Chroniques Déni Français
Chroniques Déni Français
Chroniques Déni Français
Talleyrand
INTRODUCTION
Georges Clemenceau
Trop souvent au cours des trente-cinq dernières années qui ont jalonné le décrochage de
la France furent annoncées des échéances décisives. Sans que changent ni les grandes
orientations politiques ni la trajectoire déclinante de notre pays.
Pourtant l’élection présidentielle de 2017 se présente sous un jour différent à cause de la
gravité de la situation qui en fait la dernière chance de redresser la France de manière
pacifique et démocratique.
Jamais depuis les années 1930 la France n’a été confrontée à de tels défis intérieurs et
extérieurs. Jamais depuis les années 1930, les institutions et la classe politique n’ont été
aussi paralysées. Le mandat de François Hollande n’a pas été un quinquennat pour rien
mais un vertigineux accélérateur de l’affaiblissement de la France. Il est urgent de sortir du
déni dans lequel nombre d’entre nous se sont réfugiés. Ce fut l’objet de ces chroniques
parues dans Le Point depuis 2010.
L’histoire s’est réveillée. Ses moteurs sont les crises, les guerres et les révolutions, qui se
traduisent par des chocs d’une rare violence. Alors que les séquelles du krach de 2008 puis
de l’ébranlement de la monnaie unique restent béantes, la zone euro demeure engluée dans
la croissance molle et se voit prise en étau entre les États-Unis qui dominent sans partage
l’économie numérique et la concurrence nouvelle des pays émergents : l’Europe ne compte
que pour 7 % de la population et 20 % de la production mondiales alors qu’elle distribue la
moitié des transferts sociaux de la planète ! Simultanément, la révolution numérique gagne
tous les secteurs d’activité avec une vitesse inégalée depuis l’invention du capitalisme.
Mais la marque de la décennie 2010 demeure le changement de nature et d’intensité des
risques géopolitiques avec la mondialisation du djihad, le réveil des empires, l’affirmation
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des démocratures qui s’affirment en rivales des démocraties. D’où la multiplication des
ruptures et des surprises stratégiques : surgissement de l’État islamique et implosion du
Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord ; vague d’attentats islamiques majeurs en Europe ;
déclenchement du plus important mouvement migratoire depuis 1945 vers notre continent,
marqué par l’arrivée de 1,3 million de personnes en 2015 ; expansion de Pékin en mer de
Chine favorisée par le renversement d’alliance des Philippines ; annexion de la Crimée par
la Russie suivie des interventions militaires en Ukraine et en Syrie ; basculement de la
Turquie vers une démocrature islamique après le coup d’État manqué de juillet 2016 ; vote
L’accélération du déclin
Electric, Alcatel-Lucent par Nokia, ou de fleurons comme Lafarge cédé à Holcim ou Norbert
Dentressangle, acquis par XPO Logistics. Enfin, la délocalisation des dirigeants et des
fonctions stratégiques : siège social pour Solvay ou Lafarge ; direction générale à Hong Kong
pour Schneider ; direction financière à Londres pour Total ; centres de recherche en
Amérique du Nord pour Sanofi.
Les causes profondes de l’effondrement de l’appareil de production français tiennent tout
entières dans le déficit de compétitivité de notre pays. Faiblesse du taux de marge des
entreprises qui annihile leur capacité d’investissement et entraîne le vieillissement accéléré
de leur appareil de production. Dérive des coûts horaires du travail qui atteignent
34,6 euros contre 31,4 euros en Allemagne, 28,3 euros en Italie et 21,3 euros en Espagne.
Envolée des impôts et des charges acquittés par les entreprises qui culminent à 18 % du PIB
contre 14,5 % en Italie, 12 % en Espagne et 9 % en Allemagne. Euthanasie du risque et de
l’innovation avec une recherche limitée à 2,2 % du PIB. Positionnement de moyenne gamme
très vulnérable tant face aux productions à haute valeur ajoutée de l’Europe du Nord qu’aux
offres à bas coûts de l’Europe du Sud et des émergents. Tout ceci aboutit à une interminable
chute des parts de marché françaises qui sont revenues depuis 1990 de 20 % à 12 % au sein
de la zone euro et de 5,5 % à 3 % au plan mondial. D’où un déficit commercial structurel qui
s’établit à 2,2 % du PIB et qui contraste avec l’excédent de plus de 8 % du PIB affiché par
l’Allemagne.
