Nosso Lar (French Edition) - Chico Xavier - 2005

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CHIC
» XAVIE
PAR L’ESPRIT
ANDRE LUIZ
Nosso Lar
Chico Xavier

Nosso Lar
La vie dans le Monde Spirituel

Par l’esprit
André Luiz

Traduction du portugais : Pierre-Etienne Jay


Copyright © 2005 by
FEDERACAO ESPIRITA BRASILEIRA — FEB

Premiére édition — 1/2020

ISBN 978-85-9466-346-7

Titre de loriginal portugais:


NOSSO LAR
(Brésil, 1944)

Tous droits réservés. Aucune partie de cette publication ne peut étre reproduite, stockée ou
transmise, de maniére totale ou partielle, par nimporte quel moyen que ce soit, sans autorisation
du détenteur du copyright.

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DONNEES INTERNATIONALES POUR LE CATALOGAGE DANS LOUVRAGE (CIP)


(Federacao Espfrita Brasileira — Biblioteca de Obras Raras)

L953n Luiz, André (Esprit)


Nosso Lar / par l’Esprit André Luiz; [psycographié par] Francisco Candido
Xavier ; [traduction de Pierre-Etienne Jay]. — Brasflia, DF (Brésil): FEB, 2020.
322 p.; 21 cm - (Collection La vie dans le monde spirituel, n° 1)

Traduction de: Nosso Lar


ISBN 978-85-9466-346-7

1. Spiritisme. 2. Ecrits spirites. I. Xavier, Francisco Candido, 1910-2002. IL.


Federagao Espirita Brasileira. IIL. Titre. IV. Collection.

CDDi155:93
CDU 133.7
CDE 00.06.02
Table des matiéres

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A propos des néologismes
Allan Kardec lui-méme disait, dans « Introduction a
l'étude de la doctrine spirite » du Livre des Esprits que , « pour
les choses nouvelles ilfaut des mots nouveaux ».
Le Spiritisme apporte des idées nouvelles qui explorent des
domaines nouveaux. Ainsi, afin de pouvoir en parler clairement,
nous avons besoin d’un vocabulaire limpide, parlant.
De plus, dans le respect des livres originaux, ces traduc-
tions ont eu besoin de l'emploi de mots n’existant pas dans la
langue francaise pourtant si riche. D’autres termes, d'autres
expressions ont, quant a eux, un sens un peu différent de celui
généralement attribué.
Tout cela se trouve expliqué dans le court lexique qui suit.
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Lexique

Ce petit lexique a pour but d’expliquer les néologismes


employés et le sens de certains mots dans leur acception spirite.
— DESOBSESSION : Travail d’assistance médiumnique
durant lequel une discussion s’établit entre Esprit « obsesseur »
et une personne chargée de l’orientation spirituelle. Néologisme.
— OBSESSEUR : Esprit, incarné ou désincarné, se livrant
4 obsession d'une autre personne, elle-méme incarnée ou désin-
carnée. Néologisme.
— ORIENTATION SPIRITUELLE : discussion visant
4 aider et éclairer un Esprit souffrant sur sa condition et sur
les opportunités d’amélioration de son état. Se pratique lors
des séances de « désobsession » par des orienteurs incarnés
ou désincarnés.
— OBSESSION : Acte par lequel un Esprit exerce un joug
sur un autre Esprit (voir 4 ce sujet Le Livre des Médiums, chap.
23 — De lobsession).
— PSYCHOGRAPHIE : Du grec psukhé (ame) et graphia
(écriture) ; fait d’écrire sous la dictée d’un Esprit. Type de mé-
diumnité. Néologisme.

ia!
Chico Xavier |André Luiz

— Psychographier
— PSYCHOPHONIE : Du grec psukhé (Ame) et phonia
(voix) ; fait de parler sous l’influence d’un Esprit. Médiumnité
d’incorporation. Néologisme.
— PERISPRIT : Enveloppe semi-matérielle de lEsprit.
Chez les incarnés, il sert de lien ou d’intermédiaire entre |’Esprit et
la matiére ; chez les Esprits errants, il constitue le corps fluidique
de l’Esprit. (Le Livre des Médiums, chap. 32 — Vocabulaire Spirite).
— Périspritique : qui est relatif au périsprit. Néologisme.
— VAMPIRE : les vampires, dans Le Spiritisme, sont des
étres qui absorbent I’énergie et les sensations des personnes. II
ne s agit plus de buveurs de sang mais de buveurs de fluides qui
sont, en réalité, des Esprits ignorants, encore trés attachés aux
sensations et 4 la matiére.
— VOLITION : « Exercice de la volonté dans une expé-
rience parapsychologique » (Petit Robert). Acte par lequel les
Esprits se déplacent au moyen de leur volonté. Ils flottent pour
ainsi dire dans lair, et glissent sur la terre.
— Voliter

eu
Nouvel ami

En général, les préfaces présentent les auteurs, mettant


Paccent sur leur mérite et commentant leur personnalité.
Ici, la situation est cependant différente.
Vous chercheriez en vain, compagnons incarnés, le méde-
cin André Luiz dans les listes de la convention.
Parfois, l’'anonymat est fils de la compréhension légitime
et du véritable amour. Pour racheter le passé scabreux, les ba-
rémes de la nomenclature usuelle appliquée a la réincarnation
changent. Loubli temporaire fonctionne comme une bénédic-
tion de la Divine Miséricorde.
André a aussi eu besoin de tirer le rideau sur lui-méme.
C’est pour cela que nous ne pouvons présenter le médecin
terrestre et auteur humain, mais le nouvel ami et frére en éternité.
Afin d’apporter de précieuses réflexions aux compagnons
du monde, il a eu besoin de se dépouiller de toutes les conven-
tions, y compris de son propre nom, pour ne pas blesser les cceurs
aimés encore enveloppés dans les vieux manteaux de l’illusion.
Ceux qui cueillent les épis mars ne doivent pas offenser ceux qui
plantent au loin, ni perturber les pousses vertes, encore en fleurs.

13
Chico Xavier |André Luiz

Nous reconnaissons que ce livre n’est pas unique. D’autres


entités ont déja commenté les conditions de vie outre-tombe...
Cependant, il y a longtemps que nous désirons apporter
dans notre cercle spirituel quelqu’un qui puisse transmettre A
d'autres la valeur de son expérience, avec tous les détails pos-
sibles pour la juste compréhension de l’ordre qui préside a
Peffort des désincarnés travailleurs et bien intentionnés, dans
les sphéres invisibles au regard humain bien qu’intimement
liges a la planéte.
De nombreux amis souriront certainement face a certains
passages des récits. Toutefois, linhabituel a de tout temps causé.
Qui n’a pas souri sur Terre, il y a quelques années de cela, quand
on nous parlait d’aviation, d’électricité ou de radiophonie ?
La surprise, la perplexité et le doute sont de tous les ap-
prentis qui ne sont pas encore passés par la legon. Cela est plus
que naturel et hautement justifié. Nous ne commenterons, de
cette maniére, aucune impression d’autrui. Tout lecteur a besoin
d’analyser ce qu'il lit.
Reportons-nous donc seulement a lobjectif essentiel de
ce travail.
Le Spiritisme gagne un nombre grandissant d’adeptes. Des
milliers de personnes s'intéressent a ses travaux, modalités et ex-
périences. Cependant, dans ce champ immense de nouveautés,
’homme ne doit pas se négliger. |
Il ne suffit pas d’enquéter sur des phénoménes, d’adhérer
verbalement, d’améliorer l’apparence, d’éduquer la conscience
d’autrui, de faire du prosélytisme et de conquérir les faveurs de
l'opinion, aussi respectable que cela soit, sur le plan physique. II
est indispensable de méditer sur la connaissance de nos poten-
tiels infinis, les appliquant, a notre tour, au service du bien.
Lhomme terrestre nest pas un déshérité. Il est fils de Dieu
en travail constructif, revétant le vétement de chair ; éléve de

14
Nosso Lar

lécole bénite ow il est nécessaire d’apprendre A sélever. La lutte


humaine représente son opportunité, son outil, son livre.
Léchange avec invisible représente un mouvement sacré
pour la fonction restauratrice du Christianisme pur ; mais que
personne ne néglige ses propres nécessités dans la place qu'il oc-
cupe par la volonté du Seigneur.
André Luiz vient vous raconter, lecteur ami, que la plus
grande surprise de la mort charnelle est de nous placer face a
notre propre conscience ot nous édifions le ciel, stationnons
dans le purgatoire ou nous précipitons dans l’abime infernal ; il
vient rappeler que la Terre est un atelier sacré, et que personne ne
la méprisera sans connaitre le prix de la terrible erreur 4 laquelle
le coeur s’est soumis.
Gardez son expérience dans le livre de l’4me. Elle dit bien
haut qu'il ne suffit pas a l’étre de s’attacher a l’existence humaine
mais qu il a besoin de savoir en profiter dignement ; que les pas
du chrétien, en n'importe quelle école religieuse, doivent se diri-
ger véritablement vers le Christ, et qu’en notre camp doctrinaire,
nous avons besoin, en vérité, du Spiritisme et du Spiritualisme,
mais bien plus encore de Spiritualiteé.

Emmanuel
Pedro Leopoldo, le 3 octobre 1943.

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Message d’André Luiz
La vie ne sarréte pas. La vie est une source éternelle et la
mort n’est que le jeu obscur des illusions.
Le grand fleuve suit son cours avant la mer immense. Co-
piant cette expression, |’4me parcourt aussi des chemins variés
et plusieurs étapes, recevant également des affluents de connais-
sances, ici et la, sagrandissent en volume et se purifient en qua-
lité, avant de rencontrer I’Océan Eternel de la Sagesse.
Fermer les yeux de la chair constitue une opération exces-
sivement simple.
Changer l’habit physique ne résout pas le probleme fonda-
mental de l’illumination, comme I|’échange de vétements n’a rien
4 voir avec les profondes solutions du destin et de l’étre.
O chemins des Ames, mystérieux chemins du coeur ! Vous
parcourir est un mystére avant de s’essayer a la supréme équation
de la Vie Eternelle ! Il est indispensable de vivre votre drame, de
connaitre vos moindres détails intérieurs, dans le long processus
du perfectionnement spirituel... !
Il serait extrémement enfantin de croire que le simple «
baisser de rideau » résout les transcendantes questions de I’Infini.

17.
Chico Xavier |André Luiz

Une existence est un acte.


Un corps — une veste.
Un siécle — un jour.
Un travail — une expérience.
Un triomphe — une acquisition.
La mort — un souffle rénovateur.
De combien d’existences, combien de corps, combien de
siécles, combien de travaux, combien de triomphes, combien de
morts aurons-nous encore besoin ?
Et l’érudit en philosophie religieuse parle de délibérations
finales et de positions définitives !
Malheur aux docteurs en doctrine et aux analphabétes de
Pesprit !
Il faut a homme beaucoup d’efforts pour entrer dans l’aca-
démie de l’Evangile du Christ, entrée qui s observe, presque tou-
jours, de bien étrange maniére — seul, en compagnie du Maitre,
effectuant le cours difficile, recevant les lecons sans les chaires
apparentes et écoutant de vastes dissertations sans mots articulés.
Mais trés long est notre laborieux voyage.
Notre simple effort ne veut seulement traduire qu'une idée
de cette vérité fondamentale.
Merci donc, mes amis !
Nous nous manifestons auprés de vous dans l’anonymat
qui obéit a la charité fraternelle. Lexistence humaine présente
une grande majorité de vases fragiles qui ne peuvent encore
contenir toute la vérité. D’ailleurs, seule nous intéresserait,
pour le moment, l’expérience profonde avec ses valeurs collec-
tives. Nous ne tourmenterons personne avec l’idée de l’éternité.
Qu’en premier lieu les vases se fortifient. Nous ne fournirons
que quelques courtes nouvelles a l’esprit assoiffé de nos fréres sur
le sentier de la réalisation spirituelle et qu’ils comprennent, avec
nous, que « l’esprit souffle ot il veut ».

18
Nosso Lar

Et maintenant, amis, que se taisent mes remerciements sur


le papier, me recueillant dans le grand silence de la sympathie et
de la gratitude. Attraction et reconnaissance, amour et jubilation
habitent l’ame. Sachez que je garderai, 4 votre intention, de telles
valeurs avec moi dans le sanctuaire de mon cceur.
Que le Seigneur nous bénisse.

André luiz

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Dans les zones inférieures

Javais limpression d’avoir perdu la notion du temps.


Celle d’espace s’était évanouie depuis longtemps.
Jétais convaincu de ne plus appartenir au nombre des
incarnés du monde alors que mes poumons inspiraient l’air a
longues bouftées.
Depuis quand étais-je devenu le jouet de forces irrésis-
tibles ? Impossible de le savoir.
Je me sentais en réalité comme un esprit follet tourmenté
dans les mailles obscures de l’horreur. Cheveux en bataille, coeur
palpitant, peur terrible me dominant, bien souvent je criais tel
un fou, implorant pitié et clamant contre le douloureux abat-
tement qui asservissait mon esprit. Mais quand le silence n’ab-
sorbait pas ma voix de stentor, des lamentations encore plus
émouvantes que les miennes répondaient a mes gémissements.
A d autres moments, de sinistres éclats de rires déchiraient la
quiétude ambiante. Un compagnon inconnu devait étre, a
mon avis, prisonnier de la folie. De temps a autre, des formes

o4|
Chico Xavier |André Luiz

diaboliques, des visages blémes, des expressions animalesques


surgissaient, accroissant ma terreur. Le paysage, quand il n’était
pas totalement obscur, semblait baigné dune lumiére blanchatre,
comme enveloppé d’un épais brouillard que les rayons du Soleil
réchauffaient de trés loin.
Et l’étrange voyage continuait... Avec quelle fin ? Qui pou-
vait me le dire ? Je savais seulement que je fuyais tout le temps...
La peur me poussait malgré moi. Oui se trouvait mon foyer, mon
épouse, mes enfants ? J’avais perdu toute notion de chemin. La
crainte de l’inconnu et la peur des ténébres absorbaient toutes
mes facultés de raisonnement, depuis que je m’étais détaché des
derniers liens physiques, en pleine tombe !
Ma conscience me tourmentait : j’aurais préféré l’'absence
totale de raison, le non-étre.
Au début, les larmes lavaient incessamment mon visage et,
en de rares instants, j’avais la joie de pouvoir gotiter a la béné-
diction du sommeil. La sensation de soulagement s interrompait
alors brusquement. Des étres monstrueux me réveillaient, iro-
niques ; il était indispensable de les fuir.
Je reconnaissais, maintenant, que cette sphére qui s’élevait
de la poussiére du monde était différente ; cependant, il était
trop tard. D’angoissantes pensées venaient emplir mon cerveau
d’attritions. Je parvenais mal 4 ébaucher des projets de solutions,
de nombreux incidents me poussant dans des considérations
étourdissantes. A aucun moment le probléme religieux n’est res-
sorti de maniére aussi profonde 4 mes yeux. Les principes pure-
ment philosophiques, politiques et scientifiques me paraissaient
a présent extreémement secondaires dans la vie humaine. Ils signi-
fiaient, selon moi, un précieux patrimoine des plans de la Terre,
mais il était urgent de reconnaitre que humanité ne se consti-
tuait pas de générations transitoires, mais bien d’Esprits éter-
nels sur le chemin d’une glorieuse destination. Je reconnus que

22
Nosso Lar

quelque chose restait au-dessus de toute réflexion simplement


intellectuelle. Ce quelque chose, c'est la foi, manifestation divine
pour homme. Cela dit, pareille analyse avait surgi tardivement.
De fait, je connaissais les paroles de l’Ancien Testament et j’avais
de nombreuses fois feuilleté l’Evangile. Mais il m’est forcé de re-
connaitre que je n’avais jamais cherché les paroles sacrées avec la
lumiére du coeur. Je les avais repérées a travers la critique d’écri-
vains peu habitués au sentiment et a la conscience, ou en plein
désaccord avec les vérités essentielles. En d’autres occasions, je
les avais interprétés selon la hiérarchie sacerdotale établie, sans
jamais sortir du cercle des contradictions ou je m’étais volontai-
rement maintenu.
En réalité, je ne fus pas un criminel dans ma conception
des choses. Mais la philosophie de immédiat m’avait absorbé.
Mon existence terrestre, que la mort avait transformée, n’avait
pas été marquée de faits hors du commun.
Fils de parents peut-étre excessivement généreux, javais
conquis mes titres universitaires sans grand sacrifice. J’avais par-
tagé les vices de la jeunesse de mon temps, organisé un foyer, eu
des enfants, obtenu des situations stables qui garantirent la tran-
quillité économique de ma famille mais, en m’examinant atten-
tivement, quelque chose me faisait ressentir la notion de temps
perdu, avec la silencieuse accusation de la conscience. J’avais
habité la Terre, j’avais joui de biens matériels, j’avais cueilli les
bénédictions de la vie, mais je ne lui avais pas remboursé un cen-
time de I’énorme débit. J’avais eu des parents dont je n’avais su
apprécier la générosité et les sacrifices ; une épouse et des enfants
que j’avais férocement retenus dans les filets rigides de l’égoisme
destructeur. Je possédais un foyer que j’avais fermé a tous ceux
qui traversaient le désert de l’angoisse. Je me régalais des joies fa-
miliales, oubliant d’étendre cette bénédiction divine a immense
famille humaine, sourd aux simples devoirs de la fraternité.

23
Chico Xavier |André Luiz

Enfin, maintenant, comme la fleur de la serre, je ne sup-


portais pas le climat des réalités éternelles. Je n’avais pas déve-
loppé les germes divins que le Seigneur de la Vie avait placés en
mon ame. Je les avais étouffés, criminellement, dans le désir non
retenu de bien-étre. Je n’avais pas dressé mes organes pour la vie
nouvelle. Il était donc juste que je me réveille ici a la maniére
de l’estropié qui, rendu au fleuve infini de |’éternité, ne pouvait
pas accompagner, sinon de force, le courant incessant des eaux ;
ou comme le mendiant malheureux qui, épuisé en plein désert,
déambule a la merci des ouragans impétueux.
O amis de la Terre ! Combien d’entre vous pourraient
éviter le chemin d’amertume avec la préparation des champs
intérieurs du coeur ? Allumez votre lumiére avant de traverser
la grande ombre. Cherchez la vérité avant que la vérité ne vous
surprenne. Suez maintenant pour ne pas pleurer apres.

24
A)
Clarencio
« Suicidé ! Suicidé ! Criminel ! Infame ! »
Des cris pareils 4 ceux-ci m’entouraient de toutes parts.
Oi les assassins insensibles se cachaient-ils ? Parfois, je les aper-
cevais fugitivement, glissant dans les ténébres épaisses et, quand
mon désespoir atteignait son apogée, je les attaquais, mobili-
sant d’extrémes énergies. Mais en vain, je battais l’air de mes
poings dans les paroxysmes de la colére. Des rires sarcastiques
blessaient mes oreilles tandis que des silhouettes noires dispa-
raissaient dans |’ombre.
Qui appeler ? La faim me torturait, la soif me brilait. De
simples phénoménes de l’expérience matérielle prenaient une
toute autre ampleur 4 mes yeux. Ma barbe poussait, mes véte-
ments commencaient a se déchirer sous les efforts de la résistance
dans cette région inconnue. Cependant, la circonstance la plus
douloureuse n’était pas le terrible abandon auquel je me sen-
tais livré, mais le harcélement incessant des forces perverses qui
me mettaient en colére sur les chemins déserts et obscurs. Elles

Uy
Chico Xavier |André Luiz

mirritaient, détruisaient la possibilité de rassembler mes idées. Je


souhaitais réfléchir profondément 4 la situation, en analyser les
raisons et établir de nouvelles lignes directrices pour ma pensée.
Mais ces voix, ces lamentations mélangées d’accusations directes,
me désorientaient irrémédiablement.
— Que cherches-tu, malheureux ! Ou vas-tu, suicidé ?
De telles objurgations, sans cesse répétées, perturbaient
mon coeur. Malheureux, oui ; mais suicidé ? Jamais ! Pour moi,
ces reproches étaient sans fondement. J’avais laissé mon corps
physique a contrecceur. Je me souvenais de mon combat acharné
contre la mort. Je pouvais jurer entendre encore les derniers avis
médicaux prononcés au centre hospitalier ; je me souvenais de
lattention affectueuse qui m/avait été prodiguée, les soins dou-
loureux que j’avais di subir durant les longs jours qui suivirent la
délicate opération des intestins. Je sentais, au cours de ces rémi-
niscences, le contact du thermométre, la piqtire désagréable de
Paiguille des injections et, enfin, la derniére scéne qui précéda
le grand sommeil : mon épouse encore jeune et mes trois en-
fants, me contemplant dans la terreur de la séparation éternelle.
Apreés... le réveil dans le paysage humide et obscur et le grand
cheminement qui paraissait sans fin.
Pourquoi une accusation de suicide quand je fus
contraint a abandonner la maison, la famille et la douce proxi-
mité des miens ? Lhomme le plus fort connaitra des limites
a la résistance émotionnelle. Ferme et résolu au début, je
commengai a me livrer 4 de longues périodes d’abattement
et, loin de poursuivre dans la forteresse morale, je sentais que
les larmes longuement retenues se déversaient plus souvent,
débordant du coeur.
A qui recourir ? Aussi grande que fat ma culture
intellectuelle rapportée du monde, je ne pouvais modifier,
maintenant, la réalité de la vie. Mes connaissances, devant

26
Nosso Lar

l'infini, ressemblaient a de petites bulles de savon emportées par


le vent impétueux qui transforme les paysages. J’étais quelque
chose que la tornade de la vérité charriait trés loin. Cependant,
la situation ne modifiait en rien l'autre réalité de mon étre
essentiel. Me demandant si je ne devenais pas fou, je rencontrais
ma conscience vigilante, me disant que je continuais a étre le
méme, avec le sentiment et la culture cueillis dans l’expérience
matérielle. Les nécessités physiologiques persistaient, sans
modification. La faim flagellait toutes mes fibres et, malgré
tout, l’abattement progressif ne me faisait pas sombrer dans
un complet épuisement. De temps 4 autre, je découvrais des
plantes qui me paraissaient sauvages, prés de filets d’eau sur
lesquels je me jetais, assoiffé. Je dévorais les feuilles inconnues,
collais mes lévres a la source du liquide souillé autant que me le
permettaient les forces irrésistibles qui me poussaient en avant.
De nombreuses fois, je dus sucer la boue du chemin, me rap-
pelant le pain quotidien, versant des pleurs abondants. Sou-
vent, il m’était indispensable de me cacher des hardes énormes
détres animalesques qui passaient en groupes, tels des bétes
insatiables. Ces scénes relevaient de |’épouvante ! Le décou-
ragement s’accentuait. C’est la que je commengai a me sou-
venir quil devait exister, quelque part, un Auteur de la Vie.
Cette idée me réconforta. Moi qui avais détesté les religions
du monde, je ressentais 4 présent la nécessité d’un réconfort
mystique. Médecin extrémement attaché au négativisme de ma
génération, une attitude rénovatrice s’imposait a moi. II deve-
nait indispensable de reconnaitre l’échec de l’amour-propre
auquel je m/étais consacré, orgueilleux.
Et, quand I’énergie me manqua, quand je me sentis abso-
lument collé a la bourbe de la Terre, sans forces pour me redres-
ser, je demandai au Supréme Auteur de la Nature de me tendre
ses mains paternelles en cet instant d’urgence si amer.

ay
Chico Xavier |André Luiz

Combien de temps dura ma demande ? Combien d’heures


consacrai-je a la supplication, les mains jointes, imitant l’enfant
afHigé ? Je sais seulement que la pluie de mes larmes lava mon
visage, que tous mes sentiments se concentrérent dans la priére
douloureuse. Serais-je donc complétement oublié ? N’étais-je pas
également fils de Dieu, méme si je n’avais pas cherché a connaitre
cette activité sublime quand je me trouvais engouffré dans les
vanités de l’expérience humaine ? Pourquoi le Pére Eternel ne me
pardonnerait-il pas quand il donnait un nid aux oiseaux incons-
cients et protégeait, bienveillant, la délicate fleur des champs ?
Ah ! Il faut avoir beaucoup souffert pour comprendre
toutes les mystérieuses beautés de la priére ; il est nécessaire
d’avoir connu le remords, humiliation et Pextréme infortune
pour prendre efficacement le sublime élixir de l’espérance. C’est
a ce moment que les brouillards épais se dispersérent et que
quelqu un surgit, émissaire des Cieux. Un vieillard sympathique
me sourit paternellement. II sinclina, fixa dans les miens ses
grands yeux lucides et dit :
— Courage, mon fils ! Le Seigneur ne t’a pas abandonné.
Des pleurs amers baignaient mon Ame entiére. Emu, je
voulus traduire ma grande joie, commenter la consolation qui
me parvenait. Mais réunissant toutes les forces qu il me restait, je
pus seulement demander :
— Qui étes-vous, généreux émissaire de Dieu ?
Linattendu bienfaiteur sourit avec bienveillance et ré-
pondit :
— Tu peux m’appeler Clarencio, je suis seulement ton frére.
Et, percevant mon épuisement, il ajouta :
— Maintenant, reste tranquille et silencieux. Le repos est
nécessaire pour reconstituer ton énergie.
Ensuite, il appela deux compagnons qui se maintenaient
dans une attitude de serviteurs zélés et leur demanda :

28
Nosso Lar

— Apportez a notre ami les secours d’urgence.


Un drap blanc fut étendu ici méme, en guise de civiére
improvisée, les deux coopérateurs se disposant généreusement a
me transporter.
Quand ils me hissérent, précautionneux, Clarencio médita
un instant et précisa, comme qui se souvient d’une obligation ne
pouvant étre ajournée :
— Partons sans attendre. J’ai besoin d’atteindre « Nosso
Lar' » le plus tét possible.

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1 NdT:«Nosso Lar » signifie, en francais, « Notre Demeure ».

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La prieére collective

Bien qu étant transporté tel un blessé commun, j’apergus


la scene réconfortante qui se déroulait sous mes yeux.
Clarencio, qui s'appuyait sur un baton d’une substance
lumineuse, se tint devant une grande porte encastrée dans de
hauts murs couverts de plantes grimpantes, fleuries et gracieuses.
Ayant manipulé avec attention un point de la muraille, une
longue ouverture se fit par laquelle nous pénétrames, silencieux.
Tout, ici, était inondé d’une douce clarté. Au loin, une
magnifique source de lumiére faisait penser 4 un coucher de
soleil des aprés-midi printaniers. A mesure que nous avancions,
je parvenais 4 observer de précieuses constructions situées dans
d’immenses jardins.
Sur un signal de Clarencio, les conducteurs déposérent,
- tout doucement, la civiére improvisée. La porte accueillante d’un
édifice blanc ressemblant 4 un hépital terrestre apparut 4 mon
regard. Deux jeunes gens portant des tuniques de lin d’une blan-
cheur de neige accoururent prestement a l’appel de mon bien-

a
Chico Xavier |André Luiz

faiteur et, alors quils nvinstallaient avec attention dans un lit


d’'urgence, pour me conduire avec douceur a l’intérieur, j’enten-
dis le généreux ancien leur recommander tendrement :
— Gardez notre protégé dans le pavillon de droite et atten-
dez-moi. Je reviendrai le voir tot demain.
Je lui adressai un regard de gratitude quand ils me condui-
sirent jusqu’a la chambre confortable aux grandes dimensions,
richement meublée, ou ils n’offrirent un lit accueillant.
Enveloppant les deux infirmiers dans la vibration de ma
reconnaissance, je m’efforcai de leur adresser la parole, parvenant
a dire enfin :
— Amis, par pitié, expliquez-moi dans quel nouveau monde
je me trouve... De quelle étoile me vient 4 présent cette lumiére
réconfortante et brillante ?
Lun d’eux me caressa le front comme si nous étions des
connaissances de longue date, et répondit :
— Nous sommes dans les sphéres spirituelles voisines de la
Terre, et le Soleil qui nous illumine en ce moment est le méme
qui vivifiait notre corps physique. Toutefois, ici, notre percep-
tion visuelle est bien plus riche. Létoile que le Seigneur a allumée
pour nos travaux terrestres est plus précieuse et belle que ce que
nous le supposons quand nous nous trouvons dans le cercle de la
chair. Notre Soleil est la source divine de la vie, et la clarté qu'il
irradie provient de l’Auteur de la Création. ,
Mon « moi », comme absorbé par une onde d’infini res-
pect, fixa la douce lumiére qui envahissait la chambre en tra-
versant les fenétres, et je me perdis dans le cours de profondes
réflexions. Je me souvins alors que je n’avais jamais fixé le soleil,
pendant les jours terrestres, en méditant sur l’incommensurable
bonté de Celui qui nous l’avait concédé pour le chemin éternel
de la vie. Je ressemblais a l’heureux aveugle qui ouvre les yeux sur
la sublime Nature aprés de longs siécles d’obscurité.

sy
Nosso Lar

A ce moment, ils me servirent un bouillon réconfortant


suivi d’une eau trés fraiche qui me sembla porteuse de fluides
divins. La petite quantité de liquide me ranima de maniére
inattendue. Je ne saurais dire de quelle espéce de soupe il
s'agissait, alimentation sédative ou reméde salutaire. Une éner-
gie nouvelle soutint mon 4me, de profonds bouleversements
vibrérent dans mon esprit.
Cependant, ma plus grande émotion devait survenir
quelques instants plus tard.
A peine sorti de la consolante surprise, une divine mélodie
pénétra a l’intérieur de la chambre, s'apparentant 4 un doux
ensemble de sons sélevant vers les sphéres supérieures. Ces
notes a |’harmonie merveilleuse traversaient mon coeur. Face a
mon regard interrogateur, l’infirmier qui demeurait 4 mes cétés
m éclaira, bienveillant :
— Cest le crépuscule a « Nosso Lar ». Dans tous les centres
de cette colonie de travail consacrée au Christ, il y a une liaison
directe avec les priéres du Gouvernement.
Et alors que la musique magnifiait l’ambiance, il s’excusa,
attentionné :
— Maintenant, restez en paix. Je serai de retour peu apres
la priere.
Une anxiété soudaine me saisit.
— Ne pourrais-je pas vous accompagner ? demandai-je,
suppliant.
— Vous étes encore faible, dit-il gentiment, mais si vous
vous en sentez la force...
La mélodie rénovait mes énergies profondes. Je me levai,
vainquant les difficultés, et je m’accrochai au bras fraternel qui
m’était offert. Suivant en vacillant, j’arrivai dans un salon im-
posant ot une assemblée nombreuse méditait en silence, pro-
fondément recueillie. De la voitte pleine d'une brillante clarté,

33
Chico Xavier |André Luiz

de délicates guirlandes de fleurs pendaient du plafond jusqu’au


sol, formant de radieuses manifestations de la Spiritualité Su-
périeure. Personne ne semblait se rendre compte de ma pré-
sence tandis que je ne parvenais 4 dissimuler mon étonnement
qua grand peine. Toutes les personnes présentes, attentives,
paraissaient attendre quelque chose. Contenant au prix d'un
grand effort les nombreuses questions qui envahissaient mon
esprit, je remarquai qu’au fond de la salle se dessinait, sur un
écran gigantesque, une scéne aux lumiéres féeriques. Obéis-
sant a un processus avancé de télévision, l’intérieur d’un mer-
veilleux temple surgit. Assis bien en évidence, un majestueux
vieillard couronné de lumiére et vétu d’une tunique d’un blanc
lumineux fixait infini dans une attitude de recueillement. Au
second plan, soixante-douze personnes semblaient |’accom-
pagner dans un silence respectueux. Grandement surpris, je
remarquai Clarencio au milieu de |’assemblée qui entourait ce
magnifique patriarche.
Pressant son bras, l’infirmier ami se rendit compte que
mes questions ne se feraient pas attendre. Il me chuchota alors
d’une voix qui s’apparentait plus 4 un souffle léger :
— Restez tranquille. Toutes les résidences et institutions
de « Nosso Lar » sont en train de prier avec le Gouverneur par
lintermédiaire de la vision et de |’écoute A distance. Louons le
Coeur Invisible du Ciel. |
A peine avait-il terminé son explication que les soixante-
douze personnes entonnérent un hymne harmonieux empreint
d'une indéfinissable beauté. La physionomie de Clarencio, qui se
trouvait parmi les vénérables compagnons, me parut resplendir
d'une lumieére plus intense. Le cantique céleste se constituait de
notes angéliques de sublime gratitude. De mystérieuses vibra-
tions de paix et de joie planaient dans l’air, et quand les notes ar-
gentines firent de délicieux staccato, un coeur merveilleusement

34
Nosso Lar

bleu’ orné de rayons dorés apparut au loin, sur un plan élevé. Puis
une douce musique répondit aux louanges, provenant peut-étre
de sphéres distantes. A cet instant, une abondante pluie de fleurs
bleues se déversa sur nous ; mais si nous tentions d’attraper les
myosotis célestes, nous ne parvenions pas 4 les retenir dans nos
mains. Les minuscules corolles se défaisaient tout en douceur au
contact de nos fronts. Cela me fit ressentir une singuliére restau-
ration des énergies au contact des pétales fluidiques, répandant
un baume sur mon cceur. .
La sublime priére terminée, je retournai 4 ma chambre
de malade, soutenu par l’ami qui nmvétait dévoué. Cependant,
je nétais plus le grave souffrant de quelques heures auparavant.
La premiere priére collective 4 « Nosso Lar » avait opéré en moi
une transformation complete. Un réconfort inattendu envelop-
pait mon ame. Pour la premiére fois depuis de longues années de
souffrance, mon pauvre coeur tourmenté et chargé de nostalgie,
tel un calice resté vide durant trés longtemps, se remplissait de
nouveau des généreuses gouttes de la liqueur de l’espérance.

2 Note de I’auteur spirituel : image symbolique formée par les vibrations mentales des
habitants de la colonie.

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Le médecin spirituel
Le lendemain, aprés un sommeil profond et réparateur, je
pus ressentir la bénédiction radieuse du Soleil ami, pareille 4 un
doux message 4 mon coeur. Une clarté réconfortante traversait la
grande fenétre, inondant l’intérieur d'une lumiére caressante. Je
me sentais devenir un autre. Des énergies nouvelles m’envahis-
saient intérieurement. J’avais l’impression d’absorber la joie de
la vie 4 grandes bouffées. II n’y avait qu'une tache d’ombre dans
mon ame: la nostalgie de mon foyer, l’attachement 4 ma famille
qui demeurait lointaine. Ma pensée était habitée de nombreuses
interrogations, mais la sensation de soulagement était si grande
que je rassurai mon esprit, loin de toute préoccupation.
Je voulus me lever, jouir du spectacle de la Nature agi-
tée par la brise et baignée de lumiére, mais je n’y parvins pas et
jen vins a la conclusion que sans la coopération magnétique de
linfirmier, il m’était impossible de quitter le lit.
Je métais pas encore revenu de toutes ces surprises qui
senchainaient que la porte souvrit, laissant passer Clarencio

37
Chico Xavier |André Luiz

accompagné d’un sympathique inconnu. Ils me saluérent cour-


toisement, me souhaitant la paix. Mon bienfaiteur de la veille
s'enquit de mon état général. Empressé, l’infirmier l’en informa.
Souriant, le vieillard ami me présenta son compagnon.
Il s'agissait du frére Henrique de Luna, du service d’ Assistance
Médicale de la colonie spirituelle. Vétu de blanc, les traits de
son visage irradiant une grande sympathie, Henrique m’ausculta
longuement, sourit et expliqua :
— Il est regrettable que vous soyez venu par le suicide.
Alors que Clarencio demeurait serein, je sentis qu'un sin-
gulier étonnement mélé de révolte bouillonnait en moi.
Suicidé ? Je me souvins des accusations lancées par les étres
pervers de l’ombre. Malgré l'infinie gratitude que je commengais
a ressentir, je ne pus me taire face a |’accusation.
— Je crois quil y a erreur, assurai-je, offensé. Mon retour
du monde n’a pas été dii a cela. J’ai lutté plus de quarante jours
a l’hépital, tentant de vaincre la mort. J’ai subi deux opérations
graves en raison d’une occlusion intestinale...
— Oui, répondit le médecin, démontrant la méme séré-
nité supérieure, mais |’occlusion avait ses racines dans des causes
profondes. Peut-étre n’avez-vous pas assez réfléchi. Vorganisme
spirituel a gravé en lui l’histoire complete des actions pratiquées
dans le monde.
Et, se penchant, il indiqua des points déterminés de
mon corps :
— Voyons la zone intestinale, s'exclama-t-il. Locclusion
découlait d’éléments cancéreux et ceux-ci provenaient de cer-
taines négligences de votre part par rapport A la syphilis. La
maladie n’aurait peut-étre pas revétue des conséquences aussi
graves si votre comportement mental sur la planéte s’était
trouvé a l’intérieur des principes de la fraternité et de la tempé-
rance. Hélas, votre mode de vie bien particulier, souvent irrité

38
Nosso Lar

et sévére, captait les vibrations destructrices de ceux qui vous


écoutaient. N’avez-vous jamais pensé au fait que la colére pou-
vait étre une source de forces négatives pour chacun de nous ?
Labsence d’autocontréle, la négligence dans la maniére dont
vous traitiez vos semblables, que vous avez souvent offensés sans
réfléchir, vous conduisaient fréquemment dans la sphére des
étres malades et inférieurs. Une circonstance comme celle-ci a
grandement aggravé votre état physique.
Aprés une longue pause pendant laquelle il mexamina
attentivement, il continua :
— Avez-vous déja observé, mon ami, que votre foie a été
maltraité par votre propre action ; que vos reins ont été oubliés
dans un terrible mépris des présents sacrés ?
Un singulier désappointement envahit mon coeur. Ne
paraissant pas percevoir l’angoisse qui m’opprimait, le médecin
poursuivit :
— Les organes du corps somatique possédent d’incalcu-
lables réserves selon les desseins du Seigneur. Vous avez perdu
d’excellentes opportunités, gaspillant les précieux patrimoines de
Pexpérience physique. La longue tache qui vous a été confiée par
les Grands de la Spiritualité Supérieure a été réduite a de simples
tentatives dans le travail qui n’a pas été accompli. Tout l'appareil
gastrique a été détruit par les excés d’alimentation et de boissons
alcooliques, apparemment sans importance. La syphilis a dévoré
vos énergies les plus essentielles et comme vous le voyez, le sui-
cide est incontestable.
Je me mis 4 méditer sur les chemins humains, réfléchis-
sant aux opportunités perdues. Durant la vie incarnée, j’étais
parvenu & dissimuler mon visage derriére de nombreux masques
adaptés aux situations. Je ne pouvais supposer, en ces temps
lointains, qu'il me serait demandé des comptes concernant de
simples épisodes que j’avais pour habitude de considérer comme

2
Chico Xavier |André Luiz

des faits sans grande importance. J’avais jusque-la congu les


erreurs humaines selon les concepts de la criminologie. Tout
évenement insignifiant qui ny entrait pas faisait partie des
phénoménes naturels. Mais maintenant, un autre systéme de
vérification des erreurs commises m’apparaissait. Je n’avais pas
a affronter les tribunaux de la torture et n’étais pas jeté dans les
abysses infernaux ; 4 l’inverse, des bienfaiteurs souriants com-
mentaient mes faiblesses comme qui veille sur un enfant déso-
rienté, loin du regard des parents. Cela dit, cet intérét spontané
blessait ma fierté d’homme. Peut-étre que si j’avais recu la visite
d’étres diaboliques venus me torturer, trident en main, j’aurais
trouvé la force de rendre la déroute moins amére. Toutefois,
la bonté exubérante de Clarencio, l’inflexion de tendresse du
médecin et le calme fraternel de l’infirmier pénétraient profon-
dément mon esprit. Je ne ressentais aucune volonté de réaction ;
la honte me faisait souffrir, et tout cela me fit pleurer. Le visage
entre les mains, pareil 4 un enfant contrarié, je me mis 4 hoque-
ter sous l’effet de la douleur qui me paraissait ne jamais devoir
cesser. Je ne pouvais que reconnaitre les faits. Henrique de Luna
parlait avec raison. Finalement, mes élans de vanité s’étoufferent
et je reconnus |’étendue de mon irréflexion du passé. La fausse
notion de dignité personnelle cédait la place a la justice. Face 4
ma vision spirituelle, il n’existait maintenant qu une réalité tor-
turante : j’étais réellement un suicide, j’avais perdu la précieuse
opportunité de l’expérience humaine ; je métais rien d’autre
qu'un naufragé que l’on avait recueilli par charité.
A cet instant, le généreux Clarencio s’assit au bord du lit
et, me caressant paternellement les cheveux, dit avec émotion :
— Oh! mon fils, ne te culpabilise pas de cette maniére.
Je suis allé te chercher en réponse 4 lintercession de ceux qui
taiment dans les plans plus élevés. Tes larmes attristent leurs
coeurs. Ne veux-tu pas te montrer reconnaissant en étant fort

40
Nosso Lar

durant l’examen de tes propres fautes ? En réalité, ta position est


celle d’un suicidé inconscient et il convient de reconnaitre que
des centaines d’étres sabsentent quotidiennement de la Terre
dans les mémes conditions. Calme-toi alors. Profite des trésors
du repentir, garde la bénédiction du remords sans oublier que
laffliction ne résout pas les problémes. Aie confiance dans le Sei-
gneur et en notre dévouement fraternel. Tranquillise ton 4me
perturbée car un grand nombre d’entre nous a déja déambulé
sur tes chemins.
Face a la générosité qui ressortait de ces paroles, je me jetai
dans les bras paternels de Clarencio et pleurai longuement.

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Une assistance bienvenue

— Est-ce toi qui es sous la protection de Clarencio ?


La question mrétait posée par un jeune homme 4
lexpression singuliére et douce qui avait 4 la main un grand
sac semblant contenir du matériel d’assistance. I] m’adressa un
sourire bienveillant et voyant mon signe affirmatif, il se mit 4 son
aise, me disant fraternellement :
— Je suis Lisias, ton frére. Mon directeur, |’assistant Hen-
rique de Luna, m’a désigné pour étre a ton service pendant la
période ot un traitement te sera nécessaire.
— Tu es infirmier ? demandai-je.
— Je suis un visiteur des services de santé coopérant a ’in-
firmerie. Je signale également les besoins d’aide ou les mesures
nécessaires concernant les malades récemment arrivés.
Remarquant ma surprise, il expliqua :
— Il y a de nombreux serviteurs ayant les mémes attribu-
tions que moi 4 « Nosso Lar ». Tu viens d’étre amené a la colonie
et, naturellement, tu ignores |’étendue de nos travaux. Afin de te

43
Chico Xavier |André Luiz

donner une idée, il suffit de savoir que rien quiici, il existe plus
de mille malades spirituels alors que cet édifice est un des plus
petits de notre complexe hospitalier.
— Tout cela est merveilleux ! m’exclamai-je.
Devinant que j/allais me répandre en éloges, Lisias se leva
du fauteuil ot il était assis et commenga a m’ausculter, m’inter-
disant tout remerciement verbal.
— La zone de tes intestins présente de sérieuses lésions avec
d’évidentes traces de cancer ; la région du foie révéle des déchi-
rures alors que celle des reins affiche les caractéristiques de l’épui-
sement prématuré.
Souriant avec bienveillance, il ajouta :
— Tu sais ce que cela signifie ?
— Oui, répliquai-je, le médecin m’en a informé hier, m’ex-
pliquant que je ne devais ces perturbations qu’a moi-méme...
Percevant l’embarras dans lequel cette timide confession
me mettait, il s'empressa de me consoler :
— Dans le groupe de quatre-vingts malades 4 qui je pro-
digue une assistance quotidienne, cinquante-sept se trouvent
dans ta condition. Et peut-étre ignores-tu quici se trouvent les
mutilés ? Avais-tu déja pensé a cela ? Sais-tu que homme impré-
voyant qui a employé ses yeux pour le mal se présente ici avec des
orbites vides, que le malfaiteur qui se servit du don de la loco-
motion saine dans des actes criminels est victime de la désolation
de la paralysie quand il n’est pas recueilli dépourvu de jambes,
que les pauvres obsédés par les aberrations sexuelles arrivent en
général plongés dans une profonde folie ?
Ma perplexité, au demeurant naturelle, étant perceptible,
il poursuivit :
— « Nosso Lar » rest pas le séjour des esprits 4 proprement
parler victorieux, si nous attribuons 4 ce mot son acception habi-
tuelle. Nous sommes heureux parce que nous avons du travail.

44
Nosso Lar

Et la joie habite chaque recoin de la colonie parce que le Sei-


gneur ne nous a pas retiré le pain béni du service.
Profitant d’une pause plus longue dans la conversation, je
m’exclamai, touché :
— Continue, mon ami, éclaire-moi. Je me sens soulagé et
tranquille. Cette région rest-elle pas un département céleste
réservé aux élus ?
Lisias sourit et expliqua :
— Souvenons-nous de l’ancien enseignement qui se référe a
beaucoup d’appelés et peu d’élus sur la Terre.
Et le regard perdu dans horizon, comme a contempler
certaines de ses expériences sur |’écran des souvenirs les plus in-
times, il précisa :
— Les religions terrestres invitent les étres au banquet cé-
leste. Quiconque s'est approché un jour de la notion de Dieu,
en toute bonne foi, ne peut alléguer l'ignorance sur ce point.
Innombrables sont les appelés, mon ami ; mais ot sont ceux
qui ont répondu a cet appel ? A de rares exceptions prés, la
masse humaine préfére répondre 4 un autre genre d invitations.
Lopportunité est perdue dans les déviations du bien, la fantaisie
de chacun s'aggrave, le corps physique s’élimine 4 grands coups
dirréflexion. Résultat : des milliers de personnes se retirent jour-
nellement de la sphére de la chair en un douloureux état d’in-
compréhension. Des multitudes sans nombre errent dans toutes
les directions parmi les cercles proches de la surface planétaire,
constituées de fous, de malades et d’ignorants.
Observant mon admiration, il me demanda :
— Croirais-tu, par hasard, que la mort du corps nous
conduirait sur des plans miraculeux ? Nous sommes contraints
4 un rude travail, 4 de lourds services et cela n'est pas tout. Si
nous avons des débits sur la planéte, aussi haut que nous nous
élevions, il est indispensable de revenir pour rectifier ce qui doit

45
Chico Xavier |André Luiz

Pétre, lavant notre visage dans la sueur du monde, défaisant les


menottes de haine, les remplagant par les liens sacrés de l’amour.
Il serait injuste d’imposer 4 d’autres la tache de sarcler le champ
que nous avons semé d’épines avec nos propres mains. Remuant
la téte, il ajouta :
— Cest le cas des nombreux appelés, mon cher. Le Sei-
gneur noublie aucun homme ; mais rares sont ceux qui sen
souviennent.
Accablé par le souvenir de mes propres erreurs face a
de si importantes notions de responsabilité individuelle, je
m’exclamai :
— Comme j’ai été pervers !
Mais avant que je ne puisse m’exclamer a nouveau, le visi-
teur posa sa main amicale sur mes lévres en murmurant :
— Tais-toi et méditons sur le travail 4 effectuer. Dans le vé-
ritable repentir, il est nécessaire de savoir parler pour construire
a nouveau.
Ensuite, il m’appliqua des passes magnétiques avec atten-
tion. Tout en faisant les pansements sur la zone intestinale, il dit :
— N’as-tu pas observé le traitement spécial de la zone can-
céreuse ? Alors, regarde bien : toute médecine honnéte est un
service d’amour, activité de juste secours ; mais le travail de gué-
rison dépend de chaque esprit. Tu seras traité avec tendresse, tu
te sentiras fort comme aux jours anciens de ta jeunesse terrestre,
tu travailleras beaucoup et, je crois, tu seras l’un des meilleurs
collaborateurs de « Nosso Lar » ; cependant, la cause de tes maux
perdurera en toi jusqu’a ce que tu te défasses des germes qui per-
vertissent la santé divine, germes que tu as associés 4 ton corps
subtil par la négligence morale et le désir de jouir de la vie plus
que les autres. La chair terrestre dont nous abusons est aussi un
champ béni ot nous parvenons 4 réaliser de fructueux labeurs de
guérison totale quand nous demeurons attentifs au devoir juste.

46
Nosso Lar

Je méditai sur ces conseils, pensant & la bonté divine et, dans
l’exaltation de ma sensibilité, je me mis 4 pleurer abondamment.
Malgré cela, Lisias termina le traitement quotidien avec
sérénité et dit :
— Quand les larmes ne prennent pas leur source dans la
révolte, elles constituent toujours un reméde dépuratif. Pleure,
mon ami. Laisse s'épancher ton coeur et bénissons les bienfai-
santes organisations microscopiques que sont les cellules de la
chair sur la Terre. Si humbles et si précieuses, si détestées et si
sublimes pour l’esprit de service. Sans elles qui nous offrent l’op-
portunité de rectification, combien de millénaires gacherions-
nous dans l’ignorance ?
Parlant ainsi, il caressa tendrement mon front abattu et
prit congé en m’embrassant, plein de cet amour fraternel.

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6
Précieux avis

Le lendemain, aprés la priére du crépuscule, Clarencio


vint 4 ma rencontre en compagnie du visiteur attentionné. Sa
physionomie irradiait la générosité et il me demanda tout en
membrassant :
— Comment allez-vous ? Un peu mieux ?
Jesquissai le geste du malade qui, sur la Terre, se voit
entouré d’attention, ses fibres émotionnelles se ramollissant.
De temps 4 autre, sur le Monde, la tendresse fraternelle est mal
interprétée. Obéissant aux vices anciens, je me mis a parler pen-
dant que les deux bienfaiteurs s’asseyaient a mon coté :
— Je ne peux nier que je vais mieux. Mais par ailleurs, je
souffre intensément. De grandes douleurs dans la zone intes-
tinale, d’étranges sensations d’angoisse dans le coeur. Je n’avais
jamais imaginé étre capable d’une telle résistance, mon ami. Ah!
Comme elle a été lourde, ma croix ! Maintenant que je peux
rassembler mes idées, je crois que la douleur a annihilé toutes les
forces disponibles...

49
Chico Xavier |André Luiz

Clarencio écoutait, attentif, démontrant un grand intérét


pour mes lamentations, sans le moindre geste qui pit dénoncer
lintention d’intervenir sur le sujet. Encouragé par cette atti-
tude, je continuai :
— Qui plus est, mes souffrances morales sont énormes et
inexprimables. La tourmente extérieure calmée par les secours
recus, ce sont a présent les tempétes intérieures qui reviennent.
Qurest-il advenu de ma femme, de mes enfants ? Lainé aurait-il
réussi a progresser selon mon ancien idéal ? Et mes petites filles ?
Ma malheureuse Zélia qui avait dit 4 de nombreuses reprises
quelle mourrait de chagrin si un jour je lui étais retiré. Epouse
admirable ! Je sens encore ses larmes dans les derniers instants. Je
ne sais pas depuis combien de temps je vis le cauchemar de l’éloi-
gnement... Des souffrances continuelles m’ont volé la notion du
temps. OU se trouvera ma pauvre compagne ? Pleurant auprés
des cendres de mon corps, ou en un coin obscur des régions de
la mort ? Oh ! Ma douleur est horriblement amére ! Combien
le destin de Phomme dédié au dévouement familial est terrible !
Il me semble que ceux qui auront souffert autant que moi sont
bien peu nombreux... Sur la planéte, vicissitudes, désillusions,
maladies, incompréhension et amertumes, étouffant les trop
rares notes de joie ; aprés, les souffrances de la mort du corps...
Ensuite, les martyres d’outre-tombe ! Alors, qu’est-ce qu’est la
vie ? Une succession de miséres et de larmes ? N’y a-t-il aucun
recours pour répandre la paix ? J’ai beau vouloir m’accrocher 4
l'optimisme, je sens que la sensation de malheur bloque mon
esprit avec les terribles prisons du cceur. Quel tragique destin,
généreux bienfaiteur !
Arrivé a ce point, le vent des lamentations conduisait mon
esquif mental vers le grand océan des larmes.
Malgré tout cela, Clarencio se leva, serein, et dit avec sim-
plicité :

50
Nosso Lar

— Mon ami, désirez-vous réellement la guérison spirituelle ?


Jacquiesgai un geste. Il poursuivit :
— Apprenez alors 4 ne pas parler excessivement de vous-
méme ni a commenter votre douleur. Les lamentations indiquent
une infirmité mentale qui plus est, une infirmité au parcours
tortueux et au traitement difficile. Il est indispensable de créer
des pensées nouvelles et de discipliner les lévres. Nous n’attein-
drons l’équilibre qu’en ouvrant notre coeur au Soleil de la Divi-
nité. Considérer effort nécessaire comme une chose imposée qui
écrase, voir les souffrances ou se trouve la lutte édifiante, laisse
seulement percevoir l’indésirable aveuglement de |’Ame. Plus vous
utiliserez la parole pour vous adonner a de douloureuses considé-
rations, dans le cercle de la personnalité, plus lourds deviendront
les liens qui vous retiennent aux souvenirs mesquins. Le méme
Pére qui veille sur votre personne, vous offrant un toit généreux
dans cette maison, s occupera de vos parents terrestres. Nous de-
vons voir notre groupe familial comme une construction sacrée
sans oublier que nos familles sont des parties de la Famille Uni-
verselle, sous la Direction Divine. Nous serons 4 vos cétés pour
résoudre les difficultés présentes et structurer les projets du futur.
Mais nous ne disposons pas de temps pour revenir a la zone stérile
des lamentations. Qui plus est, nous nous engageons, dans cette
colonie, a accepter le travail le plus 4pre comme étant une oppor-
tunité de réalisation bénite, en prenant en compte le fait que la
Providence déborde d’amour alors que nous vivons, croulant sous
les dettes. Si vous souhaitez rester dans cette maison d’assistance,
vous apprendrez a penser avec justesse.
Durant cet intervalle, mes larmes séchérent et, encouragé
par mon généreux instructeur, j'adoptai une toute autre attitude,
bien que me sentant géné par ma faiblesse.
— Incarné, n’avez-vous jamais couru apres les avantages na-
turels qui découlent des bonnes situations ? poursuivit Clarencio,

51
Chico Xavier |André Luiz

bienveillant. Ne souhaitiez-vous pas obtenir les aides auxquelles


vous aviez droit dans le désir d’en faire bénéficier ceux que vous
aimez ? Ne recherchiez-vous pas les justes rémunérations afin de
répondre a vos désirs de confort et les possibilités de l’étendre
a votre famille ? Ici, le programme rest en rien différent. Il n’y
a que les détails qui changent. Dans les cercles de la chair, les
accords et la garantie monétaire ; ici, le travail et les acquisitions
définitives de l’esprit immortel. Douleur signifie, pour nous,
possibilité d’enrichissement de l’4me ; la lutte constitue le che-
min vers la divine réalisation. Comprenez-vous la différence ?
Face au service, les Ames faibles se couchent pour se plaindre a
ceux qui passent, mais les fortes recoivent le service comme un
patrimoine sacré, dans la réalisation duquel elles se préparent,
sur le chemin de la perfection. Personne ne condamne votre nos-
talgie, qui est si normale, ni ne veut faire tarir votre source de
sentiments sublimes. Il vous faut noter que les larmes du déses-
poir nédifieront jamais le bien. Si vous aimez réellement votre
famille terrestre, il est nécessaire de faire preuve de courage afin
de leur étre utile.
Il fit une longue pause. Les paroles de Clarencio m’empor-
térent dans des réflexions bien plus saines.
Pendant que je méditais sur la sagesse de ces précieuses re-
marques, mon bienfaiteur, tel le pére qui oublie l’insouciance de
ses petits pour recommencer sereinement la lecon, me demanda_
avec un grand sourire :
— Alors, comment allez-vous ? Mieux ?
Heureux de me sentir pardonné, a la maniére de l’enfant
qui désire apprendre, je répondis, réconforté :
— Je vais bien mieux car je comprends mieux la Volonté
Divine.

