Engagement en Politique

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L’engagement en politique

Introduction :

En tant qu’étudiants en sciences politiques, cette expression ne nous ait pas inconnu. Une
partie d’entre-nous a choisi ces études car ils se sentaient concernés par l’organisation de la
société, par les inégalités, par le contexte international ou par d’autres faits de société sur
lesquels nous souhaiterions influer un peu, à des échelles différentes. La majorité d’entre
nous, à l’image de la plupart des français ne sommes pas encartés, mais certains ont choisi de
défendre leurs idées en s’engageant dans un parti politique, pour y être militant ou élu, pour
participer au pouvoir politique. Malgré une apparente simplicité, il n’est pas aisé de définir
l’engagement en politique.Il est une composante de l’engagement politique lui-même, qui est
beaucoup plus large que la seule adhésion à un parti. On nous l’a souvent répété, le politique
c’est-à-dire la vie de la cité dans son ensemble, est bien plus vaste que la politique qui
concerne le domaine où s’exercent les programmes d’actions et l’organisation de l’Etat. Les
mouvements sociaux, les associations, les syndicats, les manifestations, les ONG, les groupes
de pressions sont autant de composantes de la vie politique. Elles influent d’ailleurs bien
souvent sur les décisions des partis mais ne cherchent pas la prise de pouvoir par le biais de la
représentation électorale.La politique est synonyme de lutte entre les partis, d’une forme de
combat symbolique pour prendre le pouvoir et diriger le pays. Ce n’est pas pour rien que le
mot « militant » vient du latin « miles » qui signifie soldat. Les militants sont la force vive des
partis. Il est donc ici d’abord question de l’engagement en tant que militantismeau sein d’un
parti politique donné. C’est un engagement total par le « bas », c'est-à-dire par la base de la
société.
Il s’agit de comprendre pourquoi les individus, et plus particulièrement les jeunes choisissent
l’engagement en politique ? Quels sont les facteurs qui les poussent à faire ce choix ? Qu’est-
ce qu’ils tirent de cette expérience ?
Les partis politiques ont connu des mutations depuis la fin de la guerre froide et la chute de
l’URSS., surtout le Parti Communiste qui après la guerre totalisait pourtant près d’un tiers des
voix des Français. Assiste-on à une fin des engagements politiques totaux ?

I/ L’engagement en politique par le militantisme.


Le militantisme et la participation électorale semblent connaître une forte érosion, les partis
sont affaiblis, pourtant ils restent toujours au centre de la vie politique et médiatique du pays.
Qui sont les militants aujourd’hui et pourquoi décident-ils de s’engager en politique ?

A. La relative mauvaise image des partis politique.


Avant de comprendre qui sont les militants, il faut comprendre pourquoi l’acte de militer et
de faire partie d’une organisation politique est plus marginal aujourd’hui qu’il y a trente ans.
Pierre Bréchonremarque que si le niveau d’étude des jeunes augmente, leur intérêt pour la
politique n’est pas forcément plus prononcé que celui de leurs aînés 1. Au contraire la
politisation progresse chez les personnes âgées alors qu’elle s’effrite chez les jeunes. Le terme
d’ « intérêt politique » est souvent connoté négativement. Les français semblent avoir une
image de plus en plus mauvaise des hommes politiques et de « la politique politicienne ».
Cela ne signifie pas que les individus ne se sentent pas concerner par les sujets de société, au
contraire, mais ils pensent pour 60% d’entre eux que les hommes politiques sont corrompus et
qu’ils ne s’intéressent pas à eux. Ils se sentent pourtant en majorité capable de la comprendre,
car l’amélioration de l’éducation semble avoir développé la compétence politique des
individus mais parallèlement ou par conséquent, ces derniers sont devenus plus critiques
envers elle.
Comme les hommes politiques qui les composent, les partis politiques ont une mauvaise
image dans l’opinion publique française : en 2005, 81% des français déclaraient dans un
sondage n’être plutôt pas confiants contre seulement 14% plutôt confiants en les partis
politiques2.De plus, le renouvellement de la classe politique est très lente voire quasi
inexistante comme le démontrait déjà William R. Schonfeld en 1980 3. Il nous semble
aujourd’hui que Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal étaient des petits nouveaux dans le champ
politique alors que le premier a commencé la politique en 1974 à l’UDR et que la seconde a
adhéré au parti socialiste en 1978.
A chaque présidentielle le nombre de candidats augmente, tous les petits parti voulant faire
entendre leursvoix mais au final la force de ces derniersne cesse de diminuer. Malgré une
bipolarisation de la vie politique depuis les cinquante dernières années, les partis politiques
français sont plus faibles que ceux de nos voisins européens.
Cependant s’ils connaissent un affaiblissement certain et une confiance très limitée de la
population, les partis restent l’enjeu central de la vie politique française. C’est eux qui mettent
en place les programmes que défendront les candidats au niveau national. Ces programmes ne
doivent pas être simplement une agglomération d’idées généreuses ou d’utopies mais doivent
répondre à l’attente des différents groupes sociaux, ils doivent donner envie aux individus de
voter pour le candidat du parti et apparaître crédibles. Les partis politiques jouent un rôle très
important dans le choix des candidats et plus particulièrement dans le choix des élites et des
dirigeants et il est difficile de se faire élire sans l’appui d’un ou plusieurs
partis.L’affrontement des partis, les élus mais aussi les militants sont fortement médiatisés et
ceci a été renforcé récemment par un phénomène de « peoplisation » de la vie politique. Les
médias discutent d’avantage des personnalités des hommes politiques que de leurs idées.

