Papers by François ROBINNE
Moussons, 2024
L'échange généralisé par-delà l'ethnicité Systèmes politiques et organisations sociales La consis... more L'échange généralisé par-delà l'ethnicité Systèmes politiques et organisations sociales La consistance des carrefours sociaux est au centre de cette réflexion ; une consistance sans laquelle un espace carrefour resterait un non-lieu, mais qui ne saurait pas plus se réduire à l'agglutinement de ses composantes. En ce sens, les confins himalayens de Birmanie dont il est ici question ne sont pas compris comme une « mosaïque ethnique » selon l'expression autrefois consacrée, mais en tant que « totalité hétérogène », m'appropriant le concept développé dans un tout autre contexte par Sylvain Lazarus (1996 : 108). On le voit, l'objet d'étude n'est donc pas à proprement parler l'analyse d'un système de parenté connu sous le nom d'échange généralisé, ni même l'organisation sociale d'un groupe ethnique considéré isolément. M'inscrivant dans la lignée d'auteurs tels que Rogers Brubaker (2004) dénonçant toute forme de « groupisme », ou Michel Agier (2013) invitant * François Robinne est anthropologue, directeur de recherche émérite, membre d'Aix Marseille Univ, CNRS, IrAsia, Marseille, France. Ses travaux portent sur les espaces transethniques, la sociographie du bouddhisme, les déplacements de populations et les formes de recomposition sociale. Dans Birmanie. Par-delà l'ethnicité (Dépaysage 2021), il s'empare des paysages hétérogènes pour interroger la consistance des carrefours sociaux.
Depuis le coup d'État militaire du 1 er février 2021, la Birmanie 1 plonge dans un régime de terr... more Depuis le coup d'État militaire du 1 er février 2021, la Birmanie 1 plonge dans un régime de terreur systémique. Resituée dans ce contexte, l'expression « désocialisation totalitaire » renvoie tout autant à un processus de vulnérabilisation imputable aux régimes autoritaires dépourvus d'aspiration idéologique et sans prétention universelle, qu'à la notion de fait social total étendu au champ d'actions coercitives d'une junte à l'encontre de son propre peuple. En ce sens, la désocialisation totalitaire touche aussi bien aux dimensions les plus matérielles de la vie quotidienne qu'aux aspects les plus sensibles d'une vie fracassée, en vertu de quoi tout un chacun se trouve en demeure de composer. Composer avec les contraintes-dont la chasse à l'homme en cours constitue l'une des formes les plus dramatiques-, c'est notamment répondre à l'impératif d'improviser au jour le jour un semblant de vie. Dans cette phase d'incertitude, faite d'anxiétés pour cadre de vie, d'indésirabilité aux yeux d'un État terroriste et de marge intégrale pour unique horizon (Lindquist 2009 ; Agier 2013, 2022 ; Campbell 2022), composer avec les contraintes, c'est aussi poser les jalons d'un devenir individuel et collectif conceptuellement flou. Sur le plan méthodologique, un premier choix significatif pour rendre compte de cette incertitude généralisée concerne l'espace-temps des enquêtes de terrains menées depuis le coup d'État. Un de leurs traits communs est d'avoir
Anthropologie et sociétés 47-3 AVIS de parution, 2023
On the other Side of the Border. What Forms of Socialization in a Context of Totalitarian Desocia... more On the other Side of the Border. What Forms of Socialization in a Context of Totalitarian Desocialization?
The crossing of the border is at the centre of this reflection; thus said, without further clarification, nothing but very common, in anthropology, to any form of social change. The fact of considering it in the following in relation to the dictatorial context and its weight on Burmese society gives a more dramatic scope, made up of broken life courses and departures to the transnational, of which contemporary Burma is customary. In its most everyday dimension envisaged here, the crossing is discovered polymorphic, at the same time ideological, generational, and territorial. The multi-situated approach—Burma, Thailand, France—with a “Generation Z” for whom the age criterion turns out to be secondary tends to show that if the
44 FRANÇOIS ROBINNE
military coup of the 1st of February 2021 is perceived as the fragmentation of both the country and the society, it paradoxically produces a form of community membership—or a sense of common belonging—around revisited traditional values. In this sense, the problematic of totalitarian repression as a catalyst and accelerator of social change is intended to be more global in scope than the only Burma taken here for case study.
