Itinéraires - Cuivre - Remmm (I. Houssaye Michienzi) F

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 24

De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de

commerce juifs et trafic du cuivre vers 1400


Ingrid Houssaye Michienzi

To cite this version:


Ingrid Houssaye Michienzi. De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et
trafic du cuivre vers 1400. Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée, 2019, Cimetières et
tombes dans les mondes musulmans A la croisée des enjeux religieux, politiques et mémoriels, 146,
pp.201-226. �10.4000/remmm.13187�. �hal-02401256�

HAL Id: hal-02401256


https://hal.science/hal-02401256
Submitted on 15 Sep 2021

HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est


archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents
entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non,
lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de
teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires
abroad, or from public or private research centers. publics ou privés.
Revue des mondes musulmans et de la
Méditerranée 
146 | 2019
Cimetières et tombes dans les mondes musulmans

De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux


de commerce juifs et trafic du cuivre vers 1400
From the island of Majorca to the Sahara: Jewish networks and copper trade
around 1400

Ingrid Houssaye Michienzi

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/remmm/13187
DOI : 10.4000/remmm.13187
ISSN : 2105-2271

Éditeur
Publications de l’Université de Provence

Édition imprimée
Date de publication : 30 décembre 2019
ISSN : 0997-1327

Ce document vous est offert par Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Référence électronique
Ingrid Houssaye Michienzi, « De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et
trafic du cuivre vers 1400  », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 146 |
 décembre 2019, mis en ligne le 02 décembre 2019, consulté le 03 décembre 2019. URL : http://
journals.openedition.org/remmm/13187  ; DOI : 10.4000/remmm.13187

Ce document a été généré automatiquement le 3 décembre 2019.

Les contenus de la Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée sont mis à disposition selon les
termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les
Mêmes Conditions 4.0 International.
De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 1

De l’île de Majorque au désert du


Sahara : réseaux de commerce juifs
et trafic du cuivre vers 1400
From the island of Majorca to the Sahara: Jewish networks and copper trade
around 1400

Ingrid Houssaye Michienzi

1 Quelques rares bribes de documents, issues d’un immense fonds d’archives, offrent un
éclairage bref, très succinct, néanmoins riche en renseignements sur les circulations
marchandes entre la Méditerranée et le Sahara au tout début du XVe siècle. Il s’agit d’un
corpus d’une vingtaine de lettres issues du fonds Datini des archives de Prato, en
Toscane. Le fonds Datini est lié à la carrière d’un individu, Francesco di Marco Datini
(v. 1335-1410). Riche d’environ 150 000 lettres2 et 600 registres de comptes, il témoigne
de l’étendue des activités d’un marchand impliqué à la fois dans les secteurs industriels,
bancaires et commerciaux. Il démarra ses activités à Avignon, puis après son retour en
Toscane en 1382, il les développa à Prato (sa ville natale), à Pise, à Florence et à Gênes.
Les années 1390 virent le déploiement de ses activités dans le bassin méditerranéen,
notamment dans l’aire ibérique avec l’implantation de filiales à Barcelone, à Valence et
dans l’île de Majorque. Toutes les filiales étaient indépendantes ; seule la personne de
Francesco Datini les réunissait puisqu’il était l’associé majoritaire de chacune d’entre
elles. Une part infime de la documentation conservée contient des documents rédigés
en Afrique : seules 44 lettres, provenant de diverses villes d’Afrique du Nord,
notamment côtières, sont recensées (Houssaye Michienzi, 2013). Néanmoins, ce fonds
permet d’éclairer quelles furent les stratégies des marchands florentins pour
commercer avec le Maghreb, l’Afrique saharienne et subsaharienne, à travers la
documentation concernant l’espace ibérique et surtout celle issue de l’île de Majorque
qui comprend près de 14 000 lettres marchandes3 et plus d’une cinquantaine de
registres comptables de différentes natures.
2 Ce commerce avec l’Afrique était complètement indirect, en raison surtout de la
politique protectionniste des souverains de la Couronne d’Aragon qui envisageaient les

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 2

terres maghrébines comme une chasse-gardée, notamment le Maghreb central et


occidental. Majorque devint de fait la base commerciale des hommes d’affaires
florentins désireux de négocier avec l’Afrique. Ils s’y appuyaient principalement sur des
marchands majorquins, surtout juifs et juifs-convertis (conversos).
3 Les sources du fonds Datini permettant d’appréhender les circulations commerciales
entre l’espace méditerranéen et le Sahara, plus précisément entre Majorque et le Touat,
peuvent être croisées avec d’autres sources plus ou moins contemporaines afin
d’effectuer des recoupements et des comparaisons, et afin de dépasser le seul angle de
vue des agents florentins. Les sources arabes offrent un premier corpus cohérent, à
travers les témoignages d’Ibn Khaldūn et d’Ibn Baṭṭūṭa. L’histoire des peuples berbères
et du Maghreb, contenue dans le Livre des Exemples ( Kitāb al-ʿIbar) d’Ibn Khaldūn
(1332-1406) comprend de très intéressantes descriptions des axes transsahariens et de
leur évolution. Son contemporain Ibn Baṭṭūṭā (1304-1377) aurait quant à lui été chargé
d’une mission par le sultan mérinide auprès du royaume du Mali. Son excursion au
Sahara et au Soudan occidental en 1352-1353 paraît avoir été son dernier grand voyage,
à la suite duquel il se retira à Fès, à la cour du sultan Abū ʿInān. Il passa par le Touat
lors de son retour du Mali. Son témoignage, issu d’une expérience réelle, se situe donc
une cinquantaine d’années avant les documents du fonds Datini. Le deuxième corpus
est constitué des responsa4 de trois rabbins qui se sont succédé à la tête de la
communauté juive d’Alger de l’extrême fin du XIVe siècle au milieu du XVe siècle : Isaac
ben Sheshet ou Ribash (Blasco Orellana, Magdalena Nom de Deu, 2004), Simeon ben
Zemah Duran ou Tashbash5 et Solomon ben Shimon Duran ou Rasbash 6. La lettre
rédigée en 1447 à Tamanṭīṭ, dans le Touat, par le marchand génois Antonio Malfante
s’intègre également à ce corpus (De la Roncière, 1925). Ce négociant génois (Gênes 1409
ou 1410— Majorque 1450) avait été dépêché en Afrique par la compagnie d’affaires
Centurione pour prendre autant de renseignements possibles sur les perspectives et les
conditions commerciales (Di Tucci, 1934 ; Fauvelle, 2013 ; Guelfi, 2008). Sa lettre, écrite
en latin, fut adressée à un marchand à Gênes, Giovanni Marioni, d’une famille de
négociants génois bien implantés en péninsule Ibérique. Considérée comme l’unique
témoignage européen de la prospérité touatienne et du rôle joué par les juifs, elle est
postérieure aux documents issus de la documentation Datini. Enfin, plus tardif, le
témoignage de Léon l’Africain forme le dernier volet de cette documentation,
notamment sa narration de sa traversée du Sahara vers Tombouctou en 1512 lorsqu’il
fut chargé d’une mission diplomatique avec son oncle auprès du souverain de l’Empire
Songhaï, l’Askyā Muḥammad (Zemon-Davis, 2014).
4 Les documents du fonds Datini forment néanmoins le cœur de cette enquête. Leur
existence est liée au vol d’une importante cargaison de cuivre qui survint dans le Touat
au tout début de l’année 1408. Les documents éclairent en effet toutes les péripéties
concernant le larcin et la demande de rançon. Ces faits furent relatés par Niccolò di
Giovanni Manzuoli, un marchand florentin qui fut employé de la compagnie Datini de
Majorque de 1396 à 1404, puis promu associé jusqu’à l’extinction de la compagnie après
la mort de Francesco Datini en 1410. À l’époque de ces événements, il dirigeait la
compagnie de Majorque et quelques agents gravitaient autour de lui. Toutes les
informations relatives à ce vol furent adressées aux compagnies Datini de Barcelone, de
Valence et de Florence.
5 Si plusieurs auteurs ont retracé plus ou moins brièvement l’arrivée du cuivre à
Majorque et son exportation vers le Maghreb, les analyses restent muettes quant à son

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 3

expédition plus lointaine vers le Sahara et au-delà. L’utilisation de documents du fonds


Datini permet ainsi de combler un important vide historiographique, plus que
documentaire, concernant la circulation de ce métal tout au long de l’axe Majorque-
Honein-Touat. Cet article vise ainsi à décrire dans sa complexité la mise en relation de
différentes parties du monde passant par de multiples lieux de connexion et de
multiples intermédiaires. Il s’agit d’établir des ponts entre différentes centralités et
d’inscrire les pratiques des acteurs dans des réseaux de relations multipolaires. Les
dynamiques de circulation des hommes et des marchandises, de l’île de Majorque au
désert du Sahara mettent en lumière le rôle majeur des réseaux de commerce juifs.
Cette étude fait ainsi suite à des observations préalables qui ont déjà permis de
constater que les persécutions anti-juives, notamment celles de 1391 qui touchèrent la
péninsule Ibérique et les îles Baléares, furent le moteur de nouvelles configurations
spatiales et de nouveaux liens multipolaires tissés entre les deux côtés de la
Méditerranée (Houssaye Michienzi, 2014). Les lettres marchandes du début du XVe siècle
issues du fonds Datini offrent un tableau bien vivant de groupes de négociants juifs par
lesquels passait l’essentiel du trafic de marchandises entre Majorque et le Touat. Elles
révèlent ainsi le rôle fondamental de ces agents qui rendaient le trafic caravanier
accessible aux marchands européens, et consentent à montrer comment des espaces
étaient construits et reposaient sur des liens de confiance et sur le crédit. Grâce à cette
documentation il est possible de pénétrer au cœur des échanges marchands et
d’observer comment des réseaux, différents dans leur nature et leur organisation,
pouvaient s’emboîter et s’articuler.

