Fiche Histoire Littéraire
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XVIe siècle
Le deuil de l'antiquité : c'est bien la Renaissance qui le signe et non le Moyen Age. Il y a une
conscience renouvelée de la rupture avec l'Antiquité, d'un changement de paradigme. Rome est au
centre des motifs littéraires : ses ruines sont le symbole de la rupture avec l'antiquité. Chez Du
Bellay, ce motif est traité avec un relatif amusement, car cette rupture est aussi le symbole
d'une translatio imperii et studii de l'Italie vers la France.
Deux figures cohabitent selon Garin : le sculpteur (qui tente de reproduire les modèles antiques) et
le maçon (qui façonne à partir des matériaux antiques pour faire du nouveau).
Affirmation d'une conscience juridique de l'écrivain avec l'affaire La Vigne. Et cela influence aussi
la manière de conceptualiser ce qu'est une « oeuvre ».
Importance du lien avec la religion : foi dans le langage. Surtout lien entre Evangélisme puis
Réforme et Humanisme. Exemple : Marguerite de Navarre : poésie en lien avec son inquiétude
religieuse : spirituelle, abondante et ascétique et son théâtre : biblique ou moral. Importance du
vers pour rythmer la prière, le lyrisme est au service du spirituel. Deux grands recueils : un
lyrique, l'autre rhétorique : fusion du style public et du style intime. Primat de la foi. « sola fide »
luthérienne. Dialectique du Tout et du Rien : qui se traduit au plan poétique par l'oxymore et
l'anthithèse. L'âme s'exalte jusqu'à se perdre dans la totalité de Dieu. Technique de la
contrafactum : substituer à des chansons profanes des chansons pieuses.
Importance des 50 Psaumes de David, de Marot et Calvin. Modèle de compréhension du
cheminement individuel du croyant.
Importance de l'adage d'Horace dans l'Art poétique : ut pictura poesis. La poésie donne à voir tout
comme le peintre : par ses sonorités, ses rythmes : il compose une « peinture parlante ». La
peinture elle devient une poésie muette à cette époque.
Existait avant mais porté à son point de le plus haut par les poètes de la Brigade, la future
Pléiade : Du Bellay, Ronsard, Jodelle et Belleau.
Cette importance de l'image à la Renaissance s'explique par la théorie antique de l'évidence. Dans
l'art rhétorique, l'évidence ou « énargie » (du grec enargeia) est une figure de style qui confère à
la description la puissance évocatrice de la vision directe. Production d'une sorte d'hallucination
réglée : usage de présents, de déictiques, couleurs, indicateurs spatiaux, verbes perceptions :
donnant consistance au songe tout en le dénonçant. Peinture du tout par les parties. Miroir en
morceaux du réel. Focalisation sur des détails. Quintilien (Art oratoire) « les yeux de l'éloquence ».
Proche de l'ekphrasis : // désir amoureux comme fétichisme. Importances des blasons du corps
féminins. (Ex : Marot : l'étrange concours du « Beau tétin »). Mais sans en rester à la description,
le blason va dramatiser la métamorphose : augmentation de la partie dans le tout (ex : l'organe
féminin devient de celui d'une jeune pucelle, celui d'une mère allaitante). Jeu auquel s'est prêté
Maurice Scève en choisissant le Sourcil, la Larme, le Front, la Gorge et le Soupir. Joue à
désincarner.
Dans le Songe de Du Bellay, inspiré des Canzone dei visioni de Pétrarque, mélange de l'ironie avec
l'onirique. Passage du plan personnel (chez Pétrarque) au plan historique et universel (chez Du
Bellay) : translatio imperii. Miniaturisation de l'épopée.
Les massacres du triumvirat d'Antoine Caron (1566) (Massacre des triumvirs) : tableaux du
Louvre.
Allusions aux guerres de Religion commencées en 1561. Triumvirat avec Anne de montmorency,
Jacques d'Albon de Saint André, et le duc François de Guise. // Caron utilise l'imaginaire de la
Rome antique (pour changer). Avec aussi des éléments de la Rome moderne. Composition
architecturale érudite. Décapités d'Amboise en 1560, protestants qui avaient voulu enlever François
II pour le soustraire à l'influence des De Guise. Caractère théâtral du tableau. Mais par les couleurs :
une forme de gaîté habite le tableau.
→ Tableau emblème de la « crise de la Renaissance » (terme d'André Chastel). Grosse dif avec
le baine de Diane alors même que les deux œuvres sont plus ou moins contemporaines :
changement de paradigme : la référence n'est plus à la mythologie, mais à l'histoire antique, et à
l'époque des guerres civiles à Rome : Lucain remplace Ovide. Elargissement de l'espace et du
temps.
Trois traits : rhétorique de la violence (Les Tragiques d'Aggripa d'Aubigné) / esthétique théâtrale
(cela implique une préférence pour le tableau, où tous les événements se produisent en même
temps, plutôt que pour la chronique ou l'histoire) / choc des esthétiques
L'art agit sur le réel ou la réalité contamine la sphère de l'art ?
Chapitre I : Une esthétique théâtrale, le modèle théâtral
Le théâtre du monde, de Pierre Boaistuau (Le théâtre du monde) à Aggripa d'Aubigné. Avènement
du goût baroque : le monde est un théâtre et la vie humaine a un rôle d'emprunt.
D'où même le titre d'Aubigné : Les Tragiques : // spectacle des jeux de cirques anciens ; les
premiers chrétiens remplacent les réformés et Charles IX devient Néron.
