VALETTE

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 13

See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.

net/publication/263852661

La question agricole fait-elle partie de l'urbanisme ?

Chapter · January 2014

CITATIONS READS

5 783

1 author:

Elodie Valette
Cirad - La recherche agronomique pour le développement
100 PUBLICATIONS 682 CITATIONS

SEE PROFILE

All content following this page was uploaded by Elodie Valette on 13 July 2014.

The user has requested enhancement of the downloaded file.


Préambule 7

Introduction 9

Urbanisme et aménagement : accompagner le changement


Rémy AILLERET
Projets urbains durables ? Rien n’est simple, tout se complique 15

Emmanuelle GALLOT-DELAMEZIERE / Frédéric BOSSARD


L’urbaniste, entre quête de reconnaissance et décloisonnement des pratiques 19

Thierry LAGET
Les nouveaux défis de l’aménageur dans la conduite des projets urbains 27

Les états de l'urbaniste


Michèle LARUË-CHARLUS
De la nécessité pour une ville d’avoir des urbanistes dans son administration : 35
l’exemple de Bordeaux
Bernard LENSEL
Thématiques, territoires, acteurs 39

Jean-Pierre MISPELON / Didier LENOIR


De l’acte II à l’acte III de la représentation des urbanistes 47

Sylvaine GLAIZOL
Les CAUE, des professionnels entre pédagogie et pragmatisme 53

Nicolas LEBUNETEL
Urbanisme et urbanistes : défi professionnel, défi associatif 59

Guy TAPIE
La culture professionnelle des urbanistes français 67

Horizons urbains
Eugène GRÉAU
La fabrique de la ville de demain 81

Catherine BERNIÉ-BOISSARD
La métropole, d’un nouveau langage pour la ville à l’alternative : 91
modèle grec ou modèle romain ?
Fabien BLASCO
ÉcoCité, du grand territoire au projet urbain : 101
émergence de nouvelles préoccupations urbaines et constructions de nouveaux savoir-faire
Élodie VALETTE
La question agricole fait-elle partie de l’urbanisme ? 109

Claire BAILLY
À ville complexe, projet urbain augmenté ? 119

Connaissance et reconnaissance à la croisée des chemins ?


Christophe DEMAZIÈRE
Les formations à l'urbanisme et à l'aménagement dans l'université : 129
une qualité promue et reconnue
Emmanuel NÉGRIER
Connaissance politique et savoirs pratiques 133

Laurent VIALA
Pour un régime éthique et critique de coproduction de la connaissance et de l'action 143

Index des sigles 159

Auteurs 163
Élodie VALETTE
Chercheure CIRAD, UMR TETIS,
UMR Innovation, Montpellier

La question agricole fait-elle partie de


l’urbanisme ?

Les dynamiques d’étalement urbain dessinent pour la sécurité et la sûreté alimentaire au


depuis une trentaine d’années des espaces cœur des préoccupations de l’urbanisme et
urbains diffus, archipélagiques, au sein en reconfigure certaines pratiques, tant dans
desquels espaces bâtis et non bâtis, usages le champ de la planification que du design
urbains (résidentiels, industriels, de loisir, etc.) urbain. Le propos est ici de balayer rapidement
et agricoles se jouxtent et s’opposent. Au sein les diverses initiatives contemporaines qui (re)
des nouveaux espaces de la métropolisation, pensent l’agriculture dans et autour des villes,
l’agriculture s’est transformée et, au contact d’en percevoir l’innovation et les limites, afin,
de l’avancée urbaine, est devenue agriculture peut-être, de dessiner les grandes lignes d’un
d’interstice ou agriculture menacée par la possible agri-urbanisme.
pression foncière, agriculture toujours présente
néanmoins, et ayant su résister sinon réinventer 1. Mutations des relations villes-
son rôle dans le cadre du système urbain agricultures : quels enjeux pour
auquel elle est désormais intégrée (Christophe l’urbanisme ?
Soulard, Christine Margétic, Élodie Valette,
2011). Ainsi l’insertion de l’agriculture au L’agriculture est de longue date liée à la ville
cœur et au creux des régions urbaines ne avec qui elle entretient des liens fonctionnels
pose-t-elle pas seulement des questions de étroits. Cette relation a profondément évolué
concurrences pour l’usage du sol. Elle interroge depuis le xixe siècle. La ville et l’agriculture de
également les modalités d’articulation sociale la Révolution industrielle sont celles décrites
et territoriale de l’agriculture et de l’urbain au par Von Thünen : une agriculture de proximité
sein de territoires en émergence. Les enjeux (Roland Vidal, 2011) organisée en ceinture
sociaux, environnementaux, paysagers de autour des centres urbains approvisionne les
cette articulation sont particulièrement vifs pour villes en denrées périssables : fruits, légumes,
la mise en œuvre d’un développement urbain lait, tandis que les cultures céréalières se
durable. développent à distance. L’évolution des
techniques et des modes de vie (révolution
Ce chapitre souhaite revenir dans un premier des transports, évolution des modes de
temps sur les mutations des interactions villes- conservation des denrées alimentaires) au
agricultures et sur les enjeux que portent cours du xxe siècle a reconfiguré l’espace de
ces interactions pour l’urbanisme. Dans un ces relations ville-agriculture, rendant « les villes
deuxième temps, on montrera comment et moins dépendantes de leur environnement
dans quelle mesure la question agricole agricole, pendant que l’agriculture, vendant
est saisie par l’action publique urbaine sur des marchés nationaux ou internationaux,
et les professionnels de l’urbanisme et de devenait plus sensible aux spécialisations
l’architecture. Intégrée traditionnellement via régionales qu’aux débouchés urbains » (Jean
sa dimension paysagère, et sa contribution Cavailhès, 2007).
au « verdissement » de la ville, la question
agricole s’invite désormais, à la faveur de Dans le même temps, l’étalement urbain a
la montée croissante de la préoccupation

