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DU MÊME AUTEUR

Corrige-moi si je me trompe : Stratégies de communication pour dénouer les conflits de couple


(2016)
Dépasser les limites de la peur : Comprendre la peur pathologique pour mieux la dépasser (2016)
L’art noble de la persuasion : La magie des gestes et des mots (2016)
La stratégie de résolution de problèmes : L’art de trouver des solutions aux problèmes insolubles
(2017)
L’amour et la haine de la nourriture : Ou comment résoudre rapidement les troubles du
comportement alimentaire (2017)
© 1998-2014 RCS Libri S.p.A., Milan
pour l’édition originale en italien, Psicosoluzioni
© L’Esprit du Temps, 1999,
pour la traduction française

© Enrick B. Éditions, 2015, 2017, Paris


pour l’édition en langue française

ISBN : 978-2-35644-193-5

En application des artiches L. 122-10 à L. 122-12 du Code de la propriété


intellectuelle, toute reproduction à usage collectif par photocopie, intégralement
ou partiellement, du présent ouvrage est interdite sans l’autorisation du Centre
français d’exploitation du droit de copie. Toute autre forme de reproduction,
intégrale ou partielle, est interdite sans l’autorisation de l’éditeur.

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


Prologue

Certains effets particulièrement pernicieux des thérapies découlent de la


croyance selon laquelle une personne qui souffre depuis longtemps de
troubles mentaux graves, devra entreprendre une thérapie tout aussi longue
et difficile.
Cette opinion pseudo-scientifique continue de sévir depuis plusieurs
décennies, malgré les preuves du contraire et malgré les avancées de la
connaissance. Dans certains milieux, elle perdure et semble indiquer qu’il
est plus important, pour ceux qui la pratiquent, de défendre l’orthodoxie que
de faire disparaître la souffrance humaine. Comme le disait Hegel : « Si les
faits ne s’accordent pas avec la théorie, c’est tant pis pour les faits. »
Au cours des trente dernières années, de nombreux auteurs et
universitaires ont retrouvé le chemin de la sagesse antique et appliqué les
conclusions des recherches de pointe, pour démontrer qu’il est possible de
résoudre la plupart des troubles mentaux en un temps réduit. Comme
l’écrivait Ockam : « L’on utilise en pure perte une abondance de moyens
pour faire ce qui peut être accompli avec une économie de moyens ».
J’ai essayé de présenter dans cet ouvrage des idées et des suggestions
issues de mes dix années d’expérience, au cours desquelles il m’a été donné
de traiter plus de trois mille cas (dont la plupart ont été résolus en quelques
semaines) d’une manière que j’espère claire, accessible et compréhensible.
En d’autres termes, j’aimerais familiariser mes lecteurs avec l’art fascinant
de résoudre des problèmes compliqués par des solutions en apparence
toutes simples.
CHAPITRE I

La théorie

« Je suis comme une marionnette cassée dont les yeux sont tombés à
l’intérieur. » Cette déclaration d’un patient souffrant de troubles
mentaux en dit plus long que tous les travaux d’introspection jamais
écrits.
E.M. Cioran, Syllogismes de l’amertume

Construire des réalités pathologiques


Pour introduire mon propos, à savoir comment les êtres humains
« construisent » leur propre pathologie, il n’est peut-être pas inutile de
commencer par une anecdote empruntée non à la pratique clinique, mais à
la vie de tous les jours. Je crois que nous, thérapeutes, pouvons tirer des
leçons encore plus instructives des formes ordinaires d’interaction
impliquant les personnes en général, que des cas que nous observons dans
nos cabinets de consultation. Nous avons besoin de bien voir la façon dont
les choses changent naturellement, et de bien comprendre le processus qui
fait que, selon le mode d’expression de ces phénomènes de société et
d’interaction entre individus, ces mécanismes peuvent produire des
pathologies mais également des solutions à ces pathologies. C’est à partir
de l’observation de tout cela que nous apprenons comment traiter les
problèmes que viennent nous exposer et nous confier nos patients.

Il y a quelques années, un homme qui habitait aux États-Unis avait une


peur quasi obsessionnelle de prendre l’avion, parce qu’il se disait qu’il
pouvait y avoir une bombe à bord. Cet homme avait une passion pour les
capitales européennes, hauts-lieux de l’art, mais cette peur qu’il ressentait et
qu’il n’arrivait pas à dominer l’empêchait de s’y rendre. Après avoir
mûrement réfléchi à la question, il décida de déterminer la probabilité de la
présence d’une bombe sur le vol particulier qu’il allait prendre (il était
également féru de statistiques). Il décida de téléphoner à plusieurs agences
de voyage, espérant qu’elles auraient la réponse : « Allô ! Pourriez-vous, je
vous prie, m’indiquer la probabilité de la présence d’une bombe sur le vol
New-York – Paris ? »
Bien entendu la plupart des agents de voyages auxquels il téléphonait
lui répondaient brutalement qu’ils n’avaient guère de temps pour répondre à
des questions aussi absurdes, mais il persista jusqu’à ce qu’un jour, il
appelât par hasard un agent qui partageait son enthousiasme pour les
statistiques. L’agent lui répondit immédiatement : « Une chance sur cent
mille. » Son interlocuteur réfléchit un instant, puis demanda : « Mais
quelles sont les chances qu’il y ait deux bombes sur le même vol ? »
« Ah ça, il faudrait que je fasse des calculs exponentiels. Rappelez moi
dans une demi-heure, et je vous donnerai la réponse. »
Lorsque l’homme rappela, exactement trente minutes plus tard, l’agent
lui dit :
« Bon, selon mes calculs, il y a une chance sur 100 millions qu’il puisse
y avoir deux bombes sur le même avion. »
« Très bien, déclara l’homme. Dans ce cas, j’aimerais réserver un siège
sur le vol New-York-Paris de la semaine prochaine. »
L’homme en question se fit arrêter au guichet d’embarquement de la
TWA, avec une bombe dans ses bagages. Il prétendait l’avoir fait pour le
bien de tous, parce qu’il avait considérablement réduit les chances
d’explosion d’une autre bombe pendant le vol !

Cette anecdote bizarre illustre un concept fondamental jadis exprimé


par le philosophe John Locke, qui déclare que nous considérons comme
folles les personnes, qui à partir de prémisses erronés, raisonnent de façon
parfaitement correcte pour aboutir à des conclusions erronées.
Pour user du langage de l’épistémologie moderne, nous pourrions
reformuler la chose de la façon suivante : les individus construisent leur
propre réalité d’après leurs propres actions, actions qui sont fonction du
point de vue qu’ils adoptent lorsqu’ils perçoivent la réalité avec laquelle ils
interagissent. Mes lecteurs, au prix d’un certain effort, pourraient adopter le
point de vue de l’homme dont parle l’anecdote, de façon à comprendre le
processus logique par lequel il en est venu à construire rationnellement une
action aussi irrationnelle que le fait d’introduire une bombe dans un avion
afin d’exclure la présence d’une autre bombe.
Toute réalité particulière est modifiée par la vision que nous en avons
lorsque nous la percevons. Nos réactions diffèrent en fonction des différents
sens que l’on peut donner à une même réalité. L’histoire qui suit en est
l’illustration.

Par une chaude journée, dans une ville de l’Italie du sud, un homme et
son jeune fils, accompagnés de leur âne, décidèrent de rendre visite à des
membres de leur famille qui habitaient une ville lointaine. Le père montait
l’âne, tandis que le fils marchait à ses côtés. Un groupe de gens les regarda
passer. Le père les entendit dire : « Voyez comme ce père est cruel ! Lui
voyage à dos d’âne, tandis que son petit garçon doit marcher à pied. Et par
une si chaude journée ! »
Le père descendit de sa monture, fit monter son fils et ils continuèrent
leur équipée. Passant devant d’autres gens, le père les entendit dire :
« Voyez-vous ce père âgé qui marche à pied par une si chaude journée, alors
que son fils est confortablement assis ? Quel genre d’éducation est-ce là ? »
À ces mots, le père décide que le mieux serait qu’ils montent sur l’âne
tous les deux. Continuant leur route, ils passent encore devant d’autres
personnes. Cette fois, le père les entend dire : « Regardez, quelle cruauté !
Ces deux-là n’ont aucune pitié pour le pauvre animal qui doit porter un tel
fardeau par une si chaude journée ! »
Le père descend donc à nouveau et demande à son fils d’en faire autant.
Alors que tous trois continuent leur longue marche et passent devant un
autre groupe de personnes, ils les entendent dire : « Regardez ces deux
idiots : par une journée si chaude, ils vont à pied alors qu’ils pourraient
voyager à dos d’âne ! »

Bien entendu, cette histoire pourrait durer indéfiniment, mais ceci suffit
à démontrer à quel point les gens peuvent avoir une perception et une
opinion très différentes d’une même réalité, et à montrer la façon dont leur
réaction change en fonction de cette perception et de cette opinion.

Oscar Wilde écrivait qu’il n’y avait pas une seule vérité, une seule
réalité, mais autant de réalités qu’on peut en inventer. Nous devons ainsi
reconnaître qu’il n’y a pas de connaissance vraie des choses, mais
seulement une connaissance relative, ou en d’autres termes, une
connaissance fonctionnelle qui nous permet de gérer les réalités avec
lesquelles nous interagissons. Cette vision rejoint la perspective prônée par
l’épistémologie contemporaine. Celle-ci nous pousse à nous distancier des
thèses déterministes-positivistes, qui persistent à affirmer qu’il est possible
de posséder un savoir constitué de vérités scientifiques. Au lieu de cela,
nous choisissons d’étudier les modes d’action qui fonctionnent le mieux
face à une réalité dont nous ne sommes jamais véritablement certains
qu’elle soit vraie parce qu’elle est le produit de nos a priori, des outils qui
nous permettent d’acquérir nos connaissances, et de notre façon de
communiquer. C’est cette approche que l’on appelle le constructivisme.
Sachant qu’il est impossible d’atteindre une réalité définitive, le
constructivisme vise à parvenir à un savoir opérationnel le plus adapté : en
d’autres termes la capacité à gérer stratégiquement la réalité qui nous
entoure.

La connaissance que je viens de décrire n’est pas exclusivement un


phénomène moderne. Dans l’Antiquité, le philosophe Epictète le disait
déjà : « Nous ne nous préoccupons pas des choses telles qu’elles sont
véritablement, mais de l’opinion que nous en avons ». Kant, dans sa
Critique de la Raison Pure, faisait l’observation suivante : les êtres humains
prennent très souvent le résultat de leur façon de définir, de déduire ou de
classer des concepts pour la réalité de la chose. Le bouddhisme zen conçoit
aussi la dualité de la vérité en distinguant la vérité essentielle et la vérité des
erreurs. La vérité essentielle peut être atteinte seulement par l’illumination,
c’est-à-dire par la transcendance de la réalité concrète. L’essence réside
dans la transcendance qui n’est pas de ce bas monde ; la vérité essentielle
ne peut être atteinte au cours d’une vie humaine. Au contraire, la vérité des
erreurs est constituée de ces vérités partielles dont nous nous servons et que
nous construisons dans nos relations avec les choses de ce bas monde, à
mesure que nous nous efforçons d’améliorer notre capacité à les
comprendre et à les gérer. En tant qu’êtres humains, le mieux que nous
puissions faire est de rendre cette capacité à inventer une vérité des erreurs
aussi proche de la perfection que possible.

L’épistémologie constructiviste moderne, c’est-à-dire la philosophie


contemporaine de la science, jette un pont entre les formes de sagesse de
l’antiquité orientale et occidentale. Et pourtant, ce que nous savons, nous le
devons aux progrès accomplis dans les domaines expérimentaux des
sciences appliquées. C’est grâce aux « sciences exactes » que nous sommes
parvenus à la conclusion qu’il est impossible d’atteindre des certitudes
scientifiques absolues. Depuis qu’Einstein et Heisenberg ont révolutionné
les sciences physiques modernes en introduisant la relativité et le principe
de l’indétermination, la science moderne a orienté ses recherches vers le
savoir opérationnel en tant qu’instrument, et ne prétend plus rechercher des
vérités absolues. De même, depuis que Gödel a démoli la possibilité d’une
logique uniquement et rigoureusement rationnelle dans ses
Unentscheidbare Sätze (propositions inconcevables) la logique
mathématique tente de développer des modèles incluant contradiction,
illusion et paradoxe, dans des démarches rigoureuses et prévisionnelles
permettant de reproduire et de construire des opinions et des
comportements humains.

Ainsi que l’a observé Von Glaserfeld (1995), lorsque nous affrontons
des problèmes aujourd’hui, nous devons adapter nos connaissances, qui
portent sur des vérités partielles, en élaborant des stratégies basées sur des
objectifs qui changeront ; nous devrons ensuite ajuster ces stratégies pas à
pas, au fur et à mesure que la situation dans laquelle nous sommes évoluera.
Nous nous écartons donc des concepts positiviste et déterministe de la
connaissance qui partent du principe qu’il est possible de décrire la vérité,
pour nous rapprocher d’un concept constructiviste qui nous permet de nous
adapter de la façon la plus fonctionnelle possible à ce que nous percevons,
et d’élaborer un savoir et des connaissances opérationnelles qui nous
permettent de gérer la réalité de façon fonctionnelle.

Après ce long détour théorique, certes ennuyeux mais nécessaire pour


démontrer la rigueur scientifique de ce que nous affirmons, je voudrais
revenir sur l’exemple de l’homme qui emportait une bombe dans sa valise
pour laisser une possibilité réduite à des terroristes d’en poser une autre sur
l’avion. Cet exemple révèle un autre aspect fondamental de la formation et
de la résolution des problèmes humains : le fait que les pathologies sont
formées et entretenues par les actions dans lesquelles se lancent les
individus alors même qu’ils tentent de résoudre ces problèmes.

Chaque fois que des solutions tentées sans succès sont à nouveau
appliquées, non seulement elles ne résoudront pas le problème mais elle le
compliqueront, formant un cercle vicieux par l’effet duquel des actions qui
avaient pour but de changer la situation vont, au lieu de cela, perpétuer ce
qu’elles étaient destinées à changer.

Ce théorème a été formulé pour la première fois par les théoriciens de


l’école de Palo Alto (Watzlawick et al. 1974) et l’exemple suivant va nous
permettre d’en clarifier le sens. Des gens qui souffrent de troubles
phobiques essaient habituellement d’éviter toutes les situations qui
déclenchent leur peur. Cependant cette stratégie d’évitement augmente
habituellement leurs réactions phobiques. Chaque fois que le sujet évite
quelque chose, la qualité menaçante de la situation évitée est confirmée, ce
qui mène à de nouveaux évitements. À la fin, ce cercle vicieux tend à forcer
le sujet phobique à s’isoler, au point que son existence devient presque
totalement dominée par l’évitement. À ce stade, le sujet a littéralement
« construit » un trouble phobique généralisé.
De plus, une stratégie personnelle d’évitement chez le sujet est
généralement renforcée par les solutions tentées par d’autres, comme par
exemple lorsque des amis ou des membres de la famille proposent leur aide,
leur soutien. Le problème devient alors de plus en plus compliqué : l’aide
reçue renforce l’impression qu’a le sujet de ne pas être capable de gérer seul
cette situation (Nardone, 1993).
Lorsqu’elle se répète dans le temps, cette combinaison de solutions
tentées, personnelles et interpersonnelles, aboutit à une aggravation
considérable du trouble que de telles tentatives étaient censées réduire 1. De
nombreux lecteurs trouveront peut-être surprenant que les gens répètent des
attitudes et des comportements dysfonctionnels, non parce qu’ils sont
soumis à l’« instinct de mort » que décrivait Freud, ni parce qu’ils sont
victimes d’une « prédisposition génétique » qui les rend sujets à de tels
troubles, mais parce qu’ils continuent d’appliquer de façon rigide des
solutions qui auparavant avaient marché pour des problèmes du même type
dans leur propre vie. Simplement, une solution qui a pu être bonne à une
époque donnée et pour le même problème peut, à une autre époque, avoir
des effets dévastateurs. Un comportement qui fonctionne dans certaines
circonstances peut être complètement inadéquat dans des circonstances
similaires. Par conséquent, le problème se situe dans la mise en œuvre de
« solutions tentées » apparemment appropriées, et plus particulièrement
dans le fait de persister à les appliquer, même après qu’elles ont échoué.

Comme le montrent les études modernes en psychologie, qui portent sur


les processus cognitifs et l’attribution du sens, les êtres humains éprouvent
une certaine difficulté à changer de perspective et de comportement, même
lorsque leurs schémas habituels s’avèrent inadéquats. D’ailleurs on dit bien
que « l’homme cultive davantage la reconnaissance que la connaissance. »

Ceci me rappelle un récit métaphorique qui date de la Grèce antique.


Chaque matin une mule transportant du bois partait d’une ferme dans la
vallée pour se rendre à une hutte dans la montagne, suivant toujours le
même sentier forestier, quittant la ferme le matin, et revenant le soir. Mais
une nuit, pendant un orage, la foudre s’abattit sur un arbre et le coucha en
travers du sentier. Le lendemain matin, la mule suivait son chemin habituel,
lorsqu’elle aperçut l’arbre qui obstruait le passage : « Cet arbre ne devrait
pas être là, pensait la mule, il n’est pas à sa place. »
La mule continua donc d’avancer jusqu’à ce que sa tête cognat contre
l’arbre. « Je n’ai peut-être pas cogné assez fort », pensa la mule, et elle se
précipita sur l’arbre à nouveau. L’arbre ne bougeait toujours pas. La mule
insista, et le lecteur peut aisément deviner la fin tragique de cette histoire.
Cette métaphore offre une analogie convaincante avec la façon dont les
êtres humains agissent lorsqu’ils construisent leur propre pathologie.
Réfléchissons, dans le cas de la mule, au peu qu’il aurait fallu pour éviter de
construire le problème : il aurait suffi d’un peu plus de souplesse d’esprit.
Pour chacun de nous, la vie est une constellation d’événements
problématiques. Toute la différence tient au fait que chacun d’entre nous
aborde ces événements de façon différente. C’est notre perspective
personnelle qui nous fait nous engager dans des tentatives qui peuvent
aboutir à une non-solution, ou même à la complication du problème que ces
tentatives étaient censées résoudre. Les problèmes ne sont pas tant
construits en raison des erreurs de perception et des réactions qui
s’ensuivent que par la persistance rigide de notre projet personnel et des
actions qui en découlent. Ainsi que je l’ai déjà dit, les pathologies d’ordre
psychologique apparaissent généralement lorsqu’une personne utilise une
ou plusieurs solutions dysfonctionnelles. Souvent, la personne se rend
compte que ces solutions sont dysfonctionnelles, mais elle n’est pas capable
d’en changer. Ce système rigide de perception d’une réalité donnée et de
réaction par rapport à cette perception entretient le problème, le complique,
et fait souvent que la personne perd confiance dans la possibilité de
changement. Ainsi, « les solutions tentées » deviennent ici le problème.
En d’autres termes, l’erreur est humaine, mais c’est l’incapacité à
changer ses propres erreurs qui rend une situation malsaine. Comme je l’ai
déjà mentionné, notre difficulté à changer de stratégie tient au fait que les
stratégies que nous employons se fondent sur un constat de succès : cela a
déjà marché pour des problèmes semblables. Comme le disait Oscar Wilde,
« Ce sont les meilleures intentions qui produisent les pires effets ».

Ce postulat a été démontré à l’origine dans une série d’expériences bien


connues qu’a effectuées sur un grand nombre de patients le psychologue
Bavelais à l’université de Stanford, en Californie. L’auteur des expériences
disait aux sujets : « Je vais maintenant vous lire une liste de nombres deux
par deux ; dites-moi, s’il vous plaît, si ces nombres s’accordent entre eux. »

Invariablement, au début de l’expérience, les sujets demandaient à avoir


des informations plus détaillées sur la façon dont les nombres étaient censés
s’accorder entre eux. L’auteur de l’expérience expliquait alors que la tâche
du sujet était précisément de découvrir ce qui les liait. Les sujets étaient
donc encouragés à penser qu’il s’agissait d’une expérience typique de la
méthode empirique, dans laquelle il était permis de commencer par donner
des réponses fausses qui petit à petit deviendraient plus exactes, jusqu’à ce
que l’on découvre la bonne réponse.

Au départ, l’auteur de l’expérience déclarait que toutes les réponses


données par le sujet étaient fausses. Puis, sans aucune relation avec la
réponse, l’auteur de l’expérience commençait à déclarer justes certaines
d’entre elles. Il augmentait ensuite progressivement, de façon tout aussi
aléatoire, le taux de réponse « justes » sans véritablement fournir
d’explications. Ainsi, l’expérience se poursuivait de telle sorte que l’aide
fournie au sujet lui donnait l’impression que ces réponses étaient de plus en
plus justes.
Le psychologue interrompait alors l’expérience, demandait aux sujets
d’expliquer leur cheminement, et comment ils avaient façonné, dans leur
esprit, les schémas logiques auxquels ils s’étaient conformés tout au long de
l’expérience. Les explications données par les sujets étaient habituellement
très compliquées et parfois même complètement absconses.

À ce stade, le psychologue leur révélait la supercherie, et expliquait


qu’il n’existait aucun lien logique dans le fait que certaines réponses aient
été déclarées justes et d’autres fausses, sinon un schéma prédéfini. Il n’y
avait aucune connexion réelle entre les questions et les réponses. Il n’y avait
aucune relation mathématique, logique, ni figurative de quelque sorte que
ce soit entre elles. La définition d’une réponse juste ou fausse avait été
donnée indépendamment des réponses elles-mêmes.
Mais ce qui est très significatif quant au sujet de cet essai, c’est qu’à ce
stade, dans leur grande majorité, les sujets refusaient de croire ce que le
psychologue leur disait, et montraient d’énormes difficultés à abandonner la
vision qu’ils avaient construite mentalement. Certains sujets allaient même
jusqu’à tenter de convaincre l’auteur de l’expérience qu’il y avait
effectivement certaines connexions logiques qu’il n’avait pas vues.

Cette expérience, de même que de nombreuses autres du même type,


démontre à quel point les individus éprouvent des difficultés à changer leurs
convictions lorsque celles-ci ont été vécues comme efficaces par le passé, et
comment ils tiennent absolument à appliquer à certaines situations des
stratégies de solutions dysfonctionnelles, même lorsqu’ils ont la preuve
concrète que ces solutions ne marchent pas. Elle montre aussi comment le
problème est entretenu par les actions inopérantes au moyen desquelles
nous essayons de le résoudre.

Construction des réalités thérapeutiques


« Le fait d’établir un lien entre quelque chose d’inconnu et quelque
chose de connu soulage, apaise, satisfait, et donne également un
certain sentiment de puissance. L’inconnu comporte également une
part de danger, il dérange et suscite une certaine appréhension.
L’instinct premier sera de supprimer des situations aussi déplaisantes.
Principe Numéro un : une explication, quelle qu’elle soit, vaut mieux
que pas d’explication du tout. Puisque au fond, tout se résume au désir
de se libérer des pensées oppressantes, ne pas se poser trop de
questions sur les moyens d’y parvenir. La première pensée par laquelle
nous expliquons l’inconnu comme étant quelque chose de connu nous
fait tellement de bien que nous y accordons foi. L’instinct de causalité,
qui nous pousse à trouver des causes, est par conséquent déterminé et
suscité par des peurs. »
Friedrich Nietzsche, La Philosophie à coups de marteau

Il devrait apparaître clairement, d’après nos arguments présentés plus


haut, que du point de vue du changement, il n’importe guère de savoir
comment le problème a pu surgir par le passé, mais plutôt de connaître ce
qui l’entretient dans le présent. Pour modifier une situation, nous devons
l’empêcher de perdurer, car nous n’avons aucun pouvoir sur un processus
de construction qui s’est produit dans le passé.

Cette considération qui semble évidente, contredit la plupart des


modèles de thérapies utilisés en psychologie et en psychiatrie. Ces modèles
sont basés sur une épistémologie déterministe ou réductionniste, et se
préoccupent de la reconstruction des causes passées des problèmes présents,
à partir du postulat sous-jacent selon lequel une fois que les causes passées
sont devenues conscientes, le problème disparaîtra.

En réalité il n’y a aucun lien de causalité linéaire entre la façon dont le


problème a surgi et la façon dont il persiste, pas plus qu’il n’y a de lien
logique entre la façon dont le problème a surgi et la façon dont on peut le
modifier et le résoudre. Ce que nous observons ici, c’est une « causalité
circulaire » entre la façon dont un problème persiste et les moyens par
lesquels les gens essaient de résoudre leur problème et n’y arrivent pas. Si
nous souhaitons effectuer un changement, il est donc important de se
concentrer sur les solutions dysfonctionnelles qui sont en train d’être
tentées. Si nous bloquons ou modifions les solutions dysfonctionnelles
récurrentes, nous interrompons le cercle vicieux qui entretient la persistance
du problème, et nous ouvrons ainsi la voie à un changement véritable et
inédit. Dès lors, le changement devient inévitable : la rupture d’un équilibre
mène nécessairement à l’établissement d’un nouvel équilibre, qui s’appuie
sur de nouvelles perceptions de la réalité.

Ce processus de changement est parfaitement illustré par un autre


exemple emprunté à la psychologie expérimentale (Orstein, 1987). Le
lecteur pourra facilement effectuer cette expérience sur lui-même.
Placez trois seaux face à vous, remplissez-en un d’eau très chaude, un
autre d’eau très très froide, et un troisième d’eau tiède. Mettez maintenant
votre main droite dans l’eau chaude et votre main gauche dans l’eau froide.
Au bout de quelques minutes, mettez les deux mains dans l’eau tiède. Vous
aurez un véritable choc en effectuant cette expérience. Sur votre main droite
l’eau semblera très froide et sur la gauche elle semblera très chaude. C’est
le même cerveau qui perçoit, mais « la main droite ignore ce que fait la
main gauche. » Ce qui nous intéresse ici, c’est que si vous vous fiez à la
perception de la main droite vous voudrez ajouter de l’eau très chaude, mais
si vous considérez ce que perçoit la main gauche vous voudrez ajouter de
l’eau froide.

Cette expérience démontre que nous construisons notre comportement


d’après notre perception, et que ce que nous percevons est fondé sur ce que
nous avons vécu auparavant. Une intervention visant à changer une
situation doit induire un vécu différent dans la perception de la réalité pour
que celle-ci change. Car ceci ouvre la voie à différentes réactions à la fois
au niveau émotionnel et au niveau comportemental.
Mais ce processus ne produit pas seulement un changement de
comportement, ainsi que l’affirment certains de nos détracteurs, ni
simplement un changement de niveau émotionnel. Des expériences
pratiques qui changent la perception qu’a une personne de la réalité
produisent un changement à la fois au niveau émotionnel, cognitif, et
comportemental.
Dans le domaine clinique, ceci amène à une formulation de la thérapie
tout à fait différente en théorie et en application des formulations
traditionnelles. De notre point de vue, les troubles mentaux sont le produit
d’un dysfonctionnement du mode de perception de la réalité et de réaction
par rapport à elle. Ce sont des attitudes et des actions récurrentes du sujet
qui ont construit cette réalité. Comme nous l’avons montré, un changement
des perceptions du sujet conduira à un changement de ses réactions.

Le concept de résolution stratégique d’un problème, qui était à la base


des thérapies brèves, est dicté par cette logique apparemment simple. Dans
la pratique clinique, cela se traduit par l’utilisation fréquente de
stratagèmes, de subterfuges influençant le comportement, de mensonges
bénéfiques et de formes de suggestion que l’on affine pour qu’elles guident
l’expérience du sujet et induisent chez lui une autre perception de la réalité.
Ces nouvelles expériences perceptuelles réparatrices seront un facteur de
changement corrigeant les tendances émotionnelles, cognitives et
comportementales dysfonctionnelles du sujet.

La thérapie stratégique est une intervention thérapeutique brève et


ciblée qui vise à faire disparaître les troubles du patient. Ce n’est pas une
thérapie superficielle des symptômes mais une intervention radicale qui a
pour but de reconstruire les différentes façons dont chacun de nous façonne
les réalités avec lesquelles il pourra interagir ensuite. Le concept clinique de
base est qu’une situation problématique est entretenue par un système
circulaire et rétroactif qui s’est établi entre le sujet et la réalité. La
résolution du trouble nécessite le démantèlement du système. Cette
première phase est suivie d’une redéfinition, et donc d’une modification
conséquente des représentations de la réalité qui ont forcé la personne à
réagir de façon dysfonctionnelle.
La thérapie stratégique est menée de façon très différente d’une
psychothérapie longue. Par exemple, au lieu d’endoctriner le patient pour
qu’il adopte la théorie et le langage du thérapeute, celui-ci essaie de
s’imprégner de la logique propre du patient et utilise le langage et les modes
de représentation caractéristiques de la logique du sujet afin d’affaiblir toute
résistance au changement.
Le fait que l’on s’appuie sur des informations concernant le passé, ou
sur la soi-disant histoire clinique du sujet, n’a qu’une importance annexe :
ce sera un moyen utilisé à la seule fin de préparer les stratégies de
résolution des problèmes les plus opérantes, et non une procédure
thérapeutique comme c’est le cas dans les formes de psychothérapie
classique. Le thérapeute se concentre sur deux points :

A) les moyens par lesquels la personne, sa famille et ses amis ont essayé
de résoudre le problème sans succès (nous appelons cela les solutions
tentées qui entretiennent le problème) ;

B) la façon de changer la situation problématique aussi vite, aussi


durablement et aussi efficacement que possible (ce sont les stratégies, ou
stratagèmes, qui peuvent produire d’autres expériences de perception-
réaction).

