Le_Maroc_medieval_Un_empire_de_lAfrique(1) (1)
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Le Maroc médiéval
L’exposition est organisée par le musée du Louvre Cette exposition bénéficie du mécénat principal
et la Fondation nationale des musées du Maroc. de la Fondation Total
Elle sera aussi présentée au musée Mohamed VI
de Rabat au Maroc du 2 mars au 1 er juin 2015.
Un empire de l’Afrique à l’Espagne
et du mécénat associé de Deloitte et Renault.
Musée du Louvre COMITÉ SCIENTIFIQUE direction de la Médiation et ÉDITION Que toutes les personnes qui, par leurs prêts généreux, ont permis Israël
Abdallah Alaoui de la Programmation culturelle la réalisation de cette exposition trouvent ici l’expression de notre gratitude. Jérusalem, The National Library of Israel
Jean-Luc Martinez directeur du Patrimoine culturel, Rabat Michel Antonpietri, Aline François-Colin Musée du Louvre Nos remerciements s’adressent également aux responsables des institutions
président-directeur adjoints au directeur sous-direction de et des établissements suivants : Italie
Arezzo, Mudas Museum, Palazzo Vescaril, Ufficio Diocesano
Rachid Arharbi l’Édition et de la Production
Allemagne per Beni Culturali e l’Arte Sacra
Hervé Barbaret directeur du site de Benassa sous-direction de Laurence Castany
Berlin, Museum für Islamische Kunst, Staatliche Museen zu Berlin Florence, Soprintendenza Speciale per il Patrimonio Storico,
administrateur général la Présentation des collections sous-directrice Artistico ed Etnoantropologico e per il Polo Museale della Città di Firenze,
Mohamed Belatik Fabrice Laurent Danemark Museo Nazionale del Bargello
Yannick Lintz chef de la direction des Musées, sous-directeur Violaine Bouvet-Lanselle Copenhague, The David Collection Pise, Archivio di Stato di Pisa
directrice du département des Arts de l’Islam ministère de la Culture du Royaume du Maroc chef du service des Éditions Pise, Museo dell’Opera del Duomo
Soraya Karkache Espagne Pise, Soprintendenza per i Beni Architettonici, Paesaggistici, Artistici,
Vincent Pomarède Patrice Cressier chef du service des Expositions Fabrice Douar Algésiras, Museo Municipal de Algeciras Storici ed Etnoantropologici per le Province di Pisa e Livorno,
directeur de la Médiation chargé de recherche au CNRS – UMR 5648 coordination et suivi éditorial Almería, Museo de Almería Museo Nazionale di San Matteo
Claire Chalvet Barcelone, Archivo de la Corona de Aragón Rome, Soprintendenza Speciale per il Patrimonio Storico Artistico
et de la Programmation culturelle
Barcelone, MNAC, Museu Nacional d’Art de Catalunya ed Etnoantropologico e per il Polo Museale della Città di Roma,
Ahmed Saleh Ettahiri chargée d’exposition Chrystel Martin, Virginie Fabre
Cáceres, Museo de Cáceres Tesoro della Cattedrale di San Marco
enseignant-chercheur à l’Institut national et Mélanie Puchault
Castellón de la Plana, musée des Beaux-Arts
COMMISSARIAT GÉNÉRAL des sciences de l’archéologie et du patrimoine Karima Hammache collecte de l’iconographie Ceuta, Museo de Ceuta Mali
Yannick Lintz (INSAP) chef de service Suivi de projets Ciudad Real, Museo Provincial de Ciudad Real Bamako, Musée national du Mali
directrice du département des Arts de l’Islam, Cordoue, Museo Arqueológico y Etnológico de Córdoba
musée du Louvre, Paris Abdallah Fili Émilie Langlet Hazan Grenade, Museo Arqueológico y Etnológico de Granada Maroc
enseignant-chercheur à l’université d’El-Jadida adjointe au chef de service Béatrice Petit Grenade, Museo de la Alhambra, Patronato de la Alhambra y Generalife Fès, bibliothèque al-Qarawiyyin
Bahija Simou et à l’Institut national des sciences de l’archéologie assistée de Gaëlle Vachet Jaén, Museo Arqueológico Fès, Fondouk Nejjarine, musée des Arts et Métiers du bois
directrice des Archives royales du Maroc, Rabat et du patrimoine (INSAP) Victoria Gertenbach, Anne Philipponnat suivi éditorial Jerez de la Frontera, Museo Arqueológico Municipal Fès, ministère des Habous – mosquée al-Qarawiyyin
scénographes Lorca, Museo Arqueológico Municipal Fès, musée des Arts et Traditions, Dar Batha
Madrid, Instituto Valencia de Don Juan Marrakech, bibliothèque Ben Youssef
Jafaar Kensoussi Claire Hostalier
Madrid, Museo Arqueológico Nacional Marrakech, ministère des Habous – mosquée de la Qasba
COMMISSARIAT SCIENTIFIQUE chercheur indépendant, Marrakech Philippe Leclercq fabrication
Madrid, Patrimonio Nacional, Palacio Real Marrakech, palais Badia
POUR LA FRANCE conducteur de travaux Montuïri, Museu Arqueològic de Son Fornès Qsar Seghir, Centre d’interprétation du site de Qsar Seghir
Claire Déléry Driss Khrouz Anne Chapoutot Murcie, Museo de Santa Clara de Murcia Rabat, Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc
collaboratrice scientifique, directeur de la Bibliothèque nationale Aline Cymbler relecture des textes Palma de Majorque, Fundación Bartolomé March Servera Rabat, Bibliothèque royale Hassaniya
chargée des collections de l’Occident islamique, du Royaume du Maroc, Rabat chef du service des Ateliers muséographiques Priego de Cordoba, Museo Histórico Municipal Rabat, Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine,
département des Arts de l’Islam, Jean-Pierre Pirat San Lorenzo del Escorial, Real Biblioteca del Monasterio de El Escorial département d’Archéologie islamique
musée du Louvre, Paris Hasan Limane cartes Séville, Museo Arqueológico Rabat, ministère de la Culture du Royaume du Maroc –
enseignant-chercheur à l’Institut national des sous-direction de Séville, Museo Catedralicio, Catedral de Sevilla direction du Patrimoine culturel, division de l’Inventaire
sciences de l’archéologie et du patrimoine (INSAP) la Médiation dans les salles Tauros / Christophe Ibach Tolède, Cabildo de la Catedral Primada Rabat, Musée archéologique
Bulle Tuil Leonetti
Valence, Servicio de Investigation Arqueológico Municipal Rabat, musée des Oudaïa
collaboratrice scientifique, Marina Pia-Vitali conception graphique
Vilanovà i la Geltrú, Biblioteca-Museu Víctor Balaguer Rabat, musée numismatique de la Bank al-Maghrib
département des Arts de l’Islam, sous-directrice et mise en page
Rabat, réserves de la Conservation du site archéologique de Chellah et des Oudaïa
musée du Louvre, Paris France Rissani, Centre des études alaouites
Clio Karageorghis Aix-en-Provence, médiathèque de la Maison méditerranéenne Safi, Musée national de la céramique
chef du service Signalétique et Graphisme des sciences de l’homme Tétouan, ministère des Habous – musée du Patrimoine religieux, madrasa Luqash
COMMISSARIAT SCIENTIFIQUE Caunes-Minervois, trésor de l’abbaye Saint-Pierre-Saint-Paul,
POUR LE MAROC Donato Di-Nunno Conservation des antiquités et objets d’art de l’Aude Mauritanie
Abdelhamid Ibn El Farouk graphisme Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Nouakchott, Institut mauritanien de recherche scientifique (IMRS)
enseignant-chercheur, Université Hassan II , ministère de la Culture et de la Communication Nouakchott, Musée national de Mauritanie
Carol Manzano et Véronique Koffel Lyon, musée des Beaux-Arts
Casablanca
Lyon, musée des Tissus Pays-Bas
coordination
Montpellier, Musée languedocien, collections de la Société archéologique Leyde, Universiteitsbibliothek Leiden
Hassan Hafidi Alaoui de Montpellier
médiéviste, Université Mohammed V , Rabat Paris, Archives nationales Portugal
Paris, Bibliothèque nationale de France Lisbonne, Museu da Cidade – Câmara Municipal de Lisboa
Paris, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Mértola, Museu de Mértola – Câmara Municipal de Mértola
ministère de la Culture et de la Communication Silves, Museu Municipal de Arqueologia – Câmara Municipal
Paris, musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge Tavira, Museu Municipal – Câmara Municipal de Tavira
Paris, musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines
Paris, musée du Louvre, département des Arts de l’Islam Royaume-Uni
Paris, musée du Quai Branly Londres, The British Library
Paris, Muséum d’Histoire naturelle, bibliothèque centrale Londres, The Mari-Cha Collection Ltd.
Provins, musée de Provins et du Provinois Londres, Victoria and Albert Museum
Sens, trésor de la cathédrale de Sens, propriété de l’État français
Toulouse, mairie de Toulouse, musée Paul-Dupuy Suède
Toulouse, mairie de Toulouse, trésor de la basilique Saint-Sernin Uppsala, Uppsala University Library, Section for Manuscripts and Music
Troyes, trésor de la cathédrale de Troyes, propriété de l’État français
Tunisie
Tunis, Bibliothèque nationale de Tunisie
AVERTISSEMENT REMERCIEMENTS
INSTITUTIONS AYANT AUTORISÉ LA REPRODUCTION La translittération des mots arabes a été volontairement simplifiée Nous tenons à exprimer nos vifs remerciements et toute notre gratitude à Sa Majesté le Roi Mohammed VI , Ma reconnaissance va aussi aux responsables politiques, élus locaux, maires des villes propriétaires ou
DE LEURS ARCHIVES PHOTOGRAPHIQUES
qui, par son soutien indéfectible et sa générosité, a permis à cette exposition présentée au musée du Louvre responsables d’un patrimoine important qu’ils ont accepté de soustraire pour quelque temps à leur popula-
sur la base de celle adoptée dans l’Encyclopédie de l’Islam. de voir le jour. Sa Majesté le Roi du Maroc a bien voulu placer cette manifestation sous son haut patronage tion pour le mettre à la disposition de ce projet. Je pense en particulier à de nombreux musées municipaux en
et l’inscrire dans ses orientations prioritaires visant à promouvoir le patrimoine culturel et à assurer le par- Espagne, mais aussi à des villes françaises.
Boulogne-Billancourt, musée départemental Albert-Kahn, Ne sont notées ni les voyelles longues ni les lettres emphatiques. tage des connaissances. Cette volonté royale de dialogue interculturel a été accompagnée avec ferveur par J’aimerais adresser un hommage tout à fait spécial aux quatre-vingt-quatre prêteurs, d’abord maro-
collection des Archives de la planète La lettre ‘ayn est rendue par le signe « ‘ », qu’elle soit en position l’ensemble des hauts responsables du Maroc dans les domaines culturel, religieux, économique et autres. cains, que j’ai pu citer plus haut, mais aussi à tous les autres, présents dans la liste des prêteurs, que je ne
Cette coorganisation de l’exposition s’est inscrite dans le cadre d’une coopération entre le musée du mentionne pas ici individuellement. Mais je voudrais que chaque président d’établissement public, chaque
Bruxelles, collection Dahan-Hirsch initiale, médiane ou finale d’un mot. Louvre et la Fondation nationale des musées du Maroc. Nous rendons hommage à toutes les personnes qui directeur, chaque conservateur de l’ensemble des institutions prêteuses, trouvent ici l’expression de ma
Chalon-sur-Saône, Fondation Gabriel-Veyre, ont œuvré avec efficacité à la mise en place de cette collaboration. reconnaissance pour la confiance qu’ils nous ont manifestée et pour le souci qu’ils ont eu de vouloir collabo-
La hamza, « ’ », n’est pas indiquée en position initiale. Nos remerciements vont en particulier à M . Mehdi Qotbi, président de la Fondation nationale des rer avec notre jeune département des Arts de l’Islam au Louvre. Je vois cela comme une belle promesse
collection en dépôt au musée Nicéphore Niépce
Les consonnes arabes suivantes sont transcrites ainsi : musées du Maroc, pour sa perception de la portée de ce projet sur les plans muséologique et patrimonial. De d’aventures futures. Soyez assurés les uns et les autres de ma profonde gratitude.
Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine,
même, nos remerciements vont à son secrétaire général, M . Abdellah Chahid, qui a pris en charge la coordi-
ministère de la Culture et de la Communication = th ; = dj ; = kh ; = dh ; = sh ; = gh. nation technique et administrative de l’opération ; ils vont également à tous les cadres de cette fondation, Un tel projet n’aurait jamais pu voir le jour sans le soutien convaincu d’un certain nombre de nos institutions
Madrid, Instituto Arqueológico Alemán qui ont participé à l’avancée de ce projet. nationales, qui ont très vite su se faire le porte-parole du projet et accompagner diverses phases des
Les voyelles arabes sont translittérées : u / a / i. La réussite de cette exposition n’aurait pas été possible sans l’efficacité du commissariat général opérations.
Paris, Bibliothèque nationale de France
L’article « al » n’est pas assimilé. assuré par le professeur Bahija Simou, directrice des Archives Royales, qui a abordé ce projet avec une éner- Je pense d’abord à l’ensemble du réseau diplomatique français à l’étranger, qui a joué un rôle majeur.
Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts gie hors du commun, dans le souci permanent de servir autant le Maroc que la France. Je l’assure ici de ma En premier lieu, j’adresse mes très vifs remerciements à M . Charles Fries, ambassadeur de France au Maroc,
Rabat, ministère de la Culture du Royaume du Maroc – Enfin, la déclinaison finale n’est pas indiquée. plus vive reconnaissance et salue le partage de visions qui est résulté de notre collaboration, enrichi par nos mais aussi à M . Jean-Paul Berthon, conseiller de coopération et d’action culturelle, directeur général de
direction du Patrimoine culturel, division de l’Inventaire expériences complémentaires. Je remercie bien sûr M . Abdelilah El Khalf, qui a assuré le secrétariat, et l’Institut français du Maroc, à M . Paul de Sinety, conseiller de coopération adjoint, directeur adjoint de
Les noms communs, noms propres et toponymes passés M . Mounsef Ibnbrahim, le suivi du courrier. l’Institut français du Maroc, à M . Philippe Laleu, directeur de l’Institut français de Fès, et à toutes leurs
dans le lexique français sont indiqués suivant cette orthographe. Je tiens par ailleurs à adresser ma plus vive reconnaissance aux membres marocains du comité scienti- équipes. L’ambassade a été un partenaire déterminant dans la mise en place de cette coopération franco-
fique, qui ont su enrichir de leurs conseils avisés la connaissance de cette période historique du Maroc, peu marocaine. Je voudrais aussi rendre un hommage appuyé à M . Jany Bourdais, directeur adjoint de l’Institut
LISTE DES INTERVENTIONS DE CONSERVATION-RESTAURATION Ce système de translittération des mots arabes n’a pas été appliqué mise en valeur dans des expositions jusqu’à présent. Plus largement, nos remerciements vont aux universi- français de Mauritanie, qui a su convaincre nos collègues mauritaniens de participer à l’exposition et qui ne
taires et archéologues qui ont veillé au choix des œuvres et des manuscrits. s’est pas ménagé pour faire aboutir ce dossier. Que soit aussi remercié M . Alain Fohr, conseiller de coopéra-
EFFECTUÉES À L’OCCASION DE L’EXPOSITION aux titres donnés, par exemple, aux œuvres d’art graphique Nous tenons également à exprimer nos remerciements à toutes les personnalités marocaines qui ont tion et d’action culturelle à l’ambassade de France en Espagne, qui a facilité nos rendez-vous avec les insti-
contribué à la réalisation de cette exposition. tutions espagnoles.
ou aux clichés, en particulier à l’époque du Protectorat.
Plusieurs œuvres de cette exposition ont fait l’objet d’une analyse approfondie En premier lieu M . Ahmed Toufiq, ministre des Habous et des Affaires islamiques, qui a accom pagné En France, j’aimerais d’abord rendre un hommage très spécial à M . Henri Loyrette, ancien président-
de leur état de conservation, d’un nettoyage, d’une consolidation et/ou Les titres originels ont été conservés. avec une immense conviction la délicate entreprise consistant à préparer l’exposition des grands trésors directeur du musée du Louvre, qui fut à l’origine de cette coopération franco-marocaine et de cette exposi-
placés sous sa responsabilité. Nous aimerions aussi exprimer notre admiration, pour leur écoute bien- tion. Sans lui, ce projet n’existerait pas. J’exprime aussi ma profonde gratitude à M me Sophie Makariou,
d’une stabilisation – toutes opérations recensées dans un rapport d’intervention –, veillante et leur tolérance, à l’ensemble des responsables des affaires reli gieuses qui ont accepté de se des- ancienne directrice du département des Arts de l’Islam et actuelle présidente du musée Guimet, qui fut la
afin de pouvoir être transportées et présentées dans les meilleures conditions saisir pour quelque temps de grands symboles de piété afin de permettre aux visiteurs du Louvre de prendre première commissaire générale de l’exposition et qui amorça donc la conception du projet, de ses lignes
Le titre d’usage des sources arabes traduites de longue date toute la mesure de la grandeur historique, culturelle et artistique de ces œuvres. Nous pensons notamment à directrices et de son catalogue. Elle a su avec beaucoup de générosité me transmettre le flambeau.
possibles. Nous remercions les institutions marocaines ainsi que le Centre
est indiqué en italique. Pour les œuvres plus récemment éditées M . Idriss El Fassi Fihri, le khatéb de la mosquée al-Qarawiyyin à Fès, responsable du prêche du vendredi, et à À la suite de M . Henri Loyrette, M . Jean-Luc Martinez, président-directeur du musée du Louvre, a immé-
de recherche et de restauration des musées de France ( C 2 RMF ) pour avoir M . Abdellah Azaz, imam de la mosquée de la base aérienne de Marrakech, pour l’accueil qu’il a réservé aux diatement manifesté son enthousiasme envers ce projet et m’a apporté son soutien inconditionnel pour la
généreusement accompagné les équipes de restauration et assuré le suivi et étudiées, le titre arabe est traduit en français et mentionné deux restauratrices du minbar. réalisation de l’exposition et la tenue de nos engagements. Je lui en suis profondément reconnaissante.
des opérations. Nous voulons aussi remercier M . Mohamed Amine Sbihi, ministre de la Culture, pour sa collaboration Le ministère de la Culture et de la Communication, et en particulier la direction générale des
entre guillemets. fructueuse et sa réponse à nos attentes. Patrimoines, fut un soutien précieux et fidèle. J’aimerais notamment rappeler ici l’implication de l’Institut
Notre gratitude va également à M . Charki Draiss, ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur, qui national du patrimoine dans le cadre de la campagne de restauration des œuvres, et la confiance de
ARTS GRAPHIQUES a contribué à surmonter les difficultés liées à l’architecture de la médina de Fès lorsqu’il s’est agi de faire Mme Marie-Anne Sire, inspectrice générale des Monuments historiques.
Atelier Lisa Müller : cat. 263 La cartographie historique ne porte pas le tracé des frontières modernes. sortir les œuvres en toute sécurité tout en respectant le patrimoine architectural. De même, nos remercie- Au sein du Louvre, ce projet a été un moment intense, et j’ai pu mesurer quotidiennement durant des
Atelier de restauration de la Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc : ments vont à M . Mohamed Dardouri, wali de la Région de Fès-Boulmane, pour avoir facilité la préparation mois l’engagement sans limites de toute une série de services et de personnes qui ont œuvré pour sa réalisa-
des opérations, à M . le général Abdelkrim El Yaccoubi, inspecteur général de la Protection civile, et à M . le tion. Ils ont été nombreux. Que tous, dans la diversité de leurs métiers, trouvent ici l’expression de ma pro-
l’ensemble des manuscrits conservés au Maroc présentés dans l’exposition colonel Zineddine Amoumou, directeur des secours, de la planification, de la coordination et des études à la fonde gratitude. La compétence et la conscience professionnelle de chacun m’auront impressionnée tout au
Les dates sont données en ère chrétienne, précédées le cas échéant
Protection civile. long de ces mois de mise en œuvre. Une mention spéciale pour l’ensemble du département des Arts de
BOIS de l’année hégirienne et de la lettre H. L’année hégirienne est Que soient remerciés M . le Général de corps d’armée Bouchaïb Arroub, inspecteur général des Forces l’Islam, qui, après le travail intense de l’ouverture des salles fin 2012, a su se remobiliser pour ce grand évé-
armées royales et commandant de la Zone sud, pour sa sensibilité historique et culturelle ainsi que pour son nement, en particulier les commissaires scientifiques françaises, Claire Déléry et Bulle Tuil Léonetti, assis-
Céline Girault et Anne-Stéphanie Étienne : cat. 28, 217, 225, 226, 227, 228, 269 et 282 légèrement plus courte que l’année chrétienne : la conversion de la date soutien lors du transport des objets du Maroc vers la France, et le médecin-colonel major Jamal Mehsani, tées d’Adil Boulghallat. Encadrés par l’ensemble de l’équipe de documentation, nos stagiaires, Antoine Le
Sandrine Linxe : cat. 35 et 285 qui s’est chargé de la photographie des objets. Bail et Louise Carlat, ainsi que Guilhem Dorandeu et Hélène Leroy du musée Delacroix, ont su apporter une
est donc parfois indiquée sur deux années.
avec l’aide de S. Chollet pour la mise en place de l’œuvre cat. 35 Nos remerciements vont aussi à M . Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al-Maghrib, pour son soutien au aide précieuse lors de chacun de leurs passages.
projet. Mes remerciements vont également à l’ensemble des collègues et partenaires qui ont contribué à la
Notre reconnaissance va à M . Chakib Benmoussa, ambassadeur du Maroc en France, et à M . Abdelilah production de cette exposition. Ils sont nombreux et tous ont su se dépasser pour la réussite du projet.
CÉRAMIQUES Les abréviations utilisées sont « r. » pour « règne » et « m. » pour « mort ». El Idrissi Talbi, conseiller culturel de l’ambassade du Maroc en France, qui ont su accompagner ce projet Pour le catalogue, je tiens à exprimer ma reconnaissance à l’ensemble des auteurs cités en tête d’ou-
Escuela Oficial de Conservación y Restauración de Bienes Culturales avec beaucoup de conviction. vrage et qui ont accepté de répondre à nos demandes souvent exigeantes. Pour la production, outre une men-
de Madrid (sous la direction d’Ángel Gea García) : cat. 94 Nous remercions encore M . Driss Benhima, président-directeur général de Royal Air Maroc, qui a faci- tion spéciale à Violaine Bouvet-Lanselle et Fabrice Douar, au service des éditions du Louvre, je remercie
lité les déplacements et missions effectués dans le cadre de cette exposition, et M . Abderrafie Zouiten, chaleureusement Jean-François Barrielle et Béatrice Petit, assistée de Gaëlle Vachet, aux éditions Hazan,
Rainer Geschke : cat. 254 directeur général de l’Office national marocain du tourisme, pour l’accueil de la presse française. Anne Chapoutot pour ses corrections toujours très fines et Christophe Ibach pour le considérable travail de
Marie-Christine Nollinger : cat. 153, 154, 182, 183, 184, 185, 188, 189 et 325 Que soient remerciés M . Driss Khrouz, directeur de la Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc, qui graphisme et de mise en page qu’il a accompli : le catalogue en témoigne. Je n’oublie pas la dette que j’ai à
s’est proposé de s’occuper de la restauration de manuscrits exposés à cette manifestation, et M me Zahra l’égard de Mélanie Puchault, qui, avec Chrystel Martin et Virginie Fabre, est venue à bout de la tâche com-
Karimine qui a bien veillé à cette opération, ainsi que M . Omar Akherraz, directeur de l’Institut national des plexe de collecte de l’iconographie.
MÉTAUX
sciences d’archéologie et du patrimoine, pour sa parfaite disponibilité lors de la venue des restaurateurs Nous avons aussi sollicité des institutions ou des collectionneurs de photographies, qui ont généreuse-
Isaure d’Avout : cat. 216 français de stucs et de céramiques, et M . Fouad Serghini, directeur général de l’Agence de la réhabilitation ment accepté la reproduction d’œuvres photographiques anciennes de leurs fonds. Que soient donc remer-
Mónica Gimeno Marín : cat. 97 de la ville de Fès, pour son soutien lors de l’opération de démontage des lustres. ciés ici Marion et Philippe Jacquier, de la Fondation Gabriel Veyre, le musée Albert-Kahn ainsi que
Mes remerciements et ma reconnaissance s’adressent également à tous les directeurs et conservateurs la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, le musée du Quai Branly, la Bibliothèque nationale
Sarah Gonnet : cat. 21, 23, 278, 279 et 280
des institutions patrimoniales du Royaume du Maroc pour leur accueil, notamment le directeur et le person- de France, l’École supérieure nationale des beaux-arts, Paul Dahan, Michel Terrasse, les héritiers de Paul
Laboratorio Docente de Prehistoria y Arqueología de la Universidad Autonóma nel du musée Dar Batha, qui ont su s’adapter à l’organisation complexe des chantiers de restauration dans Ricard, ainsi que Gérard Lévy.
de Madrid (sous la direction d’Alberto Canto) : cat. 93 et 96 leurs locaux. Ils ont par ailleurs tous fait preuve d’une immense générosité pour leurs prêts. Nos remercie- À côté de la mobilisation marocaine autour des chantiers de restaurations à Fès, Rabat et Marrakech,
Christine Pariselle : cat. 297 ments vont ainsi à l’ensemble des institutions marocaines présentes dans cette exposition. je tiens à remercier l’équipe de restaurateurs français qui ont su nous accompagner au Maroc et en France
tout au long du délicat processus de nettoyage et de consolidation des œuvres. Une mention spéciale pour
Christine Pariselle et Isaure d’Avout : cat. 190 et 276 L’originalité de cette exposition sur le Maroc médiéval réside aussi dans la contribution de nombreux pays le Centre de conservation et de restauration des musées de France, qui nous a accompagnés dans la partie
Olivier Tavoso : cat. 307 qui, outre le Maroc, ont collaboré à la reconstitution de cette histoire culturelle de l’Afrique à l’Espagne. En française, avec le suivi avisé de Gwenaëlle Fellinger, responsable du suivi des restaurations au départe-
Olivier Tavoso et Sarah Gonnet : cat. 1, 113, 287 et 295 premier lieu, les pays qui ont été historiquement le territoire de ces empires médiévaux et possèdent donc ment. Je n’oublie pas la vigilance scrupuleuse du service de conservation préventive.
de fait des témoignages culturels et artistiques de cette époque. Je pense bien sûr en particulier à Les traductions arabes qui émaillent le parcours de l’exposition ont bénéficié du suivi scrupuleux d’Adil
l’Espagne, généreux prêteur, mais aussi à la Tunisie, au Mali et à la Mauritanie. Par ailleurs, de nombreuses Boulghalat, que je remercie chaleureusement pour son implication, sa loyauté et sa modestie, et d’Adnan
PIERRE institutions européennes ont très vite manifesté leur adhésion à ce rassemblement exceptionnel d’œuvres El Chafei en France et de Bahija Simou au Maroc.
Laure Chavanne : cat. 138 et 139 conservées pour la plupart dans les trésors d’église, les bibliothèques historiques et les musées. Je tiens aussi à adresser toute ma reconnaissance aux mécènes cités au début de cet ouvrage et qui ont
Nous devons d’abord cette adhésion internationale à l’ensemble des diplomates des pays participants, su nous faire confiance en nous accompagnant avec conviction et fidélité au cours de ce projet.
qui ont œuvré avec enthousiasme à la mise en œuvre de prêts exceptionnels, souvent considérés comme des Ma gratitude va également à Hassan Massoudy, qui a généreusement accepté de créer et d’offrir pour
STUCS trésors nationaux. Je voudrais notamment citer l’aide précieuse de M . Francisco Elias de Tejada, conseiller l’exposition une calligraphie originale d’un poème de Ibn Battuta, voyageur marocain du X I V e siècle, qui
Bruno Szkotnick, Sabine Cherki et Cécile Bringuier : cat. 29, 30, 31, 32, 33, culturel de l’ambassade d’Espagne en France, qui a su faciliter des prêts importants et permettre ainsi à accueille le visiteur de l’exposition.
49, 50, 98, 99, 100, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 119, 120, 121, 122, l’Espagne d’être généreusement représentée dans cette exposition. Je pense aussi à M . Aziz Amri, Une mention spéciale enfin pour M. Abdellah Ouazzani, qui a exécuté au Maroc, dans la pure tradition
conseiller culturel de l’ambassade de Tunisie en France, que je remercie chaleureusement pour l’énergie et calligraphique marocaine, l’arbre généalogique des Idrissides présenté dans l’exposition.
123, 124, 125, 126 et 163 l’efficacité qu’il a employées à suivre avec nos amis de la Bibliothèque nationale de Tunisie le prêt d’un
important coran. YANNICK LINTZ
AUTEURS
Hiba Abid ( H A ) doctorante, École pratique des hautes études, Paris, Maximilien Durand ( M A ) directeur du musée des Tissus et des Arts décoratifs, Gabriel Martinez-Gros ( G M - G ) professeur, TRADUCTIONS
chercheur associé à la Bibliothèque nationale de France, Paris Lyon université Paris-Ouest Nanterre La Défense, Nanterre Bulle Tuil Leonetti et Claire Déléry
Abdellah Alaoui ( A A ) directeur du Patrimoine culturel, Rabat Mohamed El Hadri ( M E H ) professeur, université Ibn Zohr, Agadir Andrés Martínez Rodríguez ( A M R ) directeur du Musée archéologique ont traduit de l’espagnol vers le français et de l’anglais vers le français les
Miriam Ali-de-Unzaga ( M A - D - U ) chercheuse invitée Abdeltif Elkhammar ( A EL ) professeur, université Sidi Mohammed Ben Abdellah, municipal, Lorca textes de Miriam Ali-de-Unzaga, Maria Barrigon, Jonathan Bloom, Richard
au département des Papyri du Papyrus Museum, Vienne faculté polydisciplinaire de Taza, Taza Ronald Messier ( R M ) professeur émérite, Middle Tennessee State University, Camber, Anna Contadini, Rosalia Gonzalez Rodriguez, Jose Manuel Hita,
Habiba Aoudia ( H A ) doctorante, EHESS - IRIS , Paris Nadia Erzini ( N E ) conservatrice, musée du Patrimoine religieux, Tétouan Murfreesboro Antonio de Juan, Alvaro Jiménez Sancho, Jorge Lirola Delgado, Eduardo
Pau Armengol Machí ( P A M ) archéologue indépendante, Valence Ahmed Saleh Ettahiri ( A S E ) professeur, Institut national des sciences Joachim Meyer ( J M ) conservateur, The David Collection, Copenhague Manzano Moreno, Andres Martinez Rodriguez, Joachim Meyer, Diego Oliva
Mustapha Atki ( M A ) conservateur du site archéologique de Volubilis, Volubilis de l’archéologie et du patrimoine, Rabat Hassan Moukhlisse ( H M ) responsable de la médiathèque Alonso, Manuel Retuerce, Delfina Serrano, Cláudio Torres et Fernando Villada.
María Barrigon Montanes ( M B M ) conservatrice des textiles médiévaux, Gwenaelle Fellinger ( G F ) conservatrice, de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, Guilhem Dorandeu a traduit du portugais vers le français
Patrimonio Nacional, Madrid département des Arts de l’Islam, musée du Louvre, Paris directeur du département Monde arabe et musulman, Aix-en-Provence les textes de Susana Gómez Martinez, Virgílio Lopes, Lígia Rafael
Mohamed Belatik ( M B ) archéologue, chef de la division des Musées, Elizabeth Fentress ( E F ) chercheuse indépendante Museo de Ciudad Real ( M C R ) et Claudio Torres.
ministère de la Culture, Rabat Abdallah Fili ( A F ) professeur, LMPM , université Chouaib Doukkali, El-Jadida, Museu Arqueològic de Son Fornés ( M A S F ) Adnan El Chafei a traduit de l’arabe vers le français
Yassir Benhima ( Y B ) maître de conférences, chercheur associé à l’ UMR CNRS 5648, Lyon Ana Navarro ( A N ) conservatrice, Museo Arqueológico, Séville le poème d’Ibn Battuta calligraphié par Hassan Massoudy page 29
université Paris 3 Sorbonne nouvelle – CIHAM – UMR 5648 Dominique de Font-Réaulx ( D F - R ) directrice du Musée national Eugène-Delacroix, Diego Oliva Alonso ( D O A ) archéologue, conservateur des Musées, et le texte de Hayat Kara, « Deux poètes à la cour mérinide : ‘Abd al-‘Aziz
Jonathan M. Bloom ( J M B ) professeur, Boston College and Paris Museo Arqueológico, Séville al-Malzuzi et Sarah al-Halabiyya ».
Virginia Commonwealth University, Boston Mehdi Ghouirgate ( M G ) maître de conférences, université Bordeaux-Ausonius, Nadège Picotin ( N P ) documentaliste scientifique, Madeleine Zicavo a traduit du turc vers le français
Adil Boulghallat ( A B ) collaborateur scientifique, CNRS – UMR 8167 – ERC S t G 263361, Paris département des Arts de l’Islam, musée du Louvre, Paris le texte de Zeren Tanındı, « Quelques corans maghrébins conservés
département des Arts de l’Islam, musée du Louvre, Paris Sophie Gilotte ( S G ) chargée de recherche, CNRS ( CIHAM – UMR 5648), Lyon Mohamed Rabitateddine ( M R ) professeur, université Cadi Ayyad, Marrakech dans les bibliothèques d’Istanbul ».
Vlada Boussyguina ( V B ) chargée d’études documentaires, Cécile Giroire ( C G ) conservatrice, département Lígia Rafael ( L R ) archéologue, Centre archéologique de Mértola, Mértola Louis Frank a gracieusement traduit l’inscription latine de la notice 518
Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris des Antiquités grecques, étrusques et romaines, musée du Louvre, Paris Manuel Retuerce Velasco ( M R V ) professeur associé, (partie V , stèle funéraire)
Jacinta Bugalhão ( J B ) archéologue indépendante, Lisbonne Susana Gómez Martínez ( S G M ) archéologue, faculté de géographie et d’histoire, Universidad Complutense, Madrid
Pascal Buresi ( P B ) directeur de recherche au CNRS ( CIHAM – UMR 5648 – Centre archéologique de Mértola, Mértola Hicham Rguig ( H R ) archéologue, Conservation du site archéologique
ERC S t G 263361), Lyon María Ángeles Gómez Rodenas ( M A G R ) conservatrice, de Chellah et des Oudaïa, Rabat
Catherine Cambazard-Amahan ( C C - A ) professeur, Rabat Museo de Santa Clara de Murcia, Murcie Marie-Pierre Ruas ( M - P R ) chargée de recherche au CNRS ,
Richard Camber ( R C ) chercheur indépendant, Londres Rosalía González Rodríguez ( R G R ) directrice du Museo Arqueológico Municipal, département USM 303, Muséum national d’Histoire naturelle, UMR 7209,
Chloé Capel ( C C ) doctorante à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, Paris Jerez de la Frontera AASPE , CNRS -Muséum, Paris
Louise Carlat ( L C ) élève de l’École du Louvre, Paris, Serge Gubert ( S GU ) chercheur indépendant, Paris Delfina Serrano ( D S ) chercheuse, Consejo Superior de Investigaciones
stagiaire au département des Arts de l’Islam, musée du Louvre, Paris Gisela Helmecke ( G H ) conservatrice, Museum für Islamische Kunst, Berlin Científicas, Madrid
Rafael Carmona Ávila ( R C A ) archéologue, Priego de Cordoba Laurent Héricher ( L H ) conservateur en chef, Bahija Simou ( D S ) directrice des Archives royales du Maroc, Rabat
Mohammed Chadli ( M C ) conservateur du musée Nejjarine des Arts département des Manuscrits hébraïques, Bibliothèque nationale de France, Paris Rachida Smine ( R S ) conservatrice, service des Manuscrits,
et Métiers du bois, Fès Violaine Héritier-Salama ( V H - S ) archéologue, Bibliothèque nationale de Tunisie, Tunis
Agnès Charpentier ( A C ) ingénieur CNRS - UVSQ , HDR , UMR 8167 – EA 2449, université Paris-Ouest Nanterre La Défense, Nanterre Aviad Stollman ( A S ) conservateur de la Chaim & Chana Salomon Judaica
Versailles José Manuel Hita Ruiz ( J M H R ) archéologue, Museo de Ceuta, Ceuta Collection, National Library of Israel, Jérusalem
Joseph Chetrit ( J C ) professeur émérite, université de Haïfa, Haïfa Alvaro Jiménez Sancho ( A J S ) chercheur associé, Universidad de Sevilla, Séville Zeren Tanındı ( Z T ) professeur, université Sabancı, Istanbul, consultante,
Hana Chidiac ( H C ) responsable de l’unité patrimoniale Hélène Joubert ( H J ) conservatrice en chef, musée Sakıp Sabancı, Istanbul
Afrique du Nord et Proche-Orient, musée du Quai Branly, Paris responsable de l’unité patrimoniale Afrique, musée du Quai Branly, Paris Michel Terrasse ( M T ) directeur d’études à l’École pratique des hautes études,
Hélène Claudot-Hawad ( H C - H ) anthropologue, Antonio de Juan García ( A D J G ) professeur associé, Paris, président de l’Institut méditerranéen, Versailles
directrice de recherche au CNRS , UMI 3189, Dakar Universidad de Castilla – La Mancha, Ciudad Real Cláudio Torres ( C T ) archéologue, Centre archéologique de Mértola, Mértola
Ana Contadini ( A CO ) professeur, SOAS , London University, Londres Samir Kafas ( S K ) archéologue, chef de la division de l’Inventaire Bulle Tuil Leonetti ( B T L ) collaboratrice scientifique,
Patrice Cressier ( P C ) chargé de recherche, CNRS ( CIHAM – UMR 5648), Lyon et de la Documentation du patrimoine, ministère de la Culture, Rabat département des Arts de l’Islam, musée du Louvre, Paris
Lahcen Daaïf ( L D ) chercheur, IRHT – CNRS , Paris Hayat Kara ( H K ) professeur, université Mohammed V , Rabat Dominique Urvoy ( D U ) professeur émérite, université Toulouse II, Toulouse
Rosène Declementi ( R D ) documentaliste scientifique, Youssef Khiara ( Y K ) archéologue, conservateur principal des Monuments Rafael Valencia ( R V ) professeur, faculté de philologie (études arabes
département des Arts de l’Islam, musée du Louvre, Paris historiques, direction du Patrimoine culturel, ministère de la Culture, Rabat et islamiques ) Universidad de Sevilla, Séville
Claire Déléry ( C D ) collaboratrice scientifique, Hassan Limane ( H L ) enseignant-chercheur, Jean-Pierre Van Staëvel ( J - P V S ) professeur, université Paris Sorbonne,
département des Arts de l’Islam, musée du Louvre, Paris Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine, Rabat UMR 8167, Paris
Guilhem Dorandeu ( G D ) élève de l’École du Louvre, Paris, Yannick Lintz ( Y L ) directrice du département des Arts de l’Islam, Annie Vernay-Nouri ( A V - N ) conservatrice,
stagiaire au département des Arts de l’Islam, musée du Louvre, Paris musée du Louvre, Paris département des Manuscrits arabes, Bibliothèque nationale de France, Paris
Moulay Driss Sedra ( M D S ) chercheur, université Lumière Lyon 2 – Jorge Lirola Delgado ( J L D ) professeur, université d’Almería, Almería María Jesús Viguera Molins ( M J V M ) professeur d’études arabes
UMR 5648 – CNRS , Lyon Virgílio Lopes ( V G ) archéologue, Centre archéologique de Mértola, Mértola et islamiques, Universidad Complutense, Madrid
Jean-Charles Ducène ( J - C D ) directeur d’études, Eduardo Manzano ( E M ) professeur, Consejo Superior de Investigaciones Fernando Villada Paredes ( F V P ) archéologue, Ciudad Autónoma, Ceuta
École pratique des hautes études, 4 e section, Paris Científicas, Madrid Mohammed Zaïm ( M Z ) conservateur principal, musée des Arts et Traditions
Dar Batha, Fès
PRÉFACE PRÉFACE
Depuis plus de vingt ans, la Fondation Total et le musée du Louvre partagent une même Des confins subsahariens jusqu’aux cités commerçantes de l’Italie médiévale, des
ambition : contribuer au rayonnement des cultures et inviter les publics les plus larges royaumes chrétiens du nord de l’Espagne jusqu’au sultanat mamelouk d’Égypte, le
Maroc médiéval a occupé une place centrale au confluent des civilisations, à la charnière
à contempler la beauté du monde et à s’en nourrir.
de l’Afrique et de l’Europe.
Premier mécène français du département des Arts de l’Islam, la Fondation Total était
Cette invitation au voyage dans l’espace marocain et andalou nous offre une opportu-
naturellement destinée à accompagner cette exposition exceptionnelle. nité unique de mettre en lumière la culture marocaine et islamique. Une culture riche
« Le Maroc médiéval. Un empire de l’Afrique à l’Espagne » met en lumière, au cœur par ses traditions artistiques, qui unit pour la première fois les confins de l’Occident
d’une période trop largement méconnue, les destins croisés et les œuvres du Maroc islamique et dont l’influence a rayonné jusqu’en Orient.
la fascinante histoire des arts de l’Islam. misme et de foi en l’avenir qui doivent inspirer le monde aujourd’hui encore.
Présent sur tous les continents, Deloitte a pour ambition de contribuer au rapproche-
LA FONDATION TOTAL
ment des individus, des sociétés et des cultures dans toutes les formes du talent humain,
Fidèle au musée du Louvre, Deloitte lui renouvelle sa confiance en apportant son sou-
Nous sommes fiers d’unir nos efforts à ceux de la première institution culturelle
de France et d’affirmer à cette occasion notre respect et notre admiration pour un pays
qui a joué un rôle fondamental tout au long de l’histoire et qui, aujourd’hui encore, nous
ALAIN PONS
12 13
PRÉFACE PRÉFACE
L’exposition « Le Maroc médiéval. Un empire de l’Afrique à l’Espagne » s’inscrit dans le cadre de la coopération Deux ans après l’ouverture des nouveaux espaces dédiés au département des Arts de l’Islam, le Louvre inaugure
culturelle entre le Maroc et la France, et plus particulièrement entre le musée du Louvre et la Fondation nationale une grande exposition consacrée au Maroc à l’époque médiévale. Cet événement est d’abord la confirmation
des musées du Maroc ( FNM ). Elle bénéficie du haut patronage conjoint de Sa Majesté le Roi Mohammed VI et
du lien qui unit le Maroc au Louvre dans le grand dessein de faire connaître les brillants foyers d’art et de culture
du président de la République française, M . François Hollande.
Cet événement tire sa justification de notre conviction qu’une culture ne peut être viable ni s’épanouir que qui ont traversé l’histoire du monde islamique. Sa Majesté Mohammed VI , Roi du Maroc, a en effet désiré encou-
dans la mesure où elle s’ouvre en permanence sur son environnement international et s’ancre dans l’histoire rager la mise en valeur des Arts de l’Islam au Louvre. Son geste était d’autant plus généreux qu’il ne contribuait
générale de la communauté humaine. C’est à cette condition qu’elle peut se régénérer, ce qui lui permet de créer
pas immédiatement à valoriser le patrimoine et l’histoire du Maroc à travers les collections du musée. Peu
de nouvelles formes de culture et de pensée, et par conséquent de prendre part au développement de l’humanité.
L’organisation d’une telle manifestation n’est pas fortuite. Elle traduit en effet les progrès importants d’œuvres marocaines sont en effet présentes au Louvre.
accomplis par le Maroc sous le règne de Sa Majesté le Roi Mohammed VI , du point de vue de l’ouverture à l’autre, Le Maroc a su très tôt protéger son patrimoine en créant sur place des musées où furent rassemblées ces
de la consécration de la diversité culturelle et du partage des savoirs, comme elle vient honorer un pays en tant collections et la mémoire vivante du pays. Le Louvre se devait donc d’inaugurer un cycle de grandes expositions
qu’espace de dialogue, d’échanges et de tolérance.
en rapport avec ce nouveau département par un sujet portant sur l’histoire et la culture artistique de ce pays.
L’organisation de cette exposition par le prestigieux musée du Louvre nous apparaît comme une manière
de célébrer le patrimoine médiéval marocain par la reconnaissance de l’originalité de son apport culturel ainsi que L’apogée des grands empires marocains allant de l’Afrique au sud de l’Espagne constituait une occasion histo-
de la contribution déterminante d’une civilisation qui a marqué l’histoire du pourtour méditerranéen durant rique de mettre la lumière sur cet âge d’or de l’Occident islamique entre le X e et le X V e siècle.
la période médiévale et rayonné bien au-delà de ses frontières.
Une fois de plus, le Maroc a su faire preuve d’une générosité rare pour l’organisation de cette exposition.
Aujourd’hui, à l’heure où le Maroc veille à assurer le renouveau et l’élargissement de sa culture et de ses arts,
cette exposition, non seulement constitue une étape décisive dans l’histoire de la muséographie marocaine, mais Le président de la Fondation nationale du Maroc, M . Mehdi Qotbi, et la commissaire générale pour le Maroc,
contribue à consolider la formation d’acteurs marocains dans ce domaine, en vue de satisfaire aux exigences M me Bahija Simou, directrice des Archives royales, ont en effet déployé des efforts inégalables grâce auxquels
de cette ère d’ouverture et de promotion de la culture, vecteur de progrès et de développement économique. cette exposition a pu voir le jour. Des œuvres exceptionnelles, dont certaines provenant des grandes mosquées
Pour que cet élan soit efficace et à la hauteur du renouveau culturel auquel aspire légitimement le Maroc,
du royaume, rejoignent pour quelque temps l’écrin du palais du Louvre. De nombreux pays, comme le Mali, la
il a en effet besoin d’une vision, d’une politique, d’une stratégie, d’institutions adéquates et de ressources
humaines et matérielles. Ce sont ces objectifs que le Maroc, sous l’impulsion de Sa Majesté, s’est assignés Mauritanie, l’Espagne, Israël, ont accepté par leurs prêts de contribuer à ce voyage unique dans ce Maroc médié-
et vise à atteindre. val avec beaucoup de conviction et de générosité.
Au-delà de ces objectifs, cet événement réitère le témoignage d’une amitié constante et d’un dialogue per-
Enfin, cette vision renouvelée de l’histoire médiévale marocaine est aussi le fruit d’une collaboration intellec-
manent entre deux nations. Il prend la forme d’une création artistique à laquelle ont contribué d’illustres compé-
tences marocaines et françaises, à l’image de la brillante période évoquée par cette exposition, durant laquelle tuelle associant nos regards croisés d’historiens, d’historiens de l’art et d’archéologues. Ce grand projet n’aurait
musulmans, juifs et chrétiens œuvrèrent ensemble à l’avènement d’un véritable âge d’or. pu se réaliser sans le soutien fidèle et convaincu de grandes entreprises, la Fondation Total, Deloitte et Renault,
Pour les efforts louables qu’ils ont consentis pour le succès de cette manifestation, je ne saurais trop remer- qui ont vu dans ce partage franco-marocain une belle promesse. Nous souhaitons également remercier le Cercle
cier celles et ceux qui ont œuvré d’arrache-pied, des mois durant, avec abnégation et modestie, afin de nous offrir
International du Louvre pour son généreux soutien. Que cette expérience scientifique et culturelle soit une étape
des moments de joie sublime.
Je tiens également à exprimer mes remerciements les plus sincères à l’ensemble du personnel du Louvre, dans une collaboration que je souhaite longue et prospère entre le Louvre et le Maroc.
ainsi qu’à son président, M . Jean-Luc Martinez, pour cette opportunité qu’ils nous ont offerte de dévoiler l’une
des plus belles facettes du Maroc pluriel et millénaire.
JEAN-LUC MARTINEZ
De même, je veux rendre un hommage particulier à M mes Bahija Simou et Yannick Lintz, commissaires
Président-directeur du musée du Louvre
générales de l’exposition, qui ont fait preuve d’une immense bonne volonté et d’un sens élevé de la disponibilité
et de la responsabilité.
Mes remerciements vont aussi aux cadres et au personnel de la Direction des Archives royales pour avoir
porté avec patience le poids du commissariat général de l’exposition, ainsi qu’à tous les membres de la FNM pour
leur précieux travail de suivi et de coordination.
Enfin, je souhaite exprimer ma gratitude à tous les acteurs qui ont contribué, de près ou de loin, à la réussite
de ce rendez-vous, particulièrement les personnes et les établissements détenteurs de patrimoine muséogra-
phique, qui ont bien voulu enrichir la collection exposée en prêtant les œuvres historiques qui leur appartiennent.
Qu’ils veuillent trouver ici l’expression de ma profonde considération.