Keywords: Robinne, Burma, coup d’état, multi-situated approach, emotion, violence and non- violence, respect and fear, perspectives, political awareness
Depuis le tournant des années 2000 et, plus récemment encore, depuis 2015 et la politique d'intég... more Depuis le tournant des années 2000 et, plus récemment encore, depuis 2015 et la politique d'intégration économique engagée entre les dix pays membres de l'Association des nations d'Asie du Sud-Est (Asean) 1 , les flux migratoires intra-asiatiques connaissent un développement exponentiel. Dans ce contexte de libre-échange, la Thaïlande a vu en vingt ans, entre 1995 et 2015, le nombre d'entrants quadrupler pour un total estimé aujourd'hui à 4 millions d'immigrés, devenant dans le même laps de temps le premier pays d'accueil d'Asie du Sud-Est (55 %), loin devant la Malaisie (22 %) et Singapour (19 %) (Testaverde et al. 2017 : 2 et 40). La mégapole Bangkok-environ douze millions d'habitants-fait figure de pôle de convergence privilégié et les enclaves urbaines où vivent une partie des travailleurs migrants, de part résiduelle de cette géopolitique en marche. Le nombre de ces travailleurs migrants peut être très variable d'une enclave à l'autre, de 50 à 2000 personnes pour les plus petites [site 1 de Rama IX, voir Carte], généralement les plus anciennes, jusqu'à 10 000 et 20 000 résidents dans les implantations les plus récentes [sites 3 et 4 d'Asok et de Ratchadaphisek] 2 .
ASEANIE 2008, 22: 121-150
Abstract
The districts of Thibaw and of Nyaung-Shwe (Inle Lake), situated respectively in the nor... more Abstract
The districts of Thibaw and of Nyaung-Shwe (Inle Lake), situated respectively in the northern and southern parts of the Shan State of Burma, are characterised by an important linguistic and cultural diversity as well as by strong and dynamic links between villages. In these districts, the hierarchical pattern of the administration of the Shan princes (sawbwas) exerted a strict control over the economic and religious networks until the Burmese military coup in 1962. However, since 1962, the evolution of two local processional ceremonies around Inle and Thibaw has played a significant role in the restructuration of the local interethnic relationships and social “ landscape.” Actually, these ceremonies evolved in opposite ways : while processions at Inle have continued through a steady expansion both in terms of geographic coverage and duration, the ritual at Thibaw “ shrank” from a processional ceremony spread over a sizeable area to a “ confined” local pagoda festival. However, despite this marked contrast, the result in both cases is a marginalisation of the regional networks and of the interethnic links. Understood in the context of the interethnic dynamics they used to be part of, the role of the processional rituals at Inle and Thibaw has become less and less significant— be it as key factors of social bondage between the ethnic communities, or as tools of mutual appropriation of the social landscape by these communities. The progressive stranglehold accomplished by the Burmese central power on such rituals took a drastic turn in the early 1990s, an era that saw the institution of a parade on Lake Kandawgyi in Yangon. Mostly corporatist, this parade constitutes a secular incarnation of the Buddhist rituals from which it is derived.
Résumé
Les régions de Thibaw et de Nyaung-Shwé (lac Inlé), respectivement au nord et au sud de l’État shan de Birmanie, sont caractérisées toutes deux par une diversité linguistique et culturelle qui n’a d’égal que la dynamique des relations villageoises. L’administration hiérarchisée des puissants princes shan (sawbwa) y régula jusqu’au coup d’État birman de 1962 les réseaux d’échanges économiques et religieux. Le développement contrasté des cérémonies processionnelles bouddhiques d’Inlé et de Thibaw participe au processus de recomposition des relations interethniques et à la cohérence d’ensemble. Les deux processions connurent une évolution contraire : la première se développa de façon conséquente dans l’espace et dans le temps, tandis que la seconde retrouva sa forme originelle de fête de pagode. Les effets n’en furent pas moins similaires : dans les deux cas le processus engagé joua au détriment, sinon des réseaux d’échange, du moins des rapports de force. Resitués dans la dynamique interethnique où ils évoluent, les rituels processionnels font de moins en moins office de vecteur privilégié du lien communautaire et du processus d’appropriation du paysage social. La captation de ces rituels par le pouvoir central birman s’accéléra au tournant des années 1990, avec notamment la création d’une parade sur le lac Kandawkyi à Rangoun. À dominante corporatiste, elle est une forme sécularisée des rituels bouddhiques dont elle s’inspire.