109
Élodie VALETTE

diffusé l’espace bâti au cœur des espaces ou agricultures subissant l’avancée du front
agricoles, menaçant leur pérennité et urbain et ne nouant pas de liens particuliers
transformant la place et le rôle de l’agriculture avec la ville. Si François Lefevre (2004) montre
urbaine et périurbaine. En premier lieu, un que « durent » davantage les exploitations qui
paradoxe est au cœur de la relation de ont su s’adapter à l’évolution des attentes des
l’agriculture au système urbain : au-delà du consommateurs et à celle du marché foncier,
constat d’un étalement urbain consommateur dans tous les cas, leur grande diversité rend
effréné d’espaces agricoles (96 000 ha de complexe un effort de catégorisation en vue de
perte annuelle estimée en France en 2009), l’action publique.
qui interroge la profession agricole, il est
intéressant de noter que dans le même temps, Plus généralement, dans le contexte d’une
par « le simple effet mécanique de l’étalement société majoritairement urbaine, l’agriculture
urbain, l’agriculture périurbaine est amenée à urbaine est aujourd’hui porteuse de nouveaux
représenter une part relative de plus en plus enjeux qui vont de pair avec l’émergence,
importante de l’espace agricole national. » depuis une trentaine d’années, d’un désir
(Jean-Jacques Tolron, 2001). Comme le disent de nature (Philippe Perrier-Cornet, 2002),
Françoise Jarrige, Pascal Thinon, Brigitte et d’une préoccupation croissante pour la
Nougarèdes (2006) : « paradoxalement, il n’y question environnementale. La ville redécouvre
a jamais eu autant d’agricultures périurbaines, un intérêt pour l’agriculture, et ceci pour des
l’extension urbaine « créant », in fine, plus raisons diverses et complémentaires : demande
d’espace agricole périurbain qu’elle n’en sociale croissante pour sûreté et sécurité
consomme » De fait l’urbanisme contemporain alimentaires, liée aux fortes incertitudes et
est plus que jamais confronté à la question attentes sur les origines des produits, à la suite
agricole : que faire de ces espaces agricoles, des crises alimentaires successives (vache
comment les intégrer au système urbain ? folle, etc.), incertitude environnementale et
climatique, émergence et développement
En second lieu, l’agriculture urbaine et de la question de la durabilité depuis une
périurbaine n’a plus pour vocation unique de vingtaine d’années et recherche d’un mieux
nourrir la ville. Elle a changé de fonctions et vivre ; constat d’un épuisement du modèle
de formes, à la suite de l’évolution générale urbain tel qu’il est développé : étalement,
de l’agriculture dans la deuxième partie du nuisances, pollutions, engorgement des
xxe siècle. Ne jouant pas que le rôle d’une transports, etc. Ce faisceau d’interrogations et
réserve foncière, elle est loin de se limiter à d’attentes mènent à une volonté de repenser
une agriculture maraîchère de proximité, et la ville autrement, et notamment de repenser la
recouvre des systèmes de production diversifiés, place de l’agriculture dans le système urbain.
des tailles d’exploitation très variables et des Approvisionnement alimentaire de proximité,
profils d’exploitants eux-mêmes très différents : recyclage des déchets urbains, prévention de
agricultures intra-urbaines, agricultures certains risques environnementaux et fourniture
d’interstice contre agricultures périurbaines de services environnementaux (bio-diversité),
pouvant être des grandes cultures et néanmoins paysagers, patrimoniaux et « d’aménagement
insérées dans le système urbain ; agricultures de l’espace » (Isabelle Duvernoy et al., 2005) :
professionnelles contre agricultures de loisir l’agriculture urbaine serait-elle à même de
(jardinage) ; agricultures sur terrains publics remplir de nouvelles fonctions au service du
ou sur terrains privés ; agricultures menacées développement urbain durable ?
vs agricultures préservées ; agricultures ayant
adapté les systèmes de production à la
demande urbaine (vente directe, loisirs, etc.)