14 MEHDI QOTBI 15
Président de la Fondation nationale des musées
SOMMAIRE
Un grand moment de civilisation au cœur de l’Occident islamique Y A N N I C K LINTZ 19 LES ALMOHADES OU LA REFONDATION D’UN EMPIRE
AUTOUR D’UN NOUVEAU DOGME RELIGIEUX (VERS 1116–1269) 258
Regard sur le Maroc médiéval B A H I J A S I M O U 23
Les Almohades, entre unitarisme et berbérité (vers 1116 –1269) 260
Introduction à l’exposition C L A I R E D É L É R Y E T B U L L E T U I L L E O N E T T I 26
De la naissance d’un mouvement spirituel à l’émergence d’une dynastie 267
Igiliz Hargha, lieu de naissance du Mahdi Ibn Tumart, et la genèse de l’Empire almohade 268
SUR LES TRACES D’UNE HISTOIRE MÉCONNUE 31
L’extraction et l’utilisation de l’huile d’argan à l’époque médiévale : l’apport des fouilles d’Igiliz 272
Les sources d’étude pour une histoire du Maroc médiéval : une limite ou une chance ? 32 Les écrits de Ibn Tumart 274
Un éclairage sur les sources anciennes 36 Tinmal et la construction de la légitimité mu’minide 281
Les sources textuelles de l’histoire du Maroc médiéval 37 Expansion militaire et vigueur de la foi 291
Trois sommets du XIV e siècle maghrébin : Ibn Battuta, Ibn al-Khatib, Ibn Khaldun 41 Le djihad almohade en al-Andalus. La victoire d’Alarcos (1195) 292
L’archéologie islamique au Maroc, les acquis et les perspectives 44 La fondation de Ribat al-fath, manifestation symbolique de la puissance almohade 306
Le Maroc médiéval : un patrimoine matériel préservé 49 Juifs du Maroc et Juifs d’Espagne : deux destins imbriqués 309
La constitution des premières collections nationales des arts du Maghreb en France 50 Un penseur juif de l’époque almohade 313
La constitution des collections médiévales dans les musées marocains 52 Une main de lecture médiévale à Qsar Seghir 316
La collection du Maroc médiéval de Prosper Ricard et d’Alexandre Delpy au musée du Quai Branly 55 L’art des mosquées et la piété almohade 319
La première « Exposition d’art marocain » présentée au pavillon de Marsan, Contribution à l’étude des mosquées almohades 320
à Paris, du 25 mai au 8 octobre 1917 58 Des maisons sous la grande-mosquée almohade de Séville 327
La constitution des archives des monuments historiques du Maroc 62 Des monuments colorés. Le décor en céramique des minarets de la mosquée al-Kutubiyya de Fès et de la mosquée de la qasba de Marrakech 329
Visions colorées du Maroc, les autochromes du début du XX e siècle 65 Ablutions et jeux d’eau à l’époque almohade 340
Au cœur des trésors chrétiens 71 Entre héritage andalou et rigueur doctrinale 365
« Materiam superabat opus » : œuvres andalouses et maghrébines dans les trésors d’église médiévaux ( XI e – XIV e siècle) 72 Les différents supports de l’idéologie almohade 366
Les coffrets de tabletterie sous les dynasties berbères 79 Le lion : un mythe almohade ? 386
Les tissus de al-Andalus : un peu d’historiographie 83 De al-Andalus au Maghreb : le long voyage des chapiteaux umayyades cordouans 394
Les textiles almoravides des vêtements liturgiques de saint Jean d’Ortega 88 Au son du tambour et du luth : musique berbère et musique andalouse 398
La bannière de Las Huelgas dite de « Las Navas de Tolosa » 98 La langue berbère à l’époque almohade 404
Recettes d’époque almohade 411
LES IDRISSIDES ET LA FONDATION DE FÈS (FIN DU VIIe SIÈCLE – MILIEU DU Xe SIÈCLE) 100
Politique étrangère et présence almohade en Méditerranée 413
De l’Antiquité tardive au Maghreb al-Aqsa : le Maroc idrisside 102
Nouvelles données sur l’occupation de Volubilis à l’époque d’Idris I er 108 LES MÉRINIDES, UNE NOUVELLE DYNASTIE CENTRÉE SUR LA FIGURE DU SOUVERAIN (1269 – 1465) 422
Fès à l’aube du Maghreb al-Aqsa 118
Territoire et identité idrissides : le témoignage des monnaies 132 Les Mérinides : cheminements symboliques et retour à Fès (1269-1465) 424
Un émirat concurrent : les Midrarites de Sidjilmasa 135 Réécrire l’histoire et embellir Fès 431
Reformer le royaume idrisside : Fès et l’historiographie officielle mérinide 432
LES ALMORAVIDES, LE PREMIER EMPIRE ENTRE AFRIQUE ET ESPAGNE (1049–1147) 142 Les palais mérinides dévoilés : le cas d’Aghmat 446
Basculement berbère et naissance d’un art marocain 144 Quand Fès inventait le Mellah 452
Du sud au nord du Sahara : commerce transsaharien et conquêtes 151 Les instruments de la propagande mérinide 457
Sur la piste des marchands transsahariens : la découverte de la caravane de l’Ijafen 154 Des Almohades aux Mérinides : le passage d’un monnayage « dynastique » à un monnayage « religieux » 458
Islamisation et arabisation de l’Afrique de l’Ouest à l’époque almoravide : l’apport de l’archéologie 158 Abu al-Hasan, le sultan calligraphe 464
Aghmat et Marrakech à l’époque almoravide 170 Mesures d’aumône et piété mérinide 470
La notion de frontière à l’époque almoravide : le cas d’Albalat 182 Deux poètes à la cour mérinide : ‘Abd al-‘Aziz al-Malzuzi et Sarah al-Halabiyya 473
La Bu‘inaniya de Fès, perle des madrasas mérinides 474
Un développement urbain et une doctrine religieuse au service du nouveau pouvoir 191 La madrasa al-Djadida de Ceuta 488
Prestige des artisans andalous : le minbar de la mosquée al-Kutubiyya 192 Chella, de la nécropole mérinide au royaume des djinns 502
La Qarawiyyin de Fès : solennité et magnificence d’une mosquée 193
La « mosquée des morts » almoravide de Fès 204 Le rayonnement mérinide 517
L’œuvre des Almoravides à Tlemcen 212 Mérinides et Mamelouks. Le regard inédit de al-‘Umari sur l’expansion mérinide : conquête, commerce et diplomatie 518
Le coran du sultan Abu al-Hasan de Jérusalem 522
Le commerce almoravide en Méditerranée 231 Des ateliers tlemcéniens en terre mérinide : la porte de la madrasa de Chella 526
La Géographie de al-Idrisi à travers des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France 232 Quelques corans maghrébins conservés dans les bibliothèques d’Istanbul 536
Les stèles funéraires d’Almería, marqueurs du commerce et de la circulation des objets en Méditerranée 236
De port en port, le voyage des plats colorés 244 Fin d’une époque et renouveau spirituel 541
Les bannières perdues des sultans mérinides 542
Ibn Khaldun, la mort des Berbères et la peste 548
Un nouveau souffle mystique : al-Djazuli et le Dala’il al-Khayrat 551
glossaire 560
chronologies 564
généalogies des dynasties 568
notes 572
bibliographie 586
Y A N N I C K L I N T Z
Directrice du département des Arts de l’Islam, musée du Louvre
Un grand moment de civilisation l’urba nisation et l’unité territoriale nouvelle, que construisent
au milieu du XIe siècle les Almoravides, sont à l’origine d’un art
au cœur de l’Occident islamique imprégné des exemples andalous et orientaux de l’Égypte fati-
mide ou de la Syrie. Les Almohades, entre le X I I e et le X I I I e siècle,
réalisent sans doute la synthèse la plus intéressante d’une sensi-
bilité autochtone, visible dans une forme de simplicité et d’aus -
térité en rapport avec la réforme religieuse, et une influence
andalouse présente par ses savoir-faire artistiques ou par le goût
propre de certains princes de l’époque, grandis parfois dans le
sud de l’Espagne. Enfin, les Mérinides, grâce à leur prestigieux
programme d’embellissement des villes et de construction de
Qui n’a pas un sentiment de familiarité avec les décors architectu- madrasas, permettent l’accomplissement de cette identité
raux anciens du Maroc, visibles aujourd’hui encore dans les rues culturelle particulière.
de Fès, de Marrakech ou de Rabat ? Le voyageur est sans cesse Ayons aussi présent à l’esprit que cette histoire culturelle et
émerveillé par les zelliges colorés, les stucs et les bois délicate- artistique se déroule dans un environnement méditerranéen aux
ment sculptés, et les calligraphies monumentales qui forment enjeux politiques et culturels particulièrement riches entre le X e et
autant de courbes et d’arabesques légères à l’œil. Peu d’entre le XVe siècle. La rive orientale de la Méditerranée est marquée à
nous semblent capables en revanche de replacer ces productions cette époque par l’affrontement des Francs et des « Arabes », qui
architecturales et artistiques dans un cadre historique précis. voient les Turcs s’affirmer au sein du monde oriental. De l’Égypte
C’est sans doute l’enjeu essentiel de cette exposition, qui veut au Proche-Orient se succèdent ainsi durant cette période les trois
tenter d’accomplir cet autre voyage au Maroc, celui d’une histoire brillants foyers religieux, politiques et culturels que sont les
des dynasties islamiques qui se succèdent entre le Xe et le Fatimides, les Ayyoubides et les Mamelouks. L’Europe chrétienne,
XVe siècle. Ce parcours chronologique nous permet ainsi de mieux au-delà de l’affrontement idéologique et militaire avec les musul-
comprendre l’originalité de la culture du Maghreb médiéval entre mans d’Espagne et du Proche-Orient, intensifie ses échanges
l’Afrique et l’Espagne, dont le Maroc est l’épicentre durant ce commerciaux et artistiques avec l’Afrique et l’Orient. Les villes de
moment exceptionnel d’épanouissement artistique. Ces cinq Pise, Gênes et Venise témoignent de l’activité de ces échanges
siècles d’histoire couvrent une période passionnante du monde méditerranéens qui se reflètent dans la vie artistique et intellec-
islamique, où les pouvoirs politiques et religieux orientaux se mor- tuelle. La vie du géographe al-Idrisi, né à Ceuta au début du
cellent après l’unité omeyyade et abbasside, où l’Espagne arabe XIIe siècle, qui étudie à Cordoue et se met au service du roi nor-
n’est plus le cœur politique, religieux et culturel de l’Occident isla- mand Roger II de Sicile, illustre la réalité de ces échanges.
mique et où l’Afrique du Nord se compose autour de principautés Revenons donc à l’intérieur de notre territoire du Maroc
ou de dynasties puissantes qui font la synthèse d’une culture médiéval et déroulons ici les grands épisodes de ces dynasties
arabe et d’une sensibilité autochtone berbère. Ce revival isla- berbéro-andalouses entre le X e et le X V e siècle.
mique au cœur de l’Afrique du Nord est bien sûr teinté de jeux
d’alliances régionales et tribales complexes et mouvantes, de UNE DYNASTIE ISLAMIQUE ENTRE VOLUBILIS
doctrines religieuses subtiles au service d’une unité territoriale, ET FÈS : LES IDRISSIDES AUTOUR DU Xe SIÈCLE
ou d’une allégeance à tel ou tel califat oriental ou occidental. Ce La première dynastie de cette chronologie est celle des Idrissides,
n’est pas dans cette complexité historique que nous voulons dont l’histoire débute dans la ville antique de Volubilis. Idris I er des-
entraîner le spectateur, même si elle est toujours présente en cend d’Ali, cousin et gendre du Prophète en qualité d’époux de
arrière-plan. Le paysage que nous donnons à voir essentiellement Fatima. Il échappe à la grande tuerie des Alides perpétrée par les
est celui d’une histoire des villes et des monuments qui naissent Abbassides près de La Mekke en 786. Il gagne Tanger, puis Walili
et se transforment au cours de ces cinq siècles. Alors que nous (la Volubilis romaine). Il fait alliance avec certaines tribus locales,
sentons, au début de ce cycle, l’émergence timide d’une affirma- dans l’esprit des Orientaux qui ont trouvé refuge dans cet
tion artistique dans la naissance de Fès et de ses mosquées, Occident islamique en construction, comme la dynastie qui leur 19
est contemporaine des Aghlabides de Kairouan. Proclamé imam, LES ALMOHADES OU UN ART URBAIN menacées. Cet empire rétréci par rapport à celui des Almoravides nous ont ainsi permis de montrer des œuvres inédites du patri-
er
Idris I établit ainsi un pouvoir autonome, indépendant du califat AU SERVICE D ’U N E IDÉOLOGIE RELIGIEUSE et des Almohades, à géométrie encore variable en fonction des moine marocain. Enfin, la Fondation nationale des musées maro-
de Bagdad et de celui de Cordoue. Cette principauté en gestation (MILIEU DU XIIe SIÈCLE – MILIEU DU XIIIe SIÈCLE ) victoires ou des défaites, se construit une identité recentrée en cains et son président Mehdi Qotbi ont démontré leur capacité de
est reprise par son fils Idris II, qui fait de la ville de Fès la capitale de Le second épisode dynastique que connaît un Maghreb unifié du partie sur le territoire marocain actuel. La ville de Fès devient répondre au défi complexe que représente l’organisation d’une
ce premier royaume. La construction de la mosquée al-Qarawiyyin Portugal à Tripoli en Libye et au sud de l’Espagne dure près de la capitale des Mérinides, en référence à la première dynastie isla- telle opération. Au caractère inédit de cette collaboration s’ajoute
dans le quartier des Kairouanais à Fès est le symbole de cette soixante-dix ans. Il est le résultat d’une nouvelle alliance tribale mique des Idrissides. Cette légitimation du pouvoir par la filiation l’extraordinaire prêt par le Maroc d’un patrimoine venant des
nouvelle affirmation politique, religieuse et culturelle au cœur du originaire du Haut Atlas, les Almohades. Cette nouvelle construc- historique s’accompagne d’un important programme de diffusion musées mais aussi des mosquées marocaines et auquel le non-
Maroc en devenir. tion politique et idéologique est sans doute la plus aboutie de de cette nouvelle idéologie. Les madrasas s’affirment progressi- musulman n’a pas accès habituellement. Ces trésors sont
l’Occident islamique médiéval. Régnant entre le milieu du vement comme les vecteurs de ce discours. Elles illustrent aussi, confrontés pour la première fois de leur histoire à des œuvres
L E P R E M I E R E M P I R E E N T R E L ’A F R I Q U E XIIe siècle et le milieu du XIIIe siècle, les Almohades proclament dans leur décor architectural, la nouvelle recherche esthétique exceptionnelles venues d’Espagne, mais aussi de nombreuses
E T L ’E S P A G N E : LES ALMORAVIDES un califat dont le centre est à Marrakech et dont la figure religieuse des artistes mérinides. Dans les décors de façades sur cour alter- institutions européennes, africaines, ou israélienne (manuscrit du
(MILIEU DU XIe SIÈCLE – MILIEU DU XIIe SIÈCLE ) à l’origine de la nouvelle doctrine est Ibn Tumart. Le pouvoir califal nent matériaux et registres variés : d’abord des lambris de zellige, juif Maimonide). Tous ont voulu se mettre au service de ce beau
Le relatif isolement du Maghreb extrême durant cette période repose sur une organisation étatique hiérarchisée et efficace. Les mosaïque de céramique, auxquels succèdent des frises épigra- projet. Qu’ils en soient ici chaleureusement remerciés.
peut expliquer en partie l’émergence au milieu du X I e siècle d’une bâtisseurs politiques qui ont joué un rôle déterminant à la tête de phiques et des panneaux de composition florale en stuc sculpté.
nouvelle dynastie, dont l’origine tribale s’inscrit géographique- ce puissant empire sont Abd al-Mu’min et Ya‘qub al-Mansur. Le bois, mis en œuvre avec une grande maîtrise technique et une
ment entre le fleuve Sénégal et le sud du Maroc actuel. Cette nou- Dotés d’une importante flotte, les Almohades règnent sur un terri- véritable virtuosité dans l’ornementation, constitue le registre
velle dynastie, les Almoravides, s’assure progressivement la toire où se développe une grande activité portuaire, notamment supérieur dans la façade. L’effet chromatique de cette association
maîtrise économique et politique du territoire à partir des routes à Tunis, à Bougie et à Ceuta, ou encore sur l’Atlantique. Les assure un rendu esthétique exceptionnel.
caravanières et des prises des villes de Sidjilmasa et Aghmat. Ils échanges avec l’Occident chrétien, malgré la confrontation mili-
commencent à développer la ville de Marrakech en 1062, qui taire en al-Andalus, sont continus, et les contacts diplomatiques, Montrer au large public du Louvre ce brillant foyer de civilisation
devient capitale en 1070. La vision de ce nouveau pouvoir politique avec Pise ou Gênes par exemple, assurent les conditions néces- islamique au cœur de l’Occident médiéval, dans un destin partagé
est d’une autre dimension. On passe de la conception d’un saires à une activité commerciale de plus en plus florissante. entre l’Afrique et l’Europe, est une vraie nouveauté. L’éclairage
petit État centré sur une ville et une zone d’influence régionale à La force du projet politique et les capacités d’organisation admi- sur l’Occident islamique se focalise en effet souvent sur
l’organisation administrative et idéologique d’un territoire allant nistrative du régime almohade sont propices à de grands l’Andalousie arabe et ses fastes. Le regard culturel sur le Maroc à
des rives du fleuve Sénégal jusqu’à celles de l’Andalousie arabe. programmes d’urbanisation. Dans la capitale Marrakech, une nou- travers les expositions organisées depuis un siècle en France et à
Dans ce sens, c’est là le premier empire du Maroc médiéval. velle cité palatiale, la Qasba, est aménagée. Séville, siège andalou l’étranger s’est ouvert sur des panoramas plus larges du patri-
Désormais se déploie cette puissance économique fondée sur de l’autorité califale almohade, connaît également d’importants moine marocain. Notre approche, à travers cette exposition, est
le troc de l’or et du sel le long des routes caravanières du Sud. Une chantiers dans les espaces palatiaux (le qasr ou Alcázar), et la d’éclairer un moment de civilisation particulièrement méconnu, au
idéologie religieuse originale est constituée, qui s’appuie sur une construction d’une nouvelle grande-mosquée. Ribat al-fath (future cœur de l’Afrique, de l’Europe et de la Méditerranée en plein
doctrine du droit islamique sunnite, le malékisme. Sur le plan Rabat) est la principale fondation urbaine almohade. L’expression Moyen Âge. Plutôt que d’évoquer les croisades en Orient ou la
culturel et artistique, l’influence de l’Andalousie est évidente. La artistique est sans doute un vecteur privilégié de la doctrine almo- Reconquista chrétienne dans la péninsule Ibérique, notre intérêt
culture commune marocaine-andalouse trouve à s’illustrer dans hade. Elle transparaît notamment dans l’édification et la rénova- se concentre sur ces dynasties berbéro-andalouses qui rayonnent
le décor architectural des villes et dans la graphie arabe andalouse tion de nombreuses mosquées. à partir des grandes capitales marocaines.
qui apparaît alors au Maroc. L’Empire almoravide s’impose durant Enfin, la conception de cette exposition est le fruit d’une
près d’un siècle dans ce nouveau monde islamique, cependant LE RETOUR À FÈS DES MÉRINIDES col laboration scientifique et patrimoniale exceptionnelle avec le
que les Turcs seldjoukides entrent à Bagdad en 1055 et combat- E T L A F I N D ’U N C Y C L E (MILIEU DU XIIIe SIÈCLE – Maroc, qui rend ainsi possible cette mise en valeur historique
tent les Francs sur la rive proche-orientale durant la longue période DÉBUT DU XVe SIÈCLE ) et culturelle. Je voudrais citer ici la remarquable mobilisation de
des croisades. La cohésion de l’unité tribale autour du pouvoir almohade s’affai- Bahija Simou, la directrice des Archives royales, co-commissaire
blit progressivement pour aboutir, après la défaite de Las Navas de générale de l’exposition, qui a généreusement offert sa connais-
Tolosa en 1212, à la domination progressive des tribus mérinides. sance d’historienne et son énergie, ainsi que son écoute lors de
Dans une configuration régionale d’un Maghreb désormais divisé nos nombreux dialogues, pour comprendre nos visions com-
en entités tribales autonomes, les Mérinides recentrent leur pou- munes et particulières de cette histoire. Ses collègues marocains
voir et affirment leur légitimité autour d’un territoire restreint dont du comité scientifique ont su révéler la formidable vitalité de la
20 les frontières orientales et septentrionales sont continuellement recherche menée actuellement au Maroc sur cette période et 21
B A H I J A S I M O U
Directrice des Archives royales du Maroc
Regard sur le Maroc médiéval Toute l’histoire du Maroc est empreinte de cette espérance.
Car elle est animée par un principe de sagesse millénaire, celui de
la symbiose entre deux volontés solidaires, celle de l’unité et
celle de la diversité. La première garantit l’intégrité identitaire
de notre pays en préservant et revivifiant la mémoire de nos pères.
La seconde lui assure l’exigence d’ouverture qu’impose la marche
de l’histoire.
Ces deux volontés n’ont cessé de participer à la construction
d’une humanité universelle, inclusive et non exclusive, ouverte à
l’autre et non repliée sur elle-même. C’est cette dynamique, qui
traverse l’histoire du Maroc par-delà les vicissitudes, que l’exposi-
L’histoire ouvre la voie à une meilleure compréhension du tion consacrée au Maroc médiéval s’efforce de cerner et de refléter.
présent. C’est dans cet esprit qu’il convient de comprendre cette Sans doute l’événement permet-il de mieux comprendre les
louable initiative d’une exposition sur « Le Maroc médiéval. Un fondements de l’État marocain, d’apprécier le souffle spirituel,
empire entre l’Afrique et l’Espagne », qui relate le récit d’une voca- culturel et artistique du royaume, et de prendre la mesure de l’irré-
tion, celle de l’attachement indéfectible d’un pays à ses valeurs, ductible originalité d’une époque, de son authenticité et de son
et offre au visiteur de s’immerger dans les profondeurs du Maroc message.
médiéval, vu de la rive septentrionale du bassin méditerranéen. De même, il fait foi de l’intérêt que Sa Majesté le Roi
Sans doute cette exposition permet-elle de passer en revue Mohammed VI accorde au patrimoine médiéval du royaume en
cette période, véritable apogée de l’Occident islamique, du point particulier, et à l’art islamique en général. Dès son accession au
de vue tant historique que scientifique et artistique, et d’appré- trône, Sa Majesté le Roi n’a cessé d’œuvrer à la promotion d’une
hender la genèse d’un État, de suivre son évolution sur quatre vision du monde qui met l’islam du juste milieu en harmonie avec
siècles, et d’apprécier ses fondements, sa permanence et sa civili- le reste du monde et de bâtir une culture fondée sur la générosité,
sation sur plus d’un millénaire. la modération et l’ouverture.
Comment cette permanence eût-elle été possible sans cette C’est cette vision qui a sous-tendu la volonté marocaine d’ou-
force et cet esprit de rassemblement qui animent l’histoire du vrir les richesses de ses bibliothèques les plus anciennes et les
Calligraphie réalisée Maroc, et trouvent déjà dans le Maroc médiéval leurs fondements, trésors de ses musées, et tout particulièrement les portes de
spécialement pour l’exposition
par Abdallah Ouazzani leurs valeurs et leurs aspirations ? Comment eût-elle été conce- la prestigieuse mosquée al-Qarawiyyin, en vue de prêter au musée
Arbre généalogique vable sans l’attachement de tout un peuple – aussi divers fût-il ! – du Louvre des objets hautement chargés de spiritualité, comme
des Chorfas Idrissides à la voie du juste milieu, à la volonté de vivre ensemble, à la le minbar toujours en usage dans cette mosquée, ou encore
papier de type « peau d’éléphant »
45 × 60 cm recherche du progrès et du bien-être matériel et spirituel ? Autant son majestueux lustre-cloche, qui illumine les veillées spirituelles
de formes de sagesse dont le Maroc médiéval, exempt de toute depuis des siècles, et qu’il a fallu déposer et transporter avec soin
Cet arbre généalogique est réalisé sur tentation de fanatisme, donne l’exemple. dans le dédale des ruelles étroites de l’ancienne médina pour
la base d’une documentation historique
relative à l’époque idrisside et avec les En notre période qui, à l’heure de la mondialisation, assiste à l’offrir à l’admiration des visiteurs de l’exposition.
techniques d’enluminures (at-tawriq) bien l’entrée de l’humanité dans une histoire planétaire, où nations et Devant l’inépuisable richesse de ce patrimoine, il a fallu natu-
maîtrisées dans l’art du manuscrit arabe. États sont liés les uns aux autres dans un destin de plus en plus rellement opérer des choix parmi tant d’objets, sur la base de leur
Elles associent la calligraphie, les rosaces,
les miniatures et les dorures, dans des solidaire, il est plus que jamais impératif d’œuvrer à l’instauration portée historique, symbolique et esthétique. De fait, les objets
couleurs d’encres naturelles où dominent d’un équilibre juste et viable entre l’exigence de l’universalité et exposés ne constituent qu’une infime partie de notre patrimoine,
le vert et le jaune, donnant au « document » celle de la diversité. Ces nations et ces États, dans ce contexte, ne sélectionnée pour les besoins de l’exposition.
l’allure d’une véritable œuvre d’art.
L’arbre reconstitue la lignée des Idrissides peuvent désormais s’en tenir à de simples rapports de cohabita- Les bibliothèques marocaines regorgent de manuscrits évo-
et sa descendance du Prophète Sidna tion ou d’émulation. Ils se doivent plutôt d’agir dans un esprit de quant cette période, qui s’est illustrée par une production touchant
Mohammed qui gratifie la dynastie Idrisside solidarité, d’échange et de complémentarité, en tant que compo- à des domaines aussi divers que la théologie, l’astronomie, la méde-
de toute la légitimité d’un pouvoir qui fut
à l’origine de la genèse d’un État marocain santes d’une humanité qui les transcende et dont les valeurs res- cine, l’architecture, la gestion de l’eau, la gastronomie, la musique,
en toute autonomie du califat du Machreq. tent à consolider. le chant, l’élevage des chevaux, la science vétérinaire, etc. 23
BS
Les Archives royales détiennent par ailleurs un important indépendant du califat d’Orient, en définissant sa spécificité poli- tels que Melilla, Sebta, Tanger et Badis. Par ailleurs, des ateliers murs, comme tadellakt, dans l’embellissement d’obélisques,
fonds d’archives se rapportant à l’histoire des relations entre l’État tique et spirituelle. de monnaie furent créés qui frappèrent des dinars et des dirhams d’arcades et de portes, ou encore dans l’ornementation des
marocain et des pays chrétiens, notamment le Saint-Siège, à Arrivés au pouvoir au lendemain de l’avènement de l’Islam au de très bon aloi, d’où la grande diffusion du dinar almoravide margelles de puits et des vasques de fontaines. L’empreinte de
l’époque médiévale. Cette documentation nous rappelle, en parti- Maroc et forts de leur légitimité de descendants du Prophète, les dans tout le bassin ouest de la Méditerranée. Il était de si bonne cette inventivité se retrouve encore dans le tissage, la broderie,
culier, que le pape Grégoire VII prit contact avec le souverain almo- Idrissides parvinrent à propager l’islam parmi les tribus amazighes frappe et d’une teneur en or si élevée que les Castillans s’en inspi- l’orfèvrerie, l’argenterie et l’art du livre. Dans le domaine de la
ravide Youssef Ibn Tachfine (r. 1061-1106) car il avait à cœur de et à consolider leur souveraineté sur le territoire marocain. rèrent pour frapper une monnaie similaire, qu’ils appelèrent manufacture, on vit fleurir le travail du cuir (qui, en gage de cette
garantir aux chrétiens présents dans le Maghreb al-Aqsa la libre Prenant son indépendance vis-à-vis de l’Orient, la nouvelle entité « maravedis ». excellence, allait même prendre le nom du pays : la maroquinerie),
pratique de leur culte, tandis que le pape Honorius III (1216-1227) politique marocaine œuvra à la fondation de sa première cité capi- Cette prospérité économique du Maroc influença l’architecture la dinanderie et la poterie.
institua à Fès le siège épiscopal du diocesis marrochiensis. tale, Fès, et à l’adoption du rite malékite sous le règne de Moulay des villes marocaines, où la grande-mosquée et l’autorité repré- Cette période fut aussi celle d’une abondante production litté-
Cette présence chrétienne au Maroc à l’époque médiévale Idriss II (r. 808-828). sentant le sultan (Qasba) occupaient l’espace central, le tout cerné raire et scientifique, véhiculée par la langue arabe, comme langue
favorisait les échanges commerciaux et les correspondances entre Sous les Almoravides, on assiste à l’édification du Maghreb de tours et de murailles dont les portes sont souvent désignées des sciences, avec le rayonnement d’un grand nombre de lettrés
les souverains almohades et le Saint-Siège. En témoigne le pontifi- al-Aqsa en tant qu’État central ayant Marrakech pour capitale, par le nom de la région vers laquelle elles s’ouvrent. Tout un mode et de savants de renom, parmi lesquels on peut citer Abu al-Qasim
cat d’Innocent IV , qui, en 1246, avait demandé au calife almohade et s’étendant des rives du fleuve Sénégal, au sud, jusqu’à citadin devait alors émerger autour d’établissements et de struc- al-Zahrawi, Ibn Zohr (Avenzoar), Ibn Rushd (Averroès), Errazi, pour
Al-Saïd (r. 1242-1248) de garantir la protection des chrétiens. Le l’Andalousie au nord et au Maghreb central à l’est. Sur toute l’éten- tures urbaines tels que maristan-s (hôpitaux), madrasas, funduq-s, la médecine, Ibn al-Banna pour les mathématiques, al-Bakri, Ibn
nouveau calife Umar al-Murtada (r. 1248-1266) répondit au pape en due de cet espace unifié, le nouvel État poursuivit l’œuvre de fontaines, hammams, ponts, riyad-s, résidences, parcs et jardins. Fatima et al-Idrisi pour la géographie. Il y eut ainsi des découvertes
juin 1250 pour lui exprimer son profond respect et sa grande défé- consolidation et de généralisation du rite malékite et de la doctrine Parallèlement aux itinéraires commerciaux, des itinéraires et des inventions dans les domaines des sciences et techniques,
rence. Innocent IV répondit à son tour au calife, en mars 1251, en asharite, en référence respectivement à l’imam Malik Ibn Anas spirituels se dessinèrent avec l’apparition de nombreux ribat-s tels que l’astronomie, les mathématiques, la médecine, la géogra-
lui adressant une lettre où il lui rendait les expressions de courtoi- (V I I I e siècle) et à Abou al-Hassan al-Ashari (I X e siècle), qui, tous et zawiya-s, où un islam modéré, c’est-à-dire incarné dans la réa- phie et la construction navale.
sie. Ces échanges nous interpellent : comment, en effet, le Maroc deux, prônent un islam du juste milieu (wassatiya), celui de l’équi- lité, émergea peu à peu, sans volonté déclarée d’éradiquer par la Ce rayonnement s’est illustré dans l’impact de la philo sophie
médiéval a-t-il pu entretenir ces rapports avec le Saint-Siège dans libre réfléchi entre le temporel et l’intemporel. violence les coutumes, les idiomes et les cultures en usage alors islamique sur les philosophes du monde occidental chrétien du
un monde alors marqué par les croisades ? La réponse ne peut que De leur côté, les Almohades parvinrent à parachever l’unifi - dans le pays, d’où sa propagation assez rapide sur l’ensemble XIIIe siècle, avec notamment les commentaires de Ibn Rushd, qui
confirmer une autre spécificité de cette région. cation du Maghreb al-Aqsa en y installant un pouvoir central qui du territoire marocain. Très tôt, la tendance à l’incantation et à firent connaître la pensée d’Aristote en Europe. Ces échanges
D’autres documents des Archives royales font état de rela- s’étendait désormais de la mer des Romains (Méditerranée) et la psalmodie soufie s’imposa, donnant lieu à l’implantation de permirent de jeter des ponts entre deux mondes culturels diffé-
tions nouées très tôt dans le domaine commercial entre le Maroc de l’Andalousie au nord jusqu’aux confins du Soudan au sud et plusieurs confréries (turuq) organisées autour de saints patrons rents et de frayer la voie au dialogue entre les deux rives de la
et les cités italiennes, notamment Gênes, Venise et Pise. Les jusqu’à la Tripolitaine à l’est. comme Abou Yaâza Yelnour, Abou Al-Abbas Sebti, Moulay Méditerranée.
mêmes archives renvoient aux échanges entretenus entre les À la fin du règne des Almohades, le champ politique maghré- Abdesslam Ben Machich, Abou al-Hassan Chadili, Mohamed Ben C’est cette même histoire qui est relatée aujourd’hui par cette
Mérinides et la France, comme le montre la lettre du sultan méri- bin se scinda en trois dynasties : celle des Hafsides en Ifriqiya Slimane al-Jazouli, Abou al-Abbas Ahmed Ben Achir et Lalla Aziza exposition, où sont réunis des œuvres et des objets d’une grande
nide Abu Ya‘qub Yusuf adressée au roi de France Philippe III (actuelle Tunisie), celle des Ziyanides à Tlemcen (aujourd’hui en Sekssiouiya, prêchant tous la méditation intérieure, la méfiance importance symbolique, relevant de la vie quotidienne, de l’archi-
(Philippe le Hardi), le remerciant pour l’aide qu’il avait fournie au roi Algérie), et celle des Mérinides au Maghreb al-Aqsa (actuel à l’égard des passions d’ici-bas et la voie de l’amour. tecture, du culte, de la science, des lettres, des arts de la guerre,
de Castille Alphonse X (24 octobre 1282). Maroc). Cette dernière œuvra, à son tour, à la préservation des Le Maroc devint ainsi une terre de rencontre de civilisations et du commerce, de la navigation, etc. Autant d’objets qui illustrent
Puisse l’abondante matière de ce patrimoine stimuler la curio- mêmes fondements du pouvoir au Maroc, appuyés sur le rite un espace d’échanges où se mêlaient et interagissaient plusieurs l’âme d’un peuple et qui sont présentés aujourd’hui dans les
sité des chercheurs et ouvrir de nouveaux horizons de coopération malékite et la doctrine achâarite, qui, alliés à des courants soufis influences, celles de l’Afrique sub-saharienne, des États italiens, espaces prestigieux du Louvre. Cet événement est, de fait, une
scientifique et culturelle avec le département des Arts de l’Islam sunnites, ont formé le socle de l’identité marocaine et sa spécifi- des royaumes espagnols ou encore de l’Égypte des Mamelouks. démonstration des liens ancestraux et permanents qui unissent
du musée du Louvre. cité jusqu’à nos jours. L’acmé atteint en cette période par l’Occident musulman a permis le Maroc et la France.
Il convient de noter ici que cette exposition vient rappeler la Il convient ici de rappeler que durant la majeure partie de la l’intégration des apports culturels arabes, amazighs, juifs, anda- Toute notre gratitude et tous nos remerciements vont en
position géostratégique du Maroc en tant que carrefour de civili - période médiévale, le Maroc occupa une place économique pré- lous et africains, contribuant à l’épanouissement d’une civilisation conséquence à M . Jean-Luc Martinez, président de l’Établisse-
sations, terre de rencontres et de cohabitation, compte tenu de pondérante en jouant le rôle d’intermédiaire commercial entre alimentée par de multiples affluents, et comme telle génératrice ment public du musée du Louvre, pour sa perception du projet, à
son rôle de jonction entre l’Europe et l’Afrique. C’est l’occasion l’Afrique subsaharienne et l’Europe, à une époque où le poids de créativité et d’innovations. notre homologue, M me le professeur Yannick Lintz, pour sa capa-
de procéder à un réexamen et à une réévaluation de ce patrimoine économique se concentrait dans le sud de la Méditerranée. L’art marocain, imprégné d’une spiritualité soufie, y gagna en cité de partage, aux prêteurs, pour leur générosité, et à toutes
médiéval, de croiser les lectures et les angles de vue et de faire L’accroissement des échanges avec le Soudan occidental excellence et en diversité, comme en témoignent les techniques celles et tous ceux qui ont œuvré à l’aboutissement de ce projet.
interagir les connaissances et les savoir-faire. (Afrique de l’Ouest) favorisa l’apparition tout au long des itiné- de construction en pisé, en pierre ou en brique, celle de la pose
Par son ampleur, l’exposition offre une vue panoramique raires commerciaux d’un réseau de cités telles qu’Audaghost, des mosaïques du zellige, celles de la teinte des tuiles et de leur
couvrant une période déterminante de l’histoire du Maroc, au Tombouctou, Sidjilmasa, Aghmat, Marrakech, Salé, Fès, Sebta, alignement, de la gravure sur plâtre et du travail du bois. Cet art
24 cours de laquelle, en effet, s’était formé le nouvel État marocain Cordoue, Séville, et l’installation de comptoirs commerciaux, s’illustre également dans l’usage de teintures traditionnelles des 25
C L A I R E D É L É R Y E T B U L L E T U I L L E O N E T T I
Collaboratrices scientifiques, chargées des collections de l’Occident
islamique, département des Arts de l’Islam, musée du Louvre, Paris
Introduction à l’exposition les fouilles archéologiques menées sur le territoire marocain et Ce qu’il importe de retenir, c’est que le regard porté par les Gozalbes Cravioto et Patrice Cressier dans le domaine de l’histo-
le travail de réflexion et de remise en question historiographique historiens et les historiens de l’art sur le Maghreb al-Aqsa, plus riographie). Il doit être pris en compte afin de permettre de mieux
accompli sur les sources anciennes ont en effet permis de renou- précisément sur les empires berbères almoravide, almohade et comprendre l’image du Maroc médiéval qui est la nôtre aujourd’hui.
veler l’approche de cette époque longtemps lue depuis la rive mérinide, a longtemps été marqué par des partis pris ou des condi-
andalouse. Les acteurs ont également changé : les chercheurs tionnements idéologiques dont on a aujourd’hui encore du mal à E X P O S E R L E M A R O C M É D I É V A L
marocains participent pleinement, aux côtés d’équipes internatio- se défaire. L’art de ces dynasties a en effet été longtemps consi- Depuis l’exposition pionnière qui lui a été consacrée à Paris en
nales, à cette réflexion sur l’histoire de leur propre pays. déré, même sur le sol maghrébin, comme une simple « conti - 1917 juste après l’instauration du protectorat, le Maroc a été
L’exposition, et le catalogue qui la complète, non seulement nuité » ou une importation de celui de al-Andalus, la péninsule l’objet de plusieurs expositions. Si cette première manifestation
retracent l’histoire de ce pays et celle du regard porté sur son Ibérique sous domination islamique. Ce point de vue, soutenu en faisait une place au Maroc médiéval, c’était uniquement à travers
L’exposition qu’organisent le musée du Louvre et la Fondation histoire, mais témoignent de la formation d’une mémoire partagée son temps par Henri Terrasse, inspecteur des Monuments histo- des moulages de décors architecturaux en place. On mesure le
nationale des musées marocains est consacrée à une période par- et présentent les acquis et les enjeux de la recherche actuelle. Ils riques, et partagé par la plupart de ses contemporains espagnols chemin parcouru : depuis, les musées marocains et leurs collec-
ticulièrement féconde de l’histoire du Maghreb, du point de vue s’attachent à montrer, en même temps que les réalisations artis- dont Leopoldo Torres Balbás, soulève un problème méthodolo- tions ont été constitués et des fouilles ont permis la découverte
tant intellectuel qu’artistique. Il s’agit du Maroc médiéval. Les réa- tiques et intellectuelles les plus importantes de cette époque, gique. En effet, les œuvres monumentales, et les chantiers urba- d’un matériel inédit. Une partie de ce patrimoine a été présentée
lisations architecturales et les œuvres de cette époque ont fait les découvertes plus humbles, mais tout aussi révélatrices, des nistiques réalisés en péninsule Ibérique sous ces dynasties à Paris en 1999 lors d’une exposition intitulée « Les Trésors du
l’admiration de voyageurs européens dès le XIXe siècle, et plus fouilles archéologiques menées ces dernières années. berbères, donc en périphérie, ont longtemps été étudiés sans Royaume » et consacrée à l’histoire du Maroc depuis l’époque pré-
encore de nos jours. Elles sont toujours au cœur de la vie quoti- prendre en compte ceux menés au cœur de ces empires et dans historique jusqu’à nos jours. L’exposition que nous avons imagi-
dienne et spirituelle des Marocains. H I S T O I R E D ’U N R E G A R D , M É M O I R E P A R T A G É E leurs capitales en terre africaine. Espérons que les fouilles archéo- née est quant à elle entièrement consacrée au Maroc médiéval.
L’époque que nous présentons débute avec le bouleverse- Le territoire du Maroc actuel correspond, à l’époque médiévale, à logiques récentes effectuées sur le sol marocain contribueront à L’avancée des recherches permet en effet aujourd’hui d’attri-
ment que constitue l’arrivée de l’islam au VIIIe siècle, et s’achève une entité dénommée Maghreb al-Aqsa (« l’Occident le plus rééquilibrer le regard et à poser les données différemment. Une buer précisément certaines productions à telle ou telle époque. La
à la fin du X V e siècle, avec l’entrée du Maghreb et du monde dans éloigné »). Ce toponyme arabe désigne les confins occidentaux autre question à laquelle il est nécessaire de s’atteler est celle de sélection des œuvres a pris ce critère en compte, un critère impor-
la modernité. L’exposition se focalise sur un moment particulier du monde islamique, dont le cœur spirituel est La Mekke. Pour « l’archéologie de réserve » des collections marocaines mais aussi tant au moment où se pose la question de la spécificité de l’art
de cette longue période qui a vu la fondation des grandes capitales le grand voyageur marocain du X I V e siècle Ibn Battuta, le Maghreb européennes. Dans le cadre de la préparation de cette exposition, conçu à l’époque de ces trois dynasties berbères, du point de vue
du Maroc, Fès, Marrakech, Rabat, et le développement d’un art al-Aqsa est « le pays où la pleine lune se lève ». des membres du comité scientifique (Abdallah Fili, Ahmed tant des continuités que des ruptures. Les objets issus de fouilles
raffiné aujourd’hui réinvesti par la modernité. Il s’agit du règne des La consignation écrite des événements et la description Ettahiri, Hassan Limane et Rachid Arharbi, que nous remercions archéologiques sont documentés par le contexte de leur décou-
trois grandes dynasties berbères (amazighes) qui se sont succédé des réalités géographiques de cette région débutent quelques vivement) ont visité les réserves des grands musées marocains, verte. Ceux datés par une inscription ou mentionnés dans des
dans la région entre le milieu du X I e siècle et le milieu du X V e siècle : décennies après l’arrivée de l’Islam. La construction des empires où, avec l’appui des conservateurs, ils ont (re)découvert des sources historiques constituent également d’utiles jalons. C’est le
les Almoravides, les Almohades et enfin les Mérinides. Sous ces s’accompagne de celle de l’écriture de l’histoire sous la plume objets et des décors monumentaux, dont la mémoire et l’identité cas des lustres, des portes de mosquées et des minbars et aussi
trois dynasties, l’Occident du monde islamique, pour la première d’historiographes. Ces derniers sont en effet chargés par les sou- s’étaient parfois perdues. bien sûr des manuscrits. À de rares exceptions près, les manuscrits
fois uni, a été dirigé par un pouvoir berbère. Les trois empires verains d’inscrire leurs pouvoirs dans une lignée prophétique, de Les premières décennies du XXe siècle correspondent à une sélectionnés sont médiévaux afin de rendre compte de la produc-
qu’elles ont créés l’un à la suite de l’autre ont étendu leur rayonne- les rattacher à l’accomplissement d’un destin ou de les placer époque où tout autour de la Méditerranée se développe un intérêt tion intellectuelle de cette époque mais aussi de la culture visuelle
ment du sud du Sahara jusqu’au nord de l’Espagne actuelle, parve- dans une perspective eschatologique. Les historiens actuels doi- particulier pour le patrimoine. Le Maroc participe à cet élan de qui lui est attachée. Des manuscrits très richement enluminés, en
nant à l’est jusqu’à la Libye. Ils se sont tous trois appuyés sur les vent donc faire la part des réalités historiques et de la réécriture modernité patrimoniale savante. Parallèlement au recensement particulier des corans, sont ainsi présentés aux côtés d’œuvres
grandes villes qu’ils ont fondées ou remodelées pour en faire leurs qui en a été faite. Comprendre aujourd’hui l’histoire du Maroc du patrimoine, qu’il fût immobilier ou mobilier, des décrets de dont la mise en page est plus modeste mais le contenu fondateur.
capitales, et qui forment le fil conducteur de l’exposition. La com- médiéval, c’est identifier les étapes de cette construction histo- protection des monuments ont été promulgués. Épigraphistes, C’est le cas par exemple d’un unicum des Règles de la vie mystique
préhension de ce parcours chronologique et géographique est rique et prendre en compte le regard porté sur elle par les histo- codicologues, numismates se sont penchés sur les corpus d’ins- de Abu Bakr b. al-‘Arabi, grand qadi de Séville sous les Almoravides,
éclairée par un préambule : la période idrisside (fin du VIIIe – milieu riens tout au long du XXe siècle. L’enjeu du parcours chronologique criptions, de manuscrits et de monnaies, tandis que les fouilles qui fait écho au développement du soufisme, essentiel à la com-
du X e siècle) et celle des émirats indépendants. La ville de Fès est proposé dans cette exposition est justement de pouvoir suivre archéologiques se sont multipliées. Des musées ont été créés pour préhension du Maghreb médiéval. La plupart de ces manuscrits
en effet fondée par les premiers souverains idrissides, et c’est à cette histoire grâce à l’avancée des recherches historiques, tout abriter les résultats des fouilles, mais aussi celui des collectes exceptionnels ont dû être restaurés. Les liens étroits entre la pro-
cette époque que l’essentiel du territoire du Maroc actuel forme en offrant un cheminement simple au visiteur européen, auquel mobilières lancées par le protectorat français. Sources écrites et duction écrite et le pouvoir central sont également évoqués au
une principauté autonome par rapport à l’Orient. elle est le plus souvent peu familière. Le choix des œuvres rend matérielles d’origine diverse ont ainsi peu à peu été rassemblées travers des plus anciens manuscrits compilant la doctrine de Ibn
L’actualité de la recherche nous incite à voir d’une manière aussi compte de l’histoire de la formation du patrimoine au Maroc, grâce à l’implication d’un certain nombre de chercheurs auxquels Tumart, le fondateur du courant almohade, et d’un coran écrit de
nouvelle cette histoire dont les vestiges sont sublimés par la également abordée dans ce catalogue. Parmi les pièces exposées, ce catalogue rend hommage. L'activité patrimoniale de ce début la main du calife almohade al-Murtada. Toutes les catégories
splendeur de la terre qui modèle les cités, la blancheur des certaines ont été découvertes à l’époque des protectorats français du XXe siècle a fait l’objet d’un regain d’intérêt (soulignons pour d’œuvres ne sont pas datables avec précision, mais les chercheurs
26 mosquées, l’or des manuscrits. Depuis une vingtaine d’années, et espagnol, tandis que d’autres ont été mises au jour récemment. leur qualité les mises en perspective proposées par Enrique progressent, notamment à partir de l’examen des spécificités de 27
certains décors épigraphiques. Plusieurs métaux ont ainsi été placés
dans l’exposition pour tenir compte de l’actualité de la recherche,
comme les célèbres « griffon de Pise » et « lion de Mari-Cha »,
aujourd’hui attribués à la période almoravide. Enfin, les textiles
sélectionnés pour l’exposition s’inscrivent dans une fourchette
de datation relativement précise, telle la grande chasuble de saint
Exupère de Toulouse, coupée dans un tissu almoravide.
Le parcours chronologique que l’exposition et son catalogue
proposent dans l’histoire du Maroc médiéval suit un double fil
conducteur, celui des grandes dynasties à avoir régné et celui des
capitales fondées par elles. La période se caractérise non seule-
ment par la fondation de villes capitales, mais aussi par le double-
ment ou le triplement de leur noyau urbain à la faveur de leur
réinvestissement par les dynasties successives. Le parcours
débute ainsi par la fondation de Fès à l’aube du I X e siècle et se ter-
mine par le retour à cette première capitale orchestré par les sou-
verains mérinides, qui fondent Fès Jdid (« Fès la nouvelle ») et
raniment le souvenir de la dynastie idrisside, dont le premier émir
était le descendant direct du Prophète Muhammad par sa fille.
Chaque dynastie ayant eu à cœur d’embellir les grandes-
mosquées de ses capitales, certains édifices, comme la mosquée
al-Qarawiyyin de Fès, accompagnent le visiteur et le lecteur tout
au long de sa découverte. Celle-ci est jalonnée de chefs-d’œuvre
– lustres de mosquées, minbars (chaires à prêcher pour la prière
du vendredi), portes monumentales – provenant de ces édifices
et très généreusement prêtés par l’ensemble des institutions
marocaines. Plusieurs d’entre eux sont exposés pour la première
fois et ont fait l’objet de restaurations. Près de cinquante autres
institutions européennes, en majorité espagnoles, ont accepté de
prêter des œuvres. L’exposition est enfin émaillée d’hommages
aux chercheurs et aux découvreurs émerveillés du Maroc médié-
val, depuis ceux qui, à la fin du X I X e siècle et au début du X X e siècle,
en ont offert les premières vues en noir et blanc puis en couleur,
jusqu’à Théodore Monod, qui, dans les années 1960, découvrit
l’épave d’une caravane médiévale en plein désert du Sahara. Ces
clichés sont des documents d’archives de première importance,
car ils témoignent de ce qu’était l’état des monuments avant leur
« La plus belle des terres, c’est l’Occident [le Maghreb]
restauration. Dans le discours de l’exposition, clichés et relevés
Et j’en ai la preuve :
permettent par ailleurs de replacer l’architecture dans le paysage
marocain. Cette composante essentielle du Maroc médiéval se La pleine lune s’y observe,
devait d’être présente et de compléter la présentation des chefs- Et vers lui le soleil se rend »
d’œuvre mobiliers, ainsi perçus dans leur environnement.
