Cca 103 0007

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La comptabilité à l'épreuve du scandale financier

Damien de Blic
Dans Comptabilité Contrôle Audit 2004/3 (Tome 10), pages 7 à 27
Éditions Association Francophone de Comptabilité
ISSN 1262-2788
ISBN 2711734234
DOI 10.3917/cca.103.0007
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Damien Ps Buc
I.A COMITTABIUT'É À LÉPRET'VE DU SQ{NDAI.E FINANCIER

La,compabil ité à l' épreu\re


du scandale financier
Damien on Buc
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(onorpndome: Damien pE, Buc Email:


(GSPM-EHESS) damien. deblic@free. fr
10, rue Monsieur-le-Prince
75006 PARIS

Cor'arreru.ns - C-NTRôLE - AuDrr / Numéro thématique - Juin 2o04 b.7 à27)


Damien oB Bt-tc
8 IA ( I)MPTABII,ITÉ À TÉPREUVE DU SCANDAT,Ë FINANCIER

W$i Introducdon
Faire de la comptabilité l'objet d'une sociohgie suppose que l'activité comptable n'est pas qu'une
affaire de spécialistes ou de proÊessionnels de cette activité mais qu'elle intéresse d'une manière ou
d'une autre le monde social en général. Cette dimension sociale de la comptabilité peut être abordée
de multiples manières, ce dont témoignent les contributions ici réunies, qu'elles I'envisagent depuis
son encastrement dans un environnement économique, organisationnel ou culturel ou qu'elles
tentent de cerner I'espace de pouvoir qu elle définit. Nous voudrions porter ici l'attention sur des
situations dans lesquelles un certain type de discours social sur la comptabilité s'offre de façon privi-
légiée à I'observation : il s'agit des affaires et des scandales financiers.
Les études sociologiques entreprises dans le sillage des ûavaux de Boltanski et Thévenot ( 199 1) ont
largement démontré l'intérêt de porter l'attention sur les momenrs de crise et de dispute, er sur les
o affaires u en particulier. l,es acteurs engagés dans de telles situations s'y livrent en effet à un intense
travail de critique et de justification où elles s'appuient sur des normes qui sortent alors de I'implicite
où elles sont le plus souvent confinées et donnent ainsi accès aux modèles ordinaires de justice et de
légitimité qui fondent les possibilités d'accord entre les personnes dans nos sociétés. Ces cycles de
critiques et de jusdfications suscités par les affaires tendent de même à révéler au grand jour des
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pratiques qui restent habituellement cachées, parfois par conscience d'un c:tractère délictueux, plus
généralement parce qu'elles sont afêctées d'un caractère fortement routinierl.
Il semblait utile, dans ce cadre général, de s'intéresser aux scandales ûnanciers, comme moments
d'acdvation d'une critique sociale spécifique, qui porte sur la dimension financière er comptable de
I'activité économiqud. Il est en fait tout simplement impossible de bien rendre compre d'un scandale
financier sans s'intéresser aux dispositifs comptables qui interviennent dans ces situations polémiques
à deux niveaux :
celui du rôle des opérati<-rns compables dans la possibilité même de qualifier une siruation ou un
événement de u scandale financier )), avec toutes les conséquences sociales et politiques d'une telle
qualification;
celui des effets en retour sur la cornptabilité des révélations induites par le scandale, sous I'aspect
d'une production de conventions, de règles et de règlements visant à éviter à I'avenir les transgres-
sions et les défaillances qui ont été dévoilées.
Iiespace d'un article ne permeftant pas de multiplier les descriptions, nous vérifierons la validité de
cette hypothèse d'un o double jeu , de la comptabilité dans les scandales financiers en l'illusrant par
deux situations historiques distantes de plus d'un siècle3 :
les années 1880-1890 où s'intriquent pour la première fois la rhématique du scandale et la dénon-
ciation de défaillances comptables, lien qui deviendra pratiquement consubstantiel par la suite ;
les années 1990 avec le cas du Crédit lyonnais où la comptabilité devient plus que jamais I'opéra-
teur central de dévoilernent du scandale.

CoMsr BItrTÉ - C-oNrnôLe - AuDrr / Numéro tlémadque - Jrin 2004 (p.7 à27)
Damien DE BLtc
I.A, COMPTABIUTÉÀ LÉPREUVE DU SCANDALE FINANCIER 9

W La mise en forme comptable du scandale ftnancier

ifif$ffi$$|il$ Le scandale financier, une catégorie historique


la catégorie même de t scandale financien fait si bien partie aujourd'hui du sens commun poli-
tique ou médiatique qu'on tend à en oublier son historicité. Un regard réuospectif monffe pourtant
que cette catégorie n'est en aucune façon u naturelle )) et une approche socio-historique doit nous
prévenir contre l'illusion qui ferait croire qu'un scandale suivrait toujours mécaniquement la révéla-
tion dc la transgression d'une norme sociale. La possibilité de dénonce r aujourd'huiun scandale Ênan-
cier est en fait tributaire d'un travail historique et collectif de mise enforrne de telles accusations.
Précisons rapidement ce gue nous entendons lorsque nous évoquons la mise en forme d'un événe-
menr ou d'une situation. Ce uavail correspond en fait à trois opérations phénoménalement confon-
dues mais qu'on peut analytiquement distinguer.
Il s'agit en premier lieu d'une opération cognitiae. Donner à un événement une forme, c'est
permettre d'abord de l'identifier précisément comme événemenq de le faire émerger du n flux indis-
tincr des choses u et de le faire apparaltre comme o tel événement plutôt que tel autre ,4, en I'assimi-
lant à une figure préexistante et en l'incluant dans une catégorie faisant éguivalence.
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I-lopération correspond dans le même temps à un jugemmt: la qualfication comme u scandale ,
est aiiologiquement orientée, puisqu'elle manifeste une indignation et cherche à la rendre parta-
geable.
Elle correspond enfin à une mobilisation: on ne qualifie pas un événement de o scandrle >, sans
chercher à mobiliser en vue de mettre fin à la faute qui est dénoncée ou d'exiger une réparation.
LidentiÊcation d'un événement à une figure suppose que celle-ci soit disponible. Or, dans le cas
du scandale financier, on peut dater assez précisément l'émergence de cette figure de référence, qui se
cristallise dans les années 1380-1890 à la suite des grandes faillites et banqueroutes qui marquent la
vie Ênancière de cette époque, du lrach de l'Union générale en 1882 à la chute de la Compagnie du
canal interocéanique de Panama en 1889 et des polémiques qui s'ensuivent. Or, parmi ceux qui
contribuèrent à faire émerger la forme u scandale financier ,, les comptables occupent une place de
premier rang.

lilfi:H Le travail fondateur de I'expert Flo"y


Avec l'Union générale et Panama, un nouveau problème fait son apparition dans l'espace public :
le u lrach o5. Ces événements posaient pour la première fois la question de la protection d'une épargne
devenue ( nationale o les deux entreprises s'étant appuyées sur un actionnariat recruté pour la
-
première fois bien au-delà de la grande bourgeoisie6.
L^e nombre d'épargnana lésés par ces lrachs incita les pouvoirs publics aussi bien que la presse à
rechercher des responsables et à détnir une sanction. Ce travail fut largement assuré pâr un expert-
comptable, Flory mandaté par les juges d'insuuction chargés des deux affaires. l,es réquisitions du
parquet lors du proês de décembre 1882 intenté contre les dirigeants de I'Union générale s'appuient
ainsi largement sur le rapport de cet expert qui démontrait, à partir de la loi sur les sociétés du
17 juillet 18567, que cette banque avait fait procéder à une distribudon de u dividendes fictifs o : le

CoMrrÂmxrt - CoNrRôr.e - ArDrr / Numéro thématique - Juin 2004 (p. 7 à 27)


Damien oe Bltc
t0 tA COMP'IhBILITÉ À LÉPREI.'VE DU SCANI)AI,E FINANCIER
bénéfice rendant possibles des dividendes en 1882 n était pas du tout assuré selon I'expert, le bilan de
l'éablissement au 30 septernbre 188 1 n'étant pas lui-même un n bilan réel , mais une u simple prévi-
sion > qui transformait en bénéfice acquis des résultats à venir et donc incertains. ks bénéfices sur une
émission dite de n I'AIpine o étaient ainsi inscrits pour trois millions de francs dans les profits alors que
l'opération n était pas close - et qu'elle se soldera finalement par une perte de 14 millions de francs.
Le président et le directeur de I'Union étaient finalement condamnés à cinq ans de prison er
3 000 francs d'amende8. [,es pertes des actionnaires de la banque pouvant être directement imputées
à ces fraudes, la qualification de l'événement comme un u scandale financier n9 était ainsi justifiée par
le travail de Flory.
Plus remarquable errcore est le rôle.ioué par cet expert-comptable dans le scandale de Panama.
La mise en liquidation, au mois de février 1889, de la Compagnie chargée de réaliser un canal
interocéanique âu niveau de l'isthme de Panama avait privé plus de 500 000 obligataires des intérêts
attendus de leur investissement et du remboursement des fonds qu ils avaient avancés à la société. Une
centaine de milliers d'actionnaires sont de même confrontés à la menace de voir leur capital tout
simplement disparaltre. l.e problèrrre est jugé suffisamment grave pour que la Chambre des députés
s'en empare et, âu terme de plusieurs débats, exige du parquet l'ouverture d'une information judi-
ciaire. l,e juge d'instruction à qui cette information est confiée demande à Flory de reconstituer l'em-
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ploi exact de I'u énorme capital , mis à la disposition de la Cornpagnie du canal et de déterminer si les
administrateurs de cette société ont tenté de tromper le public en diffusant de fausses informationslo.
IJexpert-comptable se voit confier le pouvoir de se faire représenter ( tous les documents nécessaires
aux opérations d'expertise >, à savoir non seulement les pièces comptables détenues par le liquidateur
de la Compagnie, mais également les registres des délibérations du conseil d'administration, la corres-
pondance et tous les documents < jugés utiles > provenant de tiers ayant contracté avec la société.
Or, la première critique formulée par Flory dans son rapporrl l porre sur le caractère illisible de la
comptabilité de la Compagnie, en raison de la n façon défectueuse dont les bilans annuels étaient
établis , (Flory 1892, p. 33).IÊ bilan au 15 décembre 1888 se contenre ainsi de résumer en un seul
chiffre la somme des n dépenses faites pour la construction du canal ,. Comme le note Flory, il fallait
dès lors se reporter à chacun des bilans antérieurs et établir une < récapitulation o article par afticle
pour savoir ce qui avait pu être employé dzpais le début pour chaque catégorie de dépenses ou de
charges. n Un pareil travail, observe Flory n était ni à la portée de la grande majorité des actionnaires,
ni des tiers [...] Il est donc certain que la situation financière et l'état général des dépenses n'étaient
qu imparfaitement connus des actionnaires et du public, lorsque la Compagnie faisait les appels de
fonds ou réalisait les emprunts ) par lesquels elle s'est procuré I'ensemble de ses ressources financières.
Une partie importante du travail de I'expert va donc consister à effectuer ce travail de u récapitula-
tion u. Flory propose de résumer dans un tableau les divers emplois d'un milliard et demi de francs
obtenus entre 1880 et 188U. o Tout en maintenant les chiffres des dépenses inscrites dans la compra-
bilité, nous allons les classer selon leur nature et I'objet auquel elles s'appliquaient ,, explique-t-il
(p. 106). Il obtient le resultat suivant :