Après nous être mis d’accord avec le patient sur les objectifs de la
thérapie, nous construisons des stratégies thérapeutiques visant à rompre la
persistance des problèmes.
La première phase du traitement a un rôle extrêmement important : elle
doit ouvrir de nouvelles perspectives au patient. Ces perspectives sont
rapidement renforcées par des prescriptions pratiques. Nous utilisons des
formes de suggestion qui nous permettent de passer outre la résistance du
patient au changement et de lui communiquer les prescriptions qui vont
l’amener à faire l’expérience concrète de ce changement.
Si l’intervention marche, le patient s’améliore généralement très vite.
Dans la plupart des cas il y a des améliorations significatives dès les trois
ou quatre premières séances. Cette amélioration rapide amène
progressivement un changement dans la perception qu’a le patient de lui-
même, d’autrui, et du monde environnant. En d’autres termes, la
perspective du patient sur la réalité évolue ; d’une position rigide
pathogène, il passe à plus de souplesse dans ses perceptions et ses actions.
Ce changement s’accompagne d’une augmentation progressive de
l’indépendance et de l’estime que le sujet a de lui même, grâce au
renouveau de confiance en lui qu’il connaît alors.
Il semble dès lors absurde de soutenir l’idée, fort répandue, que lorsque
des problèmes persistent depuis longtemps, il faudra un traitement aussi
long et aussi pénible, sur le plan thérapeutique, pour que ces problèmes
soient résolus. Comme le lecteur aura l’occasion de le constater dans les
chapitres suivants, dans bien des cas une stratégie bien adaptée et bien
appliquée pourra résoudre des problèmes et des troubles qui persistent
depuis des années, et ce, de façon très brève, parfois même après une seule
séance.
Bien entendu, certains cas nécessitent une thérapie plus longue que
d’autres. Mais nous sommes convaincus que si une thérapie est efficace, les
changements doivent apparaître rapidement. Si cela n’est pas le cas, cela
veut dire que la stratégie thérapeutique qui est utilisée n’aura probablement
pas d’effet, et doit en conséquence être rapidement remplacée par une
stratégie plus opérante.

Le thérapeute doit être très souple et avoir en tête une palette de


techniques d’intervention très large pour pouvoir bifurquer et recentrer la
thérapie, chaque fois que les éléments dont il dispose montrent qu’elle
s’écarte de la voie qu’il s’est tracée. Des stratégies plus adaptées doivent
alors être étudiées ; il faut être créatif, prêt à modifier selon les besoins des
techniques éprouvées, même si celles-ci ont été un succès par le passé. Car
si le cas est inhabituel, le thérapeute devra peut-être inventer de nouvelles
stratégies originales pour résoudre le problème.

Le premier modèle de thérapie stratégique brève fut formulé par un


groupe de chercheurs bien connus du Mental Research Institute de Palo
Alto (Watzlawick et al., 1974 ; Weakland et al., 1974). Ils avaient produit
une synthèse des résultats de leurs recherches, en matière de
communication et de thérapie familiale, à laquelle ils avaient ajouté les
contributions techniques de Milton Erickson en matière de thérapie sous
hypnose. Le résultat en fut un modèle systématique de thérapie brève qui
pouvait être appliqué à une grande variété de troubles, avec des résultats
surprenants.
Cependant, l’utilisation de la tradition pragmatique et de la philosophie
des stratagèmes comme clé de la résolution de problèmes remonte à des
temps bien plus anciens. Des stratégies qui semblent toujours d’actualité
peuvent être retrouvées par exemple dans l’art de la persuasion des
Sophistes, dans les pratiques anciennes du Bouddhisme zen, et dans le livre
chinois des trente-six stratagèmes.

Depuis les années mille neuf cent soixante-dix, la thérapie brève s’est
répandue presque aussi vite qu’une épidémie, en dépit de quelques
résistances de la part d’auteurs attachés aux théories et à la pratique clinique
traditionnelles. De nombreux chercheurs et thérapeutes ont fait connaître
cette approche des problèmes humains et de leurs solutions sur la scène
internationale (Watzlawick-Weakland-Fisch, 1974 ; Weakland et al. 1974 ;
De Shazer, 1982a, 1982b, 1984, 1985, 1988a, 1988b ; Madanes, 1990,
1995 ; Nardone, 1991, 1993, 1995 ; Omer, 1992, 1994 ; Cade-O’Hanlon,
1993 ; Bloom, 1995 ; Watzlawick-Nardone, 1997).
Et de plus, la demande croissante d’un public de mieux en mieux
informé en matière d’interventions cliniques réelles et efficaces a nécessité
de la part des psychothérapeutes professionnels, même les plus
traditionnels, une formation complémentaire en thérapie stratégique brève.
Pour pouvoir être compétitifs ils ont besoin d’apprendre des techniques qui
leur permettent de résoudre les problèmes de leurs patients en un temps
assez court.
En dépit de l’extravagance apparente de certaines interventions
thérapeutiques, le palmarès de la thérapie stratégique brève est éloquent : il
montre que cette forme de psychothérapie garantit les meilleurs résultats et
les risques les plus faibles (Watzlawick et al., 1974 ; Haley, 1975 ; De
Shazer, 1985, 1988, 1990 ; Nardone et Watzlawick, 1990 ; Nardone, 1991,
1993 ; Cade et O’Hanlon, 1993 ; Watzlawick et Nardone, 1997).

Il y a une grande différence entre la résolution d’un problème en deux à


trois mois et la résolution du même problème en deux à trois ans, voire cinq
à sept ans comme c’est le cas en psychanalyse. Ceux qui bénéficient du
premier type de traitement ont l’avantage de vivre une plus grande partie de
leur existence sans souffrir de leurs troubles. Au-delà des querelles de
paroisse et des arguties universitaires qui opposent les diverses orthodoxies
issues de la psychothérapie, je crois que c’est la seule chose qui importe.

En 1974, le groupe du M.R.I. a travaillé sur un échantillon de 92


patients qui présentaient diverses formes de troubles mentaux et
comportementaux. Deux tiers des patients ont vu le problème qu’ils
présentaient résolu en sept séances en moyenne. En 1988, Steve de Shazer
et ses collègues ont montré que, sur plus de 500 patients, environ 75 %
étaient sortis de leurs problèmes en une moyenne de 5 séances.

En 1990, Paul Watzlawick et moi-même avons présenté une étude sur


l’efficacité d’un nouveau modèle de thérapie brève appliquée à plus de 100
sujets. Des résultats positifs ont été obtenus chez 84 % des sujets en dix
séances en moyenne.
En 1993, j’ai présenté les résultats d’un modèle de traitement spécifique
des troubles phobiques et obsessionnels généralisés. Sur 152 cas traités,
87 % ont été résolus en 11 séances en moyenne.

Enfin, en 1997, un récapitulatif des contributions les plus avancées à la


thérapie stratégique (Watzlawick-Nardone ed. 1997) présentait des résultats
encore plus significatifs et encourageants, mesurés cette fois sur des milliers
de cas traités par divers auteurs dans différents pays. Cette synthèse a
également mis l’accent sur la façon dont cette approche peut s’appliquer à
la plupart des troubles psychologiques et psychiatriques.

En mettant de côté toute fausse modestie, nous pouvons affirmer


qu’aujourd’hui la thérapie stratégique brève a fait ses preuves. Elle s’est
clairement avérée être le modèle qui affiche les résultats les plus tangibles
et les plus efficaces parmi les cinq cents modèles thérapeutiques, et même
davantage, qui existent actuellement sur le marché.

Comme le lecteur l’aura sans doute déjà compris, l’approche stratégique


n’est pas seulement un modèle thérapeutique, mais elle est également une
école de pensée qui s’attache à la façon dont les êtres humains construisent
leur rapport à la réalité, ou bien la façon dont chacun de nous construit sa
relation à lui-même, à autrui, et au monde, et la façon dont, par ce
processus, nous « construisons » la réalité dans laquelle nous vivons.
Notre approche est également actuellement appliquée avec succès à des
contextes non cliniques, comme par exemple la gestion et l’organisation, où
l’on porte énormément d’attention à l’efficacité des interventions. Tout ce
qui a été écrit en matière de gestion au cours des dernières décennies est
constitué de contributions adoptant le point de vue stratégique.
Un aspect moins connu est l’application de ce modèle à la logique de
l’individu qui « se raconte des histoires », à savoir comment ce modèle va
permettre au sujet, de façon autonome, de réutiliser des illusions
dysfonctionnelles pour les transformer en illusions fonctionnelles. Cet
aspect, qui est un sujet très important, et d’autres stratégies qui lui sont
liées, seront discutés en détail dans le dernier chapitre de ce livre.
En conclusion, j’aimerais illustrer le contenu de ce chapitre et présenter
au lecteur le chapitre suivant en me servant d’un récit métaphorique qui
manifeste la rigueur, ainsi que la magie d’une bonne intervention
stratégique.

À sa mort Ali Baba possédait 39 chameaux. Son testament prévoyait


que son héritage serait divisé de la façon suivante : le fils aîné devait
recevoir la moitié de l’héritage, le cadet le quart, le troisième un huitième,
et le fils le plus jeune un dixième de tous les chameaux. Les quatre frères ne
savaient que faire de ces directives. Tandis qu’ils se disputaient sur les
conditions de l’héritage, il se trouva qu’un sage errant passait par là. Attiré
par la discussion, il leur proposa une solution presque magique qui régla
leur problème. Il ajouta son propre chameau aux 39 autres, et commença à
diviser les chameaux, devant les frères médusés. Au fils aîné il assigna
vingt chameaux, au deuxième frère dix, au troisième cinq et au plus jeune
quatre chameaux puis il remonta sur le chameau qui restait, considérant que
c’était le sien, et poursuivit sa route (Eigen, 1990, p. 140).

La magie de ce type d’intervention n’est qu’apparente, puisqu’elle


résulte de l’application du principe de persistance et de résolution à des
problèmes tout à fait rigoureux. L’application de ces principes requiert
certaines qualités, adaptation aux circonstances et créativité, afin de pouvoir
rompre ces « charmes » que sont les problèmes compliqués que s’auto-
infligent les êtres humains (Nardone, 1993, p. 25).

1. Les recherches effectuées par l’auteur et ses collaborateurs, menées à partir d’un échantillon
de milliers de sujets affectés de formes sévères de troubles phobiques, ont démontré de façon
concrète par quels processus des pathologies graves surgissent du fait de réactions
disproportionnées à des phénomènes au départ anodins. Ce dysfonctionnement est celui des
réactions qui visent à contrôler la peur et ne font que l’accroître en provoquant son exacerbation
pathogène.
CHAPITRE II

L’intervention clinique

Récits de thérapies apparemment


magiques

« Ce qui distingue les esprits véritablement originaux, ce n’est pas


qu’ils sont les premiers à percevoir quelque chose de nouveau, mais
qu’ils perçoivent des choses qui sont anciennes, que l’on connaît
depuis toujours mais que l’on a toujours négligées et qui semblent
nouvelles. »
Friedrich Nietszche,
La Philosophie à coups de marteau

Dans ce chapitre nous allons relater un certain nombre de cas cliniques


exemplaires, qui recouvrent les catégories de pathologies mentales et
comportementales les plus importantes. Ces cas cliniques ont été pris dans
un ensemble de plus de 3 000 cas traités au cours des dix dernières années
par mes collègues du Centro di Terapia Strategica d’Arezzo, en Italie, et
moi-même.
Certains d’entre eux contiennent des exemples de stratégie qui ont par
la suite été formalisés pour devenir des protocoles de traitement spécifique
à certains troubles importants (Nardone-Watzlawick, 1990 ; Nardone 1993 ;
Watzlawick-Nardone, 1997). Il y a également quelques exemples
d’interventions élaborées spécifiquement pour des cas uniques, qui de ce
fait ne doivent être considérés que comme des exemples de créativité.

J’ai choisi d’utiliser la forme narrative plutôt que de reprendre des


transcriptions complètes de séances enregistrées sur cassette vidéo comme
je l’ai déjà fait dans mes livres précédents, à l’attention d’un public plus
averti (Nardone, 1991, 1993). Mon but a été de rendre la lecture agréable et
accessible à un plus grand public, qui soit constitué non seulement de
professionnels exerçant la même activité que nous, mais également pour
quiconque s’intéresse à l’apprentissage de l’art de résoudre les problèmes
compliqués au moyen de solutions apparemment simples.

Psychoses, ou présumées psychoses

O
CAS N 1. LES VOISINS VEULENT ME VOIR
TOUT NU

Ceci relate le cas d’un homme qui n’avait aucune intention


d’entreprendre une thérapie. Il fallait donc l’y amener en se servant d’une
astuce bénéfique. Nous avons demandé aux membres de sa famille de lui
dire que nous avions besoin de lui pour aider sa fille, qui souffrait de
dépression. Ce stratagème (inviter un patient réticent à consulter un
thérapeute, non pas pour lui-même, mais pour un proche « malade ») est
une excellente méthode pour commencer une thérapie indirecte.
Cet homme avait une forme étrange de ce que l’on appelle une paranoïa
accompagnée d’un complexe de persécution. Il était convaincu que ses
voisins l’observaient secrètement au moyen de caméras vidéo à travers le
plafond lorsqu’il se déshabillait avant de se coucher. Je dois signaler que cet
homme n’avait rien d’un « super modèle » : c’était quelqu’un d’apparence
tout à fait ordinaire, qui avait la soixantaine passée. En tout cas, il avait
l’idée que les gens le regardaient se déshabiller.

Lors de sa première visite, nous avons parlé de sa fille. Puis, à un


moment donné, il m’a demandé : « J’en profite, tant que j’y suis, on m’a dit
que vous étiez un expert en stratégie. Il se trouve que j’ai un problème avec
mes voisins. Ils m’espionnent avec des caméras vidéo. C’est comme à la
guerre. Puisque vous êtes un si grand stratège, il va falloir que vous
m’indiquiez quelques stratégies »
Je manifestai un grand intérêt pour ce problème. Sans le contredire ni
exprimer quelque doute que ce soit quant à ce qu’il disait, je lui demandai
ce qu’il avait fait pour contrer cette agression de la part des voisins. C’est
alors qu’il décrivit les solutions tentées qui avaient été les siennes. Au
départ, il avait déménagé chaque fois que le problème apparaissait ; cela
s’était produit trois fois. Et pour ne prendre aucun risque, il avait fini par
emménager dans un endroit où l’appartement du dessus était inoccupé. Et
là, les choses semblaient nettement s’être améliorées. Mais le destin voulut
que quelque chose de totalement imprévisible se produisit. Non seulement
quelqu’un emménagea dans l’appartement du dessus, mais, je vous le donne
en mille, que faisait ce voisin ? Il avait un magasin d’optique et vendait des
caméras vidéo. La paranoïa de cet homme reprit de plus belle, et il décida
d’agir à sa façon : « Toi, tu m’espionnes, mais moi, je vais te tourmenter ».

Ainsi donc, l’homme commença à tourmenter ses nouveaux voisins et à


les menacer en les harcelant de coups de téléphone nocturnes. Les voisins
appelèrent la police. Intimidé par les forces de l’ordre, il fut contraint de
modérer ses attaques vis-à-vis des voisins, mais il imagina une autre
solution « lumineuse ». Il avait tendu un épais tissu noir au-dessus de son
lit. Ainsi qu’il me l’indiqua :
« Au départ, j’ai cru avoir trouvé une solution permanente. Je me
glissais sous les draps, je me déshabillais dans mon lit, et je me débarrassais
de mes vêtements en les jetant par dessus le lit. Le matin, je m’habillais
sous le tissu tendu, de sorte que personne ne pouvait me voir. »
Mais un jour, alors qu’il regardait la télévision pendant la guerre du
Golfe, l’homme découvrit l’existence de caméras vidéo capables
d’espionner à travers les murs. Ces fixations revinrent, et il reprit sa bataille
contre les voisins.
Après avoir soigneusement écouté son histoire, je lui demandai :
« Mais avez-vous envisagé le fait qu’il existe une méthode pour
empêcher les caméras vidéo des avions de détecter et d’enregistrer des
images ? Cette méthode a également été utilisée pendant la guerre. »
« Je n’en n’ai pas entendu parler. Dites-moi de quoi il s’agit. »
« À votre avis, que peut-on utiliser pour aveugler quelqu’un ? »
« Un flash, une source de lumière, un projecteur très puissant. »
« Parfait ! Si nous envoyons un rayon de lumière très puissant, les
caméras vidéo ne pourront pas nous voir ! Alors essayez pendant les deux
semaines à venir, à titre d’expérience, achetez quelques spots et installez-les
près de votre lit. Allumez-les chaque soir avant d’aller au lit, ainsi vous
aveuglerez les caméras vidéo. »

Lors de la séance suivante l’homme me rapporta que, voulant s’assurer


que la stratégie était efficace, il avait acheté des spots de 300 watts chacun
et les avait installés sur le plancher à côté du lit :
« La première nuit, je les ai laissés allumés tout le temps, toute la nuit.
Et alors là on les a vraiment dégommés. Ratatinés. Ils ont arrêté de me
regarder ! La deuxième nuit, j’ai décidé de tester la durée d’efficacité de
notre stratégie, alors j’ai allumé les spots une heure seulement. Puis je les ai
éteints et j’ai continué de monter la garde pour voir si les voisins essayaient
de me jouer un tour, mais ils n’ont pas osé ! Après, je les ai simplement
laissé allumés une heure chaque soir avant de me mettre au lit.
Il ajouta :
« Peut-être qu’on a gagné ! »
« Non, » répondis-je, « Vous ne devez pas leur faire confiance, l’ennemi
a toujours plus d’un tour dans son sac. Alors pendant les deux semaines à
venir, balancez-leur une heure d’éclairs violents avant de vous mettre au lit,
même s’ils n’allument pas leurs caméras vidéo. À titre préventif, comme ça
ils pourront mesurer l’étendue de votre puissance de feu. »

L’homme suivit mes instructions. Lors de la séance suivante, deux


semaines plus tard, il me dit :
« Au bout de quelques jours, j’ai remarqué qu’ils avaient cessé
d’allumer leurs caméras. Je suis certain qu’ils les ont complètement retirées,
donc j’ai cessé de leur envoyer des flashes. »
« Mais, insistai-je, il vous faut quand même faire attention. Ils
pourraient réinstaller les caméras lorsque vous ne vous y attendez pas. Je
recommande que vous continuiez de les aveugler jusqu’à ce que nous nous
revoyions dans quelques semaines. »

Quelques semaines après il revint, et me fit le bilan suivant :


« Nous avons gagné, cette fois c’est sûr. Les caméras ne sont plus là ; ils
ont arrêté de m’espionner. »
Puis il ajouta d’un ton beaucoup moins assuré :
« Peut-être que c’est moi qui ai inventé tout ça ? »
Je le regardai et je répondis :
« Pensez-vous que nous aurions fait tout cela si cela n’avait pas été
vrai ? Mais je vous en prie, il ne faut surtout pas abandonner maintenant ! »
Lorsqu’il revint un mois plus tard il me déclara :
« Vous savez, je crois que c’est moi qui me faisais des idées, et que
vous, avec vos stratégies vous m’avez aidé à m’en rendre compte. »
Cet exemple clinique montre que même des troubles aussi graves que
celui-ci peuvent être traités dans un laps de temps très court, et parfois
indirectement, sans même songer un seul instant à l’éventualité d’une
thérapie traditionnelle. Dans ce cas, la personne ne savait même pas qu’elle
faisait l’objet d’une intervention thérapeutique. Cet homme était venu me
voir pour parler d’un problème, presque d’une « guerre » entre lui et les
gens qui de son point de vue le persécutaient, alors qu’en fait c’était lui qui
persécutait les autres. Pour affaiblir sa résistance et l’amener à changer la
perception qu’il avait de la réalité, nous avons utilisé sa propre logique et
son mode de représentation de la réalité, et l’avons amené, par une série
d’expériences émotionnelles « réparatrices » destinées à corriger tout cela, à
commencer à douter de ses convictions qui, auparavant, étaient
inébranlables. Pour finir, cet homme avait découvert sans aucune suggestion
directe de ma part dans quel genre de piège mental il était tombé une fois
qu’il en était sorti. Tout en respectant sa logique, notre intervention avait
donc abouti à une saturation paradoxale et à une rupture de cette même
logique.

O
CAS N 2. J’AI UN SERPENT DANS L’ESTOMAC

Un homme jeune m’avait été amené, en proie à une terrible crise


d’angoisse. Sa famille me dit qu’il était sous traitement neuroleptique et en
analyse auprès d’un psychanalyste depuis de nombreuses années. Quelques
jours auparavant le jeune homme avait acquis la conviction qu’il y avait un
serpent dans son estomac. Il avait cessé de manger et se mettait à se rouler
par terre chaque fois qu’il « ressentait » quelque chose dans son estomac,
s’évanouissant souvent pendant la journée, et se comportant comme si le
serpent l’avait mordu. Il demandait à ses parents de l’emmener voir un
chirurgien qui pourrait ouvrir son estomac et tuer le serpent.
Après avoir parlé aux parents, j’invitai le jeune homme à pénétrer dans
mon cabinet et commençai la séance en lui posant quelques questions.
Comme d’habitude j’évitai toute dénégation ou toute contradiction d’une
seule de ses déclarations. Au contraire, je lui demandai de m’expliquer
comment le serpent avait pu pénétrer en lui, comment il pouvait le ressentir
et comment il avait essayé de le faire sortir.

Se sentant compris, le jeune homme se mit à décrire tout en détail. Il me


raconta que le serpent s’était glissé dans ses entrailles un soir qu’il dormait
la bouche ouverte.
Gardant cela à l’esprit, je répliquai :
« Ah, bon, alors nous savons comment l’en faire sortir. »
Il semblait choqué, mais pas aussi choqué que ses parents qui pensaient
que j’étais aussi fou que lui.
Je continuai :
« Lorsque vous irez vous coucher ce soir, vous devez absolument,
impérativement, garder la bouche ouverte toute la nuit. Faites bien attention
de ne pas fermer votre bouche une seule seconde. Donc dormez sur le
ventre, le menton sur le lit et la tête bien droite. Cette position permettra
facilement au serpent de sortir de votre estomac. Il est capital que vous
restiez absolument immobile et que vous gardiez la bouche grande ouverte
toute la nuit, sinon le serpent aura trop peur pour sortir, et il ira se nicher
encore plus profondément dans votre ventre. Et souvenez-vous, vous devez
rester totalement détendu, sinon le serpent pensera que c’est un piège.
Donnez-moi un coup de téléphone demain matin et dites-moi comment cela
s’est passé. »
Sur ce, je pris congé de toute la famille. Les parents me regardèrent
d’une étrange façon, mais le fils quitta le cabinet avec l’expression soulagée
de quelqu’un qui avait enfin trouvé la solution à son problème.
Le lendemain, il m’appela pour me dire que le serpent était parti au
cours de la nuit, mais que, malheureusement, il ne pouvait pas me dire
exactement à quelle heure. Lorsque je le revis, quelques jours après, il me
déclara qu’il avait trouvé cela extrêmement fatigant de rester dans la même
position, la bouche ouverte toute la nuit, mais qu’à un moment donné il
avait eu le sentiment étrange que le serpent était parti.

Depuis, au fil des ans, le jeune homme est revenu plusieurs fois me voir.
Il travaille actuellement dans l’entreprise familiale, à une petite amie et vit
une vie tout à fait sereine ; de temps à autre, il a d’autres crises semblables à
celle du serpent. C’est alors qu’il revient me voir, et moi, jouant le rôle
d’une sorte de « shaman technique », je lui prescris à chaque fois un rituel
de libération. Ces rituels utilisent toujours la même logique que le trouble
décrit, mais lui impriment une dynamique inverse, de façon à utiliser la
force de la persistance et de la mettre au service du changement, et donc
amener le trouble à s’autodétruire. Dans l’art chinois des stratagèmes,
connu depuis l’antiquité chinoise, ceci s’appelle « amener l’ennemi jusque
dans le grenier puis retirer l’échelle. »

O
CAS N 3. DÉLIRES ET CONTRE-DÉLIRES

Une famille dont un des membres était un sujet qui avait été
diagnostiqué comme « schizophrène » nous avait été envoyée. Le sujet, un
homme qui avait entre 20 et 25 ans, était dans un état presque constant de
« délire de surexcitation joyeuse », parlant constamment de toutes sortes de
choses sans aucun lien logique et qui n’avaient aucun sens, et riant pour lui-
même, tout seul.

On fit entrer la famille entière dans mon bureau où Gianfranco Cecchin 1


et moi-même les attendions. Le jeune homme se tourna vers mon collègue
et nous fit le récit suivant :
« Vous pensez qu’il y a mille deux cent trente deux centrales nucléaires,
comme les poils de votre barbe, mais vous avez tort parce qu’il y en a
douze cent trente trois. J’étais un agent du KGB vous savez, je me suis
échappé de Russie par un tunnel creusé sous le rideau de fer. Puis je suis
allé travailler pour la CIA. Et ensuite j’ai abouti sur l’Atlantide mais on m’a
chassé de là-bas parce que je fumais. »
C’est alors que j’intervins au moyen d’un « contre-délire » :
« C’est vrai, ça ! Ils sont vraiment stricts en Atlantide ; et ils ont fait la
même chose pour moi parce que j’avais une mauvaise haleine. Vous savez
j’étais un requin, et puis j’allais à la dérive, je me laissais aller tout le long
du Mozambique, en mangeant les cadavres que les pirates jetaient depuis
leur bateau ; et ces cadavres-là sentaient vraiment mauvais. »
Le soi-disant « schizophrène » me regarda d’un air interrogateur, et se
tourna vers ses parents :
« Eh, où est-ce que vous m’avez amené ? J’ai besoin d’un docteur à qui
parler et à qui raconter mes problèmes. Ce type-là raconte des trucs
étranges. Et à mon avis il ne peut pas comprendre que je suis en rogne
contre mon beau-frère qui a pris ma place dans la famille. »

Voyant que le jeune homme était redescendu sur terre, mon collègue
poursuivit l’entretien avec la famille. Il apparut que le trouble du patient
était clairement lié à l’arrivée du mari de sa sœur au sein de la famille. Le
beau-frère, une personne équilibrée et qui avait fait des études supérieures,
était alors devenu la référence pour cette famille d’origine humble avec un
fils qui était mentalement instable.

À plusieurs reprises durant la séance, chaque fois que Gianfranco


Cecchin touchait un problème sensible, le jeune homme tentait de fuir et se
mettait à délirer. Et chaque fois que cela se produisait, je réagissais à ses
explications bizarres avec des contre-propositions qui étaient encore plus
bizarres mais qui restaient dans la logique de son propre délire, de sorte
qu’elles avaient pour effet de le ramener à la réalité. « Étouffer le feu en
rajoutant davantage de bois » est un des trente-six stratagèmes de
l’Antiquité chinoise.

À la fin de la séance, mon célèbre collègue (qui est un expert en


thérapie familiale) et moi-même imaginâmes un rituel familial. Lors de la
séance suivante, nous demandâmes à la famille d’exécuter un rituel de re-
couronnement du jeune prince dont le trône avait été usurpé par un
chevalier sans scrupule, qui serait puni puis pardonné par le prince
magnanime. Après la préparation nécessaire en présence de la famille, le
rituel fut accompli et le soi-disant « schizophrène », c’est-à-dire
« quelqu’un qui pense que deux et deux font cinq et s’en trouve très
content », se transforma en « bon vieux névrosé », c’est-à-dire « quelqu’un
qui pense que deux et deux font quatre mais est toujours très inquiet ».

Comme dans le cas précédent, il m’a été nécessaire de revoir le jeune


homme et sa famille plusieurs fois au fil des ans, mais son trouble n’a
jamais été aussi marqué que la première fois.

O
CAS N 4. L’AIMANT QUI ASPIRE L’ÉNERGIE

Une collègue m’avait confié un patient avec lequel elle n’avait pas pu
faire de progrès. Ceci était dû, me disait-elle, à ses « expressions
délirantes ». Le sujet, un individu de sexe masculin qui avait la trentaine
déclara que son problème était une relation conflictuelle avec un collègue
de travail. Et selon le sujet, ce collègue avait un pouvoir magnétique qui
aspirait l’énergie vitale du sujet, et le laissait vide et brisé.
Comme d’habitude je mis l’accent sur la solution tentée par le patient.
Je lui demandai comment il avait essayé d’empêcher cela d’arriver,
d’empêcher que cela se reproduise, comment il avait tenté de réagir à ce
problème. Il répondit qu’il avait essayé de « tenir bon ». Il avait lancé des
attaques verbales contre son collègue mais celui-ci était toujours resté de
marbre et avait toujours fini par avoir le dessus et par lui pomper son
énergie. Comme le lecteur peut l’imaginer, le collègue en question devait
quand même avoir été intimidé par l’attitude du patient, et avait préféré
garder le silence pour éviter l’escalade. Cependant notre sujet interprétait la
réaction du collègue comme une stratégie froide et déterminée.

Après avoir écouté la description du problème par le patient et ses


tentatives pour le gérer, je fis quelque chose qui s’avère souvent utile. Je
suggérai une représentation métaphorique de la situation :
« Si je vous comprends bien, c’est comme si ce collègue avait un aimant
qui attire à lui votre énergie, et cela se produit chaque fois que vous êtes
proche l’un de l’autre. »
Le patient répondit immédiatement :
« Exactement, docteur. C’est un aimant qui aspire… »
Je répliquai :
« Mais si c’est un aimant, comment peut-on empêcher un aimant
d’attirer de l’énergie ? »
« Il nous faut du verre ! s’exclama-t-il. Les aimants ne peuvent pas
prendre sur le verre. »
« Oui, répondis-je, mais il y a d’autres substances qui fonctionnent aussi
bien contre les aimants. Je pense que nous avons trouvé une façon de
combattre cet aimant. D’ici notre prochaine rencontre, la semaine
prochaine, j’aimerais que vous trouviez un grand sac en cellophane. Le
cellophane est une sorte de plastique spécial. Fabriquez-vous un costume en
cellophane, et portez-le tous les jours sous vos vêtements. De cette façon
nous pouvons empêcher l’aimant de drainer toute votre énergie, et vous
pourrez recouvrer toute votre force. »
Le patient me regarda avec un étrange sourire de satisfaction au
moment où nous nous dîmes au-revoir.