Le vol d’une cargaison de cuivre : un événement


révélateur
6 Les événements sur lesquels se base cet article sont survenus durant l’année 1408. Les
28 février, 3 mars et 25 mars des lettres furent rédigées à Majorque, adressées aux
compagnies Datini de Barcelone, de Valence et de Florence. Les lettres destinées à
Barcelone et à Valence furent terminées le même jour, le 8 mars. Celle de Florence,
adressée à Francesco Datini, fut rédigée plus tardivement. Elles font toutes les trois
référence à un vol de cuivre survenu dans le désert. Les lettres expédiées à Valence et à
Florence ne mentionnent qu’un coupable : une compagnie d’Arabes (una chompagnia
d’Arabi). La lettre de Barcelone est plus détaillée : une compagnie de Maures
(chompagnia di mori) est également mentionnée.
Nous avons reçu une lettre de Honein, via Valence, nous disant que tout le cuivre
qui était parti à Touat, étant à 15 lieues près de Touat, a été pris par des Arabes. Il
valait plus de 6 doublons sans les autres choses qui furent volées. On ne se souvient
pas qu’une telle chose soit déjà survenue ! La lettre raconte qu’ils étaient sur le
point de rançonner les 200 quintaux qui appartenaient aux Quinti et à Tosugo. Ces
juifs étaient désolés, mais confiants dans la rançon. Par la prochaine lettre qui
viendra vous serez mieux informés.
La lettre raconte que les Arabes se rendaient en un lieu proche pour en vendre 12
somate, ce qui correspond à environ 50 quintaux, et ceux de cet endroit les ont
retenus devinant qu’ils l’avaient volé.
Ils l’ont vendu et gardent l’argent pour le remettre à ceux à qui cela revient. Ils ont
à ce sujet envoyé un courrier à Honein. Voyez dans quelle désolation nous vivons
dans ce monde ! Ces derniers étaient une compagnie de Maures qui avaient
demandé aux marchands de la caravane 100 doublons ; ceux-ci ne voulant pas les

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 4

donner, ils se mirent alors à commettre ce vol. Puisse Dieu, dans sa grande pitié,
nous en donner de meilleures nouvelles7 !
7 C’est à « 15 lieues de Touat » (a Tuett a 15 leghe) sur la route provenant de Honein,
certainement entre Figuig et le Touat, que furent volés 200 quintaux de cuivre (environ
8,2 tonnes8) dont la valeur s’élevait à plus de 8 000 doublons9. La cargaison initiale
comptait 711 quintaux (ou 29 tonnes)10 : 508 quintaux appartenaient à des marchands
majorquins (Nicolau de Pachs et Antoni de Quint) et 203 à la compagnie Datini. La
marchandise fut volée par des « Arabi » qui se rendirent ensuite en un lieu proche pour
en vendre 12 somate11, soit environ 50 quintaux (un peu plus de deux tonnes). Ceux qui
étaient présents en ce lieu devinèrent que le cuivre avait été volé. Ils le vendirent et
gardèrent l’argent pour le remettre à ceux à qui cela revenait. La lettre adressée à
Barcelone devient ensuite très confuse, mentionnant que « ces derniers » (Arabi ?)
étaient une chonpagnia di mori qui avait demandé aux marchands de la caravane 100
doublons ; ceux-ci ne voulant pas les donner, ils se mirent alors à commettre ce vol. Il
s’agit de la seule occurrence mentionnant les « mori », désignés sous le terme de
« chonpagnia » qui énonçait ordinairement, dans le vocabulaire florentin, la présence
d’une association commerciale. La lettre révèle ainsi une grande confusion de l’auteur
qui ne connaît absolument pas le contexte dont il parle et l’éventuelle distinction entre
groupes ethniques. En effet, Niccolò Manzuoli, comme les autres agents de la
compagnie Datini, ne se déplaça jamais en Afrique et il ne percevait ce commerce que
de manière complètement indirecte. De fait, comme pour les Philistins évoqués par
Antonio Malfante – ce dernier ayant néanmoins réellement séjourné à Tamanṭīṭ – il est
très difficile d’identifier avec certitude l’identité de ces personnes, même s’il semblait
s’agir de nomades.
8 Les tractations pour le rachat de la marchandise, confiées à des négociants juifs
circulant sur l’axe Majorque-Honein-Touat, furent immédiatement enclenchées. Les
navires assurant la liaison entre Honein ou Oran et l’île de Majorque apportaient
régulièrement des nouvelles. Fin mars, les agents de la compagnie Datini surent que la
rançon, qui devait être payée en argent comptant, avait été fixée à neuf doublons la
somata par les Arabes, puis à sept doublons 12. Néanmoins, vers la mi-mai, le montant de
la rançon fut finalement fixé à dix doublons la somata 13. Les opérations de rachat
n’aboutirent cependant pas avant novembre 1408. Seuls 60 quintaux purent être
rançonnés pour un prix dépassant la valeur de la marchandise. Le cuivre resta sur
place, avec 315 autres quintaux qui n’avaient ni été volés, ni été vendus. Le tout fut
confié à un marchand juif du nom d’Hayon Sussen14. Une dernière lettre de décembre
1408 précise le vol d’une nouvelle cargaison de cuivre15.
9 Cet événement éclaire avec précision les routes commerciales, l’importance du cuivre,
le climat d’insécurité de la région et le rôle des marchands juifs dans les réseaux
d’affaires circulant entre la Méditerranée et le Sahara. Par la richesse de leur contenu,
de courts extraits puisés dans une vingtaine de lettres rédigées à Majorque deviennent
de véritables révélateurs, permettant de comprendre le déroulement des événements,
les enjeux et les modalités d’un tel commerce, et les différents acteurs en présence. Ce
corpus est d’autant plus important que les lacunes documentaires concernant cette
région du monde et ses connexions au XVe siècle sont conséquentes.

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 5

L’itinéraire Majorque-Honein-Touat : une voie d’accès


privilégiée du commerce transsaharien
10 La documentation met en lumière trois espaces commerciaux différents qui
constituaient autant de hubs dans les échanges entre la Méditerranée et le Sahara 16. La
cargaison de cuivre fut en effet expédiée de l’île de Majorque jusqu’à Honein où elle prit
le chemin du désert, devant transiter par le Touat avant de gagner les marchés
d’Afrique subsaharienne. Une partie de la cargaison fut dérobée sur cet itinéraire, entre
Honein et le Touat. Ces trois pôles étaient des points de rupture du fret et de jonction
des trafics, structurant les flux de marchandises.

Itinéraires commerciaux de Majorque vers le Sahara début XVe siècle


© Ingrid Houssaye Michienzi

11 La première de ces trois places relais est constituée par l’île de Majorque qui était la
plaque tournante entre l’Europe et l’Afrique, bien plus que Valence ou Barcelone.
Majorque fut la dernière grande île de la Méditerranée à être reconquise par les
chrétiens, autour des années 1230. L’île passa alors des mains de l’émir à celles du
souverain aragonais Jacques Ier. Elle avait bénéficié dès sa reconquête de restrictions
pontificales amoindries pour commercer avec les sultanats musulmans. Et même si la
politique de prohibitions de la papauté avait été pratiquement abandonnée à partir de
1344, Majorque jouissait toujours d’une position privilégiée, face aux terres d’islam
(Trenchs Odena, 1980). L’île était ainsi la voie d’accès privilégiée au commerce avec
l’Afrique septentrionale et subsaharienne. Parmi les marines européennes importantes,
qu’elles fussent catalane, aragonaise, génoise ou vénitienne, seule la marine
majorquine desservait la totalité des côtes maghrébines. Le commerce avec la
« Barbarie » était capital pour l’île. En 1395, Nofri di Bonaccorso, un marchand toscan et

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 6

partenaire de la compagnie Datini de Majorque, écrit que l’île serait perdue si le


commerce avec le Maghreb venait à décliner17.
12 Quasiment à égale distance de Barcelone que d’Alger, de Pise que de Tunis ou de
Marseille que de Cagliari, l’île de Majorque présentait une situation idéale entre les
deux rives de la Méditerranée et constituait un point de passage sur la route menant à
l’Atlantique. Majorque devint un entrepôt de premier ordre en Méditerranée
occidentale et une escale des circuits de navigation, notamment des convois de galées
vénitiennes se rendant en Flandre ou en revenant. Elle était également le point
convergent d’un intense trafic mené à échelle plus locale entre les Baléares, les côtes
africaines et les côtes ibériques. Majorque était donc une plateforme en Méditerranée,
où se croisaient différents réseaux commerciaux qui opéraient à échelles distinctes
dans un même espace régional. Les marchands florentins achetaient sur place des
produits venus d’Afrique et de péninsule Ibérique qu’ils réexpédiaient sur une large
échelle européenne et méditerranéenne. Par les mêmes vecteurs, ils diffusaient des
produits de régions lointaines importés à Majorque, jusque dans les contrées africaines.
Le cuivre était ainsi convoyé jusqu’à Majorque par des embarcations principalement
vénitiennes puis acheminé par des marins majorquins jusqu’aux côtes africaines.
13 Le deuxième espace d’importance, mentionné dans la documentation sous la forme de
« Une », est le port de Honein, qui apparaît comme la plaque tournante entre les côtes
méditerranéennes et l’intérieur du pays. Il est également fait référence à Oran, mais de
manière plus sporadique. Ces deux ports stratégiques étaient fréquentés par des
marchands latins, particulièrement catalano-aragonais, et constituaient le point nodal
entre les espaces transsaharien et méditerranéen. Le contrôle de ces ports était vital
pour les sultans, d’où les luttes entre Mérinides et Abdalwadides pour maîtriser ces
axes de communication (Bouayed, 1988 ; Khelifa, 1992 ; López Pérez, Padilla Lapuente,
2013 ; Valérian, 2006 ; Vanz, 2016).
14 Si Oran semble avoir eu la primauté dans les premiers traités de paix et de commerce
signés avec les puissances latines, et s’il s’agissait également d’une escale sur la route
menant les Génois vers l’Orient, Honein à cette époque semble avoir pris le dessus
(Krueger, 1933 ; Jehel, 1993 ; Valérian, 2004). Des 44 lettres reçues du Maghreb par les
filiales Datini de Majorque, de Valence et de Barcelone, aucune ne provint d’Oran, alors
que Honein était en connexion avec Valence et Majorque. C’est par Honein (via
Valence) qu’arriva la nouvelle concernant le vol du cuivre et c’est également par des
embarcations en provenance de Honein et parfois d’Oran que les marchands florentins
attendaient des nouvelles quant à la demande de rançon. Enfin, c’est toujours à partir
de Honein qu’Antonio Malfante, en 1447, rejoignit Tamanṭīṭ dans le Touat, en douze
jours, en caravane à cheval18.
15 Le troisième lieu majeur est le Touat, seul espace africain situé bien au-delà des côtes et
lieu le plus au sud mentionné dans les lettres du fonds Datini. Cette région apparaît
comme une plaque-tournante du commerce caravanier transsaharien. Dans le
vocabulaire des marchands florentins, le Touat, écrit sous la forme « Tuet » ou
« Tuette », désigne davantage une ville qu’une région : la formule « a Tuet », la plus
régulièrement utilisée, laisse en effet supposer l’identification d’un lieu précis. Niccolò
Manzuoli, qui rédigea l’intégralité de ce corpus, parle également du Touat à trois
interlocuteurs qui n’avaient pas besoin d’explication : Francesco Datini, qui réceptionna
les lettres à Florence, et les deux dirigeants des compagnies ibériques de Barcelone et
de Valence. Ces derniers avaient auparavant séjourné à Majorque : Cristofano di Bartolo