1
Pierre BRECHON Comportements et attitudes politiques, politique <en plus>, Pug, p. 21.
2
Ibid p. 65.
3
William R. SCHONFELD La stabilité des dirigeants des partis politiques in Revue française de sciences
politiques, Année 1980, Volume 30, Numéro 2.
Le nombre de militants n’a été réellement important que pendant et aprèsla Libération : 1.5
millions d’adhérents dont la moitié au Parti Communiste, 400 000 au RPF et 340 000 pour la
SFIO. Cetteapogée du militantisme n’a pas duré très longtemps. En effet, à cette époque les
français étaient conscients de l’importance des partis pour reconstruire le pays mais
rapidement ils sont déçus par la 4èmeRépublique et ne sont plus que 450 000 adhérents pour
toutes les forces politiques au début de la 5 ème République. Le chiffre remonte dans les années
1970 pour finalement retomber aujourd’hui à moins de 500 000, un des plus mauvais score de
toute l’Europe de l’Ouest. Les différences s’expliquent bien sûr par la culture et par la
disparité en terme de systèmes politiques mais on observe tout de même une baisse générale
de la fréquence d’adhésion générale qui s’expliquerait, toujours selon Pierre Bréchon par la
montée de l’individualisme: « Comme d’autres types d’organisations, les partis ne font pas
recette, ils sont facilement contestés, on veut bien leur reconnaître une certaine utilité mais
l’adhésion est freinée par le désir de rester libre de ses choix, libre de critiquer, non
embrigadé. »4 Pour la plupart ils préfèrent les mobilisations à court terme, comme les
manifestations populaires plutôt que l’appartenance à un parti sur le long terme. Ils préfèrent
aussi participer à la vie sociale du pays en empruntant d’autres voies comme les associations,
les syndicats, mouvements sociaux ou encore ONG, plus spécialisés sur des sujets aussi variés
que le féminisme, le droit du travail, l’environnement, le droit des immigrés, les sans-abris
etc. Ces engagements sont d’ailleurs plus valorisants socialement que l’engagement partisan
qui n’a pas bonne presse. Alors pour attirer les militants, les partis tentent de se rendre plus
accessibles et plus démocratiques. Ils facilitent l’adhésion, notamment en permettant aux
adhérents de s’inscrire sur internet. Ils tentent aussi d’associer les militants aux décisions
prises, et mettent en places des primaires où le militant peut choisir le leader du parti ou voter
pour leurs représentants dans les principales élections. Ces techniques se trouvent être plutôt
efficaces car le Parti Socialiste et l’UMP ont vu augmenter le nombre de leurs militants
pendant les années 2005, 2006 et 2007.

