Cca 172 0137
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Grandeur et décadence
de la consolidation
des comptes dans le secteur
public local français
The rise and fall
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Résumé Abstract
Au début des années 1990, la méthode de At the beginning of the 1990s, the consoli-
consolidation des comptes appliquée par les dation method applied by private companies
entreprises privées est transposée dans le sec- is transposed to the French local public sector.
teur public. Le consensus autour de la nécessi- The consensus around the need for the presenta-
té de cette information ainsi que les tentatives tion of consolidated financial statements in the
d’application engagées laissent imaginer une public sector as well as the experiments conducted
généralisation prochaine de cet outil. Pour- by local governments lead to the idea that the
tant, à la fin des années 1990, seules quelques generalization of this accounting device is just a
collectivités continuent d’appliquer cette mé- matter of time. But at the end of the 1990s, only
thode. a few local governments still applied it.
À partir du modèle d’analyse de la trajec- Based on the model elaborated by Law and
toire d’une innovation proposé par Law et Callon (1992) in order to study the trajectory of
Callon (1992), cet article retrace la dynamique innovations, this article emphasises the dynam-
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de la consolidation des comptes dans le sec- ics of the consolidation of accounts in the French
teur public local français et met en lumière les local public sector and clarifies the reasons of this
raisons qui ont conduit à l’abandon de cette innovation failure.
innovation.
Remerciements : L’auteur remercie sincèrement les deux réviseurs anonymes pour l’intérêt qu’ils ont
témoigné à cette étude ainsi que pour leurs nombreux conseils et commentaires.
Correspondance : Sébastien ROCHER
Faculté de Droit, d’Économie et de Gestion de l’Université d’Angers
13, allée François Mitterrand
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Introduction
Dans les années 1990, les collectivités locales de nombreux pays se sont engagées dans la consolida-
tion de leurs comptes et de ceux de leurs satellites, c’est-à-dire l’ensemble des entités publiques ou pri-
vées participant à la gestion publique, sur le modèle des entreprises marchandes (Brusca et Condor,
2002 ; Lüder et Jones, 2003 ; Grossi et Pepe, 2009). La France n’a pas fait exception à ce mouvement.
Au début des années 1990, les pratiques de consolidation des entreprises sont transposées aux col-
lectivités locales françaises (Klopfer, 1991a ; OEC, 1992 ; DeKerviler, 1993 ; Pavard et Charpentier,
1993) ; et au cours des années 1990, les résultats des premières tentatives de collectivités locales met-
tent en évidence la possibilité d’adapter les pratiques du privé au secteur public (Thénoz, 1993, 1995 ;
Lande, 1996). Pourtant, au début des années 2000, la consolidation des comptes des communes
et de leurs satellites a été remplacée par la consolidation des budgets et la consolidation des risques
périphériques des collectivités locales (Rousseau, 2003). Partant de ce constat, la problématique de
cet article est la suivante : pourquoi la consolidation des comptes des communes et de leurs satellites
sur le modèle du secteur privé a-t-elle été délaissée ?
L’objectif de cet article est d’étudier la trajectoire de cet outil dans le secteur public local français,
de l’engouement initial qu’il a suscité à son abandon. Cette étude s’insère donc dans la continuité des
travaux sur la diffusion d’innovations, d’idées ou d’outils s’étant soldée par un échec1 (Broustail, 1990 ;
Law et Callon, 1992 ; Latour, 1993 ; Nauroy, 2005 ; Gonzalez Alvarez, 2007 ; Alcouffe et al., 2008a).
Dans ce dessein, cette étude s’appuie sur le modèle d’analyse de la trajectoire des innovations pro-
posé par Law et Callon (1992). Trois raisons majeures justifient ce choix. Tout d’abord, ce modèle
mobilise une approche processuelle des innovations, intégrant indifféremment les phénomènes
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sociaux et les aspects techniques (Heeks et Standforth, 2007). Ensuite, ce modèle s’insère dans la
continuité des travaux sur la théorie de la traduction (Callon, 1986 ; Callon et Law, 1989). À l’instar
de ce cadre théorique, ce modèle ne vise ni à démontrer ni à tester. Il constitue un cadre explicatif
favorisant la compréhension d’un processus à partir de la (re)constitution d’une histoire (Latour,
2006 ; Law, 2007). Enfin, Law et Callon (1992) ont élaboré ce modèle suite à l’étude de la trajectoire
du TSR 2, un avion de combat imaginé par la Royal Air Force à la fin des années 1950. Ces auteurs
montrent comment ce projet va progressivement prendre corps, jusqu’à son vol inaugural, avant
d’être abandonné. La trajectoire de cette innovation est similaire à celle de la consolidation des
comptes dans le secteur public local français dans les années 1990.
