Article L. Decroix
Article L. Decroix
Article L. Decroix
Eaux et sociétés
Les premiers deux jours de l’atelier scientifique visent à faire le
point sur les recherches récentes ou en cours sur les problèmes
d’environnement et de sociétés causés par le Changement
face au changement
Climatique et ses effets hydrologiques, avec un focus sur mangrove,
de la Casamance
ISBN : 978-2-343-07690-4
25,50 € 9 782343 076904
Résumé
La Basse Casamance est à l’image d’une grande partie des zones
littorales ouest-africaines, un ensemble de marais et vasières maritimes
s’étendant en profondeur dans le continent ; l’altitude y est très faible,
de quelques centimètres à un ou deux mètres, sur plusieurs dizaines de
kilomètres de profondeur. Comme l’ensemble de la région, elle est
soumise aux conséquences du changement climatique et principalement
à l’élévation du niveau océanique. Celui-ci entraîne en Basse
Casamance, comme dans toute la sous région, deux conséquences
principales, la salinisation des bolons et des bas fonds, ainsi que
l’érosion côtière. Les deux processus causent des problèmes croissants,
entraînant la stérilisation de certaines rizières, sans que l’on sache
exactement quel est le rôle respectif de cette élévation et du manque
d’entretien des digues protégeant les agro-systèmes. L’érosion côtière a
déjà provoqué de nombreuses destructions, en particulier parmi les
équipements touristiques et dans les villages côtiers, tout
particulièrement les villages de pêcheurs.
Cependant, comme une grande partie des littoraux ouest africains, la
Basse Casamance comporte face à ce processus inéluctable un atout
primordial : sa mangrove, qui « pousse » en même temps que le niveau
de la mer monte et représente, en même temps qu’un très riche
écosystème, une protection pour la zone littorale et pour l’arrière pays ;
une ressource à protéger donc à tout prix.
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L. Descroix, H. Dacosta, T. Sané, M.C. C Salem, A. Bodian
Mots clés : réchauffement climatique, élévation du niveau
océanique, érosion côtière, salinisation
Abstract : The Lower Casamance region, as most of the coastal
area of West Africa, is composed of swamps and humid areas through
several tens kilometers inland; elevation is very low, ranging from
some centimeters to 2 meters high. This area is subject of the
consequences of climate change, mostly the sea level rising. The latter
leads to two main consequences: the soil, coastal rivers and “bas
fonds” salinisation, as well as the coastal erosion. Both processes
cause increasing problems, such as rice fields sterilization; however it
is not easy to distinguish the respective role of sea level rising and the
rural abandonment and lack in dykes maintaining. Coastal erosion
already caused numerous destructions, mostly touristic equipments
and coastal villages, particularly fishermen villages.
However, as most of west African coastal areas, the lower
Casamance area owns a strong asset to fight these threats: the
mangrove, which “grows” simultaneously with sea level rising and
constitutes as well a very rich ecosystem as a protecting device for
coastal and the inland areas; this is thus a resource to be protected.
Key words: global warming, sea level rising, coastal erosion,
salinisation
INTRODUCTION
L’élévation du niveau de la mer est un fait incontestable ; les
marégraphes l’enregistrent depuis plusieurs décennies et depuis les
années 1990, les satellites altimétriques permettent de s’en assurer en
temps réel et avec une excellente précision.
Par ailleurs, les rapports du GIEC mettent en évidence le
réchauffement climatique de manière indubitable, et la plupart des
experts le corrèlent aux activités humaines, en particulier à
l’augmentation des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère, ceux
émis par l’homme se sommant aux quantités présentes naturellement
dans l’atmosphère.
Indispensable à la vie sur Terre, l’effet de serre est dû à la
présence naturelle de certains gaz dans l’atmosphère terrestre. Depuis
le XXe siècle, il est accentué par des émissions de
gaz supplémentaires, liées aux activités humaines telles que
l’agriculture, l’usage de combustibles fossiles et les rejets industriels.
