Fallen Crest 5

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© 2015. Fallen Crest University by Tijan.

Ce livre est une fiction. Toute référence à des événements historiques,


des personnages ou des lieux réels serait utilisée de façon fictive. Les autres noms, personnages, lieux et
événements sont issus de l’imagination de l’auteur, et toute ressemblance avec des personnages vivants ou
ayant existé serait totalement fortuite.

Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction de ce livre


ou de quelque citation que ce soit, sous n’importe quelle forme.

Photographie de couverture : © Shutterstock.com


Couverture : Emmanuel Pinchon

Pour la présente édition


© 2018, New Romance, Département de Hugo Publishing
34-36, rue La Pérouse
75116 - PARIS
www.hugoetcie.fr

Collection « New Romance® »


Dirigée par Hugues de Saint Vincent

ISBN : 9782755645392

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


Fallen Crest University est dédié à tous mes lecteurs et autres Tijanettes
qui aiment la série « Fallen Crest » !
Vous êtes vraiment géniaux. Vous recommandez.
Vous incitez. Vous partagez. Votre enthousiasme est contagieux et ça m’a
bien aidée pour écrire ce tome.
Une petite surprise vous attend à la fin, vous êtes prévenus !

Je voulais aussi dédier mon livre à Bailey.
Mon petit chien toujours présent à mes côtés.
Tous les jours, à chaque instant. Chaque fois que je vais me prendre un
café, il remue la queue, trop content de me voir. ;)
SOMMAIRE

Titre

Copyright

PROLOGUE

CHAPITRE 1

CHAPITRE 2

CHAPITRE 3

CHAPITRE 4

CHAPITRE 5

CHAPITRE 6

CHAPITRE 7

CHAPITRE 8

CHAPITRE 9

CHAPITRE 10
CHAPITRE 11

CHAPITRE 12

CHAPITRE 13

CHAPITRE 14

CHAPITRE 15

CHAPITRE 16

CHAPITRE 17

CHAPITRE 18

CHAPITRE 19

CHAPITRE 20

CHAPITRE 21

CHAPITRE 22

CHAPITRE 23

CHAPITRE 24

CHAPITRE 25

CHAPITRE 26

Avant-goût
PROLOGUE
Mason
Il venait droit sur moi. Alors, je me tournai, bloquai son coup de poing et lui
envoyai un direct au coin de l’œil qui le fit se plier en deux. On était entourés
d’un public que je n’entendais pas. À mes yeux, ces gens n’existaient pas. Ils
étaient là pour lui. Le public de Sebastian. Ils voulaient voir un combat, voilà
qu’ils étaient servis, et ce larbin était le troisième type que je descendais. Car il
allait abandonner d’un moment à l’autre. À bout de souffle, il porta une main à
sa tête, comme pour vérifier s’il en coulait beaucoup de sang. Ce fut là que les
cris commencèrent à percer mon brouillard.
– Debout !
– Allez !
À vrai dire, ça faisait une heure qu’ils criaient comme ça. Je n’y avais encore
prêté aucune attention. Tous les mecs de la bande de Sebastian se levaient l’un
après l’autre et je les démolissais, l’un après l’autre. Dès que l’un s’écroulait, le
suivant arrivait, et je l’affrontais comme les précédents – vite, brutalement, sans
y réfléchir.
Voilà longtemps que je n’avais pas combattu, mais ça faisait du bien de
libérer ses démons. Sebastian avait voulu détruire mon amitié avec Nate.
Manqué. Nate avait préféré quitter leur fraternité, alors ils s’en étaient pris à moi.
Sauf que le camion qui devait me renverser avait heurté Marissa à ma place. Elle
n’était pas totalement innocente, mais n’avait rien à voir dans cette guerre.
Quelque part, Sebastian avait gagné cette bataille.
En contactant Marissa.
Je ne savais pas ce qu’il lui avait promis, ou de quoi il l’avait menacée,
toujours est-il qu’elle témoigna ne se souvenir de rien à part de sa propre
présence sur les lieux. Ça s’était passé entre moi, elle et ce camion surgi de nulle
part. Pas de caméras de sécurité. La seule preuve que je détenais contre
Sebastian était cet enregistrement de Nate où il reconnaissait que leur but n’était
pas de frapper cette fille, mais cela n’avait pas suffi à les faire inculper.
L’université ne voulait pas entendre parler de procédure pénale, si bien que la
fraternité avait été dissoute. Chaque membre pouvait néanmoins fréquenter Cain
University, mais pas cette fraternité.
Point final.
Ma revanche fut simple : je mis le feu à leur pavillon.
Ils tentèrent de me faire renvoyer, mais ne purent fournir la moindre preuve
contre moi. Plusieurs mois s’écoulèrent dans la plus grande tension. Je savais
qu’ils allaient réagir, cependant je bénéficiais d’un répit – jusqu’à ce soir.
Ils m’attendaient à la sortie de mon tout dernier entraînement.
Un troisième surgit de la gauche. Je me penchai, lui passai un bras autour
des cuisses, le balançai sur mon dos pour l’envoyer valser dans les airs. Il se
retrouva par terre et leva sur moi des yeux incrédules. Sans lui laisser le temps
de réfléchir, je lui envoyai un coup de pied dans le crâne, assez fort pour ralentir
toute réplique. Il roula sur le côté en secouant la tête pour se remettre les idées
en place.
Déjà un quatrième fonçait sur moi.
Je l’attendais et l’attrapai d’une main par sa chemise tout en lui envoyant un
direct du droit dans les gencives. Il recula en titubant, mais l’un d’eux le cueillit
au passage et l’entraîna tandis que d’autres déjà s’alignaient pour m’affronter à
leur tour.
J’inspirai un grand coup, la poitrine serrée, le souffle court.
Ça n’en finissait plus. S’ils continuaient de m’attaquer les uns après les
autres, ils finiraient par gagner. Forcément. Certains semblaient surpris. D’autres
agressifs. D’autres encore me jetaient des coups d’œil furieux, les poings fermés.
Ils attendaient leur chef. Et celui-ci finit par s’avancer.
Park Sebastian.
Il applaudissait, un sourire hideux aux lèvres, une pâle lueur dans les yeux.
Puis il s’immobilisa juste hors de ma portée, l’air mauvais, bloquant son regard
sur le mien, comme s’il allait charger.
– Tu me surprendras toujours ! lâcha-t-il.
Du dos de la main, j’essuyai le sang de ma bouche. Sebastian observa mon
mouvement alors que je frottais ma main sur mon pantalon.
– J’ignorais que tu savais te battre, ajouta-t-il.
Je plissai les paupières. Il avait déjà tenté de me faire renverser par un
camion, histoire de m’obliger à quitter l’équipe, de préférence définitivement.
Plus de football pour moi. Ni aucune perspective de carrière.
Je penchai la tête de côté. À quoi jouait-il ?
– Tu as bousillé ma maison, reprit-il en tendant le doigt vers moi. À tous les
points de vue. Quoique, dans un sens, tu aies épargné à l’université de devoir la
reconstruire.
– Si, ils l’ont reconstruite.
– Sauf que, maintenant, c’est une putain de garderie.
Là, je retrouvai le Park Sebastian que je connaissais. Pas le personnage
calme et décontracté qu’il venait de nous jouer. Je voulais affronter le vrai. Face
à face.
– Qu’est-ce que tu fous, Sebastian ?
– Je sais à quoi tu penses, dit-il en hochant une fois la tête. On pourrait
continuer à t’attaquer, à t’épuiser, et on finirait par gagner. On ferait ce qu’on
voudrait de toi. Te briser la jambe. Te déchirer les tendons du bras, pour que tu
ne puisses plus jamais attraper un ballon. Ou on pourrait tout recommencer : te
lancer un camion dessus, cette fois tu serais grillé, plus de guérison, plus de
retour. L’ennui étant que l’université devrait intervenir, prévenir les autorités. Ça
me pose un problème.
Il recula, les mains sur les hanches.
– Je ne veux pas aller en prison à cause de toi. Échec et mat. Tu as gagné. La
fraternité est morte, littéralement. On n’a plus le droit de fonctionner en tant que
maison de frères mais, dans nos cœurs, tout continue comme avant. Les autres
chapitres savent que, même si on n’est pas officiellement reconnus en tant que
membres d’une fraternité, c’est encore le cas. En dehors de l’université, de
toutes les universités, on est toujours frères.
Il se tapa sur le cœur en ajoutant :
– Tu ne pourras jamais nous enlever ça, mais c’est ce que je vais te prendre.
Le temps se figea.
Je le savais. Je l’avais toujours su.
Sam était partie pour Boston. J’avais voulu l’écarter de Cain University, de
moi, ainsi que de Logan à Fallen Crest. D’une certaine façon, je me disais que
plus elle s’éloignerait, plus elle serait en sécurité.
Du bout des lèvres, il commençait à articuler son nom, et je compris que
j’avais fait tout ça pour rien. Il ne la lâcherait pas et elle entrait à Cain University
dès l’année prochaine, meilleur moyen de se jeter dans la gueule du loup. Je la
lui livrais pieds et poings liés.
Il poursuivit d’une voix râpeuse et lente et je perçus ses paroles à travers
l’orage qui tonnait en moi :
– Je vais t’arracher le cœur.
Non.
Son foutu sourire lui revint.
– Et tu ne pourras pas m’arrêter, parce qu’elle ne te laissera pas faire. Ce
sera ça le meilleur. Tu ne pourras rien faire du tout ; je vais m’arranger pour
qu’elle me tombe dans les bras. Je savoure déjà le moment où elle passera de toi
à moi et, une fois que je t’aurai arraché le cœur, j’arracherai le sien. Je la
massacrerai, elle ne sera plus jamais la même. Je vais la priver de son âme.
Là, j’explosai. D’un pas, je fus sur lui et, avant qu’il ne se rende compte de
ce qui lui arrivait, je l’attrapai et le renversai, le chevauchai, le bourrai de coups
de poing, jusqu’à ce que ses mecs viennent m’en empêcher. Ils durent
m’arracher à son corps, tandis que je continuais de frapper.
J’avais envie de lui faire bouffer ses tripes, tout en sachant que ça ne
servirait à rien.
Il allait s’en prendre à Sam.
CHAPITRE
1
Samantha
Un mariage célèbre l’instant où deux âmes ne font plus qu’une mais, pour
moi, c’était le jour où j’allais cogner une pute. Je la trouvai face à moi en
ouvrant la porte d’entrée : Cass Sullivan se tenait sur le seuil. En jupe moulante
qui lui descendait sous le genou, mais fendue jusqu’en haut de la cuisse, et top à
paillettes profondément décolleté, elle était prête pour la noce. Elle avait relevé
ses cheveux sur le sommet de son crâne pour les laisser retomber en boucles
autour de son visage. De quoi rendre belle n’importe quelle femme, sauf que là,
c’était Cass.
– Ton rêve se réalise, lâchai-je.
Elle leva au ciel des yeux excédés.
– Sérieux ? soupira-t-elle.
Oh oui, sérieux ! J’essayai de ne pas trop jubiler en répondant :
– Tu te pointes enfin chez les Kade pour y voir ton copain. Tu dois bien
mouiller. Ça te fait saliver depuis des années, non ?
– C’est pas vrai, marmonna-t-elle. Malinda a dit que Mark était là. Que vous
dormiez tous ici ce week-end. Il est là, ou pas ?
N’importe quelle fille pourrait savourer d’infliger ce supplice. J’avais eu ma
part d’ennemis, en quatre ans, mais Cass était du genre à s’accrocher. Elle me
haïssait depuis que Mason et Logan formaient ma nouvelle famille et elle
s’accrochait comme une sangsue, refusant de s’en aller. Depuis quelque temps,
elle était la petite amie de Mark, qui allait devenir mon demi-frère dès cet après-
midi.
Je croisai les bras.
– Peut-être.
– Sam ! Enfin.
Je haussai les épaules.
– Ou pas.
Bon, ce n’était pas sympa, je le savais, mais après les merdes qu’elle m’avait
fait subir, elle le méritait bien. Une fois que la mère de Mark aurait épousé mon
père, ce serait officiel. Mark ferait partie de ma famille, autrement dit, Cass
devait se montrer plus gentille avec moi.
Elle s’avança d’un pas.
Je haussai un sourcil.
Rapprochant sa bouche de mon oreille, elle cria de toutes ses forces :
– Mark ! Tu es là ?
Je sursautai. Je m’y attendais, pourtant. Je savais qu’elle allait soit me
frapper, soit crier. Je me croyais prête. Mais non.
– Ta gueule ! Tu vas me briser les tympans.
– N’importe quoi ! gronda-t-elle en frottant les mains sur sa jupe. Tu n’avais
qu’à l’appeler. Je t’avais prévenue.
On ne se quittait pas des yeux, et là, je compris.
– Tu vas encore me casser les couilles, c’est ça ?
– Je vais continuer, oui ! Qui t’a dit que j’allais arrêter ?
Elle venait de signer son arrêt de mort. Un large sourire aux lèvres, je reculai
et lui claquai la porte au nez.
– Trop bien élevée ! cria-t-elle derrière.
Chaque fois que je pourrais lui claquer une porte au nez, je le ferais avec le
plus grand plaisir. Je tirai le verrou. Cass pouvait bien taper et hurler, qu’elle
aille se faire voir ! Ce qu’elle ignorait, c’était que Mark se trouvait en ce moment
avec Logan et qu’ils n’avaient pas pris leurs mobiles avec eux.
Tandis que je regagnais la cuisine, Mason leva la tête :
– C’était qui ?
Il achevait de rédiger son discours sur la table de la salle à manger car, avec
son frère, ils seraient tous deux témoins du mariage tandis que Mark jouerait les
garçons d’honneur.
Celui-ci venait de sortir avec Logan pour faire des courses en rapport avec
une colombe, disaient-ils. Je n’en avais pas demandé davantage, je m’en fichais.
Tout ce que je savais, c’était qu’ils avaient laissé leurs téléphones ici, pour une
raison que j’ignorais, déclarant qu’ils ne voulaient pas courir le risque de se faire
repérer. Après quoi, Mark avait lâché une nouvelle bombe : il était nul en
discours et ne comptait pas en faire un. Et inutile de compter sur Logan pour
s’en charger, si bien que ce serait à Mason de s’y coller. Raison pour laquelle
mon copain était resté à la maison avec moi.
Comme il fallait que j’aille chez le coiffeur, j’étais contente que Mason reste
le seul au manoir pour le moment. Cet après-midi, ça grouillerait de gens, mais
là, j’essayais surtout de me retenir de sauter sur ses genoux au lieu de m’asseoir
sur la chaise voisine de la sienne. Il avait les cheveux ébouriffés, il ne les avait
pour ainsi dire pas coupés de tout l’été. Bientôt, il devrait les raser pour la saison
de football, alors jusque-là, je voulais en profiter pour les caresser.
Un début de barbe lui marquait les joues, mais il était superbe. Avec ses
yeux perçants, ses pommettes saillantes, sa mâchoire puissante et sa silhouette
athlétique, sculptée à la perfection par des années de football, je savais que les
filles étaient nombreuses à le convoiter à Cain University.
Les doigts me démangeaient, tant j’avais envie d’effacer ces plis soucieux
sur ses paupières.
– Personne.
Il fronça les sourcils.
– Il en faisait du bruit, ton Personne.
Je me penchai vers lui en haussant les épaules.
– Crois-moi. Personne d’important.
– Hmmm…
Néanmoins, il sourit et m’embrassa.
Mon cœur se serra. On était ensemble depuis trois ans maintenant et on avait
traversé des masses de difficultés, mais si nous venions de passer une année loin
de l’autre, c’était bien terminé. Dès la semaine prochaine, les voitures seraient
prêtes et Mason, Logan et moi partirions pour Cain University.
Mason reprendrait assez tard son entraînement, étant donné sa mise à
l’épreuve de Cain U. Après sa dernière engueulade avec Sebastian, l’équipe de
celui-ci avait été mise à pied, ainsi que Mason. Il avait eu le droit de passer ses
examens en ligne et il n’avait pas perdu sa bourse d’études, mais je savais qu’il
brûlait de retourner à la fac.
Alors que notre baiser se prolongeait, je sentis une certaine tension monter
en lui et lui pris le visage entre les mains :
– Tout ira bien.
Il posa sur moi un regard inquiet, me passa une mèche derrière l’oreille puis
posa les doigts sur ma joue.
– S’ils te font du mal… à toi ou à Logan…
Les lèvres serrées, il continua d’un ton douloureux.
– Je ne sais pas ce qui se passera, Sam, s’ils te touchent.
– Ça n’arrivera pas.
Park Sebastian était le meneur d’une fraternité désormais officiellement
bannie et c’était à cause de lui que Mason s’accrochait avec eux. Car il avait
refusé de jouer aux faux jeux des quelles-sont-tes-relations, quelle-sera- ta-
fortune-à-l’avenir, ou tu-me-grattes-le-dos-je-gratte-le-tien dans lesquels
Sebastian avait tenté de l’entraîner. Son refus n’avait pas été bien pris.
Je lui passai les doigts dans les cheveux, puis reculai juste ce qu’il fallait
pour pouvoir le regarder dans les yeux. Il avait peur. Je l’avais déjà perçu cet été.
Toutes les nuits, entre ses bras, je l’avais senti se crisper davantage à mesure
qu’on approchait de ce week-end.
Je ne voulais pas représenter une de ses faiblesses.
– Mason, ne t’inquiète pas pour moi. On saura se défendre. Personne ne me
fera du mal. Personne ne fera du mal à Logan.
Il posa la main sur ma nuque, chercha mon visage. Il voulait me croire mais
n’y parvenait pas. On en avait trop vu pour imaginer que tout irait bien, mais je
ne pouvais pas être son talon d’Achille.
Non, il ne se passerait rien. Personne n’allait se servir de moi contre lui. Je
me rapprochai :
– Sérieux, Mason. Je suis là. À tes côtés. Je ferai tout ce que tu voudras.
– Sam…
– Non. Arrête ! Je t’assure. À présent, j’aurai la force de te soutenir. Tu
verras. Personne ne pourra m’atteindre – pas d’amant rejeté, pas de harceleur
obsédé, même pas une salope comme Cass. Ils ne pourront rien contre moi. J’ai
déjà donné. Je saurai assumer.
Je l’attirai contre moi, souris, posai mes lèvres sur les siennes avant de
murmurer :
– Fais-moi confiance, cette fois. Je sais ce qui nous attend à la fac, et je suis
là pour t’aider. Voilà. C’est tout.
– Tu ne devrais pas avoir à m’aider. C’est justement ce qui m’embête. Je ne
devrais pas m’inquiéter à l’idée que Sebastian puisse s’en prendre à toi, mais…
il est capable de tout.
– Arrête !
Mason était plutôt du genre à montrer les dents. Il faisait face, provoquait
son monde. En temps normal, je ne le voyais pas craindre l’avenir comme ça, et
ça me faisait d’autant plus mal.
– Je vais me faire des amis, si ça peut te rassurer. Je m’entourerai de
camarades de fac et, quand je passerai chez toi, je prendrai mes précautions. Et
puis, Logan et toi pourrez toujours venir me chercher. Ça te va comme ça ?
– Il n’a pas intérêt à te faire du mal, répéta seulement Mason. Je suis capable
de tout, s’il le fait.
– Il ne fera rien, dis-je en l’embrassant de nouveau. Promis.
– Yo !
À ce cri provenant de la porte, on se redressa. Une seconde plus tard, Logan
et Mark entraient, les joues rouges, le front en sueur, un sourire idiot aux lèvres.
– Yo ! répéta Logan.
L’air surpris, il s’arrêta, pencha la tête de côté.
– Vous venez de le faire, là, ou quoi ?
Mason me lâcha en levant les yeux au ciel.
– Arrête, on n’est pas des lapins, non plus !
– Ah bon ?
Il sortit le jus d’orange du réfrigérateur, le posa sur la table. Mark apporta
deux verres et tous deux s’assirent.
– Moi, je le ferais, ajouta Logan. Vous savez, si je pouvais… Si on avait
pu…
– Ferme-la ! gronda Mason.
Son frère m’adressa un clin d’œil tout en ouvrant la bouteille.
– Allez, frangin ! Je croyais qu’on s’était mis d’accord depuis qu’on en avait
parlé. Tu sais, l’idée de Sam et moi, qu’il aurait pu…
– Je t’ai mis mon poing dans la gueule à ce moment-là, je pourrais bien
recommencer.
– Quoi ? Non ! Il faut que je reste beau. Sinon, maman Malinda pourrait te
botter les fesses.
Il marqua une pause, promenant ses yeux brillants de Mason à moi. Son
sourire s’accentua.
– Qu’en penses-tu, Sam ? Comment nous aurait-on surnommés ? Avec
Mason, vous êtes devenus Samson. Alors, nous deux, ce serait… Samog ? Non.
Ça ne sonne pas bien. Sagan ? Lotha ? Pas terrible non plus. Tiens, et juste
SamLo ? Nan, pas génial.
Mark se servit un verre tout en observant Logan, l’air un peu tendu avec sa
pomme d’Adam qui allait et venait.
Reprenant son stylo, Mason se pencha vers son frère.
– Tu vas la fermer ?
À la vitesse de l’éclair, il planta la mine dans la table, entre deux doigts de
Logan.
Tout le monde écarquilla les yeux. Il était allé si vite qu’on ne se rendit
compte de sa précision qu’après coup.
Logan fut le premier à réagir, dans un éclat de rire.
– J’adore te mettre en pétard.
– Tu vas le regretter.
Son rire s’interrompit.
– Comment ça ?
– Quand tu aimeras une femme… qui représentera tout pour toi et que tu
seras prêt à protéger contre le monde entier, je prendrai mon pied à faire les
mêmes conneries que toi cet été.
– Bon, marmonna Logan en faisant la grimace, ça ne serait pas très sympa de
ta part.
– Chienne de vie ! rétorqua Mason d’un ton railleur.
Logan m’interrogea du regard, mais je fis non de la tête. J’étais aussi
embêtée que lui.
Certes, il aurait pu exister un couple Logan et Sam, seulement ça ne s’était
pas produit. Logan aurait pu être un petit ami, seulement Mason était mon âme
sœur. La question de savoir si Logan avait des sentiments pour moi nous avait
obsédés un certain temps. Elle avait été réglée l’année passée, juste avant
l’incendie de la fraternité. La vérité s’était imposée : il aurait pu y avoir un nous
entre Logan et moi. Mason l’avait mieux pris que je ne l’aurais cru.
Et là, il avait raison. Logan se moquait un peu trop de nous, ces derniers
temps. Je ne pouvais m’empêcher de penser que c’était dû au fait que Kris et lui
avaient enfin rompu pour de bon, depuis le temps qu’ils se séparaient, revenaient
ensemble, se séparaient de nouveau. Ça avait duré toute l’année. Jusqu’à la
rupture finale qui remontait à quatre mois. Quelques semaines avant la remise
des diplômes, Logan avait largué Kris à une soirée pour se remettre aussitôt à
draguer comme un malade. On disait même qu’il s’était fait sucer par plusieurs
filles ce soir-là et qu’il était reparti avec quelqu’un d’autre.
Les filles se montraient plus sympas avec moi maintenant qu’à l’époque où
ça se passait bien entre Logan et Kris. Bon, je ne me faisais pas d’illusions.
J’avais appris à reconnaître leurs regards j’ai-besoin-de-toi-car-tu-es-proche-de-
Logan, et je savais leur échapper. Quand je n’y arrivais pas, ma meilleure amie,
Heather Jax, s’en chargeait sans difficulté.
En pensant à Heather, je regardai la pendule au mur.
Il fallait que j’aille me faire coiffer avec Malinda, ses deux sœurs et sa
meilleure amie. Je savais que leurs filles seraient là aussi. Mais pas Heather.
– Quoi ? demanda Mason.
– Quoi quoi ? répétai-je.
– Tu as soupiré. Qu’est-ce qui ne va pas ?
– Ah…
Images de coiffeuses, odeurs de laque, murmures et rires m’emplirent le
cerveau. Je grinçai des dents.
– J’aurais préféré qu’Heather ne travaille pas aujourd’hui.
– Nate arrive ce soir. Il a une réunion à Cain U, mais il nous rejoindra
ensuite. Jax viendra plus tard, non ?
– Si. Elle sortira à temps pour le bal du mariage.
– Tant mieux. Elle est en froid avec Channing, je crois ?
Je me raidis. C’était vrai. Heather et Channing, son copain de Roussou par
intermittence, se faisaient plutôt la gueule en ce moment, si bien qu’elle revoyait
Logan depuis trois semaines.
Et il posait sur moi un regard que je n’appréciais pas. Cependant, si Heather
avait envie de coucher avec lui, je n’y pouvais rien. Elle savait très bien ce qui
l’attendait, pourtant, je ne pus m’empêcher d’observer :
– Si tu comptes faire ce que je crois…
Je marquai une pause pour vérifier s’il avait compris que je ne plaisantais
pas.
De fait, il se redressa lentement sur son siège, l’air beaucoup moins taquin
qu’à son arrivée. Soutenant mon regard, il pencha un peu la tête, de façon à se
retrouver au même niveau que moi.
– N’oublie pas, dis-je, qu’elle est ma seule véritable amie fille. Ne déconne
pas avec elle, pigé ?
– Jax n’est pas comme les autres, assura-t-il, les dents serrées. Je la respecte.
– Et j’espère que ce sera encore le cas après.
Un téléphone vibra sur le comptoir et Mark se leva pour le prendre. Il lut le
texto, releva la tête.
– Euh… Sam ?
Je savais ce qu’il allait dire et me levai à mon tour. Il semblait encore
hésiter, se tourna vers Logan avant de revenir vers moi :
– C’est ma mère. On t’attend à la maison.
– Oui, le coiffeur.
Mason me prit la main pour m’attirer vers lui, me caresser la nuque et
m’embrasser avant de me murmurer à l’oreille :
– Amuse-toi bien avec ta nouvelle maman. Elle t’aime déjà.
Une vague d’émotions me saisit, ma gorge se serra. Je lui rendis son baiser,
puis me dégageai et sortis.
En traversant la rue pour gagner la maison de mon père et de Malinda, je
m’essuyai les yeux. Mason avait raison, en ce jour j’allais avoir une nouvelle
maman, qui m’aimait, celle-là.
Mes épaules s’allégèrent d’un grand poids et je souris en pénétrant dans
l’entrée. De la cuisine montaient des rires et des cris. En ce jour, Malinda allait
devenir Malinda Decraw Strattan.
Elle était là et m’ouvrait les bras :
– Bonté divine ! C’est ma fille ! Viens ici, ma toute belle !
CHAPITRE
2

Debout au premier rang devant l’autel, alors que Malinda et David


échangeaient leurs vœux, je ne pouvais m’empêcher de regarder Mason. On
avait passé presque toute la cérémonie les yeux dans les yeux. Ça faisait du bien
d’être là, de participer au mariage de David en sachant qu’il prenait enfin une
bonne épouse, avec Mason et Logan pour témoins. Cette fois, nous allions
former une véritable famille, comme si Malinda nous avait tous adoptés.
Lorsque vint mon tour de m’engager dans l’allée, une fois que le pasteur eut
proclamé David et Malinda mari et femme, Mason prit mon bras sous le sien, se
pencha, me déposa un baiser sur le front.
Je me sentais dans un véritable conte de fées. En m’avançant avec lui, je
mourais d’envie d’entendre aussi officialiser notre relation. Mes doigts
s’enfoncèrent dans son bras et je m’agrippai à lui, comme si je renonçais à
rejoindre le révérend.
Beaucoup d’amis de Mark étaient là et, en passant devant eux, je captai le
regard mauvais de Cass. J’écartai un peu Mason, faillis la manquer, mais elle
reçut un bon coup de mon bouquet. Je l’entendis maugréer entre ses dents tandis
que, déjà, nous arrivions à hauteur des autres, comme Miranda Stewart. Elle
sortait avec Peter, intéressant. Et puis, il y avait Adam, à côté de Becky et Lydia,
en revanche, pas de Jessica. Ce qui me secoua. Jeff était là aussi et il nous
adressa un petit signe. Ce qui fit rigoler Mason tout bas, mais Jeff continua.
– Tu as l’air en forme, Logan ! lança-t-il.
Quelques rires retentirent. Certaines filles se parlèrent à l’oreille en rigolant,
comme elles faisaient toujours en présence de Logan, mais je savais que d’autres
étaient encore fascinées par Mason. C’était lui le trophée qu’elles avaient tenté
d’attraper au lycée, celui sur lequel elles n’avaient jamais pu mettre la main.
Quelque part, je me demandais si elles n’allaient pas encore essayer ce soir.
Entre la danse, la musique, l’alcool et peut-être quelques substances… je n’y
participerais évidemment pas, mais ce serait le cas de plusieurs d’entre elles. Du
coup, j’étais encore saisie par le désir d’emmener Mason loin de là, de le garder
pour moi toute seule.
Arrivée à hauteur des mariés pour les féliciter, je n’eus pas le temps d’ouvrir
la bouche que Malinda me prenait dans ses bras, me caressant le dos.
– Ça va, ma puce ?
Elle m’étreignit, puis ce fut le tour de David. Derrière moi, Mason serra
Malinda contre lui, mais mon père ne me lâcha pas tout de suite, me murmurant
à l’oreille d’une voix tremblante :
– Je t’aime tant, Samantha ! Tu ne peux pas savoir à quel point. Je bénis le
Ciel de t’avoir dans ma vie. Je tiens à ce que tu le saches.
Une autre vague d’émotions me parcourut et mes larmes se mirent à couler.
Mon Dieu. Je reculai et vis qu’il était aussi ému que moi. On en avait tellement
bavé tous les deux. Mais je ne sus rien dire d’autre que :
– Merci d’être revenu pour moi.
Malinda n’avait rien perdu de notre échange. Elle me sourit, les yeux pleins
de larmes, elle aussi, les mains sur la gorge.
Soudain, elle nous prit tous les deux dans ses bras. Puis je la sentis faire de
grands gestes :
– Marcus, Logan, Mason… vous tous, venez là. Toute la famille dans mes
bras.
Je sentis Mason arriver derrière moi, puis Logan, puis Mark qui enlaça sa
mère. Et on se retrouva tous à former un seul groupe, jusqu’à ce qu’on entende
les applaudissements.
Il fallait toujours que quelqu’un se moque de nous, sauf que là, aucune
raillerie ne s’élevait.
Malinda desserra son étreinte, remit de l’ordre dans ses cheveux, puis
adressa un signe à la foule qui s’était formée.
– Venez ! lança-t-elle. Je dois encore faire un câlin à chacun d’entre vous.
Allez, je vous attends !
– Tu veux qu’on reste pour embrasser les autres ? demandai-je à David.
Il me tapota l’épaule :
– Non, non, vas-y ! Amusez-vous. Les photos sont prises. Vous pouvez faire
ce que vous voulez. Mais ne ratez pas la réception dans deux heures.
– Attendez ! intervint Logan en me bousculant. Vous dites qu’on a deux
heures, c’est ça ?
Le sourire de mon père disparut, il tira sur le col de son smoking.
– Oui, on t’attend, Logan, pas ivre de préférence.
– C’est ça, répondit celui-ci, tout excité, en me passant un bras sur l’épaule.
Je ne veux pas embêter maman Malinda. On va revenir, on n’aura pas bu…
enfin, ça ne se verra pas trop.
– Logan !
Portant les doigts à son front, il salua mon père.
– À plus, señor Strattan !
– Mason ! reprit David. Je veux que ma fille revienne avec les idées claires.
Le préfet de police est invité à la réception.
Mason vint se planter près de moi, ôta le bras de Logan de mon épaule pour
le lui remettre droit le long du corps dans un mouvement théâtral. Puis il se
tourna vers mon père :
– Ne vous inquiétez pas, elle viendra. Logan a la tête dans le cul, en ce
moment.
Mason entrelaça ses doigts avec les miens pour mieux m’attirer contre lui, et
lança au-dessus de moi :
– Elle sera en forme, n’est-ce pas, Logan ?
Celui-ci leva les yeux au ciel.
– On y va ! répondit-il. Avant que la foule nous barre le chemin.
Une fois dehors, il fonça vers l’Escalade de Mason, fit mine de s’installer au
volant, mais son frère l’interpella :
– Arrête ! Pas là, mon pote !
Sagement, Logan se glissa à l’arrière, mais nous fit signe de nous dépêcher.
– Allez ! Hashtag Logan soif, accélère !
– Oh là là ! maugréa Mason en me lâchant.
J’allai m’asseoir sur le siège passager.
– Arrête avec tes foutus hashtags, ajouta Mason en s’asseyant à son tour. Je
ne les supporte plus.
Sans lui répondre, Logan se mit à taper au plafond.
– On s’en fout. Vas-y. J’ai soif.
Tandis que Mason démarrait, je vis Mark sortir en courant.
– Attends, dis-je, Mark vient aussi.
– Vas-y ! grommela Logan.
Cette réaction nous surprit assez pour qu’on échange un regard, Mason et
moi. Logan avait visiblement un problème, qui allait plus loin qu’une simple
envie de boire, de tirer un coup ou de se battre. C’était lié à Mark, qui venait
d’intégrer notre groupe puisqu’il était maintenant mon demi-frère. En le plantant
là, on risquait de l’exclure à jamais.
Il arrivait presque à notre hauteur.
– Mason, murmurai-je.
Hochant la tête, il se retourna, baissa sa vitre.
– Compris, dit-il.
Puis il lança à l’adresse de Mark, qui contournait le véhicule :
– Hé, tu attends une minute, s’il te plaît ?
– Euh, oui… rétorqua celui-ci, surpris.
Il me regarda à travers le pare-brise, je levai l’index pour lui faire signe de
patienter. Fronçant les sourcils, il recula, fourra les mains dans les poches de sa
veste. Je n’aimais pas le laisser dehors, mais c’était aussi ça, la famille.
Mason se retourna sur son siège :
– C’est quoi, ton problème ?
– Rien, maugréa Logan. Je veux boire. On y va ?
– Et Mark ne peut pas venir ?
– Bof, si. J’ai eu tort de dire ça.
Je n’en revenais pas. Voilà longtemps que Logan ne s’était pas conduit ainsi,
mais il semblait déjà énervé en rentrant de leurs « courses » un peu plus tôt, avec
Mark.
– Il s’est passé quelque chose tout à l’heure avec lui ?
– Non. Malinda voulait un couple de colombes pour les lâcher pendant la
réception. On a dit au vendeur qu’on cherchait des oiseaux pour lâcher des
ballons d’eau sur les gens.
Il se mit à ricaner d’un ton plutôt hargneux.
– On croyait que les colombes pourraient faire ça, mais il a dit que ce serait
mieux avec les pigeons. Ils sont plus faciles à entraîner.
– Et qui les a, ces ballons ? demanda Mason.
Logan haussa les épaules.
– Un débile. Quinn.
Mason lui décocha un sourire.
– Miranda Stewart, reprit Logan en me regardant.
Pas de souci pour moi.
– Je voulais qu’on en jette un sur Cass, ajouta-t-il. Mais Mark a refusé. Il
avait peur que ça gâche ses chances de finir la nuit avec elle.
– Alors, demandai-je, s’il n’y a pas de souci pour Mark avec cette farce,
qu’est-ce qui se passe pour toi ?
– Rien. C’est vrai que j’ai eu tort de dire ça.
Poussant un petit soupir, il ouvrit sa portière.
– Viens, mec, l’interrogatoire est terminé.
Mark parut hésiter en entrant.
– Désolé, dit Mason en le regardant dans le rétroviseur. Logan a déconné et
on voulait tirer ça au clair tout de suite.
– Pas de souci, répondit Mark en regardant par-dessus son épaule. Mais,
euh… on peut y aller ? J’ai peur que ma copine se lance à ma recherche plus vite
que prévu.
– Accélère, Mason ! le pressai-je.
Je regardai moi aussi et, alors qu’on quittait tout juste le parking de l’église,
Cass jaillit du portail, regarda autour d’elle, une main sur le front pour se
protéger du soleil. Miranda, Peter et tout le groupe de l’Academy Elite
apparurent derrière elle et se mirent à regarder eux aussi.
Je me redressai sur mon siège. Enfin non. Je ne tenais pas à retrouver ce
groupe. Déjà, il fallait en passer par Cass comme petite amie de Mark, ça
suffisait. Moi aussi, je prendrais bien un verre.
Quand on arriva au manoir des Kade, Logan fila derrière le bar du sous-sol.
Alors que je me dirigeais vers les toilettes, il me tendit un verre qu’il venait de
remplir.
– Sam, viens par ici.
– Je vais au petit coin.
Il secoua la tête et son regard s’assombrit tandis qu’il continuait de brandir le
verre.
– Tu pisseras plus tard. On boit d’abord.
Apparemment, ça n’enchantait pas Mason qui vint se planter devant moi :
– Bon, ça suffit, lança-t-il à son frère. Qu’est-ce qui te prend ?
– Rien.
Il voulut attraper le verre, mais Logan l’écarta hors de sa portée avant de me
le tendre à nouveau.
– Allez, Sam ! Un peu d’esprit d’équipe !
Je haussai le menton. C’était une véritable provocation. D’habitude, Logan
ne se défoulait pas ainsi, du moins pas sur moi. Mason lui arracha le verre de la
main.
– Tu m’expliques, là ?
Mark arriva au fond de la pièce, nous dévisageant l’un après l’autre, et je ne
pouvais lui en vouloir. Il ne savait pas qu’on réglait normalement nos différends
entre nous trois, sans témoins. Là, il se retrouvait au premier rang. Logan et
Mason pouvaient ficher la trouille à d’éventuels agresseurs mais devenaient
carrément dangereux l’un pour l’autre. Ils partageaient amour fraternel et loyauté
sans se ménager pour autant, comme en ce moment.
Je m’avançai pour me retrouver auprès de Mason, lui effleurant le dos de la
main, afin qu’il sache que j’étais là. Il me répondit en la retournant. Son petit
doigt s’enroula autour du mien et il le serra avant de le relâcher.
– Sérieux, Logan. Tu ne vas pas forcer quelqu’un de la famille à boire un
coup. Qu’est-ce qui te prend ?
– Rien.
Il vida le verre qui m’était destiné, puis ceux qu’il avait remplis pour Mason
et pour Mark.
– Rien du tout.
– Je ferais mieux d’y aller… marmonna ce dernier en se dirigeant vers
l’escalier.
– Oh non, Mark ! s’écria Logan d’un ton furieux. Quelle idée ! Tu es le frère
de Sam, maintenant.
Il remplit un autre verre qu’il promena entre Mason et lui.
– Ce n’est pas comme nous. Même si ça a failli.
Il posa sur moi un regard brûlant de colère.
– À l’époque où ta mère faisait semblant. Elle devait épouser notre père et,
franchement… Ouaf ! Je la détestais. Je sais que c’était aussi le cas de Mason.
On ne voulait surtout pas avoir affaire à elle. Et puis, tu es arrivée à ses côtés, et
toute cette haine est passée par la fenêtre.
Il se tut, ferma les yeux, baissa la tête, la renversa en arrière pour vider
encore ce verre, avant de poursuivre :
– Elle t’a amenée à nous, Sam, mais on n’a aucun lien de parenté avec toi.
On n’est pas tes demi-frères. Lui si, maintenant.
Mark s’éclaircit la voix.
– Logan ! soupira Mason.
– Arrête, tu veux ? Mark fait partie de sa famille. Un jour, tu seras le mari de
Sam. Peut-être qu’à ce moment-là, j’entrerai moi aussi dans la famille.
Qu’est-ce qu’il racontait ? Il était de ma famille et je n’avais pas envie
d’entendre d’autres foutaises de ce genre.
– N’importe quoi, Logan ! m’écriai-je.
Et tant pis si ça ne faisait qu’augmenter la tension.
– Mais qu’est-ce qui t’arrive ? ajoutai-je d’un ton de défi.
– Je crois avoir été clair…
– Tu fais partie de ma famille, coupai-je. Et tu le sais très bien. Mason le
sait. Tout le monde à Fallen Crest le sait. Alors, arrête tes conneries. De quoi il
s’agit au juste ? De ma mère ? Non, de ton père. Elle ne l’a pas épousé. Pas
encore, mais elle l’a emmené.
Et dans une semaine, Logan allait partir pour l’université, alors que son père
n’était plus là depuis une année entière.
– C’est bien ce dont il s’agit, n’est-ce pas ? ajoutai-je doucement. De ton
père ?
Les yeux de Logan s’assombrirent. Il voulait que je la boucle, sauf qu’il ne
pouvait pas me le dire. Je voyais clair en lui, alors qu’à peu près personne ne
pigeait quoi que ce soit à Logan Kade.
– Logan, ton père…
– N’est qu’un enfoiré, d’accord, mais il n’est pas là. C’est vrai, Sam, que ta
mère l’a emmené, qu’il est avec elle depuis un an. Il n’est plus là, il n’a pas
assisté à la dernière année de son fils, mais, de toute façon, il n’a jamais été là.
Toujours parti baiser une bonne femme. Forcément, il allait finir par tomber
amoureux et se faire avoir par une affreuse psychopathe comme Ann-Lise
Strattan.
– Logan…
– Non, ne dis rien, Mason ! Tu lui en voulais encore plus que moi. C’était toi
qui ne pensais qu’à lui botter les fesses. Alors, un peu à mon tour, maintenant
que j’en ai ras-le-bol, laisse-moi cracher ma rage. J’ai le droit, non ?
Il désigna Mark, plaqué contre le mur du fond.
– On célèbre le mariage de sa maman avec le père de Sam. Sa maman,
géniale, gentille, meilleure mère en une seule journée qu’Ann-Lise de toute sa
vie. En fait, c’est génial pour Sam. Elle entre dans une famille qui va l’aimer et
la soutenir. Enfin, pas vrai ? Enfin. Tandis que nous, on reste collés à notre
putain de père. Toi et moi, Mase… on n’est pas dans le coup. Ce câlin l’a bien
prouvé. Maman Malinda est adorable, mais la vraie famille de Sam, c’est eux
maintenant, pas nous.
C’était faux, et je n’arrivais pas à croire qu’il puisse dire ça.
– Non, Logan.
Il remplit d’autres verres en grommelant. Cette fois, Mason en prit un et en
tendit un autre à Mark.
Comme celui-ci hésitait, Logan lui décocha un petit sourire.
– Désolé. Ce n’était pas contre toi, je suis juste… jaloux, je crois. Et ça ne
m’arrive pas souvent.
Après quoi, il vida le dernier verre à ma santé.
– Oublie mes divagations, ça me passera. Qu’en penses-tu, Sam ? À ton tour
d’arroser ça. Tu as la famille dont tu rêvais. Enfin.
Je vis que Mason semblait déchiré, lui aussi. Logan était jaloux, comme il le
disait. Ils avaient de l’argent, mais c’était bien le seul avantage qu’ils pouvaient
tirer de leur famille. Ce foyer désuni. Leur père n’avait pas manqué une occasion
de les abandonner. D’ailleurs, le silence de Mason en cet instant prouvait bien
qu’il comprenait la douleur de son frère. Ça faisait mal de les voir partager cet
abandon. Et ils avaient l’impression que je les lâchais à mon tour.
Cette fois, je pris mon verre, désignant Mason puis Logan.
– Toi, et toi, vous êtes ma famille. Ma mère m’a abandonnée, mon père m’a
abandonnée. Vous êtes restés. Pour moi, c’est tout ce qui compte dans une
famille. Personne ne me sera jamais aussi proche que vous, et tout le reste n’est
que du baratin. Voilà des années que vous êtes là, avec moi, pour moi, quoi qu’il
arrive. Alors, Logan, arrête de te lamenter et sois heureux que maman Malinda
doive désormais t’acheter des cadeaux de Noël, parce que rien d’autre ne
changera. Vous faites tous les deux partie de la famille avec moi. Ils
n’accueillent pas que moi, mais vous aussi. Mettez-vous bien ça dans vos petites
têtes. Personne ne va vous remplacer.
Mason était tout fier, Logan réprima difficilement un sourire et, derrière moi,
Mark poussa un soupir de soulagement. Je levai mon verre et ils en firent autant.
– À cette putain de famille ! dis-je.
On fit tous cul sec.
Le sourire aux lèvres, Logan agita un doigt entre Mason et moi.
– Au sens propre pour vous deux.
Pas de commentaire.
Ce bon vieux Logan était de retour.
CHAPITRE
3
Mason
Quel con, ce frangin !
Après avoir bien bu, on était retournés à la réception ; je savais que Sam ne
pensait plus qu’à Logan à ce moment-là. C’était le jour de David et Malinda,
mais aussi celui de Sam. Elle avait une maman. Pas besoin de s’en vouloir,
même si Logan l’y poussait. Il aurait mieux fait de la fermer.
On n’était pas en train de se faire remplacer.
En le voyant foncer vers Heather Jax, j’eus l’impression que tout ça n’allait
pas bien se terminer. Il posa la main sur son bras avec un sourire canaille, l’air
de dire qu’il était trop bon avec elle.
Heather n’était pas fan des plaisanteries de Logan mais, en voyant son
expression s’allumer de désir, je compris ce qui allait se produire. Comme elle se
rapprochait, il l’accueillit d’un air séducteur et elle retint son souffle en
approchant sa poitrine de lui ; il baissa les yeux, exactement là où elle voulait
qu’ils descendent. Il s’humecta les lèvres et je vis le regard qu’ils échangèrent.
Ils savaient tous les deux comment la nuit allait se passer. Ce fut là que
j’intervins. Frappant Logan dans la nuque, je décochai un sourire à Heather. Elle
recula, les joues rouges, cligna des paupières.
– Sam est en train de danser, dis-je d’un air entendu.
Elle prit un air coupable, baissa la tête.
– Ah oui. Je devrais aller la voir.
– Oui.
Merde. J’avais l’impression que mon frère se fichait de ce qu’il faisait. Il
allait s’amuser avec la meilleure amie de Sam. Pas question de laisser passer ça.
– Vous allez baiser tous les deux, ce soir.
Logan frémit tandis qu’Heather se mordait la lèvre avant de tourner les yeux
vers Sam. Ni l’un ni l’autre ne me reprit. Elle s’en voulait. Logan n’en avait rien
à fiche.
– Jax, insistai-je, je vais enfreindre les règles établies avec mon frère.
Il retint son souffle. Ce dont je me fichais éperdument.
– Il veut te démolir. Ça fait déjà un moment, mais il s’en est empêché
jusque-là pour plusieurs raisons. La famille de Sam. Ça pourrait atteindre votre
amitié. Il ne t’aime pas. Tu n’es pas la femme de sa vie. Et dernière raison :
Channing. En ce moment, mon frère n’est pas trop en forme. Il n’a pas les idées
claires et il se fiche des conséquences de ses actes.
– Ta gueule, Mason ! brailla-t-il en se dégageant. Tu te prends pour qui, là ?
– Pour rien, je veux juste t’empêcher de faire du mal à Sam.
Du coin de l’œil, je surveillais Heather qui s’éloignait imperceptiblement,
l’air d’approuver ce que je disais. En même temps, je voyais qu’elle souffrait,
elle aussi. Channing lui avait fait du mal.
– Je t’interdis de faire du mal à Sam, ajoutai-je à l’adresse de mon frère, et
surtout pas aujourd’hui.
Avec un soupir rageur, il se passa une main dans les cheveux avant de lâcher
un « merde » retentissant.
Ce fut le moment que choisit Sam pour se tourner vers nous, comme si elle
nous avait entendus malgré la musique à plein tube. Elle arborait un large
sourire, les yeux brillants, les joues encore rouges d’avoir bien ri. Elle nous
adressa un signe, mais quand elle vit nos têtes, ce fut comme si le soleil se
couchait. Son entrain la quitta, son expression s’inquiéta, ses joues pâlirent, son
bras retomba sur le côté. Il lui avait suffi d’un seul regard pour comprendre
qu’on s’embrouillait. Comme si on la vidait de sa vie.
– Va la rassurer, dis-je à Heather entre mes dents.
Puis je me tournai vers Logan :
– Suis-moi… on a deux mots à se dire.
Heather s’arrêta en chemin :
– Euh…
– Vas-y, insistai-je. Dis à Sam qu’on va chercher de la bière. On revient
bientôt.
– Bon, d’accord.
Elle regarda Logan de travers, mais il s’éloignait déjà.
Tout ce que j’avais dit auparavant à Sam m’occupait encore l’esprit.
Sebastian représentait un vrai problème. J’avais besoin de mon frère pour
essayer de le résoudre, et Logan n’était pas au mieux de sa forme en ce moment.
On se fraya un chemin jusqu’à la sortie. Sur le parking, des gens nous
interpellèrent. On se serait encore crus au lycée. Mais on continua tous les deux
vers mon Escalade.
On y entrait à peine qu’un pick-up se garait près de nous. La vitre avant
s’abaissa :
– Salut ! lança Nate en souriant.
Il portait une chemise au col déboutonné et avait les cheveux hérissés. Ce
qui arracha un petit rire à Logan :
– Tu es sûr d’avoir quitté la fraternité, Nate ? Il ne te manque qu’un pull ras
du cou pour faire trou du cul de Yale.
– Ravi de te revoir moi aussi, rétorqua Nate en levant les yeux au ciel.
Laissez-moi le temps de me garer et je vous suis où vous voulez.
J’allais refuser, mais il se dirigeait déjà vers une place qui venait de se
libérer. Je me tournai alors vers Logan :
– Je vais lui dire…
– Laisse-le, soupira-t-il en s’adossant à son siège. C’est moi le trou du cul.
J’arrête mes conneries. Je sais ce que tu allais faire et on va en parler, promis. Je
te dirai ce qui se passe, mais tu as raison. Je sais que tu veux que je me concentre
sur le problème Sebastian. Monson va nous donner des nouvelles récentes. On
doit entendre ce qu’il a à dire avant de retourner à la réception.
– Merci, dis-je, un rien soulagé.
– Je sais, je sais. Fais-moi confiance, je n’ai qu’une envie, cogner le crâne de
Sebastian, et c’est le moment de jouer. Tu ne peux pas savoir comme cette année
de terminale a été chiante. Personne ne voulait se battre ni se mesurer à moi.
C’était trop facile. J’ai fini par m’ennuyer. C’est sans doute ça, le problème.
Il s’esclaffa, alors que Nate grimpait à l’arrière.
– Il me faudrait peut-être une guerre pour affronter tous mes démons, acheva
Logan.
Nate allait claquer la portière, mais cette remarque le figea.
– Quoi ?
– Rien, rétorqua mon frère. Tu as intérêt à tout savoir sur ce connard de
Sebastian.
– Pas de souci.
L’Elite formait un petit groupe à la sortie du parking, mais je ne pensais pas
qu’ils risquaient de s’en prendre à Sam en notre absence. Heather était là-bas.
C’était le mariage des parents de Sam, et Mark était désormais son demi-frère.
Logan les vit lui aussi et nos regards se croisèrent. On pensait la même
chose.
– Ça ira, murmurai-je. Mark interviendra s’il le faut.
– Il a intérêt.
– Qu’est-ce qu’il… ? demanda Nate.
– Rien, coupai-je. Tu avais quelque chose à dire ?
– Oui. Sebastian a reçu l’autorisation d’acheter un pavillon en dehors du
campus, tout près d’ici.
– Pas vrai… grommela Logan. Et tous ses colocs sont les connards du
pavillon de la fraternité ?
– Non.
– Non ? Étonnant.
– La fac s’en est mêlée. C’est ce qu’ils ont dû se dire également, alors ils ont
décrété qu’il ne pouvait pas y avoir plus de cinq membres de leur ancienne
fraternité dans ce bâtiment, au risque de se faire renvoyer. J’ignore si c’est légal
ou pas mais, s’ils veulent rester dans cette université, ils n’ont pas le choix. Bien
sûr, les autres sont acceptés.
– Ils sont combien dans ce pavillon ? demanda Logan.
– Trois du groupe de l’an dernier et deux qui n’ont pas appartenu à cette
fraternité.
– Intéressant, commenta Logan.
– Et ils sont près du campus ?
– Aucun membre ne peut y vivre en dehors de la résidence.
Je connaissais le règlement, j’avais eu droit aux mises en garde à mon
arrivée, mais Sebastian avait des relations. Et aussi de l’argent. Il existait peut-
être des exceptions depuis le printemps dernier. Néanmoins, Cain U semblait
resserrer les boulons.
– À quoi penses-tu ? me demanda Logan.
– Que Sebastian guette notre retour. Il aligne ses troupes et, dès notre
arrivée, ce sera reparti.
– Tu crois ? intervint Nate, penché entre nos deux sièges. Il a déjà causé trop
de dégâts.
Pas à moi. Point barre.
– Il veut me faire du mal et il n’y est pas encore arrivé. Tout ce qu’il a
obtenu, c’est de blesser Marissa avec ce camion, alors je leur en fais beaucoup
plus baver.
– C’est vraiment le roi des cons, marmonna Logan.
– Il n’en fait qu’à sa tête, il oblige les gens à faire ce qu’il veut, mais pas
moi. Il voulait me contrôler, seulement j’ai refusé. Chaque fois qu’il s’en est pris
à moi, il a raté son coup. Et je ne veux pas que Sam soit impliquée là-dedans.
– Ça me va, répondit Nate.
Logan, lui, paraissait sceptique :
– Elle est déjà impliquée.
– Non, pas là. Pas dans cette guerre.
– Il s’en prendra à elle quand même.
– On ne peut pas la mêler à ça. Autrement dit, on ne fait rien contre
Sebastian, on ne parle pas de lui devant elle – pas question qu’elle soit au
courant. Si on la fait participer à quoi que ce soit, on donne une excuse à
Sebastian pour la frapper. Je sais, ça semble bête, mais, en l’éloignant de cette
histoire, on a peut-être des chances qu’il ne s’intéresse pas à elle.
Ce n’était sans doute qu’un vœu pieux, cependant il fallait que je tente le
coup. J’agrippai le volant. Mon frère ne se rendait pas compte à quel point ce
serait dangereux pour elle.
– Ça va être sa première année de fac. Je voudrais que ça se passe le plus
normalement possible pour elle. Avec de nouveaux amis, en résidence
universitaire, à se sentir parfois un peu paumée… enfin les trucs habituels, quoi.
Un sourire étira les lèvres de Logan.
– Parfois, j’oublie à quel point tu peux jouer les mauviettes. Si c’est ce que
tu veux, d’accord, mais tu pourrais t’arrêter devant ce marchand de vin ? Il faut
que j’achète quelques bouteilles.
Je me garai pour le laisser faire ses courses. On l’attendit en silence et,
quand il revint, il avait fait assez de provisions pour la moitié des invités du
mariage. Son air réservé l’avait quitté. On ne songea plus qu’à s’amuser.
Le lendemain, on partait pour Cain University.
CHAPITRE
4
Samantha
C’était le jour de la rentrée dont je rêvais depuis si longtemps. Le symbole
de la liberté pour moi. Enfin libérée des tirades de ma mère, de son mal de vivre,
de ses hauts et ses bas. D’elle, tout simplement. Car, même après m’être installée
avec Mason et Logan, j’avais hâte de me retrouver à l’université. C’était le
dernier maillon de la chaîne. Les frères Kade m’avaient protégée, mais je ne
m’étais sentie physiquement débarrassée d’elle que lorsque James l’avait
conduite à l’hôpital. À la résidence universitaire, j’allais pouvoir couper tous les
ponts avec elle.
J’étais libre. Enfin, et pour de bon.
Accompagnée de Mason, je passai devant une mère et sa fille qui
s’étreignaient, en larmes. Ce n’était pas moi. Je flottais sur un petit nuage.
Malinda avait proposé de venir, mais je ne voulais pas que David et elle reculent
d’un seul jour leur lune de miel. Ils méritaient d’être heureux et, avec Mason
auprès de moi, je l’étais de mon côté.
Enfin, le grand jour arrivait. Littéralement. On se trouvait devant ma
chambre.
Mason ouvrit la porte et déposa mes bagages à l’intérieur, puis me regarda
entrer.
C’était une grande pièce carrée, avec deux étagères derrière la porte. Les lits
étaient collés au mur du fond, l’un au-dessus de l’autre, éclairés par une fenêtre
sous laquelle on avait placé un bureau. Deux étagères s’alignaient également sur
le troisième mur, et l’autre bureau se trouvait à côté de la porte.
Je désignai le lit devant lequel Mason avait déjà déposé mes bagages, et mis
mon sac sur le bureau voisin. Je voulais me réserver le coin fenêtre, avec la vue
sur une cour entourée de trottoirs et d’arbres. Des garçons s’envoyaient un
ballon de foot et un groupe de filles s’était installé avec livres et cahiers pour
étudier.
Ce serait mon petit coin maison.
– Tu es sûre de ne pas vouloir t’installer avec nous ? demanda Mason.
Je passai la main sur le bureau pour tâter le bois et les initiales gravées par
un prédécesseur.
– Non, dis-je. Je voudrais vivre une année normale.
– Je te comprends.
On bavarda encore un peu. Mason s’inquiétait, craignant que Sebastian ne
s’en prenne à moi pour l’embêter, et c’était bien là le problème. Car, si c’était le
cas, Mason serait tout de suite au courant. J’ignorais ce que Sebastian avait
derrière la tête, sans doute une sorte de manipulation mentale, mais il allait
devoir faire ses preuves. J’avais affronté quelques adversaires parmi les plus
coriaces. Il ne me faisait pas peur. Si Mason s’inquiétait pour moi, c’était pour
lui que je m’inquiétais.
Avec Logan et Nate, ils s’étaient montrés remarquablement discrets quant à
leur plan de bataille contre Sebastian. Je n’en faisais pas partie – c’était tout ce
que je savais –, mais ils ignoraient le mien.
Je ne permettrais pas que Mason soit touché. Cette fois, ce serait moi qui
protégerais mon homme. À mon tour de garder mes secrets. Ce serait d’ailleurs
la seule fois que ça m’arriverait avec l’homme que j’aimais. Il ne saurait jamais
de quelle façon Park Sebastian tentait de m’atteindre.
– Oh !
Un rire nerveux retentit sur le seuil de la chambre. Une fille splendide, très
grande, très mince, cheveux blond platine, se tenait là, une caisse dans les mains,
deux sacs sur les épaules. Elle nous décocha un sourire découvrant des dents
presque parfaites.
– Bonjour, je suis Summer. Et toi, c’est Samantha ?
– Sam.
– Très bien.
Elle entra, posa ses sacs par terre.
– J’avais peur de me tromper encore de chambre, avec ces étages qui partent
dans tous les sens.
En parlant, elle s’accompagnait de gestes des mains à droite, à gauche,
devant elle. Et ces mouvements gracieux me captivaient ; on avait l’impression
qu’elle glissait ou qu’elle flottait. Je n’avais jamais rien vu de semblable.
Heather était sexy, attirait l’attention, mais Summer, c’était autre chose. On
aurait dit une déesse ou une gazelle.
Des bracelets scintillaient à ses bras tandis qu’elle m’expliquait en riant
comment elle s’était perdue à force de se faufiler dans ces couloirs remplis de
gens. En même temps, elle semblait fascinée par Mason. Renversant la tête en
arrière, elle repoussa une mèche de cheveux derrière l’oreille mais laissa glisser
ses doigts le long de sa joue.
Ce fut là que le charme disparut. Pouf ! Je remuai pour attirer l’attention vers
moi. Elle avait les pupilles dilatées, les lèvres légèrement gonflées.
Ma coloc était attirée par mon copain.
Je ne lui laissai pas le temps d’en dire davantage :
– Mason est mon mec.
Elle s’interrompit, écarquilla les yeux.
– Euh… oui.
– Je le lui ai déjà dit, intervint Mason en toussotant.
– Ah bon…
Vraiment ?
– Il me disait qu’il avait aussi un frère à la fac.
– C’est vrai, balbutiai-je en inspectant le couloir. Il devait m’aider à
m’installer.
– À propos de Logan, je vais voir comment il est installé, lui aussi.
Là-dessus, Mason passa devant moi en m’effleurant la main comme pour me
rassurer.
– Je te monte le reste de tes affaires, ajouta-t-il avant de disparaître dans le
couloir.
Ma coloc s’écarta de son bureau, mais y revint aussitôt.
– Attends. Mason. Il fréquente déjà cette fac ?
Je hochai la tête. Son regard s’illumina :
– Il est en deuxième année ?
Nouveau oui de la tête. Plus lent.
– Son nom de famille, c’est Kade ? Mason Kade ?
– Tu as entendu parler de lui ?
– Arrête ! dit-elle en me prenant par les bras. Si j’ai entendu parler de lui ?
Mais il doit devenir pro l’année prochaine ! C’est le meilleur receveur de Cain
University. Évidemment que j’ai entendu parler de lui ! Mason Kade est une
légende. Mon père est ami du coach et ils ne font que parler de lui. J’y crois pas !
Elle semblait essoufflée, incapable de respirer, au point qu’elle me lâcha
pour croiser les bras.
– Il faut que je me calme, ajouta-t-elle. Ça m’excite trop !
– Tu es fan de lui ou du football ?
– Les deux, dit-elle en éventant ses joues rouges. Tu as mis le chauffage ou
quoi ?
Je lui montrai la porte ouverte.
– Oh ! sourit-elle en continuant de s’éventer. Pardon. Je ne suis pas trop du
genre fan qui s’emballe, mais là… Je n’arrive pas à croire qu’il soit ton copain.
Mason Kade qui sort avec ma coloc, wouah ! Quand je vais dire ça à mon père,
il va pas en revenir.
Je ne pouvais m’empêcher de la regarder en coin. Elle était magnifique.
Grande. Mince. La silhouette parfaite de la tête aux pieds en passant par les
fesses. Digne d’un modèle de magazine. Et elle jouait la gaga avec mon mec ? Si
elle prononçait son nom dans son sommeil, j’allais devenir dingue. Là, tant pis
pour elle.
Elle devait avoir remarqué ma réaction, car elle ouvrit soudain la bouche :
– Oh ! Non ! Ce n’est pas ce que tu crois. Non, non, non ! Je suis très fan de
foot. Tu ne peux pas savoir ! Je ne suis pas normale. Les joueurs, je m’en tape,
c’est le foot qui compte pour moi. J’ai hérité des gènes de mon père.
Je la fusillai du regard.
– Attends, reprit-elle. Ce n’est pas que je m’en tape, de ces mecs. Je ne suis
pas comme ça non plus. J’aime bien les mecs. Les filles aussi, remarque. Je
t’assure. Oh là là… Je vais passer pour une dingue. Non, mais, sérieux. Les gens
se couvrent de ridicule autour de moi, mais pas moi.
Ah oui ? Elle reprit dans un murmure :
– Et là, je suis entrée, super-arrogante et tout… Ce n’est pas mon genre, je
t’assure. Sauf que je n’adhère pas à certaines règles de la société. Alors, je passe
pour une grosse nulle.
Elle me désigna du doigt.
– En fait, c’est toi, la super-cool, et tu sors avec Mason Kade, dont je suis la
carrière depuis des années. Son frère aussi, mais pas autant.
– Tu connais Logan ?
Elle gardait les yeux écarquillés tout en remuant lentement la tête, ses joues
rougirent à nouveau.
– J’ai entendu parler de Logan. Comme tout le monde. Tu ne te rends pas
compte à quel point ton copain et son frère sont connus ? Je connais toutes leurs
statistiques de foot. Je sais combien de matchs ils ont joués ensemble. Je sais
qu’ils font partie de ces gens avec lesquels il faut compter. Mason est entré à
l’université alors que Logan continuait à faire des étincelles dans l’équipe de
Fallen Crest. Tu viens de là-bas ? Quand je pense que je ne le savais même
pas… Tu pourrais aussi bien venir d’ailleurs. Attends. Comment tu as rencontré
Mason ? Je sais que je suis trop curieuse, mais je ne peux pas m’empêcher de te
le demander. Tout ça me fascine. Mon père voulait devenir pro et je crois qu’en
plus, il connaît le leur… ils font des affaires ensemble. Bon, je la ferme
maintenant. Je n’arrête pas de bavarder et tu me regardes comme si je délirais.
Mais non. Juré.
Elle se tapota la poitrine avant de s’asseoir sur le lit en fourrant ses mains
sous ses jambes.
– J’aime le football, voilà. Et maintenant, je la boucle.
Un ange passa. Cette fille était incroyable. Elle parlait de foot, de Mason, de
Logan et aussi de James. Dans la caisse qu’elle avait apportée, j’aperçus une pile
de magazines. Malgré le couvercle, je distinguai sa photo sur plusieurs d’entre
eux.
Ainsi, elle était mannequin, et fan de foot.
– Logan va vouloir te baiser comme un malade.
– Quoi ? s’écria-t-elle en se retournant.
Quand elle vit ce que je regardais, elle poussa la caisse du bout du pied.
– Ah, c’est mon secret. Je suis modèle photo… enfin, je l’étais. J’ai arrêté
pour pouvoir aller à l’université.
Elle partit d’un rire amer avant d’ajouter :
– Ma belle-mère n’apprécie pas trop.
– Ta belle-mère ?
– Mon père a pris une nouvelle épouse, il y a quelques années. Ça a été…
difficile. Mais qu’est-ce que tu disais à propos de Logan ? Qu’il va me baiser ?
– Il va essayer, marmonnai-je en commençant à ranger mes affaires. Un
modèle !
Bon sang, ma coloc était modèle. Le cliché !
Elle partit d’un petit rire avant de préciser :
– Ancien modèle photo. Maintenant étudiante, même si ma mère voulait que
je devienne célèbre.
– Ta mère ?
– Oui, dit-elle en tirant la caisse vers son lit. Là-dessus, ma mère et ma belle-
mère sont d’accord. Elles voudraient que je continue à faire des photos et que
l’université passe au second plan. Mais pas moi. Elles se fichent de mes
aspirations. Enfin, pardon de te raconter mes ennuis. Désolée, je ne veux pas
t’embêter avec ça, en plus le premier jour… Et dire que j’ai rencontré Mason
Kade ! Ça me met encore tout en émoi.
Je souris. Ma tension s’apaisait peu à peu.
– Bon, on a toute l’année pour bien faire connaissance. C’était sympa de
pouvoir se dire déjà tout ça.
– Tu es sympa ! s’esclaffa-t-elle. En général, les filles me détestent. Pas toi,
on dirait.
– Crois-moi, je sais ce que c’est quand des filles vous détestent.
Kate. Miranda. Cass. Et tant d’autres.
– Avec moi, ajoutai-je, tu ne risques rien.
Sauf si tu me fais du mal, à moi ou à ceux que j’aime. Là, tu es morte.
– La super-meuf !
Un sifflement s’éleva du fond du couloir et je compris que j’avais deux
secondes pour prévenir ma coloc modèle.
Logan arrivait.
CHAPITRE
5
Mason
La nouvelle coloc de Sam répondait à tous les fantasmes de Logan et il le lui
fit savoir. Après avoir l’avoir regardée louvoyer une bonne demi-heure, je
poussai mon frère vers le couloir, embrassai Sam, lançai nos adieux. La coloc
parut soulagée.
Sam m’attrapa le bras au vol.
– Ça va ? demanda-t-elle d’une voix cassée.
Je lui caressai la joue :
– Oui, et toi ?
Elle fit oui de la tête, posa sa main sur ma poitrine, écarta les doigts. J’avais
envie de fermer les yeux, de la soulever dans mes bras, de l’emmener au lit et
d’oublier Sebastian, ses menaces, la coloc, ainsi que Logan qui m’attendait
dehors. J’avais envie que tout ça disparaisse pour que je puisse me retrouver en
Sam comme ce matin. Merde. Quelque chose me disait qu’elle risquait de ne pas
se tenir à sa décision de dormir tous les soirs dans sa chambre de la résidence.
Je lui passai une main dans le dos, la posai sur sa hanche pour l’attirer contre
moi. Et merde à la coloc. Je lui pris le menton, mes lèvres effleurèrent les
siennes. Elle les ouvrit et je souris contre sa bouche.
– C’est quoi, ça ? murmura-t-elle.
– Ça fait plaisir de savoir que tu ne vas pas devoir conduire trois heures pour
rentrer à Fallen Crest.
Je glissai la main sous son chemisier. Elle redressa la tête.
– Tu m’étonnes.
La paume de sa main se lançait dans sa propre exploration, remontant sur
mon bras, se faufilant dans la manche pour me caresser l’épaule. J’avais envie de
fermer les yeux et de la laisser faire, mais la coloc et le frangin…
– Je passe te prendre en fin d’après-midi, grommelai-je.
Un rire rauque lui échappa et elle m’embrassa de nouveau.
– Excellente idée !
Sa main se faufila entre nous. Je savais où elle voulait aller et je déplaçai
légèrement le dos, de façon que la coloc ne puisse rien voir. Aussitôt, je sentis sa
présence contre mon jean.
– Pas juste, marmonnai-je, incapable de la toucher où j’en avais envie.
Son sourire s’élargit. Elle savourait cette petite séance de torture.
Putain. J’avais trop envie de la prendre là, tout de suite. Je lui mordis le lobe
de l’oreille en murmurant :
– Tu vas me…
Elle m’interrompit en plaçant son autre main sur mon torse, acheva pour
moi :
– Je me réjouis d’avance.
– Plus tard.
– Plus tard.
– Merci de me tenir au courant, lança Logan derrière moi. Comme tout le
monde dans le couloir et dans la résidence. On sait tous quand mon frère va
prendre son pied, mais pas où. Tsst, tsst, Mason. Il faudrait que tu publies aussi
cette information. Je veux savoir où installer ma caméra porno.
Sam se dégagea de mes bras pour pointer un doigt accusateur sur le visage
de mon frère :
– Je t’interdis de rigoler là-dessus, Logan. Jamais ! Promets que tu ne
recommenceras pas !
Levant les mains, il recula d’un grand pas.
– Je rigolais ! Vous êtes tout le temps fourrés ensemble. Vous pourriez
montrer un peu de compassion pour les malheureux de nouveau célibataires.
La coloc s’approcha de moi pour mieux écouter. Ce qui lui valut un sourire
coquin de Logan.
– Parce que c’est mon cas, ajouta-t-il. De nouveau célibataire, malheureux,
solitaire.
– Tu as rompu il y a six mois ! contesta Sam.
– Il y a trois mois.
– Tu as couché il y a trois mois.
– Alors là, techniquement parlant, on a encore couché il y a trois jours, mais
je compte trois mois. Et cette passade d’un week-end n’a fait que rouvrir les
vieilles blessures.
Il tourna une mine défaite vers la coloc.
– Parfois, j’ai juste besoin de parler, de renouer un contact émotionnel.
Sam lui donna une tape à l’arrière du crâne.
– Tu n’es qu’un tapineur.
Sans relever, il poursuivit :
– De tenir une main. Ce contact anodin peut être parfois tellement intime, tu
sais ?
Sam fit mine de le renvoyer dans le couloir.
– Va-t’en. Dégage. Tu te prends pour un modèle en train de faire un shooting
photo ou quoi ?
Logan la contourna pour mieux regarder la fille.
– Modèle ? Tu as dit modèle ? Comme ta coloc ?
Sam m’interrogea du regard.
– C’est ce que tu as dit, confirmai-je.
Elle ferma les yeux, renversa la tête en arrière.
– Là, on ne va plus le tenir. Qu’est-ce que j’ai fait ?
La coloc se mit à rire.
– Si vous avez envie de vous faire un petit ami, lui dis-je, c’est le moment.
Sinon, mon frère vous draguera chaque fois que vous le croiserez.
– Ouais ! lança Logan par-dessus l’épaule de Sam qui le repoussait dans le
couloir. Exact. Sans vouloir me vanter, je suis une excellente affaire.
Normalement, je n’ai pas besoin de draguer mais, pour vous, ce sera quand vous
voudrez. Vous voulez que je me lance ? Appelez-moi. Passez commande, je
livre immédiatement. Genre fast-food. Un petit compliment ? Je suis là. Un petit
câlin ? Je suis là. Et je n’offre pas ces services à n’importe qui.
Sam l’avait conduit au bord de l’escalier.
– Arrête de draguer ma coloc. Je te jure, Logan. Arrête !
Comme il se tournait vers elle, son attitude changea du tout au tout. Ses
épaules se redressèrent, son regard se concentra et les coins de sa bouche se
serrèrent. Le côté espiègle de mon frère ressortait. Je me dirigeai vers eux.
– Salut, Sam ! lança-t-il avec un sourire irrésistible.
– Quoi ?
– Tu veux changer de place ? Si tu prenais ma chambre et moi la tienne ?
Derrière, la fille ne nous quittait pas des yeux. Elle était absolument superbe,
pas étonnant qu’elle soit modèle, elle en avait la taille, la minceur, mais aussi
quelque chose d’autre. Alors que Logan la courtisait tant qu’il pouvait, elle
semblait plutôt s’intéresser à moi, mais pas sur le plan sexuel. À croire qu’elle
était juste… intéressée ?
D’un seul coup, elle rentra dans la chambre, les joues roses.
– Elle va bien, ta coloc ? demandai-je.
Sam et Logan se retournèrent en même temps, leur attitude avait
complètement changé.
– Comment ça ? demanda mon frère en échangeant un coup d’œil avec Sam.
Tu veux dire dans-la-tête ?
– Elle a l’air… différente.
– Ah oui ! répondit Sam avec un geste de la main. C’est une fan de football.
Elle m’a cassé les oreilles avec vos histoires quand vous êtes allés chercher le
reste de mes bagages.
Logan en resta un instant bouche bée.
– Attends, ronchonna-t-il, je me suis donné toute cette peine pour une meuf
qui me connaît déjà ? Il a fallu que je balance cette plaisanterie du fast-food. La
plupart des filles baissent leur pantalon avec moins que ça.
– Elle est modèle photo.
– Et alors ? Les modèles aussi peuvent bien m’aimer.
– Elle doit avoir trop l’habitude des mecs qui la draguent à tort et à travers,
ajouta Sam.
– C’est vrai, dit Logan en se frottant le menton. Alors, comme ça, elle est fan
de foot ? Ça tombe bien, tiens ! Tu ne pourras jamais baiser Sam dans sa
chambre. Va savoir à quoi rêvent les fans, si elle t’imagine en train de la
défoncer ou pire… Au fait, ma plaisanterie sur la caméra vidéo porno vient de
prendre un tout autre sens !
– Ah bon ? demandai-je à Sam. C’est une fan ?
– Oui, d’ailleurs, ça m’étonne qu’elle ne t’ait pas demandé d’autographe.
Son père est ami avec ton coach ou quelque chose du genre. Et elle connaît aussi
ton père.
Ce qui attira de nouveau l’attention de Logan :
– Quoi ? Notre papa James ?
– C’est ce qu’elle a dit.
Je me détendis un peu.
– Trouve donc le nom de son père, mais je préfère ça, de toute façon. Tu te
sentiras en sécurité avec elle ?
– Je crois. Elle n’a pas l’air dangereuse.
– Dangereusement chaude, tu veux dire ! ricana Logan.
– Tu peux baisser un peu ton délire ? le rabroua Sam. Tu passes de chiant à
bourré. Tu dragues ma coloc on ne sait même pas pourquoi, et maintenant te
revoilà en train de dire des saloperies ?
– Et alors ? C’est ça, la vie avec Logan. Je suis une balle de ping-pong.
Partout à la fois. Trop rapide pour que tu me captes.
– Oui, eh bien moi, je retourne dans ma chambre. Je m’installe, je dois
encore rencontrer ma conseillère de résidence et peut-être aussi récupérer mes
livres avec ma coloc. Alors, je me casse. Je vais essayer de me conduire
normalement.
Elle me déposa un baiser sur les lèvres, me serra la main.
– Je t’envoie un SMS tout à l’heure, dis-je.
Elle acquiesça et, après un signe de la main, se fondit dans la foule des
mères et des filles qui nous couvaient des yeux.
– Regarde-moi ça ! lança Logan. Tous les mecs doivent déjà être en train de
démonter les lits superposés pour en faire un seul.
Il esquissa une révérence avant d’ajouter :
– Logan Kade. Ici, on connaît surtout le nom de famille.
Et de lancer à Sam :
– Il est plutôt surestimé, d’ailleurs.
– Va te faire foutre, Logan !
Certaines femmes éclatèrent de rire. Une mère applaudit, ce qui n’empêcha
pas Sam de regagner sa chambre. Elle ne risquait rien. C’était tout ce qui
comptait pour moi. Qu’elle soit à l’abri.
– Viens, dis-je en me dirigeant vers l’escalier.
En arrivant à proximité de la voiture, Logan demanda :
– Tu n’as rien vu d’anormal là-haut ?
Je savais à quoi il faisait allusion. On grimpa dans mon Escalade, puis je
démarrai et quittai le parking.
– Non, dis-je. J’ai vérifié chaque chambre. Et toi ?
– Toutes les nanas, oui. Je n’ai vu nulle part la photo de Park Sebastian. Sam
sera furieuse quand elle apprendra qu’on a interrogé ses camarades d’étage.
Ça m’était bien égal.
– On devait s’assurer qu’elle soit en sécurité.
– Avec le verrou de la porte du fond, personne ne peut entrer par là.
– Oui, je me suis renseigné. Et, devant, il y a en permanence un
réceptionniste qui surveille les allées et venues.
– Sam pourrait être en sécurité ici, peut-être plus que si elle vivait avec nous.
Il y a plein de témoins, tu sais.
– C’est ce qui me semble.
C’était la première raison qui nous avait poussés à l’accompagner à sa
chambre, et aussi pour lui monter ses bagages, mais d’abord et avant tout, nous
voulions inspecter les lieux, tester la conseillère de résidence, les voisines. Il n’y
avait là que des filles, en principe, cependant je me doutais que Sebastian
n’hésiterait pas à utiliser la complicité de l’une d’entre elles pour espionner Sam.
– Tu devrais engager un agent de sécurité, soupira Logan.
– C’est fait.
– Sérieux ?
– Quoi ? Ça ne te gêne pas ?
– Merde, non. Sebastian est cinglé, égocentrique. Il est capable de tout pour
faire du mal à Sam si ça peut se répercuter sur toi. Je suis content que tu aies pris
cette initiative.
– Le mec commence demain.
– Tu vas la prévenir ?
Je me contentai de regarder Logan.
– Je t’adore, s’esclaffa-t-il, toi et tes fichus airs de pas y toucher. Tiens, gare-
toi sur ce parking. La librairie est là.
– La librairie ?
Néanmoins, je fis ce qu’il demandait et, en sortant de l’Escalade, j’ajoutai :
– Ce n’est pas pour lui mentir que je ne dis rien à Sam mais parce qu’elle
détesterait qu’on la suive comme son ombre.
Un groupe d’étudiantes se tenaient devant l’entrée. Certaines fumaient,
d’autres bavardaient, leurs sacoches pleines de cahiers, d’autres encore
parcouraient leurs livres. On passa parmi elles mais, en entrant, on croisa Nate.
– Salut ! lança-t-il avec un large sourire.
On ressortit avec lui tandis qu’il achevait de fermer son sac à dos.
– Qu’est-ce que vous faites là ? demanda-t-il. Enfin, je veux dire, dans ce
magasin. Ne m’engueulez pas, non plus !
J’échangeai un coup d’œil avec Logan ; je n’en avais pas l’intention, mais
avec mon frère, on ne savait jamais. Comme il ne répondait pas, Nate me
regarda, l’air un peu surpris.
– Quoi ? demanda Logan. Sam vient de me mettre la tête dans le cul. Je ne
vais pas prendre encore des risques.
Certaines filles se retournèrent quand Nate éclata de rire.
– Il fallait que tu utilises ce vocabulaire en parlant de ma copine ? demandai-
je, agacé.
– C’est ma future belle-sœur, tu sais.
Les filles assez près pour nous entendre nous dévisagèrent de la tête aux
pieds. Sans y prendre garde, je repris :
– Ça y est, Nate, tu as tes livres ?
– Oui.
– Bon, dit Logan, si on prenait les nôtres avant de rentrer ? Il est trop tôt
pour commencer à faire la fête…
Soudain, il se figea, les yeux fixés sur la porte, et je compris vite pourquoi.
Park Sebastian et trois de ses amis remontaient du sous-sol. L’atmosphère se
tendit aussitôt. Je crispai les mâchoires. J’avais envie de lui sauter dessus, mais
Nate l’avait vu lui aussi et il posa une main sur mon épaule, comme pour
m’empêcher de bouger. Logan se trouvait devant moi. J’ignorais s’il allait me
retenir à son tour ou bondir sur ce con.
Pour le cas où, je regardai autour de nous. Il y aurait des témoins, or je
préférais que tout se passe entre nous. Alors j’entrai, suivi de Logan et de Nate.
– Tu as vu ça ? demanda mon frère. Les stars de la Fraternité des connards :
ils sont où, maintenant ?
J’échangeai un regard avec Nate. Je ne m’étais pas rendu compte, jusqu’à
présent, à quel point je me félicitais d’avoir mon frère avec nous. Comme s’il
captait mes pensées, Logan se déplaça sur le côté et je m’arrêtai à côté de lui. On
se retrouvait épaule contre épaule, à fixer Sebastian et ses trois compagnons. À
en juger par leurs expressions hostiles, je compris qu’il devait s’agir d’anciens
de sa fraternité.
Park Sebastian.
Il avait toujours le même air de bourge dégénéré, avec ses cheveux plaqués
et sa raie sur le côté, son polo, son pantalon cargo kaki, sa sacoche de bouquins
dans une main, sa bouteille dans l’autre.
– Logan Kade ! lança-t-il en montrant des dents parfaites. Et le grand frère
avec le meilleur ami ! Trop mignons, tous les trois ensemble !
Une sinistre lueur lui traversa le regard tandis qu’il penchait la tête de côté :
– C’est tout ? Juste vous trois ? Personne d’autre ?
Apparemment, il cherchait Sam. J’allais m’avancer quand Logan me
précéda, plaquant une main contre le mur près de moi pour m’empêcher d’aller
plus loin.
– Laquelle tu aimes, Sebastian ?
– Comment ça ?
– La copine ? La sœur ?
Il attaque. Je parle. On est comme ça. Ses anciennes paroles me revenaient.
Il faisait son boulot.
Comme Nate se rapprochait, il lui fit de la place et tous deux se glissèrent
devant moi. Ils me protégeaient.
– C’est quoi cette question ? demanda Sebastian d’un ton méfiant.
– Je veux savoir qui je dois viser, sourit Logan. Au cas où tu ne le saurais
pas, je suis très très seul, cette année, et comme tu adores t’en prendre aux gens
qu’on aime bien, je me dis que je pourrais m’y mettre aussi. Tu vises les nôtres.
Je vise les tiens.
– Je crois que tu m’en as déjà assez fait.
Logan se posa un doigt derrière l’oreille en grimaçant.
– Quoi ? Qu’est-ce que tu dis, là ?
– Tu as très bien entendu, grinça Sebastian.
– Non, non, insista Logan en se rapprochant de lui. Sérieux, je n’ai pas
entendu. Qu’est-ce que tu as dit ?
– J’ai dit que tu m’en avais déjà assez fait.
– De quoi tu parles ? Je crois que j’ai de la cire dans les oreilles. Ce que c’est
aussi, quand on veut se soulager…
Il allait frapper Sebastian. Je voyais son poing se serrer. Sentant ma tension,
Nate m’interrogea du coin de l’œil. Il comprenait que quelque chose allait se
passer.
Je ne pouvais pas me battre.
Sebastian s’en servirait contre moi.
C’était ce que je me disais. Pas ici. Pas maintenant.
Logan s’avança encore d’un pas.
Impossible de le retenir. Je regardai autour de nous. Si mon petit frère
frappait Sebastian à ma place, autant essayer de l’aider d’une façon ou d’une
autre. Il y avait une caméra, dans l’embrasure de la porte, orientée entre l’entrée
et le pied de l’escalier qui menait au premier étage du magasin.
Logan continuait de parler à Sebastian, mais je m’avançai pour la lui
désigner du menton.
Il leva la tête, recula d’un pas. Nate parut retenir son souffle, comme s’il
devinait ce qui se passait.
– On va faire ça ? maugréa-t-il.
Trop absorbé par Logan, Sebastian ne pouvait pas l’entendre.
– D’accord, ajouta Nate. Dis-moi quand.
Je lui adressai un sourire en coin, qu’il me rendit.
Juste ce qui me manquait depuis un an – en dehors de Sam, bien sûr. Elle,
c’était en permanence, mais il y avait aussi cette complicité avec Logan, en train
de provoquer quelqu’un, et Nate prêt à nous appuyer.
Sebastian se tut, nous observant l’un après l’autre.
Logan nous décocha à chacun un regard noir, auquel je répondis par un autre
sourire. On se calme. Je m’avançai vers la caméra qui tournait lentement.
À son tour, Logan leva la tête.
À dix.
– Je ne suis pas sûr que tu réalises à qui tu as affaire, commença-t-il.
Sans nous quitter des yeux, Sebastian plissa les paupières. Logan était trop
effronté, trop sûr de lui.
Neuf.
J’étais près de mon frère. Les autres remontaient du sous-sol du magasin et,
sur la plus haute marche, Sebastian les bloquait mais ils pouvaient toujours le
rattraper.
Huit.
– Tandis que nous trois… continuait Logan. En principe, on forme les
Quatre Redoutables, avec Sam, sauf qu’elle n’est pas là.
Il baissa la voix, l’air plus sérieux :
– De toute façon, elle ne fait pas partie de ce groupe, alors, pour le moment,
tu peux nous appeler les Trois Redoutables.
Sept.
Sebastian ne semblait pas accorder une grande importance à mon frère. Il ne
fixait que moi. Bon. Autant lui montrer qu’il avait raison de se méfier :
– Mon frère ne plaisante pas, tu sais.
Logan me fit passer devant lui.
– À quel sujet ? demanda Sebastian d’un ton sec.
En fait, il le savait très bien. Il se rappelait sa menace.
– Ta sœur. Ta copine, lui rappelai-je.
Six.
– Je n’ai ni l’une ni l’autre, rétorqua Sebastian.
– Mais il y a quelqu’un, insinua Logan.
– Il y a toujours quelqu’un, ajoutai-je.
Sebastian ne répondit pas, néanmoins il continuait à nous dévisager.
Cinq.
– Ils parlent de ceux à qui tu pourrais t’en prendre, énonça Nate.
– Toi, ta gueule ! rétorqua Sebastian. Tu as quitté la maison. Tu n’as pas le
droit de nous parler.
Ce qui parut agiter ses trois amis. Ils s’avancèrent, et je me méfiai aussitôt
du plus robuste, juste derrière Sebastian. Une espèce de brute.
Quatre.
– Nate n’aurait jamais dû se mettre avec vous, lançai-je en attirant toutes les
attentions sur moi.
On était tout près l’un de l’autre. La caméra allait arriver sur nous et je
voulais qu’ils s’occupent davantage de moi que de Logan.
– Heureusement, ajoutai-je, il a corrigé son erreur.
Trois.
Sebastian plissait tellement les yeux qu’on n’en voyait plus que les fentes.
– Je vais vous faire regretter à tous les deux d’être revenus ici, gronda-t-il.
– Et moi alors ? lança Logan, railleur.
Non. Il fallait que Sebastian me regarde.
– J’ai déjà essayé de faire révoquer ton admission, répliqua-t-il à l’adresse de
mon frère.
Houlà ! Je ne m’attendais pas à cette réponse.
Deux.
Logan ouvrit la bouche. Une lueur de colère lui traversa les yeux, mais je
l’empêchai de répliquer. Je voulais attirer sur moi toute l’attention de Sebastian
et de ses amis.
– C’est l’heure, lâchai-je calmement.
Ça marcha. Ils se tournèrent tous vers moi et, cette fois, Sebastian écarquilla
les yeux. Il recula…
Un.
Je me précipitai en avant. Il leva les bras pour se protéger.
Je bondis derrière lui.
Tout se déroula en un clin d’œil. Je le laissai aux bons soins de mon frère
tandis que je plaquais la brute contre le mur.
Derrière moi, Logan balançait le premier direct sur un Sebastian encore trop
occupé à me surveiller. Le temps qu’il s’aperçoive de son erreur, Logan le
frappait en plein nez. Après quoi, le match commença.
Le temps parut ralentir autour de ce premier coup, mais le rythme reprit
aussitôt, décuplé.
Je tenais toujours la grosse brute immobile contre le mur. Il ne pouvait rien
faire et Nate se précipita pour empêcher les deux autres d’intervenir. Sebastian
s’écroula, pas dans l’escalier mais sur le dos de Nate, si bien que je dus l’arrêter
par le bras. C’était une chose de le frapper, c’en était une tout autre de
l’empêcher de se blesser sérieusement en s’écroulant sur les marches. Il
s’agrippait à moi sans trop savoir qui le retenait. L’un de ses amis parvint à
éviter Nate, mais je manœuvrai Sebastian qui s’en alla finalement tomber dans
ses bras.
Logan nous attendait devant la porte.
Nate balançait un poing en arrière, prêt à frapper, mais je le retins pour me
débarrasser moi-même de la brute.
Puis j’entraînai Nate derrière moi et on sortit tous les trois ensemble. Une
fois dehors, je regardai en arrière. La caméra revenait lentement vers l’endroit
que nous venions de quitter.
Logan fourra la main dans sa poche pour qu’on ne voie pas combien elle
était enflée.
On tenait bon. Nate prit la direction du parking, mais je fis non de la tête. La
partie n’était pas terminée. On attendit, et il ne fallut pas longtemps avant que la
porte s’ouvre de nouveau.
Sebastian et ses amis sortirent, nous cherchant des yeux.
On leur faisait tranquillement face.
Il s’arrêta, mais les trois autres se ruèrent sur nous.
La grosse brute fonça vers moi, les deux autres s’en prirent à Logan et à
Nate.
J’esquivai sans peine les coups de mon adversaire, puis levai les mains.
– Hé, ho, c’est bon !
On arrivait à l’instant crucial. Je n’aimais pas trop faire ça, mais avec
Sebastian, on n’avait pas le choix.
– Qu’est-ce qu’il y a ? lançai-je entre mes dents. Arrête !
Les filles dans les alentours poussèrent de petits cris, deux d’entre elles
hurlèrent, j’en vis d’autres qui attrapaient leur téléphone, et même une qui
courait vers le magasin.
– Arrêtez ! cria Sebastian.
Mais ses amis ne l’écoutaient pas.
La brute virevolta. Je bloquai son coup. J’aurais pu lui balancer un bon
uppercut, mais je me contentai de l’écarter puis levai de nouveau les mains.
– Ça va, mec ! C’est quoi ton problème ?
Logan faisait comme moi, esquivant, plongeant.
Nate allait frapper quand il comprit à quoi nous jouions et il baissa les bras.
On se contenta tous les trois de sauter de côté en laissant les autres essayer de
nous atteindre.
– Les mecs ! cria Sebastian.
Ils n’entendaient toujours rien.
Soudain, ils furent attrapés par le col, tirés en arrière. Toute une bande de
types s’interposa entre nous et il me fallut une seconde pour comprendre ce qui
se passait.
C’étaient des coéquipiers de foot, Drew, le quarterback, et quelques autres.
Drew se tenait devant moi, me tournant le dos. Avec les autres, ils formaient un
véritable mur entre nos adversaires et nous.
– Attends, mec ! lança Sebastian en levant les bras comme moi. C’est eux
qui ont commencé.
– Pas du tout ! intervint une fille. Ils sont sortis et les autres sont venus leur
taper dessus.
On échangea un regard avec Logan. Ce n’était pas prévu au programme,
mais là, Sebastian nous était servi sur un plateau d’argent.
– Pas du tout, dit la grosse brute. Il y a celui-là qui a frappé Sebastian et ils
se sont enfuis. On les a juste suivis. Ils nous avaient provoqués.
Drew se tourna vers moi avant de répondre à Sebastian :
– Bon, on s’en fout. Ils ont des témoins. Pas vous. Je vous conseille de vous
barrer avant l’arrivée de la sécurité du campus.
Ce fut là que Sebastian comprit. Sa colère redoubla et il me fusilla du regard.
Drew m’observait aussi. Je gardais l’air impassible, mais je m’en voulais. Les
mecs du foot n’auraient jamais dû se trouver là, c’était mon combat contre
Sebastian. Je n’appréciais pas de devoir mentir à mon quarterback.
Sebastian ne voulait pas s’en aller. Cependant, alors qu’il traînait encore, ses
amis se montrèrent plus malins, pour une fois. Ils le prirent par le bras et
l’entraînèrent. Pas un instant, il ne me quitta des yeux.
Parfait.
Rien ne me plaisait tant que ce regard noir.
Rien ne me plaisait tant que de le mettre en pétard.
Rien ne me plaisait tant que de le déstabiliser. Il allait finir par trébucher et
là, j’aurais gagné.
– Il fallait en avoir une bonne paire, souffla Drew entre ses dents.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
Il ajouta à voix basse :
– Fais gaffe, Mason. D’accord ?
J’allais nier ces sous-entendus quand je lus dans son regard qu’il avait tout
compris. Lui, autant que nos autres coéquipiers. Et ça semblait les surprendre un
peu. Alors, je me contentai de hocher la tête.
– D’accord.
CHAPITRE
6
Samantha
Mason me couvrit la gorge de baisers, s’attarda entre mes seins, avant de
remonter vers mes lèvres.
Cool !
Il s’introduisit davantage en moi et je poussai un soupir de plaisir tandis que
sa bouche couvrait la mienne.
J’aimais cet homme. Plus il y allait fort, plus j’étais prête à me désintégrer
pour lui. Plus il s’enfonçait, plus je suivais son rythme, coup pour coup. Plus
fort. Plus âpre. Plus profond. Il bougeait, je bougeais. Nos hanches étaient
collées l’une à l’autre. Dans un gémissement, je me sentis parcourue d’un
sursaut de jouissance.
Dès mon entrée dans sa chambre, il m’avait plaquée contre la porte pour
aussitôt m’embrasser. On n’avait échangé que peu de paroles ; pas la peine.
Pourtant, alors qu’il retenait mes mains au-dessus de ma tête, je compris que
quelque chose n’allait pas. Il se montrait plus avide que jamais, comme s’il
mourait de désir de ne plus faire qu’un avec moi.
Sa main descendit m’agripper la jambe. Il me fallut une seconde pour me
rendre compte de ce qu’il faisait alors qu’il reculait pour mieux s’élancer en moi.
Il me souleva pour m’emmener vers le lit, me retenant par la seule force de ses
bras, et un frisson d’adrénaline me traversa. Il me déposa doucement puis se
laissa tomber souplement près de moi.
Je me délectais de ses caresses, dégustais chaque centimètre de sa peau, alors
qu’il rentrait en moi, ressortait, revenait. J’étais ravie de sentir son poids sur moi.
J’avais de nouveau les poignets au-dessus de la tête quand il se redressa pour me
regarder, les paupières plissées, incapables de masquer la lueur de désir qui
habitait ses prunelles. À croire qu’une nouvelle membrane d’émotion les
recouvrait. Je le voyais aussi à sa bouche vibrante du désir de se poser à nouveau
sur la mienne, et puis à sa façon d’aligner ses hanches sur les miennes afin de me
pénétrer encore plus profondément, d’un angle plus précis. Il était totalement en
moi, engainé, et, un instant, il ne bougea plus.
J’étais sienne.
Je lui donnerais tout ce qu’il voudrait.
Je haletais. Je voulais le ramener vers moi, mais il tenait mes poignets dans
sa main. Il faisait ce qu’il voulait.
Dans un grognement, il revint sur mes lèvres. Sentant de nouveau son désir,
je me soulevai un peu, afin de mieux appuyer mon corps contre le sien. À force
de remuer sans cesse, on était tous les deux moites de transpiration, glissant,
dérapant presque l’un sur l’autre. Il sortit encore une fois avant de revenir en
moi.
– Mason, murmurai-je.
Je voulais sa bouche sur la mienne, n’importe où sur moi, je voulais qu’il
accélère, je voulais me sentir chevauchée.
Les sensations augmentaient. J’allais venir.
– Sam, souffla-t-il contre mon oreille.
Il ne cessait pas de remuer et je sentis son corps se tendre de concert avec le
mien.
– Je t’aime ! proféra-t-il.
On jouit ensemble. J’essayai de dégager mes poignets mais il me retenait, un
sourire indolent aux lèvres, tandis que sa main libre venait me caresser entre les
jambes.
– Mason ! criai-je en sursautant.
Cela tripla les sensations alors qu’il se mettait à me frôler d’un mouvement
circulaire.
Il m’étreignit plus fort, juste ce qu’il fallait. Tout se remit à frémir en moi.
Deux vagues arrivaient et je me pressai contre lui, essayant de ralentir ses
caresses. J’allais m’effondrer.
– Mason, implorai-je.
S’il te plaît !
Il m’embrassa sous l’oreille tandis que sa main trouvait mon point sensible
et accélérait encore avant de ralentir puis de repartir, d’appuyer davantage. Je ne
pouvais rien faire, j’étais impuissante.
– Laisse-toi aller, chuchota-t-il. C’est pour toi.
Je venais…
Et sa main qui me frottait toujours…
Il s’arrêta, mais son doigt s’enfonça en moi.
Je geignis encore, mon dos soulevé du lit ; je ne m’y tenais plus que par les
mains, la tête et les jambes.
Mason continuait. Un deuxième doigt se glissa en moi.
– Mason !
Il m’embrassa la gorge, remonta vers mon menton jusqu’au coin de ma
bouche. Et là, il s’arrêta, comme pour me provoquer. Je voulais sentir encore ses
lèvres sur les miennes. Je me sentais trop bien quand il m’embrassait. Je tournai
la tête vers lui, mais il s’écarta.
Je lui lançai un regard indigné. Il allait me le payer.
Il sourit ; au moins sa main continuait de plus belle.
– Je…
À bout souffle, je n’arrivais pas à prononcer un mot.
Cet homme… il allait me tuer.
Il relâcha mes poignets et je me cambrai contre lui, m’accrochai tout en
surmontant mes sensations. Mon corps prenait de plein fouet les vagues qui le
heurtaient. J’étais réduite à néant lorsque tout s’arrêta. Je pouvais mourir
heureuse.
– Va. Te. Faire. Foutre.
C’était son tour, quoi. Je roulai sur lui.
Il éclata de rire avant de déposer un baiser sur mes lèvres.
– Ça t’a plu ?
Je posai une main sur son épaule pour mieux sentir ses muscles.
– Je vais te rendre la monnaie, tu sais ?
– J’espère bien.
Il s’assit, l’air galvanisé, pour mieux me contempler.
Mes seins gonflés pointaient vers lui, je transpirais, et mes yeux devaient
avoir l’air fous. Il traça des doigts le chemin entre ma gorge et mon ventre, pour
s’arrêter juste entre mes jambes.
– Tu m’as tellement manqué.
Tellement manqué.
Tellement manqué.
Ça me rappelait les textos échangés peu de temps auparavant. Une vague de
nostalgie monta en moi, ma gorge se serra. On était séparés à l’époque. Je lui
caressai la joue.
– Hé, dis-je doucement en me soulevant sur le coude. Qu’est-ce qu’il y a ?
On est ensemble. On est bien. Rien ne pourra nous séparer. J’essayais de
m’en convaincre, mais la rigidité de ses épaules m’inquiétait.
– Hé, dis-je encore en lui tapotant le menton. Parle-moi.
Il sourit, m’embrassa puis s’étendit sur le dos sans me quitter des yeux, me
souleva vers lui avant de reposer sa main sur mon dos.
– Rien, répondit-il.
Bien sûr qu’il y avait quelque chose, et je croyais savoir quoi. Il devait juste
m’indiquer une raison.
– Tu as vu Sebastian, aujourd’hui ?
– Oui, soupira-t-il.
– Et ça ne s’est pas bien passé ?
– Si, mais…
Refusant d’admettre davantage ses hésitations, je me rassis.
– Allez, raconte.
Il tendit le bras, mais je lui saisis la main.
– Dis-moi ce qui ne va pas.
À son tour, il s’assit contre le dosseret.
– Logan a menacé de s’en prendre à une personne qui compte dans la vie de
Sebastian, une personne vulnérable.
J’attendis la suite, non sans observer :
– Vous n’êtes pas pareils, Park Sebastian et toi.
– Tu as raison, dit-il avec un maigre sourire. C’est un monstre qui a blessé
un de mes amis à son point le plus sensible. Je suis le monstre qui laisse mon
frère menacer quelqu’un à qui Sebastian tient beaucoup. Au fond, je ne vois pas
en quoi on est si différents.
– Il n’y a rien de semblable entre menacer quelqu’un et passer à l’acte.
– Logan est capable de passer à l’acte.
Certes. Je déglutis.
– Il ne le ferait que s’il y était forcé, ou n’avait pas le choix.
– Sam…
Il m’attira contre lui. J’étais presque à genoux sur lui.
– Je vois ce que tu veux dire, Sam, j’ai juste peur qu’on en demande un peu
trop.
Apparemment, il n’attendait pas ma réponse, il s’inquiétait pour moi. Je lui
serrai la main.
– Hé !
Je finis par le chevaucher, et ses mains se posèrent sur mes hanches, comme
pour me retenir.
– Vous n’êtes pas des monstres, toi et Logan. Vous êtes des protecteurs,
attentifs, qui servez de remparts à ceux que vous aimez. Oui, vous êtes
impitoyables. Vous allez plus loin que la plupart des gens, mais vous le faites
pour que personne – je dis bien personne – ne puisse vous faire de mal ou
n’essaie seulement. Vous êtes comme ça, je vous aime et je ne suis pas la seule.
On vous respecte. Vous êtes des protecteurs, vous aimez et vous ne laissez
personne vous en empêcher.
Je me penchai pour reposer mon front sur le sien et, les yeux dans ses yeux,
j’avais l’impression de voir son âme. Il se retrouvait complètement à nu face à
moi, tel que je l’étais face à lui quelques instants plus tôt.
– Ne laisse pas Park Sebastian te prendre la tête. Traite-le comme tu traites
tous les autres. Affronte-les, quoi qu’il arrive.
Il sourit, me mordilla les lèvres, et sa main s’appuya sur ma nuque pour
m’empêcher de bouger tandis qu’il ajustait ses hanches contre les miennes. Il ne
me laissa qu’un quart de seconde avant de s’enfoncer en moi, le temps de me
dire :
– Je t’aime trop !
Je fermai les yeux, et il se remit à aller et venir en moi.
Je l’aimais aussi.
Et je le lui dirais dès que…
Sans me lâcher, il nous retourna pour se retrouver sur moi.
Je saisis ses hanches pour me mettre à remuer avec lui.
Oui. Dès que ce serait fini…