B. Le profil du militant et ses motivations.


Qui sont les militants ? D’abord il faut les distinguer des simples adhérents. Tous ceux qui
prennent leur carte dans un parti ne sont pas forcément actifs. Il existe des membres
« dormants », c’est-à-dire sans activité au sein du parti, et qui ne prennent parfois même pas
part aux décisions décisives : comme pour l’UMP où seulement 70 830 cotisants sur 132 922
membres ont voté pour Nicolas Sarkozy comme président du parti en 2004. On remarque
qu’une plus large partie des membres socialistes participent aux votes des motions (83%)
mais ces chiffres prouvent que certains adhérents sont totalement inactifs. Une partie des
adhérents sont militants réguliers sur une longue durée, d’autres choisissent de
participerpendant les campagnes ou les enjeux politiques ponctuels et un bon nombre ne sont
4
Ibid p. 69.
que de passage l’organisation car ils sont rapidement déçus par le temps trop important à
consacrer au Parti, par les décisions qui sont prises ou par les candidats. Parmi les jeunes
interrogés, M., étudiant de 21 ans en science politiques fait parti des adhérents inactifs du
MJS (Mouvement des jeunes socialistes). Il s’est engagé pendant les présidentielles de 2007,
il a participé aux collages des affiches et à la distribution des tracts pour soutenir la candidate
socialiste mais ne participe plus à aucune réunion ou action depuis.
Les militants sont d’avantage des hommes que des femmes et en moyenne âgés. Les
militants les plus âgés sont les plus fidèles et le renouvellement des générations semblent
difficile.A gauche, les militants anciens sont souvent issus du milieu ouvrier et ont rejoint le
parti après une activité syndicale dans les entreprises. Ils sont critiques sur l’engagement des
jeunes et pensent que le militantisme est en voie de disparition 5. Les militants appartiennent le
plus souvent aux classes moyennes voire supérieures. Au parti socialiste en 1981, les militants
les plus engagés sont surtout des cadres supérieurs de la fonction publique avec un haut
niveau social et un haut niveau d’étude 6. Au contraire les partis de droite attirent les cadres du
privé et les professions indépendantes. Les catégories populaires sont moins représentées
même au sein des partis de gauche. L’engagement est plus fréquent chez les individus
imprégnés d’une forte politisation, bien insérés dans la société et qui veulent participer à la
vie collective.
Le militant ont selon AbdelmajidBennour « une vision plus ou moins consciente et
structurée du monde et développent en conséquence un certain prosélytisme ».Certains
auteurs pensent que le militant se reconnaît d’abord par son engagement idéologique. Il
diffère en cela du bénévole qui n’est pas forcément militant. Il a une idée claire sur la société,
il veut changer les choses et se mobilise pour faire évoluer l’Etat vers une société meilleure. 7
Il fait preuve d’altruisme son sens civique qui le guide dans son action. J., étudiante en
sciences politiques de 21 ans parle avant tout de sa conception de la politique lorsqu’on
l’interroge sur les motivations premières de son engagement au MJS. Elle nous dit que « la
politique est quelque chose qui m’appartient et qui doit appartenir à toute la société et pas
seulement aux élites, chacun à son rôle à jouer et doit à sa mesure, prendre part au débat ».
C’est avant tout pour défendre cet idéal de société qu’elle a décidé de s’engager.
Un autre courant qui connaît un succès important en cette période de suspicion envers la
politique, estime que les militants s’engagent pour défendre leur propre intérêt personnel et
pour en recevoir une certaine gratification matérielle ou symbolique. L’engagement permet en
effet d’accroître le réseau amical et même professionnel, le niveau de connaissances et
d’expérience. Il permet de créer des liens avec les décideurs politiques et économiques ce qui

5
Abdelmajid BENNOUR Logiques de participations citoyennes, Solidarité, contestation, gestion, L’Harmattan,
Logiques sociales, p. 118.
6
Monique DAGNAUD, Dominique MELH, Profil de la nouvelle gauche, Revue Française de sciences
politiques, année 1981, volume 31 Numéro 2, p 372 – 393.
7
Op.cit. Comportements et attitudes politiques p. 70
permet de trouver des débouchés et une clientèle pour les professions indépendante. Enfin en
devenant notable ou en se faisant élire, il peut jouir de sa médiatisation. Au final,
l’engagement repose sûrement sur un mélange des deux motivations. L’idéologie tient une
part importante dans le militantisme mais s’accompagne souvent du désir d’une certaine
rétribution. Pour B., étudiant en sciences politiques de 21 ans et adhérent à l’UMP,
l’engagement en politique est un complément à son engagement associatif : « Mon « activité
politique » me permet de nouer des contacts avec un ensemble d’interlocuteurs qui m’aident à
développer l’association que je préside. Ils m’accordent leur autorisation pour organiser une
manifestation sur une commune par exemple ou bien ils m’orientent pour les démarches de
l’association au sein de l’administration. Aussi, cet engagement traduit une envie réelle d’être
utile, actif et de participer à la vie de la société. J’ai la conviction que la politique ne doit pas
être une sphère inaccessible et que chacun doit pouvoir s’investir en son sein en apportant ses
idées et sa détermination. » S’il est engagé c’est non seulement pour participer et défendre ses
idées mais il utilise aussi ses contacts pour progresser personnellement. « L’avantage d’être
engagé et actif au sein d’un parti (d’autant plus pour nous étudiants « politistes ») réside dans
les contre parties que nous pouvons obtenir. J’ai ainsi pu obtenir un stage via le député. »