La première partie de cet article présente le modèle élaboré par Law et Callon (1992) puis expose
l’architecture de la recherche. L’analyse du développement de la consolidation dans le secteur public
local français constitue la seconde partie. Dans une troisième partie, une explication de l’abandon de
la consolidation des comptes dans le secteur public local français est proposée.
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local est ensuite constitué, c’est-à-dire un ensemble de relations entre acteurs humains et non-humains
nécessaire à la construction d’un outil qui fonctionne (Callon et Law, 1989 ; Law et Callon, 1992).
Dès lors, la trajectoire d’une innovation est fonction de trois facteurs (Law et Callon, 1992, p. 46) :
• la construction et le maintien d’un réseau global pourvoyant des ressources diverses dans le but
d’en retirer un bénéfice futur ;
• la construction et le maintien d’un réseau local utilisant les ressources issues du réseau global afin
d’offrir, en retour, un avantage économique, matériel, culturel ou symbolique aux acteurs composant
le réseau global ;
• la capacité du projet à s’imposer comme un point de passage obligé entre ces deux réseaux.
Cependant, à tout moment, le maintien de ces trois conditions peut être remis en cause. La force
d’un réseau est égale à celle de son maillon le plus faible et les alliances scellées avec une ou plusieurs
catégories d’acteurs peuvent se rompre et faire vaciller l’innovation, voire conduire à son abandon.
Les acteurs peuvent ainsi décider de déserter le réseau dans lequel ils étaient enrôlés. Deux causes
principales permettent d’expliquer ce phénomène de dissidence ou de trahison (Callon, 1986, Callon
et Latour, 1981 ; Latour, 1993). La première est la force des alliances et associations créées progressi-
vement autour de l’innovation. En effet, pour atteindre ses intérêts, un acteur a l’opportunité d’em-
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Schéma 1
La mobilisation des acteurs
Fort
Degré d’attachement des acteurs
du réseau global
Projet solide,
indispensable
Faible Fort
Degré de mobilisation des acteurs
du réseau local
Désagrégation du projet,
projet faible
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Plus l’innovation est ancrée dans le quart supérieur droit de ce modèle, plus elle devient irréversible.
À l’inverse, plus elle se rapproche du quart inférieur gauche, plus elle est sujette à un échec proche.
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transformations successives de l’idée originelle ne sont plus discutées et les alternatives sont oubliées,
incidemment abandonnées au profit d’une définition de la consolidation des comptes qui n’est plus
remise en cause.
Comprendre pourquoi une idée, un objet ou une innovation devient, ou non, une boîte noire
nécessite de reconstituer les réseaux qui l’ont supportée ainsi que les controverses qu’elle a engendrées.
Pour ce faire, il faut « suivre les acteurs » en étudiant simultanément les acteurs humains et non-
humains et comprendre leur enrôlement, leur mobilisation et éventuellement leur désertion (Latour,
1987 ; 1993).
L’étude de l’échec de la consolidation des comptes dans le secteur public local français est née avec
la participation active aux groupes de travail lancés par la direction générale de la comptabilité publique
(DGCP) sur la consolidation des budgets et l’analyse des risques périphériques, menés entre janvier 2004
et décembre 2005 (Rocher, 2006). En 2003, la DGCP décide de s’engager dans le développement de
méthodes de consolidation alternatives, fondées sur la consolidation des budgets et sur l’analyse des
risques périphériques des collectivités locales et non sur la consolidation des comptes telle qu’elle est
appliquée dans le secteur privé. De cette situation a émergé la question suivante : pourquoi développer
des méthodes alternatives lorsque la consolidation des comptes semble applicable dans le secteur public
local, comme en témoignent les expériences de plusieurs collectivités dans les années 1990 ?
