Ecoles Et "Jeunes" Dans Les Médias Du Sud: F'é Ucqtion
Ecoles Et "Jeunes" Dans Les Médias Du Sud: F'é Ucqtion
Ecoles Et "Jeunes" Dans Les Médias Du Sud: F'é Ucqtion
sut
f'É~ucqtion et les SqVOits
,
Ecoles et "jeunes" dans les
médias du Sud
coorqonné pê!t Étienne GÉRARD et Lëlutence PROTEAV
Sommaire
HORS THl/V\E.
L'amour du dictionnaire
A propos du rapport des classes populaires à l'École et à ses produits
Bertrand Geay 247
Rtsu/V\tslABSTRACTS 303
LES “JEUNES ” EN MOTS
Discours journalistiques et enjeux politiques en Afrique
Étienne GÉRARD* et Laurence PROTEAU*
Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n°1, 2002, pp. 7-15.
Dossier Étienne GÉRARD et Laurence PROTEAU
L'Église et l'enseignement :
une critique de l'État et un enjeu moral
BIBLIOGRAPHIE
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SOCIOLOGIE DE LA PRODUCTION DE L'INFORMATION
Retour sur quelques expériences de recherche
Dominique MARCHETTI*
Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n°1, 2002, pp. 17-32.
Dossier Dominique MARCHETTI
Un objet piège
1 Pour faciliter la lecture du texte, nous avons enlevé dans la suite du texte les guille-
mets qui visaient à montrer que la “revue de presse” est le produit du travail du
chercheur.
Dossier Dominique MARCHETTI
2 On renvoie notamment pour une synthèse complète des travaux dans ce domaine
aux publications d’Erik Neveu (2001), Philip Schlesinfer (1992) et Michael Schudson
(1989).
Dossier Dominique MARCHETTI
3 Pour une synthèse des travaux sur les “événements” médiatiques, on peut se repor-
ter utilement à la présentation d’Erik Neveu et de Louis Quéré dans le numéro 75 de la
revue Réseaux (janvier-février 1996).
Sociologie de la production de l’information
sélection de ces cas, des périodes, des occurrences, etc., en convoquant des
exemples précis parce que ces choix sont liés aux questions de recherche.
Pour reprendre le cas de la médiatisation de l'affaire du sang contaminé à
travers lequel il s'agissait d'étudier des transformations intervenues dans le
champ des médias généralistes nationaux, on a adopté une approche à la
fois historique et comparative. Si la mise en perspective historique de cette
affaire occupe une place importante dans ce travail, c'est parce qu'il était
nécessaire de reconstituer la genèse médiatique de ce drame (1982-1991).
En effet, il fallait comprendre le décalage existant entre ce que les
journalistes des médias nationaux disaient à propos de ce problème à
l'époque des faits, et ce qu'ils en disaient quelques années plus tard,
c'est-à-dire à partir de 1991. Il s'agissait d'expliquer comment le drame
était devenu soudainement un “scandale” et pourquoi son émergence
médiatique avait été aussi lente. Autrement dit, la genèse des “événe-
ments” ou des “problèmes publics” dans les médias, qui fait l'objet d'une
littérature abondante, peut être d'un grand intérêt (par exemple :
Collovald, 2000). Une seconde approche permettant de mieux construire
l'objet a consisté à comparer l'affaire du sang contaminé à d'autres événe-
ments portant sur le sida, et qui s'étaient déroulés à des périodes charniè-
res de l'histoire de cette pathologie. Non seulement elle livrait des points
23
de comparaison dans le traitement même des informations et de ses évolu-
tions mais elle permettait de les comprendre à l'aune des états différents
de la structure du champ journalistique et de ses relations avec les autres
espaces sociaux, en l'occurrence ici le champ médical.
Mais la principale approche utilisée a consisté à penser cet objet
comme un champ (Champagne, 1991 et 1993 ; Bourdieu, 1994 ; Neveu,
2001). Ce concept permet tout à la fois de montrer ce qui fait l'unité et la
diversité de cet espace et, surtout, de l'étudier en termes relationnels. Elle
se traduit dans les opérations de recherche en apparence les plus banales.
Ainsi, il faut tenter de traiter cet espace de production (ou l'un de ses sous-
espaces) dans son ensemble, c'est-à-dire en ne s'intéressant pas seulement
à une rédaction, à quelques grands médias, à une spécialité journalistique
ou, si c'est le cas, il faut la ou les resituer dans cet espace de relations. On
ne peut comprendre complètement les productions journalistiques sans
voir à la fois comment ce champ de relations se structure à différents
niveaux, puisqu'il est lui-même composé de sous-espaces qui fonctionnent
selon des logiques en partie différentes, et quelles relations il entretient
avec les univers dont il rend compte des activités (économiques, poli-
tiques, médicales, etc.).
Dossier Dominique MARCHETTI
5 Les variations selon les domaines tiennent aux degrés de concurrence, à l’histoire des
rubriques, au travail des associations de journalistes spécialisés, aux crédits professionnels
des différents journalistes et médias, aux trajectoires sociales, scolaires et professionnelles,
etc.
Dossier Dominique MARCHETTI
Un champ “médiateur”
27
Sauf à tomber dans une sorte de “média-centrisme”, il serait naïf de
croire à une autonomie du champ journalistique et de faire comme si on
pouvait comprendre ce qu'il produit seulement à l'aune de ces logiques
internes. La médiatisation d'un “événement” ou d'une thématique est en
fait le produit des changements internes au champ journalistique mais
aussi de transformations qui affectent les différents espaces sociaux consi-
dérés (scientifique et médical, judiciaire, économique, politique, etc.).
Elles sont ensuite “retraduites” selon les logiques de l'espace médiatique.
Pour ne prendre que l'exemple de la santé, on sait que la médiatisation
récente de nombreux problèmes tient en grande partie au développement
sans précédent des progrès techniques qui ont contribué à induire de
nouveaux risques (affaires de la “vache folle” et du “sang contaminé”). La
croissance des effectifs de médecins, l'intensification de la concurrence à
des degrés divers suivant les domaines et une plus grande spécialisation
constituent une autre série de transformations majeures dans l'univers
médical. Depuis l'après-guerre, la santé est également devenue un enjeu
économique (visible par exemple à travers l'accroissement de la part des
dépenses de santé dans le PIB, le développement de l'industrie pharma-
ceutique), les progrès de la médecine posant en outre des problèmes
Dossier Dominique MARCHETTI
des pays étrangers. Là encore, l'analyse en terme de champ peut être très
féconde. C'est en prenant en compte un certain nombre de propriétés de
ces champs nationaux qu'on peut mieux en saisir les spécificités. Ainsi,
des travaux comparatifs avec d'autres situations nationales feraient proba-
blement apparaître l'extrême centralisation des médias français par
rapport à l'exemple allemand ou américain et ses effets, une structuration
des types de médias s'articulant largement autour de la presse magazine
(les quotidiens français sont peu lus par rapport à leurs homologues des
pays voisins), des rapports privilégiés entre l'espace journalistique et les
champs politique et intellectuel (comme le montre l'histoire du cas fran-
çais) ou encore, pour ne prendre que cet exemple, un poids important de
l'État dans les modes d'organisation des professionnels et des entreprises.
Comme le montrent des travaux contenus dans ce numéro, on voit bien en
effet comment, dans de nombreux pays, la structuration du champ journa-
listique (et donc de ses productions) est aussi et surtout le produit de celle
des champs politique et économique. En utilisant ce type d'outils compa-
ratifs, on évite ainsi non seulement les problèmes évoqués plus haut mais
aussi les risques d'une sociologie “ethnocentrée”.
30
Sociologie de la production de l’information
BIBLIOGRAPHIE
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Éditions Panthéon-Assas.
Dossier Dominique MARCHETTI
Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n°1, 2002, pp. 33-55.
Dossier Éliane WOLFF
2 L'Ile Maurice, Madagascar, les Seychelles, les Comores, Mayotte, l'Afrique du Sud.
3 Ce sont des professeurs d'Université nommés en conseil des ministres et chargés de
faire appliquer la politique nationale à la tête du rectorat qu'ils dirigent.
Presse et institution scolaire
6 Ce recensement porte sur les dossiers de la rubrique Éducation traités par chacun des
journaux durant l'année scolaire 1997-98.
Dossier Éliane WOLFF
(seize sujets), qui focalisent l'attention, bien avant le niveau primaire (douze
sujets), préscolaire (trois sujets) ou le collège (un sujet). Les sujets généraux
portent sur les personnels de l'Éducation nationale (huit sujets), les élèves
(quatre sujets) et leurs apprentissages (cinq sujets). L'attention du lectorat
est enfin attirée de façon plus sporadique sur le calendrier scolaire, les
phénomènes de violence, la citoyenneté à l'école et la cantine scolaire.
Ce bref inventaire de quatre-vingt-quatre dossiers pourrait faire
l'objet d'analyses complémentaires afin d'enrichir ces premiers constats.
On pourrait procéder à une analyse comparative des supports ou mettre en
relation la couverture médiatique avec le calendrier scolaire ou avec
l'application des réformes. De même, une approche historique permettrait
de mesurer le déplacement de l'intérêt porté aux différents sujets. Mais,
quelles que soient les analyses entreprises, elles laissent dans l'ombre tout
le travail effectué en amont, entre professionnels des médias et chargés de
la communication de l'institution rectorale. Car, s'ils partagent des préoccu-
pations communes – parler de l'École –, chacun poursuit néanmoins des
objectifs différents. Ils sont pourtant conduits (pour ne pas dire condamnés)
à collaborer car ils ne peuvent se passer l'un de l'autre. Quelles sont les
attentes réciproques ? Les termes de l'échange ? Les règles du jeu ?
40
Les attentes réciproques
7 Dans une étude pionnière sur les journalistes spécialistes de l'Éducation nationale,
Padioleau (1976) évoque cette double dimension de la pragmatique journalistique se réfé-
rant à une rhétorique de l'objectivité et à une rhétorique de l'expertise critique.
Dossier Éliane WOLFF
Pour les journalistes, selon qui le journal est une entreprise qui doit
“vendre” son produit au mieux, un “bon sujet ” doit présenter un certain
nombre de qualités, dont celle de toucher le maximum de lecteurs. Pour
cela, il ne doit pas être trop spécialisé, trop pointu, bien au contraire :
« Il faut que ce soit vivant, il faut qu'il y ait des gens qui
parlent, des portraits, des témoignages ».
L'agenda
«Il m'est même arrivé de faire les articles. J'ai eu des journa-
listes qui n'avaient pas pu couvrir l'événement et qui m'appellent.
49
Dans ces cas-là, c'est très confortable : je leur raconte, je leur dicte
pratiquement l'article, je fais aussi un communiqué de presse, éven-
tuellement j'envoie le dossier de presse à ceux qui ne peuvent pas
venir et qui n'ont pas donné de nouvelles. Ça m'est déjà arrivé de
trouver mes notes d'information reprises telles quelles dans des arti-
cles ; ça me fait plaisir parce que ça me montre que je n'ai pas perdu
la main».
L'angle
La construction de l'événement
Pour éviter que leur discours ne se perde dans le flot des informa-
tions et parvienne à accéder à l'espace public médiatique, les attachés de
communication développent des stratégies de plus en plus élaborées. Car
l'accès à l'espace public s'avère de plus en plus difficile et les journalistes
sont aujourd'hui plus sollicités qu'ils ne sont demandeurs :
faire de belles images, tout cela contribue à assurer une couverture média-
tique d'envergure tout en imposant l'image d'un recteur actif, dynamique,
qui “mouille sa chemise” dans tous les sens du terme. Ce formatage reste
néanmoins exceptionnel, car son impact est proportionnel à sa rareté ; et
il ne peut être mis en œuvre trop souvent sous peine de subir une déva-
luation sur le “marché des nouvelles”.
«Je les connais tous, je sais un peu quelles sont leurs sensibi-
lités, donc, selon le sujet, je vois... Sur des problèmes un peu
complexes ou des sujets qui sont un peu difficiles à expliquer et qu'il
faut quand même exposer clairement en six ou sept colonnes, moi
Dossier Éliane WOLFF
BIBLIOGRAPHIE
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1970-1995, St André, Océans Editions. 55
L’ENSEIGNEMENT ET LA JEUNESSE
VUS PAR L’INTELLIGENTSIA MAROCAINE
Une analyse des articles publiés par la revue Lamalif, 1966-1988
Bernard SCHLEMMER*
Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n°1, 2002, pp. 57-86.