Un siècle tragique de Jodelle à Garnier : // guerres de religion. Tragédie comme moyen de critique
du réel : mais en passant par la distanciation toute brechtienne. Le théâtre se fait image des
psychologies discontinues, interruption des lois de la vraisemblance, et invite le spectateur à
réfléchir et prendre position. Ex : Marc Antoine de Robert Garnier : scène d'échos concertés entre
les personnages qui parlent chacun sans se rencontrer : seul le spectateur est capable de juger (invite
à une prise de position). + Discontinuité psychologique : on passe d'un personnage à l'autre, on vit
les émotions de chacun. Identification intermittente : conciliation de Brecht et d'Aristote,
possibilité de catharsis avec distanciation.
Le visible tend à supplanter le lisible.
Nouvelle historiographie : l'Histoire universelle. La découverte du nouveau monde relance
l'ambition d'une histoire universelle. Chez Polybe, très apprécié à la Renaissance, l'histoire
universelle abandonne le paradigme épique pour celui de la tragédie : logique de la fortune
transcendante dépassant les hommes et les historiens.
L'art de la mémoire et sa critique : Ramus.
Chapitre II : Une esthétique du heurt Morcellement des œuvres. Structures variées. Michel
Jeanneret parle d'une « structure modulaire ». Le livre devient un peu une banque de données/
Baroque et maniérisme : Distinction entre l'art classique et l'art baroque : art de la ligne → art
pictural (le tracé du contours des choses devient représentation de la masse et du mouvement),
stabilité spatiale → effet de profondeur, ordre dynamique, formes fermées → formes ouvertes,
unité subordonne → unité fusionnante, goût de la clarté → celui de l'obscurité.
Dynamisme, décentrement, dissymétrie et disproportion.
Formule frappante de Cattevi : « le maniérisme a la culture du signe, le baroque le culte du
symbole. » La parole baroque cherche à dire qqch, à convaincre et se donne comme discours de
vérité. La parole maniériste veut seulement séduire, troubler, semer le doute. Narcisse (maniériste)
vs Pygmalion.
Deux types de représentation différente : on passe de l'ekphrasis (effet distancié) à
l'hypotypose (effet d'adhésion au réel).
Subordination du centre à la périphérie selon Montaigne, cela participe aussi d'une esthétique
/ pensée maniériste. Renversement du rapport entre accessoire et principal. Le triomphe de la
glose sur le texte : la Renaissance aurait selon Foucault pour trait distinctif de son espistémé :
le commentaire. Ce qui s'applique bien à Montaigne. Même la littérature savante est accueillante
aux digressions. Les Essais juxtaposent des perspectives irréductibles entre elles. Le but de
Montaigne n'est plus l'édification, allant avec une rhétorique de la cohérence ou de la confluence,
mais la mise au jour du caractère problématique et contradictoire de sa matière : l'homme.
Pour Montaigne, la prolifération des commentaires est un symptôme du dérèglement : il y a plus
affaire à interpréter les interprétations qu'à interpréter les choses. « Nous ne faisons que nous
entregloser ».
Peut-être le commentaire est l'une des sources premières de la littérature dans la mesure où c'est une
forme prenant conscience d'elle-même. Ecrit-squelette / Ecriture-chair.
XVIIe siècle
La mémoria latine est une donnée constante de la conscience littéraire, même un siècle après la
Defense et illustration de la langue française de Du Bellay. (1549).
Constitution d'un public littéraire. Pour le théâtre durant Louis XIII, pour le roman durant Henri
IV. // La littérature se construit aussi à partir des horizons d'attente de ce public. « Naissance de
l'écrivain » : le règne de Louis XIV a été celui d'une forte promotion des lettres et des arts, l'homme
de lettres a un statut particulier.
Débat sur le début du siècle : problème de la périodisation. On a tendance à assimiler le début du
siècle à un pré-classicisme, préparant la voie au grand classicisme de Louis XIV. Sinon notion d'éon
baroque pour définir cette période, utilisée par Jean Rousset.
La spiritualité baroque fut comprise comme l'expression des aspirations nées de la Contre-
Réforme : promotion de l'éloquence sacrée, de l'oral contre l'écrit, arts visuels, théâtralisation de la
vie et du monde, poétique du desengano (désillusion).
Verdun-Louis Saulnier distingue cinq générations : celle des réformateurs et constituants (Balzac,
âge de Richelieu) / législative (Chapelain, âge de Mazarin) / politesse et querelles de pensée
(Bouhours, Pascal, Molière, La Fontaine, Bossuet) / 1682 (installation en 1677) VERSAILLES
(Boileau, Racine) / puis crise de la conscience européenne (Fontenelle, Pierre Bayle).
Ou possibilité de suivre les étapes politiques : Henri IV : restauration du Royaume, bilan de la
Pléiade, renouveau de l'éloquence, essor du théâtre) / puis Classicisme de Richelieu :
régularisation des genres (notamment du théâtre), législation de la langue avec la fondation de
l'Académie en 1635. / La Régence et la Fronde : libéralisation : burlesque, triomphe du roman
héroïque : inflexion esthétique en lien avec inflexion politique autour de Nicolas Fouquet,
grand mécène (et potentiel rival artistique de Louis XIV) / Puis Louis XIV ; remise en ordre et
radicalisation morale ensuite.
La querelle des Anciens et des Modernes serait l'ultime épisode du siècle.
Le terme de littérature ne désigne pas seulement au XVIIe un champ autonome d'une pratique
esthétique du langage : mais toute la res litteraria, les écrits également scientifiques.
C'est aussi l'histoire de la progression et de l'affirmation d'une langue vernaculaire qui
progressivement revendiquera la place et la fonction de la mémoria latine.
Pour analyser la « réussite esthétique » en 1600, il faut s'appuyer sur les notions de rhétorique et de
poétique. La rhétorique offre les techniques fondamentales pour l'invention (maîtrise de la topique),
de la disposition (art du plan qui gouverne l'architecture de l'ensemble), et de l'élocution. Mise en
ordre logique du sujet, efficacité stylistique de la mise en forme.
