Fallen Crest 5
Fallen Crest 5
Fallen Crest 5
ISBN : 9782755645392
Titre
Copyright
PROLOGUE
CHAPITRE 1
CHAPITRE 2
CHAPITRE 3
CHAPITRE 4
CHAPITRE 5
CHAPITRE 6
CHAPITRE 7
CHAPITRE 8
CHAPITRE 9
CHAPITRE 10
CHAPITRE 11
CHAPITRE 12
CHAPITRE 13
CHAPITRE 14
CHAPITRE 15
CHAPITRE 16
CHAPITRE 17
CHAPITRE 18
CHAPITRE 19
CHAPITRE 20
CHAPITRE 21
CHAPITRE 22
CHAPITRE 23
CHAPITRE 24
CHAPITRE 25
CHAPITRE 26
Avant-goût
PROLOGUE
Mason
Il venait droit sur moi. Alors, je me tournai, bloquai son coup de poing et lui
envoyai un direct au coin de l’œil qui le fit se plier en deux. On était entourés
d’un public que je n’entendais pas. À mes yeux, ces gens n’existaient pas. Ils
étaient là pour lui. Le public de Sebastian. Ils voulaient voir un combat, voilà
qu’ils étaient servis, et ce larbin était le troisième type que je descendais. Car il
allait abandonner d’un moment à l’autre. À bout de souffle, il porta une main à
sa tête, comme pour vérifier s’il en coulait beaucoup de sang. Ce fut là que les
cris commencèrent à percer mon brouillard.
– Debout !
– Allez !
À vrai dire, ça faisait une heure qu’ils criaient comme ça. Je n’y avais encore
prêté aucune attention. Tous les mecs de la bande de Sebastian se levaient l’un
après l’autre et je les démolissais, l’un après l’autre. Dès que l’un s’écroulait, le
suivant arrivait, et je l’affrontais comme les précédents – vite, brutalement, sans
y réfléchir.
Voilà longtemps que je n’avais pas combattu, mais ça faisait du bien de
libérer ses démons. Sebastian avait voulu détruire mon amitié avec Nate.
Manqué. Nate avait préféré quitter leur fraternité, alors ils s’en étaient pris à moi.
Sauf que le camion qui devait me renverser avait heurté Marissa à ma place. Elle
n’était pas totalement innocente, mais n’avait rien à voir dans cette guerre.
Quelque part, Sebastian avait gagné cette bataille.
En contactant Marissa.
Je ne savais pas ce qu’il lui avait promis, ou de quoi il l’avait menacée,
toujours est-il qu’elle témoigna ne se souvenir de rien à part de sa propre
présence sur les lieux. Ça s’était passé entre moi, elle et ce camion surgi de nulle
part. Pas de caméras de sécurité. La seule preuve que je détenais contre
Sebastian était cet enregistrement de Nate où il reconnaissait que leur but n’était
pas de frapper cette fille, mais cela n’avait pas suffi à les faire inculper.
L’université ne voulait pas entendre parler de procédure pénale, si bien que la
fraternité avait été dissoute. Chaque membre pouvait néanmoins fréquenter Cain
University, mais pas cette fraternité.
Point final.
Ma revanche fut simple : je mis le feu à leur pavillon.
Ils tentèrent de me faire renvoyer, mais ne purent fournir la moindre preuve
contre moi. Plusieurs mois s’écoulèrent dans la plus grande tension. Je savais
qu’ils allaient réagir, cependant je bénéficiais d’un répit – jusqu’à ce soir.
Ils m’attendaient à la sortie de mon tout dernier entraînement.
Un troisième surgit de la gauche. Je me penchai, lui passai un bras autour
des cuisses, le balançai sur mon dos pour l’envoyer valser dans les airs. Il se
retrouva par terre et leva sur moi des yeux incrédules. Sans lui laisser le temps
de réfléchir, je lui envoyai un coup de pied dans le crâne, assez fort pour ralentir
toute réplique. Il roula sur le côté en secouant la tête pour se remettre les idées
en place.
Déjà un quatrième fonçait sur moi.
Je l’attendais et l’attrapai d’une main par sa chemise tout en lui envoyant un
direct du droit dans les gencives. Il recula en titubant, mais l’un d’eux le cueillit
au passage et l’entraîna tandis que d’autres déjà s’alignaient pour m’affronter à
leur tour.
J’inspirai un grand coup, la poitrine serrée, le souffle court.
Ça n’en finissait plus. S’ils continuaient de m’attaquer les uns après les
autres, ils finiraient par gagner. Forcément. Certains semblaient surpris. D’autres
agressifs. D’autres encore me jetaient des coups d’œil furieux, les poings fermés.
Ils attendaient leur chef. Et celui-ci finit par s’avancer.
Park Sebastian.
Il applaudissait, un sourire hideux aux lèvres, une pâle lueur dans les yeux.
Puis il s’immobilisa juste hors de ma portée, l’air mauvais, bloquant son regard
sur le mien, comme s’il allait charger.
– Tu me surprendras toujours ! lâcha-t-il.
Du dos de la main, j’essuyai le sang de ma bouche. Sebastian observa mon
mouvement alors que je frottais ma main sur mon pantalon.
– J’ignorais que tu savais te battre, ajouta-t-il.
Je plissai les paupières. Il avait déjà tenté de me faire renverser par un
camion, histoire de m’obliger à quitter l’équipe, de préférence définitivement.
Plus de football pour moi. Ni aucune perspective de carrière.
Je penchai la tête de côté. À quoi jouait-il ?
– Tu as bousillé ma maison, reprit-il en tendant le doigt vers moi. À tous les
points de vue. Quoique, dans un sens, tu aies épargné à l’université de devoir la
reconstruire.
– Si, ils l’ont reconstruite.
– Sauf que, maintenant, c’est une putain de garderie.
Là, je retrouvai le Park Sebastian que je connaissais. Pas le personnage
calme et décontracté qu’il venait de nous jouer. Je voulais affronter le vrai. Face
à face.
– Qu’est-ce que tu fous, Sebastian ?
– Je sais à quoi tu penses, dit-il en hochant une fois la tête. On pourrait
continuer à t’attaquer, à t’épuiser, et on finirait par gagner. On ferait ce qu’on
voudrait de toi. Te briser la jambe. Te déchirer les tendons du bras, pour que tu
ne puisses plus jamais attraper un ballon. Ou on pourrait tout recommencer : te
lancer un camion dessus, cette fois tu serais grillé, plus de guérison, plus de
retour. L’ennui étant que l’université devrait intervenir, prévenir les autorités. Ça
me pose un problème.
Il recula, les mains sur les hanches.
– Je ne veux pas aller en prison à cause de toi. Échec et mat. Tu as gagné. La
fraternité est morte, littéralement. On n’a plus le droit de fonctionner en tant que
maison de frères mais, dans nos cœurs, tout continue comme avant. Les autres
chapitres savent que, même si on n’est pas officiellement reconnus en tant que
membres d’une fraternité, c’est encore le cas. En dehors de l’université, de
toutes les universités, on est toujours frères.
Il se tapa sur le cœur en ajoutant :
– Tu ne pourras jamais nous enlever ça, mais c’est ce que je vais te prendre.
Le temps se figea.
Je le savais. Je l’avais toujours su.
Sam était partie pour Boston. J’avais voulu l’écarter de Cain University, de
moi, ainsi que de Logan à Fallen Crest. D’une certaine façon, je me disais que
plus elle s’éloignerait, plus elle serait en sécurité.
Du bout des lèvres, il commençait à articuler son nom, et je compris que
j’avais fait tout ça pour rien. Il ne la lâcherait pas et elle entrait à Cain University
dès l’année prochaine, meilleur moyen de se jeter dans la gueule du loup. Je la
lui livrais pieds et poings liés.
Il poursuivit d’une voix râpeuse et lente et je perçus ses paroles à travers
l’orage qui tonnait en moi :
– Je vais t’arracher le cœur.
Non.
Son foutu sourire lui revint.
– Et tu ne pourras pas m’arrêter, parce qu’elle ne te laissera pas faire. Ce
sera ça le meilleur. Tu ne pourras rien faire du tout ; je vais m’arranger pour
qu’elle me tombe dans les bras. Je savoure déjà le moment où elle passera de toi
à moi et, une fois que je t’aurai arraché le cœur, j’arracherai le sien. Je la
massacrerai, elle ne sera plus jamais la même. Je vais la priver de son âme.
Là, j’explosai. D’un pas, je fus sur lui et, avant qu’il ne se rende compte de
ce qui lui arrivait, je l’attrapai et le renversai, le chevauchai, le bourrai de coups
de poing, jusqu’à ce que ses mecs viennent m’en empêcher. Ils durent
m’arracher à son corps, tandis que je continuais de frapper.
J’avais envie de lui faire bouffer ses tripes, tout en sachant que ça ne
servirait à rien.
Il allait s’en prendre à Sam.
CHAPITRE
1
Samantha
Un mariage célèbre l’instant où deux âmes ne font plus qu’une mais, pour
moi, c’était le jour où j’allais cogner une pute. Je la trouvai face à moi en
ouvrant la porte d’entrée : Cass Sullivan se tenait sur le seuil. En jupe moulante
qui lui descendait sous le genou, mais fendue jusqu’en haut de la cuisse, et top à
paillettes profondément décolleté, elle était prête pour la noce. Elle avait relevé
ses cheveux sur le sommet de son crâne pour les laisser retomber en boucles
autour de son visage. De quoi rendre belle n’importe quelle femme, sauf que là,
c’était Cass.
– Ton rêve se réalise, lâchai-je.
Elle leva au ciel des yeux excédés.
– Sérieux ? soupira-t-elle.
Oh oui, sérieux ! J’essayai de ne pas trop jubiler en répondant :
– Tu te pointes enfin chez les Kade pour y voir ton copain. Tu dois bien
mouiller. Ça te fait saliver depuis des années, non ?
– C’est pas vrai, marmonna-t-elle. Malinda a dit que Mark était là. Que vous
dormiez tous ici ce week-end. Il est là, ou pas ?
N’importe quelle fille pourrait savourer d’infliger ce supplice. J’avais eu ma
part d’ennemis, en quatre ans, mais Cass était du genre à s’accrocher. Elle me
haïssait depuis que Mason et Logan formaient ma nouvelle famille et elle
s’accrochait comme une sangsue, refusant de s’en aller. Depuis quelque temps,
elle était la petite amie de Mark, qui allait devenir mon demi-frère dès cet après-
midi.
Je croisai les bras.
– Peut-être.
– Sam ! Enfin.
Je haussai les épaules.
– Ou pas.
Bon, ce n’était pas sympa, je le savais, mais après les merdes qu’elle m’avait
fait subir, elle le méritait bien. Une fois que la mère de Mark aurait épousé mon
père, ce serait officiel. Mark ferait partie de ma famille, autrement dit, Cass
devait se montrer plus gentille avec moi.
Elle s’avança d’un pas.
Je haussai un sourcil.
Rapprochant sa bouche de mon oreille, elle cria de toutes ses forces :
– Mark ! Tu es là ?
Je sursautai. Je m’y attendais, pourtant. Je savais qu’elle allait soit me
frapper, soit crier. Je me croyais prête. Mais non.
– Ta gueule ! Tu vas me briser les tympans.
– N’importe quoi ! gronda-t-elle en frottant les mains sur sa jupe. Tu n’avais
qu’à l’appeler. Je t’avais prévenue.
On ne se quittait pas des yeux, et là, je compris.
– Tu vas encore me casser les couilles, c’est ça ?
– Je vais continuer, oui ! Qui t’a dit que j’allais arrêter ?
Elle venait de signer son arrêt de mort. Un large sourire aux lèvres, je reculai
et lui claquai la porte au nez.
– Trop bien élevée ! cria-t-elle derrière.
Chaque fois que je pourrais lui claquer une porte au nez, je le ferais avec le
plus grand plaisir. Je tirai le verrou. Cass pouvait bien taper et hurler, qu’elle
aille se faire voir ! Ce qu’elle ignorait, c’était que Mark se trouvait en ce moment
avec Logan et qu’ils n’avaient pas pris leurs mobiles avec eux.
Tandis que je regagnais la cuisine, Mason leva la tête :
– C’était qui ?
Il achevait de rédiger son discours sur la table de la salle à manger car, avec
son frère, ils seraient tous deux témoins du mariage tandis que Mark jouerait les
garçons d’honneur.
Celui-ci venait de sortir avec Logan pour faire des courses en rapport avec
une colombe, disaient-ils. Je n’en avais pas demandé davantage, je m’en fichais.
Tout ce que je savais, c’était qu’ils avaient laissé leurs téléphones ici, pour une
raison que j’ignorais, déclarant qu’ils ne voulaient pas courir le risque de se faire
repérer. Après quoi, Mark avait lâché une nouvelle bombe : il était nul en
discours et ne comptait pas en faire un. Et inutile de compter sur Logan pour
s’en charger, si bien que ce serait à Mason de s’y coller. Raison pour laquelle
mon copain était resté à la maison avec moi.
Comme il fallait que j’aille chez le coiffeur, j’étais contente que Mason reste
le seul au manoir pour le moment. Cet après-midi, ça grouillerait de gens, mais
là, j’essayais surtout de me retenir de sauter sur ses genoux au lieu de m’asseoir
sur la chaise voisine de la sienne. Il avait les cheveux ébouriffés, il ne les avait
pour ainsi dire pas coupés de tout l’été. Bientôt, il devrait les raser pour la saison
de football, alors jusque-là, je voulais en profiter pour les caresser.
Un début de barbe lui marquait les joues, mais il était superbe. Avec ses
yeux perçants, ses pommettes saillantes, sa mâchoire puissante et sa silhouette
athlétique, sculptée à la perfection par des années de football, je savais que les
filles étaient nombreuses à le convoiter à Cain University.
Les doigts me démangeaient, tant j’avais envie d’effacer ces plis soucieux
sur ses paupières.
– Personne.
Il fronça les sourcils.
– Il en faisait du bruit, ton Personne.
Je me penchai vers lui en haussant les épaules.
– Crois-moi. Personne d’important.
– Hmmm…
Néanmoins, il sourit et m’embrassa.
Mon cœur se serra. On était ensemble depuis trois ans maintenant et on avait
traversé des masses de difficultés, mais si nous venions de passer une année loin
de l’autre, c’était bien terminé. Dès la semaine prochaine, les voitures seraient
prêtes et Mason, Logan et moi partirions pour Cain University.
Mason reprendrait assez tard son entraînement, étant donné sa mise à
l’épreuve de Cain U. Après sa dernière engueulade avec Sebastian, l’équipe de
celui-ci avait été mise à pied, ainsi que Mason. Il avait eu le droit de passer ses
examens en ligne et il n’avait pas perdu sa bourse d’études, mais je savais qu’il
brûlait de retourner à la fac.
Alors que notre baiser se prolongeait, je sentis une certaine tension monter
en lui et lui pris le visage entre les mains :
– Tout ira bien.
Il posa sur moi un regard inquiet, me passa une mèche derrière l’oreille puis
posa les doigts sur ma joue.
– S’ils te font du mal… à toi ou à Logan…
Les lèvres serrées, il continua d’un ton douloureux.
– Je ne sais pas ce qui se passera, Sam, s’ils te touchent.
– Ça n’arrivera pas.
Park Sebastian était le meneur d’une fraternité désormais officiellement
bannie et c’était à cause de lui que Mason s’accrochait avec eux. Car il avait
refusé de jouer aux faux jeux des quelles-sont-tes-relations, quelle-sera- ta-
fortune-à-l’avenir, ou tu-me-grattes-le-dos-je-gratte-le-tien dans lesquels
Sebastian avait tenté de l’entraîner. Son refus n’avait pas été bien pris.
Je lui passai les doigts dans les cheveux, puis reculai juste ce qu’il fallait
pour pouvoir le regarder dans les yeux. Il avait peur. Je l’avais déjà perçu cet été.
Toutes les nuits, entre ses bras, je l’avais senti se crisper davantage à mesure
qu’on approchait de ce week-end.
Je ne voulais pas représenter une de ses faiblesses.
– Mason, ne t’inquiète pas pour moi. On saura se défendre. Personne ne me
fera du mal. Personne ne fera du mal à Logan.
Il posa la main sur ma nuque, chercha mon visage. Il voulait me croire mais
n’y parvenait pas. On en avait trop vu pour imaginer que tout irait bien, mais je
ne pouvais pas être son talon d’Achille.
Non, il ne se passerait rien. Personne n’allait se servir de moi contre lui. Je
me rapprochai :
– Sérieux, Mason. Je suis là. À tes côtés. Je ferai tout ce que tu voudras.
– Sam…
– Non. Arrête ! Je t’assure. À présent, j’aurai la force de te soutenir. Tu
verras. Personne ne pourra m’atteindre – pas d’amant rejeté, pas de harceleur
obsédé, même pas une salope comme Cass. Ils ne pourront rien contre moi. J’ai
déjà donné. Je saurai assumer.
Je l’attirai contre moi, souris, posai mes lèvres sur les siennes avant de
murmurer :
– Fais-moi confiance, cette fois. Je sais ce qui nous attend à la fac, et je suis
là pour t’aider. Voilà. C’est tout.
– Tu ne devrais pas avoir à m’aider. C’est justement ce qui m’embête. Je ne
devrais pas m’inquiéter à l’idée que Sebastian puisse s’en prendre à toi, mais…
il est capable de tout.
– Arrête !
Mason était plutôt du genre à montrer les dents. Il faisait face, provoquait
son monde. En temps normal, je ne le voyais pas craindre l’avenir comme ça, et
ça me faisait d’autant plus mal.
– Je vais me faire des amis, si ça peut te rassurer. Je m’entourerai de
camarades de fac et, quand je passerai chez toi, je prendrai mes précautions. Et
puis, Logan et toi pourrez toujours venir me chercher. Ça te va comme ça ?
– Il n’a pas intérêt à te faire du mal, répéta seulement Mason. Je suis capable
de tout, s’il le fait.
– Il ne fera rien, dis-je en l’embrassant de nouveau. Promis.
– Yo !
À ce cri provenant de la porte, on se redressa. Une seconde plus tard, Logan
et Mark entraient, les joues rouges, le front en sueur, un sourire idiot aux lèvres.
– Yo ! répéta Logan.
L’air surpris, il s’arrêta, pencha la tête de côté.
– Vous venez de le faire, là, ou quoi ?
Mason me lâcha en levant les yeux au ciel.
– Arrête, on n’est pas des lapins, non plus !
– Ah bon ?
Il sortit le jus d’orange du réfrigérateur, le posa sur la table. Mark apporta
deux verres et tous deux s’assirent.
– Moi, je le ferais, ajouta Logan. Vous savez, si je pouvais… Si on avait
pu…
– Ferme-la ! gronda Mason.
Son frère m’adressa un clin d’œil tout en ouvrant la bouteille.
– Allez, frangin ! Je croyais qu’on s’était mis d’accord depuis qu’on en avait
parlé. Tu sais, l’idée de Sam et moi, qu’il aurait pu…
– Je t’ai mis mon poing dans la gueule à ce moment-là, je pourrais bien
recommencer.
– Quoi ? Non ! Il faut que je reste beau. Sinon, maman Malinda pourrait te
botter les fesses.
Il marqua une pause, promenant ses yeux brillants de Mason à moi. Son
sourire s’accentua.
– Qu’en penses-tu, Sam ? Comment nous aurait-on surnommés ? Avec
Mason, vous êtes devenus Samson. Alors, nous deux, ce serait… Samog ? Non.
Ça ne sonne pas bien. Sagan ? Lotha ? Pas terrible non plus. Tiens, et juste
SamLo ? Nan, pas génial.
Mark se servit un verre tout en observant Logan, l’air un peu tendu avec sa
pomme d’Adam qui allait et venait.
Reprenant son stylo, Mason se pencha vers son frère.
– Tu vas la fermer ?
À la vitesse de l’éclair, il planta la mine dans la table, entre deux doigts de
Logan.
Tout le monde écarquilla les yeux. Il était allé si vite qu’on ne se rendit
compte de sa précision qu’après coup.
Logan fut le premier à réagir, dans un éclat de rire.
– J’adore te mettre en pétard.
– Tu vas le regretter.
Son rire s’interrompit.
– Comment ça ?
– Quand tu aimeras une femme… qui représentera tout pour toi et que tu
seras prêt à protéger contre le monde entier, je prendrai mon pied à faire les
mêmes conneries que toi cet été.
– Bon, marmonna Logan en faisant la grimace, ça ne serait pas très sympa de
ta part.
– Chienne de vie ! rétorqua Mason d’un ton railleur.
Logan m’interrogea du regard, mais je fis non de la tête. J’étais aussi
embêtée que lui.
Certes, il aurait pu exister un couple Logan et Sam, seulement ça ne s’était
pas produit. Logan aurait pu être un petit ami, seulement Mason était mon âme
sœur. La question de savoir si Logan avait des sentiments pour moi nous avait
obsédés un certain temps. Elle avait été réglée l’année passée, juste avant
l’incendie de la fraternité. La vérité s’était imposée : il aurait pu y avoir un nous
entre Logan et moi. Mason l’avait mieux pris que je ne l’aurais cru.
Et là, il avait raison. Logan se moquait un peu trop de nous, ces derniers
temps. Je ne pouvais m’empêcher de penser que c’était dû au fait que Kris et lui
avaient enfin rompu pour de bon, depuis le temps qu’ils se séparaient, revenaient
ensemble, se séparaient de nouveau. Ça avait duré toute l’année. Jusqu’à la
rupture finale qui remontait à quatre mois. Quelques semaines avant la remise
des diplômes, Logan avait largué Kris à une soirée pour se remettre aussitôt à
draguer comme un malade. On disait même qu’il s’était fait sucer par plusieurs
filles ce soir-là et qu’il était reparti avec quelqu’un d’autre.
Les filles se montraient plus sympas avec moi maintenant qu’à l’époque où
ça se passait bien entre Logan et Kris. Bon, je ne me faisais pas d’illusions.
J’avais appris à reconnaître leurs regards j’ai-besoin-de-toi-car-tu-es-proche-de-
Logan, et je savais leur échapper. Quand je n’y arrivais pas, ma meilleure amie,
Heather Jax, s’en chargeait sans difficulté.
En pensant à Heather, je regardai la pendule au mur.
Il fallait que j’aille me faire coiffer avec Malinda, ses deux sœurs et sa
meilleure amie. Je savais que leurs filles seraient là aussi. Mais pas Heather.
– Quoi ? demanda Mason.
– Quoi quoi ? répétai-je.
– Tu as soupiré. Qu’est-ce qui ne va pas ?
– Ah…
Images de coiffeuses, odeurs de laque, murmures et rires m’emplirent le
cerveau. Je grinçai des dents.
– J’aurais préféré qu’Heather ne travaille pas aujourd’hui.
– Nate arrive ce soir. Il a une réunion à Cain U, mais il nous rejoindra
ensuite. Jax viendra plus tard, non ?
– Si. Elle sortira à temps pour le bal du mariage.
– Tant mieux. Elle est en froid avec Channing, je crois ?
Je me raidis. C’était vrai. Heather et Channing, son copain de Roussou par
intermittence, se faisaient plutôt la gueule en ce moment, si bien qu’elle revoyait
Logan depuis trois semaines.
Et il posait sur moi un regard que je n’appréciais pas. Cependant, si Heather
avait envie de coucher avec lui, je n’y pouvais rien. Elle savait très bien ce qui
l’attendait, pourtant, je ne pus m’empêcher d’observer :
– Si tu comptes faire ce que je crois…
Je marquai une pause pour vérifier s’il avait compris que je ne plaisantais
pas.
De fait, il se redressa lentement sur son siège, l’air beaucoup moins taquin
qu’à son arrivée. Soutenant mon regard, il pencha un peu la tête, de façon à se
retrouver au même niveau que moi.
– N’oublie pas, dis-je, qu’elle est ma seule véritable amie fille. Ne déconne
pas avec elle, pigé ?
– Jax n’est pas comme les autres, assura-t-il, les dents serrées. Je la respecte.
– Et j’espère que ce sera encore le cas après.
Un téléphone vibra sur le comptoir et Mark se leva pour le prendre. Il lut le
texto, releva la tête.
– Euh… Sam ?
Je savais ce qu’il allait dire et me levai à mon tour. Il semblait encore
hésiter, se tourna vers Logan avant de revenir vers moi :
– C’est ma mère. On t’attend à la maison.
– Oui, le coiffeur.
Mason me prit la main pour m’attirer vers lui, me caresser la nuque et
m’embrasser avant de me murmurer à l’oreille :
– Amuse-toi bien avec ta nouvelle maman. Elle t’aime déjà.
Une vague d’émotions me saisit, ma gorge se serra. Je lui rendis son baiser,
puis me dégageai et sortis.
En traversant la rue pour gagner la maison de mon père et de Malinda, je
m’essuyai les yeux. Mason avait raison, en ce jour j’allais avoir une nouvelle
maman, qui m’aimait, celle-là.
Mes épaules s’allégèrent d’un grand poids et je souris en pénétrant dans
l’entrée. De la cuisine montaient des rires et des cris. En ce jour, Malinda allait
devenir Malinda Decraw Strattan.
Elle était là et m’ouvrait les bras :
– Bonté divine ! C’est ma fille ! Viens ici, ma toute belle !
CHAPITRE
2
*
* *
– Tu aimes bien ta coloc ?
Je regardai Mason allongé près de moi. Sur le coup, j’eus presque envie de
ne pas répondre. Il ne m’avait pas laissée lui rendre la délicieuse torture qu’il
m’avait infligée. Sans trop savoir pourquoi, je le sentais encore tourmenté. Mais
je préférai ne pas insister.
Alors je répondis, tout en enfilant mon débardeur :
– Elle a l’air sympa. On est passées chercher nos livres après vous.
– Juste après nous ? dit-il en s’immobilisant.
– Non, dans les deux heures qui ont suivi. On a un peu visité le campus et
ses parents lui ont apporté d’autres affaires.
Il se remit à me caresser le ventre.
– Et sa famille t’a plu ?
Qu’est-ce que c’était que cette question ?
– Oui, ça va. Des parents normaux. Enfin, rien de comparable avec les
nôtres.
Il attendit que j’aie passé les bras dans mes manches pour me prendre une
main, jouer avec mes doigts.
– Je n’ai jamais vécu en résidence. Je suis tout de suite passé dans le pavillon
du foot. Tu vas essayer de faire la connaissance de toutes tes voisines de palier ?
Il me fallut un petit instant pour me retenir de sourire.
– Quoi ? demanda-t-il.
– Tu es trop chou, dis-je en lui envoyant un petit coup de coude. Tu veux
faire ton timide. Mais je sais que tu tiens à ce que je voie un maximum de gens.
Levant les yeux au ciel, il se rassit contre le dosseret.
– Ha, ha ! Non, franchement, je ne sais pas ce que c’est que la vie en
résidence, mais, oui, je me dis que ce serait sympa si tu étais amie avec tes
voisines. Plus tu en auras, mieux ce sera.
– D’accord. Et, oui, on s’est déjà réunies. Aujourd’hui, elles sont toutes
parties s’offrir une glace.
– Et toi ?
– Non.
Rien qu’à le regarder, je sentais l’eau me venir à la bouche. Encore. Ses
yeux verts me scrutaient, ses lèvres fermes me souriaient. Avec son visage
ciselé, sa puissante mâchoire, il me fascinait chaque fois. J’avais encore envie de
les caresser.
– J’ai préféré venir ici.
– Sam.
Sentant venir la réprimande, je levai les mains.
– C’est bon. Elles organisent une soirée film dans la salle de cinéma. J’irai
les rejoindre. À la place des glaces, je pourrai me rattraper en leur faisant du
pop-corn.
L’air absent, il hocha la tête. Je ne pouvais plus rien lire en lui, mais je
savais ce qui le tourmentait. La même chose que lorsqu’il était revenu à Fallen
Crest, la figure amochée.
Je me penchai vers lui, posai mes mains sur ses joues.
– Hé ! Dis-moi tout.
Il leva les yeux, me laissant y lire l’inquiétude qui le rongeait.
– Ça ira, murmurai-je.
– Tu ne le connais pas.
Je le connaissais aussi bien que lui. Je savais aussi bien que lui de quoi il
parlait. Je demandai :
– Tu crois qu’il va vouloir m’attaquer physiquement ?
– Il l’a bien fait avec moi, soupira-t-il en me caressant les poignets. Mais je
ne pense pas qu’il te taperait dessus. Ce serait plutôt… enfin, pas la peine
d’épiloguer, mais je ne peux pas te promettre qu’il ne te touchera pas. Je ne sais
pas.
– Bon, alors je vais m’acheter un Taser et je te promets de ne jamais me
promener toute seule. Ça ira, comme ça ?
– Sam…
Les muscles de son estomac se contractèrent et il me prit par la taille pour
me retenir tandis qu’il s’installait en face de moi, comme une heure auparavant.
– Je m’inquiéterai toujours, précisa-t-il. Je suis prêt à tout pour toi, et il le
sait. C’est ma faiblesse – la puissance de mon amour – qui me rend capable de
tout pour te protéger. Sebastian n’est pas idiot. Il s’en servira contre moi.
Il passa une main frémissante le long de mon dos.
– Promets-moi que, si tu le vois, tu m’appelleras aussitôt, moi ou Logan.
Promets.
– Promis.
Peu importaient mes paroles. Je sentais bien que ça ne le rassurait en rien.
Mais je lui devais au moins ça. Ensuite, on verrait les choses évoluer petit à petit.