Monde commun 2023/1 (N° 8), pages 52 à 73 Éditions Presses Universitaires de France, 2023
Plutôt que de les réduire au récent coup d’État – le quatrième en soixante-quinze ans d’indépenda... more Plutôt que de les réduire au récent coup d’État – le quatrième en soixante-quinze ans d’indépendance, dont une cinquantaine sous dictature – les faits de violences extrêmes sont corrélés à la récur- rence des conflits interethniques, à l’émergence de nationalismes
bouddhiques d’un genre nouveau et à la dimension systémique d’une terreur latente, la « violence diffuse », voile sombre de la propa- gande, de la rumeur et de délation dont se drape l’emprise totalitaire. Un tel regard croisé ambitionne de dépasser les contingences afin d’envisager de manière plus structurelle les raisons pour lesquelles la guerre civile infuse et se propage depuis sept décennies. Car quand bien même il faut concéder aux dictateurs l’art de s’assigner des ennemis, c’est un fait que la guerre civile en Birmanie se déve- loppe tous régimes politiques confondus, dictatures ou démocraties. C’est ce paradoxe qu’il importe ici de décrypter, avec, en filigrane, la posture de l’anthropologue confronté à ces terrains instables
Par contraste avec la prégnance essentialiste peinant à s'émanciper de l'ethnos, l'étude des carr... more Par contraste avec la prégnance essentialiste peinant à s'émanciper de l'ethnos, l'étude des carrefours sociaux affleure la condition humaine dans ce qu'elle peut avoir de plus diffuse et de plus cosmopolite, de plus universelle également. De manière significative, la notion même de "carrefours et de places où les hommes se croisent, se rencontrent et se rassemblent" apparait en filigrane dans la définition du "lieu anthropologique" tel que l'entend Marc Augé (1992 : 74, 76, 90, 93). En Birmanie sans doute plus qu'ailleurs, où l'ethnicité est une forme supérieure de religion, partout où les nationalismes trouvent à se déployer dans le sillage des dictatures et autres populismes dont la globalisation constitue le terreau, dérouler le fil conceptuel qu'est le sentiment d’appartenance commune est à bien des égards une gageure ; d'autant que c'est une chose de prétendre embrasser les carrefours sociaux, encore faut-il en évaluer la consistance.
Journal of Burma Studies, 2015
HAL is a multidisciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific re... more HAL is a multidisciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.
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Cahiers de l'Asie du Sud-Est, 1990
Birmanie: le peuple résiste, 2022
Enjeux internationaux
Aséanie, 2008
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Bubble Art Podcast, 2022
2 podcast vidéo de 10" et de 56", entretiens de Pierre-Alain Gourion (Bubble Art) avec François R... more 2 podcast vidéo de 10" et de 56", entretiens de Pierre-Alain Gourion (Bubble Art) avec François Robinne
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Papers by François ROBINNE
The crossing of the border is at the centre of this reflection; thus said, without further clarification, nothing but very common, in anthropology, to any form of social change. The fact of considering it in the following in relation to the dictatorial context and its weight on Burmese society gives a more dramatic scope, made up of broken life courses and departures to the transnational, of which contemporary Burma is customary. In its most everyday dimension envisaged here, the crossing is discovered polymorphic, at the same time ideological, generational, and territorial. The multi-situated approach—Burma, Thailand, France—with a “Generation Z” for whom the age criterion turns out to be secondary tends to show that if the
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military coup of the 1st of February 2021 is perceived as the fragmentation of both the country and the society, it paradoxically produces a form of community membership—or a sense of common belonging—around revisited traditional values. In this sense, the problematic of totalitarian repression as a catalyst and accelerator of social change is intended to be more global in scope than the only Burma taken here for case study.