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l’expert-comptable participant à ce projet, le chef des services de contrôle de gestion), dans le cas
des villes de Grenoble et Marseille, nous nous sommes entretenus avec les successeurs des personnes
impliquées dans ce projet. Ce « choix » résulte du refus des personnes identifiées de répondre à nos
sollicitations. Quant aux autres villes qui se sont engagées dans la consolidation des comptes au début
des années 1990 (Rosny-sous-bois, Louveciennes, Nîmes, Aulnay-sous-bois, Douai), il ne nous a pas
été possible d’identifier les personnes impliquées à l’époque ou nous n’avons pas été en mesure de les
retrouver. Nous nous sommes donc entretenus avec d’actuels membres des services financiers de ces
communes. Toutefois, nos interlocuteurs n’avaient pas connaissance, le plus souvent, de l’expérience
de leurs (lointains) prédécesseurs en matière de consolidation. Au final, ce dernier mode de recueil
nous a permis de compléter les informations précédemment collectées grâce à 12 entretiens, d’une
durée allant de 15 minutes à 2h15.
Le recueil des données est donc fortement lié aux opportunités qui nous ont été offertes. En cela,
cette méthodologie s’insère dans la continuité des réflexions de Girin (1989) sur l’opportunisme
méthodique dans l’étude des situations de gestion. Selon cet auteur, il est nécessaire de saisir les
possibilités d’observation qu’offrent les circonstances et de maximiser les opportunités de recueil de
données face à l’impossibilité de collecter des données « idéales ».
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« Holding Ville ». Il est ainsi précisé dans le rapport de présentation des comptes consolidés de la ville
de Grenoble (1991, p. 2) que « les travaux présentés ne constituent pas une consolidation au sens “comp-
tabilité privée” du terme », du fait notamment de l’hétérogénéité des nomenclatures comptables et de
l’absence de liasses de consolidation.
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comptes de régularisation permettant de rattacher les charges et les produits à l’exercice qui leur a
donné naissance et une annexe retraçant les engagements donnés et reçus. Avec une telle présentation,
la contrainte de non-homogénéité comptable est en grande partie levée. » (Klopfer, 1991a, p. 129)
« Les limites évoquées pour limiter la consolidation à celle des risques sont de natures différentes : les
référentiels comptables utilisés dans le secteur public […] sont hétérogènes. Le projet de mise en application
de la M14, inspirée du Plan comptable, permet d’éliminer cet obstacle. » (Pavard, 1993, p. 20)
Par ailleurs, les experts-comptables proposent l’établissement d’un bilan et d’un compte de résul-
tat consolidés sur le modèle du secteur privé. Ils dépassent ainsi l’approche des flux en proposant une
approche patrimoniale. Ils adaptent également la méthode afin de prendre en compte les engagements
(garanties d’emprunt…) et provisionner les risques. Enfin, ils redéfinissent les finalités attribuées à la
consolidation des comptes dans le secteur privé. Ainsi, dans le secteur public, cet outil doit permettre
de mieux évaluer l’endettement total que supporte une commune, d’évaluer ses risques financiers,
d’améliorer sa gestion, d’apprécier son poids économique et financier réel, d’évaluer les politiques
publiques, de disposer d’une vue d’ensemble de la situation financière des activités de la collecti-
vité, ou encore d’effectuer des comparaisons entre différents groupes territoriaux (DeKerviler, 1992 ;
OEC, 1992 ; Befec, 1996). Le réseau qui supporte l’introduction de la consolidation des comptes
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que cela représentait… Spontanément, mes collègues n’auraient pas pris le relais. » (Membre des
services financiers)
• Comment renouveler le soutien politique de cette information facultative alors que les élus n’ont
qu’un faible attrait pour les résultats de la consolidation des comptes ?
Le faible intérêt des élus pour les résultats de la consolidation des comptes
Les résultats des premières tentatives de consolidation des comptes sont en deçà des attentes initiales
attachées à cet outil et n’ont qu’un intérêt limité pour les élus :
« Il y a eu des apports : c’est à partir de ces expériences que les collectivités ont commencé à élaborer
une cartographie des entités qui composent le groupe territorial. Mais ce n’ était pas suffisant et ces
expériences sont restées au stade de projet. » (Membre de la DGCP)
« Les élus ne sont pas intéressés par le résultat de la consolidation. Leur intérêt réside surtout dans
la présentation du périmètre, la vue globale de la gestion municipale, l’approche par politique
publique. » (Membre des services financiers)
« Les élus ne voyaient qu’un chiffre, je ne suis même pas sûre qu’ ils aient pris conscience que la
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Dans de nombreuses collectivités, l’analyse des politiques publiques ou le suivi des risques sont
traités dans un service différent.
