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L’articulation entre la sûreté intérieure des collections et la coopération en matière de lutte contre le vol dans les musées :
l’expérience du musée du Louvre par Serge Leduc, musée du Louvre
Avant tout chose, je vous remercie Monsieur le Président d’avoir permis au musée du Louvre, par ma présence,
d’apporter sa contribution à cette journée d’étude que vous consacrez à la coopération internationale au service
de la sûreté des collections.
En effet, l’apparente différence de nature de nos collections et des formes de leur mises en valeur à l’attention du
public ne résiste pas à l’examen attentif des points de convergence et des intérêts communs de nos deux
institutions :
La responsabilité de protéger un nombre considérable d’œuvres, d’objets et de documents uniques,
d’intérêt mondial et qui ont traversé des siècles d’histoire faite de fureur, de rage et de destructions ; le
développement parallèle des activités de recherche scientifique et de conquête de publics nouveaux ; la
perméabilité aux risques internes et externes, qu’ils soient liés à l’environnement hautement
technologique dans lequel nous évoluons dorénavant, aux courants profonds traversant notre société tels
que la délinquance et la criminalité, les intégrismes ou l’effacement des repères et des valeurs.
Avant d’apporter la contribution concrète du Musée du Louvre à cette journée de réflexion, je souhaiterais en
quelques mots en souligner l’intérêt fondamental en reprenant les propos qu’a tenus l’abbé Robert BAUVERY,
délégué régional Centre-Est à l’art sacré, au cours d’un séminaire qui s’est tenu sur ce même thème à Lisbonne
en mars dernier :
« Pourquoi protéger nos collections ? Parce que l’homme, être social, partage un passé avec ses
concitoyens mais aussi l’ensemble de ses contemporains, qui s’exprime dans toutes les composantes du
patrimoine commun transmis par héritage, signifié par des édifices publics, pérennes, des œuvres
matérielles ou immatérielles, en tout cas des œuvres de l’esprit, conformes au génie créateur de la cité,
de la nation, ou de la foi, parce que la nature humaine n’est pas réductible à un simple composé bio-
physicochimique, mais encore dotée d’esprit, elle s’exprime par l’art, source de patrimoine. Et ce
depuis que les primates, nos ancêtres, ont franchi les seuils sur l’itinéraire de l’hominisation du réel
par l’homo sapiens en passant par l’homo habilis et l’homo erectus, devenu alors capables de
représenter leurs visions, de les transcender et de les immortaliser.
Les témoignages, les objets et les œuvres dont nous sommes dépositaires constituent donc un
patrimoine commun à tous les hommes et qui continue de les unir par delà les siècles, les millénaires et
les distances.
Si le vol d’œuvre reste rare au musée du Louvre et plus généralement dans les musées français, par comparaison
avec ce qui peut se produire chez les particuliers, chez les marchands d’art, ou dans les édifices religieux, cette
rareté relative s’inscrit dans un contexte national et international dont la direction du musée du Louvre mesure
pleinement l’importance ainsi que les facteurs potentiels d’accroissement des risques qu’il présente, comme le
caractère limité de l’offre face à l’extension de la demande du marché de l’art, l’internationalisation de la
criminalité, la rapidité des moyens de transports et de communication, l’hétérogénéité des législations,
l’effacement des repères traditionnels du vivre ensemble, avec ses corollaires, la banalisation des dégradations,
voire des vols de biens publics ou privés.
La protection contre le vol de ses collections ou de celles qui lui sont confiées, constitue donc pour le musée du
Louvre une préoccupation ancienne, toujours présente et qui se concrétise depuis 1999 et ce jusqu’en 2007, par
une série d’actions nouvelles, méthodiquement programmées, qui font principalement écho au rapport particulier
de la Cour des comptes de février 1997 et au vol retentissant du tableau de Jean-Baptiste Camille Corot , le
chemin de Sèvres, le dimanche 3 mai 1998.