(loNrRôI"E
CoMp{ABILnÉ - - Âuorl / Numéro thématique Jwn 2004 (p.7 à27)
' Damien DE Buc
I.A COMPTABILITÉ À LÉPREUVE DU SCANDÂLE FINANCIER ll
Tableau 1

Reconstitution de l'emploidu capital de ta Compagnie du canal de Panama


par I'expert Flory
1 Premier établissement et frais de constitution 23,390 millions
2 Frais d'émission 104,923 millions

3 Charges sociales 249568 millions


4 Dépenses d'administration 100.991 millions

5 Travaux de construction du canal 559,386 millions


6 lmmobilisations 139,363 millions

7 Actions du Panama Rail Road 93,268 millions


8 Actif disponible 163,661 millions

ToaI I 434,550 nilliunl2

læ premier effet du tableau est de faire apparaltre très lisiblement le décalage entre les sommes
recueillies et ce qui a été effectivement alloué à des uavaux de creusement. Si on admet que seules les
lignes 1 (incluant l'achat de la concession), 5 (uavaux de construction du canal) et7 (achet d'une ligne
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de chemin de fer, la Panama Rail Road, nécessaire à cette dernière) ont réellement été dépensées pour
le canal, il resre qu'en huit années, u la Compagne a détourné, gaspillé, dilapidé environ 700 millions
de francs u. læ tableau permet en ouûe à Flory d'organiser son rapport selon un plan simultanément
thématique et chronologique, en quatre points principaux :
origines du projet ;

- constitution et organisation de la société anonyme ;


création de ressources et moyens employés pour attirer les souscriptions ;

emploi des fondsl3.


Par là même, Flory dressait la première < carte , de I'affaire et focalisait l'attention sur ce qui
deviendra bientôt les lieux communs du scandale. Et au terme de cette reconstitution, les faits tels
qu'ils sont établis par Flory paraissent bien tomber sous le coup de la loi pénale. D'abord parce que'
comme le souligne fexpert, u les fonds sociaux ont été dissipés dans des emplois répondant plutôt aux
vues et intérêts personnels des administrateurs et directeurs de la Compagnie de Panama ou à ceux des
personnes qu ils voulaient favoriser, qu'aux intérêts véritables de la Compagnie u. Et ensuite parce que
u les agissements consécutifs qui, depuis le début jusqu à la tn des opérations, ont présidé à la forma-
tion du capital social et aux emprunts par émissions d'obligations, avaient pour but d'attirer, par de
fausses asseftions sans cesse renouvelées ou confirmées, les souscriptions et les versements, en dissi-
mulant la véritable situation et en faisant croire à un succès certain dans un délai déterminé > (p. 218).
læ rapport Flory permet ainsi à un premier niveau une qualitcation pénale des fautes ayant conduit
à la chute de la Compagnie de Panama

l*ffiiifi Naissancc d'une forme sociale


Mais au-delà de cette traducdon juridique, le travail de l'expert-comptable Flory permet de nouer
dans une mêpe intrigue lçs actions des différents acteurs impliqués dans l'affairela. IJimporance de
ce travail n'échappe d'ailleurs pas alrx contemporains du scandale. Lun de ses premiers lecteurs,

CoMFrABlxrÉ- CoNrRôÉ-AuDrr / Numéro thémadque -Juin2ÛM (p.7 LI7)


Damien on Buc
t2 I-A COMP'IhBII-ITÉ À LÉPREI'VE DU SCâNI)AI,B FINANCIER

le procureur de la République Quesnay de Beaurepaire, y voit le premier < exposé complet de I'entre-
prise du Panama , (1899, p. 67).Le juge d'instruction Alfred Prinet dira devant les membres de la
commission d'enquête parletnentaire de 1893 que u c'était le n<rud de l'affaire o. Et le rapponeur
d'une seconde commission sur le scandale de Panama en 1898, le député Rouaner, rappellera de
même que ce document a servi de base à toutes les enquêtes ultérieures (1898, p. 3)15.
Mais, surtout, le caractère idiosyncrasique de ce premier récit du scandale de Panama est vite
débordé dans la mesure oir la trame construite par I'expert-cornptable semble transférable à d'autres
situations. C'est que les fautes relevées contre les administrateurs de Panama, les erreurs de gestion, les
mensonges et les malversations à l'origine de l'échec de I'entreprise rappellent à I'opinion celles dénon-
cées quelques années plus tôt à I'occasion du trach de I'Union générale. Ce rapprochemenr e$ déter-
minant car il marque l'ouverture d'une série qui permet à la qualification de u scandale financier u de
prendre les propriétés d'une forme sous laquelle pourront être désormais subsumés d'aurres événe-
ments. læ répertoire des fautes relevées dans les deux affaires est dès lors disponible pour identifier un
scandale financier. Seront de fait désignés préférentiellemenr comme des scandales financiers des
situations dévoilant un décalage très important enffe la situarion financière affichée d'une société et sa
situation financière réelle, autrement dit lorsqu'une manipulation de chiffres et de comptes est dénon-
çable. Il est dès lors possible d'aftirmer avecThiveaud'(1997) que le scandale financier esr presque
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toujours fondé sur o une absence, délibérée ou accidentelle, d'information financière etlou comptable
aussi bien vis-à-vis des actionnaires que des souscripteurs ou des déposants ,.

Cette contribution de la comptabilité - comme appareil de dévoilement des âctions ayant conduit
au krach ou à la faillite et conlme lieu d'identification d'une faute - à l'émergence de la forme < scrn-
dale financier > mérite d'être soulignée en regard du destin de celle-ci. Après I'Union générale et
Panama, en efFet, les dénonciations de scandales financiers sonr venues troubler de façon récurrente la
vie politique française, au point que la France a pu g€ner Ia réputation d'un u pays chroniquemenr
secoué par des révolutions, des crises ministérielles et des scandales ,16. Le 6 févier 1934 asans doure
tout Particulièrement contribué à cette réputation : on se souvient en effet de cet épisode remarquable
qui faillit marquer la fin des institutions républicaines, lorsque ligues d'extrême droite, associations
d'anciens combaftants et collectifs de contribuables en colère convergèrent vers la Chambre des dépu-
tés pour protester contre la multiplication récente des scandales financiers.

Or, les scandales ainsi visés (scandale Hanau ou de la < Gazette du franc ,, scandale Oustric et bien
str I'affaire Savisky) posaient tous la quesdon récurrente de l'information des actionnaires et des épar-
gnants et, pour chacun d'eux, les dénonciations reposaient toujours au dépan sur le dévoilement d'une
dissimulation volonaire, par des artifices comptables, de la situation réelle d une société ayanr fair appel
publiquement à l'épargne. Nous passerons sur ces çN souvent bien explorés par l'historiographielT pour
arriver directement à un épisode de l'histoire récente qui permet de vérifier que la compabilité continue
de jouer comme une condition à la mise en forme de scandale financier d'un événement.