La semaine suivante il me dit qu’il s’était senti aussi fort qu’un lion.
Notre plan avait bien fonctionné. Son énergie n’avait pas été aspirée. Il
avait eu très chaud dans ce costume, ça n’était pas très confortable, mais
l’important était que les effets de l’aimant aient été contrecarrés. Un autre
effet tout aussi important de la magie du stratagème est que lorsque la
perception du patient eut changé, il relata que l’homme-aimant semblait
avoir changé à tel point qu’il le plaignait un peu. Le patient voyait
désormais son ancien ennemi comme un pauvre homme inoffensif, et ne
ressentait plus aucune rage envers lui.
C’est alors que j’utilisai une technique que j’ai déjà décrite. Je
demandai au jeune homme de s’imaginer comment il se comporterait vis-à-
vis de son collègue si ce dernier était une personne fragile et timide qui
avait besoin d’être rassurée, et de faire chaque jour un geste comme si
c’était réellement le cas.
Je renvoyai le patient à ma collègue, de sorte qu’elle puisse poursuivre
son travail. Quelque temps après, elle me dit qu’il n’avait jamais plus
exprimé d'« idées étranges » et qu’il avait même sympathisé avec son ex-
persécuteur.

Dans ce cas notre intervention a commencé par la construction d’une


réalité inventée qui cadre avec les représentations pathologiques du patient.
Nous avons utilisé cette réalité pour introduire un certain changement. Ce
changement a été permis par la réalité inventée qui, durant notre interaction
thérapeutique, a remplacé la réalité originelle que représentait le sujet.
En d’autres termes, une réalité inventée a produit des effets concrets.
Ceux de mes lecteurs qui sont familiers avec les dernières découvertes
faites dans le domaine de la logique, se rendront compte que ce processus
s’inscrit en droite ligne des modèles logiques de la croyance et du fait de se
raconter des histoires. Comme l’écrivait Georges Lichtenberg : « Tout ce à
quoi l’on croit existe. »

Peur, panique, phobies

O
CAS N 1. UNE PHOBIE DES MIROIRS

Un jeune étudiant en psychologie à l’université m’avait été envoyé par


une psychothérapeute qui le traitait depuis plusieurs années. Elle m’avait
demandé si je pouvais guérir une phobie bizarre et débilitante chez ce jeune
homme qui vivait dans la peur d’être attiré par des miroirs et de s’y cogner
violemment.
Depuis longtemps il demandait à diverses personnes de l’aider et d’être
toujours prêtes à intervenir au cas où il serait irrésistiblement attiré par le
miroir. Il avait supprimé tous les miroirs de sa maison sauf un tout petit
dans sa salle de bains, et il utilisait des couches la nuit pour éviter de se
rendre dans la salle de bains. Sa vie était complètement conditionnée à la
fois par sa phobie et par les stratégies qu’il utilisait pour s’en protéger.

Il arriva dans mon cabinet escorté par ses « assistants protecteurs », et


me fit la description de son problème. J’évitai de lui poser des questions sur
son passé, sur des « traumatismes » qui auraient pu l’affecter, ou bien sur la
structure familiale dans laquelle il se trouvait. Au lieu de cela, je lui
demandai de me décrire en détail quelles tentatives, lui, et son entourage
avaient mises en place pour faire face à ce problème. Après qu’il eut décrit
les stratégies destinées à protéger son nez d’un choc violent avec le miroir,
je le regardai droit dans les yeux et lui dis qu’il me semblait étrange qu’il
n’eût jamais pensé à une solution très simple :
« Si vous avez peur de vous cogner violemment le nez contre un miroir,
dis-je, tout ce que vous avez besoin de faire est d’utiliser un appareil
spécifique qui est fait pour protéger le nez des collisions. »
Il parut surpris et me demanda :
« Quel instrument, quel appareil ? »
« Vous savez, répondis-je, les casques des joueurs de football et des
motocyclistes ne sont pas simplement destinés à protéger la tête mais le nez
également. Vous pourriez vous acheter un casque et le porter chaque fois
que vous vous déplacez. Chaque motocycliste en porte un, donc vous
pourriez faire semblant d’avoir une motocyclette à proximité. Vous feriez
comme si vous aviez votre moto à côté. De cette façon vous pourriez être
libre de vos mouvements, et rester protégé par le casque. Je pense que cela
pourrait être une meilleure stratégie que celle que vous avez utilisée
jusqu’ici pour vous protéger des miroirs qui attirent irrésistiblement votre
nez. Je suggère donc que vous vous achetiez un casque dans les jours qui
viennent. Prenez-en un bien solide qui vous aille bien, dans lequel vous
vous sentiez bien… ensuite on verra bien ce qu’il se passe. Je pense que
cela pourrait vous aider. »

Le jeune homme revint une semaine plus tard, portant à la main un joli
casque rouge. Il me dit que dès qu’il était rentré chez lui après la première
séance, il avait téléphoné à plusieurs magasins, au départ cherchant un
casque de footballeur puis ensuite, du fait qu’il ne pouvait pas en trouver, il
s’était rabattu sur un casque très léger mais très solide, fait pour les
motocyclistes. Comme il était impatient de tenter l’expérience, il était sorti
seul, avait pris sa voiture (chose qu’il n’avait pas faite depuis des années),
s’était rendu au magasin en voiture, était entré et avait acheté le casque.
Ce n’est qu’une fois sorti du magasin qu’il s’était rendu compte qu’il
avait fait quelque chose qu’il n’aurait jamais pu faire auparavant, et sans se
cogner à des miroirs, alors même qu’il était passé devant plusieurs miroirs
en chemin !
Il rentra donc chez lui, portant le casque à la main et pensant : « Bon, si
jamais j’ai vraiment très peur, si la panique me prend, je le mettrai, sinon je
l’emporte simplement par sécurité. »
Il était ressorti pendant la semaine en emportant chaque fois son casque
avec lui mais sans jamais le mettre sur sa tête. D’ailleurs, pour autant que je
le sache, il ne le porta jamais mais se débarrassa bien vite de toutes les
solutions tentées (les assistants protecteurs, les couches nocturnes et
l’isolation totale).
Quelques mois après, il se rendit compte que, grâce à cette nouvelle
stratégie, il avait complètement vaincu sa peur d’être aspiré par un miroir,
donc il se débarrassa également du casque.

« Parcourir les océans à l’insu du ciel » signifie détourner l’attention


d’une personne du désir de tenter de contrôler la peur, pour la reporter sur
une tâche qui fait diversion et qui est prescrite au moyen d’une suggestion.
Sans s’en rendre compte, la personne fait quelque chose qui, jusqu’alors, lui
semblait impossible. Cette expérience pratique, ce vécu amène, ne serait-ce
qu’un instant, une nouvelle perception de la réalité, d’une réalité qui
semblait terrifiante jusqu’à cet instant. Et cela va inévitablement assouplir
la rigidité du système de perception et de réaction phobique et ouvrir la voie
à la construction de nouvelles représentations de la réalité, différentes, et
par là-même, de nouveaux modes comportementaux et cognitifs.

J’expliquerai plus loin pourquoi ce type d’interventions, élaboré à partir


de recherches laborieuses, empiriques et systématiques, est devenu la
composante essentielle d’un modèle exceptionnellement efficace de
thérapie brève pour les formes graves de panique et de phobie. Mais pour
l’instant, j’aimerais poursuivre et donner quelques exemples
supplémentaires.
O
CAS N 2. LA PEUR DE SORTIR SEUL

L’intervention thérapeutique qui est peut-être la plus souvent appliquée


et qui a été développée dans notre centre concerne le traitement de
l’agoraphobie et des attaques de peur panique, c’est-à-dire le genre de
phobie généralisée qui interdit à une personne de se trouver seule, ou bien
de quitter un « endroit sûr » du fait de sa peur d’être submergée par la
panique.

Une femme de quarante-six ans avait effectué vingt-sept ans de


psychanalyse avec trois analystes différents (les deux premiers étaient
morts) sans que son trouble ne connaisse une quelconque amélioration.
Depuis plusieurs années, elle était également sous traitement
médicamenteux et, ainsi qu’elle le disait, avait essayé « toutes les formes de
combinaisons de médicaments possibles ». Elle présentait les symptômes
typiques du syndrome d’agoraphobie accompagnés d’attaque de panique
(selon le DSM IV) et n’avait jamais pu quitter sa maison sans que son mari
l’accompagne car il jouait le rôle d’un protecteur. Et même sous sa
protection, toute vie sociale lui était impossible, car elle craignait d’avoir
une attaque de panique dans une quelconque situation telle qu’un dîner avec
des amis, une soirée, un film ou le fait d’aller au cinéma, où elle pourrait se
sentir « coincée » et sans aucune possibilité immédiate de s’échapper. La
vie du couple était basée sur le besoin qu’elle avait d’être protégée de la
peur, et l’évitement de toute situation qui pouvait déclencher l’angoisse.
Ma thérapie s’est inspirée du protocole de traitement de cette forme
spécifique de troubles phobiques (Nardone, 1993). Lors de la troisième
séance, après quelques manœuvres de préparation, je lui fis la prescription
suivante qui semblait bien bizarre :

« Très bien. Vous avez parfaitement exécuté tout ce que je vous ai


demandé jusqu’ici et maintenant je vais vous demander de faire quelque
chose de très important. Marchez jusqu’à la porte et faites une pirouette.
Ouvrez la porte, sortez, et faites une autre pirouette. Descendez les marches
et rendez-vous jusqu’au portail, faites une pirouette avant et une pirouette
après avoir passé le seuil. Tournez à gauche, continuez de marcher et faites
une pirouette tous les cinquante pas, jusqu’à ce que vous arriviez à un
magasin de fruits et légumes. Faites une pirouette, entrez dans le magasin,
et achetez la pomme la plus grosse et la plus mûre que vous pourrez trouver
puis revenez ici avec la pomme, et en faisant une pirouette tous les
cinquante pas et une pirouette avant et après d’avoir passé le seuil, après
être rentrée dans le bâtiment et je vous attends. »

La femme me regarda médusée et partit comme en proie à un charme.


Son mari, qui était assis dans la salle d’attente, la vit passer, et pensa qu’elle
avait perdu la tête. Je l’arrêtai alors qu’il s’apprêtait à lui courir après, lui
disant qu’elle ne faisait que suivre ma prescription. Il fut encore plus surpris
lorsqu’il la vit revenir avec la pomme vingt minutes après. Elle souriait et
on avait l’impression que c’était un plaisir pour elle.

En effectuant cette prescription apparemment illogique, nous obtenons


habituellement deux choses : une pomme, et la première expérience
émotionnelle réparatrice importante du sujet. J’ai personnellement prescrit
cette tâche à plus de mille patients, issus de milieux socio-culturels
différents, qui présentaient le même type de problème. Aucun n’a refusé de
se plier à cette injonction. Nombreux sont ceux de mes étudiants et de mes
collègues des différentes parties du monde qui ont été surpris d’observer
que leurs patients étaient également disposés à se plier aux mêmes
prescriptions étranges, et surpris de voir à quel point cela parvenait à guérir
des troubles persistants tels que le syndrome d’agoraphobie et les attaques
de panique.
Peut-être le lecteur se demande-t-il comment cela fonctionne.
La prescription devrait être administrée dans la plupart des cas comme
une induction sous hypnose. Elle réclame donc du thérapeute cette
compétence spécifique. Par le biais de la communication inductive, nous
construisons une réalité thérapeutique dans le cadre de laquelle effectuer
une pirouette devient un rituel de magie qui chasse la peur. Une fois qu’on
est dans cette réalité thérapeutique, il devient possible de « naviguer sur
l’océan à l’insu du ciel », un des trente-six stratagèmes de la Chine antique.

Cette prescription distrait le patient de sa peur, en mettant l’accent sur


des tâches apparemment absurdes, telles que faire des pirouettes et acheter
une pomme. Pour accomplir cette tâche, le patient va devoir faire quelque
chose qui lui était impossible jusqu’alors, parce qu’il ou elle en avait trop
peur. Après avoir exécuté la tâche, la personne se rend compte qu’elle a
véritablement vaincu sa peur. Elle comprend le subterfuge, mais elle s’est
également prouvé à elle-même qu’elle pouvait surmonter ce problème.
Bien sûr, la thérapie ne s’arrête pas là. Ce point ne représente que le
déblocage initial des symptômes, mais il constitue une étape importante.
Dans le cas que nous étudions ici, lorsque que la dame eut regagné le
cabinet après sa première immersion dans le monde en solitaire, elle se
rendit compte, et ce fut un choc pour elle, qu’elle avait fait quelque chose
qu’elle n’aurait jamais imaginé pouvoir faire, et ce, sans aucune peur.

Une fois cette étape franchie, nous procédâmes comme d’habitude


suivant le protocole de traitement : il lui fut prescrit de réaliser quelque
chose d’identique dans sa ville natale, tous les jours, jusqu’à la séance
suivante : « Très bien. Étant donné que vous avez fait un excellent travail, je
voudrais que pendant toute la semaine à venir, chaque jour à la même heure,
vous vous habilliez et vous vous maquilliez avec grand soin, que vous
sortiez de chez vous en faisant quelques pirouettes de la façon que vous
l’avez fait ici aujourd’hui, que vous vous rendiez en ville, et que vous
m’achetiez un petit cadeau… mais seulement si vous pensez que je le
mérite ! »
La semaine suivante, la dame posa tous les petits cadeaux qu’elle était
allée m’acheter sur mon bureau, et me déclara qu’elle était sortie tous les
jours. Elle m’apprit également qu’après les deux ou trois premiers jours,
elle avait cessé de faire les pirouettes, parce qu’elles ne lui semblaient plus
nécessaires. Quelques mois après, elle m’envoya une carte postale de
Sardaigne, où elle était allée passer un week-end seule à la plage. Au cours
des dix dernières années, j’ai reçu des centaines de cartes postales similaires
de mes ex-patients autrefois phobiques.

O
CAS N 3. SANS TOI JE PANIQUE

Chez ceux qui souffrent de peur, de panique et de phobies, la relation à


autrui se caractérise par une quête constante et énorme de soutien, une
demande d’affection et de sacrifice de soi de la part de leur entourage. Ils
ont constamment besoin d’être rassurés. Bien que ce type d’interaction
entretienne en réalité la peur et le sentiment de n’être pas à la hauteur chez
le sujet phobique (Nardone et Watzlawick, 1990 ; Nardone 1993), cette aide
semble être la façon la plus efficace pour eux de réduire momentanément la
panique. Mais du fait que le deuxième effet est plus évident, l’aspect
relationnel résiste aux changements et requiert une manœuvre assez
élaborée de la part du thérapeute.

Chez tous les patients qui présentent ce type de rapport relationnel à


autrui (et cela s’applique à la grande majorité des sujets phobiques), nous
recadrons la situation comme suit, à la fin de la première séance :
« Bon, bon, cette semaine je voudrais que vous réfléchissiez à ce que je
vais vous dire : chaque fois que vous demandez de l’aide et que l’on vous
en apporte, vous recevez simultanément deux messages. L’un des deux
messages est plus évident que l’autre c’est-à-dire : “Tu ne m’es pas
indifférent, je me soucie de toi, je t’aide et je te protège”. Mais le deuxième
message est moins évident : “Je t’aide parce que tu ne peux pas te
débrouiller sans moi, parce que tu es malade.” Mais notez bien que je ne
vous demande pas de cesser de demander de l’aide. Pour l’instant, vous ne
pouvez pas cesser de demander de l’aide. Je vous demande seulement de
réfléchir au fait que chaque fois que vous demandez de l’aide et qu’on vous
en donne, vous contribuez à rendre votre problème plus persistant et à
l’aggraver. Mais je vous en prie, n’essayez pas de ne pas demander d’aide,
parce que vous n’êtes pas encore en état de le faire. Pensez-y simplement,
chaque fois que vous demandez de l’aide et que vous en recevez, vous
contribuez à aggraver votre état. »

Sans demander directement au patient de faire un effort pour changer,


nous retournons la peur contre la peur. En fait nous utilisons une peur plus
grande (celle de voir leur état empirer) à l’encontre d’une peur moins
intense (la peur des symptômes présents). Les Romains, dans l’Antiquité, le
savaient bien : « Ubi major, minor cessat 2. »

Dans la plupart des cas (1 500 en ce qui concerne mon expérience


propre), lorsqu’ils reçoivent cette prescription, les patients interrompent
immédiatement leur registre comportemental habituel qui consiste à
demander de l’aide. Et ceci s’accompagne d’une diminution sensible des
symptômes phobiques ; il n’est d’ailleurs pas rare d’observer une rémission
complète. Lorsque les sujets phobiques cessent de demander de l’aide et du
soutien, ils doivent se débrouiller seuls de situations qu’ils ont vécues
antérieurement avec l’aide de quelqu’un, sous la protection de quelqu’un, et
ils découvrent qu’ils peuvent effectivement se débrouiller seuls. Au fur et à
mesure qu’ils redécouvrent leurs capacités propres, ils deviennent de plus
en plus prêts à prendre des risques, ils sont de plus en plus disposés à le
faire, et parfois réussissent spontanément à surmonter leurs anciennes
terreurs.
En d’autres termes, la manœuvre décrite transforme un « cercle
vicieux » (la demande de protection qui, elle-même, est pathogène) en
« cercle vertueux » (la récupération des ressources personnelles et de
l’indépendance).

O
CAS N 4. UNE PEUR « INCURABLE »
DE PERDRE LE CONTRÔLE

Une dame vint me voir après avoir essayé de nombreuses thérapies


différentes, y compris des thérapies médicamenteuses et une longue
analyse. Elle décrivait son problème comme étant une forme « extrêmement
sévère » d’hypocondrie, de panique et d’agoraphobie. Depuis plus de dix
ans, elle n’était jamais sortie de chez elle sans escorte sauf pour de très
courts trajets. Elle me dit qu’elle n’imaginait pas pouvoir aller seule de chez
elle à Arezzo, en voiture ou en train, pour se rendre à mon cabinet, parce
qu’elle vivait dans la peur d’avoir une attaque de panique grave et de perdre
la tête ou de mourir instantanément d’une attaque, d’une crise cardiaque ou
d’une apoplexie. De plus, pour compliquer les choses, elle était médecin.
Elle avait lu tous mes livres. Lorsqu’elle arriva à mon cabinet elle me lança
un défi :
« J’espère que vous ne pensez pas que vous pouvez me faire faire des
pirouettes comme avec d’autres patients. Ce n’est pas le genre de choses
que je ferai. D’ailleurs je n’irai pas vous acheter une pomme même si votre
livre dit que vous réussissez toujours à obtenir cela de vos patients. Il va
falloir que vous inventiez quelque chose de différent pour moi car je ne
m’abaisserai jamais à faire de telles stupidités. »
Je réponds :
« Mais du fait que vous connaissez si bien mes stratagèmes, je pense
qu’ils fonctionneront encore mieux. »
« Pas du tout, me répondit-elle, du fait que je connais tous vos
stratagèmes je peux les contrer. D’autres que vous, et ils sont nombreux, ont
essayé de me guérir, vous savez… »
Puis elle récita une longue liste de professeurs qui avaient tenté de la
guérir en vain. Comme tentent de le faire les patients de ce genre (et
heureusement nous n’en avons pas trop) elle critiqua ses anciens
thérapeutes comme si elle tirait un plaisir pervers d’avoir gagné ses batailles
thérapeutiques.

Je commençais la thérapie avec quelques manœuvres préliminaires,


simplement pour observer ce qu’allait faire la patiente pour s’y opposer.
Chaque fois qu’elle opposait une résistance, je prescrivais cette résistance
comme une tâche. Par exemple : « J’ai besoin de toute la résistance que
vous pouvez m’opposer car, plus vous me boycottez, et plus vous m’aidez à
vous aider. Plus vous essayez de mettre en échec mes manœuvres et mieux
je comprends ce que je dois faire pour vous aider. Donc veuillez opposer
autant de résistance que possible à mes injonctions… »

Bien sûr cette prescription paradoxale la mettait dans une situation


paradoxale : si elle continuait à s’opposer à mes efforts elle faisait
exactement ce que je lui demandais de faire, mais si elle se rebellait et
cessait de résister, elle suivrait en fait les exigences de la thérapie. Donc de
toute façon, la balle n’était plus dans mon camp mais dans le sien. C’est elle
qui avait les choses en main et pas moi.

Je ne vais pas détailler ce qui s’est passé dans les premières séances,
parce que cela déborderait du cadre de cet exposé. À un moment donné,
vers la cinquième séance, je décidais d’effectuer la manœuvre qui devait
produire la première expérience émotionnelle réparatrice. Comme je l’ai
expliqué plus haut, c’est une expérience concrète de la perception de la
réalité qu’a une personne, une réalité qui jusqu’ici a semblé trop terrifiante
pour que la patiente puisse la gérer.

La patiente m’avait détaillé toutes ses qualités positives et toutes ses


compétences. Elle se considérait entre autres comme une experte en vins,
liqueurs et alcools. Elle se décrivait comme une personne qui savourait les
plaisirs de la vie mais ne pouvait le faire qu’accompagnée par quelqu’un,
parce qu’elle était terrifiée à l’idée de quitter sa maison et de se retrouver
seule dans des endroits particuliers. Je décidais de lui soumettre une
prescription qui était structurellement très semblable à celles que j’avais
données dans les deux cas précédents :
« Bien. Je sais que vous ne pouvez pas vous rendre seule ici depuis chez
vous, depuis votre ville de résidence, même s’il existe certains trains qui
sont très confortables. Je sais également que vous n’êtes pas capable de
vivre sans médicaments… »

En effet, la patiente faisait un usage abondant de médicaments qu’elle


s’autoprescrivait, et faisait littéralement un énorme cocktail de différents
médicaments, qui d’ailleurs devait inhiber les quelconques vertus
thérapeutiques que pouvaient avoir certains d’entre eux. De toute façon je
continuai :
« Je sais que je ne peux pas vous demander de vous plier à une de mes
prescriptions habituelles, donc j’ai une prescription très inhabituelle pour
vous. J’aimerais que vous m’appeliez au téléphone avant de quitter votre
domicile pour vous rendre à notre prochaine séance. »
Elle parut surprise et me demanda :
« Pourquoi devrai-je vous téléphoner ? »
« Vous devrez me téléphoner parce que je vous contraindrai à venir
seule. »
« Non, c’est impossible, je ne viendrai jamais seule, je ne ferai jamais
les choses que vous arrivez à faire faire à d’autres patients. »
« Très bien, mais tout de même veuillez consulter les horaires des trains
et vous renseigner sur le temps que cela vous prendrait de venir en taxi de
chez vous à la gare la plus proche, pour m’appeler lorsque vous êtes prête à
partir. Si jamais vous ne vous en sentiez pas capable ou si vous n’en aviez
pas envie, vous pouvez toujours demander à votre mari de vous
accompagner comme d’habitude. »
La femme me quitta avec un air perplexe mais toujours cet air de défi
que je lisais bien sur son visage.

La semaine suivante elle me téléphona à l’heure de partir pour la gare et


d’attraper le train pour être à l’heure au rendez-vous. C’est alors que je lui
demandai de serrer ses deux mains ensemble, de se croiser les doigts et de
me dire quel pouce devait aller par dessus l’autre. À l’autre bout du fil elle
me demanda :
« Mais quelle stupidité me demandez-vous de faire ? Le pouce droit va
mieux en haut, sur le dessus. » « Maintenant faites le contraire. Mettez
votre pouce droit sous votre pouce gauche et pressez fort jusqu’à ce que
vous ressentiez de la douleur. Cela vous fait mal ? Bien, très bien, serrez
fort, continuez de serrer. Maintenant vous pouvez disjoindre vos mains. Je
veux que vous preniez une de ces superbes bouteilles de Grappa dont vous
m’avez parlé, vous savez la bouteille qui a un goulot très étroit et très long.
Une bouteille vide, ça ira, j’espère que vous en avez une vide sinon, s’il
vous plaît, videz-la, décantez-la. »
« Non, non ce n’est pas un problème mais je veux que vous me disiez
quelle ineptie vous allez me demander de faire. »
« Très bien. Prenez une de ces bouteilles vides, puis prenez un petit sac
de haricots secs. Avez-vous un sac de haricots secs chez vous ? »
« Bien sûr. »
« Bien, alors prenez un petit sac de haricots et la bouteille à goulot
étroit, mettez-les dans votre sac et n’oubliez pas tous les médicaments que
vous emmenez habituellement avec vous. »
« Mais qu’essayez-vous de me faire faire ? »
« Apportez tous les médicaments que vous prenez habituellement en cas
d’urgence. Rappelez-moi lorsque vous aurez fini de rassembler tout cela. »
Elle m’appela cinq minutes après. Je lui dis :
« Bien, maintenant habillez-vous, prenez le sac, la bouteille, les
médicaments, les haricots, appelez un taxi et une fois que vous aurez appelé
le taxi, vous décroisez les doigts. Mais tenez bien très très fort tout cela en
serrant aussi fort que vous le pouvez. Mettez votre pouce dominant sous
l’autre jusqu’à ce que vous sentiez la douleur puis descendez les marches et
montez dans le taxi. Rappelez-vous de ne pas desserrer les mains au
moment où le taxi arrivera à la gare. Vous allez devoir sortir l’argent,
acheter votre ticket sans desserrer les mains. Une fois dans le train, tout en
serrant les mains et en pressant les pouces l’un sur l’autre (rappelez-vous,
gardez le pouce dominant en dessous de l’autre), vous pourrez vous asseoir
et là vous pourrez desserrer les mains et sortir la bouteille avec le goulot
étroit et les haricots, que je veux que vous mettiez un par un dans la
bouteille lentement. Donc, le goulot étant étroit, vous allez les introduire un
par un dans la bouteille jusqu’à ce qu’elle soit pleine. Puis vous allez le
refaire et le refaire encore. Vous allez vider la bouteille et le refaire jusqu’à
ce que vous arriviez à notre rendez-vous. Dès que vous serez arrivée à
Arezzo, remettez tout dans le sac et croisez les doigts à nouveau. Souvenez-
vous, le pouce dominant doit toujours être sous l’autre. Serrez fort et
rendez-vous à pied à mon bureau qui est, bien entendu, vous le savez, juste
à côté de la gare. Mais surtout continuez de garder les mains bien
serrées… »

Elle ne répondit pas. Quelques heures plus tard elle arriva dans mon
cabinet avec une expression déconcertée, les mains étaient croisées et
serrées et elle me dit :
« Vous savez, effectivement je me suis bien amusée à mettre les haricots
dans la bouteille et une personne m’a même demandé ce que je faisais. Je
lui ai dit que je jouais à un jeu pour passer le temps. J’ai inventé une
histoire comme quoi j’étais une institutrice travaillant en maternelle et que
ceci était un jeu et que j’allais faire faire ce jeu aux enfants. Et en fait
j’éprouvais un profond plaisir à mentir… »
J’ai déclaré :
« Quoi ? vous avez voyagé les mains serrées ? »
Elle expliqua :
« Je dois vous dire, au début tout cela m’apparaissait trop absurde, puis
je me suis dis à moi-même : finalement je n’ai rien à perdre à essayer. Je me
suis rendue compte que lorsque la peur s’installait et que je resserrais mon
étreinte, la peur diminuait. J’ai eu le sentiment que je pouvais la contrôler.
Lorsque je suis arrivée à Arezzo, je n’avais plus besoin de le faire. Je
continuais de serrer les mains simplement parce que vous m’aviez dit de le
faire mais il me semblait que je n’en avais pas besoin. »
« Comment expliquez-vous tout cela ? », demandais-je.
Elle me regarda avec un air à moitié satisfait, à moitié ennuyé, comme
si elle avait perdu la partie.
« Vous m’avez bien eue. Vous avez réussi à me faire faire quelque chose
de très semblable aux pirouettes que vous faites faire aux autres patients
mais je vous en remercie quand même parce que c’est la première fois que
je réussis à faire quelque chose comme cela. »

Dans les semaines qui suivirent, cette patiente continua à venir dans
mon cabinet. Elle venait toujours seule et en fait nous étions convenus
qu’elle devait effectuer un certain nombre d’allez-retour, de sorte qu’elle
commença à se rendre dans différentes régions de l’Italie et, en un laps de
temps assez court, elle fut capable de sortir seule normalement et de rester
seule à la maison.
C’est un excellent exemple dont il est possible d’appliquer des
variations créatives qui sont toutes basées sur la même structure que la
manœuvre thérapeutique dilatoire, qui consiste à « naviguer sur l’océan à
l’insu du ciel. » Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. L’important,
c’est que les manœuvres thérapeutiques soient progressivement adaptées au
langage du patient, à sa logique, à ses perceptions de la réalité. Ce n’est que
si les manœuvres sont construites en gardant tout cela présent à l’esprit
qu’elles seront acceptées et qu’elles seront exécutées par le patient, et
amèneront une rupture du cercle vicieux des solutions tentées qui
antérieurement entretenaient le problème.

Obsessions et troubles compulsifs

O
CAS N 1. L’OBSESSION DE FAIRE DANS
SA CULOTTE

Très souvent, les réactions phobiques qui ressemblent au syndrome


d’attaque de panique décrit dans le chapitre précédent sont le résultat d’une
obsession. Si nous n’arrivons pas à inverser la dynamique obsessionnelle à
sa racine, nous n’obtiendrons que des changements superficiels, et sous peu,
nous verrons resurgir les troubles. Il importe que le thérapeute clinicien
sache bien distinguer les réactions phobiques dues à la peur de celles qui
sont dues à des obsessions. Bien que le traitement soit semblable par bien
des aspects, il différera complètement pour d’autres aspects (Nardone,
1993). L’exemple suivant montre qu’une obsession peut mener à une
réaction phobique. Un homme d’âge mûr, élégant, raffiné venait me voir de
loin. Dans un langage intellectuel à l’excès, très verbeux, il décrivait un
problème grotesque et ses effets tragiques.

