decpol
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Décembre 2007
Introduction
Dans ce petit texte, on se propose de démontrer que tout endomorphisme
symétrique positif d’un espace euclidien a une unique racine carrée symétrique
positive, que l’application « racine carrée » ainsi définie est continue, et qu’elle
est même C ∞ si on la restreint à l’ensemble des endomorphismes symétriques
définis positifs (ce dernier est un ouvert de l’espace vectoriel des endomorphismes
symétriques ; nous établissons également ce fait) ; puis l’on applique ce résultat
au théorème de décomposition polaire.
Quelques commentaires.
1) La preuve donnée ici de l’existence et de la continuité de la racine carrée
figure à peu près telle quelle dans le livre de géométrie d’Alessandri (p. 149) ;
elle ne fait pas appel au théorème d’inversion locale, on utilise simplement le
fait qu’une suite de points d’un compact qui a une unique valeur d’adhérence
est convergente (mais l’on ne se sert pas de la compacité du groupe orthogonal) ;
2) Le théorème d’inversion locale, ou plus exactement l’un de ses corollaires,
le « théorème d’inversion globale », joue par contre un rôle essentiel dans da
démonstration du caractère C ∞ de la racine carrée (restreinte à l’ensemble des
endomorphismes symétriques définis positifs).
3) Dans le théorème de décomposition polaire, seules servent l’existence,
l’unicité et la continuité de la racine carrée. Vous pouvez donc sauter en première
lecture le passage relatif à son caractère C ∞ . Mais comme il vous présente une
application standard, intéressante et sans réelle difficulté d’un théorème essentiel
d’analyse, il serait bon que vous lisiez et le compreniez d’ici la fin de l’année ;
ce pourrait très bien faire l’objet d’une question du jury.
4) Les examinateurs aiment bien s’assurer que les candidats savent décliner
les théorèmes généraux et compliqués qu’ils énoncent dans les cas élémentaires ;
pour cette raison, ce texte se conclut par un paragraphe consacré à ce qui se
passe en dimension 1.
Quelques prérequis
Énonçons tout d’abord quelques faits que vous êtes censés connaı̂tre, savoir
démontrer, et que vous pourriez tout à fait admettre lors d’un développement
autour de la décomposition polaire et/ou de ses applications.
1
Soit E un espace vectoriel euclidien, et soit u un endomorphisme de E. On
dit que u est symétrique si u = u∗ , c’est-à-dire encore si < u(x)|y >=< x|u(y) >
pour tout couple (x, y) de vecteurs de E. Si B est une base orthonormée de E,
alors u est symétrique si et seulement si MatB u est symétrique ; par ailleurs, u
est symétrique si et seulement si il est diagonalisable en base orthonormée.
L’ensemble Sym E des endomorphismes symétriques de E est un sous-espace
vectoriel de End E ; c’est en particulier un fermé de End E (ce que l’on peut
également déduire directement de sa définition).
À partir de maintenant, on suppose u symétrique.
L’application (x, y) 7→< u(x)|y > est une forme bilinéaire symétrique sur E,
de forme quadratique associée q : x 7→< u(x)|x > ; si B est une base ortho-
normée de E, MatB q = MatB u ; on dit que u est positif (resp. défini positif) si
q est positive (resp. définie positive), autrement dit si < u(x)|x > ≥ 0 pour tout
x dans E (resp. si < u(x)|x > > 0 pour tout x non nul dans E) ; dans chacun
deux cas, on peut se contenter de vérifier l’inégalité requise pour les vecteurs x
de norme 1. On note Sym≥0 E (resp. Sym>0 E) l’ensemble des endomorphismes
symétriques positifs (resp. définis positifs) de E. Il résulte de la définition de
Sym≥0 E que ce dernier est un fermé de End E.
En travaillant dans une base orthonormée de diagonalisation de u, on voit
que si r (resp. s) désigne le nombre de valeurs propres de u qui sont strictement
positives (resp. strictement négatives), alors la signature de q est égale à (r, s).
