36 - La Naissance Du DICAMES. - La Gravite Des Choses

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36.

La naissance du DICAMES,
l’archive ouverte du Conseil
africain et malgache pour
l’enseignement supérieur (2019)
Récit de la mise en place d’une innovation sociale et
technologique en Afrique francophone subsaharienne
FLORENCE PIRON; DJOSSÈ ROMÉO TESSY; ZAKARI LIRÉ; THOMAS HERVÉ
MBOA NKOUDOU; ET ANTONIN BENOÎT DIOUF

Résumé officiel : Le DICAMES est l’archive numérique


institutionnelle du Conseil africain et malgache pour
l’enseignement supérieur (CAMES). C’est une plateforme ouverte
qui vise la conservation et la diffusion en libre accès de toute
la production scientifique des pays d’Afrique francophone
subsaharienne. Cet article raconte les principales étapes du
processus de création du DICAMES en montrant les difficultés, les
défis, mais aussi les solutions trouvées.

Source : Ce texte est issu d’une communication donnée par


Florence Piron, Djossé Roméo Tessy, Thomas Hervé Mboa
Nkoudou et Antonin Benoit Diouf. Intitulée « La naissance du
DICAMES, l’archive scientifique institutionnelle du Conseil
africain et malgache », elle a été présentée au troisième colloque
international sur l’Open Access, organisé à Rabat en 2018
conjointement par l’ISD, l’ESI et MIPS et publié en libre accès
sur le site https://icoa2018.sciencesconf.org/data/
actes_icoa18_fr.pdf.

832 | La gravité des choses


Le DICAMES est l’archive numérique institutionnelle du Conseil africain et
malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES). Située à l’adresse web
https://savoirs.cames.online/, c’est une plateforme numérique qui vise la
conservation et la diffusion en libre accès de toute la production scientifique
des pays d’Afrique francophone subsaharienne. L’originalité de cette archive
créée avec le logiciel Dspace est qu’elle est à la fois centralisée et
décentralisée. Pilotée par le CAMES qui a assuré son installation, sa
maintenance et sa gestion globale, cette infrastructure numérique offre à
chaque institution publique d’enseignement supérieur de l’espace CAMES
(représentant 19 pays d’Afrique francophone subsaharienne) la possibilité
de se doter d’un portail qu’elle pourra gérer de manière autonome et
participative. Autrement dit, le DICAMES est une réalisation panafricaine
qui mutualise des services technologiques, juridiques et stratégiques sous
la houlette du CAMES pour mieux lutter contre l’invisibilité et la faible
accessibilité numérique de la science produite dans ces institutions
africaines et la conserver de manière pérenne, dans des conditions
optimales.

L’envergure de ce projet a conduit le CAMES à développer une approche


méthodologique collaborative innovante, basée sur le « faire ensemble » et
mobilisant l’équipe de documentalistes et d’informaticiens du CAMES, une
petite équipe de recherche de l’Université Laval, plusieurs experts
internationaux bénévoles, des bibliothécaires « pionniers » et des
informaticiens québécois et africains, tous invités à échanger sur les
différents aspects du projet et à suivre sa progression dans des groupes de
discussion sur WhatsApp et Facebook. Ces échanges ont permis de mettre
au jour toutes sortes de difficultés et d’y répondre de manière collective,
activant l’intelligence collective et la motivation du groupe de travail informel
ainsi créé. Cette approche coopérative semble plus féconde que l’approche
« client » habituelle pour installer des sites web à l’aide de logiciels
complexes comme Dspace.

Dans ce texte, nous retraçons les principales étapes du processus de


création du DICAMES en mettant l’accent sur les difficultés, les défis, mais
aussi les solutions trouvées grâce à la solidarité entre les membres du groupe
de travail.

