P Psycho Solutions
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P Psycho Solutions
ISBN : 978-2-35644-193-5
La théorie
« Je suis comme une marionnette cassée dont les yeux sont tombés à
l’intérieur. » Cette déclaration d’un patient souffrant de troubles
mentaux en dit plus long que tous les travaux d’introspection jamais
écrits.
E.M. Cioran, Syllogismes de l’amertume
Par une chaude journée, dans une ville de l’Italie du sud, un homme et
son jeune fils, accompagnés de leur âne, décidèrent de rendre visite à des
membres de leur famille qui habitaient une ville lointaine. Le père montait
l’âne, tandis que le fils marchait à ses côtés. Un groupe de gens les regarda
passer. Le père les entendit dire : « Voyez comme ce père est cruel ! Lui
voyage à dos d’âne, tandis que son petit garçon doit marcher à pied. Et par
une si chaude journée ! »
Le père descendit de sa monture, fit monter son fils et ils continuèrent
leur équipée. Passant devant d’autres gens, le père les entendit dire :
« Voyez-vous ce père âgé qui marche à pied par une si chaude journée, alors
que son fils est confortablement assis ? Quel genre d’éducation est-ce là ? »
À ces mots, le père décide que le mieux serait qu’ils montent sur l’âne
tous les deux. Continuant leur route, ils passent encore devant d’autres
personnes. Cette fois, le père les entend dire : « Regardez, quelle cruauté !
Ces deux-là n’ont aucune pitié pour le pauvre animal qui doit porter un tel
fardeau par une si chaude journée ! »
Le père descend donc à nouveau et demande à son fils d’en faire autant.
Alors que tous trois continuent leur longue marche et passent devant un
autre groupe de personnes, ils les entendent dire : « Regardez ces deux
idiots : par une journée si chaude, ils vont à pied alors qu’ils pourraient
voyager à dos d’âne ! »
Bien entendu, cette histoire pourrait durer indéfiniment, mais ceci suffit
à démontrer à quel point les gens peuvent avoir une perception et une
opinion très différentes d’une même réalité, et à montrer la façon dont leur
réaction change en fonction de cette perception et de cette opinion.
Oscar Wilde écrivait qu’il n’y avait pas une seule vérité, une seule
réalité, mais autant de réalités qu’on peut en inventer. Nous devons ainsi
reconnaître qu’il n’y a pas de connaissance vraie des choses, mais
seulement une connaissance relative, ou en d’autres termes, une
connaissance fonctionnelle qui nous permet de gérer les réalités avec
lesquelles nous interagissons. Cette vision rejoint la perspective prônée par
l’épistémologie contemporaine. Celle-ci nous pousse à nous distancier des
thèses déterministes-positivistes, qui persistent à affirmer qu’il est possible
de posséder un savoir constitué de vérités scientifiques. Au lieu de cela,
nous choisissons d’étudier les modes d’action qui fonctionnent le mieux
face à une réalité dont nous ne sommes jamais véritablement certains
qu’elle soit vraie parce qu’elle est le produit de nos a priori, des outils qui
nous permettent d’acquérir nos connaissances, et de notre façon de
communiquer. C’est cette approche que l’on appelle le constructivisme.
Sachant qu’il est impossible d’atteindre une réalité définitive, le
constructivisme vise à parvenir à un savoir opérationnel le plus adapté : en
d’autres termes la capacité à gérer stratégiquement la réalité qui nous
entoure.
Ainsi que l’a observé Von Glaserfeld (1995), lorsque nous affrontons
des problèmes aujourd’hui, nous devons adapter nos connaissances, qui
portent sur des vérités partielles, en élaborant des stratégies basées sur des
objectifs qui changeront ; nous devrons ensuite ajuster ces stratégies pas à
pas, au fur et à mesure que la situation dans laquelle nous sommes évoluera.
Nous nous écartons donc des concepts positiviste et déterministe de la
connaissance qui partent du principe qu’il est possible de décrire la vérité,
pour nous rapprocher d’un concept constructiviste qui nous permet de nous
adapter de la façon la plus fonctionnelle possible à ce que nous percevons,
et d’élaborer un savoir et des connaissances opérationnelles qui nous
permettent de gérer la réalité de façon fonctionnelle.
Chaque fois que des solutions tentées sans succès sont à nouveau
appliquées, non seulement elles ne résoudront pas le problème mais elle le
compliqueront, formant un cercle vicieux par l’effet duquel des actions qui
avaient pour but de changer la situation vont, au lieu de cela, perpétuer ce
qu’elles étaient destinées à changer.
A) les moyens par lesquels la personne, sa famille et ses amis ont essayé
de résoudre le problème sans succès (nous appelons cela les solutions
tentées qui entretiennent le problème) ;
Après nous être mis d’accord avec le patient sur les objectifs de la
thérapie, nous construisons des stratégies thérapeutiques visant à rompre la
persistance des problèmes.
La première phase du traitement a un rôle extrêmement important : elle
doit ouvrir de nouvelles perspectives au patient. Ces perspectives sont
rapidement renforcées par des prescriptions pratiques. Nous utilisons des
formes de suggestion qui nous permettent de passer outre la résistance du
patient au changement et de lui communiquer les prescriptions qui vont
l’amener à faire l’expérience concrète de ce changement.
Si l’intervention marche, le patient s’améliore généralement très vite.
Dans la plupart des cas il y a des améliorations significatives dès les trois
ou quatre premières séances. Cette amélioration rapide amène
progressivement un changement dans la perception qu’a le patient de lui-
même, d’autrui, et du monde environnant. En d’autres termes, la
perspective du patient sur la réalité évolue ; d’une position rigide
pathogène, il passe à plus de souplesse dans ses perceptions et ses actions.
Ce changement s’accompagne d’une augmentation progressive de
l’indépendance et de l’estime que le sujet a de lui même, grâce au
renouveau de confiance en lui qu’il connaît alors.
Il semble dès lors absurde de soutenir l’idée, fort répandue, que lorsque
des problèmes persistent depuis longtemps, il faudra un traitement aussi
long et aussi pénible, sur le plan thérapeutique, pour que ces problèmes
soient résolus. Comme le lecteur aura l’occasion de le constater dans les
chapitres suivants, dans bien des cas une stratégie bien adaptée et bien
appliquée pourra résoudre des problèmes et des troubles qui persistent
depuis des années, et ce, de façon très brève, parfois même après une seule
séance.
Bien entendu, certains cas nécessitent une thérapie plus longue que
d’autres. Mais nous sommes convaincus que si une thérapie est efficace, les
changements doivent apparaître rapidement. Si cela n’est pas le cas, cela
veut dire que la stratégie thérapeutique qui est utilisée n’aura probablement
pas d’effet, et doit en conséquence être rapidement remplacée par une
stratégie plus opérante.
Depuis les années mille neuf cent soixante-dix, la thérapie brève s’est
répandue presque aussi vite qu’une épidémie, en dépit de quelques
résistances de la part d’auteurs attachés aux théories et à la pratique clinique
traditionnelles. De nombreux chercheurs et thérapeutes ont fait connaître
cette approche des problèmes humains et de leurs solutions sur la scène
internationale (Watzlawick-Weakland-Fisch, 1974 ; Weakland et al. 1974 ;
De Shazer, 1982a, 1982b, 1984, 1985, 1988a, 1988b ; Madanes, 1990,
1995 ; Nardone, 1991, 1993, 1995 ; Omer, 1992, 1994 ; Cade-O’Hanlon,
1993 ; Bloom, 1995 ; Watzlawick-Nardone, 1997).
