Cca 103 0007
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Cca 103 0007
Damien de Blic
Dans Comptabilité Contrôle Audit 2004/3 (Tome 10), pages 7 à 27
Éditions Association Francophone de Comptabilité
ISSN 1262-2788
ISBN 2711734234
DOI 10.3917/cca.103.0007
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W$i Introducdon
Faire de la comptabilité l'objet d'une sociohgie suppose que l'activité comptable n'est pas qu'une
affaire de spécialistes ou de proÊessionnels de cette activité mais qu'elle intéresse d'une manière ou
d'une autre le monde social en général. Cette dimension sociale de la comptabilité peut être abordée
de multiples manières, ce dont témoignent les contributions ici réunies, qu'elles I'envisagent depuis
son encastrement dans un environnement économique, organisationnel ou culturel ou qu'elles
tentent de cerner I'espace de pouvoir qu elle définit. Nous voudrions porter ici l'attention sur des
situations dans lesquelles un certain type de discours social sur la comptabilité s'offre de façon privi-
légiée à I'observation : il s'agit des affaires et des scandales financiers.
Les études sociologiques entreprises dans le sillage des ûavaux de Boltanski et Thévenot ( 199 1) ont
largement démontré l'intérêt de porter l'attention sur les momenrs de crise et de dispute, er sur les
o affaires u en particulier. l,es acteurs engagés dans de telles situations s'y livrent en effet à un intense
travail de critique et de justification où elles s'appuient sur des normes qui sortent alors de I'implicite
où elles sont le plus souvent confinées et donnent ainsi accès aux modèles ordinaires de justice et de
légitimité qui fondent les possibilités d'accord entre les personnes dans nos sociétés. Ces cycles de
critiques et de jusdfications suscités par les affaires tendent de même à révéler au grand jour des
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CoMsr BItrTÉ - C-oNrnôLe - AuDrr / Numéro tlémadque - Jrin 2004 (p.7 à27)
Damien DE BLtc
I.A, COMPTABIUTÉÀ LÉPREUVE DU SCANDALE FINANCIER 9
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CoMp{ABILnÉ - - Âuorl / Numéro thématique Jwn 2004 (p.7 à27)
' Damien DE Buc
I.A COMPTABILITÉ À LÉPREUVE DU SCANDÂLE FINANCIER ll
Tableau 1
læ premier effet du tableau est de faire apparaltre très lisiblement le décalage entre les sommes
recueillies et ce qui a été effectivement alloué à des uavaux de creusement. Si on admet que seules les
lignes 1 (incluant l'achat de la concession), 5 (uavaux de construction du canal) et7 (achet d'une ligne
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le procureur de la République Quesnay de Beaurepaire, y voit le premier < exposé complet de I'entre-
prise du Panama , (1899, p. 67).Le juge d'instruction Alfred Prinet dira devant les membres de la
commission d'enquête parletnentaire de 1893 que u c'était le n<rud de l'affaire o. Et le rapponeur
d'une seconde commission sur le scandale de Panama en 1898, le député Rouaner, rappellera de
même que ce document a servi de base à toutes les enquêtes ultérieures (1898, p. 3)15.
Mais, surtout, le caractère idiosyncrasique de ce premier récit du scandale de Panama est vite
débordé dans la mesure oir la trame construite par I'expert-cornptable semble transférable à d'autres
situations. C'est que les fautes relevées contre les administrateurs de Panama, les erreurs de gestion, les
mensonges et les malversations à l'origine de l'échec de I'entreprise rappellent à I'opinion celles dénon-
cées quelques années plus tôt à I'occasion du trach de I'Union générale. Ce rapprochemenr e$ déter-
minant car il marque l'ouverture d'une série qui permet à la qualification de u scandale financier u de
prendre les propriétés d'une forme sous laquelle pourront être désormais subsumés d'aurres événe-
ments. læ répertoire des fautes relevées dans les deux affaires est dès lors disponible pour identifier un
scandale financier. Seront de fait désignés préférentiellemenr comme des scandales financiers des
situations dévoilant un décalage très important enffe la situarion financière affichée d'une société et sa
situation financière réelle, autrement dit lorsqu'une manipulation de chiffres et de comptes est dénon-
çable. Il est dès lors possible d'aftirmer avecThiveaud'(1997) que le scandale financier esr presque
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Cette contribution de la comptabilité - comme appareil de dévoilement des âctions ayant conduit
au krach ou à la faillite et conlme lieu d'identification d'une faute - à l'émergence de la forme < scrn-
dale financier > mérite d'être soulignée en regard du destin de celle-ci. Après I'Union générale et
Panama, en efFet, les dénonciations de scandales financiers sonr venues troubler de façon récurrente la
vie politique française, au point que la France a pu g€ner Ia réputation d'un u pays chroniquemenr
secoué par des révolutions, des crises ministérielles et des scandales ,16. Le 6 févier 1934 asans doure
tout Particulièrement contribué à cette réputation : on se souvient en effet de cet épisode remarquable
qui faillit marquer la fin des institutions républicaines, lorsque ligues d'extrême droite, associations
d'anciens combaftants et collectifs de contribuables en colère convergèrent vers la Chambre des dépu-
tés pour protester contre la multiplication récente des scandales financiers.