Je ne possédais pas le cerveau de Mason. Je ne pouvais prévoir comme lui
l’attitude des gens. Mais je savais une chose : j’avais eu ma part de redoutables
adversaires. Park Sebastian était un mec. La seule chose qui le différenciait des
autres était sa puissance physique. Je ne pensais pas qu’il puisse me rejeter
comme l’avaient tenté Jessica et Lydia en classe de seconde à Fallen Crest
Academy. Je ne pensais pas non plus qu’il me ferait agresser par un groupe de
filles aux toilettes ni qu’il aurait le pouvoir de me faire tomber amoureuse de
Logan. La seule autre menace que nous ayons dû surmonter avait été ma mère, et
elle était écartée depuis un moment. Elle ne risquait pas de revenir.
Dans un soupir, j’embrassai Mason avant de m’éloigner de ses genoux pour
aller prendre une douche.
– Il faut que j’y aille. Film, pop-corn, et tout.
– Je te ramènerai.
J’allumai dans la salle de bains et me glissai sous la douche. Quand j’en
sortis, Mason était habillé et m’attendait, assis au bord du lit. Il me dévisagea de
la tête aux pieds et un sourire se dessina sur ses lèvres. Oubliant le léger espoir
qui m’avait effleurée un instant de le voir se joindre à moi, je lui passai une main
dans les cheveux, lui soulevai la tête pour qu’on se regarde dans les yeux.
Posant les mains sur mes hanches, il m’attira entre ses jambes.
– Ça ira ! assurai-je, avant d’ajouter : D’accord ?
Ses mains se crispèrent, mais il me relâcha.
– Je sais.
Logan se trouvait dans le salon quand on partit chercher la voiture. Il sourit,
nous adressa un signe des doigts.
– À tout’, les amoureux ! Défense de baiser dans le parking. Paraît qu’ils ont
augmenté le nombre des vigiles depuis qu’il y aurait eu une bagarre du côté de la
librairie.
– C’est vrai ? dis-je, étonnée. Je n’en ai pas entendu parler. Ma conseillère
de résidence me l’aurait dit, enfin, je suppose…
Il retourna son attention vers le match de foot à la télé.
– Euh, oui, enfin… commenta-t-il, peut-être qu’elle n’est pas au courant
comme moi.
– Logan ! l’avertit Mason.
Sans le regarder, Logan leva de nouveau une main.
– Dis à ta coloc qu’elle est bandante, Sam. Je passerai un de ces quatre, pour
le petit déjeuner.
– N’importe quoi ! marmonnai-je en levant les yeux au ciel.
Mason m’ouvrit la porte d’entrée en rigolant.
– Il aurait besoin d’une bonne bagarre pour se défouler, m’expliqua-t-il. Il
s’ennuyait à Fallen Crest, il croyait que ça se passerait autrement ici.
Mason se mit au volant de son Escalade et démarra, l’air parfaitement
décontracté. Il me sourit, me prit la main quand je m’installai près de lui et ne la
lâcha pas de tout le trajet.
La tension que j’avais sentie dans la chambre semblait l’avoir quitté – du
moins pour le moment – mais je savais que c’était dû en partie à la présence de
Logan.
On était tous là.
CHAPITRE
7
La grande maison qui se dressait devant nous semblait dominer tout le reste
du quartier.
On y entendait de la musique, les fenêtres déversaient leur lumière sur le
jardin, et il y avait des gens partout. Je regardai le groupe de filles qui avaient
préféré manquer la soirée film pour cette fête, elles semblaient plutôt mal parties.
J’en vis deux carrément bourrées, tandis que ma coloc inspectait son téléphone,
l’air de s’ennuyer à mourir. Je ne savais pas trop ce qu’il fallait en penser, mais
je comprenais pourquoi les autres paraissaient surexcitées. C’était leur première
fête à la fac. Moi-même, à vrai dire, j’étais assez énervée, sauf que ça venait
plutôt du fait que je n’avais rien dit à Mason. Il me croyait en sécurité à la
résidence, une couverture sur les genoux, à me gaver de pop-corn et peut-être
même à boire du vin.
C’était bien ce qu’on avait prévu jusqu’au moment où le film réservé par la
conseillère de résidence s’était révélé complètement barbant. Au bout d’une
demi-heure, on était toutes à regarder nos téléphones, quand on ne filait pas aux
toilettes les unes après les autres ; alors, elle finit par nous laisser partir en
mentionnant cette soirée dont elle avait entendu parler. Sans doute pour se faire
pardonner d’avoir choisi un film aussi pourri. Elle nous donna l’adresse, précisa
quels mecs il fallait éviter à tout prix puis nous lâcha, de peur de voir les toilettes
inondées de vomi.
C’est ainsi qu’on se retrouva à neuf en train de traverser le campus pour
gagner un pavillon extérieur.
– Alors… lança Summer en s’éclaircissant la gorge, qu’est-ce que vous en
dites, les meufs ? On fait la teuf ou on reste là toute la nuit à regarder ?
Une autre fille, rousse et un peu enveloppée, se cogna la poitrine en criant :
– Bien sûr qu’on y va ! On n’est pas venues là pour regarder. D’abord, moi
je veux me trouver un mec et ça ne risque pas de m’arriver si je traîne toute
l’année avec des meufs.
Summer lança le poing en l’air.
– Les meufs à la teuf !
La fille rousse renchérit aussitôt :
– Allez, c’est parti. On va se pinter toute la nuit !
Une autre fille, assez petite, aux yeux bleu transparent et aux cheveux
blancs, s’écria :
– Gaffe, on ne se lâche pas des yeux. C’est dans ce genre de fête qu’on peut
se faire agresser. Il faut se méfier.
Summer me prit la main pour la brandir en l’air.
– Ma coloc pour moi !
Chacune trouva sa chacune, et les mains se joignirent au-dessus des têtes.
Après quoi, Summer se pencha vers moi :
– Contente que tu sois venue. Ça n’avait pas l’air de te parler, au départ.
– Oui, dis-je en haussant les épaules, c’est parce que mon copain a des
ennemis sur le campus ; il s’inquiète pour moi.
– Reste près de moi. Ma mère s’inquiète aussi, c’est pour ça qu’elle m’a fait
prendre des cours d’autodéfense. Tu sais…
Baissant la voix, elle ajouta en rougissant :
– C’est parce que je suis modèle.
Je regardai autour de nous, mais les autres n’écoutaient pas.
– Je sais un peu me battre, répondis-je, mais que ça ne te gêne pas. Je pige.
Vraiment.
– Je sais, je… Mais, tu vois, elles sont plutôt jalouses quand elles découvrent
ce que je faisais pour gagner ma vie.
– Tu parles de quand tu as fait la meuf ? demanda la fille rondelette en se
joignant à la conversation.
– Pardon ? demanda Summer.
– Ce que tu faisais pour gagner ta vie ?
– Oh… euh…
Ma coloc avait l’air d’une biche éblouie devant des phares. Elle pâlit.
J’intervins en faisant mon Logan :
– Elle torchait les culs.
Toutes trois se tournèrent vers moi.
– Elle était aide soignante, précisai-je en souriant. Ça fait partie du métier,
mais elle ne voulait pas que vous le sachiez. À cause des plaisanteries…
– Ah… soupira la fille en se grattant la joue. C’est… très compréhensible.
Moi, j’ai passé mes années de lycée à beurrer des tartines à sandwichs. Au fait,
je m’appelle Kitty. Alors, croyez-moi, je comprends qu’on n’apprécie pas les
jeux de mots.
Personne ne dit rien, elle finit par expliquer :
– Ce n’est pas un surnom. Ma mère m’a vraiment donné ce nom de chatte.
– Oh ! dis-je, désolée.
– Qu’est-ce qu’on y peut ? Et voici Nina, ajouta-t-elle en désignant la fille
aux cheveux blancs.
– Salut.
À notre tour, on se présenta, Summer et moi.
Nina nous adressa un signe avant de retourner son attention sur la maison où
la plupart des filles étaient entrées.
– Si on se mettait d’accord pour qu’aucune d’entre nous ne se perde ?
proposa-t-elle. Et après, on rentre toutes ensemble à la résidence ou juste avec
nos colocs ? On ne s’attendait pas du tout à cette fête. En fait, on ne sait même
pas qui invite. J’ai entendu parler d’une fraternité qui avait été dissoute l’année
dernière. Ce ne sont pas les mecs d’ici ?
Mon corps se tendit ; qu’avait-elle entendu d’autre ? Cependant, Kitty
semblait connaître la réponse :
– Oh non ! J’en ai parlé avec Ruby.
– C’est qui, Ruby ? demanda quelqu’un.
Kitty fronça les sourcils.
– Notre conseillère de résidence. Vous n’écoutez jamais quand on vous
parle ?
Summer me sourit.
– Elle m’a raconté où certains de ces mecs se planquaient, poursuivit Kitty,
et ce n’est pas dans cette maison. Là, c’est juste un groupe d’amis. Elle les
connaît. Elle a dit qu’ils étaient plutôt inoffensifs, à part les deux enfoirés qu’elle
nous a signalés. Oh ! Et elle devait téléphoner pour les prévenir que quelques-
unes de ses filles arrivaient. C’est-à-dire nous.
Summer réprima un sourire.
– En fait, on devrait se tenir toutes les quatre, proposa Nina. Vous deux,
vous nous cherchez à la fin, et on fait pareil.
J’espérais qu’elle allait faire un petit pas vers nous, montrer son amitié, mais
elle se contenta de prendre Kitty bras dessus, bras dessous pour grimper la
colline menant à la maison, les épaules droites, la tête haute. De sa main libre,
elle renvoya ses cheveux dans son dos. Nina semblait prête à conquérir le
monde, fête après fête.
– Oh là là ! marmonna Summer près de moi. On est cernées par les abruties.
– Quand même pas toutes les filles de l’étage.
Encore que…
– Je disais plutôt… continuai-je hésitante. Euh… elles n’ont peut-être pas
autant l’habitude des fêtes que nous ?
– C’est vrai que ça n’a pas l’air de t’impressionner.
– Magnez-vous les fesses ! lança Kitty en nous adressant un signe.
On les suivit tandis que Summer poursuivait :
– Mais, d’après ce qu’on m’a raconté sur Mason Kade et son frère, ça ne
m’étonne pas. Je dois reconnaître que, moi aussi, j’ai entendu parler des soirées
Kade. J’avais envie d’y aller au moins une fois, mais je n’ai jamais pu
convaincre mes amies de nous y introduire en douce. Elles avaient trop peur. À
ce qu’il paraît, les filles qui s’y rendaient étaient comme des bêtes sauvages.
– Tu n’es pas loin de la vérité, dis-je en songeant à Kate et sa bande. Et, toi-
même, tu n’as pas l’air trop impressionnée.
En arrivant sur le perron, on entendait si fort la musique que Summer dut
hausser le ton pour préciser :
– J’ai assisté à quelques soirées en Europe. Pas de comparaison possible.
Elle ouvrit la porte en m’adressant un clin d’œil.
La musique nous submergea.
Ainsi que les rires et les conversations.
Mais aussi l’odeur d’herbe, d’alcool et de transpiration.
Incroyable ! Ma première fête de fac faisait plutôt penser à une scène
d’American College.
À l’entrée, Kitty, Nina et quelques autres résidentes de notre étage
brandissaient leurs gobelets en plastique rouge.
– Vous avez déjà de la bière ? s’étonna Summer.
À cet instant, un gros gamin en toge surgit, les bras chargés de gobelets,
suivi d’un autre qui portait un fût sur l’épaule. En nous voyant, ils nous
adressèrent de larges sourires.
– Mais voilà deux nouvelles venues ! s’écria celui aux gobelets. À vous,
Mesdames !
Là-dessus, il s’agenouilla devant le bec de tirage et son pote appuya sur la
manette pour faire couler la bière.
Quand ils eurent terminé, le gamin aux gobelets se releva et nous en tendit
deux.
– Moi c’est Blaze, un ami de Ruby. Elle nous a prévenus que vous veniez,
pas d’inquiétude. Il n’y a que des mecs sympas, ici. Cela dit, toutes les chambres
sont fermées, personne ne peut y aller. Il y a des toilettes là-haut, mais aussi au
rez-de-chaussée, sauf que je ne vous les recommande pas. C’est trop souvent
bouché. Voilà, si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas, j’essaierai
de vous aider. Je suis le meilleur des hôtes.
L’autre type écoutait la musique et remuait la tête, les yeux fermés ; tout le
monde était servi, aussi s’éloigna-t-il en bougeant les hanches en rythme.
Summer serra la main que Blaze lui tendait.
– Moi, c’est Summer, et voici…
Elle allait me désigner quand elle parut apercevoir quelque chose derrière
moi. Elle écarquilla les yeux tandis que je sentais une main se poser sur mon
épaule pour m’attirer contre un corps puissant. Je fermai les yeux. Je savais qui
c’était.
– Et voici Samantha, ma demi-sœur. Moi, c’est Logan.
– Demi-sœur ? articula Summer.
Je secouai la tête. Trop long à expliquer. Le regard de Blaze s’illumina :
– Logan Kade ?
– C’est moi.
Ils se serrèrent la main et Blaze garda un peu plus longtemps celle de Logan
dans la sienne. Il désigna en souriant la colonne de gobelets :
– J’ai entendu parler de toi. Merde alors ! Je suis au courant de tout pour
l’année dernière. Et de la bagarre d’aujourd’hui. De ce qu’ils ont voulu faire à
ton frère.
Et d’ajouter, les yeux exorbités :
– Mason Kade est ton frère ! Putain de bordel ! C’est pas croyable ! Il est
avec toi, là ?
Moi qui me sentais déjà tendue, là, j’allais exploser. Logan me serra un peu
plus contre lui.
– Non, répondit-il. Il a entraînement de foot demain, il a dû rester pour des
exercices ce soir. Mais voici Nate.
Le bras de Blaze se tendit vers celui-ci, à côté de Logan.
– Je fais dans mon froc ! Tu es Nate Monson. Je sais tout de toi aussi. Tu
étais avec ces deux tarés l’année dernière, avant de leur faire un doigt
d’honneur !
Nate lui serra la main.
– Ouais, répondit-il, déjà, j’ai été assez bête pour me joindre à eux. Bonsoir,
Sam !
Voulant me saluer à son tour, Blaze secoua ses gobelets.
– Toi ! Il faut que je parle de toi à Ruby. Elle va péter les plombs. Tu
fréquentes des légendes, tu t’en rends compte ?
Je vis Logan, hilare, réprimer un éclat de rire.
– Qu’est-ce que tu voulais dire ? demandai-je à Blaze.
– Quoi ? répondit-il sans se départir de son sourire. Je déteste Park
Sebastian. Ruby l’exècre avec l’ardeur de dix mille fourmis rouges. Alors, dites-
moi ce que vous voulez, tous, c’est bon pour moi. De la pizza ? J’en commande
immédiatement.
– Non, dit Logan en levant la main pour l’empêcher de se ruer vers le
téléphone. C’est bon, mais…
Il me prit mon gobelet avant d’ajouter :
– Sam voudrait une autre bière.
– Oh oui ! Gus, viens ici. Le fût, s’il te plaît !
Et d’ajouter à l’adresse de Nate :
– Une bière pour toi aussi. Je reviens.
Je ne connaissais Kitty que depuis dix minutes, pourtant elle se fraya un
chemin parmi la foule pour s’approcher de nous dès que Blaze partit à la
recherche de son porteur de fût. Summer se trouva reléguée au second plan mais
en parut plus stupéfaite qu’offensée ; à mon tour, je fus bousculée.
– C’est qui tes amis, l’ami ? lança Kitty.
Elle se cherchait un mec.
Elle parut hésiter devant Logan mais pas devant Nate, qu’elle attrapa par la
main. À côté de moi, Nina remplaça Kitty, sauf qu’elle ne semblait pas vouloir
faire les présentations, les bras croisés, un bout de manche entre les dents.
Summer ne la quitta des yeux que le temps d’échanger un regard avec moi en
secouant la tête. Nina allait devoir surmonter sa timidité ou ses appréhensions,
quelles qu’elles soient, si elle voulait bien profiter de la fac. Exactement la
même chose que pour moi – profiter de la fac. Tout en protégeant Mason.
Logan me passa un bras autour du cou pour m’entraîner à la suite de Nate.
Alors qu’on longeait les couloirs, j’essayai de regarder autour de nous. Je vis que
Summer nous avait emboîté le pas, ainsi que Kitty et Nina, dans la mesure où
Kitty ne lâchait plus Nate. Il gardait les mains dans ses poches, mais elle lui prit
le bras et ne parut pas se formaliser de le voir grimacer.
En traversant la salle à manger, puis la cuisine, je fus étonnée par le nombre
de gens qui saluaient Logan. La nouvelle de sa présence s’était vite répandue et
beaucoup de types venaient lui serrer la main. Les filles le regardaient, lui, puis
tout notre petit groupe, d’un œil plus qu’intéressé. On était les personnes qu’il
fallait fréquenter et je commençais à comprendre comment les choses avaient dû
se passer durant l’enfance de Logan.
C’était un Kade, nom connu et respecté. Famille crainte par certains,
courtisée par d’autres.
Plus Logan répondait aux garçons, plus les filles semblaient tomber sous son
charme. J’éprouvai un instant de compassion en songeant à celles qui tenteraient
de l’apprivoiser.
À mesure que s’écoulait la soirée, il séduisit à peu près tout le monde. On
s’installa au sous-sol, près du billard, et je repérai quelques regards d’adoration
de la part de Kitty et de Nina.
Même elles.
Même Kitty, qui s’était montrée si hésitante avant de s’accrocher à Nate, ne
pouvait cacher son attirance en le dévisageant par-dessus la table de billard, alors
qu’il était sur le point de tirer.
Summer était partie chercher un nouveau pichet de bière qu’elle vint bientôt
placer devant moi.
– Mince ! s’écria-t-elle en s’accoudant au comptoir.
On regardait toutes les deux Logan et Nate en train de jouer.
– La légende n’a rien d’exagéré, souffla-t-elle. Je ne suis pas sûre que la
moitié de ces filles pourraient tenir le choc si Mason était là aussi. Ton petit ami
et ton demi-frère ? Mais il y a autre chose. Je ne crois pas que Cain University se
soit rendu compte des personnalités qu’ils allaient recevoir en acceptant leurs
candidatures.
– Techniquement, ils n’ont accepté que la candidature de Logan. Pour
Mason et pour moi, c’était déjà fait. On avait tous les deux reçu des bourses par
ailleurs.
– Toi ?
– En course à pied.
Elle haussa ses sourcils parfaitement dessinés.
– Tu fais de la course ?
– Oui.
J’étais partie tôt ce matin, mais j’éprouvais déjà le besoin de me déstresser
avec une heure de jogging.
Logan capta mon attention. Il nous observait en attendant que Nate rate son
coup. Il m’interrogea du regard et je répondis non de la tête tout en bloquant mes
mains sous mes jambes. Tout allait bien. Je n’avais pas besoin qu’on vienne me
sauver.
Néanmoins, Logan vint se caler entre Summer et moi, obligeant ma coloc à
déplacer légèrement son siège. Ce ne fut qu’un léger mouvement que les autres
ne remarquèrent pas forcément, mais elle plissa les yeux. Elle avait tout pigé.
C’était une fille intelligente, ou du moins avertie des différentes tactiques
que les gens pouvaient adopter. Planquée derrière Logan qui s’était tourné vers
elle, je le vis m’adresser un petit signe de la tête pour m’indiquer que je faisais
toujours partie de la conversation, mais il avait mis une bonne distance entre
Summer et moi.
Bien joué.
– Alors, coloc de Sam, commença-t-il d’un ton empressé, si tu me parlais de
toi ?
Elle déglutit avant de répondre :
– Euh… qu’est-ce que tu veux savoir ?
J’envoyai un coup de coude à Logan :
– Je t’ai dit qu’elle posait pour des photos.
– Ah ah ! s’esclaffa-t-il. Et l’intrigue se noue. Non, sérieux, tu es la coloc de
Sam. Je sais que je me suis conduit comme un sale type, mais j’aime beaucoup
Sam. Elle fait partie de ma famille, c’est important pour moi.
Summer me jeta un coup d’œil tandis que Logan poursuivait avec un petit
sourire :
– Raconte-nous tes plus grands, tes plus noirs secrets !
Elle reporta son regard sur lui, le souffle coupé.
– Allez, insista-t-il, en toute franchise. Je sais que tu es une super-fan de
Mason. En supposant qu’il se mette à baiser Sam dans votre chambre, on
voudrait savoir si tu n’irais pas crier partout que c’était toi, en fait ?
– Logan ! m’écriai-je en lui frappant l’épaule.
Ce qui ne le dérangea pas le moins du monde. Il ne quittait pas des yeux ma
coloc rougissante.
– Je vois d’où tu tiens ta réputation de taré, lâcha-t-elle.
– Tu n’as pas répondu à ma question.
– Logan !
Cette fois, ça suffisait. Je commençai à me lever.
Mais il bloqua ma chaise, m’empêchant de bouger. Si je voulais en
descendre, il faudrait que je me faufile contre lui, de beaucoup trop près.
J’aimais bien mon presque demi-frère, mais pas ainsi. Alors je restai là, tandis
qu’il continuait d’interroger ma coloc.
– Oui, dit-elle d’une voix cassée, je suis fan de Mason parce que c’est un
dieu du football, et je continuerai quand il passera pro. Mais vais-je pour autant
rêver qu’il me baise quand il est avec ma coloc et nouvelle amie ? Sûrement
pas ! Tu ne manques pas d’air d’insinuer un truc pareil !
Impassible, il se rapprocha d’elle :
– En tant que membre de la famille, j’ai le droit de vérifier qu’elle ne risque
pas de se faire entuber.
– Allez, dis-je attrapant le bras de Logan. Il faut y aller.
Il ne bougea pas.
– Logan !
Finalement, il lâcha prise, sans toutefois se détacher de son regard ; une
menace silencieuse semblait s’être installée entre eux.
Bon, si ma coloc ne le détestait pas déjà, là c’était fait.
Cette fois, je me levai, essayai de lui adresser un sourire rassurant tout tirant
Logan derrière moi.
– Excuse-nous un instant. Il faut que j’aille engueuler quelqu’un en privé.
Avant de me suivre, il désigna du doigt Summer à Nate ; celui-ci fronça les
sourcils, mais vint vite prendre ma place.
Une fois dehors, je criai à Logan :
– Qu’est-ce que tu fous ? C’est ma coloc !
– Je tiens à fixer les limites dès que possible.
Il s’assit sur une table, posa les pieds sur une chaise, les coudes sur les
genoux, et joignit les mains en me regardant fixement.
Il n’en avait rien à fiche. Ça m’arrêta net. Je pourrais lui faire tous les
discours, tous les reproches que je voudrais, ça tomberait dans l’oreille d’un
sourd. Je perdrais mon temps. Finalement, j’allai m’asseoir à côté de lui en
soupirant :
– Il fallait que tu sois aussi lourd avec elle ?
– Oui, sourit-il en m’attirant près de lui. Comme toi, tu l’aurais été avec moi.
Certes, il avait raison. J’insistai :
– N’empêche.
Il me serra contre lui.
– Je l’aime bien.
– Tu m’étonnes.
– Elle a des couilles, rigola-t-il. Genre Heather, mais en plus fort. Tu vois ?
Et puis, elle en pince pour Mason comme joueur de foot. Ça saute aux yeux.
Chaque fois qu’on parlait de résultats avec Nate, elle avait les yeux qui
brillaient. Elle ne perdait pas un mot de ce qu’on disait.
– Vous parliez de résultats de foot ? m’étonnai-je.
Et moi, pendant ce temps, je regardais les filles qui le dévisageaient avec
adoration. Je cherchais les futures obsédées de Logan Kade.
– Laisse tomber.
– Ah…
Sa voix baissa d’un ton. Un frisson d’alerte me parcourut. Le côté sérieux de
Logan allait ressortir.
– Je suis content de te voir ici ce soir.
– C’est vrai ?
– Oui. Attends, tu ne l’as pas dit à Mason ?
Je fis non de la tête.
– Écoute, souffla-t-il, ne t’en fais pas.
Vraiment ?
– Je t’assure. Mason veut que tu passes une année normale d’université, ce
qui suppose assister à des soirées. Qu’est-ce que je fais là, d’après toi ? Il sait
que tu es assez intelligente pour te prendre en main…
– Et toi ? coupai-je. Parce que ce n’est pas l’impression que tu m’as donnée
en déconnant avec ma coloc.
– Sam… se renfrogna-t-il. Tu ne la connais même pas. Pourquoi la
défendre ?
Il avait raison. Ce n’était pas ma meilleure amie, j’essayais juste de m’en
convaincre.
– Désolée. Merci. Tu as eu raison de faire ça.
– Ce n’est pas Heather, ajouta-t-il doucement.
– Tiens, au fait…
Il dut saisir un soupçon dans ma voix, s’adossa à son siège.
– Tu ne vas pas gâcher mon amitié avec elle ? ajoutai-je.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
À sa façon de détourner les yeux, je perçus un sentiment de culpabilité. Il
voyait très bien ce que je racontais. Je lui balançai un petit coup de pied.
– Je sais que vous avez couché ensemble.
Un soupir lui échappa, il se frotta le menton.
– C’est Mason qui t’a dit ça ?
– Il le savait ?
– Euh… Enfin, je veux dire…
Je tranchai d’un geste de la main. Peu importait.
– Ne me prends pas pour une idiote ! Vous avez dansé le slow presque toute
la soirée et après, vous avez disparu ensemble. Je vous ai envoyé un SMS, mais
aucun de vous n’a répondu. J’ai pigé. Elle a rompu avec Channing, de toute
façon, et vous vous êtes toujours bien entendus, tous les deux.
Il se pencha en avant, se passa la main dans les cheveux en soupirant, avant
de la laisser retomber sur sa jambe.
– Désolé, Sam. J’aurais préféré que tu ne le saches pas.
– Je serais la plus nulle des sœurs et des amies si je n’avais pas pigé.
– Mason nous a engueulés. Il ne voulait pas que tu sois au courant, il disait
qu’on allait te gâcher cette belle soirée… tu sais, celle où tu retrouvais enfin une
famille. Désolé.
Mason avait fait ça ? Un flot d’émotions me réchauffa le cœur et je ne pus
réprimer un sourire béat.
– Tu vas le retrouver au lit ce soir ? railla Logan.
– Sans doute, oui. C’était trop mignon de sa part.
Il me décocha un regard noir et je compris qu’autre chose le contrariait. Il
s’interdisait d’en parler. Je n’osai insister, de peur que ça ne se rapporte à
quelque chose de plus grave, peut-être même à Park Sebastian. À la place, je
montrai la maison :
– Tu pourrais éviter de faire encore chier Summer ?
– Promis, dit-il en me tapotant le menton. Je voulais la prévenir, qu’elle ne
nous emmerde pas.
– Tu croyais qu’elle en avait l’intention ?
– C’est un mannequin, Sam. Elle a son ego. Ça se voit. Ce genre de fille
croit pouvoir piétiner les autres et s’en tirer sans peine. Je voulais lui faire savoir
que, oui, elle est chaude, mais ce n’est pas la seule meuf du coin, non plus. Bon,
ça suffit.
Il baissa la voix, l’air encore plus sérieux :
– De toute façon, je comptais venir te voir demain, mais puisqu’on se
retrouve là… Je sais que Mason veut que tu l’appelles si tu vois Sebastian ; je te
demande de m’appeler plutôt moi, à la place.
– Pourquoi ?
– Parce que Mason est pieds et poings liés. Il ne peut rien faire – du moins
pas en public. Ça gênerait sa carrière de footballeur. Il ne voudra jamais
l’admettre, mais il est un peu comme un politicien, maintenant. Il doit surveiller
tout ce qu’il fait et dit. Ça lui retomberait dessus.
Un frisson me parcourut le dos. Les conséquences qu’il évoquait devenaient
plus réelles à mes yeux et ça commençait à me faire vraiment peur. Je devais
m’assurer qu’il n’arrive rien à Mason.
Je sentis le regard de Logan peser sur moi. Il attendait mon approbation. Je
la lui donnai :
– D’accord.
– Sérieux. C’est moi que tu dois appeler, pas lui. Je peux me faire virer de la
fac, ça ne me posera pas un grand problème. Je n’aurai qu’à en choisir une autre.
Même si celle-ci est la meilleure pour le foot. Je m’en sortirai. Tandis que lui,
rien ne doit lui arriver. Je peux me battre. Pas lui. Il doit faire très attention,
surtout avec cette tête de nœud, une tête bien pleine, crois-moi.
Je m’obligeai à hocher la tête. Et le moment de sérieux passa. Logan reprit
d’un ton plus léger :
– Enfin, tu vois ce que je veux dire. Je ne vais pas te faire un dessin…
J’écartai son genou un peu trop proche du mien.
– On doit retourner à la soirée, dis-je en me levant. Et je vais boire. Quant à
toi, arrête de me parler de têtes de nœud, bien faites et bien pleines ou pas. Tu
n’as qu’à appeler Heather si tu as envie de poursuivre ce genre de conversation.
Je suis sûre qu’elle a ses propres théories sur ce genre de chose, mais pas moi.
C’est dégueu.
Il descendit de la table en riant, avant de me suivre à l’intérieur. Juste avant
d’ouvrir la porte, il me saisit le bras, l’air de nouveau sérieux.
– Ça n’a rien à voir avec Sebastian, mais avec Jax.
J’attendis la suite. Jamais encore il ne m’avait parlé d’Heather et je n’étais
pas certaine d’avoir envie de savoir. Cependant, je me tus.
– Jax et moi… t’inquiète, ça ne bousillera pas votre amitié.
J’observais son visage éclairé par la lune.
– C’est la première règle qu’elle ait établie entre nous, dit-il en détournant
les yeux. Quoi qu’il arrive, il ne fallait pas te faire souffrir. On se l’est promis à
tous les deux.