Et de plus, la demande croissante d’un public de mieux en mieux
informé en matière d’interventions cliniques réelles et efficaces a nécessité
de la part des psychothérapeutes professionnels, même les plus
traditionnels, une formation complémentaire en thérapie stratégique brève.
Pour pouvoir être compétitifs ils ont besoin d’apprendre des techniques qui
leur permettent de résoudre les problèmes de leurs patients en un temps
assez court.
En dépit de l’extravagance apparente de certaines interventions
thérapeutiques, le palmarès de la thérapie stratégique brève est éloquent : il
montre que cette forme de psychothérapie garantit les meilleurs résultats et
les risques les plus faibles (Watzlawick et al., 1974 ; Haley, 1975 ; De
Shazer, 1985, 1988, 1990 ; Nardone et Watzlawick, 1990 ; Nardone, 1991,
1993 ; Cade et O’Hanlon, 1993 ; Watzlawick et Nardone, 1997).
1. Les recherches effectuées par l’auteur et ses collaborateurs, menées à partir d’un échantillon
de milliers de sujets affectés de formes sévères de troubles phobiques, ont démontré de façon
concrète par quels processus des pathologies graves surgissent du fait de réactions
disproportionnées à des phénomènes au départ anodins. Ce dysfonctionnement est celui des
réactions qui visent à contrôler la peur et ne font que l’accroître en provoquant son exacerbation
pathogène.
CHAPITRE II
L’intervention clinique
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CAS N 1. LES VOISINS VEULENT ME VOIR
TOUT NU
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CAS N 2. J’AI UN SERPENT DANS L’ESTOMAC
Depuis, au fil des ans, le jeune homme est revenu plusieurs fois me voir.
Il travaille actuellement dans l’entreprise familiale, à une petite amie et vit
une vie tout à fait sereine ; de temps à autre, il a d’autres crises semblables à
celle du serpent. C’est alors qu’il revient me voir, et moi, jouant le rôle
d’une sorte de « shaman technique », je lui prescris à chaque fois un rituel
de libération. Ces rituels utilisent toujours la même logique que le trouble
décrit, mais lui impriment une dynamique inverse, de façon à utiliser la
force de la persistance et de la mettre au service du changement, et donc
amener le trouble à s’autodétruire. Dans l’art chinois des stratagèmes,
connu depuis l’antiquité chinoise, ceci s’appelle « amener l’ennemi jusque
dans le grenier puis retirer l’échelle. »
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CAS N 3. DÉLIRES ET CONTRE-DÉLIRES
Une famille dont un des membres était un sujet qui avait été
diagnostiqué comme « schizophrène » nous avait été envoyée. Le sujet, un
homme qui avait entre 20 et 25 ans, était dans un état presque constant de
« délire de surexcitation joyeuse », parlant constamment de toutes sortes de
choses sans aucun lien logique et qui n’avaient aucun sens, et riant pour lui-
même, tout seul.
Voyant que le jeune homme était redescendu sur terre, mon collègue
poursuivit l’entretien avec la famille. Il apparut que le trouble du patient
était clairement lié à l’arrivée du mari de sa sœur au sein de la famille. Le
beau-frère, une personne équilibrée et qui avait fait des études supérieures,
était alors devenu la référence pour cette famille d’origine humble avec un
fils qui était mentalement instable.
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CAS N 4. L’AIMANT QUI ASPIRE L’ÉNERGIE
Une collègue m’avait confié un patient avec lequel elle n’avait pas pu
faire de progrès. Ceci était dû, me disait-elle, à ses « expressions
délirantes ». Le sujet, un individu de sexe masculin qui avait la trentaine
déclara que son problème était une relation conflictuelle avec un collègue
de travail. Et selon le sujet, ce collègue avait un pouvoir magnétique qui
aspirait l’énergie vitale du sujet, et le laissait vide et brisé.
Comme d’habitude je mis l’accent sur la solution tentée par le patient.
Je lui demandai comment il avait essayé d’empêcher cela d’arriver,
d’empêcher que cela se reproduise, comment il avait tenté de réagir à ce
problème. Il répondit qu’il avait essayé de « tenir bon ». Il avait lancé des
attaques verbales contre son collègue mais celui-ci était toujours resté de
marbre et avait toujours fini par avoir le dessus et par lui pomper son
énergie. Comme le lecteur peut l’imaginer, le collègue en question devait
quand même avoir été intimidé par l’attitude du patient, et avait préféré
garder le silence pour éviter l’escalade. Cependant notre sujet interprétait la
réaction du collègue comme une stratégie froide et déterminée.
La semaine suivante il me dit qu’il s’était senti aussi fort qu’un lion.
Notre plan avait bien fonctionné. Son énergie n’avait pas été aspirée. Il
avait eu très chaud dans ce costume, ça n’était pas très confortable, mais
l’important était que les effets de l’aimant aient été contrecarrés. Un autre
effet tout aussi important de la magie du stratagème est que lorsque la
perception du patient eut changé, il relata que l’homme-aimant semblait
avoir changé à tel point qu’il le plaignait un peu. Le patient voyait
désormais son ancien ennemi comme un pauvre homme inoffensif, et ne
ressentait plus aucune rage envers lui.
C’est alors que j’utilisai une technique que j’ai déjà décrite. Je
demandai au jeune homme de s’imaginer comment il se comporterait vis-à-
vis de son collègue si ce dernier était une personne fragile et timide qui
avait besoin d’être rassurée, et de faire chaque jour un geste comme si
c’était réellement le cas.
Je renvoyai le patient à ma collègue, de sorte qu’elle puisse poursuivre
son travail. Quelque temps après, elle me dit qu’il n’avait jamais plus
exprimé d'« idées étranges » et qu’il avait même sympathisé avec son ex-
persécuteur.
O
CAS N 1. UNE PHOBIE DES MIROIRS
Le jeune homme revint une semaine plus tard, portant à la main un joli
casque rouge. Il me dit que dès qu’il était rentré chez lui après la première
séance, il avait téléphoné à plusieurs magasins, au départ cherchant un
casque de footballeur puis ensuite, du fait qu’il ne pouvait pas en trouver, il
s’était rabattu sur un casque très léger mais très solide, fait pour les
motocyclistes. Comme il était impatient de tenter l’expérience, il était sorti
seul, avait pris sa voiture (chose qu’il n’avait pas faite depuis des années),
s’était rendu au magasin en voiture, était entré et avait acheté le casque.
Ce n’est qu’une fois sorti du magasin qu’il s’était rendu compte qu’il
avait fait quelque chose qu’il n’aurait jamais pu faire auparavant, et sans se
cogner à des miroirs, alors même qu’il était passé devant plusieurs miroirs
en chemin !
Il rentra donc chez lui, portant le casque à la main et pensant : « Bon, si
jamais j’ai vraiment très peur, si la panique me prend, je le mettrai, sinon je
l’emporte simplement par sécurité. »
Il était ressorti pendant la semaine en emportant chaque fois son casque
avec lui mais sans jamais le mettre sur sa tête. D’ailleurs, pour autant que je
le sache, il ne le porta jamais mais se débarrassa bien vite de toutes les
solutions tentées (les assistants protecteurs, les couches nocturnes et
l’isolation totale).
