Mucchielli La Subversion
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SOMMAIRE
Introduction Chapitre 1. L'LABORATION H I S T O R I Q U E D E S T E C H N I QUES D E L A SUBVERSION LES PAMPHLETS POLITIQUES LES PROPAGANDES LA G U E R R E PSYCHOLOGIQUE Chapitre 2. S U B V E R S I O N E T G U E R R E RVOLUTION NAIRE U N E N O U V E L L E C O N C E P T I O N D E L A RVOLUTION U N E N O U V E L L E C O N C E P T I O N D E L A GURILLA . . . Chapitre 3. CARACTRISTIQUES G N R A L E S D E L A SUBVERSION L'ACTION SUR L'OPINION PUBLIQUE SITUATION D E S AGENTS SUBVERSIFS L E R O L E I N D I S P E N S A B L E D E S MASS M E D I A Chapitre 4. L E S T E C H N I Q U E S PARTICULIRES D E L ' A C TION SUBVERSIVE LES TECHNIQUES D'ACTION SUR L'OPINION PUBLI QUE LES TECHNIQUES D'ACTION DES PETITS GROUPES SUR L E S G R O U P E S P L U S G R A N D S Chapitre 5. L A L U T T E C O N T R E L A S U B V E R S I O N L'OBSTACLE DES ATTITUDES INDIVIDUELLES I F S niSPOSTTIONS O R D I N A I R E S D E L A L O I LES MOYENS E X T R A O R D I N A I R E S CONTRE TERRORISME ETCONTRE-SUBVERSION Conclusion Bibliographie Il 20 26 37 38 56 67 69 78 92 107 108 127 153 154 163 169 171 183 187
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SOMMAIRE
Introduction Cliapitre 1. L'LABORATION H I S T O R I Q U E D E S T E C H N I QUES D E L A SUBVERSION LES PAMPHLETS POLITIQUES LES PROPAGANDES LA G U E R R E PSYCHOLOGIQUE Chapitre 2. S U B V E R S I O N E T G U E R R E RVOLUTION NAIRE U N E N O U V E L L E C O N C E P T I O N D E L A RVOLUTION U N E N O U V E L L E C O N C E P T I O N D E L A GURILLA . . . Chapitre 3. CARACTRISTIQUES G N R A L E S D E L A SUBVERSION L'ACTION SUR L'OPINION PUBLIQUE SITUATION D E S AGENTS SUBVERSIFS L E R O L E I N D I S P E N S A B L E D E S MASS M E D I A Chapitre 4. L E S T E C H N I Q U E S PARTICULIRES D E L ' A C TION SUBVERSIVE LES T E C H N I Q U E S D'ACTION SUR L'OPINION PUBLI QUE LES TECHNIQUES D'ACTION DES PETITS GROUPES SUR L E S G R O U P E S P L U S G R A N D S Chapitre 5. L A L U T T E C O N T R E L A S U B V E R S I O N L'OBSTACLE DES ATTITUDES INDIVIDUELLES 1 ES DISPOSITIONS O R D I N A I R E S D E L A L O I LES MOYENS E X T R A O R D I N A I R E S CONTRE-TERRORISME ETCONTRE-SUBVERSION Conclusion Bibliographie M 20 26 37 38 56 67 69 78 92 107 108 127 153 154 163 169 171 183 187
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INTRODUCTION
Le mot subversion est sur toutes les lvres et presque tous les jours dans la presse. Cueillis au hasard dans les journaux des seuls mois de mars et avril 1971. quelques entrefilets suffisent le montrer : En France, le recteur Niveau, prsident de la Commission de l'Enseignement du VP Plan, dnonait l'agitation subversive dans les collges, les lyces et les universits et crivait (Le Monde, l" avril 1971) : I l est assez vident que l'ducation nationale est utilise par certains groupes comme une machine de guerre en vue de servir des objectifs politiques sous prtexte de dfendre les intrts des lves et des tudiants. Beaucoup de personnalits politiques de la majorit gouvernementale disaient et crivaient les mmes choses la mme poque... Aux U.SA., aprs la journe de manifestation de Washington, le 26 avril, organise par le groupe Coalition du peuple pour la paix et la justice et qui avait pour but de paralyser les ministres, cela dans le cadre permanent d'une campagne de dsobissance civile et de dnigrement du gouvernement, le vice-prsident Agnew s'indignait 5
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LA SUBVERSION
INTRODUCTION
contre l'action subversive et dnonait la mode qui consiste faire l'loge des vertus des nations ennemies et rejeter les dcisions des responsables lus {Le Monde, 28 avril)... En Turquie, des pouvoirs spciaux sont accords au gouvernement et l'tat de sige est proclam le 26 avril par le Premier ministre Nihat Erim, justifi par les indices catgoriques indiquant l'existence de menes subversives, puissantes et organises, contre la patrie et la Rpublique ... Or c'est le 4 mars 1971 (soit seulement 52 jours auparavant) que la population avait appris l'existence d'une Arme de libration populaire turque en entendant les retransmissions par la presse et par la radio des dclarations reues de la part des ravisseurs de quatre militaires amricains Ankara... Au Japon, le 14 mars 1971, quarante mille policiers participent une opration antisubversion contre les militants du groupe Arme rouge (celui qui avait organis le dtournement du Boeing des Japan Air-Lines sur la Core du Nord au printemps 1970) souponns de vouloir enlever le Premier ministre Eisaku Sato... A Ceylan, le Premier ministre, Mme Bandaranaike, annonce devant le Parlement que le gouvernement a charg les forces armes du maintien de l'ordre contre l'agitation subversive organise par le groupe Front de la jeunesse maoste , et par le groupe Front de libration du peuple (Le Monde, 9 mars)... Au Venezuela, le gouvernement de M . Rafal Caldera s'inquite devant la soudaine flambe de violence tudiante qui s'tend travers tout le pays et qui est la plus grave depuis 1960. On a compt en quelques jours au moins quatre-vingt-dix meutes dans toutes les villes du Venezuela: huit cents personnes ont t arrtes et dix blesses par balles... On redoute de nouveaux troubles cette 6
semaine car de nouvelles manifestations d'tudiants et de lycens sont prvues Caracas (Le Monde, 28 avril 1971). Dans sa confrence de presse, le prsident Caldera fait allusion la subversion... En Uruguay, Montevideo est en tat de sige la suite d'un nouvel enlvement de personnalit par les Tupamaros ; le prsident Pacheco Areco ne veut ni cder ni ngocier avec les agents de la subversion et de la terreur , et des pouvoirs exceptionnels lui sont donns par voie parlementaire... En Tunisie, la Facult de droit est ferme la suite des grves et incidents qui se sont drouls depuis mardj (Le Monde, 6 mars). Un communiqu du ministre de l'ducation nationale dnonce l'agitation subversive et annonce des dispositions en vue d'assainir une fois pour toutes l'atmosphre vicie, cre et entretenue par quelques groupes ... En Tchcoslovaquie, le procs de dix-neuf jeunes gens accuss de subversion va s'ouvrir Prague... Ces jeunes gens sont accuss d'avoir appartenu une organisation clandestine et subversive... d'abord appele Mouvement rvolutionnaire de la jeunesse puis Parti rvolutionnaire et d'avoir conspir contre le rgime socialiste avec le soutien de divers mouvements trotskystes et d'extrme gauche franais et ouest-allemands... L'article 96 du code pnal tchcoslovaque, aux termes duquel ils seront jugs et qui traite de la subversion, prvoit des peines pouvant aller jusqu' 10 ans de prison (Le Monde, 1 " mars 1971)... En Pologne, le nouveau chef de l'tat, Gierek, attaque, dans un discours prononc devant la confrence rgionale du Parti Katowice, les milieux subversifs qui tentent par tous les moyens de dsorienter la communaut et de propager une attitude irresponsable (Le Monde, 9 mars 1971)... 7
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INTRODUCTION
D'U.R.S.S., des procs pour subversion sont rvls au public franais. Le Monde du 5 mars 1971 annonait la parution en France de l'ouvrage La Russie contestataire aux ditions Fayard. Dans la partie documentaire de cet ouvrage (pp. 318 et suivantes), on lit le texte des nouveaux articles du code pnal d'U.R.S.S. permettant la rpression des activits subversives, appeles soit agitation et propagande antisovitiques (article 70), soit diffusion d'assertions sciemment mensongres dnigrant le rgime politique et social sovitique (articles 190-1 dont l'institution provoqua des procs retentissants que l'ouvrage relate), soit hooliganisme (1) (article 206). Ces informations n'ont rien de tendancieux, et les mois de mars et d'avril 1971. au cours desquels elles ont t diffuses, n'ont rien d'exceptionnel. Ils ont mme t calmes en comparaison d'autres (avant et depuis). Tous les jours, au fil des mois ou des annes, le lecteur pourra enrichir la liste. Une certaine image de la subversion apparat, malgr l'extension abusive du sens qui risque de confondre cette activit avec la sdition sous toutes ses formes, l'agitation rvolutionnaire, la contestation violente, les attentats politiques et atteintes diverses l'ordre public, la propagande antigouvernementale ou le complot contre la sret de l'tat. D'une certaine faon, toutes ces activits sont subversives , au sens o subversion (du latin subvertere, bouleverser, renverser) signifie tymologiquement renversement de l'ordre tabli. Mais, en tant que technique spcifique (ce qui d'ailleurs la dissocie de toute idologie et la met au ser( I ) Au sens propre, le hooligan est un jeune qui refuse le travail, le rle social et l'intgration, et qui va vers la dlinquance. Le mot prend aujourd'hui un sens politique et devient synonyme de contestataire subversif.
vice de n'importe quelle cause), la subversion n'est ni une agitation, ni mme une propagande politique proprement dite, elle n'est pas un complot arm ni un effort de mobilisation des masses; elle est une technique d'affaiblissement du pouvoir et de dmoralisation des citoyens; cette technique est fonde sur la connaissance des lois de la psychologie et de la psychosociologie, parce qu'elle vise autant l'opinion publique que le pouvoir et les forces armes dont il dispose. Elle est action sur l'opinion par des moyens subtils et convergents que nous dcrirons. La subversion est donc plus insidieuse que sditieuse. La ruine de l'tat (lorsqu'il s'agit de subversion intrieure) ou la dfaite de l'ennemi (lorsqu'il s'agit de subversion organise de l'extrieur) sont poursuivies et obtenues par des voies radicalement diffrentes de la rvolution (entendue au sens d'affrontement populaire) et de la guerre (entendue au sens d'affrontement entre les armes adverses et de bataille territoriale). L'tat vis s'effondrera de lui-mme, dans l'indifTcrence de la majorit silencieuse (car celleci est un produit de la subversion); l'arme ennemie cessera d'elle-mme de combattre parce qu'elle sera compltement dmoralise et malade du mpris qui l'entoure; le chef qui aura tent de maintenir l'ordre ou le cadre qui se sera oppos aux agents subversifs, ou encore les gouvernants lus antrieurement,... tous s'en iront d'eux-mmes, personne ne les aura officiellement chasss: ils partiront tout seuls, sous l'il indiffrent de la population, par l'effet du pourrissement de toute autorit. C'est l l'originalit et l'extraordinaire valeur de la subversion, moyen conomique au sens o elle ne ncessite pas de gros investissements matriels et financiers, o elle n'a besoin que de peu d'armes et de peu de gens pour russir. C'est affaire de matire grise d'abord, de science et de savoir-faire. 9
r Si VOUS tes un peu dlicat sur ce qu'on peut vous demander de faire contre vos propres compatriotes, il faut le dire tout de suite. Je comprendrai... Mais si vous pensez que vous pouvez vous Joindre nous, je dois vous avertir que dans mon unit, nous jouons tous les sales tours que nous pouvons inventerMensonges, perfidies, n'importe quoi. Sefton Delmer {op. cit., p. 237)
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racontar, la calomnie, (et autres perfides exploitations des petits faits de la vie quotidienne contre le voisin) qui, eux, ont d se dvelopper dans l'espce humaine en mme temps que le langage. Sur le plan militaire, on eut, ds les temps les plus reculs, l'ide d'envoyer sur le territoire de l'adversaire des individus capables de bien s'intgrer la population, et chargs, en dehors de la mission d'espionnage, de rpandre quelques informations dmoralisantes ou quelques calomnies sur les chefs locaux. Cela faisait partie de ce qui s'appelait les ruses de guerre , lesquelles comprenaient aussi - et surtout - les stratagmes sur le champ de bataille. L'avnement des empires et les buts de conqute territoriale grande chelle permirent quelques perfectionnements de la mthode de pourrissement des tats conqurir. Selon Mgret {op. cit., p. 10), Philippe de Macdoine, le pre d'Alexandre le Grand, mrite de rester dans l'Histoire pour la qualit de sa tactique psychologique au service de son ambition de conqute de la Grce antique. Son premier geste fut de soudoyer discrtement des groupes politiques qui, en Grce, taient par principe contre la guerre; les pacifistes athniens, groups autour de Eubule, proclamaient que le temps des aventures tait pass et que la Cit devait se consacrer aux seules uvres de paix. Ces honntes intentions faisaient l'affaire de Philippe, et ses agents noyautrent le parti des pacifistes. Par ailleurs, le roi de Macdoine entreprit de renforcer et d'acclrer cette action en organisant la dmoralisation du peuple athnien : rumeurs, campagnes de calomnies contre les chefs qui voulaient rsister l'influence macdonienne, corruption des petits chefs, pntration de tous les partis politiques par ses agents, compltrent la propagande des pacifistes subventionns, et submergrent l'opinion publi12
que. branlement, dsintgration, dissolution , tels furent les effets progressifs de son action psychologique sur l'tat athnien. On sait que Philippe y ajouta la sduction des intellectuels de l'poque en mettant au concours parmi eux le poste de prcepteur de son fils Alexandre. Parmi les Athniens, Dmosthne comprit ces manuvres. Son intelligence de la situation, aiguise par son patriotisme et Sun idal de libert, nous valut les clbres discours cont.-e Philippe, connus sous le nom de Philippiques et d'Olyntniennes (351-349 av. J. C ) . En termes modernes, on peut dire qu'il tenta d'opposer une contre-subversion l'entreprise subversive de Philippe. Dans ces discours, Dmosthne dvoile les intentions relles de Philippe et analyse sa tactique psychologique. Puis il secoue l'inertie des Athniens et vilipende ceux qui, sduits, ont l'intention de collaborer avec le Macdonien. I l attaque de ses sarcasmes les gnraux, les magistrats, les patriciens, et, dans certains passages, ses discours ont le ton de la propagande d'agitation et de mobilisation. Ainsi, quatre sicles avant J. C , un homme courageux et lucide essayait de lutter contre l'imprialisme dvorant et rus d'un voisin dangereux. I l est intressant de noter que, en 1938, juste avant Munich, l'heure o Hitler misait sur le pacifisme et la dcomposition des rpubliques pour raliser sans coup frir l'invasion de la Tchcoslovaquie, une revue anti-hitlrienne de Paris put faire, sans qu'on s'en aperoive, un montage des Philippiques de Dmosthne qui paraissaient, sous cet habillage, de la plus dramatique actualit. Les Discours de Cicron contre Marc-Antoine, que l'on compara aux Philippiques, ont aussi leur place dans un survol historique des modles de subversion. Le clbre orateur romain dcida, vers 44 av. J. C , de dmolir 13
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Marc-Antoine, gnral brutal et dbauch qui, aprs l'assassinat de Csar, avait pris le pouvoir Rome. Cicron essaya de soulever l'indignation populaire et dvoila les tratrises, les sacrilges et les turpitudes de MarcAntoine. I l est probable que si Antoine fut dclar ennemi public par Octave quelques annes plus tard, ce fut par l'effet des discours de Cicron (le 13' discours prsente Antoine comme ennemi de la patrie ). La fin de l'orateur fut tragique comme on le sait, puisqu'Antoine, revenu au pouvoir par alliance avec Octave et Lpide, obtint la tte (2) de son accusateur. I l est vrai, ceci pour consoler les bonnes mes, que la fin d'Antoine ne fut pas moins atroce quelques annes plus tard. Cicron avait dvelopp l un genre nouveau : le pamphlet (3) politique, dont le but est de dconsidrer le pouvoir et de le faire s'crouler par la seule puissance du Verbe agissant sur l'opinion. Ne citons que pour mmoire la fameuse Apocoloquintose du divin Claude de Snque (qui circula anonyme vers 54 ou 55 ap. J. C. l'occasion de la mort de l'empereur Claude) qui est plutt une satire bouffonne et macabre contre l'empereur dfunt. Dans la ligne du pamphlet authentiquement subversif, d'autres matres du genre nous ont lgu des chefs-d'uvre. I l serait hors de propos d'en faire ici la gnalogie. Signalons au passage Luther dans ses crits plus sditieux que subversifs, ceux qui appellent l'insurrection contre l'oppression romaine, contre les vritables Turcs qui sucent la moelle de la gnreuse Allemagne , spciale(2) Au sens propre, puisqu'Antoine exposa la tte de Cicron sur la Tribune aux harangues. (3) On sait que ce mot anglais vient lui-mme du franais paumefeuillel, petite feuille de papier que l'on peut tenir dans la main. Lucien et Mnippe avaient dj illustr le genre dans la Grce antique.
ment les crits de 1520 : Appel la nation allemande, La captivit babylonienne de l'glise, La libert chrtienne, et le pamphlet A la noblesse allemande dans lequel i l ressuscite, pour les utiliser, les vieilles aspirations gibelines dans le but de s'attirer la sympathie des princes indpendants, et lance l'appel gnral la rvolte contre les catholiques et la papaut. Et pourquoi ne nous laverions-nous pas les mains dans leur sang? avait-il dj rpondu Prieras. On connat le rsultat de la Rvolte : un tiers de l'Allemagne ravag, plus de mille couvents ou chteaux rass, plus de 100 000 morts,... aprs quoi Luther repart. Mais c'est au xviii" sicle que le pamphlet devient une arme de guerre purement psychologique. Dans l'ouvrage Karl Marx et sa doctrine, traduit en franais en 1937, Lnine conseillait aux jeunes militants de retrouver l'esprit subversif des grands encyclopdistes franais : Les crits ardents, vifs, ingnieux, spirituels, des vieux athes du x v i i i ' sicle qui attaquaient ouvertement la prtraille rgnante, s'avrent bien souvent mille fois plus aptes tirer les gens de leur sommeil religieux que les fastidieuses et arides redites du marxisme. La propagande philosophique du xvm'' sicle, alimente matriellement par les imprimeries hollandaises qui organisent la contrebande des libelles, est une vaste campagne subversive contre les bases de la socit politique et religieuse en place. Selon D . Mornet {op. cit., p. 78), les Encyclopdistes ont, par leurs crits, prpar la Rvolution franaise. Ils ont d'ailleurs dcrit eux-mmes leur tactique : d'Alembert a parl de sortes de demi-attaques, espce de guerre sourde, qui sont les plus sages lorsqu'on habite les vastes contres o l'erreur domine ; Naigeon et Condorcet ont expliqu comment des articles dtourns permettent de fouler aux pieds les prjugs religieux : Les erreurs respectes sont exposes avec des preuves fai15
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bles O U branles par le seul voisinage des vrits qui en sapent les fondements. Aprs avoir expos le problme avec une apparente bonne foi, il y a les symboles transparents, les parenthses, les insinuations, les ironies, et enfin les embuscades . On croirait lire d'avance la tactique de certains journaux franais d'aujourd'hui et de certaines missions de tlvision. Joseph de Maistre, l'migr, a considr la philosophie et les philosophes du xvm" sicle (nous dirions aujourd'hui les intellectuels engags ) comme une puissance essentiellement dsorganisatrice et, thoricien ractionnaire de la Restauration, i l a rv d'un ange exterminateur qui craserait tous les disciples des Encyclopdistes. C'est sans conteste Voltaire qui est, au x v i i i ' sicle, le champion du pamphlet subversif. Le ton gnral, comme le dit G. Lanson, est Virrespect. Rien n'chappe ni ne rsiste l'irrespect, ni la royaut avec sa majest, ni l'glise avec sa saintet. La duchesse de Choiseul qui s'en irrite crit : L'emploi de l'esprit aux dpens de l'ordre public est une des plus grandes sclratesses parce que, de sa nature, elle est la plus impunissable ou la plus impunie. Lefvre de Beauvray, en 1770, dans son Dictionnaire social et patriotique, l'article Libert , blme aussi cet esprit d'indpendance et de libert qui mne la subversion de tout ordre social. D. Mornet {op. cit., pp. 97-99) caractrise ainsi la guerre psychologique mene par Voltaire : La bataille a donc t en grande partie une bataille cache... A l'abri de l'anonymat, i l multiplie les attaques; i l y a plus de 200 de ces petits ouvrages, opuscules, feuilles volantes. I l y pousse fond. L'ironie voltairienne se fait pre, brutale, insolente. L'influence fut immense... Voltaire saisit les vices du systme sans jamais construire une certitude. Le travail fut tout entier de destruction. 16
Le rsultat fut rapide. Ds les annes 1758-1763 en France, dit Mornet {op. cit.. pp. 141 et 268), le pouvoir royal hsite dcider la rpression. Les vques Ty poussent, car ils constatent que ds qu'on laisse faire, l'audace des attaquants s'accrot. Mais quant revenir la rigueur des lois, on ne tarda pas reconnatre qu'il n'y fallait pas songer : les directives ne trouvaient plus de fonctionnaires rsigns et dociles. Un vent d'indiscipline soufflait sur les bureaux de l'Administration, qui faisait craquer l'difice entier... Les affaires Calas et Sirven avaient soulev l'indignation. Des intendants, des gouverneurs,... Grenoble, Poitiers, Bordeaux, Montauban, en Languedoc, etc., adjurent le ministre de permettre l'apaisement. Le Parlement de Toulouse lui-mme (4) fait si bien amende honorable que, ds 1766, ses excs de tolrance inquitent l'autorit royale... La police, les autorits, ont contre elles de plus en plus toutes sortes de complaisances et de complicits soutenues par l'opinion toute entire. Des plus grands aux plus petits, on donne d'une main ce que l'on retire de l'autre... Malgr les saisies et les perquisitions de la Prvt,... on vend les livres prohibs sous les galeries du chteau de Versailles; on les vend sous les yeux de Leurs Majests avec la complicit mme des Grands, du prince de Lambesc par exemple, qui s'oppose bruyamment aux recherches de la police... La police, sans cesse tiraille entre des ordres svres et des prires de fermer les yeux, n'agit plus qu'avec incohrence, se discrdite et se dmoralise . La mode est aux propos sditieux; i l est de bon ton de fronder les actes du gouvernement, de se dclarer partisan et protecteur du peuple, dont on proclame et provoque
(4) C'est--dire le tribunal qui avait jug l'affaire et condamn au supplice, en mars 1762, le pre Calas, accus d'avoir assassin son fils de 30 ans (qui en fait s'tait suicid pour d'autres raisons) pour l'empcher de se convertir au catholicisme.
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l'mancipation. La jeune noblesse, la premire envahie par la contagion de l'esprit philosophique, se montrait dispose faire bon march du prjug de la naissance et de ses autres privilges (Mornet, op. cit. pp. 273-274). L'agitation gagne l'enseignement : les coles sont touches par l'irrligion : les matres, du moins certains, favorisent cette agitation. Mornet ajoute {op. cit., p. 335) I l est impossible de savoir dans quelle mesure les hardiesses de pense des lves sont le reflet de la pense des professeurs. I l est fort probable que, le plus souvent, les lves ne les consultaient pas pour lire Le systme de la nature (5) ou se moquer des sermons de l'abb Faucher. La curiosit, la discussion, le scepticisme venaient de partout et pas seulement des bergers chargs de conduire le troupeau. Mais il est pourtant certain que beaucoup de matres pensaient comme les lves, ne faisaient rien pour les retenir, et mme parfois les conduisaient dlibrment sur les terres de la philosophie , c'est--dire de la nouvelle idologie subversive. La mode lance avec tant d'audace et d'esprit par Voltaire et les Encyclopdistes, se rpand comme une pidmie. Les escarmouches usent les autorits, et les frondeurs sont prompts s'emparer des affaires judiciaires qu'ils transforment en scandales. Sur le modle des procs de Calas, Sirven, Montbailly pour la condamnation d'innocents, du procs Gozman pour la vnalit des juges, des douzaines et des douzaines d' affaires sont montes en pingle, donnant lieu des libelles, pamphlets, mmoires pleins d'loquence et d'insolence. Tout est bon pour attaquer le pouvoir, et la violence des grossirets vise le roi, la reine, et les principes du gouvernement . Les circonstances les plus imprcises sont exploites, le chantage est devenu une arme publique; les titres des gazettes
(5) Il s'agit du livre antireligieux de l'encyclopdiste d'Holbach.
sont difiants : La gazette noire. L'espion des boulevards. L'observateur, etc. Tous sont trangement dchans comme disait Bayle. Puisque nous survolons la ligne des pamphltaires subversifs, n'omettons pas de nommer, au x i x ' sicle, PaulLouis Courier qui codifia un certain nombre de procds. Dans Le pamphlet des pamphlets (1824), dernier opuscule avant sa mort mystrieuse, Courier revendique, pour le genre qu'il perfectionna, les droits les plus tendus dans la littrature. I l dclare que le pamphlet a remplac dornavant les anciens discours sur la place publique contre les lois et dcrets du pouvoir tabli. I l s'agit, crit-il, de prendre le sujet du pamphlet dans un menu fait de la vie quotidienne, souvent mme un commrage de la vie locale, puis, en considrant intentionnellement ce fait divers comme hautement significatif, il faut s'lever insensiblement jusqu'aux considrations politiques d'ordre gnral. Naturellement, l'arrire-plan de cette transformation tendancieuse d'un fait divers en affaire scandaleuse , il faut maintenir en permanence trois principes de base : premirement paratre de bonne foi, ne pas laisser apercevoir le procd, deuximement parler au nom du bon sens, chose du monde la mieux partage , de faon tre lu et approuv par la masse des lecteurs, troisimement en appeler toujours la justice et la libert, de faon provoquer l'indignation du bon public contre l'autorit, ses ministres et ses fonctionnaires. L encore le parallle avec certains journaux actuels est frappant. Appliquant lui-mme avec gnie les procds qu'il a formuls, Paul-Louis Courier crit de trs nombreux pamphlets, surtout entre 1820 et 1824, contre la cour et contre le pouvoir, qui s'appuie essentiellement sur la police. Le but est de dconsidrer devant l'opinion le systme politique 19
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en place (en l'occurence la Restauration). En 1821, i l utilise mme son procs en cour d'assises (qui lui valut deux mois de prison et 200 F d'amende pour un prcdent pamphlet contre une souscription ordonne par le ministre de l'Intrieur) pour transformer son banc d'accus en tribune (procd que nous retrouverons dans les temps actuels), puis pour crire un nouveau pamphlet Procs de PaulLouis Courier. Les procds de Voltaire et de Courier allaient trouver avec l'avnement de la presse grand tirage et des moyens de communication de masse une porte et une efficacit multiplies et restent un des moyens de la subversion moderne; nous aurons en reparler. Mais d'autres dimensions se dveloppent par ailleurs : par la voie de la propagande politique et par la voie des mthodes de guerre. I I - LES PROPAGANDES Sur un autre axe, en effet, les techniques de la propagande politique croissent et se diversifient La chose n'a pas attendu son nom pour exister (6). On retrouve les principes de la propagande de recrutement et d'expansion dans le proslytisme de toutes les sectes religieuses et de toutes les coles philosophiques ds qu'il y en eut L'orateur politique haranguant le peuple sur l'Agora de l'antique Grce, tout comme aujourd'hui le tribun en priode lectorale..., le moine illumin prchant la Croisade, tout comme aujourd'hui le dictateur arabe appelant la guerre sainte..., le missionnaire qui fonde cole et hpital pour crer un foyer de conversion, tout comme aujourd'hui le dlgu la propagande qui fonde un centre culturel ou un foyer des jeunes... cherchent induire des opinions et des conduites par des mthodes diverses de pression au changement, de persuasion et de conversion des esprits. 20
Le maniement du sophisme (ou art du raisonnement logiquement faux mais ayant toutes les apparences de la raison), la connaissance des besoins, passions et croyances du groupe d'auditeurs pour utiliser et canaliser les motivations, l'utilisation de la peur et de l'angoisse, l'exploitation des valeurs humaines universelles habilement associes la cause que l'on dfend..., sont des procds employs depuis toujours. La propagande de recrutement et d'expansion se double tout naturellement d'une propagande d'endoctrinement ou d'intgration pour mettre au moule (selon la belle expression moderne de Mao Ts-toung) les groupes conquis, unifier les opinions, crer une parfaite conformit d'attitudes et d'action. Intuitivement et empiriquement presque tous les procds modernes ont t mis en uvre ds que les dtenteurs du pouvoir voulurent faonner les esprits dans une uniformisation idologique : c'est ainsi que la chasse aux opposants et la rcompense des bons esprits ont fait partie des plus anciennes traditions de l'autorit politique, de mme que la censure des informations non officielles associe la large diffusion des informations et des explications conforme l'idologie rgnante, l'organisation d'un environnement suggestif , la clbration collective de la foi officielle (cortges, manifestations collectives, churs, hymnes), le remplacement des groupes naturels par des groupes d'exaltation idologique, la cration de signes, insignes, symboles, rites collectifs, rcitation du credo, etc., et enfin la mainmise sur l'ducation dans le but d'endoctriner ds l'ge le plus tendre.
(6) Le mot mme de propagande vient du vocabulaire religieux : De propaganda fide (De la propagation de la Foi), congrgation tondee en 1597 par le pape Clment V I I et organise effectivement comme action par le pape Grgoire X V en 1622.
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Tous les tats autoritaires et toutes les religions ont employ d'instinct ces mthodes. Mais c'est surtout une troisime forme de propagande, dveloppe dans les temps modernes : la propagande d'agitation, qui apportera la subversion de nouvelles occasions de progrs. La propagande d'agitation est historiquement lie l'ide de la rvolution comme soulvement populaire contre le pouvoir oppressif, ide qui entrane le dsir d'attiser et de canaliser les mcontentements, de transformer ces mcontentements en indignation et en colre, sentiments qui dbouchent rapidement sur l'agressivit pour peu qu'on sache dsigner les responsables de la situation intolrable, les grands frustrants , les fauteurs de misre, de souffrance, d'injustice et de spoliation. Certes, les appels au tyrannicide ne sont pas rares dans l'histoire des ides politiques (7), mais d'une part leur cho se limitait la catgorie peu nombreuse des gens sachant lire, et d'autre part i l fallait attendre l'mergence d'une thorie nouvelle de la souverainet attribuant celle-ci au peuple, ce qui n'advint historiquement de manire vraiment systmatique qu'avec les philosophies politiques du x v i ' sicle. L'imprimerie et l'utilisation de la langue nationale allaient, dans ce mme x v i ' sicle, donner la propagande d'agitation un essor nouveau. Nous avons vu ci-dessus, par exemple, comment, chez Luther, la rdaction des pamphlets politiques allait de pair avec la construction d'un systme rvolutionnaire et avec l'action de propagande d'agitation qui aboutit la guerre des paysans et la rvolte des nobles contre l'glise romaine. La propagande d'agitation suppose l'existence d'un parti , avec son chef et une doctrine, et galement les
h,nJ m ^"^c"!'?"'- in Histoire de la philosophie et des sciences humaines (Bordas ed.) : l'histoire des ides politiques.
techniques d'exploitation des mcontentements que nous avons esquisses ci-dessus. Elle est lie, nous l'avons dit, une certaine ide de la rvolution. C'est cet ensemble qui prend corps la veille de la Rvolution franaise; par rapport cet ensemble (un parti, un chef ou des chefs, une doctrine, une conception de la rvolution, des techniques d'agitation pour mobiliser les masses), la subversion apparat comme une pr-propagande ou une sub-propagande si l'on convient d'appeler ainsi l'action prparatoire ou concomitante destine uniquement dconsidrer le pouvoir et dtacher de lui ceux qui auraient eu l'intention de le dfendre en cas de pril. Cette fonction auxiliaire de la subversion par rapport au grand complexe : idologie - soulvement populaire - agitation politique, caractrise ce que j'appellerais la conception archaque de l'agitation et de la rvolution. I l en fut ainsi sous la Rvolution franaise, i l en fut encore ainsi au moment de la grande Rvolution russe. Nous verrons que cette conception caractrise aussi l'action subversive dans la guerre, o, l encore et pendant longtemps, la subversion fut utilise comme auxiliaire des armes classiques. Dans la grisaille de cette conception, une lueur cependant annonce la conception moderne : l'ide de Babeuf entre 1793 et 1797 (date de sa mort sur l'chafaud). Quoi que l'on ait dit de lui, i l ne fut pas un agitateur au sens o i l s'agit d'ameuter et de mobiliser les masses, et les prparer l'endoctrinement. I l eut au contraire l'ide, trs moderne, du coup d'tat perptr en sidrant d'avance l'opinion publique. L'action subversive, pour lui, consistait d'une part faire mpriser les tenants du pouvoir, accuss de tratrise et de toutes les infamies (Babeuf disposait de son journal Le tribun du peuple), d'autre part frapper l'opinion en crant l'pouvante , selon la formule de son 23
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adjoint Buonarotti. Dans ce climat psychologique, fait de dtachement de l'opinion l'gard des autorits et de terreur muette, la prise du pouvoir devait se faire techniquement, et c'tait l le but du complot proprement d i t La conception lniniste est, en comparaison, un retour l'ide de l'agitation comme auxiliaire de la propagande d'expansion, et donc de la subversion comme pr-propagande ou sub-propagande (8). Par contre, les mthodes de Hitler avant la prise du pouvoir reprsentent le premier systme cohrent de subversion mthodique, au service d'une conception volontariste de la rvolution (ce qui est radicalement diffrent de la conception marxiste et lniniste). Et ce n'est pas par hasard que la thorie et la pratique de la subversion se dveloppent justement dans le cadre d'une conception volontariste de la rvolution (9). Tchakhotine, tmoin oculaire et inform de cette priode, crit (op. cit., p. 260) : Que faisait donc Hitler? Par des discours enflamms, dgags de toute entrave, i l attirait sur lui l'attention; i l attaquait violemment le gouvernement rpublicain, le critiquait, l'injuriait, et profrait des menaces inoues : les ttes vont tomber, la nuit des longs couteaux (10), le document de Boxheim,... telles taient les menaces de la propagande nazie qui avaient et qui devaient avoir une norme influence sur les masses; cela pour deux raisons : en premier lieu ces masses... prtaient volontiers l'oreille toutes les critiques; en second lieu le fait que cette propagande se faisait impunment
(8) Cf. R. Mucchielli, Psychologie de la publicit et de la propagande "P;^''a '^h-. 1 et 5, les propagandes. ( i m > . ^ " ' ^ clairement dmontr ci-dessous; cf pp. 67 et suiv -, > A^u ^^Pi^^ssion, qui est devenue tristement clbre par la suite de H^t '^^^ magts des campagnes de propagande subversive
veillait la conviction que les pouvoirs rpressifs et les moyens de dfense de l'Etat taient entirement paralyss, et qu'on ne pouvait plus rien esprer de ce ct-l. Il s'agissait donc, pour Hitler, d'obtenir simultanment deux rsultats psychologiques : d'une part se faire connatre et se prsenter comme le champion d'un ordre nouveau, d'autre part dconsidrer le gouvernement lgitime, le discrditer par la dmonstration de son indignit autant que par celle de son impuissance. La tactique est simple : primo se prsenter comme le champion d'une cause juste; secundo, attaquer violemment, critiquer, injurier, menacer le gouvernement et ses reprsentants collectivement ou individuellement, ce qui rpand la certitude de la pourriture du gouvernement et le disqualifie comme gouvernement; tertio, dmontrer que les violences prcdentes se font impunment, ce qui rpand la conviction de l'impuissance de l'tat. Utiliser fond la moindre occasion politique ou le moindre fait divers, sauter sur les erreurs de l'adversaire, transformer tout en scandale public avec le langage de l'indignation et de la vertu outrage... taient des procds repris des pamphltaires mais rigs en systme lectoral par la grce des moyens de communication de masse et par la connaissance intuitive des ressorts des foules. Aprs la prise du pouvoir, dans l'indiffrence gnrale envers l'tat rpublicain qui s'croule, la propagande subversive se mue brutalement en propagande d'intgration l'intrieur des frontires, avec le gnie de la propagande que fut Goebbels, et la subversion est mise au service des projets militaires, c'est--dire qu'elle est utilise pour pourrir les tats convoits. Nous sommes ainsi renvoys une autre ligne de dveloppement de la subversion, qui elle aussi a son histoire : la guerre psychologique. 25
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m - L A GUERRE PSYCHOLOGIQUE La guerre psychologique, notion qui englobe celle de guerre subversive, est, aux dbuts de sa conceptualisation, considre comme auxiliaire de la guerre traditionnelle. C'est toujours von Clausewitz que l'on doit remonter pour trouver la premire thorie de cette nouvelle forme de guerre. Gnral prussien, contemporain des guerres de la Rvolution franaise et de l'Empire, l'auteur du trait De la guerre, paru en 1833, tire la leon de ce qu'il a vu son poque et formule les conclusions qui s'imposent lorsqu'on a observ, comme lui, les phnomnes militaires de cette priode (11) : - La guerre est d'essence politique et non pas seulement militaire, c'est--dire qu'il est absurde de la confier des militaires apolitiques et des soldats de mtier; elle est une volont politique mettant en uvre les moyens militaires, et les peuples impliqus dans le conflit jouent dans celui-ci un rle spcifique. - I l faut en consquence lier l'arme au milieu social dont elle mane; l'environnement psychosocial des soldatsCi i ) Ds 1791, l'idologie s'allie aux armes dans la conduite de la guerre, note Domenach (op. cit. p. 17) : L a propagande devient l'auxiliaire de la stratgie. Il s'agit de crer chez soi l'enthousiasme et la cohsion, chez l'ennemi le dsordre et la peur. E n abolissant toujours davantage la distinction du front et de l'arrire , la guerre totale offre jour champ d'action la propagande non seulement les armes, mais es populations civiles... puisqu'on arrive soulever ces populations et faire surgir sur les arrires de l'ennemi de nouveaux types de combattants, hommes, femmes, enfants : espions, saboteurs, partisans. Par un dcret de 1792, la Convention dclare, au nom de la Nation franaise, qu'elle apportera secours et fraternit tous les peuples qui voudront recouvrer leur libert. En 1793, en Alsace, une association se forme, sous la dnomination de Propagande pour rpandre les ides rvolutionnaires. Les commissaires aux armes furent galement chargs de la double mission de propagande : surveillance politique des armes, et organisation de la guerre de propagande.
militants a une importance capitale. Une arme porteuse de l'esprance et de l'enthousiasme populaires aura un moral au plus haut degr. Ce moral sera au plus bas si elle est entoure de la mfiance, du mpris et de la dconsidration publique. - La guerre doit tre totale, c'est--dire que la propagande, l'action sur les populations, la contagion idologique, y jouent leur rle. Les armes psychologiques sont suprieures l'armement militaire. Selon Clausewitz, l're des mercenaires est close; les guerres de l'avenir seront des guerres populaires et nationales o les soldats seront politiquement forms et politiquement encadrs. L'action psychologique devenait ainsi essentielle l'art de la guerre : action psychologique de renforcement du moral des nationaux, action subversive de dmoralisation sur la population conqurir. L'entre dans les faits se fit attendre, non pas tant cause de la classique rsistance aux thories nouvelles (surtout chez les militaires), mais parce que manquait la science psychologique et psychosociale seule capable de fournir les moyens pratiques. L'introduction de l'action psychologique comme appoint dans la guerre traditionnelle commena avant la Premire Guerre mondiale par l'inauguration, l'cole de guerre de Paris, d'un cours sur la psychologie des foules, d'aprs l'uvre de Gustave Le Bon (12).
