Article OUSSOU DIAGNOSYIC Curriculum Hist Geo Primaire

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DIAGNOSTIC CURRICULAIRE DE

L’HISTOIRE-GÉOGRAPHIE À L’ÉCOLE PRIMAIRE


IVOIRIENNE
Kouadio Jean-Pierre Oussou

To cite this version:


Kouadio Jean-Pierre Oussou. DIAGNOSTIC CURRICULAIRE DE L’HISTOIRE-GÉOGRAPHIE À
L’ÉCOLE PRIMAIRE IVOIRIENNE. Les Cahiers de l’ACAREF, 2024, Tome 3, volume 6 (Numero
spécial 2024), pp.129-153. �hal-04447902�

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DIAGNOSTIC CURRICULAIRE DE L’HISTOIRE-
GÉOGRAPHIE À L'ÉCOLE PRIMAIRE IVOIRIENNE

Kouadio Jean-Pierre OUSSOU


(Docteur en didactique de la géographie de l’Université Paris Cité)
Ecole Normale Supérieure d’Abidjan / Département d’histoire-géographie
oussoujeanvarold@gmail.com

Résumé

Cet article vise à analyser les différents niveaux curriculaires de l’histoire-géographie à l’école primaire
ivoirienne. Les curriculums prescrits et implémentés ont été examinés pour comprendre la transférabilité
de compétence aux élèves à l’aune de l’approche par compétence. Cette étude s’appuie sur une analyse de
corpus (les programmes éducatifs et guides d’exécutions des classes de CE1, CE2, CM1, CM2, les
cahiers et fiches de leçon, les emplois du temps) ; les observations de séances de cours et des entretiens semi-
dirigés. Il ressort de cette étude que les programmes d’histoire sont centrés sur l’étude de l’organisation
sociale, politique et de la décolonisation de la Côte d’Ivoire. Ceux de géographie sont centrés sur la
description des milieux. Les programmes en cours élémentaires ne connaissance pas un achèvement tandis
que ceux des cours moyen connaissent une finition. Les pratiques enseignantes ordinaires sont en majorité
celles des cours magistralo-dialogués. Ces dernières ne favorisent pas un transfert de compétences en raison
des limites au nombre desquels la durée impartie à cette discipline scolaire, les effectifs pléthoriques des
classes, des manuels inadaptés, le sous-équipement des établissements etc.

Mots clés : curriculums prescrits- curriculums implémentés- programme- transfert de compétence

Abstract

This article aims to analyse the different curricular levels of history-geography in Ivorian primary schools.
Prescribed and implemented curricula were examined in order to understand the transferability of skills
to pupils in the light of the competency-based approach. This study is based on a corpus analysis
(educational programmes and implementation guides for CE1, CE2, CM1, CM2 classes, lesson
notebooks and sheets, timetables); observations of class sessions and semi-structured interviews. The study
revealed that the history syllabus focused on the social and political organisation and decolonisation of
Côte d'Ivoire. The geography syllabus focuses on describing the environment. The syllabus for elementary
classes has not yet been completed, while the syllabus for intermediate classes has been finalized. The
majority of teaching practices are based on the active method. However, they are not conducive to skills
transfer because of a number of limitations, including the length of time allocated to this school subject,
overcrowded classrooms, unsuitable textbooks, under-equipped schools, etc.

Key words: prescribed curricula - implemented curricula - programme - skills transfer

129
Introduction

Discipline scolaire inscrite dans les emplois du temps des apprenants en


primaire du CE1 au CM2, et dans les formations des instituteurs dans les
centres d’animation et de formation pédagogiques (CAFOP), l’histoire
géographie est indispensable dans la formation intellectuelle du citoyen.
Aussi s’attelle-t-elle d’une part en histoire à la Construction du temps
historique à travers la chronologie, à donner des aptitudes de
compréhension des faits passés de son milieu proche et lointain pour
mieux s’insérer dans la société ; et d’autre part en géographie à donner
des aptitudes pour une compréhension de l’espace local et lointain en
aidant les élèves à mieux se situer dans leurs cadres de vie, à expliquer les
interrelations entre l’homme et son milieu.
Les études en didactique pouvant contribuer à comprendre et améliorer
les différents niveaux curriculaires de cet ordre d’enseignement en Côte
d’Ivoire sont rares, voire inexistantes. L’étude que nous menons vise à
jeter des bases d’une analyse des programmes éducatifs en primaire
ivoirien. Elle répond à la question principale suivante : les pratiques
enseignantes en primaire en cours d’histoire-géographie permettent-elles
de faire acquérir des compétences aux élèves ? Ce questionnement se
décline en sous-questions suivantes : 1- quelles sont les principales
thématiques abordées dans les curriculums d’histoire et de géographie ?
2- Comment les habiletés et contenus d’histoire-géographie sont-ils mis
en œuvre ? 3- Quelles sont les limites de ces curriculums pour une
transférabilité de compétences aux apprenants ? De ces sous-questions
découlent les hypothèses suivantes : 1- Les curriculums d’histoire-
géographie seraient centrés sur l’étude de notions et concepts et la
description des milieux ; 2- la méthode active parait être celle mise en
œuvre par les enseignants ; 3- la durée des séances, les effectifs des
classes, le sous équipement des établissements semblent être des limites
dans la mise en œuvre des contenus d’histoire-géographie.
Le présent article abordera successivement un cadre théorique autour des
niveaux curriculaires et de la spécificité de l’histoire-géographie en
primaire, une méthodologie de recueil de données, et pour terminer des
résultats et leurs discussions.