II/ Analyser l’engagement extrême.


Dans le paragraphe précédent, nous avons insisté sur l’idée que les militants sont en majorité
des individus bien insérés dans la société, très politisés et bien socialisés. Pourtant lorsqu’on
observe les militants dans les extrêmes, les raisons et les enjeux de leurs engagements
diffèrent sensiblement.

A. L’engagement à l’extrême gauche.


L’engagement à l’extrême gauche, malgré qu’il soit devenu marginal après la chute de
l’URSS et l’effondrement des partis communistes n’a suscité dans les pays d’Europe de
l’Ouest la même peur qu’ils ont pût susciter aux Etats-Unis. Présents sur la plupart des enjeux
sociaux dont se sentent concernés une majorité des français, l’extrême gauche attirent la
sympathie ou en tout cas pas une franche antipathie d’une grande partie de la population et
cela malgré des résultats électoraux faibles. Il faut cependant faire remarquer que les partis
positionnés à la gauche de la gauche sur l’échiquier politique sont nombreux et incapables de
se mettre d’accord sur une alliance. Au final en 2007, ils comptabilisaient difficilement
10.23% des voix, tous ensemble et ne dépassaient pas les 4.5% séparément. L’étude de
Maurice Croisat et Jacques Derville sur les militants du parti communiste présentée ici date de
1979. Elle n’est donc pas vraiment récente mais permet cependant de comprendre le
comportement des militants communistes et les facteurs qui favorisent leur socialisation
politique et leur engagement8. Les auteurs retirent d’abord de leur enquête que les militants
communistes souhaitent en particulier : « une transformation de la politique française qui
fasse disparaître l’injustice et la pauvreté ; une formation politique ; un épanouissement
personnel ». Le premier facteur de socialisation de ces militants est l’influence du milieu
familial et professionnel. En effet, 66.3% de l’échantillon choisi par les auteurs ont été élevés
dans une famille de gauche et 46% dans une famille où au moins l’un des membres au moins
était militant communiste. Pour 70% de ces militants, l’engagement communiste s’inscrit dans
le prolongement ou la radicalisation du choix des parents. A contrario, seulement 3.9%
semblent avoir choisi cette voie pour marquer une rupture avec leur environnement familial.
Pour la plupart, l’entreprise est « un prolongement naturel de la cellule familiale ». 41.5% des
militants étaient déjà adhérents aux jeunesses communistes ou à d’autres organisations
similaires. L’influence du travail sur l’engagement des jeunes qui n’ont pas été élevés dans
des familles communistes est décisive car leur politisation s’est faîte au contact des autres
travailleurs syndicalisés et adhérents au mouvement. Ensuite le fonctionnement du parti
« s’apparente à une forme particulière d’éducation permanente, puisque pour le Parti, toute
activité à une dimension pédagogique » à différents niveaux et sous différentes formes :
l’action militante en elle-même, avec des débats réguliers, des manifestations, les campagnes
électorales et les fêtes du parti sont des moments où « l’intention pédagogique est
insistante » ; la presse communiste ensuite et particulièrement l’Humanité participe à la
formation politique en s’adressant aux militants et aux sympathisants communistes et permet
le relai des différentes propositions, débats et des décisions des leaders ; les institutions
directement éducatives, c'est-à-dire le réseau d’école mises en place par le Parti pour former
des cadres, qui ont pour fonctions « la transmission du savoir des valeurs et des traditions ».
La participation régulière à des cellules qui favorisent le débat semble aussi donner aux jeunes
militants l’impression d’avoir une importance au sein du parti puisqu’ils peuvent tous donner
leur avis et participer aux réunions même si la liberté de parole n’empêche pas le respect
d’une certaine hiérarchie par échelon dans le parti. Les facteurs affectifs sont capitaux si l’on
veut comprendre pourquoi les militants d’extrême gauche sont particulièrement actifs. La
passion et les liens très forts presque familiaux entre les camarades font du partiune
microsociété très hiérarchisée mais très unie. Si les auteurs ici ne prennent pas partie, ils
semblent quand même assez proches du mouvement communiste, ce qui n’est pas le cas de
Marc Angenot qui fustige l’image du militant prolétaire, considéré dans le Parti comme seul
détenteur de la Vérité qui n’est poussé par aucun intérêt personnel mais qui veut réaliser le
bien commun9. Le militant était devenu le martyr et l’apôtre de la religion politique