Cette décroissance volontaire explique l’installation d’un chômage permanent. Depuis les
chocs pétroliers des années 1970, la France est le seul grand pays développé qui n’a jamais
renoué avec le plein emploi. Elle compte 15,9 millions d’emplois privés, soit 700 000 de
moins que fin 2007. Nous ne disposons que de 25 millions de postes de travail contre
43 millions en Allemagne. En moyenne, le chômage touche 10 % de la population active ; il
continue de frapper 6,6 millions de nos concitoyens toutes catégories confondues, alors que
les États-Unis, l’Allemagne ou le Royaume-Uni ont rétabli le plein emploi avec des taux de
chômage respectifs de 4,9 %, 4,2 % et 4,8 %. Parallèlement, au fil des crises et des
récessions, se sont accumulées des strates successives de travailleurs découragés qui
grossissent le rang des exclus. Près de 7 millions de nos concitoyens vivent désormais dans
l’anomie, avec pour seules ressources les subsides de l’État-providence et l’économie
parallèle.
Les Français, qui continuent à croire que la France est un pays riche, se paupérisent en
réalité rapidement. En raison de la décroissance et du chômage de masse, la richesse par
habitant est désormais inférieure de 6 % à la moyenne des pays développés et de 13 % à
celle de l’Allemagne. Depuis les années 1980, la France a régressé du 6e au 16e rang mondial
– hors États pétroliers.
Encore ces données n’intègrent-elles pas le passif lié à la dette publique. Pierre Mendès
France rappelait à juste titre que « les comptes en désordre sont la marque des nations qui
s’abandonnent ». Voilà plus de quatre décennies que la France capitule puisque le dernier
excédent budgétaire remonte à 1973 ! La France fait là encore exception. Elle est le seul pays
développé à n’avoir jamais restauré l’équilibre de ses finances publiques depuis les chocs
pétroliers. Et ce en raison de la perte de tout contrôle des dépenses publiques. La principale
dérive provient des transferts sociaux qui s’élèvent à 34 % du PIB. Dans le même temps, les
recettes publiques battent des records à 57,5 % du PIB. La dette publique, qui s’élevait à
20 % du PIB en 1980, culmine à 98,4 % du PIB en 2016. Si l’on ajoute ses différents
démembrements ainsi que la charge des retraites, les engagements publics atteignent 250 %
du PIB. Sans croissance et sans inflation, notre pays court donc droit au défaut de
paiement !
Ce déclin, longtemps nié, est d’autant plus spectaculaire qu’il s’oppose au redressement
du monde développé et des autres pays européens. Les désastreuses performances
françaises ont été obtenues lors des dernières années en dépit du contexte
exceptionnellement favorable créé par la chute du pétrole et des matières premières, la
baisse de l’euro et le basculement vers des taux d’intérêt négatifs. Au même moment, les
États-Unis renouaient avec une croissance annuelle de 2 % par an et avec le plein emploi en
redevenant le territoire le plus compétitif de la planète grâce à l’amélioration de la
productivité du travail, à la restructuration du secteur financier, à la révolution des
hydrocarbures non conventionnels et à la domination sans partage de l’économie
numérique.
L’économie française diverge aussi de la zone euro, qui montre une forte résilience face à
la multiplication des incertitudes – des attentats au Brexit. Et ce grâce à la politique
monétaire très agressive de la BCE et à l’étalement dans le temps du retour à l’équilibre
budgétaire. Depuis 2012, la France a cumulé un retard de croissance de deux points sur la
zone euro et s’est contentée de stabiliser le chômage alors qu’il a régressé en moyenne de
12,2 % à 9,8 % des actifs. Par ailleurs, la dégradation de nos comptes extérieurs contraste
avec l’amélioration de l’excédent dégagé par la zone euro. L’écart ne cesse de se creuser avec
l’Allemagne. Le couple franco-allemand a ainsi implosé en raison de la divergence
économique entre les deux pays.