130
1. Les différents niveaux curriculaires et la spécificité de
l’enseignement de l’histoire-géographie en primaire

Les curriculums de l’enseignement primaire tout comme ceux de


l’enseignement secondaire ont connu des évolutions tant au niveau de
l’approche pédagogique que des contenus à partir de l’année 2010. Aussi
sommes-nous passés progressivement de la pédagogie par objectif (PPO)
à la formation par compétence (FPC) puis à l’approche par compétence
(APC). La dernière citée est celle en vigueur. Comment se présente les
niveaux des curriculums d’histoire-géographie au primaire ivoirien ?

1.1 Processus de transposition didactique à partir des niveaux


curriculaires
Le curriculum prescrit ou officiel (M. Demeuse & C. Strauven, 2013; P.
Jonnaert, 2011) est la boussole de l’enseignant. C’est le niveau qui donne
les grandes orientations thématiques et de contenus tel que voulu par les
pouvoirs publics à un moment donné de l’évolution socio-politique d’un
Etat. En Côte d’Ivoire, il est connu sous le nom de programme éducatif
et est conçu principalement par les inspecteurs généraux et pédagogiques
auxquels sont associés des experts et observateurs. Les thèmes et
contenus pour leur mise en œuvre subissent une transposition didactique
externe puis interne (Y. Chevallard, 1985, 1999; E. Paun, 2006; Y. Reuter
et al., 2013). L’enseignant s’appuie sur un savoir savant ou sur des
pratiques de la société pour comprendre et mettre en œuvre les thèmes
et les contenus. Un plan de cours et une fiche de leçon sont ensuite
élaborés. Ce travail mené en amont d’une séance de cours, prend en
compte tous les rituels pédagogiques et didactiques conçus pour la
discipline. En classe, le curriculum prescrit fait place au curriculum
implanté ou implémenté suite à une transposition curriculaire.
L’enseignant s’appuie sur les processus de mise en œuvre d’une leçon à
partir des techniques pédagogiques à lui appris dans les centres
d’animation et de formation pédagogique (CAFOP).
Le troisième niveau curriculaire est le curriculum assimilé ou appris. C’est
ce que les apprenants retiennent au sortir d’une séance ou séquence de
cours. Dans le cadre de l’APC, il s’agit des compétences transférées par
les enseignants aux apprenants en termes de savoirs, savoir-faire et
savoir-être. Si ces trois niveaux curriculaires sont les plus récurrents
(Keeves, 1992), il n’en demeure pas moins l’existence du curriculum
131
caché ou absent. Ce dernier est dûment réfléchi par l’enseignant à l’aune
du curriculum prescrit. Il s’appuie sur le contexte socio-économique de
l’établissement et les non-dits des contenus et habiletés pour procéder à
une hybridation contextuelle (D. Bédouret et al., 2018; F. Jankowski &
S. Lewandowski, 2017; KJP. Oussou, 2022).

1.2 La spécificité de l’enseignement de l’histoire-géographie en


primaire
L’histoire –géographie en tant que discipline scolaire, s’ancre dans le
concept de « discipline scolaire » tel que formulée par (A. Chervel, 1988).
Ce concept invite à penser l’histoire et la géographie comme une
construction propre à l’école. Cette dernière a pour objectif de rendre
opérationnels des finalités et des objectifs de formation et d’éducation
que la société par le truchement des curriculums prescrits lui confie. Des
méthodes spécifiques, des dispositifs d’évaluation etc. sont élaborés pour
la mise en œuvre des disciplines scolaires et convaincre de leur utilité.
L’école en Côte d’Ivoire est un héritage de la colonisation française. Son
organisation et son évolution sont restées étroitement liées à celles de la
France. En France, A. Bruter, (2015) indique que c’est la loi Guizot de
juin 1833 qui ouvra la possibilité de l’enseignement de l’histoire dans les
écoles élémentaires. Les instituteurs pour pouvoir enseigner cette
discipline devaient au préalable l’étudier. A travers la loi du 10 avril 1867
sous le ministre historien et auteur Victor Duruy, l’histoire et la
géographie vont devenir des matières obligatoires à l’école élémentaire.
A.Bruter, (2015); M. Crubellier, (1982) disent de la loi Ferry de mars 1882
qu’elle est un tournant décisif dans la vulgarisation de l’enseignement à
travers sa laïcisation. De la colonisation aux deux premières décennies
après les indépendances comme signalé plus haut, l’école ivoirienne sera
calquée sur le modèle de la France avec comme personnel administratif
et enseignants de nombreux coopérants Français. Le couple histoire et
géographie fonctionne comme une discipline scolaire du primaire au
secondaire. Chaque entité de ce couple a toutefois une spécificité et
concours à la formation d’un citoyen capable de participer et de
comprendre certaines problématiques de la société.
 L’histoire en primaire (C. Souplet, 2016; M-M Compère & P.
Savoie, 2005; C. Souplet, 2013) vise à construire le temps
historique à travers la chronologie, à donner des aptitudes de
compréhension des faits passés de son milieu proche et lointain
132
pour mieux s’insérer dans la société. Elle participe pour se faire
à la socialisation de l’élève, à développer son sens civique et
moral. L’histoire va contribuer à développer chez l’élève son
intellect (mémoire, imagination, esprit critique, esprit
d’ouverture), des valeurs sociales : la prise de conscience
d’appartenir à une communauté ; la communication ; un
développement des valeurs civiques et morales.
 La géographie scolaire en primaire (A. Glaudel, 2018; B.
Mérenne-Schoumaker, 2019; T. Philippot et al., 2016; T.
Philippot & Baillat, 2009) vise aussi à donner des aptitudes pour
une compréhension de l’espace local et lointain. Elle aide les
élèves à mieux se situer dans leur cadre de vie et à expliquer les
interrelations entre l’homme et son milieu. Elle contribue aussi
à la socialisation de l’élève, à développer son sens civique et
moral. Elle permet à l’apprenant de s’orienter en apprenant à
découvrir les espaces vécus de leur école, puis du quartier ou du
village, de développer son sens d’observation, de description,
d’organisation, d’analyse et de tolérance à l’égard des autres.
L’enseignement de la géographie offre une double dimension,
celle géographique qui contribue à la construction de
connaissance géographique et celle didactique orientée vers
l’appropriation par les élèves d’un savoir géographique.