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Chronologie

Bien que basée sur plusieurs réflexions antérieures menées au sein de


l’équipe du CAMES, en particulier par la responsable des communications
Erika Djadjo, l’idée du DICAMES est née de manière très concrète lors d’une
rencontre de 30 minutes organisée par Erika à Dakar en juin 2015. Étaient
présents d’une part, Florence Piron, coresponsable de la première phase du
1
projet de recherche-action SOHA et Thomas Hervé Mboa Nkoudou, son
assistant de recherche camerounais, et, d’autre part, le professeur Claude
Lishou de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et expert responsable
du virage numérique du CAMES, notamment du programme Silhouette. Ce
programme lancé en 2013 avait introduit les technologies numériques dans
le processus de constitution et de gestion des dossiers de promotion des
enseignants-chercheurs et des enseignantes-chercheuses de l’espace
CAMES. Dans le cadre de ce programme, le CAMES a reçu des milliers de
thèses et d’articles en format numérique que le professeur Lishou avait
rassemblés dans un disque dur externe sur son bureau…

Bien au courant du manque chronique de documentation scientifique dont


se plaignent les universitaires et les étudiants et étudiantes d’Afrique
subsaharienne, nous avons eu immédiatement l’idée d’utiliser ces fichiers
pour nourrir ce qui allait devenir le dépôt institutionnel du CAMES, le
DICAMES. La deuxième idée concernait le logiciel à utiliser. Malgré les
mérites du logiciel Invenio que nous présenta le lendemain Antonin Benoit
Diouf, bibliothécaire en chef de l’UNIDEP, nous avons rapidement choisi
le logiciel Dspace en raison de sa forte communauté francophone et aussi
parce que c’était clairement le logiciel le plus utilisé par les dépôts
institutionnels d’Afrique anglophone avec lesquels le DICAMES nous
paraissait devoir être parfaitement interopérable. Une rapide vérification
dans les répertoires internationaux des dépôts institutionnels (DOAR et
ROAR) ayant montré le très petit nombre, à l’époque, de dépôts dans les
universités d’Afrique francophone subsaharienne (sept), une troisième idée
est vite apparue : que le DICAMES soit non seulement l’archive

1. Ce projet visait à comprendre, pour mieux les dépasser, les obstacles au


développement du libre accès et de la science ouverte en Afrique francophone
subsaharienne et Haïti (Piron, Regulus et al. 2017). Son site est à http://projetsoha.org.

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institutionnelle du CAMES, mais offre à toutes les institutions membres
actives du CAMES un portail individualisé, une « Communauté » dans le
jargon du logiciel Dspace, pour qu’elles y déposent leur production
scientifique. Cette mutualisation éviterait que chacune soit obligée d’investir
seule dans la création d’un dépôt « individuel », à la mode occidentale, mais
sans les ressources des universités du Nord.

La situation des dépôts en Afrique subsaharienne francophone n’a jamais


été facile et s’est plutôt dégradée depuis 2015 (Diouf 2010; Piron et al. 2017).
En effet, en septembre 2018, il existait 3436 dépôts institutionnels recensés
dans le répertoire Open DOAR, dont 155 en Afrique et seulement trois en
Afrique francophone subsaharienne. Sur ces trois, deux n’étaient pas
fonctionnels. L’existence du DICAMES, construit avec le logiciel libre DSpace
comme 43% des dépôts institutionnels répertoriés, pouvait donc offrir d’un
seul coup à toutes les universités d’Afrique francophone subsaharienne la
possibilité de se doter d’un portail de type dépôt institutionnel sans avoir
à en gérer les dimensions techniques, ce qui nous semblait constituer un
premier pas vers une appropriation collective possible et la réussite du
projet.

Dans l’enthousiasme, le professeur Lishou invita Florence Piron à faire une


présentation de ce concept au Gabon le mois suivant, lors d’une réunion du
Conseil consultatif général du CAMES dont sont membres statutairement
tous les recteurs, rectrices, présidents et présidentes des 80 universités de
l’espace CAMES. Florence a alors pré-enregistré une conférence sur support
powerpoint et s’est tenue disponible pendant ses vacances, pendant que
Thomas Hervé Mboa Nkoudou se rendait sur place à Libreville, pour
répondre aux questions éventuelles. L’horaire de la réunion du CCG de
Libreville n’a toutefois pas permis de diffuser la conférence.

Pendant les deux années suivantes, plusieurs efforts ont été faits de part
et d’autre pour faire avancer l’idée. Des experts du Nord et du Sud ont été
consultés, notamment Bernard Pochet de l’Université de Liège, Thomas s’est
initié au logiciel Dspace et a pris des contacts avec plusieurs acteurs et
actrices de la communauté Dspace. Florence a analysé des dépôts multi-
institutionnels, notamment celui de la région de Washington DC, pour bien
évaluer la robustesse du concept « multi-institutionnel » du DICAMES.
Zakari Liré, chef du centre de documentation du CAMES, a été désigné
comme responsable du projet au CAMES. Une correspondance s’est installée,

La naissance du DICAMES | 835


un peu timide, entre Thomas et les informaticiens du CAMES à propos
du logiciel Dspace. Une des difficultés a été de bien faire comprendre à
l’équipe du CAMES les avantages du DICAMES par rapport à la bibliothèque
numérique qu’ils étaient en train de créer.