Ce vol, survenu en pleine journée, alors que le musée était ouvert gratuitement au public et connaissait donc une
très forte fréquentation, a provoqué un véritable choc sein de toutes ses équipes de conservation et de sécurité. Il
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a également retenti d’un écho considérable dans les médias, puisque l’inadaptation des procédures avait abouti
au blocage sous la pyramide de plusieurs milliers de visiteurs pendant plusieurs heures.
Mais il faisait également suite à une longue succession d’autres défaillances, vols ou dégradations d’œuvres, peu
médiatisées mais qui illustraient de manière aiguë le constat dressé par la Cour des comptes en février 1997 dans
son rapport particulier consacré aux musées nationaux et aux collections nationales d’œuvres d'art qui
stigmatisait, je cite, « la coupable discrétion de la tutelle » en matière d’inventaire et de récolement des
collections des musées nationaux, «l’hétérogénéité des pratiques d’inventaire », ainsi que les «grandes
négligences » et «les défaillances de gestion» en matière de dépôts d’œuvre.
En matière de récolement, la Cour soulignait en effet «de graves lacunes notamment pour les collections
importantes (…). Et que « (…) Sauf pour certaines collections, peu nombreuses, les récolements ne sont
jamais systématiques et exhaustifs, aucune trace authentique des opérations n'est conservée. L'enquête fait
apparaître de nombreuses inexactitudes dans la localisation des œuvres».
Concernant les dépôts, consistant à sortir provisoirement des œuvres des collections auxquelles elles
appartiennent, pour confier à un autre établissement le soin de les présenter au public et d'en assurer la
conservation, la Cour des comptes constatait en effet que, sur environ 5000 dépôts contrôlés, un nombre
important œuvres avait échappé à la vigilance de l'administration :
Le rapport de la Cour des comptes puis le vol du tableau de Corot et ont donc été pour le musée du
Louvre le point de départ d’une réflexion profonde qui a forgé une véritable volonté permettant permis de
définir et de programmer une politique de réduction du risque de vol (I), de renouveler les procédures de
sûreté vol (II) et d’adopter des mesures d’urgence exceptionnelles (III).
C’est donc sous cette triple approche, envisagée comme un partage d’expérience, que s’inscrit la
contribution du musée du Louvre à ces journées de réflexion.
Ce propos ne prétend donc pas exposer un modèle, chaque lieu et chaque collection ayant du reste ses
propres particularités rendant quasiment impossible une sorte de transfert automatique des techniques,
mais plus simplement d’exposer l’éventail des méthodes et des réponses que le musée du Louvre a mises
en œuvre pour répondre aux questions qui se posaient à lui.
Le schéma directeur de sûreté résulte des arbitrages rendus par la direction de l’établissement à partir des
préconisations inscrites dans l’audit de sûreté des œuvres qui avait été commandé à un bureau d’études à la mi
1998 afin de cerner les sources de risques touchant le patrimoine dont le musée est en charge, de porter un
diagnostic sur ses vulnérabilités et de proposer des solutions passives et actives propres à les réduire.
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Les dimensions du palais du Louvre, la variété et l’étendue de ses collections ainsi que la complexité de son
architecture rendait bien évidemment la tâche difficile à des experts externes. C’est pourquoi des correspondants
internes ont été désignés dans les conservations et les services techniques pour aider au travail de recensement
des risques qui ont été envisagés sous 3 angles :
1. Le risque de vol en journée que l’on pourrait qualifier de vol d’occasion ou d’opportunité, et qui ne
serait pas nécessairement prémédité
2. Le risque de vol nocturne ou organisé pouvant être commis généralement par plusieurs individus
pénétrant en force par des portes ou des fenêtres
Un premier bilan des œuvres à protéger d’urgence a été achevé à la fin de l’année 1998 par les départements de
conservation : 2 400 œuvres et 1014 vitrines
- Création de cadres métalliques à claire-voie fixés à l’arrière des tableaux pour empêcher leur décadrage par l’arrière
- Mise sous verre des tableaux d’un format inférieur à 1mx1m
- Remplacement des vis de fixation fichées directement dans le bois des cadres par des « inserts » qui consiste à insérer une
cheville métallique filetée dans le cadre ; la vis venant se fixer dans la cheville ; L’ensemble cheville métallique+vis
présentant une meilleure résistance à l’arrachage que le système
- Camouflage des systèmes de fixation
- Présentation sur « canapés » des œuvres picturales de petit format, ce qui les rend solidaire d’un panneau de plus grande
taille et donc plus difficilement préhensiles.