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 7

(Barcelone) avait été huit ans à la tête de la compagnie de Majorque ; Agnolo di Michele
(Valence) y avait été employé en 1395-1397.
16 La région du Touat se trouve à plus d’un millier de kilomètres des côtes de la
Méditerranée, au sud de Tlemcen, et est « située à trois jours de marche au sud de
Sijilmāsa » (Ibn Khaldūn,ʿIbar : 837). Dès le début du XIVe siècle, les routes traversant le
Touat prirent une importance nouvelle. Les souverains du Mali en firent une des
étapes-relais de leur route du pèlerinage à la Mecque, à l’exemple du célèbre pèlerinage
du Mansā Mūsā en 1324 qui suivit la route Walata-Tegaza-Touat, puis Wargla-Gadamès-
Tripolitaine. De nombreux indices sont fournis par les cartes marines majorquines qui
attestent de l’importance prise par la région, et notamment la carte d’Angelino Dulcert
qui, en 1339, fait pour la première fois apparaître une oasis du Touat (Būdā) et le
castrum de Tagenduhet (Tebeldelt ?) 19. En 1352-1353, lors de son voyage de retour du
Soudan, Ibn Baṭṭūṭa passa également par Būdā avant de rejoindre Sijilmāsa. Būdā
semblait alors être une étape qui permettait de rallier Sijilmāsa par une route plus
orientale. La carte de Mecia de Viladestes de 1413, contemporaine des documents du
fonds Datini et également réalisée à Majorque, montre cette fois-ci une route
indépendante de Sijilmāsa. On y trouve en effet la route transsaharienne cheminant de
Marrakech à travers l’Atlas (via Maroch, Tocorom, Sudan) et la route par les grandes
oasis du Touat (Tebeldelt, Tamanṭīṭ, Būdā, Tegaza, Anzica, Tenbuch).
17 Aucune oasis du Touat n’est précisée par les marchands florentins qui ne mentionnent
que le terme générique « Tuet », sans aucun détail. Plusieurs oasis sont néanmoins
mentionnées par Ibn Khaldūn. Au nord, à dix jours de marche de Tlemcen, se trouvait
Tigurarin, qui comprenait une centaine de ksour situés dans une plaine traversée par
une rivière et s’étendant d’ouest en est, très florissants et densément peuplés. On
trouvait également Tasābit. Būdā, la plus à l’ouest et Tamanṭīṭ, la plus à l’est, étaient
alors très actives. Toutes ces localités formaient « autant de stations sur la route des
caravanes en direction du pays des Noirs » (Ibn Khaldūn,ʿIbar : 89, 91). Néanmoins Ibn
Khaldūn narre qu’autrefois : « Bûda, le plus occidental de ces ksour, servait de point de
départ pour le voyage jusqu’à Walâten, dernière place frontière du territoire de Mâlî,
mais elle fut abandonnée quand les nomades du Sous commencèrent à attaquer les
voyageurs et les caravanes qui fréquentaient cette route ; une autre route vers le pays
des Noirs, partant de Tamenṭīṭ, fut tracée ». Il s’agissait alors de l’oasis la plus
dynamique du Touat, d’où les marchands faisaient le trajet aller-retour entre le
Maghreb et « la ville de Mâlî, située dans le pays des Noirs ». Tamanṭīṭ constituait la
dernière étape avant la traversée d’un « désert sans eau où le voyageur ne peut trouver
son chemin et les rares sources d’eau sans le secours d’un guide expérimenté
appartenant aux Hommes voilés qui nomadisent dans cette région aride » et où les
marchands « louent les services de ces guides à un prix très élevé » (Ibn Khaldūn,ʿIbar :
837-839).
18 Les routes transsahariennes semblaient ainsi s’être déplacées vers l’est, orientées par le
développement de Tlemcen et l’essor de Tombouctou. Le Touat formait donc un nœud
important du commerce transsaharien et devint parallèlement une voie de
transmission essentielle du savoir. Élise Voguet met en évidence son rôle de relais dans
la diffusion du mālikisme : l’axe Tlemcen-Touat-Tombouctou assura la diffusion de
textes colligés à Tlemcen ou y étant enseignés, et contribua à la circulation de savants
dans les oasis et jusqu’à Tombouctou (Voguet, 2017). Parallèlement, cette nouvelle
configuration montrait un recul de Sijilmāsa, qui continuait à capter des flux

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 8

commerciaux, mais de manière certainement moins importante. Son abandon par les
Mérinides vers 1394 et la dispersion de sa population vers les villages alentour
contribuèrent au fléchissement de la cité caravanière sans néanmoins provoquer
l’écroulement de sa prospérité (Capel, 2016 ; Messier, Miller, 2015). Si Sijilmāsa n’est pas
mentionnée dans les lettres du fonds Datini, ni par Antonio Malfante au milieu du XVe
siècle, elle fut une étape du voyage de Léon l’Africain vers Tombouctou au début du XVIe
siècle.
19 Après le passage du Touat, deux routes étaient possibles pour remonter vers la
Méditerranée : la route suivie par Ibn Baṭṭūṭā et conduisant à Sijilmāsa qui devait être
alors plutôt abandonnée, et la route menant à Tlemcen via Figuig (Abitbol, 1982 ;
Devisse, 1972). Au milieu du XVe siècle, Antonio Malfante, dans sa lettre, évoque le Touat
comme un lieu très connecté. Il représentait une porte d’accès au pays des Maures et le
lieu d’échanges entre ceux qui apportaient l’or et ceux de la côte 20. Mais le Touat était
également présenté comme un lieu fréquenté par des marchands d’Égypte et même par
des chrétiens venant des Indes21.

Le cuivre, importante monnaie d’échange et objet de


convoitise
20 Le cuivre, nommé « covero » ou « rame » dans les documents sans qu’il semble y avoir
une distinction technique entre les deux termes, était une marchandise très prisée en
Afrique subsaharienne. Il servait de monnaie d’échange contre les produits africains
convoités, notamment les cuirs et les peaux, la maniguette (ou poivre de Guinée), les
dattes, le kermès et les plumes d’autruche. D’après les calculs réalisés par Martin
Malcolm Elbl, 20 à 80 tonnes de cuivre pouvaient être commercialisées à travers le
réseau Datini en une seule saison commerciale (Elbl, 2007). Le cuivre était conduit de
Venise jusqu’à Majorque, par les convois de galées, mais il provenait de régions bien
plus éloignées, et principalement de Slovaquie et de Hongrie. Il se présentait sous la
forme de lingots (pani), de plaques (tavole, piastre) ou de baguettes (verghe) 22 et était
entreposé une première fois à Majorque avant de trouver preneur23. L’opération de
réexportation s’effectuait ensuite vers les côtes africaines et notamment les ports de
Honein et d’Oran, d’où, après un nouvel entreposage dans l’attente des caravanes, il
prenait la route du Touat. Il était parfois acheminé vers Alcudia, puis Fès, ce qui
orientait la marchandise vers Sijilmāsa. En 1402 en effet, du cuivre fut troqué à Fès par
un Vénitien contre de la maniguette24. Il permettait ainsi, par troc ou troc monnayé, de
se procurer des produits sahariens ou subsahariens. À Majorque le cuivre faisait l’objet
d’un trafic constant. Tout en attendant de connaître les conditions de la rançon du
cuivre volé, les agents de la compagnie Datini de Majorque cherchaient en vain à
écouler une nouvelle cargaison de cuivre que leurs intermédiaires réguliers – les
marchands juifs – ne voulaient pas prendre en charge avant de connaître l’issue de la
rançon de la cargaison précédente25.
Nous ne trouvons pour l’instant rien à faire avec les 14 ballots de cuivre que nous
avons ici ; quand vous trouverez comment en venir à bout, nous le ferons. Nous en
avons confié un costale à un juif qui l’a envoyé dans un certain lieu de Barbarie
pour essayer ; s’il en tire bénéfice, il en prendra d’autre. Nous lui avons compté 9
livres ½ le quintal. Soyez-en informés26.

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 9

21 Quarante ans plus tard, le cuivre constituait toujours un produit d’échange majeur.
Dans sa lettre, Antonio Malfante affirme qu’il est un élément très important du
commerce qui trouve son débouché dans le pays des noirs sous la forme de plaques, de
baguettes ou de lingots27. Il s’interrogeait néanmoins sur l’usage de ces quantités de
cuivre sans obtenir de réponse28.
22 Ces importants volumes de cuivre qui circulaient par les caravanes attiraient la
convoitise. En 1408, deux cargaisons de cuivre expédiées de Majorque par la compagnie
Datini furent touchées par des vols dans le Touat : la première en janvier ou février, la
seconde en décembre. Ces évènements dévoilent l’importance de ce métal dans les
échanges entre l’espace méditerranéen et le Sahara, éclairent le dynamisme du Touat,
mais montrent également l’insécurité des voies commerciales.