Selon une grande majorité de scientifiques, le surplus d’effet de serre
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Panorama des conséquences du CC, à travers la rentrée…
dû aux activités humaines a joué un rôle déterminant dans le
changement climatique des dernières décennies.
Le réchauffement observé depuis 1950 est "sans équivoque",
précise le résumé à l'attention des décideurs, et le GIEC estime
aujourd'hui qu'"il est extrêmement probable [c'est à dire avec une
probabilité d'au moins 9,5 chances sur 10 pour que l'affirmation soit
correcte] que l'influence humaine sur le climat a été la cause
dominante du réchauffement observé depuis le milieu du vingtième
siècle". Ce réchauffement est constaté à la lecture des données
atmosphériques et océanographiques ainsi que dans les modifications
du cycle global de l'eau, dans la réduction des couvertures neigeuses et
glaciaires ou encore dans l'observation de certains évènements
climatiques extrêmes (5ème rapport du GIEC, septembre 2013).
Le lien entre réchauffement climatique et augmentation du niveau
de la mer est également clair, par la combinaison de deux facteurs : la
dilatation de l’eau du fait du réchauffement, qui expliquerait un tiers
de cette élévation, et la fonte des glaces polaires, inlandsis, calottes,
glaciers et permafrost, augmentant la part de l’eau liquide dans le
bilan global, qui expliquerait les deux tiers restants de cette élévation.
Les conséquences en sont partout les mêmes : érosion côtière,
destruction des zones de marais littoraux (avec rizières, mangroves,
pâturages, etc.), pénétration plus importante de l’eau salée dans les
estuaires, deltas et marais maritime, d’où salinisation des sols, et
risque accru de submersion lors des fortes marées.
Les zones les plus exposées sont, à l’échelle mondiale, les zones
basses de deltas telles que le Bangladesh (delta du Gange et du
Brahmapoutre), les autres grands deltas d’Asie du SE (Mékong,
Irrawadi, Salouen, Yangzi Jiang, Fleuve Rouge, Chao Praya, etc) les
Pays Bas (deltas du Rhin, de l’Escaut et de la Meuse), le delta du
Mississippi et de l’Amazone, mais aussi les nombreux deltas de la
façade atlantique de l’Afrique, du fleuve Sénégal à l’Ogoué.
Les deltas d’Afrique de l’Ouest ne font pas exception et hormis
celui du Sénégal, très peuplé depuis quelques décennies, tous ont
développé une activité rizicole ancestrale dans les marais maritimes,
naturellement recouverts par la mangrove, une formation végétale
adaptée au battement des marées comme aux variations de la salinité
de l’eau de mer. Ce sont donc des zones particulièrement peuplées
(bien plus densément que l’intérieur des terres) et aux activités
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L. Descroix, H. Dacosta, T. Sané, M.C. C Salem, A. Bodian
économiques diverses, variées, et demandant une grande intensité de
main d’œuvre.
Ces zones littorales sont éprouvées depuis plusieurs décennies par
le changement climatique, en particulier la sécheresse, qui a affecté
l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest de 1968 à 1995, la pluviométrie y
ayant ré-augmenté après cette dernière date. Cette sécheresse a aussi
fortement touché ces zones par la très forte diminution des apports
d’eau douce venus du continent qu’elle a provoqué ; avec les apports
liquides, les apports sédimentaires ont également fortement baissé.
Cela a provoqué une hyper-salinisation des deltas et estuaires,
provoquant la mort de la mangrove et la stérilisation des rizières. Mais
depuis les années 1980, on observe une nouvelle contrainte, venue de
la mer, avec l’élévation du niveau océanique, qui apporte avec elle
l’érosion côtière, la salinisation des eaux souterraines et des sols, ici
comme à l’échelle globale comme on l’a évoqué plus haut.