La comptabilité comme solution aux apories du scandale


du Crédit lyonnais
læ scandale du Crédit lyonnais éclate en 1994 \la suite de la publication d'un résuhat, une perte
de 6,9 milliards de francs, chiffre inédit pour un établissemenr bancaire en France et qui évoque une

C-oMrrÀsnrrÉ - CoNTRôtr -Auorr / Numéro thématique - Juin2004 (p,7 L27)


Damien Ps Buc
I.A COMPTABILITÉ À LE,PREIJVE DU SCANDALE FINANCIER t3
possible faillite, rclle qu'on n'en a pas connu depuis la chute de la Banque Nationale de Crédit en
1932. C'est donc de la production d'un document comptable que nait l'événement.
Le caractère scandaleux de l'affaire du Crédit lyonnais pose en fait rapidement un problème. la
caractérisation de l'événement comme u scandale , se heurte en effet à une série d'obsacles. En
premier lieu, le caractère exuaordinairement complexe et enchevêtré de faffaire. Sous la dénomina-
don < affaire du Crédit lybnnais D, on trouve en fait une multitude de dossiers, fonctionnant paf
emboltement. læs pertes du groupe trouvent leur origine d'abord dans plusieurs ûliales, dont les acti-
vités sont très différentes :lfinancement de I'immobilier, du cinéma, investissement industriel, activi-
tés de marché, etc. lJne affaire SDBO se distingue ainsi au sein du scandale, elle connalt elle-même
un volet u Tâpie >, qui se décompose lui-même en un dossier Adidas, un dossier Terraillon, etc.
On ne reconnalt pas non plus dans l'affaire les personnages qui forment l'ordinaire des scandales
financiers depuis le dix-neuvième siècle, l'épargnant ruiné notammenL puisque les pertes sont prises
en charge par l'É,tat. trs dirigeants du Crédit lyonnais sont longtemps exempts de toute procédure
judiciaire et ne semblent coupables que de mauvaise gestion. Conséquence de cet état de fait, la diffi-
culté des divers rapporteurs de I'affaire à embrayer sur une forme sociale identifiée. Læs tentatives d'ex-
plication tendent alors à s'orienter dans deux directions. [a première solution consiste à rabatue toute
I'affaire sur un parcouls individuel et sur la caractérisation psychologique d'un homme, en donnant la
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première place dans les récits à l'ancien PDG de la banque dont la u folie des grandeurs n serait à l'ori-
gine de la quasi-faillitels. Ijautre solution repose sur un étirement de la chalne des responsabilit& tel
que c€tte dernière est menacée finalement de dilution complète : c'est un qFstème qui supporte dors
toute la charge de la crise. Cette forme de dilution trouve son aboutissement dans le discours écono-
mique qui ne voit plus dans I'affaire du Crédit lyonnais qu un épiphénomène, une manifestation
parmi d'autres de la u crise bancaire française et mondiale ,19. Toute responsabilité personnelle a
disparu. Lune et I'autre interprétations courent évidemment le risque d'être taxées d'un u réduction-
nisme > excessif qui ne saurait rendre compte ni de I'ampleur des pertes, ni de la multiplication des
dossiers. Ceae problématique de l'affaire e$ bien résumée par un protagoniste qui a passé plusieurs
années à essayer d'en démonter les rouages : François d'Auben30 explique ainsi à l'antenne de France
Inter, le 12 mars 1998, que toute la difficulté de l'affaire consiste à trouver des u accrochages judi-
ciaires u.

Qr, c'est précisément la comptabilité qui va permettre de résoudre en partie les apories auxquelles
se heurtent les accusateurs engagés dans l'affaire. Sa première veftu est de permettre la totalisation des
différents dossiers qui peuvent être mis en équivalence comme autant de u foyers de pertes ) contri-
buant à un même résultat.'Mais les acteurs de l'affaire vont surtout s'appuyer sur les opérations comp-
ables à la fois pour faire ressortir les dommages, pour faire apparaltre une victime et pour déterminer
une sancdon.
La mauvaise gestion né constituant pas une faute pénale, iest par les comptes que u I'accrochage
judiciaire , va finalementêtre trouvé2l. La solution est suggérée par la Cour des comptes dans le
rapporr qu'elle remet au président de la République en octobre 1995. tapport majeur de cette
instance dans le cours des événements consiste à faire de la comptabilité l'appareil cenual de dévoile-
menr de llaffaire. Cette opération permet en effet d'opérer une u synthèse de l'hétérogènê2 r et de
réévaluer les torts de chacun à partir de cette synthèse. En raison de la mission que la loi donne à la
Cour des comptes (à savoir u vérifier les comptes et la gestion des entreprises publiques u), le cadre de
I'enquête est limité d'emblée par les exercices comptables successifs. Les enquêteurs doivent fonder

C-oMrrABuxrÉ - CottrRôrl - Auorr / Numéro thématique - Juin 2A04 $. 7 à 27)


Damien or Buc
r4 I.A COMP'I}.BILI'I'É À TÉPREWE DU SCANDALE FINANCIER

leur raisonnement sur des êtres et des formats compables. Dans le cas du Crédit lyonnais, la chalne
des raisonnements conduit la Cour des comptes à résumer les causes du scandale en une formule :
o Antinomie entre la politique de vive croissance retenue et les fonds propres disponibles ,. À un effet

comptable (des pertes) est attachée une cause comptable (des provisions insuffisantes). Si on reste u
priori dans le registre de la mauvaise gestion, le rappon pointe non des personnes, mais un point du
dispositif Cette focalisation sur la comptabilité permet de faire émerger des fautes qui pourronr cerres
être renvoyées à des personnes, mais dans un second temps er surtout, le long d'une chaine cette fois
délimitée : l'ensemble de ceux qui ont une prise sur les compres de la banque.
ks acteurs en quête d'un accrochage judiciaire se saisissent de ce registre argumentatif et scrutent
les comptes en vue d'y rrouver la faute enfin passible de poursuites pénales. Le 9 aott 1996, Jean
Arthuis, alors ministre de I'Economie et des Finances, saisit le garde des Sceaux pour qu il engage des
poursuites à I'encontre des anciens dirigeants du Crédit lyonnais. Le ministre de l'É,conomie accom-
pagne sa demande d'une déclaration très explicite à la presse : o J'entends faire rechercher les respon-
sabilités et que les dirigeants rendent des comptes, et pas seulement pour la gestion de telle ou telle
filiale, mais pour la déroute du groupe qui en a résulté u. C'est sur un autre rappoft de la Cour des
comptes concernant une filiale, Altus, que s'appuie Arthuis pour saisir la justice. læ rapport signale en
effet que o les comptes des années 1991, 1992 et 1993 ne donnent pas une image fidèle de la réalité ,.
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Comment mettre en cause les dirigeants du groupe à panir de délits relevés dans la filiale ? Il s'agit en
fait de prouver que Haberer, président du Crédit lyonnais pendant la période incriminée, mais aussi
président d'Altus, a proposé I'arrêté des comptes consolidés au conseil d'administration de la banque,
sachant que les comptes d'Altus étaient inexacts. Haberer serait alors coupable de présentation de faux
bilan. S'ensuit une mise en exarnen de I'ancien PDG de la banque, de son directeur adjoint, mais aussi
des représentants des autorités de tutelle : Trésor, Commission bancaire et ministère des Finances
(entre 1998 et2001)23.
læ bilan, grâce à son caractère synthétique par nature, récapitule ainsi qymboliquement I'ensemble
des dossiers qui font le scandale. La faute comptable subsume métaphoriquemenr I'ensemble des
fautes qui ont pu être commises autour du Crédit lyonnais. Elle offre de plus une solution sâtisfaisanre
à la question de la chaine des responsabilités, qui n'y est ni réduite à une personne facilement assimi-
lable alors à la figure du u bouc émissaire ,, ni étendue à I'infini dans le cadre d'un ( système ,. La faute
est collecdve : en sont justiciables tous ceux qui ont un pouvoir de négociation sur le résultat comp-
table de l'établissement de crédit.
Le Crédit lyonnais marque donc le point culminant d'une série d'affaires dans lesquelles la comp-
tabilité apparalt comme l'appareil de dévoilement par excellence. Lr bilan de la société au jour de
l'éclatement du scandale révèle I'ampleur du dommage, et c'est en entrant dans les comptes qu'on
refait l'histoire de la faute à I'origine de ce dommage. I-es comptes fournissent donc un appui indis-
pensable aux accusations et une ressource précieuse pour étayer les critiques à l'origine des mobilisa-
tions, voire des crises consécutives au scandale. Dans le cas du Crédit lyonnais, cefte ressource devient
même pratiquement la seule disponible.
Nous allons maintenant voir que cette cenûalité de la cornptabilité dans les accusârions n'est pas
sans susciter des effets en retour sur les dispositifs comptables.

C,oMI"[AB[rrÉ - C,oNTRôr-E - Âupr / Numéro thémadque ]wn 2004 (p. 7 \ 2n


Damien ue BLtc
LA COMPTABIUTÉ À LÉPREIJVE DU SCANDALE FINANCIER t5

W I-a coôptabilité mise en doute

ll,*UU De la comptabilité comme technique dinvestigation


à la comptabilité illisible
Si le dévoilement d'opérations comptables lidgieuses est consubstantielle à cette forme qu'est le
scandale financier, la comptabilité accède du même coup dans ces situations à une aisibilité rcmar-
quable. Le rôle des falsifications et des manipulations comptables dans ces banqueroures, ces faillites,
ces lrachs scandaleux pouvant affecter un public de taille importante (épargnants, clientèle bancaire,
etc.) tend à faire de la comptabilité un mjeusocial et polidque, discuté et évalué dans des espaces bien
plus larges que le cercle habituel des professionnels et des spécialistes - typiquement I'enceinte parle-
mentaire et l'espace médiatique. Or, ces &aluations prennent le plus souvent un tour critique puisque
précisément on peut reprocher aux dispositifs comptables à l'æuvre de ne pas avoir répondu à ce qui
était attendu d'eux, notamment en matière dinformation sur l'état financier réel des entreprises qu'ils
sont censés décrire. Si, plus fondamentalement, on peut attribuer à la comptabilité, avec Capron
(1993), ce rôle social qtt'est I'instauration de la confiance, cette dernière est mise à mal pratiquement
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à chaque scandale, et surtout si ceux-ci se répètent dans un temps couft.