Contrôler les marges sahariennes : la sécurité des


itinéraires terrestres entre la Méditerranée et le Sahara
23 Le climat d’insécurité reflété par les lettres du fonds Datini était déjà présent du temps
d’Ibn Baṭṭūṭā et semblait persister du temps d’Antonio Malfante. La sécurité des
itinéraires terrestres qui menaient notamment les caravanes vers l’Afrique
subsaharienne dépendait de la bonne entente des souverains avec les pouvoirs tribaux.
Différentes branches de la tribu des Maʿqīl contrôlaient alors ces routes. Les pouvoirs
sultaniens n’en avaient en effet pas le contrôle direct et cherchaient davantage à se
maintenir en bons termes avec les tribus arabes :
Les Ma’qil entrèrent au Maghreb avec les Hilâliens ; leur nombre était réduit :
moins de deux cents personnes [...] Plus tard, après que les Znâta eurent soumis le
Maghreb et occupé les capitales et les villes de ce pays, les Ma’qil devinrent les
maîtres des déserts, eurent la jouissance exclusive des vastes étendues arides. (Ibn
Khaldūn,ʿIbar : 88-89).
24 Les Maʿqīl se divisaient en une multitude de tribus qui s’aventuraient dans le désert.
Pouvaient-ils faire payer une sorte de « taxe de traversée » de leur territoire ? Les
lettres Datini évoquent en effet une forme de racket effectué par des tribus auprès des
caravanes : la « chonpagnia di mori » demanda 100 doublons à la caravane ; ils ne
voulurent pas payer et le vol fut donc commis. Ibn Baṭṭūṭā narre à peu près la même
chose lorsqu’en 1353, il se trouvait dans la caravane de Fès (par le Touat et Sijilmāsa) :
celle-ci fut arrêtée par des pillards qui ne consentirent à la laisser repartir qu’après
avoir reçu des étoffes (Ibn Baṭṭūṭa, Voyages : 443). Si Antonio Malfante ne fait pas
référence à de tels événements, il évoque néanmoins les guerres constantes entre
tribus29. Parallèlement, le responsum 261 de Solomon ben Shimon Duran (Rasbash)
mentionne à la même période une attaque de caravane avec la mort d’un dénommé
Reuben (Oliel, 1994). Néanmoins, Ibn Khaldūn exempte les Maʿqīl de toute agressivité :
Ces Arabes s’abstenaient de causer le moindre préjudice sur les limites du Maghreb
et dans les régions des plateaux ; et jamais ils ne se livraient à des actes agressifs ou
hostiles contre les caravanes qui empruntaient la route de Sijilmāsa ou d’autres
routes vers le pays des Noirs. (Ibn Khaldūn,ʿIbar : 89).
25 Les pouvoirs sultaniens, depuis les premiers temps de l’affirmation de la dynastie
abdalwadide, portaient une attention constante au contrôle des axes transsahariens.
Ainsi, Yagmurāsan, fondateur de la dynastie, avait fait alliance avec une branche des
Maʿqīl pour s’emparer de Sijilmāsa, et y installa un membre de sa famille pendant une

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 10

dizaine d’années (1263-1274). Après la récupération de la cité par les Mérinides, les
sultans abdabwadides ne cherchèrent pas à la reconquérir, mais privilégièrent les
alliances avec les tribus Maʿqīl qui contrôlaient l’axe afin de déstabiliser les Mérinides.
À la différence des villes stratégiques, notamment portuaires, que les souverains
souhaitaient directement contrôler, les espaces frontaliers étaient aux mains des tribus
dont il fallait s’attacher la faveur, notamment aux dépens des Mérinides. L’enjeu
majeur était ainsi de disposer sur les zones frontalières de liens privilégiés avec les
tribus afin de garantir la sécurité des axes commerciaux et d’en tirer profit en ses
points d’aboutissement, c’est-à-dire à Tlemcen et à Honein.
26 Le Touat, à la différence de Sijilmāsa, était un espace plus difficile à contrôler. Il ne
possédait pas un centre urbain névralgique : les ksour s’égrenaient dans les zones
oasiennes, abritant des petites communautés sédentaires. Dans la région nomadisaient
également les tribus bédouines qui assuraient leur protection aux communautés
sédentaires en échange du paiement d’un tribut. Ce sont ces nomades ou semi-nomades
qui assuraient la sécurité des déplacements et par leur intermédiaire les pouvoirs
sultaniens exerçaient une sorte de contrôle dans la région. Ces mêmes groupes
d’individus furent peut-être à l’origine du vol de la cargaison de cuivre. La domination
des pouvoirs sultaniens sur les marges sahariennes était donc indirecte et fluctuait au
gré des rapports de force, des jeux politiques et des allégeances tribales (Valérian,
2002-2003 ; Vanz, 2016 ; Voguet, 2014). L'instabilité et l'insécurité étaient présentes
mais n'empêchaient nullement l'existence de circuits commerciaux.

Les marchands juifs, des intermédiaires


indispensables
27 Les marchands juifs apparaissent comme les intermédiaires majeurs entre l’île de
Majorque et l’Afrique, à la tête de réseaux d’affaires organisés permettant l’écoulement
de marchandises et la circulation des informations. Ils bénéficiaient de la présence de
correspondants juifs à toutes les étapes importantes du commerce entre l’île et le
Sahara (Cohen, 2008 ; Fenton, Littman, 2010 ; Hirschberg, 1974 ; Zafrani, 1986 et 1996).
28 Dès la première lettre qui informe la compagnie de Barcelone du désastre, les juifs sont
évoqués comme étant désolés de la situation, mais confiants dans la possibilité de
racheter tout ou partie de la cargaison30. Ils souffrirent également financièrement dans
cette histoire et les marchands florentins s’attendaient à des retards de paiement de
leur part31. À plusieurs reprises dans les lettres du fonds Datini les marchands juifs sont
mentionnés comme étant au cœur des opérations de rachat de la marchandise volée 32,
se déplaçant sur l’axe Majorque-Honein-Touat33. Lors de leurs constantes traversées de
la Méditerranée, notamment depuis Honein ou Oran, ils rapportaient de nombreuses
marchandises et donnaient régulièrement des nouvelles de la demande de rançon 34. Le
cuivre qui put être racheté fut confié sur place à un marchand juif résidant à Honein,
du nom d’Hayon Sussen35, bien connu de Cristofano di Bartolo, le précédent directeur
de la compagnie de Majorque. Il est en effet désigné comme étant un « amico di
Cristofano ». La compagnie de Majorque dépêcha ensuite un marchand juif de Majorque
à Honein, certainement pour entrer en contact avec Hayon Sussen36.
29 Les négociants juifs tenaient le marché du cuivre entre leurs mains, achetant de très
importantes quantités à Majorque pour le conduire en Afrique37, et ne voulant par

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 11

ailleurs plus en envoyer tant que l’issue de la rançon demeurait incertaine 38. À
Majorque en effet, les marchands florentins ne pouvaient apporter directement leurs
marchandises au Maghreb afin de les écouler eux-mêmes. Ils ne disposaient pas de
flotte39 et devaient en plus faire face aux mesures protectionnistes émanant du milieu
marchand majorquin. Ce sont des ligues de marchands de Majorque qui préparaient les
expéditions, chargeaient les embarcations, s’occupaient de l’achat et de la vente des
produits, et revenaient avec les marchandises obtenues au Maghreb ou sur des marchés
plus lointains. On comptait alors à Majorque différentes associations commerciales qui
étaient en place depuis au moins la moitié du XIVe siècle et se spécialisaient dans un
secteur géographique précis : Alger, Mostaganem/Mazagran, Honein et Alcudia (Dini,
1980 ; López Pérez, 1994 ; Macaire, 1986). Dans ces ligues de nombreux marchands juifs
et nouveaux chrétiens étaient actifs. La condition essentielle était uniquement de
posséder la citoyenneté majorquine. Le contrôle des transports était le but premier de
ces associations, à l’exception de celle de Honein dont l’objectif était le marché de la
laine. Les tendances monopolistiques s’exprimaient également par le contrôle de
marchandises cruciales, en captant le produit à sa source. Les Majorquins contrôlaient
ainsi par le biais des ligues une énorme quantité du trafic avec l’Afrique. Lorsque
Niccolò Manzuoli informe que les juifs sont en train de préparer une fuste pour Oran et
Honein qui rapportera divers produits, dont les laines de Honein, il fait référence à ces
ligues de marchands40.
30 S’ils ne pouvaient expédier directement leurs marchandises, les agents florentins
devaient donc la confier sur place à des intermédiaires. Les termes employés relèvent
véritablement de relations de confiance établies alors avec ces marchands juifs, qui
transparaissent dans le vocabulaire utilisé : celui de la fides.

Le déroulement des opérations : de Majorque au Sahara

31 Les agents florentins remettaient aux marchands juifs présents à Majorque une
certaine quantité de marchandises à écouler. Ces derniers n’achetaient pas directement
le produit pour le revendre, mais disposaient d’un temps important de crédit pour
pouvoir remettre la somme aux Florentins en espèces ou bien sous la forme de
marchandises. De fait, les marchands florentins étaient encore directement impactés
par le vol du cuivre dans le Touat car l’opération pour eux se concluait bien des mois
plus tard. Ils éprouvaient ainsi de grandes difficultés à récupérer l’argent, effectuant de
nouveaux crédits sous certaines garanties (pegno), et notamment un bien immobilier
situé à Honein d’une valeur de 400 doublons41, ou bien, dans des cas plus difficiles, en
faisant emprisonner le débiteur42.
32 Les marchandises prises en charge à Majorque par ces négociants juifs prenaient
ensuite la direction de Honein, ou parfois d’Oran, et étaient réceptionnées sur place par
leur contact. L’association familiale était encore très courante avec des membres
répartis de part et d’autre de la Méditerranée. Le marchand juif d’Oran, Jacob ben
Arquet, opérant à Majorque, était ainsi secondé à Oran par son père, Massot Arquet et
ses frères, Maimo et Abraham. Toutefois, l’organisation de leur négoce ne se limitait
aucunement à la sphère familiale. Ce même Jacob ben Arquet s’appuyait sur son associé
ou facteur majorquin Gregori Negre, vieux chrétien, que l’on trouve également dans les
registres Datini, et avait un facteur à Valence du nom de Gabriel Vives (López Pérez,
1995 : 514). La plupart des organisations commerciales mélangeaient ainsi association

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 12

familiale et partenariats commerciaux. De tels réseaux éparpillés des deux côtés de la