Dossier Bernard SCHLEMMER
seulement (un peu moins de la moitié de ses lecteurs sont ruraux), et majo-
ritairement de formation supérieure (enseignants, étudiants, cadres, entre-
preneurs). Lamalif fut, de l’avis unanime de ses anciens lecteurs, qu’ils
se situent ou non dans la même mouvance politique, « le lieu de
rassemblement et de rencontre d’un très grand nombre d’intellectuels et
de chercheurs marocains. Son existence, comme sa longévité, s’expliquent
très largement par cette relation étroite qu’elle a entretenue dès son
origine avec les milieux intellectuels et surtout universitaires marocains
(...). Le pluralisme intellectuel et l’interdisciplinarité constituent l’une des
caractéristiques essentielles de la revue ; dans sa volonté d’aborder les
problèmes marocains dans toute leur ampleur et dans toute leur
complexité, elle s’est ouverte à une analyse plurielle, à des horizons et à
des références multiples. En tout cela, Lamalif constitue, pour s’y être
efforcé pendant plus de vingt ans, un des lieux essentiels où s’est déve-
loppée la réflexion intellectuelle marocaine », comme l’écrit un récent et
excellent mémoire portant sur la revue (Gonzal-Gicquel, 1996 : 18). Ce
mémoire souligne par ailleurs (ibid.: 7-8) à quel point Lamalif est toujours
associée à l’idée d’institution et de référence, au point que ce fut le départ
de sa recherche, « parce que ces termes “ institution ”, “ référence ”, ne
sont pas des termes indifférents ; ils sont au contraire lourds du sens dont
59
les ont chargés ceux qui les ont employés ; ils laissent entendre que
Lamalif a été appréhendée et considérée comme bien plus qu’un organe
de presse et obligent donc à s’interroger en quoi Lamalif a supposé une
telle définition » (ibid. : 8). On retrouve d’ailleurs ce même terme sous la
plume de Mohamed Tozy (n° 200, juin 1988) 2 :
Questions de méthode
Graphique 1
62
Espace consacré aux thèmes de la jeunesse et de l’enseignement
Général
35%
Jeunesse
21%
Primaire
5%
Supérieur Secondaire
35% 4%
L’analphabétisme de la population
Quand nous aurons ajouté un article de 1980 qui parle d’un cours
d’alphabétisation pour adultes donné par des volontaires de l’Association
des Anciens Élèves de Casablanca (X., 1980, n° 116), nous aurons fait un
recensement exhaustif de ce qui s’est écrit dans Lamalif sur cette question,
en vingt-deux ans !
Cet article sera suivi la même année par celui de M. Tozy, qui décrit
le même phénomène à partir de la population croissante, non pas seule-
ment d’étudiants islamiques (i.e. qui se réclament de l’islam, ce qui ne
signifie pas qu’ils soient militants d’une cause islamiste), mais d’étudiants
en islamisme – dont l’objet d’étude est la religion islamique :
3 Nous ne citons pas ici les textes qui parlent de l'éducation traditionnelle en milieu
musulman et de son rôle sur la formation de la personnalité, mais sans se référer directe-
ment à l'islam ou à l'enseignement religieux.
L’enseignement et la jeunesse...
Vatican II. A. Maghnia demande ainsi que l’on relise Ibn Kaldoun ou
Abou Bakr Ibn Arabi,
« dont les vues sur l’école coranique sont très actuelles (...) ;
nous avons aussi beaucoup à apprendre d’Al Azhar et de la Zaîtouna
(...). Pour l’heure, l’école coranique est vouée à la misère psychopé-
dagogique et matérielle digne des siècles obscurs de l’Inhitat. Sa
situation concrète actuelle est d’être le lieu de contrôle du chômage
infantile pour médinas et bidonvilles (dans les campagnes, la situa-
tion est plus complexe) » (Maghnia, 1975, n° 76).
4 Il est traditionnellement admis que l'enfant peut habiter plus de neuf mois dans le
ventre de sa mère (note de l'auteur).
5 L'affirmer est perçu comme incompatible avec le récit coranique (note de l'auteur).
Dossier Bernard SCHLEMMER
mentalité rue
32% 13%
éducation
28%
genre
13%
L’enseignement et la jeunesse...
les rapports de force, mais bel et bien la morale, les bonnes inten-
tions. Et le “changement” de situation sociale ne relève pas de l’his-
toire des hommes et des collectivités, mais de l’action divine. C’est
là une mystification nette et claire et, partant, une justification, aux
yeux de l’élève, de l’ordre établi » (ibid.).
dessiné des solutions qu’ils n’estiment pas concevables sans une modifi-
cation des structures économiques et sociales du pays » (X., 1968, n° 22).
Ce qui n’incite évidemment pas à entrer dans le détail concret qui permet-
trait une confrontation pragmatique de solutions alternatives, cuisine d’in-
tendance qu’on réglera après le changement de régime et l’avènement
d’une société plus juste et plus égalitaire... Ainsi, « l’enseignement est
l’une des façades de la lutte des masses populaires » (Ben Messaoud,
1972, n° 55), et les intérêts étudiants doivent se soumettre à l’impératif de
la lutte de classes, poursuit l’UNEM, peu avant que ce syndicat ne soit
interdit par le pouvoir, en 1973, interdiction qui ne sera levée qu’en 1978.
1974 : La coupure
6 Toutes ces remarques m’ont été suggérées par S. Guth, que je remercie de sa lecture
attentive.
Dossier Bernard SCHLEMMER
Graphique 3
Espace consacré par année aux thèmes
de la jeunesse, de l’enseignement et des savoirs*
Total
% Dont jeunesse
80
70
60
50
40
30
20
10
0
74 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88
* Rappelons qu’en 1966, Lamalif n’a paru qu’à partir de mars, et cesse de paraî-
tre à partir de fin juin 1988.
Graphique 4
Espace consacré par thèmes, dans le champ de la jeunesse.
mentalité mentalité
60% 21%
genre
15%
75
éducation
23% rue
14%
éducation
32%
travail
9%
genre rue cas ruraux
8% 9% 4% 5%
intellectuel
6%
langue 10%
réforme 39%
luttes 10%
coopération 10%
En fait, et pour peu que l’on prenne la peine de resituer ces articles
dans le temps, on s’apercevra que les centres d’intérêt, là encore, se sont
sensiblement diversifiés au cours des années de Lamalif (graphiques 6).
L’enseignement et la jeunesse...
Graphique 6
Espace consacré par thème,
dans le champ des savoirs et de l’enseignement
technologie intellectuels
pédagogie 1% 6%
4% luttes
luttes 8%
13% réforme
31%
langue réforme
langue 10% 43%
12%
pédagogie
14%
coopération technologie
39% 19%
77
Ce changement est sensible dans le contenu même des articles
publiés par Lamalif. “Avant ” 1974 (et mises à part les questions de la
coopération française d’abord, puis, dès celle-ci close faute de combat-
tants, celle des problèmes de langue(s), qui relevaient l’une et l’autre
directement du politique et de la lutte anti-coloniale), ce qui se donnait à
lire dans le champ des savoirs et de l’enseignement se cantonnait presque
exclusivement au compte rendu des luttes syndicales et étudiantes, d’une
part, et à la réforme du système de l’enseignement – dont nous avons déjà
dit qu’à l’époque, on ne l’envisageait guère qu’en termes très politiques,
en alternative réforme globale + révolution, ou refus de mesures de
réforme imposées + poursuite de la lutte.
On ne s’étonnera pas outre mesure de voir que le débat sur la
coopération française ait pratiquement disparu en 1973, pour laisser la
place à un même intérêt sur les questions de langue cette année-là, avec
cette fois un suivi à peu près constant de cette question qui n’est toujours
pas réglée au Maroc. Mais il est plus intéressant de constater que le débat
sur l’enseignement ne porte, jusqu’à la coupure de 1974, que sur l’analyse
globale du système d’enseignement en général ; ce n’est qu’à partir de
1975 que l’on va, progressivement, s’attacher à des aspects jusque-là
Dossier Bernard SCHLEMMER
pourra jamais absorber, tant aussi pour les titulaires du brevet que
parfois même ceux du baccalauréat qui commencent à ne pas
toujours trouver d’emploi. (...) Tout ceci joint à une dégradation
générale de l’emploi provenant d’une croissance uniquement secto-
rielle et en tous cas pas intégrée et du fait que l’industrie moderne
exige beaucoup d’investissements, mais peu d’emplois, conduit à des
inquiétudes qui sont notamment exprimées dans le discours pronon-
cés (...) par le Chef de l’État ».
84
Bibliographie
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L’enseignement et la jeunesse...
En guise de préambule :
Recherches et égarements dans le dédale de la presse écrite
Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n°1, 2002, pp. 87-111.
Dossier Étienne GÉRARD
définitif s'est porté sur trois autres journaux, sur la base de deux exigen-
ces personnelles : travailler sur la période la plus récente et pouvoir
comparer différents “traitements journalistiques ” de la question des
jeunes diplômés. Cela imposait que plusieurs journaux différents soient
retenus, que la période d'examen soit identique de l'un à l'autre, enfin que
leur fréquence de parution soit elle aussi égale. Ces impératifs posaient
une autre limite, liée au travail de dépouillement et d'exploitation
lui-même : selon l'objectif de comparaison en effet, le volume d'articles
retenus devait être suffisamment restreint.
Examinés de décembre 1998 à avril 2000, trois hebdomadaires
apparentés à la presse dite “ indépendante ”, La Gazette, Le Journal et
La Nouvelle Tribune, constituent ainsi le corpus principal de base,
complété par le dépouillement, de 1991 à 1998, de L'Économiste, hebdo-
madaire devenu quotidien, et de deux interviews de journalistes, auteurs
d'articles dans les titres de presse retenus. Signalons ici que les hebdoma-
daires possèdent tous ce caractère indépendant et que seuls quelques titres
de presse quotidienne peuvent être apparentés à de la presse d'opinion au
service de partis politiques. Nous verrons, pour cette même raison, que
peu de comparaisons ont pu être effectuées et que leur “ utilité ” est rela-
88 tive. Ou plutôt : ces comparaisons des différents journaux montrent qu'ils
ne peuvent pas être différenciés en fonction des discours tenus ou des
positions prises au sujet des diplômés. « J'ai l'impression qu'on se plagie
tous, c'est la solution de facilité », m'indiquait en ce sens un des journa-
listes interviewés de La Gazette. Comme cela apparaîtra par la suite, les
différences de sens sont intrinsèques, elles résident au sein même de
chaque journal, davantage qu'elles ne les départagent. Et si le “ paysage ”
journalistique possède une certaine hétérogénéité, celle-ci s'observe avant
tout dans la place accordée par chaque journal à la question des “ diplô-
més chômeurs”, en proportion de l'ensemble des articles consacrés à ce
sujet, et en proportion de ceux qui traitent d'autres questions – l'éducation
par exemple (voir en annexe).
Toutes ces réserves en disent long sur les limites du travail ici
exposé et justifient l'origine de la principale direction finalement adoptée :
discerner les représentations des jeunes diplômés dans quelques titres de
presse et interroger le sens des différences caractéristiques de ces repré-
sentations. Pour tenter d'y parvenir, deux premières questions, que nous
reprendrons dans la première partie de ce texte, ont orienté la recherche :
pour les journalistes marocains de la presse écrite, qui sont ceux qu'ils
dénomment les “diplômés chômeurs ” ? Et quel sens attribuent-ils à leurs
École et devenir au Maroc
1 Les pateras sont les embarcations au bord desquelles les émigrés clandestins tentent
de gagner l'Espagne par le détroit de Gibraltar.
Dossier Étienne GÉRARD
2 C'est moi qui souligne, pour signaler l'un des ressorts de la construction des discours
et des représentations (cf. infra).
