Manon Lescaut LL6
Manon Lescaut LL6
Manon Lescaut LL6
C'est ce que le lecteur constate dès les deux premières phrases grâce à l'usage du
plus-que- parfait (<< j'avais marqué le temps ») et à sa reprise grandiloquente («< que
ne le marquais- je »).
Le chevalier Des Grieux ne cache aucune émotion quant au souvenir qu'il va relater.
En effet, l'utilisation de l'interjection << hélas »>, de la tournure exclamative introduite
par << que » et du conditionnel passé (<< j'aurais porté ») souligne d'emblée le regret
L'expression du regret se lit également dans la phase << je devais quitter cette ville ».
Le destin du personnage semble scellé dès le début.
Cette première partie définit un cadre spatio- temporel précis, par l'usage des noms
des villes (Amiens, Arras) et par le champ lexical du temps (<« < la veille »>, << le
temps », « un jour plus tôt »>).
e narrateur Des Grieux, plus âgé, se dédouble et observe avec un œil averti les
égarements de sa jeunesse, au « je » narrant s’ajoute le « je » narré
La scène décrite est banale : un cadre urbain (<< hôtellerie », « coche », « voitures
>>), une promenade avec un ami, une scène de rue dont les deux amis sont témoins à
partir du passage au passé simple : << nous vîmes ... et nous le suivîmes ».
La négation restrictive << Nous n'avions pas d'autre motif que la curiosité » propose
une justification de la scène que le lecteur ignore encore.
Les deux amis sont spectateurs d'une scène de rue et le regard du narrateur âgé pique
la curiosité du lecteur.
Dès lors, cette seule femme devient l'objet de toutes les attentions du chevalier.
Elle se détache et n'agit pas de la même façon que les autres : c'est ce que montre
l'antithèse << se retirèrent » /«< s'arrêta » : les autres femmes << se retirèrent aussitôt
» -telle était la fin du premier mouvement; mais elle, « s'arrêta seule dans la cour ».
De plus, l'intérêt du chevalier se traduit par l'emploi de l'adverbe intensif («< fort jeune
») et par son acuité visuelle : chaque détail fait l'o d'une description afin de cerner au
mieux l’identité de la femme.
Ainsi l'homme plus âgé qui l'accompagne << paraissait lui servir de conducteur » : le
verbe d'état suggère que le chevalier n'est plus spectateur passif dans une rue mais
spectateur obnubilé par une seule femme, qui fait des suggestions.
Il ne sera fait aucune mention de la description physique de cette femme ni de son
nom. Seule prédomine l'expression lyrique de l'émotion du chevalier, à travers l'emploi
de l'intensif << si charmante »>.
Les mots se précipitent, s’enchevêtrent : << moi qui... >>, << ni... >>, au point de
nécessiter une incise << moi, dis-je ».
L'état amoureux dans lequel se trouve le chevalier est intense : << je me trouvai
enflammé tout à coup jusqu'au transport >>
Dans le détail, il souligne que cette rencontre a bousculé la personne qu'il était
auparavant indifférent aux femmes, mesuré comme l'indique la proposition
Subordonnée relative << dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue », il est
désormais passionné.
De connotation religieuse, l'adjectif métaphorique << enflammé » fait signe vers l'enfer
et répond à l'«< innocence » perdue évoquée au début de l'extrait.
La périphrase <«< maîtresse de mon coeur » souligne que le narrateur est désormais
sous la domination d'une femme à laquelle il n'a pas encore parlé.
Le portrait qui en résulte est ambivalent : la mention de son jeune âge (<< encore
moins âgée que moi »), voire de sa naïveté (l'adverbe << ingénument ») tranche avec
une assurance marquée (<< sans paraître embarrassée », << elle était bien plus
expérimentée que moi »).
L'échange permet ainsi d'attiser la curiosité du lecteur pour cette jeune fille ambiguë
La tournure passive de la réponse (qu'elle y était envoyée») rappelle les codes dans
l'éducation d'une femme, et sa soumission à un ordre familial.
L'effet de surprise que provoque cette réponse sur le chevalier est d'autant plus fort
qu'il nomme pour la première fois le sentiment qui l'envahissait : << l'amour me rendait
déjà si éclairé ».
Le projet du noviciat de cette jeune fille est reçu avec intensité comme le souligne
l'expression hyperbolique << un coup mortel pour [s]es désirs ».
Contre la naissance des sentiments s'érige donc un obstacle: celui d'une morale
religieuse mortifère, incompatible avec le cœur.
L'échange s'achève sous la forme d'un discours indirect libre - « c'était malgré elle
qu'on l'envoyait au couvent >>.
La vie religieuse est présentée comme le dernier rempart contre le « penchant au
plaisir » de Manon.
La première, << qui s'était déjà déclaré » laisse sous- entendre un passé sulfureux; la
seconde << et qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens » clôt de
façon proleptique et tragique cet extrait tout en plaçant le lecteur dans un effet
d'attente.
Conclusion :
La rencontre amoureuse racontée par le double regard d'un narrateur jeune et
passionné et d'un narrateur plus âgé et critique place le lecteur au cœur d'une histoire
complexe. Témoin de la naissance des sentiments intenses de Des Grieux, le lecteur
assiste, impuissant, aux débuts de cette passion, à l'étymologie double : à la fois
source d'amour et de souffrance, entre sentiments et interdits, la tragédie se noue déjà