Deux faits incontournables : le réchauffement climatique
et l’élévation du niveau de la mer
Une accélération de la remontée du niveau marin depuis
un siècle
La couverture spatiale des marégraphes est loin d’être idéale, mais
elle a été améliorée considérablement ces dernières décennies. Les
observations marégraphiques disponibles depuis 150 ans indiquent
que la mer a recommencé à monter au cours du XXe siècle, à une
vitesse moyenne de 1,8 mm par an. Ces deux dernières décennies,
cette hausse a presque doublé par rapport aux décennies précédentes ;
c’est ce que montrent les observations des satellites altimétriques
franco-américains Topex/Poseidon, Jason-1 et Jason-2, développés
par le CNES (Centre national d’études spatiales) et la NASA
(National Aeronautics and Space Administration des Etats-Unis
d’Amérique) depuis 1992. Elle atteint aujourd’hui 3,2 millimètres par
an en moyenne globale (fig. 1), avec de petites fluctuations
interannuelles et décennales principalement liées à l’Oscillation
australe (hausses pendant les événements El-Niño et baisses pendant
les phases La Niña).
Tout suggère que la hausse actuelle du niveau de la mer est liée au
réchauffement climatique affectant la planète depuis quelques
décennies. Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle l’océan
s’est beaucoup réchauffé. La dilatation thermique des océans causée
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Panorama des conséquences du CC, à travers la rentrée…
par l’augmentation de la température de la mer explique une partie de
la hausse observée du niveau de la mer. Depuis quelques années, on
assiste à un déclin important des glaces continentales. Les glaciers de
montagnes fondent et les glaciers périphériques du Groenland et de
l’Antarctique de l’ouest s’écoulent dans l’océan à une vitesse
accélérée. C’est l’autre grande cause de l’élévation actuelle du niveau
de la mer. Pour les deux dernières décennies, la dilatation thermique
de l’océan et la fonte des glaciers ont contribué chacun pour environ
30 % à la hausse observée du niveau de la mer. La perte de masse des
calottes polaires explique quant à elle environ 20 % (Cazenave et
Llovel, 2010 ; rapport du GIEC, 2007)
Le rapport du GIEC3, en date de 2007, indique que la remontée du
niveau marin à l’horizon 2100 devrait se situer entre 20 et 60 cm,
selon les différents scénarios des émissions de gaz à effet de serre
considérés. Les projections du GIEC de 2007 seront très probablement
dépassées : les simulations les plus récentes suggèrent une remontée
du niveau marin comprise entre 60 et 180 cm en 2100.
L’enjeu est de taille : plus de trois milliards de personnes, soit la
moitié de la population mondiale, habitent sur une côte ou à moins de
200 km d’un littoral et un dixième de la population vit aujourd’hui à
moins de 10 m au-dessus du niveau de la mer (Deschamps et
Courcoux, 2014).
D’autres facteurs, telle la diminution des apports sédimentaires à la
mer par les fleuves, causée par la- construction de barrages,
l’urbanisation intensive du littoral, la modification des courants
côtiers, etc., contribuent aussi à modifier la morphologie de la côte.
Pour de nombreuses régions du monde (y compris la France et ses
départements et territoires d’outre mer), la contribution respective de
ces différents facteurs à l’érosion du littoral est encore incertaine. Des
« modèles » d’évolution et de vulnérabilité des zones côtières en
réponse aux forçages anthropique et climatique sont des outils d’aide à
la décision devenus indispensables pour les responsables politiques en
charge de l’aménagement du territoire.
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L. Descroix, H. Dacosta, T. Sané, M.C. C Salem, A. Bodian
Figure 1. Elévation du niveau des mers
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Panorama des conséquences du CC, à travers la rentrée…
terrain, (2) la fragilisation par érosion de défenses côtières naturelles
(ex. dunes) ou artificielles (ex. digues en terre) pouvant parfois
entraîner une rupture, (3) la sape d’ouvrages de protection par
affouillement. Ces risques seront potentiellement aggravés par
l’élévation du niveau marin. L’élévation du niveau marin pourra
induire ou aggraver deux types de submersions : des submersions
permanentes de zones basses (notamment de marais côtiers) et des
submersions de tempêtes marines temporaires.