Keywords: Robinne, Burma, coup d’état, multi-situated approach, emotion, violence and non- violence, respect and fear, perspectives, political awareness
The districts of Thibaw and of Nyaung-Shwe (Inle Lake), situated respectively in the northern and southern parts of the Shan State of Burma, are characterised by an important linguistic and cultural diversity as well as by strong and dynamic links between villages. In these districts, the hierarchical pattern of the administration of the Shan princes (sawbwas) exerted a strict control over the economic and religious networks until the Burmese military coup in 1962. However, since 1962, the evolution of two local processional ceremonies around Inle and Thibaw has played a significant role in the restructuration of the local interethnic relationships and social “ landscape.” Actually, these ceremonies evolved in opposite ways : while processions at Inle have continued through a steady expansion both in terms of geographic coverage and duration, the ritual at Thibaw “ shrank” from a processional ceremony spread over a sizeable area to a “ confined” local pagoda festival. However, despite this marked contrast, the result in both cases is a marginalisation of the regional networks and of the interethnic links. Understood in the context of the interethnic dynamics they used to be part of, the role of the processional rituals at Inle and Thibaw has become less and less significant— be it as key factors of social bondage between the ethnic communities, or as tools of mutual appropriation of the social landscape by these communities. The progressive stranglehold accomplished by the Burmese central power on such rituals took a drastic turn in the early 1990s, an era that saw the institution of a parade on Lake Kandawgyi in Yangon. Mostly corporatist, this parade constitutes a secular incarnation of the Buddhist rituals from which it is derived.
Résumé
Les régions de Thibaw et de Nyaung-Shwé (lac Inlé), respectivement au nord et au sud de l’État shan de Birmanie, sont caractérisées toutes deux par une diversité linguistique et culturelle qui n’a d’égal que la dynamique des relations villageoises. L’administration hiérarchisée des puissants princes shan (sawbwa) y régula jusqu’au coup d’État birman de 1962 les réseaux d’échanges économiques et religieux. Le développement contrasté des cérémonies processionnelles bouddhiques d’Inlé et de Thibaw participe au processus de recomposition des relations interethniques et à la cohérence d’ensemble. Les deux processions connurent une évolution contraire : la première se développa de façon conséquente dans l’espace et dans le temps, tandis que la seconde retrouva sa forme originelle de fête de pagode. Les effets n’en furent pas moins similaires : dans les deux cas le processus engagé joua au détriment, sinon des réseaux d’échange, du moins des rapports de force. Resitués dans la dynamique interethnique où ils évoluent, les rituels processionnels font de moins en moins office de vecteur privilégié du lien communautaire et du processus d’appropriation du paysage social. La captation de ces rituels par le pouvoir central birman s’accéléra au tournant des années 1990, avec notamment la création d’une parade sur le lac Kandawkyi à Rangoun. À dominante corporatiste, elle est une forme sécularisée des rituels bouddhiques dont elle s’inspire.
bouddhiques d’un genre nouveau et à la dimension systémique d’une terreur latente, la « violence diffuse », voile sombre de la propa- gande, de la rumeur et de délation dont se drape l’emprise totalitaire. Un tel regard croisé ambitionne de dépasser les contingences afin d’envisager de manière plus structurelle les raisons pour lesquelles la guerre civile infuse et se propage depuis sept décennies. Car quand bien même il faut concéder aux dictateurs l’art de s’assigner des ennemis, c’est un fait que la guerre civile en Birmanie se déve- loppe tous régimes politiques confondus, dictatures ou démocraties. C’est ce paradoxe qu’il importe ici de décrypter, avec, en filigrane, la posture de l’anthropologue confronté à ces terrains instables
The crossing of the border is at the centre of this reflection; thus said, without further clarification, nothing but very common, in anthropology, to any form of social change. The fact of considering it in the following in relation to the dictatorial context and its weight on Burmese society gives a more dramatic scope, made up of broken life courses and departures to the transnational, of which contemporary Burma is customary. In its most everyday dimension envisaged here, the crossing is discovered polymorphic, at the same time ideological, generational, and territorial. The multi-situated approach—Burma, Thailand, France—with a “Generation Z” for whom the age criterion turns out to be secondary tends to show that if the
44 FRANÇOIS ROBINNE
military coup of the 1st of February 2021 is perceived as the fragmentation of both the country and the society, it paradoxically produces a form of community membership—or a sense of common belonging—around revisited traditional values. In this sense, the problematic of totalitarian repression as a catalyst and accelerator of social change is intended to be more global in scope than the only Burma taken here for case study.