Puis au printemps 2017, le rythme s’est accéléré. Le CAMES a officiellement


invité Florence Piron à présenter le concept lors de la réunion du CCG de
juillet 2017 à Cotonou. En vue de bien préparer cette rencontre cruciale,
Zakari Liré est venu faire un stage de deux semaines à l’Université Laval
en juin 2017. Ces deux semaines ont été décisives. Nous avons pu rédiger
un premier jet des directives du DICAMES et nous avons exploré différents
scénarios, notamment avec l’appui du responsable du dépôt institutionnel de
l’Université Laval, Pierre Lasou.

La réunion de Cotonou a été un grand succès et a permis la validation


officielle et cruciale du projet par le CCG du CAMES. En effet, à la suite
de la présentation complète du projet dans ce qui fut la première version
d’une longue série d’itérations (Piron 2017a), plusieurs recteurs au leadership
incontesté ont tout de suite compris l’importance de cette archive ouverte
capable de rendre disponible en libre accès la production scientifique
africaine francophone, que ce soit au bénéfice du monde entier ou des
étudiants et étudiantes de leur université. Ils ont noté plusieurs avantages,
notamment la lutte contre le plagiat. En effet, contrairement aux idées
reçues selon lesquelles le libre accès facilite le plagiat en simplifiant le
« copier-coller » d’un fichier à un autre, les recteurs, rectrices, présidents
et présidentes présents à Cotonou ont très bien compris que la mise en
libre accès des thèses, mémoires et articles pouvaient permettre de les
protéger de tout plagiat grâce aux logiciels anti-plagiat qui pourraient alors
fonctionner. La discussion a aussi porté sur la décolonisation de la science
africaine et sur le rôle qu’une archive comme le DICAMES, bien référencée
dans le web scientifique, pourrait jouer pour la désenclaver et la mettre
en lumière, ainsi que pour contribuer au renforcement professionnel des
enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheuses dans le contexte du
passage au système LMD (licence, master, doctorat) (Charlier et Croché 2010;
Banque mondiale 2014).

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Un projet de recherche-action

Un partenariat a alors été noué entre Florence Piron, en tant que chercheuse
sur la science ouverte en Afrique francophone subsaharienne, et le CAMES
pour monter ensemble un projet de recherche-action visant la mise en
œuvre du DICAMES et l’optimisation de son appropriation pendant sa
première année d’existence. Ce projet intitulé « Optimisation de
l’appropriation d’une archive scientifique panafricaine ouverte » a été soumis
au programme d’engagement partenarial du Conseil de recherches en
sciences humaines du Canada (CRSH) en septembre 2017 et a bénéficié
en novembre 2017 d’un financement de 24980 dollars canadiens pour une
année, jusqu’en novembre 2018.

Ce projet, qui relève des humanités numériques et des sciences de


l’information et de la communication, répond à deux besoins identifiés par
le CAMES : l’augmentation de la visibilité et de l’accessibilité sur le web
des savoirs produits en Afrique francophone subsaharienne et la stimulation
de la productivité scientifique des universités de l’espace CAMES afin de
mieux répondre aux grands défis de cette région du monde. En particulier, le
DICAMES est apparu comme une réponse concrète au régime postcolonial
des savoirs marqué par la faible accessibilité de la science africaine
francophone dans le monde, mais aussi d’une université africaine à une
autre (Decung et Mukuku 2016; Nkolo 2016; Piron et al. 2017; Tessy 2016).
Cette situation non seulement nuit à la qualité des recensions des écrits
et donc de la recherche qui se fait en Afrique (qui peut être répétitive
ou mal informée), mais elle renforce l’extraversion de la science africaine
vers les pays du Nord : exode des cerveaux, absence de recherche locale
pertinente, assujettissement à l’agenda d’organismes du Nord (Hountondji
2001; Mvé-Ondo 2005; Piron 2017c). Le concept d’injustice cognitive (Piron,
Mboa Nkoudou, Pierre et al. 2016) issu du projet SOHA nous a semblé pouvoir
rendre compte de cette situation qui empêche les chercheurs et les
chercheuses d’Afrique de déployer le plein potentiel de leurs capacités de
recherche au service du développement local durable de leur pays (Fredua-
Kwarteng 2015). L’existence d’une archive scientifique panafricaine ouverte
pourrait réduire l’extraversion de cette science dans une visée de justice
cognitive et de stimulation de la recherche africaine, pour et par des
Africain·e·s. La justice cognitive est un idéal épistémologique, éthique et

