Ma Bohème Arthur Rimbaud Analyse

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Ma bohème, Arthur Rimbaud : analyse

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« Ma bohème », Rimbaud : analyse linéaire pour l’oral


Le recueil intitulé Les Cahiers de Douai d’Arthur Rimbaud est constitué de poèmes de
jeunesse.

S’y côtoient des poèmes d’inspiration classique, imités des maîtres, des poèmes
politiques, satiriques ; et d’autres directement inspirés de la vie personnelle du jeune
Rimbaud, de ses amours adolescentes, de ses vagabondages et de ses fugues.(Voir la fiche
de lecture sur Cahiers de Douai)

C’est le cas de « Ma bohème », qui a peut-être pour point de départ la fugue d’octobre
1870.

Rimbaud n’a alors que seize ans et cherche à échapper à la pesanteur et à la sclérose
familiales.

Ce qu’il nomme « bohème », c’est une vie où s’allie pauvreté mais liberté, insouciance et
poésie, qui peut être inspirée de certains clichés du romantisme.

Dès le titre, le possessif « ma » annonce cependant une réappropriation particulière de


cet idéal. Le sous-titre de « Fantaisie » vient quant à lui renforcer l’idée de liberté.

Le poème, pourtant, n’est pas de forme libre, puisqu’il s’agit d’un sonnet en apparence assez
classique ; le poète y fait un autoportrait sans doute en partie réel, en partie rêvé, d’où
l’autodérision n’est pas absente.

Poème étudié

1/6
Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.


– Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,


Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,


Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur !

Arthur Rimbaud, Cahier de Douai (1870)

Problématique

Quelles sont les caractéristiques de la « bohème » idéale de ce tout jeune poète ?

Annonce du plan linéaire

Dans les vers 1 à 5, le poète commence par se dépeindre en vagabond espiègle dévoué à
la Muse, c’est-à-dire à la poésie.

Il se présente ensuite, des vers 6 à 11, en Petit-Poucet heureux de se perdre dans un


espace nocturne, source d’inspiration poétique.

Le dernier tercet, enfin, pose la chute parodique mais symbolique du sonnet avec l’image
d’une lyre faite… de lacets de chaussures.

I – L’espiègle vagabond (v. 1 à 5)


Le premier vers pose plusieurs thèmes essentiels à cette « bohème » idéale : un
vagabondage, c’est-à-dire un déplacement à pied qui n’a pas de but («“ je m’en allais” »),
une posture insouciante et désinvolte (« “les poings dans mes poches” »), et la pauvreté,
qui s’illustre ici surtout dans l’usure des vêtements (« “mes poches crevées” »).

Un enjambement interne (la césure passe entre « les poings » et « dans les poches »,
coupant en deux ce complément) vient immédiatement perturber avec espièglerie le
rythme classique de l’alexandrin.

2/6
L’autodérision apparait dès le vers 2, avec la remarque sur le « paletot », sorte de
manteau, qui, comme les poches, « “devenait idéal” ». L’humour réside dans le double
sens de l’adjectif « idéal » : le paletot est tellement usé qu’il correspond à l’idéal de
pauvreté de cette bohème fantasmée, mais il est aussi usé au point qu’il n’en reste plus
qu’une « idée ».

Le jeu sonore provoqué par les liaisons, entre « paletot » et « aussi » (le son « o » est
prononcé deux fois) donne par ailleurs un aspect cocasse au vers.

La reprise du verbe « j’allais » en tête du vers 3, qui fait écho au vers 1, mime l’aspect à la
fois rythmé et continu de la marche.

Le complément de lieu, « “sous le ciel” » (v. 3), indique à la fois pauvreté et liberté :
pauvreté car il semble que le marcheur n’a pas de couvre-chef ; liberté car rien ne fait
obstacle à la contemplation du ciel et au contact avec la nature.

Rimbaud invoque la « Muse », divinité antique de la poésie, juste après la mention du ciel,
suggérant un lien – dans la tradition romantique – de la nature et de l’inspiration.

Mais cette invocation est brusque, inattendue, constituée d’un monosyllabe placé à la
césure et ponctué d’un point d’exclamation. C’est une façon espiègle de convoquer ce
cliché poétique.

D’ailleurs, l’espièglerie se prolonge dans le second hémistiche : « “et j’étais ton féal” ». Ce
vieux mot, choisi pour rimer avec « idéal », ne manque pas d’humour et d’inattendu lui non
plus. Signifiant « fidèle », il confirme le rapport religieux du poète à sa source d’inspiration.

L’exclamation «“ Oh ! là là !” », tirée du langage courant et parfaitement décalée dans


l’alexandrin classique, amplifie la désinvolture du poète.

Cette dernière se prolonge dans l’exclamation suivante : « “que d’amours splendides j’ai
rêvées ! ”». Rien ne semble devoir être pris trop au sérieux ici : l’adjectif « splendides »,
emphatique, et l’irrégularité rythmique signale l’autodérision. Par ailleurs, ces « amours »
sont « rêvées », et non réalisées. Le participe « rêvées », lui, rime ironiquement avec
« crevées » (v. 1), comme si le rêve restait irréalisable et voué à l’échec.

Puis le poète achève de dépeindre l’usure de son costume en débordant sur le second
quatrain : « “Mon unique culotte avait un large trou.” » Ce débordement, au mépris des
règles classiques, donne un tour naïf et cocasse à cet autoportrait.

