Qu'Elle Etait Verte Ma Vallee - Richard LLewellyn
Qu'Elle Etait Verte Ma Vallee - Richard LLewellyn
Qu'Elle Etait Verte Ma Vallee - Richard LLewellyn
Ces choses ne sont pas pour toi, mon garon, dit-il. Ton tour
viendra.
Puis, mes surs rentrrent de la ferme, mes frres prirent leur bain,
dehors, dans les communs, et la maison s'emplit de bruits et de rires,
tandis que le fumet du dner venait vous tirailler l'estomac.
Bronwen revint souvent le samedi, mais elle continuait m'inti-
mider. Pourtant, c
r
est alors que je m'pris d'elle, et toute ma vie j'ai
d l'aimer. Prtendre qu'un enfant puisse tre amoureux peut sem-
bler absurde. Mais, que vous le croyiez ou non, j'ai t cet enfant, et
personne, sinon moi, n'a su ce que j'prouvais. Oui, c'est bien ce
samedi-l, sur la Colline, que
j
y
ai commenc l'aimer.
Mais, tout a, c'est le pass4
CHAPITRE II
Quel grand jour que celui du mariage d'Ivor! Il faillit
y
avoir une
bagarre avant de dcider o il aurait lieu. Le pre de Bronwen en tenait
pour l'glise de Sion, de l'autre ct de la montagne, mais Papa assu-
rait que notre chapelle serait termine temps.
Depuis des mois, chaque soir, ceux du village aidaient la cons-
truire. Tandis que les hommes travaillaient, je jouais parmi les
briques, les poutres et le pltre, avec les autres garons, et nous fai-
sions de bonnes parties.
La chapelle n'a pas chang depuis le jour o le pasteur de la vilk
est venu l'inaugurer. Pendant longtemps, le village n'a pas eu de qod
se payer un pasteur, et c'taient les anciens qui, tour de rle, pr-
chaient et faisaient la prire. Quant au chur, bien sr, il
y
en a
toujours eu un.
La noce d'Ivor et de Bronwen eut lieu dans notre chapelle, comme
le voulait mon pre. Et vous auriez d voir la fte qui suivit.
Par miracle, il faisait beau. Mon pre portait son chapeau haut de
forme, ma mre une robe et un bonnet neufs, gris. Tous les garons
avaient des habits neufs, noirs, et des chapeaux melons. Moi,
j'avais un pardessus neuf, noir, avec un col de velours. J'tais
magnifique.
Mais, surtout, il fallait voir Ivor et Bronwen. Lui aussi avait un
complet noir, neuf. Mais Papa lui avait prt son gilet blanc. Avec sa
touffe d'oeilletons la boutonnire, quelle allure il avait !
Et Bronwen.
Chacun la trouvait si belle ! Elle portait la robe de sa bisaeule,
disait sa mre. C'est probable, car, bien que la robe et t
I?,v
exprs, la dentelle tait reste jauntre. Du moins, j'en ai eu Fimpres-
sion. a n'a rien d'tonnant, si elle tait aussi vieille.
Devant, il
y
avait Maman et la mre de Bronwen, qui pi lient.
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 15
Debout, ct d'elles. Papa et le pre de Bronwen. Et puis mes grands
frres, Ianto. Davy, Qwen.
Je me tenais derrire, avec mes surs et mon autre frre, prs de
mes oncles et tantes. La chapelle tait si pleine qu'on ne pouvait lever
e bras; quant ouvrir un psautier, il n'y fallait songer. Heureuse-
ment que tous savaient les cantiques par cur.
Le pasteur fit un beau sermon. D i iiijifey m de grands mots anglais
que je n'avais jamais entendus, parce que nos runions taient diriges
par des gens de chez nous, qui pariaient notre langue. Je me suis
rappel le son de certains d'entre eux et, aprs, j'ai demand mon
pre ce qu'ils signifiaient. Mais j'ai l me tromper, car il eut beau les
prononcer et les rpter, nous n'avons jamais su ce qu'ils voulaient
dire. Aujourd'hui encore, je l'ignore.
Mais tous coutaient avec attention, les uns penchs, la main
l'oreille, d'autres appuys en arrire, les yeux clos, d'autres encore,
simplement assis.
Chaque fois qu'il disait quelque chose de remarquable, un murmure
courait parmi les hommes, et les bonnets des vieilles femmes s'incli-
naient comme un pr o passe le vent.
Une fois, moi aussi, je voulus marmotter quelque chose, mais c'tait
faux, quand personne ne le faisait, et mon oncle me donna une bour-
rade qui m'envoya rouler lourdement dans le bas-ct. Je me relevai
et m'efforai d'enlever la poussire de mon manteau neuf. Le pasteur
s'interrompit, son regard fix sur moi. Et tout le monde se retourna
pour me dvisager, avec un murmure dsapprobateur. J'aurais voulu
rentrer sous terre. Maintenant, encore, j'en rve, et je ressens mes
impressions d'alors, comme si j'tais petit et que tous ces gens taient
en vie.
C'est curieux de pouvoir ainsi penser en arrire. Pourtant, en
y
rflchissant, il n'y a pas de barrires, ni de haies, qui nous sparent
du temps pass. Vous pouvez
y
retourner comme bon vous semble, si
votre mmoire e permet.
Jamais je n'oublierai la fte aprs le mariage, quand Ivor et
Bronwen sont remonts chez nous pour s'en aller. Ils sont partis dans
la plus belle carriole de Dai Elis, avec la jument blanche qui prenait
d'habitude la
p
:
Dans une des tentes, il
y
avait la nourriture: dans l'autre, plus
petite, les boissons. Pour les grandes personnes, on avait dress des
tables sous les arbres, prs du jardin de la chapelle. Les enfants
16 QU'ELLE TAIT VERTE MA
VALLE!
mangeaient sur l'herbe, prs du rservoir pour l'eau de baptme.
Il fallait voir l'intrieur de la grande tente, avec toutes les vic-
tuailles tales sur les tables, le long des cts, et les femmes, dans
leurs plus beaux atours, et les fleurs dans les cruches et les seaux.
C'tait un vrai tableau.
Le pre de Bronwen avait enfourn toute la nuit, et c'est inou ce
qu'il avait apport. Il
y
avait des pts, si lourds qu'il fallait deux
hommes pour les soulever, avec de si jolis dessins sur la crote que
c'tait une piti de les entamer. Le gteau de noces tait sous les
arbres, blanc, trois tages. Le pre de Bronwen l'avait entire:..
fait. Il tait orn de fers cheval et de petites boules d'argent qui
dessinaient les noms d'Ivor, de Bronwen, et la date.
Et, bien sr, ceux du village, ceux des fermes, les amis de la famille
de Bronwen, avaient tous confectionn quelque chose de spcial, car
chacun savait que les autres regarderaient ce qu'il apporterait. Aussi,
quand tout fut sur les tables, on n'aurait jamais cru que cela pourrait
tre mang. Et, certainement, c'tait dommage d'y toucher.
Mais, quand ma mre frappa dans ses mains pour appeler la com-
pagnie, et leur dit d'aller manger, vous auriez d voir comment tout
a a disparu. En vrit, si Cedric GrifBths et moi n'avions dcouvert
un trou de ct dans la tente, nous serions rests le ventre creux. le
croyez pas que c'est parce que les gens se bousculaient avec leurs
assiettes, mais ils taient trop absorbs causer et manger, les jeunes
filles s'occupant des petits enfants, les grandes personnes se servant
mutuellement. Cedric et moi, nous tions juste entre deux ges, trop
grands pour tre nourris par les filles, trop petits pour tre avec
les autres garons. De sorte que nous avons d ne
seuls et, ma foi, sous la longue table, nous nous en sommes fnrt
bien tirs.
Les femmes allaient et venaient tout prs de nous, mais nous ne
pouvions voir que leurs chaussures et le bas de leur robe; la nappe
cachait le reste. Lorsque nous n'avions plus rien manger, nous sor-
tions de sous la table ;
l'un de nous se mettait genoux, tandis que
l'autre lui passait tout ce qui lui tombait sous la main. Quand c'tait
le tour de Cedric, il s'arrangeait toujours ramener de la gele on du
blanc-manger; moi, je prenais des gteaux ou un pt.
Papa, dit Davy, le regard fix dans sa tasse vide, je ne sois pas
du tout heureux.
Non, Papa, tu n'y peux rien, dit Davy. a nous concerne tons.
C'est cause des salaires. La semaine prochaine on va les diraraner.
Pourquoi? On sort autant de charbon, plus mme, que Tanne der-
nire. Alors, pourquoi diminue-t-on les salaires? Et puis, les forges
ferment pour aller s'installer Dowlais et on embauche pour Mkkes-
brough. Les hommes des forges suivront-Os le fer Dowlais, iront*
Middlesbrough, ou bien vont-ils travailler aux puits?
Davy fixait mon pre avec intensit, les yeux voils par ses che-
veux, trop longs, qui retombaient sur son front.
C'est ce que nous verrons, dit Davy. Quand les ouvriers des
forges viendront en foule aux puits pour se faire embaucher, il s'en
trouvera bien qui offriront de travailler pour moins, et le directeur
acceptera. Tu verras, alors. Les plus anciens de la mine, ceux qui sont
le mieux pays, seront mis dehors. Et tu seras un des premiers, crois-
moi.
Je ne serai pas renvoy, dit mon pre avec colre. C'est bien
pour cela que nous luttons. Des salaires justes, et aucune condition
que nous ne puissions tous accepter.
20 QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
Davy leva les yeux vers la cassette et sourit. Cela ne fit qu'irriter
davantage mon pre. Mais il fit semblant de rien.
Pourquoi es-tu rest la maison, au lieu de venir la runion?
demanda-t-il Davy.
Je voulais d'abord savoir ee qu'on dciderait, dit Davy. Main-
tenant que je le sais, je puis agir. Et, je t'en prie, ne t'en mle pas,
Papa. Laisse-moi aller leur parler.
Non, dit mon pre. Je ne veux pas. On m'a choisi comme
prte-paroIe, et je le serai.
~
Alors, ce qui va arriver, dit Davy, c'est que Gwilym, Owen et
moi, serons bientt les seuls faire bouillir a marmite, Tu seras
remerci comme Dai Griffiths et les autres.
L'humanit, c'est nous tous, dit Mrs. Tom. Toi, et moi. et Tom,
et tous ceux qui tu peux penser, dans le monde entier. a, c'est
l'humanit, Huw.
Dieu seul te le dira, Huw, rpondit-elle, les yeux fixs sur Tom.
Jamais elle n'a su que j'avais entendu ce qu'aprs elle s'tait mur-
mur elle-mme : S'il
y
a un Dieu!
Elle contemplait Tom avant de lui enfiler son bonnet de nuit. La
coule l'avait touch la tte et aux paules. Il tait aveugle et son
nez, carbonis, n'existait plus. Sa bouche, semblable une bouton-
nire, s'ouvrait sur des dents noires, son crne, nu, avait une teinte
violace. Il avait alors trente ans. Mon pre disait qu'il avait t beau,
14 QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
et le meilleur tnor de la Valle. Mais, maintenant, il ne poussait plus
que des grognements bizarres et gutturaux. Je ne sais mme pas s'il
reconnaissait Mrs. Tom et ses petites filles. Aussi, songeant tout cela,
je n'ose pas la condamner pour cette dernire phrase.
C'est alors que je commenai rflchir, et peut-tre est-ce cela
qui m'a men o j'en suis.
Ce n'est pas que je sois mcontent de mon sort, ni d'en tre o
j'en suis. Mais, si je n'avais pas commenc rflchir, dcouvrir
moi-mme les choses, j'aurais pu avoir une vie, en apparence, plus
heureuse peut-tre, jouir d'un plus grand respect.
Mais, bonheur et respect n'ont gure de valeur car, moins qu'ils
Paient pour cause les motifs les plus vrais, ils ne sont que leurre. La
russite vaut un homme le respect du monde, quels que acml h
disposition d'esprit, ou les moyens qu'il a employs. Mais quelle valeur
accorder pareil respect? Et quel bonheur intrieur cet hoame
peut-il connatre? Et s'il s'accommode de ce prtendu bonheur, son
tat me parat infrieur, son contentement de soi plus que ceux
du plus abject animal.
Pourtant, si je promne les yeux autour de ma petite ekaaAre,
cette pense, en vrit, ne m'est que d'un pauvre rconfort, et bien
vide de satisfaction. Il doit
y
avoir une faon de mie sa dcem-
ment, en pensant et agissant honntement, tout en 'assurai:;
larges moyens d'existence.
Dans sa manire d'agir, il n'y avait pas plus strictement
hanaSte
que mon pre; pourtant, il n'a pas connu sa rcompense ici-bas. pas
plus que ma mre. Je ne ressens d'amertume l'gard de rien, et md
sentiment de mpris ne subsiste en moi. Ce que j'en dis n'est que ce
qui passe dans mon esprit.
La premire fois que mon pre m'apparut comme un homme, et
non comme, simplement, mon pre, c'est au retour de l'ecote, le jmr
o les hommes reprirent le travail aprs la grve.
Sous la pluie d'hiver, froide, grise, piquante comme des agries,
nous courions tous, pataugeant dans les ornires et les flaques, le leag
des haies nues, dont les ramilles bruissaient sous le fouet des
ggattre.
et des fosss bouillonnants d'cume. Nous sentions l'eau pntrer
fa
nos chaussures et nous geler les pieds, tandis que nos poitrines
pre-
naient froides et collantes, mesure que nos manteaux,
s'imbibaient davantage. Nous atteignmes le haut de la pente, l k le
sentier rejoint la route de la mine, Par-dessus la haie
basse, on aper-
QU'ELLE
TAIT
VERTE
MA
VALLE!
25
eevait
juste la cage
d'arrive
et l'usine
gnratrice
et. plus
prs.
1
endroit
o se tenaient
les
hommes
chargs
du contrle
des
JLK?
on
C
i
a
T-f'f
a
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baraque
-
o e
ta joursIeTuie
ou de froid
et, aussi
loin que
remontait
mon
souvenir
il v
en
%
Laissant
les
autres
poursuivre
leur
eowse,
je
m'arrtai
sidr
la
rue d'une
brche
entre les deux
baraqu****
soust
tant son
carnet
sous un pan de son
mante
beap,
imnre^
mscnvait
un
convoi.
Il se tenait au milieu
d'une
fc^JftJel
*d
gouttes
tombant
de ses
vtecnents,
et
dJ^c^tT^
Sa
baraque
avait
t enleve.
Est-ce
mon
regard
qui lui fit lever
les
yeux?
Je l'Wore
Mais
lorsqu'il
m'aperut,
il ta le crayon
de sa
bouche
et
posalm^oig'ur
ses lvres,
comme
pour
me
recommander
de ne rien dire ma
mre
Puis il me lit
signe de rentrer
la maison.
Cette
nuit-l,
comme
je dormais
dans
cette
mme
chambre
ie me
S^XT"*
*****
**" ^
Tu
n'obtiendras
rien
sans te battre,
criait
Davy.
Crois-tu
oue ie
Sfen S,
"
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r
^
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S0US
^
chien
et que je ne lev
pas le petit doigt
pour faire
cesser a?
m,7t,
T
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' *
mon
P^e. Je ne veux
pas
que tu te serve,
de cette
affaire
pour
tayer ta pohtique.
Ne m'y
mle
pas. Je
saurai bien
m'en tirer
tout seul
eomm^at
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6t du mme C0U
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et ne
P
33
Wasphmer
sous ce toit.
Mais,
Papa,
dit Davy,
que
comptes-tu
faire?
Ds nue
la neise
commencera,
tu
mourras
de froid.
Formons
bloc, et
tu^erreOeS
reaction
Qu'un
seul
puits
s'arrte
ne
servirait
rien, niaTs
to
cessent le travail
la fois, alors oui.
Que je prisse ou non de froid,
a n'a
pas
d'importance
dit
mon pere. Je ne veux
pas servir
de
prtexte une
nouvelle
greve.t
qua cause de moi
la autres
souffrent
du
chmage.
Si
c'tait le
cW
je
mriterais
pu-e que de mourir de froid.
Mais s'ils
voient
qu'ils peuvent
te traiter
ainsi,
toi.
notre norte-
parole, dit Davy,
que ne
feront-ils
pas aux
autres?
P
26 QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE1
Bon, dis-je. Dans ce cas, je suis aussi un rebelle. Mais que va faire
Davy, Bron? Le sais-tu? Personne ne veut me le dire.
Bronwen, fronant les sourcils, se pencha pour ramasser les dbris
de la tasse.
Ce n'est pas ton affaire, dit mon pre. Occupe-toi plutt de tes
devoirs d'cole. Applique-toi, fais-les bien, c'est tout ce qu'on te
demande. Et, surtout, souviens-toi de ce que je te dis.
Au fond, je regrette de lui avoir dsobi, car c'est toujours rest
un tourment pour moi. Et alors je savais que, s'il m'attrapait, je
n'oserais soutenir son regard
;
sans compter le fouet.
En fait, j'ai tout dcouvert, en m'y prenant la faon des petits
garons qui veulent savoir ce que les grandes personnes tien-
nent leur cacher, c'est--dire en m'adressant d'autres petits
garons.
Mervyn Ellis, le fils de Dai Ellis, de l'curie, tait un de mes meil-
leurs amis; il l'est rest jusqu' la semaine dernire. Le lendemain,
en rentrant de l'cole, j'allai le trouver et lui racontai qu'une espce
de complot s'organisait, avec mon frre la tte. Cela sonnait noble et
dsespr, je Tavoue, et je me souviens que, tout en lui parlant, je
n'arrivai pas matriser ma lvre infrieure. Elle semblait se raidir,
m'empchait de m'exprimer de faon naturelle, et se tordait en tous
sens, comme si elle tait fire d'elle-mme.
Vraiment, c'est ridicule de ne pouvoir se dominer, et de perdre
jusqu'au contrle de sa propre bouche.
Davy, et les hommes, bien sr, dit Mervyn. Gros bta ! Ton
propre frre, et tu n'en sais rien.
Il me mit alors au courant des runions qui se tenaient depuis des
mois sur la montagne, et auxquelles venaient assister les hommes des
autres valles. Ils allaient fonder une union, dit Mervyn; mais il
ignorait le sens de ce mot. C'est pourquoi nous dcidmes de nous
rendre ce mme soir, l-haut, et de voir ce qui s'y passait.
Je compris, alors, pourquoi Gwilym se couchait si tard. Il arrivait
juste avant Davy, toujours par la lucarne, et jamais par la porte. Je
le savais cause du courant d'air qui souvent me rveillait. Mais je
n'en disais rien. Pour rien au monde j'aurais dnonc Gwilym
;
on le
rabrouait assez comme cela, et si mon pre avait appris qu'il rentrait
par la fentre, aussi tard, il
y
aurait eu du grabuge.
Ce soir-l, aprs avoir embrass Maman et Papa, je montai, avec
la chandelle, et me fourrai tout habill sous la couverture.
En fait, tu as raison, mon garon, dit mon pre. Mais qui t'a
permis de parler? Et .o as-tu pch ta science?
, J'ai parl sans le vouloir, Papa, dit Owen. Je devais tre en
train de rver. Ce que j'en sais, je le tiens de Dai Griffiths.
Bon, dit mon pre. Il n'y a pas mieux renseign que Dai. Mais
ce n'est pas une raison pour oublier tes manires. Ne parle que quand
on t'interroge, sinon, tais-toi.
Pas dans cette maison, en tout cas, dit mon pre. Du reste, en
voil assez.
Si vous quittez cette maison, dit mon pre, vous n'y remettrez
jamais les pieds, ni l'un ni l'autre.
Oui, Maman, dit Davy, et il se leva. Mais ils gagnent leur vie,
ce sont des hommes. Je ne peux pas les empcher.
Pas du tout, Davy, dit Owen, les yeux blancs de fureur. Que
tu le veuilles ou non, je m'en irai.
Impossible, mon garon, dit mon pre. J'ai encore des critures
faire pour la Chapelle. Du reste, qu'irions m
y
fake?
Nous pourrions aller voir Ivor et Bros, dis je. Ce serait une
bonne surprise.
Quelle aubaine pour eux, dit mon pre. Bien, Mog, j'y vais.
Garde un il sur Huw, veux-tu?
Je savais qu'il n'y avait rien faire, et restai donc avec Mog, tandis
que mon pre, franchissant l'autre clture, gagnait le pturage o se
trouvaient les hommes.
Mais peine tait-il parti que je confiai Mog mon dsir de ne
soulager. Il m'indiqua un tas de pierres, prs d'un buisson de mres.
Mes amis, cria Dai, avant de nous lancer dans Faction que
nous jugeons utile et juste, ne rnnifann iwn pas cmnlei Gwilyni
Morgan? La loyaut le commande
Les hommes se rapprochrent. Un murmure parcourut rassemble,
qui se transforma en vives acclamations, lorsque mon pre s'avana
sur le bord du rocher. Il jeta un regard la ronde, pois afayrea les
yeux vers le village, et les releva vers le ciei Je savais qu'il priait.
Les autres durent aussi s'en rendre compte, car i
y
eut un lger bruis-
sement et toutes les ttes se dcouvrirent, tous les fronts s'inclinrent.
Mes amis, dit mon pre, si ce que vous vous proposez de faire ne
troublait votre conscience, vous ne seriez pas monts ici l'cart, mais
vous vous seriez runis, en bas, au village, afin que tous pussent vous
entendre. coutez, je n'avais pas l'intention de venir, mais un hasard,
que j'appellerai la volont de Dieu, m'a amen ici. Puisque je me
trouve maintenant parmi vous, je vous dirai ce qui me pse sur le
cur depuis plusieurs mois. Ce que vous voulez est juste, mais vos
moyens pour l'obtenir ne le sont pas. La force n'est pas un argument,
tant qu'on n'a pas essay la raison. Or la raison demande de la patience.
Et la patience, son tour, veut du cran. C'est donc du cran qu'il faut
avoir, mme si, pour cela, nous devons serrer notre ceinture. Vous ne
pouvez demander Dieu Son assistance, si la haine habite vos curs,
et sans Son assistance vous ne recevrez rien. quoi bon dclarer que
vous allez tous former une Union, si vous ne savez mme pas ce que
doit faire cette Union. Exiger de meilleurs salaires? Vous es obtien-
drez, ou du moins le maximum possible, sans cette Union. Les pro-
pritaires ne sont pas tous des brutes
;
mais ne croyez pas qu'ils cdent
simplement parce que vous formez nombre et usez de menaces.
Employez la raison et des procds civiliss; croyez-moi, vous n'avez
pas de meilleures armes. Si votre cause est juste et vos consciences
nettes, Dieu sera avec vous. Nul ne peut aller loin sans Lui.
Les hommes commenaient s'agiter; des cris clatrent. Mais
46 QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
j'tais si menu, dans la foule, que je ne pus saisir leur sens. Je vis que
mon pre essayait de poursuivre. ce moment, un homme, qui se
trouvait derrire moi, me prit par les paules et me fit faire demi-tour
Mon pre n'est pas mon vieux, dis-je. Et s'il vous entendait,
vous recevriez quelque chose.
plus
cours,
aujourd'hui.
En
vrit,
c'est
tanfeatT^
a
Un long
moment,
noas
restmes
sans
parier fa t..;, f
la
valle.
Comme
s'il
avait
humect!
a^'.fc^L^L?*
5
de
Arun air
plus aigu,
le
^*S^J^^
et,
bientt,
je
grelottai.
Mon
finStuSt
ZV^LSf
regarder,
de
crainte
de
l'veflleT
J*
ns le
de ses
labours,
les
carr;
de
S^^SSSKS"
elle
ressemblait
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n.n^^ihH
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fermes,
minuscules,
faisaient
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et les
moutons
avaient
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^
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tenus
mmiobiles,
on les
aurait
pris
ponr
d'caffloS
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'
De
1
autre
cote,
dans
notre
Valle,
les
doi-t,
noi^
et n^v Aa w
mme
mergeaient
de la
brillante
verdure
ai, ici l! .
- Mai.
cala
vient-il,
P,pa
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s'adresser
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s
48 QU'ELLE TAIT
VERTE
MA VALLE!
Oui, je crains que ce qui est en train de s'laborer, en ce moment, l
en bas, ne te prpare de grandes difficults
dans l'avenir.
Mon pre parlait, les yeux levs au ciel, et j'tais heureux de
constater qu'il semblait dtendu. En vrit, il tait de temprament trs
emport, mais je ne le vis qu'une seule fois s'y laisser aller, et c'tait
hors de la maison.
Rentrons, dit-il. Mais, moins qu'elle ne t'interroge, ne raconte
pas a ta Maman. Elle en a eu assez pour aujourd'hui, sans qu'on
l'accable davantage.
Nous redescendmes
travers les pturages, vitant l'endroit o
les hommes se trouvaient encore runis. Est-ce pour avoir si longue-
ment contempl l'autre valle que je reus un choc en revoyant la
ntre?
Les berges de la rivire taient partout souilles par l'cume des
puisards de la mine, et les btisses, toutes noires et plat
-
laides
faire mal. Les deux ranges de maisonnettes, rampant le long
de la montagne, tels deux sinistre? serpents de pierres, semblaient
prtes . se dresser pour cracher des rochers, noirtres comme
elles. Jamais vous n'auriez pu croire, tant elles paraissaient lugu-
bres et malheureuses, que de chauds et plantureux foyers s'y abri-
taient.
En vrit, le noir envahissait notre Valle; le tas de dblais avait
tellement grandi qu'il s'allongeait maintenant jusqu' mi-chemin de
nos maisons. J'tais encore bien petit, mais, dj, j'en percevais
l'obscure menace. J'en fis part mon pre.
Tu as raison, Huw, dit-il, et il s'arrta pour regarder. Il
y
a des
annes, je leur ai dit d'employer la mthode souterraine, mais per-
sonne n'a voulu m'couter. Maintenant, nous avons bien d'autres
chats fouetter. Tu pourras t' occuper de a, quand t
Ce n'est pas la besogne qui te manquera, certes.
La plupart des femmes taient dans la rue, lorsque nous traver-
smes le village. Elles attendaient des nouvelles de ce qui s'tait pass
sur la montagne. Prs de la -Chapelle, mon pre souhaita le bonjour
la vieille Mrs. Rhys, du Moulin, et il dut garder sa casquette la main
jusqu' la maison car, le long du chemin, tous le saluaient.
Ma mre tait seule, assise la cuisine. Elle paraissait avoir sur-
mont sa dtresse. Un silence immobile pesait sur la demeure qui
faisait songer au chat quand, ramass sur lui-mme, il
- -
bondir.
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 49
Mon pre regarda ma mre et ne dit rien. Il la connaissait. Me
faisant signe de me taire, il sortit changer de chaussures. J'allai
prendre mon ardoise dans l'armoire et je la nettoyais encore, lorsqu'il
revint.
Ma mre fit enfin un mouvement, et mon pre posa sou regard sur
elle.
Oui, ma fille, dit ma mre. Je Pai vu. Gwflym doit les apporter
toutes ce soir, pour que je les raccommode.
Oh! mon Dieu, dit-elle. II. faut que mes garons sortent de l.
ce soir mme; sinon, c'est moi qui quitterai la maison.
Dposant son assiette sur le garde-feu, elle se leva et se dirigea vets
lit pice voisine.
Angharad, dit-elle, donne du th Huw, je te pria
Puis elle ouvrit la porte et sortit.
Le silence rgna dans la cuisine, de sorte que nous entendmes ion
pre discuter voix basse avec ma mre. Mais la porte tait paisse,
et nous ne pouvions saisir leurs paroles.
Los garons
y
taient-ils? demanda-t-elle.
Davy, dit-il, tu es l'an des trois, c'est donc toi que je parlerai.
Bon, dit mon pre. H m'en a cot de devoir agir ainsi. Je suis
fier de ma famille, fier de savoir que tu es prt faire des sacrifices
pour ce que tu estimes juste. Souffrir pour amliorer le sort d'autrui,
est bien, mais cela ne sufit pas. H v a faon et faon de s'y prendre.