3 Idem.
Dossier Étienne GÉRARD
employé pour les évoquer. Mais elle peut même se lire, paradoxalement,
dans la neutralité de certains discours. Celle-ci ne signifie pas, comme on
pourrait le penser, un manque d'intérêt de la part du journaliste ; mais,
simplement, que la prise de position est inutile pour rendre compte d'une
réalité. Attirer l'attention du lecteur suffit. Dépouillé d'artifices (comme
peuvent l'être les métaphores destinées à survaloriser un fait ou un événe-
ment), le discours peut, par sa neutralité même, repousser la critique et
bénéficier de davantage d'attention. À propos de l'un de ses articles dans
lequel il ne prend aucune position, un journaliste (du Journal) m'explique
ainsi, en parlant des diplômés :
aussi à savoir jusqu'à quel point c'est vrai, leurs souffrances. Mais
quand on s'approche d'eux on se rend compte que c'est vrai, leurs
souffrances, ils ne font pas semblant. Ils ont 30 ans, 32 ans, ils sont
docteurs, ils ont un grand doctorat. Tu débarques de France ou du
Canada et ton doctorat ne te sert à rien. Même l'épicier du coin ne
va pas te faire crédit parce qu'il sait que tu n'as rien (… ). Les diplô-
més veulent s'intégrer (....). Ce n'est pas eux qui refusent de s'in-
tégrer. D'ailleurs, c'est l'État qui a concrétisé cette idée-là que si
vous travaillez dans la fonction publique vous garantissez votre
avenir. C'est dans leur subconscient. Et ils ont peur, quand ils ont un
travail, de le reperdre au bout de quelques mois. Eux ne sont pas
contre l'intégration, ils ne sont pas contre une autre formation pour
pouvoir s'intégrer. Pas du tout. Mais cette peur qui plane toujours
au-dessus de leur tête… ».
4 Ce discours reproduit ainsi, sur un autre mode, les considérations sur “l'inadéquation
formation-emploi ” toujours avancées pour expliquer le chômage des diplômés et pour
marquer – pour stigmatiser – à la fois la dépréciation du diplôme (plus largement du capi-
tal scolaire) et la faillite du système éducatif à valoriser ses étudiants et leurs acquis sous
forme, précisément, de produits “ adéquats” aux besoins de l'économie.
École et devenir au Maroc
Tableau 1
Traitement thématique de la question du chômage des diplômés
dans les trois journaux
(en nombre d'articles, de décembre 1998 à mars 2000)
identifié à des cas particuliers. L'un des articles consacrés aux manifesta-
tions des diplômés chômeurs non-voyants note par exemple que leurs
animateurs « proviennent de différents cercles politiques et syndicaux. On
y relève en particulier des “ barbus ” appartenant à tous les courants
islamistes et aussi des activistes d'extrême gauche, des militants de la
jeunesse Ittihadia et des responsables des mouvements de la société
civile » (La Gazette, n° 100, 27/01/99). Les exemples pourraient être
multipliés. Il est vrai que le dépouillement de la presse écrite n'a pas été
exhaustif et que celui des journaux ici analysés a porté sur une durée
précise et limitée. Mais, pour avoir connaissance de la structuration du
mouvement des “diplômés” en une multitude de groupes identifiés à leurs
secteurs et disciplines d'études 5, pour comprendre en quoi leur manipula-
tion parfois évoquée consiste réellement – pour ne prendre que ces deux
exemples –, ce dépouillement a dû nécessairement être complété par des
interviews de journalistes.
La construction des représentations des diplômés que nous livre la
presse repose ainsi sur la combinaison de la parole et du silence, d'un ton
parfois neutre, ailleurs plus partisan, enfin par la catégorisation : la multi-
plicité des jeunes diplômés, les singularités de leur parcours, les particu-
98 larités de leur identité individuelle, ou encore leurs différences, leurs
oppositions et contradictions, disparaissent en majorité derrière le portrait
d'un groupe uniforme et homogène, de surcroît privé de l'une de ses
composantes : celle des diplômés “ intégrés ” qui ont obtenu un emploi et
de ceux qui entreprennent par eux-mêmes. Même les critiques adressées
aux gouvernants pour leur manque de politiques en faveur des chômeurs
ne sont pas assorties d'un exposé précis des mesures gouvernementales,
dont seule la lecture de l'ensemble des journaux peut fournir le détail.
Pourquoi cela ? «On ne fait pas notre boulot, je suis convaincu
qu'on ne fait pas le boulot qu'on devrait », dit l'un des journalistes que j'ai
rencontrés. Cherchons plutôt à voir sur quoi débouche cette catégorisa-
tion, à savoir ce qu'elle sert. Prenons simplement l'exemple d'un article
rédigé à l'occasion d'une manifestation, en janvier 1999, de diplômés
chômeurs non voyants délogés de l'enceinte du Parlement (La Gazette,
5 Les diplômés chômeurs s'organisent en effet en fonction de leurs études, de leur dis-
cipline, ou même de leur appartenance à une même école (par exemple le “groupe des chi-
mistes ”, le groupe des “ diplômés de l'URSS”, etc.).
École et devenir au Maroc
n° 100, 27/01/99). «On a tout fait, dit l'un d'eux rencontré par le journa-
liste, pour tuer dans l'œuf notre action revendicatrice… On nous a trans-
férés (…) dans l'espoir de nous décourager et nous obliger à rentrer chez
nous.» Après avoir repris ces propos, le journaliste relève, lui, « ce
mauvais traitement réservé à des personnes handicapées qui ne deman-
dent que les quelques avantages accordés à ceux qui ont osé organiser
leur mouvement dans l'enceinte du Parlement (…), qui ont décidé de
rester sur place durant tout le mois sacré du Ramadan et de passer les
vacances de l'Aïd El Fitr sous le froid glacial et la pluie ». À l'évidence,
les manifestants se sacrifient pour leur cause, alors même « qu'aucun
ministre n'a cru bon leur rendre visite ». Le recours aux propos d'un minis-
tre permet d'étayer cette position à l'égard des diplômés. «Ce mouvement
est tout à fait injustifié, dit celui-ci, pour la simple raison que ces activis-
tes ont préféré le style de la confrontation et de la médiatisation stérile à
celui du dialogue et de la concertation.» Le journaliste ne laisse pas
percevoir ce qu'il en pense, mais, après avoir mentionné l'absence de
soutien de l'État à leur égard et signalé le choix de prendre pour «cible
préférée le gouvernement de l'alternance », il conclut en disant : « Au
gouvernement de l'alternance, censé initier le changement, d'en tirer les
conséquences qui s'imposent ». D'autres que lui attribuent la situation des
99
diplômés à «l'inconscience des responsables », et leur mécontentement
«à la vicissitude de gouvernements incompétents qui ont atteint des taux
difficiles à résorber». Les leçons tirées de la manifestation ont donc une
dimension politique et générale, et non seulement sociale et particulière à
une catégorie d'individus. Les diplômés chômeurs sont toujours présentés
comme des victimes, comme on l'a vu, mais ils finissent par disparaître
derrière le problème général de l'emploi, dont ils sont une des figures
maîtresses, et derrière celui de la répression gouvernementale. Ils sont
certes pénalisés par l'absence de travail – ce travail qui est, selon un jour-
naliste, «la dignité de l'être humain » et dont le droit est « une évidence
constitutionnelle» –, mais ils sont, aussi et surtout, l'image même des
échecs du pouvoir ou, selon le mot d'un journaliste, « un boulet de
mauvaise conscience dans le jardin secret de l'État » (Le Journal,
29/05/00). Les diplômés chômeurs, comme l'ont souligné des journalistes
de cette presse écrite dite “ indépendante ”, sont manipulés par certains
partis, certaines fractions politiques, « qui ont cru réaliser une opération
politique d'envergure en se nourrissant de la souffrance de ces diplômés
chômeurs » (La Gazette, n°108, 24/03/99). L'un « pense tout particulière-
ment aux mouvements islamistes, modérés et radicaux », pour lesquels ces
Dossier Étienne GÉRARD
diplômés chômeurs « ont droit à un emploi et à une vie décente bien avant
l'ensemble des autres diplômés » (ibid.)6.
Mais, comme on vient de le voir à travers la catégorisation utilisée
par les journalistes au sujet des diplômés et le recours à leurs problèmes
pour stigmatiser la gestion gouvernementale des questions de société, la
manipulation politique a pour pendant, dans le monde de la presse,
l'instrumentalisation d'individus ou de groupes. Dans les colonnes des
journaux, les diplômés chômeurs sont symboliquement érigés en une caté-
gorie qui sédimente, symbolise et dit les problèmes du chômage, comme
les transformations qui affectent le savoir universitaire. Mais, au-delà de
la catégorisation qu'il opère pour rendre visibles des phénomènes, le
travail journalistique transcende aussi ces catégories. La situation de
certains individus devient le problème général de classes identifiées selon
des propriétés communes (le diplôme par exemple ou simplement l'âge –
il n'est alors plus seulement question de jeunes diplômés mais de jeunes
au sens large) et la mise en relief de la nécessité, pour tous, de bénéficier
de politiques globales de changement et d'amélioration. Si les journalistes
s'associent aux diplômés dont ils plaident la “ misère ” et déplorent “ l'asile
social” en Occident, c'est pour mieux signaler la faillite des gouvernants
100 dans l'amélioration de la situation sociale et économique, dans la réhabi-
litation de l'État comme garant de la protection sociale des citoyens, enfin
dans son devoir patriotique de promouvoir ces citoyens et de leur assurer,
au sein du pays, le meilleur avenir. Sujets toujours sensibles, le travail ou
l'éducation sont ainsi, sous la plume des journalistes, prétextes à messages
politiques à l'adresse du gouvernement en place ; et leurs victimes, qu'il
s'agisse des diplômés chômeurs ou des “ enfants de la rue ” par exemple,
des instruments de la nécessaire sensibilisation de “ l'opinion publique ”.
Ce double glissement, de l'examen particularisé à l'amalgame, et des
problèmes rencontrés par certains groupes à un fait général de société, est
6 L'un des journalistes rencontrés précise : « Amasser des problèmes devant la porte
du gouvernement pour le gêner, pour le déboussoler, peut être une pratique de la droite.
Au Maroc on n'a pas d'extrême droite, mais une droite très " méchante ". C'est des gens
qui n'hésitent pas à utiliser des moyens qui ne sont pas très catholiques, pour arriver à
leur fin. Un exemple : quand ils étaient en sit-in devant le parlement, souvent on les inci-
tait à prolonger le sit-in. Je parle des gens de l'autre bord. On les incitait à rester. Il y avait
des problèmes de prise en charge, bon ils les prenaient en charge. Y compris les loisirs.
Pour eux l'objectif était de faire durer le plus possible la protestation ».
École et devenir au Maroc
rendu possible par la catégorisation des individus et, encore une fois, par
le silence observé – volontairement ou non –, enfin par la rareté d'articles
consacrés aux particularités d'un problème dont la complexité est alors
résumée en figures paradigmatiques. Et il est mis au service d'un discours
politique, adressé au lectorat “ populaire ” comme intellectuel, pour une
critique des mesures et pratiques adoptées par le pouvoir.
Oppositions et indétermination :
la presse en “transition”
Gazette, n°112, 21/04/99). Ce discours porte l'accent sur les pertes subies,
en termes de sécurité sociale, par la génération des jeunes, par la classe
des lettrés, et sur les transformations négatives dont sont affectés le monde
de l'enseignement ou les logiques de mobilité et de promotion sociale. En
réponse au sentiment d'abandon parfois exprimé par les diplômés, il
semble attaché à sauver ce qui peut encore l'être, d'un passé où le savoir
universitaire était plus honoré et récompensé, où leurs titulaires étaient
davantage promus et honorés. Et ce discours n'a de cesse de relever «la
culpabilité des gouvernements successifs qui, de crainte d'affronter la
colère des jeunes, avaient entretenu l'illusion d'un emploi stable alors que
l'assiette du travail se rétrécissait à vue d'œil » (ibid.).
La deuxième thèse, d'inspiration plus libérale, avance, elle, la
nécessité actuelle, pour les diplômés, de se “prendre en charge ” et d'en-
treprendre. L'État Providence est désormais une réalité passée dont il faut
prendre acte, plutôt que de recourir à des revendications passéistes identi-
fiées à une pression de mauvais aloi à l'égard du gouvernement. Par
exemple :
Le chômage, ici, n'est pas ignoré mais considéré comme relatif et,
à ce titre, plutôt passé sous silence ou examiné à la lumière des réformes
pour l'emploi, ou encore apprécié à la lumière des possibilités d'embauche
dans le secteur privé. Pour l'illustrer, les journalistes recourent parfois aux
témoignages d'entrepreneurs, ou de tous autres acteurs qui ont cherché en
vain à recruter des diplômés ou qui en ont essuyé un refus après leur avoir
École et devenir au Maroc
fait des propositions. Tel cet agriculteur rencontré par un journaliste aux
“Assises de l'emploi” de Marrakech en décembre 1998, qui n'a pas réussi
à trouver des ingénieurs agronomes pour travailler sur son exploitation.
