AbouHaidar Laura HDR Mémoire
AbouHaidar Laura HDR Mémoire
AbouHaidar Laura HDR Mémoire
et
Elisabeth Lhote,
In memoriam
III
Un immense merci à Jean-Pierre Chevrot pour avoir accepté de superviser cette HDR
(la tête sous l’eau !), pour ses conseils, son enthousiasme et sa confiance
A tou.te.s les étudiant.e.s, collègues et ami.e.s que j’ai côtoyé.e.s tout au long de mes
pérégrinations professionnelles et géographiques, et dont le souvenir a été fortement réactivé
pendant la rédaction de cette synthèse
IV
La spécificité de mon parcours scientifique, qui va de pair avec une dynamique personnelle
géographique et culturelle très forte, a sans doute été pour beaucoup dans le choix du style
narratif adopté.
V
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION .............................................................................................................................................................5
CHAPITRE 1 ................................................................................................................................................................... 13
CHAPITRE 2 ................................................................................................................................................................... 37
1
c. Entrée par les erreurs : l’opposition de voisement ............................................................. 73
d. Entrée par les erreurs : la dynamique de l’interlangue ...................................................... 74
e. Entrée par les erreurs liées au transfert : perspective de recherche, projet ANSOLVAR . 77
2.4.2. Les enjeux de l’enseignement/apprentissage de l’oral en FLE ..................................................................78
2.5. CONCLUSION ......................................................................................................................................................... 79
CHAPITRE 3 ................................................................................................................................................................... 81
2
c. Une fonction stylistique à (ré)intégrer ......................................................................... 131
d. Une fonction identitaire bien présente ......................................................................... 133
e. Valoriser « Le français dans l’espace francophone » et au-delà : fonction décentratrice
134
3.2.3.2. Quelles préconisations didactiques ? ......................................................................... 135
3.2.4. Conclusion...................................................................................................................................................................... 138
3.3. DE LA PAROLE A L’ORALITE .................................................................................................................... 138
3.3.1. Evolution conceptuelle ............................................................................................................................................. 138
3.3.2. Ce que la phonétique doit à la didactique........................................................................................................ 139
3.3.3. Pour une démarche holistique dans l’appropriation de l’oralité en langue étrangère ................ 146
3
SOMMAIRE DES FIGURES
4
INTRODUCTION
(Marchive, 2006 : 7)
Ma formation initiale de chercheure a eu lieu au sein du laboratoire de phonétique de
l’université de Franche-Comté à Besançon, créé et dirigé à l’époque1 par Elisabeth Lhote. Au
sein de l’équipe, se côtoyaient des linguistes, des audioprothésistes, des didacticiens, des
psychologues, des orthophonistes, des médecins ORL : autant de « compagnons de recherche »
et d’interlocuteurs qui ont contribué à façonner mon identité de chercheure et auxquels je
voudrais rendre hommage pour commencer, en citant nommément certains collègues et travaux
car au moment de rédiger ce mémoire de synthèse, je mesure à quel point cette période et ce
compagnonnage ont été déterminants dans la construction de mon parcours scientifique.
Lhote venait de soutenir sa thèse de Doctorat d’Etat (Lhote, 1980), intitulée Analyse et synthèse
des faits de langue au niveau du larynx, sous la direction de Péla Simon, et dont les axes étaient
concordants avec les orientations du laboratoire :
- une approche expérimentale pointue du signal de parole et de la voix (en l’occurrence,
dans la thèse de Lhote, l’analyse du signal laryngé par l’intermédiaire de
l’électroglottographie, tenant compte aussi bien d’une approche « micro » des
5
impulsions laryngées, que d’une approche « macro » relative à la variation de la
fréquence fondamentale au cours du temps) ;
- la prise en compte de handicaps affectant la parole ou le langage (en l’occurrence les
altérations du signal laryngé chez des locuteurs atteints du syndrome de Steele-
Olzewski-Richardson2 et de la maladie de Wilson3) ;
- des interrogations sur la relation entre parole et voix, production et perception, et en
particulier les fonctions linguistiques du larynx ;
- et déjà, chez Lhote, un intérêt pour l’identification de la voix4, notamment à travers la
confrontation des résultats de l’analyse électroglottographique du signal laryngé et de
tests perceptifs.
Cette époque était également marquée par des relations fortes avec l’école d’ingénieurs de
l’université de Franche-Comté, l’Ecole Nationale Supérieure de Mécanique et de Micro-
Electronique : ce sont en effet des ingénieurs de l’ENSMM qui avaient conçu
l’électroglottographe du laboratoire de phonétique, dans le cadre d’une collaboration avec
Lhote dont le souci était d’obtenir un équipement performant permettant une extraction à la
source du signal laryngé, avec une marge d’erreur la plus réduite possible.
Parallèlement à ces orientations, Lhote était aussi à l’époque de plus en plus engagée au sein de
l’équipe pédagogique et d’encadrement du Centre de Linguistique Appliquée de Besançon,
centre phare pour l’enseignement et la recherche en FLE et dont elle prendra la direction
quelques années plus tard.
L’autre grande figure du laboratoire de phonétique de Besançon, Gabrielle Konopczynski,
bouclait en 1986, sous la direction de la même Péla Simon, un très volumineux Doctorat d’Etat
qui fera date dans la connaissance du développement du langage chez l’enfant : Du prélangage
au langage : acquisition de la structure prosodique. Cet axe de recherche que Konopczynski
avait initié au sein du laboratoire sur l’acquisition de la prosodie dans le langage émergent a
permis le développement, à Besançon, de travaux comparables chez les enfants sourds, comme
par exemple le doctorat de Shirley Vinter en 1992 qui portait sur la Mise en place des éléments
2« Dégénérescence neuropathologique plus spécialement au niveau du tronc cérébral » (Lhote, 1980 : 322) et
qui se traduit notamment par une dysarthrie explorée par Lhote au niveau des manifestations acoustiques
laryngées.
3 « Maladie génétique rare, liée à un trouble du métabolisme du cuivre (…) qui peut être à l’origine d’une
dysarthrie (…) et de troubles cognitifs nécessitant une prise en charge orthophonique », M. Permont, J.-M.
Trocello et F. Woimant, 2013, « Recherche orthophonique en Centre Maladie Rare : une expérience au sein
du Centre de Référence Maladie de Wilson », Glossa 113, pp. 95-109.
4 Qui reviendra en force dans le cadre du projet de reconnaissance du locuteur que j’aurai l’occasion
d’aborder.
6
prosodiques dans le langage émergent de l’enfant sourd : rôle des stimulations acoustiques et
des interactions sociales.
Les recherches développées à l’époque au sein de l’équipe bisontine avaient toutes un
dénominateur commun : analyser l’entrée dans le langage et la langue à travers la composante
phonique, que ce soit dans le cadre de l’acquisition de la langue maternelle (désormais LM) ou
de l’apprentissage d’une langue étrangère (désormais LE), avec un va-et-vient entre les deux
types de processus, et en tenant compte conjointement de la dimension « typique » ou
« atypique » de l’acquisition ou de l’apprentissage et de leurs marques dans la matière
phonique ; c’est dans ce croisement qu’a débuté mon parcours scientifique. Pour ma part, ma
réflexion se construisait à travers des échanges nourris et des collaborations que je menais
principalement dans trois directions.
Nous étions plusieurs chercheurs arabophones, issus de plusieurs aires géodialectales, engagés
dans des études sur la/les langue(s) / dialecte(s)5 arabe(s) au sein du laboratoire de phonétique.
En 1993, Najet Rjaibi terminait une thèse intitulée : Approches historique, phonologique et
acoustique de la variabilité dialectale arabe (Rjaibi, 1993). Mohammed Embarki étudiait Le
discours spontané en arabe marocain : mise en évidence de stratégies discursives individuelles
dans l’interaction (Embarki, 1996). Abderrahim Amrani se concentrait sur une Analyse des
éléments rythmiques de base de l’arabe marocain (Amrani, 1997). Parmi les questions les plus
souvent débattues dans le groupe de travail informel que nous avons rapidement constitué
autour de l’arabe : le poids des représentations des usagers sur leurs langues (arabe appris dans
un contexte scolaire et arabe dialectal), le poids du caractère « sacré » de la langue du texte
coranique dans le monde arabe, la variabilité inter- et intra-dialectale. Autant de questions sur
lesquelles j’aurai l’occasion de revenir par la suite.
Parallèlement à la langue arabe standard moderne (désormais ASM) qui était mon centre
d’intérêt principal, je suivais avec attention les recherches des audioprothésistes du laboratoire,
engagés dans des recherches doctorales. Jean-Pierre Dupret rédigeait une thèse6 sous la
5 Je reviendrai plus loin sur la relation entre ASM et « dialectes » arabes (ou langues vernaculaires) (Chapitre
2.1).
6 Soutenue en 1985.
7
direction de Lhote sur L’apport des aspects non labiaux dans la lecture labiale. Il avait conçu
quelques années plus tôt un Test de mots sans signification dans le cadre de son mémoire de
fin d’études (Dupret, 1980). Dupret prenait à l’époque le contrepied des positions dominantes
de Jean-Claude Lafon, puissant directeur de l’école d’orthophonie de Besançon, et de son Test
de phonétique (Lafon, 1958) sur l’opportunité d’utiliser des logatomes plutôt que des unités
signifiantes dans les tests d’audiométrie vocale. J’étais très intéressée par ces questions de
recherche auxquelles je souhaitais me consacrer en explorant la faisabilité de leur transposition
sur l’ASM car j’avais conscience du formidable champ de recherche et d’application que cela
pouvait constituer. Les principes d’élaboration des listes de Lafon et Dupret enrichiront ma
propre réflexion par la suite pour la constitution de mes propres listes. Je tentais de croiser mes
deux centres d’intérêt pour l’arabe et l’audiométrie vocale en m’essayant à la programmation
par l’intermédiaire du langage BASIC7 auquel je m’étais initiée au sein du laboratoire
Mathématique, Informatique et Statistique de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de
Besançon, sous la direction de Jean-Philippe Massonie et Claude Condé : c’est ainsi que j’ai
créé un programme élémentaire de génération automatique de syllabes arabes de type CVC et
CVCV, en m’inspirant des tests de Lafon et de Dupret, avec l’idée de pouvoir explorer plus
tard la faisabilité d’un test d’audiométrie vocale en ASM à l’aide d’unités signifiantes et non
signifiantes.
Frank Lefèvre, lui aussi audioprothésiste et doctorant au sein du laboratoire, avait réalisé en
1982 son mémoire de fin d’études à l’université Paris 7 : celui-ci portait sur une Etude
comparative des tests phonétiques de J.C. Lafon et de J.P. Dupret. Il a ensuite rédigé un doctorat
sous la direction de Lhote, intitulé : Une méthode d’analyse auditive des confusions
phonétiques : la confrontation indiciaire (Lefèvre, 1985). J’ignorais à l’époque que cette thèse
constituerait pour moi, vingt ans plus tard, une référence fondamentale pour la conception du
test de diagnostic de la surdité chez l’enfant, Audio 4 (Abou Haidar et al., 2005a). A l’époque,
Lefèvre et Dupret développaient une nouvelle prothèse auditive intra-auriculaire, Emily, et
j’avais été sollicitée pour contribuer à son expertise : il s’agissait de l’utiliser comme
amplificateur pour des signaux de fréquence et d’amplitude spécifiques et de procéder à une
analyse comparative du signal d’entrée et de sortie, en tenant compte en priorité, dans
l’expérimentation, de certaines fréquences que Lefèvre avait identifiées comme caractéristiques
pour la perception des sons du français. Cette expérimentation, dans un contexte où les débats
sur les unités de base des tests d’audiométrie vocale étaient soutenus au sein de l’équipe,
7 Le BASIC - Beginner’s all-purpose symbolic instruction code – avait été créé en 1964 par Kemeny et Kurtz.
8
m’amenait à me poser des questions essentielles en audiologie, relatives notamment à l’accès
au sens : fallait-il le considérer comme un biais à éviter pour un diagnostic auditif précis, ou au
contraire comme un processus favorable à l’acte de communication, qui ne saurait avoir lieu
sans la recherche du sens du message à encoder et décoder ? La question de l’accès au sens et
du va-et-vient entre le signal physique et son traitement cognitif par l’auditeur reviendra sous
diverses formes dans mes préoccupations futures.
c. La didactique du FLE
La Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Besançon, c’était aussi et surtout un des centres
névralgiques de l’enseignement et de la recherche dans le domaine du français langue étrangère
(FLE) et de sa didactique, y compris au sein du laboratoire de phonétique, en lien privilégié
avec le Centre de Linguistique Appliquée de Besançon (CLAB) que Lhote avait dirigé.
Plusieurs chercheurs ont ainsi développé des travaux orientés sur la production et la perception
de l’oral dans une perspective didactique pendant que j’y poursuivais mes recherches : Régine
Llorca, qui a soutenu en 1987 une thèse sur les Eléments d’analyse du rythme de la parole en
français, et qui commençait déjà à poser les bases de son approche rythmique, intonative et
gestuelle dans une perspective didactique, et à la coupler avec sa passion pour la danse et
l’expression corporelle. La même année, Pei-Wha Chi Lee soutenait une thèse intitulée :
Contribution à l’étude de l’intonation française prononcée par les Chinois en vue de
l’apprentissage. Abdelazim Youssif Dafa Alla menait une recherche sur Les difficultés liées à
l’apprentissage de l’oral chez les Soudanais apprenant le français langue étrangère (Youssif
Dafa Alla, 1992). Nuzha Abubakr bouclait en 1995 un doctorat sur L’enchaînement intonatif
dans le discours oral spontané. Rôle de l’intonation dans la communication exolingue et
proposition d’une approche interactive en didactique des langues. Et surtout, c’est au sein du
laboratoire de phonétique que Lhote a développé son approche paysagiste de l’oral8 qui a été
conçue dans cet environnement scientifique pluridisciplinaire, ce à quoi elle fait référence dans
l’introduction de l’ouvrage présentant cette nouvelle approche (Lhote, 1990) :
9
psycholinguistiques pour tester la faisabilité et l’efficacité d’une approche
que nous avons appelée « paysagiste ». Nous avons pour cela choisi deux
types de situations propices dans la mesure où celles-ci permettent
d’apprécier la plus ou moins grande adéquation du modèle dans l’activité
discursive elle-même : l’apprentissage d’une langue et la pathologie de la
parole.
(Lhote, 1990 : 1)
Pour finir sur ce contexte scientifique fondateur, je voudrais revenir également sur deux aspects
complémentaires. Tout d’abord, les relations très étroites entretenues avec le Laboratoire de
phonétique de Mons en Belgique, dirigé à l’époque par Albert Landercy, avec la présence de la
figure marquante de Raymond Renard, ainsi que Bernard Harmegnies et Murielle Bruyninckx,
et que j’avais eu la chance de découvrir « de l’intérieur » grâce à un stage de recherche
extrêmement stimulant que j’avais effectué à Mons. La configuration plurithématique et
pluridisciplinaire de nos deux structures possédait à mes yeux des éléments de similitude : outre
des centres d’intérêt communs pour la surdité, l’enseignement/apprentissage des langues, et
l’analyse expérimentale de la parole, je crois qu’il y avait un positionnement comparable dans
la manière d’appréhender les concepts d’oralité (Lhote, 2001) et de parole (Harmegnies et al.,
2005)9 et de prendre du recul par rapport à l’analyse très pointue du signal. Lhote ne cessait de
répéter que la segmentation nécessaire à cette étape ne devait pas faire perdre de vue l’individu
au centre de l’action langagière, et devait laisser la place à un moment ou un autre de la
démarche scientifique, à une distanciation et re-contextualisation indispensables. Je retrouve
ainsi un écho de ce positionnement dans les propos de Morin (1994), quant au :
(Morin, 1994 : 1)
Le deuxième point que je voudrais évoquer pour finir, c’est l’importance, à cette époque, de la
« communauté Parole » en France, et la manière dont les « petits » centres de recherche et
petites structures ont pu véritablement bénéficier de relations étroites entretenues avec les
10
« gros labos », dans un climat de solidarité et d’entraide scientifique dont il serait difficile
d’imaginer, de nos jours, aussi bien la portée que l’impact sur les chercheurs en formation, en
ces temps de mondialisation et d’interconnexion permanente. Et j’ai été très heureuse de voir
cette dimension qui me tient à cœur depuis des décennies, évoquée lors des dernières Journées
d’études sur la parole10 (JEP) qui se sont tenues à Aix-en-Provence en juin 2018, dans le cadre
de la session consacrée à l’histoire des JEP et de notre discipline d’une manière plus générale.
Après avoir présenté le contexte qui a vu se confirmer mon intérêt pour la recherche, j’en arrive
à l’organisation de ce mémoire de synthèse.
Le premier chapitre, intitulé « Domaines de recherche », me donnera l’occasion d’expliciter
ce qui constitue mon « identité » de chercheure et de définir mon positionnement dans la
discipline.
Le deuxième chapitre sera consacré aux « Terrains et objets de recherche ». J’y
présenterai, en respectant l’ordre chronologique dans lequel je m’y suis engagée, les terrains et
objets de recherche de mon parcours :
- La description phonétique et acoustique du système vocalique de l’arabe standard
moderne,
- Le projet « voix et reconnaissance du locuteur »,
- Mes recherches en phonétique clinique,
- L’élargissement de mes travaux enfin à la phonétique dans une perspective didactique.
Cette présentation me permettra de mettre en lumière, en filigrane, les trois fils conducteurs qui
feront l’objet du troisième chapitre, intitulé « Oralité – Variabilité – Corpus ». Le premier
fil conducteur est intitulé : Des données aux corpus oraux. Après des questions d’ordre
terminologique et des considérations générales liées aux critères de construction des corpus
oraux, je consacrerai une partie importante de ma réflexion à la question de la transcription des
données orales qui a été centrale pour moi par le passé. Je montrerai comment ma perception
des corpus a évolué au fil du temps et des projets de recherche. Le deuxième fil conducteur,
relatif au concept de Variabilité, sera traité essentiellement dans une perspective didactique, car
il me semble qu’il y a vraiment là matière à apporter une « plus-value » dans un domaine dans
lequel la gestion de la variabilité du point de vue de l’enseignement et de l’apprentissage du
FLE en est encore à ses balbutiements sur le terrain des pratiques de classe, alors qu’elle devrait
être centrale dans le dispositif pédagogique, et qu’elle commence à être l’objet de recherches
susceptibles de constituer une base de réflexion (et d’inspiration) pour les praticiens et auteurs
10 https://jep2018.sciencesconf.org/resource/page/id/19.
11
de manuels. Le dernier fil conducteur, De la parole à l’oralité, constituera une synthèse
conclusive de ce chapitre et me donnera l’occasion d’explorer les concepts de parole / oral /
oralité au regard de mon évolution conceptuelle et disciplinaire ; ce sera l’occasion de montrer
de quelle manière mon parcours m’a amenée à élargir l’acception de l’objet parole jusqu’à
appréhender l’oralité dans toute sa complexité dans une démarche holistique (Smuts, 1926).
Mes projets de recherche en cours et à venir seront évoqués au fil du texte. Il m’a semblé plus
pertinent de montrer par ce choix comment mes perspectives scientifiques se situent dans le
prolongement de mon parcours.
Les publications sur lesquelles porte ce mémoire de synthèse sont rassemblées dans le volume
2. Par souci de cohérence et de cohésion, je n’ai pas souhaité retenir dans ce mémoire les
publications qui n’apportent rien de significatif aux orientations que j’ai choisies dans le cadre
de ce travail, même si elles sont listées bien sûr dans mon CV. J’ai en effet participé à des
projets de recherche tels que la représentation liée à l’orthographe du français, ou la didactique
du français sur objectifs spécifiques, ou plus globalement dans le domaine de la coopération
et/ou de la formation : si ces thématiques, qui ont accompagné certaines de mes affectations
professionnelles, sont assez éloignées de la phonétique et n’avaient pas leur place dans cette
synthèse, elles ont certainement contribué à modeler mon profil d’enseignant-chercheur.
12
CHAPITRE 1
DOMAINES DE RECHERCHE
Principes de phonologie (J. Cantineau, Trad.), pp. 367-380. Paris : Librairie Klincksieck (Œuvre originale
publiée en 1938).
13
- A des problèmes et exigences théoriques, comme la notation et la
classification des sons des langues et des dialectes, leur description, la
typologie de leurs structures, les évolutions phonétiques de la famille
indo-européenne ;
- A des demandes applicatives formulées par l’enseignement des langues
parlées, la correction phonétique et l’aide aux handicapés (…) ;
- A des problèmes suscités par les développements technologiques :
synthèse, dictée vocale, reconnaissance du locuteur et de la langue.
(Boë, 1997: 6)
On sait ce que la phonétique doit historiquement à des disciplines au carrefour desquelles (et
grâce auxquelles) elle s’est développée, et qui lui ont permis de consolider son assise
scientifique. Même si l’étude de la matière phonique est attestée depuis l’Antiquité, dans
plusieurs aires géographiques et sur plusieurs langues à travers le monde, la révolution
technologique du XIX° siècle a propulsé cette science dans la modernité, comme l’ont évoqué
par le passé plusieurs auteurs tels que Abry, Boë, Galazzi, Teston…, qui ont démontré l’apport
de la médecine et de la physiologie, avec les travaux de Marey, Marichelle, Rousselot, Varin,
etc., de la téléphonie, de la photographie, de la phonographie, mais également l’apport des
sciences physiques, avec l’application du théorème de Fourier ou du principe de résonance à
l’analyse du signal de parole. Ces contributions sont venues se greffer sur une discipline qui
bénéficiait déjà de connexions privilégiées avec la grammaire et la philologie, mais aussi la
syntaxe et la sémantique, et dont de nombreux travaux attestent de descriptions minutieuses
bien antérieures à l’apport technique considérable initié au XIX° siècle14.
Cette évolution historique est sans doute à l’origine de tiraillements sur le caractère singulier
ou pluriel de cette science : depuis la 4ème édition du Congrès International des Sciences
Phonétiques en 1961, c’est le caractère pluriel qui est mis en avant par les promoteurs d’une
discipline caractérisée par une diversité de domaines de référence, de terrains et de méthodes
justifiant l’utilisation du pluriel. Pour ma part, je vais plutôt dans le sens de l’unicité de cette
science comme le formule Autesserre (2008) :
14 J’avais pour ma part travaillé sur des éditions de grammaires arabes du VIII° et du XI° siècles comme
j’aurai l’occasion de l’évoquer plus loin, comportant des descriptions très fines des sons vocaliques et
consonantiques de l’arabe, correspondant pour la plupart aux classifications articulatoires modernes de
l’API.
14
L’existence d’un aspect théorique (surtout linguistique) et d’un aspect
expérimental (utilisant des moyens techniques perfectionnés et des méthodes
d’investigation appartenant aux sciences physiques) remet-elle en question
l’unicité de cette discipline et son intégration dans le domaine linguistique ?
(…) L’unicité de l’objet – étude du signifiant linguistique en tant que tel et
non pas comme un moyen pour améliorer la connaissance d’autres
phénomènes – permet alors de concevoir la phonétique comme une discipline
linguistique et de la distinguer d’autres sciences auxquelles elle emprunte
accessoirement certaines de leurs méthodes d’analyse (la physiologie,
l’acoustique, la psychologie par exemple).
15
n’est pas recontextualisée, et corrélée, à un moment ou un autre de la démarche scientifique, au
langage humain, dont elle contribue à comprendre les spécificités à travers sa dimension
phonique.
L’audiophonologie est la discipline que j’ai approchée en premier dans mon parcours
scientifique :
16
l’audition ou « l’intégration perceptive ». Les problématiques étaient donc sensiblement
différentes par rapport à des recherches effectuées dans une visée strictement linguistique : ici
il s’agit de diagnostiquer et d’analyser les processus de distorsion pathologique affectant
l’acquisition, le développement ou la préservation de la parole et du langage tout au long de la
vie (enfant, adulte, personne âgée), dans une visée de soin, c’est-à-dire en vue d’améliorer le
confort de vie, et de faciliter ou d’accompagner l’intégration ou la réintégration sociale des
individus atteints. Les altérations de la parole et/ou du langage « atypiques » étaient
appréhendées par rapport à une « norme » ou un « standard » qui était celui des sujets sains, et
l’interprétation des résultats de l’analyse tient nécessairement compte de la nature et de
l’importance du handicap, ainsi que de son impact sur la communication interpersonnelle.
Parallèlement à l’audiophonologie, l’orthophonie a constitué pour moi un autre domaine de
référence : à l’école d’orthophonie de Besançon où j’ai effectué une partie de ma formation16,
la phonétique était aussi perçue comme porte d’entrée sur le handicap chez l’enfant à travers
les travaux de Suzanne Borel-Maisonny, une des disciples de l’Abbé Rousselot. Borel-
Maisonny est à l’origine de la création de l’orthophonie en France. Je connaissais pour ma part
ses travaux sur la rééducation de la parole chez l’enfant qui ont été à l’origine de la création de
sa méthode phonétique et gestuelle dans les années 196017. Mais les travaux de Borel-Maisonny
m’ont surtout permis d’affiner la manière dont on pouvait appréhender les tests diagnostiques
des troubles de la parole et/ou du langage :
- en prenant en compte dans leur globalité la complexité des processus de
production et de perception,
- en sachant faire des va-et-vient entre l’étape nécessaire de classification et de
catégorisation, et la pratique ainsi que l’observation cliniques, bien plus riches
et complexes que ne le laisse entrevoir le caractère quelque peu réducteur de la
classification.
La manière dont Borel-Maisonny appréhendait les tests de diagnostic du langage oral et écrit
m’inspirait particulièrement : c’est une des premières à avoir proposé une classification des
troubles de l’acquisition et du développement de la parole et du langage chez l’enfant, en
opérant une distinction entre « les troubles d’origine mécanique » (p.ex. de simples troubles de
16 J’avais passé avec succès le concours d’entrée à l’école d’orthophonie de Besançon lors de mon cursus
d’études en sciences du langage, mais mon élan pour cette profession a été stoppé net avec ma première
confrontation à la pratique clinique suite à une affectation en stage auprès de patients laryngectomisés : je
serai chercheure, et non praticienne !
17 Voir notamment Borel-Maisonny, Langage oral et écrit – Pédagogie des notions de base, 1960, Delachaux
et Niestlé ; ainsi que de la même auteure, « Exposé d’une méthode phonétique et gestuelle », Rééducation
orthophonique, 1968.
17
l’articulation) et ceux d’origine « psycho-linguistique et mentale » (p.ex. dans le cas d’un retard
du développement langagier). Ce qui me semblait tout particulièrement instructif, c’est la
manière dont elle proposait de croiser les indices relevés dans la pratique, avec les résultats des
tests diagnostiques, et une observation fine permettant d’aller plus loin dans l’exploration. Ce
positionnement m’a été utile lorsque, bien des années plus tard, j’ai été associée à un projet
collectif de mise en place d’une grille d’observation d’adultes ayant une surdité acquise grâce
à un mémoire de fin d’études d’orthophonie (Prouteau & Beaucorps, 2000) : l’outil mis en place
devait permettre aux orthophonistes de tenir compte d’une multitude d’informations de nature
verbale et kinésique mais également proxémique émanant du patient (Prouteau et al., 2004) et
de la manière dont il se positionnait comme véritable acteur au sein de l’interaction. Les travaux
de Catherine Kerbrat-Orecchioni et en particulier le tome 1 de l’ouvrage Les interactions
verbales (1990) avaient servi de référence principale à ce travail.
J’ai également été très influencée par les travaux de Claude Chevrie-Muller, qui a notamment
contribué à une description très fine de la « sémiologie des troubles du langage chez l’enfant ».
Ses travaux permettaient entre autres de répertorier ces troubles en fonction de symptômes
relevés à travers l’observation d’altérations dans l’acquisition et le développement du geste et
de la dynamique articulatoires, ou de la structuration du niveau phonologique, ou encore de la
maîtrise des faits prosodiques ; sans parler bien entendu du versant perceptif et des difficultés
liées à l’audition ou au traitement de l’information. L’analyse de la matière phonique dans ses
« aspects normaux et pathologiques », pour reprendre un sous-titre d’ouvrage de Chevrie-
Muller et Narbona (Chevrie-Muller & Narbona, 1996) élargissait donc le champ d’investigation
pour une meilleure compréhension des troubles affectant la parole et le langage.
Ces travaux ont tardé à être fédérés dans le cadre d’un domaine disciplinaire clairement
constitué en Europe (et par extension en France), comme l’écrivait Crevier-Buchman en 2012 :
18
la structuration de ce nouveau domaine émergent car elles vont favoriser un véritable dialogue
interdisciplinaire et mutualiser les compétences.
19
« parent pauvre » accolé à la phonétique dans ce qui était pour moi un nouveau champ
disciplinaire.
Mon intérêt pour l’histoire de la didactique du FLE et pour l’histoire de la phonétique, couplé
à ma prise de responsabilité à la direction du Centre universitaire d’études françaises de
l’université de Grenoble en 2014 et 2017, m’a donné l’occasion de procéder à des investigations
poussées sur un pan relativement méconnu de l’articulation historique de la phonétique avec
l’enseignement du FLE. Il me paraît important de revenir ici sur ces éléments qui contribuent à
donner un éclairage sur ce que la didactique du FLE doit à la phonétique.
Bien avant mon arrivée à la tête du CUEF en 2012, j’étais déjà intéressée à titre personnel par
la dimension historique de l’enseignement du français langue étrangère et seconde, et j’étais
une lectrice assidue des publications de la SIHFLES, la société internationale pour l’histoire
de l’enseignement du français langue étrangère ou seconde18. Je suivais en particulier les
nombreuses publications qu’Enrica Galazzi a consacrées à l’histoire de la phonétique, et dans
lesquelles elle décrivait notamment l’articulation entre les phonéticiens français, italiens, et
allemands. Dans un ouvrage publié en 2002 et intitulé Le son à l’école ; phonétique et
enseignement des langues (fin XIX° début XX° siècle), Galazzi met en lumière les relations
historiques privilégiées entre la phonétique et l’enseignement des langues, et fait (re)découvrir
à ses lecteurs des travaux tels que ceux du philologue Léon Clédat datant de 1890 ou de Rollin
de 1892, mettant en avant le rôle de la phonétique dans l’enseignement du français auprès des
étudiants étrangers. A l’époque où Clédat et Rollin faisaient état de leurs travaux, la phonétique
est déjà entrée dans une période faste qui va s’étaler sur quelques décennies dans certains pays
européens, et tout particulièrement en France, où elle va bénéficier :
- du génie créateur de l’Abbé Rousselot (1846-1924), fondateur du laboratoire de
phonétique du Collège de France et un des « pères créateurs » de la phonétique
moderne,
- de la contribution de son élève Théodore Rosset (1877-1961), fondateur du
laboratoire de phonétique de Grenoble en 1905,
- de l’engagement de Paul Passy (1859-1940) à l’Ecole des Hautes Etudes,
20
- et du talent d’Etienne-Jules Marey19 (1830-1904), médecin, physiologiste,
inventeur de la chronophotographie,
entre autres spécialistes à qui la phonétique doit son existence comme discipline constituée.