Synthèse entre Aristote et Horace : les conceptions techniques du philosophe avec la portée
morale / éthique du poète latin. La vraisemblance a désormais une portée éthique.
Fonctions et pouvoirs de la littérature : On assiste à une centralisation de la publication et de
l'imprimerie à Paris. Ecrivain éminemment dépendant du pouvoir. Contrôle des publications.
Fondation de l'Académie en 1635.
L'éloquence est reléguée aux côtés de la poésie encomiastique. Le genre épidictique (qui loue ou
blâme) est le grand genre oratoire du XVIIe. Du Vair : monument oratoire à la restauration de la
monarchie. Importance de l'histoire / historiographie : Pierre Matthieu : lie le récit des événements à
la maxime, généralisation morale.
Renouveau de la tragédie mais concurrence avec genres nouveaux issus d'Italie dont la
pastorale et la tragi-comédie. Nouvelle conception du théâtre qui rejetait l'instruction morale au
profit de la quête du plaisir et – ce qui allait de pair – la véhémence oratoire et le haut langage
poétique au profit de la douceur et du naturel. Notamment par les jeunes disciples de Malherbes :
renouveau de la comédie. C'est pourquoi Richelieu a tenu à maintenir une concurrence théâtrale en
favorisant deux lieux de représentation dans Paris. C'est notamment lui qui créé l'Académie
française. Groupe des cinq auteurs autour de Richelieu, mise en avant de la « modernité » littéraire.
Puis Mazarin, premier ministre successeur de Richelieu, encouragea aussi le goût pour l'Opéra,
l'architecture « baroque ». Protège Balzac, Voiture et Chapelain.
Puis Nicolas Fouquet (surintendant des finances de Louis XIV) : dernière affirmation d'un grand
mécénat privé. Fait appel aux forces littéraires qui s'étaient développées en marge de l'institution
littéraire officielle de l'âge précédent : littérature de salon (Madeleine de Scudéry, Thomas
Corneille, Charles Perrault Sorel, Scarron). Fait construire Vaux-le-Vicomte.
Belles Infidèles : modèle antique Lucien, ce sont des traductions libres, dont les pionniers ont été
défendus par la première Académie française, qui mettaient en valeur la langue française, quitte à
déformer un peu le texte original.
Le XVIIe est en quête de modèles : parmi ceux là, les auteurs antiques depuis Guillaume Budé et
l'aventure de la Pléiade. Admire les pères de l'Eglise grecs dont Saint Basile (influence Port-Royal).
L'oeuvre de Jean Racine est sans doute la plus représentative de cette présence de la culture
grecque au cœur du classicisme français : il a lu et annoté plusieurs auteurs grecs, Homère,
Sophocle, Aristote, Plutarque, avant de s'en inspirer pour ses tragédies comme Phèdre,
Andromaque, Iphigénie... Aristote est une des sources majeures de ce temps, déjà développé par les
humanistes du siècle précédent. Longin également, dans le domaine esthétique, publié en 1674 par
Boileau, avant d'en faire une machine de guerre contre Charles Perrault et les Modernes.
Quant au latin, ce sont Cicéron et Quintilien qui fondent les grandes questions théoriques de la
littérature, ainsi que Virgile pour l'initiation à la parole poétique. Quintilien est à la base de toute la
pédagogie reposant sur le corpus cicéronien. D'où la fonction centrale de la rhétorique. La
poétique trouve aussi son fondement dans Horace, avec Aristote. (inspiration Boileau, La Fontaine,
Molière). L'Epître aux pisons (Art poétique) : modèle de littérature moderne, et les Satires source
d'un champ poétique de Régnier à Boileau.
Un des pans décisifs de l'imaginaire de la pastorale se constitue par le modèle latin, de Virgile.
Modèle de l'Enéide comme poésie nationale et dynastique / incarne la réussite absolue en matière
épique. Ovide enfin, dont les Métamorphoses sont un véritable manuel de la Fable antique.
Les latins offrent de surcroît une conception de la culture littéraire : héritée de la paideia grecque.
Selon Terence, Virgile ou Cicéron, toute création littéraire est avant tout imitation intelligente
de modèle. C'est pourquoi le « classicisme » doit se concevoir autant comme une doctrine qui
s'élabore en rapport à un modèle, que comme une création qui se pense comme rapport au modèle :
il s'agit donc moins en définitive d'une imitation que d'une émulation. C'est pourquoi des
auteurs comme Corneille, Racine ou la Fontaine aiment citer leurs modèles : la valeur de l’œuvre
littéraire repose sur la comparaison implicite qu'il y a avec le modèle.
Influence de l'Italie, notamment l'Arioste qui publie Orlando Furioso : complexité narrative
influence sur le genre épique et roman héroïque.
Le Tasse également auteur de drame pastoral, influence la veine de la pastorale, située aux
marges du monde chevaleresque, et faisant de l'amour – au sens platonicien – la principale
activité humaine. Bien sûr grande influence italienne (Lully) pour l'Opéra, repris par Quinault,
Lully et Vigarini (pour les décors).
L'Espagne également, grand royaume, grande sœur amie et ennemie de la France, influence
particulièrement le domaine romanesque : Diane de Montemayor. Ce roman pastoral implante en
Europe le goût pour une littérature amoureuse d'inspiration néo-platonicienne. Pour le domaine de
l'inspiration chevaleresque : l'Amadis de Gaule / Don Quichotte. → de là se développe le genre
de la nouvelle comme contrepoint aux critiques du roman chevaleresque lancées par le Don
Quichotte. Idéal de narration réaliste par rapport à l'extravagance héroïque. La comedia
espagnole a également permis de développer le genre de la tragi-comédie.