Cet homme avait une situation, à savoir un poste important dans le


domaine artistique, qui exigeait fréquemment qu’il se produise en public.
Par le passé il avait eu des problèmes de colite, puis il s’était mis à avoir
peur de ne pas pouvoir se retenir pendant un spectacle. Ceci ne s’était
jamais produit en fait dans la réalité, mais la peur que cela se produise
l’avait amené à prendre des mesures de protection.

Il avait consulté plusieurs gastro-entérologues, qui l’avaient assuré qu’il


n’y avait pas à s’inquiéter, sauf peut-être pour quelques problèmes
d’allergie ou d’intolérance à quelques aliments, mais rien de grave.
Cependant, comme toujours chez les personnes obsessionnelles, cela ne
l’avait pas satisfait et il avait continué à chercher d’autres diagnostics
possibles. Au fil de ses recherches qui s’avérèrent vaines, il se mit à avoir
des symptômes d’angoisse et un point de vue phobique.

La situation avait pris de telles proportions que depuis plusieurs années


ce personnage célèbre s’était pratiquement réfugié dans une sorte
d’isolement protecteur, évitant toute situation nécessitant d’apparaître en
public au cours de laquelle le problème pourrait survenir. Normalement,
cela aurait dû le rassurer. Au lieu de cela ses fixations phobiques avaient
augmenté à tel point qu’à chaque fois qu’il sortait, il avait besoin d’être sûr
de la présence de toilettes à proximité en cas d’urgence. Il dressait dans son
esprit une carte de toutes les toilettes disponibles, à proximité immédiate.
De plus, son régime alimentaire se limitait à tout ce qu’il pensait pouvoir
digérer sans problème.

De désespoir, il s’était mis à absorber des grandes quantités de


médicaments, en guise de thérapie, ce qui n’avait d’ailleurs que très peu
réduit son angoisse. En fait cela n’avait aucun effet sur le trouble qui était à
la base de tout cela. Il voyait également bon nombre de psychothérapeutes
qu’il laissait tomber régulièrement puisque les résultats n’étaient pas à la
hauteur de ses espérances.
Lors de notre première séance, il me déclara que, malgré l’avis d’un ami
proche qui, connaissant mon travail, lui avait suggéré de venir me voir, il
restait sceptique. Comme d’habitude dans ces cas-là, je pris bonne note de
ses résistances et lui prescrivis cette attitude de défiance sous prétexte
qu’elle pourrait nous aider dans sa thérapie.

Lors de cette première séance, j’avais déjà appliqué certaines


manœuvres préliminaires. Mais dans la deuxième, la thérapie se concentra
sur l’interruption des deux « solutions déjà tentées » qui entretenaient le
problème : la tentative obsessionnelle de contrôler le symptôme en
n’écoutant que ses intestins, et son évitement de toute situation qu’il
percevait comme étant risquée, qui allait de l’évitement de nombreuses
catégories de nourriture à celui de nombreux endroits où il n’y avait pas de
toilettes.

La technique fondamentale utilisée dans ce cas était d’« imaginer ce


qu’il peut arriver de pire », mais aussi, dans d’autres troubles tels que la
panique, la dépression et les blocages qui inhibent totalement le sujet. cette
technique est constituée de manœuvres successives qui commencent
comme suit :
« Je suppose que vous avez un réveille-matin à la maison, un de ces
réveils dont la sonnerie est particulièrement désagréable. Chaque jour, à une
heure donnée, sur laquelle nous allons nous mettre d’accord maintenant, il
va falloir que vous régliez le réveil pour qu’il se déclenche trente minutes
plus tard. Et pendant ces trente minutes, vous allez vous enfermer dans une
pièce de la maison, vous asseoir dans un fauteuil et essayer par tous les
moyens d’entrer dans l’état le plus déprimant possible. Concentrez-vous sur
ce que vous pouvez imaginer de pire pour ce qui est de votre problème.
Pensez à vos peurs, repassez dans votre esprit le scénario catastrophe
jusqu’à ce que vous provoquiez délibérément une attaque de panique, puis
restez dans cet état d’esprit tout au long de ces trente minutes. Et, dès que le
réveil sonnera, arrêtez-le et cessez l’exercice. Ne vous préoccupez plus des
pensées noires, des sentiments que vous avez réussi à produire, allez
simplement vous rincer le visage, et vous pourrez reprendre vos activités
quotidiennes normales. »

Le patient suivit cette prescription. Lors de la séance suivante il décrivit


sa réaction comme totalement inattendue. C’est pourtant la réaction la plus
habituelle que l’on constate lorsque l’on prescrit ce genre de choses. Il
n’avait pas réussi à se déprimer volontairement ni à se mettre mal à l’aise,
ni à produire des crises de peur ou d’angoisse. Il avait bien essayé
d’imaginer le pire mais au lieu de cela il n’avait eu que des fantasmes
positifs et il s’était trouvé totalement relaxé chaque fois qu’il faisait
l’exercice. À tel point qu’il s’était même endormi à deux reprises.

Je lui expliquai que c’était l’effet voulu et qu’après cette expérience il


pouvait se mettre à utiliser cette même technique, qui s’appuie sur la
logique du paradoxe, et de s’exercer jusqu’à ce qu’il ait appris à faire
disparaître la peur en l’intensifiant délibérément. Puis je lui fis connaître ma
prescription suivante :
« Désormais, et ce jusqu’à la prochaine séance, au lieu de vous isoler
une demi-heure pour faire cet exercice, vous allez l’effectuer cinq fois par
jour à raison de cinq minutes à chaque fois, où que vous vouliez, et quelle
que soit la personne avec qui vous êtes, à 9 heures pile, à midi pile, à
15 heures pile, à 18 heures et à 21 heures pile. Vous devrez avoir l’œil rivé à
votre montre et pendant cinq minutes, où que vous soyez, vous allez essayer
de faire resurgir le trouble. Mais souvenez-vous, ne vous isolez pas. Vous
devez accomplir cette tâche dans le cadre des activités normales que vous
avez à ces heures-là. »
L’air effrayé, ainsi que le montrait l’expression de son visage, l’homme
demanda :
« Vous voulez dire que je fasse dans ma culotte en public ? »
Je répondis avec un sourire :
« Cela peut se produire, mais vous avez bien constaté vous-même que si
vous essayez délibérément de faire surgir le trouble, il ne se produira pas.
Donc exécutez la prescription. Nous avons convenus dès la première séance
que vous feriez exactement ce que je vous dirai. »

Lors de la séance suivante, pour la première fois, le patient souriait en


arrivant. Il s’était senti bien mieux pendant la semaine. Les idées noires
n’avaient pas resurgi pendant les séances d’exercice, et qui plus est, du fait
qu’il avait constaté que la pratique répétée de cet exercice faisait diminuer
sa peur, il avait progressivement abandonné l’itinéraire habituel qu’il
prenait parce qu’il comportait des toilettes à proximité, chose qui le
rassurait.
À partir de ce moment-là, la thérapie eut pour but d’augmenter sa mise
en contact avec des « risques » et de renforcer la confiance qu’il avait dans
la technique qui consistait à faire disparaître la peur en la provoquant
délibérément. Il se mit à pratiquer cette technique dans des situations qui
faisaient auparavant surgir sa peur.

Il raconta que, au fur et à mesure qu’il regagnait du terrain et parvenait


à se mettre dans des situations auxquelles il avait refusé d’être confronté
depuis longtemps parce qu’il pensait qu’il ne pourrait pas tenir le coup, il
avait à certains moments ressenti une peur spontanée ou il avait eu
l’impression que ses intestins lui signalaient quelque chose, mais qu’il avait
suffi d’exagérer suffisamment cette peur pour faire disparaître à la fois la
peur et ses manifestations somatiques.
En l’espace de dix séances, le patient avait retrouvé toute son autonomie
et était à nouveau capable d’affronter toutes sortes de situations où il devait
apparaître en public sans en ressentir la terreur de l’incontinence. Il osa
même manger des plats qu’il évitait soigneusement, ayant décidé qu’ils
n’étaient pas digestes. Il découvrit qu’il pouvait désormais les digérer et
même tolérer des plats gras et lourds auxquels il était auparavant convaincu
qu’il ne pourrait plus jamais goûter.

O
CAS N 2. TOUT STÉRILISER POUR ÉVITER
LA CONTAGION

Un jeune employé de banque me fut envoyé par son médecin de famille


car il souffrait d’une forme grave de troubles obsessionnels compulsifs. Il
me dit que tous les moments de sa vie étaient affectés par la terreur qu’il
avait d’être contaminé par le virus du sida, une terreur dont il se rendait
bien compte qu’elle n’avait aucun motif concret, étant donné son style de
vie. Néanmoins, cette peur le forçait à éviter tout ce qu’il pouvait percevoir
comme étant contagieux.

Malheureusement le nombre de choses qu’il fallait éviter avait


augmenté, avec le temps, au point qu’il devait désormais utiliser des gants
blancs afin d’éviter tout contact direct lorsqu’il serrait la main de quelqu’un
ou lorsqu’il tapait sur un clavier d’ordinateur qui était également utilisé par
d’autres collègues.
À la maison il désinfectait tout. Même sa petite amie devait être
parfaitement aseptisée. Chaque fois qu’elle lui rendait visite, il lui fallait se
laver avec du désinfectant et se laver les mains ainsi que les parties de son
corps qui allaient être les plus exposées, non seulement avec du savon mais
également avec de l’alcool et d’autres désinfectants.
Structurellement ce genre de trouble est entretenu par la solution tentée
qui est de contrôler une fixation phobique en effectuant des rituels
protecteurs et décontaminants. Ces rituels peuvent prendre différentes
formes, des ablutions de décontamination, des formules mentales que l’on
se répète, un comportement habituel que l’on n’arrive pas à réprimer ou à
refouler, etc…

La prescription suivante fut élaborée spécifiquement pour rompre ce


cercle vicieux pathogène (Nardone, 1993). Elle fut faite au jeune employé
de banque lors de la troisième séance, après plusieurs manœuvres qui
avaient pour but de la rendre suffisamment forte :
« Dès maintenant, et jusqu’à notre prochaine rencontre, chaque fois que
vous effectuerez un geste rituel, si jamais vous devez l’effectuer, il faut que
vous le fassiez cinq fois. Pas une de plus, pas une de moins. Vous pouvez
très bien choisir de ne pas le faire mais si vous le faites une seule fois, vous
devrez le faire cinq fois, un point c’est tout. Par conséquent, si vous vous
lavez les mains une fois, il va falloir que vous le fassiez cinq fois et pas une
fois de plus ou de moins. Là encore vous pouvez choisir de ne pas vous
laver les mains, mais si vous le faites une seule fois, il faut absolument que
vous le fassiez cinq fois. Et si vous désinfectez quelque chose ou quelqu’un,
ce sera pareil, il faudra que vous le fassiez cinq fois, pas une de moins, pas
une de plus. Et là encore vous pouvez vous abstenir de le faire, mais si
jamais vous le faites, faites-le absolument cinq fois, pas une de moins, pas
une de plus. »
Le patient avait l’air consterné en me regardant :
« Mais c’est de la torture ! Bon, si jamais c’est vraiment nécessaire, je le
ferai. »
Je réagis ainsi :
« Excusez-moi, mais pour quelqu’un comme vous, qui avez l’habitude
de faire des choses étranges, cela ne devrait pas poser trop de problèmes,
vous pouvez faire aussi cela. »

Lors de la séance suivante, comme c’est le cas d’ailleurs chez les


patients qui présentent le même type de troubles, il me rapporta que pendant
les premiers jours il avait effectué la prescription à la lettre mais qu’ensuite
c’était devenu si ennuyeux et stupide qu’il avait cessé de le faire et même
cessé tous les rituels qu’il avait eu jusqu’alors.

Comme à mon habitude, je fis semblant d’être surpris et lui demandai


de décrire tout ce qui s’était passé. Il apporta la confirmation du fait
qu’après quelques jours il n’avait plus eu besoin de désinfecter quoi que ce
soit et que tout cela lui semblait maintenant carrément pénible. De plus,
comme chez la plupart des patients souffrant de troubles compulsifs que j’ai
pu traiter, il me déclara que sa peur de la contagion avait diminué à tel point
qu’il avait fait des choses qui lui semblait impensables.

Quelques jours auparavant il avait mangé dans un restaurant avec des


collègues, il était allé à la piscine avec son amie. Il ajouta que quelqu’un
avait saigné du nez dans les vestiaires et que cela n’avait pas réveillé sa
terreur de la contagion, qu’il était totalement resté indifférent.
Je lui demandai alors :
« Comment expliquez-vous ce changement, comment expliquez-vous
que vous êtes désormais indifférent aux choses qui auparavant vous
terrifiaient ? »
Me fournissant de façon inconsciente un excellent exemple de la façon
dont un changement de perception et de réaction peut se produire, il
répondit :
« Ma vision antérieure des choses faisait que cela me paraissait logique
d’avoir peur et d’avoir à me protéger en me lavant et en faisant toutes sortes
d’autres choses. Mais ma vision actuelle fait qu’il me semble logique de ne
pas avoir peur, de ne pas être effrayé et il me semble totalement stupide de
faire ces choses-là. Je ne sais pas ce qui a bien pu se passer mais tout va
bien maintenant. Peut-être pouvez-vous m’expliquer comment cela s’est
produit ? »
« Au niveau de la structure logique, ma prescription apparemment
simple permet, comme d’autres manœuvres que j’ai déjà décrites, de
“s’arranger pour faire monter l’ennemi dans le grenier et enlever l’échelle”.
Nous prenons possession du symptôme compulsif en le transformant en
quelque chose de délibéré qui peut par là-même être refusé. En d’autres
termes, si vous vous autorisez à le faire, vous pouvez également vous
autoriser à ne pas le faire ; et si vous ne pouvez pas vous empêcher de le
faire, vous ne pourrez pas choisir de ne pas le faire. »

Cette prescription est la pièce maîtresse du protocole de traitement des


syndromes obsessionnels compulsifs, et ce protocole a pu être appliqué
avec succès à des centaines de cas. Comme l’aura peut-être remarqué notre
lecteur, cette partie fondamentale est formulée et transmise au patient sous
forme d’une suggestion, qui ressemble aux prescriptions consécutives à un
état d’hypnose, durant laquelle nous prescrivons d’abord de faire
l’expérience d’une épreuve très douloureuse, puis nous donnons la
permission au patient de ne pas exécuter cet ordre.
Mais en n’effectuant pas cette prescription qui a l’air d’une punition, le
patient cesse également d’accomplir les rituels qu’il faisait antérieurement
parce que la prescription n’est rien d’autre qu’une exagération
paradoxalement ritualisée des symptômes.

O
CAS N 3. LA RÉPÉTITION DE FORMULES
MENTALES

Un excellent exemple de la façon grâce à laquelle nous pouvons


intervenir rapidement et avec succès dans les troubles obsessionnels
compulsifs, est celui d’une jeune femme qui était victime de pensées
obsessionnelles ritualisées.

Plusieurs fois par jour, pendant et avant certaines actions, dont quelques
unes étaient des gestes ordinaires, elle se sentait dans l’obligation de se
répéter mentalement des formules qui étaient constituées de mots, de
chiffres, ou de nombres. Ceci ralentissait toutes ses activités, et avait pour
effet de la torturer mentalement, parce qu’elle se considérait comme étant
une personne très rationnelle et ne pouvait pas se résoudre à l’idée qu’elle
était forcée de faire des choses irrationnelles.

Dans de tels cas, nous utilisons une prescription paradoxale qui va


justement ritualiser le rituel, comme nous l’avons fait dans le cas décrit
précédemment. Mais un rituel moins complexe d’un point de vue à la fois
formel et logique. Nous nous emparons du symptôme compulsif dès que
nous le transformons. Et ceci amène habituellement à l’autodesctruction du
rituel.

Je donnais à la jeune femme la prescription suivante :


« À partir de maintenant et jusqu’à notre prochaine rencontre, chaque
fois que vous vous sentirez mal et que vous aurez envie de répéter une de
vos formules, il va falloir que vous la répétiez à l’envers. Redites
exactement les mêmes choses qu’habituellement, mais en “verlan”. Par
exemple, si vous répétiez auparavant le mot homme, il va falloir que ce mot
devienne “mehom”. Ainsi donc il faudra vous répéter dans votre tête
“mehom, mehom”. Autant de fois que nécessaire. Et si la formule est
constituée de davantage de formules et de nombres, cet exercice-là va être
évidemment plus difficile. Mais il va falloir que vous le fassiez. De toute
façon vous êtes rompue à ce genre d’exercice, n’est-ce pas ? »
Dès la séance suivante, la patiente me rapporta que cela l’avait
beaucoup fatiguée, elle avait trouvé épuisant d’obéir à ma prescription,
mais elle l’avait trouvée parfaitement efficace parce que quelques jours
après, les rituels avaient diminué ; la veille de notre séance, il y avait eu
simplement deux épisodes et elle avait pu contrôler la tentation de répéter
les choses en se pliant à la tâche que je lui avais prescrite.
Tout ce qui me restait à faire, c’était inviter cette jeune femme à ne plus
oublier ce qu’elle venait d’apprendre, à savoir : « Il faut tuer l’ennemi avec
son propre poignard ».

Manie et paranoïa

O
CAS N 1. LE PSYCHIATRE DÉPENDANT
DE SA MÈRE

Un psychiatre s’était inscrit à notre programme de formation en


thérapies stratégiques brèves. Pendant l’entrevue qui devait décider s’il était
pris, il apparut clairement qu’il avait eu de sérieux problèmes personnels.
Par conséquent sa candidature avait été rejetée. Il vint alors me consulter
pour que je l’aide à affronter et résoudre ses difficultés.

En thérapie, le psychiatre montrait qu’il était parfaitement capable de


définir clairement le problème qui était à la base de son instabilité mentale.
Il pensait qu’il était victime d’une relation pathologique avec sa mère,
laquelle usait d’un chantage affectif pour avoir tout pouvoir sur lui. Chaque
fois qu’elle n’avait pas de ses nouvelles, ne serait-ce que quelques heures,
elle se saoulait. Elle déclarait que c’était pour calmer son angoisse. Son
comportement restait en revanche celui d’une personne normale et
équilibrée dès l’instant où elle avait de ses nouvelles ou dès qu’il lui rendait
visite.

La mère avait également des réactions pathogènes chaque fois que son
fils lui disait qu’il avait une petite amie. Elle l’appelait, à chaque fois qu’il
était avec sa petite amie, pleurant, tombant dans un état de prostration, de
dépression qui atteignait comme toujours son point culminant lorsqu’elle
avait absorbé une grande quantité de spiritueux, et surtout d’alcools forts.
Le fils ne pouvait cependant pas couper son téléphone portable, parce qu’il
craignait des réactions extrêmes, de sorte que la mère pouvait le joindre à
tout moment, où qu’il soit.

Considérant son âge et sa profession, il semblait incroyable qu’il se soit


mis dans cette situation-là. Le psychiatre vivait toujours avec sa mère et
avec son père qui, lui-même, était victime du comportement de la mère. Il
n’avait jamais passé une seule nuit en dehors du foyer parental, n’était
jamais parti en vacances et n’avait jamais ramené une personne du sexe
féminin à la maison. Il avait une relation extra-conjugale avec une femme
mais prenait d’extrêmes précautions pour que tout cela reste secret.

On était visiblement et typiquement dans une relation victime bourreau


classique et cette relation était entretenue par les tentatives évidemment
dysfonctionnelles d’empêcher cette situation d’empirer. Car lorsqu’il
agissait de la sorte, il confirmait la croyance qu’avait sa mère, à savoir que
ses efforts pour garder le contrôle de son fils au moyen du chantage
émotionnel de la dépression et de l’alcoolisme étaient efficaces.

Nous nous sommes mis d’accord sur les règles de la thérapie, que
connaissait déjà le psychiatre, puisqu’il voulait en savoir plus sur notre
modèle thérapeutique et envisager de l’appliquer lui-même. Je lui prescrivis
alors une manœuvre qui devait renverser le mécanisme pathogène de
communication entre la mère et le fils :
« D’ici la semaine prochaine vous allez battre votre mère à son propre
jeu. C’est vous qui allez l’appeler. Et pour être plus précis vous allez
l’appeler dix fois par jour, toutes les heures et vous lui demanderez :
“Maman, est-ce que ça va ? Je me fais beaucoup de souci pour toi, tu
sais.” Dès qu’elle vous aura donné une réponse, dites “Au revoir” et faites
exactement la même chose une heure plus tard. »

Surpris et amusé par cette idée, le psychiatre accepta ma suggestion.


Lors de la séance suivante il me dit qu’au début sa mère l’avait assuré
qu’elle allait bien puis qu’ensuite elle lui avait dit de téléphoner moins
souvent, et pour finir avait clairement manifesté un certain agacement
devant la trop grande fréquence de ses coups de téléphone. Et pendant ce
laps de temps elle n’avait présenté aucun signe de crise de quelque sorte
que ce soit. En fait elle avait même dit à son fils, à plusieurs reprises, de ne
pas s’inquiéter d’elle et de s’inquiéter davantage de lui-même et de sa
profession parce qu’il semblait un peu stressé.

Nous avons alors augmenté le nombre de coups de téléphone qui


passèrent de dix à quinze par jour sans changer la formule. Le résultat a été
que la mère s’est mise à insister pour que le fils s’occupe davantage de lui-
même et cesse de se faire du souci pour elle, et lui recommande de prendre
des vacances et un peu de repos s’il le pouvait. Je lui enjoignis de persister
et de continuer de l’appeler dès les premières heures du jour jusque tard le
soir.

Un mois de ce traitement s’écoula après lequel nous avons fait


l’observation suivante : la mère n’avait eu aucune crise de dépression et
d’alcoolisme et le chantage émotionnel avait cessé pendant toute la durée de
l’exercice. En fait c’était même l’inverse qui s’était produit. Elle était
désormais pleine de sollicitude et de gentillesse à son égard et ne cessait de
lui dire de prendre le plus grand soin de lui-même. Elle avait même laissé
entendre que c’était peut-être une aventure qu’il lui fallait, une passion
amoureuse qui lui permettrait de remonter la pente et de cesser de se faire
du souci pour elle.

C’est alors que nous avons décidé de prévoir sa première nuit loin du
foyer sous prétexte qu’il devait assister à une conférence. Sa mère n’eut pas
de crise cette fois-là. En fait elle était fière qu’il se débrouillât si bien la
première fois qu’il quittait la maison familiale.

Et à partir de là nous avons augmenté progressivement et constamment


le temps qu’il passait à l’extérieur du foyer, en s’arrangeant à chaque fois
pour que ce soit la mère qui le lui suggère et nous nous sommes arrangés
pour que les coups de téléphone diminuent progressivement de fréquence.
Le couronnement de cette thérapie fut le moment où le fils déclara à sa
mère qu’il avait une relation avec une femme, relation qui durait en fait
depuis longtemps, même s’il préféra la présenter comme une conquête
récente. Sa mère exprima une grande satisfaction parce qu’elle pensait que
d’une certaine façon c’était elle qui avait œuvré pour que son fils réussisse.
C’était elle qui en était responsable. Et jamais elle ne découvrit qu’elle avait
été le sujet d’un traitement indirect.

Ce cas illustre bien d’ailleurs le dicton chinois : « Mieux vaut jeter la


brique pour se saisir du jade, plutôt que jeter le jade pour se faire frapper
par les briques », chose qu’avait faite le psychiatre pendant des années.

O
CAS N 2. PERSONNE NE M’AIME
Un homme nous fut adressé par sa femme qui l’accompagna jusqu’à
notre centre. Il déclarait n’avoir pas vraiment besoin de thérapie parce que
ses problèmes étaient entièrement causés par les autres. Il dressa vite un
inventaire de toute une série d’insultes qu’il ne cessait de recevoir, de
l’attitude agressive des autres vis-à-vis de lui, des regards hostiles, etc. En
réalité il souffrait d’un complexe de persécution. Il pensait que tout le
monde avait de l’antipathie pour lui et le rejetait. Je lui demandais de me
donner des exemples détaillés.

Après l’avoir écouté, je lui fis la prescription suivante :


« D’ici notre prochaine rencontre, lorsque vous vous préparez à vous
rendre à votre travail, tous les matins, je veux que vous pensiez :
“Aujourd’hui, de quelle manière pourrais-je avoir un comportement
différent de mon comportement habituel si j’avais l’impression que j’étais
désiré, aimé et respecté ?”. De toutes les choses qui vous viennent à l’esprit,
prenez la plus simple et mettez-la en pratique. Chaque jour accomplissez
une de ces petites tâches concrètes comme si vous aviez réellement le
sentiment qu’il en est ainsi. C’est une expérience, tentez-la. »

Lors de la séance suivante, l’homme déclara que des faits étranges


s’étaient produits au cours de la semaine écoulée. Nombreux parmi les gens
qui le rejetaient ou se moquaient de lui en temps normal – du moins c’était
l’impression qu’il en avait – avaient soudainement changé d’attitude et il
n’arrivait pas à trouver d’explication logique à ce changement. En
employant un langage et un discours paradoxal, je lui dis de ne pas se faire
d’illusion parce que les gens changent rarement d’attitude et de conviction
si soudainement. Cependant je fis la suggestion suivante : il devait
continuer l’exercice que je lui avais assigné mais cette fois-ci comme si les
autres le considéraient comme une personne agréable, sympathique et
attirante.
La séance suivante, l’homme déclara qu’il n’y comprenait rien parce
que maintenant il lui semblait que tout le monde se comportait
différemment, comme s’ils le respectaient et l’aimaient réellement. Et il ne
voyait toujours pas d’explication rationnelle à cela.
Au contraire, comme les lecteurs pourront facilement l’imaginer, des
petits gestes, mais des gestes concrets, qui font comme si la situation avait
changé vont pouvoir renverser l’interaction habituelle entre le sujet et la
réalité. Si le sujet a un comportement différent, les autres changent aussi
d’attitude, à son égard. Ceci donne donc au sujet une expérience véritable
du fait qu’il est devenu sympathique et qu’on le désire. Comme les gens qui
s’occupent de logique et de sciences humaines le savent très bien, les
prophéties auxquelles l’on croit s’accomplissent d’elles-mêmes.

Imaginez que vous alliez dans un lieu public, convaincu que vous êtes
antipathique, que vous n’avez rien d’attirant et que personne ne veut de
vous. Vous allez par conséquent être gauche, rigide et non seulement vos
gestes mais votre expression du visage manifesteront le manque de
confiance en vous. Maintenant essayons de voir cela du point de vue des
gens qui sont déjà présents. Ils voient quelqu’un qui rentre et qui a une
attitude défensive, une expression qui marque bien son manque de
confiance. Que vont-ils faire ? Eux aussi seront tendus et manifesteront un
manque de confiance. Cela aura pour résultat le renforcement de votre
conviction selon laquelle vous n’êtes pas sympathique et que personne ne
veut de vous, sans même vous rendre compte que c’est le résultat de votre
construction de la réalité.

Lorsque nous intervenons sur ce type de problème, nous mettons


l’accent sur l’introduction d’un petit changement qui va déclencher une
réaction en chaîne jusqu’à ce que la situation soit complètement modifiée.
Si nous réussissons à produire un changement une fois par jour au cours
d’une situation qui semble sans importance, anodine, l’attitude qui a été le
prélude à la construction de la réalité dysfonctionnelle va changer. Nous
produisons une expérience émotionnelle réparatrice qui corrige le tir et peut
facilement être augmentée lorsqu’on augmente le nombre de gestes et
d’actions que va avoir le patient en faisant « comme si ». Jusqu’à ce qu’une
nouvelle réalité beaucoup plus fonctionnelle soit construite et remplace la
première réalité.

O
CAS N 3. CESSER DE RÉPONDRE POUR
COUPER COURT AUX QUESTIONS

Un homme désespéré vint me consulter. Son esprit était tourmenté par


des questions banales mais continuelles et irrépressibles telles que : « L’idée
que je viens de formuler était-elle juste ? Est-ce que j’ai bien dit les choses
qu’il fallait et est-ce que j’ai formulé ma pensée de la bonne manière ? N’y
avait-il pas une meilleure façon de faire, et de réparer ces objets ? »

La liste de tels doutes et de telles questions est habituellement sans fin.


Elle place habituellement la personne dans une position très difficile :
même les tâches les plus simples enclenchent une série de questions et de
doutes particulièrement longue. Ce sujet me déclara qu’il se sentait
complètement bloqué par ses doutes au point qu’il ne pouvait plus
accomplir quoi que ce soit, à quelque niveau que ce soit, professionnel ou
personnel.

Dans ce type de psychopathologie, « la solution tentée » mais qui ne


fonctionne pas, s’exprime ou se traduit par le fait que la personne cherche à
donner des réponses raisonnables et rassurantes à ses doutes qui n’ont pas
de raison d’être. Plus le doute est illogique, plus la personne essaie de lui
donner une réponse logique, et devient donc totalement absorbée par ses
tentatives, de plus en plus complexes et de plus en plus pénibles, pour
donner des réponses rationnelles à des problèmes irrationnels.

Comme c’est le cas la plupart du temps, et dans toutes les situations de


ce type, je lui fis la suggestion de la technique suivante pour recadrer ses
perceptions :
« Voyez-vous, il n’y a pas de réponse intelligente à des questions
stupides, mais ces questions surgissent dans votre esprit, et cela vous n’y
pouvez rien. En fait, si vous essayez de mettre fin à ces questions, elles ne
feront qu’augmenter. Si vous essayez de ne pas y penser, vous y penserez
encore plus, parce que réfléchir et s’appliquer à ne pas penser, c’est déjà
penser. Il vaudrait mieux ne pas penser à penser de ne pas penser !