- Présentation des œuvres graphiques dans des cadres sécurisés aux modes de fixation invisibles.
Parallèlement, des tests de résistance de tous les systèmes de présentation des œuvres ont été réalisés par un expert externe (Centre National
de Prévention et de Protection)
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Coût actualisé
Opérations (TTC)
VOL D’OPPORTUNITE
Protection mécanique des œuvres 365 877,64 €
Protection électronique des œuvres 7 753 099,67 €
VOL NOCTURNE OU ORGANISE
Aménagement de l’aire de livraison 304 898,03 €
Renforcement des défenses mécaniques extérieures 731 755,28 €
Renforcement des accès privés 152 449,02 €
Mise à niveau des systèmes de détection d’intrusion 3 293 813,47 €
Amélioration de la vidéo surveillance 1 372 041,16 €
VOL INTERNES
Amélioration du contrôle d’accès aux réserves d’œuvres 213 428,62 €
d’art
Contrôle d’accès zones privatives / muséographiques 533 571,56 €
Protection des PC de régions 60 979,61 €
Le schéma propose donc un ensemble d’opérations d’un coût global de 15 272 342,55 € réalisables sur la période
2001–2005.
Ce schéma, qui fait partie des opérations incluses dans le projet de contrat entre l’établissement public et l’Etat,
fait actuellement l’objet de négociations avec nos tutelles. La réalisation de ce programme d’action cohérent est
essentielle pour atteindre un niveau de sûreté satisfaisant. La responsabilité du musée dans ce domaine est liée
aux moyens dont il disposera pour l’assurer.
Engagées dès 1999, les discussions entre la direction du musée du Louvre et ses tutelles ont permis de déboucher
en 2001 à la conclusion d’un Contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens répondant à une logique nouvelle au
sein du ministère de la Culture.
Ce document fixe en effet pour la période 2003-2005 les engagements respectifs du musée en terme d’objectifs à
atteindre et ceux du ministère délégué au budget et du ministère de la culture en terme de moyens financiers et
humains mis à disposition.
Chaque année, le Président-directeur du Musée du Louvre doit rendre compte des objectifs atteints à ses deux
ministères de tutelles en s’appuyant notamment sur le rapport de performances dressé par le service de contrôle
de gestion de l’établissement.
Concernant la protection des collections, le musée s’est engagé à rattraper le retard pris au cours des années
passées faute d’axes de travail durablement fixés, en matière d’inventaire des collections et de récolement des
œuvres en dépôt.
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2.1 Création d’un schéma opérationnel de crise et élaboration de nouvelles procédures d’urgence
Les très grandes difficultés rencontrées par le musée dans la gestion des événements entraînés le 3 mai 1998 par
le vol du Corot ont nécessité une réflexion immédiate du CPS, dès sa première réunion du 15 mai. Une analyse
détaillée des dysfonctionnements constatés le 3 mai a permis de préciser ou de modifier les procédures d’urgence
et les consignes adressées au personnel du musée en cas de crise.
C’est ainsi qu’un schéma opérationnel de crise, dépassant le cas du vol d’œuvre, a été élaboré.
Ce schéma opérationnel de crise détaille l’ensemble des actions à accomplir pour tous les niveaux hiérarchiques,
du surveillant jusqu’au Président-directeur. Ce schéma intègre de manière permanente la volonté de porter
systématiquement plainte à l’occasion de chaque vol constaté (consignes conservations) et celle de concourir
efficacement au travail des services de police en prévoyant l’alerte de l’OCBC dans les plus brefs délais et
dans les formes requises par l’intermédiaire de la fiche descriptive de l’œuvre volée ainsi que la
préservation absolue des indices et des traces matérielles du vol.