8
Jacques DERVILLE ; Maurice CROISAT, La socialisation des militants communistes français, Eléments
d’une enquête dans l’Isère in Revue française de sciences politiques, année 1979, volume 29 numéro 4, p. 770-
790.
9
Marc ANGENOT, Masses aveulies et militants virils in Politix, Revue des sciences sociales et du politique,
Année 1991, Volume 4, n° 14.
ducommunisme, son existence est « un combat constant, une suite interminable de
souffrances morales et physiques »10 où le militant fait le sacrifice de sa vie au service de la
cause. Il dénonce l’aveuglement des masses par la propagande socialiste qui divise
fondamentalement la société entre bourgeois et prolétaire, patrons et salariés,« parasites et
producteurs ». Cette propagande qui devait « convertir de proche en proche toute la classe des
exploités à « l’Idée » révolutionnaire et collectiviste », c’est-à-dire donner une conscience à la
classe des exploités afin qu’ils commencent leur émancipation car la masse est aveugle,
plongé dans une « torpeur perpétuelle » alors que les militants du parti sont une « armée
organisée » qui se caractérise par la conscience, l’énergie et l’abnégation (consécration à la
cause du Peuple). L’auteur remarque que si l’égalitarisme est le mot d’ordre du programme
communiste, le militant a cependant une place particulière, il est désigné comme étant « fait
d’une étoffe spéciale », il s’agit d’un « être d’élite »11. C’est aussi de préférence un « mâle
viril », car la virilité est la « vertu suprême du militant » car il doit avoir de l’énergie et de la
combativité dans la guerre contre les capitalistes bourgeois. En d’autres termes, tous ces
discours propagandistes et l’organisation du parti ont pour but d’asservir les militants qui
deviennent les bon soldats du parti, lui-même sous le commandement de l’URSS jusqu’en
1989. Aujourd’hui l’extrême gauche et particulièrement le parti communiste pâtit de cette
image de parti proche de la secte religieuse, qui lave le cerveau de ces adhérents à force de
slogans et de théories sur la fin de l’Histoire et de l’Etat bourgeois. La Révolution n’a jamais
eu lieu en Europe et à la fin de l’URSS, les militants se sont réveillés et se sont sentis trahis.
Le PC a progressivement perdu les voix des ouvriers, eux-mêmes en forte diminution dans
une économie moderne tertiarisée où les salariés ont pris la place des ouvriers. Un grand
nombre de ces ouvriers déracinés se sont d’ailleurs tournés vers l’extrême droite.