*
* *
– Tu aimes bien ta coloc ?
Je regardai Mason allongé près de moi. Sur le coup, j’eus presque envie de
ne pas répondre. Il ne m’avait pas laissée lui rendre la délicieuse torture qu’il
m’avait infligée. Sans trop savoir pourquoi, je le sentais encore tourmenté. Mais
je préférai ne pas insister.
Alors je répondis, tout en enfilant mon débardeur :
– Elle a l’air sympa. On est passées chercher nos livres après vous.
– Juste après nous ? dit-il en s’immobilisant.
– Non, dans les deux heures qui ont suivi. On a un peu visité le campus et
ses parents lui ont apporté d’autres affaires.
Il se remit à me caresser le ventre.
– Et sa famille t’a plu ?
Qu’est-ce que c’était que cette question ?
– Oui, ça va. Des parents normaux. Enfin, rien de comparable avec les
nôtres.
Il attendit que j’aie passé les bras dans mes manches pour me prendre une
main, jouer avec mes doigts.
– Je n’ai jamais vécu en résidence. Je suis tout de suite passé dans le pavillon
du foot. Tu vas essayer de faire la connaissance de toutes tes voisines de palier ?
Il me fallut un petit instant pour me retenir de sourire.
– Quoi ? demanda-t-il.
– Tu es trop chou, dis-je en lui envoyant un petit coup de coude. Tu veux
faire ton timide. Mais je sais que tu tiens à ce que je voie un maximum de gens.
Levant les yeux au ciel, il se rassit contre le dosseret.
– Ha, ha ! Non, franchement, je ne sais pas ce que c’est que la vie en
résidence, mais, oui, je me dis que ce serait sympa si tu étais amie avec tes
voisines. Plus tu en auras, mieux ce sera.
– D’accord. Et, oui, on s’est déjà réunies. Aujourd’hui, elles sont toutes
parties s’offrir une glace.
– Et toi ?
– Non.
Rien qu’à le regarder, je sentais l’eau me venir à la bouche. Encore. Ses
yeux verts me scrutaient, ses lèvres fermes me souriaient. Avec son visage
ciselé, sa puissante mâchoire, il me fascinait chaque fois. J’avais encore envie de
les caresser.
– J’ai préféré venir ici.
– Sam.
Sentant venir la réprimande, je levai les mains.
– C’est bon. Elles organisent une soirée film dans la salle de cinéma. J’irai
les rejoindre. À la place des glaces, je pourrai me rattraper en leur faisant du
pop-corn.
L’air absent, il hocha la tête. Je ne pouvais plus rien lire en lui, mais je
savais ce qui le tourmentait. La même chose que lorsqu’il était revenu à Fallen
Crest, la figure amochée.
Je me penchai vers lui, posai mes mains sur ses joues.
– Hé ! Dis-moi tout.
Il leva les yeux, me laissant y lire l’inquiétude qui le rongeait.
– Ça ira, murmurai-je.
– Tu ne le connais pas.
Je le connaissais aussi bien que lui. Je savais aussi bien que lui de quoi il
parlait. Je demandai :
– Tu crois qu’il va vouloir m’attaquer physiquement ?
– Il l’a bien fait avec moi, soupira-t-il en me caressant les poignets. Mais je
ne pense pas qu’il te taperait dessus. Ce serait plutôt… enfin, pas la peine
d’épiloguer, mais je ne peux pas te promettre qu’il ne te touchera pas. Je ne sais
pas.
– Bon, alors je vais m’acheter un Taser et je te promets de ne jamais me
promener toute seule. Ça ira, comme ça ?
– Sam…
Les muscles de son estomac se contractèrent et il me prit par la taille pour
me retenir tandis qu’il s’installait en face de moi, comme une heure auparavant.
– Je m’inquiéterai toujours, précisa-t-il. Je suis prêt à tout pour toi, et il le
sait. C’est ma faiblesse – la puissance de mon amour – qui me rend capable de
tout pour te protéger. Sebastian n’est pas idiot. Il s’en servira contre moi.
Il passa une main frémissante le long de mon dos.
– Promets-moi que, si tu le vois, tu m’appelleras aussitôt, moi ou Logan.
Promets.
– Promis.
Peu importaient mes paroles. Je sentais bien que ça ne le rassurait en rien.
Mais je lui devais au moins ça. Ensuite, on verrait les choses évoluer petit à petit.
Je ne possédais pas le cerveau de Mason. Je ne pouvais prévoir comme lui
l’attitude des gens. Mais je savais une chose : j’avais eu ma part de redoutables
adversaires. Park Sebastian était un mec. La seule chose qui le différenciait des
autres était sa puissance physique. Je ne pensais pas qu’il puisse me rejeter
comme l’avaient tenté Jessica et Lydia en classe de seconde à Fallen Crest
Academy. Je ne pensais pas non plus qu’il me ferait agresser par un groupe de
filles aux toilettes ni qu’il aurait le pouvoir de me faire tomber amoureuse de
Logan. La seule autre menace que nous ayons dû surmonter avait été ma mère, et
elle était écartée depuis un moment. Elle ne risquait pas de revenir.
Dans un soupir, j’embrassai Mason avant de m’éloigner de ses genoux pour
aller prendre une douche.
– Il faut que j’y aille. Film, pop-corn, et tout.
– Je te ramènerai.
J’allumai dans la salle de bains et me glissai sous la douche. Quand j’en
sortis, Mason était habillé et m’attendait, assis au bord du lit. Il me dévisagea de
la tête aux pieds et un sourire se dessina sur ses lèvres. Oubliant le léger espoir
qui m’avait effleurée un instant de le voir se joindre à moi, je lui passai une main
dans les cheveux, lui soulevai la tête pour qu’on se regarde dans les yeux.
Posant les mains sur mes hanches, il m’attira entre ses jambes.
– Ça ira ! assurai-je, avant d’ajouter : D’accord ?
Ses mains se crispèrent, mais il me relâcha.
– Je sais.
Logan se trouvait dans le salon quand on partit chercher la voiture. Il sourit,
nous adressa un signe des doigts.
– À tout’, les amoureux ! Défense de baiser dans le parking. Paraît qu’ils ont
augmenté le nombre des vigiles depuis qu’il y aurait eu une bagarre du côté de la
librairie.
– C’est vrai ? dis-je, étonnée. Je n’en ai pas entendu parler. Ma conseillère
de résidence me l’aurait dit, enfin, je suppose…
Il retourna son attention vers le match de foot à la télé.
– Euh, oui, enfin… commenta-t-il, peut-être qu’elle n’est pas au courant
comme moi.
– Logan ! l’avertit Mason.
Sans le regarder, Logan leva de nouveau une main.
– Dis à ta coloc qu’elle est bandante, Sam. Je passerai un de ces quatre, pour
le petit déjeuner.
– N’importe quoi ! marmonnai-je en levant les yeux au ciel.
Mason m’ouvrit la porte d’entrée en rigolant.
– Il aurait besoin d’une bonne bagarre pour se défouler, m’expliqua-t-il. Il
s’ennuyait à Fallen Crest, il croyait que ça se passerait autrement ici.
Mason se mit au volant de son Escalade et démarra, l’air parfaitement
décontracté. Il me sourit, me prit la main quand je m’installai près de lui et ne la
lâcha pas de tout le trajet.
La tension que j’avais sentie dans la chambre semblait l’avoir quitté – du
moins pour le moment – mais je savais que c’était dû en partie à la présence de
Logan.
On était tous là.
CHAPITRE
7

La grande maison qui se dressait devant nous semblait dominer tout le reste
du quartier.
On y entendait de la musique, les fenêtres déversaient leur lumière sur le
jardin, et il y avait des gens partout. Je regardai le groupe de filles qui avaient
préféré manquer la soirée film pour cette fête, elles semblaient plutôt mal parties.
J’en vis deux carrément bourrées, tandis que ma coloc inspectait son téléphone,
l’air de s’ennuyer à mourir. Je ne savais pas trop ce qu’il fallait en penser, mais
je comprenais pourquoi les autres paraissaient surexcitées. C’était leur première
fête à la fac. Moi-même, à vrai dire, j’étais assez énervée, sauf que ça venait
plutôt du fait que je n’avais rien dit à Mason. Il me croyait en sécurité à la
résidence, une couverture sur les genoux, à me gaver de pop-corn et peut-être
même à boire du vin.
C’était bien ce qu’on avait prévu jusqu’au moment où le film réservé par la
conseillère de résidence s’était révélé complètement barbant. Au bout d’une
demi-heure, on était toutes à regarder nos téléphones, quand on ne filait pas aux
toilettes les unes après les autres ; alors, elle finit par nous laisser partir en
mentionnant cette soirée dont elle avait entendu parler. Sans doute pour se faire
pardonner d’avoir choisi un film aussi pourri. Elle nous donna l’adresse, précisa
quels mecs il fallait éviter à tout prix puis nous lâcha, de peur de voir les toilettes
inondées de vomi.
C’est ainsi qu’on se retrouva à neuf en train de traverser le campus pour
gagner un pavillon extérieur.
– Alors… lança Summer en s’éclaircissant la gorge, qu’est-ce que vous en
dites, les meufs ? On fait la teuf ou on reste là toute la nuit à regarder ?
Une autre fille, rousse et un peu enveloppée, se cogna la poitrine en criant :
– Bien sûr qu’on y va ! On n’est pas venues là pour regarder. D’abord, moi
je veux me trouver un mec et ça ne risque pas de m’arriver si je traîne toute
l’année avec des meufs.
Summer lança le poing en l’air.
– Les meufs à la teuf !
La fille rousse renchérit aussitôt :
– Allez, c’est parti. On va se pinter toute la nuit !
Une autre fille, assez petite, aux yeux bleu transparent et aux cheveux
blancs, s’écria :
– Gaffe, on ne se lâche pas des yeux. C’est dans ce genre de fête qu’on peut
se faire agresser. Il faut se méfier.
Summer me prit la main pour la brandir en l’air.
– Ma coloc pour moi !
Chacune trouva sa chacune, et les mains se joignirent au-dessus des têtes.
Après quoi, Summer se pencha vers moi :
– Contente que tu sois venue. Ça n’avait pas l’air de te parler, au départ.
– Oui, dis-je en haussant les épaules, c’est parce que mon copain a des
ennemis sur le campus ; il s’inquiète pour moi.
– Reste près de moi. Ma mère s’inquiète aussi, c’est pour ça qu’elle m’a fait
prendre des cours d’autodéfense. Tu sais…
Baissant la voix, elle ajouta en rougissant :
– C’est parce que je suis modèle.
Je regardai autour de nous, mais les autres n’écoutaient pas.
– Je sais un peu me battre, répondis-je, mais que ça ne te gêne pas. Je pige.
Vraiment.
– Je sais, je… Mais, tu vois, elles sont plutôt jalouses quand elles découvrent
ce que je faisais pour gagner ma vie.
– Tu parles de quand tu as fait la meuf ? demanda la fille rondelette en se
joignant à la conversation.
– Pardon ? demanda Summer.
– Ce que tu faisais pour gagner ta vie ?
– Oh… euh…
Ma coloc avait l’air d’une biche éblouie devant des phares. Elle pâlit.
J’intervins en faisant mon Logan :
– Elle torchait les culs.
Toutes trois se tournèrent vers moi.
– Elle était aide soignante, précisai-je en souriant. Ça fait partie du métier,
mais elle ne voulait pas que vous le sachiez. À cause des plaisanteries…
– Ah… soupira la fille en se grattant la joue. C’est… très compréhensible.
Moi, j’ai passé mes années de lycée à beurrer des tartines à sandwichs. Au fait,
je m’appelle Kitty. Alors, croyez-moi, je comprends qu’on n’apprécie pas les
jeux de mots.
Personne ne dit rien, elle finit par expliquer :
– Ce n’est pas un surnom. Ma mère m’a vraiment donné ce nom de chatte.
– Oh ! dis-je, désolée.
– Qu’est-ce qu’on y peut ? Et voici Nina, ajouta-t-elle en désignant la fille
aux cheveux blancs.
– Salut.
À notre tour, on se présenta, Summer et moi.
Nina nous adressa un signe avant de retourner son attention sur la maison où
la plupart des filles étaient entrées.
– Si on se mettait d’accord pour qu’aucune d’entre nous ne se perde ?
proposa-t-elle. Et après, on rentre toutes ensemble à la résidence ou juste avec
nos colocs ? On ne s’attendait pas du tout à cette fête. En fait, on ne sait même
pas qui invite. J’ai entendu parler d’une fraternité qui avait été dissoute l’année
dernière. Ce ne sont pas les mecs d’ici ?
Mon corps se tendit ; qu’avait-elle entendu d’autre ? Cependant, Kitty
semblait connaître la réponse :
– Oh non ! J’en ai parlé avec Ruby.
– C’est qui, Ruby ? demanda quelqu’un.
Kitty fronça les sourcils.
– Notre conseillère de résidence. Vous n’écoutez jamais quand on vous
parle ?
Summer me sourit.
– Elle m’a raconté où certains de ces mecs se planquaient, poursuivit Kitty,
et ce n’est pas dans cette maison. Là, c’est juste un groupe d’amis. Elle les
connaît. Elle a dit qu’ils étaient plutôt inoffensifs, à part les deux enfoirés qu’elle
nous a signalés. Oh ! Et elle devait téléphoner pour les prévenir que quelques-
unes de ses filles arrivaient. C’est-à-dire nous.
Summer réprima un sourire.
– En fait, on devrait se tenir toutes les quatre, proposa Nina. Vous deux,
vous nous cherchez à la fin, et on fait pareil.
J’espérais qu’elle allait faire un petit pas vers nous, montrer son amitié, mais
elle se contenta de prendre Kitty bras dessus, bras dessous pour grimper la
colline menant à la maison, les épaules droites, la tête haute. De sa main libre,
elle renvoya ses cheveux dans son dos. Nina semblait prête à conquérir le
monde, fête après fête.
– Oh là là ! marmonna Summer près de moi. On est cernées par les abruties.
– Quand même pas toutes les filles de l’étage.
Encore que…
– Je disais plutôt… continuai-je hésitante. Euh… elles n’ont peut-être pas
autant l’habitude des fêtes que nous ?
– C’est vrai que ça n’a pas l’air de t’impressionner.
– Magnez-vous les fesses ! lança Kitty en nous adressant un signe.
On les suivit tandis que Summer poursuivait :
– Mais, d’après ce qu’on m’a raconté sur Mason Kade et son frère, ça ne
m’étonne pas. Je dois reconnaître que, moi aussi, j’ai entendu parler des soirées
Kade. J’avais envie d’y aller au moins une fois, mais je n’ai jamais pu
convaincre mes amies de nous y introduire en douce. Elles avaient trop peur. À
ce qu’il paraît, les filles qui s’y rendaient étaient comme des bêtes sauvages.
– Tu n’es pas loin de la vérité, dis-je en songeant à Kate et sa bande. Et, toi-
même, tu n’as pas l’air trop impressionnée.
En arrivant sur le perron, on entendait si fort la musique que Summer dut
hausser le ton pour préciser :
– J’ai assisté à quelques soirées en Europe. Pas de comparaison possible.
Elle ouvrit la porte en m’adressant un clin d’œil.
La musique nous submergea.
Ainsi que les rires et les conversations.
Mais aussi l’odeur d’herbe, d’alcool et de transpiration.
Incroyable ! Ma première fête de fac faisait plutôt penser à une scène
d’American College.
À l’entrée, Kitty, Nina et quelques autres résidentes de notre étage
brandissaient leurs gobelets en plastique rouge.
– Vous avez déjà de la bière ? s’étonna Summer.
À cet instant, un gros gamin en toge surgit, les bras chargés de gobelets,
suivi d’un autre qui portait un fût sur l’épaule. En nous voyant, ils nous
adressèrent de larges sourires.
– Mais voilà deux nouvelles venues ! s’écria celui aux gobelets. À vous,
Mesdames !
Là-dessus, il s’agenouilla devant le bec de tirage et son pote appuya sur la
manette pour faire couler la bière.
Quand ils eurent terminé, le gamin aux gobelets se releva et nous en tendit
deux.
– Moi c’est Blaze, un ami de Ruby. Elle nous a prévenus que vous veniez,
pas d’inquiétude. Il n’y a que des mecs sympas, ici. Cela dit, toutes les chambres
sont fermées, personne ne peut y aller. Il y a des toilettes là-haut, mais aussi au
rez-de-chaussée, sauf que je ne vous les recommande pas. C’est trop souvent
bouché. Voilà, si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas, j’essaierai
de vous aider. Je suis le meilleur des hôtes.
L’autre type écoutait la musique et remuait la tête, les yeux fermés ; tout le
monde était servi, aussi s’éloigna-t-il en bougeant les hanches en rythme.
Summer serra la main que Blaze lui tendait.
– Moi, c’est Summer, et voici…
Elle allait me désigner quand elle parut apercevoir quelque chose derrière
moi. Elle écarquilla les yeux tandis que je sentais une main se poser sur mon
épaule pour m’attirer contre un corps puissant. Je fermai les yeux. Je savais qui
c’était.
– Et voici Samantha, ma demi-sœur. Moi, c’est Logan.
– Demi-sœur ? articula Summer.
Je secouai la tête. Trop long à expliquer. Le regard de Blaze s’illumina :
– Logan Kade ?
– C’est moi.
Ils se serrèrent la main et Blaze garda un peu plus longtemps celle de Logan
dans la sienne. Il désigna en souriant la colonne de gobelets :
– J’ai entendu parler de toi. Merde alors ! Je suis au courant de tout pour
l’année dernière. Et de la bagarre d’aujourd’hui. De ce qu’ils ont voulu faire à
ton frère.
Et d’ajouter, les yeux exorbités :
– Mason Kade est ton frère ! Putain de bordel ! C’est pas croyable ! Il est
avec toi, là ?
Moi qui me sentais déjà tendue, là, j’allais exploser. Logan me serra un peu
plus contre lui.
– Non, répondit-il. Il a entraînement de foot demain, il a dû rester pour des
exercices ce soir. Mais voici Nate.
Le bras de Blaze se tendit vers celui-ci, à côté de Logan.
– Je fais dans mon froc ! Tu es Nate Monson. Je sais tout de toi aussi. Tu
étais avec ces deux tarés l’année dernière, avant de leur faire un doigt
d’honneur !
Nate lui serra la main.
– Ouais, répondit-il, déjà, j’ai été assez bête pour me joindre à eux. Bonsoir,
Sam !
Voulant me saluer à son tour, Blaze secoua ses gobelets.
– Toi ! Il faut que je parle de toi à Ruby. Elle va péter les plombs. Tu
fréquentes des légendes, tu t’en rends compte ?
Je vis Logan, hilare, réprimer un éclat de rire.
– Qu’est-ce que tu voulais dire ? demandai-je à Blaze.
– Quoi ? répondit-il sans se départir de son sourire. Je déteste Park
Sebastian. Ruby l’exècre avec l’ardeur de dix mille fourmis rouges. Alors, dites-
moi ce que vous voulez, tous, c’est bon pour moi. De la pizza ? J’en commande
immédiatement.
– Non, dit Logan en levant la main pour l’empêcher de se ruer vers le
téléphone. C’est bon, mais…
Il me prit mon gobelet avant d’ajouter :
– Sam voudrait une autre bière.
– Oh oui ! Gus, viens ici. Le fût, s’il te plaît !
Et d’ajouter à l’adresse de Nate :
– Une bière pour toi aussi. Je reviens.
Je ne connaissais Kitty que depuis dix minutes, pourtant elle se fraya un
chemin parmi la foule pour s’approcher de nous dès que Blaze partit à la
recherche de son porteur de fût. Summer se trouva reléguée au second plan mais
en parut plus stupéfaite qu’offensée ; à mon tour, je fus bousculée.
– C’est qui tes amis, l’ami ? lança Kitty.
Elle se cherchait un mec.
Elle parut hésiter devant Logan mais pas devant Nate, qu’elle attrapa par la
main. À côté de moi, Nina remplaça Kitty, sauf qu’elle ne semblait pas vouloir
faire les présentations, les bras croisés, un bout de manche entre les dents.
Summer ne la quitta des yeux que le temps d’échanger un regard avec moi en
secouant la tête. Nina allait devoir surmonter sa timidité ou ses appréhensions,
quelles qu’elles soient, si elle voulait bien profiter de la fac. Exactement la
même chose que pour moi – profiter de la fac. Tout en protégeant Mason.
Logan me passa un bras autour du cou pour m’entraîner à la suite de Nate.
Alors qu’on longeait les couloirs, j’essayai de regarder autour de nous. Je vis que
Summer nous avait emboîté le pas, ainsi que Kitty et Nina, dans la mesure où
Kitty ne lâchait plus Nate. Il gardait les mains dans ses poches, mais elle lui prit
le bras et ne parut pas se formaliser de le voir grimacer.
En traversant la salle à manger, puis la cuisine, je fus étonnée par le nombre
de gens qui saluaient Logan. La nouvelle de sa présence s’était vite répandue et
beaucoup de types venaient lui serrer la main. Les filles le regardaient, lui, puis
tout notre petit groupe, d’un œil plus qu’intéressé. On était les personnes qu’il
fallait fréquenter et je commençais à comprendre comment les choses avaient dû
se passer durant l’enfance de Logan.
C’était un Kade, nom connu et respecté. Famille crainte par certains,
courtisée par d’autres.
Plus Logan répondait aux garçons, plus les filles semblaient tomber sous son
charme. J’éprouvai un instant de compassion en songeant à celles qui tenteraient
de l’apprivoiser.
À mesure que s’écoulait la soirée, il séduisit à peu près tout le monde. On
s’installa au sous-sol, près du billard, et je repérai quelques regards d’adoration
de la part de Kitty et de Nina.
Même elles.
Même Kitty, qui s’était montrée si hésitante avant de s’accrocher à Nate, ne
pouvait cacher son attirance en le dévisageant par-dessus la table de billard, alors
qu’il était sur le point de tirer.
Summer était partie chercher un nouveau pichet de bière qu’elle vint bientôt
placer devant moi.
– Mince ! s’écria-t-elle en s’accoudant au comptoir.
On regardait toutes les deux Logan et Nate en train de jouer.
– La légende n’a rien d’exagéré, souffla-t-elle. Je ne suis pas sûre que la
moitié de ces filles pourraient tenir le choc si Mason était là aussi. Ton petit ami
et ton demi-frère ? Mais il y a autre chose. Je ne crois pas que Cain University se
soit rendu compte des personnalités qu’ils allaient recevoir en acceptant leurs
candidatures.
– Techniquement, ils n’ont accepté que la candidature de Logan. Pour
Mason et pour moi, c’était déjà fait. On avait tous les deux reçu des bourses par
ailleurs.
– Toi ?
– En course à pied.
Elle haussa ses sourcils parfaitement dessinés.
– Tu fais de la course ?
– Oui.
J’étais partie tôt ce matin, mais j’éprouvais déjà le besoin de me déstresser
avec une heure de jogging.
Logan capta mon attention. Il nous observait en attendant que Nate rate son
coup. Il m’interrogea du regard et je répondis non de la tête tout en bloquant mes
mains sous mes jambes. Tout allait bien. Je n’avais pas besoin qu’on vienne me
sauver.
Néanmoins, Logan vint se caler entre Summer et moi, obligeant ma coloc à
déplacer légèrement son siège. Ce ne fut qu’un léger mouvement que les autres
ne remarquèrent pas forcément, mais elle plissa les yeux. Elle avait tout pigé.
C’était une fille intelligente, ou du moins avertie des différentes tactiques
que les gens pouvaient adopter. Planquée derrière Logan qui s’était tourné vers
elle, je le vis m’adresser un petit signe de la tête pour m’indiquer que je faisais
toujours partie de la conversation, mais il avait mis une bonne distance entre
Summer et moi.
Bien joué.
– Alors, coloc de Sam, commença-t-il d’un ton empressé, si tu me parlais de
toi ?
Elle déglutit avant de répondre :
– Euh… qu’est-ce que tu veux savoir ?
J’envoyai un coup de coude à Logan :
– Je t’ai dit qu’elle posait pour des photos.
– Ah ah ! s’esclaffa-t-il. Et l’intrigue se noue. Non, sérieux, tu es la coloc de
Sam. Je sais que je me suis conduit comme un sale type, mais j’aime beaucoup
Sam. Elle fait partie de ma famille, c’est important pour moi.
Summer me jeta un coup d’œil tandis que Logan poursuivait avec un petit
sourire :
– Raconte-nous tes plus grands, tes plus noirs secrets !
Elle reporta son regard sur lui, le souffle coupé.
– Allez, insista-t-il, en toute franchise. Je sais que tu es une super-fan de
Mason. En supposant qu’il se mette à baiser Sam dans votre chambre, on
voudrait savoir si tu n’irais pas crier partout que c’était toi, en fait ?
– Logan ! m’écriai-je en lui frappant l’épaule.
Ce qui ne le dérangea pas le moins du monde. Il ne quittait pas des yeux ma
coloc rougissante.
– Je vois d’où tu tiens ta réputation de taré, lâcha-t-elle.
– Tu n’as pas répondu à ma question.
– Logan !
Cette fois, ça suffisait. Je commençai à me lever.
Mais il bloqua ma chaise, m’empêchant de bouger. Si je voulais en
descendre, il faudrait que je me faufile contre lui, de beaucoup trop près.
J’aimais bien mon presque demi-frère, mais pas ainsi. Alors je restai là, tandis
qu’il continuait d’interroger ma coloc.
– Oui, dit-elle d’une voix cassée, je suis fan de Mason parce que c’est un
dieu du football, et je continuerai quand il passera pro. Mais vais-je pour autant
rêver qu’il me baise quand il est avec ma coloc et nouvelle amie ? Sûrement
pas ! Tu ne manques pas d’air d’insinuer un truc pareil !
Impassible, il se rapprocha d’elle :
– En tant que membre de la famille, j’ai le droit de vérifier qu’elle ne risque
pas de se faire entuber.
– Allez, dis-je attrapant le bras de Logan. Il faut y aller.
Il ne bougea pas.
– Logan !
Finalement, il lâcha prise, sans toutefois se détacher de son regard ; une
menace silencieuse semblait s’être installée entre eux.
Bon, si ma coloc ne le détestait pas déjà, là c’était fait.
Cette fois, je me levai, essayai de lui adresser un sourire rassurant tout tirant
Logan derrière moi.
– Excuse-nous un instant. Il faut que j’aille engueuler quelqu’un en privé.
Avant de me suivre, il désigna du doigt Summer à Nate ; celui-ci fronça les
sourcils, mais vint vite prendre ma place.
Une fois dehors, je criai à Logan :
– Qu’est-ce que tu fous ? C’est ma coloc !
– Je tiens à fixer les limites dès que possible.
Il s’assit sur une table, posa les pieds sur une chaise, les coudes sur les
genoux, et joignit les mains en me regardant fixement.
Il n’en avait rien à fiche. Ça m’arrêta net. Je pourrais lui faire tous les
discours, tous les reproches que je voudrais, ça tomberait dans l’oreille d’un
sourd. Je perdrais mon temps. Finalement, j’allai m’asseoir à côté de lui en
soupirant :
– Il fallait que tu sois aussi lourd avec elle ?
– Oui, sourit-il en m’attirant près de lui. Comme toi, tu l’aurais été avec moi.
Certes, il avait raison. J’insistai :
– N’empêche.
Il me serra contre lui.
– Je l’aime bien.
– Tu m’étonnes.
– Elle a des couilles, rigola-t-il. Genre Heather, mais en plus fort. Tu vois ?
Et puis, elle en pince pour Mason comme joueur de foot. Ça saute aux yeux.
Chaque fois qu’on parlait de résultats avec Nate, elle avait les yeux qui
brillaient. Elle ne perdait pas un mot de ce qu’on disait.
– Vous parliez de résultats de foot ? m’étonnai-je.
Et moi, pendant ce temps, je regardais les filles qui le dévisageaient avec
adoration. Je cherchais les futures obsédées de Logan Kade.
– Laisse tomber.
– Ah…
Sa voix baissa d’un ton. Un frisson d’alerte me parcourut. Le côté sérieux de
Logan allait ressortir.
– Je suis content de te voir ici ce soir.
– C’est vrai ?
– Oui. Attends, tu ne l’as pas dit à Mason ?
Je fis non de la tête.
– Écoute, souffla-t-il, ne t’en fais pas.
Vraiment ?
– Je t’assure. Mason veut que tu passes une année normale d’université, ce
qui suppose assister à des soirées. Qu’est-ce que je fais là, d’après toi ? Il sait
que tu es assez intelligente pour te prendre en main…
– Et toi ? coupai-je. Parce que ce n’est pas l’impression que tu m’as donnée
en déconnant avec ma coloc.
– Sam… se renfrogna-t-il. Tu ne la connais même pas. Pourquoi la
défendre ?
Il avait raison. Ce n’était pas ma meilleure amie, j’essayais juste de m’en
convaincre.
– Désolée. Merci. Tu as eu raison de faire ça.
– Ce n’est pas Heather, ajouta-t-il doucement.
– Tiens, au fait…
Il dut saisir un soupçon dans ma voix, s’adossa à son siège.
– Tu ne vas pas gâcher mon amitié avec elle ? ajoutai-je.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
À sa façon de détourner les yeux, je perçus un sentiment de culpabilité. Il
voyait très bien ce que je racontais. Je lui balançai un petit coup de pied.
– Je sais que vous avez couché ensemble.
Un soupir lui échappa, il se frotta le menton.
– C’est Mason qui t’a dit ça ?
– Il le savait ?
– Euh… Enfin, je veux dire…
Je tranchai d’un geste de la main. Peu importait.
– Ne me prends pas pour une idiote ! Vous avez dansé le slow presque toute
la soirée et après, vous avez disparu ensemble. Je vous ai envoyé un SMS, mais
aucun de vous n’a répondu. J’ai pigé. Elle a rompu avec Channing, de toute
façon, et vous vous êtes toujours bien entendus, tous les deux.
Il se pencha en avant, se passa la main dans les cheveux en soupirant, avant
de la laisser retomber sur sa jambe.
– Désolé, Sam. J’aurais préféré que tu ne le saches pas.
– Je serais la plus nulle des sœurs et des amies si je n’avais pas pigé.
– Mason nous a engueulés. Il ne voulait pas que tu sois au courant, il disait
qu’on allait te gâcher cette belle soirée… tu sais, celle où tu retrouvais enfin une
famille. Désolé.
Mason avait fait ça ? Un flot d’émotions me réchauffa le cœur et je ne pus
réprimer un sourire béat.
– Tu vas le retrouver au lit ce soir ? railla Logan.
– Sans doute, oui. C’était trop mignon de sa part.
Il me décocha un regard noir et je compris qu’autre chose le contrariait. Il
s’interdisait d’en parler. Je n’osai insister, de peur que ça ne se rapporte à
quelque chose de plus grave, peut-être même à Park Sebastian. À la place, je
montrai la maison :
– Tu pourrais éviter de faire encore chier Summer ?
– Promis, dit-il en me tapotant le menton. Je voulais la prévenir, qu’elle ne
nous emmerde pas.
– Tu croyais qu’elle en avait l’intention ?
– C’est un mannequin, Sam. Elle a son ego. Ça se voit. Ce genre de fille
croit pouvoir piétiner les autres et s’en tirer sans peine. Je voulais lui faire savoir
que, oui, elle est chaude, mais ce n’est pas la seule meuf du coin, non plus. Bon,
ça suffit.
Il baissa la voix, l’air encore plus sérieux :
– De toute façon, je comptais venir te voir demain, mais puisqu’on se
retrouve là… Je sais que Mason veut que tu l’appelles si tu vois Sebastian ; je te
demande de m’appeler plutôt moi, à la place.
– Pourquoi ?
– Parce que Mason est pieds et poings liés. Il ne peut rien faire – du moins
pas en public. Ça gênerait sa carrière de footballeur. Il ne voudra jamais
l’admettre, mais il est un peu comme un politicien, maintenant. Il doit surveiller
tout ce qu’il fait et dit. Ça lui retomberait dessus.
Un frisson me parcourut le dos. Les conséquences qu’il évoquait devenaient
plus réelles à mes yeux et ça commençait à me faire vraiment peur. Je devais
m’assurer qu’il n’arrive rien à Mason.
Je sentis le regard de Logan peser sur moi. Il attendait mon approbation. Je
la lui donnai :
– D’accord.
– Sérieux. C’est moi que tu dois appeler, pas lui. Je peux me faire virer de la
fac, ça ne me posera pas un grand problème. Je n’aurai qu’à en choisir une autre.
Même si celle-ci est la meilleure pour le foot. Je m’en sortirai. Tandis que lui,
rien ne doit lui arriver. Je peux me battre. Pas lui. Il doit faire très attention,
surtout avec cette tête de nœud, une tête bien pleine, crois-moi.
Je m’obligeai à hocher la tête. Et le moment de sérieux passa. Logan reprit
d’un ton plus léger :
– Enfin, tu vois ce que je veux dire. Je ne vais pas te faire un dessin…
J’écartai son genou un peu trop proche du mien.
– On doit retourner à la soirée, dis-je en me levant. Et je vais boire. Quant à
toi, arrête de me parler de têtes de nœud, bien faites et bien pleines ou pas. Tu
n’as qu’à appeler Heather si tu as envie de poursuivre ce genre de conversation.
Je suis sûre qu’elle a ses propres théories sur ce genre de chose, mais pas moi.
C’est dégueu.
Il descendit de la table en riant, avant de me suivre à l’intérieur. Juste avant
d’ouvrir la porte, il me saisit le bras, l’air de nouveau sérieux.
– Ça n’a rien à voir avec Sebastian, mais avec Jax.
J’attendis la suite. Jamais encore il ne m’avait parlé d’Heather et je n’étais
pas certaine d’avoir envie de savoir. Cependant, je me tus.
– Jax et moi… t’inquiète, ça ne bousillera pas votre amitié.
J’observais son visage éclairé par la lune.
– C’est la première règle qu’elle ait établie entre nous, dit-il en détournant
les yeux. Quoi qu’il arrive, il ne fallait pas te faire souffrir. On se l’est promis à
tous les deux.
– Bon, tant mieux pour moi. Au fait, tu ne pourrais pas plutôt envoyer chier
les deux autres meufs de mon étage ? Apparemment, elles sont déjà en train de
tomber amoureuses de toi et je n’ai aucune envie de me taper ce genre de
problème, surtout quand je vais aux toilettes. Je ne tiens pas à ce que l’une ou
l’autre me saute dessus dans ma cabine pour me demander un rendez-vous avec
toi.
– Ah !
Il redressa les épaules. Son habituel sourire moqueur reparut et, d’un seul
coup, le sévère Logan fit place au séducteur. Levant les bras au-dessus de la tête,
il fit mine de se faire craquer les doigts.
– Je vais voir ce que je peux faire, Sam, mais je suis comme un dieu parmi
les mortels. Je ne saurais empêcher quiconque de tomber sous le charme de ceci.
Il désigna son corps avec un clin d’œil.
– Les filles adorent ce qu’elles ne peuvent avoir.
– Ça va ! grondai-je en rigolant. Tu te dévoues déjà beaucoup comme ça.
Éclatant de rire, il attrapa la porte que je venais d’ouvrir. Son bras passa de
nouveau par-dessus ma tête tandis que la musique nous envahissait les oreilles.
En apercevant notre équipe sur la piste de danse ou sur les canapés, je compris
que les conversations sérieuses étaient terminées pour la nuit.
Maintenant, on pouvait s’amuser.
Summer était en train de danser, les bras levés, les hanches suivant le
rythme, quand elle m’aperçut et me fit signe. À voir son large sourire, j’en
conclus que Logan n’avait pas dressé une barrière infranchissable entre nous.
Je vérifiai qu’il voyait ce que je faisais, puis rejoignis Summer sur la piste.
Kitty s’écarta pour me faire place dans leur petit cercle. J’aperçus Nina sur un
canapé, à côté de Blaze toujours en toge, mais cette fois c’était lui qui s’occupait
du fût. Elle paraissait prête à nous rejoindre quand il lui passa un bras autour de
la taille et je me mis à rire. Elle rassembla les jambes comme pour s’interdire de
bouger.
J’avais l’impression que tout se passerait bien avec ces gens.
Première étape réussie.
Je me faisais des amis.
CHAPITRE
8
Mason
– Tu traînes, Kade.
Je m’arrêtai en plein sprint pour reprendre mon souffle tandis que Drew
arrivait à ma hauteur. Il avait raison.
Sam s’était glissée dans mon lit la nuit passée et j’avais adoré chaque minute
de nos retrouvailles mais, au bout d’une heure, on avait jugé qu’elle devrait
plutôt se réveiller dans sa chambre. Sa décision de passer le premier mois à la
résidence allait nous peser à tous les deux, d’autant que je devrais encore passer
une heure à la ramener chez elle. Je l’accompagnai jusqu’à l’entrée et on resta un
bon quart d’heure devant la porte avant qu’elle ne se décide à l’ouvrir. Je
traînais, mais tant pis.
Au souvenir de Sam en train de me chevaucher, puis de se pencher pour me
caresser les jambes avec ses cheveux, je retrouvai assez d’élan, si bien qu’en
repartant avec Drew, comme si on faisait la course, je le dépassai à mi-parcours.
Et je dus l’attendre à l’arrivée.
– Qui est-ce qui traîne, maintenant ? lançai-je en riant.
Il se pencha en grognant, me lança une serviette.
– Gros malin.
– Il en faut, dis-je en m’essuyant la figure. Matteo est parti.
Il ralentit tandis qu’on se dirigeait vers un banc pour boire de l’eau. On avait
passé le début de la matinée à courir ; ensuite, on alla rejoindre les autres au
vestiaire pour discuter un peu avec les coaches adjoints, après quoi ils nous
laissèrent retourner à nos exercices individuels. Drew me rejoignit à la fin d’un
sprint. Il fallait que j’en effectue encore un autre avant de retourner à mes cours.
Il me suivit sur la piste pour m’annoncer :
– Matt a appelé hier soir. Il a dit que son père avait été renversé par un
chauffard ivre.
– Il va manquer la fac ?
– Je ne sais pas. D’après lui, oui, il doit s’occuper de sa famille jusqu’à ce
que son père sorte de l’hôpital et puisse reprendre le travail. Ils sont assez
traditionalistes. Les hommes font vivre la famille, et tout. Avec un père hors
circuit, c’est sur lui que retombent ces charges. Pourtant, il a des frères et sœurs,
et leur mère est femme de chambre je ne sais où.
C’était trop nul. Drew me regarda en coin.
– Tu as vu le coach ?
– Oui, dis-je le cœur serré. Je suis sur le banc de touche pour les deux
premiers matchs.
– Sérieux ?
– J’ai manqué le premier mois d’entraînement.
– Ce n’était pas ta faute. Ça venait de l’université
– Oui, mais à cause de ma bagarre avec Sebastian, je paie les pots cassés.
Drew n’était pas au courant pour l’incendie du pavillon. Ni lui ni personne, à
part Nate, Logan et Sam. J’étais innocent aux yeux de tous les autres. Idée qui
me souleva le cœur. Drew ne réagirait pas de la même façon s’il savait, mais je
ne regrettais pas ce que j’avais fait, pas après ce que Sebastian avait tenté de
m’infliger – me priver de mon avenir au football.
– N’importe quoi ! gronda Drew. C’est nul, tout ça, mais je suis content que
tu l’aies remis à sa place. Quand sa fraternité a été dissoute, tout le campus s’est
réjoui. Je sais que ça a plu à Matteo et aussi à Lane, parce que Sebastian avait
refusé de l’aider, il y a deux ans, en le laissant privé de bourse après sa blessure.
Sebastian n’est qu’un connard borné. À ta place, je me méfierais. Tu te doutes
qu’il va vouloir se venger.
Je serrai les dents. Inutile de me le rappeler. Je le savais mieux que
quiconque.
– Football, université et ma famille – voilà mes priorités, un point c’est tout.
– Bon. On protégera tes arrières, tu le sais.
– Merci.
On arrivait à la fin de notre premier circuit sur la piste.
– Kade, lança un coach, termine ta série et file. Tu as un cours qui t’attend.
Drew m’adressa un signe de la tête tandis que j’entamais un deuxième tour.
Samantha
Réveillée par l’odeur du café, j’aperçus la silhouette de Summer dans
l’encadrement de la porte, sur son trente-et-un, avec un top blanc fluide d’où
émergeait une épaule et qui lui descendait jusqu’à mi-cuisses. On aurait dit une
robe pour aller en boîte. Mais elle portait aussi un jean et des talons hauts. Ses
bracelets tintèrent quand elle déposa une tasse sur ma table de nuit.
– Ruby a une cafetière dans sa chambre, annonça- t-elle, l’air émerveillée en
humant son cappuccino. J’adore notre conseillère de résidence.
Elle s’assit à son bureau, me désigna d’un geste :
– Et elle t’adore, ajouta-t-elle. Un petit oiseau Blaze lui a chanté ce matin un
air sur ton demi-frère, et elle veut répondre à ses attentes.
– Ah oui ? dis-je en grinçant des dents.
Elle me regarda descendre du lit.
Je saisis d’abord ma tasse. J’avais plus important à faire que m’habiller.
D’abord, avaler une gorgée. La robe de chambre viendrait ensuite. Un rêve
caramélisé.
– Merci.
– Si un jour tu ne me retrouves pas, c’est que j’aurai déménagé à l’étage de
Ruby. Elle connaît le meilleur moyen de combler les étudiantes en première
année tout en évitant de nous faire prendre quinze kilos : entretenir notre
addiction à la caféine.
En souriant, je reposai mon cappuccino sur le bureau.
– Alors… poursuivit Summer en avalant une autre gorgée. Je n’ai pas pu
m’empêcher de repérer ton retour ce matin, ça m’a évité de te marcher dessus. Je
ne sais pas pourquoi j’ai choisi le lit du haut. Je peux faire ma curieuse en te
demandant pourquoi tu as changé d’avis cette nuit ? Je croyais que tu devais
rentrer avec Logan ?
– Oui, dis-je en bâillant et en m’étirant.
Prise d’un frisson, je finis par enfiler ma robe de chambre.
– Je suis rentrée avec lui et j’ai rejoint Mason au lit.
– La légende du football, soupira Summer.
– Euh… oui. Et voilà, il m’a ramenée. Ça risque de continuer comme ça
pendant un mois.
– Je ne voudrais pas jouer les perverses, je ne mate pas ton mec parce qu’il
est superbe, mais voilà des années que j’en pince pour Mason Kade. Je connais à
peu près toutes ses statistiques, tous ses résultats depuis la classe de seconde. Je
suis vraiment dingue de foot. Tu sais, la plupart des filles seraient prêtes à
t’assassiner pour pouvoir prendre ta place, mais pas moi. C’est le foot qui
compte pour moi. Voilà tout.
Elle paraissait sincère. Je l’avais vue tout émue le soir où Nate et Logan
avaient échangé des souvenirs de matchs. Mais c’était une fille. Et Mason était
Mason. J’aurais dû entendre une sonnerie d’alarme dans ma tête, mais non.
– Tu sais, répondis-je, j’ai vu des filles perdre la tête et s’en prendre à moi,
alors fais gaffe si tu essaies !
Je ne la quittai pas des yeux. Les choses se passaient plutôt bien entre nous.
On apprenait à se connaître, seulement là, c’était autre chose. Autant qu’elle voie
tout de suite que je demeurerais inflexible sur certains points. Elle se redressa,
mais ne détourna pas le regard. Bon point.
– Sans vouloir te décevoir, dis-je alors, tu perdrais la partie. Si tu cherches à
le conquérir, si tu me mens, là, si tu es prête à me manipuler, ça ne marchera pas.
J’en ai vu d’autres avec des filles plus féroces que toi, elles se sont toutes
plantées. Jamais elles ne gagneront, alors si tu as ce projet derrière la tête, tu
oublies. Parce que tu n’aurais pas seulement affaire à moi mais aussi à Mason et
Logan. On forme une famille à nous trois. Personne ne se mettra entre nous.
Un lent sourire lui étira les lèvres.
– Nous y voilà.
Elle baissa la tête, comme si elle guettait l’arrivée d’un lion. Sans peur ni
méfiance, juste un constat et une forme d’excitation. Elle déposa son cappuccino
sur son bureau, mais ne détourna pas les yeux.
– Je voulais rencontrer la vraie Samantha depuis que j’ai compris qui tu es.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– Je n’avais pas entendu parler que de Mason et de Logan. Tu as mis le feu à
la voiture de ton père, Budd Broudou, quand il était en prison, et tu as obtenu
que Brett Broudou te protège. Chapeau, la meuf ! Moi qui m’enflamme sur une
course de cinquante mètres pour un touchdown… tandis que beaucoup d’autres
filles sont plus galvanisées par celle qui a pu dompter Mason et Logan Kade.
– Des filles ?
– Oui, sourit-elle. Je connais quelques lesbiennes qui aimeraient avoir ton
numéro de téléphone. En rentrant chez moi, il faudra que je les chasse à coups de
batte de base-ball quand elles apprendront qu’on était colocs.
– Attends, je devrais m’inquiéter que tu ne m’en aies pas parlé jusque-là ?
– D’accord, dit-elle en repoussant ses cheveux derrière les oreilles. J’aurais
peut-être dû te dire dès le début que j’étais au courant pour toi, mais je ne
voulais pas passer pour une perverse. Quand j’ai appris qui serait ma coloc, j’ai
failli pisser dans mon froc. Je ne l’ai su qu’en arrivant ici, hier. J’avais reçu une
lettre de la résidence m’annonçant que ma coloc avait changé à cause de
complications et je devais leur dire si ma nouvelle affectation ne me convenait
pas.
Elle but un peu de cappuccino en riant. Croisant les chevilles, elle s’était
posée au bord de sa chaise et appuyait la tête contre le mur derrière elle.
– Bien sûr, je n’ai rien dit. Tant que tu peux supporter mon obsession pour le
foot et le fait que je te trouve super, et que je me demande si je ne suis pas un
peu lesbienne, moi aussi. Je crois que cette année va être géniale.
Je ne savais pas trop comment prendre tout ça. Mason se fierait à son instinct
et me conseillerait d’en faire autant. Je me sentais à l’aise, tout ce qui me gênait,
c’était l’idée de ne ressentir aucune inquiétude avec elle. Alors, je continuai à
déguster mon cappuccino en haussant les épaules.
– D’accord, dis-je.
– D’accord… comme d’accord, ça va ? Comme, d’accord, je ne te fais pas
peur ?
– Oui, sans doute. D’accord.
Elle poussa un petit cri de joie en lançant un poing en l’air, avant de le
rabattre sur sa bouche.
– Pardon. Là, c’est la dingue de foot qui te répond. Je ne te conseille pas de
t’asseoir à côté de moi au prochain match. Sérieux, je suis barje.
– N’empêche que tu en sais plus sur moi que moi sur toi.
– Quoi ? Tu veux que je te raconte des anecdotes gênantes sur mon métier de
modèle ? Je suis sûre que tu as déjà eu affaire à des salopes vaches et
psychopathes. Tu n’as pas idée. Un jour, j’étais en train de poser quand une fille
a mélangé de la crème dans le lait à zéro pour cent d’un mannequin, pour lui
faire prendre un kilo avant un casting le même jour. Une autre a changé les
étiquettes de boîtes de soupe pour lui faire croire qu’elle en consommait une
basses calories. Tu te rends compte ? Il y a eu aussi celle qui a voulu tordre un
de mes talons aiguilles pour que je me casse la figure. Elle m’a dit « tu vas
casser la baraque » avec une telle frénésie que j’ai su qu’il fallait le prendre au
premier degré.
– Ouf !
– Oui. Si tu veux des tuyaux pour savoir comment en faire baver à une
psychopathe, tu as une spécialiste dans ta chambre. J’y ai eu droit plus souvent
qu’à mon tour.
Là, je crus entendre la voix d’Heather dans ma tête. Vas-y. Récupère l’info.
Ce genre d’indice pourrait toujours être utile. Je me mis à rire, mais ma joie fut
de courte durée.
Je n’avais pas parlé de Logan à Heather avant qu’on se sépare. On s’était dit
au revoir. C’était bizarre, mais je la voyais déjà trop lutter contre les larmes. Moi
aussi, mon service de l’après-midi chez Manny’s me manquerait. Je savais
qu’Heather voudrait tout savoir sur Summer. Elle trouverait dingue que je tombe
précisément sur une coloc mannequin obsédée de football.
– Sam ?
– Hein ?
Summer se tenait devant la glace, en train de tirer sur la couture de son
chemisier, quand elle me désigna le téléphone qui sonnait à côté de moi.
– Tu veux que je le prenne ?
Dring.
Je sursautai, manquant renverser mon café en tendant le bras.
– All…
Mon café se renversa bel et bien et je redressai la tasse avant d’en répandre
davantage sur le bureau.
– Pardon. Fichu café. Allô ?
– Samantha ?
Je me rembrunis.
– Malinda ?
Summer se leva et se dirigea vers la porte.
– Je vais dans la chambre de Ruby.
Je hochai la tête et elle ferma derrière elle.
– Malinda, vous n’êtes pas en lune de miel avec papa ?
– Si, mais ça ne veut pas dire que je ne pourrai plus harceler ma nouvelle
belle-fille pour autant. Ton père m’en a empêchée hier. J’ai essayé ton mobile,
mais c’est Mason qui a répondu. Il m’a donné le numéro de ta chambre et
chargée de te dire qu’il va repasser te voir pour te rendre ton appareil.
– Ah oui ! Je l’avais oublié dans sa chambre.
– Et je vois que vous vous en tenez bien, tous les deux, à votre serment d’un-
mois-à-la-résidence. Mes félicitations.
Je soupirai en essayant d’attraper mes vêtements, le téléphone coincé entre
mon oreille et mon épaule.
– On verra combien de temps ça durera. Je ne vis pas avec Mason depuis
plus d’un an. Je n’ai qu’une envie, c’est de le retrouver, d’être avec lui, au lieu
de rester avec des gens que je ne connais pas encore.
– Pas encore, exactement. Je suis si fière de toi, Samantha ! Ton père aussi,
et il me harcèle pour que je lui passe l’appareil.
– Pas vrai, dis-je en sortant un tee-shirt du placard. Il a dû quitter la pièce
quand vous avez dit ça, non ?
Elle pouffa de rire avant de répondre :
– Toi et ton père ! Ce n’est pas parce que vous êtes l’un à côté de l’autre
qu’il existe une complicité entre vous. Vous devriez vous parler davantage.
– On se parle.
– Seulement quand vous y êtes obligés.
Elle semblait déconcertée, et il y avait de quoi.
– Comment va Mark ? demandai-je.
J’entendis comme un sifflement dans le combiné.
– Mon satané fils ! Je l’aime, mais il est parfois si bête ! Il a décidé de suivre
ton exemple pour prouver à quel point il est indépendant. J’aurais préféré qu’il
s’en abstienne. Il avait oublié ses clés dans sa voiture et il ne voulait pas que je le
ramène à son campus. Quand il les a récupérées, il n’avait pas assez d’argent
liquide pour payer le serrurier et ils ont dû aller en tirer dans un distributeur. Il a
payé le type et il a encore dû régler dix dollars pour retourner à sa voiture. Après
quoi, il a oublié de la verrouiller.
– Oh non…
– Comme tu dis. On la lui a volée. Toutes ses affaires ont disparu. Il a fallu
qu’on lui envoie encore de l’argent une fois qu’il a eu porté plainte et regagné sa
résidence. J’avais pris nos billets d’avion et on s’apprêtait à le rejoindre quand il
a rappelé, hier soir. Les flics avaient retrouvé sa voiture et certaines de ses
affaires dedans. Dès notre retour des Bahamas, on va le voir pour nous assurer
qu’il a tout ce qu’il lui faut. Ce garçon veut ma mort, je t’assure. Pourtant, je
l’aime plus que jamais. Vous me rendez si fière, tous les deux ! Malgré les
ennuis de Mark.
Je souris. Elle avait le bonheur contagieux. Je décidai de raconter l’aventure
de Mark à Logan qui ne se gênerait pas pour le taquiner à mort.
– Bon, ton père me fait signe. Si on ne s’en va pas maintenant, on va
manquer la promenade à cheval. Lui, il s’en fiche, mais moi j’y tiens beaucoup.
Je veux prendre une photo de cet étalon sur un autre étalon, pour la mettre sur
Instagram une fois rentrée à Fallen Crest. On n’a pas fini de plaisanter là-dessus.
Je suis ravie ! Au revoir, Sammy. Je t’aime !
Sammy.
J’étais plutôt estomaquée lorsqu’elle raccrocha. En entendant la tonalité, je
ne savais plus si je lui avais dit au revoir ou non, mais elle m’avait appelée
Sammy.
J’étais encore assise sur place, à entendre ce nom se répéter dans ma tête,
lorsque Summer s’éclaircit la gorge.
– Oh pardon ! dit-elle en voyant que j’allais raccrocher. Tu as fini. Euh… je
voudrais te prévenir de quelque chose.
– Quoi ?
Elle ferma doucement la porte et ses mains restèrent dans son dos quand elle
s’appuya dessus.
– Kitty et Nina campent au bout du couloir. Elles m’ont demandé quatre fois
quand je pensais que tu allais te rendre à ton cours. Depuis hier soir, elles sont
tombées amoureuses de Logan Kade et c’est triste à dire, mais elles n’ont pas
fini de te harceler avec ça. Je leur ai indiqué que tu n’avais pas cours jusqu’au
déjeuner, seulement elles ne m’ont pas crue. Je crois qu’elles vont t’attendre et te
sauter dessus dès que tu sortiras – tu sais, jouer les super-copines au point que tu
vas devoir les envoyer bouler pour t’en débarrasser. Elles sont encore trop
débutantes. Si seulement je pouvais leur apprendre comment bien harceler
quelqu’un !
Elle se mit à rire.
– Non, je plaisante, ajouta-t-elle en se raclant la gorge. Mais bon… il faut
qu’on mette au point un plan pour les occuper pendant que tu te glisseras dehors
par-derrière. Elles auraient dû se répartir la tâche, une dans l’entrée, l’autre
devant la porte du fond qui ne se ferme que de l’extérieur, et l’alarme ne
fonctionne pas dans la journée.
– Quoi ?
Elle frappa dans ses mains.
– Exactement ! Que l’opération Distraction commence !
Ce fut là qu’elle repéra mon pyjama.
– Enfin, dès que tu seras habillée.
CHAPITRE
9