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politique visant l’éclosion de savoirs socialement pertinents partout sur la
planète et non pas seulement dans les pays du Nord, au sein d’une science
pratiquant un universalisme inclusif, ouvert à tous les savoirs (Piron, Regulus
et Dibounje Madiba 2016; Piron, Mboa Nkoudou, Regulus et al. 2016; Piron,
Tessy et al. 2016; UNESCO 2015).

La question de recherche-action de notre projet est la suivante : « Comment


optimiser l’appropriation du DICAMES, l’archive scientifique ouverte créée
et gérée par le Conseil africain et malgache de l’enseignement supérieur,
par les acteurs et les actrices du monde universitaire d’Afrique francophone
subsaharienne? ». Nos objectifs initiaux étaient de créer l’archive, puis
d’observer et d’analyser le processus d’appropriation du DICAMES par
différent·e·s acteurs et actrices universitaires africain·e·s au moyen d’une
enquête sur place et à distance. Ces résultats doivent nous permettre
d’améliorer de manière continue l’ergonomie et les fonctionnalités de
l’archive DICAMES afin d’en faciliter l’utilisation en recherche et en
enseignement, par exemple l’intégration de ses fichiers dans les recensions
des écrits et les plans de cours. Finalement, nous voulions produire des
tutoriels et un manuel de formation sur l’archivage numérique dans le
DICAMES afin d’accompagner les utilisateurs et utilisatrices dans leurs
efforts d’appropriation de cette technologie. Sur ce point, l’appartenance
de l’équipe de l’Université Laval au LabCMO, un laboratoire de recherche
sur les usages du numérique, ainsi que nos réflexions critiques sur le
développement international (Escobar 1995) nous ont aidés collectivement
à envisager dès le début les risques liés à un transfert technologique du
nord vers le sud qui ne se soucierait pas de l’appropriation durable de cette
technologie par ses utilisateurs et utilisatrices – une expérience regrettable
trop souvent vécue…

En effet, d’autres projets antérieurs de dépôt institutionnel ont montré le


risque bien réel que ce bel objet technologique ne soit que peu ou pas
utilisé par ceux et celles qui pourraient le faire fonctionner ou l’utiliser dans
l’enseignement, la recherche ou l’apprentissage, sans compter bien sûr les
difficultés reliées à l’accès au web que cette utilisation exige. Rappelons que
cette archive est une véritable innovation sociale et technologique dans le
monde universitaire d’Afrique francophone subsaharienne. Or, selon Gaglio
(2011), le point central du processus d’innovation est l’appropriation. Pour
Breton et Proulx (2002), l’appropriation renvoie « aux utilisations

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particulières qu’un individu ou un groupe peut faire d’un bien, d’un
instrument, d’un objet » et ne peut être dite optimale que lorsque trois
conditions sont remplies par l’usager : 1) il ou elle démontre un minimum
de maîtrise technique et cognitive de l’objet technique; 2) cette maîtrise
doit s’intégrer de manière significative et créative aux pratiques de l’usager
ou de l’usagère; 3) l’appropriation ouvre vers des possibilités de réinvention
ou même de participation directe des usagers et usagères à la conception
de l’innovation, sans pour autant surestimer l’autonomie de l’usager
(Jauréguiberry et Proulx 2012). Le modèle proposé par Bar et ses collègues
(2016) ajoute l’idée que le processus d’appropriation n’est pas linéaire, mais
cyclique, reposant sur une négociation constante de sens entre usagers,
usagères et concepteurs, conceptrices. Notre projet a donc continuellement
été mené avec le souci de cette appropriation par différents groupes
d’acteurs et d’actrices, dans différents contextes et sur différentes versions
du dispositif, afin de pouvoir comparer les effets de différentes conditions
d’appropriation. Par exemple, nous ajoutons des tutoriels pour répondre aux
questions des utilisateurs et utilisatrices, même s’ils n’étaient pas prévus au
départ.