Méditerranée leur permettaient d’être présents aux différentes étapes d’acheminement
des marchandises.
33 À Honein, les produits changeaient de main pour gagner le désert en passant par de
nouveaux intermédiaires juifs. Cette connexion est moins éclairée par nos sources, mais
Niccolò Manzuoli mentionne tout de même diverses relations entre juifs de Honein et
d’autres juifs qui circulaient entre Honein et le désert. Ainsi Hayon Sussen, auquel fut
confié la cargaison de cuivre restante et rançonnée, soit 315 et 60 quintaux (un total de
plus de 15 tonnes !) se rendit au Touat en compagnie d’un coreligionnaire 43. Par
ailleurs, le responsum 451 de Solomon ben Shimon Duran (Rasbash) mentionne la
présence de marchands se rendant d’Oran au Touat et transportant du cuivre qu’ils
laissaient à des coreligionnaires du Touat dans le but de l’écouler (Oliel, 1994).
34 Les juifs apparaissent alors très actifs au Touat en ce début de XVe siècle, au moment où
l’axe Honein-Touat-Niger devint l’une des principales voies d’échanges du commerce
transsaharien. Une quarantaine d’années plus tard, Antonio Malfante évoque la
présence à Tamanṭīṭ de nombreux juifs à travers lesquels le commerce se faisait et qui
étaient de confiance44. Toutefois les sources présentées, même croisées avec d’autres
documents, ne permettent pas de savoir si ces négociants juifs descendaient plus loin et
avaient réellement accès au commerce avec l’Afrique subsaharienne avant le
témoignage de Léon l’Africain du début du XVIe siècle (Bruder, 2014 ; Haidara, 1999 ;
Oliel, 2008). Ce que l’on voit dans les sources sont les étroites relations des juifs du
Sahara avec les villes septentrionales du Maghreb, puis de ces derniers lieux à l’île de
Majorque. Un responsum de Isaac ben Sheshet à une question posée par des juifs du
Touat évoque à la fois leur participation au trafic caravanier et leur souci de concilier
leurs pratiques commerciales avec les obligations religieuses. Il mentionne des juifs se
déplaçant à dos de chameau, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils traversaient le
désert avec les caravanes (Oliel, 1994 : 96).
35 Au contraire, un document majorquin permet de penser davantage à une connexion
entre les négociants juifs et les marchands musulmans qui prenaient alors le relais pour
conduire les marchandises en Afrique subsaharienne. En 1327, le consul des Majorquins
à Tlemcen avait donné l’ordre à tous les marchands majorquins de Tlemcen – juifs et
chrétiens – de quitter l’État de Tlemcen dans un délai de quatre mois. Une supplique
datée du 18 novembre 1327, émanant de l’aljama de Majorque (« aljame judeorum
Majoricarum »), c’est-à-dire la communauté juive, et adressée au régent et infant du
royaume de Majorque (« domino Filipo de Majoricis ») visait à ne pas appliquer le délai
de quatre mois dont ils bénéficiaient pour boucler leurs affaires (Pons, 1984 : doc. 81). Il
apparaît dans ce texte que les juifs avaient l’habitude de remettre leurs marchandises à
crédit à des musulmans venant de l’intérieur africain, qui s’acquittaient en donnant à
leur créancier des espèces ou des articles qu’ils se procuraient au cours de leurs
déplacements. Du coup, l’ordre du consul donnait l’occasion à ces musulmans de
retarder volontairement leur retour dans les villes où ils rencontraient leurs
fournisseurs juifs et pouvait entraîner la ruine de ces derniers, eux-mêmes souvent
endettés à Majorque.
36 L’intégralité de cette chaîne commerciale que nous avons essayé de retracer de
Majorque au désert et même au-delà, reposait donc sur le crédit et sur des relations de
confiance entre les différents partenaires. Si les juifs étaient structurés en
communautés aussi bien à Majorque, où elle tentait de survivre après les événements

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 13

de 1391, qu’à Honein ou Oran, la situation était certainement bien différente dans le
Touat. Il s’agissait davantage de groupes minoritaires religieux que de véritables
communautés (Nef, 2013). Ces réseaux juifs, de Majorque au Touat, semblaient établis
indépendamment de toute structuration politique. Néanmoins, le soutien que
différents pouvoirs apportèrent aux marchands juifs indique que leurs réseaux ne se
mettaient pas en place en dehors de tout cadre étatique. De nombreux souverains des
deux rives de la Méditerranée n’ont eu de cesse de veiller au bon déroulement des
activités commerciales, malgré des perturbations engendrées à la fois par la
conjoncture économique, les conflits politiques et militaires, et les tensions sociales.
Ainsi à Majorque, le contexte est celui qui est postérieur aux persécutions d’août 1391
qui entraînèrent un premier contingent important de conversos et un flux massif
d’émigrés vers le Maghreb. L’agitation se poursuivit jusqu’à la conversion définitive des
restes de l’ancienne communauté, en 1435. La désintégration du judaïsme dans les
territoires de la Couronne d’Aragon avait ainsi commencé bien avant l’établissement de
l’Inquisition en 1478 et l’expulsion prononcée en 1492 par les Rois catholiques
(Houssaye Michienzi, 2014). Les exils des populations juives représentèrent une perte
importante, paralysant l’économie. Toutefois les différents souverains cherchèrent
immédiatement à maîtriser cette hémorragie et à normaliser les échanges effectués
avec le Maghreb par les anciens juifs devenus conversos. Parallèlement, au Maghreb, le
sultan abdalwadide attribua toute une série de privilèges aux nouveaux arrivants,
notamment en matière d’impôts, et favorisa le renforcement des structures
communautaires, dans le but certes de mieux contrôler la population, mais également
de bénéficier économiquement de ce flux migratoire.

Les circuits commerciaux, vecteurs de transmissions culturelles

37 Au contact des marchands juifs, les agents florentins établis à Ciutat de Majorque
élargirent leurs horizons culturels, allant jusqu’à planifier des opérations se déroulant
à des milliers de kilomètres de leur base commerciale. Ces négociants, à l’exception de
courts déplacements dans l’île, ne bougeaient quasiment pas de leur bottega de Ciutat.
Ils ne mirent jamais le pied en Afrique, mais parlaient du Touat dans leurs lettres, et
connaissaient l’existence des caravanes et la nécessité de synchroniser les opérations
avec leurs départs ou leurs arrivées. Luca del Sera, de Valence, écrivait ainsi au
directeur de la compagnie de Majorque en octobre 1397 qu’il fallait attendre encore
deux mois le tenpo della carovana afin que la demande de cuivre augmente, ainsi que son
prix45. Niccolò Manzuoli utilisait même à leur sujet le mot arabe qāfila, sous la forme
italianisée chanfila.
38 Ils avaient quotidiennement dans leur bottega la visite de marchands juifs-convertis ou
de marchands juifs majorquins ou nord-africains. Certains livres de compte de la
compagnie apportent en effet la preuve de l’existence de tels rapports à travers la
présence de très nombreuses écritures en caractères hébraïques au sein des registres
florentins. Chacun y témoignait, de sa main propre, avoir reçu une certaine somme
d’argent. On peut ainsi attester la présence de Hayon Sussen, le marchand juif de
Honein, dans la bottega florentine les 4 août, 19 août et 9 septembre 1399, le 20 août
1400 et le 10 décembre 1400. Son frère, Hahim, écrivit quant à lui dans les registres
Datini les 10 mars et 14 avril 140146.

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 14

39 Le croisement de différentes sources du fonds Datini permet de vaincre l’anonymat des


protagonistes. Les frères Sussen furent ainsi d’importants partenaires commerciaux de
la compagnie Datini de Majorque. Les livres de compte révèlent leur trace pendant près
d'une dizaine d'années. Ils sont évoqués d’un œil bienveillant dans la correspondance.
Hahim Sussen et son frère étaient qualifiés d’amis47 ou d’hommes bons 48, révélant des
liens engageant une certaine forme de solidarité et de sociabilité. Tous les deux
faisaient partie d’une association commerciale à 2 000 livres majorquines de capital,
répartie de part et d’autre de la Méditerranée. Hayon Sussen opérait à Honein et était
en partenariat avec son frère, Hahim, basé à Majorque, avec Astruch Xibili 49, un riche
négociant juif de Majorque, et avec le gendre de ce dernier, Hahim Xulell, qui résidait à
Tlemcen. Ils apportaient respectivement 500, 500, 650 et 250 livres majorquines de
capital (López Pérez, 1995 : 423). Ils se spécialisèrent dans le trafic avec l’Afrique
subsaharienne et fournirent par exemple plus de 22 000 plumes d’autruche à la
compagnie Datini de Majorque (Houssaye Michienzi, 2015a).
40 La présence de ces deux frères dans la bottega de Ciutat indique qu’ils se déplaçaient
tout au long de cet axe Sahara-Honein-Majorque, et véhiculaient comme beaucoup
d’autres un savoir géographique dont les cartographes juifs ou convertis majorquins
effectuaient la synthèse dans l’île (Houssaye Michienzi, Vagnon, 2015). La
correspondance et la comptabilité Datini attestent de la circulation de cartes dans le
milieu marchand majorquin et de leur achat par des négociants. Par ailleurs, Mecia de
Viladestes, tout comme Guillem Soler, étaient présents dans l’île en même temps que
les agents Datini. N’oublions pas que Mecia – ou Samuel Corcos sous son nom juif qu’il
abandonna en 1391 – fut l’apprenti de Yafuda Cresques, qui était lui-même le fils de
Cresques Abraham, l’auteur présumé de l’Atlas catalan (1385). Yafuda, qui avait quitté
Majorque en 1394 pour Barcelone était en contact direct avec les agents de la
compagnie Datini de Barcelone (Llompart, 1975 et 1997 ; Pujades i Bataller, 2007 ; Rey
Pastor, Garcia Camarero, 1960 ; Riera i Sans, 1977 ; Riera i Sans, Llompart, 1984).
41 Il est ainsi facilement possible d’imaginer Niccolò Manzuoli et Hayon Sussen discutant,
dans un jargon catalan, dans la bottega Datini, et au-dessus d’une carte marine, de la
prochaine expédition de cuivre à conduire dans le Touat.
42 ***
43 Les documents du fonds Datini offrent de multiples pistes de recherche quant aux
circulations marchandes entre la Méditerranée et le Sahara vers 1400. Le cuivre
semblait être un élément majeur du commerce dont trois points de rupture de charge
et de jonction des trafics (Majorque, Honein, Touat) jalonnaient la route jusqu’au
Sahara. Il s’agissait en effet de quantités considérables, se mesurant en dizaines de
tonnes, qui devaient répondre à une importante demande et attiraient la convoitise. En
une année, deux cargaisons de cuivre appartenant en partie à la compagnie Datini
furent en effet attaquées et rançonnées, ce qui dévoile une constante insécurité des
axes terrestres africains. L’article met en lumière les itinéraires et les mécanismes de
transaction de ce produit pour lequel le voyage était loin de toucher à sa fin. Le
débouché final se situait à plus d’un millier de kilomètres au sud du Touat, après la
traversée du désert. Les réseaux de marchands juifs, de Majorque comme du Maghreb,
jouèrent dans ce trafic un rôle considérable, sans que les événements de 1391 semblent
avoir particulièrement affecté leurs mécanismes de fonctionnement (Houssaye
Michienzi, 2015b). Néanmoins ce contexte évoque l’apogée du rôle des juifs dans le
trafic Méditerranée-Sahara qui diminua de manière conséquente vers la fin du XVe