Les deux filles nous attendaient effectivement derrière la porte. Nina portait
son sac à dos sur les genoux, tandis que Kitty jouait avec ses cheveux ramenés
sur le visage. Summer passa devant elles et fit mine de trébucher sur les pieds de
Nina. Ce qui ne parut pas affoler sa copine ; alors, repérant la bouteille d’eau à
leurs pieds, Summer la heurta au passage.
J’attendis que les filles se lèvent. Nina aida Summer tandis que Kitty
récupérait sa bouteille avant qu’elle ne dégringole sur les marches.
À mon tour de jouer.
Je me glissai jusqu’à l’escalier de service et arrivai en vue de la porte du
fond. Summer avait raison. Une étudiante entra tandis que je descendais les
dernières marches. Aucune alarme ne retentit. Alors, je sortis.
J’attendais devant la rangée des vélos lorsque Summer apparut, morte de
rire. Elle tenait encore sa tasse de café qu’elle avait remplie chez Ruby avant de
lancer l’opération Distraction.
Elle en avait également pris une pour moi.
– Logan n’a pas été assez nul pour dégoûter ces nanas. Je crois qu’il a juste
réussi à les allécher ce qu’il faut pour qu’elles veuillent toutes les deux
l’épouser. Nate ne va pas aimer. Au début, c’était lui que Kitty visait.
– Je crois que ça ne l’empêchera pas de dormir.
– Qui sait ? Elle aurait pu devenir l’amour de sa vie.
Summer accéléra le pas alors qu’on arrivait en vue des bâtiments de cours, si
bien qu’elle se retourna pour continuer à reculons. Elle remua les sourcils d’un
petit air enthousiaste.
– Et si Kitty était vraiment la fille faite pour lui ? Qui sait ? Il pourrait finir
par se tromper sur toute la ligne. Tu crois en ce genre de chose ?
– Qu’est-ce que tu racontes ?
Elle pressa le pas, toujours à reculons, me fit signe de la suivre.
– Je veux dire que tes décisions d’aujourd’hui pourraient impacter ton
avenir. Tu vois le genre. Je n’étais sans doute pas destinée à devenir ta coloc,
mais celle de quelqu’un d’autre, sauf qu’il s’est passé un truc imprévu. Disons,
par exemple, que la personne en question ait commis un acte horrible. Qu’elle ait
pris une décision qui aura bouleversé son avenir, et donc le nôtre. Toi et moi
n’étions pas destinées à nous connaître, encore moins à devenir les excellentes
copines que nous allons être. Ou pas. Peut-être que cette fille aurait pu être
l’amour de la vie de Nate, ou même de Logan. Tiens, montrons-nous
ambitieuses. Tu crois à ce genre de chose ?
– Non, dis-je prise d’un léger vertige. Pourquoi ?
Summer se mit à rire et, virevoltant, revint marcher à côté de moi, elle
haussa une épaule, baissa la tête.
– Je ne sais pas. Je pense que c’est la conséquence de ma haine envers ma
belle-mère. Elle a fait une vraie saloperie à mon père. Je me dis toujours, et s’ils
ne s’étaient pas rencontrés dans ce bar ? Et si ma mère et mon père ne s’étaient
pas disputés ce soir-là ? Et si je n’étais pas arrivée en retard à la maison, ce qui
leur aurait évité cette prise de bec ? Les choses auraient été bien différentes. Plus
agréables…
Elle finit cette phrase d’un ton si grave que je m’arrêtai. Les gens allaient et
venaient autour de nous. Certains nous regardaient de travers, mais la plupart
passaient sans nous voir, pressés de gagner leurs cours.
Je faisais enfin sa connaissance.
Cet instant m’en disait infiniment plus sur elle que toutes les heures que
nous venions de passer ensemble.
Elle était malheureuse.
Elle détestait sa belle-mère.
Elle regrettait son ancienne vie.
Et elle s’en voulait.
Comme si elle se rendait compte qu’elle venait de m’ouvrir une fenêtre sur
son fonctionnement interne, elle me jeta un coup d’œil et demanda en souriant :
– Tu regardes quoi, là ?
Une fille brisée.
– Rien…
Moi. Je me regardais, moi.
Je repris le chemin.
– On y va ? Où a lieu ton premier cours ?
Elle désigna un bâtiment de brique.
– Là. J’ai vérifié la carte hier, quand on a pris nos livres. La librairie est juste
à côté.
Une longue file d’attente s’étirait de l’entrée jusqu’au trottoir. Les gens
allaient et venaient. Certains contournaient la file pour entrer directement. Le
bâtiment voisin comptait quatre étages et, là non plus, l’entrée ne désemplissait
pas. Certains sortaient pour fumer, d’autres discutaient avec des amis. Beaucoup
se tenaient devant la rangée de bicyclettes. On arrivait à un rond-point d’où
partaient cinq voies différentes.
Je pus constater que Summer n’était pas la seule à vérifier sa carte.
Apparemment, il y avait d’autres nouveaux un peu paumés. Quelque part, c’était
rassurant.
– Oui, dit-elle en rangeant le papier dans son dossier. Voilà mon bâtiment. Et
toi, tu sais où se trouve ta classe ?
– Euh… Ives. Pièce trois cent douze.
Plissant le front, elle ressortit son papier.
– D’accord.
Elle s’arrêta, promena un doigt dessus, se retourna et me montra l’édifice
juste derrière nous.
– C’est là.
– Ah bon ?
– Oui. C’est ce que dit ma carte. Donc tu es là, à moins qu’il y ait deux
bâtiments Ives.
J’allais lui dire au revoir quand Park Sebastian vint se planter devant moi,
me bloquant le chemin, un sourire arrogant sous ses lunettes noires. Ses cheveux
toujours plaqués, coiffés sur le côté. Avec son livre et ses cahiers dans les bras, il
avait l’air de sortir d’une brochure d’université. Sa chemise semblait pendre sous
ses larges épaules, par-dessus sa taille étroite et son pantalon cargo effiloché.
Sans prendre le temps de réfléchir, je dis la première chose qui me passa par
la tête :
– On dirait un débile avec ces fringues. Tu te crois branché ? Si tu espères
avoir l’air pauvre, tu as tout faux. Tu te conduis exactement comme un riche
débile.
À côté de moi, Summer retenait son souffle, mais elle finit par éternuer pour
masquer son rire.
Sebastian ne broncha pas. Souriant de plus en plus, il souleva ses lunettes,
jusqu’à ce que je sente un mouvement à proximité. Logan passa devant moi, en
tee-shirt, avec le même pantalon cargo, mais je ne fis aucun commentaire. Logan
pouvait la ramener, se donner des airs de bad boy blindé qui n’en avait rien à
fiche. Je le connaissais. Ça pouvait aider mais, à côté de lui, Sebastian avait
encore plus l’air d’un frimeur.
Summer me lança un regard inquiet.
Mais non, ça ne risquait rien. On était en plein jour, devant un tas de
témoins. Tout se passerait bien.
– Je croyais t’avoir dit de ne pas t’approcher de Sam, lança Logan.
Ce n’était pas une question.
Sebastian recula d’un pas, laissant retomber ses lunettes. Il désigna le
bâtiment derrière lui :
– Je vais à mon cours, Kade. Tu ne vas pas déclencher une bagarre pour ça ?
– Tu lui barres le passage, dit Logan en tendant le bras.
Son sac lui glissa de l’épaule au poignet et il ouvrit les doigts vers moi. Je
pris le sac, l’enfilai en bandoulière. Cela risquait de durer plus longtemps que les
quelques minutes auxquelles j’avais d’abord pensé. Je me mordis les lèvres, jetai
un regard inquiet vers Summer. Elle ne semblait pas vouloir s’éloigner, trop
fascinée par ces deux-là.
– Je te répète que je vais à mon cours.
Logan ne bougea pas.
Pas plus que Sebastian.
Et Summer promenait son regard de eux à moi. J’aurais bien voulu la
rassurer sauf qu’à vrai dire, je ne savais pas du tout ce qui allait se passer.
Je me rappelais trop ce qu’avait dit Logan la veille. L’appeler lui, pas
Mason.
Il ne fallait pas déranger Mason.
Comme s’il lisait dans mes pensées, Logan se déplaça légèrement. Et là,
j’aperçus derrière lui, derrière Sebastian, Mason qui arrivait.
Il sortait du bâtiment où avait lieu mon cours, mon mobile à la main,
l’expression renfrognée, les mâchoires serrées. Je déglutis. En reculant, Logan
me heurta et je bougeai, consciente qu’il se dressait en rempart entre Sebastian et
moi.
J’aurais voulu aller voir Mason, mais le bras de Logan me maintint en place.
Il me saisit par la taille pour que je reste juste derrière lui. Ce qui me rappela son
frère en d’autres circonstances.
– Maman.
– Arrête !
Elle releva sur moi un regard fou.
– T’as toujours voulu qu’on se barre. Il veut pas b’épouser… hic… t’as
raison. Y beut pas. Fini. Finito. Finido…
Je voulus contourner Mason, mais il m’empêcha d’approcher de ma mère. Il
me bloquait le chemin, alors je croisai les bras.
– Maman, tu as trop bu. Tout ira mieux demain matin, promis.
Park Sebastian n’était pas ma mère. Il ne m’avait pas fait vivre des années de
terreur. J’étais déterminée à ne pas me laisser faire. Alors, je repoussai le bras de
Logan. Mason capta mon regard et fronça les sourcils. Je compris
l’avertissement sans qu’il ait besoin de parler. Peu importait. Je n’allais pas le
laisser prendre un coup à cause de moi. Je ne serais pas son talon d’Achille. Il
fallait que Sebastian le sache. Je m’avançai vers lui.
Logan m’attrapa de nouveau, mais je me dégageai. Il voulut me bloquer sur
la droite. Je déviai à gauche. Si bien que je me retrouvai face à face avec
Sebastian. Logan grogna, mais je ne l’écoutais plus.
– Sam !
Je ne le regardais plus.
– Sebastian !
La voix de Mason immobilisa tout le monde. Il parlait d’un ton calme mais
menaçant.
Sebastian ne s’était pas rendu compte que Mason se trouvait juste derrière
lui et il se raidit d’un seul coup. Avant de se déplacer sur le côté de façon à ne
plus se retrouver encerclé de toutes parts. C’est là que Mason se rapprocha de
moi et Logan le contourna pour se poser de l’autre côté. On formait maintenant
un front uni. Les bras croisés, Summer ne perdait pas un seul de nos gestes. Je
préférai ne pas chercher à savoir ce qu’elle pouvait penser. De toute façon, elle
était aux premières loges.
L’atmosphère avait changé du tout au tout avec l’arrivée de Mason.
Le sourire gouailleur de Sebastian avait disparu.
Une aura de tension et de danger flottait sur nous. À proximité, les étudiants
filaient vers leurs cours, mais certains s’arrêtèrent pour assister à la
confrontation.
Personne ne disait rien. Je ne savais plus si je respirais. Sebastian se mit à
rire – du moins il essaya –, mais ça ressemblait plutôt à un cri de colère.
– Bravo, Mason, c’est bien de te planquer derrière moi.
Je me raidis.
Je sentis alors que Mason me glissait quelque chose dans la paume de la
main. Mon téléphone. Je le rangeai dans ma sacoche.
Je perçus la colère qui montait en lui. Il ne montrait rien, mais ses muscles
tendus, durs comme l’acier, en disaient assez. En fait, ils étaient durs comme
l’acier à longueur de temps, depuis son entraînement de cet été, sauf que là, il
irradiait la force ostensiblement.
Avec le monde qui nous entourait maintenant, je me dis que la rivalité entre
lui et Sebastian aurait fait le tour de l’université avant la nuit. Les téléphones se
pointaient sur nous, photographiant, enregistraient. J’espérais juste que Mason
n’allait rien faire de grave maintenant. Ça servirait aussitôt de preuve contre lui.
Logan devait penser la même chose, car il se mit à rire en croisant les bras.
– Non, mais regarde-moi ça, Sebastian ! Tout seul. On a plutôt l’habitude de
te voir avec ta bande, non ?
– Tu es bien placé pour le savoir, rétorqua-t-il. Toujours dans l’ombre de ton
frère. C’est lui le chef. Le génie du foot, tandis que toi… tu es qui, au juste ?
Là, je compris où il voulait en venir.
– Tu n’as pas pu avoir la fi…
– Ça suffit maintenant ! coupai-je.
– Sinon quoi ?
Il avait tapé juste et c’était à moi de l’assumer. Pourtant, je ne savais pas ce
que j’allais pouvoir dire. D’ailleurs la main de Mason venait de se poser sur mon
bras. Et là, je m’aperçus que je l’avais levé, prête à frapper, sans m’en rendre
compte. Cependant, Sebastian l’avait repéré, lui aussi.
– Je devrais sans doute vous plaindre, tous les deux, railla-t-il en me
dévisageant des pieds à la tête. Sauf que vous ne servez à rien. C’est juste Mason
qui compte. Le receveur vedette. Vous deux, vous l’avez juste suivi. Et tout ça
pour quoi ? Pour qu’il vous dise ce qu’il faut faire ou ne pas faire ? Eh bé ! Vous
devez trop vous marrer ensemble.
Je grinçai des dents, mais Mason rétorqua :
– Ça ne marche pas.
– Quoi ?
– On n’est pas normaux, continua-t-il calmement.
Ça ne parut pas plaire à Sebastian qui serrait les lèvres.
– Arrête de les provoquer, poursuivit Mason, pour voir ce qu’ils pourraient
te répondre. Tu ne fais qu’appuyer sur des boutons que d’autres ont sans doute
déjà essayés. Mais c’est faux. Je ne dis jamais à Sam ce qu’elle doit faire. Mon
frère n’est pas jaloux de moi. Tu cherches à provoquer une réaction parce que tu
sais que c’est une faiblesse de la famille. Seulement, tu sous-estimes notre lien.
– Quoi ? Tu veux dire que tu n’es pas un dictateur ? Que tu ne contrôles pas
ta petite amie ?
J’avais envie de me défendre toute seule, mais j’aurais également voulu
défendre Mason. Cependant il m’en empêchait… pour le moment.
Logan se mit à rire, attirant tous les regards sur lui.
– Tu ne retiens jamais les leçons ou quoi ? Tu ne sais rien sur nous ? En fait,
Mason est jaloux de moi, désolé, Sam.
Il me sourit, mais sans entrain. Malgré les apparences, il ne s’amusait pas
vraiment.
– J’adore cette fille. On forme une famille, mais mon frère n’aura plus droit
qu’à son vagin jusqu’à la fin de ses jours.
– Logan ! m’écriai-je. Tu veux me mettre en pétard aussi ?
Il me fit taire d’un geste de la main.
– Tu vois ? reprit-il. Tu l’entends ? Elle est énervée juste parce que je viens
de mentionner son vagin. Je suis sûr que ça t’étonne, Sam, mais tu pourrais
montrer un peu plus de commisération pour Mason, en prison au fond d’une
chatte. Tout le monde sait que vous allez vous marier un jour, et il est dans la
fleur de l’âge. Il devrait s’offrir des petits culs matin, midi et soir, avec quelques
après-midi en rab, si tu vois ce que je veux dire.
– Logan, murmura Mason, viens-en au fait.
– Le fait, c’est la chatte prison. Mon frère a tort, Sebastian.
Celui-ci roula des épaules, apparemment prêt à tout.
– Je ne crois pas que tu sois là pour nous lancer un appât, continua Logan,
voir si on mord à l’hameçon, et trouver notre point faible. Je crois que tu es ici
car tu savais où avait lieu le premier cours de Sam et tu voulais la menacer, peut-
être vérifier si on était dans les parages, tâcher de voir ce qui se passerait ensuite.
Il y a trop de témoins autour de nous. Personne ne peut s’en prendre à toi…
Il s’interrompit un instant.
Sebastian croisa les pieds, mais Logan reprenait déjà :
– Je ne pense pas que tu sois ici dans un but précis. Tu t’es juste montré pour
voir ce qui allait se passer et tout va bien, il ne peut rien t’arriver. C’est sans
doute pour ça que tu es seul. Tu ne voulais pas qu’un de tes gars nous tape
dessus. Pour prendre ta revanche.
Sa revanche ?
Logan haussa les épaules en se rapprochant de lui.
– Tout ce que je sais, c’est que tu as une idée derrière la tête. Mais je
t’avertis. Ne fais surtout pas ça. Barre-toi. Ça pourrait se terminer aujourd’hui,
sinon, si tu fais ce que tu as prévu, ça risque d’aller mal pour toi. Deux mots :
chatte prison. C’est là où tu vas te retrouver – en prison – et tu serviras de chatte
à quelqu’un. C’est la seule fin que je prévois pour toi, sauf si tu m’écoutes en ce
moment et arrêtes ce que tu voulais faire.
Prison…
Un frisson me parcourut. Je n’aurais pas cru que ça pourrait tourner si mal,
mais Logan avait raison. Il y avait bel et bien eu une tentative d’accident avec
délit de fuite, une maison incendiée. Et tout ça n’avait été qu’un début.
Ces merdes avaient bel et bien eu lieu.
Je me rapprochai de Mason qui m’entoura d’un bras. Levant les yeux vers
lui, je vis son regard interrogateur. Est-ce que j’allais bien ? Je fis oui de la tête,
malgré mon cœur qui battait à tout rompre, tandis que la voix de Logan
répétait Prison dans ma tête.
– Parce que tu crois que ça va se terminer ainsi ?
– Voilà deux jours qu’on est arrivés sur ce campus, répondit-il, et on est déjà
tombés deux fois sur toi. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une coïncidence, mais
je te crois assez con pour faire comme si c’en était une.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– Rien. Sache seulement qu’on ne se fait aucune illusion sur ce qui pourrait
arriver et qu’on ne te sous-estime pas le moins du monde. Encore que je sois
d’accord avec mon frère. Je crois que toi, tu nous sous-estimes.
Logan qui se dérobe.
Cette constatation me heurta comme un mur de brique. Et Mason aussi.
Voilà pourquoi sa colère ne le quittait pas. Ils attendaient quelque chose. Je pus
constater que c’était également le cas de Sebastian. Personne ne bougeait plus.
La foule commençait à s’agiter. Tout comme moi, ils guettaient la suite. Sauf
que je savais que ça allait durer toute ma première année et que ça risquait de se
terminer en crise cardiaque.
– D’accord, intervint soudain Summer qui vint se placer entre Logan et
Sebastian. Je ne sais pas trop ce qui se passe ni même qui est ce type. Mais je
peux vous dire qu’il ne va rien se passer du tout. Arrêtez maintenant ! Si vous
continuez vos discussions, ça va finir par péter… enfin…
Elle s’empourpra.
Le Tireur.
La bouche de Sebastian s’étira sur un bref sourire qui disparut aussi vite
qu’il lui était venu. Après tout, c’était ce qu’il voulait, que l’un d’eux l’attaque.
Encore que ce ne pouvait pas être la seule raison. Mason et Logan avaient
raison. Ce serait trop facile. Ça ne ressemblerait pas à un mec comme Park
Sebastian.
Je me sentais de plus en plus mal à l’aise.
Quelque chose n’allait pas.
Quelque chose ne collait pas.
– D’accord, reprit Summer en s’éclaircissant la gorge. Arrête maintenant !
Ils ne vont pas mordre à l’hameçon. Ils ne vont pas se battre avec toi ici.
Elle se tourna vers Mason et Logan :
– Je crois qu’il a capté le message. Vous ne le sous-estimez pas. Compris ?
L’un après l’autre, elle nous interrogea du regard en s’arrêtant sur moi à la
dernière seconde, haussant les sourcils.
– On peut y aller, maintenant ? Jusqu’à la prochaine fois, car il y en aura
une, apparemment. Mais là, je suis en retard pour mon premier cours et j’ai
horreur d’être en retard. Un modèle n’arrive pas en retard à ses photos, c’est bien
ancré dans ma tête, maintenant.
Personne ne dit plus rien. Les garçons ne se quittaient pas des yeux, guettant
la suite. Il allait bien falloir que l’un d’eux attaque ou recule. Je me faufilai
devant Mason.
Personne ne bougea.
Captant mon regard, Summer comprit et en fit autant devant Logan. Je plaçai
les mains sur la poitrine de Mason, sentis son cœur battre et chassai aussitôt la
pointe de désir qui montait en moi. Je commençai à le faire reculer doucement,
le guidai ainsi à travers la foule, vers mon bâtiment.
Summer en fit autant avec Logan, et ils nous suivirent.
Logan ne quittait pourtant pas Sebastian des yeux, mais la pression
s’allégeait.
Mason et Logan finirent par fendre la foule d’eux-mêmes et, bientôt, on ne
vit plus Sebastian. Ce fut là que Logan sourit, passa un bras sur la taille de
Summer et la souleva de terre. Elle poussa un petit cri, davantage de surprise que
de joie, mais, une seconde plus tard, un rire lui échappa tandis que Logan la
jetait sur son épaule.
– Tu m’as bien eu ! s’esclaffa-t-il. Où on va ?
Elle dut se soulever un peu pour le regarder en riant.
– Tu es fou !
– Et dire que tu ne me connais que depuis deux jours !
Il nous fit signe :
– J’emmène cette dame à son cours. Je vais faire tout un binz pour qu’elle
puisse s’y glisser en douce et je présenterai mes excuses à son professeur, puis je
m’en irai pour trouver où a lieu mon propre cours. À plus, les amoureux.
Il s’éloigna, repassa là où avait eu lieu notre confrontation. Dès qu’ils furent
partis, les doigts de Mason enlacèrent les miens. Il m’entraîna vers son bâtiment,
puis dans une salle de classe déserte. Une fois la porte fermée, il soupira :
– Désolé que ça se soit passé comme ça.
Je secouai la tête. Son autre main reposait sur ma hanche, mais je plaquai les
miennes sur sa poitrine, où son cœur battait toujours aussi fort.
– Je ne sais pas trop ce qui s’est passé, ajouta-t-il, mais disons que c’était
inévitable : on devait finir par tomber sur lui. Encore heureux que ça ne soit pas
arrivé dès le premier jour.
Les battements de son cœur ne ralentirent pas pour autant, au contraire.
Entre mes paupières plissées, je vis qu’il ne me regardait pas ; son attention
s’était fixée au-dessus de ma tête, l’air furieux. J’en éprouvai un autre frisson.
Il n’avait pas moufté durant l’échange. Je savais qu’il bouillait de rage, mais
je le croyais un peu calmé. J’avais tort.
– Logan a voulu gagner du temps pour toi, dis-je.
– Comment ça ?
Il ne me regardait toujours pas.
– Tu allais faire quelque chose, non ?
Tout en parlant, je commençais à comprendre. Au courant de ses intentions,
Logan était intervenu pour donner à son frère le temps de se calmer.
– Tu allais le frapper.
Ou pire.
Mason serra les dents et je sentis sa main se crisper sur ma hanche. Ses
doigts s’enfoncèrent dans ma peau.
– En le voyant si près de toi… j’ai paniqué. Sans Logan…
– Mason, dis-je en écartant les doigts sur son cœur.
Je voulais lui donner le courage de se calmer, de redevenir le Mason que je
connaissais, froid et mesuré. Je trouvais inquiétant que Sebastian parvienne si
facilement à l’exaspérer rien qu’en s’approchant de moi.
Il me prit la nuque, m’embrassa sur le front.
– Je t’aime, et ne t’inquiète pas, je vais me reprendre. Va à ton cours. De
toute façon, je crois que la moitié de tes camarades étaient dehors. Tu n’as qu’à
te mêler à elles.
Il me déposa un baiser sur les lèvres.
– À ce soir.
Et il sortit sans me laisser le temps de digérer ses paroles.
Je me retrouvai là, affolée comme je ne l’avais plus été depuis longtemps.
CHAPITRE
10
Mason
Logan m’attendait au pavillon. Dès mon arrivée, je demandai :
– Où est Nate ?
– À son cours. On peut y aller. Sam aussi ?
Je m’assis en face de lui.
– Oui. Elle s’inquiète, mais pas autant qu’elle le devrait.
– J’aime bien sa coloc.
C’était le code pour je vais sauter sa coloc. Je haussai les épaules. Ça
m’avait ennuyé avec Heather, à l’idée que ça puisse blesser Sam. Ce devrait être
encore pire pour la coloc qui vivait avec elle, mais il y avait bien d’autres choses
pires à redouter.
– Il l’attendait.
Logan perdit son sourire.
– Je sais, marmonna-t-il.
Le connard avait voulu la prendre au piège.
– Ça va poser un problème, dis-je.
– Oui, mais je ne sais pas quoi faire d’autre pour le moment. Tu as bien
engagé un mec pour la suivre ?
– Oui.
– Tu as prévenu la fac ?
– Comment ça ?
– C’est quand même un peu relou de voir un garde du corps se balader sur le
campus. Imagine, s’il se fait repérer ?
– Non. Il se fond dans le décor. Ça ne risque rien.
– Ah oui ? dit-il en me frappant sur l’épaule. Quand est-ce que tu me le
présentes ?
– Jamais.
– Quoi ?
– Non. Je me charge de lui. Je veux que Sam et toi profitiez bien de votre
première année. Si j’apprends qu’il se passe quelque chose, je t’avertirai.
D’accord ?
Je le regardai bien dans les yeux pour lui faire comprendre que je ne
plaisantais pas. Logan se rembrunit, mais ne dit rien.
– J’utilise la même agence que papa. Tu sais qu’ils font du bon travail.
– Je trouve ça nul.
– Logan, je prends mes responsabilités.
– Quoi ?
– Oui. C’est moi le grand frère. Et puis, c’est à cause de moi.
Il allait répliquer, l’air de me défier, puis il finit par lever la main, alors je
repris aussitôt :
– Un semestre.
– Quoi ? dit-il en la rabaissant.
– Un semestre. Je me charge de la société de surveillance pendant un
semestre. Après, je te tiens au courant.
Les sourcils froncés, il semblait réfléchir, et puis son expression se détendit.
– Bon. Tout ce que je peux dire, c’est que tu as choisi de vrais pros.
Il se tapa sur le front, avant de se rendre dans la cuisine.
– Un semestre, Mason. Et bravo pour l’initiative. Tu as raison de prévoir
l’avenir. C’est ton boulot. Tu réfléchis. Je parle.
Je l’entendis ouvrir la porte du réfrigérateur.
– Je croyais qu’on avait pour devise, j’attaque et tu parles ?
Il revint s’asseoir avec une bouteille.
– J’aurais dû t’en apporter une, s’excusa-t-il en faisant sauter la capsule.
Mais tu es en plein entraînement. Et puis tu as tort. C’était notre devise, sauf
qu’elle a changé. J’ai ajouté une section hier soir. On attaque tous les deux. On
parle tous les deux. C’est quoi, mon boulot ? Je blague. Tu ne blagues jamais.
Ton humour est nul.
Bon, il y avait plus grave à considérer. J’articulai entre mes dents :
– Rien à branler.
Logan se mit à rire, avala une gorgée de bière.
– Trop content qu’on habite de nouveau sous le même toit. Quoi ? Ne fais
pas ta tête « Grr, je suis Mason. Je te pisse dessus et je te gifle ». Qu’est-ce que
j’ai fait de mal ?
On en avait déjà parlé. Je ne devrais plus rien dire. Bordel. Ça m’obsédait.
– Tu aurais pu être le mec de Sam.
– Oh non ! marmonna-t-il en renversant la tête en arrière. Tu ne vas pas
recommencer !
– On n’en a parlé qu’une fois.
– Ouais. Et après tu m’as boxé. Merci, au fait.
– De rien, dis-je avec un sourire.
Il se mit à grommeler :
– Tu es le soleil et la lune pour elle. Moi, je n’aurais été qu’un putain de
lustre. Voilà tout.
– C’est joli, un lustre.
– J’ai dit ça l’année dernière pour te donner un autre point de vue. Je suis
comme un lustre. Tu représentes son soleil. Question de perspective, crétin.
– Je sais, crétin. Le soleil et la lune sont à tout le monde, les lustres, c’est
bien dans les magazines. Les gens s’extasient dessus.
Je me sentis beaucoup mieux une fois que j’eus prononcé ces paroles.
L’important, c’était d’avoir abordé le sujet. Ça mettait Logan mal à l’aise, mais
moi, ça me libérait.
– Tu es jaloux, lâcha-t-il.
– Pas de Sam. On est sur un autre niveau. Tu le sauras quand tu rencontreras
ta moitié, et je serai ravi de te taquiner à ce moment-là, mais, en attendant…
Je me penchai pour lui frapper le bras, renversant sa bière. Il se leva en
jurant, tandis que je poursuivais :
– Allez, on va faire un tour. Je voudrais savoir où habite Sebastian.
Mais, en sortant, on trouva Drew et Nick, un arrière, qui sortaient du
pavillon de l’équipe en faisant une sale tête.
– Qu’est-ce qu’il y a ? demandai-je.
– La sécurité du campus, dit Drew en me tendant son téléphone. Ils viennent
de trouver Nate dans un parking.
Je pris l’appareil, la gorge serrée par la sourde rage qui montait en moi, mais
il fallait que je la domine. Une vibration me parvint à l’oreille.
– Trouver ? répétai-je.
– Comment ça, trouver ? ajouta Logan.
Drew baissa la tête.
– Désolé, Mase. Ils l’ont tabassé.
Samantha
Mon premier jour à l’université avait consisté à me cacher de deux de mes
camarades d’étage, avant de me retrouver mêlée à une confrontation publique
qui aurait pu tourner à la bagarre ; et, maintenant, je me demandais où était passé
mon copain. Il était presque minuit. J’étais arrivée angoissée à mes cours mais,
comme ils avaient pour la plupart tourné à une aimable conférence, je m’étais
vite décontractée. Un seul professeur nous avait priés de nous répartir en
plusieurs groupes pour lire un article, puis en discuter.
Mason avait dit qu’il appellerait. Mais il n’en fit rien.
Je ne connaissais pas trop son programme de football, aussi, lorsque
Summer partit dîner accompagnée de quelques filles de l’étage, je me mêlai à
elles. Après quoi, Kitty et Nina voulurent s’installer dans notre chambre. Elles
avaient apporté des films et du pop-corn. Summer, qui faisait désormais partie
des assistantes de Ruby, les envoya chez celle-ci sous prétexte qu’elle avait un
écran plus grand. Au bout d’une demi-heure, je m’éclipsai pour aller passer ma
tenue de running.
Une fois dehors, j’hésitai.
J’allais courir seule.
Je ne connaissais pas les pistes sûres.
Il faisait déjà nuit.
Pourtant, il fallait que je coure. J’en avais tellement besoin que c’en devenait
douloureux.
– Tu prends une pause ?
Summer me décocha un sourire. Elle était descendue derrière moi. Elle se
gratta la tête, poussa un soupir en examinant le hall d’entrée.
– Ça fait drôle de le voir presque désert.
En fait, deux autres filles s’y trouvaient. Une au téléphone qui nous jeta un
regard mauvais, comme si on parlait trop fort ; elle se remit aussitôt à taper ses
SMS en se tassant sur son siège. L’autre, plongée dans un bouquin, ne bougea
pas de sa place contre le mur.
Je pointai les pieds en arrière pour m’étirer un peu.
– Kitty m’agaçait, elle n’arrêtait pas de me regarder en souriant. Je me
sentais comme une souris devant un chat.
– Houlà ! Ça fait peur !
– Alors, tu comprends pourquoi j’ai besoin d’aller courir.
Autour de nous, on entendit monter quelques murmures à l’ouverture d’une
porte. Je me sentais un peu paumée, à trois heures de mes pistes de Fallen Crest.
– Enfin, je ne devrais peut-être pas partir seule.
– Tu as besoin de compagnie ?
– Sinon, ce ne serait pas prudent.
– Ah tiens ! J’ai discuté avec un mec tout à l’heure. Je crois que j’ai une
solution pour toi.
– Un mec ?
Elle leva un doigt en riant :
– Une minute. Je vais chercher un truc. J’arrive.
J’en profitai pour vérifier mon téléphone. Toujours pas d’appel ni de texto
de Mason. Je parcourus les six messages que je venais de lui envoyer. Où était-
il ? Allait-il bien ? Pourquoi ne répondait-il pas ? Fallait-il que je m’inquiète ?
Il m’avait envoyé un texto cinq heures auparavant, disant : Je vais bien. On
se parle ce soir ou demain. Je t’aime.
En principe, ça aurait dû suffire à me rassurer. Je n’allais pas appeler les
secours pour déclarer une personne disparue, mais Mason m’avait écrit et, à
cause de ça, je n’avais parlé ni à Logan ni à Nate. Mason allait revenir vers moi.
Je le savais. On avait affronté assez de batailles ensemble, il irait jusqu’au bout,
pourtant… il fallait que je sache maintenant.
Ou que je coure maintenant.
Rien d’autre n’aurait su m’apaiser.
Summer finit par reparaître, armée d’un sac à dos et d’un trousseau de clés,
qu’elle agita devant moi :
– Viens. On a rendez-vous avec quelqu’un.
– On va où ?
Sans répondre, elle me prit par le bras et m’entraîna vers le parking. Puis on
monta dans sa voiture. Elle contourna le campus et, peu après, se gara non loin
du gymnase.
– Qu’est-ce qu’on fait ? demandai-je.
Summer sourit en m’entraînant vers une porte latérale.
– T’inquiète. Détends-toi. Fais-moi confiance.
– Pas mon fort… grommelai-je.
Elle frappa une fois, marqua une pause, frappa de nouveau, deux coups cette
fois. La porte s’ouvrit. Un grand gaillard en sweat-shirt Cain U se tenait derrière,
les cheveux en bataille, en train de se frotter les yeux. On se glissa à l’intérieur.
Je ne savais pas quoi dire, mais elle paraissait bien le connaître car elle lui
toucha la poitrine en souriant.
– Merci, Dex.
– Ouais.
Il lâcha la porte, mais la rattrapa à la dernière seconde pour qu’elle ne claque
pas. Puis il repassa devant et nous fit signe de le suivre.
On se retrouvait dans une galerie du stade de foot où Mason s’entraînait ;
avec tous ces couloirs obscurs, on se serait cru dans un véritable labyrinthe. Et
puis on déboucha dans une salle ouverte.
– Attendez un instant, nous ordonna Dex.
Il nous laissa là et le silence retomba. Je saisis le bras de Summer en
chuchotant :
– S’il nous tue, je ne te lâcherai pas les fesses.
– Tranquille, dit-elle en riant.
Elle me tapota la main, mais j’écrasai la sienne.
– Comme je t’ai dit, répétai-je, ce n’est pas mon fort.
– Quoi ?
– De faire confiance.
– Ah ! Essaie quand même quelques secondes, parce que…
À cet instant, les lumières inondèrent une immense piste de course
intérieure. Je n’écoutai plus rien, écarquillai les yeux, la bouche sèche, l’air sans
doute complètement idiote, mais peu importait. Je me retrouvais devant ma
propre piste d’entraînement. Enfin, pas tout à fait, mais c’était pour ça que
Summer m’avait amenée ici.
J’étais écœurée.
– Tu rigoles ?
– Non. Tu veux courir en sécurité ? Alors, vas-y.
Dex revenait. Il avait l’air un peu plus réveillé qu’à notre arrivée. Il se frotta
la mâchoire.
– Summer a dit que vous aimiez courir. Profitez-en.
– Je ne vais pas faire la fine bouche, dis-je en levant les bras. Merci.
La piste était plus grande que celle des salles habituelles. Je la mesurai du
regard, calculai que deux tours feraient un kilomètre cinq. Je courrais aussi
longtemps que mes jambes me porteraient.
Summer me montra la ligne de départ.
– Vas-y, dit-elle en sortant un livre de son sac.
Elle alla s’installer sur une chaise et m’expliqua :
– Je reste là, tu fais ce que tu as à faire, et moi je me gave de romans
d’amour.
– Bon, dit Dex en levant un bras, je retourne au lit. Demain, j’ai
entraînement à l’aube. Alors, pas de bruit et vous éteindrez en partant, toujours
par la porte latérale. Elle se refermera derrière vous.
Entraînement ? Je demandai à Summer :
– Il fait partie de l’équipe de foot ?
Elle hocha la tête, l’air soudain sur ses gardes.
– J’aurais dû lui dire qui tu étais ?
Autrement dit avec qui je couchais…
– J’en parlerai à Mason demain.
Lorsqu’il se déciderait enfin à me téléphoner.
– Comment tu as fait ? demandai-je.
Elle ouvrit son livre en me faisant un clin d’œil.
– Je suis modèle, mais ça n’empêche parfois pas les mecs de me draguer. En
général, je ne cède pas, mais Dex ça va. Bon, il veut juste me sauter, je le sais.
Mais il n’insiste pas lourdement comme les autres. Alors, qui sait ? Un jour,
peut-être, j’accepterai. Allez, maintenant, lance-toi, coloc. J’ai de quoi
m’occuper tout le temps de ta course.
Ça prendrait une heure, peut-être deux.
– Ça pourrait être plus long que tu ne crois…
– Attends, je t’explique : je n’ai rien de mieux à faire ces deux prochaines
heures. En fait, il me faut ce temps-là pour me taper ce livre. Si tu as terminé
dans une demi-heure, ça ne m’ira pas du tout.
Je me détendis, sentis mon esprit se concentrer sur la course. Mes écouteurs
étaient branchés, ma musique programmée, prête à démarrer, mon téléphone
accroché à mon bras, ma coloc oubliée. Tout passa au second plan, l’endroit où
je me trouvais, l’heure qu’il était, l’absence de nouvelles de Mason. Balayé.
Oublié.
Il ne restait que la piste et moi.
Je m’étirai, puis commençai tranquillement. J’avais envie de fermer les yeux
et juste courir, mais je ne pouvais pas. Il fallait que je regarde où j’allais. Au
moins, je n’avais pas besoin de m’inquiéter des voitures ou des piétons, mais
n’importe quoi pouvait traîner sur la piste, et puis je devais prendre mes repères.
Au cinquième tour, je me sentais déjà beaucoup plus à l’aise. Mon corps se
détendait, bien tiède. Il était temps de passer aux choses sérieuses.
La basse dans mes oreilles se mêla de l’affaire et je me mis à courir en
rythme ; bientôt, je devins la musique et continuai à battre le sol.
Je ne courais pas pour oublier quelque chose. Pas de mère dans les parages,
pas d’ennemies de l’Academy. Pas d’ennemis de Fallen Crest Public.
Aucune relation qui me pose un problème.
Ma mère se faisait soigner. David avait épousé Malinda. J’avais passé des
vacances avec Garrett, mon père biologique. Il ne restait que Sebastian mais, en
ce moment, je faisais ce que je réussissais le mieux et me sentis envahie de
plaisir. Mason et Logan allaient finir par s’occuper de Sebastian, comme ils
s’étaient toujours occupés de tout le reste. Ils n’en souffriraient pas. Tout se
passerait bien.
Je le sentais au plus profond de moi et, maintenant que j’attaquais mon
dixième tour, je me sentais de plus en plus forte.
Au vingtième, j’éteignis tout.
Je courais parce que c’était dans ma nature. Mes jambes allaient de l’avant
parce qu’elles étaient faites pour ça. Mes bras m’aidaient à mieux respirer, ma
poitrine restait ferme, mes poumons fonctionnaient toujours. L’air entrait et
ressortait.
Je planais.
J’ignorais combien de temps avait passé. Il fallut que je voie Summer agiter
les bras pour ralentir. Elle attendait que je vienne m’arrêter devant elle.
En ôtant mes écouteurs, je ressentis mes pulsations et me mis
instinctivement à compter.
– Qu’est-ce qui se passe ?
– Rien, dit-elle, l’air abasourdie. Tu ne mentais pas quand tu disais avoir
besoin de courir. Voilà deux heures que tu y es.
Deux heures ? J’avais cessé de noter mes tours.
– Tu as l’air déçue.
– Je ne me rendais pas compte.
– Tu as parcouru un sacré chemin. Tu veux savoir ?
Je me penchai pour commencer mes mouvements d’étirement. Je ne savais
pas trop.
– Je n’ai pas encore vu mon entraîneur.
– Ah, d’accord.
Je changeai de jambe pour étendre l’autre et, en tournant la tête, je voyais
Summer.
– Le dernier que j’avais voulait que j’enregistre tout.
– Attends, dit-elle en levant la main. Tu dis ça comme si tu pouvais encore
continuer ?
Je le pouvais. J’avais déjà couru plus longtemps que ça, mais deux heures,
c’était actuellement ma durée maximale. Je ne l’avais pas dépassée depuis un
moment.
– Je t’avais prévenue, dis-je seulement.
– Oui, s’esclaffa-t-elle, mais j’avais une bonne raison pour t’arrêter. Dex
vient de m’envoyer un texto. Il s’est rappelé que la sécurité passait ici deux fois
par nuit. Ils devraient revenir dans une demi-heure.
Mon talon dans les mains, le front sur le genou, je me mis à rouspéter. Elle
avait raison. Il fallait qu’on s’en aille, mais, bon sang, j’avais achevé mon
dernier étirement en me disant que je ne m’étais pas sentie si vivante depuis
longtemps. Mason et la course – rien d’autre ne pouvait me mettre dans un tel
état.
J’attrapai mes écouteurs.
– Bon, je finirai dans la chambre. On n’a qu’à y aller.
– Tu es sûre ?
– On risque d’en avoir pour un certain temps avec tous ces couloirs, on
pourrait se perdre.
Summer sourit et brandit de nouveau son téléphone.
– Il m’a envoyé un plan. D’accord. Attends. Courage, je vais éteindre les
lumières. Surtout ne pars pas sans moi.
Comme si la question se posait.
Elle éteignit et me cria à travers la salle :
– Bon, tu es futée. Ça va prendre plus de temps que prévu. En principe, j’ai
très peur du noir.
Tout en continuant de parler, de plus en plus fort, elle revenait peu à peu
vers moi.
– Je vais pisser dans mon froc. Et je ne regarderai plus jamais de film
d’horreur. Même pas Supernatural. Mon Dieu…
Sa voix se mit à trembler. Je l’interrompis :
– Reviens par ici. J’ai l’impression que tu dévies à gauche.
– Oh ! Et là, c’est mieux ?
– Continue de parler.
– Pas de problème, dit-elle avec un rire nerveux. Si quelqu’un nous observe
avec des lunettes de vision nocturne, il doit bien se ficher de moi. Je marche les
bras devant moi pour ne pas heurter quelque chose au passage. Et je balade mon
téléphone mais, pour le moment, la lumière ne me sert à rien.
Elle s’approchait et je distinguai la lueur de son écran.
– Je te vois. Continue par ici.
– C’était ce qu’il disait…
Je souris, essuyai quelques gouttes de sueur sur mon front.
– Ce n’est pas le moment, peut-être, de te demander si tu as deux
téléphones ?
La lumière s’arrêta.
– Pourquoi ? demanda Summer d’une voix hésitante.
– Parce que je vois deux lumières. Tu en agites une autre derrière toi, aussi ?
La sienne s’éteignit.
– Arrête tes plaisanteries. Je sais où tu dors.
Je m’empêchai de rire, m’éclaircis la gorge et parvins à dire d’une voix
calme :
– Il y a une lumière derrière toi.
Elle poussa un cri. Son écran zigzagua, comme s’il heurtait quelqu’un.
Elle poursuivit son chemin en hurlant :
– Je ne vois personne.
Je ne dis rien.
– Sam ! lança-t-elle, paniquée.
Je ne dis toujours rien.
– Oh mon Dieu !
Ses pas s’accélérèrent soudain, elle courait vers moi, maintenant.
Son téléphone s’agrandissait. Et elle se retrouva tout près de moi. Elle me
saisit le bras et, comme auparavant, m’entraîna derrière elle. On courait
ensemble à travers les couloirs.
– Oh mon Dieu ! Oh mon Dieu ! répétait-elle en essayant de lire les
indications de Dex sur son téléphone.
– Là, on tourne à gauche. Maintenant à droite. Oh mon Dieu ! Oh mon
Dieu !
Il n’y avait personne, mais sa peur devenait contagieuse. J’insistai pour que
Summer accélère le pas. On passa la porte en trombe et je vérifiai qu’elle se
refermait bien derrière nous. Quant à Summer, elle fonçait vers sa voiture.
Une fois à l’intérieur, elle s’aperçut que j’étais encore au gymnase et frappa
sur le toit.
– Qu’est-ce que tu fais ? Viens vite.
Je n’en pouvais plus. Le sang bouillonnant d’adrénaline, autant à cause de
ma course que de la terreur de Summer, je me pliai en deux pour mieux rire à
mon aise.
– Que…
Elle s’interrompit.
Merde. Il fallait tout de même qu’elle me ramène. Je la rejoignis en essayant
d’étouffer mon rire. Elle me jeta un regard noir, ses clés vibraient dans ses
mains.
– Ne me dis pas que tu m’as joué un tour.
Je m’assis, claquai ma portière. Elle n’allait pas me jeter dehors non plus. À
tout hasard, je vérifiai que ma ceinture était bien fixée et m’y accrochai comme
si j’allais affronter une tornade.
J’attendis qu’elle en fasse autant avant de laisser tomber, un ton plus bas :
– J’ai peut-être menti…
Elle retenait son souffle tandis que j’achevais :
– Pour la deuxième lumière.
Elle ne dit rien. Puis ses cris explosèrent d’un coup :
– Et moi, j’ai vraiment pissé dans mon froc ! Qu’est-ce qui t’a pris ? Oh mon
Dieu !
Je la laissai crier, le temps d’assouvir son hystérie, après quoi elle démarra et
sortit du parking.
On est juste à deux pâtés de maisons, me dis-je. On peut parcourir deux
pâtés de maisons.
Et Summer qui poursuivait ses diatribes :
– Je vais te pourrir la vie. Tu te prendras des seaux d’eau au moment où tu
t’y attendras le moins. Ton café sera toujours froid. Et ton shampooing… tu
ferais mieux de cacher ton shampooing ailleurs, sinon j’y verserai de la teinture.
Elle éclata d’un rire amer en se garant devant notre bâtiment.
– Tu vas me le payer cher, Samantha.
On sortit et elle ne dit plus rien. Alors, je me risquai :
– Je ne sais pas ce qui m’a pris. J’ai voulu faire mon Logan. Désolée. Je
n’imaginais pas à quel point ça te ferait peur.
Ses épaules s’abaissèrent et un petit rire lui échappa. Elle secoua la tête, se
remit à rire, encore plus fort, mais me jeta un regard mauvais en arrivant devant
notre résidence.
– Bon ! Je suis calme, maintenant. Je déteste avoir peur. J’ai complètement
horreur de ça. Mes copains m’en ont trop fait voir.
Je n’osai pas pouffer de rire. Dans l’escalier, elle me fit passer devant.
– Vas-y. Lâche-toi. J’ai dû trop dramatiser.
– Tu crois ?
Elle rit encore, se relâcha.
– Je savais qu’il n’y avait pas de deuxième lumière. Je la cherchais sans la
voir, mais elle était déjà dans ma tête. Tu te rends compte, s’il y avait bien eu
quelqu’un derrière nous ? S’ils me suivaient ? Ils auraient pu me tuer. Personne
ne l’aurait su, et ils t’auraient eue toi aussi. D’accord, je me laisse emporter par
mon imagination.
Parvenue en haut de l’escalier, je murmurai :
– Je ne te ferai plus jamais de farce.
– C’est ma faute. Je sais que c’était une farce… enfin, je crois que je le
savais. J’ai complètement déraillé, mais… je n’ai plus qu’à échafauder ma
revanche.
Je m’apprêtais à répondre mais, comme on arrivait en vue de notre chambre,
je restai coite.
Mason était assis par terre devant la porte.
Il m’attendait et, à en juger par son expression, ça le mettait hors de lui.
CHAPITRE
11
Mason
Elle riait avec sa coloc. Je les entendais depuis l’escalier.
Elle pouvait m’en vouloir. Je l’avais laissée tomber. Elle n’était pas au
courant pour Nate ni que nous avions passé six heures à l’hôpital avec lui, pour
attendre les résultats des analyses avant qu’on nous laisse l’emmener. Ils
l’auraient bien gardé en observation, mais le dernier lit disponible avait été
attribué à un patient victime d’une crise cardiaque. C’était du moins ce que nous
avait expliqué l’infirmière en autorisant Nate à rentrer avec nous. On nous
expliqua ce qu’il faudrait vérifier, à commencer par sa respiration, la pâleur de
son teint, son pouls toutes les heures et plusieurs autres choses que Logan nota.
Aussitôt que je le pus, je filai à la résidence de Sam. Elle n’avait pas répondu à
mes appels et, en la voyant déboucher dans le couloir, je compris pourquoi.
Je me levai, mais elles se turent.
– Tu as couru.
Elle ne répondit pas, l’air inquiète. Elle comprit tout de suite que quelque
chose n’allait pas et je n’allais pas lui mentir, mais je ne pouvais pas non plus lui
raconter pour Nate. Elle s’affolerait et les cernes que je venais de voir apparaître
sous ses yeux y resteraient en permanence.
Elle ébaucha un début de phrase, s’interrompit en jetant un coup d’œil vers
sa coloc. Celle-ci me fixait avec une attention avide. Sam s’éclaircit la gorge.
– Oh ! lança la coloc. Pardon, je…
Elle voulut enfiler sa clé dans la serrure, mais laissa tomber le trousseau par
terre, le ramassa en jurant, essaya de nouveau d’ouvrir, se trompant de clé deux
fois avant de trouver la bonne.
– Pardon, dit-elle en ouvrant. Je vais… je rentre…
Elle s’arrêta sur le seuil en nous regardant tous les deux.
– Oh, oui, d’accord. Salut !
Elle entra, claqua la porte derrière elle.
Sam paraissait contrariée.
La porte se rouvrit et la tête de la coloc apparut dans l’embrasure, se
mordant une lèvre.
– Encore pardon, ça m’avait glissé des mains. Bon, d’accord… Salut. Prenez
tout votre temps. Je me couche.
Sam eut tôt fait de me plaquer contre le mur, et je la hissai contre ma
poitrine, lorsque la porte se rouvrit sur la coloc armée d’un panier de douche.
– Désolée.
Elle passa devant nous, la tête basse, regardant ailleurs.
– Il faut que j’aille aux toilettes, et ensuite je me couche. Pour de bon.
Prenez votre temps.
Je sentis Sam pouffer de rire, mais elle ne répondit pas. On attendit de voir la
coloc entrer dans les toilettes.
– On devrait peut-être chercher un endroit plus discret ? chuchota Sam.
Je la laissai me guider mais, comme on arrivait en vue du parking, je lui pris
la main en lui montrant le sous-sol.
– Il y a des pièces en bas, n’est-ce pas ?
– Oui, une salle d’ordis, la salle de cinéma et la cuisine. Et puis aussi un petit
salon…
– Très bien.
– Mais…
Comme elle semblait un peu perdue, j’entremêlai mes doigts avec les siens
en imaginant la suite. Entrer immédiatement en elle. Un paradis… Je pourrais
oublier Sebastian, comment il s’en était pris à Nate. Toute cette merde pourrait
disparaître. Mais ce ne serait pas correct d’en parler à Sam. Elle méritait des
choses plus normales, comme de passer du temps avec moi dans sa chambre, rire
avec sa coloc. Elle serait entraînée dans notre guerre, je savais que c’était
inévitable, mais je voulais un peu plus de temps. C’était tout ce que je cherchais.
J’essayais de gagner du temps.
Elle était heureuse.
Il ne fallait pas que ça s’arrête à cause de moi.
Il n’y avait personne dans le petit salon. J’allais y entrer quand je vis Sam
vérifier la salle de cinéma.
– Mason ! lança-t-elle en y entrant. Ce sera plus discret ici.
Un grand écran couvrait le mur du fond, face à des rangées de larges
fauteuils en velours. Derrière s’alignaient plusieurs canapés et la porte latérale
s’ouvrait sur la cuisine.
On s’installa sur un divan, mais Sam voulut d’abord éteindre dans la cuisine.
Il restait encore un peu de lumière du couloir qui passait sous les portes.
Et Sam qui revenait, sûre d’elle, confiante.
Quand je pensais à son attitude à l’époque où elle vivait avec Ann-Lise…
elle avait alors tout perdu, plus rien ne l’intéressait, et elle se conduisait comme
une vraie rebelle qui envoyait tout balader et ne s’intéressait à rien. Logan et moi
l’avions prise avec nous et là, très vite, elle avait eu quelque chose à perdre :
moi. Elle avait peur. Maltraitée par les filles, harcelée par sa propre mère, elle
avait encore trouvé le moyen de réagir. Elle s’était frayé un chemin tout en nous
aimant et en nous protégeant, Logan et moi.
Putain ! J’avais trop envie de l’installer sur moi. Je voulais me perdre en
elle.
Elle vint me rejoindre, un sourire coquin aux lèvres, et s’assit exactement où
je l’espérais, là où elle n’aurait peut-être pas dû. Mes mains se posèrent sur ses
hanches alors qu’elle m’enfourchait, elle m’entoura le cou de ses bras, posa son
front sur le mien.
Sans se départir de son sourire, elle me taquina :
– Pourquoi ai-je l’impression qu’on est au lycée et que je ne veux pas que
ma mère nous surprenne en train de nous envoyer en l’air au sous-sol ?
Merde, j’aime trop cette femme.
Un rire tendre et indolent lui échappa des lèvres. J’attendis qu’elle les pose
sur les miennes, mais elle n’en fit rien.
Elle demeurait toute droite et me dévisageait.
– Qu’est-ce qui s’est passé aujourd’hui ?
Je n’allais pas lui dire ça. Plus tard. J’avais besoin d’un peu de temps.
– Logan nous a emmenés loin d’ici. Il avait entendu parler d’un parc ou je ne
sais quoi, mais on s’est perdus et nos téléphones ne captaient plus. Désolé.
Je lui pris le visage entre les mains, lui caressai les joues, descendis vers la
pointe de ses lèvres. J’avais trop envie de l’embrasser… et d’autre chose aussi.
En fait, j’en avais constamment envie. La femme que j’aimais me faisait bander
en permanence.
– Logan vous a emmenés dans un parc ?
– Du moins, c’était ce qu’il voulait faire.
Les mensonges me venaient si facilement. Je souris tout en me traitant
intérieurement de con.
– On ne l’a jamais trouvé. Pourtant, il paraît qu’on y aurait vu des chutes ou
je ne sais quoi.
– Oh !
Ses mains retombèrent sur les bords de ma chemise. Elle jouait avec, me
passait le dos de la main sur le ventre.
Elle allait me rendre fou. Je ferais mieux d’arrêter ces mouvements, pourtant
je n’en fis rien. J’allais en enfer et on risquait de passer à l’acte dans les trois
minutes si elle n’arrêtait pas tout de suite.
– Tu es allée courir avec ta coloc ?
– Non, moi j’ai couru. Elle, elle lisait.
– Attends, quoi ?
Un rire rauque lui échappa.
– J’ai couru sur la piste pendant qu’elle lisait dans un fauteuil.
– La piste ? Celle du gymnase ?
– Oui. Un mec nous a fait entrer, mais il ne faut pas le dire. J’ai envie de
recommencer. J’ai besoin d’un endroit pour courir. Enfin, quelque part où je ne
risque pas ma vie.
Elle venait de passer deux bonnes heures dans un bâtiment extérieur, et le
garde ne m’en avait rien dit. J’allais l’appeler dès que je m’en irais d’ici – ou,
mieux, j’allais le trouver. Lui ou son remplaçant ne pouvaient pas se mettre en
congé tant que Sam ne se retrouvait pas à dormir dans son propre lit.
– Sam, dis-je en lui soulevant le menton, ne va jamais courir seule la nuit.
– Je sais, j’étais avec Summer.
– Bon, mais si elle ne peut pas t’accompagner, n’y va pas. Sérieux. Ou
appelle-moi. Moi aussi, je peux te faire entrer dans le gymnase. J’ai les clés.
Comme tous les gens du foot. On y a accès vingt-quatre heures sur vingt-quatre
pour l’entraînement.
– C’est vrai ?
Je hochai la tête. En fait, elle avait raison, il lui fallait un endroit pour courir.
J’aurais dû y songer plus tôt.
– Mason ?
– Hein… ?
Passant une main dans mes cheveux, elle m’attira vers elle.
– Tu vas m’embrasser, oui ou merde ?
Je ne demandais pas mieux. La saisissant par la nuque, je me penchai vers
elle pour m’emparer de ses lèvres. Tant pis pour la résidence. Je commençais à
la rouler sous moi quand elle me frappa l’épaule et se dressa.
Elle avait les joues rouges, les pupilles dilatées.
– Ici ?
Elle était à moi.
– Quoi ?
Un sourd grondement monta en moi. Je la désirais. Je voulais prendre ce qui
me revenait…
Bon sang. Sous-sol. Sous-sol.
On se trouvait dans ce putain de sous-sol. Où vivaient ses camarades de
cours, sa conseillère de résidence.
Le grognement m’échappa et je m’avisai soudain qu’il pouvait bien y avoir
des caméras. Regardant autour de moi, je n’aperçus aucune lumière clignotante,
mais je n’aurais pu jurer qu’il n’y en avait pas.
Cependant…
Ma main s’attardait sur sa nuque, lui caressait la peau.
– Je n’ai qu’à coincer la porte avec un canapé, dis-je. Comme ça, personne
ne pourra entrer.
– Dans ce cas, on ferait mieux d’aller chez toi.
Elle se rassit sur moi, ses mains se glissèrent sous ma chemise et
remontèrent. Je fermai les yeux pour mieux me régaler d’elle. Elle était là, avec
moi. Je n’avais aucune raison de me sentir jaloux, ou menacé, mais j’aimais tant
l’entendre répéter qu’elle m’aimait. J’aimais pouvoir lui passer la main sous le
bras, percevoir ses soupirs à cette sensation, comme en ce moment. J’aimais
passer les doigts sur les bords de sa culotte, tout comme elle me touchait, sentir
son corps se mettre à trembler. J’adorais cela. Je l’allongeai sur les coussins, me
posai sur elle pour empêcher quiconque de la voir, puis je glissai la main sous
son ventre, l’infiltrai sur sa fente ; aussitôt, elle se cambra, vive comme jamais.
Elle rouvrit les yeux, les paupières lourdes de désir. Je souris. Mon corps
voulait se répandre en elle, mais je le retenais encore, commençant par
embrasser Sam dans le cou tandis qu’elle respirait doucement, profondément.
Puis je descendis le long de sa poitrine, vers son ventre, avant de déposer un
dernier baiser sur son nombril. J’aurais volontiers passé ma vie à la faire ainsi
frémir et frissonner dans mes bras. Après tout, c’était mon boulot, la rendre
heureuse, la faire jouir, lui faire ressentir ce que tant de gens ne pouvaient
seulement pas imaginer.
Je fermai les yeux pour m’obliger à m’arrêter. J’aurais voulu continuer, mais
posai juste mon front sur son ventre.
Percevant le combat qui m’habitait, elle se détendit, passa une main dans
mes cheveux, la laissa glisser dans mon cou, et ses ongles me grattèrent le crâne.
C’était mon point sensible. Ce genre de geste pouvait me tenir en place pendant
des heures. Elle avait ce pouvoir, cette faculté sur moi.
Je relevai la tête, et l’épuisement de cette journée finit par me gagner.
J’aurais pu rester là toute la nuit, sur elle, m’assoupir jusqu’au matin. J’essayai
juste de me raisonner, tandis que ses ongles couraient encore dans ma nuque.
Je me laissai tomber sur elle et elle m’accueillit, remuant juste ce qu’il fallait
pour pouvoir me retenir confortablement. Je glissai sur le côté, une jambe et un
bras sur elle. Ma tête se posa au creux de son cou tandis qu’elle continuait à me
gratter la peau… jusqu’à ce que je m’endorme.