Dans tous les cas, vous ne pouvez pas empêcher les questions et les
doutes de surgir, ils le feront immanquablement. Mais vous pouvez
cependant mettre un terme aux réponses. Et si vous arrêtez de répondre,
vous allez progressivement inhiber la question. Mais pour pouvoir mettre
fin aux questions, il vous faut vous rendre compte qu’à chaque fois que
vous essayez de répondre à une question stupide au moyen d’une réponse
intelligente, vous rendez la question intelligente et vous la renforcez. En y
apportant une réponse, vous alimentez ainsi cette chaîne de doutes. Donc
chaque fois que vous aurez à répondre à un doute, vous allez préparer le
chemin à de nouveaux doutes et ce sera le même jeu, sans fin, que vous
connaissez déjà très bien. Tout ira de mal en pis. Les choses ne vont pas se
contenter de stagner. Donc chaque fois que vous réagissez à un doute
stupide en y apportant une réponse intelligente, vous nourrissez cette
chaîne. Pensez-y. Si vous comprenez cela, vous pourrez mettre un terme
aux réponses. »

Là encore, il est important de noter la structure du langage et de la


communication. Cette manœuvre thérapeutique utilise une dynamique
hyperlogique qui sème le doute dans l’esprit du patient et ce, de façon
hypnotique. Elle s’appuie en effet sur des redondances dans le discours.
Elle construit « une réalité » dans laquelle la force du symptôme
obsessionnel est redirigée contre lui-même, causant une espèce de contre-
circuit dans la persistance du problème. En d’autres termes, nous
appliquons ce stratagème vieux comme le monde qui consiste à « rendre
l’eau trouble pour forcer le poisson à faire surface ».

Anorexie, boulimie, vomissements

O
CAS N 1. S’ALIMENTER PAR LE BIAIS DU DÉNI

Les parents d’une jeune fille vinrent me voir à notre centre. Leur fille
était anorexique. C’était une de ces jeunes filles qui cessent de manger,
perdent du poids et deviennent de plus en plus maigres, parfois même au
point d’en mourir. Les parents me déclarèrent être venus parce que leur fille
ne voulait pas entreprendre de thérapie. Chaque fois qu’ils essayaient de
l’engager dans une thérapie, elle se rebellait et entrait dans une telle rage
qu’il y avait même des épisodes de violence dans la famille. Mais les
parents avaient entendu dire que dans notre centre il était possible
d’entreprendre des thérapies indirectes au cours desquelles ils pourraient
recevoir des conseils puisqu’ils cherchaient à faire changer leur fille.

Comme d’habitude, au lieu de demander aux parents quelle était


l’histoire clinique de la patiente, je leur demandai ce qu’ils avaient fait pour
essayer de résoudre le problème de leur fille. Comme d’habitude, ils me
firent un long récit, me détaillant toutes leurs tentatives de thérapie et tous
les contacts qu’ils avaient eus avec différents psychiatres et psychologues,
dont certains étaient même venus chez eux voir leur fille qui avait toujours
refusé de se laisser aider.

Me concentrant sur la famille, je demandai ce qu’ils avaient fait eux-


mêmes pour essayer de changer la situation de leur fille. Ils me répondirent
qu’ils avaient insisté pour qu’elle mange et avaient tenté d’obtenir qu’elle
vienne à table manger avec eux. Lorsqu’elle venait à table, elle mangeait
toujours très peu ou tentait de venir en retard mais généralement elle
essayait d’éviter de partager le repas avec eux. Elle n’y venait d’ailleurs
plus du tout.
La mère ajouta qu’elle avait essayé de mettre en secret du sucre dans le
thé de sa fille, comme le font habituellement beaucoup de parents
d’anorexiques. Le thé était la seule boisson qu’elle consommait en
abondance, mais sa fille ayant remarqué la supercherie s’était mise très en
colère. Maintenant la fille ne faisait plus confiance à sa mère et ne lui
laissait jamais plus le soin de préparer quoi que ce soit à boire ou à manger.
Elle préparait ses propres repas. Elle ne mangeait que des fruits et des
légumes, et avait récemment commencé à réduire également sa
consommation de ces produits. En conséquence, elle avait perdu plus de
quinze kilos en six mois. Elle pesait maintenant moins de quarante kilos et
les parents étaient extrêmement inquiets.

Ils avaient essayé de l’inscrire dans une clinique spécialisée, mais elle
avait fait tout ce que font habituellement les anorexiques lorsqu’on les force
à manger. Elle avait accepté en silence et avec amertume l’hospitalisation.
Dès son retour à la maison, elle s’était remise à un régime encore plus
draconien et avait perdu plus de poids qu’elle n’en avait repris à la clinique.
Ses parents étaient désespérés, ils me dirent qu’ils étaient prêts à faire
n’importe quoi.
Je les avertis que dans ces cas-là, je demandais quelque chose des
parents qu’il est extrêmement difficile d’obtenir. Ils réitérèrent leur
affirmation, disant qu’ils étaient prêts à tout pour pouvoir aider leur fille.
C’est alors que j’employai une forme de communication qui s’avère
généralement appropriée lorsqu’on s’occupe de parents qui ont cette
logique du sacrifice et ont une attitude protectrice (c’est d’ailleurs le cas
chez la plupart des parents de jeunes filles manifestant des troubles
anorexiques ou d’autres troubles assez graves de l’alimentation). Je leur
dis :
« Je pense que tous les efforts que vous avez faits pour aider votre fille,
pour la faire manger, pour empêcher les choses d’empirer, n’ont pas été
aussi difficiles que ce que je vais vous demander de faire maintenant. Je
vais vous demander de faire des sacrifices encore plus grands. Je suis sûr
que ce que je vais vous demander de faire va être très difficile pour vous ».
Le couple me regardait, s’attendant à entendre je ne sais quelle
prescription pénible. Je continuai :
« Désormais, et d’ici notre prochaine rencontre dans deux semaines, il
faut que vous évitiez de parler du problème de votre fille. Vous devez
littéralement entretenir une conspiration du silence. En fait, vous devriez
avoir même peur de mentionner le problème, parce que plus vous en faites
mention et plus vous l’alimentez. Souvenez-vous, c’est une véritable
“conspiration du silence”. Dès maintenant et jusqu’à notre prochaine
rencontre, je veux que vous vous souveniez que chaque fois que vous
essayez de faire manger votre fille, même si vous utilisez un stratagème,
c’est comme si vous arrosiez ou si vous nourrissiez la plante que représente
sa maladie. Vous devriez donc avoir peur de lui demander de manger. Au
contraire, il vous faut commencer une sorte de boycott. Nous avons besoin
de la mettre dans la situation dans laquelle elle sera frustrée de son
symptôme. Vous devez cesser de l’inviter à manger. Non seulement cela,
mais en plus, vous devez faire semblant d’accorder une grande valeur à son
problème. Comment ? Eh bien, vous allez cesser de lui faire une place à
votre table. Et si elle demande : “Pourquoi vous ne m’avez pas laissé de
place ? Pourquoi ne m’avez-vous pas mis mon couvert ?”, vous répondrez :
“Pourquoi ? puisque de toute façon tu ne manges pas !” Et prenez bien soin
d’éviter de l’inviter à une occasion quelconque où il y aurait de la
nourriture. Si par hasard vous la voyez manger, intervenez immédiatement
en lui rappelant que si elle mange, elle le regrettera, qu’elle va retomber
dans un état de prostration et de désespoir. Et vous (en m’adressant à la
mère), vous devez dire à votre fille plusieurs fois par jour que vous avez fini
par comprendre, que vous ne compreniez pas jusqu’ici combien il était
important pour elle de ne pas manger, et que maintenant vous respecterez sa
décision et coopérerez avec elle. Si vous la voyez manger, soyez prête à lui
rappeler qu’elle le regrettera. »
Les parents semblaient choqués. Ils demandèrent :
« Mais, faut-il vraiment que nous fassions cela ? Et si elle se met à
manger encore moins, et si elle cesse de s’alimenter complètement ? »
Je répondis :
« Si tout ce que vous avez fait jusqu’ici avait marché, vous n’en seriez
pas là. Je vous avais bien prévenus que j’allais vous demander de faire
quelque chose que vous trouveriez très difficile à accomplir, mais essayez
quand même à titre d’expérience. Et je vous demande de le faire deux
semaines, seulement deux semaines. Quoi qu’il en soit, vous me
téléphonerez dans une semaine, quel qu’en soit le résultat. Nous pourrons
toujours ajuster la stratégie si nécessaire. »

Les parents me quittèrent, plutôt « sonnés ». Une semaine après, la mère


m’appela. Elle déclara que quelque chose d’étrange se produisait. Sa fille ne
s’asseyait pas à table avec eux, elle avait accepté l’injonction qui lui avait
été faite de ne pas manger à table, en ronchonnant un peu, mais la mère
avait remarqué que sa fille se levait en secret la nuit pour manger.
« Bon, lui dis-je, contentez-vous de continuer à appliquer la stratégie
que nous avons convenue. »

Les parents revinrent la semaine suivante pour me dire : « Vous savez,


ça commence à marcher. L’autre jour, notre fille est venue à table et a
demandé : “Ah, j’aimerais bien goûter ce que tu as préparé, Maman.” Et
elle est revenue à table, elle ne mange pas beaucoup, vous savez, mais elle a
véritablement mangé quelque chose qu’elle n’avait jamais mangé
auparavant. Nous avions fait des pâtes et elle en a mangé, de même qu’elle
a mangé du riz. Elle m’a demandé de ne pas mettre trop de sauce dessus,
mais elle a mangé avec nous et elle n’a pas fait de scène. Et elle a même été
jusqu’à demander si elle pouvait venir vous voir, parce qu’elle se rend
compte qu’elle veut résoudre maintenant son problème. »

La thérapie de la fille fut entreprise lorsque l’objectif initial fut atteint.


Dans de nombreux autres cas d’anorexie traités indirectement (en donnant
des indications strictes aux parents), la fille commence une thérapie directe
lorsque le besoin n’est plus urgent, du moins pour ce qui est de son
symptôme par rapport au fait de s’alimenter. De toute évidence, il y aura
quand même besoin d’une psychothérapie pour ce qui est d’envisager les
circonstances qui ont déclenché le trouble de l’alimentation.

Parfois le patient n’a même pas besoin de thérapie. Au cours des cinq
ans de recherches entreprises par notre centre sur les troubles de
l’alimentation, plus de 20 % des sujets traités selon nos protocoles
spécifiques, ceux que nous appliquons à de tels troubles, ne sont jamais
venus directement suivre un traitement.

Nous avions guéri la soi-disant malade sans la voir directement, c’est-à-


dire en agissant sur sa famille, et malgré cela le résultat était bien là.
O
CAS N 2. NOUS POUVONS VOUS AIDER
À MIEUX VOUS Y PRENDRE

Comme dans le cas précédent, les parents d’une jeune fille vinrent me
consulter parce que leur fille ne voulait pas s’y résoudre elle-même. Elle
disait qu’elle n’avait aucun besoin d’une thérapie et que c’était à ses parents
d’y aller, car c’était eux qui en avaient besoin.

Cette jeune fille souffrait de ce que l’on définit (à mon avis à tort)
comme étant une « boulimie nerveuse », c’est-à-dire un trouble de
l’alimentation qui consiste à se gaver de nourriture et se forcer à vomir. Je
considère que ce vocable de « boulimie nerveuse » ne convient pas parce
que nos recherches ont montré que ce type de trouble n’a rien à voir avec la
boulimie. Dans de nombreux cas, nous traitons des jeunes filles qui ont des
tendances anorexiques et pour qui, vomir est une bonne façon d’éviter de
perdre ou de prendre trop de poids, ou bien constitue leur méthode
personnelle pour perdre du poids tout en continuant à manger. Mais après
avoir pratiqué cette technique pendant quelques temps, elles la transforment
en pulsion irrépressible. C’est comme si ces jeunes filles (et quelquefois des
hommes) étaient possédées par un démon qui les force à se gaver puis à se
purger.

Les parents me déclarèrent qu’ils avaient tenté de limiter les dégâts


autant que possible, en essayant de mettre la nourriture sous clé. Ils avaient
essayé de ne pas donner d’argent à leur fille, pour qu’elle ne puisse pas
acheter de grandes quantités de nourriture, mais cela s’était avéré vain parce
que si elle n’avait pas un sou, elle volait dans les supermarchés – de sorte
qu’ils préféraient quand même lui donner de l’argent. De même lorsqu’ils
avaient essayé de cacher la nourriture, elle avait toujours été capable de la
retrouver.
Donc ils s’étaient complètement résignés, leur fille ne voulait pas qu’on
la soigne, et passait le plus clair de son temps à manger et à vomir. Elle
sortait rarement de chez elle. Auparavant elle avait un petit ami, mais il
l’avait quittée. Elle avait également eu des amis mais elle ne les voyait plus.
De plus, au dire de ses parents, elle ne se lavait pas souvent et ne se coiffait
plus Elle passait tout son temps à se gaver, se bourrer de nourriture et à se
purger.

Il se trouve que nous avons élaboré des techniques spécifiques, d’après


nos recherches pour ce trouble, et de même que nous l’avons fait pour
l’anorexie et pour la boulimie. La technique que je prescrivis aux parents
est celle que nous utilisons lorsque la jeune fille refuse d’entreprendre une
thérapie :
« Je pense qu’il y a une façon de traiter votre fille sans qu’elle vienne,
mais c’est quelque chose qui peut vous demander certains sacrifices.
Cependant il me semble que vous êtes prêts à vous lancer dans cette
aventure puisque vous avez déjà fait de tels efforts auparavant… Ce que je
vais vous demander n’est pas aussi difficile, mais cela va vous sembler un
peu bizarre. Tout de même prenez la chose très au sérieux. Ce que je vais
vous demander n’est pas du tout fantaisiste… »
Les parents répondirent : « Nous sommes prêts à faire tout ce que vous
nous demanderez, parce que nous avons entendu dire que vous avez traité
de nombreux cas semblables au sien, donc nous avons toute confiance en
vous. »

Ma prescription fut la suivante :


« Dès maintenant, et jusqu’à ce que nous nous voyons la prochaine fois,
la semaine prochaine, tous les matins avant de vous rendre au travail, je
voudrais (en m’adressant à la mère) que vous réveilliez votre fille pas trop
tard mais pas trop tôt non plus et que vous lui demandiez : Qu’est-ce que tu
aimerais manger et vomir aujourd’hui ? »
La femme me regarda et me dit :
« Vous êtes sérieux ? Vous voulez vraiment que je lui pose cette
question ? »
« Bien sûr, et vous devez le faire en ces termes précis : vous devez
demander à votre fille : “Que veux-tu manger et vomir aujourd’hui ?” Puis
je veux que vous écriviez sur un papier le menu demandé. Quoi que vous
demande votre fille, sortez, faites les achats qu’elle vous demande de faire.
Et si votre fille refuse de vous donner le menu, je pense que vous savez déjà
par habitude ce qu’elle mange et ce qu’elle vomit, donc vous allez acheter
de grandes quantités de ces choses-là, puis vous allez revenir à la maison et
mettre toute la nourriture sur la table de la salle à manger, et non de la
cuisine. Il faut que tout soit étalé dans la salle à manger. Il faut que vous
preniez un petit bloc, des petites feuilles autocollantes jaunes, et que vous
écriviez : “Nourriture pour – et là vous mettrez son nom – à manger et à
vomir.” Souvenez-vous, personne d’autre ne doit toucher à cette nourriture.
C’est seulement pour votre fille et pour l’accomplissement du rituel de
votre fille. »

Les parents me regardèrent, complètement abasourdis, comme si je leur


demandais de faire quelque chose d’encore plus fou que le comportement
qu’avait leur fille. Le père déclara : « Mais ça va la rendre terriblement
heureuse ! Elle en sera ravie. »
« Nous verrons bien », lui répondis-je.

La semaine suivante les parents revinrent me voir et me dirent que leur


fille avait protesté avec véhémence lorsqu’elle avait vu la nourriture sur la
table et avait refusé de la manger. Elle avait pris toute cette nourriture et
l’avait cachée dans un placard. La mère ajouta :
« Donc, en suivant la prescription que vous m’avez faite, j’ai ressorti
toute cette nourriture du placard et j’en ai encore ajouté d’autre. Et nous
avons maintenant une quantité phénoménale de tous ces aliments ! »
Je souris et répondis :
« Eh bien, nous n’avons plus qu’à envoyer les restes aux enfants qui
meurent de faim partout dans le monde, en Bosnie et Dieu sait où. »
La mère ajouta :
« Mais, ce qui est le plus intéressant dans tout cela, c’est qu’elle a
considérablement diminué son absorption de nourriture, elle n’a pas cessé
totalement de se gaver, mais au moins elle se gave moins. »
« C’est très bien, dis-je. Cela m’encourage à continuer. Nous devrions
garder la même stratégie. Donc souvenez-vous (en m’adressant à la mère)
désormais il va vous falloir faire encore autre chose. Rappelez à votre fille,
et vous aussi Monsieur, rappelez-lui plusieurs fois par jour qu’elle peut
manger et vomir à sa guise, car tout ce qu’elle veut est toujours là à sa
disposition… »
« Comment ? me dirent-ils. Faudrait-il que nous la poussions à le faire
alors même qu’elle le fait de moins en moins ! Et si elle recommençait de
plus belle ? »
« Nous verrons bien, répétai-je. Rappelez-vous que vous devez inviter
votre fille à manger et à vomir. Et le lui enjoindre au moins quatre à cinq
fois par jour, lui dire que vous allez acheter cela pour elle et rien que pour
lui faire plaisir. »
Les parents quittèrent le cabinet encore plus choqués que la fois
précédente.

La semaine suivante ils revinrent en disant que les symptômes de leur


fille avaient encore diminué et qu’en fait elle s’était mise en colère chaque
fois qu’ils lui avaient demandé de manger et de vomir. Elle leur avait
demandé : « Pourquoi me dites-vous cela ? »
« En fait, précisa la mère, vous savez ce qu’elle me dit, docteur, elle me
dit que j’ai tout gâché, et que les choses ne sont plus comme avant. Avant
elle en tirait un certain plaisir, mais maintenant elle n’en a plus aucun.
D’ailleurs ma fille m’a demandé si elle pouvait venir vous consulter parce
qu’aujourd’hui elle aimerait cesser tout cela. »

Lorsque la fille vint en consultation, les symptômes n’avaient pas


complètement disparu. Cependant du fait qu’ils avaient régressé de façon
considérable, il me fut relativement facile de continuer la thérapie jusqu’à
leur extinction complète.

O
CAS N 3. C’EST TROP BON DE MANGER
ET DE VOMIR

Une jeune femme, la trentaine environ, qui professionnellement avait


une vie de cadre tout à fait réussie, vint un jour me consulter. Son problème
était qu’elle mangeait et vomissait chaque jour, aussi bien aux heures des
repas qu’à d’autres moments de la journée. Et elle était absolument
incapable de se débarrasser de ce problème. Elle ne pensait pas que je
pourrais l’aider, car elle avait déjà entrepris une thérapie à plusieurs reprises
et aucun des praticiens qu’elle avait vus précédemment n’avait pu parvenir
à de quelconques résultats au moyen de thérapies médicamenteuses ou de
psychothérapies. Tout comme je l’avais fait pour l’autre patiente qui défiait
le médecin, dans le cas que j’ai décrit précédemment, j’utilisai sa résistance
en la lui prescrivant.

Je lui demandai si elle était prête à faire n’importe quoi. Elle me


répondit : « Oui, mais à condition que vous ne me demandiez pas de
m’arrêter de manger et de vomir parce que cela, je ne pourrai pas le faire, et
à condition que vous ne me demandiez pas de faire quelque chose de façon
directe, parce que ça, j’aime aussi beaucoup trop le faire. Donc il n’y a
absolument pas de façon dont je puisse me sortir de cette affaire. Mon
problème, je l’aime trop pour l’abandonner. » C’est ce que disent
d’habitude les sujets qui ont tenté plusieurs fois des thérapies.

Comme chaque fois qu’un patient vient me voir en me demandant de le


faire changer sans le faire changer, ce qui est assez paradoxal, je répondis :
« Très bien. Nous pouvons difficilement toucher au symptôme car il
procure trop de plaisir. C’est vous l’experte. C’est vous qui avez toute cette
expérience, et vous avez tout à fait raison, le plaisir est ce que nous
cherchons le plus souvent à obtenir dans la vie. Je suis tout à fait convaincu
que le plaisir doit être recherché. Il faut absolument le cultiver. Pourriez-
vous, s’il vous plaît, me dire comment vous vous y prenez et comment vous
arrivez à vous procurer un tel plaisir ? »

Adoptant une attitude exhibitionniste, elle me décrivit toutes les choses


dégoûtantes qu’elle adorait faire avec la nourriture. J’épargnerai au lecteur
les détails de ce descriptif. Puis je lui dis :
« Mais ne pensez-vous pas que vous pourriez vous spécialiser, en
quelque sorte, et améliorer encore cela ? D’ici notre prochaine séance,
j’aimerais que vous fassiez la même chose une fois par jour mais de la
façon qui puisse vous procurer un plaisir maximal, le plus extrême plaisir
que vous puissiez imaginer. Vous devez faire en sorte que cette expérience
soit aussi extraordinaire que possible mais pour cela vous devez choisir le
lieu et l’heure où vous allez pratiquer cette expérience. Peut-être qu’après
minuit, lorsque tout le monde dort, ce ne serait pas mal ? Pensez-y. Ce serait
quand même bien, vraiment très très beau… Ah, peut-être mieux encore,
choisissez tous les aliments que vous préférez, tout ceux qui vous procurent
les plaisirs “érotiques”. Choisissez la meilleure heure de la journée et la
façon dont vous allez vous gavez et vous purger qui vous soit la plus
agréable possible… En un mot, faites le choix de ce qu’il y a de mieux et
savourez ce choix ! »
La femme était plutôt surprise. Elle me répondit :
« Vous êtes quelqu’un de bizarre. D’ailleurs je me demande si vous-
même vous ne vous forcez pas à manger et à vomir ? Sinon comment
pourriez-vous si bien me comprendre ? »

Lorsque elle revint, elle me dit qu’elle avait choisi véritablement ce


qu’il y avait de mieux et que ça l’avait conduite à n’avoir qu’un épisode de
prise de nourriture suivi de vomissements, au lieu de cinq ou six comme
avant. Pourtant, elle n’avait pas eu le sentiment de passer à côté de quoi que
ce soit. Cet unique repas vomi satisfaisait son besoin d’accomplir le rituel
quotidien, de sorte qu’elle n’avait plus besoin de le répéter.
C’est alors que j’émis la suggestion suivante : pour profiter de ce
changement, il serait bon qu’elle songe à deux choses, premièrement,
comment utiliser le temps libre qu’elle passait auparavant à accomplir ces
rituels et, deuxièmement, ne serait-il pas possible d’en tirer encore plus de
jouissance en en retardant l’accomplissement ?
Elle me répondit qu’elle y réfléchirait, mais que pour ce qui était
d’utiliser le temps libre que lui laissait cette nouvelle stratégie, c’était déjà
fait, puisque de toutes façons elle le passerait au travail vu que c’était ce
qu’elle faisait depuis deux semaines. Je lui répondis qu’il y avait aussi
d’autres choses qu’elle pourrait savourer dans la vie.

Lors de la séance suivante, une semaine plus tard, elle me précisa que le
fait de retarder le plaisir avait rendu le rituel encore plus savoureux. Et elle
me cita effectivement Freud, qui parlait de différer la réalisation du désir
pour augmenter le plaisir. Elle avait découvert que si elle différait le
moment de manger et de vomir de quelques jours, elle y prenait encore plus
de plaisir.

Deux semaines plus tard, elle était passée de cinq ou six rituels
quotidiens à deux rituels hebdomadaires. Sans aucun sentiment de perte
mais au contraire avec un sentiment de plaisir : « Il s’agissait d’augmenter
en réduisant. »
La patiente avait également remarqué que les gens se souciaient
davantage d’elle et qu’elle commençait à ressentir de façon assez urgente le
besoin d’avoir une vie sociale beaucoup plus active. La thérapie se
poursuivit donc dans cette direction et s’accompagna d’une réduction
constante de la fréquence avec laquelle revenait le symptôme, tout en
concentrant et en distillant le plaisir pervers qu’elle y prenait. Entre temps
sa vie sociale prenait davantage d’ampleur.

Trois mois plus tard, elle connut une histoire d’amour passionnée et ceci
porta un coup final au trouble qu’elle ressentait. Elle se mit à oublier
d’effectuer son rituel de plaisir. Peut-être en avait-elle trouvé un autre,
encore plus savoureux, le rite naturel de l’amour auquel elle avait
aujourd’hui la possibilité et le courage de s’abandonner.

O
CAS N 4. SI VOUS VOULEZ VOUS GAVER,
FAITES-LE VRAIMENT !

Une jeune femme vint me demander de l’aide car elle voulait faire
cesser sa pulsion de dévorer la nourriture. Elle avait environ trente kilos de
trop. et mangeait continuellement pendant la journée. Je lui demandai ce
qu’elle avait fait ou essayé de faire pour contrôler cette pulsion qu’elle
n’arrivait pas à réprimer. Elle répliqua qu’elle avait essayé toutes les
solutions possibles et imaginables à savoir ne pas s’approcher de quoi que
ce soit d’alimentaire, éviter les situations où il pouvait y avoir de la
nourriture, demander à ses parents de mettre la nourriture sous clef, bref
toutes les solutions tentées habituellement qui entretiennent et font empirer
ce type de problème.
Dans des cas semblables, après quelques séances préliminaires
(habituellement après les deux premières séances), nous formulons une
prescription standard stéréotypée qui marche très bien : « Choisissez l’un
des milliers de régime que vous connaissez. Vous en savez certainement
bien plus long que moi à ce sujet, puisque vous avez essayé de si
nombreuses formes de régime. Assurez-vous simplement qu’il n’est pas
trop difficile à suivre. Chaque fois que vous mangerez quelque chose qui
n’est pas prévu dans ce régime, il va vous falloir manger cinq portions de
cette nourriture. Par exemple, si vous mangez un carré de chocolat, il vous
faudra en manger quatre autres et si vous mangez une part de gâteau, vous
devrez en manger quatre pour que cela fasse cinq etc. Soit rien du tout, soit
cinq portions de chaque.

L’effet habituellement obtenu par cette prescription est que, à la séance


suivante, les gens reviennent me dire qu’à aucun moment ils n’ont pu
manger cinq portions de chaque plat parce qu’ils évitaient soigneusement
de manger quelque chose qui n’était pas prescrit dans le régime craignant
d’être obligés d’en manger cinq fois. Ou bien qu’ils avaient effectivement
mangé cinq fois de chaque aliment à plusieurs reprises mais après cela, ils
avaient cessé de s’écarter du régime parce que le fait de transgresser la règle
ne procurait pas le même plaisir qu’auparavant.

Lorsque la jeune femme revint me voir, elle me dit qu’elle avait perdu
deux kilos en une semaine. Elle avait réussi à suivre le régime qu’elle
s’était imposé sans se sentir privée de quoi que ce soit.
Habituellement dans ce cas de figure, et quand on en arrive à ce stade,
nous continuons de faire une prescription qui ressemble à une grande
« punition » en augmentant le « risque ». Nous prescrivons de répéter sept
fois la transgression lorqu’il y a transgression, puis de la répéter dix fois etc.
Avec une telle épée de Damoclès suspendue au-dessus de leurs têtes, les
patients respectent généralement le régime jusqu’à ce qu’ils retrouvent leur
poids idéal.

Ce stratagème thérapeutique fait des merveilles dans les cas de


boulimie, en transformant le plaisir lié à la suralimentation, à l’absorption
d’une quantité excessive de nourriture, en torture qu’il faut à tout prix
éviter.

La dépression

O
CAS N 1. OFFREZ UNE ÉCOUTE À CEUX
QUI SONT DÉPRIMÉS

Une grande famille qui était composée de plusieurs familles assemblées


(trois frères et leurs familles respectives, ainsi que leurs parents âgés) vint
me consulter. Ils habitaient tous dans la même maison mais chaque famille
occupait un étage séparé. Le problème dont ils sont venus me faire part était
le suivant : l’un des frères déprimait sérieusement depuis quelque temps.

Les solutions tentées le plus habituellement dans les cas de dépression,


lorsque le sujet déprimé a tendance à se plaindre et à se présenter en tant
que victime, sont que la famille cherche à contrer cela en encourageant, en
réconfortant le sujet. Ce schéma était encore plus évident
qu’habituellement, dans cette famille étendue et particulièrement soudée.

À la fin d’une séance interminable, durant laquelle chaque membre des


quatre familles exprima son amour pour le patient et son désir de tenter tout
ce qui serait nécessaire pour l’aider, je leur fis à tous la prescription
suivante :
« Au vu de la façon dont vous êtes attachés les uns aux autres et dont
vous vous soutenez mutuellement, je pense que vous serez tout disposés à
faire quelque chose qui semble être difficile mais n’en est pas moins très
important pour lui. D’ici la séance prochaine, il va falloir tous vous réunir
chaque soir avant ou après le dîner, et vous asseoir dans l’un de vos salons.
Le mieux serait que ce soit le salon de vos parents. Et lui restera debout.
Prenez un réveil et réglez-le de sorte qu’il se mette à sonner une demi-heure
plus tard. À tous il faudra respecter un silence religieux tandis que vous
l’écouterez. Et vous, (s’adressant au patient) vous aurez une demi-heure
pour vous plaindre et vous pourrez exprimer toutes vos doléances et vos
griefs autant que vous le voulez. Et tout le monde vous écoutera. Là, vous
aurez véritablement une occasion de leur faire comprendre à quel point il
est terrible de déprimer, à quel point tout est noir et à quel point rien ne
vous semble normal, rien ne peut vous rendre heureux, etc. Et eux devront
écouter dans ce silence religieux. Jusqu’à ce que le réveil sonne. Et là, stop.
Il vous faudra remettre le reste au lendemain soir. Et pendant toute la
journée vous devrez éviter de parler du problème, tous autant que vous êtes,
car il y a maintenant un espace réservé à cela dans la soirée.