Ceci étant, la mangrove est surtout un bon bouclier face à l’érosion
côtière, pour les côtes ouest-africaines ; les zones de marais maritimes
côtiers en forte accrétion depuis 30 ans sont fréquentes malgré
l’élévation du niveau de la mer. Il faut distinguer les marais maritimes
deltaïques en voie de disparition et les marais estuariens en voie
d’expansion. Paskoff (2001) rassemble des exemples d'expansion ou
la translation de nombreux marais maritimes corrélatifs de l'élévation
du niveau marin. Il décrit les processus de sédimentation pélitique
verticale liés à l'augmentation de l'énergie cinétique des courants ;
« les côtes des régions tropicales pluvieuses sont actuellement
abondamment alimentées en sédiments fins, limons et argiles, qui
nourrissent les vasières ; cela, à la fois pour des raisons naturelles –
régimes pluviométriques, en particulier ceux à contrastes saisonniers,
prédominance de l’altération chimique des roches- et humaines –
aggravation de l’érosion des sols » ; plus loin, le même auteur ajoute :
« l’élévation attendue du niveau de la mer ne devrait pas menacer
véritablement les vasières à mangrove du monde en dépit de certaines
prédictions pessimistes qui ont fait depuis l’objet de discussions »
(Paskoff, 2001). Enfin, relativisant la question de l’élévation du
niveau océanique dans la perspective du changement climatique
planétaire, Paskoff (2001) montre que ce changement climatique
« devrait aussi avoir d’autres implications, comme les modifications
dans le régime des pluies, donc des apports en eau douce, ou dans
celui des températures et, par voie de conséquence, sur la
cyclogénèse, autant de facteurs qui pourraient avoir des impacts sur
les forêts de palétuviers ». Paskoff précise que le plus grand danger
pour les mangroves n’est pas cette élévation du niveau océanique mais
leur démantèlement par l’homme ; or, Andrieu (2008) a montré depuis
que, si la mangrove mondiale est globalement menacée, celle
d’Afrique de l’Ouest se porte plutôt bien ; elle semble en progression
ces dernières années.
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L. Descroix, H. Dacosta, T. Sané, M.C. C Salem, A. Bodian
Les phénomènes de salinisation
Les phénomènes de salinisation sont susceptibles d'affecter les
estuaires qui correspondent à des embouchures de fleuves dans
lesquelles la marée pénètre amplement (Paskoff, 1998a et Paskoff,
1998b).
Les aquifères côtiers constituent une ressource en eau importante
pour des usages domestiques, agricoles et industriels dans de
nombreuses régions du monde (Ledoux et al. 1990). Des
modifications de l’hydrologie et hydrogéologie sur le littoral résultent
des déplacements de l’interface eau douce eau salée (Kim et al. 2009).
Les aquifères côtiers sont plus ou moins sensibles aux intrusions
salines sous conditions naturelles et/ou sous influence anthropique
(exploitation par pompage), en fonction de leur structure, de leur
hétérogénéité et de leur relation avec les eaux de surface (au niveau
des estuaires). Ils sont caractérisés par une interface entre des eaux
souterraines de deux types (Planton et al., 2012) :
- L’eau douce des aquifères provenant de l’infiltration des
précipitations, des cours d’eau (ruissellement) au niveau de la surface
continentale.
- L’eau salée qui imprègne les terrains au voisinage des côtes ou
qui pénètre les cours d’eau au niveau des estuaires et peut ainsi donner
lieu à la salinisation des eaux souterraines en relation hydraulique
avec les eaux de surface (Planton et al., 2012).
La réduction de volume des eaux douces souterraines
Deux masses d'eau souterraine entrent en contact dans l'espace
littoral où l'eau douce de l'aquifère continental s'écoule sur l'eau salée
immobile. Si le niveau de la mer s'élève, l'interface abrupt qui les
sépare va se déplacer latéralement vers la terre et le niveau
piézométrique sera rehaussé. Dans ce cas, la surface d'alimentation de
la nappe phréatique d'eau douce par l'infiltration des pluies sera
d'autant plus réduite que la pente de la topographie côtière est faible
(Paskoff 1998b).