«Ils veulent tous travailler dans l'administration, dit-il, avoir un emploi
garanti à vie et aucun ne veut se déclarer d'une compétence quelconque
lors de l'entretien d'embauche » (Le Journal, 19/12/98). Dans sa retrans-
cription, le journaliste remarque que cet employeur a été « échaudé par la
démission d'une ingénieur partie sans préavis au bout de six mois », avant
de lui redonner la parole : « ce sont ces diplômés auxquels on gonfle la tête
qui créent le chômage. Les opportunités de travail existent bel et bien ».
Les choses sont claires : même si « seuls le parler vrai et la courageuse
responsabilisation des jeunes – diplômés ou non – peuvent inverser le
cours actuel des choses», autrement dit même si les gouvernants assu-
ment devant les diplômés leur incapacité à satisfaire leurs revendications,
ces derniers doivent, eux, reconsidérer la valeur de leur diplôme tout
autant que les exigences du marché de l'emploi. Jamais, nous dit ce jour-
naliste, «au Nord comme au Sud de la planète, dans aucun pays du
monde, les jeunes chômeurs, analphabètes ou grassement diplômés, ne se
sont adressés aux gouvernements pour les “ faire travailler” (…) ». Et il
n'est pas possible d'espérer « un recrutement massif de cette nouvelle caste
103
du sociogramme marocain qui ne fait valoir ni sa filiation, comme on s'y
amusait allégrement au lendemain de l'indépendance, ni ses savoirs, ni
même son savoir-faire, mais seulement et uniquement son diplôme.
Comme si le diplôme, conclut-il, pouvait vous faire un homme ! » (La
Gazette, n°112, 21/04/99). La question du diplôme et de sa dépréciation
est donc, elle aussi, secondaire, de même que la valorisation des savoirs
universitaires par la promotion sociale. Ou plutôt : les succès remportés
par les jeunes entrepreneurs attestent de la valeur des diplômes supérieurs
et rendent caduque leur remise en cause, au point que la simple évocation
du problème militerait pour la thèse opposée, condamnant alors le respect
tacitement accordé au savoir scolaire et universitaire.
Ces deux thèses, ici schématisées, sont rarement exposées de
manière aussi explicite. Elles sont aussi souvent nuancées, y compris par
l'absence de prise de position claire sur les principaux sujets qu'elles
recouvrent et qui se croisent : le savoir, le travail et le statut de la jeunesse.
Mais elles parcourent tous les journaux et se renvoient même l'une à
l'autre au sein de certains hebdomadaires, au point que le lecteur non
averti – comme l'étranger – est amené à s'interroger sur leur validité ou,
simplement, sur ces nuances. De surcroît, certains propos de journalistes
Dossier Étienne GÉRARD
par exemple Khatibi, suite au PAS en 1983, « l'État s'est trouvé en perte
de vitesse dans le domaine économique et social. Il devait lâcher la bride
à la libéralisation et à la privatisation. Mais quand l'État a commencé à
céder une partie de son pouvoir économique au privé, il s'est produit un
phénomène dualiste au sein de l'État : l'État continue à jouer son rôle de
stratège central, le gouvernement se dépolitise. (…) Les élites et les
cadres mis en place exécutaient les directives d'une manière technocra-
tique, marquée par la confusion entre les tâches. Et plus le gouvernement
se dépolitisait, plus l'administration chargée des affaires intérieures du
pays se substituait à lui. De là cette dissymétrie au cœur de l'État, entre
un modèle de stratégie et de repolitisation de la société d'une part ; et, de
l'autre, une neutralisation de la politique secrétée par des appareils d'exé-
cution» (1998 : 31).
Quel parti prendre – si tant est qu'il soit question de prendre un parti
quelconque dans un contexte où, précisément, le partage – des hommes
comme des idées – semble prendre pour traits ceux de la confusion ou, à
tout le moins, de la réflexion, assujettie au “ temps long ” ?
Un journaliste que j'interroge à ce sujet hésite, réfléchit, puis dit,
comme en écho aux propos du politologue précédemment cité :
105
« Transition… On ne sait pas encore où est la balance. En
tout cas, positivement, non. Le poids des séquelles de l'héritage
passé pèse encore lourdement. On va schématiser : vous avez un
gouvernement de gauche, vous avez une administration tentaculaire
sur l'ensemble du pays, de droite. Donc le gouvernement ne peut rien
faire, l'administration bloque tout. Plus grave que ça : au sein même
des administrations centrales, des ministères, le ministre n'a pas le
pouvoir en quelque sorte. Il a un pouvoir politique, un pouvoir de
décision, mais il n'a pas le pouvoir réel d'administrer l'ensemble de
son département et les dépendances régionales au niveau du pays.
Pourquoi ? Parce qu'il y a quelqu'un d'autre de nommé par les
instances suprêmes du pays, et qui sont les chefs de l'administration
du ministère du ministre. Il y a peut-être un noyau progressiste,
démocratique, mais les poches de résistance sont partout : dans les
hautes fonctions de l'administration centrale, dans les entreprises,
dans les administrations régionales et provinciales, dans les
collectivités locales, même dans la société civile ; elles sont au
niveau du ministère de l'intérieur, dans les corps des forces de
l'ordre… Peut-être chez les diplômés eux-mêmes. Vous pouvez avoir
Dossier Étienne GÉRARD
des gens… Avant, vous aviez des étudiants qui étaient organisés au
niveau du syndicat étudiant, qui faisaient du militantisme anti-
régime et tout ça, mais vous trouviez parmi eux une bonne partie qui
étaient des indics. C'était le noyautage systématique. On peut
toujours concevoir cette éventualité sans être vraiment affirmatif ».
Mais comment l'être ? Si les Partis sont en proie à des clivages qui
fragilisent leur unité et leur interdisent clairement de se démarquer entre
eux – comme en témoigne le jeu des alliances alternées de certains partis
islamistes en quête de position politique par exemple –, l'État lui-même
déploie des politiques dont l'opinion publique peut ne retenir que l'ambi-
valence des propositions. « Nous sommes devant un problème œdipien,
écrivait un journaliste de La Gazette au sujet des diplômés chômeurs : ce
sont les enfants de la gauche qui harcèlent aujourd'hui le gouvernement à
majorité de gauche. L'arroseur arrosé ! », concluait-il. De fait, la période
de transition se trouve traversée par de multiples contradictions : celles
dont elle hérite, bien malgré elle, et celles qu'elle ne parvient visiblement
pas à résoudre en raison même de cet héritage et de la nouvelle configu-
106 ration politique, générée par l'accession au trône de Mohamed VI – des
contradictions entre des promesses passées et les réformes actuelles, entre
des générations hier associées, aujourd'hui en opposition, entre des
mouvements politiques “de gauche” d'un côté, plus conservateurs comme
les islamistes de l'autre –, contradictions dont les dilemmes journalistiques
semblent être l'une des traductions.
Prenons donc l'exemple de ce qui nous intéresse ici, le rapport entre
savoir universitaire et emploi, symbolisé par le chômage des diplômés.
Comme l'a souligné L'Économiste en décembre 1998,
« On ne peut pas dire…» : tel semble bien être l'un des messages
indirectement exprimés par la presse écrite, tant elle est témoin et à
l'écoute de l'opinion publique, porte-parole de ses principales égéries et
indirectement messagère des ambivalences et hésitations du pouvoir,
incarnées de manière duale – voire duelle – par le gouvernement et le
Palais : «il y a peut-être un noyau progressiste, démocratique, et puis de
très fortes poches de… hésitait à dire mon interlocuteur. Tout le monde en
est conscient, Sa Majesté en est consciente. Sa Majesté est résolument
dans le noyau du progrès. Mais les poches de résistance sont partout…».
Conscient de tout cela, le journaliste est à la fois marqué par ses influen-
ces diverses :
8 Une étude comparative avec les organes de presse affiliés aux partis demanderait
bien sûr à être menée dans cette perspective. Elle seule permettrait d'apporter des conclu-
sions plus affirmatives.
Dossier Étienne GÉRARD
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE
Part respectivement consacrée par les différents journaux aux questions
d'éducation et au problème des diplômés chômeurs
(en nombre et proportions d'articles)
40
35
30
25
20 Diplômés
15 Éducation
10
5
0
La Gazette La N-Tribune Le Journal
111
Proportion des articles consacrés aux diplômés par chaque journal
par rapport à l'ensemble des articles
Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n°1, 2002, pp. 113-132.
Dossier Hocine KHELFAOUI
importante sur les questions politiques de l’éducation, leur impact sur les
choix individuels et les stratégies de carrière est très faible, sinon nul.
Après une brève présentation du paysage médiatique algérien dans
son rapport à l’École et au pouvoir, le présent travail traitera dans un
premier temps de son impact sur les grandes orientations du système
éducatif, celles qui relèvent du niveau politique, puis, dans un second
temps, sur le choix des carrières et des itinéraires professionnels chez les
jeunes en quête de formation professionnelle.
Dans cette situation, les médias sont souvent les seuls à dénoncer le
contenu des enseignements, généralement qualifiés d’obsolètes, les
conditions matérielles dans lesquelles ils sont dispensés, ainsi que les
comportements anti-pédagogiques signalés par les élèves ou leurs parents.
Il est paradoxalement très rare que de telles critiques viennent des ensei-
gnants – qui n’interviennent dans la presse que pour se plaindre des abus
d’autorité dont ils sont victimes – ou des responsables pédagogiques 1. La
presse est ainsi le seul canal qui permet aux parents, aux enseignants et aux
élèves d’exprimer une requête, un mécontentement, ou d’attirer l’attention
des pouvoirs publics sur les dysfonctionnements qui affectent l’École.
1 Nous avons pu remarquer que seuls les enseignants partis à la retraite interviennent
dans les débats sur le système éducatif rapportés par les médias.
Dossier Hocine KHELFA OUI
Tableau 1
État non exhaustif de la presse écrite en 1974
du Fellah de l’Agriculture
El Chaâb Arabe Quotidien Ministère 25 000
de l’Information
Terre et Progrès Français Mensuel Ministère 15 000
de l’Agriculture
Sources : d’après Etienne et Leca, 1975 : 66.
Tableau 2
État de la presse écrite en 2000 (tableau non exhaustif)
Tableau 2 (suite)
Le Jeune Français Quotidien Indépendant Faible
Indépendant
À noter que les expériences de presse partisane ont presque toutes échoué, ou ont donné
lieu à des journaux de très faible tirage, comme La Libre Algérie (en français) du FFS,
ainsi que Saout El Ahrar (également en français) du FLN.
118
Les médias : influence passée et actuelle
sur la publicité est également utilisé pour pénaliser les titres indociles et
récompenser ceux qui le sont moins. En fait, dans bien des cas, le Pouvoir
choisit à l’égard de la presse le comportement qu’il adopte à l’égard de
l’opposition politique et que l’on peut résumer ainsi : « Dites (ou écrivez)
ce que vous voulez, nous, nous faisons ce que nous voulons ». Lorsque les
protestations dépassent le seuil du dit ou de l’écrit, le monopole de la
violence détenu par l’État est alors exercé à l’encontre des récalcitrants.
En l’absence d’arbitrage social opérant, et tant que l’État bénéficie du
sentiment de répulsion et de peur généré par le terrorisme, cette stratégie
s’avère payante.
De ce fait, les médias ont probablement eu plus d’influence sur le
Pouvoir, et donc sur les orientations politiques, avant la libéralisation
qu’après. Cela étant, plusieurs niveaux de distinction sont à relever dans
les attitudes des médias algériens à l’égard du système d’éducation et de
formation. Au niveau diachronique, on observe naturellement une évolu-
tion significative entre la période du Parti unique et celle qui lui a succédé
à partir de 1988. Au niveau synchronique, on distingue des comporte-
ments assez nuancés entre les médias dits publics (en fait gouvernemen-
taux) et ceux dits indépendants (de propriété privée) ; tout comme on
observe au sein de ces deux groupes de médias d’autres nuances entre
119
presse arabophone et presse francophone, entre presse écrite et presse
audiovisuelle.
mique Actualité Économie. Bien qu’il prît une coloration politique – par
sa position critique à l’égard du secteur public et son soutien au secteur
privé, le système préparant alors sa mue future – et qu’il fût le seul journal
de cette nature sur le marché, il ne tint pas plus de trois ans. Tout récem-
ment encore, L’Économiste d’Algérie, un hebdomadaire d’informations
économiques, a été lancé par des journalistes indépendants ; après six
mois de parution, il reste largement méconnu du grand public. Ce journal
n’a d’ailleurs pu avoir l’autorisation de paraître qu’après de très nom-
breuses démarches et une longue grève de la faim menée par son fonda-
teur principal. Alors qu’il n’oppose aucun obstacle à la multiplication des
journaux politiques, le Pouvoir fait preuve d’une extrême méfiance à
l’égard de la presse économique.