Avec les termes « “culotte” » (son pantalon) et « “large trou ”» (v. 5), Rimbaud s’amuse à
couler le grotesque et le trivial dans l’alexandrin classique.

II – Un Petit-Poucet à la belle étoile (v. 6 à 11)

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Le tiret qui ouvre le vers 6 signale un changement d’images : Ce n’est plus en « féal » de
l’antique Muse que se présente le poète, mais en personnage de conte, moins solennel,
plus enfantin et malicieux : « “Petit-Poucet rêveur” » (v. 6).

L’adjectif « rêveur » met ce Petit-Poucet-là au rang des poètes.

Au lieu de semer des cailloux, il sème des rimes : « “j’égrenais dans ma course / Des
rimes” »

Le rejet en tête du vers 7 du complément « des rimes » met ces rimes en valeur par une
métaphore sous-jacente : elles sont rejetées du vers comme les cailloux sont jetés de la
poche.

Les possessifs dans les expressions « mon auberge » (v. 7) et « mes étoiles » (v. 8)
rappellent avec humour et légèreté que Rimbaud décrit des impressions et sensations qui lui
sont propres et personnels.

L’auberge « “à la Grande-Ourse” » est une manière de dire qu’il n’a pas d’auberge du tout.

Le « “doux frou-frou ”» est un son étonnant pour des étoiles, qui évoque le bruit d’un
froissement de soieries, alors que le poète est seul dans la nuit et dans la nature.

La phrase ne se termine pas à la fin du quatrain, mais se prolonge au début du premier


tercet : «“ Et je les écoutais ”» (v. 9).

Le thème du voyage à pied et de la pauvreté se poursuit avec le second hémistiche du vers


9 : « “assis au bord des routes” ».

Le poète est en contact direct avec la nature, comme l’indique le complément circonstanciel
de temps (« “ces bons soirs de septembre” », v. 10) et la proposition relative qui insiste sur
l’humidité du crépuscule (« “où je sentais des gouttes” », v. 10).

Le rejet du complément « “de rosée ”» (v. 11) met en valeur l’image de ces fines gouttelettes
d’eau pure, dont le poète est comme baptisé (« à mon front », v. 11).

La comparaison de la rosée à « “un vin de vigueur” » (v. 11) exprime à nouveau la force
que le poète puise dans la nature, autant pour la marche que pour la poésie.

III – Une lyre faite de lacets de chaussure : parodie des symboles de


la poésie (v. 12 à 14)
Le tableau final présente le jeune poète assis « rimant » (v. 12) seul parmi les ombres
grandissantes et impressionnantes du soir.

4/6
Ces « “ombres fantastiques” » (v. 12) semblent le plonger dans un monde magique, un peu
fantomatique.

Le vers 13 vient cependant tempérer d’espièglerie et d’autodérision cette posture


romantique de poète solitaire et nocturne avec une comparaison et une rime saugrenues.

En effet, le lecteur a tout d’abord la surprise d’entendre rimer ces « “ombres fantastiques” »
avec les « “élastiques ”» (v. 13).

Puis, il est surpris par le rejet qui suit : « “De mes souliers blessés” » (v. 14). L’objet – les
lacets – comme le mot « “élastiques” » sont triviaux et inattendus en poésie.

Mais pire encore, ces élastiques sont comparés à « des lyres » (v. 13). Or la lyre, noble
instrument antique, est un grand symbole de la poésie lyrique. Elle est ici ridiculisée par
ce rapprochement.

Quant au verbe « tirais », il révèle une manière peu gracieuse de jouer de la lyre. Cette
image est pourtant une manière de rapprocher les deux éléments fondamentaux de cette
« bohème » : la marche et la poésie.

Enfin, c’est un alexandrin parfaitement équilibré et classique qui présente avec humour
l’image finale, triviale mais symbolique, des souliers et des pieds.

Les souliers sont « blessés » (v. 14) car usés et troués par la marche : ils font écho aux
« “poches crevées” » (v. 1) et au «“ paletot” » râpé (v. 2).

L’image finale suggère une posture physique insouciante et désinvolte du poète.

Mais elle joue surtout avec le double sens du mot « pied », qui se réfère aussi bien au
membre du corps qu’à l’unité de mesure poétique : « “un pied près de mon cœur” » (v.
14) noue alors à nouveau en une seule image le thème de la marche et celui de la poésie.

Conclusion
« Ma Bohème » est un sonnet léger, humoristique.

Il évoque des éléments autobiographiques, tout en parodiant des postures romantiques


et des clichés de la poésie.

La forme même du sonnet est malmenée : Rimbaud se joue des quatrains, des tercets et
des hémistiches, faisant sans cesse déborder et enjamber l’un sur l’autre, ce qui a pour effet
de causer de nombreux décalages rythmiques et de faire courir le vers et le souffle en avant,
comme pour mimer le rythme de ce vagabondage incessant.

5/6
On y lit cependant un amour fou de la liberté, des marches solitaires, un mépris des
conventions sociales et du confort bourgeois : c’est le sens de cette « bohème » toute
personnelle qu’annonce le titre.

Comme dans « Le Bateau ivre », la poésie liée à la fugue est une expérience de dérive.

Tu étudies « Ma bohème » de Rimbaud ? Regarde aussi :

6/6

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