« Les résultats étaient avant tout formels. Les élus ne se sont pas approprié les résultats. Ils recherchaient
une simple vision globale. Ils n’avaient pas d’appétence pour la méthode. Ils ont laissé faire le directeur
financier. Mais c’ était plus une expérience “pour se faire plaisir”. […] Au service contrôle de gestion,
nous tenions des dossiers d’ évaluation pour les satellites les plus importants et nous organisions des
comités de suivi avec l’ensemble des partenaires. » (Membre des services de contrôle de gestion)
Progressivement, l’existence de méthodes alternatives de suivi des satellites minimise le rôle de la
consolidation des comptes dans les villes qui se sont engagées dans sa mise en place :
« Nous continuons de publier un rapport de communication financière en comptes consolidés, qui
reprend la consolidation du compte administratif et des satellites. Mais lors de la dernière réunion
de service, j’ai proposé que nous supprimions cette partie du rapport. […] Pendant longtemps, il y
avait un service dédié à l’analyse des SEM et on s’en remettait à ce service pour l’analyse financière. »
(Membre des services financiers)
L’ensemble des controverses apparues lors de la mise en place de la consolidation des comptes
dans plusieurs collectivités locales, ont toutefois pu être dépassées dans certaines d’entre elles. Ainsi,
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suffisant, pour s’engager dans cette voie. En plus, la réforme était inévitable et elle devenait prioritaire ;
surtout que dans l’esprit de beaucoup, elle devait faciliter la consolidation. » (Membre de la DGCP)
Le réseau qui supporte la consolidation est donc fortement affaibli et les efforts d’intéressement
des élus et des administratifs semblent anéantis. Certes, cette réforme est présentée comme un futur
allié pour l’introduction de la consolidation des comptes dans le secteur public local puisqu’elle vise
à harmoniser la comptabilité privée et la comptabilité publique. Elle doit ainsi faciliter l’application
d’une méthode imaginée à partir de l’anticipation de cette réforme. Mais cet argument est annihilé
suite aux transformations successives de la consolidation dans les collectivités qui l’expérimentent9.
1999 : La réouverture de « boîtes noires » sur lesquelles repose la consolidation des comptes
Si la loi ATR a institué deux nouvelles catégories d’EPCI à fiscalité propre10 en 1992, l’intercommu-
nalité à fiscalité propre s’est réellement imposée en France à la suite de la loi du 12 juillet 1999 relative
au renforcement de la coopération intercommunale11. Cette loi a entraîné une dynamique intercom-
munale sans précédent dans le secteur public local français. Le nombre d’EPCI à fiscalité propre a été
multiplié par 10 en moins de 10 ans (DGCL, 2006). Mais en accentuant le rôle des EPCI à fiscalité
propre dans le paysage local, le législateur a rouvert des « boîtes noires » sur lesquelles s’appuyait la
consolidation des comptes dans le secteur public local.
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ils cantonnent implicitement le Trésor public à sa mission de comptable public12. Or, au début des
années 2000, la DGCP remet en cause le rôle imaginé pour elle par les défenseurs de la consolidation
des comptes dans le secteur public local.
Suite à la réforme avortée de Bercy en 2000 (Séréni et Villeneuve, 2002 ; Pernot, 2002 ; Villeroy
de Galhau, 2004) et au lancement du programme « Bercy en mouvement » en octobre 2002 (Parini,
2005), la DGCP et la DGI ont vu leurs missions modifiées13 autour d’un recentrage de leurs métiers,
afin de moderniser l’administration et d’améliorer l’image de ces directions face aux contribuables
(Villeroy de Galhau, 2004, p. 10). D’un rôle de contrôleur, la DGCP devient ainsi le conseiller finan-
cier des collectivités locales en enrichissant l’expertise et le conseil financier au profit des décideurs
locaux. C’est à ce titre que la DGCP s’engage dans l’amélioration de l’information financière diffusée
par les collectivités locales. La DGCP signe, le 15 avril 2003, un contrat de performance sur la période
2003-2005 dans lequel elle s’engage notamment à développer l’information financière des collectivités
locales et réaliser des analyses consolidées des budgets principaux et annexes des collectivités locales.