1.3 Quid de l’APC ?


Les curriculums prescrits de l’enseignement primaire et secondaire sont
écrits sous le prisme de l’approche par compétence (APC) depuis 2010
en remplacement de la pédagogie par objectif (PPO). L’APC
implémentée dans le système éducatif ivoirien est le fruit de différents
courants ou tendances issus du Québec, de la Belgique, de la France etc.
Cette situation va entrainer une difficulté dans la mise en œuvre de cette
approche pédagogique « imposée » par des instances internationales
comme la Francophonie et l’UNESCO sans prise en compte du contexte
local.
Cette approche va progressivement connaître une contextualisation
théorique qui s’appuie sur les diverses ressources empruntées. Ainsi,
après plus d’une décennie d’application, une feuille de route semble être
adoptée par les établissements de formations initiales dans la mise en

133
œuvre de l’APC dans le système éducatif ivoirien non sans balbutiement.
En effet, si l’enjeu de cette approche pédagogique est de :
« 1. rapprocher le monde de l’enseignement du
monde de l’entreprise ;
2. recentrer la formation, de la maternelle à
l’université, sur les exigences premières du marché
du travail : l’adaptabilité et la mobilité des
travailleurs ;
3. résoudre la contradiction entre un enseignement
largement commun (de l’école maternelle jusqu’à
12, 14 ou 16 ans, selon les pays) et un marché du
travail de plus en plus polarisé » (Hirtt, 2009,
p.11)
Les pratiques enseignantes en APC restent très théoriques, abstraites. Ce
qui la différencie de la pédagogie par objectif (PPO), est l’insertion dans
la mise en œuvre d’une séquence de cours d’une situation d’apprentissage
comportant un contexte, une circonstance et des tâches ; des évaluations
formatives à la fin de chaque séance et de chaque séquence pour
permettre à l’enseignant(e) de vérifier si les savoirs, savoir-faire qu’il ou
elle a transféré sont acquises par les élèves. Cette démarche est mise à
l’épreuve dans les pratiques enseignantes dans un contexte de classes
pléthoriques, de sous-équipements des établissements, de longues
progressions annuelles, de cloisonnement horaire, de démotivation de
nombreux enseignants etc. (Oussou, 2022).

2. Quelle démarche pour la collecte des données ?

Pour recueillir les données relatives à cette étude, nous avons procédé à
l’analyse de divers corpus (programmes éducatifs et guides d’exécution
des classes de CE1, CE2, CM1, CM2 ; les emplois du temps, les cahiers
de cours d’élèves ; les manuels d’histoire-géographie), effectué des
entretiens semi-dirigés de divers acteurs (instituteurs des classes de CE1,
CE2, CM1, CM2 en milieu urbain et en milieu rural) ; observé des
séances de cours en histoire et en géographie.

2.1 Un recours à divers corpus


Les corpus consultés sont les programmes éducatifs et guides
d’exécution des classes de CE1, CE2, CM1, CM2 ; les emplois du temps,
134
les cahiers de cours d’élèves ; les manuels d’histoire-géographie. Leur
importance comme ressources sont mise en évidence dans (Cadière,
2013; Dalbera, 2002).

Tableau 1: Les différents corpus et l'intérêt de leurs choix

Corpus Objectifs
1 Guides éducatifs et Connaitre les thèmes abordés en histoire
d’exécution des classes de et géographie en primaire
CE1, CE2, CM1, CM2 Connaitre les techniques pédagogiques
suggérées pour la mise en œuvre des
contenus
Connaitre l’agencement des leçons
2 Les emplois du temps des Connaitre et analyser le volume horaire
classes de CE1, CE2, imparti à l’histoire-géographie, ainsi que
CM1, CM2 les moments de la semaine
3 Les cahiers de cours Un contrôle des résumés produit par les
d’élèves enseignants
4 Les manuels d’histoire- Vérifier la congruence entre le contenu
géographie des manuels et le curriculum prescrit

2.2 Des entretiens semi-dirigés (G. Claude, 2019; J.C Combessie,


2007; G. Imbert, 2010) des enseignants en primaire
Nous avons interrogé seize instituteurs des classes de CE1, CE2, CM1,
CM2 dont huit (8) en milieu urbain et huit (8) en milieu rural. « L’entretien
semi-directif ou entrevue semi dirigé (P. Savoie-Zajc, 1997) est une technique de
collecte de données qui contribue au développement de connaissances favorisant des
approches qualitatives et interprétatives relevant en particulier des paradigmes
constructivistes. »(J-C Combessie, 2007). Les entretiens ont été enregistrés
à l’aide d’un smartphone, retranscrit pour en avoir le verbatim. Ce dernier
sera analysé à travers le logiciel Excel en vue de la réalisation de
graphique.