Ibn Battuta, Voyages, vers 1349
28 impression à partir d’un original de Hassan Massoudy
Les sources d’étude pour une histoire
du Maroc médiéval : une limite ou une chance ?
C’est pour tenir compte de la particularité de cette politique. Al-Bakri, quant à lui, est contemporain de la chute du
construction historique qu’il nous a semblé important d’ouvrir califat umayyade de Cordoue, et à la fin de sa vie de l’implan -
ce catalogue par un chapitre sur les sources de la connais- tation du pouvoir almoravide qui réunit l’Espagne musulmane
sance, prolégomènes indispensables à la compréhension des au Maroc. Il n’a sans doute jamais quitté l’Espagne et son œuvre
regards croisés que nous avons choisi de mettre en place tout la plus importante reste le Kitab al-Masalik wa-al-Mamalik
au long de l’ouvrage. Nous voulons expliquer le mode d’écri- (« Livre des routes et des royaumes »), rédigé en 1068 et fondé
ture de cette histoire, lequel ne peut pas être linéaire car la sur les récits de voyage des marchands et marins plus anciens
nécessité de procéder à une synthèse rigoureuse n’implique ou de son temps. Son travail est marqué par sa méthode, celle
pas pour autant que l’on lisse des données diverses et parfois avec laquelle il décrit, pour chaque pays, son peuple, ses cou-
contradictoires ou lacunaires au profit d’un récit simple et tumes, son climat et ses principales villes, avec de multiples
pour une histoire du Maroc chose facile. Quand cette région est située à l’extrême pointe
occidentale de l’Afrique du Nord, ce qui fait qu’elle est souvent
contributions au service de l’histoire du Maroc médiéval, il
convient d’en connaître les grandes figures, lesquelles ont
Maghreb occidental. Cette réalité marocaine, d’où s’organise
le nouveau pouvoir régional, reste donc vague et abstraite pour
médiéval : une limite perçue par les historiens ou les géographes comme un
« Finistère du Maghreb 1 », la difficulté est sans doute plus
construit ces différents points de vue au cours des siècles,
depuis les premiers temps de l’Islam au Maghreb jusqu’aux
un habitant sédentaire de l’Andalousie musulmane. Un autre
exemple de ces points de vue particuliers et parcellaires peut
ou une chance ? grande encore. Cette sorte de « double peine » aurait pu isoler derniers succès bibliographiques qui ont commencé à popula-
riser un intérêt universitaire nouveau pour cet Occident isla-
être évoqué en la personne de al-Idrisi. La Géographie de
al-Idrisi propose, au milieu du siècle, une exploration du
le Maroc de cette contribution à l’histoire universelle, en le XIIe
tenant à l’écart des circuits traditionnels de la transmission mique entre Afrique et Europe. monde par un savant arabe vivant à la cour cosmopolite du roi
et des échanges de documents, d’objets, de témoignages Les nombreux manuscrits arabes des premiers siècles de normand Roger II de Sicile, après avoir été élevé en Espagne et
qui construisent patiemment les strates de l’histoire ici en l’Islam constituent, on le sait, des témoignages précieux pour avoir étudié à Cordoue sous les Almoravides. Son ouvrage est
Occident et là-bas à l’est de la Méditerranée. pénétrer dans cette histoire quasi contemporaine du monde un atlas qui décrit les pays, leurs villes principales, leurs routes
Et pourtant, au moment où nous tentons de faire une syn- islamique. Pour le Maroc, ces sources anciennes [voir p. 44 à 46] et leurs frontières, les mers, les fleuves et les montagnes, de
thèse de ces « siècles d’or » du Maroc, de cette époque où la sont principalement de deux types, celles qui relèvent de la manière très codifiée. Al-Idrisi commente ces cartes en sui-
partie de l’Afrique occidentale qui nous intéresse unit sa desti- littérature de voyage et de la chronique du monde islamique vant des itinéraires, comme le ferait un véritable guide touris-
née au sud de l’Espagne et à l’Afrique subsaharienne, notre et celles qui participent de l’écriture d’un récit officiel voulu par tique. Il livre des informations de toute nature, géographiques
regard d’historien nous invite à faire défiler devant nous les les pouvoirs en place pour légitimer et consolider leur implan- bien sûr, mais également économiques et commerciales, his-
sources d’interprétation de ce passé méconnu. Au fur et à tation et leur influence. Parmi la première catégorie d’auteurs, toriques et religieuses. Il consacre plusieurs pages à l’état du
mesure que nous constituons la liste, le paradoxe est criant. souvent considérés comme des « géographes », on trouve tan- Maroc peu après la chute des Almoravides. On constate ainsi
Les sources sont là, multiples, présentes depuis les comptes tôt des espions propagandistes à la solde d’un pouvoir central, qu’au-delà de l’état qu’il dresse de la situation économique à la
rendus des premiers voyageurs, intellectuels ou autres chroni- tantôt des globe-trotters curieux. Ainsi, le géographe arabe fin de la dynastie almoravide, il méprise le nouveau pouvoir
queurs du monde arabe médiéval jusqu’à ceux des photo- Ibn Hawqal, qui est l’auteur au X e siècle d’un Kitab surat al-ard almohade, ne le nommant que par son slogan idéologique,
graphes, collectionneurs, archéologues du début du siècle (« Livre de la configuration de la terre »), illustre plutôt, au fil de « les unitariens ». Son interprétation des réalités est donc tein-
dernier. Depuis les dernières décennies, ces visions multiples sa « description » des terres qu’il arpente, la vision d’un courti- tée de scepticisme à l’égard du nouveau pouvoir. Enfin, que
sont redécouvertes avec un engouement évident par une nou- san au service du pouvoir califal puissant de son époque, les dire du regard de Ibn Khaldun, souvent considéré comme fon-
velle génération d’historiens, d’archéologues et d’amateurs Fatimides. Profitant de son activité de commerçant, il parcourt damental à la compréhension de ce Maghreb médiéval [voir
d’art et de patrimoine qui posent leurs yeux d’aujourd’hui sur ainsi les territoires en développant les thèses shi‘ites aux- p. 47-50] ? Il est un acteur politique déterminant d’une partie de
32 le Maroc médiéval. quelles le califat fatimide du Caire donne alors une réalisation cette histoire quand il se met au service du sultan mérinide 33
Abu ‘Inan à Fès, au milieu du X I V e siècle. Non seulement il est résultat d’un double mouvement culturel. Le premier se mani- bâtiments s’accompagne des premières études historiques ce dernier musée durant dix-neuf ans. Cette époque voit donc
le témoin, durant plusieurs décennies, des querelles dynas- feste par l’organisation au Maroc, sous le Protectorat, d’une sur ces mêmes monuments menées par le nouvel Institut des se construire un savoir durable sur le Maroc médiéval, percep-
tiques à la cour des Mérinides, mais il séjourne aussi auprès du politique d’inventaire et de protection patrimoniale « à la fran- hautes études marocaines. Parmi les historiens emblématiques tible dans les nombreux ouvrages publiés sur le patrimoine
roi nasride de Grenade, puis auprès des Hafsides entre Bougie çaise », comme l’administration de la III e République a su en de cette époque, on peut citer Henri Terrasse. Ce personnage marocain, mais aussi au travers des collections publiques et
et Tlemcen (Algérie actuelle) avant de revenir à Fès, si bien organiser une en France quelques décennies plus tôt. L’autre est représentatif de ces générations d’historiens qui ont très privées qui se constituent alors. Enfin, le patrimoine marocain
qu’il voit les alliances se faire et se défaire à l’intérieur de l’em- réalité de l’époque est la fascination d’une élite française pour vite porté leur intérêt sur la culture de l’Occident islamique, en profite aussi, en ce début du X X e siècle, des progrès de la pho-
pire des Mérinides. Il accomplit son œuvre littéraire et appro- un pays et un patrimoine teintés d’exotisme « musulman » aux particulier en Afrique du Nord. En 1933, à l’âge de trente-huit tographie, qui inspire nombre de voyageurs en quête d’orienta-
fondit son regard sur le pouvoir et l’histoire en se retirant de la portes de la France métropolitaine, à l’heure où l’orientalisme ans, Terrasse soutenait sa thèse sur l’art hispano-mauresque lisme dans les paysages sahariens ou dans les couleurs et les
vie politique et en s’installant à Tunis puis au Caire. Ce contem- triomphe dans l’Europe entière et où chez les collectionneurs des origines au X I I I e siècle. Peu de temps après, il est nommé arabesques de l’architecture médiévale marocaine [voir p. 71-
porain de Machiavel analyse dans la Muqaddima, son œuvre « d’art musulman » et dans les musées se développent cette chef de service des Monuments historiques du Maroc (1935), 75]. Cette photographie du voyage et de l’exploration artis-
fondamentale, la succession des dynasties comme autant de mode et cet engouement. L’« Exposition d’art marocain » fonctions qu’il assumera jusqu’à son départ du Maroc (1957). tique, ainsi qu’une photographie plus documentaire en rapport
cycles historiques. Il explique la formation du pouvoir dynas- tenue au pavillon de Marsan en 1917 [voir p. 64-67], quatorze ans En 1941, il prend la direction de l’Institut des hautes études avec l’étude patrimoniale des monuments, constituent aujour-
tique par l’esprit de clan d’une confédération de tribus, la cris- après la fameuse exposition organisée par Gaston Migeon sur marocaines, puis, en 1945, il succède à Georges Marçais dans d’hui des sources de connaissance précieuses de lieux qui
tallisation de ce pouvoir par l’accomplissement du fait urbain « l’art musulman » dans ce même lieu 2 , en est bien sûr la mani- la chaire d’archéologie musulmane à la faculté des lettres avaient alors un cachet médiéval et qui ont pu ensuite être
sous la forme de capitales et la fragilisation de cette volonté festation la plus évidente. Là encore, le Maroc constitue un cas et sciences humaines d’Alger, cumulant ainsi les fonctions transformés ou rénovés.
politique et idéologique par l’héritage des successeurs. Cette à part dans le regard porté par les Français sur l’Afrique du de professeur à Alger et à Rabat, de directeur de l’Institut Enfin, le regard sur le Maroc médiéval que nous proposons
grille de lecture peut bien sûr s’appliquer aux trois dynasties Nord. Dès le milieu du X I X e siècle en effet se fait jour un intérêt et d’inspecteur des Monuments historiques du Maroc. Son dans ce catalogue témoigne avec force des préoccupations
qui se succèdent dans le Maroc médiéval. Elle contribue ainsi pour l’histoire des pays dont on envisage la conquête colo- étude architecturale et historique de la mosquée al-Qarawiyyin des historiens et des archéologues d’aujourd’hui, qui se sont
à la compréhension de la naissance et de la chute de ces niale. Il est clair que l’un des buts des militaires français en est aujourd’hui encore une référence pour la connaissance emparés de ces sources anciennes de connaissance pour
régimes. Mais elle reste aussi nécessairement limitée du fait expédition en Algérie, comme Alphonse Delamarre au début de ce bâtiment 3 . renouveler la recherche. Les activités archéologiques menées
de son approche systématique et idéologique. des années 1840, est de retrouver la géographie antique du Dès les débuts du protectorat français au Maroc, la ques- par l’I NSAP au Maroc sur certains sites de l’époque médiévale
La seconde catégorie d’auteurs, témoins proches de cette pays, qui englobait notamment, durant la domination romaine, tion de la « sauvegarde » de l’artisanat se pose également. permettent de mieux comprendre l’apparition et le développe-
histoire, est représentée par les artisans du récit hagio - les provinces de la Maurétanie et de la Numidie. L’action de Celui-ci est considéré comme d’autant plus fragile qu’il est ment du fait urbain qui caractérisent cette période historique.
graphique de la dynastie ou de la légende fondatrice de sa Julien puis de Louis Poinsot, ou de Paul Gauckler et d’Alfred désormais au contact de la puissance coloniale, à l’origine de Les interventions d’archéologie monumentale effectuées sur
légitimité. On pense bien sûr au récit évoquant la geste du Merlin en Tunisie à la fin du X I X e siècle et dans la première moi- changements économiques et sociaux d’envergure. Ainsi, la mosquée de la Qarawiyyin à Fès dans les dernières années
héros almohade Ibn Tumart par son compagnon al-Baydhaq. tié du X X e siècle, témoigne de cette même quête de l’Antique l’enquête sur les industries marocaines ordonnée en 1913 par ont pu faire émerger une chronologie nouvelle des débuts de la
L’exemple le plus évident pour notre sujet est aussi le récit sur les traces des occupations puniques et romaines. Au Lyautey inaugure une politique dont le but est de rénover, res- ville de Fès. Plus largement, les travaux récents de nombreux
légendaire de la refondation du royaume idrisside tel que le Maroc en revanche, l’intérêt patrimonial des Français n’est pas susciter, revitaliser les « arts indigènes », selon les mots du historiens français, espagnols et marocains mettent progressi-
construit la propagande mérinide [voir p. 432-435] et tel qu’on dirigé exclusivement vers la recherche des traces de la grande résident général. Les traces matérielles des arts indigènes, vement en valeur ce pan de l’histoire de l’Occident islamique,
le lit par exemple dans le Rawd al-Qirtas de Ibn Abi Zar‘. Cette période antique. Dans ce Maghreb extrême peu touché par la dont l’appellation témoigne de ce rapport d’altérité, sont col- longtemps laissé dans l’ombre au profit de l’époque souvent
obsession de légitimation mérinide se retrouve dans les romanisation, les Français sont attirés d’abord par l’originalité lectées, triées et inventoriées dans des musées. En 1915 se jugée plus prestigieuse de l’Andalousie umayyade. Ces
légendes monétaires qui évoquent des formules relevant du des anciennes villes impériales. Cette admiration que ressen- tient la première exposition franco-marocaine à Casablanca. recherches, qui s’appuient autant sur de nouveaux témoi-
registre soufi populaire à l’époque et dont les Mérinides veu- tent très vite les responsables français, à commencer par Le contraste entre les objets nouveaux et anciens, dont le gnages matériels que sur une analyse renouvelée des sources
lent ainsi tirer parti. Ces récits et ces discours de propagande Lyautey lui-même, se porte en réalité autant sur les monu- mauvais état de conservation est visible, va déterminer la poli- textuelles, contribuent ainsi à structurer et enrichir le discours
constituent aussi des sources écrites quasi archivistiques ments que sur la tradition artisanale originale que ces derniers tique de rénovation de l’artisanat et la constitution de collec- historique et artistique de ce foyer de culture islamique au
permettant d’analyser ces régimes à partir de la façon dont révèlent et qui s’est maintenue dans les quartiers anciens de tions d’objets anciens [voir p. 56-57 et 61]. À cette fin, les musées cœur de l’Occident médiéval.
s’est constitué leur roman national. Fès, de Rabat ou de Marrakech. Alors que la République fran- de Rabat et de Fès sont créés, les objets collectés devant ser-
Une seconde période déterminante pour la connaissance çaise légifère en ce début du XXe siècle sur la protection des vir de modèles aux artisans. Parallèlement, deux Inspections
du Maroc médiéval est la première moitié du X X e siècle. C’est monuments historiques, Lyautey prend la décision, à peine la des arts indigènes sont créées à Rabat et à Fès, cette dernière
une époque où se constitue en France et au Maroc une énorme loi votée en 1913, de classer une partie de la médina de Fès. étant confiée à Prosper Ricard, puis à Marcel Vicaire, respon-
documentation matérielle et photographique sur ces années Une Inspection des beaux-arts et des monuments historiques sable du musée des Oudaïa à Rabat à partir de 1923, puis du
34 que l’on appelle alors « l’âge d’or ». Ce phénomène est le est créée, dont le travail de conservation et de restauration des musée du Batha à Fès en 1924. Vicaire resta conservateur de 35
Un éclairage sur
les sources anciennes
Les bibliothèques marocaines et européennes
conservent de nombreux manuscrits composés
au Moyen Âge. La production littéraire
est variée et remarquablement abondante.
L’historien du Maroc médiéval doit se livrer
à un patient travail de confron tation pour
parvenir à retracer objectivement le cours
des événements à partir de ces sources, ce
à quoi œuvrent les chercheurs depuis plusieurs
années. Leur approche est complétée par
le développement récent de l’archéologie
médiévale sur le sol marocain, qui vient enrichir
considérablement notre lecture du passé.
37
Vue de l’intérieur de la mosquée al-Qarawiyyin à Fès
Y A S S I R B E N H I M A
tradition lettrée andalouse. Le moment almohade représente du temps et par l’adversité politique, continua à alimenter par une absence de tradition historiographique locale. Alors
et à l’établissement d’une vulgate historique portant notamment le plus connu, mais l’empreinte de textes perdus, à l’image après La Mekke et le pèlerinage, sur la côte orientale de l’Afrique,
A B D A L L A H F I L I
et les manières de voir de ses sujets sédentaires, l’État est aucun Marocain ne bénéficia de formation dans le domaine diffusion dédiés. Soulignons notamment l’influence de la revue
49
Pierre Dieulefils, La cour et la façade intérieure de la madrasa Bu’inaniya de Fès, avant 1909.
Paris, Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, inv. DLF00029P
H A B I B A A O U D I A
de mobiliers, de manuscrits et d’éléments architecturaux. aussi bien sous protectorat français qu’espagnol. À l’occasion La restauration et parfois la dépose de mobilier liturgique
fig. 1
fig. 1
Élément de décor du minbar de la madrasa Bu’inaniya de Fès. Paris, musée du Louvre, département des Arts de l’Islam, dépôt du musée du Quai Branly, inv. 74.1962.1.3
54 fig. 4 55
fig. 2 fig. 3, 4
Fragment de placage de la porte Bab al-djana’iz de la mosquée al-Qarawiyyin de Fès. Paris, musée du Quai Branly, inv. 74.1963.2.1 Éléments de décor du minbar de la mosquée al-Qarawiyyin de Fès.
Paris, musée du Louvre, département des Arts de l’Islam, dépôt du musée du Quai Branly, inv. 74.1962.1.1 et 74.1962.1.2
1
Fragments de placage
de la porte Bab al-Djana’iz
Fès (Maroc) l’existence sur cette porte d’une inscription donnant de Prosper Ricard [voir p. 61]. D’autres éléments de
531 H . / 1136 le nom d’un artisan, ‘Ali ‘Abd al-Wahid 1 , mais rien cette collection, qui restent à étudier, proviennent sans
H . 84,7 ; l. 44,2 cm (montage actuel) ne permet de confirmer cette information au vu doute de cette même porte 6 . La division de l’Inventaire
alliage cuivreux, fonte à moule ouvert au sable ; des fragments connus à ce jour. de la direction du Patrimoine du Royaume du Maroc
remontés sur une planche de bois Ces trois portes ont eu des destins très différents, conserve des clichés pris en 1957, montrant la nouvelle
inscriptions qui illustrent l’évolution des pratiques de restauration Bab al-Djana’iz [fig. 1] lors de son départ pour l’Exposition
plaque rectangulaire et de conservation à l’époque contemporaine. Bab al-Ward, internationale de Bruxelles de 1958. Elle fut ensuite
toujours in situ, a fait l’objet d’une restauration en 2005- installée à la place de l’originale. Cette volonté de rem -
« La joie permanente et le bonheur » 2007 lors des travaux qui ont également donné lieu à placer la porte ancienne par une copie est à rapprocher
carré lobé la restauration du minbar almoravide et à la découverte du programme de revivification de l’artisanat marocain sur
sous la salle de prière d’une partie des maisons détruites ses bases anciennes qui marque la politique patrimoniale
en 1134 [voir p. 193-195]. Ses placages d’origine ont été sous le Protectorat 7 . La porte Bab al-Sbitriyin actuellement
« La joie permanente et totale, la félicité, la bravoure, nettoyés, et les nombreux manques en partie basse ont en place est elle aussi une copie installée en remplacement
le bonheur, la puissance, l’appui, et la victoire » été comblés 2 . Bab al-Sbitriyin et Bab al-Djana’iz semblent de la porte déposée.
provenance avoir été déposées en 1954 et 1957 respectivement à D’autres fragments de revêtement des portes
Fès (Maroc), mosquée al-Qarawiyyin l’occasion de la campagne de restauration menée par Henri almoravides ont été récupérés au moment de leur dépose.
Terrasse 3 . Ces deux portes sont conservées depuis lors C’est ainsi que le Royaume du Maroc a acquis en 2012
Fès (Maroc), musée des Arts et Traditions, Dar Batha
inv. 57.17.1
au musée du Batha. Bab al-Sbitriyin a été déposée en l’état. cinq plaques autrefois dans la collection de Gilbert Hallier,
Cela n’a pas été le cas de Bab al-Djana’iz, dont le placage architecte et inspecteur des Monuments historiques
a été envoyé à la fonte. Quelques fragments récupérés du Maroc entre 1953 et 1959 sous la direction d’Henri
Cet ensemble présente une partie du revêtement qui ornait in extremis ont été remontés sur une âme de bois moderne Terrasse. Deux d’entre elles proviennent de Bab al-Djana’iz
la porte de la mosquée al-Qarawiyyin de Fès dénommée Bab au moyen de bandes de métal. C’est cet assemblage que [fig. 2 et 3] et trois de Bab al-Sbitriyin.
BTL/CD
al-Djana’iz. Avec Bab al-Sbitriyin [cat. 113] et Bab al-Ward, l’on peut voir aujourd’hui. Il résulte d’un parti-pris muséo -
il s’agit de l’une des trois portes commandées pour les graphique visant à trouver une composition harmonieuse
travaux d’agrandissement et d’embellissement menés en vue de la présentation. D’autres plaques de Bab bibliographie et expositions
à l’époque almoravide dans cette prestigieuse mosquée de al-Djana’iz ont échappé à la fonte. C’est ainsi que le musée Olagnier-Riottot, 1967, p. 165-166 et fig. 1 ; Terrasse H.,
Fès. Bab al-Djana’iz est l’une des portes qui permettaient du Quai Branly à Paris conserve une plaque triangulaire 4 1968, p. 47-48 et pl. 91 et 94 ; Cambazard-Amahan, 1989,
d’accéder à l’oratoire réservé à la prière pour les défunts et deux clous 5 donnés en 1962 au musée des Arts africains p. 81-92 ; El Khatib-Boujibar, 2014 (g).
[voir p. 204-205]. Les publications anciennes évoquent et océaniens à Paris par Alexandre Delpy, qui les tenait Paris, 1990, n o 461 ; Paris, 1999 (b), n o 144 ; Rabat, 2010, n.p.
56
fig. 1 fig. 2 et 3
La nouvelle porte Bab al-Djana’iz de la mosquée al-Qarawiyyin de Fès, présentée ici Fragments de placage de la porte Bab al-Djana’iz
dans les jardins de la Mamounia à Rabat, avant son exposition à Bruxelles en juin 1957. de la mosquée al-Qarawiyyin de Fès. Collection du Royaume du Maroc
Rabat, ministère de la Culture du Royaume du Maroc, direction du Patrimoine, division de l’Inventaire, inv. mq:0674
A D I L B O U L G H A L L A T
renseignent sur les préparatifs de cette exposition, les conditions L’exposition de 1917 répond à des préoccupations artistiques
La constitution des archives des monuments purent être recensés et documentés à travers tous les biens de mainmorte destinés à assurer le Les dossiers techniques de protection et de l’identification des biens culturels marocains. les sites archéologiques, mosquées, madrasas,
historiques du Maroc est étroitement liée au long le pays. Il avait pour objectif de « [r]assembler et fonctionnement et la pérennité de ces structures conservation-restauration sont conservés par le Tout cela a abouti à l’élaboration de fiches norma- greniers et qasba-s.
processus de patrimonialisation amorcé dès les acquérir le maximum d’informations sur le pays ; religieuses 6 . service de documentation de l’actuelle division lisées pour l’inventaire des monuments et des Après 1997 et en raison de l’importance des
premières années du XXe siècle. La politique de [de] faire l’inventaire du patrimoine scientifique et En 1935, l’ IHEM rattacha à ses services, outre des Études et des Interventions techniques. Lors sites, des collections muséales et des arts et tra- enquêtes de terrain pour l’enrichissement du
conservation et de mise en valeur du patrimoine culturel du Maroc 3 ». Ces travaux embrassaient l’École supérieure de langue arabe et de dialectes de la procédure de classement d’un monument ou ditions populaires. Ces fiches se sont substituées fichier central du patrimoine culturel et la révision
culturel marocain a dès lors nécessité la mise en tous les champs du patrimoine : matériel, immaté- berbères ( ESLADB ) 7 , l’Inspection des antiquités d’un site, l’Inspection régionale fournissait en aux différents systèmes existants auparavant. Ce des données de l’inventaire, les missions se sont
place d’un cadre juridique et institutionnel parti- riel et naturel. et l’Inspection des monuments historiques, char- effet toute l’information nécessaire à l’adminis- recensement systématique a permis la création multipliées. Il s’agissait de repérer, d’identifier,
culier. Par sa volonté de s’intégrer à la société L’ IHEM a aussi permis d’installer des struc- gées respectivement de la recherche archéo - tration centrale chargée du classement et de du fichier central des monuments et des sites. de décrire et d’enregistrer les traces et les
marocaine à travers la protection et la valorisa- tures de recherche stables. Abstraction faite de logique, de la conservation-restauration des l’inscription. Le dossier contenait une note sur Entre 1988 et 1997, on procéda enfin à la révision, à témoins laissés par les hommes, depuis la préhis-
tion de son héritage ancestral, le Protectorat a son implication directe dans la politique de la monuments historiques et de la protection artis- l’état de conservation du bien concerné, une l’actualisation et à l’enrichissement des dossiers toire jusqu’à nos jours. En 2005, conformément à
contribué à la connaissance et à la documen - résidence générale en matière de recherches tique des villes anciennes et des architectures documentation graphique [fig. 2], une notice histo- de l’inventaire. Ces actions concernèrent surtout la volonté centrale de relancer l’inventaire du
tation de larges pans des richesses culturelles et sociologiques et ethnographiques 4 , lesquelles régionales, ainsi que du classement des monu- rique, une description et une bibliographie suc-
naturelles du pays. Les chercheurs et les érudits sont teintées de colonialisme, la qualité docu- ments et des sites. Le travail de recherche et cincte. Les Inspections des monuments histo -
de l’époque ont notamment publié de nombreuses mentaire de l’œuvre de l’ IHEM en fait une source de gestion mené par ces différentes entités riques réalisèrent de nombreux projets qui permi-
archives historiques, ce qui a eu pour effet de de première main sur l’histoire et la société du s’accompagna d’un inventaire documenté des rent de remettre plusieurs monuments en état.
mettre en lumière des sources d’une importance Maroc. L’une des réalisations les plus mar- richesses artistiques du pays ainsi que d’une car- Parmi eux figurent de nombreux bâtiments datant
majeure telles que chroniques, descriptions géo- quantes de cette période, et qui s’est poursuivie tographie des sites archéologiques. Les résultats de l’époque médiévale : le site archéologique
graphiques et récits de voyages, que l’on peut au-delà du protectorat français, est la publication de ces travaux ont été publiés à partir de 1935 du Chella (Rabat) [voir p. 502-505], la porte de Bab
considérer comme des inventaires ou des cartes des Sources inédites de l’histoire du Maroc par le Service des antiquités du Maroc. D’autres Rouah (Rabat), la mosquée al-Qarawiyyin [voir
archéologiques avant la lettre et qui constituent (vingt-sept volumes parus entre 1905 et 1970). Ces périodiques, tels le Bulletin d’archéologie maro- p. 193-195], les madrasas mérinides de Fès [voir
autant de témoignages sur leurs époques respec- recherches ont été conduites par la Section histo- caine, les Villes et sites archéologiques du Maroc p. 474-476], de Salé, etc.
tives. rique du Maroc, qui a sollicité pour s’acquitter de et les Études et travaux d’archéologie marocaine, Conscient des problèmes de sauvegarde du
Dès la seconde moitié du XIXe siècle furent cette tâche le concours d’historiens et d’archi- ont été consacrés aux résultats des recherches patrimoine culturel, le gouvernement marocain
entreprises plusieurs actions visant à mieux vistes parmi les plus éminents. Parmi ces grands archéologiques. Entre 1927 et 1937, l’ IHEM orga- s’adressa à l’Unesco afin de bénéficier d’une
connaître le pays (géographie, géologie, décou- noms, citons ceux d’Henry de Castries, Pierre nisa neuf congrès qui permirent de dresser un expertise consistant à faire un bilan de la situa-
page régional) et à collecter des documents et de Cenival, Philippe de Cossé-Brissac et Chantal bilan de la recherche scientifique dans tous tion du patrimoine monumental et des traditions
des données relatives à l’histoire, à l’organisation de La Véronne. Un inventaire des documents d’ar- les domaines. Les travaux effectués aboutirent à artistiques et à proposer des actions pilotes de
sociale et aux traditions du Maroc. Le Comité de chives appartenant à plusieurs pays ayant une la constitution d’un fonds documentaire composé préservation. Plusieurs projets furent ainsi élabo-
l’Afrique française pilota les premières études, histoire commune avec le Maroc a également été d’« archives historiques » et d’« archives adminis- rés. L’année 1974 a ainsi permis la création d’un
avant de céder la place à une Mission scientifique établi. Une autre œuvre capitale pour la connais- tratives » dont font partie les dossiers relatifs à la centre chargé de procéder à l’inventaire et à la
créée en 1903. L’objectif de cette mission était de sance de l’histoire de ce pays est la collection gestion des monuments historiques autrefois pro- documentation du patrimoine culturel national. En
« rechercher sur place toute la documentation « Villes et tribus du Maroc », qui comprend onze duits par les Services des beaux-arts puis par les 1979, ce centre fut remplacé par la division de
permettant d’étudier le Maroc et d’en reconsti- volumes publiés par la Mission scientifique entre Inspections des monuments historiques. Ces dif- l’Inventaire général du patrimoine, qui plus tard
tuer l’organisation et la vie, non seulement à l’aide 1915 et 1926. férents projets furent pour la plupart documentés rejoignit la direction du Patrimoine culturel, créée
de livres et de manuscrits, mais aussi par les Le projet de recensement de toutes les et publiés dans la revue Hespéris puis Hespéris- en 1988. Les archives existantes furent réorgani-
renseignements oraux, par les traditions des tri- archives historiques du Maroc a soulevé la ques- Tamuda et dans les collections « Hespéris ». Ils sées et de nouvelles données collectées, qui
bus, des confréries, des familles 1 ». Ces travaux tion de l’organisation, de la centralisation et de concernent les grandes villes marocaines, ainsi furent triées et enregistrées de façon systéma-
débouchèrent sur la publication des Archives la transmission des archives du makhzen (le gou- que plusieurs monuments historiques et sites tique. Un fichier-index bibliographique recensant
marocaines, dont trente-quatre volumes virent vernement). Le passage du pouvoir d’une dynas- archéologiques de premier plan. Un travail colos- la bibliographie relative à ce patrimoine fut insti-
le jour entre 1904 et 1936. tie à l’autre et les transferts de capitales (Fès, sal de collecte de données relatives à la ville tué 9 . Parmi les autres réalisations notables,
Après la signature du traité du Protectorat, la Marrakech, Meknès, Rabat) avaient contribué à de Rabat a également été effectué à l’occasion de citons la constitution d’une cartothèque et d’une
Mission scientifique devint un organe consultatif l’éparpillement de ces fonds, voire à leur perte. l’instruction de son dossier de candidature pour microthèque facilitant la consultation des réfé-
au service de la direction du Protectorat pour Henry de Castries écrivit à ce propos en 1921 : « Le une inscription sur la liste du patrimoine mondial rences bibliographiques, la réorganisation de la
tout ce qui avait trait à l’histoire du pays et à ses Makhzen n’a pas d’archives anciennes. Ce qui de l’Unesco. Les archives photographiques pro- documentation graphique et des archives rela-
institutions. Un véritable réseau d’informateurs subsiste des papiers de l’État se trouve aux mains duites dans le cadre de bon nombre de ces projets tives aux monuments historiques et à divers sites,
fut mis en place auprès des pouvoirs territoriaux des descendants des vizirs 5 . » Parmi les fonds sont aujourd’hui conservées à la photothèque et la réorganisation de la photothèque conservant
« pour centraliser la documentation scientifique d’archives organisés et conservés de longue de la direction du Patrimoine culturel et dans les la documentation produite lors des missions de
utile à la connaissance détaillée des populations date, il faut aussi mentionner les hawalat des archives de la Bibliothèque nationale du Royaume terrain (restauration, fouilles archéologiques…),
indigènes du territoire 2 ». L’Institut des hautes habous. Il s’agit de documents précieux pour la du Maroc 8 [fig. 1]. Quelques clichés documentant à quoi s’ajoutent la filmothèque et la sonothèque.
études marocaines ( IHEM ), créé en 1920, fut le reconstitution de l’histoire du Maroc et de son les objets et les monuments présentés dans cette Une nomenclature typologique a été mise en
précurseur d’une série d’enquêtes grâce aux- patrimoine immobilier, notamment de ses mos- exposition sont publiés dans ce catalogue. Ils œuvre à cette occasion et un système d’enregis-
62 quelles un nombre important de biens culturels quées, de ses zawiya-s, de ses madrasas et de sont issus de ces archives photographiques. trement des données a été établi pour faciliter
fig. 1
Cliché ancien de la madrasa Mesbahiya de Fès.
Rabat, ministère de la Culture du Royaume du Maroc, direction du Patrimoine culturel
D O M I N I Q U E D E F O N T - R É A U L X
Les plaques autochromes étaient en effet projetées, à l’aide privilégier le sujet qui leur permettrait de mettre en valeur
de lanternes à forte luminosité ; comme le cinématographe, autre au mieux la couleur nouvelle : jardins, objets d’art, bijoux
invention majeure de Louis et Auguste Lumière, l’autochrome et vues d’Orient ou d’un univers perçu comme tel furent parmi
donnait lieu à de véritables spectacles. La densité de la fécule les motifs les plus souvent retenus par les autochromistes 3 .
de pomme de terre apportait à l’apparition de l’image et à sa C’est à ce dernier registre, celui des vues d’Orient ou d’un
disparation une temporalité et une profondeur qui ajoutaient à la univers orientaliste, qu’appartiennent, pour une part, les vues
séduction colorée du procédé. Le succès de ce procédé pendant autochromes réalisées au Maroc. La densité profonde de leurs
près de trente ans, jusqu’à l’invention du film couleurs par Kodak, ciels bleus évoque la vibration lumineuse des peintures. Les
est ainsi tout à fait compréhensible, malgré l’habileté qu’exigeait subtiles variations colorées du paysage, qui avaient tant séduit
l’invention nouvelle et malgré les défauts inhérents à l’image les artistes – Delacroix notamment, lequel, en 1832, avait noté
unique, qui ne permettait pas la reproduction directe sur papier 1 . avec soin toutes les nuances des collines, des arbres, des
La plaque autochrome obligeait à revenir aux usages des tout rochers qu’il observait –, pouvaient enfin être reproduites par
premiers photographes ; à l’heure de l’instantané, le procédé la photographie. Comme l’Algérie, le Maroc fut, dès le début
rallongeait les temps de pose, contraignant les opérateurs des années 1850, un sujet apprécié des voyageurs photographes.
fig. 3
à composer leur image préalablement à la prise de vue. L’effet Relativement proche par le bateau, il offrait aux Européens
Jean-Léon Gérôme, Le Charmeur de serpents au Caire, 1880. Williamstown (Mass.), The Sterling and Francine Clark Art Institute, inv. 1955.51
pictural, déjà favorisé par la couleur, était amplifié par cette une vision accessible d’un imaginaire orientaliste, nourri par
nécessité de créer une image précisément réglée, sélectionnée la littérature et la peinture. Gustave de Beaucorps (1825-1906),
avec soin par son auteur. Le modèle de la peinture était ainsi membre de la Société française de photographie, photographia
sous-jacent, aussi bien pour ce qui est de l’équilibre de la ainsi les côtes algériennes et marocaines. Henry Sauvaire (1831-
composition que du choix du sujet. La pratique de l’autochrome 1896), consul de France à Tanger après avoir séjourné à Beyrouth,
s’accompagna en effet souvent d’un désir de virtuosité 2 . La pratiqua la photographie en amateur doué. Malgré le talent avec
dextérité des photographes cherchait à s’exprimer au-delà de lequel il maîtrisait les valeurs lumineuses, il fut contraint par
66 la seule représentation en couleurs de la réalité ; ils souhaitaient les procédés de son temps à obtenir des images d’où la couleur, 67
qualité première et implicite de l’atmosphère marocaine aux yeux encourageait le respect et les relations pacifiques entre de monuments. Ses photographies laissent transparaître une
70 71
Détail de la chasuble dite « suaire de saint Exupère » [cat. 9]
G W E N A Ë L L E F E L L I N G E R
par le « regard sanctifiant » qui les associe aux reliques 4 . Parmi Le coffret de Saint-Servais présente, quant à lui, un élément de suaire de saint Exupère [cat. 9] et conservée dans le trésor
bibliographie et expositions des animaux au moyen de petites hachures 1 . Certaines Makariou, 2004, p. 76-77 ; Galán y Galindo, 2005, p. 90-91.
Gabrieli et Scerrato, 1985, n o 499. plaquettes du coffret dit de « Las Bienaventurenzas », Carcassonne, 1935, n o 116 ; Paris, 1965, n o 591, p. 327,
Venise, 1993-1994, p. 121-122. datables de la seconde moitié du X I e siècle 2 , présentent pl. 5 ; Carcassonne, 1993, n o 48 p. 144-145 ; Paris, 2005,
cette même caractéristique, bien que le traitement des n o 117, p. 169.
motifs végétaux ornant le fond y soit bien plus soigné, de
même qu’une petite plaquette trouvée en fouille à Silves 3 .
Sur cette dernière, probablement également du X I e siècle,
l’échelle des animaux et l’effet de contrainte par le cadre
qui en découle rappellent singulièrement notre petite boîte.
Mais cette dernière présente d’autres caractéristiques
particulières. Sa forme, presque sphérique et légèrement
aplatie en partie supérieure et inférieure, est sans équi -
valent. Son couvercle est percé d’un orifice circulaire
fermé par une plaquette de métal. Deux petits anneaux,
sur le côté, permettaient de limiter l’amplitude d’ouver -
ture du couvercle. La base est aujourd’hui manquante.
En partie basse court une inscription en caractères
angu leux, dont certaines lettres sont tronquées par
la cassure. Il s’agit d’une suite de vœux. Son emplacement
est curieux : à supposer que la base de la boîte ait été
plate, l’épigraphie ne devait guère être lisible. Il est
donc possible qu’un élément de forme inconnue l’ait
maintenue à hauteur, de manière à ce que l’on puisse
la voir.
L’ensemble présente par ailleurs des signes de
remaniement ultérieur difficiles à interpréter. Les
ferrures, vraisemblablement, ont été changées. En effet,
les pentures des ivoires ibériques ont généralement
des emplacements réservés dans le décor d’ivoire.
Or, à l’arrière de cette boîte, les pentures de charnière
paraissent n’en avoir aucun, ce qui laisse penser
qu’elles ont peut-être été ajoutées par la suite.
76 De plus, sur le couvercle, l’espace réservé pour une 77
5
Coffret octogonal Les coffrets de tabletterie sous les dynasties berbères
Al-Andalus d’une autre église troyenne, comme la collégiale Saint- par exemple, est très particulière. Elle se retrouve toutefois
X I I I e – X I V e siècle Étienne, ou d’une abbaye environnante, telle Notre-Dame- dans d’autres inscriptions, notamment sur un coffret L’étude des ivoires de la péninsule Ibérique s’est nouveau regard doit désormais être posé sur cet
ivoire, décor ajouré aux-Nonnains ou encore Clairvaux 1 . En 1861, la boîte est provenant de la cathédrale de Zamora, actuellement concentrée sur les coffrets en plein ivoire riche- ensemble de pièces.
H . 18,8 ; D . base 20,5 cm précisément décrite dans le Portefeuille archéologique conservé à Palma de Majorque et attribué au X I I I e siècle 5 ment sculptés, souvent signés et datés, exécutés Une première approche consiste à revoir
inscription de la Champagne 2 . Les plaques d’ivoire étaient alors fixées [cat. 8]. On peut également la trouver sur les alicatados
à Madinat al-Zahra’ et probablement Cordoue l’identification souvent erronée des matériaux qui
première plaquette sur une âme octogonale en chêne recouverte d’une feuille du Cuarto Real de Santo Domingo à Grenade, datables
de cuivre doré, à l’intérieur tapissé de soie rouge. Leur du règne du sultan nasride Muhammad II (1273-1302). pour la période califale, et à Cuenca pour la composent ces coffrets de tabletterie, qui s’avè-
« Toi qui libères du besoin tout... » décor ajouré laissait apparaître la feuille métallique. Par ailleurs, l’emploi du cursif indique que notre objet période des Taifas. La survivance du travail de rent être en os ou en bois de cervidés 8 plutôt
La fermeture, aujourd’hui disparue, était constituée ne peut être antérieur à la période almohade 6 . l’ivoire dans la péninsule Ibérique sous domina- qu’en ivoire. Accessible à l’époque par les routes
seconde plaquette , comportant d’une « serrure en bronze doré, entourée d’une plaque de Le décor végétal raffiné de ce coffret est sans équivalent. tion des dynasties berbères a été peu étudiée, commerciales de l’Afrique de l’Ouest, l’ivoire était
les réserves des ferrures vermeil à rinceaux de feuillages et exécutée au repoussé 3 ». Les plaques ajourées du coffret rectangulaire de Lyon
et un certain flou entoure les œuvres en os, de peut-être employé pour d’autres productions
(?)
) ? ( […] En l’absence de couvercle, l’auteur attribue au coffret [cat. 6] s’en approchent un peu par leur compo sition, bien
facture plus sobre, pourtant recensées depuis le luxueuses qui restent à attribuer à cette période.
« Et pour un roi que l’on craint (?) » une origine byzantine et l’englobe, à tort, dans le butin que le travail des palmettes, dont les détails sont peints et
rapporté de Constantinople par les croisés. Les éléments non gravés, soit sensiblement différent. début du XXe siècle 1 . Les coffrets à décors peints D’autre part, l’absence de coffrets conservés
historique
Troyes (France), cathédrale Saint-Pierre du couvercle, qui ont réintégré le coffret avant 1894, Le coffret, aujourd’hui disparu, provenant de la cathédrale et la technique du placage sur une âme de bois entiers ou de fragments trouvés en fouille au
portent, sur le pourtour, une inscription très partielle, dont de Burgo de Osma présente le même type de décor de ont été attribués à des ateliers de Sicile ou de Maroc donne la vision, sans doute à nuancer, d’un
inv. Hany n o 62, classé monument historique le 15 septembre 1894
le texte subsistant n’est pas continu. L’épigraphie cursive, palmettes ajourées que celui de Lyon, de moindre qualité. l’Espagne nasride. Leurs inscriptions, des eulo- savoir-faire circonscrit à la péninsule Ibérique,
nettement occidentale, est d’une lecture très complexe. Mais le fait que ces coffrets soient constitués en majorité
gies répétitives, ne permettent cependant ni de où la tradition du travail de l’ivoire et de ses imita-
Ce coffret d’ivoire plaqué fait aujourd’hui partie du trésor On peut cependant déchiffrer l’extrait d’une invocation, de petites plaquettes d’os peint, et non d’ivoire, ne permet
de la cathédrale de Troyes. Ce trésor fut richement doté ainsi, que le mot mulk (« royaume ») ou malik (« roi ») suivi pas de pousser la comparaison, d’autant que les plaquettes les dater ni de les associer à un lieu de produc- tions existait depuis longtemps. Cependant, les
par les comtes de Champagne, qui rapportèrent d’Orient d’un qualificatif qui reste encore difficile à déchiffrer 4 . ajourées de la boîte du trésor de Troyes sont, au contraire, tion. Dans ce contexte, les données de fouilles matières premières circulaient, comme en
de nombreuses reliques, notamment après la quatrième Ces difficultés de lecture s’expliquent par la graphie de dimensions imposantes. récentes apportent un nouvel éclairage et invitent témoigne le bois de cèdre du Rif marocain 9 qui
croisade et la prise de Constantinople, en 1204. Mais notre défective et l’absence de proportion des lettres, mais aussi La grandeur du coffret est particulièrement frappante, à reconsidérer un ensemble de coffrets en os compose l’âme du coffret de Lyon [cat. 6].
coffret n’appartenait vraisemblablement pas au trésor par la disposition décorative de ces dernières. La forme ainsi que sa forme. D’autres coffrets octogonaux sont
plaqué et peint. Les coffrets de Lyon [cat. 6], L’utilisation de plaquettes rectangulaires de
de la cathédrale avant la Révolution. Il pourrait provenir de la ligature du et du sur la première plaquette, connus dans l’Occident islamique. Une série de boîtes
du Victoria and Albert Museum à Londres [cat. 7] et 1 ou 2 mm d’épaisseur, de longueur variable mais
ornées d’un décor de micro-marqueterie présente des types
similaires 7 . Dans deux d’entre elles, en bois, sont insérées du trésor de la cathédrale de Zamora en Espagne de largeur assez constante, comprise entre 1 et
des plaquettes d’ivoire ajouré 8 . Leur décor géométrique [cat. 8] peuvent en effet être rapprochés des 2 cm, évoque une standardisation de la forme des
les rapproche d’une série de pyxides en ivoire à décor éléments mis au jour sur des sites occupés par coffrets. Tous sont rectangulaires, généralement
également percé, dont certaines présentent une mise les Almoravides et les Almohades dans le sud à couvercle taluté 10 , et quelques-uns comportent
en page avec une tresse en partie basse proche de ce que
de l’Espagne et du Portugal. Ces découvertes de petits pieds globulaires [cat. 7]. Boîte et cou-
l’on observe sur le coffret de Troyes 9 . L’origine de cet
ensemble est aujourd’hui discutée : la graphie présente archéologiques consistent en plaquettes d’os vercle sont articulés par des ferrures de cuivre
sur certaines boîtes évoque une production espagnole, taillées, polies et parfois ornées de décors peints : doré longues et fines qui se terminent par une
tandis qu’une seule, aujourd’hui disparue, porterait le nom trois petits ensembles de cinq, six et dix pla- pointe lancéolée. Elles semblent souvent dispro-
d’un sultan mamelouk 10 . Tous ces objets sont attribués quettes à Moura 2 , Tavira 3 et Silves 4 (Portugal), portionnées par rapport à la taille du coffret et
au X I I I e ou au X I V e siècle. Le travail d’ajour de l’ivoire peut
vingt plaquettes appartenant à un même objet chevauchent le décor, ce qui a pu faire penser à
aussi se comparer à celui qui est pratiqué sur le métal
à Alarcos 5 (Espagne), environ deux cents pla- un ajout postérieur. Les fouilles d’Albalat ont
depuis l’époque almohade : on trouve des décors végétaux
similaires à ceux de cette boîte sur les lustres almohades quettes à Mértola 6 (Portugal) et les éléments d’un au contraire révélé la présence de semblables
de la mosquée al-Qarawiyyin de Fès [cat. 190], mais aussi coffret à couvercle taluté à Albalat 7 (Espagne). Un ferrures associées à un coffret trouvé dans un
sur des lampes d’époque nasride 11 .
La grande taille des plaquettes d’ivoire de la boîte
de Troyes suppose un approvisionnement aisé en matière
première de qualité, ce qui incite à y voir une production de
grand luxe. De même, le raffinement de son décor montre
que l’objet fut fabriqué dans un atelier où les techniques
décoratives d’ajour étaient parfaitement maîtrisées.
Ce coffret, d’une qualité exceptionnelle, fut très
probablement une somptueuse commande princière.
RD /GF
bibliographie et expositions
Gaussen, 1861, pl. 7 et p. 6-9 ; Darcel, 1864 ;
Fichot, 1894 ; Hany-Longuespé, 2003.
78 79
fig. 1
Deux ferrures de coffret trouvées à Albalat (Espagne), 1 re moitié du X I I e siècle. Cáceres, Museo de Cáceres
6 7
Coffret Coffret ponctuent chacune des faces de la boîte et du couvercle.