Quelques mois après, il se rendit compte que, grâce à cette nouvelle
stratégie, il avait complètement vaincu sa peur d’être aspiré par un miroir,
donc il se débarrassa également du casque.
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CAS N 3. SANS TOI JE PANIQUE
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CAS N 4. UNE PEUR « INCURABLE »
DE PERDRE LE CONTRÔLE
Je ne vais pas détailler ce qui s’est passé dans les premières séances,
parce que cela déborderait du cadre de cet exposé. À un moment donné,
vers la cinquième séance, je décidais d’effectuer la manœuvre qui devait
produire la première expérience émotionnelle réparatrice. Comme je l’ai
expliqué plus haut, c’est une expérience concrète de la perception de la
réalité qu’a une personne, une réalité qui jusqu’ici a semblé trop terrifiante
pour que la patiente puisse la gérer.
Elle ne répondit pas. Quelques heures plus tard elle arriva dans mon
cabinet avec une expression déconcertée, les mains étaient croisées et
serrées et elle me dit :
« Vous savez, effectivement je me suis bien amusée à mettre les haricots
dans la bouteille et une personne m’a même demandé ce que je faisais. Je
lui ai dit que je jouais à un jeu pour passer le temps. J’ai inventé une
histoire comme quoi j’étais une institutrice travaillant en maternelle et que
ceci était un jeu et que j’allais faire faire ce jeu aux enfants. Et en fait
j’éprouvais un profond plaisir à mentir… »
J’ai déclaré :
« Quoi ? vous avez voyagé les mains serrées ? »
Elle expliqua :
« Je dois vous dire, au début tout cela m’apparaissait trop absurde, puis
je me suis dis à moi-même : finalement je n’ai rien à perdre à essayer. Je me
suis rendue compte que lorsque la peur s’installait et que je resserrais mon
étreinte, la peur diminuait. J’ai eu le sentiment que je pouvais la contrôler.
Lorsque je suis arrivée à Arezzo, je n’avais plus besoin de le faire. Je
continuais de serrer les mains simplement parce que vous m’aviez dit de le
faire mais il me semblait que je n’en avais pas besoin. »
« Comment expliquez-vous tout cela ? », demandais-je.
Elle me regarda avec un air à moitié satisfait, à moitié ennuyé, comme
si elle avait perdu la partie.
« Vous m’avez bien eue. Vous avez réussi à me faire faire quelque chose
de très semblable aux pirouettes que vous faites faire aux autres patients
mais je vous en remercie quand même parce que c’est la première fois que
je réussis à faire quelque chose comme cela. »
Dans les semaines qui suivirent, cette patiente continua à venir dans
mon cabinet. Elle venait toujours seule et en fait nous étions convenus
qu’elle devait effectuer un certain nombre d’allez-retour, de sorte qu’elle
commença à se rendre dans différentes régions de l’Italie et, en un laps de
temps assez court, elle fut capable de sortir seule normalement et de rester
seule à la maison.
C’est un excellent exemple dont il est possible d’appliquer des
variations créatives qui sont toutes basées sur la même structure que la
manœuvre thérapeutique dilatoire, qui consiste à « naviguer sur l’océan à
l’insu du ciel. » Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. L’important,
c’est que les manœuvres thérapeutiques soient progressivement adaptées au
langage du patient, à sa logique, à ses perceptions de la réalité. Ce n’est que
si les manœuvres sont construites en gardant tout cela présent à l’esprit
qu’elles seront acceptées et qu’elles seront exécutées par le patient, et
amèneront une rupture du cercle vicieux des solutions tentées qui
antérieurement entretenaient le problème.
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CAS N 1. L’OBSESSION DE FAIRE DANS
SA CULOTTE
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CAS N 2. TOUT STÉRILISER POUR ÉVITER
LA CONTAGION
O
CAS N 3. LA RÉPÉTITION DE FORMULES
MENTALES
Plusieurs fois par jour, pendant et avant certaines actions, dont quelques
unes étaient des gestes ordinaires, elle se sentait dans l’obligation de se
répéter mentalement des formules qui étaient constituées de mots, de
chiffres, ou de nombres. Ceci ralentissait toutes ses activités, et avait pour
effet de la torturer mentalement, parce qu’elle se considérait comme étant
une personne très rationnelle et ne pouvait pas se résoudre à l’idée qu’elle
était forcée de faire des choses irrationnelles.
Manie et paranoïa
O
CAS N 1. LE PSYCHIATRE DÉPENDANT
DE SA MÈRE
La mère avait également des réactions pathogènes chaque fois que son
fils lui disait qu’il avait une petite amie. Elle l’appelait, à chaque fois qu’il
était avec sa petite amie, pleurant, tombant dans un état de prostration, de
dépression qui atteignait comme toujours son point culminant lorsqu’elle
avait absorbé une grande quantité de spiritueux, et surtout d’alcools forts.
Le fils ne pouvait cependant pas couper son téléphone portable, parce qu’il
craignait des réactions extrêmes, de sorte que la mère pouvait le joindre à
tout moment, où qu’il soit.
Nous nous sommes mis d’accord sur les règles de la thérapie, que
connaissait déjà le psychiatre, puisqu’il voulait en savoir plus sur notre
modèle thérapeutique et envisager de l’appliquer lui-même. Je lui prescrivis
alors une manœuvre qui devait renverser le mécanisme pathogène de
communication entre la mère et le fils :
« D’ici la semaine prochaine vous allez battre votre mère à son propre
jeu. C’est vous qui allez l’appeler. Et pour être plus précis vous allez
l’appeler dix fois par jour, toutes les heures et vous lui demanderez :
“Maman, est-ce que ça va ? Je me fais beaucoup de souci pour toi, tu
sais.” Dès qu’elle vous aura donné une réponse, dites “Au revoir” et faites
exactement la même chose une heure plus tard. »
C’est alors que nous avons décidé de prévoir sa première nuit loin du
foyer sous prétexte qu’il devait assister à une conférence. Sa mère n’eut pas
de crise cette fois-là. En fait elle était fière qu’il se débrouillât si bien la
première fois qu’il quittait la maison familiale.
O
CAS N 2. PERSONNE NE M’AIME
Un homme nous fut adressé par sa femme qui l’accompagna jusqu’à
notre centre. Il déclarait n’avoir pas vraiment besoin de thérapie parce que
ses problèmes étaient entièrement causés par les autres. Il dressa vite un
inventaire de toute une série d’insultes qu’il ne cessait de recevoir, de
l’attitude agressive des autres vis-à-vis de lui, des regards hostiles, etc. En
réalité il souffrait d’un complexe de persécution. Il pensait que tout le
monde avait de l’antipathie pour lui et le rejetait. Je lui demandais de me
donner des exemples détaillés.
Imaginez que vous alliez dans un lieu public, convaincu que vous êtes
antipathique, que vous n’avez rien d’attirant et que personne ne veut de
vous. Vous allez par conséquent être gauche, rigide et non seulement vos
gestes mais votre expression du visage manifesteront le manque de
confiance en vous. Maintenant essayons de voir cela du point de vue des
gens qui sont déjà présents. Ils voient quelqu’un qui rentre et qui a une
attitude défensive, une expression qui marque bien son manque de
confiance. Que vont-ils faire ? Eux aussi seront tendus et manifesteront un
manque de confiance. Cela aura pour résultat le renforcement de votre
conviction selon laquelle vous n’êtes pas sympathique et que personne ne
veut de vous, sans même vous rendre compte que c’est le résultat de votre
construction de la réalité.