110
Élodie VALLETTE

2. Sous quelles formes la question l’espace, comment préserver et attribuer de


agricole devient-elle une question l’espace à l’agriculture ?
urbaine ?
Les réponses à cette question ont varié au fil des
Un changement de regard s’opère sur les années. Dans les années 1980, la dynamique
espaces agricoles : ils quittent progressivement générale en France est celle d’une urbanisation
la catégorie floue des espaces dits naturels ou diffuse des périphéries urbaines, avec une
NAF (Naturels, Agricoles et Forestiers) qui les contribution non négligeable des agriculteurs
cantonnaient, pour l’action publique urbaine, eux-mêmes dans les communes de deuxième
bien souvent à une contribution strictement et troisième couronne périurbaine, en lien
paysagère, puis environnementale (Banzo, avec des stratégies financières et familiales de
2009) à l’équilibre du système urbain, pour propriétaires terriens bien représentés dans les
être désignés en tant que tels pour leur fonction conseils municipaux (Isabelle Duvernoy, 2002).
productive et alimentaire. Dans la pratique, Les années 1990 sont marquées par une prise
cette émergence d’une préoccupation pour de conscience du coût de l’urbanisation non
l’agriculture et sa contribution à l’urbain s’inscrit contrôlée et d’une volonté de rationalisation
tant dans le cadre de la planification urbaine et de celle-ci. Depuis 2000 et l’introduction
territoriale que du design urbain. d’un nouveau cadre réglementaire pour la
planification intercommunale via la loi SRU,
2.1. Planification urbaine et actions la question de l’articulation entre les différents
foncières usages et les différentes fonctions du territoire
se pose avec acuité, permettant l’émergence
On l’a dit, l’étalement urbain et l’augmentation d’une préoccupation pour la question agricole
de la surface des espaces urbains entraînent dans la planification urbaine.
inévitablement une augmentation de la
surface des espaces agricoles dits urbains ou L’activité agricole s’invite ainsi en premier lieu
périurbains, et confronte les politiques publiques dans la conception de documents réglementaires
urbaines à la nécessité de traiter ces espaces. (PLU, SCOT) qui incluent une préoccupation
En milieu périurbain, où la pression foncière de préservation des terres. Les nouvelles règles
peut être très élevée, le maintien de l’usage de la planification intercommunale depuis la
agricole a des fins diverses : contribution au loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbains)
cadre de vie (l’agriculture est ici traitée dans ont favorisé des jeux d’acteurs inédits entre
la vaste catégorie des espaces verts, ouverts professionnels de l’urbanisme et du monde
ou non-bâtis, comme évoqué précédemment), agricole où l’expression de préoccupations
à la préservation de l’environnement (et ce agricoles trouve un écho : Françoise Jarrige,
sont ici les services environnementaux rendus Pascal Thinon et Brigitte Nougarèdes (2006)
par l’agriculture qui sont mis en avant, tels sa montrent bien les mécanismes qui ont
contribution au maintien et à l’enrichissement mené à l’ajout d’un volet complémentaire
de la biodiversité urbaine, à la qualité de l’air, dans le diagnostic de SCOT consacré à la
de l’eau et des sols), ou à l’approvisionnement place et à l’avenir de l’agriculture dans la
alimentaire des villes. communauté d’agglomération de Montpellier.
Naturellement, l’adjonction d’un volet agricole
La planification urbaine se trouve ainsi dans les documents de planification urbaine
confrontée à la question classique de la ne préjuge pas de la place réelle accordée à
répartition spatiale des usages dans l’espace l’agriculture dans la gestion urbaine.
urbain dans une perspective de développement
du territoire : comment utiliser et partager En effet, si le discours a évolué, la place de