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7
Explications de Lisias
Les visites périodiques de Clarencio se poursuivirent, tout
comme l’attention journaliére de Lisias.
Au fur et 4 mesure que je cherchais 4 mhabituer 4 mes
nouveaux devoirs, des sensations de soulagement allégeaient
mon coeur. Les douleurs diminuaient et ma locomotion rede-
venait de plus en plus facile. Mais je remarquais que les souve-
nirs plus vifs des phénoménes physiques me plongeaient dans
Pangoisse, la crainte de l’inconnu et la tristesse de l’inadaptation.
Malgré tout, je gagnais intérieurement en assurance.
Je me réjouissais, 4 présent, dans la contemplation des
vastes horizons, penché aux larges fenétres. C’est avant tout
aspect de la Nature qui m/impressionnait. Presque tout était
une copie améliorée de la Terre. Les couleurs plus harmonieuses,
les substances plus délicates. Le sol était recouvert de végéta-
tion ; grands arbres, vergers croulant sous les fruits et jardins
agréables. Au loin se dessinaient des montagnes couronnées de
lumiére, prolongement de la plaine ot se situait la colonie. Tout

53
Chico Xavier |André Luiz

semblait étre cultivé avec soin. A courte distance, de gracieux


édifices se dressaient, s'alignant 4 espaces réguliers, affichant les
plus diverses formes. Tous avaient leur entrée fleurie, et quelques
petites maisons se détachaient des autres batisses, entourées de
murs couverts de lierre ot. des roses différentes avaient éclos,
ici et la, embellissant le vert aux multiples chatoiements. Des
oiseaux au plumage coloré planaient dans les airs et, de temps
a autre, venaient se poser en groupes sur des tours d’un blanc
éclatant qui se dressaient de maniere rectiligne, faisant penser a
de gigantesques lys s’élevant vers les cieux.
Depuis les grandes fenétres, j’observais, curieux, le mouve-
ment du parc. Hautement surpris, je voyais des animaux domes-
tiques au milieu des longues rangées d’arbres feuillus qui s’éten-
daient jusqu’a ses limites.
Durant mes luttes intérieures, je me perdais en ques-
tions de toutes sortes. Je ne parvenais pas A réaliser le nombre
incroyable de formes analogues a celles de la planéte, compte
>

tenu du fait que je me trouvais dans une sphére, & proprement


parler, spirituelle.
Lisias, 'aimable compagnon de tous les jours, ne rechi-
gnait pas a donner des explications.
« La mort du corps ne conduit pas l'homme & des situa-
tions miraculeuses, avait-il dit. Tout processus évolutif implique
une gradation. Il y a de multiples régions pour les désincarnés
comme il existe dinnombrables et surprenants plans pour les
étres enveloppés dans la chair terrestre. Ames et sentiments,
formes et choses, obéissent 4 des principes de développement
naturel et a une hiérarchie juste ».
Jétais toutefois préoccupé car depuis les nombreuses se-
maines que je demeurais ici, dans ce centre hospitalier, je n’avais
recu la visite d’aucune personne que j’avais connue sur la Terre ;
en fin de compte, je n’avais pas été le seul A devoir déchiffrer

54
Nosso Lar

l’énigme de la tombe. Mes parents avaient entrepris avant moi le


grand voyage. Plusieurs amis d’une autre époque m’avaient pré-
cédé. Alors, pourquoi ne venaient-ils pas dans cette chambre de
malade spirituel, apporter un peu de réconfort 4 mon coeur dou-
loureux ? Quelques instants de consolation seraient suffisants.
Un jour, ne pouvant plus me contenir, je demandai 4 mon
ami si attentionné :
— Mon cher Lisias, penses-tu qu'une rencontre soit pos-
sible, ici, avec ceux qui nous ont devancés dans la mort du
corps physique ?
— Pourquoi ne le serait-ce pas ? Te crois-tu oublié ?!
— Oui. Pourquoi ne me rendent-ils pas visite ? Sur Terre,
jai toujours compté avec l’abnégation maternelle. Mais jusqu’a
présent, ma mere na pas donné signe de vie. Mon pére aussi a
fait le grand voyage, trois ans avant mon trépas.
— Je te ferai remarquer, dit Lisias, que ta mére t’a aidé jour
et nuit, depuis la crise qui a précédé ta venue. Quand tu étais
alité afin d’abandonner le cocon terrestre, |’attention maternelle
4 ton égard a redouble. Tu ne sais peut-étre pas que tu es demeu-
ré plus de huit ans dans les sphéres inférieures. Elle n’a jamais
baissé les bras, intercédant de nombreuses fois a « Nosso Lar »
en ta faveur. Elle a fait appel aux bonnes graces de Clarencio,
qui commencga 4 te rendre visite fréquemment, jusqu’a ce que le
vaniteux médecin de la Terre s’écarte un peu afin que surgisse le
fils du Ciel. Comprends-tu ?
Jen avais les larmes aux yeux. J’ignorais le nombre d’années
qui me séparaient de la glébe terrestre. Je souhaitais connaitre
les mesures de protection imperceptible, mais je n'y parvins pas,
mes cordes vocales ayant été engourdies par le noeud des larmes
retenues dans le coeur.
— Le jour ow tu as prié du fond de ton ame, poursuivit
mon visiteur, quand tu as compris que tout |’Univers appartient

55
Chico Xavier |André Luiz

au Pére Sublime, tes pleures étaient différents. Ne sais-tu pas


quil y a les pluies qui détruisent et les pluies qui créent ? Il en
va de méme des larmes. II est logique que le Seigneur n’attende
pas nos priéres pour nous aimer ; cependant, il est indispen-
sable que nous nous placions en situation de recevoir afin de
comprendre son infinie bonté. Un miroir noirci ne réfléchit pas
la lumiére. De la méme maniere, le Pére n’a pas besoin de nos
pénitences, mais reconnaissons que les pénitences nous rendent
un trés grand service. Tu comprends ? Clarencio n’eut aucune
difficulté a te localiser, en répondant aux appels de ta douce
mére de la Terre ; pourtant, tu as pris beaucoup de temps pour
rencontrer Clarencio. Et quand elle a su que tu avais déchiré les
voiles obscurs a l’aide de la priére, elle a pleuré de joie, selon ce
que l’on ma raconté...
— Et oti se trouve ma mére ? mexclamai-je finalement. Si
cela mest permis, j’aimerais la voir, l’embrasser, m’agenouiller
a ses pieds !
— Elle ne vit pas 4 « Nosso Lar », m’informa Lisias, elle ha-
bite des sphéres plus élevées out elle ne travaille pas que pour toi.
Observant mon désappointement, il ajouta fraternellement :
— Elle viendra te voir, Cest stir, bien avant que tu ne le
penses. Quand quelqu’un désire quelque chose ardemment, il
se trouve déja sur le chemin de la réalisation. Tu as sur ce point
la legon de ton propre cas. Pendant des années, lentement, tu as
hébergé la peur, les tristesses et les désillusions ; mais quand tu
as fermement fait naitre dans ton esprit la nécessité de recevoir
l'aide divine, tu as étendu le niveau vibratoire de celui-ci et tu as
trouvé la vision et le secours.
Les yeux brillants, encouragé par les précisions recues, je
m’exclamai, résolu :
— Alors, je souhaite de toutes mes forces qu’elle vienne...
quelle vienne...

56
Nosso Lar

Lisias sourit avec intelligence et, comme celui qui veut


mettre en garde, généreux, il dit au moment de prendre congé :
— Il convient malgré tout de ne pas oublier que la réa-
lisation noble exige trois conditions fondamentales, a savoir :
premiérement, désirer ; deuxitmement, savoir désirer ; troisié-
mement, mériter ou, en d’autres termes, volonté active, travail
persistant et mérite.
Le visiteur gagna la porte de sortie, souriant, pendant que
je restais silencieux, méditant sur immense programme formulé
en si peu de mots.

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Organisation de services

Apres plusieurs semaines de traitement actif, je sortis pour


la premiére fois en compagnie de Lisias.
Le spectacle des rues m’impressionna : vastes avenues déco-
rées d’arbres feuillus, air pur, atmosphére de profonde tranquil-
lité spirituelle. Et malgré cela, il n’y avait pas le moindre signe
dinertie ou d’oisiveté car les voies publiques étaient bondées.
De nombreuses entités allaient et venaient. Quelques-unes sem-
blaient avoir l’esprit en des lieux lointains, mais d’autres m’adres-
saient des regards accueillants. Mon compagnon s’était chargé de
nYorienter face aux surprises qui surgissaient sans interruption.
Percevant mes conjectures intérieures, il me dit, serviable :
— Nous nous trouvons dans le secteur du Ministére de
l’Aide. Tout ce que nous voyons, édifices, maisons résidentielles,
représente des institutions et abris adéquats pour le travail de
notre juridiction. Orienteurs, ouvriers et autres fonctionnaires
du Ministére résident ici. Dans cette zone, on s'occupe de ma-
lades, on écoute les demandes, sélectionne les prieres, on pré-

59
Chico Xavier |André Luiz

pare les réincarnations terrestres, on organise des équipes de


secours destinées aux habitants du Seuil ou a ceux qui pleurent
sur Terre, on étudie des solutions pour tous les processus qui
sont liés a la souffrance.
— Alors, il y a, 4 « Nosso Lar », un Ministére de l’Aide ?
demandai-je.
— Quy a-t-il d’étonnant ? Nos services sont répartis dans
une organisation qui se perfectionne de jour en jour sous l’orien-
tation de ceux qui président a nos destins.
Fixant sur moi des yeux lucides, il poursuivit :
— N’as-tu pas vu, dans la pratique de la priére, notre Gou-
verneur Spirituel entouré de soixante-douze collaborateurs ? Eh
bien, ce sont les Ministres de « Nosso Lar ». La colonie, qui
est essentiellement de travail et de réalisation, se divise en six
Ministéres, chacun dirigé par douze Ministres. Nous avons le
Ministére de la Régénération, de l’Aide, de la Communication,
de l’Eclaircissement, de l’Elévation et de ’Union Divine. Les
quatre premiers nous rapprochent des spheres terrestres, les deux
derniers nous relient au plan supérieur, étant donné que notre
ville spirituelle est une zone de transition. Les services les plus
lourds se trouvent dans le Ministére de la Régénération, les plus
subtils dans celui de l'Union Divine. Clarencio, notre chef et
ami, est l’un des Ministres de l’Aide.
Profitant d’une pause dans la conversation, je m’excla-
mai, ému :
— Oh ! Je n’avais jamais imaginé la possibilité d’organisa-
tions aussi completes aprés la mort du corps physique !
— Oui, répondit Lisias, le voile de Pillusion est trés dense
dans les cercles de la chair. Lhomme vulgaire ignore que toute
manifestation d’ordre, dans le monde, provient du plan supé-
rieur. La nature sauvage se transforme en jardin quand elle est
orientée par l’esprit de l'homme, et la pensée humaine, sauvage

60
Nosso Lar

chez l’étre primitif, se transforme en potentiel créateur quand


elle est inspirée par les esprits qui fonctionnent dans les sphéres
les plus hautes. Aucune organisation utile ne se matérialise 4 la
surface terrestre sans que les idées initiales ne partent d’en haut.
— Mais « Nosso Lar » aurait donc une histoire comme les
grandes villes de la planéte ?
— Bien entendu. Les plans voisins de la sphére terrestre
possédent également une nature spécifique. « Nosso Lar » est une
ancienne colonie de Portugais qui se sont désincarnés au Brésil
durant le XVI siécle. La lutte fut grande et épuisante, selon ce
qui est rapporté dans nos archives du Ministére de |’Eclaircisse-
ment. Il y a des substances lourdes dans les zones invisibles de la
Terre, tout comme dans les régions caractérisées par la matiére
grossiére. Ici aussi, le potentiel inférieur posséde des étendues
énormes, comme il y a, sur la planéte, de grandes régions de na-
ture rude et sauvage. Les travaux initiaux furent décourageants,
méme pour les esprits forts. Ou sassemblent aujourd’hui des
vibrations délicates et nobles, des édifices finement ouvragés, se
mélangeaient les notes primitives des étres sylvicoles du pays et
les constructions enfantines de leurs esprits rudimentaires. Mais
les fondateurs ne perdirent pas espoir. Ils poursuivirent l’ouvrage,
reproduisant l’effort des Européens qui dans la sphére matérielle
arrivaient, a la différence prés que de leur cété, on employait la
violence, la guerre, l’esclavagisme, alors qu’ici on employait le
travail persévérant, la solidarité fraternelle, l'amour spirituel.
A cet instant, nous atteignimes une place entourée de
jardins merveilleux et grands. En son centre se dressait un palais
4 Péblouissante beauté ot: s imbriquaient d’imposantes tours qui
se perdaient dans les cieux.
— Les fondateurs de la colonie commencérent leur effort
en partant d’ici, out se trouve le si¢ge du gouvernement, m’infor-
ma mon guide.

61
Chico Xavier |André Luiz

Indiquant le palais, il continua :


— Nous avons sur cette place le point de convergence des
six Ministéres auxquels je me suis référé. Tous partent du siége
du Gouvernement et s’étendent en forme triangulaire.
Respectueux, il dit :
— Cest ici que vit notre dévoué orienteur. Dans les travaux
administratifs, il emploie la collaboration de trois mille fonction-
naires ; cela dit, il est le plus infatigable et le plus fidéle de tous les
travailleurs. Nous tous réunis, nous ne pourrions rivaliser avec
lui. Les Ministres ont lhabitude de voyager en d’autres sphéres,
rénovant leurs énergies et valorisant leurs connaissances ; nous,
nous jouissons de nos divertissements habituels, mais le Gouver-
neur ne dispose jamais de temps pour ce genre d’activité. Il tient
a ce que nous nous reposions, nous oblige a prendre des vacances
pendant que lui ne se repose jamais, méme pendant le temps
consacré aux heures de sommeil. Il me semble que sa gloire se
trouve dans le service continuel. II suffit de rappeler que je suis
ici depuis quarante ans et, 4 l’exception des assemblées liées aux
priéres collectives, je l’ai rarement vu prendre part a des festivités
publiques. Sa pensée englobe pourtant tous les cercles de travail,
toute chose et toute personne bénéficie de sa tendre assistance.
Aprés une longue pause, mon ami infirmier ajouta :
— Il y a peu, nous commémorions le 114° anniversaire de
sa brillante direction. |
Lisias se tut et s’inclina, pris d’émotion, pendant qu’a ses
cétés je contemplais, respectueux et extasié, les tours merveil-
leuses qui semblaient fendre le firmament...

62
5
Problémes d’alimentation

Transporté par la vision de ces jardins fantastiques, je fis


part a l’infirmier dévoué de ma volonté de me reposer quelques
instants sur un banc, tout prés. Lisias accepta de bon coeur.
Une agréable sensation de paix m’envahit l’esprit. Des jets
d’eau raffinés et colorés zigzaguaient dans les airs en formant des
figures enchanteresses.
— Quiconque observe cette immense ruche de travail, dis-
je, est amené a se poser de nombreuses questions. Et l’appro-
visionnement ? Je n’ai pas eu d’informations sur un éventuel
Ministére de l’Economie...
— Autrefois, expliqua mon patient interlocuteur, les ser-
vices de cette nature occupaient une place plus importante. Mais
le Gouverneur actuel exprima la volonté de réduire toutes les
manifestations qui nous rappelaient les phénoménes purement
matériels. Les activités de ravitaillement furent ainsi réduites a
un simple travail de distribution sous le contréle direct du Gou-
vernement. D’ailleurs, cette décision a constitué une mesure des

63
Chico Xavier |André Luiz

plus bénéfiques. Les annales racontent que la colonie, il y a un


siécle, luttait avec d’extrémes difficultés pour adapter les habi-
tants aux lois de la simplicité. De nombreux nouveaux venus 4
« Nosso Lar » se mirent 4 multiplier les exigences Ils voulaient
des tables abondantes et des boissons excitantes, stimulant les
anciens vices terrestres. Seul le Ministére de l'Union Divine res-
ta immunisé face a de tels abus, grace aux caractéristiques qui
lui sont propres alors que les autres étaient surchargés de pro-
blémes angoissants. Cependant, le Gouverneur actuel n’écono-
misa pas ses efforts. Dés qu'il assuma ses obligations adminis-
tratives, il adopta des mesures justes. D’anciens missionnaires
d’ici me mirent au fait de curieux événements. Ils me dirent qu’a
la demande.du Gouvernement, deux cents instructeurs vinrent
d'une sphere trés élevée afin de diffuser de nouvelles connais-
sances concernant la science de la respiration et de l’absorption
des principes vitaux de l’atmosphére. De nombreuses assemblées
furent organisées. Quelques-uns des collaborateurs de « Nosso
Lar » se déclarérent opposés a tout cela, alléguant que la ville
est une ville de transition et qu/il ne serait ni juste, ni possible
de déshabituer immédiatement les hommes désincarnés selon
de telles exigences, sans encourir un grave danger pour leurs
organisations spirituelles. Mais malgré tout, le Gouverneur ne
se découragea pas. Ils procédérent 4 des réunions, des activités
et prirent des mesures durant trente ans. Quelques entités émi-
nentes en vinrent a formuler des protestations publiquement, se
plaignant. A plus de dix reprises, le Ministére de l’Aide s’est vu
débordé par le nombre des malades, victimes du nouveau sys-
teme d’alimentation déficient. Durant ces périodes, les oppo-
sants 4 la réduction alimentaire multipligrent les accusations.
Mais le Gouverneur n’a jamais puni qui que ce soit. Il convo-
quait les adversaires de sa politique au Ministére et leur exposait,
paternellement, les projets et finalités du régime ; il mettait en

64
Nosso Lar

relief la supériorité des méthodes de spiritualisation, permettait


la réalisation, pour les plus rebelles des adversaires du nouveau
processus, d’excursions d’étude dans les plans plus élevés que le
notre, gagnant ainsi un nombre croissant d’adeptes.
Profitant d’une pause plus longue, je lui demandai, intéressé :
— Continue, mon cher Lisias, s’il te plait. Comment cette
lutte édifiante s’est-elle terminée ?
— Apres vingt et un ans de persévérantes démonstrations a
Pinitiative du Gouvernement, le Ministére de l’Elévation adhéra
au projet et se mit a ne faire venir que l’indispensable. II n’en
fut pas de méme avec le Ministére de l’Eclaircissement qui mit
beaucoup plus de temps a remplir ses engagements, en raison
des nombreux esprits dédiés aux sciences mathématiques qui y
travaillaient. Il s’agissait des adversaires les plus entétés. Habi-
tués aux protéines et aux carbohydrates, indispensables pour les
véhicules physiques, ils ne cédaient pas un pouce de terrain aux
conceptions correspondantes d’ici. Hebdomadairement, ils fai-
saient parvenir au Gouverneur de longues observations et mises
en garde, pleines d’analyses et de chiffres, atteignant parfois l’im-
prudence. Le vieux Gouverneur, malgré tout cela, n’a jamais agi
de maniére isolée. Il requit l’assistance des nobles mentors qui
nous orientaient a travers le Ministére de l'Union Divine, et ne
laissa jamais le moindre bulletin d'information sans un examen
minutieux. Pendant que les scientifiques argumentaient et que
le Gouvernement temporisait, de dangereuses perturbations se
formérent dans l’ancien Département de la Régénération, au-
jourd’hui transformé en Ministére. Encouragés par la rébellion
des coopérateurs de |’Eclaircissement, les esprits les moins ¢le-
vés qui avaient été recueillis ici se livrérent 4 de condamnables
manifestations. Tout cela provoqua d’énormes scissions au sein
des organismes collectifs de « Nosso Lar », rendant possible un
périlleux assaut des foules nombreuses et obscures du Seuil qui

65
Chico Xavier |André Luiz

tentérent d’envahir la ville, profitant de bréches dans le service


de Régénération ot un grand nombre de collaborateurs entrete-
naient un certain échange clandestin, en raison des vices de I’ali-
mentation. Lalarme donnée, le Gouverneur ne se départit pas
de son calme. De terribles menaces planaient sur tout le monde,
mais lui alla demander audience au Ministére de l'Union Divine
et, apres avoir écouté notre plus haut Conseil, il fit fermer, provi-
soirement, le Ministére de la Communication, décida de la mise
en service de toutes les prisons souterraines de la Régénération
afin d’isoler les éléments récalcitrants. Il adressa un avertisse-
ment au Ministére de l’Eclaircissement, dont il avait supporté les
impertinences pendant plus de trente ans, il interdit temporai-
rement les aides dans les régions inférieures et, pour la premiére
fois de son administration, il fit mettre sous tension les batteries
électriques des murailles de la cité pour procéder a des tirs magné-
tiques au profit de la défense générale. Il n’y eut pas de combat
ni offensive de la colonie, mais une résistance soutenue. Durant
plus de six mois, les services d’alimentation 4 « Nosso Lar » se
réduisirent 4 des inhalations de principes vitaux contenus dans
l'atmosphére, au moyen de la respiration, et A de Peau mélangée
a des éléments solaires, électriques et magnétiques. La colonie
sut alors ce qu était indignation de l’esprit bienveillant et juste.
La période la plus critique passée, le Gouvernement remporta
la victoire. Le Ministére de l’Eclaircissement lui-méme recon-
nut son erreur et coopera aux travaux de réajustement. II y eut,
sur ces entrefaites, des réjouissances publiques et on dit qu’au
milieu de l’allégresse générale, le Gouverneur pleura d’émotion,
déclarant que la compréhension générale constituait pour son
coeur la véritable récompense. La ville reprit son mouvement
normal. Lancien Département de la Régénération fut converti
en Ministére. Dés lors, il subsista seulement un supplément de
substances alimentaires rappelant la Terre, dans les Ministéres de

66
Nosso Lar

la Régénération et de l’Aide, ou il y a toujours un grand nombre


de nécessiteux. Cela dit, il n'y a que l’indispensable, cest-a-dire
que tout le service d’alimentation obéit 4 la plus grande sobriété.
A présent, tous reconnaissent que la supposée impertinence du
Gouverneur a représenté la mesure a la portée élevée pour notre
libération spirituelle. Lexpression physique se réduisit et un
merveilleux coefficient de spiritualité se fit jour.
Lisias resta silencieux tandis que je m’abandonnais a de
profondes pensées sur la grande lecon.

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10
Dans le bosquet des eaux
Etant donné mon intérét croissant pour les processus
dalimentation, Lisias m/invita :
— Allons au grand réservoir de la colonie. Tu y observeras
des choses intéressantes. Tu verras que |’eau représente presque
tout dans notre séjour de transition.
Animé d’une vive curiosité, j'accompagnai l’infirmier sans
hésiter. Arrivé 4 un grand angle de la place, le généreux ami ajouta :
— Nous allons attendre l’aérobus’.
Jeus du mal a me remettre de ma surprise quand surgit un
grand véhicule, suspendu au-dessus du sol a une distance d’envi-
ron cing métres, et rempli de passagers. Alors qu'il descendait
jusqu’a nous, tel un ascenseur terrestre, je l’examinai avec atten-
tion. Il ne s’agissait pas d'une machine connue sur la Terre. Elle
était constituée d’un matériau trés flexible et affichait une lon-
gueur impressionnante. Elle semblait reliée a des fils invisibles

3 Véhicule aérien qui serait sur Terre un grand téléphérique.

69
Chico Xavier |André Luiz

compte tenu du grand nombre d’antennes sur son toit. Plus tard,
mes suppositions furent confirmées lorsque je visitai les grands
ateliers du Service de Circulation et Transport.
Lisias ne me laissa pas le temps de le questionner. Installés
dans l’habitacle confortable, nous partimes, silencieux. Je ressen-
tais la timidité naturelle de homme perdu au milieu d’inconnus.
La vitesse était telle quelle ne permettait pas de fixer les détails
des constructions échelonnées tout au long du vaste parcours. La
distance était importante car ce fut seulement au bout de qua-
rante minutes, incluant de courts arréts tous les trois kilométres,
que Lisias m‘invita a descendre, souriant et calme.
Un panorama d’une beauté sublime méblouit. Le bosquet,
en pleine floraison merveilleuse, embaumait le vent frais d’un eni-
vrant parfum. Tout n’était qu'un prodige de couleurs et de lumiéres
caressantes. Entre des berges couvertes d’une herbe verdoyante
toute parsemée de fleurs bleutées, s’écoulait une riviére aux dimen-
sions imposantes. Son courant était paisible et l’eau si cristalline
quelle semblait étre teintée de nuances célestes en raison des reflets
du firmament. De larges routes coupaient la verdure du Paysage.
Plantés a espaces réguliers, des arbres feuillus offraient une ombre
agréable, a la maniére de gites accueillants, dans la clarté du Soleil
réconfortant. Des bancs finement ouvragés invitaient au repos.
Notant mon émerveillement, Lisias m’expliqua :
— Nous sommes au Bois des Eaux. Ici se trouve l'une des
plus belles régions de « Nosso Lar ». II s’'agit d’un des endroits de
prédilection pour les promenades des amoureux, qui viennent en
ces lieux se faire les plus belles promesses d’amour et de fidélité
pour leurs expériences sur la Terre.
Lobservation suscita en moi d’intéressantes considé-
rations, mais Lisias ne me donna pas le loisir de lui poser des
questions sur ce point. Indiquant un batiment aux imposantes
dimensions, il dit :

70
Nosso Lar

— Ici se trouve le grand réservoir de la colonie. Tout le


volume d’eau de la Riviére Bleue que nous avons sous les yeux
se trouve capté dans d’immenses cuves de distribution. Les eaux
qui servent a toutes les activités de la colonie partent de cet en-
droit. Ensuite, elles se réunissent 4 nouveau apres les services de
la Régénération, et reforment la rivire qui poursuit son cours
normal, en direction du grand océan de substances invisibles
pour la Terre.
Percevant mes interrogations intérieures, il ajouta :
— En effet, l’eau ici a une autre densité, bien plus ténue,
pure, presque fluidique.
Remarquant les magnifiques constructions qui se trou-
vaient en face de moi, je demandai :
— A quel Ministére est affectée la distribution de l’eau ?
— Imagine qu'il s’agit 14 d’un des rares services matériels du
Ministére de l'Union Divine ! m’apprit Lisias.
— Que dis-tu ? demandai-je, ignorant comment concilier
ces deux idées.
Mon guide sourit et répondit avec plaisir :
— Sur Terre, bien peu de personnes cherchent 4 réfléchir
sérieusement a l’importance de l’eau. Cela dit, les connaissances
sont tout autre 4 « Nosso Lar ». Dans les milieux religieux de
la planéte, on enseigne que le Seigneur créa les eaux. Or, il est
logique que tout service créé ait besoin d’énergies et de bras pour
étre maintenu convenablement. Dans cette ville spirituelle, nous
apprenons a remercier le Pére et ses divins collaborateurs pour
un tel présent. La connaissant plus en profondeur, nous savons
que l’eau est l’un des plus puissants véhicules pour les fluides de
toute nature. Ici, elle est surtout employée comme aliment et
comme reméde. II y a des secteurs dans le Ministére de |’Aide qui
sont consacrés exclusivement 4 la manipulation de |’eau pure,
avec certains principes susceptibles d’étre captés dans la lumiére

7A
Chico Xavier |André Luiz

du Soleil et dans le magnétisme spirituel. Dans la plupart des


régions de cette grande colonie, le systéme d’alimentation a ses
bases ici. Mais du fait que parmi nous, seuls les Ministres de
P'Union Divine soient les détenteurs du plus important niveau
de Spiritualité Supérieure, la magnétisation générale des eaux
de la Riviére Bleue leur revient, afin que tous les habitants de «
Nosso Lar » puissent s’en servir avec la pureté indispensable. Ils
effectuent la tache initiale de nettoyage et les instituts réalisent
les travaux spécifiques avec |’ajout de substances alimentaires et
curatives. Quand les divers bras des flots se réunissent 4 nouveau,
en un point éloigné, opposé a ce bois, la riviére sort de notre
zone, emportant en son sein nos qualités spirituelles.
Jétais extasié par ces explications.
— Sur la planéte, dis-je, je n’avais jamais recu de tels éclair-
cissements.
— Il y a de nombreux siécles que homme est inatten-
tif, répondit Lisias. La mer équilibre son habitat planétaire,
élément aqueux lui fournit un corps physique, la pluie lui
donne le pain, la riviére organise la ville, la présence de l’eau
lui offre la bénédiction du foyer et du service ; cependant, il se
prend toujours pour le dominateur du monde, oubliant qu'il
est avant toute chose fils du Trés Haut. Malgré tout, un temps
viendra ot il reproduira nos travaux, louant l’importance de
ce don du Seigneur. I] comprendra alors que l’eau, en tant que
fluide créateur, absorbe en chaque foyer les caractéristiques
mentales de ses habitants. Veau dans le monde, mon ami, ne
charrie pas seulement les résidus des corps. Elle charrie éga-
lement les expressions de notre vie mentale. Elle sera nocive
dans des mains perverses, utile dans des mains généreuses et,
quand elle se trouve en mouvement, son courant ne répand pas
seulement la bénédiction de la vie, mais également un moyen
de Recours Divin, absorbant les amertumes, les haines et les

i.
Nosso Lar

anxiétés des hommes, lavant leur habitation matérielle et puri-


fiant leur atmosphere intérieure.
Mon interlocuteur demeura silencieux et se tint dans une
attitude respectueuse pendant que mes yeux fixaient le courant
tranquille réveillant de sublimes pensées.

73
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Nouvelles du plan
Mon généreux compagnon deésirait me faire visiter les
divers quartiers de la colonie, mais des obligations impérieuses
lappelaient ailleurs.
— Tu auras l’occasion de connaitre les autres régions de nos
services, s exclama-t-il avec bienveillance. Car comme tu peux le
voir, les Ministéres de « Nosso Lar » sont d’énormes cellules de
travail actif. Plusieurs jours d’études ne permettraient pas d’avoir
une vision détaillée d’un seul d’entre eux. Mais les occasions ne
te manqueront pas. Bien qu'il ne me soit pas possible de t’ac-
compagner, Clarencio a l’influence nécessaire pour te permettre
dentrer facilement dans n'importe quel secteur.
Nous revinmes au point de passage de I’aérobus qui ne se
fit pas attendre.
A présent, je me sentais presque a l’aise. La présence des
nombreux passagers ne me génait plus. Lexpérience précédente
mvavait fait un bien énorme. Mon cerveau fourmillait de
questionnements utiles. Décidé a leur trouver une réponse, je

1)
Chico Xavier |André Luiz

tirai parti de ces quelques instants pour profiter de mon compa-


gnon pendant que cela était encore possible.
— Lisias, mon ami, demandai-je, pourrais-tu me dire si
toutes les colonies spirituelles sont identiques a celle-ci ? Les
mémes procédés, les mémes caractéristiques ?
— En aucune maniére. Si dans les sphéres matérielles
chaque région et chaque établissement révélent des traits par-
ticuliers, imagine la multiplicité des conditions en nos plans.
Ici, comme sur la Terre, les étres sidentifient par leurs sources
d’origine communes et par la grandeur des fins quils doivent at-
teindre ; mais il est important de considérer que chaque colonie,
comme chaque entité, se trouve a des degrés différents dans la
grande ascension. Toutes les expériences de groupe se diversifient
entre elles, et « Nosso Lar » constitue une expérience collective
de cette nature. Selon nos archives, ceux qui nous ont précédés
puisérent bien souvent leur inspiration dans les travaux de tra-
vailleurs dévoués d’autres sphéres ; en compensation, d’autres
groupements font appel 4 notre concours pour d’autres colonies
en formation. Toutefois, chaque organisation présente des parti-
cularités essentielles.
Observant que la pause se faisait plus longue, je demandai :
— Vintéressante idée de la formation des Ministéres est-elle
partie de cela ? .
— Oui, les missionnaires de la création de « Nosso Lar »
visiterent les services d’« Alvorada Nova’ », l'une des plus impor-
tantes colonies spirituelles de notre voisinage, et ils y trouvérent
la division en départements. Ils adoptérent le procédé mais subs-
tituérent le mot « Ministére » au mot « département », A Pexcep-
tion des services régénérateurs qui parvinrent 4 sélever A ce statut
grace au Gouverneur actuel. Ainsi procédérent-ils, considérant

4 NdT:« Aube nouvelle ».

76
Nosso Lar

que l’organisation en Ministéres est plus expressive comme défi-


nition de spiritualité.
— Trés bien ! ajoutai-je.
— Et ce nest pas tout, poursuivit l’infirmier, serviable.
Linstitution est trés rigoureuse en ce qui concerne l’ordre et la
hiérarchie. Ici, aucune place d’importance n’est concédée A titre
de faveur. Seules quatre entités réussirent 4 entrer au Ministére
de Union Divine, avec une responsabilité définie, au cours des
dix derniéres années. En général, nous tous, aprés un long stage
de travail et d’apprentissage, nous retournons nous incarner pour
procéder a des activités de perfectionnement.
Comme j’écoutais ces informations avec curiosité, Lisias
continua :
— Quand les nouveaux venus des zones inférieures du Seuil
se montrent aptes a recevoir la coopération fraternelle, ils restent
au Ministére de l’Aide. Mais quand ils se montrent réfractaires,
ils sont dirigés vers le Ministére de la Régénération. Si au fil du
temps ils démontrent avoir tiré profit de leurs expériences, ils
seront admis dans les travaux de |’Aide, de la Communication et
de l’Eclaircissement, afin de se préparer efficacement aux futures
taches planétaires. Seuls quelques-uns parviennent a obtenir une
activité prolongée dans le Ministére de l’Elévation, et rares sont
ceux qui, tous les dix ans, atteignent l’intimité des travaux de
l'Union Divine. Ne crois pas que ces témoignages ne sont que de
vagues représentations d'une activité idéaliste. Nous ne sommes
déja plus dans la sphére du globe ou le désincarné est relégué au
stade de fantéme. Nous vivons dans un cercle de démonstra-
tions actives. Les missions de |’Aide sont laborieuses et compli-
quées, les devoirs du Ministére de la Régénération constituent
un témoignage terriblement lourd, les travaux de la Communi-
cation exigent une haute notion de responsabilité individuelle,
les champs de l’Eclaircissement requiérent une grande capacité

U7
Chico Xavier |André Luiz

de travail et de profondes valeurs intellectuelles, le Ministére de


l'Elévation demande renoncement et illumination, les activités
de l'Union Divine requiérent la connaissance juste et l’appli-
cation sincere de l'amour universel. Quant au Gouvernement,
il est le siege mouvementé de tous les sujets administratifs, de
nombreux services de contréle, comme par exemple celui de
l'alimentation, de la distribution des énergies électriques, de la
circulation, du transport et d’autres domaines encore. En réalité,
ici, la loi du repos est rigoureusement respectée afin que certains
travailleurs ne soient pas surchargés par rapport a d’autres. Mais
la loi du travail est également rigoureusement appliquée. En ce
qui concerne le repos, l’unique exception reste le Gouverneur
lui-méme qui ne profite jamais de ses droits.
— Mais il ne s’absente jamais du palais ? demandai-je.
— Seulement dans les cas ou le bien public l’exige. En
dehors de cet impératif,; le Gouverneur se rend toutes les se-
maines au Ministére de la Régénération qui représente la zone
de « Nosso Lar » ot il y a les plus nombreuses perturbations
en raison de la syntonie d’un grand nombre de ceux qui y
sont hébergés avec les fréres du Seuil. Des multitudes d’esprits
égarés s’y trouvent accueillies. Il profite donc des dimanches
aprés-midi, aprés avoir prié avec la ville dans le Grand Temple
du Gouvernement, pour coopérer avec les Ministres de la
Régénération. II s’occupe de leurs difficiles problémes de tra-
vail. Avec cette charge, il doit parfois se priver de joies sacrées,
soutenant les désemparés et les souffrants.
Laérobus nous laissa dans le voisinage de Phépital ot
m/attendait ma chambre accueillante.
Comme je pus m’en rendre compte 8 la sortie du véhi-
cule sur la voie publique, de belles mélodies flottant dans lair
se faisaient entendre. Percevant mon expression intriguée, Lisias
m’expliqua fraternellement :

78
Nosso Lar

— Ces musiques proviennent des ateliers ot travaillent les


habitants de « Nosso Lar ». Aprés observation, le Gouverneur re-
connut que la musique intensifiait le rendement du travail, dans
tous les secteurs de l’effort constructif. Dés lors, plus personne, a
« Nosso Lar », ne travaille sans cette joyeuse stimulation.
Nous arrivames a l’entrée principale. Un infirmier s'avancga
courtoisement et dit :
— Frére Lisias, vous étes invité 4 vous rendre au pavillon de
droite pour un travail urgent.
Mon compagnon s’éloigna calmement pendant que je me
retirai dans ma chambre, plein de questions intérieures.

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13
Le Seuil

Apres avoir recu de si précieux éclaircissements, mon dé-


sir de faire croitre mes connaissances, concernant certains pro-
blémes dont m/avait parlé Lisias, s'aiguisait. Les références aux
Esprits du Seuil venaient piquer ma curiosité. Labsence de pré-
paration religieuse, dans le monde, donne lieu 4 de douloureuses
perturbations. Que pouvait étre le Seuil ? Je connaissais seule-
ment les concepts d’enfer et de purgatoire grace aux sermons
catholico-romains auxquels j’avais assistés, obéissant a des prin-
cipes protocolaires. Mais de ce Seuil, je n’avais pourtant jamais
rien entendu dire.
A la premiére rencontre avec mon généreux visiteur, mes
questions ne se firent pas attendre. Lisias m’écouta, attentif, et
mexpliqua :
— Alors ca ! Tu as parcouru cette région pendant si long-
temps et tu ne la connais méme pas ?
Je me souvins des souffrances passées, ressentant des fris-
sons @horreur.

81
Chico Xavier |André Luiz

— Le Seuil, poursuivit-il, serviable, commence a la surface


terrestre. C’est une zone obscure oui se retrouvent tous ceux qui
ne se sont pas décidés a traverser les portes des devoirs sacrés
afin de les accomplir, demeurant dans la vallée de l’indécision
ou dans le marécage des nombreuses erreurs. Quand I’Esprit se
réincarne, il promet d’accomplir le programme des services du
Pere ; cependant, au moment de reproduire ces expériences sur la
planéte, cela devient bien difficile car il ne recherche que ce qui
peut satisfaire son égoisme. C’est ainsi que la méme haine pour
les adversaires et la méme passion pour les amis sont entretenues.
Mais la haine rest pas la justice, pas plus que la passion mest
l'amour. Tout ce qui est excessif, sans profit, n'est que dépense du
don de la vie. Ainsi, les multitudes de déséquilibrés demeurent
dans des régions brumeuses qui découlent des fluides de la chair.
Le devoir accompli est une porte par laquelle nous passons dans
l'Infini en chemin vers le continent sacré de ’union avec le Sei-
gneur. Il est cependant naturel que l’homme qui se soustrait 4
lobligation juste ait cette bénédiction indéfiniment retardée.
Notant la difficulté que je rencontrais pour comprendre
tout le contenu de l’enseignement, étant donné mon ignorance
presque totale des principes spirituels, Lisias chercha 4 rendre la
legon plus limpide :
— Imagine que chacun d’entre nous, renaissant sur la Terre,
soit porteur d'un fait négatif qu’il doive nettoyer au lavoir de la
vie humaine. Ce vétement immonde est le corps causal, tissé
par nos mains au cours des expériences antérieures. Mais parta-
geant a nouveau les bénédictions de l’opportunité terrestre, nous
oublions notre objectif essentiel et, au lieu de nous purifier par
l'effort du lavage, nous nous salissons un peu plus, contractant
_ de nouveaux liens et nous enfermant nous-mémes dans un véri-
table esclavage. Alors, si durant notre retour sur le monde nous
cherchions un moyen de fuir la saleté qui se trouve en désaccord

82
Nosso Lar

avec le milieu élevé, comment revenir & cette méme ambiance


lumineuse en de pires conditions ? Mais le Seuil fonctionne
comme une région destinée a |’épuisement des résidus mentaux ;
une espéce de zone purgatoire ou est brilé, petit a petit, le maté-
riel détérioré des illusions que l’étre a acquis en grande quantité,
méprisant la sublime occasion d'une existence terrestre.
Limage ne pouvait étre plus claire, plus convaincante.
Je navais aucun moyen de dissimuler ma stupéfaction.
Comprenant l’effet bénéfique de ces éclaircissements, Lisias
poursuivit :
— Le Seuil est une région de grand intérét pour qui a été
sur la Terre. Il s’y concentre tout ce qui n’a pas de finalité pour
la vie supérieure. Et dis-toi que la Providence Divine agit avec
sagesse en permettant que pareille zone se crée autour de la pla-
néte. Il y a des légions compactes d’4mes irrésolues et ignorantes
qui ne sont pas suffisamment perverses pour étre envoyées dans
des colonies ot la réparation y est plus douloureuse, ni assez
nobles pour étre conduites en des plans élevés. Les habitants du
Seuil représentent un nombre immense de personnes, voisins
immédiats des hommes incarnés dont ils sont seulement séparés
par les lois vibratoires. Il ne faut pas s’étonner en sachant que
de tels endroits se caractérisent par de profondes perturbations.
La-bas vivent et se regroupent les révoltés de toutes sortes. IIs
forment aussi des centres invisibles, au pouvoir remarquable par
la concentration des tendances et des désirs les plus répandus.
N’y a-t-il pas de nombreuses personnes sur la Terre qui ne se
souviennent pas de leur désespoir alors qu elles attendent le fac-
teur qui ne vient pas ou le train qui n’aarrive pas ? Eh bien,
le Seuil est rempli de désespérés. Parce qu’ils n'ont pas trouve
le Seigneur a la disposition de leurs caprices, aprés la mort du
corps physique, et parce quiils sentent que la couronne de la
vie éternelle est la gloire propre 4 ceux qui travaillent avec le

83
Chico Xavier |André Luiz

Pere, ces étres s’épanouissent et demeurent en de mesquines


créations. « Nosso Lar » a une société spirituelle, mais ces centres
sont peuplés de malheureux, de malfaiteurs et de vagabonds de
diverses catégories. C’est une zone de bourreaux et de victimes,
d’exploiteurs et d’exploités.
Profitant d’une pause qui se fit spontanément, je m’excla-
mai, impressionné :
— Comment cela se fait-il ? N’y a-t-il pas par la-bas de
défense, d’organisation ?
Mon interlocuteur sourit et précisa :
— Lorganisation est un attribut des esprits organisés. Que
veux-tu ? La zone inférieure a laquelle nous nous référons est
comme la maison ot il ny a pas de pain : tout le monde crie
et personne n/a raison. Le voyageur distrait manque son train,
l'agriculteur qui n’a pas semé ne peut cueillir. Il y a toutefois une
chose stire que je peux te dire : malgré les ombres et les angoisses
du Seuil, la protection divine n’a jamais fait défaut. Chaque Es-
prit y reste le temps qui lui est nécessaire. Pour cela, mon ami, le
Seigneur a permis la création de nombreuses colonies telles que
celle-ci, toutes consacrées au travail et au secours spirituel.
— Alors je crois, observai-je, que cette sphére se mélange
avec celle des hommes.
— Oui, confirma mon deélicat ami, et c’est dans cette zone
que s étendent les fils invisibles qui lient les esprits humains entre
eux. Ce plan est rempli de désincarnés et de formes-pensées
produites par les incarnés car, en réalité, tout Esprit, ot quil se
trouve, est un centre irradiant de forces qui transforment ou qui
détruisent, extériorisées sous forme de vibrations que la science
terrestre ne peut pour le moment pas comprendre. Qui pense,
agit ailleurs. Et c'est par la pensée que les hommes rencontrent
dans le Seuil les compagnons desquels leurs tendances se rap-
prochent. Toute 4me est un puissant aimant. Il y a une impor-

84
Nosso Lar

tante humanité invisible qui suit humanité visible. Les missions


les plus laborieuses du Ministére de I’Aide sont remplies par les
plus dévoués des serviteurs, dans le Seuil. Et si la tache des pom-
piers de vos grandes villes est rendue difficile par les flammes et
les nuages de fumée, les missionnaires du Seuil rencontrent des
fluides extrémement lourds émis de maniére continue par des
milliers d’esprits déséquilibrés par la pratique du mal, ou terri-
blement marqués par les souffrances rectificatrices. Il est impor-
tant d’avoir beaucoup de courage et de renoncement pour aider
celui qui ne comprend rien a l'aide qui lui est offerte.
Lisias s'interrompit. Grandement surpris, je m’exclamai :
— Ah ! Comme je souhaiterais travailler auprés de ces lé-
gions de malheureux, leur apportant le pain spirituel de |’éclair-
cissement !
Vinfirmier ami me regarda avec bonté et, apres avoir mé-
dité en silence pendant un long moment, il précisa, avant de
prendre congé :
— Penses-tu avoir la préparation indispensable pour un tel
travail ?

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13
Dans le cabinet
du ministre

Avec mon rétablissement surgissait la nécessité de mou-


vement et de travail. Une si longue période s’étant écoulée, les
années de lutte étant passées, mon intérét se portait vers les occu-
pations qui remplissent la journée de tout homme normal dans le
monde, de maniére utile. I] était incontestable que j’avais perdu
dexcellentes opportunités sur la Terre, que de nombreuses erreurs
marquaient mon chemin. Je me souvenais maintenant des quinze
années de clinique, sentant un certain « vide » au fond du coeur.
Je me sentais comme un vigoureux agriculteur en plein champ,
les mains liées, dans impossibilité de se mettre au travail. Entou-
ré d’infirmes, je ne pouvais m’en approcher, comme en d’autres
temps ott j’étais a la fois l’'ami, le médecin et le chercheur. Méme
en entendant les gémissements continuels émanant des chambres
contigués ala mienne, les fonctions d’infirmier ou de collaborateur
en situation d’urgence ne nvétaient pas permises. Ce nétait pas

87
Chico Xavier |André Luiz

que la volonté me manquat, mais ma position ici était si humble


que je nosais m’y risquer. Les médecins spirituels étaient déten-
teurs d'une technique différente. Sur la Terre, je savais que mon
droit 4 intervenir commengait dans les livres lus et les titres obte-
nus. Mais dans ce nouveau milieu, la médecine commengait dans
le coeur, en s’extériorisant par l'amour et l’attention fraternelle. Le
plus simple des infirmiers de « Nosso Lar » avait des connaissances
et des possibilités bien supérieures 4 ma science. Par conséquent, je
ne pouvais memployer a aucune tentative de travail spontané, cela
me paraissant étre une invasion du domaine d’autrui.
Dans l’embarras né de telles difficultés, Lisias était ami le
plus indiqué pour mes confidences de frére.
Interrogé, il répondit :
— Pourquoi ne pas demander l’aide de Clarencio ? Je suis
certain quil fera quelque chose pour toi. Demande-lui conseil.
I] s’enquiert tout le temps de tes nouvelles et il fera tout ce quil
peut pour toi.
Une grande espérance m’anima. Je consulterais le Ministre
de l’Aide.
Ayant pris les mesures nécessaires, je fus informé que le
généreux bienfaiteur pourrait seulement me recevoir le matin
suivant, dans son cabinet particulier.
Anxieux, j’attendis le moment fixé,
Le lendemain, trés tét, je me rendis au lieu indiqué. Quelle
ne fut pas ma surprise de voir que trois personnes se trouvaient 1a
en train d’attendre Clarencio, pour les mémes raisons que moi!
Le délicat Ministre de l’Aide était arrivé bien avant nous
et s;occupait de questions plus importantes que la réception de
visites et de demandes.
Le travail urgent terminé, il commenca 4 nous appeler,
deux par deux. Procéder aux audiences de telle maniére me sur-
prit. Mais je sus plus tard qu'il profitait de cette méthode pour

88
Nosso Lar

que les avis quil donnait a certaines personnes puissent aussi


servir 4 d’autres, répondant ainsi aux nécessités d’ordre général,
gagnant temps et efficacité. |
De longues minutes sécoulérent avant que ne vienne
mon tour.
Je pénétrai dans le cabinet en compagnie d’une dame Agée
qui serait entendue en premier, du fait de ordre d’arrivée. Le Mi-
nistre nous recut cordialement, nous mettant a l’aise pour discourir.
— Noble Clarencio, commenga l’inconnue, je viens faire
appel a vos bons services au profit de mes deux fils. Ah !Je ne sup-
porte plus la séparation et j’ai été informée que tous deux vivent
épuisés et surchargés par l’infortune sur Terre. Je reconnais que les
desseins du Pére sont justes et pleins d’amour. Cependant, je suis
mére ! Je ne parviens pas 4 me soustraire au poids de |’angoisse !
Et la pauvre femme fondit en larmes abondantes. Le
Ministre, lui adressant un regard fraternel, bien que conservant
intacte son énergie personnelle, lui répondit, bienveillant :
— Mais si vous reconnaissez que les desseins du Pére sont
justes et saints, que puis-je faire ?
— Je souhaitais, répondit-elle, affligée, que vous me concé-
diez les moyens de les protéger personnellement, dans les spheres
du globe...
— Ah! Mon amie, dit l’aimable bienfaiteur, ce n’est qu’avec
Pesprit d’humilité et de travail qu'il nous est possible de proté-
ger quelqu'un. Que dire d'un parent terrestre qui désire aider
ses enfants tout en se maintenant parfaitement tranquille dans
son foyer ? Le Pére a créé le travail et la coopération comme des
lois que personne ne peut trahir sans se causer du tort. Votre
conscience ne vous dit-elle rien 4 ce propos ? Combien de bonus-
heures® pouvez-vous présenter au bénéfice de votre demande ?

5 Note de l’auteur spirituel : point relatif achaque heure de service.

89
Chico Xavier |André Luiz

La dame répondit avec hésitation :


— Trois cent quatre.
— Cela est regrettable, dit Clarencio en souriant, car vous
étes hébergée ici depuis plus de six ans, et vous avez donné A
la colonie, jusqu’a aujourd’hui, & peine trois cent quatre heures
de travail. Pourtant, peu aprés que vous vous soyez rétablie des
luttes douloureuses dans les régions inférieures, je vous ai offert
une activité louable dans le Groupe de Surveillance du Ministére
de la Communication...
— Mais il s‘agissait d'un travail insupportable, coupa l’in-
terlocutrice. Une lutte incessante contre des entités malfaisantes.
Il est naturel que je ne me sois pas adaptée.
Clarencio continua, imperturbable :
— Je vous ai ensuite placée parmi les Sceurs du Soutien,
dans les travaux régénérateurs.
— Pire ! s'exclama la vieille femme. Ces départements sont
remplis de personnes immondes. Mots grossiers, indécences,
miséere...
— Reconnaissant vos difficultés, poursuivit le Ministre, je
vous ai envoyé coopérer a I’Infirmerie des Perturbés.
— Mais qui pourrait les supporter, sinon les saints ? de-
manda la femme rebelle. J’ai fait mon possible. Seulement, cette
multitude d’ames désorientées en effraierait plus d'un !
— Je nen suis pas resté 1a de mes efforts, répliqua le
bienfaiteur sans se perturber. Je vous ai alors placée dans les
Laboratoires d’Investigations et de Recherches du Ministére
de l’Eclaircissement et, malgré tout, peut-étre ennuyée par
ces mesures, vous vous étes délibérément réfugiée dans les
Champs du Repos.
— Il était également impossible d’y rester, dit limpénitente.
Je ny ai rencontré que des expériences épuisantes, des fluides
étranges, des chefs aigris.

90
Nosso Lar

— Eh bien, sachez, mon amie, lui dit l’orienteur dévoué


et stir, que le travail et Phumilité sont les deux cdtés du che-
min de l'aide. Pour aider quelqu’un, nous avons besoin que des
fréres se fassent nos coopérateurs, amis, protecteurs et serviteurs.
Avant de soutenir ceux que nous aimons, il est indispensable
d’établir des courants de sympathie. Sans la coopération, il est
impossible d’agir avec efficacité. Lhomme de la campagne qui
cultive la terre regoit la gratitude de ceux qui savourent les fruits.
Louvrier qui répond aux demandes de ses chefs exigeants, exé-
cutant leurs ordres, représente le pilier du foyer ot: le Seigneur I’a
placé. Le serviteur qui obéit, tout en construisant, conquiert ses
supérieurs et ses compagnons de besogne. Et aucune personne
ne pourra étre utile 4 ceux qu'elle aime si elle ne sait pas servir et
obéir noblement. Que l’on se blesse le coeur, que !’on ressente la
difficulté, mais que chacun sache que le service utile appartient,
avant tout, au Donateur Universel.
Aprés une petite pause, il continua :
— Que ferez-vous alors sur la Terre si vous n’avez pas encore
appris 4 supporter la moindre chose ? Je ne doute aucunement
de votre dévouement enyers vos enfants chéris, mais il importe
de remarquer que vous ne seriez 4 leur cété qu'une mére paraly-
tique, incapable de fournir l’aide attendue. Pour que n'importe
lequel d’entre nous puisse avoir la joie de venir en aide a ceux
quil aime, lintervention d'un grand nombre de ceux qu'il a
lui-méme aidés est nécessaire. Ceux qui ne coopérent pas ne
recoivent pas de coopération. Ainsi en va-t-il de la loi éternelle.
Et si vous n’avez rien accumulé pour donner, il est juste que vous
recherchiez la contribution fraternelle des autres. Mais comment
recevoir la collaboration indispensable si vous n’avez pas encore
semé, pas méme la simple sympathie ? Retournez au Champ du
Repos ot vous avez trouvé refuge derniérement, et réfléchissez.
Nous examinerons ensuite la question avec l’attention requise.

ot
Chico Xavier |André Luiz

La mére inquiete s’assit, essuyant ses larmes abondantes.


Ensuite, le Ministre me fixa avec compassion et dit :
— Approchez-vous, mon ami!
Je me levai, hésitant, pour commencer a parler.

22
14
Explications de Clarencio
Mon cceur battait 4 tout rompre, me rappelant !’étudiant
timide face a ses sévéres examinateurs. Voyant la dame en pleurs
et observant |’énergie sereine du Ministre de l’Aide, je tremblais
intérieurement, me repentant d’avoir provoqué cette audience.
N’aurait-il pas mieux valu que je restasse silencieux, apprenant
4 attendre les délibérations supérieures ? Ne serait-ce pas une
présomption déplacée que de demander une place de médecin
dans cet hdpital ou j’étais logé comme malade ? La sincérité de
Clarencio envers la sceur qui me précédait réveilla en moi des
réflexions nouvelles. J’aurais voulu me désister, renoncer a la
volonté de la veille et m’en retourner 4 ma chambre, mais c était
impossible. Le Ministre de l’Aide, comme devinant mes propos
les plus intimes, s'exclama d’un ton ferme :
— Je suis prét a vous écouter.
Jallais solliciter nimporte quel service médical a « Nosso
Lar » malgré lindécision qui me dominait. Cependant, ma
conscience m’avertit : pourquoi se référer 4 un service spécialisé ?