Cette situation explique la propension des médias à aborder le
système éducatif sous l’angle politique. Il est facile d’observer qu’ils sont
plutôt intéressés par un enseignement porteur d’idéologie (société laïque,
société religieuse…) ; aussi le système éducatif est-il désormais associé à
la construction d’un “projet de société” plutôt qu’à un “projet de déve-
loppement”, comme c’était souvent le cas avant la libéralisation. Bien
évidemment, leur position ne fait ici que refléter les antagonismes qui
120 traversent la société et le système politique algérien. Cette orientation
originelle pourrait également trouver une de ses causes dans le fait que les
médias ont abrité dès les premières années de l’indépendance des débats
contradictoires sur la nature du système scolaire à construire et que, au
cours de ces débats, seuls les politiques ou des points de vue reflétant des
avis politiques, s’y exprimaient. On peut en effet remarquer que très peu
d’écrits viennent de pédagogues ou de techniciens s’intéressant concrè-
tement aux programmes enseignés, à la manière dont ils sont enseignés ou
aux débouchés de l’école.
Les médias ont depuis toujours servi de support aux débats sur la
place de la religion, de la langue (arabe ou française) ou de la technique
dans l’enseignement – lorsque celle-ci est politiquement orientée comme
ce fut le cas lors des campagnes de promotion en faveur des instituts tech-
nologiques au début des années soixante-dix. Parmi les thèmes qui ont le
plus mobilisé les médias, et sur lesquels ceux-ci ont exercé le plus d’in-
fluence, figure celui de la langue d’enseignement. Dès 1963, moins d’une
année après l’indépendance, les journaux ouvrirent leurs colonnes à des
Politiques scolaires et choix de carrière
3 Cette thèse est soutenue par Mostéfa Lacheraf, sociologue et homme politique
algérien.
4 Voir Etienne et Leca, 1975.
5 Al-Uruba (l’arabité), revue publiée à Constantine, et cité par B. Étienne, 1977 : 184.
Dossier Hocine KHELFA OUI
alors : les diplômés de langue arabe avaient pour principaux débouchés les
“appareils idéologiques”, à savoir le secteur éducatif, l’appareil judi-
ciaire, le ministère de l’Information, le Parti FLN 6…, ainsi que le secteur
du commerce informel. Les diplômés de langue française allaient, eux,
majoritairement dans le secteur public économique (agriculture, industrie,
pétrole, hydraulique…) et, également, dans le secteur économique privé
productif. Cette “distribution ” marque aujourd’hui encore le paysage
politique et socioculturel algérien, et constitue un des plus importants
clivages de la société 7.
Le fait que certains médias servaient de caisse de résonance aux
“arabisants” contribuait à faire d’eux, durant les années soixante-dix, un
groupe social turbulent et revendicatif. Par certains côtés, cette situation
rappelle assez étrangement celle que vivent actuellement les “francisants” ;
complètement, ou presque, expulsés du domaine éducatif, ces derniers s’en
prennent quasi quotidiennement dans la presse à «l’école des analphabètes
bilingues», qui ne produit que de la «violence religieuse» 8.
En somme, il paraît assez clairement que la presse arabophone
répercuta globalement (mais non exclusivement) des messages et des
analyses favorables au courant culturaliste et conservateur, tandis que la
122 presse francophone en fit de même pour le courant adverse, qui se définit
globalement comme laïc et moderniste.
Les médias vont avoir un impact majeur, non seulement sur l’avenir
de l’École mais également sur celui de la société algérienne dans son
ensemble. Cet impact se mesure par exemple aux conséquences qu’auront
les écrits médiatiques de Abdallah Cheriet en réaction au projet de réforme
du système éducatif de 1977, annoncée par Mostéfa Lacheraf qui venait
d’être nommé ministre de l’Éducation. Abdallah Cheriet, intellectuel
6 Le FLN était jusqu’à la fin des années quatre-vingt parmi les plus gros employeurs
de la Fonction publique, son personnel émargeant à la caisse de l’État.
7 Ces dernières années, l’appareil judiciaire a souvent été mobilisé pour juguler ou
réprimer sévèrement les composantes du courant “franco-laïc”, comme le montre claire-
ment l’emprisonnement massif des cadres du secteur industriel public de 1996 à 1999.
8 Les articles traitant de ces thèmes foisonnent dans la presse. Toutefois, avec la
montée de la violence et l’implication d’enseignants dans des actes terroristes, de tels
écrits sont également repris par des organes de langue arabe. Il y a lieu de souligner que
les clivages linguistiques recouvrent de moins en moins ces dernières années les clivages
politiques.
Politiques scolaires et choix de carrière
9 Le Président Boumédienne aurait, selon Le Quotidien d’Oran qui est revenu sur cet
épisode dans son édition du 18/05/2000, menacé de dissoudre le Parlement si ses membres
persistaient à réclamer la démission de Lacheraf.
10 La Nahda, ou Renaissance islamique, est un mouvement politico-intellectuel fondé
par Djamel Eddine Al Afghani et Mohamed Abdou au début du vingtième siècle.
Dossier Hocine KHELFA OUI
11 Mostéfa Lacheraf écrit encore (1998 : 324) : «En avril 1977, ayant été nommé
ministre de l’Éducation nationale dans le dernier gouvernement de Boumédienne, et cela
malgré mes refus répétés, je me vis aussitôt en butte aux attaques et sabotages du clan des
conservateurs activistes qui, dans la chasse gardée de l’enseignement à ses différents
degrés, avaient réalisé depuis 1962 l’union sacrée entre les débris déphasés de certains
vieux oulémas et la nouvelle vague d’arabisants frénétiques et médiocres dominés par le
baâth ».
12 Cette solidarité rappelle un des codes de conduite qui assuraient la survie en milieu
hostile des anciennes tribus arabes, et qui enjoint à chaque individu de soutenir sans condi-
tions les autres membres du groupe. « Soutiens ton frère qu’il ait tort ou raison », sous
peine d’exclusion et de bannissement sans aucune chance de se faire accepter par un autre
groupe, comme cela est arrivé aux dirigeants du FIS qui ont exprimé publiquement, en
1990, leur désaccord avec la Direction de leur Parti.
Politiques scolaires et choix de carrière
13 En réponse à l’une de ces accusations, un journal francophone n’a pas hésité à titrer,
sur un ton délibérément provocateur, «Francophones et fiers de l’être» (L’Hebdo Libéré,
cité par Arous, 1993).
14 Boudalia-Greffou, 1989.
Dossier Hocine KHELFA OUI
15 En Algérie, on estime que chaque exemplaire acheté est lu par trois personnes en
moyenne.
Dossier Hocine KHELFA OUI
Conclusion
131
BIBLIOGRAPHIE
132
DIX ANS D’ÉCOLE VUS PAR JEUNE AFRIQUE
La décennie quatre-vingt-dix
Bénédicte KAIL*
Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n°1, 2002, pp. 133-150.
Dossier Bénédicte KAIL
2 Jeune Afrique compte cinquante numéros par an car il y a deux numéros doubles :
un entre Noël et le jour de l’An et un durant l’été.
Dix ans d’école vus par Jeune Afrique
3 Selon le concept d’« agenda setting» de Mc Combs et Shows, les préoccupations des
citoyens sont structurées par les médias. Ces auteurs émettent hypothèse que « la presse
ne réussit peut-être pas, la plupart du temps, à dire aux gens ce qu’il faut penser, mais elle
est extrêmement efficace pour dire à ses lecteurs à quoi il faut penser »
(Mc Combs et Shows, cités par Derville, 1997 : 61). Mais celle-ci n’a jamais pu être
démontrée ; les chercheurs tendent plutôt à postuler l’existence d’une boucle récursive
dont il est délicat de situer la source, les préoccupations du public et celles des médias s’in-
fluençant mutuellement (Derville, ibid. : 64).
Dossier Bénédicte KAIL
auteurs (de toutes nationalités : aussi bien des Français que des auteurs
d’Afrique noire ou du Maghreb) et, parmi les dix qui ont eu l’occasion
d’en écrire plusieurs sur ce thème, aucun n’en a écrit plus de trois.
Jeune Afrique ne semble donc pas collaborer avec des journalistes spécia-
listes de l’École, ni même faire appel à un grand nombre de collaborateurs
réguliers. Seuls trois journalistes ont écrit sur un intervalle de plus de trois
ans. L’hebdomadaire fait ainsi davantage appel, pour ce thème tout du
moins, à des collaborateurs ponctuels.
Parmi les soixante-neuf auteurs, onze sont, comme les désigne le
rédacteur, des “permanents” (restés plus de deux ans). Parmi eux, huit
sont présents depuis le début du journal et sont basés à Paris. Les auteurs
des articles sont donc surtout des collaborateurs ponctuels et des pigistes,
le journal connaissant un turn-over très important.
Six correspondants écrivent également pour le journal. En général,
ils assurent la majorité des articles sur le pays dont ils sont résidents, et ce
pendant environ trois ans. Une exception cependant, en 1997 : sept arti-
cles ont été rédigés sur la Côte-d’Ivoire avec trois signatures différentes.
D’après le rédacteur, le premier correspondant « ne convenait
pas », pas plus que le second, jugé « trop social mais pas assez poli-
136 tique ». Son article de fond de six pages : « Pourquoi l’école va mal »,
évoquait pourtant les différents niveaux de l’enseignement en prenant en
compte aussi bien le point de vue des enseignants que des élèves et
étudiants. Il offrait ainsi un état des lieux complet et lucide des lacunes et
dérives du système éducatif ivoirien (1997, n° 1916).
Le choix des pays concernés par les quatre-vingt-quatorze articles
est révélateur d’une certaine politique de Jeune Afrique.
Comme le montre le tableau 1 (en annexe), deux pays sont forte-
ment sur-représentés : la Côte-d’Ivoire (dix-sept articles) et la Tunisie (dix
articles). Viennent ensuite le Maroc (huit articles), le Sénégal (sept),
l’Algérie (cinq), puis le Cameroun et le Niger (trois articles chacun).
Aucun des autres pays ne totalise plus de deux articles 4.
Ainsi, Jeune Afrique prête particulièrement attention à l’École de
l’Afrique francophone (quarante et un articles) et du Maghreb (vingt-trois
articles). Il traite principalement de pays où il peut être lu ; ainsi, aucun
5 Dans ces pays, les ventes sont liées au niveau de vie et vont de 10 000 en Côte-
d’Ivoire (le plus gros acheteur) et 8 000 environ au Sénégal, à quelques centaines seule-
ment au Tchad ou en Mauritanie.
6 Mais cette façon différente de comptabiliser est sans conséquence pour les autres
pays, comme le montre également le tableau 1, p.148.
Dossier Bénédicte KAIL
Les crises
En 1990 et 1991, les articles sur les crises scolaires et, surtout,
universitaires, sont nombreux et renvoient aux crises politiques. Ils sont
d’ailleurs majoritaires (six articles sur les neuf publiés en 1990 et dix sur
les treize en 1991), ce qui ne se renouvellera plus par la suite.
Deux séries d’articles traitent de ce sujet. La première, publiée en
7 Selon les tenants de l’approche “économie politique” des médias, « aucune com-
préhension des médias n’est possible sans tenir compte des conditions économiques dans
lesquelles les messages qu’ils diffusent sont produits » (Derville, 1997 : 74).
Dix ans d’école vus par Jeune Afrique
Les dossiers sur les Grandes écoles apparaissent à la suite des rema-
niements de 1996. Auparavant, le sujet était déjà abordé, mais plutôt sous
Dix ans d’école vus par Jeune Afrique
sont en couverture, ils ne font pas vendre. C’est donc toujours « la poli-
tique qui fait vendre ».
Le rédacteur raisonne en termes de marketing, aussi bien en direc-
tion des lecteurs que des annonceurs. Tout son argumentaire semble
vouloir démontrer que Jeune Afrique possède bien les caractéristiques
propres aux périodiques, comme les définit Jean-Marie Charon : un
personnel comprenant une proportion importante de cadres, aussi bien
rédactionnels que commerciaux et gestionnaires, un recours large aux
pigistes et la sous-traitance de sa fabrication au secteur de l’imprimerie de
labeur ; mais, surtout, une démarche marketing incluant une analyse du
marché des lecteurs et des annonceurs, une adaptation du produit aux
attentes du lecteur (textes assez courts, avec photos), le tout renforcé par
un ajustement du produit aux attentes des annonceurs. Il s’agit alors de
proposer à ces derniers des supports qui s’adressent à des clientèles
ciblées, comme les suppléments thématiques ou les “cahiers ”, qui sont
des “pièges à pub” (1991 : 276-286).