Al-Andalus Al-Andalus Sur la face arrière, elles sont encadrées de figures,
contexte archéologique de la première moitié presque toujours « al-yumn wa-l-iqbal » (« la féli- fin du X I I e siècle – X I I I e siècle fin du X I I e siècle – X I I I e siècle deux paons stylisés sur le couvercle et deux couples
du X I I e siècle [fig. 1]. cité et la prospérité »). Des ajours complètent probablement os, cuivre doré, os, cuivre doré, bois, polychromie et traces de dorure de personnages au niveau de la pointe lancéolée des
Les décors peints de ce groupe sont essentiel- exceptionnellement ces décors peints et forment bois, polychromie et traces de dorure H . 8 cm ; L . 9 cm ; l. 6 cm ferrures. Ces personnages, sans doute apparentés
cat. 7
81
fig. 2 cat. 6
Plaquettes en os trouvées dans la forteresse de Moura (Portugal), avant 1232. Moura, Museu Municipal
8
Coffret Les tissus de al-Andalus : un peu d’historiographie
Al-Andalus Ce coffret à couvercle taluté présente de riches décors
fin du X I I e siècle – X I I I e siècle peints disposés sur chaque face. Sur la face avant, Les études sur les tissus de al-Andalus regrou- écrivant vers 1154, indique que la ville comptait ensembles restent, en revanche, encore difficiles
probablement os, cuivre doré, bois, quatre musiciens jouent du luth et du tambourin, tandis pent divers enjeux relevant des champs de huit cents métiers à tisser la soie. Il énumère éga- à dater, tel celui des tissus présentant des motifs
polychromie et traces de dorure que les faces latérales sont meublées de couples de l’histoire économique, de l’histoire de l’art, de lement les types de tissus qu’elle produit 8 , mon- cernés d’épigraphies circulaires [cat. 17].
H . 11 ; L . 13,5 ; l. 9,5 cm buveurs et d’autres musiciens jouant de la harpe ou l’histoire des collections et de l’histoire des tech- trant la très grande richesse de la production de Les productions de l’époque almohade sont
inscription de la cithare. La face arrière est quant à elle ornée d’une niques. Sur le plan de l’histoire patrimoniale, ces soie de l’Andalousie médiévale. Mais on trouve plus malaisées à déterminer. La période est mar-
« La félicité et la prospérité » rosette, de deux paons et de motifs végétaux très effacés. œuvres sont nombreuses à avoir été conservées aussi mention de Séville, de Valence, de Malaga quée par l’emploi d’une grande variété de tech-
provenance Disposés symétriquement, les figures sont réunies dans dans les trésors d’église européens. Voilà proba- ou de Murcie 9 comme centres de production. niques et de motifs. On a souvent écrit qu’en
Zamora (Espagne), cathédrale des cartouches délimités par des cordons incisés, blement pourquoi leur étude fut d’abord menée, Alors que l’époque du califat umayyade de raison du rigorisme des dirigeants, l’usage de la
historique que l’on retrouve sur d’autres coffrets de la même dès le X I X e siècle, par des érudits locaux qui Cordoue présentait surtout des techniques de soie aurait été prohibé, mais si l’on en croit les
Anciennes collections Pedro Castillo Olivares, époque [voir p. 85-86]. cherchaient à établir l’origine de chasubles, tapisserie et de taffetas, les armures les plus sou- très nombreux tissus de soie de cette époque
Olegario Junyent puis Bartolomé March Servera LC /RD
de nappes d’autel ou de suaires ayant protégé vent utilisées sont désormais le taqueté, le samit, retrouvés dans les nécropoles des rois chrétiens,
Palma de Majorque (Espagne), bibliographie et expositions des reliques, découverts dans les sacristies des introduit à partir du X I e siècle 10 , et le lampas, à il convient de nuancer fortement cette assertion.
Gómez Moreno, 1927, n o 166 ; Ferrandis, 1928, p. 102 ;
fondation Bartolomé March Servera cathédrales. Parallèlement, dès 1852, un médié- partir du X I I e siècle vraisemblablement, qui pré- Les difficultés à bien comprendre ces productions
Ferrandis, 1940, n o 89 ; Montoya Tejada et Montoya Diaz,
inv. 93 viste de renom, Francisque Michel, publie une sente la particularité d’avoir une trame de fond s’expliquent probablement par le contexte poli-
1979, n o 110 ; Galán y Galindo, 2005, II, p. 127-128 ;
somme sur l’histoire des étoffes, où il évoque non travaillant en « nid d’abeille » 11 . L’emploi de fils tique de progression de la Reconquista, qui
Silva Santa-Cruz, 2013, p. 389-391.
seulement la présence en Europe de tissus « his- d’or ou d’argent doré devient important. L’intro - détruit les ateliers et déplace les artisans, autant
pano-mauresques » et orientaux au Moyen Âge, duction de ces nouvelles techniques entraîne que par les évolutions économiques de la période
mais aussi leurs techniques, leurs origines, les d’importantes modifications stylistiques. et l’absence de sources connues sur les tisse-
transferts culturels qui les accompagnent et les Un seul tissu peut être précisément daté de rands. Le X I I I e siècle semble, cependant, marqué
sources qui les mentionnent 1 . La fin du X I X e siècle cette période, en raison de la mention de l’émir par de profondes évolutions : les cartons se modi-
et le début du X X e siècle sont marqués par la almoravide ‘Ali 12 [voir p. 94-97]. Mais qu’il s’agisse fient grandement, le décor géométrique domine et
« naissance de l’art islamique » et l’essor des arts de fragments réutilisés dans des reliquaires, les couleurs changent. Les liens stylistiques avec
décoratifs. Plusieurs spécialistes, comme Gaston comme les tissus de sainte Librada 13 , d’éléments d’autres matériaux deviennent évidents et se res-
Migeon 2 , conservateur au musée du Louvre, ou tapissant des cercueils comme ceux de la tombe serrent encore sous la dynastie nasride. Parallè -
Otto von Falke, historien de l’art viennois 3 , se de Bernard Calvo, mort en 1243 [fig. 1], de suaires lement, les productions textiles du Maroc
penchent alors sur les tissus espagnols, dans ou de parures funéraires provenant de nécro- mérinide restent particulièrement méconnues,
le cadre d’études plus générales sur l’histoire poles royales, telles qu’à Burgos 14 , les tissus dont alors que les collections publiques et privées
du textile. la datation peut être établie par leur contexte conservent des tissus qui leur sont attribuables
Un nouveau souffle est donné à l’étude de tis- de découverte sont assez nombreux. Il est donc [voir p. 542-546]. Une étude systématique du cor-
sus de al-Andalus avec la parution d’une première possible d’établir une chronologie de certaines pus, mêlant comparaisons techniques, études
grande synthèse en 1957 4 . Florence May Lewis productions. Le groupe le plus connu est celui stylistiques, analyses des sources historiques et
y établit une classification, une chronologie et des tissus dit « de Bagdad 15 », produits dans la des phénomènes économiques reste donc, pour
des groupes fondés essentiellement sur l’analyse première moitié du X I I e siècle. Bien d’autres cette période, encore à faire.
stylistique. Ses conclusions sont encore, dans GF
Lacaba, 2007, p. 379-380 ; Bavoux, 2012, p. 165-166 et 198. de Sigüenza 4 [voir p. 78-80] : ces tissus présentent, en effet, Outre les fragments de Sigüenza, antérieurs à 1147, indications sur son utilisation dans la basilique. Il fut reliques met au jour le tissu, qui est extrait de sa châsse
Paris, 1965, n o 502 ; Toulouse et Paris, 1989-1990 ; Grenade
et New York, 1992, n o 87 ; Toulouse, 1999-2000, p. 262-263.
84
cat. 9 (détail)
10 11 12
Fragment de la chasuble dite Fragment de la chasuble dite Fragment de la chasuble dite
« suaire de saint Exupère » « suaire de saint Exupère » « suaire de saint Exupère »
Almería (Espagne) (?) Almería (Espagne) (?) Almería (Espagne) ?
1 re moitié du X I I e siècle 1 re moitié du X I I e siècle 1 re moitié du X I I e siècle
samit de soie 4 lats à 4 e interrompu samit de soie 4 lats à 4 e interrompu samit de soie 4 lats à 4 e interrompu
87
cat. 10 cat. 12 cat. 11
M I R I A M A L I - D E - U N Z A G A
les confectionner rendent compte par ailleurs de la créativité, La bande en taqueté porte une inscription de style coufique
et affrontées. Des motifs végétaux et des étoiles à huit branches reste du tissu de la chasuble, et qu’elle date donc de la première
meublent les espaces laissés libres. La tête des lions ainsi que moitié du X I I e siècle. Dans tous les cas, elle serait antérieure
les étoiles sont brochées d’or, la technique particulière employée à la mort d’Alphonse VII en 1157 et à celle du saint en 1163.
est caractérisée au revers par un effet en « nid d’abeille » 8 . Ce L’aube, en coton, présente aussi des bandes tissées à part.
type de grand médaillon orné d’animaux affrontés, la technique Deux bandes étroites en soie beige et fil d’or ont ainsi été cousues
particulière de la trame brochée sur le devant du tissu en « nid sur le col et les épaules ; des bandes épigraphiées en style
d’abeille » et le lampas irrégulier ne sont associés à ce jour coufique ont été rajoutées au niveau des poignets, mais un seul
qu’à un seul groupe de tissus de la première moitié du XIIe siècle exemplaire en soie rouge, jaune, bleue et beige a subsisté [fig. 3] ;
attribués à la période almoravide 9 . enfin, en partie basse, sur l’avant et l’arrière du vêtement,
fig. 2
Détail de la bande épigraphiée en taqueté au nom de ‘Ali sur la chasuble de saint Jean d’Ortega
et édition de son inscription
88
fig. 1
Chasuble de saint Jean d’Ortega, probablement Almería (Espagne),
1 re moitié du X I I e siècle. Quintanaortuño (Espagne), église paroissiale
13
Fragment du manteau de
Notre-Dame-de-la-Victoire
Al-Andalus
X I I e siècle
samit façonné 4 lats, le 4 e interrompu
une bande cousue de mêmes couleurs présente une figure Il est donc possible que le tissu recouvrant son cercueil soit de Grenade, d’Almería puis de Cordoue est resté dans la Péninsule
et d’autre des épaules. Ce motif, répété dix-huit fois, est logé sous hérités. Reste à préciser si le motif de têtes de lion du tissu ornant almoravide ont directement rencontré les souverains castillans, provenance
Thuir (France), église paroissiale
des arcs polylobés meublés de losanges colorés. Le personnage, l’intérieur de son cercueil est exécuté en nid d’abeille, ce qui le mais on sait que lors de certains affrontements, par exemple celui historique
de face, est figuré jambes croisées sur la plateforme de losanges, relierait à la chasuble et permettrait de confirmer son attribution au château d’Oreja (à 50 km de l’actuel Madrid), des chefs militaires Achat Chamonton, 1906
les deux mains paumes ouvertes. Est-il en prière 12 ? Ce type à la période almoravide 18 . almoravides furent contraints de laisser des otages et des biens Lyon (France), musée des Tissus
inv. MT 28003
de représentation est inédit dans l’art textile de al-Andalus 13 . La Tous les éléments que nous venons de présenter nous permettent précieux pour conclure un traité de paix 21 . À la suite de cette bataille,
bande figurée est entourée de motifs perlés beiges sur fond noir d’avancer l’hypothèse selon laquelle les tissus utilisés pour confec - le roi Alphonse VII s’en revint à Tolède puis à Burgos. Or c’est dans Ce fragment provient d’un « manteau » dont on revêtait la
statue de Notre-Dame-de-la-Victoire de Thuir (Pyrénées-
[fig. 4]. Un motif comparable est attesté sur des stucs attribués tionner les vêtements de saint Jean d’Ortega sont tous d’époque la province de Burgos que vivait le prêtre Jean de Quintanaortuño, Orientales) durant la messe de Noël. Le reste de l’étoffe
à l’époque almoravide 14 . Ce tissu, qui orne les poignets et le bas almoravide. On tentera maintenant de préciser quel fut leur chemine - qui fut doté par le roi en 1142 de la seigneurie d’Ortega 22 . Jean qui composait le vêtement est toujours conservé dans
le camaril (« vestiaire ») de l’église. La tradition attachée
du vêtement, est un samit et non pas un lampas, technique habitu - ment, depuis leur production en contexte almoravide jusqu’à leur d’Ortega était très estimé du roi, dont il fut le conseiller, et dont
à la statue rapporte qu’elle aurait accompagné l’armée
elle des textiles almoravides les plus connus. Dorothy Shepherd apparition en contexte castillan. il reçut de nombreux privilèges royaux. Il est donc possible, bien de Charlemagne dans sa reconquête du Roussillon
et Gabriel Vial ont cependant clairement démontré que le samit L’inscription au nom de ‘Ali a été rattachée à la figure du second que cela ne soit pas documenté, que le roi lui ait fait don de tissus (fin du V I I I e – début du I X e siècle). Elle aurait permis
la victoire contre les « Sarrazins » à Monastir del Camp.
de la basilique Saint-Sernin de Toulouse était almoravide 15 [cat. 9, émir almoravide ‘Ali Ibn Yusuf (r. 1106-1143). Les Almoravides ont almoravides pour confectionner ses vêtements liturgiques.
Après la mort de l’empereur, l’effigie aurait été enterrée
10, 11 et 12]. Les couleurs utilisées sur les bandes, la technique adopté le titre de « commandeur des musulmans » et proclamé leur Notre étude de la chasuble montre que dix-sept morceaux afin d’être soustraite aux incursions arabes. Bien plus tard,
du samit, plusieurs motifs (perlés, losanges) ainsi que le style soumission au calife abbasside, « commandeur des croyants » 19 . y ont été découpés au fil du temps, ce qui pourrait correspondre elle aurait été retrouvée miraculeusement par un berger.
En réalité, la statue, qui fait encore l’objet d’un culte
des épigraphies, sont également attestés sur le tissu recouvrant Les chroniques médiévales – en particulier le Bayan al-Mughrib de à la coutume médiévale de prélever des morceaux de reliques
vivace, est attribuable à la fin du X I I e siècle ou au début
le cercueil de Maria de Almenar conservé à Las Huelgas et Ibn ‘Idhari – nous apprennent aussi que les souverains almoravides à des fins thaumaturgiques 23 . Or de nombreux miracles ont été du X I I I e siècle.
daté avant 1196 16 . On peut donc supposer que ces samits ont revêtaient de très beaux tissus et en distribuaient à leur entourage 20 . attribués à Jean d’Ortega, qui a reçu le statut de saint après Le manteau qui la recouvrait était lui-même considéré
comme une relique. On en prélevait des fragments
été produits dans un même atelier. Maria de Almenar (m. 1196) Les textiles au nom de ‘Ali ont donc pu être tissés par un atelier sa mort 24 . De nos jours, une fois l’an, ses reliques sont portées en pour satisfaire la dévotion de certains fidèles. L’évêque
était la petite-fille du noble castillan Rodrigo de Lara et la fille de cour aussi bien pour le souverain que pour être offerts comme procession lors de sa fête. Le reliquaire qui les contient est doté d’Elne Onuphre Réart (1599-1622), pour le préserver
de la destruction, le fit placer dans un reliquaire exposé
d’Armengol VI , comte d’Urgel, deux personnages importants présents. Il est ensuite possible que de tels vêtements aient été d’une fenêtre en verre qui permet de voir l’un des personnages
à côté de la statue. On portait parfois le reliquaire
de la cour de Castille qui combattirent les Almoravides aux pris comme butin et réutilisés en mains castillanes. Si ‘Ali n’est de l’aube. Cette image est révérée par la communauté locale au chevet des malades ou des femmes en couches, pour
côtés d’Alphonse VII , ce qui permit la prise de précieux butins 17 . venu en al-Andalus que quatre fois, son fil Tashfin, gouverneur comme la figure du saint. hâter leur délivrance.
La seule description circonstanciée de ce manteau,
avant son démantèlement, est contenue dans une étude
de Jean-Auguste Brutails publiée en 1893. L’auteur
indique : « En fait de vêtements sacerdotaux antérieurs
au X V I e siècle, je ne connais que la chasuble de Thuir.
Cette chasuble est très échancrée sur les côtés ; le devant,
beaucoup plus court que la partie postérieure, se termine
en pointe ; l’ouverture qui sert à passer la tête est, de
même, taillée en pointe par devant et munie, par derrière,
d’un capuchon qui a été cousu après coup. La soie a presque
disparu ; c’est un tissu rouge sombre, à dessins noirs et
jaunes, qui pourrait être d’origine orientale ; il ne reste
guère que les doublures, elles-mêmes en fort mauvais état,
à cause de l’habitude où l’on était jadis de distribuer des
fragments de cette chasuble aux femmes en couches. »
La pratique consistant à revêtir des statues de Vierge de
manteaux précieux pour les grandes circonstances semble
remonter à la fin du X I I e siècle en Europe méridionale. On
réservait en général les étoffes les plus remarquables pour
cet usage. Le manteau de Notre-Dame-de-la-Victoire est
probablement l’un des plus anciens témoignages de cette
pratique, ce qui explique à la fois le type inhabituel de
la « chasuble » décrite par Brutails, mais aussi le caractère
exceptionnel de la soierie utilisée pour sa confection.
Sur le fragment du musée des Tissus, un aigle bicéphale,
90 le corps de face, les têtes de profil, est dressé sur sa queue
fig. 4
Détail de la bande inférieure ornant l’aube de saint Jean d’Ortega
14
Tissu aux lions,
dit « suaire de saint Léon »
disposée en éventail et les ailes déployées. Traité en soie Al-Andalus patronyme, saint Léon fut transféré en 833 par l’archevêque le reliquaire peu de temps après sa fabrication. Il paraît
jaune, bleu-noir et rouge, le corps décomposé en motifs 1 re moitié du X I I I e siècle (?) Angésise à l’abbaye Saint-Pierre-le-Vif. En 1294, Geoffroy alors plausible d’imaginer que notre tissu soit parvenu
géométriques, il tranche sur le fond cramoisi de l’étoffe. lampas (?) de soie et fils métalliques de Courlon, chroniqueur de l’abbaye, nous indique que, entre les mains de l’abbé vers le milieu du X I I I e siècle et
du cou de l’aigle. La couleur singulière du fond de l’étoffe probablement à ce moment-là que le tissu vint protéger bibliographie et expositions
est due à l’emploi abondant de kermès pur. Cette teinture Ce tissu présente un décor de félins affrontés, encerclés les reliques. Or, Geoffroy de Montigny dirigea l’abbaye Chartraire, 1897, p. 17, n o 15 ; Chartraire, 1911,
caractérise les soieries les plus précieuses, et notamment par un savant réseau d’arcs formant des quadrilobes entre 1240 et 1282 10 . Le très bon état de conservation p. 34, n o 31 ; Von Falke, 1921, pl. 152 ; Lewis, 1957,
celles qu’on attribue à la production de al-Andalus. On entrelacés. Entre les sections d’arc sont placés des du tissu laisse penser que celui-ci fut remployé dans p. 32, fig. 21.
considère même qu’elle fournit un indice pour identifier le fleurons à cinq lobes et des motifs floraux composites.
lieu de leur production, puisque l’Andalousie se distingua, Si l’ensemble du décor se détache en rouge sur un fond
durant la période médiévale, comme l’un des principaux beige, les animaux, quant à eux, sont alternativement
centres de récolte de cet insecte rare, réquisitionné tissés de fils rouges et de fils métalliques, dont la couleur
pour les tissus produits par la cour de Cordoue. apparaît aujourd’hui gris bleuté 1 .
Par sa texture et son iconographie, qui rappelle L’organisation générale donne un effet presque baroque.
les décors héraldiques des soieries byzantines, et par Ce décor, au carton complexe et étonnant, possède peu
le traitement du corps de l’aigle bicéphale, la soierie du d’équivalents, ce qui rend malaisées sa datation et son
manteau de la statue de Notre-Dame de Thuir s’inscrit attribution. Il a généralement été donné à l’Espagne
dans un groupe attribué à la péninsule Ibérique du du X I I e siècle 2 , mais rares sont les tissus comparables.
X I I e siècle. Un fragment de lampas aux perroquets, De manière générale, la taille des motifs, leur insertion
qui constituait peut-être le capuchon du manteau, dans un réseau organisé et la disposition des animaux
lui aussi attribué à l’Espagne du X I I e siècle, subsiste restent semblables à celles de certaines productions
dans l’église de Thuir. ibériques. Ainsi, sur un tissu conservé au musée de
MD
Cleveland, se retrouvent les arcs entrelacés formant des
bibliographie et expositions polylobes autour d’un motif central de sphinx adossés 3 .
Brutails, 1893, p. 378 ; Durliat, 1955 ; Picard-Schmitter, L’aspect rouge sur fond beige de ce lampas est similaire
1956 ; Guicherd, 1958 ; Cardon, 1993 ; Bernus-Taylor, 2001 ; à celui du tissu de Sens. Sur un autre, conservé au Victoria
Neveux-Leclerc, 2001 ; Durand, 2011. and Albert Museum à Londres 4 , apparaissent également
les quadrilobes sécants, mais ils sont encadrés par un
réseau très géométrique formant une structure symétrique
sans rapport avec celui de Sens. Le principe décoratif des
médaillons qui se démultiplient se retrouve enfin sur un
autre lampas de soie à fils d’or sur fond rouge, également
conservé au Victoria and Albert Museum 5 . Il présente
néanmoins un décor plus raide. Aucun de ces tissus
n’est, par ailleurs, précisément daté. On les attribue
généralement au X I I e ou au X I I I e siècle, sur la base de
comparaisons essentiellement stylistiques. Seul le
manteau de l’infant Fernando, fils d’Alphonse X , mort vers
1250, pourrait nous donner un élément de datation 6 . En
effet, bien que les motifs semblent d’échelle plus petite
et que le décor soit monochrome, il présente des points
communs avec le tissu de Sens : alternance de quadrilobes
avec un autre motif, ici une étoile, présence d’animaux
affrontés au dessin simplifié, fleurette centrale et petits
fleurons à cinq lobes. De plus, le décor est obtenu avec
des fils d’argent doré, comme sur notre textile.
Le tissu conservé dans la cathédrale de Sens pourrait
alors dater de la première moitié du X I I I e siècle. Cette
hypothèse semble confortée par les informations
historiques concernant sa présence à Sens. En effet,
bien qu’il soit aujourd’hui conservé dans le trésor de la
cathédrale Saint-Étienne, qui réunit, depuis la Révolution
française, des textiles provenant de diverses abbayes
bourguignonnes 7 , le tissu au lion fut découvert en 1844
dans un reliquaire provenant de l’abbaye Saint-Pierre-
le-Vif de Sens, d’où il fut extrait en 1896 8 . Cette châsse
protégeait les restes de saint Léon, l’un des premiers
évêques de Sens, mort en 541. Enterré primitivement
dans l’église Saint-Gervais-Saint-Protais, qui prit son
cat. 13 cat. 14 (détail)
15
Fragment de la doublure
du cercueil d’Aliénor
d’Angleterre de la doublure du caisson posséde une lisière formée
de cinq cordons en lin, à torsion S. Depuis sa découverte,
Al-Andalus on considère ce tissu comme une production de al-Andalus
avant 1214 et on le rapproche de l’esthétique d’époque almohade.
lampas de soie fond taffetas, 1 lat de liseré, MBM
16
Fragment de la doublure
du cercueil d’Aliénor
d’Angleterre
Espagne
avant 1214 cat. 15
losange sur 14 fils et 14 coups de base sergé 2:5 et 1:6,
avec une trame de liage en taffetas. Décoration brochée
de fils de lamelle de baudruche sur une âme de soie
pour les « étoiles ou fleurs »
L . 65 ; l. 43 cm
provenance
Burgos (Espagne), monastère de Santa María la Real
de las Huelgas, tombeau d’Aliénor d’Angleterre (m. 1214)
Madrid (Espagne), Palais royal, Patrimonio Nacional
inv. 00651957
bibliographie et expositions
Aufauvre et Fichot, 1858, p. 126-127 ; Rohault de Fleury,
1883-1889, VII , p. 168-169, VIII , pl. DCVII ; Von Falke, 1921,
p. 118 ; Maillé, 1939, I , p. 147-148 ; Lewis, 1957, p. 33,
fig. 19 ; Shepherd, 1958, p. 5 ; Gauthier, 1983, p. 40.
Paris, 1963, n o 43 ; Paris, 1965, n o 113-115 ; Paris, 1970-
1971, n os 58 à 60 ; Londres, 1976, n o 10 ; Paris, 1988, n o 5 ;
Grenade et New York, 1992, n o 57 ; Carcassonne, 1993,
n o 38 ; Rome, 1994, n. p. ; Pontigny, 1996, n o 47 et fig. 16
et 17 ; Saint-Denis, 2001, p. 69.
96 97
fig. 1 cat. 17 (détail)
Planche de l’ouvrage Les Monuments de Seine-et-Marne, description historique
et archéologique et reproduction des édifices religieux, militaires et civils
du département, représentant la chasuble dite « de saint Edme » [cat. 17] en 1858
La bannière de Las Huelgas dite de « Las Navas de Tolosa »
La tradition identifie la bannière militaire conser- Ainsi, l’un des décors en stuc de la madrasa
vée au monastère royal Santa Maria la Real de Las mérinide Bu‘inaniya de Meknès présente un motif
Huelgas à Burgos (Espagne) comme étant un tro- identique à celui que l’on peut voir au centre de la
De l’Antiquité tardive Si l’histoire était une discipline guidée par nos lacunes les plus
criantes, l’un de nos thèmes de recherche prioritaires devrait
le Maroc idrisside vague de ce qui s’est passé dans cette région à partir du
moment où les structures administratives de l’Empire romain
se sont disloquées, et nous ignorons en quoi leur disparition
a affecté les populations locales.
Notre ignorance est particulièrement grande pour tout ce
qui touche au Maghreb al-Aqsa une fois conquis par les
troupes arabes. C’est la raison pour laquelle nous avons ten-
dance à considérer cette région comme marginale, alors que
les quelques données dont nous disposons semblent indiquer
LE TERRITOIRE IDRISSIDE DANS LA PREMIÈRE MOITIÉ DU Xe SIÈCLE
le contraire.
Étudier le Maghreb al-Aqsa entre les I V e-V e siècles et les
V I I I e-I X e siècles implique de s’interroger sur deux processus, de zones d’intérêt bien définies de la part des autorités de la Maurétanie Tingitane, par les villes de Tanger, Volubilis,
qui, bien que tout à fait distincts du point de vue de la chronolo- romaines, qui se sont contentées, dans de nombreux terri- Lixus et Benasa. Ces villes ont sans doute eu un impact sur les
gie et des résultats, peuvent présenter quelques points com- toires, d’établir des relations pacifiques avec les chefs locaux, sociétés indigènes, dont elles ont contribué à transformer le
muns pour ce qui est des mécanismes et des objectifs. Il s’agit lesquels dirigeaient des communautés plus ou moins grandes mode de vie traditionnel 4 .
d’une part du processus de romanisation des populations le plus souvent dédiées au pastoralisme. Dans leurs formes Il est très difficile de savoir dans quelle mesure ces socié-
indigènes, d’autre part de celui qui a mené à l’arabisation et les plus simples, ces relations permettaient aux Romains de tés ont été affectées par la disparition de l’Empire romain dans
à l’islamisation de ces mêmes populations 1 . On connaît mieux contrôler les déplacements annuels des groupes concernés ; la région à la fin du I I I e siècle. Contrairement à ce qui est parfois
le premier que le second car les données écrites et archéo - quand il s’agissait de contacts plus étroits, Rome pouvait avancé, les sociétés maghrébines ont pu être alors les propres
logiques le concernant sont plus nombreuses et ont été davan- octroyer la citoyenneté à certains chefs ou les nommer prae- actrices de leur développement. Il est cependant certain qu’au
tage étudiées 2 . Les chercheurs ont récemment mis en évi d- fecti genti ou même principes gentis, comme nous l’apprend Maghreb, comme dans d’autres territoires, la fin du monde
ence différentes phases dans le processus de romanisation à saint Augustin dans une de ses lettres 3 . Cette brève évocation antique a entraîné l’interruption des transformations sociales
l’œuvre dans les régions d’Afrique du Nord. On ne peut réelle- de la romanisation de la région se doit de mentionner aussi auxquelles nous donnons le nom de romanisation. Ainsi est-il
102 ment parler de résistance indigène, mais plutôt de l’existence le rôle qu’a pu jouer la trame urbaine formée, pour ce qui est significatif qu’aucun peuple germanique, par exemple, n’ait 103
décidé de s’installer dans la partie occidentale du Maghreb : contrastes entre les zones urbaines et les régions excentrées arabes leur imposaient en matière d’impôts. Les consé- du Maroc actuel jusqu’à son élimination par les Almohades
les Vandales ont préféré se fixer en Afrique proconsulaire et en et où la diversité de la population s’est sans doute accentuée quences de cette révolte furent profondes : au-delà de au milieu du X I I e siècle 10 .
Byzacène, alors même que ces régions étaient plus éloignées à la suite de la chute de l’empire. Les modalités de cette l’Ifriqiya, la domination politique du califat oriental ne s’exerça C’est dans ce panorama politique et social complexe que
de leurs bases hispaniques, ce qui peut indiquer que les res- confrontation nous échappent encore. Tout au plus peut-on plus directement. Dans les décennies suivantes, le Maghreb s’implanta la dynastie idrisside à la fin du 2 e H . / V I I I e siècle.
sources existant sur place ou disponibles localement ne leur signaler que les troupes arabes envoyées par le calife al-Aqsa revint donc à une situation similaire à celle qu’il avait L’arrivée d’Idris b. ‘Abd Allah au Maghreb al-Aqsa, fuyant le
permettaient pas de le faire. Pourtant, Volubilis, pour ne citer umayyade de Damas eurent bien du mal à prendre en main ce connue avant la conquête arabe, c’est-à-dire une véritable courroux abbasside après sa malheureuse tentative de soulè-
qu’elle, a continué d’être un centre urbain d’une certaine territoire : dès les premières expéditions, qui succédèrent à mosaïque politique et sociale 8 . Pourtant, quelque chose avait vement contre le califat, soldée par la mort de son neveu
importance, tout au moins régionale, jusqu’à l’époque idrisside. la prise d’Alexandrie en 21 H . / 641, jusqu’à la pacification rela- changé radicalement : le processus d’islamisation des popula- al-Husayn b. ‘Ali à Fakhkh en 169 H . / 786, doit être comprise
Les fouilles archéologiques y ont révélé l’existence d’une tive du Maghreb à la veille de la conquête de l’Hispania en tions d’Afrique du Nord était enclenché 9 . Cette islamisation dans le cadre des processus d’arabisation et d’islamisation
communauté urbaine que, faute de terme plus adapté, nous 92 H . / 711, les armées arabes connurent de multiples revers. avait été amorcée par les gouverneurs arabes, mais, à la suite que nous avons mentionnés et qui se concrétisèrent par
pouvons qualifier de « romano-berbère ». Bien qu’occupant un Alors qu’elles n’avaient eu aucune peine à venir à bout des du mécontentement croissant des populations locales vis-à- l’afflux d’idées, de matériaux et d’individus venus d’Orient. La
espace considérablement plus réduit que celui de la ville empires byzantin et sassanide et du royaume wisigoth de vis du pouvoir califal umayyade, elle était passée dans les présence au Maghreb al-Aqsa d’autres « immigrés » au profil
antique, cette communauté se déployait sur plus de 18 hec- Tolède, il semble qu’il leur fut plus difficile d’affronter la mains de prédicateurs kharidjites venus d’Orient, où ils semblable à celui d’Idris, tels le fondateur de la dynastie
tares, tandis que le reste de la ville semble avoir été affecté mosaïque politique et sociale très fragmentée qu’était fuyaient les persécutions dont ils étaient victimes dans leur umayyade de al-Andalus, ‘Abd al-Rahman b. Mu‘awiya, ou le
aux activités artisanales et aux cimetières [voir p. 108-111]. La l’Afrique du Nord, et plus particulièrement le Maghreb al-Aqsa. pays d’origine. Le discours de ces prédicateurs soulignait fondateur de la dynastie fatimide, ‘Ubayd Allah al-Mahdi, laisse
céramique d’importation de type African Red Slip continuait Les derniers épisodes de cette conquête eurent lieu sous les aussi bien l’exploitation illégale à laquelle les gouverneurs entrevoir un Occident certes éloigné des régions centrales du
à arriver à Volubilis, quoique en quantités toujours plus faibles 5 . gouverneurs arabes Hasan b. al-Nu‘man et Musa b. Nusayr. Ils arabes soumettaient les populations berbères que le potentiel dar al-islam (le domaine de l’islam) mais réceptif aux messages
La ville était donc encore insérée dans des réseaux commer- impliquent que des accords aient été passés avec les popula- libérateur du credo musulman. Plusieurs chefs de tribus, tels qui en provenaient. Ces exilés sollicitent et obtiennent par
ciaux, du moins à l’échelle régionale. tions berbères, selon lesquels les autochtones pouvaient être ceux des Banu Midrar, furent attirés par ce message, qui com- ailleurs d’importants soutiens, selon une configuration sociale
Plusieurs stèles funéraires chrétiennes, telles celle enrôlés dans l’armée des conquérants. Le laps de temps très binait religion et activisme militaire et les conduisit dès lors, et politique particulière propre au monde arabe 11 .
dédiée à un princeps appelé Iulius en 605 ou celle d’un homo- court séparant ces épisodes du début des expéditions menées après qu’ils eurent participé à la grande rébellion de La mobilisation en faveur d’Idris b. ‘Abd Allah, qui appar -
nyme vice praepositus datée de l’an 606, nous confirment en Hispania par les troupes de Musa b. Nusayr en 92 H . / 711 122 H . / 740, à se déployer vers le sud et à occuper Sidjilmasa tenait à un lignage charismatique descendant du gendre
dans l’idée qu’il existait là une population qui n’était plus est un indice qui doit être pris en compte. En effet, de telles en 140 H . / 757. Ils firent bientôt de cette enclave un centre du Prophète, ‘Ali b. Abi Talib, se produisit grâce à l’appui d’un
romaine mais possédait une identité religieuse et linguistique expéditions n’auraient pas été possibles sans l’existence d’un actif vers lequel convergeaient les routes du commerce sub - chef berbère de la tribu Awraba appelé Abu Layla Ishaq
propre. Il est difficile de définir la nature des relations que cette pacte entre les chefs berbères, qui optèrent vraisemblable- saharien [voir p. 135-138]. b. Muhammad, dont on dit qu’il professait le mu‘tazilisme.
population entretenait avec les alentours. Il se passait peut- ment pour un accord rendant possibles la poursuite des Un autre épisode de la pénétration de l’islam au Maghreb, Nous savons peu de chose sur cet Abu Layla Ishaq qui
être à Volubilis la même chose que ce qui transparaît à la lec- conquêtes et le partage des bénéfices devant en découler. non sans rapport avec le précédent, a eu pour acteur principal accueillit le fugitif et le proclama imam à Walili (Volubilis) en
ture d’une fameuse inscription datée de 508 par laquelle un Cela permettrait d’expliquer l’organisation très rapide des Salih b. Tarif, qui s’était également engagé dans la rébellion 172 H . / 789. Nous savons en revanche qu’en moins de trois
certain Masuna, « Rex gentium Romanorum et Maurorum », expéditions en Hispania, auxquelles les troupes berbères par- berbère aux côtés de son père. Il permet cette fois de mettre ans, Idris réussit non seulement à consolider et à agrandir son
commémore la construction d’un castrum. L’inscription pro- ticipèrent dès le début 7 . en lumière non pas tant l’action des prédicateurs kharidjites domaine mais aussi à faire reconnaître son lignage. En effet,
vient de Altava (Ouled Mimoun, près de Tlemcen), où trois Cet accord ne dura pas. En 122 H . / 740 prend place un épi- que les effets d’une islamisation encore balbutiante et mal à sa mort – peut-être due à un empoisonnement ordonné par
cents ans plus tôt s’était établie la Cohors II Sardoroum, corps sode crucial de l’histoire du Maghreb : les Berbères, aussi bien assimilée. En effet, Salih se présenta comme prophète à la le calife abbasside –, il n’avait pas d’héritier. Néanmoins, ses
d’armée romain dont les membres, assez étonnamment pour ceux de la péninsule Ibérique que ceux de l’Afrique du Nord, se tribu Masmuda et aux autres groupes établis dans la plaine de partisans parvinrent à imposer que l’on attende la fin de la gros-
l’époque, dédiaient des inscriptions aux « dieux des Maures » rebellent massivement contre la domination arabe. Cette Tamasna. Il rédigea pour eux un Coran en berbère, dans lequel sesse d’une de ses concubines, une Berbère, et comme
(diis Mauris) 6 . La période témoigne de l’existence de réalités rébellion a pour source la discrimination existant à l’encontre il énonçait toute une série de préceptes relatifs au jeûne, à l’enfant était un garçon, à attendre également sa majorité en le
hybrides liées à un processus de romanisation non achevé. des Berbères lors du partage du butin, et ce malgré la partici - la prière et aux relations avec les Infidèles qui allaient former plaçant sous la tutelle d’un autre personnage obscur, Rashid.
Le mouvement d’expansion arabe de la fin du VIIe siècle pation de leurs troupes aux combats les plus périlleux, et les le cœur des pratiques de la secte des Berghawata-s. Cette Celui-ci avait accompagné Idris dans sa fuite depuis l’Orient
104 rencontre donc un monde d’influences réciproques, de forts réquisitions en bétail et en esclaves que les gouverneurs doctrine perdura dans certaines régions de la côte Atlantique et semble avoir été un personnage central dans l’édification 105
18
Vue du Rocher
Maroc Ce cliché, qui appartient à la série « Voyage au Maroc, et le Maroc s’y regardent et s’y confrontent. Les trois
septembre 1899 Tanger, septembre 1899 », offre une vue particulièrement grands empires berbères du Moyen Âge, d’abord
Petit (actif fin du X I X e siècle – début du X X e siècle) poétique du détroit de Gibraltar. Au loin se découpe le almoravide, puis almohade et enfin mérinide, leur ont
négatif sur plaque de verre rocher, tel qu’il est certainement apparu aux conquérants permis de partager un temps une destinée commune,
du domaine idrisside. Ses dix années de « régence » virent les monnaie voisine, dans des quantités significatives, avec la impression à partir de l’original musulmans arabes et berbères conduits par Tariq b. Ziyad, au gré des caprices de l’histoire.
H . 6,5 ; l. 9 cm lors de leur traversée vers la péninsule Ibérique en 711. Ces BTL /CD
débuts d’un processus progressif d’arabisation du territoire monnaie frappée par le pouvoir central abbasside. Nous igno-
Charenton-le-Pont (France),
voisins à la fois proches et lointains que sont l’Andalousie bibliographie et expositions
idrisside : la fondation de la ville de Fès – dont l’existence est rons par quels chemins cette monnaie y était arrivée ; il est pro- Inédit.
Médiathèque de l’architecture et du patrimoine
attestée par des monnaies dès 185 H . / 801 – à la croisée de bable qu’elle y est parvenue sous la forme de tributs imposés inv. 08L01650
chemins jusqu’alors dominés par les tribus berbères, est sou- à un moment ou à un autre par les Aghlabides et qu’elle a été
vent considérée comme liée à une volonté de se dégager de envoyée d’Ifriqiya vers Bagdad.
l’emprise indigène de l’antique Volubilis et de créer une ville Fait particulièrement impressionnant, la monnaie idrisside
dont le modèle, bien distinct, serait proprement arabe et isla- – que l’on ne trouve pas en al-Andalus – a circulé au Proche-
mique 12 [voir p. 118-120]. Le nom initialement donné à Fès, Orient et bien au-delà. Elle figure ainsi de manière régulière
al-‘Aliya, est clairement lié à ce projet. Une fois proclamé et dans des trésors de monnaies arabes découverts dans le
reconnu en 187 H . / 803, alors qu’il n’avait que onze ans, Idris II Caucase, monnaies qui transitèrent dans le cadre du vaste
poursuivit sur cette voie. La géographie de l’Afrique du Nord commerce suscité par la demande du califat abbasside. Des
avait alors bien changé avec l’établissement de la dynastie monnaies idrissides sont même apparues en Suède, en
aghlabide en Ifriqiya sous la tutelle des califes abbassides. Pologne et en Suisse, ce qui témoigne de déplacements d’une
Dans ce nouveau contexte, Idris II ordonna la mise à mort de ampleur tout à fait remarquable en plein 3 e H . / I X e siècle. Cette
Abu Layla Ishaq, accusé de comploter avec les Aghlabides. circulation montre bien que les processus d’islamisation et
Cette exécution marqua un pas de plus dans le processus des- d’arabisation mis en œuvre par la dynastie idrisside ont permis
tiné à soustraire le pouvoir de l’emprise indigène. L’arrivée en d’inscrire pendant un certain temps ce territoire dans les
202 H . / 808 d’exilés provenant de al-Andalus, à la suite d’une grandes routes commerciales de l’époque médiévale 15 .
révolte dans un faubourg de Cordoue, y contribua également.
Les nouveaux venus s’établirent sur la rive droite du fleuve
et finirent par donner leur nom à cette partie de la ville. À cette
politique s’ajouta une expansion territoriale remarquable et
c’est ainsi qu’à la mort d’Idris II, en 213 H . / 828, le domaine
idrisside, qui comprenait Tanger, Tlemcen, Wazeqqur ou
encore le Rif, fut partagé entre ses douze fils.
L’expansion territoriale voulue par les premiers Idrissides
était destinée à leur garantir le contrôle des routes du com-
merce subsaharien qui traversait l’Afrique du Nord et abou -
tissait à Tlemcen, ainsi que l’accès aux mines d’argent du
Haut Atlas. Ainsi les Idrissides purent-ils frapper des monnaies
d’argent à une échelle inconnue dans cette région depuis
l’époque romaine, et ce dans un grand nombre d’ateliers 13 [voir
p. 132]. Cet épisode coïncida avec l’énorme demande en argent
venue du cœur du califat abbasside, qui semble avoir alors
drainé cette matière première depuis le Maghreb al-Aqsa 14 . La
présence de dirhams idrissides au Proche-Orient est attestée
106 par la découverte de plusieurs trésors dans lesquels cette
É L I Z A B E T H F E N T R E S S H A S S A N L I M A N E
à Volubilis. En 789, il fut proclamé imam par ses hôtes, et devint par des chefs berbères indépendants ait été formulée 10 , du règne d’Idris I er , ce qui a permis d’établir la chronologie
e r
NOUVELLES DONNÉES SUR L’OCCUPATION DE VOLUBILIS À L’ÉPOQUE D’IDRIS I
ainsi le chef de la communauté 2 . ce monnayage semble devoir être rattaché à l’époque où de l’édifice 15 . En 2000, une prospection magnétique dans
Il est très difficile d’écrire l’histoire des débuts de la dynastie le Maghreb al-Aqsa dépend du califat abbasside de Bagdad. ce secteur a révélé des séries d’alignements de murs réguliers,
idrisside en l’absence de sources de l’époque et d’historiographie Plusieurs de ces monnaies portent simplement le nom de Walili 11 . particulièrement fascinants du fait de leur orientation, qui
officielle. L’archéologie de cette période est encore également Après sa proclamation, Idris fait de Volubilis / Walili la capitale coïncide avec celle des premières mosquées du Maroc 16 .
balbutiante : des fouilles ont été menées de longue date sur du grand royaume qu’il parvient rapidement à former. La fondation À l’exception de l’enceinte et d’un four datant du I er siècle,
le site de Volubilis, mais la période marquée par l’arrivée des de Fès après sa mort signe le déclin de la ville [voir p. 118-120], le plus ancien bâtiment de ce secteur est le complexe thermal 17
conquérants arabes et la période idrisside à proprement parler une grande partie de ses habitants se tournant vers cette (bâtiment III ) [fig. 4]. Il se compose de quatre salles implantées
sont encore peu documentées 3 . Cependant, la situation est seconde capitale lorsque son fils Idris II atteint sa majorité. à angle droit, suivant la gradation de chaleur traditionnelle
Nouvelles données sur l’occupation aujourd’hui en train de changer grâce à des campagnes archéo - pour ce type d’établissement. Le soin avec lequel l’ensemble est
de Volubilis à l’époque d’Idris I er logiques récentes qui s’attachent à retrouver les vestiges du Fouilles à l’intérieur de l’enceinte romaine: réalisé est remarquable : le petit vestibule ouvrant sur la piscine
er
L’arrivée du futur Idris I au Maghreb fait suite à la tentative de VIIIe au Xe siècle. C’est le cas des fouilles menées conjointe ment le secteur D est soigneusement enduit et décoré d’un bouclier en bas relief
soulèvement contre le califat abbasside fomentée par son frère de 2000 à 2005 par l’Institut national des sciences de l’archéologie Le premier secteur des fouilles archéologiques menées de en remploi provenant de l’arc de triomphe de Caracalla qui se
shi‘ite zaydite 1 , qui fut écrasée en 786 à la bataille de Fakhkh. et du patrimoine ( INSAP ) et le University College London ( UCL ) 4 . 2000 à 2005 montre les vestiges d’un certain nombre de bâtiments dresse dans la ville. À l’ouest des thermes, une surface de pierres
Idris parvint à s’échapper et à rallier le Maroc actuel, où il fut Couplant prospection géophysique et techniques de fouille relativement bien conservés à 20 mètres de l’enceinte tardive, compactées pourrait correspondre à une voie constituant la limite
accueilli par le chef de la tribu berbère des Awraba-s, implantée traditionnelles, ces opérations ont permis de dégager deux tout près de ce qui était peut-être une porte [fig. 2]. La phase la ouest du site. Vers le nord s’étend un grand espace ouvert par
principaux secteurs datant de l’occupation idrisside : le premier plus ancienne observée n’a pas encore été entièrement fouillée. une porte à l’angle nord-ouest (bâtiment IV ). La cour est occupée
est la zone D, à l’intérieur des limites de la ville romaine, le second Elle est matérialisée par une couche d’effondrement de murs par de très grandes fosses, probablement des silos à grains.
est le secteur B, situé à l’extérieur de l’enceinte de la ville [fig. 1]. en terre datant de la fin du I V e siècle, résultant peut-être d’un Ces derniers suivent un alignement relativement régulier, sans
Les deux secteurs sont nettement différents : le premier reflète tremblement de terre. La seconde phase, datée par C 14 entre qu’aucun ne coupe l’autre, ce qui laisse penser qu’ils étaient
l’habitat des occupants romano-berbères du site, l’autre nous 542 et 633 12 , consiste en trois propriétés correspondant à contemporains les uns des autres. Cet espace correspond
donne un aperçu de l’urbanisme idrisside 5 . trois maisons bien distinctes, dont chacune se composait sans doute à un grenier collectif. Il est délimité par les thermes,
Nous savons peu de chose sur Volubilis – ville centrale d’une pièce d’habitation et d’une étable ou d’un atelier, ce qui l’enceinte antique et de longues pièces qui servaient de lieu
de la Maurétanie Tingitane – après le départ de l’administration rappelle l’habitat berbère connu en Kabylie et ailleurs 13 . Sur de stockage ou accueillaient des activités artisanales.
romaine en 285. Les témoignages de cette période étudiés la voie qui traverse le site pendant cette occupation, on a trouvé
par Aomar Akkeraz évoquent une occupation continue mais une monnaie d’Idris I er . L’allure de l’ensemble est très rurale,
plus repliée sur elle-même jusqu’à la fin du I V e siècle 6 . Durant avec des espaces pour les bêtes et des silos domestiques.
le VIe siècle, un petit groupe d’épitaphes écrites en latin 7 montre Il n’y a aucune trace de destruction violente dans la phase
l’existence d’une communauté chrétienne vivant dans le tiers d’abandon de ces trois propriétés ; l’absence générale de
nord-ouest du site, protégé par une nouvelle enceinte d’orien - céramique du X e siècle incite à penser que durant cette période
tation nord-sud qui reliait deux tronçons de l’enceinte romaine 8 . la ville s’est repliée sur la partie centrale du site. Le départ
La zone entourée par l’enceinte couvrait à peu près 18 hectares. d’une partie de la population de Volubilis vers Fès pourrait
La raison de la concentration de l’occupation dans cette zone expliquer ce repli.
est probablement la proximité de l’oued Khoumane, dont l’eau
était nécessaire puisque l’aqueduc romain avait cessé de Fouilles à l’intérieur de l’enceinte romaine :
fonctionner. Cette zone n’a jamais été fouillée. Depuis 1950, le secteur B
deux autres ensembles médiévaux situés au bord de la rivière, La fouille menée dans le secteur B [fig. 3] avait pour but de
immédia tement en dehors de l’enceinte romaine, ont été fouillés. comprendre l’environnement du petit établissement thermal
Ces fouilles anciennes n’ont malheureusement donné lieu à islamique fouillé pour la première fois par Bernard Rosenberger
aucune publication, mais elles ont livré une abondante série en 1960 14 . La fouille de Rosenberger n’a malheureusement laissé
de monnaies islamiques publiées par Daniel Eustache, en parti - aucune documentation, mais des sondages entrepris en 1993
➔
N
culier deux trésors 9 dont les monnaies les plus tardives peuvent par Abdel Aziz el-Khayari ont conduit à la découverte dans
être datées vers 750. Bien que l’hypothèse de frappes ordonnées le pavement de trois monnaies islamiques, dont une a été datée 109
fig. 1 fig. 2
Plan de l’occupation antique de Volubilis (en gris) et de l’occupation médiévale de Walili (en noir). La zone D : reconstitution de trois maisons du I X e siècle (F. Palmieri)
Localisation des structures fouillées datant de l’époque idrisside (secteurs D et B )
Dans la zone située au sud des thermes, des murs orthogonaux précédents, s’étend à l’angle sud-est du chantier. Une cour
e r
NOUVELLES DONNÉES SUR L’OCCUPATION DE VOLUBILIS À L’ÉPOQUE D’IDRIS I
forment la limite de ce que nous avons identifié comme trois occupe vraisemblablement sa partie nord, mais rien n’est visible
ensembles distincts formés de longues pièces autour d’une cour. à part un foyer construit contre le mur ouest.