Toutes ses influences permettent aux écrivains français du XVII d'affirmer leurs caractères
spécifiques. Il y a au début du siècle (Henri IV, puis Louis XIII) un sentiment de rupture,
notamment incarnée par Malherbe. « Enfin Malherbe vint, et le premier en France / Fit sentir dans
les vers une juste cadence. » (Boileau). D'où le fait que la Querelle des Modernes ne se résume
pas à l'épisode des années 1687-1715 : c'est un aboutissement d'une longue tension qui
remonte à l'humanisme.
La poétique de Malherbe est une critique de la poésie de cour de l'ultime génération des Valois et de
la poésie savante de la tradition de la Pléiade. Elle renoue avec les grands genres de la lyrique
officielle et s'appuie sur la rhétorique (on l'accusera de « rimer de la prose »). Attention rigoureuse
à la syntaxe, mise en valeur par le rythme du mètre. Simplicité du lexique. // Renouveau du
royaume / renouveau de la langue. Sa poésie a les valeurs de la parole royale. Première querelle des
Lettres de Balzac : Virgile qui imite Homère pour le surpasser va devenir l'argument clé des
Modernes dans la théorie de l'imitation comme « émulation ».
Pour Ogier, le suivi des règles des unités au théâtre dans l'organisation de la pièce (dispositio)
aboutissait à brider l'imagination sur le plan du sujet, des actions et des caractères (l'inventio) : cela
ouvrit le champ libre aux apôtres de la liberté absolue en art. Chapelain, disciple de Malherbe, et
ami de Balzac, proposa alors la Lettre sur la règle des vingt-quatre heures, dans laquelle il propose
une justification rationnelle et moderne des règles des Anciens : autre forme de modernité qui
appelle à la raison pour découvrir les secrets de fabrication des chefs-d'oeuvre. Le but, selon
Chapelain, est de « faire croire » au spectateur. LA TRAGEDIE REDEVIENT MODERNE. Youpi.
Ce débat des années 1630 se poursuit en 1650 au sujet de la place du merveilleux païen dans
l'épique. Puis aussi la question de la langue. La Querelle reprend lorsque Charles Perrault fit lire,
devant l'Académie, son poème sur Le Siècle de Louis le Grand( 1687), où il célèbre les auteurs
modernes au détriment des auteurs antiques. La translatio studii se double d'une idée de
progrès : il faut s'opposer au pédantisme des Anciens et défendre la culture moderne, celle des
mondains et des femmes. Boileau s'oppose. Si la mythologie n'était plus cette théologie primitive
révélatrice sous le voie allégorique des secrets du monde que la Renaissance avait définie, elle reste
selon Boileau. La position des protagonistes n'est pas aussi nette que l'histoire a voulu le retenir : La
Fontaine par exemple, s'il défend l'idée d'une bonne imitation, est aussi un lecteur fidèle des
modernes.
De la rhétorique à la conversation : l'importance de la rhétorique implique la définition d'un espace
spécifique pour toute prise de parole : l'écrivain joue avec la doxa, les horizons d'attente du lecteur.
C'est par rapport à cette doxa que l'oeuvre prend sens et que se construit le « vraisemblable », pierre
de touche de la réussite en art. La rhétorique définit également la bienséance interne (cohérence
des actions) / externe (accord moral des actions des personnages avec l'univers du public).
Le théâtre se présente comme le lieu même de l'imitation du réel puisqu'il s'agit d'une reproduction
à la fois auditive et visuelle (même charnelle) des actions des hommes. Le système de causalité
d'une intrigue doit être ou bien logique (il est nécessaire que tel fait entraine un autre fait) ou bien
doxal (il est probable, d'après l'expérience humaine...). Pour Chapelain, le but n'est pas de
reproduire tout le réel, mais de donner une illusion de réel / de vérité : « obliger l'esprit » du
spectateur « à se croire présent à un véritable événement ». D'où l'importance de l'unité de temps :
le public ne peut juger vraie une action distordue. Ce n'est plus seulement la simple
« rhétorisation du poétique » propre au XVIe et aux commentateurs italiens, qui cherche
l'acquiescement du spectateur, mais bien le transport de ce dernier, en imagination, dans
l'oeuvre. Il doit se croire être devenu le « témoin » véritable de l'action. Son imagination doit
être surprise et il ne doit pas être en situation de réfléchir. D'où la condamnation du Cid de
Corneille par les théoriciens, car il est jugé invraisemblable qu'une fille épouse le meurtrier de son
père, d'autant plus qu'elle était définie comme vertueuse. Il faut une constance du personnage.
Corneille s'est défendu contre l'inanité de cette rationalisation du théâtre, en disant que les
grands sujets doivent toujours aller au delà du vraisemblable. Récusant la vraisemblance dans
l'élection du sujet (l'inventio), il l'exigeait cependant dans le système des faits (dispositio).
Dans le roman aussi, même si moins codifié, la vraisemblance est la clé des théories. Resserrement
du temps et unification de l'action. Passage du roman héroïque au « petit roman », (Roman
comique Scarron, etc...) : plus réaliste, fondé sur une action plus courte et des personnages plus
vraisemblables. Madeleine de Scudéry également dans son ultime roman Clélie, passe de l'épopée à
la gazette. Le sujet principal de ces récits est la galanterie. La fiction se fait donc le reflet fidèle de
ses goûts mondains, et s'enrichit des genres qui y règnent comme les conversations ou les portraits.
Badinage, bel esprit, urbanité. La conversation est ce que Marc Fumaroli a appelé « le genre des
genres ». (Bouhour, sur le Bel esprit). Travail sur l'inédit, la lourdeur de la mémoire est un obstacle.