Il invoque également le «déterminisme économique» (les difficultés
à concilier l’intérêt du public et l’entreprise de presse), ainsi que le «déter-
minisme technologique» (mimétisme des supports écrits, contraintes de
146 longueur, etc.) pour justifier des choix discutables. Ainsi la responsabilité
en revient au «système» ; les journalistes, eux, sont innocents.
La politique de Jeune Afrique vise plutôt à développer ses recettes
publicitaires et à s’attacher le lectorat déjà existant. Ceci d’autant plus
que, comme le précise le rédacteur, « une nouvelle génération d’Africains
va arriver au pouvoir et ils ont fait leurs études en France. Je suis content
qu’on les ait fidélisés». Il semble aussi que le manque de prise de position
critique de Jeune Afrique tienne à la fois à son histoire et à son finance-
ment. Sa politique, enfin, répond au souhait de rester celui qui accompa-
gne les pays africains (ce qui bien sûr empêche certaines critiques), mais
aussi à la volonté de ne jamais tomber dans l’afro-pessimisme.
Dix ans d’école vus par Jeune Afrique
BIBLIOGRAPHIE
147
Tableau 1
Nombre d’articles de Jeune Afrique par pays ou zone géographique, et par année
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 Total Nombre
des articles de colonnes
Algérie 1 1 2 1 5 13
Dossier
Afrique du Sud 1 1 2
Bénin 2 2 4
Burkina Faso 1 1 2 12
Cameroun 1 1 1 4 13
Centrafrique 1 1 2
Congo 1 1 1
Côte-d’Ivoire 1 2 2 1 7 1 3 17 65
Kenya 1 1 3
Libye 1 1 4
Mali 1 1 3
Maroc 1 3 2 1 1 8 36
Namibie 1 1 1
ANNEXE
Niger 3 3 12
Rép. Démo. du Congo 2 2 8
Rwanda 1 1 2 2
Sénégal 1 1 1 1 2 1 7 20
Tunisie 1 1 2 1 1 2 2 10 68
Zaïre 1 1 2
Ensemble de l’Afrique 4 3 1 8 34
Groupe de pays d’Afrique 1 1 3
Etudiants africains à
l’étranger et Grandes écoles 1 2 2 1 1 1 5 13 56
Bénédicte KAIL
Enseignement supérieur
en général 1 1 1 3 10
Total des articles 9 13 3 4 11 12 6 16 9 11 94 374
Tableau 2
Nombre d’articles de Jeune Afrique par thème et par année (1990-1999)
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 Total
*noté 10 car un article traite distinctement de deux sujets : conditions scolaires sans luttes, et réformes.
Dix ans d’école vus par Jeune Afrique
149
150
Tableau 3
Nombre d’articles par niveau scolaire et par année (1990-1999)
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 Total %
Enseignement
primaireet secondaire 4 1 2 1 3 6 1 5 2 1 26 27,7
Enseignement
supérieur 5 10 - 3 5 5 5 8 6 8 55 58,5
Enseignement
en général - 2 1 - 3 1 - 3 1 2 13 13,8
Total 9 13 3 4 11 12 6 16 9 11 94 100
ENTRE INSTRUMENTALISATION ET AUTONOMISATION
Journalistes et militants dans les luttes scolaires et universitaires
au Sénégal et au Burkina Faso (années soixante - quatre-vingt-dix)
Pascal BIANCHINI*
Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n°1, 2002, pp. 151-178.
Dossier Pascal B IANCHINI
“ des écarts de langage ” des journalistes. Troisième question : êtes-vous prêts à financer
la formation de certains journalistes ? Sinon, ne vous plaignez pas que la presse ne s’in-
téresse qu’aux amphis qui brûlent ou aux étudiants qui réclament des bourses» (ibid.).
2 Bara Diouf, ancien président-directeur général du Soleil, résumait ainsi la situation.
Selon lui, « L’ouverture démocratique a été d’une telle brutalité que la floraison de jour-
naux n’a pas été accompagnée d’un nombre suffisant de journalistes formés. Le recrute-
ment à tour de bras a mené certains à confondre le journal avec la place publique : “la
grand-place”» (Ndao, in Panos, 1996 : 173).
Dossier Pascal B IANCHINI
« Les bruits ont couru que j’ai été molesté par les élèves, c’est
absolument faux. J’ai été dans la cour, les élèves n’ont pas insulté
qui que ce soit. Ils se sont limités à des cris de rien du tout et, lorsqu’à
Entre instrumentalisation et autonomisation
7 C’est ce que les journalistes voltaïques appelaient entre eux le “coupé cloué”, du
nom d’un chanteur haïtien à la mode à l’époque.
Dossier Pascal B IANCHINI
8 Jusqu’au dénouement de la crise, qui a lieu six mois plus tard avec la tenue des États
généraux de l’Éducation, où la réconciliation nationale est célébrée avec lyrisme
(Le Soleil, 29-30/01/1980).
Dossier Pascal B IANCHINI
Le Soleil adopte une attitude inverse, mais qui s’intègre tout autant à la
stratégie gouvernementale : il annonce la signature d’un accord débou-
chant sur la reprise des cours. En réalité, cette reprise ne sera effective que
plusieurs jours plus tard, car la signature du compromis n’a pas emporté
l’adhésion de l’ensemble des dirigeants, ni de la base qui n’a pas été
consultée. Entaché du soupçon de corruption 9, cet accord, aussitôt publié
par Le Soleil pour court-circuiter la grève, a en fait entraîné une remise en
cause de l’organisation du mouvement étudiant débouchant trois années
plus tard sur la dissolution des anciennes “ unions nationales ” et la créa-
tion de la Coordination des étudiants de Dakar (CED).
Durant les premières années de la décennie, l’action de ces mouve-
ments sociaux est surtout relayée dans la presse militante d’opposition
(Dan Doole 10, Jaay Doole bi 11) qui touche surtout un public “ intellectuel ”
de sympathisants de ces partis. Ce n’est que vers la fin de la décennie
qu’apparaît une nouvelle presse privée, qui va progressivement remettre
en cause l’hégémonie des médias gouvernementaux. Deux titres apparus
à cette époque – partis d’une périodicité mensuelle pour Wal Fadjri 12, et
162 hebdomadaire pour Sud 13 – seront à l’origine de deux nouveaux quoti-
diens dans la décennie suivante, puis des deux principaux groupes de
presse privés actuels.
L’action répressive des forces de l’ordre à l’encontre des étudiants se
trouve ainsi exposée à davantage de critiques, comme c’est le cas lors de
l’assaut du campus le 22 janvier 1987, qui fait de nombreux blessés
(Wal Fadjri, 05/02/1987). Fait impensable quelques années auparavant,
dans les jours qui suivent Le Soleil accueille dans ses colonnes une
9 Confirmé quelques mois plus tard par le fait que les signataires de l’accord obtien-
dront des bourses pour l’étranger.
10 Le prolétaire, Organe du Parti de l’Indépendance et du travail (PIT), ex-PAI-
Sénégal, pro soviétique.
11 Le prolétaire (autre traduction en wolof !), organe de And Jëf, les “maoïstes”.
12 À l’origine, lorsqu’il était mensuel, Wal Fadjri (L’Aurore) affichait une ligne ouverte-
ment islamique. Mais, par la suite, son propriétaire Sidy Lamine Niasse a fini par accepter
les choix laïques de sa rédaction, afin de s’imposer au sein de la presse sénégalaise.
13 Sud est sous l’influence de certains milieux d’affaires, à l’image de son patron Niaga
Sylla, mais on trouve dans sa rédaction des proches de And Jëf comme Vieux Savané, le
frère de Landing, secrétaire général de cette formation.
Entre instrumentalisation et autonomisation
Haute-Volta/Burkina Faso :
le journalisme militant qui désigne les ennemis de la révolution
16 “Vérité ” en langue mooré. Le projet d’un quotidien d’État était antérieur au CNR,
mais n’avait pu voir encore le jour.
17 La première expression vise surtout les syndicalistes du SNEAHV, accusés d’avoir
servi de cheval de Troie en 1980 pour l’arrivée au pouvoir du régime de Saye Zerbo, et qui
ont été “dégagés ” de la fonction publique pour avoir fait grève en mars 1984. La seconde
vise surtout les frères ennemis du Parti communiste révolutionnaire voltaïque, dont l’em-
prise à partir du mouvement étudiant commence à s’étendre aux syndicats de salariés.
18 « La fraction de la jeunesse qui fait partie intégrante du peuple doit être éduquée dans
un sens révolutionnaire, d’où la nécessité d’un enseignement de type nouveau qui s’acharne
à inculquer aux jeunes l’amour de la patrie, la conscience anti-impérialiste, une connaissance
des réalités de leur peuple et la possibilité de gagner leur pain et de participer à la construc-
tion d’un pays par l’apprentissage d’un métier » (Carrefour africain, 30/08/1985 : 20).
Entre instrumentalisation et autonomisation
pour être détenus dans les locaux du Conseil de l’Entente 23, où ils sont
torturés. L’un d’eux, Dabo Boukary, n’est pas ressorti vivant de ces
interrogatoires, et l’indication du lieu où il a été inhumé figure toujours
dans les plateformes revendicatives des étudiants.
Cette crise étudiante a eu aussi des conséquences sur la presse :
pour avoir rendu compte de ces événements de mai 1990, le directeur du
quotidien national Sidwaya a tout simplement été relevé de ses fonctions.
Durant les années qui suivent, malgré le libéralisme apparent – de
nouveaux titres sortent –, les journalistes semblent s’imposer une sorte
d’autocensure à l’égard du régime, selon l’ancienne formule du “tableau
d’affichage”. Ainsi, à l’occasion des crises scolaires et universitaires, se
succèdent dans les pages des quotidiens les communiqués des uns – mini-
stres de l’éducation ou de l’enseignement supérieur, recteurs etc. – ou des
autres – syndicats d’enseignants, organisations étudiantes, etc. Cette
formule permet également à des groupes virtuels d’exprimer des prises de
positions qui s’apparentent souvent à des tentatives de manipulation de la
part du pouvoir 24.
Un phénomène atypique va toutefois bouleverser ce compromis
tacite entre les organes de presse et le pouvoir : apparaît en effet
168 L’Indépendant, un hebdomadaire dirigé par Norbert Zongo, qui écrit
l’essentiel des articles – et qu’il signe sous le pseudonyme de Henri
Sebgo. Sa trajectoire biographique résume d’une certaine façon la posture
contre-hégémonique des mouvements sociaux issus du processus de
scolarisation.
Malgré ces différences notables entre les deux pays, on peut pro-
poser un paradigme qui permet de cerner les relations entre médias et
mouvements sociaux issus du système d’enseignement en Afrique noire.
Le constat de départ est celui d’une interdépendance particulière
entre la presse et ces mouvements sociaux. Le phénomène n’est pas limité
Dans un tel contexte, marqué par des rapports de force qui polari-
sent le jeu socio-politique, il est difficile de demeurer à l’écart. L’exemple
du Mali des années quatre-vingt-dix, avec le conflit entre le gouvernement
173
d’Alpha Konaré et le mouvement étudiant, est très éclairant. Il fait éclater
la logique de ces “affinités électives ” que l’on a pu voir à l’œuvre entre le
développement de la presse et celui des mouvements sociaux, dans le cas
du Sénégal et du Burkina Faso. En effet, certains dirigeants maliens
actuels sont eux-mêmes issus de l’histoire du mouvement étudiant, dont
ils étaient les leaders dans les années soixante-dix. D’où des positionne-
ments contradictoires au sein de cette presse “indépendante” confrontée à
une situation trouble, brouillée par le jeu de légitimités différentes
(cf. Sangho, in Panos, 1996 : 96-102).
Reste à examiner ensuite le sens de cette “médiatisation” des
conflits socio-politiques. Dans le cas de la France contemporaine, un
sociologue, s’inspirant de certaines thèses de Pierre Bourdieu, a avancé la
proposition d’une «fabrication médiatique» – essentiellement par la télé-
vision – de certains «malaises sociaux », en particulier dans le cas de
certaines mobilisations des lycéens, et plus généralement du “malaise des
banlieues” (Champagne, 1991 : 65-66).