La cellule de crise, concept nouveau pour le musée du Louvre, rassemble autour du Président-directeur en cas de
nécessité : le conservateur de permanence, le ou les chefs de département concernés, le directeur des services
techniques, le chef du service de sécurité incendie, le directeur de la surveillance, la directrice des publics et le
chef du service de la communication.
Une salle de réunion équipée de tous les moyens de communication nécessaires lui est spécialement dédiée.
Parallèlement à l’établissement des 180 fiches de consignes, 4 exercices vol sont programmés chaque année.
Présidé par la Direction générale du musée, le Comité Permanent de Sécurité était constitué par :
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Pour la première fois au Musée du Louvre, tous les acteurs impliqués dans la protection des œuvres étaient
régulièrement réunis sous l’égide de la direction générale pour traiter ensemble des questions de sécurité des
collections. Ce Comité Permanent a tenu plus de 80 séances de travail , tantôt sous forme de réunions, tantôt
sous forme de visites techniques dans les salles du musée.
Cette impulsion venant du plus haut niveau de la hiérarchie s’est révélée décisive tant dans l’adoption des
premières mesures d’urgence que dans l’élaboration d’une politique de long terme.
Afin d’optimiser les moyens humains et budgétaires nécessaires aux travaux d’urgence en matière de sécurité, en
allégeant surtout le calendrier des activités du Service des ateliers, le Comité Permanent de Sécurité a proposé au
Président-directeur une pause dans l’organisation des expositions du musée du Louvre. Un nouveau calendrier a
ainsi été défini par la Direction, reportant plusieurs expositions en 1999 ou 2000.
Chacun comprendra l’importance de cette décision : il s’agissait en effet de permettre la mobilisation des
équipes de conservateurs, de sécurité et des ateliers sur les interventions d’urgence afin d’éviter qu’un autre vol
de même type ne survienne à nouveau.
Le Comité Permanent de Sécurité a effectué durant les mois de mai et juin 1998 une visite complète de tous les
espaces du musée, afin d’évaluer la qualité des moyens de sécurité mis en œuvre, secteur par secteur. Lorsqu’une
déficience était constatée, qu’elle soit humaine, mécanique ou électronique, le CPS proposait la fermeture de la
salle ou du groupe de salles concernées, afin de procéder immédiatement aux travaux ou aux améliorations
nécessaires.
Plusieurs secteurs ont ainsi été fermés temporairement par la Direction, à la demande du CPS :
- Les salles de peintures françaises du deuxième étage de la Cour carrée (salles 55 à 73), secteur dans
lequel avait eu lieu le vol du tableau de Corot.
- La salle des Sept-mètres, où sont présentées les peintures de petits formats des primitifs italiens,
ouverte peu de temps avant le vol, a été fermée durant une semaine, afin d’améliorer la fixation de
certains tableaux dans leur cadre et de procéder à la réparation ou à l’installation de systèmes de
détection électronique.
- Les salles des Antiquités étrusques ont été partiellement fermées en juillet 1998, la plupart des
œuvres étant alors enlevées de leurs vitrines ; les travaux de sécurisation, programmés durant l’été,
devaient être achevés à la fin du mois d’octobre 1998.
Par ailleurs, dans plusieurs départements, certaines œuvres, jugées trop vulnérables, ont été temporairement
décrochées de leurs cimaises ou retirées des vitrines, jusqu’à ce qu’une amélioration de leur sécurité ait pu être
effectuée.
Ces visites de toutes les salles du musée, organisées dans l’urgence avant l’été, ont permis une première
évaluation des besoins nécessaires en matière de sécurité, à moyen ou long terme, pour chacun des 7
départements et la mise en œuvre des mesures conservatoires ou définitives nécessaires.
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