
littoral du continent comme l’Ouganda, le Zimbabwe et la Zambie, ce chiffre est
encore plus grand: au début des années 1990, dix pays sans littoral ont dû
supporter des coûts nets de transport et d’assurance allant jusqu’à 42 pour cent
du coût total des exportations. Pour l’ensemble des pays en développement, ce
rapport était de 5,8 %.
99. OCDE Promouvoir la compétitivité manufacturière en Afrique Subsaharienne, 2001.

125
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

rapport de la CNUCED (à paraître en septembre 2003)


montre que les IDE en ASS ont diminué de 41 % entre 2001
et 2002, pour atteindre 8,1 milliards de dollars en 2002
contre 13,9 milliards en 2001. A côté de certaines réussites,
comme dans les pays qui ont profité de la relance des inves-
tissements pétroliers (Angola, Nigéria, Tchad où les IDE
sont passés de 0 à 900 millions de dollars entre 2001 et
2002), ces investissements ont diminué dans 20 des 47 pays
d’ASS. Aujourd’hui, seulement 4,3 % des flux d’IDE vont
vers l’ASS. De façon analytique, on observe une baisse
substantielle de la part relative de l’Afrique, à l’inverse de
pays comme la Chine, qui ont enregistré une hausse impor-
tante d’investissements directs.
De plus, les flux d’IDE en direction de l’ASS ont tendance
à se concentrer sur un petit nombre de pays africains. En
1996, le Nigeria recevait presque 40 % des entrées (à
l’exclusion de l’Afrique du Sud) bien que ce chiffre ait été
réduit à 33 % en 1997 et un peu plus de 28 % en 1998.
– Les taux de change sont peu compétitifs en termes réels,
surtout après la crise asiatique.
– Les pays africains se caractérisent par un faible accès aux
marchés mondiaux, du fait notamment de barrières
tarifaires et non-tarifaires (normes sanitaires et de qualité
élevées) encore nombreuses.
– De nombreux pays ont des politiques de protection impor-
tante à l’égard des importations, ce qui provoque dans le
long terme une inefficacité des entreprises et risque
d’accroître le choc au moment de l’abaissement définitif des

126
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

protections au marché mondial 100.


– Les taux d’épargne et d’investissement intérieur sont faibles.

Quelles perspectives ?
En Afrique subsaharienne, mis à part l’Afrique du Sud,
aucun pays ne peut encore miser sur des technologies nova-
trices ni sur la formation de personnel hautement qualifié.
L’avantage comparatif réside presque inévitablement dans
les agro-industries : soit des industries utilisant des produits
agricoles comme principales matières premières, soit des
industries qui produisent des moyens de production agricole.
La transformation plus poussée de produits agricoles peut
également apporter une contribution importante au rempla-
cement des importations. Plus de 70 % de l’emploi total et
60 % de la valeur ajoutée manufacturière relèvent, en Afrique,
des agro-industries.
Ces industries comprennent de nombreuses activités à
forte intensité de main d’œuvre (textiles et habillement, cuir
et chaussure, etc.).
Le renforcement du secteur agro-alimentaire (degré plus
élevé de transformation, amélioration des installations de
stockage, augmentation de la production d’intrants agricoles
etc.) pourrait aussi contribuer au développement du secteur
rural et à l’amélioration de la sécurité alimentaire. En effet,
même s’il s’agit avant tout d’une question agricole, une poli-

100. 19 pays de l’Afrique sub-saharienne pour lesquels on dispose de données sur les
barrières commerciales ont conservé, au milieu des années 90, un niveau moyen
non pondéré de protection tarifaire de 26,8 %, alors qu’il était de 6,1 % dans les
pays de l’OCDE. Plus d’un tiers des importations dans ces pays africains faisaient
également l’objet de barrières non tarifaires, le chiffre correspondant pour l’OCDE
étant inférieur à 4 %.

127
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

FLUX D’IDE, PAR PAYS D’ACCUEIL ET RÉGION, 1987-1998

Source: CNUCED, World Investment Report 1999

EPARGNE ET INVESTISSEMENT EN PROPORTION DU PIB

Source : FDI, World Economic Outlook, mai 2000

128
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

tique industrielle fondée sur le renforcement des liens entre


l’industrie et l’agriculture pourrait largement contribuer à
l’améliorer 102.

Quelles stratégies ?
Les PME doivent être placées au cœur des stratégies.
C’est par elles que se construit un tissu industriel intégré, dont
l’absence pourrait compromettre toute tentative d’amélio-
ration à court terme de la compétitivité de ces pays. Elles sont
un maillon clé d’une grappe compétitive potentielle et semblent
pouvoir s’inscrire dans un processus de globalisation 103. Les
PME offrent, en outre, à la fois des débouchés pour les diplômés
du pays 104 et des possibilités de modernisation technologique,

PART, EN POURCENTAGE, DES SECTEURS AGRO-INDUSTRIELS DANS LA VALEUR AJOUTÉE


DES INDUSTRIES MANUFACTURIÈRES DE L’AFRIQUE SUB-SAHARIENNE

Source: Base de données mondiale de l’ONUDI.

129
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

quand toutefois certaines conditions sont réunies comme le


capital humain de l’entrepreneur. Elles semblent adaptées au
contexte africain du fait du peu d’investissements qu’elles
requièrent. Le développement de l’industrie dans le cadre afri-
cain devrait ainsi passer par un soutien à la création et au
développement des petites entreprises 105. Les études récentes
sur les « clusters » de PME, inspirées du modèle italien, sont
à ce titre très instructives.
Il reste que les entreprises existant actuellement en Afrique
sont en grande majorité des microentreprises, fonctionnant
souvent dans l’espace « informel » et sans capital humain
suffisant. Les nombreuses contraintes auxquelles ces
microentreprises doivent faire face ne peuvent être levées par
de simples injections de capital.
Concernant ce secteur de la microentreprise, il convient
de revenir sur son hétérogénéité, qui interdit de tirer des
conclusions trop générales : les entreprises familiales tradi-
tionnelles se préoccupent généralement peu de croître 106 ;
certaines microentreprises cherchent à se développer sans
disposer du capital humain et financier nécessaire. Elles
accroissent alors leurs charges fixes sans avoir, au préalable,
stabilisé la demande (débouchés sur des marchés saturés,
dépendance vis-à-vis de la conjoncture, etc.) et sont souvent

102. En Afrique, seules 10 à 15 % de la production alimentaire sont transformés


(contre 80 % dans les pays développés).
103. Cf. notamment le modèle de « spécialisation souple » de Piore et Sabel
104. Le développement des PME est souvent considéré comme un moyen d’obtenir
une croissance industrielle à forte intensité d’emploi.
105. G. Buckley Microfinance in Africa : is it either the problem or the solution ? in
World Development, vol. 25, n° 7, juillet 1997.

130
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

obligées de revenir rapidement à des structures de production


plus flexibles. Enfin, certaines microentreprises, dirigées par
des entrepreneurs dotés de capital humain, ayant acquis de
l’expérience et produisant dans des secteurs « porteurs », sont
susceptibles de se développer si un appui vient lever un ou
plusieurs obstacles à leur croissance.
Les politiques d’appui aux microentreprises doivent être
adaptées aux objectifs et aux capacités des microentrepre-
neurs. Les politiques de micro-crédit semblent répondre aux
besoins des deux premières catégories de microentreprises
(besoin de trésorerie, de petit matériel), et seraient d’autant
plus efficaces qu’elles s’accompagneraient d’appui à la gestion
de l’entreprise. En revanche, les microentreprises dynamiques
ont besoin de crédits plus importants, difficiles à mobiliser
dans le contexte d’économies en développement. Des avancées
sont nécessaires dans ce domaine.
Le soutien au développement des entreprises rurales non-
agricoles est une voie intéressante, illustrée par le modèle d’in-
dustrialisation des campagnes 107. Le développement des cam-
pagnes peut passer par la création d’emplois hors agriculture.
Etant donné le sol, le climat et la nature des cultures en
Afrique, il est peu probable que s’y produisent les augmenta-
tions massives de productivité observées en Asie. D’où l’intérêt
de développer une industrie « rurale ». Quand la production
agricole s’accroît, il peut en résulter une demande de biens de
consommation industriels et d’intrants agricoles. L’augmenta-
tion des récoltes peut stimuler de nouveaux investissements

106. Les familles préfèrent notamment investir les bénéfices dans des éléments de
patrimoine (comme des terres) plutôt que dans l’entreprise.

131
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

dans les activités de transformation agricole et de commerce


rural 108.
Parallèlement, les politiques de promotion de l’exporta-
tion ont donné des résultats dans certains pays comme Mau-
rice, le Kenya, le Zimbabwe, Madagascar et le Nigeria. 109 Ces
politiques prévoient notamment la création de zones franches
pour l’industrie d’exportation, la ristourne des droits d’entrée
et l’entrée en franchise des produits intermédiaires importés, et
la fabrication sous contrôle de douane. Ces mesures permet-
tent théori-quement aux exportateurs d’avoir accès à des
biens de production importés aux prix mondiaux (l’industrie
manufacturière des pays africains dépendant fortement des
importations d’équipement, des pièces de rechange et de
nombreuses matières premières). Les zones franches pour
l’industrie d’exportation offrent également une bonne qualité
d’infrastructure 110. Si elles sont administrées de façon ration-
nelle, les zones franches peuvent faire démarrer l’IDE dans
l’industrie manufacturière d’exportation, comme le montre
l’exemple de l’île Maurice.

107. Modèle rendu célèbre par les « entreprises communales et villageoises »


chinoises, qui a accompagné les réformes agricoles des années 1978 jusqu’au
milieu des années 80 – décollectivisation qui a fait monter les revenus des
paysans et a donc augmenté le pouvoir d’achat, engendrant ainsi des fonds à
investir dans l’industrie rurale. Les réformes agricoles ont par ailleurs libéré une
main d’œuvre excédentaire pour les emplois hors agriculture. En 1993, les entre-
prises communales et villageoises représentaient plus de 40 % des exportations
du pays. In J. Thoburn Enterprise reform, domestic competition and export
competitiveness, Journal of the Asia-Pacific Economy, vol.2, n° 2, 1997.
108. F. Ellis Household strategies and rural livelihood diversification, Journal of
Development Studies, 1998.
109. P. Harrold, M. Jayawickrama, D. Bhattasali, Practical Lessons for Africa from East
Asia in Industral and Trade Policies, document de travail de la Banque Mondiale,
1996.