Un accroissement de la fréquence des surcotes
Les submersions temporaires, à la suite de la rupture de bourrelets
dunaires ou de digues, d'espaces côtiers bas, occupés par de l'habitat
ou exploités à des fins agricoles, risquent d'être plus nombreuses
qu'aujourd'hui dans une conjoncture de réchauffement du climat et
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Panorama des conséquences du CC, à travers la rentrée…
d'élévation concomitante du niveau de la mer. On a déjà dit que, sur
les littoraux des régions tropicales frappées habituellement par des
cyclones, ceux-ci se manifesteront probablement plus souvent et avec
plus de force. Pour les latitudes tempérées, des modélisations font
aussi apparaître des surcotes plus fréquentes liées aux ondes de
tempêtes, événements dus à la conjonction d'une diminution notable
de la pression atmosphérique et de vents violents accumulant de l'eau
à la côte. L'élévation temporaire du niveau de la mer peut être encore
accentuée par une situation de marée de vive eau et un effet de
résonance lié à la configuration du lit marin (Paskoff 1998b).
Une conséquence du réchauffement lié aux activités humaines
La dégradation des marais maritimes, la mort de récifs coralliens,
l'érosion des plages, la salinisation des nappes phréatiques constituent
des dégradations, le plus souvent irréversibles, de milieux côtiers,
dégradations dans lesquelles l'homme a presque toujours la plus
grande part de responsabilité. Cela étant dit, elles pourront être encore
aggravées si le niveau marin continue à s'élever et surtout si cette
élévation s'accélère. Il faut s'attendre ici, dans les décennies à venir,
non seulement à un recul significatif du trait de côte dans beaucoup de
secteurs, mais aussi à une extension appréciable des terrains
submergés de façon permanente et à un élargissement des
phénomènes de salinisation des nappes d'eau souterraines et des sols
(Paskoff 1998b).
2- Les conséquences pour la zone littorale de l’élévation
du niveau de la mer
Un point sur la situation du littoral ouest africain
La salinisation des basses terres et de leurs eaux
De fait, les informations basées sur des mesures in situ sont rares,
voire très rares. Et pourtant, de Varela à Kafountine, de Sedhiou à
Diembéring, mais aussi, bien plus au nord, à Niakhar dans la vallée du
Sine, les habitants et acteurs des zones rurales sont nombreux à se
plaindre de la salinisation des eaux souterraines, voire des sols. Dans
de nombreux villages de Casamance littorale, les agriculteurs
abandonnent certaines parcelles dans les zones les plus basses parce
qu’ils n’arrivent plus à les dessaler avant la mise en culture.
L’analyse fine de photographies aériennes appuyées par des
enquêtes de terrain permet de prendre la mesure d’un éventuel
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L. Descroix, H. Dacosta, T. Sané, M.C. C Salem, A. Bodian
abandon de parcelles, sans qu’on puisse être sûr que l’abandon lui-
même soit lié à l’excès de sel dans le sol, ni si celui-ci soit dû à la
remontée du coin salé ou à un défaut de dessalement.
Toujours est-il qu’à Bouyouye (enquêtes menées de mai à juillet en
2014), des rizières ont été abandonnées : « Cela fait longtemps que
l’on a un problème de sel mais maintenant c’est plus catastrophique
qu’avant car il y a moins de pluie qui dilue moins l’eau des bolons.
Plus de la moitié des rizières est gâtée par la salinité ». « Le problème
est ancien. Toutes les femmes réunies ici ont connu ce problème. Seule
la plus âgée d’entre nous à connu la période sans problème de sel » «
L’eau salée avance »
Figure 2. Rizières de Bouyouye ; les zones en noir sont les
parcelles abandonnées, plus nombreuses dans les zones les plus
basses : salinisation croissante ou plus grande difficulté à dessaler les
casiers, faute de main d’œuvre ?
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Panorama des conséquences du CC, à travers la rentrée…
dans ce dernier cas, il ne semble pas y avoir de problème de main
d’œuvre mais les problèmes sont aggravés (accélérés) par
l’exploitation du zircon qui fait entrer l’eau salée dans la nappe en plus
d’y provoquer d’autres pollutions.