Le plus grand des bâtiments (bâtiment I ) s’appuie contre les S’il reste à éclaircir un certain nombre de détails, les deux
thermes et se compose de deux ailes séparées par une immense phases du site au nord et au sud des thermes semblent être
cour dallée. La partie fouillée dans l’aile ouest comporte deux relativement cohérentes, et les grandes lignes de l’occupation
pièces, dont une ouvre directement sur une voie pavée. Sur sont claires. Les structures les plus anciennes sont le grenier
les murs et sur une banquette peu élevée nous avons relevé collectif, l’établissement thermal, et au sud les trois bâtiments
des traces de mortier gris très fin peint en rouge, similaire substantiels avec de larges cours et un plan orthogonal.
à la peinture rouge observée dans la salle chaude des thermes. La proximité du bâtiment I et des thermes, la porte ouvrant
L’aile ouest du bâtiment, dont deux pièces sont actuellement directement sur la rue et la qualité des mortiers des sols
visibles, était partiellement dallée. Une large porte en biais laissent supposer qu’il s’agissait d’un bâtiment public. Le
fig. 4
contiguë à cette aile à l’angle sud-est du bâtiment permettait grenier collectif IV a pu fonctionner comme zone de stockage Reconstitution des thermes (F. Palmieri)
d’accéder à la cour depuis un large espace qui n’a pas été pour l’ensemble des habitants du quartier extra muros, tandis les techniques romaines de construction et de décor 19 . donc ici les traces d’une occupation planifiée, vraisemblablement
fouillé mais correspond probablement à une sorte d’avant-cour. que les autres bâtiments servaient de logements. Dans une phase Le monument donne sur un espace à ciel ouvert. La situation conçue à l’époque d’Idris I : il s’agit peut-être du siège du pouvoir.
Au sud, un deuxième bâtiment (bâtiment II ) présente deux rangées postérieure, séparée, semble t-il, par une période de dépôts est moins claire dans le cas du bâtiment situé au sud des thermes, Volubilis reflète donc encore à cette date les effets de la désurba -
de pièces ouvertes également sur une simple cour. Le troisième et d’alluvions, toutes ces structures ont été remplacées par dont l’immense cour et la décoration soignée font néanmoins nisation qui caractérise souvent l’occupation tardo-antique au
ensemble (bâtiment VI ), apparemment distinct des deux bâtiments des modestes bâtiments de nature domestique. La chronologie également penser à un contexte public. L’ensemble du quartier Maghreb : elle associe un habitat à développement empirique, lié
absolue de ces phases d’habitation reste à confirmer par l’étude a été mis en place suivant un schéma orthogonal qui contraste aux activités agricoles, à un habitat plus structuré, probablement
de la céramique et des monnaies. Mis à part deux monnaies avec le développement organique du secteur D ; nous voyons lié à la présence du nouveau souverain.
d’Idris II , il s’agit essentiellement de monnaies pré-idrissides,
dont l’utilisation s’est toutefois certainement prolongée
au I X e siècle. La céramique provenant des couches les plus
anciennes de la cour située au sud des thermes est datée
du V I I I e siècle, et celle associée au niveau de réoccupation
du bâtiment sud du X I e siècle 18 . Cette fourchette chronologique
est confirmée par les analyses radiocarbones effectuées sur
plusieurs échantillons. En dépit de la présence de plusieurs
monnaies résiduelles antérieures, on peut avancer que
la construction de cette zone remonte au règne d’Idris I er .
L’occu pation a ensuite été interrompue, peut-être en raison
d’une inondation, vers le milieu du I X e siècle. La zone a été
réoccupée au X I e siècle par des maisons après une période
de près de un siècle sans trace d’occupation.
Malgré leur similitude chronologique, les secteurs D et B
présentent des différences de peuplement [fig. 5]. Dans le cas
du secteur D , il s’agissait vraisemblablement d’une communauté
berbère post-romaine, dont le commerce avec le monde extérieur
était limité mais non pas nul, comme le prouve une jarre glaçurée
peut-être importée d’Espagne au V I I I e siècle. L’occupation
à l’extérieur de l’enceinte romaine, le secteur B , dans la vallée
de l’oued, semble d’un autre type. L’établissement thermal,
même petit, est remarquablement bien exécuté et rappelle 111
fig. 3 fig. 5
Plan des structures dégagées dans la zone B Reconstitution de l'habitat à Volubilis à la fin du V I I I e siècle (F. Palmieri)
19 20
Vue générale de Volubilis Stèle de Joseph fils de Rabbi
1935 Sur cet autochrome, Gabriel Veyre a enregistré l’état Volubilis (Maroc) Cette stèle est un des rares témoignages de la présence
Gabriel Veyre (1871-1936) des édifices situés sur le forum de Volubilis avant qu’ils I V e siècle (?) d’une communauté juive à Volubilis et plus largement
support de verre, autochrome ne soient considérablement restaurés et partiellement pierre gravée au Maroc à une haute époque. Le texte de cinq lignes
impression à partir de l’original remontés. Sont encore en élévation les murs percés de H . 14 ; l. 13 cm en caractères hébraïques, inscrites dans un arc
e r
H . 17,6 ; l. 23,5 cm baies situés aux extrémités de la basilique et du capitole. inscription grossièrement ébauché, indique que le défunt était
bibliographie et expositions
Février, 1954, p. 43 ; Inscriptions antiques du Maroc,
1966, héb. n o 5, p. 136.
Paris, 1990, p. 43 (erreur dans la légende).
113
21 22
Lampe à huile Encensoir
Maroc Proche-Orient (?) est utilisé par les chrétiens lors de rites funèbres et dans
I V e – V e siècle V I e – V I I e siècle la liturgie, en référence au Psaume 141, 2, « Que ma prière
bronze, fonte en creux bronze devant toi s’élève comme l’encens ». L’encensoir constitue
H . 11,4 ; L . 15 cm H . 14,5 ; D . 6,5 cm un objet essentiel du culte chrétien et se présente sous
e r
provenance provenance plusieurs formes regroupées en autant de types. Celle de
114 115
23 24 25 et 26
Coupelle réfractaire, creuset Bague-sceau Dihrams
Proche-Orient ou Moyen-Orient Les nombreuses découvertes archéologiques d’objets Maroc (?) comme en témoignent les niveaux islamiques de la Walili/Volubilis
V I I I e – I X e siècle similaires advenues sur tout le territoire du monde V I I I e – I X e siècle « maison au compas 4 » et le quartier situé au nord de 173 H . / 789-790 et 174 H . / 790-791
bronze islamique médiéval, tant au Proche-Orient qu’au Moyen- argent moulé l’arc de triomphe 5 , qui ont livré des structures islamiques argent frappé
H . 1,7 ; L . 9,6 ; D . 4,8 cm Orient (Égypte, Iran, Arabie Saoudite 2 ), permettent D . 2 cm importantes et une grande quantité de matériel du V I I I e D . 2,4 cm ; poids 2,6 g
e r
provenance aujourd’hui de revoir la chronologie de cet objet marocain inscription et du début du I X e siècle 6 . Ses structures reposent en partie
Rabat (Maroc), Musée archéologique
bibliographie et expositions
Chatelain, 1934-1935 ; Euzénnat, 1974.
116 117
cat. 23 cat. 24
A H M E D S A L E H E T T A H I R I
un nouveau souffle, l’aura de Fès, intimement liée à celle des de restauration menée sous le Protectorat par Henri Terrasse architecturales ou mobilières que reçurent alors ces deux
réfection d’une mosquée par Dawud, l’un des fils d’Idris II , de la sourate III . Il ne nous a pas été possible de retrouver Yahya b. Idris. Les sources relatant ces faits sont bibliographie et expositions
à qui échoit une partie du royaume idrisside, l’est de le moulage historique de la poutre, et la disparition, cependant tardives et datent de l’époque mérinide, Deverdun, 1957 ; Terrasse H., 1968, p. 77 ;
Salih, 2010, p. 144.
Paris, 1999 (b), n o 149, p. 108. fig. 1
Moulage de la poutre découverte dans la mosquée al-Qarawiyyin de Fès
(Deverdun, 1957, p. 68)
123
cat. 28 (détail)
29 30, 31, 32, 33
Fragment de panneau Panneaux épigraphiés
Fès (Maroc) Fès (Maroc) Ces fragments de stucs sculptés ont été mis au jour lors
en place jusqu’en 528 H . / 1134 en place jusqu’en 528 H . / 1134 des fouilles menées en 2006 sous la salle de prière de
L . 12 ; l. 25 ; É P . 7,5 cm stuc sculpté et peint en bleu la mosquée al-Qarawiyyin de Fès ; ils ont été découverts
stuc sculpté inscriptions dans les déblais de la « maison 1 » et de l’impasse qui
bibliographie et expositions
Inédits.
cat. 31
cat. 32
cat. 29
124 125
34 35
Mosquée Qaraouiyine. Minbar de la mosquée
Le minaret, face sud des Andalous
Fès inspecteur des Monuments historiques, pour illustrer Le minaret nouvellement implanté du côté sud-ouest Fès (Maroc) pour la possession de Fès et du Maghreb al-Aqsa. Cette même année, al-Mansur finança également la
octobre 1951 la monographie qu’il a consacrée à l’édifice. de la cour est, avec celui de la mosquée des Andalous, 369 H . / 980 (structure et joues) ; 375 H . / 985 (dossier) L’inscription la plus ancienne date en effet de l’époque construction d’une coupole, située en majesté à l’entrée
anonyme Ce cliché montre la face sud du minaret construit en le plus ancien conservé au Maroc. Ils sont tous deux de bois de cèdre sculpté, bois de pin, polychromie, métal où Fès était gouvernée par Buluqqin b. Ziri, chef berbère de la nef axiale de la grande-mosquée al-Qarawiyyin.
bibliographie et expositions
Marçais G., 1939 ; Terrasse H., 1942, I , p. 5-6, 34-50,
52, fig. 4, II , pl. XLIX - XCII ; Terrasse H., 1958 (a) ;
Cambazard-Amahan, 1989, p. 23-27 et 39 ; Bloom
et alii, 1998, p. 52, fig. 35 ; El Khatib-Boujibar, 2014 (e).
Grenade et New York, 1992, n o 41, p 249-251 ;
Paris, 1999 (b), n o 406, et p. 139, n o 195.
128
cat. 35 (détail du dossier)
36 37, 38
Les deux travées du fond Dirhams
vues de la nef axiale Walili/Volubilis et Tudgha (Maroc)
(Mosquée des Andalous) Fès (Maroc)
[avant 1942]
Ce cliché représente l’intérieur de la salle de prière
de la mosquée des Andalous : pureté de la blancheur
173 H . / 789-790 ; 174 H . / 790-791
argent frappé
anonyme des murs, simplicité des formes et dépouillement en font cat. 37 : D . 2,3 cm ; POIDS 2,78 g
bibliographie et expositions
Lavoix, 1891.
131
cat. 39 droit cat. 39 revers cat. 42 droit cat. 42 revers
Territoire et identité idrissides : 43, 44, 45, 46,47, 48
le témoignage des monnaies Dirhams
Wazeqqur, Watit, Massa, Massa,
Les limites du domaine construit par les premiers [fig. 1]. C’est dire combien l’actualité de la Wazeqqur et Tudgha (Maroc)
Idrissides, Idris I er et Idris II , dont plusieurs mon- recherche en numismatique peut apporter de cat. 43 : 198 H . / 813-814
naies sont ici présentées, sont appréhendées par connaissances nouvelles sur l’extension du cat. 44 : 202 H . / 817-818
l’étude de sources écrites toutes très tardives 3 . comme la source de leur légitimité. La référence bibliographie et expositions
Deux monnaies récemment découvertes alide est également sensible dans le nom de Eustache, 1970-1971, n o 358, p. 256 ;
[cat. 45 et 46] nous permettent par ailleurs de al-‘Aliya donné à la seconde implantation de Fès, El Khatib-Boujibar, 2014 (f).
cat. 45 droit cat. 45 revers
savoir que, sous Idris II , l’influence idrisside sur la rive gauche de l’oued 6 . Paris, 1990, n o 325, p. 182-183 ; Paris, 1999 (b),
s’étendait déjà, au sud, jusqu’au port de Massa BTL /CD n o 142, p. 103.
Un émirat concurrent :
les Midrarites de Sidjilmasa
Le royaume idrisside s’inscrit dans une dynamique régionale
complexe, dont témoigne sa coexistence avec les domaines
de Nakkur au nord, et des Barghawata-s à l’ouest. Au sud, il est
borné par le brillant émirat de Sidjilmasa, maître des routes
de l’or.
Largement maintenu en dehors de l’autorité abbasside,
le Sahara marocain, marge méridionale du Maghreb, est
longtemps demeuré loin de l’épicentre des confrontations
politiques et idéologiques opposant au V I I I e siècle au nord des
Atlas les représentants du califat de Bagdad et les résistances
berbères. Il n’en a pas moins été très tôt un lieu d’émergence
et de structuration de pouvoirs islamiques. À l’écart de l’héritage
romain, mais au carrefour des mondes méditerranéen et africain,
cette région a sans doute connu une riche histoire avant l’arrivée
de l’Islam, mais celle-ci n’est encore que peu connue faute de
recherches archéologiques suffisamment nombreuses. En limite
orientale du territoire marocain, la plaine du Tafilalt constitue
un refuge écologique rare puisque cette vaste dépression, sise
au pied du Haut Atlas et à l’extrémité orientale des derniers
reliefs anti-atlasiques, est irriguée par de nombreux oueds
descendant des massifs montagneux alentour. C’est ici que s’est
développée dès le courant du V I I I e siècle la ville de Sidjilmasa.
Les géographies médiévales en langue arabe évoquent très
tôt cette cité, siège d’un pouvoir indépendant tenu par la tribu
Miknasa, qui ne tarda pas à occuper une position prépondérante
dans le système commercial transsaharien. Ce dernier, s’il n’est
sans doute pas né avec l’Islam, a connu avec lui un formidable
essor. Sidjilmasa a ainsi acquis depuis le début de l’ère islamique
la réputation d’une cité prospère vivant de l’économie carava -
nière, tirant de ses échanges avec l’Afrique équatoriale – au
premier rang desquels celui de l’or – de très importants revenus.
La ville offrait une qualité de vie incomparable. Aussi Sidjilmasa 135
Porte mérinide de Sidjilmasa
n’a-t-elle jamais cessé de représenter un enjeu économique le fait de musulmans kharidjites, formant un cercle de fidèles confrontés aux tentatives hégémoniques des Fatimides, tantôt muraille en pisé, se développe sur une éminence rocheuse
137
fig. 1 fig. 2
À l’arrière-plan, le tell archéologique de Sidjilmasa. Au premier plan, un cimetière actuel Fragment de plafond peint découvert dans la demeure d’époque midrarite de Sidjilmasa
49, 50
Fragments de décor
architectural
Sidjilmasa et Rissani (Maroc) à Sedrata (Algérie), qui sont datés du X I e au X I I I e siècle 2 .
I X e siècle Sur les panneaux de Sidjilmasa, toutefois, la densité
cat. 49 : plâtre sculpté des motifs est moins grande qu’à Sedrata et le souci
sans doute liée à une zone de réception, l’autre à un espace de la ville de Sidjilmasa. Si son essor au V I I I e siècle n’est pas
cat. 50
51 52 53, 54
Bague Dinar Dinars
Sidjilmasa (Maroc) (?) Sidjilmasa (Maroc) Sidjilmasa et était devenu sunnite malikite tout en s’alliant au calife
I X e – X e siècle 343 H . / 954-955 [331-347 H . / 942-958] umayyade de Cordoue, dont l’influence s’étendait alors
or filigrané or frappé or frappé au Maghreb al-Aqsa. Il se proclama lui-même calife
D . 1,9 cm P O I D S 3,96 g D . 1,9 cm ; P O I D S 3,5 g et 3,7 g en 342 H . / 953-954 et fit frapper des monnaies d’or bien
bibliographie et expositions
Salih, 2010, p. 290. cat. 52 droit cat. 52 revers
B U L L E T U I L L E O N E T T I C L A I R E D É L É R Y
b. ‘Umar, le chef des Lamtuna, qui en assure la conduite mili- il parvient à rallier plusieurs tribus à son projet. Il fonde vers Mais ces avancées ne se font pas sans résistance et l’annexion « Liés ensemble pour la foi », comme on traduit parfois leur
taire. La réforme s’axe principalement sur les deux thèmes 462 H . / 1070 la ville de Marrakech [voir p. 170-171], dont il fait dure plusieurs décennies. Après le décès de Yusuf b. Tashfin nom, les Almoravides sont conduits par un désir de réforme et
que sont le djihad 5 et l’application des règles coraniques, sa nouvelle capitale. Ses armées progressent vers le nord ; en 500 H . / 1106, son fils et successeur, ‘Ali, achève son projet de défense du sunnisme, articulé au dogme malikite. Le terri-
notamment en matière fiscale. la même année, il conquiert les villes de Meknès et de Fès. dans le Sharq al-Andalus (la région orientale de la Péninsule), toire dans lequel ils diffusent leur message est en effet encore
Partis de l’Adrar mauritanien, les Almoravides se dirigent Six ans plus tard, il entre à Tlemcen, puis prend la direction de où son armée ne vient à bout du petit royaume des Baléares inégalement islamisé, et traversé par de nombreux courants
d’abord vers le sud. Des raids les conduisent sur les chemins l’ouest pour s’emparer de la région de la Moulouya, de Ceuta qu’en 509 H . / 1115. théologiques sunnites, kharidjites et shi‘ites 13 . Ce sont eux
de « l’empire du Ghana », avec pour ligne de mire les villes qui et de Tanger avant de se réorienter vers l’est pour annexer Les deux rives sont unifiées ; la paix est établie sur un qui, grâce à l’appui de grands juristes tels Ibn Rushd al-Djadd
contrôlent le commerce caravanier au sud du Sahara et l’appro- Oran, Tenès et la montagne de Ouarsenis. Il s’arrête aux vaste territoire s’étendant du Sahara méridional jusqu’à de Cordoue (m. 520 H . / 1126) [cat. 114], Abu Bakr Ibn al-‘Arabi
visionnement en or 6 . Si la réalité de la présence almoravide portes d’Alger, évitant ainsi tout conflit avec ses cousins les Tolède et Saragosse au nord. Néanmoins, cette quiétude va de Séville (m. 543 H . / 1148) [cat. 132] et al-Qadi ‘Iyad de Ceuta
dans cette vaste région constituée d’une mosaïque culturelle, Banu Hammad, qui contrôlent cette partie du Maghreb central. être progressivement ébranlée à partir de la seconde décennie (m. 544 H . / 1149) 14 [cat. 302], vont imposer au Maghreb occi-
cultuelle et linguistique [cat. 61, 62 et 63] est mal connue et Sur l’autre rive du détroit de Gibraltar, la situation est celle du XIIe siècle, d’abord au Maroc puis en al-Andalus, où les dif - dental l’orthodoxie sunnite et malikite qui reste de mise jus-
discutée 7 , ce sont bien le contrôle de ces routes et la maîtrise de guerres permanentes entre les différentes Taifas, ce qui ficultés militaires face aux chrétiens vont peser de tout leur qu’à nos jours, si l’on excepte l’épisode particulier de
de l’or qui semblent avoir financé la conquête almoravide et laisse toute latitude aux royaumes chrétiens, dont la progres- poids sur le devenir de la dynastie. Dès 508 H . / 1114, l’almohadisme.
la construction de ce qui deviendra un empire. sion territoriale s’accélère : Alphonse VI de Castille occupe al-Mazdali, illustre chef militaire almoravide, est battu par Cette volonté de réforme religieuse qui porte le mouve-
Appelés par les fuqaha’ de Sidjilmasa, dont les habitants Tolède en 478 H . / 1085 et se prépare à attaquer le royaume des les Aragonais. La même année, ceux-ci réussissent à éliminer ment almoravide lui assure immédiatement le soutien des
sont écrasés par une lourde fiscalité, les Almoravides com- Banu ‘Abbad de Séville et de Cordoue. Pour faire face à l’immi- Ibn Tiflwit dans la région de Barcelone. L’année suivante, un fuqaha’ malikites, qui occupent une place de premier rang
146 mencent à se diriger vers le nord. Conduits par Abu Bakr nence du danger, al-Mu’tamid, le souverain de Séville, fait corps almoravide subit une troisième défaite aux environs dans l’empire 15 . La légitimité du mouvement est religieuse, 147
mais elle est également politique. En effet, à partir de Yusuf le plus valeureux de tous les clans, se substitue alors un encore du dynamisme architectural des princes sanhadjiens, Marçais admettait en revanche que « les conclusions qu’on
b. Tashfin, les Almoravides sont conduits par l’amir al-musli- pouvoir héréditaire. qui participe de leur politique d’intégration du territoire par se hasarde à formuler ne peuvent être que provisoires ; elles
min (« prince des musulmans »). Ce titre est forgé en 1073 sur L’unité politique et religieuse profite également à l’écono- le fait urbain. Yusuf b. Tashfin fit ainsi élever à Fès la Qasba ne valent que comme un état de la question 32 ».
le modèle de l’amir al-mu’minin califal (prince des croyants), mie : les maîtres des deux rives mènent une politique écono- de Boujloud. Vers 514 H . / 1120, ‘Ali fit ériger l’enceinte et L’existence d’un « art almoravide » a divisé et divise
impliquant une subordination du premier au second. En effet, mique fondée sur le commerce transsaharien et sur ses les portes de Marrakech 27 . On attribue aux souverains almo - encore les chercheurs 33 . Les récentes découvertes effectuées
la légitimité de leur pouvoir se fonde notamment sur la tutelle débouchés. Le port d’Almería, siège de l’amirauté, est un port ravides l’édification des enceintes de Meknès, de Salé et sur les sites d’Aghmat [voir p. 446-450], sous la salle de prière de
du califat abbasside de Bagdad obtenue dès 1092 par Abu Bakr artisanal et commercial de premier ordre 19 [voir p. 236-237]. Le de Tlemcen que leurs successeurs allaient reconstruire ou la Qarawiyyin de Fès, dans les mihrabs de la grande-mosquée
b. al-‘Arabi. Cette autorité dérivée s’affiche sur les monnaies vaste territoire désormais sous leur domination permet aux restaurer. Sur les cimes qui dominent les plaines, les itiné- d’Agadir et de Tagrart à Tlemcen, apportent aujourd’hui de
[cat. 68 et 69]. Néanmoins, l’affirmation du pouvoir almoravide est Almoravides de contrôler les voies commerciales de l’argent raires et les débouchés des montagnes, ils firent bâtir les cita- nouvelles données qui imposent de reconsidérer les hypo-
forte et se traduit également par l’utilisation d’un laqab à réso- et de l’or avec lesquels ils battent monnaies. L’influence de delles de Fès al-Bali dans l’Ouargha, du mont Zarhoun (Qasbat thèses anciennes. En al-Andalus aussi, de nombreux vestiges,
nance califale, al-nasir li-din Allah, qui avait été porté par le pre- leur monnaie d’or se fait sentir dans l’ensemble du monde al-Nasrani), de Bani Targa en face de Salé, de Tasghimout 28 certes plus mobiliers qu’architecturaux, clairement datables
mier calife umayyade de Cordoue, ‘Abd al-Rahman III , en 929. méditerranéen, et notamment dans les royaumes latins [cat. 89 dans l’Ourika, de Tazagort dans le Dara, d’Ansa dans l’Anti- de l’époque almoravide ont été mis au jour à partir du milieu
Les Almoravides procèdent à une organisation très hié - et 90], où elle devient l’une des principales monnaies d’échange Atlas et de Tasnoult à Massa 29 . des années 1980 à Almería, Lisbonne, Santarém. Ces villes
rarchisée de leur État autour de la personnalité charismatique et de compte, même après la chute du dernier émir 20 . Dans ces œuvres, les maîtres maçons évitent les tours ont été conquises par les chrétiens lors d’événements drama-
du premier émir, Yusuf b. Tashfin. En fondant la ville de semi-circulaires et la pierre de taille ; ils adoptent une concep- tiques survenus en 1147-1148. C’est à cette date qu’une
Marrakech en 1070, et en y installant sa forteresse 16 , Qasr U N E N O U V E L L E S Y N T H È S E A R T I S T I Q U E tion plus complexe où ils ont recours plus fréquemment au coalition chrétienne les attaqua, sonnant la fin de l’Empire
al-hadjar, ce dernier pose la première pierre d’un empire Selon l’historiographie classique médiévale, Yusuf b. Tashfin pisé sur des soubassements en moellons. Ils construisent almoravide. Les découvertes effectuées dans ces villes nous
étatique centralisé. Il s’entoure d’une garde de mercenaires, était un grand dévôt. Ibn Abi Zar‘ rapporte ainsi que « lorsqu’il aussi des tours carrées, comme en témoignent les enceintes permettent de repenser, si ce n’est « l’art almoravide » – car la
constituée d’esclaves noirs et de renégats, ce qui introduit trou vait une rue sans mosquée, il adressait des reproches de Marrakech et de la forteresse de Tasnoult. Dans leurs édi- question du lien entre la classe dirigeante et certaines formes
une nouvelle donnée dans l’organisation militaire de l’empire : aux habitants 21 ». Au sujet de son fils et successeur fices religieux, les colonnes cèdent la place à différents types artistiques est toujours ouverte –, du moins l’art de l’époque
la guerre n’est plus uniquement le fait de solidarités tribales. ‘Ali, al-Murrakushi rapporte qu’il « méritait plus de figurer de piliers articulés ; l’arc en plein cintre recule devant des almoravide. Elles semblent montrer que, loin d’être une simple
Aux hommes de son clan, Lamtuna, Yusuf b. Tashfin confie le parmi les ascètes et les ermites que parmi les princes et formes plus complexes, arc brisé outrepassé, arc polylobé terre d’implantation des procédés andalous, le Maghreb avait
commandement des corps de l’armée et les postes de gouver- les conquérants 22 ». et arc recticurviligne, comme à la Qarawiyyin 30 [voir p. 193-195]. déjà développé une esthétique propre, dont les caractéris-
neurs des provinces. Les premiers sillonnent et pacifient les La piété de ces deux souverains se traduit notamment La hiérarchisation des espaces dans les sanctuaires s’accen- tiques restent à préciser, tant sont rares les vestiges anté-
villes et les tribus ; les seconds administrent les provinces, par les nombreuses mosquées qu’ils fondent ou restaurent. tue également du fait de l’utilisation de muqarnas sculptées rieurs à l’époque almoravide à être parvenus jusqu’à nous.
assistés de vizirs, de juges et de muhtasib-s 17 qui veillent, Au premier sont attribuées les grandes-mosquées d’Alger pour couvrir les parties nobles, comme à la Qarawiyyin de Fès,
comme à Marrakech, au bon fonctionnement de cet appareil (590 H . / 1096) 23 et de Nedroma 24 , au second celle de Tagrart- ou de coupoles à nervures comme dans la grande-mosquée
étatique. Les villes sont dotées de forteresses où sont canton- Tlemcen [voir p. 212-214] et la réfection de la Qarawiyyin de de Tlemcen et dans la qubba de Marrakech [voir p. 212-214].
nées les troupes almoravides, imprimant dans l’espace de la Fès [voir p. 193-195]. Profitant des revenus accrus de l’empire La décoration se compose de motifs floraux, de combinaisons
ville le modèle étatique centralisé de Marrakech. L’unification unifié, ‘Ali Ibn Yusuf souhaite magnifier Marrakech : il adjoint géométriques et de frises épigraphiques au style varié, cou-
des deux rives de Fès dans une même enceinte participe de de nouveaux palais au Qasr al-hadjar de son père et fonde dans fique et cursif. Les panneaux aux multiples palmettes abs-
cette même démarche. Yusuf b. Tashfin organise une fiscalité les environs une mosquée qui porte son nom et dont seules traites, essentiellement digitées, et aux entrelacs polygonaux,
étatique en abolissant les impôts extra-canoniques 18 . subsistent les fondations du minaret 25 , ainsi que la salle à se multiplient et se répandent en introduisant une vitalité et un
Soucieux du devenir de son pouvoir, Yusuf b. Tashfin ablutions, la célèbre qubba de Marrakech 26 . Le célèbre minbar dynamisme nouveaux. Plusieurs historiens espagnols, notam-
convoque notables, savants et juristes pour faire allégeance « de la Kutubiyya » [voir p. 192] avait sans doute été commandé ment Leopoldo Torres Balbás et à sa suite Henri Terrasse,
(bay’a) à son fils ‘Ali, le désignant ainsi comme « prince héri- pour cet édifice. voyaient dans toutes ces réalisations des œuvres dues aux
tier ». Au pouvoir suprême confié après consultation Si certaines mosquées almoravides furent détruites par maîtres et aux artistes venus de al-Andalus 31 . Conscient du
148 des sages de la confédération tribale des Sanhadja à l’homme les Almohades, plusieurs monuments militaires témoignent peu de vestiges encore identifiés de cette époque, Georges 149
Du sud au nord du Sahara :
commerce transsaharien
et conquêtes
Les premiers Almoravides se tournent d’abord
vers le sud, pour tenter de prendre le contrôle
des « cités de l’or ». Ces villes de l’Afrique
de l’Ouest, comme Gao, structurent les routes
caravanières qui traversent le désert chargées
d’or et de matières précieuses. La maîtrise
de l’or permet aux Almoravides de financer
leurs conquêtes. Ils marchent vers le nord et
progressent vite, prenant d’abord Sidjilmasa,
puis Aghmat avant de fonder Marrakech.
Leur progression est ininterrompue jusqu’au
nord de la péninsule Ibérique, où se stabilise
la frontière. La monnaie d’or almoravide,
réputée pour sa qualité, devient un standard
dans le monde méditerranéen et est imitée
par les royaumes chrétiens.
151
Coupole de la qubba almoravide de Marrakech (Maroc)
55
Livre des routes
et des royaumes
Abu ‘Ubayd al-Bakri (m. 487 H . / 1094) l’Afrique du Nord ainsi que le Bilad al-Sudan, ou « pays
ET CONQUÊTES
Maghreb ou al-Andalus des Noirs ». Dans le cas de l’Afrique du Nord, en effet,
X I I I e siècle il s’appuie en grande partie sur les travaux d’un savant
papier maghrébin antérieur, Muhammad b. Yusuf al-Warraq
104 folios (m. 363 H . / 973), qui avait rédigé une série de monographies
reliure moderne sur plusieurs villes du Maghreb. Al-Bakri tire cependant
H . 28 ; l. 20 cm aussi profit des renseignements disponibles en al-Andalus,
annotations marginales en partie rognées comme ces informations jadis données par un émissaire
berbère au calife al-Hakim en 352 H . / 963. L’apport de
152 153
Sur la piste des marchands transsahariens : 56
la découverte de la caravane de l’Ijafen Clichés de la mission menée
à la recherche de la caravane
Théodore Monod (1902-2000) était un naturaliste […] se trouve, un beau jour, en difficultés : elle a
d’Ijafen
polyvalent : ses recherches l’ont conduit à fran- perdu des chameaux (fatigués, morts, ou razziés)
chir les frontières des disciplines, touchant la et se voit contrainte d’abandonner sur place une 1964
Théodore Monod (1902-2000)
zoologie, la géologie, l’histoire, l’archéologie et partie de sa cargaison ; elle constitue donc un
tirages papier monochromes
même la botanique. Lui-même se définissait dépôt provisoire 8 ». Ce dépôt devait être ultérieu-
H . 8,5 ; l. 12 cm (chacun)
comme « avant tout un naturaliste, devenu un rement récupéré ; il ne le fut jamais. Son emplace-
Paris (France), Muséum d’Histoire naturelle,
explorateur par la force des choses 1 ». ment exact s’est-il perdu ? Qui étaient les hommes
direction des Bibliothèques et de la Documentation
Ce grand voyageur a mené plusieurs missions de cette caravane, et d’où venaient-ils ? Fonds Théodore Monod, Ms Md5 (dossier 2)
dans les régions sahariennes. L’une d’entre elles, Tout ce que nous savons de cette caravane
effectuée en 1964, avait pour but d’identifier vient du compte rendu de prospection de
l’épave d’une caravane médiévale située en Théodore Monod et des quelques éléments qu’il a
Mauritanie. En effet, en 1962, des méharistes rapportés. Il faudrait entièrement refouiller le site 57
avaient signalé la présence de vestiges d’une pour trouver des réponses à certaines questions Croquis de restitution
caravane en pleine Majabat al-Koubra, une laissées en suspens. Mais le site gardera sans du chargement
région sablonneuse séparant la Mauritanie du doute encore ses secrets ; il n’a, en effet, jamais
Mali, « sans aucun point de repère et où chaque été retrouvé depuis 9 …
de la caravane
1964
dune ressemble à la précédente et à la sui- NP
Théodore Monod (1902-2000)
vante 2 ». Théodore Monod monta une expédition
dessin au crayon sur papier millimétré
à la recherche de cette caravane ; il en relata les H . 32 ; l. 22 cm
péripéties dans un compte rendu adressé à l’ad-
Paris (France), Muséum d’Histoire naturelle,
ministrateur commandant le cercle de l’Adrar 3 . direction des Bibliothèques et de la Documentation,
Le site a été nommé « Ma’aden Ijafen », ce qui Fonds Théodore Monod, Ms Md5 (dossier 2)
signifie « la mine de l’Ijafen », du nom de la région.
Sur ces clichés réalisés par Théodore Monod (1902-2000)
Arrivé sur le site, Monod prit des clichés, démarra
lors de sa prospection sur le site d’Ijafen, on peut
une fouille, esquissa quelques croquis qui sont apercevoir la caravane de dromadaires avec laquelle
notamment conservés au Muséum d’Histoire il est parvenu jusqu’à l’épave de la caravane médiévale.
naturelle [cat. 56]. Ces relevés lui permirent de Deux autres vues évoquent la butte, en l’état, parsemée de
procéder à une estimation des faisceaux et des tiges de métal, tandis que le croquis tente de reconstituer
tiges en métal, dont il pesa un échantillon. Il put le chargement de la caravane découverte : deux étages
de faisceaux de baguettes surmontés de sacs de cauris,
ainsi évaluer la valeur de la cargaison à près
le tout recouvert de sable, peut-être afin de le dissimuler,
d’une tonne de laiton. À cela s’ajoutaient les sacs
peut-être aussi à la suite d’un ensevelissement naturel
de cauris, coquillages utilisés comme monnaie dû au vent.
depuis la période médiévale dans la zone saha- NP
ET CONQUÊTES
provenance de pousser jusqu’aux anciennes salines de Teghazza, nationale et des Colonies et par le Muséum national
Oualata (Mauritanie), entre 1934 et 1936 à trois jours de marche en direction du nord-ouest. d’Histoire naturelle, Odette du Puigaudeau débarque
Connues et exploitées au X I e siècle (signalées par le fin décembre 1936 au Maroc. Son itinéraire : les confins
Paris (France), musée du Quai Branly
inv. 71.1938.17.31 D
géographe andalou al-Bakri [1040-1094]) [cat. 55], algéro-marocains, la Mauritanie, puis cap sur Tombouctou,
les salines sont ruinées à la fin du X V I e siècle à la suite où elle rejoint la caravane de l’azalai. La dernière étape
du conflit qui oppose le sultan du Maroc, Ahmad al-Mansur de cette impressionnante caravane est Taoudéni. Odette
cultuels, celui de l’arabisation des sociétés, révélée non ou autochtones formant une communauté certes minoritaire,
seulement par la production écrite officielle mais également mais sans doute pleinement intégrée aux sociétés méridionales 9 .
par l’épigraphie privée, ou encore celui de l’évolution des La pratique commune de l’islam représentait certainement un
structures de peuplement (habitat, tissu urbain, parcellaire moyen unique de fédération des populations, de rapprochement
agricole), qui peut être marquée par l’assimilation de modèles par affinités culturelles et linguistiques facilitant les contacts,
sociaux ou techniques islamiques 6 . À ce titre, l’archéologie les échanges et la confiance « fraternelle » entre les différents
permet d’observer de plus près les évolutions culturelles acteurs du commerce, qui, éloignés les uns des autres de
des sociétés en cours d’islamisation. plusieurs milliers de kilomètres et à la merci des intermédiaires
Islamisation et arabisation de L’époque almoravide est souvent considérée par les historiens caravaniers, ne se rencontraient probablement que très rare -
l’Afrique de l’Ouest à l’époque almoravide : de l’Afrique comme une période charnière dans l’islamisation ment, si ce n’est jamais. Par ailleurs, l’islam introduit puis relayé
l’apport de l’archéologie de la région située au sud du Sahara. Mouvement rigoriste dès cette haute époque dans le monde sahélien s’inspirait des
L’ouverture à l’islam des régions situées au sud du Sahara est sunnite, initialement motivé par une réforme religieuse au obédiences kharidjites (soufrites et ibadites) telles qu’elles
évoquée à plusieurs reprises dans les grandes chroniques Maghreb extrême, l’affirmation almoravide est habituellement étaient majoritairement pratiquées, dans les grands pôles
historiques et géographiques du Maghreb médiéval. Ces écrits placée en miroir de la conversion survenue précisément à la fin commerciaux du Nord, aux premiers rangs desquels Sidjilmasa
permettaient aux lettrés de l’Occident musulman de mesurer la du X I e siècle de rois établis au sud du Sahara. Dans les faits, l’une et Tahert (Algérie) 10 . En cela, le rigorisme malikite défendu par les
progression vers le sud de l’étendue du dar al-islam. Néanmoins, des premières campagnes militaires des Almoravides a eu pour Almoravides à la fin du X I e siècle s’est inscrit en faux par rapport
selon la conception des auteurs arabes, l’islamisation ne signifiait objet de s’assurer le bénéfice exclusif de la « route de l’or », c’est- aux pratiques locales, favorisant un renouvellement dogmatique
pas tant la conversion en masse des populations ni la progression à-dire de contrôler le réseau caravanier du Sahara de l’Ouest parmi les musulmans sahéliens qui a entraîné une sunnisation
individuelle de la foi que l’intégration d’États ou de structures de [fig. 1] par lequel transitait l’or importé d’Afrique occidentale, de la région. Néanmoins, ce phénomène a provoqué une impor -
pouvoir à la sphère de l’Islam politique, synonyme d’allégeance nécessaire à l’assise pécuniaire de leur puissance naissante. tante déstabilisation des systèmes de pouvoir préexistants,
juridique collective à la loi islamique 1 . L’on comprend mieux ainsi C’est pourquoi, dès 446 H . / 1054-1055, les deux principaux comme le suggèrent les très probables renversements
la dimension militante que sous-tendent ces mentions textuelles débouchés de cet itinéraire commercial – la principauté dynastiques survenus à Kanem, Gao et Ghana entre 1068 et 1080 11 .
et le fait qu’elles se limitent à relater la conversion des seuls de Sidjilmasa (Sud marocain), et la ville de Tegdaoust (Sud De fait, l’archéologie met clairement en lumière différentes
chefs, princes et souverains – celui de Gao (Mali) en 400 H . / mauritanien) sous contrôle de l’État de Ghana – font l’objet modalités d’implantation de l’islam dans les régions du Sud dès
1009-1010 2 , celui de Takrur (Sénégal) peu avant 432 H . / 1040- d’une incursion armée. S’il semble établi que les Almoravides avant la poussée almoravide. Les sites urbains de Koumbi Saleh
1041 3 , celui de Ghana (Mali-Mauritanie) en 469 H . / 1076-1077 4 , ont conquis Sidjilmasa pour longtemps 7 , la pérennité de leur et Tegdaoust ont par exemple révélé l’existence de grandes
celui de Kanem (Tchad) peu après 500 H . / 1106-1107 5 –, sans victoire sur Tegdaoust paraît moins sûre et leur établissement mosquées établies bien avant l’épisode almoravide, attestant
presque jamais évoquer la réalité des pratiques individuelles durable au sud du Sahara aujourd’hui largement invalidé 8 . ainsi l’essor d’une assez importante communauté musulmane
de l’islam ni l’évolution, linéaire ou non, des mœurs et des usages Néanmoins, cet épisode guerrier à travers le Sahara aura sans dans ces villes méridionales dès sans doute le X e siècle 12 . Ces
fig. 1
à l’échelle de communautés entières. L’impression laissée par doute participé, de façon indirecte, à la diffusion de l’islam dans deux mosquées sont agrandies vers la fin du X I e siècle, soit Carte de l’Afrique de l’Ouest et des principaux axes commerciaux transsahariens aux X e et X I e siècles (C. Capel)
ces textes est ainsi souvent celle de transformations rapides la frange sahélienne, où il a entraîné des bouleversements après le contact supposé avec les Almoravides : elles pourraient
et sans résistance, survenues à la suite de pressions militaires d’ordre politique. Toutefois, cette expédition militaire ne doit pas illustrer une nouvelle vague de conversions, y compris princières,
ou politiques d’origine nécessairement allogène. dissimuler le fait que l’islamisation au sud du Sahara semble suscitée par ces derniers. À Tegdaoust, la découverte de des Almoravides au sud, là où l’usage quotidien de monnaies
L’archéologie, bien que renseignant les mêmes sociétés que avoir été non pas la conséquence de la seule domination armée nombreux dénéraux produits au X e siècle en Ifriqiya 13 souligne d’or produites par un État lointain ne se conçoit guère d’un point
l’étude des textes, n’apporte pas une documentation de nature mais plutôt un lent processus de diffusion endogène commencé l’adoption dès cette date d’un système pondéral islamique qui de vue économique, mais où la constitution d’un tel trésor offert
comparable et, de fait, ne conduit pas à appréhender les mêmes beaucoup plus tôt. L’introduction de l’islam au Sahel est en effet intègre Tegdaoust dans une sphère commune avec les villes en gage d’allégeance ou de récompense éclairerait les très
réalités. Aussi les vestiges matériels permettent-ils d’aborder liée à une forme de diaspora économique où ce sont avant tout fatimides. Le trésor monétaire mis au jour fortuitement à Acharim probables pressions venues du nord 14 . Le champ du funéraire
la question de l’islamisation au sud du Sahara sous d’autres les commerçants investis dans les échanges entre le Nord et (Mauritanie) [cat. 66 et 67], dont six dinars almoravides frappés recèle d’autres éléments où se manifeste l’adoption de l’islam,
angles : celui de l’islamisation des administrations et des États, le Sud qui ont permis, de proche en proche, la progression de en al-Andalus entre 504 H . / 1110 et 509 H . / 1116 ont été préservés cette fois-ci au titre de la foi individuelle : les cimetières de
décelable dans les productions monétaires ou la normalisation l’idée d’Allah : d’abord sous la forme de comptoirs installés par du pillage, met d’une part en lumière cette islamisation très nette Koumbi Saleh et de Tegdaoust renferment des enclos funéraires
pondérale (étalons, dénéraux), celui de l’islamisation des des hommes venus du nord au contact direct des grands empires du système de valeurs marchand qui ne fait que perdurer au dotés de mihrabs qui soulignent bien l’adoption précoce de rites
pratiques culturelles individuelles cristallisées dans les lieux ouest-africains, puis sous l’aspect de quartiers entiers dans début du X I I e siècle dans cette région ; mais il révèle en outre, plus musulmans (même si ces tombes ne sont pas précisément datées)
158 de culte, les sépultures, les stèles funéraires et les objets les grandes villes du Sud, peuplés par des musulmans berbères subtilement, la réalité des injonctions politiques (et prosélytes ?) parmi la masse de la population 15 . Mais l’exemple le plus célèbre 159
61
Statue féminine
Mali non naturaliste. Le procédé de l’enfouissement a laissé la statue semble s’étirer pour atteindre l’infini. S’agit-il
X e – X I I e siècle (?) place au-delà du X I V e – X V e siècle à des onctions au beurre d’une ancêtre, ou d’une figure tutélaire, représentée dans
bois, matériaux organiques de karité, ainsi qu’à des offrandes et des libations où sa dimension féconde et protectrice ? Fascinés sans doute
H . 47,5 ; l. 7,3 ; P R . 7,2 cm dominent le sang des poulets offerts en sacrifice, la bière par les images abstraites, synthétiques et spirituelles
de ces rites musulmans demeure l’ensemble de stèles épi - internes propres. Le rôle des commerçants maghrébins, de mil et l’eau farineuse. de leurs prédécesseurs, les forgerons-sculpteurs dogon en
historique
graphiées découvertes dans plusieurs sites à l’est de la boucle déclencheurs de ce processus, représente une impulsion initiale, Ancienne collection Viera da Silva Le personnage, silhouette schématique dont les bras ont repris l’esprit pour y insuffler leurs propres croyances
levés répondent aux jambes légèrement fléchies, semble à partir de leurs mythes, sur lesquels nous sommes mieux
du Niger (Mali) : le corpus actuel rassemble environ quatre cents très vite relayée par des mécanismes d’auto-islamisation, sans Paris (France), musée du Quai Branly
inv. 73.2012.1.1337
construit à partir de volumes géométriques peu profonds 5 : informés. Cette forme de continuité matérielle serait alors
inscriptions s’échelonnant de 404 H . / 1013-1014 (là encore avant doute limités dans un premier temps à quelques cercles de seuls se détachent les reliefs du visage, des seins pendants la preuve d’une transition progressive, qui n’exclut pas
l’essor almoravide) à 894 H . / 1489, la plupart mentionnant, en populations liés aux échanges transsahariens. Plusieurs siècles À l’époque des grands empires sahélo-soudanais décrits qui évoquent les nombreuses maternités, et du nombril la mixité, entre Tellem et Dogon.
par les géographes arabes Ibn Hawqal (seconde moitié du saillant sur l’abdomen renflé. Frontale et symétrique, HJ
langue et écriture arabes, des formules poétiques, parfois des durant, cette islamisation demeure toutefois très partielle et
X e siècle), al-Bakri (1040-1094) et al-Idrisi (m. 1165-1166), bibliographie et expositions
versets coraniques, une date calendaire et l’identité du défunt 16 . discontinue : certaines des lignes épigraphiées des stèles de des populations dont l’archéologie et la tradition orale Inédite.
Ce genre d’inscriptions dépasse de loin la portée du seul rituel Gao, appartenant majoritairement aux X I I e, X I I I e et XIVe siècles, ont partiellement gardé et restitué la mémoire se sont
développées en marge des grands espaces économiques
funéraire collectif et mimétique : elles mettent en exergue une sont à l’évidence exécutées par des artisans peu ou non arabisés, et politiques du Moyen Âge de l’Afrique subsaharienne.
connaissance réelle de l’islam, décelable notamment dans les ce qui suffit à mettre en exergue d’une part le caractère circonscrit Leurs cultures matérielles témoignent de la mosaïque de
peuples et de cultures au contact les uns des autres dans
citations coraniques et le recours démonstratif au calendrier des pratiques musulmanes et d’autre part la très faible arabisation
cette région à cette époque, en lien avec l’exploitation
hégirien 17 . Parmi cet ensemble, plusieurs provenant du cimetière de la région située au sud du Sahara 21 . Limité à quelques enclaves des mines de sel et d’or. Le premier de ces espaces,
de Saney, à Gao, et datées de 476 H . / 1083-1084 à 600 H . / 1203, urbaines, l’islam du Sahel, probablement d’abord majoritairement qui porte le nom de Ghana, ou Wagadou, est composé
de populations notamment berbères et soninké regroupées
ont en commun de mentionner, en écriture coufique, des « rois » kharidjite, a néanmoins été ponctuellement renforcé par la conver -
autour de sa capitale Koumbi Saleh. Il se développe
(et « reines ») et de laisser penser qu’elles appartenaient à sion, du moins de forme, des souverains, motivée par les mêmes à partir du I I I e – I V e siècle et domine l’espace stratégique
des tombes princières. Les études épigraphiques et les études stratégies d’alliances et de reconnaissance mutuelle qui prési - du commerce transsaharien de l’or jusqu’au X I e siècle.