La méthode prévue de collecte des données était mixte, à la fois qualitative


et évaluative. Au plan qualitatif, elle proposait de traiter comme des données
les commentaires et réactions partagés spontanément par les utilisateurs et
utilisatrices de l’archive dans des messages courriel ou WhatsApp adressés
à l’équipe. À cela devaient s’ajouter des audits d’interface ainsi que des tests
utilisateurs mis en place afin de déceler et de corriger d’éventuelles
aberrations ergonomiques ou des difficultés dans l’utilisation. Les résultats
de cette enquête feront l’objet d’un autre article.

Un projet du CAMES

Contrairement à d’autres projets similaires menés ailleurs ou


antérieurement, le DICAMES est un projet panafricain porté par le CAMES
sans le support d’une institution partenaire du Nord. En effet, Florence
Piron, bien qu’employée de l’Université Laval, a contribué au projet au nom
de son engagement personnel en faveur de la justice cognitive et dans le
cadre de ses recherches, sans obtenir de mandat ou de support particulier

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de la part de son université (à part son salaire de professeure). Cet ancrage
africain du DICAMES est en lui-même un phénomène libérateur source de
fierté et d’empowerment collectif et a suscité un enthousiasme proportionnel
chez tous ceux et toutes celles qui y ont contribué, notamment les
assistant·e·s de recherche béninois et camerounais de Florence. Il se peut
aussi que cette situation ait généré quelques craintes au CAMES, bien vite
disparues.

Du point de vue du CAMES, la création du DICAMES répond à trois de ses


missions statutaires :

• promouvoir et favoriser la compréhension et la solidarité entre les États


membres;
• instaurer une coopération culturelle et scientifique permanente entre
les États membres;
• rassembler et diffuser tous documents universitaires ou de recherche :
thèses, statistiques, informations sur les examens, annuaires, annales,
palmarès, information sur les offres et demandes d’emploi de toutes
origines.

Le caractère multi-institutionnel du DICAMES, rendu possible par la


technologie utilisée (Dspace), répond parfaitement aux deux premières
missions car, pour que l’archive fonctionne durablement, la coopération et
la bonne coordination à long terme de toutes les institutions africaines
partenaires sera essentielle. Cette archive facilitera bien sûr l’accès de tous
et de toutes à la documentation et à l’information scientifique et technique
pertinente sur l’Afrique et contribuera ainsi à améliorer la qualité de
l’enseignement et de la recherche dans l’espace CAMES, une priorité du
Plan stratégique du CAMES sans cesse défendue par son Secrétaire général,
le professeur Bertrand Mbatchi. Dans la vision du CAMES exprimée
publiquement lors des cérémonies du Cinquantenaire du CAMES en juin
2018, le DICAMES permettra :

• une meilleure utilisation de la production scientifique de l’espace


CAMES dans l’enseignement universitaire, dans les administrations ou
dans le système scolaire, d’où une amélioration de la formation générale
et à la recherche, basée sur une recherche documentaire plus efficace et
puissante;

840 | La gravité des choses


• une valorisation en Afrique de l’activité de recherche grâce à son
rayonnement mondial sur le web, alors que la science est un élément
important du développement durable;
• un avancement plus rapide et efficace des connaissances produites dans
les universités africaines grâce à un meilleur partage des résultats
obtenus;
• une meilleure lutte contre le plagiat;
• un appui à l’instauration des programmes LMD en facilitant l’accès à
une documentation scientifique de qualité par tous les étudiants et
étudiantes de master et de doctorat et par leurs enseignants et
enseignantes.

Le CAMES s’est aussi engagé à adopter et publiciser une politique explicite


en faveur du libre accès aux travaux scientifiques africains afin de renforcer
l’adhésion de ses institutions membres au DICAMES. Cette volonté s’exprime
notamment dans le contenu final de la Lettre d’entente entre chaque
institution d’enseignement supérieur et le CAMES en vue du déploiement
des collections du DICAMES, ainsi que dans les directives du DICAMES qui
2
mentionnent la possibilité d’utiliser des licences Creative Commons .