111
Élodie VALETTE

l’agriculture dans l’urbain reste souvent celle élevés des terrains à bâtir incitent fortement les
d’une réserve foncière. La consommation propriétaires à la vente. Différents dispositifs
des terres agricoles périurbaines est perçue sont à noter : préemptions, comme à Lavérune
comme logique, bien que regrettable par les par exemple, près de Montpellier, actions visant
agriculteurs, tandis que les acteurs de la gestion à réserver des espaces du domaine public pour
urbaine, utilisant les dispositifs réglementaires l’installation d’agriculteurs en vue d’alimenter
à leur disposition, mettent en avant les besoins un marché paysan local ; aménagement
(réels ou fictifs) de foncier pour la construction d’un parc agri-urbain permettant d’associer
de logements (Anne-Marie Jouve et Gisèle création d’un espace récréatif, éducation à
Vianey, 2012). Bien qu’ils mettent en avant l’environnement et à l’agriculture, entretien de
la nécessité de préserver l’agriculture, paysages ouverts, maintien d’agriculteurs et
les documents réglementaires sont de fait d’une production agricole sur le sol communal
principalement fondés sur une « idée duale de comme à Barcelone (Sonia Callau, Josep
préservation de l’agriculture, seulement là où Montasell, 2008) ou à Milan (David Fanfani,
elle peut être productive et de son effacement Daniela Poli et Adalgisa Rubino, 2008). Les
progressif ailleurs au profit d’autres usages » instruments et dispositifs mobilisés sont le
(Gisèle Vianey, Sandrine Bacconnier-Baylet, fruit d’une réflexion portée par l’urbain afin
Isabelle Duvernoy, 2006), résidentiels, d’intégrer l’agricole au sein de l’espace urbain
industriels ou commerciaux. « La prise en dans une perspective de coexistence vertueuse.
compte des espaces agricoles et naturels dans
les projets de développement et donc l’équilibre 2.2. Le design agri-urbain
entre urbanisation et préservation des sols
dépend de la perception qu’ont les élus de Plus récente est la préoccupation de
l’activité agricole et de son rôle par rapport à l’urbanisme pour l’intégration de l’agricole
l’entretien d’espaces naturels et patrimoniaux » dans la ville : il ne s’agit plus de partitionner les
(José Serrano, 2005) : l’agricole est souvent usages agricoles et urbains dans l’espace sur
assimilé à des espaces naturels au sens large le modèle de la ville-nature, mais de mélanger
du terme, sans prise en compte spécifique de les genres au sein de l’espace urbain via des
sa contribution alimentaire par exemple. C’est dispositifs architecturaux ou urbanistiques.
ainsi que la volonté de mieux représenter les Ce design urbain, innovant, se construit
enjeux agricoles lors de la conception des dans une perspective de coexistence et de
documents de planification urbaine ou dans complémentarité. Ici, la fonction productive
les commissions d’attribution de permis de de l’agriculture et non plus seulement sa
construire a suscité une initiative, portée par contribution au verdissement de l’urbain est
la DRAAF Languedoc-Roussillon en 2008 et mise en avant.
relayée à l’échelle nationale, visant à produire
des cartes couplant artificialisation des terres et Les architectes et urbanistes participent de ce
qualité agronomique des sols, afin de montrer changement de regard et de pratiques tels Bhatt
l’impact de l’urbanisation en termes de sécurité proposant le concept d’« edible landscape »
alimentaire. (Ramesh V. Bhatt et Artémis P. Simopoulos,
2011) ou les architectes (André Viljoen et
Au-delà de l’articulation difficile des usages Katrin Bohn, 2009) développant celui de
dans les documents de planification, des « continuous productive urban landscape »
initiatives locales sont portées à l’échelle (CPUL). Ce dernier concept propose une
communale visant à réserver du foncier pour forme de mise à jour des théories et pratiques
l’activité agricole, dans le contexte d’un paysagères d’intégration du « vert » dans la
marché foncier très défavorable : les prix très ville ayant essaimé le xxe siècle (Mayté Banzo,