Ruiné par les Almoravides d’après la tradition orale,
de matériau ont prouvé que cinq de ces « stèles royales » ont daient à la diffusion de la religion – et de son système marchand –
et plus probablement sous l’effet de circonstances
été travaillées dans un marbre de al-Andalus par des artistes parmi les commerçants. Seule une partie de ces (re)conversions diverses, il laisse ensuite la place à l’empire de Mali,
d’Almería 18 [cat. 65], ce qui témoigne de l’existence dans royales se sont produites avec certitude à l’époque almoravide, fondé par le héros mandingue Sunjata Keita au début
du X I I I e siècle.
le courant du XIIe siècle d’un lien entre l’élite musulmane de sous la pression (économique ? prosélyte ? politique ?) probable Parmi les populations animistes situées en marge de
Gao et l’un des grands centres islamiques de la Méditerranée. mais lointaine, et dont il demeure délicat de dessiner les contours ces deux empires successifs 1 , les Tellem, qui précèdent
les Dogon dans la falaise de Bandiagara – au sud-ouest
Beaucoup ont voulu voir ici une intervention des Almoravides, qui exacts, de l’empire septentrional : elle traduit cependant un
de la boucle du Niger –, occupent une place importante par
avaient autorité sur Almería précisément dans la première moitié changement durable dans les orientations dogmatiques de la région, l’ancienneté des témoignages qu’ils ont laissés dans leurs
du XIIe siècle 19 . Mais de nouvelles interprétations, notamment désormais rattachée à la sphère de l’islam malikite. Plus tard, nécropoles inaccessibles, dont l’atmosphère particulière
était propice à la conservation des bois et des textiles 2 .
lexicales, défendent aujourd’hui l’hypothèse plus probable de aux X V e et X V I e siècles, l’amplification de l’islamisation au Sahel
Après leur départ ou leur disparition 3 , aussi inexplicables
contacts économiques, intellectuels et politiques solides entre sera, de manière comparable, en grande partie imputable à des qu’énigmatiques, les Tellem, « ceux qui étaient là avant
Gao et Almería dès le début du X I e siècle, qui seraient à l’origine processus internes et réciproques. C’est en effet grâce à l’essor nous », ainsi que les ont dénommés les Dogon, ont laissé
dans ces grottes sanctuaires les reliques d’une culture
de ces échanges et dans lesquels les Almoravides ne seraient de mouvements prosélytes endogènes d’inspiration soufie
matérielle qui faisait une place importante à la
pour rien. Toutefois, la marque de l’ascendance almoravide que quelques grandes cités subsahariennes, comme Katsina représentation humaine, et dont la statuaire présentait
serait nettement décelable dans cet usage jusqu’alors inconnu (Nigeria) et Tombouctou (Mali), acquièrent progressivement des traits stylistiques annonçant l’art sculptural de leurs
successeurs. Elle reste cependant peu documentée pour
dans les pratiques princières de stèles épigraphiées qui un statut de cités lettrées, phares de l’islam, et que les populations ce qui est de sa provenance exacte et de son contexte,
pourraient refléter le glissement dogmatique des souverains d’un rurales semblent dès lors davantage touchées par ce renouveau aucune fouille archéologique n’ayant pu véritablement
observer ces œuvres in situ 4 . Le marché de l’art s’est
kharidjisme égalitariste à un malikisme princier, permettant par spirituel, désormais originaire des seules sphères urbaines 22 .
intéressé à ces types statuaires « archaïques » de l’art
là même l’intégration des États du Sud à la sphère prestigieuse Les assauts militaires menés depuis le nord, et notamment africain à partir des années 1950 ; leur ancienneté,
de l’orthodoxie impériale 20 . L’ensemble des stèles du Mali depuis le « Maroc », à l’époque almoravide et plus tard à souvent réelle ( X I e – X I I e siècles), les a valorisés au sein
d’un corpus d’œuvres majoritairement plus récentes.
invalide une fois de plus l’exclusivité almoravide dans les l’époque saadienne (avec l’expédition sur Tombouctou en 1591),
La posture de cette figure tellem, bras levés tendus vers
processus anciens de diffusion de l’islam au sud du Sahara, ne paraissent en consé quence avoir joué qu’un rôle réduit dans le ciel, que l’on retrouve moins fréquemment par la suite
mais souligne dans le même temps le rôle certain de ces les mécanismes d’isla misation populaire en Afrique de l’Ouest. dans la statuaire dogon, est caractéristique, tout comme
sa patine grumeleuse, fruit d’une série d’apports de
« hommes du ribat » dans la revitalisation sunnite de la religion. Enfin, si l’islamisation de l’Afrique subsaharienne demeure
matières minérales et organiques à l’époque tellem,
La première vague d’islamisation au sud-ouest du Sahara, un processus lent dont les prémices remontent au X e siècle, le fait dus notamment à l’enfouissement partiel de ces pièces
depuis les rivages atlantiques jusqu’à la boucle du Niger, qu’elle rencontre une large adhésion dans les pays sahéliens dans les excréments de chauves-souris et dans le sol
des abris de la falaise. Cette patine enveloppe le corps
ne doit rien à l’influence de la sphère almoravide : elle la précède est un phénomène récent, lié à des soulèvements sociaux de la statue dans une gangue qui lisse et adoucit les
160 et traduit avant tout un phénomène motivé par des dynamiques ou à des réactions anti-coloniales aux X V I I I e et X I X e siècles 23 . détails sous-jacents d’une morphologie délibérément
62 63
Bracelet Appuie-nuque
Niger touareg Cet anneau en pierre sombre porte une inscription arabe Mali
date indéterminée prophylactique 1 . Il a été collecté par Louis Desplagnes X e – X I I e siècle (?)
pierre, probablement stéatite avant 1906, lors des prospections qu’il a menées sur bois
D . 12 cm ; É P . 0,7 cm des tumuli anciens dans la région de la boucle du Niger H . 14,4 cm ; L . 23,5 cm ; É P . 6,7 cm
inscription (Mali actuel). Ce type d’anneau, identifié comme touareg Paris (France), musée du Quai Branly
par Desplagnes, est caractéristique de la région, et ce inv. 73.1964.3.44
« La protection suprême, l’Envoyé de Dieu, depuis l’époque néolithique 2 . En l’absence d’inscription
la protection » datée, il est malheureusement impossible de proposer Les fouilles néerlandaises menées à partir du milieu
provenance une datation pour notre objet, dont l’épigraphie peut avoir des années 1960 dans la région de Sangha ont fourni des
Collecté avant 1906 au Mali actuel par Louis Desplagnes. été exécutée dans un second temps. Quoi qu’il en soit, informations précieuses sur les objets mobiliers tellem,
historique il témoigne de la mosaïque culturelle de la région, qui en particulier les appuie-nuques funéraires issus des
Ancienne collection du musée de l’Homme associe une inscription religieuse arabe à un bracelet grottes où étaient inhumés les morts. Beaucoup sont
d’usage talismanique. sortis du Mali entre les mains d’antiquaires locaux faisant
Paris (France), musée du Quai Branly
BTL /CD le voyage à Paris, avant et surtout après l’Indépendance 1 .
inv. 71.1906.3.1
bibliographie et expositions Ainsi, la mission Dakar-Djibouti (1931-1933) conduite par
Inédit. Marcel Griaule collecta vingt et un appuie-nuques tellem
dans la région de Sangha. Les précisions sur leur contexte
archéologique font hélas dans la plupart des cas cruelle -
ment défaut, ce qui pose le problème de leur chronologie,
alors que le bois a en général bien traversé le temps 2 .
De même que la statuaire funéraire [cat. 61], ces appuie-
nuques révèlent la diversité cultuelle de la région,
diversité à laquelle étaient confrontés les Almoravides
et leurs partenaires commerciaux islamisés.
Monoxyle, cet appuie-nuque tellem est composé d’une
base rectangulaire peu haute d’où émergent trois supports
portant des motifs décoratifs qui soutiennent une tablette
très incurvée, marquée de deux petits appendices trian -
gulaires à chaque extrémité. Le répertoire décoratif qui
couvre les montants est constitué d’incisions, lignes en
chevrons superposées, que la patine du temps a adoucies :
elles rappellent le fameux motif de la ligne brisée cher
aux Dogon illustrant le cheminement de l’eau et de la
parole dans le mythe de création du monde. Sur d’autres
exemplaires, on trouve le motif des arêtes de poisson,
des hachures croisées, des lignes parallèles ; parfois,
les tenons situés aux extrémités du support prennent
l’aspect d’une tête animale. La forme générale de ces
appuie-nuques ainsi que leurs motifs rappellent ceux des
sièges provenant d’Afrique de l’Ouest 3 . Ils sont souvent
enduits d’ocre rouge, ce qui laisse penser que la couleur
de ces objets destinés à soutenir le crâne des défunts
auxquels ils étaient offerts avait une valeur symbolique.
À la période tellem finale ( X I I I e – X I V e siècles), l’usage
d’appuie-nuques en fer plus petits, en général votifs,
est attesté et semble alors indiquer une forme de
stratification sociale 4 . À partir du X I V e siècle, la culture
matérielle dogon se démarque et l’usage des appuie-
nuques semble disparaître.
HJ
bibliographie et expositions
Inédit.
162
64
Inscriptions tifinagh en
touareg (langue amazighe)
Sahara puis les tifinagh « modernes », présents à partir du qui, au Sahara, ne prend de l’ampleur qu’à partir du
date indéterminée Ve siècle. Seuls les Touaregs ont conservé une utilisation X I e siècle [voir p. 158-160], va susciter un certain nombre
pierre gravée ininterrompue de cet alphabet, tandis que les Amazighs de transformations culturelles et identitaires, alliant
H . 54,5 ; l. 15 ; É P . 7 cm du Nord ont perdu cette écriture vraisemblablement berbérité, islam et arabité dans des combinaisons variées.
inscription avant même l’arrivée de l’islam 3 . C’est par rapport à l’usage sacré de l’écriture tifinagh
Les signes géométriques caractéristiques de l’écriture que l’utilisation de l’alphabet arabe instaure une rupture,
Eseli n Araghfi[a] akasagh tikra consonantique des tifinagh sont particulièrement abon - en ce qu’elle représente un choix délibéré de la part
« Dalle de Araghfi[a] [qui] ôte-le-vol » dants au Sahara central. Sur ce fragment de roche, d’une nouvelle élite forgeant sa légitimité sur un modèle
les lettres tifinagh restent identifiables et sont donc de croyances et de valeurs distinct des références
(Araghfi peut être un nom propre (Araghfia) ou un terme postérieures au V e siècle. L’inscription est elliptique anciennes. Les spécialistes de l’islam vont concurrencer
dérivé de ghf, « tête », dans le sens de « tenir tête », et contient probablement une énigme liée au contexte les aggag-s, gestionnaires du sacré dans la cosmologie
ce qui donnerait : « Rocher de la bravade anti-vol ») historique, social, politique ou géographique de son amazighe 4 . Selon les cas, les savoirs fusionneront ou se
provenance auteur. Elle a la tournure d’une formule de protection. sépareront, contribuant à l’émergence d’une catégorie
Sahara Deux ou trois autres signes tifinagh traversent l’inscription sociale particulière qui, parmi les Sahariens demeurés
historique verticalement, sans que l’on puisse en dégager un autre amazighophones, comme les Touaregs, porte encore le nom
Ancienne collection N. Reformatzky terme. Ce jeu de textes et de lettres qui s’entrecroisent distinctif de « musulmans » (ineslimen). Les recompositions
est présent sur tous les sites gravés de tifinagh : la densité politiques qui agitent le Sahara à la période almoravide
Paris (France), musée du quai Branly
inv. 71.1934.115.1
et l’enchevêtrement des inscriptions sont recherchés, sont à l’origine de la lente métamorphose identitaire
multipliant à l’infini les possibilités de déchiffrage, et linguistique de certains groupes 5 (par exemple les
Cette pierre, gravée de tifinagh – lettres de l’alphabet exercice intellectuel auquel les Touaregs aiment se livrer Maures, qui vont devenir « arabes »), du remodelage
amazigh (ou berbère) – est une illustration en miniature jusqu’à présent. de la hiérarchie sociale au profit des religieux, de l’instau -
de l’intense marquage scripturaire qui caractérise Cette pierre gravée est nécessairement un fragment ration d’un modèle de filiation patrilinéaire (au détriment
les terres du nord de l’Afrique. De la bordure sahélienne détaché d’une vaste roche plate (eseli), car aucune de la matrilinéarité) pour gérer l’ordre social.
H C-H
du Sahara jusqu’à la Méditerranée, en effet, ces lettres inscription ne se fait sur un support naturel instable.
géométriques creusées au burin ou peintes à l’ocre L’aspect partiellement décapé de la pierre incite à penser
tatouent les rochers à profusion, estampillage original qu’elle a séjourné dans de l’urine animale et se trouvait
qui rend intelligible l’organisation des territoires et donc sur un lieu de passage intense des troupeaux :
de leurs points stratégiques. point d’eau, col, étape caravanière ou partage territorial.
La pièce présentée ici, collectée vers 1930 dans Bien qu’arrachée à son contexte, cette pierre offre
la « Colonie du Niger » 1 , porte une inscription en langue un aperçu de l’étonnant façonnage graphique du Sahara
touarègue – appelée tamajaght, tamahaght, tamashaght et de ses territoires nomades. Dans un univers perçu
selon les accents – qui appartient à la grande famille en mouvement, graver des signes et des énigmes à chaque
linguistique de l’amazigh ou berbère. L’alphabet utilisé étape du parcours universel que tout être, tout élément,
pour la noter a un nom au féminin pluriel : les tifinagh. toute chose doit accomplir, c’est engager l’échange
Enracinée dans la préhistoire du nord de l’Afrique, avec le monde de l’inconnu.
la langue amazighe s’est élaborée entre 9000 et 8000 Dans le contexte culturel touareg, les tifinagh, associés
avant notre ère. Dès l’Antiquité, elle semble avoir joué à la civilisation, aux valeurs matricentrées fondatrices
le rôle de lingua franca entre l’espace méditerranéen de la société et à la capacité nomade de transformer
et l’espace subsaharien 2 . Les premières inscriptions le désert en abri protecteur, ont ainsi une valeur sacrée
libyco-berbères apparaissent entre –1300 et –1200 sur le plan culturel, symbolique et esthétique. Plus
au Sahara central, principal foyer de production et large ment, ces lettres structurent l’imaginaire amazigh
de diffusion de la civilisation amazighe. Dans la filiation et sont intégrées dans le décor géométrique de toutes
de cet alphabet naissent les tifinagh dits « anciens », les productions matérielles et artistiques de cette
dont l’usage est attesté dès le V I e siècle avant notre ère, civilisation. La propagation de la religion musulmane,
164
65
Stèle funéraire
Almería (Espagne) ? Plusieurs stèles funéraires ont été découvertes à Gao- leur graphie et leur matière première, le fait que les
1 re moitié du X I I e siècle Saney à partir de 1939, à quelques kilomètres au nord défunts, deux hommes et une femme, portent des titres
marbre sculpté de Gao. Jean Sauvaget s’est penché, dès la fin des souverains (malik-malika). Le contenu des épigraphies
H . 87 cm ; l. 45 cm années 1940, sur plusieurs d’entre elles, qu’il a réparties atteste leur foi et témoigne de la pratique de l’islam à cette
inscriptions en trois groupes. Le premier, auquel appartient la stèle date par les élites de Gao 3 , pratique par ailleurs rapportée
basmala, tasliya ici présentée, a été rapproché des stèles produites un peu plus tôt par al-Bakri pour les élites de « l’empire
en al-Andalus et notamment à Almería, premier port du Ghana » 4 . Les noms des souverains reflètent quant
almoravide, dans la première moitié du X I I e siècle ; à eux les processus d’assimilation en cours. Certains
l’épigraphie, en style coufique, y est en relief. La forme mêlent prénom (ism) et/ou surnom honorifique (laqab)
des stèles, l’organisation du décor – pour deux d’entre typiquement musulmans, filiation imaginaire avec les
elles autour d’un arc outrepassé –, la graphie de certaines compagnons du Prophète Muhammad et filiation réelle
lettres ainsi que diverses particularités orthographiques avec une lignée locale.
ont permis de les rattacher à ce lieu de production très La stèle que nous présentons ici est la seule à ne pas
éloigné. Le second groupe correspondrait à une imitation être datée et à ne correspondre à aucune épitaphe. Elle
locale du premier, tandis que le dernier, très différent, porte simplement, après les formules liminaires, un poème
composé de graphies incisées au trait, serait de facture fondé sur plusieurs passages du Coran, probablement
locale et « dégagé d’influences extérieures ». Toutes ces inspiré d’un poème de Abu al-‘Atahiya (m. à Bagdad en
inscriptions ont fait l’objet d’une étude et d’une édition 210 H . / 825). Cette stèle devait certainement aller de pair
récentes qui ont permis d’affiner les premières inter - avec une autre, portant l’épitaphe du défunt 5 . Aujourd’hui
prétations, tout en inscrivant ces stèles dans le panorama plus abîmée que lors de sa découverte, elle a été un temps
plus large des inscriptions arabes du Mali actuellement encastrée sur l’un des murs des bureaux du « Cercle de
« Voici ce qui a été dit à ce propos : Ô toi dont le chemin connues 1 . Elles ont ainsi pris place au sein des plus anciens Gao », puis a rejoint le Musée national du Mali en 1968.
est élevé, dont le sommeil n’est pas troublé, alors que la indices matériels de l’islamisation et de l’arabisation Deux des stèles du « groupe d’Almería » portent
mort rôde prête à fondre. Pense à la tombe et au châtiment de l’Afrique de l’Ouest [voir p. 158-160]. le nom du même sculpteur, Ya‘ish, par ailleurs attesté
durant lequel les serviteurs de Dieu reposeront jusqu’au Le groupe rattaché aux productions d’Almería, formé de sur plusieurs stèles de al-Andalus et du Maghreb 6 .
Jour de l’Appel mutuel. Familiarise-toi avec l’idée de cinq stèles, dont une double, a fourni une preuve matérielle Reste à comprendre le contexte de leur production 7 .
cette épreuve, attends-la, tiens-toi prêt. Le Jour où tous des liens, dont la nature reste à préciser, entre la région Ont-elles été commandées par les souverains locaux ?
les hommes se présenteront nus, pressant le pas à l’Appel, de la boucle du Niger où se trouvait la capitale régionale, Dans quelles conditions ont-elles parcouru le domaine
le Jour où les consciences seront pesées et où rien ne Gao, et le monde almoravide 2 . Trois d’entre elles portent almoravide ? Toujours est-il que quelques années après
sera caché à l’assemblée des témoins, le Jour où les Cieux la date de décès du défunt, ainsi que son nom. 1110, les sources d’approvisionnement semblent taries,
seront déchirés, le Jour où le Tout-Puissant jugera Ces stèles, rapprochées dans le temps (494 H . / 1100 – les souverains locaux ayant recours à des imitations
ses serviteurs » 503 H . / 1110), ont pour point commun, outre leur forme, locales moins belles et linguistiquement incorrectes,
provenance quoique continuant d’utiliser les formules et les versets
Nécropole de Gao-Saney (Mali), « grand caveau » coraniques habituels 8 .
Ces stèles de Gao ne sont pas le plus ancien témoi-
Bamako (Mali), Musée national du Mali
inv. R88-19-279
gnage matériel de l’adoption de l’islam dans cette région
confrontée à une mosaïque linguistique et cultuelle.
La vallée de es-Souk au Mali, correspondant à Tadmekka,
important centre pour le commerce de l’or 9 , a en effet
livré de nombreuses épitaphes, dont la plus ancienne
date de 404 H . / 1013-1014. Une autre inscription peu
commune et non funéraire 10 porte à la fois un texte
en arabe daté de 432 H . / 1041 et une inscription en
caractères tifinagh [voir p. 164], dont la juxtaposition
chronologique est incertaine.
BTL /CD
bibliographie et expositions
Monod Th., 1941 ; Sauvaget, 1948 ; Sauvaget, 1949 (a) ;
Sauvaget, 1950 ; Vire, 1958 ; Flight, 1981 ; Moraes Farias,
2003, n o 2.
166
État de la stèle peu après sa découverte, vers 1943
66 et 67 68 et 69 70 et 71
Trésor d’Acharim Deux dinars au nom Deux dinars au nom
(coffret et deux dinars) de Abu Bakr b. ‘Umar de Abu Bakr b. ‘Umar
Al-Andalus située aux confins de l’influence de cette dynastie, et même commerciales leur suffisait. Cet or devait financer leur Sidjilmasa (Maroc) Sidjilmasa (Maroc) la première fois, des dinars d’or, symboles de leur pouvoir
1 re moitié du X I I e siècle (après 509 H . / 1116) au-delà, témoigne de la circulation, sur des milliers de expansion et la formation d’un empire incluant le Maghreb 450 H . / 1058-1059 et 462 H . / 1069-1070 461 H . / 1068-1069 et 477 H . / 1084-1085 et de la maîtrise qu’ils exerçaient sur le commerce de l’or.
alliage cuivreux martelé et incisé (coffret), kilomètres, le long des routes caravanières, de productions al-Aqsa et al-Andalus 1 . Il fut transformé en fils 2 , ce qui or frappé or frappé Ces monnaies témoignaient également de la légitimité
or frappé (dinars) artisanales de grande qualité en provenance de al-Andalus. facilitait sa commercialisation, et parfois moulé en cat. 68 : D . 2,3 cm ; P O I D S : 4,10 g provenance de ce pouvoir almoravide assujetti au calife abbasside
P O I D S : 4,03 à 4,07 g (dinars) Elle est par ailleurs un indice révélateur de jeux « monnaies chauves », des monnaies non frappées, qui cat. 69 : D . 2,3 cm ; P O I D S : 4,23 g Inconnue de Bagdad : les dinars almoravides portent en effet le nom
provenance d’influences plus complexes. étaient frappées plus au nord, dans la cité de Sidjilmasa. provenance du calife abbasside ‘Abd Allah, identifié comme imam
Rabat (Maroc), Musée numismatique de la Bank of Maghrib
Acharim (Mauritanie), région de Tidjikja La région de Tidjikja, où se trouve Acharim, est située Si l’or des mines de l’Afrique de l’Ouest montait vers le Inconnue et amir al-mu’minin, et reconnu par les guerriers du désert
au sud de l’Adrar mauritanien, berceau des Almoravides. nord, le cuivre des mines du Maroc descendait en échange Ces quatre dinars ont été frappés après que Abu Bakr comme calife légitime.
Nouakchott (Mauritanie), Musée national de Mauritanie (coffret) Paris (France), BnF, département
et Institut mauritanien de recherche scientifique ( IMRS ) (dinars)
Elle a sans doute subi des assauts directs lorsque ces jusqu’au bord du fleuve Sénégal, où il était transformé sur des Monnaies, Médailles et Antiques
et ses guerriers almoravides se furent emparés de Jusqu’aux premières frappes de Sidjilmasa, les
derniers se sont déployés vers le sud, en direction de place 3 . Le sel, les esclaves et les produits manufacturés inv. Lavoix 507 et 509
Sidjilmasa en 448 H / 1055-1056. À partir de cette Almoravides ne frappaient que des monnaies de cuivre
Le trésor d’Acharim est, avec les stèles découvertes à Gao- l’empire du Ghana, et ont attaqué Audaghost, vers 1055, comptaient parmi les termes essentiels de ces date, les Almoravides frappèrent, apparemment pour et d’argent. Sidjilmasa resta d’ailleurs longtemps l’unique
Saney [cat. 65], l’un des très rares témoignages, au sud avant de prendre en main des villes clefs du commerce transactions. centre émetteur de monnaies d’or almoravides. Au fur
du Sahara, de la culture matérielle de al-Andalus à l’époque de l’or. Les mines dont les Almoravides convoitaient La présence dans la région de Tidjikja de ce coffret et à mesure que les conquêtes se multipliaient et que
de la domination almoravide. Sa présence dans une zone l’or se situent plus au sud, mais la maîtrise des voies en alliage cuivreux, accompagné de monnaies d’or le pouvoir central renforçait son ancrage vers le nord,
frappées en al-Andalus (cinq à Murcie et une à Malaga 4 ) d’autres lieux de frappe apparurent : Aghmat [cat. 76
entre 504 H . / 1110 et 509 H . / 1116, sous le règne de à 78] puis Marrakech [cat. 79, 80, 81 et 232].
‘Ali b. Yusuf, ne laisse pas de nous interroger [voir p. 158- Les premières monnaies almoravides de Sidjilmasa
160]. Ils ont été fortuitement découverts, sans doute devaient connaître une large diffusion, tout au long des
avec d’autres objets et monnaies, en décembre 1967. circuits du commerce à longue distance, comme le montre
Plusieurs tentatives de lecture de l’inscription cursive par exemple la découverte de l’une d’entre elles à Aurillac,
décorant le coffret ont été faites, mais aucune ne s’est frappée par Ibrahim, fils de Abu Bakr [cat. 86].
révélée satisfaisante à ce jour 5 . Bien qu’une nouvelle BTL /CD
bibliographie et expositions
cat. 66 droit cat. 66 revers Colin et alii, 1983. cat. 68 droit cat. 68 revers
Dinar frappé à Murcie (Espagne) en 508 H. / 1114-115
168 169
cat. 67 cat. 71 droit cat. 71 revers
Le coffret d’Acharim (Mauritanie) lors de sa découverte (Colin et alii, 1983)
M O H A M E D R A B I T A T E D D I N E B U L L E T U I L L E O N E T T I C L A I R E D É L É R Y
C’est là qu’ils s’établirent dans ce site saharien, comme en témoignent plusieurs monnaies idrissides frappées alors même que Marrakech a déjà été fondée. L’occupation
ET CONQUÊTES
où les gazelles et les autruches sont les seuls compagnons, dans la ville 6 . almoravide ininterrompue jusqu’à la chute du dernier émir
et où ne poussent d’autres plantes qu’épineux et coloquintes * Bénéficiant d’une position stratégique sur les routes à Aghmat Urika commence à peine à être mise en lumière par
du commerce caravanier menant aux grandes villes du sud les fouilles en cours 13 . La fouille d’un palais [voir p. 446-450]
du Sahara, Aghmat a pu s’enrichir d’une manière considérable. largement transformé au X I I I e et au X V I e siècle a donné des
Les grands commerçants de la cité, fiers de leur réussite, exhibaient niveaux anciens des X I e et X I I e siècles. Ce palais est situé à côté
ET CONQUÊTES
impression à partir de l’original ont été fondées sur ordre de l’émir almoravide ‘Ali b. Yusuf. impression à partir de l’original
H . 9 ; l. 12 cm Construites en pisé et cantonnées de tours carrées, elles H . 17,6 ; l. 12,7 cm
ont été refaites à de nombreuses reprises, notamment
Boulogne-Billancourt (France), Chalon-sur-Saône (France), Fondation Gabriel-Veyre
musée départemental Albert-Kahn
aux époques almohade et saadienne. Seules les fouilles collection en dépôt au musée Nicéphore Niépce
inv. A 988
menées à leur fondation permettent de rendre compte
de leur configuration exacte à l’époque almoravide
[voir p. 170-171]. La palmeraie, source vivrière capitale
pour la ville, a été développée grâce au système d’irrigation
bibliographie et expositions
Jacquier et alii, 2005, p. 116-117.
Boulogne-Billancourt, 1999, p. 138.
172 173
74 75
Remparts de Marrakech Palmeraie de Marrakech
Marrakech (Maroc) Marrakech (Maroc)
1924 1935
Lucien Roy (1850-1941) Gabriel Veyre (1871-1936)
support de verre, autochrome support de verre, autochrome
impression à partir de l’original impression à partir de l’original
H . 12,7 ; l. 17,6 cm
Montigny-le-Bretonneux (France), fort de Saint-Cyr,
Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Chalon-sur-Saône (France), Fondation Gabriel-Veyre
Centre d’archives, Archives photographiques collection en dépôt au musée Nicéphore Niépce
inv. 10L00116
174
76, 77 78 79 80 et 81 82
Deux dinars Dinar au nom Dinar au nom Deux dinars au Coin monétaire
au nom de Yusuf b. Tashfin de Yusuf b. Tashfin de Yusuf b. Tashfin nom de Yusuf b. Tashfin Al-Andalus
Aghmat (Maroc) Aghmat (Maroc) Poursuivant leur progression vers le nord, après s’être Marrakech (Maroc) Marrakech (Maroc) 1 re moitié du X I I e siècle
490 H . / 1096-1097 ; 495 H . / 1101-1102 490 H . / 1096-1097 rendus maîtres de Sidjilmasa, les Almoravides s’installent 491 H . / 1097-1098 485 H . / 1092-1093 ; 499 H . / 1105-1106 bronze gravé
or frappé or frappé à Aghmat, capitale régionale située au pied de l’Atlas or frappé or frappé H . 3,1 cm ; D . 2,3 à 2,6 cm ; P O I D S 110 g
ET CONQUÊTES
D . 2,3 cm ; P O I D S 4,19 g [voir p. 170-171]. Ils y battront des monnaies en or, POIDS 4 g inscription
Rabat (Maroc), Musée numismatique de la Bank of Maghrib Rabat (Maroc), Musée numismatique de la Bank of Maghrib
et ce jusqu’à la fondation de Marrakech, qui deviendra
Paris (France), BnF, département des Monnaies, Paris (France), BnF, département des Monnaies, inv. 1152 et 1153
Médailles et Antiques
le troisième atelier de frappe de dinars, puis progressi - Médailles et Antiques
« Pas de dieu hormis Dieu, Muhammad
inv. Lavoix 519
vement la véritable capitale de l’empire. inv. Lavoix 534
Après le premier siège, établi à Aghmat, les Almoravides est l’envoyé de Dieu » (en miroir)
BTL /CD fondent Marrakech vers 462 H . / 1070, qui supplante provenance
bibliographie et expositions rapidement son aînée comme capitale de l’Empire Proviendrait d’un village de la Sierra de Córdoba
Lavoix, 1891, n o 519. almoravide. Les émirs y battent monnaies d’or. Bien que historique
la capitale y soit définitivement installée, les ateliers Acquis en 1926
bibliographie et expositions
Cordoue, 2007, n o 204, p. 60.
ET CONQUÊTES
cat. 85 : perles en or filigrané (bracelet) Les monnaies de l’époque des Taifas ont été frappées Le trésor comporte aussi plusieurs bijoux en or, dont
D . 1,3 à 0,7 cm (perles du collier) ; à Séville et à Cordoue sous le règne de al-Mu‘tadid et un collier et un bracelet sont présentés dans l’exposition.
D . 0,8 à 0,9 cm (perles du bracelet) de son fils al-Mu‘tamid, derniers souverains de la Taifa Le collier est constitué de cent cinquante-trois perles
provenance de Séville, qui, au moment de sa plus grande expansion, rondes et lisses, dont le diamètre est parfois rehaussé
Castillo de Lucena (Espagne) comprenait la région de Cordoue. Al-Mu‘tamid, célèbre d’un fil torsadé. Les perles qui composent le bracelet
pour son amour de la poésie, appela les Almoravides sont cylindriques et filigranées. Monnaies et bijoux
Cordoue (Espagne), Museo Arqueológico y Etnológico
inv. CE 023327/1-53 (trésor dans son ensemble),
à l’aide face à la menace chrétienne contre al-Andalus, ont été retrouvés dans un seau en bronze portant une
mais finit exilé et emprisonné à Aghmat par ses premiers bénédiction inscrite.
Un très important trésor a été découvert en 1962 près de de la Taifa de Grenade [voir p. 170-171]. Les monnaies bibliographie et expositions
Castillo de Lucena, à une soixantaine de kilomètres au sud de l’époque almoravide contenues dans ce trésor, Marcos Pous et Vicent Zaragoza, 1993, n o 14, p. 207-208.
de Cordoue, lors de travaux effectués par la municipalité dont une centaine sont ici présentées, datent du règne Cordoue, 2007, n os 155-203, p. 55-60.
cat. 85
cat. 84
178 179
cat. 83
86 87 88 89 et 90 91
Dinar almoravide Dinar almoravide Dinar almoravide au Maravédis au nom Moule pour fondre
au nom de Ibrahim au nom d‘Ali b. Yusuf nom de Muhammad b. Sa’d d’Alphonse VIII de Castille de faux dinars
Sidjilmasa (Maroc) Nul Lamta (Maroc) Murcie (Espagne) Tolède (Espagne) légende marginale (cat. 90) : Espagne
467 H . / 1074 535 H . / 1140-1141 543 H . / 1148-1149 1208 (1246 de l’ère hispanique), période médiévale (?)
or frappé or frappé or frappé 1212 (1250 de l’ère hispanique) alliage métallique
ET CONQUÊTES
D . 2,45 cm ; P O I D S 3,84 g D . 2,55 cm ; P O I D S 4,15 g D . 2,55 cm ; P O I D S 3,95 g or « Ce dinar fut frappé à Tolède en l’an 1250 L . 6 ; l. 4,6 cm ; P O I D S 212,87 g
bibliographie et expositions
Duplessy, 1985, n o 21 bis, p. 29 ; Nègre, 1987, pl. XVIII
à XXI , n os 1, 20 et 47.
180 181
cat. 91
S O P H I E G I L O T T E
de contrôle de l’un des rares gués permettant de franchir renfermer des vestiges qui conduiraient à nuancer les hypothèses l’idée d’un départ précipité [cat. 93]. Ces huit dinars, frappés
le cours du Tage entre Talavera de la Reina et Alcántara justifia déjà émises. respectivement à Malaga, Murcie et Valence entre les années
les efforts déployés par les musulmans pour récupérer cette Quoi qu’il en soit, c’est donc dans des édifices en partie ruinés 1110 et 1119, témoignent en outre de la circulation des monnaies
place-forte au début du siècle suivant : elle réintégra le domaine que s’établirent les derniers habitants connus, qui s’employèrent et des relations avec l’est de al-Andalus.
de al-Andalus vers les années 1112 – 1119–1120, avant d’être à les réaménager, en modifiant parfois les tracés antérieurs. Si cet affrontement marqua une rupture dans la vie d’Albalat,
détruite en 1142 par des milices chrétiennes en provenance Il est peu probable que le faubourg et peut-être même le hammam il constitue paradoxalement une véritable aubaine pour les
d’Ávila et de Salamanque 3 . La période qui succéda à ces situés à l’extérieur de la muraille (et aujourd’hui sous les eaux archéologues. Beaucoup de restes organiques, périssables
intermèdes belliqueux est tout aussi confuse et reflète bien d’un barrage) aient été encore en fonction, et l’on préféra dans des conditions normales, ont été préservés par carboni -
le fragile équilibre géopolitique de la zone. Les offensives et sans doute la protection qu’offraient les hauts murs d’enceinte sation : éléments de charpente, fragments de nattes végétales
La notion de frontière à l’époque almoravide : contre-offensives lancées par les différentes factions eurent flanqués de contreforts. C’est dans cet espace intra muros tressées, morceaux de tissus ou encore aliments d’une réserve
le cas d’Albalat pour conséquence de transformer le nord de l’Estrémadure que l’empreinte de la guerre est le plus clairement visible, sous (céréales, olives, glands doux) fournissent autant d’informations
L’actualité de la recherche archéologique nous permet en un territoire frontalier extrêmement instable jusqu’à sa la forme de nombreux fers de traits 7 [cat. 97] disséminés parmi précieuses qui viennent enrichir nos connaissances sur le milieu
de mieux connaître la frontière nord du monde almoravide reconquête définitive par les chrétiens, dans les années 1230. les toitures effondrées et les sols, mais surtout dans les traces environnant, les pratiques alimentaires ou l’industrie textile
et les enjeux territoriaux qui s’y sont noués. Elle nous permet On voit, dès lors, toute la difficulté qu’il y a à reconstruire l’histoire de violents incendies, de pillages et de destructions volontaires dans l’Empire almoravide au début du X I I e siècle. De même, le
aussi de saisir sur le vif et de façon inédite le quotidien des de cette région en s’appuyant uniquement sur destinées à interdire la réoccupation des édifices [fig. 3]. Les mobilier immobilisé dans les différents niveaux d’effondrement
habitants de ces provinces. des sources textuelles peu prolixes, qui mentionnent des faits indices d’une consommation inhabituelle de chevaux et d’ânes permet d’aborder l’aspect matériel des labeurs domestiques
À la veille du XIIe siècle, la petite agglomération fortifiée alors militaires dont on ne peut mesurer les répercussions réelles évoquent un moment de disette vraisemblablement provoqué (mouture, cuisine, tissage), artisanaux (sidérurgie de post-
connue sous le nom de Mahadat al-Balat 1 tomba sous les coups sur le peuplement. par un siège, tandis que le petit ensemble monétaire oublié réduction, travail de forgeage) ou agricoles (outils, réserves
des offensives menées dans la région par le roi Alphonse VI C’est en considérant l’histoire d’Albalat, un établissement dans une cache pratiquée dans une paroi en terre conforte alimentaires), ou encore le domaine des croyances populaires,
de León et Castille [fig. 1]. Même si les conditions et la date somme toute mineur mais qui se trouva projeté en première
exactes de sa première reddition face aux troupes chrétiennes ligne de front durant la période almoravide, que l’on peut
sont méconnues, tout porte à croire que celle-ci eut lieu avant appréhender ce que fut la vie quotidienne d’une frontière où
l’intervention des Almoravides dans la Péninsule. En effet, le site villes et forteresses pouvaient passer d’une domination à l’autre
se trouva pris en étau entre les terres septentrionales contrôlées à plusieurs reprises dans des laps de temps relativement courts 4 .
par les chrétiens dès 1079 et celles situées plus à l’est, conquises Grâce aux recherches archéologiques 5 engagées depuis 2009
quelques années plus tard, entre 1084 et 1085 2 . Sa fonction à Albalat, les niveaux les plus récents documentés jusqu’àprésent
ont pu être datés de la première moitié du X I I e siècle 6 [fig. 2].
Il est surtout intéressant de constater que cette occupation
est intervenue après une phase d’abandon durant laquelle
les constructions se dégradèrent, ce qui laisse penser que
l’intervalle chrétien ne s’accompagna pas d’une installation
effective. Ce schéma semble s’être répété par la suite car,
après l’implantation d’époque almoravide, le site fut de nouveau
déserté, en dépit d’une tentative royale pour revivifier cet espace
conquis en cédant en 1195 à l’ordre militaire de Trujillo « villam
et castellum quod vocant Albalat, situm in ripa Tagi » (« villam
et castellum appelés Albalat, et qui se trouvent sur la rive du
Tage »). L’échec du repeuplement a pu aussi bien découler d’une
faiblesse logistique, faute d’hommes et de moyens, que résulter
de la campagne militaire menée en 1196 par le calife almohade
Ya‘qub al-Mansur pour reprendre le contrôle de cette région
du Tage. Mais la surface réduite qui a été fouillée invite à
la prudence : d’autres secteurs encore non étudiés pourraient 183
fig. 1 fig. 2
Localisation du site d’Albalat (Espagne), en bordure du Tage Niveau supérieur mis au jour par les fouilles de l’occupation médiévale du site d’Albalat
92
Moule d’orfèvrerie
Albalat (Espagne) (?)
X I e siècle
pierre
H . 8,1 ; l. 7,1 ; É P . 2,1 cm
situées à mi-chemin entre religiosité et magie blanche (motifs retracer leur distribution dans les habitations et procéder à
ET CONQUÊTES
provenance
prophy lactiques, talismans [cat. 92 et 96]). Ces objets qui ont des analyses biochimiques de leurs contenus, autant d’éléments Cáceres (Espagne), Albalat, Romangordo
échappé à la rapacité des vainqueurs et à la destruction attestent qui posent les bases d’une approche globale sur le geste, les Cáceres (Espagne), Museo de Cáceres
inv. D-8141
égale ment une certaine richesse, signe qu’en dépit de la frontière usages et l’économie. Certains détails, comme une dédicace
Albalat était bien inséré dans un réseau d’échanges commerciaux de propriété écrite en arabe sur une jarre, ramènent à l’individu. Ce type de moule bivalve est bien connu en al-Andalus et,
dans une moindre mesure, au Maghreb occidental ainsi
et ne vivait pas uniquement de formes d’économie parallèles, Retrouver les spécificités des groupes qui ont composé
qu’en Afrique subsaharienne. À la différence d’autres
bibliographie et expositions
Inédit.
185
fig. 3
Niveau témoignant des incendies et des destructions volontaires survenus sur le site d’Albalat
93 94
Huit dinars Plat
Al-Andalus Ces huit dinars, monnaies en or, découverts lors de La variation du titre et du poids donne en effet Al-Andalus
frappes de Murcie, Valence et Malaga fouilles récentes menées sur le site frontalier d’Albalat des indications précieuses sur l’économie de l’époque 1 re moitié du X I I e siècle
494 H . / 1100 – 512 H . / 1119 en Estrémadure [voir p. 182-184], formaient un petit et sur les choix politiques liés à l’effort de guerre. céramique glaçurée
or ensemble monétaire, isolé dans une cache pratiquée dans SG
H . 11,8 ; D . bord 34,2 ; D . fond 11,5 cm
ET CONQUÊTES
cat. 93a : D . 2,3 cm ; P O I D S 4 g une paroi en terre. Ils ont probablement été oubliés ou bibliographie et expositions provenance
cat. 93b : D . 2,3 cm ; P O I D S 4 g abandonnés lors d’un départ précipité, peut-être en raison Gilotte, 2011 (b). Cáceres (Espagne), Albalat, Romangordo
cat. 93c : D . 2,5 cm ; P O I D S 3,95 g des attaques dirigées contre le site par les chrétiens. Cáceres (Espagne), Museo de Cáceres
cat. 93d : D . 2,4 cm ; P O I D S 3,99 g Ces huit dinars ont été frappés en al-Andalus, sous les inv. D-5513 (inv. de fouille PC 55)
cat. 93e : D . 2,4 cm ; P O I D S 4,02 g règnes de Yusuf b. Tashfin (r. 1061-1106) et de ‘Ali b. Yusuf
cat. 93f : D . 2,3 cm ; P O I D S 3,98 g (r. 1106-1143) dans les villes de Malaga, Murcie et Valence Ce plat au profil caréné offre la particularité
cat. 93g : D . 2,4 cm ; P O I D S 3,99 g entre les années 1100 et 1119. Ils témoignent donc de de présenter un pied annulaire souligné de
cat. 93h : D . 2,5 cm ; P O I D S 4,10 g l’insertion du site dans un vaste réseau d’échanges. trois moulures. Les parois sont recouvertes
cat. 93g : inv. D -5528 et cat. 93h : inv. D -5529 bibliographie et expositions
Gilotte, Cáceres Gutiérrez et Juan Arés, à paraître.
186 187
95 96 97
Pièces d’échecs : Amulette en forme d’épée Quatre pointes de flèche
pion et tour Al-Andalus et une pointe de javeline
Al-Andalus début du X I I e siècle Al-Andalus
1 re moitié du X I I e siècle plomb moulé 1 re moitié du X I I e siècle
os L . 8,8 ; l. max. 1,4 cm fer forgé
ET CONQUÊTES
pion : H . 4,9 ; l. max. 2,35 cm provenance I N V . D -5516 : L . 10,3 cm
tour : H . 5,9 ; l. max. 4 cm Cáceres (Espagne), Albalat, Romangordo I N V . D -5518 : L . 11,7 cm
bibliographie et expositions
Gilotte, 2011 (b).
188 189
cat. 95 cat. 96
Un développement urbain
et une doctrine religieuse
au service du nouveau pouvoir
Les Almoravides font du sunnisme et du courant
juridique malikite leur doctrine officielle.
Les souverains construisent et embellissent
des grandes-mosquées sur tout le territoire.
La capitale Marrakech fait l’objet de tous
les soins, mais les grandes villes telles Fès
et Tlemcen ne sont pas oubliées. Grâce à l’appui
du pouvoir, la période est intellectuellement très
riche et les sciences juridiques se développent.
Dans cette atmosphère de piété s’épanouit
également un courant spirituel particulier,
le soufisme, promis à un grand avenir.
191
Vue aérienne de la mosquée al-Qarawiyyin de Fès
Prestige des artisans andalous : A H M E D S A L E H E T T A H I R I
fig. 1
Le minbar dit « de la Kutubiyya », aujourd'hui conservé au palais Badia à Marrakech
Une peinture rouge ou bleue y a été délicatement introduite que les travaux furent pris en charge par les habous de la cité 11 . de la Qal‘a des Banu Hammad au Maghreb central et oriental. d’un axe longitudinal fait d’œillets empilés, de palmettes simples
bibliographie et expositions
Inédits.
cat. 100
196
cat. 98 cat. 99
101
Minbar de la mosquée
al-Qarawiyyin
Espagne ou Maroc temps à destination, comme celle de la Kutubiyya. bibliographie et expositions
538 H . / 1144 Au-delà de l’écart chronologique qui sépare l’exécution Marçais G., 1932, p. 330 ; Terrasse H., 1957 ;
bois, os des minbars de la Kutubiyya et de la Qarawiyyin, Terrasse H., 1958 (a) ; Olagnier-Riottot, 1967, p. 165-166,
bibliographie et expositions
Inédit.
200 201
cat. 103
106 et 107 108 et 109 110
Fragments de Fragments de Fragment d’un écoinçon
décor architectural décor architectural Fès (Maroc) de la nef axiale ou d’autres parties de l’édifice en place
Fès (Maroc) Fès (Maroc) en place jusqu’en 528 H . / 1134 jusqu’en 528 H . / 1134 ? Leur origine et leur datation
en place jusqu’en 528 H . / 1134 en place jusqu’en 528 H . / 1134 stuc sculpté doivent être affinées. Quoi qu’il en soit, il s’agit de décors
stuc sculpté stuc sculpté H . 15 ; l. 21,5 ; É P . 6 cm de stucs blancs caractérisés par une taille profonde et
bibliographie et expositions
Inédits. cat. 110
cat. 106
cat. 107
202 203
cat. 108 cat. 109
B U L L E T U I L L E O N E T T I
Paris (France), Médiathèque de l’architecture Rabat (Maroc), ministère de la Culture du Royaume du Maroc,
et du patrimoine direction du Patrimoine, division de l’Inventaire
inv. AR-08-10-13-16 ; Maslow 251Ifa inv. Mq 0371
bibliographie et expositions
Maslow, 1937, pl. 41.
113
Paire de vantaux de
la porte Bab al-Sbitriyin
Fès (Maroc)
vers 531 H . / 1136
bois de cèdre et placage en bronze fondu, laminé et
repoussé sur les plaques, moulé et ciselé sur les autres
éléments
H . 385 ; l. 121 ; É P . 15 cm
inscriptions
sur le heurtoir
Cette paire de vantaux de porte provient du Bab al- irréguliers ou triangles – liées par des baguettes moulées, et de palmettes fleuronnées. Sur les étoiles à six pointes,
Sbitriyin, situé au sud-ouest de la grande-mosquée et organisées sur la base d’un schéma symétrique autour ce décor rayonne autour d’un large clou hémisphérique
de Fès al-Qarawiyyin. Cette porte tire son nom de celui d’une étoile à six pointes. Seuls certains éléments sont ciselé de palmes affrontées en composition cruciforme.
de la voie qui longe la mosquée et l’oratoire funéraire, ciselés, les autres laissés nus, ce qui met en valeur le décor Le seul heurtoir conservé s’appuie sur un support conique
le masdjid al-djana’iz [voir p. 204-205], qui s’y trouve fouillé des premiers. La bordure des vantaux est formée coiffé d’un cordon enroulé, et doté d’un rebord plat orné
accolé 1 . Elle aurait été déposée avant 1942 2 [fig. 1], de plaques rectangulaires, ciselées alternativement de rinceaux de palmes à flammèche. Celui-ci est rattaché
pour être remplacée par une copie exécutée au même d’une arcature trilobée ou lisse. Sur la reproduction de au heurtoir à proprement parler par un manche mouluré
moment et toujours en place aujourd’hui. la porte, telle qu’elle a été publiée en 1968 3 , un bandeau et articulé. Le marteau se présente sous la forme
Sur l’avers, chaque vantail est subdivisé en neuf épigraphié courait à l’interface des deux vantaux, d’un disque ajouré d’une rosette polylobée prolongée
registres horizontaux, séparés par des rangées de larges bandeau aujourd’hui perdu tant sur la reproduction de palmettes lancéolées. Le pourtour du disque porte
clous à tête conique godronnée [fig. 2]. Les registres que sur l’original. Le revers, tourné vers l’intérieur un bandeau épigraphié naskhi scandé de paires de demi-
sont formés d’une composition géométrique de plaques de la mosquée, ne présente aucun décor. palmettes adossées, et enserré dans un brin torsadé.
de bronze de formes variées – étoiles hexagonales et Chaque plaque porte un décor ciselé de compositions Les plaques rectangulaires disposées sur le pourtour
octogonales, polygones hexagonaux, parallélépipèdes végétales symétriques formées de palmettes souples des vantaux portent alternativement un décor d’arcatures
trilobées meublées de rinceaux de palmettes et de fleurons
et une inscription coufique sur fond de rinceaux de palmes
à flammèche. Les longues hampes bifides qui prolongent
certaines lettres sont redoublées de hampes suspendues,
de manière à scander régulièrement la surface inscrite.
Cette porte forme un ensemble de trois avec
le Bab al-Djana’iz, qui a été démantelé [cat. 1], et
le Bab al-Ward, situé dans l’axe de la nef principale
de la salle de prière 4 . Chacune d’entre elles présente
un décor organisé selon un schéma géométrique unique,
témoignage du raffinement de l’œuvre almoravide dans
la mosquée al-Qarawiyyin. Leur disposition, du côté
de la mosquée des funérailles et sur l’axe du mihrab,
met en valeur la hiérarchisation des différents espaces
de la mosquée, où la primauté décorative est accordée
au mihrab et à ce dispositif exceptionnel qu’est le
masdjid al-djana’iz.
BTL /CD
bibliographie et expositions
Terrasse H., 1968, p. 47-48 et pl. 92 et 93 ;
Cambazard-Amahan, 1989, p. 73-81.
fig. 1
Salle de prière de la mosquée al-Qarawiyyin de Fès. Au premier plan apparaît la porte Bab al-Sbitriyin décrochée.
Fine Arts Library of the Harvard College Library, inv. Fez A .038/2742/ AKP 033
114
« Expliciter, comprendre,
expliquer, organiser et
justifier les responsa de
la Mustakhradja de al-‘Utbi »
Première section : les
funérailles (al-Djana’iz)
Abu al-Walid Muhammad b. Ahmad Ibn Rushd al-Djadd Ibn Rushd al-Djadd (405 H . / 1058 – 520 H . / 1126) 2 est L’auteur ne partage pas systématiquement les avis
(405 H . / 1058 – 520 H . / 1126) l’une des grandes figures du malikisme almoravide, aux juridiques de Malik rapportés par son disciple direct
19 Shawwal 697 H . / 30 juillet 1298 côtés de Abu Bakr b. al-‘Arabi [cat. 132] et du qadi ‘Iyad Ibn al-Qasim (m. 191 H . / 806), qu’il tente parfois de
copiste [cat. 302]. Homme de confiance du pouvoir, il a exercé relativiser en se référant à des traditions prophétiques.