A Grenoble au croisement du XIX° et du XX° siècle, se joue une partition qui est
mystérieusement passée sous silence dans l’histoire des méthodologies d’enseignement du
FLE, et à laquelle je voudrais rendre hommage dans ces lignes. En 1896, un groupe de notables
et universitaires grenoblois, soucieux de l’attractivité et du rayonnement de Grenoble et de son
territoire à l’international, est à l’origine de la création du Comité de patronage des étudiants
étrangers (désormais CPEE), partant du principe que l’efficacité de la promotion et de la
diffusion de la langue et de la culture françaises à l’étranger sera amplifiée si elle devait être
assurée par des étudiants « ambassadeurs » ayant appris le français à Grenoble. C’est ainsi que
l’enseignement universitaire de FLE destiné aux étudiants étrangers naît au sein de l’université
grenobloise dès 1896 ; il est impulsé par des universitaires qui tiennent à un enseignement
« scientifique et moderne » de la langue. Dès 1902-190320, un cours de phonétique du français
moderne est assuré auprès des étudiants étrangers de l’université de Grenoble, par un certain
M. Colardeau. En 1903-1904, un pas en avant est fait par rapport à l’enseignement de la
phonétique :
Pour rendre notre enseignement plus complet et lui donner plus de valeur,
nous avons fait appel (…) à M. Paul Passy, sous-directeur de l’Ecole des
Hautes Etudes, un des créateurs et un des maitres reconnus de l’enseignement
de la phonétique. (…) Après avoir écouté sa parole si claire et si savante, nos
auditeurs ont emporté le souvenir que l’enseignement de la phonétique avait
ses maîtres en France comme en Allemagne et que l’Université de Grenoble
ne négligeait rien pour être à la hauteur des nécessités de l’enseignement
moderne.
19 Auquel Teston rend un vibrant hommage dans une publication de 2004 qui contribue à faire connaître le
rôle déterminant de Marey pour la reconnaissance de la phonétique comme discipline scientifique :
« L’œuvre d’Etienne-Jules Marey et sa contribution à l’émergence de la phonétique dans les sciences du
langage », Travaux interdisciplinaires du Laboratoire Parole et Langage, vol. 23, pp. 237-266..
20 Tous les éléments historiques qui suivent sont basés sur les Rapports annuels du comité de patronage des
21
En 1904, un nouveau professeur de phonétique est engagé par le CPEE : Théodore Rosset, qui
créé la même année le laboratoire de phonétique de Grenoble. L’enseignement de la
prononciation fait partie intégrante des contenus proposés quotidiennement aux étudiants
étrangers, selon des modalités détaillées par Raymond dans son Rapport annuel du
CPEE (1905) :
22
1.4. L’HYPOTHESE DU CHAINON MANQUANT
Lorsque je suis arrivée à la direction du CUEF, mon intérêt pour cette dimension historique a
pu se déployer dans un contexte particulièrement favorable23. C’est ainsi que j’ai découvert
dans les archives du CPEE, un élément dont je me demande s’il ne serait pas de nature à
modifier sensiblement l’histoire des méthodologies d’enseignement du FLE telle que nous
avons coutume de l’aborder dans notre discipline, et que je voudrais évoquer dans ces lignes.
A l’été 1909, un élève bien particulier est présent à Grenoble pour suivre un des stages de FLE
proposés dans l’offre de formation du CPEE : l’américain Franck C. Chalfant24, enseignant de
français aux Etats-Unis. Chalfant, élève de Rosset, découvre à cette occasion les techniques
d’enseignement innovantes du laboratoire de phonétique de Grenoble. De retour aux Etats-
Unis, il importe ce savoir-faire dans ses bagages, en créant le premier laboratoire de phonétique
dans un établissement universitaire américain, au Washington State College en 1911-191225.
23 D’une part, j’avais accès aux archives du CPEE et du CUEF, conservées partiellement dans les locaux de
l’université. Ensuite, je suis entrée en relation avec René Favier, historien de l’université de Grenoble, qui
rédigeait à l’époque un ouvrage sur l’histoire de l’université de Grenoble (édité aux PUG en 2017) et avec
lequel nous échangions sur l’histoire du CPEE. Enfin, cet intérêt trouvait aussi un écho auprès de Konstantin
Protassov, vice-président de l’UGA, et les échanges ont été très nourris sur ces questions avec ces deux
collègues.
24 Dont j’ai retrouvé la trace dans les registres du CPEE, archivés à l’université Grenoble Alpes.
25 Cette information figure également sur le site du Language Learning Resource Center de la Washington
State University (anciennement WSC) : il est fait référence au fait que Chalfant a été étudiant à Grenoble en
1909, on comprend qu’il y a sans doute été formé à l’usage pédagogique du phonographe, et que « [he]
appears to have been the one who brought the idea back to this country ». En ligne
https://forlang.wsu.edu/overview/department-history-2/ [consulté le 27/09/2018].
26 Source : https://forlang.wsu.edu/overview/department-history-2/ [consulté le 24/09/2018].
23
Cet épisode est totalement passé sous silence dans l’histoire des méthodologies d’enseignement
du FLE en France : celle-ci a coutume de considérer que le recours au laboratoire de langue
pour l’enseignement des langues étrangères date de la méthode « audio-orale » (Germain, 1993)
héritée du programme d’enseignement des langues vivantes mis en place au sein de l’armée
américaine, « the Army Specialized Training Program » (Palmer & al., 1948). A tel point que
Rosset est absent de la bibliographie de l’ouvrage que Pierre Léon consacre au laboratoire de
langue en 1962. Une mention unique sur l’enseignement mis en place à Grenoble au début du
siècle figure dans cette publication :
24
FIGURE 3 – Photos du laboratoire de langue (Chinook, 1916), Washington State College27
Chalfant lui-même l’évoque dans l’introduction de ce numéro (la référence à l’Europe est
explicite) :
24/09/2018].
25
Les éléments du débat outre-Atlantique sont présentés d’une manière détaillée dans le
Handbook of Research for Educational Communications and Technology (voir Roby, 1996),
où sont exposés les avis divergents de spécialistes, qu’ils soient défenseurs ou pourfendeurs du
rôle du programme ASTP pour le développement du laboratoire dans l’enseignement des
langues. Certains auteurs affirment clairement que « the Army Specialized Training Program
did not, as is so widely believed, pioneer language laboratories » (Barrutia, 1967 : 889).
L’usage du phonographe pour l’enseignement des langues vivantes aux Etats-Unis est attesté
depuis la fin du XIX° siècle (Clarke, 1918 ; Roby & al., 1996) : Clarke fait état
d’expérimentations menées au début du XX° siècle pour tester l’efficacité de l’apprentissage à
travers un média sonore, auprès de cohortes d’étudiants américains (voir également Tripp &
Roby, 1996).
Je voudrais évoquer un dernier élément relatif à l’enseignement de la phonétique à Grenoble
comme partie intégrante de l’enseignement du FLE : on sait qu’il y eut dans cette ville (comme
dans d’autres universités françaises) une tradition d’accueil de militaires américains dès le début
du XX° siècle. En explorant les archives et registres d’inscription du CPEE, j’ai retrouvé la
trace de Cornélius DeWitt Willcox (1861-1938), professeur à l’Ecole des Cadets américaine et
stagiaire de FLE à l’université de Grenoble auprès du CPEE à l’été 1913. Officier de l’armée
américaine, ce natif de Genève a notamment publié un lexique militaire français-anglais en
1900. En 1918, un autre étudiant-soldat est mentionné dans les archives du CPEE : M. Wabnitz,
ainsi mentionné dans le rapport annuel du CPEE de l’année 1918-1919 : « M. Wabnitz (…) se
consacra avec un dévouement admirable à faire connaître notre œuvre parmi ses
compatriotes ». On sait enfin que dès la fin de la Première Guerre Mondiale :
26
clairement une étape antérieure à la « méthode de l’armée » américaine dans l’enseignement de
la prononciation aux apprenants étrangers, que ce soit pour le FLE en France, à travers la
« méthode Rosset », qui date du début du XX° siècle à Grenoble et qui est une approche
moderne, active, plurisensorielle, basée sur la vue et l’audition ; ou pour le français et d’autres
langues aux Etats-Unis, à travers le recours au phonographe dès la fin du XIX° siècle et aux
méthodes de phonétique importées par Chalfant dès 1909. La méthode développée par Rosset
a servi à la formation d’élèves-soldats et d’officiers de l’armée américaine présents à Grenoble
dès l’année 1913, c’est celle qui avait été exportée quelques années plus tôt par Chalfant aux
Etats-Unis et implantée dans plusieurs universités, et elle a sans doute pris son envol dans ce
pays dans les années qui ont suivi son implantation, dans un contexte socioculturel et
scientifique spécifique dans lequel elle a sans doute vécu des transformations. A l’université de
Grenoble, les choses semblent plus floues au fur et à mesure qu’on approche de la deuxième
guerre mondiale, même si un diplôme de phonétique a perduré pendant des décennies. Est-ce
cette approche qui est revenue en France, au milieu du XX° siècle, sous couvert de la « méthode
audio-orale » ? Si rien ne permet de le prouver, je pense que le doute est désormais permis à la
lumière des éléments que j’ai présentés. En tout cas, il y a là une première articulation très forte
et précoce, à Grenoble grâce à Rosset et au CPEE, entre la phonétique expérimentale et
l’enseignement du français aux étrangers, et cela bien avant la création de la didactique du FLE
comme discipline constituée. D’ailleurs dans le discours qu’il a prononcé pour le centenaire du
Comité de Patronage des Etudiants Etrangers à Grenoble en 1996, Jean-Pierre Cuq n’hésite pas
à affirmer que :
29 Les discours prononcés à l’occasion du centenaire (1896-1996) ont été édités en 1999.
27
de l’ENS de Saint-Cloud, et à la « méthode verbo-tonale de correction phonétique » (désormais
MVT) qui en constitue un élément fondateur. Guberina est à l’époque professeur à l’université
de Zagreb, Renard est professeur à l’université de Mons, et tous deux partagent leur passion
pour la « linguistique de la parole30 », l’enseignement des langues aux étrangers, ainsi que le
diagnostic et la rééducation31 des troubles de la parole chez les personnes sourdes ; quant à
Rivenc il est rattaché à l’ENS de Saint-Cloud, et travaille à l’époque en collaboration avec
Georges Gougenheim sur le projet de « français fondamental32 ». Guberina, Renard et Rivenc
vont développer la méthode SGAV dont le socle est constitué par la méthode verbo-tonale de
correction phonétique (Renard, 1971). Celle-ci bénéficie des compétences croisées de Guberina
et Renard en acoustique, psychoacoustique, psycholinguistique, et pédagogie, et linguistique
bien entendu. On va ainsi voir s’installer durablement, dans une perspective didactique, la prise
en compte de paramètres d’ordre acoustique (tension, acuité, labialité), d’ordre prosodique,
mais également perceptif et émotionnel. L’articulation et l’interdépendance entre tous ces
niveaux est posée, depuis, comme un des fondements de la méthode verbo-tonale. Le succès de
la MVT et du SGAV, couplé au projet de « français fondamental » et aux principes du
structuralisme et du behaviorisme, constitue une indéniable contribution à l’émergence de la
didactique du FLE comme discipline autonome : les maquettes des formations des filières FLE,
apparues dans les années 1980, portent encore aujourd’hui la trace de ce que la didactique doit
à la phonétique (ainsi qu’au SGAV et à la MVT) à travers des enseignements tels que la
« découverte d’une langue nouvelle », dont l’attractivité ne se dément pas au fil du temps.
30 Titre d’un ouvrage rassemblant les actes d’une journée d’étude organisée par la SIHFLES en l’honneur de
Petar Guberina en 2004 (Berré, 2005).
31 Si l’expression de « rééducation des malentendants » a pu être d’un usage relativement fréquent par le
passé, cette terminologie n’est plus d’usage de nos jours compte tenu de l’évolution des connaissances sur
la surdité et du statut de langues conquis de haute lutte par les langues signées.
32 Voir Gougenheim, Michea, Rivenc, & Sauvageot, 1956.
33 Telles que l’ethnographie de la communication, l’analyse conversationnelle ou la sociolinguistique.
28
que le caractère normatif apparent de la verbo-tonale, véhiculé par l’appellation « correction
phonétique » qui lui a été accolée par ses fondateurs, alors même que cette approche est tout
sauf normative, est sans doute pour beaucoup dans le rejet observé. Cette question a été soulevée
dans une contribution collective (Harmegnies et al., 2005), renvoyant d’ailleurs à Renard dont
les auteurs expliquent que, dès 1979, il revenait sur les problèmes posés par cette appellation.
Mais il y a sans doute aussi autre chose de plus global et dépassant largement le cadre de la
phonétique : l’approche communicative a émergé en réaction à ce qui était considéré à l’époque
comme un ordre « convenu » trop présent dans les manuels de FLE et souvent évoqué par
différents auteurs, donnant une représentation trop lisse et erronée de la société française, et le
premier manuel communicatif C’est le printemps, paru en 1976 aux éditions CLE International,
bouscule cette représentation à travers des dialogues basés pour certains sur le français familier
(ouais, chuis…), des photos et des thèmes assez osés pour l’époque (IVG, CRS, manifestations,
grève…), faisant entrer la notion de « conflit social » (Anquetil, 2011) dans la classe34. Et il me
semble que la méthode verbo-tonale de correction phonétique a aussi pâti de ce rejet, dans un
contexte socioculturel et idéologique particulier.
Mais il ne faut pas nier à l’approche communicative une certaine avancée pour la phonétique
dans une perspective didactique. Les travaux qui ont permis à Calbris et Montredon (Calbris &
Montredon, 1975) de mettre en place leur « Approche rythmique, intonative et expressive du
français langue étrangère » constituent un enrichissement considérable pour la « pédagogie de
l’oral » (Harmegnies et al., 2005) : ces chercheurs et praticiens prennent en compte la
multimodalité dans l’enseignement du FLE, et prônent le recours prioritaire à la dimension
gestuelle et au langage du corps dans une perspective didactique (Calbris & Montredon, 1986)
Calbris & Porcher, 1989). La valorisation de la dimension gestuelle va trouver un écho dans les
pratiques de classe et la conception de manuels à visée didactique, par exemple la méthode
Plaisir des sons de Kaneman-Pougatch et Pedoya-Guimbretière (1989) avec des activités
d’intégration corporelle qui permettent d’appréhender l’apprentissage de la phonétique
articulatoire d’une manière globale, faisant interagir des niveaux, des stratégies de traitement
de l’information et des modes de fonctionnement différents et néanmoins complémentaires.
Champagne-Muzar et Bourdages (Champagne-Muzar & Bourdages, 1998) reviennent sur le
clivage qui a émergé à cette période charnière de l’avènement de l’approche communicative et
sur la « marginalisation de la pratique phonétique » comme elles le formulent. Pour ces
34 Dans son diaporama sur le « lexique dans les manuels de FLE », Anquetil complète d’ailleurs l’intitulé de
la méthode C’est le printemps en intégrant la parenthèse suivante : « (de 68 ?) » (Anquetil, 2011 : 16).
29
auteures, cette « marginalisation » est due à un désaccord majeur entre les défenseurs d’une
pratique phonétique systématique en classe, englobant la dimension articulatoire et la
dimension prosodique, et les défenseurs d’une « imprégnation par exposition » (Ibid.).
Intravaia (2005) est plus sévère en évoquant le rejet de la méthode verbo-tonale : il fait référence
au
(Intravaia, 2005)
Cette question a aussi été développée par Galazzi-Matasci et Pedoya (Galazzi-Matasci &
Pedoya, 1983). Champagne-Muzar et Bourdages évoquent quant à elles le résultat d’une étude
effectuée par Champagne, Schneiderman et Bourdages en 1993 auprès de deux groupes
d’apprenants, et « qui révèle que la simple exposition aux faits phonétiques dans un contexte
communicatif (…) n’assure pas le développement des habiletés phonétiques, que ce soit sur le
plan réceptif ou productif » (Champagne-Muzar & Bourdages, 1998 : 19).
Pour ma part j’ai assisté à l’émergence de l’approche paysagiste de l’oral au milieu des années
1980, développée par Elisabeth Lhote (1990, 1995) en lien étroit avec ses propres pratiques et
observations au CLAB. L’approche paysagiste de l’oral est directement inspirée des travaux du
musicologue et compositeur canadien Raymond Murray Schafer, qui fut un temps rattaché à
l’université Simon-Fraser au Canada, et qui est le premier à avoir développé cette notion, tout
d’abord dans une courte publication intitulée The New Soundscape (1969), puis dans un ouvrage
au titre ambitieux, The Tuning of the World (Murray Schafer, 1977), ou « l’enregistrement du
monde ». Un des points de départ de la réflexion de Murray Schafer est le suivant : il existe une
multitude de bruits et de parasites sonores qui polluent le monde, l’environnement humain, et
notre vie quotidienne, et il est nécessaire de revenir à un environnement sonore dépouillé de ces
parasites. C’est ainsi qu’il lance des projets de type « muséographie sonore » en quelque sorte,
qui avaient pour finalité de collecter, afin de les préserver, les sons des cités (terme pris dans
une acception très large : cela pouvait être aussi bien des espaces urbains que ruraux, ces
derniers étant privilégiés par Murray Schafer car théoriquement dépouillés des parasites à
bannir). L’idée était de dresser le « portrait sonore » de ces lieux, de « préserver ce qui peut
l’être » (Vincent, 2015 : 18), et de proposer des préconisations pour des cités futures qui
30
seraient acoustiquement plus adaptées, dans une approche qui devient plus globalement
« écologique ». La démarche de Murray Schafer met en avant l’importance de la perception
sensorielle et la dimension culturelle du paysage sonore. Comme le déclare Vincent (2015) :
Elisabeth Lhote s’est basée sur cet essai « d’écologie sonore » et est devenue celle qui a
introduit la notion de « paysage sonore » dans le champ des sciences du langage : elle l’a
adaptée et façonnée à son terrain de recherche et d’application (Lhote, 1990) en menant des
travaux sur le paysage sonore d’une langue.
Elle y a intégré tout d’abord une dimension éminemment cognitive, en élaborant un modèle
paysagiste de perception de l’oral dans une situation d’apprentissage d’une langue étrangère.
Lhote accordait beaucoup d’importance à la notion de crible phonologique développée par
Troubetzkoy et à son exploitation par Renard dans le cadre de la méthode verbo-tonale de
correction phonétique. Le socle théorique de son approche était constitué de croisements
prenant en compte :
35Une manifestation scientifique rassemblant des archéologues, des historiens, des anthropologues, des
architectes…, a eu lieu en 2013 à l’Ecole française de Rome, co-organisée par l’Institut français d’archéologie
orientale et l’Ecole française d’Athènes, sur le paysage sonore dans l’Antiquité, et dont les actes ont été
publiés en 2015 au sein de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire (Emerit et al., 2015).
31
La spécificité du processus de traitement auditif et perceptif du signal de parole et son
importance pour l’apprentissage, partant du principe qu’« un apprentissage de type
perceptuel conduit l’apprenant à construire un réseau de relations perceptuelles »
(Lhote, 1995 : 133), avec des références fortes aux travaux sur la perception du langage
menés par Mehler, Noizet ou Piaget ;
Le rôle de la mémoire immédiate et à long terme pour le repérage d’unités discrètes
dans le signal de parole, au-delà de la variabilité acoustique, permettant progressivement
d’accéder au sens notamment à travers des opérations de feed-back, et l’importance du
« développement et renforcement des mécanismes de mémorisation » en contexte
d’apprentissage (Ibid., 37) ;
Des travaux en psycholinguistique et dans le domaine de la cognition, portant
notamment sur les schémas mentaux dans les processus de traitement de l’information,
avec des références régulières aux travaux de Johnson-Laird ou Ehrlich ;
Les multiples fonctions de l’intonation dans l’apprentissage.
L’écoute avait une place centrale dans son approche, à travers les fonctions d’ancrage, repérage
et déclenchement (Lhote, 1990).
Elle y a intégré également une dimension interculturelle avant l’heure, d’une manière très
explicite, puisque ses travaux tiennent compte des acquis antérieurs des apprenants et de la
manière dont leur univers mental de référence conditionne et façonne leur écoute et leur
perception de la langue nouvelle. Les « représentations mentales », « l’horizon d’attente », sont
autant de notions qu’elle a explorées en effectuant des va-et-vient entre des éléments théoriques
et l’observation des apprenants en situation d’apprentissage dans ses classes du CLAB,
observation qui a fortement contribué à façonner le modèle qu’elle a élaboré. Enfin, c’est dans
le cadre de l’approche paysagiste de l’oral que Lhote a mis en valeur la notion d’interaction
dans l’enseignement de l’oral (Lhote, 1995), notion présente dans l’intitulé de son ouvrage
« enseigner l’oral en interaction », et qui apparaîtra comme centrale quelques années plus tard
dans le cadre du CECRL (2001).
Le modèle proposé par Lhote n’a pas eu l’impact escompté dans le domaine de la didactique de
l’oral, et est longtemps resté relativement confidentiel, alors que ses fondements
psycholinguistiques sont particulièrement solides et pertinents, et je me suis toujours demandé
si la terminologie choisie (à savoir « paysagiste ») n’a pas été pénalisante car jugée peu
« scientifique ». La difficulté de circonscrire et de définir cette notion a également été évoquée
32
par certains auteurs dans d’autres domaines des sciences humaines et sociales (voir p.ex. Emerit
et al., 2015).
Les travaux de Régine Llorca, qui achevait sa thèse alors que je débutais la mienne au sein du
laboratoire de phonétique, ont émergé dans le bouillonnement scientifique et intellectuel de ce
contexte. Ses travaux sur le théâtre rythmique (Llorca, 1995 ; Llorca, 1998 ; Llorca, 2001)
qu’elle couple avec des représentations théâtrales centrées sur des questions linguistiques et
kinésiques, sa réflexion sur la mémoire sensorielle et motrice (Llorca, 1993) et plus
généralement sur l’interconnexion geste-parole-rythme/intonation mettent en valeur la
multimodalité dans l’enseignement des dimensions articulatoire et prosodique du français
langue étrangère. Llorca a élaboré son approche grâce à un parcours parallèle en phonétique et
en danse classique et moderne. Elle a réussi avec talent à concilier les deux composantes de son
parcours, en mettant en place des pratiques pédagogiques qui prônent de « vivre la relation
entre le son et le mouvement dans une symbiose corporelle » (Llorca, 2003) et qui mettent les
« composantes gestuelles et intonatives au service de la mémorisation de matériel
linguistique » (Ibid.). Les fondements psycholinguistiques de son approche sont à chercher
principalement dans les travaux de Jousse36, Kempton37 ou Kendon38 : en particulier les divers
types de mémoire, musicale, représentative, motrice ou sensorielle et l’articulation que Llorca
approfondit avec les gestes et la structuration prosodique de la parole.
Les recherches de Guimbretière qui insiste sur le rôle central de la prosodie dans
l’enseignement/apprentissage du FLE et son lien avec l’écoute et les gestes (Guimbretière,
2000), vont également marquer la didactique du FLE, d’une manière d’autant plus importante
que les manuels didactiques conçus par Guimbretière vont avoir un succès durable auprès des
praticiens.
Enfin, depuis quelques années, la phonétique puise dans le cognitivisme dont l’influence semble
s’installer durablement dans le domaine de la didactique du FLE. En effet, avec le
développement des neurosciences et des sciences cognitives, on assiste à l’affirmation du
cognitivisme en tant que courant de référence pour les théories psychologiques de
l’apprentissage du FLE chez certains auteurs. L’ouvrage de Gaonac’h (Gaonac’h, 1987)
constitue une référence quasi fondatrice par son rejet du béhaviorisme et son affirmation que :
36 Jousse, M., 1981, Le style oral. Le Centurion, Paris. [Oeuvre originale parue en 1925].
37 Kempton, W., 1980, The rhythmic basis of interactional microsynchrony, in Relationship between Verbal and Non Verbal
Communication, Mary Ritchie Kay (Ed.), New-York, 67 – 75.
38 Kendon A., 1986, Some reasons for studying gestures, in Semiotica, vol. 62-63, 3-28.
33
Les concepts fondamentaux du cognitivisme (règle, hypothèse, stratégie,
processus), issus de théories d’inspiration rationaliste, devaient être
réexaminés dans une perspective fonctionnelle : le fonctionnement de la
langue, la fonction de ses différents aspects les uns par rapport aux autres,
ne peuvent se comprendre qu’en rapport avec les caractéristiques de la tâche
qui sert de support à l’activité de langage, et qu’en rapport avec les
caractéristiques fondamentales de l’activité pour laquelle le langage sert
d’outil privilégié : l’interaction sociale.
(Gaonac’h, 1987 : 9)
Dans tous les cas, on peut affirmer qu’une nouvelle dynamique se met en place depuis quelques
années, qui redonne une impulsion certaine quant à la prise en compte de la matière phonique
dans une perspective didactique : que ce soit par la consolidation, la diffusion et l’élargissement
des recherches que j’ai évoquées dans le domaine de la verbo-tonale et de son apport à
l’enseignement et l’apprentissage du FLE, ou bien les recherches qui se développent sur la
multimodalité, de plus en plus explorée, comme en témoignent par exemple les travaux de Kida
(2001) ou encore le théâtre qui ouvre des perspectives de plus en plus nombreuses (on peut citer
entre autres, Blondel, 2016 ; Cormanski, 2005 ; Payet, 2010 ; Pierra, 2001), sans oublier des
pratiques de classe innovantes et originales sur l’art oratoire (Dautry-Norguet, 2016), le slam
(Vorger, 2011), avec un va-et-vient très fécond entre recherche et pratiques pédagogiques. Cela
dit, l’imbrication entre la prononciation et les autres dimensions de la langue demeure présente
voire est renforcée par certains chercheurs-praticiens, par exemple à travers la
morphophonologique (Veldeman-Abry & Abry, 2016) ou la graphophonologie (Berger, 2016).
On revient aussi à des exercices systématiques de prononciation, dans lesquels la dimension
linguistique de l’enseignement/apprentissage de la phonétique est pleinement assumée. Dans
tous les cas, au-delà des tâtonnements, il me semble qu’on assiste à l’intégration d’un faisceau
de relations et de dimensions dynamiques dans le développement de la phonétique.
34
On est donc certainement très loin de la phonétique comme « parent pauvre » de la didactique :
l’entrée dans une langue étrangère se fait prioritairement à travers sa dimension phonique,
articulée à la dimension kinésique, culturelle et identitaire, que ce soit sur le versant perception
que production ; elle constitue en cela une cible privilégiée de recherche, aussi bien
fondamentale qu’appliquée, puisque le va-et-vient entre la théorie et la pratique me paraît le
seul de nature à ouvrir la voie à la conception de dispositifs pédagogiques. Et je conçois cette
approche dans une perspective globale et plurisensorielle, comme présenté dans la préface du
numéro 60 de la revue Recherches & Applications que j’ai coordonné avec Régine Llorca
(2016) :
35
- Enfin, la phonétique à visée didactique, à travers mes travaux sur les erreurs des
apprenants arabophones de FLE dans une perspective de remédiation, dans le
cadre du projet IPFC-Arabe.
36
CHAPITRE 2
TERRAINS ET OBJETS DE RECHERCHE
Le fait d’être engagée dans une recherche sur la langue arabe m’a confrontée tout d’abord à la
question du type de sources à privilégier, c’est-à-dire en réalité, comme j’ai eu l’occasion de le
constater par la suite, du caractère culturel de certaines catégorisations scientifiques. D’un côté,
j’avais accès aux nombreuses publications d’orientalistes39 et arabisants d’expression française
(Cantineau, Cohen, Fleisch,…) de la première moitié du XX° siècle, qui appliquaient à la
situation linguistique du monde arabophone, les catégories et concepts développés dans la
linguistique occidentale moderne. Cela m’aurait paru tout à fait naturel si je n’avais pas eu accès
parallèlement à une production scientifique d’expression arabe certes moins foisonnante, mais
qui avait l’avantage de remonter jusqu’aux origines de la formalisation de la langue grâce aux
travaux des grammairiens du VIII° et du XI°siècles : en particulier, l’ouvrage de référence Al
kitāb (traduction littérale : Le livre), paru en l’an 796, et dont l’auteur, Sibawayhi, est considéré
comme le fondateur de la grammaire arabe ; et l’ouvrage Al Xaṣāʔiṣ, paru en 1002, dont l’auteur
37
est Ibn Jinni. A la consultation des différentes sources bibliographiques, a émergé ce qui m’a
semblé constituer un antagonisme terminologique, voire conceptuel, sur les catégorisations, et
en premier lieu, sur « l’identité » de la ou des langue(s) d’usage.
J’aborderai dans ce qui suit trois questions :
- les variations terminologiques relatives à « la langue arabe » dans la
littérature spécialisée d’expression française ;
- l’identité de la langue arabe [fuṣħa] ;
- le type de relation existant entre la [fuṣħa] et les dialectes ou langues parlées.
Les anciens grammairiens arabes, Sibawayhi ou Ibn Jinni pour n’évoquer que ceux qui ont le
plus marqué la grammaire arabe, décrivent voire énoncent avec minutie les règles de la langue
[ʔal luɤa (la langue) al ʕarabijja (arabe) ʔal fuṣħa (éloquente / claire / pure], à laquelle je
renvoie désormais par le terme [fuṣħa], le plus usité en grammaire arabe. Ils illustrent leurs
propos généralement (mais pas exclusivement) par des exemples extraits de la production
littéraire. Mais ils font aussi référence à la diversité linguistique existant à leur époque (le VIII°
pour Sibawayhi, et le XI° pour Ibn Jinni) : tout d’abord, à travers des expressions telles que
« les langues des arabes »40 ; ensuite, à travers le terme [ʔaʕʒāmī] qui fait référence à « someone
who does not speak correctly even if he is an Arab (…), the ʕuʒm are those whose language is
not faṣīħ » (Restö, 2013 : 434), et qui introduit donc une variété de langue ne correspondant pas
à la la « norme ». S’agit-il des langues vernaculaires sémitiques existantes à l’époque, ou bien
de variétés orales arabes autres ? Plusieurs hypothèses sont envisagées par les chercheurs (voir
Newman, 2013). N’oublions pas qu’on est deux à trois siècles après l’émergence de l’islam
dans la tribu des Qouraych située dans la Péninsule arabique, le Coran est rédigé dans une
variété de langue arabe que l’on peut imaginer être en usage dans la tribu du prophète. Une
production littéraire écrite pré-islamique très foisonnante en arabe est attestée également avec
des poèmes qui ont traversé les siècles et qui sont encore proposés dans les ouvrages scolaires
ou universitaires du monde arabophone. S’agit-il d’une koinè littéraire, langue commune aux
intellectuels et savants, mais aussi aux commerçants, et ayant des fonctions véhiculaires à
travers cette immensité géographique ? S’agit-il de la même variété avec laquelle le Coran a été
rédigé ? Etait-ce une langue en usage en tant que langue vernaculaire maternelle de locuteurs
de cette région ? Plusieurs hypothèses ont émergé au fil des siècles mais aucune n’a emporté
l’adhésion de l’ensemble des chercheurs travaillant sur des questions.