Ces situations scandaleuses présentent ainsi un caractère paradoxal : alors que, en permettant la
mise en forme d'un événement qui pourrait sinon rester indéterminé, la comptabilité contribue à la
lisibilité du monde social, les révélations sur les distorsions et les manipulations qu'elle est susceptible
de subir font peser le doute sur sa propre lisibilité. Ce doute prend typiquement la forme d'une ques-
tion récurrente chaque fois que sont dévoilées des fraudes comptables : et si les pratiques dévoilées
n'étaient que laface cachée de l'iceberg ? S'il en était partout ainsi ? Tout se passe en fait comme si l'ou-
til de preuve qu'est la comptabilité dans le premier temps du scandale détruisait ses propres bases
d'énonciation en faisant porter la suspicion sur l'ensemble de la production comptable.
La généralisation du doute, le sentiment d'une anomie comptable tendent à susciter des proposi-
tions de réforme des dispositifs destinées à empêcher la multiplication des fraudes qui ont été dévoi-
lées. Ce mouvement est assez logique si on se réêre à une sociologie d'inspiration durkheimienne qui
atribue au scandale une v7"[eur socialement positive et I'analyse comme un moment de régulation2a :
en exposant des transgressions au grand jour, le scandale jouerait un rôle cathartique en purgeant la
société de ses déviances. læ fait même q" il y ait scandale ne prouve-t-il pas d'ailleurs que les normes
transgressées ne sont pas indifférentes ? Le scandale ne serait donc jamais un symptôme d'anomie,
mars au conrralre un srgne de vitalit45. Cette perspective rejoint volontiers une forme de fonctionna-
lisme : la fonction assumée par le scandale est alors une fonction de régulation des différents secteurs
de la société, qui prend la forme dun cycle récurrent déviance - scandale - réforme%.
Peut-on attribuer au scandole financier une telle < fonction > ? Iæ moment de doute sur la produc-
tion comptable préêde-t-il systématiquement un mouvement de régulation ? La réponse doit en fait
être nuancée. Si les révélations de déviances dans la mise en æuvre de procédures comptables tendent
bien à susciter des demandes de dispositifs visant précisément à restaurer la confiance, ces derniers ne
prennent pas toujours la forme d'une réforrne générale ma.s peuvent se traduire par de simples aména-
gements des règles et des pratiques ou par une réaffirmation des principes de base. Une lecture rynop-
tique des grandes étapes de la législation comptable d'un côté et des grands scandales de l'autre montre

C-oMlrrABtrxrÉ - CoNrRôLE - AltDrr / Numéro thématique - Juin 2OA4 $. 7 à,27)


Damien or BLtc
L6 tA COMP'TAtsII,ITÉ À LÉPREI'VE DU SCANDALE FINANCIER
qu'il n y a pas de coihcidence nécessaire entre les deux chronologies. Le processus de réforme comp-
table semble largement plurifactoriel. læs historiens de la comptabilité se sont ainsi attachés à souli-
gner que le mouvement législatif accompagnait assez étroitement par exemple, dans le cas de la
France, les extensions du contrôle de l'É,tat sur l'activité économique27. La mise en place des plans
comptables ne correspond pas nécessairement non plus aux périodes où I'effervescence autour des
n afhires > est au plus haut.

Il en est de même pour le cas spécifique de la comptabilité bancaire - puisque les établissements
decréditsontsouventacteurscentrauxdesscandales.Leslégislationsbancairesdelg4l et1945,qui
introduisent une technique cornptable propre aux banques, peuvent certes se lire comme des réponses
aux banqueroutes scandaleuses de l'entre-deux-guerres28. l,e plan comptable bancaire élaboré en 1978
par la Commission de contrôle des banquesz9 oula grande loi bancaire du 24 jarwier 1984 qui émet
des règles spécifiques de consolidation et de publicité des comptes ne sont pas en revanche consécutifs
à un scandale ni même à la défaillance d'un établissement.
læs termes de u réforme , ou même de n régulation ) comptable sont d'ailleurs suscepdbles de rece-
voir des acceptions différentes. [æs poina d'application d'une réforme sont vimuellement nombreux.
Recensons ainsi les domaines passibles d'une régulation à l'occasion d'un scandale :
plan comptable, définition et classement des postes ;
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normes comptables ;

changement dans la doctrine comptable ;

règles de publicité des comptes ;

législation sur les délits comptables et niveau de sanction ;

- jurisprudence ;

procédures de certification des comptes ;

pouvoirs dévolus aux instances de contrôle ;

composition des commissions chargées de l'élaboration dcs normes comptables ;

mise en place d'une réglementation prudentielle;


affinement du contrôle de gestion ;

etc.
Le cas français montre en fait que chaque scandale va bien toucher l'une ou I'autre dimension,
mais que l'économie de I'ensemble n'est jamais bouleversée. Il n'en reste pas moins que les scandales
participent bien d'un processus de conventionnalisation comptable3o et que chaque scandale laisse
derière lui un paysage comptable modifié.

*!ffi:'i'. Des réformes longues à stamorcer


Ce trait se vérifie dès la mise en place de la forme u scandale financier, à la fin du dix-neuvième
siècle. IJampleur des dommages consécutifs aux lrachs de I'Union générale et de la Compagnie de
Panama joue alors comme une forte incitation à réfléchir au cadre juridique ayant rendu possibles les
délia comptables incriminés. liopacité des comptes à I'origine de ces deux scandales semblait en effet
encouragée par une législation comptable des plus libérales. On s'apercevait qu il était de fait impos-
sible pour les actionnaires et les souscripteurs d'avoir une idée de la situation financière réelle des

CoMprlBturÉ - CoNrnôrc - Auor / Numéro thématique - Juln 2004 (p. 7 27)


^
Damien oB Buc
tA COMPTABILITÉ À LÉPRELTVE DU SCANDALE FINANCIER 17
sociétés arrxquelles ils apportaient leur argent, en raison de I'absence d'une obligation de publicité des
comptes, et parce que les sociétés incriminées dans les scandales s'appuyaient sur des outils et des tech-
niques particulièrement complexes au sujet desquels le public semblait démuni (négociation de titres
d'actions, marché à terme d'usage récent, spéculation au comptant, etc.). Rien, en pratique, ne
permettait à l'actionnaire de vérifier la régularité des écritures. Iæmarchand (1995) résume ainsi I'asy-
méuie dinformation sur laquelle reposaient les opérations à l'origine des scandales : u Lactionnaire est
maintenu dans l'ignorance jusqu'en avril ou en mai, période à laquelle on lui révèle une foule de
choses que les seuls quelques initiés connaissent depuis janvier. , C'est exactement, comme on l'a vu,
ce que visait à montrer le rapport Flory.

Or, un mouvement de régulation s'amorce bel et bien à la suite de ces scandales fondateurs, initié
par des juristes et des comptables qui commencent à s'interroger sur l'opportunité d'imposer des
règles comptables restrictives aux sociétés (la loi sur les sociétés commerciales de 1867 étant peu
contraignante sur ce chapitre). Un débat se met en place autour de la question de l'unification des
bilans, et les réformes envisagées sont de trois ordres, concernant essentiellement la publicité des
comptes des sociétés, I'harmonisation des règles d'évaluadon et l'unification de la présentation des
bilans, à l'exemple de ce qui se faisait déjà alors à l'étranger 0bd.).1æmarchand montre cependant
que les réflexions formulécs par les professionnels de la compabilité n'ont pas été immédiatement
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suivies d'effets dordre législatif et en restent largement ( au stade des velléités >, en raison d'une série
de fadeurs parmi lesquels < le succès des idées libérales, la force des groupes de pression, l'inorganisa-
tion de la profession comptable >. Ces réflexions riaboutiront en fait à des mesures législatives qu'à
partir de 1914 sous la pression de l'administration fiscale. Ce sont bien toutefois les scandales qui ont
amorcé ce mouvement de normalisation de la comptabilité.
Il faudra attendre les années 1930 pour que la question de la publicité des comptes soit de nouveau
posée et trouve un débouché législatif. liimporant décretloi du 8 aott 1935 est lui inspiré directement
par les scandalss dénoncés dans les années précédentes. la multiplication des escroqueries, que révèlent
les affaires Hanau, Ousuic ou Scavisky, et les millien de victimes qu'elles laissaient chaque fois derrière
elles, montraient une fois de plus que les actionnaires ou les souscripteurs ne disposaient toujours pas de
moyens efficaces de vériÊer la santé réelle des sociétés et des entreprises dans lesquelles ils investissaient.
La comptabilité des sociétés incriminées apparaissait à chaque fois au premier plan du scandale, qu elle
soit truquée (Rochette, Savisky, Oustrid ou tout simplement inexistante (H"nau). Alors que la loi sur
les sociétés anonymes du 24 juillet 1867 envisageait uniquement la répression de la distribution d'un
dividende ûctif obænu par la manipulation des postes du bilan, le décret-loi de 1935 pr&oit de sanc-
tionner désormais lapublication et laprésentation d'un bilan inenact, indépendammenr de tout résultat
dommageôle pour la société, les associés ou les tiers (Stolowy, 2001, p. 75). Non seulement cene loi
témoigne de u l'imponance attachée par le législateur à l'information comptable, (ibid.), mais elle
constitue surtout la première tenativer pâr une réduction des incertitudes pesmt sur les choix des inves-
cisseurs, d'organiser une protection de l'épargne3l. Elle se voulait une réponse directe aux multiples
dénonciations engendrées par les révélations scandJeuses.