Ahmad b. Muhammad b. ‘Ali b. Muhammad al-Ru‘ayni la charge de qadi supérieur (qadi al-qudat) et d’imam D’après Ibn Rushd, il n’est par exemple pas nécessaire
al-‘Abdas de la grande mosquée de Cordoue, et c’est en cette qualité mais seulement recommandé pour qui croise un cortège
qu’il a pu être le promoteur de l’école juridique malikite, funéraire d’accomplir la prière mortuaire (salat al-djanaza)
papier fortement imprégnée de l’asharisme des Almoravides. [voir p. 204-205]. Les ablutions majeures (ghusl)
137 folios Il fut un faqih mudjtahid, habilité à produire un effort n’incombent pas non plus à celui qui lave la dépouille
reliure à rabat moderne d’interprétation personnelle, un théoricien du droit (usuli) d’un mort, dans la mesure où il est possible d’interpréter
H . 27 ; l. 20 cm et un mufti d’une grande renommée 3 . Il eut de nombreux le propos de Malik (avec force traditions et arguments
autres mentions manuscrites disciples aussi bien en Andalousie qu’au Maghreb, dont d’ordre linguistique à l’appui) dans un sens favorable
Marque d’immobilisation habous sur le premier folio : l’historien Ibn Bashkuwal (m. 578 H . / 1183) et le juriste au statut religieux de la dépouille humaine : comme celle-ci
Ibn al-Wazzan (m. 543 H . / 1148), qui rassembla ses fatwa-s. ne saurait être considérée comme impure (nadjas), il faut
L’épithète al-Djadd (« l’aïeul ») permet de le distinguer plutôt comprendre que le laveur de la dépouille est invité,
de son petit-fils Ibn Rushd, le grand philosophe, l’Averroès cela à titre de recommandation (mustahabb), à faire les
latin (m. 595 H . / 1198), dont le nom se termine par ablutions non pas après le lavage du corps, mais avant.
l’épithète al-Hafid (« le petit-fils »). LD
210 211
M I C H E L T E R R A S S E A G N È S C H A R P E N T I E R
coufiques ou palmes lisses forment comme un registre de surface mis au jour dans la « Maison de la plaine » de Chichaoua Charenton-le-Pont (France), Médiathèque
de l’architecture et du patrimoine
lumineux qui s’enlève sur le jeu subtil des palmes nervées par Paul Berthier 7 [cat. 119, 121 à 123]. Mais sur certains
inv. 80/123/1013.35709
apparaissant en demi-teinte ; elles-mêmes et les tiges qui les fragments, le style de l’acanthe est proche de celui de l’atelier
Ce plan aquarellé de la grande-mosquée de Tlemcen
supportent sont en forte saillie sur les fonds sombres, parfois qui a exécuté le second registre du décor de la qubba de
a été exécuté par Duthoit, probablement dans les mêmes
colorés, des panneaux. Curieusement, ce niveau du décor – fondé ‘Ali b. Yusuf à Marrakech, où des folioles d’acanthe sont années que ses autres relevés d’élévation et de plan
sur les clairs-obscurs – comme celui de surface – plus lumineux – asso -ciées à des feuilles traitées comme des demi-palmettes. effectués sur place [cat. 316].
Le plan de l’édifice représenté, fondé à l’initiative
présentent un nombre de trous au trépan étonnamment élevé. Le second groupe présente des fragments où dominent les palmes de l’émir ‘Ali b. Yusuf dans les années 1130, et achevé
Deux « ateliers » sont de nouveau présents ici, ce qui permet – à digitations d’acanthe caractéristiques des débuts du X I I e siècle. en Djumada II 530 H . / mars-avril 1136, conserve les
grands traits de son organisation originelle au niveau
en l’absence de source historique – de dater ces travaux de Certaines palmes doubles présentent des lobes à retournement
de la salle de prière 1 . Cet édifice, élevé en même temps
la même époque que ceux effectués dans la grande-mosquée qui rappellent, une fois encore, certaines palmes de la qubba que débutaient les travaux d’élargissement de la mosquée
de Tagrart. Leur manière évoque ce que nous connaissons de ‘Ali. Elles constituent le premier plan d’une composition al-Qarawiyyin de Fès, témoigne du raffinement de l’archi -
tecture almoravide au Maghreb central [voir p. 212-214].
à Fès [cat. 108 à 110], à Marrakech ou à Chichaoua. où des palmes à digitations d’acanthe composent l’essentiel
BTL /CD
du décor. Celui-ci forme un « arbre de vie » dont la tige médiane bibliographie et expositions
est régulièrement ponctuée de petits disques. Nous n’avons Inédit.
fig. 3
Mihrab de la grande-mosquée de Tagrart
(Tlemcen, Algérie)
116 117
Arc du mirhab dans Tlemcen. Intérieur
la grande-mosquée de la grande-mosquée
de Tlemcen Tlemcen (Algérie)
entre 1868 et 1915
Tlemcen (Algérie)
avant 1906 (?) Neurdein frères
anonyme tirage argentique sur papier
épreuve sur papier albuminé impression à partir de l’original
impression à partir de l’original H . 27,4 ; l. 20,7 cm
H . 24,2 ; l. 18 cm
Paris (France), BnF, département
Paris (France), École nationale supérieure des Beaux-Arts des Estampes et de la Photographie
inv. PH 15133 EO -223-Fol a – boîte 7 n o 252
La grande-mosquée de Tagrart (Tlemcen) a été achevée Ce cliché pris par les frères Neurdein, qui fut commercialisé
en 530 H . / 1136 sous l’émir almoravide ‘Ali b. Yusuf sous forme de carte postale, montre une vue générale
[voir p. 212-214]. Dotée d’un magnifique mihrab, elle est, du mihrab almoravide de la grande-mosquée de Tlemcen.
avec la mosquée al-Qarawiyyin de Fès, le plus specta - La coupole ajourée devant le mihrab, ici invisible, inonde
culaire exemple d’édifice religieux de la période almoravide celui-ci de lumière. À droite du mihrab, on observe le
conservé jusqu’à nos jours. Il en existe plusieurs photos minbar sorti de la petite pièce dans laquelle il est remisé
anciennes, notamment dans les fonds publics français, jusqu’à la prière du vendredi. La seconde travée, qui occupe
en raison de l’intérêt suscitépar Tlemcen chez les premiers ici le premier plan, présente des arcs outrepassés tout
grands « voyageurs » européens puis dans le sillage de simples, tandis que l’arc de la nef axiale, polylobé, met
la conquête française. Parmi les vues les plus anciennes celle-ci en majesté.
de la grande-mosquée figurent celles publiées en 1861 L’arc du mihrab outrepassé, dans son encadrement
par Jakob Lorent 1 . Les frères Neurdein devaient prendre carré, alfiz, s’inscrit dans la tradition andalouse. Son décor
plus tard une série de clichés, qui allaient être commer - de stuc est exubérant et contraste avec celui de la niche,
cialisés [cat. 117], de son magnifique mihrab et de beaucoup plus simple, où court une inscription coufique.
sa coupole ajourée par laquelle perce la lumière. Ce mihrab et son décor ont fait l’objet d’une étude
Nous présentons ici une vue moins connue, anonyme, et de relevés minutieux par Georges Marçais 1 , pionnier
d’un détail du mihrab. Elle fait partie d’une série de trois de l’étude des arts de l’Islam qui consacra à la ville
clichés conservés à l’École nationale supérieure des de Tlemcen des monographies faisant toujours autorité.
Beaux-Arts de Paris 2 . Ils sont peut-être du même auteur BTL /CD
que la vue de la maqsura du musée de Tlemcen [cat. 118]. bibliographie et expositions
On peut y observer, bien plus précisément que sur les vues Inédit.
d’ensemble plus habituelles, l’exceptionnelle beauté
de la dentelle de stuc de la coupole.
BTL /CD
bibliographie et expositions
Inédit.
118 119
Maqsura almoravide Élément d’arcature
de la grande-mosquée Chichaoua (Maroc)
X I e – X I I e siècle
de Tagrart stuc sculpté, restes de polychromie rouge
Tlemcen (Algérie) Cette photographie de la maqsura de la grande-mosquée au musée d’Art et d’Histoire de Tlemcen, cette maqsura est, sur les parties planes
bibliographie et expositions
Paris, 1999 (a), n o 125.
219
fig. 2
Un autre panneau en stuc découvert à Chichaoua,
aujourd'hui déposé au Musée archéologique de Rabat
120, 121, 122, 123
Éléments de
décors architecturaux
Chichaoua (Maroc)
X I I e siècle
stuc sculpté
cat. 120
cat. 121
221
cat. 122 cat. 123
124, 125 126
Panneaux de Panneau de
décors architecturaux décor architectural
Chichaoua (Maroc) Chichaoua (Maroc)
X I I e siècle X I I e siècle
stuc sculpté, restes de polychromie bleue stuc sculpté, restes de polychromie bleue
bibliographie et expositions
Dérembourg, 1928, p. 249 ; Dandel, 1994, cat. 2 ;
Barrucand, 2005, p. 110.
224
129 130
Section du Muwatta’ Deuxième volume du Siradj
(« Le Chemin aplani ») al-muridin fi sabil al-din
« La lampe des adeptes
Malik b. Anas du Prophète. Il s’agit donc de l’œuvre fondamentale association courante dans les manuscrits de l’époque, sur le chemin de la religion » Ce manuscrit a été composé par le grand qadi de Le texte est copié dans une fine écriture maghrébine
226 227
131 132
« La clef de la félicité Règles de la vie mystique
et l’accomplissement Abu Bakr b. al-‘Arabi
de la voie de la volonté » X I I I e siècle
papier
2 folios d’un manuscrit, miscellanées de 109 folios
reliure en cuir
H . 20,2 cm ; l. 16 cm
Ibn al-‘Arif Ce manuscrit constitue l’unique exemplaire d’un texte une certaine réticence des émirs à ce sujet. Le manuscrit, San Lorenzo de El Escorial (Espagne),
Maroc mystique composé par Abu al-‘Abbas Ibn al-‘Arif (Almería, en belle écriture maghribi de dix-sept lignes de texte bibliothèque du monastère royal de l’Escorial
X I V e – X V e siècle 481 H . / 1088 – Marrakech, 536 H . / 1141). L’auteur n’est par page à l’encre sépia, contient un ensemble de inv. Árabe 1516
papier autre que l’un des « Sept Hommes » de Marrakech, grande correspondances échangées par Ibn al-‘Arif avec d’autres
107 folios figure du soufisme andalou, qui, en raison de ses liens maîtres et disciples mystiques, dans lesquelles il discute Parmi les œuvres composant ce manuscrit se trouve
reliure moderne avec des figures anti-almoravides, fut exilé à Marrakech, où différents points de théologie 1 . un court texte de Abu Bakr b. al-‘Arabi (468 H . / 1076 –
H . 20,5 ; l. 14,5 cm il mourut. Son parcours spirituel et son œuvre témoignent 543 H . / 1148) consacré aux règles de la vie mystique.
BTL
bibliographie et expositions
Dérembourg, 1928, n o 1516.
228
Le commerce almoravide
en Méditerranée
L’immense empire almoravide est puissant
et commerce activement. À la richesse des
caravanes au sud s’ajoute le dynamisme
de grands ports méditerranéens au nord.
Almería, en Espagne, est le principal port
de l’empire et le siège de son amirauté.
La ville, qualifiée de « porte de l’Orient », est
également un centre artisanal réputé pour ses
soieries et le travail des métaux. Les fouilles
archéologiques ont révélé l’étendue de
ses activités artisanales : on y fabrique
des céramiques multicolores et des stèles
en marbre que l’on retrouve aux quatre coins
de l’Empire almoravide.
231
Le port de Mértola (Portugal)
A N N I E V E R N A Y - N O U R I
sur l’origine des premiers manuscrits de al-Idrisi. L’attribution doit continuer dans ce sens.
au X I V e siècle pour les copies dites de « Paris I », de Saint-
Pétersbourg et d’« Istanbul I » ne repose en effet que sur des
caractéristiques codicologiques. Quant à l’écriture maghrébine
dans laquelle elles ont été copiées, elle recouvrait à cette
époque une zone très large englobant le Maghreb et ce qui
restait de al-Andalus.
Enfin, ce manuscrit tient une place conséquente dans l’histoire
de la traduction du Livre de Roger en Europe. Il est entré dans les
collections royales dans le cadre de la politique d’acquisition de
manuscrits en Orient menée aux X V I I e et X V I I I e siècles. Acheté par
le marquis de Villeneuve lors de son ambassade à Constantinople,
le manuscrit est envoyé en France sur le vaisseau du capitaine
Templier au milieu d’un lot de manuscrits arméniens et grecs.
Arrivé à Paris en 1740, il est remis à la Bibliothèque du Roi en
1742 sous le nom de « Geographia Nubiensis » (« Géographie
de la Nubie »), première traduction latine de l’ouvrage 9 . Quelques
dizaines d’années plus tard, le volume est remarqué par Pierre
Amédée Jaubert (1779-1847). Ce grand orientaliste, élève de
Sylvestre de Sacy et ancien traducteur de Bonaparte en Égypte,
raconte comment il tomba sur « un volume écrit en arabe, assez
peu lisible, non encore catalogué mais dont le titre, le nombre
de pages et la forme des caractères excitèrent d’abord, puis
finirent par captiver tout à fait [s]on attention 10 ». Il connaissait
alors l’existence des deux manuscrits conservés à Oxford ainsi
que celle de la Geographia Nubiensis, l’abrégé imprimé à Rome
en 1692 et traduit en latin en 1619 par les maronites Gabriel Sionite
et Jean Hesronite. Alors qu’il venait d’entreprendre, à l’insti -
gation de la Société de géographie, la traduction du texte et son
234 commentaire, il prit connaissance en 1831 d’un nouveau volume 235
J O R G E L I R O L A D E L G A D O
Torrevieja 4 (Espagne), Marrakech (Maroc) [cat. 134], Gao (Mali) 5 N’ayant pu arriver là comme fruits du commerce, elles sont
cat. 134
238 239
cat. 135
136 Ce fragment de stèle funéraire, tout comme une autre pièce « Que le Paradis, le Feu et la Résurrection sont vérité ;
Stèle funéraire présentée dans l’exposition [cat. 137], est typique des
productions des ateliers d’Almería dans la première moitié
et que l’heure du jugement est inévitable ; que Dieu
ressuscite les tombes. Il a vécu dans cette profession
Almería (Espagne) du X I I e siècle. Ces ateliers utilisaient le très beau marbre de foi, et en elle il est mort, et en elle il ressuscitera si Dieu
18-19 Ramadan 516 H . / 19-20 novembre 1122 blanc des carrières de Macael, situées non loin de la ville. le veut. Que Dieu le prenne dans Sa miséricorde ainsi que
marbre sculpté Ces productions se caractérisent, non seulement par la celui qui s’apitoie sur lui, ainsi que tous les musulmans ! »
H . 56 ; l. 30 ; É P . 3,5 cm nature du marbre employé, mais par le style de l’épigraphie
inscriptions coufique utilisé, l’organisation du décor – ici autour d’un arc bandeau sommital
bandeau surmontant l’arc : outrepassé à encadrement carré – et les formules choisies, Basmala, tasliya (lacunaires)
Basmala, tasliya en partie stéréotypées. À la même époque et dans les
mêmes ateliers, on fabriquait également des marqueurs champ central
champ épigraphique central funéraires prismatiques [cat. 134, 135, 138 et 139], qui Coran, III , 185 (lacunaire)
pouvaient parfois être associés aux stèles.
BTL /CD
bibliographie et expositions
[sic ] Ocaña Jiménez, 1964, p. 32-33, n o 35, pl. XVI b ; Ocaña
Jiménez, 1988 ; Lirola Delgado, 2005, p. 245, fig. 11.
« Le salut absolu, par la grâce de Dieu, Héritier des cieux
et de ce qu’ils contiennent, et de la terre et de ce qu’elle
contient. Ceci est la tombe de Ahmad b. Husayn b. Tahir
al-‘Adhri. Il est mort la nuit du lundi, dix-neuf jours s’étant
écoulés du mois de Ramadan al-Mu‘azzam, de l’an 516 »
137
Stèle funéraire
bordure Almería (Espagne) « Ceci est la tombe du faqih, du hadjdj, Abu Hafs ‘Umar
[sic ] 2 Ramadan 526 H . / 18 juillet 1132 b. Yunus al-Dani – que Dieu le prenne dans Sa miséricorde !
[sic ] marbre sculpté Il est mort le lundi 2 du mois de Ramadan de l’an 526 – Que
H . 95 ; l. 43 ; É P . 2 cm Dieu le prenne dans Sa miséricorde et fasse briller son visage,
« [témoignant] que Muhammad – Dieu le bénisse inscriptions et le reçoive généreusement ! – Témoignant, à propos de Dieu
et le secoure – est Son prophète ; qu’Il l’a choisi pour encadrement – qu’Il soit honoré et exalté ! – ce dont il témoigna à propos
cette mission, de la famille la plus noble ; qu’Il l’a envoyé de Lui-même, et dont témoignent Ses anges, le Prophète
avec la guidance et la religion véritable pour la faire et Ses créatures dotées de science : qu’Il est Dieu ; qu’il n’y a
prévaloir sur la religion… » pas de dieu hormis Dieu, unique, sans associé ; qu’Il n’a besoin
provenance de rien ni de personne, que Muhammad est Son serviteur
Almería (Espagne) et Son envoyé ; Il l’a envoyé avec la guidance et la religion
véritable annonçant [la bonne nouvelle], conduisant
Almería (Espagne), Museo Arqueológico Provincial
inv. 28795
et invoquant Dieu comme une lumière ardente »
provenance
Almería (Espagne), Pechina
historique
Collection Medina (?), puis collection Merlo Pinto ;
acquis par achat
Madrid (Espagne), Instituto Valencia de Don Juan
inv. 8251
loin de Montpellier, après l’effondrement du presbytère. de Dénia et établie à Almería. Ses membres étaient bibliographie et expositions
Jomier, 1954 ; Aceña, 1998.
cat. 139
243
cat. 138
140
De port en port, le voyage des plats colorés Plat
Almería (Espagne) (?)
Plusieurs témoins font état de l’intense circula- rattacher à aucune espèce. On retrouve ce motif 1 re moitié du X I I e siècle
tion des objets dans les vastes empires almora- de l’oiseau isolé sur plusieurs autres productions céramique glaçurée, décor de cuerda seca
H . 7,7 ; D . base 8,4 cm
vide et almohade. Les céramiques à glaçures de la même époque, tels des plats découverts à
provenance
multicolores se distinguent par leur grande qua- Mértola 9 , Malaga 10 , Almería 11 et Cieza 12 . Dans la
Lisbonne (Portugal), Rua das Pedras Negras
lité et par la quantité des pièces parvenues jus- littérature soufie d’alors 13 , l’oiseau évoque l’âme
Lisbonne (Portugal), Museu da Cidade
qu’à nous. Faciles à reconnaître parmi les tessons s’échappant du corps au moment du dernier sou-
inv. MC . ARQ . RPN .96. C /1569
non décorés, elles sont devenues l’un des objets pir. Une lecture symbolique des différentes com-
d’étude privilégiés des archéologues et des histo- positions de ces plats renvoie donc au thème du Ce plat, très peu connu des spécialistes car peu publié,
est un témoin de la culture matérielle raffinée de la ville
riens qui tentent de connaître l’activité écono- paradis. Les bords présentent des motifs diffé-
portuaire de Lisbonne dans la première moitié du X I I e siècle,
mique des empires berbères, à peine évoquée par rents, végétaux dans le cas des exemplaires de
avant qu’elle ne soit prise et saccagée par les chrétiens,
les sources écrites de l’époque. Parmi les diffé- Mértola, Lisbonne et Almería. Le plat de Qsar tout comme le grand port d’Almería, en 1147. Les fouilles
rents groupes identifiés, on trouve une petite Seghir est quant à lui orné d’une frise de cœurs et, archéologiques mettent peu à peu au jour les vestiges
série de plats à décor mixte, qui associent de sur le bord, de quatre « fleurs de lotus ». contemporains des dernières années de la présence
façon exceptionnelle la technique de la cuerda La dispersion de ces plats à décor mixte, islamique à Lisbonne. C’est ainsi que d’autres céramiques
à décor de cuerda seca, les unes importées, proba blement
seca au décor estampé sous glaçure. Leurs motifs comme celle de plusieurs autres séries de céra-
d’Almería, les autres de production locale, ont été
d’étoiles ou de rosettes estampées ont été exécu- miques glaçurées produites à la même époque, découvertes sur le site du château São Jorge 1 .
tés avant une première cuisson, puis recouverts contribue à mettre en évidence la circulation et L’extérieur de ce plat est monochrome. Au centre,
de glaçure avant de subir une seconde cuisson. les flux commerciaux entre les différents ports du délimité par une frise de motifs estampés sous glaçure,
L’association des deux techniques apparaît sur monde almoravide et almohade, de part et d’autre se tient un oiseau aux ailes vertes ; sur les bords, des
des plats de différentes formes, attribués au du détroit de Gibraltar. Chaque découverte com- plages alternativement blanches et de couleur miel sont
délimitées par quatre motifs, comme on peut le voir sur
XIIe siècle 1 , et retrouvés en fouille dans plusieurs plète la liste des ports commercialement actifs et
d’autres pièces datant de la même époque [cat. 142].
sites portuaires du sud de la péninsule Ibérique celle des mouillages par ailleurs évoqués par les Ce plat peut être rattaché à deux séries. La première est
ou du nord du Maghreb : Carthagène 2 , Almería 3 , écrits géographiques de la période, tel le Kitab celle des rares pièces à décor mixte estampé sous glaçure
Qsar Seghir 4 [fig. 1], Mesas de Asta 5 , Mértola 6 nuzhat de al-Idrisi [cat. 133]. Lorsque les ateliers et de cuerda seca attestées, bien qu’en faible nombre,
[cat. 142] et Lisbonne [cat. 140]. Il s’agit donc d’ob- de production sont identifiés, c’est tout un pan de dans plusieurs grands ports de l’Occident musulman
[voir p. 244 et cat. 142] ; la seconde est celle formée par
jets qui voyagèrent et furent commercialisés dans circulation qui peut être reconstitué, correspon-
les plats présentant en leur centre un motif d’oiseau isolé.
les ports les plus dynamiques de l’occident de la dant à des activités commerciales courantes que
Deux beaux exemplaires de ce type ont été découverts
Méditerranée ; cependant, on ignore encore dans l’on doit distinguer, d’un point de vue écono- dans la ville portuaire de Mértola 2 et un autre dans
lequel d’entre eux ils furent produits. Il semble mique, de celles, ponctuelles, liées à une volonté le site également portuaire de Qsar Seghir [fig. 1].
que ce ne soit pas le port de Lisbonne, puisque les politique particulière, dont témoigne pour les Le motif d’oiseau est également attesté en contexte
pâtes et les glaçures des cuerda seca qui y sont époques considérées le transfert de Cordoue à de production sur des jarres produites à Almería 3 ,
d’où ces plats ont probablement été exportés. Le port
produites présentent des caractéristiques diffé- Marrakech d’un admirable minbar à la demande
d’Almería associait en effet de façon exemplaire des
rentes de celles de cette série. Il est plus vraisem- de l’émir almoravide [voir p. 192].
ateliers de production de très grande qualité, dans
blable qu’elles sont originaires du grand port SGM
le domaine de la céramique, des tissus et des métaux,
d’Almería, siège de l’amirauté almoravide, car la et une flotte commerciale très bien organisée, renforcée
fabrication de plats à décor de cuerda seca de par la présence de l’amirauté almoravide.
SGM /CD/JB
forme similaire à certains plats de cette série y est
bibliographie et expositions
attestée 7 .
Inédit.
Ces plats se caractérisent par un motif central
entouré d’une étroite bande circulaire où ont été
apposés les motifs estampés. Le motif central de
la pièce de Mértola [cat. 142] est un « arbre de vie »
dont la partie sommitale est formée de trois
« fleurs de lotus ». La position de cet arbre dans la
composition ainsi que le motif renvoient au thème
de l’arbre qui se trouvait au centre du paradis 8 . Le
motif central du plat découvert à Mesas de Asta
est un motif épigraphique : « ‘afiya », signifiant
« bonheur ». Au centre des plats découverts à
Lisbonne, Almería et Qsar Seghir, on trouve un
oiseau en position isolée. Il s’agit d’un oiseau
sans caractéristique particulière, que l’on ne peut
fig. 1
Plat à l’oiseau découvert à Qsar Seghir (Maroc) (Redman, 1978)
141
Plat
Almería (Espagne) (?) bibliographie et expositions du plat borde le motif central, végétal, formé de trois
1 re moitié du X I I e siècle Rosselló Bordoy, 1978 ; Flores Escobosa, Muñoz Martín et bulbes ancrés sur une tige munie d’un pied à sa base.
céramique glaçurée Lirola Delgado, 1999 ; Lull et alii, 2001 ; Gómez Martínez, Sous la lèvre, des plages alternativement blanches
H . 7 ; D . max. 24,5 cm 2004 ; Déléry, 2006 ; Lull et alii, 2010. et de couleur miel sont délimitées par quatre motifs :
provenance deux motifs formés de palmettes opposées, et deux carrés
Montuïri, île de Majorque (Espagne), coupés par leurs diagonales.
site archéologique de Son Fornés Le motif central, finement exécuté, est un motif codifié,
bien qu’interprété selon une infinité de variantes [cat. 141].
Montuïni (Espagne), Museo Arqueològic
inv. SF - ZD - S 1-1 A 1-40
Il est attesté sur la céramique de al-Andalus depuis
bibliographie et expositions
Torres C., 1986, p. 196 ; Torres C., 1987, p. 85 ; Torres C.,
1989, p. 51 ; Torres C. et Gómez Martínez, 1995, n o 79,
p. 102-103 ; Macias et Torres C., 2001, n o 33, p. 125 ;
Gómez Martínez, 2002, n o 1, p. 49 ; Gómez Martínez, 2004,
n o CR/CST/0001 ; Gómez Martínez, 2008, p. 54.
Rabat, 1988, n o 46 ; Lisbonne, 1998-1999, n o 63, p. 100 ;
Grenade, 2013-2014, p. 196.
248
cat. 143 (plat creux) cat. 145
146 147 148
Plat aux faons Pied ou Brûle-parfum
aux cous entrelacés support de lampe (?) ornant l’autre objet conservé à Madrid. Sur celui autrefois Al-Andalus comparé à une coupole nervée ajourée. Un petit oiseau,
Maghreb ou al-Andalus du médaillon central sont enveloppés de rinceaux Al-Andalus à Valence, les médaillons ne portent qu’un motif, celui X I I e siècle juché sur le dessus, offre une prise. Ce type de prise
1 re moitié du X I I e siècle de palmettes fleuronnées. X I I e siècle d’un lion rampant. Ce motif connaît un développement alliage cuivreux moulé et ciselé zoomorphe est bien attesté dans le monde islamique
bronze ciselé La thématique décorative utilise des modèles très alliage cuivreux, doré, repoussé et incisé particulier à l’époque almohade sur plusieurs types H . 15,5 ; D . 8,8 cm médiéval en général, et en al-Andalus en particulier, sur
cat. 148
250 251
cat. 146 fig. 1 cat. 147
Vue de dessus et profil du cat. 146.
(Mértola, Campo Arqueológico de Mértola)
149 150
Lampe à huile Lampe à huile
Al-Andalus la ligne d’écriture et la forme particulière de certaines Al-Andalus
fin du X I e siècle – 1 re moitié du X I I e siècle (?) lettres, en particulier la kaf et la ra’, cette dernière 1 re moitié du X I I e siècle
alliage cuivreux moulé et ciselé remontant pour former un « col de cygne » au-dessus bronze coulé et gravé
H . 10,3 cm ; L . 16,5 cm de la ligne, comme c’est le cas par exemple sur le lion H . 19,8 cm ; L . 26,6 cm
bibliographie et expositions
Zozaya, 2010 (b), p. 218-222, fig. 6a.
252
cat. 149 cat. 150
151
Griffon de Pise
Al-Andalus ainsi que des métaux de cette même région, en particulier deux pièces des automates, utilisés en contexte palatin,
milieu du X I e siècle – milieu du X I I e siècle celle du lion de Monzón 7 [cat. 234]. peut-être dans des jardins 10 . Une fois placé au sommet
bronze à canon moulé et gravé Décrivant le trône byzantin du milieu du X I I e siècle, de la cathédrale, le griffon a été privé de son mécanisme,
H . 107 cm ; L . 90 cm ; l. 46 cm Liutprand 8 parle des lions et des griffons dont il était mais il a continué à faire caisse de résonance et à émettre
inscription 1 flanqué et qui émettaient un rugissement effrayant de leur des sons étranges sous l’action du vent 11 , en véritable
gueule largement ouverte. À l’origine, le griffon de Pise gardien de la cathédrale.
et le lion de Mari-Cha [cat. 152] produisaient certainement A CO
des sons, eux aussi : chacun d’eux possède un réceptacle bibliographie et expositions
« Bénédiction totale et bien-être complet rattaché à l’intérieur, qui a pu servir de support rigide à un Marcel, 1839 ; Migeon, 1907 ; Liutprand, 1930 ;
Joie totale, paix permanente, et tranquillité sac à air sur lequel s’exerçait une pression. À supposer que Monneret de Villard, 1946 ; Melikian-Chirvani, 1973 ;
Absolue, et bonheur promis à son propriétaire » ces deux objets aient été disposés sur des socles contenant Jenkins, 1978 ; Contadini, 2002 ; Contadini, 2010 ;
historique des soufflets 9 , il n’est pas exclu que de l’air ait été aspiré Meyer, 2014, fig. 2 et 16 ; Contadini, à paraître.
Utilisé comme faîtage de la toiture de la cathédrale jusqu’au sac et expulsé par la gueule au travers d’une flûte Grenade et New York, 1992, n o 15, p. 216-218 ;
de Pise (Italie) jusqu’en 1828 en roseau. Cette hypothèse expliquerait la forme irrégulière Venise, 1993-1994, n o 43, p. 126-130.
du réceptacle intérieur, le sac ne nécessitant pas une
Pise (Italie), Opera della Primaziale Pisana
étanchéité parfaite. On pourrait donc voir dans ces
Le griffon de Pise est la plus grande sculpture en bronze
connue pour la période prémoderne dans le monde
musulman méditerranéen. Son appartenance au monde
arabe a été proposée pour la première fois en 1846, quand
Michelangelo Lanci a traduit son inscription. On a envisagé
successivement une origine du sud de l’Italie 2 , de l’Égypte
et de l’Afrique du Nord fatimide 3 , ou encore de l’Espagne 4 .
Des analyses radiocarbone des matériaux datables trouvés
fig. 1
à l’intérieur de ses ailes permettent de dater l’œuvre entre Emplacement du griffon sur le toit de la nef centrale de la cathédrale de Pise
1020 et 1160 5 . On peut donc présumer qu’elle a été prise (aujourd’hui remplacé par une copie)
comme butin durant l’une des batailles qui opposèrent
les Pisans aux Arabes en Sicile, en Afrique du Nord et
dans les îles Baléares, dont les victoires, de 1005 à 1115,
ont été inscrites sur la façade de la cathédrale. Considérant
cette liste, Monneret de Villard (1946) a proposé d’associer
la prise du griffon à la bataille d’Almería en 1089, ou bien
à celle, considérée aujourd’hui comme plus probable,
des îles Baléares en 1114.
Le griffon rapporté à Pise a donc été placé au sommet
de la cathédrale en témoignage de la puissance de la ville
[fig. 1]. Le matériau dont il est constitué, ses dimensions et
son caractère précieux incitent à le rapprocher des portes
en bronze de Bonanno 6 , et peut-être aussi à y voir l’un de
ces bronzes antiques remployés comme témoins d’un passé
impérial. Une interprétation symbolique peut également
être avancée. De même que les lions, les griffons étaient
communément utilisés dans le vocabulaire artistique
de la Méditerranée médiévale, à titre de symboles de la
royauté en contexte profane, et de symboles apotropaïques
en contexte religieux. De fait, placé au sommet de la
cathédrale de Pise, notre griffon pourrait avoir joué le rôle
de figure protectrice. Il est resté à cet endroit jusqu’en
1828, avant d’être déposé au Camposanto jusqu’en 1986,
date à laquelle fut créé le musée de l’Opera del Duomo.
L’essentiel de la surface du corps de l’animal est orné
de motifs sophistiqués exécutés à l’aide de différents
outils utlisés à froid. La partie supérieure des pattes
présente des médaillons en forme de bouclier dans lesquels
sont disposés des lions (sur le devant) et des oiseaux
(à l’arrière), vraisemblablement des colombes. L’inscription
en arabe continue sur le corps est une invocation pour
le propriétaire, lequel n’est pas nommé. Certaines parties
sont endommagées, probablement à la suite de tirs
de mousquet et de chocs, et la queue est manquante.
L’organisation du décor, notamment la bande inscrite
254 achevée en tiraz, rappelle celle des textiles espagnols
152
Lion dit « de Mari-Cha »
Région des Pouilles (Italie) ou Sicile et Al-Andalus Toutes les preuves, stylistiques, iconographiques, de l’époque normande. Le lion pourrait avoir été coulé là,
milieu du X I e siècle – milieu du X I I e siècle de même que techniques concernant la métallurgie, avant d’être regravé en Espagne 7 . Enfin, puisqu’il a été
bronze coulé et gravé évoquent le travail d’un atelier des Pouilles. Cependant, récemment démontré que des ateliers de l’occident
H . 45 ; L . 73 cm la recherche actuelle, toujours en cours, laisse penser que du monde islamique étaient actifs en Sicile au début de
inscription 1 la gravure superficielle, notamment la bande épigraphiée, la période normande, on peut imaginer que le lion ait été
et les médaillons en forme de goutte meublés de griffons, décoré en Sicile par des artisans venus de al-Andalus 8 .
ont été exécutés dans un atelier espagnol, ou tout du moins RC
avec les mêmes outils que ceux utilisés pour le griffon bibliographie et expositions
« Bien-être, bénédiction et tranquillité de Pise [cat. 151]. Le contenu de l’inscription est également Contadini, Camber et Northover, 2002 ; Meyer et Northover,
Paix, bonheur et prospérité très proche sur ces deux œuvres. Or, les liens commerciaux 2003, p. 49-50, 60-67 et fig. 2 ; Contadini, 2010, p. 54 et 57,
Honneur et longue vie à son propriétaire » entre les Pouilles et l’Espagne ont largement été démontrés fig. 1.9 et 1.13 ; Meyer, 2014, p. 29-31, 35-36 et fig. 3, 17
provenance pour le X I e siècle, ce qui permet d’envisager que le lion et 18 ; Camber, à paraître.
Inconnue ait suivi ce parcours particulier de l’Italie à l’Espagne 6 . Londres, Christie’s, 19 octobre 1993, lot 293 ; Venise,
Une autre hypothèse peut également être formulée 1993-1994, fig. 43a et 43b ; Palerme et Vienne, 2003-2004,
Hongkong (Chine), Mari-Cha Collection
en raison de la présence attestée de sculpteurs et n o 18 ; Doha, 2008-2009, n o 69 ; Londres, 2012, n o 62.
Cette ronde-bosse de lion a été coulée d’une seule pièce de bronziers originaires des Pouilles en Sicile au début
selon la technique de la fonte à la cire perdue, tout comme
le griffon de Pise [cat. 151]. À la différence de ce dernier,
fait de bronze à canon plombifère, il s’agit cette fois d’un
alliage bronzier non plombifère. Un réceptacle est disposé
au fond, coulé en même temps que la ronde-bosse elle-
même, quand celui situé à l’intérieur du griffon a été coulé
à part. Ce réceptacle, qui constituait vraisemblablement
un dispositif acoustique, était sans doute accessible par
l’intermédiaire d’une plaque rectangulaire aujourd’hui
perdue, placée au niveau du ventre. Deux cavités ont
été prévues pour recevoir un chanfrein ou prometopidia
de forme classique sur le poitrail.
Du point de vue stylistique, le modelage des épaules
et des pattes arrière est typique de la première sculpture
romane qui apparaît dans la région des Pouilles au milieu
du X I e siècle. Le premier témoignage en est le support du
trône épiscopal en forme de lion conçu pour Santa Maria de
Siponto (aujourd’hui au musée diocésain de Manfredonia),
mais ce style s’épanouit pleinement au siècle suivant,
comme sur les bœufs en marbre disposés sur chacune
des faces de la porte de San Nicola à Bari, et l’on en trouve
encore la trace au X I I I e siècle sur les lions qui flanquent
l’entrée de la cathédrale de Ruvo dans les Pouilles 2 .
Les exemples de ce type de traitement pour les épaules
et l’arrière-train sont nombreux au nord des Pouilles
à cette période. Quant à la face, notamment le modelage
des sourcils, celui inhabituel des oreilles, et la bouche
entrouverte très expressive, on peut également en trouver
des parallèles dans la sculpture de la région, en particulier
sur la tête du lion de Siponto déjà évoquée 3 . La présence
d’éléments décoratifs classiques, comme le prometopidia,
est également très représentative de la sculpture locale,
qui s’illustre au X I I e siècle dans le sphinx de marbre sur -
plombant l’entrée de San Nicola à Bari, dérivé d’un modèle
romain probablement en terre cuite, et dans le relief
sculpté situé juste en dessous d’une représentation du
Christ en sol invictus sur un quadrige, dont le prototype
remonte à l’époque constantinienne 4 . Les analyses
effectuées sur l’alliage utilisé pour modeler le lion ont
également confirmé une attribution à un atelier des Pouilles
du début du X I I e siècle. En effet, la technique de la fonte
en bronze apparaît pour la première fois en Italie du Sud
sur les portes du mausolée de Bohémond à Canosa, au nord
des Pouilles, datées de 1111-1118, et dont la composition,
notamment pour ce qui est des impuretés, peut d’ailleurs
256 être rapprochée de celle du lion 5 .
Détail du motif de griffon ornant la patte avant droite du lion
Les Almohades, entre unitarisme et berbérité
(vers 1116–1269)
De retour d’Orient, vers 1116-1117, Ibn Tumart se serait posé la revendication d’un descendant du Prophète Muhammad,
en censeur « sunnite » des mœurs, incarnant de manière viru- mais dans la réforme des mœurs et des pratiques juridiques,
lente le puritanisme et l’ascèse qui avaient la faveur des habi- ainsi que dans la contestation de la pratique almoravide du
tants des régions rurales du Maghreb. Dès 1120, il aurait pouvoir, au nom d’une vision austère et rigoriste des normes
reproché aux Almoravides leur corruption, leur hérésie et leur sociales et de l’autorité légitime. S’étant réfugié, lors d’une
anthropomorphisme 1 . Le point de départ du mouvement ne première « hégire », à Igiliz, son hameau natal, près de Taroudant
réside donc pas dans une contestation à fondement shi’ite, avec [voir p. 268-270], Ibn Tumart se serait proclamé devant ses
Les Almohades, entre unitarisme En 1147, des montagnards de l’Atlas s’emparent de Marrakech,
capitale des Almoravides. C’est l’acte de naissance de l’Empire
et berbérité (vers 1116 –1269) almohade (« unitarien »), ou mu’minide, du nom de la dynastie
qui va le diriger jusqu’à sa disparition en 1269. Pour la première
et dernière fois de l’histoire, le Maghreb est unifié politique-
ment, de la Tripolitaine jusqu’aux rives de l’Atlantique, sous
l’autorité de souverains, non pas romains ou arabes, mais
berbères. Outre le Maghreb, les Almohades gouvernent aussi
al-Andalus, la partie méridionale de la péninsule Ibérique,
depuis Marrakech, maintenue comme capitale de cet immense
ensemble territorial.
Cet empire exceptionnel eut une durée de vie limitée, mais
les arts, l’architecture, l’idéologie, la pensée politique et reli-
gieuse qu’il élabora marquèrent durablement et profondément
la région. En effet, il se structura autour d’une idéologie très
originale, mise en place par les plus grands intellectuels de
l’époque, et influença tous les domaines, artistiques et cultu-
rels, qui furent mobilisés à son service.
N A I S S A N C E E T E X P A N S I O N D E L ’E M P I R E
ABCDEFGHIJKLMNOPQRSTUVWXYZ
culte et de transmettre leur patrimoine. L’almohadisme était même temps que l’arabisation de pans croissants de la société
tellement en quête d’absolu que ce sont non seulement les du Maghreb.
juifs (art. Stollman) et les chrétiens, mais aussi les musulmans Jusqu’au début du XIIIe siècle, l’Empire almohade ne cessa
eux-mêmes, qui furent contraints à la conversion au tawhid, de s’étendre, avec la grande victoire d’Alarcos, dans la pénin-
conçu comme la réalisation ultime de l’islam. sule Ibérique, contre les Castillans, en 1195 [voir p. 292-296], et
avec la conquête des Baléares, en 1203, aux dépens des Banu
A R T S E T C U L T U R E Ghaniya, ultimes descendants des Almoravides, dont la résis-
Un programme d’éducation, inspiré selon toute vraisemblance tance allait se poursuivre pendant encore un quart de siècle en
du livre V de la République de Platon – traduit de longue date en Ifriqiya. En 1229, pourtant, l’empire entra en crise 10 . Le calife
arabe –, fut mis en place à Marrakech : comportant un entraîne- al-Ma’mun renonça au dogme almohade de l’infaillibilité et de
ment physique, militaire et intellectuel, il était destiné à former l’impeccabilité du Mahdi Ibn Tumart, provoquant la scission de
les nouvelles élites dirigeantes, qui reçurent le nom de talaba 6 l’Ifriqiya, qui devint indépendante sous la dynastie hafside,
ainsi que la première place dans l’ordre de préséance. Des fidèle au dogme almohade, et l’éclatement de al-Andalus en
ouvrages didactiques et pédagogiques furent rédigés par les une multitude de principautés qui se détachèrent d’un pouvoir
grands savants almohades de l’époque, tels Ibn Tufayl (1110- maghrébin affaibli.
1185) et Ibn Rushd (1126-1199), plus connu sous le nom D’itinérante, la cour almohade devint sédentaire et se fixa
d’Averroès, tous deux médecins, conseillers, philosophes 7 , et à Marrakech, d’où les califes ne sortaient plus qu’occasionnel-
aussi pour le second, grand qadi de Cordoue. Telle est la révo- lement pour se rendre en pèlerinage à Tinmal. Ils parvinrent
lution almohade : un programme d’éducation spécifique à se maintenir jusqu’en 1269, quand les Mérinides s’empa -
adapté à chaque catégorie : élites ou plèbe, hommes ou rèrent de la ville et mirent fin à l’Empire almohade. Tinmal
femmes, enfants ou adultes, libres ou esclaves. demeura pourtant de longs siècles durant un lieu saint visité
Du point de vue architectural, l’empire était un vaste chan- par des pèlerins venus se recueillir sur la tombe du Mahdi
tier : mosquées [voir p. 320-323], minarets [voir p. 329-330], forte- Ibn Tumart.
resses 8 furent édifiés ou restaurés en al-Andalus et au Maghreb.
Les versets coraniques gravés en une nouvelle écriture cur-
Forteresse almohade de Dar-al-Sultan (Tarjidit, province de Smara-Guelmin, Maroc).
sive servirent de motifs décoratifs sur les stucs, les monnaies Sur le contrefort de l’Anti-Atlas, la porte de cette forteresse semble reprendre en les simplifiant les formules
architecturales ayant présidé aux grandes portes urbaines édifiées par la dynastie almohade à Marrakech et à Rabat.
et les tissus des ateliers califaux 9 . Une nouvelle monnaie
d’argent fut créée, dont la forme carrée rompait avec celle
des modèles précédents [cat. 231 et voir p. 366-368 et p. 458-460 ].
Cette forme fut introduite aussi comme motif central des
dinars d’or [cat. 232].
La cour, itinérante pendant les premières décennies,
concentrait tous les talents. Lettrés, poètes et savants y
convergeaient pour bénéficier des largesses du calife, qui par-
courait son empire à mesure qu’il l’étendait et l’organisait.
La langue berbère fut promue au rang de langue du pouvoir
264 aux côtés de l’arabe [voir p. 404-406]. Le bilinguisme imposé 265
De la naissance
d’un mouvement spirituel
à l’émergence d’une dynastie
Ibn Tumart est la grande figure du début du
mouvement almohade. Il voyagea en Orient
pour se former avant de regagner son pays natal,
comme prédicateur et comme censeur des
mœurs. Autoproclamé Mahdi (guidé par Dieu),
il commença la lutte à partir d’Igiliz, son village
natal dans les montagnes de l’Anti-Atlas,
avant de s’installer plus au nord, à Tinmal.
La lutte contre les Almoravides était engagée.
267
Vue de la mosquée almohade de Tinmal. Au centre, le minaret
J E A N - P I E R R E V A N S T A Ë V E L A B D A L L A H F I L I A H M E D S A L E H E T T A H I R I
d’un lieu de militance (ribat), et surtout celle de la grotte où, que lui a livrées Djinn Jacques-Meunié. Celle-ci avait en effet de manière quasi systématique aux défenses naturelles du site :
évolution, l’édifice a gardé ses proportions originelles, même l’habitat, dont les parallèles connus en al-Andalus datent du milieu de suspension. On remarque au centre un motif de paon bibliographie et expositions
si les piliers-murs ont remplacé des piliers en brique crue lors ou de la seconde moitié du X I I e siècle. Ce type de pièce inscrit portant un petit drapeau en lieu et place de la crête Inédit.
d’une profonde restauration de l’édifice, survenue probablement d’emblée le site dans une économie et une histoire extra-régionales,
lors de la visite-pèlerinage que le premier calife almohade qui, incluant al-Andalus, s’étendent à l’ensemble des empires
entreprit à Igiliz en 1157. À l’époque moderne, le sanctuaire almoravide puis almohade.
devint un lieu de repas rituels communautaires, au moment Dans ce site de montagne, éloigné des grandes voies et des
où le site connut une réoccupation partielle 14 . centres de commerce, la présence ponctuelle de céramique
Autour de la grande-mosquée, comme près des portes de luxe importée de al-Andalus ne semble pouvoir être comprise
monumentales, se développe un habitat dense. Il s’y ajoute deux qu’en rapport avec la place de choix qu’a eue le site dans la
grottes aménagées, qui ont fait l’objet de travaux de protection construction de la légitimité du pouvoir califal almohade, dont
à l’époque médiévale et moderne, peut-être dans le cadre de certains représentants font un « pèlerinage » à Igiliz, aux sources
pratiques ascétiques. Des installations hydrauliques, sous forme du mouvement almohade du Mahdi Ibn Tumart. Les productions
de huit citernes et d’un abreuvoir, sont disséminées sur le Jebel locales permettent de répondre aux besoins immédiats des habi -
central, à l’exception de une ou deux citernes desservant la zone tants d’Igiliz, tandis que d’autres céramiques, glaçurées et
d’habitat extra muros. non glaçurées, confirment l’insertion du site dans la dynamique
des rapports commerciaux régionaux.
Les objets en métal sont eux aussi présents en quantité ; ils
reflètent la dimension guerrière du site, puisque les armes ou
les équipements militaires (épée, pointes de flèches et de javelines,
fragment de cotte de mailles, éléments de sellerie, etc.) constituent
une proportion importante des trouvailles, à côté des objets de
la vie quotidienne. Enfin, des monnaies almoravides frappées
au nom de ‘Ali Ibn Yusuf (m. 1143) et du prince héritier Sir Ibn ‘Ali
(m. 1139) durant la première moitié du X I I e siècle ont également
été retrouvées.
Grâce à l’abondance de son matériel archéologique, le site
d’Igiliz offre une vue d’ensemble sur la culture matérielle d’un site
de montagne à la fin de l’époque almoravide et au début de l’époque
almohade. Pour autant, l’implantation des bâtiments et des espaces
de circulation, qui obéissent à un schéma directeur d’ensemble
et à un certain degré de planification, fait qu’Igiliz n’est pas un site
« rural ». Son rôle dans la genèse du mouvement almohade n’est
sans doute pas sans lien avec ses caractéristiques exceptionnelles.