112
Élodie VALETTE

2009). Au-delà de son idéal conceptuel qui celui d’une déclinaison du greenwashing,
mixe infrastructure verte (Ann Caroll Werquin, où les micro-projets agri-urbains ne seraient
2007) et parc agri-urbain, le CPUL vise surtout que l’arbre qui cache la forêt de l’insécurité
à utiliser l’espace « libre » pour des usages alimentaire et de l’étalement urbain ; celui
agricoles et productifs, à toutes les échelles : d’une nouvelle forme de gentrification, où
friche industrielle, interstices urbains, talus de l’agriculture et ses formes urbaines seraient une
chemins de fer ou bords de route et trottoirs. sorte de hobby réservé aux plus aisés, nouvel
Un certain nombre d’architectes et designers instrument de l’exclusion des populations plus
sont porteurs de propositions expérimentales pauvres. Dans les deux cas, l’agri-urbanisme
tel Damien Chivialle et ses urban farm units, resterait une machine à produire du paysage
micro-fermes réalisés en container (http:// urbain et non du vivre ensemble.
damienchivialle.blogspot.fr/) ou Bioroof, Certes, nombre des initiatives agri-urbaines
proposant l’installation et l’entretien de sont des projets de petite dimension et de
potagers urbains sur les toits des habitations faible portée. Néanmoins, et en dépit d’un
(www.bioroof.fr). engouement fort auprès des classes moyennes
sensibilisées aux questions de l’écologie, le
Ces concepts qui visent à repenser entièrement design d’espaces mangeables comme la
la place de l’agriculture dans la ville en la préservation d’espaces agricoles urbains
laissant s’insinuer partout sont à l’opposé des sont aussi marqués par une préoccupation
projets plus médiatisés de fermes verticales. La militante vis-à-vis des populations les plus
quête croissante d’espace pour le logement, la défavorisées, dans un souhait de justice
nécessité de plus en plus reconnue d’assurer sociale. L’agri-urbanisme peut viser à améliorer
l’alimentation des villes par une réorganisation l’accès des populations à l’alimentation,
des systèmes alimentaires favorisent renforcer des liens sociaux détendus au sein
l’émergence de ces solutions très économes de communautés défavorisées, contribuer à
en espace et en main d’œuvre, qui associent l’insertion de populations déshéritées, etc. L’on
les compétences d’agronomes et d’architectes connaît la corrélation entre crise économique
pour la conception de ces immeubles agricoles, et augmentation du nombre de jardins urbains :
tels la Tour vivante de l’agence parisienne SOA à Moscou, le nombre de familles produisant
en 2005 par exemple, ou le projet Dragonfly des fruits et légumes est passé de 20% en
du belge Vincent Callebaut conçu en 2009 1965 à 70% en 1990 (Jac Smit, Joe Nasr
pour approvisionner la ville de New York. Dans et Anna Ratta, 1996) ; l’on observe le même
ces projets, l’agriculture, hydroponique, est développement en Grèce depuis 2012, ou à
affranchie des problèmes liés à la disponibilité Détroit aux Etats-Unis. Cette augmentation n’est
et à la qualité des sols : ici « la ville assimile pas seulement le fait d’initiatives spontanées des
l’agriculture, l’intègre en la transformant à son populations mais est aussi accompagnée par
image » (François Purseigle, Antoine Compère les politiques publiques via différents types de
et Pierre Poupart, 2011). projets : jardins communautaires, collectifs ou
solidaires (Eric Duchemin, Fabien Wegmuller,
3. Discussion Anne-Marie Legault, 2010 ; Flaminia Paddeu,
2012) conçus dans une perspective de food
Les différentes formes d’un agri-urbanisme justice, réappropriation et reconversion
sont sujettes à controverse quant à leur portée agricole de friches industrielles (Michael Roth,
sociale. Insérer l’agriculture au cœur des villes Miryam Frixen et Carlos Tobisch, 2013), etc.
pourrait être considéré comme l’un des avatars
du volet environnemental du développement Cette conception sociale de l’agri-urbanisme
urbain durable, avec un double risque : connaît des applications particulièrement