Keywords: Robinne, Burma, coup d’état, multi-situated approach, emotion, violence and non- violence, respect and fear, perspectives, political awareness
The districts of Thibaw and of Nyaung-Shwe (Inle Lake), situated respectively in the northern and southern parts of the Shan State of Burma, are characterised by an important linguistic and cultural diversity as well as by strong and dynamic links between villages. In these districts, the hierarchical pattern of the administration of the Shan princes (sawbwas) exerted a strict control over the economic and religious networks until the Burmese military coup in 1962. However, since 1962, the evolution of two local processional ceremonies around Inle and Thibaw has played a significant role in the restructuration of the local interethnic relationships and social “ landscape.” Actually, these ceremonies evolved in opposite ways : while processions at Inle have continued through a steady expansion both in terms of geographic coverage and duration, the ritual at Thibaw “ shrank” from a processional ceremony spread over a sizeable area to a “ confined” local pagoda festival. However, despite this marked contrast, the result in both cases is a marginalisation of the regional networks and of the interethnic links. Understood in the context of the interethnic dynamics they used to be part of, the role of the processional rituals at Inle and Thibaw has become less and less significant— be it as key factors of social bondage between the ethnic communities, or as tools of mutual appropriation of the social landscape by these communities. The progressive stranglehold accomplished by the Burmese central power on such rituals took a drastic turn in the early 1990s, an era that saw the institution of a parade on Lake Kandawgyi in Yangon. Mostly corporatist, this parade constitutes a secular incarnation of the Buddhist rituals from which it is derived.
Résumé
Les régions de Thibaw et de Nyaung-Shwé (lac Inlé), respectivement au nord et au sud de l’État shan de Birmanie, sont caractérisées toutes deux par une diversité linguistique et culturelle qui n’a d’égal que la dynamique des relations villageoises. L’administration hiérarchisée des puissants princes shan (sawbwa) y régula jusqu’au coup d’État birman de 1962 les réseaux d’échanges économiques et religieux. Le développement contrasté des cérémonies processionnelles bouddhiques d’Inlé et de Thibaw participe au processus de recomposition des relations interethniques et à la cohérence d’ensemble. Les deux processions connurent une évolution contraire : la première se développa de façon conséquente dans l’espace et dans le temps, tandis que la seconde retrouva sa forme originelle de fête de pagode. Les effets n’en furent pas moins similaires : dans les deux cas le processus engagé joua au détriment, sinon des réseaux d’échange, du moins des rapports de force. Resitués dans la dynamique interethnique où ils évoluent, les rituels processionnels font de moins en moins office de vecteur privilégié du lien communautaire et du processus d’appropriation du paysage social. La captation de ces rituels par le pouvoir central birman s’accéléra au tournant des années 1990, avec notamment la création d’une parade sur le lac Kandawkyi à Rangoun. À dominante corporatiste, elle est une forme sécularisée des rituels bouddhiques dont elle s’inspire.