*
* *
– Psst, psst…
Une fille était penchée sur moi, un doigt sur la bouche ; elle se tordit les
mains, grinça des dents.
– Euh…
Je sursautai, atterris debout devant elle. C’était la coloc de Sam. Je ne
m’attendais pas à voir cette fille, encore moins à ce qu’elle nous réveille.
– Putain de merde ! s’exclama-t-elle, surprise par ma réaction.
Elle recula, mais resta dans la pièce.
– Fiche le camp ! lui intimai-je.
– Euh…
Un ronflement s’éleva derrière moi. Blottie sur le canapé, les genoux repliés
sur la poitrine, Sam dormait encore. Je me demandai comment elle pouvait tenir
ainsi. Elle pouvait s’assoupir quand elle voulait, où elle voulait.
Où elle voulait…
Ces canapés, pourtant… J’inspectai la pièce et me rappelai qu’on était dans
le sous-sol de sa résidence.
– Merde !
– Quoi ? Hein ?
Elle s’éveilla d’un coup, se redressa, passa la main sur sa tête, cligna des
yeux, nous regardant l’un et l’autre, puis laissa retomber sa main sur le côté.
– Summer ?
– Oui. Salut !
La coloc se rapprocha de quelques pas en me jetant des coups d’œil inquiets.
– Euh, on m’a réveillée ce matin. Ruby est descendue à la cuisine pour y
chercher du café. Elle vous a vus tous les deux et m’a dit que je devrais venir
vérifier si tout allait bien. Alors me voilà. Je vérifie. Bon, c’est fait.
Là-dessus, elle se dirigea vers la porte à reculons, mais son regard virait sur
Sam puis revenait vers moi. Elle s’arrêta juste avant que son dos ne heurte la
porte, et ses mains effectuèrent un autre mouvement abrupt. Comme si elle
n’arrivait pas à nous adresser un signe.
– Bon… d’accord. Alors, si vous voulez vous retrouver quelque part…
Cette dernière phrase s’adressait à moi, même si Summer ne me regardait
pas. Elle avait baissé la tête et tapait du pied.
Je crus entendre Logan rire dans ma tête. Mec, tu as brisé le modèle. Tu lui
as arraché sa combativité. Tu es trop doué.
En me passant une main sur le visage, je sentis ma barbe naissante. Merde.
Merde. Merde. Il fallait que j’y aille. J’effleurai l’épaule de Sam, me penchai
pour l’embrasser et lui murmurai :
– Je dois courir ce matin. Je t’aime.
Elle fit oui de la tête, me posa la main sur le crâne, recula pour pouvoir
m’embrasser à son tour.
– Je t’aime. À plus.
– Euh…
La coloc ouvrit une porte et la bloqua du dos tout en attendant qu’on ait fini.
Elle avait croisé un bras sur sa poitrine, comme si elle se cramponnait à la vie.
Je n’avais pas de temps pour elle. Je touchai une dernière fois la main de
Sam, et puis sortis. Il était sept heures. J’avais une heure de retard pour ma
course avec Drew. Merde.
Je l’appelai de ma voiture et démarrai aussitôt. Il ne répondit qu’à la
deuxième sonnerie.
– Merde, Kade. Qu’est-ce que tu fous ?
– J’arrive.
– Putain. On a fini avec les mecs. On va prendre le petit déjeuner, là.
Je laissai échapper un soupir rageur. Pour un peu j’aurais balancé mon
volant sur la première voiture qui me croisait.
– Hé ! reprit Drew, ne t’emballe pas. C’est toi qui voulais courir et tu n’es
pas venu.
– Je sais. Il s’est passé quelque chose.
– Ah bon ?
Il parut se calmer aussitôt. Ce ne fut pas mon cas. Je pris un virage un peu
trop brusque, me forçai à me calmer. Je n’avais rien contre Drew. J’étais furieux
à cause de Nate, furieux de devoir quitter Sam – non, furieux de lui avoir menti.
– Bon, tant pis, je vais courir seul.
– Tu as besoin de quelqu’un pour mesurer tes temps.
– Je verrai avec mon frère.
– D’accord.
Tout d’un coup, Drew paraissait content. Trop content pour être honnête.
Bon, tant pis.
Alors que je me garais devant notre pavillon, je vis Drew sortir de celui du
football, son téléphone à l’oreille. Il m’aperçut, m’adressa un signe, vint dans ma
direction.
– Hé ! Si tu veux, on t’attend. Tu n’as qu’à manger avec nous et tu courras
cet après-midi ? Nick et Rome ne sont pas là non plus.
Ça ne me semblait pas une mauvaise idée mais, pendant que j’y
réfléchissais, la porte de mon pavillon s’ouvrit sur un Logan au sourire moqueur.
Il me fit signe de venir.
– Ou pas ? commenta Drew.
– De toute façon, il faut que j’y aille. J’ai cours à neuf heures. Je peux courir
avant.
– D’accord. L’entraînement est à quinze heures.
– Je sais, j’ai le programme. On se retrouve à la musculation ce soir ?
– Bon.
Je vis plusieurs coéquipiers sortir du pavillon de foot. Ils nous adressèrent
tous un signe, mais attendirent Drew sur le trottoir.
– Tu leur manques, me dit-il. Ils veulent te taquiner à propos de Sebastian.
Tu le sais, j’imagine ?
– Ouais ! cria Rome. Quand est-ce que tu vas lui casser sa belle gueule ? Je
croyais que c’était toi le boxeur quatre étoiles, Kade ?
– Et toi, tu tapes comme un chaton de deux jours, Rome. Tu ferais mieux de
lui cracher dessus.
– Je devrais. C’est ma dernière arme si on m’attaque. Méfie-toi des germes.
Deux types se mirent à rire, mais j’entrai à l’intérieur et Logan ferma la
porte. Il croisa les bras, haussa un sourcil sans dire un mot. J’avais l’impression
de me faire gronder par maman Malinda.
– Quoi ? demandai-je.
Le coin de sa bouche s’étira en un demi-sourire.
– Où étais-tu passé, toute la nuit, fiston ? Je me suis inquiété. Je t’ai attendu
dans le salon jusqu’à l’aube.
– Et moi, j’ai envie de te mettre une tape derrière la tête.
– Bon, je me rends, dit-il en levant les bras. Désolé. Je croyais que ça te
ferait plaisir que je joue les parents attentifs.
– C’est Mason ? cria une voix à l’étage. C’est lui ? Logan ? C’est Mason ?
– Si je comprends bien, dis-je, Nate est réveillé.
– Ouais. Il n’arrête pas de m’emmerder depuis l’aube. Il t’a réclamé toute la
nuit.
– C’est vrai ?
– Mason, cria encore Nate. Je voudrais te parler… si c’est bien toi. Monte, si
c’est toi !
– Ta gueule ! hurla Logan.
Silence, puis :
– Ta gueule toi-même. Mason ? C’est toi ?
Logan laissa échapper un sifflement irrité.
– Mason est mort ! cria-t-il. Tu es coincé avec moi, Monson. Comment tu
vas faire ?
Nouveau silence.
– Pas drôle, reprit Nate. Tu n’es pas drôle du tout, Logan ! Tu te crois
marrant, là ?
Logan se dirigea vers l’escalier, mais resta en bas pour crier :
– Trop original, Nate ! Tu sais ce qu’il pourrait y avoir d’autre ? Que je jette
tes antidouleur dans les chiottes. Là, ce serait original !
Nate parut s’étrangler :
– Tu… Ce serait abominable. Je ne peux pas… Je suis dans cet état à cause
de toi et Mason. C’est toujours moi qui prends. L’accident de voiture, le
chantage, les menaces, les coups. J’en ai marre ! Je voudrais bien voir ce que ça
vous ferait, à vous…
Sa voix s’étrangla.
– Tu vois comment il réagit ? me souffla Logan. Il dit qu’il en a marre de
servir de punching-ball. Il ne veut plus prendre les coups à notre place. Il
n’arrête pas de répéter ça depuis trois heures du matin. Où est-ce que tu étais
passé ? Non, mais sérieux. Ça me fiche en pétard que tu sois parti.
Jetant mes clés sur la table, je m’avisai qu’il était peut-être temps de régler
cette question. Pas de course matinale ni de petit déjeuner avec l’équipe. Mieux
valait limiter les dégâts avec mon meilleur ami.
– Je suis allé voir Sam, dis-je à Logan. Elle a appelé plusieurs fois hier, mais
je ne lui avais pas répondu.
Son expression hostile le quitta instantanément.
– Oh ! Elle va bien ?
– Oui. Elle est allée courir. Sa coloc a réussi à la faire entrer dans le
gymnase.
– La coloc modèle ?
– La fille que tu voudrais bien sauter, oui. Mais ça m’étonnerait que tu y
arrives. Elle en pince pour moi.
– Tu rigoles ? Elle bande pour tes résultats en foot, c’est tout. Elle est plutôt
cool.
– Moi, je la trouve bizarre.
– Tu vois ? Tu es juste un joueur pour elle. Montre-lui ton barda, ça la
guérira peut-être.
Je lui envoyai mon poing dans le ventre.
– Montre-lui ta queue.
– Ouille ! Qu’est-ce qui te prend ? En plus, elle se fiche de mes résultats.
Sérieux, Mase, elle est gaga de foot, point. Elle ne t’aime pas comme ça, du
moins je l’espère. Ou alors tu ne pourras jamais baiser Sam dans sa chambre.
– Mason ?
Je levai la tête vers l’escalier. Nate se trouvait sur la plus haute marche ; il
avait pris tous les coups qui nous étaient destinés, soit par erreur, soit parce qu’il
était le lien le plus proche de notre chaîne. Il méritait toutes les excuses de la
terre, en tout cas de ma part.
– Il faut que j’aille le voir, dis-je à Logan.
Pour toute réponse, il croisa les bras.
– Tu ne viens pas ?
– Bonne chance. De toute façon, j’ai bientôt cours.
– D’accord.
Arrivé en haut, je croisai une fille qui sortait de la chambre de Logan. Elle
avait dû prendre une douche car elle avait les cheveux mouillés. Comme elle ne
faisait pas attention à moi, elle faillit me rentrer dedans et je la repoussai de
justesse par l’épaule. Elle ouvrit de grands yeux puis se détendit en me voyant.
– Oh, pardon ! lâcha-t-elle d’un ton essoufflé. Tu es Mason, je suppose ? Le
frère de Logan ?
Je fis oui de la tête.
– Mason ? lança Nate d’une voix plus calme. Tu es là ?
– Oui. Attends.
– Super ! Enfin.
Penchant la tête de côté, la fille regardait la porte fermée de Nate.
– Il a crié presque toute la nuit. Logan m’a donné des boules Quies pour que
je puisse dormir un peu, mais je ne savais pas qu’il criait encore.
Je préférais ne pas savoir d’où elle venait ni qui elle était ni comment elle
était arrivée ici, encore moins comment Logan l’avait dénichée. Elle m’avait
l’air trop bavarde.
– Il est en bas, dis-je. Dépêchez-vous.
– Quoi ?
– S’il vous plaît.
Je voulais qu’elle disparaisse. Rien d’extraordinaire de croiser des inconnues
dans le pavillon, sauf qu’on venait de ramener Nate de l’hôpital.
Pourtant, elle ne bougea pas, comme figée sur place.
– Allez retrouver Logan, insistai-je agacé.
– Je…
Là, j’allais perdre patience.
– Ou mieux, foutez-moi le camp de cette maison !
– Mase ? appela Logan du pied de l’escalier.
Il parut tout surpris d’apercevoir sa copine et grimaça.
– Merde, j’avais oublié !
– Vous voyez ? laissai-je tomber en direction de la fille. On ne discute pas
dans cette maison. Quand mon frère a baisé, il passe à autre chose. Il vous a déjà
oubliée. Alors dégagez.
– Enfoiré ! fulmina-t-elle.
Certes. Je voulais bien l’admettre.
Elle dévala l’escalier, bouscula Logan et sortit en claquant la porte.
– Je te rappelle qu’on venait de ramener Nate de l’hôpital ! criai-je à mon
frère.
– Je sais. C’était un coup d’un soir. Je croyais qu’elle était partie. Et puis
j’étais trop distrait avec les cris de Nate. Je ne sais même pas où elle a passé la
nuit.
– Dans ton lit ? suggérai-je. Enfin, je suppose.
– Peut-être… J’ai dû la prendre pour une pile de couvertures oubliées
Maintenant, je pige pourquoi elle occupait toute la place.
– Tu lui as donné des boules Quies pour dormir.
– Ouais, juste quand on a terminé. J’étais de bon poil. Je suis allé faire un
tour dans la salle de bains et, quand je suis revenu, je croyais qu’elle était partie.
– Mason ?
Encore Nate. Il fallait en finir.
– Va à ton cours, Logan. Je m’occupe de lui.
– Hé, minute ! L’université a appelé ses parents. Ils vont venir le chercher.
Ça n’arrêtait pas. Nate qui prenait un coup. Les parents qui rappliquaient
pour le ramener chez eux.
Bon, cette fois, ça valait sans doute mieux pour lui.
– Oui, d’accord. Merci de m’avoir prévenu.
– Mase !
J’ouvris la porte de Nate. Il était temps de m’occuper de mon meilleur ami.
Il lança un bras en l’air, ce qui me fit reculer, car je n’avais vu que le
mouvement, pas le livre qu’il me jetait à la figure mais atterrit sur le mur derrière
moi. Je le ramassai et le lui relançai. Nate ne l’esquiva pas et le prit sur l’épaule.
– Va te faire foutre !
Cette fois, Nate le balança de toutes ses forces vers le placard qu’il
transperça littéralement.
– Dis donc, c’est toi qui vas payer ça !
– Va te faire foutre ! répéta-t-il en me faisant un doigt d’honneur.
Puis il s’écroula sur le dosseret en se prenant la tête dans les mains.
– J’ai horreur de ça ! gronda-t-il. Je déteste me retrouver dans cet état. Je
déteste avoir mal. Mes parents arrivent, Mase, tu te rends compte comme ils vont
me prendre la tête ?
Il avait l’air de se calmer, alors j’entrai dans la pièce, me calai contre son
placard tout en me tenant prêt au cas où il m’enverrait encore quelque chose.
Nate avait le droit d’être en pétard, mais je ne tenais pas à me laisser blesser
pour autant.
– Mes parents. Mes putains de parents coincés et bien-pensants. J’ai
l’impression d’être un lycéen qui va se faire engueuler. Ils vont vouloir
m’emmener et on va s’engueuler. Ils ne se souviennent de mon existence que
quand ils reçoivent un appel de l’hôpital, de vous ou de la prison. Je suis un
adulte, maintenant.
Si Logan s’était trouvé dans cette pièce il aurait félicité Nate en levant le
poing. Je n’en fis rien. J’attendais qu’il termine.
– Ils ne peuvent pas venir me menacer ici, comme chaque fois. Tiens, s’ils
me coupent les vivres, tu partageras ton héritage avec moi.
– Mon cul, oui !
– Mason.
– Tu rigoles ? Affronte tes parents pour une fois. S’ils te coupent les vivres,
prends un boulot.
– C’est ça. Pour faire comme toi.
– Je peux te dire une chose que je ne ferais jamais : céder à la menace. Ça
m’est arrivé au moins une fois avec la mère de Sam, elle aurait pu bousiller mon
avenir. Si mon père menaçait de me couper les vivres, j’irais à la banque déposer
un sac de merde dans son coffre. Ou plutôt, je demanderais à Logan de s’en
charger.
– Tu ne piges pas.
– Oh que si ! Tes parents sont des abrutis. Les miens aussi. Arrange-toi avec
eux ou ils t’emmerderont toute ta vie.
Il se passa une main sur le visage, la laissa retomber, l’air plus hagard que
jamais.
– Ils ne sont plus les mêmes depuis que ma sœur…
Je ne dis rien. Nate ne parlait jamais de sa sœur. Il s’était produit une histoire
plusieurs années auparavant et elle avait été envoyée dans un pensionnat en
Europe. Il avait fait allusion à elle une autre fois, mais sans donner de détails. Je
ne savais pas trop ce qui s’était passé mais j’imaginais que si c’était arrivé à ma
sœur, j’aurais vu rouge.
Haussant les épaules, il se laissa retomber dans son lit.
– D’accord. Tu as raison. M’arranger avec eux. C’est le bon plan. Je vais
faire ça.
Regardant autour de lui, il tendit un doigt dans ma direction.
– Tu pourrais me jeter cette robe de chambre ?
Ce que je fis. Il l’enfila en ajoutant :
– Pardon, je me suis conduit comme un malade. J’étais furieux. Dis-moi
juste que tu vas attraper ce connard.
– Je te promets qu’on va s’occuper de lui. Promis, Nate.
– Les potes de ce connard, mes anciens amis, m’ont sauté dessus pendant
que vous vous confrontiez avec lui en public. Je veux le griller.
– C’est ce qui l’attend.
Il releva les yeux vers moi et je lui laissai lire dans les miens qu’il pouvait
compter sur moi. Alors, il hocha la tête, l’air soulagé.
– Merci, murmura-t-il.
C’était Park Sebastian qui lui avait fait ça. Tout s’était passé comme Nate
l’avait dit. Les comparses de Sebastian lui avaient sauté dessus dans un parking,
l’entraînant dans un coin noir pour pouvoir mieux lui taper dessus.
Ils l’avaient abandonné, incapable de marcher ni même de soulever son
téléphone pour appeler les secours. Ce fut un agent de sécurité qui le découvrit ;
et, pendant ce temps, Sebastian attendait Sam.
Il avait tout orchestré.
Le message était parti.
La guerre était déclarée.
CHAPITRE
12
Samantha
Au bout de quelques semaines, j’avais pris mes habitudes à la fac.
Je passais mes matinées en compagnie des filles. On allait aux cours
ensemble avec Summer. Quand la machine à café de Ruby tomba en panne, on
prit l’habitude de se rendre à la cafétéria du campus. Plusieurs étudiantes se
joignirent à nous, dont Kitty et Nina, et ça devint notre rendez-vous à potins. Du
coup, celles-ci ne m’attendaient plus dans le couloir après que je leur avais
échappé la première semaine.
Logan était interdit de passage dans ma résidence. Après sa deuxième visite,
Kitty avait pris racine sur la causeuse de Summer dans ma chambre. Elle ne
voulait plus en partir, malgré les efforts de Nina qui la tirait par les bras et les
jambes ; elle avait aussi tenté de la pousser vers la porte puis à travers le couloir
jusqu’à leur propre chambre. Mais, avec ses quarante-trois kilos, elle ne pouvait
rien contre son amie qui devait en faire le double. Peu à peu, cependant, elles
oublièrent leur amour pour Logan et devinrent plus normales.
Les après-midi, entre les cours et la bibliothèque, on faisait ce qu’on voulait.
Mes soirées se partageaient entre les runnings et les visites de Mason. Si je
le voyais l’après-midi, je courais le soir. Summer m’accompagnait, lisait son
bouquin tandis que je parcourais la piste. Si je courais plus tôt, je le voyais dans
la soirée. Plus de nuits dans la salle de cinéma. Il en passa une ou deux dans ma
propre chambre, mais Kitty et Nina avaient peur de lui. Ça marchait mieux avec
Summer, toujours émerveillée par sa présence. Elle ne se comportait plus de
manière aussi bizarre mais, une fois qu’elle l’avait regardé entrer, elle s’en allait
dans une autre chambre.
En fait, il était plus facile de me rendre chez lui, sauf que j’aimais bien
quand ça se passait chez moi. Mais, depuis le supplice de la salle de cinéma, on
n’allait pas plus loin que les scènes interdites aux moins de treize ans. Si on
voulait passer à l’interdit aux moins de seize ans, on se calmait ou on se rendait
directement chez lui. Logan avait compris. Quand je le croisais sur le campus
dans la journée, il me demandait si c’était une nuit avec ou sans. Façon de
s’enquérir si je serais chez eux le soir, ce qui nous permettrait de traîner dans la
cuisine ou le salon, ou si je ne devais voir Mason que dans ma résidence.
On était juste à l’heure où je devais rencontrer Logan. Son cours se déroulait
dans le bâtiment de la poste et, en l’attendant, je faisais la queue pour récupérer
un paquet venant de Malinda.
– Suivant !
La dame du comptoir me fit signe d’avancer. Un mec devant moi
m’empêchait de passer, alors je le contournai pour tendre mon reçu à
l’employée. Tandis qu’elle partait chercher le paquet, le type ne bougeait
toujours pas. Je m’interdis de le regarder, mais je sentais bien son attention. Il se
déplaça sur le côté, s’appuya sur le comptoir en croisant les bras.
Il me regardait et ne s’en cachait pas.
J’attendis, les mâchoires crispées. Les mecs s’intéressaient souvent à moi,
sauf que je n’y avais pas eu droit à Fallen Crest Public parce que tout le monde
savait qui était Mason, en revanche, c’était autre chose à Cain University. Bien
sûr, on connaissait Mason, mais pas notre relation. Dans un sens, ça faisait du
bien. Je pouvais me rendre tranquillement aux cours, sans attirer l’attention ni
aucun commentaire sur ma façon de m’habiller, encore que je me doutais que ce
type s’intéressait à tout autre chose. J’étais prête à lui raconter n’importe quoi
pour lui échapper, mais il ne bougeait pas, prenant toute la place, m’effleurant du
coude.
Il restait tranquille, attendant que je lui dise quelque chose.
Quel abruti ! Il se conduisait avec un culot effarant. La dame revint, parvint
à me donner mon colis. Je reconnus l’écriture de Malinda sur l’adresse. Elle
l’avait entourée de petits cœurs et de commentaires :
Vas-y, Sam !
Profite de la vie !
Tu me manques et à ton père aussi.
David dit : « Bonjour ! »
Mark dit : « Comment ça va ? »
Ne laisse pas Logan te faire trop d’ennuis.
Embrasse Mason pour moi.
Et ce n’était pas tout, mais ce furent les formules que je captai avant de me
retourner pour m’en aller. Le type me bloquait le passage. Je ne pouvais repartir
en arrière, rejoindre les étudiants qui attendaient pour leurs propres colis. Il
fallait que je contourne le mec.
Je fis un pas sur la droite, lui aussi.
J’allai à gauche, il en fit autant.
Là, un grondement me monta à la gorge. Je n’avais pas envie de me battre ni
de rouspéter. Tout se figea en moi.
Je levai les yeux sur le regard moqueur de Park Sebastian. Avec ses cheveux
gominés et sa raie sur le côté. Il ne portait pas le même polo que la dernière fois,
mais un tee-shirt Cain University et un jean. Comme beaucoup, sauf que le sien
était de marque et que ça se voyait. Tout son être vibrait d’une arrogance criante.
Lorsque nos regards se croisèrent, le coin de sa bouche se souleva. Il me
provoquait. Il savait que je détestais ça, que je ne voulais pas me laisser ainsi
approcher par un autre type que Mason. Je commençai à reculer en tenant le
paquet serré contre ma poitrine, mais des coudes me heurtèrent dans le dos, des
cheveux me balayèrent le visage alors que je me retournais, et on me poussa en
avant.
J’écarquillai les yeux. J’allais heurter Sebastian qui s’y attendait si bien qu’il
tendit les bras pour m’attraper.
Je ne voulais pas qu’il me touche. Cependant, je ne pouvais pas l’arrêter ;
déjà, il me plaquait contre son torse. Il nous fit alors pirouetter et m’entraîna vers
l’autre bout de la file, où je pus enfin respirer. Plus de groupe pour me suffoquer,
pour me coller contre lui. Il me lâcha au moment où je le frappai avec le paquet.
J’espérais qu’il ne contenait rien de fragile car il venait de heurter violemment sa
poitrine, le faisant reculer.
– Hé ! lança-t-il en levant les mains.
Les narines frémissantes, je grognai :
– Ne me touche pas. Jamais.
Plusieurs personnes m’entendirent et nous regardèrent, l’air intriguées.
Sebastian ne me touchait plus. Je paraissais furieuse. Mais tant pis.
– Ne t’approche pas de moi, insistai-je.
Je me retournai pour partir, mais il me bloqua encore le passage en levant les
bras :
– Sérieux, je ne te toucherai pas.
– Qu’est-ce que tu veux ?
Il savait qui j’étais. En fait, il le savait depuis le début. C’était pour ça qu’il
restait là, me forçant à me déplacer sur le côté. Il avait tout combiné depuis le
début en me piégeant avec ce groupe derrière moi.
J’avais envie de partir sur la gauche pour leur échapper, mais c’était là qu’il
avait posé son sac. Je devais donc virer à droite. D’ailleurs, c’était dégagé.
C’était le genre de mouvement qu’auraient effectué Mason et Logan. Tout
comme leur ennemi, et cela me fit songer qu’on allait passer du ridicule à
l’absurde. Ça m’aiderait à traiter avec Sebastian, à l’avenir, si jamais il
recommençait. Et il me suffisait de l’observer comme en ce moment pour savoir
que ce serait le cas. Je me redressai. Et puis merde !
– Si tu veux te servir de moi pour faire du mal à Mason, ça ne marchera pas.
Un quart de seconde, il écarquilla les yeux, entrouvrit la bouche. Je l’avais
surpris et ça l’amusait. Je ne m’attendais pas à cette réaction, cependant je serrai
davantage le paquet contre ma poitrine. Son regard tomba dessus et il se mit à
lire les petites phrases de Malinda. J’essayai de les cacher en étalant mes mains
dessus. Je me sentis ridicule au point d’en avoir chaud aux joues.
Ça suffisait.
Je ne pourrais pas gagner ainsi. Alors, je reculai. Le regard attentif, les bras
serrés, je rétropédalai. Je pourrais heurter quelqu’un au passage, mais tant pis. Il
fallait que je lui échappe.
– Samantha, dit-il en s’avançant.
– Arrête !
Gardant les mains dans le dos, il se pencha, l’air moqueur.
– Je ne vais rien te faire. Regarde. Tu vois ? Les mains derrière le dos,
littéralement.
– Bon. Alors, reste là.
En même temps, je ne pus m’empêcher de jeter un regard circulaire. On
attirait maintenant l’attention de tous. Certains riaient. D’autres avaient pris leurs
téléphones pour nous filmer. Et, franchement, Mason n’avait pas besoin de voir
ça. Alors, je finis par foncer à travers la file d’attente pour me diriger vers la
cafétéria. Il y avait encore plus de gens depuis qu’elle offrait une petite terrasse
au bord de la fontaine.
Merde. Je n’avais nulle part où aller.
Je lançai un regard par-dessus mon épaule. Sebastian était là, tâchant de
réprimer son sourire.
– Je ne vais pas te faire de mal.
– Tu savais que j’étais derrière toi dans la foule.
– Tout à fait.
Un soupir exaspéré m’échappa. Le connard ! C’était un véritable coup
monté.
– Tu as attendu exprès, pour me faire sortir à droite afin de me coincer. C’est
la sortie de la cafétéria.
– Effectivement.
– Connard.
– C’est vrai. Je te l’accorde.
– Fiche le camp.
– Je… Écoute, je voudrais juste te parler. Ce n’est pas méchant. Je ne vais
pas te faire de mal ni me servir de toi pour attaquer Mason.
– Comme si j’allais te croire !
Son sourire s’élargit d’un centimètre.
– Enfin, oui, je pensais pouvoir y arriver, mais tu n’es pas trop naïve.
Il s’était rapproché, l’air encore plus réjoui, les pupilles étincelantes. Il
aimait trop cette situation.
– Arrête d’en faire des tonnes, rouspétai-je.
Ce qui le fit éclater de rire. Il porta une main à sa bouche, mais ne put
s’arrêter.
– Pardon. Tu as bien changé par rapport au souvenir que je gardais de toi. Tu
te souviens de moi ? La première fois ?
– Ouais. Tu étais ami avec Nate, tu salivais sur Mason en espérant pouvoir
un jour te servir de lui. C’était le bon temps.
Son sourire s’altéra légèrement, il se redressa.
– Pas sympa.
Si j’étais Heather, je lui aurais fait un doigt d’honneur. Je m’en abstins mais
grimaçai de dédain, et il comprit très bien.
Écartant le col de son tee-shirt, il s’éclaircit encore la gorge.
– Je ne t’ai jamais fait de mal. Je ne crois pas avoir mérité cette réaction.
À mon tour d’éclater de rire.
– Tu te fous de moi, là ?
Mon exclamation, pas joyeuse du tout, attira l’attention des consommateurs
de la cafétéria. Mais ce mec était fou.
– Tu as essayé de te servir de mon copain. Quand il t’a dit non, tu as tenté de
détruire sa relation avec son meilleur ami. Comme ça ne marchait pas, tu as
voulu renverser Mason avec un véhicule. Comme ça ne marchait toujours pas, tu
as cherché à le faire renvoyer…
Sebastian plongea en avant, mais se rattrapa.
Je m’écartai sans reculer, cependant j’étais enchantée, car j’avais réussi à le
déséquilibrer un peu, et ce petit mouvement attira encore plus l’attention. C’était
le moment de révéler son vrai visage. Sebastian paraissait attirant à première
vue, alors qu’en fait c’était un mec répugnant ; je voulais seulement que ça saute
aux yeux, que tout le monde le voie.
– Tu es plus douée que j’aurais cru, laissa-t-il tomber, non sans une certaine
admiration.
Non, en fait, ce n’était pas de l’admiration. Plutôt de la fourberie. Merde.
J’avais sans doute montré trop vite mes cartes. Il savait que je n’étais pas la
copine naïve qui avait besoin de protection. Moi aussi, je pouvais mordre.
– Samantha ?
Kitty et Nina venaient d’apparaître à la porte derrière Sebastian. Elles le
contournèrent, mais captèrent vite la tension qui régnait entre nous.
Je haussai le menton.
– Fiche le camp.
– Que…
Kitty commençait à protester quand Nina lui donna un coup de coude. Je dis
quand même :
– Ce n’est pas à toi que je parle, Kitty.
C’était à Sebastian. Je ne le quittais pas des yeux et le vis se rembrunir. Cette
fois, je le tenais. S’il voulait faire quoi que ce soit – m’intimider, me draguer, me
menacer –, c’était le moment, et en public. Il devait abattre ses cartes ou les
garder et tenter autre chose.
Sans dire un mot, il contourna les filles.
Il battait en retraite.
J’avais gagné.
Fermant les yeux, je poussai un soupir irrité. Mince. Maintenant qu’il était
parti, je tremblais de tous mes membres.
– Euh…
Kitty se rapprocha de moi tout en le regardant s’éloigner et disparaître dans
la foule.
– Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-elle.
– C’était qui ? ajouta Nina.
– Rien de bon, répondis-je d’un ton entendu.
Je préférais ne pas leur en dire davantage. Kitty aimait trop bavarder. Quant
à Nina, elle était plutôt du genre à tout analyser ; pour une fois, cependant, elles
s’en tinrent à ma demande sous-entendue et ne dirent plus un mot.
Je manquai le cours suivant, quant aux filles, elles en avaient fini pour la
journée. Si bien qu’on entra toutes les trois dans la résidence. On était vendredi
soir.
À l’instant où j’allais pénétrer dans ma chambre, Kitty m’appela du seuil de
la sienne en faisant des signes de la tête.
– Oui ? dis-je.
– On promet de rester tranquilles demain au match.
C’était vrai. On devait aller au match ensemble, c’était le premier de
l’équipe à domicile. On jouait contre Grant West University, autre équipe de
première division. Celle de Cain U était haut placée cette année, grâce à Mason
mais aussi à Drew. Ils avaient tous les deux été nommés pour le trophée
Heisman, cependant Mason avait refusé. Drew arrivait donc en tête maintenant
et, ensemble, ils offraient un spectacle remarquable. J’avais assisté, avec Logan
et Nate, aux deux autres matchs à l’extérieur, mais le premier à domicile
représentait toujours un niveau différent.
Les fans étaient plus excités, et l’équipe aussi.
Sans parler de la pression énorme.
– D’accord, dis-je en riant. Merci de m’avoir prévenue.
Elle me parla de Logan, quand il nous avait vus au match.
– Et souhaite bonne chance à ton copain, ajouta-t-elle.
– D’accord. Merci, Kitty.
Nina passa la tête devant sa coloc.
– De ma part aussi !
– Promis ! Merci, les filles.
Je rentrai dans ma chambre.
Summer leva sur moi un regard ébahi. Alors que je fermais la porte, elle
lâcha le stylo qu’elle avait à la main.
– Ce sont mes oreilles qui viennent de me jouer un tour ?
– Quoi ?
– Kitty et Nina t’ont paru normales ?
J’allai m’asseoir le cœur serré en espérant qu’elle continue de parler de ces
deux filles. Ainsi, elle ne remarquerait pas que j’étais encore dans tous mes états
à cause de Sebastian.
– Oui. Elles ont dû se rendre compte que Logan ne venait plus ici. Elles ont
dû en tirer des conclusions.
Elle n’eut pas le temps de répondre, car on frappait discrètement à la porte.
J’ouvris et ressentis un éclair de panique.
C’était Mason, les bras croisés, le regard inquiet. Il avait l’air si délicieux
que je ne savais pas si je devais avouer sur-le-champ ma prise de bec avec
Sebastian ou l’entraîner au lit après avoir viré Summer. Il avait l’air de sortir de
la douche, ce qui signifiait qu’il venait du vestiaire. Il portait un tee-shirt Cain
University et je me dis au passage que c’était le même que celui de Sebastian.
Mais avec ses larges épaules, sa silhouette musclée et sa taille étroite, il me
faisait saliver. Jetant un rapide coup d’œil vers Summer, je la vis littéralement
baver d’admiration. Je n’étais donc pas la seule…
– Salut ! m’exclamai-je nerveusement.
Il plissa les yeux, mais finit par sourire.
– Salut toi. Qu’est-ce que tu fais ?
Apercevant le paquet dans mes mains, il ajouta :
– Ça vient de Malinda.
– Oh oui !
Je me rendis compte que je m’y accrochais comme à un radeau.
– Oui, normal pour une maman, non ?
Derrière moi, Summer murmura :
– C’est quoi ?
Elle n’était pas au courant pour Ann-Lise. Je partageais certaines choses
avec elle, mais je n’avais pas abordé les moments les plus fous que j’avais pu
traverser.
– Je peux entrer ? intervint Mason.
– Oui, oui.
Je le laissai passer, fermai la porte derrière lui. Il baissa la tête en murmurant
à Summer :
– Bonsoir coloc.
– Bonsoir copain, répondit-elle.
– Hé ! m’écriai-je, vous avez le droit de vous appeler par vos prénoms. Je vis
avec elle, Mason.
Summer se leva en soupirant.
– C’est bon, les tourtereaux, dit-elle en attrapant son sac et ses clés, je vais à
mon dernier cours de la semaine. Sam, tu seras dans le coin, ce soir ?
J’interrogeai Mason du regard et, devant son air inexpressif, je répondis :
– Je ne sais pas trop. Je te dirai.
– Parfait, répondit-elle avec un signe de la main. À plus, Sam… et au copain
supersexy.
– Elle ne devrait pas me parler comme ça, commenta-t-il dans un rire froid.
Je posai le paquet sur le bureau avant d’aller me blottir sur ses genoux.
– C’est une fan. Ça n’a rien à voir.
– N’empêche.
Il me dévisagea, posa la main sur mes lèvres. Je la saisis, pris ses doigts dans
ma bouche, les enveloppai de ma langue. J’avais envie d’oublier cet après-midi
et ne pas penser à la manière dont j’allais affronter la situation. J’avais envie de
me perdre dans ses bras.
Il comprit et s’allongea, m’attirant sur lui. Je me sentais enfin en sécurité. Il
roula sur moi et je souris, relâchant sa main. J’avais déjà trop envie de lui.
Le sourire aux lèvres, il se leva sans dire un mot puis alla fermer la porte et
baisser la lumière. Mon cœur se mit à battre. Le désir grandissait entre mes
jambes et je m’humectai les lèvres en le regardant ôter son tee-shirt. Il était tout
en muscles, j’aurais pu les détailler les uns après les autres alors qu’il revenait
vers moi. Je me sentais bouillir. J’avais envie de passer la main sur chaque
centimètre de son corps, de sentir son poids sur moi, de le sentir en moi.
Je voulais qu’il brise ce foutu lit pour moi.
J’allais lui mentir. Même en le voyant s’approcher de moi, je pensais encore
à ce que j’allais faire. Le nom de Park Sebastian allait bousiller ce moment, pas
question. Mason serait furieux s’il l’apprenait, mais je ne changerais pas d’avis.
Je ferais ce mensonge pour nous, pour lui qui m’avait tant protégée.
Je n’avais pas le choix.
Je l’aimais, pourtant, je lui mentais.
Prise d’un début de remords, je me représentai Sebastian en train de savourer
sa victoire, mais aussi la réaction de Mason et ce qu’il lui ferait. Alors il serait
viré, aussi bien de l’université que de l’équipe de foot. Ce qui briserait sa
carrière, le rêve de sa vie – tout ça à cause de moi.
Pas. Question.
J’avais sans doute tort, mais c’était mon tour de le protéger.
Il se posa sur moi pour me murmurer, lèvres contre lèvres :
– Après ça, on ira chez moi.
Je fermai les yeux en sentant ses mains sous mon tee-shirt, qu’il me retira en
disant :
– Je veux qu’on y passe toute la nuit.
Carrément.
CHAPITRE
13
Logan
Je me mêlai à un groupe où les filles étaient jolies et les mecs nonchalants.
La rousse capta immédiatement mon regard. En principe, j’aurais dû m’arrêter,
échanger quelques plaisanteries, attendre pour voir comment ils réagissaient.
S’ils étaient pro-Logan, je restais et finissais par emmener une fille dans ma
voiture pour plus de tranquillité. S’ils étaient anti-Logan, je poursuivais mon
chemin. Les filles finissaient par me retrouver plus loin.
C’était ainsi que ça se passait en général, mais pas cette fois. La soirée avait
lieu dans un jardin de banlieue, mes informations étaient bonnes. Il s’agissait
bien d’une des fêtes de Park Sebastian et je n’avais pas trop le temps. Nate se
dépêcha de me rejoindre tout en jetant des regards inquiets autour de lui, sur les
garçons qui nous observaient.
Oui, les filles, un putain de Kade se baladait dans le coin.
La nouvelle parviendrait à Sebastian avant moi, aussi fallait-il faire encore
plus vite. Je voulais arriver le premier, sans lui laisser le temps d’élaborer une
stratégie et de réunir ses connards. C’était son territoire, mais je disposais de
l’élément de surprise… durant quelques minutes.
– Logan, me souffla Nate à l’oreille. Tu es sûr ?
J’étais plus sûr que jamais.
– Oui. Ce n’est pas le moment de te dégonfler. On y va.
– Je sais. Je tiens le coup. Il faut juste qu’on soit sûrs d’avoir tout bien prévu.
Parce qu’on est chez eux, là…
– Donc, tu te dégonfles.
– Non, mais pourquoi on ne fait pas ça avec Mason ?
– Deux raisons : d’abord, mon frère fait gentiment l’amour à sa meuf cette
nuit, et deuzio, il n’en a rien à foutre. Il fait partie de l’équipe de foot. C’est à
nous de faire quelque chose.
– Mason a un plan.
– C’est ça ! J’adore mon frangin, mais là, il traîne un peu des pieds. Il est
temps de s’occuper de Sebastian. J’en ai marre de rester à ne rien faire. Tu me
suis ou pas ?
– Ta gueule, Logan !
– Donc tu me suis.
Il me suffisait de voir son expression. Après les coups qu’il avait subis
quelques semaines auparavant, ses bleus disparaissaient enfin. Néanmoins, je
ferais peut-être mieux de lui dire de partir. Mais non, j’avais besoin de lui au cas
où.
– Kade ?
Le mec s’approcha, une bière dans chaque main. Il portait les cheveux
dressés sur le crâne et me faisait penser à un frère de l’ancienne fraternité.
– C’est toi, Blazer. Le mec à la toge.
– Quelque chose comme ça, répondit-il en me tendant une bière.
Je la refusai d’un geste de la main. Il la proposa à Nate.
– Je suis Blaze. J’ai donné une soirée au début de l’année. Tu y étais avec la
copine de ton frère qui habite à l’étage de mon amie. La conseillère de résidence
de Sam.
Nate m’interrogea du regard.
Le gros à la toge l’appelait Sam et la définissait comme voisine d’étage de
son amie ; mais, tant qu’on était là et que je me rappelais nos conversations de
l’autre soir, je tins ma langue, le détaillant des pieds à la tête. Il n’avait pas l’air
trop ivre, juste gentiment beurré. Avec un sourire indolent. Il tenait à peu près
sur ses pieds quoique sa chemise déboutonnée dévoilât un tee-shirt taché de
ketchup, de moutarde et surtout de bière.
Il était quand même déjà bien parti et, comme il ouvrait la deuxième bière
pour la porter à sa bouche, je la pris.
– J’ai changé d’avis, déclarai-je avec un sourire un rien complaisant.
– Ah bon, dit-il en haussant les épaules. Ça me va, je peux en récupérer
ailleurs, mais, euh… Tu sais où tu es, au moins ?
On captait de plus en plus l’attention. Fini la surprise du début. J’envoyai un
petit coup d’épaule à Nate.
– Tu veux bien approcher la voiture ?
– Quoi ?
– La voiture, insistai-je en regardant la barrière voisine.
– Ah… Mais…
À son air renfrogné, je compris ce qu’il pensait et lui souris, pris sa bière que
je tendis à Blazer… non, Blaze.
Celui-ci parut surpris, mais conserva son air aimable. Non, nous n’étions pas
amis. J’allais manipuler ce débile qui croyait pouvoir utiliser le nom de Sam à
toutes les sauces.
Lui passant un bras sur l’épaule, je lui tapotai le torse.
– Blazer va m’aider, lançai-je à Nate.
– Blaze.
Je le tapotai de nouveau.
– Tu as d’autres problèmes.
Nate se mit à secouer la tête.
– Non, Logan. Non, non, non !
Blaze se rembrunit.
– Quels problèmes ?
Je désignai la rue :
– Prends la voiture. Je vais en avoir besoin.
– Je ne suis pas d’accord, soupira Nate.
Ce qui m’était bien égal. J’entraînai Blaze avec moi.
– Dis-moi, gamin, où sont tous tes amis ?
Ils prétendaient détester Sebastian. C’était le moment de montrer qu’ils
avaient des couilles. J’avais l’impression qu’ils allaient se dégonfler, mais j’étais
au moins sûr de m’amuser.
– Euh…
Il ne me résistait pas pourtant. À l’évidence, il ne comprenait rien du tout.
– Ils sont près de la barrière, pourquoi ?
– On va leur dire bonjour.
– Attends. Quoi ?
Trop tard. Je l’entraînais déjà vers le groupe.
Mason était le cerveau de ma famille, mais je n’étais pas complètement idiot
moi non plus. Sebastian savait que je me trouvais ici et il allait piger dans
quelques secondes que j’étais seul. Ces mecs, comme ils l’avaient proclamé, ne
le soutenaient pas. La confrontation devait se produire avec eux à mes côtés, pas
les racailles de la fraternité de Sebastian.
On arrivait à proximité du groupe de potes de Blaze quand un murmure
parcourut la foule.
Il était là.
Je ne savais pas trop pourquoi je goûtais tant ces moments-là. Je n’avais
aucun soutien, ou si peu. Les chances étaient contre moi. La plupart des gens
allaient filer sans chercher à comprendre. Tandis que la foule s’écartait sur
Sebastian et ses connards, je sentis un fourmillement monter en moi, d’abord
discret mais de plus en plus puissant. Mason ne ressentait pas le besoin de se
battre. Ça ne lui faisait pas plaisir, à moi si. J’aimais ça. Ça me comblait. Et là,
j’étais sur le point de jouir.
J’étais défoncé, pourtant je parvins à sourire à Sebastian qui paraissait
beaucoup trop arrogant et sûr de lui.
– Logan Kade ! s’esclaffa-t-il. Tu es perdu ?
J’aurais pu le boxer tout de suite. Un coup et il serait tombé, mais ses mecs
se seraient jetés sur moi. Et je ne voulais pas m’y risquer. J’avais trop l’habitude
de gagner.
– Patience.
Je croyais entendre la voix de Mason en moi.
Il s’y prendrait lentement. Il s’assurerait d’abord que tous ses points de
repère soient en place, et puis il lancerait la conversation, mais il n’aimait pas
frapper le premier. Moi si. Mason aimait rendre, une fois qu’on l’avait attaqué.
C’était le genre de chose qui me rendait malade chez lui. Peut-être que je ne
possédais pas la même maîtrise de moi.
Je m’interdis de répondre. Pas encore.
Nate avait besoin de temps pour atteindre la voiture.
Sebastian se rapprocha, pencha la tête de côté.
– À moins que tu ne sois sourd ? Tu ne m’as pas entendu ? Il faut que je
répète ?
J’attendais toujours. Si je commençais maintenant, j’ignorais combien de
temps je résisterais. Mieux valait temporiser avant de m’engager à fond. Encore.
Mason serait fier.
– Hello !
Il agita la main, claqua dans ses doigts.
D’accord.
Ma patience me lâcha.
Je lui saisis le poignet.
– Réfléchis-y à deux fois avant de lever la main sur moi.
Il écarquilla les yeux, aussi surpris que ses mecs par la vitesse de ma
réaction. Le temps qu’ils surmontent leur surprise, je disposais d’une seconde. Je
repoussai son bras avec assez de force pour le faire reculer de deux pas. Puis je
changeai totalement d’attitude pour redevenir ce bon vieux Logan Kade.
– Attention, Sebastian, dis-je avec un sourire railleur. Je réagirai aussi fort si
tu continues comme ça.
– Quoi ?
Mon avertissement était empreint de violence et il réagit à la menace,
pourtant j’avais parlé d’un ton léger, presque charmeur. Ce connard n’avait
aucune idée de mon identité. Il avait perdu pied. Je pouvais y aller, l’envoyer
dans les choux ou, au contraire, contrôler la conversation.
Je fis ce que j’avais prévu :
– C’est gentil de venir m’accueillir. Merci. Tu es un sacré enfoiré si tu reçois
tout le monde ici.
L’expression de Sebastian se renfrogna. Apparemment, il m’avait reconnu.
– Qu’est-ce que tu fous ici, Kade ? dit-il en regardant autour de lui. Et ta
salope, elle se cache dans les parages ?
Je secouai la tête.
– Allons, Sebastian ! Tu m’ouvres grand la porte, là. Je peux te répondre un
million de trucs. « Ne parle pas comme ça de ta maman. » « Oh, mais ce n’est
pas ma salope, c’est la tienne. Merci de me l’avoir prêtée. » Ou, plus classique :
« Je sais que tu en veux à ta copine de me branler, mais ne sois pas mesquin non
plus ! » Enfin, je pourrais t’en sortir des tonnes d’autres, mais je vais juste
revenir à la plus courante.
Je le fixai, l’air nettement moins avenant. J’avais assez attendu Nate. Il était
temps de revenir aux affaires sérieuses.
– En fait, tu es la seule salope que je voie par ici.
Simple insulte, mais ça marcha. Sa colère explosa, comme si je venais de lui
balancer un uppercut.
– Viens me voir, salope, ajoutai-je avec un large sourire qui n’atteignait
pourtant pas mes yeux.
Deuxième uppercut, en pleine figure.
Autour de nous, c’était le silence total. Je compris que personne n’osait
insulter Sebastian – du moins en face. Il était temps qu’il apprenne qui étaient
vraiment les Kade.
Il ne dit rien. Ah ! Monsieur réfléchissait. Comme Mason aimait le faire. Je
l’avais bousculé, mais il se ressaisissait. Il voulait reprendre le contrôle de la
confrontation.
Sauf que je n’allais pas le laisser faire :
– Tu m’as posé une question sur ma salope, mais au fait, où est la tienne ?
J’aimerais faire sa connaissance.
Comme il ne répondait pas, je regardai autour de moi.
– Je ne vois ici aucune meuf qui semble s’inquiéter pour toi. À quoi elle
ressemble ? Attends… Tu n’en as pas ?
Je reculai en levant les mains. Il parut ne pas comprendre que je forçais
simplement Blaze et ses potes à m’entourer. Je voulais attirer Sebastian dans ce
cercle, loin de ses connards.
Il avança.
Ça marchait.
J’attendis. Il comprendrait si je reculais d’un pas supplémentaire. Blaze se
trouvait à ma droite, son autre ami, qui tenait le fût, à ma gauche.
– Sebastian a une petite amie ? demandai-je à Blaze.
Celui-ci parut comprendre. Il ne voulait pas se laisser entraîner là-dedans,
mais trop tard. Je venais de le prendre au piège. Si Sebastian croyait contrôler
tout le monde, il se faisait des illusions. Je n’avais plus qu’à le lui prouver en
dressant plusieurs personnes contre lui.
À voir son expression, j’aurais juré qu’il ne savait même pas qui étaient
Blaze et son groupe de potes. En fait, j’étais prêt à parier qu’il ne connaissait pas
la moitié des gens qui assistaient à cette soirée.
Une soirée, une personne – c’était tout ce qu’il fallait pour mettre le feu.
C’était moi la première étincelle.
Blaze ne pouvait s’opposer à ce qu’il avait déjà proclamé comme son
groupe. Il y avait des témoins et, comme il l’avait dit, son amie était la
conseillère de résidence de Sam.
Les filles ne respectaient pas les lâches.
Si Blaze reculait, ce serait un lâche.
Bon, c’était un plan B et, non, je n’y avais pas songé jusqu’à ce que Blaze
arrive vers moi de son pas nonchalant mais, maintenant que la partie était lancée,
je la trouvais meilleure que ce que j’avais projeté. Les dés étaient jetés.
– Tu t’entends bien avec Blaze ? demandai-je à Sebastian.
Si Blaze remarqua que, cette fois, j’avais bien prononcé son nom, il regarda
tout de même Sebastian qui l’examinait tout en se grattant le menton.
– Je ne crois pas avoir ce plaisir, maugréa-t-il. Tu es qui ?
Blaze changea de pied.
– Euh…
Le pauvre n’était pas trop doué en matière de confrontation. Il ouvrit la
main, mais ce fut moi qui tapai dessus.
– Non, non, non. Ce n’est pas comme ça qu’on fait, Blaze !
– Quoi ?
Sebastian avait reporté son attention sur moi, l’air furieux car il commençait
à sentir l’insulte.
J’étais venu à sa soirée.
Je l’avais insulté.
Sans m’enfuir.
Et je continuais à l’insulter.
Et je ne partais toujours pas.
Au cours des jours à venir, quand il se rappellerait cette soirée, la honte ne
ferait que grandir en lui.
Les guerres se livrent toujours par étapes, et celle-ci en était une.
– Arrête de réfléchir, Logan. Conclus.
Au souvenir de la voix de Mason, je me rappelai ce que j’étais venu faire là.
– Allez, Sebastian, lançai-je, plaisanterie mise à part, tu as raison. Je ne suis
pas là par hasard.
– Je ne t’ai jamais demandé ce que tu faisais là.
Je pris Blaze par le bras :
– Mon ami ici présent, Blazer…
– Blaze.
– Encore ? Oh, pardon !
Il pouffa de rire.
Je me retournai vers Sebastian, non sans remarquer que ses amis se
regroupaient, de plus en plus nombreux. Ils se retrouvaient à côté du groupe de
Blaze mais, sentant la menace, ceux-ci se rapprochèrent également, comme pour
leur tenir tête.
– Il y a quelque temps, continuai-je, à sa soirée, il m’a dit qu’il était fier de
moi et aussi de mon frère.
– Oh merde… souffla Blaze en regardant ses potes.
Tout d’un coup, il comprenait où je voulais en venir.
Et moi, je commençais à bien m’amuser. J’ajoutai :
– Il est allé jusqu’à me remercier de m’en être pris à toi. Alors, Sebastian,
voici mon message d’intérêt public.
Plaçant mes mains en haut-parleur autour de ma bouche, je lançai, assez fort
pour que tout le monde entende :
– Personne ne t’aime vraiment.
Pause.
Attends un peu.
Que ça pénètre les cervelles.
Maintenant, vas-y.
– Comme tous ces gens, dis-je en désignant le groupe de Blaze. Ils m’ont dit
qu’ils te détestaient. En fait, j’ai entendu énormément de gens me dire ça. Ils
étaient trop contents quand ta maison a brûlé. Ils voulaient même remercier celui
qui avait commis cette horrible chose. Alors, me voilà !
Je m’avançai d’un pas vers lui, puis d’un autre, à portée de ses poings.
– Je suis prêt à t’aider. Perso, j’aimerais connaître mes ennemis – à moins
qu’ils ne soient trop lâches pour assumer. N’empêche que j’aimerais au moins
savoir qui sont ces lâches.
J’attendis.
Les graines étaient semées.
Les narines de Sebastian se dilatèrent.
– Autrement dit, tu es venu ici pour les dénoncer ?
– Non.
– Quoi ?
– Non, je ne suis pas venu faire ça. En fait, je voulais lancer une bagarre,
mais, euh… bon, on est en très nette infériorité numérique et puis, tu sais, j’ai un
peu de jugeote…
– Logan, souffla Blaze.
Je me sentis un rien déçu. Ce type m’appelait par mon prénom. Noms de
famille, Blaze. Il faut utiliser les noms de famille. Je partagerais plus tard avec
lui cette pépite de crétinerie, mais il fallait d’abord que je lance ce que j’avais
prévu au début.
Provoquer un putain de combat.
Sans répondre à Blaze, je tendis les bras, tenant fermement ma bière dans
une main.
– Merci pour ton hospitalité, Sebastian, mais il faut que j’y aille.
Ses yeux se plissèrent. Il s’avança. Jamais ils ne me laisseraient partir, mais
c’était bien ce que j’espérais.
Alors je me retournai, comme pour partir. Et là, je vis ce que j’espérais – la
tête de Blaze qui virait vers la droite. Sentant que Sebastian arrivait entre nous,
je plongeai. Son bras passa au-dessus de ma tête, je le bloquai du poing puis
poussai le mec en avant afin de lui balancer ma cannette sur le front.
Le combat avait commencé.
CHAPITRE
14