Pour la DGCP14 « Présenter, pour chaque collectivité, de véritables comptes consolidés couvrant l’ensemble
des budgets apparaît à la fois logique (une seule personne juridique, un seul décideur, etc.) et utile (vision
d’ensemble). Dans le cas des EPCI, l’ intérêt est encore plus grand puisque la proportion des opérations
suivies dans un budget annexe peut atteindre et même dépasser la moitié des masses budgétaires globales. »
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DGCP renforce à son tour le réseau supportant l’introduction de la consolidation des risques dans le
secteur public local. Cette méthode alternative de consolidation est ainsi passée d’un point de passage
concurrent à un point de passage obligé.
Conclusion
Cet article propose une rétrospective de l’introduction de la consolidation des comptes et de son
évolution dans le secteur public local français. Si l’introduction de la consolidation des comptes en
France a déjà été étudiée, seul le secteur privé a fait l’objet d’attention (Bensadon, 2007). Cet article
revient sur l’abandon de la consolidation des comptes dans le secteur public local français à la fin des
années 1990 malgré l’engouement qu’elle avait suscité quelques années auparavant. En s’appuyant sur
la théorie de la traduction, cet article montre que les alliances qui avaient été constituées au début
des années 1990 ont été reconfigurées quelques années plus tard, ou se sont cassées du fait du refus
d’acteurs enrôlés du rôle imaginé pour eux. Ainsi, en appliquant le modèle de Law et Callon (1992),
la trajectoire de la consolidation peut être schématisée comme suit :
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Fort
Degré d’attachement Consolidation des budgets
des acteurs du réseau global H et des risques
Point de passage obligé
B Expérimentations
C
G
2000
Faible
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démarchant par exemple les collectivités locales pour leur proposer leurs services. Les expériences
partenariales sont ainsi restées limitées. Or, comme évoqué supra, la formation des agents territoriaux
reposait sur la mobilisation des professionnels du secteur privé puisque les organismes de formation
des personnels administratifs n’étaient pas enrôlés dans le réseau global. Dès lors, l’implantation
durable de la consolidation des comptes nécessitait qu’un plus grand nombre d’experts-comptables
s’engage dans cette voie.
En outre, lorsque l’OEC développe une méthode d’analyse des risques périphériques des collecti-
vités locales (OEC, 1995), bien que les finalités de ces méthodes apparaissent à certains égards com-
plémentaires, il concurrence la consolidation des comptes et participe au raffermissement du réseau
global supportant cette alternative.
Ce constat est renforcé par le fait que la méthode de consolidation fondée sur la consolidation des
budgets et l’analyse des risques est le prolongement de l’idée du comité consultatif en 1991, où étaient
notamment représentés élus, administratifs et organismes de formation des cadres territoriaux.
2/ La concurrence des outils de gestion ou l’importance de la technique au niveau local
Au début des années 1990, l’impact du législateur dans les débats sur la consolidation est rela-
tivement faible. Il propose une information consolidée « a minima » dans la loi ATR. Deux raisons
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(Mattret, 2003 ; Le Bot, 2006). De surcroît, la « stabilité » à laquelle est parvenue la DGCP pourrait
être remise en cause par l’apparition de nouveaux acteurs dans le débat, à l’instar de l’International
Public Sector Accounting Standards Board (IPSASB), le normalisateur international de comptabi-
lité publique, qui a publié en 2001 trois normes comptables (IPSAS 6, 7 et 8) à l’attention des États
et des collectivités locales, relatives à la consolidation des comptes à partir de la transposition des
normes internationales de comptabilité privée, matérialisation d’une conviction qu’il est nécessaire et
possible de le faire. Dès lors, il n’est pas à exclure que les alliances constituées par la DGCP puissent
être remises en cause et que les porte-parole mobilisés ne désertent le réseau créé autour de la conso-
lidation des risques. Mais c’est une autre histoire.
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Comptabilité – Contrôle – Audit / Tome 17 – Volume 2 – Septembre 2011 (p. 137 à 160)
Sébastien Rocher
GRANDEUR ET DÉCADENCE DE LA CONSOLIDATION DES COMPTES
DANS LE SECTEUR PUBLIC LOCAL FRANÇAIS 159
Comptabilité – Contrôle – Audit / Tome 17 – Volume 2 – Septembre 2011 (p. 137 à 160)