(12) Citons pour mmoire l'opuscule que fit paratre en 1927 chez Payot le marchal Foch (Essai de psychologie militaire) et qui reste cantonn aux conditions du moral et de la dmoralisation du soldat des deux camps. KurtHesse qui, en 1922, publie en Allemagne Feldherr Psychologos (le Seigneur Psychologos) analyse les conditions psychologiques de la dfaite allemande et, admirateur de von Clausewitz,
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Pendant la Premire Guerre mondiale, le recours l'action psychologique et la subversion ne fut pas nglig. Avant mme la cration tardive du ministre de la Propagande de guerre, que devait diriger lord Northcliffe en fvrier 1918 (13), quelques actions psychologiques avaient t mises sur pied : gramophones installs entre les tranches, dans le no man's land, diffusant des allocutions en allemand pour inviter la reddition, ou des chansons populaires de leurs pays l'intention des troupes tchques et hongroises de l'arme ennemie. On jeta des milliers de tracts, par avions et ballons, pour faire connatre la situation militaire relle et susciter chez l'ennemi la certitude que la guerre tait perdue. Cette propagande ne fut pas vaine, puisque Hindenburg, dans ses Mmoires, admet que de telles actions ont intensifi au plus haut degr la dmoralisation de la force allemande, mais c'tait une propagande blanche (c'est--dire que les sources taient ouvertement anglaises) (14) appliquant des principes de fair-play trs britanniques (pas de mensonge, pas d'quivoque, des chiffres et des preuves). On conviendra qu'il s'agissait bien d'une action psychologique, mais on doit aussi constater d'une part la liaison avec les moyens traditionnels de la guerre, d'autre part la navet des mthodes de la propagande de ralliement ou de dsertion, fonde sur une savante combinaison du rai-
appelle de ses vux un Sauveur , qui rendra la foi patriotique et le moral une arme populaire nouvelle, en rendant l'Allemagne sa grandeur ternelle. (13) W. Steed, Seton-Watson et le clbre H . G . Wells organisrent le travail sous la direction lointaine de lord Northcliffe. (14) Ainsi le bulletin qui, au cours de la Seconde Guerre mondiale, commenait par Ici Londres ... l'intention des auditeurs continentaux. L a propagande blanche n'a d'impact que sur ses amis et les hsitants.
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sonnement et de la menace ; ce n'tait pas de la subversion. Nettement amliore sur le plan technique fut la subversion organise par les spcialistes hitlriens entre 1933 et 1939 (infiltration d'agents subversifs recrutant des bonnes mes par persuation au nom des intrts suprieurs de la patrie, s'insinuant tt dans les groupes au point d'en paratre de vieux participants ou des porte-parole autoriss) et pendant la drle de guerre de 1939 mai 1940. Pendant cette priode, dit Mgret (op. cit., p. 65), la radio allemande avait mis au point un procd d'intoxication par indiscrtions savamment doses pour insinuer peu peu chez les auditeurs franais le complexe de la trahison et accrditer la rputation d'infaillibilit de l'adversaire. Sur la ligne de front, l'usage des haut-parleurs servit entretenir l'irralit de la guerre et souligner l'absurdit d'un conflit sans fondement et sans action. Sur le front intrieur, Radio-Stuttgart renforait aussi la certitude dmoralisante des sclratesses des gouvernants, de la connaissance par l'ennemi de tous les faits et gestes des Franais, et de l'inanit de tout combat pour une cause perdue d'avance. Les buts de l'action psychologique nazie sur les territoires conqurir sont faciles reconstituer aujourd'hui : miner la capacit de rsistance de l'adversaire, saboter les dcisions gouvernementales grce une infiltration mthodique dans les rouages administratifs, utiliser leur insu les intellectuels toujours enclins se poser des cas de conscience et nourrir des scrupules, rpandre la peur de la trahison dans le public et dans les corps de troupe. Cinq annes de guerre psychologique sans relche, cinq semaines de guerre conventionnelle ensuite conclut Mgret (ibid., p. 66). Goebbels avait assimil et largement dpass les thses du colonel Blau dans Propaganda als Wqffe (la propagande comme arme de guerre) 29
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publi en 1935. I l avait tudi en dtail le point psychologique essentiel de l'activit subversive, savoir les conditions de crdibilit des personnages travaillant pour lui en France, et les conditions de crdibilit des informations tendancieuses. Sur ce dernier point, cependant, Sefton Delmer, le crateur de la radio noire, fut au moins aussi fort que Goebbels. Son entreprise surclassa les oprations en cours dj imagines par les Anglais ou les Amricains, et il inventa, grce son gnie, de trs nombreux procds aujourd'hui codifis. Certes, l'objectif gnral de la subversion dans la guerre psychologique stratgique tait assez bien dfini : il devait tre l'incitation de la population ennemie (ou de l'une de ses fractions) agir contre son propre gouvernement, mais les moyens restaient trangement rtrogrades et archaques : 32 millions de tracts, le parachutage de laissez-passer pour tre accueillis par les Allis, les exhortations directes la rvolte..., le montage sonore d'une rvolte d'une ville de Rhnanie contre Hitler et les S. S..., le dfunt (15) prenant la parole au micro... telles taient les ides de l'O. S. S. (16). En dehors de ces missions de propagande blanche ou grise, i l y avait aussi le bon vieux truc du comit de l'Allemagne libre . Les Russes avaient aussi le leur. On faisait parler la radio les responsables de ce qu'on appellerait aujourd'hui le Front de libration nationale , et cette propagande (qui n'est plus ni noire, ni blanche, ni grise) est elle-mme subversive selon des lois propres dont nous reparlerons.
(15) Il s'agissait de H . Becker jouant le rle du colonel Beck tu de la propre main d'Hitler le 20 juillet 1944 aprs l'chec du putsch des militaires. (16) Office of Stratgie Services (amricain).
Sefton Delmer voulut instituer quelque chose de tout fait nouveau. La B. B. C , crit-il (op. cit., pp. 75 et suivantes) faisait des causeries contenant des informations et un journal parl bien crit et clair, destination des auditeurs allemands, en langue allemande naturellement. A u cours de ces causeries et du journal parl, on multipliait les discussions de l'idologie nazie, on contestait les informations qu'ils donnaient, on affirmait par contre les valeurs des allis . L'analyse des missions de la B. B. C. faite par l'auteur entre octobre et dcembre 1941 lui montra que les orientations principales taient : l'exhortation humanitaire et idologique, la discussion des thses nazies, l'encouragement une opposition active l'intrieur de l'Allemagne. Ces aspects de la propagande blanche lui apparurent comme des conversations d'migrs , sans aucun impact rel. Exposant son plan aux autorits, il crit : Je crois que nous devons exprimenter un nouveau type de radio noire sur les Allemands..., une radio qui saperait Hitler non en s'opposant lui, mais en faisant semblant, au contraire, d'tre tout fait d'accord avec lui et avec sa guerre... Avec une plate-forme d'hyperpatriotisme, notre radio russirait faire avaler toutes sortes de rumeurs sous le couvert de clichs nationalistes et patriotiques... Parlons aux Allemands de leur Fiihrer et de leur patrie et ainsi de suite, et en mme temps injectons-leur dans l'esprit des nouvelles qui les fassent si possible ragir de faon prjudiciable la bonne conduite de la guerre par Hitler... Autre nouveaut : les missions ne doivent pas donner l'impression qu'elles s'adressent au public... Je voulais faire croire aux auditeurs qu'ils surprenaient des missions qui ne leur taient pas destines (17). En tournant les boutons de leur
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appareil, ils se trouvaient soudain mls des signaux d'une organisation clandestine... Ces voix diffuseraient un tas d'informations confidentielles de la part d'un fidle et loyal partisan de Hitler, mprisant la canaille qui gouvernait la patrie au nom du Fiihrer... Nous verrons l'occasion de la revue des techniques de la subversion, le dtail des trouvailles intuitives de Delmer, qui sont devenues des techniques scientifiquement justifies et qui sont utilises aujourd'hui encore par la subversion mondiale. Disons seulement ici que l'efiicacit de la propagande noire (18) de Delmer fut telle qu'il se trouva dans l'obligation, aprs la fin de la guerre, d'crire son livre pour lutter contre les clichs qu'il avait lui-mme invents et injects. La croyance gnrale, par exemple, qu'il y avait eu dans l'arme allemande une opposition interne active Hitler tait le rsultat d'une rumeur implante au dbut par
(17) On sait, depuis, par les expriences de laboratoire de psychologie sociale, que la crdibilit d'une information est accrue lorsque l'auditeur croit qu'elle ne lui est pas destine et qu'il surprend des confidences entre tiers. (18) On appelle donc propagande noire celle qui cherche tromper l'adversaire sur l'origine ou l'appartenance de l'action de propagande (exemple : la station de Soldatensender Calais de Sefton Delmer commenait par Ici Radio Calais. Arme allemande. mettant sur 360 m, relaye sur ondes courtes par Radio Atlantik. Nous transmettons de la musique et des bulletins d'informations destins nos camarades de la Wehrmacht dans les secteurs Ouest et Nord... ). L a propagande grise se contente d'interposer un voile d'indtermination, c'est--dire qu'on ne sait pas quelles sont l'origine et l'appartenance de l'action de propagande. On conoit que la cration de la propagande noire soit le rsultat de l'analyse psychosociale des conditions de crdibilit des informations. On a remarqu, ds que l'on eut tudi du point de vue psychologique l'influence sur les opinions, que la propagande blanche n'tait pas crdible dans la mesure o les auditeurs, prvenus, mobilisaient des dfenses contre les informations ou ne s'exposaient pas leur influence. L a propagande noire a pour support psychosocial l'tude des conditions dans lesquelles les dfenses prcdentes n'existent pas.
la radio noire. C'est en entendant ses propres bobards affirms comme des vrits au procs de Nuremberg, que Delmer se dcida publier son rcit. La postrit de l'opration radio noire de Delmer n'est pas chercher dans les trs nombreuses radios clandestines qui fonctionnent aujourd'hui de par le monde (19) car elles n'utilisent gure ses procds et font, en fait, de la propagande blanche. Mme les missions-pirates (20), dont nous verrrons le rle spcifique dans la subversion, n'utilisent pas la propagande noire. Aujourd'hui, les techniques de Delmer, perfectionnes par le dveloppement mme de la psychologie sociale et des recherches sur la formation des opinions (21) sont utilises l'intrieur des tats lib(19) On a dress en 1970 une liste provisoire de 16 metteurs clandestins sur ondes courtes et moyennes diffusant vers l'Europe et le MoyenOrient : 3 de ces metteurs sont situs hors du continent europen : L a voix de la rsistance basque mettant en basque et en espagnol, est situe en Argentine, Radio Portugal libre est install en Algrie, L a voix de la Serbie libre n'a pu tre localise; sa bote aux lettres est Chicago. 7 metteurs sont en Irlande, dont 5 appartiennent l'I.R.A. (Arme rpublicaine irlandaise) et 2 aux catholiques de l'Irlande du Nord. Radio Espagne libre fonctionne depuis 1938 et est quelque part en Tchcoslovaquie ou en Russie mridionale. Russie libre , antisovitique, met partir de camions circulant en Europe occidentale et a une bote aux lettres Rotterdam. Bizin radio , metteur du Parti communiste turc, est en Allemagne de l'Est, l'metteur du Parti communiste grec est en Bulgarie. Radio Tyrol libre vise les Tyroliens du Sud, sparatistes contre l'Italie. L'metteur du Parti communiste iranien (mettant en arabe, en kurde, en iranien, en azerbadjanais) est en Allemagne de l'Est. Radio Tirana, en Albanie, a un rle clandestin dans la mesure o sont diffuses sur ses ondes les instructions des responsables chinois aux groupes maostes d'Europe occidentale. (20) On appelle mission-pirate , une mission radio ou tlvise se mlant par surprise une mission radio ou tlvise officielle, et < ( occupant un court instant la longueur d'onde du poste officiel grce une surpuissance. Sefton Delmer prit ainsi pendant des heures le relais de Radio Cologne sans que l'on s'en apert mais le contenu de l'mission tait aussi de la propagande noire. (21) cy. R. Mucchielli, Opinions et changement d'opinion, E . S . F . , 1970.
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raux occidentaux par les agents subversifs qui se sont infiltrs dans la presse et les radios de ces tats. Ce qui importe ici, l'occasion de l'histoire de la sub\ersion dans la guerre, c'est de souligner que, jusqu'au cours de la Seconde Guerre mondiale, la subversion a t utilise comme auxiliaire de la guerre classique, celle qui se droule et se conclut sur le terrain et par les armes. Un changement radical semble s'tre opr depuis une vingtaine d'annes : une nouvelle conception de la guerre trangre estompe peu peu la conception traditionnelle, et dans cette nouvelle forme de guerre, la subversion est devenue l'arme principale. En effet, la stratgie de la guerre totale d'aujourd'hui exclut le recours l'intervention trangre arme : au lieu d'engager des troupes sur les frontires de la nation conqurir, on suscitera, l'intrieur de cet tat, et par l'action d'agents subversifs entrans, un processus de pourrissement de l'autorit pendant que des petits groupes de partisans, prsents comme manant du peuple mme et constitus spontanment , engageront un nouveau type de lutte sur place avec l'intention affiche de commencer une guerre rvolutionnaire de libration , et avec, en fait, l'intention d'acclrer le processus de pourrissement de l'tat dans le pays vis, puis de prendre le pouvoir. La conception classique faisait de la subversion et de la guerre psychologique une machine de guerre parmi les autres pendant le temps des hostilits, et elles s'arrtaient leur fin. Les tats d'aujourd'hui, coincs par cette distinction archaque, n'ont pas compris que la guerre psychologique fait clater la distinction classique entre guerre et paix. C'est une guerre non-conventionnelle, trangre aux normes du droit international et des lois connues de la guerre, c'est une guerre totale qui dconcerte les juristes et qui poursuit ses objectifs l'abri de leur code. Comme
le dit Mgret {op. cit., p. 20) : La distinction classique entre la paix et la guerre sera, ds lors, mise en chec par la guerre psychologique (...), affranchie des barrires des temps, des lieux et des conventions, force immatrielle et, de ce fait, insaisissable, susceptible de toutes les incarnations et de toutes les mtamorphoses. Le but de la guerre reste le mme : expansion territoriale et occupation d'un autre pays ou installation, dans ce pays, d'un gouvernement alli ou soumis,... mais les moyens ont chang. Hritire de von Clausewitz et de Hitler, mise au point par Mao Ts-toung, la guerre moderne est psychologique d'abord, et le rapport avec les armes classiques est invers. Aujourd'hui, c'est le combat sur le terrain (la gurilla) qui est devenu l'auxiliaire de la subversion.
Le sergent algrien regarda la modeste rserve d'armes empiles sur le sot : ir Un rve, c'est un rve, dit-il de sa grosse voix sarcastique. Nous rvons. Nous n'avons ni peuple, ni armes, ni argent, ni nourriture, et nous voulons faire la rvolution! - Nous la faisons, corrigea Boudiaf, et nous n'avons plus beaucoup de temps devant nous pour la dclencher : une semaine! Y . Courrire. Les fils de la Toussaint, p. 250.
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procds efficaces, mais l'essor de la subversion, de ses techniques et de son influence, vient d'ailleurs. Deux phnomnes modernes sont l'origine des dveloppements dans ce domaine : En premier, l'expansion des moyens de communication de masse (mass mdia), capables de toucher individuellement les citoyens tout en les atteignant simultanment par immenses ensembles, ce qui en fait des moyens extraordinaires de suggestion : des informations sur le monde sont livres quotidiennement sans que personne n'ait le temps ni les moyens d'exercer un contrle, tout en ayant le besoin de savoir c'est--dire en s'exposant volontairement cette suggestion. En second lieu, le dveloppement de la psychologie sociale, de l'analyse du changement d'opinion et de ses conditions, seule science qui va donner aux moyens prcdemment voqus l'orientation subversive efficace et des techniques adaptes. La conjonction de ces deux moyens formidables, les mass mdia et la psychologie sociale, ne pouvait manquer d'intresser ceux qui, par des voies diverses, en taient arrivs une nouvelle conception de la guerre et de la rvolution.
CONCEPTION
DE L A
A u milieu du x i x ' sicle, Karl Marx, dans sa critique du livre de Chenu, Les conspirations, dit sans dtour son dsaccord avec ceux qui ont une conception volontariste de la rvolution, ceux qui croient possible d'acclrer par la conspiration et le coup d'tat la marche de l'Histoire vers la libration de l'humanit : Ces alchimistes de la 38
rvolution, crit-il, croient au miracle et ne se rendent pas compte qu' i l y a des conditions dans lesquelles toute rvolution est impossible parce que prive de bases . A la runion de la Ligue communiste du 15 septembre 1850, Karl Marx dclare avec force une fois de plus que le moteur de la rvolution n'est pas la seule volont des rvolutionnaires, mais les conditions socio-conomiques relles , opposant ainsi sa conception matrialiste et critique la conception idaliste et dogmatique de ses adversaires. On sait qu' cette^ance Marx fut trait de rformiste-tratre la rvolution par Bakounine, Willich et le groupe des anarchistes, et fut exclu de la Ligue ainsi qu'Engels. En 1920, Lnine, fidle Marx, considre son tour le gauchisme comme une maladie infantile de la rvolution. I l le dnonce comme un esprit rvolutionnaire petitbourgeois qui frise l'anarchisme ou lui fait quelques emprunts, et qui, pour tout ce qui est essentiel, droge aux conditions et aux ncessits d'une lutte de classe proltarienne consquente . Ayant tir la leon de la rvolution manque de 1905, Lnine appelle lutte de classe consquente celle qui s'assure que les conditions objectives sont runies. Confirmant l'ide que la rvolution n'est possible qu'appuye sur le mcontentement du plus grand nombre et sur le soulvement gnral, Trotsky disait, son tour, en parlant de la Rvolution d'Octobre 1917 : L a pauvret des moyens dont disposait l'agitation bolchevique tait frappante. Comment donc, avec un si faible appareil et tant donn le nombre insignifiant des tirages de presse, les ides et les mots d'ordre du bolchevisme ont-ils pu s'imposer au peuple? Le secret est trs simple : les mots d'ordre qui correspondent aux besoins aigus d'une classe ou d'une poque se crent des milliers de canaux. Le milieu rvolutionnaire port l'incandescence se distingue par une haute conductibilit des ides . Les masses sentaient 39
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ce que nous ne pouvions pas formuler consciemment , dit Lnine dans un discours, et Merleau-Ponty, commentant ce texte {op. cit., pp. 121-122) crit : Le sentiment des masses, pour un marxiste, est toujours vrai, non qu'elles aient toujours une ide claire de la rvolution dans le monde, mais parce qu'elles en ont l'instinct, en tant le moteur, qu'elles savent mieux que personne ce qu'elles sont disposes tenter, et que c'est l une composante essentielle de la situation historique. Cette conception marxienne, matrialiste et critique , de la Rvolution correspond l'image traditionnelle; elle contient en filigrane la justification du grand bouleversement. La Rvolution ainsi dfinie est l'explosion d'un mcontentement gnral, la rvolte du plus grand nombre possible de citoyens, le rsultat d'une prise de conscience gnrale de la ncessit et de l'urgence d'un changement politique. C'est cette conception que l'on retrouve dans toutes les analyses de la lgitimit de la rvolte ds avant les philosophes politiques du x v i ' sicle (qui, eux, en ont beaucoup parl), et c'est ce qui fait la valeur de cette image, sa puissance motivante tout autant que sa vrit. Or, sur le plan thorique (22), cette dfinition de la rvolution est aujourd'hui conteste par un retour en force du volontarisme rvolutionnaire. La rvolution se passera de sa justification, elle se passera de l'analyse socio-conomique et de ses conditions objectives, elle se fera avec l'accord de un pour mille de la population parce que les techniques psycho-sociales et l'utilisation des mass mdia permettent cette gageure. Si, comme nous l'avons vu au chapitre prcdent, la
(22) Je dis thorique car, dans la pratique de la subversion, cette image traditionnelle sera exploite en tant qu'image motivante.
guerre totale et permanente est elle-mme devenue l'organisation de la rvolution intrieure dans les pays conqurir, on conoit l'importance historique et stratgique de la nouvelle conception. Ses arguments thoriques se rsument quatre principaux : - Constat de l'chec dfinitif de la conception conomico-politique de Marx. - Constat de l'extinction de l'esprit rvolutionnaire des Soviets. - Analyse nouvelle de la rvolution faisant apparatre ses conditions essentielles, qui sont psychologiques. - Analyse des modles de Rvolutions (chinoise, algrienne et cubaine) russies dans ces conditions.
CONSTAT MARXISTE DE L'ECHEC DFINITIF D E L A CONCEPTION
Plus d'un demi-sicle aprs Octobre 1917, on peut constater que la prdiction de Karl Marx tait une erreur. Le capitalisme, loin d'aller de crise en crise vers une contradiction dchirante et mortelle, s'est victorieusement adapt, ajust, transform, perfectionn, fortifi. La thorie marxiste a t aussi dmentie par les faits que la prophtie d'Auguste Comte ou les prdictions dlirantes de Fourier (23). I l s'ensuit qu'en laissant faire l'Histoire, les fanatiques de la rvolution ont peu de chances de voir apparatre les conditions objectives , socio-conomiques, de la rvolution. L'aphorisme de Marx le temps des rvolutions par coups de mains accomplis par des minorits conscientes la tte de masses inconscientes est rvolu est ranger au muse des vrits mortes.
(23) Cf. Max Gallo, Tombeau pour la Commune, d. R. Laffont. 1971.
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Dtache de son contexte thorique, la praxis marxiste est alors retenue et magnifie (24). On trouve en effet dans Marx la recommandation de la lutte, lutte politique avant tout, de mme que l'on trouve dans Lnine la justification de la violence, dans Engels l'apologie de Machiavel, et dans Trotsky l'appel la lutte mort sans souci de moralit (25).
C O N S T A T D E L'EXTINCTION D E L ' E S P R I T R E V O L i m o N N A i R E C H E Z L E S SOVIETS
Dans Critique de la raison dialectique (paru en 1960. tome L P- 25), Jean-Paul Sartre crit :
Aprs nous avoir tirs lui comme la lune tire les mares, aprs avoir transform toutes nos ides, aprs avoir liquid en nous toutes les catgories de la pense bourgeoise, le marxisme, brusquement, nous laissait en plan... Le marxisme s'est arrt. En vertu de ce constat, Sartre dnonce le marxisme bureaucratique et immobiliste de l'U. R. S. S. et appelle l'action rvolutionnaire directe. Sur le terrain, les nouveaux rvolutionnaires entonnent le mme discours : Comme mouvement authentiquement rvolutionnaire, nous avons repouss les voies du compromis et de l'accord avec les exploiteurs (...). Nous avons abandonn la mthode traditionnelle et bureaucratique du travail de masses, mthode qui s'est progressivement transforme en passe-temps, en facteur de confusion, en srie d'checs, en prtextes pour la politicaillerie traditionnelle (...). Nous ne prtendons pas diriger les masses, commodment installs dans un bureau ou loigns de la lutte mme. Notre mouvement possde sa direction et ses meilleurs cadres sur le terrain (...). Notre processus rvolutionnaire commence (...) alors que les partis dits de gauche souffrent des funestes consquences des chemins sans issue qu'ils ont choisis. (Proclamation du Mouvement de la Gauche Rvolutionnaire, M.I.R., juillet 1965 au Prou) (26).
C'est le X X ' Congrs du P. C. d'U. R. S. S. (fvrier 1956) qui dclenche les accusations et spcialement celles de Mao Ts-toung, lequel allait donner le ton et les encouragements ncessaires un chur international. Quoique ce ne soit qu'en 1962 que le conflit idologique entre les partis communistes d'U.R.S.S. et de Chine clate au grand jour, ce conflit dbute en 1956 lorsque Mao comprend que Krouchtchev, par la doctrine de la coexistence pacifique, limine la guerre et donc l'espoir de la provocation de la rvolution internationale. La Chine devient, selon l'expression de Mavrakis (dans Du trotskysme, p. 245), la base rouge mondiale et prend la direction, laisse vacante, de l'organisation de la rvolution internationale. Aussitt, de par le monde, de vrais rvolutionnaires surgissent, qui condamnent l'U.R.S.S. et le x x ' Congrs, et qui, dans leurs pays respectifs, accusent les partis communistes orthodoxes de trahir la rvolution.
(24) C e qui explique que les groupes gauchistes puissent aujourd'hui se dclarer marxistes ou marxistes-lninistes alors qu'ils ne croient absolument plus aux analyses socio-conomiques de Marx. (25) Dans Leur morale et la ntre (p. 71), Trotsky crit : L a lutte mort ne se conoit pas sans ruses de guerre, en d'autres termes sans mensonge et tromperie.
Mme Fidel Castro, alors qu'il se rapproche conomiquement et militairement de l'U.R.S.S., seule capitale de lui donner l'aide financire dont i l a besoin, dfend le mme point de vue idologique :
Heureusement que la rvolution est arrive avant la maturit! Parce qu'en fin de compte, les mrs, les super-mrs ont tellement mri qu'ils ont pourri! (...) Quant ceux qui croient vrai(26) Ce texte n'est cit qu' titre d'exemple. L a mme ide et les mmes accusations se retrouvent dans toutes les proclamations des nouveaux rvolutionnaires.
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LA SUBVERSION i. ment que la voie pacifique est possible, nous ne comprenons pas de quelle sorte de voie pacifique ils parlent, si ce n'est d'une voie pacifique en accord avec l'imprialisme (...). L'essence de la question est de savoir si l'on va faire croire aux masses que le socialisme arrivera au pouvoir sans lutte, qu'il arrivera au pouvoir pacifiquement. Ceci est un mensonge. Ceux qui affirment qu'ils vont arriver pacifiquement au pouvoir sont en train de tromper les masses. (Fidel Castro. Discours de clture de la premire confrence de l'Organisation latino-amricaine de solidarit. L a Havane, 10 aot 1967).
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Toutes ces dclarations et leurs innombrables dcalques dans toutes les langues impliquent une critique du rformisme et du rvisionnisme , et n'ont de sens que comme dnonciations de la politique de coexistence formule par l'U. R. S. S. partir de 1956.
ANALYSE
NOUVELLE SES
DE
LA
RVOLUTION
FAISANT
APPARAITRE
CONDITIONS
ESSENTIELLEMENT
PSYCHOLOGIQUES
On doit constater que les conditions socio-conomiques de la rvolution (exploitation du travail, misre, chmage, pouvoir ne tenant pas compte du bien commun et se mettant au service des intrts d'une classe possdante minoritaire, etc.) et mme les conditions politiques (privation des liberts publiques, terreur policire, idologie impose, dpossession des droits lgitimes, etc.) ne deviennent motrices de la rvolution que s'il y a un tat d'esprit rvolutionnaire, une volont de lutte. C'est cet tat d'esprit qui fait la rvolution, sinon i l y a rsignation parce qu'il y a peur ou respect. On peut et on doit donc travailler au niveau psychologique, faire chec la peur et au respect, crer l'agressivit chez les uns, la complicit chez les ' autres. 44
Or ces sentiments, ces attitudes et ces conduites peuvent tre induits ou fabriqus de toutes pices..., et i l s'agit de savoir appliquer les lois psychologiques et psychosociales correspondantes. L'important n'est pas la ralit de la vie mais ce que les gens croient. Le moment de la rvolution n'a plus tenir compte de ce que les communistes, marxistes orthodoxes, appellent les conditions objectives, dterminables par une analyse socio-conomico-politique . Ce moment doit tre dfini en fonction d'une stratgie psychologique et partir d'une volont rvolutionnaire. Mieux encore, l'analyse historique des rvolutions mon- ' tre que celles-ci sont le fait d'une toute petite minorit active. Mme pendant la grande Rvolution franaise de 1789, les historiens ont dcouvert que les sections de Paris, groupant en principe les citoyens ayant le droit de vote (chacune d'un effectif thorique de 3 000 environ) n'taient frquentes que par 200 300 citoyens chacune, donc par moins du dixime de la population active. A u moment du succs de la campagne de propagande nazie en Hesse, selon les chiffres de Tchakhotine, i l y avait 90 % d'lecteurs passifs et seulement 10 % d'lecteurs actifs , c'est--dire militant dans un clan ou dans l'autre, ce qui, mme si l'on octroie aux partisans de Hitler la supriorit numrique, les dnombre comme formant entre 1/10 et 1/20 de la population lectorale (27). Enfin i l faut constater que les motivations qui mobilisent les esprits et les curs n'ont rien voir avec les ralits objectives; ce sont les mythes qui font que les hommes se lvent et marchent, s'exposent et se font tuer, ou au contraire s'arrtent et se cachent. Les mythes sont des ima(27) Nous verrons, ci-dessous, la consquence de ces considrations sur la tactique rvolutionnaire nouvelle.
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ges-forces, des imaginaires collectifs capables de fasciner les consciences d'un groupe ou d'une masse parce qu'elles y trouvent des satisfactions ou des valorisations profondes. La race allemande tait un mythe nazi qui a cot la vie six millions de Juifs; La Rvolution internationale est un mythe, de mme que le peuple ou la justice du peuple ... Trouver les mots qui portent est plus important que d'analyser les donnes objectives.
ANALYSE DES CONDITIONS RVOLUTIONS RUSSIES DANS CES
Ces conceptions nouvelles (28) s'appuient sur l'analyse (trop grossire mais qui suffit ses partisans) des rvolutions russies en l'absence de tout fondement socioconomique et par la seule application des techniques de la psychologie sociale et des mass mdia. La rvolution communiste chinoise Cette rvolution ne devrait pas tre considre comme un modle internationalisable puisque, pratiquement, la guerre civile a dur de manire ininterrompue de 1927 jusqu'en 1949, et encore condition d'oublier les tragiques conflits qui commencrent ds 1911 avec la grande rvolte contre les Mandchous, conflits ranims aprs 1921 par les ingrences sovitiques et la mobilisation du Kuomintang (parti communiste alors men par Sun Yatsen). On sait qu'aprs la mort de Sun, en 1926, le chef communiste fut Tchang Kai'-chek, qui, en 1927, converti
(28) Le volontarisme rvolutionnaire n'est pas nouveau puisqu'on le retrouve chez Babuf, chez Blanqui, chez Bakounine, comme on le retrouve chez Hitler, Mussolini, Nasser et beaucoup d'autres L a conception apparat comme nouvelle ici par rapport la guerre conventionnelle et la rvolution internationale autant - et plus - que par ranport a la rvolution intrieure un Etat.
et tout-puissant, commena une guerre d'extermination de ses anciens amis. C'est en 1927 que Mao Ts-toung, comme Chu-Teh. passa la gurilla, leurs troupes respectives se rejoignant en 1928. Certes, en 1935 encore, ces troupes runies taient faibles puisque, aprs la longue marche de 10 000 kilomtres qui avait dur deux ans, avec les armes nationalistes en permanence sur leur dos, elles ne comprenaient que 40 000 hommes, mais la guerre civile n'avait pas cess et elles taient de 300 000 hommes au dpart. Les choses se compliquent encore, dans cette rvolution, du fait de l'invasion japonaise qui dferle sur la Chine partir de 1931, ce qui mle la guerre trangre la guerre civile jusqu'en 1945, date de l'intervention amricaine en Chine pour liquider les armes japonaises. Entre temps, l'U.R.S.S. avait, en 1927, abandonn toute aide aux troupes communistes, rservant son assistance matrielle Tchang Ka-chek avec qui elle signe un accord en 1945 (29). En 1945, au moment o la guerre civile va s'embraser, Mao et Chu Teh, chefs suprmes des troupes communistes, disposent de 400 000 hommes de forces rgulires (de trs haute valeur militaire i l est vrai, et fanatiquement politiss) et de 700 000 miliciens (paysans volontaires), soit plus d'un million de soldats encadrs, auxquels s'ajoutent d'innombrables groupes de gurilleros installs dans les rgions montagneuses (Shantung, Chine du Sud, Hanan, Kwangthu, Kwangsi, Fukien) qui harclent les forces nationalistes, coupent les communications et font une intense propagande parmi la population.
(29) On peut penser que le ressentiment de Mao contre l'U. R. S. S. est venu de ces premires trahisons . L'accord de 1945 avec Tchang Ka chek tait un effet des accords de Yalta entre les Allis dans leur guerre commune contre l'axe Rome-Berlin-Tokyo.
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En face, une arme nationaliste de plus de 3 millions d'hommes, quipe par les Amricains, dote d'artillerie, de blinds, d'aviation et de marine, mais incohrente, mal paye, mal nourrie, ayant pris l'habitude de vivre au dtriment des populations et sans aucun moral. L'administration nationaliste, en outre, tait corrompue et incomptente, les fonctionnaires prlevant leur gr une part variable sur les recettes de l'tat et multipliant les prvarications; l'organisation centrale tait en pleine dconfiture conomique (70 % du budget tait rserv la guerre, l'inflation battait son plein : les prix par exemple augmentrent de 700% en 1946). On connat les phases de la victoire de Mao en quatre ans, ponctue de multiples tentatives de rconciliation sous l'gide des U . S. A. (particulirement du trs conciliant gnral Marshall), et mme pratiquement en deux ans, de 1947 1949. Cette guerre rvolutionnaire n'est pas un modle cause de ses circonstances historiques et politiques exceptionnelles, et surtout cause du soutien populaire rel, soutien de la masse innombrable des non-possdants agriculteurs, rduits la misre par un systme administratif incohrent (en particulier les fameuses taxations variables sur les produits du terrain lou), soutien de toute la population dans la guerre contre l'tranger (les Japonais d'abord, les Amricains ensuite). Sur le plan thorique non plus elle n'est pas un modle internationalisable, puisque Mao, s'adaptant la situation morale, culturelle et socio-conomique, fit quelque entorse au strotype marxiste (30) en commenant non pas par
(30) Deja nettement contredit par l'histoire puisque cette rvolution, comme celle de la Russie, se produisait dans un pays pratiquement non industrialis.
la dictature du proltariat mais par un libralisme conomique trs populaire (au sens de : agrable tous), associ une forme de rpublique, o chaque citoyen devenait propritaire (31). Cependant, sur le plan pratique, la Rvolution chinoise est plus qu'un modle, elle est un prototype et une mise en branle de la rvolution internationale. Prototype parce que le vocabulaire, les ides, les techniques psychologiques, sont prciss de manire dfinitive par Mao, comme nous le verrons; mise en branle de la rvolution internationale parce que l'ide de rvolution mondiale (vieille ide de Trotsky et de Lnine) est dsormais (aprs la trahison de l'U. R. S. S), la mission de la Chine communiste. Avec la grande rvolution culturelle proltarienne , peut-on dire en suivant Mavrakis (op. cit. p. 115), ce qu'il y avait de nouveau dans l'enseignement de Mao s'est rvl avec le maximum de force et de clart et s'est transform en un ouragan qui balaya les vieilles ides, les vieilles coutumes, les vieux ftiches (32). Le rayonnement idologique librateur de cette rvolution sans prcdent s'tend sur le monde entier... Le jour viendra proclame le Parti communiste chinois (en 1965) o un grand combat se livrera en Europe occidentale et en Amrique du Nord, berceau du capitalisme et centre nerveux de l'imprialisme (33). Phrase capitale car elle dsigne nettement les U.S.A. comme le bastion abattre, ce qui va dclencher la lutte mort ,
(31) C'est la thorie des trois tapes intrieures du socialisme, bien connue par ailleurs. (32) Sauf Mao lui-mme, naturellement. (33) Dbat sur la ligne gnrale du mouvement communiste intemalional. Pkin, 1965, p. 216.
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c'est--dire la guerre totale contre les U . S. A . et leurs satellites europens, guerre qui emploiera la subversion comme arme principale et particulirement efficace, au nez et la barbe des gouvernements libraux et des chefs d'tat-major trs traditionnels du monde occidental qui continuent veiller sur les frontires dans l'attente des chars et des avions de l'adversaire, parce qu'ils considrent les moyens psychologiques comme des bobards sans puissance. La rvolution algrienne Quoiqu'en partie voile par la rvolution cubaine de 1960, la rvolution algrienne mrite de rester comme un modle du volontarisme rvolutionnaire se dveloppant et triomphant grce aux moyens psychologiques et aux mass mdia. Rappelons ses dbuts : Le 10 octobre 1954, les six hommes qui allaient devenir les chefs historiques de la Rvolution en taient chercher un nom nouveau pour leur mouvement. Huit ans aprs, ils taient au pouvoir, acclams par dix millions de citoyens. Le 1 " novembre 1954, au moment du dbut de l'action, les troupes comprenaient moins de 800 combattants et 400 armes, et les conditions socio-conomiques, politiques, historiques, n'taient pas du tout, dans toute l'Algrie, celles d'une situation rvolutionnaire. Voil ce qui fait la valeur du modle et la gloire - mrite - des chefs qui le composrent.