135
Tableau 2: Guide des entretiens semi-dirigés

N° Questions Objectifs
1 Comment l’histoire-géographie Connaitre les stratégies
doit-être enseignée selon votre enseignées dans les formations
formation initiale au CAFOP initiales pour mettre en œuvre les
contenus d’histoire-géographie
2 Avant la mise en œuvre d’une Connaitre le processus de
leçon d’histoire-géo en classe, préparation d’une leçon
comment la préparez-vous ? d’histoire-géographie
3 Quelles sont les démarches que Identifier les démarches dans la
vous utilisez dans la mise en mise en œuvre d’une leçon.
œuvre d’une leçon d’histoire-
géo ?
4 Quelles sont les techniques Identifier les techniques
pédagogiques que vous utilisez pédagogiques (discussion dirigé,
en cours d’histoire-géographie ? sortie de terrain, brainstorming,
jeu de rôle utilisées en cours
d’histoire-géographie
5 Quelles sont les spécificités de Analyser les traits de l’APC en
l’APC en classe d’histoire- primaire en classe d’histoire-géo
géographie ?
6 Quelles sont les difficultés Analyser les difficultés
rencontrées dans la mise en rencontrées dans la mise en
œuvre des contenus d’histoire- œuvre des contenus d’histoire-
géo ? géo

2.3 Les observations participantes (G. Lapassade, 2002; B. Soulé,


2007; S. Tétreault, 2014)
Nous avons choisi de mener une observation participante de vingt (16)
séances de cours dont huit dans des établissent en zone urbaine et huit
dans ceux du milieu rural. L’observation participante se définit comme
« étant l’observation directe (in situ ou in vivo) des agissements et des interactions
d’individus dans leur environnement quotidien par un chercheur, qui devient
l’observateur. » (S. Tétreault, 2014). L’observateur participant a des
missions précises : « tout en prenant part à la vie collective de ceux qu’il observe,
s’occupe essentiellement de regarder, d’écouter et de conserver avec les gens, de collecter
et de réunir des informations. Il se laisse porter par la situation » (G. Lapassade,

136
2002). Dix points essentiels nous ont intéressés dans les pratiques
ordinaires des enseignants.

Tableau 3: Grille d'observation des séances de cours

Classes Pratiques enseignantes observées


CE1 - gestion du tableau
-contrôle de la trace écrite
- contenu en adéquation avec le curriculum
prescrit
- les démarches pour la mise en œuvre de
contenus
- exploitation de support de cours
- la construction du résumé (méthode active)
-techniques pédagogiques déployées
- la gestion du temps
- les activités d’application
- la gestion de la classe

CE2 Idem
CM1 Idem
CM2 Idem

3. Résultats, discussion et recommandations

Les différentes enquêtes entreprises permettent une description du


curriculum prescrit et implémenté d’histoire-géographie en vue d’en
extraire les principales caractéristiques. Pour le curriculum prescrit, les
données analysées sont celles issues des corpus.

3.1 Les principaux traits des curriculums prescrits d’histoire et


de géographie en primaire

 Thèmes, leçons et séances du curriculum prescrit en


chiffre
Le programme éducatif et le guide d’exécution d’histoire-géographie en
vigueur présentent seize thèmes dont huit en histoire et huit en
géographie, vingt-huit (28) leçons en histoire reparties en trente-sept
séances ; vingt-cinq (25) leçons en géographie reparties en quarante (40)
137
séances. Vingt-six (26) séances sont prévues pour les évaluations et les
remédiations en histoire contre vingt-quatre-séances pour la géographie.
Le nombre de leçon par niveau varie entre 12 et 13 tandis que le nombre
de séance varie entre 18 et 20 séances. Une certaine homogénéité se
dégage des propositions des prescripteurs de ces programmes en termes
de nombre de leçon par niveau. Par ailleurs, cette presque uniformité ne
permet pas de faire de différence entre les quatre niveaux d’étude, de
percevoir une gradation. Une particularité est la proposition de séances
essentiellement réservées aux évaluations. Celles-ci ne sont pas
incorporées aux séances de leçons et permettent à l’enseignant d’élaborer
des évaluations en vue de vérifier si les contenus enseignés sont maitrisés
par les élèves.

Tableau 4: Le curriculum prescrit en chiffre

Disciplines Catégories CE1 CE2 CM1 CM2 TOTAUX


interrogées
Histoire Nombre de 02 02 02 02 08
thèmes
Nombre de 07 07 06 06 28
leçons
Nombre de 10 08 09 10 37
séances
Nombre de 06 08 06 06 26
séances
Evaluation+
Remédiation
Géographie Nombre de 02 02 02 02 08
thèmes
Nombre de 06 06 06 07 25
leçons
Nombre de 10 10 10 10 40
séances
Nombre de 06 06 06 06 24
séances
EVA+REM

Le nombre de séance n’est pas fonction du nombre de leçon. La séance


à une durée de trente(30) minutes et est programmé une seule fois par

138
semaine. Il peut s’agir d’une semaine d’histoire ou de géographie.
L’emploi du temps dans l’enseignement primaire ivoirien est national.
Celui de l’année-scolaire 2023-2024 place la séance hebdomadaire
d’histoire-géographie du cours moyen 1 et 2 les lundis de 16h15 à 16h45
pour les CM1 et de 15h30 à 16h pour le CM2 et celle du cours
élémentaire les vendredis après-midi de 15h à 15h30 pour le CE1 et le
CE2.