La vtre ne me plat pas. Si c'tait la bonne, auriez-vous eu une aussi
honteuse runion, cet aprs-midi? Je ne le crois pas. L'esprit eo aurait
t diffrent. Mais ce n'est pas l que je veux en venir. Cest donc la
prire de ta mre que je vous ai demand de revenir ici, et ceci unique-
ment parce qu'elle m'a dit que vous viviez parmi les pourceaux.
J'admets que tu fasses des sacrifices, mme que tu souffres. Cela ne
peut que te faire du bien. Mais je ne vois pas qui cela serait utile
que tu vives dans la crasse et la salet. Je m'tonne que toi, mon fils,
tu aies pu ainsi t' abaisser.
Celui qui ne trouve pas son temps, bcle ce qu'il fait, dit mon
pre. Mais laissons a. Mrs. Beynon aura aussi de mes nouvelles. Quant
vous, ta mre m'ayant mis au courant, je suis d'accord que vous
reveniez. A une condition, cependant.
Une lourde attente pesa.
Et, de nouveau, cette brlante tension du silence m'envahit, au
point que je crus clater.
Je logerai ici. dit mon pre. Mais mon autorit n'tant plus
respecte, ni ma parole coute, je ne me considre plus comme le
chef de cette maison. Un pre doit tre obL Je ne serai donc plus, ici,
que quelqu'un qui paie pour son entretien, c'est--dire un logeur,
comme toi et tes frres; ta mre s'occupera de nous. Et voil tout.
Il est trop tard, Davy. Je n'en peux plus ce soir, dit mon pre.
Demain c'est dimanche; je compte aller de bonne heure la Chapelle,
Bonne nuit, mes enfants.
Alors, Davy? dit ma mre, quand mon pre eut quitt la pice.
Non, Davy, dit un soir mon pre. Jamais vous n'aurez mon
assentiment. Je suis un homme, et mes problmes, je prtends les
rsoudre seul. Je n'ai que faire de l'aide des autres.
Elle est considrable, Davy, dit mon pre. Nous savions, alors,
ce que nous voulions et nous pouvions le formuler. Cela nous : . : :
-
nait tous. N'importe qui aurait pu tre notre porte-parole. Il s'est
trouv que j'ai t choisi.
Mais, Papa, nous ne pensons pas faire autre chose, dit E
Formuler nos revendications et les appuyer par une adhsion una-
nime.
quoi rime-t-elle?
Notre adhsion unanime, Papa, dit Davy, Cela veut dire : tons
du mme avis. Et son utilit sera de forcer les propritaires noss
faire des conditions quitables,
J'en doute, dit mon pre. En tout cas, pas moi Cest mm
dernier mot.
Parce que je suis son fils, dit Davy, que nous habitons sous le
mme toit. Pour les propritaires, je reprsente l'lment sditieux.
Or, ils savent que Papa ne partage pas mes ides. Pourquoi Font-ils
nomm, lui. au heu de Tom Davies ou de Rhys Howell? Tous deux
sont ses ans. Ce n'est pas dire qu'ils s'en tireraient mieux que lui,
je le reconnais. Mais si Papa a t choisi, c'est pour me donner un
camouflet, moi, et ceux qui sont avec moi.
Nous
y
sommes, Maman, dis-je. Regarde. Ils sont l.
Mais Papa dit que dans la Bible, il est dfendu de tuer, repris-je.
Oui, c'est dans a Bible, dit ma mre. Mais, dans la vie. c'est
diffrent. En tout cas, s'ils touchent ton Papa, je tiendrai parole.
Ne parle plus, maintenant, et occupe-toi du chemin que nous devons
prendre. As-tu froid?
Non, Maman, dis-je. Seulement les pieds. Ils sont comme des
pierres.
Huw, dit-elle.
Huw, mon petit, dit-elle. Ta maman a cru que cette sale litige
allait te garder pour toujours. Et elle va nous avoir tous les deux, si
nous ne dcampons pas. Allons, mettons-en un coup.
Pendant qu'elle rattachait sa mante, je trouvai son bonnet. Puis
nous nous remmes en route, moi, devant, marchant avec prcaution.
Prs du pont, le vent soufflait si fort et chassait tant de neige,
qu'on ne voyait plus rien. Je passai d'une poutrelle Fantre, en
ttonnant du pied; d'une main, je tenais le garde-fou, de Fantre,
celle de ma mre. Attentifs, nous avancions petits pas, et le wnt
s'acharnait sur nous, comme s'il voulait tout prix nous prcipiter
dans la rivire glace.
Enfin, nous atteignmes l'autre rive. Mas l, compltement aveugls
par les tnbres tisses de flocons qui nous enveloppaient, nous nous
garmes.
Ma maison n'tait pourtant pas loin et. du
f
exactement la direction prendre. Mais aprs avoir nuir ht qneinuts
minutes, mes pieds butrent contre des cailloux, et je eauunrB qnfnu
pas de plus nous ferait tomber dans la rivire.
t- Je regrette, Maman, dis-je. Je me suis tromp.
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
65
Tu as fait de ton mieux, mon petit, en vrit, dit ma mre.
Faut-il faire demi-tour, crois-tu?
Je reconnais ces cailloux, Maman, dis-je; nous sommes en bas,
prs de la Chapelle. Si nous traversons par l, nous arriverons tout
droit chez Morris, de la Boucherie.
Je te laisse conduire, Huw. dit ma mre. C'est toi qui es l'homme.
Ces paroles allumrent un brasier en moi et, galvanis, je m'lanai
dans la direction o je supposais que se trouvait la maison de Mor-
ris, comme si nous nous promenions par un aprs-midi de
printemps.
Mais si j'tais fort et plein d'assurance, ma mre ne Ttait pas.
Nous avions travers une partie des rochers et de la graviro. elle,
lourdement appuye mon paule, le souffle oppress, quand, soudain,
elle porta les mains sa poitrine et tomba en avant, tout de son long
dans la neige, o elle resta immobile, silencieuse.
Alors, la peur me saisit.
Je la regardai, tache noire que, lentement, les flocons recouvraient
et l'effroi me paralysa. Puis, je me souvins qu'elle m'avait appel un
homme, et je serrai les poings. Mais que faire? Si je courais chercher
mon pre, peut-tre ne saurais-je plus la retrouver. Si je restais l,
avec elle, peut-tre ne nous dcouvrirait-on
pas, et mourrait-elle de
froid. Peut-tre aussi, en la quittant,
m'garerais-je, et ne pourrais-je
prvenir mon pre.
Et, tout en rflchissant, je m'agenouillai prs d'elle, pour balayer
et chasser cette masse blanche, silencieuse, froide, cruelle, qui peu
peu s'amoncelait sur elle, et je maudissais tous ces flocons, comme
s'ils vivaient et pouvaient me comprendre.
Puis, je pensai aux hommes l-haut. Sans doute redescendraient-ils
bientt, et ils ne manqueraient pas de traverser le pont. Si je parve-
nais
traner ma mre jusque-l. j'tais sr de trouver du secours.
Aussitt, je me dcidai.
Comme elle me parut lourde, ce moment-l. ma mre. J'essavai
de la soulever en la prenant sous les bras, mais, flasques, ceux-ci
chappaient
ma prise. En vain je recommenai et m'acharnai. Par
respect, je n'osais la tirer par les jambes, comme j'eusse fait pour un
garon. De nouveau, j'essayai par ks paules, et finis par pleurer de
rage de me sentir si faible. J'aurais voulu que la neige ft plus dure et
prt forme, afin de pouvoir me jeter sur elle et la mordre.
Finalement, je russis passer mes bras autour de la taille de ma
R. LLEWELLYN. QUELLE TAIT VERTE MA VALLE ! 3
66 QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
mre et, genoux dans la neige, la serrant, la tirant, lapousssant, je
me tranai reculons dans la direction du pont.
Combien de temps cela me prit-il, je ne sais. Mais cela me parut
des heures. Toutes sensations abolies, je pleurais, demandant Dieu
de m'aider sauver ma mre. Et, sans doute, ai-je t aid, car sinon,
j'ignore comment j'ai pu en trouver la force.
Mes paules rencontrrent le garde-fou, et je compris que j'avais
atteint le pont. Je tirai alors manire vers le montant de bois, pour la
mettre l'abri, et essayai de l'asseoir en l'appuyant contre le poteau-
mais elle tait compltement inerte et, sans cesse, je devais fermer sa
bouche qui restait grande ouverte. Puis, je m'aperus que je ne pouvais
plus me tenir debout. Mes jambes taient sans force. A quatre pad
je me tranai vers le milieu du pont et grattai la neige jusqu'aux pou-
trelles, pour m'assurer que j'tais au bon endroit et ne pourrais
manquer le passage des hommes. Aprs quoi, en rampant, je retournai
vers ma mre. Elle s'tait affaisse de ct et tait en train de glisser
dans la rivire. Je l'empoignai et la tirai, pour tcher de la faire
remonter, mais elle tait trop pesante, et les bras sans force, les daigts
engourdis par le froid, je restai impuissant.
Voyant que j'allais la perdre dans la rivire, je fwwpi'w nnfi
*J
avait qu'une chose faire.
Je m'tendis sur elle et, pesant sur eQe pour la maintenir h pat,
me laissai couler dans la rivire. Je savais, pour
y
avoir appris nager,
qu' cet endroit l'eau n'tait pas profonde.
Pourtant, j'en eus jusqu' la poitrine, et elle tait si froide, qu'en
y
entrant j'eus l'impression qu'elle cartait ses mains pour me rm
et m'trangler; et si violente, que, pendant un long moment, j*e* ens
le souffle coup. La tte appuye contre la ceinture de ma mre, la
retenant d'une main par les jambes, de l'autre par le menton, je Fn-
pchai de glisser. Craignant de sentir mes jambes se drober,je
mes genoux contre les rochers, tandis que la glace m'c
menton.
Ma mre restait inerte, silencieuse, mais j'tais trop i
avoir peur.
Combien de temps demeurai-je ainsi? Je l'ignore. Enfin, <
ternit, j'aperus, dans les dsolantes tnbres, ia taenr
j
lanterne se balanant quelques pas. Je voulus crier, i
ne sortit de mon gosier et je crus devenir fou.
QU'ELLE
TAIT VERTE
MA VALLE!
67
Cette lumire ne devait pas s'loigner,
ma mre ne pouvait pas
rester l.
Enfin, ma voix sortit, mais ce n'tait
pas la mienne. Toute la
fureur de l'tre vivant se dbattant contre la souffrance mutile tait
dans le cri que je poussai et qui amena la lanterne
prs Je :
C'tait Davy. Vaguement,
j'entrevis son visage, bleu de froid,
clair par la lueur jaune de la lanterne,
sa main
abritant ses prunelles
dilates,
tincelantes. Puis, tandis qu'il
m'enlevait
ma mre, je me
rappelle tre parti la drive, parmi les plaons.
Huw, as-tu mal? dit-elle d'un ton rapide, comme s'il tait
dfendu de me parler.
Je hochai affirmativement a tte, et elle se mordit le
Il s'en tirera, dt le D
3"
Richards. Mas je 1
Ce sont de vritables chevaux <
Mr. Morga: moi, ce
j
cette heure.
je voudrais qu'il
y
en et
quelques-uns comme lui parmi naos. 1
vrai que je l'ai entendu traiter de vieille baderne, et
semblables. Mais ceux qui parlaient ainsi taler
d'individus que le D
r
Johnson et anantis d'un seul mot. d~m
regard. Oui, je dois
normment Mr. Boswell. E ccnae
i m
tre heureux d'avoir un pareil sujet !
C'est pendant cette priode que je dcouvris les liras. X
s
wTm
avions qu'un petit nombre la maison, mais excetteots. ^&aCT m
peu ardus pour moi. Je
demandais parfois mon par.
Dsiy m
QU'ELLE
TAIT VERTE
MA VALLE!
71
Ivor quand il tait l
de m'expiquer les mots difficiles. Ainsi,
sans effort, je grandis avec eux.
Le Systme de Logique, de Mr. Stuart Mill. nous donna un mal fou.
C'tait si pineux que, souvent, nous nous moquions
de nous-mmes
et riions
gorge dploye. Pourtant, nous sommes arrivs au bout,
et nous avons bien fait. Voil encore une intelligence!
Charne soir, avant d'aller se c oucher, mon pre ou Owen
la Bible, ne sorte que je finis par la connatre
aussi bien
qu'Owen.
.
C'est
cette poque que je me fis une opinion sur le Christ. Il
m'apparaissait comme un homme.
Maintenant,
encore,
je ne puis
penser
lui autrement. Et c'est ainsi qu'il m'a aid. S'il tait un Dieu,
ou plus que nous, fils de Dieu, il serait injuste de nous demander
de
vivre comme lui. Pajr contre, si, tant homme, il a dcouvert
par lui-
mme le sens cach* de la vie, alors cette mme possibilit nous est
offerte
tous. Et, avec l'aide de Dieu, nous
y
parviendrons.
Au fond, si je quitte ce soir cette maison, c'est pour tcher de
dcouvrir ce qu'il
y
a de dfectueux en moi et dans les autres, car,
certainement, il nous manque quelque chose tous.
Davy tait aussi de cet avis, et certes, il a eu l'occasion de se faire
une opinion
ce sujet. Je le sais, car c'est moi qui crivais la plupart
de ses lettres,
disposant de la journe entire pour cela. Ainsi, je fus
au courant de tout ce qui concernait l'Union et, ds le dbut, je me
rendis compte que quelque chose clochait.
Mrs. Tom Jenkins
montait aprs la classe, avec ses petites filles,
pour me donner mes devoirs et emporter ceux que j'avais prpars.
Comme c'tait bon
elle de faire, chaque
jour, cette course, pour ne
gagner que quatre sous par semaine, et aider un garon malade.
Certainement, elle faisait de son mieux. Elle me procura, entre autres,
des modles de calligraphie, que mon pre paya, afin que j'eusse une
bonne main quand je quitterais le ht. Et quelle belle criture j'acquis
ainsi
!
Jamais je n'oublierai mon agrable motion, le jour o je gagnai
le concours d'criture
propos par un journal de la ville.
Mais vous auriez d voir
Fe;xpression de mon pre, quand il rap-
porta le journal! C'tait le moment de la lecture du soir; tous se
trouvaient runis
la cuisine. Noos
attendions mon pre qui. fait
extraordinaire, tait en retard.
Quand il arriva, un peu essouffl
par la monte de la Colline, il
tenait le journal sous le bras, comme il l'aurait fait de sa Bible. A sa
faon d'entrer, de s'asseoir, nous comprmes qu'il avait quelque chose
72 QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
d'important dire. Nous restmes donc silencieux comme des souris.
On entendit a voix de ma mre qui chantait, l-haut, pour ma petite
sur.
Mon pre mit ses lunettes, dploya le journal, promena les yeux la
ronde, mais ne me regarda pas. Je crus que j'avais commis quelque
faute, et me creusai la cervelle pour savoir quoi. Puis mon pre
s'claircit la voix; je sus alors que tout tait bien.
'
Concours d'criture
,
lut-il, et mon cur sauta dans ma gorge,
Garons de moins de douze ans. Le 'premier prix, de deux guines, est
attribu Master Huw Morgan^
fils
de Mr. Gwilym Morgan, pour mm
remarquable travail.
Tous en restrent la bouche ouverte.
Mon pre posa le journal, enleva ses lunettes et tapota la chaise.
Oh ! dit-il, et il s'immobi^
Marged sourit sa tapisserie, mais elle ne dit rien, ne se retourna pas.
Que c'est vilain ce que vous dites l, dit Marged, d'un ton qui
dmentait ses paroles.
Je dis ce que je pense, Marged, rpondit Owen. Comme vous
tes belle.
Les vtres sont si grands qu'ils sont mon univers, dit Owen.
Owen, murmura-t-elle.
Derrire, dis-je.
Sur ce, Marged arriva, le sang aux joues, essouffle, comme si, les
ayant entendus venir, elle avait couru. Je vis
1
Bronwen la regarder
puis, souriant de cette faon indfinissable qui tait la sienne, elle se
dirigea vers l'armoire et sortit les assiettes.
C'est toute cette neige qui est reste dedans, dit-elle. Toi. au
moins, tu avais mis ta vieille casquette !
Elle dit cela d'un ton merveilleusement
lger. Que les femmes
peuvent tre courageuses,
pourtant !
Oui, et bien plus qu'il n'en faut, dit mon pre, avec un large
sourire et en me lanant un regard complice.
Bon, dit mon pre. Et tous les autres sont devant la maison, qui
t'attendent aussi depuis des mois. Allons, viens, Beth. Et fais-leur
un gentil sourire.
Impossible de rsister mon pre, lorsqu'il vous regardait ainsi-
Un instant, ma mre essaya de garder son srieux; puis elle clata
de rire.
le
la faade, je vous salue, au nom do Crucifi.
Mes amis
H! H! dit la foule.
Venez, maintenant, dit mon pre. Nous irons boire leur sant.
Allons, venez tous.
Les propos reprirent de plus belle. Puis quelqu'un se mit chanter.
Non, Bron, dis-je. Elle est descendue avec Papa, Maman et les
autres,
Bronwen, dis-je.
Beth, donne une chope de bire de mnage Mr. Elias, dit mon
pre, en remettant sa pipe la bouche.
mais les gens s'appuyaient les uns aux autres pour l'emp-
cher de passer.
Oui, dis-je. Depuis des mois, je les tiens prts pour aujourd'hui
Et comment! dis-je.
Soulevant mon oreiller, je sortis mes habits, que je gardais l depuis
l'instant o l'ide avait pris corps en moi.
Malgr la douleur, malgr l'impression d'impuissance que
-
vais jusque dans mes os, j'tais dcid enfiler ces vtements. Je les
mis, sans me tromper. Si les bas taient devenus trop larges et le
pantalon trop court, c'est que j'avais grandi et maigri. Donc, inutfle
de grogner.
Quelle piteuse figure je devais faire lorsque, sortant mes jambes du
lit, je me mis debout. Heureusement, ni Mr. Gruffydd. ni ma mre ne
me regardaient. Je n'eus donc pas rougir, et leur en fu>
Grimpe sur mon dos, Huw, dit Mr. Gruffydd, en pliant les
genoux, pour me permettre de lui passer les bras autour du am.
Je me rappellerai toujours mon moi, de me trouver ainsi juch sur
le dos d'un prtre. Cette familiarit me paraissait coupable. Mais fnfy
faire? Dj nous tions la porte.
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE: 103
On m'a dit que, depuis deux ans, ils ne sont pas revenus, dit-il
enfin.
Cueille tes fleurs, Huw, dit Mr. Gruffydd. J'ai promis ta mre
de te ramener dans deux heures. Il ne faut pas la faire attendre.
Quel dommage de ne pouvoir emporter les plantes panouies avec
toute la terre qui les entoure. Cela fait mal de devoir casser la tige
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE' 105
des fleurs et de voir saigner leur riche sve, pour le snpfe plaisir de
les mettre dans un vase. Mais j'avais promis J'en cneS dame mm
brasse. Puis, juch de nouveau sur le des de Mr. Grnffrdd. ikme
redescendmes vers la ma;
En vrit, comme tous semblaient kamde 1
Les portes taient ouvertes et, i
en courant pour me faire de petits signes de la et i
vux.
Ma mre, Bronwen et An=:hrid r.: r_r f
-
_ Si
notre maison.
en
sortaient,
et nous
saluaient
en
souriant.
D'autres
familles,
comme
nous, se
rendaient
en
groupes la Cha-
108 QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
pelle: la plupart taient plus
nombreuses cr.:e b
-.
_
:
si
tous les garons avaient t l. nous aussi nous aurions fait grand
effet.
Mr. Gruffydd nous attendait devant la Chapelle, serrant la main de
tous ceux qui entraient. Il me souleva dans ses bras et donna Aies
cannes mon pre.
Toi, tu seras l-bas, avec le chur, dit-il. Es-tu en v:
Laissez-le, Mr. Morgan, dit Mr. Gruffydd avec une grande dou-
ceur. Ramenez-le la maison et qu'il ne soit plus question de cela.
lie QU'ELLE ETAIT VERTE MA VALLE!
Inutile qu'il revienne ce soir au culte. Emmenez-le portt, cet aprs-
midi, sur la montagne. Huw, ajouta-t-il. impassible, en *uht ni ml
moi. je te verrai demain matin.
Est-ce que j'ai mal agi, Papa? demandai-je, ds que nous nous
fmes loigns sur la route.
C'est une autre question, dit mon pre. Cette affaire regarde
Mr. Parry et les diacres; pas toi.
Mellyn Lewis est une mauvaise fille, dit mon pre, en tirant sur
sa pipe.
Mais non, Papa, je sais trs bien, dis-je. Elle est alle v
QU'ELLE TAIT VERTE
MA VALLE! 115
montagne avec Chris Phillips. Et pourquoi Chris a-t-fl permis qu'on lui
parle ainsi la Chap
Pourquoi? demandai-je.
Parce qu'il n'est ni juste ni couvenante qn'am gansai de ton ge
se permette de faire des remarques, dit-il gravement. S les choses se
sont toujours bien passes dans la Valle, c'est qu'on
y
est demeur
trs strict, et que les hommes
y
rflchissent des ant de se
mal conduire. De mme, les femmes. Si toutes celles qui ressenuV
Mellyn Lewis taient libres d'agir leur guise, que se passer:.
Quoi? demandai-je.
Bon Dieu, dit mon pre, en retirant sa pipe. Qui est-ce qui m'a
donn un pareil garon! Il n'est pas question d'Angharad, cela va
sans dire. Mais, supposer que je l'attrape en train de se comporter
comme Mellyn Lewis, je l'tranglerais.
Oui, dit enfin mon pre. C'est pour cela qu'elle est une
gonde.
Et v
Et tu n'as rien dit d'autre? demanda mon pre, les yeux levs
vers la lampe.
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 141
Bon, dit mon pre. Je les couterai plus tard. Pour l'instant,
l'incident est clos. TTmv pourra aller faire ses devins chez Bron. ce
soir, pendant que nous serons au cul:
Ah! c'est donc ton tour, maintenant? fit non pre, sans mar-
quer d'tonnement. Nous irons la Chapelle, ce son-, Beth, tous les
deux. Et pas d'histoires, tu entends? Que t'importent les gens, et
tous leurs bavardages ! C'est la Parole de Dieu que nons irons entendre,
tous les deux, ce soir.
Bon, dit-il.
Et ainsi nous respirmes tous deux, au sommet de la montagne,
QUELLE TAIT VERTE MA VALLE!
tmiir que la brume se teintait de pourpre et de rose, et que les rayoas
u sfefl. dardant au travers, nous enveloppaient de leur cUev.
Puis, soudain, il surgit en face de nous, si resplendissant que nos yen
~
urent supporter l'clat. Peut-tre cela se passe-:-:!
-
nous rencontrons Dieu. Mais pire.
Le vent bouriffait les cheveux de Mr. Gruffydd et, au bout de
nez. tincelait un joyau qu'on ne pouvait s'empcher de fixer, en
se demandant jusqu' combien on pourrait compter avant de le voir
tomber. Mais Mr. Gruffydd tira son mouchoir et se moucha. Alors,
, sus qu'il allait parler.
Ils la traitaient avec cruaut, dis-je et, rien que d'y penser, mt
remettait hors de moi. Et tous leurs grognements et leurs hochementi
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! i 19
de tte, c'tait pour lui faire plus mal encore. La Parole de Dieu ne
demande pas a. Va, et ne pche plus, a dit Jsos.
Tu connais trop bien ta Bible, et pas assez la vie, dit Mr. Gruf-
fydd. Faites toutes choses avec modration, a dit saint Paul et
jamais homme plus sens n'a foul le sol de notre terre.
Une belle grosse lettre pour vous, Mrs. Morgan, ma petite, dit
Ellis avec un rire sonore. Et quatre sous payer, parce qu'elle n'a pas
de timbre.
C'est d' Ianto, dit-elle. Attendez. Mes chers parents, sans doute,
vous m'avez cru mort. Mais j'ai t Londres.
Ma mre porta la main son front et nous regarda, bouleverse,
0 notre Pre qui es aux cieux, dit-il, les mains jointes, appuyes
au rebord de la table, ce que Tu ressens, lorsque Tu vois revenir Toi
Tes enfants, je l'prouve mon humble manire, en ce moment. Je
Te remercie de m'avoir accord cette journe, et Te rends grces de
ce que mes fils et mes filles soient en bonne sant. 0 Dieu, je
remercie particulirement pour cette soire et pour demain. Amen.
Aprs le souper, Mr. Gruffydd et mon pre dcidrent Tordre du
cortge : en tte, la fanfare et, en queue, le tombereau charbon de
Twm Pugh, pour amener bouteilles et tonneaux.
Tous se levrent de bonne heure le lendemain matin. Mon pre
quitta son travail une heure plus tt et se rendit avec Ivor la gare,
dans le chariot de Thomas, le Voiturier, pour attendre lanto et les
garons.
Pas question de promenade dans a montagne, ce matin-l. J'avais
des piles de tasses, soucoupes, assiettes, cuillres, four::
dehors, derrire la maison. Les femmes de la Colline apportaient tou-
jours les leurs, mais pour ceux qui venaient de plus loin, nous emprun-
tions de la vaisselle, afin d'en avoir assez, et ma mre tenait ce qu'elle
ft lave, avant qu'on s'en servt. Ce fut donc mon travail II ne me
plaisait gure, mais je le fis pour l'amour d' lanto et
La sirne de la mine venait de sonner midi, quand nous entendmes
qu'elle Etait verte ma valle:
m
clater la fanfare, en bas, dans la Valle o devait s'tre form le
cortge pour attendre mon pre, Ianto et les garons.
Posant son couteau, ma mre s'arrta de faire des tartines et
pressa ses mains contre sa poitrine.
Les voil! s'cria-t-elle. Vite,
Cerkhreo, aide-moi enfiler ma
robe. Toi, Angharad, finis de mettre le beurre sur le pain, et toi,
Bronwen, surveille les marmites.
Chacun se hta de terminer ce qu'il avait en train, puis se prcipita
dehors, pour voir la fanfare monter la Colline.
Lorsque Ifan Owen apparut au tournant, en bas. prs de la
ferre, avec une grande canne d'argent enroule d'v
. des
cuivres clatants, tincelants, et des roulements sonores des tambours,
j'avoue que mon cur s'arrta presque de battre. La fanfare n
compose que de dix hommes, mais Os jouaient avec ensemble, tous
par coeur et, ma foi, fort bien.
Tout en montant, ils soufflaient dans leur instrument en faire
s'crouler la maison.
Derrire eux, s'allongeait le cortge de nos amis des valles voisines,
ceux de la mine, bien sr, et ceux des fermes. En plus du ntre, il
y
avait quatre churs, puis les clubs de football, en maillots de cou-
leur, les femmes, avec leurs hauts chapeaux et leurs jupes rouges, les
anciens de la Chapelle et ceux des autres chapelles, marchant avec les
pasteurs; puis le chur des enfants.
Enfin, debout dans le chariot de Thomas, le Voiturier, tout orn
de fleurs, d'herbes et de draperies de couleur, mon pre, avec ses cinq
braves garons.
J'tais
la fentre de la chambre du devant, mais la cohue devint
si grande, qu'aprs l'arrive de la fanfare, je n'aperus plus que les
ttes de mon pre et de mes frres et. finalement, quand ils descen-
dirent du chariot, plus que leurs chapeaux.
Connaissant mes frres, je me prcipitai, par la cuisine, vers la cour,
o je les vis dboucher de l'alle de derrire, chappant ainsi la foule.
Ianto tait devenu encore plus grand qu'Ivor. H portait un bon
habit, fait Londres. N'est-il pas curieux qu'on puisse reconnaitre
Londres
la simple coupe d'un vtement? Qu'y a-t-il de si mer-
veilleux dans cette ville, pour qu'elle vous charme ainsi, mme par un
bout d'toffe?
J'ai aussi quelque chose pour toi, dans ma caisse. Huw. dit
Davy.
J'ai prfr n'en pas parler, dit Ianto, et, gentiment, il passa la
main sur ma tte.
Six mois, dit Ianto. Elle et l'enfant. Mais n'en dis rien Maman.