93
Chico Xavier |André Luiz

Ne serait-ce pas répéter les erreurs humaines dans lesquelles la


vanité ne tolére aucun autre type d’activité, sinon celle qui cor-
respond aux idées regues des titres de noblesse ou académiques ?
Cette pensée me permit de me rééquilibrer 4 temps. En pleine
confusion, je dis :
— Jai pris la liberté de venir jusqu’ici faire appel A vos
bonnes graces, afin de m/intégrer dans le travail. Mes occupa-
tions me manquent maintenant que la générosité de « Nosso Lar
» ma ramené a l’harmonie organique. Tout travail utile m’inté-
resse du moment que je méloigne de l’inaction.
Clarencio me fixa longuement, paraissant chercher & iden-
tifler mes intentions les plus personnelles.
— Je le sais déja. Verbalement, vous demandez n’importe
quel travail ; mais au fond, vous vous ressentez de l’absence de
vos clients, de votre cabinet, du milieu de travail avec lequel le
Seigneur vous honora sur la Terre.
Jusquici, ses paroles n’étaient qu’ondes de réconfort et
d’espérance que je recevais au plus profond de mon cceur avec
des signes de confirmation.
Mais aprés une pause plus longue que les autres, le Mi-
nistre reprit :
— Il convient toutefois de noter que, de temps a autre, le
Pére nous honore de Sa confiance et nous dénaturons les véri-
tables titres de travail. Vous avez été médecin sur la Terre, entou-
ré de toutes les facilités en ce qui concerne les études. Vous n’avez
jamais su le prix d’un livre car vos parents, généreux, prenaient a
leur charge toutes les dépenses. A peine diplémé, vous avez com-
mencé a recevoir de confortables revenus sans avoir A affronter
les difficultés du médecin pauvre, contraint de faire appel a ses
parents, amis et connaissances afin de pouvoir exercer son activi-
té. Vous avez prospéré si facilement que vous avez transformé les
facilités en une source de mort prématurée du corps physique.

94
Nosso Lar

Alors jeune et sain, vous avez commis de nombreux abus dans le


cadre du travail auquel Jésus vous a confié.
Face au regard ferme et en méme temps bienveillant, une
étrange perturbation s'empara de moi.
Respectueusement, je dis :
— Je reconnais la justesse de vos observations, mais si pos-
sible, j’aimerais obtenir les moyens de racheter mes débits, me
consacrant sincérement aux infirmes de ce centre hospitalier.
— Volonté trés noble, remarqua Clarencio avec austérité.
Cela dit, il est nécessaire de reconnaitre que toute tache sur Terre,
dans le domaine des professions, est une invitation du Pére pour
que l’homme pénétre dans les temples divins du travail. Le titre,
pour nous, nest qu'une étiquette ; mais dans le monde, il a pour
habitude de représenter une porte ouverte a toutes les étourde-
ries. Avec cette étiquette, l'homme obtient le droit d’apprendre
noblement et de servir le Seigneur dans le cadre de Ses divins
services sur la planéte. Un tel principe est applicable a toutes
les activités terrestres, excluant le conventionnalisme de tous les
secteurs ow elles sont pratiquées. Vous avez regu une étiquette de
médecin ; vous avez pénétré le temple de la Médecine mais votre
action, a l’intérieur, n’a pas correspondu aux criteres qui m’auto-
risent 4 accéder a vos désirs actuels. Comment vous transforme-
riez-vous, d’un instant a l'autre, en médecin des esprits infirmes
quand vous avez mis un point d’honneur a limiter exclusivement
vos observations 4 la sphére du corps physique ? Je ne nie pas
vos capacités en tant quexcellent physiologiste, mais le champ
de la vie est trés étendu. Que diriez-vous d’un botaniste qui
alignerait des définitions seulement en se basant sur l’examen
d’écorces séches de quelques arbres ? Un grand nombre de mé-
decins, sur Terre, préférent la conclusion mathématique quand
ils se trouvent face aux services relevant du corps. Nous recon-
naissons que les Mathématiques sont respectables, mais ce nest

=)
Chico Xavier |André Luiz

pas l’unique science de Univers. Comme vous le reconnaitrez


maintenant, le médecin ne peut perdurer dans les diagnostics et
les terminologies. Il doit pénétrer Ame, en sonder les profon-
deurs. De nombreux professionnels de la Médecine, sur Terre,
sont prisonniers des salles académiques parce que la vanité leur a
volé la clé du cachot. Rares sont ceux qui parviennent a traverser
le marécage des intéréts inférieurs, 4 se placer au-dessus des pré-
jugés communs et, pour ces exceptions, il n’y a que les railleries
du monde et les moqueries des compagnons.
Jen fus abasourdi. Je n’avais pas connaissance de telles
notions de responsabilité professionnelle. Cette interprétation
du titre académique de médecin qui se réduisait a un laissez-
passer permettant d’entrer dans les zones de travail afin de coo-
pérer activement avec le Seigneur Supréme me surprit. Incapable
d’intervenir, j’attendis que le Ministre de l’Aide reprenne le fil de
ses explications.
— Comme vous pouvez le constater, continua-t-il, vous ne
vous étes pas convenablement préparé pour nos travaux.
— Généreux bienfaiteur, me risquai-je a dire, je comprends
la legon et me courbe devant |’évidence.
Et faisant un effort pour contenir mes larmes, je demandai
avec humilité :
— Je me soumets a n’importe quel travail dans cette colonie
de réalisation et de paix.
Avec un profond regard de sympathie, il répondit :
— Mon ami, je n'ai pas que des vérités améres. J’ai égale-
ment des mots d’encouragement. Vous ne pouvez pas encore
étre médecin 4 « Nosso Lar », mais vous pourrez assumer la
fonction d’apprenti le moment opportun. Votre position ac-
tuelle n’est pas des meilleures. Cependant, vous pouvez avoir
bon espoir grace aux requétes qui parviennent au Ministére de
lAide en votre faveur.

96
Nosso Lar

— Ma mére ? demandai-je, grisé par la joie.


— Oui, répondit le Ministre, votre mére et d’autres amis
dans le cceur desquels vous avez planté la graine de la sympathie.
Tout de suite aprés votre arrivée, j'ai demandé au Ministre de
l'Eclaircissement qu’il me fournisse votre dossier, que j’ai exa-
miné attentivement. Beaucoup d’imprévoyance, de nombreux
abus et beaucoup dirréflexion. Mais pendant les quinze années
de votre exercice, vous avez aussi fourni des ordonnances gra-
tuitement a plus de six mille personnes dans le besoin. Dans
la majorité des cas, vous avez pratiqué ces actes méritoires
par pure moquerie. Mais vous pouvez a présent constater que
méme par moquerie, le véritable bien répand des bénédictions
sur nos chemins. De tous ceux qui ont bénéficié de vos soins,
quinze ne vous ont pas oublié et ont fait parvenir jusqu ici des
appels énergiques en votre faveur. Cependant, je dois dire que
méme le bien que vous avez fait pour les indifférents compte
ici en votre faveur.
Concluant ses surprenantes explications en souriant, Cla-
rencio précisa :
— Vous apprendrez de nouvelles legons 4 « Nosso Lar »
et, aprés d’utiles expériences, vous coopérerez efficacement avec
nous en vous préparant pour le futur infini.
Je me sentais resplendir. Pour la premiére fois, je pleurai
de joie dans la colonie. Oh ! qui pourrait comprendre une telle
joie sur Terre ? Parfois, il est nécessaire que le coeur se taise dans
Pimposant silence divin.

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La visite maternelle

Attentif aux recommandations de Clarencio, je cherchais


4 rétablir mes énergies pour recommencer l’apprentissage. Peut-
étre qu’en une autre époque je me serais senti offensé par des
observations aussi rudes. Mais, dans les circonstances actuelles,
je me souvenais de mes anciennes erreurs et je me sentais récon-
forté. Les fluides de la chair forcent l’Ame 4 plonger dans une
profonde somnolence. En réalité, ce fut seulement alors que je
me rendis compte qu’en aucun cas |’expérience humaine ne pou-
vait étre prise 4 la légére. Limportance de l’incarnation venait
d’apparaitre subitement 4 mes yeux, mettant en évidence des
grandeurs que j’avais jusqu’alors ignorées. Prenant en considé-
ration les opportunités perdues, je reconnaissais ne pas mériter
Phospitalité de « Nosso Lar ». Clarencio avait toutes les raisons
du monde de m/avoir parlé avec cette franchise.
Ainsi, je passais des jours livrés a de profondes réflexions
sur la vie. J’étais intérieurement habité par une envie dévorante
de revoir mon foyer terrestre. Mais je m’abstenais de demander

2
Chico Xavier |André Luiz

de nouvelles concessions. Les bienfaiteurs du Ministére de I’Aide


étaient excessivement généreux avec moi ; ils devinaient mes
pensées. S’ils n’avaient pas spontanément répondu a mon désir
de revoir ma demeure, c’est que cela n’était pas opportun. Je me
tus alors, résigné et un peu triste. Lisias faisait son possible pour
mégayer avec ses propos consolateurs. Mais j’étais dans cette
phase de repli sur moi-méme ou homme est appelé au recueil-
lement par sa conscience profonde.
Malgré tout, un jour, mon bienveillant visiteur entra dans
ma chambre, radieux, s’exclamant :
— Devine qui vient d’arriver, 4 ta recherche !
Cette physionomie enjouée, ces yeux brillants, rien dans le
visage de Lisias ne pouvait me tromper.
— Ma mere ! Répondis-je, confiant.
Les yeux écarquillés d’allégresse, je la vis entrer, les bras
grands ouverts.
— Fils ! Mon fils !Viens 4 moi, mon chéri !
Je ne peux dire ce qui s’est alors passé. Je me sentis rede-
venir l'enfant qui jouait sous la pluie, pieds nus dans le jar-
din. Je me jetai dans ses bras aimants, pleurant de félicité, en
ressentant les plus sacrés ravissements du bonheur spirituel. Je
l’embrassai maintes fois, la serrant dans mes bras, nos larmes
se mélangeant. J’ignore combien de temps nous restames ainsi
enlacés. Finalement, ce fut elle qui rompit l’enchantement en
me recommandant :
— Allons, mon fils, ne te laisse pas emporter par l’émotion
de cette maniére ! La joie aussi, quand elle est excessive, a ses
répercussions sur le coeur.
Et au lieu de porter ma mére que j’aime tant dans mes
bras, comme je le faisais dans les derniers moments de son péleri-
nage sur Terre, ce fut elle qui essuya mes larmes abondantes, me
conduisant jusqu’au divan.

100
Nosso Lar

— Tu es encore faible, mon fils. Ne dépense pas tes forces.


Miinstallant a ses cétés avec attention, elle posa ma téte
fatiguée sur ses genoux, me caressant légerement, m’apportant le
soulagement a la lumiére des souvenirs bien-aimés. Je me sentis
alors le plus heureux des hommes. J’avais l’impression que le ba-
teau de mon espérance avait jeté l’ancre dans le port le plus stir.
La présence maternelle représentait un réconfort infini auprés de
mon coeur. Ces quelques minutes me laissaient impression d'un
réve tissé de fils dune joie indicible. Pareil au petit qui cherche
les détails, je fixais ses vétements, copie parfaite de ses vieux ha-
bits qu’elle portait a la maison. Observant sa robe foncée, ses bas
de laine, son chale bleu, je contemplais sa téte menue auréolée
de fils neigeux, les rides de son visage, son regard doux et calme
de tous les jours. Tremblantes de joie, mes mains caressaient les
siennes sans que je parvinsse a articuler une phrase. Mais ma
mére, plus forte que moi, dit avec sérénité :
— Nous ne saurons jamais remercier Dieu pour de tels ca-
deaux. Le Pére ne nous oublie jamais, mon fils. Quelle longue
séparation ! Ne crois pas que je tavais oublié. Parfois, la Provi-
dence sépare temporairement les coeurs pour que nous appre-
nions l’amour divin.
Percevant sa douceur de toujours, je sentis que mes plaies
terrestres se ravivaient. Oh ! comme il est difficile de se défaire
des résidus rapportés de la Terre !Comme elle pése cette imper-
fection accumulée au cours des siécles successifs ! Combien de
fois avais-je entendu les conseils salutaires de Clarencio et les
observations fraternelles de Lisias pour renoncer aux lamenta-
tions. Mais au contact de la tendresse maternelle, les anciennes
blessures se rouvraient. Des pleurs de joie, je passai aux larmes
d’angoisse, me souvenant avec précision des chemins terrestres.
Je ne me rendais pas compte que la visite navait pas pour but de
satisfaire 4 mes caprices, mais qu'elle représentait une précieuse

101
Chico Xavier |André Luiz

bénédiction de la miséricorde divine. Reproduisant les anciennes


exigences, je conclus, a tort, que ma mére devait continuer a
étre loreille attentive 4 mes plaintes et maux sans fin. Presque
toujours, les méres ne se révélent étre que les esclaves de leurs
enfants sur Terre. Rares sont ceux qui comprennent leur dévoue-
ment avant de la perdre. Selon cette méme conception erronée,
d'une autre époque, je glissai sur le terrain des confidences dou-
loureuses. Ma mére m’écoutait en silence, laissant transparaitre
une inexprimable mélancolie. Les yeux humides, me serrant de
temps en temps contre son cceur, elle dit avec tendresse :
— Oh ! mon fils, je n’ignore pas les instructions que
notre généreux Clarencio t’a données. Ne te plains pas. Ren-
dons grace au Pére pour ce rapprochement, harmonisons-nous
maintenant dans une école différente ot nous apprendrons a
étre fils du Seigneur. Dans mon réle de mére terrestre, je n’ai
pas toujours su torienter comme il aurait convenu et je tra-
vaille aussi au réajustement de mon cceur. Tes larmes me font
revenir aux paysages des sentiments humains. Quelque chose
appelle mon 4me en arriére. Je voudrais donner raison 2 tes la-
mentations, te dresser un trone comme si tu étais la personne la
plus importante de l’Univers. Mais maintenant, cette attitude
ne va plus de pair avec les nouvelles lecons de la vie. Ces élans
sont pardonnables dans la sphére de la chair. Mais ici, mon fils,
il est avant tout indispensable de répondre au Seigneur. Tu n’es |
pas le seul homme désincarné a réparer ses erreurs, pas plus que
je ne suis la seule mére a se sentir éloignée des personnes qu'elle
aime. Néanmoins, notre douleur ne nous élévera pas par les
pleurs que nous versons ni par les blessures qui saignent en
nous, mais par la porte de lumiére qui s’offre 4 notre esprit, afin
que nous soyons plus compréhensifs et plus humains. Larmes
et ulcéres constituent le procédé de I’étendue bénite de nos plus
purs sentiments.

102
Nosso Lar

Aprés une longue pause pendant laquelle ma conscience


me mit solennellement en garde, ma mére poursuivit :
— S’il nous est possible de consacrer ces courtes minutes au
profit de l'amour, pourquoi les détourner vers l’ombre des lamen-
tations ? Réjouissons-nous, mon fils, et travaillons sans relache.
Modifie ton attitude mentale. Ta confiance en ma tendresse me
réconforte et je ressens de la joie en ton affection filiale, mais je
ne peux revenir en arriére dans mes expériences. Aimons-nous,
maintenant, du grand et sacré amour divin.
Ces paroles bénites me réveillérent. J’avais impression
que de vigoureux fluides partaient des sentiments maternels pour
revitaliser mon coeur. Ma mére me regardait avec fierté, affichant
un beau sourire. Je me redressai, respectueux, et lui embrassai le
front, la sentant plus aimante et plus belle que jamais.

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Confidences
Les paroles maternelles me consolérent, réorganisant mes
énergies intérieures. Ma mére avait parlé du travail, évoquant les
douleurs et les difficultés comme étant des bénédictions, les fai-
sant contribuer aux joies et aux sublimes legons. Une tranquillité
inattendue et inexprimable baignait mon esprit. Ces enseigne-
ments avaient alimenté mon ame d’une bien étrange manieére ; je
me sentais tout autre, plus joyeux, plus décidé et plus heureux.
— Oh, mére ! mexclamai-je, ému. La sphére oti tu de-
meures doit étre merveilleuse ! Quelles visions du monde spiri-
tuel tu dois avoir, quelle chance !
Elle ébaucha un sourire et reconnut :
— Les sphéres élevées, mon fils, requiérent toujours plus
de travail et une plus grande abnégation. N’imagine pas que je
passe mon temps absorbée en d’enchanteresses visions, loin des
devoirs justes. Mais ne vois dans mes mots aucun reflet d'une
quelconque tristesse lige a la situation dans laquelle je me trouve.
Il s’'agit avant tout de la révélation de la responsabilité nécessaire.

105
Chico Xavier |André Luiz

Depuis mon retour de la Terre, j’ai intensément travaillé pour


notre rénovation spirituelle. De nombreuses entités, a l'heure de
la désincarnation, restent accrochées a leur foyer terrestre, pré-
textant l’amour qu’elles portent 4 ceux qui restent dans le monde
physique. Toutefois, on nYenseigna ici que le véritable amour,
pour quil puisse répandre ses bénédictions, a besoin d’étre
toujours en activité. Alors, depuis mon retour, je m’efforce de
conqueérir le droit d’aider ceux que j'aime tant.
— Et mon pére, ot est-il ? demandai-je. Pourquoi mest-il
pas venu avec toi ?
Le visage de ma mére prit une singuliére expression quand
elle me répondit :
— Ah !-Ton pére ! Ton pére ! Voila douze ans qu'il se trouve
dans une zone d’épaisses ténébres du Seuil. Sur Terre, il nous
a toujours semblé fidéle aux traditions familiales, attaché aux
bonnes maniéres des hautes finances des milieux auxquels il a
appartenu jusqu’a la fin de son existence, et attaché avec fer-
veur a la pratique de la religion. Mais au fond, il était faible et
entretenait des liaisons clandestines hors de notre foyer. Deux de
ces personnes a qui il s’était attaché étaient mentalement liées a
un vaste réseau d’entités maléfiques. Et aussit6t que mon pauvre
Laerte se fut désincarné, il souffrit énormément lors de son pas-
sage dans le Seuil en raison de ces malheureuses créatures, 4 qui il
avait fait de nombreuses promesses, qui l’attendaient avec impa-
tience, l’emprisonnant 4 nouveau dans les mailles de Villusion.
Au début, il voulut réagir, s'efforcant de me retrouver. Mais il
ne put comprendre que |’ame, aprés la mort du corps physique,
se trouve telle qu'elle a vécu réellement. Ainsi, Laerte ne percut
pas ma présence spirituelle ni l’assistance empressée d’autres de
nos amis. Ayant gaspillé de nombreuses années a simuler, il avait
faussé sa vision spirituelle, limité son niveau vibratoire, et cela
eut pour résultat de le laisser en la seule compagnie des rela-

106
Nosso Lar

tions qu'il avait cultivées de maniére irréfléchie, tant par l’esprit


que par le coeur. Les principes familiaux ainsi que l'amour lié A
notre nom occupérent quelque temps son esprit. D’une certaine
maniere, il luttait, repoussant les tentations. Mais finalement,
il chuta, pris 4 nouveau dans le filet de l’ombre par manque de
persévérance dans la pensée juste et droite.
Grandement impressionné, je demandai :
— Ny a-t-il donc aucun moyen de le soustraire 4 des agis-
sements aussi abjects ?
— Ah! mon fils, expliqua ma mére. Je lui rends fréquem-
ment visite. Pourtant, il ne me percoit pas. Son potentiel vibra-
toire est encore trés bas. Je tente, par l’inspiration, de l’attirer sur
le bon chemin, mais je ne parviens qu/a lui arracher quelques
larmes de repentir de temps a autre, sans obtenir de résolutions
sérieuses. Les malheureuses dont il est devenu le prisonnier le
détournent de mes suggestions. Cela fait des années que je tra-
vaille ainsi. J’ai sollicité le soutien d’amis de cing centres diffé-
rents, qui s occupent d’activités spirituelles élevées, y compris ici,
4 « Nosso Lar ». A certains moments, Clarencio est pratiquement
parvenu a l’attirer au Ministére de la Régénération, mais en vain.
Il est impossible d’allumer la lumiére dans une lanterne qui n’a
ni huile ni méche... Nous avons besoin de I’adhésion mentale de
Laerte afin de parvenir a le relever et 4 lui ouvrir sa vision spiri-
tuelle. En attendant, mon pauvre mari reste inactif en lui-méme,
entre l’indifférence et la révolte.
Ayant fait une longue pause, elle continua, soupirant :
— Peut-étre ne le sais-tu pas encore, mais tes deux sceurs,
Clara et Priscila, vivent également dans le Seuil aujourd’hui, ac-
crochées 4 la surface de la Terre. Je suis contrainte de répondre
aux nécessités de tous. Vunique aide directe dont je bénéficiais
reposait sur la coopération affectueuse de ta sceur Louisa, celle
qui s’en est allée alors que tu étais petit. Louisa m’a attendue ici

107
Chico Xavier |André Luiz

pendant de nombreuses années et elle fut le bras sur lequel je


me suis appuyée dans les durs travaux de soutien de la famille
terrestre. Mais aprés avoir lutté courageusement 4 mon cété en
faveur de ton pére, de toi et de tes sceurs, elle s’en est retournée,
la semaine derniére, en raison des fortes perturbations dont sont
victimes ceux de notre famille qui se trouvent encore sur Terre, se
réincarnant parmi eux dans un geste héroique de sublime renon-
cement. J’espére donc que tu te rétabliras rapidement afin que
nous puissions nous employer a des activités au service du bien.
Les informations concernant mon pére m/avaient surpris.
Dans quel genre de luttes était-il engagé ? Ne paraissait-il pas
avoir été sincére dans la pratique des préceptes religieux ? Ne
communiait-il pas tous les dimanches ? Emporté par le dévoue-
ment maternel, je demandai :
— Malgré la relation de papa avec ces créatures infames, tu
continues a l’aider ?
— Ne les juge pas ainsi, me calma-t-elle. Dis-toi avant tout,
mon fils, que ce sont nos sceurs malades, ignorantes ou mal-
heureuses. Elles sont également filles de notre Pére. Je n’ai pas
seulement intercédé pour Laerte mais également pour elles, et je
suis convaincue d’avoir trouvé le moyen de les attirer tous aupreés
de mon coeur.
Ce grand renoncement me surprit. Subitement, je pensai a
ma famille et je sentis le vieil attachement 4 mon épouse et 4 mes
fils tant aimés. Face a Clarencio et a Lisias, je cherchais toujours
a refouler mes sentiments et a taire mes questionnements, mais le
regard maternel mencourageait. Quelque chose me laissait pres-
sentir que ma mére ne resterait qu'un court moment a mes cétés.
Profitant du temps qui s’écoulait rapidement, je lui demandai :
— Maman, toi qui as accompagné papa avec autant de dé-
vouement, ne pourrais-tu rien m’apprendre au sujet de Zélia et
des enfants ? J’attends avec impatience le moment de retourner

108
Nosso Lar

a la maison afin de les aider. Oh ! ils doivent également partager


ce lourd sentiment d’absence ! Comme doit souffrir ma pauvre
épouse de cette séparation !
Ma mére esquissa un triste sourire et répondit :
— J'ai réguli¢rement rendu visite 4 mes petits-enfants. Ils
vont bien.
Et aprés avoir médité quelques instants, elle ajouta :
— Tu ne dois donc pas tinquiéter avec le probléme d’aide
a ta famille. Prépare-toi, en premier lieu, de maniére a ce que
nous puissions parvenir a nos fins. Il y a des questions qu'il nous
faut faire parvenir au Seigneur, en pensée, avant de travailler a la
solution quelles nécessitent.
Je voulus insister sur le sujet afin de recueillir des détails,
mais ma mére n’y revint plus, |’esquivant avec tact. La conver-
sation se poursuivit encore durant un long moment, menvelop-
pant dans un réconfort sublime. Un peu plus tard, elle prit congé.
Curieux de savoir comment elle vivait, je lui demandai la permis-
sion de l’accompagner. Me caressant tendrement, elle dit alors :
— Ne viens pas, mon fils. On m/attend avec urgence au
Ministére de la Communication ot on me fournira les moyens
fluidiques nécessaires pour mon voyage de retour dans les labo-
ratoires de transformation. Qui plus est, j’ai encore besoin de
rendre visite au Ministre Célio afin de le remercier de l’opportu-
nité de cette visite.
Et, me laissant dans l’Ame une impression persistante de
félicité, elle m’embrassa et partit.

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A la maison de Lisias

Quelques jours s’étaient écoulés depuis la visite de ma


mére lorsque Lisias vint me chercher sur la demande du Ministre
Clarencio. Je le suivis, surpris.
Aimablement recu par le bienfaiteur magnanime, j’atten-
dais ses ordres avec un énorme plaisir.
— Mon ami, dit-il affable, vous étes dorénavant autorisé a
faire des observations dans les différents secteurs de nos services,
4 exception des Ministéres de nature supérieure. Henrique de
Luna a déclaré votre traitement terminé la semaine dernieére, et il
est a présent juste que vous profitiez de votre temps pour obser-
ver et apprendre.
Je regardai Lisias en cet instant comme un frére qui devait
participer 4 mon indicible félicité. Linfirmier répondit a mon
regard avec une joie intense. J’étais heureux a n’en plus pouvoir.
C’était le début d’une vie nouvelle. D’une certaine manieére, je
pourrais travailler, entrant dans des écoles différentes. Clarencio,
qui semblait percevoir mon intraduisible enchantement, précisa :

111
Chico Xavier |André Luiz

— Votre présence dans le secteur hospitalier n’étant plus


nécessaire, j’examinerai attentivement la possibilité de vous pla-
cer dans un nouvel endroit. Je consulterai quelques-unes de nos
institutions...
Mais Lisias lui coupa la parole en s’exclamant :
— Si possible, j’aimerais le recevoir en notre maison le
temps que durera le cours de ses observations ; 14, ma mére le
traitera comme un fils.
Je fixai mon ami, emporté par un mouvement de joie. Cla-
rencio lui adressa, 4 son tour, un regard d’approbation, disant :
— Trés bien, Lisias !Jésus se réjouit avec nous 4 chaque fois
que nous recevons un ami en notre coeur.
Je pris Pinfirmier si serviable dans mes bras sans pouvoir lui
faire part de mes remerciements. La joie nous rend parfois muets.
— Gardez ce document, me dit aimablement le Ministre de
l’Aide en me tendant un petit livret. Avec ceci, vous pourrez en-
trer dans les Ministéres de la Régénération, de |’Aide, de la Com-
munication et de l’Eclaircissement pendant un an. Cette période
écoulée, nous verrons ce qu'il sera possible de faire concernant vos
souhaits. Instruisez-vous, mon cher. Ne perdez pas de temps. L’es-
pace entre les expériences corporelles se doit d’étre bien employé.
Lisias me prit par le bras et sortit, pleinement heureux.
Aprés un certain temps, nous nous trouvames face a la ;
porte d’une ravissante maison entourée d’un jardin coloré.
— C’est ici ! s’exclama mon délicat compagnon.
Et avec une expression empreinte de tendresse, il ajouta :
— Notre demeure a « Nosso Lar’ ».

° NdT : l’auteur spirituel a joué sur les mots a cet endroit du texte : O nosso lar, dentro de
« Nosso Lar » qui se traduirait par : « Notre demeure, a l’intérieur de «Notre Demeure>» »,
« notre demeure » étant la traduction francaise de nosso lar. Le nom original de la colo-
nie spirituelle ayant été gardé dans la traduction francaise de l’ouvrage, le jeu de mots
passe donc inapercu.

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Nosso Lar

Au doux tintement de la sonnette d’entrée, une femme


sympathique apparut a la porte.
— Maman ! Voici le frére que j’avais promis de t’amener,
sécria l’infirmier, me présentant avec joie.
— Soyez le bienvenu, mon ami! s’exclama la dame, noble-
ment. Cette maison est la votre.
Et, m’embrassant, elle ajouta :
— J’ai appris que votre mére n’habitait pas ici. Dans ce cas,
voyez en moi une sceur avec les responsabilités maternelles.
Je ne savais pas comment remercier cette femme pour son
hospitalité généreuse. J’allais prononcer quelques phrases afin
de montrer mon émotion et ma reconnaissance, mais la noble
femme, révélant une singuliére bonne humeur, me prit de court,
devinant mes intentions :
— Tout remerciement est interdit. Inutile que vous disiez
quoi que ce soit. Vous nYobligeriez tout 4 coup a me souvenir de
nombreuses phrases conventionnelles de la Terre...
Nous nous mimes tous a rire, et je murmurai, ému :
— Que le Seigneur puisse transformer ma gratitude en bé-
nédictions de joie et de paix pour chacun d’entre vous.
Nous entrames. Lintérieur était simple et accueillant. Les
meubles étaient presque identiques 4 ceux de la Terre et les divers
objets, de maniére générale, présentaient de petites variantes. Des
tableaux a la sublime signification spirituelle décoraient les murs
et un piano tr6nait au milieu du salon, sur lequel une harpe aux
lignes nobles et délicates reposait.
Percevant ma curiosité, Lisias dit joyeusement :
— Comme tu peux le constater, je n’ai pas encore rencontré
les anges harpistes aprés le tombeau, mais nous avons ici une
harpe qui est 4 notre disposition.
— Oh ! Lisias, le coupa affectueusement sa mére, ne
sois pas ironique. Ne te souviens-tu pas de la maniére dont

13
Chico Xavier |André Luiz

le Ministére de l'Union Divine recut les membres de |’Eléva-


tion, l'année passée, quand des ambassadeurs de |’Harmonie
Passérent par ici ?
— Si, maman. Mais je voulais seulement dire que les har-
pistes existent et que nous devons user de |’audition spirituelle
pour les écouter, nous efforgant a notre tour 4 l’apprentissage des
choses divines.
Apres les présentations obligatoires pendant lesquelles
jexpliquai d’oti je venais, je finis par apprendre que la famille
de Lisias avait vécu dans une ville ancienne de |’Etat de Rio de
Janeiro, que sa mére s’appelait Laura et qu’a la maison, il y avait
avec lui deux sceurs, Jolanda et Judith.
Tout respirait ici une douce et réconfortante intimité. Je
ne parvenais pas a dissimuler ma satisfaction, pas plus que mon
immense joie. Ce premier contact avec lorganisation domes-
tique de la colonie menchantait. Lhospitalité pleine de tendresse
arrachait 4 mon esprit des notes de profonde émotion.
Face a mon tir nourri de questions, Jolanda me montra de
merveilleux livres. Notant mon intérét, Laura me dit :
— En ce qui concerne la littérature, nous avons 4 « Nosso
Lar » un énorme avantage. Les écrivains de mauvaise foi, ceux
qui apprécient le venin psychologique, sont conduits immédia-
tement dans les zones obscures du Seuil. Ils ne peuvent trouver
leur équilibre par ici, pas méme au Ministére de la Régénération,
tant qu ilsdemeurent dans un tel état d’esprit.
Je ne pus m’empécher de sourire, continuant 4 observer
les chefs-d’ceuvre de l’art photographique qui s’étalaient dans les
pages offertes 4 mon regard.
Par la suite, Lisias m’appela afin de me faire visiter quelques-
unes des piéces de la maison, restant un peu plus longtemps dans
la salle de bains dont les installations trés intéressantes m’émer-
veillérent. Tout était simple mais confortable.

114
Nosso Lar

Jétais encore en proie a l’admiration qui m/avait saisi


quand Laura nous invita pour la priére.
Nous nous assimes, silencieux, autour de la grande table.
Une musique mélodieuse se fit entendre aprés qu'un imposant
appareil fut allumé. Il s’agissait des louanges du crépuscule.
Dans le fond de I’écran, la méme scéne prodigieuse du Gouver-
nement, que je ne me lassais pas de contempler tous les aprés-
midi dans le centre hospitalier, apparut. Et 4 cet instant, je me
sentis dominé par une joie profonde et mystérieuse. Voyant le
coeur bleuté se dessiner au loin, je sentis mon ame s'agenouiller
dans mon temple intérieur, en de sublimes extases de jubilation
et de reconnaissance.

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18
Amour, aliment des 4mes
Une fois la priére terminée, la propriétaire de la maison
nous invita a passer a table, servant un potage réconfortant et
des fruits parfumés qui semblaient surtout étre un concentré de
fluides délicieux. Grandement surpris, j’entendis Laura obser-
ver avec joie :
— Finalement, nos réfections sont ici bien plus agréables
que sur la Terre. Il y a des foyers, 4 « Nosso Lar », qui s’en dis-
pensent presque complétement ; mais dans les zones du Minis-
tére de I’Aide, nous ne pouvons nous passer des concentrés flui-
diques, devant accomplir de lourdes taches que les circonstances
imposent. Nous dépensons une grande quantité d’énergie. II est
nécessaire de reconstituer des réserves de force.
— Mais cela ne veut pas dire, fit remarquer l'une des jeunes,
quil ny a que nous, les fonctionnaires de |’Aide et de la Régé-
nération, qui dépendons des aliments. Aucun des Ministéres,
celui de Union Divine y compris, ne sen dispense ; il n'y a
que l’apparence de la substance qui différe. A la Communica-

ii
Chico Xavier |André Luiz

tion et a l’Eclaircissement, il y a une énorme dépense de fruits.


A l’Elévation, la consommation de jus et de concentrés nest pas
des moindres et, 8 Union Divine, les phénoménes alimentaires
atteignent l’inimaginable.
Mon regard interrogateur allait de Lisias 4 Laura. J’étais
impatient de recevoir des explications. Ils sourirent tous face A
ma perplexité naturelle, mais la mére de Lisias vint 4 la rencontre
de mes désirs :
— Peut-étre ignorez-vous que le plus grand soutien des
etres est justement l’amour. De temps en temps, nous recevons 4
« Nosso Lar » de grandes commissions d’instructeurs qui admi-
nistrent des enseignements nouveaux concernant la nutrition
spirituelle. Fout le systéme d’alimentation, dans les diverses
sphéres de la vie, trouve sa base profonde dans l’amour. Lali-
ment physique, méme ici, tout bien considéré, est un simple
probleme de matérialité transitoire, comme dans le cas des véhi-
cules terrestres qui ont besoin de graisse et d’huile. Lame en
elle-méme ne se nourrit que d’amour. Plus nous nous éléve-
rons dans le plan évolutif de la Création, plus amplement nous
connaitrons cette vérité. Ne vous semble-t-il pas que l’amour
divin soit l’aliment universel ?
De telles explications me réconfortérent grandement. Per-
cevant ma satisfaction intérieure, Lisias intervint :
— Tout s‘équilibre dans l'amour infini de Dieu et, quand
l’étre devient de plus en plus évolué, plus subtil devient le pro-
cessus d’alimentation. Le ver, dans le sous-sol de la planéte, se
nourrit essentiellement de terre. Le grand animal trouve dans
les plantes les éléments nécessaires A sa survivance, 4 l’exemple
de l'enfant tétant le sein maternel. ULhomme cueille le fruit du
végétal, le transforme selon les exigences du palais qui lui est
propre et le sert 4 sa table. Nous, créatures désincarnées, nous
avons besoin de substances nutritives s'apparentant au fluide, et

118
Nosso Lar

le processus sera 4 chaque fois plus délicat au fur et & mesure que
sintensifie l’ascension individuelle.
— N’oublions toutefois pas la question des corps, ajouta
Laura, parce qu’au fond, le ver, l’animal, homme et nous, nous
dépendons absolument de l’amour. Nous nous mouvons tous en
lui, et sans lui, nous naurions pas d’existence.
— C’est extraordinaire ! m’exclamai-je.
— Ne vous souvenez-vous pas de l’enseignement évangé-
lique : « Aimez-vous les uns les autres » ? poursuivit la mére de
Lisias, attentionnée. Jésus n’a pas établi ces principes en ne pen-
sant qua la charité, principes dans lesquels nous apprendrons
tous, tot ou tard, que la pratique du bien constitue un simple
devoir. Il nous conseille aussi de nous alimenter les uns les autres
dans le champ de la fraternité et de la sympathie. Lhomme in-
carné saura plus tard que la conversation amicale, le geste affec-
tueux, la bonté réciproque, la confiance mutuelle, la lumiére de
la compréhension et l’intérét fraternel, patrimoines qui dérivent
naturellement de l’amour profond, constituent de solides ali-
ments pour la vie en soi. Réincarnés sur Terre, nous affrontons
de grandes limitations ; en revenant de ce cété-ci, nous recon-
naissons que toute la stabilité de la joie est un probleme d’ali-
mentation purement spirituelle. Des foyers, des petites villes, des
cités et des nations se forment en accord avec ces impératifs.
Je me souvins instinctivement des théories du sexe large-
ment divulguées de par le monde. Devinant peut-étre mes pen-
sées, Laura intervint :
— Personne ne dit que le phénoméne est simplement sexuel.
Le sexe est une manifestation sacrée de cet amour universel et
divin, mais ce n’est qu'une expression isolée du potentiel infini.
Parmi les couples les plus spiritualisés, la tendresse, la confiance,
le dévouement et l’entente réciproque demeurent bien au-dessus
de union physique, réduite entre eux a une réalisation transi-

119
Chico Xavier |André Luiz

toire. Léchange magnétique est le facteur qui établit le rythme


nécessaire a la manifestation de l’harmonie. Pour entretenir le
bonheur, leur présence mutuelle, et parfois seulement la com-
préhension, suffisent.
Profitant d’une pause, Judith ajouta :
— A « Nosso Lar », nous apprenons que la vie terrestre
séquilibre dans l'amour sans que la plus grande partie des
hommes ne sen apercoive. Ames jumelles, Ames sceurs et Ames
affines forment des paires et de nombreux groupes. S’unissant les
unes aux autres, se protégeant mutuellement, elles parviennent a
obtenir l’équilibre sur le plan de la rédemption. Mais il advient
que lorsque des compagnons leur manquent, les étres les moins
forts succombent au milieu du voyage.
— Comme tu le vois, mon ami, fit remarquer Lisias sa-
tisfait, il est ici aussi possible de citer l’Evangile du Christ : «
Lhomme ne vit pas seulement de pain. »
Mais avant que d’autres considérations aient pu étre
émises, la cloche d’entrée retentit avec force.
Linfirmier se leva pour ouvrir.
Deux jeunes hommes bien éduqués entrérent dans la salle.
S’adressant 4 moi avec gentillesse, Lisias dit :
— Voici nos fréres Polidoro et Estacio, compagnons de ser-
vice au Ministére de |’Eclaircissement.
S’ensuivirent salutations et embrassades dans la joie ha-
bituelle.
Au bout d’un certain temps, Laura déclara, souriante :
— Vous avez tous beaucoup travaillé aujourd’hui. Vous
avez employé votre journée avec profit. N’allez pas changer votre
programmation de ce soir a cause de nous. N’oubliez pas votre
excursion au Domaine de la Musique.
Notant la préoccupation de Lisias, elle ajouta maternel-
lement :

120
Nosso Lar

— Va, mon fils. Ne fais pas attendre Lascinia plus long-


temps. Notre frére restera en ma compagnie jusqu’a ce qu'il
puisse t'accompagner dans ces divertissements.
— Ne te préoccupe pas de moi, m’exclamai-je instinctivement.
Et Laura, dans un aimable sourire, ajouta :
— Je ne pourrai pas encore gotiter aux joies du Domaine
aujourd’hui. Nous avons a la maison ma petite-fille convales-
cente qui est revenue de la Terre il y a quelques jours.
Ils sortirent tous au milieu dune bonne humeur générale.
En fermant la porte, la mére de Lisias se tourna vers moi et m’ex-
pliqua en souriant :
— Ils partent a la recherche de l’aliment dont nous parlions.
Les liens affectifs, ici, sont plus beaux et plus forts. Lamour, mon
ami, est le pain divin des ames, la sublime nourriture des coeurs.

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La jeune désincarnée

— Votre petite-fille ne vient pas 4 table pour les repas ? de-


mandai-je a la propriétaire de la maison, cherchant a avoir une
conversation plus personnelle.
— Pour le moment, elle mange seule, m’expliqua Lau-
ra, car la pauvre petite est toujours nerveuse et abattue. Ici,
nous ne placons pas autour de notre table les personnes qui se
trouvent dans un état de perturbation ou de dégoiit. La neuras-
thénie et l’inquiétude émettent des fluides lourds et vénéneux
qui se mélangent automatiquement aux aliments. Ma petite-
fille est restée dans le Seuil durant quinze jours, en proie a une
forte somnolence. Nous |’y avons assistée. Elle devait rentrer
dans les pavillons hospitaliers mais finalement, elle est venue se
soumettre 4 mes soins directs.
Javais envie de rendre visite 4 la nouvelle venue de la pla-
nete. Il serait trés intéressant de l’entendre. Depuis combien de
temps étais-je sans nouvelles directes de l’existence terrestre ?
Laura ne se fit pas prier quand je lui fis part de mes intentions.

123
Chico Xavier |André Luiz

Nous allames jusqu’a une chambre confortable et spa-


cieuse. Une jeune fille fort pale se reposait dans un fauteuil ac-
cueillant. Elle fut vivement surprise par ma visite.
— Cet ami, Eloisa, est l’un de nos fréres revenus de la sphére
physique il y a peu, lui expliqua la mére de Lisias.
La jeune fille me fixa avec curiosité, bien que son regard res-
tat perdu au milieu de cernes profonds, révélant un grand effort
pour concentrer son attention. Ebauchant un vague sourire, elle
me salua et je me présentai 4 mon tour.
— Vous devez étre fatiguée, dis-je.
Mais avant quelle ne puisse répondre, Laura s’avanga,
cherchant a la soustraire aux efforts excessivement fatigants :
— Eloisa se trouve dans un état de préoccupation et d’af-
fliction. Cela se justifie en partie. La tuberculose a été longue et
l’a profondément marqueée. Cela dit, elle doit faire preuve d’opti-
misme et de courage.
Je vis la jeune fille ouvrir ses grands yeux noirs, comme
cherchant a retenir ses larmes, mais en vain. Son thorax s’agita
violemment et, un mouchoir plaqué sur ses lévres, elle tenta,
sans succes, de contenir ses sanglots angoissés.
— Ma petite ! lui dit Laura avec tendresse en l’embrassant,
il est nécessaire que tu réagisses contre cela. Ces impressions sont
le résultat d’une éducation religieuse insuffisante, rien de plus.
Tu sais que ta mére ne tardera plus et que tu ne peux pas comp-
ter sur la fidélité de ton fiancé qui nest en rien préparé a v offrir
un sincére dévouement sur la Terre. II est encore loin de l’esprit
sublime de l'amour illuminé. II se fiancera certainement avec
une autre femme et tu dois te faire a cette idée. II serait d’ailleurs
injuste d’exiger sa présence soudaine ici.
Souriant maternellement, Laura ajouta :
— Admettons qu'il vienne, transgressant la loi. La souf-
france ne serait-elle pas plus grande ? Ne paierais-tu pas chére-

124
Nosso Lar

ment la coopération que tu lui aurais apportée dans ce cas ? Ni


les amitiés sincéres ni la collaboration fraternelle ne te man-
queront afin que tu puisses trouver ton équilibre ici. Et si tu
aimes réellement ce garcon, tu dois chercher l’harmonie pour
Paider plus tard. De plus, ta mére ne tardera pas & arriver.
Les pleurs abondants de la jeune fille me firent de la peine.
Je cherchai 4 imprimer une nouvelle direction a la conversation,
tentant de la soustraire a la crise de larmes.
— D’oti venez-vous, Eloisa ? lui demandai-je.
La mére de Lisias, 4 présent silencieuse, semblait égale-
ment désireuse de la voir se changer les idées.
Apres avoir essuyé ses yeux larmoyants durant un long
moment, la jeune fille répondit :
— De Rio de Janeiro.
— Mais vous ne devez pas pleurer ainsi, protestai-je. Vous
avez beaucoup de chance. Vous vous étes désincarnée il y a
quelques jours et vous étes avec vos parents sans avoir connu les
tempétes du grand voyage...
Cela parut lui remonter le moral et elle répondit plus cal-
mement :
— Vous nimaginez pourtant pas combien j’ai souffert. Huit
mois de lutte contre la tuberculose, sans parler des traitements... La
douleur d’avoir transmis cette maladie 4 ma mére si douce... En plus
de cela, ce qu’a souffert mon fiancé 4 cause de moi est inracontable...
— Allons, allons, ne dis pas cela, intervint Laura en sou-
riant. Sur Terre, nous avons toujours lillusion qu'il n’y pas de
douleur plus grande que la nétre. Pur aveuglement : il y a des
millions de créatures affrontant des situations vraiment cruelles
comparées a nos expériences.
— Pourtant, grand-mére, Arnaldo est resté inconsolable,
désespéré. Tout cela nous donne de quoi réfléchir, ajouta-t-elle,
embarrassée.

125
Chico Xavier |André Luiz

— Et tu crois sincerement a cela ? demanda la vieille femme


avec une inflexion empreinte de tendresse. J’ai observé ton ex-
fiancé a plusieurs reprises au cours de ta maladie. II est tout natu-
rel qu'il ait été autant ému en voyant ton corps se réduire a des
haillons, mais il nest pas encore prét 4 comprendre un sentiment
pur. Il trouvera rapidement a se réconforter. Lamour illuminé
nest pas pour tous les étres humains. Mais conserve ton opti-
misme. Tu pourras lui venir en aide, sans aucun doute, de nom-
breuses fois, mais en ce qui concerne l’union conjugale, quand
tu pourras faire des excursions dans les sphéres de la planéte en
notre compagnie, tu le trouveras déja marié 4 une autre.
Etonné 4 mon tour, je notai la surprise douloureuse
Eloisa. Elle ne savait comment se comporter face & la sérénité
et au bon sens de sa grand-mére.
— Serait-ce possible ?
La mere de Lisias fit un geste d’une grande tendresse et dit :
— Ne sois pas tétue et ne cherche pas 4 me contredire.
Voyant que la souffrante prenait l’attitude de qui attend
des preuves, Laura insista avec douceur :
— Ne te souviens-tu pas de Maria da Luz, ton amie qui
tapportait des fleurs tous les dimanches ? Eh bien, écoute :
quand le médecin annonga de maniére confidentielle l’impos-
sibilité du rétablissement de ton corps physique, Arnaldo, bien
que trés peiné, commenga a l’envelopper de vibrations mentales
différentes. Maintenant que tu te trouves ici, ils ne mettront pas
longtemps a prendre de nouvelles décisions.
— Ah! Quelle horreur, grand-mére !
— Horreur ? Pourquoi ? Il est nécessaire que tu t’habitues
a prendre en considération les nécessités d’autrui. Ton fiancé est
un homme commun, il nest pas informé des beautés sublimes
de l'amour spirituel. Pour autant que tu l’aimes, tu ne peux
opérer de miracle en lui. La découverte de soi-méme est |’apa-

126
Nosso Lar

nage de chacun. Arnaldo connaitra plus tard la beauté de ton


idéalisme. Mais a présent, il est nécessaire de le laisser aux expé-
riences dont il a besoin.
— Je ne peux my résoudre ! cria la jeune fille en pleurant.
Justement, Maria da Luz, l’amie que j’ai toujours crue fidele...
Mais Laura sourit et dit avec ménagement :
— Ne serait-il pourtant pas mieux de le confier aux soins
d’une personne aimée ? Maria da Luz sera toujours ton amie
spirituelle alors qu'une autre femme taurait peut-étre rendu plus
tard difficile l’'accés 4 son coeur.
Je fus éminemment surpris de voir Eloisa éclater en san-
glots. La bienveillante grand-mére percgut ma perplexité et, peut-
étre avec la volonté d’éclairer aussi bien sa petite-fille que moi,
elle expliqua sensément :
— Je connais la raison de tes larmes, ma petite. Elles naissent
de la terre inculte de notre égoisme millénaire, de notre vanité
humaine tétue. Cependant, je ne parle pas pour te blesser mais
pour te réveiller.
Pendant qu'Eloisa pleurait, la mére de Lisias m’invita a
retourner au salon car la malade avait besoin de repos.
En nous asseyant, elle me dit, sur un ton confidentiel :
— Ma petite-fille est arrivée profondément fatiguée. Son
coeur s'est attaché de maniére excessive aux mailles de l’amour-
propre. Normalement, sa place devrait étre dans l’un de nos
hépitaux. Cependant, |’Assistant Couceiro a jugé plus opportun
de la placer sous la responsabilité de notre tendresse. Cela me
convient d’ailleurs tout 4 fait puisque ma douce Teresa, sa mére,
reviendra d’ici peu. Un peu de patience et nous atteindrons la
solution attendue. Question de temps et de sérénité.

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20
Notions de foyer
Désirant profiter des valeurs éducatives qui découlaient na-
turellement de la conversation avec Laura, je demandai, curieux :
— Remplissant autant de devoirs, vous avez encore des at-
tributions hors de la maison ?
— Oui. Nous vivons dans une ville de transition. Cepen-
dant, les finalités de la colonie résident dans le travail et l’ap-
prentissage. Les Ames féminines remplissent ici de nombreuses
obligations, se préparant pour le retour vers la planeéte ou pour
accéder a des sphéres plus élevées.
— Mais l organisation domestique a « Nosso Lar » est-elle
identique a celle de la Terre ?
Avec une expression bien significative, elle dit :
— C'est le foyer terrestre qui s efforce, depuis longtemps,
de reproduire notre maniére de faire. Mais, a de rares exceptions
prés, les conjoints sont en train de nettoyer le terrain des senti-
ments envahi par les herbes améres de la vanité personnelle et
peuplé par les monstres de la jalousie et de l’égoisme. La der-

SA
Chico Xavier |André Luiz

niére fois que je suis revenue de la planéte, j’amenais avec moi,


comme il est normal, de profondes illusions. Mais en méme
temps que je me trouvais dans une crise d’orgueil blessé, je fus
conduite au Ministére de |’Eclaircissement afin d’écouter un
grand instructeur. Depuis ce jour, un nouveau courant d’idées
pénétra mon esprit.
— Ne pourriez-vous pas m’exposer quelques-unes des le-
cons recues ? demandai-je avec intérét.
— Lorienteur, trés versé en mathématiques, poursuivit-elle,
nous fit comprendre que le foyer est comme un angle droit sur
la ligne du plan d’évolution divine. La ligne verticale représente
le sentiment féminin engagé dans les inspirations créatrices de
vie. La ligne horizontale représente, elle, le sentiment masculin
dans la marche des réalisations dans le domaine du progrés com-
mun. Le foyer est l’angle sacré ot se rencontrent l’homme et la
femme pour la compréhension indispensable. C’est le temple ou
les étres doivent s'unir spirituellement avant qu’ils ne s’unissent
corporellement. Il y a maintenant sur Terre un grand nombre
de spécialistes des questions sociales qui annoncent de nouvelles
mesures et qui appellent a la régénération de la vie domestique.
Certains en viennent a soutenir que l’institution de la famille est
menacée. Cependant, il importe de considérer qu’en réalité, le
foyer est une conquéte sublime que les hommes réalisent tout
doucement. Oui se trouve, dans les sphéres du globe, le véri-
table institut domestique basé sur |’harmonie, avec les droits et
les devoirs équitablement partagés ? Dans la plupart des cas, les
couples terrestres passent les heures sacrées de la journée a vivre
dans l’indifférence et dans un féroce égoisme. Quand le mari
reste calme, la femme semble se désespérer ; quand l’épouse se
calme, humble, le compagnon devient alors un tyran. La femme
ne parvient pas a motiver l'homme sur la ligne horizontale de ses
travaux temporels, pas plus que ’homme ne parvient a suivre la

130
Nosso Lar

femme dans le vol divin de la tendresse et du sentiment, en che-


min vers les plans supérieurs de la Création. Ils se dissimulent,
aussi bien en société que dans la vie privée ; l’un fait des voyages
lointains mentalement quand |’autre commente la tache qui lui
revient. Si la femme parle des enfants, le mari s’éloigne 4 travers
les affaires ; si le compagnon examine une difficulté du travail
qui est sien, l’esprit de l’épouse s’envole vers |’atelier de la coutu-
riére. Il est clair qu’en de telles circonstances, |’angle divin n’est
pas clairement tracé. Il y a deux lignes divergentes tentant, en
vain, de former l’angle sublime afin d’édifier une marche dans
lescalier grandiose de la vie éternelle.
Ces concepts me laissérent profondément silencieux.
Grandement impressionné, je dis :
— Laura, ces définitions suscitent un monde de pensées
nouvelles. Ah ! si nous connaissions tout cela sur la Terre !
— Crest une question d’expérience, mon ami, répliqua
la noble dame. Lhomme et la femme apprendront dans la
souffrance et la lutte. Pour le moment, peu de personnes sont
conscientes que le foyer est une institution principalement di-
vine que l’on doit vivre de tout son coeur et de toute son ame.
Alors que le commun des mortels traverse la région fleurie des
fiancailles, ils se cherchent, mettant en ceuvre tous les moyens
de lesprit. C’est pour cela qu’il est dit que tous les étres sont
beaux quand ils aiment véritablement. Le sujet le plus trivial
devient des plus enchanteurs dans les conversations les plus fu-
tiles. Lhomme et la femme apparaissent ici dans l’intégration de
leurs forces sublimes. Mais peu aprés avoir recu la bénédiction
nuptiale, la plupart des personnes traversent les voiles du désir
et tombent dans les bras des vieux monstres qui tyrannisent les
coeurs. I] n’y a plus de concessions réciproques, pas plus qu'il
ny a de tolérance ni méme, parfois, de fraternité. C’est ainsi
que s’éteint la beauté lumineuse de l'amour, quand les conjoints

131
Chico Xavier |André Luiz

perdent la complicité et le gotit de converser. A partir de 1a, les


plus éduqués se respectent, les plus rustres se supportent avec
difficulté. Ils ne se comprennent pas ; questions et réponses sont
formulées en peu de mots. Méme si les corps s unissent encore,
les esprits vivent séparés, agissant sur des chemins opposés.
— Tout cela est la pure vérité ! ajoutai-je, ému.
— Mais que faire, mon ami ? répliqua Laura avec bonté.
Dans la phase actuelle de l’évolution de la planéte, il n’existe,
dans la sphére corporelle, que de trés rares unions d’Ames
jumelles, bien peu de couples d’ames sceurs ou affines, et un
écrasant pourcentage de liaisons rédemptrices. Le plus grand
nombre de couples humains est constitué de véritables ba-
gnards menottés.
Cherchant a reprendre le fil des considérations suggérées
par ma question initiale, elle continua :
— Les Ames féminines ne peuvent rester inactives ici. Il est
indispensable d’apprendre 4 étre mére, épouse, missionnaire,
sceur. Le réle de femme, dans le foyer, ne peut pas se limiter a
quelques larmes de piété oisive et A de nombreuses années de
servitude. II est évident que le mouvement du féminisme fana-
tique constitue une action abominable contre les véritables attri-
butions de l’esprit féminin. La femme ne peut engager un duel
contre les hommes au moyen de bureaux et de cabinets ot est
réservée une activité adaptée a l’esprit masculin. Notre colonie
enseigne quil existe de nobles travaux qui sont une extension
du foyer pour les femmes. Le soin des malades, l’enseignement,
Pindustrie du tissu, l'information, les travaux nécessitant de la
patience, représentent des activités trés importantes. ULhomme
doit apprendre a apporter dans son foyer la richesse des ses ex-
périences, et la femme a besoin d’entourer de douceur le dur
labeur de homme. A lintérieur de la maison, Pinspiration ; a
lextérieur, activité. Lune ne vivra pas sans l’autre. Comment

2
Nosso Lar

la riviére aura-t-elle toujours de l’eau sans source et comment la


source s écoulera-t-elle sans le lit de la riviére ?
Je ne pus m’empécher de sourire en écoutant cette question.
La mére de Lisias, aprés une longue pause, continua :
— Quand le Ministére de Aide me confie des enfants, mes
heures de service sont comptées en double, ce qui peut vous don-
ner une idée de l’importance du service maternel sur le plan ter-
restre. Mais par ailleurs, quand je nen ai pas, je travaille durant
la journée comme infirmiére, quarante-huit heures par semaine.
Tout le monde travaille chez nous. A l’exception de ma petite-
fille qui est en convalescence, aucune personne de notre famille
ne se trouve dans les zones du repos. Huit heures de travail pour
Pintérét général, journellement, c’est un programme 4 la portée
de tous. Je me sentirais génée si je ne le faisais pas.
Elle s'interrompit quelques instants pendant lesquels je me
perdis en de profondes réflexions...