Toutefois, au-delà de cet engagement fort et constant, de petits pépins


ont parfois ralenti l’avancée du DICAMES, notamment la rédaction finale
du contenu de la Lettre d’entente. Mentionnons par exemple une mauvaise
interprétation de la mission du DICAMES de la part de certain·e·s membres
du conseil des ministres dont relève le CAMES, des craintes relatives au
coût du projet – en fait bien moindre que ce qui était imaginé – et surtout
une incompréhension de l’idée même d’archive scientifique ouverte par
certain·e·s acteurs et actrices du monde universitaire de l’espace CAMES
pour lesquel·le·s le web est soit un espace frivole incompatible avec la
recherche scientifique, soit un monde inquiétant et menaçant, soit un outil
inaccessible en raison de ses coûts et de la fracture numérique.
L’appropriation du projet au sein de l’équipe interne du CAMES a nécessité
plusieurs rencontres et démonstrations puisqu’il ne s’agit ni d’un pur projet

2. Dans le présent texte, nous ne pouvons pas analyser ces Directives qui sont publiques
et disponibles sur le Centre de ressources du DICAMES à
http://dicames.scienceafrique.org.

La naissance du DICAMES | 841


de bibliothèque, nu d’un pur projet informatique, mais d’un projet global
alliant informatique, sciences de la communication et sciences de
l’information.

L’année 2018

L’année 2018 a été décisive dans la création du DICAMES. Commençons par la


création du site en janvier 2018, juste à temps pour sa présentation publique
au CCG de janvier 2018 à Niamey par Florence Piron. Le constat de cette
avancée majeure par rapport à la présentation de juillet 2018 à Cotonou a
enthousiasmé les dirigeants et dirigeantes d’université présent·e·s aux deux
rencontres. En parallèle du site du DICAMES, nous avons créé en avril 2018 le
site « Centre de ressources du DICAMES » conformément au plan de travail
du projet de recherche. Outre les directives du DICAMES, ce site propose des
outils de découverte et d’appropriation du DICAMES pour les bibliothécaires
qui seront responsables des dépôts pendant les premières années, ainsi que
pour les candidat·e·s aux CTS qui devront prendre l’habitude d’y déposer les
fichiers numériques de leur dossier. Il comporte aussi une section FAQ et une
section consacrée aux dépose-thons, un concept que nous avons imaginé
pour rassembler des bénévoles et les faire déposer en groupe des fichiers
issus de la bibliothèque numérique du CAMES.

En 2018, nous avons aussi effectué un essentiel travail de terrain, allant à


la rencontre des utilisateurs et utilisatrices du DICAMES (bibliothécaires,
étudiants et étudiantes, enseignants et enseignantes, dirigeants et
dirigeantes d’université) pour leur expliquer le projet sous toutes ses
coutures et recueillir leurs réactions. Ces missions ont été cruciales à
l’optimisation du site et au déploiement du projet, ayant permis le
recrutement de 10 universités pilotes dès le mois de janvier 2018, montrant la
pertinence de réfléchir aux usages d’une technologie et de ne pas se limiter
à l’implantation d’un dispositif technologique. Ainsi, Florence Piron, avec
le soutien de Zakari Liré, a eu l’occasion de rencontrer plusieurs recteurs
et présidents d’université au Bénin, au Burkina Faso, au Cameroun et en
Côte d’Ivoire entre mars et juin 2018, notamment lors des activités du
Cinquantenaire du CAMES à Ouagadougou, et de noter leurs réactions et
inquiétudes face au projet, ce qui a permis d’enrichir et de compléter les

842 | La gravité des choses


directives du DICAMES. Pendant ce travail de terrain, Florence a aussi
mobilisé plusieurs bibliothécaires et doctorant·e·s qui se sont engagé·e·s à
trouver, numériser et déposer dans le DICAMES un maximum de documents
scientifiques de leur université : nous les avons surnommé·e·s les
« bénévoles du DICAMES ». Il reste le problème des moyens de leur
engagement, notamment un bureau, un accès au web et des scanneurs
capables de numériser la production imprimée, thèses et revues… Nous
avons effectué une mini-enquête sur ces scanneurs et les sources de
financement possibles, mais il est clair que les universités participantes
doivent s’engager sur ce plan.