Dans le cas des pays africains, le déterminisme paraît plutôt
inversé : c’est le poids des clivages socio-politiques – et notamment le
clivage majeur de l’histoire post-coloniale, entre ce que l’on peut appeler
Dossier Pascal B IANCHINI
31 « Bien que les agents qui sont engagés dans le champ journalistique soient dans une
relation de concurrence et de lutte permanentes et que le champ journalistique soit, d’une
certaine façon, englobé dans le champ politique au sein duquel il exerce des effets très
puissants, ces deux champs ont en commun d’être très directement et très étroitement
placés sous l’empire de la sanction du marché et du plébiscite» (Bourdieu, 1994 : 7).
Entre instrumentalisation et autonomisation
BIBLIOGRAPHIE
178
LA RHÉTORIQUE JOURNALISTIQUE
À propos d'une “crise” scolaire en Côte-d'Ivoire
Laurence PROTEAU*
Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n°1, 2002, pp. 179-199.
Dossier Laurence PROTEAU
1 Les éléments d’analyse utilisés proviennent d’un corpus constitué de 481 articles de
presse tirés de huit titres, dont sept quotidiens et un hebdomadaire : Le Démocrate, Le
Réveil, La Nouvelle République, journaux du Parti Démocratique de Côte-d’Ivoire (PDCI,
au pouvoir au moment de la crise scolaire de 1999) ; Fraternité-Matin, Ivoir’Soir, deux
titres de services publics eux aussi fortement dépendants du PDCI ; Notre Voie, quotidien
lié au Front Populaire Ivoirien (FPI - socialiste) ; Le Patriote, journal du Rassemblement
des Républicains (RDR - centriste) ; et enfin Le Jour, se déclarant indépendant mais pro-
che de l’opposition.
2 La plupart des médias audiovisuels ont un statut de service public et sont de fait
contrôlés par le parti au pouvoir jusqu’au 24 décembre 1999 (PDCI). C’est notamment le
cas de la Radio Télévision Ivoirienne devenue société d’économie mixte en février 1992.
Une seule télévision privée est autorisée : Canal Horizons, chaîne à péage française. En
revanche, en 1991, une loi met fin au monopole d’État sur la radio et des fréquences FM
sont accordées à plusieurs radios privées dont RFI, BBC, Africa N°1, Radio Nostalgie et
JAM (Jeune Afrique Musique). La radio nationale reste très gouvernementale, mais
Fréquence deux, créée en 1991, diffuse avec plus de liberté. Par ailleurs il existe de nom-
breuses radios libres non commerciales.
3 Le général Guéi, ancien chef d’état-major de l’Armée ivoirienne, nommé en 1990
par Houphouët-Boigny et limogé en 1995 par Bédié, prend la direction du coup d’État,
La rhétorique journalistique
destitue Konan Bédié, forme un Comité national de salut public (CNSP), suspend la
Constitution, dissoud l’Assemblée Nationale et se proclame Président de la République
ivoirienne le 24 décembre 1999.
4 Le Jour reste souvent relativement neutre, il se contente de rappeler les revendica-
tions, de rapporter des points de vue. La technique utilisée pour prétendre à “l’objectivité”
consiste à citer les propos des principaux acteurs impliqués dans la “crise”. Ainsi, la cri-
tique du régime émane le plus souvent des discours du leader étudiant “fidèlement”
retranscrits (les guillemets sont censés en attester). Cette technique qui tend à faire oublier
la sélection des propos rapportés est déjà une prise de position du journal.
5 Nous entendons la notion de “liberté de la presse” non pas comme le signe de
l’autonomie totale, largement illusoire même dans les pays occidentaux, mais plutôt
comme l’absence de pressions externes directes (censure officielle, menace physique,
emprisonnement et licenciement, etc.).
Dossier Laurence PROTEAU
11 En 1996-1997, 251 dossiers sont transmis à la commission qui en agrée 199. Les
candidats satisfaits sont pour les trois quarts des journalistes des médias d’État et des orga-
nes de presse du PDCI. Pour la session 1997-1998, 361 cartes sont délivrées sur 422
demandes. En 1998-99, 407 cartes sont attribuées.
La rhétorique journalistique
Encadré 1
12 On peut penser, entre autres, à Abou Dramane Sangaré qui est à la fois universitai-
re, directeur du groupe de presse Le Nouvel Horizon et secrétaire général du Front popu-
laire ivoirien ; à Yao Noël, directeur du groupe de presse Le Réveil, premier président de
l’Unjci (1991-1993), actuellement vice-président de l’Union des journalistes africains et
directeur chargé de la Communication et de la Propagande du PDCI-RDA ; à Ayié Ayié
Alexandre, universitaire, secrétaire général de l’Union syndicale de l’enseignement supé-
rieur et de la recherche de 1991 à 1995 (Unesur), directeur de publication du quotidien Le
Républicain ivoirien proche du RDR.
La rhétorique journalistique
13 Dans la suite du texte nous n'indiquerons plus que le jour et le mois, l'année étant
toujours identique : 1999.
La rhétorique journalistique
stratégie pour mettre fin aux mouvements en graciant les prisonniers après
quelques mois de détention. La presse d’opposition retrouve également,
avec ces arrestations, une rhétorique bien rodée : d’un côté la « fascisation
du régime», la « provocation », la « torture», la «répression» ; de l’autre
les «héros», les «martyrs», défenseurs d’une « noble cause » qui en
appellent à l’opinion nationale et internationale, aux parents d’élèves
(«notre seul recours, c’est vous», déclare Goudé) et enfin à Dieu
(«prendre Dieu à témoin quant aux difficultés que nous vivons et la
manière méchante dont nous sommes traités», Notre Voie, 28/05). Les
dirigeants du syndicat recourent par voie de presse à l’analogie, largement
répandue dans le sens commun ivoirien, entre l’autorité politique et l’au-
torité familiale ; entre la maltraitance familiale condamnable et l’arbitraire
du pouvoir : l’autorité sans la protection en contrepartie n’est plus légi-
time et peut alors être récusée.
Le 29 mai, le gouvernement annonce la fermeture des cités univer-
sitaires. Fraternité-Matin salue le «courage politique » de l’État et
Ivoir’Soir la lutte contre «l’extrémisme» et la «manipulation» («chair à
canons des partis politiques »). En revanche, Notre Voie dénonce la
«répression sauvage et brutale» et Le Jour se fait le porte-parole de
192 «l’indignation des parents» et de la détresse des étudiants. D’un côté, un
gouvernement «soucieux de préserver le climat de paix et de stabilité
sociale» (Ivoir’Soir, 02/06) et un Président « qui est surtout le père de la
jeunesse ivoirienne» (Le Démocrate, 11/06) contre les « maquisards de la
Fesci [qui préparent] des diplômes de guerre » (Le Réveil, 03 au 09/06) ;
de l’autre, un «mouvement responsable » (Notre Voie, 31/05) victime
d’une «chasse à l’homme» (Le Jour, 02/06) contre un « État fasciste »
(Notre Voie, 20/08).
Le 24 juin, les différents médias annoncent que la Fesci suspend
son mot d’ordre de grève à la demande d’un collectif «d’hommes de
Dieu», institué médiateur 15, qui s’engage à obtenir la libération des
étudiants, le report des examens et la réouverture des cités. Fraternité-
Matin affirme que Goudé «présente publiquement ses excuses au prési-
dent H. Konan Bédié» alors que Notre Voie choisit de rendre compte des
excuses de la Fesci «au corps enseignant ». Aucun des engagements pris
Avant la fin du parti-État, les contestations menées par les étudiants ou les
enseignants ont toujours été traitées par les médias en des termes similaires.
Tableau 1
Dualisme de la rhétorique journalistique
Excellence Médiocrité
BIBLIOGRAPHIE
Quotidiens
Fraternité-Matin et Ivoir’Soir (service public)
Le Démocrate et La Nouvelle République (PDCI)
Le Patriote (RDR)
Notre Voie (FPI)
Le Jour (indépendant mais proche de l’opposition)
Hebdomadaire
Le Réveil-Hebdo (PDCI)
La rhétorique journalistique
ANNEXE
Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n°1, 2002, pp. 201-222.
Dossier Suzie GUTH
(page huit) : c’est là que l’on peut en général lire les nouvelles de l’ensei-
gnement. La page antépénultième est consacrée aux sports, l’avant
dernière page comporte une bande dessinée humoristique : Zoba Moké :
c’est-à-dire Monsieur l’Idiot ou le Naïf.
La prise de position dans les affaires séculières est devenue de plus
en plus manifeste avec la montée des conflits politiques et des conflits
armés. La Semaine Africaine s’est transformée en un hebdomadaire de
plus en plus engagé ; la région du Pool, siège de la rédaction, mais aussi
lieu d’origine de nombreux prêtres et laïcs, est devenue à la fois l’objet et
le sujet du débat politique.
Le nombre d’articles traitant de l’enseignement et de la jeunesse a
suivi cette évolution politique. On aurait pu penser à première vue que
l’acte du 21 juin 1991 de la conférence nationale, portant rétrocession des
écoles à l’Église catholique, aurait entraîné un accroissement du nombre
d’articles relatifs aux écoles. Mais les choses ne sont pas allées aussi vite :
la rétrocession des écoles fut lente et continue ; ce sont les années de
guerre qui vont bouleverser l’agenda scolaire, qui vont offrir la matière à
un nombre d’articles de plus en plus volumineux. On observe un fort
202 accroissement (onze articles) en 1997, année de la guerre civile, et en
1999 à l’issue de la guerre urbaine au Sud de Brazzaville. Il faut aussi
tenir compte du fait que la rentrée universitaire a eu lieu en juin 1999 pour
certaines Facultés. Ainsi, la multiplication des articles est due autant à la
rétrocession des écoles qu’à la guerre civile et à ses conséquences : il
s’agit de faire le bilan et d’imaginer un avenir pour le pays. En comparant
La Semaine Africaine des années soixante, à l’époque de l’instauration du
monopartisme et de la nationalisation des établissements catholiques, à
l’hebdomadaire d’aujourd’hui, on voit combien la situation politique a
évolué et combien l’Église catholique s’est impliquée dans la société.
Cette transformation nous semble liée à trois facteurs :
- la reconnaissance des associations et des groupements depuis la
Conférence Nationale ;
- l’extrême gravité de la situation politique, économique et huma-
nitaire ;
- le pluralisme dans la presse écrite (la situation de quasi-mono-
pole existe toujours dans l’audiovisuel).
Des articles sur l’Université Marien Ngouabi paraissent régulière-
ment et leur contenu évoque presque toujours la catastrophe, comme on
pourra en juger à la lecture de ces titres publiés entre 1995 et 1999 :
L’école au Congo — Brazzaville
Deux ans plus tard, les élèves étaient entrés en rébellion et avaient
abandonné le complexe. Dans le journal Mweti du 20 juin 1991, une
couturière connue de Makélékélé 1 interrogée par le journaliste indique
que les parents « pensent que la couture est un dépotoir après un échec
scolaire ». Tout semble se passer comme si l’Église avait la même appré-
hension du réel que les professionnels de la couture et non celle des
parents d’élèves.
1 Faubourg de Brazzaville.
L’école au Congo — Brazzaville
« Vous serez livrés même par vos pères et mères, vos frères,
vos proches et vos amis ; on fera mourir plusieurs d’entre vous ».
nouvelles années universitaires pour éviter les décalages dûs aux conflits,
elle se heurte ainsi à des cycles d’études inachevés, à des hiatus temporels
où l’année universitaire ne correspond plus à l’année réelle. Car ces ajus-
tements ne vont pas sans rappeler les années blanches et, notamment, celle
de 1993-1994. À ce temps en retard sur lui-même, qui s’accompagne du
sentiment du déclin (justifié objectivement par l’état des bâtiments), la
nostalgie qu’éprouve Paul Denguika du département de littérature et de
civilisation africaines renvoie l’image d’un passé qui paraît idyllique aux
yeux de ceux qui l’ont connu. C’est le temps du Centre d’Enseignement
Supérieur de Brazzaville 6.