Le dclenchement de la rvolution doit crer une psychose de peur et d'inscurit chez les Europens et clamer au monde la volont d'indpendance de l'Algrie , disait Ben Bella (34). Krim prcisait : Nos moyens ne sont pas puissants. Il faut
compenser cette dficience matrielle par l'importance des objectifs. Si nous attaquons les forces armes, si nous incendions les dpts, nous frapperons l'imagination des autorits et des Europens qui se diront : (7s ne reculent devant rien. Le peuple, lui, saura que nous sommes dcids aller trs loin. L'action psychologique, le jour de l'insurrection, sera la chose la plus importante. N'oubliez pas cela.
Ainsi l'attentat doit tre valu uniquement en fonction de son caractre spectaculaire. De plus, i l doit tre connu de tous, et c'est l qu'entrent en jeu les mass mdia. Le 2 novembre 1954, le lendemain des quatorze attentats simultans, rpartis sur les trois dpartements, audacieusement excuts, tous spectaculaires, qui avaient demand au total la mobilisation de moins de 100 hommes, fait 7 morts parmi les Europens et une centaine de millions d'AF de dgts... les journaux d'Alger titrrent sur les attentats, avec photos et textes indigns. Photos et textes furent relays par la presse mondiale, faisant connatre l'univers lexistence du Front de Libration Nationale, avec un gros sissement suprieur celui qui tait calcul, donnant aux masses musulmanes travailles depuis plusieurs semaines par Radio Le Caire (qui appliquait les bonnes techniques de propagande hitlrienne) la certitude que la radio disait vrai en annonant une insurrection et donc qu'elle disait vrai toujours. I l en fut de mme, naturellement, pour toutes les oprations ultrieures. L'normit et l'inutilit du dispositif militaire dclench (proportionnel la peur des autorits et la grande illu-
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(34) Il n'imaginait videmment pas que, quelques annes plus tard, il allait tre arrt et enferm vie dans les prisons d'Alger. Krim ne songeait pas davantage au triste destin que lui prparaient ses compagnons.
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sion sur le nombre des terroristes) cra en mme temps le ridicule des troupes et le mythe de l'insaisissabilit de l'Arme de libration nationale (800 hommes sur 10 millions). La rpression (prvue et calcule par les rvolutionnaires) s'abattit sur l'ensemble de la population musulmane, d'o les injustices et les mcontentements exploits ensuite habilement par les agitateurs, par les campagnes d'explication dans les villages et l'occasion de certains rassemblements..., d'o aussi le dclenchement des campagnes de culpabilisation parmi les troupes franaises par le relais et le dtour des campagnes d'intoxication en France mtropolitaine par les agents subversifs allis du F.L.N. La guerre de gurilla commence, lment indispensable dans la guerre psychologique totale (35). Ben Boulad, qui faisait pour les chefs de groupes de l'A. L. N . , des cours de gurilla , inculquait les trois principes sacrs des gurilleros : mouvant comme un papillon dans l'espace, rapide comme une anguille dans l'eau, prompt comme un tigre affam (36). Que l'action psychologique, et la gurilla qui en tait le fer de lance, aient fait gagner la guerre d'Algrie au F.L.N., c'est ce qui n'est plus dmontrer. De mme, les meilleures contre-offensives franaises ont t les opra-
tions psychologiques et le contre-terrorisme qui, un moment, ont failli inverser la victoire. L'essentiel pour notre propos tait d'indiquer succinctement en quoi la Rvolution algrienne peut servir de modle aux entreprises rvolutionnaires actuellement en cours de par le monde occidental (37). La rvolution cubaine Le modle cubain est aujourd'hui le plus invoqu par les rvolutionnaires en exercice. OfTiciellement, c'est mme la thorie tire de cette exprience qui a cours en Europe et en Amrique latine. La rvolution cubaine, telle que l'a en fait ralise le Mouvement du 26 juillet , n'a que peu de chose voir avec la prsentation et la mythification de cette rvolution telles qu'elles circulent maintenant. Dans les souvenirs des participants aux premires tentatives insurrectionnelles du Mouvement du 26 juillet , on ne retrouve pas la moindre formulation, mme approximative, de ce qui est prsent aujourd'hui comme la thorie ou la mthode castriste. (Luis Mercier-Vega, op. cit., pp. 87 et suivantes). D'autre part, sur le plan politique intrieur, il faut savoir que l'arme et les autorits qu'allait combattre Castro taient peu aimes par la population, beaucoup moins que le rgime de Machado que Batista avait remplac (38).
(37) Il est vrai - mais l'analyse n'est jamais pousse dans cette direction - que des circonstances trs favorables, locales et mtropolitaines, ont aid invisiblement et puissamment au succs. Toujours est-il que F . L . N. et A . L . N . , noms crs par les six premiers chefs algriens, sont devenus universels. (38) On sait que, aprs le dictateur Machado, fut install un prsident provisoire : Carlos Manuel de Cespedes, et c'est sous le gouvernement de ce dernier que Fulgencio Batista, alors sergent dans l'arme, exera
(35) lment seulement, car, comme nous le verrons, la gurilla rurale ou urbaine n'est pas, contrairement ce qu'on croit, l'essentiel de la guerre rvolutionnaire. Elle est la source et le tremplin des actions psychologiques. (36) Principes cohrents par rapport aux quatre rgies de Mao Tstoung codifiant ce qu'on savait depuis toujours dans les guerres de partisans : quand quand quand quand l'ennemi avance en force, je bats en retraite, il cherche viter la bataille, je l'attaque, il s'arrte et campe, je le harcle, il se retire, je le poursuis et le dtruis.
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Pendant la priode d'entranement et de prparation au Mexique, i l s'agissait, dans l'esprit des rvolutionnaires , d'oprer d'abord un dbarquement russi, selon la bonne tradition des Marines amricains, et ce sont seulement les ncessits de la conqute du pays qui obligrent les troupes, trop peu nombreuses et rencontrant une rsistance inattendue, faire une guerre de gurilla. Les premiers contacts avec le sol national, aprs le dsastreux dbarquement du Granma, le 2 dcembre 1956, furent difficiles, et c'est la dure exprience de cette guerre que se dessinrent les recommandations du commandant Ernesto Guevara, lesquelles retrouvent une fois de plus, sur le plan strictement militaire, les vieux principes de la guerre de partisans :
Des noyaux relativement petits de personnes choisissent des endroits favorables pour la guerre de gurilla, soit dans l'intention de lancer une contre-attaque, soit pour prendre le vent, et l commence l'action. I l faut tablir bien clairement ce qui suit : dans la premire priode, la faiblesse relative de la gurilla est telle qu'elle doit seulement penser se fixer sur le terrain, connatre le milieu, tablir des relations avec la population et renforcer les lieux qui pourraient se transformer le cas chant, en bases. Il existe trois conditions pour la survie d'une gurilla qui commence dans les conditions donnes ici : mobilit constante, vigilance constante, mfiance constante (Commandant E . Guevara, La guerra de gurillas, un metodo, imprim Cuba par le ministre des forces armes, L a Havane. 1960) (39).
Par contre, Cuba comme en Chine et comme en Algrie, le rle politique et psychologique de la gurilla, lment nouveau, est soulign.
Dj la gurilla possde une organisation, une structure nouvelle. C'est la tte d'un grand mouvement avec toutes les caractristiques d'un gouvernement en rduction. On tablit un tribunal pour l'administration de la justice, on promulgue quelques lois si possible, et l'on poursuit le travail d'endoctrinement des masses paysannes et ouvrires s'il en existe proximit, pour les attirer la Cause. (E. Guevara, ibid.) (40).
Sur le plan psychologique, toujours essentiel : d'une part utilisation des mass mdia pour agir sur l'opinion publique nationale et internationale (41), d'autre part subversion active contre les autorits et les forces gouvernementales, en fabriquant autour d'elles le mpris et l'aversion grce l'exploitation des rpressions aveugles, des fautes politiques, et des faits divers. En quatre ans, de 1956 1960, date de l'effondrement du gouvernement Batista et de la prise du pouvoir par Fidel Castro, le minuscule groupe originel, baptis selon la bonne tradition dsormais Arme de Libration, grossissant au fil des annes, conquiert l'le et y instaure le sociades ennemis en colonne. Aprs quelques bons exemples de ce genre, dit-il, nul ne veut plus faire partie de l'avant-garde, ce qui immobilise l'ennemi. (40) I l convient, naturellement, de lire entre les lignes et d'imaginer que cette ncessaire implantation ne se fait pas sans recours la terreur comme dans le modle algrien. (41) Comme nous le verrons ci-dessous {cf. p. 90), l'utilisation des mass mdia n'est pas seulement infiltration des moyens d'information de masse par des agents subversifs. Les mass mdia, par leur existence mme et par le fait qu'ils parlent des attentats, embuscades et autres actions spectaculaires organiss par les gurilleros, font la publicit de la rvolution, mme sans le vouloir, et crent la psychose qui sert les buts des rvolutionnaires.
d'abord le pouvoir en 1933. Batista limogea les vieux gnraux, promut les jeunes officiers et favorisa ainsi une nouvelle hirarchie militaire qui n'avait plus de liens avec les grands propritaires terriens comme cela se trouvait dans la prcdente arme. (39) Un dtail tactique original cependant dans les instructions du Che : l'extermination systmatique des avant-gardes lors de la marche
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lisme qui y rgne toujours grce l'application ultrieure de la propagande d'intgration. Ainsi trois modles, purs des conditions historiques relles de leur succs, participent la construction du modle international que de nombreux groupuscules vont se mettre en devoir d'appliquer partir de 1960, dans leurs pays respectifs. I l faut faire deux, trois, quatre Vietnam... recommandait Guevara, avant d'arriver clandestinement lui-mme, en novembre 1966, en Bolivie (42) pour y commencer l'action selon sa thorie. I I - UNE NOUVELLE GURILLA CONCEPTION DE LA
Les stratges et tacticiens de la guerre subversive, analysant mthodiquement leurs checs, ont fait des progrs depuis la mort de Guevara, et ont rectifi sa conception. I l est temps de faire le point sur la thorie actuelle et de dfinir l'action rvolutionnaire subversive dans son projet gnral, d'aprs les faits et dires des rvolutionnaires gauchistes d'aujourd'hui (43), le principe de base (le volontarisme rvolutionnaire antimarxiste) tant admis (44).
(42) Ce pays fut, on le sait, choisi pour sa position gographique. L a Bolivie a en effet des frontires communes avec le Chili, l'Argentine, le Paraguay, le Brsil et le Prou. Le camp de Nancahnazu qui y fonctionnait depuis aot 1966, command par deux chefs forms au NordVietnam, fut le camp o vint Rgis Debray. Che Guevara fut tu par les gouvernementaux le 7 octobre 1967. (43) Nous regroupons sous le nom de rvolutionnaires gauchistes (leur diffrenciation n'tant pas importante au niveau du projet gnral o nous nous plaons) les groupes divers, trotskystes, guvaristes, castristes, maostes, en action de par le monde aujourd'hui. D'autre part, nous dfinirons les actions rvolutionnaires subversives sur leurs exemples parce qu'ils sont trs connus, mais il est vident que l'idologie relle ne fait rien l'affaire et que l'action subversive dans le projet de prise du pouvoir peut s'accommoder de n'importe quelle idologie et se mettre au service de n'importe quel complot contre l'tat. (44) On peut se demander pourquoi, dans ces conditions, tous les
I l est frquemment question, dans les brochures de propagande, de rvolutionnaires professionnels . Dans La longue marche, Rgis Debray dit comme allant de soi que de 10 30 rvolutionnaires professionnels, entirement consacrs la cause et avec en vue la prise du pouvoir peuvent suffire crer la situation psychologique rvolutionnaire. Cette notion est la descendante directe d'une conception de Trotsky, mais, chez celui-ci, elle s'appuyait sur une ide gnrale (partage par Lnine) suivant laquelle i l ne s'agissait l que du fer de lance d'un mouvement de masse, le parti tant ce fer de lance . C'tait une conception rationnelle autant que rvolutionnaire dans la mesure mme o le passage d'une situation rvolutionnaire authentique (mcontentement gnral et soulvement spontan des masses) la rvolution comme prise du pouvoir exige une technique du coup d'tat. La conception de Rgis Debray est la fois voisine et fort loigne de celle de Trotsky, dans la mesure o ce petit noyau n'a plus besoin de ses attaches justificatives avec le mcontentement populaire gnral qui, dans la thse rationaliste et matrialiste, doit historiquement le prcder. C'est par l, d'ailleurs, que l'action devient pure technique, et que les thories de rfrence peuvent tre n'importe quoi (45).
groupes rvolutionnaires partisans de l'action directe se rclament qui mieux mieux du marxisme-lninisme . Il faut croire que cette bannire est utile puisque mme Hitler, dans le programme qu'i prsentait avant sa prise du pouvoir, affichait le socialisme comme un but. Cette tiquette et cette invocation suffisent, au xx= sicle, donner l'aurole de la justice sociale et de l'authenticit des idaux rvolutionnaires. Sous ce leurre, en outre, les conspirateurs vitent d'avoir un programme dfini et peuvent dnoncer tout adversaire comme ractionnaire . (45) Prcisons qu'il s'agit, dans ce n'importe quoi , des conceptions philosophiques intimes des agents rvolutionnaires qui sont l'origine
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La formation de ces rvolutionnaires professionnels ne se fait plus dans le cadre d'un parti dj existant. On peut se passer d'un parti marxiste-lniniste d'avant-garde de la classe ouvrire dit, dans le mme ouvrage, Rgis Debray. Puisqu'il faut, son avis, une organisation minoritaire de rvolutionnaires professionnels, thoriquement forms et pratiquement entrans suivant toutes les rgles de l'art , i l suffira d'avoir quelques meneurs clandestins qui, eux, ont suivi la formation spciale dans des camps organiss, et qui formeront leur tour des groupuscules l'cole mme de la gurilla, c'est--dire pendant une activit de gurilla rvolutionnaire.
R E N O U V E L L E M E N T R C E N T D E L A NOTION D E G U R I L L A
Nous avons vu ci-dessus que l'image traditionnelle de la rvolution comme terme politique d'un soulvement populaire spontan contre une situation collective intolrable d'injustice et d'oppression, comme rvolte anime par les valeurs de libert, de scurit et de justice..., n'a plus rien de commun avec la conception volontariste de la rvolution, sauf, en ce que celle-ci, pour les besoins de sa propagande, se prsente toujours sciemment sous les traits de celle-l. I l en va de mme pour la gurilla. Historiquement et traditionnellement, la gurilla ou guerre de partisans est l'manation spontane de petits groupes arms chez un peuple soumis l'occupation et l'oppression d'une arme et d'une administration trangres. Ainsi la gurilla des Espagnols contre les armes de Napolon, ainsi les actions
militaires des maquisards en France sous l'occupation et aux premiers jours du dbarquement alli en 1944. La gurilla rvolutionnaire cherche conserver - avec le nom mme de gurilla , de guerre de partisans ou de maquisards - toutes les valeurs motionnelles collectives de l'image traditionnelle, qu'elle cherche renforcer toujours en parlant d' occupant , d' emprise de l'tranger et de libration du peuple (46), mais en ralit, elle est une gurilla volontariste, c'est--dire sans support historique, et cre de toutes pices dans le but de servir l'action subversive entreprise par ailleurs l'aide des mass mdia. Cette conception moderne s'est dgage lentement des premires thories de la guerre rvolutionnaire o elle tait encore tout imprgne de notions archaques, quoique l'intention politique essentielle y et dj t souligne. Chez Mao, le fait que la guerre de ses partisans se soit pendant de longues annes effectue contre les envahisseurs japonais en mme temps qu'elle se dveloppait contre les troupes de Tchang Ka-chek a servi la nouvelle conception sans l'purer tout fait. Dans la seconde partie de La guerre rvolutionnaire (trad. fr., ditions Sociales, 1955, coll. 10/18), Mao dcrit de manire prcise la gurilla au sens le plus traditionnel (cf. pp. 137-138 en particulier). I l fait la thorie militaire (stratgie et tactique) de la guerre des partisans contre l'envahisseur dans l'hypothse o i l n'y a aucune arme rgulire sur laquelle compter. Seules innovations (importantes, i l est vrai) : premirement, i l suffit de considrer les adversaires dans la guerre civile comme des envahisseurs , et tout ce qui a t dit de la gurilla normale devient valable pour la gurilla rvolutionnaire, sur le plan stratgique et tactique; deuxime(46) Sur ces techniques de prsentation par la subversion, cf. ci-dessous.
du mouvement. Naturellement, ce qu'il faut dire et proclamer n'est pas n importe quoi. Les thses affiches, de mme que les slogans, ont tre calculs en fonction de leur impact psychologique sur le groupe vise, et tant donn le genre d'effet que l'on veut obtenir.
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ment, i l faut par contre dvelopper et intensifier l'intgration politique des combattants et des rgions conquises . On voit en quoi et comment s'effectue le passage d'une gurilla l'autre : aux sentiments populaires spontans qui animent le peuple chinois contre l'adversaire japonais, i l faut substituer des sentiments nouveaux inculqus par la propagande et l'ducation, mais galement agressifs, contre l'adversaire chinois. A u niveau des proclamations, des discours et de l'action verbale horizontale (47), i l faudra toujours faire passer les adversaires politiques pour des occupants (48) ou, dfaut, pour des valets de l'tranger , fantoches la solde de l'occupant tranger , de prfrence amricain. Pour Mao, l'opration fut facilite par le fait que Tchang Ka-chek, quoique en guerre lui aussi contre les Japonais, tait soutenu par les U.S.A. et par l'U.R.S.S. C'est en tout cas partir de Mao et sa suite que tous les rvolutionnaires de la nouvelle gnration prendront soin de faire considrer le pouvoir abattre comme tranger la socit qu'il domine. C'est par rapport cet tat, mme s'il a t plbiscit, et contre cet tat, qu'existe le peuple au nom duquel on entreprendra la guerre de libration (49). Les ides d'Ernesto Guevara se dgageaient aussi de l'image traditionnelle mais en taient encore trop impr(47) Cf. ci-dessous, p. 141. la distinction entre propagandes verticale (forme commune, venant de l'extrieur et des leaders de partis) et horizontale. (48) On sait que. prenant la leUre cette consigne, certains agents subversifs franais s'efforcent, sous couvert de rgionalisme, de faire passer le pouvoir central en France pour un occupant . (49) A noter aussi les succdans : colonisateur et colonialiste qui prtendent au mme contenu affectif ngatif que occupant . Les mouvements de libration de la femme s'emploient faire admettre qu'elles sont colonises par les hommes.
gnes. Dans La guerra de gurillas, un metodo (p. 15) le Che crivait : La guerre de gurilla est une guerre du peuple. Prtendre raliser ce type de guerre sans l'appui de la population, c'est aller au dsastre (...) Le gurillero doit pouvoir compter sur l'appui entier de la population de la contre, c'est une condition indispensable. Opposant ces combattants glorieux, les bandits (bandoleros), i l dit que ceux-ci, tout en se conduisant de la mme faon, n'ont pas la sympathie du peuple et seront invitablement faits prisonniers ou extermins par les autorits . On voit donc, par ces textes, les traces de l'image traditionnelle de la gurilla, et ces affirmations du Che sont d'autant plus tragiques que, dans son carnet de route, trouv sur lui aprs sa mort, i l disait sa dception devant l'impermabilit des paysans boliviens ( les campesinos se sont avrs des dnonciateurs ). Cependant le germe des ides nouvelles se trouve aussi dans son uvre, et en particulier trois ides qui se dveloppent aujourd'hui : primo, il faut tout de suite commencer l'organisation et l'ducation politique (ide dj mise par Mao et applique aussi bien Cuba qu'en Algrie); secundo, la gurilla est le parti en gestation, ide importante o l'on retrouve le refus de la dpendance l'gard d'un parti rvolutionnaire tabli , et l'intention d'unir indissolublement la formation politique et la formation de combattant sur le terrain (fin de la formation thorique en chambre ou en amphithtre ); tertio, ce soutien populaire indispensable, c'est la gurilla elle-mme qui doit le crer, et cela nous renvoie des techniques trs prcises d'influence sur les attitudes et les opinions. Cependant, l'ide mme que la gurilla doit tre rurale est une survivance de l'image traditionnelle. C'est en effet dans les campagnes et les villages, dans les monts et les valles qu'ils connaissent bien, que les vrais maquisards, fer de lance et espoir des populations occupes, sont leur 61
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aise et chappent de loin aux oprations d'envergure montes pour les capturer. Ce dernier archasme tombe aujourd'hui avec la thorie de la gurilla urbaine, la seule cohrente par rapport la conception volontariste de la rvolution et de la gurilla rvolutionnaire. Le dveloppement de la gurilla urbaine est en fait le rsultat des checs de la gurilla rurale, checs qui provenaient de la contradiction interne entre l'image de la gurilla historique authentique et les conditions mmes de la gurilla volontariste. Les gurilleros artificiellement implants ne pouvaient manquer (tragique retournement de la situation espre) de paratre des trangers aux ruraux transforms malgr eux en base rouge (50). Dans la ville, l'appui de la population est moins vital et l'on trouve toujours s'organiser clandestinement Les avantages de la gurilla urbaine, dcouverts par les Tupamaros en Uruguay (51), sont certains : - I l est facile de se cacher dans une grande ville. La
(50) Cela confirme des observations dj anciennes selon lesquelles le rflexe contre l'tranger au pays est plus fort que les ides et les idaux. Les armes de la Rvolution franaise taient certaines de provoquer la rvolution en chane dans les pays conquis au nom de la Libert-Egalit-Fraternit; Napolon fut surpris, parat-il, que les paysans russes qui auraient d rallier ses troupes, fassent le vide devant lui. L'Internationale attendait en 1914 que la grve gnrale universelle empcht la guerre, et c'est Jaurs qui fut assassin. Lnine tait certain quen 1917 1 exemple russe dclencherait la rvolution mondiale. Che Guevara s'imaginait que les campesinos le reconnatraient comme leur sauveur. (51) Les Tupamaros (ainsi nomms par rfrence Tupac Amaru, chef d'une rbellion lgendaire des Indiens contre les Espagnols en 1780) se formrent partir de 1962 par l'alliance des gauchistes, des castristes, des trotskystes et des maostes. L'cc invention par eux de la gurilla urbaine vient trs ralistement de ce que l'Uruguay est un pays entirement plat, et que 80 % de ses habitants vivent dans les villes (dont 50 % dans la capitale Montevideo).
preuve en a t faite par tous les traqus du monde. Les campagnes et les villages n'offrent pas la mme facilit surtout quand les habitants sont hostiles aux gurilleros. - I l est plus facile de se procurer de l'argent, en oprant par attaques de banques, cambriolages de bureaux de poste, ou en pillant tout simplement la caisse des commerants. Toutes les ressources de tous les truands du monde sont praticables. - L'enlvement des personnalits et les attentats contre les notables sont plus faciles. Les procds trs connus du rapt sont galement offerts (52). - La publicit de ces actions (dont nous reverrons ci-dessous le caractre indispensable toute gurilla) est d'autant mieux assure qu'elles se passent dans une grande ville ou dans la capitale, lieux ovi sont, par ailleurs, les personnalits importantes enlever ou tuer. - On peut utiliser, dans la ville, beaucoup de marginaux qui y sont comme des poissons dans l'eau ; certains tudiants en particulier, qui rsistent mal la marche en montagne, sont trs l'aise sur les trottoirs et dans les corridors (53). Cette urbanisation de la gurilla tient aussi, en effet, au choix des intellectuels comme recrues. Chaque page des textes de Debray (selon Luis Mercier Vega) confirme l'origine sociale des rvolutionnaires professionnels : tu(52) Ainsi les Tupamaros assassinrent en 1970 l'Amricain Mitrione qu'ils avaient enlev, puis kidnapprent de nombreuses personnalits. Le prsident Aramburu est assassin en Argentine, le ministre Laporte est tu au Canada, l'ambassadeur isralien Elrom est excut Ankara, tous par des groupes de gurilla urbaine ayant des dnominations semblables, des formations identiques et des objectifs communs sous le paravent de leur implantation locale. (53) L'habitude a t prise d'appeler gurilleros de couloirs ceux qui ont choisi l'Universit comme milieu de propagande et d'action.
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diants et universitaires, petite bourgeoisie . C'est aussi c< qui ressort de l'tude du sociologue Orlando Albornoz, qu cite lui-mme Umberto Cuenca et ses ouvrages Universitt rvolutionnaire et arme, et Universit et rvolution (Caracas 1964, Buenos-Aires 1962) (54).
A R T I C U L A T I O N D E L A SUBVERSION E T D E L A GURILLA
dans la rvolution,
Rgis Debray
Toute ligne apparemment rvolutionnaire doit pouvoir donner une rponse concrte cette question : comment abattre le pouvoir de l'tat capitaliste, c'est--dire comment briser son squelette, l'arme, renforce chaque jour par des missions militaires nord-amricaines? L a rvolution cubaine offre aux payi frres une rponse qu'il faut tudier dans les dtails de son histoire : par la construction plus ou moins lente, au travers de la guerre de gurillas mene dans les zones les plus propices, d'une force mobile stratgique, noyau de l'arme populaire et du futur tat socialiste.
I l y a dans ce manifeste, certes, des points nouveaux maintenant intgrs, savoir qu'il faut passer l'action directe, que le rformisme est vou l'chec sur le plan politique, que la gurilla est le parti en gestation ..., mais l'accent principal se dplace aujourd'hui. Les groupes rvolutionnaires oprant en gurilla urbaine ont perdu le
(54) Le fait que les universitaires soient le groupe prfr des agents rvolutionnaires recruteurs est interprt diversement : pour L . MercierVega, c'est l'utilisation naturelle d'individus petits-bourgeois anxieux du manque de dbouchs et cherchant faire leur trou par la violence. Pour d'autres, c'est le vieux strotype de l'intellectuel-chargd'clairer-le-peuple qui continue alimenter la volont de puissance des universitaires. Pour d'autres, enfin (J. Monnerot) l'Universit a t dsigne comme centre vital de la socit, donc comme premire institution a dmolir.
premier rle et ne peuvent en aucun cas constituer le noyau de la future arme populaire, parce que, finalement, on n'a pas besoin d'arme populaire pour russir prendre le pouvoir. C'est la subversion qui passe au premier rang. Avant de dfinir ses caractristiques, disons que son rle reste insparable de la gurilla. Cela de trois faons fondamentalement ncessaires : - La gurilla cre le climat psychologique . Par ses actions, qui doivent tre spectaculaires, elle engendre la terreur, la panique muette; elle rallie aussi les opportunistes qui misent sur son succs et la subventionnent. Cet effet est, bien entendu, obtenu par le relais des mass mdia qui matraquent l'opinion publique nationale et internationale, et donnent corps la croyance en l'existence d'une arme de libration puissante et insaisissable. Cette action par les mass mdia, grce aux contenus fournis par les actes de gurillas, est une des oprations de la subversion. - La gurilla cre l'agitation gnrale et, si possible, l'anarchie. Par l, elle provoque son tour, par une raction en chane, l'entre en lice de nouveaux groupes qui croient pouvoir profiter du climat cr, ce qui augmente l'agitation et l'anarchie, et ainsi de suite. L'intoxication par les mass mdia souligne l'impuissance du gouvernement, favorise l'impunit, accrot le nombre des contestataires, et cre le dsordre chez les dfenseurs de l'Ordre. - La gurilla provoque la raction rpressive, et de cette raction, l'action subversive s'empare pour provoquer l'unit dfensive dans les groupes viss comme allis possibles, et l'indignation dans l'opinion publique. Cette action permet, toujours par le relais des mass mdia, de dconsidrer l'autorit et ses auxiliaires, de les dnoncer comme oppressifs-rpressifs. Ainsi, c'est avec un minuscule appareil de dpart, mais 65
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avec un art c o n s o m m de la manipulation psychologique, que se dveloppe l'entreprise rvolutionnaire volontariste. L a violence sert de d t o n a t e u r u n explosif beaucoup plus puissant qui est la subversion elle-mme, orchestration, amplification et canalisation des effets, en soi minimes, de la violence. Car, finalement, c'est l'opinion publique qui compte, ce sont les ractions de l'opinion publique l'gard du gouvernement ( abattre) et de la socit ( dtruire); et cela permet d'tendre les missions de la subversion au-del de l'exploitation des violences et en dehors d'elles, c'est--dire avant leur d c l e n c n e m e n t ou dans l'intervalle de leurs explosions.
1 ^
Si, comme nous l'avons vu, subversion signifie renversement, le mot aurait une identit smantique avec rvolution . Et d'une certaine manire, on peut attribuer aux agents de l'une ou de l'autre la mme intention. Cependant s'en tenir au sens strict, la subversion se distingue de la rvolution sous trois aspects : - La rvolution est le moment critique final d'une longue priode d'injustices et d'exactions subies. La subversion peut tre organise, comme on l'a vu, en l'absence de toute condition objective de la rvolte populaire. - La rvolution implique - dans son image commune 67
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la virtualit d'un nouvel ordre, d'un nouveau systme socio-politique destin remplacer l'ordre ancien. Rien de tel dans la subversion qui a pour objectif la destruction pure. A ce titre, la subversion est ngative et ne contient aucun des lments constructifs-positifs attendus de la rvolution. - La rvolution s'associe - par le fait mme de son antirformisme - l'ide de violence dans le sens fort de violences matrielles (dsordres, combats, contraintes physiques, blessures, morts, destructions diverses, souffrances physiques et morales...), et cela sur une grande chelle (au niveau d'une nation entire, par exemple) et dans un temps relativement limit. Rien de tel dans la subversion qui exploitera, certes, des actes limits de violence et de terrorisme, qui utilisera, aussi et encore plus, la violence verbale..., mais qui est plus froide et plus calcule, s'tendant sur plusieurs annes s'il le faut et se dveloppant de manire insidieuse, l'abri du temps de paix . Si l'on constate aujourd'hui une subversion rvolutionnaire (et i l n'y a l aucun plonasme), c'est parce que la subversion comme ensemble de techniques est au service d'une guerre rvolutionnaire, d'une volont rvolutionnaire. Ainsi oriente par cette intention, l'action subversive est une action prparatoire du moment dcisif de la prise du pouvoir par une minorit infime. Si elle russit, la prise du pouvoir se fera sans coup frir par un petit groupe qui s'y sera prpar. C'est, ici, de la position mme de la subversion qu'il s'agit dans l'ensemble du volontarisme rvolutionnaire. Distinguons bien les deux phases dont la premire (phase de subversion) est trs longue et la seconde (phase de prise de pouvoir) trs courte. La premire serait vaine si la seconde ne venait pas - en la concluant - lui donner un 68
sens. La seconde serait impossible sans sa phase prparatoire. A u cours de la phase de subversion, les actions violentes des petits groupes (soit spontans, soit suscits et anims par les agents subversifs)/o/ partie de la subversion en ceci qu'ils fournissent les incidents exploitables. Dans la phase de prise de pouvoir, qui se fera sans coup frir et sans les affrontements violents avec les forces gouvernementales ou les partis d'opposition parce que prcisment la subversion aura rempli son rle, ces mmes petits groupes n'ont plus de raison d'exister et devront ultrieurement tre rduits au silence ou intgrs, car le groupe minoritaire qui prendra le pouvoir ne sera pas forcment form de ceux qui ont men effectivement les actions prcdentes. Ce sera, comme c'est logique, le groupe de ceux qui ont organis et conduit la totalit du processus. tant donn cette position centrale de la subversion dans le droulement d'ensemble, on comprend qu'on puisse parler aujourd'hui de subversion rvolutionnaire. C'est dans cette perspective que la subversion se prsente avec des objectifs et des moyens spcifiques
PUBLIQUE
Les objectifs de la subversion sont triples. Leur diffrenciation ne peut tre que didactique car, en fait, ils s'appuient et se renforcent mutuellement. Ce sont : ~ Dmoraliser la nation vise et dsintgrer les groupes qui la composent - Discrditer l'autorit, ses dfenseurs, ses fonctionnaires, ses notables. - Neutraliser les masses pour empcher toute intervention spontane gnrale en faveur de l'ordre tabli, au 69
LA SUBVERSION
moment choisi pour la prise non-violente du pouvoir par une petite minorit. Ces buts sont accessibles seulement par l'utilisation des mass mdia; sans presse, sans radio, sans tlvision, la subversion est impuissante; sans techniciens de la psychologie sociale, comme nous le verrons en tudiant les mthodes au chapitre suivant, elle est incohrente. Fixons maintenant les trois objectifs :
DEMORALISER GROUPES L A NATION VISEE E T DESINTEGRER L E S
QUI LA COMPOSENT
Comme le dit Reguert (op. cit., p. 129), le vainqueur est celui qui peut et veut encore combattre alors que l'adversaire ne le veut plus et ne le peut plus. Von der Goitz a remarqu galement que dans un combat i l ne s'agit pas tant d'anantir les combattants ennemis que d'anantir leur courage. La dmoralisation, c'est la dissolution du courage, la chute du tonus mental que donnent la foi dans les valeurs du groupe national et la confiance dans son avenir. L'analyse (trs pousse aujourd'hui par la psychologie sociale) des facteurs du moral permet de connatre les facteurs de la dmoralisation. Citons en particulier : - la destruction des valeurs pour lesquelles l'ennemi combat; l'injection du doute; - l'intoxication sur la propre valeur de chaque combattant ennemi, l'injection d'un doute sur soi, accompagnant le doute sur ce quoi il croyait; ~ la culpabilisation. I l faut arriver , dit Ellul propos de la propagande (op. cit. p. 210) - et cela s'applique la subversion - ce que l'ennemi perde confiance dans la justice de sa propre cause, de sa patrie, de son arme, de 70
son groupe. L'homme qui se sent coupable perd en mme temps son efficacit et le sens de son combat. Convaincre l'homme que, sinon lui-mme, du moins ceux qui sont de son ct commettent des actes immoraux, injustes, c'est amener la dsintgration du groupe auquel il appartient ; - l'impression donne l'ennemi de sa solitude et de la rprobation que lopinion publique ressent son gard, a fortiori de la rprobation de l'opinion publique mondiale; - le ridicule, l'illogisme, le drisoire (55); - la dissolution de la confiance de l'adversaire dans ses moyens d'attaque et de dfense; - l'impression d'ternisation du combat; - la certitude d'avoir en face de soi un ennemi dur et sr de la victoire, dcid tout; - l'impression d'inutilit de la lutte. S'appliquant aux adversaires par les techniques subtiles, la subversion cherche donc les dmoraliser. Elle cherche aussi les dissocier, les dsintgrer. Par l elle est un art de la discorde. Ici encore l'analyse psychologique des facteurs de cohsion et d'unit des groupes permet de dduire les facteurs de dissociation et de discorde, de faon les injecter dans la nation ou les groupes dtruire.
DISCREDITER NOTABLES L'AUTORITE, SES DEFENSEURS, A E T LES
D E L A NATION
OU DU GROUPE
DETRUIRE
L'autorit de l'tat est schmatiquement fonde d'une part sur le consensus de la nation qu'il incarne (ou tout
(55) Ainsi par exemple pour imposer sa conception de la paix, le prsident Nixon est oblig d'tendre la guerre, disait le journal Le Monde dans un ditorial de mars 1971.
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CARACTRISTIQUES G N R A L E S D E L A S U B V E R S I O N LA S U B V E R S I O N
au moins de sa majorit), d'autre part sur un systme de droits qui lui sont dlgus par la Constitution et par les lois (spcialement droit de dcision), appuys sur des forces de maintien de l'ordre (ou de rpression des dsordres) et sur un systme de sanctions (code), sur certaines institutions-cls, celles d'o sortiront les cadres futurs de la nation, enfin sur la respectabilit des notables qui assurent d'une faon ou d'une autre le fonctionnement de la socit. La subversion attaquera toutes ces charnires. La subversion, en dconsidrant le pouvoir aux yeux de l'opinion publique, c'est--dire de la masse des citoyens, veut aboutir une baisse de l'autorit morale de l'tat. Cette baisse d'autorit est son tour utilise comme preuve de l'incapacit des gouvernants et comme incitation la dsobissance civique. Un filet tnu et serr d'irrespect et de mfiance gnraliss paralyse en mme temps le pouvoir central et l'opinion publique.
N E U T R A L I S E R L E S MASSES POUR EMPCHER TOUTE INTERVENTION SPONTANEE G E N E R A L E E N F A V E U R D E L ' O R DRE ETABLI
l'immense majorit des citoyens par la subversion : en opposition avec la conception matrialiste et raliste de la rvolution, la conception volontariste, comme on l'a vu, n'a pas besoin du soulvement gnral ni de la participation active du peuple .La rvolution volontariste, celle qui utilise la subversion comme pourrissement de l'Autorit, dconsidration du pouvoir en place, dcomposition des forces de maintien de la socit abattre, n'est absolument pas fonde sur la mobilisation des masses.
Attendre que la population participe d'elle-mme la lutte de libration est un mythe que j'ai personnellement dnonc, mythe qui conduit l'attentisme le plus strile . (Paul L i moyne - pseudonyme - in La cogne, n 49, Montral, Dcembre 1965).
Cette nouvelle entreprise rvolutionnaire n'a mme plus besoin, comme la gurilla traditionnelle, de la sympathie populaire :
La force des terroristes ne rside pas dans la complicit de la population (Paul Desbiens, in La Presse, Qubec. Editorial d'Octobre 1970).