Tableau 5: Durée hebdomadaire et moment de la semaine de mise en œuvre de


l'histoire-géographie (emploi du temps 2023-2024)

Cours Elémentaire 1 et 2 Cours Moyen 1 et 2


Durée hebdomadaire 30 min 30 min
Moment de la Vendredi après-midi (15h Lundi après-midi (16h15
semaine à 15h30) à 16h45)
Vendredi après-midi (15h Lundi après-midi
à 15h30) (15h30à 16h)
Mode d’alternance Deux semaines d’affilé par Deux semaines d’affilé
entre l’histoire et la discipline par discipline
géographie

 Les différentes orientations thématiques des curriculums


d’histoire et de géographie

Le curriculum prescrit en histoire est centré sur la connaissance de


l’organisation sociale et politique des différentes aires culturelles en Côte
d’Ivoire, ainsi qu’une étude de la Côte d’Ivoire de ses premiers contacts
avec l’Europe, à la colonisation puis à l’indépendance. Aux cours
élémentaires, une focale est mise sur les définitions de notions et
concepts.

Tableau 6: Principales thématiques dans le curriculum prescrit d'histoire

Notions et Etude de Etude des La traite


concepts l’organisation principaux négrière
de base sociale et évènements de
politique des la colonisation à
l’indépendance
139
peuples de de la Côte
Côte d’Ivoire d’Ivoire
Histoire - Le temps - La civilisation - Les premiers La traite
court (CE1) des grands contacts Atlantique
-Le temps groupes (CE2) -La conquête
long (CE2) -organisation coloniale de la
-La politique de France
chronologie certains - l’exploitation
(CM1) peuples coloniale
(Krinjabo, - L’indépendance
Tchaman, de la Côte
Krou) (CM1) d’Ivoire

En géographie, l’orientation des contenus fait se juxtaposer de


nombreuses influences théoriques. Elle est celle d’une géographie
régionale d’obédiences vidalienne et idéographique (P. Hertig, 2018; O.
Orain, 2003). Les contenus sont centrés sur la description des milieux. Il
s’agit d’une promotion d’une « géographie physique » en cours
élémentaire, d’une étude de la démographie ivoirienne en CM1 et d’une
étude des activités économiques de la Côte d’Ivoire en CM2.

Tableau 7: Les principales thématiques du curriculum prescrit de géographie

Etude Etude du Etude de Etude de la


générique milieu la géographie
des éléments physique géographie économique
du milieu ivoirien humaine ivoirienne
physique et ivoirienne
des outils de
la
géographie
Géographie - Le relief -Réalisation - La - L’agriculture
- Le climat de la carte population - Elevage et
- La de la Côte de la Côte pêche
végétation d’Ivoire d’Ivoire - Artisanat et
- Les eaux - le Relief - Les villes industrie
(CE1) - le climat de la Côte - Commerce
- Les outils de - la d’Ivoire (CE2—CM2)
représentation végétation (CM2)
de l’espace (CM1)
140
- Le plan de la
classe
(CE2)

3.2 Des « pratiques ordinaires » d’enseignement de l’histoire-


géographie qui laissent peu de place à la méthode active et au
transfert de compétence

 Des contenus faiblement exécutés en cours élémentaire


L’analyse des cahiers de cours des élèves des années scolaires 2021-2022
et 2022-2023 et des entretiens avec les instituteurs a permis de faire un
état des lieux de l’exécution du programme prescrit du CE1 au CM2.
Ainsi sur treize (13) leçons d’histoire-géographie en CE1, sept (7) sont
exécutés en moyenne ; sur les treize en classe de CE2, neuf (9) sont
exécutés ; en CM1, sur douze leçons (12), dix sont en moyenne mis en
œuvre et enfin en CM2, l’ensemble des treize leçons sont exécutées. Le
taux de leçons non-exécuté reste élevé en CE1 : 46,15%, contre 30, 76%
en CE2 et 16, 66% pour le niveau CM1. Cette situation est due à l’emploi
du temps en grande partie. La programmation des cours d’histoire-
géographie des cours élémentaires les vendredis après-midi est un facteur
limitant. En effet, les interviewés sont unanimes sur le fait qu’il s’agit du
dernier jour de la semaine et ce jour est généralement utilisé par
l’administration scolaire pour des activités de vie scolaire (journée de
salubrité, sport, divertissement). L’enseignant D.K directeur d’école dit à
cet effet que « nous travaillons toute la semaine matin et soir et quand nous arrivons
à vendredi soir le corps est épuisé, moi personnellement je n’ai plus de jus pour faire
cours. Nos pensées sont orientées vers le week-end pour récupérer de la fatigue. »
L’enseignante K.A.N ajoute « en tant qu’enseignante en CE1, il est rare que j’ai
un vendredi soir disponible pour faire cours et comme la programmation est unique et
hebdomadaire, je fais très peu de cours d’histoire-géographie. Je me dis que ceux qui
ont fait l’emploi du temps en sont conscients ». Une autre enseignante SK en
CM1 dit qu’elle arrive quant à elle à finir le programme. Sa méthode à
elle est la suivante : « c’est l’intérêt que je porte à la discipline qui me pousse à finir
le programme. En réalité, on peut ne pas dispenser une séance en trente minutes, moi
141
je vais au-delà pour mieux faire comprendre les contenus aux élèves ». Le directeur
D.K à propos des classes de CM2 dit « qu’il y a un achèvement du programme
parce que c’est une classe d’examen et les enseignants usent de toutes les stratégies pour
achever le programme. »

Tableau 8: Le nombre de leçons exécutées par niveau en primaire

Catégories Disciplines CE1 CE2 CM1 CM2


interrogées
Nombre de leçons dans la Histoire 07 07 06 06
progression prescrite Géographie 06 06 06 07
Histoire -Géo 13 13 12 13
Nombre moyen de leçons Histoire 04 05 05 06
exécutées par année- Géographie 03 04 05 07
scolaire Histoire–géo 07 09 10 13

 Des pratiques ordinaires centrées sur la méthode active et


un rituel dit de l’approche par compétence (APC)
Les différentes séances observées ont permis de décrire les pratiques
ordinaires des enseignant(e)s en cours d’histoire-géographie. Ces
pratiques ordinaires présentent un modèle dominant qui se caractérise
par la mise en œuvre d’un rituel pédagogique dit d’APC et des tentatives
de méthode active. A côté de ces modèles dominant apparaissent des
pratiques non prescrites par les structures de formations.