40 Utilisée par Ibn Jinni Al Xaṣāʔiṣ, paru en 1002, édition consultée : 1955, Dar Al Qahira, Egypte, p. 29.
38
Pour en finir avec l’entreprise des grammairiens arabes : leur démarche est donc non seulement
descriptive, mais également prescriptive. On trouve en effet des exemples de formulations dans
lesquelles telle prononciation ou distribution de phonèmes est conseillée pour favoriser une
certaine esthétique dans la prononciation : la figure 5 en donne un exemple extrait de Ibn Jinni
(voir note 41 page précédente), à travers une opération de permutation qui est recommandée
entre l’occlusive glottale [ʔ] et le son vocalique [w] dans le mot [waʔajt] (« j’ai hébergé ») pour
qu’il soit prononcé [ʔawajt] de manière à ce que le résultat soit « plus délicat ».
FIGURE 5 – « Chapitre pour le remplacement d’une prononciation par une autre, par l’artifice et la
délicatesse, et non la brutalité et l’arrogance » (Ibn Jinni, XI° siècle)41
Jusqu’à l’avènement de l’islam, les zones géographiques qui correspondent au monde
arabophone actuel étaient habitées par des populations diverses pratiquant une multiplicité de
langues sémitiques comme en témoigne la figure 6 :
FIGURE 6 – Répartition géographique antéislamique (V° siècle avant JC) des langues chamito-
sémitiques (Chaker, 1989 : 813)
Avec les conquêtes arabes qui se sont succédé suite à l’avènement de l’islam, on va assister
également à une invasion linguistique, puisque l’arabe des conquérants viendra se mélanger
39
avec les langues vernaculaires locales, d’une manière qui n’est pas encore clarifiée dans la
littérature même si des influences diverses sont mises à jour voire sont intuitivement perçues
par les locuteurs de originaires de telle ou telle zone géodialectale. Ce qui va traverser les
siècles, ce sont des traces écrites (littéraires entre autres) à l’aide de cette langue formalisée et
décrite par Sibawayhi et les autres grammairiens classiques.
Une entreprise de modernisation et de simplification linguistique est mise en œuvre à partir du
XVIII° et du XIX° siècles, dans le cadre de la [nɑhḍɑ]42, ce mouvement culturel, intellectuel et
politique de renaissance (Gonzalez-Quijano, 2007) mené en opposition à l’oppression ottomane
dans le monde arabe. La modernisation linguistique a été très active en particulier au Liban, et
ce dès le XVIII° siècle, au sein du patriarcat maronite notamment, et doit beaucoup à un groupe
d’intellectuels réformateurs chrétiens :
40
Ces variétés de langues sont désignées en ASM par des expressions telles que :
que l’on peut traduire par « la langue roulante - ou ‘coulante’, ou ‘conversante’ », ce qui par
extension fait référence au flux de parole, ou à la langue parlée. Chaque pays possède sa propre
langue vernaculaire.
L’hypothèse d’une relation génétique avec l’ASM ou même l’arabe classique a été évoquée par
le passé, mais elle est très clairement écartée de nos jours (Newman, 2013 ; Owens, 2013 ;
Restö, 2013). Les recherches semblent au contraire montrer que :
The Arabiyya has a special position (…) because of its typological features,
many of which set it apart not only from the modern spoken varieties but
also from the epigraphic languages. (…) The Arabiyya undoubtedly goes
back to a spoken language; however, rather than being the grandfather of
modern spoken Arabic, that language seems to have died out without
leaving any descendants, like Ugaritic and Akkadian to which it has many
resemblances. (…) It has been remarked that the linguistic type represented
by the modern Arabic vernaculars shows many similarities to Aramaic.
41
« vouloir » correspondant à des termes aussi différents que [bǝddak](2), [ʕāwiz](4), [bgēt](5) ou
[turīdu])(6) –, que d’ordre morpho-syntaxique – le morphème interrogatif « que » ([wiš](1) /
[šū](2) / [āš](5) / [mād̲ā](6)) est souvent en initiale, mais pas systématiquement – ([ēh](4)) :
These sentences from Jastrow (2007: 7) all mean the same: « What do you
want now? ».
1) wiš taba d̲ahhin
2) šū bǝddak hallaʔ
3) š-itrid hassa
4) ʕāwiz ēh dilwaʔti ?
5) āš bgēt dāba ?
6) mād̲ā turīdu l-ʔān ?
At first glance they do not seem to have much in common except one thing:
they are said to be Arabic. They represent different varieties within the Arabic
linguistic complex: (1) Riadh; (2) Damascus; (3) Baghdad; (4) Cairo; (5)
Rabat (….) (6) fusha.
42
français, à l’espagnol… C’est donc indéniablement une langue vivante à part
entière qui véhicule un savoir et dont je refute le terme de dialecte. Quoiqu’en
disent certains, elle n’est ni en opposition ni en contradiction avec l’arabe.
44Intellectuel marocain, ancien directeur de la Bibliothèque nationale du Maroc, interrogé par Média 24, édition
du 5 septembre 2018. Source : https://www.medias24.com/MAROC/SOCIETE/185601-Driss-Khrouz-L-
opposition-darija-arabe-est-un-faux-debat.html [consulté le 25/09/2018].
43
théoriquement des notions très distinctes, on est en droit de s’interroger sur cette instabilité
terminologique, elle-même peut-être révélatrice d’une instabilité épistémologique qui
présiderait à certains travaux sur la langue arabe et ses variétés. Et il est intéressant de considérer
cette terminologie au regard d’une question en miroir : comment un peuple nomme-t-il sa/ses
langue.s ? Comment rapprocher ces dénominations avec celles de la linguistique d’expression
française ? Comment expliquer l’écart au niveau terminologique adopté par des linguistes issus
de différentes communautés et langues d’appartenance ? Et en fin de compte, de quoi les
diverses dénominations linguistiques et catégorielles sont-elles l’expression ? Ce foisonnement
terminologique que j’ai pu observer au début de mes recherches m’interpelait également par
opposition à la relative unicité qui transparaissait dans la littérature spécialisée d’expression
arabe, où le caractère formel de la langue prime généralement sur les conditions d’usage, et où,
par conséquent, un terme tel que [fuṣħa] renvoie à la langue « normée » par opposition aux
dialectes désignés par le terme arabe [ʕāmmijja] (ou [dāriʒa]). Mais cette unicité peut aussi
masquer une rigidité dans la manière d’appréhender la langue, ce que j’évoquerai par la suite.
Il se peut que ces tiraillements d’ordre terminologique soient aussi un reflet de la difficulté de
l’émergence d’une acception scientifique laïque de la langue arabe, dépouillée du poids du
caractère sacré qui lui est accolé. L’intrusion de l’idéologique dans les descripteurs
linguistiques constitue un obstacle à une description objective et scientifique, d’autant que le
caractère sacré de la langue arabe n’est pas partagé par les millions de locuteurs arabophones
qui ne sont pas de confession musulmane45. Et je suis particulièrement embarrassée lorsque,
m’intéressant aux départements d’enseignement de la langue arabe en Europe, je lis un
descriptif tel que celui qui suit, sur un site aussi prestigieux que celui de l’université d’Oxford :
(Source : https://www.orinst.ox.ac.uk/arabic-046)
45 Il existe en effet des arabes chrétiens, juifs, athées, etc., ce qui est généralement occulté dans l’imaginaire
collectif lorsque l’arabe et ses usagers sont évoqués. Lors d’une soirée-débat organisée en 2017 sur les
Chrétiens d’Orient par la Région Auvergne-Rhône-Alpes à Lyon, il était intéressant d’entendre les membres
de divers clergés de communautés chrétiennes orientales originaires d’Irak, de Syrie, de Libye ou du Liban
entre autres (les araméens, les chaldéens, etc…), revendiquer avec force les premières éditions en arabe du
nouveau testament, connues de nombreux siècles avant l’apparition de l’islam.
46 Consulté le 24/09/2018.
44
La dénomination « arabe standard moderne », qui s’est répandue ces dernières années pour
désigner, dans la littérature spécialisée d’expression française47, la langue arabe vivante
scolaire, officielle, est sans doute le recours qui pourrait permettre d’aborder cette variété de
langue d’une manière dépassionnée sur le plan scientifique, même si le chemin est encore long,
car comme l’écrit Taleb Ibrahimi (2006) :
47Mais aussi anglo-saxonne, comme le démontre l’usage de plus en plus fréquent de Standard Modern
Arabic dans des publications anglo-saxonnes (Al-Batal, 2017).
45
The modern concept “Arabic” is a cultural and political concept, important
as such but not a linguistic entity; even if the majority of the inhabitants in
the “Arab world” see themselves as speakers of Arabic, albeit a corrupted
or even “wrong” variant of it. We should make a clear distinction between
the Arabic complex as a cultural-political phenomenon and the linguistic
realities (…). From a purely linguistic viewpoint the Arabic complex is
dissolved into a large variety of languages that in varying degrees have
elements in common with each other as well as with other Semitic
languages.
Le berbère est peut-être être la langue la plus pratiquée après l’arabe, même s’il est impossible
de produire des statistiques fiables comme l’indiquent les chercheurs qui se sont penchés sur la
question (Chaker, 1989 ; Taleb Ibrahimi, 2006), mais on peut comptabiliser plusieurs dizaines
de millions de locuteurs. Au moins huit langues ou variétés berbères sont présentes,
essentiellement dans l’aire géodialectale maghrébine, par exemple avec les langues amazigh,
tachelhit et tifinagh au Maroc, le kabyle, le chaoui ou le mzabi en Algérie, le siwa en Egypte,
le nafusi en Libye, etc. Sont également présentes :
- d’autres langues vernaculaires historiques telles que le kurde (avec 6 millions de locuteurs en
Irak), l’arménien, le turc, le farsi, etc. ;
46
- des langues sémitiques historiques du patrimoine des « Chrétiens d’Orient » telles que
l’araméen, l’assyrien, le chaldéen, qui sont essentiellement mais pas seulement des langues
d’usage liturgique50 ;
- l’hébreu qui demeure parmi les langues patrimoniales les plus anciennes de cette région ;
- des langues de mouvements migratoires plus ou moins récents, telles que le hindi, le ourdou,
le hausa, le bengali, le tchétchène, le biélorusse, le coréen, le mandarin, surtout dans les pays
de la Péninsule Arabique… ;
- enfin, les langues issues de la colonisation, comme le français, l’anglais, l’espagnol, l’italien,
le portugais, et qui demeurent fortement implantées dans plusieurs zones géographiques, avec
une diversité de statuts qui ont évolué au fil du temps.
Nous avons donc là un paysage sociolinguistique complexe, dominé certes par les différentes
langues vernaculaires parlées auxquelles le sujet arabophone est quotidiennement confronté,
mais avec des foyers linguistiques caractérisés par des usages patrimoniaux particulièrement
robustes. En sachant qu’il faut prendre en compte la très grande instabilité régionale et son
impact en termes de déplacement massif de populations, et par conséquent de fragilisation du
patrimoine linguistique, ce que l’on a pu observer ces dernières années en Irak ou en Syrie par
rapport à des langues patrimoniales pratiquées par des minorités chrétiennes historiques51.
Malgré tout, il n’en demeure pas moins que ce paysage sociolinguistique présente une multitude
de configurations de passage « d’une langue à l’autre »52, pas nécessairement ni seulement
selon la modalité bien décrite de l’alternance codique : les langues sont présentes dans le
paysage sonore (Lhote, 1990) à travers un contexte de polyglossie actif ou passif, qui rend
compte d’un métissage linguistique perceptif et culturel qui conditionne très fortement le
rapport aux langues des usagers.
50 Les guerres en Syrie et en Irak ont eu un impact certain sur ces communautés avec des mouvements
migratoires massifs et des massacres de populations.
51 L’implantation d’une communauté de chrétiens assyriens d’Orient (irakiens en particulier) en Suède
47
2.1.3. EXPLORER LA LANGUE « COMMUNE », AU-DELA DES MARQUES DIALECTALES
Mes recherches sur l’ASM partaient d’un postulat : l’existence d’une structure commune qu’il
était possible de mettre à jour à travers une approche acoustique, laquelle devait également
permettre de dégager d’une part ce qui relevait des marques dialectales que l’on était susceptible
de retrouver en ASM, d’autre part ce qui relevait de caractéristiques plus strictement
individuelles. L’angle théorique que je sollicitais à l’époque empruntait essentiellement à
l’approche systémique (Rosnay, 1977) : j’étais à la recherche de phénomènes de « stabilité
structurelle (…) au-delà de la variabilité induite par des éléments individuels ou dialectaux »
(Abou Haidar, 1991) et j’étais convaincue que la mise en lumière d’une structure acoustique
robuste en lien avec le niveau phonétique et phonologique pouvait être un premier pas vers la
prise en compte de la stabilité des phénomènes de perception, malgré le fait que je n’allais pas
jusqu’à explorer ces phénomènes dans ma recherche. Je souhaitais également dégager des
arguments objectifs et scientifiques permettant de déconnecter la description du système
vocalique de la référence systématique à l’écrit, et de la simplification traditionnelle de
l’existence de « trois voyelles longues et trois brèves correspondantes ».
RESULTATS
Les résultats de mes recherches (Abou Haidar 1991, 1994, 1996) constituent une
contribution pertinente pour une meilleure compréhension de système vocalique de l’arabe
standard moderne.
(1) Il existe bien trois degrés d’aperture en ASM, et non seulement deux, et cela quelle que
soit l’origine dialectale du locuteur : le système vocalique arabe est organisé selon une
distinction de timbre corrélée à une distinction de quantité ; les voyelles brèves /i/ et /u/ ont
un timbre significativement plus fermé que les voyelles longues /i:/ et /u:/.
(2) Les voyelles brèves /i/ et /u/ sont plus compactes que les voyelles longues /i:/ et /u:/ qui
sont plus diffuses (F1 et F2 plus éloignés pour ces dernières).
(3) Il existe quatre allophones ou variantes combinatoires relatives aux phonèmes /a/ et
/a:/ : [a] [a:] [ɑ] [ɑ:] ; les deux dernières sont présentes dans un contexte emphatique,
uvulaire, ou apico-dorso-alvéolaire.
(4) La durée de la voyelle est bien un indice de voisement de la consonne qui la précède.
(5) Il existe un phénomène de réajustement temporel sur les voyelles longues dans un
contexte allongeant : celles-ci ne sont pas affectées par le même indice allongeant qu’une
voyelle brève ce qui évite des durées excessives.
48
(6) Le rapport moyen entre les voyelles longues et brèves est de 1,7. Par ailleurs,
l’intégration temporelle du système vocalique d’une LE, à savoir le français, prend en
compte la gestion intrinsèque de la durée des voyelles de l'ASM : la durée des voyelles
françaises est significativement distincte de celle des voyelles longues et voyelles brèves de
l’ASM.
49
2.2. PROJET « VOIX ET RECONNAISSANCE DU LOCUTEUR »
En tant que chercheure rattachée au laboratoire de phonétique de Besançon, et très proche
collaboratrice d’Elisabeth Lhote, j’avais été impliquée dans un projet qui portait sur
l’identification du locuteur par sa voix, dans le cadre d’un appel d’offres national émanant du
Ministère de l’Intérieur en 1989. Comme le signalent Boë et al. (2000 : 10), si « aucun
laboratoire spécialisé dans le domaine de la parole (universitaire ou du CNRS) n’a (…)
répondu à cet appel », le laboratoire de phonétique de Besançon en avait été indirectement
partie prenante, car sollicité par le laboratoire de Micro-analyse des surfaces de l’Ecole
Nationale Supérieure de Mécanique et de Micro-électronique (ENSMM) de Besançon, qui a
répondu à l’appel à projets. Les explorations se sont faites sous la responsabilité conjointe de :
- Claude Roques-Carmes, directeur du laboratoire de micro-analyse des surfaces de
l’ENSMM ;
- Dalloul Wehbi, chimiste, membre de ce laboratoire, et présidente de la société Micro-
Surfaces de Besançon53 ;
- Et pour la partie phonétique, Elisabeth Lhote enfin, directrice du laboratoire de
phonétique.
Autour de ces trois personnalités, une équipe très restreinte de chercheurs, physiciens et
mathématiciens a été constituée, à laquelle j’étais associée en tant que phonéticienne sous
contrat avec le laboratoire de phonétique. J’avais à l’époque la maîtrise de plusieurs outils
d’analyse du signal de parole, en particulier l’analyseur en temps réel Kay Elemetrics 2200 qui
changeait singulièrement la donne par rapport à l’analyse expérimentale habituelle que nous
menions jusque-là avec des instruments d’analyse plus classiques nettement plus chronophages
et moins performants.
Je voudrais ici revenir sur trois aspects :
- La dimension strictement scientifique du projet, qui nous a amenées à l’époque avec
Lhote à adopter une analyse pluridimensionnelle des échantillons de parole ;
- Les prises de position de la « communauté Parole » française sur l’identification du
locuteur dans une perspective juridique ;
- L’incompatibilité majeure qui s’est installée progressivement entre les membres de
l’équipe, qui s’est exprimée notamment à travers nos publications de l’époque (Lhote
& Abou Haidar, 1990 et 1991 ; Abou Haidar & Lhote, 1991) pour finir par une prise de
distance définitive de ma part.
50
2.2.1. UN ANTAGONISME SCIENTIFIQUE ORIGINEL
L’appel à projets du Ministère de l’Intérieur avait pour objectif de permettre l’émergence d’un
dispositif permettant d’identifier les locuteurs dans un cadre juridique, à partir d’un échantillon
de plusieurs voix à apparier : des voix « modèles » ou « de question », à apparier avec des voix
« de comparaison » ayant subi des transformations internes (cris, falsification volontaire de la
part du locuteur) ou externes (bruit ambiant, filtrage à travers plusieurs types de bandes
passantes…), stockées sur support audio digital.
Un premier antagonisme est apparu dans l’équipe entre :
- les phonéticiennes considérant que la parole n’est pas un signal comme les autres54,
compte tenu essentiellement :
o des éléments d’ordre psychologique, culturel, identitaire, présents dans la voix,
et qu’on n’est pas en mesure de quantifier ni de décrire d’une manière
exhaustive, objective et scientifique ;
o de l’impossibilité de faire appel à des procédés d’analyse robustes et
incontestables de la voix dans l’état actuel des connaissances ;
- les scientifiques experts de signaux et de matériaux divers à l’exclusion de la parole et
de la voix, convaincus d’apporter une réelle plus-value en termes d’analyse scientifique
du signal de parole, qu’ils considéraient comme un signal parmi d’autres.
C’est ainsi que deux approches conjointes ont été menées parallèlement sur les échantillons.
Commençons par l’approche phonétique. Avec Lhote nous avons décidé de débuter par une
analyse auditive qui avait pour objectif de repérer « les passages les plus pertinents pour
l’association ou la dissociation des différentes paires »55, en vue de l’analyse expérimentale
ultérieure. Parmi les indices relevés lors de cette étape, nous avions listé des éléments d’ordre
phonique qui pouvaient être caractéristiques des « styles individuels » des locuteurs :
- élision de phonèmes,
- pauses de prise de souffle,
- voix plus ou moins mélodieuse,
- débit plus ou moins rapide,
- timbre de voix,
54 Comme j’ai eu l’occasion de l’écrire antérieurement, mais cette affirmation me semble vraiment
importante à « marteler » dans certains contextes.
55 Lhote et Abou Haidar, rapport d’activité non publié.
51
- registre de voix,
- type de voix (nasillarde, « de fumeur », …)
- allongement des syllabes finales,
- expressivité (maniement de l’ironie notamment),
- réalisation spécifique de certains sons dans certaines positions du flux de parole : /R/,
/a/ /ɑ̃/… qui pouvait constituer un élément plus difficile à contrôler.
L’analyse auditive comparative des voix à apparier a été effectuée avec les questions suivantes
en filigrane :
- La voix X est-elle proche de la voix Y ? X peut-il/elle être/ne pas être Y ?
- Même s’il/si elle déformait sa voix, X pouvait-il/elle être proche de Y ?
- Si X ne criait pas au téléphone, pouvait-il/elle être proche de Y ?
- Si X ne peut pas être Y, quels sont les éléments d’ordre acoustique qui iraient dans ce
sens ?
- Si X peut être Y, quels sont les éléments d’ordre acoustique qui iraient dans ce sens ?
- Peut-on affirmer que X est Y ? N’est pas Y ? Pourrait être Y ?Avec quelle marge
d’erreur ?
Cette étape a permis de caractériser sur le plan phonique chacune des voix de question et de
comparaison, sur la base de ce qui nous considérions être un « comportement phonatoire
individuel » qui était la somme d’un faisceau d’indices auditifs préalables à l’analyse
expérimentale.
De notre point de vue en tant que phonéticiennes, il s’agissait, non pas d’identifier des locuteurs,
mais d’être en mesure de décrire et de caractériser des voix en visant ce qui pouvait
correspondre à des profils phonatoires, et non pas des empreintes vocales, tout en tenant compte
en particulier de la temporalité de l’acte de phonation. Dans les voix modifiées par des facteurs
externes (bruits divers, filtrage), et donc dans lesquelles le signal pouvait être fortement altéré,
il nous semblait qu’une approche « macro » tenant compte de la dynamique globale de F0 et
des formants pouvait être plus éclairante qu’une approche « micro » ciblant les indices
acoustiques des sons de la parole à un instant T. En outre, nous partions du postulat que dans
les voix modifiées par des facteurs internes (transformées par le locuteur lui-même), certains
segments étaient beaucoup plus difficilement contrôlables compte tenu (1) soit de la forte
charge identitaire et/ou culturelle, (2) soit de facteurs morphosyntaxiques distributionnels (les
« petits mots » par exemple), (3) ou enfin de mécanismes physiologiques plus résistants au
contrôle individuel du locuteur, et semblaient caractériser fortement certains locuteurs d’après
52
l’analyse auditive préliminaire que nous avions effectuée. Parmi les faits strictement
phonétiques, nous avions noté que les réalisations des phonèmes /R/ et /a/ semblaient présenter
une résistivité importante chez certains locuteurs dans les pièces de question ou de comparaison,
qui nous amenait à émettre des hypothèses d’appariement basées sur la seule perception
auditive, mais qu’il était impossible par la suite de vérifier sur le plan expérimental d’une
manière incontestable. Nous avions également l’intuition que les voyelles nasales pouvaient
constituer une piste intéressante d’analyse compte tenu de l’impossibilité de contrôler le flux
nasal mais nous n’avions pas suffisamment de réalisations dans le corpus pour être en mesure
d’envisager une analyse fiable.
L’analyse auditive a permis de focaliser sur :
- La dynamique de la fréquence fondamentale sur les énoncés interrogatifs et affirmatifs,
- Les trajectoires formantiques.
La dynamique de F0 a permis d’affiner l’analyse auditive à travers une mesure systématique de
la valeur tonale des écarts entre maximales et minimales (Figure 7). Celle-ci a permis de mettre
en lumière le maniement de plusieurs registres à valeur de F0 égale, et de dégager ce qui
semblait constituer des comportements vocaux spécifiques.
FIGURE 7 – Dynamique de F0, trajectoires et pentes formantiques (Abou Haidar & Lhote, 1991)
L’analyse des trajectoires et des pentes formantiques C-V, V-C et/ou C-V-C s’est faite de
manière à lister des types spécifiques d’indices (p.ex. pente formantique : forme / convexe ou
concave ; raideur, …) dont on pouvait supposer qu’ils étaient moins facilement contrôlables par
53
les locuteurs ; une analyse systématique de la reproductibilité de ces transitions dynamiques a
été faite sur tout le corpus ; une confrontation avec l’approche auditive a permis de nuancer ou
d’affiner certains résultats.
FIGURE 8 – Représentation schématique des trajectoires formantiques (Lhote & Abou Haidar, 1990)
Quelques analyses tenant compte du « spectre moyen à long terme » (SMLT) (Harmegnies,
1992) ont été effectuées sur certains échantillons de parole, mais les résultats n’ont guère été
probants, sans doute compte tenu du volume insuffisant de données sonores.
L’approche globale adoptée, et qui est présentée dans les publications dont je viens de faire état,
a permis de mettre en lumière un indice de « proxémie vocale », que nous avons distingué de
celui de « proximité » vocale :
54
procédés vocaux utilisés par un individu pour se situer dans l’espace et le
temps en vue d’une différenciation perceptive.
Les chercheurs du laboratoire de micro-analyse des surfaces souhaitaient quant à eux appliquer
au signal de parole une approche mathématique spécifique, l’analyse fractale, décrite par le
mathématicien Benoît Mandelbrot (1975). L’analyse fractale a été popularisée auprès du grand
public grâce aux représentations artistiques spectaculaires qu’elle permettait de générer. Elle
avait démontré son efficacité sur l’approche balistique à laquelle les équipes de l’ENSMM et
de la société Micro-surfaces avaient l’habitude de recourir, et qu’elles avaient d’ailleurs utilisée
avec succès dans les expertises juridiques qu’elles menaient à l’époque. L’irrégularité propre
au signal vocal et les « turbulences » caractéristiques de certains segments, les consonnes
fricatives sourdes par exemples, paraissaient à nos collègues à même d’être utilement
caractérisées par cette approche. J’étais à l’époque intéressée par ces approches mathématiques
dont je percevais l’intérêt potentiel, et je venais de découvrir les travaux de René Thom et sa
« théorie des catastrophes » (Thom, 1980), ainsi que l’ouvrage de James Gleick sur la « théorie
du chaos » en 1989. L’idée de retrouver des invariants à travers des « turbulences » ou des
formes acoustiques en apparence aussi irrégulières que le bruit des fricatives me semblait une
piste intéressante à creuser, convaincue par les propos de Mandelbrot (1975) :
Bien que leur étude appartienne à des sciences différentes... les objets
naturels en question ont en commun d'être de forme extrêmement irrégulière
ou interrompue. Pour les étudier, j'ai conçu, mis au point et largement utilisé
une nouvelle géométrie de la nature.
(Mandelbrot, 1975 : 5)
Nos collègues de l’ENSMM ont appliqué à des échantillons de voix d’adulte et d’enfant, une
analyse fractale, illustrée dans un article paru en 1990 dans la Revue de physique appliquée et
55
rédigé par C. Tricot, D. Wehbi et C. Roques-Carmes. La figure 9 va dans le sens d’une
discrimination de la dimension fractale d’une voix d’adulte et d’une voix d’enfant.
FIGURE 9 – Dimension fractale de voix d’adulte et d’enfant (Tricot, Wehbi, & Roques-Carmes,
1990)
Or, contrairement aux attentes, force est de constater que les résultats de l’analyse fractale et
ceux de l’analyse expérimentale acoustique que nous menions en parallèle n’étaient pas
concordants, et aucune publication scientifique commune n’a pu être effectuée.
56
2.2.2. L’IDENTIFICATION DU LOCUTEUR ET L’EXPERTISE JURIDIQUE
Plus on avançait dans ce projet, plus l’antagonisme entre les membres de l’équipe se renforçait.
La pression s’est retrouvée à son comble lorsque, dans le cadre de l’une des nombreuses
réunions à mi-parcours avec les commanditaires, nous nous sommes rendus compte que nos
« faisceaux d’indices concordants », croisant les résultats de l’analyse auditive préliminaire et
de l’analyse acoustique des trajectoires formantiques et de F0, avaient permis d’apparier deux
voix totalement improbables parmi les voix de question et de comparaison, et que cet
appariement n’aurait pas pu se faire sur la seule base de l’analyse acoustique ; seule
l’exploration auditive avait été déterminante, sur des éléments extrêmement robustes sur le plan
perceptif.
Ce résultat a été différemment interprété par les membres des deux équipes.
- Avec Lhote nous étions convaincues que nous avions réussi à caractériser des voix dans
le cadre d’une approche qui était loin d’être totalement reproductible et formalisable,
car beaucoup s’est joué lors de la phase d’analyse auditive, minutieuse, relativement
subjective, fruit d’échanges nourris sur les différentes hypothèses ayant émergé à travers
la confrontation d’observations perceptives émanant de deux auditrices différentes.
- Pour nos partenaires, ce résultat a été interprété comme ouvrant la voie à une
identification vocale qui pourrait être consolidée par des méthodes d’analyse du signal
de type fractal (ou autre) et ouvrant la voie à une caractérisation d’empreintes vocales.
Je reste convaincue qu’à l’époque un malentendu fondamental a émergé :
- entre une approche phonéticienne convaincue de la nécessité d’aller plus loin dans
l’analyse expérimentale et perceptive :
57
L’appel à projets du Ministère de l’Intérieur avait suscité un débat particulièrement important
au sein de la communauté scientifique française ; une première motion avait été adoptée dès
1990 par le Bureau du Groupe Communication Parlée de la SFA (société française
d’acoustique), insistant sur l’impossibilité de procéder à des expertises vocales :
Dans l’état actuel des connaissances, il n’est pas possible d’établir un modèle
absolu et robuste du locuteur qui le caractériserait d’une manière univoque
et peu contestable par rapport à tous les autres locuteurs, quelles que soient
les conditions dans lesquelles il a communiqué.
2.2.3. EPILOGUE
Le projet bisontin a été lauréat de l’appel à projet du Ministère. Pour ma part j’ai préféré mettre
un terme à mon implication, pour des raisons d’ordre éthique56, que ce soit en lien avec la
responsabilité sociale des chercheurs quant à leurs engagements scientifiques, ou plus
globalement sur les relations entre l’éthique et la science. Même si les avancées de la recherche
56Cette prise de distance scientifique a été de fait également géographique : j’ai profité de la première
opportunité d’emploi qui m’était offerte pour partir en poste à l’université de Phnom Penh au Cambodge.
58
sont susceptibles d’avoir des applications concrètes dans tous les domaines y compris la
criminologie, et fort heureusement d’ailleurs, je ne me voyais pas m’engager dans une voie qui
exigerait de ma part de me prononcer sur la culpabilité d’une personne, compte tenu de la
fragilité des connaissances et des procédés d’analyse et de prise de décisions dont nous
disposions alors57.
La collaboration entre l’équipe de la société Micro-surfaces et le Ministère s’est donc
poursuivie sans le laboratoire de phonétique. Quelles qu’aient été mes réserves à l’époque, je
dois admettre que cette collaboration a sans doute marqué un vrai tournant dans la
reconnaissance juridique de « l’expertise vocale » en France, même si elle a suscité des débats
houleux voire des polémiques dans certains dossiers particulièrement sensibles58 : elle a
débouché sur le recrutement de D. Wehbi59 au sein du laboratoire de la police technique et
scientifique d’Ecully, où elle a mené une carrière dense. D. Wehbi a en effet été amenée à
travailler sur des dizaines de dossiers et s’est affirmée comme une experte dans le cadre de
nombreuses affaires criminelles. Et pour ce qui est de la voix, la position qu’elle a toujours
défendue divergeait très clairement de celle de la « communauté Parole », comme l’indiquent
ses propos dans un article du Journal du dimanche paru en 2005 sur le dossier AZF :
La voix est une trace comme une autre60 (…). La justice peut nous saisir pour
identifier ce que dit cette voix – le message –, mais aussi pour identifier à qui
appartient cette voix. Une voix utilise un ensemble de fréquences, qui
caractérisent le conduit vocal. Nous avons aussi recours à la linguistique
pour déterminer les habitudes langagières, ainsi qu’à la phonétique pour
analyser la façon d’articuler, les accents ou traces d’accent, les défauts
d’élocution éventuels...