133
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La conversation se poursuit
— Notre conversation, m’exclamai-je avec intérét, me suggére
de nombreuses interrogations, Laura, mais la curiosité, |’abus...
— Ne dites pas cela, me coupa-t-elle, bienveillante. De-
mandez toujours. Je ne suis pas capable d’enseigner, mais il est
toujours facile d’informer.
Nous rimes de son observation, puis je lui demandai :
— Comment le probléme de la propriété est-il abordé dans
la colonie ? Cette maison, par exemple, vous appartient-elle ?
— Comme il en va sur la Terre, la propriété est ici rela-
tive. Nos acquisitions sont faites sur la base des heures de travail.
Finalement, le bonus-heure est notre argent. Tout ce qui nous
est nécessaire est acquis avec ces coupons que nous obtenons
par nous-mémes 4 grands renforts de dévouement et d’efforts.
En général, les constructions représentent un patrimoine com-
mun sous le contréle du Gouvernement. Mais chaque famille
spirituelle peut faire l’acquisition d’un foyer —jamais plus d’un —
représentant trente mille bonus-heures, ce qui peut étre obtenu

135
Chico Xavier |André Luiz

apres un certain temps de service. Notre habitation a été acquise


par le travail persévérant de mon époux qui vint a la sphére spi-
rituelle bien avant moi. Nous avons été séparés pendant dix-huit
ans par les liens physiques, mais en restant unis par les anneaux
spirituels. Ricardo ne s'est pas reposé. Recueilli 4 « Nosso Lar »
apres une certaine période d’extrémes perturbations, il comprit
immédiatement la nécessité de leffort actif, nous préparant un
nid pour le futur. Quand je suis arrivée, nous avons inauguré
la maison qu'il avait organisée avec soin, ajoutant a notre bon-
heur. Dés lors, mon époux menseigna des connaissances nou-
velles. Mes luttes dans le veuvage avaient été intenses. Encore
trés jeune, avec mes enfants petits, je dus faire face a de rudes tra-
vaux. Au prix de témoignages difficiles, j’ai fourni aux fruits de
notre union les valeurs éducatives dont je pouvais disposer, mais
les habituant trés t6t aux durs travaux. Plus tard, je compris que
cette existence difficile m’avait faite échapper aux indécisions et
aux angoisses du Seuil, pour m’avoir protégée de nombreuses
et dangereuses tentations. La sueur du corps ou la préoccupa-
tion juste, dans les domaines de l’activité honnéte, constituent
de précieux moyens permettant !’élévation et la défense de l’Ame.
Retrouver Ricardo, tisser un nouveau foyer avec les fibres de |’af-
fection, tout cela représentait le Ciel pour moi. Durant plusieurs
années, nous avons vécu une vie de bonheur absolu, travaillant:
pour notre élévation, nous unissant toujours plus, et coopérant
au progres de ceux qui nous sont proches. Au fil du temps, Lisias,
Iolanda et Judith nous rejoignirent, augmentant notre félicité,
Aprés une petite pause pendant laquelle elle sembla médi-
ter, mon interlocutrice poursuivit sur un ton plus grave :
— Mais la sphére du globe nous attendait. Si le présent
était plein de joie, il fallait s'acquitter du passé pour que le futur
s harmonise avec la loi éternelle. Nous ne pouvions payer sur
Terre avec les bonus-heures mais avec la sueur honnéte, fruit du

136
Nosso Lar

travail. En raison de notre bonne volonté, notre vision du passé


douloureux s’éclairait. La loi du temps exigeait alors notre retour.
Ses paroles me causaient une vive impression. C’était la
premiére fois, dans la colonie, que j’entendais quelqu’un se réfé-
rer aux incarnations antérieures.
— Laura, m’exclamai-je en l’interrompant, permettez-moi
une parenthése. Pardonnez ma curiosité mais jusqu’a présent, je
nai encore pas pu prendre connaissance de maniére plus pro-
fonde de mon passé spirituel. Ne suis-je pas débarrassé des liens
physiques ? N’ai-je pas traversé la riviére de la mort ? Vous étes-
vous souvenue du passé tout de suite aprés votre venue ou vous
a-t-il fallu attendre le concours du temps ?
— J’ai di attendre, répliqua-t-elle, souriante. Avant tout,
il est indispensable que nous nous dépouillions des impressions
physiques. Les écailles de l'infériorité sont trés tenaces. Un grand
équilibre est nécessaire afin que nous puissions nous souvenir
de maniére profitable. En général, nous avons tous commis
dimportantes erreurs dans les cycles de la vie éternelle. Qui se
souvient du crime perpétré se sentira l’étre le plus infortuné de
PUnivers, et qui se souvient du crime dont il a été victime se
considérera, de la méme maniére, comme un étre malheureux.
Ainsi, seule l’Ame qui est trés stire d’elle-méme recoit spontané-
ment de tels souvenirs. Les autres sont diment contrdélées en ce
qui concerne le domaine des réminiscences et, si elles tentent de
tromper ce dispositif de la loi, il n’est pas rare de les voir se laisser
aller au déséquilibre ou 4 la folie.
— Mais vous étes-vous souvenue du passé de maniére natu-
relle ? demandai-je.
— Je mexplique, répondit-elle avec bonté. Quand ma vi-
sion intérieure s’éclaircit, de vagues souvenirs me causérent d’im-
portantes perturbations, coincidant avec le méme état d’Ame que
partageait mon mari. Nous décidames tous deux de consulter

137
Chico Xavier |André Luiz

lassistant Longobardo. Cet ami, aprés un minutieux examen de


nos impressions, nous orienta vers les magnétiseurs du Ministére
de I’Eclaircissement. Recus avec chaleur, nous avons eu, en pre-
mier lieu, accés 4 la Section des Archives oti nous avons tous des
rapports nous concernant. Les techniciens de ce Ministére nous
invitérent a lire nos propres mémoires recouvrant une période de
trois siécles, pendant deux ans, sans causer de préjudice a nos tra-
vaux de |’Aide. Le chef du service de la Mémoire ne nous permit
pas la lecture de phases antérieures, nous déclarant incapables de
supporter les souvenirs correspondant a d’autres époques.
— Et ila suffi de la lecture pour que vous puissiez vous sen-
tir en possession des souvenirs ? lui demandai-je, curieux.
— Non, la lecture informe seulement. Aprés une longue
période de méditation pour notre propre éveil, et avec une sur-
prise indescriptible, nous avons été soumis 4 des opérations
psychiques bien particuliéres visant 4 pénétrer les domaines
émotionnels des souvenirs. Les Esprits techniciens de ce secteur
nous appliquérent des passes sur le cerveau, réveillant certaines
énergies endormies... Ricardo et moi étions alors maitres de trois
cents années d’une mémoire compléte. Nous avons ainsi com-
pris combien était encore grand notre débit envers les organisa-
tions de la planéte !...
— Et ott se trouve notre frére Ricardo ? Comme j’aimerais faire
sa connaissance ! m‘exclamai-je, en proie 4 une forte impression.
La mére de Lisias remua de maniére significative la téte et
murmura :
— En raison de nos observations concernant le passé, nous
nous sommes mis d’accord sur une nouvelle rencontre dans les
spheres de la Surface. Nous avons du travail, beaucoup de travail
sur la Terre. Ainsi, Ricardo est parti voila trois ans. Quant A moi,
je le suivrai d'ici quelques jours, n’attendant que le retour de
Teresa pour la laisser avec les autres.

138
Nosso Lar

Et, le regard vague, comme si son esprit était trés loin, au


cété de sa fille retenue sur Terre, Laura ajouta :
— La mére d’Eloisa ne tardera pas. Son passage a travers
le Seuil ne sera que de quelques heures grace aux grands sacri-
fices qu'elle fait depuis l’enfance. Ayant beaucoup souffert, elle
naura pas besoin des traitements de la Régénération. Je pourrai
donc lui transmettre mes obligations de l’Aide et partir tranquil-
lement. Le Seigneur ne nous oubliera pas.

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Le bonus-heure
Observant que Laura s’attristait subitement au souvenir de
son mari, je résolus de changer la direction de la conversation :
— Que pouvez-vous me dire 4 propos des bonus-heures ?
S’agit-il d’une monnaie de métal ?
Mon interlocutrice perdit l'apparence réveuse quelle avait
adoptée et répliqua de bonne grace :
— Ils ne sont pas a proprement parler une monnaie mais
une fiche de service individuelle ayant une valeur acquisitive.
— Acquisitive ? demandai-je abruptement.
— A « Nosso Lar », répondit-elle, bienveillante, la produc-
tion vestimentaire et l’alimentation de base appartiennent a tous.
Il y a des services centraux de distribution au Gouvernement et
des départements dédiés au méme travail dans les Ministéres. Le
cellier fondamental est une propriété collective.
Face 4 mon geste silencieux de surprise, elle précisa :
— Tout le monde coopére a l’agrandissement du patri-
moine et en vit. Mais ceux qui travaillent acquiérent des droits

141
Chico Xavier |André Luiz

qui sont justes. Chaque habitant de « Nosso Lar » recoit pain


et vétements dans la mesure du strict nécessaire. Mais ceux
qui s‘efforcent d’obtenir des bonus-heures arrivent 4 obtenir
certaines prérogatives dans la communauté sociale. Vesprit
qui ne travaille pas encore pourra étre abrité ici ; ceux qui
coopérent peuvent avoir leur propre maison. Voisif pourra
shabiller, sans aucun doute ; louvrier dévoué se vétira de
ce qui lui semblera le mieux. Comprenez-vous ? Les inactifs
peuvent demeurer dans les domaines du repos ou dans les jar-
dins de traitement grace 4 l’intercession d’amis ; les Ames tra-
vailleuses conquiérent les bonus-heures et peuvent jouir de la
compagnie de leurs fréres bien-aimés dans les lieux réservés
au divertissement, ou du contact de sages orienteurs dans les
diverses écoles des Ministéres en général. Nous avons besoin
de connaitre le prix de chaque action profitant 4 notre amélio-
ration et a notre élévation. Chacun d’entre nous, ceux qui tra-
vaillent, doit donner au minimum huit heures de service utile
sur les vingt-quatre qui constituent une journée. Et comme
les programmes de travail sont nombreux, le Gouvernement
permet quatre heures de travail supplémentaires A ceux qui
désirent collaborer avec bonne volonté au travail commun.
Ainsi, un grand nombre de personnes parviennent a gagner
soixante-douze bonus-heures par semaine, sans parler des ser-.
vices qui sont de véritables sacrifices et dont la rémunération
est doublée, voire parfois triplée.
— Mais est-ce 1a la seule forme de rémunération ? deman-
dai-je.
— Oui, c'est le type de paiement commun 4 tous les travail-
leurs de la colonie, non seulement a ceux qui administrent, mais
également a ceux qui exécutent.
Surpris, me souvenant des organisations terrestres, je vou-
lus savoir :

142
Nosso Lar

— Toutefois, comment concilier un tel schéma avec la


nature du service ? Ladministrateur gagnera huit bonus-heures
dans l’activité normale de sa journée, et l’ouvrier du transport
recevra la méme chose ? Le travail du premier n’est-il pas plus
élevé que celui du second ?
Souriant face 4 ma question, la mére de Lisias m’expliqua :
— Tout est relatif. Si dans Porientation ou dans l’exécu-
tion le travail est un sacrifice personnel, la rémunération est
multipliée avec justesse. Mais en examinant plus attentivement
votre question, nous avons besoin, avant toute chose, d’oublier
certains préjugés de la Terre. La nature du service est un pro-
bleme des plus importants. Malgré tout, cest dans la sphére
de la Surface que le sujet représente une question plus difficile.
La majorité des hommes est en train de simplement s’essayer 4
Pesprit de service et dapprendre a travailler dans les divers sec-
teurs de la vie humaine. C’est pour cela qu’il est indispensable
de fixer les rémunérations terrestres avec la meilleure attention.
Tout le gain externe du monde est un profit transitoire. Nous
voyons des travailleurs obsédés par la volonté de gagner, trans-
mettant des fortunes importantes a l’inconscience et au gaspil-
lage ; d’autres amoncélent des titres bancaires qui deviennent
leur martyr personnel et détruisent leur famille. D’un autre cété,
il est indispensable de considérer que soixante-dix pour cent des
administrateurs, sur Terre, ne se rendent pas compte des de-
voirs moraux qui leur reviennent, et que ce méme pourcentage
peut étre supplié par ceux qui ont été appelés a servir. Ils vivent
presque tous en confessant leur absence de stimulation pour la
vocation, bien que recevant les profits communs aux charges
qu ils occupent. Gouvernements et entreprises payent des méde-
cins qui sadonnent a des exploitations de tout autre intérét et
des ouvriers qui tuent le temps. Oui est, dans ce cas, la nature
du service ? Il y a des techniciens de l’industrie économique qui

143
Chico Xavier |André Luiz

nont jamais rempli intégralement l’obligation qui était leur et


qui profitent de lois magnanimes, a la maniére de mouches veni-
meuses dans le pain sacré, exigeant salaire, facilités et retraite.
Mais soyez assuré que tous paieront trés cher leur négligence. Le
temps ot les organismes sociaux pourront déterminer la qualité
du travail des hommes semble encore lointain parce que, pour le
plan spirituel supérieur, on ne pourra pas spécifier la teneur du
travail sans prendre en considération les valeurs morales utilisées.
Ces paroles éveillérent en moi des conceptions nouvelles.
Percevant ma soif d’instruction, mon interlocutrice continua :
— Le véritable revenu de l’individu est de nature spirituelle
et dans notre organisation, selon la nature de nos services, la
valeur du bonus-heure se modifie. Dans le Ministére de la Ré-
génération, nous avons le Bonus-Heure Régénération, dans le
ministére de I’Eclaircissement, le Bonus-Heure Eclaircissement,
et ainsi de suite. Or, en examinant le profit spirituel, il est juste
que la documentation du travail révéle essence du service. Les
acquisitions fondamentales se constituent d’expérience, d’édu-
cation, d’enrichissement en bénédictions divines, de l’extension
des possibilités. Sous ce prisme, les facteurs assiduité et dévoue-
ment représentent ici presque tout. En général, dans notre cité
de transition, la plupart d’entre nous se préparent en vue de la
nécessité du retour aux cercles physiques. A partir de ce prin-.
cipe, il est naturel que ’homme qui a employé cing mille heures
en services régénérateurs ait effectué un effort sublime pour son
propre bénéfice. Par ailleurs, celui qui aura dépensé six mille
heures d’activité dans le Ministére de I’Eclaircissement sera deve-
nu plus sage. Nous pourrions dépenser nos bonus-heures. Cela
dit, il est encore plus profitable de faire un registre individuel de
la comptabilisation du temps de service utile qui nous confére
laccés a de précieux titres.
De telles legons m’intéressaient profondément.

144
Nosso Lar

— Mais pouvons-nous dépenser nos bonus-heures au profit


d’amis ? demandai-je, curieux.
— Parfaitement, dit-elle. Nous pouvons partager les béné-
dictions de nos efforts avec qui nous souhaitons. II s’agit d'un
droit inaliénable du travailleur fidéle. A « Nosso Lar », les per-
sonnes qui bénéficient d'un mouvement d’amitié et de stimula-
tion fraternelle se comptent par milliers.
A cette hauteur de la conversation, la mére de Lisias sourit
et fit observer :
— Plus grand est le total de notre temps de travail, plus
importantes sont les intercessions que nous pouvons faire. Ici,
nous avons compris que rien n’existe sans prix et que pour rece-
voir, il est indispensable de donner quelque chose. Par consé-
quent, demander est un fait trés significatif dans l’existence de
chacun. Seuls les porteurs des titres adéquats pourront demander
des mesures et dispenser leurs faveurs, vous comprenez ?
—Etle probléme de l’héritage ? demandai-je immédiatement.
— Nous n’avons rien de trés compliqué avec cela, répondit
Laura, souriante. Prenez mon cas, par exemple. Le temps de mon
retour aux plans de la Surface approche. Je posséde trois mille bo-
nus-heures Aide sur ma fiche d’économie personnelle. Je ne peux
pas les léguer 4 ma fille qui va arriver car cette valeur sera reversée
au patrimoine commun, ma famille n’ayant que le droit de conser-
ver notre demeure. Par ailleurs, ma fiche de service me donne le
droit d’intercéder en sa faveur et de lui préparer ici un travail et le
concours ami, m’assurant également le précieux soutien des orga-
nisations de notre colonie spirituelle pendant le temps ot je res-
terai dans les cercles terrestres. Dans ce calcul, je n’évoque méme
pas le merveilleux profit que j’ai acquis dans le domaine de l’expé-
rience durant les années de coopération du Ministére de I’Aide. Je
retourne vers la Terre investie de valeurs élevées et démontrant des
qualités plus nobles pour la préparation au succés désiré.

145
Chico Xavier |André Luiz

Jallais pousser des exclamations admiratives suscitées


par le processus simple de gain, profit, coopération et service,
confrontant ces solutions aux souverains principes de la planéte,
mais une douce rumeur s’approchait de la maison. Avant que
je ne puisse émettre une quelconque observation, Laura mur-
mura, satisfaite :
— Voila nos amis qui sont de retour.
Et se levant, elle alla les accueillir.

146
yess
Savoir écouter

Intérieurement, je regrettais cette interruption de notre


conversation. Les explications de Laura fortifiaient mon coeur.
Lisias entra dans la maison, visiblement satisfait.
— Alors ! Tu n’es pas encore allé te reposer ? demanda-t-il
en souriant.
Et pendant que les jeunes se retiraient, il m’invita obli-
geamment :
— Viens au jardin car tu n’as pas encore vu le clair de lune
qui baigne la région.
La propriétaire des lieux entra en conversant avec ses filles
pendant que j’accompagnais Lisias jusqu’aux parterres en fleurs.
Le spectacle était superbe ! Habitué au séjour en milieu
hospitalier, parmi les grands arbres, je ne connaissais pas encore
le spectacle merveilleux qu offrait la nuit claire dans les vastes
quartiers du Ministére de l’Aide. Des glycines a la prodigieuse
beauté décoraient le paysage. Le fond de leur calice teinté d’un
bleu léger, des lys 4 la blancheur neigeuse s’apparentaient a des

147
Chico Xavier |André Luiz

coupes emplies d’un aréme caressant. Je respirai A pleins pou-


mons, sentant qu'une onde d’énergie nouvelle pénétrait tout
mon étre. Au loin, les tours du Gouvernement affichaient de sai-
sissants effets de lumiére. Emerveillé, je ne parvins pas 4 émettre
la moindre impression. M’efforcant d’extérioriser l’admiration
qui envahissait mon Ame, je dis avec émotion :
— Je n’avais jamais ressenti une telle paix ! Quelle nuit !
Le compagnon sourit et ajouta :
— Il y a un engagement entre les habitants équilibrés de la
colonie, celui de ne pas émettre de pensées contraires au bien.
Ainsi, l'effort de la majorité se transforme en une priére presque
permanente. C’est de la que naissent les vibrations de paix que
nous ressentons.
Apres métre extasi¢é devant ce tableau prodigieux, comme si
javais bu la lumiere et le calme de la nuit, nous rentrames a l’inté-
rieur ot Lisias s'approcha d'un petit appareil situé dans le salon, res-
semblant a nos récepteurs radiophoniques. Cela aiguisa ma curio-
sité. Quallions-nous écouter ? Des messages de la Terre ? Venant a
la rencontre de mes questionnements intérieurs, l’ami mexpliqua :
— Nous n’entendrons pas de voix de la planéte. Nos trans-
missions se basent sur des forces vibratoires plus subtiles que
celles de la sphére de la Surface.
_ — Mais n’y a-t-il pas de moyens permettant de capter les.
€missions terrestres ? demandai-je.
— Si, sans l’ombre d’un doute. Nous avons des éléments
pour le faire dans tous les Ministéres. Cependant, dans le milieu
familial, la question de notre actualité est essentielle. La pro-
grammation du service nécessaire, les notes de la Spiritualité Su-
périeure et les enseignements élevés sont maintenant, pour nous
autres, bien au-dessus de toute réflexion terrestre.
Son observation était juste. Mais habitué 4 l’attachement 4
mon foyer, je voulus savoir :

148
Nosso Lar

— Serait-ce vraiment ainsi ? Et nos familles qui sont restées


la-bas ? Nos parents, nos enfants ?
— Je m’attendais déja a cette question. Dans les cercles ter-
restres, nous sommes bien souvent amenés 4 dénaturer les situa-
tions. Uhypertrophie du sentiment est un mal commun 4 prati-
quement chacun d’entre nous. Sur Terre, nous sommes de vieux
prisonniers de l’exclusivisme. En famille, nous nous isolons fré-
quemment dans les limites des liens du sang et nous oublions le
reste des obligations. Nous vivons en ignorant les vrais principes
de la fraternité. Nous les enseignons a tout le monde, mais en
général, au moment d’en témoigner, nous sommes seulement
solidaires avec les nétres. Mais ici, mon ami, la médaille de la vie
présente son autre face. Il est nécessaire de soigner nos vieilles
infirmités et de réparer les injustices. Au début de la colonie,
toutes les habitations, 4 ce que l’on sait, sétaient reliées 4 des
centres d’évolution terrestre. Personne ne supportait l’absence de
nouvelles de la parenté terrestre. Depuis le Ministére de la Régé-
nération jusqu’au Ministére de |’Elévation, on vivait dans une
guerre nerveuse constante. Des rumeurs effrayantes perturbaient
les activités d’une maniére générale. Mais il y a précisément deux
siécles, l'un des généreux ministres de Union Divine a obligé le
Gouvernement a4 améliorer la situation. Lex-Gouverneur était
peut-étre trop tolérant. La bonté détournée provoque l’indisci-
pline et les chutes. Et, de temps en temps, les nouvelles des per-
sonnes aimées de la Terre plongeaient de nombreuses familles
dans le désarroi. Quand les désastres collectifs du monde concer-
naient certaines entités de « Nosso Lar », cela déclenchait de
véritables calamités publiques. Selon nos archives, la cité s’appa-
rentait plus a un département du Seuil qu’a une zone de rétablis-
sement et d’instruction. Soutenu par l'Union Divine, le Gouver-
neur a interdit l’échange qui s était généralisé. Il y eut des luttes,
mais le généreux Ministre qui développa cette mesure profita de

149
Chico Xavier |André Luiz

l’enseignement de Jésus qui demande aux morts d’enterrer leurs


morts, et l'innovation fut victorieuse en peu de temps.
— Cependant, il serait intéressant de recueillir des nou-
velles de ceux que nous aimons qui se trouvent en transit sur la
Terre. Cela ne donnerait-il pas plus de tranquillité 4 Ame ?
Lisias, qui se tenait a c6té du récepteur sans le brancher,
parut vouloir me fournir des informations plus completes :
— Observe par toi-méme afin de voir si cela vaudrait la
peine. Es-tu, par exemple, préparé 4 maintenir la sérénité si
précieuse, attendant avec foi et agissant selon les préceptes di-
vins, sachant qu'un de tes enfants cher a ton coeur fait l’objet
de calomnies ou calomnie lui-méme ? Si quelquwun tinformait
maintenant que l’un de tes fréres de sang a été aujourd’hui incar-
céré comme un criminel, aurais-tu suffisamment de force pour
conserver ta tranquillité ?
Je souris, désappointé.
— Nous ne devons pas chercher a obtenir des nouvelles des
plans inférieurs, poursuivit-il, serviable, si ce n'est pour leur venir
en aide de maniére juste. Cependant, reconnaissons qu’aucun
étre ne peut aider avec justice sil est victime des déséquilibres
du sentiment et de la réflexion. C’est pour cela qu’avant d’avoir
de nouveaux contacts avec les parents terrestres, il est indispen-
sable d’étre convenablement préparé. S’ils offrent un espace adé-.
quat pour l'amour spirituel, l’échange sera souhaitable. Mais un
écrasant pourcentage d’incarnés n'ont méme pas encore atteint
le contréle de soi et vivent dans linsouciance des fluctuations
d’ordre matériel qui les entrainent dans leurs hauts et leurs bas.
Malgré les difficultés sentimentales, nous avons besoin d’éviter la
chute dans nos cercles vibratoires inférieurs.
Malgré tout, révélant mon entétement, jinsistai :
— Mais, Lisias, toi qui as un ami incarné comme ton pére,
tu naimerais pas pouvoir communiquer avec lui ?

150
Nosso Lar

— Bien stir que si, répondit-il, bienveillant. Quand nous


méritons cette joie, nous lui rendons visite dans son nouveau
corps, et la méme chose se produit pour tout ce qui reléve des
échanges entre lui et nous. Nous ne devons cependant pas ou-
blier que nous sommes des créatures faillibles. Nous avons donc
besoin de recourir aux organes appropriés qui déterminent l’op-
portunité ou le mérite exigés. C’est 4 cette fin que nous avons
le Ministére de la Communication. II est aussi intéressant de
noter que de la sphére supérieure, il est possible de descendre
vers la sphére inférieure avec plus de facilité. Cela dit, il existe
certaines lois qui demandent de comprendre diment ceux qui
se trouvent dans les zones les plus basses. Il est aussi important
de savoir parler que de savoir écouter. « Nosso Lar » vivait dans
la perturbation car ne sachant pas écouter, on ne pouvait aider
avec succés, et la colonie se transformait fréquemment en un
lieu de confusion.
Je me tus, vaincu par la puissance de l’argument. Et pen-
dant que je demeurais silencieux, l’infirmier ami enclencha le
bouton de réception sous mon regard curieux.

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24
Limpressionnant appel
Une douce mélodie se déversa dans l’atmosphére quand
le récepteur fut allumé, nous entourant de sonorités harmo-
nieuses, pendant qu’apparaissait, sur |’écran de la télévision, le
visage du présentateur dans le cabinet de travail. Il commenga
alors a parler :
« Emetteur du Poste Deux, de la colonie « Moradia’ «.
Nous continuons 4 émettre l’appel de la colonie au profit de
la paix sur la Terre. Nous invitons les collaborateurs de bonne
volonté a joindre leurs énergies au service de la préservation de
l’équilibre moral dans les sphéres du globe. Aidez-nous autant
que cela vous est possible en accordant quelques heures de coo-
pération aux zones de travail qui relient les forces obscures du
Seuil & la pensée humaine. Aprés avoir répandu les torches in-
cendiaires de la guerre en Asie, les noires phalanges de ligno-

7 NdT:« moradia » se traduirait littéralement par « demeure », « habitation », « foyer » ou


encore « logis ».

{53
Chico Xavier |André Luiz

rance entourent les nations européennes, les incitant 4 de nou-


veaux crimes. Dans notre centre, conjointement a ceux qui se
consacrent au travail d’hygiéne spirituelle dans les cercles les plus
proches de la Surface, je dénonce ces mouvements des pouvoirs
concentrés du mal, demandant le concours fraternel et toute
aide qui soit possible. Souvenez-vous que la paix a besoin de
défenseurs ! Collaborez avec nous dans la mesure de vos forces !
Il y a du travail pour tous, depuis le champ de la Surface jusqu’a
nos portes ! Que le Seigneur nous bénisse. »
La voix sinterrompit, une musique divine se faisant en-
tendre 4 nouveau. Linflexion de |’étrange invitation me troubla
jusque dans mes fibres les plus intimes. Lisias vint 4 mon secours :
— Nous sommes en train d’écouter « Moradia », une vieille
colonie de travaux qui se trouve fortement liée aux zones in-
férieures. Comme tu le sais, nous sommes en aotit 1939. Les
souffrances que tu as endurées derniérement ne tont pas donné
beaucoup de temps pour réfléchir a la triste situation du monde,
mais je peux te garantir que les nations de la planéte se trouvent
toutes proches de terribles batailles.
— Que dis-tu ? voulus-je savoir, atterré. Alors, le sang de la
derniére grande guerre n’a pas été suffisant ?
Lisias sourit, fixant sur moi ses yeux brillants et profonds,
comme s'il regrettait silencieusement la gravité de la situation.
humaine. Pour la premiere fois, linfirmier ami ne me répondit
pas. Son mutisme me génait. Mais c’était surtout l’immensité
des services spirituels dans les plans de la vie nouvelle a laquelle
je venais de revenir qui me surprenait. II y avait donc des villes
peuplées d’Esprits généreux qui appelaient a l'aide et 4 la coopé-
ration ? La voix s’était fait entendre avec intonation d'un véri-
table S.O.S. Le visage sur l’écran de télévision prit un air abattu,
ses yeux inquiets révélant une profonde anxiété. Et le langage ?
Javais sans difficulté reconnu la langue portugaise, claire et cor-

154
Nosso Lar

recte. Je croyais que toutes les colonies spirituelles communi-


quaient entre elles par les vibrations de la pensée. Y avait-il ici
une si grande difficulté en ce qui concernait les échanges ?
Percevant ma perplexité, Lisias m’expliqua :
— Nous sommes encore trés loin des régions idéales de la
pensée pure. Comme sur la Terre, ceux qui s'accordent parfaite-
ment entre eux peuvent échanger des pensées sans les barriéres
idiomatiques ; mais, de maniére générale, nous ne pouvons nous
passer de la forme, dans le sens le plus large de l’expression.
Notre champ de bataille est incommensurable. Uhumanité ter-
restre, constituée de millions d’étres, sunie a’ humanité invisible
de la planéte constituée de milliards d’individus. II ne serait par
conséquent pas possible d’atteindre les zones perfectionnées tout
de suite aprés la mort du corps physique. Les patrimoines natio-
naux et linguistiques sont encore trés présents ici, formant des
frontiéres psychiques. Il existe, dans les plus divers secteurs de
notre activité spirituelle, un grand nombre d’Esprits libérés de
toutes les limitations, mais il faut reconnaitre qu’en régle géné-
rale, on souffre de ces restrictions. Rien ne trompera le principe
de séquence qui prédomine dans les lois évolutives.
A cet instant, la musique s'interrompit et "homme de tout
4 Pheure se remit a parler :
« Emetteur du Poste Deux, de la colonie « Moradia ».
Nous continuons a4 émettre |’appel de la colonie au profit de la
paix sur la Terre. De lourdes brumes s’amoncélent dans les cieux
d’Europe. Les forces ténébreuses du Seuil pénétrent dans toutes
les directions, répondant a l’appel des tendances mesquines de
Phomme. Il y a de nombreux bienfaiteurs dévoués luttant avec
sacrifice en faveur de la concorde internationale dans les cabinets
politiques. Cependant, quelques gouvernements se trouvent
excessivement centralisés, offrant dinsuffisantes possibilités a
la collaboration spirituelle. Sans organismes de réflexion et sans

155
Chico Xavier |André Luiz

conseil impartial, ces pays se dirigent tout droit vers une guerre
de grande envergure. O fréres bien-aimés des centres supérieurs,
aidez-nous 4 préserver la tranquillité humaine ! Défendons les
siécles d’expérience de nombreuses nations-méres de la Civilisa-
tion Occidentale ! Que le Seigneur nous bénisse. »
Lhomme se tut et les douces mélodies reprirent. Vinfir-
mier était plongé dans un silence que je n’osai perturber. Apres
cing minutes d’harmonie musicale reposante, la méme voix se fit
nouvellement entendre :
« Emetteur du Poste Deux, de la colonie « Moradia ».
Nous continuons 4 émettre l’appel de la colonie au profit de
la paix sur la Terre. Compagnons et fréres, nous invoquons la
protection des puissantes Fraternités de la lumiére qui président
au destin de l’Amérique ! Coopérez avec nous dans le sauvetage du
patrimoine millénaire de l’évolution terrestre ! Portons secours aux
collectivités sans défense, soutenons les coeurs maternels étouffés
par l’angoisse ! Nos énergies sont engagées dans un vigoureux duel
contre les légions de ignorance. Autant que cela vous est possible,
venez-nous en aide !Nous sommes la partie invisible de Phumanité
terrestre, et nombre d’entre nous reviendront aux fluides corporels
afin de racheter d’anciennes erreurs. Uhumanité incarnée est éga-
lement notre famille. Unissons-nous en une seule vibration. Face
a l’assaut des ténébres, allumons la lumiére ; contre la guerre du.
mal, mettons en place la résistance du bien. Des fleuves de sang et
de larmes menacent les territoires des communautés européennes.
Nous proclamons la nécessité d’un travail constructif. Renforcons
notre foi... Que le Seigneur nous bénisse. »
A ce moment, Lisias éteignit l'appareil et je le vis essuyer
discrétement une larme que ses yeux métaient pas parvenus A
contenir. Avec un geste expressif, il dit, en proie 4 l’émotion :
— Les fréres de « Moradia » font preuve d’un si grand dé-
vouement !

156
Nosso Lar

Aprés une courte pause, il ajouta avec tristesse :


— Hélas, tout cela est inutile car /humanité terrestre paie-
ra, dans les prochains jours, de terribles tributs en souffrance.
— Ny a-t-il rien & quoi l’on puisse recourir pour conjurer
la catastrophe ? demandai-je, trouble.
— Malheureusement, ajouta Lisias sur un ton grave et dou-
loureux, la situation est trés critique. Pour répondre aux solli-
citations de « Moradia » et des autres centres qui fonctionnent
dans le voisinage du Seuil, nous avons réuni ici de nombreuses
assemblées. Mais le Ministére de Union Divine a expliqué
que l’humanité terrestre, en tant que personnalité collective, se
trouve dans la condition de ’homme insatiable qui a dévoré un
exces de nourriture au banquet de la vie. La crise organique est
inévitable. Plusieurs nations se nourrissent de l’orgueil criminel,
de la vanité et de l’égoisme féroce. Elles ressentent 4 présent le
besoin de rejeter les venins mortels.
Affichant son intention de ne pas poursuivre sur ce sujet si
amer, Lisias m’invita 4 me retirer.

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25
Conseil généreux
Trés tot le lendemain, je pris un léger petit déjeuner en
compagnie de Lisias et de sa famille. Avant que ses enfants ne
sen aillent a leur travail de Aide, Laura encouragea mon esprit
hésitant, disant avec entrain :
— Je vous ai déja prévu de la compagnie pour aujourd’hui.
Notre ami Raphaél, fonctionnaire de la Régénération, passera
ici 4 ma demande. Vous pourrez |’accompagner jusqu’au nou-
veau Ministére. Raphaél est une ancienne connaissance de notre
famille et il vous présentera au Ministre Génésio en mon nom.
Je ne pourrais définir le contentement qui envahit mon
ame. J’étais rayonnant. Je la remerciai, ému, sans trouver de pa-
roles qui puissent définir ma grande joie. Lisias démontra a son
tour une grande joie. Il m’embrassa avec force avant de sortir, me
touchant au plus profond du coeur. Alors qu'elle embrassait son
fils, Laura lui recommanda :
— Lisias, tu avertiras le Ministre Clarencio que je me rendrai
au travail aprés avoir remis notre ami aux bons soins de Raphaél.

159
Chico Xavier |André Luiz

Profondément ému, je ne parvenais pas 4 manifester mes


remerciements face 4 un tel dévouement.
Une fois seuls, l’affectueuse mére de mon ami me dit avec
douceur :
— Mon frére, permettez-moi de vous donner quelques
indications quant 4 vos nouveaux chemins. Je crois que la colla-
boration maternelle a toujours une valeur et, comme votre mére
mhabite pas a « Nosso Lar », je revendique le droit de vous orien-
ter en cet instant.
— Je vous en suis trés reconnaissant, répondis-je, touché.
Je ne saurai jamais comment traduire toute la gratitude que Je
vous porte.
Bienvéillante, elle ajouta en souriant :
— Jai été informée que vous recherchiez un travail depuis
quelque temps...
— Oui, oui..., confirmai-je, me rappelant les paroles de
Clarencio.
— Je sais également que vous ne l’avez pas immédiatement
obtenu mais que vous avez regu, plus tard, l’autorisation néces-
saire pour visiter les Ministéres qui nous relient le plus forte-
ment a la Terre.
Esquissant une expression bien significative, Laura ajouta :
— C’est justement dans ce sens que je vous offre mes humbles_
suggestions. Je parle avec le droit que me confére une plus grande
expérience. Maintenant que vous étes en possession de cette auto-
risation, abandonnez autant que possible les motivations issues
de la simple curiosité. Ne faites pas comme le papillon nocturne
voletant de lampadaire en lampadaire. Je sais que votre esprit de
recherche intellectuelle est trés fort ; médecin appliqué, passionné
de nouveautés et d’énigmes, il vous sera trés facile de déraper dans
votre nouvelle position. N’oubliez pas que vous pourrez obtenir
des biens plus précieux et plus dignes que la simple analyse des

160
Nosso Lar

faits. La curiosité, méme saine, peut étre une zone mentale trés
intéressante, mais parfois dangereuse. A l’intérieur, l’esprit affable
et loyal parvient a se maintenir dans de nobles activités ; les indécis
et les inexpérimentés, eux, peuvent connaitre d’améres douleurs,
sans profit pour personne. Clarencio vous a offert un laissez-passer
pour les Ministéres en commengant par la Régénération. Eh bien,
ne vous limitez pas a observer. Au lieu d’héberger la curiosité, mé-
ditez sur le travail et employez-vous-y 4 la premiére occasion qui
s offrira. Etant donné que vous avez l’opportunité de travailler au
Ministére de la Régénération, ne cherchez pas a atteindre l’obser-
vation des autres services dans les autres Ministéres. Apprenez a
construire votre cercle de sympathie et n’oubliez pas que l’esprit
d investigation doit se manifester aprés l’esprit de service. Analyser
les activités d’autrui, sans attachement dans le bien, peut étre une
témérité criminelle. De nombreux échecs dans les constructions
du monde prennent leur origine dans de pareilles anomalies. Tous
veulent observer et rares sont ceux qui se disposent a réaliser. Seul
le travail digne confeére a |’Esprit le mérite indispensable a l’obten-
tion de droits nouveaux. Le Ministére de la Régénération recéle
de nombreuses luttes 6 combien difficiles en raison du fait que s’y
trouve la plus basse région de notre colonie spirituelle. Il en sort
toutes les équipes destinées aux services les plus durs. Mais ne vous
considérez pas pour autant humilié par le fait de devoir vous occu-
per de taches humbles. Je vous rappelle qu’en toutes nos spheres,
depuis la planéte Terre jusqu’aux centres les plus élevés des zones
supérieures, le Plus Grand Travailleur est le Christ en personne,
et qu'll n’a pas dédaigné la lourde scie d’un atelier de charpen-
tier. Le Ministre Clarencio vous a gentiment autorisé a connaitre,
visiter et analyser ; mais comme serviteur doué de bon sens, vous
pouvez convertir ces observations en un travail utile. Il est bien
entendu possible de recevoir une réponse négative de la part des
administrateurs quand on adresse une demande concernant un

161
Chico Xavier |André Luiz

genre d’activité réservé, avec raison, 4 ceux qui durent grandement


lutter et souffrir pour devenir des spécialistes. Mais personne ne
se refusera 4 accepter le concours de l’esprit de bonne volonté qui
aime le travail pour le plaisir de servir.
Mes yeux s étaient embués. Les paroles prononcées avec
une douceur maternelle s’étaient déversées sur mon coeur tel un
baume précieux. Je n’avais que peu de fois senti un tel intérét fra-
ternel concernant mon devenir. Pareil conseil imposait le silence
au fond de mon ame et, comme si elle eut désiré ajouter une
touche d’amour a ces sages concepts, Laura dit avec tendresse :
— La science du recommencement est parmi les plus nobles
que notre esprit puisse apprendre. Ceux qui la comprennent
sont trés rarés dans les sphéres de la Surface. Nous avons trés peu
d’exemples humains allant dans ce sens. Souvenons-nous mal-
eré tout de Paul de Tarse, Docteur du Sanhédrin, espérance d’un
peuple par la culture et par la jeunesse, cible de toutes les atten-
tions a Jérusalem, qui revint un jour au désert afin de recommen-
cer l’expérience humaine comme un simple et pauvre tisserand.
N’y tenant plus, je lui pris les mains comme un fils recon-
naissant et les couvris des larmes de joie qui inondaient mon coeur.
Les yeux a présent fixés sur horizon, la mére de Lisias murmura :
— Je vous suis trés reconnaissante, mon frére. Je ne crois
pas que vous soyez venu jusqu’a cette maison répondant au
mécanisme de la causalité. Nous sommes tous reliés les uns aux
autres dans la toile d'une amitié séculaire. D’ici peu, je retourne-
rai au cercle physique ; cependant, nous demeurerons toujours
unis par le coeur. J’espére vous voir animé et heureux avant mon
départ. Faites de cette maison votre habitation. Travaillez et soyez
courageux, confiant en Dieu.
Levant mes yeux emplis de larmes, je les posai sur son
expression de tendresse, ressentant la joie qui nait des affections
pures, et j’eus alors impression de connaitre mon interlocutrice

162
Nosso Lar

de longue date, bien qu’en vain je tentasse de percevoir sa dou-


ceur dans mes souvenirs les plus lointains. Je voulus la prendre
dans mes bras et l’embrasser de maniére répétée, mais a cet ins-
tant, quelqu’un vint frapper a la porte.
Démontrant une infinie affection maternelle, Laura dit en
me regardant :
— C’est Raphaél qui vient vous chercher. Allez-y, mon ami,
en gardant Jésus a l’esprit. Travaillez pour le bien des autres afin
que vous puissiez trouver votre propre bien.

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26
Nouvelles perspectives
Réfléchissant aux suggestions amicales et sages de la
mere de Lisias, j’accompagnai Raphaél, convaincu que je ne
partais pas en visite d’observation mais en apprentissage et
service utile.
En chemin jusqu’au lieu oti le Ministre Génésio m’atten-
dait, je notai, surpris, les magnifiques aspects de cette nouvelle
région. Malgré tout, je suivais Raphaél en silence, a présent
étranger au plaisir des nouveaux questionnements. En compen-
sation, je ressentais un nouveau genre d’activité mentale. Je me
donnais en entier 4 la priére, demandant a Jésus de me venir en
aide sur les nouveaux chemins, afin que le travail ne me manquat
pas, pas plus que les forces nécessaires pour son accomplisse-
ment. Autrefois opposé aux manifestations de la priére, jutilisais
maintenant cette derniére tel un précieux élément de motivation
dans mes objectifs de service.
De temps 4 autre, Raphaél me langait un regard curieux,
comme sil ne s’était pas attendu a une telle attitude de ma part.

165
Chico Xavier |André Luiz

Laérobus nous laissa face 4 un édifice spacieux. Nous des-


cendimes, silencieux. Quelques bréves minutes plus tard, je me
trouvais face au respectable Génésio, un vieillard sympathique
dont le visage révélait cependant une singuliére énergie.
Raphaél me présenta fraternellement.
— Ah oui! dit le généreux Ministre. II s’agit de notre frére
André ?
— Pour vous servir, répondis-je.
— Jai été informé de votre venue par Laura. Sentez-vous a
votre aise.
Pendant ce temps, mon compagnon sapprocha respec-
tueusement et prit congé, me serrant ensuite dans ses bras. Ra-
phaél était attendu avec urgence dans le secteur des taches qui
lui incombaient.
Fixant sur moi des yeux lucides, Génésio dit :
— Clarencio m’a parlé de vous avec intérét. Nous recevons
de maniére habituelle des personnes du Ministére de l’Aide en
raison des observations qui, la plupart du temps, abondent dans
les stages de service.
Comprenant la subtile allusion, je répondis :
— C’est mon plus grand désir. Je suis allé jusqu’a supplier
les Forces Divines afin qu’elles aident mon esprit fragile, permet-
tant que ma présence dans ce Ministére soit convertie en une
période d’apprentissage.
Mes paroles semblaient avoir ému Génésio et, profitant
des inspirations qui m/incitaient 4 ’humilité, je demandai, les
larmes aux yeux :
— Monsieur le Ministre, je comprends 4 présent que mon
passage par le Ministére de Aide a été le fruit de la miséricor-
dieuse grace du Trés-Haut, en raison peut-étre de l’intercession
constante de ma dévouée et sainte mére. Mais je remarque que
je ne fais que recevoir des bienfaits sans rien produire d’utile.

166
Nosso Lar

Je suis convaincu que ma place est ici, dans les activités régé-
nératrices. Je vous serais reconnaissant si l’obtention de mon
droit de visite était transformé en possibilité de service. Je com-
prends aujourd’hui plus que jamais la nécessité de régénérer mes
propres valeurs. J’ai perdu beaucoup de temps dans la vanité
inutile, j’ai fait d’énormes gaspillages d’énergie dans l’adoration
ridicule de ma personne...
Satisfait, il reconnut au fond de mon cceur la sincérité
vive. Quand j’avais recouru au Ministre Clarencio, je métais pas
encore suffisamment conscient de ce que je demandais. Je vou-
lais du travail, mais peut-étre ne désirais-je pas servir. Je ne com-
prenais pas la valeur du temps, pas plus que je ne voyais les béné-
dictions sanctifiantes de l’opportunité. Il s'agissait au fond du
désir de continuer a étre ce que j’avais été jusqu alors, le médecin
orgueilleux et respecté, aveugle dans les prétentions déplacées de
égoisme dans lequel j’avais vécu, enfermé dans mes propres opi-
nions. Maintenant, toutefois, face 4 ce que javais vu et entendu,
comprenant la responsabilité de chaque fils de Dieu dans |’ceuvre
infinie de la Création, je laissais sortir de mes lévres ce que javais
de meilleur. J’étais enfin sincére. Le type de travail ne me préoc-
cupait pas ; je cherchais le sublime contenu de l’esprit de service.
Le vieillard me fixa, surpris, et demanda :
— Est-ce bien vous qui étes médecin ?
— Oui..., murmurai-je, honteux.
Génésio se tut pendant un instant, comme cherchant une
solution pour mon cas. II dit finalement :
— Loués soient vos propos. A mon tour, je demande au
Seigneur qu il vous conserve dans cette digne posture.
Et, semblant vouloir éveiller ma motivation et allumer en
mon esprit de nouvelles espérances, il ajouta :
— Quand le disciple est préparé, le Pere envoie l’instructeur.
Il en va de méme en ce qui concerne le travail. Quand le serviteur se

167
Chico Xavier |André Luiz

trouve prét, le service apparait. Vous avez regu d’immenses recours


de la Providence. Vous étes bien disposé a la collaboration, compre-
nez la responsabilité, acceptez le devoir. Une telle attitude est hau-
tement favorable a la concrétisation de vos désirs. Dans les cercles
physiques, nous avons pour habitude de féliciter un homme quand
il atteint la prospérité financiére ou une excellente apparence exté-
rieure ; cela dit, la situation est ici différente et ce sont la compré-
hension, l’effort personnel et ’humilité sincére que l’on apprécie.
Percevant mon anxiété, il conclut :
— Il est possible d’obtenir des occupations justes. Mais
pour le moment, il est préférable que vous visitiez, observiez,
examiniez.
Tout de suite aprés, s'adressant au cabinet voisin, il dit
dune voix forte :
— Je demande la présence de Tobias avant qu'il ne se rende
aux Chambres de Rectification.
Un court instant s’était écoulé quand apparut a la porte un
homme aux maniéres tranquilles.
— Tobias, lui expliqua Génésio, prévenant, nous avons ici
un ami qui vient du Ministére de Aide pour un travail d’obser-
vation. Je crois que le contact avec les chambres rectificatrices lui
sera trés profitable.
Je tendis la main a l'inconnu pendant que ce dernier ré-
pondait aimablement :
— A vos ordres.
— Guidez-le, poursuivit le Ministre en faisant preuve d’une
grande bonté. André a besoin de s’intégrer dans la connaissance
la plus intime de nos devoirs. Fournissez-lui toute opportunité
dont nous pouvons disposer.
Tobias se leva, révélant la meilleure des bonnes volontés.
— Je my rends, ajouta-t-il, décidé. Si vous souhaitez m’ac-
compagner...

168
Nosso Lar

— Allons-y, répondis-je, satisfait.


Le Ministre Génésio m’embrassa, ému, m/’adressant des
mots d’encouragement.
Je suivis Tobias, résolu. Nous traversames de grands quar-
tiers ot. de nombreux édifices me faisaient penser 4 des ruches a
lintense activité. Percevant ma question silencieuse, mon nouvel
ami expliqua :
— Nous avons ici les grandes fabriques de « Nosso Lar ». La
préparation de jus, de tissus et d’objets manufacturés de maniére
générale donne du travail a plus de cent mille personnes qui se
régénérent et s illuminent en méme temps.
Quelques instants plus tard, nous pénétrions dans un ba-
timent au noble aspect. De nombreux serviteurs allaient et ve-
naient. Aprés avoir enfilé plusieurs longs couloirs, un gigantesque
escalier nous fit face, communiquant avec les niveaux inférieurs.
— Descendons, dit Tobias d'un ton grave.
Notant ma surprise, il expliqua, serviable :
— Les Chambres de Rectification se trouvent dans le voisi-
nage du Seuil. Les nécessiteux qui s'y réunissent ne supportent ni
les lumiéres ni l’atmosphére d’en haut durant les premiers temps
quils passent 4 « Nosso Lar ».

169
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Enfin le travail
Jamais je naurais pu imaginer le spectacle qui soffrait 4
présent a mes yeux. Ce métait pas vraiment l’hépital terrestre,
pas plus que l’institut de traitement normal de la santé orga-
nique. II s'agissait d’une série de vastes chambres reliées les unes
aux autres et remplies de véritables dépouilles humaines. Une
singuliére clameur flottait dans l’air : gémissements, sanglots,
phrases douloureuses prononcées a tort et a travers... Visages
cadavériques, mains squelettiques, faciés monstrueux laissaient
transparaitre une terrible misére spirituelle. Mes premiéres ob-
servations furent si angoissantes que je recourus au secours de la
priére pour ne pas faiblir.
Tobias, imperturbable, appela une infirmieére déja agée qui
venait 4 notre rencontre avec empressement :
—Je vois peu d’auxiliaires, dit-il, étonné. Que s’est-il passé ?
— Le Ministre Flacus, expliqua la vieille femme sur un ton
respectueux, a décidé que la plupart d’entre eux accompagne-

sy
Chico Xavier |André Luiz

raient les Samaritains® dans les services d’aujourd’hui aupres des


régions du Seuil.
— I] va falloir redoubler d’énergie, dit-il avec sévérité. Nous
navons pas de temps a perdre.
— Frére Tobias ! Frére Tobias ! Par charité ! criait un vieil-
lard gesticulant, accroché a son lit tel un fou. J’étouffe ! C’est
mille fois pire que la mort sur la Terre... Au secours ! Au secours !
Je... je veux sortir, sortir ! Je... je veux de lair, beaucoup d’air !
Tobias sapprocha de lui, ’examina avec attention, et demanda:
— Pourquoi l’état de Ribeiro aurait-il tant empiré ?
— I] a eu une crise importante, expliqua l’humble femme.
Et I’Assistant Gongalves a expliqué que la charge de pensées
sombres émises par les parents incarnés était la cause fondamen-
tale de l’aggravation de la perturbation. Etant donné qu’il se
trouve encore bien faible et qu'il n’a pas suffisamment accumulé
de force mentale pour se détacher des liens les plus forts qui
le retiennent au monde, le pauvre n’a pas pu résister comme il
aurait été souhaitable.
Pendant que le généreux Tobias caressait le front du ma-
lade, linfirmiére poursuivit en expliquant :
— Aujourd’hui, trés tét, il s'est absenté sans notre consen-
tement, se mettant 4 courir désespérément. II criait que sa pré-
sence était exigée chez lui, quil ne pouvait oublier ni sa femme.
ni ses enfants en pleurs ; qu'il était cruel de le retenir ici, loin de
son foyer. Lourenco et Hermés sefforcérent de le faire revenir a
son lit, mais ce fut impossible. J’ai alors décidé de lui appliquer
quelques passes de prostration, lui retirant ses forces et sa mobi-
lité pour son propre bien.
— Vous avez trés bien fait, fit remarquer Tobias, pensif. Je
vais demander que des mesures soient prises contre l’attitude de

8 Note de I’auteur spirituel : organisation d’Esprits bienfaiteurs de « Nosso Lar ».

172
Nosso Lar

la famille. Il est nécessaire qu'elle se retrouve confrontée a de


grandes préoccupations afin de nous laisser Ribeiro en paix.
Je fixai le malade, cherchant a identifier sa situation inté-
rieure, reconnaissant la manifestation légitime de la démence. II
s'adressait 4 Tobias comme un enfant qui aurait connu le bien-
faiteur, mais faisait abstraction de tout ce qu’on disait A son sujet.
Notant mon admiration, le nouvel orienteur expliqua :
— Le malheureux demeure dans une phase de cauchemar
ou l’ame voit et entend un peu plus que ses propres afflictions.
Lhomme, mon cher, ne trouve dans la vie réelle que ce qu’il a
amassé pour lui-méme. Notre Ribeiro s’est laissé enthousiasmer
par de nombreuses illusions.
Jaurais voulu m’enquérir de lorigine de ses souffrances,
en connaitre la provenance et l’historique de la situation ; ce-
pendant, je me souvins des sages conseils de la mére de Lisias
en ce qui concernait la curiosité, et je me tus. Tobias adressa a
Pinfirme de généreuses paroles d’optimisme et d’espérance. II
lui promit de prendre les mesures les plus adaptées, lui deman-
dant de garder son calme pour son propre bien et qu'il ne se
fache pas du fait d’étre retenu sur son lit. Ribeiro, agité de forts
tremblements, le visage cireux, ébaucha un sourire trés triste et
le remercia avec des larmes.
Nous poursuivimes notre progression a travers de longues
files de lits bien rangés, sentant les exhalaisons désagréables de
Pambiance qui prenaient leur origine, comme je vins 4 l’apprendre
plus tard, dans les émanations mentales de ceux qui se trouvaient
rassemblés ici en proie aux douloureuses impressions de la mort
physique et, bien souvent, sous l’empire de basses pens¢es.
— Ces chambres ne sont réservées qu’aux entités mascu-
lines, m’expliqua mon compagnon.
— Tobias !Tobias... Je meurs de faim et de soif! sécria un
des patients.

173
Chico Xavier |André Luiz

— Au secours, frére ! criait un autre.