Tableau 9: Dénominateur commun des différentes pratiques enseignantes ordinaires


observées

Moments Actions de Actions des Techniques Moyens et Durée


observés l’instituteur apprenants pédagogiques supports
utilisées

Présentation - Question sur - Des Brainstorming Tableau 6à8


les prérequis réponses minutes
(notes à gauche sont
du tableau des proposées
propositions des par certains
élèves = élèves
hypothèses)

142
- Situation
d’apprentissage - Les élèves
(inscrite à droite écoutent
du tableau, l’instituteur
lecture et
identification des
tâches)
Développement - Organisation - les élèves Boucle Documents 28 à 35
des élèves en déplacent les didactique textuels ou minutes
groupes tables-bancs iconographiques
d’apprentissage et font du Organisation des
(les tables-bancs bruit élèves par pairs
sont déplacés,
- Distribution
d’un support à
chaque groupe
- L’enseignant - les élèves Travail
tente de calmer par groupe individuel
le bruit donnent des
- A partir de réponses sur
consignes et de leurs
questions, ardoises. Un
l’enseignant des élèves
exploite le d’un groupe
document, il volontaire
inscrit les donne les
réponses au réponses
tableau
- Un résumé est - Les élèves
produit par sont invités à
l’enseignant au prendre le
tableau résumé plu
tard
Evaluation Des tests - certains Travail 1à2
objectifs sont élèves lèvent individuel minutes
proposés aux la main et
élèves à l’oral proposent
une réponse

Le modèle dominant se traduit par le rituel d’APC tel que proposé par
les structures de formations initiales. Il se présente comme suit : la séance
commence par des questions et consignes sur le prérequis des élèves.
Lorsque ces questions et consignes sont bien formulées, les élèves
donnent diverses réponses qui sont consignées au tableau sous la forme
d’hypothèses. L’enseignant valide les bonnes réponses. Une situation
d’apprentissage est proposée, lu et les taches sont dégagées. Il s’ensuit
une distribution des supports (documents textuels ou iconographiques)
aux élèves par groupe d’élèves ou par pairs. Chaque groupe exploite le
document à partir des consignes de l’enseignant. Un groupe volontaire
est désigné pour rendre compte de son travail. Les bonnes réponses sont
validées et servent de résumé pour l’ensemble de la classe. Le résumé est
couvert par un tissu et sera recopié entre midi et deux. Une activité
143
d’application est proposée à l’oral aux élèves. Tous ce processus se
déroulent en trente minutes et a comme conséquence une précipitation,
une course contre la montre des enseignants. L’enseignante SK dit
qu’« on a affaire à un processus de mise en œuvre trop mécanique. Les enseignants
stagiaires qui sont contraints de respecter les trente minutes agissent comme des
robots. »
L’accent est peu mis sur l’exploitation des documents et l’explication des
contenus.
Toutefois des tentatives de mise en œuvre de la méthode active à travers
un questionnement des élèves est au cœur de l’acte d’enseigner. De
nombreux enseignants à travers des consignes et questions tentent une
construction du savoir. Si les enseignants interrogés pensent mettre en
œuvre la méthode active, il convient de signifier qu’il s’agit davantage de
cours magistralo-dialogué. Ils ont recours au constructivisme et au
socioconstructivisme qui sont des approches qui mettent l’élève au cœur
de l’apprentissage. Ces consignes et réponses d’élèves qui entrent dans le
cadre de la boucle didactique (N. Tutiaux-Guillon, 1998) ne sont pas bien
menées. L’enseignant cherche toujours à ce que ce soit la réponse qu’il a
proposé sur sa fiche de leçon qui soit trouvé par l’élève. Le constat
général est une exploitation superficielle des contenus qui est justifiée par
les enseignants par le cloisonnement horaire des séances à trente minutes.
On est loin de la secondarisassions des savoirs car pour l’essentiel des
observations effectuées les enseignants du premier degré ont eu des
difficultés à faire passer les élèves de savoirs « premiers », relevant de
l’expérience quotidienne du monde, à des savoirs « seconds », relevant
du champ de la géographie comme discipline. De plus, les élèves sont
rarement mis en situation de développer une activité cognitive de niveau
élevé. Leur activité consiste principalement à répondre à des questions
qui induisent une prise d’information ponctuelle dans les documents. Les
évaluations en fin de séances se déroulent oralement entre une et deux
minutes. Elles ne permettent pas d’identifier les élèves qui n’ont pas
cerné un contenu en vue d’initier une remédiation et une régulation. En
cours de géographie, les pratiques déclarées sont dominées par des
activités de « description-localisation-nomination » et sont peu propices
à ce que les élèves comprennent les réalités géographiques étudiées.
A côté de ces modèles dominant figurent d’autres pratiques enseignantes
peu recommandés car non promues par les structures de formation
initiales. Dans la course à l’achèvement des programmes surtout en CM2,
144
les pratiques sont celles qui consistent pour l’enseignant d’écrire le
résumé au tableau et à le faire lire par des élèves.
Des écarts émergent des pratiques ordinaires. Il s’agit d’enseignants qui
font copier des résumés sans un recours à la démarche APC ;
l’organisation des apprenants en groupes d’apprentissages est éluder ; les
séances réservées pour les évaluations sont utilisées pour rattraper celles
des séances de cours.