Je lui raconterai tout a demain. Pour le moment, reste avec moi.
sinon, elle me posera des tas de questions. N'en parlons plus, aujour-
d'hui.
Dehors, cris et chants redoublaient, et la foule, refluant tout autour
de la maison, rclamait tue-tte Ianto, tandis que les
-
entraient chercher la nourriture et prparer le th.
Les garons furent emmens par leurs amis, et je restai seul dans
un coin, regarder les autres. Mais il faisait trs chaud et dans la
pice dj comble, tant de gens essayaient encore d'entrer, que je
m'esquivai par la fentre et me rfugiai dans l'appentis, loin de la
cohue.
Ce local se terminait par une sorte de soupente, retra:
pleine d'odeurs de savon, d'huile, de charbon, de bois, de pommes de
terre, de pommes et d'oignons, o ma mre rangeait les couvtmes
et le linge dont elle ne se servait pas. tendu sur le dos. parmi les
couvertures, on apercevait, par une petite lucarne, le sommet de la
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 155
montagne. Lorsque ma mre avait des amies, ou qu'elle et mes surs
prenaient leur bain la cuisine, c'est l que je me retiras penr lire oa
prparer mes leons.
J'tais donc l-haut, tranquille, rvasser, berc par la rameur
lointaine de la foule, lorsque Marged entra et referma a\mriim ni la
porte.
Sans bruit, je me tournai de son ct, et la vis se dnigu vers
rtabli o Owen travaillait, quand efie tait enez aaa. Quelques-uns
de ses outils taient encore suspendns an ratener. et le laYlnujum,
le marteau, la lime, Ftau luisaient caaame si Owen venait de les
quitter. Je les frottais chaque jour an papier demerL
Marged s'assit sur le tabouret d'Ouest, posa la aaaa snr Ftan et
se mit en tourner, trs lentement, la vis, caname si cfle lAemssait.
Je m'aperus alors qu'elle pleurait.
Pendant que j'hsitais, ne
sarfcaat
que faire, la parte se rouvrit,
et Owen parut. Immobile sur le secriL fl la regarda. Un moment, 2
laissa le battant grand ouvert puis, sans doute cause de la fale
dissmine partout, il entra, le referma et s'y adossa. Dans la pnom-
bre, son habit noir le rendait presque m^isible.
Oui, dit Marged, ferme comme un roc. Une nuit, j'tais en proie
un si atroce tourment que je crus en perdre la raison, et que je rendis
le pauvre Gwil, qui faisait tout ce qu'il pouvait pour m'apaiser.
presque fou, tant je criais. C'est alors que j'ai pri pour demander la
force de t' oublier.
y
avait manger et boire en abondance et personne ne songeai!
se plaindre. lanto nous parlait de Londres, de ce qu'il avait fait.
D'abord comptable chez Hopkin Jones, le marchand drapier, il avait
ensuite dcrass les locomotives du Great Western, puis t inspectear
travaux dans un chantier de construction de routes, et Dieu sait
quoi encore, disait-il.
De sorte que vous pensez faire la pierre qui roule, toute votre
vie? reprit le pasteur. Ceci n'est gure votre crdit, en tout cas.
Vous avez raison, dit Mr. Gruffydd. Ianto, ne veux-tu pas venir
demain chez moi? Nous pourrons causer. Tes opinions m'intressent.
CHAPITRE XIII
Le lendemain, avant huit heures. Ianto et Mi dmtes la Col-
line. Je me rendais l'cole, chez Mrs. Tarn Jeakms. Ctat an
grand jour pour moi. Depuis des annes, je n'y tais pas niaim*
Rien n'avait chang, dans la petite chambre d Fentre, pas mme
les rideaux. Sans doute avaient-fls t lavs. Mais c'tait toaL
Eunice et Eiluned avaient grandi, au point qu'elles pouvaient
presque mettre les robes de leur mre, sans les raccourcir. Elles conti-
nuaient circuler pieds nus, dans la maison, pour conomiser bas et
chaussures. Le tableau noir avait toujours sa fente dans le haut.
Toutes les leons que la craie
y
avait transcrites, pour les inculquer
aux cerveaux des garons et des filles, l'avaient rendu plus gris que
dans mon souvenir, et l'alphabet qu'y inscrivait chaque soir Mrs. Tom.
afin que nous le copions ds notre arrive, tait presque illisible.
Mais l'odeur tait identique : lard grill, pain frais sorti du four,
feuilles de sauge et autres herbes que Mrs, Tom brlait pour ravigoter
son mari, craie, vieux livres, linge sch au grand air, souris. Ce n'tait
pas l'odeur de chez nous, et toujours elle m'a t contraire, car elle
tait associe, pour moi, la tte violace de Mr. Tom Jenkins et
ses grognements,
Mrs. Tom entra. Elle fit la prire habituelle, puis remercia sp ciale-
ment Dieu d'avoir permis mon retour l'cole, sans plus de mal que
mes jambes trop maigres. Ensuite, nous chantmes le cantique :
Que ma vie tout entire ne soit qu'une action de grces.
Mais, quand les leons commencrent, je fus boulevers. Mrs. Tom
n'avait plus rien m'apprendre. Pendant le temps de ma rclusion,
j'avais lu, cout Bron, mon pre, mes frres et, chaque jour, j'avais
parl avec Mr. Gruffydd.
Mrs. Tom me demanda la liste des rois, partir de Canut. Non seu-
lement je la savais, mais j'aurais pu lui nommer les rois des sicles en
m
QUELLE TAIT VERTE MA VALLE!
arrire, et mme lui parler de ceux qui rgnaient^lu temps o Rome
ne nous convoitait pas encore. Je lui dis le nom de tous tes wwib,
mers, continents. les, pays, rivires, villes,
y
compris leurs industries,
qu'elle me demanda. Finalement, elle posa sa baguette.
Il vaut mieux que je voie ton pre, Huw, dit-elle. Tu perds ton
temps, ici. Je ne puis t'tre utile que pour le calcul, et il sufft que je
te prenne un moment chaque jour, aprs le th, pour ce-la. Va dner,
maintenant, et reste la maison.
En remontant la Colline, garons et filles me regardaient comme si
je savais tout et n'avais plus rien apprendre.
lanto tait rentr. Il avait un air tendu. Owen limait du fer.
l'appentis, ce qui faisait grincer les dents de ma mre. Angharad
pelait des pommes de terre dans la buanderie et, un clin d'oeil
qu'elle me lana, je compris qu'il
y
avait de l'orage dans l'air. J'allai
donc rejoindre Owen.
Ah ! te voil? dit-il.
Que fais-tu l,
Owen? demandai-je.
Elle t'a transmis des informations, dit Owen. des dates, des
noms, des faits. Ce n'est pas dire que tu saches grand-chose. Mas ta as
une remarquable mmoire et a t'aidera quand tu te mettras vrai-
ment apprendre.
Ma mre nous appela pour le dner, et je lui rptai ce qu'avait dit
QUELLE
TAIT
VERTE
MA
VALLE:
133
Mrs
Tom.
Elle
en fut
si
tonne
qa'dfe
posa
sa
cndfee
rasette,
un brin
de
lgume
coll
son
ponce.
fassiCKC
'
Ah!
dit-elle,
les
veux
ronds.
Eue
an
mm de
il
falloir
t'envoyer
l'cole,
Huw.
Mas on?
Va
A
l'cole
technique,
dit Davy.
A
l'internat,
dit
Owen.
Tout
ce
qu'il
y
apprendra,
c'est
trarter
ne
tant a <*
sa mre,
dit Davy.
P
et
C'est
son
papa qui
dcide,
fit an ml., r,
-,
Mr.
Gruffydd
donnera
aWnn^aasei
Hnat-*tr*
que
Si une
fois
cette
fkrmae
iasmnt
ont*
.
,
Je ne ;ouflhrai
pas un
mot
contre
hii
dans
cetfc?
maison
ho^
i^fiS.
h0mme
' *
IaDt0
-
"*
*
le
voir
^-
Bon,
ht Ianto.
Mais
j'ai
compris
tout
ce qui
me reste
appren-
Sur
quoi?
demanda
Owen.
Les
hommes,
rpondit
Ianto.
Sur
la
faon
dont
nous
devons
ivre
et
nous
comporter
les uns
l'gard
des
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fvdd?
mtressant
'
dit
Day
y- Q
uelles
snt les
ides
de
Mr.
Gruf-
Le Sermon
sur
la
Montagne,
adapt
notre
temps,
dit
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Et servi
par deux
poings
solides
et
une
voix
de
tonnerre
Etquanddbute-t-ildemandaDavj-.J'iraivolontiersl'ent,
Il a
commence
sur
moi ce
matin,
huit
heure,,
dit lai
L ne
nouvelle
rencontre
aura
lieu
samedi
aprs-midi
sanTmali
^*
P
UM
d6manda
Da
^'
-
nt.
mais
Nous
nous
sommes
entendus
sur
tout,
dit
Ianto
sauf sur I.
mthode
suivre
Je
prtends
qu'il
faut
^mS
mZZt*
ment. Lui
dit
qu'il
faut
attendre,
qu'il
n'est
pas oncor,
iempf
C est
toujours
ce
qu'on
rpte,
remarqua
Owen.
AIois,
guand
era-t-il
temps?
Comment
le
saurons-nous?
Y
aura-t-il
'im
S
Le lui as-tu
demand?
S1
?"
e -
m
QUELLE TAIT VERTE MA VALLE!
Il
y
a assez faire hors de l'glise, dit Owen, cessant, lui a
de manger.
Et du th, dis-je.
Je ne vois pas ce que Mrs. Price peut bien lui faire, dis-je,
Comment? demandai-je.
Entendu, dis-je.
Puis, les gens commencrent arriver, apportant ce qui avait t
rcolt. Mais, en entrant, les femmes poussrent des exclamations et
claqurent de la langue. Vite, enlevant leur mante, elles se mirent
la besogne, coupant l'herbe, emportant la vieille ferraille. Les
hommes, leur tour, tendirent des toiles sur des cordes, aux endroits
dfectueux, fixrent des planches, en guise de vitres et de porte. I
en un tour de main, le logis fut transform. En vrit, j'y aurais
volontiers habit,
Mr. Beynon fit une apparition, puis ressortit pour pleurer. Enfin,
Mrs. Price arriva. Elle portait un ballot et un lgant sac ramages,
fait avec un morceau de tapis.
Je pars, dis-je.
Oui, dis-je, le cur sur les lvres, tout en fixant les marches
qui s'enfonaient dans le noir.
Oui, dis-je.
Oui, rpondis-je.
Et maintenant, tu veux encore te mettre de la rglisse sous la
dent? dit-il, les yeux fuyants.
Oui, dis-je.
Attends seulement que je parle ton pre! dit-il. Tous ces
embarras qu'on a faits pour toi t'ont tourn la tte. Deux sous de
friandises en une seule matine! C'est de l'iniquit! Sors d'ici imm-
diatement.
Avant de m'en aller, je voudrais pour un sou de rglisse.
Mr. Elias, dis-je.
Non, cria-t-il d'une grosse voix, l'air menaant, les soez &
froncs, en abattant son poing sur le comptoir. Va-t'en, espce le
chenapan !
D'Ianto, dis-je.
Gui, mon garon, dit mon pre. Plus nous serons nombreux,
mieux a vaudra.
Chez Elias, de la Boutique, dit mon pre, d'un ton qui nous
ferma la bouche.
Ce n'est qu'arrivs au bas de la Colline que Davy rompit le silence.
C'est ce que nous allons voir, dit mon pre. Davy et Ianto,
faites le tour par la rivire, au cas o il
y
aurait une fuite par les
communs. Toi, Owen, surveille la porte latrale. Quant toi, Huw,
viens avec moi, par devant.
Deux lampes huile et deux ou trois chandelles clairaient la bou-
tique et mettaient une tache de couleur sur le visage du vieil _
Non seulement, il ne sembla pas tonn de voir mon pre, mais en
parut enchant. Pourtant, pas une fois il ne le regarda en face.
m
Q
TELLE
ETAIT
VERTE
MA
VALLE!
Mr.
Morgan,
dit-il,
les
yeux
fuyants,
'est mmm h -A.
*
sw de ce
matin
que
vous
venez,
je
pense'
Masw w^^
.
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vrit?
Je
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QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 149
<
Ma foi, dit mon pre, pour varier, vous xva got de la loi
galloise, ce soir. Je serai curieux de voir quelle sera la rplique de la
loi anglaise. Et n'oubliez pas : portes closes, demain.
Et, tandis que nous sortions par la boutique, nous entendmes ses
poings rsonner contreJa solide porte des communs, et sa voix rauque
moduler des sanglots.
Non, mon garon, dit mon pre. Il faut que les gens de la Colline
me voient les porter. De sorte que, s'il
y
a des ennuis, ils retomberont
sur moi seul. Pauvre Elias, et sa loi anglaise !
Tout le long de la Colline, les gens, posts aux fentres, souhai-
trent bonne nuit mon pre, mais nul ne posa de questions. Savoir
que les dindes taient retrouves leur suffisait pour le moment. Plus
tard, ils apprendraient comment.
, Mr. Gruffydd tait la maison, ce qui ne fit qu'ajouter notre
moi. Mon pre avait pass par-derrire, pour enfermer les dindes.
Aussi n'entra-t-il qu'aprs nous, et nous trouva-t-il silencieux.
Soit, dit mon pre. Vous pouvez compter sur moi. Maintenant,
donc, mangez. Mr. Gruffydd, mangez.
*
La prairie de la Chapelle tait le lieu o Mr. Gruffydd avait cou-
tume de baptiser ceux qui le lui demandaient. Situe au bord de la
rivire, l'cart du village* c'tait, l'poque, un vrai petit paradis,
QU'ELLE ETAIT VERTE MA VALLE! 153
avec une eau transparente, d'un vert profond, frange d'argent prs
des rochers, et o se miraient des saules penchs. Les roseaux
y
abon-
daient pour les grenouilles, les poissons pour les hrons, et un calme
paisible
y
rgnait pour les canards et les poules d'eau.
Ce samedi-l, le village entier se rendit la runion de Mr. Grufydd.
Nous prmes par la montagne, pour redescendre, ensuite, vers la
porte claire-voie de la prairie. D'en haut, nous pouvions voir une
foule
y
stationner, et son murmure montait jusqu' nous, port
par la voix grave du vent du nord. Arrivs en bas, nous en emes
l'explication. Une pancarte, cloue au montant, annonait
q
propritaire, ayant quitt le pays, retirait son autorisation, accorde
jusque-l, de tenir des runions dans son pr.
L'avis tait sign : bishai Elias, propritaire.
La foule aurait voulu passer outre, mai- Mr. Grufydd s'y opposa.
Nous repartmes donc tous vers la montagne, et Mr. Graffydd choist
un endroit d'o nous perdons l'entendre et k voir. Il nous parla
jusqu'au moment o le soleil s'tant couch, la nuit nous enveloppa
de sa fracheur. Mais si nos membres avaient froid, les parole
-
ie
Mr. Gruffydd nous avaient intrieurement bien rchauffs. Aussi ren-
trmes-nous d'un bon pas, pour mettre notre sang 1* unisson.
Sa lutte, il la commencerait le soir mme, l, en bas, au lieu du
baptme, qui lui paraissait le mieux dsign pour une runion de
croiss, disait-il. La mchancet tait en train de s'infiltrer dans
la Valle, n'y rencontrant ni frein ni obstacle. Voleurs, vaga-
bonds, ivrognes s'y multipliaient, et mme les femmes de mauvaise
conduite.
Voil pour toi ! dit Ianto Davy, tandis que Brames me pres-
sait la main. C'est ainsi qu'il faut leur parier. Arec iateffireace.
Discussions et cris continurent pendant on marnent. Pais
Mr. Gruffydd fit remarquer que I :
runion se prolongeait. De sorte qu'aprs une prire et mm bon cas-
tique, nous repartmes en chantant vers la maison.
Pour la premire fois, Ivor et mon pre se ..
:'.
: :
travailler avec les garons- et, immdiatement, se rnirent Fnvre.
Aussi, lorsque Gwilym arriva, aprs le th, fut-il si t.
s'arrta sur le seuil, nous dvisager.
Entre donc, mon garon, dit mon pre. Viens t' asseoir ici. 7 :
pourras prendre notre message, et le porter aux hommes de :
'
.
-
:
Ta te 1
une vilaine anguille.
Ha! ha! dit-elle, je suis une vilaine anguille! Bien. Alors, point
de cadeau de la Ville, pour toi.
En voil encore une qui va s'en aller, dit Davy, tandis que nous
leur faisions des signes et les suivions des yeux, sur la pente de la
Colline.
Tiens.
: . :
a, je vous ramnerai ici, samedi.
Je paie bien mes hommes, disait-il, mieux que dans les mines
des autres valles; et je l'ai toujours fait.
Keir Hardie soutient que les mines devraient tre bien public,
comme les Postes, dit Ianto.
Hyndman affirme, lui, que toutes les terres devraient tre bien
public, dit Davy. Et je partage son opinion.
Elles ne sont que partie d'un tout, dit Mr. Gruffydd, que
l'instrument devant permettre aux travailleurs de redresser les torts
dont ils sont les victimes. Elles ne doivent chercher ni tirer des bn-
fices, ni enterrer des affaires. Qu'elles ne soient que des rgiments
civils, prts combattre pour dfendre la cause du peuple.
C'est l'chelle mobile des salaires qui nous arrte, dit Owen.
Les hommes hsitent mme entrer dans la Fdration des mineurs
cause de cela.
Oui. Papa, dit Ianto, mettant ses mains derrire son dos.
Vous aviez sans doute une raison pour e faire? dit-il. s'adres-
sant Ianto, mais de trs haut.
C'est parce que j'ai parl votre fille Angharad, dit lestyn.
Est-ce parce que nous savons encore nous servir de nos poings,
que vous dites a? remarqua mon pre. Si moi, je vous avais vu lui
parler, a aurait t encore une autre chanson.
Gwilym! dit ma mre et, les dents enfonces dans sa lvre, elle
dvisagea Mrs. Evans.
Tout faux, ma fille! dit mon pre. Tu n'avais pas l'ge d'An-
gharad. Allons, vite, sers-nous une bonne tasse de th. On n'est
jamais trop jeune pour se marier. Puisque c'est une loi. Eh bien, ce
th, ma fille?
Ds lors, avec Angharad et Iestyn, Ceridwen et Blethyn, parfois
Davy et Wyn, quand, au lieu de rester chez elle, de l'autre ct de la
montagne, il la ramenait ici, il n'y eut bientt plus un recoin dans la
maison o l'on ne se sentit pas un importun.
Aussi passai-je la plus grande partie de mon temps avec Owen qui
s'escrimait mettre sa machine en mouvement, dans l'appentis. Quel
vacarne il faisait, ce sale engin. Et, finalement, un soir, il marcha.
Mais, en vrit, quelle soire ce fut!
Il
y
avait un long trajet pour aller de chez nous la maison de
Gwiiym. Avec les soins donner la petite Olwen, les repas de mon
pre et de mes frres prparer, variant selon leurs heures d'quipe,
ma mre avait de quoi occuper toute sa journe, et il ne lui restait
gure de forces pour s'y rendre. Pourtant, elle
y
allait souvent jusqu'
deux fois par semaine.
Un aprs-midi, o elle se sentait particulirement lasse, elle me
demanda d'y porter le panier. Je partis donc, descendis la Colline et
pris le sentier longeant la rivire, au fond de la Valle.
Depuis ce jour, je n'ai plus aim ce chemin.
Il me fallait traverser les deux monceaux de dblais, qui avaient
iTO QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
encore augment et semblaient, maintenant, s'lever mi-hauteur
de la montagne. Par places, une herbe rare
y
poussait, comme si. prise
de piti, elle cherchait dissimuler toute cette laideur. La rivire,
trangle entre ces deux masses noires, s'puisait dans son effort de
rester propre, et on ne pouvait que la plaindre.
Au-del des dernires maisons, l'herbe verte rapparaissait, et Ton
se rjouissait de revoir des fleurs, aprs toute cette sinistre tristesse.
La rivire, cependant, restait noire, et, sur ses bords, plantes et
roseaux agonisaient.
En prenant le chemin de la montagne, je me sentis plus heureux.
Du sommet, j'eus la satisfaction de constater que, bien qu'elle ft
toujours l, arbres et buissons de mres cachaient la dsolation crue
je venais de quitter.
La maison de Gwilym se trouvait sur l'autre versant de la mon-
tagne. Dernire d'une range, c'tait une petite demeure d'apparence
soigne, mais expose aux intempries et o tous les vents se donnaient
rendez-vous. La lessive se balanait au jardin. En la ttant, je vis
qu'elle tait sche, et la rcoltai pour la rentrer.
Je trouvai le rez-de-chausse dans im tat indescriptible. Le bain
de Gwilym tait encore devant le feu. rempli d'eau malpropre de la
veille. Sur la table s'entassait la vaisselle sale de plusieurs repas. Le
sol luisait de poussier, rapport par les chaussures et les vtements de
Gwil. Les meubles taient disperss n'importe comment.
Je me mis au travail, vidai le bain, fis chau er l'eau pour le retour
de Gwil. lavai le sol et la vaisselle, allumai le feu, pelai des pommes de
terre, allai arracher des carottes au jardin, me rendis chez la voisine
chercher un morceau de viande pour le souper de Gwil.
Trs affable, elle me donna une paule d'agneau, et m'indiqua la
manire de la cuire, comme si je n'avais pas pass plus de deux ans
regarder faire ma mre et Bron! Elle ne me posa aucune question.
Pourtant, je savais qu'elle brlait de m'interroger.
Quand l'agneau fut dans le four, je montai voir si les lits taient
faits, et trouvai le mme dsordre en haut qu'en bas. J'arrangeai le
double lit et m'apprtais fermer les fentres quand j'entendis du
bruit dans la pice d'en face. La nuit tombait, aucune lampe n'tait
allume dans la maison. Or, je n'ai jamais beaucoup got les bruits
dans l'obscurit.
J'attendis un instant. Le son se rpta. C'tait un petit rire, pas
fort, mais trs clair.
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 171
-
Des lampes s'allumaient dans la Valle. Contre le ciel, bln fane,
les arbres se dtachaient en noir et. par rafales, le vent kiUil ea ion
mineur, puis se taisait soudain-
Drle de sensation que d'avoir les pieds Hims an sel par la penr.
Pourtant, impossible de bouger. Une force, i il/iiiic vmr* m mm
oblige rester immobile et il faut un effort s^rnmiaBk ponr s'en
arracher.
Pas pas, j'avanai vers la porte de la pice eFen face, <
sur le petit corridor, au-dessus de Fescafier. Ceaaoaent rai-je ;
je l'ignore. Il existe un esprit plus grand qne vns, loojonij
1
porte, mais qui ne se manifeste que lorsque votre propre esprit, ea
droute, l'appelle au secours, (fans cette langue qoi est fat sont, qos
vous ne pouvez comprendre, mais seulement percevoir; et c'est par
la sensation, qu'il vous transmettra ses ordres. Faut-fl
1
sensation? Car je n'prouvais rien, sinon de F
avancer. Je n'entendais pas de voix, je ne sentais ;
diriger; pourtant je me trouvais devant la porte, en train de frapper,
et me demandant comment j'y tais arriv. Puis je rouvris, et regar-
dai dans la chambre.
Dans une encoignure, prs de la fentre, Marged tait assise,
regard lev vers moi. La lumire, venant du dehors, nimbait le bord
humide de ses paupires et de ses lvres.
Cette pice semblait la rplique exacte de notre appentis, avec le
mme banc, l'tau, les outils accrochs au rtelier, le hache-paille, des
sacs de pommes de terre et de grains, empils le long du mur, des
chanes d'oignons, des jambons, des poireaux suspendus des clous.
Des rayons, semblables aux ntres, par le nombre et la couleur, s'y
trouvaient galement. Ils ne servaient rien, mais rendaient la
similitude plus frappante encore.
Marged ne bougea pas. Elle me regarda, les mains sur les genoux,
les pieds plat sur le sol, happe par l'ombre qui s'paississait,
tandis qu'autour de la maison le vent recommenait sangloter.
et j'entendis, de nouveau,
son rire. Tu es. donc venu?
Vas-y, dit-il.
Et, tandis que coulait l'alcool, mes larmes s'y mlaient. Mais Owen
ne voyait rien ;
il tournait, tournait et, chaque tour, le moteur, lente-
ment, s'veillait. Soudain, il donna une tincelle, puis d'autres, et
d'autres encore et Owen, cessant de tourner, retira la manivelle. Le
visage tendu, on et dit qu'il pensait mettre le moteur en marche par
sa seule volont. Cependant, de plus en plus rapides, les dtonations
se succdaient. Finalement, ce fut un vritable ouragan, qui secoua
l'appentis et m'obligea serrer les dents.
Le moteur marchait! Enfin, aprs des annes d'efforts, il mar-
chait.
Immobile, Owen semblait ne pouvoir en dtacher les yeux. Puis,
soudain, lanant la manivelle en l'air, il se mit faire des cabrioles,
criant et riant; mais le bruit tait tel qu'on l'entendait peine.
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 175
A ce moment, la porte s'ouvrit violemment, et un pre entra.
Interdit, i promena des yeux carqiriBs d'Owen an moteur, du
moteur Owen. Ma mre. Bron. et quelques voisins, tonns on
effrays, arrivrent sa suite, tous muets, dans le vacarme. Alors,
mon pre me regarda en souriant, mais je pleurais, et rien n'aurait
pu m'arrter.
Si clairement, je revoyais Marged dans le feu.
Bousculant Owen et lui criant d'arrter son engin, ma mre courut
moi. Puis mon pre me souleva et, me faisant passer par-dessus la
chaleur que dgageait le moteur, il me porta la cuisine. Mais mamre
m'enleva lui et m'installa sur ses genoux, prs du feu, et je sen :
force m'entourer, ses lvres se poser sur mon front, sa voix aimante
m'envelopper.
Mon petit, mon tout petit, disait-elle. Bien sr que c'tait trop
loin pour moi, avec ce grand panier. Ton Papa allait justement, partir
te chercher. Et tu tais l, mon petit, dans l'appentis, dans tout ce
vacarme, pendant que ta Maman se faisait du souci et te croyait
perdu dans la montagne.
Oui, dit Bron. Je suis ici avec mon beau-frre. Ses parents
voudraient qu'il suivt cette cole.
Mr. Motshill lui fit alors subir un interrogatoire : qui tait mon
pre, que faisait-il, quels taient ses moyens, et autres questions du
mme genre. Bron, le visage lgrement proccup, rpondait avec
politesse, mais je savais que, si ses yeux rencontraient les miens, le fou
rire nous prendrait. Et c'et t la fin brusque de nos projets d'cole.
Bien, dis-je.
Et nous nous mmes rire, la p-
jambes maigres de Mr. Motshill, gigotant dans l'air.
Et si, main-
tenant, nous achetions du toffee?
Les joues gonfles de toffee,
que nous appelions colle-joue, nous
reprmes le chemin de la montagne, riant de tout et de rien, parce
que le soleil brillait et que nous tions heureux.
Le reste de la journe, je l'employai aller solliciter des recom-
mandations chez Mr. Evans, de la Mine, chez le D
r
Richards, chez
Mr. Silas Owen, l'avou, et chez Mr. Grufydd.
Ce ne sont pas des absurdits, Beth, dit mon pre avec douceur,
pour la calmer. Ce n'est qu'un calcul, rien de plus. L'eau entre, elle
prend tant de temps. Elle s'coule, et a prend tant de temps. Com-
bien faut-il de temps pour remplir la baignoire? Voil tout.
Mais qui irait s'amuser mettre de l'eau dans une sale baignoire
qui la perd, je te le demande? dit ma mre. Qui donc songerait le
faire, si ce n'est un fou?
Que diable ! s'cria mon pre, posant son livre et levant les
yeux au plafond. C'est pour se rendre compte s'il sait calculer, ma
fille. Des nombres, ce ne sont que des nombres. Combien de te:.
pour obtenir tant de litres?
Mrs. Jenkins, dit mon pre, qu'il ne soit plus question de bai-
gnoires. N'avez-vous pas d'autres problmes poser?