Un cas de réforme sectorielle


Les conventions (au sens large que nous avons précisé plus haut) suscitées par les scandales peuvent
prendre I'aspect de réformcs beaucoup plus sectorielles. Nous citerons ici l'exemple du scandale de la

C.oMPrâBtr.rrX - CoNrRôLE - AuDrr / Numéro thématique - Juin 2004 (p,7 à27)


Damien lr Bllc
t8 TÂ (IMP]'ABILITÉ À IJÉPREUVE DU SCANI)ALE FINANCIER

Garantie foncière qui éclate en I97 | à la suite de l'écroulement successif de plusieurs sociétés civiles
de placement immobilier (SCPI) qui proposaient à leurs associés de partager les revenus d'un paui-
moine locatif. C'est la Commission des opérations de Bourse (CIOB), créée trois ans plus tôt, qui avait
contribué à faire éclater le scandale en interdisant à plusieurs SCPI de faire appel publiquement à
l'épargne au motif précisément qu'elle ne pouvait pas gaJantir I'information donnée pâr ces sociétés à
leurs investisseurs. Les informations judiciaires révéleront en effet des pratiques de surévaluation systé-
matique des actifs. Or, ce scandale débouche sur une nouvelle réglementation de ce secteur motivée
par la crainte d'une crise de confiance de l'ensemble des épargnants et dont les principales dispositions
sont d'ordre comptable. La COB adresse ainsi, le 17 juillet 1971, aux quarante présidents de SCPI
ainsi qu'au commissaires aux comptes de ces sociétés un cornmuniqué pour les informer des règles
comptables qu'ils devront dorénavant observer, dans I'aftente de l'élaboration d'un plan comptable
définitif, défini l'année suivante. Il s'agit essentiellement de meûre fin aux pratiques de surévaluation
du rendement des placements effectués par ces sociétés. On peut citer parmi les nouvelles
directives I'obligation de consdtuer des provisions pour grosses réparations, la réévaluation annuelle
du patrimoine immobilier, sous le contrôle du commissaire aux comptes, ou encore la publication
impérative en annexe de pièces comptables officielles : prix d'achat hors taxe des immeubles, cott hors
taxe des travaux, mode d'évaluation des immeubles, etc. Faute de respecter ces directives, les sociétés
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civiles immobilières ne pourront obtenir le visa de la COB désormais nécessaire à I'exercice de leur
activité.

gt&É Des chiftes très politiques


Le cas du Crédit lyonnais illustre assez bien le processus d'affaiblissement de la confiance dans la
comptabilité des grandes entreprises. On a évoqué plus haut les difficultés soulevées par la définition
d'un délit en partant de la comptabilité du groupe. Labsence d'un délit de u faux bilan consolidé ,
apparalt à beaucoup comme une anomalie. On se trouve alors dans une configuration proche de celle
du début du siècle : un débat est amorcé, sans qu'une nouvelle réglementation s'ensuive immédiate-
ment. Notons toutefois que le débat atteint jusqu'au grand public. On relève ainsi dans la presse non
professionnelle des arguments relatifs à l'opportunité de la définition d'un délit de faux comptes
consolidés3z.

C'est en fait à une sociologie des pratiques comptables ordinaires dans le secteur bancaire que
contribue le plus le scandale du Crédit lyonnais. Le rapport déjà cité de la Cour des comptes (1995)
apparalt comme un catalogue de fautes comptables et de pratiques transgressives. Il mérite, à ce titre,
qu'on s'y arrête. Ilanalyse des causes du scandale par la Cour repose sur l'observation d'un décalage
entre une politique d'expansion particulièrement ambitieuse menée entre 1988 et 1993 et les fonds
propres disponibles pour la financer. Il faut rappeler ici les contraintes, non mentionnées par la Cour,
qui pesaient au début des années quatre-vingt-dix sur la banque du boulevard des ltaliens.
Létablissement était d'abord contraint par le u ni-ni > imposé par le président Mitterrand réélu en
1988, qui rendait impossible toute augmentation de capital par appel aux marchés financiers (ce qui
aurait assimilé à une privatisation) aussi bien que par une contribution de l'État (assimilable au
contraire à une nationalisation). Lautre contrainte tenait à la mise en place de ratios de solvabilité,
définis par le Comité de Bâle et qui deviennent impératifs à partir de 1993.Iæ plus célèbre est le ratio
Coolce qui impose à tous les établissements de crédit de respecter un rapport entre le montant de leurs

CoMr"rABrLnf - C,oNTRôr.E - Auorr / Numéro thématique - Jwn 2004 (p. 7 ,27)


Damien os BLIc
tA COMPTABILITEÀ LÉPREI"IVE DU SCANDALE FINANCIER r9
fonds propres et celui de I'ensemble des risques qu'ils encourent, au moins égal à 8 o/o: aux nouveaur
engagements pris par la banque doivent alors correspondre des fond"c propres croissants. La Cour
dénonce le caractère fictif de ces derniers dans le cas du Lyonnais et dévoile ainsi un certain nombre
de techniques compables jugées discutables.
l,a principale technique retenue par les dirigeants du Crédit lyonnais a consisté à procéder à des
échanges de titres avec d'arltres entreprises publiques. Ces opérations ont été en leur temps largement
commenrées par la presse ùpécialisée, en particulier l'opération dite u Alrus Finances >. Dans ce cas de
figure, qui se concrétise en février 1990, Thomson CSR entreprise publique, apporte au Crédit lyon-
nais sa tliale Thomson CSF Finances (rebaptisée Altus à l'occasion) pour une valeur de 6,4 milliards
de Êancs. 1æ Crédit lyonnais rémunère cet apport en émettant des actions pour une valeur équivalente
et en les transférant àThomson CSF. Les fonds propres augmentent donc de 6,4 milliards de francs et
Thomson devient actionnaire du Lyonnais. IJopération est répétée avec Rhône-Poulenc33 en aott
1990, en décembre 1991 avec Usinor-Sacilo# et en décembre 1992 avecAérospatiale3t. Il faut ajou-
ter à ces opérations la souscriprion de la Caisse des dépôts à une augmentation de capital réservé pour
1,5 milliard de francs (1989). l,es fonds propres ainsi augmentés, les eng€ements peuvent augmen-
ter dans la même propoftion tout en respectânt le ratio de solvabilité.
lrne autre technique rend possibles des acquisitions dans le cadre du respect des ratios de solvabi-
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lité. Elle consiste à accroltre le n périmètre de consolidation , : il s'agit d'inscrire au bilan de la société
mère la totalité des fonds piopres d'une filiale dont elle ne détient pourtant qu'une peftie, dès lors que
ceme parrie est suffisante pour avoir le pouvoir de gestion dans la filiale. Les fonds propres issus de
cette technique représentent ainsi jusqu'à 14 milliards de francs en 1993 dans les comptes de la
banque. On peut enfin citer la revalorisation par le Crédit lyonnais de son capital immobilier réalisée
en 1992, qui a lui a permis de dégager 3,75 milliards de francs de fonds propres.
Au total, les fonds propres du Lyonnais sont multipliés par 2,8 enue la fin de 1988 et la fin de
1992, passant de22 à 63 milliards de francs. Ces augmentations sont en fait critiquées par la Cour des
comptes comme des n ardfices comptables r. Elles ne peuvent être, d'un point de vue strictement juri-
dique, contestées, les fonds dégagés apparaissant bien à la ligne u fonds propres u du bilan de la
banque. Mais la Cour leur attribue un caractère artificiel dans la mesure où ils ne correspondent pas
aux fonctions normalement attribuées à ces fonds, ne répondant pas en particulier à l'exigence d'être
u rapidement mobilisables D pour couvrir un risque. ks échanges de titres ne correspondent pas non
plus à des mouvements de numéraires entre les enueprises publiques : seules ds étitures cnmptables
interviennent.
Les autres fautes com;itables dévoilées concernent la définition du résultat. Théoriquement, les
établissements de crédit ne disposent pas de plus de libené comptable que les autres entreprises. La
Commission bancaire insiste ainsi sur le respect d'un principe de prudence36, suivant lequel les provi-
sioqs doivenr être consuuites en partant des hypothèses les plus pessimistes.
Mais'le secterrr bancaire est spécifique en ce que le risque y occupe une grande place en raison de
la natuçe même des activités (de crédit, de marché, etc.). Iæs dotations aux provisions occupent donc
une place particulièrement grande dans le bilan. Or, cette question des provisions est au centre de
toutes les polémiques qui concernent la comptabilité du Crédit lyonnais. Dans les faits, les banques
disposent d'une liberté d'appréciation asssz large pour déterminer leur dotation annuelle aux provi-
sions. k choix de les u éaler u ou de les faire passer sur une seule année affecte bien sfu considérable-