 Les difficultés de mise en œuvre de l’histoire-géographie


en primaire
Trois facteurs reviennent très régulièrement dans les entretiens comme
obstacles à la mise en œuvre des contenus d’histoire-géographie : un
emploi du temps non favorable, une absence de manuels adaptés et des
effectifs pléthoriques des clases

Figure 1: Les obstacles à la mise en œuvre des leçons d'histoire-géographie en primaire

OBSTACLES À LA MISE EN ŒUVRE DE CONTENUS


D'HISTOIRE-GÉOGRAPHIE

Effectifs
pléthoriques
28%

Emplois du
temps non
favorables
Absence de 55%
manuels
adaptés
17%

 Un emploi du temps peu favorable à mise en œuvre des


contenus d’histoire-géographie

La question de la durée et du positionnement de l’histoire-géographie


dans l’emploi du temps est indexée comme une des limites à la mise en
145
œuvre des contenus d’histoire-géographie à 55%. En effet, comme le
soutien le conseiller pédagogique K.M « Prescrire des séances de trente minutes
par semaine peut être considéré comme une volonté de soustraire l’histoire-géographie
des apprentissages en primaire. Il est reconnu de tous que les vendredis sont des jours
consacrés à des activités de la vie scolaire, prescrire des séances ce jour est aussi une
volonté de ne pas voir mettre en œuvre les contenus de cette discipline. » A sa suite,
nous dirons que « comparaison n’est pas raison certes » mais quand nous
prenons le cas de la France, un pays dont se sont inspirés et s’inspirent
les décideurs des programmes scolaires ivoirien, deux heures trente
minutes sont accordées hebdomadairement à l’histoire-géographie. La
posture des instituteurs quant à la critique faite à la durée accordée à
l’histoire-géographie se justifie. Si les stagiaires restent contraints
d’observer cette durée, ce n’est pas le cas des enseignants déjà recrutés
par la fonction publique qui disent aller au-delà de ce temps imparti.

 Des effectifs pléthoriques qui ne facilitent pas


l’organisation de groupes d’apprentissages et les sorties de
terrain

Les effectifs de classe en primaire varient entre soixante et quatre-vingt


élèves en zone urbaine et une moyenne de cinquante en zone rurale.
Cette situation a pour corollaire une gestion difficile de la classe, une
difficulté d’organiser les élèves en groupe d’apprentissage (S. Connac,
2022), à mener des sorties de terrain , les jeux de rôle etc. Les enseignants
interviewés disent ne pas pouvoir organiser les groupes d’apprentissages
en raison de l’exiguïté des salles de classe et des effectifs pléthoriques des
classes. L’instituteur K.F dit « quand j’ai essayé d’organiser les élèves en groupe,
cela a créé un tohu-bohu indescriptible. Les élèves étaient excités, la position de certains
les empêchait de voir ce que j’écrivais au tableau. J’ai depuis ce temps préconisé le
travail par table-banc entre deux ou trois élèves. » Or travailler par table-banc
permet certes une co-construction de savoir mais est loin du travail de
groupe souhaité. Le travail en groupes d’apprentissages favorise un
travail coopératif. D.K à propos des sorties de terrain indique qu’ « elles
sont souhaitées à l’intérieur de l’établissement mais sont limitées par les effectifs d’élèves
par classe et aussi la durée des séances de cours. » Les enseignants n’effectuent
donc pas de sortie de terrain pourtant nécessaire pour mettre en contact
les réalités étudiées (relief, végétation, cours d’eaux en CE1 par exemple,
d’avec les élèves. L’organisation des élèves en groupe d’apprentissage
146
favorise le travail coopératif, une facile circulation et contrôle des
activités des apprenants par l’enseignant, une implication de l’ensemble
des apprenants. Les sorties de terrain mettent les élèves en contact avec
les réalités étudiées. Le jeu de rôle permet une simulation en vue de
l’acquisition d’un savoir-faire expérientiels.

 Une absence de manuels adaptés


Les manuels en vigueur sont ceux des programmes de 2009-2010 sous le
prisme de la Formation par compétence (FPC) ancêtre de l’Approche par
compétence (APC). Certains enseignants les utilisent certes pour avoir
quelques orientations et informations mais ne veulent pas les utiliser avec
les élèves en séance de classe. KAN dit à ce sujet que « je trouve que les
manuels de la FPC qui nous sont proposés ne sont pas adaptés au programme actuel.
Il est difficile de les utiliser pour travailler avec les élèves. » Ce « rejet » des manuels
est une des difficultés de mise en œuvre de certains contenus d’histoire-
géographie. Une des leçons d’histoire portant sur le royaume de Kong en
CM1 par exemple, est citée par les enseignants comme n’étant pas
présente dans les manuels et pose une difficulté de recherche de contenu.
L’enseignant K.A en milieu rural dit à cet effet qu’ « il y a des leçons dans les
progressions qui n’existent pas dans les manuels. En milieu rural, nous n’avons pas
tous accès à internet et nous avons des difficultés à faire des recherches sur ces
contenus. » Ici, est mis en avant la disparité entre le milieu urbain et le
milieu rural dans l’accès au savoir savant. La question du passage du
savoir savant au savoir enseigné n’est pas prise en compte par les
enseignants. Subséquemment, on a des enseignants qui ont une faible
maîtrise des contenus à enseigner. La plupart des enseignants en primaire
considèrent les manuels comme un creuset de savoir savant et ont du mal
à aller plus loin (lecture de livre sur un sujet). Toutefois, ces manuels
d’FPC, peuvent résoudre la question de production de supports par les
enseignants. En effet, la plupart des supports produits par les enseignants
sont de faibles qualités et souvent insuffisants.