– Bon, tant mieux pour moi. Au fait, tu ne pourrais pas plutôt envoyer chier
les deux autres meufs de mon étage ? Apparemment, elles sont déjà en train de
tomber amoureuses de toi et je n’ai aucune envie de me taper ce genre de
problème, surtout quand je vais aux toilettes. Je ne tiens pas à ce que l’une ou
l’autre me saute dessus dans ma cabine pour me demander un rendez-vous avec
toi.
– Ah !
Il redressa les épaules. Son habituel sourire moqueur reparut et, d’un seul
coup, le sévère Logan fit place au séducteur. Levant les bras au-dessus de la tête,
il fit mine de se faire craquer les doigts.
– Je vais voir ce que je peux faire, Sam, mais je suis comme un dieu parmi
les mortels. Je ne saurais empêcher quiconque de tomber sous le charme de ceci.
Il désigna son corps avec un clin d’œil.
– Les filles adorent ce qu’elles ne peuvent avoir.
– Ça va ! grondai-je en rigolant. Tu te dévoues déjà beaucoup comme ça.
Éclatant de rire, il attrapa la porte que je venais d’ouvrir. Son bras passa de
nouveau par-dessus ma tête tandis que la musique nous envahissait les oreilles.
En apercevant notre équipe sur la piste de danse ou sur les canapés, je compris
que les conversations sérieuses étaient terminées pour la nuit.
Maintenant, on pouvait s’amuser.
Summer était en train de danser, les bras levés, les hanches suivant le
rythme, quand elle m’aperçut et me fit signe. À voir son large sourire, j’en
conclus que Logan n’avait pas dressé une barrière infranchissable entre nous.
Je vérifiai qu’il voyait ce que je faisais, puis rejoignis Summer sur la piste.
Kitty s’écarta pour me faire place dans leur petit cercle. J’aperçus Nina sur un
canapé, à côté de Blaze toujours en toge, mais cette fois c’était lui qui s’occupait
du fût. Elle paraissait prête à nous rejoindre quand il lui passa un bras autour de
la taille et je me mis à rire. Elle rassembla les jambes comme pour s’interdire de
bouger.
J’avais l’impression que tout se passerait bien avec ces gens.
Première étape réussie.
Je me faisais des amis.
CHAPITRE
8
Mason
– Tu traînes, Kade.
Je m’arrêtai en plein sprint pour reprendre mon souffle tandis que Drew
arrivait à ma hauteur. Il avait raison.
Sam s’était glissée dans mon lit la nuit passée et j’avais adoré chaque minute
de nos retrouvailles mais, au bout d’une heure, on avait jugé qu’elle devrait
plutôt se réveiller dans sa chambre. Sa décision de passer le premier mois à la
résidence allait nous peser à tous les deux, d’autant que je devrais encore passer
une heure à la ramener chez elle. Je l’accompagnai jusqu’à l’entrée et on resta un
bon quart d’heure devant la porte avant qu’elle ne se décide à l’ouvrir. Je
traînais, mais tant pis.
Au souvenir de Sam en train de me chevaucher, puis de se pencher pour me
caresser les jambes avec ses cheveux, je retrouvai assez d’élan, si bien qu’en
repartant avec Drew, comme si on faisait la course, je le dépassai à mi-parcours.
Et je dus l’attendre à l’arrivée.
– Qui est-ce qui traîne, maintenant ? lançai-je en riant.
Il se pencha en grognant, me lança une serviette.
– Gros malin.
– Il en faut, dis-je en m’essuyant la figure. Matteo est parti.
Il ralentit tandis qu’on se dirigeait vers un banc pour boire de l’eau. On avait
passé le début de la matinée à courir ; ensuite, on alla rejoindre les autres au
vestiaire pour discuter un peu avec les coaches adjoints, après quoi ils nous
laissèrent retourner à nos exercices individuels. Drew me rejoignit à la fin d’un
sprint. Il fallait que j’en effectue encore un autre avant de retourner à mes cours.
Il me suivit sur la piste pour m’annoncer :
– Matt a appelé hier soir. Il a dit que son père avait été renversé par un
chauffard ivre.
– Il va manquer la fac ?
– Je ne sais pas. D’après lui, oui, il doit s’occuper de sa famille jusqu’à ce
que son père sorte de l’hôpital et puisse reprendre le travail. Ils sont assez
traditionalistes. Les hommes font vivre la famille, et tout. Avec un père hors
circuit, c’est sur lui que retombent ces charges. Pourtant, il a des frères et sœurs,
et leur mère est femme de chambre je ne sais où.
C’était trop nul. Drew me regarda en coin.
– Tu as vu le coach ?
– Oui, dis-je le cœur serré. Je suis sur le banc de touche pour les deux
premiers matchs.
– Sérieux ?
– J’ai manqué le premier mois d’entraînement.
– Ce n’était pas ta faute. Ça venait de l’université
– Oui, mais à cause de ma bagarre avec Sebastian, je paie les pots cassés.
Drew n’était pas au courant pour l’incendie du pavillon. Ni lui ni personne, à
part Nate, Logan et Sam. J’étais innocent aux yeux de tous les autres. Idée qui
me souleva le cœur. Drew ne réagirait pas de la même façon s’il savait, mais je
ne regrettais pas ce que j’avais fait, pas après ce que Sebastian avait tenté de
m’infliger – me priver de mon avenir au football.
– N’importe quoi ! gronda Drew. C’est nul, tout ça, mais je suis content que
tu l’aies remis à sa place. Quand sa fraternité a été dissoute, tout le campus s’est
réjoui. Je sais que ça a plu à Matteo et aussi à Lane, parce que Sebastian avait
refusé de l’aider, il y a deux ans, en le laissant privé de bourse après sa blessure.
Sebastian n’est qu’un connard borné. À ta place, je me méfierais. Tu te doutes
qu’il va vouloir se venger.
Je serrai les dents. Inutile de me le rappeler. Je le savais mieux que
quiconque.
– Football, université et ma famille – voilà mes priorités, un point c’est tout.
– Bon. On protégera tes arrières, tu le sais.
– Merci.
On arrivait à la fin de notre premier circuit sur la piste.
– Kade, lança un coach, termine ta série et file. Tu as un cours qui t’attend.
Drew m’adressa un signe de la tête tandis que j’entamais un deuxième tour.
Samantha
Réveillée par l’odeur du café, j’aperçus la silhouette de Summer dans
l’encadrement de la porte, sur son trente-et-un, avec un top blanc fluide d’où
émergeait une épaule et qui lui descendait jusqu’à mi-cuisses. On aurait dit une
robe pour aller en boîte. Mais elle portait aussi un jean et des talons hauts. Ses
bracelets tintèrent quand elle déposa une tasse sur ma table de nuit.
– Ruby a une cafetière dans sa chambre, annonça- t-elle, l’air émerveillée en
humant son cappuccino. J’adore notre conseillère de résidence.
Elle s’assit à son bureau, me désigna d’un geste :
– Et elle t’adore, ajouta-t-elle. Un petit oiseau Blaze lui a chanté ce matin un
air sur ton demi-frère, et elle veut répondre à ses attentes.
– Ah oui ? dis-je en grinçant des dents.
Elle me regarda descendre du lit.
Je saisis d’abord ma tasse. J’avais plus important à faire que m’habiller.
D’abord, avaler une gorgée. La robe de chambre viendrait ensuite. Un rêve
caramélisé.
– Merci.
– Si un jour tu ne me retrouves pas, c’est que j’aurai déménagé à l’étage de
Ruby. Elle connaît le meilleur moyen de combler les étudiantes en première
année tout en évitant de nous faire prendre quinze kilos : entretenir notre
addiction à la caféine.
En souriant, je reposai mon cappuccino sur le bureau.
– Alors… poursuivit Summer en avalant une autre gorgée. Je n’ai pas pu
m’empêcher de repérer ton retour ce matin, ça m’a évité de te marcher dessus. Je
ne sais pas pourquoi j’ai choisi le lit du haut. Je peux faire ma curieuse en te
demandant pourquoi tu as changé d’avis cette nuit ? Je croyais que tu devais
rentrer avec Logan ?
– Oui, dis-je en bâillant et en m’étirant.
Prise d’un frisson, je finis par enfiler ma robe de chambre.
– Je suis rentrée avec lui et j’ai rejoint Mason au lit.
– La légende du football, soupira Summer.
– Euh… oui. Et voilà, il m’a ramenée. Ça risque de continuer comme ça
pendant un mois.
– Je ne voudrais pas jouer les perverses, je ne mate pas ton mec parce qu’il
est superbe, mais voilà des années que j’en pince pour Mason Kade. Je connais à
peu près toutes ses statistiques, tous ses résultats depuis la classe de seconde. Je
suis vraiment dingue de foot. Tu sais, la plupart des filles seraient prêtes à
t’assassiner pour pouvoir prendre ta place, mais pas moi. C’est le foot qui
compte pour moi. Voilà tout.
Elle paraissait sincère. Je l’avais vue tout émue le soir où Nate et Logan
avaient échangé des souvenirs de matchs. Mais c’était une fille. Et Mason était
Mason. J’aurais dû entendre une sonnerie d’alarme dans ma tête, mais non.
– Tu sais, répondis-je, j’ai vu des filles perdre la tête et s’en prendre à moi,
alors fais gaffe si tu essaies !
Je ne la quittai pas des yeux. Les choses se passaient plutôt bien entre nous.
On apprenait à se connaître, seulement là, c’était autre chose. Autant qu’elle voie
tout de suite que je demeurerais inflexible sur certains points. Elle se redressa,
mais ne détourna pas le regard. Bon point.
– Sans vouloir te décevoir, dis-je alors, tu perdrais la partie. Si tu cherches à
le conquérir, si tu me mens, là, si tu es prête à me manipuler, ça ne marchera pas.
J’en ai vu d’autres avec des filles plus féroces que toi, elles se sont toutes
plantées. Jamais elles ne gagneront, alors si tu as ce projet derrière la tête, tu
oublies. Parce que tu n’aurais pas seulement affaire à moi mais aussi à Mason et
Logan. On forme une famille à nous trois. Personne ne se mettra entre nous.
Un lent sourire lui étira les lèvres.
– Nous y voilà.
Elle baissa la tête, comme si elle guettait l’arrivée d’un lion. Sans peur ni
méfiance, juste un constat et une forme d’excitation. Elle déposa son cappuccino
sur son bureau, mais ne détourna pas les yeux.
– Je voulais rencontrer la vraie Samantha depuis que j’ai compris qui tu es.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– Je n’avais pas entendu parler que de Mason et de Logan. Tu as mis le feu à
la voiture de ton père, Budd Broudou, quand il était en prison, et tu as obtenu
que Brett Broudou te protège. Chapeau, la meuf ! Moi qui m’enflamme sur une
course de cinquante mètres pour un touchdown… tandis que beaucoup d’autres
filles sont plus galvanisées par celle qui a pu dompter Mason et Logan Kade.
– Des filles ?
– Oui, sourit-elle. Je connais quelques lesbiennes qui aimeraient avoir ton
numéro de téléphone. En rentrant chez moi, il faudra que je les chasse à coups de
batte de base-ball quand elles apprendront qu’on était colocs.
– Attends, je devrais m’inquiéter que tu ne m’en aies pas parlé jusque-là ?
– D’accord, dit-elle en repoussant ses cheveux derrière les oreilles. J’aurais
peut-être dû te dire dès le début que j’étais au courant pour toi, mais je ne
voulais pas passer pour une perverse. Quand j’ai appris qui serait ma coloc, j’ai
failli pisser dans mon froc. Je ne l’ai su qu’en arrivant ici, hier. J’avais reçu une
lettre de la résidence m’annonçant que ma coloc avait changé à cause de
complications et je devais leur dire si ma nouvelle affectation ne me convenait
pas.
Elle but un peu de cappuccino en riant. Croisant les chevilles, elle s’était
posée au bord de sa chaise et appuyait la tête contre le mur derrière elle.
– Bien sûr, je n’ai rien dit. Tant que tu peux supporter mon obsession pour le
foot et le fait que je te trouve super, et que je me demande si je ne suis pas un
peu lesbienne, moi aussi. Je crois que cette année va être géniale.
Je ne savais pas trop comment prendre tout ça. Mason se fierait à son instinct
et me conseillerait d’en faire autant. Je me sentais à l’aise, tout ce qui me gênait,
c’était l’idée de ne ressentir aucune inquiétude avec elle. Alors, je continuai à
déguster mon cappuccino en haussant les épaules.
– D’accord, dis-je.
– D’accord… comme d’accord, ça va ? Comme, d’accord, je ne te fais pas
peur ?
– Oui, sans doute. D’accord.
Elle poussa un petit cri de joie en lançant un poing en l’air, avant de le
rabattre sur sa bouche.
– Pardon. Là, c’est la dingue de foot qui te répond. Je ne te conseille pas de
t’asseoir à côté de moi au prochain match. Sérieux, je suis barje.
– N’empêche que tu en sais plus sur moi que moi sur toi.
– Quoi ? Tu veux que je te raconte des anecdotes gênantes sur mon métier de
modèle ? Je suis sûre que tu as déjà eu affaire à des salopes vaches et
psychopathes. Tu n’as pas idée. Un jour, j’étais en train de poser quand une fille
a mélangé de la crème dans le lait à zéro pour cent d’un mannequin, pour lui
faire prendre un kilo avant un casting le même jour. Une autre a changé les
étiquettes de boîtes de soupe pour lui faire croire qu’elle en consommait une
basses calories. Tu te rends compte ? Il y a eu aussi celle qui a voulu tordre un
de mes talons aiguilles pour que je me casse la figure. Elle m’a dit « tu vas
casser la baraque » avec une telle frénésie que j’ai su qu’il fallait le prendre au
premier degré.
– Ouf !
– Oui. Si tu veux des tuyaux pour savoir comment en faire baver à une
psychopathe, tu as une spécialiste dans ta chambre. J’y ai eu droit plus souvent
qu’à mon tour.
Là, je crus entendre la voix d’Heather dans ma tête. Vas-y. Récupère l’info.
Ce genre d’indice pourrait toujours être utile. Je me mis à rire, mais ma joie fut
de courte durée.
Je n’avais pas parlé de Logan à Heather avant qu’on se sépare. On s’était dit
au revoir. C’était bizarre, mais je la voyais déjà trop lutter contre les larmes. Moi
aussi, mon service de l’après-midi chez Manny’s me manquerait. Je savais
qu’Heather voudrait tout savoir sur Summer. Elle trouverait dingue que je tombe
précisément sur une coloc mannequin obsédée de football.
– Sam ?
– Hein ?
Summer se tenait devant la glace, en train de tirer sur la couture de son
chemisier, quand elle me désigna le téléphone qui sonnait à côté de moi.
– Tu veux que je le prenne ?
Dring.
Je sursautai, manquant renverser mon café en tendant le bras.
– All…
Mon café se renversa bel et bien et je redressai la tasse avant d’en répandre
davantage sur le bureau.
– Pardon. Fichu café. Allô ?
– Samantha ?
Je me rembrunis.
– Malinda ?
Summer se leva et se dirigea vers la porte.
– Je vais dans la chambre de Ruby.
Je hochai la tête et elle ferma derrière elle.
– Malinda, vous n’êtes pas en lune de miel avec papa ?
– Si, mais ça ne veut pas dire que je ne pourrai plus harceler ma nouvelle
belle-fille pour autant. Ton père m’en a empêchée hier. J’ai essayé ton mobile,
mais c’est Mason qui a répondu. Il m’a donné le numéro de ta chambre et
chargée de te dire qu’il va repasser te voir pour te rendre ton appareil.
– Ah oui ! Je l’avais oublié dans sa chambre.
– Et je vois que vous vous en tenez bien, tous les deux, à votre serment d’un-
mois-à-la-résidence. Mes félicitations.
Je soupirai en essayant d’attraper mes vêtements, le téléphone coincé entre
mon oreille et mon épaule.
– On verra combien de temps ça durera. Je ne vis pas avec Mason depuis
plus d’un an. Je n’ai qu’une envie, c’est de le retrouver, d’être avec lui, au lieu
de rester avec des gens que je ne connais pas encore.
– Pas encore, exactement. Je suis si fière de toi, Samantha ! Ton père aussi,
et il me harcèle pour que je lui passe l’appareil.
– Pas vrai, dis-je en sortant un tee-shirt du placard. Il a dû quitter la pièce
quand vous avez dit ça, non ?
Elle pouffa de rire avant de répondre :
– Toi et ton père ! Ce n’est pas parce que vous êtes l’un à côté de l’autre
qu’il existe une complicité entre vous. Vous devriez vous parler davantage.
– On se parle.
– Seulement quand vous y êtes obligés.
Elle semblait déconcertée, et il y avait de quoi.
– Comment va Mark ? demandai-je.
J’entendis comme un sifflement dans le combiné.
– Mon satané fils ! Je l’aime, mais il est parfois si bête ! Il a décidé de suivre
ton exemple pour prouver à quel point il est indépendant. J’aurais préféré qu’il
s’en abstienne. Il avait oublié ses clés dans sa voiture et il ne voulait pas que je le
ramène à son campus. Quand il les a récupérées, il n’avait pas assez d’argent
liquide pour payer le serrurier et ils ont dû aller en tirer dans un distributeur. Il a
payé le type et il a encore dû régler dix dollars pour retourner à sa voiture. Après
quoi, il a oublié de la verrouiller.
– Oh non…
– Comme tu dis. On la lui a volée. Toutes ses affaires ont disparu. Il a fallu
qu’on lui envoie encore de l’argent une fois qu’il a eu porté plainte et regagné sa
résidence. J’avais pris nos billets d’avion et on s’apprêtait à le rejoindre quand il
a rappelé, hier soir. Les flics avaient retrouvé sa voiture et certaines de ses
affaires dedans. Dès notre retour des Bahamas, on va le voir pour nous assurer
qu’il a tout ce qu’il lui faut. Ce garçon veut ma mort, je t’assure. Pourtant, je
l’aime plus que jamais. Vous me rendez si fière, tous les deux ! Malgré les
ennuis de Mark.
Je souris. Elle avait le bonheur contagieux. Je décidai de raconter l’aventure
de Mark à Logan qui ne se gênerait pas pour le taquiner à mort.
– Bon, ton père me fait signe. Si on ne s’en va pas maintenant, on va
manquer la promenade à cheval. Lui, il s’en fiche, mais moi j’y tiens beaucoup.
Je veux prendre une photo de cet étalon sur un autre étalon, pour la mettre sur
Instagram une fois rentrée à Fallen Crest. On n’a pas fini de plaisanter là-dessus.
Je suis ravie ! Au revoir, Sammy. Je t’aime !
Sammy.
J’étais plutôt estomaquée lorsqu’elle raccrocha. En entendant la tonalité, je
ne savais plus si je lui avais dit au revoir ou non, mais elle m’avait appelée
Sammy.
J’étais encore assise sur place, à entendre ce nom se répéter dans ma tête,
lorsque Summer s’éclaircit la gorge.
– Oh pardon ! dit-elle en voyant que j’allais raccrocher. Tu as fini. Euh… je
voudrais te prévenir de quelque chose.
– Quoi ?
Elle ferma doucement la porte et ses mains restèrent dans son dos quand elle
s’appuya dessus.
– Kitty et Nina campent au bout du couloir. Elles m’ont demandé quatre fois
quand je pensais que tu allais te rendre à ton cours. Depuis hier soir, elles sont
tombées amoureuses de Logan Kade et c’est triste à dire, mais elles n’ont pas
fini de te harceler avec ça. Je leur ai indiqué que tu n’avais pas cours jusqu’au
déjeuner, seulement elles ne m’ont pas crue. Je crois qu’elles vont t’attendre et te
sauter dessus dès que tu sortiras – tu sais, jouer les super-copines au point que tu
vas devoir les envoyer bouler pour t’en débarrasser. Elles sont encore trop
débutantes. Si seulement je pouvais leur apprendre comment bien harceler
quelqu’un !
Elle se mit à rire.
– Non, je plaisante, ajouta-t-elle en se raclant la gorge. Mais bon… il faut
qu’on mette au point un plan pour les occuper pendant que tu te glisseras dehors
par-derrière. Elles auraient dû se répartir la tâche, une dans l’entrée, l’autre
devant la porte du fond qui ne se ferme que de l’extérieur, et l’alarme ne
fonctionne pas dans la journée.
– Quoi ?
Elle frappa dans ses mains.
– Exactement ! Que l’opération Distraction commence !
Ce fut là qu’elle repéra mon pyjama.
– Enfin, dès que tu seras habillée.
CHAPITRE
9
Les deux filles nous attendaient effectivement derrière la porte. Nina portait
son sac à dos sur les genoux, tandis que Kitty jouait avec ses cheveux ramenés
sur le visage. Summer passa devant elles et fit mine de trébucher sur les pieds de
Nina. Ce qui ne parut pas affoler sa copine ; alors, repérant la bouteille d’eau à
leurs pieds, Summer la heurta au passage.
J’attendis que les filles se lèvent. Nina aida Summer tandis que Kitty
récupérait sa bouteille avant qu’elle ne dégringole sur les marches.
À mon tour de jouer.
Je me glissai jusqu’à l’escalier de service et arrivai en vue de la porte du
fond. Summer avait raison. Une étudiante entra tandis que je descendais les
dernières marches. Aucune alarme ne retentit. Alors, je sortis.
J’attendais devant la rangée des vélos lorsque Summer apparut, morte de
rire. Elle tenait encore sa tasse de café qu’elle avait remplie chez Ruby avant de
lancer l’opération Distraction.
Elle en avait également pris une pour moi.
– Logan n’a pas été assez nul pour dégoûter ces nanas. Je crois qu’il a juste
réussi à les allécher ce qu’il faut pour qu’elles veuillent toutes les deux
l’épouser. Nate ne va pas aimer. Au début, c’était lui que Kitty visait.
– Je crois que ça ne l’empêchera pas de dormir.
– Qui sait ? Elle aurait pu devenir l’amour de sa vie.
Summer accéléra le pas alors qu’on arrivait en vue des bâtiments de cours, si
bien qu’elle se retourna pour continuer à reculons. Elle remua les sourcils d’un
petit air enthousiaste.
– Et si Kitty était vraiment la fille faite pour lui ? Qui sait ? Il pourrait finir
par se tromper sur toute la ligne. Tu crois en ce genre de chose ?
– Qu’est-ce que tu racontes ?
Elle pressa le pas, toujours à reculons, me fit signe de la suivre.
– Je veux dire que tes décisions d’aujourd’hui pourraient impacter ton
avenir. Tu vois le genre. Je n’étais sans doute pas destinée à devenir ta coloc,
mais celle de quelqu’un d’autre, sauf qu’il s’est passé un truc imprévu. Disons,
par exemple, que la personne en question ait commis un acte horrible. Qu’elle ait
pris une décision qui aura bouleversé son avenir, et donc le nôtre. Toi et moi
n’étions pas destinées à nous connaître, encore moins à devenir les excellentes
copines que nous allons être. Ou pas. Peut-être que cette fille aurait pu être
l’amour de la vie de Nate, ou même de Logan. Tiens, montrons-nous
ambitieuses. Tu crois à ce genre de chose ?
– Non, dis-je prise d’un léger vertige. Pourquoi ?
Summer se mit à rire et, virevoltant, revint marcher à côté de moi, elle
haussa une épaule, baissa la tête.
– Je ne sais pas. Je pense que c’est la conséquence de ma haine envers ma
belle-mère. Elle a fait une vraie saloperie à mon père. Je me dis toujours, et s’ils
ne s’étaient pas rencontrés dans ce bar ? Et si ma mère et mon père ne s’étaient
pas disputés ce soir-là ? Et si je n’étais pas arrivée en retard à la maison, ce qui
leur aurait évité cette prise de bec ? Les choses auraient été bien différentes. Plus
agréables…
Elle finit cette phrase d’un ton si grave que je m’arrêtai. Les gens allaient et
venaient autour de nous. Certains nous regardaient de travers, mais la plupart
passaient sans nous voir, pressés de gagner leurs cours.
Je faisais enfin sa connaissance.
Cet instant m’en disait infiniment plus sur elle que toutes les heures que
nous venions de passer ensemble.
Elle était malheureuse.
Elle détestait sa belle-mère.
Elle regrettait son ancienne vie.
Et elle s’en voulait.
Comme si elle se rendait compte qu’elle venait de m’ouvrir une fenêtre sur
son fonctionnement interne, elle me jeta un coup d’œil et demanda en souriant :
– Tu regardes quoi, là ?
Une fille brisée.
– Rien…
Moi. Je me regardais, moi.
Je repris le chemin.
– On y va ? Où a lieu ton premier cours ?
Elle désigna un bâtiment de brique.
– Là. J’ai vérifié la carte hier, quand on a pris nos livres. La librairie est juste
à côté.
Une longue file d’attente s’étirait de l’entrée jusqu’au trottoir. Les gens
allaient et venaient. Certains contournaient la file pour entrer directement. Le
bâtiment voisin comptait quatre étages et, là non plus, l’entrée ne désemplissait
pas. Certains sortaient pour fumer, d’autres discutaient avec des amis. Beaucoup
se tenaient devant la rangée de bicyclettes. On arrivait à un rond-point d’où
partaient cinq voies différentes.
Je pus constater que Summer n’était pas la seule à vérifier sa carte.
Apparemment, il y avait d’autres nouveaux un peu paumés. Quelque part, c’était
rassurant.
– Oui, dit-elle en rangeant le papier dans son dossier. Voilà mon bâtiment. Et
toi, tu sais où se trouve ta classe ?
– Euh… Ives. Pièce trois cent douze.
Plissant le front, elle ressortit son papier.
– D’accord.
Elle s’arrêta, promena un doigt dessus, se retourna et me montra l’édifice
juste derrière nous.
– C’est là.
– Ah bon ?
– Oui. C’est ce que dit ma carte. Donc tu es là, à moins qu’il y ait deux
bâtiments Ives.
J’allais lui dire au revoir quand Park Sebastian vint se planter devant moi,
me bloquant le chemin, un sourire arrogant sous ses lunettes noires. Ses cheveux
toujours plaqués, coiffés sur le côté. Avec son livre et ses cahiers dans les bras, il
avait l’air de sortir d’une brochure d’université. Sa chemise semblait pendre sous
ses larges épaules, par-dessus sa taille étroite et son pantalon cargo effiloché.
Sans prendre le temps de réfléchir, je dis la première chose qui me passa par
la tête :
– On dirait un débile avec ces fringues. Tu te crois branché ? Si tu espères
avoir l’air pauvre, tu as tout faux. Tu te conduis exactement comme un riche
débile.
À côté de moi, Summer retenait son souffle, mais elle finit par éternuer pour
masquer son rire.
Sebastian ne broncha pas. Souriant de plus en plus, il souleva ses lunettes,
jusqu’à ce que je sente un mouvement à proximité. Logan passa devant moi, en
tee-shirt, avec le même pantalon cargo, mais je ne fis aucun commentaire. Logan
pouvait la ramener, se donner des airs de bad boy blindé qui n’en avait rien à
fiche. Je le connaissais. Ça pouvait aider mais, à côté de lui, Sebastian avait
encore plus l’air d’un frimeur.
Summer me lança un regard inquiet.
Mais non, ça ne risquait rien. On était en plein jour, devant un tas de
témoins. Tout se passerait bien.
– Je croyais t’avoir dit de ne pas t’approcher de Sam, lança Logan.
Ce n’était pas une question.
Sebastian recula d’un pas, laissant retomber ses lunettes. Il désigna le
bâtiment derrière lui :
– Je vais à mon cours, Kade. Tu ne vas pas déclencher une bagarre pour ça ?
– Tu lui barres le passage, dit Logan en tendant le bras.
Son sac lui glissa de l’épaule au poignet et il ouvrit les doigts vers moi. Je
pris le sac, l’enfilai en bandoulière. Cela risquait de durer plus longtemps que les
quelques minutes auxquelles j’avais d’abord pensé. Je me mordis les lèvres, jetai
un regard inquiet vers Summer. Elle ne semblait pas vouloir s’éloigner, trop
fascinée par ces deux-là.
– Je te répète que je vais à mon cours.
Logan ne bougea pas.
Pas plus que Sebastian.
Et Summer promenait son regard de eux à moi. J’aurais bien voulu la
rassurer sauf qu’à vrai dire, je ne savais pas du tout ce qui allait se passer.
Je me rappelais trop ce qu’avait dit Logan la veille. L’appeler lui, pas
Mason.
Il ne fallait pas déranger Mason.
Comme s’il lisait dans mes pensées, Logan se déplaça légèrement. Et là,
j’aperçus derrière lui, derrière Sebastian, Mason qui arrivait.
Il sortait du bâtiment où avait lieu mon cours, mon mobile à la main,
l’expression renfrognée, les mâchoires serrées. Je déglutis. En reculant, Logan
me heurta et je bougeai, consciente qu’il se dressait en rempart entre Sebastian et
moi.
J’aurais voulu aller voir Mason, mais le bras de Logan me maintint en place.
Il me saisit par la taille pour que je reste juste derrière lui. Ce qui me rappela son
frère en d’autres circonstances.
– Maman.
– Arrête !
Elle releva sur moi un regard fou.
– T’as toujours voulu qu’on se barre. Il veut pas b’épouser… hic… t’as
raison. Y beut pas. Fini. Finito. Finido…
Je voulus contourner Mason, mais il m’empêcha d’approcher de ma mère. Il
me bloquait le chemin, alors je croisai les bras.
– Maman, tu as trop bu. Tout ira mieux demain matin, promis.
Park Sebastian n’était pas ma mère. Il ne m’avait pas fait vivre des années de
terreur. J’étais déterminée à ne pas me laisser faire. Alors, je repoussai le bras de
Logan. Mason capta mon regard et fronça les sourcils. Je compris
l’avertissement sans qu’il ait besoin de parler. Peu importait. Je n’allais pas le
laisser prendre un coup à cause de moi. Je ne serais pas son talon d’Achille. Il
fallait que Sebastian le sache. Je m’avançai vers lui.