La théorie des humeurs et du tempérament est liée aux idées que l'on se faisait du style ou du
caractère d'un auteur.
Art de ne se piquer de rien. De civiliser la doctrine. Nicolas Faret ; Inspiration de Castiglione (Le
courtisan) : la conversation doit privilégier le naturel, la négligence aisée (la sprezzatura). La
littérature satirique se plaira, parallèlement aux traités de civilité, à dessiner cette figure du pédant
livresque, qui est tout le contraire de l'honnête homme. (Les pédants de Molières) ; La conversation
infléchit notamment l'art du dialogue.
La casuistique est une forme d'argumentation utilisée en théologie morale, en droit, en médecine et
en psychologie. Elle consiste à résoudre les problèmes pratiques par une discussion entre, d'une
part, des principes généraux (règles) ou des cas similaires (jurisprudence) et, d'autre part, la
considération des particularités du cas étudié (cas réel). De la confrontation entre les perspectives
générales, passées et particulières est censée émerger la juste action à mener en ce cas-ci.
Le mot « casuistique » vient du latin casus qui signifie : un événement, ou « cas » particulier. Dans
l'usage moderne, le terme casuistique est généralement employé péjorativement pour qualifier un
mode d'argumentation jugé spécieux ou sophistique.
Le choix du genre épistolaire inscrit le débat dans un genre spécifiquement mondain, à l'extrême
plasticité. Pascal fait une description radicale de la condition humaine, visant à mettre en
valeur l'orgueil de l'homme, trompé par ses sens et son imagination. Emploi l'art du movere,
plutôt que le logos. La véritable grandeur de l'homme est d'avoir conscience de sa misère,
contrairement à ce que pensent les humanistes. Malgré tout les efforts de la raison, seule la foi
vécue et sincère peut mener à Dieu. L'homme est le jouet de son amour-propre, né de la chute
originelle. L'homme n'est qu'une machine, en proie aux mécanismes psychiques dont il n'est pas
toujours maître : ainsi l'imagination « maîtresse d'erreur et de fausseté », est une seconde nature
dans l'homme. Cette corruption implique une radicale faiblesse de la raison : « Le cœur a ses
raisons, que la raison ne connaît point. » D'où selon lui, la nécessité de mettre ensemble la justice et
la force. Ce qui est une critique du libertinage (ou plutôt une justification de ce qu'ils attaquent).
Dans une telle anthropologie la raison est « sotte » car elle ne peut avoir accès à toute la vérité,
contrairement à ce que pensent les libertins ; Elle demeure cependant le garde-fou contre les
superstitions aveugles. « L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un
roseau pensant ». Dans son ordre propre, la raison peut régner avec efficacité. Fidèle à la théologie
augustinienne de la grâce.
Le logos ne suffit, il faut bien une rhétorique : une énergie. Une rhétorique qui parle au cœur et qui
emporte la conviction, en passant par des comparaisons simples issues de la vie quotidienne. Pensée
547 : « Il faut de l'agréable et du réel ; mais il faut que cet agréable soit lui-même pris du vrai. ».
La littérature et le spectacle du monde : la littérature participant à l'imaginaire de la société du
XVII est à la fois un miroir et un modèle. « L'art de l'éloignement », un des régimes dominant
de l'imaginaire classique selon Thomas Pavel, permet d'en rendre compte. Cet art peut aussi être
un procédé de décentrement qui ramène à l'abrupte réalité quotidienne. La Bruyère ds Les
Caractères utilise ce procédé pour décrire la cour, par l'intermédiaire de la représentation d'un
paysage exotique. D'où l'importance de l'imagination à l'âge « baroque ». La spiritualité de la
Contre-Réforme joue un rôle important dans la vision que l'on a de la vie, observable par les
memento mori, dans les sermons de Bossuet. (+ Les spectacles d'horreur de Camus) .
Mais surtout grande popularité d'une vision du monde active depuis la Renaissance : le theatrum
mundi, le « théâtre du monde ». Le monde n'est qu'un théâtre / la vie une vallée de larmes, où se
joue la comédie humaine sous le regard de Dieu. De telles méditations vise à faire réfléchir le fidèle
sur l'inconstance des choses et aussi le renversement du pour au contre qui s'opère lorsqu'on accède
à la vérité chrétienne en abandonnant l'aveuglement que suscite notre attachement à la vie terrestre.
La figure de style majeure est, on le devine, l'antithèse, afin d'exprimer la dualité de la réalité, tjs
dans un régime épidictique.
Le discours épidictique (dénomination grecque) ou discours démonstratif (dénomination latine)
est un registre qui fait partie des trois genres de discours distingués par Aristote1. Longtemps en
retrait des deux autres genres, il connait sous la forme d'éloge un grand succès sous l'Empire
romain.
La littérature oscille donc entre le meilleur (qu'il faut louer) et le pire (qu'il faut blâmer) :
visible dans le système des genres : en poésie : ode vs satire, Malherbe vs Mathurin Régnier, ou
synthèse des deux : Boileau. Dans le roman : Pastorale, et héroïque vs histoire tragique, Urfé ou
La Calprenède vs Camus ou Rosset. En théâtre : polarité aussi entre tragédie et comédie, mais
tragi-comédie plus complexe. Changement radical dans la tragédie dans la conception du théâtre du
monde : au XVI, la tragédie devait être l'école des Rois et des Grands : pour Jodelle, l'inventeur de
la tragédie française moderne, le théâtre tragique est le microcosme de la grande tragédie que
constitue le théâtre du monde. La conception de la tragédie du monde est indissolublement liée à
la toute puissance de la fortune ; c'est la capricieuse fortune qui change les couronnes en chaînes de
fer. Au contraire pour les poètes de la première moitité du XVIIe siècle : fascinée par l'affirmation
de la grandeur du héros, transposition au théâtre de l'héroïsme épique, de la magnanimitas
aristotélicienne, la tragédie du XVIIe pour Corneille particulièrmeent est le produit d'une quête
de la maîtrise des apparences. Le théâtre du monde est présenté sous une forme éminemment
positive. L'Illusion comique. Grande mode dans la comédie ou tragi-comédie de l'illusion, des
masques et visages, de la dialectique de l'être et du paraître.