57 Malgré les progrès scientifiques évidents dans l’analyse de la parole et de la voix, la notion même
d’ « empreintes vocales » reste hors d’atteinte.
58 Et qui avaient un large écho dans la presse, cela a été le cas dans l’affaire Gregory Villemin (Boë, 2000).
59 Décédée en 2013, et à qui je souhaite rendre hommage, malgré nos divergences scientifiques majeures.
60 Souligné par moi-même.
61 Source : https://www.lejdd.fr/Societe/Faits-divers/La-voix-d-AZF-est-elle-impenetrable-648699
[consulté le 24/09/2018].
59
2.3. RECHERCHES EN PHONETIQUE CLINIQUE
Après quelques années d’enseignement de la linguistique et du FLE à l’étranger, je suis recrutée
en 1997 comme MCF à l’université François Rabelais de Tours, avec un rattachement à la Jeune
Equipe Langage & Handicap dirigée à l’époque par Laurie Tuller. Je retrouvais dans cette
équipe une configuration très proche de celle que dirigeait Elisabeth Lhote à Besançon : en
effet, s’y côtoyaient des linguistes, des orthophonistes, des psychologues et des médecins. Tous
s’intéressaient au langage affecté par des handicaps tels que la trisomie, l’autisme, la dysphasie,
la surdité congénitale ou acquise… Plusieurs angles d’entrée dans le langage étaient sollicités :
morpho-syntaxe, sémantique, pragmatique, phonologie, phonétique… Cette affectation m’a
permis de remettre sur les rails des thématiques de recherche que j’avais provisoirement
délaissées.
Le premier projet collectif de grande ampleur dans lequel j’ai été engagée à Tours est issu d’une
proposition de collaboration de la part du Dr Marie-Josée Ployet, ORL au CHU pour enfants
Clocheville de Tours, dans le cadre du diagnostic de la surdité chez de jeunes enfants (moins
de 6 ans, donc non encore scolarisés dans le primaire). M.-J. Ployet participait aux séminaires
de l’équipe Langage & Handicap, nous faisions toutes les deux partie de l’équipe pédagogique
intervenant dans le cadre des études d’orthophonie de la faculté de médecine de Tours, et nous
avions la même conception d’une recherche appliquée à visée diagnostique.
L’équipe du CHU de Clocheville faisait le constat du manque d’outils de diagnostic de la surdité
chez l’enfant pré-scolarisé, et souhaitait explorer la faisabilité d’un outil de diagnostic simple,
gratuit, facile d’accès, accessible éventuellement aussi bien aux audioprothésistes et aux
médecins pédiatres et généralistes qu’aux médecins qui pratiquaient les consultations
maternelles et infantiles dans les structures territoriales de santé, et dans les écoles maternelles.
Dans l’idéal cet outil, s’il existait, serait destiné aux enfants préscolarisés :
Les pédiatres, les médecins généralistes, voire les ORL « oublient » leur rôle
de dépistage des surdités chez le grand enfant. Ils pensent probablement que
puisqu’un langage, même de mauvaise qualité, a pu se développer c’est que
tout va bien. C’est sans compter sans les surdités congénitales moyennes
(voire sévères) qui sont actuellement diagnostiquées dans notre région
seulement vers six ans, et sans les surdités secondaires survenues après
60
l’apparition du langage (qui ne progresse plus). (…) Or, c’est du diagnostic
précoce que dépend la qualité du développement ultérieur. Le dépistage
systématique est nécessaire puisque la moitié des surdités de l’enfant survient
avant qu’on ait pu identifier de facteurs de risque.
61
- le lexique devait appartenir au vocabulaire courant des enfants d’environ 4 ans ;
- les mots retenus devaient être obligatoirement et facilement illustrés ;
- les listes devaient être fréquentiellement équilibrées ou représentatives d’un champ
fréquentiel spécifique.
J’ai commencé par élaborer 9 listes de mots qui respectaient les conditions présentées ci-dessus.
Les imagiers du Père Castor62 ont constitué une référence précieuse et incontournable. Des tris
réguliers avaient lieu parmi les membres de l’équipe, tous praticiens expérimentés de la petite
enfance. Les illustrations et images ont occupé une partie non négligeable des réunions : il
fallait des images immédiatement accessibles, les plus neutres possibles par rapport aux
catégories socio-culturelles des familles, non discriminantes…. Pour la composition acoustique
des listes, je me suis basée exclusivement sur la classification fréquentielle des sons du français
obtenue par Lefèvre en 1982. Quatre champs ont ainsi été délimités : 500Hz, 1000Hz, 2000Hz,
4000Hz. Les 4 premières listes « de balayage » sont fréquentiellement équilibrées et sont
constituées de mots appartenant aux 4 champs mentionnés ci-dessus. Trois autres listes sont
constituées de mots appartenant à un champ fréquentiel un peu plus restreint. Dans la huitième
liste, « multifréquentielle », chaque mot est constitué de sons appartenant aux 4 champs
fréquentiels, et la dernière est constituée de paires minimales ou « sosies » dans le jargon
médical.
Les listes ont été testées dans un premier temps à l’hôpital Clocheville, d’une manière
systématique par tous les soignants qui accueillaient des enfants de moins de 6 ans dont il fallait
tester l’audition, puis dans des consultations PMI de la Région Centre. Plusieurs centaines
d’enfants ont été concernés par ces tests sur plusieurs années. Progressivement, nous avons mis
en place en parallèle à cette audiométrie vocale à base d’images, des tests systématiques
d’audiométrie tonale pour pouvoir affiner les résultats. Le test a été nommé « Audio 4 » en
référence à ERTL 4, test de dépistage global des troubles du langage de l’enfant de 4 ans63. Il a
fait l’objet d’une publication dans les Archives de pédiatrie, il est répertorié dans le Guide
pratique de la Société Française de Pédiatrie64, publié avec le soutien de la Direction Générale
de la Santé, pour l’audiométrie vocale de dépistage de l’enfant de plus de 4 ans, et dans la Revue
62 Publication phare auprès de la petite et de la grande enfance, chez l’éditeur Flammarion : le premier
imagier a été publié en 1952.
63 Alla, F., Guillemin, F., Colombo, M.C., Roy, B., Maeder, C., « Valeur diagnostique de ERTL4 : un test de
repérage des troubles du langage chez l’enfant de 4 ans », Archives de pédiatrie, 1998, 5, 1082-81
64 Voir http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Depistage_des_troubles_de_l_audition_chez_l_enfant.pdf
[consulté le 24/09/2018].
62
du praticien65 parmi les « nouveautés » relatives à l’audition de l’enfant de 3 à 12 ans. Dans un
souci de diffusion qui serait la plus large possible parmi les praticiens66, nous avons très
malencontreusement omis de déposer un quelconque brevet sur ce test, n’ayant aucune
conscience sans doute à l’époque ni de son impact ni de sa fiabilité ou de sa pérennité en tant
qu’outil de diagnostic67.
Parallèlement au diagnostic des surdités congénitales chez l’enfant, j’ai été associée à une
réflexion sur la détection de la surdité acquise chez l’adulte, dans le cadre de la recherche de
fin d’étude d’orthophonie de Sabine de Beaucorps et Claire Prouteau (2000) que j’ai évoqué au
début de ce travail, en collaboration avec Claire Delore, orthophoniste et membre de la JE
Langage & Handicap. Dans le cadre de ce projet, la problématique était très différente :
comment repérer et identifier des éléments d’interactions « atypiques », chez des adultes
atteints d’un handicap sensoriel dont la compétence interactionnelle s’amoindrit mais qui
arrivent malgré tout à maintenir un bon niveau d’interaction grâce à des mécanismes
profondément ancrés ? Et comment peut-on aider les soignants (en l’occurrence les
orthophonistes ou les médecins ORL) à détecter une éventuelle baisse de l’audition en vue
d’accompagner les adultes vers une meilleure acceptation et une prise en charge adaptée de leur
handicap ?
La compréhension des mécanismes de contrôle de la production orale et de la perception en
interaction est essentielle pour une bonne appréciation des compétences linguistiques et
pragmatiques du locuteur. Chez un individu atteint d’une pathologie acquise affectant
l’interaction, les distorsions peuvent se manifester à des niveaux très différents, or il y avait très
peu de recherches à l’époque sur ces questions, les orthophonistes étaient particulièrement
démunies, et j’étais convaincue que les travaux développés aussi bien par l’équipe lyonnaise de
Kerbrat-Orecchioni sur les règles d’organisation des interactions verbales ordinaires, que par
l’équipe aixoise de Blanche-Benveniste sur le français parlé, pouvaient ouvrir la voie à
l’élaboration d’outils très précieux pour le diagnostic et l’accompagnement des patients.
65 S. Roman, M. Elzière,R. Nicollas, J.-M. Triglia, « L’audition de l’enfant de 3 à 12 ans ». La revue du praticien,
Avril 2011, Volume 61, p. 494,
66 Et pour des raisons qu’il m’est difficile de rationnaliser au moment où j’écris ces lignes.
67 D’autres se sont révélés plus intéressés par la dimension financière, et nettement plus stratèges : c’est
ainsi que ce test est commercialisé par une société privée, qui en tire des bénéfices certains depuis des
décennies : http://www.com-medic.com/PrestaShop/index.php?id_category=25&controller=category
[consulté le 27/09/2018].
63
L’analyse d’interactions verbales et non verbales filmées entre adultes entendants et adultes
devenus sourds, ainsi qu’avec des soignants, a permis le repérage de stratégies communes
auxquelles ces adultes avaient recours pour pallier la déficience auditive acquise68. Ainsi, il a
été possible de concevoir une « grille d’observation du comportement en interaction pour les
adultes devenus sourds ou malentendants »69, mise à disposition des soignants pour un meilleur
diagnostic permettant une prise en charge appropriée du handicap acquis, et évitant ainsi un
décrochage social susceptible d’installer une spirale d’isolement.
64
2.3.3. LA TRANSCRIPTION DES DONNEES ORALES ATYPIQUES
A travers ces différents projets de recherche, j’ai été confrontée très vite à un problème qui
dépassait largement les considérations méthodologiques usuelles : celui de la transcription des
données langagières « atypiques ». Une précision s’impose à ce stade concernant l’usage du
terme « atypique », que j’utilise pour ma part pour renvoyer à des productions orales qui font
que les repères perceptifs habituels qui fonctionnent dans la parole ordinaire (non affectée par
un développement pathologique), et qui permettent de reconstituer le message ou de compenser
une lacune particulière, ne sont plus opérationnels. Par exemple la réalisation [pwakɑ̃] observée
dans l’échantillon décrit dans Ménager et Abou Haidar (2002), qui renvoie sans doute, compte
tenu du contexte, au terme « croissant », ou la réalisation [kekyky], inidentifiable car rien dans
le contexte n’avait permis de retrouver ce que voulait dire cet enfant affecté par un retard de la
parole et du langage70.
Pour en revenir donc à la transcription, nous étions encore avant la « révolution numérique » et
nous ne bénéficiions donc pas de l’aide inestimable qu’ont apportée tous les logiciels en usage
ordinaire de nos jours. C’est avec une orthophoniste doctorante de l’équipe, Laëtitia Ménager,
que nous avons entamé cette réflexion au sein du laboratoire, dont quelques éléments ont été
l’objet d’une première publication dans la revue spécialisée Glossa (Ménager & Abou Haidar,
2002). La confrontation à la parole en situation de handicap fait émerger des questions d’autant
plus importantes que :
70L’impossibilité d’attribuer une identité phonologique aux unités sonores peut aussi se trouver dans le
cas de productions en FLE.
65
était atteint d’un handicap affectant le langage. La présentation de cette thématique au sein de
l’équipe a permis de faire émerger des questions de pratique clinique et de recherche communes
à l’ensemble des membres : c’est ainsi que cela a débouché à l’organisation d’un colloque
international sur la Transcription de la parole normale et pathologique à Tours en 2001,
colloque dont les actes ont été publiés dans la revue PArole (Abou Haidar, 2002). Je reviendrai
sur les problématiques spécifiques à la transcription dans le chapitre 3, mais je souhaite
m’attarder sur l’intitulé du colloque, que je trouve bien entendu rétrospectivement, et en
particulier depuis le positionnement qui est le mien aujourd’hui en tant que membre du
laboratoire LIDILEM, un peu maladroit par l’utilisation qui était faite du terme « normal ».
Dans le cadre de ce qui est devenu par la suite le domaine de la « phonétique clinique », le
recours à l’expression « parole normale et pathologique » est d’un usage relativement courant.
La « normalité » est considérée comme étant l’absence d’un handicap sensoriel ou moteur
affectant la parole et le langage. On retrouve cette expression dans des publications aussi
diverses qu’un article de Suzanne Borel-Maisonny de 193671 sur les troubles de la parole, dans
des grilles d’observation de la parole et du langage de l’enfant comme par exemple le
« questionnaire langage et comportement » inspiré des travaux de Claude Chevrie-Muller72,
dans le titre de l’ouvrage de référence de Claude Chevrie-Muller et Juan Narbona sur « Le
langage de l’enfant – aspects normaux et pathologiques » (2007), dans un article de Serge Pinto
et Alain Ghio73 paru en 2008 dans la Revue française de linguistique appliquée, ou encore dans
l’intitulé du mémoire d’HDR en phonétique clinique de Lise Crevier-Buchman74 (2012), pour
ne citer que ces quelques éléments de référence dans le domaine de la phonétique clinique.
Alors bien sûr, avec l’orientation scientifique que j’ai prise par la suite, et particulièrement mon
ouverture à la didactique et à la sociolinguistique, il est certain que mes références ont évolué
et que la terminologie à laquelle j’aurais recours actuellement serait sensiblement différente, en
tout cas moins « normativement marquée ».
71 Langage normal et pathologique – Troubles de la parole, Paris médical : la semaine du clinicien, 1936, n°
101, partie médicale.
72 Consultable sur le site de l’ANAE, ou https://denc.gouv.nc/sites/default/files/atoms/files/chevrie-
compréhension de la parole normale. Revue française de linguistique appliquée, 2008/2, Vol XIII, pp. 45-57.
74 Phonétique clinique. Contribution à la compréhension de la parole et de la voix normale et pathologique.
66
2.4. LA PHONETIQUE DANS UNE PERSPECTIVE DIDACTIQUE
Mon entrée75 dans le domaine de la didactique du FLE m’a permis de développer deux
orientations qui me paraissent rétrospectivement complémentaires car elles permettent
d’apporter des éléments de réponse de différente nature sur la question de l’enseignement et de
l’appropriation de la matière phonique d’une langue étrangère, qui sont des questions centrales
dans une perspective didactique : comment enseigner et apprendre les compétences de
production, de perception et d’interaction orales d’une langue étrangère ? Quels sont les
principes théoriques et méthodologiques sous-jacents à ce dispositif d’enseignement et
d’apprentissage, quels processus cognitifs, émotionnels et culturels sont-ils en œuvre ? Quels
en sont les enjeux et les défis ? Et en fin de compte, quelle langue enseigner ? Ce sont quelques-
unes des questions auxquelles je suis confrontée depuis quelques années et qui me permettent
de faire des va-et-vient dans le champ des sciences du langage, de la linguistique à la didactique,
et de la pratique de terrain (formation initiale et continue) à la recherche.
Je retiendrai plus précisément pour ce mémoire de synthèse deux orientations principales que
je développe depuis quelques années76 :
- les erreurs des apprenants et les processus qui les sous-tendent, en vue de la
mise en place de procédures de remédiation ciblées (projet IPFC-Arabe) ;
- plus globalement, les enjeux liés à l’enseignement et à l’apprentissage de l’oral
en FLE, ainsi que les représentations qui s’y rattachent chez les usagers.
2.4.1. ANALYSE DES ERREURS DANS UNE PERSPECTIVE DIDACTIQUE : LE PROJET IPFC-
ARABE
J’ai abordé le domaine de la didactique du FLE en tant que linguiste phonéticienne fortement
imprégnée à la base par l’analyse contrastive et comparative, et c’est tout naturellement que je
vais dans un premier temps m’engager dans un versant qui privilégie la description phonétique
de la production orale des apprenants de FLE, plutôt que la prise en compte des dispositifs
d’enseignement et d’apprentissage de la LE. Mon choix de « population cible » d’apprenants
se dirige tout aussi naturellement vers les apprenants arabophones :
75 Pour des raisons familiales, j’ai été amenée à quitter Tours pour la région Rhône-Alpes, ce qui est à
l’origine de cette deuxième rupture dans mon parcours. J’ai été recrutée en 2002 à la mutation à l’université
Jean Monnet de Saint-Etienne ce qui a entraîné une réorientation de mon activité scientifique.
76 J’écarte donc volontairement les publications que j’ai pu effectuer en didactique du français sur objectif
spécifique.
67
- la connaissance que j’ai de la structure phonétique, acoustique et phonologique
de la langue arabe, me permet de mieux appréhender, dans une approche
linguistique contrastive et comparative, les erreurs de transfert depuis la langue
source vers la langue cible ;
- je souhaitais reprendre la thématique de l’exploration de la variabilité des
origines géodialectales des locuteurs arabophones s’exprimant en LE ; je pose
donc l’hypothèse que de la même manière qu’on peut identifier l’origine
linguistique d’un locuteur s’exprimant en LE, on devrait pouvoir identifier plus
finement l’origine géodialectale des locuteurs arabophones, à travers des
marques spécifiques susceptibles d’affecter leur production orale dans leur
apprentissage de la langue cible ; cette piste de recherche commence à être
explorée depuis quelques années (Ammar, Fougeron, & Ridouane, 2014 ;
Barkat, 2000 ; Znagui, 1995)…
- Un contexte extra-linguistique est venu par la suite conforter ce choix que
j’avais fait quelques années plus tôt de privilégier cette population arabophone
d’apprenants : la mobilisation que j’ai initiée à partir de 2015 en tant que
directrice du CUEF de Grenoble, en faveur de l’accueil, de la formation
linguistique et de l’accompagnement de publics d’étudiants migrants,
essentiellement arabophones, syriens pour la plupart. Il me semblait important
de focaliser sur cette population dans le but de mieux valoriser les dispositifs
d’enseignement qui pourraient être mis en place spécifiquement pour les
apprenants de FLE arabophones syriens, en tenant compte de leurs difficultés
sur le plan phonétique.
Ayant le souhait de m’intégrer dans un projet collectif qui permette de bénéficier d’un contexte
scientifiquement stimulant, et d’échanges bénéfiques pour l’avancée de la recherche, je me suis
orientée vers le projet IPFC (Detey & Racine, 2010 ; Detey et al., 2016 ; Racine et al., 2012)
qui correspondait parfaitement à mes centres d’intérêt à travers ses fondements théoriques que
son cadre méthodologique, et dont la présentation qui en est faite par ses coordonnateurs est
formulée en ces termes :
68
qui peuvent faire usage du français dans diverses situations et appartiennent
de ce fait au monde francophone.
(Source : http://cblle.tufs.ac.jp/ipfc/77)
C’est ainsi que j’ai constitué une équipe autour d’IPFC-Arabe, en y associant Mohamed
Embarki, PU à l’université de Franche-Comté, Randa Naboulsi, PU à l’université Libanaise de
Beyrouth, et Chakir Zeroual, PU à l’université de Taza au Maroc.
Les finalités de ce projet sont multiples et relativement ambitieuses, mais nous aspirions à
fédérer de nombreuses énergies et compétences au fil du temps :
77 Consulté le 25/09/2018.
69
2) Analyse de la distance inter-dialectale en français parlé chez des
apprenants arabophones de FLE : élaboration d’une typologie d’indices
acoustiques et phonologiques en fonction de l’origine dialectale.
3) Quels sont les procédés de remédiation phonétique les plus appropriés en
fonction de la typologie des erreurs phonologiques observées chez les
apprenants arabophones et de leur âge ?
5) Proposer des techniques de remédiation aux erreurs d’orthographies
(extra-graphiques) qui sont induites par les erreurs phonologiques.
(Source : http://cblle.tufs.ac.jp/ipfc/index.php?id=8278)
Compte tenu du statut historique de la langue française (Abécassis, 2000 ; Abou, 1962 ; Azouzi,
2008 ; Benamour, 2009 ; Vermeren, 2002…) comme langue d’enseignement et d’usage dans le
monde arabophone, une très grande diversité de terrains d’enquête s’ouvrait au projet pour la
collecte des données conformément au protocole multi-tâche d’IPFC. Nous nous sommes basés
sur les 5 zones géodialectales identifiées par Versteegh (Versteegh, 1997) et reprises par Salam
(2012) tel que représenté dans la figure 10 ci-dessous79, mais dans lesquelles bien entendu la
variation peut être maximale comme je l’évoquerai par la suite.
78Consulté le 25/09/2018.
79Je ferai référence dans ce qui suit à deux communications qui ne figurent pas dans la liste des documents
puisqu’il s’agit de projections powerpoint, qui ont été présentées dans le cadre des Journées IPFC sur le
projet IPFC-Arabe, et dont les fichiers pdf sont accessibles en ligne sur le site des journées IPFC-Paris 2013
http://cblle.tufs.ac.jp/ipfc/assets/files/IPFC2013-
Paris/IPFC2013_AbouHaidar_Zeroual_Embarki_Naboulsi.pdf
et IPFC-Paris 2016 http://cblle.tufs.ac.jp/ipfc/assets/files/IPFC2016-Paris/AbouHaidar_IPFC2016.pdf
[consulté le 24/09/2018].
70
c’est une langue officielle (Somalie ou Erythrée). Je propose donc de la croiser à l’avenir avec
la représentation suivante de l’arabe comme langue officielle (Owens, 2013) :
FIGURE 11 – Pays dans lesquels l’arabe est langue officielle (Owens, 2013 : 19)
Une connaissance préalable satisfaisante des erreurs prévisionnelles des apprenants est
déterminante dans le protocole IPFC, puisque la liste spécifique IPFC-Langue étrangère cible
doit être constituée en fonction des difficultés des apprenants. Nous avons donc été confrontés
dès ce stade précoce du projet à une première difficulté : l’absence de descriptions suffisamment
variées et systématiques des erreurs des apprenants arabophones de FLE qui soient susceptibles
de rendre compte d’une manière satisfaisante de la complexité et de la variabilité du répertoire
langagier antérieur de ces locuteurs. Nous avons cependant croisé aussi bien nos propres
travaux sur les locuteurs arabophones que les recherches, de plus en plus nombreuses, existantes
dans la littérature (Al Maqtari, 2002 ; Al-Tamimi, 2007 ; Allatif, 2008 ; Almbark & Hellmuth,
2015 ; Ammar, Fougeron, & Ridouane, 2014 ; Amrani, 1997 ; Deyaa Eldin, 1999 ; Rjaibi,
1993…), en tenant compte par ailleurs (1) des observations issues de notre pratique
d’enseignants de français auprès de publics d’apprenants arabophones dans plusieurs zones
géodialectales, ainsi que (2) des usages vernaculaires auxquels nous avons pu être confrontés
71
et dont nous avons été témoins dans notre propre pratique langagière en tant que locuteurs
francophones non natifs arrivés à une maîtrise suffisamment élaborée du français.
Les principales erreurs que nous avons listées à ce stade relèvent aussi bien du niveau
segmental que suprasegmental :
TABLEAU 1 – Principales erreurs répertoriées dans le projet IPFC-Arabe (Abou Haidar et al., 2017)80
Pour ma part, j’ai choisi de focaliser sur la zone géodialectale du Levant comme terrain
d’enquête, avec des apprenants palestiniens (données collectées à Hébron) et syriens (données
collectées à Grenoble), l’idée étant de pouvoir – à terme – caractériser progressivement les
zones géodialectales en fonction des marques présentes dans la production des apprenants.
Les premiers résultats issus de l’analyse de mes propres données de locuteurs levantins
confirment la complexité des mécanismes à l’œuvre dans l’appropriation de la langue française.
Ayant une prédilection pour l’analyse du système vocalique, j’ai commencé par cibler la
réalisation des voyelles orales et nasales du français chez des locuteurs et locutrices
palestinien.ne.s et syrien.ne.s. On observe comme prévu un bouleversement important (Abou
Haidar, 2017a) y compris sur les réalisations de phonèmes existants dans le répertoire langagier
antérieur des apprenants, comme le /u/ qui subit des altérations importantes sans doute
révélatrices des réajustements nécessaires au nouvel équilibre acoustique, articulatoire et
phonologique caractéristique de la langue cible. Ce n’est pas le cas de tous les phonèmes du
répertoire antérieur, le /a/ faisant preuve d’une stabilité qui peut s’expliquer par une pression
moindre compte tenu de la marge spectrale et articulatoire, et par conséquent, de seuils de
variabilité plus acceptables.
72
FIGURE 12 – Résultats d’une analyse exploratoire sur les processus de distorsion des voyelles orales
du français dans le corpus IPFC-Arabe (Abou Haidar, 2017)81
73
redéfinition phonologique et acoustique d’équilibres appartenant au répertoire langagier
antérieur, et qui devaient être réajustés dans le cadre de l’appropriation de la langue cible.
Le corpus IPFC n’était pas conçu à la base pour l’analyse de l’opposition de voisement, le
protocole expérimental mis en place vise d’autres phénomènes prioritaires tels que les liaisons
et enchaînements, le schwa, l’existence de voyelles épenthétiques, etc… Mais le nombre
d’occurrences contenant les phonèmes /p b t d/82 dans suffisamment de contextes et de positions
syllabiques m’a permis de mener une analyse focalisant sur l’opposition de voisement en FLE
chez 4 apprenantes syriennes, à partir des listes IPFC et IPFC-Arabe, et de dégager des résultats
préliminaires tout à fait intéressants qui ont fait l’objet d’une communication aux JEP 2018
(Abou Haidar, 2018) : Ces résultats montrent que le système consonantique dans son ensemble
est déstabilisé, au-delà de l’opposition /p/-/b/, à travers une variabilité des proportions de
voisement et du voice-ratio (Hallé & Adda-Decker, 2007) dont il serait utile de dégager
ultérieurement les facteurs de variation (distributionnels notamment). La durée de l’occlusion
ne semble pas constituer un indice pertinent stable pour l’opposition de voisement, en revanche
la durée de l’explosion l’est, mais d’une manière inverse à ce qui est rapporté dans la littérature :
la durée de l’explosion des consonnes sourdes est inférieure à celle des consonnes sonores. Ces
résultats doivent être affinés à travers des analyses complémentaires (notamment perceptives)
qui devraient permettre de pondérer le poids des indices acoustiques explorés, et apporter des
éclairages sur leur contribution à l’identification de l’opposition de voisement telle qu’elle est
réalisée par les locutrices syriennes. La question de la surgénéralisation (Cuq & Gruca, 2011)
est sans doute aussi à explorer : il serait intéressant en particulier de pouvoir identifier les
différentes étapes d’appropriation de l’opposition de voisement dans la langue cible, et de voir
à partir de quel moment le système pourrait être considéré comme « stabilisé ».
A ce stade, les outils théoriques sollicités pour l’analyse dans une perspective didactique
devront être clarifiés : à l’aune de quelle théorie phonétique de l’apprentissage interpréter les
résultats obtenus ? J’aurais mené ce projet il y a quelques années, j’aurais sans doute privilégié
la théorie du transfert et des interférences de Weinreich (Weinreich, 1953) pour l’interprétation
des erreurs en tant que (1) résultante d’une opération de transfert depuis la langue source vers
la langue cible et (2) de la manifestation d’un écart par rapport à la cible idéale à atteindre. Mais
les résultats préliminaires qui se dégagent montrent bien qu’on est dans un schéma plus
82 /k/ et /g/ ont été écartées car très insuffisamment représentées dans le corpus.
74
complexe. La théorie du Speech Learning Model (voir pour revue Flege, 2005) malgré son
intérêt me semble répondre d’une manière partielle aux problématiques de l’interlangue compte
tenu du fait que les phonèmes présents dans le répertoire langagier antérieur subissent aussi des
altérations importantes, la facilité de leur apprentissage dans le cadre du système phonologique
de la langue cible ne semble pas si évidente que cela, et d’autrs facteurs semblent entrer en ligne
de compte d’après les altérations observées aussi bien sur les voyelles que les consonnes
communes au français et à l’arabe (syrien et ASM).
Dans une perspective didactique, la question de l’erreur est fondamentale car elle est susceptible
d’apporter un éclairage sur le processus d’appropriation de la langue cible, ce qui devrait
permettre à terme de mieux appréhender des difficultés spécifiques :
Les erreurs de l’apprenant (…) ont une triple signification. D’abord pour
l’enseignant : s’il entreprend une analyse systématique, elles lui indiquent où
en est arrivé l’apprenant par rapport au but visé, et donc ce qui lui reste à
apprendre. Ensuite, elles fournissent au chercheur des indications sur la
façon dont une langue s’apprend ou s’acquiert, sur les stratégies et les
processus utilisés par l’apprenant dans sa découverte progressive de la
langue. Enfin (…) elles sont indispensables à l’apprenant, car on peut
considérer l’erreur comme un procédé utilisé par l’apprenant pour
apprendre.
Et justement, un des moyens pour accéder à ces procédés « utilisé(s) par l’apprenant pour
apprendre » comme l’écrit Corder, c’est d’exploiter les erreurs et plus généralement toutes les
formes « non standard » en vue d’explorer la dynamique de la construction de l’interlangue ou
de la compétence transitoire, pour voir de quelle manière ces formes se positionnent par rapport
aux formes non erronées, et tenter de dégager les relations entretenues entre les éléments de ce
système en cours d’appropriation et de structuration.
75
second-language speaker is attempting to express meaning as opposed to
practising structured exercises in a classroom.
76
e. Entrée par les erreurs liées au transfert : perspective de recherche, projet ANSOLVAR
Le projet IPFC-Arabe est relativement ambitieux comme je l’ai déjà indiqué, mais il se heurte
aux lacunes existantes dans la description phonétique et phonologique du répertoire langagier
antérieur des apprenants arabophones. La remise en cause de la représentation habituelle du
profil « du » ou « de la » locuteur.trice arabophone ne peut se faire sans une connaissance
approfondie de ce qu’est la langue maternelle de ces locuteurs. Les travaux récents qui éclairent
d’un jour nouveau la relation entre la langue arabe standard moderne, les langues vernaculaires
des arabophones, et les langues en contact, amènent les chercheurs à envisager des perspectives
de recherche nouvelles83. IPFC peut constituer une première base de réflexion particulièrement
féconde, dans un nouveau projet que je souhaite mettre en place en vue d’un atlas sonore des
langues vernaculaires arabes.
Projet à venir : ANSOLVAR
Atlas Numérique Sonore des Langues Vernaculaires Arabes
Compte tenu des particularités contextuelles que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer, ce projet me
paraît devoir comporter une orientation dialectologique évidente : les notions que j’ai abordées
pourraient complémentairement être éclairées sous l’angle non seulement de la géolinguistique
en tant que corrélation entre l’espace et les variations phonétiques et phonologiques, mais
également sous l’angle dialectologique en termes de distance et de proximité entre variétés
génétiquement apparentées. Ce projet qui en est encore à ses balbutiements ne pourra être mis
en place qu’après avoir clarifié le cadre théorique de référence, d’une part, dans la continuité
de mes préoccupations actuelles, à savoir une discussion sur le lien entre l’objet « atlas
linguistique » et l’objet « corpus » (Baiwir & Renders, 2013), mais aussi et surtout sur la nature
même de l’approche dialectologique à adopter, à supposer que celle-ci soit pertinente (Léonard,
2012 ; Savoia & Carpitelli, 2008).