De son côté, Djossè Tessy a effectué deux missions : l’une au Niger en juillet
2018 à l’occasion d’une réunion des CTS du CAMES, ce qui lui a permis de
rencontrer plusieurs utilisateurs et utilisatrices potentiel·le·s du DICAMES
dans les jurys mis en place par le CAMES, et l’autre au siège social du
CAMES à Ouagadougou où il a pu former des employé·e·s et des stagiaires
à l’utilisation des formulaires de dépôt. Finalement, une mission de Florence
en Guinée et au Sénégal en décembre 2018 termine ce programme.

Pour la communication interne du projet et la mobilisation constante des


acteurs et actrices, notamment des responsables du DICAMES dans les
universités pilotes, une solution originale a été trouvée après plusieurs
tâtonnements : un groupe de discussion sur le réseau social WhatsApp qui a
été créé vers la fin 2017 et qui s’est graduellement élargi à tous les nouveaux
alliés, nouvelles alliées, acteurs et actrices rencontré·e·s sur le terrain dans
différents pays tout au long de l’année. La communication, d’emblée
complexe, entre ces différentes personnes résidant dans des lieux
géographiquement distants a pu se faire efficacement par l’usage de
WhatsApp. La possibilité d’interactions aussi bien en temps réel qu’en différé
par de courts messages a permis de bâtir une base de connaissances utile à
l’action immédiate sur certaines étapes du processus. C’est un excellent outil
d’idéation collective utilisé dans un processus à caractère scientifique, ce qui
de prime à bord ne paraît pas évident. Florence y poste régulièrement des
comptes rendus des avancées du projet, ce qui permet à tous et toutes de
rester informé·e·s, de poser des questions, d’organiser des rencontres, etc.

Sur le plan du rayonnement, outre la présentation du DICAMES par l’équipe


du CAMES un peu partout en Afrique francophone subsaharienne, notons
un article du magazine de vulgarisation scientifique Sci-Dev paru en juillet

La naissance du DICAMES | 843


2018 sur le DICAMES, une présentation du DICAMES à un groupe de
bibliothécaires américain·e·s à Chapel Hill aux États-Unis en octobre et une
conférence de Zakari Liré sur le DICAMES au Congrès canadien des
professionnels et professionnelles de la documentation en novembre et la
communication au colloque ICOA de Rabat dont est tiré le présent texte. Le
premier dépose-thon a eu lieu à Québec le 05 mai 2018, suivi de celui du 26
novembre qui a eu lieu simultanément à Québec, Paris et à Parakou.

Les alliées du DICAMES

Disposant d’un petit budget pour un projet aussi complexe, il a fallu aller
à l’essentiel dans les dépenses et mobiliser nombre d’allié·e·s bénévoles.
L’essentiel du budget (24980 $CAD) est en fait allé à trois postes clés. D’une
part, il a servi à payer les informaticien·ne·s de la compagnie à but non
lucratif koumbit.org, spécialisé·e·s dans le web solidaire, qui ont été
engagé·e·s pour installer le logiciel Dspace en décembre-janvier 2018. Bien
que vivant à Montréal, le chargé de projet chez Koumbit est tunisien et
a très vite compris l’impact social du DICAMES, ce qui a permis d’établir
une excellente collaboration. Nous avons également eu recours brièvement
à la firme québécoise InLibro, spécialisée en infrastructure technologique
documentaire, pour nous aider à configurer l’interface du site du DICAMES.

Mais cette interface, assez peu modifiée par rapport à ce que propose par
défaut la version 6 de Dspace que nous avions utilisée, a surtout été l’œuvre
de l’assistant de recherche béninois de Florence, Djossè Roméo Tessy, qui a
pris la relève de Thomas Hervé Mboa Nkoudou en septembre 2017. Djossè,
grâce à un salaire versé par le projet, a non seulement travaillé à la
configuration du site et de ses collections, mais il a élaboré les formulaires
de dépôt et a construit le Centre de ressources du DICAMES. Le reste de
la subvention a servi à financer en partie les missions de terrain présentées
plus haut, ainsi que des dépenses connexes liées à l’informatique
(hébergement, Handle, etc.). Le CAMES a déjà pris le relais et financé
l’hébergement du DICAMES jusqu’en janvier 2021.

844 | La gravité des choses


Les allié·e·s bénévoles ont joué un rôle très important et nous les en
remercions. Certain·e·s sont des expert·e·s de DSpace et nous ont aidé·e·s
en nous envoyant des fichiers nécessaires à la configuration du site ou en
répondant à nos questions concernant la traduction des formulaires ou le
référencement du DICAMES.