Pour la France, l’année 2015 n’a pas seulement marqué une rupture majeure en termes de
sécurité mais aussi en termes de démographie. Pour la première fois depuis 1969,
l’espérance de vie a reculé. La chute de la natalité, avec la perte de 19 000 naissances et le
passage du taux de fécondité à 1,96 enfant par femme, renvoie à des causes autrement
profondes.
La résistance de la démographie constituait l’un des derniers atouts français. Elle
contrastait avec le dépeuplement de l’Europe. Le décrochage de 2015 résulte de quatre
facteurs : l’environnement déflationniste ; la hausse continue du chômage ; le
démantèlement de la politique familiale ; la diffusion d’un profond pessimisme des
Français, nourri par leur déclassement, par la montée des menaces, enfin par l’impuissance
chronique de la classe dirigeante incapable de répondre à la crise existentielle qui frappe
notre pays.
La stagnation de l’économie conduit ainsi au blocage de la société. La pauvreté augmente
et touche désormais un enfant sur cinq. La mobilité sociale et l’intégration ne fonctionnent
plus. La richesse par habitant comme le patrimoine de la nation s’effritent. La protection
totale d’un noyau dur de la population active composé de la fonction publique et des salariés
titulaires d’un contrat à durée indéterminée va de pair avec la précarité d’une partie de la
main-d’œuvre qui supporte toutes les fluctuations de l’activité. D’un côté, le système scolaire
rejette chaque année 161 000 jeunes qui ne savent ni lire, ni écrire, ni compter et qui
grossissent les rangs des exclus. De l’autre 80 000 personnes à haut potentiel quittent
chaque année le territoire pour s’installer à l’étranger afin d’échapper au malthusianisme
national et de bénéficier d’un environnement plus favorable à leurs projets et à leur
épanouissement. Plus de 2,1 millions de Français vivent aujourd’hui à l’étranger dont
600 000 à Londres ; à Hong Kong et à Singapour, nos compatriotes constituent les
communautés étrangères les plus nombreuses.
La France se trouve déchirée par des effets de ciseaux redoutables. Entre le blocage de la
croissance et l’envolée des prélèvements. Entre la chute de la compétitivité et la poussée des
importations. Entre l’effondrement de l’investissement et la confiscation de l’épargne. Entre
la paupérisation des actifs et la prolétarisation des jeunes qui contraste avec la prospérité
des retraités dont le niveau de vie dépasse celui de la population. Entre la diminution des
emplois et le chômage de masse. Entre la déqualification d’une vaste partie de la
main-d’œuvre et l’emballement de l’exil des talents et des cerveaux. Entre le dépérissement
de l’État régalien et la dilatation de l’État-providence. Entre la détérioration des
performances des services publics et l’explosion de la dette publique.
La grande glaciation qui étreint la France ne doit rien à une hypothétique stagnation
séculaire, démentie par les nouvelles sources de croissance que constituent les classes
moyennes des émergents, la révolution numérique, la transition énergétique ou l’économie
des seniors. Elle s’explique par quatre raisons. D’abord, les séquelles du choc fiscal de 2012
qui continuent à tétaniser l’épargne et l’investissement, donc l’innovation. Ensuite le
handicap en termes de compétitivité prix en raison des prélèvements fiscaux et sociaux à la
charge des entreprises. Il va de pair avec un fort déficit de compétitivité structurelle qui
résulte de l’obsolescence de l’appareil de production et de la faiblesse de l’effort de
recherche. S’y ajoutent les conséquences de l’insécurité : la France est désormais, avec plus
de 230 morts et près de 800 blessés depuis janvier 2015, le troisième pays le plus touché
par le terrorisme en dehors des régions en guerre.
Au moment où l’histoire accélère, la France est à l’arrêt. Immobile et impuissante, elle se
trouve marginalisée dans un monde dont elle n’est plus un acteur mais un simple
spectateur. Son lent déclin depuis trois décennies menace de tourner à la débâcle, ouvrant la
voie comme en 1940 à l’effondrement des institutions républicaines et à la guerre civile.