Un tel projet sur l’arabe pourrait avoir des extensions plus larges. Je pense par exemple à la
dimension diachronique qui serait utile à prendre en compte, lorsqu’on envisage l’histoire
récente du monde arabophone, avec des mouvements migratoires conséquents qui font que
certaines variétés linguistiques vernaculaires se sont « fossilisées » dans les différentes
diasporas à l’étranger (dans des populations de plus en plus âgées), alors que les langues ont
continué à vivre, à évoluer et à se transformer sur le terrain. Il y a aussi des considérations
83Par ailleurs, les débats récurrents qui agitent les médias et la sphère publique en France, sur le statut et
les représentations liées à « la langue arabe », et qui sont particulièrement violents, m’encouragent à me
réinvestir dans cette direction, partant du principe que la connaissance est le meilleur rempart à l’ignorance.
77
patrimoniales et de préservation d’un patrimoine oral et immatériel en péril dans certaines zones
géographiques.
Ce projet pourrait se baser sur des travaux antérieurs de collection de documents allant dans le
sens d’une approche dialectologique de type Atlas sur l’égyptien, qui ont été initiées au début
du XX° siècle (Behnstedt & Woidich, 2013), et qui ont permis pour certaines d’établir des cartes
dialectologiques sur les isoglosses égyptiens à partir de 1983 par Behnstedt et Woidich (sans
support sonore). Il existe également des cartes dialectologiques partielles se rapportant à des
zones géographiques présentes au Yémen, en Syrie, au Liban, en Irak, en Palestine, ou en
Algérie. Rares sont les approches se basant sur l’oral : on peut citer les recherches de Taine-
Cheikh (Taine-Cheikh, 1999), par exemple sur le /q/ et les interdentales, considérés comme
« macro-discriminants », ou bien les travaux de Miller (Miller, 2005) sur les isoglosses en
Egypte.
Un projet d’Atlas Numérique SOnore des Langues Vernaculaires ARabes (ANSOLVAR)
pourrait donc fédérer de multiples compétences, et pourrait avoir une portée internationale
appréciable.
78
- ou enfin à travers une approche globale et plurisensorielle de l’apprentissage (Abou Haidar et
Llorca, 2016).
C’est donc dans cette orientation qu’il m’a paru utile de solliciter de nouveau
l’interdisciplinarité, considérant que la didactique du FLE et la linguistique – avec ses
« branches » telles que la phonétique et la sociolinguistique – sont deux disciplines autonomes
mais partiellement articulées, dans le cadre du champ des sciences du langage :
2.5. CONCLUSION
Le panorama que j’ai brossé, par la diversité des éléments constitutifs de mon parcours
scientifique, explique la nature même de mon positionnement de chercheure : je m’inscris dans
une démarche résolument pluridimensionnelle et plurithématique, interdisciplinaire, optant
pour des projets dont la finalité peut être aussi bien fondamentale qu’appliquée, tout en
bénéficiant de la richesse qui peut émaner de la pluralité (contrôlée) des cadres de référence. Je
suis cependant consciente des « points de vigilance », conséquence d’une spécialisation sans
doute moins élaborée que dans des situations de plus grande unicité et homogénéité de parcours.
Au-delà de cette diversité et à travers l’exploration inlassable de la matière phonique, que ce
soit sur le versant production ou perception, sur un niveau « micro » d’analyse des indices
acoustiques sur le plan segmental (formants, VOT, V-ratio…), ou plus « macro » d’exploration
de faits prosodiques (durée, dynamique temporelle de F0) ou de phénomènes conversationnels
(gestion des tours de parole et des pauses), dans la parole typique ou atypique, en langue
84 Cours de DU proposé dans le cadre du CNED, Initiation à la didactique du FLE, Université Grenoble
Alpes/CNED.
79
maternelle ou étrangère, j’identifie trois fils conducteurs pérennes qui constituent le socle de
mon parcours scientifique et auxquels le troisième chapitre, « oralité, variabilité, corpus », sera
consacré.
80
CHAPITRE 3
TROIS FILS CONDUCTEURS : ORALITE,
VARIABILITE, CORPUS
La démarche réflexive que j’ai menée jusque-là m’a fait prendre conscience que mon parcours
scientifique n’était pas si « éclaté » que je ne le craignais.
En effet, quel soit le domaine appréhendé, mes recherches sur le langage se sont faites
exclusivement à partir de données orales recueillies dans le cadre de protocoles expérimentaux
spécifiques à chaque projet. La manière dont j’appréhendais ces données, leur nature, leur
fonction, les modalités de collecte et de traitement, les contraintes des protocoles
expérimentaux, sont autant d’aspects qui ont évolué en fonction de mes terrains et objets de
recherche. Cette évolution a aussi affecté la dénomination même des données : j’aurai ainsi à
questionner dans ce qui suit le va-et-vient terminologique entre « données » et « corpus ». Tous
ces éléments m’amènent à me positionner sur l’articulation entre la phonétique, la didactique,
et la linguistique de/sur corpus (Rastier, 2002 ; Teubert, 2009) dans ce qui constitue le premier
fil conducteur de ce mémoire de synthèse : mes travaux se situent-ils dans le cadre de la
linguistique de corpus en tant que nouveau champ dans le cadre des sciences du langage ? Ou
bien suis-je dans la lignée des chercheurs qui procèdent par une « approche sur corpus » (Cori
& David, 2008) sans pour autant que je ne revendique une quelconque appartenance théorique
et méthodologique à la linguistique de corpus ?
Ce sont toutes ces questions que je vais commencer par aborder dans la première partie de ce
chapitre, consacrée au premier fil conducteur que j’ai identifié. J’illustrerai mes propos en me
référant à l’ensemble de mes projets de recherche passés et en cours.
Mais je serai amenée à resserrer progressivement le focus, en me focalisant, à partir de la
deuxième partie de ce chapitre, sur la variabilité dans le domaine de la didactique du FLE, car
c’est là qu’il m’a semblé que mon apport à la recherche pouvait être le plus pertinent. La
manière d’appréhender la variabilité dans une perspective didactique m’amènera tout
naturellement à réinterroger les concepts de parole – oral – oralité, dans ce qui constituera le
dernier fil conducteur.
81
3.1. DES DONNEES AUX CORPUS ORAUX : QUELLES FINALITES POUR
LA RECHERCHE ?
3.1.1. TOUTES LES DONNEES NE CONSTITUENT PAS DES CORPUS
(Sinclair, 1996)
Si ce sont les corpus écrits, collectés et organisés depuis le XVIII° siècle pour la langue anglaise,
qui ont constitué les prémisses de ce qui allait se développer par la suite à travers la
« linguistique de corpus », il a fallu attendre les avancées technologiques du XIX° siècle pour
être en mesure de collecter des données orales dans le cadre de la constitution de corpus de
recherche. On sait à quel point c’est l’invention du phonographe qui aura constitué une
révolution aussi importante pour l’analyse de l’oral que l’invention de l’imprimerie l’a été pour
l’écrit, même si l’usage de supports divers (tablettes d’argile, rouleaux de parchemin, etc…) est
attesté depuis l’antiquité. Comme le signale Fernand Brunot lui-même dans la reproduction
audio de son discours85 d’inauguration des Archives de la parole :
82
car ni l’une ni l’autre ne fixent ni ne transmettent la parole dans son intégrité
absolue.
Si le mot, ou mieux le morphème, est l’unité élémentaire, le texte est pour une
linguistique évoluée l’unité minimale, et le corpus l’ensemble dans lequel
cette unité prend son sens.
(Rastier, 2002)
De plus, jusqu’à très récemment, on a pu observer une certaine hésitation terminologique parmi
les phonéticiens, qui faisait préférer à certains chercheurs l’expression « base de données » à
celle de « corpus » pour ce qui est de l’oral :
83
3.1.2. LES TYPES DE CORPUS APPREHENDES
84
lues) était fabriqué en priorité pour les besoins de l’analyse acoustique formantique et
temporelle des voyelles de l’ASM, avec des contraintes syllabiques et distributionnelles
spécifiques, avec deux tâches (répétition et lecture) imposées dans le protocole expérimental,
la collecte des données se faisant dans une chambre sourde ou « anéchoïque », dont les parois
absorbent les ondes sonores86.
La constitution de ce corpus de parole avait été pour moi l’occasion de voir émerger des
difficultés que je n’avais pas anticipées. Tout d’abord, il y a eu beaucoup de réticences de la
part de certains locuteurs arabophones lors de la tâche de lecture de mots isolés : c’est en effet
une tâche qui peut être perçue comme totalement artificielle et qui a suscité des résistances
importantes. Il faut une bonne dose de conviction pour participer à une expérience aussi étrange
qu’une lecture de liste de mots isolés dans une salle insonorisée, surtout lorsque ladite liste est
partiellement constituée de mots non signifiants. L’expérimentateur doit être conscient de ces
éléments afin de préparer au mieux le terrain pour que le matériau collecté soit analysable. On
sait maintenant que des facteurs tels que la tâche et la nature des données entre autres affectent
la production et par conséquent la structure acoustique des sons de la parole. Les travaux
émanant du projet IPFC rendent régulièrement compte de l’impact de la tâche sur les mesures
acoustiques. La parole de laboratoire est également concernée :
85
fonction des unités lexicales constitutives du corpus ; le mot isolé n’étant pas une unité
minimale dans l’interaction, le fait de le réaliser dans une liste d’unités lexicales isolées était
une incongruité pour beaucoup de sujets retenus pour le protocole expérimental, qui
verbalisaient leur malaise. En outre, pour les structures syllabiques de type CVC, j’avais
constitué un corpus d’unités arabes qui ne correspondait pas à la norme de production des
substantifs isolés ou de la variété verbale générique isolée ; j’avais donc imposé la lecture
d’unités lexicales isolées mais avec des morphèmes caractéristiques d’une utilisation hors
contexte (ces syllabes pouvant parfaitement se retrouver telles que je les avais proposées). Cela
ne me semblait pas non conforme, car dans certaines distributions morpho-syntaxiques
spécifiques, ces formes-là étaient attestées en ASM. Or, certains sujets testés refusaient de lire
(ou discutaient la validité) des unités ne correspondant à la norme standard de production du
substantif ou du verbe sous leur forme générique.
En outre, j’ai été confrontée à des réalisations régionales de l’arabe standard moderne beaucoup
plus riches que ce que j’avais anticipé, car je n’avais pas pris la mesure des variations intra-
dialectales et j’avais misé sur des formes standardisées de l’arabe : cela m’a amenée à réajuster
certaines unités du corpus constitué, le nombre de variétés observées étant largement supérieur
aux prévisions effectuées.
J’ai découvert enfin les variations scripturales et graphiques87 en langue arabe, qui avaient un
impact sur la réalisation phonétique de telle ou telle graphie ce qui perturbait la collecte dans le
cadre des tâches de lecture.
La constitution de ce corpus m’a donc permis de prendre conscience du caractère fondamental
des phénomènes de résistance sociolinguistique, et du rapport intime à la langue de référence
qu’est l’ASM pour les locuteurs arabophones.
A la même époque, j’étais confrontée à un autre type de corpus de parole, dans le cadre du
projet de « reconnaissance de la voix » que j’ai évoqué précédemment. C’était un corpus en
langue française, d’énoncés complets et non de mots isolés, fabriqué par le « commanditaire »
de l’appel d’offres, en l’occurrence les chargés de ce projet au sein du Ministère de l’Intérieur.
Il ne s’agissait cependant pas d’interactions complètes. Le corpus était divisé en deux
échantillons distincts : des énoncés constituant des « pièces de question », produits par 5
locuteurs (3 hommes et 2 femmes), et des énoncés constituant des « pièces de comparaison »,
produits par un nombre inconnu de locuteurs, le tout sur support audio digital.
87 Par exemple la représentation des signes diacritiques qui font partie de certains graphèmes.
86
Les questions posées par ce corpus de parole étaient bien sûr radicalement différentes du corpus
de mots signifiants et logatomes isolés en arabe. Tout d’abord, certains échantillons étaient
volontairement déformés par le commanditaire, par des facteurs externes ou internes comme je
l’ai évoqué précédemment. Donc des conditions a priori très éloignées des exigences habituelles
de la « parole de laboratoire » qui nécessite une qualité maximale en vue d’une étude acoustique
fine du signal de parole. Et à l’époque, les techniques d’exploration acoustique n’étaient pas ce
qu’elles sont de nos jours : elles ont énormément évolué en deux décennies, et les logiciels qui
permettent actuellement un prétraitement du signal de parole – nettoyage du bruit de fond,
amplification, modification de la courbe de F0 – n’étaient pas accessibles à l’époque.
Ensuite, on avait affaire à des énoncés « situés », dans ce qui pouvait ressembler à un jeu de
rôles entre « le gentil (« la victime »), « le voyou (le corbeau, le maître chanteur,…) », et « le
policier ». Il s’agissait vraisemblablement d’énoncés lus, ce qui ressortait dans certains
échantillons à travers le caractère très artificiel et ardu d’une lecture peu performante. Quelques
exemples d’énoncés sont relevés ci-après.
87
n’arrivions pas forcément à dégager des résultats comparables sur le plan linguistique. Il y avait
donc incontestablement des problèmes de fiabilité et de validité scientifique.
Cela dit, je dois admettre que ce « contexte contraint » m’a ouvert les yeux sur la richesse, la
complexité, et le caractère stimulant de l’analyse du flux de parole continue au-delà du mot
isolé, tenant compte de la dynamique phonatoire et de la dimension prosodique, et m’a
convaincue du caractère relativement limité et superficiel des corpus de mots isolés qui
constituaient le socle de mes recherches sur l’ASM (même s’ils m’avaient permis d’aboutir à
des résultats tout à fait pertinents par ailleurs). Si le passage par les mots isolés peut être une
étape indispensable pour une analyse acoustique fine afin d’être en mesure de contrôler le plus
de paramètres possibles, et de comparer des résultats comparables, la manipulation à des fins
expérimentales de ce corpus de parole d’énoncés complets a constitué pour moi une transition
vers les corpus oraux : c’est en effet après cette expérience que j’ai pris la décision de privilégier
désormais les corpus constitués de matériaux langagiers que je n’aurais pas préalablement
fabriqués, sans renier pour autant le recours partiel à des données fabriquées si cela s’avérait
nécessaire.
L’opportunité de travailler sur des corpus oraux constitués d’entretiens sollicités et guidés, me
sera donnée ultérieurement, tout d’abord dans le cadre de mes recherches en phonétique
clinique. Au sein de l’équipe de recherche Langage & Handicap de l’université de Tours, je
travaille entre autres, comme je l’ai déjà évoqué, sur l’impact de handicaps sensoriels, cérébraux
ou moteurs sur la structuration temporelle de l’oral, ou sur la perception des personnes âgées
atteintes de surdité évolutive : au fur et à mesure de la collecte et de l’organisation de mes
corpus oraux, je vois émerger une nouvelle problématique axée sur la perception,
l’identification, la transcription et le codage de la « parole atypique ». Les corpus constitués à
l’époque sont des entretiens guidés (donc de l’oral sollicité mais non fabriqué), menés auprès
de locuteurs atteints de pathologies diverses. Un nouveau facteur entre en ligne de compte pour
la collecte des données : la proximité avec le locuteur ou la locutrice atteint d’un handicap
cérébral (p.ex. les locuteurs trisomiques), la nécessité d’instaurer une relation confiante, sécure
et empathique pour que l’interaction puisse s’établir.
Je me rends également très vite compte, à travers les échanges et projets de recherche mis en
place avec des collègues orthophonistes ou psychologues, de la nécessité d’enclencher une
réflexion théorique à visée méthodologique et de recourir à des outils d’aide à la transcription
des données orales d’enfants ou d’adultes atteints d’un handicap sensoriel ou moteur affectant
88
la parole ou le langage. C’est ainsi que je prends en charge et que j’introduis la problématique
de la transcription de la parole atypique, aussi bien au niveau de la formation initiale des élèves
orthophonistes de l’école d’orthophonie de la faculté de médecine de Tours, que dans le cadre
de l’équipe de recherche à laquelle j’étais rattachée88.
Je commence également à prendre en compte la dimension déontologique dans les projets de
collecte de données orales : je mets en place un protocole d’accord préalable de la personne
interrogée ou partie prenante du protocole expérimental, et j’impulse des discussions au sein de
l’équipe de chercheurs sur les conduites à mener par rapport aux corpus collectés (partage,
confidentialité, finalités, conditions d’accessibilité…).
3.1.2.3. Les caractéristiques des données constitutives des corpus oraux ou de parole
Dans le cadre de mes recherches, j’ai été plus particulièrement concernée par quatre
caractéristiques relatives aux corpus oraux ou de parole : leur authenticité, leur taille, leur
représentativité, et leur caractère dynamique.
Le caractère authentique des données constitutives des corpus est sujet à débat : mot isolés,
phrases ou textes lus, échanges guidées ou conversations spontanées ?
Some researchers only accept ‘authentic language’, i.e. language that was
produced in a real communicative situation, as raw data and exclude
recordings of individual sentences or text passages that are read or repeated
by speakers (…). Corpora containing the latter type of raw data have been
classified as peripheral corpora (…). What all types of raw data have in
common is that they have been selected but not altered or interpreted by
researchers, and are accessible in the original form in which they were
produced by speakers and writers. The term ‘annotation’ refers to additional
(or secondary) information about the raw data of the corpus that is added by
the corpus compilers.
88 Les questions liées aux opérations de transcription seront traitées dans le paragraphe 3.1.3.
89
Eychenne et Tchobanov (Eychenne & Tchobanov, 2013 : 126), constitue aussi un facteur
important à prendre en compte. La collecte de données totalement authentiques se heurte à un
autre obstacle de taille, d’ordre déontologique : à partir du moment où on n’a pas le droit
d’enregistrer des personnes à leur insu, et que tout enregistrement est conditionné préalablement
par l’accord des interlocuteurs, je considère que l’authenticité est remise en cause. Alors que de
nombreuses recherches (notamment dans le cadre de l’analyse conversationnelle) ont pu être
réalisées par le passé sur la base de données collectées sans l’aval explicite de toutes les parties.
Un autre obstacle, et non des moindres, tient à la qualité des échantillons sonores des données
authentiques collectées dans des lieux non dédiés (pièce insonorisée). Un dernier enfin, tient à
la temporalité du processus : contrairement aux corps écrits, la constitution de corpus oraux est
soumise à des contraintes de temps de collecte, de stockage, de transformation et d’analyse qui
ne sont pas facilement compatibles avec une prise en compte plus systématique de corpus
authentiques.
Compte tenu des données auxquelles j’ai été confrontée tout au long de ma carrière, qui n’ont
jamais été « authentiques » mais qui ont permis d’aboutir à des résultats pertinents sur le plan
scientifique, je pense qu’on se trompe de débat lorsqu’on évoque le caractère authentique des
données, et qu’on devrait plutôt évoquer l’authenticité de la situation de communication.
Quelles que soient les données orales produites par un individu parlant, ce sont des données
authentiques dans le sens où, quels que soient les paramètres contextuels (situation, tâche,
caractéristiques spatiales et temporelles), qui ont un impact certain sur leur réalisation, ces
données sont le résultat d’un processus de phonation dans un contexte plus ou moins contraint,
mais à chaque fois dans un « scénario » dont les paramètres sont connus. Plutôt que le caractère
« authentique », je privilégierais donc plus volontiers le caractère « sollicité / non sollicité »
dans le cadre d’un projet de recherche (les deux caractéristiques – sollicitation et authenticité –
n’étant pas incompatibles par ailleurs). Le caractère sollicité peut rendre compte d’une
multiplicité d’usages de la langue, et peut s’intégrer dans tout projet de recherche en fonction
des finalités pré-établies. En outre, les données non sollicitées peuvent aussi être des données
très élaborées correspondant à une tâche bien précise dans contexte précis : c’est le cas par
exemple des corpus académiques d’apprenants, qui ne sont pas des données sollicitées dans le
sens où elles ne résultent pas d’un protocole expérimental mis au point par le chercheur, mais
elles sont en revanche extrêmement précieuses pour une analyse linguistique ou didactique.
90
Au moment où je rédige ces lignes, le dernier numéro de la revue Corpus (2018, n°1889),
publication francophone de référence en linguistique de corpus, paraît avec le titre suivant :
« Les petits corpus » (Small Corpora). Opter pour une telle thématique constitue de mon point
de vue un engagement éditorial qu’il faut souligner et saluer, car cela constitue une vraie
reconnaissance en particulier pour les phonéticiens qui sont très fortement contraints par la taille
de leurs corpus oraux, qui sont souvent des « petits corpus ». Or :
(Danino, 2018)
Et cela, malgré le fait qu’ils soient « très nombreux, et très utilisés » (Ibid.), et alors même que
les « petits corpus » ont été la règle pendant des décennies chez les phonéticiens, ainsi que dans
certains domaines voisins, par exemple la didactique des langues. En effet :
(Ibid.)
Les petits corpus ne renvoient pas seulement au volume effectif des données : cette notion peut
aussi renvoyer au nombre de locuteurs retenus pour l’analyse. Et force est de constater que pour
les corpus de parole ou oraux, les effectifs de locuteurs sur lesquels les travaux sont basés,
demeurent une contrainte importante. On a pu voir des publications dans des revues de
référence, basées sur un seul et unique locuteur : c’est le cas par exemple de Fougeron & Smith
(1993) lorsqu’elles illustrent des questions de notation API dans le Journal of International
Phonetic Association dans un article qui débute ainsi : « The following description of French is
based on the speech of a young Parisian female speaker » (Fougeron & Smith, 1993 : 73).
Il faut noter par ailleurs que la définition même des seuils permettant de distinguer un petit d’un
grand corpus ne fait pas consensus parmi les chercheurs (voir Danino, 2018 ; Vaughan &
Clancy, 2013). Ceci dit, il faut bien admettre que, grâce aux avancées technologiques, à la
91
démocratisation et à la mutualisation de moyens sophistiqués accessibles dans le domaine de
l’analyse du signal de parole, et malgré la lourdeur et le caractère chronophage de la
manipulation de volumes importants de données orales, la taille des corpus oraux ou de parole
a pu augmenter d’une manière très impressionnante ces dernières décennies, ce qui a eu pour
effet d’entraîner des mutations disciplinaires particulièrement notables :
Le passage des « petits » aux « grands » n’a pas simplement entraîné une
extension quantitative de notre champ d’investigation : il a permis de faire
émerger des méthodes d’analyse nouvelles. (…) A cause de leur forte
richesse, les grands corpus nous offrent la possibilité d’examiner de manière
a posteriori l’influence de différents facteurs (…). Cette analyse
décompositionnelle des facteurs susceptibles d’avoir une influence sur la
forme sonore du langage, n’était auparavant possible qu’en construisant de
toutes pièces un corpus dans lequel ces facteurs étaient manipulés de manière
a priori.
92
1996 Liban, Arabie voyelles longues
Saoudite, Tunisie, (VL) et voyelles
Syrie, Soudan, brèves (VB)
Emirats Arabes Unis,
Jordanie)
(18/22 ans)
1991 110 paires 8 locuteurs Quantité vocalique et Effet allongeant du
1994 minimales CVC arabophones (Qatar, voisement voisement de C1 et C2 sur
1996 lues en ASM Liban, Arabie consonantique voyelle longue dans CVC
Saoudite, Tunisie, C1-V-C2
Syrie, Soudan, Effet allongeant de C1 sur
Emirats Arabes Unis, voyelle brève (et probable
Jordanie) sur voyelle longue) dans
(18/22 ans) CVC
1991 50 paires minimales 8 locuteurs Quantité vocalique et Effet allongeant C2 nasale
1994 CVC lues en ASM arabophones (Qatar, mode articulatoire sur V dans CVC
1996 Liban, Arabie
Saoudite, Tunisie,
Syrie, Soudan,
Emirats Arabes Unis,
Jordanie)
(18/22 ans)
2001 Conversation Locuteur français de Pauses inter- et intra- Adaptation aux rituels de la
2002 guidée en français, 22 ans atteint de locuteur en français conversation
30 minutes trisomie 21 parlé
Manque de fluidité et
difficultés dans la gestion
des paramètres temporels
(rapport temps de parole /
temps total de pause)
93
hospitalières (Région
Centre)
2016 Liste de mots IPFC Locuteurs Projet IPFC-Arabe : Corpus en cours
2018 et PFC arabophones les erreurs des d’exploitation
Lecture et (Palestiniens, apprenants Analyse de l’opposition de
répétition Syriens) arabophones de FLE voisement dans les
Conversation en fonction de leur consonnes occlusives
guidée origine géodialectale Repérage global des erreurs
Conversation dans les échantillons
spontanée collectés
TABLEAU 3 – Données et corpus collectés et analysés dans mes projets de recherche
La transition qui vient le plus naturellement à l’esprit par rapport à ce qui précède est donc la
suivante : bien plus que la taille, c’est le critère de représentativité (Habert, 2000) des données
primaires qui me paraît déterminant pour l’existence d’un corpus. Lorsqu’on aborde les corpus
dits de laboratoires, constitués de mots isolés lus ou répétés, ou même de phrases, ce n’est pas
parce que la taille est réduite que la représentativité est nulle. De nombreux résultats de
référence en phonétique (en particulier les fameuses représentations formantiques des systèmes
vocaliques) sont issus de corpus de parole dite de laboratoire, produite et collectée à travers des
protocoles expérimentaux très cadrés, quelquefois sans l’équilibre de genre (les tracés
sonagraphiques du « bon vieux temps » ne permettaient pas une analyse optimale des voix
féminines90), sans tenir compte des phénomènes de variation sociolinguistiques ; les données
disponibles ont de fait été considérées pendant des décennies comme représentatives de la
langue analysée. Bien entendu, on ne peut échapper à la question de savoir si un corpus de
laboratoire, fabriqué pour les besoins d’un projet de recherche, est réellement représentatif d’un
système linguistique donné. Mais, l’est-il plus ou moins qu’un corpus de parole spontanée, mais
dont on aura toutes les difficultés à dégager des valeurs caractéristiques compte tenu de
l’impossibilité d’en contrôler tous les paramètres sur le plan distributionnel ? La réponse est
sans doute dans un équilibre à trouver entre les deux extrêmes.
La dernière caractéristique que je voudrais évoquer est présente à mon avis en filigrane dans
mes travaux passés et sera un élément important dans ceux à venir. La langue est un objet vivant
en évolution constante, et le caractère dynamique du corpus devrait en être le reflet selon
90Dans une note de bas de page de Landercy & Renard (1982) se rapportant aux fréquences normalisées
des voyelles orales du français, les auteurs mentionnent le fait que « ces valeurs concernent les voix
masculines. Il faut ajouter environ 15% pour les voix féminines » (Landercy & Renard, 1982 : 109).
94
certains auteurs (Ooi, 1998). Ce caractère dynamique est observé d’une manière très explicite
dans des corpus en sociolinguistique, ou en dialectologie, et dans lesquels :
Le linguiste qui « fait du terrain », qui explore une aire dialectale peu ou mal
connue, vit en permanence la métamorphose de son corpus.
(Dalbera, 2002 : 4)
On est donc là dans le cadre de corpus « ouverts » susceptibles d’être enrichis, complétés,
adaptés, ajustés, pour rendre compte de l’évolution de la langue et des usages.
A travers mes propres travaux en phonétique clinique, il me semble rétrospectivement que le
caractère dynamique des corpus, que ce soit dans une perspective synchronique ou
diachronique, aurait pu constituer un facteur pertinent pour appréhender d’une manière très fine
le développement typique et atypique de la parole et du langage. Je pense que c’est cette
démarche qui préside entre autres au système CHILDES (MacWhinney, 1996), que j’ai pu
approcher et auquel j’avais été formée lorsque j’étais à Tours car l’équipe s’était fixée pour
objectif de contribuer à alimenter cette immense banque de données orales de productions
enfantines, dans ce qui est devenu une impressionnante ressource ouverte mutualisée. C’est
également sans doute un principe fondateur de projets de grands corpus tels que PFC, IPFC ou
encore ESLO1 et 2 (les Enquêtes Sociolinguistiques à Orléans91).
Cette thématique a été au centre de ma réflexion dans le cadre de mes recherches en phonétique
clinique, suite à mon implication dans des projets scientifiques avec des orthophonistes et
psychologues qui intervenaient auprès d’enfants affectés par des pathologies de diverse nature
et donc ayant un impact varié sur l’acquisition et le développement de la parole et du langage :
les dysphasies, l’autisme, la trisomie et la surdité étant parmi les affections les plus
fréquemment suivies dans la pratique clinique à l’époque par ces professionnels. La publication
de Ochs, Transcription as Theory, (Ochs, 1979) a été pour moi une référence majeure. Au-delà
des dimensions théoriques et méthodologiques, l’auteure posait également la question de la
pérennité des données transcrites : « Our data may have a future if we give them the attention
they deserve » (Ochs, 1979 : 72), ainsi que de l’accessibilité des chercheurs aux transcriptions
effectuées par d’autres.
95
Avec mes collègues orthophonistes, la question principale qui nous intéressait était la suivante :
comment la transcription fine phonétique pouvait-elle être utilisée comme un outil au service
de la compréhension des processus d’acquisition du langage ? Pour illustrer ce propos, je
voudrais renvoyer à un projet de recherche que j’avais développé avec une collègue
orthophoniste du laboratoire Langage & Handicap de Tours, Laëtitia Ménager (Ménager &
Abou Haidar, 2002) : parmi les finalités de la transcription dans la pratique orthophonique,
l’une des pistes qui nous préoccupaient était l’interprétation morphosyntaxique que la
transcription phonétique pouvait éclairer, mais également l’aide que cette démarche pouvait
constituer pour les orthophonistes dans leur pratique clinique :
Les mots les plus fréquents de la langue française sont les morphèmes, comme
l’ont établi diverses études : les conséquences, pour la notation de la parole
pathologique, de la fréquence d’occurrence des morphèmes libres dans la
langue sont importantes ; ces mots fonctionnels sont d’autant plus soumis au
« compactage » qu’ils sont généralement monosyllabiques, atones et
antéposés. De ce fait, ils sont souvent difficilement identifiables. Par
conséquent, ils le deviennent encore davantage dans le cas d’un retard de
langage, qui se caractérise par des substitutions morphologiques, voire des
omissions de phonèmes ou de syllabes à valeur morphémique. Mais ils sont
également difficiles à identifier dans le cas d’un retard de parole ou retard
phonologique (…). Une notation phonétique peut présenter dans de tels cas
un caractère de neutralité et de souplesse assez appréciable pour le
transcripteur, dans la mesure où il n’a pas à s’engager d’emblée en donnant
des hypothèses morphosyntaxiques hâtives (pour ne pas dire
abusives/erronées parfois) s’il s’était agi d’utiliser la transcription
orthographique.