132
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

Enfin, au vu des difficultés des économies africaines à


s’insérer dans l’économie mondiale, une alternative est le
renforcement de liens économiques au sein de marchés
régionaux et sous-régionaux. En effet, les exportateurs y
rencontrent des structures de la demande semblables à celles
de leurs consommateurs nationaux. Les textiles et les produits
alimentaires, secteurs où la concurrence internationale est
particulièrement intense, pourraient être développés de cette
manière, en particulier par des pays comme l’Ethiopie ou le
Nigeria, qui ont un marché intérieur potentiellement vaste.

3.3.2. Le programme de restructuration et de mise à


niveau pour les pays de l’UEMOA : une réponse
adaptée au contexte ?
Dans le sillage de l’élaboration de la PIC (politique indus-
trielle commune), les pays de l’UEMOA ont lancé, en parte-
nariat avec l’ONUDI, une réflexion sur un programme sous-
régional de restructuration et de mise à niveau. Ce programme
« a pour objectif le renforcement des capacités et la relance
de la compétitivité des entreprises industrielles des pays de
l’UEMOA, dans une volonté d’instaurer un développement
industriel durable » 111.
Une question se pose en premier lieu : l’objectif de « relance

110. Idem. Les arrangements pour la transformation des produits d’exportation sont
plus importants dans certains secteurs plutôt que d’autres (plutôt textile que cuir).
Mais, dans le long terme, afin de favoriser les biens de production locaux, il serait
important de mettre en place des mesures telles l’exonération des exportateurs
des taxes intérieures qu’ils payent pour des biens intermédiaires produits dans le
pays. Le risque apparaîtrait aussi pour les activités d’exportation de devenir
des enclaves, même si cela peut être souhaitable dans une première phase de
développement.

133
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

de la compétitivité des entreprises industrielles » est-il réellement


adapté à un contexte où le tissu entrepreneurial est très peu
dense, voire embryonnaire ? Plus précisément, la compétitivité
d’un tissu productif ne repose-t-elle pas, avant tout, sur la densité
du tissu d’entreprises. Incidemment, la faible densité de ce
dernier ne compromet-elle pas la réussite de tout programme
d’amélioration de la compétitivité promu par ailleurs ?
En d’autres termes, ne serait-il pas opportun de chercher,
avant toute chose, à densifier le tissu entrepreneurial
d’Afrique subsaharienne par le biais d’appuis à la création
d’entreprises ?
Certes, les échéances qui rythment l’ouverture des économies
se rapprochent. Les économies d’Afrique subsaharienne ont
peu de temps pour rattraper un retard considérable à tous les
niveaux : industriel, humain, institutionnel, etc. Un enjeu à la
mesure de ce retard consiste à identifier des stratégies d’appui
susceptibles de doter rapidement ces pays de capacités de
production et d’exportation compétitives. La concentration
des efforts sur quelques filières bien identifiées ne serait-elle
pas préférable à une dispersion des efforts ?
Cette optique semble être adoptée dans le programme de
restructuration et de mise à niveau pour les pays de l’UEMOA,
qui préconise de se focaliser sur une ou deux filières.

Un diagnostic pessimiste
Le diagnostic établi sur le contexte socio-économique des
pays de l’UEMOA, en préalable à la définition du programme

111. ONUDI Programme sous-régional de restructuration et de mise à niveau des pays


de l’UEMOA, décembre 2001.

134
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

de « restructuration et mise à niveau », diffère peu de celui,


évoqué dans la partie précédente, sur l’Afrique subsaharienne
dans son ensemble (hors Afrique du Sud).

– Peu d’entreprises formelles en UEMOA


Le manque de statistiques fiables et comparables fait qu’il
est difficile d’appréhender la réalité industrielle des pays
d’Afrique subsaharienne. Ceci étant, même approximatif, le
tableau ci-après permet de mesurer le nombre restreint
d’entreprises dites « formelles », la forte concentration dans
deux ou trois branches, et la faible intégration (du fait du
petit nombre d’entreprises, également confirmé par les
matrices entrée/sortie) du tissu d’entreprises.
Les grandes entreprises restent peu nombreuses. Souvent
créées par les Etats dans les années 70, ces entreprises sont
progressivement privatisées, certaines sont très peu produc-
tives, voire même en crise (dans le textile par exemple). Ces
entreprises ont par ailleurs un rôle d’entraînement faible sur
l’économie car elles ne s’appuient pas sur des réseaux locaux
de sous-traitance. La sous-traitance reste en effet très peu
développée.

– Faiblesse des ressources humaines


L’accumulation de capital humain n’a pas eu, en UEMOA, le
caractère prioritaire qu’elle revêt dans d’autres régions du
monde. Les taux de scolarisation sont encore parmi les plus
faibles au monde, et le système scolaire et celui de la forma-
tion professionnelle ne répondent pas aux besoins de l’écono-
mie. Le niveau de ressources humaines est faible, ce qui pèse

135
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

NOMBRE D’ENTREPRISES INDUSTRIELLES


RÉPERTORIÉES PAR SECTEUR D’ACTIVITÉ

Source : Programme sous régional de restructuration et de mise à niveau


pour les pays de l’UEMOA, ONUDI, décembre 2001

nécessairement sur la compétitivité des entreprises. Cette


insuffisance de capital humain se traduit par une insuffisance
des capacités de gestion des entreprises, qui explique la très
faible diffusion des pratiques modernes de gestion. Elle se
traduit également par une offre très restreinte d’appui tech-
nique, en dehors de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, où émerge
progressivement une offre de consultants.

– Faiblesse institutionnelle
La capacité institutionnelle d’un pays a trait, notamment, au
rôle économique de l’Etat (et, par exemple, au cadre régle-
mentaire, à sa politique industrielle, aux organismes d’appui
qu’il orchestre). La faiblesse institutionnelle d’un pays se
manifeste en particulier dans l’inefficacité du dispositif

136
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

d’appui aux entreprises. En dépit de la multiplicité des


structures, les moyens d’intervention sont très restreints
(la dépendance à l’égard de l’Etat est forte), et les services
offerts sont très insuffisants et mal coordonnés. La plupart
des pays présentent une volonté de rationalisation de ces
structures. Certains pays sont avancés dans le processus
(le Sénégal, par exemple, a quasiment terminé la restructu-
ration de son dispositif). Leur efficacité doit désormais être
renforcée.Peut-être une approche sous-régionale serait-elle
pertinente pour assurer l’efficacité et la pérennité de certaines
structures : un centre technique, par exemple, a besoin d’une
masse critique d’entreprises pour être rentable.

– Faible volonté politique, pourtant nécessaire au déroulement du


programme
Une volonté nationale forte est nécessaire pour faire de la
mise à niveau un programme mobilisateur. Les entrepre-
neurs doivent percevoir la réelle ambition et la détermination
de l’Etat, ils doivent se sentir « inscrits » dans une dynamique
de changement durable. Or, cette perception n’est pas toujours
évidente dans de nombreux PED d’Afrique subsaharienne.
Elle pourrait limiter l’engagement véritable des différents
partenaires.

Quelles tentatives de réponses ?

– Une mise à niveau inscrite dans la PIC. Au sein de l’UEMOA,


les politiques industrielles s’articulent autour de la « Politique
Industrielle Commune » dans les domaines de la qualité, de

137
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

la mise à niveau, de l’accès à l’information, de la promotion


des investissements et des exportations, du développement
des PME-PMI et de la concertation régionale. C’est le réfé-
rentiel dans lequel doit s’inscrire toute démarche de moder-
nisation du tissu productif.

– Une implication sans réserve de l’Etat, dans son ensemble. Elle


est indispensable à la crédibilité et à l’efficacité du programme.

– Une mise à niveau « processus » qui commence par appuyer la


construction d’un cadre institutionnel efficace et opérationnel.

– Un objectif de construction progressive d’un tissu industriel intégré.


Il est important de garder à l’esprit la spécificité des tissus
industriels en UEMOA : comme il l’a déjà été évoqué à
plusieurs reprises, loin de ressembler au tissu portugais ou
tunisien, ces tissus sont « embryonnaires », « troués », non
intégrés, concentrés sur quelques secteurs, caractérisés par
quelques grandes et moyennes entreprises dynamiques peu
reliées au reste des entreprises. Améliorer la productivité de
quelques grandes entreprises sans, parallèlement, appuyer la
construction d’un tissu industriel mieux intégré, pourrait au
final n’avoir que peu d’impact sur le processus d’industriali-
sation du pays.
Le programme de restructuration et de mise à niveau des
entreprises dans les pays de l’UEMOA prône la mise en place
d’une première phase focalisée sur une ou deux industries, de
façon à ce que l’ensemble des actions menées agissent en
synergie pour favoriser la constitution d’une grappe régionale
forte.

138
Quelques interrogations préalables
à la transposition d’un programme
de mise à niveau

– Le niveau d’intégration et le degré de diversité du tissu industriel


sont-ils suffisants ?
> un « vivier » d’entreprises existe-t-il ? Quelles sont les caracté-
ristiques du tissu de PME ? Peut-on identifier un secteur
« porteur » ? Existe-t-il suffisamment d’entreprises dans ce
secteur pour favoriser la constitution d’une grappe ?
– Existe-t-il un signal politique clair ?
> stratégie industrielle, priorité donnée à l’industrialisation,
coordination des ministères.
– Le cadre institutionnel est-il suffisamment développé ?
> cohérence des institutions d’appui au tissu productif et
commercial, climat des affaires favorable (dans la négative, la
mise à niveau de l’environnement des affaires est une priorité,
ou tout au moins une nécessité).
– Le dispositif de formation est-il satisfaisant ?
> répond-il aux besoins de l’économie d’un double point de vue,
qualitatif et quantitatif ? Fonctionne-t-il en partenariat avec les
entreprises ?
– Le secteur financier peut-il accompagner la modernisation des
entreprises ?