Deux semaines plus tard la famille revint au grand complet et raconta :


« Les tous premiers soirs il se plaignait beaucoup, et après un petit bout
de temps il n’avait plus de sujet de plainte. Et le reste du temps il nous a
raconté des histoires marrantes qui nous ont fait beaucoup rire, tout comme
il faisait avant de tomber malade. »
Je demandais au patient de me décrire quels avaient été ses impressions,
ses sentiments et émotions :
« Vous savez, ce qui est étrange c’est que soudain, il y a quelques jours,
je me suis mis à voir et ressentir les choses comme avant. Je me suis
demandé comment il était possible d’être aussi mal. J’ai tout ce que l’on
peut souhaiter de mieux, une famille formidable, cela vous pouvez le voir
de vos propres yeux, une femme qui m’aime, aucun problème financier, je
peux faire ce que je veux, alors je voudrais savoir si vous pouvez
m’expliquer ce qui m’est arrivé pour que je ne voie plus tout cela ? »
Je n’avais fait qu’appliquer le stratagème ancien qui consiste à « frapper
le sol pour faire fuir les voleurs ».

Suite à la première expérience émotionnelle réparatrice, nous recadrons


progressivement les modes de perception et de réaction du sujet en
appliquant d’autres manœuvres spécifiques jusqu’à ce qu’il atteigne un
équilibre personnel nouveau et fonctionnel.

O
CAS N 2. C’EST VRAI, NOUS VIVONS DANS
UNE VALLÉE DE LARMES

Une femme vint me consulter dans un état de dépression profonde.


L’image qu’elle donna de sa situation était celle que l’on rencontre
fréquemment dans de tels cas. Elle vivait dans un état de désespoir, tout lui
paraissait noir, elle ne pouvait rien savourer depuis très longtemps. Elle se
sentait complètement démotivée.
La plupart de ses journées, elle les passait au lit les rideaux tirés. Elle
n’avait aucune envie de faire quoi que ce soit et se sentait inutile aux autres
et au monde. Elle raconta que son mari ne se souciait pas d’elle. Il
partageait son temps entre le bar et ses amis, et se montrait totalement
indifférent à son malheur. Ses deux enfants s’étaient mariés, et avaient
quitté le domicile familial et elle n’avait pratiquement aucun contact avec
eux. En fait elle les voyait très peu. Ils étaient devenus des membres à part
entière de leur belle-famille, de sorte qu’elle avait pratiquement le
sentiment d’avoir été abandonnée. Apparemment ses enfants préféraient
leur belle-famille à leurs propres parents.
C’était ce qu’on entend classiquement dans les cas de dépression, au
cours desquels la personne a l’impression d’être une victime comme si elle
ne participait pas elle-même à cette réalité. Toute forme d’attitude
consolatrice, même si c’est ce que réclament explicitement les gens, ne
produit habituellement aucun effet sinon un durcissement de leur position
de « victime » consécutif à l’intervention.
Au lieu de cela il est fort utile de procéder de la façon qui suit :
« Vous avez tout à fait raison, la vie n’est rien d’autre qu’une “vallée de
larmes”. Tout compte fait nous naissons pour souffrir, je vous comprends
très bien parce que moi-même d’ailleurs je vois à maintes reprises les
choses en noir et je me rends compte que rien n’a jamais d’utilité. Nous
sommes tous comme ce personnage de la mythologie grecque. Il avait volé
la flamme de l’intelligence à Zeus et il l’avait donnée aux êtres humains qui
ne la méritaient pas. Et pour cela il avait été condamné à remonter un
énorme rocher sur une colline, et dès qu’il arrivait au sommet, il était
contraint de voir la pierre dévaler le versant opposé, donc forcé de
recommencer de nouveau à zéro. Je crois que nous sommes tous dans cette
situation. Il peut y avoir des motifs de se réjouir de temps à autre, mais nous
finissons par payer ces moments de joie au prix fort. »
La femme me regardait fixement alors que je donnais cette description
déprimante et paradoxale de l’existence humaine. Mais elle m’interrompit
et, de façon étrange, commença à me consoler :
« Allons, allons docteur, les choses ne sont pas si tragiques. Après tout
il y a de bonnes choses dans la vie, malheureusement elles ne durent pas
toujours mais d’autres peuvent se produire et vous, vraiment, vous êtes le
dernier qui devrait se plaindre… »
Je continuais de tenter ce discours, de me mettre dans la peau de la
personne déprimée et elle continua à me consoler. Toute la séance se passa
dans cet esprit-là, et nous avions la situation paradoxale d’un patient
déprimé qui essaye de réconforter son thérapeute déprimé. Cependant au fur
et à mesure qu’elle essayait de me donner un peu de moral, on aurait dit
qu’elle-même sortait de sa dépression. En fait, elle-même commençait à
sourire et réagissait avec une certaine vivacité qui ne cadrait pas très bien
avec son personnage de personne déprimée.

Lors de la deuxième séance, la semaine suivante, la femme me déclara


qu’au cours de la semaine elle avait eu une étrange impression de
soulagement. Elle avait désiré faire certaines choses, de sorte qu’elle était
allée faire les courses plusieurs fois. Elle avait aussi rendu visite à ses deux
fils, qui pour la première fois avaient paru heureux de la voir.
Je répondis :
« Chère Madame, ne vous faites pas d’illusion. Il peut sembler parfois
que les choses vont mieux, mais ce n’est que pour devenir pires par la suite.
N’espérez rien de bon de la vie. Il y a sans doute un mauvais coup qui va
vous frapper d’ici peu. »
Et je continuais sur le même ton, adoptant toujours ce discours tandis
que la femme me fixait, surprise, et se mettait à contredire l’opinion que
j’exprimais, me soutenant que c’est à tout un chacun de se reprendre, de
réagir, et qu’on ne peut pas toujours rendre les autres responsables.

Comme le lecteur le constate, nos positions respectives avaient été


absolument inversées, le patient étant celui qui disait ce que le médecin était
censé dire et vice versa.
La semaine suivante, la patiente s’était sentie encore mieux. Elle avait
repris des activités qu’elle avait abandonnées des années auparavant. Elle
rendit visite à ses fils plusieurs fois et avait senti sa relation avec eux
changer de façon durable. Même son mari s’était mis à se soucier d’elle.
Je repris le rôle d’une personne déprimée mais cette fois-ci elle
m’interrompit en me disant :
« Je vois bien ce que vous êtes parvenu à me faire faire. Donc ce n’est
plus la peine de faire semblant d’être déprimé. »
Et la thérapie se poursuivit encore quelques séances mais sur le mode
d’un dialogue. Nous avons alors discuté des meilleures options à prendre
pour l’avenir.

Avec les patients déprimés, l’attitude fonctionnelle est d’être encore


plus déprimé qu’eux. Lorsqu’une femme a l’impression de chuter et que
vous la tirez encore plus vers le bas, cette personne essaiera de lutter du
mieux qu’elle peut pour refaire surface.
Couples en crise

O
CAS N 1. LE COUPLE QUI NE POUVAIT CESSER
DE SE DISPUTER

Un jour dans mon cabinet, j’entendis des cris qui provenaient de la salle
d’attente au moment où je prenais congé d’un patient. J’ouvris la porte et
vis un couple en train de se battre. D’une voix suave et en parlant lentement
je leur demandais :
« Excusez-moi, êtes-vous venus ici pour me voir ? »

Ils interrompirent leur dispute et s’excusèrent, en rentrant dans le


cabinet. De toute évidence il s’agissait d’un couple très enclin à la dispute.
Leur problème était qu’ils n’arrivaient pas à arrêter de se disputer. Ils
réussissaient à se disputer plusieurs fois par jour, et chaque fois qu’ils
faisaient la paix, ils se promettaient mutuellement tolérance. Puis ils
retombaient immanquablement dans un nouveau conflit.

La nuit, après des instants extrêmement intimes, ils restaient éveillés


pendant des heures à savourer la douceur de l’atmosphère et à parler en
toute sérénité des raisons qui les faisaient se disputer. La plupart du temps,
ils avaient l’impression de se comprendre parfaitement. Mais au matin, le
plus petit désagrément déclenchait une querelle furieuse.
Ils me dirent avoir entrepris une thérapie familiale depuis plus d’un an.
Ils n’avaient rien contre leur thérapeute, qui était une personne très aimable.
Avec elle, ils avaient examiné tous leurs problèmes et les causes de leurs
problèmes mais malheureusement cela n’avait pas fait décroître la
fréquence de leurs disputes. La parfaite connaissance qu’ils avaient du
problème et de ses causes ne les avait pas empêchés le moins du monde de
se disputer. La situation n’avait pas du tout évolué.

Après avoir écouté attentivement et observé leurs efforts conscients


pour éviter l’escalade continuelle de leurs différents et de leurs points de
désaccords, je leur prescrivis ce qui suit :
« Franchement, je crois qu’il y a très peu de chance que vous cessiez de
vous disputer. Je pense qu’il serait absolument inutile de vous demander de
faire un effort pour ne plus le faire, mais au contraire je vais vous demander
de vous disputer chaque fois que vous en avez envie. Simplement, vous
devez suivre mes instructions. Y a-t-il une pièce dans la maison que vous
aimez moins que les autres pièces ? »
Chacun des deux répondit immédiatement, et chacun fit mention d’une
pièce différente. Ils commencèrent immédiatement à se disputer à ce sujet.
Je les interrompis et ils continuèrent :
« Bien, bien, je vois que vous arrivez même à vous disputer au sujet de
ce que nous appellerons “la salle de dispute”. Voilà un très bon début, c’est
très prometteur. Je pense qu’il va falloir que je choisisse moi-même cette
pièce. »

Je leur demandai de me décrire leur appartement et je choisis une pièce


qui ne soit pas la chambre à coucher. Car les choses se passaient
apparemment bien à ce niveau-là. Puis je leur précisais :
« Comme je vous l’ai dit, il va falloir que vous fassiez de cette pièce “la
pièce à disputes”. Et je vous demande de me promettre tous deux d’exécuter
scrupuleusement les instructions que je vais vous donner. D’ici la prochaine
séance, chaque fois qu’il vous arrivera de commencer à vous disputer, je
veux que vous alliez dans la pièce à disputes et que vous fassiez exactement
tout ce qui vous vient à l’esprit jusqu’à ce que la dispute soit terminée. Tant
que la dispute ne sera pas terminée, vous y resterez et seulement quand
vous aurez satisfait tous vos désirs vous pourrez quitter la pièce. Souvenez-
vous, chaque fois que vous commencez à vous disputer, il vous faut aller
impérativement dans la salle de disputes et poursuivre votre querelle là-bas,
dans cette pièce, jusqu’à la fin de la dispute. Et même si cela se produit
plusieurs fois par jour, vous devez vous rendre dans la salle à disputes. Si
vous êtes loin de chez vous, il vous faudra revenir chez vous, rien que pour
cela. »
Visiblement surpris mais souriants parce que la prescription les amusait,
ils quittèrent mon cabinet dans un calme relatif.

Lors du rendez-vous suivant, ils me firent le récit suivant :


« Docteur, quelque chose d’étrange s’est passé. Nous ne nous sommes
guère disputés depuis la dernière séance et c’est la première fois depuis que
nous sommes mariés qu’il se passe autant de temps sans que nous nous
disputions. Ce qui est marrant, c’est qu’aux moments où nous entamions
une dispute, nous nous sommes rendus dans la salle à disputes ainsi que
vous nous l’aviez demandé, mais une fois que nous y étions nous nous
regardions, et nous nous sentions réellement stupides et nous finissions par
rire des choses qui normalement nous auraient mis dans une colère noire.
Nous pensons avoir compris votre stratagème, mais dans le fond ça marche
très bien. »

J'ai traité ce couple pendant quelques séances supplémentaires pour être


sûr que l’effet n’était pas que temporaire. Au contraire le couple a appris à
remplacer les agressions mutuelles et réciproques par l’ironie et l’humour,
de sorte que les choses qui, auparavant, donnaient lieu à des disputes
enflammées, étaient devenues une cause de plaisanterie, une raison de
prendre un ton enjoué.

Comme par magie, un peu comme on le croyait au Moyen-Âge « Une


pierre vulgaire s’était transformée en or ».

O
CAS N 2. LE MUR DU SILENCE

Contrairement au cas précédent, certains autres sont dans des situations


où il n’y a pas d’escalade dans la dispute mais, plutôt, une accoutumance et
une résignation mutuelle qui font que le couple se replie sur lui-même.

Un couple était venu me voir. Ils décrivaient leur relation comme étant
une relation d’indifférence mutuelle totale, de rejet l’un de l’autre sur le
plan sexuel, de manque de communication, d’absence de dialogue et de
rage silencieuse et réciproque. Devant cette atmosphère « joyeuse », je
décidais de voir en consultation chacun des deux patients séparément, et il
apparut lors de ces rencontres individuelles, que chacun des deux époux
avait accumulé une telle rage intérieure à l’égard de l’autre qu’ils se
punissaient mutuellement par cette indifférence. Cependant chacun d’eux
disait être lié à l’autre pour toujours. C’est pour cette simple raison qu’ils ne
pouvaient oublier ni pardonner les épreuves qu’ils avaient enduré par le
passé.

Pour celui qui observe les choses de l’extérieur, ce qui est intéressant
c’est que dans ce type de conflit l’un des deux époux considère l’autre
comme responsable et se croit dans son bon droit. L’interaction qui en
résulte est semblable à celle qui se produirait lorsque deux miroirs seraient
mis face à face et que chacun renverrait à l’autre ses propres reflets. Il est
par conséquent nécessaire d’intervenir de façon à donner plus de souplesse
à cette position rigide de détachement apparent de la part de chacun des
conjoints.

Après les avoir vus séparément, je les convoquai ensemble dans mon
cabinet et leur assignai d’exécuter la prescription suivante jusqu’à notre
prochaine rencontre :
« Chaque soir, avant ou après dîner, vous devez vous consacrer pendant
une demi-heure à l’exercice que je vais vous indiquer. Allez dans la
chambre à coucher, prenez un réveil et réglez-le de façon à ce qu’il sonne
quinze minutes plus tard. Vous, Madame, vous allez vous asseoir, et vous,
Monsieur, vous allez rester debout. Je vous donne quinze minutes pendant
lesquelles vous devez exprimer tous vos griefs, tout votre ressentiment, tout
ce que vous reprochez à votre femme. Vous pouvez l’accuser de tout ce que
vous voulez. Et souvenez-vous, le pire de ce que vous pensez d’elle doit
être formulé, il faut absolument que cela “sorte”. Mais lorsque le réveil
sonnera, il va falloir que vous vous arrêtiez et que vous inversiez les rôles.
C’est vous, Monsieur, qui allez vous asseoir et c’est vous, Madame, qui
allez rester debout. Donc c’est à vous, Madame, de dire à votre mari
pendant quinze minutes tout ce que vous pensez de lui et que vous n’osez
pas dire depuis longtemps. Il faut donc que tout ce que vous avez à dire
“sorte”, même le pire, et lorsque le réveil sonnera, vous cesserez de dire à
votre mari ces pires choses qui vous viennent à l’esprit. Vous les remettrez
au lendemain soir. Et le lendemain soir vous allez inverser l’ordre dans
lequel vous vous parlerez, de sorte qu’aucun de vous deux ne pensera qu’il,
ou elle, a eu le dernier mot. »

Le couple revint me voir la semaine suivante. Ils me déclarèrent que


chacun des deux avait prononcé des mots terribles que, ni l’un, ni l’autre, ne
soupçonnait de la part de son conjoint. Tous deux me dirent que c’était la
première fois qu’ils avaient pu donner libre cours à toute la rage qu’ils
avaient accumulée au fil des ans. Cependant, ils avaient, tous deux, été
surpris du fait qu’ils s’étaient sentis plus libres d’exprimer aussi bien leur
affection que leur colère. Ils avaient eu des relations sexuelles pour la
première fois depuis des mois et, le dimanche précédent, ils s’étaient
promenés dans les collines, chose qu’ils n’avaient pas faite depuis de
nombreuses années.

À ce stade, tout ce qu’il me fallait faire c’était de suggérer qu’ils


réservent chaque jour un moment, peut-être de façon moins contraignante
que dans l’exercice que je leur avais assigné précédemment, pour donner
libre cours à tous leurs sentiments négatifs et pour s’accorder mutuellement
tout le temps dont ils avaient besoin. J’expliquai que la colère et la mise en
accusation de l’autre sont comme l’eau d’une rivière, c’est-à-dire que plus
on essaye de la contrôler, et plus cette eau devient impétueuse jusqu’à ce
qu’elle force les barrages et les rives et emporte tout sur son passage. Au
lieu de contrôler notre colère, il nous faut lui donner libre cours mais si
possible la canaliser, parce que dans ce cas, et comme ce qui leur était
arrivé, la force de cette rage peut devenir une source positive pour faire
renaître des sentiments, des émotions, de l’affection.

O
CAS N 3. CHÉRI, TU ES TELLEMENT MACHO
LORSQUE TU ME MALTRAITES

Une jeune femme mariée depuis quelques années, me rapporta que son
mari était récemment devenu insupportable. Il l’attaquait verbalement
même lorsqu’elle n’y était de toute évidence strictement pour rien. Il ne
cessait de la rabaisser en privé comme en public. Et, à part cela, elle ajoutait
que rien ne manquait à leur relation, que c’était simplement qu’il avait
mauvais caractère, qu’il était difficile.
Lorsque je lui demandais ce qu’elle avait fait pour calmer son mari, elle
me répondit qu’elle avait essayé d’exposer son point de vue, de lui faire
comprendre ses torts mais que cela le faisait enrager encore plus. Sa
réponse habituelle était :
« Tu vois bien, tu ne comprends strictement rien ! »
Comme dans d’autres situations semblables, le comportement tout à fait
raisonnable de l’épouse ne faisait que conforter le comportement
déraisonnable du mari. Il fallait donc intervenir d’une façon qui allait
changer cette « solution tentée » qui ne faisait que compliquer les choses.
« Je pense que je comprends votre problème, du moins assez pour
pouvoir vous suggérer quelque chose qui pourrait changer votre
malencontreuse situation. Je dois vous mettre en garde, cette suggestion que
je vais vous faire vous semblera un peu étrange, sinon carrément farfelue.
Néanmoins il va vous falloir la suivre à la lettre. Chaque fois que votre mari
s’en prendra à vous ou vous agressera, vous devrez répondre : « Chéri, j’ai
compris quelque chose : je me rends compte que plus tu me traites de cette
façon, plus je t’aime. Cela déclenche quelque chose de sensuel en moi,
quelque chose que je n’ai jamais pu apprivoiser ou domestiquer, quelque
chose de sauvage qui fait que je te trouve encore plus attirant. S’il te plaît,
refais-le. »
Étonnée, elle me répondit : « Mais ce n’est pas vrai, il me rend folle, je
pourrais même le tuer. »
« Nous savons cela, lui déclarai-je, mais je serais curieux de voir la
réaction de votre mari si vous lui disiez cela. »
« Il dira que je suis devenue folle, que je suis une idiote et il sera encore
plus en colère. »
« Peut-être, mais il est également possible que quelque chose de
différent se produise. Dans tous les cas, vous avez l’habitude de ce genre de
situation, donc essayez cette nouvelle expérience, ce n’est que pour une
semaine. Chaque fois que votre mari vous attaquera, ou vous rabaissera,
dites-lui que cela vous excite, que vous êtes d’autant plus attirée par lui et
que vous avez beaucoup de difficulté à contrôler cette pulsion sexuelle. »

La femme revint me voir à la séance suivante, toute souriante. Mais elle


n’était pas venue seule : son mari était venu avec elle. Elle me dit que son
mari avait été tellement surpris par sa réaction que cela avait bloqué toute
velléité d’agression envers elle. Enfin il avait décidé de venir avec elle ce
jour-là parce qu’il s’était rendu compte que lui-même avait besoin d’aide
pour apprendre à contrôler cette nervosité incontrôlable.
La phase suivante de mon intervention fut consacrée entièrement au fait
de guider le mari de sorte qu’il apprenne à contrôler ses réactions.

Ceci est une parfaite illustration du fait que parfois rien n’arrive à
désarmer une situation explosive qu’une réaction en apparence absurde et
qui sème le doute dans l’esprit de l’agresseur. Une fois encore, « si vous
rendez l’eau trouble, le poisson fera surface. »

Blocages

O
CAS N 1. L’INCAPACITÉ À PARLER EN PUBLIC

Une femme qui occupait un poste de direction dans une entreprise, la


quarantaine, belle, élégante, particulièrement compétente et réussissant
magnifiquement dans sa profession, demanda à me voir d’urgence. Le
rendez-vous fut pris pour le lendemain, ce qui est la pratique normale dans
les cas d’urgence. Elle me fit une description du problème qui menaçait de
démolir sa vie professionnelle. Au cours des mois précédents, elle avait
soudain été terrifiée à l’idée de parler en public. Et depuis quelques
semaines, elle en était arrivée à éviter totalement tout discours, alors
qu’auparavant il lui était arrivé de parler sans aucune crainte lors de congrès
qui rassemblaient des centaines de ses collègues. Elle s’occupait depuis
plusieurs années de la formation et de la supervision de nombreux
directeurs occupant de très hautes fonctions dans son entreprise.

Elle décrivit sa crainte d’un blocage qui surviendrait alors qu’elle


présenterait un rapport à des collègues. Tout récemment son anxiété était
devenue si importante qu’elle présentait un certain nombre de symptômes
somatiques tels que tachycardie, accélération de la respiration, sueurs
froides etc. et tous ces symptômes lui faisaient craindre le pire. Le problème
était survenu pour la première fois pendant l’un des nombreux congrès
auxquels elle était invitée à participer en tant qu’intervenante. Elle avait
alors été témoin de l’interruption d’une communication faite par un
collègue qui se trouvait en proie à une crise d’angoisse assez grave. Et
depuis, elle avait cette terreur que la même chose lui arrive. Peu à peu, elle
s’était mise à contrôler ses réactions physiques, tendance qu’elle avait déjà,
mais se mit dans la position de quelqu’un qui tombe dans le piège qu’il se
tend lui-même, celui de la « prophétie autoréalisante ». Quiconque décide
de se mettre à vérifier et à contrôler ses fonctions physiques les verra se
modifier, comme résultat de cette vérification.

Dans un tel cas, il est nécessaire de faire diversion, et de détourner


l’attention du sujet du désir de contrôler son corps, pour reporter cette
attention sur quelque chose d’autre, ce qui d’ailleurs n’est pas très éloigné
de ce que nous faisons pour les patients phobiques et obsessionnels. Je fis à
la patiente cette prescription simple :
« La prochaine fois que vous devrez faire une intervention lors d’une
réunion de chefs d’entreprise, faites ce que je vais vous dire. Dans l’heure
qui précède votre intervention, essayez de vous représenter mentalement les
pires fantasmes que vous pouvez avoir. Concentrez toute votre angoisse,
dans l’heure précédant l’intervention, de la façon dont je viens de vous
parler et vous vous sentirez bien moins anxieuse après cela. Au moment où
vous devez prendre la parole, commencez par dire : “Chers collègues, je
vais vous demander par avance de m’excuser si je rougis, si je transpire
abondamment ou si je perds le fil de mon argument durant cette
présentation car, dernièrement, j’ai eu quelques problèmes de santé.” Puis
procédez à la présentation de votre rapport. »

Cette femme réagit en me disant que je lui demandais encore une fois
de se mettre dans une situation gênante. Je lui répliquai qu’elle aurait peut-
être des surprises bien agréables mais que ce n’était pas à moi de les lui dire
à l’avance et que je n’avais aucune intention de le faire. Je ne la revis pas en
consultation avant deux semaines, mais quelques jours avant notre séance,
elle téléphona pour me remercier et me dire que tout s’était très bien passé.

Elle avait effectué exactement ce que je lui avais dit de faire et en raison
de cela elle abordait le test de façon très décontractée, avec une grande
assurance et sans la moindre trace d’anxiété. Après sa présentation, elle a eu
la surprise de voir plusieurs collègues prestigieux la féliciter de l’usage
qu’elle avait fait au début de son intervention d’un stratagème rhétorique
qui avait gagné le public à sa cause.

Lorsque nous mettons en avance notre fragilité, elle devient notre force.

O
CAS N 2. REMOTIVER UN ATHLÈTE BLOQUÉ
EN LE FRUSTRANT

Je fus contacté par un psychologue spécialisé dans le sport et qui


s’occupait d’un athlète très connu. Celui-ci avait eu des résultats bien en
dessous de son niveau habituel. Son psychologue me dit qu’il semblait
bloqué, incapable de donner le meilleur de lui-même. Lorsque je demandai
quelles solutions ils avaient tentées, il répondit qu’ils avaient essayé toutes
les techniques habituelles de relaxation, de contrôle de soi ainsi que
l’entraînement virtuel sous hypnose, mais il n’y avait eu aucune
amélioration significative des résultats. De plus, l’athlète était sous pression
du fait que le public était très déçu qu’il n’obtienne pas des résultats
conformes à leurs attentes. Le psychologue me précisa également, comme
si c’était un détail insignifiant, que tout le monde dans son entourage avait
essayé de l’encourager, en lui disant qu’il était toujours le meilleur.

De mon point de vue, la situation était tout à fait classique : un


champion se relâchait faute de concurrence véritable et faute de défi à sa
mesure. Ceci se produit souvent lorsque les capacités d’un sujet sont
magnifiées dans le discours de son entourage. Cet athlète avait perdu tout
désir, cette motivation puissante intérieure de prouver de quoi il était
capable.

J’émis l’idée que mon collègue devait commencer à frustrer l’athlète en


lui disant que son heure de gloire était probablement terminée, que d’autres
athlètes en bien meilleure forme étaient en train de monter et que le public
espérait probablement de lui des choses qu’il ne pourrait jamais plus lui
procurer. Je prescrivis également que l’encadrement cesse d’encourager
l’athlète, de lui prodiguer des compliments et des attentions dans l’espoir de
bien faire. Au lieu de cela, je demandai aux proches d’adopter une attitude
légèrement déprimée, comme s’ils avaient perdu leurs illusions et s’étaient
résignés à cette sombre réalité. Un peu déconcerté, le psychologue demanda
des instructions plus détaillées pour être sûr qu’il pouvait effectuer cette
intervention qui lui semblait être celle de la dernière chance.

Dans les semaines qui suivirent, je lis dans les journaux spécialisés que
l’athlète en question avait, comme par magie, retrouvé son niveau antérieur,
et semblait même être meilleur qu’il ne l’avait jamais été.

Lorsque je revis mon collègue, il me dit qu’après avoir appliqué


pendant quelques jours ce que je leur avais demandé de faire, l’ensemble du
personnel d’encadrement et des membres de l’équipe avait été très surpris
de voir que leur meilleur athlète réagissait avec véhémence, comme pour
leur donner tort, car il n’était certainement pas arrivé au bout de sa carrière.
Il avait retrouvé son esprit combatif et son goût pour la victoire.
Je mis fin à cette supervision en invitant le psychologue qui prenait en
charge ce sportif à se souvenir de frustrer l’athlète de temps à autre. Parfois
la meilleure façon de motiver quelqu’un est d’essayer de le démotiver.

Après avoir passé en revue tous ces exemples, il apparaît que la


différence entre un psychothérapeute traditionnel et celui que je viens de
décrire est la suivante : ce dernier ressemble à une sorte de « chaman »
scientifique. C’est un chaman parce que, de par son intervention avec le
patient, il a le pouvoir de construire des réalités et que ces réalités elles-
mêmes ont le pouvoir « magique » d’amener le patient à changer les modes
de perception et de réaction qu’il avait précédemment. Ce thérapeute-là
reste un scientifique dans la mesure où une grande part des techniques
décrites ici ont été systématisées et peuvent ainsi être répétées, de sorte que
leur efficacité et l’aspect prévisible des résultats peuvent être mesurés.

Je n’ai pas la prétention d’avoir présenté une synthèse exhaustive ou


définitive des possibilités thérapeutiques inhérentes à l’interaction
communicative entre deux personnes ou plus. Comme dans une partie
d’échecs, nous avons élaboré une série de stratégies qui nous permettent
d’atteindre l’échec et mat en quelques déplacements, chaque fois que nous
sommes confrontés à des parties tout à fait typiques. Mais il y a dans ce jeu
un nombre infini de combinaisons possibles et de déplacements.
Je souhaite également préciser (si jamais cela n’était pas encore
manifeste) qu’en tant que thérapeute qui écrit et pratique les thérapies
décrites dans ce livre, je ne souhaite pas le moins du monde être considéré
comme une sorte de « gourou », mais plutôt comme un technicien spécialisé
dans les solutions apportées aux problèmes humains, une sorte de
mécanicien qui libère des mécanismes grippés.

Je voudrais également mettre l’accent sur le fait que, bien que les
parties successives de cet ouvrage correspondent à la classification
habituelle des troubles mentaux et comportementaux, conforme au
diagnostic international des troubles mentaux, ceci n’a d’autre ambition que
celle de donner un ordre à cet exposé. L’intention est de permettre aux
lecteurs d’établir un lien direct entre les situations décrites et certaines
définitions qui sont entrées dans l’usage courant.

À mon avis, les manuels de psychiatrie et de psychologie qui s’efforcent


de définir les différentes pathologies peuvent être tous rassemblés sous une
seule et même définition : « Personne bloquée ou prise au piège de ses
propres constructions de la réalité ». Ainsi que l’écrivait Goethe : « Les
choses sont en fait bien plus simples qu’on ne le croit, mais beaucoup plus
compliquées que ce que nous pouvons en apercevoir ».