Il
y
aurait les fractions dcimales, dit Mrs. Tom Jenkins. Mais
il les connat bien.
Beth, Beth, dit mon pre. Que ton doux visage soit bni.
coute, il
y
a des choses pour les garons, et d'autres pour les filles.
La virgule dcimale transforme l'entier en fractions. Au Heu de dire un
et demi, tu dis un, virgule cinq. Parce que cinq est la moiti de dix.
soit un, suivi de zro. Donc le un est un entier, et le zro n'est rien.
Et maintenant, te voil renseigne.
Des minutes passrent. Je n'entendis plus que le froissement des
habits qu'on enlve, et le pas de quelque passant attard, qui mon-
tait la Colline.
Les Franais, je crois, dit mon pre. Mais n'en parlons plus,
veux-tu?
182 QUELLE ETAIT VERTE MA VALLE:
Oh! Beth, dit Papa. Quelle douce petite mule tu fais. Laisse
donc a, maintenant, avant que je ne te lance par la fentre!
et la lampe s'teignit.
La pauvre vieille dame doit dormir, ces heures. Faisons comme elle.
Bonne nuit.
et bote d
blanc, avec mes provisions, la main. Je pris par la route de la mon-
tagne. Une pluie fine tombait, mouillant mon visage. Pendant la
monte, les arbres attnurent le vent, mais, arriv au somm
soufflait si fort que je faillis tre emport.
La ville me parut plus lugubre encore, sous les grands nuages gris
qui tranaient entre les montagnes, avec ses toits estomps par 1b
brouillard, et l'paisse couche de fume jauntre des haut? four-
neaux. Je n'eus pas de peine reconnatre, entre les maisons, les
trois toits d'ardoises de l'cole et les quelques arbres de 5?. : :
rcration. Sombre, malpropre, hrisse de roches noires, la rivire
coulait tristement.
Les rues taient silencieuses
;
deux ou trois carriole? seulener.:.
une charrette de laitier, se rendant la gare, et qui brimbalait sur les
pavs, dans un tintamarre de ferraille.
En arrivant, je vis quelques garons en train de jouer dans le
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 183
prau, et attendis qu'ils se fussent loigns l'autre bout pour entrer.
Dans le vestibule, dsert et silencieux, je retrouvai la mme odeur de
craie, que je hais encore. J'en fis le tour, regardant les toiles accroches
aux murs, les unes peintes, les antres dessines et colories, fort bien,
en vrit, par les lves; enfin, le tableau dlMuneur, on s'alignaient
des noms en lettres d'or.
Puis une porte s"ouvrit et j'appris ainsi cannent Mr. Motshill
procdait : d'abord un coup, avec la pointe dn pied, pois on double
coup d'paule, de force ingale, cause de sa manwae vue.
a, c'est mieux, dit-il. Bien. Ha! c'est vous qui tes venu hier,
n'est-ce pas?
Venez, venez, dit-il. Mr. Tyser va vous donner les feuilles d'exa-
men. Comme a, nous saurons que faire de vous.
Double coup d'paule contre une porte, puis salle de classe.
Mr. Tyser avait un air las. Brave petit homme, sans malice, mais inca-
pable de tenir tte une bande d'lves bruyants et mal levs.
Mr. Tyser, dit Mr. Motshill, je vous prsente Morgan. J*ai
dj d le tancer, parce qu'il parle son jargon. Donnez-lui les lnifies
du degr suprieur et voyez un peu ce qu'il sait.
Oui, dis-je.
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 185
Non, dis-je. J'ai les jambes trop maigres, mais je ne suis pas
infirme.
Tu ne
m'effraies
pas,
rpondis-je.
Je vous
rosserai
tous,
et toi
le premier.
Je sortis.
Mr
.Tyser
m'attendait
la
porte de la Sixime,
en
causant
avec Mr. Elijah
Jonas-Sessions,
dit Mr.
Jonas,
tout
court,
l'cole
A la vue de ce dernier,
mon
cur
se serra.
Que de temps
vous
avez
pris,
Morgan,
dit Mr.
Tyser
Peut-tre
est-ce
une
habitude
chez lui, dit Mr.
JoW
Il souriait,
les lvres
pinces,
cachant
ses dents,
si bien "qu'il sem-
blait n
avoir que sa langue
dans la
bouche.
Il parlait
anglais,
mal avec
un
accent
prtentieux.
Quelle piti
d'entendre
corcher
une <4
belle
angue
par de pareils
individus!
C'est le
Samuel
Johnson
gui
i aurait
arrange
comme il le mritait.
Je le lui dis une
fois, mai*
bien
plus tard.
Avez-vous
pleur,
Morgan?
me
demanda
Mr.
Tyser.
Oui, dis-je.
Mais
a n'a pas
d'importance.
Quel sale petit
torchon
avez-vous
l?
dit
Mr.
Jonas,
toujours
souriant,
tirant
de ma poche
mon
mouchoir
souill
d'encre
et de
poussire.
Il tait
propre ce matin,
dis-je en le lui
arrachant.
Cette
salet
provient
de la
classe,
l-bas.
Dites
monsieur
quand
vous
me
parlez,
remarqua
Mr.
Jonas
ou vous
tterez
de la canne.
Entrez
et
asseyez-vous
sans flner
Au
moment
o je
passais, il
voulut
me frapper
la tte
mam h
un
plongeon
et allai m'asseoir
au
quatrime
rang,
une
place nue
venait
de me faire un
garon.
QU'ELLE
TAIT VERTE ... LLE.' 189
#
Mr. Jonas ferma la porte, puis, face la dasse, il jhw ii i un
instant son regard sur hs lvrs e*. riirh. lr : :ri ri: :
Je vous prsente un prod^e iHiiIiIB^i 11
^
dit-i, ne regardant
et souriant, tandis que garons et fies se
^1^
]
devons-nous tous le saluer trs bas, Noos ;
d'prouver ses connaissances
algbriques, et MBionBsl]
permis de vivre dans le mme local que 1
une requte aux Communes, poor qu'a
fice particulier,
La plupart des garons et 1
pas un mot de ce qu'il disait;
]
rire, plus fort que ne le
essayer de ne pas encourir,
acre.
Il me proposa quatre quations du second degr. Mas, grce
l'enseignement de Mr. Gruffydd et de Davy. je les rsefcs sas elfart.
Mr. Jones ne perdit pas son sourire.
Le modle des lves, dit-il, en examinant de prs mon travail.
Mais, dites-moi, vos cahiers sont infects et vos mains dgotantes. Si
vous songez devenir boursier de cette cole, il s'agira
-
1 jop-
tiez des faons plus civilises. Informez votre mre que. si je
encore arriver dans un pareil tat, vous serez : zez vous.
Nous n'avons que faire, ici, de vos sales manires de mineurs.
Ds cet instant, Mr. Elijah Jouas-Sessions fut mon ennemi, et mon
esprit, but, se refusa tout enseignement venant de lui. Muet, je me
bornai, alors, le regarder.
Viens donc me rosser, dit -il, tandis que les autres faisaient cercle
autour de nous. Allons, viens.
Il avait, une tte de plus que moi. Fils d'un marchand de charbon,
il tait habitu porter des sacs et paraissait trs fort.
ne fut pas un vrai pugilat. Trop de garons nous entouraient et
la place manquait. C'tait comme de manuvrer un chaland dans un
goulet trop troit. Je lui assenai deux bons coups, et il m'attrapa la
ite. Mais, alors, la pression des garons me fit perdre l'quilibre; je
tombai et dus me borner, sous la pousse, protger ma tte contre
leurs chaussures. Que se serait-il pass? Je l'ignore. Quand, soudain,
tout s'arrta; les garons s'cartrent et, comme je me relevais et
m'appuyais au mur, j'aperus Mr. Motshill, la fentre de son bureau,
qui me regardait.
Soit, dit-il. Mr. Jonas m'a dj inform que vous tiez de nature
belliqueuse. Alors, comprenez-moi, Morgan. Si je vous attrape encore
une fois vous battre, entre les murs de cette cole, je vous trillerai
et vous expulserai. Quant vous autres, poursuivit-il. s 'adressant aux
garons, rappelez-vous, je vous prie, que vous tes ici pour vous pr-
parer remplir des situations honorables, devenir de respectables
citoyens. Souvenez-vous-en, et que votre conduite soit en accord
avec ce but.
Par bonheur, en sortant de l'cole, je trouvai Ellis, de la Poste,
m'attendant sur la place, devant l'htel, comme ma mre le lui aA~ait
recommand, sinon j'aurais t roul dans la boue. Tandis qu'il fai-
sait claquer et tournoyer son fouet, pour tenir en respect la bande qui
courait mes trousses, je grimpai sur le sige, bout de souffle.
Soit, dit-il. Mais, tous les soirs, je t'attendrai ici, c'est entendu.
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 191
Et, chaque soir, part quelques rares exceptions, je fis le trajet de
retour avec Ellis, par la route des valles, qui contournait la montagne
et longeait la rivire. C'tait charmant de se trouver ainsi, sur le sige,
derrire Mari, la jument, de respirer le parfum des prairies de saluer
les gens en chemin, de faire des signes ceux qui, des maisons, nous
regardaient passer, de parfois nous arrter ponr lev donner une
lettre, un paquet ou quelque nouvelle, car. bien
tfd
3
Hfis
au courant de tout, dans et hors de la Valle.
En rentrant, ce soir-l, je me rendis d'abord chez Bron. pour me
laver le visage et les mains, mais rien ne put cnlcm les meurtris-
sures qui marquaient mes joues et mes yeux, et une lvre fendue ne
peut ainsi s'escamoter. Bron tait sortie, et Ivor pas encore rentr,
aussi n'eus-je besoin de donner aucune explication.
Puis je rentrai la maison. Quand ma mre m'aperut, efle porta
les mains son visage, si bouleverse qu'elle en avait perdu la voix.
Huw, mon petit, dit-elle, les yeux baigns de larmes. Qui est-ce
199 QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
qui t'a mis dans cet tat? Dis-moi son nom, que j'aille l'trangler.
Oui, j'y vais de ce pas.
Attends que son pre rentre, dit ma mre, elle aussi prte
pleurer. Ha ! ce qu'il va en entendre sur son cole nationale !
Et le tisonnier alla voler dans un coin, avec un vacarme tel que le
chat dtala ventre terre, hors de la maison, avec le bout blanc de
sa queue, comme une toile filante, derrire lui.
Que c'est bon une tasse de th, quand on se sent mal dans sa peau.
Lger, avec beaucoup de lait et du sucre candi, dans une grande tasse,
de sorte que, lorsque vos lvres sont accoutumes la chaleur, vous
pouvez le boire, au lieu de le siroter. Et votre tre intrieur, qui vous
semblait endormi, se ranime soudain. En vrit, quelle merveilleuse
amie qu'une bonne tasse de th!
Angharad rapporta la tranche de buf. L'appliquant sur mon
visage, Bron la fixa avec une serviette. Aprs quoi, je me rendis dans
l'appentis, pour fourbir le moteur d'Owen. Je m'y trouvais encore
lorsque mon pre rentra, et alors j'entendis les clats de voix de ma
mre.
Puis la porte de la maison s'ouvrit.
-
Il est trop dur, rpliqua Davy. Vraiment, il faut bien tre une
fille pour fourrer sa tte dans un aussi petit trou. Et la portr
ne l'as donc pas vue?
Je vous regardais par la lucarne, espce d'idiot! dit Angharad.
Est-ce que tu imagines que je vois travers les portes I
La curiosit te perdra, jeune femme, dit mon pre. Cas-
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 195
sez la lucarne et vous la paierez avec Fargent de sa corbeille.
A voir l'tat dans lequel il est lui-mme rentr, dit mon pre,
je m'tonne qu'il ait mme song le rapporter.
A ceux qui ont laiss sur lui ces marques, dit mon pre.
Voil qui serait bien, dit ma mre. Et, en mme temps, mettez
donc le feu cette sale bara
Chut, ma fille, dit mon pre. Mieux vaut laisser Huw se frayer
lui-mme son chemin, Mr. Gruffydd. Je pourrais aussi bien
y
aller que
196 QUELLE TAIT VERTE MA VALLE!
vous, et que Dieu leur porte secours si je les tiens entre mes mains.
Mais c'est Huw qui doit se battre, pas nous.
Bien meilleur que les poings, en tout cas, dit Mr. GrufTyc
mettant rire. Les poings ne peuvent servir qu'entre hommes.
la verge et la raison sont de porte universelle, bonnes pour tous. Par
les poings, vous apprendrez mieux vous battre, si tant est que
ayez du cur et de la tte, et vos poings engageront les autres vous
ficher la paix. Mais quelques principes appliqus avec le secours d'une
bonne verge enseigneront rflchir et se mieux comporter. Et c'est
pourquoi j'ai l'intention de descendre demain matin la Ville.
Angharad, dis-je.
Mr. Gruffydd carta les cheveux qui couvraient le visage d'Angha-
rad et elle leva vers lui ses yeux, tandis que la lampe posait un reflet
d'or sur elle.
Je savais qu'elle riait,, mais elle semblait pleurer avec des larmes
dores, tremblant au bord de ses cils, et ses yeux, d'un bleu ravissant,
immenses, ronds, suppliants, comme ceux d'une petite fille qui vou-
drait qu'on la portt, les lvres un peu en avant, pas assez pour s'en-
laidir, le menton frmissant et ses longs cheveux cuivrs, tisss le
mches brillantes comme les cordes d'une harpe, retombant er.
cade devant ses prunelles et le long de ses joues.
Mr. Gruffydd la regarda et je vis changer son visage, mais d'une
faon impossible dcrire. Il posa sa lampe et saisit la traverse de la
lucarne, au-dessus de la tte d'Angharad.
Et maintenant, me dit-il. sa
boit e pendant que je raccommoderai i
La bire est tire et vous attend, dit mon pre. A son heure, le
th est trs apprciable, mais rien ne vaut une bonne lampe de bire.
Ma femme a confectionn celle-ci Gotez-la donc. Jamais vous n'en
avez bu de meilleure. Huw. remplis aussi ton bol.
Merci, dis-je.
Le souffle rapide,
silencieux, le teint anim, elle avait du sourire dans les yeux.
Si
jamais il te parle de moi, dis-le-moi, n'est-ce pas?
Oui, rpondis-je.
;
Merci, dit-elle. Dors bien, maintenant.
Elle se baissa pour teindre la chandelle, et je vis son visage, ses
lvres qui s'avanaient comme pour un baiser, le sourire dans ses
yeux, mais cette fois, semblable celui d'une mre qui regarde son
enfant pleurer dans les bras d'une autre femme, plus doux, avec une
nuance de supplication.
Le lendemain, l'cole, pas un garon ne trouva un mot me dire.
Ils me regardaient, pourtant, la main devant la bouche pour
rire. En vrit, je devais avoir une bonne tte, le visage jaune et bleu,
marbr de meurtrissures, les yeux enfls, le nez tumfi. Mais a
m'tait gal. Je pris note des garons qui riaient, et ajoutai leur nom
la liste de ceux que je me proposais de rosser.
m QITELLE TAIT VERTE MA VALLE!
Aprs la prire et le cantique. Mr. Motshill me retint, et mt de-
manda ce que j'avais fait pour m'arranger d'aussi belle fao^.
Oh ! dit-il.
Il enleva ses lunettes, les essuya, cligna des yen
vers le plafond.
Si vous vous sentez mal, pendant la journe, allez
donc chez Mrs. Motshill, la maison d'cole, et tendez-vous.
Elle est morte, dit mon pre, sans lever la voix. Mais nous
l'aurons, mme s'il faut, pour cela, transporter la montagne.
Oui, en vrit, c'est bien triste, dit Rhys Howells. Mais quel
magnifique enterrement. Et quel joli cercueil Clydach Howell a fait,
De ma vie je n'en ai vu un aussi ravissant.
2i* QUELLE TAIT VERTE MA
VALLE!
Merci, Rhys. dit Clydach. rougissant de plaisir. J'espre faire
aussi bien pour vous un jour, mon vieux.
Ma foi. peut-tre vous verrai-je en sret dans le vtre avant,
rpondit Rhys. Mais, pas de danger. Ce ne sera pas avant des annes,
Iiiitons-fe.
Si je dois m'en aller crame cette petite, aujourd'hui,
dit
Qydaeh- cela ne ne finit rien de partir demain. En vrit,
que
c'tait beau!
Toos les convives opinrent de k tte, et Mr. Pritchard sourit
vaguement, comme si cette pense le rconfortait.
Comme j'aurais voulu qu'elle pt tout voir, dit-il.
Croyez-vous
qu'elle a vu quelque chose, Mr. Gruffydd?
Est-elle au ciel, ou doit-elle
attendre son tour?
Au ciel, rpondit Mr. Gruffydd, le regard baiss vers son assiette.
Les enfants n'attendent pas. Venez moi, dit le Seigneur, et laissez
venir moi les petits enfants. Il n'a pas parl d'attente.
J'en suis bien heureux, dit Mr. Pritchard, les larmes aux yeux.
Mais je ne m'explique pas pourquoi elle a d partir. Elle tait pour-
tant heureuse, avec nous. Chaque jour, elle m'apportait mon dner
la mine, si gaie, comme un petit oiseau du ciel, et toujours elle venait
Mais pourquoi ne suis-je pas mort, moi? ili m mil Mr. Prit-
chard. J'ai eu ma vie. Pas excellente, mais j'ai fait de mon mieux.
J'tais prt partir sa place.
coutez donc, vous tous, dit Mr. Evans. Mais, Mr. Gruffydd,
comment s'y prendre? Dites-le-moi, et je ferai tout ce qui sera en
mon pouvoir pour cela.
Oui. rpondis-je.
Je le pensais bien, remarqua Davy. Depuis vingt ans, il n'a pas
manqu un enterrement. Une vraie puce de cimetire. Ce genre d'indi-
vidu me rend malade.
tos
5
Davy, dit Wyn, tonne, le pauvre, n'est-ce pas sa faon
de tmoigner son respect au dfunt?
Son respect? dit Davy avec autant de vivacit que de mpris.
Ce n'est pas une marque de respect que de se tramer derrire chaque
cercueil qu'on dniche. Oui, des adorateurs de la mort et des rites
funbres. Pouah! De vrais corbeaux l'haleine puante.
Ce qui les intresse dans les enterrements, dit Ianto, c'est le
moment du th. En dehors, des larmes et, au-dedans, du th. Comme
a. l'quilibre est maintenu.
m
Et vous, vous tes trop paresseux pour aller jusqu'au cimetire!
dit Wyn avec colre. La vraie raison, c'est votre paresse.
Je ferais volontiers la Ville et retour pied, plutt que d'entrer
dans un cimetire, dit Ianto. Ce n'est pas de la paresse, mais de la
sagesse. En vrit, existe-t-il lieu plus laid, plus amer, qu'un cime-
tire? J'espre ne jamais tre oblig d'en tter.
Alors, que faire, ton avis? demanda Angharad. Jeter la
pauvre petite dans la fosse?
La livrer aux flammes, dit Davy. Que la poussire retourne la
poussire. Le plus vite et le plus proprement possible, voil le mieux.
Et, maintenant, n'en parions plus; travaillons.
Huw, dit Ianto, va donc chercher le marteau et les clous dans l'ap-
pentis, et nous irons fixer cette pancarte pendant qu'il fait encore jour.
Nous rendant au village, nous la cloumes contre le tronc d'un vieil
arbre
l'entre des Trois-Cloches. Tous les hommes dsireux de dfen-
dre leurs intrts et ceux de leur famille taient invits se runir, le
lendemain soir six heures, dans le pr de Jones, de la Chapelle. On
esprait une nombreuse assistance, afin de prendre une dcision contre
l'application de l'chelle mobile, base des salaires hebdomadair es, et de
nommer un comit charg de prsenter cette dcision aux propri-
taires.
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! m
Comme nous achevions de clouer la pancarte, de nombreux hommes
vinrent voir ce que nous faisions. Beaucoup de gens, revenant de
l'enterrement, s'arrtrent aussi entre autres le diacre Isaac Wynn
qui, aprs avoir pris connaissance de l'avis, ft claquer sa langue.
Entendu, dit Davy, l'air trs satisfait. Tu vas donc prendre des
leons avec des champions, Huw. Et maintenant, file t'instruire avec
tes livres.
Et c'est ainsi que je passai, de Dai Bando et de Cyfartha Lewis,
Pricls et John Stuart MiU.
A quatre heures et quart, le lendemain matin. Davy vint me
secouer. Il tint pour moi la planche branlante du palier, et je partis
sans bruit dans la nuit noire, par un froid faire claquer les dents,
sans m'tre lav, de crainte de rveiller la Colline entire en tirant
l'eau du puits, et suffisamment la maison pour qu'on m'en ft grief
au djeuner. Et je me trouva dehors, dans le vent coupant, glacial,
qui remplissait mes yeux de larmes et me serrait le nez comme avec
m j
7
-"ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
mie pince linge. Deux masses noires dbouchrent de derrire ia
dernire maison. C'taient Dai et Cyfartha
;
seule leur dmarche les
.liait l'un de l'autre.
On
y
va? dit Mervyn Phillips, s 'avanant, les poings tendus, le
corps ramass. Il me dpassait de plus d'une tte et, de forte carrure,
il promettait de devenir un solide gaillard. La peau de son visage et
de son cou, haute en couleur, devenait d'un blanc crmeux sur la
poitrine et l'abdomen. Un duvet clair couvrait ses avant-bras que
terminaient des poings noirs, inscrusts de poussier.
Je fis quelques pas autour de lui, pour voir comment manuvraient
ses poings. Il essaya un gauche, trop court. Je lui assenai un direct
dans la poitrine, qui lui coupa la respiration. Ses yeux, d'un bleu clair,
profond, nr observaient, dilats par l'attention. Je les vis changer de
couleur, comme il avanait vers moi. Je passai sur la droite, surveil-
lant du coin de l'il ses poings noirs, qui sifflrent mon oreille. Le
gauche tendu, l'paule efface, le droit port en arrire pour l'lan,
je le visai en plein nez. Mais il vit le danger et, vivement, releva son
droit pour parer. D'un direct gauche, il m'atteignit derrire la tte,
et je tombai sur le dos, entre les pieds des spectateurs, leurs visages
tournoyant et chavirant au-dessus de moi.
Fourre mon veston dans ton pantalon, dit Mat Powell. Sinon,
il te mettra en sang.
Penchez-vous sur son dos, je vous prie, dit Mr. Jonas, toujours
derrire moi, la voix doucereuse, mais si brusque qu'elle me fit sur-
sauter.
Me juchant sur le dos de Mervyn, je nouai les mains autour de son
cou. Deux fois, la canne siffla en l'air, comme si Mr. Jonas prenait la
distance. Le son pntra en vrille dans mon cerveau, tandis que ma
volont se concentrait sur mon dos, contract, sensible d'avance, dont
les nerfs vif s'apprtaient subir la douleur.
De nouveau, la canne siffla et je vis son ombre rapide courir sur le
sol. Avec un bruit mat. elle s'crasa sur mon dos, en mme temps
qu'une brlure cuisante s'y incrustait. Et a recommena: la canne
siffla, l'ombre glissa, Mr. Jonas poussa un grognement, tandis que sous
mes mains, je sentais la gorge de Mervyn Phillips se contracter et que,
flchissant en avant, il pitinait sur place pour reprendre son qui-
libre. Puis, l'intolrable brlure. Et. sans arrt, cela se rpta, inter-
minablement, les sons variant selon que les coups montaient ou redes-
cendaient le long de mon dos. Jusqu'au moment o celui-ci ne fut plus
qu'une souffrance ininterrompue, comme un feu lancinant et que, les
yeux aveugls, la tte pleine de vacarme, les coups ne me parussent
R. LLEWELLYN. QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE ! 8
SBS QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
fias
qu'une dure et fastidieuse rptition, sans importance, pas
pras douloureuse que des flocons de neige.
Puis la canne se brisa et le bout, volant par-dessus moi. alla retom-
ba- quelques pas.
Et maintenant, dit Mr. Jonas, essouffl, d'une voix altre,
essayez de recommencer vous battre ! Ceci n'est qu'un avant-ot,
je vous prviens. Retournez votre place. Et plus de ces vilaines
manires. a vous apprendra vous tenir, esprons !
Je me laissai glisser du dos de Mervyn Phillips et regardai Mr. Jouas,
Ple, le front moite, il avait des marques bleutes autour de la
bouche, les muscles du visage crisps d'un ct, les yeux injects, les
mains tremblantes, qu'il s'efforait d'immobiliser en pressant ses
doigts les uns contre les autres. Il me scruta durement, mais je ne
baissai pas les yeux. De la langue, il humecta ses lvres, tandis que
sa respiration soulevait sa poitrine par courtes saccades, comme si des
rnes le tiraillaient. Lui tournant le dos, j'obligeai mes jambes me
porter jusqu' ma place. En passant, j'aperus sur le pupitre, devant
Ceinwen Phillips, le mouchoir, tach du sang de son frre, dchir en
lambeaux. Elle cachait son visage dans son bras et ses paules trem-
blaient.
Oui, dis-je.
Non, rpondis-je.
Tte donc
;
tu verras s'il
y
a un bout de tapis, dis-je.
Elle s'approcha de moi et, tandis qu'elle me touchait le dos, je
sentis son parfum de girofle et de cannelle. Elle ne fit que m'effleurer,
mais ses doigts me parurent lourds et acrs, comme si elle tenait un
fer rouge la main.
Pourquoi? demandai-je.
Mais, bien sr, que je l'accepterai, dit-elle, et cette fois elle eut
J QUELLE TAIT VERTE MA VALLE:
wbl Moire joyeux. J'aime les rossignols. Comme ils chantent bien! Ea
avrz-vous. l-bas?
Des millions, dis-je. Et aussi des faisans, des perdrix, des per-
vers. des mouchets, des pinsons.
Oui, rpondis-je.
Et, timidement, nous nous serrmes la main.
les
yeux d'un bleu intense, dilats, brillants.
Je voudrais t'embrasser.
Et, comme elle m'attirait elle et que ses mains me faisaient mal,
je sentis ses lvres sur ma joue, plus chaudes que mon visage, et son
haleine brlante, lourde de vie. Aprs quoi, elle partit en courai;
cheveux flottant derrire elle, et traversa la rue, juste devant un
cabriolet. Furieux, le conducteur se retourna et l'insulta, et elle lui
tira la langue.
Alors, c'est bien, dit-elle, une ombre dans son regard, les mains
serres dans un geste de soulagement. J'avais peur de te voir tomber.
Au revoir, dis-je.
Et j'allai rejoindre Ellis sur son sige. Quel merveilleux soulage-
ment! Le coussin tait tendre, et la couverture du dossier bienfai-
sante mon dos.
A la maison, tout le monde tait sorti. De sorte que je pus me
dshabiller et regarder mon dos dans le miroir. Il tait stri de larges
boursouflures, si hautes qu'elles projetaient une ombre. A ce moment,
j'entendis lanto qui sifflait, rentrant de la mine, et me htai de me
revtir. Mais j'avais peine enfil ma chemise, qu'il tait dj l.
Bien, dis-je.
Non! dis-je.
Et je m'enfuis sur la montagne, tandis que Bron m'appelait
grands cris.
Je montai jusqu'au sommet et fus heureux de m'asseoir dans le
vent froid.
La douleur est un excellent purificateur de l'esprit, et, par cons-
quent, de la vision. Des choses auxquelles on attache une grande
importance, lorsqu'on est en bonne sant, sont juges de peu d'int-
rt quand on souffre durement.
Ce soir-l, tandis que le froid engourdissait ma douleur, et qu'en
pense je revoyais le visage de Mr. Jonas. recommenais mon pugilat
avec Mervyn Phillips, voquais l'expression d'Ianto, et m'efforais de
calmer mon cerveau bouillonnant, j'eus un songe tout veill. Il
n'avait ni commencement ni fin : je vis la Valle, dpouille de son
enveloppe d'herbes, de son ossature d'arbres, dans sa clart et sa
vrit ternelles. Comme des fourmis, creusant leurs galeries, j'aperus
les hommes, en train de travailler dans les profondeurs au-dessous de
moi, afin de gagner de l'argent pour leur foyer. Des hommes, en plus
petit nombre, leur donnaient de l'argent et en gardaient la majeure
partie pour eux. Je vis les richesses de la terre s'mietter sous les pics
et emportes la pelle. Puis, soudain, il me vint l'esprit que. de
mme que toutes choses, ces richesses auraient une fin. L'argent ne
serait plus pay, il n'en resterait ni pourles matres, ni pourles hommes.