B. L’engagement à l’extrême droite.


L’autre parti qui fait peur aux français, bien plus que le parti communiste, c’est le Front
National. On se souvient aisément de la consternation de la plupart des français en 2002
lorsque Jean Marie Le Pen est arrivé 2 èmeaux présidentielles, devant le candidat socialiste
Lionel Jospin qui a annoncé alors son retrait de la vie politique. Les réactions de chaque côté,
à droite comme à gauche avaient été alors violentes et les taux de participation au second tour
avaient atteint des sommets. Des milliers de personnes avaient alors manifesté dans la rue
contre le Front National. Valérie Lafontremarque que l’engagement au Front National est
associé à des images négatives et dévalorisante dans les représentations majoritaires 12. Il est
même jugé dangereux pour la démocratie dans la plupart des pays d’Europe. Pourtant le Front
National, à l’opposé des autres partis où le militantisme est en déclin, connaît pourtant un fort
10
ALLEMANE (J.) Le parti ouvrier, 6 juin 1890 p. 1. in Marc ANGENOT op.cit.
11
Tribune socialiste, Bayonne, 5 janvier 1908 p. 1. in Marc ANGENOT op.cit.
12
Valérie LAFONT, Les jeunes militants du Front National : Trois modèles d’engagement et de cheminement in
Revue française de sciences politiques, Année 2001, Volume 51, Numéro 1.
dynamisme partisan. C’est une exception dansla conception de la politique moderne où les
politiques et le militantisme sont mal vus par l’opinion publique. Les carrières des militants
frontistes se forment donc dans un contexte social qui leur est franchement hostile. L’auteure
compare ces trajets aux « carrières déviantes » qui sont déterminées dans l’œuvre de Howard
Becker : Outsiders, étude de sociologie de la déviance. Selon Valérie Laffont en effet « le
processus de marginalisation et d’exclusion des sphères sociales et politiques consécutifs de
l’entrée au FN, stimule en retour la capacité intégratrice du FN, transformant le groupe
militant en un monde de substitution qui permettrait de compenser les trajectoires sociales
désocialisantes et de renverser les stigmates sociales et politiques ». En d’autres termes, les
militants rejetés par la sphère sociale classique se réfugient dans le parti comme dans un
monde à part, un monde de substitution. Elle dégage les trois facteurs qui peuvent expliquer le
choix du Front National : d’abord comme pour les militants communistes, la transmission de
la pratique politique se fait principalement par héritage familial amis peut se faire aussi en
rupture avec ce dernier. Certains événements extérieurs politiques ou biographiques
dramatiques peuvent brusquement faire basculer des individus vers le Front National. Enfin, il
en a déjà été question plus haut, les jeunes ne se reconnaissent plus dans les partis
traditionnels gauche/ droite. Les jeunes qui prennent cette voie ont souvent eu une
socialisation politique défaillante, ils n’ont pas « intégré activement les espaces de la
citoyenneté » et sont menacés par la marginalisation sociale et professionnelle, par le
chômage et la mutation de la société urbaine et industrielle. Ces jeunes refusent de considérer
la division gauche/ droite comme pertinente pour juger de leur positionnement politique, en
majorité ils ne veulent pas se placer sur une échelle politique car ils considèrent que leur
engagement et leur combat se situe au dessus de cette distinction et englobe le tout.
Pour illustrer son étude, elle a rencontré et interrogé un grand nombre de militants de tout
âge et de tous milieux sociaux. Parmi les jeunes, trois ont retenu particulièrement son
attention car ils éclairent les trois principales raisons qui poussent les jeunes à s’engager pour
le Front National. Le premier, Philippe, représente la parfaite continuité politique familiale. Il
est issu d’une famille aristocratique, ses aïeux étaient conseillers du roi à partir d’Henry IV, se
sont enfuis pendant la Révolution pour revenir sous la Restauration. Ils sont ensuite devenu
notaires, le grand-père était pétainiste et le père a milité pour Tixier-Vignancour et s’est placé
au côté de l’OAS pendant la guerre d’Algérie. Tous ses frères, sa famille proche et éloignée
sont au FN. En arrivant au collège privé, il est considéré avec ses frères « comme des
bourgeois rétrogrades, on est les châtelains du coin, on est des aristos et les curés ils aiment
pas ça » il rentre alors dans un collègepublic « j’arrivais en 6ème tout de suite catégorié par les
professeurs et aussi par les élèves ». Alors qu’il n’était pas encore investi dans aucun parti, les
autres le considéraient déjà comme un extrémiste. Se sentant de toute façon rejeté par les
autres, l’engagement au Front National est devenu logique, inéluctable. On saisit mieux la
difficulté de certains individus, qui en dépit de leur liberté de construire eux-mêmes leur
propre destinée,sont limités par le poids de l’héritage de la famille et qui dans même dans leur
choix de la continuité ne peuvent adapter au temps présent les mêmes représentations que ces
ancêtres. En effet Philippe en acceptant de rentrer au Front National, un parti populaire qui
participe aux élections renie s’une certaine manière son héritage monarchique. Ayant échoué
à rentrer dans les grandes écoles, le Parti lui permet de construire une carrière et d’avoir un
statut tout en répondant à terme les normes familiales.
Le second militant présenté est un modèle de rupture brutal avec le milieu politique des
parents. Marc est né dans une famille communiste, ses parents sont ouvriers en milieu rural
dans la banlieue parisienne. Après avoir côtoyé pendant des années les militants des Jeunesses
Communistes, il souhaite s’engager dans l’armée car il est attiré par les valeurs de
camaraderie, d’honneur, de dévouement et de sacrifice. Il est déçu par l’armée et en revenant
dans le civil il commence à militer pour le FN qui lui sembla alors le parti le plus proche des
problèmes qu’il rencontre dans son HLM et qui était aussi un parti proche du militarisme où il
pouvait d’avantage défendre ses idées, ce qui lui était interdit dans l’armée. Il a des problèmes
d’identité il a du mal à trouver sa place entre attachement aux valeurs traditionnelles et à la
terre et chômage et crise économique. Pour lui le Front National parle aussi aux pauvres, à la
classe populaire dont il est issu, il n’y a donc que peu de différences entre les deux
communautés.
Enfin le dernier exemple est celui de Blanche, née dans la banlieue d’une grande ville, ses
parents sont ouvriers. Elle ne s’intéresse pas à la politique jusqu’au jour où son compagnon
lui-même militant, la pousse à assister à des réunions du FNJ. Pour « ne pas rester seule à la
maison », elle milite alors avec lui. Pour elle c’est avant tout un groupe d’amis dans lequel
elle se sent insérée avant d’être un rassemblement politique. Après un parcours professionnels
parsemé d’échecs et une difficulté à se sentir insérée socialement, le FN lui a donné un mari,
une opportunité de dépasser sa timidité naturelle et de prendre des décisions et un groupe
d’amis, un monde à part qui lui ouvre les portes d’une « carrière alternative » qui répond à son
besoin d’intégration social. L’engagement de Blanche n’est pas lié directement à sa
politisation mais à sa trajectoire sociale et affective négative. Ce trajet particulier de Blanche
prouve bien le pouvoir intégrateur et socialisateur du Front National : « la pertinence de ce
« monde à part » se crée dans l’émotion lors des manifestations collectives (soirée, sortie,
meeting, université d’été…) propices aux manipulations symboliques ». Le discours
idéologique, connaît une force beaucoup plus grande que celle des partis classiques car il a
pour but de changer l’Histoire en modifiant la hiérarchie des références historiques, il offre en
tout premier lieu du rêve et l’espoir d’un autre avenir, d’un avenir meilleur.
L’engagement au FN est assimilé ici à l’appartenance à une contre-culture. C’est le groupe
en marge de la société qui façonne progressivement les individus en leur donnant de nouvelles
références et de nouvelles normes et qui leur fournit en même temps une identité sociale forte.
Le parti va garder longtemps ses militants car comme l’expliquent les militants « une fois que
tu as fait une critique radicale de la société, tu ne peux plus revenir en arrière. » L’autonomie
vis-à-vis du parti est limité à parti du moment où l’engagement est radical et désapprouvé par
les autres.