Le théâtre de Molière reprend cette thématique mais en modifiant la mise en œuvre. Au lieu de se
complaire dans l'ambiguïté, il dénonce les masques, les impostures et éclaire les aveugles. Véritable
conception du theatrum mundi. Molière dénonce en moraliste la prise au sérieux des masques
que l'on porte, et décide de rire face aux divierses scènes de la grande comédie des hommes.
La comédie satirique est le microcosme de ce macrocosme qu'est la grande comédie du monde.
Mundus universus exercet histrionam : Le monde entier joue un rôle // Shakespeare. Le théâtre
pénètre le théâtre.
Tout cela implique de poser la question du mimétisme. La vraisemblance, définie par le Chapelain,
implique de se servir des mœurs de la société. Elles s'en retrouvent questionnée par la littérature et
leur mise en représentation. Il ne s'agit cependant pas de réalisme, mais bien d'un lien avec la
réalité. Dans la lignée des prédicateurs : les moralistes (La Bruyère, La Rochefoucauld). Lien avec
les nouvelles, le roman comique etc... La Bruyère considère Molière comme l'un de ses principaux
maîtres. C'est chez eux qu'on pourrait retenir un certain réalisme. L'entreprise de la Rochefoucauld
intervient pour modifier toute une lignée de moraliste faiseurs de maximes, s'inspirant notamment
de Sénèque. Elle transforme cette pratique savante en jeu mondain, détournant la pensée dense et
concentrée (la maxime) de Sénèque pour en faire une arme contre le philosophe stoïcien.
L'influence de Montaigne est décisive pour comprendre le passage de la leçon de mœurs à
l'observation des mœurs : « je ne peins pas l'être, je peins le passage. » : recentrement sur le
particulier et de la singularité. Rhétorique du portrait est née, à partir de Théophraste (La Bruyère) :
la peinture de l'homme, dans sa complexité et sa singularité, quittant les horizons de la
généralité dont était porteuse la maxime. Attitude de l'observateur/peintre : décentrement pour
mieux se recentrer (accès au desengano).
Dans les choix de vie qui s'offrent à l'homme de cette époque, l'imaginaire de la retraite est
fondamental. L'honnêteté que conçoit Philinte correspond plutôt à la première attitude : revenir au
monde après le desengano. Et l'exil d'Alceste incarne au contraire le choix du retrait définitif.
Eloge de la solitude : Théophile de Viau « La Solitude ». Evocation du locus amoenus. Lien avec un
lyrisme propre à la contemplation de la nature. Et surtout chez La Fontaine, dont l'oeuvre entière est
imprégnée de cette aspiration à la solitude. Les Fables en sont une véritable synthèse des diverses
formes que peut prendre cette réflexion sur la solitude : la satire (« La Cour du Lion »), le ton de
l'épopée (« Les animaux malades de la peste », « Les vautours et les pigeons »), et aussi de l'élégie
(« Les deux pigeons »). Cette grande diversité générique / tonale, est dû au fait que La Fontaine
s'inspire autant des Modernes que des Anciens. Regret de Virgile et d'Ovide mais aussi grand lecteur
de roman : la rêverie héroïque et pastorale est en arrière plan de son univers poétique. L'éloge et la
satire, les deux versants du style épidictique sont présents sous sa plume et le kaléidoscope que
représente son œuvre est une bonne illustration du spectacle du monde.
Télémaque de Fénelon. Peut se lire d'abord comme un roman d'apprentissage car trame narrative
et Télémaque en se confrontant à diverses sociétés, étant à la recherche de son père, côtoie
différents systèmes politiques et économiques. C'est aussi un programme politique et social qui ne
cache pas son hostilité à la politique générale de Louis XIV. Réalise un idéal de l'homme de
lettres assez répandu selon les auteurs : celui d'être au service du prince et de faire des écrivains les
conseillers privilégiés du monarque. Voltaire (attaché à Frédéric II), Condillac (rédigeant des
instructions pour le Prince de Parme), Diderot (qui conseille Catherine de Russie), et Rousseau.
L'ambition de la littérature à cette époque est bien d'avoir une prise sur le monde, que ce soit pour
persuader (moralistes), ou comme consolation des malheurs de la vie, ou bien comme guide pour la
compréhension et l'orientation des destinées du royaume. D'où aussi le lien entre littérature et droit.
XIXe siècle
Le Parnasse : Moins qu'une réaction anti romantique, le Parnasse serait plutôt la troisième
génération romantique, celle de 1860. Publication entre 1866 d'une anthologie poétique : Le
Parnasse contemporain. Mais changement de valeur effectivement : refus de l'humanitaire, du
romantisme sentimental, du culte néoclassique de la forme et le respect de la versification tradi
par une génération grandit durant le Second Empire, (Mallarmé, Verlaine, Heredia, Copée, Sully
Prudhomme, Villiers de l'Isle Adam). Se voue à l'Art, au Rêve, à l'Idéal. Mais tous des académiciens
en 1901...
C'est surtout en marge du Parnasse que se joue le destin de la poésie, dans les publications à compte
d'auteurs : Les Chants de Maldoror, d'Isidore Ducasse, Une saison en enfer de Rimbaud, Le Coffret
de santal de Cros, Les Amours jaunes de Corbière, et tous les recueils de Verlaine. Tous ceux qui ne
trouvèrent un écho que dix, vingt ans plus tard.