Pioches et pelles se rouilleraient. Les mines seraient abandonnes
aux inondations et aux rats. Les hommes disparatraient. Les mai-
sons se videraient. La Chapelle resterait obscure. Et l'herbe, par
piti, essaierait de tout recouvrir.
Alors l'effroi me saisit.
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 231
Je regardai le ciel, en train de 'assombrir, et vis la grande roue du
monte-charge, hachant la lumire de ses rayons, tandis qu'elle ralen-
tissait et se balanait avant de s'arrter. J'entendis le dkjuetis des
dernires lampes, le tintement des dernires rontremarqoes de laiton
que rendaient les hommes : la rsonance de leurs chaussures, alourdies
de poussier, s'teindre dans la distance. Pois la voix des myriades
de rats s'battant dans Yeau noire des nes dsertes, s'leva, si
forte, qu'elle domina tous les autres brtnts. Et la limai n'onafa.
Je me rveillai, trop courbatu pour nemmmwmret ift si tmW
par la peur que je n'osais bouger les yenx. Pen peu. rrytmt je
parvins dplacer mes jambes et, conme les sors de la wmt s'veil-
laient; et me rassuraient, je m'assis.
Le vent tait pntrant. Il s'affairait, et sifflait on petit wk pe*r
annoncer ses amis de la montagne qu'A tait lev et s'apprtait
mettre de l'ordre et que. sans garas pour les feuilles tombes ou les
branches mortes, il les emporterait vivement. Plus il soufflait, phis les
arbres s'efforaient de le faire taire, et plus ils taient grands, plus fort
rsonnait leur pscht ; et ils le frappaient de leurs branches, pour
l'empcher de les houspiller, mais en vain, car il les traversait en se
jouant, et ils ne pouvaient que s'agiter et faire pscht .
Le ciel resplendissait de la ple clart des toiles et. mes pieds,
le village semblait un long damier de lumires jaunes, dont une plus
forte, la porte de la Chapelle, et deux l'entre des Trois-Cloches. Sur
le versant oppos brillaient les deux lampes de la ferme. Partout
ailleurs, c'tait l'obscurit, cette obscurit transparente qui prsage
la pluie. La montagne, en face, s'tait retourne pour dormir et sa
hanche noire, incurve, s'abaissait et disparaissait dans les tnbres.
Au-del, les autres monts s'taient aussi assoupis, voils d'ombre
lavande, nuance de bleu profond.
Le vent m'apporta l'cho lointain du chur de la Chapelle, puis
l'emporta. Mais, dans ces quelques notes, j'entendis vibrer les voix
riches et mles des hommes de la Valle, sonores, courageuses, nettes,
bonnes, nobles et fres, et je sus que ces voix taient aussi la mienne,
car je faisais partie d'eux, comme eux de moi, et nous de la Valle, et
elle de nous
;
comme chaque brin d'herbe, chaque pierre, chaque feuille,
chaque arbre, chaque filon de charbon, chaque goutte d'eau, ramille,
branche, fleur, grain de pollen, crature vivante, poussire du sol, tout
tait mien, comme mon sang, mes os, ou les notions de mon esprit.
Ma Valle, Valle qui es ea moi, c'est en toi, ternellement, que
ffi QUELLE TAIT VERTE MA VALLE!
je veux vivre. Que la Mort, que pire que la Mort frappe mon esprit, que
fa. ccit dvore mes yeux, si ma pense ou ma vue t'oublient. Valle
devenue pour certains celle de l'Ombre de la Mort, tu ne peux l'tre
pour moi. car la meilleure partie de mon tre, c'est le souvenir de tes
bruns, de tes verts, de toutes choses vivantes, heureuses sur tes pentes
et sous tes ombrages, lorsque tu nous envoyais tes doux parfums,
faisais crotre les herbes odorantes pour la marmite, les fleurs, et que
les oiseaux chantaient perdument leur joie.
Ce furent mon rve et ma vision qui, ce soir-l, me conduisirent
chez Mr. Gruffydd, car je voulais savoir ce que je devais en penser. Je
les sentais justes, mais les souhaitais faux. Et, comme je descendais,
j'entendis les rossignols chanter dans les buissons de mres, le long
du pr du Glas Fryn, et je pensai Shani Hughes.
Je trouvai le village dsert. Une voix montait de la Chapelle, inter-
rompue, parfois, par les cris de la foule. Et je me rappelai la grande
runion, convoque pour ce soir-l par Mr. Gruffydd. Je me dirigeai
donc vers la Chapelle, et voulus
y
entrer par la porte de derrire, mais
elle tait ferme clef. Faisant le tour, je trouvai le porche encombr
de gens qui n'avaient pu
y
pntrer. Attentifs, le visage ple sous la
clart des lampes huile, ils rayonnaient, cependant, de srnit et
d'espoir, comme si chacun avait reu une grande nouvelle et s'en
rjouissait.
Par les portes ouvertes, j'apercevais des ranges compactes
d'hommes et de femmes, debout, tandis que les bas-cts et le long
du grand banc, tous taient genoux. Mr. Gruffydd, les yeux clos,
tenait ses poings appuys sur le Livre.
Qui est-ce qui t'a mis dans un pareil tat, mon garon? dit-il
de sa voix flte.
Alors, c'est bien, dit mon pre. a te fera cinq francs pour ta
tirelire.
Laisse-moi
y
aller, dit Ivor. Bron n'a fait qu'en pleurer toute
la nuit.
C'est pour remplacer celle que j'ai casse, dit-elle. J'ai t trs
tourmente cause de ton plumier.
Shani Hughes, rpondit-elle. Elle l'a mis dans une petite bote,
sous un couvercle de verre. Je voudrais tant en avoir un, moi aussi.
Oh! Huw, donne-moi un uf de rossignol, je t'en prie. Je ferai tout
ce qui te plaira. Je t'ai dj embrass, tu sais.
Tu auras ton uf, dis-je. Et je te ferai une petite bote. Ce
n'est pas parce que tu m'as embrass. Je ne fais pas de march. Mai?
puisque tu m'apportes un cadeau, je t'en ferai aussi un.
Je lanai un regard Shani et vis ses yeux poss sur moi, sombres.
Je ne sais pourquoi, elle me fit de la peine; j'eus envie d'aller
elle, de l'entourer de mes bras et de la protger, contre quoi? je
l'ignore.
ce moment, un vacarme retentit dans le vestibule, o se mlaient
les voix de Mr. Motshill, de Mr. Jonas, des craquements de meubles
briss, des pas prcipits et pesants, des vocifrations, des hurlements,
et qui se rapprochait rapidement. Puis, dans l'cole entire, les filles
se mirent
crier, on ne sait pourquoi. Dans notre classe, les lves,
quittant leurs bancs, se prcipitrent vers la porte. Au mme instant
celle-ci s'ouvrit avec violence et Mr. Jonas fit irruption, Dai Bando
ses trousses, suivis de Mr. Motshill, de trois matres, de Cyfartha
Lewis, poussant devant lui Mr. Tyser qui, le col demi arrach,
battant des mains, obstruait l'entre.
Mr. Jonas, sans col, les vtements dchirs, sa cravate pendant
comme un chiffon, le visage hagard, les yeux noys, les joues rougies
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 239
par les gifles que lui administrait Dai chaque fois qu'il relevait la
tte, faisait peine voir.
En vain, Mr. Motshill essayait de s'interposer. Comme si de rien
n'tait, Dai continuait houspiller Mr. Jonas, tandis que Mr. Motshill,
dansant, hurlant, lui martelait le dos, de ses poings, avec fureur. Mais
le glapissement des filles touffait tout autre bruit. D'un crochet,
Cyfartha jeta un des matres terre, les deux autres, terroriss, se
tenant cois, restrent regarder Dai. Ds qu'il vit toute probabilit
d'intervention carte, Dai enleva sa ceinture, posa le pied sur la
marche de l'estrade et, saisissant Mr. Jonas par le cou, le plia sur son
genou. Les sifflements et les claquements de cette courroie, mls aux
hurlements de Mr. Jonas, faisaient une musique merveilleuse. Mais
on l'entendait peine car, au moment o Dai avait commenc, les
cris des filles avaient atteint un paroxysme quL sans doute, ne peut
tre dpass au purgatoire.
Enfin, Dai s'arrta et Mr. Jonas. pleurant, retomba flasque. Dai
fit un signe Cyfartha et, le saisissant par la tte et les pieds, ils le
lancrent dans la trappe ouverte de la soute charbon, qu'ils refer-
mrent sur lui.
Aprs quoi, Dai sortit de son melon un carnet de papier, du tabac,
et se roula une cigarette que Cyfartha alluma. Puis il se mit souffler
des nuages de fume bleue, tandis que Mr. Motshill et les mait:
regardaient, impuissants, et que les cris, telles les dernires notes de la
sirne, diminuaient et s'arrtaient. S'tant pong le front du revers de
sa manche, Dai remit son chapeau bien droit et, un instant, inspecta
la classe du regard. Bien qu'il m'apert, son expression ne changea
pas, et je jurerais que dans mes yeux, non plus, on ne vit rien.
Je n'ai fait que lui rendre visite, dit Dai avec douceur, presque
comme s'il exprimait des regrets. Je pensais qu'il viendrait l-haut
sur la montagne. Je le lui ai propos, mais il n'a pas voulu. Eh,
Cyfartha?
Il
y
a t invit, rpondit Cyfartha. Mais il n'a mme pas eu la
politesse de rpondre non,
Il s'est simplement enfui, dit Dai. De sorte que j'ai d lui courir
aprs. J'ai fait un long chemin pour venir ici, mais j'tais dcid
S QUELLE TAIT VERTE MA VALLE!
traverser Fenfer, jusqu'en Chine, pour le tenir. Et c'est ici que je Fai
eu. Qua-t-ori donc me reprocher? Eh, Cyfartha?
Oui, une bonne chope, en vrit, dit Dai. Par Dieu, a ne fera
pas de mal. Que de poussire, dans votre bote, monsieur, rellement,
que de poussire! On a la gorge dessche. Pas moyen de chanter.
2l Cyfartha?
Les hommes sont en grve dans les trois valles, Maman, dis-je..
Aucune d'elles n'interrompit sa besogne. Mais, lorsque je passai
devant Bron, je vis qu'elle pleurait, si doucement que je ne m'en tais
pas aperu. J'employai ma nuit astiquer le moteur d'Owen. J'avais
S QUELLE TAIT VERTE MA VALLE!
wppris le dmonter et le remonter entirement. J'tais en train
de nettoyer mes mains enduites de graisse, quand j'entendis le pas de
mi pre dans la cour. Il entra dans l'appentis, tranquillement, en
nanteau et casquette, et s'assit, fixant les chandelles, sans mot dire,
Tair triste, sa moustache luisant comme de l'argent.
Puis il s'claircit la gorge, comme si, pendant des heures, il ne
s'tait nourri que de douleur.
Pourquoi? demandai-je.
Oui, rpondis-je.
Pourquoi? demandai-je.
Le jour o vous sortirez d'ici sans avoir t bien lest, c'est que
je serai sous la terre, dit ma mre.
Ha? dit-elle.
Nous serons obligs de cder, dit Davy, sirotant son verre d'eau
chaude.
Et c'est nous qui en ferons les frais, dit Ianto, les yeux fixs
sur la lettre.
Mon pre leva son poing et l'abattit sur la table, faire danser la
vaisselle.
Pre Cleste, dit-il, pour toutes Tes grces, pour Ton assistance
d'aujourd'hui, je te remercie du fond du cur. Hier, je T'ai rendu
grce; aujourd'hui, je Te rends grce; demain, je Te rendrai encore
grce, de tout mon cur. Au nom de Jsus, Notre-Seigneur.
Amen, dmes-nous.
Ma foi oui, s'il n'a pas t arrach par ce sale vent de la mon-
tagne, dit mon pre, prenant le bout de son nez entre le pouce et
l'index.
Le visage impassible, le regard froid, ma mre le dvisagea, et nous
nous mmes rire, car nous savions que, par cette attitude, elle vou-
lait lui faire comprendre quel point il l'avait offense d'avoir pu
croire qu'il ne trouverait rien, en rentrant, pour le rconforter. Mais
lorsque Papa faisait le pitre. Maman ne savait jamais garder long-
temps son srieux. De sorte que, bientt, le sourire monta dans ses
yeux, et elle posa sa main sur le visage de mon pre.
Oui, Maman,
rpondmes-nous.
Ce n'est pas du tout a, dit Mr. Gruffydd. J'ai peur de vous voir
dans la gne toute votre vie. Ce que je gagne nous permettrait peine
d'exister, vous et moi et, quant nos bons repas, ils dpendraient
de la charit d'autrui. Croyez-vous que je supporterais de voir vos
cheveux blanchir vingt ans avant l'ge? De voir nos enfants vtus
des habits de rebut des autres? Remercierons-nous Dieu de nous
avoir donn des enfants, dans une demeure meuble d'un bric--brac
dont les gens se sont dbarrasss en nous le donnant? Non, Angharad,
je suis un homme. Par amour pour mon travail, je puis supporter
une pareille existence. Mais si je devais vous voir en ptir, je crois
que je commencerais tuer.
Peur, mon garon? dit Bron d'une voix lgre. Ne sais-tu donc
pas que ta Maman lui a fait subir en pense les pires traitements,
except de le faire griller aux oignons et au fromage? Va vite et re-
viens manger un morceau de tarte aux fraises, toute frache.
Mais, Maman, j'ai jet par terre Mr. Jonas, repris-je, pour
m'assurer que j'tais rellement hors de danger.
Tous deux, vous avez eu tort, dit mon pre, le lendemain matin,
lorsque je lui eus racont l'affaire. Mais, peut-tre, aurais-je agi
comme toi, donc, je ne te gronderai pas. Nous verrons ce qu'on te
dira lundi, quand tu retourneras l'cole.
Quand ils n'oublient pas de les lui donner, ajouta Bron. Voil
des mois que ton Papa les harcle, mais ils prtendent que la grve a
vid leur caisse et qu'il faut que Mr. Gruffydd attende. Cela peut durer
jusqu'au moment o ses chaussures tomberont en morceaux; il ne
dira rien.
Promis, rpondis-je.
Avec courtoisie, les lves s'cartrent pour me laisser passer. Ils
me souriaient, me disaient bonjour, si bien que je me surpris en train
de me gonfler, comme si j'tais devenu un personnage important. Un
seul regard la porte de l'tude suffit, cependant, me remettre ma
place. En attendant Mr. Motshil, je regardai les tableaux d'honneur
fixs aux murs, et je tchai d'en imaginer un, o mon nom figurerait
seul, l, entre le portrait du dernier directeur et celui o s'alignaient
les noms des lves qui s'taient distingus d'une quelconque faon.
Et je dcidai
Alors, allez dans votre classe, dit Mr. Motshill. Je compte tre
5-
de plaisir en ouvrant vos cahiers, vendredi pr::h;?.:r..
Transport de plaisir, vous m'entendez?
Mais lis donc, mon garon, continue! dit ma mre, qui n'en
croyait pas ses oreilles.
Tous les mmes, dans cette famille 1 dit Iestyn, les yeux encore
humides. Jamais je n'ai rencontr pareille tribu, du premier au der-
nier. Voit-elle quelquefois ce Gruffydd?
Voil cent sous pour toi, Huw, dit-il, mettant la main sa poche,
Nous
verrons bien, dis-je.
Laisse-les
donc, disait mon pre a ma mre, lorsque leurs dis-
putes la mettaient en colre. Ce n'est plus notre affaire. Notre tche
est termine. C'est dans leur maison qu'ils habiteront, o qu'elle se
trouve; donc, ne t'en mle pas. Si tu donnes ton avis et que, plus tard,
quelque chose cloche, ils t'en voudront, et tu
y
perdras ton autorit.
C'est
pourquoi, laisse-les se
dbrouiller seuls.
Cette
Angharad!
disait ma mre avec dsespoir. Je lui tirerais
?> QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
flunljcr les oreilles. Elle ne sait pas ce qu'elle veut. Tantt ceci,
tantt cela: et puis, tout le contraire.
Oui, monsieur,
rpondis-je.
En quoi diffres-tu
d'une fille? demanda Mr. Gruffydd,
faisant
tourner avec vivacit le pivot.
Une fille est enfle sur la poitrine,
rpondis-je. Et nous ne le
sommes pas.
QUELLE TAIT VERTE MA VALLE! 285
- Ainsi, dit le Seigneur, qui t'a fait et form dans les entrailles
de ta mre, reprit Mr. Gruffydd, citant la Parole de sa voix profonde.
Ainsi, de l'esprit de l'homme, naissent les moteurs, et de celui de Di iu;
ibs. Mais, afin que le moteur puisse prendre corps, il faut qu'une
union s'tablisse entre le cerveau et les mains qui prpareront le moule
de sable dur, dans les entrailles duquel il recevra sa forme; de mme
une union doit s'tablir entre l'homme et la femme, pour que le bb
puisse prendre forme et venir au monde. Le forgeron a prpar le
moule de sable, ou matrice, o les parties du moteur ont trouv leur
forme, et Owen les a runies. De mme, Dieu a prpar les chaudes
entrailles de chair, pour que les parties du bb
y
trouvent leur forme.
Mais qui donc les runit? Le pre et la mre, n'est-ce pas?
C'est exact. Quant l'union, prit Mr. Grufiy dd, du mme ton
qu'il et pris pour me faire remarquer une diffrence de grain entre
deux bois, tu as entendu parier de la semence de Fhornme?
Pour une fois, tu dis vrai, rtorqua, d'un ton galement suave,
l vieux Twm, debout, les mains sur les hanches, dvisageant Hwfa.
Avec tout l'or que tu as gch en parlant, tu aurais pu faire sauter les
banques du monde, en vrit.
Les petits boutons de bottines bleus se reportrent sur moi, me
prenant tmoin.
Arrte, arrte! s'cria Hwfa. Tu veux donc que son col lui
arrive au-dessus des oreilles! Espce d'idiot! Redescends-le. Encore.
L. Attends. L! L!
La manche droite est trop courte, dit le vieux Tv.t. d'un air
dtach.
Hwfa respira profondment, puis se mit arranger le poignet de
la manche gauche.
Enlve ce veston, Huw, mon petit, dit Hwfa, d'un ton solennel.
Un matre tailleur n'a pas besoin de regarder deux fois son uvre.
Reviens le chercher vendredi soir, et tu l'auras tout chaud de son
dernier coup de fer.
Merci, Jim, mon petit, rpondit mon pre. Sans doute des gens
venus pour les noces?
Owen! Gwilym ! Mes petits! s'exclama mon pre. Oh! mes fils!
Il dgringola de l'chelle, si vivement que celle-ci se renversa; mais,
je ne sais comment, il se retrouva sur ses pieds et se prcipita leur
rencontre.
Venez, mes garons, nous avons fini ici, dit mon pre. Allons
la maison, voir votre mre. Voil longtemps qu'elle attend ce mo-
ment. Huw, tu veilleras que tout soit en ordre ici avant de partir.
Venez souper la maison, dit Bron, levant les yeux A-ers lui.
J'ai une paule d'agneau.
Pourquoi? demandai-je.
- VELLE TAIT VERTE MA VALLE
Si j'tais encore fille, dit Bron, je crois que je ferais mon pos-
sible pour l'pouser, mme si je devais tre mal juge.
Pourquoi? dis-je.
De son air? dis-je, aussi obtus qu'une brosse. Quel air a-t-il?
Il est comme toujours.
Viens prendre ton th, dit Bron. Et pas de taches sur la nappe,
je te prie. Oh ! Huw, pense, demain je mettrai ma robe neuve. Comme
je me rjouis! Je voudrais m'endormir en cet instant, et ne me rveil-
ler qu'au moment de l'enfiler.
Ah! dit mon pre. C'est donc pour a qu'on vous a congdis?
Ces* leur Union qui marche le mieux, mon avis, dit Owen.
Quel homme que ce John Brans Et ici, quoi en est-on?
Ils ne sont pas forts, rpondit Ianto. Bs ne voient pas plus loin
que FcheBe mobile des salaires et s'imaginent, les idiots, qu'elle leur
garantira un travail stable. Ils ne comprennent rien aux chiffres, et ne
se rendent pas compte qu'intermdiaires et propritaires s'engraissent
leurs dpens.
largi des paules, les cheveux plus courts, plus friss, la barbe
sombre, Owen avait toujours, au fond de ses yeux gris, le mme
regard intense.
Mille trois cent cinquante voix, dit mon pre. Pareille puis-
sance n'a plus t entendue depuis le retour de la Colombe.
Des petites fltes de fer-blanc, dit Gwilym. Les souris ont plus
de voix.
Pourquoi? rpondit mon pre d'un ton tranquille, les yeux fixs
sur sa pipe, tandis que mamre lanait un regard significatif Gwilym.
Pour avoir six mois de famine, voir mourir les enfants et ne rien
gagner du tout! dit mon pre. Sornettes que tout a, mes garons.
Dans les livres, c'est trs beau, mais pour le ventre et pour l'esprit,
c'est trop dur. Changeons de sujet de conversation, voulez-vous?
une
des mains de Willie Rees, plat ventre dans la boue, et qui dtourne
la tte, afin de ne pas tre aveugl par les claboussures, au moment
o le pied frappera.
Le ballon est parti, et la foule attentive le suit des yeux, dans ce
silence, plus lourd que le bruit, qui s'tablit lorsque tous les regards
fixent le mme point, et que toutes les voix s'apprtent pousser un
mme cri.
Mont trs haut, le ballon redescend, tournoyant sur lui-mme,
dcrivant une courbe, tandis qu'un murmure parcourt la foule. Mais,
cet instant, le vent le saisit et le pousse, d'un petit coup, par-dessus
la barre. Il aurait pass quand mme, mais, parfois, il plat au vent
de "se montrer un ami.
Nous avons un essai, un goal, cinq points d'avance.
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 311
Comme les rouge et vert relanaient l'ovale vers la ligne et que
je le suivais des yeux, je vis un mouchoir s'agiter non loin, et reconnus
Geinwen Phillips. Un ruban rouge et vert dans ses longs cheveux
couleur de foin mr. un gros nud de rubans de mmes teintes sa
mante, elle me regardait, les yeux mi-clos, la bouche rieuse, rouge, o
brillaient ses grandes dents blanches.
Elle arriva vers moi en courant, et j'hsitai m'enfuir, car je ne
souhaitais pas tre vu avec une fille, et savais que. mes frres ne
finiraient pas de m'attraper, s'ils nous apercevaient ensemble. Mais,
dj, elle tait trop prs
;
il ne me restait donc qu' lui sourire et
essayer d'avoir l'air heureux de cette rencontre, plutt que de souhai-
ter la savoir au fin fond des dserts d'Egypte.
Que
Ju
es beau, avec ton pantalon long ! reprit Ceinwen. Je te
regardais de loin et me disais : Non, ce n'est qu'une ressemblance; ce
ne peut tre Huw Morgan; il est trop grand; c'est un homme. Sans
doute est-ce un de ses frres ans. Et puis, je t'ai de nouveau regard,
quand tu criais, tout l'heure, et j'ai agit mon mouchoir pour tre
sre que c'tait toi. Comme c'est drle!
Bont divine! dit mon pre. Que lui as-tu donc fait*?
Elle m'a dit qu'elle tait trop bonne pour qu'elle en laisse,
expliquai-je.
Et qu'as-tu fait de cette sale goinfre qui tait avec toi? de-
manda-t-elt en enlevant sa mante. N'aie rien faire avec elle, Huw,
je t'en prie. Je ne l'ai vue qu'une fois, mais a m'a suffi.
Alors, qu'elle reste l-haut jusqu' son dpart, dit Bron. Quant
toi. ne bouge pas d'ici, veux-tu?
Huw! dit-elle.
Et, repassant son bras autour de mon cou, elle m'embrassa.
Quand ma mre nous embrassait, c'tait un baiser sec, bref attou-
chement sur la joue ou sur le front, pour marquer que nous tions
elle. Bron embrassait avec plus de tendresse, d'alacrit; son t
faisait un petit bruit, et elle le donnait toujours sur la joue. Mes tantes
nous embrassaient comme les poules picorent les miettes sur 1;
Mais Ceinwen savait embrasser.
. Surprenante et merveilleuse tait la douceur de sa bouche frache.
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 319
dlicatement humide, o jouait avec une paresseuse nonchalance le
bout de sa langue, si pleine de vie, pourtant. Appuye de tout son
poids contre moi, ses cheveux voilaient nos visages, cartant la lu-
mire et toutes autres odeurs que la sienne, qui voquait les larges et
tendres contres de la chair vivante, et montait d'elle, l'enveloppait,
la suivait partout o elle allait.
Puis, ma bouche resta vide, froide. Et Geinwen me regarda.
Huw, dit-elle.
A mon avis, il faut que les charbonnages des cinq valles dl-
guent chacun un homme pour qu'ensemble ils rencontrent les propri-
taires, dit mon pre. Qu'ils fassent un tat de leurs revendications et
griefs, se renseignent mutuellement sur leurs difficults, se fassent
de part et d'autre des concessions; le tout, dans un esprit de justice
et de loyaut.
Lis donc a, Papa! dit Ivor, tendant une lettre mon pre.
C'est un ordre, dit mon pre, de la voix qu'il prenait pour lire la
Parole. Un Ordre royal! Bon Dieu!
Vil Ordre royal? dit ma mre, les yeux agrandis, les paules
tombantes. Quoi encore?
S lennel, mon p:
;
sa. s'claircit la voix : D'ordre de Sa
Majest, lut-il, Mr. Ivor Morgan est appel se prsenter au Chteau
de Windsor, avec quelques membres choisis de son chur.
Oh! Pre cleste, dit mon pre, le regard lev, sa main serrant
3S6 QUELLE TAIT VERTE MA VALLE!
cele de ma mre. Je Te remercie du fond du cur de m'avoir fait
Yrrre ce jour.
Ah! Enfin! Huw, mon petit, dit Mr. Grufydd, souriant et reti-
rant le plat du feu. Je me demandais combien de temps cela pren-
drait.
Il remonta la Colline avec moi. Tous les gens sortaient de leur
maison. Les hommes partaient au pas de course, vers la montagne,
emportant papier et bois, afin d'y allumer des signaux et avertir le
chur. Cependant, les femmes, tenant conciliabules, se rpartissaient
les prparatifs des rafrachissements, tandis que les fentres s'ou-
vraient, que, dans la rue, les passants se criaient la nouvelle, que les
enfants, en chemise de nuit, couraient ici et l, sans que personne ne
les envoyt coucher, et qu'clataient des acclamations l'adresse de
Mr. Gruffydd, d'Ivor, et mme de moi.
Aucun ordre, aucun avis imprim, ni trompettes, ni cour- k
canon lanant des flammes et qui font mal la tte aux vieilles dames.
Pourtant, chacun s'affairait quelque besogne, faisant de son mieux,
et si, par aventure, vous en aviez demand l'un d'eux la raison, les
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 327
sourcils froncs, vous ayant jet un bref regard, il aurait- claqu de la
langue et poursuivi son chemin, sans rpondre.
L'quipe de nuit, en habits de travail, s'apprtait descendre et
celle de l'aprs-midi remontait la Colline, lorsque les hommes du chur,
arrivant des autres valles, commencrent affluer, les uns par la
route de la rivire, dans des chariots, breaks, chars, cabriolets, carrioles
tires par des chiens ou mme par des chvres
bref, dans tout
vhicule allant plus vite qu'an homme au pas de course; tandis
que les autres, par groupes, portant des lanternes ou des torches,
dvalaient les pentes de la montagne. Et tous chantaient. Affol, le
vent ne savait plus de cruelle mlodie il devait s'emparer, pour nous
l'apporter, et laquelle abandonner.