139
3. DES PROGRAMMES DE MISE À NIVEAU POUR ACCOMPAGNER L’OUVERTURE

Mais des doutes sur la faisabilité du programme perdurent :


est-il réellement possible de construire des grappes ? Com-
ment susciter la création d’entreprises performantes qui font
actuellement défaut pour consolider une grappe ? Pourquoi la
mise à niveau de la grappe « pêche » n’a-t-elle que moyenne-
ment réussi au Sénégal ? Ces questions restent à approfondir.

140
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145
ANNEXES

Annexe 1
Autres programmes
de mise à niveau
Cette annexe est réalisée en grande partie à partir des documents pro-
duits par l’ONUDi, en particulier “ le guide méthodologique : restruc-
turation, mise à niveau et compétitivité industrielle ”, 2002.
Souvent, les analyses seront incomplètes, en raison de la connaissance
parcellaire que nous pouvons avoir de ces programmes. En effet, à la
différence du cas tunisien, pour lequel nous avons pu rencontrer à la
fois le responsable du Bureau de Mise à Niveau et quelques entrepreneurs
ayant adhéré au programme, nous avons travaillé, sur ces programmes,
à partir des seuls documents officiels existants.

A1. Le PMN de référence : le PEDIP (programme


stratégique de dynamisation et de modernisation
de l’économie portugaise)

Le PEDIP est le premier programme de mise à niveau


industriel. Il a inspiré les initiatives de mise à niveau qui ont
suivi, notamment dans les pays du Maghreb. L’impact positif
du PEDIP sur l’industrialisation du Portugal et sur sa croissance
auront contribué à l’« arrimage » à l’Europe de ce pays, laissant
penser que la stratégie adoptée était pertinente.

147
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

1. Contexte de l’économie portugaise en 1986

La scène économique portugaise des années 1980 a été


dominée par des politiques de restructuration et de libéralisa-
tion : face à la perspective de l’entrée dans la Communauté
européenne et dans le marché unique, le pays était dans l’ur-
gence de prendre des mesures de modernisation de son indus-
trie.
En effet, ce secteur était caractérisé par des faiblesses
structurelles : un tissu constitué essentiellement de petites
entreprises peu intégrées au niveau international ; une spécialisation
insuffisante 112 et une productivité médiocre ; des infrastructures
technologiques peu développées et un secteur RD coupé de la
réalité des entreprises. Quant aux secteurs productifs, l’industrie
manufacturière traditionnelle était dominée par des productions
à faible valeur ajoutée (textile, chaussure, céramiques, liège
ou agroalimentaire) et fortement dépendantes de l’extérieur
(en matières premières, en biens d’équipement, en énergie).
Enfin, pour ce qui est de l’emploi, la main d’œuvre était peu
chère mais insuffisamment qualifiée ; en 1986, le Portugal avait
aussi l’un des taux de chômage les plus élevés de la CE.
L’ouverture représentait à la fois des opportunités de
croissance (débouchés pour les produits compétitifs, attraction
d’investissements étrangers) mais également des risques
majeurs (concurrence accrue, faillites, montée du chômage...).
Il fallait donc mettre en œuvre des politiques d’accom-
pagnement.
112. Parmi les industries dominantes, on compte: le textile et la chaussure, la pâte à
papier, le liège, la métallurgie, le raffinage pétrolier et la chimie.

148
ANNEXES

2. Description du programme PEDIP

Le programme PEDIP fut mis en place en 1988 par


la Commission Européenne, sous tutelle du Ministère de
l’Industrie et de l’Energie.

Objectifs et programmes opérationnels

Les objectifs de ce programme pionnier de mise à niveau


industrielle consistaient à :
– améliorer le fonctionnement des marchés et ouvrir sur l’in-
ternational les entreprises portugaises ;
– réduire la dépendance du pays vis-à-vis des importations,
notamment en matière d’énergie et de biens d’équipement ;
– renforcer la compétitivité du pays ;
– améliorer la qualité des productions et augmenter l’efficacité
des entreprises.
Ce que l’on a ensuite appelé PEDIP I était un programme
défini dans le temps (5 ans), intégré (ie englobant un large
éventail de mesures), horizontal (s’appliquant à l’ensemble du
territoire portugais) et ajustable à n’importe quel moment de
sa mise en œuvre. Il s’articulait autour de quatre axes :
1. accélérer la modernisation des infrastructures d’appui au secteur
industriel ;
2. renforcer les bases de la formation professionnelle et de la
formation technique continue ;
3. diriger les financements vers les investissements productifs des
entreprises, principalement des petites et moyennes entreprises ;
4. améliorer la productivité des petites et moyennes entreprises et la
qualité dans l’industrie.

149
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

Ces quatre axes étaient déclinés en sept programmes opéra-


tionnels.
– Programme 1 > infrastructures de base et technologiques
Renforcement des infrastructures routières, ferroviaires,
portuaires et énergétiques. Développement d’instituts spé-
cialisés, de centres de transfert d’innovations stratégiques,
d’unités de démonstration, de pôles technologiques, etc.
– Programme 2 > formation professionnelle
Formation à moyen et long terme du personnel de niveaux
supérieur et intermédiaire (gestion, technologie…), formation
de chercheurs, formation portant sur le PEDIP, etc.
– Programme 3 > promotion de l’investissement productif
Stimulation de l’investissement dans les entreprises indus-
trielles qui modernisaient leur structure.
– Programme 4 > ingénierie financière
Concertation et collaboration avec les institutions de crédit,
essentiellement à l’intention des PME. Création de deux
sociétés de capital-risque (dont 50 % du capital financés par
le PEDIP).
– Programme 5 > augmentation de la productivité
Démonstrations et campagnes d’information, aide à l’orga-
nisation.
– Programme 6 > qualité et design industriels
Définition de critères de qualité en vue d’une plus grande
compétitivité au niveau européen : renforcer les structures
du Système national de la qualité (SNGQ), promouvoir les
droits du consommateur, promouvoir le respect des normes
techniques et l’introduction de politiques de gestion de la
qualité dans les entreprises.

150
ANNEXES

– Programme 7 > diffusion d’informations, mise en œuvre


et suivi
Deux programmes complémentaires, le PITIE (Programme
Intégré pour les Technologies de l’Information et de l’Electro-
nique) et le PRODIB (Programme de Développement de l’In-
dustrie des Biens d’Equipement) ont été élaborés par la suite.

Coût & financements

Le programme a été financé avec 1,5 milliards d’écus de


subventions, 1 milliard d’écus de prêts de la BEI et 500 millions
d’écus du budget national, soit un total de 3 milliards d’écus
(pour un pays comparable sur le plan de la démographie à la
Tunisie, auxquels il conviendrait d’ajouter les financements
très importants sur les infrastructures (autoroutes, ports,
réseaux de communication).

Coordination

La coordination d’ensemble a été assurée par un bureau de


gestion spécialisé.

Prolongements

PEDIP II 113 prolongea le programme PEDIP I en intégrant de


nouvelles dimensions telles un meilleur diagnostic des entre-
prises, un système d’évaluation, un meilleur appui financier ou
encore une plus grande participation des partenaires sociaux
et financiers. Le budget du programme, en ce qui concerne le
financement public, se montait à 2,3 milliards d’écus et fut

113. Programa Estratégico de Dinamização e Modernização da Indústria Portuguesa


(1994-1999).

151
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

couvert à 75 % par le Fonds Européen de Développement


Régional ou FEDER et à 25% par le Fonds Social Européen
ou FSE (57 % du budget furent affectés au
programme aide à la mise à niveau des entreprises ou SIN-
DEPEDIP). Ce nouveau programme intégra aussi des finan-
cements privés 114.

PEDIP II a surtout mis l’accent sur des projets intégrés ayant


un impact sur le plan structurel, en délégant à des programmes
de développement régional complémentaires une grande part
des mesures visant l’appui aux infrastructures, à la RD ou à la
formation.

Par ailleurs, il privilégia les mesures visant à améliorer la


structure des entreprises (cofinancement de divers éléments
des projets de développement des entreprises), leur compor-
tement (incitation au niveau de facteurs contribuant à la
compétitivité des entreprises : gestion, qualité, innovation,
etc.) et leur environnement (systèmes d’incitation spéci-
fiques).

Le programme était divisé en six sous-programmes opéra-


tionnels, dont un de gestion, de suivi et d’évaluation.
Par ailleurs, les mesures des sous-programmes visant un
même type de bénéficiaires ont été regroupées en systèmes
d’incitation.
– Système d’incitation destiné aux entreprises (SINDEPEDIP :
système d’incitation relatif aux stratégies des entreprises
industrielles). Appui financier direct et mécanismes

114. http://www.iurisnet.com/centro/Investin/conten/portugal.htm

152
ANNEXES

indirects incitant le système financier à offrir des conditions


plus favorables aux PME 115.
– Système d’incitations visant à encourager un environnement
plus favorable aux entreprises. Consolidation des acquis du
programme précédent, avec une attention particulière accordée
à la consolidation des infrastructures technologiques 116.
– Mesures anticipatives. Assurer la compétitivité des entre-
prises, notamment en apportant un appui à la qualité et au
design industriel, à la coopération interentreprises, transfert
d’innovations, sensibilisation à l’environnement, missions de
productivité, etc.
– Formation professionnelle. Sous-programme autonome
visant à intégrer dans les projets d’investissement les dépenses
de formation, à modifier ou stimuler la demande des entreprises
en matière de formation, etc.

3. Résultats

Les PEDIP ont été considérés comme une réussite par la


Commission Européenne et le gouvernement portugais 117.