Il fallut qu’une porte claque pour annoncer son arrivée imminente. Mason
serait là dans deux secondes et tant pis si j’avais fermé à clé. Il ferait sauter la
serrure s’il le fallait, enfoncerait le panneau à coups de pied. Je m’assis, retenant
la fille bien droite au-dessus de moi, lui maintenant les hanches pour la pénétrer
une dernière fois. Cette fois, ça y était. Je jouissais, et, merde, ça faisait du bien.
Une seconde pour en profiter. Ma porte s’ouvrit brutalement à l’instant où ça
s’achevait, et je retombai sur le lit.
La rousse poussa un cri avant de plonger entre les draps à côté de moi pour
se cacher.
On n’y prêta pas plus attention l’un que l’autre, trop occupés à nous fixer.
– Oui ? demandai-je.
– Qu’est-ce que tu as fait hier soir ? gronda-t-il.
– Ce que toi tu ne pouvais pas.
Il savait très bien ce que je voulais dire et me fit un doigt d’honneur.
– Enfoiré !
Là-dessus, il ressortit.
Je sautai du lit, mais la fille poussa des protestations indignées. Alors, je me
penchai pour l’embrasser sur les lèvres, lui tapotai la hanche.
– Il faut que je m’occupe de ça. Sois gentille et habille-toi.
– Quel abruti !
Tout en enfilant mon caleçon, je me dis qu’elle avait raison.
– Écoute, je ne veux pas jouer les salauds, mais je t’ai ramenée d’une soirée
où je venais de me bagarrer. Qu’est-ce que tu croyais ?
Elle se redressa, le visage rouge de fureur.
– Tu ne sais même pas comment je m’appelle !
Je n’allais pas m’excuser non plus.
– Un, tu ne me l’as jamais dit. Deux, je ne te l’ai jamais demandé. À quoi tu
t’attendais quand je t’ai proposé : « Tu veux qu’on aille baiser chez moi ? »
Elle retint son souffle, serra les lèvres.
Une chemise à la main, je me dirigeai vers la porte. Il fallait que je règle ça
avec Mason, mais la meuf représentait un problème plus encombrant que je
n’aurais cru. Je m’arrêtai sur le seuil :
– On a baisé. Tu es restée toute la nuit et on a encore baisé. Les deux fois
c’était bien, et je suis désolé de ne pas pouvoir te proposer de rester plus
longtemps ce matin. En fait, je croyais avoir un peu plus de temps avant qu’il
débarque ici.
– N’importe quoi !
Là-dessus, elle entreprit de récupérer ses vêtements.
J’attendis. Elle s’habilla rageusement, enfilant son jean mais sans tirer la
fermeture ni boucler le bouton, pour attacher plus vite son soutien-gorge et son
tee-shirt. Elle était venue en voiture, derrière la nôtre, si bien que je n’aurais pas
besoin de lui appeler un taxi. Elle prit ses clés et passa devant moi en
m’effleurant du coude et en m’injuriant.
Je la suivis dans l’escalier.
Ouvrant la porte d’entrée, elle tournoya pour me faire face.
– Toi… articula-t-elle.
La rougeur de son visage s’étendit à son front et à son cou. Elle était trop en
colère pour pouvoir parler.
Elle était sublime.
Ses seins pointaient sous son tee-shirt. Son jean lui tombait bas sur les
hanches. Elle n’était pas maigre. Elle avait ce qu’il fallait de chair pour me
permettre d’y aller un peu fort que la normale, et elle avait bien crié la dernière
fois.
Merde.
J’allais avoir envie de remettre ça.
Je posai la main sur son bras, son corps se tendit à ce contact. Elle allait
m’envoyer promener, alors je dis doucement :
– Je ne veux pas jouer les abrutis. Il faut juste que je rétablisse la situation
avec mon frère avant son match d’aujourd’hui.
Elle se détendit aussitôt, secoua la tête, leva les yeux au ciel.
– Mon Dieu !
– Tu vois ? dis-je en lui caressant l’épaule jusqu’à la nuque. Tu ne connais
pas non plus mon nom. Logan, pas Dieu.
Elle se mit à rire tout en continuant de râler. Je la ramenai vers moi avant de
déposer mes lèvres sur les siennes, jusqu’à ce qu’elle cède à mon insistance.
– Bon, la prochaine fois, au lieu de m’injurier, appelle-moi Logan. Et
j’aimerais qu’on se revoie.
Un petit rire s’échappa de ses lèvres fermées.
– Je dois être dingue, souffla-t-elle en prenant un stylo.
Elle inscrivit son numéro sur ma main.
– Appelle-moi avant que je le regrette.
J’en avais bien l’intention mais, dès qu’elle eut disparu, je me précipitai vers
la chambre de Mason, m’arrêtai devant la porte fermée. Je ne me rappelais pas
avoir vu le sac de Sam dans les parages. J’ignorais si elle se trouvait encore là ou
non. Je frappai, entrouvris.
– Je dérange ?
– Elle n’est pas là ! cria Mason en sortant de la salle de bains. Je viens de la
raccompagner à la résidence.
– Ah bon.
J’entrai. Merde ! Mon frère pouvait tuer quelqu’un d’un seul regard. Si ça lui
arrivait, il aurait la plus belle des défenses. Non, Monsieur le Juge, il n’a fait que
regarder ce type.
– Je suis allé là-bas pour provoquer une bagarre.
– Sans moi ! râla-t-il. À quoi tu joues ?
– À vrai dire… toujours à la même chose depuis le début.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– Tu ne peux rien faire, Mason. Tu as les mains liées. Si tu fais le moindre
geste contre Sebastian, il ira se plaindre à la direction. Tu seras viré de l’équipe
et de la fac. Moi, je n’ai rien à perdre. Ma carrière n’est pas en jeu. Il te tient par
les couilles.
– Tu te trompes. J’ai prévu quelque chose, mais ça va prendre du temps.
Il retourna dans la salle de bains, fit couler la douche, revint sur le seuil.
– Ne te mêle pas de ça, Logan.
– Si.
Il voulait me protéger. Il avait planifié les plus belles victoires et on s’était
bien soutenus l’un l’autre. Mais plus cette fois. Même s’il refusait de l’avouer.
– Obligé, dis-je encore. Nate est venu avec moi. Lui, tu te rends compte ? Si
tu avais pu livrer ce combat, il n’aurait jamais fait ça, et tu le sais. Nate t’a
toujours fait passer avant les autres.
– Je…
Il m’opposa une expression douloureuse et ça ne me plut pas ; jamais il ne
voudrait l’admettre mais, pour une fois, c’était mon frère qui avait besoin d’être
protégé.
– Tu sais que j’ai raison, murmurai-je. C’est pour ça que tu n’as encore rien
fait contre lui.
– Tu as tort.
Mais il ne pouvait pas se battre en ce moment. Il se passa la main dans les
cheveux.
– Tu ne peux pas juste me faire confiance ? demanda-t-il. Il y a quelque
chose en route, mais tu as raison, il faut que j’y aille doucement, que j’attende
mon tour. Le résultat en vaudra la peine. Je t’assure.
– Qu’est-ce que tu as prévu ?
– Je… J’attends un truc. C’est tout ce que je peux te dire.
– N’importe quoi ! On devait affronter cette situation ensemble. Nous tous,
toi, moi, Sam et Nate. Les Quatre Redoutables, tu te rappelles ? Qu’est-ce que tu
as prévu ? Et pourquoi tu ne pourrais pas nous le dire ? Tu n’en as pas soufflé un
mot à Nate et je suis sûr que Sam n’en sait rien non plus.
– J’attends, se contenta-t-il de répondre.
– Tu veux gagner du temps.
– Logan… marmonna-t-il d’un ton quasi résigné.
Je grinçai des dents. Dire que ça venait de mon frère… J’avais raison, qu’il
l’admette ou non. Il attendait la fin de la saison de football. Mais ce serait trop
tard.
– Il va s’en prendre à Sam, dis-je.
– Pas si on ne le provoque plus.
Je n’en revenais pas. Il n’y comprenait rien. J’avais envie d’arracher sa porte
pour la lui jeter à la figure. Mais je ne pouvais que remâcher ma déception.
– Tu as tort, Mase. Il va la viser, qu’on attende ou non.
– Ça, maintenant, c’est sûr.
– C’est pour ça que tu lui as mis un garde du corps.
Il haussa les épaules, les rabaissa lentement. Il ne pouvait le nier. Un garde
contre tous les amis de Sebastian.
– Et s’il l’attaque pour de bon ? demandai-je.
– Je le tuerai.
– Or, c’est exactement comme ça qu’il gagnera, cette fois. Il la touche et tu
le massacres. Bim ! Il te tient. Les flics rappliquent. Il a placé des caméras
partout et il gagne. Ta carrière est foutue. Ton avenir en miettes. Merde, Mase !
Ça pourrait se terminer par de la prison pour toi. Avec tout ce qu’on a fait, ça
aurait déjà pu nous arriver.
On avait déjà été arrêtés, mais James nous en avait toujours sortis. À présent,
c’était fini. Si on se faisait encore prendre, il n’y aurait plus de riche papa pour
nous aider. J’insistai :
– Laisse-moi m’occuper de Sebastian. Je te tiendrai au courant. Tu pourras
m’aider à tout organiser. Je dois dire que tu m’as déjà pas mal inspiré hier soir.
– Comment ça ?
– J’avais prévu de le provoquer, de lui mettre un coup et puis de sauter par-
dessus la barrière, où Nate m’attendait avec une voiture. Mais il a fallu que je
change mes projets.
– Qu’est-ce que tu as fait ?
– Tu n’as pas entendu ?
– Drew a téléphoné ce matin. Il m’a juste dit que tu t’étais battu avec les gars
de Sebastian. C’est tout.
– En réalité, j’avais fait venir quelques-uns de ses ennemis et là, je leur ai
fait avouer qu’ils le détestaient pour ne pas avoir à lui baiser les pieds et filer la
queue entre les jambes.
– Et ?
– Ils ont combattu avec moi.
Mason hocha la tête, une lueur d’admiration dans les yeux. Je me redressai.
Mon frère était fier de moi !
– Bon, avouai-je, après ils m’en voulaient un peu, mais ils se joindront de
nouveau à moi s’il le faut. Ils se prennent pour de vrais mecs, maintenant.
– Bien joué, frérot ! répondit Mason avec un sourire.
– Comme tu dis.
Il désigna le plafond :
– Et désolé de t’avoir interrompu. Je savais que tu avais une meuf. Je voulais
juste t’emmerder.
– Ah, je vois ! Tu copies sur moi. Je ne suis pas futé qu’en paroles, dans la
vie aussi, en particulier en débarquant quand tu baises avec Sam. C’est vraiment
des manières de débile.
– D’accord, avoua Mason. Tu as encore des trucs à m’apprendre.
– Je t’apprendrai beaucoup de choses, cher élève, mais d’abord, il faudrait
que je me pointe quelque part avec un bon cappuccino. S’il y a une chose que
j’ai apprise de Sam, c’est que toutes les filles aiment leur cappuccino.
– Attends, lança-t-il gravement.
Je ne lui avais pas souvent vu un tel regard – quand notre mère était partie,
quand on avait découvert Sam brutalisée dans les toilettes, quand la voiture de
Nate s’était fracassée devant nous. Et quelques autres fois, mais ce furent ces
moments-là qui me revinrent en mémoire.
– Méfie-toi de ce mec, dit-il. Il pense comme moi.
Ce n’était pas une insulte, je voyais ce que voulait dire Mason. Sebastian
régissait, analysait ; il avait toujours cinq coups d’avance, quand j’en avais deux,
avec un peu de chance.
– D’accord, dis-je.
Samantha
C’était amusant de se rendre au match de foot avec les filles. Voilà
longtemps que je n’avais plus pris de plaisir à traîner en groupe, au point de
presque oublier ce que c’était. Bavardages, rires, quelques larmes aussi, sans
trop en connaître la cause, murmures, mais également quelques rots et pets bien
sentis. Ce qui ne m’était jamais arrivé avec mes anciennes amies. Triste de me
rendre compte que Jessica et Lydia avaient été mes dernières amies… dont
j’avais fini par découvrir la méchanceté et la jalousie.
Qui sait ?
Peut-être que si je devenais plus intime avec mes camarades d’étage, les
mêmes choses se reproduiraient.
Ce n’était pas le cas pour le moment. J’étais protégée. Je le devais sans doute
au fait que j’avais déjà un copain, ou alors parce que je continuais à me
comporter comme une fille seule. À moins que ce ne soit à cause des longues
jambes et du corps de rêve de ma coloc.
On récolta plus d’un regard envieux. Une fois installées dans le stade, on eut
droit à des regards plus qu’insistants. Lorsque Mason apparut sur le terrain,
acclamé par la foule, les murmures se multiplièrent dans le groupe, ainsi que les
coups d’œil.
Summer finit par s’en apercevoir et se pencha vers les filles les plus
proches :
– Oui ? On peut faire quelque chose pour vous ?
Ses voisines se figèrent. Et l’une d’elles murmura :
– Son petit copain, c’est Mason Kade ?
– Oui, rétorqua-t-elle en la toisant de toute sa hauteur. Et non, tu ne peux pas
te servir d’elle pour le rencontrer. Ils sont amoureux. Tellement amoureux que ça
me donne envie de vomir et que c’est ce qui arriverait si je n’étais pas fan de
Mason Kade.
– Ah bon, marmonna la fille en s’éventant de la main. On l’a vu dans le
couloir, mais on n’avait pas compris que c’était le vrai Mason Kade de l’équipe.
Il est trop beau.
Summer se rapprocha de moi.
– Ne t’inquiète pas. Ce sont des gamines. Mason ne les verrait même pas.
Je lui souris – ou du moins j’essayai, mais ça tomba à plat. Si elle savait pour
quoi je m’inquiétais vraiment…
Elle me dévisagea un instant, me donna un coup de coude.
– Elles ne vont pas le droguer ou je ne sais quoi. En plus, Mason n’est pas du
genre à se laisser contraindre. Ne t’inquiète pas, il n’ira pas chercher d’autres
filles.
Je hochais la tête à tout ce qu’elle disait, mais sa voix me paraissait de plus
en plus lointaine. Football, argent, apparence, tel était le monde où trônaient
Mason et Logan, et j’y avais été entraînée. Un frisson me parcourut. Je préférais
ne pas imaginer ce que je serais devenue si ces deux-là ne m’avaient pas
accueillie dans leur duo familial ou si Mason et moi n’étions pas tombés
amoureux.
– Ça va ? demanda Summer, l’air préoccupée.
– Oui, lâchai-je en me raclant la gorge. Oui. Ça va.
– Sûr ?
– Tout à fait.
À la mi-temps, elle me demanda de lui prêter mon téléphone. Elle avait
oublié le sien. Je n’y repensai plus jusqu’à la fin du match. Qu’on gagna. Tout le
monde était de bonne humeur et je me sentais encore plus fière de Mason.
En même temps, j’avais oublié à quel point sa célébrité pouvait attiser
l’avidité des autres filles. Elles le voulaient pour elles. Elles seraient prêtes à tout
et j’avais beau savoir que ça ne les mènerait à rien, elles l’ignoraient et
tenteraient toute la gamme possible des initiatives pour y arriver.
– Salut !
On suivait les filles dans le parking, mais je cherchais des yeux la voiture de
Mason. Je voulais lui envoyer un SMS pour lui dire que je l’attendrais devant.
Summer m’attrapa par l’épaule alors que je me dirigeais vers son Escalade.
– Tu vas où ? demanda-t-elle.
– Je…
J’allais le lui dire quand je m’interrompis. Logan n’était pas venu nous
rejoindre, mais ça ne m’avait pas inquiétée. Sur le coup, je croyais qu’il préférait
rester à l’écart de Kitty et Nina. À sa place, en tout cas, c’était ce que j’aurais
fait. Et puis voilà que je l’apercevais, à quelques rangées de nous. Il ne me
regardait pas, ses yeux fixaient un point à quelques mètres de moi, et son
expression me serra le cœur. Cependant, il n’y avait pas que ça. Je venais
d’apercevoir un énorme bleu sur sa mâchoire. Puis je découvris d’autres
blessures, une lèvre fendue, un pansement au coin de l’œil, et aussi des bleus sur
son front.
Son expression remplie de haine me secoua. Il ne cherchait pas à la cacher.
Elle était là, étalée au grand jour.
Un frisson me parcourut.
Je savais qui se trouvait derrière moi, pourtant je me retournai, comme au
ralenti.
Sebastian aussi fixait Logan ; son visage était également contusionné, avec
une joue gonflée et le cou marqué. J’aperçus un instant son poing sanguinolent,
mais le mouvement de la foule le cacha vite.
Apparemment, ils ne cherchaient ni l’un ni l’autre à se retrouver. Quant à
moi, je me sentais carrément invisible. Un sixième sens me fit retourner vers
Logan et là, j’aperçus Mason derrière lui. Il venait de passer la porte menant à
l’allée.
Il se tenait devant, les cheveux humides, en tee-shirt Cain U et pantalon de
sport qui soulignait bien sa musculation. Il portait un sac sur l’épaule et me
regardait. Son air anxieux me quitta un quart de seconde trop tard quand il
reporta ses yeux sur son frère. Puis il aperçut Sebastian.
Je ne pouvais détacher mon attention de lui. Une sombre impression me
saisit. La confrontation ne faisait que commencer. J’en eus froid dans le dos,
mais je ne pouvais pas bouger.
Summer était en train de me parler. Sa voix allait et venait, comme si je me
noyais en eaux profondes et qu’elle se trouvait au-dessus de moi, en train de
m’appeler alors que j’essayais de remonter à la surface.
Quelque chose de grave allait arriver.
Une voix prononça mon nom et je frissonnai. Cette personne…
Je me détournai de Mason.
Heather était là. Juste en face de moi, en train d’agiter une main devant mon
visage.
Je remontai à la surface.
Cette fois je l’entendais bien.
– Elle est encore en transe. Pas d’inquiétude. Elle va revenir. D’habitude, ça
veut juste dire qu’elle voudrait sauter au cou de Mason…
Sans la laisser finir, je me jetai dans ses bras, l’étreignis. Je ne m’étais pas
rendu compte à quel point j’avais besoin de ma meilleure amie.
CHAPITRE
15

– Tu vas me dire ce que tu regardais tout à l’heure en faisant la gueule ?


Avec Heather, on avait quitté la soirée pour traîner dans le jardin. Elle
voulait fumer et j’avais besoin d’un peu de calme. Il fallait que je mette de
l’ordre dans mes idées.
Après un dîner assez tendu, Mason, Logan et Summer nous avaient déposées
à la résidence. En principe, je devais y récupérer des vêtements afin de passer la
nuit dans le pavillon, plus confortable, mais tout s’écroula dès qu’on arriva à
l’étage. Kitty et Nina se dirigeaient vers la chambre de Ruby et cela faillit
tourner à l’émeute quand elles nous aperçurent. L’ami de Ruby, Blaze, donnait
une autre soirée dont on aurait dû être les invitées d’honneur. Ruby m’annonça
par la suite que Blaze se considérait comme un abruti et qu’il s’était mis à aduler
Logan. Il jouait les machos et ne songeait qu’à le combler de bière et de chattes.
Ruby grinça des dents en prononçant le mot chatte, mais c’était du Blaze
dans le texte.
– Et puis, pour être honnête, ajouta-t-elle, je suis sûre qu’il se sert de Logan
pour la question chattes. D’après Blaze, quand Logan Kade se rend quelque part,
les chattes ne sont jamais loin. Pardon pour cette citation… Pourriez-vous
venir ?
– Euh…
J’avais interrogé Heather et Summer ; cette dernière m’avait d’ailleurs paru
d’un calme étrange pendant le dîner. Toutes deux m’opposèrent une expression
fermée. Alors, je pris la décision moi-même.
– Pourquoi pas ?
Étrange conclusion à une soirée déjà étrange.
Une fois informé de ce changement de projet, Mason décida de nous déposer
et de passer nous reprendre plus tard. Ça ne dura pas longtemps. Logan prit son
téléphone et, dans les cinq minutes qui suivirent, celui de Mason sonna. Drew et
la moitié de l’équipe de foot voulaient venir aussi. Ils lui forçaient un peu la
main, mais je savais que ça ne l’ennuyait pas. Une soirée avec Logan ne pouvait
que lui rappeler le bon vieux temps. Si, au début, il n’avait pas voulu s’y rendre,
c’était juste parce qu’il croyait que j’avais envie de me retrouver entre filles.
D’ailleurs, c’était ce qui m’arrivait en ce moment. Je traînais dans le jardin
avec Heather, pendant que les autres buvaient, flirtaient, couinaient, rigolaient,
murmuraient, dansaient, etc.
Ce qui me ramena à sa question, une chose dont on n’avait pas encore
discuté pendant le dîner. Je m’installai confortablement dans mon fauteuil avant
de répondre :
– C’est Park Sebastian.
Je me mordis la lèvre. N’importe qui pouvait voir, à leurs visages couverts
de bleus, qu’il y avait eu du grabuge. En arrivant dans le pavillon, j’avais
constaté qu’ils n’étaient pas les seuls à s’être battus. La bagarre avait dû être
générale.
Heather tira une bouffée de sa cigarette puis l’écrasa dans un cendrier entre
nos deux transats. Apparemment, il y avait d’autres gens qui fumaient à cette
fête, mais peu importait. J’étais contente de me retrouver là.
– C’est l’actuel gros méchant ? s’enquit-elle.
– Avant tout un connard.
– Comme tous les autres, non ?
Je la regardai, enveloppai mes genoux contre ma poitrine. Elle paraissait en
forme, avec ses cheveux blonds ondulés, son teint mat et son joli haut noir
simple et décolleté. Son jean moulant présentait pas mal de déchirures, y
compris sous ses fesses, ce qui laissait apercevoir la couleur de sa culotte ; je
l’avais vue un peu auparavant, quand elle se baladait dans la maison. Et tous les
mecs l’avaient également remarquée. Toute son attitude la rendait aussi
sensuelle que décontractée.
– Tu as l’air heureuse, observai-je en souriant.
Ses yeux bleus glissèrent vers moi.
– Tu crois ?
– Non ? dis-je en me redressant.
– Je suis dans une merde pas possible, avoua-t-elle en sortant une autre
cigarette. Je ne sais pas du tout ce qui se passe entre Channing et moi. Et…
Elle se tut, jeta un coup d’œil vers la maison, parut réfléchir un instant.
– Tu sais que j’ai baisé avec Logan, non ?
– Oui, dès le début.
– Et ça ne t’a pas rendue folle ?
– Vous avez toujours pas mal flirté ensemble. Je me doutais que ça arriverait
un jour, surtout quand tu m’as dit que c’était fini avec Channing.
– Ah bon, merde ! Je suis nulle comme amie. Pardon, Sam.
– Pour quoi ?
– Je l’ai baisé le soir du mariage de ton père.
Je ne pus réprimer un autre sourire.
– Moi aussi, j’ai baisé mon copain. C’était plutôt indiqué, cette nuit-là.
Pouffant de rire, elle me caressa la joue avant de reporter la cigarette à ses
lèvres.
– Vrai, ça ne te rend pas folle ?
– Ce serait égoïste de ma part. Je sais que ça ne durera pas, et aussi que je ne
me retrouverai pas entre vous s’il se passe quelque chose.
– Ça ne durera pas, tu as raison. Et toi, comment ça se passe avec ta coloc ?
Il est arrivé quelque chose entre elle et Logan ? Elle m’a envoyé un texto depuis
ton téléphone, tout à l’heure, j’avais oublié de te le dire.
– Ah oui ?
– Oui. Elle disait que tu aurais besoin d’une amie, mais j’avais déjà prévu de
venir.
C’était gentil de sa part. Après quoi, je répondis à propos de ce qui se passait
entre Summer et Logan.
– Rien pour le moment. Pourquoi ?
– Elle avait l’air si paisible quand il est arrivé après le match… Elle n’a pas
arrêté de le regarder pendant le dîner.
– C’est vrai ? Elle est fan de foot. Je ne sais pas du tout si elle éprouve autre
chose pour Logan. Lui, il l’a draguée dès le premier jour, mais ça s’est arrêté là.
Elle était mannequin…
– C’est ce que j’allais dire ! s’emballa Heather. Elle doit avoir tous les mecs
à ses pieds.
– Oh oui… Du moins, ils la remarquent, mais elle n’en parle pas beaucoup.
Je n’avais pas entendu parler de Dex jusqu’au moment où il nous avait
ouvert le gymnase, mais il s’était déroulé d’autres incidents. Certains mecs nous
faisaient livrer des pizzas qu’on n’avait jamais commandées. Une fois, ce fut
également un bouquet de fleurs. Je l’avais taquinée à plusieurs reprises sur ce
point, mais elle jurait qu’il n’était accompagné d’aucune carte, que c’était pour
nous deux, sauf que Mason n’y était pour rien. Quand je lui avais posé la
question, il s’était juste inquiété de savoir si j’avais des vues sur un autre mec.
Ce qui s’était terminé dans un éclat de rire.
Maintenant qu’Heather en parlait, ça m’intriguait plutôt.
– Ça ne te semble pas bizarre ? Elle reçoit plein de cadeaux d’un tas de mecs
et semble s’en ficher éperdument.
– Non, dit mon amie en tapotant sa cigarette. Ça signifie plutôt qu’elle ne
veut pas supporter la jalousie d’autres filles. Avec toi, elle n’a pas à s’inquiéter.
Tu as déjà été jalouse ?
Marissa.
– Oui.
J’avais répondu si vivement qu’Heather en parut stupéfaite.
– Elle était à la fac avec lui, et je la détestais pour ça.
– Ah oui… s’esclaffa-t-elle, jusqu’au jour où elle a été renversée par une
voiture. Mauvais karma.
Je repensai au camion qui lui était rentré dedans, à la tête qu’elle faisait à
l’hôpital en m’avouant qu’elle aimait Mason.
– Je ne trouve pas ça drôle.
Sauf qu’Heather avait un rire contagieux. J’essayai de me retenir, mais ça
m’envahit et je ne pus m’empêcher d’exploser.
– Tu as raison ! C’est trop marrant quand j’y pense !
– Non mais, sérieusement, dit-elle en se calmant. Elle est où, maintenant ?
Dis-moi que tu n’es pas obligée de la voir, quand même !
– Elle devait revenir, mais Mason m’a annoncé qu’elle avait changé de fac.
Elle lui a envoyé un mail cet été pour lui dire qu’il n’avait plus rien à craindre
d’elle.
– C’est ça le pire, maugréa Heather. Quelle merde passive-agressive ! Bon
débarras ! Cette cinglée n’aura qu’à s’en prendre à quelqu’un d’autre.
Tant mieux. Elle m’avait assez donné la migraine l’année précédente ; mais
je l’avais presque oubliée depuis la migraine Park Sebastian. Ce qui me rappela
autre chose :
– Il m’a barré le passage à la poste du campus.
– Qui ?
– Park Sebastian.
– J’hallucine ! J’espère que Mason lui a arraché la tête.
Là, je me sentis prise de vertige.
– Je ne lui ai pas dit.
– Non ? s’exclama Heather en s’appuyant sur son coude.
Elle poussa un juron avant de demander :
– Tu vas lui dire ?
Le vertige augmenta. Je tournai la tête de côté. Je mentais à Mason par
omission. J’aurais dû lui dire. Nous devrions former un front uni, mais ça ne
fonctionnait pas. Ça le rendrait fou et j’avais peur de ce qu’il pouvait faire.
– J’ai tort ? murmurai-je à Heather.
Elle me regarda en fronçant les sourcils.
– Non.
– Tu crois ?
Je n’avais pas besoin de sa réponse. Ça se passait entre moi, moi et moi. Je
prenais seule ce genre de décision, mais la terreur en devenait presque
paralysante. Si je n’y avais pas réfléchi jusque-là, c’était parce que je ne pouvais
l’assumer. Mais si j’avais tort ? Si je faisais exactement ce que Sebastian
voulait ? Cela créait un obstacle entre Mason et moi ; petit, de mon côté, mais
bien là. Seulement je n’allais pas non plus laisser Sebastian gagner. Il ferait du
mal à Mason.
Non. Je n’avais pas le choix.
– Je crois, dis-je à Heather, que Logan fait comme moi.
– C’est-à-dire ?
– On tient tous les deux Mason à l’écart.
– Pour le protéger ?
– Oui.
C’était exactement cela. Pour protéger Mason. Ce qui m’aida à réaffirmer
ma décision :
– J’avais raison, n’est-ce pas ?
– Merde, oui ! Ce connard de Sebastian mériterait de se faire balancer par un
délinquant plus horrible que lui. On dirait qu’il joue un jeu pervers. En te
croisant à la poste ou n’importe où. Tu te fais baiser de toute façon. Tu ne le dis
pas à Mason, et ça devient un mensonge entre vous ; tu le lui dis, et ça le rend
dingue au point de commettre un truc qui va ruiner sa carrière. À ce que j’ai cru
comprendre, ce connard n’est pas normal. C’est ce qui s’est passé avec Logan ?
Tous ces bleus qu’il a sur le visage ? Il s’est battu. Ce Sebastian se trouvait lui
aussi dans le parking ? Il a des bleus, également.
– Oui, je suppose, mais je n’ai pas encore eu le temps d’en parler à Mason ni
à Logan.
Ce fut là qu’une acclamation générale monta de la maison. Heather se
retourna, écrasa sa deuxième cigarette.
– Allez, il a ses potes avec lui. J’ai l’impression que notre équipe a encore
gagné quelque chose.
Ça me faisait du bien d’entendre ça. Je me sentis soudain plus légère. J’avais
besoin de la force d’Heather. En tout cas, on avait raison, Logan et moi,
d’essayer de protéger Mason.
– Merci d’être venue.
Tout sourires, elle leva sur moi des yeux remplis de larmes et me tendit le
bras.
– Ah, Sam ! C’était leur premier match à domicile. Il fallait que je vous
apporte mon soutien. Viens là, qu’on s’embrasse encore. Tu me fais trop
pleurer ! Je redeviens une gamine sentimentale avec toi.
Je l’embrassai en riant. Ça faisait vraiment du bien.
– Hé ho, les amies ! Vous êtes là ? Je ne vois rien.
La voix de Summer retentit devant la porte. Elle inspectait les environs.
– Ouais ! répondit Heather. À vingt mètres sur ta droite.
– Ah bon ! dit-elle en descendant les marches du perron.
Elle finit par nous apercevoir et vint se laisser tomber sur le transat libre.
– Il faut que je me cache, dit-elle. Ruby insiste pour que je sois sa partenaire
de bière-pong. Mais, non merci, Madame Blaze. Et lui, déjà complètement parti
et qui ne me lâche plus…
– Blaze ?
– Je suis sûre que notre conseillère de résidence nous déteste maintenant, ou
au moins moi.
– Pourtant, elle t’a proposé d’être sa partenaire.
– Je dois être du genre à attirer ses amies, mais encore plus ses ennemies. Et
puis ça se voit trop qu’elle est complètement amoureuse de Blaze, qui est
complètement amoureux de Logan et moi. Tiens, je suis sûre que, ce soir, il a
demandé mes codes à Logan.
Heather éclata de rire.
– Trop typique des mecs ! Il aurait pu demander à la conseillère de
résidence, qui doit les avoir, mais non. Il s’adresse à l’autre type.
Summer claqua des doigts dans sa direction :
– Voilà ! Merci. Je ne suis pas la seule à piger le mécanisme de
fonctionnement des mecs.
– Oh non ! Certains peuvent être vaches, mais ça ne risque pas de
décontenancer Logan. En fait, il n’a pas dû tilter quand Blaze lui a demandé ça.
Ne t’inquiète pas.
Summer se tut.
Et zut ! Je me sentis un instant dans la peau d’Heather. Elle allait apprendre
la vérité ici et maintenant. Elle marmonna :
– Si tu craques pour Kade – je parle de Logan – rassure-toi. Je vais sans
doute le baiser ce soir, mais après c’est fini. Ensuite, je réglerai la situation avec
mon mec actuel.
Les lèvres serrées, Summer agrippa les bras de son fauteuil en tâchant de se
relâcher.
– Je ne peux pas t’en vouloir.
Sans doute influencée par tous ces aveux, je lançai ma propre bombe :
– Non pas que Logan se montre exclusif, sauf quand il est en couple, mais il
vient de passer du temps avec une rousse.
Bim. Je levai les mains. La bombe avait explosé. Ce qui ne parut pas
décontenancer les deux filles.
– Il fallait que je vous le dise, continuai-je, même si j’ai l’impression que ça
ne vous dérange pas beaucoup.
Heather sortit une troisième cigarette.
– Rien que pour ça, je vais le niquer sec ce soir.
Mes mains retombèrent sur mes genoux.
La bombe venait d’imploser.

*
* *
L’alcool me sonnait.
Une fois rentrée, je me blottis sur les genoux de Mason. Il me retint toute la
soirée, alors que notre groupe occupait le sous-sol. Kitty, Nina et plusieurs autres
camarades d’étage dansaient dans le coin, tout en lançant des coups d’œil aux
garçons. Logan restait le champion inégalé du billard. Quand il ne jouait pas, il
flirtait avec Heather. Summer se joignait parfois à la conversation, ainsi que
Blaze et certains de ses amis. Le reste de la salle était occupé par les coéquipiers
de Mason. Ils étaient comme lui, apparemment ravis de traîner, de jouer au
billard, de bavarder ou de regarder du sport à la télévision, même sans le son, à
cause de la musique qui braillait dans les haut-parleurs.
Après les innombrables verres que m’avait apportés Logan, je fus soulagée
d’entendre Mason annoncer qu’il emmenait sa copine saoule.
Je levai la main :
– C’est moi.
À présent, on se retrouvait chez lui et il me conduisait dans sa chambre.
Logan et Heather étaient rentrés avec nous. Je ne savais pas trop où Nate avait
passé la soirée. J’avais oublié de le lui demander, mais je ne l’avais pas tellement
vu ce dernier mois.
La chambre me parut en couleurs HD, les murs se ruaient vers moi ; je
reculai pour leur échapper, sans pouvoir m’empêcher de rire.
– Hé, du calme ! me souffla Mason.
– Il m’a sauté dessus, dis-je en désignant le mur. Reste là.
– Okay, d’accord. C’est bon !
Il me saisit par la taille et m’emporta sur son épaule.
Tout fit woosh. Maintenant, le mur se fichait de moi. J’étais bourrée, mais ça
m’amusait. Sans tenir compte du mur qui me regardait encore, je me concentrai
sur ce que j’avais sous les yeux, ses fesses.
Belles. Fermes. Souples.
Pour un peu que je tende la main, je pouvais les attraper à pleine main, et je
ne me gênai pas. Oh non !
Ses fesses étaient serrées, je voulais les faire rebondir. J’essayai de les
soulever, de les rabaisser. Sans trop de résultat. Mon homme était sacrément
tonique, il m’appartenait.
Ces miches ! Je les tapotais, avant de les attraper de nouveau. J’avais le droit
de jouer avec. Je pouvais les regarder quand il bougeait. Je pouvais les lécher si
je voulais, et c’était une sacrée bonne idée. J’essayai de descendre un peu. Il
portait encore son jean, mais ça ne les en rendait que plus alléchantes.
– Attends, dit Mason en claquant mon derrière. À quoi tu joues, Miss Belles
Fesses ?
– J’étais justement en train d’admirer les tiennes ! m’esclaffai-je.
– Pas possible. N’oublie pas que je peux te toucher moi aussi.
– Vas-y, Mason ! Tâte-moi. Comble ma nuit !
Je le sentis partir d’un rire silencieux, les épaules secouées de gaieté. Il
ouvrit en grand la porte de sa chambre, se précipita à l’intérieur. Je voulus me
redresser, mais il me rattrapa avant que je ne touche le sol. D’un bras, il me
bloqua contre lui, me serrant par la nuque dans un geste étonnamment possessif.
Comme si je lui appartenais. Comme si j’étais sa poupée. Mais j’adorais.
Un frisson me parcourut. Ses muscles se contractèrent alors qu’il s’arrêtait
devant son lit. Là, il me remit face à lui, les yeux dans les yeux, franchissant mes
remparts, comme s’il pouvait lire dans mes pensées. Mais n’avait-ce pas toujours
été le cas ?
Je lui passai un bras autour du cou, attirant sa tête contre la mienne.
– Tu sais combien je t’aime ?
Ses yeux s’assombrirent, et je vis tout son amour y scintiller.
– Pareil pour moi.
– Non. Dis-le. Je veux t’entendre.
Maintenant, c’était moi qui devenais possessive. Il était à moi.
Complètement à moi. Ce parfait spécimen d’homme – qui me tenait dans ses
bras, qui pouvait me faire frémir d’extase, qui me protégeait de tant de gens –
était mon avenir. Mon âme sœur. Le seul qui comptait pour moi. Je l’aimais avec
une passion qui me coupait le souffle. Plus que je n’avais jamais aimé personne.
L’air de plus en plus sérieux, il me déposa sur le lit. J’y tombai à genoux,
m’agrippai à son cou, sans le quitter des yeux. Il me serrait la taille, aussi fort
que je l’étreignais.
– Dis-moi, Mason, demandai-je d’une voix paisible mais impérieuse. Ce
soir, je veux entendre combien tu m’aimes.
– Vraiment ?
La gorge serrée par l’émotion, je suffoquais et dus retenir mes larmes.
– Tu veux entendre combien je t’aime ?
Incapable de répondre, je hochai la tête. Les larmes s’annonçaient ; elles ne
coulaient pas encore mais elles allaient arriver.
Dans un geste de tendresse, il m’allongea sur le lit. Une main derrière mes
épaules, l’autre sur ma hanche. Je ne fis rien. Il me traitait comme l’être le plus
précieux de la terre et ce fut à peine si je sentis ma tête se poser sur l’oreiller. Il
se tenait au-dessus de moi, et on restait toujours les yeux dans les yeux.
Il posa les mains sur mon jean en murmurant :
– J’ai toutes les raisons de la terre de t’aimer, alors ça pourrait prendre un
moment.
C’était tout ce que je demandais.
Il défit les boutons de mon jean, descendit la fermeture, marqua une pause
puis le glissa sur mes hanches.
– J’aime comme tu plisses le nez, souffla-t-il, quand tu veux me dire quelque
chose, ou quand tu as peur – comme si je sentais mauvais et que tu ne voulais
pas me vexer – ou, tout à l’heure, quand je savais que tu voulais passer un
moment tranquille avec Heather sans me donner l’impression que tu me laissais
tomber.
Je pensais bien qu’il l’avait compris. On n’en avait pas parlé, mais j’avais vu
juste.
Mes lèvres se mirent à trembler. D’incommensurables émotions
m’étreignaient la poitrine. Mon sang se mit à bouillonner. J’étais excitée.
J’attendais la suite.
Mason s’agenouilla sur le lit et passa la main sur mon ventre plat, écarta les
doigts mais sans plus bouger.
– J’aime comme ton regard devient parfois sauvage et comment tu jettes la
tête en arrière quand tu es furieuse. Tu hausses le menton, comme si tu allais
traverser une tornade au bulldozer. Personne ne pourrait plus t’arrêter.
Je serrai les lèvres en essayant d’arrêter encore ces larmes.
C’était inutile. J’en sentais déjà une qui glissait sur ma joue, vers le bord de
mon menton.
Mason l’attrapa du bout des doigts. Il la porta à ses lèvres comme si c’était la
réaction la plus normale du monde. Il glissa l’autre main sur mon estomac tout
en soulevant mon tee-shirt. Je me sentais envahie, léchée par de puissantes
flammes de désir. Tout mon corps vibrait et je me mordis la joue quand il posa la
main sur ma poitrine.
Je voulais qu’il me touche, qu’il m’embrasse, et plus encore.
Je me cambrai pour mieux m’offrir, mais il me repoussa d’un geste à la fois
ferme et tendre.
Mon cœur allait exploser en millions de morceaux, pourtant c’était comme si
Mason les ramassait chaque fois un par un.
Il déposa un doux baiser entre mes seins.
– J’aime que tu ne considères pas ma famille avec mépris, alors que tu le
pourrais mille fois. Ma mère n’est qu’une salope hypocrite qui ne te trouve pas
digne de moi, mais elle a tort.
Il m’ôta mon tee-shirt et revint vers moi, m’enveloppant la nuque de sa
main. Il se tenait encore au-dessus de moi, mais vint bientôt fourrer le nez
derrière mon oreille tout en soupirant :
– Elle a totalement tort, c’est moi qui ne suis pas digne de toi, seulement elle
ne s’en rend toujours pas compte.
Il disait vrai, mais pas tout à fait. Sa mère était une fichue prétentieuse,
cependant je ne pouvais pas lui en vouloir. Car c’était grâce à elle que son fils
existait pour moi. J’avais envie de le lui dire, mais ma gorge avait cessé de
fonctionner depuis longtemps. Je ne parvenais qu’à écouter les paroles que je lui
avais demandé de prononcer.
Il détacha mon soutien-gorge, le glissa le long de mes bras dans un geste
doux comme une caresse, sans me quitter des yeux un instant.
– J’aime comme tu tripotes ton tee-shirt ou tes manches quand tu es distraite
ou quand tu penses à ta maman.
– C’est vrai ?
Là. J’avais au moins réussi à dire ça, d’une voix cassée.
Il s’allongea près de moi et colla son torse contre le mien.
– Tu penses beaucoup plus à elle que tu ne le crois, et je sais qu’elle te
manque, en même temps que tu la détestes.
Je laissai mes larmes couler. Je ne m’étais pas rendu compte que je pensais à
Ann-Lise, mais il avait raison. Je n’avais pas fini de pleurer. Le chagrin me
gonflait la poitrine, un doux chagrin qui ne me quittait jamais et me submergeait
à présent, alors que je n’avais pas mesuré sa présence. Et là, il se répandait,
m’envahissait ; je me sentais quelque peu libérée.
Tout en m’embrassant sur le front, Mason murmurait :
– Et j’aime beaucoup ta façon de m’aimer. Complètement. Irrévocablement.
Énormément. Généreusement. Inconditionnellement. Quelque part, je n’en
mérite pas tant, mais je prends et je ferai tout pour ne pas la perdre.
J’étais dans tous mes états.
Mes larmes coulaient à flots.
Je souriais, pleurais, tâchais de parler. Tout à la fois.
J’avais envie de le prendre dans mes bras, de lui dire combien je l’aimais,
sauf que je ne pouvais pas prononcer le moindre mot.
Alors, je me contentai de lui prendre le cou pour l’attirer vers moi. C’était
tout ce que je pouvais faire, en même temps je l’étreignis de toutes mes forces.
Plus il me mettait en pièces, plus j’aimais cet homme. Il se mit à rire dans ma
nuque.
– J’ai encore quelque chose à te dire.
Mon Dieu ! Je n’y tenais plus, avec toutes ces émotions qui ondoyaient en
moi. Je pressai mes lèvres contre les siennes.
Il reçut le message et s’enfouit bientôt en moi.
Il avait parfaitement capté le message.
CHAPITRE
16

Le lendemain fut plus tranquille. On se retrouva au petit déjeuner, Heather,


Logan, Nate, Mason et moi. L’ambiance était plutôt gaie, mais je me demandais
si, précisément, je ne devais pas m’en inquiéter. En tout cas, Logan et Heather
semblaient bien s’entendre. Après le départ de mon amie, je rentrai à la
résidence pour faire mes devoirs.
Le lundi suivant, à mon deuxième cours, j’eus droit à une surprise.
– Psst !
Logan vint s’installer à la place voisine, en me donnant de petits coups de
crayon. Je rouspétai :
– Tu n’as rien à faire dans cette classe.
– Si, dit-il avec un sourire. Jusque-là, je m’étais trompé d’heure.
Il adressa un signe de la tête au professeur qui entrait.
– C’est elle qui m’a prévenu la semaine dernière. Et qui voilà ?
Son sourire s’élargit, mais je fis semblant de ne rien capter.
– Batman ?
– Quoi ?
– Tu as vu Batman ? Non ? Attends, j’ai d’autres réponses un peu plus
marrantes si tu veux.
– Qui êtes-vous ? Qu’avez-vous fait à ma future belle-sœur ?
Je lui décochai un clin d’œil.
– Allez, Logan ! J’ai été à bonne école !
– Avec moi ? demanda-t-il en se frappant la poitrine.
– Non, Mason.
Éclatant de rire, il me donna un coup de coude dans le bras.
– La fac te réussit, Sam. Tu es drôle. Tu as trop broyé du noir l’année
dernière.
Je lui opposai un petit rire suffoqué : broyé du noir ?
J’avais toutes les raisons de la terre pour ça et il le savait bien. Levant un
doigt, je m’apprêtai à les lui énumérer, mais il m’interrompit en m’attrapant la
main pour la reposer sur le bureau. Puis, alors que le professeur réclamait le
silence, il se pencha en me soufflant :
– Purée, il faut toujours que tu attires l’attention sur toi !
Qu’est-ce qu’il racontait là ? Je dus tellement écarquiller les yeux que ça le
fit rire.
– Je te charrie, là ! En fait, j’avais quelque chose à te dire.
J’attendis.
Il ne dit rien.
– Logan, le pressai-je.
– J’ai oublié.
– Ah, Monsieur Kade ! lança le professeur. Cela fait plaisir de vous voir
dans la bonne salle à l’heure dite.
Tous les yeux se tournèrent vers nous, du moins ceux qui ne le regardaient
pas encore.
Il demeura imperturbable.
– Profite, Stephanie ! lança-t-il à la prof en tendant le pouce. Toute la fac n’y
a pas droit.
Elle se rembrunit.
– Appelez-moi professeur Baun. Cette remarque était aussi peu drôle
qu’inappropriée. Refaites-nous ça, Monsieur Kade et vous quittez ce cours !
Je fermai les yeux. Elle lui lançait un véritable défi. Je voyais déjà la suite.
S’adossant à son siège, il rétorqua avec un sourire effronté :
– Soyons clairs, si je vous drague encore une fois pendant ce cours, ça veut
dire que je peux retourner à l’autre ? Parce que je dois dire que ça m’arrangeait
mieux pour mon emploi du temps, mais là, il y a la petite amie de mon frère.
Là-dessus, il me passa un bras sur l’épaule, me caressa la tête.
– Vous voyez Sam ? Je ne me tiens jamais mal quand elle est dans les
parages.
Derrière nous, un garçon toussota.
– Foutaises !
Logan se retourna en lui faisant un doigt d’honneur.
– Enfoiré !
– C’est bon, Monsieur Kade, dit la prof en claquant des doigts. Dehors ! Je
vous attends dans mon bureau dès la fin de ce cours.
Elle n’avait pas l’air de plaisanter. Il se leva, prêt à répliquer, quand je lui
saisis le bras :
– Arrête !
Son sourire disparut et il hocha la tête.
– C’est bon. Attends-moi après, il faut vraiment que je te parle.
Tandis qu’il s’en allait, le regard du professeur tomba sur moi, aussi déçu
que moqueur. L’ancienne Sam se serait faite toute petite sur sa chaise, mais
j’avais changé. Je la regardai droit dans les yeux. J’aimais ce cours, j’aimais
cette prof, toutefois je n’avais rien fait de mal. Si elle en voulait à Logan, ça
n’avait rien à voir avec moi. Alors, je haussai le menton.
Les paroles de Mason, qu’il avait prononcées durant le dernier week-end, me
revinrent à l’esprit : Tu hausses le menton, comme si tu allais traverser une
tornade au bulldozer. Personne ne pourrait plus t’arrêter.
Je ressentais la même détermination maintenant. Elle n’allait pas me
traverser au bulldozer ni tenter de m’intimider. Je tiendrais bon. Une seconde
plus tard, elle détournait les yeux en désignant le tableau derrière elle. Ensuite, le
cours se déroula normalement, mais la tension était palpable depuis le départ de
Logan et ma prise de bec avec la prof. J’en avais vu d’autres, si bien que je
demeurai à ma place en fusillant du regard tous ceux qui se tournaient vers moi.
Certains me jetèrent des coups d’œil dégoûtés, d’autres paraissaient intrigués. Il
y en eut aussi qui m’adressèrent un signe de tête approbateur.
Pour une fois, j’eus l’impression que je pourrais arborer le nom de Kade. Je
suis Samantha Kade. Écoutez-moi rugir. Je me sentais plus sûre de moi à mesure
que le cours se déroulait.
– Mademoiselle Strattan ! lança la prof en m’arrachant à mes pensées.
Pourrais-je vous parler aussi à la sortie ?
Une fille assise deux rangées plus bas que moi poussa un soupir. Derrière
moi, un garçon jura entre ses dents. Avec cette demande, la prof venait de me
marquer. Quoi qu’il arrive pour Logan, j’y aurais également droit.
Je n’avais rien fait. Merde !
– Pourquoi ? demandai-je.
Elle m’avait oubliée, ramassant ses papiers, alors que tout le monde se
levait. À ma question, ils se rassirent.
– Vous pouvez y aller, leur lança-t-elle.
Personne ne bougea.
Elle serra les lèvres, me jeta un regard furieux.
– Je vous expliquerai ça en privé, Mademoiselle Strattan.
Bon. Je rassemblai mes affaires, la mâchoire crispée, serrant mon livre, mon
cahier et mon sac dans mes bras.
– Je n’ai rien fait de mal. Je voudrais que ça soit clair pour tout le monde. Je
n’ai pas manqué un cours. Je ne suis jamais arrivée en retard. J’ai fait tous mes
devoirs, préparé tous mes exposés et, si je puis me permettre, les notes que vous
m’avez données jusqu’ici en témoignent.
Elle pencha la tête sur le côté et s’approcha du bord de son estrade, une main
sur la hanche.
– Dois-je comprendre que vous récusez ma demande de vous rencontrer en
privé ?
– J’expose mon cas à toute la classe.
– Pourquoi ?
– Parce que, au début de cette heure, je n’étais qu’une étudiante parmi les
autres. Logan est entré et vous a défiée. C’est vrai. Mais ce n’était pas moi. À
présent, vous demandez à me voir après le cours. Je ne sais pas pourquoi, mais si
vous commencez à dévaloriser mon travail, je veux que toute la classe le sache
au cas où je devrais me défendre contre vous plus tard.
– Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? s’enquit-elle d’un ton sec.
– La discrimination.
Elle parut sursauter, ses mains se crispèrent.
– Quelle discrimination ?
– Quoi que vous pensiez de Logan, je ne veux pas que ça retombe sur moi si
je ne suis pas concernée.
– Je crois que vous l’êtes, maintenant.
Je n’avais rien à ajouter. J’avais exposé mon cas, tenu bon pour défendre
mes droits, au vu et au su de tous. Si elle comptait me traiter avec le même
dédain que pour Logan, ce serait considéré comme inapproprié. J’avais souvent
été traitée injustement par mes camarades, jamais par un professeur ; ça n’allait
pas commencer maintenant.
– Le cours est terminé, dit-elle en nous faisant signe de partir.
Personne ne bougea. Ils attendaient la fin de notre échange. Comme je ne
disais plus rien, ils se mirent finalement à rassembler leurs affaires puis à quitter
la classe.
Deux filles passèrent devant moi en m’adressant un large sourire. La prof
s’en aperçut, mais ne broncha pas. Elle demeurait silencieuse, exactement
comme moi. Deux mecs sortirent en me faisant un signe de la main.
Respect.
J’avais gagné le leur et, même si ça n’avait pas été dans mes intentions, ça
me fit du bien. Ça libérait.
Alors que le dernier étudiant s’apprêtait à passer la porte, la prof lui lança :
– Fermez derrière vous, Frederick.
Il s’arrêta, me regarda, mais fit ce qu’elle lui demandait.
De l’autre côté de la lucarne, il articula, Bonne chance ! et leva le pouce
avant de s’éloigner.
Je retins mon souffle. J’avais l’impression que j’en aurais besoin.
– Vous croyez que je vais vous traiter injustement ? me demanda la prof.
– Oui.
– À cause d’une personne ?
– À cause de Logan, oui.
Elle me dévisagea un instant. Son regard paraissait moins déçu, moins
moqueur. Je me tenais droite, en même temps, je me faisais l’effet d’un poulet
tendant le cou pour le faire couper ; du coup je baissai le menton, sans toutefois
la quitter des yeux.
– Ça s’est déjà produit ?
– Oui, mais pas avec un professeur.
Ce qui parut l’intriguer.
– Vous vous êtes fait maltraiter par d’autres étudiants ?
– À cause de Logan et de Mason, oui.
Toute tension avait disparu.
– Désolée, dit la prof doucement.
Je…
Attendez…
– Quoi ?
– Si j’ai demandé à vous parler en privé, c’était parce que j’avais fini par
comprendre. Vous êtes la fille de Garrett, n’est-ce pas ?
Je me sentis prise de vertige.
– Pardon ?
Un petit rire lui échappa, tandis qu’elle récupérait ses livres et ses papiers.
Puis elle me désigna la porte :
– Venez avec moi. Et, non, Samantha, je ne vais pas vous traiter injustement
sous prétexte de votre lien avec Logan Kade ou son frère.
Elle m’ouvrit et on partit ensemble dans le couloir.
– Je connais votre père biologique. Nous étions à l’école ensemble. Garrett
Brickshire, c’est ça ? Vous avez été élevée par David Strattan. Ann-Lise est
votre mère ? Garrett m’a dit l’année dernière que Mason Kade sortait avec sa
fille biologique.
Je frémis. Je n’avais plus parlé de ma mère depuis si longtemps… et voilà
que j’entendais deux fois son nom en trois jours.
– Oui. Vous connaissez mon père ?
– Oui.
Elle m’entraîna dans un couloir et j’aperçus Logan assis devant une porte. Il
se leva en nous voyant approcher, fronça les sourcils, tandis qu’elle sortait ses
clés.
– Monsieur Kade.
Sans lui répondre, il me demanda directement :
– Ça ne va pas ?
– Je…
Non ça n’allait pas, mais il n’y avait aucune raison à ça.
– Ah oui, lança la prof. Garrett m’a expliqué que tous les trois, avec Mason,
vous étiez très proches. Je vais vous laisser quelques minutes pour le rassurer,
Sam, et vous viendrez nous rejoindre dès que vous aurez fini.
Là-dessus, elle entra dans son bureau.
Logan ferma la porte.
– Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?
– Rien. Je t’assure. Tout va bien. Je… j’avais tiré des conclusions hâtives.
Elle connaît mon père.
– Garrett ? Pas David.
– Oui. Elle a dit qu’elle avait fini par comprendre quand tu es entré au cours
aujourd’hui.
Il la regarda par la lucarne et sourit.
– Je parie qu’il l’a sautée.
– Logan ! dis-je en le tapant sur le bras.
– J’en suis sûr. Elle est sexy. Ton père aussi. Je parie qu’ils se sont envoyés
en l’air. Au fait, ça me rappelle… Enfin pas lui, mais maman Malinda. Elle a
téléphoné ce matin. Ils viennent au week-end des parents vendredi.
– Quoi ?
– Malinda et ton père – le vrai, David – arrivent. Elle voulait te faire la
surprise.
– Alors, pourquoi tu me le dis ?
– Parce que tu détestes les surprises.
En fait, ça m’énervait qu’il le sache avant moi. Ou plutôt, ça me rendait
jalouse. C’était de ma famille qu’il s’agissait, pas de la sienne. Enfin non… pas
ma famille. La sienne aussi. Je n’avais aucune raison d’être jalouse.
Je devais faire une drôle de tête, car il reprit :
– Sam ?
– Il faut que j’y aille.
– Ça va ?
– Oui, oui, très bien. Dis à la prof que je la verrai plus tard. Je… il faut que
j’aille aux toilettes.
Avec ce mensonge, Logan ne pourrait plus insister ni essayer de
comprendre.
– Bon, dit-il, emmerde-toi bien.
– C’est ça !
Je me précipitai dans le couloir, m’arrêtai, ralentis, au contraire de mon cœur
qui battait à tout rompre.
Logan faisait partie de ma famille, tout comme Mason. Je n’avais aucun
droit de penser autrement. Malinda, David, Mark… on formait tous une famille.
Je ravalai mes larmes. Je n’avais soudain plus l’impression d’être perdue.
Il fallait que j’aille courir.
Mason
J’attendais dans mon Escalade quand Sam revint de sa course. Logan
m’avait dit qu’elle était perturbée sans vouloir le reconnaître, aussi je me doutais
qu’elle était allée courir. Elle traversait le parking avec sa coloc armée d’un
bouquin. Elle mesurait son pouls avec un doigt collé à son cou et tenait une
bouteille dans l’autre main. Elles avaient tout de suite aperçu ma voiture. J’en
profitai pour examiner la coloc. Sam m’avait dit avoir vu sa famille, du moins la
belle-mère.
Je devais la fixer avec une grande intensité car nos regards se croisèrent. Elle
ne cacha pas le court effroi qui la saisit, mais il disparut assez vite pour faire
place à une expression plus aimable. Elle murmura quelque chose à Sam qui se
tourna dans ma direction avant de lui répondre, et toutes deux se séparèrent.
Je suivis la fille des yeux tandis que Sam venait s’asseoir à côté de moi.
– Salut !
Elle avait dû courir deux bonnes heures et ne paraissait même pas essoufflée,
le visage à peine rouge.
Je me penchai vers elle en souriant, et ses lèvres se posèrent sur les miennes.
Je tins le plus longtemps possible pour profiter de ce moment d’évasion de la
réalité.
Posant une main sur ma joue, elle recula, l’air légèrement préoccupée, avant
de demander :
– Ça va ?
J’avais deux objectifs en tête et attaquai le plus facile :
– Logan a dit que tu avais commis le crime de ta vie.
– Ah bon ? s’esclaffa-t-elle.
– Que tu l’avais envoyé promener.
Nouveau rire, plus soulagé.
– Ce n’était rien.
– Sam ?
– C’était idiot, assura-t-elle en s’adossant à son siège. J’ai juste paniqué une
seconde. C’est ridicule.
– Comment ça ?
– Bof… j’étais jalouse.
Comme elle n’en disait pas plus, j’insistai :
– De qui ?
– De Logan.
Je ne m’attendais pas à cette réponse.
– À quel propos ?
– Parce que Malinda lui a dit, à lui et pas à moi, qu’ils venaient pour le
week-end des parents… ça m’a rendue jalouse.
Des larmes apparurent à ses paupières, qu’elle essuya du dos de la main.
– Ils font partie de ma famille, pas de la sienne, et ça m’a rendue jalouse.
C’est trop, mais trop bête ! Vous formez ma famille, tout comme eux. Je n’aurais
jamais dû penser ça. Je n’ai pas le droit.
Merde. Elle s’en voulait de rêver d’une famille. Je lui pris doucement la
main.
– Tu as tout à fait le droit de ressentir ça.
Elle leva sur moi un visage désolé.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– Malinda, David et Mark… ils forment ta famille légitime.
– Mason…
Je la fis taire d’un sourire gentil.
– Peu importe, parce que oui, Logan et moi formons également ta famille.
Ce sera toujours le cas… même si quelque chose nous arrive, entre toi et moi.
Elle écarquilla les yeux. Alors, je me hâtai d’ajouter :
– Non pas que j’en aie envie, mais s’il se passait quelque chose, Logan et
moi, on formera toujours ta famille. Tu en fais partie, avec nous. Cela dit, ça
n’empêche pas David et Malinda d’être tes parents. Ta vraie mère est une salope.
Tu as fini par obtenir tout ce que tu désirais, un père et une mère qui t’aiment.
C’est normal que tu veuilles défendre cette idée. Tu as décroché le meilleur, à toi
de le défendre, merde ! Les familles aimantes ne sont pas si répandues que ça.
Et, pendant qu’on y est, je dois reconnaître que je suis un peu jaloux de votre
entente avec David et Malinda.
– C’est vrai ?
Une autre larme lui coula sur la joue, mais je n’étais pas certain qu’elle s’en
soit aperçue. Ses yeux se mirent à briller.
– Mes parents m’aiment, ajoutai-je, mais c’est la cata avec eux. James qui
est parti avec ta mère, je ne l’ai pas vu depuis des mois, quant à Helen, elle a
repris ses voyages au bout du monde depuis qu’avec Logan on se retrouve à trois
heures de chez elle. Tu as des parents qui viennent pour le week-end des parents,
et pas dans un autre but.
– Oh, Mason !
Elle semblait compatir, et ça ne me convenait pas du tout.
– Ne me plains surtout pas. Je vais hériter de millions. J’espère devenir
footballeur pro, mais si je n’y arrive pas, ça ira quand même. Je suis le meilleur
ami de mon âme sœur et de mon frère. J’ai eu beaucoup de chance. Laisse-moi
te rappeler qu’il ne faut jamais culpabiliser de protéger sa famille.
– Tu es de…
Elle voulut me caresser le visage, mais j’entrelaçai nos doigts et déposai ses
mains sur mes genoux.
– Je sais, mais on peut avoir deux familles. Et tu peux te réjouir d’avoir une
maman, maintenant.
Cette fois, elle avait le visage baigné de larmes mais ne faisait que me
regarder, adossée à l’appuie-tête.
– Ça fait drôle, soupira-t-elle.
– Quoi ?
– De guérir.
J’en eus le souffle coupé. Et merde pour notre accord sur ses nuits dans la
résidence. On allait faire comme je voudrais.
Je démarrai.
– Où va-t-on ?
– Tu restes ici cette nuit, dis-je en souriant.
Elle me rendit mon sourire. Elle était trop belle. J’étais déjà raide et je
préférais ne pas penser aux positions que j’allais adopter avec elle, sinon j’allais
devoir me garer tout de suite. En quittant le parking, je jetai un coup d’œil vers
la chambre de Sam et ne fus pas surpris d’apercevoir sa coloc à la fenêtre.
Elle nous avait regardés mais, en constatant que je l’avais vue, elle recula et
laissa retomber le rideau.
Je t’ai eue.
CHAPITRE
17
Samantha
Un cake, des ballons, des provisions, des fleurs et un fauteuil gonflable nous
attendaient, ce vendredi matin. Summer les trouva empilés devant notre porte
quand elle voulut sortir pour aller aux toilettes.
– Euh… lança-t-elle en reculant. Sam ?
Je ne sus que dire.
À ce moment-là, un éclat de rire retentit dans le couloir. Derrière le fauteuil
gonflable apparut le visage rougi de Malinda.
– Joyeux week-end des parents, Samantha ! dit-elle en traversant le tas de
cadeaux.
Les bras ouverts, elle me serra dans la plus forte étreinte à laquelle j’aie eu
droit depuis longtemps.
Elle me balança d’arrière en avant tout en me caressant les cheveux.
– Tu as l’air étonnée. Parfait.
Elle me reposa au sol et mit les mains sur mes épaules.
– Mission accomplie, poursuivit-elle en reniflant. Je voulais te réveiller dans
un pur délice. Je vois que je t’ai tirée du lit. Il faut te laver les dents, ma chérie.
– Malinda… commençai-je.
– Non, c’est fini. Maman… Enfin, maman Malinda ? Mais je ne veux pas te
forcer la main, désolée. Malinda, ça ira.
Elle était vexée et je me sentis nulle.
– Pardon.
Cependant, je ne pus me résoudre à prononcer le mot maman. Quant à
maman Malinda, c’était le sobriquet que lui avait donné Logan. Consciente de ne
pouvoir répondre à sa demande, je la serrai encore dans mes bras. Cette fois, ce
fut moi qui l’étreignis un peu plus longtemps que nécessaire.
Elle finit par murmurer :
– Oh, ma puce !
Je sentis les larmes monter dans sa voix cassée, mais elle s’éclaircit la gorge
et recula en s’essuyant les yeux, un large sourire aux lèvres.
– Merci, je t’aime tant, ma nouvelle fille !
– Je peux ?
Summer examinait toujours le tas de cadeaux dans le couloir. Elle tenait son
panier de douche à la main et un peignoir accroché à son bras.
– Vous devez être Summer ? lança Malinda.
Ma coloc eut un mouvement de recul, mais Malinda la serrait déjà dans ses
bras. Après quoi, elle la relâcha et entreprit de ramasser les cadeaux un par un.
– Ravie de vous connaître. Tenez, aidez-moi à rentrer ça.
Elle commença par les fleurs, qu’elle me passa, tout en ajoutant à l’adresse
de Summer :
– Au fait, je suis Malinda. J’ai épousé le père de Samantha.
Summer lâcha ses affaires puis se mit à l’aider. Pendant que je déposais les
fleurs sur le bureau, elle apporta les ballons, mais Malinda passa devant elle avec
les sacs de provisions.
– Moi c’est Summer, répondit ma coloc. Très contente de vous connaître.
– Vous pouvez m’appeler maman Malinda.
Elle s’arrêta près de moi, posa la main sur mon épaule.
– C’est comme ça que Logan m’a surnommée, et ça m’est resté. J’aime bien.
J’ai même demandé à Mason de m’appeler comme ça lui aussi.
– Ah oui ? demandai-je.
Elle acquiesça de la tête. Elle avait toujours les joues rouges et les yeux
brillants.
– J’ai failli m’étrangler avec mon café ce matin, mais je crois qu’il voulait
juste me choquer. Je l’ai vu à sa tête, comme quand il veut cacher qu’il trouve
quelque chose de drôle.
Elle l’imita, droite comme une statue, laissa les coins de sa bouche monter et
descendre aussitôt. Jusqu’à ce qu’elle éclate de rire.
– Tu sais comment il est. La plupart du temps, il a l’air d’un robot furieux.
En apportant le dernier sac de provisions, Summer éclata de rire mais, prise
d’une quinte de toux, elle tâcha de se retenir.
– Wouah… oh pardon !
Elle montra le couloir en reprenant ses affaires.
– Je reviens tout de suite, dit-elle avant de fermer la porte.
– Mon père va venir aussi ?
– Non, il n’avait pas trop envie de se faire surprendre dans cette résidence de
filles trop tôt le matin, si tu vois ce que je veux dire. Mon Dieu, Sam, ta coloc est
absolument superbe !
– Oh oui ! Elle était mannequin.
– Je ne savais pas. Tu as parlé d’elle, Logan la trouvait magnifique, mais je
ne me rendais pas compte à quel point. Ça me rassure.
Je commençai à ouvrir les sacs de provisions. Si mon odorat ne me trompait
pas, je reconnus une odeur de café. En même temps, je demandai :
– Logan vous rassure ?
– Enfin, oui. Je sais que tu ne gardes pas un très bon souvenir de ces filles
jalouses de toi. Je m’inquiétais un peu de ce que pourrait penser ta coloc de tes
relations avec Mason et Logan. Il n’y a pas beaucoup de filles qui pourraient
supporter ça, mais celle-ci semble assez sûre d’elle. Ça me rassure pour toi.
Ah ah ! Du café et une cafetière. Maman Malinda était ma personne
préférée.
Je les sortis du sac et cherchai aussitôt à m’en préparer.
– Samantha ?
– Oui ? dis-je en levant les yeux vers elle.
Devant son regard insistant, je m’arrêtai.
– J’ai raté quelque chose ?
Elle ne répondit pas. Ses cheveux sagement rangés sous une écharpe de soie
rouge et entremêlés de fils d’or faisaient ressortir son teint. Cette fois, j’examinai
bien ma nouvelle maman, les larmes aux yeux, débordante d’amour. Une main
sur la joue, elle essayait de ne pas trop sourire.
– Rien, souffla-t-elle. Tu n’as rien manqué du tout. Je suis juste
complètement bouleversée.
– Pardon ?
– Vas-y. Je savais que c’était ce qui t’intéresserait le plus. Je vous ai apporté
de l’eau pour toutes les deux. Tu peux t’en servir pour le café.
Alors seulement, je compris ce qui se passait. Ma nouvelle maman avait fait
toutes ces courses pour moi, et moi je m’étais mise à fouiller dedans sans même
remarquer qu’elle débordait d’émotion.
J’avais été normale.
Non ?
Je demandai à Summer quand ses parents arrivaient et elle ne répondit pas
tout de suite. Elle n’avait plus parlé de sa famille depuis le week-end de notre
arrivée. Sa mère et sa belle-mère étaient venues toutes les deux pour l’aider à
s’installer, mais elles se parlaient à peine. Son père aussi était passé, pourtant je
n’y avais pas trop fait attention. Je n’allais pas non plus jouer les indiscrètes avec
la famille de quelqu’un d’autre… La mienne était déjà assez folle ; mais, à
présent, devant le silence de ma coloc, je commençais à me poser des questions.
Je reçus la réponse le soir même.
Je rentrais de dîner avec David, Malinda, Logan, Mason et Nate, ainsi que
ses parents. Je ne savais pas qu’ils seraient là aussi, d’ailleurs ils n’avaient pas
desserré les dents. Je perçus de nombreux regards échangés entre Mason, Logan,
Nate et ses parents. Malinda et David se rendaient bien compte de ce qui se
passait, cependant ils faisaient comme si de rien n’était. J’avais bien vu que
Malinda observait en douce la mère de Nate, en revanche, je n’aurais su dire
quelles conclusions elle en avait tirées.
Les parents de Nate me glaçaient littéralement. Ils me rappelaient Helen, de
purs snobs, riches et prétentieux. Sauf qu’ils ne pouvaient tourner le dos à
Malinda. Celle-ci possédait sa propre fortune, qui lui venait de son père, et elle
connaissait beaucoup de monde. Elle fréquentait les cercles les plus huppés
qu’avaient connus les parents de Mason avant leur divorce et l’implosion de ma
famille.
À un moment, la mère de Nate demanda où se trouvait Helen, si elle allait
assister elle aussi au week-end des parents.
– Vous plaisantez ! s’esclaffa Logan. Notre mère a toujours brillé par son
absence. Mason, elle est à Paris en ce moment, non ?
– Venise.
Logan poussa un soupir dégoûté.
– Ça me coupe l’appétit, tiens.
Ce fut le seul moment où la mère de Nate perdit son air de sainte-nitouche.
Sur le coup, elle parut légèrement dépassée, mais se hâta de croiser les mains sur
ses genoux et garda la tête baissée pendant une vingtaine de minutes.
Les lèvres serrées, Malinda l’observait avec un regard de faucon, mais elle
se contenta de boire un peu de vin. Le père de Nate demanda à David comment
l’équipe de Fallen Crest Academy allait terminer la saison.
Après quoi les choses se déroulèrent à peu près tranquillement. Les deux
pères discutèrent football, non sans interroger Mason au passage, pendant que
Malinda expliquait à Logan et Nate comment Mark s’en tirait à l’université.
Moi, je ne disais rien.
Ce dîner me mettait mal à l’aise. Les parents de Nate ne m’avaient rien dit ni
fait de désagréable, pourtant ils me rappelaient trop le dédain que me manifestait
Helen et, par ricochet, ce que mon professeur avait dit sur Garrett. Elle
connaissait mon père biologique, dont je n’avais plus entendu parler depuis que
j’avais quitté Boston, à Noël dernier.
Le séjour avec lui s’était avéré… sympa. J’étais là-bas, lui aussi. On avait
partagé quelques dîners. Le jour, pendant qu’il travaillait, j’avais exploré la
cafétéria ainsi que la librairie dans sa rue. Je passais mes soirées au téléphone
avec Mason et Logan. Lorsque Garrett m’avait déposée à l’aéroport, on avait
échangé d’aimables adieux, point barre. Je ne lui en voulais pas. Je ne me sentais
pas proche de lui, mais, au moins, je ne le voyais plus comme un étranger.
Je n’avais plus pensé à lui jusqu’à ce soir, aussi quand Summer lâcha sa
bombe, j’en fus sciée.
Littéralement sciée. Je la regardai, bouche bée.
– Que… hein ? Répète.
– Mon père et ma belle-mère ont une maison ici, mais mon père en possède
plein d’autres. Il fait des affaires à Boston.
Elle gardait la tête baissée, les yeux dans le vague, les mains bloquées sous
ses jambes, les épaules basses.
Saisie d’un mauvais pressentiment, je sentis mon cœur se serrer.
– Quoi ? insistai-je. Je ne vois pas du tout.
– Tu as parlé de cette prof qui connaissait ton père biologique.
– Euh, oui. Pourquoi ? Quel rapport avec ton père et ta belle-mère ?
Elle releva la tête en se mordant les lèvres, le visage marqué d’un effroi
saisissant. Je me tus, prise de vertige. Je savais que Mason aurait compris en une
seconde, qu’il aurait tout de suite deviné ce qui rendait Summer si nerveuse. Pas
moi. J’en étais encore aux affaires de son père à Boston.
– Attends, dis-je en levant la main pour la forcer à ralentir. Ton père travaille
à Boston ?
Elle hocha la tête.
– Mais il a aussi une maison là-bas ?
Quel rapport avec ma prof ? Alors qu’elle hochait de nouveau la tête, je
lançai la question suivante :
– Ton père vit ici ? Ou c’est un genre maison de vacances ?
– Il vit ici. Ma mère aussi, mais il se rend à Boston pour ses affaires.
Je commençais à faire le lien, en même temps je n’aimais pas l’impression
qui naissait en moi. Ça devenait trop pourri pour n’être qu’une coïncidence.
– Ton père connaît Garrett, c’est ça ?
Elle retint son souffle, mais acquiesça lentement de la tête. Je voyais l’émoi
grandir sur son visage, et c’était trop fort pour moi. Je sentais que je n’allais pas
aimer la suite.
– Mon père et ma belle-mère nous invitent à dîner demain soir chez eux. Ton
père et sa femme y seront aussi. Ils aimeraient que nous venions.
Elle ne me disait pas la vérité. Ce que j’avais vraiment besoin d’entendre.
Je pouvais bien oublier Garrett, et pourquoi il ne m’en avait pas dit un mot,
oublier qu’il connaissait les parents de Summer et qu’ils s’étaient trouvés
ensemble dans la même ville, oublier le fait que Summer ne discutait jamais
avec ses parents – bon, ça, je le savais. Mais quelque chose m’intriguait et je ne
pouvais l’écarter de mon esprit.
– Summer…
Elle se figea, comme si elle percevait l’intensité de mon ton, et finit par
détourner la tête.
– Summer.
Elle ne réagit pas.
– Regarde-moi.
C’était un ordre, il fallait qu’elle obéisse. Ce qu’elle fit, les yeux pleins de
larmes. Je refusai de me laisser décontenancer.
– Qu’est-ce que tu me caches encore ?
Il y avait un lien entre tout ça. Forcément. Il fallait juste que je le découvre.
Ses larmes lui coulaient maintenant sur les joues, comme si ma question les
avait libérées.
– Viens dîner demain, souffla-t-elle. Tu comprendras tout.
Je devrais bien me contenter de cette réponse. Bon…
Mason avait un match l’après-midi. Je dis à David et Malinda que Garrett
était là et que j’allais dîner avec sa femme et lui. Ça ne les troubla pas. Malinda
ne m’opposa pas le barrage de questions que je redoutais.
– C’est gentil à lui de venir, murmura-t-elle seulement.
David m’interrogea du regard, mais ne dit rien. À la mi-temps, je retournai à
la résidence pour me préparer. Summer n’était pas dans la chambre, mais elle
m’avait envoyé un SMS pour me dire quand elle passerait me chercher.
Je m’assis sur le lit pour l’attendre.
Rien. Pas de texto. Pas de coup de fil.
Après avoir attendu une bonne heure, j’en eus assez, me remis en jean et en
sweat Cain University, qui portait le numéro de foot de Mason dans le dos. Je
traversais l’entrée de la résidence quand mon téléphone vibra dans ma main. Sur
le coup, j’eus envie de ne pas répondre. Qu’elle aille se faire voir, ma coloc,
avec ses cachotteries ! J’en avais ras-le-bol, sauf que mes parents étaient en ville.
Je voulais les voir, sans me casser les pieds avec les gens qui me mentaient,
Garrett le premier.
Il aurait dû appeler. Merde ! Voilà longtemps qu’il aurait dû m’appeler, ne
serait-ce qu’à mon retour à Fallen Crest, ou après que j’avais découvert qu’il
allait rester vivre à Boston. Alors que j’avais eu l’information par Malinda qui la
tenait de ses amis du country club de Fallen Crest.
Mais non, jamais un seul mot de Garrett.
Alors, tant pis.
David était mon vrai père. Je n’avais pas besoin de Garrett. Tout comme
Ann-Lise, il ne comptait pas assez dans ma vie. Le fait que mes deux parents
biologiques soient absents ne m’échappait pas du tout. C’était tristement drôle,
quelque part. Je n’avais aucun lien consanguin avec les parents qui comptaient
pour moi, mais c’était auprès d’eux que je trouvais ma vraie famille maintenant.
Un véhicule noir s’arrêta devant la résidence à l’instant où j’en sortais. La
portière s’ouvrit sur Summer qui me fit signe.
– Sam ! Pardon, je suis en retard. Ma voiture est tombée en panne, il a fallu
que je demande de l’aide. Ma mère m’a envoyé son chauffeur et ça nous a pris
beaucoup de temps à cause des embouteillages dus au football.
Ah oui ! Le match de mon copain. Je grinçai des dents.
– Va te faire foutre, Summer ! Je t’ai assez attendue. C’est bon, là. Je vais
passer la journée avec des gens qui ne me mentent pas.
– Sam, s’il te plaît !
Sa voix brisée m’arrêta. J’avais envie de râler, pourtant, je me retournai.
Bordel ! Je n’apprendrais jamais. Pourtant, j’entrai dans le véhicule.
Sam alluma le plafonnier avant de me faire de la place.
– Je te promets, dit-elle, de tout t’expliquer après le dîner. Mais vraiment
tout.
Sur ce dernier mot, elle me serra le bras.
– Voilà longtemps que je voulais te dire la vérité sur certaines choses.
Ensuite, plus jamais de mensonges. Promis.
Étant donné que je ne savais pas où étaient les mensonges, je me sentis plus
que d’accord avec cette idée.
Un dîner pour découvrir la vérité. Facile. Je pouvais faire ça.
CHAPITRE
18