Logan m’attrapa de nouveau, mais je me dégageai. Il voulut me bloquer sur
la droite. Je déviai à gauche. Si bien que je me retrouvai face à face avec
Sebastian. Logan grogna, mais je ne l’écoutais plus.
– Sam !
Je ne le regardais plus.
– Sebastian !
La voix de Mason immobilisa tout le monde. Il parlait d’un ton calme mais
menaçant.
Sebastian ne s’était pas rendu compte que Mason se trouvait juste derrière
lui et il se raidit d’un seul coup. Avant de se déplacer sur le côté de façon à ne
plus se retrouver encerclé de toutes parts. C’est là que Mason se rapprocha de
moi et Logan le contourna pour se poser de l’autre côté. On formait maintenant
un front uni. Les bras croisés, Summer ne perdait pas un seul de nos gestes. Je
préférai ne pas chercher à savoir ce qu’elle pouvait penser. De toute façon, elle
était aux premières loges.
L’atmosphère avait changé du tout au tout avec l’arrivée de Mason.
Le sourire gouailleur de Sebastian avait disparu.
Une aura de tension et de danger flottait sur nous. À proximité, les étudiants
filaient vers leurs cours, mais certains s’arrêtèrent pour assister à la
confrontation.
Personne ne disait rien. Je ne savais plus si je respirais. Sebastian se mit à
rire – du moins il essaya –, mais ça ressemblait plutôt à un cri de colère.
– Bravo, Mason, c’est bien de te planquer derrière moi.
Je me raidis.
Je sentis alors que Mason me glissait quelque chose dans la paume de la
main. Mon téléphone. Je le rangeai dans ma sacoche.
Je perçus la colère qui montait en lui. Il ne montrait rien, mais ses muscles
tendus, durs comme l’acier, en disaient assez. En fait, ils étaient durs comme
l’acier à longueur de temps, depuis son entraînement de cet été, sauf que là, il
irradiait la force ostensiblement.
Avec le monde qui nous entourait maintenant, je me dis que la rivalité entre
lui et Sebastian aurait fait le tour de l’université avant la nuit. Les téléphones se
pointaient sur nous, photographiant, enregistraient. J’espérais juste que Mason
n’allait rien faire de grave maintenant. Ça servirait aussitôt de preuve contre lui.
Logan devait penser la même chose, car il se mit à rire en croisant les bras.
– Non, mais regarde-moi ça, Sebastian ! Tout seul. On a plutôt l’habitude de
te voir avec ta bande, non ?
– Tu es bien placé pour le savoir, rétorqua-t-il. Toujours dans l’ombre de ton
frère. C’est lui le chef. Le génie du foot, tandis que toi… tu es qui, au juste ?
Là, je compris où il voulait en venir.
– Tu n’as pas pu avoir la fi…
– Ça suffit maintenant ! coupai-je.
– Sinon quoi ?
Il avait tapé juste et c’était à moi de l’assumer. Pourtant, je ne savais pas ce
que j’allais pouvoir dire. D’ailleurs la main de Mason venait de se poser sur mon
bras. Et là, je m’aperçus que je l’avais levé, prête à frapper, sans m’en rendre
compte. Cependant, Sebastian l’avait repéré, lui aussi.
– Je devrais sans doute vous plaindre, tous les deux, railla-t-il en me
dévisageant des pieds à la tête. Sauf que vous ne servez à rien. C’est juste Mason
qui compte. Le receveur vedette. Vous deux, vous l’avez juste suivi. Et tout ça
pour quoi ? Pour qu’il vous dise ce qu’il faut faire ou ne pas faire ? Eh bé ! Vous
devez trop vous marrer ensemble.
Je grinçai des dents, mais Mason rétorqua :
– Ça ne marche pas.
– Quoi ?
– On n’est pas normaux, continua-t-il calmement.
Ça ne parut pas plaire à Sebastian qui serrait les lèvres.
– Arrête de les provoquer, poursuivit Mason, pour voir ce qu’ils pourraient
te répondre. Tu ne fais qu’appuyer sur des boutons que d’autres ont sans doute
déjà essayés. Mais c’est faux. Je ne dis jamais à Sam ce qu’elle doit faire. Mon
frère n’est pas jaloux de moi. Tu cherches à provoquer une réaction parce que tu
sais que c’est une faiblesse de la famille. Seulement, tu sous-estimes notre lien.
– Quoi ? Tu veux dire que tu n’es pas un dictateur ? Que tu ne contrôles pas
ta petite amie ?
J’avais envie de me défendre toute seule, mais j’aurais également voulu
défendre Mason. Cependant il m’en empêchait… pour le moment.
Logan se mit à rire, attirant tous les regards sur lui.
– Tu ne retiens jamais les leçons ou quoi ? Tu ne sais rien sur nous ? En fait,
Mason est jaloux de moi, désolé, Sam.
Il me sourit, mais sans entrain. Malgré les apparences, il ne s’amusait pas
vraiment.
– J’adore cette fille. On forme une famille, mais mon frère n’aura plus droit
qu’à son vagin jusqu’à la fin de ses jours.
– Logan ! m’écriai-je. Tu veux me mettre en pétard aussi ?
Il me fit taire d’un geste de la main.
– Tu vois ? reprit-il. Tu l’entends ? Elle est énervée juste parce que je viens
de mentionner son vagin. Je suis sûr que ça t’étonne, Sam, mais tu pourrais
montrer un peu plus de commisération pour Mason, en prison au fond d’une
chatte. Tout le monde sait que vous allez vous marier un jour, et il est dans la
fleur de l’âge. Il devrait s’offrir des petits culs matin, midi et soir, avec quelques
après-midi en rab, si tu vois ce que je veux dire.
– Logan, murmura Mason, viens-en au fait.
– Le fait, c’est la chatte prison. Mon frère a tort, Sebastian.
Celui-ci roula des épaules, apparemment prêt à tout.
– Je ne crois pas que tu sois là pour nous lancer un appât, continua Logan,
voir si on mord à l’hameçon, et trouver notre point faible. Je crois que tu es ici
car tu savais où avait lieu le premier cours de Sam et tu voulais la menacer, peut-
être vérifier si on était dans les parages, tâcher de voir ce qui se passerait ensuite.
Il y a trop de témoins autour de nous. Personne ne peut s’en prendre à toi…
Il s’interrompit un instant.
Sebastian croisa les pieds, mais Logan reprenait déjà :
– Je ne pense pas que tu sois ici dans un but précis. Tu t’es juste montré pour
voir ce qui allait se passer et tout va bien, il ne peut rien t’arriver. C’est sans
doute pour ça que tu es seul. Tu ne voulais pas qu’un de tes gars nous tape
dessus. Pour prendre ta revanche.
Sa revanche ?
Logan haussa les épaules en se rapprochant de lui.
– Tout ce que je sais, c’est que tu as une idée derrière la tête. Mais je
t’avertis. Ne fais surtout pas ça. Barre-toi. Ça pourrait se terminer aujourd’hui,
sinon, si tu fais ce que tu as prévu, ça risque d’aller mal pour toi. Deux mots :
chatte prison. C’est là où tu vas te retrouver – en prison – et tu serviras de chatte
à quelqu’un. C’est la seule fin que je prévois pour toi, sauf si tu m’écoutes en ce
moment et arrêtes ce que tu voulais faire.
Prison…
Un frisson me parcourut. Je n’aurais pas cru que ça pourrait tourner si mal,
mais Logan avait raison. Il y avait bel et bien eu une tentative d’accident avec
délit de fuite, une maison incendiée. Et tout ça n’avait été qu’un début.
Ces merdes avaient bel et bien eu lieu.
Je me rapprochai de Mason qui m’entoura d’un bras. Levant les yeux vers
lui, je vis son regard interrogateur. Est-ce que j’allais bien ? Je fis oui de la tête,
malgré mon cœur qui battait à tout rompre, tandis que la voix de Logan
répétait Prison dans ma tête.
– Parce que tu crois que ça va se terminer ainsi ?
– Voilà deux jours qu’on est arrivés sur ce campus, répondit-il, et on est déjà
tombés deux fois sur toi. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une coïncidence, mais
je te crois assez con pour faire comme si c’en était une.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– Rien. Sache seulement qu’on ne se fait aucune illusion sur ce qui pourrait
arriver et qu’on ne te sous-estime pas le moins du monde. Encore que je sois
d’accord avec mon frère. Je crois que toi, tu nous sous-estimes.
Logan qui se dérobe.
Cette constatation me heurta comme un mur de brique. Et Mason aussi.
Voilà pourquoi sa colère ne le quittait pas. Ils attendaient quelque chose. Je pus
constater que c’était également le cas de Sebastian. Personne ne bougeait plus.
La foule commençait à s’agiter. Tout comme moi, ils guettaient la suite. Sauf
que je savais que ça allait durer toute ma première année et que ça risquait de se
terminer en crise cardiaque.
– D’accord, intervint soudain Summer qui vint se placer entre Logan et
Sebastian. Je ne sais pas trop ce qui se passe ni même qui est ce type. Mais je
peux vous dire qu’il ne va rien se passer du tout. Arrêtez maintenant ! Si vous
continuez vos discussions, ça va finir par péter… enfin…
Elle s’empourpra.
Le Tireur.
La bouche de Sebastian s’étira sur un bref sourire qui disparut aussi vite
qu’il lui était venu. Après tout, c’était ce qu’il voulait, que l’un d’eux l’attaque.
Encore que ce ne pouvait pas être la seule raison. Mason et Logan avaient
raison. Ce serait trop facile. Ça ne ressemblerait pas à un mec comme Park
Sebastian.
Je me sentais de plus en plus mal à l’aise.
Quelque chose n’allait pas.
Quelque chose ne collait pas.
– D’accord, reprit Summer en s’éclaircissant la gorge. Arrête maintenant !
Ils ne vont pas mordre à l’hameçon. Ils ne vont pas se battre avec toi ici.
Elle se tourna vers Mason et Logan :
– Je crois qu’il a capté le message. Vous ne le sous-estimez pas. Compris ?
L’un après l’autre, elle nous interrogea du regard en s’arrêtant sur moi à la
dernière seconde, haussant les sourcils.
– On peut y aller, maintenant ? Jusqu’à la prochaine fois, car il y en aura
une, apparemment. Mais là, je suis en retard pour mon premier cours et j’ai
horreur d’être en retard. Un modèle n’arrive pas en retard à ses photos, c’est bien
ancré dans ma tête, maintenant.
Personne ne dit plus rien. Les garçons ne se quittaient pas des yeux, guettant
la suite. Il allait bien falloir que l’un d’eux attaque ou recule. Je me faufilai
devant Mason.
Personne ne bougea.
Captant mon regard, Summer comprit et en fit autant devant Logan. Je plaçai
les mains sur la poitrine de Mason, sentis son cœur battre et chassai aussitôt la
pointe de désir qui montait en moi. Je commençai à le faire reculer doucement,
le guidai ainsi à travers la foule, vers mon bâtiment.
Summer en fit autant avec Logan, et ils nous suivirent.
Logan ne quittait pourtant pas Sebastian des yeux, mais la pression
s’allégeait.
Mason et Logan finirent par fendre la foule d’eux-mêmes et, bientôt, on ne
vit plus Sebastian. Ce fut là que Logan sourit, passa un bras sur la taille de
Summer et la souleva de terre. Elle poussa un petit cri, davantage de surprise que
de joie, mais, une seconde plus tard, un rire lui échappa tandis que Logan la
jetait sur son épaule.
– Tu m’as bien eu ! s’esclaffa-t-il. Où on va ?
Elle dut se soulever un peu pour le regarder en riant.
– Tu es fou !
– Et dire que tu ne me connais que depuis deux jours !
Il nous fit signe :
– J’emmène cette dame à son cours. Je vais faire tout un binz pour qu’elle
puisse s’y glisser en douce et je présenterai mes excuses à son professeur, puis je
m’en irai pour trouver où a lieu mon propre cours. À plus, les amoureux.
Il s’éloigna, repassa là où avait eu lieu notre confrontation. Dès qu’ils furent
partis, les doigts de Mason enlacèrent les miens. Il m’entraîna vers son bâtiment,
puis dans une salle de classe déserte. Une fois la porte fermée, il soupira :
– Désolé que ça se soit passé comme ça.
Je secouai la tête. Son autre main reposait sur ma hanche, mais je plaquai les
miennes sur sa poitrine, où son cœur battait toujours aussi fort.
– Je ne sais pas trop ce qui s’est passé, ajouta-t-il, mais disons que c’était
inévitable : on devait finir par tomber sur lui. Encore heureux que ça ne soit pas
arrivé dès le premier jour.
Les battements de son cœur ne ralentirent pas pour autant, au contraire.
Entre mes paupières plissées, je vis qu’il ne me regardait pas ; son attention
s’était fixée au-dessus de ma tête, l’air furieux. J’en éprouvai un autre frisson.
Il n’avait pas moufté durant l’échange. Je savais qu’il bouillait de rage, mais
je le croyais un peu calmé. J’avais tort.
– Logan a voulu gagner du temps pour toi, dis-je.
– Comment ça ?
Il ne me regardait toujours pas.
– Tu allais faire quelque chose, non ?
Tout en parlant, je commençais à comprendre. Au courant de ses intentions,
Logan était intervenu pour donner à son frère le temps de se calmer.
– Tu allais le frapper.
Ou pire.
Mason serra les dents et je sentis sa main se crisper sur ma hanche. Ses
doigts s’enfoncèrent dans ma peau.
– En le voyant si près de toi… j’ai paniqué. Sans Logan…
– Mason, dis-je en écartant les doigts sur son cœur.
Je voulais lui donner le courage de se calmer, de redevenir le Mason que je
connaissais, froid et mesuré. Je trouvais inquiétant que Sebastian parvienne si
facilement à l’exaspérer rien qu’en s’approchant de moi.
Il me prit la nuque, m’embrassa sur le front.
– Je t’aime, et ne t’inquiète pas, je vais me reprendre. Va à ton cours. De
toute façon, je crois que la moitié de tes camarades étaient dehors. Tu n’as qu’à
te mêler à elles.
Il me déposa un baiser sur les lèvres.
– À ce soir.
Et il sortit sans me laisser le temps de digérer ses paroles.
Je me retrouvai là, affolée comme je ne l’avais plus été depuis longtemps.
CHAPITRE
10
Mason
Logan m’attendait au pavillon. Dès mon arrivée, je demandai :
– Où est Nate ?
– À son cours. On peut y aller. Sam aussi ?
Je m’assis en face de lui.
– Oui. Elle s’inquiète, mais pas autant qu’elle le devrait.
– J’aime bien sa coloc.
C’était le code pour je vais sauter sa coloc. Je haussai les épaules. Ça
m’avait ennuyé avec Heather, à l’idée que ça puisse blesser Sam. Ce devrait être
encore pire pour la coloc qui vivait avec elle, mais il y avait bien d’autres choses
pires à redouter.
– Il l’attendait.
Logan perdit son sourire.
– Je sais, marmonna-t-il.
Le connard avait voulu la prendre au piège.
– Ça va poser un problème, dis-je.
– Oui, mais je ne sais pas quoi faire d’autre pour le moment. Tu as bien
engagé un mec pour la suivre ?
– Oui.
– Tu as prévenu la fac ?
– Comment ça ?
– C’est quand même un peu relou de voir un garde du corps se balader sur le
campus. Imagine, s’il se fait repérer ?
– Non. Il se fond dans le décor. Ça ne risque rien.
– Ah oui ? dit-il en me frappant sur l’épaule. Quand est-ce que tu me le
présentes ?
– Jamais.
– Quoi ?
– Non. Je me charge de lui. Je veux que Sam et toi profitiez bien de votre
première année. Si j’apprends qu’il se passe quelque chose, je t’avertirai.
D’accord ?
Je le regardai bien dans les yeux pour lui faire comprendre que je ne
plaisantais pas. Logan se rembrunit, mais ne dit rien.
– J’utilise la même agence que papa. Tu sais qu’ils font du bon travail.
– Je trouve ça nul.
– Logan, je prends mes responsabilités.
– Quoi ?
– Oui. C’est moi le grand frère. Et puis, c’est à cause de moi.
Il allait répliquer, l’air de me défier, puis il finit par lever la main, alors je
repris aussitôt :
– Un semestre.
– Quoi ? dit-il en la rabaissant.
– Un semestre. Je me charge de la société de surveillance pendant un
semestre. Après, je te tiens au courant.
Les sourcils froncés, il semblait réfléchir, et puis son expression se détendit.
– Bon. Tout ce que je peux dire, c’est que tu as choisi de vrais pros.
Il se tapa sur le front, avant de se rendre dans la cuisine.
– Un semestre, Mason. Et bravo pour l’initiative. Tu as raison de prévoir
l’avenir. C’est ton boulot. Tu réfléchis. Je parle.
Je l’entendis ouvrir la porte du réfrigérateur.
– Je croyais qu’on avait pour devise, j’attaque et tu parles ?
Il revint s’asseoir avec une bouteille.
– J’aurais dû t’en apporter une, s’excusa-t-il en faisant sauter la capsule.
Mais tu es en plein entraînement. Et puis tu as tort. C’était notre devise, sauf
qu’elle a changé. J’ai ajouté une section hier soir. On attaque tous les deux. On
parle tous les deux. C’est quoi, mon boulot ? Je blague. Tu ne blagues jamais.
Ton humour est nul.
Bon, il y avait plus grave à considérer. J’articulai entre mes dents :
– Rien à branler.
Logan se mit à rire, avala une gorgée de bière.
– Trop content qu’on habite de nouveau sous le même toit. Quoi ? Ne fais
pas ta tête « Grr, je suis Mason. Je te pisse dessus et je te gifle ». Qu’est-ce que
j’ai fait de mal ?
On en avait déjà parlé. Je ne devrais plus rien dire. Bordel. Ça m’obsédait.
– Tu aurais pu être le mec de Sam.
– Oh non ! marmonna-t-il en renversant la tête en arrière. Tu ne vas pas
recommencer !
– On n’en a parlé qu’une fois.
– Ouais. Et après tu m’as boxé. Merci, au fait.
– De rien, dis-je avec un sourire.
Il se mit à grommeler :
– Tu es le soleil et la lune pour elle. Moi, je n’aurais été qu’un putain de
lustre. Voilà tout.
– C’est joli, un lustre.
– J’ai dit ça l’année dernière pour te donner un autre point de vue. Je suis
comme un lustre. Tu représentes son soleil. Question de perspective, crétin.
– Je sais, crétin. Le soleil et la lune sont à tout le monde, les lustres, c’est
bien dans les magazines. Les gens s’extasient dessus.
Je me sentis beaucoup mieux une fois que j’eus prononcé ces paroles.
L’important, c’était d’avoir abordé le sujet. Ça mettait Logan mal à l’aise, mais
moi, ça me libérait.
– Tu es jaloux, lâcha-t-il.
– Pas de Sam. On est sur un autre niveau. Tu le sauras quand tu rencontreras
ta moitié, et je serai ravi de te taquiner à ce moment-là, mais, en attendant…
Je me penchai pour lui frapper le bras, renversant sa bière. Il se leva en
jurant, tandis que je poursuivais :
– Allez, on va faire un tour. Je voudrais savoir où habite Sebastian.
Mais, en sortant, on trouva Drew et Nick, un arrière, qui sortaient du
pavillon de l’équipe en faisant une sale tête.
– Qu’est-ce qu’il y a ? demandai-je.
– La sécurité du campus, dit Drew en me tendant son téléphone. Ils viennent
de trouver Nate dans un parking.
Je pris l’appareil, la gorge serrée par la sourde rage qui montait en moi, mais
il fallait que je la domine. Une vibration me parvint à l’oreille.
– Trouver ? répétai-je.
– Comment ça, trouver ? ajouta Logan.
Drew baissa la tête.
– Désolé, Mase. Ils l’ont tabassé.
Samantha
Mon premier jour à l’université avait consisté à me cacher de deux de mes
camarades d’étage, avant de me retrouver mêlée à une confrontation publique
qui aurait pu tourner à la bagarre ; et, maintenant, je me demandais où était passé
mon copain. Il était presque minuit. J’étais arrivée angoissée à mes cours mais,
comme ils avaient pour la plupart tourné à une aimable conférence, je m’étais
vite décontractée. Un seul professeur nous avait priés de nous répartir en
plusieurs groupes pour lire un article, puis en discuter.
Mason avait dit qu’il appellerait. Mais il n’en fit rien.
Je ne connaissais pas trop son programme de football, aussi, lorsque
Summer partit dîner accompagnée de quelques filles de l’étage, je me mêlai à
elles. Après quoi, Kitty et Nina voulurent s’installer dans notre chambre. Elles
avaient apporté des films et du pop-corn. Summer, qui faisait désormais partie
des assistantes de Ruby, les envoya chez celle-ci sous prétexte qu’elle avait un
écran plus grand. Au bout d’une demi-heure, je m’éclipsai pour aller passer ma
tenue de running.
Une fois dehors, j’hésitai.
J’allais courir seule.
Je ne connaissais pas les pistes sûres.
Il faisait déjà nuit.
Pourtant, il fallait que je coure. J’en avais tellement besoin que c’en devenait
douloureux.
– Tu prends une pause ?
Summer me décocha un sourire. Elle était descendue derrière moi. Elle se
gratta la tête, poussa un soupir en examinant le hall d’entrée.
– Ça fait drôle de le voir presque désert.
En fait, deux autres filles s’y trouvaient. Une au téléphone qui nous jeta un
regard mauvais, comme si on parlait trop fort ; elle se remit aussitôt à taper ses
SMS en se tassant sur son siège. L’autre, plongée dans un bouquin, ne bougea
pas de sa place contre le mur.
Je pointai les pieds en arrière pour m’étirer un peu.
– Kitty m’agaçait, elle n’arrêtait pas de me regarder en souriant. Je me
sentais comme une souris devant un chat.
– Houlà ! Ça fait peur !
– Alors, tu comprends pourquoi j’ai besoin d’aller courir.
Autour de nous, on entendit monter quelques murmures à l’ouverture d’une
porte. Je me sentais un peu paumée, à trois heures de mes pistes de Fallen Crest.
– Enfin, je ne devrais peut-être pas partir seule.
– Tu as besoin de compagnie ?
– Sinon, ce ne serait pas prudent.
– Ah tiens ! J’ai discuté avec un mec tout à l’heure. Je crois que j’ai une
solution pour toi.
– Un mec ?
Elle leva un doigt en riant :
– Une minute. Je vais chercher un truc. J’arrive.
J’en profitai pour vérifier mon téléphone. Toujours pas d’appel ni de texto
de Mason. Je parcourus les six messages que je venais de lui envoyer. Où était-
il ? Allait-il bien ? Pourquoi ne répondait-il pas ? Fallait-il que je m’inquiète ?
Il m’avait envoyé un texto cinq heures auparavant, disant : Je vais bien. On
se parle ce soir ou demain. Je t’aime.
En principe, ça aurait dû suffire à me rassurer. Je n’allais pas appeler les
secours pour déclarer une personne disparue, mais Mason m’avait écrit et, à
cause de ça, je n’avais parlé ni à Logan ni à Nate. Mason allait revenir vers moi.
Je le savais. On avait affronté assez de batailles ensemble, il irait jusqu’au bout,
pourtant… il fallait que je sache maintenant.
Ou que je coure maintenant.
Rien d’autre n’aurait su m’apaiser.
Summer finit par reparaître, armée d’un sac à dos et d’un trousseau de clés,
qu’elle agita devant moi :
– Viens. On a rendez-vous avec quelqu’un.
– On va où ?
Sans répondre, elle me prit par le bras et m’entraîna vers le parking. Puis on
monta dans sa voiture. Elle contourna le campus et, peu après, se gara non loin
du gymnase.
– Qu’est-ce qu’on fait ? demandai-je.
Summer sourit en m’entraînant vers une porte latérale.
– T’inquiète. Détends-toi. Fais-moi confiance.
– Pas mon fort… grommelai-je.
Elle frappa une fois, marqua une pause, frappa de nouveau, deux coups cette
fois. La porte s’ouvrit. Un grand gaillard en sweat-shirt Cain U se tenait derrière,
les cheveux en bataille, en train de se frotter les yeux. On se glissa à l’intérieur.
Je ne savais pas quoi dire, mais elle paraissait bien le connaître car elle lui
toucha la poitrine en souriant.
– Merci, Dex.
– Ouais.
Il lâcha la porte, mais la rattrapa à la dernière seconde pour qu’elle ne claque
pas. Puis il repassa devant et nous fit signe de le suivre.
On se retrouvait dans une galerie du stade de foot où Mason s’entraînait ;
avec tous ces couloirs obscurs, on se serait cru dans un véritable labyrinthe. Et
puis on déboucha dans une salle ouverte.
– Attendez un instant, nous ordonna Dex.
Il nous laissa là et le silence retomba. Je saisis le bras de Summer en
chuchotant :
– S’il nous tue, je ne te lâcherai pas les fesses.
– Tranquille, dit-elle en riant.
Elle me tapota la main, mais j’écrasai la sienne.
– Comme je t’ai dit, répétai-je, ce n’est pas mon fort.
– Quoi ?
– De faire confiance.
– Ah ! Essaie quand même quelques secondes, parce que…
À cet instant, les lumières inondèrent une immense piste de course
intérieure. Je n’écoutai plus rien, écarquillai les yeux, la bouche sèche, l’air sans
doute complètement idiote, mais peu importait. Je me retrouvais devant ma
propre piste d’entraînement. Enfin, pas tout à fait, mais c’était pour ça que
Summer m’avait amenée ici.
J’étais écœurée.
– Tu rigoles ?
– Non. Tu veux courir en sécurité ? Alors, vas-y.
Dex revenait. Il avait l’air un peu plus réveillé qu’à notre arrivée. Il se frotta
la mâchoire.
– Summer a dit que vous aimiez courir. Profitez-en.
– Je ne vais pas faire la fine bouche, dis-je en levant les bras. Merci.
La piste était plus grande que celle des salles habituelles. Je la mesurai du
regard, calculai que deux tours feraient un kilomètre cinq. Je courrais aussi
longtemps que mes jambes me porteraient.
Summer me montra la ligne de départ.
– Vas-y, dit-elle en sortant un livre de son sac.
Elle alla s’installer sur une chaise et m’expliqua :
– Je reste là, tu fais ce que tu as à faire, et moi je me gave de romans
d’amour.
– Bon, dit Dex en levant un bras, je retourne au lit. Demain, j’ai
entraînement à l’aube. Alors, pas de bruit et vous éteindrez en partant, toujours
par la porte latérale. Elle se refermera derrière vous.
Entraînement ? Je demandai à Summer :
– Il fait partie de l’équipe de foot ?
Elle hocha la tête, l’air soudain sur ses gardes.
– J’aurais dû lui dire qui tu étais ?
Autrement dit avec qui je couchais…
– J’en parlerai à Mason demain.
Lorsqu’il se déciderait enfin à me téléphoner.
– Comment tu as fait ? demandai-je.
Elle ouvrit son livre en me faisant un clin d’œil.
– Je suis modèle, mais ça n’empêche parfois pas les mecs de me draguer. En
général, je ne cède pas, mais Dex ça va. Bon, il veut juste me sauter, je le sais.
Mais il n’insiste pas lourdement comme les autres. Alors, qui sait ? Un jour,
peut-être, j’accepterai. Allez, maintenant, lance-toi, coloc. J’ai de quoi
m’occuper tout le temps de ta course.
Ça prendrait une heure, peut-être deux.
– Ça pourrait être plus long que tu ne crois…
– Attends, je t’explique : je n’ai rien de mieux à faire ces deux prochaines
heures. En fait, il me faut ce temps-là pour me taper ce livre. Si tu as terminé
dans une demi-heure, ça ne m’ira pas du tout.
Je me détendis, sentis mon esprit se concentrer sur la course. Mes écouteurs
étaient branchés, ma musique programmée, prête à démarrer, mon téléphone
accroché à mon bras, ma coloc oubliée. Tout passa au second plan, l’endroit où
je me trouvais, l’heure qu’il était, l’absence de nouvelles de Mason. Balayé.
Oublié.
Il ne restait que la piste et moi.
Je m’étirai, puis commençai tranquillement. J’avais envie de fermer les yeux
et juste courir, mais je ne pouvais pas. Il fallait que je regarde où j’allais. Au
moins, je n’avais pas besoin de m’inquiéter des voitures ou des piétons, mais
n’importe quoi pouvait traîner sur la piste, et puis je devais prendre mes repères.
Au cinquième tour, je me sentais déjà beaucoup plus à l’aise. Mon corps se
détendait, bien tiède. Il était temps de passer aux choses sérieuses.
La basse dans mes oreilles se mêla de l’affaire et je me mis à courir en
rythme ; bientôt, je devins la musique et continuai à battre le sol.
Je ne courais pas pour oublier quelque chose. Pas de mère dans les parages,
pas d’ennemies de l’Academy. Pas d’ennemis de Fallen Crest Public.
Aucune relation qui me pose un problème.
Ma mère se faisait soigner. David avait épousé Malinda. J’avais passé des
vacances avec Garrett, mon père biologique. Il ne restait que Sebastian mais, en
ce moment, je faisais ce que je réussissais le mieux et me sentis envahie de
plaisir. Mason et Logan allaient finir par s’occuper de Sebastian, comme ils
s’étaient toujours occupés de tout le reste. Ils n’en souffriraient pas. Tout se
passerait bien.
Je le sentais au plus profond de moi et, maintenant que j’attaquais mon
dixième tour, je me sentais de plus en plus forte.
Au vingtième, j’éteignis tout.