3.3 Des recommandations didactiques nécessaires


Les recommandations que nous suggérons à la suite de l’analyse des
données que nous avons recueillies s’appuient sur les trois composantes
du triangle didactique à savoir l’enseignant, les élèves et le savoir. La
relation didactique est celle qui lie l’enseignant au savoir. Toutefois quel

147
est le profil voir le portrait de l’enseignant du primaire aujourd’hui ? Quel
est celui du professeur de CAFOP ? Comprendre ces profils nous aidera
à comprendre ce qui est proposé aux instituteurs stagiaires dans les
CAFOP. Nous évoquerons aussi le profil des élèves avant de suggérer
des propositions.
Le professeur de CAFOP d’histoire-géographie est un instituteur
ordinaire qui n’a aucune formation universitaire en histoire-géographie
et qui après un certain nombre d’année postule au concours
professionnel d’entrée à l’ENS pour une formation de deux ans dont une
en formation initiale et une en stage dans un CAFOP. Ce « formé » a-t-il
le « bagage intellectuel » nécessaire en histoire-géographie pour
prétendre former des instituteurs ? Nous pensons que non. En effet,
l’ENS propose certes des contenus universitaires aux étudiants qu’ils
forment mais la pratique a démontré que ces futurs professeurs de
CAFOP sont de faibles niveaux sur le plan disciplinaire. In fine, ce sont
des formateurs qui se focalisent sur des aspects pédagogiques de
formation sans se montrer maître de leur connaissance.
Nous proposons que ces professeurs d’histoire-géographie de CAFOP
soient titulaires d’un diplôme universitaire en histoire-géographie comme
leurs collègues qui postulent concours professionnel en vue d’exercer
comme professeur de collège. Être un ancien instituteur est certes un
critère important mais ne saurait être la seule condition pour accéder à la
formation d’autres enseignants à l’histoire-géographie. A propos des
instituteurs, il présente un profil qui amène à prendre du recul quant à
leur capacité à être des « maîtres ». Depuis plus d’une décennie, pour
postuler au concours d’entrée au CAFOP, le ministère de l’éducation
nationale organisateur du concours offre la quasi-totalité des postes au
titulaire du BEPC. Evoquant le niveau de ces instituteurs, D.K qui a
encadré des instituteurs stagiaires, nous dit que « le niveau des stagiaires que
nous avions il y a trois ans était très faible. Ils avaient de nombreuses lacunes à l’écrit
comme à l’oral ». Sans spéculer sur les motivations d’un tel choix, nous
pensons qu’un enseignant qui a un niveau 3e a nécessairement des
difficultés globales. Enseigner l’histoire-géographie nécessite un certain
nombre de connaissances dans ces disciplines et des dispositions en
termes de maîtrise des enjeux. En formation dans les CAFOP, les
formateurs doivent tenir compte des insuffisances des futurs instituteurs.
Une fois recruté, c’est la démotivation qui gagne le rang des enseignants.
En effet, ils disent que le ministère ainsi que certaines ONG leur ont
148
arraché ‘’l’autorité du maître’’. D.K dit pour se faire qu’ « aujourd’hui, les
enfants ont davantage de droits que nous, ils décident quand ils veulent faire cours,
faire des exercices, copier leurs leçons. Ils nous écoutent à peine. Cette situation nous
démotive ». Ce facteur expliquant la démotivation de certains enseignants
doit être traité par une analyse sociologique du contexte dans lequel
évoluent les écoles en Côte d’Ivoire en vue de trouver une solution.
Les progressions annuelles d’histoire-géographie sont longues. Nous
proposons dix leçons en moyenne par niveaux et une augmentation de
la durée hebdomadaire des séances. Passer de 30 minutes à deux heures
par semaine en maintenant les 30 minutes par séance par exemple,
permettra aux enseignants de mieux organiser les enseignements.
Le profil des élèves est une donnée importante à prendre en compte. En
effet, ils accèdent en CE1 entre 7 et 8 ans et en CM2 entre 10 et 12 ans.
A cet âge mental, l’usage de documents textuels paraît abstrait. Les
stratégies pédagogiques mettant les élèves en contact avec leur milieu
proche surtout en géographie sont à privilégier. Les travaux en thèse de
géographie d’Elsa Philâtre (2021) sur l’école primaire nous édifient sur
la question.

Conclusion

L’analyse du curriculum prescrit d’histoire-géographie en primaire


ivoirien a permis d’en ressortir les principales caractéristiques. Les
thématiques en histoire sont centrées sur l’étude de l’organisation sociale
et politique des principales aires culturelles en Côte d’Ivoire, ainsi que la
Côte d’Ivoire coloniale. En géographie, les contenus sont centrés sur la
description des milieux ivoiriens et évincent la relation homme/milieu.
L’APC dans sa mise en œuvre actuelle, n’a pas encore atteint ses objectifs
en primaire. La transmission de savoirs au détriment d’un transfert de
savoir-faire et d’un savoir-être aux élèves, reste au cœur des
apprentissages. La mise en œuvre des contenus se fait dans le cadre de
cours magistralo-dialogué et des rituels de l’approche par compétence
(APC). Les progressions ne sont pas achevées surtout en cours
élémentaires en raison d’une durée de séance hebdomadaire insuffisante.
Les autres facteurs limitant dans la mise en œuvre de l’histoire-
géographie sont : des manuels inadaptés, des établissements sous-
équipés, des effectifs pléthoriques des classes etc.

149
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