En particulier, u est positif (resp. défini positif) si et seulement si ses valeurs
propres sont toutes positives (resp. strictement positives) ; il est donc défini
positif si et seulement si il est positif et inversible.
Supposons E non nul1 . Notons λmax (u) (resp. λmin (u)) la plus grande (resp.
la plus petite) valeur propre de u. En se plaçant là encore sur une base or-
thonormée de diagonalisation de u, on établit sans difficulté les trois égalités
suivantes :
vide, et possède donc bien un plus grand et un plus petit élément ; si cette remarque vous plonge
dans un abı̂me de perplexité, ignorez-la en première lecture et réfléchissez-y ultérieurement à
l’occcasion.
2 Là encore, si cela vous déplaı̂t, vous pouvez ignorer ce fait ; personne ne vous en voudra
si vous vous contentez d’énoncer cette proposition pour les espaces de dimension strictement
positive...
2
Première preuve. Soit u appartenant à Sym>0 E ; le réel λmin (u) est stricte-
ment positif. Soit v ∈ Sym E tel que |||v||| < λmin (u) et soit x un vecteur de E
de norme 1. On a < (u + v)(x)|x >=< u(x)|x > + < v(x)|x >. Or
< u(x)|x > ≥ λmin (u) et | < v(x)|x > | ≤ |||v|||.||x||.||x|| = |||v||| < λmin (u).
On en déduit que < (u + v)(x)|x > > 0. En conséquence, u + v est défini positif.
On a donc établi que la boule ouverte de Sym E de centre u et de rayon λmin (u)
est incluse dans Sym>0 E ; ce dernier est en conséquence un ouvert de Sym E,
ce qu’il fallait démontrer.
Seconde preuve. Elle est un tout petit peu plus longue, mais repose sur un
lemme qui a son intérêt propre. On fixe une base orthonormée (e1 , . . . , en ) de
E. Soit u un endomorphisme symétrique de E et soit M sa matrice dans la base
en question. On note (mi,j ) le terme d’indice (i, j) de M . Pour tout r compris
entre 1 et n, on désigne par Mr la sous-matrice carrée de taille r de M formée
des mi,j où i et j parcourent {1, . . . , r}.
Lemme. L’endomorphisme u est défini positif si et seulement si det Mr > 0
pour tout r compris entre 1 et n.
Démonstration. Soit q la forme quadratique associée à u. Si u est défini posi-
tif, alors q est définie positive ; pour tout r, la restriction de q à Vect (e1 , . . . , er )
est a fortiori définie positive, et comme la matrice de cette restriction dans la
base (e1 , . . . , er ) est précisément Mr , on a det Mr > 0.
Réciproquement, supposons que det Mr > 0 pour tout r ; on va montrer
par récurrence sur r que pour tout r compris entre 1 et n, la restriction de q à
Vect (e1 , . . . , er ) est définie positive ; ceci assurera en particulier que q est définie
positive, et donc que u est défini positif.
La restriction de q à Vect e1 est l’application λe1 7→ m1,1 λ2 . La matrice M1
n’est autre que [m1,1 ]. Comme son déterminant est strictement positif, m1,1 > 0
et q|Vect e1 est donc bien définie positive.
Supposons que r ≥ 2 et que l’on a montré que q|Vect (e1 ,...,er−1 ) est définie
positive. L’espace vectoriel Vect (e1 , . . . , er−1 , er ) contient donc un sous-espace
de dimension r − 1 auquel la restriction de q est définie positive ; la signature de
q|Vect (e1 ,...,er ) est par conséquent ou bien (r − 1, 0), ou bien (r − 1, 1), ou bien
(r, 0) ; si l’on était dans le premier cas (resp. le second cas), le déterminant de
Mr serait nul (resp. strictement négatif) ; on est donc dans le troisième cas, ce
qu’il fallait démontrer.