L’après-guerre de 1999
des parents d’élèves (APEC) s’est élevée contre cette décision, car les
effectifs des établissements des quartiers Nord de Brazzaville étaient déjà
pléthoriques. Le président de l’association considère que cette intégration
est un échec car… l’information n’est pas bien passée. Le 1er avril 1999,
un titre d’article annonce : «Plus du tiers des élèves congolais privés de
scolarité». Cette déscolarisation forcée concerne essentiellement le Sud
du pays : les régions du Pool et de la Bouenza, du Niari et de la Lékoumou,
ainsi que les quartiers Sud de la capitale. Les causes en sont partiellement
l’environnement, mais surtout l’insécurité que font régner les affronte-
ments qui se poursuivent entre Cocoyes et Ninjas 7. Il est rappelé que
l’Éducation nationale, qui scolarisait les enfants à plus de 100 % en taux
brut, connaît aujourd’hui un recul qui est estimé à 13 % sur l’ensemble du
pays, mais qui serait de 26 % dans la capitale ; il manque 57 511 élèves
ainsi que plus de 2 000 enseignants ; seuls 318 d’entre eux auraient repris
leur service. Nombreux sont les élèves scolarisés à Pointe-Noire, car les
enseignants sont eux aussi restés dans l’agglomération ponténégrine. Le
24 juin 1999 Pierre Pemba relate une visite faite à sept établissements
brazzavillois. Voici en résumé ce qu’il en dit : ces établissements qui tota-
lisaient avant la guerre 19 222 élèves et 859 enseignants, n’ont plus que
4 710 élèves et 477 enseignants, soit 67 % d’élèves en moins et 44 %
215
d’enseignants en moins. L’école primaire de Bacongo passe de 1 379 à
143 élèves, le Collège Angola Libre à 461 élèves sur 2 852, le Lycée
Savorgnan de Brazza à 1 507 élèves sur 5 700 et le lycée Amilcar Cabral,
qui se situait à dix-sept kilomètres de Brazzaville sur la route de Nganga
Lingolo, est aujourd’hui abrité dans les locaux du Lycée Technique (204
élèves le fréquentent au lieu des 759 d’avant-guerre). Un article, «La
preuve de la baisse des effectifs », publié dans le journal La Nouvelle
République, nous donne en fin d’année de nouvelles statistiques sur les
taux de réussite scolaire. Nous pouvons observer les résultats du BEPC de
1963 à 1999 (selon la direction des Examens et Concours, DEC).
Le meilleur score obtenu était de 51,76 % en 1964 (faut-il rappeler le filtre
de l’examen d’entrée en sixième ?), le score le plus bas a été enregistré en
1984 (10,83 %) mais, depuis 1990, les scores fluctuent entre 14,03 %
(1992) et 38,60 %. Le mouvement est cependant à la baisse : en 1999 le
taux de réussite est de 17,38 % pour 29 182 candidats, alors que l’année
7 Milices rivales.
Dossier Suzie GUTH
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE
CHRONOLOGIE SOMMAIRE
1995
Signature d’un pacte de paix le 24 décembre 1995 entre l’opposition et la
mouvance présidentielle pour désarmer les milices des deux bords.
1996
Mutinerie d’une fraction de l’armée. Les dates de l’élection présidentielle sont
fixées pour l’année 1997. Mais un nouveau gisement pétrolier off shore, Nkossa,
est mis en activité : il va devenir un enjeu des rivalités entre factions.
1997
L’ancien président de la République Denis Sassou Nguesso revient au Congo.
D’anciens miliciens de la mouvance présidentielle se mutinent dans le camp de
formation militaire de Loudima. En avril, mutinerie à la base navale de
Brazzaville. Le 5 mai, le ministère de la Défense est assiégé par une trentaine de
sous-officiers qui demandent l’adoption de la loi sur la réorganisation de l’armée.
Des incidents éclatent lors de la tournée électorale de Denis Sassou-Nguesso dans
le Nord du Congo en raison de son transport en tipoye, comme s’il était un chef
traditionnel. Le 5 juin, les affrontements commencent dans les quartiers de
Brazzaville. Rapatriement des ressortissants étrangers (opération Pélican), les
combats se poursuivent. Première médiation avec le président gabonais. La
France et les Etats-Unis demandent un cessez-le-feu aux belligérants. L’ONU 221
veut un déploiement d’une force d’interposition, mais aucun pays ne se propose
pour la former. La guerre se poursuit et s’étend de Brazzaville au Nord du pays.
Les partisans de Sassou Nguesso sont maîtres du Nord du pays et du Centre Nord.
Les combats à l’arme lourde se poursuivent à Brazzaville et c’est l’ancien Prési-
dent Sassou Nguesso qui remporte le combat grâce à l’appui de troupes angolai-
ses. Le 25 octobre 1998, il se déclare président de la République. L’ancien
président de la République Pascal Lissouba parti en exil, accuse Elf d’avoir aidé
son rival et se pourvoit en justice à cet effet. C’est la fin du deuxième conflit
congolais.
1998
Le MCDDI de Bernard Kolélas, maire de Brazzaville, se rallie au président
de la République Denis Sassou Nguesso. Un Forum fixe la transition “flexible”
à trois ans. Le 24 août, trois personnes sont tuées sur la route de Kindamba
Ngouédi (par des personnes présumées membres des milices Ninjas), un groupe
armé attaque Mindouli le 24 août, tuant un commissaire et un adjudant. Le
pouvoir politique pense que Savimbi d’Angola et les Tutsis rwandais se sont
manifestés. La situation devient critique dans la région du Pool (région de
Brazzaville). L’armée se dirige vers Brazzaville pour s’y réfugier, en raison,
dit-on, de l’avancée des Ninjas (milice du Président Lissouba), des messages en
Dossier Suzie GUTH
Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n°1, 2002, pp.. 223- 244.
Dossier Éric LANOUE
6 Les recrutements sont dits parallèles parce qu’ils permettent aux élèves exclus de
l’enseignement public de le rejoindre clandestinement, soit en achetant leur place, soit en
mobilisant leurs relations.
7 Il s’agit du sous-titre de Djéliba.
La presse catholique et l’éducation
8 Nous indiquons en abrégé les références des citations empruntées aux deux revues :
LN pour La Nouvelle et DJ pour Djéliba ; suivent le numéro, les mois et l’année de paru-
tion de l’article.
9 Les écoles primaires catholiques ferment depuis les années quatre-vingt alors qu’elles
furent pionnières dans l’évangélisation et la scolarisation en Côte-d’Ivoire. Cette tendan-
ce affecte tous les diocèses mais en proportion variable (par exemple les diocèses de
l’Ouest où elles sont plus nombreuses qu’au Sud). Cette tendance à la fermeture est encou-
ragée par le haut clergé ; et notamment, selon nos informations, par l’actuel archevêque.
Les directeurs diocésains de l’enseignement catholique concentrent leurs efforts auprès
des écoles primaires catholiques des villes (ravalement, peinture, aménagement des salles
de classe…), comme nous l’avons observé dans les diocèses de Man et de Gagnoa.
10 Voir tableau 1 en annexe.
11 Voir tableau 2 en annexe.
Dossier Éric LANOUE
tandis que ceux qui concernent la vie des jeunes dans les écoles ou les
ateliers le sont de plus en plus. Il ne faudrait pas conclure à une retraite
des principes religieux en raison de l’émergence de thèmes comme la
déscolarisation, le travail, l’avenir improbable, la fraude, la sexualité. Ils
apparaissent plutôt à l’horizon des expériences décrites. On assiste ainsi à
une tentative d’approche des “vécus ” singuliers, vis-à-vis desquels la
rhétorique chrétienne universelle prenait auparavant ses distances, plutôt
qu’à l’atténuation de la coloration chrétienne de la revue.
14 Les lycées modernes publics atteignent facilement un effectif de 5 000 élèves, les
effectifs des trente établissements catholiques ne dépassent guère les 500 élèves dans le
second cycle de l’enseignement secondaire.
Dossier Éric LANOUE
sans tenir compte de ses engagements contractualisés. Cette présence est le plus souvent
réduite à un seul représentant sur les deux prévus, du moins quand elle est autorisée.
Dossier Éric LANOUE
élèves connaissant une mobilité scolaire, ces jeunes sont recrutés locale-
ment. Le directeur de ce centre, un religieux, prend la peine de justifier les
raisons d’être de son établissement, en relative contradiction avec d’autres
investissements scolaires de l’Église, d’ailleurs soutenus par une autre
forme de demande éducative parentale. Ainsi n’hésite-t-il pas à critiquer
des fonctions attribuées au titre scolaire (diplôme) : d’abord celle de
barrière – il oblige «à sélectionner les plus intelligents», ce qui est jugé
contraire à l’enseignement biblique –, ensuite celle de clôture – il
implique de «suivre un programme scolaire strict » –, enfin la fonction de
leurre – il «incite les diplômés à chercher en ville des emplois salariés et
donc à déserter les villages».
Ces structures éducatives alternatives, fragiles et parfois méprisées,
ne dépendent pas de l’Enseignement Catholique 17. Et l’Église n’engage
que rarement la critique de ce fait scolaire institutionnalisé et de la valeur
des titres délivrés.
D’autres articles traitent aussi de ce genre de structures, mais, à la
différence du précédent, ne les justifient pas en comparaison aux écoles
primaires ou secondaires. L’accueil de la misère du monde scolaire, décisif
234 pour ne pas transformer les “déscolarisés” en déshérités du monde
scolaire, ne suscite guère la critique explicite de la sélection à laquelle des
collèges catholiques participent, même si certains établissements catho-
liques moyens existent réellement 18. La dimension du salut n’est pas étran-
gère à ces structures alternatives ; en dehors de petits apprentissages (la
fabrication de gâteaux), des jeunes filles déscolarisées ou analphabètes
apprennent à prier. L’impossible accès au titre, voire pour certains à l’ins-
titution qui les délivre, constitue l’un des ressorts utilisés pour promouvoir
une Côte-d’Ivoire de plus en plus religieuse. Certaines fractions de l’Église
catholique ont perçu cet enjeu. La religion du Livre a donc ici comme
mission de réinsérer dans une dynamique éducative et religieuse l’enfant
faiblement scolarisé ou celui qui ne l’est pas. Tandis que, naguère, les
missionnaires instituaient l’École selon des visées évangélisatrices, ceux
d’aujourd’hui évangélisent à sa périphérie, tout en éduquant.
19 « Le samedi, quand les professeurs disent qu’on peut venir en civil, c’est de la folie :
pantalons moulants, jupes mini…» (DJ, n° 83, 10/93).
20 DJ, n° 35, 02/82.
Dossier Éric LANOUE
21 Nous avons pu enregistrer auprès de certains parents d’élèves des réactions extrê-
mement hostiles à la politique de lutte contre la fraude scolaire menée par le ministre de
l’Éducation nationale en 1994-95.
22 Par exemple : DJ, n° 57, 04/88 ; DJ, n° 62, 04/89 ; DJ, n° 90, 04/95 ; DJ, n° 102,
04/97 et DJ, n° 105, 01/98.
23 Société des Transports Abidjanais.
Dossier Éric LANOUE
BIBLIOGRAPHIE
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français dans le champ du pouvoir », Actes de la recherche en sciences sociales,
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Éditions du Cerf.
PROTEAU (L.), 1996, École et société en Côte-d’Ivoire. Les enjeux des luttes
scolaires (1960-1994), Paris, EHESS, Thèse de doctorat, vol. I, 322 p. 243
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générale des études et des programmes, 1965, Évolution de l’enseignement du 1er
degré depuis janvier 1958, non paginé.
RÉPUBLIQUE DE CÔTE-D’IVOIRE, Ministère de l’Éducation nationale, Service
autonome des études générales de planification et des statistiques, 1969, Situation
de l’enseignement au 1er janvier 1969.
RÉPUBLIQUE DE CÔTE-D’IVOIRE, Ministère de l’Éducation nationale, Service
autonome des études générales de planification et des statistiques, 1969, Situation
de l’enseignement au 1er janvier 1970.
RÉPUBLIQUE DE CÔTE-D’IVOIRE, Ministère de l’Éducation nationale, 1999,
Statistiques de l’enseignement primaire.
RÉPUBLIQUE DE CÔTE-D’IVOIRE, Ministère de l’Éducation nationale, Direction
des Examens et Concours, 1999, Résultats au baccalauréat session 1999 par
établissements.
RÉPUBLIQUE DE CÔTE-D’IVOIRE, Ministère de l’Éducation nationale, 1996,
« Journée nationale de l’excellence, 1ère édition, année scolaire 95/96 », Revue
du Service de Communication et d’Animation (SCAN).
Dossier Éric Lanoue
ANNEXE
Tableau 1
Répartition des « grands sujets » dans la revue Djéliba de 1974 à 2000
Tableau 2
Occurrences des types d’institutions scolaires et éducatives catholiques dans
La Nouvelle et Djéliba de 1974 à 2000