Bitié, un village heureux
Bitié, un village heureux
Bitié, un village heureux
Le village s’étend sur environ trois kilomètres à la ronde. Il ne s’agit pas, comme du côté de
chez moi, de minuscules hameaux élargissant de temps en temps l’étroite clairière que fait la route à
travers la forêt. Ici, le pays est une longue théorie de cases qui se font face, séparées par la piste qui
tantôt se tortille et tantôt s’élance en ligne droite ou oblique.
Les cases sont spacieuses et construites avec de soins, à cause de la proximité de la forêt dont
les villageois tirent les matériaux. Ils ne s’éclairent pas avec des lampes à huile comme sur la route, mais
avec des lampes-tempête ou des lampes à pression d’essence. Tout le long de la piste qui est ici une rue,
nous entendions les femmes chanter ou s’interpeller et les hommes rire en se tapant la cuisse. Nous
voyions leur profil se découper sur un fond clair. Nous apercevions une bicyclette ou une machine à
coudre dans un coin. Ils sont riches ici, avec ce cacao…En somme, et c’est visible ils vivent
constamment dans l’insouciance, au contraire des gens de la ville et de ceux de la route…
Pendant que nos visitions le village, j’ai éprouvé une sensation étrange. Bitié ne respire pas
seulement la force insolente, l’insouciance de ceux qui n’ont rien à faire, mais aussi une espèce de paix
sans mélange, de tranquillité pure. Je ne sais à quoi attribuer la sensation de joie qui m’a inondé. Est-ce
à la lune ronde, brillante, belle ? Est-ce à la lumière douce et sombre qui flottait mystérieusement sur la
forêt, sur les plantations de cacaoyers et sur les cases ? Les phonographes chantaient emplissant la nuit
de leurs notes criardes, étrangères et inutiles. Malgré l’heure avancée, des gosses jouaient encore dans
la poussière devant les cases.
Bitié m’a rappelé mon village où il n’y avait pas encore de routes, et ces gosses, le gosse que je
fus alors. Mon village aussi avait dû jouir de ce calme mystérieux avant que la route vînt le bousculer.
Maman me racontait souvent, avant sa mort, que le creusement de cette route causa d’innombrables
maux aux gens de chez nous.
Mongo BETI « Ville cruelle »