On traversa la ville pour finalement franchir une grille et remonter un


chemin privé avant de nous arrêter. Summer était anxieuse. Cela se voyait à la
façon dont elle se tordait les mains ou me jetait des coups d’œil avant de se
détourner encore, sans parler du nombre de fois où elle rajusta ses vêtements,
tirant sans cesse sur son chemisier ou se grattant le front.
Je ne disais rien. Je savais que les réponses allaient venir – il y avait intérêt.
Sa maison était immense, ce qui ne me surprit pas. Summer venait d’un
milieu aisé, sans trop le savoir, je l’avais compris entre-temps. Néanmoins, ce
n’était pas une demeure plus grande que celle de Mason et Logan à l’époque où
on s’y était installées avec Ann-Lise. Il s’agissait d’une sorte de palais, ni plus ni
moins.
Summer passa devant, me jeta un dernier regard en redressant les épaules,
puis entra.
Dans un univers doré aux revêtements de marbre, on fut accueillies par une
statue de cavalière nue. Il y avait de l’or partout, en flocons sur les murs, inséré
dans le marbre du sol. Le collier du cheval en portait également, ainsi que les
cheveux de la femme et tout le reste de son corps.
J’avais envie de me frotter les yeux. Trop d’or, dix fois trop.
– Je sais, souffla Summer en fermant la porte derrière moi. Ça fait un peu…
beaucoup.
– Tu vis ici ?
Elle ouvrit de grands yeux.
– Eh non ! Je vis à la résidence.
– Oui, mais avant ?
– Je… oh non ! Je vivais avec ma mère. Mon père a fait construire ça
récemment. Belle-maman a un fichu complexe. Tu vois le collier du cheval, avec
ce poisson rouge en pendentif ?
Je préférai ne pas regarder.
– On évite ? Je… je ne voudrais pas faire ma biatch, mais si tu crois
m’impressionner avec les sous de ta famille, ça ne marche pas.
– Pardon ? demanda-t-elle en clignant des yeux. Oh non ! Enfin, pardon.
C’est bon, on y va.
On traversa un gigantesque couloir aux murs tapissés de tableaux parmi
lesquels je reconnus quelques portraits de Summer. Il y avait aussi un couple qui
apparaissait à plusieurs reprises, sans doute le père et la belle-mère. Et puis un
portrait de famille avec un garçon que je ne pus regarder de plus près. Summer
n’avait jamais mentionné de frère, pourtant celui-ci avait un petit air… sa façon
de me regarder…
Summer me heurta et s’excusa aussitôt.
– Désolée, Sam.
– Pardon ?
J’allais lui en demander davantage quand j’entendis mon père m’appeler du
fond du couloir. Je me crispai. Je le savais pourtant, mais voilà si longtemps que
je ne l’avais pas vu…
Garrett arrivait à grands pas dans ma direction. Au lieu du costume de travail
que je lui connaissais à Boston, il arborait une chemise polo et un short à
rayures. Voilà pourquoi je n’étais pas impressionnée par la famille de Summer.
Mon père biologique collait parfaitement avec eux. Même ses tenues les plus
simples semblaient provenir d’une grande marque.
Il s’arrêta devant moi, le sourire aux lèvres, m’examina un instant, l’air
toujours ravi. Puis il se tourna vers Summer.
– Merci d’avoir amené ma fille.
Il s’apprêtait à me passer un bras dans le dos, mais j’esquivai son geste en le
fusillant du regard. Je n’étais pas sa fille, tout juste une parente. Son sourire
disparut.
– Samantha, je…
– On peut se parler en privé ? coupai-je.
Je me tournai vers Summer :
– Il y a un endroit… ?
– Oui, oui, répondit-elle en me désignant un couloir latéral. Par là, au bout.
La dernière porte donne sur mon bureau.
J’embrayai d’office. On devait régler ça immédiatement. Ensuite,
j’appellerais un taxi.
Derrière moi, j’entendis la voix de Garrett :
– Euh, je… merci Summer. Je lui montrerai le jardin dès qu’on aura fini.
– Bien, Monsieur Brickshire.
Je m’arrêtai, me retournai. J’étais encore livide, mais elle me paraissait si
petite dans cet environnement. Garrett en rajouta dans la trahison :
– Je n’aurais pu rêver filleule plus idéale. Merci encore d’avoir veillé sur
elle.
Là, je fus comme transpercée par un tisonnier brûlant qui me cautérisait de
l’intérieur, le souffle coupé. Je ne pus que rester sur place, les bras croisés, en
essayant de respirer.
Sa filleule…
Ma coloc, à qui j’avais fini par faire confiance, connaissait mon père
biologique mieux que moi-même.
J’en restai interdite.
Cela dura deux secondes.
Et puis la fureur explosa en moi. Je n’étais plus qu’une torche ardente
lorsque Garrett me rejoignit.
Il croyait pouvoir ainsi entrer dans ma vie puis en disparaître à son gré ?
Jamais. Il croyait pouvoir recommencer ? Pas question. C’était déjà la troisième
fois.
Terminé.
Il s’arrêta près de moi et je perçus soudain son hésitation. Il avait senti ma
rage. Juste ce que je voulais.
– On peut discuter ? me demanda-t-il d’un ton circonspect.
Oui. Je me réjouissais intérieurement. Ce petit triomphe représentait
beaucoup pour moi, ce qui n’altérait en rien ma fureur. Je laissai tomber :
– Entre. Qu’on en finisse.
Il ouvrit la porte, mais s’arrêta sur ma dernière phrase.
Je passai devant lui, sans faire attention aux affaires personnelles de
Summer. Il y avait un bureau et un canapé. La pièce était propre, remplie de tous
les jouets technologiques dont pouvait rêver une gosse de riches. J’attendis juste
que Garrett ferme la porte et là, je ne lui laissai pas le temps de parler :
– C’est la troisième fois.
Il ne demanda pas ce que je voulais dire, baissa la tête.
– Elle est enceinte.
Ma colère recula.
– Qui ?
– Ma femme, dit-il en relevant les yeux. Elle a fait deux fausses couches,
mais la voilà de nouveau enceinte. C’est pour ça que je ne t’ai pas téléphoné ni
envoyé de mails.
– Ah non ! Non, non, non ! Tu fais toujours ça ! Toujours ! La première fois,
c’était parce que tu ne me connaissais pas. Ensuite, parce que tu voulais
récupérer ta femme. Et maintenant… c’est la troisième fois, et voilà tout ce que
tu trouves à dire ?
J’avais du mal à respirer, j’écarquillais les yeux. J’étais en boule. Il ne
m’arrêterait pas.
– Je ne peux plus te croire. Tu vas avoir un gosse. Félicitations de merde !
Maintenant tu crois que tout va bien se passer ? Un bon conseil, cesse de
disparaître. Tu apprendras peut-être alors ce que c’est qu’une véritable relation
avec un enfant !
Là-dessus, je sortis en claquant la porte.
Terminé. Merde ! Maintenant, il fallait que j’appelle un taxi et je ne
connaissais même pas l’adresse de cet endroit.
– Sam ?
Summer m’attendait en tirant sur son chemisier. Quand elle vit que je
n’allais pas m’arrêter, elle bondit près de moi, m’emboîta le pas.
– Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qu’il a dit ?
– Il va voir un gosse. Enfin eux…
Qu’il aille se faire foutre ! L’enfoiré. J’avais déjà un père.
– Quoi ? C’est génial ! Sharon a eu…
Elle s’arrêta net.
– Attends, reprit-elle. Je ne connais pas vos relations à tous les deux. Mais
c’est spécial. Tu ne m’as jamais parlé de lui et là, quand je vois comme tu es en
pétard, je… pardon !
Elle s’arrêta. On était seules, devant la porte. Elle se tordit encore les mains,
tira sur ses manches.
– Garrett connaît mon père. Ils sont tous amis. Ils forment un énorme groupe
et il y en a d’autres aussi. Mais…
Elle baissa la tête avant de la relever. Elle avait pris une décision.
– Et puis merde. Je vais tout te dire…
– Summer, ma chérie ?
Elle poussa un juron avant de se retourner.
– Molly. Salut !
Une femme en robe jaune et large chapeau blanc arrivait vers nous, deux
flûtes de champagne à la main. Elle souriait gracieusement, ses yeux bleus fixés
sur moi, très jolie mais l’air complètement idiote.
Jamais elle n’aurait tenu tête à Helen ou Malinda, pas plus qu’à Ann-Lise.
– Vous devez être Samantha ?
En même temps, elle tendit les deux verres à Summer.
– Tiens, je vous ai apporté deux Mimosas.
Une fois débarrassée, elle revint vers moi :
– Il faut que je vous embrasse. J’ai tellement entendu Sharon parler de vous !
Elle est en extase devant votre beauté, et ça n’a rien d’exagéré.
Elle me serra dans ses bras.
– Vous êtes magnifique, ma chère. Absolument magnifique ! Summer vous
trouvait jolie, mais elle ne vous a pas rendu justice. Vous ressemblez tant à
Garrett ! Je n’en reviens pas.
Cette observation me fit l’effet d’une gifle.
– Je ne suis pas comme lui ! dis-je en me détachant d’elle. Sans vouloir vous
vexer.
Elle ne parut pas vexée. Son sourire ne fit que s’élargir.
– Si. Et vous avez la même combativité, aussi. Ça se voit. Vous êtes
infiniment plus forte que Summer. Ma chère, tu devrais prendre des leçons de ta
coloc. Je suis complètement tombée sous votre charme, Samantha. Je suis si
contente que Summer vous ait enfin invitée à notre dîner de famille !
Enfin ? J’interrogeai Summer du regard. Enfin ?
Elle ne me regardait pas, les yeux tournés vers le fond de la pièce, la gorge
tremblante. J’avais l’impression qu’elle luttait contre les larmes et j’en éprouvai
une onde de remords – non, il fallait que j’oublie ça. Elle m’avait menti.
C’était la filleule de Garrett.
Ce qui suffit à réveiller ma colère. Et me raffermit dans mon désir de partir
au plus vite.
– Bon. Je m’en vais. Quelle est votre adresse ?
– Pourquoi ?
– Je veux appeler un taxi.
– Quoi ? demanda-t-elle à Summer. Tu as fait quelque chose qui l’a
contrariée ?
Summer s’empourpra, retint son souffle avant de rétorquer :
– Tu es un sacré numéro, dans ton genre ! Tu sais pourquoi je n’ai pas pu lui
dire la vérité. Et vous avez tous approuvé en disant que ça en vaudrait la peine.
Mais ça n’en vaut pas la peine. Elle est bouleversée. Et Garrett est là. J’ai
entendu quand elle a crié. Il ne lui avait pas encore parlé de sa petite sœur. Elle a
parfaitement le droit d’être en colère.
Sœur… J’ai une sœur qui arrive ?
Summer et Molly se disputaient à côté, mais je ne percevais plus leurs voix.
Je n’arrivais pas à y croire. Une sœur. Il avait parlé d’un bébé, mais je n’y avais
pas vraiment songé. Nouvelle excuse. C’était tout ce que j’avais retenu.
Nouvelle excuse pour son absence, mais maintenant… je comprenais.
Ainsi, j’allais être grande sœur. Une vraie sœur, avec le même sang. Je
fermai les yeux, et pas celui d’Ann-Lise.
Garrett pouvait bien être ce qu’il voulait. Distrait, étourdi, négligent – je ne
savais pas. Mais ce n’était pas Ann-Lise. Cette enfant n’aurait pas ce que j’avais,
ma mère.
Tant mieux pour elle. Ma petite sœur avait une chance d’avoir une vraie
famille, avec deux parents. Ma gorge se serra. Garrett serait un bon père. J’allais
m’en assurer.
– Samantha ?
C’était lui, je m’arrachai à ma rêverie.
– Désolé, dit-il les sourcils froncés, de ne pas t’avoir téléphoné. Vraiment
désolé.
Molly poussa un soupir en saisissant la main de Summer.
– Dans la famille où j’ai grandi, continua-t-il, on ne se téléphonait pas
souvent. Je ne me cherche pas d’excuse, mais… ça ne me vient pas à l’esprit
parce que je suis un père stupide et que je ne sais pas ce que je fais. Pour ce que
ça vaut, je voulais que tu saches que là, j’ai fait exprès de ne pas téléphoner. Non
pas pour te blesser ou te tenir à l’écart. Au début, on ne savait pas. Sharon ne
voulait rien dire. Il y avait trop de fausses couches dans sa famille. Elle disait
qu’elle allait sans doute perdre le bébé, alors je ne voulais donner de faux espoirs
à personne. Et c’est ce qui est arrivé.
Il cligna des paupières, ses yeux s’humidifièrent, mais il poursuivit :
– Ça nous a fait encore plus mal qu’on ne l’aurait cru, pourtant on a continué
d’espérer, et elle est retombée enceinte presque aussitôt. Le deuxième… on a cru
que ce serait le bon. J’ai appelé David, mais tu étais en train de courir. Il m’a dit
que tu préparais ton entrée à Cain University. C’était un mois avant, ou peut-être
plus d’un mois. Il m’a raconté quand tu allais t’installer là-bas, et tout. Je voulais
te faire une visite surprise et t’aider à emménager, et puis je voulais aussi
attendre, pour être sûr d’avoir de bonnes nouvelles à t’annoncer, mais on a perdu
le deuxième aussi.
Son émotion était palpable et je sentais monter la mienne, qui me coinçait les
cordes vocales.
– Je ne suis finalement pas venu. C’était voulu. David croyait que je serais
là, mais non, et j’en suis désolé. J’étais en deuil, même si ce n’est pas une
excuse. Je n’ai fait que tout gâcher depuis que j’ai appris ton existence, mais
avec celui-là…
Il baissa la tête. Le charismatique et charmant Garrett que j’avais vu en lui à
plusieurs reprises se transformait en un petit garçon éperdu, vulnérable et sincère
dans chacun de ses mots.
Je retins mon souffle. J’espérais bien qu’il était sincère. Cela signifierait
qu’il avait ses défauts sans être pour autant un taré.
Et puis, je secouai la tête. Qu’est-ce que je faisais là ? En même temps, une
sœur… j’allais être une grande sœur.
Il voulut encore parler, mais je l’interrompis :
– Maintenant, c’est fini de ne plus me téléphoner.
– Quoi ? demanda-t-il d’une voix rauque.
– Il faudra m’appeler. Une fois par semaine.
– Je sais, dit-il en s’essuyant le coin de l’œil. Je me suis pris un savon par
Sharon quand elle a découvert que je ne t’avais pas appelée. Elle était persuadée
que je le faisais. Son instinct de mère poule s’est réveillé avec toi aussi.
Je jurai intérieurement. Maintenant je savais que j’allais me retrouver avec
une nouvelle mère dans ma vie. Ça me fit marrer. Je ne voyais pas comment
j’allais réagir à tout ça, mais une sœur… je n’y aurais jamais cru.
– Elle est là ? demandai-je.
– Sharon ? Non.
Il désigna Molly et Summer toutes deux en train de se tamponner les yeux.
– Elle m’a dit de me débrouiller tout seul. Qu’elle viendrait plus tard te
couvrir de baisers. Elle a attendu longtemps, mais maintenant, avec le bébé, on
ne peut plus la retenir. Elle était bien décidée à venir te voir, que j’aie ou non
réglé les choses avec toi aujourd’hui.
Maman Malinda approuverait.
Je m’autorisai à sourire :
– Je suis encore furax après toi, pourtant… Une petite sœur ?
– Oui, lâcha-t-il fièrement. J’ai de la chance. Deux filles.
– Vous lui avez déjà choisi un nom ?
– Ah ! s’écria Molly en se bouchant les oreilles. Je ne veux pas entendre !
Sharon veut que personne ne le sache.
– Oh mon Dieu ! marmonna Summer. Désolée. On s’en va plus loin. Tu
vois, Sam, c’est en partie pour ça que je n’ai rien dit. On savait toutes qu’il
voulait t’en parler lui-même. Désolée de t’avoir contrariée.
J’attendis qu’elles se soient suffisamment éloignées pour murmurer :
– Tu es vraiment proche de la famille de Summer ?
– Oui, plutôt. C’est vrai qu’elle ne t’en a pas dit un mot ?
– Non, pas un seul.
– Eh bé ! Elle avait promis de se taire, mais je n’aurais pas cru à ce point.
C’est une filleule adorable. Elle adore déjà la petite Seb.
– Seb ?
Une portière de voiture crissa derrière moi, mais je n’y prêtai pas attention.
– Vous allez l’appeler Seb ?
– Non, non ! s’esclaffa Garrett. Sabrina, avec Seb pour diminutif. Sharon
l’appelle déjà comme ça. On termine à peine le troisième mois, mais il fallait que
je te dise ce qui se passait. Nous espérons que tu voudras bien être sa marraine.
Mon cœur fondit, les larmes me montèrent aux yeux. Je toussotai pour
essayer d’alléger un peu ma poitrine.
– Bien sûr !
La portière s’ouvrit.
J’allais devenir marraine… Pas vrai ! Cela me fit sourire. J’avais hâte de
l’annoncer à Mason et Logan.
Une voix d’homme retentit derrière moi.
– Oncle Garrett, j’avais oublié que vous veniez aujourd’hui.
Attends… Tout se figea en moi.
Garrett se remit à rire et tendit la main au nouveau venu.
– Je n’aurais manqué ça pour rien au monde ! C’est ton anniversaire, et
puis…
Il me serra contre lui, me tourna pour faire face à celui que je m’attendais
déjà à découvrir.
– Je peux maintenant te présenter ma fille, Samantha.
J’étais au bord de la nausée. Garrett poursuivit :
– Voici mon filleul, Sebastian.
Car c’était bien Park Sebastian qui se retrouvait devant moi, à me dominer
de son regard moqueur.
– Quel cadeau d’anniversaire ! s’exclama-t-il.
CHAPITRE
19

Je frappai Sebastian.
Le poing serré, ça partit tout seul. Et je recommençai, en le fusillant du
regard, le défiant silencieusement de réagir.
Mais il se contentait de me fixer.
J’avais d’abord atteint sa joue, où apparaissait déjà une marque rougeâtre. Il
n’avait pas bougé ni même frémi ou reculé.
S’il croyait me faire peur ! J’eus envie de recommencer. Cependant, il dut le
sentir car, cette fois, il me prévint :
– Tu n’as pas intérêt.
– Ah oui ? râlai-je.
Je relançai mon poing. Et tant pis pour la règle selon laquelle les filles-ne-
doivent-pas-frapper-les-garçons-car-ils-ne-peuvent-pas-répliquer.
N’importe quoi !
Park Sebastian méritait tous les coups de poing de la terre.
– Samantha !
Je m’arrêtai en plein élan, laissai retomber mon bras. J’avais oublié la
présence de Garrett.
Il paraissait choqué, haussant les sourcils, la tête en arrière.
– Qu’est-ce que tu fais ? On ne frappe pas les gens comme ça !
Ce qui arracha un rire moqueur à Sebastian. Je lâchai :
– Tu te sers de camions, mon pote, eux de leurs poings ! C’est plutôt
disproportionné, non ? On peut se défendre contre une main, pas contre un
camion.
– Attendez…
Garrett nous regardait l’un après l’autre sans cesser de tourner la tête.
– Ah oui ? rétorqua Sebastian. Et une maison incendiée, qu’est-ce qu’il y a
de pire, selon toi ?
Il s’avança d’un coup, à quelques centimètres de moi.
– Il a détruit ma maison, poursuivit-il. Ma maison. C’était tout pour moi.
– Tu as essayé de briser son avenir.
– Ah non ! s’esclaffa-t-il d’un rire qui me fit frissonner. Son avenir n’est pas
sa carrière. Ah non ! Son avenir, c’est quelqu’un d’autre, et là, tu as raison, je…
Il s’interrompit, l’air soudain paniqué, recula en se passant une main dans les
cheveux.
– Merde, je… Je ne voulais pas dire ça, Samantha. Désolé.
Quelqu’un d’autre. Pas besoin de me faire un dessin. Je ne m’étais donc pas
trompée. Il voulait atteindre Mason à travers moi. J’étais le « quelqu’un
d’autre » en question.
– C’est bon, dis-je en levant les mains. Tu ne fais que confirmer mes
soupçons.
– Qu’est-ce qui se passe ? demanda Garrett.
Je sortis en trombe, pour la deuxième fois de la journée, et dévalai le
chemin. Tant pis, j’allais me rendre dans la rue, marcher jusqu’à un carrefour et
appeler un taxi de là-bas.
J’abordais un bosquet quand Summer cria derrière moi :
– Sam ! Sam !
Je fis non de la tête, mais elle arrivait déjà à ma hauteur. Je ne la laissai pas
parler :
– Arrête ! Tu m’as menti.
Tant pis. Puisqu’il fallait en arriver là, autant que ce soit quand j’avais trop
chaud.
Elle s’arrêta, le visage blême, leva une main comme pour se protéger de moi,
mais la rabaissa vite.
– C’est vrai.
– C’est ton frère. Ton putain de frère !
– Bon, admit-elle. D’abord, ce n’est pas mon putain de frère, juste mon
frère. C’est tout.
– Vous n’avez pas les mêmes noms de famille.
– J’ai pris le nom de jeune fille de maman. Au cas où tu n’aurais pas
compris, je ne me sens pas proche du tout de mon père ni de sa famille. Je ne
supporte pas Molly, et, la plupart du temps, Parker non plus.
– Parker ? C’est ça son diminutif ? Tu allonges son prénom au lieu de le
raccourcir ? Trop con, trop mignon !
– Arrête ! Je savais que tu ne serais pas contente, mais arrête avec tes coups !
– Sûrement pas !
De nouveau, je serrai les poings en lâchant :
– Tu m’as menti. Tu as toujours su qui j’étais ?
Elle ne répondit pas tout de suite, mais finit par laisser tomber d’une voix à
peine audible :
– Oui.
J’en étais sûre.
– Mais vous jouiez à quoi ? C’était pour m’espionner ? Bordel !
Une nouvelle pensée me vint, terrifiante :
– En fait, on n’était pas destinées à être colocs ? C’est Sebastian qui a fait
l’échange, c’est ça ? J’ai reçu mon numéro de chambre en retard… Tout ça à
cause de ton frère ?
J’en avais les tripes retournées. D’autant qu’elle ne me répondait pas, rongée
par le remords. Je connaissais.
– Je n’y crois pas ! dis-je encore. Ce n’est pas vrai !
– Si. D’accord ? souffla-t-elle d’un ton désespéré. Il ne m’avait pas parlé de
leur querelle. Je l’ai juste vue de mes yeux le jour de la rentrée. Quand j’ai
constaté comment vous vous comportiez avec lui, j’ai compris qu’il se passait
quelque chose. Je t’aimais déjà beaucoup, alors je n’ai rien dit. Je ne voulais pas
perdre une coloc qui s’annonçait géniale. La semaine suivante, quand je l’ai
coincé entre deux portes à la maison, il m’a tout dit. C’était pour ça qu’on ne
l’avait pas vu quand je me suis installée, alors qu’en principe il aurait dû
m’aider. Il m’a tout expliqué, m’a raconté comment Mason avait incendié le
pavillon de sa fraternité et comment il s’était battu contre plusieurs de ses frères.
Je ne sais pas ce que Parker a fait, mais je suppose qu’il a réagi. Il prétend que
non. J’aime mon frère, seulement je ne suis pas aveugle. Je sais ce dont il est
capable, et je l’ai supplié de laisser tomber. Il a promis, mais c’est là que Logan
s’est invité à sa fête et que la bagarre a commencé.
– Parce que c’est Logan, maintenant ? demandai-je en éclatant d’un rire
mauvais. Attends, Sebastian s’est arrangé pour qu’on soit colocs, en mettant une
espionne dans ma chambre ? Tu crois qu’il allait s’arrêter et que tout est à cause
de Logan, du moment où il a rappliqué au milieu d’une fête et entamé une
bagarre ? C’est pour ça que ton frère ne peut plus laisser tomber ?
Rouge de fureur, j’avais envie de lui arracher les cheveux un à un.
– Tu es complètement idiote ? hurlai-je en la faisant bondir en arrière. Tout
ça a commencé parce que Mason ne voulait pas servir de trophée à ton frère.
Sebastian ne pouvait pas le contrôler. Voilà tout. Du coup, il a tenté de renverser
Mason avec un camion.
Frappée de stupeur, Summer ouvrit la bouche, la referma, serrant les lèvres.
– Non, finit-elle par articuler en secouant la tête. Non, jamais ! Ça ne lui
ressemble pas…
– Tu n’en sais rien.
Elle refusait d’y croire et je vis un autre non se former sur ses lèvres.
– Si, insistai-je. Pas non. Si ! Ton frère a tenté d’écraser Mason et c’est
Marissa qui a pris à sa place. Sebastian lui a offert de l’argent et elle a changé
d’université. Avec ses amis, ils ont aussi attaqué Mason, l’année dernière. Tu
as…
J’avais peur de lui poser la question. Cette idée me rendait malade. Pourtant,
je finis par me lancer :
– Il t’a demandé de m’espionner ?
– Euh, oui… Mais non. J’ai refusé.
Elle répondait trop vite pour être honnête.
– Qu’est-ce qu’il t’a demandé ?
– Non, Sam. Je t’ai dit. Je ne voulais pas te faire ça.
– Mais il te l’a demandé ?
– Sam…
Sa voix se brisa et elle détourna les yeux. Sa mâchoire se mit à trembler. Je
répétai d’un ton calme :
– Qu’est-ce qu’il t’a demandé, Summer ? Il faut me le dire.
– À propos de ta famille… ta mère et ton père. Il voulait savoir pour ton
demi-frère. C’est tout.
Je ne pouvais m’en contenter.
– Summer ?
– Il est passé, un soir.
Il était donc entré dans la chambre. Je tâchai de me dire que c’était logique,
avec sa sœur, mais tout mon corps se révolta. Mes veines se glacèrent. Il avait
approché mon bureau, mon lit, mes vêtements. Sans compter que je laissais
parfois traîner mon sac.
– Il y est resté seul ?
– Non, murmura-t-elle les yeux baissés. Enfin… je suis peut-être allée aux
toilettes.
– Summer !
– De toute façon, il n’aurait rien fait !
– Si, c’est fait.
– Écoute, Samantha, je suis désolée. Je ne voulais pas te le dire parce que je
savais que tu flipperais, et je t’aimais bien. Je ne voulais pas que tu t’en ailles
avant de me connaître.
– Trop tard.
La leçon allait porter ses fruits. Il fallait que je déménage. Un rire ironique
m’échappa.
– C’est drôle. Le mec dont je devais me méfier est le seul, avec Mason, à
posséder une clé de la chambre. Parce que Sebastian a bien notre clé, n’est-ce
pas ?
Elle finit par répondre d’un hochement de la tête.
– Déso…
– C’est bon ! Tu l’as déjà dit, mais le mal est fait. Je n’ai plus confiance en
toi. D’abord Garrett, et maintenant ton frère. Comment veux-tu que je vive avec
toi, maintenant ?
– Je…
Laissant échapper un cri étouffé, elle se prit la tête entre les mains, comme si
elle voulait s’arracher les cheveux.
– Mon Dieu ! Je voudrais le tuer, mon frère ! C’est lui qui m’a mise dans
cette merde. Pourtant, je t’aime bien. J’ai rencontré l’autre fille, celle qui aurait
dû être ma coloc, et je sais que je l’aurais détestée. Je croyais qu’il m’avait rendu
service. En fait, il s’est fichu de moi. Je vais lui arracher les couilles !
Un autre cri lui échappa, suivi d’une litanie de jurons dignes de Logan.
– Crois-moi, Sam, je te comprends très bien. Maintenant j’essaie de trouver
un moyen de me rattraper. Mais je ne vois rien…
– Raconte-moi ses secrets.
– Quoi ?
– Raconte-moi ses secrets. Dis-moi tout.
– Attends, là, tu me demandes la même chose. Au lieu de lui lâcher des
indices sur toi, il faudrait que j’en lâche sur lui ?
Je plissai les yeux.
– Tu veux te rattraper ou pas ? Raconte-moi tout sur lui, jusqu’aux détails les
plus scabreux.
Elle se tut, mais ne se détourna pas, ne s’en alla pas, finissant par baisser la
tête.
Je la tenais.
Sebastian voulait se servir de moi. Je pourrais sans doute me servir de sa
sœur, à la place.

*
* *
Je ne parlais jamais de Summer à Mason et Logan.
J’aurais dû. Mais ça aurait immédiatement brisé mon amitié avec elle. Ils
l’auraient considérée comme une traîtresse, sans plus jamais lui faire confiance.
Elle m’avait menti mais pas trahie, du moins je l’espérais. Si bien qu’en fin de
compte je décidai de ne pas déménager, en tout cas pas pour le moment. D’un
autre côté, j’essayais de me comporter comme Mason, froide et impitoyable. Je
ne possédais pas son cerveau, mais je ne souffrais pas trop.
Summer ne savait plus comment se rendre utile, et les quinze jours suivants
débordèrent d’informations de toutes sortes. Dès qu’elle pensait à quelque chose,
elle me le disait. Si je pensais à quelque chose, je le lui demandais. Elle
répondait toujours sans aucune hésitation, et sans non plus jamais détourner les
yeux.
– Qu’est-ce que tu feras quand Mason et Logan découvriront la vérité sur
moi ? me demanda-t-elle un soir.
– Je leur dirai la vérité, rien que la vérité.
La partie s’arrêterait là. Pour le moment, j’étais en pleine manœuvre
d’attaque et d’esquive.
– Qu’est-ce que tu as dit à Sebastian ? demandai-je.
– Rien. Il ne mérite pas de savoir quoi que ce soit.
Ça m’allait très bien. Il n’était plus réapparu et ne téléphonait même plus
depuis que j’avais quitté la maison de leurs parents, mais je savais que ça ne
durerait pas.
Un jour, en rentrant d’un cours, j’y eus droit.
J’ouvris la porte pour me trouver nez à nez avec Park Sebastian, assis devant
mon bureau. Il retourna une feuille de papier.
– Fous le camp !
La porte allait claquer derrière moi, mais je calai un pied dans la fente,
croisai les bras.
– Allez ouste ! insistai-je.
Il me répondit d’un mince sourire.
– Voilà un moment qu’on ne se voyait plus, Samantha.
– Éloigne-toi de mon bureau.
Il se mit à rire, mais fit ce que je lui demandais. Je coinçai une chaussure
dans la porte pour l’empêcher de se refermer, puis m’approchai pour voir ce
qu’il regardait. C’était un message laissé par Summer :
Sam,
Partie déjeuner avec ma mère. Rentrerai ce soir.
Summer
P.S. Appelé la sécurité du campus. Ils vont changer la serrure.
Je levai les yeux sur Sebastian qui me toisait avec un sourire suffisant. Je lus
le reste du message :
Mon frère n’aura plus de clé.
Bisous.
– Donne-moi la clé, dis-je en tendant la main.
Je chiffonnai le message et le jetai dans la poubelle, tandis que Sebastian se
penchait pour regarder ma main de près.
Il eut un petit rire agaçant.
– Ma sœur a oublié que j’ai les mêmes relations qu’elle. Il faudra qu’elle
s’adresse à un autre serrurier la prochaine fois qu’elle voudra me jouer un sale
tour.
– De toute façon, tu n’as pas à avoir de clé. Je pourrais te dénoncer.
– Mais non, tu ne feras jamais ça, pas plus que tu ne voudras qu’on sache
que j’étais là.
Là-dessus, il envoya balader la chaussure et la porte se ferma. Il se retourna
vers moi en me barrant le passage. J’étais prisonnière dans ma propre chambre.
– Fous le camp, hurlai-je.
– Non.
Je pris mon téléphone.
– Je ne plaisante pas. Tu dégages ou j’appelle les secours.
– Mason l’apprendra.
– La partie est terminée. Prépare-toi pour une nouvelle sorte de combat.
D’un seul coup, il perdit son petit air taquin et une dangereuse lueur lui
traversa le regard. L’atmosphère devint glaciale ; je frissonnai.
– Ce n’est pas moi le méchant, ici.
– Alors qu’est-ce que tu fais dans ma chambre, à me bloquer la porte ? Fous
le camp, je te dis !
Je brandis le téléphone.
Il recula.
– D’accord, je m’en vais, mais n’oublie pas que c’est ton petit ami qui a
incendié ma maison. Il s’en est trop bien tiré.
– Ah oui ? On a une liste des pires choses que vous avez commises. Au fait,
c’était trop gentil de ne pas avoir dit à ta sœur tout ce que tu as fait. D’abord, tu
as voulu contrôler Mason. C’est toi qui as commencé.
– Si tu crois que ma sœur est de ton côté, tu oublies quelque chose.
– Ah oui ? Quoi ?
– On est de la même famille, lâcha-t-il en ouvrant la porte. Tu ne sais pas de
quoi on est capable pour sa famille.
Là-dessus, il s’en alla.
Je me retournai, écœurée. Au beau milieu de mon bureau trônait un portrait
de Mason, Logan et moi, le jour du mariage de David et Malinda. On se tenait
tous par le bras en souriant. D’habitude, je la gardais sur une étagère parmi les
autres photos.
Sebastian l’avait mis là exprès. Un frisson me parcourut.
CHAPITRE
20

Sur les charbons ardents.


Ce fut ainsi que je me sentis durant les semaines suivantes.
Tout le monde guettait l’explosion qui allait forcément arriver. On la sentait
venir. J’attendais. Mason et Logan aussi, sans doute. Ainsi que Sebastian et
Summer. Et Heather. Quand on retourna à Fallen Crest pour Thanksgiving, elle
me demanda s’il s’était déjà produit quelque chose. Rien. C’était le calme avant
la tempête.
De retour à la fac pour le dernier mois avant la longue pause des fêtes, je
ressentis la même impression.
Attente.
Tension.
Des rumeurs de conflit commençaient à courir. On disait que Logan avait
mis le feu à une voiture. Ni lui ni Mason ne réagirent. J’en conclus que ce n’était
qu’un fake. Ensuite, on prétendit que Nate avait tenté de faire renvoyer Sebastian
mais, encore une fois, Mason et Logan ne m’en dirent pas un mot.
Que devais-je faire ?
Ce que je faisais en ce moment : étudier. Pourtant, j’avais envie de
m’arracher les cheveux car je n’arrivais pas à mémoriser les noms des plus
célèbres psychologues, toutes leurs théories, leurs lois, leurs principes et les plus
petites fonctions du cerveau.
La porte du bureau d’études de la bibliothèque s’ouvrit brusquement sur
Logan, armé d’une pizza, son sac sur l’épaule, un sac plein de boissons
énergétiques dans l’autre main.
– Me voilà, salopes ! s’écria-t-il. Le travail continue.
Avant que quiconque puisse dire quoi que ce soit, il déposa le tout sur la
table et agita les bras d’avant en arrière comme s’il actionnait une mitraillette.
Après quoi, il s’accouda à la table, le visage dans les mains, battant des cils
devant Summer.
– Qu’est-ce qui se passe, quelque chose de chaud ?
Elle lâcha son stylo dans son livre.
– Tu viens de citer Seize bougies pour Sam, là ?
Ses cils frémirent, deux fossettes lui creusèrent les joues.
– Ça t’a mise en forme ?
– Non, répondit-elle, l’air renfrognée.
Il s’en moquait. Son sourire s’élargit.
– Tu peux m’appeler « Mon Sex Toto », ça t’excite ?
– Tu fais exprès de m’embêter. Arrête. Et emporte cette pizza, on n’a pas le
droit de manger dans la bibliothèque.
– Mais si ! Et je n’ai même pas commencé. Tu aimes les choux à la crème ?
Parce que moi, oui, et les chochottes aussi. Enfin, ce que j’en dis…
Elle le regardait d’un œil si glacial qu’il finit par laisser tomber et s’adossa à
son siège, les mains derrière la tête.
– D’après toi, comment j’ai apporté ça ici ? Je suis passé devant les
bibliothécaires avec.
– On ne peut pas manger ce genre de truc ici. Des sandwichs, des salades,
des paquets de chips, d’accord. Mais une grande pizza ? Tu vas nous faire
renvoyer, et je ne sais pas pour les autres…
Elle nous jeta un regard, à Mason et à moi, avant d’ajouter :
– En tout cas, je ne peux pas étudier dans la résidence. Kitty et Nina
dépriment chacune à son tour, par roulement. Quand Kitty ne se lamente pas en
proclamant qu’elle va rater Sciences Po, elle console Nina avec ses hurlements
et ses crises de panique. Comme je l’ai dit, je ne peux pas étudier là-bas.
– Non, je plaisantais, dit Logan, mais sérieusement, il faut te nourrir. Tu es
trop tendue pour arriver à bien travailler.
Il ne la regardait pas en disant ça, il ouvrait la boîte à pizza.
Je ne bougeai pas. J’attendis en observant ma coloc. À côté de moi, Mason
faisait de même. À mesure que Logan parlait, le sourire de Summer marquait
une forme de panique avant de virer vers la spéculation.
Elle allait le faire.
Je voyais les rouages tourner : Logan prenait une tranche de pizza et
commençait à la manger, elle l’examinait, avec ses cheveux en brosse et son air
satisfait. Il dévora la moitié de la part en une bouchée, Summer contemplait
toujours ses larges épaules, soulignées par son tee-shirt qui moulait les muscles
de ses biceps pendant qu’il se penchait pour se resservir.
S’adossant à son siège, elle me jeta un regard implorant.
– Ne me juge pas mal.
Logan releva la tête.
– Hein ?
Elle l’attrapa par la main et l’entraîna derrière elle.
– Il faut qu’on se trouve un placard.
Il haussa les sourcils, mais nous adressa un signe en souriant tandis qu’elle le
conduisait derrière un rayon.
– On a une demi-heure, commenta Mason en fermant la porte.
Je me mis à rire avant de me replonger dans mon portable.
– Je dirais vingt minutes.
Je remarquai soudain une grande enveloppe qui venait d’apparaître sur le
bureau.
– C’est quoi, ça ?
Elle était usée, froissée, déchirée à un angle, et dévoilait le coin d’une photo.
J’en eus la gorge sèche.
Ça ne sentait pas bon.
Mason se pencha ; je sentis ses yeux peser sur moi mais j’avais trop peur
pour regarder. Je me doutais de ce que pouvaient représenter ces photos.
– C’est quoi ? demandai-je encore.
Il me tendit l’enveloppe.
– Tu n’as qu’à regarder.
Je relevai la tête. Le Tireur.
Il me dévisageait avec une rage contenue. Il bouillait, littéralement. Je
m’humectai les lèvres.
– Mason…
– J’ai engagé quelqu’un pour te protéger, coupa-t-il.
– Pardon ?
– Le lendemain de ton installation ici, j’ai appelé une agence avec laquelle
mon père travaille. Je voulais engager un garde du corps car je m’inquiétais pour
toi. Sebastian peut trouver toutes sortes de manières de m’attaquer, mais c’est à
travers toi et Logan que je suis le plus vulnérable.
– Tu as…
– Oui. Et j’en ai engagé un aussi pour Logan, qui ne le sait pas.
– Ça veut dire que tu…
Summer. La maison de ses parents. Et même Garrett… Je n’en avais
strictement rien dit. Je ne savais pas comment lui expliquer que j’avais vu
Sebastian ni comment j’étais au courant pour ma petite sœur.
Mais Mason savait qui était Summer.
Il me dévisageait, me coinçait du regard.
Un souvenir me revint.
– Mon père a un faible pour les femmes faibles.
Une fois encore, ce n’était pas un jugement. Pour Mason, c’était un fait. Et
le manque d’émotion dans sa voix ne lui donnait que plus de force.
– Tu traites ma mère de faible ?
– Ce n’est pas la vérité ?
– Je… euh… balbutiai-je, la gorge serrée.
– Toi aussi, tu le penses, hein ? fit-il d’un air dégoûté. Mais tu ne peux pas
l’admettre devant moi. C’est bon, je comprends. Ça reste ta mère.
Il se détourna alors, me laissant figée de stupeur. Comme s’il m’avait clouée
sur place. Je me sentais prisonnière. Et incapable de m’empêcher de trembler. Il
fallait absolument que je me contrôle.
J’inspirai longuement, profondément… tout en réalisant qu’il avait toujours
le même effet sur moi. La façade glacée que j’essayais vainement d’afficher
fondait en quelques secondes dès qu’il portait son attention sur moi.
– Ma mère sait que tu ne l’aimes pas ?
Une question bizarre, mais je voulais savoir ce qu’il pensait. Je voulais
l’intéresser.
Il sourit. La puissance de son regard, ses dents parfaites, sa mâchoire ferme
et carrée, tout ça me cloua encore sur ma chaise. L’espace d’un instant, j’en eus
la respiration bloquée.
Mason pouvait toujours regarder en moi. Bien sûr qu’il savait. Il avait un
plan.
Je fermai les yeux.
– Qu’est-ce que tu sais ?
– Je ne l’ai pas embauché pour t’espionner. C’était par mesure de sécurité,
mais il est venu me voir avant les vacances pour me donner ceci.
Il ouvrit l’enveloppe, étala les photos. C’était bien ce dont je me doutais. La
première nous représentait, Summer et moi, en train de nous rendre dans la
maison de son père. Sur la deuxième, c’était Sebastian qui arrivait. Sur la
troisième, je quittais la maison, le teint pâle, les joues pleines de larmes. Sur la
suivante, je les essuyais. Je ne m’étais pas rendu compte que je pleurais. Summer
me courait après. Et il y avait ensuite plusieurs clichés de nous en train de parler.
On regagnait la maison où nous attendaient Sebastian et Garrett. Tous deux
étaient assis, les coudes sur les genoux. Ils se levaient à notre arrivée. On se
retrouvait tous les quatre debout, et c’était là que je disais au revoir. Après quoi,
Garrett me ramenait à la résidence et, tout en décidant de me servir de Summer
pour me rapprocher de son frère, je sortais mon téléphone, prête à appeler Mason
et Logan pour m’aider à déménager. Je passai trente minutes dans la voiture de
Garrett, à tâcher de prendre une décision.
– Garrett était à l’université avec les parents de Summer, dis-je à Mason. Il y
a là-bas un professeur qu’ils connaissent aussi.
– Celle qui voulait te voir après le cours ?
Je hochai la tête. Ça faisait mal de lui avouer tout ce que je voulais garder
caché, pourtant ce fut libérateur. Plus je lui en disais, plus vite ça venait. À la fin,
je galopais, à peine capable de respirer. Je ne savais que faire d’autre. Je voulais
le protéger, à tout prix. On pouvait faire confiance à Summer. Elle haïssait son
frère.
– Il y a autre chose.
Impossible de deviner ce qu’il avait derrière la tête, ce qui n’était jamais bon
signe. Mais il attendait.
– Sharon est enceinte.
– La femme de Garrett ?
– Oui. Je vais avoir une petite sœur, Mason !
Il ne dit rien, ne lâcha pas un mot de félicitation. Pas de content pour toi ou
c’est génial ! Il me dévisageait silencieusement. Mes yeux retombèrent sur
l’enveloppe où demeurait une dernière photo.
Je gardai une détail pour moi.
Il sortit la photo, l’étala devant moi. Je retins mon souffle, le cœur lourd.
C’était évidemment celle qui ne pouvait que le rendre malade, prise de
l’extérieur à travers ma fenêtre. Sebastian à l’intérieur de ma chambre, debout
devant mon bureau, et moi qui entrais. La porte paraissait fermée derrière moi,
même si ça n’avait pas été le cas. Je l’avais bloquée avec une chaussure, mais ça
ne se voyait pas sur l’image.
La gorge sèche, je ne pus émettre un mot.
– Il t’a touchée ?
Je fis volte-face, horrifiée.
– Non !
Comment pouvait-il penser ça ?
– Non, bien sûr que non, Mason ! Il était là, mais je crois qu’il voulait
m’intimider. C’est tout. Il a juste dit que ce n’était pas lui le méchant. Après ça,
Summer a voulu faire changer la serrure, mais il avait une clé. Le soir, quand
elle est revenue, elle paraissait au bord des larmes. Je crois que le passage de
Sebastian était davantage destiné à lui faire peur à elle qu’à moi. Il voulait que je
lui dise qu’elle aurait dû choisir quelqu’un d’autre, qu’elle n’était pas la seule à
avoir des relations à l’université. Je crois que tout ça, c’était parce qu’elle avait
voulu changer la serrure.
– Elle s’est retournée contre lui ?
– Oui.
Il restait pourtant froid comme le marbre. Aucune chaleur dans ses
intonations. Il ne me toucha pas pour me rassurer. On aurait dit un inconnu.
J’en frissonnai d’effroi.
C’était le Mason dangereux et calculateur que j’avais devant moi. Pour une
fois, je ne me sentais pas du tout sous sa protection. Je savais qu’il m’aimait,
qu’il ne ferait rien pour me blesser, mais je ressentais ce qui devait arriver à
d’autres face à lui : qu’il était capable de m’anéantir.
Mon cœur battait si fort que j’entendais à peine les bruits extérieurs. Et
Mason restait à l’écart, perdu dans ses pensées.
– Tu me protèges, murmurai-je d’un ton cassé. Je voulais te protéger à mon
tour.
Il repoussa sa chaise. Il allait partir. Je ressentais déjà la douleur de son
absence.
– Mason, je t’en prie !
Il fourra son cahier, son livre et son stylo dans son sac, puis saisit son
portable, marqua une pause, et ce fut là qu’on entendit un rire monter derrière les
rayons. Logan et Summer revenaient. Avec cette porte vitrée, je préférai baisser
la tête afin qu’ils ne voient pas ma détresse.
Mason restait sur ses gardes :
– Pas un mot à Logan !
Je hochai la tête sans répondre. Ça faisait trop mal.
– Si tu crois que tu peux te fier à elle, reprit-il en fourrant son portable dans
son sac, tu te trompes.
Son calme ne fit qu’approfondir mon désarroi. Glissant son sac sur l’épaule,
il se dirigea vers la porte mais la bloqua, comme pour empêcher Logan et
Summer d’entrer. Je ne pus me retourner, mais je sentais qu’il me regardait.
– Je sais… maugréa-t-il. Merde. Laisse-moi du temps.
Logan frappait à la vitre.
– Hé ! Elle ne va pas vouloir remettre ça, tu peux nous laisser entrer ? J’ai
des examens à réviser moi aussi.
Sans réagir, Mason me dit :
– Elle fait partie de sa famille. Et je mesure parfaitement l’importance que ça
avait pour toi de me prouver qu’elle est contre lui.
– Mais…
Peu importait. Mason ouvrit la porte en souriant pour laisser entrer Summer
et Logan. Celui-ci lui tapa sur l’épaule.
– Record battu, frérot !
– À ta place, je ne m’en vanterais pas.
Haussant les épaules, il se laissa tomber sur son siège.
– Elle m’a dit de la mettre et de pomper jusqu’à ce qu’elle vienne. Alors le
record, c’était pour elle. Bon, je crois que les Kade ont une nouvelle raison
d’être fiers.
Summer vint s’asseoir à côté de lui en râlant :
– Ne me dis pas que tu mesures ta virilité à la durée.
– Mais non, assura-t-il en levant le petit doigt. On la mesure à la satisfaction
de nos femmes.
– Ta gueule, geignit-elle.
Là-dessus, elle fit mine de se plonger dans son livre. Logan regarda son frère
et perdit un peu de son sourire, puis il se tourna vers moi et le perdit
complètement.
Personne ne dit rien, mais il avait compris.
On n’était pas de trop bons comédiens.
Je captai la rage de Mason, doublée d’une sorte d’angoisse. Je l’avais blessé
et ça me mit encore plus la boule au ventre.
Je ne voulais pas le froisser, juste le protéger.
Il s’en alla et Logan m’interrogea du regard. Il allait me demander ce qui
s’était passé, mais je ne voyais pas ce que je pourrais bien lui répondre.
Je me sentais soudain trop fatiguée.
Logan attendit qu’on regagne nos chambres. Summer resta à la bibliothèque,
disant qu’il lui restait du travail, mais je me doutais qu’elle cherchait plutôt à
éviter de se mêler à l’histoire. Une fois devant mon bâtiment, je fus surprise de
voir que Logan m’y suivait.
La porte de Ruby était ouverte. Quand celle-ci nous aperçut, elle la referma.
Mais, peu après, ce fut la tête de Blaze qui en émergea. Son regard s’illumina
quand il vit Logan.
– Mon mec !
En simple caleçon de gym, il sortit le poing levé.
– Ça va ?
Logan tendit le sien pour le cogner, me jeta au passage un regard agacé, mais
répondit aimablement :
– Salut, mec. Très bien. Et toi ?
– On se fait une fête un de ces soirs ? demanda Blaze en lui tapotant
l’épaule.
Baissant le ton, il se rapprocha :
– Il paraît que Sebastian va donner la soirée de l’année. Dans un endroit
secret, mais on devrait pouvoir le trouver. Tu es des nôtres ?
– Tu rigoles ? s’emporta Logan.
Perdant son sourire, Blaze recula.
– Qu’est-ce qu’il y a ?
– Tu vas chercher où a lieu une fête, et après ?
Blaze me jeta un bref regard, l’air de demander si Logan se fichait de lui.
Mais non. Je le rassurai sans ciller. Je ne savais pas vraiment ce qui se passait ni
pourquoi Logan se conduisait ainsi, mais j’avais assez de problèmes comme ça.
Mason me faisait la gueule. Ça ne lui arrivait jamais. Il fallait que je redresse la
situation.
– Après, s’esclaffa Blaze, on fera comme la dernière fois.
– La dernière fois, rien n’était programmé. La bande de Sebastian ne nous
attendait pas.
– Enfin… je veux dire… On pourrait essayer quand même, avec plus de
mecs, cette fois.
– C’est ça ! railla Logan. Tu crois qu’il suffirait d’une plus grosse équipe. Tu
t’invites chez lui, et quoi ? Après tu te prendras pour un homme parce que tu
auras provoqué une nouvelle bagarre ?
Wouah ! Quoi ?
Ruby apparut sur le seuil de sa chambre. J’entendis des portes s’ouvrir. Kitty
et Nina passèrent aussi la tête.
Blaze recula un peu plus, les bras sur la poitrine, comme pour se protéger.
– Tu l’as bien fait, toi ! Donc, ça pourrait recommencer. Qu’est-ce qu’il y a
de mal à ça ?
Ça me rappela les bleus sur le visage de Logan le jour du match à domicile.
Et aussi sur celui de Sebastian.
– Parce qu’il n’y a eu aucun retour de bâton.
– Ah ouais ? souffla Blaze estomaqué. Mais c’est bon, non ?
– Il y a toujours un retour de bâton. Tu n’as jamais eu droit à une bagarre ?
La réplique arrive toute seule, on ne la provoque pas. Je peux te dire qu’il
n’attend que ça, fais-moi confiance.
– Le lieu est top secret. Il ne s’attendra à rien. Et Sam pourra nous dire
l’endroit.
Je retins mon souffle. Oh merde !
Logan se retourna vers moi, l’air soudain pensif. Il devait se rappeler mes
échanges avec Mason.
– Et comment Sam pourrait-elle le savoir ? demanda-t-il.
– Grâce à sa coloc. La sœur de Sebastian.
Ruby eut le souffle coupé.
Passant de son expression horrifiée à la mienne puis à celle de Logan, Blaze
se tut, soudain gêné. Après un nouveau pas en arrière, il finit par marmonner :
– Oups !
Et il disparut dans la chambre de Ruby. Celle-ci lança alors à Kitty et Nina :
– Retournez à vos devoirs !
Elles ne se firent pas prier, claquant leur porte derrière elles. D’autres se
fermèrent plus calmement, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que Logan et moi dans
le couloir.
– Mason le sait ? s’enquit-il, les yeux brillants de rage.
– Oui…
– C’est pour ça que vous vous disputiez ?
– Plus ou moins.
– Bon. Depuis combien de temps ?
– Mason m’a dit avant les vacances qu’il était au courant.
– Ça remonte à quinze jours.
– Je sais… soufflai-je.
– Depuis quand le sais-tu ?
– Plus que ça.
– Combien de temps, Sam ?
– Quelques semaines.
En fait, ça en faisait trois – une durant laquelle j’avais été rongée par la peur
en me demandant ce que j’allais pouvoir faire ; une deuxième où c’étaient le
remords et la honte qui m’avaient hantée car je mentais à ma famille, les
dernières personnes à qui mentir ; et la troisième où je me disais que tout le
monde serait bientôt au courant, que je ne tiendrais pas le coup. Tout ça pour
rien, étant donné ce qui se passait maintenant.
– Quelques semaines ? répéta-t-il.
Je grinçai des dents en percevant le même genre d’émotion que celle
qu’avait voulu me cacher Mason dans la bibliothèque. Maintenant, j’allais
souffrir à cause des deux à la fois.
Ma porte s’ouvrit.
Je la vis mais, sur le coup, ne captai pas.
Non, mais ma coloc est toujours à la bibliothèque.
Il ne pouvait s’agir que d’une autre personne…
J’explosai. Bordel de merde ! Logan allait le voir. Je n’avais aucun moyen
de quitter le couloir, mais aucune raison de mentir davantage. Je passai devant
lui pour me diriger vers ma chambre et j’y arrivais presque lorsque la tête de
Sebastian apparut. Je criai :
– Qu’est-ce que tu fais encore là ?
– Encore ? entendis-je derrière moi.
Sebastian m’aperçut, écarquilla les yeux. Et là, Logan surgit, l’attrapa par sa
chemise, l’attira dans le couloir, le plaqua contre le mur en martelant :
– Encore ? Tu es déjà entré dans la chambre de Sam ?
Là, le temps ralentit. Je vis la scène se dérouler devant mes yeux sans
pouvoir intervenir ni rien dire. Quelqu’un se mit à crier.
Toute la violence sous-jacente, toute la tension, tout ce qui mijotait depuis
un mois arrivait soudain au bord de l’explosion, dans le couloir de ma résidence.
Je voyais le visage crispé de Logan, et ses yeux. Il ne se retenait plus.
Sebastian pourrait dire ce qu’il voudrait, ça n’y changerait rien. Logan allait le
massacrer.
Pourtant, on n’entendait plus un mot.
Dès que la tête de Sebastian eut heurté le mur, le poing de Logan s’abattit
dessus. Sebastian le vit arriver et, dans un grondement féroce, les narines
dilatées, il leva un bras pour le bloquer, tout en frappant son adversaire de l’autre
main. La tête de Logan partit en arrière. Je me sentis happée, jetée au loin.
Les cris continuaient.
Je levai un bras pour écarter celui qui me retenait.
Les cris cessèrent.
Je me précipitai, sans plus y réfléchir. Il ne fallait pas que Logan soit blessé,
en même temps, il dut capter mes intentions.
Sans quitter Sebastian des yeux, il cria :
– Éloigne-la de lui ! Vite !
Esquivant un coup de Sebastian, il lui balança un uppercut dans la cage
thoracique.
Et la bagarre s’engagea.
J’essayai de me libérer pour me précipiter, mais je ne pouvais plus bouger.
La personne qui me retenait possédait une poigne de fer.
Sebastian se débarrassa de Logan, le plaqua de nouveau contre le mur pour
l’asperger de coups. Logan se plia en deux, levant les bras pour parer l’attaque.
Sebastian changea de position, lui frappant la tête à coups de coude, mais Logan
feinta, bloqua le bras de son adversaire qu’il repoussa brutalement contre le mur
d’en face. Cette fois, c’était lui qui attaquait ; Sebastian se défendait, jusqu’à ce
que les positions s’inversent à nouveau.
Un silence total régnait dans le couloir. Personne ne disait rien, personne ne
bougeait. Sebastian et Logan continuèrent à échanger des coups jusqu’à ce qu’on
entende une bousculade dans l’escalier.
La bande des amis de Sebastian arrivait à la rescousse.
Cette fois, on me lâcha et Blaze jaillit devant les garçons, les bras levés :
– Hé, ho ! Là, ce n’est plus du jeu !
Les mecs n’en avaient rien à fiche. Celui qui était en tête mit un pain à Blaze
puis se jeta sur Logan.
– Non ! criai-je. Ruby, appelez la police !
Elle semblait figée sur place, son téléphone dans la main, le teint blafard. Je
criai une dernière fois en voyant Logan tomber sous les coups de poing et de
pied.
– Ruby !
Kitty lui prit son appareil et appuya sur les touches en hurlant :
– J’appelle les flics, connards ! Nina, enregistre-les.
J’essayai de me rassurer. Les secours allaient arriver. Mais les coups
pleuvaient sur Logan. Ils ne seraient pas là à temps. Il fallait que j’y aille.
– Sam ! Non !
J’ignorais qui avait crié. Je cherchais quelque chose qui puisse me servir
d’arme. Mais rien… jusqu’au moment où j’aperçus l’extincteur. Il était énorme.
Il ferait l’affaire.
Nina se trouvait devant moi.
Elle sortait de sa chambre, un téléphone à la main, une batte dans l’autre. Je
la lui pris, brisai la vitre, et elle la récupéra tandis que je détachais l’extincteur.
– Tiens, dit Kitty en donnant le téléphone de Ruby à Nina. Dis-leur.
Après quoi, elle lui prit la batte, me décocha un coup d’œil.
Maintenant, on était deux.
On fonça, et je me mis à taper dans le tas. Plusieurs types tombèrent,
abasourdis, mais certains ne se laissèrent pas impressionner. Alors, ce fut le tour
de Kitty. Soulevant la batte, elle la fit tournoyer. Un type qui se penchait pour
boxer Logan à la tête prit l’arme en plein menton et tomba en arrière tandis
qu’elle cognait deux de ses potes.
Quant à moi, je continuai avec l’extincteur et je me mis à tournoyer comme
Kitty. Les types auraient pu nous désarmer, mais il semblaient complètement
abasourdis par le tour que prenait la bagarre. À un moment, j’arrivai près de
Logan et cueillis Sebastian sur le front, mais il m’arracha l’extincteur. Je le
laissai le prendre, le lui balançai même de bonne grâce. Ce qui le déséquilibra et,
tandis qu’il tombait en arrière, j’attrapai Logan par le bras pour l’entraîner dans
ma chambre.
– Kitty ! criai-je.
Elle me tournait le dos. Elle sauta vers nous pour nous protéger, balançant sa
batte de plus belle, jusqu’à ce que je la tire par le col. Puis je lançai à Nina :
– Dans ta chambre, vite ! Qu’ils ne puissent pas récupérer le téléphone.
Après quoi, je claquai ma porte, bouclai la serrure et m’adossai au panneau,
le cœur battant à tout rompre, les bras et les jambes tremblant violemment.
Pourtant, il fallait que je tienne le coup.
Logan avait encore besoin de moi.
– Kitty ! couinai-je.
Elle se tenait au-dessus de moi, essayant de retrouver sa respiration elle
aussi, tout en gardant sa batte prête à frapper comme si les mecs allaient
enfoncer la porte.
– Quoi ? souffla-t-elle.
– Il faut que tu appelles quelqu’un pour moi.
Elle baissa les yeux vers moi. Je ne tenais même pas à genoux et je grinçais
des dents.
– D’accord, dit-elle en me caressant la tête. J’appelle ton copain.
– Merci…
CHAPITRE
21
Mason
Logan s’était fait botter les fesses par Sebastian et quatre de ses mecs.
Ils avaient tabassé mon meilleur ami. Je regardai Sam au-dessus du lit
d’hôpital de Logan. Je savais qu’elle était la prochaine sur la liste. Sans doute ne
pourraient-ils pas l’abattre physiquement, mais ils allaient trouver un autre
moyen. Elle était en plein dans leur ligne de feu. Si elle ne s’en rendait pas
compte, c’était une idiote.
Quoi qu’il arrive, j’étais la cible principale de Sebastian. Je m’étais croisé les
bras jusque-là, j’attendais. Sam allait lui servir d’arme contre moi. Je le savais.
J’attendais juste l’échauffement avant le coup final.
Le moment était arrivé.
On garda Logan en observation une nuit, puis il revint à la maison.
Ce n’était que le début de ses ennuis. Le conseil de l’université pria la police
de ne pas s’en mêler. Il s’agissait d’une bagarre entre étudiants sur le campus. Ils
préféraient traiter l’affaire en interne. Comme Cain University était un
établissement puissant et bien coté, les forces de l’ordre reculèrent, ce qui
convenait à tout le monde – à part Logan et ses alliés.
Le conseil le déclara responsable de l’altercation. Il avait frappé le premier.
Il reçut le blâme, et la réunion d’aujourd’hui devait déterminer officiellement s’il
allait être viré définitivement ou juste temporairement. Comme tout ça découlait
de mes propres accrochages avec Sebastian, je fus appelé à témoigner. Je savais
où je m’engageais. Ils allaient me poser des questions sur le passé de Logan – à
savoir s’il était violent, s’il provoquait souvent des bagarres. Qu’avait-il fait
d’autre ? Avait-il été arrêté ? Combien de fois ?
Logan pouvait se faire renvoyer juste parce c’était lui qui avait commencé,
mais il s’agissait avant tout de le discréditer afin qu’il passe pour le seul
agresseur coupable. Ils ne voulaient pas punir Sebastian.
– Ton père arrive aujourd’hui ?
J’arrêtai de nouer ma cravate devant la glace pour détourner les yeux vers
Sam qui était assise au bord de notre lit.
Depuis l’attaque de Logan, elle avait changé. Elle semblait avoir perdu toute
agressivité, les joues creuses, un peu fragile. Je savais qu’elle ne mangeait plus
et qu’elle s’était remise à courir, souvent plus de deux heures d’affilée. En
général, j’allais la chercher, pour la trouver carrément en train de boiter. Elle
grimpait chaque fois dans la voiture et je la ramenais. Je m’étais occupé d’elle en
attendant l’arrivée de Malinda, et de Logan jusqu’à ce que notre mère rentre
d’Italie. Ça remontait à deux jours et Malinda n’avait plus voulu partir, mais on
était quand même retournés à Fallen Crest.
Plus d’examens. Plus de football. On n’avait pas gagné le championnat bien
que Drew ait remporté le Trophée Heisman.
Le seul souci qui me restait était cette réunion… et Park Sebastian.
– Mason, reprit Sam en glissant les mains sous ses jambes.
Elle faisait ça souvent ces derniers temps. J’en éprouvai un sursaut de colère.
Elle était encore secouée par la bagarre, tremblait la nuit, sursautait, se
retournait. Parfois, elle se réveillait en criant. Dire que je n’avais pas été là, que
j’allais devoir vivre avec ce remords pour le restant de mes jours…
Elle se pencha, cherchant mon reflet dans la glace. J’achevai de nouer ma
cravate avant de me retourner.
– J’espère, dis-je. Enfin je crois. Helen a dit qu’elle l’avait contacté.
Elle parut soulagée et se détendit.
– Ah, parfait !
Nous n’avions pas résolu notre désaccord à la bibliothèque lorsque j’avais
découvert qu’elle savait que Summer était la sœur de Sebastian. Je me fichais
qu’elle soit ou non la sœur de ce type, ce que je ne voulais pas, c’était qu’elle
bouscule Sam. Et puis j’en voulais à Sam de ne m’avoir rien dit, mais même
là… je la comprenais. Cette année, elle et mon frère avaient voulu me protéger.
Ils se sentaient encore responsables de moi. Il fallait que nous réglions cette
histoire, mais ces temps-ci, ni les uns ni les autres n’avions la force d’affronter
cette conversation.
Je lui pris la main avec un soupir.
– Viens, on va discuter avec ces abrutis du conseil.
Les joues roses, Sam noua ses doigts avec les miens. Elle passa la porte près
de moi, demeurant à mes côtés à travers le campus jusqu’au bâtiment.
Une fois à l’intérieur, on put constater que tout le monde était prêt. Sauf mon
père, mais j’espérais qu’il allait venir. Voilà peu de temps que j’avais besoin de
lui, pourtant là, c’était vraiment le cas. Ça ne m’enchantait guère, cependant je
ne pouvais pas faire autrement.
– Monsieur Kade !
Une femme en tailleur ouvrit les portes de la salle du conseil. Je la reconnus,
car j’avais déjà eu affaire à elle après l’attaque de Sebastian et sa bande mais, au
lieu de chercher à savoir si l’un de nous deux ne devait pas être renvoyé, ils
avaient décidé de nous exclure temporairement tous les deux.
Ce souvenir m’énerva ; néanmoins, j’adressai un signe à la dame. Sam me
serra encore la main et je déposai un petit baiser sur son front en l’étreignant. La
dame rentra dans la salle et, juste avant que la porte se referme sur elle, j’aperçus
Sebastian, en costume, assis à la même table qu’auparavant, avec deux
personnes auprès de lui. Il avait amené un avocat.
– Ce n’est pas un procès, maugréai-je.
– Mason ?
Sam ne l’avait pas vu, et je n’y tenais pas. Je la poussai doucement dans le
dos.
– Je reviens. Je t’aime.
– Moi aussi, je t’aime.
Elle avait dit ça d’un ton quelque peu surpris, mais je n’y pouvais rien. Je me
détournai rapidement et entrai dans la salle. Elle avait senti ma colère et je savais
qu’elle ne demandait qu’à m’aider, seulement elle ne pouvait pas.
C’était à moi de régler ce foutoir.
– Merci pour votre présence, Mason.
Il y avait là six membres du conseil, tous assis face à moi, avec leurs têtes
d’enterrement. C’était déjà la même chose après ma bagarre avec Sebastian et
ses potes. Je n’avais pas frappé le premier, c’était Logan. Ça faisait une grande
différence à leurs yeux, mais ces abrutis coincés ne tenaient pas compte du
facteur commun, le connard assis à la table sur ma droite, Park Sebastian. Tout
venait de lui et de sa bande.
– Mason ! répéta la porte-parole.
– Je vais pouvoir m’exprimer, cette fois ? grondai-je.
Elle ne cacha pas sa surprise, serrant les lèvres, clignant des yeux à plusieurs
reprises avant de s’éclaircir la gorge.
– Pourquoi ne le pourriez-vous pas ?
– Parce que vous avez déjà déclaré mon frère coupable.
– Bon, dit-elle en regardant sa table.
Les autres membres approuvèrent plus ou moins ouvertement. L’un hocha la
tête, l’autre la baissa, un troisième sourit, le quatrième leva le doigt.
Rassurée, elle ajouta :
– C’est le premier agresseur qui est déclaré coupable. Dans votre situation,
c’étaient M. Sebastian et ses amis. Dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui,
c’était votre frère. Il a frappé le premier. Nous avons des témoignages et une
vidéo qui vont dans ce sens.
– La vidéo ne montre pas mon frère en train de frapper Sebastian le premier,
contestai-je. Mais mon frère à terre, et Sebastian avec quatre de ses amis qui lui
tombent dessus. Ensuite, le clip continue sur ma copine et son amie qui s’en
mêlent pour le sauver. Et pourquoi mentionner cette vidéo ? Vous l’aviez jetée
en disant quelle ne servait à rien.
– Mason, reprit-elle d’un ton condescendant digne de ma mère.
Je l’interrompis :
– Arrêtez, Madame.
Les autres membres se redressèrent. L’un se pencha vers moi en me
désignant du doigt.
– Un peu de respect, mon gars.
– Je ne suis pas votre gars. On peut arrêter les foutaises, là ? Vous voulez
virer mon frère, mais vous ne voulez pas contrarier Sebastian avec une exclusion
temporaire. Désolé, ce n’est pas parce que je me retrouve à un contre cinq que je
vais me taire.
– Il n’y aurait pas eu d’altercation si votre frère n’avait pas commencé.
– N’importe quoi ! Il y a eu une altercation l’année dernière avec moi. Et le
même type. Même scénario. J’avais affronté six de ses amis.
– Oui, et vous avez tous les deux eu droit à une exclusion temporaire pour
ça.
– Tous les deux, bien qu’ils aient frappé les premiers.
– Mason ! répéta la porte-parole.
– Non, non ! Je ne suis pas votre gars ni votre ami. Vous ne me connaissez
pas. Les seules choses qui vous intéressent sont mes résultats en football et si je
vais passer pro l’année prochaine ou pas. C’est l’unique raison pour laquelle
vous m’avez convoqué ici. Reconnaissez-le. Vous ne voulez pas me les briser,
non plus.
Silence. J’avais raison, leur petit air coupable me le confirmait.
– Vous me prenez pour qui ? Vous croyez pouvoir me faire venir ici et
quoi ? Me laver la cervelle pour que je renie mon frère ? Me manipuler ? C’est
ce que vous voulez ?
– Monsieur Kade, intervint le type au bout de la table.
Il se redressa sur son siège, croisa les mains sur la table. Son costume rayé
semblait sur le point de craquer. C’était le genre de type énervé que cette réunion
lui fasse perdre un temps qu’il aurait pu consacrer à sa maîtresse, avant d’aller
voir la seconde, pendant que sa femme se pintait et achetait une nouvelle jument
à leur gamine pour qu’elle ne se sente pas trop rejetée. Je continuai sans le
laisser parler :
– Vous oubliez tous plusieurs choses. Je n’abuse pas de ma position ici, au
contraire de Sebastian, mais ça ne veut pas dire que je vis ailleurs que dans votre
monde. Aucun de vous n’a peur de moi. J’ai grandi en jetant des ballons remplis
d’urine sur des gens comme vous pendant que vous assistiez aux fêtes louches
de mon père. C’est bien votre genre. Tout le fric que ça suppose n’y changera
rien car – désolé, Sebastian, mais je suis à peu près sûr que ton papa ne fait pas
le poids par rapport à mon père – si c’est de ça qu’il s’agit, attendez-vous à ce
que je résiste.
– Monsieur Kade…
– Mason !
Une autre voix s’élevait de la salle.
Mon coach de football venait d’entrer. Il s’arrêta devant la porte, haletant,
les yeux fixés sur moi, puis vint s’asseoir sur la chaise voisine de la mienne.
– Je ne t’ai jamais entendu parler comme ça ! souffla-t-il.
– C’est à ça que vous jouez ? continuai-je à l’adresse du comité, sans lui
répondre. La carte du foot ? Vous croyez que mon coach va me faire reculer ?
– Mason !
Je m’adossai à mon siège. J’en avais assez. Ils voulaient se débarrasser de
moi, mais je ne me laisserais pas faire. Jamais je ne les laisserais renvoyer mon
frère, surtout si Sebastian devait s’en sortir indemne.
La deuxième femme claqua des doigts dans ma direction.
– Restez là.
Elle n’était pas comme les autres qui se prenaient pour des gens importants
et ne quittaient pas Sebastian et sa clique des yeux. Ils semblaient tous inquiets,
sauf elle, demeurée immobile à sa place sans réagir jusque-là.
Elle paraissait calme et parlait d’une voix douce :
– Je vais faire quelque chose qui va vous surprendre.
Ça m’étonnerait. Elle se mit à rire en agitant le doigt.
– Vous ne manquez pas de cran, Monsieur Kade. Je vois comme vous nous
regardez et je vais vous dire quelque chose.
Elle se pencha sur la table, laissant pendre son collier de perles.
– Vous avez tout à fait raison.
– Miriam, s’étrangla l’autre femme. Que faites-vous ?
Miriam l’ignora, ainsi que les murmures des hommes, et finit par reprendre :
– Je trouve horrible la façon dont ils ont ignoré l’histoire de M. Sebastian. Et
pas seulement avec votre famille. M. Sebastian assiste régulièrement à ce genre
de réunion. Tout le monde ici sait que c’est de lui que viennent les problèmes,
bien que je doute que vous et votre frère soyez des saints. Une certaine maison
incendiée sans que personne ne puisse prouver qu’elle l’a été de vos mains peut
venir instantanément à l’esprit mais, oui, dans l’ordre général des choses, le
problème reste M. Sebastian. Savez-vous ce qui arrive chaque fois que M.
Sebastian vient ici ?
Elle frotta l’index et le majeur contre son pouce en souriant.
– De l’argent, Mason. Son papa vient signer un gros chèque pour
l’établissement.
– Miriam !
– Taisez-vous, Aggie. Ce jeune homme est un franc-tireur, alors je lui
rapporte les faits, que personne ici ne pourra d’ailleurs contester.
Elle leur adressa à tous un regard entendu avant de s’adresser de nouveau à
moi :
– Savez-vous ce que son papa fait d’autre ? Il lâche une série de noms, pour
nous rappeler toutes ses relations, et ce conseil réagit chaque fois de la même
façon. Nous le laissons faire la loi, pour qu’il puisse recommencer. D’abord,
c’est bon pour l’université, ce qui reste notre priorité, ensuite ce père continuera
de nous soutenir, même lorsque son fils aura obtenu ses diplômes. Il nous en
aura bien fait baver, mais M. Sebastian restera généreux jusqu’à la fin de ses
jours. Et le cycle se poursuivra. Ses enfants seront tout aussi nuls, mais il viendra
signer de gros chèques. C’est ainsi que pas mal d’entre nous voient la vie.
Elle se mit à tapoter la table, immobilisa sa main, posa sur moi son regard
alerte, haussa un sourcil.
– Qu’allez-vous faire, Monsieur Kade ? Vous êtes un extraordinaire joueur
de football, mais c’est tout ce que vous nous rapportez. Avec toutes ces
stratégies et tout cet argent, pourquoi vous choisirions-nous plutôt que M.
Sebastian ici présent ? Expliquez-moi ça, ainsi que je viens de le faire avec vous.
Exposez-nous de bons arguments, afin que nous excluions temporairement votre
frère au lieu de le renvoyer.
À ma connaissance, il était déjà considéré comme coupable. Cette réunion
n’avait lieu que pour punir ou non Sebastian… et voilà tout d’un coup que
Logan pourrait s’en tirer ?
J’en étais abasourdi, ainsi que tous les autres, il suffisait de les voir pencher
la tête vers Miriam qui, elle ne regardait toujours que moi. Elle ouvrit la main
avant de croiser les bras.
– Nous vous écoutons, Monsieur Kade, la parole est à vous.
– Mason.
Encore une nouvelle voix qui s’élevait. Cette fois, je fermai les yeux,
poussai un soupir de soulagement.
Dans un geste apaisant, il me posa un bras dans le dos.
– Puis-je m’asseoir près de mon fils ? demanda-t-il à la cantonade.
– Oh !
Mon coach se releva brusquement pour changer de siège.
– Heureux de faire votre connaissance. Je suis le coach de Mason.
– James Kade.
Ils se serrèrent la main. Puis mon père se tourna vers le conseil, s’adressant
particulièrement à la dénommée Miriam.
– J’aimerais que mes fils soient tous les deux dispensés. Je crois que j’ai ce
que vous demandez.
Là-dessus, il lui décocha un sourire entendu. Elle agita le doigt en direction
des autres membres.
– Disons que ceci nous convient à tous. Mason, Park, vous pouvez retourner
dans la salle d’attente.
Sebastian se leva, mais resta devant sa table.
– Qu’est-ce qui se passe, ici ?
– Rien qui puisse vous inquiéter. Lorsque votre père arrivera avec son
chéquier, dites-lui qu’il s’adresse directement à mon bureau. Vous pouvez sortir,
maintenant.
Après quoi, elle posa sur moi son regard perçant :
– Ce fut un plaisir, Monsieur Kade. Je vous souhaite sincèrement un bel
avenir à Cain University et dans vos futures entreprises. Vous êtes un esprit
libre, et nous avons besoin de davantage de personnes comme vous par ici. Vous
pourriez représenter un véritable atout pour cette université.
Je hochai la tête et me dirigeai vers la sortie.
– Mason, lança mon père en m’attrapant par le bras, ne t’en va pas. Je
voudrais te parler après ça.
– Tu vas t’arranger pour qu’ils gardent Logan, c’est ça ?
– Bien sûr. Ainsi que je le fais depuis des années. Sam est au bord des
larmes. Elle a besoin de toi.
C’était le moins qu’on puisse dire. J’avais envie d’étreindre mon père,
émotion que je n’avais pas ressentie depuis longtemps, mais je me rendis moi
aussi dans la salle d’attente.
Sebastian était passé devant moi, si bien que je trouvai Sam et Nate debout,
en train de m’attendre. Elle se tordait les mains, suivant Sebastian d’un regard
anxieux, jusqu’au moment où elle me vit. Là, elle parut se détendre. De même
que Nate. Ils guettaient tous les deux la décision finale.
– Mon père va s’en occuper, lançai-je avec un sourire. Logan ne sera sans
doute qu’exclu temporairement.
– Mais…
Nate se tourna brusquement vers Sebastian qui rejoignait sa bande à l’autre
bout de la salle. Certains de ses potes étaient accompagnés de leurs petites
amies, mais nulle part je n’aperçus sa sœur.
– Non, dis-je. Il reste là.
– Mais… balbutia encore Nate en s’empourprant.
Il serra les poings, les desserra, se frotta les tempes.
– C’est n’importe quoi, Mason ! C’est n’importe quoi, Sebastian !
Il avait crié cette dernière phrase et ce fut un des mecs qui répondit :
– La ferme, Monson. Ça se passait entre la fraternité et toi. C’est toi qui les
as mêlés à ça, pas nous.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– Tu nous as lâchés.
– Tu nous as tourné le dos, ajouta un autre. On aurait pu régler ça entre nous,
mais tu ne nous as pas laissé la moindre chance. Park t’a donné un ultimatum et
tu es parti, comme une salope.
– Il parlait pour la fraternité.
– Non, lança un troisième, plus grand que les autres. Park ne parle pas au
nom de tous. Il a un groupe, d’accord, mais on ne l’aurait pas tous suivi. Tu ne
nous as pas laissé une chance, tu t’es jeté dans ses bras.
Il me désigna du menton.
Les sourcils froncés, Nate ne quittait pas ce type des yeux ; il demanda d’un
ton plus calme :
– Sérieux ? Tu m’aurais soutenu ?
Le grand gaillard pouffa de rire.
– Va savoir ! Tu es parti, Monson. On est venus apporter notre soutien au
frère qui ne nous a pas lâchés.
Nate me jeta un coup d’œil puis baissa la tête, comme s’il considérait tout ce
qui venait de s’être dit.
Pendant l’échange, Sam s’était appuyée contre moi. La sentant trembler, je
lui passai une main sur la hanche pour mieux la serrer et la sentis alors s’apaiser.
Comme si elle reprenait des forces en captant les miennes.
Puis je demandai au grand gaillard :
– Vous faites quoi avec les filles ?
– Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ?
En même temps, le mec jeta un coup d’œil sur Sam et il comprit. Sebastian
s’avança pour s’intercaler entre nous.
– Arrête de te mêler de nos affaires, Kade.
– On n’en serait pas là si tu n’avais pas essayé de te mêler des miennes.
– Nate était notre frère…
– Je ne te parle pas de Nate.
– Et de quoi, alors ? intervint le grand type, en écartant la fille.
Sebastian lui lança un regard inquiet.
– De quoi tu parles ? me demanda l’autre.
– De ses manœuvres, dis-je en désignant Sebastian. Il voulait se servir de
mon nom, de mes relations. Il ne l’a jamais dit ouvertement, mais c’était clair. Je
les repère, les connards comme lui, quand ils essaient de me manipuler pour
devenir un de leurs gogos. Voilà de quoi je parle.
On aurait pu en dire bien davantage. Je ne faisais que souligner des faits
marginaux, dont la plupart des gens ici ne devaient pas être au courant.
Cependant, le type hocha lentement la tête, jeta un regard vers Sebastian.
– Ce n’est pas ce qu’il nous a dit.
– Je suis le président, Clint.
– Non, maugréa celui-ci en croisant les bras. Tu étais le président. Mais la
fraternité a disparu.
– Attends ! insista Sebastian. On n’a pas disparu, nous ! L’ancienne
organisation demeure…
– Non, gronda l’autre en approchant la tête de la sienne. Pas du tout.
L’ancienne organisation a disparu avec l’incendie du pavillon ; on nous a donné
un ultimatum : on pouvait rester comme étudiants, pas comme frères, ou rester
frères mais pas étudiants. Tu aurais pu te tourner vers un autre chapitre mais tu
ne l’as pas fait, tu as préféré rester, sauf que notre passé a brûlé avec cette
maison.
– Clint…
Sebastian interrogea les autres mecs du regard, certains se ramenèrent pour
lui signifier leur soutien. La plupart ne bougèrent pas d’un pouce, l’air
impassibles.
– Écoute, reprit Clint, on peut en parler ailleurs qu’ici. Surtout maintenant
qu’on a ces nouvelles informations.
– Clint ! aboya Sebastian.
Mais les portes s’ouvrirent. Mon père, mon coach et l’avocat de Sebastian
sortirent ensemble, suivis des membres du conseil. Ils s’arrêtèrent dans la salle
d’attente pour échanger des poignées de mains. Mon père leur dit au revoir à
tous et ils souriaient, y compris l’avocat.
Miriam fut la première à partir ; en passant devant moi, elle ralentit pour
m’annoncer :
– J’étais sérieuse, tout à l’heure. Je suis certaine qu’un bel avenir vous
attend, et votre père ne l’a rendu que plus prometteur. Venez me voir à mon
bureau un de ces jours. J’aimerais vous parler.
L’avocat de Sebastian alla le voir. Ils penchèrent tous deux la tête et,
soudain, Sebastian recula, me jeta un regard mauvais puis sortit en claquant la
porte. Le reste de ses amis, à commencer par Clint, le suivirent d’un pas plus
tranquille. On se retrouva entre nous, Nate, Sam, mon père, mon coach et moi.
Devant la porte, mon père serra la main du coach et celui-ci me dit :
– Continue ton entraînement hors saison, Mason. Et à bientôt.
Une fois qu’il fut parti, je me tournai vers mon père :
– Ça va, pour Logan ?
– Oui, soupira-t-il. Il se repose à la maison ?
Je hochai la tête.
– J’aimerais aller le voir, mais, oui, ça va pour vous deux.
– Ça t’a coûté combien ?
– Beaucoup, grinça-t-il. Mais n’en parlons plus. Je suis content de te voir,
toutefois, je me passerais bien de ce genre de réunion. Tous les deux, vous pesez
fort sur le compte bancaire, et j’ai l’impression que ça ne va pas s’arranger.
Il se tourna vers Sam :
– Pourrais-je te parler seul à seule une minute ?
Elle se raidit, ouvrit légèrement la bouche.
– Bien sûr. Euh… oui.
On les suivit de loin avec Nate. James entraîna Sam dans sa voiture et on
attendit, tous les deux adossés à l’Escalade, en les regardant discuter à l’intérieur
de l’habitacle.
– Alors… murmura Nate, c’est à nous de jouer, la prochaine fois ?
Je ne pouvais détacher mes yeux de Sam en train de parler avec mon père.
– Oui, murmurai-je. À nous de jouer.
Enfin.
CHAPITRE
22
Samantha
Cette fois ça y était.
Quelques heures après la réunion du conseil, Mason, Logan, Nate et moi
nous retrouvions dans le salon, chacun dans notre coin, à nous regarder. Il y eut
un moment de silence.
Logan n’avait pas sauté de joie en apprenant l’absence de sanction contre
Sebastian, mais il n’allait pas protester alors que lui-même ne se voyait infliger
qu’une exclusion temporaire. James n’était pas resté longtemps. Il était entré,
avait passé une heure à discuter avec Mason et Logan, et il était reparti,
annonçant qu’il allait voir David à Fallen Crest. Je n’avais pas posé davantage de
questions. Moins j’en saurais sur Ann-Lise, mieux je me porterais. Logan brisa
le silence.
– Et si on s’offrait un verre ?
Sans attendre de réponse, il claqua des doigts vers Nate.
– Mon partenaire gay, tu m’apportes une bière ?
– Tu peux marcher, railla Nate. Va te la chercher toi-même.
Logan lui fit un doigt d’honneur. Ce qui fit rire Nate. Et l’intermède s’arrêta
là. Ils se turent en se tournant vers Mason et moi. Il était temps. L’atmosphère
repassa de la gaieté à la gravité.
Mon cœur se serra. Et je sentais que ça n’allait pas s’arranger au cours des
jours à venir. Ça n’allait pas être joli, avec Sebastian. J’appuyai ma main sur ma
poitrine, pour apaiser ces pulsations. Je ne pourrais pas supporter qu’il arrive
quelque chose à l’un d’entre eux. C’était tout ce qui m’inquiétait.
– Bon, dit Mason en s’asseyant.
Tout le monde en fit autant. Il nous inspecta du regard en insistant un peu
plus sur moi. Une sombre émotion me traversa, impossible à identifier ; j’en eus
la gorge sèche.
– Il faut qu’on reprenne l’offensive contre Sebastian.
Il semblait ne pas vouloir en dire davantage. Lentement, il se releva.
– Où vas-tu ? demandai-je.
Il s’arrêta dans le couloir menant à sa chambre.
– Je vais rassembler tout ce que j’ai sur Sebastian, me répondit-il. Il est
temps de le partager avec vous.
– Tu as des trucs sur lui ? s’exclama Logan.
Sans rien dire, Mason s’éloigna puis revint, une boîte à la main. Il la déposa
sur la table basse en annonçant :
– Je n’ai pas engagé qu’un garde du corps pour Sam mais aussi un détective
privé pour enquêter sur Sebastian. Il a des relations et je voulais savoir qui…
Nate sortit des photos de la boîte.
– Tu voulais savoir qui il fréquentait ?
– Putain de merde ! maugréa Logan en sortant une liasse de papiers.
Son front se plissa, il fit la grimace.
– Il y a de sacrés noms ici, frérot. Qui est-ce que tu as engagé pour ce
boulot ?
Mason se rassit.
– Le même type qui travaille pour papa.
– Ben voyons ! Serais-tu la future Mme James Kade ? Ann-Lise serait
menacée par le propre fils de son mec ?
Il m’adressa un clin d’œil avant de poursuivre :
– Sans vouloir jouer les abrutis, maman psychopathe me fait pisser dans mon
froc. Pas trop envie de recommencer avec elle. On a eu de la chance de s’en tirer
la première fois.
Je plongeai la main dans la boîte pour en sortir une photo de Garrett. Il était
en compagnie de ma prof, celle qui m’avait dit le connaître. Ça n’avait rien de
surprenant en soi. Mais la troisième personne capta mon attention. Je la montrai
à Mason.
– Ce cliché a été pris quand ils allaient à l’université ?
Il attendait cette question et répondit tranquillement :
– Oui.
Je montrai l’autre femme :
– C’est la personne que je crois ?
– Elle était dans la même université.
– Ce n’est pas une réponse.
Je n’avais pourtant pas besoin qu’il m’en dise plus. Je savais qui c’était.
– Qui est-ce ? demanda Logan.
– Ma mère.
– Oh !
Nouveau silence.
– Tu es sûre ? insista doucement Logan.
Nate lui jeta un regard de travers :
– Arrête !
– C’est bon, dis-je.
Je savais déjà qu’Ann-Lise et Garrett fréquentaient la même université.
D’ailleurs, ils n’étaient pas seuls sur la photo. J’avais juste repéré un visage que
je connaissais, mais je finis par identifier également Sharon, l’épouse actuelle de
Garrett, le père de Sebastian et bien d’autres. Ils posaient en groupe au soleil, si
bien que la plupart portaient des lunettes noires. Ils étaient tous habillés
légèrement, débardeurs, tee-shirts, shorts et jupes courtes pour les filles.
Je n’arrivais pas à détacher les yeux de ma mère.
Ses cheveux noirs étaient tressés en natte. Elle souriait et, au contraire des
autres, elle ne portait pas de lunettes. Elle ne regardait pas l’objectif mais
Garrett, à côté d’elle, qui avait un bras posé sur l’épaule de Sharon et penchait
un peu la tête, comme s’il partageait un secret avec elle.
Ça ne se voyait pas vraiment, mais quelque chose me disait qu’Ann-Lise
était enceinte.
Donc de moi.
Je levai les yeux vers Mason. Il me fixait.
– Le détective le pensait aussi. L’époque correspond.
J’en restai sans voix.
– Quoi ? demanda Nate.
– Qu’est-ce qu’il y a ? insista Logan.
Je lui tendis la photo :
– Je crois que ma mère était enceinte, là.
Il regarda, puis éclata de rire.
– Elle était vraiment sournoise. Sainte merdasse ! Et, lui, il est resté avec
l’autre nana. C’est sa femme, maintenant, non ?
Je hochai la tête tandis qu’il passait la photo à Nate.
– Houlà ! s’écria celui-ci. C’est… Enfin, désolé, Sam. Ça doit te faire drôle.
En effet. Comme une boule dans la gorge.
– Ça va, mentis-je.
J’en avais plus ou moins entendu parler, mais là, j’avais la preuve. Garrett
était toujours avec Sharon. Il la trompait, tout comme elle l’avait fait par la suite.
Et Ann-Lise… juste une preuve supplémentaire de son hypocrisie.
J’étais la fille de deux tricheurs. J’en restai anéantie, sans plus pouvoir
respirer.
– Sam, souffla Mason.
Il allait me rassurer, mais je n’en avais pas envie pour le moment. Je savais
de quoi Ann-Lise était capable. Les larmes me piquaient les paupières,
cependant je refusai de les laisser couler. Pas question de pleurer sur elle. Il ne
s’agissait pas seulement de ce qu’elle avait fait mais aussi de ce qu’elle
continuait à faire, de ce qu’elle m’avait fait toute ma vie.
Mentir. Tricher. Blesser. Détruire.
C’était mon héritage. Mes origines.
– Sam, arrête !
La main de Mason glissa sous moi. Il allait me prendre dans ses bras. Mais
je le repoussai.
– Arrête !
Je m’écartai de lui, incapable de détacher mon regard de cette photo.
– Sam, allez !
Nate la tenait toujours dans la main, jusqu’à ce que Logan la lui arrache et la
déchire en deux.
– Tu vois, dit-il en se levant. Oublie ce que tu as dans la tête, Sam. Cette
merde, ce n’est pas toi.
Il reprit le morceau où apparaissait Ann-Lise, le déchira encore ; elle se
retrouvait coupée en deux.
– Je plaisantais tout à l’heure. Je provoquerais ta mère chaque jour s’il le
fallait. Je sais que Mason ne demanderait que ça et Nate aussi. Arrête de
réfléchir. Ce n’est pas toi, là.
Je ne savais pas trop ce que je cherchais, mais Mason pourrait me le donner.
Forcément, comme toujours. Il vint me prendre dans ses bras et s’assit. Je me
retrouvai sur ses genoux.
– Il faut que je vous dise, expliqua-t-il, ce que mon détective a découvert, et
ça correspond en partie à la photo.
– Celle que je viens de déchirer ?
– Oui.
– Oh ! Oups !
Nate sortait des négatifs de la boîte.
– C’est bon. Si on en a besoin, je suis sûr qu’on la retrouvera là-dedans.
Logan releva la tête.
– Il ne faudra pas m’en vouloir si je brûle cette merde, parce que c’est
exactement ce que je veux dire, Ann-Lise n’est qu’une merde.
– Logan ! l’interpella Mason.
Celui-ci s’arrêta sur le chemin de la cuisine.
– Quoi ?
– Reste ici. Vous devez tous entendre ce que j’ai à dire, afin que vous
sachiez à quoi nous nous attaquons.
– Ça s’annonce mal, maugréa Logan.
– Ça l’est, répondit Mason. Park Sebastian a des relations qu’on ne peut
même pas imaginer, mais on a une carte en main.
Je m’aperçus que Logan et Nate me regardaient avec insistance. Je sentis
l’attention de Mason avant de me rendre compte que lui aussi avait les yeux sur
moi. Je déglutis.
– Bon, dis-je. Qu’est-ce que je dois faire ?
Une heure plus tard, le plan était élaboré, mais il fallait encore que Mason et
moi réglions certains points. D’un accord tacite, on se leva pour se rendre dans
sa chambre.
Il ferma la porte derrière nous et j’allai m’asseoir sur le lit, mais il resta à
l’écart, avant de demander doucement :
– Tu es certaine de vouloir faire ça ?
La question ne se posait même pas. Il le fallait.
– Demande-moi ce que tu veux vraiment savoir, soupirai-je.
Un lourd malaise pesait sur la pièce ; on n’en avait plus parlé depuis la
semaine précédente. L’agression de Logan avait tout bloqué, mais là, il fallait
repartir. En parler avant de nous attaquer à Park Sebastian.
Laissant échapper un petit soupir, Mason vint s’asseoir à côté de moi. Le lit
plongea sous son poids. Je m’attendais à ce que sa main se pose sur mon genou,
mais non. Son épaule m’effleura, ce fut tout. Quelque part, je le ressentis comme
un rejet. J’en avais tellement besoin. Ça m’aurait détendue, je me sentais
protégée quand il posait un bras sur moi. Tandis que là, j’avais froid.
Un frisson me parcourut, j’en eus la chair de poule.
– Sam, commença-t-il en se penchant vers moi.
Il avait les coudes sur les genoux, les poings accolés pour ne plus en former
qu’un seul ; il reposa un instant la tête dessus.
– Merde ! lâcha-t-il. Pourquoi m’as-tu menti ?
Et voilà… C’était moi la coupable.
– Pourquoi m’as-tu menti ? rétorquai-je.
– Quoi ? s’écria-t-il en se redressant.
– Tu as très bien entendu. Tu m’as menti toi aussi.
– J’ai menti pour te protéger.
– N’importe quoi !
– Pardon ?
Sur le coup, je m’en voulus un peu. Puis je me mis à réfléchir et la colère
que j’avais repoussée revint. Mason voulait justement qu’on en parle, ce qui
signifiait qu’on pouvait finalement aborder toutes ces émotions.
– Tu m’as aussi menti, répétai-je. Tu m’as caché le garde.
– Sam…
– Tu as engagé un détective privé.
– Je l’ai fait pour…
Peu importait. Je secouai lentement la tête.
– Arrête, mon pote.
– Mon pote ? grimaça-t-il.
– Je te protégeais, tout comme tu voulais le faire avec moi. Et je te connais.
Tu crois tout le temps devoir nous aider, Logan et moi. Alors arrête cinq
minutes, car cette fois, c’était nous qui te protégions. Tu ne peux rien faire. Avec
ta carrière de foot, c’est comme si tu étais un politicien. Un faux mouvement, et
tu es fichu. Autrement dit, c’était à nous de jouer et tu es mal placé pour juger
comment Logan ou moi nous y sommes pris.
Je m’arrêtai, le temps de reprendre mon souffle, puis j’ajoutai :
– C’est parce qu’on t’aime.
Mason plaqua sa bouche contre la mienne.
Ce qui me fit taire.
La faim l’emporta. Je levai les bras autour de son cou tandis qu’il me hissait
sur ses genoux. Mes jambes s’ouvrirent pour le chevaucher et il glissa une main
sous mon tee-shirt. Contact qui me rendit folle. J’ouvris la bouche pour prendre
la sienne. Il ne demandait que ça. Sa langue se glissa sur la mienne. Je le désirais
autant qu’il me désirait. Plus rien d’autre ne comptait. Ni dispute. Ni accusation
brûlante.
Je pouvais le protéger comme il m’avait protégée.
Toutes ces promesses se mélangeaient. C’était lui et moi. On se retrouvait de
nouveau ensemble sur la même page.
Il m’étendit sans décoller sa bouche de la mienne, puis il s’installa au-dessus
de moi, sans s’appuyer sur moi. Si bien que je l’attirai, car c’était ce que je
voulais, ressentir son poids. Mais il fit non de la tête. Mes doigts s’emmêlèrent
dans ses cheveux. Je le retenais. Je le désirais. D’urgence.
Il se redressa, me soulevant avec lui, et je me retrouvai assise, ma main
toujours dans ses cheveux.
– Sam, souffla-t-il en souriant.
– Assez parlé ! dis-je en essayant de le coucher de nouveau. Je te veux.
– Je sais.
Sa main parcourut mon bras et prit la mienne, puis détacha l’autre de sa tête
et emmêla nos doigts.
– Mais tu as raison. Je voulais te le dire.
– Quoi ?
Le désir de l’avoir en moi devenait insupportable, pourtant je le repoussai,
doucement. Non sans une certaine logique. Je le dévisageai.
– Tu as dit que j’avais raison.
– Tu avais raison.
Il attendit ma réaction.
– Au sujet du temps, dis-je.
Ça le fit rire.
– J’essaie de te dire que tu avais raison. J’avais tort. Je n’aurais pas dû vous
cacher la présence du garde ni du détective privé.
– Mais pourquoi l’avoir fait ?
Il réfléchit un instant, puis s’écarta pour s’asseoir à côté de moi. M’entourant
d’un bras, il m’attira pour que je le chevauche de nouveau, et je m’agrippai à la
tête du lit. Tout en soutenant mon regard, Mason me prit les bras sans les bouger,
juste pour s’y accrocher. J’occupais la position dominante et, quelque part, ça
me fit frémir.
– Mason ?
– Je ne savais pas ce que j’allais découvrir, continua- t-il. Je n’ai aucune
raison de vous cacher quoi que ce soit. En fait, tout ça est arrivé à cause de moi.
Je voulais que vous profitiez de votre premier semestre d’université, comme
n’importe quels étudiants, enfin, aussi normaux que possible. Tout était à cause
de moi. Je m’en suis pris à Sebastian l’année dernière, pas vous. Je n’ai fait que
vous attirer là-dedans.
– Mais, Mason, murmurai-je bouleversée. On est avec toi. Quand quelque
chose arrive à l’un d’entre nous, ça nous arrive à tous.
– Je sais, dit-il en fronçant les sourcils. C’était une autre bagarre à cause de
moi, tu comprends ? Oui, tu en avais tellement vu avec ta mère, mais ça s’était
arrêté quand tu as déménagé. C’était fini, tu te trouvais loin d’elle. Et tout a
recommencé à cause de moi. Elle voulait nous briser, et tu as livré le combat
pour moi. Le pire t’est arrivé avec Kate. Ça m’a dégoûté, ce qu’elles t’ont fait.
Tout ça à cause de moi. Et encore, avec Broudou. Tu sais que ça m’a tué qu’il ait
voulu te faire du mal pour la seule raison que tu étais ma petite amie ? Rien de
tout ça ne serait arrivé si tu n’avais pas été avec moi. Je voulais juste… que tu
vives une vie normale pour une fois. J’ai toujours été plus ou moins en guerre. Je
le serai toujours. Je le sais, car je suis comme ça. Les gens essaient de me
dominer, et tu me connais, ça ne marche pas. Je ne sais pas ce que l’avenir me
réserve, mais je suis sûr qu’il sera plein de batailles, de combats, de souffrance
pour toi.
Sa main me caressa la joue.
Je fermai les yeux en accompagnant son geste.
– Je suis trop égoïste pour te lâcher, murmura-t-il en promenant le pouce sur
ma peau. Mais assez bienveillant pour te dire que je te protégerai toujours.
Il se pencha, m’embrassa sur les lèvres avant d’ajouter :
– Parce que c’est mon boulot. Je t’aimerai. Je prendrai soin de toi. Je
m’inquiéterai pour toi et je ferai tout pour m’assurer que tu vas toujours bien.
– Mason…
– Je sais qu’on va traverser ça ensemble. Je sais qu’on est égaux, mais laisse-
moi te protéger. C’est mon boulot.
Cette fois, ce fut moi qui pris son visage entre mes mains.
– Et le mien aussi.
– Le nôtre, soupira-t-il, les yeux brillants d’amour.
– On se protège l’un l’autre.
– Exactement.
– Tu ne m’en veux pas trop si je ne t’ai pas aussitôt tout dit pour Summer ?
– Non, souffla-t-il en posant son front sur le mien. J’ai fait pareil avec toi. Je
t’ai menti aussi.
– D’accord. Tant que je saurai que tu te rends compte que tu as merdé.
– J’ai merdé ? lâcha-t-il avec un demi-sourire.
Je hochai encore la tête, l’air sévère.
– Oui, tu as complètement merdé.
– Ah oui ?
Cette fois, son sourire s’étira des deux côtés. Il se pencha vers moi.
Je me penchai, appuyai la tête contre ses genoux. Je me sentais rouge de
chaleur et d’excitation.
Mason se mit à rire et ouvrit les jambes sous moi, si bien que je me retrouvai
sur le lit. Il se retourna pour se hisser au-dessus de moi, me caressa le front,
repoussant mes cheveux en arrière, me sourit en soutenant mon regard. Comme
toujours.
Il regardait en moi.
Il lisait en moi.
– J’ai merdé ? murmura-t-il.
– Complètement.
Je fermai les yeux. Ses lèvres se posèrent de nouveau sur les miennes en une
douce caresse.
– Totalement, ajoutai-je.
– Je ne recommencerai pas.
– Tu n’as pas intérêt.
Il s’appuya plus fort. Son baiser devint plus impérieux.
Je repris son visage. Il essaya de se dégager en plaisantant, mais je l’arrêtai,
l’attirai encore vers moi, recommençai à l’embrasser.
Assez parlé.
Il était temps de lui montrer combien je l’aimais, et c’est ce que je fis.
CHAPITRE
23