→ D'abord crise des formes. La poésie devient un lieu de transgression (influence des Chants de
Maldoror en particulier, épopée du mal).
Selon Mallarmé crise de vers, appelée déjà par Verlaine, signifie crise des représentations ;
opération de désémantisation de la langue, déchanter par la désarticulation du vers, segmenté, par la
ponctuation, parataxe, ellipse de la langue parlée. Avec Mallarmé la poésie devient non plus une
voie d'accès à l'absolu mais, comme Dieu (passage de l'idéalisme absolu au matérialisme athée) un
« Glorieux Mensonge ». La poésie n'a plus pour fonction de saisir l'absolu ni d'exprimer le moi,
mais de se ressaisir comme fiction, et par là même de réfléchir les processus inconscients du
langage. Poésie autoréflexive qui consacrait l'immanence du sens. « Sonnet allégorique de lui-
même ».
La décadence : fortune du mot grâce à Nisard qui étudiait les poètes latins. Repris par Baudelaire
dans les Notes nouvelles sur Edgar Poe, véritable manifeste d'une modernité placée, contre un
classicisme voué à l'imitation de la nature, sous le signe de la culture et de l'artifice. Nom de la
modernité post-baudelairienne : dans A rebours d'Huysmans, théorisation par Paul Bourget (Essais
de psychologie moderne). Repris par Verlaine. Jules Laforgues : 4eme génération romantique,
nourri du bouddihisme philosophique de Schopenhauer et de Hartmann, philosophe de l'inconscient.
Recherche moins de la grandiloquence du début du Parnasse, mais le petit bonheur des consonances
imprévues, une écrite presque sans syntaxe à l'image de Verlaine. Premier nom du symbolisme.
Le symbolisme ou crise de vers : étiquette commode pour nommer la première modernité poétique
de Baudelaire à Claudel ou Valéry. Moment de consécration des dissidents de la troisième
génération de romantique (les poètes maudits de Verlaine). Au départ opération publicitaire (René
Ghil, Jean Moréas). Reconnait comme fondateur le Baudelaire des Correspondances. Conjonction
d'une réaction idéaliste contre le positivisme et d'une revendication double, celle de la liberté du
vers, et de l'autonomie de la poésie (anarchisme littéraire), redéfinie comme essence même de la
littérature. D'où tentation de repoétiser le théâtre, et le roman, tirant celui-ci vers le poème en prose.
Mais plus esprit de chapelle qu'universalité : poésie un peu de l'entre-soi, culte pour les initiés.
Mais il s'agit pour Mallarmé d'une Crise de vers : revendication du vers libre contre le vers fixe.
C'est une crise plus générale de la littérature : Double état de la parole : qui oppose une logique
instrumentale (représentation, communication) de la parole - « l'universel reportage » et une
logique qui désinstrumentalise les mots – des mots qui deviennent des élémentaux comme les
couleurs et les notes : non pour en faire de purs objets dans un espace insignifiant mais pour
interroger leur mystère. Crise de la représentation – le monde ne saurait se donner dans la
transparence de l'universel reportage-, et crise du sujet dont le langage constitue la profondeur
opaque, ou l'inconscient.
Le théâtre symboliste : un théâtre poétique. Défense d'un théâtre (1880) sans théâtre, ou d'un théâtre
à lire. Subordination de la scène au poème. Rêve d'un théâtre purement littéraire. Oscillation
paradoxale entre Wagner et Mallarmée : entre un art de la mise en scène totale et un art du
dépouillement total.
En guise de bilan, on peut remarquer une évolution anti-discursive de la poésie au XIXe siècle.
Contribue à la disparition des vieux genres épique et dramatique, pour ne conserver que le lyrique,
plus en phase avec l'émancipation démocratique de l'individu. Expression d'un sujet altéré.
Expansion de la prose : une prose métaphorique du langage courant. Nouveau système de valeurs
promeut comme critère de distinction l'autonomie, l'autotélisme, brièveté, densité, difficulté voire
obscurité. Une poésie qui ne dit rien, de façon poétique. Marginalisation et minorisation mais en
même temps autonomie qui lui permet de devenir un lieu fixe de la « littérarité », un moteur de la
littérature moderne vouée à repenser, dans les mots, son rapport à l'altérité du moi et à l'étrangeté du
monde.
Chapitre IV : Le Roman
Définition difficile du roman : il est informe et multiforme. Déjà au XVIIIe les écrivains eux-
mêmes ne souhaitaient pas présenter le texte en préface comme un roman. Chateaubriand pareil, dit
que René ou Atala sont un sorte de poème, moitié descriptif, moitié dramatique. On doit le penser
au XIX comme un processus en continuel développement. Ce qui pourrait le définir, ce n'est ni son
contenu ou sa forme, par trop variables, mais son énergie, une tension vers des fins d'abord obscures
puis vers un programme idéologique et esthétique lentement élaboré. Histoire d'un désir, d'une
volonté, celle du vraisemblable (nouveau, délivré des règles traditionnelles de l'art classique).
Projet moderne de représentation de l'homme et du monde. Le réalisme, certes important, n'est
qu'un aspect d'un intérêt général pour le réel qui touche tous les arts. Il faudrait plutôt parler de
roman de représentation mimétique plutôt que de roman réaliste.
Aux origines de la représentation romanesque moderne : Mutation du roman du XVIIe, encore
largement inspiré des romans de chevalerie, d'aventure extraordinaire. Une tendance se dessine vers
la représentation vraisemblable de la vie réelle, et enseignement moraux. Déjà idéal/perspective
présent dans Crébillon : roman = tableau vraisemblable de la vie humaine, montrer l'homme tel qu'il
est, selon raison et convenances. Déjà chez Abbé Prévost (Manon Lescault) ou Marivaux (Le
Payson Parvenu). Le roman montrera le vrai pour enseigner le bien (grâce à l'illusion du
vraisemblable) (perspective morale importante). Le roman se rattache désormais à un lieu, une
histoire, une société. // Histoire.