115. Aide à l’évaluation de l’entreprise, aide à la mise en œuvre de stratégies


commerciales intégrées, aide à la productivité et à la démonstration de savoir-faire
industriel, appui à la coopération interentreprises, aide à la RD, aide à l’utilisation
du marché des capitaux, etc.
116. Sont inclus : le système d’incitation au renforcement des infrastructures en matière de
technologie et de qualité ou SINFRAPEDIP; le renforcement des instituts
techniques ou SINETPEDIP ; l’aide aux entreprises en matière d’ingénierie financière
ou SINFEPEDIP ; le renforcement des associations professionnelles ou SINAIPEDIP.
117. Dans le rapport du 7 janvier 1994, la Commission fait le bilan des actions mises en
œuvre au titre du PEDIP de 1988 à 1993. Elle constate qu'elles ont conduit au démar-
rage ou à l'accélération d'un profond processus de mutations au Portugal dans trois
domaines différents : l'environnement des entreprises, la performance du système
productif et le comportement des entrepreneurs face aux facteurs complexes de la
compétitivité. http://europa.eu.int/abc/doc/off/bull/fr/9401/p102075.htm

153
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

De nouveaux secteurs industriels ont émergé et sont


aujourd’hui dynamiques – principalement celui de l’automobile,
de l’électronique et de la pharmaceutique. Des avancées tech-
nologiques ont été réalisées dans des domaines de pointe
comme l’informatique, les communications ou des secteurs
performants utilisant de nouvelles technologies, apparus au
cours de cette période : ainsi l’aéronautique, les biotechnologies,
et les nouvelles technologies de l’information 118. Les secteurs
d’exportation traditionnels (textile, prêt-à-porter, chaussure)
ont vu augmenter leur valeur ajoutée du fait des investissements
réalisés dans la qualité et le design. Parmi les réussites, on
peut enfin compter la croissance observée dans le secteur de
l’immobilier, actuellement très actif aussi bien au niveau de
l’habitation résidentielle que sur le plan commercial (il est
responsable de 13 % du PIB et de 11 % de l’emploi). La crois-
sance a positivement influencé le marché de l’emploi (le taux
de chômage actuel – 4 % – est parmi les plus bas de l’UE), et
cela malgré les restructurations de l’industrie.
Même si certaines contraintes persistent (la production
industrielle est encore insuffisamment diversifiée 119, notamment
au niveau des échanges internationaux ; de même, le commerce
se fait surtout avec les pays de l’UE – avec un poids de 80 %
des échanges en 1999 et de 76 % en 2000), les modalités du
programme ont répondu aux besoins de l’économie portugaise.

118. http://www.mic.gouv.qc.ca/publications/comex/GuideEurope_Portugal.pdf
119. Les articles manufacturés représentent 49.2 % du total des exportations de 2000,
les machines et matériel de transport, 33 %, les produits chimiques et connexes,
4.9 %. Au niveau des importations: le matériel de transport, 38%, les articles
manufacturés, 30 %, et les produits agricoles, 10 %.

154
ANNEXES

4. Leçons & observations

Parmi les raisons de la réussite du programme portugais, on


notera son inscription dans une stratégie cohérente, qui s’est
concrétisée par un ensemble de mesures et d’opportunités
orientées vers un objectif bien défini.
L’Etat a mené dès 1989 un ensemble de mesures de libéra-
lisation, apparemment très positives, notamment dans les sec-
teurs du commerce et de l’investissement. Des privatisations
dans les secteurs industriel et financier ont été lancées 120.
Le gouvernement a aussi mené une politique d’attraction des
capitaux étrangers, en mettant en avant ses avantages
comparatifs :
– des coûts opérationnels les plus faibles de l’Europe de l’Ouest ;
– l’appartenance à l’espace euro ;
– une main d’œuvre à des coûts très compétitifs ;
– des incitatifs fiscaux et financiers ;
– un éventail de sites et édifices industriels à prix compétitifs ;
– une population polyglotte ;
– une « culture d’affaires commerçante souple et ouverte sur
l’extérieur ».
En 1993, le Portugal a achevé la libéralisation des marchés
de capitaux. Depuis cette date, l’Etat permet le transfert à
l’étranger de dividendes ou de bénéfices dès lors que tous les
impôts exigibles ont été payés.

120. Privatisation notamment du secteur énergétique (électricité et gaz), de la métal-


lurgie, de la pétrochimie de base, des raffineries, de certains réseaux ferroviaires,
des banques, des assurances et des cimenteries. L’Etat a par ailleurs délégué la
gestion d’un nombre d’autres activités économiques et services publics.

155
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

Le programme a fortement insisté sur « la mise à niveau de


l’environnement » (infrastructures d’appui, formation profes-
sionnelle, etc.).
Les PME ont été immédiatement intégrées au programme,
ce qui a probablement joué un rôle important dans l’émergence
de secteurs compétitifs.
L’accent a été mis sur la qualité pour favoriser la compéti-
tivité des produits portugais, en particulier dans les domaines
traditionnels qui ont ainsi pu se maintenir.
Les programmes complémentaires dans le domaine des
nouvelles technologies de l’information et des biens d’équipe-
ment montrent le caractère « massif » et cohérent de l’action
entreprise.
Enfin, des leçons ont été tirées du premier programme, et
l’évaluation des résultats a tenu une place importante dans le
second programme.
Il est à noter qu’aucun secteur ne semble avoir été favorisé au
départ (optique transversale). A l’arrivée, des secteurs ont
pourtant émergé. Le processus « d’émergence » mériterait
d’être étudié de plus près.
Au final, l’ouverture, bien menée et bien « accompagnée »,
aura permis le décollage économique du Portugal. L’exemple
portugais met en avant certains des éléments déterminants
d’un programme de mise à niveau réussi : un événement
déclencheur du processus, une volonté politique, une action
intégrée, l’accent mis dès le départ sur les PME, un contexte
international favorable, un soutien financier extérieur, un pro-
gramme de mise à niveau qui aura évolué en fonction de
l’avancée du processus.

156
ANNEXES

A2. Les programmes des pays MENA

L’exemple tunisien est largement développé dans le corps


du texte et ne sera pas repris ici. Les pays méditerranéens sont
entrés depuis le début des années 1980 dans une phase d’ou-
verture et de libéralisation de leurs économies 121. Ces évolu-
tions économiques complètent le processus de modernisation
de la société, entamé de longue date pour certains pays, ou
plus récemment pour des pays encore très marqués par le
poids de la tradition. Ce processus de modernisation se mesu-
re dans de nombreux domaines, comme celui de la transition
démographique. Il doit se poursuivre, alors que des rigidités
structurelles demeurent dans la plupart des économies, que
les risques d’instabilité sociale existent, d’autant plus que le
taux de chômage 122 pourrait encore s’accroître dans un
contexte d’ouverture des frontières qui pourrait menacer des
pans industriels entiers. Les pays MENA se trouvent donc
aujourd'hui dans la double nécessité de poursuivre la moder-
nisation de la société et d’améliorer leur compétitivité écono-
mique. Cette adaptation constitue un véritable défi, notam-
ment du fait de la tradition interventionniste et protectionnis-
te des politiques économiques de la région.
Depuis les indépendances, les stratégies de développement
économique de la région, centralisées et dirigistes, étaient

121. DREE : Vers un espace économique euro-méditerranéen, mai 2002 ; Adama


Konate La trajectoire économique des pays du Maghreb in Problèmes écono-
miques n° 2.796, février 2003 ; Le Partenariat Euro-Méditerranéen en l’an 2000,
deuxième rapport FEMISE sur le Partenariat Euro-Méditerranéen, juillet 2000.
122. Le FEMISE, cité par la DREE (Vers un espace économique euroméditerranéen,
mai 2002), estime que 40 millions d’emplois devront être créés au cours des
15 prochaines années simplement pour faire face à l’augmentation de la population
active, ce qui suppose un taux de croissance annuel de 6 à 7 %.

157
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

principalement orientées vers l’exploitation des matières


premières 123, d’autant plus prédominante que les dotations
« naturelles » étaient favorables. Exceptées quelques réussites
dans le domaine industriel et dans le secteur des services (les
années 90 sont marquées par le développement de l’industrie
textile, touristique et de la finance au Maroc et en Tunisie,
ainsi que par des spécialisations « ciblées » dans des industries
manufacturières), ces économies restent caractérisées par
une forte prédominance du secteur agricole.
Les pays méditerranéens connaissent aujourd’hui, pour la
grande majorité d’entre eux, une croissance faible et heurtée
(et notamment très dépendante des conditions climatiques).
La Tunisie, qui affichait des taux très enviables dans la
région, n’a pas fait exception à la règle en 2002, même si elle
retrouve en 2003 un taux de 5 %. Le ralentissement a été
aggravé par les conséquences des attentats du 11 septembre
2001.
L’arrimage à l’Europe n’ira pas de soi, parce que la compé-
titivité des économies reste, à des degrés divers, insuffisante.
Ce déficit de compétitivité tient, avec des différences
d'un pays à l'autre, à un faible niveau d’éducation (même s’il
faut nuancer et prendre en compte des spécificités, comme
en Tunisie, pays très tôt concerné par l’éducation pour tous),
à un niveau de formation professionnelle très insuffisant, à de
faibles dotations en infrastructures physiques et technolo-
giques qui pèsent notamment sur les coûts de transport, à un
cadre institutionnel parfois inadapté qui pèse sur l’ouverture

123. Pétrole ou phosphate.

158
ANNEXES

à la concurrence et la dynamique productive 124, et à des


niveaux élevés de protection commerciale, alors que le poids
de l’Etat se fait encore sentir à tous les niveaux de l’économie 125,
à bon escient parfois, quand il se traduit par des avancées
sociales et des politiques de développement bien définies,
mais également de manière trop pesante, quand il limite
l’initiative privée et freine le dynamisme économique.
La région attire peu d’Investissement Direct Etranger : en
1980, les pays MENA attiraient 14 % des IDE dirigés vers les
PED ; leur part s’est effondrée dans les années 90. En com-
paraison avec des zones comme l’Europe de l’Est ou l’Asie,
les pays méditerranéens n’offrent toujours pas l’environnement
qui attire spontanément les investissements privés. Les priva-
tisations, sources importantes d’IDE, se mettent en place
très lentement. Alors que l’UE réalise 8 % de ses exportations
hors UE dans les pays méditerranéens, soit davantage qu’en
Asie, elle n’y a investi que 2 % de son stock d’IDE, contre
10 % en Asie 126.
Autre conséquence du déficit de compétitivité, l’insertion
dans les échanges internationaux a pris beaucoup de retard.
Les exportations restent, dans la plupart des cas, tributaires
de quelques secteurs d’activité à faible valeur ajoutée :
confection (6 % du marché mondial), textiles (3 % du marché
mondial), produits agricoles frais (2,5 %).