L’application de Sym E dans Rn qui envoie u sur (det M1 , . . . , det Mn ) est
continue, et Sym>0 E est d’après ce qui précède l’image réciproque par cette
application de l’ouvert (R∗+ )n ; c’est donc un ouvert.
Exercice. On se propose de démontrer une généralisation du lemme ci-dessus.
Soit E un espace vectoriel réel de dimension finie strictement positive n, soit q
une forme quadratique sur E et soit M sa matrice dans une base quelconque de
E. Notons mi,j le terme d’indice (i, j) de M . Pour tout r compris entre 1 et n,
désignons par Mr la sous-matrice carrée de taille r de M formée des mi,j pour
i et j appartenant à {1, . . . , r}. On suppose que det Mr 6= 0 pour tout r.
Soit r compris entre 1 et n ; on dit qu’il se produit un changement de signe
au rang r si l’une des deux conditions suivantes est vérifiéees :
3
i) r = 1 et m1,1 = det M1 < 0 ;
ii) r > 1 et det Mr et det Mr−1 sont de signes contraires.
Soit s le nombre d’entiers r compris entre 1 et n tels qu’il se produise un
changement de signe au rang r ; montrez que la signature de q est (n − s, s).
Question subsidiaire. Pour tout s, on note Qs l’ensemble des formes quadra-
tiques non dégénérées sur E de signature (n − s, s) ; on note Q l’ensemble des
formes quadratiques non dégénérées sur E. Montrez que les Qs sont les compo-
santes connexes de Q (commencez par préciser quelle topologie vous considérez
sur Q).
(la première et la troisième ont été√vues plus haut ; la seconde est une conséquence
immédiate de la construction de u).
√
Montrons que est continue. Soit (un ) une suite convergente d’éléments
√ √
de Sym≥0 E et soit u sa limite ; on va vérifier que un → u. La suite (un )
étant convergente, elle est bornée. Soit R un réel strictement positif tel que
√
|||un ||| ≤ R pour tout n. De ce qui précède, √ on déduit que la suite un prend
ses valeurs dans la boule fermée de rayon R de l’espace Sym E. Cette boule
√
est compacte ; on va montrer que toute valeur d’adhérence de ( un ) est égale
4
√
à u , ce qui permettra de conclure. Soit donc a une telle valeur d’adhérence.
√
Il existe une fonction strictement croissante ϕ : N → N telle que uϕ(n) → a ;
comme Sym≥0 E est fermé, a ∈ Sym≥0 E. Par continuité de l’élévation au
carré, uϕ(n) → a2 ; comme par ailleurs un → u, l’on a a2 = u. Ainsi, a est un
endomorphisme symétrique√ positif de E de carré égal à u ; en vertu de l’unicité
déjà démontrée, a = u.
√
Passons maintenant au caractère C ∞ de la restriction de à Sym>0 E.
On sait déjà que l’élévation au carré induit une bijection C ∞ (car donnée par
des formules polynomiales) de Sym>0 E sur lui-même, dont la réciproque est
√
. Pour établir que cette dernière est C ∞ il suffit de démontrer, en vertu
du théorème d’inversion locale (ou plus précisément de l’un de ses corollaires
dit « théorème d’inversion globale » ), que Du0 (u 7→ u2 ) est inversible en tout
point u0 de Sym>0 E. Fixons donc un tel u0 ; la différentielle considérée est
l’application linéaire de Sym E dans lui-même qui envoie h sur u0 h + hu0 . On
va s’assurer de son injectivité, qui entraı̂nera son inversibilité puisque Sym E
est de dimension finie.
Supposons que u0 h + hu0 = 0, et montrons que h = 0. Soit x un vecteur
propre de u0 , associé à une certaine valeur propre λ, nécessairement strictement
positive (puisque u0 ∈ Sym>0 E). On a
u0 (h(x)) = −h(u0 (x)) = −h(λx) = −λh(x).
Comme le réel −λ est strictement négatif, il n’est pas valeur propre de u0 ; dès
lors h(x) = 0.