Je courais parce que c’était dans ma nature. Mes jambes allaient de l’avant
parce qu’elles étaient faites pour ça. Mes bras m’aidaient à mieux respirer, ma
poitrine restait ferme, mes poumons fonctionnaient toujours. L’air entrait et
ressortait.
Je planais.
J’ignorais combien de temps avait passé. Il fallut que je voie Summer agiter
les bras pour ralentir. Elle attendait que je vienne m’arrêter devant elle.
En ôtant mes écouteurs, je ressentis mes pulsations et me mis
instinctivement à compter.
– Qu’est-ce qui se passe ?
– Rien, dit-elle, l’air abasourdie. Tu ne mentais pas quand tu disais avoir
besoin de courir. Voilà deux heures que tu y es.
Deux heures ? J’avais cessé de noter mes tours.
– Tu as l’air déçue.
– Je ne me rendais pas compte.
– Tu as parcouru un sacré chemin. Tu veux savoir ?
Je me penchai pour commencer mes mouvements d’étirement. Je ne savais
pas trop.
– Je n’ai pas encore vu mon entraîneur.
– Ah, d’accord.
Je changeai de jambe pour étendre l’autre et, en tournant la tête, je voyais
Summer.
– Le dernier que j’avais voulait que j’enregistre tout.
– Attends, dit-elle en levant la main. Tu dis ça comme si tu pouvais encore
continuer ?
Je le pouvais. J’avais déjà couru plus longtemps que ça, mais deux heures,
c’était actuellement ma durée maximale. Je ne l’avais pas dépassée depuis un
moment.
– Je t’avais prévenue, dis-je seulement.
– Oui, s’esclaffa-t-elle, mais j’avais une bonne raison pour t’arrêter. Dex
vient de m’envoyer un texto. Il s’est rappelé que la sécurité passait ici deux fois
par nuit. Ils devraient revenir dans une demi-heure.
Mon talon dans les mains, le front sur le genou, je me mis à rouspéter. Elle
avait raison. Il fallait qu’on s’en aille, mais, bon sang, j’avais achevé mon
dernier étirement en me disant que je ne m’étais pas sentie si vivante depuis
longtemps. Mason et la course – rien d’autre ne pouvait me mettre dans un tel
état.
J’attrapai mes écouteurs.
– Bon, je finirai dans la chambre. On n’a qu’à y aller.
– Tu es sûre ?
– On risque d’en avoir pour un certain temps avec tous ces couloirs, on
pourrait se perdre.
Summer sourit et brandit de nouveau son téléphone.
– Il m’a envoyé un plan. D’accord. Attends. Courage, je vais éteindre les
lumières. Surtout ne pars pas sans moi.
Comme si la question se posait.
Elle éteignit et me cria à travers la salle :
– Bon, tu es futée. Ça va prendre plus de temps que prévu. En principe, j’ai
très peur du noir.
Tout en continuant de parler, de plus en plus fort, elle revenait peu à peu
vers moi.
– Je vais pisser dans mon froc. Et je ne regarderai plus jamais de film
d’horreur. Même pas Supernatural. Mon Dieu…
Sa voix se mit à trembler. Je l’interrompis :
– Reviens par ici. J’ai l’impression que tu dévies à gauche.
– Oh ! Et là, c’est mieux ?
– Continue de parler.
– Pas de problème, dit-elle avec un rire nerveux. Si quelqu’un nous observe
avec des lunettes de vision nocturne, il doit bien se ficher de moi. Je marche les
bras devant moi pour ne pas heurter quelque chose au passage. Et je balade mon
téléphone mais, pour le moment, la lumière ne me sert à rien.
Elle s’approchait et je distinguai la lueur de son écran.
– Je te vois. Continue par ici.
– C’était ce qu’il disait…
Je souris, essuyai quelques gouttes de sueur sur mon front.
– Ce n’est pas le moment, peut-être, de te demander si tu as deux
téléphones ?
La lumière s’arrêta.
– Pourquoi ? demanda Summer d’une voix hésitante.
– Parce que je vois deux lumières. Tu en agites une autre derrière toi, aussi ?
La sienne s’éteignit.
– Arrête tes plaisanteries. Je sais où tu dors.
Je m’empêchai de rire, m’éclaircis la gorge et parvins à dire d’une voix
calme :
– Il y a une lumière derrière toi.
Elle poussa un cri. Son écran zigzagua, comme s’il heurtait quelqu’un.
Elle poursuivit son chemin en hurlant :
– Je ne vois personne.
Je ne dis rien.
– Sam ! lança-t-elle, paniquée.
Je ne dis toujours rien.
– Oh mon Dieu !
Ses pas s’accélérèrent soudain, elle courait vers moi, maintenant.
Son téléphone s’agrandissait. Et elle se retrouva tout près de moi. Elle me
saisit le bras et, comme auparavant, m’entraîna derrière elle. On courait
ensemble à travers les couloirs.
– Oh mon Dieu ! Oh mon Dieu ! répétait-elle en essayant de lire les
indications de Dex sur son téléphone.
– Là, on tourne à gauche. Maintenant à droite. Oh mon Dieu ! Oh mon
Dieu !
Il n’y avait personne, mais sa peur devenait contagieuse. J’insistai pour que
Summer accélère le pas. On passa la porte en trombe et je vérifiai qu’elle se
refermait bien derrière nous. Quant à Summer, elle fonçait vers sa voiture.
Une fois à l’intérieur, elle s’aperçut que j’étais encore au gymnase et frappa
sur le toit.
– Qu’est-ce que tu fais ? Viens vite.
Je n’en pouvais plus. Le sang bouillonnant d’adrénaline, autant à cause de
ma course que de la terreur de Summer, je me pliai en deux pour mieux rire à
mon aise.
– Que…
Elle s’interrompit.
Merde. Il fallait tout de même qu’elle me ramène. Je la rejoignis en essayant
d’étouffer mon rire. Elle me jeta un regard noir, ses clés vibraient dans ses
mains.
– Ne me dis pas que tu m’as joué un tour.
Je m’assis, claquai ma portière. Elle n’allait pas me jeter dehors non plus. À
tout hasard, je vérifiai que ma ceinture était bien fixée et m’y accrochai comme
si j’allais affronter une tornade.
J’attendis qu’elle en fasse autant avant de laisser tomber, un ton plus bas :
– J’ai peut-être menti…
Elle retenait son souffle tandis que j’achevais :
– Pour la deuxième lumière.
Elle ne dit rien. Puis ses cris explosèrent d’un coup :
– Et moi, j’ai vraiment pissé dans mon froc ! Qu’est-ce qui t’a pris ? Oh mon
Dieu !
Je la laissai crier, le temps d’assouvir son hystérie, après quoi elle démarra et
sortit du parking.
On est juste à deux pâtés de maisons, me dis-je. On peut parcourir deux
pâtés de maisons.
Et Summer qui poursuivait ses diatribes :
– Je vais te pourrir la vie. Tu te prendras des seaux d’eau au moment où tu
t’y attendras le moins. Ton café sera toujours froid. Et ton shampooing… tu
ferais mieux de cacher ton shampooing ailleurs, sinon j’y verserai de la teinture.
Elle éclata d’un rire amer en se garant devant notre bâtiment.
– Tu vas me le payer cher, Samantha.
On sortit et elle ne dit plus rien. Alors, je me risquai :
– Je ne sais pas ce qui m’a pris. J’ai voulu faire mon Logan. Désolée. Je
n’imaginais pas à quel point ça te ferait peur.
Ses épaules s’abaissèrent et un petit rire lui échappa. Elle secoua la tête, se
remit à rire, encore plus fort, mais me jeta un regard mauvais en arrivant devant
notre résidence.
– Bon ! Je suis calme, maintenant. Je déteste avoir peur. J’ai complètement
horreur de ça. Mes copains m’en ont trop fait voir.
Je n’osai pas pouffer de rire. Dans l’escalier, elle me fit passer devant.
– Vas-y. Lâche-toi. J’ai dû trop dramatiser.
– Tu crois ?
Elle rit encore, se relâcha.
– Je savais qu’il n’y avait pas de deuxième lumière. Je la cherchais sans la
voir, mais elle était déjà dans ma tête. Tu te rends compte, s’il y avait bien eu
quelqu’un derrière nous ? S’ils me suivaient ? Ils auraient pu me tuer. Personne
ne l’aurait su, et ils t’auraient eue toi aussi. D’accord, je me laisse emporter par
mon imagination.
Parvenue en haut de l’escalier, je murmurai :
– Je ne te ferai plus jamais de farce.
– C’est ma faute. Je sais que c’était une farce… enfin, je crois que je le
savais. J’ai complètement déraillé, mais… je n’ai plus qu’à échafauder ma
revanche.
Je m’apprêtais à répondre mais, comme on arrivait en vue de notre chambre,
je restai coite.
Mason était assis par terre devant la porte.
Il m’attendait et, à en juger par son expression, ça le mettait hors de lui.
CHAPITRE
11
Mason
Elle riait avec sa coloc. Je les entendais depuis l’escalier.
Elle pouvait m’en vouloir. Je l’avais laissée tomber. Elle n’était pas au
courant pour Nate ni que nous avions passé six heures à l’hôpital avec lui, pour
attendre les résultats des analyses avant qu’on nous laisse l’emmener. Ils
l’auraient bien gardé en observation, mais le dernier lit disponible avait été
attribué à un patient victime d’une crise cardiaque. C’était du moins ce que nous
avait expliqué l’infirmière en autorisant Nate à rentrer avec nous. On nous
expliqua ce qu’il faudrait vérifier, à commencer par sa respiration, la pâleur de
son teint, son pouls toutes les heures et plusieurs autres choses que Logan nota.
Aussitôt que je le pus, je filai à la résidence de Sam. Elle n’avait pas répondu à
mes appels et, en la voyant déboucher dans le couloir, je compris pourquoi.
Je me levai, mais elles se turent.
– Tu as couru.
Elle ne répondit pas, l’air inquiète. Elle comprit tout de suite que quelque
chose n’allait pas et je n’allais pas lui mentir, mais je ne pouvais pas non plus lui
raconter pour Nate. Elle s’affolerait et les cernes que je venais de voir apparaître
sous ses yeux y resteraient en permanence.
Elle ébaucha un début de phrase, s’interrompit en jetant un coup d’œil vers
sa coloc. Celle-ci me fixait avec une attention avide. Sam s’éclaircit la gorge.
– Oh ! lança la coloc. Pardon, je…
Elle voulut enfiler sa clé dans la serrure, mais laissa tomber le trousseau par
terre, le ramassa en jurant, essaya de nouveau d’ouvrir, se trompant de clé deux
fois avant de trouver la bonne.
– Pardon, dit-elle en ouvrant. Je vais… je rentre…
Elle s’arrêta sur le seuil en nous regardant tous les deux.
– Oh, oui, d’accord. Salut !
Elle entra, claqua la porte derrière elle.
Sam paraissait contrariée.
La porte se rouvrit et la tête de la coloc apparut dans l’embrasure, se
mordant une lèvre.
– Encore pardon, ça m’avait glissé des mains. Bon, d’accord… Salut. Prenez
tout votre temps. Je me couche.
Sam eut tôt fait de me plaquer contre le mur, et je la hissai contre ma
poitrine, lorsque la porte se rouvrit sur la coloc armée d’un panier de douche.
– Désolée.
Elle passa devant nous, la tête basse, regardant ailleurs.
– Il faut que j’aille aux toilettes, et ensuite je me couche. Pour de bon.
Prenez votre temps.
Je sentis Sam pouffer de rire, mais elle ne répondit pas. On attendit de voir la
coloc entrer dans les toilettes.
– On devrait peut-être chercher un endroit plus discret ? chuchota Sam.
Je la laissai me guider mais, comme on arrivait en vue du parking, je lui pris
la main en lui montrant le sous-sol.
– Il y a des pièces en bas, n’est-ce pas ?
– Oui, une salle d’ordis, la salle de cinéma et la cuisine. Et puis aussi un petit
salon…
– Très bien.
– Mais…
Comme elle semblait un peu perdue, j’entremêlai mes doigts avec les siens
en imaginant la suite. Entrer immédiatement en elle. Un paradis… Je pourrais
oublier Sebastian, comment il s’en était pris à Nate. Toute cette merde pourrait
disparaître. Mais ce ne serait pas correct d’en parler à Sam. Elle méritait des
choses plus normales, comme de passer du temps avec moi dans sa chambre, rire
avec sa coloc. Elle serait entraînée dans notre guerre, je savais que c’était
inévitable, mais je voulais un peu plus de temps. C’était tout ce que je cherchais.
J’essayais de gagner du temps.
Elle était heureuse.
Il ne fallait pas que ça s’arrête à cause de moi.
Il n’y avait personne dans le petit salon. J’allais y entrer quand je vis Sam
vérifier la salle de cinéma.
– Mason ! lança-t-elle en y entrant. Ce sera plus discret ici.
Un grand écran couvrait le mur du fond, face à des rangées de larges
fauteuils en velours. Derrière s’alignaient plusieurs canapés et la porte latérale
s’ouvrait sur la cuisine.
On s’installa sur un divan, mais Sam voulut d’abord éteindre dans la cuisine.
Il restait encore un peu de lumière du couloir qui passait sous les portes.
Et Sam qui revenait, sûre d’elle, confiante.
Quand je pensais à son attitude à l’époque où elle vivait avec Ann-Lise…
elle avait alors tout perdu, plus rien ne l’intéressait, et elle se conduisait comme
une vraie rebelle qui envoyait tout balader et ne s’intéressait à rien. Logan et moi
l’avions prise avec nous et là, très vite, elle avait eu quelque chose à perdre :
moi. Elle avait peur. Maltraitée par les filles, harcelée par sa propre mère, elle
avait encore trouvé le moyen de réagir. Elle s’était frayé un chemin tout en nous
aimant et en nous protégeant, Logan et moi.
Putain ! J’avais trop envie de l’installer sur moi. Je voulais me perdre en
elle.
Elle vint me rejoindre, un sourire coquin aux lèvres, et s’assit exactement où
je l’espérais, là où elle n’aurait peut-être pas dû. Mes mains se posèrent sur ses
hanches alors qu’elle m’enfourchait, elle m’entoura le cou de ses bras, posa son
front sur le mien.
Sans se départir de son sourire, elle me taquina :
– Pourquoi ai-je l’impression qu’on est au lycée et que je ne veux pas que
ma mère nous surprenne en train de nous envoyer en l’air au sous-sol ?
Merde, j’aime trop cette femme.
Un rire tendre et indolent lui échappa des lèvres. J’attendis qu’elle les pose
sur les miennes, mais elle n’en fit rien.
Elle demeurait toute droite et me dévisageait.
– Qu’est-ce qui s’est passé aujourd’hui ?
Je n’allais pas lui dire ça. Plus tard. J’avais besoin d’un peu de temps.
– Logan nous a emmenés loin d’ici. Il avait entendu parler d’un parc ou je ne
sais quoi, mais on s’est perdus et nos téléphones ne captaient plus. Désolé.
Je lui pris le visage entre les mains, lui caressai les joues, descendis vers la
pointe de ses lèvres. J’avais trop envie de l’embrasser… et d’autre chose aussi.
En fait, j’en avais constamment envie. La femme que j’aimais me faisait bander
en permanence.
– Logan vous a emmenés dans un parc ?
– Du moins, c’était ce qu’il voulait faire.
Les mensonges me venaient si facilement. Je souris tout en me traitant
intérieurement de con.
– On ne l’a jamais trouvé. Pourtant, il paraît qu’on y aurait vu des chutes ou
je ne sais quoi.
– Oh !
Ses mains retombèrent sur les bords de ma chemise. Elle jouait avec, me
passait le dos de la main sur le ventre.
Elle allait me rendre fou. Je ferais mieux d’arrêter ces mouvements, pourtant
je n’en fis rien. J’allais en enfer et on risquait de passer à l’acte dans les trois
minutes si elle n’arrêtait pas tout de suite.
– Tu es allée courir avec ta coloc ?
– Non, moi j’ai couru. Elle, elle lisait.
– Attends, quoi ?
Un rire rauque lui échappa.
– J’ai couru sur la piste pendant qu’elle lisait dans un fauteuil.
– La piste ? Celle du gymnase ?
– Oui. Un mec nous a fait entrer, mais il ne faut pas le dire. J’ai envie de
recommencer. J’ai besoin d’un endroit pour courir. Enfin, quelque part où je ne
risque pas ma vie.
Elle venait de passer deux bonnes heures dans un bâtiment extérieur, et le
garde ne m’en avait rien dit. J’allais l’appeler dès que je m’en irais d’ici – ou,
mieux, j’allais le trouver. Lui ou son remplaçant ne pouvaient pas se mettre en
congé tant que Sam ne se retrouvait pas à dormir dans son propre lit.
– Sam, dis-je en lui soulevant le menton, ne va jamais courir seule la nuit.
– Je sais, j’étais avec Summer.
– Bon, mais si elle ne peut pas t’accompagner, n’y va pas. Sérieux. Ou
appelle-moi. Moi aussi, je peux te faire entrer dans le gymnase. J’ai les clés.
Comme tous les gens du foot. On y a accès vingt-quatre heures sur vingt-quatre
pour l’entraînement.
– C’est vrai ?
Je hochai la tête. En fait, elle avait raison, il lui fallait un endroit pour courir.
J’aurais dû y songer plus tôt.
– Mason ?
– Hein… ?
Passant une main dans mes cheveux, elle m’attira vers elle.
– Tu vas m’embrasser, oui ou merde ?
Je ne demandais pas mieux. La saisissant par la nuque, je me penchai vers
elle pour m’emparer de ses lèvres. Tant pis pour la résidence. Je commençais à
la rouler sous moi quand elle me frappa l’épaule et se dressa.
Elle avait les joues rouges, les pupilles dilatées.
– Ici ?
Elle était à moi.
– Quoi ?
Un sourd grondement monta en moi. Je la désirais. Je voulais prendre ce qui
me revenait…
Bon sang. Sous-sol. Sous-sol.
On se trouvait dans ce putain de sous-sol. Où vivaient ses camarades de
cours, sa conseillère de résidence.
Le grognement m’échappa et je m’avisai soudain qu’il pouvait bien y avoir
des caméras. Regardant autour de moi, je n’aperçus aucune lumière clignotante,
mais je n’aurais pu jurer qu’il n’y en avait pas.
Cependant…
Ma main s’attardait sur sa nuque, lui caressait la peau.
– Je n’ai qu’à coincer la porte avec un canapé, dis-je. Comme ça, personne
ne pourra entrer.
– Dans ce cas, on ferait mieux d’aller chez toi.
Elle se rassit sur moi, ses mains se glissèrent sous ma chemise et
remontèrent. Je fermai les yeux pour mieux me régaler d’elle. Elle était là, avec
moi. Je n’avais aucune raison de me sentir jaloux, ou menacé, mais j’aimais tant
l’entendre répéter qu’elle m’aimait. J’aimais pouvoir lui passer la main sous le
bras, percevoir ses soupirs à cette sensation, comme en ce moment. J’aimais
passer les doigts sur les bords de sa culotte, tout comme elle me touchait, sentir
son corps se mettre à trembler. J’adorais cela. Je l’allongeai sur les coussins, me
posai sur elle pour empêcher quiconque de la voir, puis je glissai la main sous
son ventre, l’infiltrai sur sa fente ; aussitôt, elle se cambra, vive comme jamais.
Elle rouvrit les yeux, les paupières lourdes de désir. Je souris. Mon corps
voulait se répandre en elle, mais je le retenais encore, commençant par
embrasser Sam dans le cou tandis qu’elle respirait doucement, profondément.
Puis je descendis le long de sa poitrine, vers son ventre, avant de déposer un
dernier baiser sur son nombril. J’aurais volontiers passé ma vie à la faire ainsi
frémir et frissonner dans mes bras. Après tout, c’était mon boulot, la rendre
heureuse, la faire jouir, lui faire ressentir ce que tant de gens ne pouvaient
seulement pas imaginer.
Je fermai les yeux pour m’obliger à m’arrêter. J’aurais voulu continuer, mais
posai juste mon front sur son ventre.
Percevant le combat qui m’habitait, elle se détendit, passa une main dans
mes cheveux, la laissa glisser dans mon cou, et ses ongles me grattèrent le crâne.
C’était mon point sensible. Ce genre de geste pouvait me tenir en place pendant
des heures. Elle avait ce pouvoir, cette faculté sur moi.
Je relevai la tête, et l’épuisement de cette journée finit par me gagner.
J’aurais pu rester là toute la nuit, sur elle, m’assoupir jusqu’au matin. J’essayai
juste de me raisonner, tandis que ses ongles couraient encore dans ma nuque.
Je me laissai tomber sur elle et elle m’accueillit, remuant juste ce qu’il fallait
pour pouvoir me retenir confortablement. Je glissai sur le côté, une jambe et un
bras sur elle. Ma tête se posa au creux de son cou tandis qu’elle continuait à me
gratter la peau… jusqu’à ce que je m’endorme.
*
* *
– Psst, psst…
Une fille était penchée sur moi, un doigt sur la bouche ; elle se tordit les
mains, grinça des dents.
– Euh…
Je sursautai, atterris debout devant elle. C’était la coloc de Sam. Je ne
m’attendais pas à voir cette fille, encore moins à ce qu’elle nous réveille.
– Putain de merde ! s’exclama-t-elle, surprise par ma réaction.
Elle recula, mais resta dans la pièce.
– Fiche le camp ! lui intimai-je.
– Euh…
Un ronflement s’éleva derrière moi. Blottie sur le canapé, les genoux repliés
sur la poitrine, Sam dormait encore. Je me demandai comment elle pouvait tenir
ainsi. Elle pouvait s’assoupir quand elle voulait, où elle voulait.
Où elle voulait…
Ces canapés, pourtant… J’inspectai la pièce et me rappelai qu’on était dans
le sous-sol de sa résidence.
– Merde !
– Quoi ? Hein ?
Elle s’éveilla d’un coup, se redressa, passa la main sur sa tête, cligna des
yeux, nous regardant l’un et l’autre, puis laissa retomber sa main sur le côté.
– Summer ?
– Oui. Salut !
La coloc se rapprocha de quelques pas en me jetant des coups d’œil inquiets.
– Euh, on m’a réveillée ce matin. Ruby est descendue à la cuisine pour y
chercher du café. Elle vous a vus tous les deux et m’a dit que je devrais venir
vérifier si tout allait bien. Alors me voilà. Je vérifie. Bon, c’est fait.
Là-dessus, elle se dirigea vers la porte à reculons, mais son regard virait sur
Sam puis revenait vers moi. Elle s’arrêta juste avant que son dos ne heurte la
porte, et ses mains effectuèrent un autre mouvement abrupt. Comme si elle
n’arrivait pas à nous adresser un signe.
– Bon… d’accord. Alors, si vous voulez vous retrouver quelque part…
Cette dernière phrase s’adressait à moi, même si Summer ne me regardait
pas. Elle avait baissé la tête et tapait du pied.
Je crus entendre Logan rire dans ma tête. Mec, tu as brisé le modèle. Tu lui
as arraché sa combativité. Tu es trop doué.
En me passant une main sur le visage, je sentis ma barbe naissante. Merde.
Merde. Merde. Il fallait que j’y aille. J’effleurai l’épaule de Sam, me penchai
pour l’embrasser et lui murmurai :
– Je dois courir ce matin. Je t’aime.
Elle fit oui de la tête, me posa la main sur le crâne, recula pour pouvoir
m’embrasser à son tour.
– Je t’aime. À plus.
– Euh…
La coloc ouvrit une porte et la bloqua du dos tout en attendant qu’on ait fini.
Elle avait croisé un bras sur sa poitrine, comme si elle se cramponnait à la vie.
Je n’avais pas de temps pour elle. Je touchai une dernière fois la main de
Sam, et puis sortis. Il était sept heures. J’avais une heure de retard pour ma
course avec Drew. Merde.
Je l’appelai de ma voiture et démarrai aussitôt. Il ne répondit qu’à la
deuxième sonnerie.
– Merde, Kade. Qu’est-ce que tu fous ?
– J’arrive.
– Putain. On a fini avec les mecs. On va prendre le petit déjeuner, là.
Je laissai échapper un soupir rageur. Pour un peu j’aurais balancé mon
volant sur la première voiture qui me croisait.
– Hé ! reprit Drew, ne t’emballe pas. C’est toi qui voulais courir et tu n’es
pas venu.
– Je sais. Il s’est passé quelque chose.
– Ah bon ?
Il parut se calmer aussitôt. Ce ne fut pas mon cas. Je pris un virage un peu
trop brusque, me forçai à me calmer. Je n’avais rien contre Drew. J’étais furieux
à cause de Nate, furieux de devoir quitter Sam – non, furieux de lui avoir menti.
– Bon, tant pis, je vais courir seul.
– Tu as besoin de quelqu’un pour mesurer tes temps.
– Je verrai avec mon frère.
– D’accord.
Tout d’un coup, Drew paraissait content. Trop content pour être honnête.
Bon, tant pis.
Alors que je me garais devant notre pavillon, je vis Drew sortir de celui du
football, son téléphone à l’oreille. Il m’aperçut, m’adressa un signe, vint dans ma
direction.
– Hé ! Si tu veux, on t’attend. Tu n’as qu’à manger avec nous et tu courras
cet après-midi ? Nick et Rome ne sont pas là non plus.
Ça ne me semblait pas une mauvaise idée mais, pendant que j’y
réfléchissais, la porte de mon pavillon s’ouvrit sur un Logan au sourire moqueur.
Il me fit signe de venir.
– Ou pas ? commenta Drew.
– De toute façon, il faut que j’y aille. J’ai cours à neuf heures. Je peux courir
avant.
– D’accord. L’entraînement est à quinze heures.
– Je sais, j’ai le programme. On se retrouve à la musculation ce soir ?
– Bon.
Je vis plusieurs coéquipiers sortir du pavillon de foot. Ils nous adressèrent
tous un signe, mais attendirent Drew sur le trottoir.
– Tu leur manques, me dit-il. Ils veulent te taquiner à propos de Sebastian.
Tu le sais, j’imagine ?
– Ouais ! cria Rome. Quand est-ce que tu vas lui casser sa belle gueule ? Je
croyais que c’était toi le boxeur quatre étoiles, Kade ?
– Et toi, tu tapes comme un chaton de deux jours, Rome. Tu ferais mieux de
lui cracher dessus.
– Je devrais. C’est ma dernière arme si on m’attaque. Méfie-toi des germes.
Deux types se mirent à rire, mais j’entrai à l’intérieur et Logan ferma la
porte. Il croisa les bras, haussa un sourcil sans dire un mot. J’avais l’impression
de me faire gronder par maman Malinda.
– Quoi ? demandai-je.
Le coin de sa bouche s’étira en un demi-sourire.
– Où étais-tu passé, toute la nuit, fiston ? Je me suis inquiété. Je t’ai attendu
dans le salon jusqu’à l’aube.
– Et moi, j’ai envie de te mettre une tape derrière la tête.
– Bon, je me rends, dit-il en levant les bras. Désolé. Je croyais que ça te
ferait plaisir que je joue les parents attentifs.
– C’est Mason ? cria une voix à l’étage. C’est lui ? Logan ? C’est Mason ?
– Si je comprends bien, dis-je, Nate est réveillé.
– Ouais. Il n’arrête pas de m’emmerder depuis l’aube. Il t’a réclamé toute la
nuit.
– C’est vrai ?
– Mason, cria encore Nate. Je voudrais te parler… si c’est bien toi. Monte, si
c’est toi !
– Ta gueule ! hurla Logan.
Silence, puis :
– Ta gueule toi-même. Mason ? C’est toi ?
Logan laissa échapper un sifflement irrité.
– Mason est mort ! cria-t-il. Tu es coincé avec moi, Monson. Comment tu
vas faire ?
Nouveau silence.
– Pas drôle, reprit Nate. Tu n’es pas drôle du tout, Logan ! Tu te crois
marrant, là ?
Logan se dirigea vers l’escalier, mais resta en bas pour crier :
– Trop original, Nate ! Tu sais ce qu’il pourrait y avoir d’autre ? Que je jette
tes antidouleur dans les chiottes. Là, ce serait original !
Nate parut s’étrangler :
– Tu… Ce serait abominable. Je ne peux pas… Je suis dans cet état à cause
de toi et Mason. C’est toujours moi qui prends. L’accident de voiture, le
chantage, les menaces, les coups. J’en ai marre ! Je voudrais bien voir ce que ça
vous ferait, à vous…
Sa voix s’étrangla.
– Tu vois comment il réagit ? me souffla Logan. Il dit qu’il en a marre de
servir de punching-ball. Il ne veut plus prendre les coups à notre place. Il
n’arrête pas de répéter ça depuis trois heures du matin. Où est-ce que tu étais
passé ? Non, mais sérieux. Ça me fiche en pétard que tu sois parti.
Jetant mes clés sur la table, je m’avisai qu’il était peut-être temps de régler
cette question. Pas de course matinale ni de petit déjeuner avec l’équipe. Mieux
valait limiter les dégâts avec mon meilleur ami.
– Je suis allé voir Sam, dis-je à Logan. Elle a appelé plusieurs fois hier, mais
je ne lui avais pas répondu.
Son expression hostile le quitta instantanément.
– Oh ! Elle va bien ?
– Oui. Elle est allée courir. Sa coloc a réussi à la faire entrer dans le
gymnase.
– La coloc modèle ?
– La fille que tu voudrais bien sauter, oui. Mais ça m’étonnerait que tu y
arrives. Elle en pince pour moi.
– Tu rigoles ? Elle bande pour tes résultats en foot, c’est tout. Elle est plutôt
cool.
– Moi, je la trouve bizarre.
– Tu vois ? Tu es juste un joueur pour elle. Montre-lui ton barda, ça la
guérira peut-être.
Je lui envoyai mon poing dans le ventre.
– Montre-lui ta queue.