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 15

siècle, en raison de l’action conjuguée de plusieurs facteurs qui rompirent la continuité


des réseaux de commerce juifs.
44 Le premier événement est l’expulsion des juifs d’Espagne décidée par le décret de
l’Alhambra du 31 mars 1492, remettant en cause le traité de Grenade signé l’année
précédente entre Boabdil et les Rois catholiques qui donnait quelques garanties aux
juifs (Arié, 1997). Le nouveau décret accordait alors quatre mois aux juifs pour quitter
les terres des souverains catholiques ou se convertir. Ce décret provoqua une arrivée
massive des juifs de la Péninsule en Afrique du Nord en plus d’un fort courant
migratoire en direction des territoires ottomans.
45 Le deuxième événement, à mettre en parallèle avec le premier, est la destruction des
synagogues et le massacre, la dispersion et la conversion des juifs du Touat. La situation
des juifs au Maghreb central fut plusieurs fois critiquée. Muḥammad al ʿUqbānī, juriste
et grand cadi de Tlemcen, dénonçait dans sa Tuhfa leur trop grande intégration, et
notamment le non-respect des signes distinctifs censés démarquer les juifs de la
population musulmane et leurs liens d’amitié avec des musulmans (Voguet, 2013). Il
évoquait différentes situations pouvant conduire à la rupture du pacte de la dhimma
dont le non-paiement de la jizya ou le non-respect du partage de l’espace urbain (Fattal,
1958 : 266). Ce même sujet fut abordé dans la grande controverse des juifs du Touat
(Hunwick, 1985, 1991 et 2006 ; Vajda, 1962). Dans les années 1480, al-Fijījī, un savant
originaire de Figuig écrit au cadi du Touat al-Asnūnī pour avoir son opinion au sujet du
statut légal des synagogues des ksour sahariens. Al-Fijījī est sans doute alors à
Tamanṭīṭ, où se trouve également al-Maghīlī, originaire de Tlemcen et installé dans le
Touat depuis une dizaine d’années. Ces deux derniers, contre al-Asnūnī, penchaient en
faveur de la destruction des synagogues. Al-Asnūnī consulta les juristes de Tlemcen et
de Fès à ce sujet. Les oulémas apparaissaient très divisés sur la question. Il s’agissait
d’une querelle idéologico-politique allant bien au-delà d’une prise de position
strictement juridique. S’y ajoutèrent également des arguments commerciaux puisque
de nombreux musulmans travaillaient avec des juifs et ne souhaitaient pas voir
disparaître leurs partenaires commerciaux. La position soutenue par le pouvoir
politique visait à ne pas mettre en péril l’équilibre économique de la région 50.
Néanmoins, les partisans de la destruction l’emportèrent. Leur prise de position,
notamment à travers les prédications d’al-Maghīlī, appelait à une réaction violente à
l’encontre des juifs du Maghreb central. Les juifs du Touat, pour fuir le massacre, se
partagèrent entre une adhésion à l’islam pour demeurer au Touat ou une fuite dans le
désert pour tenter de rejoindre soit les communautés du nord (Mazb, Tafilalet, Dra’,
Sous…), soit des groupements installés en Afrique subsaharienne. Quand Léon l’Africain
se rendit au Gourara vers 1506, il constata qu’il y avait « au Tegorarin quelques Juifs
très riches. L’intervention d’un prédicateur de Tlemcen a provoqué le pillage de leurs
biens et la plupart ont été massacrés par la population. Cet événement a eu lieu l’année
où les Juifs ont été chassés d’Espagne et de Sicile par le Roi catholique » (Léon
l’Africain : 436).
46 Certains survivants du Touat trouvèrent refuge auprès d’autres juifs installés le long du
Niger. Ils ne connurent qu’une paix temporaire puisque, sous l’influence du même al-
Maghīlī, l’Askyā Muḥammad qui régnait sur cette région promulgua un édit visant à
l’éviction des juifs du Songhaï. En effet, après les massacres du désert, al-Maghīlī s’était
rendu à Fès pour exposer ses opinions, mais irrita les juristes et le sultan et fut expulsé
de la ville. Il partit au sud vers 1498 où il rencontra l’Askyā Muḥammad tout juste

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 16

rentré de son pèlerinage de La Mecque. Il lui conseilla des actions « justes » contre les
incroyants. Léon l’Africain affirmait que « le sultan de Tombouctou est l’ennemi mortel
des juifs, au point qu’on ne trouve plus aucun juif dans la région. De surcroît, si le
sultan apprend qu’un quelconque des marchands de Berbérie commerce avec les juifs,
ou qu’il est associé à un juif, ou lui sert d’agent […], il confisque tous ses biens et les
inclut dans le trésor royal, laissant au fautif à peine assez d’argent pour rentrer chez
lui » (Zemon-Davis, 2014 : 43-44).
47 Parallèlement, les routes transsahariennes se déplacèrent et l’axe via le Touat connut
un fléchissement conséquent. Une grande partie du trafic passa plus à l’est, vers
l’Égypte, suite au déclin de la dynastie mérinide et à la montée en puissance de l’Empire
ottoman, et aussi plus à l’Ouest où les Portugais arrivaient sur les côtes occidentales du
continent africain, attirant les caravanes et déroutant les itinéraires du trafic saharien
(Godinho, 1969 ; De Fonseca, Caddedu, 2001).

BIBLIOGRAPHIE
Sources publiées

IBN BAṬṬŪṬA, C. Defremery et B.R. Sanguinetti (trad.), S. Yérasimos (éd.), 1997, Voyages, tome III :
Inde, Extrême-Orient, Espagne et Soudan, Paris, La Découverte.

IBN KHALDŪN, A. Cheddadi (trad.), 2012, Le livre des Exemples (Kitāb al-ʿIbar), vol. II, Histoire des
Arabes et des Berbères du Maghreb, Paris, La Pléiade.

Instruments de travail

BLASCO ORELLANA Meritxell et MAGDALENA NOM DE DEU José Ramón, 2004, Fuentes para la
historia de los judíos de la Corona de Aragón. Los Responsa de Rabí Yishaq bar Seset Perfet de Barcelona :
1368-1408, Barcelone, Promociones y Publicaciones Universitarias.

DE LA RONCIERE Charles, 1925, La découverte de l’Afrique au Moyen Âge, Le Caire, Société royale de
géographie d’Egypte.

DI TUCCI Raffaele, 1934, Nuovi documenti e notizie sul Genovese Antonio Malfante, il primo viaggiatore
europeo nell’Africa occidentale (1447), Rome, Societa geografica italiana.

EPSTEIN Isidore, 1930, The Responsa of Rabbi Simon ben Zemah Duran as a source of the history of the
Jews in North Africa, New York, Ktav.

GUELFI Franca, 2008, Antonio Malfante (1409 ?-1450). Lettera di un mercante genovese, Gênes, San
Marco dei Giustiniani.

HAIDARA Ismaël Diadié, 1999, Les Juifs à Tombouctou, recueil des sources juives écrites relatives au
commerce juif à Tombouctou au XIXe siècle, Bamako, Doniya.

LÉON L’AFRICAIN, trad. Épaulard 1980, Description de l’Afrique, Paris, Adrien Maisonneuve.

VAJDA Georges, 1962, « Un traité maghrébin adversus judaeos : aḥkām ahl al-dhimma du Shayhkh
Muḥammad b. ʿAbd al-Karīm al-Maghīlī », Études d’orientalisme dédiées à la mémoire de Lévi-
Provençal, Paris, Maisonneuve et Larose, vol. 2, p. 805-814.

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 17

Études

ABITBOL Michel, 1982, « Juifs maghrébins et commerce transsaharien », ABITBOL Michel (dir.),
Communautés juives des marges sahariennes du Maghreb, Jérusalem, Institut Ben-Zvi, p. 229-251.

ARIE Rachel, 1997, « L’expulsion des juifs d’Espagne et leur accueil en terre d’islam, du bas Moyen
Âge au XVIe siècle », BARRIOS AGUILERA, Manuel et VINCENT, Bernard (dir.), Granada 1492-1992. Du
royaume de Grenade à l’avenir du monde méditerranéen, Grenade, Editorial Universidad de Granada,
p. 71-89.

BOUAYED Mahmoud Agha, 1988, « Le port de Hunayn, trait d’union entre le Maghreb central et
l’Espagne au Moyen Age », GARCIA ARENAL, Mercedes et VIGUERA, María Jesús (dir.), Relaciones
de la Península Ibérica con el Magreb (siglos XIII-XVI), Actas del coloquio (Madrid, 17-18 déc. 1987),
Instituto hispano-arabe de cultura, Madrid, CSIC, p. 325-360.

BRUDER Edith, 2014, Black Jews : les Juifs noirs d'Afrique et le mythe des tribus perdues, Paris, Albin
Michel.

CAPEL Chloé, 2016, Sijilmassa et le Tafilalt (VIIIe-XIVe siècles) : Éclairages sur l’histoire
environnementale, économique et urbaine d’une ville médiévale des marges sahariennes, thèse de
doctorat, Université Paris I.

COHEN Mark R., 2008, Sous le croissant et sous la croix. Les Juifs au Moyen Âge, Paris, Seuil.

DE FONSECA Luís Adão et CADEDDU Maria Eugenia, 2001, Portogallo mediterraneo, Cagliari, CNR.

DEVISSE Jean, 1972, « Routes de commerce et échanges en Afrique occidentale en relation avec la
Méditerranée. Un essai sur le commerce africain-médiéval du XIe au XVIe siècle », Revue d’Histoire
Economique et Sociale 50, p. 42-73, 357-397.

DINI Bruno, 1980, Una pratica di mercatura in formazione (1394-1395), Florence, Le Monnier.

ELBL Malcolm M., 2007, « From Venice to the Tuat: Trans-Saharan Copper Trade and Francesco
Datini », ARMSTRONG, Lawrin et al., Money, Markets and Trade in Late Medieval Europe. Essays in
Honour of John H.A. Munro, Leyde, Brill, p. 411–459.

FATTAL Antoine, 1958, Le statut légal des non-musulmans en pays d’Islam, Beyrouth, Imprimerie
catholique.

FAUVELLE François-Xavier, 2013, Le rhinocéros d’or. Histoires du Moyen Âge africain, Paris,
Gallimard.

FENTON Paul B. et LITTMAN David G., 2010, L’exil au Maghreb : la condition juive sous l’islam,
1148-1912, Paris, Presses de l'Université Paris-Sorbonne.

GODINHO Vitorino Magalhães, 1969, L’économie de l’empire portugais au XVe et XVIe siècles, Paris,
Sevpen-EPHE vie section.