113
Élodie VALETTE

intéressantes, en particulier au Sud, dans des Conclusion


espaces urbains marqués par la pauvreté tels
que les bidonvilles où le rôle de l’agriculture La question agricole est susceptible d’investir
urbaine pour l’alimentation des populations les le champ de l’urbanisme sous de multiples
plus démunies est depuis longtemps clairement formes. La quête croissante d’espace pour le
reconnu (Hubert de Bon, Paule Moustier, logement, la nécessité d’assurer l’alimentation
Laurent Parrot, 2010). Le projet « Making the des villes par une réorganisation des
Edible Landscape » mené à Halgahakumbura, systèmes alimentaires, favorisent, dans les
en périphérie de la ville de Colombo, capitale pays industrialisés et émergents, l’apparition
du Sri Lanka, par le Minimum Cost Housing de solutions très économes en espace et en
Group de l’université McGill, est éloquent à main-d’œuvre : urbanistes et architectes sont
ce titre. Projet réalisé en concertation avec les confrontés ici à l’intégration de l’agriculture
autorités et populations locales, il a permis à au sein de l’espace bâti lui même et planchent
300 familles (soit 43% de foyers) « d’intégrer notamment sur le design de fermes verticales
la culture de plantes nutritives et médicinales ou imaginent des expériences de végétalisation
à leurs pratiques quotidiennes et de recycler productive d’éléments architecturaux de base
leurs déchets biologiques à l’aide de bacs de de l’espace public urbain. Un agri-urbanisme
compost » (Leila Farah et Vikram Bhatt, 2008). ne saurait cependant se limiter à cela. Il peut
Dans ce cas précis, le projet d’urbanisme recouvrir des expériences tout à fait différentes,
associe planification urbaine (recherche initiées par les municipalités, qui visent à
des sites les plus propices, identification relocaliser l’agriculture et ses débouchés dans
d’emplacements appropriés pour la réalisation et autour des villes, via l’organisation d’un
de micro-cultures, négociation avec les parties partage des usages du sol ; ou par la société
prenantes) et design urbain (implantation civile qui contribue au quotidien à l’invention
de cultures sous forme de volumes (colonnes de nouvelles formes d’agriculture urbaine.
plantées), de surfaces (pergolas ou murs L’urbanisme agricole est affaire de choix :
plantés), ou d’aménagements ponctuels entre séparation ou intégration des usages,
(cultures en pot), aménagement de récipients solutions ultra productives ou valorisation des
linéaires accrochés ou suspendus le long dimensions sociales de l’agriculture, solutions
de murs (tiges de bambous évidés entre les diffuses ou concentrées, agri-gentrification ou
nervures), recyclage à partir de bouteilles promotion d’une food justice pour tous.
de plastique, etc.). Le projet transforme
véritablement les éléments architecturaux Un regard particulier doit être porté sur ces
urbains en les « réinterprétant à la lumière du nombreuses initiatives portées par la société
savoir faire local et en les dotant d’une fonction civile et les collectivités territoriales. Le
supplémentaire » (Leila Farah et Vikram Bhatt, paradigme agricole pourrait suivre le même type
2008). de développement que celui du développement
Ces projets qui marquent fortement l’espace durable dans l’urbanisme contemporain :
urbain mettent particulièrement en valeur ce « terreau d’idées et de questionnements,
l’une des prérogatives de l’urbanisme : celle qui donne naissance à quelques innovations
de produire de l’inclusion ou de l’exclusion et percées » (Cyria Emelianoff, 2004) peut
sociale, de contribuer à la justice ou à l’injustice être saisi, ou non, par les acteurs de l’action
spatiale. publique urbaine, et ces quelques initiatives
localisées sont ainsi susceptibles de s’ériger
en modèles via des processus d’imitation et
de diffusion, dans le sens des urbatopies de
Jean Haëntjens (2010), villes qui « ont sur les

114
Élodie VALETTE

autres, un fort effet d’entraînement » basées


sur l’image des « lièvres de la mutation » de
Fernand Braudel. Le relais et les interactions
fécondes entre la pratique urbanistique,
l’action publique et le monde scientifique,
allers-retours entre pratiques et théorisation de
l’agriculture dans le système urbain, pourraient
permettre un développement agri-urbain basé
sur la construction expérimentale et multiforme
d’une diversité de pratiques émergeant à tous
les niveaux d’échelle, ce que l’on pourrait
appeler à la suite de Véronique Barnier et
Carole Tucoulet (1999), new agri-urbanism.