Le grand marché est en panne et de plus en plus contesté par la remontée des
protectionnismes, galvanisés par l’opposition au traité de commerce avec les États-Unis. La
plus importante vague de migrants depuis 1945, formidablement accélérée par la position
d’accueil inconditionnel prise par Angela Merkel, a provoqué l’implosion de l’espace
Schengen. C’est cependant de l’intérieur de l’Union que viennent les menaces les plus
sérieuses pour sa pérennité. Le Brexit a marqué un tournant majeur en faisant voler en
éclats le dogme de l’irréversibilité de l’intégration du continent. Il est l’expression la plus
brutale d’un profond malaise des citoyens et des peuples devant une construction où les
procédures ont tué les valeurs et les projets. L’Union est profondément divisée entre le nord
et le sud autour des principes de gestion de l’euro, entre l’est et l’ouest autour des migrants,
entre les pays méditerranéens qui donnent la priorité à la lutte contre le terrorisme et ceux
de l’est et du nord qui privilégient la résistance à l’impérialisme russe. Le chaos né de la
crise des réfugiés, la perte de tout contrôle des frontières extérieures, le changement de
nature et d’intensité de la menace terroriste ont exacerbé la défiance des citoyens européens
vis-à-vis des institutions communautaires. Le nationalisme, l’extrémisme et le populisme
flambent sur tout le continent, du Brexit au rejet de la révision de la Constitution italienne.
L’Europe se trouve donc à une heure de vérité. Les principes sur lesquels elle s’est
construite sont caducs : l’Union soviétique a disparu ; la garantie de sécurité américaine est
devenue conditionnelle et aléatoire ; le couple franco-allemand s’est décomposé avec la
divergence des deux pays ; le contournement de la politique par le droit et le marché est
inefficace face aux secousses stratégiques.
L’Europe doit se relancer ou se décomposer. Elle doit apporter rapidement des réponses
concrètes aux demandes de ses citoyens en matière de prospérité, d’emploi, de sécurité, tout
en définissant des objectifs et un calendrier clairs pour le Brexit. L’heure n’est donc plus à
négocier de nouveaux traités mais à délivrer des résultats. Et ce dans quatre domaines clés.
Le premier, qui touche au périmètre de l’Union, exige une feuille de route précise pour le
Brexit ainsi que l’abandon des négociations en vue de l’adhésion de la Turquie, en pleine
dérive autocratique et islamiste, au profit d’un partenariat privilégié. L’objectif consiste à
articuler trois cercles : le cœur de la zone euro avec une intégration renforcée ; les membres
de l’Union hors monnaie unique ; les partenariats stratégiques avec le Royaume-Uni, la
Turquie ou la Russie.
La deuxième urgence concerne la reprise du contrôle des frontières extérieures de
l’Union. Elle est indissociable de l’harmonisation du droit de l’immigration et de l’asile ainsi
que d’une stratégie cohérente vis-à-vis de la périphérie, et tout particulièrement de
l’Afrique.
La troisième priorité concerne la zone euro où la BCE atteint, avec les taux négatifs, les
limites des pouvoirs et des capacités d’une banque centrale. Les États doivent désormais
faire leur devoir, en réalisant les changements rendus nécessaires par les révolutions
économiques et technologiques.
Le dernier impératif concerne la jeunesse européenne, à laquelle il faut rendre confiance
dans l’avenir en proposant à chacun soit un emploi soit une formation et en intégrant
l’éducation parmi les secteurs bénéficiant du fonds d’investissement européen.
Face à la tentation de la lassitude et du renoncement sous la pression de l’islamisme, des
démocratures et des démagogues, l’Europe doit renouer avec l’esprit de ses Pères
fondateurs. Robert Schuman, dans sa déclaration du 9 mai 1950, affirmait que « l’Europe ne
se fera pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble ; elle se fera par des réalisations
concrètes créant d’abord des solidarités de fait ». L’Europe s’est perdue à force
d’abstractions et de juridisme. Relançons-la en allant de nouveau au plus concret pour créer
des richesses et des emplois ainsi que pour garantir la sécurité, première condition de la
liberté !