Nous voici devant l'effet le plus insolite et le plus original de la subversion. On a beaucoup parl, et on parle toujours, de la majorit silencieuse , c'est--dire de la trs grande majorit des citoyens de chacun des pays travaills par la subversion, et l'on s'tonne de sa passivit. Elle est l'espoir mythique des gouvernements soumis aux attaques subversives. Or la majorit silencieuse est une cration de la subversion. Un des objectifs subversifs est en effet la sidration et l'inhibition des masses. Si le lecteur a suivi jusqu'ici les conceptions des rvolutionnaires volontaristes, i l ne peut pas ne pas dduire la logique de la neutralisation de 72
Le peuple dont les agents subversifs invoquent toujours la rfrence, n'est qu'un mythe qu'ils utilisent, un justificatif purement verbal, un argument de manipulation de l 'opinion publique. La stratgie fondamentale de la subversion est d'obtenir Vapathie populaire, l'inhibition, la non-intervention, le silence de la grande majorit. C'est ce phnomne qui se produit sous nos yeux et que l'on appelle juste titre la majorit silencieuse. On s'tonne de son silence et des mes naves s'imaginent qu'elle pourrait un jour reprendre vie et parole. D'aucuns en appellent elle comme on exhorterait un paralytique marcher et courir. Ceux-l ne s'aperoivent pas que la majorit silen73
cieuse est une russite de la subversion et qu'il y a une relation directe entre le terrorisme et la majorit silencieuse. La prise de pouvoir sera le fait d'un petit groupe, d'une infime minorit, celle qui justement sait ce qu'elle veut et ce qu'elle fait (elle est d'ailleurs seule le savoir). L'important est donc qu'au moment de la prise du pouvoir, i l n'y ait aucune intervention contraire. L'action subversive implique par consquent d'imposer silence la majorit, silence qui exprime l'apathie et non pas la rprobation des trublions (comme on le croit trop communment). Des hommes politiques clairvoyants l'ont remarqu :
est insensible aux exigences d'un ordre (...). Une dmocratie qui travestit le conservatisme dans un faux progressisme, de mme qu'une dmocratie qui travestit le dsordre en l'appelant progrs, est une dmocratie qui prpare sa fin (...). I l y a une fatigue incertaine et confuse de la dmocratie (...). Cette fatigue finit par s'exprimer dans une apathie gnrale qui appelle les jeux de l'aventurisme.
De quoi sera fait cet tat d'esprit majoritaire? Quels seront les traits constitutifs d'une opinion publique devenue poire mre pour les organisateurs de la subversion? La liste de ces caractristiques signale du mme coup les divers objectifs convergents de l'action subversive : Sentiment d'isolement et d'impuissance des partis ques capables de s'opposer au coup d'tat politi-
Tchakhotine crit (op. cit., p. 411) propos de l'opinion publique en Allemagne en juillet 1932, la veille du coup de force de Hitler : C e que l'on voyait maintenant partout aprs le 20 juillet, tait fort lamentable : la dpression svissait dans les organisations ouvrires, tout le monde semblait paralys (...). L a dpression se manifestait de faon si intense que l'on en observait les effets psycho-physiologiques immdiats : les manifestations n'taient plus qu'une ombre chtive de la force qui rcemment encore triomphait partout (...). L e chaos et la panique rgnaient dans toutes les organisations centrales (...), chacun tirait son pingle du jeu (...), on ne parlait plus de projets d'action, on se contentait d'changer des nouvelles, des opinions, des hypothses. En 1971, certains gouvernants, moins illusionns que les autres sur la majorit silencieuse, le constatent : c'est ainsi qu'milio Colombo, prsident du Conseil de la Rpublique italienne, disait, dans un discours prononc au Capitole de Rome l'occasion du 26'' anniversaire de la Libration de l'Italie (26 avril 197!) : " Nous traversons aujourd'hui un moment qui n'est pas facile (...). L e danger, c'est que, en face de nos difficults, surgissent l'indiffrence ou l'aversion pour la libert (...). L'indiffrence et l'aversion pour la libert peuvent natre en face d'une opinion qui est insensible aux ralits sociales comme en face de celle qui
En accentuant les dissentiments des partis qui constituent la majorit politique, en profitant de la divergence de leurs prises de position ou de l'incohrence de ces prises de position successives, en les opposant les uns aux autres tout en les accusant en bloc de collusion avec le pouvoir tabli, la subversion exploite fond le discrdit des partis politiques traditionnels, mins par ailleurs, d'un point de vue interne, par les actions de dissociation menes par des agents subversifs camoufls ou par de belles mes rallies certaines thses de couverture produites par la subversion. Privatisation et individualisation des citoyens
Chacun, se sentant isol et ayant perdu toute confiance dans l'tat, ses moyens, ses dfenseurs, ne se soucie plus que de ses intrts privs ( privatisation ). Cela entrane le refus de s'engager dans une action, de s'exposer, et aussi. 75
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CARACTRISTIQUES G N R A L E S D E L A S U B V E R S I O N Du mme ordre sont : le refus de tmoigner, de porter plainte, de dsigner ses agresseurs lorsqu'on a t soi-mme victime, l'abandon son sort de l'ami ignominieusement trait par les terrorristes..., le faire semblant de ne rien voir quand on croise un groupe de terroristes tranant une victime mme si le groupe est trs peu nombreux et si l'on est cent le croiser. Tous ces comportements de panique muette sont l'objet d'aulo-justifications et de rationalisations secondaires : on dit vouloir se tenir au-dessus de la mle , ne pas tre assez inform pour pouvoir juger , qu'il y a du vrai et du bon dans ces actions , et que ces terroristes n'ont peut-tre pas tout fait tort ... ou encore qu'il ne faut pas dramatiser ...
par une peur rtroactive, la ngation de ses engagements antrieurs, le dsir de se racheter et de se mettre l'abri par une non-intervention dsormais . Ainsi l'indiffrence et l'apathie apparentes cachent une dcision bien arrte de non-engagement. Cette attitude est renforce et fixe par ce qu'on appelle, depuis Baschwitz, la panique muette, produit direct du terrorisme mthodiquement organis dans l'impunit par les groupes d'action violente.
Baschwitz a cr en 1945 le concept de panique muette pour caractriser la forme de peur collective engendre par le terrorisme lorsque les citoyens n'ont aucune esprance et n'attendent aucun secours des autorits tablies. On ne connaissait jusque-l, en psychologie sociale, que la panique, dchanement de l'instinct individuel de conservation par la peur collective, contagieuse et motrice, et accomplissement d'actes absurdes (destruction des obstacles la fuite, meurtre des plus faibles, autodestruction aveugle) par la foule saisie d'angoisse de mort imminente. Cette image habituelle de la panique s'exprimant en violences collectives aveugles fait croire aux observateurs de la majorit silencieuse que celle-ci, par le fait de son calme apparent, est aux antipodes de la panique. Or ce calme apparent cache l'inhibition et la paralysie caractrisant une autre forme de panique. L a panique muette est sans expression motrice collective. Elle est l'expression collective de la juxtaposition cloisonne des inscurits individuelles. Cette panique, en effet, isole les personnes, phnomne exceptionnel et tout fait caractristique. L a conduite individuelle, qui garde les apparences de la routine, du sang-froid et mme de la conscience rflchie adapte, est en ralit entirement domine par l'vitement de toute manifestation personnelle et de toute initiative, par la peur de se faire remarquer. Dans cet tat, dit Tchakhotine en 1951, on peut voir des commissions ou assembles prendre des dcisions ahurissantes ou ignobles pour peu qu'elles soient suggres par quelque personnage alli aux terroristes.
Ainsi, la majorit silencieuse, qu'elle soit muette ou morose, reste et restera silencieuse parce qu'elle est le rsultat d'une neutralisation active du public, du peuple rel (par opposition au peuple mythique dont se rclament les comploteurs), neutralisation produite par les effets combins du discrdit des autorits, de la panique muette cre et entretenue par la violence des petits groupes terroristes (56). On ne peut donc que sourire lorsqu'on entend les dirigeants faire fond sur la majorit silencieuse, ou mieux encore lorsque des nafs fondent des associations du genre Appel la majorit silencieuse (57). Et les agents sub-
(56) Par l apparat nettement le sens et la porte de ce terrorisme . Il n'a rien voir avec la terreur engendre, par exemple, par les excutions et exterminations sauvages de villages entiers par les Allemands en France occupe, ou par les bombardements massifs excuts sur les villes allemandes par les Allis. I l est la fois trs restreint et trs psychologique . Son rle, en effet, n'est pas direct . I l doit tre relay et amplifi par les mass mdia. (57) Une association portant ce titre a t cre en France en fvrier 1970 par un professeur de l'Universit de Paris pour que l'on ne confonde pas la grande majorit des jeunes qui entendent travailler, et une minorit d'agitateurs et d'apprentis rvolutionnaires ... Il est illusoire et vain, dit un communique du prsident de cette association fan-
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versifs ne se trompent pas sur la valeur relle de cette grande muette, ce qui leur doime l'allure dcontracte, ne de la certitude de l'impunit. Quand on squestre un cadre, crivait Jean-Paul Sartre dans un journal gauchiste en 1971, on se fend la gueule. I I - S I T U A T I O N DES A G E N T S SUBVERSIFS L'agent subversif est dans une position confortable par le fait m m e que l'on ne voit pas pour qui i l travaillerait . I l est autre chose que le politicien professionnel soucieux de ses alliances, de l'avenir, des attaques ventuelles contre sa persoime, de l'opinion de ceux de son parti. I l est en dehors de la propagande politique habituelle en ceci qu'il ne cherche pas spcialement recruter ou convertir une idologie positive quelconque. I l n'a pas de clientle lectorale laquelle s'adapter machiavliquement. I l n'est m m e pas comparable l'agitateur tel que le dfinit Lnine car i l n'a aucun rapport avec le propagandiste charg d'organiser l'intgration, c'est--dire l'unanimit populaire future autour des thories et du programme d'un nouvel tat. I l est une sorte d'agitateur l'tat pur, remuant l'opinion publique d'une manire apparemment dsintresse puisqu'il ne dveloppe aucune ide positive. De ce fait, l'agent subversif ne peut pas tre suspect. I l a toutes les apparences de la bonne foi et se drape dans sa dignit outrage lorsque, par hasard, on l'accuse d'tre un agent subversif. O n ne peut pas facilement le dmasquer. I l use de son droit de critique contre ce qu'il estime
tome, de vouloir assurer l'ordre dans la rue comme dans les classes si on laisse enseigner des ides de dsordre et de subversion que rprouve l'immense majorit du pays. (sic)
tre des injustices ou des malproprets ( i l y en a tant!) et celui qui dnoncerait sa manuvre se trouverait automatiquement du ct de l'injustice et de la malpropret. Les violences des groupes qui sont chargs de quelques actions directes sont prsentes comme des actes dsesprs de personnes qui n'en peuvent plus et qui ne font finalement que rendre la violence qui s'est abattue si longtemps sur eux..., des gens en tat de lgitime dfense , en quelque sorte. Les injustices que dnonce l'agent subversif, les pressions qu'il dclare intolrables, les dcrets qu'il conteste, les menus faits divers qu'il transforme en affaires d'tat, sont clous au pilori de l'opprobre publique au nom de la bonne conscience et des droits universels de la personne humaine. Et c'est ce qui fait la fois le confort de sa situation et l'efficacit de son entreprise.
E X P L O I T A T I O N D E S DROITS U N I V E R S E L S D E L A P E R S O N N E HUMAINE E T D E S I D E A U X D E L A C O N S C I E N C E M O R A L E COMMUNE
On est habitu, depuis un sicle et demi, considrer l'exploitation de l'homme par l'homme comme la tare originelle du capitalisme. N o n seulement les esprits forts du X X * sicle entrent en transes pr-rvolutionnaires en entendant ces mots, mais encore la manipulation de cette formule magique tente de plus en plus de groupes qui se sentent exploits , ou mieux encore alins par le systme . Une autre exploitation de l'homme par l'homme existe cependant, plus subtile et plus mprisable : l'exploitation des idaux et des valeurs humaines universelles, dans un but de pure manipulation des personnes. Les accents les plus contagieux de l'indignation perma 79
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LA SUBVERSION
CARACTERISTIQUES G E N E R A L E S D E LA SUBVERSION
nente sont trouvs par les agents subversifs pour dnoncer, dmasquer et discrditer, en se prsentant comme les dfenseurs de la justice, de la paix, de la libert et des droits sacrs de la personne humaine. La subversion a cela de commun avec la propagande politique. J'ai montr dans un autre ouvrage (58) que les motivations manipules par toute propagande politique sont de trois ordres : 1) les intrts et revendications d'un petit groupe bien dfini lorsqu'il s'agit de faire tomber ce groupe ou ses leaders dans les filets du manipulateur, ou de mobiliser le groupe en vue d'une action dtermine; 2) les mythes et aspirations collectives d'un grand groupe lorsqu'il s'agit d'entraner des masses plus grandes comme par exemple des groupes ethniques ou religieux; 3) les idaux communs toute l'humanit et les valeurs universelles lorsqu'il s'agit d'atteindre indistinctement le plus grand nombre, l'utilisation de ces motivations morales tant indispensable lorsqu'on travaille au niveau de l'opinion publique mondiale (59). La subversion manipulera ces trois genres de motivations selon le lieu et le moment de son action, mais surtout la troisime dans la mesure o, comme on l'a vu, elle est pamphltaire. Si le vademecum du parfait publicitaire est la liste des besoins et dsirs qui constituent le niveau des motivations d'une clientle bien dtermine l'avance (exemple : les mnagres, les bricoleurs, les jeunes mamans, les snobs, etc.), par contre le vademecum du parfait agent subversif doit ncessairement comporter la liste
des aspirations humaines universelles, puisque ce sont aussi des motivations (et les plus gnrales par dfinition). De ce fait, ce vademecum me semble devoir tre la Dclaration universelle des droits de l'Homme, signe le 10 dcembre 1948 par tous les tats membre de l'O. N . U . La preuve de l'universalit de ces valeurs (dans l'Histoire et sur la surface de la terrre) a t faite rcemment par la publication, sous les auspices de l'U. N . E. S. C. O. (60), d'un recueil de textes de toutes les poques (du 3^ millnaire av. J. C. nos jours) et de tous les pays, montrant de faon saisissante la parent des aspirations et des valeurs suprmes des humains. Aussi les droits fondamentaux, fonds sur la revendication de la dignit de la personne humaine, et les valeurs socio-morales universelles (la scurit et la paix; la vie, le droit la vie, aux conditions optima d'existence, au bonheur; la libert; la justice; l'humanit et le primat des valeurs humaines contre toutes les formes de l'inhumanit), seront les motivations invoques par les agents subversifs et constitueront les points de vue permanents auxquels ils se placeront pour dnoncer, dnigrer, discrditer le pouvoir tabli (61).
N. B. Qu'on entende bien ce que je veux dire. Pour ma part, je crois fermement ces valeurs et je pense que l'action morale, sociale et politique consiste les dfendre et les promouvoir. Ce que je fais remarquer dans ce qui prcde, c'est que les agents subversifs sont absolument indiffrents ces valeurs pour elles-mmes et ne cherchent qu' les utiliser pour atteindre d'autres buts et d'autres valeurs, les leurs. De mme que l'agent de publicit se moque personnellement des besoins de la mnagre mais doit les connatre pour les manipuler dans ses textes publicitaires, de mme l'agent subversif considre les droits
(58) Cf. R. Mucchielli, Psychologie de la publicit et de la propagande, codit par les ditions E . S. F . , les ditions E . M. E . et les Librairies Techniques, Paris, 1970. (59) Cf. ci-dessous.
(60) Organisation des Nations unies pour l'ducation, la science et la culture. Cette publication a t faite l'occasion du 20' anniversaire de la Dclaration, sous le titre Le droit d'tre un homme . (61) Cela rejoint mot pour mot les recommandations de P. L . Courier dans sa technique du pamphlet politique Cf. ci-dessus, p. 19.
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LA SUBVERSION universels de la personne et les valeurs suprmes de paix, de libert, de justice et d'humanit comme des ressorts intressants de l'me humaine, qu'il doit et va utiliser pour atteindre ses buts spcifiques. C'est par l qu'il y a exploitation de l'homme par l'homme. Cette manipulation et cette mystification qui consistent utiliser les valeurs suprmes de l'existence humaine comme moyens pour atteindre d'autres buts, cachs et particuliers, impliquent que les valeurs et les droits en question ne sont pas considrs comme suprmes.
Au niveau des procds, comme nous le verrons ci-dessous, l'astuce consistera passer sous silence (outre, naturellement, les vritables buts) les drames, injustices et exactions dont se rendent coupables les allis politiques, et exploiter fond le plus petit fait divers s'il peut servir atteindre un des trois buts gnraux rels de la subversion.
L E MANICHEISME MORAL E T S E S AVANTAGES |
Le manichisme consiste diviser le monde, les gens et les thses, en deux camps ou en deux clans : le bien et le mal, les bons et les mchants. Ce procd a l'avantage de rpondre un vieil archtype humain, la fois religieux, primitif et infantile, rduisant tout deux formes contraires, comme le jour et la nuit, la lumire et les tnbres, Dieu et le diable, la vie et la mort, la vrit et le mensonge. Un des buts principaux de l'action subversive sera d'utiliser ce manichisme simplificateur pour attribuer au pouvoir tabli et ses dfenseurs ventuels les valeurs ngatives. L'intrt de la liste des valeurs positives suprmes est encore ici vident, car non seulement le pouvoir et ses dfenseurs doivent tre prsents comme le mal, la mort et le mensonge, mais encore ne seront associes leurs noms, leurs intentions, leurs actions, leurs programmes que les antithses de la liste des droits et valeurs universelles. Ils reprsenteront donc exclusivement : - L'inscurit et la guerre : la volont de guerre... 82
- La mort et toutes ses formes : la misre, la peur, l'angoisse, les souffrances, l'anantissement, le massacre... - L'esclavage: l'oppression, la tyrannie, l'arbitraire... - L'injustice : le mpris des droits sacrs, l'exploitation de l'homme par l'homme, l'abus de pouvoir, l'abus de confiance, le primat secret des intrts personnels, la fourberie, l'ingalit... - L'inhumanit : les tortures, l'gosme, le sadisme, le mpris de l'homme, l'indiffrence aux valeurs humaines... Cette mthode est trs facile et trs commode; n'oublions pas qu'elle est instinctivement utilise par n'importe lequel d'entre nous lorsque nous voulons nous innocenter en accusant autrui, et lorsque nous cherchons, dans un dialogue, soulever l'indignation de notre interlocuteur contre un tiers absent, prsent comme le roi des salauds . Delmer a expliqu lui-mme qu'il suffisait d'extrapoler les lois psychosociales du racontar et du commrage lorsque ceux-ci ont pour effet de provoquer contre le tiers absent l'horreur morale, l'indignation, le mpris, le rejet social et la rupture des relations. Les valeurs universelles qui seront les plus rentables pour la manipulation subversive de l'opinion publique sont sans conteste : l'humain et les sentiments humanitaires, la Justice et la Libert. En sachant cela, le lecteur averti pourra dcoder un certain nombre de messages, proclamations, ditoriaux, etc.. et spcialement certaines informations des mass mdia complices volontaires ou involontaires de la subversion.
I. X L'humain . Il faut trouver des accents dchirants pour voquer l'existence et les objectifs des groupes terroristes dont l'image est faonner positivement, de telle sorte que les rflexes normaux d'horreur et de dfense soient paralyss dans l'opinion publique. L a culture de l'motivit. de la sensibilit, de la piti, de l'amour du prochain... est au service des assassins. Les grou-
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LA SUBVERSION pes subversifs seront toujours prsents comme dsesprs et si possible comme des victimes . Ils combattent toujours pour Il un idal humanitaire n qui nous interpelle et nous meut. Inversement la rpression ou la dfensive, qui s'exerceraient contre les groupes terroristes ou subversifs seront toujours dnonces comme intolrables du point de vue humanitaire. On en appellera alors a la conscience , au cur , des citoyens pour rprouver tout sursaut d'auto-dfense. Un des meilleurs trucs invents dans cette direction pour les groupes terroristes a t la violence humanitaire : ainsi le produit du hold-up ou du vol sera distribu aux habitants d'un bidonville, et cela toujours grand renfort de publicit grce aux mass mdia. L a conscience des honntes gens vacille. Le doute est distill. L a majorit silencieuse s'enfonce dans son dsarroi. De belles mes sont conquises par la gnrosit des voleurs . Quand l'action subversive est trop difficile transformer en valeur universelle, lorsqu'elle soulve un mouvement spontan d'indignation, des voix autoriss expliquent qu'il s'agit d'actes d'lments incontrls . Il reste videmment la ressource de renverser la situation et d'insinuer qu'il s'agit d'une basse provocation policire ; les vrais agresseurs ne pouvant se trouver que du ct de l'Autorit. 2. La Justice. L a transmutation de la violence en Justice a t aussi une des plus belles russites des agents subversifs et de leurs prophtes. A cette tche les plus grands noms de l'intelligentzia engage se sont distingus : Sartre, Marcuse, Foucault (du Collge de France), et leurs disciples. Le principe est la dfinition de la violence comme contre-violence, comme rponse juste une premire violence (qui vient de la socit) mme si celle-ci est inapparente. C e renversement utilise le schma de la lgitime dfense et l'image populaire du Justicier des bandes dessines. Puisque l'agression est une juste revendication , c'est videmment l'agress qui, s'il refuse de cder, sera coupable, et c'est lui que les commentateurs, dans les journaux bien informs jugeront d'une intransigeance intolrable qui dcourage ses interlocuteurs . 3. La libert. L e mot d'ordre des agents subversifs et de leurs allis est d'exiger la libert sous toutes ses formes antisociales, de considrer avec une tendresse mue la libre expression des
CARACTRISTIQUES GNRALES D E L A SUBVERSION instincts de destruction, de l'agressivit, de l'opposition. Toute rgie sociale (car il n'y a aucune socit sans rgle; aucun groupe ayant des buts ne peut se passer de prescrire des rles et donc des comportements de rle) sera systmatiquement dnonce comme une entrave la libert et comme une rpression (Lobrot, Gloton, Mendel, dans la ligne de Wilhelm Reich et du freudo-marxisme). Toute discipline sociale devra tre pourchasse, et sera associe, dans les slogans, au facisme. De ce fait la libert n'est dfinie que contre l'autorit et la Socit. Par cette astuce, toutes les actions antisociales seront couvertes de l'idal de libert. L'uniforme militaire nous dpersonnalise geignent les soldats hollandais: nous demandons seulement la libert d'information dans les entreprises, les universits, les gares, les Administrations, les casernes ... proclament les leaders subversifs pour y excuter leur travail de sabotage intrieur.
Trois avantages supplmentaires (par rapport au confort de la position critique) sont tirs de cette construction : Auto-justification ventuelles et justification des violences actuelles ou
Si le pouvoir et ses sides sont le mal, la mort, le mensonge, l'injustice et la tyrannie..., ceux qui les dnoncent et les attaquent sont du mme coup le bien, la vie, la vrit, la justice et la libert du peuple. Les militants de ces valeurs universelles, pars du travesti du justicier des bandes dessines, sont transforms ipso facto en hros de l'humanit, et ils entendent en permanence ce chant exaltant : tu es juste,... le groupe auquel tu appartiens est juste,... l'action qui te sera demande, quelle qu'elle soit, est juste,... avec nous tu participes (si tu obis fidlement) la ralisation de la paix, de la justice, et de la libert. Ainsi l'action finale demande, c'est--dire le meurtre, apparat toujours dans sa capsule de valeurs, et elle 85
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devient, de ce fait, lgitime. Le discours aux groupes qui vont partir dans l'action violente a toujours cette forme syllogistique : Notre cause est Juste, c'est la cause de l'humanit, de la paix, de la libert, de la vrit, etc., tu luttes pour cette cause,... donc tu es Juste, celui qui lutte contre cette cause commet un crime contre l'humanit, donc est un criminel de guerre.
Les ntres se sont battus jusqu' la mort parce qu'ils servent une cause juste et populaire, parce qu'ils savaient, parce que nous savons tous, que nous sommes dtenteurs de la vrit, de la seule vrit. C'est elle qui rend nos soldats invincibles. Et parce que vous n'avez pas ces raisons, vous serez vaincus (...). Vous appartenez une socit prime et pourrie (...). Vous tes des obscurantistes, des mercenaires incapables de dire pourquoi ils se battent. (Propagande Vietcong auprs des officiers franais prisonniers durant la guerre d'Indochine).
criminel inconscient L'appel sa conscience morale, multipli par la pression de l'appel l'opinion publique nationale ou mondiale, lui fait mettre en doute les axiomes de sa conduite, et, au minimum, cre l'inhibition et la dsolidarisation, ce qui correspond au but de neutralisation individuelle et de dissociation des groupes, dj vu ci-dessus. L'absense de toute contre-propagande favorise ces effets. Il va sans dire que le soupon du dbut d'une contre-propagande (celle qui viendrait de l'tat par exemple, ou des chefs du groupe intoxiqu) est aussitt accueilli par les agents subversifs comme une inqualifiable atteinte au droit sacr de la libert de conscience , ou comme une intolrable pression morale exerce sur les personnes ...
Ralliement des belles mes Ne parlons pas ici des ralliements intresss provenant des personnages influents qui, misant aussitt sur la victoire possible des groupes rvolutionnaires afin de sauvegarder leur avenir personnel, subventionnent secrtement l'ennemi d'aujourd'hui en pensant l'alli de demain. Ils font avec d'autant plus d'empressement ce calcul sordide qu'ils ne risquent absolument rien de la part du pouvoir, en rgime dmocratique vrai. Parlons des belles mes qui, subjugues par l'invocation des Valeurs ternelles, intimement convaincues (ce qui est le signe de la parfaite russite de la campagne subversive) de la bonne foi des nouveaux hros tragiques de l'humanit, se rallient leurs manifestes et leurs manifestations. trange prsence de ces jobards (plus ou moins potes et utopistes) au milieu des agitateurs et des agits, qu'ils prennent pour les idalistes-frres et pour les constructeurs de la Cit de Dieu. 87
La forme et le fond de cette dclaration sont excellents et applicables toute opration subversive de discrdit de l'ennemi , permettant en outre de lgitimer la violence son gard. Ce mme texte, par exemple, a servi de base la campagne d'opinion organise par les maostes en France en 1971 contre la police de l'tat (62) et en 1975 contre l'Arme. Dmoralisation et panique de l'adversaire
L'adversaire se trouve culpabilis, et, s'il est pris dans le filet de cette propagande (63), i l se sent dpossd des valeurs et transform malgr lui en suppt de Satan ou en
(62) Cf ci-dessous, p. 114. (63) Nous verrons qu'il peut difficilement y chapper tant donn le double systme de pression qui s'abattra sur lui : celui des mass mdia et celui des violences directes.
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Les agents de la subversion se servent aussitt d'eux comme boucliers vis--vis des autorits, comme paravents pour couvrir leurs manuvres, ou comme arguments auprs d'autres nafs convaincre. Leur ralliement ne s'effectue pas toujours d'emble par la mystrieuse sduction d'une rvolte qu'ils n'avaient jamais os exprimer tout seuls. Pour beaucoup d'autres belles mes, les proclamations des groupes subversifs donnent penser , et elles cherchent tragiquement, tout ce que cela exprime profondment , tout ce que la violence contestataire signifie rellement . Ainsi, un congrs d'hygine mentale, en octobre 1970, une belle me, soucieuse de dcouvrir les causes objectives de la rvolte de toutes les jeunesses (64), citait : - l'absence de toute morale politique chez les adultes; - la sclrose des universits; - les incohrences de la planification et la lchet des politiques subventionnistes; - la discordance entre les aspirations que l'on suscite et l'indigence des moyens mis la disposition des jeunes ouvriers et des jeunes employs... Analysant ce qu'il appelait les mcanismes de la contestation , l'auteur voquait d'abord l'angoisse, l'ambivalence entre la revendication de l'autonomie et la recherche de scurit, le conflit des gnrations, la non-valeur des pres qui interdit l'identification aux images traditionnelles, la prolongation anormale de l'adolescence scolarise, et enfin la crise des civilisations. Et l'auteur concluait en demandant aux adultes de comprendre la demande
(64) Ce pluriel et l'extension qu'il implique tous les jeunes est luimme le signe du succs de la subversion. On dit communment les tudiants (or mme en mai 1968 il y en avait 5 6 000 dans la rue Paris, sur les 140 000 inscrits). On parle aussi d" assembles gnrales avec 300 tudiants d'une facult de 6 000 10 000 inscrits.
code, mais demande tout de mme, qu'il nous faut dcrypter surtout quand elle prend la forme de la fuite dans l'imaginaire ou dans la rvolution . Notons que tout cela est certainement juste pour quelques jeunes gens embarqus par la contagion de la subversion. Mais la psychanalyse de quelques comparses ne peut puiser l'action subversive dans sa dimension politico-militaire internationale. Si brillantes que soient leur intelligence et leur renomme, les belles mes sont des innocents perdus au milieu d'une guerre qu'ils ne comprennent pas.
CONTAGION D E L A SUBVERSION E T REACTIONS E N CHAINE
Le confort de la position subversive, arme de ces valeurstabous et protge par ces divers boucliers, vient aussi de ce que l'attitude de rvolte est contagieuse, d'autant plus que la dmoralisation et la faiblesse des adversaires assurent de plus en plus l'impunit. Daniel Mornet {op. cit., p. 105) constatait dj, propos de la guerre des pamphlets au x v i i i ' sicle et spcialement des attaques subversives des Encyclopdistes contre la religion, que dans le combat, les esprits s'chauffent; les adversaires de la religion se sentent de plus en plus soutenus par l'opinion publique, protgs par elle contre de trop graves chtiments; ils s'enhardissent et se multiplient. C'est par dizaines que l'on pourrait numrer les crits impies, non plus obscurs mais largement rpandus, non plus mesurs et polis mais injurieux et froces. uvres des chefs, (...) et uvres de vingt disciples ou chefs de bande . J'ai voqu dans un autre ouvrage (65) tous les impurs
(65) Le mythe de la cit idale, P.U.F., i960, part Livre 1, chap. 1 L a rvolte , et livre III, chap. 2, chec de la rduction psychologique du mythe .
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qui viennent aussitt grossir les rangs ds qu'ils entendent parler de rvolution. Allons, c'est la Rvolution! crivait Jules Valls lui-mme (66), la voil donc la minute espre et attendue depuis la premire cruaut du pre, depuis la premire gifle du cuistre, depuis le premier jour pass sans pain, depuis la premire nuit passe sans logis! Voil la revanche du collge, de la misre et de dcembre! Ils sont tous prsents, ceux chez qui les psychanalystes dcouvrent le complexe d'dipe et le meurtre symbolique du pre, les expressions classiques de l'analit, le ftichisme du phallus ou les aspirations rgressives l'den intra-utrin,... ceux et celles chez qui les dsirs sexuels s'exacerbent et s'exhibent proportion de la ruine des tabous (67). Mais viennent aussi les aigris, les malchanceux, les humilis et les infrioriss en mal de revanche, les perscuteurs-perscuts et autres paranoaques, et la masse des psychopathes en tat d'agressivit chronique contre autrui. Suivent avec joie ceux qui sont les premiers viss dans l'entreprise de mobilisation de groupes rcuprables : les adolescents en priode de crise d'opposition, tout heureux de crier leur haine toutes les valeurs grontocratiques , tout enthousiasms par l'appel au dchanement de leur spontanit sans contrle..., et les rejoignent tant d' adolescents prolongs qui n'ont jamais accept d'entrer dans la vie. Tous les violents travaillant leur compte s'enhardissent et se multiplient ; tous les ressentiments personnels contre un contrematre, un ingnieur, un chef de bureau,
(66) Dans L'insurg, 1885. (67) L a revue complte des complexes et germes nvrotiques des contestataires a t faite par Andr Stphane dans L'univers contestalionnaire.
un surveillant, un professeur, un administrateur, un officier, etc., fconds par l'exemple de l'irrespect subversif, se dchanent, en proportion directe de l'inhibition qui paralyse ceux qui devraient les dfendre. Les groupuscules prolifrent, chacun ayant un petit leader qui se prend pour Babeuf Les agents siibversifs authentiques, les vrais, les initiateurs-soldats de l'ennemi sur le territoire national, observent avec la dlectation goguenarde qui leur est habituelle les ractions en chane que leur science a provoques. Ils ne craignent aucune concurrence, et tous ces groupes nouveaux deviennent leurs allis, qui ils offrent protection, renforts en cas de besoin, et toujours la couverture idologique , ce qui est le leurre absolu puisque toutes les idologies sont admises pourvu qu'elles soient d'abord exigences de destruction totale. Les objectifs sont maintenus : le pouvoir pourrit, l'autorit faiblit, l'opinion publique est sidre, l'anarchie augmente, les clameurs grossissent, et eux, les authentiques artisans de la subversion, se noient et se fondent avec jouissance dans une agitation qui se dveloppe dsormais toute seule. Ils taient 15 30 au dbut, si l'on s'en tient aux recommandations de Rgis Debray pour mener la guerre rvolutionnaire avec des objectifs politiques prcis. Voil maintenant que 10, 20, 50 groupuscules de tous noms et de toutes nuances (chacun partageant les ides de son petit chef local) entrent dans le combat, commettent des violences, narguent et discrditent les autorits et leurs reprsentants. Mme s'ils taient 200 000 en France, ils ne reprsenteraient que le deux cent cinquantime de la population totale, le centime de la population active, mais la majorit silencieuse tant enferme dans le silence de sa privatisation, de son inhibition et de sa panique muette, le 91
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dixime encore de ce nombre suffit pour accomplir la mission militaire fondamentale : abattre le pouvoir ennemi tabli dans ce pays, dsorganiser toute rsistance ventuelle des groupes constitus o u d'tat, neutraliser l'opinion publique.
I I I - L E ROLE I N D I S P E N S A B L E D E S M A S S M E D I A I l est impossible de comprendre comment les objectifs de cette ampleur peuvent t r e atteints avec si peu de moyens matriels, financiers, et humains, si l'on ne saisit pas le rle des moyens de diffusion de masse dans la stratgie gnrale. J'ai dj dit qu'il n'y a pas de subversion possible, dans le cadre et la perspective d'une rvolution volontariste (68), sans le relais des mass mdia. Les mass mdia sont seuls capables de fabriquer une opinion publique, de crer une psychose collective sans qu'il y ait foule rassemble. C'est l une des caractristiques spcifiques de nos modernes moyens de diffusion de l'information. Ils agissent sur chaque individu en particulier et isolment, tout en c r a n t des p h n o m n e s collectifs. I l faut ici considrer d'une part le m a t r i e l qui va alimenter les moyens de diffusion de masse et d'autre part l'exploitation de ce matriel par les mass mdia. Le matriel de base vient de cinq sources : - les actions violentes des petits groupes d'action
(68) C'est--dire, rappelons-le, en l'absence des conditions historiques ou conomiques d'un soulvement gnral de l a majorit de la nation.
directe d'o qu'ils viennent (qu'il s'agisse d'allis normaux ou inesprs : grves sauvages, attentats, manifestations et proclamations, actions diverses de la gurilla rurale ou urbaine), sur le territoire national; - les informations sur les actions directes des groupes de combats amis sur d'autres territoires que le territoire national; - les erreurs et fautes de l'adversaire, la propagande adverse, les faits et gestes des autorits, de leurs reprsentants, de leurs allis; - les faits et gestes des autorits, de leurs reprsentants, de leurs allis dans d'autres tats, lorsque ces tats sont galement viss par la subversion; - les faits-divers quotidiens et les informations dites gnrales, ici et ailleurs. Les mass mdia (radio, tlvision, films, journaux grand tirage) sont diviser en deux tendances, ceux qui sont les supports, officiels ou secrets, des actions subversives, et ceux qui ne le sont pas directement. I l s'agira d'utiliser les deux ensembles de mass mdia, d'une manire diffrente videmment, comme amplificateurs et diffuseurs du matriel de base . Nous analyserons au prochain chapitre les nombreux modes d'exploitation possible des divers matriels fournis. L'essentiel est ici de montrer la synergie fonctionnelle des deux moyens (le matriel, et son instrument d'exploitation), l'objectif tant de manipuler l'opinion publique. Autrement dit, et ceci constitue le centre de notre conception de la subversion : les diverses actions directes et violentes ne constituent pas le fer de lance d'un mouvement qui, en se dveloppant et en se gnralisant, reprsenterait un mouvement rvolutionnaire vritablement populaire. 93
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CARACTRISTIQUES GNRALES
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Cette vue est archaque, et dpasse. Les actions directes ne servent qu' alimenter la vritable opration rvolutionnaire qui, elle, est entirement fonde sur la subversion. Cette subversion des masses pour les dtacher compltement du pouvoir tabli discrdit, pour les rendre passives et inhibes (terrorises ou vaguement consentantes ou les deux la fois) se fera par le moyen des mass mdia parce que les mass mdia sont l'instrument moderne idal de manipulation de l'opinion pblique. Cette conception peut surprendre, et le lecteur sera port voquer des cas contraires l'ide dveloppe ici, tel le cas actuel de la lutte du Front de libration de la Palestine contre Isral. A premire vue en effet cet exemple infirme notre thse en ceci que le Front est une organisation militaire engage dans la lutte mort contre l'tat d'Isral; ses commandos font des oprations de guerre aux frontires, attaquent les bateaux et les avions d'Isral, font des raids de sabotage et de destruction l'intrieur du territoire de l'ennemi,... et tout cela semble bien une vraie guerre sur le terrain. Ajoutons que le Front est l'expression officielle d'un peuple (le peuple palestinien) revendiquant un territoire et se considrant comme spoli par un occupant tranger . Ainsi, la premire inspection du problme, les oprations militaires dominent largement et uniquement la scne, et la subversion par les mass mdia n'a aucun rle. Or il est facile de montrer en quoi la subversion utilisant les mass mdia a le pas sur les oprations militaires, sur cet exemple apparemment dfavorable : ce que cherche le Front, ce n'est pas une impossible victoire militaire sur le terrain; i l cherche crer une opinion publique mondiale dfavorable Isral et donner cette mme opinion publique une certaine image du mouvement, de faon ce que, en retour, cette opinion publique agisse comme force de pression contraignant Isral capituler. De l 94
les oprations spectaculaires contre des avions de ligne trangers, les actions de commandos terroristes palestiniens en territoires europens ou amricains, les actions de gurillas sur le terrain, les mouvements de sympathisants suscits dans tous les pays, les larges interviews accords tous les journalistes, etc. De mme, i l est absurde de croire que les gurillas d'Amrique du Sud sont le dbut d'un soulvement gnral; il n'y aura pas de soulvement gnral et les organisateurs de la rvolution n'ont pas besoin d'un soulvement gnral. Les gurillas existent pour crer le climat exploiter par les mass mdia Le phnomne l'tat pur s'est dvelopp et a russi en Algrie {cf. ci-dessus chapitre 2). Sans les mass mdia aucun volontarisme rvolutionnaire n'aurait la moindre chance de succs. Aussi constate-t-on un extraordinaire apptit de mass mdia dans tous les petits groupes d'action directe.