Le cursus de formation initié au sein du CERAPT


(collectif d’enseignement et de recherche en
agri-urbanisme et projet de territoire) s’inscrit
résolument dans cette perspective. Le constat
de la nécessité de compétences historiquement
dispersées dans des filières pédagogiques
distinctes a mené à la création de ce collectif
organisant des ateliers communs à une école
d’agronomie (Agroparistech), une école
d’architecture (ENSA de Versailles) et une école
de paysage (ENSP de Versailles). Les pratiques
de l’urbanisme évolueront aussi par le biais de
professionnels formés à la reconnaissance de
l’hybridation des catégories usuelles dans les
formes urbaines contemporaines Plus encore
que de concéder à l’agriculture un recoin
au sein de la question urbaine, cette agri-
urbanisme s’essaye à penser l’agriculture et
l’urbain ensemble, via des projets construits
en transversalité, qui permettent aux acteurs
d’explorer des voies d’articulation entre
des intérêts contradictoires et des actions
historiquement sectorialisées (Monique Poulot,
2010), projets véritablement agri-urbains en ce
qu'ils imaginent le futur partagé de l'agriculture
et de l'urbain.

115
Élodie VALETTE

Bibliographie

Banzo (Mayté), L’espace ouvert pour une nouvelle urbanité, dossier d'habilitation à diriger les
recherches, université Michel de Montaigne, Bordeaux 3, 2009.

Barnier (Véronique) et Tucoulet (Carole), Ville et environnement. De l’écologie urbaine à la ville


durable, Problèmes politiques et sociaux, n° 829, La Documentation Française, 1999, 89 p.

Bhatt (Ramesh Venkatarama), Simpoulos (Artemis P.) (dir.), « Urban Agriculture and Urban Design.
Healthy Agriculture, Healthy Nutrition, Healthy People », World Rev Nutr Diet., Basel, Karger, vol.
102, 2011, p. 226-243.

Bon (Hubert de), Parrot (Laurent) et Moustier (Paule), Sustainable urban agriculture in developing
countries. A review, Agronomy for Sustainable Development, vol. 30, n° 1, 2010.

Callau (Sonia), Montasell (Josep), « The Baix Llobregat Agricultural Park (Barcelona): an instrument
for preserving, developing and managing a periurban agricultural area », in Dewaehle V. & Gulinck,
H. (Eds.): Rurality near the City, http://www.ruralitynearthecity.be, Actes du colloque tenu à Leuven,
Belgium, 7-8 février 2008.

Cavailhès (Jean) et Wavresky (Pierre), « Les effets de la proximité de la ville sur les systèmes de
production agricoles », Agreste Cahiers, vol. 2, 2007, p. 41–47.

Duchemin (Éric), Wegmuller (Fabien), Legault (Anne-Marie), « Agriculture urbaine : un outil


multidimensionnel pour le développement des quartiers », VertigO - la revue électronique en sciences
de l’environnement, vol. 10, n°2, http://vertigo.revues.org/10436, 2010.

Duvernoy (Isabelle), Jarrige (Françoise), Moustier (Paul), Serrano (José), « Une agriculture
multifonctionnelle dans le projet urbain: quelle reconnaissance, quelle gouvernance », Les Cahiers de
la multifonctionnalité, vol. 8, 2005, p. 87–104.

Duvernoy (Isabelle), Espace agricole périurbain et politiques communales d’aménagement : l’exemple


de l’agglomération albigeoise, Cybergeo : European Journal of Geography, document 208, http://
cybergeo.revues.org/1965, 2002.

Emelianoff (Cyria), « L’urbanisme durable en Europe, à quel prix? », écologie et politique, n° 29,
2004, p. 21-36.

Fanfani (David), Poli (Daniela), Rubino (Adalgisa), « Pour un modèle d’aménagement et développement
intégré des zones agricoles et périurbaines. Le parc agricole en Toscane centrale et occidentale »,
Territoire(s) wallon(s), séminaire de l’académie Louvain, mars 2008.

Farah (Leila), Bhatt (Vikram), « Cultiver des territoires squattés. » in Vidal R (dir.) : La diversité de
l’agriculture urbaine dans le monde, vol.3 des actes du colloque « Les agricultures périurbaines, un
enjeu pour la ville », ENSP, Université de Nanterre, 2008.

116
Élodie VALETTE

Fleury (André) et Donadieu (Pierre), « La construction contemporaine de la ville-campagne en Europe »,


Revue de géographie alpine, vol. 91, n° 4, 2003, p.19-29.

Haëntjens (Jean), Urbatopies : ces villes qui inventent l’urbanisme du xxie siècle, La Tour d’Aigues,
Editions de l’Aube, 2010, 137 p.