O
CAS N 3. CESSER DE RÉPONDRE POUR
COUPER COURT AUX QUESTIONS
Dans tous les cas, vous ne pouvez pas empêcher les questions et les
doutes de surgir, ils le feront immanquablement. Mais vous pouvez
cependant mettre un terme aux réponses. Et si vous arrêtez de répondre,
vous allez progressivement inhiber la question. Mais pour pouvoir mettre
fin aux questions, il vous faut vous rendre compte qu’à chaque fois que
vous essayez de répondre à une question stupide au moyen d’une réponse
intelligente, vous rendez la question intelligente et vous la renforcez. En y
apportant une réponse, vous alimentez ainsi cette chaîne de doutes. Donc
chaque fois que vous aurez à répondre à un doute, vous allez préparer le
chemin à de nouveaux doutes et ce sera le même jeu, sans fin, que vous
connaissez déjà très bien. Tout ira de mal en pis. Les choses ne vont pas se
contenter de stagner. Donc chaque fois que vous réagissez à un doute
stupide en y apportant une réponse intelligente, vous nourrissez cette
chaîne. Pensez-y. Si vous comprenez cela, vous pourrez mettre un terme
aux réponses. »
O
CAS N 1. S’ALIMENTER PAR LE BIAIS DU DÉNI
Les parents d’une jeune fille vinrent me voir à notre centre. Leur fille
était anorexique. C’était une de ces jeunes filles qui cessent de manger,
perdent du poids et deviennent de plus en plus maigres, parfois même au
point d’en mourir. Les parents me déclarèrent être venus parce que leur fille
ne voulait pas entreprendre de thérapie. Chaque fois qu’ils essayaient de
l’engager dans une thérapie, elle se rebellait et entrait dans une telle rage
qu’il y avait même des épisodes de violence dans la famille. Mais les
parents avaient entendu dire que dans notre centre il était possible
d’entreprendre des thérapies indirectes au cours desquelles ils pourraient
recevoir des conseils puisqu’ils cherchaient à faire changer leur fille.
Ils avaient essayé de l’inscrire dans une clinique spécialisée, mais elle
avait fait tout ce que font habituellement les anorexiques lorsqu’on les force
à manger. Elle avait accepté en silence et avec amertume l’hospitalisation.
Dès son retour à la maison, elle s’était remise à un régime encore plus
draconien et avait perdu plus de poids qu’elle n’en avait repris à la clinique.
Ses parents étaient désespérés, ils me dirent qu’ils étaient prêts à faire
n’importe quoi.
Je les avertis que dans ces cas-là, je demandais quelque chose des
parents qu’il est extrêmement difficile d’obtenir. Ils réitérèrent leur
affirmation, disant qu’ils étaient prêts à tout pour pouvoir aider leur fille.
C’est alors que j’employai une forme de communication qui s’avère
généralement appropriée lorsqu’on s’occupe de parents qui ont cette
logique du sacrifice et ont une attitude protectrice (c’est d’ailleurs le cas
chez la plupart des parents de jeunes filles manifestant des troubles
anorexiques ou d’autres troubles assez graves de l’alimentation). Je leur
dis :
« Je pense que tous les efforts que vous avez faits pour aider votre fille,
pour la faire manger, pour empêcher les choses d’empirer, n’ont pas été
aussi difficiles que ce que je vais vous demander de faire maintenant. Je
vais vous demander de faire des sacrifices encore plus grands. Je suis sûr
que ce que je vais vous demander de faire va être très difficile pour vous ».
Le couple me regardait, s’attendant à entendre je ne sais quelle
prescription pénible. Je continuai :
« Désormais, et d’ici notre prochaine rencontre dans deux semaines, il
faut que vous évitiez de parler du problème de votre fille. Vous devez
littéralement entretenir une conspiration du silence. En fait, vous devriez
avoir même peur de mentionner le problème, parce que plus vous en faites
mention et plus vous l’alimentez. Souvenez-vous, c’est une véritable
“conspiration du silence”. Dès maintenant et jusqu’à notre prochaine
rencontre, je veux que vous vous souveniez que chaque fois que vous
essayez de faire manger votre fille, même si vous utilisez un stratagème,
c’est comme si vous arrosiez ou si vous nourrissiez la plante que représente
sa maladie. Vous devriez donc avoir peur de lui demander de manger. Au
contraire, il vous faut commencer une sorte de boycott. Nous avons besoin
de la mettre dans la situation dans laquelle elle sera frustrée de son
symptôme. Vous devez cesser de l’inviter à manger. Non seulement cela,
mais en plus, vous devez faire semblant d’accorder une grande valeur à son
problème. Comment ? Eh bien, vous allez cesser de lui faire une place à
votre table. Et si elle demande : “Pourquoi vous ne m’avez pas laissé de
place ? Pourquoi ne m’avez-vous pas mis mon couvert ?”, vous répondrez :
“Pourquoi ? puisque de toute façon tu ne manges pas !” Et prenez bien soin
d’éviter de l’inviter à une occasion quelconque où il y aurait de la
nourriture. Si par hasard vous la voyez manger, intervenez immédiatement
en lui rappelant que si elle mange, elle le regrettera, qu’elle va retomber
dans un état de prostration et de désespoir. Et vous (en m’adressant à la
mère), vous devez dire à votre fille plusieurs fois par jour que vous avez fini
par comprendre, que vous ne compreniez pas jusqu’ici combien il était
important pour elle de ne pas manger, et que maintenant vous respecterez sa
décision et coopérerez avec elle. Si vous la voyez manger, soyez prête à lui
rappeler qu’elle le regrettera. »
Les parents semblaient choqués. Ils demandèrent :
« Mais, faut-il vraiment que nous fassions cela ? Et si elle se met à
manger encore moins, et si elle cesse de s’alimenter complètement ? »
Je répondis :
« Si tout ce que vous avez fait jusqu’ici avait marché, vous n’en seriez
pas là. Je vous avais bien prévenus que j’allais vous demander de faire
quelque chose que vous trouveriez très difficile à accomplir, mais essayez
quand même à titre d’expérience. Et je vous demande de le faire deux
semaines, seulement deux semaines. Quoi qu’il en soit, vous me
téléphonerez dans une semaine, quel qu’en soit le résultat. Nous pourrons
toujours ajuster la stratégie si nécessaire. »
Parfois le patient n’a même pas besoin de thérapie. Au cours des cinq
ans de recherches entreprises par notre centre sur les troubles de
l’alimentation, plus de 20 % des sujets traités selon nos protocoles
spécifiques, ceux que nous appliquons à de tels troubles, ne sont jamais
venus directement suivre un traitement.
Comme dans le cas précédent, les parents d’une jeune fille vinrent me
consulter parce que leur fille ne voulait pas s’y résoudre elle-même. Elle
disait qu’elle n’avait aucun besoin d’une thérapie et que c’était à ses parents
d’y aller, car c’était eux qui en avaient besoin.