Pour recontextualiser cette citation, je signale également que l’équipe travaillait à l’époque sur
les « mots-outils », et il était très instructif d’appréhender de telles unités de la langue aussi bien
d’un point de vue phonétique que prosodique ou morphosyntaxique, dans la parole « typique »
ou « atypique ». Notre réflexion s’accompagnait également, parallèlement, d’un
questionnement voire d’un tâtonnement sur les principes méthodologiques et théoriques de la
transcription, que je présente ci-après.
96
3.1.3.1. En quoi consiste la transcription ?
Pour commencer, je voudrais préciser ce que l’opération de transcription « n’est pas » de mon
point de vue : transcrire, ce n’est pas (encore) coder ni étiqueter. Transcrire est une opération
caractéristique du processus de traitement des corpus oraux, qui est préalable à toute opération
de codage ou étiquetage, et qui est réalisée à l’aide de conventions de transcriptions
spécifiques ; certaines de ces conventions « historiques » ont marqué la recherche sur l’oral sur
les corpus de langue française, comme par exemple les travaux du GARS92 (Blanche-
Benveniste & Jeanjean, 1987) qui ont été les précurseurs en la matière pour ces questions autant
méthodologiques que théoriques.
La transcription fait-elle partie intégrante de l’annotation, c’est-à-dire du processus qui consiste
en « adding interpretative linguistic information to a corpus » (Leech, 2004) ? Certains auteurs
défendent cette option, comme par exemple Arbach (2015), ou encore Eshkol-Taravella (2016)
qui considère que :
(Eshkol-Taravella, 2015)
La frontière entre la transcription et l’annotation peut être ténue. Si la transcription phonétique
consiste également en une interprétation de l’échantillon sonore perçu, cette interprétation n’est
pas de la même nature que pour l’annotation : annoter consiste à affecter des classes ou des
catégories phonétiques, phonologiques, morphosyntaxiques ou sémantiques, à des échantillons
du signal, et à apporter des informations complémentaires. Or transcrire ne consiste pas à
enrichir, il s’agit plutôt au contraire d’une représentation sélective qui rend la matière phonique
accessible à l’analyse linguistique.
La révolution numérique a changé la donne par rapport aux opérations de transcription des
corpus oraux. Il y a clairement un avant et un après « Praat, Clan, Elan » et tous les logiciels de
collecte et de traitement des corpus oraux, qui permettent de plus en plus des opérations de
transcription semi-automatique, avec des annotations de plus en plus élaborées. J’ai commencé
pour ma part « avant » cette période, et j’ai donc été confrontée à des questions liées à la nature
même de l’opération de transcription, à son efficacité, et à la fiabilité des résultats obtenus. Tout
97
d’abord, une première question nous taraudait : compte tenu des moyens techniques peu
élaborés dont nous disposions93, les questions préalables relatives aux choix à opérer pour la
transcription étaient autrement plus complexes que de nos jours, car ne disposant pas de l’aide
outillée. Sachant (1) qu’une transcription exhaustive de la totalité des faits langagiers
correspondant aux données orales n’était ni possible ni souhaitable, (2) qu’il fallait éviter une
transcription trop lourde et illisible, et que (3) collectionner une quantité de métadonnées sans
savoir à quoi celles-ci étaient destinées était une démarche totalement stérile. Nous étions donc
rapidement convaincus du fait que le transcripteur se devait de connaître précisément l’objet de
sa recherche afin d’être en mesure de noter les informations qui lui semblaient pertinentes et
qui étaient susceptibles d’apporter une vraie plus-value à sa démarche : on ne transcrit pas de
la même manière selon qu’on s’intéresse à l’intonation, à la structure syllabique, à la dimension
segmentale, aux phénomènes de liaison, aux pauses, etc… Transcrire consiste à opérer des
choix, procéder à une sélection, en fonction du cadre théorique de l’étude, des objectifs, et des
conventions de transcription adoptées. Un même échantillon de données orales pourra ainsi être
transcrit de multiples manières en fonction des objectifs fixés. La transcription « fine »
phonétique et phonologique est extrêmement exigeante, et représente un véritable défi pour le
système perceptif avec une identification presque contre-nature des unités segmentales et des
faits prosodiques, alors que la perception du flux de parole est globale et permet d’accéder au
sens indépendamment de l’identification « discrète » de chacune des unités de rang inférieur.
Transcrire, c’est aussi apprendre à écouter autrement, des éléments sur lesquels on ne focalise
pas en temps normal dans une activité d’échange quelle qu’elle soit.
Comme je l’ai évoqué précédemment, c’est dans le cadre de mes recherches en phonétique
clinique que la problématique de la transcription de la parole atypique s’est imposée dans mon
parcours. La confrontation avec des productions orales de locuteurs affectés par un handicap
ayant un impact sur l’acquisition ou le développement de la parole et/ou du langage pose
d’emblée une multitude de questions liées à la faisabilité, à la fiabilité et à la validité des
transcriptions. Quels sont les obstacles ou les pièges auxquels sont confrontés les
transcripteurs ? Je reprendrai dans cette partie quelques-unes de ces questions qui ont été
centrales pour moi et dont l’aboutissement a été l’organisation du colloque « Transcription de
93Le « fameux » magnétophone « à pédales » Marantz qui permettait, après l’arrêt provisoire de la bande,
de rembobiner automatiquement de manière à reprendre quelques fractions de millisecondes ayant
précédé l’arrêt.
98
la parole normale et pathologique » que j’ai eu l’occasion d’évoquer précédemment (Abou
Haidar, 2002b). Ce colloque avait permis de réunir des chercheurs spécialisés dans l’analyse et
la transcription du français parlé « ordinaire » (Blanche-Benveniste, Pallaud), du langage
enfantin (de Weck, Lebeaupin, Leroy), du langage affecté par un handicap (Louis,
Boudouresques, Di Cristo), et d’évoquer les avancées technologiques d’aide à la transcription
(Jacobson). Cela a donc été l’occasion de rassembler un panel de chercheurs d’expression
française explorant :
Les conditions techniques de recueil de données orales sont importantes à appréhender pour
l’impact direct qu’elles ont sur l’analyse : en les prenant en considération on est amené à
déborder largement la question strictement technique.
Un phonéticien ou un phonologue est très exigeant sur la qualité du signal sonore recueilli. Les
enregistrements fabriqués, dits « de laboratoire », se font principalement en chambre sourde ou
insonorisée. Mais ce contexte de collecte réduit singulièrement la spontanéité des locuteurs,
donc ce n’est pas une situation idéale pour qui souhaite collecter des données le plus
authentiques et spontanées possibles.
La mise à disposition de la communauté scientifique d’outils tels que des logiciels libres d’accès
et gratuit, a modifié en profondeur les usages au niveau de la recherche. Alors qu’il y a quelques
décennies ans, on était encore contraint par la qualité des enregistreurs, ou par la difficulté
d’agir a posteriori sur le signal, la révolution numérique s’est accompagnée d’une véritable
révolution des pratiques des chercheurs phonéticiens et phonologues, puisque désormais, on
peut traiter et transformer le signal avant toute analyse, que ce soit par des opérations de
réduction du bruit, d’augmentation de l’intensité, de « nettoyage » tous azimuts, ce qui était
totalement hors de portée. Cela a certainement pour conséquence un confort de travail accru
99
pour les transcripteurs, une fiabilité plus élevée des transcriptions, qui s’accompagne d’un degré
d’exigence plus important car les outils mis à disposition permettent de réduire le degré
d’incertitude des transcripteurs.
Il faut aussi tenir compte du fait que la dimension technique a un impact direct sur les stratégies
d’écoute lors de l’activité de transcription, et induit des modalités de traitement spécifique de
l’information. La transcription de données orales ne peut se faire que sur la base des données
stockées. On sait que l’information ne subit pas le même traitement cognitif selon que le
système perceptif humain soit dans une situation d’écoute enregistrée ou directe :
Il peut paraître surprenant que la question des représentations soit prise en compte pour
l’activité de transcription. Les représentations sont à l’œuvre dans tout processus de perception
du monde environnant, quel que soit le mode sensoriel concerné. Pour ce qui est de la
transcription d’échantillons oraux, mon expérience de transcription de données « atypiques » a
été la plus éloquente, que ça soit dans le cadre de la phonétique clinique ou de la didactique du
français langue étrangère.
100
Il me semble donc important que le transcripteur ait une réflexion critique sur la relation qu’il
entretient avec la norme et les variations, et sur les préjugés qu’il entretient avec sa propre
langue, avant et dans le cadre de toute activité de transcription.
Transcrire des données orales fait appel à un processus complexe d’écoute, de perception, de
discrimination, d’identification, de compréhension quelquefois, avec des opérations de feed-
back, de correction, d’ajustement. Indépendamment des exigences techniques et des
phénomènes sociolinguistiques et socioculturels, les chercheurs et les praticiens ont depuis
longtemps démontré le caractère actif du processus de perception de la parole (voir pour revue
Nguyen, 2005). J’ai bien entendu été confrontée à la complexité de la dimension perceptive des
transcriptions. Parmi les premières données orales que j’avais eu à transcrire, les conversations
guidées avec de jeunes adultes trisomiques (auxquelles se rapportent les publications Abou
Haidar, 2001 ; Abou Haidar, 2002a) constituaient un défi perceptif de taille. Les séances de
confrontation et de pratique comparée que je mettais en place avec des étudiants de 3ème cycle
ou avec des orthophonistes en formation m’ont tout de suite alertée sur la singularité du
processus de perception dans l’activité de transcription. Tous les transcripteurs connaissent
l’extrême variabilité du processus de perception, inter- ou intra-locuteur. Certains auteurs se
sont penchés sur le nombre d’écoutes à effectuer dans l’opération même de transcription.
Amorosa et al. (1985) font référence en effet au fait que :
Some authors suggest not listening to the tape more than three times,
either because they feel no further information is to be expected or because
‘the transcription resulting from repeated playbacks may be unreliable’
(Shriberg & Kwiatkowski, 1980, p.29). The latter argument together with
the statement that 200 words can be transcribed in 50 minutes indicates to
us that Shriberg and Kwiatkowski, too, listened to the majority of items
only once.
101
complémentaire, de rendre compte des hésitations relatives aux unités de sens à reconstituer ;
elles révèlent enfin des mécanismes propres au processus de transcription lui-même, comme
par exemple les oublis, ajouts, suppression d’unités, etc. Ferber utilise l’expression intéressante
de « slip of the ear » (Ferber, 1991), Pallaud (2002) reprend celle de « mal-entendus ».
Les procédures de contrôle à travers des tâches de « multi-écoutes » et de « multi-
transcriptions » inter- et intra-transcripteurs permettent de procéder à des contre-vérifications
et des corrections efficaces (Raingeard & Lorscheider, 1977). En outre, on connaît la
complexité du processus de perception qui fragilise les opérations de transcription.
102
Pour ce qui est des « attentes perceptives », la notion d’ « horizon d’attente » développée par
Lhote dans son modèle d’approche paysagiste (Lhote, 1995) m’inspirait particulièrement. Les
propos de Lederer sur les mécanismes de traitement de l’information des interprètes de
conférence en simultanée (par opposition à l’interprétation consécutive) me semblent aller tout
à fait dans ce sens :
La transcription de la parole atypique fait vite prendre conscience des limites de l’alphabet
phonétique international pour certains segments de parole. J’ai été amenée à avoir recours aux
extensions à l’API, mises en place lors du congrès international des sciences phonétiques de
Kiel en 1989 (Duckworth et al., 1990)94. Je reste mitigée quant au recours à ces extensions, car
si elles m’ont paru par le passé très utiles pour mettre en lumière certains phénomènes perceptifs
prégnants et caractéristiques de la production de tel ou tel locuteur (par exemple la
généralisation de la nasalisation chez certains locuteurs trisomiques, ou les variations
importantes de débit – que l’on peut retrouver d’ailleurs dans la parole ordinaire chez des sujets
non atteints d’une quelconque pathologie), la lourdeur de la transcription finale, le caractère
chronophage d’une transcription aussi fine, ainsi que les variations perceptives inter-locuteur
103
que j’ai eu à constater dans ma propre pratique, me paraissent de nature à relativiser le recours
systématique aux extensions.
e. La question du sens
Elle est capitale et intervient aussi bien dans des transcriptions fines, phonème par phonème,
qu’à un niveau plus macro pour la transcription des données conversationnelles et spontanées.
Un transcripteur non préparé, « naïf », risque d’être victime de phénomènes de reconstruction
et risque de transcrire des données langagières interprétées et reconstruites. Le transcripteur
expert n’est pas totalement prémuni, mais peut mettre en place des stratégies ou des dispositifs
améliorant la vigilance (notamment en ayant recours aux multi-écoutes). Ecouter en vue de
transcrire ne relève pas des mêmes opérations de traitement de l’information qu’écouter pour
comprendre (Lhote, 1990), or l’être humain est conditionné par la recherche de sens à partir du
moment où il est confronté à l’écoute de données langagières, et les transcripteurs doivent être
formés, non pour supprimer le biais de la reconstruction, mais du moins pour tenter d’en limiter
l’impact. Cette question se posait avec acuité dans mes recherches en phonétique clinique et en
particulier dans la réflexion menée avec des orthophonistes sur les obstacles et les contraintes
de la transcription dans la pratique clinique (Ménager & Abou Haidar, 2002), et se pose de la
même manière dans le cadre des corpus d’apprenants de FLE. Cela nous renvoie aux éléments
contextuels, qui vont revêtir une importance considérable dans le cadre du processus de
transcription car ils permettent d’apporter un éclairage précieux sur l’intention de
communication du locuteur. Les techniques de transcription s’en trouvent modifiées, car le
transcripteur doit procéder à un va-et-vient entre une écoute fine segmentale et une écoute
globale au-delà du segment qui va permettre les opérations de feed-back entraînant une
modification du jugement du transcripteur. Les transcripteurs « experts » ou chevronnés savent
pertinemment que leur transcription initiale peut être modifiée a posteriori. Ces opérations
mettent également en lumière l’importance du processus de coarticulation (Daniloff &
Hammarberg, 1973 ; Embarki & Dodane, 2011) et de propagation de traits au-delà des
frontières physiques correspondant aux segments : les phonéticiens savent qu’il est
parfaitement vain de tenter d’identifier un phonème à partir de la simple écoute de l’échantillon
correspondant à la réalisation acoustique du segment en question ; notre système cognitif a
besoin d’éléments d’informations présents dans le contexte immédiat (segments précédents
et/ou suivants), pour l’identification d’une unité. L’unité minimale de perception est bien du
rang de la syllabe (Massaro, 1972), et non du phonème, qui ne peut être identifié sans les
104
informations émanant du contexte : les transcripteurs sont confrontés en permanence à ce
paradoxe, qui peut quelquefois amener à remettre en cause la transcription fine.
Enfin, la transcription comme étape pour faciliter l’accès au sens dans une LE peut être très
utilement exploitée dans le cadre d’un « enseignement stratégique » dans un contexte
didactique. C’était une des activités de prédilection utilisées par Lhote dans ses séminaires de
recherche et qui visait à consolider son modèle de perception en proposant une
« décomposition » collective des étapes du processus. C’est une activité que je pratique
régulièrement dans le cadre de la formation initiale et continue des enseignants et futurs
enseignants de FLE. La transcription collective en classe pour l’accès au sens possède plusieurs
avantages :
- elle permet à l’apprenant de rendre explicites ses hypothèses perceptives, voire de les
« verbaliser » ;
- elle lui permet de focaliser son attention sur des traits saillants et de faire un choix parmi une
multitude de possibilités, en étant conscient de son propre comportement perceptif ;
- elle constitue une aide précieuse pour atténuer ou lever l’ambiguïté perceptive ;
- elle permet également à l’apprenant de décomposer en quelque sorte le processus de
perception, de prendre conscience de certains facteurs à l’origine des hypothèses perceptives
qu’il émet, ainsi que du feed-back qui permet quelquefois de revenir sur des décisions
antérieures en fonction de nouvelles informations plus pertinentes ;
- la dimension collective (faire transcrire un groupe d’apprenants, tout d’abord
individuellement, puis alterner entre des périodes de mises en commun et des périodes
individuelles), permet aux apprenants de relativiser leur propre jugement perceptif ; c’est une
étape toujours très surprenante voire déstabilisante, qui est très spectaculaire lorsqu’elle permet
de réviser voire de modifier radicalement son jugement perceptif, et qui est d’un intérêt
particulièrement élevé :
(1) elle fait prendre conscience aux apprenants du caractère éminemment subjectif du
processus de perception, et permet de réfléchir sur les notions de fiabilité (degré de
reproductibilité) et de validité (Shriberg & Lof, 1991) des transcriptions ; pour un futur
enseignant de FLE, il me semble que c’est fondamental de sensibiliser sur le fait que la
perception de l’enseignant et celle de l’apprenant ne sont pas identiques, et cela peut avoir un
réel impact sur les postures de l’enseignant et la manière dont il peut avoir une attitude ouverte
105
et encourageante ou au contraire une attitude fermée et bloquante auprès de l’apprenant en
difficulté perceptive ;
(2) la transcription collective dans un contexte pédagogique est sécurisante dans la
mesure où les apprenants auditeurs se rendent compte que les difficultés et hésitations
perceptives sont partagées par tous, quel que soit le degré de compétence linguistique et quelle
que soit l’origine linguistique et culturelle ;
(3) elle permet de mettre la lumière sur certains segments du flux de parole, ou certains
traits, qui possèdent un haut degré d’instabilité perceptive ;
(3) elle valorise parallèlement les compétences de chacun, puisque c’est le processus
collectif de transcription qui permettra au groupe de reconstruire le sens ;
(3) elle confirme la pertinence d’une démarche « coopérative » de perception qui peut
avoir un impact positif et déterminant sur l’identification perceptive d’une unité de sens.
Les chercheurs qui ont pratiqué ce type de démarche dans un contexte didactique sont
convaincus de son utilité, à l’exemple de Paternostro qui fait état d’une recherche intéressante
sur cette activité de « transcodage » dans le cadre d’une démarche « d’éveil à la variation
phonétique » (Paternostro, 2014 : 117).
Il serait sans doute intéressant de développer un projet de recherche sur une cohorte
d’apprenants dans le cadre d’un protocole expérimental spécifique permettant d’explorer plus
en avant la dimension cognitive de la transcription dans l’apprentissage du FLE.
Les éléments que j’ai retenus jusque-là pour ce premier fil conducteur montrent que ma
démarche scientifique s’est inscrite initialement et principalement dans le cadre d’une
linguistique sur corpus, avec des projets dans lesquels j’ai été amenée à solliciter des angles
théoriques variés en fonction des objets, terrains et objectifs de recherche. Cependant, cette
inscription n’est pas exclusive et a évolué au fil du temps, puisque le dernier projet dans lequel
je me suis engagée, IPFC-Arabe, s’inscrit plutôt dans le cadre de la linguistique de corpus, telle
que cette branche a émergé à la base, dans le monde anglo-saxon de la recherche, avec une
visée originelle tournée vers la linguistique appliquée à l’enseignement des langues :
106
a language in general, in order to help with the tasks of applied linguistics.
(…) Corpus linguistics was originally the response to the need of teaching
English as a foreign language. Traditional dictionaries, with their focus on
the single word in isolation, could not tell its users how to use a word. Corpus
linguistics was an approach that could remedy this deficiency.
(Teubert, 2009)
Cette relation de dépendance qui existait entre Applied linguistics et Corpus linguistics est
brouillée d’une certaine manière lorsqu’on aborde la terminologie d’expression française de
« didactique » des langues : en effet, on sait que la didactique s’est affranchie de la linguistique
appliquée en France à partir des années 1970 en devenant une discipline autonome qui utilisait
d’autres cadre de référence parallèlement aux sciences du langage – les sciences de l’éducation
par exemple, alors que dans les années 1950-1960, c’est l’expression « linguistique appliquée »
qui prévalait, et qui avait d’ailleurs laissé la place à « sociolinguistique appliquée » (Porcher,
1976 : 6) avant l’implantation du terme « didactique » et la création des diplômes universitaires
de didactique du FLE95.
Mais la création et l’exploitation de grands corpus oraux « à visée didactique » dans le cadre
du français langue étrangère et seconde permet de renouer des liens disciplinaires distendus.
On observe cette dynamique dans des projets tels que PFC-EF (enseignement du français) :
(Source : https://www.projet-pfc.net/le-projet-pfc-ef/)
Le développement d’IPFC et la multitude de projets qui en émanent ont ouvert des perspectives
d’une très grande richesse, qui sont d’ores et déjà exploitées dans les classes de FLE/FLS et qui
gagneraient à être généralisées.
95 La «linguistique appliquée » demeure présente dans le nom du centre universitaire français le plus réputé
pour l’enseignement du FLE : le centre de linguistique appliquée de Besançon.
107
Le laboratoire ICAR s’y est également mis ces dernières années, en proposant d’intégrer une
dimension didactique dans le projet CLAPI, Corpus de langues parlées en interaction96. Les
corpus oraux trouvent donc une finalité didactique spécifique, notamment à travers la
valorisation « de faits langagiers spécifiques de l’oral relevant de la grammaire, de la syntaxe
ou du lexique » comme mentionné sur le site internet de CLAPI-FLE. Le corpus MPF, du projet
Multicultural Paris French (Gadet & Guerin, 2015) est également exploité par certains auteurs,
avec une visée originale à travers des séquences pédagogiques basées sur « l’accent de
banlieue », peu courant parmi les modèles sonores proposés aux apprenants de FLE. Comme le
mentionne Paternostro :
108
didactisable dans un objectif d’enseignement et d’appropriation de savoirs et de savoir-faire
langagiers ; soit il l’est comme support de formation pour les enseignants en activité et futurs
enseignants (ainsi que concepteurs de contenus et de séquences didactiques), sur l’opportunité,
les modalités et les finalités « d’exploitation didactique » d’échantillons sonores spécifiques.
Une question subsidiaire est relative à la nature du corpus exploitable. Va-t-on utiliser comme
support didactisable, des corpus d’apprenants de FLE (ou FLS) ? Cela est fortement utile pour
plusieurs raisons. Tout d’abord, cela permet d’illustrer et d’expliciter le processus
d’apprentissage dans sa dynamique et dans ses spécificités en fonction du répertoire langagier
antérieur des apprenants, une approche fine des erreurs faisant partie intégrante de la formation
sur la construction de l’interlangue notamment. Cela permet également de fournir des modèles
plus proches des performances des apprenants, ce qui pourrait faciliter l’identification. Cela
permet enfin de fournir aux apprenants la possibilité de mettre en place des procédures de
repérage de formes plus ou moins altérées, qui peut être utile dans une démarche
d’apprentissage. Tout l’intérêt est d’élargir la gamme des modèles didactisables et d’intégrer
pleinement la variation et les faits spécifiques de l’oral dans l’enseignement du FLE/FLS.
Projet en cours d’élaboration : CorpAcadFLE
Au sein du laboratoire LIDILEM nous avons souhaité nous placer en amont de la transposition
didactique des corpus, en clarifiant la nature des besoins des apprenants de FLE amenés à
effectuer un cursus d’études supérieures en France. C’est ainsi que nous avons conçu un projet
collectif, CorpAcadFLE (CORPus ACADémique de productions orales et écrites d’apprenants
de FLE), en collaboration avec Agnès Tutin (LIDILEM), Solange Rossato (LIG), Hien Tran
(GIPSA-LAB), Catherine David (AMU), et John Osborne (USMB-ISEFE). Le descriptif qui
suit est extrait du dossier de demande de financement qui a été rédigé d’une manière collective
sous ma coordination, dans le cadre de l’IDEX de l’UGA98.
98 Demande non aboutie à ce jour mais qui sera renouvelée auprès de plusieurs sources de financement.
109
idéalement d’une étape préparatoire et d’une étude de faisabilité dans la perspective d’un projet ANR
de plus grande ampleur.
Si elle arrivait à s’intégrer pleinement dans le domaine de la didactique du FLE, à passer une
« barrière disciplinaire » invisible mais robuste, et éviter ainsi de se développer « à la marge »
de la didactique, cette dynamique pourrait avoir un impact réel : sur une question fondamentale
(et ses nombreuses déclinaisons), à savoir quelle langue / quel(s) français / quel oral enseigner,
et comment tenir compte aussi bien des caractéristiques de l’oral, que de la variabilité, dans
l’enseignement. Cette question étant valable bien entendu qu’on soit dans le domaine du
français langue maternelle, langue étrangère ou langue seconde.
99Rédaction collective avec Agnès Tutin (LIDILEM), Solange Rossato (LIG), Hien Tran (GIPSA-LAB),
Catherine David (AMU), et John Osborne (USMB-ISEFE).
110
3.2. APPREHENDER LA VARIABILITE DANS UNE PERSPECTIVE
DIDACTIQUE
J’ai appréhendé la variabilité dans le cadre de tous mes projets de recherche : en arabe standard
moderne à travers des interrogations liées à la variabilité inter- et intra-dialectale, ou inter- et
intra-individuelle, ce qui a permis de mettre en valeur des éléments de stabilité linguistique au
niveau de la structuration du système vocalique ; dans le projet « voix et reconnaissance du
locuteur » à travers la variabilité de la dynamique de F0 et des trajectoires formantiques, ce qui
a permis de mettre en lumière des stratégies individuelles de gestion de F0 et de la dynamique
phonatoire ; en phonétique clinique, à travers la gestion des paramètres temporels dans
l’interaction verbale.
La variabilité dans une perspective didactique est sans doute, curieusement, la moins explorée
dans la littérature spécialisée, alors qu’elle revêt une importance considérable au-delà de
considérations didactiques, et que les défis à relever sont nombreux pour les apprenants, les
enseignants, les formateurs, les concepteurs, ainsi que plus généralement du point de vue de la
politique linguistique relative à la diffusion « du » français comme langue d’enseignement et
d’usage. Les recherches en FLE sont relativement récentes, et les multiples orientations qui
émergent dans la littérature et en lien avec les pratiques pédagogiques sont tout à fait
prometteuses.
Je voudrais pour ma part m’attarder sur quelques questions de recherche qui se sont nourries de
mon expérience de terrain aussi bien dans le domaine de la coopération française à l’étranger,
au Cambodge (1991-1992), en Egypte (1992-1996) et au Maroc (2007-2011), que dans le
domaine de l’encadrement d’un centre de langue, en l’occurrence le CUEF de Grenoble. Ce va-
et-vient entre la recherche, le secteur de la coopération éducative, linguistique et culturelle, et
l’enseignement du FLE, me paraît très pertinent : de la même manière que l’enseignement et la
recherche se nourrissent réciproquement, les actions de coopération française à l’étranger, qui
relèvent du secteur de la politique linguistique et de la francophonie, sont susceptibles d’être
utilement éclairées voire orientées par des considérations scientifiques. Et je n’ai pour ma part
aucun tabou à considérer que la recherche peut avoir ce type d’applications, car je considère
qu’il s’agit de la responsabilité sociétale des chercheurs que de faire bénéficier les décideurs
des résultats de leurs travaux, d’autant que ces derniers émanent généralement en France d’une
activité scientifique financée sur les deniers publics.
111
3.2.1. LA VARIABILITE A L’EPREUVE DE LA PRATIQUE PEDAGOGIQUE
Mon intérêt initial pour la variabilité sur le plan scientifique était impulsé par des
questionnements relatifs à la relation entre processus de perception et de production, et en
particulier la manière dont le système perceptif humain intégrait la variabilité inhérente au
signal sonore (variabilité acoustique et phonétique) en vue d’accéder à l’invariance
phonologique. Mes références étaient essentiellement constituées des travaux de Daniloff &
Hammarberg, Fowler, Harmegnies, Landercy, Lindblom, Mac-Neilage, Sorin, Studdert-
Kennedy, entre autres. J’optais pour une approche « systémique » inspirée par la Gestalttheorie
permettant de retrouver une certaine « stabilité structurelle » au-delà de l’invariabilité
segmentale, telle qu’en rendait compte par exemple l’analyse acoustique (formantique ou
temporelle). Sachant que c’est la variation d’ordre diatopique, en l’occurrence relative à
l’origine dialectale des locuteurs arabophones, qui m’intéressait initialement. Et j’étais aussi
interpellée par des interrogations que je partageais sans doute avec les chercheurs qui travaillent
sur la variabilité phonétique / phonologique. Je me retrouve par exemple totalement dans des
questions telles que posées par Chevrot (2001) :
100 L’interrogation quant à l’impact que possède l’expérience sur la production des connaissances (et
réciproquement) me paraît fondamentale en didactique du FLE, et la critique de la raison pure de Kant
(1787) un ouvrage à recommander à tous les chercheurs-praticiens.
112
pour chacun d’entre nous que notre propre prononciation constituait la référence à proposer aux
apprenants. C’est là que j’ai pris conscience d’une part du poids de la norme dans la manière
dont je m’étais moi-même appropriée la langue française, et d’autre part, de la nature de l’input
à proposer à l’apprenant de FLE dans un contexte hétéroglotte.
Le français était pour moi à la base une langue étrangère : elle m’avait été inculquée à partir de
l’âge de trois ans dans un contexte scolaire privé confessionnel français au Liban, avec des
ouvrages destinés aux enfants français natifs101, et elle nous avait été transmise d’une manière
extrêmement conventionnelle et normée, notamment sur le plan de la prononciation, car nos
enseignants exigeaient de nous des productions orales dépouillées de tout ce qui était considéré
comme caractéristique de la prononciation des Libanais francophones (le « r » roulé, les
variations mélodiques importantes, etc…). Et ce conditionnement à la norme m’est apparu dans
toute son ampleur lors de cette première expérience d’enseignante de FLE : j’étais d’autant plus
troublée que je constatais que des enseignants francophones natifs avaient une autre norme que
la mienne, nettement moins conventionnelle et plus proche du français « ordinaire » ; et surtout,
que les apprenants du groupe de mon collègue s’appropriaient le français avec un accent
régional presque aussi prononcé que celui de leur enseignant, sans que cela ne pose de problème
particulier à quiconque. A la fin de l’année universitaire, chaque groupe d’étudiants avait une
production orale conforme à celle qui constituait la référence pour l’enseignant.e qui les avait
en charge : les apprenants de nos deux groupes ne se comprenaient pas vraiment, mais cela ne
posait aucune difficulté vu qu’ils n’avaient pas besoin d’échanger entre eux dans cette langue
qui leur était étrangère et qu’ils abandonnaient sitôt franchies les portes de l’université. En
revanche nous échangions souvent avec mon collègue sur la légitimité de la référence que nous
proposions à nos apprenants. En sachant que nous étions d’accord sur un point : l’impossibilité
pour un enseignant de forcer sa nature et de s’exprimer en continu et à l’oral avec un accent qui
lui était étranger, pour satisfaire une quelconque exigence relative à une norme virtuelle qui
constituerait la référence à enseigner. Comme l’indiquent en effet Detey et Racine (2012) :
101 Dans lesquels nous mémorisions « nos ancêtres les Gaulois » avec un esprit critique proche du néant.
113
didactiques lorsque les enseignants successifs ne présentent pas les mêmes
caractéristiques, ou lorsque celles-ci ne coïncident pas avec les descriptions
des ouvrages d’orthoépie (ou les simples manuels) auxquels se réfèrent les
apprenants.