– Ouille ! Qu’est-ce qui te prend ? En plus, elle se fiche de mes résultats.
Sérieux, Mase, elle est gaga de foot, point. Elle ne t’aime pas comme ça, du
moins je l’espère. Ou alors tu ne pourras jamais baiser Sam dans sa chambre.
– Mason ?
Je levai la tête vers l’escalier. Nate se trouvait sur la plus haute marche ; il
avait pris tous les coups qui nous étaient destinés, soit par erreur, soit parce qu’il
était le lien le plus proche de notre chaîne. Il méritait toutes les excuses de la
terre, en tout cas de ma part.
– Il faut que j’aille le voir, dis-je à Logan.
Pour toute réponse, il croisa les bras.
– Tu ne viens pas ?
– Bonne chance. De toute façon, j’ai bientôt cours.
– D’accord.
Arrivé en haut, je croisai une fille qui sortait de la chambre de Logan. Elle
avait dû prendre une douche car elle avait les cheveux mouillés. Comme elle ne
faisait pas attention à moi, elle faillit me rentrer dedans et je la repoussai de
justesse par l’épaule. Elle ouvrit de grands yeux puis se détendit en me voyant.
– Oh, pardon ! lâcha-t-elle d’un ton essoufflé. Tu es Mason, je suppose ? Le
frère de Logan ?
Je fis oui de la tête.
– Mason ? lança Nate d’une voix plus calme. Tu es là ?
– Oui. Attends.
– Super ! Enfin.
Penchant la tête de côté, la fille regardait la porte fermée de Nate.
– Il a crié presque toute la nuit. Logan m’a donné des boules Quies pour que
je puisse dormir un peu, mais je ne savais pas qu’il criait encore.
Je préférais ne pas savoir d’où elle venait ni qui elle était ni comment elle
était arrivée ici, encore moins comment Logan l’avait dénichée. Elle m’avait
l’air trop bavarde.
– Il est en bas, dis-je. Dépêchez-vous.
– Quoi ?
– S’il vous plaît.
Je voulais qu’elle disparaisse. Rien d’extraordinaire de croiser des inconnues
dans le pavillon, sauf qu’on venait de ramener Nate de l’hôpital.
Pourtant, elle ne bougea pas, comme figée sur place.
– Allez retrouver Logan, insistai-je agacé.
– Je…
Là, j’allais perdre patience.
– Ou mieux, foutez-moi le camp de cette maison !
– Mase ? appela Logan du pied de l’escalier.
Il parut tout surpris d’apercevoir sa copine et grimaça.
– Merde, j’avais oublié !
– Vous voyez ? laissai-je tomber en direction de la fille. On ne discute pas
dans cette maison. Quand mon frère a baisé, il passe à autre chose. Il vous a déjà
oubliée. Alors dégagez.
– Enfoiré ! fulmina-t-elle.
Certes. Je voulais bien l’admettre.
Elle dévala l’escalier, bouscula Logan et sortit en claquant la porte.
– Je te rappelle qu’on venait de ramener Nate de l’hôpital ! criai-je à mon
frère.
– Je sais. C’était un coup d’un soir. Je croyais qu’elle était partie. Et puis
j’étais trop distrait avec les cris de Nate. Je ne sais même pas où elle a passé la
nuit.
– Dans ton lit ? suggérai-je. Enfin, je suppose.
– Peut-être… J’ai dû la prendre pour une pile de couvertures oubliées
Maintenant, je pige pourquoi elle occupait toute la place.
– Tu lui as donné des boules Quies pour dormir.
– Ouais, juste quand on a terminé. J’étais de bon poil. Je suis allé faire un
tour dans la salle de bains et, quand je suis revenu, je croyais qu’elle était partie.
– Mason ?
Encore Nate. Il fallait en finir.
– Va à ton cours, Logan. Je m’occupe de lui.
– Hé, minute ! L’université a appelé ses parents. Ils vont venir le chercher.
Ça n’arrêtait pas. Nate qui prenait un coup. Les parents qui rappliquaient
pour le ramener chez eux.
Bon, cette fois, ça valait sans doute mieux pour lui.
– Oui, d’accord. Merci de m’avoir prévenu.
– Mase !
J’ouvris la porte de Nate. Il était temps de m’occuper de mon meilleur ami.
Il lança un bras en l’air, ce qui me fit reculer, car je n’avais vu que le
mouvement, pas le livre qu’il me jetait à la figure mais atterrit sur le mur derrière
moi. Je le ramassai et le lui relançai. Nate ne l’esquiva pas et le prit sur l’épaule.
– Va te faire foutre !
Cette fois, Nate le balança de toutes ses forces vers le placard qu’il
transperça littéralement.
– Dis donc, c’est toi qui vas payer ça !
– Va te faire foutre ! répéta-t-il en me faisant un doigt d’honneur.
Puis il s’écroula sur le dosseret en se prenant la tête dans les mains.
– J’ai horreur de ça ! gronda-t-il. Je déteste me retrouver dans cet état. Je
déteste avoir mal. Mes parents arrivent, Mase, tu te rends compte comme ils vont
me prendre la tête ?
Il avait l’air de se calmer, alors j’entrai dans la pièce, me calai contre son
placard tout en me tenant prêt au cas où il m’enverrait encore quelque chose.
Nate avait le droit d’être en pétard, mais je ne tenais pas à me laisser blesser
pour autant.
– Mes parents. Mes putains de parents coincés et bien-pensants. J’ai
l’impression d’être un lycéen qui va se faire engueuler. Ils vont vouloir
m’emmener et on va s’engueuler. Ils ne se souviennent de mon existence que
quand ils reçoivent un appel de l’hôpital, de vous ou de la prison. Je suis un
adulte, maintenant.
Si Logan s’était trouvé dans cette pièce il aurait félicité Nate en levant le
poing. Je n’en fis rien. J’attendais qu’il termine.
– Ils ne peuvent pas venir me menacer ici, comme chaque fois. Tiens, s’ils
me coupent les vivres, tu partageras ton héritage avec moi.
– Mon cul, oui !
– Mason.
– Tu rigoles ? Affronte tes parents pour une fois. S’ils te coupent les vivres,
prends un boulot.
– C’est ça. Pour faire comme toi.
– Je peux te dire une chose que je ne ferais jamais : céder à la menace. Ça
m’est arrivé au moins une fois avec la mère de Sam, elle aurait pu bousiller mon
avenir. Si mon père menaçait de me couper les vivres, j’irais à la banque déposer
un sac de merde dans son coffre. Ou plutôt, je demanderais à Logan de s’en
charger.
– Tu ne piges pas.
– Oh que si ! Tes parents sont des abrutis. Les miens aussi. Arrange-toi avec
eux ou ils t’emmerderont toute ta vie.
Il se passa une main sur le visage, la laissa retomber, l’air plus hagard que
jamais.
– Ils ne sont plus les mêmes depuis que ma sœur…
Je ne dis rien. Nate ne parlait jamais de sa sœur. Il s’était produit une histoire
plusieurs années auparavant et elle avait été envoyée dans un pensionnat en
Europe. Il avait fait allusion à elle une autre fois, mais sans donner de détails. Je
ne savais pas trop ce qui s’était passé mais j’imaginais que si c’était arrivé à ma
sœur, j’aurais vu rouge.
Haussant les épaules, il se laissa retomber dans son lit.
– D’accord. Tu as raison. M’arranger avec eux. C’est le bon plan. Je vais
faire ça.
Regardant autour de lui, il tendit un doigt dans ma direction.
– Tu pourrais me jeter cette robe de chambre ?
Ce que je fis. Il l’enfila en ajoutant :
– Pardon, je me suis conduit comme un malade. J’étais furieux. Dis-moi
juste que tu vas attraper ce connard.
– Je te promets qu’on va s’occuper de lui. Promis, Nate.
– Les potes de ce connard, mes anciens amis, m’ont sauté dessus pendant
que vous vous confrontiez avec lui en public. Je veux le griller.
– C’est ce qui l’attend.
Il releva les yeux vers moi et je lui laissai lire dans les miens qu’il pouvait
compter sur moi. Alors, il hocha la tête, l’air soulagé.
– Merci, murmura-t-il.
C’était Park Sebastian qui lui avait fait ça. Tout s’était passé comme Nate
l’avait dit. Les comparses de Sebastian lui avaient sauté dessus dans un parking,
l’entraînant dans un coin noir pour pouvoir mieux lui taper dessus.
Ils l’avaient abandonné, incapable de marcher ni même de soulever son
téléphone pour appeler les secours. Ce fut un agent de sécurité qui le découvrit ;
et, pendant ce temps, Sebastian attendait Sam.
Il avait tout orchestré.
Le message était parti.
La guerre était déclarée.
CHAPITRE
12
Samantha
Au bout de quelques semaines, j’avais pris mes habitudes à la fac.
Je passais mes matinées en compagnie des filles. On allait aux cours
ensemble avec Summer. Quand la machine à café de Ruby tomba en panne, on
prit l’habitude de se rendre à la cafétéria du campus. Plusieurs étudiantes se
joignirent à nous, dont Kitty et Nina, et ça devint notre rendez-vous à potins. Du
coup, celles-ci ne m’attendaient plus dans le couloir après que je leur avais
échappé la première semaine.
Logan était interdit de passage dans ma résidence. Après sa deuxième visite,
Kitty avait pris racine sur la causeuse de Summer dans ma chambre. Elle ne
voulait plus en partir, malgré les efforts de Nina qui la tirait par les bras et les
jambes ; elle avait aussi tenté de la pousser vers la porte puis à travers le couloir
jusqu’à leur propre chambre. Mais, avec ses quarante-trois kilos, elle ne pouvait
rien contre son amie qui devait en faire le double. Peu à peu, cependant, elles
oublièrent leur amour pour Logan et devinrent plus normales.
Les après-midi, entre les cours et la bibliothèque, on faisait ce qu’on voulait.
Mes soirées se partageaient entre les runnings et les visites de Mason. Si je
le voyais l’après-midi, je courais le soir. Summer m’accompagnait, lisait son
bouquin tandis que je parcourais la piste. Si je courais plus tôt, je le voyais dans
la soirée. Plus de nuits dans la salle de cinéma. Il en passa une ou deux dans ma
propre chambre, mais Kitty et Nina avaient peur de lui. Ça marchait mieux avec
Summer, toujours émerveillée par sa présence. Elle ne se comportait plus de
manière aussi bizarre mais, une fois qu’elle l’avait regardé entrer, elle s’en allait
dans une autre chambre.
En fait, il était plus facile de me rendre chez lui, sauf que j’aimais bien
quand ça se passait chez moi. Mais, depuis le supplice de la salle de cinéma, on
n’allait pas plus loin que les scènes interdites aux moins de treize ans. Si on
voulait passer à l’interdit aux moins de seize ans, on se calmait ou on se rendait
directement chez lui. Logan avait compris. Quand je le croisais sur le campus
dans la journée, il me demandait si c’était une nuit avec ou sans. Façon de
s’enquérir si je serais chez eux le soir, ce qui nous permettrait de traîner dans la
cuisine ou le salon, ou si je ne devais voir Mason que dans ma résidence.
On était juste à l’heure où je devais rencontrer Logan. Son cours se déroulait
dans le bâtiment de la poste et, en l’attendant, je faisais la queue pour récupérer
un paquet venant de Malinda.
– Suivant !
La dame du comptoir me fit signe d’avancer. Un mec devant moi
m’empêchait de passer, alors je le contournai pour tendre mon reçu à
l’employée. Tandis qu’elle partait chercher le paquet, le type ne bougeait
toujours pas. Je m’interdis de le regarder, mais je sentais bien son attention. Il se
déplaça sur le côté, s’appuya sur le comptoir en croisant les bras.
Il me regardait et ne s’en cachait pas.
J’attendis, les mâchoires crispées. Les mecs s’intéressaient souvent à moi,
sauf que je n’y avais pas eu droit à Fallen Crest Public parce que tout le monde
savait qui était Mason, en revanche, c’était autre chose à Cain University. Bien
sûr, on connaissait Mason, mais pas notre relation. Dans un sens, ça faisait du
bien. Je pouvais me rendre tranquillement aux cours, sans attirer l’attention ni
aucun commentaire sur ma façon de m’habiller, encore que je me doutais que ce
type s’intéressait à tout autre chose. J’étais prête à lui raconter n’importe quoi
pour lui échapper, mais il ne bougeait pas, prenant toute la place, m’effleurant du
coude.
Il restait tranquille, attendant que je lui dise quelque chose.
Quel abruti ! Il se conduisait avec un culot effarant. La dame revint, parvint
à me donner mon colis. Je reconnus l’écriture de Malinda sur l’adresse. Elle
l’avait entourée de petits cœurs et de commentaires :
Vas-y, Sam !
Profite de la vie !
Tu me manques et à ton père aussi.
David dit : « Bonjour ! »
Mark dit : « Comment ça va ? »
Ne laisse pas Logan te faire trop d’ennuis.
Embrasse Mason pour moi.
Et ce n’était pas tout, mais ce furent les formules que je captai avant de me
retourner pour m’en aller. Le type me bloquait le passage. Je ne pouvais repartir
en arrière, rejoindre les étudiants qui attendaient pour leurs propres colis. Il
fallait que je contourne le mec.
Je fis un pas sur la droite, lui aussi.
J’allai à gauche, il en fit autant.
Là, un grondement me monta à la gorge. Je n’avais pas envie de me battre ni
de rouspéter. Tout se figea en moi.
Je levai les yeux sur le regard moqueur de Park Sebastian. Avec ses cheveux
gominés et sa raie sur le côté. Il ne portait pas le même polo que la dernière fois,
mais un tee-shirt Cain University et un jean. Comme beaucoup, sauf que le sien
était de marque et que ça se voyait. Tout son être vibrait d’une arrogance criante.
Lorsque nos regards se croisèrent, le coin de sa bouche se souleva. Il me
provoquait. Il savait que je détestais ça, que je ne voulais pas me laisser ainsi
approcher par un autre type que Mason. Je commençai à reculer en tenant le
paquet serré contre ma poitrine, mais des coudes me heurtèrent dans le dos, des
cheveux me balayèrent le visage alors que je me retournais, et on me poussa en
avant.
J’écarquillai les yeux. J’allais heurter Sebastian qui s’y attendait si bien qu’il
tendit les bras pour m’attraper.
Je ne voulais pas qu’il me touche. Cependant, je ne pouvais pas l’arrêter ;
déjà, il me plaquait contre son torse. Il nous fit alors pirouetter et m’entraîna vers
l’autre bout de la file, où je pus enfin respirer. Plus de groupe pour me suffoquer,
pour me coller contre lui. Il me lâcha au moment où je le frappai avec le paquet.
J’espérais qu’il ne contenait rien de fragile car il venait de heurter violemment sa
poitrine, le faisant reculer.
– Hé ! lança-t-il en levant les mains.
Les narines frémissantes, je grognai :
– Ne me touche pas. Jamais.
Plusieurs personnes m’entendirent et nous regardèrent, l’air intriguées.
Sebastian ne me touchait plus. Je paraissais furieuse. Mais tant pis.
– Ne t’approche pas de moi, insistai-je.
Je me retournai pour partir, mais il me bloqua encore le passage en levant les
bras :
– Sérieux, je ne te toucherai pas.
– Qu’est-ce que tu veux ?
Il savait qui j’étais. En fait, il le savait depuis le début. C’était pour ça qu’il
restait là, me forçant à me déplacer sur le côté. Il avait tout combiné depuis le
début en me piégeant avec ce groupe derrière moi.
J’avais envie de partir sur la gauche pour leur échapper, mais c’était là qu’il
avait posé son sac. Je devais donc virer à droite. D’ailleurs, c’était dégagé.
C’était le genre de mouvement qu’auraient effectué Mason et Logan. Tout
comme leur ennemi, et cela me fit songer qu’on allait passer du ridicule à
l’absurde. Ça m’aiderait à traiter avec Sebastian, à l’avenir, si jamais il
recommençait. Et il me suffisait de l’observer comme en ce moment pour savoir
que ce serait le cas. Je me redressai. Et puis merde !
– Si tu veux te servir de moi pour faire du mal à Mason, ça ne marchera pas.
Un quart de seconde, il écarquilla les yeux, entrouvrit la bouche. Je l’avais
surpris et ça l’amusait. Je ne m’attendais pas à cette réaction, cependant je serrai
davantage le paquet contre ma poitrine. Son regard tomba dessus et il se mit à
lire les petites phrases de Malinda. J’essayai de les cacher en étalant mes mains
dessus. Je me sentis ridicule au point d’en avoir chaud aux joues.
Ça suffisait.
Je ne pourrais pas gagner ainsi. Alors, je reculai. Le regard attentif, les bras
serrés, je rétropédalai. Je pourrais heurter quelqu’un au passage, mais tant pis. Il
fallait que je lui échappe.
– Samantha, dit-il en s’avançant.
– Arrête !
Gardant les mains dans le dos, il se pencha, l’air moqueur.
– Je ne vais rien te faire. Regarde. Tu vois ? Les mains derrière le dos,
littéralement.
– Bon. Alors, reste là.
En même temps, je ne pus m’empêcher de jeter un regard circulaire. On
attirait maintenant l’attention de tous. Certains riaient. D’autres avaient pris leurs
téléphones pour nous filmer. Et, franchement, Mason n’avait pas besoin de voir
ça. Alors, je finis par foncer à travers la file d’attente pour me diriger vers la
cafétéria. Il y avait encore plus de gens depuis qu’elle offrait une petite terrasse
au bord de la fontaine.
Merde. Je n’avais nulle part où aller.
Je lançai un regard par-dessus mon épaule. Sebastian était là, tâchant de
réprimer son sourire.
– Je ne vais pas te faire de mal.
– Tu savais que j’étais derrière toi dans la foule.
– Tout à fait.
Un soupir exaspéré m’échappa. Le connard ! C’était un véritable coup
monté.
– Tu as attendu exprès, pour me faire sortir à droite afin de me coincer. C’est
la sortie de la cafétéria.
– Effectivement.
– Connard.
– C’est vrai. Je te l’accorde.
– Fiche le camp.
– Je… Écoute, je voudrais juste te parler. Ce n’est pas méchant. Je ne vais
pas te faire de mal ni me servir de toi pour attaquer Mason.
– Comme si j’allais te croire !
Son sourire s’élargit d’un centimètre.
– Enfin, oui, je pensais pouvoir y arriver, mais tu n’es pas trop naïve.
Il s’était rapproché, l’air encore plus réjoui, les pupilles étincelantes. Il
aimait trop cette situation.
– Arrête d’en faire des tonnes, rouspétai-je.
Ce qui le fit éclater de rire. Il porta une main à sa bouche, mais ne put
s’arrêter.
– Pardon. Tu as bien changé par rapport au souvenir que je gardais de toi. Tu
te souviens de moi ? La première fois ?
– Ouais. Tu étais ami avec Nate, tu salivais sur Mason en espérant pouvoir
un jour te servir de lui. C’était le bon temps.
Son sourire s’altéra légèrement, il se redressa.
– Pas sympa.
Si j’étais Heather, je lui aurais fait un doigt d’honneur. Je m’en abstins mais
grimaçai de dédain, et il comprit très bien.
Écartant le col de son tee-shirt, il s’éclaircit encore la gorge.
– Je ne t’ai jamais fait de mal. Je ne crois pas avoir mérité cette réaction.
À mon tour d’éclater de rire.
– Tu te fous de moi, là ?
Mon exclamation, pas joyeuse du tout, attira l’attention des consommateurs
de la cafétéria. Mais ce mec était fou.
– Tu as essayé de te servir de mon copain. Quand il t’a dit non, tu as tenté de
détruire sa relation avec son meilleur ami. Comme ça ne marchait pas, tu as
voulu renverser Mason avec un véhicule. Comme ça ne marchait toujours pas, tu
as cherché à le faire renvoyer…
Sebastian plongea en avant, mais se rattrapa.
Je m’écartai sans reculer, cependant j’étais enchantée, car j’avais réussi à le
déséquilibrer un peu, et ce petit mouvement attira encore plus l’attention. C’était
le moment de révéler son vrai visage. Sebastian paraissait attirant à première
vue, alors qu’en fait c’était un mec répugnant ; je voulais seulement que ça saute
aux yeux, que tout le monde le voie.
– Tu es plus douée que j’aurais cru, laissa-t-il tomber, non sans une certaine
admiration.
Non, en fait, ce n’était pas de l’admiration. Plutôt de la fourberie. Merde.
J’avais sans doute montré trop vite mes cartes. Il savait que je n’étais pas la
copine naïve qui avait besoin de protection. Moi aussi, je pouvais mordre.
– Samantha ?
Kitty et Nina venaient d’apparaître à la porte derrière Sebastian. Elles le
contournèrent, mais captèrent vite la tension qui régnait entre nous.
Je haussai le menton.
– Fiche le camp.
– Que…
Kitty commençait à protester quand Nina lui donna un coup de coude. Je dis
quand même :
– Ce n’est pas à toi que je parle, Kitty.
C’était à Sebastian. Je ne le quittais pas des yeux et le vis se rembrunir. Cette
fois, je le tenais. S’il voulait faire quoi que ce soit – m’intimider, me draguer, me
menacer –, c’était le moment, et en public. Il devait abattre ses cartes ou les
garder et tenter autre chose.
Sans dire un mot, il contourna les filles.
Il battait en retraite.
J’avais gagné.
Fermant les yeux, je poussai un soupir irrité. Mince. Maintenant qu’il était
parti, je tremblais de tous mes membres.
– Euh…
Kitty se rapprocha de moi tout en le regardant s’éloigner et disparaître dans
la foule.
– Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-elle.
– C’était qui ? ajouta Nina.
– Rien de bon, répondis-je d’un ton entendu.
Je préférais ne pas leur en dire davantage. Kitty aimait trop bavarder. Quant
à Nina, elle était plutôt du genre à tout analyser ; pour une fois, cependant, elles
s’en tinrent à ma demande sous-entendue et ne dirent plus un mot.
Je manquai le cours suivant, quant aux filles, elles en avaient fini pour la
journée. Si bien qu’on entra toutes les trois dans la résidence. On était vendredi
soir.
À l’instant où j’allais pénétrer dans ma chambre, Kitty m’appela du seuil de
la sienne en faisant des signes de la tête.
– Oui ? dis-je.
– On promet de rester tranquilles demain au match.
C’était vrai. On devait aller au match ensemble, c’était le premier de
l’équipe à domicile. On jouait contre Grant West University, autre équipe de
première division. Celle de Cain U était haut placée cette année, grâce à Mason
mais aussi à Drew. Ils avaient tous les deux été nommés pour le trophée
Heisman, cependant Mason avait refusé. Drew arrivait donc en tête maintenant
et, ensemble, ils offraient un spectacle remarquable. J’avais assisté, avec Logan
et Nate, aux deux autres matchs à l’extérieur, mais le premier à domicile
représentait toujours un niveau différent.
Les fans étaient plus excités, et l’équipe aussi.
Sans parler de la pression énorme.
– D’accord, dis-je en riant. Merci de m’avoir prévenue.
Elle me parla de Logan, quand il nous avait vus au match.
– Et souhaite bonne chance à ton copain, ajouta-t-elle.
– D’accord. Merci, Kitty.
Nina passa la tête devant sa coloc.
– De ma part aussi !
– Promis ! Merci, les filles.
Je rentrai dans ma chambre.
Summer leva sur moi un regard ébahi. Alors que je fermais la porte, elle
lâcha le stylo qu’elle avait à la main.
– Ce sont mes oreilles qui viennent de me jouer un tour ?
– Quoi ?
– Kitty et Nina t’ont paru normales ?
J’allai m’asseoir le cœur serré en espérant qu’elle continue de parler de ces
deux filles. Ainsi, elle ne remarquerait pas que j’étais encore dans tous mes états
à cause de Sebastian.
– Oui. Elles ont dû se rendre compte que Logan ne venait plus ici. Elles ont
dû en tirer des conclusions.
Elle n’eut pas le temps de répondre, car on frappait discrètement à la porte.
J’ouvris et ressentis un éclair de panique.
C’était Mason, les bras croisés, le regard inquiet. Il avait l’air si délicieux
que je ne savais pas si je devais avouer sur-le-champ ma prise de bec avec
Sebastian ou l’entraîner au lit après avoir viré Summer. Il avait l’air de sortir de
la douche, ce qui signifiait qu’il venait du vestiaire. Il portait un tee-shirt Cain
University et je me dis au passage que c’était le même que celui de Sebastian.
Mais avec ses larges épaules, sa silhouette musclée et sa taille étroite, il me
faisait saliver. Jetant un rapide coup d’œil vers Summer, je la vis littéralement
baver d’admiration. Je n’étais donc pas la seule…
– Salut ! m’exclamai-je nerveusement.
Il plissa les yeux, mais finit par sourire.
– Salut toi. Qu’est-ce que tu fais ?
Apercevant le paquet dans mes mains, il ajouta :
– Ça vient de Malinda.
– Oh oui !
Je me rendis compte que je m’y accrochais comme à un radeau.
– Oui, normal pour une maman, non ?
Derrière moi, Summer murmura :
– C’est quoi ?
Elle n’était pas au courant pour Ann-Lise. Je partageais certaines choses
avec elle, mais je n’avais pas abordé les moments les plus fous que j’avais pu
traverser.
– Je peux entrer ? intervint Mason.
– Oui, oui.
Je le laissai passer, fermai la porte derrière lui. Il baissa la tête en murmurant
à Summer :
– Bonsoir coloc.
– Bonsoir copain, répondit-elle.
– Hé ! m’écriai-je, vous avez le droit de vous appeler par vos prénoms. Je vis
avec elle, Mason.
Summer se leva en soupirant.
– C’est bon, les tourtereaux, dit-elle en attrapant son sac et ses clés, je vais à
mon dernier cours de la semaine. Sam, tu seras dans le coin, ce soir ?
J’interrogeai Mason du regard et, devant son air inexpressif, je répondis :
– Je ne sais pas trop. Je te dirai.
– Parfait, répondit-elle avec un signe de la main. À plus, Sam… et au copain
supersexy.
– Elle ne devrait pas me parler comme ça, commenta-t-il dans un rire froid.
Je posai le paquet sur le bureau avant d’aller me blottir sur ses genoux.
– C’est une fan. Ça n’a rien à voir.
– N’empêche.
Il me dévisagea, posa la main sur mes lèvres. Je la saisis, pris ses doigts dans
ma bouche, les enveloppai de ma langue. J’avais envie d’oublier cet après-midi
et ne pas penser à la manière dont j’allais affronter la situation. J’avais envie de
me perdre dans ses bras.
Il comprit et s’allongea, m’attirant sur lui. Je me sentais enfin en sécurité. Il
roula sur moi et je souris, relâchant sa main. J’avais déjà trop envie de lui.
Le sourire aux lèvres, il se leva sans dire un mot puis alla fermer la porte et
baisser la lumière. Mon cœur se mit à battre. Le désir grandissait entre mes
jambes et je m’humectai les lèvres en le regardant ôter son tee-shirt. Il était tout
en muscles, j’aurais pu les détailler les uns après les autres alors qu’il revenait
vers moi. Je me sentais bouillir. J’avais envie de passer la main sur chaque
centimètre de son corps, de sentir son poids sur moi, de le sentir en moi.
Je voulais qu’il brise ce foutu lit pour moi.
J’allais lui mentir. Même en le voyant s’approcher de moi, je pensais encore
à ce que j’allais faire. Le nom de Park Sebastian allait bousiller ce moment, pas
question. Mason serait furieux s’il l’apprenait, mais je ne changerais pas d’avis.
Je ferais ce mensonge pour nous, pour lui qui m’avait tant protégée.
Je n’avais pas le choix.
Je l’aimais, pourtant, je lui mentais.
Prise d’un début de remords, je me représentai Sebastian en train de savourer
sa victoire, mais aussi la réaction de Mason et ce qu’il lui ferait. Alors il serait
viré, aussi bien de l’université que de l’équipe de foot. Ce qui briserait sa
carrière, le rêve de sa vie – tout ça à cause de moi.
Pas. Question.
J’avais sans doute tort, mais c’était mon tour de le protéger.
Il se posa sur moi pour me murmurer, lèvres contre lèvres :
– Après ça, on ira chez moi.
Je fermai les yeux en sentant ses mains sous mon tee-shirt, qu’il me retira en
disant :
– Je veux qu’on y passe toute la nuit.
Carrément.
CHAPITRE
13
Logan
Je me mêlai à un groupe où les filles étaient jolies et les mecs nonchalants.
La rousse capta immédiatement mon regard. En principe, j’aurais dû m’arrêter,
échanger quelques plaisanteries, attendre pour voir comment ils réagissaient.
S’ils étaient pro-Logan, je restais et finissais par emmener une fille dans ma
voiture pour plus de tranquillité. S’ils étaient anti-Logan, je poursuivais mon
chemin. Les filles finissaient par me retrouver plus loin.
C’était ainsi que ça se passait en général, mais pas cette fois. La soirée avait
lieu dans un jardin de banlieue, mes informations étaient bonnes. Il s’agissait
bien d’une des fêtes de Park Sebastian et je n’avais pas trop le temps. Nate se
dépêcha de me rejoindre tout en jetant des regards inquiets autour de lui, sur les
garçons qui nous observaient.
Oui, les filles, un putain de Kade se baladait dans le coin.
La nouvelle parviendrait à Sebastian avant moi, aussi fallait-il faire encore
plus vite. Je voulais arriver le premier, sans lui laisser le temps d’élaborer une
stratégie et de réunir ses connards. C’était son territoire, mais je disposais de
l’élément de surprise… durant quelques minutes.
– Logan, me souffla Nate à l’oreille. Tu es sûr ?
J’étais plus sûr que jamais.
– Oui. Ce n’est pas le moment de te dégonfler. On y va.