La mission consistait à se faire inviter à la réception de Park Sebastian.


Je l’avais acceptée mais, en regagnant ma chambre le lendemain matin, je ne
voyais pas comment accomplir l’impossible. J’entrai, vis le bureau dépouillé, le
placard vide, la boîte par terre et le sac sur le lit défait. Summer était assise à
côté. Elle le repoussa, croisa les mains sur ses genoux, releva la tête en se
mordant les lèvres.
– Summer ? Qu’est-ce qui se passe ?
– C’était un total mensonge, lâcha-t-elle d’une voix tremblante sans me
regarder. Je ne peux plus y participer.
– Qu’est-ce que tu racontes ? Tu as déjà tout dit.
La boule au ventre, je fermai doucement la porte et m’approchai d’elle
comme d’un animal blessé, en prenant mille précautions.
– Je sais que tu es la sœur de Sebastian.
– Attends, Sam, souffla-t-elle en essuyant les larmes sur sa joue. Je t’ai
menti sur toute la ligne. Je ne trouvais aucun plaisir à la fac. Je suis venue, parce
que Park m’a convaincue. Il parlait de vous, Mason, Logan et toi, comme si vous
sortiez de L’exorciste.
– Tu ne comptais pas venir à la fac… du tout ?
– Non. J’étais vraiment modèle. Mon contrat avec une agence s’était terminé
et j’allais en signer un autre ailleurs quand il est entré dans ma tête, disant que
j’étais parfaite, qu’on s’entendrait bien, toi et moi.
Ses épaules s’abaissèrent et elle parut passer du mannequin à la toute petite
fille. Ses cheveux tombèrent sur ses épaules et elle en prit une mèche qu’elle
enveloppa dans sa manche.
– Il m’a choisie à cause d’Heather.
– Quoi ? dis-je abasourdie. Heather ?
– Je suis comme elle. C’est pour ça qu’il m’a choisie. En disant que ma
personnalité rappelait celle de ta meilleure amie. Que tu ne pourrais pas ne pas
me faire confiance. Je suis désolée. Vraiment.
Elle attendit une seconde, respira un peu, se redressa.
– Il voulait que je dise la vérité, car il tenait à ce que je gagne ta confiance.
Ça faisait partie de la manipulation qu’il pratique avec vous tous.
– D’accord, dis-je, prise d’une subite migraine. Et en quoi ça devait
encourager ma confiance ?
– Il disait que ça la réveillerait de toute façon. Il voulait que je te le dise
d’abord, qu’on pourrait ainsi la manipuler. Le coup du changement-de-clé, ça
faisait partie de la comédie. Il devait rappliquer et j’étais censée piquer une crise.
Quelqu’un allait se servir de moi contre lui, mais il ne pensait pas que ce serait
toi. Il pensait que Mason essaierait de m’arracher l’information. Pas toi. Aucun
de ses plans n’a fonctionné comme prévu.
Elle respirait lourdement, les poings serrés contre son chemisier, et elle
poussa un sanglot.
Ma chaise se trouvait à quelques pas de moi, je m’en approchai lentement
avant de m’asseoir, sans jamais tourner le dos à Summer. Non pas qu’elle puisse
tenter de m’attaquer mais je ne voulais pas lui faire peur. Elle s’enfuirait, or je
voulais qu’elle me donne des réponses. Elle avait raison. La comédie était
terminée.
– Summer, dis-je en m’appuyant au dossier de ma chaise. Raconte-moi la
vérité.
– Je te l’ai déjà dite. Je t’aime bien.
Elle releva la tête, les larmes faisaient couler son mascara qui noircissait ses
paupières.
– Et c’est vrai que j’aime le football. Depuis toujours. Mais mon attirance
pour Mason ne provenait pas que de ses résultats. C’était à cause de mon frère. Il
me l’avait présenté comme un salaud, il le détestait car, selon lui, Mason voulait
tout détruire autour de lui. Sebastian a même dit qu’il tenterait de me frapper. Et
il voulait que je couche avec lui.
Là, j’écarquillai les yeux. Mais je ne dis rien. Ne pas lui faire peur.
– Sauf que Mason ne voulait pas, ajouta-t-elle. Ça saute aux yeux qu’il
t’aime, et Logan aussi. Park disait que Logan allait me sauter dessus aussi, mais
ça ne s’est pas passé comme il le disait. Logan… vaut mieux que ça.
Une lueur de défi lui traversa les yeux.
– Et je ne regrette pas d’avoir couché avec lui. Mon frère n’a pas besoin de
tout savoir. Ça ne le regarde pas.
Elle allait en dire davantage sur Logan. Mais c’était Sebastian qui
m’intéressait, ce qu’il pouvait raconter sur moi.
Je la pressai doucement :
– Summer, sur quoi portaient encore les mensonges ?
Elle baissa de nouveau la tête, renifla encore.
– Je ne sais pas pourquoi je suis dans cet état. Après tout, c’est de toi qu’il
s’agit et tu n’es même pas furieuse. À ta place, ça me rendrait folle de savoir que
ma coloc ait pu mentir sur mon compte. Je t’aime beaucoup. Tu ne te rends pas
compte. Je ne peux pas être ton amie, mais j’aimerais bien. Mon frère a dit que
c’était lui ou toi, qu’il aille se faire foutre !
Et puis elle me désigna la boîte, son sac et ses affaires encore éparpillées
dans la chambre.
– Je m’en vais, Sam, soupira-t-elle avec un rire jaune. Comme si ça ne se
voyait pas ! Je quitte la fac. Ma mère retourne à New York, je l’accompagne, je
vais reprendre mon métier de modèle.
Elle marqua une pause, me regarda derrière ses paupières plissées.
– Si jamais tu viens à NY, n’hésite pas à m’appeler. Je serais ravie de te
revoir. Tu pourrais même habiter chez nous. Ma mère n’est pas comme mon
père. Elle n’a rien à voir avec leur groupe de la fac. Elle ne s’intéresse pas à
leurs relations. Elle a dit que tout ça allait se terminer par un énorme scandale.
J’avais l’esprit qui bourdonnait. Il fallait que j’obtienne cette invitation à la
réception de Sebastian, et je ne le pouvais qu’à travers Summer. Mais elle s’en
allait…
– Je suis censée t’inviter à sa soirée demain.
Je relevai la tête :
– Quoi ?
– Je sais, je sais. C’est complètement stupide, mais Park y tient. Et puis, il
ignore que je pars. Je devrais être déjà à New York quand il s’en apercevra, et ce
sera trop tard. Il n’osera pas s’en prendre à notre mère. Il mène notre père par le
bout du nez, et Molly aussi, mais pas notre mère. Elle aime beaucoup Park,
seulement elle le considère comme un manipulateur sournois. Alors voilà, c’était
mon dernier aveu. Désolée, Sam, mais j’ai raconté à Park tout ce que tu m’avais
dit. Il avait déjà entendu parler de Garrett car on le connaît, en même temps il
sait tout le reste, à propos de ton autre père, David, ainsi que de Malinda. Il sait
pour Mark. Il sait qu’Ann-Lise est dans un hôpital psychiatrique mais, à vrai
dire, il était au courant pour ta maman avant que je lui en parle. Je ne sais pas
comment. Attends…
Elle fronça les sourcils, comme si elle réfléchissait.
– Ta maman allait à la fac avec eux tous, je crois ?
– Tous qui ?
– Mon père, ma mère, tes parents, le professeur Baun, et d’autres gens, mais
tu sais déjà tout ça, n’est-ce pas ?
Je penchai la tête de côté, agrippant la chaise sans oser montrer mes cartes.
Je voulais qu’elle m’avoue tout, alors je murmurai :
– Oh oui !
– C’est l’autre raison qui me pousse, tu vois. Tu es sur le Net par défaut,
comme moi. Ta mère aussi, mais je suppose que tout ce qui la concerne est
connu. On pourrait difficilement la faire chanter.
Un petit rire lui échappa.
– Oh, attends ! dit-elle en fouillant dans son sac dont elle sortit une clé USB
qu’elle me tendit. C’est pour toi.
– Qu’est-ce que c’est ?
– Ce que tu voudras, souffla-t-elle en haussant les épaules.
Ça semblait de mauvais augure.
– Summer ?
La mâchoire serrée, elle essuya le reste de ses larmes.
– Après ce qu’ils ont fait à Logan, je ne veux plus entendre parler d’eux. Je
n’ai rien fait de mal dans ma vie, ils ne peuvent rien contre moi, alors je m’en
vais. Fais ce que tu veux de cette clé. Si tu arrives à la décrypter.
Oh, putain.
Je n’osais plus respirer.
Elle s’était rendu compte qu’elle commettait une erreur. Qu’au fond, sa
famille était coupable.
Comme si elle percevait mes pensées, elle ajouta :
– Je ne sais pas ce qu’il y a là-dessus, mais c’est important. Je l’ai prise dans
le coffre-fort de Park. Je sais que c’est mon frère, mais je ne le supporte plus. Il
s’est engagé sur une voie dangereuse. Qu’il veuille poursuivre ou non, c’est le
seul moyen que j’ai trouvé pour essayer de le sauver. Il mérite tout ce qui risque
de lui arriver. En même temps, ça pourrait lui épargner quelque chose de plus
grave.
– Summer ?
Elle se leva, toujours sans me regarder, rassembla sa boîte et son sac mais
resta plantée là sans bouger, jusqu’au moment où elle laissa tout tomber.
– Et puis, tant pis !
Elle se précipita dans mes bras, m’étreignit avec vigueur, cacha son visage
dans mon cou :
– Pardon pour tout ce que mon frère a déjà fait et ce qu’il pourrait faire
encore !
Bouleversée par la tournure que prenaient les événements, je restai figée, les
bras croisés contre ma poitrine, la clé toujours posée dans ma paume ouverte.
Elle me serra encore plus fort avant de se détacher, replia mes doigts sur la
clé.
– Utilise-la. Quoi que tu y trouves, j’espère que ça t’aidera.
Ensuite, elle reprit ses affaires. Elle s’en allait.
Je criai presque :
– Attends !
Elle s’arrêta sur le seuil, se retourna, et je pus enfin lui demander :
– Où a lieu la réception demain ?
L’air effrayée, elle secoua la tête.
– Non, non, non. Ne va pas là-bas, Sam !
Je rangeai la clé dans ma poche, redressai les épaules.
– Dis-moi où c’est. J’irai sans toi.
– Non, Sam. Je ne peux pas. Park… il… il prépare un sale coup contre toi,
demain. N’y va pas. S’il te plaît ! Sam…
– Je n’irai pas à l’aveuglette. Je sais qu’il mijote quelque chose. J’ai gardé
les yeux grands ouverts.
– Pas avec moi, en tout cas.
– Au début, non, mais, une fois, que tu m’as dit la vérité, j’ai compris. Tu
crois sans doute que tu m’espionnais, mais pas du tout. Sebastian aurait pu
trouver seul ces informations.
– Non, Sam. Je lui ai dit des trucs que tu aurais préféré garder pour toi. Il
faut que j’y aille maintenant. Désolée, Sam, vraiment. Ne va pas à cette
réception, demain.
– Summer ?
Elle sortit, et la porte claqua derrière elle. Je la suivis, mais le téléphone se
mit à sonner dans la chambre. Je n’utilisais presque jamais le fixe, cependant il
fallait que je décroche.
– Allô ?
– Ma sœur est là ?
Sebastian… Je répondis d’un ton sec :
– Non, mais elle vient de me parler d’une réception que tu donnes demain ?
– Ah bon. C’est pour ça que j’appelais. Écoute, Samantha, je sais que ça ne
s’est pas toujours bien passé entre nous, mais je voudrais qu’on se réconcilie. Tu
es l’amie de ma sœur. Ton frère est proche de ma famille et on soutient tous ta
mère.
Cette dernière phrase me retourna les sangs.
– C’est-à-dire ?
– Que ce conflit idiot entre Mason, Logan et moi ne doit pas s’étendre à nous
deux. Après tout, on est un peu de la même famille.
Il se mit à rire. Son ton suffisant me faisait voir rouge.
– Tout ce que tu as vécu, poursuivit-il, ça a dû être pénible pour toi. Tu sais
que tu n’as pas que Mason et Logan pour te soutenir, mais tout un groupe de
gens qui ne demandent que ça. Ça fait plaisir à entendre, non ?
Pour un peu, il aurait fallu que je dise merci.
– Oh oui ! répliquai-je d’un ton doucereux. On n’a jamais trop de soutiens
dans la vie.
– Tu vois ? Je sais que ma sœur hésitait à t’amener, mais je crois qu’il est
temps pour toi de faire la connaissance des autres. Je ne mens pas quand je dis
qu’on est tout un groupe prêt à t’aider. En fait, ils te sont plus proches que
Mason et Logan. Je crois que c’est tout ton avenir qui peut se jouer avec eux.
Connard.
– Oh, oui ! Ça m’a l’air fantastique !
Je serrais les poings à m’en blanchir les jointures.
– Alors, continuai-je, tu peux me dire où a lieu cette réception ? Ta sœur m’a
paru un peu distraite quand je lui ai demandé l’adresse. Je voudrais vérifier avec
toi.
– Bien sûr. Tu es prête ?
Après en avoir pris note, je raccrochai en ajoutant mentalement un joyeux va
te faire foutre à mon au revoir.
Et j’appelai aussitôt Mason.
Dès qu’il répondit, je lançai :
– On a un problème.
CHAPITRE
24
Mason
Sam m’annonça que Garrett et sa femme étaient descendus chez les
Sebastian. Comme il me fallait quelque chose de plus intime pour organiser cette
rencontre, je louai une suite à l’hôtel. C’était l’idée de Sam. Une fois notre plan
établi avec Nate et Logan, on se mit d’accord. La nuit suivante, elle se réveilla
en sursaut.
– Qu’est-ce qui se passe ? demandai-je en m’asseyant à côté d’elle pour lui
caresser le dos.
Le visage plein de larmes, elle rassembla ses genoux sous son menton, me
regarda. Il y avait une telle tristesse dans ses yeux que ça me secoua au plus
profond de moi. Je lui essuyai un peu les joues en demandant :
– Qu’est-ce qu’il y a ? Dis-moi.
– Garrett.
Quoi ? Son père ? Ma main s’immobilisa dans son dos.
– Et alors ?
– Il est mêlé à tout ça, renifla-t-elle.
Elle avait beau me regarder, elle ne me voyait pas, c’était lui qu’elle voyait.
Quand je m’en rendis compte, je crispai la mâchoire. Tout ce chagrin, c’était à
cause de lui.
– Qu’est-ce que tu veux faire ? demandai-je.
Elle hésita, se mordit la lèvre inférieure.
– Allez, insistai-je en lui caressant la joue. On ne se ment plus, on n’essaie
plus de se protéger l’un l’autre. Qu’est-ce que tu veux faire ? On va s’y mettre
ensemble. À quoi penses-tu ?
Elle releva la tête, l’air soudain déterminée, et tout son corps se redressa.
– On va lui apporter la clé USB. Qu’il fasse son sale travail pour nous.
Pari risqué.
– Tu es sûre ? demandai-je.
Elle hocha la tête, les paupières frémissantes.
– Il faut essayer, affirma-t-elle. C’est mon père, après tout.
Garrett était connecté à ce qui se trouvait dans cette clé. On ne l’avait pas
encore décryptée, mais il y était mêlé. Il pouvait les prévenir contre nous, avant
qu’on effectue le moindre mouvement. Mais c’était à Sam de décider. Elle
voulait commencer par son père biologique. Et il était là.
On frappa à la porte.
Assise dans un coin de la chambre, Sam se tordait les mains depuis une
heure. Le souffle court, elle leva les yeux vers moi. Je hochai la tête, me levai de
mon siège, traversai la chambre pour ouvrir la porte.
Garrett se tenait derrière. Sans sourire, sans prononcer un mot, il me
dévisagea puis regarda derrière moi, à la recherche de sa fille. Après quoi, il me
fixa, attendant que je l’invite. Je reculai en hochant la tête, refermai derrière lui
alors qu’il s’arrêtait derrière un canapé. J’allai me poser à côté de Samantha. Si
bien qu’on se retrouva face à face, elle et moi d’un côté de la chambre, lui de
l’autre. Il posa les mains sur le dossier du canapé, poussa un soupir avant de
s’éclaircir la voix.
– Je suppose que ce n’était pas une invitation amicale ?
Sam attrapa ma main. Elle voulait que je prenne la parole, mais j’estimais
que c’était à elle de prononcer certaines phrases. Dans un sens, elle allait jouer le
tout pour le tout. Garrett était apparu deux fois dans sa vie et l’avait abandonnée
deux fois. C’était sa dernière chance. S’il la rejetait encore, c’en serait fini. Elle
ne me l’avait pas déclaré ouvertement mais n’avait pas prononcé un mot de la
matinée. Je la connaissais. Je savais ce que cela allait lui faire et, s’il faisait le
mauvais choix, je le lui ferais payer.
Il nous regardait l’un après l’autre, mais finit par s’arrêter sur elle.
– Sam ?
Étreignant ma main, elle lança d’une voix ferme :
– Donne-lui la clé USB.
– Quoi ?
Il paraissait complètement perdu.
C’était à moi qu’elle s’adressait. Je jetai la clé sur la table basse entre nous.
Il ne la prit pas, se contenta de la regarder.
– Qu’est-ce que c’est ?
J’attendis. Comme Sam ne disait rien, je m’avançai. C’était mon tour. Elle
interviendrait le moment venu.
– Ce sont des informations sur vos connivences avec les Sebastian.
– Quoi ?
J’attendis en plissant les yeux. Il ne réagissait pas. Sam avait hérité cette
sorte d’impassibilité, en même temps, je le sentais secoué. Mes tripes me le
disaient, à défaut de son attitude.
– Vous avez très bien entendu, répondis-je. Ce qui s’y trouve est crypté,
mais elle vient tout droit du coffre-fort de Park Sebastian.
– Vous mentez.
Là, il semblait affecté, sans que je puisse dire si c’était de la colère ou de la
peur. J’espérais juste qu’il n’allait pas s’énerver, ne serait-ce que pour la sécurité
de Sam.
– Vous pouvez l’emporter, c’est une copie. Nous avons encore d’autres
choses, mais ceci nous a été donné par quelqu’un proche de Sebastian.
Garrett ne bougeait toujours pas ; il se contentait de me dévisager moi,
maintenant, peut-être pour vérifier si je ne bluffais pas. Je lui montrai que non.
Sans hésiter. Je me doutais qu’il ne goberait pas un mensonge. Alors je ne fis
rien. Une seule chose m’inquiétait : ce qu’il ferait en quittant cette pièce. Quant à
ce qui se trouvait sur cette clé, je l’ignorais totalement.
Un autre instant s’écoula ainsi, et puis il lâcha prise, se passant une main sur
le visage, dans un grand soupir.
– Si c’est ce que je crois, vous pourriez avoir de sacrés ennuis, tous les deux.
– C’est pour ça qu’on t’a appelé, murmura Sam en me lâchant la main. On
va te la donner mais, quoi qu’il en soit, tu en fais partie, n’est-ce pas ?
Il reporta son attention sur sa fille, mais ne répondit pas. Un autre moment
s’écoula et il finit par hocher la tête, lentement. Comme s’il se rendait.
– S’il s’agit de ce que je crois, c’est une liste de sujets de chantage.
– Chantage ?
– Pour le Réseau.
– J’hallucine ! souffla-t-elle.
Ça me fit sourire en songeant qu’elle avait orienté Logan sur cette question.
– Le Réseau. Ça s’appelle comme ça. Pas très original, mais c’est exprès.
Quand on en fait partie, c’est bon. Si on veut en sortir… il y a sur ce genre de clé
tout ce qu’on peut utiliser contre vous. Vous avez une idée du mal que ça
pourrait vous faire ? Celui qui vous l’a donnée manipulait de la dynamite. Qui
est-ce ?
– Comme si on allait te le dire ! marmonna Sam.
– Samantha !
Je m’interposai, la faisant reculer d’un pas. Elle allait devoir réagir
autrement. Son attitude du style « je t’emmerde » sautait trop aux yeux. Garrett
avait raison, il fallait se méfier de ce Réseau et la fermer, sans en faire un combat
personnel entre père et fille.
– Vous allez nous aider ? demandai-je en désignant la clé.
Il poussa un grognement, bref mais irrité.
– Vous êtes nuls, tous les deux. On ne peut pas s’attaquer au Réseau…
– C’est à cause de Park Sebastian, coupai-je, moi-même au bord de la colère.
On ne vous demande pas de nous faire la morale, on n’est plus des gosses que
leur papa doit gronder. On ne veut pas se mêler de ça. On ne s’attaque pas au
Réseau mais à Park Sebastian.
– Qu’est-ce que vous racontez ?
– L’année dernière, Sebastian voulait que je lui donne quelque chose, sans
vraiment me dire de quoi il s’agissait ; j’ai compris qu’il voulait me manipuler,
se servir de moi. J’ai eu assez souvent affaire à ce genre de personne pour savoir
les repérer. Je n’ai peut-être pas réagi comme il le fallait, mais je ne voulais rien
avoir à faire avec lui, et ça l’a mis en pétard.
– Vous m’étonnez, marmonna Garrett en fourrant les mains dans ses poches.
J’aime mon filleul, mais il a un ego démesuré.
Il l’aimait ? Attention danger. J’échangeai un regard avec Sam. Elle m’avait
bien dit que Garrett était proche d’eux, mais de là à aimer son filleul ? Voilà qui
risquait de tout gâcher
– Tant pis, dis-je en reculant. Ça ne va pas marcher.
– Quoi ? demanda-t-il en agrippant de nouveau le dossier. De quoi parlez-
vous ? Il s’est passé quelque chose ?
– Il est trop proche d’eux, dis-je à Sam.
Elle fonça, attrapa la clé sous le nez de Garrett.
– Qu’est-ce que vous allez faire ? demanda-t-il, inquiet.
– Rien, répondit-elle à ma place.
Son épaule heurta ma poitrine quand elle leva la main. Elle me tendait la clé
que je saisis.
– Ce n’est rien… papa.
Il lui jeta un regard acéré. À ma connaissance, c’était la première fois qu’elle
l’appelait ainsi. Elle le manipulait. C’était l’ennemi et il savait qu’on avait
quelque chose contre lui, sur le Réseau.
– Quoi que vous décidiez de faire, lança-t-il, tenez-moi au courant. Tu es ma
fille, Sam. Je t’en prie !
Elle se mordit la lèvre. Si elle avait pu encore reculer, elle l’aurait fait, mais
elle était plaquée contre moi et je sentais la lutte qui se livrait en elle. Elle
m’avait parlé de sa petite sœur, elle allait aimer ce bébé, c’était déjà le cas, mais
ce qui allait suivre pourrait briser ce lien. Garrett se trouvait sur la clé, c’était
indéniable. Il allait en souffrir et, maintenant, il savait que nous serions à
l’œuvre. Que Sam ne se gênerait pas. Ce serait à lui de décider de la marche à
suivre.
Il pouvait la priver de sa sœur.
– Vous voulez faire partie de la vie de Samantha ? demandai-je.
– Vous savez bien que oui.
– Alors prouve-le, intervint-elle. Ces informations vont finir par sortir. À ce
moment-là, il faudra nous soutenir.
– Vous n’avez aucune idée de ce que vous allez faire, c’est ça ?
– Non, dis-je. On n’est plus des gosses ni des ados. Merde ! Même pas des
étudiants normaux qui se bagarrent à tout bout de champ. Le Réseau, enfin peu
importe comment vous appelez ce groupe de gens, et peu importe comment vous
êtes connectés, c’est toujours la même chose. Quelqu’un se manifeste, on lui
répond. Maintenant, il faut juste croire un peu en nous. Ça sortira, mais vous êtes
le seul à savoir que ça vient de nous.
J’attendis une seconde avant d’ajouter :
– Je crois que Sam saura vite comment vous manipulez l’information.
Il ne dit rien, baissa un peu la tête, regarda longuement Samantha et finit par
se retourner et s’en aller. Je m’étais attendu à une crise de nerfs, une explosion,
mais rien. Elle allait en souffrir, pourtant impossible d’y échapper. Quoi que
puisse faire Garrett ensuite, qu’il nous dénonce ou qu’il la ferme, je savais déjà
que sa réaction dans cette chambre d’hôtel avait profondément marqué Sam.
– Ça va ? lui demandai-je plus tard dans le lit.
– Même merde, autre jour, marmonna-t-elle.
Je lui dégageai le visage des quelques mèches qui s’y attardaient, lui
soulevai le menton.
– Désolé pour Garrett.
– Oh non ! dit-elle me caressant à son tour les joues.
Elle me sourit. Il y avait encore des ombres dans son regard, mais aussi de
l’amour, tant d’amour. Elle ajouta simplement :
– Je n’ai pas besoin de lui. David est revenu dans ma vie. J’ai Malinda, je
vous ai, toi et Logan. Je t’ai, toi. J’ai besoin de toi, c’est tout.
Une larme apparut au coin de sa paupière et y resta, faisant briller ses yeux
où je lus des promesses.
– Je n’ai besoin que de toi.
Ce fut moi qui cueillis cette larme du bout des doigts.
– Tu connaîtras ta sœur. On ne laissera pas Garrett t’en priver.
– Je sais.
Ce fut tout ce qu’elle répondit. De nouveau, on ne faisait plus qu’un.
Samantha
Je ne m’attendais pas à ce genre de réception. Je croyais encore qu’on ne
ferait qu’y picoler, jouer des parties de bière-pong, faire des concours de
descente de cannette, pendant que des filles à moitié nues s’éparpilleraient sur la
pelouse. En ouvrant le portail qui donnait sur le jardin, j’eus l’impression de me
retrouver dans le country club de Fallen Crest.
Maserati, Corvette, Ferrari, BMW, Rolls-Royce s’alignaient, garées sur le
parking. Un voiturier me fit signe d’arrêter et s’approcha de moi.
Houlà…
Park Sebastian possédait son propre country club.
– Madame, commença l’homme en me tendant la main.
Il paraissait plus jeune que moi. Je contournai ma modeste Corolla, ma
première et seule voiture.
– Faites attention, dis-je en lui tendant les clés, elle est fin prête pour la
soirée. Mais elle a peut-être un peu le trac.
Il alla s’installer au volant tandis que j’entrais dans la maison et m’arrêtais
sous l’énorme lustre de l’entrée.
Un serveur m’accueillit aussitôt, en me présentant un plateau de flûtes de
champagne. J’avais envie de tout prendre.
– Non merci, dis-je seulement.
Aussitôt, il se tourna vers un groupe devant moi, et son plateau se vida en
trois secondes. Au moment où le serveur s’éloignait, un autre apparut comme par
miracle, armé lui aussi d’un plateau de champagne mais accompagné d’un
collègue qui proposait des fraises chocolatées ainsi que de petites crêpes
fourrées.
J’examinais en douce le groupe devant moi. Ils n’avaient pas bougé de leur
place. Le vestibule grouillait de gens tous habillés en tenue de soirée.
Certaines femmes portaient des robes, dont une à paillettes. Quant aux
hommes, ils étaient pour la plupart en costume et quelques-uns en smoking. Moi,
j’étais en jean, avec un corsage blanc décolleté en V, plus joli que ce que je
portais habituellement – grâce à Malinda qui veillait sur ma garde-robe – mais
bien modeste par rapport aux autres. Peu importait, j’étais la plus jeune dans ce
vestibule. Où que je regarde, il n’y avait que des gens d’un certain âge et des
vieux. Sauf… J’aperçus un couple d’à peu près mon âge, mais ils discutaient
avec les autres, sans doute des parents ou des grands-parents.
C’est quoi ça ?
À quoi est-ce qu’il m’a invitée ?
– Samantha !
Sebastian me faisait signe d’une pièce latérale. Il me sourit par-dessus toutes
les têtes et se fraya un chemin vers moi.
– Je suis trop content que tu sois venue.
On était dans la quatrième dimension. Impossible d’expliquer ça autrement.
Il avait participé au matraquage de Logan. Mason l’avait envoyé se faire foutre à
la réunion du conseil. Et là, on était devenus potes ?
Malgré mon effarement, je lui décochai un sourire.
– Hello ! Comment ça va ?
– De mieux en mieux.
Il me tendit la main, mais je reculai, heurtant quelqu’un derrière moi. Une
femme poussa un soupir indigné, plusieurs invités protestèrent. Je ne répondis
pas, les yeux fixés sur Sebastian qui s’était immobilisé devant ma réaction. Je
déglutis, incapable de détourner les yeux.
Comment allait-il réagir ?
Il se contenta d’un sourire coincé, toussota.
– Viens, je voudrais te faire visiter, si tu es d’accord ?
Je ne l’étais pas, mais je le suivis quand même.
Il ne me toucha pas, se contentant de jeter parfois un coup d’œil derrière lui
pour s’assurer que j’étais toujours là. Il me conduisit ainsi à travers un salon,
puis un autre. Puis une salle à manger, puis une autre. Et on se retrouva dans un
autre salon, plus petit cette fois. Cet endroit était hallucinant.
Enfin, il s’arrêta, se retourna. Son sourire me parut plus authentique,
lorsqu’il me désigna une autre pièce.
– Par ici.
Je tendis le cou en essayant d’y voir quelque chose, mais il n’y avait que des
têtes, partout.
Je croisai des dames trop maquillées, trop pleines de bijoux, qui buvaient
tout autre chose que du champagne – je le sentis au passage. Sebastian s’était
arrêté à côté d’un type plus âgé, tandis que deux autres s’éloignaient déjà.
– Samantha ! dit-il avec un large sourire. Je voulais te présenter mon grand-
père.
J’allais lui tendre la main mais m’arrêtai. Grand-père ?
– Euh…
C’était une réception digne du Réseau. Une sourde anxiété s’insinua dans
mes veines. Mon père pourrait être là. Garrett était là… et il savait. Il pourrait
tout arrêter avant même que ça ne commence.
Je m’éclaircis la gorge.
– Est-ce que mon… Garrett est là ?
– Je ne crois pas. Park ?
– Non, dit Sebastian. Il a appelé de la maison. Sharon ne se sentait pas bien.
Ils voulaient rentrer à Boston, je crois.
– Ah ! dit le vieux monsieur, c’était bien ce que je pensais, mais ne vous
inquiétez pas. Si votre père n’est pas là, votre grand-père, oui, et vous pouvez
m’appeler Gerald.
– Pardon ?
– Le père de Garrett, se hâta d’expliquer Sebastian. C’est pour lui que tu es
venue aujourd’hui ?
Impossible de détacher mes yeux de son grand-père. J’avais le mien.
Quelque part, ça se tenait, mais pas dans ma vie
– Sam ?
Gerald pencha la tête de côté en murmurant :
– Vous n’étiez pas au courant pour votre grand- père ?
Puis il se tourna vers Sebastian :
– Tu aurais pu la prévenir !
Sebastian s’empourpra, me jeta un bref regard avant de hausser les épaules.
– Je croyais que Garrett s’en était chargé. Il avait annoncé qu’il allait voir sa
fille hier soir. Et puis, je t’ai dit qu’il y avait d’autres difficultés.
– Tu parles des fils de James Kade ? s’emporta le grand-père d’un ton irrité.
Voilà longtemps que je t’ai dit de régler cette histoire. Je veux voir James Kade.
Tu ne t’en es donc pas occupé ?
– Eh bien… souffla Sebastian en me jetant un regard en coin. Je… non. Les
fils de James Kade me détestent. Je croyais que tu le savais. Jamais ils n’auraient
accepté de venir… à cause de moi.
– Voilà longtemps que James Kade a été admis ici.
– Grand-père !
– Non ! Je ne veux pas entendre ça. J’en parlerai à ton père, mais tu n’es pas
au-dessus des décisions du comité.
– Je suis ton petit-fils. Et eux me détestent, littéralement. C’est Mason qui a
mis le feu à ma maison l’année dernière.
– Bon.
Je me figeai.
Voilà qui en disait long. Gerald Sebastian exerçait une forte autorité et, à
juger par cet échange acerbe, il n’avait pas l’habitude qu’on le contredise.
– Ça signifie, continua-t-il, qu’il prend des initiatives, que nous le voulons
dans l’organisation. Tu as reçu un ordre et tu ne l’as pas exécuté.
La colère gonflait sa voix, mais cela n’alerta personne. La conversation finit
par s’apaiser. Les gens regardaient dans notre direction, cependant nul n’avait
l’air surpris.
– Elle est là ! cria Sebastian en me montrant du bras. J’ai introduit la petite-
fille de Ben dans le circuit.
– Foutaise ! gronda Gerald. Tu n’as fait que te servir de ta sœur. N’essaie
pas de m’entourlouper.
– Mais…
– Tu avais pour mission d’attirer Mason Kade. Grâce à lui, on devait faire
entrer James Kade dans le circuit.
Sebastian détourna les yeux, mais joignit les mains devant lui puis se
détourna légèrement.
– Grand-père, dit-il encore, je crois que c’est une erreur. James Kade n’a pas
besoin d’être ramené. Il vit avec Ann-Lise Strattan dont tout le monde connaît le
passé. Elle ne peut recevoir le soutien que le Réseau lui donnerait. Elle serait
surveillée. On connaît tous son attitude durant sa vie.
– Tu es prié de ne pas essayer de me dicter ma conduite. Tu te trompes,
Park. La décision a été prise depuis longtemps. Ben n’était pas au courant des
duperies d’Ann-Lise quand ils étaient ensemble à l’université. À cette époque,
on lui a caché l’existence de sa petite-fille. Je ne supporterai pas ça plus
longtemps. Alors, à présent, emmène cette jeune personne dans la salle de
réunion et mets-la au courant de tout. Je veux également voir les fils Kade ici
dans l’heure qui suit.
Il se tourna vers moi et son ton s’apaisa :
– Quand ce garçon en aura fini, revenez me voir. Je vous présenterai moi-
même à votre grand-père.
Abasourdie, ne sachant que dire, je me contentai de hocher la tête.
– Bien, reprit-il en envoyant une claque sur l’épaule de Sebastian. Vas-y,
dis-lui tout, oublie les problèmes imbéciles qui existent entre toi et son petit ami.
Allez, tu sais ce qu’il faut faire !
– Oui, soupira Sebastian, les épaules et la tête basses.
Il paraissait totalement soumis, et je n’en revenais pas. Nos regards se
croisèrent alors que son grand-père quittait la salle.
– C’est en bas, m’indiqua-t-il alors.
– Sebastian, qu’est-ce qui se passe ?
– Je vais t’expliquer. Suis-moi.
On traversa la cuisine pour nous diriger vers un autre couloir qui menait à
une aile latérale.
Alors qu’on passait devant des portes-fenêtres menant à l’extérieur, je lui
demandai :
– Dis-moi ce qui se passe. J’en ai assez de ces merdes. Explique ou je ne
vais pas plus loin.
Il s’arrêta devant une porte close, se retourna tandis que je m’immobilisais,
les bras croisés, attendant la suite. Un petit rire lui échappa et il me désigna la
pièce derrière lui :
– C’est là.
– Ah bon… Attends, j’ai envie de pisser. Il y a des toilettes par ici ?
Il fallait que je réfléchisse. Sebastian me montra une porte sur sa droite :
– Par là, mais entre d’abord là-dedans.
– Pourquoi ? demandai-je, les pieds paralysés.
– Parce que ce que j’ai à te dire est top secret.
Là-dessus, il ouvrit un placard juste en face du couloir des toilettes.
– On a pour règle de ne pas utiliser de téléphones cellulaires ici. Tu dois
déposer le tien avant d’entendre la suite.
Sainte merdasse, comme dirait Logan. J’allais être initiée à un culte secret.
En approchant, je découvris des rangées de petits tiroirs, tous équipés de clés
d’identification.
– Choisis-en un, dit Sebastian. Mets ton téléphone dedans et rentre un code.
C’est comme pour un coffre d’hôtel. Tu seras la seule à connaître les chiffres,
c’est le règlement.
Là-dessus, il ouvrit la porte, entra dans la pièce.
– Va aux toilettes, range ton téléphone et reviens ici.
– Et toi, tu seras où ?
Un rire sec lui échappa.
– Je vais me préparer une boisson forte. J’en ai besoin, après m’être fait
botter les fesses par mon grand-père.
Comme il fermait derrière lui, je remontai le couloir, m’assurai que les
portes-fenêtres n’étaient pas fermées à clé mais, à tout hasard, je continuai
jusqu’aux toilettes. Je n’étais pas venue seule à cette réception. Mason et Nate
m’attendaient. Ils s’étaient garés non loin de là.
J’envoyai un SMS à Mason. Non seulement il pouvait venir à cette
réception, mais il y était invité. Je précisai que le grand-père était pro-Mason.
Il me répondit : Je suis pro-grand-papa, je crois.
Je tapai : Ha ha. Les portes-fenêtres sont ouvertes. Continue vers l’aile
latérale. Les bâtiments sont tous reliés. Va dans la salle au bout du grand couloir.
Après ce dernier texto, j’avais un souci : déposer mon téléphone ou pas ? Si
je ne le faisais pas, Sebastian pourrait s’en servir contre moi, me fouiller. Je n’y
tenais pas. J’entrai dans la pièce et, comme il levait la tête du bar, je brandis mon
appareil pour montrer que je le rangeais dans un des tiroirs. Puis, en me cachant
derrière ma main, je composai un numéro de code et reculai.
Mon téléphone était maintenant planqué. Je me retrouvais seule avec
Sebastian – jusqu’à ce que Mason nous rejoigne. Je ne savais pas combien de
temps ça durerait, mais j’attendrais.
Sebastian me regarda entrer et glissa un verre sur le comptoir.
– Je suis étonné que tu aies rangé ton téléphone. Après Logan et la réunion
du conseil, j’aurais cru que tu ne me faisais pas confiance.
Certes, toute personne sensée aurait eu la même réaction.
Je poussai un soupir en frottant les mains sur mes cuisses.
– Oui, comme tu dois le savoir, j’ai quelques gouttes de folie dans le sang.
– Au fait, tu peux fermer la porte, s’il te plaît ?
Ce que je fis, le cœur serré.
– Voilà. Maintenant raconte.
Il allait boire une gorgée de son alcool quand il s’arrêta, le reposa.
– Non, toi d’abord.
– Pardon ?
Il plissa les yeux et le nez, fronça les sourcils.
– Pourquoi tu es là ? Après la raclée qu’on a mise à Logan, celui que tu
considères comme un frère, à quoi tu joues ? Je suis protégé ici. Mason ne peut
pas venir me taper dessus, et je doute qu’il puisse mettre le feu à cette maison-là.
Eh merde. On jouait au jeu de la vérité ? Soit.
Je m’approchai de lui.
– C’est bon, ta sœur m’a bien dit qu’elle devait m’inviter à cette réception
mais qu’elle n’irait pas. Elle a été loyale sur ce point, avant de partir.
Je fis mine de tapoter ma montre.
– Et, à cette heure-ci, elle doit être arrivée à New York.
Il se figea, l’expression plus du tout impassible.
– Foutaise !
– Je vois que c’est une expression de famille.
– Jamais ma sœur n’irait à New York.
– Si. Avec ta mère.
Il poussa un juron furieux.
– Et je vois, ajoutai-je, qu’elle m’a dit la vérité. Ta mère ne fait pas partie de
tes fans ?
– On s’en fout, maugréa-t-il, furieux. Qu’est-ce que tu as dit à ma sœur ?
Sinon, elle ne serait jamais partie.
– Ah non ! Ne m’accuse pas, c’est trop facile ! J’aimais bien ta sœur, même
quand elle m’a avoué qu’elle était ta sœur. Elle est partie de son plein gré.
Apparemment, quand elle a vu ce que tu avais fait à Logan, ça a été la goutte
d’eau qui a fait déborder le vase. Tu sais, parce qu’elle nous aimait bien, et
Logan aussi.
– Je ne te crois pas.
– Pas grave. C’est la vérité. Elle est partie, Sebastian.
– Alors, qu’est-ce que tu fais là ?
– Pourquoi tu m’as invitée ? Je n’ai pas vu un seul de tes compagnons de
fraternité.
– Parce que ça n’a rien à voir avec mes potes, sourit-il. Je m’en suis servi
contre vous. Et cette réception ne concerne pas la fraternité, ou ce qu’il en reste
grâce à ton copain. Quant à toi, pourquoi es-tu invitée ? Tu as entendu mon
grand-père. J’en ai reçu l’ordre, et j’avoue que je ne m’attendais pas à te voir
venir. J’espérais que tu t’en abstiendrais, comme ça tous mes problèmes auraient
été résolus.
Là-dessus, il reprit son verre. Ma maigre sensation de satisfaction avait
disparu.
– Tu ne croyais donc pas que j’allais venir ?
– Je misais sur le fait que tu refuserais. Mais te voilà. Je ne sais pas ce que tu
manigances, seulement ça ne marchera pas. Et donc, qu’est-ce qu’on fait,
maintenant ?
Là, je compris. Quoi qu’ait décidé son grand-père, Sebastian avait ses
propres projets.
– Tu n’as donc pas l’intention de faire ce que veut Gerald ?
– Non, ricana-t-il après avoir vidé son verre. Comment tu dis ? « Ah non !
Ne m’accuse pas, c’est trop facile ! » Oui, mon grand-père sera fâché, mais
personne n’y pourra rien. D’abord, parce qu’ils n’atteindront jamais leurs
objectifs. Ce sont les petits-enfants qui accompliront la tâche. Les plus âgés,
dont mon père, estiment que ça ne les concerne plus. Tu vois, c’est pendant la
fac que les liens se nouent. C’est là qu’on se fait des amis, qu’on déconne
ensemble, tout ça dans le but de tout foutre en l’air. Toi, tu dois entrer dans le
circuit et on est censés devenir les meilleurs amis du monde.
– De quoi parles-tu ? Je croyais que c’était toi qui avais poussé Summer à
faire amie-amie avec moi ?
– Oui, et c’est là que ça a déraillé. Summer ignore à peu près tout de ce qui
se passe en vrai. Elle sait que ton père est proche de notre famille, elle est au
courant pour ton grand-père, mais c’est tout. En principe, on devait l’initier en
même temps que toi. Et ça devait bien se passer, dans la joie et la bonne humeur
durant les quatre années à venir, jusqu’à ce que vous appreniez toutes les deux
l’ultime vérité. Regarde-moi cet endroit, ces murs.
Mason montra les photos de Sebastian qui s’entretenait avec son père, son
grand-père et d’autres hommes devant une grande maison.
– Le détective privé a trouvé ceci.
Se redressant sur le canapé, Logan saisit la photo.
– C’est quoi ? Un joueur de basket-ball ?
– Fais voir, dit Nate en se penchant.
Logan le repoussa d’un coup d’épaule.
– Du vent ! J’ai plusieurs fractures, je te rappelle.
Nate lui jeta un regard noir.
Levant les yeux au ciel, Logan lui tendit la photo.
– Ça me fait de la peine d’imaginer qu’un de mes joueurs préférés de basket
est un pourri comme Park Sebastian. Sérieux. Ça me brise le cœur. Il m’a rompu
les os. Il m’a privé de cette pensée, sans doute illusoire, que je pouvais affronter
à la fois cinq connards de sa fraternité et m’en tirer sans une écorchure. Et,
comme si mon ego n’en avait pas déjà pris assez comme ça, j’ai le chagrin
d’apprendre que je ne pourrai pas me rendre dans cette maison pour y voir
toutes ces célébrités. Tu te rends compte ? J’aurais pu obtenir tant
d’autographes, pour les vendre en ligne et gagner assez d’argent pour
m’acheter une chiasse machine, une vraie, qui balance la merde là où on
l’envoie. Ça m’aurait servi de revanche contre Sebastian. Des montagnes de
merde sur sa pelouse, avec des tigres autour pour empêcher de l’enlever. Le
plus beau projet de ma vie.
Arrondissant les mains, il mima l’explosion d’une bombe et retomba
lentement sur les coussins.
– Tu rigoles ? s’enquit Mason en haussant un sourcil. C’est comme ça que
tu voudrais te venger ?
Logan s’en moquait. Croisant les bras, il frémit, les laissa retomber sur les
côtés.
– N’empêche, dit-il. Je devrais déposer mes idées. Je parie que quelqu’un
finira par le faire. Hashtag chiasse machine de vengeance. Cette vidéo
deviendrait légendaire.
– Oh là là ! marmonnai-je à côté de Mason. On peut revenir à tous ces gens
connectés avec Sebastian ? Parce que ça, c’est vraiment inquiétant.
Sebastian voulait que je regarde les murs, ce que je fis. Bien que
d’architecture carrée, toute la salle était conçue dans une perspective circulaire.
Les canapés formaient un cercle, sous des murs couverts de portraits. Au début,
je n’y avais pas fait attention, trop concentrée sur Sebastian, mais maintenant
qu’il me le faisait remarquer, je commençais à mettre un nom sur chaque visage.
Un sénateur.
Une célébrité – non, deux.
Erreur encore.
En fait, j’en reconnaissais de plus en plus. Acteurs. Producteurs. Chanteurs.
Mon regard s’arrêta sur un cadre dans le coin du fond. Mon père. Garrett qui
souriait au peintre. Près de lui, c’était Sharon. Et, de l’autre côté, ma mère. Voilà
comment ils connaissaient Ann-Lise.
– Tu as dit que tout avait commencé à la fac, murmurai-je.
– Oui. Tu piges maintenant ?
– Qu’est-ce qui s’est passé à la fac ?
Il pouffa d’un rire qui me donna froid dans le dos.
– On fait tout et n’importe quoi, expliqua-t-il. On se baise les uns les autres,
ou pas. On se prend des cuites, ou pas. Ce sont des expériences normales à la
fac. Mais c’est là qu’on commet des erreurs, et tout ça avec qui ? Tes meilleurs
amis. Tiens, disons, si on violait une fille, on pourrait compter sur qui pour vous
soutenir ?
Il me désigna le portrait d’un jeune homme, et un autre d’un acteur très
connu.
– Tes meilleurs amis te fournissent un alibi. Tu ne pouvais pas avoir violé
cette fille, ton pote affirme que tu étais chez lui. Si tu veux tricher à un test,
ajouta-t-il en passant d’un tableau représentant un chanteur à un autre avec un
sénateur, ton meilleur pote, qui se trouve être l’assistant du professeur,
t’obtiendra le sujet d’avance et couvrira tes arrières. Si un prof a des soupçons,
l’assistant t’indiquera quelques mauvaises réponses à glisser parmi les bonnes.
Etc. C’est à ça que servent les relations.
Il balaya la pièce d’un geste du bras.
– Non, on n’est pas un groupe d’adorateurs de je ne sais quoi. Ce n’est pas
sang pour sang, plutôt chantage et reconnaissance de dette, voilà tout, et ma
famille détient les clés. C’est mon arrière-arrière-arrière-grand-père qui a tout
lancé, et voilà comment je me trouve dans la posture de celui qui sait ce qui va
se passer, examen après examen.
– Alors… dis-je en me renfrognant. Ma mère…
– Non, non. Ta mère est notre seule erreur. Elle devait être incorporée, on
l’a donc initiée, si bien qu’elle connaissait toutes nos relations. C’est par là
qu’on commence l’enseignement. Toi et Summer, vous avez eu droit au même
discours. On est tous ici les uns pour les autres. Tout le monde vous soutiendra.
Si vous avez besoin d’argent, on vous en donnera. Si vous avez besoin d’une
maison, voici un pavillon. Si vous avez besoin d’une maîtresse, on vous en
procurera, qui fera tout ce que vous voudrez. Le discours est prévu sur-mesure.
Étant donné que Summer et toi êtes des filles, on vous aurait sans doute promis
la réussite dans la carrière de votre choix. Si vous désiriez devenir célèbres, on
vous aurait rendues célèbres. Si vous désiriez monter une affaire, on vous en
aurait fourni une qui ne demanderait qu’à prospérer dès votre diplôme obtenu. Si
vous vouliez un mari, on vous aurait présentées aux autres membres du Réseau.
Et cela irait de soi avec la notion de famille. On s’aime tous. On s’occupe les uns
des autres, malgré nos erreurs et nos défauts. On y remédie, alors n’hésitez pas à
tendre la main s’il se passe quelque chose. Quel que soit le crime, on s’en
occupera.
Tout en parlant, Sebastian passait d’un tableau à l’autre. Il semblait irradier
de bonheur chaque fois qu’il riait. Et je ne m’en sentais que plus glacée. Je
reculai jusqu’à la porte, posai la main derrière moi, sur la poignée. S’il le fallait,
je pourrais m’enfuir. Le cauchemar qu’il promettait n’allait pas m’arriver. Mais
que me réservait-il d’autre ? Je ne doutais pas que ce serait encore pire.
– Les familles qui se sont formées ici, continua-t-il, sont automatiquement
sélectionnées, mais on peut en choisir d’autres également. Mon grand-père a
choisi ton grand-père, ce qui signifie que Garrett a été sélectionné. Pour lui,
c’était automatique, pas pour ta mère. C’est Garrett qui l’a présentée, et je pense
que c’était à l’époque où ils baisaient ensemble.
– Et Sharon ? Son portrait est là.
– Elle a été investie plus tard, parce que Garrett avait rompu avec Ann-Lise.
Il est retourné avec Sharon et il a fini par l’épouser. Après quoi, une nouvelle
règle a été établie. Plus de petits amies, que des épouses.
– Pourtant, tu as dit que ma mère représentait une erreur ?
– Oui, elle a été initiée, mais elle est partie. Elle n’a jamais obtenu son
diplôme. Quand tu es apparue, ils ont tous compris pourquoi. Elle était enceinte
et Garrett avait déjà retrouvé Sharon. Maintenant, va savoir pourquoi ta mère n’a
rien avoué à personne ? Elle savait pourtant qu’on s’occuperait d’elle. Sauf
qu’elle était dans un état épouvantable. Si bien qu’ils l’ont laissée partir. Elle
s’accrochait aux murs, mais elle n’a jamais obtenu aucun avantage. Cela dit, je
répète bien qu’elle n’a rien réclamé. Si elle le faisait… je préfère ne pas savoir
ce que le comité déciderait. Elle fait honte à tout le monde, à tous ceux qui ont
contribué à l’élaboration du Réseau. Ils filent doux et se servent tous de leurs
pouvoirs pour aider les autres.
– Alors, quand est-ce que ça tourne mal, finalement ?
– Juste si tu décides que tu n’as pas besoin du Réseau. Si tu refuses de faire
quoi que ce soit, tu découvres rapidement que toutes les erreurs que tu as pu
commettre à l’université, et ensuite, vont te retomber dessus. Les nouvelles se
répandent vite, les témoignages se multiplient. Tu es abandonnée à ton sort, tout
ça parce que tu n’as pas voulu aider un frère à placer sa sœur comme coloc d’une
certaine Samantha Strattan, à Cain University.
– C’est pour ça que tu as agi ainsi, soupirai-je.
Et ce devait être le matériel que Garrett voulait nous remettre. C’était ce qui
se trouvait sur la clé USB. Mes doigts se crispèrent sur la poignée. J’étais prête à
filer à la première occasion.
– C’est quoi le plan ? Tu vas charger toutes ces photos et les expédier par
mail aux flics, ou quoi ?
C’était Nate qui avait posé la question, mais j’y songeais également. Logan
ajouta :
– Ce serait la dernière des conneries. On ne peut pas balancer ces enfoirés.
– Même s’ils risquent de nous faire du mal un de ces quatre ?
– Mason a raison, lança Nate. On va bien devoir finir un jour ou l’autre par
affronter un membre de cette organisation. Et il faudrait les laisser s’en tirer
comme ça ?
– S’en tirer comme ça ? répéta Logan. On ne sait pas ce qu’ils ont fait.
– Parce que nous agresser tous les trois à différentes reprises, ce n’est rien,
peut-être ? lâcha Nate d’un ton dégoûté. Ou envoyer sa sœur espionner Sam ? Il
y a déjà largement de quoi porter plainte.
Mason fit non de la tête. Son frère avait raison. Ils n’allaient pas porter
plainte. Ça n’entrait pas dans leur code, mais ça ne signifiait pas non plus qu’ils
allaient rester les bras croisés.
– Et si on leur montrait qu’on sait ? suggérai-je.
– Qu’on sait quoi ? répliqua Logan en se redressant de nouveau.
– Attends ! dis-je. Tu oublies complètement ton bandage sur la poitrine ?
Arrête de bouger comme ça.
Il me décocha un sourire.
– Arrête de me déshabiller du regard, tu es la copine de mon frère.
– Logan ! gronda Mason en me prenant la main.
– D’accord, d’accord ! On t’entend bien. Alors, on joue à quoi ?
Mason montra la boîte qui contenait nos informations.
– On va télécharger tout ça et le leur envoyer par mail.
Tel était son plan.
– Génial ! ricana Logan.
Sebastian me dévisageait. Il venait de me révéler comment il avait poussé
Summer à devenir ma coloc.
– Voilà comment je m’y suis pris, ajouta-t-il.
Je retenais ma respiration, les nerfs tendus. Il fallait que je le ralentisse
encore, le temps que Mason puisse télécharger la clé. Ça devait provenir d’un