L E BESOIN D E S MASS MEDIA
Les preuves de ce besoin chez les groupes d'action nous sont fournies tous les jours indirectement (69) par la presse : il est en effet particulirement remarquable que parmi les exigences d'un groupe d'action dtenant un moyen de pression quelconque (occupation d'un local, dtention ou squestration d'une personnalit ou d'otages innocents) (70) figure toujours la lecture la tlvision deux ou trois fois de suite d'une proclamation ou d'un commu(69) Je dis indirectement car je ne fais pas allusion ici aux actions spectaculaires et simultanes qui ont pour but essentiel de provoquer directement leur diffusion par la presse et d'agir par ce relais sur le public pour obtenir un certain effet. (70) Au point que les moyens de pression sont recherchs d'abord dans ce but
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CARACTRISTIQUES GNRALES D E L A S U B V E R S I O N Le Monde, 26 mars 1971. Poitiers : les 11 grvistes de la faim obtiennent la publication de leur communiqu dans la presse locale (c'tait le titre). Les 11 tudiants qui faisaient la grve de la faim Poitiers dans deux salles paroissiales des glises Saint-Cyprien et Saint-Paul depuis 15 jours ont cess le mouvement le 25 mars. Les grvistes ont obtenu des directeurs de journaux ce qu'ils demandaient : la publication d'un communiqu donnant leur version des incidents survenus dans le campus le 25 fvrier dernier. De son ct la station rgionale de l'OJi.T.F. a cit, son journal du soir du 25 mars, plusieurs passages du communiqu, prcisant que ce texte serait publi m extenso le lendemain dans la presse locale. L a dlgation des grvistes de la faim qui a t reue deux reprises ces derniers jours par le directeur de la station locale a bien voulu reconnatre l'honntet de l'information par l'O.R.T.F. !
nique, ainsi que sa publication dans la presse quels que soient les commentaires qui suivront cette diffusion.
Exemples : 1) Le Monde du 5 mars 1971 annonce : Ankara. Quatre militaires amricains ont t enlevs Ankara. Leur vhicule a t arrt sur une route prs de Golbaschi au sud de la capitale turque, par un groupe arm et masqu qui les a forcs monter dans une camionnette qui s'est aussitt loigne. L e chauffeur turc du vhicule amricain a prvenu les autorits. Un tract sign Arme de libration populaire turque , parvenu midi Radin-Anicara. prcisait que les 4 militaires seraient fusills si le gouvernement amricain ne versait pas 400 000 dollars avant vendredi 16 heures. Les cartes d'identit des militaires taient pingles au tract. Les auteurs de l'enlvement posent en outre comme condition la diffusion par la radio nationale de leur texte, long de 4pages et s'attaquant toutes les institutions du pays... On ignore tout Ankara de cette Arme de libration populaire turque ... I l s'agirait d'une nouvelle action de gurilla urbaine d'tudiants gauchistes. 2) L e 10 octobre 1970, le Front de libration du Qubec enlevait le ministre Pierre Laporte, cinq jours aprs l'enlvement de J . Cross, diplomate britannique. Dans la lettre de conditions parvenue la presse, les auteurs exigeaient, pour la libration du ministre, la diffusion la radio canadienne et dans tous les journaux d'un texte exposant leurs buts et stigmatisant les institutions du pays (71).
Pour illustrer encore cet apptit de presse, de radio, de tlvision chez les agents subversifs (apptit qui est li la logique interne de l'indispensable action sur l'opinion) (72), citons trois autres exemples divers :
1. Confrence de presse sauvage . Bordeaux 12 mars 1971. Une vingtaine de militants trotskystes ont occup jeudi aprsmidi les salons du nouvel htel de luxe Aquitania, pour tenir une confrence de presse . Les journaux appelrent cela le lendemain confrence de presse sauvage . 2. Tentatives d'missions pirates. Le Monde 30 mars 1971. Rome. L'assassinat d'un employ de banque Gnes et l'arrestation de deux hommes qui venaient de le dvaliser avant de le
A l'instar des grandes actions modles des militants des divers Fronts de libration populaire , des groupes plus modestes mais anims des mmes intentions, gardent prsent l'esprit le mme souci des mass mdia.
(71) On sait que le diplomate J . Cross fut libr quelque temps aprs, le gouvernement ayant accept les exigences des ravisseurs (libration de dtenus politiques amis qui re oindraient Cuba ou F . L . Q . par la presse, la radio, et diffusion officie le d'un manifeste du ' la tlvision). Pierre Laporte fut assassin le 17 octobre, l'ultimatum du F . L . Q . n'ayant pas t, cette fois, accept.
(72) On a tendance croire que ce besoin des mass mdia est un besoin d'auto-publicit. Ce n'est pas faux dans la mesure o, comme on le voit propos de l'affaire de mars 1971 Ankara, le F . L . P . n'tait pas connu avant, et o son existence est rvle cette occasion. Mais cette publicit leur est automatiquement faite par la presse et la radio rendant simplement compte de l'enlvement. I l faut donc voir la signification supplmentaire de l'exigence : elle montre l'audace, la dtermination(/! ci-dessous, p. 104) et, par le texte lui-mme, cominence la double action de discrdit de l'autorit (dj implicitement discrdite par le fait qu'elle accepte l'ultimatum des terroristes) et de neutralisation-inhibition de la population.
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LA SUBVERSION tuer a apport la police la cl d'une srie d'attentats commis depuis quelques mois dans la rgion. Une perquisition au domicile d'un des assassins a fait dcouvrir, outre des explosifs, plusieurs postes metteurs de radio branchs sur la longueur d'onde de la tlvision. Toute une bibliothque d'ouvrages rvolutionnaires traitant de la gurilla urbaine et de l'emploi des armes se trouvait dans la m m e pice. Cette attaque d'encaisseurs pourrait tre le fait d'un groupe form, selon la presse, de m a o s t e s ou de Tupamaros ; les metteurs de radio auraient pu avoir t utiliss pour des missions-pirates, de caractre gauchiste, qui ont plusieurs reprises interfr avec le journal tlvis de la station de Gnes. 3. Recherche de l'action subversive sur le public par transformation du box d'accus en tribune lors d'un procs (73). Montral (Le Monde. 16 mars 1971). Condamnation la prison perptuelle de Paul Rose, meurtrier du ministre Pierre Laporte Montral. A l'unanimit nous jugeons l'accus coupable du meurtre simple , dclare le prsident du jury... Paul Rose coute le verdict avec calme, puis lance : Vive le Qubec libre. Vive le pouvoir du peuple, nous vaincrons (74). Ainsi s'est achev aprs 45 jours d'audiences mouvementes, mailles de nombreux incidents, le procs de celui qui est considr comme le chef de la cellule du F . L . Q . responsable de l'enlvement et de la mort de Pierre Laporte... 45 jours au cours desquels 206 tmoins ont t entendus. Plusieurs tmoins ont t condamns pour outrage la magistrature, et l'accus lui-mme, aprs de nombreux accrochages avec le juge, a t diverses reprises expuls de la salle d'audience (75).
CARACTRISTIQUES G N R A L E S D E L A S U B V E R S I O N
Ainsi, et quantit d'autres manifestations le confirment ( campagnes urbaines d'explication des actions , distribution de tracts dans les rues, sollicitation d'interviews etc.), l'utilisation des mass mdia est une ncessit absolue pour la subversion. La logique de ce besoin dduite d'abord de l'analyse des objectifs gnraux, se trouve confirme par les faits.
Le lecteur comprendra maintenant le but rel de ce qui peut paratre des mascarades dans certains cas, comme par exemple la photo de quatre militaires en cagoule parue dans tous les journaux de France au dbut de r affaire des comits de soldats , ou encore le film d'information projet la tlvision franaise en 1975 montrant dans un dcor de poste de commandement camoufl un petit groupe de maquisards autonomistes corses, porteurs aussi de masques et de cagoules et dveloppant, avec la complaisance des journalistes, leur dsespoir et leurs justes revendications contre l'occupant franais .... ou encore le texte de la proclamation d'un groupe terroriste sudamricain paru en encadr sous la signature (et le paiement) de la firme allemande Mercds-Benz dans plusieurs journaux (dont le Monde) en 1975, publication qui faisait partie des exigences du commando, lequel avait kidnapp le reprsentant local de Mercds-Benz.
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(73) Parmi les preuves les plus convaincantes de cette tactique, citons (avec Ellul, op. cit. p. 25) le procs du rseau qui a remarquablement servi la propagande pour l'insoumission et aid vigoureusement le Front de libration nationale algrien l'poque. (74) C e serait une erreur de croire que Rose et ses amis s'intressaient l'indpendance du Qubec, pas plus que le Front de libration turque ne s'intresse l'indpendance de la Turquie. Il s'agit des implantations nationales des agents de la rvolution internationale. (75) T o u s les dtails des outrages et des proclamations faits par l'accus ont t, bien entendu, rapports par la presse canadienne, ce qui tait le but de ces incidents puisqu'il fallait agir sur l'opinion publique.
Toujours et partout les journalistes et les reporters de la tlvision sont invits, et trouvent comme par enchantement les repaires des gurilleros oii les moindres dtails ont t calculs pour donner !' interview son caractre spectaculaire destin l'opinion publique. Les attentats terroristes , dont j ' a i dit ci-dessus le but uniquement publicitaire, sont aussitt revendiqus par des lettres ou des appels tlphoniques aux journaux, aux radios, aux centres de tlvision. Le bon public dcouvre ainsi, dans la panique muette, des organisations aux noms terrifiants ( Bras de la Rvolution , Justice du Peuple , Septembre Noir ou Octobre Rouge ...) et croit qu'un vaste et dur mouvement existe dans l'ombre 99
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CARACTERISTIQUES G E N E R A L E S D E LA SUBVERSION
(alors qu'il s'agit toujours d'un infime groupuscule, voire seulement de 3 ou 4 fanatiques) et constate l'impuissance des forces de l'ordre et de l'tat. Et tous les organes des mass mdia au nom du devoir d'information, se mettent en branle et en transes pour diffuser la nouvelle, martelant toujours dans le mme sens l'opinion publique, crant de toutes pices le climat dsir par la subversion.
M O D E D'ACTION PROPRE D E S MASS MDIA
Nous avons vu ci-dessus que les moyens de diffusion de l'information peuvent, du point de vue de la subversion, se diviser, dans un pays libre, en deux catgories : ceux qui sont directement subversifs et les autres. Ceux qui sont directement subversifs se subdivisent en plusieurs genres : I " Les Journaux publis par les groupes d'action directe. Ceux-l ont trois objectifs : - Entretenir l'tat d'esprit des groupes eux-mmes et, par l, ils restent limits leur audience directe qui est minime puisque ces groupes, par dfinition, sont trs restreints. - Servir de moyens de propagande en cas de besoin dans les groupes qu'il s'agit de rcuprer , c'est--dire de tirer soi. Ainsi par exemple, le journal Rouge, en France, distribue 18 000 exemplaires d'un numro spcial sous le titre Jeunesse rebelle la sortie des lyces en mars 1971 au lendemain de l'affaire Guiot (arrestation d'un manifestant lycen). - Fournir aux organes de presse atteignant l'opinion publique, des informations relayer. Ainsi par exemple Le Monde reproduit dans un numro d'avril 1971 un article de Sartre dans La cause du peuple invitant les militants faction directe contre les journalistes qui osent pu100
blier des ditoriaux dfavorables aux ides rvolutionnaires. Du mme ordre seraient les missions-pirates de propagande directe, la radio et la tlvision, et les films de ce qu'on appelle le cinma d'opinion (76). 2" Les Journaux et revues de grande dijfusion qui participent directement et intentionnellement l'action subversive. tant, par vocation, de grande diffusion , ces publications adoptent des mthodes plus subtiles que celles des prcdentes. Leur rle est capital pour la subversion car elles ont toutes les apparences de la bonne foi et de l'objectivit, de faon conserver et tendre l'audience, donc faonner un secteur suffisant de l'opinion publique (77). Parmi des articles et reportages de culture gnrale ou d'information large, l'intoxication subversive est plus ou moins massive ou plus ou moins bien faite selon les hebdomadaires et selon la qualit des rdacteurs. Leurs mthodes, dans les articles et comptes rendus d'intention subversive, relvent de ce qu'on appelle l'information tendancieuse . Du mme ordre sont les missions radio ou tlvises officielles confies des ralisateurs ou des journalistes qui servent la subversion.
Rappelons succinctement les procds de l'information tendancieuse (78) : (76) Des groupes de cinastes indpendants ont choisi le film comme mdia d'action, tels en France le C R P (Cinastes rvolutionnaires proltariens"), le groupe Dynadia, le collectif Dziga-Vertov (maoste), le groupe Sion. (77) L a loi psychologique applique ici est celle-ci : un texte violent, provoquant un choc, amne moins de participation et de conviction qu'un texte plus "informatiP'. plus raisonnable... L a raction favorable du lecteur ou de l'auditeur est d'autant plus forte que le message de propagande est plus rationnel et moins violent. (Ellul, op. cil., p. 100). (78) Cf. R. Mucchielli, Opinions et cliangenient d'opinion, E.S.F.. 1970. particulirement ch. 5, 2.
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LA S U B V E R S I O N A ) Principes gnraux. L'information tendancieuse doit tre d'abord crdible . ce que l'on assure soit par les caractristiques personnelles de l'informateur, faonnes par la manire de le prsenter et par brouillage de ses mobiles.... soit par l'information elle-mme qui doit se couler et se inouler dans les habitudes de pense du groupe vis, apporter des preuves concrtes (photos, lettre, enregistrement, etc.), soit se situer en dehors de tout reprage o pr/on de la part des rcepteurs, soit enfin remplir un besoin d'explication logique. Le danger n" 1 est l'effet-boomerang qui consiste en ce qu'une accentuation trop perceptible de l'intention tendancieuse produit un effet contraire chez l'auditeur (il se porte vers la croyance inverse de celle que l'on voulait lui suggrer ). B) Quelques procds : 1) la nouvelle absolument fausse pour la vrification de laquelle l'auditeur ou le lecteur n'a aucun repre. Le dmenti peut d'ailleurs tre donn ultrieurement sans nuire l'efTet de la premire nouvelle, 2) la slection des informations, une une vraies, mais choisies dans une mme intention. } ) le mlange d'informations vrifiables et d'informations subversives. 4) le commentaire orient aprs une information vraie. 5) la mise en place d'une information vraie preuve concrte dans un contexte qui en change le sens, 6) l'information incidente tendancieuse, donne sans y attacher d'importance, dans le cours d'une information ayant un objet tout autre, 7) grossissement et dfiguration d'une information vraie de faon susciter des sentiments forts chez le lecteur-auditeur, 8) rpartition ingale de la longueur et des qualits des informations pour et contre, au bnfice de l'aspect choisi pour orienter le lecteur-auditeur (ex. : publicit large donne une rpression et faible donne la provocation), 9) habillage d'une information subversive avec un fait rel. 10) information sans conclusion mais faite de telle sorte que le lecteur-auditeur tire lui-mme la conclusion qui s'impose . Des informations soigneusement choisies et adroitement prsentes constituent l'arme de propagande subversive la plus puissante qui soit dit Sefton Dehner qui connaissait bien la question (79).
CARACTRISTIQUES G N R A L E S D E L A S U B V E R S I O N
3" Les Journaux, revues et missions de grande dijfusion qui sont neutres . Ceux-l sont gnralement de la seconde catgorie avec un degr de subtilit suprieur. Prsentant avec une impartialit ostentatoire les informations de toutes les sources, ils n'omettent pas de mettre sur le mme plan par exemple l'interview d'un ministre responsable ou d'un lu, et l'interview d'un petit chef de bande expliquant les idaux humanitaires universels qui donnent un sens son action sauvage, ou encore le texte d'un jugement du tribunal et celui d'un tract distribu la sortie. La part gale consacre aux diverses tendances de l'opinion , fait discrtement disparatre le fait que telle tendance reprsente 1 pour 1 000, et que telle autre reprsente 95 % des citoyens. Les belles mes dont nous parlions ci-dessus (pp. 8788) trouvent un accueil chaleureux dans ces journaux et missions. Autre objectif non-ngligeable, ces journaux donnent l'occasion aux groupes rvolutionnaires de se faire connatre et de se faire reconnatre. 4 Les Journaux, revues et missions de grande diffusion qui sont contre les entreprises rvolutionnaires. Naturellement, tous les degrs de cette opposition existent, mais nous laisserons de ct les publications nettement marques par le militantisme extrmiste oppos. Celles-ci sont et seront l'objet d' actions directes (attentats l'explosif, attaques personnelles physiques des personnes allies et de leur domicile) de la part des groupes rvolutionnaires. Parlons des journaux qui, exprimant ouvertement les sentiments intimes de leur public, s'indignent contre les entreprises sditieuses et subversives et les stigmatisent Ici se produit un phnomne que Tchakhotine avait dj son 103
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CARACTRISTIQUES G N R A L E S D E L A S U B V E R S I O N Lenoir. Tomasini et Soustelle, affiche intitule Ces hommes sont dangereux. Arrtez-les et portant un texte qui est un appel peine dguis la violence et au meurtre. Dans son numro 1802 de juin 1971, le mme hebdomadaire, propos des pillages du 5 juin au quartier Latin, termine ainsi un article d'une page illustr de deux photos (dont l'une reprsente les grvistes de la faim installs sur des matelas dans le hall de la mairie de Grenoble) ; l'existence d'un tat-major terroriste ne peut plus tre mise en doute. Le fait que, dans la nuit du 7 au 8 juin, deux attentats absolument identiques aient eu lieu contre des cafs L a Courneuve et Saint-Etienne, 400 kilomtres de distance, rvle que le mme groupe peut dsormais oprer sur l'ensemble du territoire.
poque reconnu et analys (80) : pour dmontrer la gravit des diverses actions subversives ou terroristes, ces journaux leur font une large place, les signalent toutes, les commentent avec horreur et indignation, et protestent nergiquement contre la carence, la faiblesse, voire la complicit, des autorits qui devraient les rprimer. Or, ce faisant, elles provoquent sur leurs lecteurs un effet non prvu, savoir la double certitude que, d'une part les groupes de gurilla ou d'action directe ont une puissance redoutable, qu'ils ne reculent devant rien, et d'autre part que les forces de l'ordre et les autorits sont faibles et impuissantes. Ces deux images qui s'implantent et s'aggravent proportion de l'insistance mme du journaliste sont prcisment des images que les agents subversifs cherchent accrditer.
Un exemple mineur mais significatif suffira ici. Dans son numro 1801 de juin 1971, l'hebdomadaire modr mais antigauchiste Valeurs actuelles, publie sur une grande page, illustre de deux photos, un article intitul les flics gauchistes Grenoble . o on lit entre autres choses : ( 1 Grenoble vit dans un climat de guerre civile (...). Le campus, O les rvolutionnaires gauchistes se protgent derrire une franchise royale accorde en 1290, est devenu un tat dans l'tat. A Grenoble, le prfet, la police, ont capitul devant la violence (...). Le 2 juin, les "policiers" du Secours Rouge procdent en pleine ville deux arrestations! (...) Une heure aprs, la section de Grenoble du Secours Rouge diffusait un communiqu ... Une des deux photos publies reprsente une affiche gauchiste portant les quatre photographies de MM. Ceccaldi,
On comprend facilement le danger de ces prsentations, qui accrditent les images inductrices du discrdit du pouvoir et de la puissance des groupes rvolutionnaires, produisant l'effet inverse de celui que voulait le journaliste, et suscitant dans l'inconscient des lecteurs la panique muette et l'inhibition, objectifs de ces groupes. Ainsi, en faisant des actions spectaculaires (et c'est l l'essentiel), les petits groupes d'action violente n'ont ensuite qu' laisser faire les mass mdia pour que toutes les catgories de l'opinion publique soient informes comme ils le veulent et dans le sens o ils le veulent Leur propagande se fait avec un minimum de militants (il suffit par exemple de quatre individus qui se sont concerts pour produire les deux attentats simultans de La Courneuve et de Saint-tienne; de mme, il suffit de 300 tudiants sur les 30 000 de Grenoble pour faire croire que la ville est aux mains des terroristes ) et cela sans effort spcial (il est vrai qu'il faut penser les actions dans leurs rapports avec les objectifs psychologiques et avoir quelques agents subversifs bien placs dans l'appareil universitaire)... puisque l'norme machine des mass mdia se met en branle par son organisation propre. L'opinion publique nationale 105
(80) Les mthodes classiques sont en contradiction vidente avec les donnes scientifiques. Leur propagande prend souvent des formes attristes : elle se plaint, elle accuse l'adversaire d'atrocits, d'esprit d'agression, elle fait ressortir, en d'autres termes, son audace et sa force. C'est une mauvaise tactique puisqu'on rend ainsi, sans s'en apercevoir, un service la propagande adverse. C'est le principe que nous nommerons d'intimidation rebours. (Tchakhotine, op. cit., p. 286).
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AS/. Dans une bagarre, il vaut mieux arracher un doigt l'adversaire que de lui en blesser dix. Mao Ts-toung, La guerre rvolutionnaire. Ed. Sociales, 10-18. p. 123.
vacille et basculera un jour du ct de la panique muette, de l'inhibition et du mpris des autorits (81). L'opinion publique mondiale est atteinte de la mme faon. Des manifestations spontanes de solidarit avec telle ou telle action rvolutionnaire clatent des milliers de kilomtres les unes des autres, et tous les journaux du monde en rendent compte avec photos, interviews des meneurs, publications des proclamations (quipes de l'O.R.T.F. se dplaant), crant et intensifiant le climat psychologique qu'il s'agit de fabriquer. Pendant ce temps, cessant pour un moment de rire gorge dploye de tous ces succs avec sa douzaine de comparses, tel agent subversif dclare la tlvision d'tat, avec la gravit du penseur (provoquant les hochements de tte suggestifs de son interviewer officiel) : Nous entrons, mon avis, dans une priode rvolutionnaire.
(81) Dans un article du Monde du 28 fvrier-1" mars 1971, le dput rpublicain indpendant Christian Bonnet se plaignait amrement que la France soit devenue un pays mentalement fragile . Quelle conscration pour les agents de la subversion dans ce pays!
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en quelque sorte, les principales directives techniques permettant de prparer les diverses actions subversives concrtes.
D'ACTION
SUR
Nous envisagerons surtout ici trois grands axes : 1) l'organisation du discrdit et du mpris l'gard du pouvoir, de ses reprsentants, de ses allis, de ses piliers ; 2) l'utilisation des incidents, fautes et erreurs; 3) la situation de tribunal du peuple et son intrt pour la subversion. Tous impliquent la culture de l'indignation .
L'ORGANISATION D U D I S C R E D I T D E S AUTORITES E T A B L I E S
Dans cette stratgie gnrale, plusieurs varits tactiques peuvent tre utilises : Faonner l'image du pouvoir comme oppresseur et de l'tat comme illgitime Rien de plus pnible pour un peuple, crit Ellul {op. cit., p. 147), que d'avoir le sentiment d'tre dirig par des mandarins qui, du haut de leurs dossiers, laissent tomber leurs dcisions , et cela d'autant plus que, dans la mentalit occidentale, la souverainet appartient au peuple et la volont du peuple est sacre. I l s'agit, en s'appuyant sur ces deux sentiments comrnuns et en ignorant dlibrment que les responsables de l'tat sont issus du suffrage universel (82), de dmontrer par mille moyens que le gouvernement est une oligar108
chie de mandarins..., qu'il y a, sur les questions importantes ( slectionner et dramatiser), une conspiration du silence ,... et que cela signifie que 1' on trompe le peuple . Autant que possible, i l sera recommand de considrer - et de faire considrer - le pouvoir ( abattre et remplacer) comme tranger la nation qu'il domine. La subversion insistera sur l'un quelconque des thmes suivants : Le pouvoir est la remorque d'une oligarchie qui lui dicte ses dcrets son seul profit,... le pouvoir est soumis une puissance trangre (ici insister sur le rle secret des U.S.A., bastion du capitalisme-imprialisme-fauteur de guerre ) et doit tre trait de fantoche la solde de l'tranger n'existant que par la volont du militarisme yankee, et de valet de l'tranger ,... la reprsentativit du pouvoir (ou des autorits lues en gnral) est nulle ou est le fruit d'une mascarade (83). Cela est valable indistinctement pour tous les rgimes dits capitalistes (84).
(82) Cf. ci-dessous le refus du recours au suffrage universel chez les groupes subversifs (lections-Trahison) et la signification de ce refus, p. 128. (83) Par opposition, dans le cadre a priori du manichisme deja vu (cf. ci-dessus, p. 82), les agents subversifs apparaissent comme les seuls reprsentants authentiques du peuple et les lments les plus lucides de la nation. (84) Luis Mercier-Vega (op. cit.. p. 12) crit que cette confusion de tous les rgimes dans la mme accusation n'a aucune justification thorique . Cet auteur trouve caricatural et, en un sens, scandaleux que l'on mette dans le mme sac le systme parlementaire vnzulien, l'tat militaire de Bolivie, et, ajouterons-nous, la Rpublique franaise, l'tat japonais, le franquisme espagnol, etc. L'tonnement de cet auteur vient de ce qu'il n'a pas compris qu"// s'agit d'un point de vue de guerre. Ce n'est que dans la psychologie de guerre qu'il y a une telle simplification des donnes politico-sociales et une telle assimilation des difTrents groupes ennemis en un seul ennemi abattre.
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et de la
Mise part l'action (par le moyen des informations tendancieuses) consistant slectionner et dramatiser les rpressions des dsordres publics, l'injection d'une image du pouvoir-policier et de la socit-rpressive dans les pays de rgime politique libral est plus facile qu'on ne le croit Puisque, par dfinition, la socit et la vie en socit exigent l'abandon ou le refoulement d'un certain nombre de pulsions individualistes {toute socit instaure ncessairement des rgles imposes ses membres, sans quoi le lien social (85) serait remplac par la loi de la jungle ), il suffira de se mettre toujours du point de vue des intrts particuliers et de la spontanit individualiste (86) pour faire paratre le caractre rpressif de la socit, tant entendu que l'on parlera non pas de la socit comme telle (puisque toute socit et tout groupe social organis pour survivre comportent des rgles), mais du systme social vis, c'est--dire encore du pouvoir tabli, accus d'organiser, dans l'ombre, une intgration sociale force. On insistera sur l'intgration sociale pralablement dfinie comme robotisation, anantissement de la personnalit, rduction de l'existence et, naturellement alina-
ISS) Selon Lvi-Strauss le phnomne social est essentiellement caractris par des changes rgls, ce qui serait le fondement commun du langage, des lois des changes conomiques et des rgles du mariage. Le tabou de l'inceste serait, selon cet auteur, symbolique du passage la socit humaine. (86) Il convient de remarquer combien est exploit fond ce que R. Ardrey appelle (dans son livre La loi naturelle) l'alibi inaugur par les Discours de J.-J. Rousseau, et consistant imputer toute la responsabilit du mal fl la socit, puisque la nature humaine - et la spontanit - est divinement belle et bonne.
tion. En invoquant alors, ce point du sophisme, le droit universel la vie, on refusera cette intgration-l et on s'indignera contre la socit unidimensionnelle , toujours incarne par le pouvoir tabli. Contre lui, on revendiquera le contre-pouvoir, dfini uniquement comme force de destruction (sans jamais de programme positif, de faon utiliser les pulsions agressives et oppositionnelles l'tat brut) : pouvoir noir , pouvoir indien , pouvoir tudiant , pouvoir jeune , pouvoir lycen . Ainsi lorsque Carmichal invente en 1964 le pouvoir noir (Black Power), il dclare qu' il a compris le pige de l'intgration . Le Mouvement des musulmans rouges , fond un peu plus tard par Mel Thom (surnomm Mao Ts-Thom) en appelle l'action directe avec la mme plate-forme idologique (selon l'euphmisme des interviewers complaisants). En poussant un peu plus loin, on prsentera la socialisation, c'est--dire l'intgration sociale et l'acculturation, comme une propagande intentionnelle sournoise de la part du pouvoir tabli, et on soulignera sa force de contrainte, sa violence inapparente dans le modelage des consciences. C'est ce que Lefebvre par exemple, en France, en 1968, appelait le terrorisme de l'intgration, lgitimant ainsi a priori le terrorisme des groupes d'action directe qu'il excite et justifie du mme coup. Mais l'image de r tat-policier sera encore plus efficacement rpandue si l'on oblige l'tat se dmasquer comme tat policier , c'est--dire si l'on sait provoquer la rpression et exploiter ensuite psychologiquement les faits et les effets de cette rpression, tactiques que nous dvelopperons ci-dessous.
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T E C H N I Q U E S PARTICULIRES D E L ' A C T I O N S U B V E R S I V E ' ' des membres du Congrs, d'adopter les mthodes de la Gestapo, de multiplier les tables d'coute tlphonique, etc. Une campagne de dnigrement et de discrdit, cultivant l'indignation, s'orchestre, visant en particulier Edgar Hoover, directeur du F . B . L , chef efficace d'un organisme non moins efficace de scurit nationale. On sait que, soumettant le vieux G-man aux procds d'enqute qu'il utilise (c'est--dire le suivant partout, interrogeant ses voisins, fouillant ses poubelles, perscutant les membres de sa famille), des gauchistes et des journalistes allis publirent un grand nombre de rapports sur E . Hoover dans le but de dconsidrer l'homme et son organisation, cela dans le but plus gnral de discrditer le pouvoir tabli aux yeux du public. En France, d'octobre 1969 fvrier 1971, le tir de discrdit dclench et orchestr par les agents subversifs se concentre sur la police. On sait que celle-ci, malade du mpris , organisa le 4 mars 1971 une journe d'action , l'initiative de la Fdration autonome des syndicats de police. Dans le dbat du 3 mars organis par un des syndicats de policiers, quelques orateurs exprimrent les raisons de leur mcontentement (88) : la presse est largement responsable du divorce entre la population et la police ,... on bouffe du flic partout et toutes les sauces ,... la police franaise avait dj t bafoue, mais jamais elle n'a t outrage comme elle l'est aujourd'hui . Dans l'ditorial du Journal de la police nationale (n de mai 1971) le ministre en exercice (M. Marcellin), parlant de la campagne ignoble de dnigrement systmatique , crit : les vritables responsables de la campagne sont les agitateurs rvolutionnaires qui l'ont lance (...). Leur presse est l pour nous en convaincre : ils poursuivent un objectif politique (...). Les stratges du dsordre se parent du manteau de la justice pour mieux miner les institutions et prparer leur revanche (89).
Organiser le discrdit sur le pouvoir par le discrdit sur les piliers du pouvoir Sefton Delmer donne un excellent exemple de cette technique de sa radio noire subversive pendant la guerre.
Il crit (op. cil., pp. 102 et suiv.) : Je fis, des fonctionnaires du Parti national-socialiste, l'objectif n 1 de nos attaques, parce que, selon moi, ces fonctionnaires agissaient de faon tonnamment efficace en tant que force motrice de l'effort de guerre du peuple allemand. Si nous russissions noircir ces hommes aux yeux du public allemand (...) alors nous aurions port le coup mortel au moral de l'Allemagne. De plus, nous donnerions l'Allemand ordinaire une excuse magnifique tout relchement dans l'effort .
Une premire application de cette technique consistera donc reprer des organisations d'tat qui constituent le moteur ou le rempart de l'effort national, et concentrer sur elles le tir du discrdit (toujours relay, bien entendu, par les mass mdia), et d'abord sur la police :
Ainsi le 8 mars 1971, selon les journaux, un groupe gauchiste clandestin travaillant pour une Commission d'enqute des citoyens sur le F.B.I. (87), analogue aux commissions du Secours Rouge en France, parvint pntrer dans un bureau local du F.B.l. et s'empara de quelques circulaires confidentielles manant du service charg des affaires politiques (Renseignements gnraux). L a commission envoie ces feuillets trois journaux (Washington Post. New York Times, Los Angeles Times), accompagns d'une notice explicative . L a presse hostile l'administration du prsident Nixon s'empare de l'affaire , et la prsente comme un scandale; elle rclame l'ouverture d'une enqute publique sur le F . B . L , accus d'espionner la vie prive
(87) Fdral Bureau of Investigation , police d'tat amricaine (analogue la Sret nationale).
(88) Ce qui prouve l'efficacit de l'action subversive orchestre antrieurement. (89) Le ministre de l'Intrieur R. Marcellin avait lu la tribune du Parlement, le jeudi 14 novembre 1968 (Journal officiel des Dbats du 15 novembre, pp. 4404-4409) un rapport trs document, bourr de faits, de citations et de noms propres, montrant la stratgie et les procds des groupes d'action en mai 1968 en France, et dvoilant leurs liai-
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T E C H N I Q U E S PARTICULIRES D E L ' A C T I O N S U B V E R S I V E prendre nommment pour cibles : les convoquer dans des assembles gnrales de types divers pour qu'ils s'y expliquent. Si ncessaire, il faudra les "retenir". On peut aussi (...) aller le chercher dans son journal, mais il faudra tre conscient que la police le protgera et prendre des dispositions en consquence. Nous sommes prts distinguer entre le journaliste-flic et le journaliste simplement ractionnaire ... seul le premier subira le traitement rserv la police fasciste , disait l'auteur de l'article.
La journe d'action de la police du 4 mars 1971 Paris fut l'objet d'une prparation, en vue de son sabotage, par les agents subversifs. Les deux tactiques retenues furent d'une part l'accaparement de chaque policier et du dialogue par un petit groupe gauchiste pour couper le policier du public, et d'autre part l'exploitation des points d'attroupement pour distribuer des tracts et dtourner l'attention. Ces procds russirent parfaitement Le Monde du 6 mars remarque que les badauds un instant rassembls autour de ces conciliabules, s'cartent puis s'en vont comme s'ils n'taient pas concerns par ces dialogues dans la bise . On sait que l'action subversive de grande envergure entreprise pour discrditer la police se doublait d'actions locales trs intenses portant sur les policiers individuellement Lycens et professeurs gauchistes par exemple ont perscut, dans les coles, les fils et filles de fonctionnaires de la police. tendant le principe de ces oprations d'autres corps professionnels, les groupes d'action directe s'en prennent aussi aux enseignants qui ne partagent pas leurs opinions, aux fonctionnaires des ministres ou des prfectures, la magistrature, aux cadres et mme aux journalistes d'opposition.
Dans son numro du 8 avril, le journal maoste La cause du peuple, incitait les militants une campagne d'action directe d'un nouveau genre : Si, dans un journal, quelques lments particulirement malhonntes sont reprs par vous, il faut les
Ces techniques sont cites ici dans le cadre de l'organisation du discrdit du pouvoir, mais elles ont d'autres impacts : par exemple au niveau de la cration d'un climat de terreur, et au niveau de la dissociation des ennemis, ce dont nous reparlerons ci-dessous. Le rsultat global est atteint. Au malaise de la police et des fonctionnaires de l'tat rpond aujourd'hui le malaise dans l'arme , formes spciales, finalement, du malaise de la population, appel morosit ou dsintrt ou lassitude . La scission entre l'opinion publique et le pouvoir, objectif de la subversion, est en bonne voie. La campagne de dsobissance civile pourra bieiitt s'tendre et signera la ruine dfinitive de l'autorit de l'tat vis. Faciliter la dsertion a t une des formes les plus anciennes de la subversion en temps de guerre. S'attaquer aux personnes Des applications de ce principe ont dj t donnes ci-dessus dans le cadre des campagnes de discrdit contre des corps professionnels d'tat. Mais il convient de le considrer sparment car il a, parmi ses nombreux avantages, celui d'induire d'une part l'isolement et le discrdit d'une personnalit-pilote qui aurait pu tre dangereuse, et d'autre part la terreur (sous l'aspect de panique muette) 115
sons et leur organisation au niveau international. Ce document qui dmontre et dfinit la subversion n'a eu aucun retentissement et n'a connu aucune publicit. touffement mystrieux. On aurait peine croire que des agents subversifs avaient des complicits au sein mme du gouvernement cette poque.
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chez les autres personnalits. D'o l'intrt de cette neutralisation des personnes. Une telle opration exige un fichier des personnalits . Comment le faire?
Sefton Delmer, qui rencontra ce problme avant nos militants gauchistes, en a donn la solution; il crit {op. cit., p. 104) ; Ces noms et adresses, nous les trouvions dans les journaux et hebdomadaires, dans les revues. Bien avant que Max Braun (un de ses collaborateurs) se ft joint nous, l'poque o il me fallait fonctionner partir de mes renseignements et de mes archives personnelles, j'avais mis en train un fichier des personnalits du rgime. Je les recueillais dans les colonnes d'informations de la presse allemande. Autre source non ngligeable que Delmer utilisa par la suite, l'espionnage des groupes et la localisation des leaders d'opinion de ces groupes grce aux renseignements obtenus l'intrieur de ces groupes.