O
CAS N 3. LA THÈSE INTERMINABLE

Un homme très distingué, la quarantaine, vint me consulter au sujet


d’un problème plutôt inhabituel. Depuis dix ans il travaillait à sa thèse de
philosophie mais se montrait incapable de la terminer. Il avait obtenu des
notes particulièrement élevées à tous ses examens mais n’avait jamais pu
rédiger la moindre ligne de sa thèse. Depuis dix ans il travaillait comme
directeur dans une entreprise et son travail lui imposait d’écrire
fréquemment des rapports. Or cela ne lui posait aucun problème. En fait, on
le complimentait souvent pour sa capacité à synthétiser et à développer
d’une façon claire et précise toutes les questions importantes.

Mais pour ce qui était de sa thèse, il semblait avoir des difficultés à se


mettre à la rédaction parce qu’il pensait qu’il avait besoin de maîtriser
complètement son sujet avant de le faire. Malheureusement, il avait choisi
d’écrire sur le philosophe Wittgenstein – un philosophe sur lequel on ne
cesse d’écrire de nouveaux traités – et, depuis dix ans, il accumulait les
nouveaux textes, les nouvelles publications qu’il devait lire, consulter et
inclure dans sa thèse. Pour finir, il était parvenu à la conclusion qu’il
souffrait d’un blocage psychologique qui l’empêchait d’accomplir le rite de
« passage » qui lui permettrait d’obtenir ce diplôme tant convoité. Après
avoir tenté de comprendre les causes de son problème à l’aide d’un
psychanalyste pendant environ une année, et en pure perte, il décida de me
consulter pour obtenir une aide effective.

Après avoir écouté avec soin ce qu’il avait à me dire, je lui déclarai que
moi-même j’étais un grand admirateur de Wittgenstein, et me mis à discuter
des points de vue logico-philosophiques de l’auteur. Notre conversation
plaisante se poursuivit pendant quelques instants jusqu’à ce que je lui dise :
« J’ai la satisfaction de constater que nous avons un intérêt en commun
mais d’ici la semaine prochaine je voudrais que vous réfléchissiez à ce qui
pourrait être la meilleure phrase possible pour conclure votre thèse, et je
vous dis bien, la toute dernière ligne de votre dissertation sur Wittgenstein.
Réfléchissez-y, écrivez-la et apportez-la moi, je serais très curieux de la
lire. »

L’homme revint la semaine suivante avec la phrase qui était censée


conclure sa thèse :
« Les dettes sont toujours payées à l’avance. »
J’étais franchement impressionné par le choix de cette magnifique
citation pour clore son travail.
« C’est une très belle phrase, dis-je. Et maintenant j’aimerais que vous
réfléchissiez à ce que devrait être la dernière page de votre thèse, juste
avant cette merveilleuse conclusion. »

Il revint la séance suivante et me montra la dernière page. Je la lus


devant lui, commentai le texte et lui demandai de clarifier quelques points.
Il répondit que ces quelques points seraient clarifiés dans les pages qui
précédaient.
« Très bien, lui dis-je, j’ai vraiment envie de lire les pages précédentes
où je pourrai trouver les explications qui me permettront de comprendre ces
conclusions. Amenez-les moi la semaine prochaine. »

La semaine suivante je reçus l’intégralité du dernier chapitre de la thèse


qui faisait environ dix pages, là encore je le lus entièrement en sa présence,
ajoutant mes propres commentaires et posant quelques questions. En trois
mois il avait entièrement écrit sa thèse. Depuis la fin jusqu’au début,
rédigeant la première phrase du texte en dernier.

Ceci pourrait servir d’exemple pour faire les choses à l’envers. C’était
aussi un stratagème destiné à bloquer les mécanismes mentaux qui
amenaient ce sujet à se bloquer lui-même.

L’effort constitué par la rédaction de ces arguments en inversant l’ordre


habituel, chose qui n’était certainement pas facile à faire, avait détourné son
attention de la « solution tentée » pathogène qui consistait à écrire un travail
qui soit parfaitement à la pointe de l’actualité scientifique et qui ne soit pas
« démodé » au moment où il était écrit.
Un équilibriste sur la corde raide ne peut se permettre d’avoir des états
d’âme. Écrire à l’envers ressemble un peu à la prouesse d’être sur une corde
raide, si l’on rapporte cela au contexte de l’écriture et de l’argumentation.
Comme dans le Taoïsme : « Un esprit totalement absorbé est un esprit
vide. »

1. Gianfranco Cecchin est l’un des grands praticiens de la thérapie familiale systémique.
2. Traduction littérale : « S’il y a le plus grand, le plus petit disparaît », c’est-à-dire qu’un
phénomène important occulte un évènement moindre.
CHAPITRE III

L’auto-assistance stratégique

Un aveuglement thérapeutique
volontaire

« Toute notre rancœur découle du fait que, notre vie durant, nous ne
sommes pas à la hauteur de nos aspirations, que nous n’avons pas
atteint notre but, et cela nous ne pouvons le pardonner aux autres. »
E.M. Cioran, Syllogismes de l’amertume.

« “J’ai fait cela”, dit ma mémoire. “Impossible, pas moi”, dit ma fierté,
qui n’en démord pas. À la fin, le souvenir abandonne le combat. »
Friedrich Nietzsche,
La Philosophie à coups de marteau

Il est désormais évident que nous construisons et entretenons nos


propres problèmes et que l’intervention d’un expert peut aider à résoudre
ces problèmes en un temps limité. Il y a un autre aspect important dont
j’aimerais discuter ici, à savoir le fait que les aptitudes et les capacités
humaines fonctionnent pour le meilleur et pour le pire. Ce qui est
généralement bon pour l’un peut s’avérer dans certaines situations être très
mauvais pour l’autre et vice versa. Ce qui est généralement mauvais pour
soi peut parfois s’avérer bénéfique.

Puisque c’est nous qui bâtissons notre propre réalité, nous pouvons
également, dans une certaine limite, donner à la réalité une direction
positive. Le sujet de ce chapitre est la façon dont nous, en tant qu’individus,
pouvons construire des réalités thérapeutiques, seuls, sans autre aide que
nous mêmes.

Comme nous l’avons vu, le fait de se raconter des histoires joue un rôle
important dans la façon dont nous construisons les pièges dans lesquels
nous tombons nous-mêmes, et dont nous ne pouvons pas nous sortir seuls.
Jusqu’ici nous avons essentiellement mis l’accent sur la façon dont on
peut aider les gens à déjouer les pièges qu’ils se tendent eux-mêmes
mentalement. Nous allons maintenant discuter de la façon dont on peut
éviter de construire de tels pièges, dont on peut éviter d’y tomber et si nous
n’y arrivons pas, de la façon dont nous pouvons nous sortir seuls des pièges
dans lesquels nous sommes tombés. Nous le ferons en utilisant le fait de se
convaincre de quelque chose de faux à des fins thérapeutiques, c’est-à-dire
notre capacité à construire des perceptions de la réalité qui amènent des
changements dans les attitudes et les relations dysfonctionnelles.

J’aimerais dès maintenant insister sur le fait que les suggestions qui
vont suivre ne sont valides que lorsque le problème auquel nous sommes
confrontés n’est pas suffisamment compliqué ou persistant pour que l’aide
d’un expert soit nécessaire. On peut déterminer ceci assez facilement. Si
après quelques tentatives d’autosuggestion thérapeutique, nous nous
rendons compte que la technique ne fonctionne pas et que la situation se
détériore, cela signifie qu’il serait bon de demander une aide extérieure
pour permettre le changement désiré. Cette vigilance, lorsque nous
appliquons une solution tentée, qui nous permet de vérifier qu’il n’y a pas
de dysfonctionnement est une étape préliminaire absolument indispensable
pour décider de mettre en œuvre une logique d’autosuggestion en tant que
stratégie d’aide que la personne se prescrit à elle-même.

Il existe de nombreux écrits concernant la capacité des humains à se


raconter des histoires ou à s’autosuggestionner afin de vivre mieux. Le fait
de se raconter des histoires va généralement de pair avec un certain
sentiment de culpabilité, comme si ce processus, sans doute inévitable, était
un péché originel dont nous avions besoin de nous délivrer. Bien sûr, des
attitudes aussi proches de ce qu’était l’Inquisition vis-à-vis de
l’autosuggestion, émanent des tenants de la pensée absolutiste qui, depuis
leurs remparts, prêchent les bénéfices de la connaissance. Il ne faut donc
pas s’étonner de la furie des arguments philosophiques que l’on oppose à
ces processus mentaux qui peuvent subvertir de façon radicale le pouvoir de
l’orthodoxie de la vérité pour lui préférer ce qui est utile ou fonctionnel en
matière de croyances.

Des avancées importantes dans l’histoire contemporaine, telles que le


fait de s’écarter de la soi-disant « vérité » pour parler de « probabilités » et
de s’écarter de ce qui est « exact » au profit de ce qui est « fonctionnel »
dans la logique mathématique, toutes ces avancées doivent être bien
présentes à l’esprit, faute de quoi nous commettrions la même erreur que
celle contre laquelle Friederich Nietzsche nous met en garde dans Aurore :
« Nous ne sommes pas ce que nous semblons être si l’on s’appuie sur l’état
d’esprit par lequel nous sommes et dont nous n’avons qu’une conscience et
une approche verbale, et à l’égard desquels nous n’avons que des éloges et
une censure ; notre perception de nous-mêmes est erronée du fait que nous
nous basons sur ces manifestations vagues, approximatives qui sont les
seules que nous connaissions ; nous tirons des conclusions de données
parmi lesquelles l’exception l’emporte sur la règle. Et nous déchiffrons mal
cette écriture en apparence très claire de notre moi. Mais l’opinion que nous
avons de nous-mêmes et que nous nous sommes faites de nous-mêmes de
façon erronée, le soi-disant “Je” s’exerce dès lors également sur notre
caractère et notre destinée. »

Il nous est impossible de fonder notre relation à nous-mêmes sur la


quête de « vérité » que nous faisons sur nous-mêmes. Nous ne pouvons
qu’essayer de construire les formes d’autosuggestion qui fonctionnent le
mieux pour nous. Il est par conséquent important d’éviter d’accepter de se
perdre en conjecture quant à notre personnalité et de considérer ces
conjectures comme étant des vérités ; sinon elles pourraient nous amener à
construire des croyances qui fonctionnent comme des prophéties
autoréalisantes, et qui influencent bel et bien notre être.

Dans un passé plus récent, John Elster a écrit sur la relation qui existe
entre les croyances visant à se raconter des histoires et la réalisation de soi
(1994-1991). Elster part d’un examen attentif de ce qui a été écrit en
matière de philosophie et de psychologie sur l’autosuggestion. Il prend ses
distances par rapport aux positions traditionnelles, qui considèrent que le
fait de se raconter des histoires résulte d’une faiblesse de caractère ou bien
d’un contrôle insuffisant des pulsions. Citant des études réalisées par
Davidson (1980) et Ainslie (1991), il définit le fait de se raconter des
histoires comme une tendance à confondre la réalité avec les désirs
personnels dans le processus de formation de nos croyances.

Par exemple si je souhaite croire que quelque chose est vrai, je vais
peut-être le répéter dans mon esprit, l’écrire, le dire de différentes façons
jusqu’à ce que d’autres soient persuadés de la même chose. Et si je réussis à
persuader d’autres personnes comme j’ai pu me persuader moi-même que
cela est vrai, j’aurai ainsi construit une croyance stable dans mon propre
esprit. Et ceci fonctionne de la même façon que l’affirmation soit positive
ou négative. Les pessimistes radicaux essaient toujours de convaincre les
autres que les choses sont différentes de la façon dont elles devraient être ;
si les autres arrivent à se persuader de leur vision déprimante, la personne
déprimée reçoit une sorte de confirmation et un renforcement de sa
position. Pour citer un autre exemple, nous voyons fréquemment des
groupes d’individus qui se confirment mutuellement leur condition
commune : des célibataires qui célèbrent l’avantage de ne pas vivre en
couple, des membres de sectes qui déclarent les vertus de leur foi l’un à
l’autre, etc. Dans la communication humaine en général, la plupart des gens
ont tendance à vouloir convaincre les autres de leurs propres illusions.

Elster définit le fait de se raconter des histoires, de se faire des idées,


des illusions, comme une sorte « d’irrationalité motivée », qui découle
d’une tendance humaine à changer la réalité afin de la faire correspondre à
notre vision des choses. Ceci ouvre des possibilités quant à l’utilisation des
mécanismes d’autosuggestion à des fins de changement stratégique.

Un précédent historique bien connu se trouve dans Les Pensées de


Pascal. Blaise Pascal voulait ramener dans le giron du christianisme ceux
qui s’étaient égarés dans les passions de ce bas-monde. Au lieu de
s’appuyer sur des démonstrations physiques ou métaphysiques, ainsi que
l’avaient fait d’autres philosophes avant lui, Pascal usa d’arguments
psychologiques. Le plus remarquable et le plus connu de ses arguments est
le « pari » qu’il proposa à l’humanité. Personne, arguait-il, n’accepterait de
ne pas prendre un pari dans lequel les pertes encourues seront de toute
façon plus faibles que les gains possibles. Si vous pariez sur l’existence de
Dieu, et que Dieu n’existe pas vous n’avez rien perdu. Mais si vous pariez
sur l’existence de Dieu et que Dieu existe, vous aurez gagné la vie éternelle.
Pour qui n’est-il pas avantageux de croire, si l’on considère les énormes
bénéfices que l’on peut retire, du gain de ce pari ?
Selon la proposition de Pascal, quiconque hésite entre la foi et la
mécréance, peut faire le choix le plus avantageux par un simple calcul de
probabilité en apparence logique. Cette stratégie rhétorique raffinée donne à
chaque personne l’impression qu’il a choisi sans aucune manipulation
externe. Pascal ne communique pas sa proposition sous forme d’une
injonction directe, il recadre la question. L’effet de cette opération peut être
comparé au fait de jeter une boule de neige qui devient de plus en plus
grosse au fur et à mesure qu’elle roule au point de devenir parfois une
avalanche.

Dans sa dixième Pensée, Pascal écrivait : « Nous nous laissons


habituellement plus facilement persuader par des idées que nous avons
découvertes par nous-mêmes que par des idées qui ont été présentées à
l’esprit d’autres. » Les suggestions qu’il faisait à « ceux qui choisissent de
croire » et ont des difficultés à le faire, sont très semblables à certaines des
techniques dont nous avons discuté dans ce livre. Pascal recommande qu’ils
se comportent comme s’ils croyaient déjà, en employant une forme
d’autosuggestion qui ressemble à de la manipulation : « Allez à l’église,
agenouillez-vous, priez, honorez les sacrements et comportez-vous comme
si vous croyez. La foi ne sera pas longue à venir. »

Le lecteur aura sans aucun doute reconnu la similitude entre cette


manœuvre de persuasion et l’une des techniques de thérapie illustrée dans le
chapitre II. Cette technique est bel et bien basée sur la leçon de Pascal. En
se comportant de façon répétée comme si notre réalité était conforme à nos
souhaits, en dépit d’observations qui tendraient à prouver le contraire, nous
finissons par voir les choses de la façon dont nous voudrions les voir. Donc
ce que nous désirons influence ce qui existe, et d’une façon cruciale tout au
long de ce processus thérapeutique.
De tels procédés consistant à se raconter des histoires peuvent être
appliqués avec succès pour construire des réactions et des perceptions qui
sont opérantes (ou aussi fonctionnelles que possible) dans notre existence.
Nous trouvons d’excellents exemples de cela dans les travaux sur les
prophéties autoréalisantes. De nombreuses études expérimentales en
pathologie sociale ont démontré que le fait de s’attendre à ce que quelque
chose se passe ou puisse arriver, peut induire chez le sujet qui y croit, des
actions telles qu’elles produisent les faits escomptés.

Parfois, l’évènement produit est exactement ce que cherchait à éviter le


sujet. Un exemple littéraire « brillant » nous est fourni par l’épistémologue
Karl Popper dans sa relecture de la tragédie d’Œdipe (1972). Selon Popper,
Freud avait tiré le concept du complexe d’Œdipe en omettant une partie de
l’histoire (c’est également un exemple splendide d’autosuggestion de la part
de Freud. Il me semble que Freud a trouvé ce qu’il cherchait dans la
tragédie d’Eschyle, simplement pour confirmer d’autres hypothèses et
croyances qu’il avait antérieurement). Popper fait remarquer que l’histoire
tragique commence par une prophétie que le père d’Œdipe, Laïos, reçoit de
l’oracle de Delphes : « Votre fils vous tuera et épousera votre femme. »
Pensant que la prophétie était exacte, Laïos s’applique à éviter sa
réalisation. Il abandonne son fils en bas-âge dans une forêt, en attachant ses
parties génitales à ses pieds de sorte qu’il ne pourra pas courir sans se faire
très mal. Le jeune Œdipe est sauvé et élevé par une reine qui l’épouse
ensuite. Lui et la reine entrent en guerre contre Laïos dont Œdipe ignore
qu’il est son père. Œdipe tue Laïos dans la bataille et prend possession de
son royaume. Œdipe en vient ainsi à posséder sa propre mère. Plus tard elle
lui révèle la vérité. Ayant entendu ce récit tragique, Œdipe se crève les yeux
parce qu’il ne veut pas voir ce qu’il a fait. La prophétie à laquelle l’on
croyait s’est réalisée du fait même de tout ce qui a été entrepris pour éviter
qu’elle ne se réalise.

Dans un brillant essai sur ce sujet, Paul Watzlawick (1981) présente


plusieurs façons possibles dont les prophéties positives peuvent devenir
autoréalisantes, par un processus bénéfique d’autosuggestion.
Le logicien mathématicien Newton Da Costa (1989) a écrit davantage
que quiconque sur la logique non ordinaire, c’est-à-dire les types de
logiques qui emportent la rationalité au-delà des croyances rationnelles par
des processus d’autosuggestion. À mon avis, il fournit les exemples les plus
extraordinaires de la façon dont des phénomènes en apparence irrationnels
tels que le paradoxe, la contradiction et l’autosuggestion peuvent être
utilisés comme outils rigoureux dans la construction de modèles logiques
basés sur une rationalité moderne, qui dépasse les limites des raisonnements
aristotélicien et cartésien dans toute leur rigueur.

Selon la logique aristotélicienne, les choses ne peuvent êtres que vraies


ou fausses et cela exclut toute autre possibilité. Cette logique est à l’origine
du principe de non-contradiction, qui nécessite que les phénomènes ne
soient ni contradictoires, ni paradoxaux, ni induits par l’autosuggestion (le
fait de se raconter des histoires) afin qu’ils puissent devenir réalité.
En procédant de façon arbitraire à la transposition de ce principe, la
philosophie traditionnelle et la psychiatrie ont conclu que la santé mentale
équivalait au fait de surmonter nos contradictions internes comme si le fait
d’atteindre un état de cohérence interne et de logique avec soi-même était
équivalent à « être bien dans sa peau » Je me demande si cela n’est pas
encore un splendide exemple d’autosuggestion.
Cette perspective rationaliste très rigide a été mise en doute et invalidée
depuis l’Antiquité. Il n’y a qu’à penser au paradoxe : « Je suis en train de
mentir. » Ment-il ? Ce dilemme, ainsi que de nombreux autres qui ont trait à
la logique, ont amené la philosophie contemporaine à aller au-delà du
rationalisme traditionnel et à rechercher de nouvelles perspectives. Les
avancées récentes en matière de cybernétique (Von Foerster, 1981) ont
clairement montré qu’aucune observation n’est pas indépendante de
l’observateur car elles sont toujours influencées par ses croyances. De
même, en psychologie expérimentale, les chercheurs sont mis en garde
contre l’effet de solitude et contre les effets que l’anticipation de
l’expérimentateur peut avoir sur les résultats d’une expérience.

Dans ses fameuses expériences, Rosenthal a démontré que si l’on dit à


des chercheurs étudiant un groupe de souris de laboratoire, qu’elles ont un
faible degré d’intelligence, ces dernières vont obtenir des résultats
conformes à leurs attentes lors de l’expérimentation, alors que si on les
présente aux chercheurs comme étant très intelligentes, elles ont tendance à
produire d’excellents résultats. De la même façon, lorsque des souris dont
les tests ont montré qu’elles étaient très intelligentes sont présentées aux
chercheurs comme peu intelligentes, ces mêmes souris, du coup, obtiennent
de faibles scores aux tests.
Des expériences similaires concernant la relation étudiant/professeur
ont montré que les espérances et les attentes des enseignants concernant les
capacités des étudiants, influençaient de façon marquée les résultats obtenus
par les étudiants.
Un mécanisme qui a les mêmes vertus, dans la mesure où il pousse la
personne à se faire des idées sur elle-même mais de façon positive, c’est
l’effet placebo, bien connu. Si l’on dit au patient qu’un comprimé a tel effet
spécifique, il y a de fortes probabilités pour que ce médicament produise
effectivement les effets voulus. L’important, c’est que les patients croient
qu’ils absorbent un médicament spécifique. C’est notamment vrai pour les
patients qui ont des problèmes de sommeil.

Ceci montre que les effets d’autosuggestion ne se bornent pas à nos


croyances et au comportement que nous adoptons en fonction de ces
croyances, mais englobent également les réactions physiques de notre
organisme.
Il est ainsi encore plus important d’étudier la façon dont ces processus
peuvent être utilisés en tant qu’outils d’auto-traitement dans certains
troubles.
En s’appuyant sur ces considérations et sur le fait que les expériences
cliniques font depuis quelque temps un usage important de la suggestion par
le biais de la communication entre les personnes, je m’intéresse plus
particulièrement depuis plusieurs années à la possibilité d’utiliser la logique
de l’autosuggestion comme une stratégie permettant à l’individu de s’aider
lui-même.
Comme les spécialistes de l’hypnose le savent, même lorsque la
suggestion ou l’hypnose est induite chez un sujet par une autre personne,
cela déclenche quand même un phénomène d’autosuggestion et
d’autohypnose. Par conséquent, la communication sur le mode de
l’injonction qui caractérise la prescription thérapeutique suggestive ou
hypnotique, comme nous l’avons décrite au chapitre III, déclenche en fait
certains mécanismes propres au fait de se raconter une histoire à soi-même
mais ces mécanismes parviennent à produire des changements concrets.
Nos injonctions n’ajoutent rien de spécifique mais elles déclenchent des
mécanismes qui mobilisent les phénomènes thérapeutiques consistant à se
raconter des histoires à soi-même. C’est ainsi qu’il doit être possible de
construire un modèle logique d’autosuggestion thérapeutique, bien que son
application soit peut-être un peu complexe.
Certains auteurs – par exemple ceux qui adhèrent à l’école systémique –
disent que c’est impossible, parce qu’un sujet existe au sein d’un système,
et qu’il ne peut lui échapper pour introduire des changements intro-
rétroactifs qui amèneront un véritable changement. Tout en restant fidèle à
la théorie systémique traditionnelle, je crois que ces auteurs sous-estiment
les effets de la réflexion que peut avoir l’esprit sur lui-même, en d’autres
termes, ils sous-estiment la capacité chez l’homme à construire des réalités
virtuelles qui marchent par le moyen de la pensée et de l’imagination. Si la
réalité virtuelle représente effectivement des façons d’échapper au système,
elle peut amener de nouvelles perceptions et de nouvelles réactions.
Selon la métaphore utilisée par Watzlawick (1989), il est vrai que les
êtres humains ne peuvent, comme le dit Munchausen, se sortir d’un
bourbier en tirant sur leurs épaulettes de la main droite alors qu’ils serrent
fortement leur cheval entre leurs cuisses, mais en revanche ils peuvent
éviter de s’embourber. Il y a de nombreux degrés de difficulté et de gravité
des problèmes avant que l’état pathologique ne soit atteint. Évidemment
l’auto-guérison est très peu probable lorsqu’un problème est grave, mais
lorsque la difficulté ne s’est pas encore figée dans un mode de perception et
de réaction rigide, il est non seulement possible mais même souhaitable
d’utiliser des stratégies d’autosuggestion thérapeutique, car si elles
fonctionnent, la personne gagnera en confiance, en estime d’elle-même et
finira par acquérir des compétences qui l’aideront à résoudre les problèmes
réels.

Dans les pages qui suivent, je décrirai un certain nombre de suggestions


qui découlent de mon application du modèle stratégique à la résolution des
problèmes, dans le contexte de la psychothérapie, comme modèle pour
s’aider soi-même.

Observer les solutions que nous avons


tentées
Notre première manœuvre stratégique pour nous aider nous-mêmes
devrait être d’observer notre tendance à répéter les réactions et les solutions
que nous avons appliquées à des problèmes par le passé.
De toute évidence, il nous faut à la fois observer les solutions tentées
qui ont fonctionné et celles qui n’ont pas fonctionné ; mais le plus important
c’est d’identifier celles que nous avons répétées. Ceci peut sembler quelque
peu exagéré. Pourtant, la branche de la psychologie qui étudie nos
processus de résolution des problèmes a mis en évidence le fait que l’esprit
humain tend à construire des scénarios stratégiques, et que ces scénarios se
répètent, même lorsque nous sommes confrontés à un problème différent.

Comme l’a montré Henri Laborit dans ses études expérimentales, le


cerveau humain est fait de circuits ayant une syntaxe propre aux scénarios
des réactions comportementales élaborées en fonction des situations que
l’organisme a déjà rencontré par le passé. Ces circuits fonctionnent de telle
façon que lorsque l’organisme est confronté à des situations semblables à
celles rencontrées dans le passé, les mêmes réactions sont spontanément
activées, indépendamment du raisonnement cognitif et indépendamment
des attentes du sujet. Nous ne devrions donc avoir aucune difficulté à nous
apercevoir de ces stratégies de résolution des problèmes habituels et
répétitifs, qui reviennent sans cesse.
Ces tendances, en tant que telles, ne sont – elles pas pathogéniques ?
Comme je l’ai expliqué dans le chapitre I, les pathologies apparaissent
lorsque les scénarios deviennent rigides et que nous sommes incapables de
les changer, même lorsque leur échec est évident.
La première des choses qu’il nous faut réaliser est donc d’être conscient
de nos « solutions tentées » habituelles.

Augmenter nos choix


Une fois que nous avons reconnu et identifié les « solutions tentées »
habituelles, l’étape suivante est d’examiner l’un de nos problèmes et
d’essayer de trouver au moins cinq stratégies possibles qui permettent de le
résoudre, mis à part la solution qui vient spontanément à l’esprit. Ceci a
l’air d’une procédure simple mais j’invite le lecteur à tenter lui-même cette
expérience.
Il est loin d’être facile de trouver cinq façons différentes d’aborder le
même problème. L’expérience de mes étudiants montre qu’il est plus facile
de trouver trois solutions. Mais parvenir au minimum que j’exige d’eux
s’avère vraiment une entreprise difficile.

La solution qui marche le mieux, lorsque nous ne voyons pas


d’alternative supplémentaire, est de nous demander comment une autre
personne pourrait envisager la situation et y réagir. Nous devrions essayer
d’imaginer que nous sommes à sa place. La plupart du temps, ce simple
stratagème développe la capacité à imaginer d’autres alternatives.
Une fois que nous avons identifié au moins cinq stratégies possibles,
nous devrions commencer à appliquer la première et à observer ses effets.
Si elle ne produit aucun effet en un laps de temps assez court, ou si les
effets sont indésirables, nous la remplaçons par la deuxième stratégie et
nous appliquons la même méthode. Ce jeu mental, apparemment simple
mais laborieux, nous protège et sert de garde-fou pour ne pas tomber dans
le piège mental qui consiste à adhérer de façon rigide à la même stratégie.
Piège auquel, je l’ai déjà souligné, nous sommes naturellement prédisposés.
De plus cette procédure rend notre imagination plus créative et plus souple.

De fil en aiguille
Nous nous sentons souvent démunis en présence d’un problème, du seul
fait que nous le ressentions comme compliqué à l’extrême et impossible à
résoudre. Lorsque plusieurs problèmes sont liés, il semble souvent
impossible de les gérer parce qu’ils sont trop nombreux et inextricables.
Dans ce cas-là, il nous faut nous souvenir que même les objets les plus
grands se composent de nombreuses pièces plus petites. C’est vrai de la
nature comme c’est vrai des phénomènes sociaux et mentaux.
Mais le plus important est que si nous introduisons même un
changement minime dans le système le plus complexe et le plus organisé,
ce changement induit une réaction en chaîne qui va altérer l’équilibre du
système tout entier. Par conséquent, il est bon de se concentrer sur le plus
petit changement mais il faut que ce changement soit concret. Le plus petit
changement concret que nous puissions induire sera suivi d’un autre petit
changement jusqu’à ce que la somme des petits changements mène à un
changement majeur. En d’autres termes, nous appliquons le stratagème qui
consiste à « éparpiller les troupes ennemies pour pouvoir attaquer un petit
groupe, et conserver l’avantage à tout moment. »

Outre le fait que cela facilite la survenue d’un changement réel de la


situation qui fait problème, cela réduit considérablement l’angoisse initiale
et le sentiment d’impuissance, donc cela accroît la confiance que l’on a
dans le succès final de l’entreprise – croyance qui se manifeste dès le
départ.

La technique de l’alpiniste
Cette technique est ainsi nommée par les équipes de montagnards les
plus expérimentés lorsqu’ils mettent sur pied des expéditions. Au lieu de
partir de la base pour le sommet, ils partent de la cime et reconstituent
l’itinéraire à l’envers, reliant chaque portion de l’itinéraire jusqu’à ce qu’ils
atteignent la base. Ceci s’est avéré être la procédure la plus efficace, pour
déterminer l’itinéraire idéal vers le sommet, qui reste le but à atteindre.

Lorsque nous avons un complexe à résoudre, il est utile, pour construire


une stratégie rentable et efficace, de partir de l’objectif à atteindre et
d’imaginer la phase qui précède immédiatement, puis le stade antérieur et
jusqu’à ce qu’on atteigne le point de départ. On peut ainsi segmenter
l’itinéraire thérapeutique en une série de stades successifs. Cela veut dire
qu’il faut morceler l’objectif final et le diviser en une série de micro-
objectifs successifs.
Cette façon de faire facilite beaucoup la construction de la stratégie
précédemment décrite qui consiste à aborder un problème en essayant de
produire un changement le plus minime possible.