C-oMrrreluxrÉ - CoNrnôre - Alprr / Numéro thématique - Juin 2004 (p. 7 à' Zn


Damien DE BLrc
20 t-4 (T)MP'IhBII,TIÉ À LÉPREIJVE DU SCANI)At,E FINANCIER

ment le résultat. C'est précisément cefte variabilité qui a été mise en lumière avec I'affaire du Crédit
lyonnais et qui jette le doute sur la fiabilité des comptes des établissements de crédit.
Au-delà de I'affaire Altus à l'origine de la procédure judiciaire contre les dirigeants de la banque,
le doute se diffirse au final sur la fiabilité des comptes des banques, d'autant plus que les langues
se délient à l'occasion du scandale. Haberer rapporte par exemple devant la Commission d'enquête
parlementaire3T t u [...] j'ai alors découvert que la seule stratégie de la BNP était d'être les premiers. Je
l'ai découvert, parce que, à peine arrivé au Crédit lyonnais, c'est une anecdote, mais cela donne I'am-
biance - je suis appelé pal M.Thomas3s qui me dit : 'tomme on a dh te le dire, nous nous entendons
sur les bilans, je suis le premier, tu es le second et on se met d'accord avant l'arrêté des comptes. Où
en es-tu pour le premier décembre ?" - nous étions alors en novembre. Je consulte er on me dit que
l'augmentation du bilan sera de 12o/o. Je le rappelle et je lui indique ce chiffre. Il me répond quil
prévoit, pour la BNB une augmentation de 10 %. Il me demande donc de programmer le même
chiffre. Avec quelque naïïeté, je donne l'instruction de ne pas dépasser le chiffre de l0 o/o. Mais au
moment de la publication des chiffres, la BNP annonce que son bilan augmente de 15 o/o... J'ai aussi-
tôt donné instruction à mes collaborateurs : nous ne parlons plus de bilan avec la BNB chacun fait
comme il I'entend, sous sa resp<lnsabilité39. u Ce type d'anecdote se multiplie dans le cadre des cycles
accusations-justifications suscitées par le scandale et ne sont pas de nature à affermir la confiance dans
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les procédures comptables à l'æuvre.
Interrogé sur I'opportunité de vérifier par ses comptes les soupçons de mauvaise gestion pesant sur
une banque, un journaliste financier confiait ainsi : u Comme eux [les concurrents du Lyonnais] me
le disaient avec le plus grand cynisme : qu'est-ce qu'on peut voir dans un bilan de banque ? Rien, rien,
personne n'est foutu de voir quoi que ce soit puisqu'un bilan de banque est en fait une reconstirution
totale. On commence par un chiffre, le résultat, le bénéfice qu'on veut atteindre, puis derrière on
construit des masses. Qu'est-ce qu'on peut savoir nous ? pas grand-chose. En regardant le bilan, pas
grand-chose.ao , Expérience partagée par d'autres journalistes : o Moi j'ai compris que la banque était
un métier un peu, était pas du tout celui que je pensais. Quand j'ai commencé ce job j'avais 22 ans.
À je
".tt époque-là ne connaissais rien à la banque ni rien, donc tous ces gens se sentaienr obligés de
nt'expliquer des choses. Donc T, [PDG d'une grande banque] m'avait expliqué comme ça, un beau
jour : < Oui, vous comprenez, une banque, c'est quoi ? Enfin le bénéfice d'une banque c'est quoi ?
C'est je décide le bénéfice que je sors, et à partir de là je reconsrirue mes bilans. ,
Le doute est d'ailleurs instrumenté par les acteurs eux-nrêmes qui peuvent justifier ainsi une
imprécision des comptes qui ne saurait dès lors leur être inrputée : < Des deux côtés du bilan, la
banque vit dans le risque, c'est-à-dire dans un mélange de clair et d'obscur. De clair : ce qu'elle sair, ce
qu'elle croit savoir, ce qu'elle prévoit, ce contre quoi elle se protège. D'obscur : ce qu'elle ne peut
-
prévoir fatalités politiques, crises économiques et sociales, accidents des marchés, mort soudaine
d'un manager efficace, ruses ou dissimulation d'un débiteur, fàillite d'une entreprise, erreurs de stra-
tégie ou de gestion des uns et des autres, fragilités patrimoniales, etc. Au fond, le clair, c'est le présent,
si on parvient à bien I'analyser, à bien l'évaluer en termes financiers et comptables ; I'obscur, iest le
futur, dont une part résiste toujours aux prévisions, aux programmations, aux planifications. Et, préci-
sément, le clair est toujours sous la menâce de cet obscur. u (Haberer, 1999, p. 133)
Il faut enfin mentionner ici un récit central, celui qui conduit à la mise en examen de représentants
Il est rapporté par Gille, qui fut successivement directeur ûnancier, secrétaire
des autorités de tutelle.
général, puis directeur général du Crédit lyonnais (1992), et livre son témoignage sur I'affaire sous la

C-ourrenurÉ - Covtx.ôrc - Auon / Numéro thématiqrre - Juin2004 (p.7 à27)


Damien DE Buc
LA COMPThBILITÉ À LÉPREWE DU SCANDALE FINANCIER 2l
forme d'un journal (1998). tlépisode se déroule au mois de février 1993. Gille rencontre alors Butsch,
secrétaire général de la Commission bancaire de la Banque de France, afin de discuter des comptes
pour l'exercicæ 199.2. La dilection des comptes du Crédit lyonnais prévoit des pertes comprises enue
2 et 6 milliard de francs sçlon les différents scénarios possiblesal. u D'emblée, Butsch me donne un
papier et un crayon pour que je calcule devant lui le niveau de fonds propres nécessaire pour que nous
atteignions le ratio CoohedeS,2o/o,le dénominateur 100 représentant le total de nos crédits, et le
numérateur 8,2 le montant minimum correspondant de fonds propres. Une fois ce premier calcul fait,
il me demande de calculer le niveau de perte compatible avec ce minimum de fonds propres. Après
avoir consulté [e directeur des comptes du Crédit lyonnais], qui niaccompagne, je lui réponds :
1,9 milliard. En quelques mots, ensuite, ces messieurs nous font comprendre qu'à l'évidence, notre
pefte np saurait être ni inférieure, ni supérieure à ce montant. En termes purement politiques, leur
raisonnement paralt évident. læ fameux ratio s'applique pour la première fois au 31 décembre 1992.
De tous les paramètres qu elle suit, ce nouveau ratio international est, pour la Commission bancaire,
de loin le principal. Alors que les banques du monde ender se préparent depuis cinq ans à cette
échéance, la place financière de Paris ne peut pas se permettre qu'une des plus grandes banques fran-
ç"iro, de surcroit la plus internationale de toutes, apparaisse en difficulté par repport à la nouvelle
norme. D
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Dans tous ces récits, et particulièrement dans le dernier, on voit bien comment la comptabilité est
prise entre deux logiques : une logique d'application de normes et de principes comptables (ceux
énumérés notamment par le Code de commerce) ; une logique politique, qui concerne ici I'intérêt de
la communauté financière et au-delà de l'É,tat et de la France. La comptabilité bancaire apparait ainsi,
au terrne du scandale, cornme un corn?rornlr enue ces deux logiquesa2. Le bilan de la banque n appa-
ratt pas tant comme I'image fidèle de la situation de l'établissement ou des risques pris par la banque
que comme le produit d'un rapport de force, favorable en l'occurrence à l'autorité de tutelle. Avec la
multiplication de tels récits publics, l'affiaire du Crédit lyonnais a donc contribué à introduire un
doute:sur lacapacité du document comptable à rendre compte de la situation financière et pauimo-
niale des grandes entreprises. Comment fure la différence, dès lors, entre une erreur d'appréciation
des risques et une manipulation comptable en vue de dissimuler un mauvais résultat ? Le cas du
Lyonnais est au final exemplaire : ce sont des pratiques fnancières et coruptables, situées à la frontière
de l'admis et de l'illicite qui vont être mises au jour à l'occasion de l'affaire. Calculs et comptes inter-
viennent dans toutes les polémiques que nourrit le scandale. Mais si les opérations de comptage
seryent d'abord à étayer les accusations et les justifications portées par les différents protagonistes, la
comptabilité est incriminée à son tour et sort du scandale affaiblie d'un doute sur ce qu'elle désigne
vraiment.

Des réformes sonçelles proposées après ces révélations en série ? Pas vraiment. On ne voit pas
naiue de législation nouvolle, mais des tenatives de réaffirmation de normes, ou de u remise àzéro r.
La Commission bancaire va d'abord suggérer aux banques françaises, par une série de circulaires adres-
sées aux établissemenm, de remettre à plat leurs comptes en procédant notamment à une réévaluation
réaliste de leur pauimoine immobilier.

Te même acteur publié en 1998 un livre blanc sur la compabilité bancaire, qui représente un cas
intéressant de conséquence inavouée du scandale. Une lecture attentive indique en effet la possibilité
d'une ledure en cfeuiK du document : ce qu'il prescrit correspond à tout ce qui n'a pas été fait au

CrMP[ÀBurÉ - CoNrrlôtn - AuDrr / Numéro thématique -Juin2004 (p.7 à27\


Damien De BI-rc
22 I.â COMP'Ih-BILT|ÉÀ LÉPREWË DU SCANDALE I]INANCIER

lyonnaisa3. En témoigne cette série de recommandations .. issues des meilleures pratiques de la profes-
sion , qui montrent qu'u il semble indispensable de disposer " :
d'une segmentâtion des risques en fonction de critères spécifiques à l'établissement ;

d'outils d'aide à la décision ;

d'une évaluation périodique des oudls retenus ;