La personnalit influente ainsi identifie, une petite enqute genre police prive mene par un ou deux militants, apporte rapidement ample moisson de renseignements et de racontars. L'attaque ad hominem pourra, au moment opportun, casser des initiatives dangereuses, servir au chantage ventuel et rduire la dfensive la personne ainsi captive. L'attaque ad hominem a de multiples applications : en runion publique, contre un orateur ou un contradicteur qui risque de retourner la salle,... dans les journaux, contre une personnalit-pilote qui serait sympathique l'opinion publique tout en tant contre-rvolutionnaire,... dans un groupe, contre le leader qui dnoncerait les manipulations subversives, etc. La plus belle attaque ad hominem russie a t sans conteste celle qui aboutit la chute du Prsident Richard Nixon en aot 1974. L'affaire du Watergate , monte au 116
printemps 1973, avait ds ses dbuts pour objectif la chute de Nixon dans l'ignominie et son dpart de la MaisonBlanche (et il est parti de lui-mme - aprs un an et demi de lutte - sous les regards indiffrents de la majorit silencieuse). Quoique le but urgent et proche ait t sans aucun doute de favoriser la victoire du Vietnam du Nord en faisant tomber le prsident du Sud-Vietnam Thieu (ceci en le privant du support rsolu et puissant que lui apportait Nixon), cette opration trs indirecte mene avec persvrance et brio par les 14 journalistes du journal Washington Post, accrochs au Prsident comme des chiens dvorants, rencontra l'appui inconditionnel de tous les ennemis politiques de Nixon (le groupe d'Alger Hiss, celui de Daniel Ellsberg, et celui plus puissant de George Mac Govern, candidat de l'opposition, ami personnel de Fidel Castro, et supporter de tous les mouvements favorables aux communistes du Nord-Vietnam). En fouillant systmatiquement toutes les poubelles politiques de la capitale fdrale, les journalistes du Washington Post avaient, antrieurement r affaire du Watergate, dcouvert divers lments exploitables: le scandale du bombardement des troupes communistes au Cambodge , le scandale du soutien de l'I.T.T. la candidature Nixon , le scandale des feuilles d'impts du prsident , la villa de sa fille, les bijoux de sa femme, etc. Mais Watergate fut le filon dcisif On sait que r affaire dbuta par la dcouverte que des micros avaient t placs par le parti rpublicain dans les salles du parti dmocrate au moment des lections prsidentielles opposant Mac Govern Nixon. On connat la suite et la magnifique orchestration de toutes les mass mdia mondiales, jusqu' l'abandon final de Nixon par ses propres amis. A l'occasion du rappel de l'extraordinaire victoire du Washington Post et des amis du Nord-Vietnam sur Nixon, 117
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je crois utile de prciser ici, en anticipant sur le paragraphe qui suit, quels sont les principes du montage d'une affaire dans une optique de subversion, celle du Watergate tant un modle du genre. L'opration se dcompose en cinq phases : 1. - Recherche d'un fait qui sera considr comme la rvlation d'un secret bien gard. Naturellement, ce secret est gard pour de bonnes raisons, surtout lorsqu'il s'agit par exemple de Dfense Nationale, mais les agents subversifs feindront de ne relever que les raisons que la morale commune rprouve ... 2. - Rvlation bruyante, par un organe de presse ou un instrument de mass mdia, du fait dcouvert , et cela en insistant sur trois aspects : a) on a cach ce fait, ce qui prouve qu'on veut tromper ou qu'on a tromp l'opinion publique. Ce premier aspect donne au journaliste l'aurole du redresseur de tort b) les raisons de ce secret sont exclusivement des raisons que la morale rprouve . On ignorera dlibrment les vraies raisons et on s'indignera sur les atteintes aux valeurs universelles et aux idaux humanitaires. Ce second aspect donne au journaliste l'aurole d'une moralit inattaquable, c) L'affaire est rvlatrice d'un tat de choses typique, elle est un symbole. I l faut donc aller jusqu'au bout des rvlations, dcouvrir tout le reste, montrer la pourriture de l'tat abattre. 3. - Orchestration par l'ensemble des mass mdia qui relayent le premier crieur. 4. - Mise en accusation, par les mass mdia, du ou des coupables, des vrais coupables , revendication exprime avec la foi intransigeante du Justicier. Cette phase met la ou les personnes vises en position dfensive. (A ce sujet, il faut constater que ce pige marche toujours, la personne vise se met se dfendre et parler pour se dfendre, sans penser dmonter l'opration-pige et ses motivations). 118
5. - Exploitation de la situation ainsi cre : on constate que l'Autre, se dfendant, reconnat sa position d'accus; on dcouvrira et on dnoncera les mensonges de dfense qu'il serait amen faire, et tout ce qu'il dira sera retenu contre lui . On poussera la mise en accusation et la culture de l'indignation au point que tout dfenseur deviendra suspect I I n'y aura bientt plus aucun dfenseur. Grce une opration de ce genre bien monte, un doute durable est inject dans un systme politique tout entier ou l'gard d'un groupe politique important, viss par l'entreprise de destruction. Des valeurs s'effondrent On pourra toujours utiliser le rappel de l'affaire au cas ou une assimilation serait utile en des temps ultrieurs. Les mmes principes seront appliqus pour transformer en affaires des incidents fortuits ou savamment provoqus.
L'UTILISATION ERREURS D E D E S INCIDENTS L'ENNEMI FORTUITS, DES FAUTES E T
Nous verrons ci-dessous la fabrication des incidents et l'exploitation des rpressions provoques. Nous nous en tiendrons ici l'utilisation des incidents fortuits et des erreurs adverses, dans l'objectif constant d'agir sur l'opinion publique pour la dissocier du pouvoir tabli et de ses corps dfensifs constitus. Pour la partie ngative ou destructive de la propagande, crit Tchakhotine (op. cit., p. 540, et cet aspect de la propagande est typiquement la subversion), ce sont les adversaires qui fournissent souvent les arguments de plus en plus vidents (...). On peut dire franchement que, grce leurs maladresses, ce type de propagande devient de plus en plus facile. 1 19
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La technique mme n'a gure vari depuis ce que disait P. L. Courier dans ses crits (90), et ce que disait, au dbut du X X ' sicle, Lnine dans ses recommandations aux agitateurs, en particulier la technique de la rvlation politique exploitant politiquement ce qui se passe un moment donn autour de nous, ce dont on parle ou chuchote entre soi (91). C'est dans cet esprit, avec les procds de montage analyss ci-dessus, et de culture soigneuse de l'indignation ou du dgot, que la presse subversive (relaye par l'autre presse, la radio et les informations tlvises) va exploiter les incidents de la rue, la btise d'un policier, la dclaration intempestive d'un lu ou d'un membre du gouvernement, un scandale politique ou social, un motif de grve. Naturellement le choix de ces incidents et erreurs est minutieux. Nos hros, tragiques dfenseurs des valeurs humaines et des droits universels, ne s'intresseront pas l'assassinat d'un enfant ou aux drames des vieillards abandonns, pas plus qu'ils ne s'intresseront au gnocide des Biafrais ou l'extermination des Bengalis. Par contre, la mutation d'office d'un professeur de lyce pour organisation de l'agitation politique dans l'tablissement ou la suspension pour les mmes raisons d'un matre-assistant de facult (en cachant que son traitement est intgralement maintenu) vont devenir des affaires auxquelles des articles indigns seront consacrs. Par bonheur, dans la grisaille des menus scandales difficiles entretenir , de belles et grandes affaires d'tat
viennent redonner du souffle aux instrumentistes : les 22 morts civils du village vietnamien nettoy par le lieutenant Calley (on parlait de 200 au dbut) vont servir plusieurs mois, entraner nombre de belles mes. Naturellement, si le drame se produit par la faute des amis, il n'en sera nulle part question : lorsque deux journalistes franais furent assassins au Cambodge en 1970 par des soldats rguliers du Vietnam du Nord ( l'poque o il tait entendu qu'il n'y avait pas de soldats rguliers nordistes au Cambodge mais uniquement des maquisards locaux ), la tlvision franaise se contenta d'un discours funbre et d'une rclamation solennelle pour assurer la vie des journalistes en mission . La presse, discrte et endeuille, en fit autant. Si l'on n'a vraiment rien d'actuel exploiter, i l reste toujours les deux boucs missaires inusables : l'Afrique du Sud et la C.I.A. amricaine. Deux autres procds mritent mention : 1) l'utilisation du droit et des rglements de la socit mme qu'il s'agit d'abattre; 2) la dnonciation de toute contre-offensive comme manuvre de la propagande ennemie. L'exploitation des droits et rglements
(90) C / : ci-dessus, p. 19. (91) Pour Lnine, les objectifs taient tout diffrents, puisqu'il s'agissait de sensibiliser les masses une doctrine positive prcise et d'duquer le peuple aprs la prise du pouvoir, en vue d'obtenir son soutien la politique de l'Etat.
D'une manire gnrale, on attaquera les rglements : ainsi, lorsque deux professeurs gauchistes de Marseille en fvrier 1971 refusent d'tre inspects selon le rglement, le Comit de soutien immdiatement constitu dnonce dans un communiqu la presse, ce rglement comme un des exemples typiques de l'oppression, et la campagne commence pour obtenir une sanction contre... l'inspecteur gnral. Lorsque des poursuites sont engages au nom de la loi pour attentat aux bonnes murs et incitation au meurtre contre un enseignant et contre le directeur du jour121
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nal qui avait prt ses colonnes aux expriences de cet enseignant sur les enfants (92),... un Comit de lutte des enseignants s'organise pour dnoncer le caractre rpressif de l'cole et de la famille concernant la sexualit et les intolrables poursuites judiciaires engages contre un des leurs... Mais toutes les fois que ce sera utile, on invoquera les rglements et la loi pour justifier l'indignation : ainsi lorsque, le 16 avril, un professeur de Savigny-surOrge est mut d'office Pont--Mousson pour avoir transform sa classe en catchisme maoste, les mmes Comits de soutien invoquent l'irrgularit de cette mesure qui n'a pas pris en considration... le rglement, lequel prvoit de prendre l'avis de l'intress. On s'indigne de la sparation inhumaine du mari et de son pouse, elle-mme enseignante, puisque, en vertu des rglements, elle a droit la runion de conjoints fonctionnaires . Puisque la lgislation bourgeoise assure la libert d'opinion, on revendiquera la libert d'opinion pour entamer toutes les critiques subversives et on exigera, en cas de sanctions, que soient appels dlits d'opinion les attentats ou les dlits de droit commun commis par la gurilla urbaine dans le cadre de la subversion. De mme, on prendra soin d'utiliser plein, par les avocats, les dispositions de la loi pour la protection des prvenus, tout en utilisant la dfense et ses plaidoiries comme tribunes politiques. D'une manire gnrale, donc, on fera appel la loi et ses dispositions lorsque celles-ci sont exploitables (93).
(92) Allusion l'affaire de la revue La Mche (Le Monde, 5 mars 1971) distribue fortuitement (dit Le Mond) Millau le 20 mai 1970 l'issue d'un rcital de Georges Brassens. (93) L'exemple le plus typique, dj vu, est l'invocation des franchises universitaires accordes par une loi du xm' sicle, grce quoi les tudiants et enseignants gauchistes dclarent contraire la loi la prsence de la police sur les campus des universits.
La dnonciation de toute contre-offensive comme une manuvre de propagande ennemie Ainsi lorsque, essayant de protger la fameuse majorit silencieuse des tudiants contre les perturbations fomentes par 5 % d'entre eux et par 10 % des enseignants (94), les autorits recrutent des vigiles dans le but de former un service d'ordre intrieur... les agents subversifs dnoncent avec indignation cette manuvre et cette provocation , et des commissions syndicales exigent le licenciement immdiat des vigiles... (95). Lorsque le prsident Senghor appelle la population laborieuse dfiler dans les facults pour y voir les dprdations et inscriptions gauchistes (96), son initiative est stigmatise comme une propagande d'tat Les journaux et chanes de tlvision des U.S.A. (relayes par la presse mondiale; cf. Le Monde du 3 mars 1971) dnoncent, en fvrier 1971, la machine de propagande du Pentagone et spcialement la propagande par des films patriotiques et anticommunistes. mission accablante pour le Pentagone , commente Jacques Amalric dans Le Monde. P. Reiwald avait dj dfini, voici 25 ans (dans De l'esprit des masses, 1946), la propagande projective qui consiste prter l'ennemi ses propres dfauts et lui attribuer les actes que l'on est en train de commettre soimme, ce qui permet l'accusation et justifie l'avance les moyens que l'on serait amen prendre, titre de prcaution ou de lgitime dfense .
(94) Ceux-ci servant de bouclier et de brain-trust ceux-l. (95) C e qui fut fait dans les plus brefs dlais par les autorits responsables. (96) /: ci-dessous, p. 176.
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L A SITUATION D E T R I B U N A L P O P U L A I R E
Dj au x v i i i ' sicle, si l'on en croit Daniel Mornet {op. cit., p. 277) : de toutes parts on entend des invectives et des cris de fureur contre les ministres de l'glise; on les cite au tribunal de la raison, et l'on exige qu'ils prouvent la religion comme on dmontre une ide mathmatique (97). La Rvolution franaise rendit clbre le tribunal rvolutionnaire, domin par la sinistre machine du docteur Guillotin, et devant lequel les dlateurs et zlateurs de tout crin firent traner les ennemis du peuple . La dnomination mme de tribunal du peuple est une trouvaille : elle utilise plein la couverture vague mais suffisante des valeurs universelles et de la morale commune, elle porte en elle une sorte de rfrence la conscience de l'humanit, elle est un substitut moderne de la justice de Dieu. En fait, personne de bonne foi ne considrerait aujourd'hui comme valides les jugements de Dieu d'autrefois ni le lynchage, qui est authentiquement populaire, mais le fait que dix ou douze barbus se disent former un tribunal du peuple dclenche la terreur (ce qui est l'objectiQ par le seul fait de la certitude qu'fre accus c'est tre coupable, que la sanction ne comporte aucun recours. C'est dans les uvres de Mao Ts-toung (tome I , p. 56) que l'on trouve la remise en service de ce vieil archtype dans le cadre de la guerre rvolutionnaire : i l s'agit, dit-il, d'organiser des sances d'accusation des exploiteurs et des riches. Cette mise en accusation se fera, dt Mao, avec le
maximum de publicit. On fera connatre le visage de l'accus tremblant, on notera ses aveux ainsi que les accusations qu'il portera, pour se dfendre, contre d'autres personnes de son espce. Aprs avoir montr la force des rvolutionnaires par le kidnapping lui-mme, on attisera la colre du plus grand nombre possible de gens en faisant connatre les aveux de l'accus, c'est--dire du condamn. On permettra au peuple ainsi inform , d'injurier le prisonnier, de le couvrir de crachats, d'ordures, de peinture, et cela l'occasion de promenades avec pancartes jusqu'au lieu du supplice. Ds 1960, dans les pays occidentaux et amricains, des tribunaux de ce genre sont crs l'initiative des agents subversifs, et le nombre d'oprations des groupes rvolutionnaires qui aboutissent la situation de tribunal populaire oblige considrer cette action comme particulirement significative et importante pour la subversion. Pourquoi? I l faut d'abord remarquer que ce tribunal n'est que la matrialisation d'une situation-type, qui est structuralement et fondamentalement l'opration subversive dans sa gnralit. Je veux dire que, dans le but de dconsidrer l 'autorit, de faire mpriser le pouvoir tabli, toute action subversive, quelle qu'elle soit, est un rquisitoire, au nom des valeurs humaines universelles, contre le systme et contre ses dfenseurs. I l n'y a donc qu'un passage au concret, par la ralisation de facto de la mise en accusation des personnes et des institutions. Sept avantages sont retirs de l'opration tribunal du peuple : 1 Commodit et facilit de la mise en accusation, puisque cette accusation est un dcret libre du tribunal qui n'a de comptes rendre personne. Une variante de cette situation, destine donner une apparence de srieux, est 125
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Dj au xviii'' sicle, si l'on en croit Daniel Mornet {op. cit., p. 277) : de toutes parts on entend des invectives et des cris de fureur contre les ministres de l'glise; on les cite au tribunal de la raison, et l'on exige qu'ils prouvent la religion comme on dmontre une ide mathmatique (97). La Rvolution franaise rendit clbre le tribunal rvolutionnaire, domin par la sinistre machine du docteur Guillotin, et devant lequel les dlateurs et zlateurs de tout crin firent traner les ennemis du peuple . La dnomination mme de tribunal du peuple est une trouvaille : elle utilise plein la couverture vague mais suffisante des valeurs universelles et de la morale commune, elle porte en elle une sorte de rfrence la conscience de l'humanit, elle est un substitut moderne de la justice de Dieu. En fait, personne de bonne foi ne considrerait aujourd'hui comme valides les jugements de Dieu d'autrefois ni le lynchage, qui est authentiquement populaire, mais le fait que dix ou douze barbus se disent former un tribunal du peuple dclenche la terreur (ce qui est l'objectiO par le seul fait de la certitude qu'tre accus c'est tre coupable, que la sanction ne comporte aucun recours. C'est dans les uvres de Mao Ts-toung (tome I , p. 56) que l'on trouve la remise en service de ce vieil archtype dans le cadre de la guerre rvolutionnaire : i l s'agit, dit-il, d'organiser des sances d'accusation des exploiteurs et des riches. Cette mise en accusation se fera, dit Mao, avec le
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Duveyrier.
maximum de publicit. On fera connatre le visage de l'accus tremblant, on notera ses aveux ainsi que les accusations qu'il portera, pour se dfendre, contre d'autres personnes de son espce. Aprs avoir montr la force des rvolutionnaires par le kidnapping lui-mme, on attisera la colre du plus grand nombre possible de gens en faisant connatre les aveux de l'accus, c'est--dire du condamn. On permettra au peuple ainsi inform , d'injurier le prisonnier, de le couvrir de crachats, d'ordures, de peinture, et cela l'occasion de promenades avec pancartes jusqu'au lieu du supplice. Ds 1960, dans les pays occidentaux et amricains, des tribunaux de ce genre sont crs l'initiative des agents subversifs, et le nombre d'oprations des groupes rvolutionnaires qui aboutissent la situation de tribunal populaire oblige considrer cette action comme particulirement significative et importante pour la subversion. Pourquoi? I l faut d'abord remarquer que ce tribunal n'est que la matrialisation d'une situation-type, qui est structuralement et fondamentalement l'opration subversive dans sa gnralit. Je veux dire que, dans le but de dconsidrer l 'autorit, de faire mpriser le pouvoir tabli, toute action subversive, quelle qu'elle soit, est un rquisitoire, au nom des valeurs humaines universelles, contre le systme et contre ses dfenseurs. I l n'y a donc qu'un passage au concret, par la ralisation de facto de la mise en accusation des personnes et des institutions. Sept avantages sont retirs de l'opration tribunal du peuple : 1 Commodit et facilit de la mise en accusation, puisque cette accusation est un dcret libre du tribunal qui n'a de comptes rendre personne. Une variante de cette situation, destine donner une apparence de srieux, est 125
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l'institution des commissions d'enqute (commissions galement populaires ) formes d'ailleurs par les mmes personnes que le tribunal. Les jurs sont les accusateurs, et chacun d'eux se prend pour le justicier, ce qui est la position la plus confortable. Personne ne demande ces accusateurs-justiciers leurs pouvoirs ni leurs mandats. Le seul qui on demande des explications , c'est l'accus. 2" Les accusateurs reprsentent le peuple par leur propre dcision, et donc se considrent comme les champions de la conscience morale dans sa divine souverainet. Ils ne sont ni enquteurs-flics, ni juges-flics, mais, anims par la Sainte colre de Dieu, ils sont le Jugement dernier . 3 De cette position confortable, ngative et divinise, ils peuvent manipuler l'opinion publique nationale et mondiale, par le relais des mass mdia (98). 4 La dconsidration de l'individu jug est complte, et, lorsqu'il est relch, c'est en change de garanties substantielles, soit morales, soit politiques, soit financires (elles ne s'excluent pas). De toute faon, ne serait-ce que par l'effet de terreur, l'accus est neutralis durablement, et par l'effet de la mme terreur, un certain nombre de ses amis cessent toutes relations avec lui aprs sa comparution spectaculaire. 5 L'individu compte peu, et, travers lui, c'est le pouvoir, le rgime, le systme de l'tat abattre, qui sont viss. L'individu devient le point concret d'o le rquisitoire s'envole pour dnoncer le systme, le dmasquer, le stigmatiser, vituprer contre lui dans le but de le dissocier de la population.
(98) Il est vident que rien de tout cela n'aurait de sens ni de porte si les mass mdia ne venaient donner la publicit indispensable.
6" La joyeuse et totale impunit avec laquelle ces tribunaux arrtent, font comparatre, convoquent, jugent, excutent, rejaillit en certitude populaire de la faiblesse de l'tat, donc de sa fin prochaine (99). 7 Le fait que ces tribunaux sigent donne le sentiment qu'une organisation politico-administrative existe en mme temps que la gurilla (100), et que le nouveau pouvoir est dj l. Donner ce sentiment est important si l'on veut frapper les imaginations et immobiliser le peuple dans la panique muette. Appoint non ngligeable : partir d'un certain seuil critique de saturation, une sorte de contagion de culpabilit se produit, mi-srieuse (l'ide Nous sommes tous coupables se rpand, ce qui est une excellente force de dmoralisation populaire), mi-joue (des gens viennent spontanment s'accuser pour ne pas tre mis en accusation ou pour implorer des circonstances attnuantes, ce qui est excellent aussi, comme force d'inhibition des consciences).
I I - LES TECHNIQUES D ' A C T I O N DES PETITS GROUPES SUR LES GROUPES PLUS GRANDS Dans l'expos de ce nouvel ensemble de techniques, trois points sont bien comprendre pour situer 1' esprit gnral des diverses techniques proposes :
(99) Il est videmment drisoire de voir s'agiter le ministre de la Justice, garde des sceaux, avec toutes les apparences de l'indignation, contre ces tribunaux. L e ministre est d'autant plus comique qu'il est radicalement impuissant, parce que le code pnal ne prvoit pas ce genre de dlit. ( 100) On sait que la conception de la gurilla rvolutionnaire implique l'existence et la manifestation d'un pouvoir politique parallle {cf. p. 55.
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TECHNIQUES PARTICULIRES D E L'ACTION SUBVERSIVE Dans son livre Tectinique du contre-Elat, Luis Mercier Vega donne les textes des proclamations des rvolutionnaires d'Amrique du Sud, textes que l'on retrouve, ajusts au langage de chaque nation, dans toutes les proclamations et tracts gauchistes de tous les pays ou rgne la libert d'expression. En 1962, au Venezuela, le Front rvolutionnaire dnonce ce qu'il appelle une farce lectorale (les lections au Parlement et l'lection du successeur de Btancourt prsident de la Rpublique, lections prvues pour dcembre 1963) et s'engagent solennellement rendre la consultation impossible (101). Camillo Torres dclarait, en janvier 1966, aux Colombiens : Le peuple sait que les voies lgales sont puises. Le peuple sait qu 'il ne reste plus que la voie des armes (102). En juillet 1966, le Mouvement de la gauche rvolutionnaire proclame aux Pruviens : Comme mouvement authentiquement rvolutionnaire, nous avons repouss les voies du compromis et de l'accord avec les exploiteurs, nous avons cart les mthodes lectorales bourgeoises... . En Mai 1966, dans le journal qubcois La cogne n 58, le Front de Libration du Qubec (F.L.Q.) en arrive impunment ce sophisme ahurissant : Dans une vritable dmocratie, il n'y a pas d'appel au peuple. C'est le peuple qui gouverne et le peuple ne peut s'appeler lui mme. On sait la surprise des nafs socialistes portugais lorsque en 1975, les lections leur ayant donn la majorit populaire, ils constatrent que l'alliance communiste-gauchiste minoritaire qui avait pris le pouvoir rpondit qu'il n'y avait pas tenir compte des lections puisque le peuple tait dj au pouvoir.
1 I l reste entendu qu'il ne s'agit absolument pas de mobiliser les masses populaires et qu'il s'agit, au contraire, de les immobiliser. Le volontarisme rvolutionnaire n'a rien faire d'un soulvement gnral, et son recours au peuple est seulement une formule verbale de propagande, valable lorsque le peuple est tenu l'cart De l le refus absolu de recourir une consultation lectorale. 2 L'action de dissociation des groupes constitus est une opration indispensable car on sait par les recherches en psychologie sociale, que plus les individus adhrent des groupes cohsifs, moins ils sont permables la propagande et la subversion. I l faut donc dissocier ou neutraliser les groupes de rfrence pour individualiser les gens et les dtacher individuellement de leurs valeurs groupales. 3 I l existe par contre des groupes-cls du systme, groupes sociaux, conomiques, culturels, politiques, etc., qu'il faut au contraire noyauter , de faon neutraliser tout le systme en agissant, le jour voulu, sur ces groupesl. C'est donc en tenant compte de ces trois axes dfinissant la stratgie l'gard des groupes que l'on devra dterminer les tactiques opportunes dans chaque action particulire ou d'envergure.
NEUTRALISATION POPULAIRE. DU RECOURS DES A LA CONSULTATION LIBRES,
BOYCOTTAGE
LECTIONS
Q U E L L E S Q U ' E L L E S SOIENT
Nous avons vu ci-dessus (cf. p. 38) que cette dfiance envers le suffrage universel, rationalise sous toutes sortes de justifications, est la consquence logique de la conception volontariste de la rvolution.
(101) On sait que les lections eurent lieu avec une trs forte participation et que Leoni fut lu prsident. Des hommes politiques qui avaient mis sur le Front, revinrent prcipitamment dans le systme . ( 102) Le peuple est seulement une invocation mystique. Dans le discours du prtre Camillo Torres, chef des maquis, le peuple colombien c'est le groupe de gurilleros cosmopolites qu'il commande.
Il y a un slogan des militants de la guerre psychologique l'intrieur des nations occidentales, qui a beaucoup tonn les partis dmocratiques et les syndicats (pres dfenseurs du suffrage universel), c'est le slogan antidmocratique : lections, trahison . 128
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Faisons litire, au passage, d'une mauvaise querelle que les partis dmocratiques d'opposition font aux gauchistes en les accusant de servir objectivement le pouvoir par leurs violences, puisque les lecteurs, inquiets devant les dsordres, risquent de voter massivement en faveur du pouvoir tabli. C'est une mauvaise querelle pour deux raisons : - d'une part, l'accusation faite aux lus de la majorit ( vous avez t lus la faveur d'une peur gnrale, donc vous avez t mal lus et vous n'tes pas reprsentatifs ) atteint son but et les frappe. Subjugus, les lus de la majorit en font un complexe de culpabilit et n'osent dcider aucune mesure efficace pour sauver la Rpublique. I l ne leur vient pas l'esprit (103) de rpondre que leur lection dans ces conditions mmes a t un vritable rfrendum national en faveur de l'ordre rpublicain; - d'autre part, la participation lectorale, dans les conditions o elle a eu lieu, prouve seulement que les petits groupes rvolutionnaires en liaison avec l'entreprise subversive, n'ont pas fait assez peur. En organisant mieux la subversion et la terreur, ils rendront effectivement la consultation impossible selon l'expression du Front vnzulien; ils auront engendr l'inhibition populaire, et la majorit sera dfinitivement silencieuse (104).
T E C H N I Q U E S D E DISSOCIATION D E S GRANDS G R O U P E S OU DES GROUPES CONSTITUES POUVANT RESISTER A L A SUBVERSION.
Nous avons vu ci-dessus que l'appartenance des grou(103) Il est vrai que pour la plupart ils n'en ont pas. (104) L a preuve en est que pour les lections dans les universits la participation lectorale des tudiants est de 20 %. Dans les universits, en effet, les petits groupes rvolutionnaires ont inhib la majorit.
pes cohsifs sert de rempart contre la propagande (par rsistance du systme des opinions individuelles lorsqu'il est soutenu par la scurit de l'appartenance, et soumis, grce aux changes socio-affectifs, un renforcement permanent). Or ces mmes groupes, tant intgrs dans la grande socit (celle qui est abattre), ont un rle de soutien de cette socit. La dissociation de ces groupes devient donc un impratif dans la stratgie gnrale de la subversion. Rentrent dans cette catgorie : les communauts nationales ou rgionales, les groupes religieux, les partis politiques, les corps professionnels, les groupements socio-professionnels, les syndicats, les communauts de voisinage, les assembles, les . conseils ou comits, les familles. Par hypothse, i l s'agit, dans ces groupes, de crer la discorde et la dissociation, d'engendrer l'anarchie, pour obtenir la dissolution du rempart collectif abritant les individus, et pour contraindre le groupe l'impuissance et l'inefficacit dans sa fonction l'gard de la socit environnante. Les techniques voques ci-dessous seront choisies et mises en uvre, dans cette stratgie gnrale, en fonction de la taille du groupe et de son rle social. I l est vident, par exemple, que la dissociation par manipulation du groupe dans de petites runions, technique qui suppose l'introduction pralable de l'agent subversif dans le groupe et l'utilisation de la dynamique des groupes (105), sera diffrente de la dissociation de groupes plus vastes tels les glises catholiques car il faudra crer des foyers de contestation et les soutenir idologiquement, et diffrente
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T E C H N I Q U E S PARTICULIRES D E L ' A C T I O N S U B V E R S I V E militants dans la mesure o ils sont repris par les journaux amricains dfaitistes rgulirement envoys au corps expditionnaire amricain: 2) Le F . N. L . a pris en considration le bas niveau du moral de l'arme amricaine au Vietnam, et son porteparole a not lundi la situation nouvelle cre par les incidents qui se multiplient entre soldats et officiers: 3) le document de lundi dclare que ne seront pas attaqus les soldats qui ne soutiendront pas la clique au pouvoir Saigon . Le mme article du Monde apprend au public que plusieurs Amricains combattent dj dans les rangs du F. N. L . , et que le gouvernement de la rpublique populaire entend instituer ds maintenant des relations de peuple peuple avec les Amricains, en dpit de la poursuite de la guerre.
aussi de la manipulation de groupes locaux cherchant dfendre des intrts locaux. Chez l'ennemi, distinguer le leader et ceux sur qui s'exerce son autorit; attaquer le leader, se montrer gnreux envers les membres de son groupe. C'est la dissociation lmentaire des groupes ennemis, procd fort ancien, apparent celui de la dconsidration du leader pour dmoraliser tout le groupe.
D'aprs Le Monde. 27 avril I97I. M. Chou En la. Premier ministre chinois, a apport le dimanche 25 avril, le ferme soulien de la Chine populaire au peuple amricain dans sa juste lutte contre la politique d'agression et de guerre ainsi que de discrimination raciale pratique par le gouvernement amricain. Le chef du gouvernement chinois a fait cette dclaration au cours d'un banquet offert par le prince Sihanouk. Le lendemain, 26 avril, Paris (compte rendu du Monde, le 28 avril 1971), le porte-parole de la dlgation du gouvernement de la rpublique populaire (106) a tenu Paris une confrence de presse, au cours de laquelle il a prsent l'ordre du jour du Front de libration nationale. Ce document (...) promet que les soldats amricains qui, individuellement ou en units constitues, refuseront de suivre la politique de Washington, refuseront de lutter contre le F . N. L . , ne seront pas attaqus. Le Monde, commentant ce document (que la radio sur les fronts de combat a diffus lundi), dclare que cette proposition se rattache de trois faons au moins l'actualit : 1) elle intervient alors que commencent aux tats-Unis les manifestations contre la poursuite de la guerre. (...) manifestations que le F. N. L . a encourages. L'ordre du jour du 26 avril fournit des arguments nouveaux aux mouvements amricains : arguments politiques (le Vietcong n'est pas hostile tous les Amricains, mais seulement ceux qui obissent Nixon), arguments plus
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Cette citation montre, sur un exemple particulier, l'excellence d'une coordination des actions subversives s'exerant sur un grand groupe constitu. I l serait bon, si nous en avions la place, de reprendre ici chaque action et de montrer comment chacune concourt exactement au succs de l'opration de dissociation, y compris le dosage discret des fausses informations sur le moral des troupes, et le relais de toute l'opration subversive par les journaux amricains. L'article du Monde s'intgre lui-mme dans cette remarquable orchestration de la propagande oprationnelle (107). Utilisation, dans le sens de l'action rvolutionnaire, taines valeurs officielles du groupe vis. de cer-
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Plus exactement, i l s'agit de crer, l'intrieur des groupes idologiques existants, des petits groupes qui, prenant
(107) Le nom de propagande oprationnelle . qui s'applique parfaitement cette action subversive coordonne, a t donn par Lonard Ingrams (selon Delmer, op. cit. p. 103) toute information subversive incitant indirectement les individus a accomplir une certaine action qui sera prjudiciable au succs du groupe. Delmer en donne plusieurs exemples.
(106) L a dnomination est trs importante. Il s'agit ici du dlgu de l'arme du Nord-Vietnam et des gurillas, mais son titre induisait qu'il existe au Sud-Vietnam un nouvel tat, rpondant au vu du peuple, tat dont il serait le dlgu.
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appui sur certaines valeurs du grand groupe, en dduisent des principes d'action susceptibles de rejoindre, au nive pratique, les principes de la subversion.
Prenons des exemples dans les actions de dissociation des milieux catholiques en France. Dans la table des valeurs communes ces milieux figurent l'exigence d'uvre ( L a Foi qui n'agit pas. est-ce une Foi sincre, demandait Racine, Athalie 1|). l'galit des hommes, la rectification des injustices de la socit sculire, etc. cot d'autres valeurs telles que le respect des personnes, l'amour du prochain, l'interdiction du meurtre, l'vanglisation, etc. Il s'agira de donner un relief spcial telle valeur en neutralisant les autres valeurs. Les agents subversifs aboutissent alors des prises de position de sous-groupes catholiques qui les servent au plus haut degr. Ainsi VAction catholique universitaire dclarait dans le communiqu de synthse de la rencontre nationale de Dijon (15-18 avril 1971) : Nous pensons aujourd'hui que l'Universit et la Socit ne sont pas rformables : toute lutte et tout projet ne s'insrant pas dans une remise en cause globale du systme capitaliste renforcent la logique de ce systme qui reste fondamentalement alinant. L a conclusion est donc une incitation des membres s'engager dans l'action directe violente. Dans un livre rcent, intitul Thologie de la rvolution (publi par les ditions universitaires), le Pre Joseph CombHn expose, dans le mme sens, que le christianisme est rvolutionnaire par nature . et l'auteur termine en promettant un second ouvrage sur les trois phases de l'action rvolutionnaire : la prparation de la rvolution, la conqute du pouvoir, l'installation d'une socit nouvelle (108). On sait que l'exploitation de l'animosit du petit clerg contre l'autorit de la hirarchie (109) est galement un moyen de crer et d'tendre le fameux malaise des milieux catholiques.
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Dans les milieux d'enseignants, pour citer un autre exemple, les agents subversifs utiliseront des valeurs reconnues, telles que libre panouissement de la personnalit des lves, ncessit d'exercer leur crativit, danger d'une discipline touffante, utilit de la liaison cole-vie, etc. pour dresser un sous-groupe d'enseignants contre le reste du groupe qui pondrerait ces valeurs par d'autres valeurs telles que besoin de scurit chez les lves, ncessit de l'ordre, primaut des enseignements de base ncessaires la rflexion et la crativit ultrieures, etc. Dans chaque milieu dmoraliser, la dissociation des valeurs, pour promouvoir seulement celles qui servent les buts des agents subversifs, suivra une ligne originale de clivage. L'intrt de cette technique vient de ce que les membres loyaux du groupe ne peuvent pas ne pas reconnatre ces valeurs comme valeurs, puisque ce sont rellement les leurs; or la promotion pratique de ces valeurs perd le contrepoids d'autres valeurs, et la table entire se dsorganise. Le groupe, dans son ensemble, prouve un malaise , signe de sa dsorientation et de sa dcomposition. Pourrissement de la moralit dans les groupes dissocier. I l est remarquer qu'une certaine propagande en faveur de ce que la conscience commune appellerait l'immoralit et de ce que nous pourrions appeler la dissolution des murs, est faite de manire rgulire et persistante par les mass mdia se rclamant de la rvolution et du gauchisme (revues, publications, films, missions). Trois objectifs surdterminent cette entreprise : d'une part pourrir certains milieux, d'autre part dissocier ces milieux en y injectant la discorde et le conflit l'occasion du pourrissement d'une fraction plus ou moins importante 135
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(108) la Cit de Dieu, videmment, revue et corrige par Mao Tstoung. (109) Quoique ce soient ces mmes prtres qui, un jour de leur vie, ont fait vu d'obissance, et que tous les moyens leur soient offerts pour dfroquer.
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T E C H N I Q U E S PARTICULIRES D E L ' A C T I O N S U B V E R S I V E (avril 1971), une propagande oprant en synergie avec les violences commises par les groupes politiques rvolutionnaires.
(ici ce sont les groupes familiaux qui seraient surtout viss), enfin faire apparatre, cette occasion, les normes de ces milieux comme oppressives et rpressives dans la mesure mme o elles sont effectivement des barrires ou des interdits par rapport la dissolution des murs de leurs membres.
-i.', Partons d'un petit exemple. On lit dans Le Monde du 6 mars 1971 l'entrefilet suivant : la diffusion du Petit livre rouge des coliers est interdite en France. Le Journal officiel du 5 mars publie un arrt du ministre de l'Intrieur selon lequel la distribution et la mise en vente de cet ouvrage sont interdites sur l'ensemble du territoire (...) Le petit livre rouge fut l'origine rdig au Danemark par deux professeurs et un psychologue. Il fut ensuite traduit en franais par Ernest Bolo et son pouse. En Suisse, l'ouvrage (...) provoqua de nombreuses ractions hostiles de la part de milieux choqus en particulier par les passages relatifs l'ducation sexuelle. E n France, l'ouvrage tait diffus par un diteur et un hebdomadaire gauchistes.
Sans aller jusqu' l'hypothse d'une double opration combine, on peut penser que l'encouragement toutes les formes de rvolte contre ce qui fait obstacle la totale ralisation de tous les dsirs et besoins gocentriques (libration assimile la spontanit, la crativit et la libert) va dans le sens de la dissociation des groupes et du renforcement de l'image de la socit comme oppressive ou rpressive. Dveloppement de l'inter-suspicion dans les groupes organiss susceptibles de s'opposer la subversion L'inter-suspicion dmoralise, paralyse et finalement dissocie les groupes. Plusieurs procds sont efficaces dans ce but, et ils ont t tous expriments avec succs par Sefton Delmer : - Injection de l'ide il y a des tratres parmi nous .Cette ide ne peut-tre que suggre (car, en bonne psychologie, elle doit tre dcouverte par ceux qui ont en ptir). Elle le sera par des informations tendancieuses, par des documents en provenance des ennemis et dmontrant leur connaissance des projets ou des secrets du groupe, par le double jeu de la fuite intentionnelle et de la mise en accusation du groupe aprs le reprage de la fuite . - Insinuation (et si possible dmonstration partir de pices ou de faits fabriqus) que les chefs poursuivent des intrts personnels et se servent du groupe. - Intensification des besoins et intrts divergents de sous-groupes l'intrieur d'un groupe. Accentuation et dramatisation des luttes ordinaires pour le leadership, et cela dans le but de scinder le groupe. 137
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La relation ainsi tablie se retrouve dans toutes les formes de la mme entreprise : dans les revues, dans les missions, dans les films de propagande politique (maoste, trotskyste ou castriste), on trouve rgulirement une propagande-publicit corruptrice de ce que l'on appelle la moralit et cette association est trop systmatique pour tre fortuite. Comme d'autre part la mme propagande de dissolution des murs est interdite en Chine populaire, Cuba ou en Albanie, i l s'en dduit qu'elle est un aspect de la subversion l'usage des pays dits occidentaux .