114
régionales du français, mais également des caractéristiques de leur propre français parlé. J’ai
pu me rendre compte de l’influence des représentations et de l’imaginaire sur l’attribution de
telle ou telle origine supposée. J’ai pu constater à quel point certaines productions régionales
hexagonales étaient perçues comme « exotiques », ce qui entraînait des réponses qui pouvaient
apparaître très surprenantes, car excessivement éloignées de la réalité, lorsqu’il s’agissait
d’attribuer une origine linguistique ou culturelle aux locuteurs102. J’ai pu constater que certains
échantillons régionaux avaient un taux de reconnaissance géographique quasi nul, quels
qu’aient été les parcours et l’origine géographique des étudiants (sauf quelques rarissimes
exceptions). Mais j’ai pu aussi mesurer à quel point l’auditeur pouvait réinterpréter des
éléments d’information présents dans le signal sonore à l’aune de son vécu antérieur ou de son
imaginaire, et à quel point des informations acoustiques identiques pouvaient générer des
réponses perceptives très différentes en fonction de l’image mentale voire du « paysage
sonore » inconscient de l’apprenant. C’est ainsi que depuis plus de 20 ans, des générations
d’étudiants de Maîtrise puis de Master de FLE attribuent par exemple au locuteur alsacien 103
présentant les différentes variétés de vin alsacien, une origine aussi diverse que « africaine,
asiatique, canadienne, australienne, américaine », et j’en passe, toute une variété d’identités
géographiques, à l’exclusion de l’origine française et alsacienne104. Les étudiants étaient en
général parfaitement capables de justifier leurs choix par une interprétation à chaque fois
spécifique des indices acoustiques, en faveur de leur jugement final. Pour ce qui est des
étudiants de Master non natifs, cette expérience perceptive et culturelle était à chaque fois une
découverte particulièrement instructive des variétés de français, et c’était aussi une excellente
occasion d’enrichir et de diversifier les images mentales relatives aux différentes variétés de
français. C’était enfin la possibilité d’impulser une réflexion croisée entre la sociolinguistique
et la phonétique, notamment sur les représentations liées à la variation, et sur l’impact que cela
pouvait avoir sur la future pratique professionnelle.
Si je détaille ces éléments, c’est que c’est de cette manière que j’ai commencé à appréhender la
variation dans le domaine de la didactique du FLE, avant que ces préoccupations ne se
transforment, pour certaines, en questions de recherche. Je dois aussi admettre que l’articulation
entre la pratique pédagogique et la recherche m’a paru encore plus complexe à accomplir, car
un gouffre sépare les « bonnes intentions » théoriques, de la réalité et des contraintes du terrain.
102 Rétrospectivement je regrette de ne pas avoir répertorié scrupuleusement toutes les réponses obtenues
au fil du temps.
103 Carton et al., 1983, p.14. C’est le riesling…
104 A quelques très rares exceptions près, d’étudiants alsaciens, ou ayant reconnu l’une ou l’autre des
115
Il ne suffit pas en effet de décréter que la variation doit être prise en compte dans l’enseignement
du FLE. Il me semble même que c’est une conviction relativement bien partagée, si j’en crois
ma propre expérience auprès des quelques centaines de futurs enseignants de FLE potentiels
que j’ai contribué à former dans le cadre de leur formation initiale en France.
Les enseignants en formation continue que j’ai rencontrés dans le cadre de multiples séminaires
à l’étranger, notamment les étrangers qui avaient « investi » du temps et de l’énergie cognitive
pour apprendre le français des manuels de FLE ou des œuvres littéraires, étaient sans doute
pour certains nettement plus « conservateurs105 », mais cette tendance était nuancée par le
pragmatisme de beaucoup d’entre eux, tout à fait conscients de la nécessité d’intégrer la
variabilité dans leurs enseignements de manière à mieux accompagner les apprenants dans leur
future intégration culturelle auprès de natifs, tout en se sentant relativement démunis par rapport
aux ressources et aux dispositifs didactiques à mettre en oeuvre.
Le paradoxe est que la dimension sociolinguistique de l’apprentissage du français par des
apprenants non natifs est une préoccupation ancienne en didactique du FLE, comme j’ai déjà
eu l’occasion de l’évoquer. Le CECRL n’est peut-être pas allé assez loin dans son engagement
par rapport à l’apprenant comme « acteur social » ayant à accomplir des tâches langagières et
non langagières : il est en effet incongru de lire dans la première mouture du CECRL (2001 :
95) la liste de descripteurs relatifs à la « correction106 sociolinguistique » ; on se dit qu’il y a un
pas que les concepteurs ont hésité à franchir en associant là deux termes plutôt antagonistes. En
effet si l’on veut être cohérent et aller au bout de la réflexion, on devrait plutôt se positionner
actuellement, dans le domaine de la didactique du FLE, dans un courant méthodologique
nécessairement variationniste qui devrait valoriser la maîtrise de la variation sociolinguistique
chez l’apprenant, à l’exemple de la position de Regan (1996), et valoriser ainsi le concept de
valeurs partagés dans l’appropriation d’une LE :
105 Cet aspect mériterait d’être infirmé ou confirmé par une recherche de grande ampleur.
106 Souligné par moi-même. Cette expression semble avoir disparu de la réédition du CECRL de 218, mais
le terme « correction » y est très régulièrement utilisé (correction grammaticale notamment).
116
into the second language community, must also learn about sociolinguistic
community speech norms in the target language.
Sous quel angle appréhender donc la variabilité dans des projets de recherche en didactique du
FLE ? Deux orientations m’ont paru envisageables, selon que l’on explore (1) l’interlangue des
apprenants en tant que « dialecte idiosyncrasique » (Corder, 1971) qui rend compte de la variété
de langue spécifique à l’apprenant et de son évolution dans le processus d’appropriation
linguistique ; ou (2) la variation sociolinguistique qui rend compte de l’appropriation des
conditions d’usage de la langue et de la capacité qu’a l’apprenant à manier, autant sur le volet
production que perception, des formes différentes en fonction de paramètres externes
spécifiques. Ces deux axes peuvent être intimement liés, et je rejoins en cela Mougeon et al.
(2002) pour qui :
117
3.2.2. LA VARIABILITE DANS LES PRODUCTIONS DES APPRENANTS : PROJETS EN COURS
Il peut paraître inopportun de commencer par aborder la variabilité dans les productions des
apprenants, avant même d’aborder la question des dispositifs didactiques de son enseignement.
En effet, l’output est très fortement conditionné par l’input auquel le locuteur est exposé
(Chevrot, 2001 ; Mougeon et al., 2002 ; Tyne, 2012, entre autres).
118
encore dans un tout autre cadre, un projet collectif en cours d’élaboration sur
les accents et leurs perceptions (IP-CAFES108) que j’évoquerai plus loin.
Ces deux orientations, variabilité de l’interlangue et variation sociolinguistique, ne me semblent
pas antinomiques, et tout l’intérêt d’un projet tel que IPFC-Arabe par exemple, réside dans la
possibilité de mener des explorations croisées à partir d’un corpus unique multi-tâches.
Cependant, le croisement entre la prise en compte de la variabilité de l’interlangue, et l’analyse
de la variation sociolinguistique, peut avoir certaines limites, voire induire certaines
« tensions » méthodologiques ou théoriques. Par exemple, dans le premier cas, on est amené à
définir et décrire ce qu’est une forme réussie dans la production des apprenants, ce qui, dans
une perspective sociolinguistique, peut être interprété comme une approche normative ; mais
cela fait partie intégrante aussi du processus d’enseignement / apprentissage d’une LE, que de
définir les limites de la variabilité, et d’identifier dans la mesure du possible les seuils
d’acceptabilité des formes produites. Plusieurs questions se sont ainsi posées à moi :
- Comment décider de ce qu’est une forme réussie ? En fonction de quels
critères ce choix se fait ? Comment aborder le seuil d’acceptabilité des formes
observées ?
- Comment appréhender parallèlement la variation diatopique dans la production
des apprenants ?
Une première question se pose quant à la prise en compte des erreurs sous l’angle de la
variabilité. Je ne suis pas encore dans la « variation » dans une acception sociolinguistique : je
suis sensible aux propos de Chevrot qui s’interroge (2001) – sur l’orthographe, certes, mais la
question est assez transposable à l’oral me semble-t-il – pour savoir si « les erreurs
d’orthographe sont des variations » (Chevrot, Op. Cit., 180) et qui conclut en proposant de :
108En collaboration avec Alice Henderson et Dan Frost du LIDILEM, et Radek Skarnitzl de l’Institut de
phonétique de Prague.
119
Contrairement à l’écrit, dans lequel le relevé et l’analyse des formes soulève nettement moins
de difficultés et est moins sujet à des débats « inter-juges » compte tenu de la nature des
données, et du fait que les altérations formelles sont visibles109, le relevé et l’analyse des formes
réussies à l’oral sont des opérations tributaires d’un processus d’interprétation non
« transparent ». La subjectivité (Berrier, 1991) est une dimension qui mérite des études
approfondies. Des observations issues de la pratique pédagogique, et qui mériteraient d’être
confirmées dans le cadre de protocoles de recherche rigoureux, vont aussi dans le sens d’une
influence contextuelle importante sur la détermination des formes réussies / non réussies par
les enseignants110 : intuitivement, un enseignant est conscient du fait que l’appréciation d’une
production orale X peut être influencée par les performances d’un apprenant X-1 ou X-2.
Intuitivement, on sait qu’un temps de déconditionnement perceptif est nécessaire pour éviter
d’être trop influencé par telle production et être mieux à même d’apprécier telle autre. Le relevé
des erreurs phonétiques / phonologiques débute par une étape perceptive auditive, or on sait à
quel point le processus de perception est éminemment individuel, il est étroitement conditionné
par le vécu langagier et sonore des individus (Lhote a très bien formalisé cela dans l’approche
paysagiste de l’oral), mais aussi par les normes de référence implicites des auditeurs
(enseignants ou non), ce qui peut se traduire par des attitudes d’écoute spécifiques et par une
sensibilité plus ou moins importante à certains faits sonores. Il ne faut pas non plus négliger
l’impact perceptif des zones d’instabilité acoustique et articulatoire, qui peut entraîner des
difficultés importantes (voire des obstacles) à l’identification des segments réalisés, et rendre
impossible toute interprétation, en dehors d’une analyse acoustique fine. En outre, les
représentations des enseignants sont à prendre en compte d’une manière beaucoup plus
systématique qu’elles ne l’ont été jusque-là, que ce soit à travers leurs pratiques pédagogiques,
leur formation initiale et continue, ou les dispositifs d’évaluation mis en place.
Je reviens sur le rôle de l’analyse acoustique, qui est à appréhender avec précaution. Le recours
à l’analyse expérimentale est bien sûr un outil précieux, mais dans une perspective didactique,
il ne faut pas lui accorder plus d’importance qu’elle n’en a réellement, et il faut bien être
conscient de ses limites. L’analyse expérimentale ne permet pas nécessairement de trancher
dans un sens ou dans l’autre par rapport à ce qu’est une forme réussie ou non, et dans tous les
cas, elle doit être utilisée d’une manière complémentaire à la perception de l’échantillon sonore,
pour être en mesure d’être exploitée efficacement. Pour illustrer cela, observons les
120
représentations acoustiques de quelques extraits du corpus IPFC-Arabe (Figure 13) : si la
variation de la proportion de voisement de la tenue des consonnes occlusives initiales [b] et [d]
(voir Abou Haidar, 2018) est plus ou moins importante, les tracés seuls ne sont pas en mesure
de nous informer sur l’unité perçue comme non conforme, puisque d’autres indices que la
proportion de voisement sur la tenue contribuent à la perception de ce trait. Sachant également
que la variation est inhérente à la production orale y compris des natifs dans leur langue
maternelle, que la loi du moindre effort peut être à l’origine de phénomènes de variation très
importants dont la manifestation acoustique peut être très visible, mais que compte tenu du
contexte, de la distribution, de la nature de l’échange, cela n’a pas forcément d’impact sur la
qualité de l’interaction. Il est donc important pour les enseignants de FLE d’être en mesure de
nuancer les écarts par rapport à une « norme idéale » : ils ne sont pas forcément tous en effet à
interpréter comme étant des erreurs dans une acception strictement linguistique.
121
Delpiano, 2016 ; Harnois-Delpiano & al., 2012 ; Racine & Detey, 2016), ou encore la
réalisation du schwa (Nouveau, 2012 ; Racine et al., 2016…). Les principales questions qui
traversent ces travaux sont en général le degré de maîtrise des variantes sociolinguistiques par
les apprenants, en fonction de leur niveau de langue dans certains cas (apprenants avancés ou
non), des contextes de leur appropriation (immersion, contexte hétéroglotte ou homoglotte…),
des conditions de leur apparition, des manifestations de leur réalisation, et des formes réussies
ou non réussies de cette variation sociolinguistique. Pour ma part, deux orientations
m’intéressent plus particulièrement, relatives à la variation diatopique :
- la variation en FLE en tant que marqueur potentiel de l’origine géodialectale
des apprenants arabophones,
- l’impact d’un « accent étranger » présent chez l’enseignant ou chez des pairs
apprenants, dans un contexte académique.
111 Ce qui suit est la synthèse de deux communications sous format powerpoint, non publiées, dans le cadre
des journées IPFC 2017 (Abou Haidar, 2017), et FLORAL 2018 (Abou Haidar, 2018).
112 Même si je n’adhère pas du tout pour ma part à la catégorisation sociologique adoptée par l’auteur et à
la terminologie ‘bédouins nomades / sédentaires / citadins’ qui ne me semble pas rendre compte d’une
manière neutre et non négativement connotée, des divisions sociologiques de l’ensemble des populations
arabophones.
122
TABLEAU 4 – Variantes « géodialectales et sociologiques » répertoriées par Embarki (2008 : 592)
L’identification géodialectale, et l’un de ses corollaires, la distance géodialectale, qui sont des
concepts qui demandent à être précisés, décrits et confirmés par des études spécifiques pour
l’arabe, sont-ils opérationnels et transférables dans les productions des apprenants
arabophones en FLE ? Une solide intuition de locutrice native, partagée par d’autres locuteurs
arabophones, mais qui demande à être confirmée par des tests perceptifs, accompagne cette
interrogation : le fait qu’il soit possible, dans certains contextes, de reconnaître l’origine
géodialectale de certains locuteurs lorsqu’ils s’expriment en français, langue étrangère.
L’exemple le plus frappant est le /p/ et sa réalisation la plus fréquente en [b] par des apprenants
syriens de FLE ; ou encore la réalisation de la fricative glottale sonore [h] chez des locuteurs
libanais, résultat d’une confusion d’ordre grapho-phonologique dans des unités avec un « h »
aspiré en position initiale absolue ; ou bien la voyelle /y/ qui a tendance à être réalisée [i] chez
les locuteurs maghrébins, alors que les locuteurs levantins auraient une préférence pour [u] ; ou
encore la réalisation d’une affriquée de type [ʤ] au lieu de /ʒ/ par des locuteurs de la Péninsule
Arabique ; ou enfin, pour finir avec ces quelques exemples illustratifs, l’accentuation initiale
de mot chez les locuteurs levantins ou pénultième chez les locuteurs maghrébins. Bien entendu,
il n’est pas question de suggérer qu’un seul et unique phénomène permette la reconnaissance
de l’origine dialectale, il y a sans doute un faisceau de traits ou de faits linguistiques qui
contribuent à cette reconnaissance et dont il faut éclairer le poids perceptif.
Pour clarifier la question de l’identification de l’origine géodialectale des apprenants
arabophones à travers leur production orale en FLE, il faut pouvoir se baser :
123
- d’une part sur des tests perceptifs effectués auprès d’auditeurs arabophones
natifs de plusieurs zones géodialectales ;
- d’autre part, sur des descriptions relatives aux phénomènes de variabilité et
d’invariance dans la langue maternelle et en ASM, qui constituent le répertoire
langagier quasi incontournable de la majorité des locuteurs arabophones
scolarisés dans le monde arabe.
Les questions de recherche qui m’intéressent sont donc les suivantes :
- Le passage de la langue maternelle et de la langue de scolarisation, l’arabe
standard moderne, vers le français, permet-il de retrouver des indices pertinents
pour la distinction acoustique et perceptive géo-dialectale des apprenants
arabophones en FLE ?
- Les concepts de distance géodialectale, continuum linguistique, frontière
géodialectale, sont-ils parallèlement opérationnels en FLE et en arabe, pour les
apprenants arabophones ?
Ces interrogations ont des prolongements en dialectologie arabe, et justifient encore plus le
projet ANSOLVAR que j’ai présenté précédemment113.
124
sur la perception du « non native speech » (Volin, Skarnitzl, & Henderson, 2018), et d’autre
part par Frost sur les indices de proéminence syllabique en anglais et en français (Frost, 2011).
Je trouverais particulièrement intéressant de considérer le volet perceptif (traitement cognitif
des informations perçues, jugements et stéréotypes, attitudes et croyances, compréhensibilité)
chez les apprenants confrontés, aussi bien chez leurs enseignants que chez des pairs, à des
formes et des modèles ne correspondant pas à leur cadre de référence. Les questions de départ
de ce projet collectif sont les suivantes :
- Quels sont les jugements des locuteurs apprenants sur leurs propres productions
de « non native speaker » ? Quelle est leur relation aux normes de
prononciation ?
- Quels sont leurs jugements sur les productions de leurs enseignants « non native
speaker » ?
- Quel est l’impact de certains indices acoustiques sur la perception et les
jugements rendus, concernant le « non native speaker » ?
Le modèle perceptif paysagiste de Lhote, qui considère par ailleurs avec Llorca que
« apprendre une langue, c’est changer de comportement » (Lhote & Llorca, 2001 : 160), peut
trouver ici des prolongements intéressants. Et comme l’écrit très justement Carette, « l’auditeur
est un être apprenant, psychologique, social/culturel, dans un état variable physique, cognitif,
affectif » (Carette, 2001 : 128).
Les usages et les discours ordinaires évoluent et sont peu légitimés dans les
pratiques de classe. L’héritage des modèles du passé pèse lourd et la
linguistique moderne qui a dominé le 20° siècle depuis Ferdinand de
Saussure est le plus souvent une linguistique sans voix. Malgré l’évolution
des travaux de sociolinguistique sur les parlers par le biais des corpus oraux,
les parlers vivants sont timidement abordés et on s’aperçoit que les modèles
du passé se concentrent durablement dans les pratiques scolaires. (…) Mais
dans les dispositifs de formation et à l’intérieur de
l’enseignement/apprentissage du FE, la diversité est-elle pensée ou plutôt est-
125
on en mesure de la penser ? C’est ce pan obscur du caractère peu « formel et
structuré » de la didactique de l’oral qui mérite d’être interrogé pour réduire
le climat de tension et d’inconfort et parfois de bricolages exploratoires
improvisés.
(Weber, 2006)
Même si la tradition et le conservatisme auxquels Weber fait référence sont à prendre en
compte, je pense qu’une multiplicité de facteurs doit être évoquée.
La formation initiale des enseignants est à interroger, même si elle évolue lentement. Les
compétences linguistiques et sociolinguistiques de certains enseignants non natifs exerçant en
contexte hétéroglotte sont également à questionner : il arrive souvent que les enseignants de
FLE n’aient pas validé le niveau C1 du CECRL, ce qui peut poser des difficultés quant à la
compréhension et l’explicitation, à des fins didactiques, des variétés de langue.
Cette question en amène une autre : le contexte d’apprentissage, homoglotte ou hétéroglotte.
Un apprenant en milieu homoglotte est confronté au quotidien à la variation sociolinguistique,
au français « ordinaire », voire à différentes variétés en fonction des situations de
communication. Dans un tel contexte d’apprentissage, il ne suffit absolument pas de pouvoir
« établir un contact social de base en utilisant les formes de politesse les plus élémentaires (….)
« merci », « s’il vous plaît », « excusez-moi » » (CECRL, 2001 : 95). Dès les premiers contacts
avec la langue dans un contexte homoglotte, un apprenant peut être confronté à des formes
telles que [wɛ] pour « oui », [ʃepa] pour « je ne sais pas », [tela] pour « tu es là ? », [atut] pour
« à tout (à l’heure) », [sjødam] pour « messieurs dames » dans un commerce quelconque, etc….
Et il faut que l’apprenant soit en mesure de comprendre ces formes, en vue d’interagir avec ses
interlocuteurs, et de les utiliser dans un contexte approprié. Je nuancerais donc les propos de
Paternostro (2014) pour qui :
La norme est le premier input pour des apprenants de FLE, et reste souvent
la seule actualisation de la langue à laquelle ils ont accès.
126
formel, mélangé dans quelques cas avec de l’anglais ou une autre langue. Si l’apprenant est
dans une structure universitaire, il est en contact réceptif quotidien avec des natifs ou des non
natifs usagers de la langue. Le contact avec la langue française de la salle de classe n’est donc
pas le premier. Si l’apprenant vit en France ou dans un pays francophone, ses démarches
quotidiennes, commerciales, administratives, de santé, d’études, sont effectuées à l’aide de la
langue française. La langue ordinaire est donc la langue de premier contact : les mimiques, les
attitudes, la distance interpersonnelle, les gestes, l’intonation, la structure prosodique, tout y est
en réception. Ce sont donc ces aspects qu’il serait intéressant d’intégrer à la base dans
l’enseignement. Même si on peut aussi faire confiance à l’apprenant, qui peut extrapoler à partir
d’une situation de bain linguistique, et devenir performant au moins en réception de la variation.
Par ailleurs, même dans la salle de classe, les besoins peuvent varier d’un groupe à l’autre, et
les contenus d’enseignement avec. Mon expérience de directrice du CUEF de Grenoble m’a
confrontée à cette réalité-là aussi, certaines demandes ciblant clairement le français « du
quotidien ».
Quant à la situation de l’apprenant en contexte hétéroglotte, elle est bien sûre très différente,
mais là encore, il faut être prudent et nuancé. Peut-on considérer que les modèles sonores
proposés par les supports d’enseignement du FLE à l’étranger soient représentatifs de « la »
norme, à supposer que celle-ci existe et qu’elle ne soit pas une « vue de l’esprit » (Galazzi,
2005) ? Je ne le pense pas. Les apprenants sont confrontés à trois types d’input au moins. Le
premier input est constitué du modèle proposé par l’enseignant, que celui-ci soit natif du
français ou d’une autre langue. Là encore, je pense ne pas trop me tromper en affirmant
qu’aucun enseignant ne s’exprime comme un manuel de FLE, ne serait-ce qu’au niveau
prosodique, qui est vraiment le parent pauvre des supports audio des manuels de FLE, avec des
formes intonatives très éloignées de la réalité des usages, que ce soit dans des situations
formelles ou non. Il ne faut pas sous-estimer l’importance du modèle proposé par l’enseignant,
qui constitue sans doute l’input de référence, avec ses rituels et tics langagiers, ses modalités
d’intervention didactique (questions, remarques…), les relances, les modalités d’animation et
d’organisation de la classe, etc… : il est scruté et mémorisé et sans doute mentalement mimé
par les apprenants. Il me semble aussi important à noter que lorsque l’enseignant est natif d’une
langue autre que le français, et en particulier lorsqu’il partage la même langue source que les
apprenants, on peut observer des variations non natives communes aux enseignants et aux
apprenants, ce qui peut créer une certaine connivence propice aux apprentissages.
Les autres inputs sont constitués principalement des échantillons sonores supports des manuels,
de l’écrit oralisé le plus généralement, qui constitue une variété figée déconnectée des usages
127
standard(isés) ou de référence ; on a aussi très souvent des écrits littéraires oralisés (poèmes,
textes littéraires), ce qui explique que beaucoup d’apprenants de FLE soient réputés « parler
comme les livres ».
Mais il faut aussi tenir compte du fait que, avec la révolution numérique, une diversité de
variétés d’oraux est accessible à l’apprenant et à l’enseignant. Les enseignants basés à l’étranger
ont souvent recours aux plateformes électroniques pédagogiques mises à leur disposition ou
conçues comme supports d’enseignement, par exemple TV5 Monde ou IFProfs114. Voici ce
qu’écrit un enseignant soudanais de FLE, I. Yousif, sur le site de l’ARLAP115, dans le cadre
d’une réflexion sur les variations familières du français en classe et sur les attentes des
apprenants :
114 https://www.ifprofs.org/ Réseau conçu par l’Institut français et présenté comme « Le réseau social de
l’éducation en français », qui comptait 20.886 membres au 22 septembre 2018, partageant des ressources
pédagogiques ou méthodologiques.
115 https://arlap.hypotheses.org/5077 Consulté le 22/08/2018
128
Cette question pourrait également être formulée d’une autre manière : quelle(s) variété(s)
enseigner et dans quelle finalité ? Vaste débat, qui occupera encore longtemps les didacticiens,
les praticiens, les chercheurs, les concepteurs de manuels, les directeurs de centres de langues,
les décideurs, et j’en passe ! Ce qui me semble intéressant à mettre en lumière, c’est que grâce
à la multiplicité des recherches en didactique à visée sociolinguistique, nous passons très
progressivement d’une question au singulier (quel français enseigner ?) à un pluriel (quels
français) qui intègre d’emblée la diversité, même s’il reste encore beaucoup à faire.
Il me paraît évident, à la suite des nombreux auteurs que j’ai évoqués précédemment, que la
question n’est pas de savoir s’il faut enseigner la variation mais quelles fonctions de la variation
prendre en compte, et pour quelles finalités. Quoiqu’il en soit :
La prise en compte de la variation en classe de langue est une étape indispensable dans le cadre
de l’apprentissage du système phonologique de la langue cible, et permet à l’apprenant
d’intégrer la variabilité acoustique inhérente au signal de parole, et la variabilité articulatoire
inter- et intra-individuelle. Racine (2017) en résume parfaitement l’intérêt :
129
(Racine, 2017116)
Enseigne-t-on le français « tel qu’il est parlé » (Detey et al., 2010 ; Weber, 2013) de nos jours ?
Rien n’est moins sûr, même si les situations sont extrêmement variables selon les contextes, les
lieux, les contraintes institutionnelles…. Tel qu’il est parlé par qui ? Dans quel contexte ? Dans
quel lieu ? Vastes débats. Une observation minutieuse des manuels de FLE nous amène au
constat suivant : avant même d’aborder la variation, un fossé demeure entre l’oral pédagogique
des méthodes, que ce soit en réception à travers les supports audio des CD, ou en production à
travers les activités et exercices proposés, et l’oral « ordinaire », « dont chacun est porteur dans
son fonctionnement quotidien, dans le minimum de surveillance sociale : la langue de tous les
jours » (Gadet, 1997 : 13). L’oral des manuels permet difficilement de remplir la fonction
« véhiculaire » dont a besoin l’apprenant :
116 Table ronde coordonnée par M.-C. Jamet, La phonétique en didactique du FLE : modèles, activités,
évaluation, Repères DoRiF n°12 – Les z’oraux – les français parlés entre sons et discours – Coordonné par
Enrica Galazzi et Marie-Christine Jamet, DoRiF Universita, Rome juillet 2017
http://www.dorif.it/ezine/ezine_articles.php?art_id=344 Consulté le 23/09/2018
117 Quelques rares exceptions sont à noter, par exemple la méthode Plaisir des sons (Kaneman-Pougatch et
Pedoya-Guimbretière, parue aux éditions Didier-Hatier en 1989) qui reste pour moi un modèle encore
inégalé sur le plan de la prosodie et de la qualité vocale pour ce qui est des éditions sous format papier (non
numérique).
130
l’intonation » (Morel & Danon-Boileau, 1998) commencent à être bien connus, et les
spécificités rythmiques et intonatives bien décrites.
b. La qualité vocale des locuteurs représentés dans les échantillons audio est marquée par
une certaine affectation, une « application » qu’on ne trouve même pas dans des
situations très formelles ; on présente aux apprenants des inputs bien éloignés des usages
futurs de la langue.
c. Les caractéristiques phoniques du français parlé (quelle que soit la variété envisagée)
sont en général soit absentes, soit non prises en considération dans une démarche
systématique et structurée : les liaisons, les enchaînements, la gestion du schwa
(maintien ou chute), les concaténations de consonnes, les phénomènes d’assimilation
consonantique et d’harmonisation vocalique, les hésitations, les répétitions, les pauses
sonores (« euh », « eh », « ahm », …) pour ne citer que les faits les plus visibles et
audibles.
d. Les phénomènes d’ordre morpho-syntaxique propres à l’oral commencent à être
relativement bien décrits dans la littérature : voir entre autres Peytard (1970), qui faisait
déjà référence à la « grammaire de l’oral », Blanche-Benveniste (2000), Koch &
Oesterreicher, (2001), Rossi-Gensane (2010), Weber (2013) parmi de nombreux
auteurs. Or ces phénomènes demeurent en général ignorés dans les pratiques
pédagogiques, et dans les rares cas où ils sont présents, ils ne font généralement pas
l’objet d’un enseignement explicite.
Bien entendu, il ne faut pas sous-estimer la difficulté pour les enseignants de FLE d’avoir à leur
disposition des descriptions systématiques didactisées de tous les phénomènes listés ci-dessus.
Mais de plus en plus de ressources existent, que ce soit les corpus oraux évoqués précédemment
ou les possibilités offertes par le web, et il faut que les concepteurs s’en emparent. Mais on ne
peut pas nier l’existence de difficultés de circulation entre les connaissances acquises dans le
cadre de recherches linguistiques et sociolinguistiques sur l’oral en français, et la conception de
matériels didactiques.
Même si la variation commence à être présente dans certaines méthodes, elle l’est à des doses
extrêmement faibles qui permettent à peine un début de sensibilisation à quelques rares
phénomènes, les finalités n’étant pas une appropriation dans le cadre d’un enseignement
systématisé, global, et ciblé. En voici quelques exemples pour illustrer mes propos. La méthode
131
Nouveau Rond-Point 1 A1-A2118 présente des échantillons de locuteurs non natifs de niveau
A1-A2 avec un accent « étranger » relativement bien marqué, mais le but n’est pas d’explorer
la variation diatopique. Les phénomènes de variation stylistique non plus ne sont pas clairement
ciblés, même si certains éléments mériteraient qu’on s’y attarde : le manuel propose par
exemple au sein d’une même activité [ʒəmapɛl] ou [sɛləpʁəmje] comme modèle unique (alors
que les deux formes – avec ou sans schwa – pourraient être présentées d’une manière
concomitante). Dans certains rares échantillons, les deux formes sont présentes mais aucune
exploitation n’est proposée, on se demande si cela n’est pas dû au hasard (p.ex. dans l’activité
sur le plurilinguisme en France, Nouveau Rond Point A1-A2 (2012 : 38) : on a aussi bien
[ɔ̃spaʁl] que [ɔ̃səpaʁl], [ʃfɛ] ou [ʒǝfɛ], mais ces formes sont concomitantes avec la réalisation
systématique de liaisons facultatives – [ɔ̃pøtapʁɑ̃dʁ] ou [mɛzɛla] – ce qui produit une curieuse
impression auditive due au mélange des niveaux de langue dans un très court échantillon. Le
Nouvel Edito119 propose également quelques très rares faits caractéristiques de l’oral comme
par exemple la chute du schwa dans la particule de négation ne [Ʒəntə] tout en proposant dans
le même échantillon sonore la forme [midiedəmi] avec le maintien du schwa. Quelques rares
publications proposent des activités en réception ciblant explicitement la variation : tel est le
cas d’Abry et Chalaron dans le manuel complémentaire La grammaire des premiers temps –
A1-A2120 avec une activité d’écoute de formes « familières / standards » mettant en lumière la
chute du schwa (« T’es dans l’train », « j’fais des études de méd’cine » « j’vais bien »…) (p.