Cette jeune fille souffrait de ce que l’on définit (à mon avis à tort)
comme étant une « boulimie nerveuse », c’est-à-dire un trouble de
l’alimentation qui consiste à se gaver de nourriture et se forcer à vomir. Je
considère que ce vocable de « boulimie nerveuse » ne convient pas parce
que nos recherches ont montré que ce type de trouble n’a rien à voir avec la
boulimie. Dans de nombreux cas, nous traitons des jeunes filles qui ont des
tendances anorexiques et pour qui, vomir est une bonne façon d’éviter de
perdre ou de prendre trop de poids, ou bien constitue leur méthode
personnelle pour perdre du poids tout en continuant à manger. Mais après
avoir pratiqué cette technique pendant quelques temps, elles la transforment
en pulsion irrépressible. C’est comme si ces jeunes filles (et quelquefois des
hommes) étaient possédées par un démon qui les force à se gaver puis à se
purger.
O
CAS N 3. C’EST TROP BON DE MANGER
ET DE VOMIR
Lors de la séance suivante, une semaine plus tard, elle me précisa que le
fait de retarder le plaisir avait rendu le rituel encore plus savoureux. Et elle
me cita effectivement Freud, qui parlait de différer la réalisation du désir
pour augmenter le plaisir. Elle avait découvert que si elle différait le
moment de manger et de vomir de quelques jours, elle y prenait encore plus
de plaisir.
Deux semaines plus tard, elle était passée de cinq ou six rituels
quotidiens à deux rituels hebdomadaires. Sans aucun sentiment de perte
mais au contraire avec un sentiment de plaisir : « Il s’agissait d’augmenter
en réduisant. »
La patiente avait également remarqué que les gens se souciaient
davantage d’elle et qu’elle commençait à ressentir de façon assez urgente le
besoin d’avoir une vie sociale beaucoup plus active. La thérapie se
poursuivit donc dans cette direction et s’accompagna d’une réduction
constante de la fréquence avec laquelle revenait le symptôme, tout en
concentrant et en distillant le plaisir pervers qu’elle y prenait. Entre temps
sa vie sociale prenait davantage d’ampleur.
Trois mois plus tard, elle connut une histoire d’amour passionnée et ceci
porta un coup final au trouble qu’elle ressentait. Elle se mit à oublier
d’effectuer son rituel de plaisir. Peut-être en avait-elle trouvé un autre,
encore plus savoureux, le rite naturel de l’amour auquel elle avait
aujourd’hui la possibilité et le courage de s’abandonner.
O
CAS N 4. SI VOUS VOULEZ VOUS GAVER,
FAITES-LE VRAIMENT !
Une jeune femme vint me demander de l’aide car elle voulait faire
cesser sa pulsion de dévorer la nourriture. Elle avait environ trente kilos de
trop. et mangeait continuellement pendant la journée. Je lui demandai ce
qu’elle avait fait ou essayé de faire pour contrôler cette pulsion qu’elle
n’arrivait pas à réprimer. Elle répliqua qu’elle avait essayé toutes les
solutions possibles et imaginables à savoir ne pas s’approcher de quoi que
ce soit d’alimentaire, éviter les situations où il pouvait y avoir de la
nourriture, demander à ses parents de mettre la nourriture sous clef, bref
toutes les solutions tentées habituellement qui entretiennent et font empirer
ce type de problème.
Dans des cas semblables, après quelques séances préliminaires
(habituellement après les deux premières séances), nous formulons une
prescription standard stéréotypée qui marche très bien : « Choisissez l’un
des milliers de régime que vous connaissez. Vous en savez certainement
bien plus long que moi à ce sujet, puisque vous avez essayé de si
nombreuses formes de régime. Assurez-vous simplement qu’il n’est pas
trop difficile à suivre. Chaque fois que vous mangerez quelque chose qui
n’est pas prévu dans ce régime, il va vous falloir manger cinq portions de
cette nourriture. Par exemple, si vous mangez un carré de chocolat, il vous
faudra en manger quatre autres et si vous mangez une part de gâteau, vous
devrez en manger quatre pour que cela fasse cinq etc. Soit rien du tout, soit
cinq portions de chaque.
Lorsque la jeune femme revint me voir, elle me dit qu’elle avait perdu
deux kilos en une semaine. Elle avait réussi à suivre le régime qu’elle
s’était imposé sans se sentir privée de quoi que ce soit.
Habituellement dans ce cas de figure, et quand on en arrive à ce stade,
nous continuons de faire une prescription qui ressemble à une grande
« punition » en augmentant le « risque ». Nous prescrivons de répéter sept
fois la transgression lorqu’il y a transgression, puis de la répéter dix fois etc.
Avec une telle épée de Damoclès suspendue au-dessus de leurs têtes, les
patients respectent généralement le régime jusqu’à ce qu’ils retrouvent leur
poids idéal.
La dépression
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CAS N 1. OFFREZ UNE ÉCOUTE À CEUX
QUI SONT DÉPRIMÉS
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CAS N 2. C’EST VRAI, NOUS VIVONS DANS
UNE VALLÉE DE LARMES
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CAS N 1. LE COUPLE QUI NE POUVAIT CESSER
DE SE DISPUTER
Un jour dans mon cabinet, j’entendis des cris qui provenaient de la salle
d’attente au moment où je prenais congé d’un patient. J’ouvris la porte et
vis un couple en train de se battre. D’une voix suave et en parlant lentement
je leur demandais :
« Excusez-moi, êtes-vous venus ici pour me voir ? »
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CAS N 2. LE MUR DU SILENCE
Un couple était venu me voir. Ils décrivaient leur relation comme étant
une relation d’indifférence mutuelle totale, de rejet l’un de l’autre sur le
plan sexuel, de manque de communication, d’absence de dialogue et de
rage silencieuse et réciproque. Devant cette atmosphère « joyeuse », je
décidais de voir en consultation chacun des deux patients séparément, et il
apparut lors de ces rencontres individuelles, que chacun des deux époux
avait accumulé une telle rage intérieure à l’égard de l’autre qu’ils se
punissaient mutuellement par cette indifférence. Cependant chacun d’eux
disait être lié à l’autre pour toujours. C’est pour cette simple raison qu’ils ne
pouvaient oublier ni pardonner les épreuves qu’ils avaient enduré par le
passé.
Pour celui qui observe les choses de l’extérieur, ce qui est intéressant
c’est que dans ce type de conflit l’un des deux époux considère l’autre
comme responsable et se croit dans son bon droit. L’interaction qui en
résulte est semblable à celle qui se produirait lorsque deux miroirs seraient
mis face à face et que chacun renverrait à l’autre ses propres reflets. Il est
par conséquent nécessaire d’intervenir de façon à donner plus de souplesse
à cette position rigide de détachement apparent de la part de chacun des
conjoints.
Après les avoir vus séparément, je les convoquai ensemble dans mon
cabinet et leur assignai d’exécuter la prescription suivante jusqu’à notre
prochaine rencontre :
« Chaque soir, avant ou après dîner, vous devez vous consacrer pendant
une demi-heure à l’exercice que je vais vous indiquer. Allez dans la
chambre à coucher, prenez un réveil et réglez-le de façon à ce qu’il sonne
quinze minutes plus tard. Vous, Madame, vous allez vous asseoir, et vous,
Monsieur, vous allez rester debout. Je vous donne quinze minutes pendant
lesquelles vous devez exprimer tous vos griefs, tout votre ressentiment, tout
ce que vous reprochez à votre femme. Vous pouvez l’accuser de tout ce que
vous voulez. Et souvenez-vous, le pire de ce que vous pensez d’elle doit
être formulé, il faut absolument que cela “sorte”. Mais lorsque le réveil
sonnera, il va falloir que vous vous arrêtiez et que vous inversiez les rôles.