Ceci vaut pour tout vecteur propre x de u0 . L’endomorphisme u0 étant
symétrique, il est diagonalisable et ses vecteurs propres engendrent donc E ; de
ce fait, h est l’application nulle.
La décomposition polaire
Théorème (décomposition polaire). Soit E un espace vectoriel euclidien.
L’application p de O(E) × Sym>0 E dans GL(E) qui envoie (u, m) sur um est
un homéomorphisme.
Démonstration. Comme p est donnée par des formules polynomiales, elle
est continue. Il reste à s’assurer qu’elle est bijective, et que sa réciproque est
continue.
Soit v appartenant à GL(E). On va montrer qu’il a un et un seul antécédent
par p.
Unicité de l’antécédent. Supposons que v = p(u, m) pour un certain (u, m).
On a v = um et donc v ∗ v = m∗ mu∗ um = m2 puisque u est une isométrie
et puisque m est symétrique. Dès lors m est un endomorphisme symétrique
défini positif de carré égal à v ∗ v ; comme ce dernier est√par sa forme même
symétrique défini positif, m est nécessairement égal à v ∗ v ; il s’ensuit que
√ −1
u = vm−1 = v v ∗ v . L’élément v a donc bien au plus un antécédent par p, à
√ −1 √
savoir (v v ∗ v , v ∗ v).
Existence de l’antécédent. On va vérifier que l’unique formule √
possible, que
l’on a exhibée ci-dessus, convient effectivement. L’endomorphisme v ∗ v est bien
5
√ −1 √
symétrique et défini positif, et l’on a évidemment v = v v ∗ v v ∗ v. Il reste à
√ −1 √ −1
s’assurer que v v v est une isométrie. En utilisant la symétrie de v ∗ v , il
∗
vient :
√ −1 √ −1 √ −1 √ −1
v v ∗ v (v v ∗ v )∗ = v v ∗ v v ∗ v v ∗ = v(v ∗ v)−1 v ∗ = Id.
√ −1
En conséquence, v v ∗ v est effectivement une isométrie
√ −1 √
L’application p−1 est donc donnée par la formule v 7→ (v v ∗ v , v ∗ v). Sa
√
continuité découle de celle de déjà démontrée.
La dimension 1
Il est important de bien comprendre ce qui se passe lorsque E est de di-
mension 1 ; ce type de situation élémentaire peut tout à fait être l’objet de
nombreuses questions de la part du jury.
Supposons donc que E est une droite vectorielle euclidienne, et soit v un
endomorphisme de E. C’est nécesairement la multiplication par un réel λ, et
la matrice de v dans n’importe quelle base de E est alors égale à [λ]. C’est en
particulier le cas dans chacune des deux bases orthonormées de E (qui corres-
pondent aux deux vecteurs unitaires). On en déduit que v est automatiquement
symétrique, qu’il est inversible (resp. positif, resp. défini positif) si et seulement
si λ 6= 0 (resp. λ ≥ 0, resp. λ > 0) et que c’est une isométrie si et seulement si
λ = 1 ou λ = −1.
Dans ce contexte, si v est l’endomorphisme positif donné par la multiplication
√
par un certain λ ≥ 0, sa racine carrée est simplement la multiplication par λ.
Soit maintenant v un endomorphisme inversible de E, c’est-à-dire la multipli-
cation par un scalaire non nul λ. Le théorème de décomposition polaire signifie
dans ce cadre que λ peut s’écrire d’une unique manière comme un produit de la
forme um, où u ∈ {−1, 1} et où m > 0 ; bien évidemment, cette écriture
√ n’est
; la formule m = v ∗ v vue
autre que celle fournie par l’égalité λ = signe(λ).|λ|√
plus haut correspond ici à l’identité classique |λ| = λ2 .
Et notons que la proposition de la page 4 redonne le fait que la racine carrée
classique est continue sur R+ et C ∞ sur R∗+ ; remarquez qu’on ne peut espérer
mieux : elle n’est même pas dérivable en 0.