La figure 2 est un extrait de Google Earth de novembre 2013
montrant qu’une grande proportion des rizières est abandonnée, les
enquêtes ayant montré que c’est dû à la salinisation des sols, en lien
avec la remontée du niveau océanique. Les parties abandonnées sont
toutes proches des bolons (nom diolas donné aux marigots de la
mangrove).
Des enquêtes de détail et menées localement auprès des acteurs
pourront nous aider à déterminer si le défaut d’entretien des digues a
pu contribuer à accélérer la salinisation liée à la remontée du niveau. Il
est urgent de documenter l’entrée de l’eau salée dans sels et bolons
afin de connaître l’impact éventuel du changement climatique.
L’érosion côtière
Quelle est réellement l’évolution du littoral en Afrique de l’Ouest ?
La thèse de Faye (2010) a très bien illustré l’évolution du trait de côte
de 1986 à 2000 sur une partie du littoral nord de la Casamance.
Ce processus est bien plus connu car plus médiatisé et moins
insidieux que la salinisation, il frappe bien plus les esprits parce que le
phénomène est visible du grand public, des équipements touristiques
sont emportés ou endommagés.
A l’inverse de la salinisation, l’érosion côtière est, elle, en partie
documentée, et a été bien renseignée en 2010 sur l’ensemble du
littoral ouest africain par la thèse de Faye.. Elle fait aussi l’objet d’une
attention toute particulière de la part de la MOLOA (Mission
d’Observation du Littoral Ouest Africain).
Dans les années 2000-2010, les habitants, les acteurs, puis parfois
les autorités ont alerté sur l’avancée de la mer, devant la destruction
des plages et des équipements touristiques, tout d’abord sur la Petite
Côte, mais aussi, dès 2004-2005 dans la région de Kafountine, puis
dans la région la plus touristique de la Casamance, celle de Cap
Skirring. Malgré tout des études régionales sont nécessaires puisque le
processus est en cours d’accentuation, menaçant de plus en plus des
zones d’habitation. L’onde de tempête qui a fait parler d’elle fin mai-
début juin 2014 a fait de gros dégâts dans la région de Dakar, mais
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L. Descroix, H. Dacosta, T. Sané, M.C. C Salem, A. Bodian
loin des journalistes, une dizaine de maisons ont été emportées au
village de Djogué, à l’embouchure du fleuve (Figure 3).
Les moyens d’action sont faibles en regard de la puissance du
processus. Le « rempart » qui protège les maisons de Carabane
(Figure 4) paraît bien frêle, même si ce littoral n’est pas directement
face aux houles.
Après des études récentes consacrées au delta du Sénégal (Ba,
2013 ; Sy, 2013 ; Fall-Niang, 2014), il semble important de se pencher
sur la zone sud. Salinisation des basses terres et de leurs eaux, et
érosion côtière, semblent s’aggraver ces dernières années. L’un et
l’autre méritent qu’on les documente, en particulier en Casamance où
elles sont mal connues.
Figure 3. Le village de Djogué est en train d’être emporté
par les flots (embouchure du fleuve Casamance, rive droite)
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Panorama des conséquences du CC, à travers la rentrée…
CONCLUSION
Le zircon va-t-il aggraver les deux processus (salinisation
et érosion côtière ?
Mais l’une et l’autre risquent aussi d’être exacerbées par
l’exploitation du zircon, très recherché, car celui des dunes de la
Casamance aurait une plus forte teneur en minerai que celles, déjà
exploitées, et de Gambie et de Guinée Bissau, ainsi que de la Grande
Côte sénégalaise.
Figure 4. Mur protégeant les maisons contre l’érosion côtière,
Carabane, juillet 2014 (embouchure du fleuve Casamance,
rive gauche)
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L. Descroix, H. Dacosta, T. Sané, M.C. C Salem, A. Bodian
civilisation du riz qui a su maîtriser le sel et adapter ses activités à la
présence constante de cette contrainte qui est aussi une ressource.
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