Il ne fait pas de doute que le redressement de la France constitue l’une des clés de la
relance de l’Europe. Or la chute de notre pays demeure hautement paradoxale : non
seulement il dispose d’atouts majeurs mais les réformes nécessaires à son relèvement sont
parfaitement connues.
Force est en effet de constater que la France possède de nombreux points forts qui
soulignent l’incongruité de son décrochage : une démographie dynamique, une
main-d’œuvre hautement qualifiée, des entrepreneurs et des chercheurs de classe mondiale,
des pôles d’excellence dans le secteur public comme dans le secteur privé, une épargne
abondante, des infrastructures performantes, une défense et une diplomatie reconnues, un
patrimoine, une civilisation et un art de vivre exceptionnels.
Par ailleurs, quelques changements ont été introduits à la marge, qui ont permis de
freiner la chute de la compétitivité, de stabiliser le taux de marge des entreprises, de donner
leur autonomie aux universités, de soutenir la recherche, de tenter de rationaliser le
millefeuille territorial. Cependant, contrairement aux politiques de modernisation
poursuivies avec succès par l’Allemagne et la Suède, le Canada ou l’Australie, le modèle
Just do it !
La France se trouve à un tournant de son histoire. Au-delà de son destin, elle possède une
responsabilité majeure vis-à-vis de l’intégration européenne qu’elle a contribué à faire. Cette
responsabilité n’est pas seulement celle des dirigeants, si faibles et indignes de leur fonction
soient-ils, mais bien celle de tous les citoyens. La mondialisation, l’Union européenne, la
zone euro ou les marchés financiers ne sont pas davantage responsables du déclin de la
France qu’ils ne peuvent la transformer. Il revient aux Français de rompre avec la
momification du passé et de se remettre au travail pour inventer leur avenir. La France
relève d’une thérapie de choc économique et d’une mobilisation pour refaire la nation et
assurer sa sécurité.
Le redressement de la France n’est ni chimérique ni hors de portée. Les expériences
étrangères prouvent qu’il peut être réalisé en moins de cinq ans. Le Canada et la Suède dans
les années 1990, l’Allemagne avec son Agenda 2010 au début des années 2000, les
États-Unis, l’Espagne et l’Italie plus récemment ont montré qu’un grand pays développé
pouvait très rapidement convertir son modèle pour renouer avec une croissance durable.
L’adossement à un formidable capital immatériel permet aux réformes d’obtenir très
rapidement des résultats très positifs.
Ces stratégies qui associent le redressement de la compétitivité, le renforcement de la
cohésion nationale, la réforme des services publics, le rétablissement des comptes publics ne
sont pas le monopole du monde anglo-saxon ni de l’Europe du Nord. Elles nous livrent deux
enseignements : il n’existe pas de norme en matière de réforme et chaque nation doit se
réinventer en fonction de son histoire et de ses points forts ; seules les thérapies de choc
réussissent car elles prennent de vitesse les corporatismes et obtiennent rapidement des
résultats tangibles, indispensables pour recueillir le soutien des citoyens. Tous les autres
pays développés l’ont fait. À nous d’imaginer un modèle français original et performant dans
le XXIe siècle !
Pour cela, plusieurs conditions doivent être réunies : un travail préalable de pédagogie
des réformes ; un projet politique global et cohérent ; un mandat clair des électeurs ; le
soutien de forces politiques et sociales ; une méthode et un calendrier permettant de
délivrer rapidement des résultats et d’en mesurer l’impact.
L’élection présidentielle est la clé de voûte de notre vie politique qui permet aux citoyens
de décider de leur destin et à la nation de s’inventer un futur. Celle de 2017 possède une
dimension historique. Après des décennies d’errements, notre pays peut s’inscrire à rebours
des embardées populistes qui ont touché le Royaume-Uni avec le Brexit et les États-Unis
avec l’élection de Donald Trump. La France concentre ainsi les risques mais aussi les espoirs
des nations libres. Elle peut donner un coup d’arrêt à la contagion de la démagogie et
tourner le dos à l’étatisme et au protectionnisme, au nationalisme et à la xénophobie.