C’est vous, Monsieur, qui allez vous asseoir et c’est vous, Madame, qui
allez rester debout. Donc c’est à vous, Madame, de dire à votre mari
pendant quinze minutes tout ce que vous pensez de lui et que vous n’osez
pas dire depuis longtemps. Il faut donc que tout ce que vous avez à dire
“sorte”, même le pire, et lorsque le réveil sonnera, vous cesserez de dire à
votre mari ces pires choses qui vous viennent à l’esprit. Vous les remettrez
au lendemain soir. Et le lendemain soir vous allez inverser l’ordre dans
lequel vous vous parlerez, de sorte qu’aucun de vous deux ne pensera qu’il,
ou elle, a eu le dernier mot. »
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CAS N 3. CHÉRI, TU ES TELLEMENT MACHO
LORSQUE TU ME MALTRAITES
Une jeune femme mariée depuis quelques années, me rapporta que son
mari était récemment devenu insupportable. Il l’attaquait verbalement
même lorsqu’elle n’y était de toute évidence strictement pour rien. Il ne
cessait de la rabaisser en privé comme en public. Et, à part cela, elle ajoutait
que rien ne manquait à leur relation, que c’était simplement qu’il avait
mauvais caractère, qu’il était difficile.
Lorsque je lui demandais ce qu’elle avait fait pour calmer son mari, elle
me répondit qu’elle avait essayé d’exposer son point de vue, de lui faire
comprendre ses torts mais que cela le faisait enrager encore plus. Sa
réponse habituelle était :
« Tu vois bien, tu ne comprends strictement rien ! »
Comme dans d’autres situations semblables, le comportement tout à fait
raisonnable de l’épouse ne faisait que conforter le comportement
déraisonnable du mari. Il fallait donc intervenir d’une façon qui allait
changer cette « solution tentée » qui ne faisait que compliquer les choses.
« Je pense que je comprends votre problème, du moins assez pour
pouvoir vous suggérer quelque chose qui pourrait changer votre
malencontreuse situation. Je dois vous mettre en garde, cette suggestion que
je vais vous faire vous semblera un peu étrange, sinon carrément farfelue.
Néanmoins il va vous falloir la suivre à la lettre. Chaque fois que votre mari
s’en prendra à vous ou vous agressera, vous devrez répondre : « Chéri, j’ai
compris quelque chose : je me rends compte que plus tu me traites de cette
façon, plus je t’aime. Cela déclenche quelque chose de sensuel en moi,
quelque chose que je n’ai jamais pu apprivoiser ou domestiquer, quelque
chose de sauvage qui fait que je te trouve encore plus attirant. S’il te plaît,
refais-le. »
Étonnée, elle me répondit : « Mais ce n’est pas vrai, il me rend folle, je
pourrais même le tuer. »
« Nous savons cela, lui déclarai-je, mais je serais curieux de voir la
réaction de votre mari si vous lui disiez cela. »
« Il dira que je suis devenue folle, que je suis une idiote et il sera encore
plus en colère. »
« Peut-être, mais il est également possible que quelque chose de
différent se produise. Dans tous les cas, vous avez l’habitude de ce genre de
situation, donc essayez cette nouvelle expérience, ce n’est que pour une
semaine. Chaque fois que votre mari vous attaquera, ou vous rabaissera,
dites-lui que cela vous excite, que vous êtes d’autant plus attirée par lui et
que vous avez beaucoup de difficulté à contrôler cette pulsion sexuelle. »
Ceci est une parfaite illustration du fait que parfois rien n’arrive à
désarmer une situation explosive qu’une réaction en apparence absurde et
qui sème le doute dans l’esprit de l’agresseur. Une fois encore, « si vous
rendez l’eau trouble, le poisson fera surface. »
Blocages
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CAS N 1. L’INCAPACITÉ À PARLER EN PUBLIC
Cette femme réagit en me disant que je lui demandais encore une fois
de se mettre dans une situation gênante. Je lui répliquai qu’elle aurait peut-
être des surprises bien agréables mais que ce n’était pas à moi de les lui dire
à l’avance et que je n’avais aucune intention de le faire. Je ne la revis pas en
consultation avant deux semaines, mais quelques jours avant notre séance,
elle téléphona pour me remercier et me dire que tout s’était très bien passé.
Elle avait effectué exactement ce que je lui avais dit de faire et en raison
de cela elle abordait le test de façon très décontractée, avec une grande
assurance et sans la moindre trace d’anxiété. Après sa présentation, elle a eu
la surprise de voir plusieurs collègues prestigieux la féliciter de l’usage
qu’elle avait fait au début de son intervention d’un stratagème rhétorique
qui avait gagné le public à sa cause.
Lorsque nous mettons en avance notre fragilité, elle devient notre force.
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CAS N 2. REMOTIVER UN ATHLÈTE BLOQUÉ
EN LE FRUSTRANT
Dans les semaines qui suivirent, je lis dans les journaux spécialisés que
l’athlète en question avait, comme par magie, retrouvé son niveau antérieur,
et semblait même être meilleur qu’il ne l’avait jamais été.
Je voudrais également mettre l’accent sur le fait que, bien que les
parties successives de cet ouvrage correspondent à la classification
habituelle des troubles mentaux et comportementaux, conforme au
diagnostic international des troubles mentaux, ceci n’a d’autre ambition que
celle de donner un ordre à cet exposé. L’intention est de permettre aux
lecteurs d’établir un lien direct entre les situations décrites et certaines
définitions qui sont entrées dans l’usage courant.
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CAS N 3. LA THÈSE INTERMINABLE
Après avoir écouté avec soin ce qu’il avait à me dire, je lui déclarai que
moi-même j’étais un grand admirateur de Wittgenstein, et me mis à discuter
des points de vue logico-philosophiques de l’auteur. Notre conversation
plaisante se poursuivit pendant quelques instants jusqu’à ce que je lui dise :
« J’ai la satisfaction de constater que nous avons un intérêt en commun
mais d’ici la semaine prochaine je voudrais que vous réfléchissiez à ce qui
pourrait être la meilleure phrase possible pour conclure votre thèse, et je
vous dis bien, la toute dernière ligne de votre dissertation sur Wittgenstein.
Réfléchissez-y, écrivez-la et apportez-la moi, je serais très curieux de la
lire. »
Ceci pourrait servir d’exemple pour faire les choses à l’envers. C’était
aussi un stratagème destiné à bloquer les mécanismes mentaux qui
amenaient ce sujet à se bloquer lui-même.
1. Gianfranco Cecchin est l’un des grands praticiens de la thérapie familiale systémique.
2. Traduction littérale : « S’il y a le plus grand, le plus petit disparaît », c’est-à-dire qu’un
phénomène important occulte un évènement moindre.
CHAPITRE III
L’auto-assistance stratégique
Un aveuglement thérapeutique
volontaire
« Toute notre rancœur découle du fait que, notre vie durant, nous ne
sommes pas à la hauteur de nos aspirations, que nous n’avons pas
atteint notre but, et cela nous ne pouvons le pardonner aux autres. »
E.M. Cioran, Syllogismes de l’amertume.