Bientt, du haut en bas de la Colline, ce fut une cohue indescrip-
tible, o chapeaux et visages se touchaient tous, clairs, de loin en
loin, par une torche, une lampe ou des chandelles poses sur l'appui
des fentres. Joyeuses, animes, les voix s'entrecroisaient, coupes de
rires, lorsque des remous faisaient osciller la foule. Parfois, se croyant
sur le point d'tre crases, des femmes poussaient de petits cris, et
; ornmes, avec des plaisanteries et de nouveaux rires, cartaient
les coudes pour leur faire un peu de place. Ici, un quatuor chantait,
auquel se mlaient des voix fminines; plus loin, s'levait une mlodie,
tous ceux qui entouraient le chanteur s'apprtaient, le visage
tendu, entonner le refrain.
Soudain, ils aperurent Mr. Gruffydd, la fentre d'en haut de
notre maison, et une clameur, semblable un rugissement, clata, se
prolongea, dcrut, puis reprit de plus belle, tandis qu'agitant les
mains, il s'efforait de les faire taire. Bouches grandes ouvertes, yeux
tincelants de bonheur, et toujours, le formidable rugissement. Puis,
un long c pscht >. rpt par mille voix, gfissa et s'enfla, comme si le
vent avait trouv son matre. Enfin, le silence.
Le silence.
Mr. Gruffydd se tourna vers mon pre, qui souffla dans le chalu-
meau pour donner le la.
Puis Ivor leva la main et, du haut en bas de la Colline, hommes et
femmes accordrent leurs voix : soprani montant, cherchant l'octave,
mezzo-soprani les suivant, tnors, lanant leur note d'argent,
contraltos et barytons, se reposant l'aise, basses, descendant
l'octave infrieure. L'ensemble de ces sons formait une harmonie
merveilleuse, vibrante, colore, profonde, et pourtant d'une infinie
ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
ffc ifi
i
i Je ne serais pas surpris si les fleurs du jardin du ciel
: de pareils sons. Oh! que ne pouvons-nous respirer un
y
h finn aussi agrable l'odorat que ces harmonies l'taient
Mas, mme le ciel ne peut tre aussi beau, car s'il l'tait, nous
serions, nuit et jour, ivres de beaut; alors, aucun travail ne se ferait
imite part, et ce ne serait la faute de personne.
Ivre de beaut! Que c'est bon.
II
y
en a une quantit, maintenant, dans la montagne, rpon-
dis-je.
Attends, dis-je.
Et, plongeant la main dans un trou d'cureuil, j'en sortis des bouts
d'corce et des feuilles sches. Les ayant allums, je fis an beau feu
avec des brindilles ramasses sous les ajoncs et qui brlaient avec une
flamme jaune dgageant une dlicieuse odeur.
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 335
Ayant sorti les provisions du panier, j'allai remplir la casserole au
ruisselet et prparai le th.
Bonsoir! dis-je.
Espce d'idiot! chuchota lanto, sur un ton tel que j'en sur-
sautai. Veux-tu donc que les hommes de l'autre valle viennent brler
le village? Est-ce la bagarre que tu cherches?
Tout le monde s'y attend ici, dit Owen. Pas un homme n'est
h. Regarde ces lumires. Depuis des heures, ils battent la mon-
tagne. S'ils t'avaient attrap, ils t'auraient corch.
Je sais, je sais, mon garon, dit Ianto. Moi aussi, j'ai cout
les rossignols.
CHAPITRE XXVII
: manche-l. en sortant de la Chapelle, tous ne parlaient que du
et du chur et des lumires sur la montagne. Certains suggraient
jyer quelqu'un dans l'autre valle s'informer de la raison de ces
recherches, mais Ianto et Owen. sous prtexte qu'il valait mieux laisser
tomber l'affaire, les en dissuadrent. Quant moi, je me proposai
d'aller voir si Ceinwen tait bien rentre, mais ma mre me demanda
de l'aider prparer boissons et victuailles pour le retour du chur,
et le bruit des casseroles apaisa mon tourment.
Minuit avait sonn depuis longtemps, lorsque le son de la fanfare
nous parvint par-dessus la montagne. Que c'tait bon de l'entendre
ainsi, dans la tranquillit de la nuit ! Y a-t-il rien de plus agrable
l'oreille, de plus exaltant pour l'esprit, que le lointain roulement du
tambour et la voix rugueuse des cuivres que, par intermittences, vous
apporte le vent?
Depuis longtemps les feux sur la montagne avaient annonc le
retour des hommes, et tout tait prt pour les recevoir. Pourtant,
comme si retentissait la Trompette et que le dernier bateau ft sur le
point de lever l'ancre pour le Paradis, ma mre courut chercher sa
mante. Bron avait mis la sienne depuis des heures. Bien que sachant
que les hommes n'arriveraient pas au village avant longtemps, et qu'il
ne nous faudrait que quelques instants pour
y
descendre, elles attra-
prent mantes, bonnets, mitaines, bouteille de cordial en prvision
du froid, se bousculrent vers la porte, comme si la gloire que rappor-
teraient, espraient-elles, les voyageurs, dpendait de leur hte aller
les attendre sur la Place.
Dehors, nous retrouvmes tous les gens de la Colline et fmes route
ensemble. Au moment oi nous passions devant la petite maison au
porche en forme de coquillage, Mr. Gruffydd en sortit et, marchant
au milieu de la rue, se mit battre la mesure. Nous chantions encore
314 QTELLE TAIT VERTE MA VALLE:
krsquf le cortge arriva au village, et comme le chariot s'arrtait
devant Mr. Gruffydd. la fanfare et le chur se joignirent notre
Puis, acclamations et cris clatrent, tandis que mon pre cherchait
a regard ma mre dans la foule. Mais elle pleurait si fort qu'elle ne le
voyait pas, et ses yeux lui taient si brouills par les larmes, qu'il
ne l'apercevait pas, lui non plus.
Vidons nos verres sa sant, dit mon pre. Et que pas une
goutte ne reste. A la Reine!
346 QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
Elle est petite, encore plus que toi, dit mon pre ma mre
en l'embrassant sur la joue.
La Reine lui a serr la main, dit mon pre. Elle lui a demand
qui nous avait appris chanter, si nous tions tous des mineurs et
si nous nous plaisions au Chteau.
Et puis, elle m'a fait cadeau d'une baguette, dit Ivor. Elle ne
me l'a pas donne elle-mme, mais elle m'a dit que je la recevrais, et
un des soldats me l'a remise.
Son nom
y
est inscrit, dit mon pre, avec la date, le lieu, et
pourquoi. Et sa place sera sous le portrait, contre le mur. Elle est
trs belle!
En vrit, elle tait magnifique. D'ivoire, incruste d'or et d'ar-
gent, munie d'une plaque d'or, portant l'inscription, elle reposait sur
un capiton de peluche rouge, dans un long tui recouvert de crocodile
noir, ferm par deux petits crochets d'argent.
Il fallut longtemps, cette nuit-l, pour que la maison retrouvt son
calme. Des centaines de gens, sur la pointe des pieds pour ne pas salir,
entrrent regarder le portrait. Tous se rcriaient d'admiration.
C'tait un chur de Ah ! , de Oh ! . Tandis que ma mre, sem-
blable, elle aussi, une reine, restait assise recevoir les compli-
ments des femmes sur Ivor, gloire de la famille. Que de peine, cepen-
dant, demain matin, pour nettoyer le plancher! ajoutaient-elles. Mais
volontiers ma mre et lav la valle entire et chaul tous les deux
pour le bonheur de ces quelques instants.
Ce fut une des rares fois o je vis mon pre ivre. Refuse-t-on de
bonnes rasades de bire que vous offrent des amis? Aussi, lorsque les
garons le rapportrent, ma mre se borna-t-elle sourire, et cla-
quant de la langue, leur dit de le monter sur son lit. Si, le soir o son
QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE! 347
fils an rentre, la main encore chaude du contact de la main d'une
Reine et que le portrait de cette souveraine, suspendu dans sa maison,
transforme celle-ci en un sanctuaire, lieu de plerinage, un homme ne
peut boire un coup de trop, alors. Bon Dieu, que nous soyons tous
enterrs, et vivement!
Je le vis de nouveau ivre, le soir o notre Davy marqua un essai
contre l'quipe cossaise, au parc militaire de CardirT, mais cette fois-
l. la Valle entire avait bu un coup de trop. Nuit mmorable, celle-
l aussi. Le maillot rouge de Davy, macul de boue sche au point de
cacher l'cusson, pass par-dessus son veston, mon pre dansait dans
la me, tandis que Davy, port sur les paules de ses amis, parcourait
le village. Oui, toute la Valle s'enivra cette fameuse nuit, et si le th
avait t de la bire, les femmes, comme les hommes, auraient roul
sous la table, car le village entier tenait maison ouverte, et Davy tait
roi.
Le maillot, encadr et mis sous verre par moi, fut suspendu en
face du portrait de la Reine, dans notre belle chambre; quant la
casquette, galement mise sous verre, Davy l'emporta chez lui. C'tait
un plaisir de voir mon pre, assis dans notre belle chambre, fumant
et recevant ses visites, car on et dit un roi entour de ses trsors,
conscient de leur valeur et fier de les possder.
Et une autre fois, il s'enivra cause de moi.
moment ou devaient commencer les examens, nous n'tions plus
;uatre suivre la classe spciale. Tous les autres avaient aban-
*
donn l'cole pour aller gagner leur vie. Il ne restait donc que John
Newellyn Rhys, Emrys Tudor et moi, dans la petite pice,
ancien dbarras nettoy notre intention, voisine du bureau de
Mr. Motshill. o nous travaillions avec lui et prparions nos cours.
Geiawen avait quitt l'cole sans explication, aprs notre quipe
de ce fameux samedi. une ou deux reprises, je l'aperus dans la
cour du chantier, en compagnie de son pre, mais nous n'emes
jamais l'occasion de nous parier, et bien que son regard me souhaitt
la bienvenue et me dt un douloureux adieu, il m'avertissait de ne
point faire semblant de la connatre. Ainsi, je devinai qu'elle avait
chrement pay notre aventure et me dsolai d'en tre en partie la
cause. Pourtant, je ne regrettais rien. Car bien souvent, comme main-
tenant encore, je pensais elle, son ardeur, sa -douceur, toute
cette tendresse que l'homme trouve chez la femme, et qui m'est si
chre. Mervyn ne se doutait pas que c'tait avec moi qu'avait t
348 QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
Ceinwen, et jamais je ne le lui avouai. De sorte que je devais user de
mille dtours pour l'interroger sur elle, et les rponses ainsi obtenues ne
me renseignaient gure. Finalement, je cessai de le questionner.
Dans la petite pice, nous n'tions donc que quatre travailler.
Nous continuions l'tude la maison, mme le dimanche, sauf
l'heure o nous nous rendions la Chapelle.
Mais c'tait plus dur pour les autres que pour moi. Car j'tais fort
en anglais, et reconnaissant de l'tre. Par Mr. Boswell, je connaissais
trs bien le D
r
Johnson. Quel ami! Assis sa table, il s'tait creus la
cervelle pour se rappeler jusqu'aux moindres paroles prononces par
son ami; puis, joyeusement, avait tout transcrit. Je dois Mr. Bos-
well plus d'une heure paisible et lui en sais gr en vrit. N'est-il pas
merveilleux, des sicles aprs qu'un esprit est parti pour la vie de
l'au-del, que les hommes bnissent encore ce nom qui, une fois,
correspondait un tre de chair, aimant rire, bien manger et
sachant jouir d'une agrable conversation?
Mais les D
r
Johnson sont rares, et je considre comme un honneur
d'avoir got le nectar de sa parole, mme s'il m'a t prsent par la
sollicitude de son ami. Car ce grand Anglais ne doit pas tre lu des yeux
seulement, mais haute voix, comme la Parole, avec un organe
sonore, une langue dlie, afin que la saveur de son magnifique lan-
gage charme l'oreille et vous enivre comme les aromates des Rois
Mages, ou comme la meilleure bire de mnage, longtemps conserve
dans le tonneau.
Jamais je n'oublierai le soir o mon pre nous lut la lettre du grand
D
r
Johnson au comte de Chesterfield.
un
petit bout de langue apparaissant entre ses dents, un filet de salive
coulant sur son menton, elle avait les yeux pleins de ces grosses
larmes de l'enfant en proie la souffrance, la honte et la peur.
Mais comme je m'approchais d'elle et que, redoutant sans doute
quelque nouveau tourment, elle levait vers moi un craintif regard,
j'aperus ses yeux, tout proches encore du berceau; et ses larmes, qui
coulaient brillantes, se gonflrent soudain cristallines sous mes pau-
pires, m'aveuglant. Comme travers une brume matinale, je vis alors
dans un jaillissement d'herbe arrache, de pierres et de terre, une
troupe d'hommes, bards de fer, aussi l'aise dans leurs armures que
moi-mme dans mon tweed, brandissant des pes . flamboyantes.
Cependant, dans la voix de l'enfant, je percevais une note, retentis-
sante comme l'appel des trompettes au combat, et, avec le roulement
des tambours, un grand cri monta, pouss par les hommes, tandis que
des chariots passaient fond de train, que ruisselait le flot des ban-
nires, que partaient les flches de la corde tendue par l'archer, que
dans les rangs s'entrechoquait l'acier et que la pointe des lances tin-
celait au soleil.
Rouge, le sang coulait; mes mains en taient couvertes, mes pieds
y
glissaient, sa chaude odeur m'enveloppait. Et l'ivresse du combat
me possdait.
Puis, la brume se dissipa, et je dcouvris Mr. Motshil, livide, la
cravate dnoue, tiraillant ses favoris, et qui me regardait. Derrire
lui, se tenait Mrs. Motshil, portant une cruche. Je m'aperus alors
QUELLE TAIT VERTE MA VALLE!
que j'tais tremp et que ma gorge tait vif d'avoir trop cri. Ask
prs de moi, son casque pos torre. la moustache ::r_i; : ::
les cheveux en dsordre, un agent de police me contemplait. Sv
mes poings du sang schait.
Vous avez failli tuer Mr. Jonas-Sessions, dit Mr. Motshill. Vous
tes un terrible garon!
Ce o*est pas tout fait aussi grave que a, dit l'agent. Mais, il
faut l'admettre, vous avez proprement travaill !
Alors, partez, dit Mr. Motshill d'un ton las, en faisant signe de
la main Mrs, MotshilL J'crirai votre pre ds que j'aurai vu
Mr. Jonas.
Mon pre aussi, dis-je. Je crois que c'est de voir cette corde
autour de son petit cou qui, tout l'heure, m'a rendu fou.
Je suis le premier fautif, dit mon pre, d'un ton attrist. C'est
moi qui lui ai conseill de se battre, et voil le rsultat! N'empche
que c'est un dshonneur.
Qu'il se prsente aux examens, dit Owen. Aprs, s'il les passe,
vous dciderez.
Il faut que la dcision soit prise ce soir, dit mon pre. Et qu'on
s'y tienne. A quoi bon toujours tergiverser? Je dsire qu'il fasse son
droit, sa mdecine, ou quelque chose de bien. Il n'est pas sot, de sorte
que rien ne devrait l'empcher de russir.
Je te prie de garder tes remarques pour toi, dit mon pre. Huw,
ne veux-tu pas couter mes conseils?
Oh! Beth, je t'en supplie! dit mon pre, fermant les yeux avec
lassitude. Je voudrais pour ce garon une vie meilleure que la ntre,
sans toutes ces absurdes complications. Une vie libre, o il sera son
propre matre, en toute biensance et tranquillit, sans tre constam-
ment forc de se battre contre les uns et les autres.
Beth! Beth! dit mon pre, sur le point de se fcher. C'est lui
que je pense. De notre temps, c'tait diffrent. On gagnait bien et les
rapports taient loyaux. Mais a a chang. Et puis moi, je n'ai jamais
t boursier, tandis qu'il l'est. Etant bien dou, il devrait en tirer un
bon parti. A quoi bon avoir de la cervelle, si c'est pour l'enterrer au
fond d'une mine?
Ha! ha! dit ma mre avec une douceur glace. Je vois, vous
n'tes donc tous qu'une bande de pauvres singes allant au travail!
Pas le moindre brin de cervelle. Oui, oui! Et c'est un asile de crtins
*
que je tiens ici! Et moi aussi, probablement, je suis folle? Et il n'y en
a qu'un dans la famille qui ait de l'intelligence! Et ne voil-t-il pas
qu'il vient de se faire expulser d'une cole o je rflchirais deux fois
avant d'y lever des cochons!
Beth, dit mon pre, c'est son avenir qui me proccupe. Pour-
quoi serait-il mineur s'il peut tre autre chose?
Soit! C'est dcid, dit mon pre, ouvrant ses mains toutes
grandes. Il attendra jusqu' ce qu'il
y
ait une vacance. Et alors, au
travail.
Alors, vas-y et dis-lui ton regret, dit Mr. Gruffydd. Aprs quoi,
reviens ici, n'est-ce pas?
Parce que vous feignez d'tre ce que vous n'tes pas, dit-il, la
colre altrant sa voix. Du reste, pourquoi s'attendre autre chose
ir vous? Voyez d'o vous sortez! Comme je le disais Mr. Motshill,
il n'y a pas lieu de s'tonner! D'un bouge de mineurs, vivant comme
des pourceaux, ne songeant qu' boire et se battre, et se servant de
la Chapelle comme d'un paravent! Gallois! Bon Dieu, quelle race!
.Vais pourquoi suis-je un hypocrite, Mr. Jonas? rptai-je pour
la troisime fois.
C'est donc que j'ai failli mon devoir, mon petit, n'est-ce pas?
dit M Gruffydd, aprs un interminable silence.
Volontiers, rpondis-je.
Oui, rpondis-je.
J'ai dit que j'irais la mine avec mon pre, rpondis-je, le souve-
nir du visage d'Isaac Wynn venant me fortifier dans ma rsolution.
Ah! Huit, Miss Blodwen! dit Mrs. Nicholas, d'un ton lgre-
ment boudeur. Master Huw reste donc souper?
Nicky. dit Blodwen, d'un ton irrit. Tu n'en sais rien du tout !
Huit souper. Et voil tout.
Oui. rpondis-je.
Oui, rpondis-je.
Puis le sol se droba et, accompagns du cri perant du vent, nous
tombmes dans les tnbres, si noires qu'on croyait
y
voir des lumires
et que, flasques, nos genoux se pliaient sous nous.
Des centaines de fois, je suis descendu dans la cage, mais jamais
je n'ai pu m'habituer sa chute.
D'abord, pendant un long moment, vous croyez tre devenu
aveugle. Puis la terreur vous mord de ses crocs acrs.
La descente me parut durer des heures. L'air devenait froid, mais
l'obscurit rgnait toujours, paisse, suffocante, et dos pieds tou-
chaient peine le sol qui continuait se drober, si bien que, les
genoux flchis, nous semblions nous tenir sur les bords de la nuit,
prts bondir dans le matin.
Puis, le sifflement du vent s'attnua, le sol se raffermit sous nos
pieds, l'air devenu plus chaud nous apporta la puanteur sale du
charbon brut et, tandis qu'apparaissaient les lumires et que je retrou-
vais ma respiration et la saveur de la vie, une brlante reconnaissance
m'envahit de possder le don de la vue,
Nous
y
sommes, dit-il d'une voix qui rsonna comme un rugis-
sement dans les tnbres. Allume les chandelles, et je te montrerai
ton travail.
Ayant enlev veston, gilet, chemise, j'allumai deux chandelles et
les fixai, dans leur chandelier de fer. l'tanon. L'air tait si rarfi
que leur flamme montait et s'tirait d'une faon ravissante.
Y -..
de la peau sur le dos? demandai-je. Cela me parat
impossible.
A.
. *esl l'tude d'avou, n'est-ce pas? dit-il. Tu renonces
la mine?
Je l'attendrai, dis-je.
Entendu, rpondis-je.
Et dites-lui. si elle ne le sait pas dj, ajouta-t-ele d'un air
grave, qu'Iestyn s'embarque pour l'Afrique du Sud dans trois se-
maines.
Pourquoi veux-tu
y
aller? demandai-je.
O? demandai-je.
Oui, rpondis-je.
Me mprises-tu? murmura-t-elle.
Au-dessus de sa nuque, releve sous son chapeau, j'apercevais la
-::i/.de ple et molle de ses nattes, d'o s'chappaient des mches
folles retombant sur son cou. Le soleil, jouant dans son filet, argentait
"
et clairait le lobe rouge, charnu, de son oreille et la pous-
re sur ses paules. Une chaude mlodie manait d'elle, et dans son
dsordre, sa confusion, avec son front inclin et son petit poing crisp
sur le manche du fouet, elle me fut chre, infiniment.
Au revoir, dis-je.
Adieu, dis-je.
Un adorable sourire, un claquement de fouet, une fuite bleue dans
un tourbillon de poussire.
Quant moi, revivant un rve, je rentrai la maison.
Le temps chemina la pointe du pic d'Ivor pendant tout ce mer-
credi. Toc, toc, toc, disait le pic, et, avec une ardeur sauvage, j'en-
voyai les blocs grondants dans le dvaloir, et me htais de glisser dans
les tnbres malodorantes, pour aller, avec une force de gant, char-
ger les wagonnets et les pousser sur leurs rails d'un irrsistible lan.
Chaque bloc me rapprochait de l'instant o je la verrais, chaque char-
gement, quelques minutes d'attente de moins, chaque coup frapp par
le pic, l'oscillation d'un balancier d'horloge, chaque morceau arrach
la veine, un pas de plus vers elle dans le tunnel du temps. Mais, en
vrit, ce fut une interminable journe.
Cependant, l-haut sur la montagne, dans mon complet gris,
cueillant quelques fleurs pour elle, je ne m'en souvenais plus. Je
chantais en tourdir les oiseaux qui, la tte leve, m'coutaient bec
bant. Car les oiseaux ont de charmantes manires, et si, par une
chanson, vous exprimez votre allgresse, ils viendront, sans bruit, se
percher prs de vous et demeureront silencieux, jusqu' ce que la
mlodie soit termine.
La Salle municipale tait le seul lieu de runion de la ville. Plus
d'un fermier l'et refuse pour grange. De briques, construite n'im-
porte comment, elle tait bonne pour
y
lever des rats,
y
placarder des
arrts,
y
tenir des sances judiciaires.
Comme nous
y
entrions, Ceinwen saisit ma main et la serra. J'a-
chetai des places un franc vingt et, par prcaution, choisis des
siges prs de la porte. Attendant que la salle se ft remplie, nous
n'allmes nous asseoir qu'au moment o le surveillant teignit les
lampes, juste avant le lever du rideau. Celui-ci s'leva, resta croch,
s'leva encore et, de nouveau, resta croch ! Il
y
eut une attente. Puis,
pas feutrs, quelqu'un s'avana derrire le rideau, maudissant cette
sacre guenille qui n'en faisait jamais d'autres. Enfin, une vigoureuse
secousse le releva compltement, et le spectacle commena. A ct de
moi, Ceinwen trpignait de bonheur.
Tour tour, les membres de la troupe nous donnrent des frag-
ments de pices de Shakespeare. Hamlet tait afflig d'un rhume de
cerveau, Richard aussi; de mme Macbeth et Shylock. J'aurais jur
que c'tait le mme acteur. Mais excellent. Ophlia tait boulotte,
QUELLE TAIT VERTE MA VALLE! 383
Cordlia aussi; de mme Lady Macbeth, et Portia. Mais galement
excellente. Et jolie, quoique trop forte. Dieu sait comment elle aurait
s m bain, si elle avait travaill la mine. Faute de place dans le
baquet, sans doute aurait-elle d aller s'asseoir dans la rivire! Une
toute jeune fille dans le rle de Juliette fut l'objet d'applaudissements
*s premiers rangs. Aprs quoi, affuble de cheveux gris, elle
rcita les rpliques de la nourrice. Puis Falstaff, proccup par le tra-
versin
j'en apercevais les rayures
dont il avait rembourr son
justaucorps, et qui remplit la salle de fous rires, mme lorsqu'il ne
disait rien.
Enfin, un drame, par l'ensemble de la troupe. Les acteurs venaient
tout droit de Drury Lane et du Grand Thtre de Milan, nous dit
Falstaff et, si nous doutions de sa vracit, nous n'avions qu' nous
adresser la direction. Nous remerciant d'avance de notre aimable
attrftin
i
fl nous priait de le croire notre trs humble et trs respec-
tueux serviteur. Son nom tait : Mr. Raymond Foulkes.
t Qu'il est lgant!
* chuchota Ceinwn, prte dfaillir de joie,
nais si captive par le jeu qu'on l'et dite l'glise.
Alors, nous fumes transports au milieu d'une histoire de phare.
Et tout le monde s'affolait parce qu'il tait sans lumire et qu'un
grand bateau, rentrant du Gap, approchait, plein de soldats blesss et
de splendides infirmires. Falstaff tait le gardien du phare, et Ophlia,
sa fille. Elle portait de longues nattes qu'elle tourmentait on ne sait
trop pourquoi, probablement de dsespoir. Quant lui, se tenant la
i deux mains, il arpentait les planches en trpignant si fort que
imignons sans cesse s'teignaient. Et, chaque fois, un longue
canne munie d'une chandelle surgissait d'un ct ou de l'autre et les
rallumait.
C'et t plus intressant, si nous avions pu voir le phare ou le
bateau, mais tous deux restaient invisibles dans les coulisses, et
galement nous devions imaginer le tratre ramant dans son canot.
C'tait lui qui avait obscurci le phare, se lamentait Falstaff, pour
empcher son demi-frre, bless la guerre et rentrant au pays, de
recueillir sa part de succession. Car, s'il tait noy, le tratre resterait
seul hritier du titre et des terres. Et c'est pourquoi, sans gard pour
les soldats blesss, et ddaignant les splendides infirmires, il s'tait
empress d'teindre les lumires du phare.
Puis Falstaff s'lana pour prvenir le vaisseau,
la nage.
354 QUELLE TAIT VERTE MA VALLE!
ce moment, le tratre parut, crachant dans ses mains meurtries
par les rames, s 'pongeant le front cause de l'effort qu'il venait de
fournir, grelottant dans la tempte, bien qu'au mme moment,
j'eusse d abandonner la main de Ceinwen, tant nos paumes taient
moites. Sifflant, hurlant, nous faisions notre possible pour l'inciter
retourner vers l'eau, mais il ne se proccupait pas de nous. Au
contraire, bondissant sur Ophlia, il la roua de coups et l'assomma,
si bien que, dans la salle, tous les hommes se levrent, arrachant leur
veste, prts s'lancer sur la scne pour lui briser les os.Quant Oph-
lia, affale, elle gisait sur les planches comme un paquet de linge sale.
Ha s'il avait fait a, c'est moi qui lui en aurais fait voir!
chuchota tendrement Ceinwen mon oreille. Je lui aurais arrach
les yeux, ce maudit dmon !
Mais, ce moment, avant que le vaisseau n'et l'occasion de se
montrer, un cantique clata dehors, des coups branlrent les portes
et des cris retentirent, m ls d'allluias et d'imprcations. Dans la
salle, les pieds s'agitrent, les chaises grincrent et chacun fit pscht .
Mais le cantique, clam par des centaines de voix, dominait les
paroles des acteurs, et les cris redoublaient.
Alors j'entranai Ceinwen dans le vestibule.
Viens, dis-je.
Par-devant! dit Dai, enfonant son melon sur sa tte. J'ai pay
chrtiennement ma place, j'ai support le spectacle en vrai chrtien.
I: somme je suis entr, j'entends sortir, par la grande porte, en
chrtien.
Cela va sans dire, mon garon, dit Dai. Viens, mets-toi entre
nous deux. Pendant que mon droit sera occup chatouiller un
menton, flanque-leur, je te prie, quelques bons coups de pied dans les
tibias. Eh! Cyfartha?