Or, les scandales ainsi visés (scandale Hanau ou de la < Gazette du franc ,, scandale Oustric et bien
str I'affaire Savisky) posaient tous la quesdon récurrente de l'information des actionnaires et des épar-
gnants et, pour chacun d'eux, les dénonciations reposaient toujours au dépan sur le dévoilement d'une
dissimulation volonaire, par des artifices comptables, de la situation réelle d une société ayanr fair appel
publiquement à l'épargne. Nous passerons sur ces çN souvent bien explorés par l'historiographielT pour
arriver directement à un épisode de l'histoire récente qui permet de vérifier que la compabilité continue
de jouer comme une condition à la mise en forme de scandale financier d'un événement.
Qr, c'est précisément la comptabilité qui va permettre de résoudre en partie les apories auxquelles
se heurtent les accusateurs engagés dans l'affaire. Sa première veftu est de permettre la totalisation des
différents dossiers qui peuvent être mis en équivalence comme autant de u foyers de pertes ) contri-
buant à un même résultat.'Mais les acteurs de l'affaire vont surtout s'appuyer sur les opérations comp-
ables à la fois pour faire ressortir les dommages, pour faire apparaltre une victime et pour déterminer
une sancdon.
La mauvaise gestion né constituant pas une faute pénale, iest par les comptes que u I'accrochage
judiciaire , va finalementêtre trouvé2l. La solution est suggérée par la Cour des comptes dans le
rapporr qu'elle remet au président de la République en octobre 1995. tapport majeur de cette
instance dans le cours des événements consiste à faire de la comptabilité l'appareil cenual de dévoile-
menr de llaffaire. Cette opération permet en effet d'opérer une u synthèse de l'hétérogènê2 r et de
réévaluer les torts de chacun à partir de cette synthèse. En raison de la mission que la loi donne à la
Cour des comptes (à savoir u vérifier les comptes et la gestion des entreprises publiques u), le cadre de
I'enquête est limité d'emblée par les exercices comptables successifs. Les enquêteurs doivent fonder
leur raisonnement sur des êtres et des formats compables. Dans le cas du Crédit lyonnais, la chalne
des raisonnements conduit la Cour des comptes à résumer les causes du scandale en une formule :
o Antinomie entre la politique de vive croissance retenue et les fonds propres disponibles ,. À un effet
comptable (des pertes) est attachée une cause comptable (des provisions insuffisantes). Si on reste u
priori dans le registre de la mauvaise gestion, le rappon pointe non des personnes, mais un point du
dispositif Cette focalisation sur la comptabilité permet de faire émerger des fautes qui pourronr cerres
être renvoyées à des personnes, mais dans un second temps er surtout, le long d'une chaine cette fois
délimitée : l'ensemble de ceux qui ont une prise sur les compres de la banque.
ks acteurs en quête d'un accrochage judiciaire se saisissent de ce registre argumentatif et scrutent
les comptes en vue d'y rrouver la faute enfin passible de poursuites pénales. Le 9 aott 1996, Jean
Arthuis, alors ministre de I'Economie et des Finances, saisit le garde des Sceaux pour qu il engage des
poursuites à I'encontre des anciens dirigeants du Crédit lyonnais. Le ministre de l'É,conomie accom-
pagne sa demande d'une déclaration très explicite à la presse : o J'entends faire rechercher les respon-
sabilités et que les dirigeants rendent des comptes, et pas seulement pour la gestion de telle ou telle
filiale, mais pour la déroute du groupe qui en a résulté u. C'est sur un autre rappoft de la Cour des
comptes concernant une filiale, Altus, que s'appuie Arthuis pour saisir la justice. læ rapport signale en
effet que o les comptes des années 1991, 1992 et 1993 ne donnent pas une image fidèle de la réalité ,.