bouddhiques d’un genre nouveau et à la dimension systémique d’une terreur latente, la « violence diffuse », voile sombre de la propa- gande, de la rumeur et de délation dont se drape l’emprise totalitaire. Un tel regard croisé ambitionne de dépasser les contingences afin d’envisager de manière plus structurelle les raisons pour lesquelles la guerre civile infuse et se propage depuis sept décennies. Car quand bien même il faut concéder aux dictateurs l’art de s’assigner des ennemis, c’est un fait que la guerre civile en Birmanie se déve- loppe tous régimes politiques confondus, dictatures ou démocraties. C’est ce paradoxe qu’il importe ici de décrypter, avec, en filigrane, la posture de l’anthropologue confronté à ces terrains instables
Partout en Asie du Sud-Est où François Robinne mène ses enquêtes depuis maintenant plus de trente ans, les États font face aux déplacements de leurs populations, souvent au-delà de leurs frontières. À cela s’ajoute, en Birmanie plus qu’ailleurs, la question des minorités ethniques et religieuses. Plutôt que d’envisager cette diversité à la manière d’une collection, pointant les spécificités ou soulignant les différences de chaque groupe, l’auteur nous entraîne vers les « carrefours sociaux » : réseaux villageois, alliances matrimoniales, entraides religieuses, les dynamiques relationnelles ont ceci de remarquable qu’elles se jouent des déterminismes linguistiques et culturels. Par-delà l’ethnicité mais dans le respect des différences, c’est la possibilité d’une perspective autre que celle du repli identitaire qui est, ici, déployée.
Cet ouvrage se lit aussi comme une trajectoire personnelle et un parcours intellectuel, qui nous conduisent des hautes terres de Birmanie aux enclaves de Bangkok, lorsque le chemin des essarts devient sentier de l’exil. Écouter les gens, faire parler leurs mots, tenter d’en comprendre le sens : l’épistémologie du vécu repose sur la parole donnée.
Elle implique aussi un regard réflexif sur le parcours d’anthropologue :
la difficulté d’accès aux terrains lointains, les conditions d’enquêtes
en dictature et, par petites touches, les relations humaines hors desquelles la compréhension de l’autre ne serait pas tout à fait la même
– et l’anthropologie plus tout à fait elle-même.
Dans cet ouvrage « Par-delà l’ethnicité » – des hautes terres de Birmanie aux enclaves de Bangkok – j’explore les carrefours sociaux pour interroger la consistance des paysages hétérogènes.
Can order now / Disponible le 15 octobre / Available on 15th October
https://www.editions-depaysage.fr/livres/birmanie-par-dela-lethnicite/
Après cinq décennies de guerre civile – avec son lot de déportations, de massacres et de tortures – le mouvement pan-Kachin a perdu en temps de paix les repères qu’il s’était artificiellement forgés en temps de guerre. Emportées par l’ivresse de la métamorphose, les élites chrétiennes marquèrent tout d’abord une rupture avec le passé avant de revisiter le fonds mythique et de se façonner, dans l’urgence, de nouvelles racines appropriées à la construction identitaire en cours. Depuis le cessez-le-feu de 1994, le nationalisme kachin oscille entre la réification ethnique potentiellement conflictuelle, l’organisation de rencontres œcuméniques dont se tiennent à l’écart les fondamentalistes chrétiens, et la nécessité d’une unité politique dans le rapport instable s’il en est à la junte birmane.
Tel qu’il émerge actuellement, le mouvement pan-Kachin s’est pourvu d’un cadre multiethnique et multiconfessionnel sans que la trame de fond ne réussisse encore sur cette base à produire un tableau cohérent ; le pouvoir central birman fait de cette même approche catégorielle un facteur de division et de faiblesse. Dans un tel contexte, le processus de recomposition sociale drastique dans lequel sont engagés les Kachin est à la hauteur de l’enjeu : émerger en tant que force unifiée ou s’évanouir dans le processus de birmanisation. À la question existentielle : renaissance ou secondes funérailles ? les élites s’efforcent d’apporter des éléments de réponse dans la logique nationaliste qui est la leur. Le postulat défendu ici est différent : dès lors que les catégories ethniques ne sont pas considérées comme point d’analyse focal, les réseaux d’échanges apparaissent comme autant de zones d’articulation susceptibles d’apporter leur cohérence à des ensembles multiethniques complexes.
Un bref survol historique montrera que, sous couvert d'intégration, les Constitution de 1947, de 1974 et de 2008, s'avèrent être une redoutable machine à fabriquer des ennemis. Sortir du piège identitaire, c'est tout l'enjeu d'une lecture critique du concept d'Etat-nation appliqué ici à la Birmanie, mais qui se découvre de portée plus large.