124. Même si les progrès sont notables : au Maroc ou en Tunisie, les procédures admi-
nistratives ont été simplifiées, les codes de l’investissement ont été réformés et
des zones franches (1986 en Tunisie, 1990 au Maroc) ont été instaurées.
125. Par exemple, surprotection, pendant des années, des entreprises publiques par
des contrôles de prix, des politiques de bas taux d’intérêt et des mesures de
restrictions des importations.
126. DREE, 2002.

159
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

La région est aujourd'hui confrontée au défi de l’ouverture,


dans le cadre de l’OMC d’une part, des accords de Barcelone
d’autre part. Le libre échange en matière industrielle devrait
être complet en 2008 avec la Tunisie et en 2012 avec le
Maroc. Avec Israël, les échanges de produits industriels sont
d’ores et déjà libéralisés.
Il s’agit, donc aujourd'hui pour les pays sud méditerranéens
de renforcer la compétitivité et l’efficacité de leurs économies,
et en particulier dans les secteurs dans lesquels les pays pos-
sèdent un avantage comparatif. Pour ce faire, les axes d’in-
terventions concernent :
– La modernisation des Etats par des réformes structurelles
afin que les institutions deviennent un soutien et non un
blocage des transformations. Les réformes fiscales, en par-
ticulier, sont indispensables pour compenser la baisse des
recettes douanières.
– L’amélioration des infrastructures et la maximisation des
flux de savoir entre tous les acteurs économiques : qualité,
transferts technologiques, transparence des marchés, for-
mation, etc.
– L’élaboration d’une stratégie coordonnée à tous les niveaux
entre les administrations, les acteurs privés, les organismes
internationaux afin de dynamiser l’offre et de la rendre
compétitive.
Les programmes de mise à niveau entrepris par différents
pays depuis 1995 sont une tentative de réponse à cet enjeu
majeur.

160
ANNEXES

1. Le programme de mise à niveau marocain : des


résultats mitigés

De nombreux défis de l’économie marocaine


Le Maroc s'est engagé depuis le début des années 80
dans un programme de libéralisation de son économie. Des
mesures d'accompagnement en concertation avec les opérateurs
privés ont été mises en place pour l'amélioration des facteurs
de compétitivité 127. Le Maroc est également en passe d’être
fortement intégré à l'économie mondiale, comme en témoignent
ses engagements internationaux, et notamment l'adhésion
aux accords du GATT, à l'Organisation Mondiale du Commerce,
la signature de plusieurs accords de libre échange avec des
groupements régionaux (UE, AELE) et les pays partenaires
(Tunisie, Egypte, Jordanie...).
Le passage d'une économie protégée à une économie de
marché s'est accompagné d'un large éventail de réformes
législatives, réglementaires et institutionnelles. Si le pays est
globalement parvenu à l’équilibre macro économique (réduction
du taux d’inflation, du déficit budgétaire et du déficit de la
balance commerciale), il semble souffrir de maux endémiques :
fragilité du secteur secondaire, incertitudes du cadre juri-
dique et plus encore de l'application de la règle de droit,
poids de la dette.
Le Maroc est aussi fragilisé par une agriculture soumise à
de forts aléas climatiques (sécheresse) et à une instabilité

127. La modernisation économique marocaine repose sur quatre orientations


majeures : (i) la maîtrise de la dépense publique, (ii) la libéralisation, (iii) la privati-
sation, (iv) le développement des infrastructures.

161
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

sociale (population en forte augmentation, fort exode rural,


fort taux de chômage) 128.
Le Maroc dispose d'importantes ressources minières 129 et
d’un secteur rural encore important. A l’inverse, le poids de
l'industrie reste encore très limité. Aujourd'hui, seule 20 % de
la population active travaille dans le secteur industriel, qui
produit seulement 26 % du PNB. L'activité industrielle
se concentre surtout sur l'agro-alimentaire (32% de la valeur
ajoutée industrielle) et le textile (23 % de la valeur ajoutée
industrielle).
L'industrie marocaine souffre d'une compétitivité insuffi-
sante liée à un faisceau de facteurs dont l'étroitesse du marché
intérieur 130, les faiblesses persistantes des infrastructures
publiques (transports, électrification, disponibilité des terrains
industriels) et l’insuffisance de capital humain, ce qui se traduit
par un déficit commercial récurrent. Par ailleurs, les productions
industrielles marocaines sont à faible valeur ajoutée 131,
peu diversifiées 132 et fortement dépendantes du marché euro-
péen (ses produits textiles sont destinés à 80 % au marché
européen) 133.

128. Rapport au Sénat de P. Brisepierre Accord euro-méditerranéen établissant une


association entre les Communautés européennes et le Maroc, 1996-97.
129. Le pays est le troisième producteur mondial et le premier exportateur de phosphate.
130. 27 millions d'habitants dont le revenu annuel moyen ne dépasse pas 1 300 dollars.
131. Les ventes de produits manufacturés ne représentent que 30 % des exportations
totales (contre 76 % pour la Tunisie).
132. 75 % de la production se fait dans le secteur textile.
133. Ce qui explique des baisses de croissance (dans l’agro-alimentaire ou dans le tex-
tile) ces dernières années Country report 2002, The Economist Intelligence Unit,
www.eiu.com

162
Conclusions de l’étude
« Moroccan manufacturing sector at the turn
of the century, results of the firms analysis
and competitiveness » survey, 2000,
MDCI et Banque Mondiale
Suite à la libéralisation et aux réformes qui ont accompagné les plans
d’ajustement structurel au début des années 80, les exportations manufac-
turières se sont d’abord développées, avant d’afficher de faibles perfor-
mances dans les années 90, à l’image de l’évolution du PIB marocain. En
comparaison, des pays comme la Tunisie ou la Turquie ont connu une
forte expansion de leurs exportations, sans parler de pays comme la Chine
ou la Thaïlande. En outre, le Maroc attire peu d’IDE (les pourcentages
relativement élevés des dernières années s’expliquant par la vente des
licences Télécom). Comment expliquer ces constats ?
Une étude a été menée par le ministère du Développement et de la Coopé-
ration internationale et la Banque mondiale sur le tissu industriel marocain
et le climat des affaires dans ce pays. Il en ressort que le Maroc est aujour-
d’hui moins compétitif qu’il ne l’était relativement aux autres pays
émergents, pour des raisons à la fois macroéconomiques et microécono-
miques. Le coût du travail apparaît comme un problème majeur (à pro-
ductivité du travail équivalente, les salaires sont beaucoup plus élevés au
Maroc qu’en Inde ou en Chine). La main d’œuvre est souvent mal formée,
la formation professionnelle présente d’importantes lacunes, les entreprises
ont rarement des programmes de formation de leur personnel. Ainsi, d’un
côté, les salaires sont très élevés pour des secteurs comme le textile ou
l’agroalimentaire, de l’autre, les caractéristiques de la main d’œuvre sont
telles que les compétences sont insuffisantes pour embaucher dans des
secteurs comme l’électronique ou la chimie. Dans un autre registre, le taux
de change est un obstacle à la compétitivité du pays, de même que les
destinations des exportations, très peu diversifiées. D’autres caractéris-
tiques négatives, comme la bureaucratie excessive, sont mentionnées.
Enfin, si le fonctionnement des ports et des douanes semble s’améliorer, en
revanche des obstacles persistent dans des domaines comme l’électricité
(dans certaines zones géographiques) ou le secteur bancaire et financier.
163
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

Le Maroc doit aujourd'hui faire face à de nombreux défis,


en particulier dans le domaine social. La société reste duale,
le chômage et la pauvreté demeurent à un niveau très élevé,
et pourraient être à l’origine d’explosions sociales si l’ouverture
des frontières contribuait à creuser les écarts de revenus. Des
mesures de modernisation du secteur productif permettraient
de mieux faire face à ces difficultés.

Description du programme
Le programme de mise à niveau marocain a pris du retard.
Mal approprié par les autorités, qui se reposaient sur l’Union
Européenne pour le mettre en œuvre, il n’a pas, au départ,
convaincu les entreprises marocaines de l’urgence de se
moderniser. Le nouveau Premier ministre semble vouloir le
dynamiser, et en fait une priorité pour 2003. Si l’ouverture des
frontières est plus éloignée qu’en Tunisie, elle représente
néanmoins un risque majeur pour le tissu industriel marocain.

Objectifs 134

Les mesures se déclinent en mesures d’ordre général (MG),


mesures d’ordre sectoriel (MS) et mesures au niveau de l’en-
treprise (ME).
Le programme comprend sept objectifs :
– Renforcement de l’infrastructure d’accueil (MG) ;
– Promotion des exportations (MG) ;
– Amélioration de la formation professionnelle (MG) ;
– Renforcement des associations professionnelles (MS) ;
– Développement de l’infrastructure technologique (MS-ME) ;

134. http://www.aniveau.ma/services/strategie.html

164
ANNEXES

– Réalisation des diagnostics Euro-Maroc entreprise (ME) ;


– Financement de la mise à niveau.

Déroulement

– Phase préalable : réalisation du diagnostic et du plan


d’affaires
Le diagnostic vise à déterminer l’impact du démantèlement
tarifaire sur la compétitivité de l’entreprise et les forces et
les faiblesses de celle-ci.
Le plan d’affaires présente les diverses actions à entreprendre
ainsi qu’un plan financier et un échéancier de réalisation. Il
doit faire ressortir les besoins en :
• investissements matériels : modernisation d’équipements
industriels, acquisition de nouvelles technologies, etc.
• investissements immatériels : développement de ressources
humaines et formation, amélioration de la gestion admi-
nistrative, marketing, développement des exportations,
recherche de partenariats techniques, commerciaux et
financiers, protection de l’environnement, etc.
Le diagnostic et le plan peuvent être élaborés par l’entreprise
ou par un autre organisme de son choix. Elle peut aussi
recourir aux services d’Euro-Maroc Entreprise (EME),
auquel cas le coût de l’étude sera partiellement pris en charge
par EME.