« “J’ai fait cela”, dit ma mémoire. “Impossible, pas moi”, dit ma fierté,
qui n’en démord pas. À la fin, le souvenir abandonne le combat. »
Friedrich Nietzsche,
La Philosophie à coups de marteau
Puisque c’est nous qui bâtissons notre propre réalité, nous pouvons
également, dans une certaine limite, donner à la réalité une direction
positive. Le sujet de ce chapitre est la façon dont nous, en tant qu’individus,
pouvons construire des réalités thérapeutiques, seuls, sans autre aide que
nous mêmes.
Comme nous l’avons vu, le fait de se raconter des histoires joue un rôle
important dans la façon dont nous construisons les pièges dans lesquels
nous tombons nous-mêmes, et dont nous ne pouvons pas nous sortir seuls.
Jusqu’ici nous avons essentiellement mis l’accent sur la façon dont on
peut aider les gens à déjouer les pièges qu’ils se tendent eux-mêmes
mentalement. Nous allons maintenant discuter de la façon dont on peut
éviter de construire de tels pièges, dont on peut éviter d’y tomber et si nous
n’y arrivons pas, de la façon dont nous pouvons nous sortir seuls des pièges
dans lesquels nous sommes tombés. Nous le ferons en utilisant le fait de se
convaincre de quelque chose de faux à des fins thérapeutiques, c’est-à-dire
notre capacité à construire des perceptions de la réalité qui amènent des
changements dans les attitudes et les relations dysfonctionnelles.
J’aimerais dès maintenant insister sur le fait que les suggestions qui
vont suivre ne sont valides que lorsque le problème auquel nous sommes
confrontés n’est pas suffisamment compliqué ou persistant pour que l’aide
d’un expert soit nécessaire. On peut déterminer ceci assez facilement. Si
après quelques tentatives d’autosuggestion thérapeutique, nous nous
rendons compte que la technique ne fonctionne pas et que la situation se
détériore, cela signifie qu’il serait bon de demander une aide extérieure
pour permettre le changement désiré. Cette vigilance, lorsque nous
appliquons une solution tentée, qui nous permet de vérifier qu’il n’y a pas
de dysfonctionnement est une étape préliminaire absolument indispensable
pour décider de mettre en œuvre une logique d’autosuggestion en tant que
stratégie d’aide que la personne se prescrit à elle-même.
Dans un passé plus récent, John Elster a écrit sur la relation qui existe
entre les croyances visant à se raconter des histoires et la réalisation de soi
(1994-1991). Elster part d’un examen attentif de ce qui a été écrit en
matière de philosophie et de psychologie sur l’autosuggestion. Il prend ses
distances par rapport aux positions traditionnelles, qui considèrent que le
fait de se raconter des histoires résulte d’une faiblesse de caractère ou bien
d’un contrôle insuffisant des pulsions. Citant des études réalisées par
Davidson (1980) et Ainslie (1991), il définit le fait de se raconter des
histoires comme une tendance à confondre la réalité avec les désirs
personnels dans le processus de formation de nos croyances.
Par exemple si je souhaite croire que quelque chose est vrai, je vais
peut-être le répéter dans mon esprit, l’écrire, le dire de différentes façons
jusqu’à ce que d’autres soient persuadés de la même chose. Et si je réussis à
persuader d’autres personnes comme j’ai pu me persuader moi-même que
cela est vrai, j’aurai ainsi construit une croyance stable dans mon propre
esprit. Et ceci fonctionne de la même façon que l’affirmation soit positive
ou négative. Les pessimistes radicaux essaient toujours de convaincre les
autres que les choses sont différentes de la façon dont elles devraient être ;
si les autres arrivent à se persuader de leur vision déprimante, la personne
déprimée reçoit une sorte de confirmation et un renforcement de sa
position. Pour citer un autre exemple, nous voyons fréquemment des
groupes d’individus qui se confirment mutuellement leur condition
commune : des célibataires qui célèbrent l’avantage de ne pas vivre en
couple, des membres de sectes qui déclarent les vertus de leur foi l’un à
l’autre, etc. Dans la communication humaine en général, la plupart des gens
ont tendance à vouloir convaincre les autres de leurs propres illusions.
De fil en aiguille
Nous nous sentons souvent démunis en présence d’un problème, du seul
fait que nous le ressentions comme compliqué à l’extrême et impossible à
résoudre. Lorsque plusieurs problèmes sont liés, il semble souvent
impossible de les gérer parce qu’ils sont trop nombreux et inextricables.
Dans ce cas-là, il nous faut nous souvenir que même les objets les plus
grands se composent de nombreuses pièces plus petites. C’est vrai de la
nature comme c’est vrai des phénomènes sociaux et mentaux.
Mais le plus important est que si nous introduisons même un
changement minime dans le système le plus complexe et le plus organisé,
ce changement induit une réaction en chaîne qui va altérer l’équilibre du
système tout entier. Par conséquent, il est bon de se concentrer sur le plus
petit changement mais il faut que ce changement soit concret. Le plus petit
changement concret que nous puissions induire sera suivi d’un autre petit
changement jusqu’à ce que la somme des petits changements mène à un
changement majeur. En d’autres termes, nous appliquons le stratagème qui
consiste à « éparpiller les troupes ennemies pour pouvoir attaquer un petit
groupe, et conserver l’avantage à tout moment. »
La technique de l’alpiniste
Cette technique est ainsi nommée par les équipes de montagnards les
plus expérimentés lorsqu’ils mettent sur pied des expéditions. Au lieu de
partir de la base pour le sommet, ils partent de la cime et reconstituent
l’itinéraire à l’envers, reliant chaque portion de l’itinéraire jusqu’à ce qu’ils
atteignent la base. Ceci s’est avéré être la procédure la plus efficace, pour
déterminer l’itinéraire idéal vers le sommet, qui reste le but à atteindre.
Il y a environ quatre mille ans, Lao Tseu disait déjà : « Si vous voulez
obtenir quelque chose qui soit parfaitement droit, commencez par tenter de
l’incurver encore plus. »
La technique du comme si
La technique du « comme si », dont nous avons parlé plusieurs fois dans
cet ouvrage, est directement liée à la méthode précédente mais elle s’oriente
beaucoup plus vers une intervention active sur le problème actuel. Elle
consiste à se demander chaque jour : « Que ferais-je maintenant, comment
pourrais-je me comporter de façon différente aujourd’hui si le problème
avait disparu ? » Et une fois qu’on a répondu à cette question, il nous faut
choisir la plus infime des réponses qui nous vient à l’esprit, et la mettre en
pratique.
Une action qui repose sur de la fiction s’avère ainsi plus efficace qu’une
action qui s’appuie sur une réalité à laquelle on croit, de sorte qu’une fiction
régulièrement répétée devient une réalité. La magie de cet autoleurre réside
dans le fait qu’on construit notre réalité d’une façon maintenant
transformée, et que l’on s’écarte progressivement de la position dans
laquelle on était, à savoir être assujetti à la réalité, pour adopter une position
de contrôle de cette réalité.
Les pires fantasmes
Parce que quelque chose ne s’est pas produit de la façon dont nous
l’espérions, ou que nous avons fait quelque chose de mal, ou qu’il y a eu un
terrible accident au cours de notre existence, la plupart d’entre nous avons
tendance à essayer de limiter notre souffrance en tentant de rationaliser les
événements ou de pas y penser, d’essayer d’oublier. Mais le fait de
rationaliser une détresse ou une émotion ressemble un peu au fait de chasser
quelque chose en ouvrant la porte pour le voir resurgir par la fenêtre.
