Génération Snowflake
La génération Snowflake (« flocon de neige » en anglais) désigne au Royaume-Uni et aux États-Unis les générations dites Y et Z, en insistant sur leurs prétendues fragilité émotionnelle et incapacité à supporter l'expression d'opinions contraires aux leurs[1].
D'après la journaliste Hélaine Lefrançois, il s'agit d'un terme péjoratif voire insultant[1]. Son usage s'est développé à partir de , notamment sous la plume de polémistes très à droite[1] voire d'extrême-droite (alt-right et far-right)[2],[3].
Origine
[modifier | modifier le code]Le concept vient de l'ouvrage de ‘I Find That Offensive!’ de Claire Fox[4], une ancienne militante communiste britannique. L'expression proviendrait d'une réplique du roman Fight Club publié en , reprise dans l'adaptation cinématographique Fight Club en , où l'un des personnages dit : « Vous n'êtes pas exceptionnels. Vous n'êtes pas un flocon de neige, merveilleux et unique. Vous êtes faits de la même substance organique pourrissante que tout le reste. »[a],[10],[11].
La même année, le mot est salué par le Collins English Dictionary (en) comme un des dix mots ayant marqué 2016[12].
Fondements
[modifier | modifier le code]Ce comportement allégué serait imputable à l'hyperprotection dont auraient bénéficié les jeunes adultes concernés pendant leur enfance, maintenus par leurs parents et le corps enseignant à l'abri de toute critique. En ayant supposément renforcé leur estime de soi, c'est aussi leur narcissisme qu'on aurait développé, ainsi que la conviction que les autres auraient des devoirs envers eux[10].
Les membres de ces générations seraient incapables d'affronter une contradiction dans leur vision du monde qu'ils tiendraient pour la seule valide. Cela aurait pour conséquence qu'ils exigeraient de ne pas avoir à subir de confrontation à d'autres idées. Ils auraient ainsi développé la cancel culture[11]. Dans les universités américaines puis britanniques, ils réclameraient par exemple la mise en place d'espaces sécurisés réservés à des groupes spécifiques (les safe spaces)[11] et des messages d'avertissements pour les protéger de contenus potentiellement choquants dans leurs lectures (trigger warnings)[13].
Politisation
[modifier | modifier le code]À la suite du résultat du référendum de en faveur du Brexit au Royaume-Uni et de l'élection en de Donald Trump comme 45e président des États-Unis, l'expression « génération snowflake » a souvent été raccourcie pour devenir simplement « snowflake » et est devenue une insulte politisée. Un article de du Guardian commente : « Jusqu'à très récemment, qualifier quelqu'un de « snowflake » aurait impliqué le mot « génération » »[3].
Dans un article du Los Angeles Times, Jessica Roy affirme que l'alt-right aux États-Unis décrit de manière péjorative la plupart des libéraux et ceux qui protestent contre Donald Trump comme des « flocons de neige »[14]. Un article de de ThinkProgress (en) a commenté : « L'insulte s'est étendue pour englober non seulement les jeunes, mais aussi les libéraux de tous âges ; elle est devenue l'épithète de choix que les gens de droite lancent à tous ceux qui peuvent être accusés d'être trop facilement offensés, d'avoir trop besoin d'« espaces sûrs », d'être trop fragiles ». Jonathon Green (en), rédacteur en chef du Green's Dictionary of Slang (en), souligne que snowflake est une insulte inhabituelle en ce sens qu'elle qualifie quelqu'un de faible et de fragile sans utiliser de références misogynes ou homophobes[15].
L'acteur George Takei a étendu la métaphore pour souligner le pouvoir des flocons de neige, en disant : « Le problème avec les « snowflakes », c'est qu'ils sont beaux et uniques : ils sont beaux et uniques, mais en grand nombre, ils deviennent une avalanche imparable qui vous ensevelit »[15]. D'autres ont retourné l'insulte contre les partisans de la droite, affirmant que les « pleurnicheurs hypersensibles se trouvent sur tout le spectre politique », y compris le président Trump. Le comédien Neal Brennan a qualifié Donald Trump de « plus grand snowflake d'Amérique »[15], tandis qu'un article d'opinion publié en par The Guardian qualifie le président Trump de « snowflake en chef »[16] et que le commentateur Van Jones de CNN a qualifié Trump de « président snowflake » en raison de sa réponse à l'enquête du FBI sur le Russiagate en [17].
Shelly Haslam-Ormerod, maîtresse de conférences en santé mentale et bien-être à l'université Edge Hill, a vivement critiqué l'utilisation de ce terme, arguant dans The Conversation qu'il stigmatise les problèmes de santé mentale auxquels sont confrontés les jeunes d'aujourd'hui dans un monde incertain et notant que même des enfants de moins de 10 ans ont été injustement qualifiés de « snowflakes » dans des articles de tabloïds[18].
En , une agence de communication américaine a créé un « snowflake test »[19] destiné à être utilisé dans son processus d'embauche pour « écarter les candidats trop sensibles, libéraux et trop facilement offensés ». De nombreuses questions ont été conçues pour évaluer la position d'un candidat sur l'Amérique, la police et les armes à feu[20]. Le psychologue et universitaire de l'Alliance Manchester Business School (en) de l'université de Manchester Cary Cooper suggère qu'il s'agit d'une mauvaise stratégie pour attirer de jeunes travailleurs talentueux[21].
Le terme « broflake » (de « bro » et « snowflake ») est un terme péjoratif apparenté que les dictionnaires Oxford définissent comme « un homme qui est facilement contrarié ou offensé par des attitudes progressistes qui entrent en conflit avec ses opinions plus conventionnelles ou conservatrices »[22],[23]. Ce terme a également été appliqué aux femmes, dans le sens plus général de quelqu'un qui prétend ne pas être facilement offensé, mais qui l'est souvent[23].