— Pour l'amour de Dieu! Je n’en peux plus ! s'exclamait un
troisieme.
Le coeur affligé face a la souffrance de tant de personnes, je
ne pus m’empécher de poser cette douloureuse question :
— Mon ami, combien la réunion de tant de souffrants et
de torturés est triste ! Quelle est la raison d’un spectacle aussi
angoissant ?
Imperturbable, Tobias répondit :
— Nous ne devons pas simplement voir ici douleur et déso-
lation. Souvenez-vous, mon frére, que ces malades sont soignés,
quils ne sont déja plus dans le Seuil ou tant de piéges attendent
les imprévoyants et ceux qui se négligent. Tout au moins, dans
ces pavillons, ils se préparent déja pour le service régénérateur.
Quant aux larmes qu’ils versent, souvenons-nous que nous nous
devons nos propres souffrances. La vie de Phomme est a l'image
de l’endroit od son coeur se trouve.
Puis, apres une pause pendant laquelle il parut sourd a
toute cette clameur, il précisa :
— Ce sont des contrebandiers de la vie éternelle.
— Comment ¢a ? ai-je voulu savoir, intéressé.
Mon interlocuteur sourit et répondit dune voix ferme :
— Ils ont cru que les marchandises appartenant a la Terre.
auraient la méme valeur sur les plans des Esprits. Ils supposent
que le plaisir criminel, le pouvoir de l’argent, la révolte contre
la loi et imposition des caprices traversent les frontiéres de la
tombe et ont encore cours ici aussi, leur offrant des opportunités
pour de nouvelles étourderies. Ils furent des négociants impré-
voyants, oubliant de changer les possessions matérielles en cré-
dits spirituels. Ils n’apprirent pas dans le monde les plus simples
opérations de change. Quand ils se rendaient 4 Londres, ils
échangeaient des reals contre des livres sterling ; cependant, pas

174
Nosso Lar

méme avec la certitude de la mort physique ils ne s'employérent


a acquérir les valeurs spirituelles. Maintenant, que faire ? Nous
avons des millionnaires des sensations physiques transformés en
mendiants de l’Ame.
O combien réaliste, Tobias ne pouvait faire preuve de plus
de logique.
Aprés avoir distribué confort et explications 4 tout va, mon
nouvel instructeur me conduisit dans une vaste chambre voisine
de celle o1 nous nous trouvions, en forme de grande infirmerie,
en faisant cette remarque :
— Voyons quelques-uns des malheureux qui se trouvent a
moitié morts.
Narcisa, l’infirmiére, nous accompagna, se montrant ser-
viable. La porte s ouvrit et je chancelai pratiquement sous Ieffet
de l’angoissante surprise. Trente-deux hommes au visage patibu-
laire, dont les seuls mouvements perceptibles étaient ceux, légers,
de leur respiration, demeuraient inertes sur des lits trés bas.
Faisant un geste significatif de l’index, Tobias expliqua :
— Ces souffrants se trouvent dans un sommeil plus profond
que les autres fréres ignorants. Nous les appelons les croyants
négatifs. A inverse d’accepter le Seigneur, ils étaient les vassaux
intransigeants de |’égoisme ; a l’inverse de croire en la vie, au
mouvement, au travail, ils n’admettaient que le néant, l’immobi-
lité et la victoire du crime. Ils convertirent l’expérience humaine
en une constante préparation pour un long sommeil et, comme
ils n’avaient pas la moindre idée du bien au service de la collec-
tivité, ils n’ont d’autre recours que de dormir de longues années,
plongés dans de terribles cauchemars.
Je ne parvenais pas a extérioriser mon effarement.
Trés précautionneux, sous mes yeux stupéfaits, Tobias
commenga 4 appliquer des passes visant a les fortifier. Lopéra-
tion achevée chez les deux premiers, ils se mirent 4 expulser une

175
Chico Xavier |André Luiz

substance noire par la bouche, sorte de vomi obscur et visqueux,


avec de terribles émanations cadavériques.
— Ce sont les fluides vénéneux quiils sécrétent, expliqua
trés calmement Tobias.
Narcisa faisait son possible pour répondre promptement
au travail de nettoyage, mais en vain. Un grand nombre d’entre
eux laissaient échapper la méme substance noire et fétide. C'est
alors qu instinctivement, je me saisis du matériel d’hygiéne et me
lancai dans le travail avec ardeur.
Linfirmiére parut contente de |’aide humble de son nou-
veau frére, alors que Tobias, de son cété, me langait des coups
d’ceil satisfaits et reconnaissants. Le service continua toute la
journée, me*cotitant une sueur bénite, et aucun ami du monde
ne pourra imaginer la joie sublime du médecin qui recommen-
cait son éducation avec les taches élémentaires de |’infirmier.

176
28
En service

La priére collective terminée au moment du crépuscule,


Tobias alluma le récepteur afin d’écouter les Samaritains en ac-
tion dans le Seuil.
Justement curieux, je finis par apprendre que les groupes
chargés d’opérations de cette nature communiquaient avec les
arriére-gardes du travail 4 certains moments préétablis.
Je me sentais quelque peu fatigué par les intenses efforts
déployés, mais mon coeur entonnait des hymnes de joie inté-
rieure. J’avais en fin de compte recu le bonheur du travail. Les-
prit de service fournit des toniques a la vigueur mystérieuse.
Une fois allumé, et aprés quelques minutes d’attente, le pe-
tit appareil, sous mes yeux, commenga a transmettre le message :
« Samaritains au Ministére de la Régénération ! Beaucoup
de travail dans les abimes de l’ombre. Il a été possible de
déplacer un grand nombre de malheureux, retirant des ténébres
spirituelles vingt-neuf fréres parmi lesquels se trouvent vingt-
deux déséquilibrés mentaux et sept autres se trouvant en plein

U7.
Chico Xavier |André Luiz

épuisement psychique. Nos groupes sont en train d’organiser


leur transport... Nous arriverons peu aprés minuit... Nous
demandons que les mesures nécessaires soient prises... »
Observant que Narcisa et Tobias échangeaient un regard
admiratif, dés que |’étrange voix se fut tue, je ne pus retenir les
questions qui jaillirent de ma bouche :
— Comment ¢a ? Pourquoi un transport de groupe ? Ce ne
sont pas tous des Esprits ?
Tobias sourit et m’expliqua :
— Vous oubliez que vous n’étes pas arrivé au Ministére de
Aide d’une autre manieére. Je connais l’épisode de votre venue.
Il faut toujours garder en mémoire que la Nature ne fonctionne
pas par a-coups et que sur la Terre, ou dans les cercles du Seuil,
nous sommes revétus de fluides extrémement lourds. Vautruche
et ’hirondelle ont des ailes ; cependant, la premiére ne s’élévera
dans les airs que si on la transporte, alors que la seconde franchit
avec rapidité les vastes régions du ciel.
Et laissant percevoir que le moment était pas a la conver-
sation, il s’adressa 4 Narcisa en disant :
— Le groupe de ce soir sera trés grand. Nous avons besoin
de prendre des mesures immédiatement.
— De nombreux lits seront nécessaires ! murmura Iinfir-
miére, une pointe de préoccupation percant dans sa voix.
— Ne vous inquiétez pas, répondit Tobias, résolu. Nous
logerons les perturbés dans le Pavillon 7 et les affaiblis dans la
Chambre 33.
Ensuite, il porta une main a son front comme s'il réfléchis-
sait 4 quelque chose de profondément sérieux et il s'exclama :
— Nous résoudrons rapidement la question de ’héberge-
ment ; il n’en sera pas de méme en ce qui concerne I’assistance.
Nos auxiliaires les plus forts ont été mobilisés pour garantir les
services de la Communication dans les sphéres de la Surface en

178
Nosso Lar

raison des nuages de ténébres qui entourent par moments le


monde des incarnés. Nous avons besoin de personnel pour le
travail nocturne parce que les ouvriers qui se trouvent avec les
Samaritains arriveront extrémement fatigués.
— Crest avec plaisir que je me mets 4 votre disposition,
m’exclamai-je spontanément.
Tobias m’adressa un regard de profonde sympathie mélée
de gratitude, me faisant ressentir une douce joie intérieure.
— Mais étes-vous certain de vouloir rester dans les Chambres
pendant la nuit ? demanda-t-il, surpris.
— D’autres ne le font-ils pas ? demandai-je 4 mon tour. Je
me sens disposé et fort ; j'ai besoin de rattraper le temps perdu.
Le généreux ami me prit alors dans ses bras ajoutant :
— Eh bien, j’accepte avec confiance votre collaboration.
Narcisa et les autres compagnons resteront également de garde.
Par ailleurs, j’enverrai Venancio et Salustio, deux fréres qui ont
toute ma confiance. Je ne peux rester ici pour le planton de cette
nuit en raison d’engagements que j’avais pris auparavant. Mais si
nécessaire, vous ou |’un des nétres pourrez me communiquer les
faits de plus grave importance. J’établirai le plan des travaux en
en facilitant autant que possible |’exécution.
Apparut alors un grand nombre de mesures devant étre
prises. Pendant que cinq serviteurs opéraient en compagnie de
Narcisa, préparant des vétements adaptés et le matériel d’infir-
merie, Tobias et moi transportions un lourd matériel dans le
Pavillon 7 et la Chambre 33. Je ne pourrais pas expliquer ce qui
m/arrivait intérieurement. Malgré la fatigue des bras, je ressentais
une félicité sans bornes au plus profond de mon cceur.
Dans l’atelier ou la plupart recherchent du travail, en com-
prenant la sublime valeur, servir constitue une joie supréme. Je
ne pensais pas du tout a la compensation des bonus-heures, aux
récompenses immédiates que l’effort aurait pu m’apporter. Non,

17?
Chico Xavier |André Luiz

ma satisfaction était profonde, sachant que je pourrais me pré-


senter heureux et honoré devant ma mére et les bienfaiteurs que
javais rencontrés au Ministére de Aide. Au moment de nous
quitter, Tobias me serra 4 nouveau dans ses bras et me dit :
— Que la paix de Jésus soit avec vous. Je vous souhaite une
bonne nuit et un travail utile. A huit heures, demain matin, vous
pourrez vous reposer. Le nombre maximal d’heures de travail
journalier séléve 4 douze, mais nous sommes dans des circons-
tances spéciales.
Je lui répondis que toutes ces perspectives m’emplissaient
d'un contentement sincére. Seul avec le grand nombre d’infir-
miers, je me mis 4 m/intéresser aux malades avec plus de ten-
dresse. Parmi les différents auxiliaires présents, la bonté spon-
tanée de Narcisa qui s occupait de tous de maniére maternelle,
mimpressionna. Attiré par sa générosité, je cherchai 4 m’appro-
cher d’elle avec intérét. Il ne fut pas trés difficile d’établir une
conversation amicale et simple. La vieille femme, affable, res-
semblait a un livre sublime de bonté et de sagesse.
— Y a-t-il longtemps que vos travaillez ici ? demandai-je a
un certain moment de notre conversation amicale.
— Oui, cela fait six ans et quelques mois que je suis en
service dans les Chambres de Rectification. Cependant, il me
manque encore trois ans afin de pouvoir réaliser mes désirs.
Face a l’interrogation silencieuse de mon regard, Narcisa
dit aimablement :
— J'ai besoin d'un appui trés sérieux.
— Que voulez-vous dire par la ? demandai-je, intéressé.
—J’ai besoin de rencontrer certains Esprits amis, sur Terre,
pour des travaux d’élévation conjointe. A cause de mes écarts
passés, j'ai longtemps demandé, en vain, l’occasion nécessaire a
mes fins. Je vivais perturbée, affligée. On me conseilla de recourir
au Ministre Vénéranda, et notre bienfaitrice de la Régénération

180
Nosso Lar

promit qu'elle soutiendrait mes desseins dans le Ministére de


l’Aide, mais exigea dix années consécutives de travail, ici, afin
que je puisse corriger certains déséquilibres des sentiments. Sur
le moment, je voulus refuser, considérant l’exigence exagérée ;
plus tard, je reconnus quelle avait raison. Finalement, le conseil
ne concernait pas ses intéréts mais les miens et j’ai énormément
gagné en acceptant sa proposition. Je me sens plus équilibrée et
plus humaine, et je crois que je vivrai avec dignité spirituelle ma
future existence sur la Terre.
Jallais manifester ma profonde admiration mais l’un des
malades tout proche cria :
— Narcisa ! Narcisa !
Je ne pouvais me permettre de retenir par simple curiosité
personnelle cette sceur dévouée, transformée en mére spirituelle
des souffrants.

181
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La vision de Francisco

Pendant que Narcisa consolait le malade affligé, je fus


informé qu’on m/appelait au téléphone. C’était Laura qui de-
mandait des nouvelles. Effectivement, j’avais oublié de la pré-
venir quant aux décisions qui avaient été prises pour le travail
nocturne. Je m’en excusai et lui racontai briévement la nouvelle
situation. De l’autre c6té du combiné, la mére de Lisias semblait
exulter, partageant mon juste contentement. Au terme de notre
courte conversation, elle me dit, bienveillante :
— Trés bien, mon fils ! Passionne-toi pour ton travail, en-
thousiasme-toi pour le service utile. Ce nest qu’ainsi que nous
contribuerons 4 notre édification éternelle. Mais souviens-toi
aussi que cette maison t’appartient.
Ces paroles m’emplirent de nobles stimulations.
Retournant au contact direct des infirmes, je notai que
Narcisa luttait héroiquement pour calmer un jeune homme qui
révélait de singuliéres perturbations. Je cherchai alors a l’aider. Le
pauvre ami, les yeux perdus dans le vague, criait craintivement :

183
Chico Xavier |André Luiz

— Aidez-moi, pour l’amour de Dieu ! J’ai peur, peur !


Et avec le regard hagard de ceux qui ressentent de pro-
fondes sensations de terreur, il ajouta :
— Soeur Narcisa, 1a-bas ! I] vient ici, le monstre ! Je sens a
nouveau les vers ! Pas lui! Pas lui! Libérez-m’en, ma sceur! Je ne
veux pas, je ne veux pas !
— Restez calme, Francisco, lui demanda la compagne des
infortunés. Vous allez vous libérer, posséder une grande sérénité
et une grande allégresse, mais cela dépend de votre effort. Ima-
ginez que votre esprit est une éponge imbibée de vinaigre. Il est
nécessaire de rejeter la substance acide. Je vous aiderai 4 le faire,
mais le travail le plus intense vous revient.
Montrant de la bonne volonté, le malade se calma pen-
dant qu'il écoutait les concepts amicaux, mais redevint aussi pale
quavant, s abandonnant a de nouvelles exclamations :
— Mais regardez bien, ma sceur... Il ne me laisse pas. Il a
déja recommencé a me tourmenter ! Regardez, regardez !
— Je le vois Francisco, répondit-elle en reconnaissant les
faits. Mais il est indispensable que vous m/aidiez a l’expulser.
— Ce fantéme diabolique ! ajouta-t-il en pleurant comme
un enfant, créant un courant de compassion.
— Ayez confiance en a Jésus et oubliez le monstre, dit la
sceur des malheureux avec piété. Je vais vous faire des passes et le.
fantéme nous fuira.
Et elle lui appliqua les fluides salutaires et réconfortants. Ma-
nifestant une immense joie dans le regard, Francisco la remercia.
— Maintenant, dit-il une fois lopération magnétique ter-
minée, je suis plus tranquille.
Narcisa ajusta les oreillers et demanda a ce qu'une per-
sonne lui apportat de l’eau magnétisée. Lexemple de l’infirmiére
m’était des plus profitables. Le bien, comme le mal, exerce de
toutes parts une mystérieuse contagion.

184
Nosso Lar

Observant mon sincére désir d’apprendre, Narcisa s'appro-


cha un peu plus, se montrant disposée 4 m/initier aux sublimes
secrets du service.
— A qui se référe le malade ? demandai-je, impressionné.
Est-il attaqué par quelque ombre invisible & mes yeux ?
La vieille travailleuse des chambres des Chambres de Rec-
tification sourit avec bienveillance et dit :
— Il s'agit de son propre cadavre.
— Comment cela ? m’écriai-je, horrifié.
— Le malheureux était excessivement attaché a son corps
physique et il vint a la sphére spirituelle suite 4 un désastre,
fruit de la plus compléte imprudence. Pendant de nombreux
jours, il est resté auprés de sa dépouille, dans la tombe, sans se
conformer a la nouvelle situation. II voulait, avec force, relever
le corps inerte, tel l’empire de l’illusion dans lequel il avait vécu
et, dans ce triste effort, il a perdu beaucoup de temps. II s’ef-
frayait 4 lidée d’affronter l’inconnu et il ne parvenait pas méme
a accumuler quelques atomes de détachement par rapport aux
sensations physiques. Les secours des sphéres plus élevées ne ser-
virent pas a grand-chose car il fermait son espace mental a toute
pensée lige 4 la vie éternelle. Enfin, les vers lui firent ressentir
de si grandes souffrances que le pauvre finit par s’éloigner de sa
sépulture, pris d’épouvante. I] commenga alors sa pérégrination
dans les zones inférieures du Seuil ; cependant, ceux qui avaient
été ses parents sur Terre possédent ici de grands crédits spiri-
tuels et ils demandérent son internement dans la colonie. Ce
sont les Samaritains qui le ramenérent, presque de force. Malgré
tout, son état est encore si grave qu'il ne pourra sortir de sitét
des Chambres de Rectification. Lami qui fut son pére dans la
chair se trouve actuellement dans une mission risquée, loin de
« Nosso Lar »...
— Et vient-il rendre visite au malade ? demandai-je.

185
Chico Xavier |André Luiz

— Je lai déja vu a deux reprises et j’ai pu ressentir une


erande émotion a observer sa souffrance discréte. La perturba-
tion du jeune homme est si grande qu'il n’a pas reconnu son
pere, généreux et délicat. Le géniteur qui vint le voir en com-
pagnie du Ministre Padua, du Ministére de la Communication,
parut bien supérieur 4 la condition humaine pendant qu'il se
trouvait avec le noble ami qui avait obtenu l’hospitalité pour son
malheureux fils. Ils restérent un certain moment 4 commenter
létat spirituel des derniers arrivés des cercles physiques. Mais
quand le Ministre Padua se retira, contraint par les obligations
du service, le pére du jeune homme me demanda de lui par-
donner son geste humain et s’'agenouilla auprés de linfirme. Il
lui prit les mains, inquiet, comme s'il était en train de lui trans-
mettre de vigoureux fluides vitaux, aprés quoi il embrassa son
visage, pleurant en abondance. Je ne pus retenir mes larmes et
me retirai, les laissant seuls. Je ne sais pas ce qui se passa par la
suite entre eux deux, mais je pus noter que I’état de Francisco,
depuis ce jour, s'améliora notablement. La démence totale s’est
réduite a des crises qui sont, a présent, de plus en plus espacées.
— Comme tout cela est émouvant ! m’exclamai-je, en proie
4 une forte impression. Cela dit, comment l'image du cadavre
peut-elle le persécuter ?
— La vision de Francisco, m’apprit la vieille femme avec dé-.
vouement, est le cauchemar de nombreux Esprits aprés la mort
corporelle. Ils s’attachent excessivement a leur corps, ne voient
plus autre chose et ne vivent que pour lui et par lui, lui vouant
un véritable culte, et le souffle rénovateur arrivant, ils ne !’aban-
donnent pas. Ils repoussent toute idée de spiritualité et luttent
désespérément pour le conserver. Surgissent alors les vers voraces
qui les expulsent. A ce stade, leur corps les remplit @horreur et
ils adoptent une nouvelle attitude extrémiste. Mais la vision du
cadavre, sous la forme d’une forte création mentale dont ils sont

186
Nosso Lar

lorigine, les tourmente au coeur de leur Ame. Des perturbations


et des crises plus ou moins longues surviennent alors, et bon
nombre d’entre eux soufrent jusqu’a l’élimination intégrale de
leur fantéme.
Observant ma stupéfaction, Narcisa ajouta :
— Grace au Pére, j’ai pu beaucoup apprendre durant ces
derniéres années de service. Ah ! comme le sommeil spirituel
de la plupart de nos fréres de chair est profond ! Cela doit nous
préoccuper mais pas nous blesser. La chrysalide se colle 4 la ma-
tiére inerte, mais le papillon parviendra a prendre son envol ; la
semence est presque imperceptible et cependant, le chéne sera
un géant. La fleur morte retourne 4 la terre, mais son parfum
vit dans le ciel. Tout embryon de vie semble dormir. Nous ne
devons pas oublier ces lecons.

187
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30
Héritage et euthanasie

Je ne mYétais pas encore remis de ma profonde surprise que


Salustio s'approcha, disant a l’intention de Narcisa :
— Notre sceur Paulina souhaite voir son pére malade dans
le Pavillon 5. Avant de |’y autoriser, j’ai jugé plus opportun de
vous consulter car le malade est encore sujet a des crises aigués.
Dans des gestes de bonté qui lui étaient caractéristiques,
Narcisa répondit :
— Faites-la entrer sans tarder. Elle a la permission du Mi-
nistre car elle consacre son temps libre a la tache de réconcilia-
tion des membres de sa famille.
Pendant que le messager prenait congé, empressé, la bien-
veillante infirmiére ajouta 4 mon intention :
— Vous verrez quelle fille dévouée elle est !
Il ne s’était pas écoulé une minute que Paulina se tenait face
4 nous, svelte et jolie. Elle portait une tunique trés légeére tissée
dans une soie lumineuse. Une beauté angélique caractérisait les
traits de son visage, mais ses yeux dénongaient une extréme preé-

189
Chico Xavier |André Luiz

occupation. Narcisa la présenta délicatement. Sentant peut-étre


qu elle pouvait avoir confiance en ma présence, elle demanda :
— Et papa, mon amie ?
—Il va un peu mieux, lui répondit l’infirmiére. Cependant,
il accuse encore de forts déséquilibres.
— C’est lamentable, poursuivit la jeune femme. Ni lui ni
les autres n'abandonnent |’état mental dans lequel ils se trouvent.
Toujours la méme haine et le méme dégoat.
Narcisa nous invita 4 l’'accompagner et quelques minutes
plus tard, nous nous trouvions en face d’un vieillard a la phy-
sionomie désagréable. Le regard dur, les cheveux en bataille, de
profondes rides, les lévres rétractées, il inspirait plus de pitié que
de sympathie. Je cherchai tout de méme 4 vaincre les vibrations
inférieures qui me dominaient afin d’observer au-dela du souf-
frant, le frére spirituel. Mon impression de répulsion disparut,
mes réflexions se clarifiérent. Je m’appliquai la legon. Comment
étais-je lorsque j’étais arrivé 4 mon tour au Ministére de I’Aide ?
Mon visage de désespéré devait étre horrible. Quand nous exa-
minons la malchance de quelqu’un, gardant en mémoire nos
propres imperfections, il y a toujours une place pour l'amour
fraternel au fond du coeur.
Le vieil infirme n’eut pas la moindre parole de tendresse pour
sa fille qui le salua avec douceur. Par son regard, qui faisait ressortir
rudesse et révolte, il s'apparentait 4 une béte humaine mise en cage.
— Papa, te sens-tu mieux ? demanda-t-elle avec une ex-
tréme tendresse filiale.
— Aie ! Aie ! cria le malade d’une voix de stentor. Je ne
peux oublier l’infamie, je ne peux reposer ma pensée... Je le vois
encore 4 mon cété, m’administrant le venin mortel...
— Ne dis pas cela, papa, demanda délicatement la jeune
femme. Souviens-toi qu Edelberto entra dans notre foyer comme
un fils, envoyé par Dieu.

190
Nosso Lar

— Mon fils ?! s’écria le malheureux. Jamais ! Jamais ! C’est


un criminel sans pardon, fils de l’enfer !
Paulina parlait a présent avec les yeux débordant de larmes.
— Ecoutons, papa, la lecon de Jésus nous recommandant
de nous aimer les uns les autres. Nous traversons sur la Terre des
expériences consanguines afin d’acquérir le véritable amour spi-
rituel. D’ailleurs, il est indispensable de reconnaitre qu'il existe
un seul Pere éternel : Dieu. Mais le Seigneur de la Vie nous
accorde la paternité ou la maternité dans le monde dans le but
de nous apprendre la fraternité sans tache. Nos foyers terrestres
sont des creusets de purification des sentiments ou des temples
de l’'union sublime sur le chemin conduisant 4 la solidarité uni-
verselle. Jusqu’a acquérir le véritable titre de frére, nous luttons
et souffrons beaucoup ; nous sommes une seule famille, dans la
Création, sous la bénédiction providentielle d’un Pére unique.
Ecoutant sa douce voix, le malade se mit 4 pleurer
convulsivement.
— Pardonne Edelberto, papa ! Essaye de voir en lui non pas
le fils irresponsable, mais le frére qui a besoin d’éclaircissements.
Je me suis rendue 4 notre maison aujourd’hui et j’y ai observé
d’extrémes perturbations. D’ici, depuis ce lit, tu entoures tous les
notres de fluides d’amertume et d’incompréhension, et ils font
de méme. La pensée, par des vibrations subtiles, atteint sa cible,
pour distante quelle soit. Léchange de haine et de mésentente
cause ruine et souffrance chez les Ames. Maman est rentrée a
hospice voila quelques jours, dévorée d’angoisse ; Amalia et Ca-
cilda ont ouvert une action en justice contre Edelberto et Agenor
en raison des grands patrimoines matériels que tu as assemblés
dans la sphére physique. Une situation terrible dont les ombres
pourraient diminuer si ton esprit vigoureux n’était pas plongé
dans des désirs de vengeance. Ici, je te vois dans un état grave ;
sur la Terre, maman aux prises avec la folie et tes enfants pertur-

191
Chico Xavier |André Luiz

bés se vouant une haine mutuelle. Au milieu de tant d’esprits dé-


sorientés, une fortune de un million cing cent mille cruzeiros. Et
qu est-ce que cela vaut s'il n’y a une once de joie pour personne ?
— Mais jai légué un énorme patrimoine 4 la famille, inter-
rompit le malheureux avec rancoeur, souhaitant le bien de tous...
Reprenant la parole, Paulina ne le laissa pas terminer :
— Nous ne savons pas toujours interpréter ce qui est béné-
fique en ce qui concerne la richesse transitoire. Si tu avais assuré
le futur des nétres, leur garantissant la tranquillité morale et le
travail honnéte, ton effort aurait été d’une précieuse prévoyance.
Mais parfois, papa, nous avons pour habitude d’amasser de
largent dans un esprit de vanité et d’ambition. En voulant vivre
au-dessus des autres, nous ne nous souvenons plus de cela, si ce
nest dans les expressions extérieures de la vie. Rares sont ceux
qui cherchent a assembler connaissances nobles, qualités de tolé-
rance, lumiéres de ’humilité, bénédictions de compréhension.
Nous imposons aux autres nos caprices, nous nous éloignons
des services du Pére, nous oublions le polissage de notre esprit.
Personne ne nait sur la planéte pour accumuler de l’argent dans
des coffres ou des titres dans les banques. II est naturel que la vie
humaine demande le concours de la prévoyance et ne puisse se
passer d’administrateurs fidéles sachant gérer avec sagesse. Mais
personne ne sera administrateur du Peére avec l’avarice et des.
desseins de domination. C’est ce genre de vie qui a ruiné notre
maison. En d’autres temps, j’ai cherché en vain a apporter le
secours spirituel dans notre milieu familial. Pendant que maman
et toi vous sacrifiiez pour augmenter vos biens, Amalia et Cacilda
oubliérent le travail utile, et comme des fainéantes de la banalité
sociale, elles rencontrérent des étres oisifs qui les épousérent, ne
voyant que les avantages financiers. Agenor rejeta les études sé-
rieuses, se livrant 4a de mauvaises compagnies. Edelberto conquit
le titre de médecin, se détournant complétement de la médecine,

192
Nosso Lar

l'exercant de temps en temps & la maniére du travailleur qui se


rend a son travail par curiosité. Ils ruinérent tous leurs belles
opportunités spirituelles, distraits par l’argent facile et attachés &
lidée de Phéritage.
Linfirme prit une expression de terreur et ajouta :
— Maudit Edelberto ! Fils criminel et ingrat ! Il m’a tué
sans pitié alors que j’avais encore besoin de régler mes disposi-
tions testamentaires ! Scélérat ! Scélérat !
— Tais-toi, papa ! Aie de la compassion pour ton fils, par-
donne et oublie...
Le vieillard continua malgré tout 4 proférer des malédic-
tions a voix haute. La jeune femme se préparait a reprendre la
discussion, mais Narcisa lui adressa un regard significatif, appe-
lant Salustio afin de venir en aide au malade en crise. Paulina se
tut, caressant le front paternel tout en contenant a grand prix ses
larmes. Quelques instants plus tard, je me retirai en compagnie
des deux femmes, fortement impressionné. Pendant quelques
minutes, elles échangérent encore des confidences avant que
Paulina ne prenne congé, mettant en évidence dans ses paroles
gentilles une grande générosité, mais beaucoup de tristesse dans
son regard noyé dans de justes préoccupations.
Dans l’intimité, Narcisa me dit, bienveillante :
— En régle générale, les cas d’héritage sont extrémement
compliqués. A de rares exceptions prés, ils apportent un poids
énorme sur le donateur et les légataires. Mais dans le cas pré-
sent, nous ne voyons pas que cela puisquil est aussi question
d’euthanasie. ambition suscitée par argent a créé dans toute la
famille de Paulina des phénoménes étranges et des dissensions.
Les parents avares possédent des enfants dilapidateurs. Je me suis
rendue 4 la maison de notre amie quand son frére, Edelberto,
médecin d’apparence distinguée, employa sur son pére presque
mourant ce que l’on appelle la « mort lente ». Nous avons fait

193
Chico Xavier |André Luiz

notre possible pour éviter tout cela, mais en vain. Le pauvre gar-
con désirait précipiter le trépas pour des questions d’ordre finan-
cier, et nous avons alors maintenant l’imprévoyance et le résultat,
la haine et la maladie.
Et avec un geste bien clair, Narcisa conclut :
— Dieu a créé les étres et les cieux, mais nous avons l’habi-
tude de nous transformer en esprits diaboliques créant nos enfers
personnels.

194
31
Vampire’
I] était vingt et une heures. Nous n’avions pas encore pris de
repos si ce nétait lors de courtes conversations nécessaires a la résolu-
tion de problémes spirituels. Ici, un malade demandait soulagement ;
la, un autre avait besoin de passes de réconfort. Comme nous allions
nous occuper de deux infirmes, dans le Pavillon 11, j’entendis un
concert de cris tout prés. Instinctivement, je fis un mouvement afin
de m’en approcher, mais Narcisa m’en empécha, prévenante :
— N’y allez pas ; ici se trouvent les déséquilibrés du sexe.
Ce que vous y verriez serait 4 vos yeux extrémement douloureux.
Gardez cette émotion pour plus tard.
Je n’insistai pas. Cependant, mille interrogations bouillon-
naient dans mon cerveau ; un monde nouveau souvrait 4 ma
recherche intellectuelle. Il m’était indispensable de me souvenir
4 tout instant du conseil de la mére de Lisias pour ne pas me
détourner de l’obligation juste.

9 NdT: voir le lexique en début d’ouvrage.

195
Chico Xavier |André Luiz

Peu aprés vingt et une heures, quelqu’un arriva du fond


d’un grand parc. Il s'agissait d’un petit homme au faciés singulier
qui paraissait étre un humble travailleur. Narcisa le regut avec
gentillesse, demandant :
— Que se passe-t-il, Justino ? Quel est votre message ?
Louvrier, qui faisait partie du corps des sentinelles des
Chambres de Rectifications, répondit, affligé :
— Je viens vous informer qu'une malheureuse est en train
de demander du secours au grand portail qui donne vers les
champs cultivés. Je crois quelle a trompé la vigilance des pre-
mieres lignes...
— Et pourquoi ne vous en étes-vous pas occupé ? demanda
Pinfirmiére.
Le serviteur fit un geste hésitant et expliqua :
— Selon les ordres qui nous régissent, je n’ai pu le faire
étant donné que la pauvre est couverte de taches noires.
— Comment dis-tu ? répondit Narcisa, surprise.
— Oui, madame.
— Alors, le cas est trés grave.
Curieux, je suivis l’infirmiére a travers le champ baigné du
clair de lune. La distance était relativement longue. On pouvait
voir 4 cété, dans ce parc immense, les plantations d’arbres tran-
quilles remués par une brise légére. Nous avions parcouru plus
dun kilométre quand nous atteignimes la grande grille 4 laquelle
s était référé le travailleur.
C’est alors que surgit soudainement la misérable figure de
la femme qui implorait de l’aide de autre cété. Je ne vis rien,
si ce était les contours de la malheureuse couverte de haillons,
son visage terrible et ses jambes qui n’étaient plus qu'une plaie a
vif. Mais Narcisa semblait percevoir d’autres détails, impercep-
tibles 4 mon regard, étant donné la stupeur qui se peignit sur sa
physionomie ordinairement si calme.

196
Nosso Lar

— Fils de Dieu ! s’écria la mendiante quand elle nous aper-


cut. Donnez un abri a une ame fatiguée ! Oui se trouve le paradis
des élus afin que je puisse jouir de la paix tant désirée ?
Cette voix larmoyante me touchait au plus profond du
coeur. A son tour, Narcisa se montra émue, mais elle me dit sur
un ton confidentiel :
— Ne voyez-vous pas les points noirs ?
— Non, répondis-je.
— Votre vision spirituelle n'est pas encore suffisamment
éduquée.
Apreés une courte pause, elle continua :
— Si cela était en mon pouvoir, j’ouvrirais immédiatement
nos portes ; mais quand il s’agit d’étres en ces conditions, je ne
peux rien résoudre par moi-méme. J’ai besoin de recourir au
Surveillant en chef qui est en service.
Disant cela, elle s'approcha de la malheureuse et lui expli-
qua d'un ton fraternel :
— Je vous prie de bien vouloir attendre quelques instants.
Nous rentrames avec célérité et pour la premiere fois, j’en-
trai en contact avec le directeur des sentinelles des Chambres de
Rectification. Narcisa me présenta et l’informa des faits. Avec un
geste significatif, il dit :
— Vous avez eu raison de me communiquer tout cela. Al-
lons jusque 1a-bas.
Nous nous dirigeames tous trois vers le lieu indiqué. Arri-
vés a la grille, le Frere Paulo, orienteur des gardes, examina atten-
tivement la nouvelle venue du Seuil avant de dire :
— Pour le moment, cette femme ne peut recevoir notre aide. I]
s’agit d’un des plus puissants vampires qu'il m/ait été donné de voir
jusqu’a ce jour. Il est nécessaire de la laisser livrée 4 son propre sort.
Jen fus scandalisé. N’était-ce pas une faute aux devoirs
chrétiens que d’abandonner cette souffrante au malheur du che-

197
Chico Xavier |André Luiz

min ? Narcisa, qui a ce quil me semblait, partageait la méme


impression, demanda, suppliante :
— Mais, Frére Paulo, n’avons-nous pas un moyen d’accueil-
lir cet étre misérable dans les Chambres ?
— Autoriser cette mesure, expliqua-t-il, serait trahir ma
fonction de gardien.
Et indiquant la mendiante qui attendait la décision, criant
dimpatience, il répondit 4 linfirmiére :
— Vous avez déja noté, Narcisa, quelque chose en plus des
taches noires ?
C’était 4 présent mon instructrice de service qui répondait
négativement.
— Eh bien, regardez avec plus d’attention, lui langa le Sur-
veillant en chef.
Baissant le ton de sa voix, il ajouta :
— Comptez les taches noires.
Narcisa fixa son regard sur la malheureuse et répondit,
apres quelques instants :
— Cinquante-huit.
Frere Paulo, avec la patience de ceux qui savent éclairer
avec amour, expliqua :
— Ces points obscurs représentent cinquante-huit enfants
assassinés au moment de la naissance. Dans chaque tache, je vois.
image mentale d’un petit enfant détruit ; les uns par de violents
coups, les autres par asphyxie. Cette malheureuse créature a été
une professionnelle en gynécologie. Sous prétexte de soulager la
conscience des autres, elle se livrait 4 des crimes innommables,
exploitant le malheur de jeunes sans expériences. Sa situation
est pire que celle des suicidés et des meurtriers qui présentent
parfois des éléments atténuants.
Je me souvins avec stupeur des procédés de la médecine
qui, bien souvent, recourait a la nécessité d’éliminer des bébés

198
Nosso Lar

devant venir au monde afin de sauver l’organisme maternel lors


de dangereuses situations. Mais, lisant dans mes pensées, le Frére
Paulo ajouta :
— Je ne parle pas des mesures légitimes qui constituent un
aspect des épreuves rédemptrices ; je me référe au crime d’assas-
siner ceux qui commencent leur cheminement dans I’expérience
terrestre avec le sublime droit 4 la vie.
Démontrant la sensibilité des Ames nobles, Narcisa de-
manda :
— Frére Paulo, j’ai aussi commis beaucoup d’erreurs par le
passé. Si vous le permettez, je lui dispenserai des soins spéciaux.
— Je reconnais, mon amie, répondit le directeur de la sur-
veillance, impressionné par sa sincérité, que nous sommes tous
des esprits endettés. Cela dit, nous avons en notre faveur la re-
connaissance de ces faiblesses et la bonne volonté de racheter
nos débits ; cet étre, pour le moment, ne désire rien de plus que
perturber les personnes qui travaillent. Ceux qui véhiculent des
sentiments pétrifiés dans ’hypocrisie émettent des forces des-
tructrices. A quoi nous sert un service de surveillance ?
Et souriant de maniére expressive, il s'exclama :
— Cherchons-en la preuve !
Le Surveillant en Chef s’approcha alors de la femme et lui
demanda :
— Qu’attendez-vous, ma sceur, de notre secours fraternel ?
— De laide ! De Taide ! De laide ! répondit-elle, lar-
moyante.
— Mais mon amie, il est nécessaire de savoir accepter la
souffrance rectificatrice. Pour quelle raison avez-vous si souvent
interrompu la vie de petits étres fragiles qui se rendaient a la lutte
avec la permission de Dieu ?
Lécoutant, préoccupée, la haine se peignit sur son visage
quand elle hurla :

199
Chico Xavier |André Luiz

— Qui m/attribue cette infamie ? Ma conscience est tran-


quille, canaille ! J’ai employé mon existence a aider la maternité
sur Terre. J’ai été charitable et croyante, bonne et pure...
— Ce rest pas ce que j’observe sur la photographie vivante
de vos pensées et de vos actes. Je crois que vous n’avez méme pas
encore recu le bénéfice du remords. Quand vous aurez ouvert
votre 4me aux bénédictions de Dieu, reconnaissant vos propres
nécessités, alors, revenez ici.
Pleine de rage, Pinterlocutrice répondit :
— Démon ! Sorcier ! Suppét de Satan ! Je ne reviendrai
jamais !J’attends le ciel qu'on m’a promis et que jespére trouver.
Adoptant une attitude encore plus ferme, le Surveillant en
Chef dit avec autorité :
— Alors, retirez-vous maintenant. Nous n’avons pas ici le
ciel que vous désirez. Nous sommes dans un lieu de travail ot
les malades reconnaissent leur mal et tentent de s’en libérer avec
laide de serviteurs de bonne volonté.
La mendiante objecta avec insolence :
— Je ne demande ni reméde ni travail. Je recherche le paradis
que j'ai construit par mon mérite en pratiquant de bonnes ceuvres.
Et nous adressant un regard foudroyant chargé d’une ex-
tréme colére, elle perdit son aspect de malade vagabonde, se reti-
rant d’un pas ferme comme celui quia la certitude d’avoir raison.
Frére Paulo l’accompagna du regard durant de longues
minutes. Puis, se tournant vers nous, il conclut :
— Avez-vous observé le Vampire ? Elle affiche une condi-
tion de criminelle et se déclare innocente ; elle est profondément
mauvaise et affirme étre bonne et pure ; elle souffre désespéré-
ment et prétend étre tranquille ; elle sest créé un enfer et affirme
quelle recherche le ciel.
Face au silence avec lequel nous écoutions la lecon, le Sur-
veillant en Chef conclut :

200
Nosso Lar

— Il est indispensable de préter attention aux bonnes ou


mauvaises apparences. Naturellement, la malheureuse sera trai-
tée ailleurs par la Bonté Divine. Mais pour une question de juste
charité, dans la position dans laquelle je me trouve, je ne pouvais
lui ouvrir nos portes.

201
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32
Informations sur
Vénéranda

Alors que nous pénétrions 4 nouveau dans le parc, je res-


sentis une singuliére fascination.
Ces arbres accueillants, ces vertes plantations m’appelaient
incessamment. De manieére indirecte, cela provoqua les explica-
tions de Narcisa qui répondit a mes questions voilées.
— Dans le grand parc, dit-elle, il n’y a pas seulement des
chemins menant au Seuil ou des cultures destinées aux jus ali-
mentaires. La Ministre Vénéranda créa d’excellents projets pour
nos processus évolutifs.
Observant ma saine curiosité, elle poursuivit en expliquant :
— Il s'agit des « salons verts » destinés au travail de I’édu-
cation. Parmi les grandes rangées d’arbres, il y a des recoins
merveilleux servant aux conférences des Ministres de la Ré-
génération et d’autres aux Ministres en visite, ainsi qu’aux
passionnés d’études en général. Cependant, il y en a un a la

203
Chico Xavier |André Luiz

remarquable beauté utilisé pour les conversations de notre


Gouverneur quand il a la bonté de venir jusqu’a nous. Pério-
diquement, les arbres se couvrent de fleurs, faisant penser a
de petites tours colorées pleines d’enchantements naturels, et
le ciel forme ainsi le toit accueillant avec les bénédictions du
soleil ou des étoiles lointaines.
— Ces palaces de nature doivent étre prodigieux, ajoutai-je.
— Oui, bien entendu, poursuivit l'infirmiére, enthousiaste.
Le projet du Ministre réveilla, selon ce qu’on m/a dit, de francs
applaudissements dans toute la colonie. J’ai appris que cela avait
commencé il y a exactement quarante ans. La campagne du «
salon naturel » sétait alors mise en marche. Tous les Ministéres
firent appel’a la coopération de chacun, méme celui de l'Union
Divine qui sollicita le concours de Vénéranda pour l’organisa-
tion de ces enclos dans le Bois des Eaux. D’agréables recoins
surgirent de toutes parts. Toutefois, les plus intéressants sont, a
mon avis, ceux qui se trouvent dans les écoles. Ils varient dans
leurs formes et leurs dimensions. Dans les parcs d’éducation de
l’Eclaircissement, le Ministre installa un véritable chateau de vé-
gétation en forme d’étoile, a l'intérieur duquel sont abrités cing
classes d’apprentis 4 l’effectif nombreux et cing instructeurs dif-
férents. Au centre se trouve un énorme appareil servant a faire
des démonstrations en image, a la maniére des cinémas terrestres,
avec lequel il est possible de réaliser cing projections différentes
en méme temps. Cette initiative améliora considérablement la
ville, unissant dans le méme effort le service profitable a lutilité
pratique et a la beauté spirituelle.
Profitant d’une pause naturelle dans la conversation, je
demandai :
— Et le mobilier de ces salons ? Est-ce le méme que dans les
grandes infrastructures terrestres ?
Narcisa sourit :

204
Nosso Lar

— Il y a une différence. Le Ministre s’inspira de ’époque


qui caractérisa le passage du Christ par le monde et suggéra de
recourir aux moyens de la nature elle-méme. Chaque « salon
naturel » posséde des bancs et des fauteuils sculptés dans la subs-
tance du sol tapissé de gazon odorant et doux. Cela imprime une
beauté et des dispositions particuliéres. Lorganisatrice dit qu'il
serait bon de rappeler les enseignements du Maitre sur la plage,
lors de ses divines excursions 4 Tibériade, et de ce souvenir surgit
la création de ce « mobilier naturel ». Sa conservation exige des
soins permanents mais la beauté de |’ensemble représente une
vaste compensation.
A cet instant, l’infirmiére bienveillante s interrompit. Mais
percevant mon intérét silencieux, elle poursuivit :
— Le plus bel enclos de notre Ministére reste celui qui est
destiné aux conférences du Gouverneur. Ayant découvert quil
avait toujours aimé les paysages de type hellénique plus ancien,
le Ministre Vénéranda fit décorer le salon de manieére spéciale,
avec de petits canaux d’eau fraiche, de charmants petits ponts,
de minuscules lacs et une végétation luxuriante. Chaque mois
de année montre des couleurs différentes, en raison des fleurs
qui changent suivant les espéces tous les trente jours. Le Mi-
nistre réserve la plus belle décoration pour le mois de décembre,
en souvenir de la Naissance de Jésus, quand la ville regoit les
pensées les plus harmonieuses et les plus vigoureuses, promesses
des compagnons incarnés sur Terre, et qu'elle envoie a son tour
d’ardentes affirmations d’espérance et de travail vers les sphéres
supérieures, en hommage au Maitre des maitres. Ce salon est
source de grande joie pour nos Ministéres. Peut-étre le savez-
vous déja, mais le Gouverneur vient presque chaque semaine,
le dimanche. II y reste de longues heures en conférence avec les
Ministres de la Régénération, conversant avec les travailleurs, of-
frant de précieuses suggestions, examinant notre voisinage avec

205
Chico Xavier |André Luiz

le Seuil, recevant nos voeux et nos visites, et réconfortant les ma-


lades en convalescence. En fin d’aprés-midi, sil lui est possible
de s'attarder encore un peu, il écoute de la musique et assiste a
des spectacles artistiques exécutés par des jeunes et des enfants
de nos écoles. La majorité des étrangers qui sont de passage a
« Nosso Lar » ont Phabitude de venir jusqu’ici seulement pour
connaitre ce « palais naturel », qui peut recevoir confortablement
plus de trente mille personnes.
A l’écoute de ces informations, je ressentis un mélange de
joie et de curiosité.
— Le salon du Ministre Vénéranda, poursuivit Narcisa avec
entrain, est également un lieu splendide dont la conservation
nous demande une tendresse toute particuliére. Tout notre tra-
vail sera bien peu pour rétribuer le dévouement de ce serviteur
de Notre Seigneur plein d’abnégation. Elle est a l’origine, dans ce
Ministére, d’un grand nombre de bienfaits visant 4 répondre aux
besoins des plus malheureux. Sa tradition de travail 4 « Nosso
Lar » est considérée par le Gouvernement comme étant des plus
dignes. C’est l’entité avec le plus grand nombre d’heures de ser-
vice dans la colonie, et la personne la plus ancienne du Gouver-
nement et du Ministére en général. Elle emploie son temps en
travail actif, dans cette ville, depuis plus de deux cents ans.
Impressionné par ces informations, je dis :
— Comme cette bienfaitrice doit étre respectable !
— Vous dites vrai, coupa Narcisa avec révérence, Cest une
personne parmi les plus élevées de notre colonie spirituelle. Les
onze Ministres qui officient avec elle 4 la Régénération recourent
a elle avant de prendre une quelconque décision importante. En
de nombreuses situations, le Gouvernement s’aide de ses avis. A
exception du Gouverneur, le Ministre Vénéranda est la seule
entité de « Nosso Lar » qui a déja vu Jésus dans les Sphéres Res-
plendissantes, mais elle n'a jamais commenté ce fait de sa vie spi-

206
Nosso Lar

rituelle et évite de donner la moindre information a ce sujet. De


plus, il y a un autre point intéressant la concernant. Un jour, il y a
quatre ans, « Nosso Lar » s'est réveillée en féte. Les Fraternités de
la Lumiere, qui régissent les destins chrétiens de l’Amérique, ren-
dirent un hommage a Vénéranda en lui conférant la médaille du
Mérite de Service. Elle est, jusqu’a aujourd’hui, la premiére entité
de la colonie 4 avoir réussi un tel exploit, affichant un million
d’heures de travail utile, sans interruption, sans se plaindre et sans
faiblir. Une commission généreuse vint apporter l’honneur mérité,
mais au milieu de la jubilation générale, sur la plus grande place
ol se réunissaient le Gouvernement, les Ministéres et la foule, le
Ministre Vénéranda ne versa que quelques larmes en silence. Elle
remit ensuite son trophée aux archives de la ville, affrmant quelle
ne le méritait pas, et elle le transmit a la personnalité collective de
la colonie malgré les protestations du Gouverneur. Elle renonga a
tous les hommages festifs avec lesquels on prétendait commémo-
rer plus tard le fait, ne commentant jamais l’honorable conquéte.
— Quelle femme extraordinaire ! dis-je. Pourquoi ne va-t-
elle pas dans des sphéres plus élevées ?
Narcisa baissa le ton de sa voix et déclara :
— Intérieurement, elle vit en des zones bien supérieures a
la notre et si elle reste 4 « Nosso Lar », Cest par esprit d’amour
et de sacrifice. J’ai appris que cette sublime bienfaitrice travaille
depuis plus de mille ans pour un groupe de coeurs bien-aimés qui
demeurent encore sur la Terre, et elle attend avec patience.
— Comment pourrais-je la connaitre ? demandai-je, im-
pressionné.
Narcisa parut se réjouir de mon intérét et elle m’expliqua,
satisfaite :
— Demain, en fin d’aprés-midi, aprés les priéres, le Mi-
nistre se rendra au salon afin d’éclairer certains apprentis au sujet
de la pensée.

207
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De curieuses observations

Quelques minutes avant minuit, Narcisa m’autorisa 4 me


rendre au grand portail des Chambres. Les Samaritains devaient
se trouver dans les environs. Il était indispensable de guetter leur
retour afin de prendre les dispositions nécessaires.
Avec quelle émotion je repris le chemin entouré d’arbres
feuillus et accueillants ! Ici, des troncs rappelant le chéne ances-
tral de la Terre ; !4-bas, des feuillages soignés ressemblant a I’aca-
cia et au pin. Lair parfumé me paraissait une bénédiction. Dans
les chambres, malgré les grandes fenétres, je n’avais pas ressenti
une telle impression de bien-étre. Je marchais ainsi, silencieux,
sous les frondaisons amicales qu’agitaient doucement des vents
frais, m’enveloppant d’une sensation de repos.
Me sentant seul, je me mis a réfléchir a tout ce qui m’était
arrivé depuis ma premiére rencontre avec le Ministre Clarencio.
Ou se trouverait la halte de réve ? Sur Terre ou dans cette colonie
spirituelle ? Quavait-t-il pu advenir de Zélia et de mes petits
enfants ? Pour quelle raison me donnaient-ils ici de si grands

209
Chico Xavier |André Luiz

éclaircissements sur les plus diverses questions de la vie, omet-


tant la moindre nouvelle pertinente relative 4 mon foyer ? Ma
propre mére me recommandait le silence, s’abstenant de toute
information directe.
Tout indiquait la nécessité d’oublier les problemes phy-
siques, dans l’objectif de me rénover intérieurement et cepen-
dant, pénétrant les recoins de l’étre, je rencontrais la vive sen-
sation de l’absence des miens. Je désirais ardemment revoir
mon épouse tant aimée, 4 nouveau recevoir les baisers de mes
enfants... Par quelles décisions du destin étions-nous a présent
séparés, comme si j'avais été un naufragé sur une plage incon-
nue ? Simultanément, des idées généreuses me réconfortaient.
Ce nétait pas moi le naufragé abandonné. Si mon expérience
pouvait étre assimilée 4 un naufrage, je ne devais ce désastre
4 personne d’autre que moi-méme. A présent que j’observais
a « Nosso Lar » les nouvelles vibrations de travail intense et
constructif, je m’étonnais d’avoir perdu autant de temps dans le
monde en frivolités de toutes sortes.
En réalité, j’'avais profondément aimé la compagne de
luttes et j’avais dispensé 4 mes enfants une tendresse incessante.
Mais en examinant sans passion ma situation d’époux et de
peére, je reconnaissais que je navais rien construit de solide et
@utile dans l’esprit des membres de ma famille. Je remarquai ce
manque d’attention tardivement. Qui traverse un champ sans
préparer la semence nécessaire au pain et sans protéger la source
qui étanche la soif ne peut revenir avec l’intension de s’approvi-
sionner. De telles pensées s'installaient dans mon cerveau avec
une véhémence irritante. Au moment de laisser les cercles de la
chair, j’avais trouvé les pénuries de l'incompréhension. Qu était-
il donc arrivé a l’épouse et aux enfants tirés de la stabilité domes-
tique pour étre jetés dans les ombres du veuvage et de la perte de
leur pére ? Interrogation inutile.

210
Nosso Lar

Le vent calme paraissait susurrer de grandioses conceptions


comme s'il voulait éveiller mon esprit 4 des niveaux plus élevés.
Ces questions intérieurement me torturaient, mais m/atta-
chant aux impératifs du devoir juste, je m’approchai de la grande
grille, observant au-dela, a travers les champs cultivés.
Tout était clair de lune et sérénité, ciel sublime et beauté
silencieuse. M’extasiant sur la contemplation du paysage, je de-
meurai quelques minutes entre admiration et priére.
Un peu plus tard, j’apercus deux formes énormes qui
m/impressionnérent vivement. Elles ressemblaient a deux
hommes dune substance indéfinissable, semi-lumineuse. II
pendait de leurs jambes et de leurs bras d’étranges filaments,
et il semblait s'échapper de leur téte un long fil aux dimensions
singuliéres. J’avais l’impression d’avoir devant moi deux authen-
tiques fantémes. Je ne pus supporter cette vision. Les cheveux
hérissés, je retournai rapidement a I’intérieur. Inquiet et effrayé,
jexposai a Narcisa le fait, observant le petit rire quelle avait du
mal a contenir.
— Voyez-vous ¢a, mon ami, finit-elle par dire de bonne
humeur. Vous n’avez pas reconnu ces personnages ?
Profondément désappointé, je ne parvins pas a faire la
moindre réponse. Narcisa continua :
— Il mest arrivé aussi de ressentir la méme surprise, en
d’autres temps. Ce sont nos fréres de la Terre. II s’agit de puis-
sants esprits qui vivent dans la chair en mission rédemptrice et
qui peuvent, en tant que nobles initiés de la Sagesse Eternelle,
abandonner leur véhicule corporel, voyageant librement dans
nos sphéres. Les filaments et fils que vous avez observés sont les
singularités qui les différencient de nous autres. N’ayez donc pas
peur. Les incarnés qui parviennent a atteindre ces parages sont
des créatures extraordinairement spiritualisées, méme s’ils sont
discrets ou humbles sur la Terre.