Jusqu'ici, nous avons émis certaines suggestions pour s’aider soi-même


dans la construction d’un projet de changement ou d’une stratégie destinée
à résoudre un problème. Dans les pages qui suivent, je décrirai un certain
nombre de techniques que nous pourrons nous prescrire à nous-mêmes pour
guérir de certaines émotions et perceptions qui produisent un blocage. Ces
stratégies utilisent des techniques consistant à se leurrer soi-même, c’est-à-
dire des séquences de pensée et d’action qui sont destinées à obtenir un
objectif prédéterminé.

Comment faire empirer la situation ?


Cette technique est souvent le premier pas qu’il faut faire pour produire
un changement. Elle consiste à se répéter constamment pendant quelques
jours : « Que pourrai-je faire pour faire empirer la situation ? Si je voulais
véritablement augmenter les problèmes, comment pourrai-je m’y prendre ?
Que devrai-je penser ou ne pas penser pour faire empirer cette situation ? »
En nous posant ces questions lorsque nous sommes dans une situation
difficile, et apparemment insoluble, nous nous efforçons de centrer notre
construction stratégique sur le fait de rendre la situation non pas meilleure
mais pire. Les effets en sont généralement doubles :
a) Nous identifions plusieurs façons de penser et d’agir qui peuvent
parvenir à rendre la situation pire qu’elle n’est. Ceci nous montre ce que
nous devons éviter de faire et de penser. Et en cela, c’est déjà une façon
d’éliminer toute solution qui entretient ou complique le problème.

b) Lorsque nous stimulons notre imagination de façon à chercher à


compliquer le problème, des solutions autres, auxquelles nous n’avions
jamais pensé auparavant nous viennent à l’esprit. Il s’agit d’un des effets
bien connu de l’usage de la logique paradoxale par la communication qui
s’exerce entre l’esprit et lui-même, lorsque l’esprit est son propre objet
d’étude. Comme c’est le cas dans de nombreuses techniques qui ont déjà été
décrites dans ce livre, nous utilisons un dialogue centré sur lui-même, un
peu le miroir de lui-même (une des caractéristiques de la conscience), afin
d’appliquer des stratégies qui permettent de produire le changement.

Il y a environ quatre mille ans, Lao Tseu disait déjà : « Si vous voulez
obtenir quelque chose qui soit parfaitement droit, commencez par tenter de
l’incurver encore plus. »

Imaginez le scénario une fois le problème


résolu
Il existe de nombreuses variations de cette technique. Son objectif est de
détourner notre attention d’un vécu problématique et de la concentrer sur un
futur libéré du problème. Nous imaginons ainsi des situations réelles qui se
produisent dans un avenir où le problème n’existe plus, et nous essayons de
nous représenter ce que seraient, dans ce contexte, nos perceptions, nos
actions et nos pensées.
On peut utiliser plusieurs méthodes créatives pour parvenir plus
facilement à ce résultat. Steve de Shazer par exemple suggère le « fantasme
du miracle » : « Imaginez que demain vous vous réveillez et vous
découvrez qu’un miracle s’est produit pendant la nuit. Votre problème a
disparu. Comment vous en rendriez-vous compte ? Et quels seraient les
signes qui prouveraient que les choses ont changé de façon radicale ?
Qu’auriez-vous envie de faire ? »
Une technique qui repose moins sur l’induction consiste à simplement
imaginer le scénario d’une situation future où le problème aurait disparu.
Quelle que soit la façon dont nous nous y prenions, l’effet produit dans
le premier cas est de l’ordre de la suggestion, il s’apparente à la prophétie
autoréalisante. Si j’imagine un changement miraculeux ou une situation
dans laquelle le problème a été résolu, mes aspirations et mes attentes,
s’orientent vers cette possibilité. Et comme je l’expliquais un peu plus haut,
cela possède déjà en soi des vertus thérapeutiques. Le deuxième effet
obtenu est qu’en détournant notre attention du problème, nous soulageons la
tension du moment et mettons fin aux « solutions tentées ». Ceci amène
effectivement une amélioration de notre état, et ouvre la voie à des
perceptions et des réactions différentes.

La technique du comme si
La technique du « comme si », dont nous avons parlé plusieurs fois dans
cet ouvrage, est directement liée à la méthode précédente mais elle s’oriente
beaucoup plus vers une intervention active sur le problème actuel. Elle
consiste à se demander chaque jour : « Que ferais-je maintenant, comment
pourrais-je me comporter de façon différente aujourd’hui si le problème
avait disparu ? » Et une fois qu’on a répondu à cette question, il nous faut
choisir la plus infime des réponses qui nous vient à l’esprit, et la mettre en
pratique.

Un changement minime chaque jour déclenchera une réaction en


chaîne, et l’on verra davantage de changements apparaître, jusqu’à ce que la
méthode que nous utilisions précédemment, celle de percevoir le problème
et de tenter de le résoudre, qui se trouvait être contre-productive c’est-à-dire
qui produisait des effets inverses aux effets escomptés, soit complètement
inversée.

Comme dans la théorie des catastrophes (Thom, 1990), on obtient


« l’effet papillon » : « Le battement des ailes d’un papillon, en un lieu
particulier et à une époque donnée, déclenche une réaction en chaîne de
phénomènes naturels qui finissent par provoquer un ouragan à des milliers
de kilomètres de là et bien après cet infime événement initial. »

De plus, cette technique, qui nous permet de nous leurrer nous-mêmes


et de « nous raconter des histoires », est basée sur le principe de créer des
actions comme si une réalité particulière était vraie, alors qu’on sait
parfaitement qu’elle ne l’est pas, la résistance que nous mettons à accomplir
des actions autres et à adopter une façon de pensée autre, se trouve
contournée.

Une action qui repose sur de la fiction s’avère ainsi plus efficace qu’une
action qui s’appuie sur une réalité à laquelle on croit, de sorte qu’une fiction
régulièrement répétée devient une réalité. La magie de cet autoleurre réside
dans le fait qu’on construit notre réalité d’une façon maintenant
transformée, et que l’on s’écarte progressivement de la position dans
laquelle on était, à savoir être assujetti à la réalité, pour adopter une position
de contrôle de cette réalité.
Les pires fantasmes
Parce que quelque chose ne s’est pas produit de la façon dont nous
l’espérions, ou que nous avons fait quelque chose de mal, ou qu’il y a eu un
terrible accident au cours de notre existence, la plupart d’entre nous avons
tendance à essayer de limiter notre souffrance en tentant de rationaliser les
événements ou de pas y penser, d’essayer d’oublier. Mais le fait de
rationaliser une détresse ou une émotion ressemble un peu au fait de chasser
quelque chose en ouvrant la porte pour le voir resurgir par la fenêtre.
Chaque fois que cela revient, c’est pire. Essayer de ne pas penser à quelque
chose est également la meilleure façon d’y penser encore plus. Et puisque
l’oubli est un phénomène involontaire, en essayant d’oublier, nous inhibons
l’oubli, le résultat en est que ce que nous souhaitons faire disparaître de
notre mémoire s’y enracinera bien plus et pour une plus longue durée.

Dans ce cas, une technique qui marche de façon surprenante consiste à


nous prescrire à nous-mêmes un espace et un temps quotidien, planifié avec
précision, avec un début et une fin, au cours duquel nous exprimons et
concentrons nos pires fantasmes. Ceci aidera à canaliser notre douleur et à
nous en libérer.

Les effets obtenus en sont généralement :

a) que l’on arrive à être complètement déprimé pendant cette période de


temps assignée mais que cela a pour vertu de nous soulager pendant le reste
de la journée, et cela nous aide progressivement à métaboliser et à
surmonter cet épisode pénible ;

b) qu’un effet paradoxal se produit : vous n’arrivez pas à déprimer alors


même que vous avez choisi de le faire à un moment donné de la journée
prévu par vous. Et plus vous essayez, et moins vous y arrivez. De plus, les
effets s’inversent. De la même façon, nous pouvons nous exercer à utiliser
cette technique de façon constante pour dépasser les moments les plus
critiques. On peut y parvenir en s’exerçant à l’exagération paradoxale des
pensées et des sentiments négatifs chaque fois qu’ils nous viennent à
l’esprit, « en touchant le fond pour pouvoir remonter à la surface », chaque
fois que nous avons le sentiment que nous sommes en train de couler et que
notre esprit s’enfonce irrémédiablement dans la dépression.

Dans son livre Les exercices d’admiration, Emil Cioran nous apprend la
façon par laquelle, chaque fois qu’il se mettait en colère contre quelqu’un, il
a lui-même progressivement pu prendre un papier et un crayon et écrire sur
cette personne les pires choses auxquelles il pouvait songer. Et chaque fois,
la rage, la haine ou la dépression se mettaient à décroître au point d’ailleurs
de disparaître. Il ajoute que c’est grâce à ce stratagème qu’il a pu se
supporter lui-même, et supporter beaucoup de choses dans l’existence.

Évitez d’éviter
Une des tendances les plus communes chez les êtres humains lorsqu’ils
ont un problème, consiste à essayer de l’éviter ou à essayer d’éviter des
situations qui puissent le faire resurgir avec plus de force.
Cependant, comme je l’ai déjà expliqué dans la première partie du livre,
en faisant cela, nous nous confirmons à nous-mêmes notre maladresse à
affronter le problème. Chaque évitement conduit à un autre évitement qui
confirme le précédent et prépare le suivant, mais cette chaîne d’évitements
augmente notre sentiment d’insécurité et d’incompétence personnelle.
Nous avons donc besoin de nous prescrire d’éviter d’éviter, et
d’assumer cela comme étant une règle fondamentale dans notre façon
d’interagir avec la réalité que nous construisons sans cesse et avec laquelle
nous devons être en contact permanent.

Cette forme d’autoleurre thérapeutique ne devrait cependant pas être


confondu avec une exhortation à nous tester sans cesse nous-mêmes. Cela
serait sans aucun doute une stratégie contre-productive. Mais, dans toute
situation qui relève de notre existence quotidienne, éviter d’éviter signifie
ne pas abandonner simplement parce que nous avons peur de ne pas être à
la hauteur de cette situation, ou peur qu’elle nous fasse souffrir ; au
contraire, cela implique de faire face à ces situations qui stimulent en nous
la peur comme si c’était des occasions qui nous étaient données d’apprendre
à faire davantage d’expériences, et de nous épanouir personnellement grâce
à nos échecs.

En fait, nous devrions craindre les effets de l’évitement répété considéré


comme une ressource, pour nous permettre de surmonter notre peur de
chaque situation que nous aimerions éviter. Il s’agit donc d’utiliser la peur
contre la peur. Et chaque peur se trouvera limitée par une peur plus grande
encore.

De cette façon, nous éviterons de construire la réalité personnelle que


décrit le poète Pessoa : « Je porte en moi aujourd’hui les blessures de toutes
les batailles que j’ai évitées. »

Essayez de ne pas essayer


Une tendance naturelle chez beaucoup d’entre nous, lorsque nous
abordons une situation difficile, consiste à redoubler d’efforts et à investir
davantage d’énergie dans l’affrontement de ce qui ne va pas, quel que soit
ce qui ne va pas. La plupart du temps, cela se traduit par une tendance à
insister avec entêtement et à réappliquer les solutions tentées qui ne
fonctionnent pas ou à nous tester sans cesse, pour rechercher une nouvelle
preuve de notre capacité à assumer la situation, ce qui a pour effet
d’augmenter notre besoin de preuves concrètes que nous valons quelque
chose et donc d’accroître le sentiment que nous ne sommes pas à la hauteur.
Dans d’autres cas, nous concentrons notre énergie sur le contrôle de nos
émotions et de notre impulsivité. Mais en fait nous arrivons encore moins à
contrôler nos réactions émotionnelles.

Il est également intéressant de noter que les gens qui arrivent


parfaitement à réfréner leur impulsivité finissent très souvent par contrôler
leurs réactions de façon obsessionnelle, ce qui amène un besoin, une
pulsion irrépressible de tout contrôler, même les choses les plus
insignifiantes.
Le résultat final est le suivant : lorsqu’on parvient effectivement à tout
contrôler, on perd le contrôle du contrôle lui-même, qui devient ainsi une
pulsion.

En d’autres termes, se leurrer en essayant de ne pas essayer, pour


augmenter notre foi dans nos ressources personnelles, revient
métaphoriquement à adopter l’attitude du dragon « qui cherche la perle de
la vertu suprême » : « Il la cherche partout, dans les océans, par les terres,
les forêts et les déserts, mais il ne la trouvera jamais à moins qu’il ne
regarde dans un miroir d’eau et se rende compte que la perle de vertu est sur
sa crête, exactement entre ses deux yeux. »

Recadrer les souvenirs


Tout le monde a des souvenirs déplaisants ou tristes. Cette simple
observation devrait nous faire réfléchir au fait que la signification que nous
attribuons à nos mauvais souvenirs, qu’ils soient récents ou lointains, n’est
pas sans affecter notre humeur et notre état d’esprit.

Malheureusement, on n’a jusqu’ici pratiquement disserté de ce sujet que


d’un point de vue psychanalytique, c’est-à-dire dans le cas où se dessine un
besoin « thérapeutique » (ce besoin n’est, lui-même, pas prouvé) et en
raison de l’affirmation selon laquelle nous chercherions, parmi nos
souvenirs et « traumatismes » passés, ceux qui ont enclenché les problèmes
que nous connaissons aujourd’hui.

Au contraire, quelque chose qui n’a pas encore été suffisamment étudié,
c’est notre capacité à utiliser des formes spécifiques d’autoleurre
thérapeutique pour transformer nos souvenirs et faire perdurer leur effet
positif sur notre vécu présent (Madanes, 1997). Nous avons tous une façon
de nous remémorer les choses qui nous est propre. C’est celle par laquelle
nous nous représentons les choses à nous-mêmes. Bien entendu, ceci est
fonction de notre humeur actuelle, qui elle-même est influencée par les
souvenirs – qu’ils soient bons ou mauvais. Si l’on considère cette influence
circulaire et réciproque entre notre humeur actuelle et nos souvenirs, nous
pouvons faire usage de la méthode Coué que l’on utilise pour renforcer le
mécanisme dans la direction de ce qui fonctionne le mieux pour nous.

Une des techniques permettant d’affronter nos souvenirs avec une


optique plus positive est d’imaginer que nous construisons une galerie d’art,
un musée dans notre esprit, fait de nombreuses et belles peintures, qui
décrivent chacune une image importante de notre passé. Et parmi ces
souvenirs, parmi ces images, il y en aura évidemment qui seront
douloureuses mais nous devrions parmi ces souvenirs déplaisants essayer
d’en trouver au moins un qui induise un sentiment positif. Même dans les
expériences qui nous ont le plus attristés, nous pouvons trouver, si nous
cherchons bien, ce qui les a amenées, et dans nos réactions ultérieures à ces
expériences et à ce vécu, quelque chose qui a été bon et que nous avons
savouré. C’est l’image que nous avons besoin de mettre en valeur dans le
tableau que nous allons nous faire mentalement pour représenter ce
souvenir, de sorte que lorsque nous reverrons ce tableau, au lieu de voir ce
qu’il y a de laid, nous commencerons par admirer ce qu’il y a de beau,
même s’il s’agit de quelque chose d’annexe.

Nous construisons ainsi dans notre esprit un musée de nos propres


souvenirs, qui en contiennent des bons et des mauvais, mais chacun d’entre
eux est représenté par une image qui provoque en nous un sentiment de
bien-être immédiat. Et en se racontant ainsi des histoires, l’on transforme
les faits, les souvenirs dans l’état présent, en permettant que cet effet soit
orienté vers des résultats positifs.
J’en donne un exemple : supposez que dans le passé, j’ai eu un certain
nombre d’histoires d’amour, chacune d’entre elles avec sa dynamique
particulière, et que certaines de ces histoires aient laissé un goût
d’amertume.

Je peux construire mon musée personnel avec une toile qui présente
chacune de ces relations, et j’encadre l’image la plus belle qui est restée
dans ma mémoire. De cette façon, bien sûr, ce sera nostalgique mais il y
aura quand même un certain plaisir à visiter de temps à autre cette galerie
de souvenirs qui me renverront des sentiments agréables, qui auront une
influence positive sur mon humeur présente, mais également sur le souvenir
que j’ai de ces personnes qui font partie de mon paysage intérieur. Je dois
admettre que cela est une des façons de se raconter des histoires à des fins
thérapeutiques que j’ai moi-même utilisée abondamment.
Un égoïsme sain
Notre éducation nous a appris à avoir du remord chaque fois que nous
accomplissons quelque chose ou que nous pensons à quelque chose qui
nous sert directement. Cette réaction est due au fait que tout comportement
égoïste est associé à l’idée d’un avantage personnel et, bien sûr, aux
dépends de quelqu’un d’autre, comme si mon avantage signifiait
inévitablement un désavantage pour quelqu’un d’autre.

Ce concept, qui est profondément ancré date dans la tradition moraliste


occidentale, a des effets pervers très lourds sur notre façon de penser et de
gérer nos actions. Il nous amène à nous considérer comme des êtres
mauvais, alors que nous ne faisons que suivre notre objectif de façon
égoïste. Par conséquent nous avons tendance à augmenter la fréquence des
attitudes altruistes et, d’un certain comportement altruiste. Cependant, si
nous analysons l’altruisme avec attention, et si nous nous en tenons à un
point de vue strictement logique, l’altruisme n’est rien d’autre qu’une forme
perverse d’égoïsme, parce que l’altruiste savoure le fait de donner aux
autres, mais il est également le seul à pouvoir savourer cela.

De plus, même lorsque le comportement altruiste est caractérisé par un


sacrifice qui nous coûte énormément, son effet ne semble pas aussi glorieux
qu’on voudrait le faire croire dans la morale traditionnelle. Comme nous le
fait observer Elster (1982), un comportement altruiste aboutit à la
construction d’interactions sociales qui sont fonction de la réalité selon
laquelle certains donnent et d’autres prennent, mais également selon
laquelle l’altruiste a besoin d’égoïstes (et, nous le verrons, d’égoïstes
« malsains », c’est-à-dire de gens qui vont accepter ce qu’il offre). Des
interactions qui se limitent à des altruistes deviennent une escalade
symétrique qu’il est impossible de soutenir pendant très longtemps ; de
sorte que l’altruiste a besoin de l’égoïste pour pouvoir survivre en tant que
tel. Ainsi le style de relations qui s’appuie sur un comportement altruiste
tend à construire, d’une part une situation permanente dans laquelle ceux
qui sont habitués à donner sans recevoir continuent à le faire et, d’autre
part, ceux qui sont habitués à recevoir sans donner continuent à le faire, et
par conséquent, sont en quelque sorte déresponsabilisés et n’éprouvent pas
le besoin de se considérer comme personnellement responsables.

Le meilleur exemple que l’on puisse en trouver, c’est l’évolution de la


famille italienne au cours de la dernière décennie. Cette évolution se
caractérise par une hyperprotection des enfants par les parents.

Cette hyperprotection, qui est une forme de sacrifice altruiste, a produit


chez le jeune une réalité qui relève de l’insécurité et se caractérise par un
très faible degré d’indépendance et un sens des responsabilités peu
développé. La tentative des parents de faciliter les choses à leurs enfants,
tentative qui d’ailleurs est couronnée de succès, en essayant d’aplanir tous
les obstacles et d’éviter toutes les expériences douloureuses à leurs enfants
pendant leur période de croissance, est peut-être une vocation sacrée, mais
elle enlève aux enfants toute possibilité de découvrir quelles sont leurs
ressources propres et de bâtir en eux-mêmes le sentiment de confiance qui
leur vient de l’expérience vécue et le sentiment d’avoir surmonté eux-
mêmes des obstacles.

Du côté de celui qui reçoit, ce processus engendre un type de


comportement égoïste qui s’avère complémentaire de l’altruisme, lorsque
l’enfant a l’habitude de recevoir sans faire d’effort, ou bien sans rien donner
en échange. Cet égoïsme-là est pathogène aussi bien pour soi-même que
pour les autres.

Ce que j’en ai dit jusqu’ici, bien que cela puisse paraître comme une
thèse purement philosophique, nous amène (raison supplémentaire de se
raconter des histoires à des fins thérapeutiques) à partir du principe suivant :
si nous devons avoir un sentiment de culpabilité lorsque nous faisons
quelque chose de façon égoïste, nous devrions aussi nous sentir fortement
coupables lorsque nous faisons quelque chose d’altruiste.

Alors, dira le lecteur, comment échapper à ce dilemme ?

Ici aussi, le logicien norvégien Jon Elster suggère qu’il y a une


échappatoire : ce que j’appelle un égoïsme de bon aloi, un égoïsme sain.
Elster présente un calcul logico-mathématique rigoureux qui montre qu’un
comportement égoïste intelligent est un comportement social, et même le
plus adéquat. Il précise qu’un égoïste par stratégie est une personne qui
calcule pour obtenir le maximum de sa relation avec les autres. Le
comportement le plus efficace consiste à donner pour recevoir en retour.
L’égoïste par stratégie se débrouillera pour que ses dons soient répartis
entre plusieurs personnes, et ce, en donnant avec parcimonie. Ce qu’il
recevra en retour sera généralement davantage que ce qu’il a donné. Ce
mécanisme peut également être utilisé par les autres parce que le
comportement que l’on trouve chez ce genre d’égoïstes est complémentaire
au leur ; en d’autres termes, ce comportement est entretenu par les uns et
par les autres, à la différence de l’égoïste malsain, et de l’altruiste qui a
besoin de l’égoïste malsain.

En d’autres termes, une personne qui adopte l’attitude que nous venons
de décrire, suit le dicton « Si vous voulez recevoir, commencez par
donner. » Une telle personne transforme son interaction avec les autres et
passe d’une interaction dans laquelle certains se retrouvent gagnants et
d’autres perdants (la théorie du jeu parlerait de « jeu à somme zéro », où
pertes et gains s’équilibrent) à une interaction dans laquelle soit l’un et
l’autre protagonistes se trouvent gagnants, soit chacun des deux se retrouve
perdant (un jeu où la somme diffère de zéro). L’intérêt de tout cela est que
cet effet de coopération, qui est au bénéfice de chacun, s’obtient en partant
d’un comportement ouvertement égoïste, mais qui produit l’effet d’un
échange altruiste « sain » entre êtres humains.

Ce discours était simplement destiné à montrer aux lecteurs nécessite le


besoin de transformer l’autoleurre du sentiment d’autosatisfaction, si nous
évitons un comportement égoïste, en autoleurre basé sur le fait de se
prescrire un « égoïsme sain ». Ceci nous libère de notre tendance à vouloir
en faire trop pour les gens qui nous sont les plus chers, et de les rendre ainsi
incapables de bâtir des relations saines et fonctionnelles avec eux-mêmes et
avec autrui. De plus, ce nouveau postulat, et l’attitude qui en découle, nous
émancipe de la culpabilité que nous ressentons lorsque nous faisons
quelque chose simplement pour notre bien propre. De ce point de vue, nous
rendre nous-mêmes heureux rendra notre entourage plus heureux.

N’oublions pas qu’après tout l’égoïsme n’est rien d’autre que « la mise
en perspective de la réalité : tout ce qui est distant de nous devient plus
petit. » (Nietzsche, Le gai savoir)

La fragilité de l’auto-prescription
La dernière suggestion que je puisse faire en ce qui concerne l’usage de
la « méthode Coué » à des fins positives, concerne la relation que chacun de
nous entretient avec ses propres faiblesses. Là encore, on croit
habituellement que la fragilité, ou le fait de ne pas opposer de résistance,
sont toujours complètement négatifs. Sans s’étendre trop sur le caractère
douteux d’une telle croyance, il faut néanmoins partir de l’observation selon
laquelle toute vertu supposée devient un défaut lorsqu’on inverse sa
dynamique, de même que tout défaut supposé peut à l’inverse, devenir une
vertu.

Notre faiblesse peut ainsi devenir une force si cette faiblesse n’est pas
niée mais canalisée et utilisée à bon escient.
Ne pas vouloir reconnaître notre propre fragilité, un trait qui se traduit
par le refus d’accepter nos propres limites et nos propres lâchetés, nous rend
cette faiblesse impossible à gérer, et fait qu’elle nous envahit et prend le pas
sur nous dans certaines situations. Si au contraire, non seulement nous
acceptons notre fragilité mais nous la cultivons, l’effet obtenu sera la
plupart du temps la réduction, voire même l’annulation, des effets négatifs
que cette faiblesse aurait pu produire.

L’exemple le plus concret que je connaisse est celui d’hommes soi-


disant intrépides, dont les activités habituelles comportent des risques (des
équilibristes, des explorateurs, etc.). Ces hommes ne sont pas véritablement
incapables d’avoir peur, du reste eux-mêmes le reconnaissent volontiers. Ils
connaissent la peur mais l’acceptent et l’utilisent comme une ressource pour
faire face aux conditions extrêmes auxquelles ils se soumettent de leur
propre gré, et dans ce cas qui, de toute évidence, est un cas extrême, le fait
de trembler est même vécu par eux comme une sorte de jouissance.

Même pour des gens ordinaires qui ne s’exposent pas à des risques
extrêmes ou à des souffrances indicibles, il est très significatif que le fait de
se raconter des histoires et de se prescrire un comportement paradoxal, non
seulement nous permet d’exprimer notre faiblesse, mais nous permet
également de la cultiver. Et si nous prenons une réaction involontaire pour
le rendre volontaire, comme on l’a vu à plusieurs reprises dans ce livre,
nous le faisons pour inhiber l’aspect incontrôlable de cette pensée, et par là-
même pour réduire ses effets dysfonctionnels. Nous utilisons le même
processus qui, dans une autre situation, amènerait à la construction d’une
pathologie, mais nous l’utilisons pour produire l’effet inverse : « Similia
similibus curantur », il faut soigner le mal par le mal.

Là encore le stratagème consiste à transformer quelque chose auquel


nous sommes assujettis en quelque chose que nous gérons. Dans une
situation donnée, quand une personne affirme calmement sa fragilité, non
seulement elle ne semble pas fragile mais est perçue comme étant forte,
parce qu’il faut beaucoup plus de courage pour avouer sa fragilité que pour
la masquer.
Une image vient à l’esprit, celle d’un vieil homme qui dit gentiment à sa
petite fille en pleurs : « Tu sais, parfois il faut beaucoup de force et de
courage pour pleurer… »

En résumé, cette méthode consistant à se raconter des histoires à des


fins thérapeutiques revient à nous inciter à croire que lorsque nous
affirmons être faibles, cette faiblesse qui est la nôtre va s’inverser et devenir
une force, une ressource, alors que si nous essayons de la refouler, de
l’oublier, nous en serons victimes. Et ce postulat, que nous nous sommes
nous-mêmes mis dans l’esprit, nous aide également à « éviter d’éviter » des
situations que nous redoutons, et à « essayer de ne pas tenter » de contrôler
nos pulsions, et de nous comporter « comme si » nous pouvions surmonter
nos limites. Nous transformons ainsi tout un jeu d’attitudes
dysfonctionnelles en une spirale ascendante et positive. Le cercle vicieux
devient un cercle vertueux.

Il y a quelques milliers d’années Lao Tseu disait déjà : « Les choses les
plus simples peuvent triompher des choses les plus rigides… Il est bien
connu que la faiblesse triomphe de la résistance et que la douceur triomphe
de la dureté, et pourtant, personne ne les utilise… »
Épilogue

Je pense que la meilleure façon de conclure ce travail est d’insister sur


quelques points essentiels, dans l’espoir qu’ils s’inscrivent dans l’esprit du
lecteur pour son plus grand profit.

Le premier point est que, selon Herman Hesse : « Nous ne pouvons


enseigner la vérité parce que le paradoxe des paradoxes c’est que le
contraire de la vérité est également vrai. » (Siddharta). Le mieux que nous
puissions faire est d’apprendre à être conscients de façon opérationnelle et à
gérer la réalité qui est la nôtre de façon stratégique.

Le deuxième point, tel que le formulait George Lichtenberg il y a plus


de deux siècles, est que : « L’homme est à la fois si perfectible et si
corruptible qu’il peut devenir fou à force de raisonner. » Mais ce processus
peut aussi fonctionner à l’inverse. Comme l’enseignait le Bouddha Cakya
Mouni : « Vous êtes les créateurs de votre condition passée, présente et à
venir. Votre bonheur et votre malheur dépendent de votre esprit et de votre
interprétation. »

Le troisième point est que chacun de nous fabrique nécessairement ses


propres illusions pour pouvoir vivre. Toute la différence tient au sens que
prennent ces illusions. La thérapie consiste à amener le sujet à se raconter
des histoires qui lui permettent d’affronter son existence de la façon la plus
fonctionnelle possible. De cette façon, c’est comme si on aidait une
personne à découvrir de nouvelles perspectives mais, pour reprendre les
termes employés par Marcel Proust : « La découverte véritable n’est pas
celle que l’on fait lorsqu’on voit de nouveaux mondes mais lorsqu’on
change de regard. » On peut y arriver rapidement en enseignant aux patients
non pas pourquoi penser et que penser, mais comment observer et comment
agir. Même les problèmes les plus compliqués peuvent alors être résolus en
un temps assez court, dans la mesure où l’on découvre la bonne clé.

La dernière pensée qui me vient, et dont je voudrais qu’elle reste gravée


dans l’esprit du lecteur, parce que j’ai le sentiment qu’elle recouvre
l’ensemble de ma réflexion et lui donne une tonalité positive, est une autre
recommandation de Lichtenberg : « Faites en sorte que chaque instant de
votre vie soit le meilleur possible, et ce, quelle que soit la main du destin
qui vous l’a donné : l’art de vivre, c’est cela. »
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221-246
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