d'un suivi formalisé des engagements appuyé sur un systèrne de collecte et de cenualisation des
informations [...] ;
d'un historique des provisions [...] éventuellement réparties par notation interne.
Ce n'est rien moins que la mise en place d'une comptabilité analpique harmonisée dont il s'agit
ici. Un autre effet du scandale ionsiste en un changement des rapports de force entre acteurs du
secteur bancaire. La Commission bancaire, fortement critiquée pour son manque de vigilance à
l'égard du Crédit lyonnais, voit ainsi disparaltre toute une partie de ses prérogatives. La comptabilité
bancaire échappe, à partir de 1996, à sa législation de type corporatiste qui prévalait depuis l94l pour
intégrer le droit commun comptable. læs règles comptables en matière bancaire auparavant déûnies
par une autorité particulière, le CRBFaa, sont à partir de 199645 élaborées au sein du CNC (dans le
cadre d'une section banque). Cet alignement à terme du droit bancaire sur le droit commun signe un
affaiblissement certain de la Commission bancaire. La Banque de France est également dépossédée de
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ses prérogatives en matière de réglementation prudentielle au profit du Ti"ésor.
Des réformes plus importantes ne sont en fut envisagées que lorsque d'autres scandales mettent à
nouveau en lumière la question de la fiabilité des comptes publiés par des entreprises, au-delà du
secteur bancaire. La multiplication des scandales compables (accountirug scandah) aux É,tats-Unis
dont les cas Enron et VoddCom restent les plus emblématiques46, a joué ici un rôle essentiel. C'est
en fait la mise en parallèle de ces affaires avec des polémiques sur les comptes des entreprises françaises
qui ouvre un nouveau débar sur les pratiques comptables au sein de grands group.r47. Ces comparai-
sons permettent de jeter le doute sur les résultats publiés par ces groupes. lr grand public est large-
ment invité au débat. L'Express, comme tant d'autres titres de presse françaisr profiletl en u une r, de
révéler à ses lecteurs ( comment les entreprises manipulent leurs comptes ,48 et affirme dans son
dossier que ce sont toas les grands groupes qui falsifient leurs comptes au détriment des actionnaires
et des salarié s. Libêration introduit de même un reportage sur Enron en posant la question : n Et si tout
ce que nous racontaient les patrons depuis des alnées sur leur entreprise était faux ? ,49 S'appuyant
sur une série de d'afFaires litigieuses (Alcatel, France Télécom, Vivendi Universal, Kalisto, Liberty
Surf, Gemplus, etc.), le polémiste Jean Montaldo publie un pamphlet intitulé Le Marché aux
uoleurs dans lequel il accuse ( PDG, banquiers, analystes financiers, commissaires aux comptes, COB
et autres gardiens du temple , d'avoir u grugé ,, o floué ,, voire o ruiné , les petits actionnaires en leur
faisant prendre, grâce à des comptes manipulés, n des vessies pour des lanternes n50. Ceæe opération
collective de politisation et de moralisation de catégories comptables et financières donne prise à des
protestations collecdves et pertnet de formuler des indignations qui ont pu contribuer à l'élaboration
d'une loi de n sécurité financière , dont les effets sur les métiers de la comptabilité ne sont pas anodins,
dans la mesure où cette loi prévoit notarnment la séparation des activités de certification des comptes
et de conseil et la création d'un Haut Conseil du commissariar aux comptes, destiné à renforcer le
contrôle légal de la comptabilité des entreprises5l. Les scant{ales inspirent directement cette fois le
mouvement de réformc.

C-oMprABnfif - C,oNTRôI-E - Auort / Numéro rhématique , lûn 2O04 (p. 7 à 27)


: D. ien DE Buc
LA COMPTABIUTÉ À LÉPRETIVE DU SCANDALE FINANCIER 23

W Conclusion
Au terme de ce rapide par@urs historique, nous espérons avoir monûé le potentiel heuristique d'une
analyse des scandales financiers pour une sociologie de la comptabilité. Il existe sans doute peu de
situations où la compabilité et ses professionnels accèdent à une telle visibilité et focalisent l'artention
d'un vaste public, otr s'élabore un discours social sur les conditions de production des chiffres @mp-
tables et où se dessinent ses enjeux sociaux, voire politiques. Ces scan'lales montrent que la compta-
bilité n évolue pas seulement sous l'effet d'une critique < interne o (celle des comptables eux-mêmes,
des enuepreneurs, etc.) mais aussi sous I'influence d'une critique externe qui émane de secteurs de la
société qui ne lui sont a prioripas immédiatement proches.
On y découvre également que le statut épistémique que les acteurs sociaux attribuent à la compta-
bilité est largement fluctuant. On a vu, en effet, que le chiffre comptable était un élément essentiel
pour donner à un événement la forme d'un scandale financier, iest-à-dire pour le rendre identifiable
et mobilisateur, en rendant notamment possible la désignation de coupables dont les actions sont
rendues cohérentes dans le cadre de la reconstitution d'une intrigue. Faire de la comptabilité un
instrument de preuve suppose pour le moins la possibilité de discriminer entre un < vrai > et un
,, faux , résultat comptable et postule donc le caractère potentiellement réaliste de ce chiffre. Mais
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lorsque les révéIations se multiplient, se diffilse alors un doute sur le caractère non plus exceptionnel
mais habituel de ces u manipulations u de chiffres, de leurs < usages stratégiques u ou de leur dimen-
sion ,, politique ,. l,e cas du Crédit lyonnais l'illustre : on ne sait plus en fin de compte si le bilan d'une
banque donne une u image fidèle , du pauimoine et de la situation financière de l'entreprise, ou s'il
indique plutôt l'éat d'un rappoft de force entre les services comptables de la banque, sa direction et
ses différentes autorités de tutelle. læ caractère u construit o du chiffre comptable apparalt alors et les
acteurs tendent à basculer d'un point de vue u réaliste > à un point de vue ,i constructiviste , sur la
comptabilité. Ce qui relève normalement des choix épistémologiques du sociologue devient l'objet
d'une dialectique socialeS2. On peut dans cette perspective réinterpréter les conventions suscitées en
retor[ par les scanddes comme des dispositifs visant à faire basculer cette épistémologie vers une posi-
tion réaliste et dissiper ainsi le doute. C'est un élément d'explication de I'importance des scandales
financiers dans un mouvement de normalisation ou de réforme de la comptabilité.

CoMlrrABtr.rrÉ - Cosrnôrc - Auorr / Numéro thématique - Juin 2M4 (p. 7 à 27)


Damien oB BI-tc
24 LA COMPIhtsILITÉ À LÉPREWE DU SCANI )AI,E I'IINANCIER

!tg!9! maniptrlations des cours de l'action de I'Union en


Bourse. Zola relate toutes ces opérations dans
l. ff sur ce point Ohateauraynaud (1991). IlArgart publié en 1891 et directement inspiré du
2. 1,6 élémena présentés ici sont issus d'une thèse krach dc I'Union générale. Ia comptabilité occu-
soutenue en 2003 à I'EI{ESS : cf, Blic (de) pe dans ce roman une place sans précédent.
(2003).
9. Sur I'apparition de cette catégorie nouvelle dans la
3. On se limite ici à une histoire française, mais il presse à la suite du Lrach de I'Union, d Verdès-
semble possible d'étendre le rnodèlc à d'autres kroux, I969.
sociétés, comme on le montrera en conclusion
10. Ordonnanc,e du 22 juin 1891.
avec les cas Enron et lù?'<rrldCom.
ll.Remis au magistrat instruceur au mois de mai
4. Nous empruntons ces expressions à Barthélémy et'
t892.
Quéré (1991, p. 7).
12. Soit environ 5,5 milliards d'euros ou 35 milliards
5. Leffondrement du système de Iaw en l72o avut
de francs (valeur 2000).
déjà, défrayé la chronique financièrc, au point de
susciter un méfiance durable des l-rançais pour la 13. Sur le détail des accusations concernant chacun de
monnaie fiduciaire et les billets de banque ces points, on se reportera par exemple à Bouvier,
(Michalet, 1968). Mais nen furent finalement 1964.
victimes que les franges les plus aisées de la popu- 14. On sc réfère ici à Ricæur pour qui la u mise en
ladon, I'aristocratie parisienne notamment intrigue o consiste essentiellement à organiser des
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(Fave,1977). faits disparates au sein d'un u ordre intelligible u,
6. Si l'Union générale fondée en 1878 recrutait ses d'une histoire qu'on peut raconter (1991, p. 127).
actionnaires (environ 16 000) essentiellement sur 15. La publication du document Flory en annexe des
une base politique (monarchiste) et confession- deux rapports parlementaire de 1893 et 1897 est
nelle (catholique), toute la hiérarchie sociale y également significative de I'importance qui lui est
était repr6entée, y compris les milieux popu- accordéc et de sa pertinence incontestée.
laires : domestiques, cultivateurs, ouwiers et l6.Zeldin 2003, vol. 4, p.19.
employés (Bouvier, 1960). f.e phénomène prend
l7.Pour une vue d'ensemble de ces scandales, on se
encore une autre ampleur avec la Compagnie de
reportera par exemple à Thiveaud (1993) ou à
Panama qui avait su conquérir plus de 100 000
Guilleminault et Singer-Lecoq (1975). Des
actionnaires et quelque 500 000 obligataires.
monographies existent également sur chacun de
Mollier (1990) y voit la première esquisse d'un
ces scandales.
< capitalisme populaire >. (l'est précisément au
tournant des années 1880 que le placement en 18. Pour la presse on pourra lire par exemple le dos-
titres financiers devient en France la forme domi- sier consacré par Le Point à Jean-Yves Haberer Ie
nante de l'épargne, grâce en particulier au rôle 25 mars 1995. IÆs auteurs veulent montrer que la
joué par les nouvelles banques de dépôts capables politique ambitieuse d'expansion du Crédit lyon-
de proposer jusque dans les campagnes actions et nais entre I 988 et I 993 s'expliquerait au final par
le < désir de revanche u de son pr&ident après son
obligations à leurs clients (Bonin, 1992).
éviction des affaires à la suite de Ia victoire de la
7. Cætte loi précise que les gérants de sociét& peu-
droite aux législatives de 1986.
vent voir leur responsabilité engagée quand u en
I'absence d'inventaire, ou au moyen d'inventaires 19. Selon le titre de I'ouvrage de Bonin (1998).
frauduleux o, ils auront < <lpéré entre les action- 20. Iæ député de la Mayenne François d'Auben fut à
naires la répardtion de dividendes non réellement la fois le principal enquêteur sur le volet < ciné-
acquis à la société > (cité par Lemarchand, 1993, ma u du scandale (dont le récit est livré dans un
p.342). ouvrage de 1993) et le rapporteur de la commis-
8. Linstruction avait également révélé de fausses sion d'enquête parlementaire de 1994.
souscriptions d'actions par des prête-noms et des 21. Sur ce point, voir Blic (de), 2000.