Chaque fois que cela revient, c’est pire. Essayer de ne pas penser à quelque
chose est également la meilleure façon d’y penser encore plus. Et puisque
l’oubli est un phénomène involontaire, en essayant d’oublier, nous inhibons
l’oubli, le résultat en est que ce que nous souhaitons faire disparaître de
notre mémoire s’y enracinera bien plus et pour une plus longue durée.
Dans son livre Les exercices d’admiration, Emil Cioran nous apprend la
façon par laquelle, chaque fois qu’il se mettait en colère contre quelqu’un, il
a lui-même progressivement pu prendre un papier et un crayon et écrire sur
cette personne les pires choses auxquelles il pouvait songer. Et chaque fois,
la rage, la haine ou la dépression se mettaient à décroître au point d’ailleurs
de disparaître. Il ajoute que c’est grâce à ce stratagème qu’il a pu se
supporter lui-même, et supporter beaucoup de choses dans l’existence.
Évitez d’éviter
Une des tendances les plus communes chez les êtres humains lorsqu’ils
ont un problème, consiste à essayer de l’éviter ou à essayer d’éviter des
situations qui puissent le faire resurgir avec plus de force.
Cependant, comme je l’ai déjà expliqué dans la première partie du livre,
en faisant cela, nous nous confirmons à nous-mêmes notre maladresse à
affronter le problème. Chaque évitement conduit à un autre évitement qui
confirme le précédent et prépare le suivant, mais cette chaîne d’évitements
augmente notre sentiment d’insécurité et d’incompétence personnelle.
Nous avons donc besoin de nous prescrire d’éviter d’éviter, et
d’assumer cela comme étant une règle fondamentale dans notre façon
d’interagir avec la réalité que nous construisons sans cesse et avec laquelle
nous devons être en contact permanent.
Au contraire, quelque chose qui n’a pas encore été suffisamment étudié,
c’est notre capacité à utiliser des formes spécifiques d’autoleurre
thérapeutique pour transformer nos souvenirs et faire perdurer leur effet
positif sur notre vécu présent (Madanes, 1997). Nous avons tous une façon
de nous remémorer les choses qui nous est propre. C’est celle par laquelle
nous nous représentons les choses à nous-mêmes. Bien entendu, ceci est
fonction de notre humeur actuelle, qui elle-même est influencée par les
souvenirs – qu’ils soient bons ou mauvais. Si l’on considère cette influence
circulaire et réciproque entre notre humeur actuelle et nos souvenirs, nous
pouvons faire usage de la méthode Coué que l’on utilise pour renforcer le
mécanisme dans la direction de ce qui fonctionne le mieux pour nous.
Je peux construire mon musée personnel avec une toile qui présente
chacune de ces relations, et j’encadre l’image la plus belle qui est restée
dans ma mémoire. De cette façon, bien sûr, ce sera nostalgique mais il y
aura quand même un certain plaisir à visiter de temps à autre cette galerie
de souvenirs qui me renverront des sentiments agréables, qui auront une
influence positive sur mon humeur présente, mais également sur le souvenir
que j’ai de ces personnes qui font partie de mon paysage intérieur. Je dois
admettre que cela est une des façons de se raconter des histoires à des fins
thérapeutiques que j’ai moi-même utilisée abondamment.
Un égoïsme sain
Notre éducation nous a appris à avoir du remord chaque fois que nous
accomplissons quelque chose ou que nous pensons à quelque chose qui
nous sert directement. Cette réaction est due au fait que tout comportement
égoïste est associé à l’idée d’un avantage personnel et, bien sûr, aux
dépends de quelqu’un d’autre, comme si mon avantage signifiait
inévitablement un désavantage pour quelqu’un d’autre.
Ce que j’en ai dit jusqu’ici, bien que cela puisse paraître comme une
thèse purement philosophique, nous amène (raison supplémentaire de se
raconter des histoires à des fins thérapeutiques) à partir du principe suivant :
si nous devons avoir un sentiment de culpabilité lorsque nous faisons
quelque chose de façon égoïste, nous devrions aussi nous sentir fortement
coupables lorsque nous faisons quelque chose d’altruiste.
En d’autres termes, une personne qui adopte l’attitude que nous venons
de décrire, suit le dicton « Si vous voulez recevoir, commencez par
donner. » Une telle personne transforme son interaction avec les autres et
passe d’une interaction dans laquelle certains se retrouvent gagnants et
d’autres perdants (la théorie du jeu parlerait de « jeu à somme zéro », où
pertes et gains s’équilibrent) à une interaction dans laquelle soit l’un et
l’autre protagonistes se trouvent gagnants, soit chacun des deux se retrouve
perdant (un jeu où la somme diffère de zéro). L’intérêt de tout cela est que
cet effet de coopération, qui est au bénéfice de chacun, s’obtient en partant
d’un comportement ouvertement égoïste, mais qui produit l’effet d’un
échange altruiste « sain » entre êtres humains.
N’oublions pas qu’après tout l’égoïsme n’est rien d’autre que « la mise
en perspective de la réalité : tout ce qui est distant de nous devient plus
petit. » (Nietzsche, Le gai savoir)
La fragilité de l’auto-prescription
La dernière suggestion que je puisse faire en ce qui concerne l’usage de
la « méthode Coué » à des fins positives, concerne la relation que chacun de
nous entretient avec ses propres faiblesses. Là encore, on croit
habituellement que la fragilité, ou le fait de ne pas opposer de résistance,
sont toujours complètement négatifs. Sans s’étendre trop sur le caractère
douteux d’une telle croyance, il faut néanmoins partir de l’observation selon
laquelle toute vertu supposée devient un défaut lorsqu’on inverse sa
dynamique, de même que tout défaut supposé peut à l’inverse, devenir une
vertu.
Notre faiblesse peut ainsi devenir une force si cette faiblesse n’est pas
niée mais canalisée et utilisée à bon escient.
Ne pas vouloir reconnaître notre propre fragilité, un trait qui se traduit
par le refus d’accepter nos propres limites et nos propres lâchetés, nous rend
cette faiblesse impossible à gérer, et fait qu’elle nous envahit et prend le pas
sur nous dans certaines situations. Si au contraire, non seulement nous
acceptons notre fragilité mais nous la cultivons, l’effet obtenu sera la
plupart du temps la réduction, voire même l’annulation, des effets négatifs
que cette faiblesse aurait pu produire.
Même pour des gens ordinaires qui ne s’exposent pas à des risques
extrêmes ou à des souffrances indicibles, il est très significatif que le fait de
se raconter des histoires et de se prescrire un comportement paradoxal, non
seulement nous permet d’exprimer notre faiblesse, mais nous permet
également de la cultiver. Et si nous prenons une réaction involontaire pour
le rendre volontaire, comme on l’a vu à plusieurs reprises dans ce livre,
nous le faisons pour inhiber l’aspect incontrôlable de cette pensée, et par là-
même pour réduire ses effets dysfonctionnels. Nous utilisons le même
processus qui, dans une autre situation, amènerait à la construction d’une
pathologie, mais nous l’utilisons pour produire l’effet inverse : « Similia
similibus curantur », il faut soigner le mal par le mal.
Il y a quelques milliers d’années Lao Tseu disait déjà : « Les choses les
plus simples peuvent triompher des choses les plus rigides… Il est bien
connu que la faiblesse triomphe de la résistance et que la douceur triomphe
de la dureté, et pourtant, personne ne les utilise… »
Épilogue
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