Vaclav Havel rappelait que « le rôle d’un citoyen n’est pas tant de juger les dirigeants
politiques que de dire la vérité ». Aux Français de continuer à exiger que l’élection de 2017
ne plagie pas la démagogie déchaînée de 2012. À eux d’obtenir qu’elle rompe avec le déni
pour se placer sous le signe de la vérité.
Les Français sont en avance sur leurs dirigeants et ont basculé en faveur des réformes à la
suite de la calamiteuse présidence de François Hollande qui a poussé jusqu’aux limites les
travers et les vices du modèle français. Ils ont conscience du caractère critique de la
situation de la France. Ils sont humiliés par le mépris universel qu’elle suscite. Ils sont
convaincus de la nécessité de changements profonds pour faire de la croissance et de
l’emploi les priorités absolues de la politique économique. Ils plébiscitent la famille et
l’entreprise. Ils souhaitent la reconstruction d’un État moderne, apte à assurer ses fonctions
régaliennes. Ils sont prêts à s’engager dans la fondation d’une Europe qui se concevrait
comme une puissance.
Il dépend de chacun de nous de faire en sorte que l’élection de 2017 soit décisive par le
nouveau cours qui permettra à la France d’entrer enfin dans le XXIe siècle mais aussi de
contribuer à un sursaut des démocraties en donnant un coup d’arrêt au populisme pour
renouer avec la raison et la liberté.
Note
1. Les démocratures sont des régimes politiques qui allient un leadership charismatique, la
manipulation du suffrage universel, le contrôle de l’économie ainsi qu’un vaste effort de propagande.
Elles s’opposent aux démocraties en prétendant assurer à leurs peuples un développement économique
plus stable et une sécurité renforcée en l’émancipant de l’État de droit. Elles rassemblent notamment la
Chine de Xi Jinping, la Russie de Vladimir Poutine et la Turquie de Recep Erdogan, mais aussi la
Hongrie de Viktor Orban ou les Philippines de Rodrigo Duterte.
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LES PRÉSIDENTS PASSENT, LA CRISE DEMEURE
22 janvier 2010
Loin de freiner le déclin économique de la France, la crise lui a porté un terrible coup
d’accélérateur. La pseudo-réhabilitation du modèle français fondé sur l’intervention de
l’État dans l’économie et la société n’est que billevesée. Le krach de la mondialisation n’a pas
remis à l’honneur l’économie fermée et administrée des Trente Glorieuses. Il a conforté le
capitalisme universel et le basculement de son centre de gravité vers les émergents, qui ont
fait le choix d’un développement fondé sur le marché et l’ouverture des frontières. Par là
même, il a achevé de liquider les rentes dont les pays développés et leurs citoyens
bénéficiaient du fait de leur monopole du capitalisme. La France est particulièrement
touchée, qui est entrée dans la crise de la mondialisation sans avoir réussi à surmonter la
stagflation des années 1970, comme le montre la permanence des déficits publics, puisque le
dernier excédent budgétaire remonte à 1973, et du chômage, qui n’a pas touché moins de
7 % de la population active depuis 1977.
Le retour à une croissance molle n’a été obtenu qu’au prix d’une relance de la
consommation financée par la dette publique, qui masque l’euthanasie de la production
marchande. Le secteur privé ne représente plus que 43,4 % de la dépense nationale. Sa
production reste inférieure de 8 % à son niveau d’avant crise. La France vit une véritable
euthanasie des entreprises : pour 65 millions d’habitants, elle ne compte plus que
185 entreprises de plus de 5 000 personnes et 4 195 entreprises employant entre 250 et
5 000 salariés. L’industrie est en voie de disparition avec la diminution de 20 % du nombre
d’entreprises et la suppression de 500 000 emplois depuis 2000. Elle ne représente plus
que 14 % de la valeur ajoutée contre 21 % en Italie et 31 % en Allemagne. Or l’industrie
génère 80 % des exportations et 88 % de la recherche. Son effondrement va donc de pair
avec la chute de la compétitivité et de la recherche. La France n’effectue plus que 3,5 % des
échanges mondiaux et 12,5 % des exportations de la zone euro, contre 18 % en 1990 et 16 %
en 2000. Le déficit commercial dépasse 50 milliards d’euros, dont 16 milliards avec
l’Allemagne, mais aussi 6 milliards avec la Belgique et 4 avec l’Irlande, l’Italie et les
Pays-Bas. La recherche française, reléguée loin derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni,
continue de décrocher avec 4,2 % de la production mondiale contre 5,4 % dix ans
auparavant.