D’un autre côté, l’un des principaux apports des travaux archéo -
logiques en cours sur le site est celui de l’archéobotanique 15
[voir p. 272]. Il révèle une facette méconnue de la vie rurale en
270 montagne au Maroc dans les premières décennies du X I I e siècle. 271
fig. 3
La qasba d’Igiliz : plan général provisoire à partir de l'état des fouilles en 2012
L’extraction et l’utilisation de l’huile d’argan 154
à l’époque médiévale : l’apport des fouilles d’Igiliz Pichet
Al-Andalus ou Maroc
Au Maroc, plusieurs sites localisés dans le nord ensemble architectural complexe où se côtoient tion de l’huile d’argan revêtent un intérêt histo- X I I e siècle
et le sud-est du pays et ayant livré des niveaux bâtiments domestiques de statut social différen- rique inestimable : Igiliz détient le premier témoi- céramique glaçurée
d’habitat romains et médiévaux ont fait l’objet de cié et espaces religieux 5 . gnage archéobotanique de l’exploitation H . 29 ; D . max. 29 cm
recherches archéobotaniques 1 . Cependant, les Des analyses archéobotaniques ont été inté- de cette espèce en montagne pendant l’époque provenance
données récoltées concernent principalement grées au programme dès le début des fouilles médiévale 6 . Igiliz (Maroc)
des plaines, et des habitats anté-islamiques. De archéologiques. Les vestiges de graines et les En tant que produit spécifique de la région du Rabat (Maroc), Institut national des sciences
fait, malgré les textes de voyageurs, géographes déchets de fruits découverts dans les structures Sous, l’huile d’argan a retenu l’attention de deux de l’archéologie et du patrimoine ( INSAP )
ou botanistes médiévaux qui mentionnent parfois de chauffe et de cuisson (fours, foyers) et dans les auteurs médiévaux, al-Bakri puis al-Idrisi 7 , qui inv. IGI -40953-539
les productions vivrières des provinces qu’ils tra- dépotoirs alimentaires témoignent de la consom- en décrivent, avec plus ou moins de détails, le
Ce pichet a été découvert en 2010 sur le site archéologique
versent, les connaissances sur l’histoire agraire mation d’au moins dix-sept plantes exploitées procédé d’extraction. Une fois ramassés (selon d’Igiliz [voir p. 268-270]. Il se trouvait dans les espaces 9
et pastorale de la région du Sous et des mon- soit par culture soit par cueillette : trois céréales al-Idrisi, au mois de septembre), les fruits sont et 10 de la qasba, zone de commandement.
tagnes environnantes demeurent encore très (orge vêtue, blé froment et sorgho), deux légumi- soit laissés en tas le temps que la partie charnue Il s’agit d’une pièce soignée, à la pâte claire. La glaçure
lacunaires. Aussi ne savons-nous rien de l’exploi- neuses (féverole et gesse chiche), deux légumes se décompose (al-Bakri), soit donnés aux transparente est de couleur miel clair. À l’opposé de
tation ancienne de l’arganier, arbre embléma- (gourde et bette), peut-être deux espèces condi- chèvres, qui les avalent puis en régurgitent les l’anse, on remarque un décor appliqué formé de trois
tique de cette contrée, à la fois pour ses chèvres mentaires (câprier et gattilier), sept fruitiers noyaux (al-Idrisi). Ces derniers sont ramassés petits triangles. Plusieurs céramiques glaçurées ont été
acrobates et pour l’huile d’argan, devenue une (caroubier, figuier, grenadier, deux sortes de juju- dans les enclos, lavés puis concassés pour libé- découvertes dans la zone de commandement du site d’Igiliz,
ressource économique valorisée pour le tou- biers, palmier-dattier, vigne), et l’espèce oléagi- rer les graines [fig. 2]. Celles-ci sont grillées dans mais dans des proportions réduites au sein de l’ensemble
risme. Des sondages entrepris dans les sédiments neuse et fourragère, l’arganier. Près de cinquante une poêle d’argile (al-Idrisi), puis broyées pour en du vaisselier, pour l’essentiel non glaçuré. Ces pièces
marins au large d’Agadir (cap Ghir) montrent que et une plantes sauvages qui composaient la flore extraire une huile de couleur noire (al-Idrisi). glaçurées sont toutes importées. On ignore cependant
l’arganier 2 [fig. 1], aujourd’hui dominant, était pré- des champs et des jardins, celle des pâturages et Les nombreux déchets de coques d’argan encore si celle-ci, seule représentante de sa forme sur
le site, correspond à une production urbaine d’une ville
sent dans la végétation de la plaine du Sous, mais des enclos de parcage et celle des décombres, découverts carbonisés dans les cendres des
du Maghreb al-Aqsa plus ou moins éloignée du site
que sa part a rapidement augmenté à partir de 950 sont aussi enregistrées. À côté de ces déchets foyers et des fours médiévaux d’Igiliz [fig. 3 et 4],
ou d’une ville de al-Andalus. De même que le plat au paon
après J .- C . Cet essor signerait le début de son en majorité carbonisés, des charbons de bois et parfois mêlés à des crottes de caprinés, et la pré-
[cat. 153], ce pichet témoigne de l’importation sur ce site
exploitation 3 . La première attestation textuelle de des bois non brûlés indiquent l’utilisation du peu - sence de percuteurs et de meules dans le mobilier
perché d’une céramique somptuaire, que l’on pourrait
l’arganier est cependant plus tardive car elle date plier ou du saule, du palmier-dattier, du thuya de archéologique renvoient à certaines des opéra- rattacher au pèlerinage des dirigeants almohades sur
du dernier quart du X I e siècle, et nous est donnée Berbérie et de l’arganier. Dans l’éventail des tions décrites dans les deux textes et à celles ce premier berceau du mouvement almohade.
par al-Bakri 4 . plantes ainsi exploitées au début du X I I e siècle par observées à Tifigit, dans le village actuel situé en CD
Depuis 2009, un programme franco-marocain les habitants de l’ensemble fortifié, les déchets de contrebas, à 1 280 mètres d’altitude : consomma- bibliographie et expositions
(« La montagne d’Igiliz et le pays des Arghen ») bois et de fruits de l’arganier sont les plus fré- tion des fruits par les chèvres, concassage, Inédit.
mène une recherche archéologique et historique quents. Outre le caractère inédit d’un point de vue broyage, utilisation des déchets comme combus-
sur le site médiéval d’Igiliz et de son environne- archéologique de l’ensemble fortifié et sa valeur tible. Mais la fonction des divers récipients et du
ment [voir p. 268-270]. Le dégagement des vestiges symbolique, les témoins matériels qu’il a livrés mobilier lithique dégagés dans les habitats et les
de l’occupation du X I e - X I I e siècle a révélé un sur l’exploitation de l’arganier et la consomma- lieux de culte du site archéologique demeure
encore inconnue. Seules des analyses chimiques
des micro-résidus organiques potentiellement
conservés sur les surfaces d’utilisation des meules
et des percuteurs ou sur la paroi des récipients
révéleront les matières (huile, farine) qui ont été
en contact avec ces ustensiles et en indiqueront
la fonction. Les observations effectuées à Tifigit
permettent aussi de mieux comprendre quelle a
pu être la chaîne opérationnelle ancienne, les
pratiques actuelles constituant un véritable réfé-
rentiel ethnographique.
Les vestiges archéobotaniques de l’habitat
almohade trahissent ainsi le rôle considérable de
cette ressource ligneuse, fourragère oléagineuse
dans la montagne médiévale. Le site archéolo-
gique et le village actuel de Tifigit constituent un
observatoire archéologique, historique et ethno-
botanique de premier plan pour étudier les pra-
tiques d’exploitation du territoire cultivé et
parcouru qui ont modelé les traits de l’arganeraie
actuelle 8 . L’enjeu est de comprendre comment la
communauté almohade avait accès à une diver-
sité agro-alimentaire dans un environnement de
montagne semi-aride.
fig. 1, 2 fig. 3 M-P R
L'arganier et ses fruits Le fruit récolté et la graine d’argan
fig. 4
Déchets brûlés de concassage d'argan provenant d’Igiliz
D O M I N I Q U E U R V O Y
témoigne qu’au X I V e siècle déjà ce titre était donné à tout du vizir de ‘Abd al-Mu’min connue sous le nom de Risalat al-fusul (Averroès) à l’avoir commentée, mais son texte n’a pas encore
recension « almohade » de ce pilier du malikisme. Cependant, seuls à même de prononcer le droit. Cet aspect se retrouve inv. Arabe 1451
bibliographie et expositions
elle témoigne du respect attribué à Ibn Tumart, puis à son également dans les éléments biographiques se rapportant à Ibn Dandel, 1994 (b), cat. 5
premier successeur, pour l’œuvre de Malik – laquelle se voulait Tumart, qui est présenté à son retour d’Orient comme un censeur
l’expression de la tradition du Prophète, sunna, conservée à sunnite, souhaitant réformer les mœurs, mais aussi les pratiques
Médine même –, respect qui contraste avec la destruction des juridiques, en revenant à la source du Coran, et de la Tradition.
traités juridiques malikites ordonnée par ailleurs par l’imam. Ces rares manuscrits du Kitab Ibn Tumart et recensions ou
Le second extrait que l’on doit à Ibn Tumart porte sur le résumés de compilations de hadith, ne sont pas les seuls « écrits »
Sahih de Muslim, le recueil de hadith le plus prisé au Maghreb. attribués à Ibn Tumart. En effet, on conserve la trace, dans
L’exemplaire qui en a été conservé (ms 403 de la mosquée Ibn une copie tardive, de cinq lettres du grand prédicateur. Ce sont
Yusuf de Marrakech) a été copié en 569 H . / 1173-1174 à Sidjilmasa. des exhortations adressées à la communauté almohade ou
Il est qualifié de talkhis (résumé). Selon le chercheur ‘Abd à l’assemblée almohade, et des objurgations adressées au sultan
al-Ghani Abu al-‘Azm, il contiendrait également des textes en almoravide et aux Almoravides en général 13 . Au Maroc, on
tamazight, ce qui en ferait le plus ancien document (à l’exception s’efforce actuellement d’élargir cet échantillon de textes attribués
des inscriptions lybiques) sur la langue berbère 12 . En effet, au Mahdi afin d’avoir un panorama plus large de sa « pensée ».
276 277
cat. 157 (détail)
156 157
L’Offrant du Muwatta’ L’Offrant du Muwatta’
Ibn Tumart Cet exceptionnel manuscrit contient la recension du les écoinçons étaient probablement ornés du même motif Ibn Tumart
Maroc Muwatta’ de Malik par le Mahdi Ibn Tumart, dans sa étoilé que sur le frontispice. Le premier bifolio suivant Maroc
fin du X I I e siècle (?) version dictée à ‘Abd al-Mu’min et mise par écrit au milieu est entièrement chrysographié, et rehaussé de bleu 2 nde moitié du X I I e siècle
parchemin du X I I e siècle [voir p. 274-276]. La première double page et de rouge ; les marges sont ornées de neuf vignettes parchemin
92 folios présente le titre inscrit en graphie coufique dorée en marginales contiguës à fond doré ou bleu, chacune 68 folios
reliure moderne réserve sur un fond fleuri alternativement bleu et rose. présentant un décor différent. Enfin, le reste du manuscrit reliure à rabat en cuir grenat estampé et doré
H . 26 ; l. 21 cm Ce double panneau central est bordé d’une double frise est copié dans une fine écriture maghribi brune rehaussée H . 23,5 ; l. 17,5 cm
autres mentions manuscrites tressée où des cartouches épigraphiés d’invocations d’or et d’encres bleu et rouge, occupant densément les historique
plusieurs annotations marginales (devenues illisibles) en maghribi alternent avec un large nœud de Salomon, folios avec quarante lignes de texte par page. Bien que Ancienne collection Glaoui Pacha,
sur les premiers folios ; un acte de waqf de Abu Muhammad et aux angles, avec une étoile à huit branches meublée l’ouvrage soit incomplet, la qualité des folios restants acquis par lui en 1338 (fol. 1 r o )
b. ‘Abd Allah al-Tarifi en 811 H . / 1408-1409 d’une rosette, sur fond bleu ou rose. La double page et l’abondance de l’or utilisé nous permettent d’envisager Rabat (Maroc), Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc
provenance suivante contient l’index des entrées du manuscrit inscrit une production dans les meilleurs ateliers de l’Empire inv. G 840
Fès (Maroc), bibliothèque al-Qarawiyyin dans des médaillons circulaires formés par un ruban almohade, sans que l’on puisse préciser s’il a été
blanc continu. Ces cercles sont disposés dans une trame exécuté dans la capitale de Marrakech, ou au contraire Ce manuscrit contient la recension du Muwatta’ de Malik
Fès (Maroc), bibliothèque al-Qarawiyyin
inv. 181/58
orthogonale dorée ornée de petites palmes. Le cadre en al-Andalus. Il s’agit indéniablement d’un manuscrit par le Mahdi Ibn Tumart, dans sa version dictée à ‘Abd
est dessiné par une double frise tressée inscrite et dont commandé par le calife ou son entourage proche. al-Mu’min et mise par écrit en 544 H . / 1149, comme
BTL/CD le précise l’incipit du texte [voir p. 274-276]. Cette copie
bibliographie et expositions soignée au texte en graphie maghribi mudjawhar inscrite
Paris, 1999 (b), n o 510. à l’encre brune et rehauts dorés et polychromes est
densément calligraphiée de quarante et une lignes
de texte par page. Les titres sont chrysographiés dans
une graphie plus importante, et marqués dans les marges
par la présence de vignettes végétales dorées. Le texte
lui-même est scandé de petites rosettes polychromes
et dorées, et rehaussé de trois panneaux enluminés
à composition géométrique, sur les folios 1 r o , 3 r o
et 68 r o . Une double page frontispice ouvre le codex.
Son décor entièrement peint à l’or et rehaussé d’encre
bleue présente une composition centrée cruciforme
formée d’un entrelacs recticurviligne continu dessinant
un quadrilobe dans chaque section. Ces rubans se
poursuivent pour dessiner des encadrements multiples
ornés de nœuds. Le champ central carré est agrandi
en haut et en bas par deux frises dessinées par une
large tresse, et l’ensemble est bordé par une tresse
à brins multiples, prolongée dans la marge par une
vignette en forme de disque. Il s’agit donc d’une
copie exécutée avec le plus grand soin, probablement
commandée par le calife ou par son entourage
proche.
BTL /CD
bibliographie et expositions
Inédit.
278
158 Y O U S S E F K H I A R A B U L L E T U I L L E O N E T T I
280
fig. 1
Vue actuelle de la mosquée de Tinmal
En dépit de son importance dans l’épopée almohade, sur la chronique mérinide de Ibn Abi Zar’ 7 . Or, l’analyse d’un texte jusqu’au récit du marabout de Tasaft vers 1700. ‘Abd al-Mu’min
aucun texte contemporain des événements ne fournit de almohade, à savoir une lettre du premier calife ‘Abd al-Mu’min (m. 1163), Abu Ya‘qub Yusuf (m. 1184) et Abu Yusuf Ya‘qub (m. 1199)
Tinmal une description précise, et l’appréhension des vestiges adressée depuis Tinmal aux talaba-s de al-Andalus 8 nous permet furent successivement déposés aux côtés du Mahdi 13 : une
archéologiques, tant en élévation qu’en fouilles, est également de remettre en question cette datation encore parfois citée. nécropole dynastique se mit donc en place, en rapport avec
très lacunaire : le seul édifice véritablement connu est celui Son contenu est rapporté in extenso par le chroniqueur almohade la figure de leur chef spirituel.
de la mosquée [fig. 1]. C’est à Edmond Doutté que revient le mérite Ibn al-Qattan (m. 628 H . / 1231) dans son Nazm al-djuman. Après Rien ne permet de lier la mosquée visible actuellement à ce
d’avoir réalisé les premières images de la mosquée de Tinmal 3 . les formules d’usage liée à la vocation de cette lettre, qui devait mausolée situé dans un jardin funéraire, dont on peut supposer
Publiées en 1914 dans la relation de ses voyages, ses illustra- être lue lors du prêche du vendredi dans les grandes-mosquées qu’il a fait l’objet de tous les soins de la part des souverains
tions ont fait l’effet d’une véritable révélation visuelle, qui de l’empire, le calife almohade annonce la raison de sa venue almohades, bien qu’aucune source textuelle n’en fasse état.
a enthousiasmé les historiens de l’art de l’époque. Ses clichés à Tinmal le 16 du mois de Rabi‘ ( I ) 543 H . / 4 août 1148 : Le culte qui entourait la dépouille du prédicateur s’est reporté
s’accordent en tout point à la description d’un lettré de Tasaft « Le dessein de [ce voyage à] cette destination bénie est la vers la mosquée elle-même, qui semble être restée le seul
deux siècles auparavant 4 . On y voit un bâtiment dégradé et visite pieuse [ziyara] du tombeau de l’honorable al-Mahdi que élément tangible de l’importance du site au travers des siècles.
tristement délaissé. Le minaret, des pans de l’enceinte, la nef Dieu Tout-Puissant soit satisfait de lui, et ce pour renouveler L’initiative du calife ‘Abd al-Mu’min, qui s’y rendit en pèleri -
de la qibla et la ligne d’arcade sur le sahn sont les seules une rencontre [avec lui] qui a fort longtemps tardé et soulager nage et ordonna l’érection d’une grande-mosquée aux qualités
structures encore en élévation. Tirée de l’oubli, la mosquée une passion envers lui aussi nécessaire que constante et plastiques indéniables, témoigne de l’évolution du rôle désor-
de Tinmal a depuis fait l’objet de plusieurs études et restau - de veiller à la construction de sa mosquée révérée pour jouir mais attribué à Tinmal comme lieu d’expression de la légitimité
fig. 3
rations 5 . Elles concordent toutes pour assigner à cette mosquée de ses bénédictions et dans l’espoir d’accroître la récompense dynastique. Le déplacement de ‘Abd al-Mu’min dans le Haut Chapiteaux en stuc de la niche du mihrab de la mosquée de Tinmal
le rang d’archétype architectural des mosquées almohades divine par chacune de ses briques, et pour augmenter [grâce Atlas, et toutes les festivités pieuses qui l’accompagnèrent,
et d’œuvre primordiale pour appréhender l’art et l’architecture à elle] la chance et la part de réussite, et pour que soit rehaussée inaugurèrent un rituel dynastique fondamental dans le protocole
de la seconde moitié du X I I e siècle [voir p. 320-323]. au monde des cieux sa renommée et sa trace, et pour élever un des Almohades : la ziyara, sur la tombe de l’Imam impeccable
Depuis la magistrale monographie des pionniers Henri des édifices les plus recommandables que Dieu Tout-Puissant et des premiers califes. L’importance du culte s’étendait bien et de ses abords [voir p. 320-323]. L’analyse architecturale
Basset et Henri Terrasse publiée dès 1924 dans la revue ait ordonné de construire pour y être invoqué ; et pour que au-delà de la sphère dirigeante, et le site drainait à lui pèlerins de Christian Ewert et Jens-Peter Wisshak a également permis
Hespéris 6 , la datation proposée pour l’édification de la mosquée, les sens en jouissent en voyant ces martyriums bénis et ces et aumônes 14 , tandis que la nouvelle capitale, politique d’envisager une seconde lecture de ce plan en T, lequel serait
en 548 H . / 1153, est aujourd’hui remise en cause. Elle s’appuyait festivals [mawasim] 9 . » et religieuse, se trouvait désormais à Marrakech. doublé d’un plan en U grâce à un double déambulatoire
Cette missive indique donc que la construction de l’oratoire Les fouilles archéologiques conduites au sein de la mosquée partant de la salle de prière qui cerne la cour 15 . On pourrait
a été décidée dès 1148, une année après celle de la première de Tinmal n’ont révélé aucune structure ni phase d’occupation alors interpréter ce plan imbriqué comme le témoignage archi -
Kutubiyya [voir p. 320-323]. Aussi pouvons-nous considérer que antérieures, et il n’a pas non plus été possible de mettre au tectural du rôle de cette mosquée dans un véritable pèlerinage
ces deux chantiers ont été presque contemporains l’un de l’autre jour la moindre trace d’occupation funéraire qui pourrait être lié à la présence de la tombe du Mahdi.
et pourraient avoir été l’œuvre d’un même architecte. Au-delà rattachée aux installations almohades. La mosquée est une L’analyse du décor témoigne du même souci de hiérarchisation
de cette précision chronologique, la date de 1148 marque aussi construction ex nihilo effectuée d’une seule traite sur une petite des espaces 16 . En effet, l’essentiel du décor en stuc se concentre
un tournant dans l’histoire du site. Le retour de ‘Abd al-Mu’min plateforme à l’extrémité ouest du site. Aucun vestige susceptible au niveau du mihrab [cat. 160 et 163] et un jeu dans le tracé des
à Tinmal, après sept ans de conquêtes, non pas en tant que d’être associé à la maison du Mahdi originelle n’a à ce jour arcs souligne cet effet décoratif. Ainsi, les arcs sous les coupoles
chef guerrier mais en tant que souverain couvert de gloire, été identifié. à muqarnas ainsi que les nefs qui y conduisent présentent
s’attribuant, par surcroît, la titulature d’émir des croyants, Le plan de la mosquée, d’une superficie d’environ 180 m2, est un tracé à lambrequins ; ceux de part et d’autre du mihrab sont
et sa décision de faire coïncider sa venue avec la construction très régulier et adopte une symétrie parfaite [fig. 2]. On y accède à lobes tréflés suivis d’arcs polylobés, relayés par un arc à
d’une mosquée solennelle, témoignent de la valeur de cette par six portes latérales, disposées en vis-à-vis, dont quatre lambrequins ; enfin, partout ailleurs, ils sont lisses, au tracé brisé
action, qui va au-delà d’un simple geste commémoratif dédié donnent sur la salle de prière et deux sur la cour. Une septième outrepassé. Ce même impératif hiérarchique se retrouve sur les
au Mahdi Ibn Tumart. entrée moins imposante est aménagée au nord, sur l’axe médian chapiteaux en stuc sculpté qui couronnent les demi-colonnettes
En effet, ce n’est pas le caractère pseudo-originel de Tinmal de la mosquée, ouvrant sur la cour. adossées aux piliers, dont les plus élaborés se trouvent sur
– et ce d’autant plus qu’Igiliz peut légitimement lui disputer La salle de prière présente un plan en T, ponctué en élévation le mihrab et dans les nefs transept et axiale. Le travail de ces
ce rôle [voir p. 268-270] – qui en fait le but d’un pèlerinage pour de coupoles sculptées de muqarnas en stuc d’une grande finesse, chapiteaux témoigne d’un véritable renouvellement. Par rapport
le nouveau calife ‘Abd al-Mu’min, mais bien plutôt sa situation au-devant du mihrab et au niveau des nefs extrêmes est et ouest aux éléments antérieurs, encore fortement marqués par
comme lieu d’inhumation du Mahdi Ibn Tumart (vers 1130) qui [cat. 161 et 162]. Une quatrième coupole de même style mais de les modèles émiraux et califaux umayyades, les chapiteaux
lui confère le statut de sanctuaire 10 . Une fois son décès rendu moindre envergure est élevée sur un plan polygonal à l’intérieur composites almohades accomplissent une transformation
public 11 , le chef spirituel des Almohades fut enterré dans la de la niche du mihrab. Ces quatre coupoles comptent parmi importante, en se servant d’acanthes plates et de palmes qui
maison-mosquée qu’il occupait à Tinmal. La tombe, aménagée les plus anciens spécimens de ce type connus dans l’Occident forment des méandres, reposant sur une astragale torse et
simplement, fut immédiatement l’objet d’un culte, comme en musulman. Ce dispositif architectural et son décor signalent supportant un bandeau, dont la partie supérieure est enjolivée
282 témoigne le récit de al-Idrisi (m. 1165-1166) 12 , jamais démenti l’importance de la nef de qibla, et tout particulièrement du mihrab par un tasseau paré. La volute utilise une palme généralement 283
fig. 2
Plan de la mosquée de Tinmal (Hassar-Benslimane et alii, 1981-1982)
159
Vue de Tinmal, depuis
le passage sur l’oued Nfis
au sud-ouest
Tinmal (Maroc)
dissymétrique. L’emploi du stuc sculpté pour ces supports 1963
architectoniques est tout à fait remarquable 17 [fig. 3]. D. M. Noack
négatif noir et blanc, gélatino-bromure
La principale originalité de cet édifice est probablement
impression à partir de l’original
son minaret, qui est inhabituellement implanté au milieu du mur H . 6 ; l. 6 cm
de qibla, où il enveloppe le mihrab. L’une des interprétations Madrid (Espagne), Instituto Arqueológico Alemán
proposées serait que l’on ait cherché à pérenniser le souvenir inv. D - DAI - MAD - NOA - E -426
La postérité du site témoigne de la complexité des enjeux qu’il Madrid (Espagne), Instituto Arqueológico Alemán
inv. D - DAI - MAD - WIS - R -86-75-05
pouvait représenter. La mise en place de la domination mérinide
devait passer par son anéantissement symbolique, mais aussi
physique, afin de laisser place neuve à une dévotion qui serait
uniquement consacrée à cette nouvelle dynastie, à Chella.
161
C’est ainsi que des troupes mérinides dévastèrent Tinmal, tout
Coupole en stuc orientale
Tinmal (Maroc)
particulièrement les tombes des califes, qui furent profanées. 1975
Ce raid, qui n’avait pas été ordonné par le sultan Abu Yusuf, Jens-Peter Wisshak
négatif noir et blanc, gélatino-bromure
ne fut cependant pas condamné : l’intérêt du souverain mérinide
impression à partir de l’original
n’était pas dans une restauration du prestige des tombes de H . 6 ; l. 6 cm
ses prédécesseurs almohades ni dans l’entretien de ce pôle Madrid (Espagne), Instituto Arqueológico Alemán
de dévotion qui échappait par nature à son emprise. La postérité inv. D - DAI - MAD - WIS - R -104-75-01
du site lui donne raison. En effet, malgré cette atteinte irrévocable Ces trois vues anciennes de la mosquée de Tinmal ont
portée à la nécropole des Almohades, dont la chute ne pouvait été prises entre 1963 et 1975, après les premiers travaux
de déblaiement et de consolidation du site, qui ont suivi
qu’accélérer sa dégradation en raison de l’interruption d’un la parution de l’étude d’Henri Basset et Henri Terrasse 1 .
pèlerinage officiel, le prestige entourant le site n’a pas disparu. On y découvre respectivement l’arrière de la mosquée
et son minaret vus depuis l’oued qui coule en contrebas
La source de la baraka s’est néanmoins déplacée de la tombe
du site (photo 9), le mur de qibla percé du mihrab cantonné
du Mahdi, dont l’emplacement exact était oublié, vers le vestige par deux espaces latéraux, dédiés à l’accueil du minbar
le plus précieux de la ville, sa grande-mosquée 19 . et à l’imam (photo 10), ainsi que la coupole à muqarnas
surplombant la travée orientale de la nef parallèle au mur
de qibla (photo 11). Toutes trois ont été publiées dans
l’étude pionnière signée des archéologues allemands
Christian Ewert et Jens-Peter Wisshak et parue en 1984.
BTL /CD
bibliographie et expositions
Ewert et Wisshak, 1984, pl. 1, 56, 66.
284
cat. 159
cat. 160 cat. 161
162 163
Coquille pariétale Élément de claustra
Tinmal (Maroc) Ce disque large et d’une faible épaisseur présente un décor Tinmal (Maroc)
vers 1148 sculpté dans sa masse relativement simple. Il s’agit d’une vers 1148
stuc sculpté rosace à huit pétales concaves à rainure centrale, inscrits stuc sculpté
D . 39 cm dans une étoile à huit branches dont les contours ont H . 23 ; l. 23 ; É P . 4 cm
bibliographie et expositions
Inédit.
288 289
Expansion militaire
et vigueur de la foi
La nouvelle révélation professée par Ibn Tumart
doit s’imposer au monde. C’est donc à cheval,
les armes à la main, que ses disciples, d’abord
conduits par ‘Abd al-Mu’min, partent la diffuser.
Leur réussite leur permet plus tard de franchir
le détroit de Gibraltar. Pour la seconde fois
de son histoire, l’Occident musulman est réuni,
dans des limites qui s’étendent au-delà de celles
de l’Empire almoravide. Le djihad, ou défense
des terres de l’islam, est consacré par la fondation
de Rabat, ou Ribat al-fath, « le Camp de la Victoire »,
d’où les troupes embarquent vers al-Andalus.
La conquête entraîne aussi des conversions
forcées, et l’exil de ceux qui ne veulent pas se
soumettre. Ainsi, le célèbre savant juif Maimonide,
dont la famille est poussée à l’exil, quitte
Cordoue pour Fès, puis pour Le Caire.
291
Entrée de la qasba des Oudaïa à Rabat
A N T O N I O D E J U A N G A R C Í A M A N U E L R E T U E R C E V E L A S C O
Alarcos se situe dans la plaine de Castille la Manche, tout près de l’an 854, c’est Calatrava qui domine à son tour la région. à prendre ces deux sites et à contrôler la région. Il sut profiter
292
fig. 1 fig. 2
Le site d’Alarcos (Espagne) vu depuis l’est, avec le fleuve Guadiana à l’arrière-plan Le site de Calatrava la Vieja (Espagne) vu depuis l’est, entre le fleuve Guadiana, à droite, et la rivière Valdecañas, à gauche
et organisé autour de nouvelles implantations, les commanderies, techniques de construction qui commencèrent à être utilisées. Le lendemain, 19 juillet, les musulmans se placèrent Les ordres de Calatrava et de Santiago perdirent la plupart
de vingt-cinq à trente-cinq ans. La quantité d’ossements et la victoire de Las Navas de Tolosa [voir p. 98-99]. Ciudad Real (Espagne), Museo de Ciudad Real Ciudad Real (Espagne), Museo de Ciudad Real Ciudad Real (Espagne), Museo de Ciudad Real
inv. CE 001204 inv. CE 003001 (inv. de fouille AL -87/ R .1055) inv. CE 003008 à CE 003017
d’armes découverte montre combien la bataille d’Alarcos Pendant l’occupation des troupes almohades (1195-1212),
fut sanglante. De nombreuses armes permettent de penser la forteresse d’Alarcos, qui n’avait pas été achevée par Ce fer de lance a été découvert à proximité de la tour qui Ce fer de lance triangulaire de section rhomboïdale Ces pointes de flèche ont été découvertes dans les
servait à approvisionner en eau la citadelle de Calatrava a été découvert dans les contextes archéologiques contextes archéologiques associés à la grande bataille
que les chevaliers qui se réfugièrent dans la forteresse les chrétiens, subit des modifications et connut une nouvelle
la Vieja, conquise par les Almohades à la suite de la associés à la bataille d’Alarcos entre les royaumes d’Alarcos de 1195 [voir p. 292-296]. Deux types sont
combattirent près de la muraille inachevée et couvrirent, distribution spatiale [fig. 4]. Le mobilier, fragmentaire et éparpillé, bataille d’Alarcos [voir p. 292-296]. Elle était associée au chrétiens coalisés et les armées almohades en 1195 ici représentés, selon que leur section est carrée,
comme le racontent les chroniques, la fuite du roi Alphonse VIII découvert sur tout le site, montre qu’à l’époque de la conquête cadavre d’un homme ayant succombé de mort violente, les [voir p. 292-296]. Ce type de lance de grande dimension prédominante sur le site d’Alarcos, ou triangulaire.
pieds brisés et l’abdomen troué par des flèches. Il est devait être emmanché. Il est généralement associé Elles sont munies d’un appendice leur permettant d’être
par le côté nord de la ville. chrétienne de 1212, les vestiges almohades furent saccagés. possible qu’il soit mort durant la défense à l’infanterie. emmanchées. Les pointes de flèche répondant à cette
Les conséquences de la bataille d’Alarcos furent immédiates : De nombreux témoins de ces dix-sept années de présence du site face aux assauts d’Alphonse VIII en 1212, avant MCR
morphologie étaient employées par les troupes aussi
que celui-ci ne triomphe définitivement des Almohades bien chrétiennes que musulmanes. Faciles à produire,
la frontière se déplaça au nord, sur le Tage, et l’avancée almohade sont cependant conservés 12 . Il s’agit de céramiques, bibliographie et expositions
à Las Navas de Tolosa. Il s’agit d’une pointe de section Ciudad Real, 1995, n o 13, p. 185. elles ont été largement utilisées à l’époque médiévale
chrétienne vers l’Andalousie fut retardée. La victoire d’Alarcos de verres, d’objets en métal ou en os et de vestiges architec - carrée, caractérisée par une garde ovoïde. C’est la seule et peuvent être retrouvées sur de nombreux sites
fut encensée, annoncée dans la grande-mosquée de Cordoue turaux. On remarque en particulier la présence de céramiques lance de ce type à avoir été découverte dans la péninsule de bataille.
Ibérique. Elle a pu être utilisée par la cavalerie légère MCR
et récupérée par la propagande du régime, à tel point que glaçurées à décor en « vert et noir », très peu connues dans
almohade si l’on en juge par la représentation de pointes bibliographie et expositions
l’on décida de nommer la nouvelle ville de Rabat, tête de pont le reste de al-Andalus. De grands plats ont été découverts, de lance de ce type dans les manuscrits enluminés Ciudad Real, 1995, n o 1, p. 173.
des armées almohades, Ribat al-fath, le ribat de la Victoire, tel celui représentant une main protectrice [cat. 167], ainsi médiévaux tels que les Cantigas de Santa María
d’Alphonse X .
et que l’on érigea en 1198 pour la commémorer un épi de faîtage, que des pièces à décor de lustre métallique [cat. 169], à décor MCR
djamur, grande hampe ornée de boules dorées, sur le minaret esgrafié sur peinture au manganèse, à décor de cuerda seca bibliographie et expositions
de la grande-mosquée de Séville 10 . Cependant, les Almohades et de nombreuses céramiques peintes 13 . Parmi les métaux Ciudad Real, 1995, n o 14, p. 186.
ne profitèrent pas de cette nouvelle position stratégique pour se distinguent des ornements de harnachement [cat. 170]
conquérir Tolède ni renforcer encore leur position. Au contraire, et des boucles de ceinture en laiton doré. Tous ces objets sont
ils accordèrent bientôt la primauté à Calatrava sur Alarcos, essentiels à la connaissance du passé almohade en al-Andalus
qui devint une ville de garnison secondaire 11 . La nouvelle confi - et leur étude a permis de mettre en lumière des aspects inédits
guration des frontières en al-Andalus et la situation en Terre de la culture matérielle de cette époque.
cat. 166
296 297
cat. 165 cat. 164
167 168
Plat Plat
Alarcos (Espagne) Le revers de ce plat est glaçuré en miel. À l’intérieur, Alarcos (Espagne)
1195-1212 on observe un motif de main ouverte, dotée d’un anneau 2 nde moitié du X I I e siècle
céramique glaçurée en « vert et brun » à l’auriculaire, prolongée par un avant-bras orné d’un motif céramique glaçurée en « vert et brun »
H . 15,2 ; D . max. 38 cm pseudo-épigraphique. De part et d’autre de la main, deux H . 9,5 ; D . max. 27 cm
provenance oiseaux se font face. Les motifs de main, associé au chiffre provenance
Castillo de Alarcos (Espagne) cinq (khamsa), sont fréquents dans la culture matérielle Alarcos (Espagne)
de l’époque almohade, en particulier sur les jarres à décor
Ciudad Real (Espagne), Museo de Ciudad Real Ciudad Real (Espagne), Museo de Ciudad Real
inv. CE 00210 (inv. de fouille AL -95- Al -33-3210-3211
estampé. On leur prête une valeur prophylactique, qui est inv. CE 003003 (inv. de fouille Al 95/ AL -33/3211)
et AL -95/ AL -27-26003)
celle actuellement associée à ce motif. D’autres plats en
« vert et brun » découverts sur le site présentent des motifs Ce plat à décor en « vert et brun » appartient à un groupe
Ce grand plat à pied annulaire présente un profil propre animés 1 , mais la plupart sont ornés de motifs étoilés de plats au profil similaire découverts sur les sites
à tous les plats à décor en « vert et brun » trouvés sur cruciformes [cat. 168]. de Calatrava et d’Alarcos [voir p. 292-296]. La plupart
CD/MCR
les sites voisins de Calatrava et Alarcos [voir p. 292-296]. d’entre eux portent un motif étoilé cruciforme dont
Il s’agit de pièces profondes à carène haute. Tout comme bibliographie et expositions les hampes courbes impriment à l’objet un mouvement
les céramiques à décor de lustre métallique découvertes Retuerce et Juan, 1999, n o 6, p. 248 et 260 ; Juan et tournoyant auquel une valeur symbolique a pu être
dans ces deux sites [cat. 169], il s’agit de productions Fernández, 2007, p. 84-85. associée. Il s’agit de productions locales dont le type
locales luxueuses témoignant d’une volonté d’ostentation Santa Cruz, 2002-2003, p. 242-243 ; Mértola, 2011, n o 7, de décor, en vert cerné de noir sur fond blanc, reprend
particulière dans ces sites très importants de l’histoire p. 28 (A. de Juan García). une association très en vogue à l’époque du califat
du djihad almohade. Ces plats présentent des pieds umayyade de Cordoue dans la seconde moitié du X e siècle.
annulaires souvent percés, preuve qu’ils pouvaient être Ce groupe a permis de confirmer la « renaissance »
suspendus au mur. du « vert et brun » à l’époque almohade 1 . D’autres pièces
ont été découvertes en al-Andalus et même au Maroc
[cat. 259], mais elles restent peu nombreuses. Il est
possible que cette « renaissance » s’inscrive dans un
phénomène plus large de « récupération » par le califat
almohade de l’héritage du califat umayyade de Cordoue,
entreprise de propagande dont plusieurs manifestations
sont par ailleurs attestées.
CD/MCR
bibliographie et expositions
González Cárdenias, 1996, II , p. 136 ;
Retuerce et Juan, 1999, p. 248.
298
169 170 171
Petit pichet Cinq appliques Éperon
Calatrava la Vieja (Espagne) Al-Andalus probablement des appliques ornant les harnache ments Al-Andalus
2 nde moitié du X I I e siècle 1195-1212 des chevaux ou d’autres cuirs. Des perforations et des fin du X I I e siècle
céramique glaçurée, décor de lustre métallique alliage cuivreux, décor repoussé, ajouré, martelé, incisé boucles permettaient de les attacher. Les formes attestées fer forgé
H . 19,2 ; D . bord 5,5 ; D . base 6,3 cm cat. 170a : L . 7,4 ; l. 2 cm sont très variées, étoilées, carrées, circulaires. Certaines L . 13 ; l. 8,6 cm
à comprendre dans le contexte particulier du surinves - [voir p. 292-296]. Découvertes en grand nombre, ce sont Ciudad Real, 1995, n o 26, p. 198-199. bibliographie et expositions
tis sement des frontières par la propagande almohade. Ciudad Real, 1995, n o 25, p. 197.
La production locale d’autres belles pièces décorées
semble avérée à l’époque almohade, parmi lesquelles
on compte sans doute des céramiques à décor en
« vert et brun » 1 [cat. 167 et 168].
CD/MCR
bibliographie et expositions
Zozaya, Retuerce et Aparicio, 1995, p. 123.
Ciudad Real, 1995, n o 116, p. 271-272 ;
Grenade, 2013-2014, n o 171, p. 198.
300 301
cat. 171
172
Plat
Al-Andalus donc s’appuyer sur le contexte général de la fouille
X I e siècle et sur des éléments de comparaison.
céramique glaçurée, décor de cuerda seca Une première donnée nous est fournie par l’abandon
H . 9,5 ; D . max. 31,7 cm des autres silos du site, phase qui se caractérise par
provenance la présence de céramiques entières attribuables aux X e
Castellón (Espagne), Ermita de Sant Jaume de Fadrell et X I e siècles. Des plats de profil comparable découverts
à Majorque, et d’autres utilisés comme bacini sur l’église
Castellón de la Plana (Espagne), Museu de Belles Arts de Castellón
inv. 1060
San Piero a Grado à Pise, pourraient également fournir
de bons points de comparaison. L’opinion des différents
chercheurs sur leur datation est malheureusement très
Ce plat a été découvert lors de fouilles menées en 2003- partagée, oscillant de la fin du X e au X I I e siècle 4 . Le lexique
2004 sur le site de l’Ermita de Sant Jaume de Fadrell 1 . décoratif employé sur ce plat rappelle celui des productions
Il s’agit d’un plat de grandes dimensions caractérisé en « vert et brun » de l’époque califale et des Taifas et
par un pied annulaire que souligne une moulure et par celui des ivoires de cette époque, où l’on trouve des repré -
un profil rectiligne divergent marqué par une carène haute. sentations de chevaux harnachés munis de pendentifs
La lèvre, extrovertie, est arrondie [fig. 1]. La pâte est beige. similaires 5 . Le motif du cheval monté par un oiseau,
L’extérieur, à l’exception du pied, est recouvert d’une qui appartient au répertoire de la période califale, a pu
légère glaçure vert clair. À l’intérieur, le décor, exécuté perdurer, en particulier à l’époque des Taifas, marquée
en cuerda seca totale, représente un cheval harnaché, par un réinvestissement de la tradition califale à des fins
muni d’une selle. Sur ses flancs battent des pendentifs de légitimation 6 .
talismaniques en forme de demi-lune ou de corne. Faute d’éléments de comparaison dans des contextes
Le cheval est monté par un oiseau aux ailes éployées. clairs, la datation de ce plat reste donc approximative.
Ces motifs se détachent sur un fond orné de végétaux, Par ailleurs, son lieu de production n’a pas encore pu
de cercles et de points. Au-dessus de la carène intérieure, être précisé : des plats présentant une bordure intérieure
on observe une frise de bandes verticales de couleurs similaire sont apparus dans différents sites de al-Andalus
alternées. Ce plat se distingue par son programme et du Maghreb (Almería, Ceuta, Malaga, Mértola,
décoratif, identique à celui que l’on peut trouver sur Murcie et Rota), mais leurs profils et les types de pâte
deux pièces bien connues appartenant à la culture sont différents.
matérielle de l’époque du califat umayyade : un plat Enfin, la signification du motif du cheval monté par
à décor en « vert et brun » de Madinat Elvira 2 et un tissu un oiseau a été diversement interprétée, certains la
conservé par l’église paroissiale San Salvador de Oña 3 . rapportant à une représentation de l’âme du combattant
Le contexte d’enfouissement de ce plat est difficile pour la foi (mudjahid) 7 .
à préciser car il a été découvert dans un silo contenant PAM
302
fig. 1
Dessin du profil du plat (A. Oliver)
173 174 175
Moule d’orfèvre Élément de parure Amulette au cavalier
Al-Andalus Ce moule d’orfèvre est composé de deux valves, décorées sur les différentes matrices correspondent à des formules de harnachement Al-Andalus en contexte islamique. Le premier a été recueilli dans
X I I I e siècle sur leurs deux faces. Les valves allaient deux par deux courantes et néanmoins primordiales, telle la profession Al-Andalus X I I e siècle l’Alcáçova de Mértola 1 ; le second, trouvé à Silves 2 ,
ardoise (?) incisée, polie et sculptée et permettaient d’exécuter, selon les faces utilisées, de foi (shahada), ainsi qu’à des formules de protection fin du X I I e – 1 re moitié du X I I I e siècle plomb a été identifié comme un insigne de pèlerin représentant
cat. 173a : L . 9 ; l. 7,6 ; É P . 1,1 à 1,6 cm un pendentif en forme de cheval et un croissant, ou bien (Coran, I , 4) en rapport direct avec l’usage des amulettes. cuivre argenté et émaillé L . 4,5 ; l. 5,1 ; É P . 0,1 cm saint Thomas Becket de Cantorbéry, attribution exclue
bibliographie et expositions
Macias et Torres C., 2001, p. 176.
Lisbonne, 1998-1999, p. 224.
304 305
cat. 173b cat. 174
La fondation de Ribat al-fath, manifestation symbolique 176
de la puissance almohade Rabat
Rabat (Maroc) Installé sur les fortifications qui bordent le fleuve Bou
Il est communément admis que la ville almohade marquant la prise en main du pouvoir par les s’étant opposée à la doctrine almohade. L’acte de 1935 Regreg au niveau de la qasba des Oudaïa, Gabriel Veyre
de Ribat al-fath (Rabat) a été créée dans l’unique Muminides 4 . fondation de Rabat se voulait également la maté- Gabriel Veyre (1871-1936) oriente son appareil dans la perspective du minaret
but de mener le djihad en al-Andalus 1 . La vocation Les liens avec le djihad furent cependant rialisation de l’inauguration, par le calife almo- support de verre, autochrome de la mosquée Hasan de Rabat, qui apparaît au fond
impression à partir de l’original de l’image. Malgré l’éloignement, les vestiges des murs
militaire de Rabat est évidente et ne peut être étroits dès l’origine. Immédiatement après avoir hade, d’un long projet qui visait à prolonger cette
H . 17,6 ; l. 23,5 cm d’enceinte de l’édifice sont perceptibles, témoignant
exclue : la masse imposante de ses fortifications donné l’ordre de construire la qasba, son fonda- conquête dans les régions de al-Andalus, encore de la monumentalité du projet architectural almohade
provenance
et le rôle historique joué par ce site dans le djihad teur, ‘Abd al-Mu’min, décida d’entreprendre la non soumises au pouvoir almohade (Almería, le Montreuil (France), collection Jacquier-Veyre [voir p. 320-323]. Le cliché permet donc de percevoir les
sont là pour le confirmer, de même que la pré- conquête de Bougie, capitale des Hammadides 5 , Sharq al-Andalus et les Baléares). Le site a ainsi deux noyaux urbains de fondation almohade, la citadelle,
Chalon-sur-Saône (France), Fondation Gabriel-Veyre,
sence du mot ribat dans le nom de la ville. La si bien que le site servit de base arrière pour joué un rôle de premier plan au cours de la collection en dépôt au musée Nicéphore Niépce
al-Mahdiya, fondée par ‘Abd al-Mu’min, et la médina
de Ribat al-fath, qui englobe la première, édifiées
façade intérieure de la porte de la qasba almo- l’expansion territoriale de l’État almohade : en seconde moitié du XIIe siècle comme ville-ribat
par ses successeurs Abu Ya‘qub Yusuf et al-Mansur
hade est ornée d’une inscription qui reproduit 547 H . / 1152-1153, Bougie et le reste du Maghreb des Mudjahidun aussi bien au Maghreb qu’en
[voir p. 306].
des versets coraniques se rapportant au djihad 2 , central tombèrent aux mains des armées califales, al-Andalus. BTL/CD
proclamant à tous la vocation affichée de la fon- et six ans plus tard, l’Ifriqiya fut rattachée à l’Empire Symbole de la puissance almohade, Rabat aurait bibliographie et expositions
dation [fig. 1]. almohade. Le nom de Djabal al-fath (Gibraltar), ainsi été l’objet d’un projet califal très ambi tieux Jacquier et alii, 2005, p. 162-163.
Il est cependant permis de repenser les raisons « la montagne de la Victoire », ville créée sur ordre qui voulait en faire, en plus de Marrakech et de
qui ont été à l’origine de ce nom. Le site actuel du premier calife almohade, montre les objectifs Séville, la troisième capitale de l’Empire almo-
de Rabat, en face de l’antique Salé, aurait connu présents dès le début du djihad, objectifs qui ne hade naissant. La lecture de différentes sources
une occupation par les Berbères Berghawata-s, furent matérialisés que plus tard dans le nom de arabes et l’analyse des données urbanistiques
sévèrement battus par les Almoravides lors de leur Rabat. En effet, l’érection et la dénomination de ou architecturales de la ville almohade viennent
ascension vers le nord du Maroc. Sur le pro mon - Djabal al-fath ont été ordonnées par le calife alors étayer cette hypothèse 7 . Les liens avec le djihad,
toire rocheux, une forteresse, aujourd’hui connue qu’il venait de triompher de l’Ifriqiya, qu’il avait présents dès la fondation du site, ne furent mis en
sous le nom de qasba des Oudaïa [cat. 177], fut délivrée des « infidèles » normands 6 . Chez les pre- avant que plus tard, lors d’un acte éminent d’auto-
ensuite créée en 545 H . / 1151 par le tout nouveau miers Almohades, la conquête (al-fath) était diri- glorification du moment présent et d’inscription
pouvoir almohade, après la prise de Marrakech et gée et portée contre toute localité, ville ou tribu dans la geste muminide.
M D S
la soumission de tout le territoire du Maghreb
al-Aqsa. Le site aurait pris le nom de al-Mahdiya
en souvenir du Mahdi Ibn Tumart 3 . La ville connut
ensuite une évolution en trois étapes. À la qasba
abritant le palais et une mosquée à prône ainsi que
des habitations s’ajoutèrent une muraille com-
mencée par le fils de ‘Abd al-Mu’min, Abu Ya‘qub
Yusuf, et une ville fortifiée. Le projet culmina avec
la fondation de la grande-mosquée de Hasan
[cat. 191 et 192].
D’après les sources écrites, la ville ne prit le
nom de Ribat al-fath, le « ribat de la Victoire »,
qu’après la victoire de Abu Yusuf Ya‘qub à Alarcos
en 1195 [voir p. 292-296], la plus célèbre victoire
du djihad almohade en al-Andalus. Le mot ribat
qui lui fut alors appliqué rappelle le rôle militaro-
religieux de Ribat al-fath en tant que lieu de ras-
semblement des combattants et point de départ
pour la conquête, le mot al-fath traduisant une
volonté de faire de cette ville le symbole du
triomphe et de l’universalité de la cause almo-
hade aussi bien au Maghreb qu’en al-Andalus. La
fondation de Rabat manifesta en fait tout d’abord
le triomphe politico-religieux du nouveau califat.
Les sources écrites semblent en effet montrer
qu’il y eut une tentative visant à déplacer la
capitale de Marrakech à Rabat, et que ce fut
la nouvelle ville qui fut choisie pour l’annonce
des décisions politiques les plus importantes
fig. 1
Pierre Dieulefils, Porte de la qasba des Oudaïa à Rabat, extérieur des remparts, avant 1909.
Paris, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, inv. DLF 00076 P