HIRSCHBERG Haim Zeev, 1974, A History of the Jews in North Africa, Leyde, Brill.

HOUSSAYE MICHIENZI, Ingrid, 2013, Datini, Majorque et le Maghreb (14 e-15e siècles). Réseaux, espaces
méditerranéens et stratégies marchandes, Leyde, Brill.

HOUSSAYE MICHIENZI Ingrid, 2014, « Entre Majorque et l’Afrique : configuration de l’espace et


réseaux juifs d’après des sources commerciales italiennes (fin XIVe-début xve siècle) », Revue des
études juives, 173 1-2, Peeters, p. 139-174.

HOUSSAYE MICHIENZI Ingrid, 2015a, « Le commerce des plumes d'autruche de l'Afrique


subsaharienne aux marchés européens (fin XIVe-début XVe siècle) », COQUERY Natacha et BONNET

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 18

Alain, Le commerce du luxe. Production, exposition et circulation des objets précieux du Moyen Âge à nos
jours, Paris, Mare & Martin, p. 19-26.

HOUSSAYE MICHIENZI Ingrid, 2015b, « Coexistence et réseaux de relations à Majorque vers 1400
à travers le témoignage des marchands florentins », PELUS-KAPLAN, Marie-Louise, BERNON-
GERTH, Anne-Marie, CRIPS, Liliane, GABRIEL Nicole (dir.), Être citoyen du monde n° 2. Entre
destruction et reconstruction du monde : les enfants de Babel (XIV e-XXIe siècles), Actes du séminaire
doctoral du laboratoire ICT - EA 337, Paris, Imprimerie Paris Diderot, p. 27-45.

HOUSSAYE MICHIENZI Ingrid et VAGNON Emmanuelle, 2015, « Cartographie commerciale et


circulations marchandes à Majorque au XVe siècle », in RICHER, Françoise et PATIN, Stéphane
(dir.), Centres pluriculturels et circulation des savoirs ( XVe-XXIe siècles), Paris, Michel Houdiard éditeur,
p. 27-44.

HUNWICK John O., 1985, « Al-Mahîlî and the Jews of Tuwât: The Demise of a Community », Studia
Islamica 61, p. 155–183.

HUNWICK John O., 1991, « The rights of dhimmis to maintain a place of worship: a 15th century
fatwā from Tlemcen », Al-Qanṭara 12, p. 133-155.

HUNWICK John O., 2006, Jews of a saharan oasis: elimination of the Tamantit community, Princeton,
Markus Wiener.

JEHEL Georges, 1993, Les Génois en Méditerranée occidentale (fin XI e-début XIVe), ébauche d’une stratégie
pour un empire, Amiens, Centre d'histoire des Sociétés — Université de Picardie.

KHELIFA Abderrahmane, 1992, « Le port de Hunayn au Moyen Âge », Afrique du nord antique et
médiévale. Spectacles, vie portuaire, religions, Actes du Ve Colloque international réuni dans le cadre
du 115e Congrès national des Sociétés savantes (Avignon, 9-13 avril 1990), Paris, Editions du
Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, p. 379-392.

KRUEGER Hilmar C., 1933, « Genoese trade with North-West Africa in the tweltfh century »,
Speculum 8, The University of Chicago Press, p. 377–395.

LLOMPART Gabriel, 1975, « La cartografia mallorquina del siglo XV. Nuevo hitos y rutas », Bolletí
de la Societat Arqueològica Lulliana 34, Palma, p. 438-446.

LLOMPART Gabriel, 1997, « Registro de los cartógrafos medievales activos en el puerto de


Mallorca », Anuario de Estudios Medievales 27/2, CSIC, p. 1117-1148.

LOPEZ PEREZ Maria Dolores, 1994, « Las asociaciones de fletadores mallorquines bajomedievales ¿
un intento de monopolización del commercio magrebí ? », Anuario de Estudios Medievales 24, CSIC,
p. 89–104.

LÓPEZ PÉREZ Maria Dolores et PADILLA LAPUENTE José Ignacio, 2013, « Mallorcan merchants in
the medieval Maghrib: mercantile strategies in the port of Hunayn in the mid-fourteenth
century », Mediterranean Historical Review 28-2, p. 141-165.

MACAIRE Pierre, 1986, Majorque et le commerce international (1400-1450 environ), Lille, Atelier
reproduction des thèses Univ. de Lille 3.

MESSIER Ronald A. et MILLER James A., 2015, The Last Civilized Place. Sijilmasa and Its Saharan
Destiny, Austin, University of Texas Press.

NEF Annliese, 2013, « Les groupes religieux minoritaires et la question de leur structuration en
communautés dans les sociétés médiévales chrétiennes et islamiques », DAKHLIA, Jocelyne et
KAISER, Wolfgang, Les musulmans dans l'histoire de l'Europe. T. 2, Passages et contacts en Méditerranée,
Paris, Albin Michel, p. 413-440.

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 19

OLIEL Jacob, 1994, Les Juifs au Sahara. Le Touat au Moyen Âge, Paris, Éditions du CNRS.

OLIEL Jacob, 2008, « Juifs et Noirs en Afrique de l’Ouest, passé et présent », Pardès, 44, In Press,
p. 27–38.

PONS Antoni, 1984, Los judíos del reino de Mallorca durante los siglos XIII y XIV, Palma, Miguel Font.

PUJADES I BATALLER Ramon J., 2007, Les cartes portolanes. La representaciò medieval d’una mar
solcada, Barcelone, Institut Cartogràfic de Catalunya.

REY PASTOR Julio et GARCIA CAMARERO Ernesto, 1960, La cartografia mallorquina, Madrid, CSIC.

RIERA I SANS Jaume, 1977, « Jafudà Cresques, jueu de Mallorca », Randa 5, p. 51-66.

RIERA I SANS Jaume et LLOMPART Gabriel, 1984, « Jafudà Cresques i Samuel Corcós. Més
documents sobre els jueus pintors de cartes de navegar (Mallorca, s. XIV) », Bolletí de la Societat
Arqueològica Lulliana, 40 (1984), Palma, p. 341-350.

SHATZMILLER Maya, 1978, « Les juifs de Tlemcen au XIVe siècle », Revue des Études Juives 137,
Peeters, p. 171-177.

TRENCHS ODENA José, 1980, « “De Alexandrinis”. El comercio prohibido con los musulmanes y el
Papado de Aviñon durante la primera mitad del siglo XIV », Anuario de estudios medievales 10, CSIC,
p. 237-320.

VALERIAN Dominique, 2004, « Gênes, l’Afrique et l’Orient : le Maghreb almohade dans la politique
génoise en Méditerranée (seconde moitié du XIIe siècle) », COULON, Damien et al., Chemins d’outre-
mer. Études sur la Méditerranée médiévale offertes à Michel Balard, Paris, Publications de la Sorbonne,
p. 827-837.

VALERIAN Dominique, 2002-2003, « Frontières et territoire dans le Maghreb de la fin du Moyen


Age : les marches occidentales du sultanat hafside », Correspondances 73, p. 3-8.

VALERIAN Dominique, 2006, « Le pouvoir et les espaces portuaires dans le Maghreb médiéval »,
CLEMENT, François, TOLAN, John et WILGAUX, Jérôme (dir.), Espaces d’échanges en Méditerranée
(Antiquité et Moyen Âge), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 77-88.

VANZ Jennifer, 2016, La ville et ses territoires : Tlemcen aux XIIe-XVe siècles, thèse de doctorat,
Université Paris I.

VOGUET Elise, 2013, « Les communautés juives du Maghreb central à la lumière des fatwā-s
malikites de la fin du Moyen Âge », FIERRO, Maribel et TOLAN, John (dir.), The Legal Status of
Dimmis in the Islamic West, Turnhout, Brepols, p. 295-306.

VOGUET Elise, 2014, Le monde rural du Maghreb central ( XIVe-XVe siècles). Réalités sociales et
constructions juridiques d’après les nawāzīl māzūna, Paris, Publications de la Sorbonne.

VOGUET Elise, 2017, « Tlemcen-Touat-Tombouctou : un réseau transsaharien de diffusion du


mālikisme (fin VIII/XIVe-XI/XVIIe siècle) », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée 141, Aix-
en-Provence, Edisud, p. 259-279.

ZAFRANI Haïm, 1986, « Judaïsme d’Occident musulman. Les relations judéo-musulmanes dans la
littérature juridique. Le cas particulier du recours des tributaires juifs à la justice musulmane et
aux autorités représentatives de l’État souverain », Studia islamica 64, Leyde, Brill, p. 125-149.

ZAFRANI Haïm, 1996, Juifs d’Andalousie et du Maghreb, Paris, Maisonneuve & Larose.

ZEMON-DAVIS Natalie, 2014, Léon l’Africain. Un voyageur entre deux mondes, Paris, Payot & Rivages.