21) ou une information sur la chute totale de la particule de négation ne ou partielle avec la
chute du schwa (p. 108) (« Tu pars pas sans moi » « Tu n’pars pas sans moi »).
Ces quelques tentatives, certes louables, restent insuffisantes au regard de la complexité du
domaine. Comme l’écrit Paternostro (2014) :
118 C. Flumian, J. Labascoule, C. Lause, C. Royer, 2012, Editions Maison des langues.
119 M. Heu, M. Abou-Samra, M. Perrard, C. Pinson, 2012, Editions Didier.
120 La troisième édition a paru en 2014 aux éditions PUG.
132
complexes (…). C’est leur combinaison et leur fréquence dans une situation
– et non un trait isolé – qui créent un accent ou un style.
121 Je ne déroge pas à cette règle. Dans une perspective variationniste, une étude sur les représentations et
les réalisations du /ʁ/ dans la population libanaise serait particulièrement riche.
122 On peut citer le développement des recherches en sociophonétique avec Maria Candea, Suszanna Fagyal,
Cyril Trimaille, …
133
La variation dans une perspective didactique ne peut pas être déconnectée de cette dimension
identitaire bien au contraire. Ce qui signifie qu’enseigner et apprendre une langue doit
également permettre de faire prendre conscience à l’apprenant (et à l’enseignant) de la
dimension identitaire, affective, émotionnelle, qui se rattache à l’appropriation de la langue
cible, et qui conditionne même le processus d’appropriation.
Les représentations liées à la norme et aux variations peuvent à cet égard être éclairantes
(Molinari, 2008). J’ai de mon côté effectué une enquête dont les résultats sont en cours
d’exploitation123, auprès d’apprenants et d’enseignants non natifs, basés en France ou à
l’étranger, et la variation orale est mise en avant à travers des propos 124 tels que : les accents
sont une richesse – la variété des prononciations d’une langue fait partie de la réalité – on a
tou.te.s un accent – l’accent c’est souvent inévitable et tout à fait normal, et je pense que parfois
différents accents me donnent une variété d’informations concernant le locuteur – c’est un
signe d’identité en quelque sorte – c’est un signe d’originalité.
Intégrer la francophonie dans sa diversité d’une manière explicite, en allégeant le côté « franco-
centré » des modèles proposés, correspond à une réalité qu’il est impossible de continuer à nier
au XXIème siècle. Bien entendu, il s’agit d’une question éminemment politique, mais quel est
le dispositif de diffusion d’une langue et d’une culture qui ne réponde pas à des exigences de
politique linguistique, économique et culturelle ? Cela irait dans le sens d’un enseignement
engagé en faveur de la diversité linguistique et culturelle, qui est prôné dans le cadre du CECRL,
qui correspond aussi à l’éducation interculturelle défendue par le Conseil de l’Europe et
l’UNESCO, mais qui est très rarement mis en œuvre dans les méthodes de FLE. Cela faciliterait
sans doute une meilleure identification et une meilleure appropriation des contenus
d’enseignement et des modèles linguistiques et culturels proposés dans les manuels, par les
enseignants en contexte hétéroglotte. Cela valoriserait également les usages réels de la
francophonie dans le monde, et pourrait contribuer à alléger la domination symbolique d’une
variété de français hexagonal comme facteur de distinction sociale, économique et culturelle
(Castellotti, 2018). Ces objectifs pourraient être facilités par les grands corpus oraux ayant opté
134
pour une multiplicité de points de collecte, et c’est une finalité affichée par exemple par les
fondateurs du projet PFC :
Compte tenu de ce qui précède, je voudrais insister pour commencer sur le fait que je suis
consciente des craintes que peuvent inspirer les changements profonds, de la lourdeur des
dispositifs à mettre en place, et des résistances qui ne manqueraient pas d’émerger chez les
différents acteurs du processus didactique. Il ne s’agit pas non plus de porter des jugements
contreproductifs et clivants sur « la norme » telle qu’elle est appréhendée de nos jours par
beaucoup d’acteurs du FLE, et qui est un héritage historique qu’il est impossible pour un
enseignant ou un chercheur de balayer d’un revers de la main. Intégrer la variation, cela revient
pour moi à se positionner par rapport à une référence, quelle qu’elle soit. Depuis le français
135
fondamental (Gougenheim et al., 1956) au Niveau-Seuil (Coste et al., 1976), en passant par le
français standard (Léon, 1966), le français contemporain de Fernand Carton (Carton, 1974), le
français standardisé de Francis Carton et al. (1983 : 5), pour arriver au français de référence
que retiennent Detey, Lyche, et Durand (Detey et al., 2010), les débats autour de la ou des
normes de référence pour l’oral (et de la terminologie qui l’accompagne) sont vifs et
récurrents. Il n’est pas question de passer d’un extrême à l’autre mais de procéder en conscience
et en méthode.
Il ne s’agit pas de refuser toute norme – aucune société ne s’en passe – mais
bien d’en surveiller la construction par l’analyse scientifique, et de
comprendre l’activité normative, c’est-à-dire de la modifier, comme un
secteur de la pratique sociale moins innocent qu’il n’y paraît.
136
en compte l’affectivité et la motivation, mais aussi plus profondément, le sens que revêt
l’apprentissage d’une LE pour le sujet129. C’est sans doute aussi cela qui ressort à travers la
déception des apprenants (et des enseignants) lorsqu’ils s’expriment sur le décalage entre la
variété enseignée et apprise, et les variétés auxquelles ils sont exposés dans un contexte extra-
scolaire. Cette approche n’est pas incompatible avec une réflexion sur la norme. Je trouverais
intéressant de développer chez l’apprenant une réflexion sur la « conscience normative »
(Dabène, 1994 : 101), c’est-à-dire « l’idée que se fait (un sujet) des formes correctes,
acceptables, d’une langue » (Ibid.). Je pars du postulat que la « conscience normative » existe
chez tous les individus, aussi bien par rapport à leur répertoire langagier (langues d’usage) que
par rapport aux langues cibles / enseignées. On peut par ailleurs poser l’hypothèse que cette
conscience normative serait plus développée ou plus forte ou plus contraignante selon les
cultures, cet aspect reste à explorer par des études spécifiques. Le rapport à la norme langagière
est sans doute aussi différent selon les cultures, ce qui est également à approfondir. Cette
question pourrait donc être explicitement posée comme objet de recherche, mais aussi
d’enseignement dans un contexte d’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère.
A partir de là, quelles variétés proposer à l’apprenant, en réception et en production ? Il est
nécessaire qu’il y ait une ouverture sur le plan réceptif au français dans ses multiples variétés :
sensibiliser les apprenants au français dans ses variétés canadiennes, françaises, belges, suisses,
marocaines, maliennes, etc…. L’apprenant doit-il maîtriser en production ces variétés ? Le
débat peut se poser. Que fait l’apprenant avec la langue ? Quelle est la légitimité de
l’appropriation (à des fins d’usage) de telle ou telle variété ? Si la sensibilisation aux variétés
est importante sur le plan culturel et dans une fonction de décentration, le contexte
d’apprentissage prime, ainsi que les éléments propres à ce contexte. On ne forme pas un
apprenant à un accent X s’il doit utiliser la langue dans un environnement Y. Il ne faut pas
oublier la dimension identitaire de la variation, et s’inspirer utilement en cela du cas des natifs,
qui peuvent jongler entre plusieurs variétés en fonction des contextes. Jongler entre différentes
variétés diastratiques est une nécessité. Jongler entre différentes variétés diatopiques est une
incongruité. Quel serait l’intérêt de faire maîtriser à un apprenant étranger, des subtilités et des
transitions que ne maîtrise pas le natif ?
129 Je pense à une anecdote qui avait été rapportée par Lhote dans l’un de ses séminaires de recherche dans
les années 1980 : dans un groupe d’étudiants étrangers à qui il était proposé une activité basée sur « l’auto-
stop », une étudiante asiatique était en situation de blocage total. A l’issue de l’activité – qu’elle n’a pas été
en capacité de réaliser – celle-ci justifie son refus par le fait que dans son pays, faire de l’auto-stop était
impensable. Donc là on est tout à fait dans les « obstacles culturels de l’apprentissage », pour reprendre un
titre d’ouvrage de Gilles Verbunt (1994).
137
3.2.4. CONCLUSION
L’élargissement de ma réflexion et la prise en compte d’éléments d’ordre sociolinguistique,
identitaire et interculturel, dans l’enseignement et l’apprentissage du FLE va m’amener à poser
les bases de ce qui pourrait constituer un « modèle phonétique holistique » pour l’apprentissage
de l’oral, sur lequel je reviendrai dans la dernière partie de ce chapitre.
qui s’intéresse à la manière dont les sons du langage sont produits, transmis,
perçus par les sujets parlants.
138
part des phonéticiens, de l’impact que pouvaient avoir les facteurs contextuels, culturels et
identitaires, sur la structure physique du signal de parole. Car la prise en compte de facteurs de
variation (contextuels, stylistiques, etc…) a permis de mettre en lumière leur impact sur la
structure acoustique du signal de parole, comme en témoigne par exemple la figure ci-après qui
présente « les modifications subies par le triangle vocalique (en espagnol) sous l’effet du
changement de style de parole (Huet & Harmegnies, 2000 ; Huet, Harmegnies & Poch, 2001 ;
Poch, Delvaux, Huet & Harmegnies, 2003) » (Harmegnies & al., 2005) :
139
à la parole tout en engageant un processus de réévaluation de l’oral dans
l’enseignement des langues.
140
Tout d’abord, et comme je l’ai dit et écrit à plusieurs reprises, on prend de plus en plus
conscience en didactique que « l’oral engage la face, au sens propre et figuré » (Abou Haidar,
2016). L’action d’oraliser amène l’apprenant à « relever un défi de nature très intime » (Abou
Haidar, à venir). C’est probablement la seule dimension de la langue dans laquelle l’objet
d’attention est constitué d’organes qui possèdent autant de fonctions : respiratoire, digestive,
identitaire. Aucune autre dimension ne requiert un engagement corporel aussi important et aussi
actif de la part de l’apprenant : la bouche, les lèvres, la langue, les maxillaires, les joues, les
yeux, les oreilles, le nez, le maintien corporel, focalisent l’attention de l’apprenant et de
l’enseignant, et il faut être conscient des dimensions psychologique et culturelle de cet
engagement afin de mieux les appréhender dans le cadre de l’apprentissage : il faut faire en
sorte que cela ne constitue pas un frein à l’apprentissage, mais plutôt un moteur.
Une ouverture transdisciplinaire complémentaire vient consolider la prise en compte de ces
éléments : les recherches sur les émotions dans l’apprentissage font une (ré)apparition timide
dans le domaine de la didactique du FLE depuis quelques années, alors même que les
promoteurs de la méthode verbo-tonale ont été de vrais précurseurs en focalisant dès les années
1960 sur l’importance d’utiliser des énoncés suscitant des émotions positives et plus
généralement chargés d’affect, pour rendre l’apprentissage attractif et plaisant, et motiver
l’apprenant. Llorca avait aussi repris dans ses travaux cette dimension en l’approfondissant :
dans ses recherches sur la mémoire sensorielle que j’ai évoquées plus haut, elle montre
comment les énoncés chargés d’affectivité sont susceptibles d’être mieux mémorisés que des
énoncés neutres, en se basant sur l’articulation entre la dimension intonative, la dimension
sensori-motrice, et la dimension cognitive. Plus généralement, les corrélats acoustiques des
émotions sont explorés depuis des décennies (voir Scherer, 1986 ; Williams & Stevens, 1972),
que ce soit en production ou en réception. Gratier, quant à elle, introduit un facteur intéressant
dans ses travaux : l’appartenance culturelle, qu’elle a explorée dans sa recherche doctorale
(Gratier, 2001) dans la relation mère-enfant, à travers une étude comparée entre une cohorte
mère-enfant autochtone et une cohorte mère-enfant migrante, d’où il ressort que l’insécurité de
certaines mères migrantes se traduit dans la structuration rythmique de l’interaction qu’elles ont
avec leurs enfants.
Cette notion d’appartenance me paraît fondamentale : on peut émettre l’hypothèse que
l’insécurité et l’angoisse induites chez certains apprenants par l’étrangeté de la langue à
acquérir, et qui prend corps dans nous-mêmes à travers l’oralisation, sont susceptibles de créer
des blocages à l’apprentissage. De ce fait, on peut aussi postuler que l’insécurité et l’angoisse
pourraient être atténuées par la composante qui est le plus à même d’agir d’une manière efficace
141
mais relativement inconsciente sur le bien-être et la sécurisation de l’apprenant, et par
conséquent faciliter le processus d’apprentissage : la composante prosodique dans son
ensemble. Pas n’importe laquelle et pas n’importe comment : il faut passer par l’intermédiaire
de l’intonation et du rythme pour susciter des émotions positives, accorder la priorité à la
musicalité de la parole et de la voix, pour stimuler l’affect afin d’optimiser les capacités
cognitives. Il faut valoriser la « musicalité » de la parole et de la voix, de la même manière
qu’on sait que la musique peut avoir un impact certain sur le mental de l’individu, positif ou
négatif d’ailleurs. L’industrie cinématographique l’a bien compris, faisons-en un objet d’étude
et un support didactisable à part entière. Renard et Guebrina ont traité de ces questions il y a
des décennies, mais on peine à en voir la généralisation. L’apprenant doit se sentir « sécure »
dans la LE, il faut donc être en mesure de favoriser une familiarisation, une appropriation, une
habituation, perceptives et cognitives, de manière à remplacer le sentiment d’étrangeté par un
sentiment de familiarité, d’identité (dans l’acception « mêmeté » si j’ose ce néologisme),
propice à un apprentissage sécure.
En totale imbrication avec la structure prosodique, la dimension kinésique est aussi importante
à prendre en compte : Calbris, Montredon, Llorca, Tellier, et bien d’autres ont bien montré
l’importance de la gestuelle dans l’activité de communication. Llorca met en avant en plus le
« senti corporel » (Llorca, 2003) et insiste sur la nécessaire articulation entre macro et micro-
motricité. Ses travaux (recherches ou vidéos131 mises à disposition sur internet) montrent
comment la macro-motricité corporelle opère un contrôle particulièrement étroit sur la micro-
motricité phonatoire, ce qui permet de cibler des faits prosodiques divers, tels que
l’accentuation syllabique, la structure rythmique, les mouvements intonatifs, etc., de manière
indirecte mais particulièrement efficace, à travers des activités de classe portant en apparence
sur la macro-motricité corporelle.
On le voit bien, tout est donc imbriqué, et on peut émettre l’hypothèse que la prosodie (en
particulier l’intonation et le rythme, mais ce ne sont peut-être pas les seuls faits prosodiques à
être concernés), les mouvements corporels, les émotions et les capacités cognitives sont
intrinsèquement liés. Et évoquer le plaisir dans l’apprentissage n’est peut-être pas aussi farfelu
ni original qu’on pourrait le croire : cela peut avoir un impact réel sur l’action d’apprendre la
dimension phonique d’une langue étrangère et toutes les dimensions qui s’y rattachent.
142
Etablir les réseaux de ressemblances et de différences entre des phénomènes
acoustiques objectivement différents mais considérés par une communauté
linguistique tantôt comme identiques, tantôt comme similaires ; maîtriser les
règles d’assemblage de ces sons en groupes syllabiques, accentuels, ou
moraïques ; user à bon escient des paramètres suprasegmentaux qu’une
langue laisse libres pour marquer des contrastes, assumer une fonction
syntaxique ou encore paralinguistique ; adapter le traitement de la matière
phonique aux conditions matérielles, sociologiques, culturelles, régionales de
la communication… autant d’attitudes élémentaires dont aucun locuteur ne
peut se passer dans l’exercice le plus élémentaire de toute activité de
communication à l’oral.
143
On a coutume de parler de l’oral des langues pour désigner tout ce qui est
associé à l’utilisation simultanée d’un code linguistique et d’une activité
vocale, verbalisée et gestuelle d’un individu dans cette langue. Selon cette
conception, on attend de l’apprenant d’une langue étrangère (L2) qu’il
apprenne à reconnaître, utiliser et associer toutes les formes prises par les
différentes unités linguistiques de l’oral de L2 (…). On peut considérer que
l’oral est abordé d’une façon analogue à l’écrit.
Le fait même que, le plus souvent, on use pour y référer, de la locution correction
phonétique montre bien, d’ailleurs, que l’intervention didactique à ce niveau
relève souvent d’une orthopédie de la dernière heure, rarement intégrée dans une
planification pédagogique cohérente.
132Suite à une erreur éditoriale, c’est mon nom d’épouse – Abécassis – qui est paru en tant que nom
d’auteure.
144
CNED133 qui touchent un public autrement plus large : dans le cadre de mes fonctions de maître
de conférences au sein de la section FLE de l’université Grenoble Alpes, je suis en effet chargée
de la refonte du cours traditionnellement intitulé « Phonétique et phonétique corrective » qui
fait partie intégrante de la maquette du Master de didactique du FLE. Et je ne souhaitais plus,
en tant qu’auteure et chercheure, adhérer à une appellation qui consiste de mon point de vue à
« aborder forcément la prononciation selon le prisme de la déviation » dans une perspective
didactique (Abou Haidar, 2018). J’ai ainsi procédé à son remplacement par « Phonétique et
prosodie en classe de FLE » qui me semblait mieux correspondre à une approche non
normative, ayant pour finalité l’appropriation par l’apprenant des caractéristiques phoniques de
la langue cible ; cet intitulé permettait aussi par la même occasion de « promouvoir » la
prosodie d’une manière explicite.
Cela dit, le renoncement à l’appellation « phonétique corrective » ne dispense pas d’une vraie
interrogation sur les enjeux de l’enseignement de la prononciation d’une LE, ni sur les principes
didactiques sous-jacents aux dispositifs d’enseignement mis en place. Cette interrogation est
régulièrement débattue dans la littérature, et il est intéressant de noter qu’elle revient de plus en
plus au premier plan dans les publications spécialisées :
- en 1998 la revue Repères consacre un numéro à L’oral pour apprendre ;
- en 2001, paraît un numéro de la revue Recherches et Applications intitulé Oral : variabilité et
apprentissage, coordonné par Francis Carton ;
- la revue Recherches et Applications revient sur cette thématique en 2008 avec un numéro
intitulé : Quel oral enseigner, cinquante ans après le Français fondamental ? coordonné par
Claude Cortier et Robert Bouchard ;
- en 2016, paraît un nouveau numéro de cette même revue, que nous avons coordonné avec
Régine Llorca pour faire le point sur l’évolution du champ, intitulé : L’oral par tous les sens :
de la phonétique corrective à la didactique de la parole ;
- en 2018, paraît le 1er numéro d’une nouvelle revue, Action Didactique134, coordonné par Saliha
Amokrane et Claude Cortier : Oral et oralité : perspectives didactiques, anthropologiques ou
littéraires ;
133 Organisme de formation à distance qui propose une formation « historique » de DU et de Master en
didactique du FLE en collaboration avec la section FLE de l’université de Grenoble, dont les enseignants sont
pour la plupart concepteurs des cours qui constituent ces formations suivies annuellement à travers le
monde par des centaines d’enseignants ou de futurs enseignants.
134 Nouvelle revue spécialisée éditée en Algérie.
145
- enfin, last but not least, en préparation pour 2019, le volume 16-1 de la revue RDLC-Les
Cahiers de l’ACEDLE : Enseigner la phonétique d’une langue étrangère, coordonné par
Michel Billières et Jérémi Sauvage.
Evolution is not merely a process of change, of regrouping of the old into new
forms; it is creative, its new forms are not merely fashioned out of the old
materials; it creates both new materials and new forms from the synthesis of
the new with the old materials. The creativeness of matter is, as we saw,
confined to the aspect of structure and to the refashioning of new structures
out of the pre-existing material units (…). When we come to organisms we
find a very much larger measure of creativeness in Evolution. For it is
admitted that the new qualities or characters which give rise to new varieties
or species are really new in the sense that they have not been there before and
are not merely reshufflings of characters which were there before. New
characters are created.
J’ai l’impression en cela d’avoir bouclé une boucle en élargissant le spectre par rapport à la
réflexion initiée par Elisabeth Lhote, puisque c’est à partir de ma lecture de l’ouvrage de Smuts,
puis de mon exploration sur les applications du holisme dans différents champs disciplinaires
dont la santé et l’écologie, que j’ai retrouvé l’écologie paysagiste, telle qu’elle a été développée
146
par Murray Schafer (Murray Schafer, 1979), qui a lui-même inspiré Lhote lorsqu’elle a
transposé le concept de paysage sonore (soundscape) dans une perspective didactique : à
travers cette démarche, Lhote a eu une approche extrêmement novatrice pour l’époque dans le
domaine de la didactique de l’oral, que ce soit à travers la prise en compte de la dimension
interculturelle et identitaire qui faisait partie intégrante des fondements de l’approche
paysagiste et qui était articulée à la dimension cognitive relative aux processus de perception et
de production, ou de la prise en compte du répertoire langagier antérieur de l’apprenant, ou du
fait que ce dernier n’arrivait pas « vierge » de toute connaissance dans la langue nouvelle, ou
enfin pour ce qui est de l’apprenant amené à agir dans la langue cible. Dufeu partage également
les mêmes préoccupations pour une approche holistique (Dufeu, 2016) en insistant sur le
caractère global de l’enseignement/apprentissage.
Il me semble en tout cas que l’on pourrait « revisiter » l’approche paysagiste des langues telle
qu’elle a été proposée par Lhote, pour la doter d’un socle plus puissant et plus large, et la faire
évoluer de manière à ce qu’elle s’intègre dans un modèle de l’apprentissage qui soit conçu dans
une perspective explicitement holistique.
147
Bien sûr, cette démarche ne dispense pas d’un travail ciblé sur les mécanismes de production
et de perception de la parole, mais elle pose un cadre dans lequel les dimensions sont
constamment étroitement articulées. J’aimerais à ce stade attirer l’attention sur quelques étapes
qui me semblent indispensables dans une telle démarche holistique :
1. La découverte sensori-motrice : de nouvelles habitudes articulatoires sont à mettre en
place, qui revêtent une importance affective et culturelle pour certaines, mais qui, ne
l’oublions pas, constituent également un effort physique à ne pas négliger. De la même
manière que lorsque l’on se met à une nouvelle activité physique, la gymnastique
articulatoire requiert une nouvelle dynamique musculaire qu’il est nécessaire de
s’approprier pour qu’elle devienne de l’ordre du réflexe. Sauf que bien entendu, cette
nouvelle dynamique phonatoire revêt une dimension identitaire et culturelle autrement
plus conséquente que n’importe quelle autre activité physique135.
2. Le couplage sensoriel : à voir défiler des dizaines d’apprenants au fil des ans, avec des
stratégies d’apprentissage très variées, j’en suis arrivée à considérer que la théorie
motrice développée par Liberman, Cooper, Harris et MacNeilage (Liberman et al.,
1963) est tout à fait appropriée pour rendre compte des processus d’apprentissage chez
certains apprenants : le fait que les inputs auditifs activent une représentation mentale
des schémas moteurs semble correspondre à une réalité chez certains locuteurs, en
fonction de leur style d’apprentissage et de leur « canal » de prédilection.
3. A l’inverse, certains apprenants ont recours à des stratégies d’apprentissage plutôt
visuelles, on le voit bien notamment dans les attitudes adoptées en classe et la nécessité
impérieuse pour certains de regarder l’enseignant accomplir des gestes phonatoires
avant de passer à l’action. J’en suis arrivée à faire le lien avec ce qui est connu comme
l’effet McGurk (Colin & Radeau, 2003), qui met l’accent sur l’association d’un input
auditif avec un input visuel et qui montre l’impact de la vision sur la perception auditive.
Des travaux tels que ceux de Sato, Basirat & Schwartz (2007) sur la manière dont
« visual information from the speaker’s articulatory gestures, together with auditory,
phonological, and lexical constraints, may modify the emergence and stability of verbal
auditory percepts » (2007: 1371) doivent nous orienter pour un « enseignement
stratégique » couplant l’auditif ET le visuel dès les premiers stades de l’exposition à la
135 Il faut être attentif aux manifestations de fatigue des apprenants à l’issue des séances consacrées à la
prononciation : les activités perceptives ne sont pas les seules à solliciter pleinement l’énergie de
l’apprenant. La gymnastique articulatoire peut provoquer une gêne (voire une réelle fatigue) tout aussi
importante, rarement verbalisée, et qui mériterait d’être explorée.
148
langue cible. On ne peut se contenter d’affirmer que la perception auditive n’est pas, à
elle seule, suffisante pour apprendre : la vision, qui lui est nécessairement couplée, est
indispensable pour orienter et stabiliser le jugement perceptif.
4. La macro-motricité doit être prise en compte dès les premiers stades de l’apprentissage,
en lien avec la dimension prosodique, également présente d’emblée, et la micro-
motricité phonatoire. Une telle association est à même d’augmenter les performances
des apprenants dès leur premier contact avec la langue, de leur permettre une
appropriation globale à travers la « mise en corps » et non seulement la mise en parole,
et de les rendre véritablement « acteurs sociaux » en les rendant aptes à une maîtrise
globale, et non partielle, des dimensions de l’oralité.
5. Le plaisir d’oraliser doit être un moteur de l’apprentissage. En cela, les sportifs de haut
niveau ont beaucoup à nous apprendre, pour ce qui est du plaisir de réaliser des
performances complexes et d’atteindre ses objectifs. Cette notion ne doit pas être
considérée comme infantilisante ou superflue. Plaisir, motivation et apprentissage sont
étroitement liés du point de vue du traitement cognitif de l’information. Bien sûr, des
générations d’apprenants ont appris sous la contrainte, dans l’ennui et sans aucune
motivation autre que celle d’éviter la sanction ; mais les progrès scientifiques et une
meilleure connaissance des processus cognitifs nous apportent la preuve que nous
pouvons faire mieux, en procédant autrement.
6. Pour ce qui est de l’input : mon cheminement m’amène à considérer que dans une
perspective didactique, la variation est la norme, mais d’une manière éclairée et avec
des choix pleinement justifiés et assumés de la part de l’enseignant. Il faut bien admettre
qu’on a là un « maillon faible » ; les enseignants n’ont pas encore à leur disposition des
descriptions suffisamment fines et systématiques (pas forcément exhaustives) pour
qu’ils puissent les transposer et les didactiser en classe de FLE. Une dynamique
importante est certes lancée avec l’élaboration et l’exploitation des grands corpus oraux
et les projets de recherche annexes, ou d’exploration didactique innovante. Mais nous
sommes confrontés là à du temps long, incompatible avec les exigences de la multitude
de contextes didactiques. A l’enseignant de gérer donc entre tous les inputs en présence
(le sien avant tout, celui des manuels, des supports numériques extrascolaires, celui de
ses collègues, celui que prône l’institution), de tenir compte du contexte, des finalités,
des besoins des apprenants, pour introduire la variabilité et contribuer aux changements
des pratiques pédagogiques et des regards portés sur la norme à enseigner. Certes, une
telle démarche est exigeante pour l’enseignant, mais ce dernier n’est pas un simple
149
répétiteur, et sa responsabilité déontologique et intellectuelle est engagée, ce qui n’est
pas incompatible avec le respect des programmes ou des contraintes institutionnelles136.
136Je suis tout à fait consciente des situations conflictuelles auxquels les enseignants pourraient être
confrontés.
150
POUR CONCLURE
Me voici arrivée au terme d’une démarche réflexive qui aura été très constructive, en ce qu’elle
m’a permis de clarifier le socle épistémologique qui a alimenté ma réflexion par le passé, et sur
lequel je compte envisager le prolongement de mon activité scientifique.
Le titre de ce mémoire de synthèse de mon activité scientifique, « De la linguistique à la
didactique… », rend bien compte de mon cheminement : j’ai élargi progressivement le focus
que j’effectuais sur la matière phonique, et cet élargissement doit autant à mon activité
scientifique qu’académique ; je ne peux pas nier en effet l’impact sur ma recherche, de mon
appartenance à plusieurs équipes, ou de mes nombreuses affectations professionnelles,
institutionnelles et géographiques. Même si cette synthèse est scientifique avant tout, il m’a
paru important de montrer que mon activité de chercheure et ma pratique d’enseignante et de
formatrice s’enrichissent mutuellement
Comme j’ai eu l’occasion de l’évoquer tout au long de ce mémoire, j’ai maintenu un cap qui
me paraît nettement plus robuste et cohérent sur le plan scientifique que je ne le craignais
lorsque j’ai pris la décision de rédiger cette synthèse. La diversité des domaines, terrains et
objets de recherche m’a donné l’occasion, pour le formuler trivialement, de « triturer la matière
phonique dans tous les sens ». J’ai dû me plier à des cadres disciplinaires et méthodologiques
variés. J’ai sollicité une multiplicité d’angles théoriques qui me permettent d’aboutir à une
synthèse sans doute moins pointue que certains travaux, mais que je trouve scientifiquement
solide et étayée, car elle a été construite sur le long terme dans une progression qui m’a permis
de ne conserver que les « briques » les plus pertinentes et qui pouvaient s’articuler de la manière
la plus cohérente possible.
J’ai mis en valeur trois fils conducteurs qui sont de fait de nature différente : les données orales
sont organisées dans des corpus de telle manière que leur analyse permet de mettre en lumière
/ d’illustrer / d’exploiter des phénomènes de variabilité et de variation dont les facteurs et les
impacts contribuent à redéfinir le concept d’oralité. Dans une perspective didactique, je pense
que ma réflexion pourrait apporter une contribution utile à un débat récurrent en didactique du
FLE : « quelle langue enseigner ? ».
J’ai également pris conscience au fil de la rédaction, que je ne peux concevoir mon activité
scientifique sans une approche prioritairement centrée sur la langue, même si j’ai enrichi cet
objet au fil du temps en l’articulant à l’humain et au monde environnant. Le fait que j’accorde
une grande importance à la dimension identitaire des langues appréhendées est sans doute le
151
reflet de ma propre relation avec les langues qui sont l’objet de mes recherches : l’arabe, langue
par et pour laquelle je suis entrée dans la recherche, reste pour moi un « complexe linguistique »
(Owens, 2013) de référence, dont je souhaite poursuivre également l’exploration, dans un va-
et-vient avec le français lorsque cela s’impose.
Pour finir, je conçois mon engagement scientifique, qui se poursuivra principalement à travers
les projets IPFC-Arabe, IP-CAFES, CorpAcadFLE, et ANSOLVAR, comme une contribution
plus large à l’interrogation suivante : qu’est-ce qu’une langue, et comment l’appréhender au
mieux pour l’enseigner et se l’approprier ?
152
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Seules les références ayant été directement utiles pour la rédaction de cette synthèse ont été
effectivement retenues. Une multitude d’auteurs et de publications ayant inspiré tout aussi utilement
l’ensemble de mon activité scientifique ne figure pas dans cette liste.
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