– Phase de concrétisation des investissements issus du


plan d’affaires
Les mesures d’amélioration du financement des investis-
sements matériels visent à :

165
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

• faciliter l’accès aux financements bancaires ;


• consolider les fonds propres des entreprises sous-capitalisées ;
• réduire le coût de financement.
Les investissements immatériels portent sur :
– La formation continue : formation offerte à ses adhérents
par les Groupements interprofessionnels d’aide au conseil
(GIAC), associations volontaires constituées par les orga-
nisations et fédérations professionnelles des entreprises.
Les objectifs visés sont : sensibilisation des entreprises à
l’importance de la formation professionnelle ; recherche de
financement d’activités de conseil orientées vers l’identifica-
tion des besoins en compétences ; aide technique pour l’éla-
boration de demandes de financement.
– Des contrats spéciaux de formation professionnelle (CSF)
: finançant les actions d’ingénierie de formation (70 à 80
% maximum des frais d’études d’élaboration d’un plan de
formation), les actions de formation planifiées (70 % au
maximum des frais de formation), les actions de formation
non planifiées (40 % au maximum).
– La recherche de partenariat : Euro-Maroc Entreprise
offre un outil d’information (centre de documentation,
banque de données reliée aux principaux serveurs européens)
ainsi que des services personnalisés de recherche de par-
tenariat.
– Le repositionnement des marchés : en complément des
services prévus par les chambres de commerce et les asso-
ciations professionnelles, Euro-Maroc Entreprise assistera
dans les mises en relation commerciales, la recherche

166
ANNEXES

d’opportunités d’affaires, l’accès aux marchés européens, la


participation en Europe aux salons et expositions, l’élabora-
tion et la mise en place de stratégies à l’export, la formation
en marketing et aux techniques du commerce international,
l’appui à des actions d’associations sectorielles au bénéfice
des entreprises membres en matière d’export.
– La démarche qualité : mise en place d’un programme de
promotion de la qualité visant 200 à 300 entreprises
industrielles volontaires qui souhaiteraient mettre en place
un système d’assurance qualité (campagne de promotion
pour les chefs d’entreprise et les consultants locaux, réalisa-
tion de diagnostic et de plan de développement de la qualité,
assistance dans l’obtention de la certification ISO 9000).

Coordination

Le Ministère responsable de l'action de mise à niveau au


Maroc est celui de l'Industrie, du Commerce, de l'Energie et
des Mines (MCI). Sur le terrain, le programme est piloté par
le Comité National de Mise à Niveau (CNMN), dont la mission
se résume dans les tâches de :

• Définir, coordonner et suivre les actions visant la mise à


niveau de l'entreprise ;

• Assurer leur cohérence avec la politique nationale du déve-


loppement socio-économique ;

• Assurer la complémentarité des programmes mis en œuvre


par les pouvoirs publics et les différents intervenants.

167
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

Le ministre de l'Industrie, du Commerce, de l'Energie et des


Mines assure la présidence du CMNM. Le comité regroupe par
ailleurs des acteurs économiques (Fédération des Chambres de
Commerce, Confédération des Entreprises du Maroc, banques)
et européens (Commission Européenne, BEI comme observa-
teur). Le CMNM est appuyé par la Cellule de Mise à Niveau
du MCI. Cette Cellule assure le secrétariat du CMNM. La
mission de la Cellule est caractérisée par les tâches suivantes :

• Mener des actions de sensibilisation des différents instruments


mis en place, en collaboration avec les partenaires concernés.

• Veiller à répondre aux besoins informationnels des opérateurs


économiques.

• Assurer un suivi des programmes de coopération étrangère liés


à la mise à niveau, notamment avec l'Union Européenne.

• Contribuer à la réalisation des études d'analyses du potentiel


industriel.

• Formuler des propositions et entreprendre toute action à


même de dynamiser le processus de restructuration du tissu
industriel.

Pour couvrir l'ensemble des domaines qui exercent une


influence directe sur la mise à niveau des entreprises, sept
groupes de travail ont été constitués, sous la présidence des
représentants du secteur privé.

168
ANNEXES

Coûts & financements

Trois instruments de financement ont été mis en place :


– des Fonds de garantie pour la mise à niveau. Le FOGAM
est doté d’un montant de 100 M.MAD (environ 10 millions
d’euros) – afin d’en bénéficier, les entreprises doivent avoir
des fonds propres et quasi-fonds propres de 30 % au mini-
mum et des crédits bancaires de 70 % au maximum.
– Le capital risque pour la mise à niveau. Une ligne de finan-
cement de la Banque européenne d’investissement d’un
montant de 45 millions d’écus a été mobilisée ; elle a été
rétrocédée en gestion aux banques nationales disposées à y
contribuer également. Le capital-risque est alloué sous
forme de prise de participation pour une période de 2 à
18 ans ; au terme de cette période, cette prise de participation
est rétrocédée à l’entreprise sur la base de l’actif net.
– Les crédits à la mise à niveau bonifiées par les bailleurs de
fonds (France, Italie, Espagne, Portugal). Le crédit, sur une
période de 5 à 12 ans, à taux de base bancaire en vigueur le
plus bas, peut financer jusqu’à 70 % du projet.

Prolongements

Une évaluation (texte rapport Hedrich 1999) du programme


de mise à niveau entreprise fin 1999 a permis d'identifier
quelques problèmes de conception et de formuler des propo-
sitions destinées à rectifier le tir.

169
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

Des mesures ont été prises pour tenter de relancer le pro-


gramme 135. Parmi elles :
– Des initiatives récentes dans le domaine d’appui direct aux
entreprises : mise en place, avec l’appui de l’UE, d’un Fonds
de mise à niveau (FONAM) doté de 500 M MAD (environ
50 M€ ) qui servira de guichet unique pour l’ensemble des
prestations de mise à niveau.
– La création des centres régionaux d’investissement (CRI), pla-
cés sous la responsabilité des walis, qui devraient faciliter la
tâche d’investisseurs souhaitant lancer une nouvelle entreprise.

Des résultats peu satisfaisants


La mise à niveau tarde à se concrétiser. Seuls 101 pré-
diagnostics ont été élaborés jusqu’à présent. En outre, les
crédits octroyés se décaissent très lentement.
Parmi les raisons possibles à l’origine de ces résultats très
mitigés, on peut évoquer les éléments suivants :
– La protection effective (l’élimination des barrières tarifaires ne
s’applique pas encore aux biens de consommation, mais uni-
quement aux biens d’investissements et biens intermédiaires) ;
– Le faible dynamisme de l’économie marocaine, l’étroitesse et
la solvabilité du marché intérieur, la faible densité du tissu
entrepreneurial ;
– Certaines mesures d’accompagnement primordiales qui
n’ont pas encore été appliquées ou sont encore en discussion
(code du travail, réforme fiscale, etc.) ;
– Des entraves encore nombreuses au développement des
entreprises (lourdeurs administratives, opacités réglemen-
taires, insécurité judiciaire, etc.).

170
ANNEXES

De plus, le système direct d’appui aux entreprises apparaît


plutôt sur-financé par rapport aux demandes bancables. Ces
hypothèses sont confirmées par l’enquête annuelle de l’Obser-
vatoire de la Compétitivité Internationale de l’Économie
Marocaine, qui énumère les problèmes auxquels sont confron-
tées les entreprises, par ordre décroissant : la corruption, le
niveau élevé des impôts, la concurrence des entreprises infor-
melles et de la contrebande, la difficulté de faire valoir les
droits légaux. Une explication plus large pourrait résider dans
la réticence de l’Etat à s’impliquer financièrement (risque de
change, garantie des emprunts, etc.), voire politiquement dans
le programme.

Leçons & observations


L’urgence mal ressentie, la faible volonté politique et
l’insuffisance de financements qui résulte des deux facteurs
précédents expliquent en partie les faibles avancées de ce
programme. Des considérations culturelles sont également
parfois avancées (comme le refus d’ouvrir sur l’extérieur une
entreprise familiale), mais restent à vérifier.

2. Le programme de modernisation et de mise à


niveau de l’industrie en Egypte

Contexte de l’économie égyptienne


Au début des années 90, l’Egypte avait un des secteurs
publics les plus développés – l’Etat contrôlait notamment la
plupart des sites industriels. Si des réformes ont été réalisées

135. ADF-Rabat G. Collange La problématique de la mise à niveau, octobre 2002.

171
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

au cours de la décennie 1990, notamment sous la férule du


FMI et de la Banque Mondiale (progrès dans le fonctionnement
des administrations, libéralisation des échanges et des taux
d’intérêt, etc.), le poids du secteur public n’a pas diminué.
Cette mainmise de l’Etat a parfois ralenti les efforts de moder-
nisation et de compétitivité nationale.
Autre problème, celui de l’accroissement démographique
et du chômage. L’augmentation d’environ 1,4 millions de per-
sonnes par an, à une population déjà très importante (autour
de 60 millions d’habitants) nécessite la direction des popula-
tions vers des secteurs autres que l’agriculture (l’Egypte ne
dispose que de 5 % de terres agraires).
Les objectifs nationaux sont ambitieux. Dans « l’Egypte
du XXIe siècle », le gouvernement égyptien a défini les objectifs
de croissance nationale et sectorielle (taux de croissance
nationale : 7,6 % par an jusqu’en 2017, secteur manufacturier :
12 % par an), d’investissement manufacturier (supérieur à 30 %
du produit intérieur brut manufacturier) et de création d’emplois
(notamment accueil de 600 000 personnes entrant dans la vie
active chaque année).

Description du programme

Objectifs & programmes opérationnels


Le programme de mise à niveau de l’industrie égyptienne
est une fusion de deux programmes : d’une part, le programme
de modernisation industrielle soutenu par l’UE dans le cadre
de l’accord d’association Euro-Méditerranéen, financé par le

172
ANNEXES

fonds bilatéral Egypte-UE et géré par le Centre de la moder-


nisation industrielle ; d’autre part, le programme national de
modernisation industrielle élaboré par l’ONUDI, financé par
le Fonds de développement de la compétitivité et géré par le
Bureau de la modernisation industrielle.
Le programme intégré porte sur trois axes :
– La modernisation des entreprises : renforcement de la com-
pétitivité par l’amélioration de la technologie, de la concep-
tion, de la planification, de la maintenance et du contrôle de
la qualité ; formation ; appui en matière de gestion et de com-
mercialisation ; promotion collective et ciblée de l’IDE ;
développement des exportations ; promotion des services
financiers ; modernisation des machines et outillage.
– La mise à niveau du secteur industriel : création d’un réseau
regroupant les centres d’information pour les entreprises et
les centres de technologie ; mise en place d’ EGYnet, réseau
permettant de fournir des informations aux entreprises sur
le plan national, des services consultatifs et des liaisons
internationales ; renforcement de la capacité des associations
professionnelles ; création de regroupements d’entreprises
industrielles ; promotion du système national de qualité.
– Le soutien à la politique industrielle et l’appui sectoriel : ren-
forcement et modernisation du Ministère de l’industrie et
de la technologie ; modernisation des politiques indus-
trielles ; études sectorielles ; renforcement du cadre juridique
et réglementaire ; amélioration du système financier et
bancaire.