Nous avons aussi recruté des allié·e·s précieux et précieuses parmi les
doctorants et doctorantes de plusieurs universités et les étudiants et
étudiantes en sciences de l’information, notamment de l’Université de
Dschang et de l’Université d’Abomey-Calavi, qui, confronté·e·s aux difficultés
de trouver des ressources documentaires sur l’Afrique, ont bien compris
la révolution que constituerait un DICAMES bien rempli. En raison de la
surcharge de travail des bibliothécaires et du peu de moyens et de temps
dont ils et elles disposent pour de nouveaux projets exigeants sur le plan
3
technologique tels que le DICAMES , ces bénévoles, futur·e·s enseignants-
chercheurs et enseignantes-chercheuses, sont appelé·e·s à jouer un rôle
majeur dans le déploiement du DICAMES et le désenclavement de la science
de leur pays, de leur continent. Leur mobilisation fait partie du caractère
innovateur de notre manière de piloter le projet.

Les défis

Les défis sont nombreux. Le plus grand défi de l’appropriation est bien
su
̂ r la fracture numérique en Afrique francophone subsaharienne (Alzouma
2008; Banque mondiale 2016; Nyirenda-Jere et Biru 2015; van Dijk 2012) et
son impact en milieu universitaire, à savoir l’absence de virage numérique
dans la plupart des universités : accès précaire à la connexion wifi et aux
laboratoires informatiques dans les campus, numérisation très rare des
travaux imprimés, mais aussi faibles compétences numériques chez la
plupart des universitaires qui, en grande majorité, ne touchent à un
ordinateur qu’en entrant à l’université (Piron, Mboa Nkoudou, Pierre et al.
2016). Ce « fossé numérique » (Wackermann 2008) et la faible littératie
numérique globale (Hoeschsmann et DeWaard 2015) dans cette région du

3. Un des bibliothécaires que nous avons rencontré·e·s a profité de son implication dans
le DICAMES pour demander et recevoir un ordinateur portable de qualité.

La naissance du DICAMES | 845


monde constituent un défi à l’appropriation d’une innovation comme le
DICAMES. Nous pensons à recommander pour l’avenir des dispositifs
spécifiques tels que la possibilité de consulter l’archive sur un serveur local
(par exemple, un ordinateur dans une bibliothèque universitaire), sans
connexion Internet et avec une mise à jour régulière.

Toutefois, les fondements solides que nous avons établis depuis juin 2015
nous permettent d’espérer une durabilité réelle pour ce grand projet
collectif. La suite dans quelques années!

Références

Banque mondiale. 2014. « Améliorer la qualité et la quantité de la recherche


scientifique en Afrique ». La Banque Mondiale. 30 septembre 2014.
http://www.banquemondiale.org/fr/region/afr/publication/improving-
the-quality-and-quantity-of-scientific-research-in-africa.

Charlier, Jean-Émile, et Sarah Croché. 2010. « L’inéluctable ajustement des


universités africaines au processus de Bologne ». Revue française de
pédagogie. Recherches en éducation, no 172 (juillet): 77‑84. https://doi.org/
10.4000/rfp.2276.

Decung, Lorie, et Françoise Mukuku. 2016. « Overview of open knowledge


in Francophone Africa ». Brighton: Institute of Development Studies.
http://www.okhub.org/wp-content/uploads/2016/06/
English_etudeOK_Afriquefrancophone_2016-002.pdf.

Diouf, Antonin. 2010. « Quelques bibliothèques numériques sénégalaises ».


SENBIBDOC (blog). 8 juin 2010. http://antoninbenoitdiouf.com/2010/06/
08/n%c2%b0-51-quelques-bibliotheques-numeriques-senegalaises/.

Piron, Florence, Antonin Benoît Diouf, Marie Sophie Dibounje Madiba,


Thomas Hervé Mboa Nkoudou, Zoé Aubierge Ouangré, Djossè Roméo
Tessy, Hamissou Rhissa Achaffert, Anderson Pierre, et Zakari Lire. 2017.
« Le libre accès vu d’Afrique francophone subsaharienne ». Revue française
des sciences de l’information et de la communication, no 11 (août).
https://doi.org/10.4000/rfsic.3292.

846 | La gravité des choses

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