Conclusion :
Pour conclure, il faut insister sur le caractère relativement marginal dans la société
contemporaine du militantisme politique pur. Pour ces quelques individus, le parti représente
une voie pour exprimer leurs idées, de continuer dans la tradition familiale ou un espoir de
changer les choses, de laisser sa trace mais aussi parfois une manière de défendre des intérêts
personnels ou économiques. On l’a vu dans les cas d’engagement les plus extrêmes, le Parti
devient parfois une sorte de famille de substitution, un monde « parallèle » à la société réelle,
mue par une logique propre : l’idéologie. Si la démocratie est bien implantée depuis la guerre
en France et qu’on imagine plus aujourd’hui un parti politique extrémiste prendre le pouvoir,
les engagements « totaux » n’ont cependant pas disparus même s’ils restent minoritaires.
Le parti socialiste et l’UMP considèrent que l’élection pendant les primaires du candidat par
les militants est une façon d’améliorer la démocratie, ils ne prennent pas en compte la baisse
du militantisme. Au final, le candidat de chaque parti présenté à la Nation pendant les
élections aux présidentielles n’est représentatif que d’une toute petite partiede la population,
une poignée de militants qui auront participé au vote pendant les primaires. Le vote ne
devrait-il pas comme dans certains Etats des Etats-Unis être ouvert à la participation des
sympathisants ? Les Français ont été passionnés récemment pendant les débats du traité
constitutionnel de l’Europe, par les présidentielles françaises et américaines. Ils ne sont donc
pas sourds aux problèmes de société et aux décisions politiques qui doivent être prises dans le
pays. Sans devenir forcément militants, les Français en votants pendant les primaires, seraient
en mesure de participer d’avantage au choix des décisionnaires.

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