L a prsenlaliim de la marijuana comme une aimable substance pas plus nocive que le tabac, (...) de la foire au sexe de Copenhague comme un signe de louable volution des murs, (...) des sex-shops comme de hauts lieux de la culture moderne, (...) des bats collectifs comme la plus belle expression de l'amour physique, (...) serait, selon la revue Valeurs actuelles
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T E C H N I Q U E S PARTICULIRES D E L ' A C T I O N S U B V E R S I V E
- Informations relatives des relations personnelles (familiales, professionnelles, de voisinage, de club, etc.) de tel ou tel membre influent du groupe, qui le mettraient en rapport avec les ennemis du peuple . La fouille, de type enqute policire, du pass individuel des membres constitue une mine de renseignements exploitables. - Montage en pingle d'un chec du groupe, avec insinuation que cet chec est d l'action personnelle secrte d'un des membres ou une dcision qu'il savait tre fatale. Cette subtechnique est intressante car, en situation d'chec (il faut en saisir l'occasion), tout groupe est dmoralis et enclin dlirer sur les causes d'chec. L'information tendancieuse trouve l un terrain propice. A) Cas o l'agent subversif reste extrieur au groupe : les problmes rencontrs et rsolus par Sefton Delmer permettent de formuler les conditions d'efficacit du manipulateur dans cette situation. Les succs des propagandes vietcongs contre les troupes franaises puis amricaines en Indochine permettent de complter la liste. La russite exige une organisation extraordinaire, de la minutie, du temps, des informateurs et un grand art psychologique. // faut avant tout avoir une connaissance parfaite de la mentalit, des habitudes, des normes, des valeurs, de la langue, et des personnes du groupe. On sait que Sefton Delmer, qui reconnat avoir pass d'abord deux ans couter attentivement les radios de Goebbels, avait par ailleurs une connaissance parfaite des milieux qu'il voulait manipuler. En ce qui le concerne personnellement, il crit : Je parlais allemand comme un Allemand. J'avais t l'cole Berlin, garon anglais isol dans la capitale o l'on mourait de faim, au cours de la Premire Guerre mondiale. J'avais fait, en tant que journaliste, le tour de l'Allemagne en compagnie de Hitler et de sa suite pendant 138
la marche des nazis vers le pouvoir. Je connaissais personnellement Goering, Goebbels, Hess, Himmler et de nombreux autres dirigeants nazis. Je savais comment fontionnait leur esprit. De plus, j'avais pass un certain temps dans les Balkans depuis le dbut de la Seconde Guerre mondiale, et j ' y avais observ les agents allemands au travail... Par la suite, au cours du dveloppement des diffrents postes metteurs de la propagande noire, i l prit dans son quipe un authentique officier dserteur des Waffen S.S., un auteur de romans policiers allemands (110), et un journaliste allemand (111); i l utiUsa le contenu des lettres de prisonniers envoyes ou reues par la Croix-Rouge, il capta les changes tlphoniques et tlgraphiques entre les civils allemands ou entre les quipages, il dpouilla tous les rapports des agents secrets anglais oprant en Allemagne, et finalement enregistra et utilisa toutes les conversations des prisonniers allemands entre eux grce une parfaite installation de micros invisibles partout dans les camps. On voit l'ampleur du dispositif ncessaire; les renseignements utiles ici n'ont rien voir avec les plans militaires secrets : il faut l'agent subversif des renseignements sur la vie des individus, sur les petits travers des personnages, sur leurs secrets sentimentaux, sur leurs points faibles et sur tout ce qui les individualise, en mme temps que des renseignements sur le groupe, ses problmes, ses tensions, ses discussions, ses esprances, ses craintes et ses mythes. Il n'y a pas de manipulation possible sans la parfaite connaissance (intellectuelle, psychologique et empathique)
(110) Paul Sanders qui, dgot par la perscutioti des juifs, avait migr en Angleterre en 1938. (111) J. Reinholz, mari une juive et rfugi en Angleterre en 1939.
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du groupe subvertir et de ses membres. Cela, avec bien entendu le savoir-faire et la matrise des techniques de la manipulation, permet d'assurer la crdibilit de ce que l'on veut faire croire. B) Cas o l'agent subversif opre l'intrieur du groupe : cette situation implique que l'agent manipulateur a pu entrer dans le groupe sans tre suspect, qu'il y est admis, et qu'il acquiert du groupe (et des membres) la mme parfaite connaissance que dans le cas prcdent. On appelle entrisme la technique de pntration des groupes parasiter. Elle exige une connaissance pralable des normes d'acceptation du nouveau par le groupe, de ses critres formels et informels d'valuation. Elle exige aussi dans certains cas, une prparation purement technologique (ainsi pour s'introduire dans un groupe professionnel) demandant du temps et des aptitudes ce mtier. Enfin, et de faon imprative, elle exige que l'entrant ne puisse tre suspect, donc qu'il est non-repr antrieurement et qu'il suit une filire normale d'introduction (par exemple, il provient d'un autre groupe qui alimente normalement ce groupe en entrants ou i l est prsent par un membre ancien et apprci du groupe, etc.), processus qui ncessite une prparation de loin , pouvant prendre - pour des groupes trs ferms - plusieurs annes. Une fois dans le groupe, les techniques psycho-sociales 'observation-participation sont indispensables pour la connaissance intime de la vie du groupe sous toutes ses formes (112), et c'est seulement ensuite que le travail subversif commencera, avec toutes les caractristiques et tous les risques de celui d'agent double.
(112) L'agent subversif doit tre, dans le groupe, comme un poisson dans l'eau , selon la belle expression de Mao Ts-toung.
L'entrisme est commun beaucoup d'oprations ultrieures devant s'exercer sur le groupe (propagande-noyautage, dissolution, manipulation ou propagande horizontale, utilisation du groupe pour des entreprises qui le dpassent, etc.), et, bien videmment, prcde toute action portant sur les groupes-cls, action dont nous devons dire quelques mots.
L ' A C T I O N SUR L E S G R O U P E S - C L E S
Nous conviendrons d'appeler groupes-cls , les groupes sociaux qui prsentent, pour les agents subversifs, une importance stratgique ou tactique particulire. I l ne s'agit plus du tout, dans ce cas, de les dissocier et de les paralyser, mais au contraire de les organiser, de les structurer, de les dynamiser et d'en faire des groupes-bliers ou des groupes-starter pour certaines oprations d'envergure nationale. Pour illustrer notre propos, prenons trois problmes stratgiques de niveaux diffrents : 1) Dans telle usine de telle entreprise, quel est le centre vital qui, s'il s'arrte, entrane ncessairement Varrt technique de toute l'entreprise? A cette question ( supposer qu'ils la posent), les managers et directeurs gnraux rpondent, avec leur superbe ignorance, que le seul centre vital de l'entreprise est leur propre cerveau. Les agents subversifs, plus intelligents, tudient par des mthodes prcises (113) le point le plus circonscrit qui constitue un des centres de la circulation des produits ou des informations, centre dont la grve ou le sabotage provoque invitablement l'arrt technique de tous les autres ateliers. C'est dans ce
(113) Mthode Pert, Application de la thorie des graphes, etc.
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petit groupe de travailleurs ainsi dlimit qu'il s'agira de s'infiltrer. 2) Dans les rseaux couvrant tout le territoire (S.N.C.F., P.T.T.. E.D.F., routes, administration, etc.), quel est le rseau et, dans ce rseau, le centre opratoire critique qui, s'il est paralys ou dtruit, entrane la paralysie de la vie nationale?Une tude cyberntique de l'ensemble peut trs bien montrer, par exemple, que tel dpt excentrique de la S. N . C. F. ou tel syndicat d'inscrits maritimes peuvent, s'ils sont en grve, entraner rapidement la paralysie de tout le systme. De mme que les stratges de la guerre traditionnelle calculent quelle destruction par bombardement paralysera le plus gravement ou le plus longtemps les mouvements de l'ennemi (une gare de triage, des ponts, des dpots de carburant, une usine de certaines pices dtaches, etc.), de mme, nos stratges de la subversion reprent mthodiquement les centres vitaux de l'conomie, de l'administration, de la distribution..., pour y pratiquer l'entrisme ou pour y concentrer leur action souterraine. Ces mmes centres vitaux, s'ils ne sont pas reconnus comme tels par les services dits comptents de la Dfense du territoire (114), ne font l'objet d'aucune surveillance, ce qui facilite l'action subversive. 3) Dans telle socit, quel est le groupe dont la conqute permettra la destruction la plus complte du systme social tout entier? On sait que, selon Jules Monnerot, l'Universit aurait t choisie comme groupe-cl dans cette perspective. En tous cas elle a t choisie en premier, et les rsultats sont incontestablement russis du point de vue de la sub(114) Inutile de dire que la D.S.T. ne s'occupe absolument pas de centres vitaux de ce genre et conoit la dfense du territoire en termes militaires et politiques traditionnels, avec deux guerres de retard, comme d'habitude.
version. En grande majorit les universits, lorsqu'elles ne sont pas intgralement au service de la rvolution (par exemple celle de Vincennes en France), sont noyautes par les gauchistes. Grce aux dcrets qui les ont rorganises , des lections ont rgulirement lieu, oii la participation lectorale des tudiants (grce la dfaillance de la fameuse majorit silencieuse) est de 10 20 %, les votants se trouvant tre, comme par hasard, les tudiants d'extrme-gauche qui reoivent ainsi trs officiellement des siges dans toutes les instances de gestion et d'organisation gnrale, et dont personne n'ose contester la reprsentativit. Grce l'opration universitaire, depuis 1968, des institutions nombreuses ont pu tre infiltres, comme par exemple la Magistrature. La stratgie, si heureusement couronne de succs dans l'Universit depuis 1968 en France, a t plus rcemment reprise dans le mme but pour dcomposer un autre groupe-cl : l'Arme. A u nom des liberts dmocratiques et des droits universels habituellement invoqus pour ces genres d'oprations, plusieurs manuvres sont simultanment menes, les unes visant la portugalisation des Forces Armes dans une perspective de prise du pouvoir par les partis socialiste et communiste, les autres (plus antimilitaristes et plutt gauchistes) cherchant seulement rendre impossible le fonctionnement de l'institution militaire et neutraliser l'Arme comme ventuel soutien ou recours du gouvernement lgal. C'est dans le cadre de cette seconde manuvre (l'autre continuant sans tre inquite) que se situe l'histoire des comits de soldats . L'objectif officiel est la cration de commissions (clubs, comits, syndicats ou autre dnomination) formes de reprsentants des appels (lus, naturellement), commissions qui, par units, auront des 143
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LA SUBVERSION
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TECHNIQUES PARTICULIRES D E L'ACTION SUBVERSIVE L ' A C T I O N DANS L E S GROUPES SOCIAUX D E TOLPTE NATURE POUVANT SERVIR D E TREMPLINS E T D E B E L I E R S
pouvoirs et attributions tels que : recevoir et transmettre les rclamations collectives, constituer un recours en cas de punition individuelle, assurer la gestion de clubs culturels qui pourraient s'affilier des organisations extrieures civiles, contrler l'organisation et l'excution des services collectifs, diriger et grer les foyers militaires. Quoi de plus sympathique en apparence? Il est facile aux initiateurs (comme il sera facile aux avocats lors d'un ventuel procs) de montrer qu'il y a l un louable souci de participation ou de concertation . Des chefs assez haut placs ont dj prn ces nouvelles mthodes d'intgration . En fait, i l s'agit de crer, l'intrieur des units militaires, des noyaux d'agitateurs, oprant en liaison troite avec les groupes subversifs extrieurs. La mainmise sur ces commissions, comits ou syndicats, pour en faire des contre-pouvoirs et des bases rouges , serait immdiate, et la dsorganisation de ce groupe-cl qui est l'Arme se ferait mthodiquement. Ce procd est vieux puisqu'il fut utilis par les Bolcheviks dans l'arme tzariste ds Fvrier 1917. ^
L e facteur le plus important de la dmocratisation , ce furent les organisations lectives et collectives, depuis la section militaire du Soviet de dlgus des soldats jusqu' toutes sortes de comits et de soviets auprs des units et des administrations de l'arme, de la flotte et de l'arrire... Au mois d'Avril, des comits fonctionnaient presque partout au front et l'arrire. Diffrant d'appellation, de composition et de comptence, ils introduisaient tous un gchis incroyable dans le systme ordonn de la hirarchie et de l'organisation militaires (Gnral Denikine. Dcomposition de l'Arme et du Pouvoir, 1921, cit par la publication Les comits de soldats , du C . L . L . , Paris).
Ds qu'il y a quelque part un collectif en proie une insatisfaction parce que ses intrts de groupe (conomiques, sociaux, idologiques etc..) ne sont pas satisfaits, des lments gauchistes, sur place ou venus spcialement, se mettent en devoir de le manipuler et de l'utiliser. Les actions menes sur ces groupes, puis par eux, peuvent se ramener quatre genres : - Intensification et exploitation des sentiments collectifs, des revendications lgitimes, des besoins ou de l'idologie, des groupes dsigns. Par ce principe, les actions sur les groupes-cls recoupent ce qui tait appel propagande d'agitation, et l'on voit ici la diffrence avec les actions de dissociation entreprises ailleurs, les unes et les autres tant pourtant galement subversives. Du mme principe relve la culture des sentiments ngatifs : indignation, colre, ressentiment, dception. L'agent subversif se doit d'tre partout o i l y a un groupe en colre. - Action directe et violente d'un sous-groupe faisant partie du groupe vis et se prsentant comme champion des intrts du groupe. Cette technique est trs payante mais ncessite un assez long travail de prparation aprs l'entrisme. D'une part, la pntration du groupe doit tre effectue par plusieurs agents subversifs paraissant isols (ne se connaissant apparemment pas), d'autre part, le sousgroupe doit se former spontanment l'occasion de revendications du groupe et, alors, entraner d'autres membres par la vrit et la valeur des formulations proposes. Ainsi assur d'tre considr comme dynamique, dcid et courageux , le sous-groupe subversif fonce dans l'action au nom de tout le groupe et avec les objectifs qui seront 145
S'il se trouve un autre Edgar Faure pour favoriser dans l'Arme ce qui a t fait dans les universits, la subversion aura gagn une importante bataille. 144
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ceux du groupe entier. Cette action sera alors ncessairement et automatiquement suivie par tout le groupe. D'excellentes recrues seront faites, en outre, cette occasion par le sous-groupe, qui s'abritera derrire toutes les belles mes rallies (115). - Mobilisation vhmente du groupe l'occasion d'une attaque directe dirige contre lui ou contre un groupe alit. L'appel la vengeance et la solidarit est galement payant On sait que si la police arrte un professeur pour ses opinions politiques (116), l'ensemble du corps professoral se fera un devoir de se mettre en grve. Dans un tel cas, un sous-groupe-champion peut amener une assemble quelques actions plus violentes que ne le souhaitait la majorit. La peur de paratre timor, scrupuleux, ou alli des attaquants extrieurs - et l'ignorance complte de la technique du sous-groupe des durs - entrane la totalit du troupeau dans l'action. Cette technique se combine facilement avec la prcdente, et se systmatise de manire trs pure dans la suivante : - La technique provocation-rpression-appel l'unit contre la rpression. Pour bien russir les oprations envisages par cette technique, mme sans connatre les lois psychosociales qui rgissent l'ensemble des phnomnes (117), il faut veiller ce que les cinq conditions successives essentielles suivantes soient ralises mthodiquement :
(115) Ceux qui ne marchent pas seront du mme coup reprs comme opposants et devront tre discrdits. (116) A condition qu'elles soient de gauche ou d'extrme gauche . (117) Jean-Paul Sartre fait dans Critique de la raison dialectique (tome 1, pp. 384 et suiv.) une trs bonne analyse psychosociale du mcanisme rpression-rvolution, sur l'exemple historique de juillet
a) Actes de brigandage (selon le mot de Sartre) du genre attentats terroristes, provocations diverses envers le pouvoir tabli..., entrepris par un sous-groupe faisant officiellement partie (selon la technique prcdemment dcrite d'un groupe social plus grand..., et poursuivis de manire continue jusqu' ce que s'organise et se mette en place un dispositif rpressif. Savoir graduer les brigandages de faon ce que la provocation devienne intolrable pour le pouvoir ou ses reprsentants. Pendant la priode d'inertie du pouvoir, au dbut, dmontrer l'impunit pour attirer d'autres lments dans la tentation du brigandage, garder tout son sang-froid et mme se fendre la gueule (selon un autre mot de Sartre.) Encourager toutes les initiatives du mme genre. b) Ds que le dispositif de rpression se met en place, diffuser cette information dans le grand groupe que l'on a l'intention d'entraner..., en interprtant le dispositif rpressif comme une menace collective. Point important : bien insister sur le caractre collectif de la menace; au besoin, le confirmer par des informations sur les dbuts d'une rpression s'attaquant des gens non engags du groupe ou mme des trangers sympathiques au groupe. Cela est tellement important que, au cas oii les responsables de l'ordre rectifieraient en prcisant qu'ils limitent expressment leur action aux fauteurs de troubles ou de dlits, i l faut immdiatement dnoncer cette rectification comme une manuvre du pouvoir pour diviser le groupe . Pourquoi cette condition est-elle cruciale? - parce que si le grand groupe ne croit pas tre collectivement menac, il collaborera la neutralisation des terroristes. La bonne
1789 en France. Sans le dire, il se donne les conditions sociales et gnrales de la rvolte, et prsente les conditions psychologiques comme dterminantes.
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application de ce procd exige donc que l'on fasse toujours un procs d'intention ceux qui organisent la rpression. c) Cration et intensification par tous les moyens (tracts, haut-parleurs, affiches, appui tactique massif des journaux allis et des informateurs radio complaisants ou amis...) d'un climat de rvolte et de rprobation dans le groupe mobiliser. Utilisation du double clavier de la peur et de la colre. Cette condition est galement importante. Elle permet ce que Sartre appelle le passage du collectif, praticoinerte, au groupe en effervescence . Par l, elle impose aux forces rpressives un changement d'intention et un largissement de l'opration tout le grand groupe, ce qui est prsent par le sous-groupe provocateur comme la preuve de ses interprtations prcdentes. Par une causalit circulaire, cette intention renforce la solidarit du grand groupe avec le sous-groupe provocateur. L'objectif de solidarisation est ainsi atteint d) Actions diverses et multiples de provocation de la rpression. Cette fois les provocations doivent dclencher la rpression ou des actes de rpression (charges, contreattaques de la police ou de l'arme, arrestations de personnes souponnes). Des incidents se multiplient Les agents subversifs peuvent avoir la chance, dans certains cas, de dplorer un ou plusieurs morts parmi les membres du groupe. Quand la rpression est aveugle, les victimes sont gnralement innocentes, ce qui sera excellent du point de vue o nous nous plaons. Point important ici : laisser se dvelopper la rpression jusqu' un certain seuil critique. e) Appel au Front commun contre la rpression . Phase essentielle de tout le processus, avec orchestration des mass mdia pour cultiver l'indignation, la colre, et le sentiment de lgitime dfense avec, d'une part, culpabilisation massive des auteurs de la rpression et, d'autre part.
dculpabilisation l'avance de tous les actes violents de la part du groupe mobilis. Organisation du front commun en vue de l'unit d'action . Utilisation du principe de l'union sacre contre l'ennemi commun. Un processus est mis en branle ce moment, qui doit aller tout seul vers l'aggravation de la situation. Le groupe a fait un acte, dit Sartre, et le collectif le constate avec surprise comme un moment de son activit : // a t groupe, et ce groupe s'est dfini par une action rvolutionnaire qui rend le processus irrversible (...). Si tout va bien (118), le groupe entre en tat de fusion . Ds ce moment, quelque chose est donn qui n'est ni le groupe ni la srie, mais ce que Malraux a appel, dans L'espoir, l'Apocalypse (Sartre, op. cit.. pp. 389 et 391). Le groupe ou les groupes concerns par la rpression dcouvrent en mme temps la libert, la violence et l'urgence de l'organisation pratique. L'intgration se fait par la praxis. Bien entendu, i l faut que ces esprits en fusion soient persuads que l'intention des forces rpressives est de tuer (119), et que la rpression ne fera pas de discrimination (120). levons d'un degr la dernire technique dcrite, celle de la provocation-rpression-appel l'unit contre la rpression, et envisageons-la au niveau national et international. De ce point de vue, les actions de gurillas apparaissent non pas comme l'expression directe d'une rvolte populaire (nous avons vu que, dans l'optique du volontarisme rvolu(118) C'est--dire si les efforts externes et internes pour teindre l'effervescence chouent. (119) De l, dans les campagnes rcentes de propagande subversive contre la police, les panneaux disant ils veulent tuer . (120) De l aussi, dans la mme campagne sous son orientation vers la mobilisation des tudiants et lycens, le slogan ils font la chasse aux jeunes , tous les jeunes sans discrimination.
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tionnaire, les conditions rationnelles socio-conomiques ou historiques, disons matrialistes, de la rvolution sont nies), mais comme l'action des petits groupes provocateurs destine dclencher la rpression massive, cette rpression (trop souvent aveugle) tant alors utilise pour mobiliser les groupes concerns et allis, pour culpabiliser le pouvoir et ses dfenseurs, pour finir de dtacher du systme tabli la population dans sa grande majorit (121). A la limite, il est arriv des rvolutionnaires particulirement soucieux de cet aspect psychologique, de dire qu'il tait peut-tre utile de provoquer, par les dsordres et les attentats, l'instauration d'un pouvoir militaire dictatorial et rpressif, de faon pouvoir, dans un second temps, dta(121) L a rapidit de constitution et la prolifration des Front contre la rpression , Comit anti-rpression . Unit d'action contre la rpression etc.. suffit montrer l'intrt de cette phase finale pour les agents rvolutionnaires, au point qu'elle est un des objectifs rels des actions de provocation de la rpression. Les responsables de la provocation antrieure runissent alors de nombreuses signatures dans des ptitions (il y a d'abord les belles mes , puis les groupes institutionnels allis, et aussi beaucoup de gens so licites qui n'osent refuser par peur des reprsailles et qui ont l'impression de ne pas s'engager grand'chose en signant); les responsables font cette occasion, en impliquant beaucoup de groupes non encore politiss, une opration de propagande d'intgration, et ils donnent, grce la publicit accorde par es mass mcdia, l'impression (trs importante pour eux) que l'indignation est gnrale. Outre les communiqus la presse, les appels des manifestations d'unit , les agents rvolutionnaires peuvent aussi organiser des mouvements gnraux tels la grve gnrale des commerants dans une ville, grve facilite naturellement si quelques quipes de deux terroristes passent la veille chez chaque commerant pour lui faire comprendre l'intrt qu'il aurait baisser le rideau le lendemain. On obtient ainsi de spectaculaires effets de ville morte que les journaux et les reporters de la tlvision diffusent dans tout le pays. De ces faits , l'ide s'implante que toute la population est d'accord avec la lgitime indignation des terroristes et donc avec leur action antrieure. Les gouvernants cderont au scnario, ce qui apportera la preuve de leur faiblesse ou de leur culpabilit, autre aliment de l'entreprise subversive.
cher plus facilement de cette forme de gouvernement la population entire et accomplir la rvolution. Cette thorie est risque (puisque le pouvoir fort peut aussi russir son coup et exterminer les agents subversifs ainsi que les groupes trs minoritaires qui leur sont allis); elle est galement, en un certain sens, la ngation mme du volontarisme rvolutionnaire, puisqu'elle cherche se donner ainsi le soutien populaire authentique dont cette conception tait cense se dispenser. Quoi qu'il en soit, i l y a une efficacit certaine dans le calcul subversif d'exploitation de la rpression provoque, tout comme dans les autres techniques d'action sur les groupes. Grce ces techniques, les trois genres de groupes qui sont viss, chacun de manire diffrencie (selon qu'il s'agit de les neutraliser, de les dissocier ou de les entraner dans une action dont ils seront les bliers), tombent le plus souvent dans les piges de la subversion.
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L'empoisonnement est m crime qui est chti par les lois de la collectivit humaine. Il est temps de comprendre qu'il peut y avoir des situations o les grandes masses, dont le vote dtermine tout dans un tat dmocratique, peuvent succomber un vritable empoisonnement psychique, au sens le plus rel. D Tchakhotine (op. cit., p. 296)
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LA SUBVERSION
LA L U T T E CONTRE LA SUBVERSION
Cette prise de conscience elle-mme est rendue difficile par la subtilit des procds employs, et par l'existence d'une quantit importante de personnes qui sont de bonne foi quoique manipules par les agents subversifs. De plus, en ce qui concerne l'entreprise actuelle de la subversion en Occident, on s'imagine mal que, dans la priode de paix, c'est--dire dans une certaine orientation des esprits et une certaine manire de vivre des citoyens, caractristiques du temps de paix, i l y ait faire face une guerre, a fortiori lorsqu'on ne la voit pas.
I - L'OBSTACLE DES ATTITUDES I N D I V I D U E L LES Le premier obstacle toute organisation de la lutte antisubversive vient des personnes. En parlant de l'actuelle subversion autour de soi, on peut faire une sorte de typologie des attitudes ou des ractions des interlocuteurs (123) :
L E S I N C R E D U L E S E T ESPRITS FORTS
bards , ils se donnent pour sages et, lorsqu'ils ne ridiculisent pas l'interlocuteur par amiti, disent qu'il convient de ddramatiser la situation. Les dsordres sont, pour eux, ni plus ni moins significatifs que la turbulence de tous les temps; les proclamations rvolutionnaires sont de grossiers bourrages de crne qui ne trompent personne , et qui se renouvellent depuis toujours. Ils insistent amicalement sur le danger de prendre l'imaginaire pour la ralit. Ils soulignent, en guise d' explication : le conflit des gnrations, le besoin de dfoulement de tous les jeunes, les complexes personnels, et l'opposition politique normale. Pour eux, les violences dont tous les pays occidentaux sont le thtre sont considrer comme des chahuts d'tudiants et de lycens, ou comme des manifestations revendicatives devenant violentes parce que l'tat d'esprit actuel est la violence . L'tonnant synchronisme des actions est pure concidence, et mme dj exagration tendancieuse. Ce type d'interlocuteur ne prtera donc, au mieux, qu'une attention polie et attriste l'ide de lutte contre la subversion.
L E S CALCULATEURS-OPPORTUNISTES
Informs ou se disant tels, ceux-l ne croient pas la subversion. Pour eux la subversion, tels l'ogre de la fable, le loup-garou des contes d'enfants ou le monstre du Loch-Ness, est une imagination d'obsds. Fiers de leur esprit fort et de leur perspicacit dcouvrir les bo(123) Mettons part les agents subversifs eux-mmes et leurs recrues conscientes qui, lorsqu'on leur parle de lutte contre la subversion, valuent mthodiquement le danger en fonction de la situation (par exemple, dans un groupe ou dans une runion publique ou en tte--tte...) et prennent les mesures adaptes (drision, isolement, diversion, accusation, attaque ad hominem, violence physique, etc.). Mettons part aussi les personnes qui ne sont au courant de rien et qui ne savent pas de quoi il s'agit, masse amorphe destine tre manipule son insu.
Nous avons dj voqu (124) les individus (mme les hautes personnalits) qui, habitus prendre le vent tous les matins pour organiser leur conduite de la journe, s'intressent la subversion dans la mesure oii, pensant la victoire possible de ses bnficiaires, ils prennent leurs prcautions , allant jusqu' subventionner secrtement les groupuscules et les journaux les plus engags . L'ide de
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LA SUBVERSION
LA LUTTE C O N T R E L A SUBVERSION
lutte contre la subversion dclenchera dans leur esprit un nouveau calcul en vue de dcisions prventives gostes. I l n'y a donc rien attendre d'eux.
L E S JOBARDS
Les jobards sont les belles mes dont nous avons dj voqu les tourments de conscience (125). Par opposition aux incrdules, ils mriteraient d'tre appels les crdules . De mme que tel homme politique tranger aux meutes dclara en mai 1968 qu'il tait d'accord avec la rvolution et se voyait port la prsidence de la Rpublique par le soulvement populaire qu'il imaginait, de mme nos belles mes , prises des droits imprescriptibles de la personne humaine et de toutes les valeurs invoques par l'action psychologique subversive, croient l'identit des motivations des groupes subversifs et des valeurs invoques par leur propagande. Ils considrent avec respect la prodigieuse crativit de cette jeunesse, avec nostalgie son dynamisme conqurant, avec sympathie ses efforts pour sortir d'une civilisation technocratique oppressive . Les jobards croient que la police a employ des gaz de combat , lorsque CohnBendit lance avec sa coquine assurance cet norme bobard. Ils croient que la socit est devenue de consommation et que c'est l le vice fondamental (126), lorsque ce slogan anti-amricain est invent: ils croient que la socit est bloque , lorsque ce slogan remplace le prcdent prim: ils croient au gauchisme foncier de Jsus-Christ, lorsqu'un prtre catholique, entour de ses pouses et dans un lieu o est affiche sa Trinit (Mao,
(125) c/ci-dessus, p. 88. (126) Cf. R. Mucchielli. l'svcitologie de la publicit et de la propagande. E. S. F . 1970, ch. 1-4. L a socit de consommation comme thme de propagande .
Ho-Chi-Minh, Che Guevara), fait pour eux une nouvelle exgse des textes de base de la religion. Y a-t-il en eux un souci obscur de leur scurit les poussant dans le sens du vent? C'est trs improbable, car ce sont justement des jobards. Les jobards s'enrleront, deviendront militants et lanceront des bombes avec loyalisme et bonne conscience. Ce sont les seuls croyants de cette aventure. Ils seront les porte-drapeaux puis les boucliers dont ont besoin les groupes qui, eux, mnent srieusement la guerre avec des objectifs tout autres que l'anglisme des nafs. Il faut cependant se garder de transposer l'innocence morale des jobards en innocuit politique. Les jobards sont la force de frappe de la subversion dans la mesure mme o ils constituent probablement plus de 30 % des effectifs lancs dans l'action (127) et plus de 80 % des sympathisants par idalisme politique, lesquels accomplissent, aux postes o ils sont et bnvolement, un travail considrable de sape du pouvoir au bnfice de la subversion. Pour les jobards, l'ide de lutte contre la subversion est une mobilisation ractionnaire et conservatrice dnoncer.
L E S CAPITULARDS
Ceux-l n'ont mme pas la conscience aigu de leur lchet, conscience qu'avait Edouard Daladier, parat-il, en revenant de Munich aprs avoir abandonn la Tchcoslovaquie Hitler (128).
(127) Il faut compter part le lot important de militants engags pour les raisons psychanalytiques numres par Andr Stphane dans l'ouvrage cit: cf. ci-dessus, p. 90. (128) L'histoire raconte en effet que Daladier, en voyant, avant l'atterrissage, la foule norme qui attendait sur le terrain, prit peur, pensant qu'elle tait l pour le lyncher. Il fut sidr des acclamations qui salurent sa descente de l'avion.
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LA SUBVERSION
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Ce qu'on a appel, l'poque, l'esprit de Munich , puis, en parlant des personnes, les munichois , est un dsir de paix tel qu'il consent tout abandonner l'agresseur en esprant que ce geste vaudra son auteur, en contrepartie, respect et considration, tout en scellant la promesse de l'agresseur de ne pas dclencher la guerre. A la diffrence du jobard, le capitulard ne partage ni la conception, ni les motivations, ni les objectifs des agents subversifs. 11 les considre seulement comme des partenaires loyaux dans un contrat faire, et prend les accs de fureur, les revendications vhmentes, les valeurs invoques, pour les signes certains d'une ferme position idologique et politique, respectable en tant qu'opinion. U y a pourtant de la jobardise dans son attitude puisqu'il croit l'autre de bonne foi et qu'il admet, par consquent, la possibilit de ngocier en vue d'un compromis satisfaisant les deux parties. La magnifique dmonstration de Hitler Chamberlain et Daladier en 1938 n'a difi personne. Le bluff triomphait une fois de plus , crit Tchakhotine (op. cit., p. 421), et cette fois-ci sur la scne internationale. Ds cet instant, on pouvait tre certain qu'il en serait toujours de mme dsormais; seuls les dirigeants des pays dmocratiques s'obstinaient ne pas comprendre les principes d'action de Hitler. Ils espraient toujours gagner la partie par de petits moyens, par des expdients, par le recours aux vieilles mthodes primes de la diplomatie... Le bluff triomphait du raisonnement, paralysant la riposte du tac au tac, relevant presque de l'envotement Comme le dit Fabre-Luce (dans Histoire secrte de la conciliation de Munich, 1938), parce qu'on a fini par tenir une confrence, on considre que les Allis ont remport un succs, mme si la confrence a essentiellement consist accepter les propositions de l'adversaire. Des exemples moins bnins seraient citer l'occasion 158
des attentats ou des kidnappings. L'essentiel est de caractriser l'esprit de Munich dans ses applications modernes aux situations menaantes et aux chantages crs par la subversion. Le capitulard ignore une seule chose, c'est que sa capitulation n'vitera pas la progression des exigences et finalement n'vitera pas la guerre (129). L'astuce fondamentale est l'insinuation, par les agents subversifs, qu'il y a deux partis chez les adversaires, le parti de la paix et le parti de la guerre. Sont du parti de la guerre tous ceux qui s'opposent leurs exigences, sont du parti de la paix ceux qui cdent ces mmes exigences. Eux-mmes sont en tout tat de cause innocents et dsesprs . Le capitulard est sincrement un ami de la paix; il regarde avec effroi les risques que font courir les partisans de la guerre , et il accepte ainsi implicitement la catgorisation impose l'opinion par la subversion ellemme. Grce ce procd, Duff Cooper, par exemple, fut accus de violence, accusation reprise en chur par les agents de la subversion hitlrienne et par les jobards, tous accabls et indigns par son attitude.
(129) Duff Cooper, premier Lord de l'Amiraut, dans son discours de dmission aprs Munich, dit : On nous disait toujours que nous ne devions aucun prix irriter Monsieur Hitler: il tait particulirement dangereux de l'irriter avant qu'il ft un discours public, parce que, s'il tait tellement irrit, il pourrait dire des choses terribles, rendant impossible tout recul ultrieur. Il me semble que Monsieur Hitler ne fait jamais de discours que sous l'influence d'une irritation considrable, et l'addition d'un nouvel irritant n'aurait pas, mon sens, fait grande diffrence, alors que la communication d'un fait solennel aurait produit un effet calmant. Le Premier ministre a cru qu'il fallait parler Monsieur Hitler un langage doucement raisonnable. J'ai cru qu'il tait plus ouvert au langage du poing ferm. Il y a eu des jours o je demandais la mobilisation de la Flotte britannique: j'avais pens que c'tait l la sorte de langage que Monsieur Hitler comprendrait plus facilement que le langage mesure de la diplomatie ou les phrases au conditionnel des fonctionnaires. Inutile de dire que Duff Cooper tait considr comme du parti de la guerre .
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LA SUBVERSION
Le capitulard repoussera donc l'ide de lutte contre la subversion comme tant une volont de guerre qui met en pril sa ngociation.
L E S CYNIQUES
Avec un sourire sardonique, les cyniques attendent de l'avenir le grand dsenchantement des rvolutionnaires d'aujourd'hui et de leurs allis. Conscients de l'existence d'une entreprise subversive, de ses techniques et de son pouvoir de fascination des esprits, ils remettent leur rvolte entre les mains d'une sorte de Providence et imaginent la stupeur des militants lorsque, aprs la prise du pouvoir par les groupes rvolutionnaires, la propagande d'intgration et la terreur policire mettront brutalement fin leur rve. Ils voquent avec satisfaction... la minute de dsillusion de Rhm et de ses garons lorsqu'ils durent se rendre compte que leurs amis de la veille venaient les assassiner pour avoir trop cru au socialisme,... le retour au rel des Cubains aprs 15 ans de castrisme,... les sentiments bizarres que doivent prouver les fidles compagnons lorsqu'ils sont arrts et incarcrs aprs la victoire du Parti. Observateurs vigilants et pessimistes, les cyniques constatent quel point l'excitation de la critique subversive et de l'agitation, favorise d'abord par les agents subversifs, se retourne contre les objectifs premiers de la guerre psychologique. En misant sur les milieux lycens, tudiants, jeunes ouvriers, les dirigeants de l'actuelle subversion ont trouv, certes, un terrain de manuvre idal, des esprits dj ports l'opposition, la rvolte, l'irrespect, mais l'opration n'est plus si facile contrler. Les groupes contestataires se mettent contester leurs leaders, se fractionner, construire une multitude d'idologies. Tout petit chef veut devenir un chef, et, s'il a quatre sui160
veurs, fait une scission aussi spectaculaire que possible, commence noyauter son ancien groupe d'appartenance et brise l'unit. Aprs la rvolution internationale, lorsque chaque pays ou chaque rgion, grce un chef plus fort que les autres, aura t mis au moule par l'intgration force et la terreur, le cynique prvoit ce que Spengler appelait la guerre des Csars , priode o les dictateurs de mme idologie de rfrence se font une guerre mort entre eux au nom de la fidlit leur credo commun et pour exterminer les dviationnistes . Dans cette perspective, les irritations et manifestations des jeunes gens en colre ou les proclamations pompeuses des Comits de la Paix et autres mouvements subversifs, sont videmment du plus complet ridicule. Pour les cyniques, la lutte contre la subversion est inutile. Rfugis dans leur imaginaire consolant, ils n'agissent pas et, par l, laissent le champ libre la subversion, la voyant s'tendre sans dplaisir.