173
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

Programme de modernisation industrielle

Le Programme de modernisation industrielle, mis en place


avec le soutien de l’UE, vise à renforcer et consolider le rôle
du secteur industriel et manufacturier égyptien au niveau
international. Il est géré par le Centre de la modernisation
industrielle (CMI), mis en place en 2000. Par ailleurs, le gou-
vernement a pris des mesures d’accompagnement en vue de
rationaliser la réglementation et d’améliorer l’environnement
économique.
Le programme porte sur un certain nombre de secteurs
présentant des avantages concurrentiels et des perspectives
de croissance, et ayant été définis comme « prioritaires » par
le Ministère de l’industrie et de la technologie. Il s’adresse
essentiellement aux PME des secteurs textile et cuir, alimentaire,
chimique, électro-mécanique et des minéraux.
Le programme fournit aux PME un soutien en matière de :
techniques de fabrication ; qualité, compétitivité internationale ;
croissance des exportations ; renseignements sur le marché ;
planification de la production ; utilisation des capacités ;
conception des produits ; compétences du personnel ; coentre-
prises ; concession de licences en matière de technologie ;
possibilités d’investissement ; développement industriel et
autres activités connexes.

Programme national égyptien


pour la modernisation industrielle

Le ministère de l’Industrie et de la Technologie, soutenu


par l’ONUDI, a formulé un programme complémentaire,

174
ANNEXES

appelé « Programme national égyptien pour la modernisation


industrielle ». Ce programme est assez proche des PMN
« classiques » sur les parties tissu industriel et environnement
institutionnel. Il se caractérise néanmoins par un tropisme
technologique fort. Il aide les pouvoirs publics à formuler des
politique en vue de préparer l’industrie nationale à affronter la
concurrence des marchés mondiaux. L’essentiel de l’aide pré-
vue par ce programme est directement fourni aux entreprises
du secteur privé et aux institutions qui offrent des services
correspondant aux besoins de mise à niveau des entreprises.

Le programme vise à :
– Renforcer les capacités dont dispose le Ministère de l’industrie
pour appliquer et coordonner la politique de mise à niveau
des pouvoirs publics ;
– Renforcer les capacités des institutions en matière de mise
à niveau ;
– Appuyer la modernisation et la mise à niveau d’entreprises
pilotes sélectionnées parmi les secteurs prioritaires.

L’ONUDI a débuté le programme par :


– La mise en place de la structure organique et des mécanismes
de gestion ;
– L’élaboration d’un cadre législatif et réglementaire ;
– L’assistance pour la mise en place des ressources financières.

On distingue trois volets principaux :


– Mise à niveau des entreprises : élaborer, promouvoir et
exécuter les mesures de MAN des entreprises ; mettre à
niveau les programmes de diagnostic et les plans d’activité

175
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

des entreprises bénéficiaires du programme national du


Conseil de la modernisation industrielle ; assurer le suivi du
programme de MAN.
– Infrastructure technologique : élaborer, promouvoir et
exécuter les mesures de MAN des infrastructures technolo-
giques ; préparer, développer et évaluer les études, diagnostics
et programmes relatifs aux centres de technologie, à la gestion
de la technologie et au transfert de technologie ; développer
la capacité d’investissement technologique dans les entreprises
publiques et privées.
– Soutien à la politique industrielle et appui sectoriel :
définir et reformuler le rôle de l’administration et des
organes de réglementation, de contrôle, d’analyse de la
qualité et d’appui ; renforcer les organismes d’appui,
notamment en matière de normalisation et d’homologation
de la qualité ; stimuler le marché de l’information écono-
mique, commerciale et technologique.

Coûts & financements


Le financement du programme de modernisation indus-
trielle est assuré de façon conjointe par l’UE et par des acteurs
nationaux. Le montant total s’élève à 430 millions d’euros et
provient d’une subvention d’UE de 250 millions d’euros
(1 milliard de livres égyptiennes), complétée par 106 millions
d’euros apportés par le gouvernement égyptien et 74 millions
d’euros devant être versés par les bénéficiaires.
Le financement du programme national égyptien pour la
modernisation industrielle est assuré par le fonds de dévelop-
pement de la compétitivité. Le budget initial du programme

176
ANNEXES

quinquennal visant 4000 entreprises s’établit à environ 5 milliards


de livres égyptiennes, soit 1,250 milliards d’euros.
L’investissement moyen pour mettre à niveau une entreprise
est de 4,17 millions de livres ; par ailleurs, le Fonds verse
0,9 million de livres à titre d’incitation à chaque entreprise. Le
budget prévu pour la modernisation de l’infrastructure tech-
nologique du secteur industriel est d’environ 1,4 milliards de
livres. L’aide financière aux entreprises est assurée sous forme
de primes qui se répartissent de la façon suivante :
– 70 % du coût de l’étude de diagnostic et de l’élaboration du
plan de MAN (sous réserve d’un plafond de 100 000 livres) ;
– 70 % du coût afférent à l’amélioration de la qualité et de la
gestion des technologies (sous réserve d’un plafond de 300 000
livres) ;
– 20 % de la part de l’investissement de restructuration financés
par des fonds propres – la première tranche de 30 % du
montant des primes est débloquée au moment de l’appro-
bation du plan. Le reste est débloqué : en une tranche pour
les équipements après acquisition, en deux tranches pour le
reste des activités au prorata de leur avancement.

Coordination & fonctionnement


Les attributions du Bureau de la modernisation indus-
trielle sont :
– Définir et mettre en oeuvre la politique des pouvoirs publics
dans les domaines de la mise à niveau de l’industrie et l’amé-
lioration de la compétitivité de la production industrielle.
Assurer la coordination dans ces domaines ;
– Procéder avec le concours des services intéressés du

177
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

MODE DE FONCTIONNEMENT DU PROGRAMME ÉGYPTIEN

178
ANNEXES

département et des organismes d’appui à l’industrie à l’éla-


boration, à l’exécution et au suivi des programmes de mise
à niveau du secteur industriel ;
– Négocier les programmes de financement aux niveaux bilatéral,
multilatéral et régional de ;
– Réaliser les études nécessaires pour améliorer les programmes
de MAN en coopération avec les services et les organismes
spécialisés ;
– Assurer, en coordination avec les ministères concernés, la
programmation des sources de financement internes et
externes allouées aux différents programmes de restructuration
et de MAN.

Le BMI est administré par le Conseil de la modernisation,


lui même présidé par le Ministre de l’industrie. Le conseil
d’administration se compose de représentants éminents de
l’industrie, du secteur privé et du système bancaire. Les attri-
butions du Conseil consistent à :
– Définir et mettre en œuvre les orientations de la politique
de MAN des pouvoirs publics,
– Définir la politique de financement dans les domaines de la
MAN en coordination avec les ministères concernés,
– Recommander aux pouvoirs publics des activités et des
mesures à entreprendre pour améliorer l’environnement des
entreprises,
– Examiner les demandes émanant des entreprises,
– Fixer le taux et le montant des primes pour les MAN,
– Veiller au suivi et à l’évaluation du PMN.

179
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

Leçons
Le programme égyptien est fortement structuré, avec une
forte mainmise du gouvernement et un rôle personnel important
du ministre de l’Industrie. Remarquons que ce contrôle éta-
tique coexiste avec l’intervention de deux organes étrangers,
l’UE et l’ONUDI. La présélection des secteurs d’intervention
est aussi une spécificité égyptienne, de même que le paiement
d’une somme incitative à chaque entreprise.

180
ANNEXES

Annexe 2
Transposition des MAN
Une approche
sociologique
Comment transposer à d’autres contextes des modèles de
modernisation des firmes nés dans le cadre culturel occidental ?
Il est aujourd'hui admis que les cultures sont profondément
ancrées dans les modes de comportement et d’interaction entre
les travailleurs 137.
Un courant sociologique 138 s’interroge depuis une trentaine
d’années sur l’influence des cultures sur le fonctionnement et
la gestion des entreprises, contestant les idées reçues selon
lesquelles il existe des principes universels d’administration
saine et qu’il faut redresser des pratiques nationales ou locales
qui s’en éloignent. Cet enjeu culturel apparaît aussi de plus en
plus dans la réflexion des bailleurs de fonds bilatéraux et inter-
nationaux. En effet, un projet ou programme de développement
doit nécessairement tenir compte des spécificités culturelles

137. Ph. D’Iribarne Management et différences culturelles in Economie Internationale,


n° 2.668, juin 2000.
138. Ouvrages de référence : G. Hofstede Culture’s consequences : International
Differences in Work-Related Values, 1980 M. Chapman Social Anthropology,
Business Studies and Cultural Issues, 1996-97. Citons aussi Zadi Kessy en Côte
d’Ivoire et Ph. D’Iribarne ou A.Henry en France.

181
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

du milieu où il est implanté, au risque de ne pas être opéra-


tionnel. La transposition culturelle vise à élaborer une nouvelle
synthèse culturelle qui retiendra des éléments essentiels des
valeurs locales tout en permettant à de nouvelles technologies
de fonctionner. Elle est particulièrement valable dans le cas
des programmes de mise à niveau, où les efforts de modernisa-
tion doivent être adaptés au contexte national afin de pouvoir
être intégrés par les acteurs locaux.
Les sociologues qui s’intéressent à la relation entre cultu-
re et management dénoncent une vision fataliste de la
« culture » : elle n’est pas, comme l’imagineraient certains,
une « force mystérieuse (…) qui orienterait de manière irré-
médiable l’action d’humains », mais simplement « un
ensemble de codes d’interprétations au moyen desquels prend
sens ce que chacun vit et fait » 139. Ainsi, « l’élucidation d’un
univers culturel permet de mieux comprendre les stratégies et
les conduites de ceux qui en relèvent, d’élucider ce qui les
motive » 140. Il s’agit de prendre en compte les différences
entre les réalités que peuvent recouvrir dans diverses sociétés
des notions telles « pouvoir », « liberté » ou « éthique ».
L’approche se veut donc hautement pragmatique et fonc-
tionnelle.
La question fondamentale qui sous-tend la réflexion en
terme de culture est la légitimité du pouvoir au sein des
entreprises et le respect de codes sociaux et autres valeurs à

139. Ph. D’Iribarne, A. Henry, J-P Segal, S. Chevrier, T. Globokar Cultures et Mondia-
lisation, gérer par-delà les frontières,1998, p. 6.
140. Idem.