ordinateur aussi proche que possible de Sebastian. Ensuite, il arriverait ici. Je me
demandais combien de temps ça lui prendrait.
– Tu ne peux pas t’enfuir, Samantha.
– Quoi ?
– Tu crois que tu peux t’enfuir, mais non. La porte est verrouillée, jusqu’à ce
que je décide de la débloquer.
– Tu l’as ouverte…
En fait non.
Maintenant que je me repassais les événements en mémoire, il ne l’avait pas
ouverte de l’intérieur, c’était moi, de l’extérieur.
– Mais on peut entrer ?
– Oui, seulement personne ne viendra.
– Comment ça ?
Il avait l’air trop sûr de lui. Et Mason qui arrivait…
– C’est bon, maintenant, coupa-t-il. Je t’ai tout raconté sur le Réseau. Je ne
voulais pas que tu viennes aujourd’hui. Je me disais qu’après ce qui s’était passé
avec Logan, c’était fichu. Que tu ne voudrais plus avoir affaire à nous. Et
pourtant, tu es là. Tu es venue à cette réception, tu es descendue dans cette salle.
Tu sais tout. À ton tour, maintenant. Qu’est-ce que tu fais ici, Samantha ?
J’avais la gorge sèche, le cœur battant. C’était à mon tour de tisser ma toile,
alors je commençai par un premier mensonge :
– Je suis venue enregistrer ta confession.
Il parut se détendre un peu.
– Vraiment ?
Mason m’avait bien enseigné mon rôle. La première étape d’un mensonge
consistait à paraître vraisemblable.
Je soutins le regard de Sebastian.
J’allais passer à la deuxième étape. Ne lève pas les yeux, ne les baisse pas,
ne les détourne pas sur les côtés. Plante-les dans son regard et parle calmement.
Pas d’inflexion dans le ton, pas de pauses bizarres, pas de mouvements vifs.
Parle comme si tu partageais ton plus grand secret avec quelqu’un.
Je palpitais de tout mon corps, mais je me dis que Mason était déjà là et ça
me rendit tout de suite plus forte, plus sûre de moi. Tout en l’imaginant derrière
Mason, je continuai :
– Je voulais t’entendre dire que tu étais responsable de l’agression contre
Nate et que tu étais derrière celles de Mason et de Logan. Je voulais entendre
tout ça.
– Et comment tu comptais t’y prendre ? Pourquoi je t’aurais avoué ça ?
– En fait, je voulais droguer ta boisson.
– Celle-ci ? dit-il en tendant son verre.
– Bon, je ne prétends pas que c’était un plan infaillible, mais oui, c’était
l’idée. Sauf que tu as déjà tout bu.
J’avais ajouté ça en m’approchant du comptoir, la bouche sèche comme le
Sahara. Il y avait une bouteille d’eau dans le minibar, je l’attrapai.
– Sers-toi.
Ignorant le sarcasme, j’avalai une longue gorgée.
– Merci.
– Tu me disais, reprit-il, que j’allais tout t’avouer ?
– Que tu aurais dû…
Sauf qu’il n’aurait jamais dû, mais je continuai à mentir :
– Tu aurais aussi reconnu le coup du camion. C’était Mason qu’il visait, pas
Marissa.
Mon cœur se serra. Sebastian l’avait retournée en la payant ce qu’il fallait.
Ce qui m’arracha un rire abrupt :
– Là, ce n’était pas la fraternité, si ?
Sa suffisance augmenta encore. Il me souriait presque.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– L’année dernière, Marissa ne s’est jamais opposée à vous, elle n’a pas
porté plainte. On pensait que ça venait de la fraternité, mais c’était faux.
Je regardai de nouveau les portraits. On avait plutôt l’impression que
c’étaient eux qui nous regardaient. Ils riaient.
– C’étaient eux, n’est-ce pas ? Ce réseau. C’est vous qui l’avez renversée.
– Houlà ! souffla-t-il. Tu en piges des choses !
– Mais… Quoi encore ? Qu’est-ce que tu as fait d’autre ?
– Tu as raison. On a payé Marissa et, quand l’argent ne lui a plus suffi, on l’a
menacée. Je dois le reconnaître.
– Et quoi encore ? insistai-je.
– Tu tiens vraiment à tout savoir ? Tu es sûre, Samantha ? Sûre de vouloir
connaître tous ces vilains secrets ? Car c’est de ça qu’il s’agit. De sales trucs
bien moches.
Il retourna vers le bar sans me quitter des yeux.
– Tu as réfléchi à ce qui va t’arriver après ? Parce que tu en sais trop ?
Cette fois, ça y était. Incapable de détacher mon regard du sien, je le fixais.
On empruntait un chemin cahoteux.
– C’est peut-être ton autre vérité, dis-je.
– C’est-à-dire ?
Visiblement, il prenait son pied. Il jouait avec moi comme un chat avec une
souris, avant de me dévorer – ou quoi d’autre qu’il envisage. Pauvre connard !
– Tu sais ce que je veux dire.
– Oui, rigola-t-il.
Son rire sonore remplit la salle et j’entendis comme un écho.
– Et tu as raison, j’ai bel et bien un plan, mais pas aussi sophistiqué que ce
que tu pourrais croire. C’est plutôt primaire.
Il marqua une pause, plissa de nouveau les yeux.
Ma main agrippa la bouteille d’eau que je vidai à moitié d’une seule gorgée.
Je ne savais pas si j’avais chaud ou si j’en avais marre de me trouver avec lui. Je
me léchai les lèvres et terminai toute l’eau.
– Vas-y, couinai-je, prise de vertige. Je veux savoir.
– C’était ça.
– Quoi ?
Il se rapprocha, me désigna la bouteille d’eau.
– Là-dedans.
– Quoi ?
Je ne comprenais plus. Je ressentais une telle boule au ventre que je dus
appuyer la main dessus. Il fallait que je me calme, que je retrouve des idées
claires.
– Qu’est-ce que tu racontes ? L’eau… oh, merde !
Il se remit à rire :
– Tu comprends pourquoi je me suis marré quand tu as dit que tu voulais me
droguer, étant donné que… Tu sais.
Nouveau pas vers moi.
Mason regarda Nate et Logan en disant :
– Il faut qu’on attaque plus intelligemment. Ça signifie : plus de bagarres
physiques, si on peut les éviter.
Nate hocha la tête, mais Logan leva les yeux au ciel.
– Ah bon ? Je ne suis pas en train de me présenter pour me faire élire au
Sénat, non plus. Tandis que toi, Monsieur-je-vais-entrer-dans-la-Ligue-
nationale-de-football-et-tout-le-monde-va-me-regarder, tu ne peux pas te battre.
Mais moi, si. Je n’ai pas trop apprécié le lycée. Et j’ai bien l’intention de me
rattraper à la fac. Désolé, Mase. Je t’aime bien. Je suis avec toi, mais si je sens
qu’une bonne bagarre se pointe à l’horizon, je ne me déroberai pas. Et ne me
contredis pas. Tu aimes ça autant que moi.
– Avec ce groupe, rétorqua son frère, on réplique adroitement. D’accord ?
J’avais été maladroite. Sebastian s’était montré plus malin.
– Je ne croyais pas que tu aurais bu, reprit-il. Tu étais en territoire ennemi,
Mason te l’aurait déconseillé. Mais il fallait avoir l’esprit clair et je savais que ça
prendrait un certain temps. Je suis loin d’en avoir fini. J’ai encore beaucoup de
choses à te révéler. Je savais que tu voudrais de l’eau. Le seul problème étant
ceci.
Il me montra un placard derrière moi. Mes bras devenaient de plus en plus
lourds, pourtant, je l’ouvris. Il contenait deux caisses d’eau. J’aurais pu attraper
une de ces vingt-quatre bouteilles. J’avais pris la seule qui était dans le minibar.
Sebastian posa la main sur le comptoir, à quelques centimètres de la mienne.
– Alors, pour éliminer tous les risques, j’en ai rangé une ici.
– Et ?
– Et une seringue, lâcha-t-il d’un ton neutre. Si tu avais retourné la bouteille,
tu y aurais trouvé une toute petite fuite. Seulement, ça suffisait pour ce que je
voulais.
Tout devenait tellement pesant. J’avais envie de m’allonger par terre.
– Sam ?
J’aurais voulu secouer la tête, dire que le reste ne m’intéressait pas. Il n’avait
pas gagné. Il avait beau le croire, il saurait bientôt que non. Je regardai autour de
moi, cherchant un siège. Je lui dirais que son plan n’avait pas fonctionné lorsque
je me réveillerais.
Il fallait que je me repose.
– Tu ne vas pas t’endormir.
Ce n’était pas ce que me disaient mes paupières. Je souris à ma blague
stupide. Tout en moi avait envie de fuir, de disparaître.
– Tu vas rester réveillée.
Pfft.
C’était un idiot. Je contournai le bar pour me diriger vers ce canapé qui
m’ouvrait les bras, mais mon corps partit dans l’autre direction. Sebastian
m’attrapa au passage.
Je ne voulais pas qu’il me touche. J’essayai de lui mettre une gifle. Rien. Je
le frappai de l’autre bras, mais la salle tournoyait vers la gauche, juste dans cette
direction.
Dans un geste apaisant, Sebastian m’emmena vers le canapé, me posa la tête
sur un coussin.
– Et voilà. Tu vois ? Ce n’est pas si mal.
Connard !
J’avais envie de rouspéter, mais je ne pouvais plus rien faire, à part
l’entendre et le regarder. Mon corps était presque paralysé. J’étais à sa merci.
C’est ce qu’il avait déjà en tête en me voyant arriver à cette réception.
Me droguer pour ensuite me violer.
– Ah oui !
Sa tête flottait au-dessus de la mienne.
– Je vois maintenant. Tu sais ce que je vais faire, n’est-ce pas ?
Sa main se promena sur mon front, puis traça le bord de ma mâchoire,
rangea une mèche derrière mon oreille d’un geste quasi amoureux.
– Mon grand-père et le Réseau veulent que Mason et son père les rejoignent,
mais ça ne se fera pas. Mason m’a trop énervé, alors, non, il ne viendra pas. Je
ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour l’en empêcher. Je croyais que cette
petite bataille s’achèverait en quelques mois, mais je vous avais sous-estimés,
tous autant que vous êtes. Mason, Logan, toi et même Nate. Vous vous étiez mis
à quatre contre moi. Je ne sais pas me battre comme ça. Jusqu’au moment où j’ai
songé que je pourrais utiliser la fraternité contre vous. Quand Nate a quitté la
maison, il ne m’a pas fallu longtemps pour attiser les rancœurs. Le coup du
camion venait de moi et, bien sûr, c’était Mason qu’il visait. Il le savait déjà. Je
voulais lui faire du mal, qu’il en subisse les conséquences. Je croyais que le
football était son obsession, je me trompais.
Il poussa un soupir et sa main tomba sur mon bras, se mit à me caresser en
petits cercles.
Une larme me monta à l’œil. Je ne pouvais rien faire. J’avais envie de
m’enfuir. C’était tout.
– J’ai compris que c’était toi, son obsession, continuait Sebastian. Il fallait à
tout prix que je trouve un moyen de te détruire. Summer aurait dû m’aider, mais
rien de ce qu’elle m’a dit sur toi ne collait. Je savais déjà pour Ann-Lise. Ton
autre père et ta belle-mère n’étaient pas faibles. Ta seule faiblesse, c’est toi. Une
fois que j’ai su que faire, c’est toi qui as enclenché le processus. Tu ne pouvais
pas arriver à un meilleur moment.
Il m’observa un instant, des pieds à la tête.
– Tu es vraiment belle, Sam. À force de courir, tu tiens une forme athlétique.
Je comprends pourquoi Garrett est tombé amoureux de ta mère. Avec ces yeux,
ce visage, vous êtes toutes les deux renversantes. Il y a une lumière en toi.
Il s’assit, se pencha sur moi, de façon que sa tête surplombe la mienne, et il
posa sur moi un regard fou.
– Et je vais éteindre cette lumière, car c’est ainsi que je détruirai Mason. Pas
besoin de caméra ni d’enregistrer quoi que ce soit pour l’envoyer par mail. Je
vais te violer toute la nuit, ça suffira pour vous faire assez de mal. Tu ne t’en
remettras jamais. On ne se remet pas d’un viol.
Mason…
Il n’arriverait pas à temps. Ça allait se produire maintenant. Il serait en
retard.
Sebastian pouffa de rire.
– Du moins, c’est ce que disent les psychologues. Allez, c’est parti.
Je me sentais partir ailleurs.
Il enlevait ses vêtements, alors je fermai les yeux. Ce serait le corps de
Sebastian mais, dans mon esprit, ce serait Mason. Sebastian me violerait pendant
que Mason me tiendrait.
Ce serait Mason.
Où était Mason ?
CHAPITRE
25
Mason
Téléchargez l’information. Cliquez sur « Envoyer à tout le Réseau » – ou à
ceux que nous connaissions.
C’était l’objectif et j’y entrai. Je chargeai tout dans l’ordinateur le plus
proche que je pus trouver à proximité de Sebastian mais, une fois que j’entendis
la voix de Sam par la bouche d’aération, tout changea. Je compris ce que
Sebastian allait lui faire.
Hors de question.
J’ouvris la porte et m’arrêtai sur le seuil. Il ne m’avait pas entendu entrer et
se penchait maintenant sur elle, lui caressant le visage comme si c’était sa fille,
d’un geste tendre, presque amoureux.
Ça me rendit malade.
– Je me suis promis d’être plus rusé, murmurai-je en serrant les poings, en
les desserrant, en les resserrant.
Il leva brusquement la tête, écarquilla les yeux, blêmit et s’éloigna du
canapé.
– Mason !
J’entrai dans la pièce. Il avait l’air complètement paniqué en regardant la
porte.
Bon. Je voulais qu’il pisse dans son froc. Ça me fit rire intérieurement.
Quelque part, ça pouvait sembler insensé, mais il y avait une telle rage en moi.
– La porte n’était pas fermée de l’extérieur, expliquai-je, mais je connais
Sam, elle serait partie si elle avait pu, ce qui signifie que la porte était verrouillée
d’une façon ou d’une autre. Voyons…
J’entrai, fermai la porte derrière moi.
– Non !
Il se précipita en agitant la main, mais trop tard.
Je lui souris. Pas de joie ni de satisfaction. La seule chose qui me plaisait,
c’était ce que j’allais lui faire. Il recula.
– Eh oui, dis-je en remuant la poignée, elle est verrouillée de l’intérieur.
Pourquoi une porte se verrouillerait-elle de l’intérieur ? Quel genre de choses
peuvent se produire dans une pièce dont la porte se verrouille ainsi ? Dont les
occupants ne pourraient sortir ?
Mon pied s’avança, mes yeux ne le quittaient pas et je gardais les poings
fermés le long de mon corps.
– Pourquoi ai-je l’impression que d’autres cauchemars se sont produits dans
cette salle ? C’est peut-être cette maison que j’aurais dû brûler ?
Il ne réagit pas. Toute peur l’avait quitté, remplacée par une sorte de
résignation
– Qu’est-ce qu’il y a, Sebastian ? Tu t’es toujours montré bavard quand on
se voyait. Pourquoi tu ne dis rien, maintenant ?
– C’est la maison de mon grand-père, balbutia-t-il d’un ton presque timide.
– Oui ? Et alors ? Ça veut dire quoi ? Tu m’expliques ? Pourquoi devrais-je
avoir peur que ce soit la maison de ton grand-père ?
La peur le reprit, marqua son expression. Bouche bée, il laissa retomber les
épaules.
D’un seul coup, il se reprit, se redressa.
– Tu sais à qui tu as affaire ? Tu as seulement une idée de qui je suis ? De ce
que je peux te faire ?
– Alors, pourquoi ne pas l’avoir fait ?
J’avançai encore, m’arrêtai devant la tête de Sam qui semblait dormir,
paisible, mais les ongles enfoncés dans ses poings. Si je les ouvrais, j’y
trouverais sûrement du sang. À part ça, elle restait calme.
J’aperçus une goutte de sang qui coulait sur son poignet.
Il l’avait fait saigner. Il aurait fait pire. J’avais ravalé ma rage mais,
maintenant, elle commençait à me ronger.
– Elle n’a rien, dit-il d’une voix cassée. Comme tu peux le vérifier, je
l’examinais.
– Vraiment ?
– Elle a trop bu, c’est tout.
– Tu mens comme tu respires. J’ai tout entendu, Sebastian.
Il heurta le mur derrière lui, décrochant un tableau qui lui tomba sur les
épaules et rebondit avant de s’écraser au sol. Il me regardait encore, sans
s’affoler. Il n’avait pas l’air de se rendre compte de ce qu’il venait de faire.
– Tu es en état de faiblesse, murmurai-je en regardant autour de moi.
Visiblement apeuré, il se planquait dans un coin. Tel un animal blessé, il
risquait de réagir violemment. Il allait tenter le coup de la dernière chance.
Obligatoirement, mais j’étais prêt. J’allais profiter de la situation.
– Tu n’étais pas en état de faiblesse quand tu te cachais derrière tes
compagnons de fraternité, pas plus que maintenant, quand tu essaies de te cacher
derrière tes relations.
– Va te faire foutre !
Je marquai une pause. J’avais touché juste. Il semblait se reprendre. Ce
n’était plus un animal blessé, il conservait même une certaine agressivité. Tant
mieux. J’avais le temps.
– Me faire foutre ? ricanai-je. C’est ce que tu allais faire à Sam.
Il parut encore se rétracter.
– Non ? insistai-je.
– Je ne voulais pas lui faire de mal.
Ah.
Une batte de base-ball était exposée dans une vitrine, sous un tableau
représentant un joueur professionnel.
– Arrête de mentir, Sebastian. Ça ne sert plus à rien. Je sais tout.
– Qu’est-ce que tu fais ?
Je soulevai la vitre qui protégeait la batte.
– T’inquiète, dis-je en souriant. Je ne vais pas te la lancer.
Il recula jusqu’au coin le plus éloigné de la salle. Samantha se retrouvait
ainsi entre nous. Alors qu’il jetait un coup d’œil sur elle, je saisis la batte puis la
pointai vers lui.
– Ne t’approche pas d’elle.
Je ne voulais pas lui faire trop peur. Sinon, tout serait fini. Il se précipiterait
sur Sam et je n’entendrais pas ce qui m’intéressait.
– Je ne te laisserai pas lui faire de mal, énonçai-je aussi calmement que
possible. C’est entre toi et moi.
Il soutint mon regard, pesant ce que je disais, jusqu’au moment où il sembla
se détendre, débarrassé de sa peur.
Cette fois, ça suffisait.
– Comme je l’ai déjà dit, j’ai changé par rapport à l’année dernière. Plus
d’incendies de maisons ni de voitures. Plus de bagarres. Plus rien de ce genre. Je
vais être plus malin, réfléchir, enfin tout ce que je me suis promis en arrivant.
Mon regard tomba sur Samantha. Elle paraissait plus vulnérable que jamais,
et il aurait pu lui faire ce qu’il voulait.
Si je n’avais pas été là…
Il ne fallait pas m’arrêter là-dessus ou j’allais tuer ce type sur place. Je
poussai un soupir pour essayer de contenir ma rage. L’enfoiré…
– Logan et Sam ont sans cesse essayé de me protéger. Ils savaient que tous
les regards étaient fixés sur moi. Ils auraient fait n’importe quoi, mais ce n’était
pas leur combat.
C’était le mien.
– On se battait en duel, toi et moi, pas eux. Tu en as fait, des dommages
collatéraux.
– Ils m’ont servi d’armes contre toi.
Enfin ! Cette fois il disait la vérité, mais j’avais besoin d’un peu plus que ça.
De tout ce que je pourrais entendre avant de lui taper dessus.
– Tu leur as fait du mal pour m’en faire à moi.
– Je devais te recruter, soupira-t-il. C’est ça, le fin mot de l’histoire. Jamais
tu ne m’as intéressé pour ton pouvoir. Nous voulions te le donner, ce pouvoir.
Il se contrôlait maintenant. Tant mieux. Ainsi, je tirerais davantage de lui.
Davantage. Il m’en fallait encore.
– Tu as tort, dis-je. Pour moi, ça va bien, quoi que je fasse. Je suis un
combattant. Je n’ai absolument pas besoin de toi. C’était le contraire. C’est bien
à ça que vous jouez, vous autres ? Vous cherchez des gens comme moi, Logan,
Sam, et vous les dénichez avant qu’ils s’en rendent compte ? Vous vous servez,
sans rien leur donner.
– Tu te trompes.
– Pas du tout. Même toi, tu sais que je dis la vérité. C’est pour ça que tu ne
veux pas de nous ? Tu ne veux pas qu’on bénéficie des avantages que ton
Réseau pourrait nous offrir ?
Il fit non de la tête, baissa les yeux. Il garda les mains jointes tout le temps
qu’il parla :
– Ça n’aurait pas marché avec vous, les gars, ni toi, ni Logan, ni Sam. On
vous réclamait, tous les trois, mais ça n’aurait marché que si vous nous aviez fait
confiance. On devait trouver de quoi vous faire chanter pour l’utiliser par la
suite. Mais ça n’aurait jamais marché, car aucun de vous ne nous aurait laissés
nous approcher. Vous ne faites confiance à personne.
Il avait raison.
– Faire confiance, c’est se faire avoir, grommelai-je.
J’en avais assez entendu. Il fallait que je prenne le contrôle.
– J’ai essayé de l’expliquer à mon grand-père, maugréa-t-il, mais il n’a pas
voulu m’écouter. Il insistait sans arrêt, aujourd’hui encore, en disant que je
devais te faire venir. C’est pour ça que c’est allé trop loin. J’ai tout dit à
Samantha, mais je savais déjà que j’allais la détruire pour qu’elle ne puisse plus
se dresser contre moi. Je ne croyais pas que tu aurais les couilles de venir ici
avec elle.
Il baissa de nouveau les yeux vers le sol, derrière moi.
– Je vous ai tous constamment sous-estimés, reprit-il en regardant la batte
dans ma main. Tu dois savoir que tout est toujours venu de moi. Le Réseau n’a
jamais rien eu à voir dans l’accident de camion et, quand on s’en est pris à toi,
Nate et Logan, avec la fraternité, c’était encore moi. Je les ai utilisés contre vous,
tout ça parce que…
Il releva la tête. Il se calmait de nouveau.
Non.
– Parce que je t’ai envoyé promener, dis-je d’un ton dur. Parce que je n’en
avais rien à fiche de toi. Parce que j’avais décidé que tu m’étais inférieur.
– Je te détestais. Tu te prenais pour qui ? Et Nate, il croit valoir plus que
moi ? En quel honneur vous croyiez pouvoir éloigner de moi un de mes
compagnons de fraternité ? Tu n’es rien du tout ni personne !
Il cracha par terre avant de proclamer :
– Tu m’es inférieur, Mason Kade !
Le regard brillant de dédain, la bouche crispée, les paupières plissées.
– Personne ne s’oppose jamais à toi, c’est ça ? rétorquai-je.
Car il était le meilleur. Nul n’atteignait son niveau.
– Exactement, s’enflamma-t-il.
Toute peur l’avait quitté, l’animal blessé avait disparu. Je retrouvais le vrai
Sebastian.
– Pour qui tu te prends ? glapit-il. Pour qui vous vous prenez tous ?
Il s’approcha de moi.
J’avais attisé les flammes et il mordait à l’hameçon.
– Ton grand-père nous a préférés à toi, continuai-je.
– Oui.
Il se figea, les épaules rigides, les poings serrés.
– Même ta sœur nous a choisis.
Ses narines se dilatèrent, mais il ne répondit pas. Je prenais le dessus.
– Elle a couché avec Logan, ajoutai-je.
Cette fois, il fit volte-face. Je le tenais. La colère allait le rendre fou. Je me
rapprochai. Samantha se trouvait toujours entre nous, mais je contrôlais la
situation.
– Elle a dit à Samantha qu’elle ne regrettait rien.
Il retint son souffle. J’en rajoutai :
– Elle était stressée à cause des examens, alors il lui a proposé de faire
l’amour, mais c’était juste une vanne. Il n’en avait rien à faire d’elle.
Incapable de détourner les yeux de moi, il respirait avec difficulté. Sa colère
virait à la rage. J’en rajoutai encore :
– Ils sont allés dans un placard à balais et ils sont revenus dans l’heure.
– Tu mens.
– Non. Et elle est prête à recommencer. Elle lui a proposé de l’appeler quand
il viendrait à New York. Elle veut rester amie avec Sam.
– Ta gueule, Kade !
La tête basse, il gardait les mains sur les hanches, essayant à tout prix de se
dominer, mais il semblait au bord de l’agonie.
Mes mains se crispaient sur la batte. Il était presque temps. Un swing, c’était
tout ce que j’aurais à faire.
C’est le moment de la jouer fine. On risquait tous de tomber à l’eau.
Il allait frapper Samantha. Personne ne s’en tirerait indemne.
– Quelle est la pire insulte à tes yeux, Sebastian ?
Pour toute réponse, je vis une veine palpiter dans son cou ; ses pieds
bougèrent, pour avoir un peu plus d’espace.
J’attendais, prêt à tout.
– Le fait que j’ai gagné ou que tu nous as sous-estimés ? Ou que, même
après un jour comme aujourd’hui, nous serons toujours les bienvenus dans ta
famille et que tu n’y peux rien ?
C’en était trop. Sebastian me sauta dessus, mais j’étais prêt. Je n’attendais
que ça et je plongeai, sur le point de le frapper, lorsque la porte s’ouvrit
brusquement.
– Arrêtez !
Garrett entra, les bras ouverts, mais il bloqua la porte d’une jambe. Il
écarquillait les yeux, l’air au bord de la panique.
– Arrêtez ! répéta-t-il à bout de souffle.
Je n’arrêtai pas, saisissant Sebastian par le bras pour le balancer contre le
mur.
– Mason ! cria Garrett. Stop !
– Non.
Je reculai pour reprendre mon élan.
Garrett s’interposa, m’entourant de ses bras pour m’écarter de Sebastian. La
batte m’échappa. Je me penchai, envoyai promener le père de Samantha. Il
rebondit sur le mur, mais se releva aussitôt en agitant le bras dans ma direction :
– Non, Mason ! J’ai besoin de lui avec toute sa tête !
– Quoi ?
Sebastian et moi avions crié ça en chœur.
Garrett se tourna vers lui en s’étirant de toute sa taille avant de se rapprocher
du canapé où gisait toujours Sam.
– Je sais que Mason n’aurait pas fait ça. Pas plus que Sam à elle-même. Il ne
reste donc qu’une personne.
– Tu es mon parrain, commença Sebastian.
– Et tu as fait ça à ma fille ! cria Garrett en tendant un doigt vers elle. Toi.
Park. Tu lui as fait ça. C’est ma fille.
– Il voulait la violer.
Ma patience diminuait à vue d’œil. Le père de Sam avait trois secondes pour
dire ce qu’il avait à dire. Si ça ne suffisait pas, j’allais envoyer Sebastian dans les
vapes. Je me moquais de ses objectifs.
– Pourquoi voulez-vous qu’il garde toute sa tête ?
– Je ne voulais pas…
– La ferme ! cria Garrett.
Je crus un instant qu’il allait le frapper à ma place. Je ne savais pas trop si j’y
tenais ou non, pourtant j’attendis. Sebastian et Garrett parurent aussi surpris l’un
que l’autre par ma réaction. Mais le père de Sam se reprit vite et poussa un
soupir dégoûté, qui vira au grondement.
– Je te jure, Park, souffla-t-il, tu la fermes ou je laisse Mason faire ce qu’il
veut.
Il s’avança en lui martelant les trois derniers mots sur la poitrine. Le
deuxième coup fut plus violent que le premier, et, avec le troisième, il enfonça
carrément les doigts dans sa peau, comme s’il voulait la percer.
Finalement, après l’avoir fixé plusieurs secondes, il recula, avant de me
dire :
– Je ne savais pas que tu avais l’intention d’intervenir aujourd’hui. J’ai
renvoyé Sharon à la maison, où elle est en sécurité. Je revenais vous proposer
mon aide, mais Logan m’a dit où vous vous trouviez exactement. J’ai failli avoir
deux accidents en me précipitant ici.
– Désolé, grommelai-je. Vous vouliez peut-être qu’on vous demande
d’abord votre avis ?
– Non. Je dis juste que j’aurais été là. Elle…
La mâchoire serrée, il jeta un regard sur sa fille, mais se détourna aussitôt.
– Elle n’aurait pas été blessée. Je ne vous aurais jamais laissés entrer ici.
– Je n’en doute pas, raillai-je.
– Sérieux, Mason. J’aurais pas fait le sale boulot à ta place.
Cela me surprit, si bien que je ravalai ma remarque suivante, me contentant
de répondre :
– Ce mec est comme un membre de votre famille.
– Pas du tout ! dit-il en jetant un regard mauvais à Sebastian qui semblait se
ratatiner sur place. Samantha était innocente, tout comme toi. Je ne sais pas ce
qu’il vous a fait, mais j’en ai parlé à Gerald. Son grand-père m’a dit quelque
chose à propos d’une maison incendiée ?
– Il s’est servi de sa fraternité pour nous attaquer, moi, mon meilleur ami et
mon frère. En plusieurs étapes. Ils ont aussi tenté de me faire renverser par un
camion l’année dernière.
– Je vois, soupira Garrett en se rapprochant de Sebastian. C’est vrai ?
Un « oui » guttural sortit de la gorge de son filleul.
– En plus de ce que tu allais faire à ma fille ?
– Oncle Garr…
– Ah non ! Je ne suis plus ton oncle ni ton parrain. Je ne suis plus rien pour
toi. Et toi, plus rien pour moi.
– Garrett ?
Sans lui répondre, celui-ci se retourna vers moi :
– Emmène Samantha à la maison. Je me débrouille avec Park.
– Qu’est-ce que vous allez lui faire ?
– Il va être viré. On va utiliser tout le matériel de chantage que le Réseau
possède sur lui. Ça devrait suffire à le rendre complètement impuissant. Il ne
pourra plus rien faire. Le Réseau l’en empêchera. Le viol est interdit, surtout sur
un autre membre.
– Elle n’est pas memb…
– Peu importe ! rugit Garrett. C’est ma fille, et tu allais lui faire du mal.
J’en avais assez entendu. Récupérant la batte, je savais ce qu’il me restait à
faire, quoi que puisse dire le père de Sam. Ce n’était pas autorisé car elle allait
devenir membre ? Voilà tout ? Parce qu’elle était la fille de Garrett ? Et sinon ?
Si elle avait été la fille de quelqu’un d’autre qui n’appartiendrait pas au Réseau ?
Je ne réprimais plus ma fureur, et tant pis pour ce qui arriverait ensuite. Quoi que
fasse Garrett, ça ne suffirait pas.
Faisant demi-tour, je brandis la batte et cueillis Sebastian en pleine figure. Il
tomba comme une masse, et je lui balançai un coup de pied pour faire bonne
mesure. Il était inconscient.
– Mason ?
La batte retomba par terre. Je m’agenouillai pour le fouiller, trouvai son
téléphone, le pris et me redressai. Puis je désignai la porte que Garrett avait
laissée ouverte.
– Emmenez-le. Sortez-le d’ici avant que je l’achève.
Il regarda le téléphone :
– Qu’allez-vous faire ?
– Si vous voulez revoir un jour Samantha, il va falloir la protéger mieux que
ça.
– Vous ne voulez pas me le dire ?
Pas besoin. Il allait tout savoir dans une seconde et Sam aussitôt après, du
moins s’il se conduisait en bon père au lieu de la laisser tomber. En l’occurrence,
tout serait ensuite terminé.
Je désignai de nouveau la porte.
– Emmenez-le.
J’attendis trente secondes, le temps qu’il s’éloigne, avant de me lancer dans
ce que j’avais à faire. Après quoi, je pris Sam dans mes bras et sortis. Nate nous
attendait dans la voiture ; j’y entrai, installai Sam avec moi, sans la lâcher un
instant, puis dis à Nate :
– On va à l’hôpital.
Il démarra, jeta un coup d’œil dans le rétroviseur.
– Elle va s’en tirer ?
– Oui. Et nous aussi.
Il reprit :
– Tu as fait ce qu’il fallait ?
Je hochai la tête puis m’adossai au siège. Oui. J’avais utilisé le mot de passe
indiqué par Summer pour débloquer le téléphone de son frère. Après quoi,
j’avais cliqué sur le mail envoyé de l’ordinateur d’en haut sur le téléphone de
Sebastian. Et de là, j’avais tout balancé sur la liste de contacts intitulée « le
Réseau ».
Ainsi, chaque membre verrait la liste de chantage que l’organisation
possédait sur lui et tous les autres. Peu importait ce qu’ils en feraient, c’était leur
problème. En l’occurrence, ils n’y trouveraient aucune trace de moi. Toute
l’opération était liée à Sebastian. Il dirait que c’était nous ; je le savais très bien,
mais maintenant les choses se retrouvaient entre les mains de Garrett.
Il mentirait pour nous. Il protégerait Sam.
Enfin.
CHAPITRE
26
Samantha
Je rêvais de fleurs, de mariage et de bougies. Mason quitta le lit, et le
matelas s’abaissa un instant sous son poids. Ce qui me réveilla, pour le découvrir
en train de partir pieds nus vers ma chambre. Il n’alluma pas. Le soleil inondait
assez la pièce ; j’attendis un instant, persuadée qu’il était huit heures trente-deux,
avant d’ouvrir les yeux, ce que me confirma le réveil sur la table de nuit.
L’odeur de pancakes et de café me confirma l’heure encore plus sûrement.
Malinda avait dû se lever vers sept heures. On en arrivait sans doute au
deuxième service de café. Je m’assis en attendant la suite.
– Maman Malinda, vous voilà toute belle ce matin.
On entendait la voix de Logan qui traversait tout le sous-sol. Je me
pelotonnai en souriant sous mes couvertures.
On était à la maison.
Je m’étais réveillée à l’hôpital où on avait débarrassé mon organisme de
toutes ces drogues. Je leur avais dit que j’assistais à une réception lorsque
quelqu’un avait dû les verser dans mon verre. Au bout de quelques heures sous
haute surveillance, on m’avait laissée repartir avec Mason. Ça me fit du bien de
voir ensuite Garrett venir prendre de mes nouvelles en rappelant qu’il était mon
père. Il me rapportait aussi mon téléphone. On s’installa tous ensemble, avec
Nate et Logan, et il nous raconta ce qui allait arriver à Sebastian.
– Je ne leur ai même pas parlé de Sam, ajouta-t-il avant de jeter un regard
dur sur Mason assis à côté de moi. Le mail était déjà parti.
– Quel mail ? demanda Mason avec un sourire.
Retenant son souffle, Logan sourit jusqu’aux oreilles.
– Houlà !
– C’est comme ça qu’on la joue ? soupira Garrett en haussant un sourcil.
Logan toussa dans ses mains.
– Fichu.
Mason se mit à parler, mais son frère l’interrompit en se penchant vers lui,
une main sur la table :
– On ne reconnaît. Jamais rien.
Puis il dévisagea ostensiblement Garrett des pieds à la tête, s’accorda un
autre petit sourire.
– Ainsi personne ne peut nous accuser de choses qu’on n’a pas faites.
– Bien, répondit Garrett. Quelle que soit votre « politique », je suis ici pour
vous informer qu’une fois le mail divulgué, ça a été le chaos. Ils ont accusé mon
filleul…
Logan ouvrit la bouche, mais Mason leva une main devant son visage.
– Normal, intervint-il, ça provenait de son mail, non ?
– En effet.
Une étincelle traversa le regard de mon père biologique. Comme s’il se
rendait compte que Mason n’était pas un étudiant ordinaire.
Je baissai les yeux sur mes genoux, détachai mes doigts de ceux de Mason
pour joindre les mains. Mason et Logan n’avaient rien d’ordinaire. Ni moi. En
mettant le feu au pavillon de la fraternité de Sebastian, ils m’avaient prouvé que
rien ne serait plus comme avant. On avait tous suivi notre chemin durant le reste
du semestre, en essayant de nous protéger mutuellement, chacun à sa façon. Je
ne voulais pas que ça devienne une habitude. J’adorais l’idée que Mason et
Logan me soutiennent constamment. Sans trop savoir pourquoi, je me repris
aussitôt. Nous étions tous différents, mais nous formions également une famille.
Mason et moi aussi avions nos individualités. Pourtant, nous étions ensemble. Je
savais que rien ne se mettrait entre nous à moins que nous ne l’autorisions.
La sensation était totalement différente.
J’avais changé.
Je n’avais plus besoin d’eux comme avant. Mason et Logan étaient là pour
moi. Quant à mon père biologique, assis en face de moi, il représentait les autres
parents de ma vie. Qui m’avaient tous abandonnée. Il ne me restait plus personne
lorsque Mason et Logan étaient intervenus. Si bien que je voyais désormais en
eux ma véritable famille. J’avais des liens de parenté avec Garrett et Ann-Lise.
David m’avait élevée et Malinda serait toujours là pour moi, mais c’étaient
Mason et Logan qui comptaient pour moi.
Déjà, en me rendant dans cette maison, en occupant Sebastian le temps que
Mason puisse télécharger la clé USB… non. Même pas ça. J’avais changé. Je le
sentais en moi. Sebastian voulait me violer et il y serait parvenu si Mason n’était
pas intervenu, mais cela ne se reproduirait jamais. Je ne le permettrais pas. Si je
me retrouvais dans une chambre avec mon ennemi, je vérifierais tout. Sa
manière de bouger, ses expressions, sa façon de parler et, oui, absolument, s’il ne
restait qu’une seule bouteille d’eau dans le réfrigérateur. Je serais consciente de
mon environnement. C’était la leçon que m’avait apprise Sebastian, mais il y
avait encore autre chose.
Garrett, c’était quelqu’un, nul comme père, mais quelqu’un. Autre leçon, la
plus importante de toutes : j’allais m’en tirer. Peu importait ce qui s’ensuivrait.
Je venais d’échapper à un viol, et ça ne m’avait pas changée. Après toutes les
merdes que j’avais subies au cours des années, ce n’était presque rien.
N’empêche. Je pouvais décider de toujours m’armer d’une batte ou alors de
prendre des leçons de self-défense.
Il était temps que je devienne une dure à cuire, comme Mason.
Je l’observai du coin de l’œil. Tout le temps sur mes gardes, je devrais
apprendre des mouvements de défense et d’attaque ; je serrai les lèvres. Il me
faudrait sans doute un peu de temps, mais cet entraînement pourrait s’avérer
amusant. En fait, ce serait exquis, j’avais hâte de commencer.
Garrett nous annonça que Sebastian avait reçu un blâme pour cette fuite par
mail. Il avait nié, à en perdre la voix, y être pour quelque chose, préférant nous
accuser, mais mon père biologique avait témoigné que Mason ne se trouvait pas
dans les parages. Impossible à Sebastian de se délester sur lui. Quant à moi, il
semblait que j’aie été scannée, à mon entrée, par une machine cachée. Pas trace
de la moindre clé USB sur mon corps, ils savaient ainsi que ce n’était pas moi.
Après, on passa au meilleur.
Sebastian avait violé des filles en première, deuxième et troisième années de
fac. Ce n’était pas la bonne nouvelle, mais la preuve. Le Réseau le tenait. Pour
bien prouver qu’ils ne cautionnaient pas ses agissements, toutes ces preuves
furent divulguées aux autorités. Et cela signifiait que Sebastian allait partir en
prison pour un bon moment.
Et Garrett nous annonça que, dès sa libération, on diffuserait davantage de
révélations de chantage. Sebastian n’avait pas fait que violer des filles, s’il
sortait de prison, il y retournerait immédiatement.
Autrement dit, Park Sebastian était foutu. Littéralement.
Nous n’aurions plus à nous inquiéter de lui, et les vacances commençaient.
Un mois entier à la maison, avec Mason auprès de moi tous les soirs, sans avoir
à m’inquiéter du semestre à venir. Là, en entendant Malinda rire dans la cuisine
et Logan lui répondre sur le même ton, je me sentis heureuse.
J’étais comblée.
Depuis la salle de bains, sa brosse à dents à la main, Mason lança :
– Tout va bien ?
Je lui souris et répondis sans attendre :
– Oh que oui ! Mieux que bien.
Il haussa un sourcil, sourit du coin de la bouche, lâcha sa brosse pour venir
me rejoindre sur le lit.
– Toi et moi, ça va ?
On s’était menti. Grave erreur. J’avais promis de ne pas le faire, et Mason
aussi, pourtant on l’avait fait pour se protéger l’un l’autre. Il fallait que je m’en
souvienne ; je m’assis, tirai le drap sur ma poitrine et lui caressai la joue.
Il était à moi et à personne d’autre. Nous n’étions pas parfaits, mais nous
ferions tout notre possible pour nous protéger mutuellement. Je ne connaissais
aucun autre couple capable de dire ça. Saisie d’un élan d’amour, j’articulai, la
gorge serrée :
– On va bien. On est bien.
Il me prit la main, se pencha pour appuyer son front sur le mien, me regarda
dans les yeux en murmurant :
– Tu es forte, Samantha. Tu sais te défendre. Tu ne cèdes pas quand on
t’attaque et tu répliques. Tu répliqueras toujours, quelles qu’en soient les
conséquences, si c’est pour protéger quelqu’un que tu aimes. J’ai de la chance de
t’avoir, j’ai de la chance que tu m’aimes.
Je sentis les larmes monter. Je reculai, affichant un grand sourire. Bon sang,
étais-je capable de l’aimer plus encore qu’en ce moment ?
– Plus de mensonges, d’accord ?
Il se mit à rire doucement :
– Tu crois qu’on ne va pas retenir la leçon ?
– Oh si !
Son front remua contre le mien tandis qu’il répétait :
– Oh si !
Malgré nos erreurs, je savais que tout irait bien. Toujours. J’avais envie de
l’attirer avec moi dans le lit lorsqu’on frappa à la porte. La voix de Mark retentit,
un rien hésitante :
– Euh… Sam ? Tu as de la visite.
Mason se redressa sans me lâcher la main.
– Il ne parle pas de Logan ?
Ça ne lui ressemblait pas. Logan ne se faisait pas annoncer, il s’annonçait
lui-même. Je sortis du lit en criant :
– J’arrive. Un instant.
Dix minutes plus tard, toujours en pyjama, mais après une toilette de chat,
j’entrai dans la cuisine, main dans la main avec Mason derrière moi. Malinda
leva la tête, l’air inquiet.
Elle qui riait tant tout à l’heure.
De son côté, Logan ne faisait pas attention à nous, préoccupé par la personne
qui se tenait à la porte. Quand il se rendit compte qu’on était là, il lança :
– Le mot de code est « gorge ». Tu le dis, je fonce. Je ne la laisserai pas te
faire encore du mal.
La ? Et puis, je me rappelai ce que James m’avait dit après la réunion du
conseil pour la sanction de Logan, quand il m’avait emmenée dans sa voiture…
Tout en me rappelant notre conversation, j’avançai lentement.
Mon cœur ralentit.
Tout s’immobilisa.
Ses paroles me revinrent à l’esprit alors que je contournais Logan pour
découvrir qui m’attendait devant la porte, adossée au mur, les bras croisés.
Il avait dit :
« Les médecins sont satisfaits de ta mère. Elle a fait des progrès incroyables
ces six derniers mois. »
C’était elle.
Et lui dont la voix me répétait, plus grave que jamais :
« Ils ont dit qu’elle pourrait rentrer à la maison. Je ne sais pas vraiment
quand, mais je voulais que tu le saches. Nous allons revenir, Sam. Je voulais que
tu sois la première informée. »
J’avais tout refoulé.
En vérité, avec l’histoire de Sebastian, et sachant qu’on n’en avait pas fini
avec lui, tout ce que m’avait dit James était entré par une oreille et ressorti par
l’autre. Je n’avais pu l’assimiler.
J’étais incapable d’y faire face, et voilà qu’elle arrivait.
Je m’approchai d’elle, avec l’impression de me déplacer dans une boue
invisible. Et j’entendis ma propre voix étouffée :
– Maman ?
Elle leva la tête. Elle était blottie sur le seuil, les bras repliés devant elle, les
cheveux tirés en queue-de-cheval basse. Elle avait l’air… impossible à définir.
Naturelle. Elle leva les yeux, se libérant de toute l’émotion qu’elle pouvait
ressentir, et son expression s’illumina. Elle ne portait pas de maquillage, son pull
la moulait plus que jamais.
– Samantha, dit-elle, le visage rayonnant.
Et puis, elle prononça ces paroles que j’espérais ne jamais entendre :
– C’est moi, je rentre.
Avant-goût
(Cet aperçu n’est pas le point
de vue de Logan.)

À la fin de la soirée, installés sur des chaises longues devant la pelouse, on


n’avait vidé que deux pichets avec Jason, et il venait d’en apporter un troisième,
quand une fille contourna la maison. Elle se dirigeait vers les voitures, mais
n’eut pas le temps d’atteindre la sienne qu’un groupe de garçons surgissaient,
vraisemblablement venus de la route. La fille se mit à reculer, cependant les
types continuaient d’avancer vers elle. Ils ne la poursuivaient pas mais ne
s’arrêtaient pas non plus.
– Oh non ! lança Jason en se redressant.
Oublié le pichet.
– Quoi ?
– C’est Samantha.
– Qui est Samantha ?
Il ne répondit pas. Je me retournai et compris pourquoi : il n’était plus là.
– Jason ? Tu vas où ?
Peu importait, il était bel et bien parti et je ne pourrais pas le retrouver.
D’autres gens arrivaient du fond de la maison.
– Je m’en vais. Je te conseille de t’écarter de mon chemin.
C’était la fille qui avait dit ça. Je la regardai, surpris. Elle ne paraissait pas
effrayée, plutôt agacée. La foule commençait à se masser autour d’elle, je les
rejoignis. S’ils voulaient la harceler, il faudrait que je les en empêche. Le pichet
que j’avais vidé contribuait sans doute à me rendre plus audacieux, mais tant pis.
D’ailleurs, j’aurais fait la même chose si je n’avais pas bu. Du moins, je
l’espérais.
En m’approchant, je reconnus la fille, je l’avais déjà vue avec Logan Kade.
Elle se tenait les bras le long du corps, les pieds écartés, les épaules droites, l’air
de défier les garçons. Ça m’inquiéta. Elle n’avait pas l’air de plaisanter, mais eux
non plus. J’ignorais qui étaient ces types, je ne pensais pas les avoir vus à la
soirée, mais impossible de l’affirmer. En tout cas, la fille n’avait pas l’air
contente.
– Allez chercher Logan.
– Où est Logan ?
J’entendais les gens répéter ce nom, mais je me concentrai sur la fille. Elle
était renversante, même de près. Elle haussa le menton et une lueur de défi lui
traversa les yeux.
– Je ne vous conseille pas de me toucher !
Les trois types restaient imperturbables. Tous grands et, sans vouloir
véhiculer des stéréotypes, je leur trouvai un air de connards BCBG. Si j’avais
appris par la suite qu’ils appartenaient à une société secrète, ça ne m’aurait
étonnée qu’à moitié. Ils étaient tous superbes, ils passaient vraisemblablement
des heures chaque jour à faire de l’aviron. On voyait aussi qu’ils avaient de
l’argent, rien qu’à leurs vêtements. Et ils dévisageaient la fille, l’air glacial, la
mâchoire serrée.
Ils ne reculaient pas.
Je me faufilai dans la foule pour m’approcher d’elle. S’ils tentaient de s’en
prendre à une fille, on y aurait droit nous aussi, mais sans me laisser le temps de
décider, la foule s’écarta sur Logan Kade.
Je reculai d’un pas. Plus la peine de vouloir former un rempart auprès de
cette fille.
Au moment où il s’arrêtait à côté d’elle, les trois mecs reportèrent leur
attention sur lui. Ils ne bougèrent pas, ne dirent rien, mais l’atmosphère changea,
passant de sombre et menaçante à carrément dangereuse. Il y avait de l’orage
dans l’air. Quelque part, j’avais l’impression que ces types ne tenaient pas à s’en
prendre à Kade. Cela me rappela les paroles de Jason. Kade commençait les
bagarres, mais les terminait aussi. J’espérais que ce serait le cas, cette fois.
– Kade ! lança enfin l’un des types, l’air furieux.
Kade plissa les paupières, jeta un coup d’œil sur la fille avant de se retourner
vers celui qui l’avait interpellé.
– Qu’est-ce que vous foutez là ?
– C’est une soirée. On est invités.
– Et c’est pour ça que vous attaquez Sam ?
– On ne l’attaquait pas.
La fille croisa les bras.
– C’est ça ! gronda-t-elle. Alors, pourquoi vous m’avez empêchée de me
rendre à ma voiture ? Parce que vous ne m’attaquiez pas ? Vous auriez pu me
laisser passer, connards.
Un petit rire m’échappa. Je l’aimais bien, cette fille.
Kade me jeta un regard de travers.
Je portai une main à ma bouche. Je n’y étais pour rien. Je ne voulais rien
dire. Comme ses yeux m’examinaient, je levai la main, mais il se détourna avant
que je puisse lui adresser un signe. Ce qui me donna encore plus envie de rire ;
mieux valait donc me fondre dans la foule. Je réagissais de travers, mais j’avais
trop bu. C’était Jason qui avait voulu qu’on se pinte comme au lycée. Et là, déjà,
je commettais des gaffes.
Mission accomplie.
Connard Numéro Un répondit quelque chose à Kade, mais je n’entendis pas.
La foule réagissait de plus en plus fort. Kade répliqua et, là non plus, je ne
compris pas ce qu’il avait dit.
– Allez, qui est-ce qui les a invités ?
– C’est qui, ces mecs ?
– Les larbins de Park, et ils ne sont pas invités.
Ça bavardait de plus en plus et on sentait la désapprobation des gens autour.
Un bourdonnement énervé parcourut l’assemblée. On demandait de la bagarre.
On voulait voir de l’action. Les trois connards regardaient autour d’eux ; deux
d’entre eux reculèrent, l’air méfiants. Mais le troisième reporta son attention sur
Kade, l’air moqueur, disant des choses que je ne percevais toujours pas.
Houlà !
Quoi qu’il ait dit, c’était agressif, ça se voyait à son regard. Il bouillait de
colère. Mais… tant pis.
Le poing de Kade venait de le frapper en pleine figure. Connard Numéro Un
recula en titubant avant de se reprendre. Ses deux amis échangèrent un regard,
pas trop sûr de ce qu’ils allaient faire, mais Connard Numéro Un décida pour
eux. Il se passa le dos de la main sur la bouche, regarda Kade et fonça.
Cette fois, c’était la bagarre.
– Non, non, non ! cria Jason en se frayant un chemin dans la foule. On a
appelé les flics. Foutez tous le camp…
Il n’eut pas le temps d’achever que montaient déjà de lointains hurlements
de sirènes.
Connard Numéro Un recula. Il allait frapper Kade.
– Stop ! lançai-je.
Kade m’entendit, sa tête fit volte-face dans ma direction. Je tendis le doigt
vers son épaule et il plongea, tout en se retournant. Le bras de Connard Numéro
Un vola au-dessus de sa tête. Kade le saisit, s’enroula autour en balançant un
coup d’épaule dans le ventre du type, puis le frappa d’un uppercut avant de le
faire rouler sur le dos. Les deux autres connards coururent pour l’aider à se
relever et tous les trois disparurent dans la foule.
Là, je ne pigeais plus. On n’était pas au lycée, pas besoin de s’affoler à
l’arrivée des autorités, mais Jason m’attrapa par la main en lançant :
– Viens vite. C’est des trucs illégaux. Je ne veux pas me faire prendre. Crois-
moi.
– Ah bon, marmonnai-je en le suivant. Tant pis.
Kade me jeta un autre regard furieux, mais on passa en trombe devant lui.
– Logan ! cria la fille de plus loin.
Elle lui faisait un signe depuis une Escalade. Jason vira dans leur direction.
Je ne voyais pas trop ce qu’il voulait faire, mais il passa devant le véhicule sans
s’arrêter. Je me retournai pour voir Kade filer vers le sien. Il plongea vers la
portière ouverte tandis que la fille grimpait à l’arrière.
Kade tapa sur le toit en lançant un ordre :
– On y va !
Le chauffeur démarra et ils filèrent en deux secondes.
Claire s’arrêta près de nous, juste derrière l’Escalade.
Jason se précipita à la place passager et je m’assis à l’arrière. Elle fit hurler
le moteur et on s’engagea dans une rue alors que les flics arrivaient sur les lieux
de la soirée.
– C’est pas passé loin.
Je ne savais pas trop qui avait dit ça, mais peu importait. On était tous de cet
avis. Alors, je souris. Trop marrant. C’était tout ce que j’aimais, cependant je me
gardai bien de l’énoncer. Quelque chose me disait que mes amis n’auraient pas
compris.

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