Mais pas trop fort, Huw, dit Cyfartha, trs solennel. Pas trop
oour ne pas faire de la casse. Un os bris, tu comprends, a peut
peser sur la conscience. Ce serait dommage, en vrit !
a
y
est ! On
y
va? dit Dai, boutonnant son veston, ses yeux
:_ant comme de l'acier, effrayants voir pour moi, qui connaissais
muscles, invisibles sous ses habits.
ce moment, projets par la foule amasse derrire eux, ceux du
dehors tirent irruption, tte la premire, dans le vestibule et une
R. LLEWELLYK. QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE ! 13
QUELLE TAIT VERTE MA VALLE!
clameur retentit de part et d'autre, tandis que des faces, rouges et
moites, fonaient sur nous, les yeux -fixes, vitreux, la bouche distordue
force de nous vouer l'enfer et ses tourments.
A deux reprises, les poings de Dai s'abattirent et chaque fois un
homme s'croula, assomm, sous les pieds de la foule. Puis Cyfartha
y
alla de son lgant gauche, qu'il allongea sur le nez d'un grand jeune
homme, coiff d'un feutre. Le chapeau vola au plafond, et jamais je
n'ai su o le jeune homme avait disparu. Puis un gros gaillard, en noir,
favoris roux, empoigna Dai au collet. D'un brusque coup de tte,
Dai l'atteignit sous le menton, et je vis la mchoire de Veston* noir se
dboter. Alors une casquette brune parvint assener sur l'oreille de
Dai un formidable coup de poing. Je rpliquai par un coup de pied sur
son tibia, et .comme ses dents s'entrechoquaient de douleur, le coude
de Dai, se relevant, lui en cassa deux ou trois.
Puis la lampe tomba, fracasse par un billot de bois, et nous fmes
plongs dans de houleuses tnbres.
Comme les tenailles du diable, une main m'agrippa et m'entrana
vers la porte o apparaissait le ciel, plus clair que la pnombre du
vestibule. Dehors, d'innombrables ttes sombres s'agitaient, jusqu'au
bas de l'escalier, mais, flanqu de Dai et de Cyfartha, j'allai de l'avant.
Nous frayant un passage coups d'paules, de poings, de coudes, de
genoux, de pieds, dans un sillage de cris de douleur, tiraills, frapps,
martels, nous atteignmes l'air extrieur. Mais la foule hurlante nous
pressait encore, soufflant sur nous son haleine, nous enveloppant d'une
odeur de tabac et de transpiration.
A demain! criai-je.
Sautant de l'estrade, je bondis vers la porte latrale, vitant de
justesse un groupe d'hommes qui se battaient. Il faisait sombre,
l-dedans; mais la porte tait ouverte, et j'entrai.
Je traversai deux petites pices, en apparence vides, mais encore
imprgnes de la prsence des tres qui, un instant,
y
avaient vcu, ejt
toutes chaudes de la flamme des chandelles dont la cire, en fondant,
avait marqu le passage du Temps.
Puis j'entendis frotter une allumette et, sa lueur, j'aperus le
concierge. -:
de serge verte dchir par le milieu, qui, bahi,
me contempla comme si j'tais un revenant.
Pardon, dis-j
e,
je suis la recherche d'une jeune fille,
Va te baigner, dit-il.
J'allai donc me baigner.
Passant
travers les fentes de la paroi, le vent me lacrait de ses
doigts glacs. Mme aprs m'tre sch, je restai transi, si bien que ma
prire ne fut qu'un hachis sous mes dents entrechoques, et que je ne
pensais, en la disant, qu' mes pieds douloureusement gels.
: :ie fin. en vrit, de cette journe tant attendue, tant dsire,
si pleine de riches promesses.
Oh ! ces attentes, ces dsirs !
Puis Owen tlgraphia qu'il s'embarquait pour l'Amrique avec
Gwilym. Comme j'aurais voulu partir avec eux! Et quand il cri-
vit, annonant qu'il avait pous Biodwen Evans, combien je
ris d'tre priv de Geinwen, et souhaitai pouvoir en faire ma
femmei
Ceci se passait un matin. Ma mre pleurait, et mon pre essayait
390
QU'ELLE
TAIT
VERTE MA VALLE!
de la consoler en lui expliquant qu'il n'y avait pas de mal se marier
devant un officier d'tat civil.
Non, il
y
a adieu et adieu, dit ma mre. Aurais-je laiss partir
mes deux garons jusqu'en Amrique, en ne leur donnant' qu'un
pauvre baiser, quelques sandwiches et un gteau? Non, non, il
y
a
adieu et adieu. Et je ne leur ai pas dit adieu comme je l'entends.
Pourtant, leur Maman, c'est moi
Oh ! Beth, dit mon pre, allant elle. Que c'est mchant, ce que
tu me dis l! Ce sera moins dur pour toi, quand Angharad sera
nrae, Pourvu que ce soit bientt.
Oui. qu'elle arrive vite!
1 Tue vite, alors, le souvenir de son retour s'efface.
CHAPITRE XXXI
Qu'elle avait chang notre Angharad ! Ce ne fut qu'en la revoyant
que je sus vraiment comment elle tait avant.
Installe Tyn-y-Coed, elle ne venait jamais la maison! Jamais!
Un lundi matin, le cabriolet de Tyn-y-Coed s'arrta devant chez
nous et le groom remit une lettre ma mre. L'ayant lue, elle la
tendit mon pre et, l'il sec, mais les gestes brusques, comme si la vie
tait une preuve de patience, elle monta se prparer. Puis elle partit
dans le cabriolet.
Bron vint faire le mnage et prparer le dner; quant mon pre,
il prit son bidon et s'en alla sur la montagne.
Tais-toi, tu n'as pas parler contre elle, dit Bron, en posant d'un
geste si violent la bouilloire sur le fourneau que l'eau rejaillit en un
nuage de vapeur. C'est une fille admirable, et sa vie n'est pas gaie!
Eh bien? dis-je.
Et nous nous regardmes.
Elle portait un petit chapeau garni de fleurs bleues, une blouse de
scie, couleur de girofle, piisse sur le devant, une longue jupe de
mme'teinte. mais plus sombre, avec une large ceinture du bleu de son
chapeau, ferme par une boucle ovale d'argent, une montre, fixe sa
blouse par un nud d'or, et une bague, son alliance.
Et cette fille lavait autrefois les marmites dans notre buanderie,
rcurait les carreaux de notre cuisine, chatouillait le cou de mon pre
pour lui extorquer des sous et dvalait en courant la Colline, comme
un garon.
Cette tille.
Cette femme.
Angharad.
Mais, Mrs. Evans, dit Mrs. Nicholas, c'est toujours moi qui le
servais pour ces autres dames. Enid, ne posez donc pas votre pouce
QUELLE TAIT VERTE MA VALLE! 395
sur les assiettes, ajouta-t-elle en donnant, avec ses clefs, une petite
tape la servante qui retira vivement sa main et la sua.
A votre aise, Mrs. Evans, dit Mrs. Mcholas, avec son sourire
retrouss et faisant un petit plongeon. On sait qu'une nouvelle ma-
tresse, c'est comme les draps neufs, un peu raide: mais la lessive
fait passer a.
Et elle se retira plantureuse et noire. A la porte, elle se mit. fre-
donner.
Congdie-la, dis-je.
Va-t'en 1 dit-elle.
Et je partis.
Je me rendis tout droit chez Mr. Gruffydd, dans la petite maison au
porche en forme de coquillage, et le trouvai en train de lire dans la
pice o, si souvent, nous avions pris ensemble notre th. Les meubles
faisaient plaisir voir, tous en place maintenant, avec un bon tapis,
tiss par la vieille Mrs. Gethin et sa fille, l-haut, prs de la cascade,
dans leur ferme de la montagne.
Oui, dit-il.
Oui, j'ai t vilaine, dit-elle, d'un ton plus assur, plus tran-
quille, comme si elle percevait et partageait la honte que m'infli-
geaient les dimensions de mes mains.
Jamais je ne savais qu'en
faire, ni o les mettre!
Ouf! dit-elle. a
y
est!
Quoi? dis-je.
Je crois qu'il
y
en aura un autre chez nous, mon retour,
dis-je.
Je n'ai fait que du pain, dit Bron avec un ple sourire. Qui
donc mangerait le biscuit au beurre? Gareth et moi, nous prfrons
le pain aux raisins.
Le silence s'abattit sur nous. Ptrifis, nous n'osions bouger. Et
Ivor, dmesurment grand, occupait toute la place
;
il enfilait ses
bottes, expliquait ma mre que les tnors du second chur chan-
taient trop creux, fredonnait quelques notes pour lui montrer com-
ment.
Et ma mre, debout, pressait sa poitrine de ses mains osseuses,
tandis que son regard, que je voyais briller, restait obstinment
tourn vers la fentre.
Bron alla s'appuyer au montant de la porte, une main plat contre
le mur intrieur.
Alors, c'est toi qui iras chez elle, dit ma mre, en enlevant son
tablier d'un geste vif. Je vais tout de suite aller voir si elle est d'ac-
cord. Il faut qu'elle ait quelqu'un, pour qui faire la cuisine, raccom-
moder, quelqu'un choyer. Aussi, jusqu' ce que l'anne soit passe
et qu'elle ait trouv un autre mari, veux-tu
y
aller?
Oui, mon garon, un autre mari, dit ma mre. Elle est jeune et
restera belle encore longtemps. Aucun salaire n'entre plus dans sa
maison et elle est trop fire pour demander qu'on l'aide. Gela va sans
dire, un autre mari. Et bientt!
C'est chez vous qu'est ton foyer, avec Maman, dit-elle d'un
ton tranquille, gentille, comme si elle cherchait des excuses, car une
clart venait d'apparatre dans ses prunelles.
Eh bien? dit-elle.
Bientt, ils vont exiger un droit pour l'air qu'on respire au-
dessus ! disait Ianto. Plus de droits*, plus de redevances Nos wagons
nos locomotives, notre personnel de transport, et une rente verse
aux compagnies de chemins de fer pour l'usage de leurs voies ferres.
Voil ce que nous voulons Et aussi une flotte de charbonniers, nous,
pour l'expdition dans le monde entier. Mais ceci, seulement lorsque
dans chaque foyer du pays brlera un bon feu, que chaque seau, que
chaque cave de chez nous seront pleins!
Je n'ai pas peur, dit lanto. Ce n'est que lorsque les hommes
renoncent se battre pour la justice, qu'ils doivent s'avouer vaincus.
Quoi qu'il en soit, nous allons nous dbarrasser de l'chelle mobile des
salaires. Ce sera un commencement.
Dans toutes les valles, les runions se succdaient, afin de discuter
la question de l'chelle mobile des salaires. Les hommes de l'ge de
mon pre qui, l'poque, avaient gagn jusqu' une poigne d'or par
semaine, rendaient les jeunes responsables du nouvel tat de choses et
:ent sourds tout argument. Ils s'obstinaient dfendre l'chelle
mobile, qui elle, au moins, garantissait un minimum pour vivre.
Puis, lanto, Will Thomas et Mostyn Marudydd, tous trois membres
actifs de l'Union, furent congdis de la mine.
\:rs camarades, pour protester, voulurent faire grve, mais lanto
les en dissuada. Il ne tenait pas avoir des enfants affams sur la
conscience, leur dit-il.
Pendant des semaines, tous trois parcoururent les charbonnages en
qute de travail: mais, bien qu'ils fussent d'habiles ouvriers, nulle
part on ne les embaucha.
Ils t'en veulent mort, dit mon pre. Tu auras beau chercher,
jamais plus tu ne trouveras du travail, dans les charbonnages du
moins
Tu as raison, dit lanto. Ds demain, j'irai voir aux forges.
L'Union est elle trop pauvre
pour t'employer compltement?
demanda mon pre.
Mais, Ianto, mon petit, reprit mon pre, tout ce travail il faut
que quelqu'un 3e fasse et soit pay pour cela.
Oui, encore des fers neufs! disait Mrs. Nicholas, avec son sou-
re hriss autour du nez. un fermier d'une valle voisine et sa
Mai? quoi d'tonnant? Toute la journe, eMe est en route.
Vous serez donc les seuls dans les cinq valles l'ignorer,, dit
Mrs. Nicholas, l'air pein. Oui, les seuls !
Oui, terrible, Mrs. Davies, mon petit! dit Mrs. Nicholas, tran-
chante, la bouche pince, le dos droit, les yeux vagues, cherchant le
mot. Pire que terrible 1 Songez donc, Mrs. Davies, ma petiote, voir
la fille d'un mineur employer chaque jour pour le th la plus belle
porcelaine, les plus fins napperons de dentelle. Je n'invente pas, vous
savez. Et tous les jours aussi, je vous prie, une promenade en cabrio-
let avec un pasteur!
Lequel? rpta Mrs. Nicholas. Qui est-ce qui passe toutes ses
soires la maison jusqu' des heures indues? Vous me demandez
qui? Qui? Mais, ce moment-l, je suis couche, ma chandelle
souffle.
Mrs. Nicholas jeta un regard la ronde et ne me remarqua pas, car
j'tais noir et ptrifi. Se penchant alors vers le fermier et sa femme,
elle chuchote quelque chose, en lanant de petites bulles de salive qui
brillaient au soleil. Et tandis qu'elle parlait, la bouche et les yeux de
ses auditeurs s'arrondissaient d'une souriante horreur.
a la tuera, dis-je.
Tu as raison, dis-je.
-
Gela peut-il attendre, Huw? demanda-t-il, souriant. Je suis
dj en retard, tu comprends!
Vous allez Tyn-y-Coed, monsieur? demandai-je.
Oui, rpondit-il, se tournant pour enfiler son pardessus.
A la courbe de son dos, je sus qu'il tait prt parer une attaque et,
je ne sais pourquoi, irrit.
C'est ce sujet, justement, que je voudrais vous parler, mon-
sieur, dis-je.
Et de quoi s'agit-il? demanda-t-il d'un ton sec, sans se re-
tourner.
Je lui racontai tout.
Pendant mon rcit, il ne fit pas un geste. Debout, clair par la
chandelle, le dos tourn, il tenait ses mains accroches au col de son
pardessus.
Ah! enfin! dit-il, comme si je lui annonais que la pluie venait
de commencer. Eh! Huw?
Oui. Tout ce qu'il a dit, c'est qu'il est impossible d'empcher les
gens e jaser, ou de penser, rpondis-je. Il va rflchir.
Etait-elle fche?
A personne, dis-je.
Ah! mon Dieu, mon Dieu! dit-elle, en essuyant ses larmes. Quel
idiot tu fais, mon garon!
Bon Dieu disait mon pre. Jamais vous ne saurez quel point
votre mre me manque. En vrit, la vie a perdu tout son charme.
Depuis trente-neuf ans que nous vivons ensemble, c'est la premire
fois qu'elle m'a quitt. H! mon Dieu, que je me sens perdu sans ma
bonne Beth!
De sorte que, souvent, je le voyais lui crire sous la lampe, se grat-
tant la tte, cherchant quoi lui dire. Il lui racontait tout, que la poigne
de la bouilloire tait tombe, que Gareth avait fait une entaille la
porte avec mon ciseau, et des pages sur Taliesin, bien entendu.
Etrange vision que celle d'un homme, silencieux, enferm dans son
monde lui, et l'explorant pour
y
trouver des joyaux offrir sa
reine. Gomment mon pre voyait-il son monde intrieur? Souvent)
3
''"LE TAIT VERTE MA VALLE! 419
me le suis demand et ai souhait me trouver en lui, ne ft-ce qu'un
instant, pendant qu'il crivait ma mre.
int aux lettres qu'il recevait d'elle, d'une grande criture qui
beaucoup de place, elles n'avaient jamais qu'une page.
Invariablement, ma mre devait terminer la hte, de crainte
de manquer le courrier, et restait sa tendrement affectionne Elisa-
beth Morgan. Et, toujours, il pleurait en nous les lisant.
A mon retour la forge, le forgeron se borna me lancer une
borde de jurons! Peu aprs, on me remit au filon. Mais, cette fois,
c'tait moi qui maniais le pic, et pour m'aider, j'avais un garon de
douze ans, brave petit, mais un peu jeune pour la besogne, de sorte
que je devais travailler d'autant plus.
Db samedi matin qu'il chargeait le charbon au bas du dvaloir et
f
j'tais rest dans le boyau pour entasser le dblai, j'entendis crier
dans la galerie principale. Le croyant cras par un wagonnet, je me
htai de le rejoindre, pli en deux, glissant sur le charbon.
Je le trouvai en train de se faire battre par un grand garon. Mais
pour lui rendre justice, je dois dire qu'il rsistait et mme assenait de
bons coups, quand il en avait l'occasion.
N'en faites pas sur celle des autres, alors, dit Evan Johns. Du
.-. vous en avez suffisamment dire sur la votre, avec votre putain
de sur qui poursuit de ses assiduits tous les pasteurs du district.
C'est une femme marie, pourtant.
De mon droit, je lui brisai deux ctes, de mon gauche lui cassai le
nez, et ne lchai sa tte que lorsque je sentis sa mchoire s'craser
sous mon poing.
@
Q
TB L LE TAIT VERTE MA VALLE!
Puis je retournai travailler.
Au moment o je sortis de la cage de monte, l'entre du puits,
le s us-directeur me fit signe d'approcher.
Oui, rpondis-je.
Mr. Elias veillera ce que tu ne t'en moques pas, dit Mr. Gruf-
fydd.
Oui. Mr. Abishai Elias. Il va faire dposer plainte par son fils,
dit-il. Sinon, il n'y aurait pas citation. L pre d'Evan Jobns est
me de ses boutiques.
Aprs-demain, dis-je.
As-tu peur? demanda-t-elle, en me scrutant des yeux.
Non, r^ondis-je.
-
Dans ma jeunesse, ce n'tait pas permis, dit mon pre. Ceci est
ssultat du moindre effort, de l'conomie, du manque de mthode,
pa m'intresse
davantage en ce moment, c'est toi, mon
garon, ta libert. Quant ces tas, ils sont l, et nous ne pouvons rien
y
manger.
^ avons pris un bon avocat pour toi, Huw, dit Mr. Gruf-
rydfl. Tu as donc des chances.
Au revoir, dit-elle.
Xous nous tions regards jusqu'au fond. Et soudain,
j'avais
mesur sa solitude, sa peine, quel point
Huw, dit Dafydd Johns, Evan tient ce que vous sachiez qu'il
B*est poor rien dans tout ceci. Il n
T
est ici que parce qu'il a t cit,
D ne parlera pas,
Gwilym. dit-il, il
y
a runion de diacres.
Mm aussi, ds-jc
El mo aussi, dit Bronwen. Nous formerons une Dissidence.
Et Mr. Gruffydd sera notre pasteur! dis-je. Et tous ceux de la
QnpeBe viendront nous. Que les diacres restent donc entre eux
Mon seul regret, c'est de partir sans avoir rien achev, dit-il. Je
n'ai pas d'autre regret. Les langues dsuvres, la mesquinerie, la
QUELLE TAIT VERTE MA VALLE! 431
parad d'esprit sont autant de ma faute que celle de quiconque.
Ifcai-tie
y
aura-t-il de la bonne besogne accomplir l o
je vais.
Sffis passa sur la route. Un des fers de Mari, la jument, clique-
tait.
Et sa voix chevauchait
houles et vents
;
et son dos se dressait, noir, devant moi.
Nous
vivrons dans l'esprit l'un de l'autre, Huw, mon petit. Adieu.
Je m'enfuis. Du sang coulait sur mon menton.
Je m'enfuis.
L-haut, sur la montagne, et j'y restai, le visage enfoui dans
l'herbe, jusqu' ce que le. soleil ft brlant sur mon dos.
:.nd je redescendis, Gorphwysfa tait vide.
Lieu de Repos, bien dnomm!
Pendant plusieurs jours, une atmosphre de mort rgna dans le
village. Les gens marchaient comme si les cieux allaient s'ouvrir et
ieVerser du feu. On ne laissait plus les enfants jouer dans la rue. Un
silence pesait sur nous.
Mon pre semblait aller et venir comme dans un rve. Pourtant
il pensa
louer une curie, acheter de la peinture et de la chaux.
Ds lors, chaque soir, nous allmes la gratter, la nettoyer, la peindre.
Le dimanche matin suivant, comme d'habitude, nous descendmes
la Colline. Disant bonjour aux mmes gens, nous les dpassions
*>mme nous l'avions toujours fait. Mais, arrivs au bas, au lieu de nous
rendre
la Chapelle,
nous bifurqumes droite et entrmes dans
l'curie.
C'tait l notre nouvelle
Chapelle. Mon pre lut les
textes.
Nous tions la Dissidence.
Dix.
Et. pendant trois quarts d'heure, nous demeurmes assis, en
silence, tandis que la voix de Mr. Gruffydd, o qu'il ft, nous remplis-
sait de nouveau de courage et de l'espoir d'un monde meilleur.
432 QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
ude, comme lorsqu'il me l'avait donne, je tenais sa montre
serre dans ma paume.
Il
y
a eu du raffut, rpondit Dai. C'est Big Shoni. Aux Trois-
Gloches.
Mais Big Shoni, plus grand, plus large mme que Dai, avait la voix
forte et, volontiers, assenait un coup de poing aux plus petits our
boire leur bire. Bien souvent, en guise de leon, il avait reu un
manche de pic sur la tte, mais il n'tait pas de ceux qui apprennent.
Aussi, redout d'un grand nombre, lui faisait-on bon visage et lui
i ;r
v
:5::r :j_4 valle! m
les
>ilL'Mi
places la mine. l. o. avec le moindre
fl pouvait remplir ses wagonnets.
Ces gens veulent du sang pour leur argent, dis-je. Qu'ils aillent
au ii^lli-:
V,
--'
r ?pce de gamin! dit Dai. Eh! Cyfartha?
Viens, Huw, c'est au tour de Dai, dit Cyfartha. Notre coin est
l-bas. Vite, prends le seau et la bouteille.
Vous auriez d voir Big Shoni.
Un mtre quatre-vingts, solide, muscles noys sous la graisse, lisse,
pas un poil. Des mchoires formidables sortant des paules, pas de
cou; une tte chauve, termine en pointe, comme un uf, couture
de cicatrices et marque de petits creux d'ombre. Mais ses yeux, sur-
tout, taient effrayants. Jaunes, ils luisaient n'importe quelle
lumire et, tandis que de l'autre bout du ring ils nous dvisageaient,
on les et pris pour des joyaux du diable, rivs l afin de tuer l'esprit.
Us sont l, rpondis-je.
Il me dvisagea d'un air froid tout en schant ses mains encore
humides de son bain. Ses jointures brunes, durcies par le tanin, sail-
laient comme de petits rochers, et deux de mes mains eussent tenu
dans l'une des siennes. Oui, c'taient des poings effrayants, particuli-
rement avec ces yeux ples, qui vous scrutaient entre la fente des pau-
pires immobiles. Meurtriers, ils taient pleins de courage, ignorant le
doute, peu sensibles au souci et moins encore aux proccupations de
i'au-del. Un homme, dont l'univers se limitait aux choses qu'il
connaissait, qu'il avait faites ou vues, et qui, les ayant vcues, tait
QUELLE TAIT VERTE MA VALLE! 437
-
-
;
.
."
.
"
".:
ne se posait pas
Db btail vrament? me dt-fl de sa voix de fausset.
Begvdez4es, <hs-je~ Os n'attendent que de voir couler votre
. stez-les donc!
Ik rclament un vainqueur, dit-il. Quel mal
y
a-t-il cela?
Beancorox, rpondis-je. Si dans cet endroit vous aviez des amis,
pcheraient de vous battre et ne hurleraient pas ainsi
votre victoire. Et si Big Shoni avait des amis ici, ils
le voir se battre contre un homme de la moiti de
la moiti de son poids? dit Dai. Qu'est-ce que je m'en
fe le mettrai par terre en deux rounds.
Ce sont des hommes, dit Dai. Ils sont ici pour voir du sport,
mon garon. Qu'est-ce qui cloche, Huw? As-tu du brouillard dans la
cervelle? Je te croyais un type intelligent et pensais te voir bientt
gagner toi-mme quelques pices d'or.
De sorte que, ce soir, dans cette salle, nous ne sommes tous que
des braves gens, travaillant pour notre argent, poursuivit Eliel John,
prt pleurer, la bouche semblable une fente dans une balle de
caoutchouc. Pas de vains remerciements
;
du bon travail et voil tout !
Que tous ceux qui prtendent le contraire aillent au diable ! Je suis
prt les rosser!
Son melon gris lui chappa, et lui-mme faillit tomber du ring,
mais des bras se tendirent et le rattraprent par le postrieur. Comme
il se sentait appuy, il se crut de nouveau sur sa chaise et s'assit; si
bien que d'autres durent venir prter main-forte aux premiers, la
bruyante hilarit de la salle, et Eliel, promenant un regard humide la
ronde, saluait droite et gauche pour remercier, comme si on
venait de l'installer sur un trne.
Puis Cyfartha agita de nouveau la sonnette et cria Eliel d'annon-
cer les combattants. Mais Eliel avait compltement oubli pourquoi il
tait mont sur le ring, de sorte que Cyfartha dut aller crier son
oreille pour le lui rappeler, pendant que le btail hurlait et trpignait
d'impatience.
-V-
-'
- zi:u-r:r.r::t glissant, un pied sur
la plante. Fautre sur la pointe.
I*
finwlii de Shoni se dtendit, rvlant une boule muscle sur
{"maplHi; mais dplaant la tte, Dai lana de l'paule un droit dans
la gaine de ShooL et de son gauche l'atteignit aux yeux.
Le hrat dans la salle tait tel qu'on n'entendait rien.
Sh
i,
lenteaaemyse dplaa, observant Dai qui le suivait.
Saomi clignotait d'un cefl jaune; le second, noy dans les larmes et
k fefmrfKsait sons les chairs tumfies. Rapide comme l'clair,
^
ef
t
D.ii se i -
n^el
le nez de Shoni.
Smb abattit son droit et, malgr le tumulte, j'entendis cra-
9^
er
**te de Dai, tandis que le poing de son adversaire s'crasait
P"
1 pi gnsoonant. Dai chancela, comme assomm par un
apeica* un trou dans la dfense de Dai, juste au-dessous
de la mrhom et. lernljol, fl prit son lan, mais l'instant o ses
mnsdes bands s'apprtaient appuyer le coup, Dai, de son gauche,
Fatteignit en plein sur la bouche. D perdit l'o^nlibre et, comme il tom-
bait en arrire, un crochet du droit l'envoya s'taler tout de son long
sur le menton. Sous le poids de sa chute, le ring trembla et oscilla.
Dai revint vers nous, but quelques gorges la bouteille, puis,
debout, regarda les seconds de Shoni, s'efforant de ranimer celui-ci.
Ibis les poings de Dai avaient bien travaill. Prs de moi, comme de
ples murailles de pierre lisse dlicatement
arrondies par le ciseau et le
marteau, sneurvaient
les paules de Dai et s'allongeaient ses larges
tendons. Pourtant, bien que mme vu de si prs ce ft peine croyable,
:d des muscles de chair, vivants et chauds.
Et. pendant ce temps, le btail ne cessait de beugler et de faire
mtei l'argent des paris. Puis Shoni fut sur pied, le corps dgouttant
d'eau, le visage en marmelade,
sanguinolent et tumfi, son il jaune
allum, les poings levs, prt.
De nouveau,
Gyfartha agita la sonnette.
Rapide, Dai s'avana, visant le ct aveugle de Shoni. Mais celui-ci,
sans doute conseill par ses seconds, redress de toute sa hauteur, se
tenait sur ses gardes, hors d'atteinte du gauche de Dai et de la menace
de son droit. Un moment, immobiles, ils s'observrent, se guettant,
combinant leur tactique, tandis que le btail reniflant sa mangeoire
vide, battait de la semelle et rclamait la suite avec une fureur glou-
tonne.
4*3 QLTELLE TAIT VERTE MA VALLE!
Soudain, Dai ploya les genoux, trs bas, puis, tel un ressort, se
dtendit et bondit, les jambes largement cartes, les pieds au-dessus
du sol, le torse redress, comme suspendu dans Pair, et, le droit repli
prt parer, de son poing gauche lanc de l'paule, il atteignit Shoni
en plein visage.
Mais Shoni n'accusa le choc que par une oscillation de la tte et,
comme Dai retombait sur ses pointes, il l'attrapa d'un droit court la
mchoire et l'envoya rouler quelques mtres, en apparence va-
noui.
Nous nous prcipitmes, Willie portant le seau, moi la bouteille.