182
ANNEXES

la base des interactions entre individus. En effet, le


fonctionnement d’une entreprise repose sur l’autorité dont
dispose son chef dans l’encadrement du personnel : il s’agit
donc de savoir quels sont les fondements de cette autorité. Il
repose aussi sur l’arbitrage entre la liberté accordée aux
employés et les règles qu’il leur faut respecter : il s’agit donc
pour le chef d’entreprise de définir des tâches de chacun,
de mettre en place des mesures de contrôle de la façon
dont elles sont accomplies et sanctionner positivement ou
négativement les résultats tout en laissant aux employés une
part d’initiative et de créativité. Le fonctionnement d’une
entreprise repose enfin sur l’adhésion des employés à la firme :
il s’agit donc de trouver des politiques incitant le personnel à
créer un système d’allégeance propre au groupe de travail.
Ces trois éléments clefs de la vie d’une entreprise sont
fortement influencés par les cultures locales. Prenons deux
notions clefs, la liberté et l’éthique, et voyons quel impact
peut avoir la culture dans leur interprétation et à quel point
les diverses interprétations peuvent marquer le fonctionne-
ment d’une entreprise.
Les relations au sein de l’entreprise reflètent la concep-
tion dans une société donnée de ce qui est perçu comme
signe de liberté d’une part, de servitude de l’autre. Les sociétés
occidentales sont très sensibles aux rapports de dissymétrie,
et tendent à voir la position du « dominé » comme une
entrave à la dignité et à l’humanité de l’individu : ainsi, les
entreprises occidentales mettent en avant l’autonomie dont
dispose chacun et valorisent l’initiative et la motivation

183
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

individuelles 141. Dans de nombreuses sociétés non occidentales,


le rapport hiérarchique est beaucoup plus présent, sans être
pour autant ressenti comme une enfreinte à la liberté indivi-
duelle ; au contraire, il représente un gage de sécurité et est
souvent décrit selon la métaphore du rapport père-fils. Par
exemple, les sociétés asiatiques, marquées par des modèles
politiques autoritaires et protectionnistes, ont développé le
modèle de l’entreprise-mère régulant la vie des employés à
tous les niveaux (logement, loisirs, etc.). Les différentes
perceptions de liberté se reflètent aussi dans le degré
d’encadrement qu’attendent les employés (besoin de plus ou
moins de précision dans la planification et plus ou moins de
réactivité), dans le rapport à la hiérarchie (courte ou grande
distance) et dans les modes de prise de décision (les décisions
sont-elles prisent par une personne sur le mode du
consensus ?).
Dans le domaine de l’éthique, on peut opposer le modèle
occidental au modèle subsaharien. Dans le premier, il s’agit,
pour être un homme de bien, de faire son devoir. C’est ce
devoir, souvent cautionné aussi par une instance transcendante
(Dieu, la raison, etc.), qui oblige envers l’autre, même s’il est
par ailleurs un étranger voire un ennemi. Comme l’estime de
soi est en question, il n’est pas besoin de surveillance
extérieure pour que les prescriptions opèrent. Ce modèle,

141. En effet, la vision occidentale du lien social est celle d’un contrat rationnel auquel
les individus adhèrent par consentement pour le bien commun. Cette vision est
elle même multiple – ainsi les visions anglo-saxonne, allemande ou française
comportent des nuances : la vision anglo-saxonne voit l’entreprise comme un
noeud de contrats, la conception allemande – comme une communauté où l’on
se concerte, la conception française - comme faisant intervenir la raison dans le
processus de décision.

184
ANNEXES

reposant sur le précepte « sine ira et studio », est le modèle


qui opère dans les entreprises occidentales et multinationales.
Dans le deuxième modèle, il s’agit avant tout d’être fidèle au
groupe dont on est membre (clan, famille, réseau, etc.). Si
l’individu doit faire preuve envers son groupe de disponibilité
extrême (de son temps, de ses biens, etc.), tout est permis
envers les étrangers au groupe. Le manquement au devoir est
puni par le groupe, qui dispose des moyens de surveillance et
de rétorsion appropriés.
Le fonctionnement des entreprises va être différent en
fonction du modèle qui opère dans le pays. La première
forme d’éthique donne sens aux préceptes généraux d’honnêteté.
L’employé tend de respecter les règles édictées par son entreprise
dans les questions de choix de personnel, de sélection des
fournisseurs, d’appréciation des performances des subordonnés,
etc. C’est au nom des devoirs associés à son appartenance à
l’entreprise que l’individu peut refuser des tentatives de
corruption.
Mais dans le deuxième cas de figure, agir de façon
« honnête » selon le premier modèle peut être compris au
mieux comme le choix de l’individu qui a préféré être fidèle
à l’entreprise plutôt qu’au groupe. Ce choix est souvent perçu
comme poussé par des raisons cachées et peu avouables
(vouloir garder pour soi les bénéfices tirés de l’entreprise, être
d’un naturel « méchant », ne pas avoir en réalité le pouvoir,
d’embauche par exemple, que l’on prétend avoir, etc.). Et les
sanctions sont souvent radicales. Dans ce deuxième cas de
figure, il convient de mettre en place des logiques de

185
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

fonctionnement de l’entreprise adaptés. On peut d’une part


encadrer très strictement l’action des employés occupant des
positions où existent des tentations de corruption ou de
favoritisme (procédures rigoureuses, contrôles étroits,
division des responsabilités, etc.), de façon à leur permettre
de montrer aux autres membres du groupe qu’ils ne peuvent
pas répondre aux sollicitations par risque de répercussions
majeures 142. On peut d’autre part faire de l’entreprise elle-
même un groupe d’appartenance, comme cela s’est fait dans
certains pays où l’entreprise est perçue comme une grande
famille ou comme l’a montré le succès des entreprises gérées
en temps que « confréries » ou diffusant un message de
solidarité aux travailleurs.
Si l’on reprend la réflexion sur les spécificités culturelles
dans le cas des programmes de mise à niveau, on peut se
rendre compte des difficultés à exporter le modèle actuel au
contexte subsaharien, et en particulier au Sénégal. En effet,
si les pays MENA ont une tradition de dirigisme étatique et
si les entreprises mises à niveau sont ou ont été des entreprises
d’Etat, les sociétés subsahariennes ont un tout autre rapport
au contrôle de l’Etat. On se trouverait en effet en Afrique
sub-saharienne en présence de sociétés à plus forte tendance
de détournement, à une « corruption » qui correspond en réa-
lité à une certaine organisation sociale. Les degrés d’obéis-
sance aux règles, la facilité à échanger l’information, la volon-

142. M. Zadi Kessy Culture africaine et gestion de l’entreprise moderne, 1998.


Dans son livre, M . Zadi Kessy met essentiellement l’accent sur trois principes
(i) l’importance de la formation, outil de gestion à part entière ; (ii) le rôle des rocé-
dures et le respect qui en est attendu ; (iii) l’usage des méthodes de contrôle
interne. Parmi d’autres propositions, celle de « féminiser certains postes ».

186
ANNEXES

té de collaborer avec d’autres entreprises etc vont aussi être


difficilement comparables. Le choix des entreprises (l’adhé-
sion se fait-elle spontanément ou est-elle imposée par l’Etat
dans des secteurs privilégiés ?), les politiques incitatives (inci-
tations fiscales, soutien à la formation professionnelle ?), le
système des primes (accordées à toutes les entreprises ou à
elles qui produisent des résultats ?), les campagnes de com-
munication (quels sont les objectifs mis en avant: croissance
du pays, de l’entreprise, enrichissement de la population,
etc. ? Quelles sont les attentes des individus ? Sont-ils sen-
sibles aux offres de formation personnelle etc) doivent aussi
tenir compte du contexte culturel.
D’une façon plus large, les réflexions sur le lien entre cul-
ture et management présentent l’intérêt de soulever la chape
de plomb d’une fatalité culturelle qui pèserait sur l’Afrique.
Cette approche est par ailleurs un complément intéressant
dans le cadre des programmes MAN en ce qu’elle suggère des
mesures permettant d’améliorer les performances de l’entre-
prise du point de vue de la gestion et des interactions entre
travailleurs. Au lieu d’imposer des modes de fonctionnement
« importés » et uniformes dont la mise en place risquerait
d’échouer faute d’adéquation à la culture locale, elle tente
d’identifier les formes d’organisation optimales en fonction du
contexte donné.

187
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

Annexe 3
Contenu d’un programme de mise à niveau

188
ANNEXES

DIAGNOSTIC STRATÉGIQUE GLOBAL

189
COMPÉTITIVITÉ ET MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES : APPROCHES THÉORIQUES ET DÉCLINAISONS OPÉRATIONNELLES

Annexe 4
Le programme sous-régional
de mise à niveau (UEMOA)

190
ANNEXES

Le programme de restructuration et de Mise à Niveau du


tissu industriel de l’UEMOA vise à apporter une contribution
significative à l’intégration du tissu industriel de l’UEMOA au
niveau mondial. Il doit être conçu de façon à venir en appui
et en complément aux programmes menés aujourd’hui dans
les différents pays en matière de développement du secteur
privé et de renforcement de la compétitivité des entreprises.

191
© MAGELLAN & Cie, 59 rue Caulaincourt - 75018 Paris
Tél : 01 49 70 67 36 - Fax : 01 40 82 98 73 - E-mail : wiltzmag@club-internet.fr
pour la conception et la mise en page

Imprimé en France
Dépôt Légal - 4e trimestre 2003
1. UN IMPÉRATIF DE COMPÉTITIVITÉ

Notes

193

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