Dans son Manifeste rabat-joie féministe (The Feminist Killjoy Handbook), la philosophe britannique Sara Ahmed commente l'appellation en remarquant qu'elle reviendrait à taxer d'« hypersensibilité » des personnes qui continuent d'être sensibles à des problèmes que d'autres estiment être réglés (comme le racisme, le sexisme, la transphobie). Elle appelle au contraire à affûter la sensibilité politique aux côtés des « flocons de neige » hypersensibles et des rabat-joies[pas clair][24][source insuffisante].
Notes et références
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]« You are not a beautiful and unique snowflake. You are the same decaying organic matter as everyone else, and we are all part of the same compost pile. »
« Vous n'êtes pas un beau flocon de neige unique. »
« Listen up, maggots. You are not special. You are not the beautiful or unique snowflake. You are the same decaying organic matter as everything else. We are the all-singing, all-dancing crap of the world. We are all part of the same compost heap. »
« Écoutez-moi, bande d'asticots. Vous n'êtes pas exceptionnels. Vous n'êtes pas un flocon de neige, merveilleux et unique. Vous êtes faits de la même substance organique pourrissante que tout le reste. Nous sommes la merde de ce monde prête à servir à tout. Nous appartenons tous au même tas d'humus en décomposition. »
Références
[modifier | modifier le code]- Hélaine Lefrançois, « Comment « flocon de neige » est devenu une insulte pour toute une génération » [archive du ], sur Konbini, (consulté le ).
- Guillaume Gendron, « La culture Alt-Right : de l’extrême droite française à «Fight Club» », Libération (consulté le ).
- (en-GB) Rebecca Nicholson, « ‘Poor little snowflake’ – the defining insult of 2016 », The Guardian, (consulté le ).
- Fox 2016.
- (en-US) Chuck Palahniuk, Fight Club, New York, W. W. Norton & Company, , 208 p. (ISBN 0-393-03976-5 et 0-393-32734-5), chap. 17, p. 134 [lire en ligne].
- Chuck Palahniuk (trad. Freddy Michalski), Fight Club, Paris, Gallimard, coll. « La Noire » (no 74), , 264 p. (ISBN 2-07-074855-3), chap. 17, p. ??, puis coll. « Folio / SF » (no 95), (réimpr. 2013), 290 p. (ISBN 2-07-042240-2) () (ISBN 978-2-07-045561-4) (), p. 193.
- (en-US) « No, 'Snowflake' as a Slang Term Did Not Begin with 'Fight Club' : The lost history of 'snowflake' », sur merriam-webster.com, Merriam-Webster.
- (en) Gayathri Anuradha, « Calling Youngsters Snowflakes Damages Their Mental Health, Research Says », International Business Times, .
- Jewell 2022, [lire en ligne].
- Brice Couturier, « Les campus américains et la génération « flocons de neige » », France Culture, (consulté le ).
- Brice Couturier, « La liberté de dire aux gens ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre », Le Tour du monde des idées, France Culture, (consulté le ).
- (en-GB) Jacob Stolworthy, « Collins Dictionary's 10 words of the year, from 'Brexit' and 'snowflake generation' to 'JOMO' », The Independent, .
- (en) I. O. Alyeksyeyeva, « Defining snowflake in British post-Brexit and US post-election public discourse », Science and Education a New Dimension. Philology, vol. 39, no 143, , p. 7–10 (lire en ligne).
- (en-US) Jessica Roy, « Analysis:: 'Cuck,' 'snowflake,' 'masculinist': A guide to the language of the 'alt-right' », Los Angeles Times, (consulté le ).
- (en-US) Mark Peters, « Some ‘snowflakes’ can take the heat », The Boston Globe, (consulté le ).
- (en-GB) John Paul Brammer, « America: behold, your Snowflake-in-Chief », The Guardian, (lire en ligne, consulté le ).
- (en-US) « Van Jones: Trump is ‘President Snowflake’ » [vidéo], CNN Politics, CNN, (consulté le ).
- (en-US) Shelly Haslam-Ormerod, « ‘Snowflake millennial’ label is inaccurate and reverses progress to destigmatise mental health », sur The Conversation, (consulté le ).
- (en-US) « The Original CEO Snowflake Test: Are You A Snowflake? », sur goforquiz.com, (consulté le ).
- (en-GB) Ben Chapman, « CEO uses 'snowflake' test when hiring to avoid 'whiny millennials' », The Independent, (consulté le ).
- (en-GB) Cary Cooper, « The legitimate concerns of ‘snowflake’ workers », Worklife, BBC, (consulté le ).
- (en-gb) « broflake | Definition of broflake in English by Oxford Dictionaries », sur oxforddictionaries.com (version du sur Internet Archive).
- (en) « Fragile masculinity on thin ice: Broflake », The Economic Times, (consulté le ).
- (en) Sara Ahmed, « The Feminist Killjoy Handbook », Penguin, (consulté le ).
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- (en) Claire Fox, ‘I Find That Offensive!’, Londres, Biteback, coll. « Provocations », , 179 p. (ISBN 978-1-849-54981-3 et 978-1-78590-055-6, lire en ligne).
- (en) Claire Fox, ‘I Still Find That Offensive!’, Londres, Biteback, coll. « Provocations », , 217 p. (ISBN 978-1-78590-421-9 et 978-1-78590-416-5, lire en ligne).
- (en) Hannah Jewell, We Need Snowflakes : In defence of the sensitive, the angry and the offended, Londres, Coronet (Hodder & Stoughton), , 304 p. (ISBN 978-1-4736-7213-0, 978-1-4736-7214-7, 978-1-4736-7215-4 et 978-1-4736-7216-1, lire en ligne).