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Ces situations scandaleuses présentent ainsi un caractère paradoxal : alors que, en permettant la
mise en forme d'un événement qui pourrait sinon rester indéterminé, la comptabilité contribue à la
lisibilité du monde social, les révélations sur les distorsions et les manipulations qu'elle est susceptible
de subir font peser le doute sur sa propre lisibilité. Ce doute prend typiquement la forme d'une ques-
tion récurrente chaque fois que sont dévoilées des fraudes comptables : et si les pratiques dévoilées
n'étaient que laface cachée de l'iceberg ? S'il en était partout ainsi ? Tout se passe en fait comme si l'ou-
til de preuve qu'est la comptabilité dans le premier temps du scandale détruisait ses propres bases
d'énonciation en faisant porter la suspicion sur l'ensemble de la production comptable.
La généralisation du doute, le sentiment d'une anomie comptable tendent à susciter des proposi-
tions de réforme des dispositifs destinées à empêcher la multiplication des fraudes qui ont été dévoi-
lées. Ce mouvement est assez logique si on se réêre à une sociologie d'inspiration durkheimienne qui
atribue au scandale une v7"[eur socialement positive et I'analyse comme un moment de régulation2a :
en exposant des transgressions au grand jour, le scandale jouerait un rôle cathartique en purgeant la
société de ses déviances. læ fait même q" il y ait scandale ne prouve-t-il pas d'ailleurs que les normes
transgressées ne sont pas indifférentes ? Le scandale ne serait donc jamais un symptôme d'anomie,
mars au conrralre un srgne de vitalit45. Cette perspective rejoint volontiers une forme de fonctionna-
lisme : la fonction assumée par le scandale est alors une fonction de régulation des différents secteurs
de la société, qui prend la forme dun cycle récurrent déviance - scandale - réforme%.
Peut-on attribuer au scandole financier une telle < fonction > ? Iæ moment de doute sur la produc-
tion comptable préêde-t-il systématiquement un mouvement de régulation ? La réponse doit en fait
être nuancée. Si les révélations de déviances dans la mise en æuvre de procédures comptables tendent
bien à susciter des demandes de dispositifs visant précisément à restaurer la confiance, ces derniers ne
prennent pas toujours la forme d'une réforrne générale ma.s peuvent se traduire par de simples aména-
gements des règles et des pratiques ou par une réaffirmation des principes de base. Une lecture rynop-
tique des grandes étapes de la législation comptable d'un côté et des grands scandales de l'autre montre
Il en est de même pour le cas spécifique de la comptabilité bancaire - puisque les établissements
decréditsontsouventacteurscentrauxdesscandales.Leslégislationsbancairesdelg4l et1945,qui
introduisent une technique cornptable propre aux banques, peuvent certes se lire comme des réponses
aux banqueroutes scandaleuses de l'entre-deux-guerres28. l,e plan comptable bancaire élaboré en 1978
par la Commission de contrôle des banquesz9 oula grande loi bancaire du 24 jarwier 1984 qui émet
des règles spécifiques de consolidation et de publicité des comptes ne sont pas en revanche consécutifs
à un scandale ni même à la défaillance d'un établissement.
læs termes de u réforme , ou même de n régulation ) comptable sont d'ailleurs suscepdbles de rece-
voir des acceptions différentes. [æs poina d'application d'une réforme sont vimuellement nombreux.
Recensons ainsi les domaines passibles d'une régulation à l'occasion d'un scandale :
plan comptable, définition et classement des postes ;
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- jurisprudence ;
etc.
Le cas français montre en fait que chaque scandale va bien toucher l'une ou I'autre dimension,
mais que l'économie de I'ensemble n'est jamais bouleversée. Il n'en reste pas moins que les scandales
participent bien d'un processus de conventionnalisation comptable3o et que chaque scandale laisse
derière lui un paysage comptable modifié.