L E S CONVAINCUS
Toute une gamme d'intensits existe entre les convaincus et ceux que l'on pourrait appeler les obsds . Ceuxci font de la subversionnite , peu prs comme on tait atteint d'espionnite en 1939. Tout devient expressif et significatif d'une action subversive. La faiblesse de caractre de tel ministre, incrdule et amorphe, le fait dsigner comme agent subversif Tout lve qui chahute est tlguid par les groupes maostes. Pour les simplement convaincus , la subversion est omniprsente et son organisation a des proportions tentaculaires. Certains journalistes nationalistes la dnoncent vigoureusement : 161
LA SUBVERSION
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A u niveau de l'action dans les lyces de France existe un Comit de coordination des luttes lycennes lit-on, qui regroupe notamment les militants du P. S. U., de la Jeunesse tudiante chrtienne (J. E . C . ) et d'autres. Ce comit semble jouer Paris mais surtout en province, le rle de principal agent de liaison des diffrents lyces. Ses membres se runissent plusieurs fois par semaine au sige de la J . E . C . . rue Linn, o une permanence a t organise. Un fichier a t tabli. Au sige de la J. E . C . se runit le Comit de coordination intertechnique qui joue un rle analogue auprs des lves des lyces et collges techniques (...). L a liaison avec les partis rvolutionnaires proprement dits se fait de plusieurs faons : d'une part par les professeurs P. S. U . de tous les tablissements qui font le relais avec le comit central du P. S. U . , en liaison troite avec l'Association des jeunes pour le socialisme (A. J . S.); d'autre part, par des aumniers des lyces qui. dans leur majorit (comme en tmoignent les travaux des Etats gnraux de l'Aumnerie de l'enseignement public) cautionnent et encouragent les violences gauchistes... < . Au niveau international, la coordination est faite pour l'Europe, par le relais de l'Albanie, et, pour le monde occidental tout entier, par les organisateurs des confrences tricontinentales de L a Havane, lesquels sont galement reponsables des centres et stages de formation politique et militaire, etc., etc. .
Restons dans l'hypothse d'une relative objectivit et constatons que, dans ce cas, l'ide de lutte contre la subversion (qui sera accepte d'enthousiasme) dpend pratiquement du pouvoir rel ou de l'audience dont dispose votre interlocuteur, ainsi que des limites imposes par le Droit son ventuelle action. . Non seulement i l est donc difficile de se faire entendre lorqu'on parle de lutte contre la subversion, difficile de ne pas passer pour partisan aveugle de la guerre ou pour obsd, mais encore on rencontre l'inertie des masses dj neutralises par la subversion, et aussi l'existence des lois et codes qui n'ont pas prvu de dfense adapte.
I I - LES DISPOSITIONS ORDINAIRES DE L A L O I La Rpublique, c'est d'abord la libert d'opinion et d'expression. Restreindre ou interdire la propagande serait violer la libert de l'information. A u nom de ce principe, qui paralyse les ractions des rpubliques, la subversion revendique la libert d'oprer et de s'tendre. La formule pas de libert pour les ennemis de la libert , formule qui pourrait servir aux rpubliques pour limiter leur libralisme mortel ne convient pas, en bonne logique, la lutte contre la subversion puisque celle-ci, en tant que propagande tendancieuse pour discrditer le pouvoir et prparer (par l'action sur l'opinion publique) son dprissement et sa chute, se prsente comme lutte contre les ennemis de la libert. L'activit critique et ngative, allie l'encouragement de la spontanit individualiste et antisociale, ne tombe pas sous les mmes coups qu'une propagande blanche en faveur d'un rgime dictatorial, ou qu'une sdition proprement dite. 163
Nous sommes l aux frontires de la psychose, en soi dangereuse car elle peut conduire des ractions aveugles. I l n'est pas mme consolant de savoir que la psychose est gnrale, que les organisations gauchistes voient la main de la C. I . A . dans toute opration de police, et que, en son temps, Staline lui aussi, comme beaucoup de communistes orthodoxes aujourd'hui, voyait partout des trotskystes bandes de saboteurs , d'agents de diversion, d'espions, d'assassins la solde des services d'espionnage trangers (130).
(130) Sur l'espionnite de Staline, l'gard des trotskystes, cf. entre autres Mavrakis (pp. cit.. pp. 102-104).
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LA LUTTE CONTRE LA SUBVERSION On sait, par exemple, que les dtournements d'avions n'tant pas prvus au Code pnal, leurs auteurs ne peuvent tre pousuivis que pour port d'armes . Bien mieux, lorsque l'agression de dtournement s'est produite (ce qui est presque toujours le cas) aprs le dcollage de l'avion et au-dessus d'un pays tanger survol, le Droit estime que l'agression a t commise hors du territoire national et ne peut poursuivre l'agresseur. C e serait donc au pays survol qu'il appartiendrait d'entamer la procdure? On arrive ainsi des culs-de-sac juridiques, des imbroglios dlirants. Y . Courrire (op. cit. p. 425) nous donne un autre exemple : Comme on ne procdait officiellement en Algrie en 1954 qu' des oprations de police, et comme le civil primait sur le militaire (132), chaque soldat tu tait considr comme victime d'un crime, et donc son corps devait tre (aux termes de la loi) autopsi. Le juge d'instruction (normalement saisi de l'affaire) pouvait mme - et il le fit parfois - demander une reconstitution du crime. Les premires victimes de la Toussaint Rouge avaient ainsi t dissques (133). Avant mme que le procs ne soit ouvert, crivaient Pierre et Rene Gosset le 5 juin 1971, on sait que la justice sera impossible rendre dans le passage devant le tribunal des frres Berrigan, les deux prtres accuss d'avoir voulu dynamiter les caves du Congrs et kidnapper un des collaborateurs du prsident Nixon. Bien plus qu'tablir leur innocence, leur dfenseur a annonc son intention d'empcher l'accusation de prouver leur culpabilit. Il soutient que le dossier de l'avocat gnral a t constitu de documents illgalement intercepts ou de notes d'coutes tlphoniques, que n'autorise pas la loi. Ironie de la situation, cet avocat, Ramsey Clark, est l'ex-ministre de la Justice. Quand, pour continuer rire, 450 tudiants (134) signent un document o ils s'accusent d'tre les auteurs de la squestration (132) Caractristique du temps de paix. (133) Les militaires finirent par refuser de remettre l'autorit civile les corps des soldats morts au combat. Ils tombaient alors sous le coup d'une inculpation pour recel de cadavres ! (134) Poitiers, 5 mars 1971.
Les hommes libres sont contre l'tat; les dfenseurs de la Rpublique sont des oppresseurs, des ennemis de la libert . ce slogan, dont nous avons dmont le mcanisme subtil, devient une vidence par l'effet de sa rptition. Si la libert, pour les soldats engags dans la guerre psychologique contre les rpubliques de type occidental, est la libert de mener la guerre comme ils l'entendent, i l est vident que tout ce qui s'oppose leur libert est combattre ou viter, pour le succs mme de leur mission. Malheureusement, les rpubliques ignorent qu'elles sont en guerre. I l ne semble pas, crit Ellul {op. cit. p. 261) que les dmocraties aient encore compris que la guerre froide (131) n'est plus un tat exceptionnel, un tat analogue aux guerres chaudes, mais qu'elle est devenue un tat permanent et endmique . Pour les gouvernants des rpubliques de type occidental, nous ne sommes pas en guerre; nous sommes peut-tre entre deux guerres, mais pour l'instant, c'est la paix. Ils attendent la dclaration officielle de la guerre, et les tats-majors continuent prvoir le nombre de ceinturons en cas de mobilisation gnrale. Or nous voil volens nolens en guerre, mais avec un code, des lois, un droit... de temps de paix. Le ridicule tient en cette dfinition de la situation. Personne n'a jamais pens ce qu'il faudrait faire devant une situation comme celle qui prvaut aujourd'hui en Turquie, disait le 24 avril 1971, le premier ministre turc Nihat Erim (interview accorde au journal franais Le Monde).
(131) Ellul appelle guerre froide ce que nous avons appel guerre psychologique, dont l'arme principale est aujourd'hui la subversion opre dans les tats que l'on veut abattre pour les conqurir.
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L A S U B V E R S I O N ISTVM > rrT'J.J A i ^,f,e.'i. arbitraire du recteur et du doyen, les juges - qui tiennent cinq coupables notoires - se demandent si ces aveux (qui viennent renforcer les dclarations d'innocence des cinq prvenus) ne posent pas un cas juridique difficile, le droit considrant les aveux spontans d'un coupable comme pice matresse de l'inculpation mais n'ayant pas prvu 450 auteurs d'aveux spontans pour le mme chef d'accusation.
LA LUTTE CONTRE LA SUBVERSION prn les objectifs et d'en avoir distribu le Manifeste, a t acquitt jeudi 15 avril par le tribunal. Il demeure accus de conspiration sditieuse mais a obtenu sa mise en libert sous caution de 950 dollars. I l tait dfendu par M'Lemieux, luimme accus d'appartenir au F . L . Q. E n revanche (sic), deux personnes, Richard Therrien et sa sur, qui avaient abrit dans leur appartement les ravisseurs de Pierre Laporte (excut par le F . L . Q.) ont t condamns un an de prison. Londres : L a belle Leila Khaled, soldate du Front de libration de la Palestine, membre des commandos qui dtournrent en septembre 1970 les Boeings de la Swissair et de la T . W. A., a t relche et rendue ses amis qui menaaient d'excuter les passagers-otages des trois avions kidnappps et stationnant en plein dsert de Jordanie si elle n'tait pas libre immdiatement. Notre cause a triomph parce qu'elle est juste , commenta le chef du F . L . P., et les accusateurs avaient mauvaise conscience . Et, pour ne citer qu'un exemple, un hebdomadaire franais apparemment neutre, commente en ces termes la capture des quelques 300 otages civils : Que veulent les Palestiniens? Ruiner par la violence et la dmesure les chances d'une paix qui les oubliait, et du mme coup s'imposer, eux, les parias, porteurs d'une terreur nave, comme les interlocuteurs des grandes puissances (L'Express). Paris: A l'usine Renault-Billancourt, le groupe ouvrier antiflic organis par les maostes saccage le 27 janvier le bureau d'un contrematre, M. ... Dans les jours qui suivent, le journal La cause du peuple commente cette action : M. ... a pris dix jours de cong, les autres chefs s'crasent. Aucun gars n'a t pris ni mme inquit. C'est la victoire!
Bien entendu, le Code pnal contient des dispositions ordinaires contre les organisations sditieuses, les complots contre la siiret de l'tat, la reconstitution de ligues dissoutes, les attentats politiques, etc. Des actions de rpression sont, ici ou l, entreprises avec les moyens disponibles, mais i l faut qu'une occasion se prsente justifiant lgalement l'opration policire.
Tokyo (d'aprs Le Monde du 15 mars 1971) : Plus de 40 000 policiers ont lanc vendredi une srie d'oprations contre les lieux de rassemblement et les locaux de r Arme rouge , organisation gauchiste estudiantine souponne de vouloir enlever le Premier ministre M. Eisaku Sato et d'autres personnalits. L'intervention de la police a pris prtexte d'une srie d'agressions de banques et de bureaux de postes, dont certaines avec mort d'homme, lances par 1' Arme rouge pour recueillir des fonds... L' Arme rouge avait organis le dtournement, au printemps 1970, d'un Boeing 707 des Japan Air Lines sur la Core du Nord. Les clameurs indignes de la presse gauchiste mondiale contre le rgime militaire fasciste du Japon agissant sur simples soupons (probablement prfabriqus) au mpris des Droits universels de l'homme , ne furent calmes que parce que les policiers ne procdrent aucune arrestation. Montral (Le Monde, 16 avril 1971) : M. Raymond Cormier, qui avait t arrt pendant la crise d'octobre (135) et tait accus d'appartenir au Front de libration du Qubec, d'en avoir
Lens (Pas-de-Calais). 12 dcembre 1970 : Le Secours rouge (organisme de liaison et de coordination des mouvements gauchistes) a institu un tribunal du peuple. Six militants maostes devaient passer en jugement le 14 dcembre pour rpondre d'un attentat l'explosif commis contre les bureaux des Houillres Hnin-Ltard. Au nom du Secours rouge , M . JeanPaul Sartre, devant le tribunal du peuple du 12 dcembre a accus de meurtre avec prmditation les Houillres, coupa-
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LA L U T T E CONTRE LA SUBVERSION
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bles d'une catastrophe survenue le 4 fvrier 1970 dans un puits, ce qui a entran la mort de 16 mineurs . pilogue : le 20 dcembre, aprs trois jours d'audience, les , maostes qui comparaissaient devant la Cour de Sret de l'tat ont t acquitts. Tous les journaux allis ont comment cette nouvelle victoire politique .
Nous avons longuement montr, dans cet ouvrage, que les moyens d'action de la subversion sont psychologiques. Les militaires paraissent aussi prisonniers du terrain que les juges du code du temps de paix .
Les exemples sont quotidiens. La lgalit rpublicaine a des moyens drisoires pour lutter et ne semble pas s'apercevoir qu'il s'agit de sa propre survie. Pourtant, les avertissements ne manquent pas. I l s'agit de briser le jeu de la lgalit bourgeoise lit-on dans Mai 1968, rptition gnrale, ouvrage dit par Maspero et crit par un enseignant (appoint par la Rpublique) de l'universit de Vincennes. Du mme chapitre relvent les tentatives, faites par les tats menacs, pour lutter contre les gurillas rvolutionnaires. Selon le spcialiste amricain S. Griffith, il n'y a pas d'armes modernes capables de liquider les gurillas . James Eliot Gross (in Luta das gurillas, Rio de Janeiro, 1965) examine longuement, de son ct, ce qu'il appelle les guerres non conventionnelles , passant en revue avec minutie les moyens logistiques dont disposent les forces gouvernementales : systme des communications routires, ferroviaires, tlphoniques, etc.. et remarque que tous ces moyens peuvent tre sabots par des petits groupes de trois quatre personnes, voire par des isols agissant sur un plan prtabli. I l se perd en dtails sur l'armement utilisable, en particulier les hlicoptres, pour conclure son inefficacit. Les trois oprations-cls auxquelles recourent Griffith et Gross sont : localisation, isolement, dracinement. Comme tous les militaires chargs de missions antigurillas, nos auteurs sont obnubils par le terrain et par la mise sur pied, quasi obsessionnelle, d'une tactique sur le terrain. 168
I I I - LES MOYENS
EXTRAORDINAIRES
Pour faire face telle ou telle action qui touche soudain un point sensible du systme politique tabli, c'est--dire au premier chef la scurit des personnalits sous couvert de la scurit de l'tat, certains gouvernants, assez rcemment, ont eu recours des moyens extraordinaires. Disons tout de suite que la mise en uvre de ces moyens est accueillie par la presse mondiale (crite et parle) comme d' inqualifiables atteintes aux liberts individuelles , ce qui entrane une partie de l'opinion dans la protestation. I l y a l, de toute vidence, une application de la technique dcrite ci-dessus : provocation-rpression-appels indigns l'unit contre la rpression. Cette situation psychologique entrane les gouvernants des rpubliques (toujours trs soucieux de l'opinion) trois genres de ractions : soit dicter des lois nouvelles, de contenu fracassant, dans le seul but d'intimider les agents de la subversion (ainsi par exemple, la loi sur les casseurs en France en 1970, ou la loi antiterroriste en avril 1971 en Sude), soit annoncer, avec beaucoup de garanties, que les mesures extraordianires sont minemment provisoires, soit entrer dans un processus d'aggravation progressive des mesures d'autoprotection, qui aboutissent la dictature. Dans le premier cas, supposer que la loi soit effectivement promulgue, elle est immdiatement dnonce et les juges sont peu enclins l'appliquer. Des spcialistes gau169
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chistes de la lgislation s'emploient d'ailleurs la connatre pour l'viter ou la tourner en ridicule. Dans le second cas, le gouvernement est accus de profiter des troubles (et mme de les fabriquer) pour atteindre d'autres objectifs politiques, et de porter atteinte la libert .
L'exemple le plus typique est le recours provisoire la lgislation de guerre, opr par la Province du Qubec aprs l'enlvement du ministre Laporte. Ce recours impliquait l'entre des troupes fdrales et la remise de l'autorit au gouvernement d'Ottawa. On sait que le gouvernement du Qubec fut alors accus (mme devant les camras de la Radio-tlvision franaise) d'avoir profit de cette occasion pour porter atteinte la relative indpendance du Qubec et d'avoir fait sa soumission politique aux Anglais d'Ottawa. Toute la population francophone, hostile aux Anglais, goba cette interprtation. !; ^, " I '* -I Autre exemple : L e gouvernement turc (nouveau gouvernement cr sous la pression de l'arme) a proclam lundi soir 26 avril 1971 l'tat de sige pour une dure de 1 mois dans 11 des 67 dpartements du pays. Commentant cette mesure le ministre de la Justice, porte-parole du gouvernement, a dclar qu'il s'agissait de faire face un tat de rvolte actif contre la Rpublique et la patrie. Le gouvernement sera ainsi autoris
agir par dcrets-lois .
der (136) s'il n'est pas souhait par la subversion, comme tape intermdiaire de sa mission, mais qui est certainement et par dfinition la fin de la Rpublique. IV - CONTRE-TERRORISME ET CONTRE-SUBVERSION Hitler a crit quelque part dans Mein Kampf, propos de l'efficacit de la violence et de la terreur comme moyens de subversion : la terreur sur le chantier, l'usine, aura toujours un plein succs tant qu'une terreur gale ne lui barrera pas la route. Devant les difficults prouves par les rpubliques pour se dfendre, et en vertu de l'adage si vrai de Hitler, on pense tout naturellement au contre-terrorisme pour combattre le terrorisme avec les mmes armes que lui. Le contre-terrorisme consiste en une organisation trs minoritaire ayant les mmes techniques que celles des groupes terroristes, la mme capacit de gurilla rurale ou urbaine, et le mme souci d'influence sur l'opinion publique. / / nat spontanment d'ailleurs, lorsque trois conditions sont runies : 1) Divorce net entre la population et les groupes terroristes, c'est--dire lorsque, malgr leur propagande, les groupes d'action rvolutionnaire n'agissent pas sur la population ni mme sur une classe de la population. 2) Niveau lev de l'inscurit dans la population, par suite du dynamisme des groupes terroristes (actifs et efficaces) et de l'incapacit des forces rpressives (pour une raison ou une autre) assurer cette scurit. 3) Existence, dans la masse en proie la panique muette, de sous-groupes ou de groupes rsistant la panique et
(136) c/ ci-dessus, p. 150.
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Dans la presse subversive, l'indignation prend le ton pique pour dnoncer la dramatisation abusive des vnements et la fin des liberts traditionnelles de la Rpublique . L e gouvernement est accus d'avoir, en fait, exploit les incidents pour obir une pression des tats-Unis (toujours eux) tendant empcher le transit routier et arien par le territoire turc de matriel de guerre indispensable la lutte hroque des peuples arabes contre l'imprialisme sioniste fauteur de guerre. L'instruction de l'affaire des comits de soldats en France en 197.5 a d c l e n c h une campagne d'actions subversives pour la suppression de la Cour de Sret de l'tat dont l'existence est une inqualifiable atteinte aux liberts individuelles.
La troisime raction, la plus radicale mais la plus dangereuse, aboutit un totalitarisme dont on peut se deman170
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capables (d'une manire ou d'une autre) d'entrer dans l'action directe. Ainsi, le contre-terrorisme est avant tout une autodfense par suite de la carence de l'tat assurer la protection, ou de la faiblesse des moyens juridiques lgaux. Toute une gamme d'actions d'autodfense existe, depuis les groupes organiss d'autoprotection locale (ainsi quelques habitants d'un grand ensemble suburbain dcident de mettre sur pied une quipe d'autodfense contre les voleurs ou les pilleurs d'autos parce que la police est impuissante), jusqu' l'organisation d'une police nationale parallle et expditive (ainsi l'Escadron de la Mort au Brsil, spcialis dans l'assassinat des truands traits trop gnreusement par les juges ou chappant la police rgulire), ou, pour retrouver notre problme, jusqu' la mise sur pied d'une arme secrte (chappant au contrle de l'tat impuissant ou complice des terroristes), et prenant son compte la guerre non-conventionnelle contre la subversion (ainsi l'O.A.S. en Algrie en 1960-1962). Les actions de contre-terrorisme se calquent sur le schma mme des actions terroristes : faire rgner l'inscurit, faire sauter le bouclier de la lgalit qui joue en faveur des terroristes du fait de son inadaptation, enlever des personnalits, perptrer des attentats contre les foyers de la subversion, assassiner les leaders ennemis, oprer des reprsailles spectaculaires aprs chaque action de l'ennemi, entraner par son exemple d'autres groupes indpendants agir pour leur compte dans le mme sens, discrditer le pouvoir officiel et ses dfenseurs. Le contre-terrorisme permet d'esquiver la situation aberrante d'oprations de guerre perptres en temps de paix. L'organisation du contre-terrorisme, cependant, rencontre de nombreux obstacles, intrieurs et extrieurs : 172
-Au niveau des consciences, la difficult vient de ce que les contre terroristes doivent avoir les mmes qualits et aptitudes que les terroristes : absence totale de scrupules, autojustification absolue (absence de culpabilit), rification de tous les obstacles y compris les obstacles humains, insensibilit, etc., possder en outre les aptitudes physiques ncessaires la gurilla, et une discipline de type militaire. Tout cela n'est pas facile; de sang-froid et sans fanatisme particulier, on ne peut passer de l'tat de citoyen sociable celui de tueur, d'auteur de hold-up, de rapts, d'attentats la bombe, ou d'incendiaire. - De l'extrieur, nombre de difficults attendent les commandos contre-terroristes : quoique, par dfinition, ils aient la sympathie de la population (lorsque les conditions ci-dessus nonces sont runies), ils ne doivent pas esprer de soutien positif inconditionnel, cette population tant dans l'inscurit. De plus, et c'est l le principal, la rpression de la part de l'tat et de ses forces disponibles, sera beaucoup plus sauvage et persvrante envers les contreterroristes qu'elle ne l'tait envers les terroristes. Ce deuxime front pour les commandos devient rapidement intenable. O n est en droit de s'interroger sur les mobiles de la violente raction de l'tat (137). I l semble que l'existence d'une organisation contre-terroriste inflige aux gouvernants une humiliation suprieure celle que leur infligent les organisations subversives, dans la mesure mme o un groupe se substitue l'tat dans l'agrment de l'opinion; d'autre part, le risque de contagion dans les rangs des dfenseurs de l'ordre tabli incite l'tat se montrer impi(137) L e cas de r Escadron de la Mort , au Brsil, est un cas particulier, puisque ses membres font partie de la police officielle. Malgr cela, le procureur de la Rpublique de Rio a fait ouvrir une enqute et tente de poursuivre en justice les membres de cette organisation.
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LA LUTTE C O N T R E L A SUBVERSION
toyable : les contre-terroristes sont considrs comme des mutins alors que les militants de la subversion sont traits comme des dlinquants (quand ce n'est pas comme de simples opposants politiques): or les mutins sont toujours plus durement traits que les simples dlinquants par les autorits, cause de la possible contagion de leur exemple. Pour toutes ces raisons, le contre-terrorisme, quoiqu'il soit un moyen adapt pour combattre la subversion et la gurilla, ne peut gure se dvelopper qu'avec la complicit (bien improbable) de dirigeants aux plus hauts chelons de l'tat. Reste la contre-subversion. Elle consiste, en dehors de tout contre-terrorisme, remobiliser l'opinion publique et isoler les groupes subversifs par rapport la population. Elle est la fois curative et prophylactique. Nous envisagerons cinq techniques qui ne troublent pas l'ordre rpublicain, et qui sont de valeur et de porte variables :
L E RETOURNEMENT D E L ' A R M E L'ENNEMI DU RIDICULE CONTRE
sont des sortes de contre-pamphlets o les auteurs subversifs sont tourns en ridicule (138). De nos jours, ce genre se perd malheureusement, la guerre n'inspirant pas le bel esprit Cependant quelques ouvrages ont retrouv cette veine, ainsi L'cole des Jocrisses, par Jean Dutourd, Le lexicon, par le RP Maurice Leiong, Lettre ouverte aux gens heureux, par Louis Pauwels, ou le Petit lexique de la subversion, par B. Kornprobst J. F. Bazin et J. L. Foncine.
L 'OPERATION V E R I T E
Dj au x v i i i ' sicle, o l'arme de l'ironie tait manie avec tant de gnie par Voltaire, Diderot et les Encyclopdistes, les adversaires des philosophes ont essay, avec moins de gnie, de stopper par la mme ironie l'influence des pamphlets sur l'opinion publique de leur temps. Selon D. Mornet (op. cit., p. 209), le mot de cacouacs pour dsigner les philosophes a fait une sorte de fortune . On publie, aprs le Mmoire pour servir l'histoire des Cacouacs, le Catchisme et dcisions de cas de conscience l'usage des Cacouacs, le Discours du patriarche des Cacouacs pour la rception d'un nouveau disciple, etc. Ce 174
C'est une contre-campagne de dnigrement avec, pour russir, une prparation psychologique du public, une orchestration de type campagne publicitaire , et de bons acteurs. La campagne d'explication , si recherche par les agents subversifs puisque c'est un moyen de circonvenir l'opinion, est faite, cette fois, par les victimes des prcdents. L'opration-vrit de la police, Paris en mars 1971, tait une intention de ce genre. Elle a t l'objet d'une contre-opration gauchiste qui, semble-t-il, n'tait pas prvue (139). Il est arriv, aux U.S.A., que des oprations-vrit soient montes pour rpondre aux campagnes de diffamation de l'arme amricaine au Vietnam. Des documents films, des pices conviction, des tmoignages (aveux de prisonniers,
(138) Mornet cite par exemple Thorel de Campigneulles dans Cleon ou le pclit-maitre esprit fort : D u 13: j'ai trouv chez la vieille baronne deux hommes mal vtus, qu'aux yeux hagards, a l'accueil sombre, la mise tique, j'ai reconnus sans peine pour philosophes... (139) C / . ci-dessus, p. 114.
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rcits de survivants ou de transfuges) taient runies et prsents pour montrer les atrocits commises par les NordVietnamiens, les destructions de villages avec extermination de tous les habitants, le climat de terreur, le traitement psychologique des prisonniers de guerre, etc.. Ces prsentations semblent rserves aux units combattantes et, en tout cas, grce un interdit tacite, ne parviennent jamais en Europe.
L E C O N T R E - A P P E L AU P E U P L E
groupes gauchistes (140). Aucune amplification par les mass mdia. Une initiative du mme genre au centre Censier Paris avait rencontr la mme discrtion.
i L A CONTRE-INFORMATION
Une initiative du prsident de la Rpublique du Sngal, Lopold Senghor, servira ici d'illustration. Aprs une action particulirement violente des groupes rvolutionnaires qui avaient dgrad et partiellement dtruit une aile de l'universit dakaroise en fvrier 1971, le prsident a organis un dfil de la population de Dakar dans les locaux dvasts au nom du peuple. Ainsi le vrai peuple tait appel constater et juger. Naturellement, une opration de ce genre doit, pour tre complte et efficace, s'accompagner de l'amplification des mass mdia (larges comptes rendus dans les journaux, tlvision, interviews et recueil des commentaires populaires ). Cette orchestration serait impossible en France. Cependant, le samedi 24 avril 1971, une mini-opration du mme genre a t organise par les conseillers municipaux communistes d'Ivry-sur-Seine et de Vitry-sur-Seine : l'intention des parents d'lves, une visite guide eut lieu au lyce technique Jean-Mac de Vitry, o 15 millions d'anciens francs de dgts avaient t commis par des
(140) Cette opration n'est pas dans les habitudes de nos gouvernants qui prfrent payer (avec l'argent des contribuables) et fermer les yeux. Dans le cas cit, le recteur n'avait pas formellement autoris cette initiative, n'tant pas couvert par le ministre. Du coup, le proviseur.
Cette technique, qui pourrait elle seule contrecarrer l'action subversive, consiste utiliser dans l'objectif d'information les procds mmes de l'Agit-Prop dcrits par Lnine : dnoncer, dmasquer, expliquer par rapport la thorie, interprter au niveau des intentions de l'adversaire. Le but est de dmonter le mcanisme des oprations subversives et des actions directes, de faon en montrer clairement l'agencement et les techniques. C'est en effet seulement la connaissance des mthodes et des procds de la subversion, de l'action psychologique et finalement de la guerre psychologique qui permettrait, dans la mesure o elle serait mise la porte de la majorit de la population, de provoquer les mcanismes de dfense intrieurs, individuels et groupaux, contre la suggestion subversive. Ce mode de lutte exige un changement complet d'orientation de la rflexion et de l'analyse chez ceux qui seraient chargs de la contre-information. On est en effet tent naturellement de rpondre aux accusations, de donner un dmenti une fausse information, d'apporter des preuves du mensonge. Or toutes ces attitudes reviennent tomber dans le pige tendu par l'adversaire qui, chaque instant et pour chaque personne, essaye de crer la situation de tribunal populaire (141). Expliquer en quoi la position
n'tant pas couvert par le recteur, tait rticent. Il s'en tira en transformant cela en opration portes ouvertes pour faire connatre le lyce (compte rendu du Monde. 4 mai 1971). (141) C/ci-dessus, p. 124.
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d'accusateur donne le beau rle et dispense de toutes rfrences, en quoi la dnomination de populaire permet l'exploitation des valeurs humaines comme paravent de l'intention subversive, pourquoi elle est forcment publicitaire, etc., etc., exige une orientation spciale de l'esprit de rponse. De mme, dans le cas de fausse information, dmonter la structure de la fausse information, en dvoiler l'intention, en mesurer l'impact tel qu'il a t calcul, dmasquer la manipulation en exposant en clair l'objectif et la technique,... exige aussi une autre prsence d'esprit que le dmenti. On pourrait mme expliquer comment le dmenti serait utilis son tour. L'ide gnrale de la contre-information tant ainsi prcise, l'organisation mthodique de ce moyen de lutte exige : 1) des techniciens de la subversion et de la contresubversion, 2) des moyens, tels que la centralisation des informations sur les activits subversives et les actions diverses de la gurilla rurale ou urbaine, ainsi que Vutilisation mthodique des moyens de communication de masse - presse, radio, tlvision - pour diffuser la contre-information, 3) enfin, des mesures de protection eficaces de cette organisation qui deviendrait rapidement la cible de ractions violentes de la part des groupes subversifs dcouverts. Ellul {op. cit., p. 279) crit : Ainsi, la seule attitude srieuse (srieuse parce que le danger de destruction de l'homme par la propagande est srieux et parce que c'est la seule attitude responsable) consiste avertir les hommes de l'efficacit de ce qui est dirig contre eux, les inciter se dfendre en leur faisant prendre conscience de leur fragilit, de leur vulnrabilit, au lieu de les bercer de la pire illusion, celle d'une scurit que ni la nature de l'homme ni la technique de la propagande ne permettent plus 178
d'avoir . I l semble qu'un organisme spcial, constitu selon les principes ci-dessus dfinis et visant l'ducation et la mobilisation du peuple, rpondrait son avertissement plus efficacement que la propagande d'tat, envisage par Ellul comme autodfense publicitaire de l'tat Mais l'tat aime mieux videmment faire sa propre publicit qu'organiser la contre-subversion. Celle-ci exige d'ailleurs des moyens que le gouvernement ne veut ni ne peut lui donner.
L A MISE SUR P I E D D E MILICES L O C A L E S POLITIQUEMENT FORMEES E T E N C A D R E E S
I l est prvoir qu'un tel projet dclenche par sa seule lecture un sursaut d'indignation chez les belles mes (sans parler des ractions des agents subversifs responsables). Pourtant si elles voulaient bien considrer ce qui se passe au niveau de l'organisation des groupes offensifs de la guerre rvolutionnaire, elles constateraient que ce sont des soldats oprant dans un milieu social et gographique qu'ils connaissent bien, politiquement forms et politiquement encadrs. C'est ce mme principe que concrtiseraient les milices, mais au service de l'antisubversion. Cette mthode a d'ailleurs t essaye avec succs lors de la guerre d'Algrie; elle a constitu aussi un des aspects de ce que le prsident Nixon appelait la vietnamisation de la dfense du Vietnam; elle a t applique en 1970 au Tchad par les conseillers militaires franais du gouvernement tchadien, etc. Le succs des milices tient trois conditions : 1) Elles doivent fonctionner comme groupes d'autodfense institutionnels dans le milieu de vie de leurs membres. Institutionnels, c'est--dire ( l'inverse des groupes 179
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spontans d'autodfense par suite de l'impuissance de l'tat) que ces groupes sont organiss par l'tat avec des volontaires de tous ges et des deux sexes, et dans le milieu mme de leur vie, un peu comme des home-guards, mais raliss l'usine, au chantier, l'universit, etc. 2) Elles doivent avoir une scurit suffisante quant aux moyens offensifs-dfensifs, aux recours, aux secours et aux appuis tactiques disponibles. Les milices algriennes, par exemple, ont t abandonnes la vindicte des commandos terroristes aprs avoir t installes, ce qui a fait basculer des populations entires dans la mfiance et la panique muette, proportion du discrdit des autorits de tutelle. Une organisation est donc ncessaire, avec rseau de communications, possibilits de concentration, de coopration tactique, etc. 3) Elles doivent tre politiquement formes et encadres, et moralement fortes, c'est--dire qu'elles devront, entre autres, connatre les objectifs politiques rels, les valeurs dfendre, les techniques et les tactiques de la subversion. Concluons sur ce chapitre. Lutter contre la subversion, arme principale d'une entreprise rvolutionnaire volontariste, n'est pas facile, et les rpubliques rpugnent organiser cette lutte par souci des principes de la dmocratie authentique et des valeurs inscrites dans les constitutions ou dans les dclarations des droits des citoyens. Certes, on pourrait faire remarquer que toute dclaration des droits condamne l'utilisation de ces droits pour les dtruire (142).
(142) L a Dclaration universelle des Droits de l'Homme de 1948, par exemple, dit expressment, dans son article 30 : Aucune disposition de la prsente Dclaration ne peut tre interprte comme impliquant pour un tat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer une activit ou d'accomplir un acte visant la destruction des droits et liberts qui y sont noncs.
Mais ces dispositions s'en remettent, telle une prire, au bon cur des individus et des groupes. Rien de prcis n'est prvu pour contrler les formidables moyens de manipulation des masses, pour dfinir par exemple l'objectivit de l'information, pour exiger et garantir cette objectivit. Grce ce fiou sur la dfense morale et politique des valeurs humaines, les agents subversifs peuvent les utiliser comme des leurres ou des appeaux.
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CONCLUSION
La subversion est donc l'ensemble des moyens psychologiques ayant pour but le discrdit et la chute du pouvoir tabli, du rgime ou du systme social, sur des territoires politiquement et militairement convoits, et cela dans un climat gnral qui exclut les conditions matrialistes et rationnelles de la rvolte et a fortiori de la rvolution. Ces moyens consistent faonner mthodiquement l'opinion publique. Les actions sditieuses (gurillas, commandos urbains, tribunaux populaires, enlvements, etc.) ne sont que des aliments pour l'action subversive, laquelle s'exerce exclusivement par le relais des mass mdia. Se faonne ainsi une majorit silencieuse considre tantt comme morose, tantt comme apathique, qui, rfugie dans l'indiffrence envers l'tat ou les autorits proches, et trangle par la panique muette, assistera sans ragir, lorsqu'elle sera mre , la chute du systme tout entier. Ce systme s'effondrera tout seul, comme un fruit pourri. Son arme jettera ses armes avec mauvaise conscience, sa police, malade du mpris, n'osera pas se montrer, et le peuple, ce grand manipul, se retrouvera passivement sous la propagande d'intgration qui se fera aussi en son nom. m
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Face l'entreprise gnrale actuelle de subversion dans le monde occidental, on trouve peu de partis ou de personnes simplement conscients et rsolus. Or une clarification politique s'impose aujourd'hui au niveau national, probablement aussi au niveau international : la dfinition sans ambigut de l'entreprise rvolutionnaire volontariste qui s'est donn pour but de fabriquer artificiellement une situation de coup d'tat en l'absence de tout support rel au niveau socio-historique, et par l'utilisation des seules armes psychologiques. Une telle clarification est indispensable pour au moins deux raisons : - Elle lvera la lourde suspicion qui pse actuellement sur les partis authentiquement dmocratiques, lesquels sont comme fascins par cette entreprise dont ils esprent plus ou moins obscurment tre les bnficiaires. Illusion fatale. De plus, leur mission politique n'a rien voir avec une guerre rvolutionnaire internationale artificiellement suscite en divers points du globe. La mission politique des partis dmocratiques est importante. Eux seuls sont facteurs de changement, de progrs, de promotion et d'organisation du bien commun authentique. Eux seuls ont avec le peuple une relation vivante relle, absolument diffrente du faonnement de la majorit silencieuse, de la dissociation des groupes primaires, de l'exploitation des groupes-cls. - Le faonnement artificiel d'une population inhibe et dtache de la politique, grce aux techniques psychologiques de la subversion, ouvre en fait la porte n'importe quel coup d'tat. Par l se justifie, d'un autre point de vue encore, l'accusation d' aventurisme que les partis politiques les plus srieux et les plus conscients font aux groupes gauchistes. 184
Il serait temps - vu pieux final - que les rpubliques, si elles ne veulent pas mourir, entreprennent la contre-subversion. J'ai voulu, pour ma part, dfendre aussi la psychologie en dnonant son accaparement comme arme de guerre ou de conditionnement des consciences. A qui cette dernire tche incomberait-elle, sinon aux psychologues eux-mmes?
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C.L.C.
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IN FRANCE
La subversion peut tre une excuse commode. Rien de plus commode, en ^et, que de masquer son incapacit humaine et sociale, en prsentant tout phnomne de dsorganisation ou de contestation comme un acte de subversion. La pagaille et les conflits proviennent souvent d'insi{ffsances ou d'erreurs de toutes ' sortes. Qu'est-ce donc que
^a Subversion ?
Le Professeur Roger Mucchielli retrace l'histoire moderne de la subversion. Il en analyse les grands vnements et les mcanismes. Un changement radical s'est opr dans la conception de la guerre moderne. La stratgie classique s'estompe au profit de la subversion qui devient l'arme principale. Au lieu d'engager des troupes sur les frontires de la nation conqurir, on suscite, l'intrieur de cet Etat, et par l'action d'agents subversifs entrans, un processus de pourrissement de l'autorit et des institutions. Des petits groupes de partisans, prsents comme manant du peuple mme , spontanment , engagent un nouveau type de lutte, dit guerre rvolutionnaire de libration . L'ouvrage constitue l'analyse la plus utile pour comprendre le Jeu des techniques de subversion.
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