2u1
Chico Xavier |André Luiz

Et mencourageant avec bienveillance, elle ajouta :


— Allons jusque la-bas. Nous avons quarante minutes
une fois minuit passé. Les Samaritains ne peuvent plus tarder
maintenant.
Satisfait, je revins en sa compagnie jusqu’au grand portail.
Au loin, je pus encore apercevoir les deux formes qui s’éloignaient
de « Nosso Lar », tranquillement. Linfirmiére les contempla en
faisant un geste expressif de respect et s'exclama :
— Ils sont enveloppés d’une clarté bleue. II doit sagir de
deux messagers trés élevés des sphéres physiques accomplissant
une tache qu'il ne nous est pas donné de connaitre.
Nous étions 1a depuis de longues minutes, perdus dans la
contemplation des champs silencieux. Mais 4 un moment don-
né, la douce amie indiqua un point obscur a ’horizon baigné de
lumiére lunaire et fit remarquer :
— Les voila qui arrivent !
Je parvins a percevoir la caravane qui venait dans notre
direction sous la douce clarté des cieux. Tout 4 coup, j’entendis,
a grande distance, des aboiements de chiens.
— Qurest-ce donc ? demandai-je, surpris.
— Les chiens, dit Narcisa, sont des aides précieuses dans
les régions obscures du Seuil oti ne se trouvent pas seulement
les hommes désincarnés, mais également de véritables monstres
quil nest pas utile de décrire pour le moment.
D’une voix énergique, linfirmiére appela des serviteurs
qui se tenaient en arriére, envoyant l’un d’entre eux a l’intérieur
transmettre des ordres. J’observai attentivement I’étrange groupe
qui s approchait lentement.
Six grands véhicules pareils 4 des chariots, précédés de
meutes de chiens joyeux et turbulents, étaient tirés par des
animaux qui, méme de loin, me paraissaient étre des mulets
similaires aux mulets terrestres. Mais le fait le plus intéressant

212
Nosso Lar

était la multitude d’oiseaux au corps volumineux qui volaient


a faible hauteur au-dessus des chariots, produisant un bruit
singulier. Sans pouvoir m’en empécher, je m’adressai & Nar-
cisa, lui demandant :
— Out se trouve l’aérobus ? Ne serait-il pas possible de l’uti-
liser dans le Seuil ?
La réponse étant négative, je lui en demandai les raisons.
Toujours attentive, l’infirmiére m’expliqua :
— Question de densité de la matiére. Vous pouvez prendre
comme exemple l’air et l'eau. Vavion qui fend l’'atmosphére de la
planéte ne peut faire la méme chose dans le milieu marin. Nous
pourrions construire des machines spéciales comme le sous-ma-
rin ; mais par esprit de compassion pour ceux qui souffrent, les
centres spirituels supérieurs préférent employer des appareils de
transition. Qui plus est, on ne peut se passer, en de nombreux
cas, de la collaboration des animaux.
— Comment cela ? demandai-je, surpris.
— Les chiens facilitent le travail, les mulets supportent pa-
tiemment la charge et fournissent de la chaleur dans les zones
ou cela est nécessaire. Quant aux oiseaux, ajouta-t-elle en les
montrant dans le ciel, que nous appelons ibis voyageurs, ce sont
d’excellents aides des Samaritains car ils dévorent les forment
mentales haineuses et perverses, entrant en lutte directe contre
les ténébres du Seuil.
La caravane était 4 présent toute proche. Narcisa me fixa
avec une attention bienveillante et conclut :
— Mais pour le moment, le devoir n’autorise pas les expli-
cations. Vous pourrez recueillir de précieuses legons sur les ani-
maux. Mais au Ministére de l’Eclaircissement ott se trouvent les
parcs d’étude et d’expérimentation, pas ici.
Et donnant ici et la des ordres pour le travail, elle se pré-
para a recevoir les nouveaux malades de l’esprit.

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ade ia oat ete de ork: gestae
Bacopes
a neta tins
34
Avec les nouveaux
venus du Seuil

Ils stoppérent les meutes de chiens qui étaient conduites


par des travailleurs a la poigne ferme, 4 nos cétés.
En quelques minutes, nous étions tous en train d’enfiler
les énormes couloirs de l’entrée des Chambres de Rectification.
Des serviteurs s’activaient, empressés. Certains malades étaient
emmenés al intérieur avec un important soutien. Non seulement
Narcisa, Salustio et d’autres compagnons se langaient dans le tra-
vail, mais les Samaritains mobilisaient aussi toutes leurs énergies
dans le but de secourir. Quelques infirmes se comportaient avec
humilité et résignation ; d’autres se plaignaient a voix haute.
Me mettant également a l’ouvrage, je vis une petite
femme, Agée, qui essayait de descendre du dernier véhicule avec
une trés grande difficulté. Me regardant attentivement, elle s’ex-
clama, effrayée :
— Aie pitié, mon fils ! Aide-moi, pour l'amour de Dieu !

Zl,
Chico Xavier |André Luiz

Je men approchai avec intérét.


— Au nom du Ciel ! continua-t-elle en se signant. Grace a
la Providence Divine, je me suis éloignée du purgatoire... Ah !
ces maudits démons qui me torturaient la-bas ! Quel enfer ! Mais
les Anges du Seigneur arrivent toujours.
Je laidai a descendre, pris d’une extréme curiosité. Pour la
premiere fois, jentendais des références 4 l’enfer et au purgatoire
venant de la bouche d’une personne qui me semblait étre calme
et rationnelle. Obéissant peut-étre plus a la malice qui nvétait
particuliére, je lui demandai :
— Venez-vous de si loin ?
Parlant ainsi, je pris un air de profond intérét fraternel,
comme j’avais l’habitude de le faire sur la Terre, me souve-
nant en cet instant des sages recommandations de la mére de
Lisias. La pauvre créature, percevant mon intérét, commenca
a sexpliquer :
— D’une grande distance. Sur Terre, mon fils, j’ai été une
femme aux habitudes trés bonnes ; j'ai beaucoup pratiqué la
charité, j'ai prié sans cesse comme une dévote sincére. Mais que
pouvais-je contre les arts de Satan ? En quittant le monde, je me
suis retrouvée entourée d’étres monstrueux qui m’entrainérent
dans un véritable tourbillon. Au début, j'ai imploré la pro-
tection des Archanges Célestes. Cependant, les esprits diabo-
liques me retenaient prisonniére. Mais je ne perdis pas l’espoir
d’étre libérée, d’un moment a un autre, car j’avais laissé un peu
d’argent pour la célébration de messes mensuelles pour le repos
de mon ame.
Répondant a l’impulsion vicieuse de poursuivre sur ce
sujet qui n’avait rien 4 voir avec moi, j’insistai :
— Comme vos observations sont intéressantes ! Mais
n’avez-vous pas cherché a savoir les raisons pour lesquelles vous
avez dii rester dans cet endroit ?

216
Nosso Lar

— Non, pas du tout, répondit-elle en faisant un signe de


croix. Comme je vous Iai dit, pendant que j’étais sur la Terre, jai
fait tout mon possible pour étre une bonne croyante. Vous savez
que personne nest a l’abri du pécher. Mes esclaves provoquaient
des bagarres et des disputes, et bien que la fortune m’ait donné
une vie calme, il était nécessaire de faire preuve de temps en
temps de discipline. Les intendants étaient excessivement zélés et
je ne pouvais revenir sur mes ordres journaliers. Ainsi, il n’était
pas rare qu'un Noir soit supplicié, attaché au poteau jusqu’a ce
que mort sensuive, servant de legon pour les autres ; d’autres
fois, jétais obligée de vendre les méres captives, les séparant de
leurs enfants pour des questions d’équilibre domestique. A ces
occasions, je sentais ma conscience me peser. Mais je me confes-
sais tous les mois quand le pére Amancio se rendait 4 la ferme
et, apres la communion, j’étais libérée de ces péchés véniels car,
ayant regu I|’absolution dans le confessionnal et ayant regu l’hos-
tie sacrée, je me trouvais 4 nouveau en régle vis-a-vis de mes
devoirs envers le monde et envers Dieu.
A ce moment, scandalisé par ce que je venais d’entendre,
je commengai a l’orienter :
— Ma sceur, cette sensation de paix spirituelle était illusoire.
Les esclaves étaient également nos fréres. Devant le Pére Eternel,
les jeunes enfants des serviteurs sont égaux a ceux des maitres.
M’entendant, elle battit du pied autoritairement et dit
avec irritation :
— Ce mest pas vrai ! Lesclave est esclave. S’il n’en était
pas ainsi, la religion nous enseignerait le contraire. Alors, s'il y
avait des serviteurs dans la maison des évéques, pourquoi n’y en
aurait-il pas eu a plus forte raison dans nos fermes ? Qui devrait
ensemencer la terre, sinon eux ? J’ai toujours mis un point d’hon-
neur 4 les laisser dans les dépendances qui leur étaient réservées !
Dans ma ferme, ils ne sont jamais entrés dans la salle de visites si

217
Chico Xavier |André Luiz

ce nest pour accomplir mes ordres. Le pére Amancio, notre ver-


tueux prétre, m’a dit en confession que les Africains sont les pires
étres du monde, nés exclusivement pour servir Dieu en captivité.
Vous croyez que jaurais alors pu m’encombrer de scrupules dans
la maniére de traiter cette espéce de créatures ? Je nai aucun
doute la-dessus : les esclaves sont des étres pervers, fils de Satan !
J’en viens parfois 4 m’étonner de la patience avec laquelle j’ai to-
léré ces personnes sur Terre. Je dois reconnaitre que je suis sortie
de maniére inattendue de mon corps aprés avoir été choquée par
la décision de la Princesse visant a libérer ces bandits. De nom-
breuses années ont passé, mais je m’en souviens parfaitement.
Je me trouvais malade depuis de nombreux jours, et quand le
pére Amancio m’apporta la nouvelle de la ville, mon état empira
subitement. Comment pouvions-nous rester dans le monde en
voyant ces criminels en liberté ? C’est certain, ils voudraient nous
asservir a leur tour, et plutét que de servir ce genre de personnes,
nétait-il pas préférable de mourir ? Je reconnais m’étre confessée
avec difficulté, recevant des paroles de réconfort de la part du
prétre, mais il me semble que les démons sont aussi africains
et quils attendaient, aux aguets. J’ai été obligée de souffrir leur
présence jusqua aujourd hui...
— Et quand étes-vous venue ? demandai-je.
— En mai 1888.
Je sentis une étrange sensation d’effroi. Mon interlocutrice
fixa son regard terne sur horizon et dit :
— Il est possible que mes neveux aient oublié de payer les messes,
mais j’avais pourtant laissé cette disposition dans mon testament.
Jallais répondre, invitant ses raisonnements dans les zones
supérieures, lui fournissant des idées nouvelles de fraternité et de
foi, mais Narcisa s'approcha et me dit, bienveillante :
— André, mon ami, oubliez-vous que nous fournissons du
soulagement aux malades et aux perturbés ? Quel profit tirez-

218
Nosso Lar

vous de telles informations ? Les déments parlent de maniére


incessante, et qui les écoute, dépensant un intérét spirituel, peut
ne pas étre moins fou qu’eux.
Ces paroles furent dites avec tant de bonté que je rougis de
honte, sans avoir le courage d’y répondre.
— Ne vous laissez pas impressionner et occupons-nous des
fréres perturbés, ajouta délicatement l’infirmiére.
— Mais croyez-vous que je sois de ce nombre ? demanda la
vieille femme, scandalisée.
Démontrant ses excellentes qualités de psychologue, Nar-
cisa afficha une expression de tendresse fraternelle et répondit :
— Non, mon amie, ce mest pas ce que je dis. Je crois cepen-
dant que vous devez étre trés fatiguée. Votre effort expiatoire a
été trés long...
— Justement, justement, précisa la nouvelle venue du
Seuil, vous n'imaginez pas ce que j’ai dd souffrir, torturée par
les démons...
La pauvre créature allait continuer a répéter la méme his-
toire, mais Narcisa, m’enseignant comment procéder en de telles
circonstances, la coupa :
— Ne commentez pas le mal. Je sais déja tout ce qui vous
est arrivé d’amer et de douloureux. Reposez-vous en pensant que
je vais m’occuper de vous.
Et au méme instant, elle s’adressa humblement 4 |’un des
auxiliaires :
— Zenobio, rends-toi au département féminin et appelle
Némésia en mon nom afin quelle conduise une sceur de plus
aux lits de traitement.

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35
Rencontre singuliére

Nous rangions le matériel de l’expédition et nous gardions


les animaux qui avaient participé au travail quand la voix de
quelqu’un se fit doucement entendre 4 mes cétés :
— André !Te voici ici ? Trés bien ! Quelle agréable surprise !
Etonné, je me retournai et reconnus dans le Samaritain
qui parlait le vieux Silveira, personne que je connaissais car mon
pére, comme négociant inflexible, l’avait un jour dépossédé de
tous ses biens.
Un embarras justifié me domina alors. Je voulus le saluer, lui
témoigner un geste affectueux, mais le souvenir du passé me para-
lysa soudainement. Je ne pouvais simuler, dans ce nouveau milieu
out la sincérité transparaissait sur tous les visages. Ce fut Silveira
qui, comprenant la situation, vint 4 mon secours, ajoutant :
— Jignorais réellement que tu avais quitté ton corps et
jétais loin de penser que je te rencontrerai a « Nosso Lar ».
Percevant son amabilité spontanée, je le pris dans mes
bras, ému, murmurant des paroles de reconnaissance. Je voulus

P9)|
Chico Xavier |André Luiz

essayer de lui donner des explications concernant le passé, mais


je ny parvins pas. Au fond, je désirais présenter des excuses pour
la maniére d’agir qu’avait eue mon pére, le conduisant au bout
dune faillite désastreuse. Sur le moment, je revécus mentalement
des flash-back. Ma mémoire montrait 4 nouveau la situation vi-
vante. Il me semblait encore entendre Mme Silveira quand elle
s était rendue a notre maison, suppliante, pour expliquer la situa-
tion. Son mari était alité depuis longtemps, l’infirmité de leurs
deux enfants aggravant leurs difficultés. Les nécessités étaient
nombreuses et les traitements exigeaient une somme considé-
rable. La pauvre pleurait, portant a ses yeux son mouchoir. Elle
demandait un délai, implorait de justes concessions. Elle shumi-
liait, adressant des regards douloureux 4 ma mére, comme de-
mandant secours et compr¢hension au coeur d'une autre femme.
Je me souvins que ma mére intervint, attentionnée, demandant a
mon pére qu'il oublie les documents signés, s’abstenant de toute
action judiciaire. Mais mon pére, habitué aux transactions im-
portantes et favorisé par la chance, ne pouvait pas comprendre
la condition du détaillant. Il se montra intraitable. Déclarant
regretter les faits, qu'il aiderait le client et ami dune autre ma-
niére, mais que concernant les débits reconnus, il ne voyait pas
d’autre alternative que d’accomplir religieusement les dispositifs
légaux. II ne pouvait pas, disait-il, rompre les normes et les pré-
cédents de son établissement commercial. Les reconnaissances
de dette avaient une valeur légale. Et il consola son épouse affi-
gée en commentant la situation d’autres clients qui, selon lui, se
trouvaient en de pires conditions que Silveira. Je me souvins des
regards de sympathie que ma mére adressa a l’infortunée femme
de Silveira noyée de larmes. Mon pére demeura dans une pro-
fonde indifférence a toutes les supplications, et quand la pauvre
femme se retira, il réprimanda ma mére avec austérité, lui inter-
disant toute autre interférence dans ses affaires commerciales. La

ID)
Nosso Lar

pauvre famille dit endurer une ruine financiére complete. Je me


souvenais parfaitement de l’instant ou: le piano de Mme Silveira
fut retiré de sa résidence pour satisfaire aux derniéres exigences
de limplacable créancier.
Je voulais m’excuser mais je ne trouvais toutefois pas les
phrases justes car, 4 cette occasion, j’avais également encouragé
mon pére a commettre cet acte inique. J’avais considéré ma
mére comme étant excessivement sentimentaliste et je l’avais
induit a poursuivre son action jusqu’a la fin. Encore trés jeune,
la vanité s’était emparée de moi. Je ne me souciais pas de savoir
si d’autres souffraient, je ne parvenais pas a voir les nécessi-
tés d’autrui. Je voyais seulement les droits de ma maison, rien
de plus. Et sur ce point, j’avais été intolérant. Tout argument
maternel avait été inutile.
Mis en échec dans la lutte, les Silveira avaient cherché
un endroit humble a la campagne, vivant dans l’amertume et
Pextréme pénurie le désastre financier. Plus jamais je n’eus de
nouvelles de cette famille qui, certainement, devait nous hair.
Ces souvenirs apparaissaient dans mon cerveau de seconde
en seconde. En un moment, le passé plein d’ombres s’était re-
constitué. Et tandis que je dissimulais avec difficulté mon désap-
pointement, souriant, Silveira me rappela 4 la réalité :
— Est-ce que tu as rendu visite aux « vieux'® » ?
Cette question qui mettait en évidence une tendresse
spontanée augmentait mon sentiment de honte. Je lui expliquai
que malgré mon immense désir, je n’avais pas encore eu telle
satisfaction. Silveira percut ma géne et, s'apitoyant peut-étre sur
mon état intérieur, il chercha 4 s éloigner. Gentiment, il me serra
dans ses bras et sen retourna au travail.

10 NdT : au Brésil, l'appellation « vieux » sert a désigner de maniére affectueuse les


membres de la famille ayant un certain age.

223
Chico Xavier |André Luiz

Trés déconcerté, je me mis en quéte de Narcisa, impa-


tient de recevoir ses conseils. Je lui exposai la situation, détail-
lant les victoires terrestres. Elle m’écouta avec patience et dit
avec douceur :
— Cela ne m’étonne pas. Je me suis retrouvée, il y a long-
temps, dans des situations similaires. J'ai déja eu la chance de
rencontrer par ici un grand nombre de personnes que j’avais
offensées dans le monde. Aujourd’hui, je sais que cela est une
bénédiction du Seigneur, qui rénove notre opportunité de réta-
blir la sympathie interrompue, reconstruisant les anneaux brisés
de la chaine spirituelle.
Et devenant plus ferme dans l’enseignement, elle me demanda :
— Avez-vous profité de cette belle occasion ?
— Que voulez-vous dire ? demandai-je.
— Vous étes-vous excusé auprés de Silveira ? Sachez que
Cest une grande joie que de reconnaitre ses propres erreurs. Etant
donné que vous pouvez faire une introspection a la lumiére de la
compr¢hension, vous reconnaissant comme un ancien offenseur,
ne perdez pas l’opportunité de devenir un ami. Allez-y, mon
cher, et serrez-le dans vos bras d’une autre manieére. Profitez du
moment parce que Silveira est trés occupé et qu'une autre occa-
sion ne se présentera peut-étre pas de sitét.
Notant mon indécision, Narcisa ajouta :
— Ne craignez pas I’échec. A chaque fois que nous offrons
la réflexion et le sentiment au bien, Jésus nous accorde la réus-
site quand cela se fait nécessaire. Prenez l’initiative. Réaliser des
actions dignes, quelles quelles soient, représente un honneur
légitime pour l’Ame. Rappelez-vous |’Evangile et allez chercher
le trésor de la réconciliation.
Je mhésitai pas plus longtemps. Je courus a la rencontre de
Silveira et lui parlai ouvertement, lui demandant qu ‘il pardonne
mon pére et moi-méme des offenses et des erreurs commises.

224
Nosso Lar

— Vous comprenez, insistai-je, nous étions aveugles. Nous


ne percevions rien, dans cet état, sinon notre propre intérét.
Quand largent s’allie 4 la vanité, Silveira, ’homme peut diffici-
lement s’écarter du mauvais chemin.
Grandement ému, Silveira ne me laissa pas terminer :
— Allons, André, qui est exempt de fautes ? Est-ce que tu
pourrais, par hasard, me croire exempt d’erreurs ? En plus, ton
pere a été un véritable instructeur. Nous lui devons, mes enfants
et moi, les legons bénites de l’effort personnel. Sans cette attitude
énergique qui retira nos possibilités matérielles, qu’en aurait-il
été du progrés de esprit ? Nous avons ici rénové tous les vieux
concepts de la vie humaine. Nos adversaires ne sont pas a pro-
prement parler des ennemis mais plutét des bienfaiteurs. Ne
vous livrez pas aux tristes souvenirs. Travaillons avec le Seigneur,
reconnaissant l’infini de la vie.
Fixant avec émotion mes yeux emplis de larmes, il me ré-
conforta paternellement et conclut :
— Ne perds pas de temps avec cela. Je veux avoir bientét la
satisfaction de rendre visite 4 ton pére auprés de toi.
Je le pris alors dans mes bras, en silence, ressentant une
joie nouvelle en mon Ame. II me sembla que dans l’un des obs-
curs recoins de mon coeur, une lumiére divine venait de s’allumer
pour toujours.

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36
Le réve

Les travaux se poursuivirent sans interruption ; infirmes


exigeant des soins, perturbés réclamant de l’attention. A la tom-
bée de la nuit, je me sentais accoutumé au mécanisme des passes,
les appliquant aux nécessiteux de toutes sortes.
Vers le matin, Tobias revint aux Chambres et, plus par
générosité que pour tout autre motif, il m’encouragea avec des
paroles stimulantes.
— Trés bien, André ! s’exclama-t-il, content. Je vais vous
recommander auprés du Ministre Génésio et vous recevrez vos
bonus en double pour ces travaux initiaux.
Je cherchais des mots de remerciement quand Laura et
Lisias arrivérent et m’embrassérent.
— Nous nous sentons profondément satisfaits, dit la géné-
reuse amie en souriant. Je vous ai accompagné en esprit durant la
nuit, et vos débuts dans le travail sont motifs 4 une joie méritée dans
notre cercle familial. Je me suis arrangée pour apporter la nouvelle
au Ministre Clarencio, qui m’a chargé de vous féliciter de sa part.

ah
Chico Xavier |André Luiz

Ils échangérent des propos affectueux avec Tobias et Nar-


cisa, puis ils me demandérent de leur raconter de vive voix mes
impressions. Je ne me sentais pas de joie. Mais ce fut pourtant
par la suite que vint ma sublime allégresse. Malgré l’invitation
de la mére de Lisias 4 rentrer 4 la maison afin que je puisse me
reposer, Tobias mit 4 ma disposition un appartement de repos
aux cotés des Chambres de Rectification et il me conseilla de
prendre un moment de répit. De fait, je ressentais un grand
besoin de sommeil. Narcisa prépara mon lit avec toute l’atten-
tion d’une soeur.
Retiré dans la chambre confortable et spacieuse, je priai le
Seigneur de la Vie, le remerciant pour la bénédiction d’avoir été
utile. La « bonne fatigue » de ceux qui accomplissent leur devoir
ne me donna pas l’occasion d’une quelconque insomnie désa-
gréable. En quelques instants, des sensations de légéreté enva-
hirent toute mon ame et j’eus impression d’étre emporté par un
petit bateau en direction de régions inconnues.
Ot est-ce que je me dirigeais ? Impossible a dire. A mes
cétés, un homme tenait le gouvernail. Et tel un enfant qui ne
peut énumérer ni décrire les beautés du chemin, je me laissais
conduire sans aucune exclamation, bien qu’extasié devant la ma-
gnificence du paysage. Il me semblait que l’embarcation avangait
rapidement malgré ses mouvements ascensionnels. Quelques
minutes s’étant écoul€ées, je me vis en face d’un port merveilleux
ou quelqu’'un m’appela avec une tendresse toute spéciale :
— André !... André !...
Je débarquai dans une précipitation vraiment enfantine. Je
pouvais reconnaitre cette voix entre mille. Quelques instants plus
tard, je serrai ma mére dans mes bras, débordant de joie. Elle me
conduisit alors dans un prodigieux petit bois oui des fleurs étaient
dotées de la singuliére propriété de retenir la lumiére, révélant
une féte permanente de parfums et de couleurs. Des tapis dorés

228
Nosso Lar

et lumineux s’étendaient ainsi sous les grands arbres murmurant


doucement dans le vent. Mes impressions de félicité et de paix
étaient indescriptibles. Le réve n’était pas A proprement parler
comme ceux qui ont lieu sur la Terre. Je savais parfaitement avoir
laissé le véhicule inférieur dans l’appartement des Chambres de
Rectification, 4 « Nosso Lar », et j’avais l’absolue conscience de
ce déplacement en un autre plan. Mes notions de l’espace et du
temps étaient exactes. A son tour, la richesse d’émotions s’affirma
a chaque fois plus intense. Aprés m’avoir adressé des encourage-
ments spirituels sacrés, ma mére expliqua avec bonté :
— J’ai longuement demandé a Jésus qu’il me permette la
satisfaction de t’avoir 4 mon cété, le premier jour de ton ser-
vice utile. Comme tu peux le voir, mon fils, le travail est un
tonique divin pour le coeur. Nombre de nos compagnons, aprés
avoir laissé la Terre, demeurent en des attitudes contreproduc-
tives, attendant des miracles qu ils ne verront jamais venir. Ain-
si, de brillantes capacités se réduisent 4 de simples expressions
parasitaires. Quelques-uns se disent découragés par la solitude,
d’autres, comme cela se passait sur la Terre, se déclarent en dé-
saccord avec le moyen par lequel ils ont été appelés a servir le
Seigneur. I] est indispensable, André, de convertir toute oppor-
tunité de la vie en un motif d’attention a Dieu. Dans les cercles
inférieurs, mon fils, le plat de soupe pour |’affamé, le baume
pour le lépreux, le geste d’amour pour celui qui est désabusé
sont des services divins qui ne seront jamais oubliés dans la Mai-
son de Notre Pére. Ici aussi, le regard de compréhension pour
le coupable, la promesse évangélique pour ceux qui vivent dans
le désespoir, l’espérance pour celui qui se trouve dans l’affliction
constituent des bénédictions de travail spirituel que le Seigneur
observe et enregistre a notre profit...
Lapparence de ma mére était plus belle que jamais. Ses
yeux de madone semblaient irradier une luminosité sublime,

ae)
Chico Xavier |André Luiz

ses mains me transmettaient, dans des gestes de douceur, des


fluides créateurs d’énergies nouvelles, de pair avec des émo-
tions charitables.
~ LEvangile de Jésus, André, continua-t-elle avec ten-
dresse, nous rappelle qu'il y a plus de joie a donner qu’a rece-
voir. Nous apprenons a concrétiser un tel principe par effort
quotidien auquel nous sommes conduits par notre propre
félicité. Donne toujours, mon fils. N’oublie surtout jamais
de donner de toi-méme, dans la tolérance constructive, dans
Pamour fraternel et la divine compréhension. La pratique du
bien extérieur est un enseignement et un appel afin que nous
parvenions a la pratique du bien intérieur. Jésus a donné plus de
lui-méme pour la croissance des hommes que tous les million-
naires de la Terre assemblés dans le travail, bien que sublime,
de la charité matérielle. N’aie pas honte de venir en aide aux
personnes couvertes de plaies, et éclaire les fous qui entrent
dans les Chambres de Rectification, ot j’ai observé, spirituel-
lement, tes travaux de la nuit passée. Travaille, mon fils, faisant
le bien. Dans toutes nos colonies spirituelles, comme dans les
sphéres du globe, des 4mes vivent préoccupées, impatientes
de nouveauté et de distraction. Mais a chaque fois que cela
test possible, oublie la compréhension et recherche le service
utile. Ainsi, tout comme moi, misérable que je suis, qui ai pu
voir, en esprit, tes efforts 4 « Nosso Lar » et suivre les peines
de ton pére dans les zones du Seuil, Dieu nous voit et nous ac-
compagne tous, depuis le plus lucide ambassadeur de sa bonté
jusqu’aux derniers étres de la Création, bien en dessous des
vers de la Terre.
Ma mére fit une pause que je désirais utiliser pour lui
dire quelque chose, mais je ne le pus pas. Des larmes d’émotion
étranglaient ma voix. Elle m’adressa un regard plein de tendresse,
comprenant la situation et continua :

230
Nosso Lar

— Dans la majorité des colonies spirituelles, nous


connaissons la rémunération du travail avec les bonus-heures.
Notre base de compréhension unit deux facteurs essentiels. Le
bonus représente la possibilité de recevoir quelque chose de
nos fréres engagés dans la lutte, ou de rémunérer quelqu’un
qui se trouve dans nos réalisations. Mais le critére concernant
la valeur de ’heure appartient exclusivement 4 Dieu. Dans la
bonification extérieure, il peut y avoir de nombreuses erreurs
de notre personnalité faillible, considérant notre condition de
créature en labeurs d’évolution, comme il en va sur Terre ; mais
en ce qui concerne le contenu spirituel de l’heure, il y a des
correspondances directes entre le Seigneur et les Forces Divines
de la Création. C’est pour cela, André, que nos activités expé-
rimentales dans le progrés commun, 4 partir de la sphére cor-
porelle, souffrent de continuelles modifications tous les jours.
Tableaux, situations, payements, sont des modalités d’expé-
rimentation des administrateurs 4 qui le Seigneur concéda
Popportunité de coopérer dans les CZuvres Divines de la Vie,
comme il concéde a la créature le privilége d’étre pére ou mére,
pour quelque temps, sur la Terre et en d’autres mondes. Tout
administrateur sincére donne une grande attention aux travaux
qui lui reviennent ; tout pére conscient est empli d’un amour
attentif. Dieu aussi, mon fils, est un Administrateur vigilant et
un Pére extrémement dévoué. II noublie personne et se réserve
le droit de s'arranger avec le travailleur en ce qui concerne le
véritable profit dans le temps de service. Toute compréhension
extérieure affecte la personnalité ; mais toute valeur de temps
concerne la personnalité éternelle, celle qui restera toujours
dans nos cercles de vie, en marche pour la gloire de Dieu. C’est
pour cela que le Trés Haut concéde la sagesse a celui qui dé-
pense son temps a apprendre, et 4 donner plus de vie et de joie
a ceux qui savent renoncet...

od
Chico Xavier |André Luiz

Ma mere se tut pendant que j’essuyais mes yeux. Ce fut


alors quelle me prit dans ses bras, me caressant tendrement. Tel
le petit qui s’endort aprés la legon, je perdis conscience pour me
réveiller plus tard dans les Chambres de Rectification, ressentant
de vigoureuses sensations d’allégresse.

ays
Deda
La lecon du ministre
Au cours des travaux du lendemain, je portai un grand inté-
rét a la conférence du Ministre Vénéranda. Conscient qu'une per-
mission me serait nécessaire, je m’arrangeai avec Tobias a ce sujet.
— Ces cours, dit-il, sont uniquement suivis par des esprits
sincérement intéressés. Ici, les instructeurs ne peuvent pas perdre
de temps. Vous étes ainsi autorisé 4 comparaitre parmi les étu-
diants, qui se comptent par centaines au sein des serviteurs, et
les pensionnaires des Ministéres de la Régénération et de |’Aide.
Avec un geste d’encouragement, il conclut :
— Je vous souhaite d’en profiter le plus possible.
Le nouveau jour se passa en service actif. Le contact de
ma mere, ses belles observations concernant la pratique du bien
remplissaient mon esprit d'un sublime réconfort. Au début, tout
de suite aprés le réveil, ses explications sur le bonus-heure avaient
suscité en moi d’importantes interrogations. Comment pourrait
étre faite la compréhension de l’heure affectée 4 Dieu ? Le comp-
tage du temps rétait-il pas une attribution de l’administrateur

233
Chico Xavier |André Luiz

spirituel ou humain ? Mais Tobias éclaira mon intelligence affa-


mée de lumieére.
— En général, l obligation de compter le temps de service
revient aux administrateurs. Il est également juste qu’ils éta-
blissent des éléments de respect et de considération pour le mé-
rite du travailleur. Mais concernant la valeur essentielle du juste
profit, il n’y a que les Forces Divines qui peuvent les déterminer
avec exactitude. Il y a des serviteurs qui, aprés quarante années
d’activité particuliére, s’en retirent avec la méme indiscipline de
la premiére heure, prouvant quils gaspillerent leur temps sans
employer le dévouement spirituel, comme il existe des hommes
qui, atteignant cent ans d’existence, en sortent avec la méme
ignorance que celle de |’4ge infantile. Le concept de votre mére
est si précieux, dit Tobias, quil suffit de se souvenir des heures
des hommes bons et des mauvais. Chez les premiers, elles se
transforment en celliers de bénédictions de l’Eternel ; chez les
seconds, en punitions de tourment et de remords, comme s’ils
avaient été des étres maudits. Chaque fils régle ses comptes avec
le Pére, en accord avec la maniére dont il a employé l’opportu-
nité ou selon ses ceuvres.
La contribution de ses explications mvaida a réfléchir sur la
valeur du temps, dans tous les sens.
Quand vint l’heure destinée aux enseignements du Mi-
nistre, juste aprés la priére du soir, je me dirigeai en compagnie
de Narcisa et de Salustio vers le grand salon en pleine nature.
Lenclos naturel, ot de grands bancs couverts de gazon nous
accueillirent confortablement, était une véritable merveille. Une
grande variété de fleurs, brillant a la lumiére de beaux candélabres,
exhalaient un délicat parfum. J’évaluai l’assistance 4 plus de mille
personnes. Je notai dans la disposition de la grande assemblée que
vingt entités s’asseyaient en un endroit particulier, comme je re-
marquai l’éminence fleurie ou se voyait le fauteuil de l’instructrice.

234
Nosso Lar

A la question que je venais de lui poser, Narcisa m’expliqua :


— Nous sommes dans une assemblée d’auditeurs. Les
fréres qui se trouvent a ces places mises en valeur sont les plus
avancés dans la matiére d’aujourd’hui, compagnons qui pour-
ront interpeller le Ministre. Ils ont acquis ce droit par la mise
en application du sujet, condition que nous pouvons également
atteindre a notre tour.
— Ne pouvez-vous pas étre parmi eux ? demandai-je.
— Non. Pour le moment, je peux seulement masseoir ici
les nuits ot Pinstructrice aborde le traitement des esprits pertur-
bés. Mais il se trouve parmi nous des fréres dont la présence est
justifiée par l’élaboration de diverses théses, conformément 4 la
culture déja acquise.
— Voila un processus bien curieux, dis-je.
— Le Gouverneur, poursuivit l’infirmiére, a pris cette me-
sure pour les cours et les conférences de tous les Ministres, afin
que les travaux ne se dégradent pas d’une manieére générale, sans
raison, avec une grave perte de temps pour tout le monde. Tout
doute, tout point de vue vraiment utile, pourra étre expliqué ou
mis a profit, mais tout cela le moment opportun.
A peine avait-elle terminé de parler que le Ministre
Vénéranda pénétra dans le salon en compagnie de deux dames a
Pallure distinguée. Narcisa m’informa qu'il s’agissait de Ministres
de la Communication.
Par sa simple présence, Vénéranda répandit une énorme
joie sur tous les visages. Elle n’affichait pas la physionomie d’une
vieille femme, ce qui contrastait avec son nom, mais celle d’une
noble femme d’age mir, pleine de simplicité, sans affectation.
Aprés une courte discussion avec les vingt compagnons,
durant laquelle elle sembla les informer des nécessités domi-
nantes de l’assemblée en général concernant le theme de la nuit,
elle commenga en disant :

235
Chico Xavier |André Luiz

-- Comme toujours, je ne peux profiter de notre réunion


pour me livrer 4 de longs discours, mais je suis ici pour converser
avec vous, relatant quelques observations sur la pensée.
« Il se trouve ici, parmi nous, quelques centaines
d’auditeurs surpris par notre sphére pleine d’analogies avec
celle de la planéte. N’avez-vous pas appris que la pensée est
un langage universel ? N’avez-vous pas été informés que la
création mentale est presque tout dans notre vie ? Nombreux
sont les fréres qui formulérent de telles questions. Toutefois,
ils trouvent ici habitation, Pustensile et le langage terrestre.
Malgré tout, cette réalité ne doit causer de surprise a personne.
Nous ne pouvons oublier que nous avons jusqu’a présent, en
nous référant a l’existence humaine, vécu en de vieux cercles
d’antagonisme vibratoire. La pensée est la base des relations
spirituelles des étres entre eux, mais n’oublions pas que nous
sommes des millions d’4mes dans |’Univers, certaines encore
insoumises aux lois universelles. Pour l’heure, nous ne sommes
pas encore comparables aux fréres les plus 4gés et les plus sages,
proches du Divin, mais aux millions d’entités qui vivent dans
les caprices des « mondes inférieurs » de notre « moi ». Les
grands instructeurs de l’humanité corporelle enseignent des
principes divins, exposent des vérités éternelles et profondes,
dans les cercles du globe. Mais en général, dans les activités
terrestres, nous recevons des informations sur ces lois sans nous
y soumettre et nous prenons connaissance de ces vérités sans
leur consacrer nos vies.
« Serait-il croyable que, seulement pour admettre le
pouvoir de la pensée, homme soit libéré de toute la condition
inférieure ? Impossible !
« Une existence séculaire, dans la chair terrestre, représente
une période excessivement courte pour que nous puissions aspirer
4 une position de coopérateur essentiellement divin. Nous nous

236
Nosso Lar

informons de la force mentale dans l’apprentissage mondain,


mais nous oublions que nous avons employé toute notre énergie,
pendant des millénaires, 4 des créations mentales destructrices
ou a l’origine de préjudices contre nous-mémes.
« Nous sommes admis aux cours de spiritualisation dans les
différentes écoles religieuses du monde, mais c’est fréquemment
que nous agissons exclusivement sur le terrain des affirmations
verbales. Cela dit, personne ne répondra seulement au travail
par des paroles. La Bible enseigne que le Seigneur de la Vie en
personne ne sest pas limité au Verbe et a continué le travail
créatif dans l’Action.
« Nous savons tous que la pensée est une force essentielle,
mais nous n’admettons pas notre perversion millénaire de
cette force.
« Il va de soi quun homme est obligé de nourrir ses
enfants. De la méme manieére, chaque esprit est obligé de main-
tenir et de nourrir les créations qui lui sont particuliéres. Une
idée criminelle produira des réalisations mentales de la méme
nature ; un principe élevé obéira a la méme loi. Recourons a un
symbole plus simple. Aprés s’étre élevée dans les hauteurs, l’eau
retombe purifiée, véhiculant de vigoureux fluides vitaux dans la
rosée protectrice ou dans la pluie bénéfique. Nous la conservons
avec les détritus de la terre et nous la transformons en habitation
pour les microbes destructeurs.
« La pensée est de partout une force vive. Elle est
atmosphére créatrice enveloppant le Pére et ses enfants, la
Cause et les Effets, dans la Demeure Universelle. En elle, les
hommes se transforment en anges sur le chemin qui conduit
vers le ciel, ou en génies diaboliques sur le chemin condui-
sant a l’enfer.
« Avez-vous appris l’importance de cela ? D’accord, chez
les esprits évolués, parmi les désincarnés et les incarnés, l’échange

27
Chico Xavier |André Luiz

mental sans besoin des formes est suffisant, et il est juste de


mettre en relief le fait que la pensée en soi est la base de tous les
messages silencieux de l’idée, dans les plans merveilleux de l’in-
tuition parmi les étres de toute espéce. Selon ce principe, l’esprit
qui a vécu exclusivement en France pourra se manifester au Bré-
sil, de pensée 4 pensée, se dispensant de forme verbale spéciale
qui, dans ce cas, sera toujours celle du récepteur. Mais cela exige
aussi une affinité pure. Nous ne sommes pas dans des sphéres
dune absolue pureté mentale, oti tous les étres ont des affinités
entre eux. Nous nous rapprochons les uns des autres, en groupes
isolés, et nous sommes obligés d’avancer dans les constructions
transitoires de la Terre afin de revenir dans les cercles planétaires
avec un plus grand bagage évolutif.
« Mais “Nosso Lar”, en tant que cité spirituelle de
transition, est une bénédiction qui nous est concédée par un
“surcroit de miséricorde”, afin que quelques-uns, peu nombreux,
puissent se préparer a l’ascension, et pour que la majorité
puisse retourner vers la Terre dans des travaux rédempteurs.
Comprenons la grandeur des lois de la pensée et soumettons-
nous-y, dés aujourd’hui.
Aprés une longue pause, le Ministre sourit 4 lauditoire et
demanda :
— Qui souhaite profiter de l’occasion ?
Tout de suite aprés, une douce musique emplit le salon de
caressantes mélodies. Vénéranda parla encore un long moment,
révélant amour et comprchension, délicatesse et sagesse.
Sans aucune solennité dans ses gestes indiquant la fin de la
conversation, la conférence s’acheva sur une question amusante.
Quand je vis les compagnons se lever pour se retirer, au son de la
musique habituelle, je demandai 4 Narcisa, surpris :
— Que se passe-t-il ? La réunion est-elle terminée ?
Linfirmiére bienveillante m’expliqua en souriant :

238
Nosso Lar

— Le Ministre Vénéranda est toujours ainsi. Elle termine la


conversation au milieu de notre plus grand intérét. Elle a ’habi-
tude de dire que les enseignements évangéliques commencérent
avec Jésus, mais que personne ne peut savoir quand ni comment
ils se termineront.

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38
Le cas de Tobias
Le troisiéme jour de travail, Tobias me fit plaisir grace a
une agréable surprise. Alors que la fin de l’aprés-midi se profilait
et que le travail touchait 4 sa fin, vu que d’autres se charge-
raient de |’assistance nocturne, je fus fraternellement conduit
4 sa résidence ot! de beaux moments de joie et d’apprentissage
m/attendaient.
Tout de suite aprés étre entré, il me présenta deux dames,
Pune déja d'un certain Age et l’autre approchant la maturité. Il
m’expliqua qu'il s’agissait de son épouse et d’une soeur. Luciana
et Hilda, aimables et délicates, brillaient par leur gentillesse.
Réunis dans la splendide bibliothéque de Tobias, nous
examinions des volumes magnifiques tant par leur reliure que
par leur contenu spirituel.
Hilda m/invita 4 visiter le jardin afin que je puisse obser-
ver de prés les tonnelles aux formes travaillées. Chaque maison
de « Nosso Lar » semblait se spécialiser dans la culture de fleurs
particuliéres. Chez Lisias, les glycines et les lys se comptaient par

241
Chico Xavier |André Luiz

centaines ; dans la résidence de Tobias, d’innombrables horten-


sias avaient éclos au milieu des draps verts de violettes. De belles
tonnelles d’arbres délicats, rappelant le bambou encore jeune,
laissaient voir 4 leur sommet une plante grimpante intéressante
dont la caractéristique principale était de les unir avec des noeuds
fleuris s'entremélant a la verte chevelure des arbres, formant un
toit des plus charmants.
Je ne parvenais pas 4 traduire mon admiration. L'atmos-
phére était embaumée d’un parfum enivrant. Nous commen-
tions la beauté du paysage en général, vu depuis l’angle du Minis-
tére de la Régénération, lorsque Luciana nous appela a l’intérieur
pour prendre un léger repas.
Enchanté par l’ambiance simple, pleine de notes de frater-
nité, je ne savais comment remercier mes généreux hdtes. A ce
moment de l’agréable discussion, Tobias dit en souriant :
—A dire vrai, mon ami est encore un apprenti dans notre Mi-
nistére et peut-étre ne connait-il pas encore mon histoire familiale.
Les deux dames sourirent en méme temps. Observant mon
interpellation silencieuse, le propriétaire de la maison poursuivit :
— Nous avons d’ailleurs de nombreux cas dans les mémes
conditions. Imaginez que j’ai été marié deux fois...
Et, indiquant les deux amies qui étaient avec nous dans la
piece, il poursuivit dans un geste de bonne humeur :
— Je crois n’avoir pas besoin d’expliquer quoi que ce soit en
ce qui concerne mes épouses.
— Ah oui ? murmurai-je, extrémement confus. Vous voulez
dire que Hilda et Luciana ont pris part a vos expériences sur la Terre...
— Crest cela, répondit-il tranquillement.
Profitant de cette pause, Hilda prit la parole et s'adressa 4 moi :
— Excusez notre Tobias, frére André. II est toujours disposé
a parler du passé quand nous recevons la visite d'une personne
arrivée récemment de la Terre.

242
Nosso Lar

— Eh bien, n’y a-t-il pas matiére a se réjouir, dit Tobias


avec humour, dans le fait de vaincre le monstre de la jalou-
sie inférieure, conquérant, tout au moins, une expression de
réelle fraternité ?
— Effectivement, répondis-je, le probléme nous concerne
tous profondément. II y a des millions de personnes dans les
cercles de la planéte qui se trouvent en secondes noces. Com-
ment résoudre une si haute question affective, considérant la
spiritualité éternelle ? Nous savons que la mort du corps trans-
forme seulement, sans détruire. Les liens de |’Ame perdurent
a travers l'Infini. Comment agir ? Condamner homme ou la
femme qui se mariérent plus d’une fois ? Mais nous rencontre-
rions des millions d’individus dans ces conditions. Je me suis
déja souvenu plusieurs fois, avec intérét, du passage de |’Evan-
gile ou le Maitre nous promet la vie des anges, quand il se réfere
au mariage dans |’Eternité...
— Toutefois, coupa mon héte, bienveillant, il faut recon-
naitre, avec toute notre vénération envers le Seigneur, que nous
ne nous trouvons pas encore dans la sphére des anges mais dans
celle des hommes désincarnés.
— Mais comment résoudre une pareille problématique ?
demandai-je.
Tobias sourit et répondit :
— Trés simplement. Nous reconnaissons qu entre les ani-
maux et les hommes, il ya une énorme série graduelle de postions.
Ainsi, parmi nous, le chemin jusqu’a l’ange représente aussi une
immense distance 4 parcourir. Or, comment pouvons-nous aspi-
rer 4 la compagnie d’étres angéliques si nous ne sommes méme
pas encore fraternels les uns avec les autres ? II est certain quil
existe des marcheurs au grand courage qui se révélent supérieurs
4 tous les obstacles du sentier par un supréme effort de volonté.
Mais la majorité ne peut pas se passer de ponts ou de l’aide de

243
Chico Xavier |André Luiz

gardiens affectueux. En raison de cette vérité, les cas de cette


nature sont résolus dans les fondations de la fraternité légitime,
reconnaissant que le véritable mariage est celui des ames. Et cette
union, personne ne pourra la rompre.
A cet instant, Luciana, qui se maintenait silencieuse,
intervint en précisant :
— II convient toutefois d’expliquer que tout cela, félicité et
comprehension, nous le devons 4 l’esprit d'amour et de renonce-
ment de notre Hilda.
Cette derniére, démontrant une humilité digne, langa :
—Taisez-vous. N’énoncez pas des qualités que je ne posséde
pas. Je vais résumer notre histoire afin que notre ami connaisse
mon douloureux apprentissage.
Puis, aprés avoir pris l’attitude d'une narratrice affable, elle
continua:
— Tobias et moi nous sommes mariés sur Terre, quand nous
étions encore jeunes, par obéissance aux affinités spirituelles sa-
crées. Je ne crois pas nécessaire de décrire la joie de deux Ames
qui sunissent et s'aiment véritablement dans le mariage. Mais la
mort, qui semblait jalouse de notre fortune, me retira du monde
4 Poccasion de la naissance de notre second fils. Notre tourment
fut alors indescriptible. Tobias pleurait sans cesse, pendant que
sans force je me voyais succomber & ma propre angoisse. Des
jours pénibles s’abattirent sur moi dans le Seuil. Je n’avais pas
de reméde, sinon de rester accrochée 4 mon mari et 4 nos deux
enfants, sourde 4 tout éclaircissement que les amis spirituels
menvoyaient par intuition.
Je voulais lutter comme la poule auprés de ses poussins tout
en reconnaissant que mon époux avait besoin de réorganiser l’am-
biance domestique, que les petits réclamaient l’assistance mater-
nelle. La situation devenait franchement insupportable. Ma belle-
sceur, célibataire, ne supportait pas les enfants et la cuisiniére ne

244
Nosso Lar

faisait que simuler le dévouement. Deux jeunes nourrices avaient


une conduite réglée par Pinconséquence. Tobias ne pouvait pas
retarder la bonne solution et, un an de cette nouvelle situation
sétant écoulé, il épousa Luciana, contrariant mes désirs. Ah !
sil avait su combien j’étais révoltée ! J’étais pareille 4 une louve
blessée. Mon ignorance mYentraina jusqu’a lutter contre la pauvre
petite, essayant de |’anéantir. C’est alors que Jésus me concéda
la visite providentielle de ma grand-mére maternelle, désincar-
née depuis huit ans. Elle arriva avec lair de quelqu’un qui ne
cherchait rien de spécial, me remplissant de surprise. Elle s’assit &
mes cOtés et me prit dans ses bras, comme en d’autres temps, me
demandant, en larmes : « Qu’est-ce 1a, ma petite-fille ? Quel est
ton réle dans la vie ? Es-tu une lionne ou une Ame consciente de
Dieu ? Notre sceur Luciana sert de mére a tes enfants, c’est elle
qui prend soin de ta maison, elle est jardiniére dans ton jardin,
elle supporte la mauvaise humeur de ton mari et elle ne pourrait
pas assumer provisoirement la place de sa compagne de lutte, a
son cété ? Est-ce ainsi que ton coeur remercie les bienfaits divins
et rémunére ceux qui le servent ? Veux-tu une esclave et mépriser
une sceur ? Hilda! Hilda ! Ov est la religion du Crucifié que tu as
apprise ? Oh ! ma pauvre petite-fille, ma pauvre ! »
Je me suis alors jetée en pleurs dans les bras de ma sainte
grand-mére et abandonnai I’ancienne milieu familial, me ren-
dant en sa compagnie aux travaux de « Nosso Lar ». A partir
de la, j’eus en la personne de Luciana une nouvelle fille. Je tra-
vaillai dés lors intensément, me consacrant 4 l'étude sérieuse, a
mon amélioration morale, cherchant 4 aider les autres, sans dis-
tinction, dans notre ancien foyer terrestre. Tobias constitua une
nouvelle famille qui finit par m’appartenir aussi, par les liens spi-
rituels sacrés. Plus tard, il revint, se joignant 4 moi, accompagné
de Luciana qui vint également avec nous pour notre plus grande
joie. Voila notre histoire, mon ami...

245
Chico Xavier |André Luiz

Luciana prit la parole et fit observer :


— Elle n’a toutefois pas dit combien elle s'est sacrifiée,
menseignant par ses exemples.
— Que dis-tu, ma fille ?demanda Hilda, lui caressant la main.
Luciana sourit et ajouta :
— Mais grace a elle et a Jésus, j’ai appris qu'il y a mariage
d’amour, de fraternité, d’épreuve, de devoir. Le jour ot Hilda
m’embrassa, me pardonnant, je sentis que mon coeur se libérait
de ce monstre quest la jalousie inférieure. Le mariage spirituel
se réalise d’Ame a ame, les autres ne représentent que les plus
simples conciliations indispensables a la solution des nécessités
ou des processus rectificateurs, bien que tous soient sacrés.
— Et nous avons ainsi construit notre nouveau foyer, sur la
base de la fraternité légitime, ajouta le propriétaire de la maison.
Profitant du léger silence qui se fit, je demandai :
— Mais comment se passe le mariage ici ?
— Par la combinaison vibratoire, expliqua Tobias, attentionné.
Ou alors, pour étre explicite, par l'affinité maximale et complete.
Incapable de réfréner ma curiosité, j’oubliai les bonnes
manieres et insistal :
— Mais quelle est la situation de notre sceur Luciana, dans
ce cas ¢
Avant que les conjoints spirituels ne répondent, ce fut l’in-.
téressée elle-méme qui m’éclaira :
— Quand j’ai épousé Tobias, veuf, je devais déja étre cer-
taine que selon toutes probabilités, mon mariage serait avant tout
une union fraternelle. C’est ce qui me fut difficile 4 comprendre.
D/ailleurs, il est logique que si les conjoints souffrent d’inquié-
tude, de mésentente, de tristesse, ils soient unis physiquement,
mais ils ne sont pas intégrés dans le mariage spirituel.
Jaurais encore voulu demander quelque chose. Cepen-
dant, je ne trouvais pas les paroles qui n’auraient pas été em-

246
Nosso Lar

preintes d’une impertinente indiscrétion. Malgré tout, Hilda,


comprit ma pensée et expliqua :
— Soyez rassuré. Luciana est en pleines noces spirituelles.
Son noble compagnon de nombreuses étapes terrestres l’a précé-
dée de quelques années, retournant au cercle de la chair. Vannée
prochaine, elle ira également 4 sa rencontre. Je crois que l’heu-
reux moment aura lieu 4 Sao Paulo.
Tout le monde sourit avec allégresse.
A cet instant, Tobias fut appelé en urgence pour s’occuper
d'un cas grave dans les Chambres de Rectification. De ce fait, il
était donc nécessaire de clore la conversation.

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A lécoute de Laura

Le cas de Tobias m’avait profondément impressionné. Cette


maison, fondée sur de nouveaux principes d’union fraternelle, me
préoccupait tel un sujet obsédant. En fin de compte, je me sen-
tais aussi seigneur du foyer terrestre et j’évaluais combien une telle
situation me serait difficile. Aurais-je le courage de réagir comme
Tobias, imitant sa conduite ? Je reconnaissais que non. A ce qu'il
me semblait, je ne serais pas capable de déplaire autant 4 ma pauvre
Zélia et je n’accepterais jamais un tel fait de la part de mon épouse.
Ces propos que j’avais entendus chez Tobias me torturaient
le cerveau. Je ne parvenais pas 4 trouver d’explications justes qui
puissent me satisfaire. Je me sentais si préoccupé que je décidai,
le lendemain, profitant d'un moment de temps libre, de rendre
visite 4 Lisias, impatient de recevoir les explications de Laura, a
qui je vouais une confiance filiale.
Recu avec d’immenses démonstrations de joie, j’attendis
le moment propice ou je pouvais écouter la mére de Lisias avec
calme et sérénité.

249
Chico Xavier |André Luiz

Aprés que les jeunes se furent absentés, s’en allant vers


leurs divertissements habituels, j’exposai 4 amie généreuse le
probléme qui me chagrinait, non sans une géne bien naturelle.
Elle sourit, avec la grande expérience de la vie, et com-
menga a dire :
— Vous avez bien fait d’apporter cette question a notre
étude. Tout probléme perturbant l’€me demande une coopéra-
tion amie pour étre résolu.
Et aprés une bréve pause, elle poursuivit aimablement :
— Le cas de Tobias n’en est qu'un parmi d’innombrables
autres que nous connaissons ici et en d’autres centres spirituels
qui se caractérisent par la pensée élevée.
— Mais cela choque nos sentiments, n’est-ce pas ? la cou-
pai-je avec intérét.
— Quand nous nous en tenons au point de vue proprement
humain, ces choses pourraient aller jusqu’a nous scandaliser. Ce-
pendant, mon ami, il est a présent nécessaire que nous puissions
voir, avant tout, les principes de nature spirituelle. Dans ce sens,
André, nous avons besoin de comprendre l’esprit de séquence
qui régit les situations évolutives de la vie. Si nous traversons une
longue période d’animalité, il est juste que cette animalité ne dis-
paraisse pas d’un jour a l’autre. Nous employons de nombreux
siecles pour émerger des strates inférieures. Le sexe fait partie du
patrimoine des facultés divines que nous mettons du temps 4 com-
prendre. Il ne vous sera actuellement pas facile de comprendre,
dans le sens élevé, organisation du foyer auquel vous avez rendu
visite hier ; cela dit, la félicité, ici, est trés grande grace a l’atmos-
phere de compréhension qui s'est créée entre les personnages du
drame terrestre. Ce nest pas tout le monde qui arrive a substituer
des liens de lumiére a la chaine d’ombre en si peu de temps.
— Mais cela est-il une régle générale ? demandai-je. Tout
homme et toute femme, qui se sont mariés plus d'une fois, re-

250
Nosso Lar

construisent ici leur centre familial, se faisant accompagner de


toutes les affections qu ils avaient connues ?
Faisant preuve d’une grande patience, mon interlocutrice
expliqua :
— Ne soyez pas si radical. II est indispensable de progres-
ser lentement. Beaucoup de personnes peuvent avoir de |’affec-
tion et ne pas avoir de compréhension. N’oubliez pas que nos
constructions vibratoires sont bien plus importantes que celles
de la Terre. Le cas de Tobias est celui de la victoire de la fraternité
réelle, de trois Ames désireuses d’acquérir la juste compréhension.
Qui ne s'adapte pas 4 la loi de fraternité et de compréhension
ne traverse logiquement pas ces frontiéres. Les régions obscures
du Seuil sont remplies d’entités qui ne résistérent pas a de telles
épreuves. Tant quelles haissent, elles s’assimilent a des aiguilles
magnétiques sous les influx les plus opposés ; tant qu’elles n’ont
pas compris la vérité, elles souffriront l’empire du mensonge et,
par conséquent, elles ne pourront entrer dans les zones d’activité
supérieure. Les créatures qui souffrent de longues années, sans
aucun soulagement spirituel, sont innombrables, simplement
parce qu elles évitent la fraternité légitime.
— Et quarrive-t-il alors ? demandai-je, profitant d’une
pause de mon interlocutrice. Ot se trouvent les pauvres ames
qui vivent des expériences de cet ordre si elles ne sont pas ad-
mises dans les centres spirituels d’apprentissage noble ?
— Aprés des souffrances vraiment infernales, dues aux créa-
tions inférieures qu’elles générérent pour elles-mémes, répondit
la mére de Lisias, elles vont faire dans l’expérience de la chair
ce quelles n'ont pas réussi 4 réaliser dans un milieu étranger a
celui du corps terrestre. La Bonté Divine leur concéde l’oubli du
passé, dans l’organisation physique de la planéte, et elles vont
recevoir, dans les liens du sang, ceux dont elles se sont délibéré-
ment éloignées par le venin de la haine ou de l’incompréhension.