Or, un mouvement de régulation s'amorce bel et bien à la suite de ces scandales fondateurs, initié
par des juristes et des comptables qui commencent à s'interroger sur l'opportunité d'imposer des
règles comptables restrictives aux sociétés (la loi sur les sociétés commerciales de 1867 étant peu
contraignante sur ce chapitre). Un débat se met en place autour de la question de l'unification des
bilans, et les réformes envisagées sont de trois ordres, concernant essentiellement la publicité des
comptes des sociétés, I'harmonisation des règles d'évaluadon et l'unification de la présentation des
bilans, à l'exemple de ce qui se faisait déjà alors à l'étranger 0bd.).1æmarchand montre cependant
que les réflexions formulécs par les professionnels de la compabilité n'ont pas été immédiatement
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Garantie foncière qui éclate en I97 | à la suite de l'écroulement successif de plusieurs sociétés civiles
de placement immobilier (SCPI) qui proposaient à leurs associés de partager les revenus d'un paui-
moine locatif. C'est la Commission des opérations de Bourse (CIOB), créée trois ans plus tôt, qui avait
contribué à faire éclater le scandale en interdisant à plusieurs SCPI de faire appel publiquement à
l'épargne au motif précisément qu'elle ne pouvait pas gaJantir I'information donnée pâr ces sociétés à
leurs investisseurs. Les informations judiciaires révéleront en effet des pratiques de surévaluation systé-
matique des actifs. Or, ce scandale débouche sur une nouvelle réglementation de ce secteur motivée
par la crainte d'une crise de confiance de l'ensemble des épargnants et dont les principales dispositions
sont d'ordre comptable. La COB adresse ainsi, le 17 juillet 1971, aux quarante présidents de SCPI
ainsi qu'au commissaires aux comptes de ces sociétés un cornmuniqué pour les informer des règles
comptables qu'ils devront dorénavant observer, dans I'aftente de l'élaboration d'un plan comptable
définitif, défini l'année suivante. Il s'agit essentiellement de meûre fin aux pratiques de surévaluation
du rendement des placements effectués par ces sociétés. On peut citer parmi les nouvelles
directives I'obligation de consdtuer des provisions pour grosses réparations, la réévaluation annuelle
du patrimoine immobilier, sous le contrôle du commissaire aux comptes, ou encore la publication
impérative en annexe de pièces comptables officielles : prix d'achat hors taxe des immeubles, cott hors
taxe des travaux, mode d'évaluation des immeubles, etc. Faute de respecter ces directives, les sociétés
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C'est en fait à une sociologie des pratiques comptables ordinaires dans le secteur bancaire que
contribue le plus le scandale du Crédit lyonnais. Le rapport déjà cité de la Cour des comptes (1995)
apparalt comme un catalogue de fautes comptables et de pratiques transgressives. Il mérite, à ce titre,
qu'on s'y arrête. Ilanalyse des causes du scandale par la Cour repose sur l'observation d'un décalage
entre une politique d'expansion particulièrement ambitieuse menée entre 1988 et 1993 et les fonds
propres disponibles pour la financer. Il faut rappeler ici les contraintes, non mentionnées par la Cour,
qui pesaient au début des années quatre-vingt-dix sur la banque du boulevard des ltaliens.
Létablissement était d'abord contraint par le u ni-ni > imposé par le président Mitterrand réélu en
1988, qui rendait impossible toute augmentation de capital par appel aux marchés financiers (ce qui
aurait assimilé à une privatisation) aussi bien que par une contribution de l'État (assimilable au
contraire à une nationalisation). Lautre contrainte tenait à la mise en place de ratios de solvabilité,
définis par le Comité de Bâle et qui deviennent impératifs à partir de 1993.Iæ plus célèbre est le ratio
Coolce qui impose à tous les établissements de crédit de respecter un rapport entre le montant de leurs
ment le résultat. C'est précisément cefte variabilité qui a été mise en lumière avec I'affaire du Crédit
lyonnais et qui jette le doute sur la fiabilité des comptes des établissements de crédit.