– Je sais. Je tiens le coup. Il faut juste qu’on soit sûrs d’avoir tout bien prévu.
Parce qu’on est chez eux, là…
– Donc, tu te dégonfles.
– Non, mais pourquoi on ne fait pas ça avec Mason ?
– Deux raisons : d’abord, mon frère fait gentiment l’amour à sa meuf cette
nuit, et deuzio, il n’en a rien à foutre. Il fait partie de l’équipe de foot. C’est à
nous de faire quelque chose.
– Mason a un plan.
– C’est ça ! J’adore mon frangin, mais là, il traîne un peu des pieds. Il est
temps de s’occuper de Sebastian. J’en ai marre de rester à ne rien faire. Tu me
suis ou pas ?
– Ta gueule, Logan !
– Donc tu me suis.
Il me suffisait de voir son expression. Après les coups qu’il avait subis
quelques semaines auparavant, ses bleus disparaissaient enfin. Néanmoins, je
ferais peut-être mieux de lui dire de partir. Mais non, j’avais besoin de lui au cas
où.
– Kade ?
Le mec s’approcha, une bière dans chaque main. Il portait les cheveux
dressés sur le crâne et me faisait penser à un frère de l’ancienne fraternité.
– C’est toi, Blazer. Le mec à la toge.
– Quelque chose comme ça, répondit-il en me tendant une bière.
Je la refusai d’un geste de la main. Il la proposa à Nate.
– Je suis Blaze. J’ai donné une soirée au début de l’année. Tu y étais avec la
copine de ton frère qui habite à l’étage de mon amie. La conseillère de résidence
de Sam.
Nate m’interrogea du regard.
Le gros à la toge l’appelait Sam et la définissait comme voisine d’étage de
son amie ; mais, tant qu’on était là et que je me rappelais nos conversations de
l’autre soir, je tins ma langue, le détaillant des pieds à la tête. Il n’avait pas l’air
trop ivre, juste gentiment beurré. Avec un sourire indolent. Il tenait à peu près
sur ses pieds quoique sa chemise déboutonnée dévoilât un tee-shirt taché de
ketchup, de moutarde et surtout de bière.
Il était quand même déjà bien parti et, comme il ouvrait la deuxième bière
pour la porter à sa bouche, je la pris.
– J’ai changé d’avis, déclarai-je avec un sourire un rien complaisant.
– Ah bon, dit-il en haussant les épaules. Ça me va, je peux en récupérer
ailleurs, mais, euh… Tu sais où tu es, au moins ?
On captait de plus en plus l’attention. Fini la surprise du début. J’envoyai un
petit coup d’épaule à Nate.
– Tu veux bien approcher la voiture ?
– Quoi ?
– La voiture, insistai-je en regardant la barrière voisine.
– Ah… Mais…
À son air renfrogné, je compris ce qu’il pensait et lui souris, pris sa bière que
je tendis à Blazer… non, Blaze.
Celui-ci parut surpris, mais conserva son air aimable. Non, nous n’étions pas
amis. J’allais manipuler ce débile qui croyait pouvoir utiliser le nom de Sam à
toutes les sauces.
Lui passant un bras sur l’épaule, je lui tapotai le torse.
– Blazer va m’aider, lançai-je à Nate.
– Blaze.
Je le tapotai de nouveau.
– Tu as d’autres problèmes.
Nate se mit à secouer la tête.
– Non, Logan. Non, non, non !
Blaze se rembrunit.
– Quels problèmes ?
Je désignai la rue :
– Prends la voiture. Je vais en avoir besoin.
– Je ne suis pas d’accord, soupira Nate.
Ce qui m’était bien égal. J’entraînai Blaze avec moi.
– Dis-moi, gamin, où sont tous tes amis ?
Ils prétendaient détester Sebastian. C’était le moment de montrer qu’ils
avaient des couilles. J’avais l’impression qu’ils allaient se dégonfler, mais j’étais
au moins sûr de m’amuser.
– Euh…
Il ne me résistait pas pourtant. À l’évidence, il ne comprenait rien du tout.
– Ils sont près de la barrière, pourquoi ?
– On va leur dire bonjour.
– Attends. Quoi ?
Trop tard. Je l’entraînais déjà vers le groupe.
Mason était le cerveau de ma famille, mais je n’étais pas complètement idiot
moi non plus. Sebastian savait que je me trouvais ici et il allait piger dans
quelques secondes que j’étais seul. Ces mecs, comme ils l’avaient proclamé, ne
le soutenaient pas. La confrontation devait se produire avec eux à mes côtés, pas
les racailles de la fraternité de Sebastian.
On arrivait à proximité du groupe de potes de Blaze quand un murmure
parcourut la foule.
Il était là.
Je ne savais pas trop pourquoi je goûtais tant ces moments-là. Je n’avais
aucun soutien, ou si peu. Les chances étaient contre moi. La plupart des gens
allaient filer sans chercher à comprendre. Tandis que la foule s’écartait sur
Sebastian et ses connards, je sentis un fourmillement monter en moi, d’abord
discret mais de plus en plus puissant. Mason ne ressentait pas le besoin de se
battre. Ça ne lui faisait pas plaisir, à moi si. J’aimais ça. Ça me comblait. Et là,
j’étais sur le point de jouir.
J’étais défoncé, pourtant je parvins à sourire à Sebastian qui paraissait
beaucoup trop arrogant et sûr de lui.
– Logan Kade ! s’esclaffa-t-il. Tu es perdu ?
J’aurais pu le boxer tout de suite. Un coup et il serait tombé, mais ses mecs
se seraient jetés sur moi. Et je ne voulais pas m’y risquer. J’avais trop l’habitude
de gagner.
– Patience.
Je croyais entendre la voix de Mason en moi.
Il s’y prendrait lentement. Il s’assurerait d’abord que tous ses points de
repère soient en place, et puis il lancerait la conversation, mais il n’aimait pas
frapper le premier. Moi si. Mason aimait rendre, une fois qu’on l’avait attaqué.
C’était le genre de chose qui me rendait malade chez lui. Peut-être que je ne
possédais pas la même maîtrise de moi.
Je m’interdis de répondre. Pas encore.
Nate avait besoin de temps pour atteindre la voiture.
Sebastian se rapprocha, pencha la tête de côté.
– À moins que tu ne sois sourd ? Tu ne m’as pas entendu ? Il faut que je
répète ?
J’attendais toujours. Si je commençais maintenant, j’ignorais combien de
temps je résisterais. Mieux valait temporiser avant de m’engager à fond. Encore.
Mason serait fier.
– Hello !
Il agita la main, claqua dans ses doigts.
D’accord.
Ma patience me lâcha.
Je lui saisis le poignet.
– Réfléchis-y à deux fois avant de lever la main sur moi.
Il écarquilla les yeux, aussi surpris que ses mecs par la vitesse de ma
réaction. Le temps qu’ils surmontent leur surprise, je disposais d’une seconde. Je
repoussai son bras avec assez de force pour le faire reculer de deux pas. Puis je
changeai totalement d’attitude pour redevenir ce bon vieux Logan Kade.
– Attention, Sebastian, dis-je avec un sourire railleur. Je réagirai aussi fort si
tu continues comme ça.
– Quoi ?
Mon avertissement était empreint de violence et il réagit à la menace,
pourtant j’avais parlé d’un ton léger, presque charmeur. Ce connard n’avait
aucune idée de mon identité. Il avait perdu pied. Je pouvais y aller, l’envoyer
dans les choux ou, au contraire, contrôler la conversation.
Je fis ce que j’avais prévu :
– C’est gentil de venir m’accueillir. Merci. Tu es un sacré enfoiré si tu reçois
tout le monde ici.
L’expression de Sebastian se renfrogna. Apparemment, il m’avait reconnu.
– Qu’est-ce que tu fous ici, Kade ? dit-il en regardant autour de lui. Et ta
salope, elle se cache dans les parages ?
Je secouai la tête.
– Allons, Sebastian ! Tu m’ouvres grand la porte, là. Je peux te répondre un
million de trucs. « Ne parle pas comme ça de ta maman. » « Oh, mais ce n’est
pas ma salope, c’est la tienne. Merci de me l’avoir prêtée. » Ou, plus classique :
« Je sais que tu en veux à ta copine de me branler, mais ne sois pas mesquin non
plus ! » Enfin, je pourrais t’en sortir des tonnes d’autres, mais je vais juste
revenir à la plus courante.
Je le fixai, l’air nettement moins avenant. J’avais assez attendu Nate. Il était
temps de revenir aux affaires sérieuses.
– En fait, tu es la seule salope que je voie par ici.
Simple insulte, mais ça marcha. Sa colère explosa, comme si je venais de lui
balancer un uppercut.
– Viens me voir, salope, ajoutai-je avec un large sourire qui n’atteignait
pourtant pas mes yeux.
Deuxième uppercut, en pleine figure.
Autour de nous, c’était le silence total. Je compris que personne n’osait
insulter Sebastian – du moins en face. Il était temps qu’il apprenne qui étaient
vraiment les Kade.
Il ne dit rien. Ah ! Monsieur réfléchissait. Comme Mason aimait le faire. Je
l’avais bousculé, mais il se ressaisissait. Il voulait reprendre le contrôle de la
confrontation.
Sauf que je n’allais pas le laisser faire :
– Tu m’as posé une question sur ma salope, mais au fait, où est la tienne ?
J’aimerais faire sa connaissance.
Comme il ne répondait pas, je regardai autour de moi.
– Je ne vois ici aucune meuf qui semble s’inquiéter pour toi. À quoi elle
ressemble ? Attends… Tu n’en as pas ?
Je reculai en levant les mains. Il parut ne pas comprendre que je forçais
simplement Blaze et ses potes à m’entourer. Je voulais attirer Sebastian dans ce
cercle, loin de ses connards.
Il avança.
Ça marchait.
J’attendis. Il comprendrait si je reculais d’un pas supplémentaire. Blaze se
trouvait à ma droite, son autre ami, qui tenait le fût, à ma gauche.
– Sebastian a une petite amie ? demandai-je à Blaze.
Celui-ci parut comprendre. Il ne voulait pas se laisser entraîner là-dedans,
mais trop tard. Je venais de le prendre au piège. Si Sebastian croyait contrôler
tout le monde, il se faisait des illusions. Je n’avais plus qu’à le lui prouver en
dressant plusieurs personnes contre lui.
À voir son expression, j’aurais juré qu’il ne savait même pas qui étaient
Blaze et son groupe de potes. En fait, j’étais prêt à parier qu’il ne connaissait pas
la moitié des gens qui assistaient à cette soirée.
Une soirée, une personne – c’était tout ce qu’il fallait pour mettre le feu.
C’était moi la première étincelle.
Blaze ne pouvait s’opposer à ce qu’il avait déjà proclamé comme son
groupe. Il y avait des témoins et, comme il l’avait dit, son amie était la
conseillère de résidence de Sam.
Les filles ne respectaient pas les lâches.
Si Blaze reculait, ce serait un lâche.
Bon, c’était un plan B et, non, je n’y avais pas songé jusqu’à ce que Blaze
arrive vers moi de son pas nonchalant mais, maintenant que la partie était lancée,
je la trouvais meilleure que ce que j’avais projeté. Les dés étaient jetés.
– Tu t’entends bien avec Blaze ? demandai-je à Sebastian.
Si Blaze remarqua que, cette fois, j’avais bien prononcé son nom, il regarda
tout de même Sebastian qui l’examinait tout en se grattant le menton.
– Je ne crois pas avoir ce plaisir, maugréa-t-il. Tu es qui ?
Blaze changea de pied.
– Euh…
Le pauvre n’était pas trop doué en matière de confrontation. Il ouvrit la
main, mais ce fut moi qui tapai dessus.
– Non, non, non. Ce n’est pas comme ça qu’on fait, Blaze !
– Quoi ?
Sebastian avait reporté son attention sur moi, l’air furieux car il commençait
à sentir l’insulte.
J’étais venu à sa soirée.
Je l’avais insulté.
Sans m’enfuir.
Et je continuais à l’insulter.
Et je ne partais toujours pas.
Au cours des jours à venir, quand il se rappellerait cette soirée, la honte ne
ferait que grandir en lui.
Les guerres se livrent toujours par étapes, et celle-ci en était une.
– Arrête de réfléchir, Logan. Conclus.
Au souvenir de la voix de Mason, je me rappelai ce que j’étais venu faire là.
– Allez, Sebastian, lançai-je, plaisanterie mise à part, tu as raison. Je ne suis
pas là par hasard.
– Je ne t’ai jamais demandé ce que tu faisais là.
Je pris Blaze par le bras :
– Mon ami ici présent, Blazer…
– Blaze.
– Encore ? Oh, pardon !
Il pouffa de rire.
Je me retournai vers Sebastian, non sans remarquer que ses amis se
regroupaient, de plus en plus nombreux. Ils se retrouvaient à côté du groupe de
Blaze mais, sentant la menace, ceux-ci se rapprochèrent également, comme pour
leur tenir tête.
– Il y a quelque temps, continuai-je, à sa soirée, il m’a dit qu’il était fier de
moi et aussi de mon frère.
– Oh merde… souffla Blaze en regardant ses potes.
Tout d’un coup, il comprenait où je voulais en venir.
Et moi, je commençais à bien m’amuser. J’ajoutai :
– Il est allé jusqu’à me remercier de m’en être pris à toi. Alors, Sebastian,
voici mon message d’intérêt public.
Plaçant mes mains en haut-parleur autour de ma bouche, je lançai, assez fort
pour que tout le monde entende :
– Personne ne t’aime vraiment.
Pause.
Attends un peu.
Que ça pénètre les cervelles.
Maintenant, vas-y.
– Comme tous ces gens, dis-je en désignant le groupe de Blaze. Ils m’ont dit
qu’ils te détestaient. En fait, j’ai entendu énormément de gens me dire ça. Ils
étaient trop contents quand ta maison a brûlé. Ils voulaient même remercier celui
qui avait commis cette horrible chose. Alors, me voilà !
Je m’avançai d’un pas vers lui, puis d’un autre, à portée de ses poings.
– Je suis prêt à t’aider. Perso, j’aimerais connaître mes ennemis – à moins
qu’ils ne soient trop lâches pour assumer. N’empêche que j’aimerais au moins
savoir qui sont ces lâches.
J’attendis.
Les graines étaient semées.
Les narines de Sebastian se dilatèrent.
– Autrement dit, tu es venu ici pour les dénoncer ?
– Non.
– Quoi ?
– Non, je ne suis pas venu faire ça. En fait, je voulais lancer une bagarre,
mais, euh… bon, on est en très nette infériorité numérique et puis, tu sais, j’ai un
peu de jugeote…
– Logan, souffla Blaze.
Je me sentis un rien déçu. Ce type m’appelait par mon prénom. Noms de
famille, Blaze. Il faut utiliser les noms de famille. Je partagerais plus tard avec
lui cette pépite de crétinerie, mais il fallait d’abord que je lance ce que j’avais
prévu au début.
Provoquer un putain de combat.
Sans répondre à Blaze, je tendis les bras, tenant fermement ma bière dans
une main.
– Merci pour ton hospitalité, Sebastian, mais il faut que j’y aille.
Ses yeux se plissèrent. Il s’avança. Jamais ils ne me laisseraient partir, mais
c’était bien ce que j’espérais.
Alors je me retournai, comme pour partir. Et là, je vis ce que j’espérais – la
tête de Blaze qui virait vers la droite. Sentant que Sebastian arrivait entre nous,
je plongeai. Son bras passa au-dessus de ma tête, je le bloquai du poing puis
poussai le mec en avant afin de lui balancer ma cannette sur le front.
Le combat avait commencé.
CHAPITRE
14
Il fallut qu’une porte claque pour annoncer son arrivée imminente. Mason
serait là dans deux secondes et tant pis si j’avais fermé à clé. Il ferait sauter la
serrure s’il le fallait, enfoncerait le panneau à coups de pied. Je m’assis, retenant
la fille bien droite au-dessus de moi, lui maintenant les hanches pour la pénétrer
une dernière fois. Cette fois, ça y était. Je jouissais, et, merde, ça faisait du bien.
Une seconde pour en profiter. Ma porte s’ouvrit brutalement à l’instant où ça
s’achevait, et je retombai sur le lit.
La rousse poussa un cri avant de plonger entre les draps à côté de moi pour
se cacher.
On n’y prêta pas plus attention l’un que l’autre, trop occupés à nous fixer.
– Oui ? demandai-je.
– Qu’est-ce que tu as fait hier soir ? gronda-t-il.
– Ce que toi tu ne pouvais pas.
Il savait très bien ce que je voulais dire et me fit un doigt d’honneur.
– Enfoiré !
Là-dessus, il ressortit.
Je sautai du lit, mais la fille poussa des protestations indignées. Alors, je me
penchai pour l’embrasser sur les lèvres, lui tapotai la hanche.
– Il faut que je m’occupe de ça. Sois gentille et habille-toi.
– Quel abruti !
Tout en enfilant mon caleçon, je me dis qu’elle avait raison.
– Écoute, je ne veux pas jouer les salauds, mais je t’ai ramenée d’une soirée
où je venais de me bagarrer. Qu’est-ce que tu croyais ?
Elle se redressa, le visage rouge de fureur.
– Tu ne sais même pas comment je m’appelle !
Je n’allais pas m’excuser non plus.
– Un, tu ne me l’as jamais dit. Deux, je ne te l’ai jamais demandé. À quoi tu
t’attendais quand je t’ai proposé : « Tu veux qu’on aille baiser chez moi ? »
Elle retint son souffle, serra les lèvres.
Une chemise à la main, je me dirigeai vers la porte. Il fallait que je règle ça
avec Mason, mais la meuf représentait un problème plus encombrant que je
n’aurais cru. Je m’arrêtai sur le seuil :
– On a baisé. Tu es restée toute la nuit et on a encore baisé. Les deux fois
c’était bien, et je suis désolé de ne pas pouvoir te proposer de rester plus
longtemps ce matin. En fait, je croyais avoir un peu plus de temps avant qu’il
débarque ici.
– N’importe quoi !
Là-dessus, elle entreprit de récupérer ses vêtements.
J’attendis. Elle s’habilla rageusement, enfilant son jean mais sans tirer la
fermeture ni boucler le bouton, pour attacher plus vite son soutien-gorge et son
tee-shirt. Elle était venue en voiture, derrière la nôtre, si bien que je n’aurais pas
besoin de lui appeler un taxi. Elle prit ses clés et passa devant moi en
m’effleurant du coude et en m’injuriant.
Je la suivis dans l’escalier.
Ouvrant la porte d’entrée, elle tournoya pour me faire face.
– Toi… articula-t-elle.
La rougeur de son visage s’étendit à son front et à son cou. Elle était trop en
colère pour pouvoir parler.
Elle était sublime.
Ses seins pointaient sous son tee-shirt. Son jean lui tombait bas sur les
hanches. Elle n’était pas maigre. Elle avait ce qu’il fallait de chair pour me
permettre d’y aller un peu fort que la normale, et elle avait bien crié la dernière
fois.
Merde.
J’allais avoir envie de remettre ça.
Je posai la main sur son bras, son corps se tendit à ce contact. Elle allait
m’envoyer promener, alors je dis doucement :
– Je ne veux pas jouer les abrutis. Il faut juste que je rétablisse la situation
avec mon frère avant son match d’aujourd’hui.
Elle se détendit aussitôt, secoua la tête, leva les yeux au ciel.
– Mon Dieu !
– Tu vois ? dis-je en lui caressant l’épaule jusqu’à la nuque. Tu ne connais
pas non plus mon nom. Logan, pas Dieu.
Elle se mit à rire tout en continuant de râler. Je la ramenai vers moi avant de
déposer mes lèvres sur les siennes, jusqu’à ce qu’elle cède à mon insistance.
– Bon, la prochaine fois, au lieu de m’injurier, appelle-moi Logan. Et
j’aimerais qu’on se revoie.
Un petit rire s’échappa de ses lèvres fermées.
– Je dois être dingue, souffla-t-elle en prenant un stylo.
Elle inscrivit son numéro sur ma main.
– Appelle-moi avant que je le regrette.
J’en avais bien l’intention mais, dès qu’elle eut disparu, je me précipitai vers
la chambre de Mason, m’arrêtai devant la porte fermée. Je ne me rappelais pas
avoir vu le sac de Sam dans les parages. J’ignorais si elle se trouvait encore là ou
non. Je frappai, entrouvris.
– Je dérange ?
– Elle n’est pas là ! cria Mason en sortant de la salle de bains. Je viens de la
raccompagner à la résidence.
– Ah bon.
J’entrai. Merde ! Mon frère pouvait tuer quelqu’un d’un seul regard. Si ça lui
arrivait, il aurait la plus belle des défenses. Non, Monsieur le Juge, il n’a fait que
regarder ce type.
– Je suis allé là-bas pour provoquer une bagarre.
– Sans moi ! râla-t-il. À quoi tu joues ?
– À vrai dire… toujours à la même chose depuis le début.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– Tu ne peux rien faire, Mason. Tu as les mains liées. Si tu fais le moindre
geste contre Sebastian, il ira se plaindre à la direction. Tu seras viré de l’équipe
et de la fac. Moi, je n’ai rien à perdre. Ma carrière n’est pas en jeu. Il te tient par
les couilles.
– Tu te trompes. J’ai prévu quelque chose, mais ça va prendre du temps.
Il retourna dans la salle de bains, fit couler la douche, revint sur le seuil.
– Ne te mêle pas de ça, Logan.
– Si.
Il voulait me protéger. Il avait planifié les plus belles victoires et on s’était
bien soutenus l’un l’autre. Mais plus cette fois. Même s’il refusait de l’avouer.
– Obligé, dis-je encore. Nate est venu avec moi. Lui, tu te rends compte ? Si
tu avais pu livrer ce combat, il n’aurait jamais fait ça, et tu le sais. Nate t’a
toujours fait passer avant les autres.
– Je…
Il m’opposa une expression douloureuse et ça ne me plut pas ; jamais il ne
voudrait l’admettre mais, pour une fois, c’était mon frère qui avait besoin d’être
protégé.
– Tu sais que j’ai raison, murmurai-je. C’est pour ça que tu n’as encore rien
fait contre lui.
– Tu as tort.
Mais il ne pouvait pas se battre en ce moment. Il se passa la main dans les
cheveux.
– Tu ne peux pas juste me faire confiance ? demanda-t-il. Il y a quelque
chose en route, mais tu as raison, il faut que j’y aille doucement, que j’attende
mon tour. Le résultat en vaudra la peine. Je t’assure.
– Qu’est-ce que tu as prévu ?
– Je… J’attends un truc. C’est tout ce que je peux te dire.
– N’importe quoi ! On devait affronter cette situation ensemble. Nous tous,
toi, moi, Sam et Nate. Les Quatre Redoutables, tu te rappelles ? Qu’est-ce que tu
as prévu ? Et pourquoi tu ne pourrais pas nous le dire ? Tu n’en as pas soufflé un
mot à Nate et je suis sûr que Sam n’en sait rien non plus.
– J’attends, se contenta-t-il de répondre.
– Tu veux gagner du temps.
– Logan… marmonna-t-il d’un ton quasi résigné.
Je grinçai des dents. Dire que ça venait de mon frère… J’avais raison, qu’il
l’admette ou non. Il attendait la fin de la saison de football. Mais ce serait trop
tard.
– Il va s’en prendre à Sam, dis-je.
– Pas si on ne le provoque plus.
Je n’en revenais pas. Il n’y comprenait rien. J’avais envie d’arracher sa porte
pour la lui jeter à la figure. Mais je ne pouvais que remâcher ma déception.
– Tu as tort, Mase. Il va la viser, qu’on attende ou non.
– Ça, maintenant, c’est sûr.
– C’est pour ça que tu lui as mis un garde du corps.
Il haussa les épaules, les rabaissa lentement. Il ne pouvait le nier. Un garde
contre tous les amis de Sebastian.
– Et s’il l’attaque pour de bon ? demandai-je.
– Je le tuerai.
– Or, c’est exactement comme ça qu’il gagnera, cette fois. Il la touche et tu
le massacres. Bim ! Il te tient. Les flics rappliquent. Il a placé des caméras
partout et il gagne. Ta carrière est foutue. Ton avenir en miettes. Merde, Mase !
Ça pourrait se terminer par de la prison pour toi. Avec tout ce qu’on a fait, ça
aurait déjà pu nous arriver.
On avait déjà été arrêtés, mais James nous en avait toujours sortis. À présent,
c’était fini. Si on se faisait encore prendre, il n’y aurait plus de riche papa pour
nous aider. J’insistai :
– Laisse-moi m’occuper de Sebastian. Je te tiendrai au courant. Tu pourras
m’aider à tout organiser. Je dois dire que tu m’as déjà pas mal inspiré hier soir.
– Comment ça ?
– J’avais prévu de le provoquer, de lui mettre un coup et puis de sauter par-
dessus la barrière, où Nate m’attendait avec une voiture. Mais il a fallu que je
change mes projets.
– Qu’est-ce que tu as fait ?
– Tu n’as pas entendu ?
– Drew a téléphoné ce matin. Il m’a juste dit que tu t’étais battu avec les gars
de Sebastian. C’est tout.
– En réalité, j’avais fait venir quelques-uns de ses ennemis et là, je leur ai
fait avouer qu’ils le détestaient pour ne pas avoir à lui baiser les pieds et filer la
queue entre les jambes.
– Et ?
– Ils ont combattu avec moi.
Mason hocha la tête, une lueur d’admiration dans les yeux. Je me redressai.
Mon frère était fier de moi !
– Bon, avouai-je, après ils m’en voulaient un peu, mais ils se joindront de
nouveau à moi s’il le faut. Ils se prennent pour de vrais mecs, maintenant.
– Bien joué, frérot ! répondit Mason avec un sourire.
– Comme tu dis.
Il désigna le plafond :
– Et désolé de t’avoir interrompu. Je savais que tu avais une meuf. Je voulais
juste t’emmerder.
– Ah, je vois ! Tu copies sur moi. Je ne suis pas futé qu’en paroles, dans la
vie aussi, en particulier en débarquant quand tu baises avec Sam. C’est vraiment
des manières de débile.
– D’accord, avoua Mason. Tu as encore des trucs à m’apprendre.
– Je t’apprendrai beaucoup de choses, cher élève, mais d’abord, il faudrait
que je me pointe quelque part avec un bon cappuccino. S’il y a une chose que
j’ai apprise de Sam, c’est que toutes les filles aiment leur cappuccino.
– Attends, lança-t-il gravement.
Je ne lui avais pas souvent vu un tel regard – quand notre mère était partie,
quand on avait découvert Sam brutalisée dans les toilettes, quand la voiture de
Nate s’était fracassée devant nous. Et quelques autres fois, mais ce furent ces
moments-là qui me revinrent en mémoire.
– Méfie-toi de ce mec, dit-il. Il pense comme moi.
Ce n’était pas une insulte, je voyais ce que voulait dire Mason. Sebastian
régissait, analysait ; il avait toujours cinq coups d’avance, quand j’en avais deux,
avec un peu de chance.
– D’accord, dis-je.
Samantha
C’était amusant de se rendre au match de foot avec les filles. Voilà
longtemps que je n’avais plus pris de plaisir à traîner en groupe, au point de
presque oublier ce que c’était. Bavardages, rires, quelques larmes aussi, sans
trop en connaître la cause, murmures, mais également quelques rots et pets bien
sentis. Ce qui ne m’était jamais arrivé avec mes anciennes amies. Triste de me
rendre compte que Jessica et Lydia avaient été mes dernières amies… dont
j’avais fini par découvrir la méchanceté et la jalousie.
Qui sait ?
Peut-être que si je devenais plus intime avec mes camarades d’étage, les
mêmes choses se reproduiraient.
Ce n’était pas le cas pour le moment. J’étais protégée. Je le devais sans doute
au fait que j’avais déjà un copain, ou alors parce que je continuais à me
comporter comme une fille seule. À moins que ce ne soit à cause des longues
jambes et du corps de rêve de ma coloc.
On récolta plus d’un regard envieux. Une fois installées dans le stade, on eut
droit à des regards plus qu’insistants. Lorsque Mason apparut sur le terrain,
acclamé par la foule, les murmures se multiplièrent dans le groupe, ainsi que les
coups d’œil.
Summer finit par s’en apercevoir et se pencha vers les filles les plus
proches :
– Oui ? On peut faire quelque chose pour vous ?
Ses voisines se figèrent. Et l’une d’elles murmura :
– Son petit copain, c’est Mason Kade ?
– Oui, rétorqua-t-elle en la toisant de toute sa hauteur. Et non, tu ne peux pas
te servir d’elle pour le rencontrer. Ils sont amoureux. Tellement amoureux que ça
me donne envie de vomir et que c’est ce qui arriverait si je n’étais pas fan de
Mason Kade.
– Ah bon, marmonna la fille en s’éventant de la main. On l’a vu dans le
couloir, mais on n’avait pas compris que c’était le vrai Mason Kade de l’équipe.
Il est trop beau.
Summer se rapprocha de moi.
– Ne t’inquiète pas. Ce sont des gamines. Mason ne les verrait même pas.
Je lui souris – ou du moins j’essayai, mais ça tomba à plat. Si elle savait pour
quoi je m’inquiétais vraiment…
Elle me dévisagea un instant, me donna un coup de coude.
– Elles ne vont pas le droguer ou je ne sais quoi. En plus, Mason n’est pas du
genre à se laisser contraindre. Ne t’inquiète pas, il n’ira pas chercher d’autres
filles.
Je hochais la tête à tout ce qu’elle disait, mais sa voix me paraissait de plus
en plus lointaine. Football, argent, apparence, tel était le monde où trônaient
Mason et Logan, et j’y avais été entraînée. Un frisson me parcourut. Je préférais
ne pas imaginer ce que je serais devenue si ces deux-là ne m’avaient pas
accueillie dans leur duo familial ou si Mason et moi n’étions pas tombés
amoureux.