L’économie française ne tient plus dans la mondialisation que par le CAC 40 qui subit de
plein fouet la concurrence des géants émergents. La prospérité des grands groupes français,
qui verseront quelque 40 milliards d’euros de dividendes sur leurs résultats de 2010, fait
illusion. Leurs profits sont générés à plus de 80 % à l’étranger, même si leurs dividendes et
leurs impôts restent largement versés en France. Par ailleurs, faute d’une forte spécialisation
dans le très haut de gamme, à l’exception du luxe, les positions françaises dans l’automobile
et l’aéronautique, l’énergie et la construction, l’électronique et les biens d’équipement, les
télécommunications et les services informatiques, l’agriculture et l’alimentaire sont
attaquées frontalement par les champions des pays émergents. Surtout, les résultats des
grands groupes cachent la brutale détérioration de l’excédent d’exploitation des entreprises
françaises, passé de 33 à 27 % en une décennie, qui a entraîné le blocage de l’investissement.
La France se trouve aspirée dans une spirale infernale de baisse de l’activité marchande, des
profits, de l’investissement et de l’innovation. Son économie, à l’inverse des émergents,
descend dans la chaîne de valeur en même temps que les gains de productivité stagnent
(0,7 %).
La désintégration du tissu économique voue la France au chômage et à la faillite, tout en
la plaçant dans la dépendance de l’Allemagne. La spécialisation croissante de la France dans
les services faiblement qualifiés jointe à la dérive du coût du travail, qui atteint 37,2 euros de
l’heure contre 30,2 euros en Allemagne, enferme le pays dans un chômage permanent. Par
ailleurs, la divergence entre le rétrécissement de la base productive et l’explosion de la dette
publique, qui atteindra 88 % du PIB à fin 2010, annonce avec certitude une crise de
solvabilité : le secteur marchand réduit et exsangue ne pourra créer la valeur ajoutée
nécessaire au remboursement des dettes publiques et privées. Déjà, la notation française ne
se maintient que du seul fait que les marchés cotent le couple franco-allemand. Le prix à
payer pour la spirale des déficits publics et commerciaux est la mise sous tutelle de la
politique économique française par l’Allemagne, qui, forte d’une croissance de 3 %, d’un
excédent commercial de près de 160 milliards d’euros, d’un taux de chômage limité à 7 % et
d’un déficit réduit à 2,5 % du PIB, exerce désormais un leadership sans partage sur l’Europe
continentale.
Le redressement de la compétitivité constitue désormais une priorité nationale à laquelle
tout doit être subordonné. Il faut prendre d’urgence le contrepied de la loi de finances pour
2011 qui, cédant au populisme ambiant, a mis en place 10 milliards d’euros de prélèvements
supplémentaires sur les entreprises et démantelé le crédit d’impôt recherche. La France doit
reconstituer une base productive performante dans la mondialisation. Cela passe par la
sortie des 35 heures et par l’abaissement du coût du travail, notamment des charges qui
représentent 31,1 % de la masse salariale en France contre 21,3 % en Allemagne. Cela passe
par la diminution des dépenses publiques et leur réorientation vers la production. Cela
passe par l’incitation à l’épargne longue et son affectation aux entreprises. Cela passe par
l’accélération de l’autonomie des universités et le rétablissement du dispositif originel du
crédit-impôt recherche. À l’âge de la mondialisation, la compétitivité des entreprises n’est
plus seulement déterminante pour l’investissement et l’emploi ; elle est la clé de la
croissance, du désendettement et de la capacité de la France à retrouver la maîtrise de son
destin.