Janin (rémi), « L’urbanisme agricole », Openfield, n°1, http://www.revue-openfield.


net/2013/01/11/lurbanisme-agricole/, 2013.

Jarrige (Françoise), Thinon (Pascal), Nougarèdes (Brigitte), « La prise en compte de l’agriculture


dans les nouveaux projets de territoires urbains. Exemple d’une recherche en partenariat avec la
Communauté d’Agglomération de Montpellier », Revue d’économie Régionale & Urbaine, n° 3,
2006, p. 393–414.

Jouve (Anne-Marie) et Vianey (Gisèle), « Le foncier, une ressource territoriale difficile à construire en
périurbain », économie rurale, n°330-331, 2012, p.27-41.

Lefevre (François) et Morel (Jean-Marc), Agriculteurs des villes. Exister et savoir prospérer en milieu
urbain, rapport, CNASEA, 2004.

Paddeu (Flaminia), « L’agriculture urbaine dans les quartiers défavorisés de la métropole New-
Yorkaise: la justice alimentaire à l’épreuve de la justice sociale », VertigO, vol. 12, n°2, http://
vertigo.revues.org/12686, 2012.

Perrier-Cornet (Philippe), Repenser les campagnes, La Tour-d'Aigues/Paris, Editions de l’Aube/Datar,


2002, 279 p.

Poulot (Monique), « L’agriculture comme composante de l’identité périurbaine francilienne : entre


(re)connaissance et innovation », Pour, n° 205-206 : p. 73-81, 2010.

Purseigle (François), Poupart (Antoine), Compère (Pierre), « La ferme verticale : image paroxystique
de mondes agricoles en mutation », http://www.lua-paris.com/index.php?option=com_flexicont
ent&view=items&id=209:la-ferme-verticale-image-paroxystique-de-mondes-agricoles-en-mutation-
209&Itemid=40, 2011.

Roth (Michael), Frixen (Miryam), Tobisch (Carlos), Urban agriculture in the Ruhr Metropolitan Area,
Germany. From historic farmland preservation to new urban farmland reclamation on industrial
brownfields, 5th AESOP Sustainable Food Planning Conference, Montpellier, 29-30 octobre 2013.

Serrano (José), « Quel équilibre entre urbanisation et préservation des espaces agricoles périurbains ?
Le cas d’une agglomération moyenne », Développement durable et territoires, Dossier 4, http://
developpementdurable.revues.org/1605, 2005.

Smit (Jac), Nasr (Joé) et Ratta (Annu) Urban Agriculture Food, Jobs and Sustainable Cities, New-York,
The Urban Agriculture Network, http://www.jacsmit.com/book/AppC.pdf, 1996.

Soulard (Christophe), Margetic (Christine), Valette (Élodie), « Introduction. Innovations et agricultures

117
Élodie VALETTE

urbaines durables, Norois », vol.4, n° 221, p. 7-10, 2011.

Tolron (Jean-Jacques), « L’agriculture périurbaine: paradigme et paradoxes d’une péri-agriculture.


Illustration en région méditerranéenne », Ingénieries-EAT, n° 28. http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-
00464627/, 2001.

Vianey (Gisèle), Bacconier-baylet (Sandrine), Duvernoy (Isabelle), « L’aménagement communal


périurbain : maintenir l’agriculture pour préserver quelle ruralité ? », Revue d’économie Régionale &
Urbaine, n°3, p. 355-372, 2006.

Vidal (Roland), « Entre ville et agriculture, une proximité à reconstruire, Métropolitiques », 18 avril
2011, http://www.metropolitiques.eu/Entre-ville-et-agriculture-une.html, 2011.

Viljoen (Andre) and Bohn (Katrin), « Continuous Productive Urban Landscape(CPUL): essential
infrastructure and edible ornament » Open House International, 34 (2), 2009, p.50-60.

Werquin (Ann-Caroll), Des villes, vertes et bleues: de nouvelles infrastructures à planifier, Plan
urbanisme construction architecture. http://www.lavoisier.fr/livre/notice.asp?ouvrage=1966929,
2007.

118

View publication stats

Vous aimerez peut-être aussi

pFad - Phonifier reborn

Pfad - The Proxy pFad of © 2024 Garber Painting. All rights reserved.

Note: This service is not intended for secure transactions such as banking, social media, email, or purchasing. Use at your own risk. We assume no liability whatsoever for broken pages.


Alternative Proxies:

Alternative Proxy

pFad Proxy

pFad v3 Proxy

pFad v4 Proxy