Au-delà de I'affaire Altus à l'origine de la procédure judiciaire contre les dirigeants de la banque,
le doute se diffirse au final sur la fiabilité des comptes des banques, d'autant plus que les langues
se délient à l'occasion du scandale. Haberer rapporte par exemple devant la Commission d'enquête
parlementaire3T t u [...] j'ai alors découvert que la seule stratégie de la BNP était d'être les premiers. Je
l'ai découvert, parce que, à peine arrivé au Crédit lyonnais, c'est une anecdote, mais cela donne I'am-
biance - je suis appelé pal M.Thomas3s qui me dit : 'tomme on a dh te le dire, nous nous entendons
sur les bilans, je suis le premier, tu es le second et on se met d'accord avant l'arrêté des comptes. Où
en es-tu pour le premier décembre ?" - nous étions alors en novembre. Je consulte er on me dit que
l'augmentation du bilan sera de 12o/o. Je le rappelle et je lui indique ce chiffre. Il me répond quil
prévoit, pour la BNB une augmentation de 10 %. Il me demande donc de programmer le même
chiffre. Avec quelque naïïeté, je donne l'instruction de ne pas dépasser le chiffre de l0 o/o. Mais au
moment de la publication des chiffres, la BNP annonce que son bilan augmente de 15 o/o... J'ai aussi-
tôt donné instruction à mes collaborateurs : nous ne parlons plus de bilan avec la BNB chacun fait
comme il I'entend, sous sa resp<lnsabilité39. u Ce type d'anecdote se multiplie dans le cadre des cycles
accusations-justifications suscitées par le scandale et ne sont pas de nature à affermir la confiance dans
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Des réformes sonçelles proposées après ces révélations en série ? Pas vraiment. On ne voit pas
naiue de législation nouvolle, mais des tenatives de réaffirmation de normes, ou de u remise àzéro r.
La Commission bancaire va d'abord suggérer aux banques françaises, par une série de circulaires adres-
sées aux établissemenm, de remettre à plat leurs comptes en procédant notamment à une réévaluation
réaliste de leur pauimoine immobilier.
Te même acteur publié en 1998 un livre blanc sur la compabilité bancaire, qui représente un cas
intéressant de conséquence inavouée du scandale. Une lecture attentive indique en effet la possibilité
d'une ledure en cfeuiK du document : ce qu'il prescrit correspond à tout ce qui n'a pas été fait au
lyonnaisa3. En témoigne cette série de recommandations .. issues des meilleures pratiques de la profes-
sion , qui montrent qu'u il semble indispensable de disposer " :
d'une segmentâtion des risques en fonction de critères spécifiques à l'établissement ;
d'un suivi formalisé des engagements appuyé sur un systèrne de collecte et de cenualisation des
informations [...] ;
d'un historique des provisions [...] éventuellement réparties par notation interne.
Ce n'est rien moins que la mise en place d'une comptabilité analpique harmonisée dont il s'agit
ici. Un autre effet du scandale ionsiste en un changement des rapports de force entre acteurs du
secteur bancaire. La Commission bancaire, fortement critiquée pour son manque de vigilance à
l'égard du Crédit lyonnais, voit ainsi disparaltre toute une partie de ses prérogatives. La comptabilité
bancaire échappe, à partir de 1996, à sa législation de type corporatiste qui prévalait depuis l94l pour
intégrer le droit commun comptable. læs règles comptables en matière bancaire auparavant déûnies
par une autorité particulière, le CRBFaa, sont à partir de 199645 élaborées au sein du CNC (dans le
cadre d'une section banque). Cet alignement à terme du droit bancaire sur le droit commun signe un
affaiblissement certain de la Commission bancaire. La Banque de France est également dépossédée de
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W Conclusion
Au terme de ce rapide par@urs historique, nous espérons avoir monûé le potentiel heuristique d'une
analyse des scandales financiers pour une sociologie de la comptabilité. Il existe sans doute peu de
situations où la compabilité et ses professionnels accèdent à une telle visibilité et focalisent l'artention
d'un vaste public, otr s'élabore un discours social sur les conditions de production des chiffres @mp-
tables et où se dessinent ses enjeux sociaux, voire politiques. Ces scan'lales montrent que la compta-
bilité n évolue pas seulement sous l'effet d'une critique < interne o (celle des comptables eux-mêmes,
des enuepreneurs, etc.) mais aussi sous I'influence d'une critique externe qui émane de secteurs de la
société qui ne lui sont a prioripas immédiatement proches.
On y découvre également que le statut épistémique que les acteurs sociaux attribuent à la compta-
bilité est largement fluctuant. On a vu, en effet, que le chiffre comptable était un élément essentiel
pour donner à un événement la forme d'un scandale financier, iest-à-dire pour le rendre identifiable
et mobilisateur, en rendant notamment possible la désignation de coupables dont les actions sont
rendues cohérentes dans le cadre de la reconstitution d'une intrigue. Faire de la comptabilité un
instrument de preuve suppose pour le moins la possibilité de discriminer entre un < vrai > et un
,, faux , résultat comptable et postule donc le caractère potentiellement réaliste de ce chiffre. Mais
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uia des dissimulations de pertes et des gonfle- ljtonnais, thèse pour le doctorat de sociologie,
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