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 20

NOTES
1. Je tiens à remercier Élise Voguet pour sa relecture attentive et ses conseils.
2. Intégralement numérisées et disponibles librement sur le site des archives de Prato : http://
datini.archiviodistato.prato.it
3. Il s’agit de 3 700 lettres reçues de 1384 à 1413 et de 10 200 lettres expédiées de l’île entre 1391
et 1412 qui ne concernent pas uniquement la filiale Datini.
4. Les responsa sont les réponses données par de prestigieux rabbins sur des questions de droit
religieux ou de droit privé adressées par des membres de leur communauté, mais également de
plus loin.
5. Né sur l’île de Majorque, mort à Alger en 1444. Il fuit de Majorque où il exerçait la médecine en
1391 pour Alger où il prit la tête du tribunal rabbinique en 1408. Il fut l’auteur de plus de 800
responsa. Voir Epstein, 1930.
6. Né à Alger en 1400, il était le fils du précédent auquel il succéda de 1444 à 1467. De nombreuses
responsa portent sur des différents commerciaux.
7. Archivio di Stato di Prato (désormais ASPo), Datini (désormais D.) 891, 902475, lettre Majorque-
Barcelone, 28/02/1408, f°2v°-3 r° : « Ecci lettera da Une per via di Valenza che tutto il chovero
ch’era ito a Tuet, esendo presso a Tuett a 15 leghe Arabi l’anò tutto preso che più di 6 dobre valea
sanza l’altra roba àn[n]o rubato, che mai si richorda tal chosa si facesse ; ora la lettera chonta
ch’erano in su fare rischatto de’ Quinti e del Tosugho ve n’era ito da 200 chintali ; questi giudei
restanno chon gran dispiacere ma stano a fidanza del rischatto. Per la prima che verà di là saprete
tutto. Dice la lettera che Arabi andavano a una terra ivi presso per venderne 12 somate che sono
intorno di 50 chintali, e que’ della terra l’anò ritenuto che s’indovinarono l’avesono rubato. E
anòlo venduto e ghuardano i danari per darli a que’ di chi sarano, che choriere n’ànno mandato a
Une ; or’ vedete in quanto dispiacere si vive in questo mondo ! Questi erano una chonpagnia di
mori che domandando a merchadieri della chanfila 100 dobre, non gli voglendo dare loro si
misono a fare questa rubagione. Dio per sua piate [sic pour pietà] ce ne mandi migl[i]ore
nuove ! ».
8. Le quintal était égal à 100 ou 104 livres de Majorque. Le poids de la livre de Majorque était
alors de 0,406 kg. Un quintal de Majorque pesait donc environ 41 kilogrammes. Par comparaison
la livre de Florence pesait alors à 0,3395 kg.
9. ASPo, D. 668, 700566, lettre Majorque-Florence, 16/12/1408, f°1v°.
10. ASPo, D. 892, 902532, lettre Majorque-Barcelone, 14/11/1408, f°2r°.
11. Une somata était équivalente à 4,16 quintaux soit environ 170 kilogrammes.
12. ASPo, Datini 998, 127161, lettre Majorque-Valence, 21/03/1408, f°1r°.
13. ASPo, Datini 998, 127165, lettre Majorque-Valence, 13/05/1408, f°1r°.
14. ASPo, Datini 892, 902532, lettre Majorque-Barcelone, 14/11/1408, f°2r°.
15. ASPo, Datini 892, 902536, lettre Majorque-Barcelone, 16/12/1408, f°1v°.
16. Un hub est défini comme une zone d'interface privilégiée par sa position spatiale et ses
infrastructures de communication.
17. ASPo, D. 886, 114662, lettre Majorque — Barcelone, 21/05/1395, f°1r°.
18. « In primis cum de mare recessimus, videlicet de Hono, per meridiem semper venimus dies
XII in circa equestri ».
19. La carte de Giovanni da Carignano du début du XIVe siècle avait pour la première fois
représenté l’oasis de Sijilmāsa et celle de Tabelbelet au nord du Touat.
20. « Terra ista est scala de terris Nigrorum, in qua mercatores intrant cum suis mercibus, et
vendunt, et aurum huc conducunt, et emunt ab illis qui de maritimis veniunt ».
21. « Locus iste bonus est, quia Egipti et mercatores de terris nigrorum veniunt hic et portant
aurum, requirentes rama et alia […] Indiani mercatores veniunt ad terras illas, er per interpretes
loquuntur. Christiani sunt ipsi Indi, crucem adorant ».

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 21

22. Les baguettes semblaient connaître un plus grand succès que les plaques. ASPo, Datini 892,
902575, lettre Majorque-Barcelone, 31/07/1409, f°1v°.
23. ASPo, D. 892, 902488, lettre Majorque-Barcelone, 24/05/1408, f°1r°.
24. ASPo, D. 1044, 424320, lettre Alcudia-Majorque, 01/05/1402, f°1r°.
25. ASPo, D. 998, 127168, lettre Majorque-Valence, 10/06/1408, f°1r°.
26. ASPo, Datini 668, 409746, lettre Majorque-Florence, 25/03/1408, arr. 09/05, f°1v° : « Delle 14
balle ch’abiamo qui di vostro niente si truova da fare per anchora ; chome vedrete da darli fine lo
faremo. Noi n’abiamo fidato I chostale a uno giudeo che ll’à mandato in certo luogho in Barberia
per p rovare, se gli verà ben fatto prenderà d’altro. L 9 1/1 gl’abiamo co nto il chintali. Siate
avisato ».
27. « Merces quas requirunt sunt multe ; tamen fundamentum et suma est rama et sal in tabulis,
virgis et panibus ».
28. « Satis interrogavi quid de ipsis faciunt, nullus est qui firmiter illud sciat ».
29. « Prelia maxima inter ipsos continue habent ».
30. ASPo, D. 891, 902475, lettre Majorque-Barcelone, 28/02/1408, f°2v°.
31. ASPo, D. 998, 127160, lettre Majorque-Valence, 14/03/1408, f°1r°. ; ASPo, D. 892, 902487, lettre
Majorque-Barcelone, 20/05/1408, f°2r°.
32. ASPo, D. 891, 902475, lettre Majorque-Barcelone, 21/03/1408, f°1v°.
33. ASPo, D. 998, 127165, lettre Majorque-Valence, 13/05/1408, f°1r°. ; ASPo, D. 892, 902536, lettre
Majorque-Barcelone, 16/12/1408, f°1v°.
34. ASPo, D. 892, 902504, lettre Majorque-Barcelone, 22/07/1408, f°1r°.
35. ASPo, D. 892, 902536, lettre Majorque-Barcelone, 16/12/1408, f°1v°.
36. ASPo, D. 892, 902532, lettre Majorque-Barcelone, 14/11/1408, f°2r°.
37. ASPo, D. 668, 409746, lettre Majorque-Florence, 25/03/1408, f°1v°.
38. ASPo, D. 998, 127168, lettre Majorque-Valence, 10/06/1408, f°1r°.
39. Dès le XIIIe siècle, Florence tenta de s’approprier un port. En 1406, le long siège de Pise et la
conquête de la ville furent également celle des ports de Porto Pisano et de Livourne, mais ceux-ci
furent placés sous la protection de Boucicaut, le gouverneur français de Gênes appelé par les
Pisans, puis furent vendus à Gênes l’année suivante. En 1421, Florence acheta à Gênes les deux
ports pour un montant de 100 000 florins. En revanche, après la prise de la ville de Pise, Florence
n’hérita aucune flotte d’importance des Pisans et n’engagea pas de programme de construction
de navires immédiatement, bien qu’Andrea Gargiolli de Settignano fût nommé capitaine des
Galées en 1406. À l’époque de Francesco Datini, Florence ne jouissait donc d’aucune flotte ni
d’aucune infrastructure portuaire. Le recours essentiel était le port de Pise, considéré comme le
port naturel de Florence et que le chroniqueur Goro Dati définissait comme la « bocca della
Toscana ».
40. ASPo, D. 892, 902504, lettre Majorque-Barcelone, 22/07/1408, f°1r°.
41. ASPo, D. 892, 902536, lettre Majorque-Barcelone, 16/12/1408, f°1v°.
42. ASPo, D. 668, 700566, lettre Majorque-Florence, 11/12/1408, f°1r°.
43. ASPo, D. 892, 902536, lettre Majorque-Barcelone, 16/12/1408, f°1v°.
44. « Sunt hi[c] Iudei multi et qui bene eorum vitam transeunt […] Per eorum manus hic
mercimoniatur, et plures sunt de quibus fidem de multo quis capere potest ».
45. ASPo, D. 1077, 122229, lettre Valence-Majorque, 23/10/1397, f°1v°.
46. ASPo, D. 1025 et 1026, registres comptables.
47. ASPo, Datini 668, 409993, lettre Majorque-Florence, 07/07/1403, f°2r° ; ASPo, Datini 892,
902532, lettre Majorque-Barcelone, 14/11/1408, f°2r°. Le terme utilisé est celui d’amici.
48. ASPo, Datini 892, 902575, lettre Majorque-Barcelone, 31/07/1409, f°1v°.
49. Astruch Xibili devint Gil Catllar en 1435 lors de la conversion complète de l’aljama.
50. Ibn Zakrī, alors mufti de Tlemcen, se prononça fermement contre la destruction de ces
synagogues et rappela alors que les dhimmis jouissaient de la protection musulmane en vertu

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019


De l’île de Majorque au désert du Sahara : réseaux de commerce juifs et trafi... 22

d’une convention et d’un pacte avec les musulmans qui engageait les deux parties et où il était
fait obligation aux musulmans de laisser les tributaires en paix et de garantir leur vie et leurs
biens. Le grand cadi de Tlemcen Ibn Abī l-Barakāt, le mufti de Fès ʿĪsā l-Mawāsī et le grand cadi
de Tunis al-Raṣṣā furent du même avis.

RÉSUMÉS
Le vol, dans le Touat, d’une cargaison de cuivre expédiée depuis Majorque par des négociants
florentins met en lumière les circulations marchandes entre la Méditerranée et le Sahara au tout
début du XVe siècle. Par la richesse de son contenu, la correspondance entretenue entre
différentes filiales de la compagnie Datini comble une importante lacune documentaire
concernant le Touat et ses connexions. Elle montre en effet quels étaient les routes et les acteurs
de ce commerce, illustrant le rôle de marchands juifs circulant d’un bout à l’autre d’un axe
Majorque-Honein-Touat, devenu alors la voie commerciale privilégiée pour atteindre les marchés
sahariens, puis subsahariens. L’objet de cet article est ainsi de dévoiler les enjeux et les modalités
d’un tel commerce1.

The robbery, in the Tuat, of a cargo full of copper sent from Majorca by Florentine merchants put
in light the trade circulations between the Mediterranean and the Sahara at the very beginning
of the 15th century. For its rich content, the correspondance kept between agents of different
Datini subsidiaries fills an important gap in the documentation on the Tuat and its connections.
Indeed, it shows which were the main itineraries and the actors of this trade, illustrating the role
of Jewish merchants circulating along the road Majorca-Honein-Tuat, which became the
privileged access to reach Saharan and Subssaharan markets. This article aims to reveal the
issues and the modalités of such a trade.

INDEX
Keywords : Saharan trade, Tuat, Majorca, Jewish merchants, cooper, Datini documentation
Mots-clés : commerce transsaharien, Touat, Majorque, marchands juifs, cuivre, documentation
Datini

AUTEUR
INGRID HOUSSAYE MICHIENZI
CNRS - UMR 8167 Orient & Méditerranée, équipe Islam médiéval, Ivry-sur-Seine, France ;
ingridhoussaye(at)yahoo.fr

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 146 | 2019

Vous aimerez peut-être aussi

pFad - Phonifier reborn

Pfad - The Proxy pFad of © 2024 Garber Painting. All rights reserved.

Note: This service is not intended for secure transactions such as banking, social media, email, or purchasing. Use at your own risk. We assume no liability whatsoever for broken pages.


Alternative Proxies:

Alternative Proxy

pFad Proxy

pFad v3 Proxy

pFad v4 Proxy