Willie lui ft le genou et le redressa, tandis qu'introduisant le goulot
dans sa bouche, je lui donnais boire. Dai ouvrit les yeux, mais ses
prunelles taient sans lumire, et il promena autour de lui le regard
terne de l'homme qui se rveille.
Debout, Dai 1 cria Willie. H debout, mon vieux I C'est toi qui
l'auras, Dai, mon petit. Tiens-toi donc sur tes jambes. Ne t'envoie pas
aux anges. Tu vas l'avoir, tu l'auras ! Allons, vas-y, tue-le
Mais, j'en suis sr, Dai n'entendait pas un mot de ce qu'il disait.
De toute ma force, je le bouchonnais, piant ses yeux pour
y
voir
revenir la vie. Pourtant, ils avaient une certaine vie, mais trange,
comme venant de trs loin, et sans lumire.
Soudain, avant que Cyfartha et sonn ou que nous ne lui eussions
dit un mot, Dai, repoussant Willie. se releva, tira sur sa culotte et
frappa ses poings l'un contre l'autre, prt reprendre le combat.
La sonnette retentit et hous n'avions pas rejoint notre coin, que
dj Dai et Shoni taient aux prises. Redoutant de les regarder, je
me dtournai.
Lorsque enfin je posai mes yeux sur eux, Dai saignait de la bouche,
et un direct lui avait cras le nez. Formidable d'paules, les bras au
corps, demi plies, Shoni martelait Dai et, sous ses coups, le sang
giclait. Courb en deux, tte baisse, les poings ramens contre sa
poitrine, Dai ne ragissait pas.
Puis il frissonna de la tte aux pieds et, faisant un mouvement de
ct, il essaya de voir travers le sang qui l'aveuglait. Mais ce
moment Shoni lui allongea un crochet qui l'envoya sur les talons, les
mains tendues, ttonnant pour trouver un point solide quoi se
retenir.
Rugissements du btail.
Shoni adressa un regard son coin, et quelque chose comme un
QUELLE T. ERTE MA VALLE! 441
5 : ri ma
'
"sag-. il tait heureux, dcid
jott de la suite, avec fe btail, prendre son temps, choisir la
place o fi
tpft
iil ses coups, faire durer la cure. De mme que le
btaiL il saratt, en effet, que Dai ne resterait terre que sans connais-
sance on mort. D'ici l. donc, quel beau sport I
Mais DaL tendant une main, frla Favant-bras de Shoni. Un
snapl attouchement, comme pour s'assurer qu'il tait bien l et
calculer la place approximative de sa tte. Puis, tandis qu'tonn je
l'observais, il lana son droit, par-dessus Fpaule de Shoni, l'atteignit
ssc son bon il, dont il dtacha un lambeau de chair comme avec un
rasoir, laissant Fos nu, d'abord blanc, puis sanguinolent. Le second
root) de Dai un direct du gauche, s'gara de plusieurs centimtres.
r-'-nch en avant, les mains au visage, le sang coulant entre ses
; oni recula. Mais, de nouveau, Dai s'avanait vers lui. Gomme
la fois prcdente, il effleura vivement de ses doigts tendus l'paule,
pois le visage de Shoni et. la seconde d'aprs, son droit s'abattit en
: . sur la mchoire de celui-ci qui s'croula de biais, entre les cordes.
I .: n'avait pas laiss retomber ses bras, que je l'avais rejoint sur
te ring. Mais je me tins derrire lui, car ses yeux taient toujours sans
regard et ses doigts ttonnaient en qute de la chair de Shoni, son
droit prt frapper.
Dai criai-je son oreille. Dai, c'est moi, Huw. Baissez vos
poings. C'est fini.
Fini? dit-il en se retournant pour me regarder. .
Je suis donc
sorti?
Non, non, rpondis-je, nfonant le goulot de la bouteille dans
sa bouche. Crachez maintenant. Dai, c'est vous qui Pavez eu!
II cracha. Mle de l'cume sanglante, son unique dent tomba et
alla ricocher sur les planches.
Puis, Cyfartha arriva en courant. M'cartant brutalement, il prit
Dai par les paules et le pressa contre lui.
Est-ce que je me suis bien battu? demanda Dai, les yeux levs
au plafond.
442 QU'ELLE TAIT VERTE
MA VALLE!
-
Bon, dit Dai, et aussi tranquillement qu'un chat, mais brlant
de vie derrire son calme, il ajouta : Il est arriv quelque chose mes
yeux, Cyfartha.
Mais, appuy au poteau d'angle, Cyfartha pleurait. De sorte que
Willie et moi, croisant nos mains, portmes Dai jusqu' notre tabouret,
o nous vidmes quelques seaux d'eau sur lui.
Jamais je n'oublierai le trajet de retour par-dessus la montagne,
aprs le combat. Dai, compltement aveugl par tout l'alcool qu'il
avait pris contre la douleur, appuyait une de ses mains sur mon
paule, tandis que Cyfartha, tranquillement ivre, fulminait contre le
monde.
Sous la clart blanche et glace de la lune, nous avancions, mais
j'tais surtout transi en pensant la dtresse de l'tre qui marchait
derrire moi et dont la main se cramponnait mon paule comme celle
de quelqu'un qui a peur du Puits.
Eh bien? dis-je.
Eh bien ! rpondit-elle.
Pourquoi? demanda-t-elle.
Qu'un autre homme vive prs de toi, qu'il occupe tes penses
semble mal, rpondis-je.
La loi ne permet pas que nous nous mariions, dit Bron, d'un
tn tranquille.
Je la regardai et vis ses yeux lustrs par les larmes, et sa tte,
dlicatement incline, comme si elle me bnissait, et sa bouche tendre,
bouleversante, et ses mains jointes sur ses genoux.
moiti fait de larmes. Je suppose que, moi aussi, j'aurais agi comme
une folle.
En pensant Ivor? demandai-je.
Comment savoir? dit-elle. En pensant lui, oui, pour l'imaginer
l, de nouveau. Mais toi aussi, car tu me faisais de la peine, si seul,
toujours si bon pour moi. Aprs tout, on peut bien faire a pour
certains.
Mais alors, pourquoi pensais-tu que ce serait mal de nous
marier? demandai-je tonn.
Oh dit Bron en secouant la tte, Ivor tait fort, sans doute.
Et j'ai eu peur. Tu as onze ans de moins que moi, tu es jeune. Et tu
penses plus loin que moi.
Oui, rpondis-je.
Pourquoi? demandai-je.
Mais, Huw, dit-elle avec une nuance de peine, quel est donc
ce monde que possdait Ivor?
Celui que nous trouvons avec une femme, dis-je, gn, car les
mots me semblaient stupides et ne pouvaient traduire ce que je
sentais.
On peut discourir de choses ordinaires, d'une thire, par exemple,
parce qu'on les connat, qu'elles sont solides sous la main. Mais parler
du monde qui est cach dans chaque femme est un douloureux voyage,
car les mots ne sont pas habitus l'exprimer, et se servir pour cela
des termes usuels de la vie quotidienne n'est qu'une faon de sauter
cloche-pied sur des bquilles d'ingale grandeur.
rflchirai,
rpondit-elle, se levant pour aller prendre la
belle
th. Les garons ne veulent pas en entendre parler. Pourtant,
3 est trs bon pour eux.
Non, rpondis-je.
Ivor et toi, dis-je. Ivor est parti; toi tu es l. Mais, pour moi,
il est toujours avec toi. Toi et lui vous ne faites qu'un. Te voir, c'est le
voir. Te toucher, c'est le toucher. Penser toi, c'est penser
lui. Il est
autour de toi, comme ta lavande. Ses mains t'ont caresse, sa bouche
t'a embrasse. Il a t avec toi, il a us de ta chair pour ses fils. O
y
aurait-il place pour moi?
Entendu, rpondis-je.
Oui, dit-il.
Mais il faut faire quelque chose, Papa, m'criai-je. Tout de
suite.
Quoi?
demanda-t-il d'un ton tranquille. Les dblais doivent
tre vids quelque
part. Que peuvent-ils faire? Si on les garde sous
terre,
comme cela se pratiquait
autrefois, c'est autant de moins que
gagneront les hommes, car pendant qu'ils les entassent, ils n'extraient
CELLE TAIT VERTE MA VALLE!
pas de charbon. Ii faut choisir. Mieux vaut que la montagne ptisse,
et tfae
ies salaires ne diminuent pas.
except celui
qui nous appartient sur la Colline
il Ta vendu au Charbonnage.
Oui, dit mon pre. A cause des femmes et des enfants. N'y
pense plus, mou garon.
A cet instant, je has mon pre. Puis je compris son attitude et
compatis. Oui, quoi bon nous dfendre, si nous devions aboutir au
dnuement? Et que sont les droits de l'homme, ct du regard
d'un enfant qui a faim? La meurtrissure de l'injustice semble futile
devant l souffrance des petits.
Puis Davy eut de nouveau des ennuis et, pendant un certain
temps, nos esprits ne furent proccups que de cela; quand il en
sortit, le cble tait pos et fonctionnait. II ne nous resta donc plus
qu' lever les yeux vers lui, les mains sur les hanches, et le maudire,
tout en vouant le vieil Elias la haine de Satan.
Davy n'tait de retour que depuis quelques semaines lorsque
l'affaire commena. A la demande de mon pre, on avait accept de
le reprendre la mine et il en tait trs content, Wyn, de son ct,
aprs tant de prgrinations, tait heureuse d'avoir enfin un foyer
stable. Pour une fois, Davy l'avait coute.
.
Un matin, comme il remontait la Colline aprs le travail de nuit,
je le rencontrai et, malgr la .couche de poussier qui le noircissait, je
vis qu'il tait en colre. .
Ils m'ont rogn mon salaire, dit-il. Toute la semaine, j'ai tra-
vaill dans l'eau jusqu' la ceinture, avec le garon, et aujourd'hui,
on diminue ma paie!
Et le minimum? dis-je.
nous
ne >7aanaas pas mplas
Ecoutez, dit-il d'une voix coupante, les yeux tout prs des
petits oignons verts de M
e
Vaughan, Nous sommes venus ici pour une
audience, aprs des mois d'attente. Chambre des Lords ou Maison de
m QUELLE TAIT VERTE MA VALLE!
Dieu, passez par cette porte, et exposez notre affaire, avant que je
n'arrache les os de votre carcasse par morceaux.
Papa, dit alors lanto, je regrette, mais moi aussi, je vais par-
tir.
Dans le carreau noir de la fentre, je vis mon pre fermer les yeux.
Oui, ma trs douce, dit mon pre, tandis que j'emportais mon
atlas.
*
Quelle bndiction qu'Ianto et Davy fussent partis ce moment-l,
car sans doute auraient-ils eu des ennuis s'ils avaient tard jusqu' la
fin de l'anne.
Non. rpondit-elle.
_
j-
compris que, si elle le niait, c'est qu'elle jouait le jeu de
la Femme.
Olwen regardait Bron dans l'espoir que, bientt, elle ralentirait
nie nous pourrions contempler les boutiques, car nous tions
entours d'objets de rve et avions tout un aprs-midi devant nous.
Mais Bronwen tait habitue la rue du village et aux regards de ceux
qui la connaissaient, et je savais qu'il nous faudrait encore patienter
un long moment, avant qu'elle devnt moins sensible son propre
gard, et s'accoutumt au flot incessant de la foue, aux sons mul-
tiples empoussirant les rues, au bruit des chevaux qui passaient,
tirant plus de chars, de carrioles et de voitures que nous n'en avions
vus dans toute notre existence.
Il est curieux de se promener dans une ville. Le visage de ceux qui
y
ont toujours vcu semble trangement
marqu. Leur vie est soumise
l'horloge et, pour avoir contempl tant de merveilles, ils sont devenus
aveugles; ils ne connaissent plus le plaisir de l'attente, ni le charme
du souhait. Tout autour d'eux, dans les vitrines,
s'empilent de bonnes
marchandises, mais leurs poches sont vides et ils en souffrent. Car ce
qu'ils voudraient possder, ils ne peuvent que le dsirer, et le dsir
inassouvi finit par se transformer en convoitise qui se trahit dans
l'expression; sans cesse trop de choses voir, trop de bruits pour
connatre la paix, et dans un tour
d'horloge, pas assez de temps pour
s'arrter un moment et penser.
Enfin Bronwen ralentit le pas, quand,
atteignant les arcades, nous
468 HTTELLE TAIT VERTE MA VALLE!
pntrmes dans les mandres tranquilles de ces lumineuses rues de
erre, reconnaissants celui qui les avait conues, et heureux de
nous
y
trouver.
Je passai de merveilleux moments dans une boutique de livres,
pendant que Bron et Olwen choisissaient des cadeaux dans les maga-
sins pour dames.
Qu'il est dlicieux de tenir dans ses mains un bon gros livre, dont
l'paisseur, riche en promesses, vous rchauffe rien qu' la pense des
bonnes heures qu'il vous donnerai
Je serais volontiers rest dans cette boutique jusqu' faire crier
les verrous d'impatience, mais Bron, les lvres pinces, arriva et, me
prenant par le bras, me tira gentiment vers la porte.
Encore dans tes sales livres! dit-elle. Faut-il donc que nous
t'attendions l-dehors pendant que tu les lis tous!
Prends-les pour toi, dis-je. Je veux quelque chose qui leur fasse
vraiment plaisir. Deux bons livres, qui valent la peine qu'on les
rapporte de la Ville.
Finalement j'optai pour Ivanko et L'Ile ou Trsor, aprs en avoir
srieusement discut avec le libraire, brave petit homme, aux dents
branlantes, plein de bon sens et d'exprience, et m'y tre moi-mme
plong, jusqu'au moment o Bronwen, la bouche crispe releve d'un
ct, tapa du pied, et o l'expression acide d' Olwen et fait passer
de petites pommes vertes pour un miracle de douceur.
a
y
est, dit-il. Ils sont de nouveau en grve. Rien faire!
Je t'ai dit que oui, rpliqua Dai. Je prfrerais les envoyer dans
la gueule de l'enfer plutt que de recevoir leurs ordres. As-tu compt
ce que nous avons perdu avec ces grves? Des fortunes ! Qu'est-ce que
tu gagnes, maintenant, tel que tu es? Peux-tu me le dire? Rien!
Pas un demi-liard! Eh! Gyfartha?
Tu n'avais qu'
y
rester et
y
crever, dit Dai, mais, au moins,
savoir ce que tu te veux! Y en a-t-il un seul parmi eux qui sache
pourquoi il est en grve? L'un cause du prix sur le filon de cinq
pieds, l'autre pour la rpartition des places, un troisime pour le taux
de l'extraction de la pierre. Au lieu de s'tre entendus carrment entre
m QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
eux. Non. Il faut que chacun tire de son ct. Et, pendant ce temps,
ies propritaires se tapent le ventre et se gaussent de notre stupidit.
Eh! Cyfartha?
Je suis trop claqu pour parler, Dai, mon petit, rpondit Cyfar-
tha. Je vais aller me soler au tonneau et dormir pendant deux jours.
C'est exactement ce qu'il me faut.
Si seulement ils avaient voulu couter ton bon pre, Huw, dit
Dai avec tristesse. Au lieu d ces types qui leur montent la tte. C'est
bte faire pleurer.
Ils ont jur d'inonder la mine, cette fois, chuchota-t-il. Mais que
j'en attrape un en train de leur parler de a, et je lui ferai proprement
rentrer les dents dans la cervelle. Ce sont des tout malins, tu com-
prends. Personne ne sait d'o viennent les ordres. J'en ai entendu
causer, ici. au bar, dans la conversation seulement. Oreilles ouvertes et
bouche close, Huw. mon petit. Et si tu apprends quelque chose,
avertis-moi. Oui, tu n'as qu' me le dire. Eh ! Cyfartha?
Ils ne sont pas assez fous pour nous envoyer des Gallois, dit
James Rowlands,
Les seuls fous, ici, c'est nous, dit Dai. Ma foi! Des soldats
anglais! Ehl Cyfartha?
Il
y
aura du mauvais, dit Cyfartha.
Ils savent vivre, ceux-l, dit Cyfartha. Et pas de danger que ces
types ici fassent les imbciles. Ils ne touchent que quelques sous par
jour, et rien de plus pour un il poch.
Dans les autres valles, sans cesse se produisaient des bagarres, des
charges la matraque, des chaufbures entre piquets et grvistes.
Mais, dans la ntre, bien que les hommes fussent dans les rues toute la
journe, part quelques manifestations bruyantes, il ne se passait
rien.
De nouveau, les paules oisives marqurent leur empreinte le long
des maisons, voquant les milliers d'hommes en train de gcher les
riches moments de leur existence, tandis que, sous leurs pieds, la
terre enfermait l'abondance offerte galement tous par Dieu.
Ma foi!
Si jamais j'ai le privilge de me trouver face face avec Dieu le
Pre, je lui demanderai s'il a ri ou pleur, en voyant notre faon
d'agir l'gard d'une exploitation qui existe par elle-mme, et qui
nous a t donne pour rien.
Je m'tonne vraiment qu'il n'ait jamais travers les nuages de son
poing pour nous craser. moins que, comme le bon D
r
Johnson, Il
n'attende son moment pour nous frapper d'autant plus douloureuse-
ment. Je frissonne en pensant au Jour.
Au Jour du Rglement des Comptes.
Peut-tre ne se serait-il rien pass de grave dans notre Valle, si un
agent de police n'avait pris l'initiative, dans sa chatouilleuse dignit,
de frapper un pauvre idiot de son bton.
Nous appelions celui-ci le Vieux Sami, de l'Eau du Canal, car sa
mre confectionnait de la bire au gingembre qu'il allait vendre
l'entre du puits. Tous deux menaient une pauvre existence, en vrit,
mais' ils ne devaient d'argent ni ne demandaient rien personne.
Les hommes rentraient d'une runion et je me tenais sur le remblai,
attendant mon pre, quand je vis arriver un agent, au galop de sa
jument, et criant la foule de se garer.
Les uns, craignant de recevoir un coup de sabot, escaladrent vive-
ment le remblai; d'autres, plus loigns, se mirent crier, et quelques-
uns d'entre eux s'alignrent en travers de la route pour l'arrter.
Affol, hurlant de peur, battant des mains, le vieux Sami, de l'Eau
du Canal,' s'enfuit, courant et zigzaguant, tandis que les bouteilles
:
VILLE TAIT VERTE MA VALLE! 479
tombaient de son panier et clataient en blanches fuses sur le soi.
Qw^i fois ses cris redoublaient et, s'arrtant, il s'efforait d'eu
I i ri les dbris. Mais, tte baisse, la jument approchait.
Presque sous le poitrail de l'animal, une nouvelle bouteille clata.
L:
_
..: .ri.: 5r cabra, et Sami, les yeux rvulss, perdant l'quilibre,
wtraccrocha elle. Levant sa matraque, l'agent en assena un coup sur
son crne qui rsonna comme un uf dur sous la cuillre.
Z-. :ut la guerre.
Ds cet instant, tout ce qui portait du bleu boutonn d'argent fut
L"a?ent n'tait pas un tranger, il connaissait Sami et nous tous,
mais, s'il avait une mre, elle dut avoir de la peine le reconnatre ce
anr-i. Lestement, il fut expdi par-dessus le remblai et, pendant des
salmes, sa jument resta pturer derrire les Trois-Cloches, grasse
et sans propritaire.
Cette nuit-l, plus de mille hommes marchrent contre le Char-
K
Oui, rpondis-je.
Eh bien? dit-elle.
Nous tions arrts et je cherchais quelque chose lui dire, tandis
que, tour tour, elle contemplait le haut de la rue, me regardait
avec un vague sourire, puis de nouveau levait les yeux vers la Colline.
Adieu, dis-je.
De nouveau, nous nous regardmes jusqu'au fond.
Oh ! quel mal
y
a-t-il aimer une femme telle qu'tait alors Bron?
Car sa fminit tait autour d'elle comme une bndiction, et, de
toute ma tendresse, j'aurais voulu l'treindre,- l'embrasser, sans
passion, mais avec la joie de celui qui retrouve un disparu.
Cependant, une chane existe parfois dans la conscience, qui vous
retient et vous empche de mouvoir, ne ft-ce que le petit doigt
Or, paralys par cette austre contrainte, je ne pouvais ni bouger ni
parler.
Elle s'loigna d'un ou deux pas, puis, comme si j'avais dit quelque
chose, se retourna, ses yeux devenus d'un bleu plus sombre, alourdis,
semblait-il, par un heureux souci de moi, la bouche entrouverte,
QUELLE TAIT VERTE MA VALLE! 483
pte h poser une question. Mais, au lieu de parler, elle sourit, de son
Mnrc qui n'en tait pas un, et, rapprochant les lvres, elle les avana
m vol rond ferme inspir d'Eve, aprs quoi, elle eut un grand, grand
samtkt. faire fondre la gele blanche jusqu'au bas de la Valle.
Alors,
Monsieur trouve son djeuner servi, o
qu'il soit! dit-il.
En voil une qui est vraiment bonne! Si je l'avais rencontre quand
j'tais jeune, je t'aurais battu jusqu'en enfer pour te l'enlever.
Eh bien? dis-je,
m'approchant et regardant le niveau.
Le noir montait, rvlant dans la mine la prsence de plus d'eau
que n'en pouvaient rejeter les pompes.
Entendu, dis-je.
Nous nous, serrmes la main, puis, m'tant rendu la maison du
monte-charge
pour demander lorweth de faire descendre la cage, je
me dirigeai vers la foule qui attendait pour voir sortir les agents.
Q
(TELLE TAIT VERTE MA VALLE! 487
Ap proche-toi donc, cria une voix. C'est toi que nous couperons
la gorge! Quant tes boyaux, nous les enverrons Churchill.
De nouveau, la foule hurla et, se portant en avant, se mit me
lancer des pierres. Il n'y avait rien faire.
Je retournai la chaufferie.
Sans doute ma mre tait-elle en train de se tourmenter l-haut,
la maison. Honteux, je songeai tous les jours que je venais de
passer la mine, sans lui dire un mot, me bornant lui envoyer des
wssages par d'autres bouches. Nous pensons toutes choses, mais
rarement la tranquillit de nos mres.
J'attendis donc la prochaine relve de police et, pendant que la
foule s'occupait d'elle, je franchis en courant le remblai, traversai la
rivire, et remontai au village par les communs des Trois-Cloches, o
je m'arrtai.
Ton Papa est parti depuis ce matin, Huw, dit-elle, tandis que,
l'entourant de mon bras, une piti dchirante me lacrait la sentir si
frle et penser aux hommes et aux femmes qui avaient tir d'elle
leur vie.
Voil trop longtemps qu'il est sous terre, dit-elle. Aussi sont-
dfe? alles au puits d'Iestyn pour voir si, par hasard, il remontait
par l. Ici il
y
a trop de monde.
Laisse-moi, dit-elle.
Jamais je ne lui avais entendu une
v:_v
i-ssi dure.
Va vers ton pre.
Allons, Huw, dit-il. A leur sant! Aux deux braves qui sont
l-dessous. Bois avec amour.
Nous vidmes nos verres. Dai semblait n'avoir aval que du th,
mais je toussais encore quand, arrivs en bas, nous traversmes la
foule stationnant l'entre de la mine. Dai tenait mon bras et jouait
du poing droit, tandis que les autres employaient pics et pelles pour se
frayer un passage. Nous atteignmes ainsi la cage, protgs par la
police qui, sortant de la maison de chauffe, ft une charge au bton.
Quels qu'ils soient, ceux qui ont fait a n'ont pas mal travaill,
dit l'ingnieur. Mais, grce Dieu, dans sa born, ils n'ont pas eu le
temps d'achever leur besogne. Sans doute taient-ils plusieurs.
Amen, rptmes-nous.
Oui, dit-elle avec un rire sans joie. Je l'ai vu. En vrit, tran-
quillement. Qu'il tait beau Prt comparatre devant la Gloire.
As-tu vu ses chres mains? Si jamais je remets les pieds la Chapelle,
ce sera dans mon cercueil, et ne le sachant pas. Oh! Gwil, Gwil, mon
petit, que je suis vide sans toi! Doux amour de mon cur, que tu me
laisses vide!
Ma foi!
*
N'est-il pas trange que la Mmoire, oublieuse de tant de choses,
retienne cependant l'image de fleurs mortes depuis plus de trente ans?
Je me souviens des pots de fleurs aligns sur le rebord de notre
fentre, ce matin-l, tandis que ma mre parlait, et je revois les gouttes
d'eau qui, une une, tombaient de la fente du dernier de la range,
car Bronwen se tenait tout auprs, debout, et le soleil, filtrant
travers le store baiss,
clairait son visage d'un or chaud et profond.
E TAIT VERTE MA VALLE! 497
M
y
a trente ans de cela. Pourtant cette vision est aussi frache en
_ croche que si c'tait maintenant.
Je m'prouve point d'amertume penser de la sorte au temps qui
.
~
r suis Huty Morgan, heureux en mon cur, mais regret-
tai de ne pas avoir russi laisser ma marque sur les choses ext-
neares, bien qu'en vrit je ne sois pas le seul dans ce cas.
J'ai connu le bien et sans doute aussi le mal, mais le bien plus que le
maL
Je
suis prt le jurer. Du moins, la bonne chre, le bon travail, la
butt des hommes et des femmes, nous les avons connus et apprcis.
Mais vous tous qui tiez si beaux quand, rapide, chantait en vous
la vie, vous tes partis. Et cependant, vous tes toujours l, bien
vivants en mon souvenir. Gomment donc pourriez-vous tre morts,
mes frres, mes surs, et vous tous, puisqu'en moi vous vivez, aussi
**mn*nt
que je vis moi-mme?
Dirons-nous que le bon D
r
Johnson est mort, quand son cher ami
Mr. Boswell le fait tempter et frapper du poing devant nos propres
yeux? Socrate peut-il tre mort, quand j'entends encore sa parole
for?
Mes amis sont-ils donc tous morts, quand, glorieuses, leurs voix
-"issent sans cesse mon oreille?
Non, non et non. Et je me lverais pour rpter non.
"
_tur, sanglant, je dirais encore non.
Ceinwen est-elle donc morte, quand, prs de moi, je retrouve sa
chre beaut, que j'aperois ses yeux tincelants de joyaux poss sur
moi, et que mes bras restent endoloris de l'treinte de ses doigts?
Bronwen est-elle morte, elle qui me rvla le vritable amour de
la femme, qui me prouva que la force de la femme dpasse en puis-
sance celle des poings, des muscles et des viriles clameurs des hommes?
Mon pre est-il mort, cras par le charbon? Mais, Dieu du Ciel,
3 est en train de danser, l-bas, au milieu de la rue, le maillot rouge
de Davy pass sur son veston, et tout l'heure il va venir fumer sa
pipe dans la belle chambre, caresser la main de ma mre, et regarder,
oh! avec quelle ardente fiert, le portrait de la Reine, offert par une
Reine, dans le Palais d'une Reine, son fils an, dont la baguette a
fait s'unir et chanter les voix en une musique digne d'une Reine.
Mr. Grufydd est-il mort, lui, cet tre de roc et de flamme, qui fut
mon ami et mon mentor, et qui me donna sa montre, le seul bien qu'il
possdt au monde, parce qu'il m'aimait? Est-il mort, quand sur mon
visage je sens encore l'humidit des larmes que je versai, quand ma
498 QU'ELLE TAIT VERTE MA VALLE!
\o\x, se frayant un dur passage travers Faridit de ma gorge, essaya
de lui dire adieu, mais que les mots trop timides, Dieu, n'osrent se
prsenter et que je le quittai sans rien dire, pleurant, le cur saignant
et dchir?
Est-il mort?
Car, s'il est mort, moi aussi je suis mort, et tous nous sommes
morts, et le reste n'est que drision.
Qu'elle tait verte, alors, ma Valle, la Valle de ceux qui ne sont
plus!
BRODARD ET TAUPIN
IMPRIMEUR
- RELIEUR
Paris-Coulommiers.
France.
05.134-VI-2-7161
-
Dpt lgal n 2695,
I
er
trimestre 1963.
Le Livre de Poghe
-
4,
rue de GalUra, Paris.