CoMrrhBurÉ - C-r:rarRôr"e - Auort / Numéro thématique - Jutn 20M (p. 7 à 27)


Demien DE BLlc
I.ACOMI'TIABILITÉ À LÉPREI VE DU SCANDALE FINANCIER 25
2Z.Opération qui est âu cæur de toute mise en récit 33. Quoiqtiun peu différemment : le Crédit lyonnais
pour Ricæur (1991). reçoit de la part de l'État 1,7 milliard de francs
23.Llopér*ion fait plus difficile que prévu :
s'avère en d'actions de Rhône-Poulenc. En règlement, la
la nodon de n faux bilan consolidé > étant absen- banque remet à l'É,tât des tiues du Crédit lyonnais
æ du Code pénql, un communiqué du ministère cré& pour la circonstance.
de laJustice en date du 16 aott souligne que u les 34.Læ Crédit lyonnais reçoit une panicipation de
disposirions pénales relatives à la pr6entation des 20 o/o dans Usinor-sacilor et remet à l'État pour
comptes annuels des filiales ne paraissent pas pou- 3 milliards de titres du Crédit lyonnais.
voir s'appliquer aux comptes consolidés du 35.La banque reçoit de l'État des titres de
Lyopnais >. une information judiciaire contre X l'Aérospatiale pour une vdeur de 1,87 milliard de
est finalement ouverte le 3 décembre 1996 et la francs et remet des tiues du Lyonnais.
qualification retenue est celle de n faux, usage de
36.Celui défini dans I'article 14 du Code de com-
faux et diffirsion de fausses informations finan-
merce : < Les comptes annuels doivent respecter le
cières o.
principe de prudence [...] Il doit être tenu comp-
2L.Paradigme ub bien illusué, par exemple, par te des risques et des pertes intervenus au cours de
Dampiere (1954). l'exercice ou d'un exercice antérieur, même s'ils
25. Bouvier (1964) analyse ainsi le scandale de sont connus entre la date de clôture de I'exercice
Panama. et celle de l'établissement des comptes. D
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26. Comme le résume Garrigou (1992). 3T.Audition du l1 mai 1994.
27.Par exemple Degos (1998). 38. Qui est alors président de la BNP.
28. Et tout âutant à la grande crise bancaire de 1931- 39. Aure anecdote sigrificative rapportée par l'ancien
1935 (Bonin, 1992). pr&ident du Lyonnais (p. 66) : < Comme les jour-
29. Cf Gélain (1992), e[ notâmment la préface de nalistes s'amusaient à arrondir vers le haut ou vers
Butsch. Pour I'histoire de la législation bancaire, le bas, je me suis amusé une fois, pour le résultat
.voir Perrut (1998). semestriel, à choisir une date qui était I'anniver-
30. Nous empnrntons le terrne de conventionnalisa- saire de la mon d'Henri M 1610, dans l'étroite
tion à Peter'Wagner qui désigne par là la u stabili- marge laissée à mon initiative enne 1600 et 1610.
sation des pratiques sociales par des conventions Comme la BNP voulait toujours faire mieux que
relarivement cohérentes lmbriquées, étendues à nous, et qu'elle sortait ses comptes aprb, j'ai vu
ôaque État national, (1996, p. 124) - la conven- avec délices que la BNP sortait ses comptes une
tion étant elle-même décrite comme un ( moyen semaine après et affichait 16ll... o Notons que
de réduire I'incenitude en limitant la diversité des Haberer insiste plutôt là sur < l'étroite marge >.
événements, des actions ec des interprétations sus- 40. Nous citons ici des entretiens auprès de journa-
ceptibles de prendre place , (ibid, p. 127). listes de presse écrite râlisés dans le cadre d'une
31. Et non plus seulement des indrêts des créanciers enquête plus générale sur le scandale du Crédit
menacés par les faillites. lyonnais (de Blic, 2003). l"es deux entretiens cit&
ont été men& respectivement au mois d'octobre
32. L'Humanité du 14 aott 1996 donne par exemple
et de décembrc 1999.
la parole au juriste J. RSulzer qui justifie ainsi
I'absence du délit de faux bilan consolidé : u Il est 41.C'est-à-dire, une fois encore, sur l'estimation du
indéniable que si une ûliale présente un faux volume de provisions à prévoir.
bilan, le bilan de sa société mère sera tout aussi 42.La Commission bancaire, i[ui a pour mission de
faux. Pourtant, peut-on exiger des dirigeants qu ils faire respecer les principes comptables, est parfois
aillent vérifier eux-mêmes la valorisation des elle-même prise dans la tension enue les deux
stocfts de fixe-chaussettes dans toutes les filiales logiques, et propose des interprétations déroga-
situées au sein de leur périmètre de toires au droit commun. Ces interprétations se
consolidation ?> manifestent par des circulaires diffirsées au lende-

Courrern nÉ - CoNIRôrr - AuDrr / Numéro rhématique - Juin 2004 (p. 7 à ln


Damien DE BLIC
26 I,A (]OMI'TABII,ITÉ À LÉPREWE DU SCANDAIE FINANCIER

main du lrach immobilier du début des années


libllggryphie
1990 auprès des établissemenc de crédit et qui
vont tenir lieu de jurisprudence. On va ainsi Assemblée nationale (1994), Rapport de la commis-
< autoriser , les établissements à ne pas inscrire sion d'enquête sur le Crédit lyonnais, 2 volumes,
(provisoirement) les moins-values liées à leur Rapport n" 1480, Iæs documents d'information
patrimoine immobilier pour éviter la faillite des de I'Assemblée nationale, juillet.
entreprises les plus fragiles. AusrRT (D') F. (1993), IiArgmt salc. Enquâte sur un
hrac h re te nt issant, Plon.
43. Comme nous I'a précisé I'un dcs auteurs du
raPPorr. BARTHÉI.EMv M. et QunnÉ L. (1991), La Mesure des
éuénenents publics. Structure dcs éuércments
et for-
44.Comité de la réglementation bancaire et ûnanciè- matiott dz la conscimcepabliqae, CEMS / EHESS.
re, dont la Commission bancaire est partie
BlIc (op) I). (2000), < "Le scandale financier du
Prenanre.
siècle, ça ne vous intéresse pas ?" Difficiles mobi-
45.8t de la loi de u modernisation des activit6 finan- lisations autour du Crédit lyonnais Politix,
",
cières , du 2 juillet 1996, dite o loi MA-F ,. vol. 13, n" 52, p.157-18I.
46.Les deux sociétés sont accusées d'avoir pratiqué Blrc (oE) D. (2003), k Scandabf.nancier. Naissance
des falsiûcations de comptes à très grande échelle et ùclin d'uneforme politiqae dz Panama au Crédit

uia des dissimulations de pertes et des gonfle- ljtonnais, thèse pour le doctorat de sociologie,
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ments de Lrénéûces, avec la complicité de leurs EHESS.
commissaires alu( comptes. BorraNszu L. et THÉwNor L. (1991), De la justifi-
cation. Les économies dc la grandeua Gallimarc.
47.lJn dossier spécial du supplément n É,conomie n
du Mondz sur le thème o LEurope peut-elle BoNtN H. (1992), La Ban4ue a les banquios en
échapper aux scandales financiers ? > (17 France : du Muym Âge à nos jours,l-arousse.
décembre 2002) s'ouvre ainsi sur une comparai- BoNtN H. (1998), Une oise bancairefrançaite et lnon-
son enffe Enron et les cas de Vivendi et du Crédit diale,PUF, n Que sais-je ? ,.
lyonnais dont le proc& sur les conrptes doit s'ou-
Bouurn J. (1960), I^e lhach dz l'Union généralr :
vrir quelques jours plus tard. 1878-r885, PUF.
48.7 mars 20O2. Bonvten J. Q964), Les Deux Scandales dz Panzma"
Gallimard / Julliard, u fuchives o.
49.9-10 février 2002.
C-npnoN M. (1993), Ia Cornpabilité mperspectiue,la.
50. Il est également remarquable que I'ouvrage polé- Découverte, o Repères >.
mique de Pân et Cohen sur le quotidien Le
CHarrauRanhuo F. (1991), La Faute profession-
Mondc (2003) se conclut par un chapitre dans
nellz. Ilne sociologiz des confl,its de reEonsabilitd
lequel ils dénoncent n des rnmptes à la Enron u
Métailié.
comm€ si un passage par la comptabilité devenait
une figure obligée de la critique. CutelElr.cl E. et DrsnosrÈRns A. (2A0r, < La quan-
tification de l'économie et la recherche en sciences
5l.Votée en juillet 2003,|a loi de sécurité financière sociales : paradoxes, contradictions et omissions.
s'inspire directement de la loi Sarbanes-Oxley qui Iæ cas cxemplaire de Ia Positiue Accounting
répondait, aux États-Unis (juillet 2002), aux scan- Tlteory ,, communication au colloque o Conven-
dales comptables. tions et Institutions : approfondissements théo-
52.On retrouve en fait cette dialectique dans la plu- riques et conuibutions au débat politique ,,
part des opérations visant à une quantificatian, llll2ll3 décembre.
comme I'ont montré Chiapello et Desrosières Commission bancaire (1998), u Mesure de la rentabi-
(2003). lité des activités bancaires o. livre blanc.

CoM!'rABrurÉ - CoNTRôr"E - Auort / Numéro thématique - Juin 2OO4 (p.7 à27)


, Danien os BI-tc
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Com'res'uJTÉ - CoNrRôrc - AIrDrr / Numéro thématique - Juin2004 (p.7 à27)

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