251
Chico Xavier |André Luiz

On peut en conclure 4 l opportunité, 4 chaque fois plus vive,


de la recommandation de Jésus quand il nous conseille de nous
réconcilier immédiatement avec nos adversaires. Ce conseil nous
concerne avant tout. Nous devons le suivre pour notre propre
bien. Qui sait profiter du temps, une fois l’expérience humaine
terminée, méme s’il est encore nécessaire de revenir aux cercles
de la chair, peut effectuer de sublimes constructions spirituelles
concernant la paix de la conscience, supportant des bagages de
préoccupation plus petits lors du retour 4 la matiére grossiére.
Il y a de nombreux esprits qui dépensent des siécles 4 essayer de
défaire des animosités et des antipathies au cours de |’existence
terrestre, les recréant aprés la désincarnation. Le probleme du
pardon, avec Jésus, mon cher André, est un probléme sérieux. II
ne se résout pas par des conversations. Pardonner verbalement
est une question de mots ; mais celui qui pardonne réellement
a besoin de déplacer encore et encore de lourds fardeaux d’une
autre époque, a l’intérieur de lui-méme.
A cet instant, Laura demeura silencieuse, comme qui avait
besoin de méditer sur l’ampleur des concepts énoncés. Je profitai
de occasion pour dire :
— Lexpérience du mariage est trés sacrée 4 mes yeux.
Mon interlocutrice ne fut pas surprise par ma déclaration
et elle reconnut :
— Notre conversation ne concerne par les esprits se trou-
vant encore en de simples expériences animales. Mais pour nous
qui comprenons la nécessité de l’illumination avec le Christ, il
est indispensable de mettre en relief non seulement |’expérience
du mariage, mais toute l’expérience du sexe qui affecte profon-
dément la vie de |’4me.
Ecoutant ses observations, je ne pus m’empécher de rougir
en me souvenant de mon passé d@homme commun. Ma femme
avait été pour moi un objet sacré que je mettais au-dessus de

252
Nosso Lar

toutes les affections ; cependant, en écoutant la mére de Lisias,


jentendais dans mon esprit les paroles antiques de l’Ancien
Testament'’ : « Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain.
‘Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur,
ni sa servante, ni son beeuf, ni son Ane, rien de ce qui appartient
a ton prochain. » En un instant, je me sentis incapable de pour-
suivre, trouvant le cas de Tobias trop étrange. Mais percevant ma
perturbation intérieure, mon interlocutrice continua :
— Ou leffort de réparation est la tache de presque tout le
monde, il doit y avoir une place pour la compréhension et beau-
coup de respect pour la miséricorde divine qui nous offre tant
de chemins aux justes rectifications. Toute expérience sexuelle
chez lindividu qui a déja regu un peu de lumiére de l’esprit est
un fait de grande importance pour lui-méme. C’est pour cela
que la compréhension fraternelle précéde tout travail vraiment
salutaire. Il y a pas longtemps, j’ai entendu un grand instructeur,
au Ministére de l’Elévation, affirmer que si cela lui était possible,
il irait se matérialiser dans les plans physiques afin de dire aux
religieux, en général, que toute la charité, pour étre divine, se
doit de prendre sa source dans la fraternité.
A ce moment, la propriétaire des lieux m/invita 4 rendre
visite 4 Eloisa, toujours recluse a l’intérieur de la maison, laissant
comprendre qu'elle ne souhaitait pas entrer plus en détail dans
ce sujet. Aprés avoir constaté les améliorations de la jeune fille ré-
cemment revenue de la planéte, je m’en retournai aux Chambres
de Rectification, plongé en de profondes réflexions.
A présent, la situation de Tobias ne me préoccupait
plus, pas plus que les attitudes de Hilda et de Luciana. Mais
ce qui mimpressionnait, c’était limposante question de la
fraternité humaine.

1 NdT :|’Exode, chapitre 20, verset 17.

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Je ne savais pas expliquer cette grande attraction concernant
la visite du département féminin des Chambres de Rectification.
Je parlai a Narcisa de mon souhait quelle s'empressa d’exaucer.
— Quand le Pére nous appelle en un endroit déterminé,
dit-elle, bienveillante, c’est qu'une tache nous y attend. Dans la
vie, chaque situation a une finalité définie... Ne cessez d’observer
ce principe lors de vos visites apparemment fortuites. Dés que
nos pensées visent la pratique du bien, il n’est pas difficile d’iden-
tifier les suggestions divines.
Le jour méme, l’infirmiére m’accompagna 4 la recherche
de Némésia, prestigieuse coopératrice dans ce secteur de travail.
Il ne fut pas difficile de la rencontrer.
Des lignées de lits trés blancs et bien soignés montraient
des femmes qui s'apparentaient surtout a des haillons humains.
Ici et 1a, des gémissements lancinants ; plus loin, d’angoissantes
exclamations. Némésia, qui se caractérisait par la méme généro-
sité que Narcisa, dit avec bonté :

225
Chico Xavier |André Luiz

— Vous devez maintenant étre habitué a ces scénes ? Dans


le département masculin, la situation est presque la méme.
Et faisant un geste significatif, elle ajouta :
— Narcisa, ayez l’obligeance d’accompagner notre frére et
de lui montrer les services que vous jugerez intéressants pour son
apprentissage. Soyez a votre aise.
Mon amie et moi commentions la vanité humaine, tou-
jours attachée aux plaisirs physiques, énumérant les observations
et les enseignements, quand nous atteignimes le Pavillon 7. Il se
trouvait ici quelques dizaines de femmes, dans des lits séparés par
une distance réguliére.
Jétudiais la physionomie des infirmes lorsque mes yeux
se posérent sur une personne qui éveilla en moi une plus vive
attention. Qui serait cette femme amére, a l’apparence si particu-
ligre ? Une vieillesse prématurée rendait son visage bien typique.
Un rictus planait sur ses lévres, mélange d’ironie et de résigna-
tion. Ses yeux, ternes et tristes, étaient défectueux. Ma mémoire
préoccupée et mon coeur opprimé, je la situai rapidement dans
le passé. C’était Elisa. La méme Elisa que j’avais connue quand
jétais jeune. La souffrance l’avait rendue différente, mais je ne
pouvais avoir aucun doute. Je me souvins parfaitement du jour
oti elle entra humblement dans notre maison, amenée par une
vieille amie de ma mére qui accepta les recommandations qu’on
lui avait faites 4 son sujet, engageant pour les travaux domes-
tiques. Au début, les choses se déroulaient normalement, rien
d’extraordinaire. Puis ce fut lintimité excessive de celui qui
abuse de la faculté de commander et de la condition de servir
quelqu’un. Elisa m’avait semblé relativement légére, et quand
nous étions seuls, elle commentait sans scrupules certaines aven-
tures de sa jeunesse, aggravant ainsi l’irréflexion de nos pensées.
Je me souvins du jour ot ma mére me donna de justes conseils.
Cette intimité, disait-elle, n’était pas la bienvenue. II était nor-

256
Nosso Lar

mal que nous fassions preuve envers la servante d’une générosité


affectueuse, mais il convenait de baser nos relations sur de sains
critéres. Cependant, j’entrainai, par étourderie, notre camara-
derie trés loin. En proie & une énorme angoisse morale, Elisa
abandonna notre maison sans avoir le courage de me lancer la
moindre accusation au visage. Et le temps passa, réduisant le
fait dans ma pensée a un épisode fortuit de l’existence humaine.
Cependant, I’épisode, comme quelque chose émanant de la vie,
était aussi bien vivant dans ma mémoire. En face de moi se tenait
Elisa, & présent vaincue et humiliée ! Par quelles miséres était
passée cette créature attirée si tot par le chapitre des souffrances ?
D’ot venait-elle ? Ah ! dans le cas présent, je ne me trouvais
pas en face de Silveira auprés de qui je pouvais partager le débit
avec mon pére. Maintenant, la dette était entiérement mienne.
Je me mis a trembler, pris de honte a cause de l’exhumation de
ces souvenirs. Mais, tel un enfant pressé de recevoir le pardon
pour les fautes commises, je m’adressai 4 Narcisa, lui demandant
une orientation. Je m’étonnais moi-méme de la confiance que
minspiraient ces saintes femmes. Je n’aurais peut-étre jamais eu
le courage de demander au Ministre Clarencio les explications
que j’avais demandées a la mére de Lisias, et ma conduite aurait
certainement été autre, a cet instant, si javais eu Tobias 4 mes
cétés. Considérant que la femme chrétienne et généreuse est
toujours une mére, je me tournai vers l’infirmiére plus confiant
que jamais. Par le regard qu'elle m’adressa, Narcisa paraissait tout
comprendre. Je commengai 4 parler, retenant mes larmes, mais
4 un certain moment de ma douloureuse confession, mon amie
répondit humblement :
— I] n’est pas nécessaire de continuer. Je devine l’épilogue
de l'histoire. Ne vous livrez pas 4 des pensées destructrices. Je
connais votre martyre moral par ma propre expérience. Cepen-
dant, si le Seigneur a permis que vous puissiez rencontrer 4 nou-

257
Chico Xavier |André Luiz

veau cette sceur, cest quill vous considére déja en mesure de


racheter la dette.
Voyant mon indécision, elle poursuivit :
— N’ayez pas peur. Approchez-vous d’elle et réconfortez-
la. Mon frére, nous trouvons tous sur nos chemins les fruits du
bien ou du mal que nous semons. Cette affirmation n’est pas une
phrase doctrinaire, cest la réalité universelle. J’ai cueilli de grands
bienfaits dans des situations égales a celle-ci. Bienheureuses les
personnes redevables se trouvant en condition de payer.
Et percevant ma ferme résolution de m’employer au régle-
ment de mes dettes, elle ajouta :
— Allons-y, mais ne vous faites cependant pas reconnaitre.
Faites-le aprés lui avoir été utile avec succés. Cela ne sera pas dif-
ficile car elle demeure, temporairement, dans une cécité presque
complete. Par les forces qui l’entourent, je note chez elle les tristes
caractéristiques des méres ayant failli et des femmes de personne.
Nous nous approchames. Je pris linitiative de la parole
réconfortante. Elisa s’identifia, donnant son nom, et elle nous fit
part, de bonne grace, d’autres informations. Il y avait trois mois
quelle avait été recueillie dans les Chambres de Rectification.
Voulant me punir moi-méme devant Narcisa, afin que la lecon
pénétrat en mon 4me de maniére indélébile, je demandai :
— Et votre histoire, Elisa ? Vous devez avoir beaucoup
souffert...
Sentant l’inflexion affectueuse de la question, elle sourit,
trés résignée, et se confia :
— Pourquoi rappeler de tristes choses ?
— Les expériences douloureuses enseignent toujours, ob-
jectai-je.
La malheureuse, qui présentait une profonde modification
morale, médita pendant quelques instants, 4 la maniére d’une
personne rassemblant ses idées, puis dit :

258
Nosso Lar

— Mon expérience a été celle de toutes les femmes folles qui


échangent le pain bénit du travail par le fiel vénéneux de l’illu-
sion. Au temps de ma jeunesse lointaine, en tant que fille issue
dun foyer trés pauvre, je pus profiter d’un emploi dans la maison
d'un riche commergant oti la vie m’imposa une immense trans-
formation. Ce négociant avait un fils aussi jeune que moi et, aprés
Pintimité qui s’était établie entre nous, quand toute réaction de ma
part aurait été inutile, joubliai criminellement que Dieu réserve le
travail a tous ceux qui aiment la vie saine, pour plus fautifs quils
avaient pu étre, et je m’abandonnai a de douloureuses expériences
qu il n’est pas nécessaire de commenter. Je connus de prés le plaisir,
le luxe, le confort matériel, et ensuite, ’horreur de moi-méme, la
syphilis, ’hépital, abandon de tous, les terribles désillusions qui
culminérent dans l’aveuglement et dans la mort du corps. J’ai erré
tres longtemps, en proie a un profond désespoir. Mais un jour,
javais tellement demandé la protection de la Vierge de Nazareth,
que les messagers du Bien me recueillirent par amour de son nom,
m’amenant dans cette maison de consolation bénite.
Emu jusqu’aux larmes, je demandai :
— Er lui ? Comment se nomme "homme qui vous a rendu
si malheureuse ?
Je Pentendis alors prononcer mon nom et celui de mes
parents.
— Et vous les haissez ? demandai-je, accable.
Elle sourit tristement et répondit :
— Dans la période antérieure de ma souffrance, je maudis-
sais son souvenir, nourrissant une haine mortelle a son égard ;
mais la soeur Némésia me fit changer. Pour le hair, je dois me hair
moi-méme. Dans mon cas, la faute doit étre répartie. Je ne dois
donc récriminer personne.
Cette humilité me toucha. Je pris sa main sur laquelle, sans
que je ne puisse l’éviter, roula une larme de repentir et de remords.

239
Chico Xavier |André Luiz

— Ecoutez, mon amie, dis-je avec une forte émotion, je


m/appelle aussi André et j'ai besoin de vous aider. Comptez sur
moi dorénavant.
— Et votre voix ressemble 4 la sienne, dit Elisa ingénument.
— Eh bien, poursuivis-je, ému, je n'ai pas encore a propre-
ment parler de famille a « Nosso Lar ». Mais vous serez ici ma
soeur de coeur. Comptez sur mon dévouement d’ami.
Un grand sourire ressemblant 4 une grande lumiere appa-
rut sur le visage de la souffrante.
— Comme je vous suis reconnaissante ! dit-elle en essuyant
ses larmes. Il y a tant d’années que personne ne mavait parlé
ainsi, sur ce ton familier, me donnant la consolation de |’amitié
sincére ! Que Jésus vous bénisse.
A cet instant, quand mes larmes se firent plus abondantes,
Narcisa me prit les mains maternellement, et répéta :
— Que Jésus vous bénisse.

260
4]
Convoqués a la lutte
Durant les premiers jours de septembre 1939, « Nosso Lar
» souffrit également du choc que ressentirent plusieurs colonies
spirituelles liées a la civilisation américaine. II s’agissait de la
guerre européenne, aussi destructrice dans les cercles de la chair
que perturbatrice sur le plan de l’esprit. De nombreuses entités
commentaient les perspectives d’engagements belliqueux, sans
dissimuler l’immense terreur qui les envahissait.
On savait depuis longtemps que les Grandes Fraternités
de l’Orient supportaient les vibrations antagonistes de la nation
japonaise, traversant d’importantes difficultés. Mais on pouvait
maintenant noter des faits curieux de haute portée éducative.
Ainsi, comme les nobles cercles spirituels de la vieille Asie lut-
taient en silence, « Nosso Lar » se préparait pour le méme genre
de travail. Au-dela des précieuses recommandations, dans le do-
maine de la fraternité et de la sympathie, le Gouverneur décida
que nous devions faire attention 4 la sphére de la pensée, nous
préservant de toute inclination indigne d’ordre sentimental.

261
Chico Xavier |André Luiz

Je pus me rendre compte que dans ces circonstances, les


Esprits supérieurs ne considéraient pas les nations agresseurs
comme des ennemis, mais comme des perturbateurs dont il était
indispensable de réprimer |’activité criminelle.
— Malheur aux peuples qui se saoulent avec le vin du mal,
dit Salustio. Méme s ils obtiennent des victoires temporaires,
elles serviront seulement a aggraver leur ruine, accentuant leurs
déroutes fatales. Quand un pays prend l’initiative de la guerre,
il prend la téte du désordre dans la Maison du Pére et payera
un prix terrible.
Je pus alors me découvrir que les zones supérieures de
la vie se tournaient vers la défense appropriée contre les entre-
prises de ignorance et de l’ombre, rassemblées pour l’anarchie
et, conséquemment, pour la destruction. Mes collégues de tra-
vail m’expliquérent que dans les événements de cette nature,
les pays agresseurs se transformaient naturellement en puissants
groupes de centralisation des forces du mal. Sans se prémunir
des immenses dangers, ces peuples, a l'exception des esprits
nobles et sages qui intégraient leur cadre de service, s enivraient
au contact des éléments de perversion qu’ils invoquaient depuis
les sombres niveaux. Des collectivités de travailleurs se transfor-
maient en automates du crime. Des légions infernales se préci-
pitaient sur les grands ateliers du progrés commun, les transfor-
mant en champs de perversité et d’horreur. Mais, pendant que
les groupes obscurs prenaient possession de la pensée des agres-
seurs, les groupements spirituels de la vie noble semployaient a
venir en aide aux agressés.
Si nous devions plaindre l’étre en opposition 4 la loi du
bien, nous devions, a plus forte raison, plaindre le peuple qui
oubliait la justice.
Peu apres la période qui fut marquée par les premiéres
bombes larguées en terre polonaise, je me trouvais, en fin d’aprés-

262
Nosso Lar

midi, dans les Chambres de Rectification en compagnie de To-


bias et de Narcisa, quand un inoubliable clairon se fit entendre
pendant plus d’un quart d’heure. Nous fames tous envahis par
une profonde émotion.
— Cest la convocation aux services de secours pour la
Terre, m’expliqua Narcisa avec bonté.
— Nous avons le signal que la guerre continuera, avec de
terribles tourments pour l’esprit humain, s’exclama Tobias, in-
quiet. Malgré la distance, toute la vie psychique américaine a
eu son origine en Europe. Nous aurons un grand travail pour
protéger le Nouveau Monde.
Le clairon se faisait entendre avec d’étranges et imposantes
modulations. Je notai quun profond silence était tombé sur tout
le Ministére de la Régénération.
Attentif a mon attitude d’attente angoissée, Tobias me dit :
— Quand sonne le clairon d’alerte, au nom du Seigneur, nous
devons faire cesser les bruits afin que l’appel se grave dans nos coeurs.
Quand le mystérieux instrument eut lancé sa derniére
note, nous nous rendimes au grand parc afin d’observer le ciel.
Profondément ému, je vis dinnombrables points lumineux res-
semblant 4 de petits foyers resplendissants et lointains, suspen-
dus dans le firmament.
— Ce clairon, dit Tobias également ému, est utilisé par des
esprits surveillants de haute position hiérarchique.
Revenant a l’intérieur des Chambres, mon attention fut
attirée par une énorme rumeur provenant des zones les plus éle-
vées de la colonie oti se trouvaient les voies publiques.
Tobias confia certaines activités d’importance a Narcisa
aupres des infirmes et m/invita a sortir afin d’observer le mouve-
ment populaire.
Arrivés 4 l’étage supérieur, d’ot: nous pourrions prendre le
chemin de la Place du Gouvernement, nous notames un intense

263
Chico Xavier |André Luiz

mouvement dans tous les secteurs. Voyant mon étonnement na-


turel, mon compagnon mexpliqua :
— Ces groupes énormes se dirigent vers le Ministére de la
Communication, a la recherche de nouvelles. Le clairon qui vient
de finir de sonner ne se fait entendre qu’en des circonstances trés
graves. Nous savons tous quil est question de guerre, mais il est
possible que la Communication nous offre un quelconque détail
essentiel. Observez les passants.
Vinrent a cété de nous deux messieurs et quatre dames
engagés dans une conversation animée.
— [maginez ce quil adviendra de nous, a!’Aide, disait lune
d’entre elles. Depuis de nombreux mois, le mouvement des de-
mandes est extraordinaire. Nous éprouvons une juste difficulté
pour répondre a tous les devoirs.
— Et nous, a la Régénération ? objecta ’homme le plus 4gé.
Les travaux continuent en étant considérablement augmentés. Dans
mon secteur, la vigilance contre les vibrations du Seuil réclame des
efforts incessants. Je me demande ce qui va nous tomber dessus...
Tobias retint lég¢rement mon bras et s’exclama :
— Avancons un peu! Ecoutons ce que disent d’autres groupes.
Nous approchant de deux hommes, j’entendis |’un d’entre
eux demander :
— Serait-il possible que la calamité nous atteigne tous ?
Linterpellé, qui semblait étre en possession d’un grand
équilibre spirituel, répliqua avec sérénité :
— De toute maniére, je ne vois pas de raison pour les pré-
cipitations. Lunique nouveauté est le surplus de travail qui, au
fond, constituera une bénédiction. Quant au reste, tout est a
mon avis naturel. La maladie est maitresse de la santé, le dé-
sastre maitre de la pondération. La Chine est sous le feu depuis
longtemps, et vous n’avez pas encore manifesté une quelconque
démonstration d’étonnement.

264
Nosso Lar

— Mais a présent, objecta le compagnon, désappointé, il


semble que je serai obligé de modifier mon programme de travail.
Lautre sourit et répondit :
— Helvécio, Helvécio ! Oublions le « mon programme »
pour penser a « nos programmes ».
Répondant aun nouveau geste de Tobias qui demandait mon
attention, jobservai trois femmes qui allaient dans la méme direc-
tion que nous, sur notre gauche, remarquant que le pittoresque ne
manquait pas non plus ici, dans ce crépuscule d’inquiétude.
— La question m’impressionne excessivement, disait la plus
jeune, car Everardo ne doit pas revenir du monde maintenant.
— Mais la guerre, dit l'une de ses compagnes, 4 ce qu'il
semble, n’atteindra pas la péninsule. Le Portugal est trés loin du
théatre des événements.
— Cependant, demanda la troisitme personne, pourquoi
pareille préoccupation ? Si Everardo venait, que se passerait-il ?
— Je crains qu'il ne me recherche comme son épouse, expli-
qua la plus jeune. Je ne pourrai pas le supporter. II est trés ignorant
et je ne me soumettrai en aucune maniére a de nouvelles cruautés.
— Quelle idiote tu es !commenta son amie. Oublierais-tu
qu Everardo sera bloqué dans le Seuil ou dans un endroit pire ?
Souriant, Tobias m’expliqua :
— Elle redoute la libération d’un mari imprudent et pervers.
De longues minutes s’étant écoulées, pendant lesquelles
nous avions observé la multitude spirituelle, nous atteignimes le
Ministére de la Communication, nous tenant devant les énormes
édifices destinés au travail informatif.
Des milliers d’entités se bousculaient, affligées. Toutes
voulaient des informations et des explications, mais il était pour-
tant impossible de trouver un accord général. Extrémement sur-
pris par le fort brouhaha, je vis quelqu’un monter jusqua un
balcon situé 4 grande hauteur, réclamant le silence et l’attention

265
Chico Xavier |André Luiz

des personnes présentes. II s’agissait dun vieillard 4 l’'apparence


imposante. I] annonga que d’ici dix minutes, l’appel du Gouver-
neur se ferait entendre.
— Crest le Ministre Espiridion, m’apprit Tobias, attentifa
ma curiosité.
Le bruit ayant diminué, la voix du Gouverneur lui-méme
se fit entendre aprés quelques instants 4 travers les nombreux
haut-parleurs.
— Fréres de « Nosso Lar », ne vous livrez pas a la pertur-
bation de la pensée et de la parole. Laffliction ne construit pas,
Panxiété n’édifie pas. Sachons étre dignes du clairon du Seigneur,
répondant a Sa Volonté Divine dans le travail silencieux, 4 nos
postes respectifs.
Cette voix claire et énergique, de qui parle avec autorité et
amour, produisit un singulier effet sur la multitude. Dans le court
espace d’une heure, toute la colonie retrouva sa sérénité habituelle.

266
42
Lintervention du
gouverneur

Le dimanche qui suivit lappel du clairon, le Gouverneur


promit que serait réalisé un culte évangélique dans le Ministére
de la Régénération. Le principal objectif de la mesure, expli-
qua Narcisa, serait de préparer de nouvelles écoles d’assistance a
Aide et des groupes d’éducation a la Régénération.
— Nous avons besoin d’organiser, dit-elle, des éléments
particuliers pour le service hospitalier urgent et également des
exercices adéquats contre la peur, bien que le conflit se soit ma-
nifesté si loin.
— Contre la peur ? ajoutai-je, étonné.
— Pourquoi pas ? répondit aimablement l’infirmiére. Peut-
étre trouverez-vous étrange, comme beaucoup de personnes, le
grand pourcentage d’existences étranglées simplement par les
vibrations destructrices de la terreur qui est aussi contagieuse que
nimporte quelle maladie a la propagation dangereuse. Nous clas-

267
Chico Xavier |André Luiz

sons la peur parmi les pires ennemis de l’individu pour se loger


dans la citadelle de ’'Ame, attaquant les forces les plus profondes.
Observant mon air surpris, elle continua :
— N’ayez aucun doute. Le Gouvernement, dans les ur-
gences actuelles, place |’entrainement contre la peur bien au-des-
sus des lecons de soins infirmiers. Le calme est une garantie de
succes. Plus tard, vous comprendrez de tels impératifs de travail.
Je ne trouvai pas d’argument a lui opposer.
La veille du grand événement, j’eus ’honneur d’intégrer
Péquipe des nombreux coopérateurs dans le travail de nettoyage
et d’ornementation naturelle du grand salon consacré au plus
grand chef de la colonie. Je ressentis alors une anxiété juste.
Jallais voir, pour la premiére fois, 4 c6té de moi, le vénérable
dirigeant qui méritait la vénération générale. Je ne me sentais pas
seul dans une telle attente car il y avait d’innombrables compa-
gnons dans les mémes conditions que moi.
Jeus limpression que toute la vie sociale de notre Minis-
tére avait convergé vers le grand salon naturel, dés les premieres
lumiéres du jour de dimanche, quand de véritables caravanes de
tous les départements régénérateurs arrivérent sur les lieux. Le
Grand Coeur du Temple du Gouvernement, s’alliant aux petits
chanteurs des écoles de l’Eclaircissement, commenca les festivités
par le merveilleux hymne intitulé « Toujours avec toi, Seigneur
Jésus », chanté par deux mille voix en méme temps. D’autres
mélodies a la beauté singuliére emplirent le salon. Le doux mur-
mure du vent, canalisé en ondes de parfum, semblait répondre
aux harmonies suaves.
Il y avait eu une permission générale pour tous les servi-
teurs de la Régénération afin qu ils puissent entrer dans l’énorme
enceinte verte car, conformément au programme établi, le culte
évangélique leur était spécialement dédié, les autres Ministéres
ayant de nombreuses délégations présentes.

268
Nosso Lar

Pour la premiere fois, j’avais devant les yeux quelques-uns


des coopérateurs des Ministéres de I’Elévation et de Union Di-
vine, qui me semblaient vétus de brillantes clartés.
La féte dépassait tout ce que je pouvais réver en beauté et
en éblouissement. Des instruments musicaux au sublime pou-
voir vibratoire bergaient le paysage odorant de mélodies.
A dix heures, Le Gouverneur arriva, accompagné par les
douze Ministres de la Régénération. Je noublierai jamais le
visage noble et imposant de ce vieillard aux cheveux de neige
qui donnait l’impression d’avoir la sagesse de |’ancien et |’énergie
du jeune homme, comme la douceur du saint et la sérénité de
Padministrateur consciencieux et juste, imprimées ensemble
dans sa physionomie. Grand, maigre, vétu d’une tunique trés
blanche, les yeux pénétrants et merveilleusement lucides, il
prenait appui sur un baton bien qu'il marchat dans la position
droite de la jeunesse.
Satisfaisant ma curiosité, Salustio m’informa :
— Le Gouverneur a toujours apprécié les attitudes
patriarcales, considérant que |’on doit administrer avec un
amour paternel.
S’asseyant dans la plus haute tribune, les voix enfantines
s élevérent suivies de harpes légéres, entonnant l’hymne « A toi,
Seigneur, Nos Vies ».
Le vieillard énergique et affectueux promena son regard
sur l’assemblée compacte constituée de milliers d’assistants. En-
suite, il ouvrit un livre lumineux que mon compagnon mrexpli-
qua étre l’Evangile de Notre Seigneur Jésus Christ. Il le feuilleta
attentivement puis lut d’une voix posée :
— Vous aurez aussi 4 entendre parler de guerres et de ru-
meurs de guerres ; voyez, ne vous alarmez pas : car il faut que
cela arrive, mais ce n’est pas encore la fin. Paroles du Maitre au
chapitre 24, verset 6 de l’Evangile de Matthieu.

269
Chico Xavier |André Luiz

Le volume de sa voix considérablement augmenté par les


vibrations électriques, le chef de la ville pria de maniére émou-
vante, invoquant les bénédictions du Christ, saluant ensuite les
représentants de l'Union Divine, de l’Elévation et de l’Eclair-
cissement, de la Communication et de l’Aide, s’adressant avec
une attention toute particuliére a tous les collaborateurs des tra-
vaux de notre Ministére. Il est impossible de décrire l’intona-
tion douce et énergique, aimante et convaincante, de cette voix
inoubliable, comme il est tout aussi difficile de traduire pour la
compréhension humaine les considérations divines du commen-
taire évangélique inspiré par le profond sentiment de vénération
pour les choses sacrées.
Au milieu d’un respectueux silence, alors qu'il terminait, le
Gouverneur s’adressa de manieére particuliére aux serviteurs de la
Régénération, s’exclamant a peu prés en ces termes :
— C’est a vous, mes fréres, dont le labeur s'approche des
activités terrestres, que j’adresse, avec raison, mon appel per-
sonnel, attendant beaucoup de votre dévouement. Elevons le
plus haut possible notre niveau de courage et d’esprit de service.
Quand les forces de ’ombre aggravent les difficultés des sphéres
inférieures, il est indispensable d’allumer de nouvelles lumiéres
qui dissipent, sur Terre, les ténébres denses. J’ai consacré le culte
d’aujourd’hui a tous les serviteurs de ce Ministére, leur vouant
de maniére particuliére la confiance de mon cceur. Ainsi, je ne
m’adresse pas, en ce moment, a nos fréres dont la pensée fonc-
tionne déja dans les zones les plus élevées de la vie, mais 4 vous
autres, qui rapportez dans vos sandales du souvenir les signaux
de la poussitre du monde pour réaliser la tache gigantesque. «
Nosso Lar » a besoin de trente mille serviteurs préparés au service
défensif, trente mille travailleurs qui ne mesurent pas le besoin
de repos, pas plus que les intéréts personnels tant que durera la
bataille contre les forces déchainées du crime et de l’ignorance.

270
Nosso Lar

Il y aura du travail pour tous dans les régions de la limite vibra-


toire, entre nous et les plans inférieurs, car nous ne pouvons pas
attendre |’adversaire dans notre lieu de vie spirituelle. Dans les
organisations collectives, il faut la médecine préventive comme
mesure primordiale dans la préservation de la paix intérieure.
A « Nosso Lar », nous sommes plus d'un million d’individus
dévoués aux desseins supérieurs et 4 notre amélioration morale.
Permettre l’invasion de plusieurs milliers d’esprits perturbateurs
serait-il charitable ? Par conséquent, nous ne pouvons pas hésiter
en ce qui concerne la défense du Bien. Je sais que bon nombre
d’entre vous se souviennent, en cet instant, du Grand Crucifié.
Oui, Jésus se livra 4 la foule des émeutiers et des criminels par
amour de notre rédemption, mais il n’a pas livré le monde au
désordre et a l’anéantissement. Nous devons tous étre préparés
au sacrifice individuel, mais nous ne pouvons livrer notre lieu de
résidence aux malfaiteurs. I] est normal que notre tache essen-
tielle soit la fraternisation et la paix, l’amour et le soulagement
de ceux qui souffrent. II est évident que nous interprétons le Mal
comme une perte d’énergie, et tout crime comme une infirmité
de l’ame. Cependant, « Nosso Lar » est un patrimoine divin qu'il
nous faut défendre avec toute |’énergie de nos coeurs. Qui ne
sait pas préserver nest pas digne de profiter. Nous avons donc
préparé des légions de travailleurs qui sont 4 l’ceuvre, éclairant
et consolant, sur la Terre, dans le Seuil et dans les Ténébres, en
mission d’amour fraternel. Mais nous avons, avant tout, besoin
d’organiser dans ce Ministére une légion spéciale de défense qui
nous garantira les réalisations spirituelles a l’intérieur de nos
frontiéres vibratoires.
Il continua a discourir ainsi durant un long moment, pro-
nant des mesures a caractére fondamental, énoncant des considé-
rations que je ne parviendrai jamais a décrire ici. Terminant ses
commentaires, il refit la lecture du verset de Matthieu, invoquant

pare
Chico Xavier |André Luiz

de nouveau les bénédictions de Jésus et les énergies des auditeurs,


afin quaucun d’entre nous ne recoive de présent en vain.
Emu et émerveillé, j’écoutai les enfants entonner I’hymne
que le Ministre Vénéranda avait intitulé « La Grande Jérusalem
». Le Gouverneur descendit de la tribune sous des vibrations
d’une immense espérance, et c’est alors qu'une brise caressante
se mit 4 souffler sur les arbres, apportant, peut-étre de trés loin,
des pétales de roses différents, d'un bleu merveilleux, qui se
défaisaient délicatement au moment ot ils touchaient nos fronts,
remplissant nos coeurs d'une intense jubilation.

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43
En conversation

Bien que le Gouverneur se fit retiré dans son cercle privé,


le Ministére de la Régénération demeura empli de manifesta-
tions festives. On commentait les évenements. Des centaines de
compagnons se proposaient pour les difficiles travaux défensifs,
répondant a l’appel du grand chef spirituel.
Je recherchai Tobias afin de l’entretenir quant a la possibi-
lité de profiter de cette opportunité, mais le frére généreux sourit
de mon ingénuité et dit :
— André, vous étes en train de commencer une nouvelle
tache. Ne vous précipitez pas en demandant un accroisse-
ment de responsabilité. Il y aura du travail pour tous, nous
disait il y a encore peu le Gouverneur. N’oubliez pas que nos
Chambres de Rectification constituent des centres d’effort
actif, jour et nuit. Ne vous affligez pas. Rappelez-vous que
trente mille serviteurs vont étre convoqués pour la surveil-
lance permanente. De cette maniére, il y aura de nombreux
trous a boucher.

273
Chico Xavier |André Luiz

Percevant mon désappointement, mon bienveillant com-


pagnon, de bonne humeur, fit ressortir aprés une légére pause :
— Contentez-vous de l’inscription aux cours contre la peur.
Je crois que cela vous fera énormément de bien.
Durant cet intervalle, je recus une grande embrassade de
Lisias qui avait intégré, durant la féte, la délégation du Minis-
tére de |’Aide. M’étant excusé auprés de Tobias, je me retiral
en compagnie de Lisias afin de pouvoir converser de maniére
plus personnelle.
— Connais-tu le Ministre Benevenuto, ici, de la Régéné-
ration, le méme qui est arrivé avant-hier de la Pologne ? me de-
manda-t-il.
— Je n’ai pas ce plaisir.
— Allons 4 sa rencontre, répliqua Lisias, m’enveloppant
dans les vibrations de son immense tendresse fraternelle. Cela fait
longtemps que j’ai honneur de le compter parmi mes relations.
Quelques instants plus tard, nous étions dans la grande
enceinte verte, que je connaissais seulement de vue, consacrée
aux travaux de ce Ministre de la Régénération. De nombreux
groupes de visiteurs échangeaient des idées 4 propos de la cime
des grands arbres. Lisias me conduisit jusqu’au plus grand re-
groupement ot Benevenuto échangeait des propos avec plusieurs
amis, me présentant avec des paroles généreuses. Le Ministre
maccueillit, courtois, me faisant entrer dans son cercle avec une
extréme bonté.
La conversation se poursuivit de maniére naturelle et je re-
marquai que |’on discutait de la situation dans la sphére terrestre.
— La situation que nous avons vue est trés douloureuse,
commenta Benevenuto d’un ton grave. Habitués a des travaux
de paix en Amérique, aucun d’entre nous n’imaginait ce quétait
le travail de secours spirituel dans les champs de la Pologne. Tout
est obscur, tout est difficile. La-bas, on ne peut s’attendre a trou-

274
Nosso Lar

ver les lumiéres de la foi chez les agresseurs, pas plus que chez
la plupart des victimes qui se livrent totalement a d’effrayants
sentiments. Les désincarnés ne nous aident pas, se limitant a
absorber nos forces. Je n’avais jamais vu pareilles souffrances col-
lectives depuis le début de mon Ministére.
— Et la commission y est-elle restée longtemps ? demanda
Pun des compagnons avec intérét.
— Tout le temps disponible, ajouta le Ministre. Le chef de
lexpédition, notre collégue de I’Aide, jugea nécessaire que nous
restions attachés a la tache afin d’enrichir nos observations et de
profiter au mieux de !’expérience. Les conditions ne pouvaient en
effet étre meilleures. Je crois que notre position est trés éloignée
de l’extraordinaire capacité de résistance des serviteurs dévoués
qui se trouvent en service sur le terrain. Toutes les taches d’assis-
tance immédiate fonctionnent parfaitement, en dépit de l’air as-
phyxiant saturé de vibrations destructrices. Le champ de bataille,
invisible aux yeux de nos fréres terrestres, est un véritable enfer
aux proportions indescriptibles. En aucune occasion, comme
pendant la guerre, l’esprit humain ne met en évidence la condi-
tion de l'4me déchue, présentant des caractéristiques essentiel-
lement diaboliques. J’ai vu des hommes intelligents et instruits
chercher avec une attention minutieuse des secteurs bien précis
d’activité pacifique pour ce qu ils appelaient des « impacts directs
». Des bombes au haut pouvoir explosif détruisaient des édifices
patiemment construits. Aux fluides empoisonnés de la bataille
se mélaient les émanations pestilentielles de la haine, rendant
la moindre aide pratiquement impossible. Ce qui nous a pour-
tant le plus attristés, ce fut la douloureuse condition des mili-
taires agresseurs quand quelques-uns parmi eux abandonnaient,
obligés par les circonstances, leurs vétements terrestres. Domi-
nés dans leur majorité par des forces ténébreuses, ils fuyaient les
Esprits missionnaires, les appelant « fantémes de la croix ».

275
Chico Xavier |André Luiz

— Et rétaient-ils pas recueillis pour recevoir l’explication


due ? demanda quelqu’un, interrompant le narrateur.
Benevenuto ébaucha un geste significatif et répondit :
— Il sera toujours possible de s’occuper des fous pacifiques,
dans leur foyer. Mais quel reméde faut-il réserver aux fous furieux,
si ce nest hospice ? Il n’y avait pas d’autres possibilités, pour de
tels étres, que de les laisser dans les précipices des ténébres ot ils
seront naturellement obligés de se réajuster, donnant une chance
aux pensées dignes. Par ailleurs, il est normal que les missions
daide ne recueillent que les personnes prédisposées au secours
élevé. Mais les scénes entrevues furent excessivement doulou-
reuses pour de nombreuses raisons.
Profitant d’un léger intervalle dans la conversation, un
autre compagnon donna son avis :
— Il est presque incroyable que |’Europe, avec autant de
patrimoine culturel, se soit lancée dans pareille calamité.
— Mangue de préparation religieuse, mes amis, expliqua le
Ministre avec une inflexion expressive dans la voix. Il ne suffit pas
que homme ait son intelligence épurée ; il lui est nécessaire d’illu-
miner ses réflexions pour la vie éternelle. Les églises sont toujours
saintes dans leurs fondements et le sacerdoce sera toujours divin,
quand il soccupe essentiellement de la Vérité de Dieu. Mais le
sacerdoce politique ne s occupera jamais de la soif spirituelle de la
civilisation. Sans le soufHe divin, les personnalités religieuses pour-
ront inspirer respect et admiration, pas la foi ni la confiance.
— Mais le Spiritisme ? demanda abruptement l’une des
personnes présentes. Les premiers bourgeonnements de la doc-
trine nont-ils pas surgi en Amérique et en Europe il y a plus de
cinquante ans ? Ce nouveau mouvement au service des vérités
éternelles ne se poursuit-il pas ?
Benevenuto sourit, ébaucha un geste extrémement signi-
ficatif, et ajouta :

276
Nosso Lar

— Le Spiritisme est notre grande espérance et parmi tous


les titres qu’il pourrait recevoir, il est le Consolateur de ’humani-
té incarnée. Cela dit, notre marche est encore trés lente. II s’agit
d'un don sublime pour lequel la majorité des hommes n’a pas
encore « d’yeux pour voir ». Un écrasant pourcentage parmi les
nouveaux apprentis s'approche de cette source divine, reprodui-
sant les anciens vices religieux. Ils veulent recevoir les bienfaits
mais ne se disposent pas 4 donner quoi que ce soit d’eux-mémes.
Ils invoquent la vérité, et pourtant ils ne marchent pas a sa ren-
contre. Pendant que de nombreux chercheurs réduisent les mé-
diums a des cobayes humains, de nombreux croyants procédent
a la maniére de certains malades qui, bien que guéris, croient
plus en la maladie qu’en la santé, et ne se servent jamais de leurs
pieds. Enfin, ils cherchent, sur Terre, les Esprits matérialisés pour
le phénoménisme passager, pendant que dans le méme temps,
nous, nous vivons a la recherche des hommes spiritualisés pour
le travail sérieux.
Le jeu de mots fit naitre des expressions de bonne humeur
générale, et le Ministre ajouta gravement :
— Nos services sont astronomiques. Mais noublions pas
que tout homme est une semence de la divinité. Attaquons |’exé-
cution de nos devoirs avec espérance et optimisme, et soyons
toujours convaincus que si nous faisons bien notre part, nous
pourrons rester en paix, car le Seigneur fera le reste.

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44
Les ténébres

Pour apporter un peu plus de joie a la réunion, Lisias me


fit connaitre de nouveaux aspects de sa culture et de sa sensibi-
licé. Pingant avec maestria les cordes de la cithare, il nous fit nous
souvenir de vieilles chansons et de vieilles mélodies de la Terre.
Journée vraiment merveilleuse ! Les enchantements spirituels
se succédaient, comme si nous nous trouvions en plein paradis.
Quand je me retrouvai seul avec le bienveillant infirmier
de l’Aide, je cherchai a lui transmettre mes sublimes impressions.
— Sans aucun doute, dit-il en souriant, quand nous réu-
nissons ceux que nous aimons, il se produit quelque chose de
réconfortant et de constructif au plus profond de nous-mémes.
C’est l’aliment de l'amour, André. Quand de nombreuses ames
se rassemblent dansle cercle de telle ou telle activité, leurs pen-
sées s'entrelacent, formant des centres de force vive au moyen
desquels chacun recoit sa part d’allégresse ou de souffrance de
la vibration générale. C’est pour cette raison que, sur la planeéte,
le probléme de l’ambiance est toujours un facteur a prendre en

279
Chico Xavier |André Luiz

compte sur le chemin de chaque homme. Chaque étre vivra de


ce quiil cultive. Qui s'adonne journellement 4 la tristesse en elle
vivra ; qui glorifie la maladie en souffrira les dommages.
Observant ma surprise, il conclut :
— Il n'y a dans tout cela aucun mystére. C’est la loi de
la vie, aussi bien dans nos efforts pour le Bien que dans nos
mouvements vers le Mal. Des réunions fraternelles d’espérance,
d’amour et de joie, nous sortirons avec la fraternité, l’espérance,
l'amour et la joie de tous ; mais de toute assemblée aux tendances
inférieures, ot. prédominent |’égoisme, la vanité ou le crime,
nous sortirons empoisonnés par les vibrations destructrices de
ces sentiments.
—Tuas raison, m’exclamai-je, ému. Je vois ici également les
principes qui régissent la vie dans les foyers humains. Quand il y
a la compréhension réciproque, nous vivons dans l’antichambre
du bonheur céleste, et si nous demeurons dans la mésentente et
la méchanceté, nous avons |’enfer vivant.
Lisias eut une expression de bonne humeur, confirmant
mes paroles par un sourire. C’est alors que je me rappelai vou-
loir l'interroger sur une chose qui, depuis quelques heures, me
torturait l’esprit. Lorsqu’il nous avait adressé la parole, le Gouver-
neur s était référé aux cercles de la Terre, du Seuil et des Ténébres.
Cependant il me faut reconnaitre que jusqu’a ce moment-la, je
navais jamais eu la moindre information concernant ce dernier
plan. Cette région ténébreuse métait-elle pas le Seuil en lui-méme,
ou j'avais vécu au sein des ombres épaisses pendant plusieurs an-
nées d’afhilée ? N’avais-je pas vu, dans les Chambres, de nom-
breux déséquilibrés et des malades de toutes sortes, arrivant des
zones du Seuil ? Me souvenant des si précieuses explications que
Lisias m’avait données au sujet de ma propre situation, au début
de mon expérience 4 « Nosso Lar », je lui confiai mes doutes
intérieurs, lui exposant la perplexité dans laquelle je me trouvais.

280
Nosso Lar

Affichant une physionomie bien significative, il dit :


— Nous appelons « Ténébres » les régions les plus infé-
rieures que nous connaissons. II faut considérer les étres comme
des voyageurs de la vie. Quelques-uns, peu nombreux, avancent,
résolus, visant l’objectif essentiel du voyage. Ce sont des esprits
extrémement nobles qui découvrirent l’essence divine en eux-
mémes, marchant vers le but sublime, sans hésitation. Cepen-
dant, la majorité stagne. Nous avons alors la multitude des Ames
qui, pendant des siécles et des siécles, répétent les expériences.
Les premiéres suivent une ligne droite ; les secondes marchent
en décrivant de grandes courbes. Dans ce mouvement, répétant
des cheminements et refaisant d’anciens efforts, elles restent a
la merci d’innombrables vicissitudes. C’est ainsi quun grand
nombre ont l’habitude de se perdre en pleine forét de la vie, per-
turbées dans le labyrinthe qu’elles ont tracé pour leurs propres
pieds. Ce sont les millions d’étres qui déambulent dans le Seuil.
Préférant se déplacer dans |’obscurité a cause de la préoccupation
égoiste qui les absorbe, d’autres ont l’habitude de chuter dans
des précipices, restant au fond de l’abime pour un temps indé-
terminé. Tu comprends ?
Les explications ne pouvaient pas étre plus claires.
Mais, sensibilisé par ’ampleur et la complexité du sujet,
jajoutai :
— Et que peux-tu me dire 4 propos de ces chutes ? Ont-
elles seulement lieu sur la Terre ? Seuls les incarnés sont suscep-
tibles de se précipiter dans le gouftre ?
Lisias réfléchit une minute et répondit :
— Ton observation est opportune. Lesprit peut, en n'im-
porte quel endroit, se précipiter dans les cavernes du Mal, en
notant cependant que dans les sphéres supérieures, les défenses
sont plus fortes, la culpabilité de la faute commise s imprimant
par conséquent avec plus d’intensité.

281
Chico Xavier |André Luiz

— Cela dit, objectai-je, la chute m’est toujours apparue


comme impossible dans les régions étrangéres au corps terrestre.
Lambiance divine, la connaissance de la vérité, l’aide supérieure,
tout cela me semblait étre des antidotes infaillibles contre le ve-
nin de la vanité et de la tentation.
Mon compagnon sourit et expliqua :
— Le probléme de la tentation est plus complexe. Les pay-
sages de la planéte terrestre sont emplis de l’ambiance divine, de
la connaissance de la vérité et de l’aide supérieure. Nombreux
sont ceux qui, la-bas, participent a des batailles destructrices par-
mi les arbres accueillants et les champs printaniers. Nombreux
sont ceux qui commettent des homicides au clair de lune, insen-
sibles 4 la profonde suggestion des étoiles. D’autres exploitent les
plus faibles en écoutant les révélations élevées de la vérité supé-
rieure. Sur Terre, les paysages et les expressions essentiellement
divines ne manquent pas.
Les paroles de l’infirmier firent garder 4 mon esprit un si-
lence profond. Effectivement, en général, les guerriers préférent
la destruction durant le printemps et l’été, quand la Nature
répand sur le sol et dans le ciel des merveilles de couleurs, de
parfums et de lumiéres ; les vols 4 main armée et les homicides
sont de préférence pratiqués quand la Lune et les étoiles rem-
plissent la planéte de poésie divine. La majorité des bourreaux de.
?Humanité est constituée d’hommes éminemment cultivés qui
méprisent l’inspiration divine. Rénovant ma conception concer-
nant la chute spirituelle, j’ajoutai :
— Cela dit, Lisias, pourrais-tu me donner une idée de la
localisation de cette zone de Ténébres ? Si le Seuil est lié a la
pensée humaine, ot se trouvera un pareil endroit de souffrance
et de terreur ?
— Il y a des sphéres de vie en toutes parts, dit-il, serviable.
Le vide a toujours été une simple image littéraire. Il y a des éner-

282
Nosso Lar

gies vivantes en tout et chaque espéce d’étre fonctionne dans une


zone déterminée de la vie.
Aprés une petite pause ot il me parut méditer profondé-
ment, il poursuivit :
— Naturellement, comme cela se produit avec nous, tu as
seulement considéré comme région d’existence, aprés la mort
du corps, les cercles qui commencent 4 la superficie du globe,
oubliant les niveaux plus bas. Malgré tout, la vie palpite dans
la profondeur des mers et 4 lintérieur de la terre. De plus, il y a
des principes de gravitation pour l’esprit, comme il en va avec les
corps matériels. La Terre n’est pas seulement un champ que nous
pouvons blesser ou mépriser selon notre bon vouloir. C’est une
organisation vivante, possesseur de certaines lois qui nous main-
tiendront en esclavage ou nous libéreront, selon nos ceuvres. II est
évident que |’4me écrasée de fautes ne pourra remonter 4 la sur-
face du lac merveilleux de la vie. Pour résumer, nous devons nous
souvenir que les oiseaux libres s’élévent vers les hauteurs. Ceux
qui sempétrent dans des situations trés compliquées se sentent
génés dans leur vol, et ceux qui s'attachent a un poids considé-
rable ne sont que des esclaves de l’inconnu. Comprends-tu ?
Lisias n’avait pas besoin de me poser cette question. D’em-
blée, je percevais la situation immense de luttes purificatrices,
se dessinant devant mes yeux spirituels, dans les zones les plus
basses de l’existence.
Comme quelqu’un qui a besoin de réfléchir raisonnable-
ment pour pouvoir sexprimer, mon compagnon resta pensif
pendant un moment, puis il conclut :
— Comme cela arrive avec nous, qui portons en notre for
intérieur le supérieur et linférieur, la planéte a également en
elle des expressions hautes et basses, avec lesquelles elle corrige
le coupable et ouvre le passage au triomphateur de la vie éter-
nelle. En tant que médecin humain, tu sais qu'il y a des éléments

283
Chico Xavier |André Luiz

dans le cerveau de l'homme présidant au sens de ses actes. Mais


aujourd hui, rends-toi compte que ces éléments ne sont pas a
proprement parler physiques mais spirituels dans leur essence.
Qui apprécie de vivre exclusivement dans les ombres émoussera
le sens divin de la direction. Il ne sera alors pas étonnant de
voir la personne se précipiter dans les Ténébres car l’abime attire
labime, et chacun de nous atteindra le lieu vers lequel nos pas
nous dirigent.

284
45
Dans le domaine
de la musique
En fin d’aprés-midi, Lisias m’invita 4 ’accompagner au
Domaine de la Musique.
— Il est nécessaire de se distraire un peu, André ! dit-il ai-
mablement.
Me voyant résister, il insista :
— Je parlerai avec Tobias. Méme Narcisa a consacré cette
journée au repos. Allons-y !
Mais j’observais en moi un phénoméne singulier. Mal-
eré le peu de jours de service, je vouais déja un grand amour
aux Chambres. Les visites journalitres du Ministre Génésio, la
compagnie de Narcisa, l’inspiration de Tobias, la camaraderie
des compagnons, tout cela touchait particuli¢rement mon es-
prit. Narcisa, Salustio et moi, profitions de tous les instants de
relache pour améliorer l’intérieur, ici ou 1a, adoucissant la situa-
tion des infirmes que nous aimions de tout notre coeur, comme

285
Chico Xavier |André Luiz

sils étaient nos enfants. Considérant la nouvelle position dans


laquelle je me trouvais, je m’approchai de Tobias 4 qui l’infirmier
de l’Aide s’adressa avec une intimité respectueuse. Recevant la
demande, mon initiateur dans le travail accepta, satisfait :
— Excellent programme ! André a besoin de connaitre le
Domaine de la Musique.
Et me serrant dans ses bras, il ajouta :
—Nhésitez pas. Profitez-en ! Revenez a la nuit, quand vous
le voudrez. Tous nos services sont convenablement conduits.
J'accompagnai Lisias, reconnaissant. Etant arrivés a sa rési-
dence, au Ministére de |’Aide, j’eus la satisfaction de revoir Laura
qui m’informa du prochain retour de la mére pleine d’abnéga-
tion d’Eloisa, retour de la planéte prévu pour la semaine sui-
vante. La maison était emplie de joie. Il y avait plus de beauté a
Pintérieur et de nouveaux arrangements dans le jardin. Tout en
nous séparant, la propriétaire de la maison nous embrassa et dit
avec bonne humeur :
— Alors, dorénavant, la ville aura un habitué du Domaine
de la Musique de plus ! Prenez garde 4 votre coeur ! Quant 4
moi, je resterai aujourd’hui a la maison mais je me rattraperai
bientét ! Le temps ne tardera pas ot j’irai chercher ma nourri-
ture sur la Terre !
Au milieu de lallégresse générale, nous gagnames la
voie publique. Les jeunes étaient accompagnés de Polidoro et
d’Estacio, avec qui ils discutaient de maniére animée. Dés que
nous quittames l’aérobus sur l’une des places du Ministére de
l’Elévation, Lisias, qui se trouvait 4 mon cété, me dit affec-
tueusement :
— Finalement, tu vas faire la connaissance de ma fiancée a
qui j'ai de nombreuses fois parlé de toi.
— C’est curieux de se trouver fiancé également ici, obser-
vai-je, intrigué.