– Ça va ? demanda Summer, l’air préoccupée.
– Oui, lâchai-je en me raclant la gorge. Oui. Ça va.
– Sûr ?
– Tout à fait.
À la mi-temps, elle me demanda de lui prêter mon téléphone. Elle avait
oublié le sien. Je n’y repensai plus jusqu’à la fin du match. Qu’on gagna. Tout le
monde était de bonne humeur et je me sentais encore plus fière de Mason.
En même temps, j’avais oublié à quel point sa célébrité pouvait attiser
l’avidité des autres filles. Elles le voulaient pour elles. Elles seraient prêtes à tout
et j’avais beau savoir que ça ne les mènerait à rien, elles l’ignoraient et
tenteraient toute la gamme possible des initiatives pour y arriver.
– Salut !
On suivait les filles dans le parking, mais je cherchais des yeux la voiture de
Mason. Je voulais lui envoyer un SMS pour lui dire que je l’attendrais devant.
Summer m’attrapa par l’épaule alors que je me dirigeais vers son Escalade.
– Tu vas où ? demanda-t-elle.
– Je…
J’allais le lui dire quand je m’interrompis. Logan n’était pas venu nous
rejoindre, mais ça ne m’avait pas inquiétée. Sur le coup, je croyais qu’il préférait
rester à l’écart de Kitty et Nina. À sa place, en tout cas, c’était ce que j’aurais
fait. Et puis voilà que je l’apercevais, à quelques rangées de nous. Il ne me
regardait pas, ses yeux fixaient un point à quelques mètres de moi, et son
expression me serra le cœur. Cependant, il n’y avait pas que ça. Je venais
d’apercevoir un énorme bleu sur sa mâchoire. Puis je découvris d’autres
blessures, une lèvre fendue, un pansement au coin de l’œil, et aussi des bleus sur
son front.
Son expression remplie de haine me secoua. Il ne cherchait pas à la cacher.
Elle était là, étalée au grand jour.
Un frisson me parcourut.
Je savais qui se trouvait derrière moi, pourtant je me retournai, comme au
ralenti.
Sebastian aussi fixait Logan ; son visage était également contusionné, avec
une joue gonflée et le cou marqué. J’aperçus un instant son poing sanguinolent,
mais le mouvement de la foule le cacha vite.
Apparemment, ils ne cherchaient ni l’un ni l’autre à se retrouver. Quant à
moi, je me sentais carrément invisible. Un sixième sens me fit retourner vers
Logan et là, j’aperçus Mason derrière lui. Il venait de passer la porte menant à
l’allée.
Il se tenait devant, les cheveux humides, en tee-shirt Cain U et pantalon de
sport qui soulignait bien sa musculation. Il portait un sac sur l’épaule et me
regardait. Son air anxieux me quitta un quart de seconde trop tard quand il
reporta ses yeux sur son frère. Puis il aperçut Sebastian.
Je ne pouvais détacher mon attention de lui. Une sombre impression me
saisit. La confrontation ne faisait que commencer. J’en eus froid dans le dos,
mais je ne pouvais pas bouger.
Summer était en train de me parler. Sa voix allait et venait, comme si je me
noyais en eaux profondes et qu’elle se trouvait au-dessus de moi, en train de
m’appeler alors que j’essayais de remonter à la surface.
Quelque chose de grave allait arriver.
Une voix prononça mon nom et je frissonnai. Cette personne…
Je me détournai de Mason.
Heather était là. Juste en face de moi, en train d’agiter une main devant mon
visage.
Je remontai à la surface.
Cette fois je l’entendais bien.
– Elle est encore en transe. Pas d’inquiétude. Elle va revenir. D’habitude, ça
veut juste dire qu’elle voudrait sauter au cou de Mason…
Sans la laisser finir, je me jetai dans ses bras, l’étreignis. Je ne m’étais pas
rendu compte à quel point j’avais besoin de ma meilleure amie.
CHAPITRE
15
*
* *
L’alcool me sonnait.
Une fois rentrée, je me blottis sur les genoux de Mason. Il me retint toute la
soirée, alors que notre groupe occupait le sous-sol. Kitty, Nina et plusieurs autres
camarades d’étage dansaient dans le coin, tout en lançant des coups d’œil aux
garçons. Logan restait le champion inégalé du billard. Quand il ne jouait pas, il
flirtait avec Heather. Summer se joignait parfois à la conversation, ainsi que
Blaze et certains de ses amis. Le reste de la salle était occupé par les coéquipiers
de Mason. Ils étaient comme lui, apparemment ravis de traîner, de jouer au
billard, de bavarder ou de regarder du sport à la télévision, même sans le son, à
cause de la musique qui braillait dans les haut-parleurs.
Après les innombrables verres que m’avait apportés Logan, je fus soulagée
d’entendre Mason annoncer qu’il emmenait sa copine saoule.
Je levai la main :
– C’est moi.
À présent, on se retrouvait chez lui et il me conduisait dans sa chambre.
Logan et Heather étaient rentrés avec nous. Je ne savais pas trop où Nate avait
passé la soirée. J’avais oublié de le lui demander, mais je ne l’avais pas tellement
vu ce dernier mois.
La chambre me parut en couleurs HD, les murs se ruaient vers moi ; je
reculai pour leur échapper, sans pouvoir m’empêcher de rire.
– Hé, du calme ! me souffla Mason.
– Il m’a sauté dessus, dis-je en désignant le mur. Reste là.
– Okay, d’accord. C’est bon !
Il me saisit par la taille et m’emporta sur son épaule.
Tout fit woosh. Maintenant, le mur se fichait de moi. J’étais bourrée, mais ça
m’amusait. Sans tenir compte du mur qui me regardait encore, je me concentrai
sur ce que j’avais sous les yeux, ses fesses.
Belles. Fermes. Souples.
Pour un peu que je tende la main, je pouvais les attraper à pleine main, et je
ne me gênai pas. Oh non !
Ses fesses étaient serrées, je voulais les faire rebondir. J’essayai de les
soulever, de les rabaisser. Sans trop de résultat. Mon homme était sacrément
tonique, il m’appartenait.
Ces miches ! Je les tapotais, avant de les attraper de nouveau. J’avais le droit
de jouer avec. Je pouvais les regarder quand il bougeait. Je pouvais les lécher si
je voulais, et c’était une sacrée bonne idée. J’essayai de descendre un peu. Il
portait encore son jean, mais ça ne les en rendait que plus alléchantes.
– Attends, dit Mason en claquant mon derrière. À quoi tu joues, Miss Belles
Fesses ?
– J’étais justement en train d’admirer les tiennes ! m’esclaffai-je.
– Pas possible. N’oublie pas que je peux te toucher moi aussi.
– Vas-y, Mason ! Tâte-moi. Comble ma nuit !
Je le sentis partir d’un rire silencieux, les épaules secouées de gaieté. Il
ouvrit en grand la porte de sa chambre, se précipita à l’intérieur. Je voulus me
redresser, mais il me rattrapa avant que je ne touche le sol. D’un bras, il me
bloqua contre lui, me serrant par la nuque dans un geste étonnamment possessif.
Comme si je lui appartenais. Comme si j’étais sa poupée. Mais j’adorais.
Un frisson me parcourut. Ses muscles se contractèrent alors qu’il s’arrêtait
devant son lit. Là, il me remit face à lui, les yeux dans les yeux, franchissant mes
remparts, comme s’il pouvait lire dans mes pensées. Mais n’avait-ce pas toujours
été le cas ?
Je lui passai un bras autour du cou, attirant sa tête contre la mienne.
– Tu sais combien je t’aime ?
Ses yeux s’assombrirent, et je vis tout son amour y scintiller.
– Pareil pour moi.
– Non. Dis-le. Je veux t’entendre.
Maintenant, c’était moi qui devenais possessive. Il était à moi.
Complètement à moi. Ce parfait spécimen d’homme – qui me tenait dans ses
bras, qui pouvait me faire frémir d’extase, qui me protégeait de tant de gens –
était mon avenir. Mon âme sœur. Le seul qui comptait pour moi. Je l’aimais avec
une passion qui me coupait le souffle. Plus que je n’avais jamais aimé personne.
L’air de plus en plus sérieux, il me déposa sur le lit. J’y tombai à genoux,
m’agrippai à son cou, sans le quitter des yeux. Il me serrait la taille, aussi fort
que je l’étreignais.
– Dis-moi, Mason, demandai-je d’une voix paisible mais impérieuse. Ce
soir, je veux entendre combien tu m’aimes.
– Vraiment ?
La gorge serrée par l’émotion, je suffoquais et dus retenir mes larmes.
– Tu veux entendre combien je t’aime ?
Incapable de répondre, je hochai la tête. Les larmes s’annonçaient ; elles ne
coulaient pas encore mais elles allaient arriver.
Dans un geste de tendresse, il m’allongea sur le lit. Une main derrière mes
épaules, l’autre sur ma hanche. Je ne fis rien. Il me traitait comme l’être le plus
précieux de la terre et ce fut à peine si je sentis ma tête se poser sur l’oreiller. Il
se tenait au-dessus de moi, et on restait toujours les yeux dans les yeux.
Il posa les mains sur mon jean en murmurant :
– J’ai toutes les raisons de la terre de t’aimer, alors ça pourrait prendre un
moment.
C’était tout ce que je demandais.
Il défit les boutons de mon jean, descendit la fermeture, marqua une pause
puis le glissa sur mes hanches.
– J’aime comme tu plisses le nez, souffla-t-il, quand tu veux me dire quelque
chose, ou quand tu as peur – comme si je sentais mauvais et que tu ne voulais
pas me vexer – ou, tout à l’heure, quand je savais que tu voulais passer un
moment tranquille avec Heather sans me donner l’impression que tu me laissais
tomber.
Je pensais bien qu’il l’avait compris. On n’en avait pas parlé, mais j’avais vu
juste.
Mes lèvres se mirent à trembler. D’incommensurables émotions
m’étreignaient la poitrine. Mon sang se mit à bouillonner. J’étais excitée.
J’attendais la suite.
Mason s’agenouilla sur le lit et passa la main sur mon ventre plat, écarta les
doigts mais sans plus bouger.
– J’aime comme ton regard devient parfois sauvage et comment tu jettes la
tête en arrière quand tu es furieuse. Tu hausses le menton, comme si tu allais
traverser une tornade au bulldozer. Personne ne pourrait plus t’arrêter.
Je serrai les lèvres en essayant d’arrêter encore ces larmes.
C’était inutile. J’en sentais déjà une qui glissait sur ma joue, vers le bord de
mon menton.
Mason l’attrapa du bout des doigts. Il la porta à ses lèvres comme si c’était la
réaction la plus normale du monde. Il glissa l’autre main sur mon estomac tout
en soulevant mon tee-shirt. Je me sentais envahie, léchée par de puissantes
flammes de désir. Tout mon corps vibrait et je me mordis la joue quand il posa la
main sur ma poitrine.
Je voulais qu’il me touche, qu’il m’embrasse, et plus encore.
Je me cambrai pour mieux m’offrir, mais il me repoussa d’un geste à la fois
ferme et tendre.
Mon cœur allait exploser en millions de morceaux, pourtant c’était comme si
Mason les ramassait chaque fois un par un.
Il déposa un doux baiser entre mes seins.
– J’aime que tu ne considères pas ma famille avec mépris, alors que tu le
pourrais mille fois. Ma mère n’est qu’une salope hypocrite qui ne te trouve pas
digne de moi, mais elle a tort.
Il m’ôta mon tee-shirt et revint vers moi, m’enveloppant la nuque de sa
main. Il se tenait encore au-dessus de moi, mais vint bientôt fourrer le nez
derrière mon oreille tout en soupirant :
– Elle a totalement tort, c’est moi qui ne suis pas digne de toi, seulement elle
ne s’en rend toujours pas compte.
Il disait vrai, mais pas tout à fait. Sa mère était une fichue prétentieuse,
cependant je ne pouvais pas lui en vouloir. Car c’était grâce à elle que son fils
existait pour moi. J’avais envie de le lui dire, mais ma gorge avait cessé de
fonctionner depuis longtemps. Je ne parvenais qu’à écouter les paroles que je lui
avais demandé de prononcer.
Il détacha mon soutien-gorge, le glissa le long de mes bras dans un geste
doux comme une caresse, sans me quitter des yeux un instant.
– J’aime comme tu tripotes ton tee-shirt ou tes manches quand tu es distraite
ou quand tu penses à ta maman.
– C’est vrai ?
Là. J’avais au moins réussi à dire ça, d’une voix cassée.
Il s’allongea près de moi et colla son torse contre le mien.
– Tu penses beaucoup plus à elle que tu ne le crois, et je sais qu’elle te
manque, en même temps que tu la détestes.
Je laissai mes larmes couler. Je ne m’étais pas rendu compte que je pensais à
Ann-Lise, mais il avait raison. Je n’avais pas fini de pleurer. Le chagrin me
gonflait la poitrine, un doux chagrin qui ne me quittait jamais et me submergeait
à présent, alors que je n’avais pas mesuré sa présence. Et là, il se répandait,
m’envahissait ; je me sentais quelque peu libérée.
Tout en m’embrassant sur le front, Mason murmurait :
– Et j’aime beaucoup ta façon de m’aimer. Complètement. Irrévocablement.
Énormément. Généreusement. Inconditionnellement. Quelque part, je n’en
mérite pas tant, mais je prends et je ferai tout pour ne pas la perdre.
J’étais dans tous mes états.
Mes larmes coulaient à flots.
Je souriais, pleurais, tâchais de parler. Tout à la fois.
J’avais envie de le prendre dans mes bras, de lui dire combien je l’aimais,
sauf que je ne pouvais pas prononcer le moindre mot.
Alors, je me contentai de lui prendre le cou pour l’attirer vers moi. C’était
tout ce que je pouvais faire, en même temps je l’étreignis de toutes mes forces.
Plus il me mettait en pièces, plus j’aimais cet homme. Il se mit à rire dans ma
nuque.
– J’ai encore quelque chose à te dire.
Mon Dieu ! Je n’y tenais plus, avec toutes ces émotions qui ondoyaient en
moi. Je pressai mes lèvres contre les siennes.
Il reçut le message et s’enfouit bientôt en moi.
Il avait parfaitement capté le message.
CHAPITRE
16
Je frappai Sebastian.
Le poing serré, ça partit tout seul. Et je recommençai, en le fusillant du
regard, le défiant silencieusement de réagir.
Mais il se contentait de me fixer.
J’avais d’abord atteint sa joue, où apparaissait déjà une marque rougeâtre. Il
n’avait pas bougé ni même frémi ou reculé.
S’il croyait me faire peur ! J’eus envie de recommencer. Cependant, il dut le
sentir car, cette fois, il me prévint :
– Tu n’as pas intérêt.
– Ah oui ? râlai-je.
Je relançai mon poing. Et tant pis pour la règle selon laquelle les filles-ne-
doivent-pas-frapper-les-garçons-car-ils-ne-peuvent-pas-répliquer.
N’importe quoi !
Park Sebastian méritait tous les coups de poing de la terre.
– Samantha !
Je m’arrêtai en plein élan, laissai retomber mon bras. J’avais oublié la
présence de Garrett.
Il paraissait choqué, haussant les sourcils, la tête en arrière.
– Qu’est-ce que tu fais ? On ne frappe pas les gens comme ça !
Ce qui arracha un rire moqueur à Sebastian. Je lâchai :
– Tu te sers de camions, mon pote, eux de leurs poings ! C’est plutôt
disproportionné, non ? On peut se défendre contre une main, pas contre un
camion.
– Attendez…
Garrett nous regardait l’un après l’autre sans cesser de tourner la tête.
– Ah oui ? rétorqua Sebastian. Et une maison incendiée, qu’est-ce qu’il y a
de pire, selon toi ?
Il s’avança d’un coup, à quelques centimètres de moi.
– Il a détruit ma maison, poursuivit-il. Ma maison. C’était tout pour moi.
– Tu as essayé de briser son avenir.
– Ah non ! s’esclaffa-t-il d’un rire qui me fit frissonner. Son avenir n’est pas
sa carrière. Ah non ! Son avenir, c’est quelqu’un d’autre, et là, tu as raison, je…
Il s’interrompit, l’air soudain paniqué, recula en se passant une main dans les
cheveux.
– Merde, je… Je ne voulais pas dire ça, Samantha. Désolé.
Quelqu’un d’autre. Pas besoin de me faire un dessin. Je ne m’étais donc pas
trompée. Il voulait atteindre Mason à travers moi. J’étais le « quelqu’un
d’autre » en question.
– C’est bon, dis-je en levant les mains. Tu ne fais que confirmer mes
soupçons.
– Qu’est-ce qui se passe ? demanda Garrett.
Je sortis en trombe, pour la deuxième fois de la journée, et dévalai le
chemin. Tant pis, j’allais me rendre dans la rue, marcher jusqu’à un carrefour et
appeler un taxi de là-bas.
J’abordais un bosquet quand Summer cria derrière moi :
– Sam ! Sam !
Je fis non de la tête, mais elle arrivait déjà à ma hauteur. Je ne la laissai pas
parler :
– Arrête ! Tu m’as menti.
Tant pis. Puisqu’il fallait en arriver là, autant que ce soit quand j’avais trop
chaud.
Elle s’arrêta, le visage blême, leva une main comme pour se protéger de moi,
mais la rabaissa vite.
– C’est vrai.
– C’est ton frère. Ton putain de frère !
– Bon, admit-elle. D’abord, ce n’est pas mon putain de frère, juste mon
frère. C’est tout.
– Vous n’avez pas les mêmes noms de famille.
– J’ai pris le nom de jeune fille de maman. Au cas où tu n’aurais pas
compris, je ne me sens pas proche du tout de mon père ni de sa famille. Je ne
supporte pas Molly, et, la plupart du temps, Parker non plus.
– Parker ? C’est ça son diminutif ? Tu allonges son prénom au lieu de le
raccourcir ? Trop con, trop mignon !
– Arrête ! Je savais que tu ne serais pas contente, mais arrête avec tes coups !
– Sûrement pas !
De nouveau, je serrai les poings en lâchant :
– Tu m’as menti. Tu as toujours su qui j’étais ?
Elle ne répondit pas tout de suite, mais finit par laisser tomber d’une voix à
peine audible :
– Oui.
J’en étais sûre.
– Mais vous jouiez à quoi ? C’était pour m’espionner ? Bordel !
Une nouvelle pensée me vint, terrifiante :
– En fait, on n’était pas destinées à être colocs ? C’est Sebastian qui a fait
l’échange, c’est ça ? J’ai reçu mon numéro de chambre en retard… Tout ça à
cause de ton frère ?
J’en avais les tripes retournées. D’autant qu’elle ne me répondait pas, rongée
par le remords. Je connaissais.
– Je n’y crois pas ! dis-je encore. Ce n’est pas vrai !
– Si. D’accord ? souffla-t-elle d’un ton désespéré. Il ne m’avait pas parlé de
leur querelle. Je l’ai juste vue de mes yeux le jour de la rentrée. Quand j’ai
constaté comment vous vous comportiez avec lui, j’ai compris qu’il se passait
quelque chose. Je t’aimais déjà beaucoup, alors je n’ai rien dit. Je ne voulais pas
perdre une coloc qui s’annonçait géniale. La semaine suivante, quand je l’ai
coincé entre deux portes à la maison, il m’a tout dit. C’était pour ça qu’on ne
l’avait pas vu quand je me suis installée, alors qu’en principe il aurait dû
m’aider. Il m’a tout expliqué, m’a raconté comment Mason avait incendié le
pavillon de sa fraternité et comment il s’était battu contre plusieurs de ses frères.
Je ne sais pas ce que Parker a fait, mais je suppose qu’il a réagi. Il prétend que
non. J’aime mon frère, seulement je ne suis pas aveugle. Je sais ce dont il est
capable, et je l’ai supplié de laisser tomber. Il a promis, mais c’est là que Logan
s’est invité à sa fête et que la bagarre a commencé.
– Parce que c’est Logan, maintenant ? demandai-je en éclatant d’un rire
mauvais. Attends, Sebastian s’est arrangé pour qu’on soit colocs, en mettant une
espionne dans ma chambre ? Tu crois qu’il allait s’arrêter et que tout est à cause
de Logan, du moment où il a rappliqué au milieu d’une fête et entamé une
bagarre ? C’est pour ça que ton frère ne peut plus laisser tomber ?
Rouge de fureur, j’avais envie de lui arracher les cheveux un à un.
– Tu es complètement idiote ? hurlai-je en la faisant bondir en arrière. Tout
ça a commencé parce que Mason ne voulait pas servir de trophée à ton frère.
Sebastian ne pouvait pas le contrôler. Voilà tout. Du coup, il a tenté de renverser
Mason avec un camion.
Frappée de stupeur, Summer ouvrit la bouche, la referma, serrant les lèvres.
– Non, finit-elle par articuler en secouant la tête. Non, jamais ! Ça ne lui
ressemble pas…
– Tu n’en sais rien.
Elle refusait d’y croire et je vis un autre non se former sur ses lèvres.
– Si, insistai-je. Pas non. Si ! Ton frère a tenté d’écraser Mason et c’est
Marissa qui a pris à sa place. Sebastian lui a offert de l’argent et elle a changé
d’université. Avec ses amis, ils ont aussi attaqué Mason, l’année dernière. Tu
as…
J’avais peur de lui poser la question. Cette idée me rendait malade. Pourtant,
je finis par me lancer :
– Il t’a demandé de m’espionner ?
– Euh, oui… Mais non. J’ai refusé.
Elle répondait trop vite pour être honnête.
– Qu’est-ce qu’il t’a demandé ?
– Non, Sam. Je t’ai dit. Je ne voulais pas te faire ça.
– Mais il te l’a demandé ?
– Sam…
Sa voix se brisa et elle détourna les yeux. Sa mâchoire se mit à trembler. Je
répétai d’un ton calme :
– Qu’est-ce qu’il t’a demandé, Summer ? Il faut me le dire.
– À propos de ta famille… ta mère et ton père. Il voulait savoir pour ton
demi-frère. C’est tout.
Je ne pouvais m’en contenter.
– Summer ?
– Il est passé, un soir.
Il était donc entré dans la chambre. Je tâchai de me dire que c’était logique,
avec sa sœur, mais tout mon corps se révolta. Mes veines se glacèrent. Il avait
approché mon bureau, mon lit, mes vêtements. Sans compter que je laissais
parfois traîner mon sac.
– Il y est resté seul ?
– Non, murmura-t-elle les yeux baissés. Enfin… je suis peut-être allée aux
toilettes.
– Summer !
– De toute façon, il n’aurait rien fait !
– Si, c’est fait.
– Écoute, Samantha, je suis désolée. Je ne voulais pas te le dire parce que je
savais que tu flipperais, et je t’aimais bien. Je ne voulais pas que tu t’en ailles
avant de me connaître.
– Trop tard.
La leçon allait porter ses fruits. Il fallait que je déménage. Un rire ironique
m’échappa.
– C’est drôle. Le mec dont je devais me méfier est le seul, avec Mason, à
posséder une clé de la chambre. Parce que Sebastian a bien notre clé, n’est-ce
pas ?
Elle finit par répondre d’un hochement de la tête.
– Déso…
– C’est bon ! Tu l’as déjà dit, mais le mal est fait. Je n’ai plus confiance en
toi. D’abord Garrett, et maintenant ton frère. Comment veux-tu que je vive avec
toi, maintenant ?
– Je…
Laissant échapper un cri étouffé, elle se prit la tête entre les mains, comme si
elle voulait s’arracher les cheveux.
– Mon Dieu ! Je voudrais le tuer, mon frère ! C’est lui qui m’a mise dans
cette merde. Pourtant, je t’aime bien. J’ai rencontré l’autre fille, celle qui aurait
dû être ma coloc, et je sais que je l’aurais détestée. Je croyais qu’il m’avait rendu
service. En fait, il s’est fichu de moi. Je vais lui arracher les couilles !
Un autre cri lui échappa, suivi d’une litanie de jurons dignes de Logan.
– Crois-moi, Sam, je te comprends très bien. Maintenant j’essaie de trouver
un moyen de me rattraper. Mais je ne vois rien…
– Raconte-moi ses secrets.
– Quoi ?
– Raconte-moi ses secrets. Dis-moi tout.
– Attends, là, tu me demandes la même chose. Au lieu de lui lâcher des
indices sur toi, il faudrait que j’en lâche sur lui ?
Je plissai les yeux.
– Tu veux te rattraper ou pas ? Raconte-moi tout sur lui, jusqu’aux détails les
plus scabreux.
Elle se tut, mais ne se détourna pas, ne s’en alla pas, finissant par baisser la
tête.
Je la tenais.
Sebastian voulait se servir de moi. Je pourrais sans doute me servir de sa
sœur, à la place.
*
* *
Je ne parlais jamais de Summer à Mason et Logan.
J’aurais dû. Mais ça aurait immédiatement brisé mon amitié avec elle. Ils
l’auraient considérée comme une traîtresse, sans plus jamais lui faire confiance.
Elle m’avait menti mais pas trahie, du moins je l’espérais. Si bien qu’en fin de
compte je décidai de ne pas déménager, en tout cas pas pour le moment. D’un
autre côté, j’essayais de me comporter comme Mason, froide et impitoyable. Je
ne possédais pas son cerveau, mais je ne souffrais pas trop.
Summer ne savait plus comment se rendre utile, et les quinze jours suivants
débordèrent d’informations de toutes sortes. Dès qu’elle pensait à quelque chose,
elle me le disait. Si je pensais à quelque chose, je le lui demandais. Elle
répondait toujours sans aucune hésitation, et sans non plus jamais détourner les
yeux.
– Qu’est-ce que tu feras quand Mason et Logan découvriront la vérité sur
moi ? me demanda-t-elle un soir.
– Je leur dirai la vérité, rien que la vérité.
La partie s’arrêterait là. Pour le moment, j’étais en pleine manœuvre
d’attaque et d’esquive.
– Qu’est-ce que tu as dit à Sebastian ? demandai-je.
– Rien. Il ne mérite pas de savoir quoi que ce soit.
Ça m’allait très bien. Il n’était plus réapparu et ne téléphonait même plus
depuis que j’avais quitté la maison de leurs parents, mais je savais que ça ne
durerait pas.
Un jour, en rentrant d’un cours, j’y eus droit.
J’ouvris la porte pour me trouver nez à nez avec Park Sebastian, assis devant
mon bureau. Il retourna une feuille de papier.
– Fous le camp !
La porte allait claquer derrière moi, mais je calai un pied dans la fente,
croisai les bras.
– Allez ouste ! insistai-je.
Il me répondit d’un mince sourire.
– Voilà un moment qu’on ne se voyait plus, Samantha.
– Éloigne-toi de mon bureau.
Il se mit à rire, mais fit ce que je lui demandais. Je coinçai une chaussure
dans la porte pour l’empêcher de se refermer, puis m’approchai pour voir ce
qu’il regardait. C’était un message laissé par Summer :
Sam,
Partie déjeuner avec ma mère. Rentrerai ce soir.
Summer
P.S. Appelé la sécurité du campus. Ils vont changer la serrure.
Je levai les yeux sur Sebastian qui me toisait avec un sourire suffisant. Je lus
le reste du message :
Mon frère n’aura plus de clé.
Bisous.
– Donne-moi la clé, dis-je en tendant la main.
Je chiffonnai le message et le jetai dans la poubelle, tandis que Sebastian se
penchait pour regarder ma main de près.
Il eut un petit rire agaçant.
– Ma sœur a oublié que j’ai les mêmes relations qu’elle. Il faudra qu’elle
s’adresse à un autre serrurier la prochaine fois qu’elle voudra me jouer un sale
tour.
– De toute façon, tu n’as pas à avoir de clé. Je pourrais te dénoncer.
– Mais non, tu ne feras jamais ça, pas plus que tu ne voudras qu’on sache
que j’étais là.
Là-dessus, il envoya balader la chaussure et la porte se ferma. Il se retourna
vers moi en me barrant le passage. J’étais prisonnière dans ma propre chambre.
– Fous le camp, hurlai-je.
– Non.
Je pris mon téléphone.
– Je ne plaisante pas. Tu dégages ou j’appelle les secours.
– Mason l’apprendra.
– La partie est terminée. Prépare-toi pour une nouvelle sorte de combat.
D’un seul coup, il perdit son petit air taquin et une dangereuse lueur lui
traversa le regard. L’atmosphère devint glaciale ; je frissonnai.
– Ce n’est pas moi le méchant, ici.
– Alors qu’est-ce que tu fais dans ma chambre, à me bloquer la porte ? Fous
le camp, je te dis !
Je brandis le téléphone.
Il recula.
– D’accord, je m’en vais, mais n’oublie pas que c’est ton petit ami qui a
incendié ma maison. Il s’en est trop bien tiré.
– Ah oui ? On a une liste des pires choses que vous avez commises. Au fait,
c’était trop gentil de ne pas avoir dit à ta sœur tout ce que tu as fait. D’abord, tu
as voulu contrôler Mason. C’est toi qui as commencé.
– Si tu crois que ma sœur est de ton côté, tu oublies quelque chose.
– Ah oui ? Quoi ?
– On est de la même famille, lâcha-t-il en ouvrant la porte. Tu ne sais pas de
quoi on est capable pour sa famille.
Là-dessus, il s’en alla.
Je me retournai, écœurée. Au beau milieu de mon bureau trônait un portrait
de Mason, Logan et moi, le jour du mariage de David et Malinda. On se tenait
tous par le bras en souriant. D’habitude, je la gardais sur une étagère parmi les
autres photos.
Sebastian l’avait mis là exprès. Un frisson me parcourut.
CHAPITRE
20