286
Nosso Lar

— Pourquoi donc ? Lamour sublime vit-il dans le corps


mortel ou dans |’A4me éternelle ? La-bas, dans les cercles de la
Terre, mon cher, l'amour est une espéce d’or perdu au milieu des
pierres brutes. Les hommes le mélent tellement a leurs nécessités,
leurs désirs et aux états inférieurs, que la gangue se différencie
rarement du précieux métal.
Lobservation était logique. Reconnaissant l’effet béné-
fique de l’explication, il poursuivit :
— Les fiangailles sont beaucoup plus belles dans la spiri-
tualité. Il n’existe pas de voile illusion pour nous obscurcir le
regard. Nous sommes ce que nous sommes. Lascinia et moi avons
échoué de nombreuses fois dans les expériences matérielles. Je dois
reconnaitre que presque tous les désastres du passé trouvérent leur
origine dans mon imprévoyance et mon manque absolu d’auto-
contréle. Nous n’avons pas encore compris les libertés que les lois
sociales de la planéte conférent au sexe masculin. II est rare que
Pun dentre nous lutilise dans le monde au service de la spiri-
tualisation. Souvent, nous la convertissons en un terrain glissant
vers l’animalité. Les femmes, au contraire, ont jusqu’a présent fait
preuve, 4 son égard, de la discipline la plus rigoureuse. Dans l’exis-
tence passagére, elles souffrent la tyrannie et supportent le poids de
ce que nous imposons. Mais ici, nous voyons le réajustement des
valeurs. N’est vraiment libre que celui qui apprend 4 obéir. Cela
parait paradoxal, et est pourtant l’expression de la vérité.
— Cependant, demandai-je, as-tu de nouveaux plans pour
les cercles de la chair ?
— [I ne pourrait en aller autrement, m’expliqua-t-il promp-
tement. J’ai besoin d’enrichir mon patrimoine des expériences et,
en plus de cela, mes dettes envers la planéte sont encore énormes.
Lascinia et moi fonderons ici, dans peu de temps, notre petite
maison de la félicité, en pensant revenir sur la Terre d’ici trente
ans précisément.

287
Chico Xavier |André Luiz

Nous avions atteint les environs du Domaine de la Mu-


sique. Des lumiéres d’une indescriptible beauté baignaient I’im-
mense parc plein d’enchantements de véritable conte de fées. Des
sources lumineuses tracaient de surprenantes manifestations : un
spectacle absolument nouveau pour moi.
Avant que je ne puisse manifester ma profonde admira-
tion, Lisias me recommanda, de bonne humeur :
— Lascinia se fait toujours accompagner par deux sceurs
envers lesquelles, je l’espére, tu sauras faire preuve de la galanterie
dun gentilhomme.
— Mais, Lisias, répondis-je avec réticence, considérant
mon ancienne position conjugale, tu dois comprendre que je
suis lié a Zélia.
A cet instant, l’infirmier ami rit 4 gorge déployée :
— Il ne manquait plus que ¢a ! Personne ne veut blesser
tes sentiments de fidélité. Je ne crois cependant pas que |’union
maritale doive apporter l’oubli de la vie sociale. Ne sais-tu plus
étre le frére de personne, André ?
Je souris, embarrassé, et je ne pus rien répliquer.
Nous atteignimes alors le guichet ou: Lisias paya aimable-
ment l’entrée. Je remarquai, ici méme, un grand groupe de pas-
sants autour d’un joli kiosque 4 musique ow un petit orchestre
exécutait une musique légére. Des chemins bordés de fleurs se
dessinaient en face de nous, donnant accés a l’intérieur du parc,
dans plusieurs directions. Observant mon admiration pour les
chansons qui se faisaient entendre, mon compagnon expliqua :
— Nous avons, aux extrémités du Domaine, certaines manifes-
tations qui répondent au gotit personnel de chaque groupe de ceux
qui ne peuvent encore écouter l’art sublime. Mais au centre, nous
avons la musique universelle et divine, l’art sanctifié par excellence.
En effet, aprés avoir traversé des allées souriantes ou
chaque fleur paraissait posséder son propre régne, je commen-

288
Nosso Lar

Gai a entendre une merveilleuse harmonie dominant le ciel. Sur


Terre, il y a de petits groupes dédiés au culte de la musique raf-
finée et des multitudes dédiées 4 la musique régionale. J’avais
assisté a de nombreux rassemblements de personnes, dans la
colonie, je m’étais extasié devant la réunion que notre Ministére
avait consacrée au Gouverneur, mais ce que je vis 4 ce moment
dépassait tout ce qui m/avait jusqu’alors ébloui.
Lélite de « Nosso Lar » était magnifiquement repré-
sentée. I] n’y avait pas de luxe, ni d’excés d'une quelconque
nature. Ce qui donnait autant d’éclat 4 ce spectacle merveil-
leux, c’était l’expression naturelle de ensemble, la simplicité
confondue a la beauté, l’art pur et la vie sans artifices. La
présence féminine apparaissait dans le paysage, révélant une
extréme perfection de godt personnel, sans gaspillage de dé-
corations et sans trahir la simplicité divine. De grands arbres,
différents de ceux connus sur Terre, ornaient de beaux espaces
clos, illuminés et accueillants.
I] n’y avait pas que des couples affectueux qui s attardaient
sur les routes fleuries. Des groupes de femmes et d’>hommes
sentretenaient dans des conversations animées, profitables et
constructives. Bien que me sentant sincérement humilié par mon
insignifiance face 4 ce rassemblement hautement sélect, je res-
sentais le message silencieux de sympathie dans le regard de ceux
qui se trouvaient devant moi. J’entendais des phrases éparses, re-
latives aux cercles de la chair, et néanmoins, je ne remarquais en
aucune conversation la moindre trace de malice ou d’accusation
contre les hommes. On parlait d’amour, de culture intellectuelle,
de recherche scientifique, de philosophie édifiante, mais tous les
commentaires tendaient vers la sphére élevée de l’aide mutuelle,
sans la moindre friction dans les opinions. Je remarquai qu ici,
le plus savant limitait les vibrations de son pouvoir intellectuel,
en méme temps que les moins instruits élevaient, quand cela

289
Chico Xavier |André Luiz

était possible, leur capacité de compréhension afin d’ observer les


dons de la connaissance supérieure. Je recueillis des références a
Jésus et a l’Evangile en de nombreuses conversations et, cepen-
dant, cest la note de joie régnant dans toutes les discussions qui
mimpressionnait le plus. Personne n’évoquait le Maitre avec les
vibrations négatives de la tristesse inutile, ou de l’injustifiable
découragement. Jésus était évoqué par tous comme le supréme
orienteur des organisations terrestres, visibles et invisibles, plein
de compréhension et de bonté, mais également conscient de
lénergie et de la vigilance nécessaires a la préservation de l’ordre
et de la justice.
Cette société optimiste m’enchantait. J’avais, devant mes
yeux, la concrétisation des espérances d’un grand nombre de
penseurs véritablement nobles de la Terre.
Grandement émerveillé par la musique sublime, j’entendis
Lisias dire :
— Nos orienteurs, en harmonie, peuvent absorber des
rayons d’inspiration dans les plans plus élevés, et les grands
compositeurs terrestres sont parfois amenés dans des sphéres
comme la nétre, ot ils regoivent des expressions mélodiques,
les transmettant a leur tour aux oreilles humaines, embellissant
les themes recus du génie quils poss¢dent. LUnivers, André, est
plein de beauté et de sublimité. Le flambeau resplendissant et
éternel de la vie provient, a origine, de Dieu.
Linfirmier de Aide ne put cependant continuer. Un
groupe venait de nous faire face : Lascinia et les sceurs étaient
arrivées, et il était nécessaire de répondre aux impératifs de la
confraternité.

290
46
Sacrifice de femme
Une année passa, employée a des travaux qui se suivirent, pour
ma plus grande joie. J’avais appris 4 étre utile, j’avais trouvé le plaisir
du service, ressentant une jubilation et une confiance croissantes.
Jusquici, je n’étais pas retourné au foyer terrestre malgré
Pimmense désir qui harcelait mon coeur. Parfois, je tentais de
demander des concessions sur ce point, mais quelque chose m’en
empéchait. N’avais-je pas recu ici l’aide adéquate, ne comptais-je
pas ici avec la tendresse et l’estime de tous les compagnons ? Je
reconnaissais donc que s'il y avait eu un profit, j’aurais été amené
depuis longtemps dans la vielle ambiance domestique. Mais il
fallait attendre le mot d’ordre. De plus, malgré les activités dont
il soccupait dans la Régénération, le Ministre Clarencio conti-
nuait a étre responsable de ma présence dans la colonie. Laura
et Tobias lui-méme ne se lassaient pas de me rappeler ce fait. A
diverses occasions, je m’étais retrouvé en présence du généreux
Ministre de l’Aide et, cependant, il s’était toujours maintenu
silencieux sur ce sujet. D’ailleurs, Clarencio n’avait jamais modi-

291
Chico Xavier |André Luiz

fié son attitude réservée dans l’accomplissement des obligations


concernant son autorité.
Ce ne fut qu'au moment de Noél, quand je me trouvais
dans les réjouissances de l’Elévation, qu'il aborda légérement le
sujet, devinant le poids de l’absence de ma femme et de mes
petits enfants. Il commenta les joies de la soirée et assura qu'il
ne se trouverait pas loin le jour ou il m’accompagnerait jusqu’a
ma demeure familiale. Je l’avais remercié, ému, attendant plein
d’espérance. Cependant, nous atteignimes septembre 1940 sans
que je visse la réalisation de mes désirs.
Mais la certitude d’avoir passé tout mon temps dans les
Chambres de Rectification, en service utile, me rassurait. Je
navais pas pris de repos. Nos taches se poursuivaient toujours,
sans solution définitive. Je m’étais habitué 4 prendre soin des
infirmes, a interpeller leurs pensées. Je ne perdais pas de vue la
pauvre Elisa, la conduisant de maniére indirecte vers de meil-
leures expériences.
Mais la mesure qui consolidait mon équilibre émotion-
nel accroissait mon impatience de revoir les miens. La sensation
d’absence me faisait souffrir profondément. En compensation,
je recevais, de temps a autre, la visite de ma mére qui ne m’aban-
donna jamais 4 mon propre sort bien quelle demeurat en des
cercles plus élevés.
La derniére fois que nous nous vimes, elle me fit part de sa
volonté de m’annoncer ses nouveaux projets. Cette attitude de
douce résignation face aux souffrances morales qui blessaient son
Ame sensible m’émut profondément.
Quelles nouvelles résolutions avait-elle prises ? Intrigué,
jattendais sa visite, impatient de connaitre ses plans. Durant les
premiers jours de septembre 1940, ma mére vint aux Chambres
et, apres les tendres salutations, elle me communiqua sa volonté
de retourner sur la Terre.

IgPs
Nosso Lar

Elle m’expliqua son projet sur un ton affectueux. Mais,


surpris et en désaccord avec pareille décision, je protestai :
— Je ne suis pas d’accord. Que tu retournes & la vie phy-
sique ? Pourquoi s’‘enfermer 4 nouveau dans le chemin obscur
sans nécessité immédiate ?
Affichant une noble expression de sérénité, ma mére dit :
— Ne prends-tu pas en compte l’angoissante condition de
ton pére, mon fils ? Il y a de nombreuses années que je travaille
pour le relever et mes efforts se révélent inutiles. Laerte est au-
jourd’hui un sceptique au coeur empoisonné. Il ne peut demeu-
rer en pareille position sous peine de plonger en des abimes plus
profonds. Que faire, André ? Aurais-tu le courage de le revoir en
une telle situation et de fuir le secours nécessaire ?
— Non, répondis-je, impressionné. Je travaillerais pour
Paider. Mais tu pourrais l’aider d’ici aussi.
—Je n’en doute pas. Cependant, les esprits qui aiment vrai-
ment ne se limitent pas a tendre la main de loin. A quoi nous ser-
virait la richesse matérielle si nous ne pouvions en faire profiter
ceux que nous aimons ? Pourrions-nous par hasard résider en un
palace, reléguant nos petits enfants aux intempéries ? Je ne peux
pas rester a distance. Etant donné que je pourrai déja compter
sur toi ici, je m’unirai 4 Louisa afin d’aider ton pére a rencontrer
4 nouveau le chemin juste.
Je pensai, pensai, et répondis :
— Malgré tout, jinsisterai, maman. N’y aurait-il pas de
moyen pour €viter cette éventualité ?
— Non. Non, ce ne serait pas possible. J’ai étudié attenti-
vement le sujet. Mes supérieurs hiérarchiques concordérent dans
leurs conseils. Je ne peux amener l’inférieur dans le supérieur,
mais je peux faire le contraire. Que me reste-t-il, sinon cela ? Je
ne dois pas hésiter une minute. J’ai en toi le soutien du futur.
Alors, ne te perds pas, mon fils, et aide ta mére quand tu pourras

viasMe
Chico Xavier |André Luiz

transiter entre les sphéres qui nous séparent de la surface. Entre-


temps, veille sur tes sceurs qui se trouvent peut-étre encore dans
le Seuil, en travail actif de purification. Je serai de nouveau sur le
monde d’ici quelques jours, ot je me trouverai avec Laerte pour
les services que le Pére nous confie.
— Mais, demandai-je, comment se trouvera-t-il avec toi ?
En esprit ?
— Non, dit ma mére avec une expression physionomique
significative. Avec la collaboration de quelques amis, je l’ai locali-
sé sur Terre, la semaine passée, préparant sa réincarnation immé-
diate sans quil ne puisse percevoir notre aide directe. II voulait
fuir des femmes qui le subjuguaient encore, peut-étre avec rai-
son, et nous avons profité de cette disposition pour le soumettre
4 la nouvelle situation corporelle.
— Mais cela est possible ? Et la liberté individuelle ?
Ma mé€re sourit, un peu triste, et répondit :
— Il ya des réincarnations qui fonctionnent de maniére
drastique. Bien que le malade se sente sans courage, il existe
des amis qui l’aident a prendre le saint reméde, méme s'il est
fort amer. Concernant la liberté sans restriction, l’4me peut
seulement invoquer ce droit quand elle comprend le devoir et
le pratique. Quant au reste, il est indispensable de reconnaitre
que le débiteur est l’esclave du compromis accepté. Dieu a
créé le libre arbitre, nous créons la fatalité. Il est donc néces-
saire de rompre les menottes que nous avons fondues pour
nous-mémes.
Pendant que je me perdais en de profondes pensées, elle
continua, reprenant ses observations antérieures :
— Les malheureuses sceurs qui le persécutent ne l’aban-
donnent cependant pas. Et sil n’y avait eu la Protection Divine
par l’intermédiaire de nos gardes spirituels, peut-étre lui auraient-
elles retiré la chance de cette nouvelle réincarnation.

294
Nosso Lar

— Mon Dieu ! m'exclamai-je. Serait-ce alors possible ?


Sommes-nous a ce point a la merci du Mal ? Sommes-nous de
simples jouets entre les mains des ennemis ?
— Ces interrogations, mon fils, expliqua ma mére trés cal-
mement, doivent planer en nos cceurs et sur nos lévres avant que
nous ne contractions de nouveaux débits, et avant que nous ne
transformions des fréres en adversaires sur le chemin. Ne fais pas
d’emprunt a la méchanceté...
— Et ces femmes ? Que sera-t-il fait de ces malheureuses ?
Ma mere sourit et répondit :
— Elles seront mes filles Vici quelques années. II faut se
souvenir que je vais sur le monde pour aider ton pére. Personne
naide efficacement en augmentant les forces contraires, comme
on ne peut éteindre sur la Terre un incendie avec du pétrole.
Il est indispensable d’aimer, André ! Ceux qui ne croient pas
perdent le véritable chemin, pérégrinant par le désert. Ceux qui
se trompent se détournent de la route réelle, plongeant dans le
marécage. Ton pére est aujourd’hui un sceptique et ces pauvres
soeurs supportent de lourds fardeaux dans la boue de l’ignorance
et de Pillusion. Dans un proche futur, je les mettrai toutes dans
mon giron maternel, réalisant ma nouvelle expérience.
Et, les yeux brillants et humides, comme si elle contem-
plait les horizons de l’avenir, elle conclut :
— Et plus tard... qui sait ? Peut-étre reviendrai-je a « Nosso
Lar », entourée d’autres affections sacro-saintes, pour une grande
féte d’allégresse, d’amour et d’union...
Percevant son esprit de renoncement, je m’agenouillai et
embrassai ses mains.
Dés ce moment, ma mére nétait plus seulement ma mére.
Elle était bien plus que cela. Elle était la messagére de la Protec-
tion qui savait convertir les bourreaux en enfants de son coeur
afin qu’ils puissent rejoindre le chemin des enfants de Dieu.

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47
Le retour de Laura

Il n’y avait pas que ma mére qui se préparait 4 retour-


ner aux cercles terrestres. Laura se trouvait aussi a la veille de la
grande tentative. Avisé par plusieurs compagnons, je pris part a
la démonstration de sympathie et d’estime que divers fonction-
naires, particuliérement de l’Aide et de la Régénération, allaient
témoigner a la noble femme, a l'occasion de son retour aux expé-
riences humaines: Vaffectueux hommage fut réalisé la nuit ot le
Département des Comptes lui apporta la notification du temps
global de service dans la colonie.
Il est impossible de traduire avec des mots communs la
signification de la féte intime.
La résidence enchanteresse se peuplait de mélodies et de
lumiéres. Les fleurs paraissaient plus belles.
De nombreuses familles vinrent saluer leur ainie préte
4 repartir. Pour la plupart, les visiteurs venaient la féliciter
tendrement, s’'absentant sans s’attarder outre mesure. Cepen-
dant, les amis les plus proches restérent jusque tard dans la

297
Chico Xavier |André Luiz

nuit. Jeus ainsi occasion d’entendre des observations cu-


rieuses et sages.
Laura me semblait plus circonspecte, plus grave. Leffort
quelle faisait pour accompagner l’optimisme général était per-
ceptible. Le salon était plein de monde. La mére de Lisias expli-
quait au représentant du Département :
— Je crois ne pas devoir attendre plus de deux jours. Les
applications du Service de Préparation, de I’Eclaircissement,
seront terminées.
Et avec quelque chose de triste dans le regard, elle conclut :
— Comme vous le voyez, je suis préte.
Son interlocuteur prit une expression de fraternité sincére
et ajouta, la stimulant :
— Toutefois, j’espére que vous étes motivée pour la lutte.
C’est une gloire que d’aller vers le monde dans vos conditions.
Vous avez des milliers et des milliers d’heures de service en votre
faveur face 4 une communauté de plus d’un million de com-
pagnons. Qui plus est, vos enfants constitueront un soutien
d’arriére-garde.
— Tout cela me réconforte, s’exclama la propriétaire des
lieux, sans cacher sa préoccupation intérieure. Mais nous devons
comprendre que la réincarnation est toujours une tentative de
grande importance. Je sais que mon époux ma précédée dans
’énorme effort, et que les enfants aimés seront mes amis de tous
les instants. Malgré tout...
— Regardez-moi ca ! Ne vous laissez pas emporter par
vos conjectures, coupa le Ministre Génésio. Nous avons besoin
d’avoir confiance dans la Protection Divine et en nous-mémes.
La source de la Providence Divine est inépuisable. Il faut briser
les lunettes obscures qui nous présentent le paysage physique
comme un exil amer. Ne pensez pas en possibilités d’échec mais
mentalisez les possibilités de succés. De plus, il est juste d’avoir

298
Nosso Lar

confiance en nous, vos amis, qui ne serons pas si loin en ce qui


concerne la « distance vibratoire ». Pensez 4 la joie d’aider d’an-
ciennes affections, réfléchissez a la gloire immense d’étre utile.
Laura sourit, paraissant avoir plus de courage, et elle-affirma :
— Jai sollicité le secours spirituel de tous les compagnons
afin de me maintenir avec vigilance dans les lecons recues ici.
Je sais bien que la Terre est remplie de la grandeur divine. II
suffit de penser que notre Soleil est le méme que celui qui ali-
mente les hommes. Cependant, mon cher Ministre, je crains
Poubli temporaire dans lequel nous sommes précipités. Je me
sens comme une infirme qui aurait guéri de ses nombreuses
blessures... En vérité, les ulcéres ne me tourmentent plus, mais
jen conserve les cicatrices. Il suffirait d'une légére griffure pour
que l’infirmité revienne.
Le Ministre fit le geste de celui qui comprend le sens de
Pallégation et répondit :
— Je n’ignore pas ce que représentent les ombres du camp
inférieur, mais il est indispensable de faire preuve de courage et
de marcher droit devant. Nous vous aiderons a travailler beau-
coup plus pour le bien des autres que pour votre satisfaction per-
sonnelle. Le grand danger est, encore et toujours, la permanence
dans les tentations complexes de l’égoisme.
— Ici, dit Pinterlocutrice, sensément, nous comptons avec
les vibrations spirituelles de la majorité des habitants, presque
tous éduqués dans les lumiéres de I’Evangile Rédempteur. Et bien
que de vieilles faiblesses remontent a la surface de nos pensées,
nous trouvons une défense naturelle dans l’ambiance elle-méme.
Par contre, sur Terre, notre bonne intention est pareille a une
lumiére tremblotante dans une mer immense de forces agressives.
— Ne dites pas cela, l’interrompit le Ministre. Ne donnez
pas une telle importance aux influences des zones inférieures.
Ce serait armer l’ennemi pour qu'il nous torture. Le domaine

299
Chico Xavier |André Luiz

des idées est également un domaine de lutte. Toute lumiére que


nous allumons sur la Terre restera en effet allumée pour toujours,
parce que le vent fort des passions humaines n’éteindra jamais
une seule lumiére de Dieu.
Elle semblait 4 présent voir tout de maniére plus claire face
aux concepts entendus. Elle changea radicalement d’attitude
mentale et dit, recouvrant un courage nouveau :
— Je suis maintenant convaincue que votre visite est provi-
dentielle. J’avais besoin de relever mes énergies. Il me manquait
cette exhortation. C’est vrai : notre zone mentale est un champ
de bataille incessante. II faut annihiler le mal et les ténébres qui
se trouvent a l’intérieur de nous, les surprenant dans la retraite
ot ils se terrent, sans leur donner importance qu’ils exigent.
Oui, maintenant, je comprends.
Génésio sourit avec satisfaction et ajouta :
— A l’intérieur de notre monde individuel, chaque idée
est comme si elle était une entité a part entiére... Il est néces-
saire de penser a cela. Nourrissant les éléments du bien, elles
progresseront pour notre félicité, elles constitueront nos armées
de défense. Toutefois, alimenter le moindre élément de mal re-
vient a construire une base stire pour nous bourreaux ennemis.
A ce moment, le fonctionnaire des Comptes fit observer :
— Et nous ne pouvons oublier que Laura revient vers la
Terre avec d’extraordinaires crédits spirituels. Aujourd’hui en-
core, le Cabinet du Gouvernement a fourni une note au Minis-
tére de l’Aide, recommandant aux coopérateurs techniques de la
Régénération le maximum d’attention pour tout ce qui touche
aux ascendants biologiques qui vont entrer en fonction pour
constituer le nouvel organisme de notre sceur.
— Ah ! cest vrai, dit-elle. J’ai demandé cette mesure pour
que je ne me retrouve pas excessivement sujette a la loi d’héré-
dité. J’ai eu une grande préoccupation concernant le sang.

300
Nosso Lar

— Remarquez que votre mérite 4 « Nosso Lar » est bien


grand étant donné que le Gouverneur en personne a décidé des
mesures directes, dit son interlocuteur.
— Ne vous préoccupez donc pas, mon amie, s’exclama le
Ministre Génésio, souriant. Il y aura 4 vos cétés d’innombrables
fréres et compagnons qui collaboreront A votre bien-étre.
— Grace a Dieu ! dit Laura, réconfortée. Il me fallait vous
entendre, il me fallait vous entendre...
Lisias et les sceurs, auxquelles s’était jointe !a sympathique
et généreuse Teresa, manifestérent une joie sincére.
— Ma mere avait besoin d’oublier les préoccupations, com-
menta l’infirmier dévoué de |’Aide. En fin de compte, nous ne
resterons pas ici a dormir.
— Tuas raison, dit la propriétaire de la maison. Je cultiverai l’es-
pérance, entretiendrai la confiance dans le Seigneur et en vous tous.
Par la suite, les commentaires revinrent au plan de la
confiance et de l’optimisme. Personne ne commenta le retour
sur Terre, sinon comme une opportunité bénite de répéter et
d’apprendre pour le bien.
Tard dans la nuit, au moment ou je prenais congé, Laura
me dit sur un ton maternel :
— Demain soir, André, je compte également sur vous.
Nous ferons une petite réunion privée. Le Ministére de la Com-
munication nous a promis la visite de mon époux. Bien qu'il se
trouve dans le liens physiques, Ricardo sera amené ici avec l’aide
fraternelle de nos compagnons. De plus, demain, je ferai mes au
revoir. Ne soyez pas absent.
Je la remerciai avec émotion, mefforcant de dissimuler les
larmes de tristesse prématurée qui se faisaient jour en mon cceur.

301
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48
Culte en famille
La réunion a laquelle je me présentai a la maison de Lisias
naurait peut-étre pas paru si surprenante aux pratiquants du Spi-
ritisme. Mais pour moi, la situation était inédite et intéressante.
Une petite assemblée d’un peu plus de trente personnes
s était réunie dans la salle 4 manger spacieuse. La disposition
des meubles était la plus simple possible. Des fauteuils s’ali-
gnaient par rangées de douze face a l’estrade ot le Ministre
Clarencio assumait la position de directeur, entouré de Lau-
ra et de ses enfants. A une distance approximative de quatre
métres se trouvait un grand globe cristallin d'une hauteur
d’environ deux métres, enveloppé, dans sa partie inférieure,
d’une longue série de fils branchés 4 un petit appareil iden-
tique 4 nos haut-parleurs.
De nombreuses questions dansaient dans mon cerveau.
Chaque invité prenait, dans la grande salle, la place qui
lui revenait, mais jobservai quil y avait des conversations frater-
nelles dans tous les groupes.

303
Chico Xavier |André Luiz

Me trouvant 4 cété de Nicolas, ancien serviteur du Mi-


nistére de l’Aide et ami intime de la famille de Lisias, j’osai
lui demander quelque chose. Le compagnon ne se fit pas prier
et expliqua :
— Nous sommes préts. Cela dit, nous attendons l’ordre de
la Communication. Notre frére Ricardo se trouve dans la phase
de l’enfance terrestre et il ne lui sera pas difficile de se détacher
des maillons physiques les plus forts, pour quelques instants.
— Mais il viendra jusqu ici ? demandai-je.
— Pourquoi ne pourrait-il pas en aller ainsi ? rétorqua mon
interlocuteur. Ce ne sont pas tous les incarnés qui s’enchainent
au sol de la Terre. Comme les pigeons voyageurs qui vivent par-
fois un temps long de service, entre deux régions, il y a la-bas des
Esprits qui vivent entre deux mondes.
Et indiquant l’appareil qui nous faisait face, il me dit :
— Ici se trouve la chambre qui nous le montrera.
— Pourquoi un globe cristallin ? demandai-je, curieux. Ne
pourrait-il pas se manifester sans lui ?
— Il est bon de se souvenir, dit Nicolas poliment, que nos
émotions émettent des forces susceptibles de perturber. La petite
chambre cristalline est constituée d’un matériau isolant. Nos
énergies mentales ne pourront pas la traverser.
A cet instant, Lisias fut appelé au téléphone par les
fonctionnaires de la Communication. Le moment était venu. Le
travail principal de la réunion pouvait commencer.
Je remarquai sur la pendule murale qu'il était minuit passé
de quarante minutes. Notant mon regard interrogatif, Nicolas
dit a voix basse :
— Crest seulement maintenant qu il y a suffisamment de
paix dans le récent foyer de Ricardo, la-bas, sur la Terre. Natu-
rellement, la maisonnée se repose, les parents dorment et dans la
nouvelle phase, il ne reste pas enti¢rement uni au berceau...

304
Nosso Lar

Il ne lui fut pas possible de poursuivre. Se levant, le Mi-


nistre Clarencio demanda une homogénéité de pensée et une
véritable fusion des sentiments. Une grande quiétude se fit et il
prononga une priére simple et émouvante. Ensuite, Lisias nous
fit entendre sa cithare harmonieuse, emplissant l’ambiance de
profondes vibrations de paix et d’enchantement. Peu apres, Cla-
rencio prit nouvellement la parole :
— Fréres, dit-il, envoyons a présent notre message d’amour
a Ricardo.
Avec surprise, je vis alors que les filles et la petite-fille de
Laura, accompagnées de Lisias, abandonnaient l’estrade, prenant
position prés des instruments de musique. Judith, Jolanda et Li-
sias se chargérent respectivement du piano, de la harpe et de la
cithare, au coté de Thérésa et d’Eloisa qui intégraient le gracieux
choeur familial.
Les cordes fines se mariérent aux échos de la douce mélo-
die et la musique s’éleva, caressante et divine, pareille 4 un ga-
zouillement céleste. Je me sentais tiré vers les sphéres sublimes
de la pensée quand les voix argentines bercérent l’intérieur de la
maison. Lisias et ses sceurs chantaient une merveilleuse chanson
qu ils avaient eux-mémes composée.
Il est trés difficile de retranscrire dans des phrases humaines
les strophes chargées de sens, pleines de spiritualité et de beauté,
mais j’essayerai de le faire afin de démontrer la richesse des affec-
tions dans les plans de la vie qui sétendent au-dela de la mort :

Pere bien-aimé, pendant que la nuit


Apporte la bénédiction du repos,
Recois, péere affectueux,
Notre affection et notre dévouement...
Pendant que les étoiles chantent
Dans la lumiere qui les fait palir,

305
Chico Xavier |André Luiz

Viens untir a nos priéres


La voix de ton coeur.

Ne tinquiéte pas sur le chemin


Dombres de Voubli,
Que la souffrance ne te submerge pas,
Que jamais tu ne te blesses au contact du mal.
Naie pas peur de la douleur terrestre,
Rappelle-toi notre alliance,
Conserve la fleur de lespérance
Pour le bonheur immortel.

Pendant que tu dors dans le monde,


Nos ames réveillées rappellent les aubes
De cette vie supérieure ;
Attends le futur souriant,
Attends apres nous qui, un jour,
Nous tournerons vers la joie
Du jardin de ton amour.

Viens a nous, pere généreux,


Reviens vers la paix de notre foyer,
Retourne aux lumiéres du chemin,
Bien que tu sois encore en train de réver ;
Oublie, une minute, la Terre
Et viens te désaltérer a l'eau pure
De la consolation et de la douceur
Des sources de « Nosso Lar ».

Notre famille na pas oublié


Le sacrifice, la bonté
La sublime clarté

306
Nosso Lar

De tes lecons sur le Bien ;


Traverse Lombre épaisse,
Vaincs, pére, la chair étrangere,
_Grimpe a la cime de la montagne,
Viens avec nous, prier aussi.

Aux derniéres notes de la belle composition, je vis que le


globe se couvrait intérieurement d’une substance d’un gris lai-
teux, laissant apparaitre tout de suite aprés le visage sympathique
d’un homme d’4ge miir. C’était Ricardo.
Il est impossible de décrire ’émotion sacrée de la famille
quand elle lui adressa de chaleureuses salutations. Le nouveau
venu, aprés sétre entretenu en privé avec sa compagne et ses
enfants, posa son regard sur nous tous, demandant a ce que la
douce chanson de ses enfants soit répétée, chanson qu'il écouta
le visage baigné de larmes. Quand les derniéres notes se turent,
il dit avec émotion :
— Oh! mes enfants, comme la bonté de Jésus qui auréola
le culte domestique de l’Evangile des suprémes joies de cette nuit
est grande ! Dans cette piéce, nous avons cherché, ensemble, le
chemin des sphéres supérieures. De nombreuses fois, nous avons
recu le pain spirituel de la vie, et c'est encore ici que nous nous
retrouvons pour la sainte motivation. Comme je suis heureux !
Laura pleurait discrétement ; Lisias et ses sceurs avaient
leurs yeux brouillés de larmes. Je me rendis compte que l’ami
récemment arrivé ne parlait pas avec facilité et ne pouvait pas
disposer de beaucoup de temps parmi nous. II est probable que
toutes les personnes ici présentes avaient la méme impression,
car je vis Judith serrer le globe cristallin dans ses bras, 'entendant
sexclamer tendrement :
— Pére bien-aimé, dis ce que tu attends de nous, explique-
nous en quoi nous pourrions étre utiles 4 ton coeur dévoue !

307
Chico Xavier |André Luiz

Je vis alors Ricardo poser un regard intense sur Laura et


murmurer :
~ Ta mére viendra avec moi d’ici peu, ma petite ! Plus tard,
vous viendrez également ! Que pourrais-je désirer de plus pour
étre heureux, sinon demander au Maitre quil nous bénisse pour
toujours ?
Tous pleuraient, émus.
Quand le globe commenga & présenter 4 nouveau les
mémes tons grisatres, j’entendis Ricardo s’exclamer, s’en allant
pratiquement :
— Ah! Mes enfants, j’ai quelque chose 4 vous demander du
fond de mon ame ! Demandez au Seigneur que je naie jamais
de facilités 4 ma disposition sur Terre, afin que la lumiére de la
gratitude et de la compréhension demeure vive en mon esprit...
Cette demande inattendue me toucha et me surprit en
méme temps. Ricardo adressa 4 toute l’assemblée ses au revoir
amicaux et le rideau de la substance grise recouvrit toute la
chambre qui, par la suite, reprit son aspect normal.
Le Ministre Clarencio pria avec son coeur et la séance se
termina, nous laissant plongés dans une allégresse indescriptible.
Je me dirigeais vers l’estrade afin d’embrasser Laura,
pour lui exprimer de vive voix ma profonde émotion et ma
reconnaissance, lorsque quelqu’un attira mon attention au
moment ou j’allais pratiquement atteindre la propriétaire des
lieux qui était occupée a répondre aux nombreuses félicita-
tions des amis présents. Il s’agissait de Clarencio, qui me dit
sur un ton aimable :
— André, j’accompagnerai demain notre sceur Laura
jusqu’a la sphére physique. Si vous le souhaitez, vous pourrez
venir avec nous afin de rendre visite 4 votre famille.
Il ne pouvait y avoir de plus grande surprise. Une profonde
sensation de joie m’envahit, mais je me souvins instinctivement

308
Nosso Lar

des Chambres. Devinant mes pensées, le généreux Ministre se


mit a dire :
— Vous possédez, en votre faveur, une quantité d’heures de
travail extraordinaire. Il ne sera pas difficile 4 Génésio de vous
concéder une semaine d’absence aprés votre premiére année de
coopération active.
Pris d’une jubilation intense, je le remerciai, pleurant et
riant en méme temps. J’allais enfin revoir mon épouse et mes fils
bien-aimés.

309
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49
De retour 4 la maison

Pareil a l'enfant guidé par les pas de ses bienfaiteurs, j’ar-


rivai 4 ma ville avec lindescriptible sensation du voyageur qui
revient au berceau natal aprés une longue absence.
Le paysage ne s était pas modifié de maniére sensible. Les
vieux arbres du quartier, la mer, le méme ciel, le méme parfum
flottant dans lair.
Enivré de joie, je ne remarquai plus |’expression de Laura
qui dénongait une extréme préoccupation, et je pris congé du
petit groupe qui poursuivit sa route.
Clarencio me serra dans ses bras et me dit :
— Vous avez une semaine a votre disposition. Je passerai ici
quotidiennement afin de vous revoir, répondant aux attentions
que je dois consacrer aux problémes de la réincarnation de notre
sceur. Si vous voulez vous rendre 4 « Nosso Lar », vous profiterez
de ma compagnie. Bon séjour, André !
Les derniers adieux a la mére de Lisias faits, je me retrouvai
seul, respirant lair d'une autre époque a pleins poumons. Je ne

311
Chico Xavier |André Luiz

perdis pas de temps a observer les détails. Je traversai rapidement


quelques rues, en direction de la maison. Mon cceur battait la
chamade au fur et 4 mesure que je m’approchais du grand portail
dentrée. Comme autrefois, le vent caressait les arbres du petit
parc. Des azalées et des roses avaient éclos, saluant la lumieére
printaniére. En face du portique se dressait limposant palmier
que nous avions planté, avec Zélia, lors de notre premier anni-
versaire de mariage.
Ivre de félicité, je me dirigeai vers lintérieur. Cela dit,
on dénotait en tout d’énormes différences. OU se trouvaient
les vieux meubles en jacaranda’* ? Et le grand tableau ott nous
formions, avec mon épouse et mes enfants, une belle famille ?
Quelque chose m’oppressait. Que s’était-il passé? Je commengais
4 chanceler sous le poids de |’émotion. Je me dirigeai vers la salle
4 manger ou je vis ma plus jeune fille qui était déja en 4ge de se
marier. Et presque au méme instant, je vis Zélia qui sortait de la
chambre, accompagnant un homme qui me sembla étre, a pre-
miére vue, un médecin.
Je criai mon allégresse de toute la force de mes poumons,
mais les mots semblaient retentir dans toute la maison sans ja-
mais atteindre les oreilles des personnes présentes. Je compris la
situation et me tus, désappointé. Baissant le ton de sa voix, son
interlocuteur dit :
— Je ne pourrai donner un diagnostic stir que demain car la
pneumonie se présente comme étant trés compliquée en raison
de l’hypertension. Tous les soins sont bien peu. Le Dr Ernesto
réclame un repos absolu.
Qui serait ce Dr Ernesto ? Je me perdais dans une mer de
questionnements lorsque j’entendis mon épouse supplier :

2 NdT : le jacaranda — famille de bignoniacée — est un arbre d’ornement originaire du


Brésil tres recherché en ébénisterie, donnant des fleurs au bleu éclatant.

312
Nosso Lar

— Mais docteur, sauvez-le, par pitié ! Je vous le demande !


Oh !Je ne supporterai pas de me retrouver veuve une seconde fois.
Zélia pleurait en se tordant les mains, démontrant une im-
mense angoisse. Un éclair ne m/aurait pas frappé avec une telle
violence. Un autre homme avait pris possession de mon foyer.
Mon é€pouse m/avait oublié. La maison ne m/appartenait plus.
Avait-il valu la peine d’attendre aussi longtemps pour recueillir
de pareilles désillusions ? Je courus jusqu’A ma chambre, remar-
quant qu'il y avait un autre mobilier dans l’alcéve spacieuse. Sur
le lit se trouvait un homme d’4ge mir, affichant un délicat état de
santé. A cété de lui, trois personnages noirs allaient et venaient,
se montrant intéressés a aggraver ses souffrances.
D’entrée, j’eus la volonté de hair lintrus de toutes mes
forces. Mais ce n’était plus moi, le méme homme qu autrefois.
Le Seigneur m’avait appelé aux enseignements de l’amour, de la
fraternité et du pardon. Je vis que le malade était entouré d’enti-
tés inférieures, dévouées au mal ; cependant, je ne parvins pas a
Paider immédiatement.
Je massis, décu et abattu, voyant Zélia entrer et sortir de la
chambre a plusieurs reprises, caressant l’infirme avec la tendresse
qui me revenait en d’autres temps. Aprés de longues heures
d observation et de méditation amére, je revins, chancelant, a la
salle 4 manger, oti je trouvais mes filles en train de converser. Les
surprises se succédaient. La plus grande s’était mariée et avait un
petit enfant dans les bras. Et mon fils, ot pouvait-il étre ? Zélia
informa convenablement une vieille infirmiére puis vint s’entre-
tenir plus calmement avec les filles.
— Je suis venue te voir, maman, sexclama |’ainée, non seu-
lement pour prendre des nouvelles du Dr Ernesto, mais parce
quaujourd’hui, l’absence de papa tourmente mon coeur de
maniére singuliére. Depuis ce matin, je ne sais pas pourquoi je
pense tant A lui. C’est une chose que je ne sais pas bien définit...

if)
Chico Xavier |André Luiz

Elle ne termina pas. D’abondantes larmes coulaient de


ses yeux. A ma grande surprise, Zélia s'adressa 4 notre fille de
maniere autoritaire :
— Regardez-moi ¢a ! Il ne nous manquait plus que ga !
Extrémement affligée comme je le suis, je dois supporter tes per-
turbations. Qu’est-ce que cet attachement au passé, ma fille ? Je
vous ai déja interdit catégoriquement toute allusion a votre pére
dans cette maison. Vous ne savez pas que cela mortifie Ernesto ?
Jai déja vendu tout ce qui nous rappelait ici le passé ; je suis allée
jusqu’a modifier l’apparence des murs. Et tu ne peux pas m/aider
sur ce point ?
La plus jeune intervint :
— Depuis que ma pauvre sceur a commencé a s'intéresser
4 ce maudit Spiritisme, elle vit avec toutes ces bétises dans le
crane. Ou a-t-on vu de telles sottises ? Cette histoire de morts qui
reviennent est le comble de l’absurde.
Tout en continuant a pleurer, |’autre dit avec difficulté :
— Je ne suis pas en train de traduire des convictions reli-
gieuses. Est-ce donc un crime que de souffrir de l’absence de papa ?
N’aimez-vous pas, n’avez-vous pas de sentiments ? Si papa était
avec nous, son seul fils ne se livrerait pas 4 tant de folies ou il va.
— Allons, allons ! dit Zélia, nerveuse et ennuyée. Chacun
a le sort que Dieu lui donne. N’oublie pas qu’ André est mort.
Ne viens pas te plaindre et pleurer sur une situation irrémédia-
blement passée.
Je m’approchai de ma fille larmoyante et j’étanchai ses
pleurs, murmurant des paroles d’encouragement et de consola-
tion quelle ne percevait pas par ses oreilles, mais subjectivement,
sous la forme de pensées réconfortantes.
Finalement, je me trouvais face 4 un singulier cas de fi-
gure ! Je comprenais 4 présent le motif pour lequel mes véri-
tables amis avaient tant ajourné mon retour au foyer terrestre.

314
Nosso Lar

Angoisses et déceptions se succédaient péle-méle. Ma maison


me parut alors un patrimoine que les voleurs et les vers avaient
transformé. Ni avoirs, ni titres, ni affections ! Seule une fille gar-
dait mon vieil et sincére amour. Pas méme les longues années de
souffrance, dans les premiers jours dans l’au-dela, ne m’avaient
suscité des larmes aussi améres.
La nuit arriva, suivie du jour, me trouvant dans la méme
situation de perplexité, entendant des concepts et des attitudes
surprenantes que je naurais jamais pu suspecter.
En fin d’aprés-midi, Clarencio passa, m’offrant le récon-
fort de sa parole amie et droite. Percevant mon abattement, il
dit, serviable :
— Je comprends votre peine et je me réjouis de l’excellente
opportunité de ce témoignage. Je n’ai pas de directives nou-
velles. Ainsi, tout conseil de ma part serait intempestif. Je peux
seulement, mon cher, ne pas oublier cette recommandation
de Jésus afin que nous aimions Dieu par-dessus toute chose et
notre prochain comme nous-mémes. Elle opére toujours quand
elle est suivie de véritables miracles de félicité et de compréhen-
sion sur nos chemins.
Je le remerciai, touché, et lui demandai de ne pas cesser de
me protéger avec l’aide nécessaire.
Clarencio sourit et prit congé.
Alors, en face de la réalité, absolument seul dans le témoi-
gnage, je commengai a penser a la portée de la recommandation
évangélique et je pus réfléchir avec plus de sérénité. En fin de
compte, pourquoi condamner les agissements de Zélia ? Et moi,
avais-je été veuf sur Terre ? Aurais-je, par hasard, supporté la soli-
tude prolongée ? N’aurais-je pas recouru a mille prétextes pour
justifier une nouvelle union ? Et le pauvre malade ? Comment
et pourquoi le hair ? N’était-il pas également mon frére dans la
maison de Notre Pére ? Le foyer n’aurait-il peut-étre pas été en

315
Chico Xavier |André Luiz

de pires conditions si Zélia n’avait pas accepté l’alliance affec-


tive ? J’avais donc besoin de lutter contre l’égoisme féroce. Jésus
m/avait conduit a d’autres sources. Je ne pouvais agir comme un
homme de la Terre. Ma famille n’était pas seulement une épouse
et trois enfants sur la Terre. Elle était constituée de centaines
dinfirmes dans les Chambres de Rectification et elle s’étendait,
maintenant, 4 la communauté universelle. Dominé par de nou-
velles pensées, je sentis que la séve du véritable amour commen-
cait a suinter des blessures bénéfiques que la réalité avait ouvertes
en mon coeur.

316
50
Citoyen de « Nosso Lar »
La deuxiéme nuit, je me sentis extrémement fatigué. Je
commengais 4 comprendre la valeur de l’aliment spirituel au tra-
vers de l’amour et de la compréhension mutuels. A « Nosso Lar
», je passais des jours employés au service actif, sans alimenta-
tion commune, dans I’entrainement de l’élévation auquel bon
nombre d’entre nous se consacraient. La présence d’amis bien-
aimés, les manifestations d’affection, |’absorption des éléments
purs a travers l’air et l'eau me suffisaient. Mais ici, on ne trouvait
rien de tout cela, juste un obscur champ de bataille ot les per-
sonnes aimées se transformaient en bourreaux. Les précieuses ré-
flexions que les paroles de Clarencio me suggéraient apportaient
une certaine tranquillité au fond de mon coeur. Je comprenais
finalement les nécessités humaines. Je n’étais pas le proprictaire
de Zélia, mais son frére et ami ; mes enfants ne m’appartenaient
pas, ils écraient des compagnons de lutte et de réalisation.
Je me souvins de Laura qui, certaines fois, m’affirmait que
tout étre, dans le témoignage, doit procéder comme une abeille,

oly
Chico Xavier |André Luiz

s approchant des fleurs de la vie qui sont les ames nobles, sur le
terrain des souvenirs, extrayant de chacune la substance des bons
exemples afin d’acquérir le miel de la sagesse.
Jappliquai 4 mon cas le conseil bénéfique et je commen-
cai 4 me souvenir de ma mére. Ne se sacrifiait-elle pas pour
mon pére, au point d’adopter ces femmes malheureuses comme
des filles de coeur ? « Nosso Lar » était rempli d’exemples édi-
fiants. Le Ministre Vénéranda travaillait depuis des siécles pour
le groupe spirituel qui était plus particuli¢rement lié a son coeur.
Narcisa se sacrifiait dans les Chambres pour obtenir l’accord
spirituel afin de revenir sur le monde dans un travail d’aide.
Hilda avait vaincu le dragon de la jalousie inférieure. Et l’ex-
pression de fraternité des autres amis de la colonie ? Clarencio
m/avait accueilli avec le dévouement d’un pére, la mére de Lisias
m’avait regu comme un fils, Tobias comme un frére. Chaque
compagnon de mes nouvelles luttes m’avait offert quelque chose
utile pour une construction mentale différente qui se dressait,
rapidement, en mon esprit.
Je cherchai a faire abstraction des considérations apparem-
ment ingrates que javais entendues dans le milieu familial, et je
décidai de placer l'amour divin au-dessus de tout, et, au-dessus
de mes sentiments personnels, les justes nécessités de mes pareils.
Dans ma fatigue, je rejoignis la chambre de l’infirme dont
état s'aggravait d’instant en instant. Zélia lui caressait le front
et disait, en larmes :
— Ernesto, Ernesto, aie pitié de moi, chéri ! Ne me laisse
pas seule ! Qu’adviendra-t-il de moi si tu r’es plus 1a ?
Le malade caressa ses mains et répondit avec une grande
tendresse malgré une forte dyspnée.
Je demandai au Seigneur les énergies nécessaires pour
maintenir la compréhension indispensable, et je me mis a voir
les conjoints comme s’ils avaient été mes fréres.

318
Nosso Lar

Je reconnus que Zélia et Ernesto s’aimaient éperdument. Et si


jétais leur compagnon fraternel, je devais les aider avec les moyens
a ma portée. Je commengai le travail, cherchant a éclairer les esprits
malheureux qui maintenaient une étroite liaison avec l’infirme, mais
mes difficultés étaient énormes. Je me sentais profondément abattu.
Dans cette urgence, je me souvins d’une certaine lecon de
Tobias, quand il m/avait dit : « Ici, a “Nosso Lar”, tout le monde
na pas forcément besoin de l’aérobus pour se déplacer, car les habi-
tants les plus élevés de la colonie disposent du pouvoir de volition ;
ce nest pas tout le monde, non plus, qui a besoin des appareils de
communication pour discuter 4 distance car ils se maintiennent
entre eux dans un plan de parfaite syntonie de pensée. Ceux qui
disposent d’affinités comme celles-ci peuvent disposer, 4 volonté,
du processus de conversation mentale, malgré la distance. »
J imaginais combien la collaboration de Narcisa me serait
utile, et j’essayai. Je me concentrai dans une fervente priére au
Pére et, dans les vibrations de l’oraison, je m’adressai a Narcisa,
lui demandant assistance. Je lui racontai, par la pensée, ma dou-
loureuse expérience, lui communiquant mes intentions d'aide et
insistant pour ne pas rester désemparé.
Il se produisit alors ce que je n’osais espérer.
Vingt minutes s’écoulérent environ, quand, l’esprit encore
absorbé dans ma demande, quelqu’un toucha légérement mon
épaule. C’était Narcisa qui répondait a ma requéte, souriante :
— Jai entendu votre appel, mon ami, et je suis venue a
votre rencontre.
Je débordais de joie. La messagére du bien regarda la situa-
tion, comprit la gravité du moment, et ajouta :
— Nous n’avons pas de temps a perdre.
Avant toute chose, elle appliqua des passes de réconfort au
malade, l’isolant des silhouettes obscures qui s’écartérent comme
par enchantement. Ensuite, elle m’invita énergiquement :

319
Chico Xavier |André Luiz

— Allons dans la Nature.


Je Paccompagnai sans hésitation. Notant ma surprise,
elle ajouta :
— Il ny a pas que ’homme qui peut recevoir et émettre
des fluides. Les forces naturelles en font de méme, dans les di-
vers régnes qui la subdivisent. Dans le cas de notre malade, nous
avons besoin d’arbres. Ils nous aideront efficacement.
Impressionné par la nouvelle lecon, je la suivis, silencieux.
Arrivés 4 un endroit ot s’alignaient de vastes frondaisons, Nar-
cisa appela quelqu’un avec des expressions que je ne pourrais
expliquer. Quelques instants plus tard, huit entités spirituelles
répondirent a son appel. Immensément surpris, je la vis s’infor-
mer de l’existence de manguiers et d’eucalyptus. Dament infor-
mée par ces amis qui m’étaient complétement inconnus, l’infir-
miére mexpliqua :
— Les fréres qui nous ont répondu sont des serviteurs du
régne végétal.
Et voyant ma surprise, elle conclut :
— Comme vous le voyez, rien de ce qui existe n’est inutile
dans la Maison de Notre Pére. Il y a partout matiére a enseigner
la ot se trouve qui veut apprendre ; et ou apparait la difficulté,
la Providence surgit. Lunique infortuné, dans l’ceuvre divine,
cest lesprit imprévoyant qui se condamne aux ténébres de la
méchanceté.
Narcisa manipula pendant quelques instants certaines
substances comme les émanations de l’eucalyptus et du man-
guier et, durant toute la nuit, nous appliquames les remédes sur
linfirme, a travers la respiration et l’absorption par les pores.
Ce dernier sentit une amélioration sensible. Tét le matin,
le médecin fit observer, extrémement surpris :
— Il y a eu cette nuit une réaction extraordinaire ! C’est un
véritable miracle de la Nature !

320
Nosso Lar

Zélia était radieuse. La maison s’emplit d’une allégresse


nouvelle. Je sentis 4 mon tour une grande joie en mon Ame. Une
inspiration profonde et de belles espérances revigoraient mon
étre. Je reconnaissais que de vigoureux liens inférieurs s’étaient
rompus en moi, a jamais.
Ce jour-la, je rentrai 4 « Nosso Lar » en compagnie de
Narcisa et, pour la premiere fois, j’utilisai la capacité de volition.
Rapidement, nous parcourtimes de grandes distances. Le dra-
peau de la joie se déployait dans mon monde intérieur. Trans-
mettant a la généreuse infirmiére mon impression de légéreté, je
Pentendis m’expliquer :
— A « Nosso Lar », une grande partie des compagnons
pourrait se dispenser de l’aérobus et se déplacer, 4 volonté, dans
les espaces de notre domaine vibratoire. Mais vu que la majorité
dentre nous n’ont pas acquis cette faculté, tout le monde s’abs-
tient de l’utiliser sur la voie publique. Toutefois, cette abstention
ne nous empéche pas d’utiliser ce processus loin de la ville, quand
il est nécessaire de parcourir de longues distances rapidement.
Une compréhension nouvelle et de nouveaux enchante-
ments enrichirent mon esprit.
Instruit par Narcisa, je me rendis de la maison de la Terre a
la cité spirituelle, et vice versa, sans grande difficulté, intensifiant
le traitement d’Ernesto dont l’amélioration se fit franche et ra-
pide. Clarencio me rendait visite quotidiennement, se montrant
satisfait de mon travail.
A la fin de la semaine, j’arrivai au terme de mes premiers
congés des Chambres de Rectification. Lallégresse avait pris
possession des conjoints que j’appréciais comme des fréres.
Il était donc nécessaire de retourner aux devoirs justes.
A la douce lumiére du crépuscule, je pris le chemin de «
Nosso Lar » totalement transformé. Durant ces sept jours qui
passérent si rapidement, j’avais appris de précieuses lecons dans

321
Chico Xavier |André Luiz

le culte vivant de la compréhension et de la fraternité légitimes.


Laprés-midi sublime m’emplissait de grandes pensées.
« Comme la Providence Divine est immense ! me dis-je
dans un monologue intérieur. Avec quelle sagesse le Seigneur
dispose de tous les travaux et de toutes les situations de la vie !
Avec quel amour s occupe-t-il de toute la Création ! »
Mais quelque chose m/arracha de la méditation dans la-
quelle je m’étais plongé : plus de deux cents compagnons ve-
naient a ma rencontre. Tous me saluaient, généreux et accueil-
lants : Lisias, Lascinia, Narcisa, Silveira, Tobias, Salustio et de
nombreux autres coopérateurs des Chambres étaient ici. Je ne
savais quelle attitude adopter, accueilli ainsi par surprise. C'est
alors que le Ministre Clarencio apparut devant tout le monde,
me tendant la main et disant :
—Jusqu’a aujourd'hui, André, vous étiez mon pupille dans
la cité. Dorénavant, au nom du Gouvernement, je vous déclare
citoyen de « Nosso Lar ».
Pourquoi une telle magnanimité si mon triomphe était
Si petit °
Je ne parvins pas a retenir les larmes d’émotion qui trou-
blaient ma voix. Et, considérant la grandeur de la Bonté Divine,
je me jetai dans les bras paternels de Clarencio, pleurant de gra-
titude et de joie.

322
Conseil éditorial :
Jorge Godinho Barreto Nery — Président
Geraldo Campetti Sobrinho — Coordinateur éditorial
Cirne Ferreira de Araujo
Evandro Noleto Bezerra
Maria de Lourdes Pereira de Oliveira
Marta Antunes de Oliveira de Moura
Miriam Lucia Herrera Masotti Dusi

Production éditoriale :
Fernando César Quaglia
Luciano Carneiro Holanda

Traduction du portugais :
Pierre-Etienne Jays

Couverture :
Evelyn Yuri Furuta

Projet graphique :
Ingrid Saori Furuta

Photo de couverture :
http://www.shutterstock.com/ AleksandarNakic
http://www.dreamstime.com/ Harlanov
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Normalisation technique :
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07 December 2022

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LA VIE DANS LE MONDE SPIRITUEL

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