Constante du roman : peindre l'homme et ses passions. Balzac le dira dans l'avant-propos de la
Comédie Humaine : « la passion est toute l'humanité. » d'où l'importance de mettre des
circonstances dans lesquelles s'exerce la passion (plus de cadre fantaisiste). Influence de Rousseau
pour l'étude des secrets du cœur humain. Goût de la confession, très présent à l'époque romantique :
lien avec un spectacle de la nature sauvage, double des élans du cœur : archétype du héros rêveur et
souffrant : René. Etre du secret, de la honte cachée d'un amour interdit, homme du paradoxe, à la
fois sensation du vide, du néant, mais aussi de l'excès, d'un débordement passionnel
(« surabondance de vie »). Le tragique de René comme de ses semblables est d'être un homme
de désir, mais d'un désir indéfini qui s'annule dans l'excès même de son expansion. La
mélancolie de René, aristocratique, est appelé à une grande fortune dans l'avenir des Lettres
(Goethe,Werther, Sainte Beuve, Frédéric etc...) Crainte des femmes chez Chateaubriand (qu'on
retrouve chez Flaubert) à qui on attribut la molesse de la pensée virile... (discours en vogue dans les
salon du XVIIIe). Jamais le nombre de romancière n'a été si élevé qu'aux alentours de 1800. Mme
de Staël domine la vie intellectuelle littéraire. Son apport fondamental est celui des essais critiques :
examine la littérature d'abord dans le passé, puis l'avenir, fidèle à l'esprit progressiste des
philosophes du XVIIIe : annonce l'avènement d'une littérature démocratique (dans De la littérature).
Puis ouvre la culture française aux influences du Nord. Fonde la création littéraire sur deux
principes apparemment antagoniste : la mélancolie et l'enthousiasme.
Cette alliance de principes au fondement de l'esthétique romantique rejoint l'alliance de l'invention
et de l'imitation du réel qui se conjoignent dans le roman.
Insistance sur la force des « détails » pour peindre les différents mouvements du cœur humain
l'ambition, l'orgueil, l'avarice, la vanité... Le roman doit tjs produire son effet dans le champ de la
« moralité ». Mais le détail n'aura pas la même fonction chez Balzac que chez Staël (pour qui il n'est
qu'un élément renforçant l'illusion). La pensée de Staël, avec cette perspective moralisatrice, est à
cheval entre les deux siècles.
En tout cas importance de l'invention et de l'imitation du réel.
Vers la représentation réaliste
Révolution de la notion de vraisemblable. La vraisemblance classique supposait une conformité
entre l'objet représenté et l'idée que nous en avons, d'après nos propres expériences. Inséparable des
conventions et des préjugés qui règlent la vie morale et sociale. Elle référait, non à un réel, mais à
un système d'idées et à un discours. Proche de la doxa / et une rhétorique. Au contraire la
représentation mimétique moderne cherche à produire un vraisemblable, non d'idées, mais de
choses. Suppose en principe une transparence entre le monde et l'oeuvre. Mais telle transparence
impossible (objet de la critique du réalisme par Maupassant dans Pierre et Jean).
Le roman, genre bourgeois. Raison d'ordre historique et sociale de l'avènement de ce
vraisemblable moderne : la bourgeoisie devient une classe prépondérante et possédante : création
d'un système propre de valeurs, esthétiques, morales, métaphysiques aussi. Le roman de
représentation mimétique relève d'un projet général d'inventaire. « Tenir registre » comme disait
Rousseau des avoirs de cette classe. Constat d'un pouvoir naissant. D'où le héros parvenu typique
(Jacob de Marivaux). La bourgeoisie ne spécule pas encore, elle accumule, thésaurise, collectionne.
Le roman fera comme elle. Il lui emprunte également son esprit de sérieux : moins d'ironie, ou
d'humour. Très sérieux sera le roman feuilleton. // En lien aussi avec un roman qui se fait somme de
connaissances (plus d'éléments de savoir dans les Illusions perdues que dans Vingt mille lieux sous
les mers).
Puissance du modèle scientifique : deuxième raison du développement du roman de représentation
mimétique : le progrès rapide des sciences, surtout sciences naturelles ; Les sciences fournissent au
romancier un conception générale de son sujet. Balzac emprunte bcp d'idées à la zoologie, lit
Buffon. Tire l'idée première de la Comédie Humaine : une « comparaison entre l'Humanité et
l'Animalité. » (soutient une théorie plus vaste d'une analogie formelle entre le monde social et le
règne animal. Il doit selon Balzac, exister des « espèces sociales » comme des espèces animales.
Zola poussera plus loin l'élan scientiste du roman en se distinguant de Balzac, sous prétexte
d'utiliser une science plus rigoureuse. Reproche à Balzac d'être un moraliste et un sociologue plutôt
qu'un homme de science. Zola ne cherche pas à tirer de conclusion de ce qu'il ne veut qu'exposer
(les mécanismes internes aux agissements d'une famille).
La science en plus de proposer un projet, propose aussi une méthode : exactitude de l'observation,
objectivité de la description, totalité de l'investigation. Zola, dans Le Roman expérimental résume
sa méthode qu'il tient de Claude Bernard. Le roman sera donc expérimental comme la science
dans la mesure où il ne se contentera plus de la simple observation, mais fera de cette
observation le point de départ d'une « expérience », visant à confirmer une hypothèse de
départ. La part de l'imagination est donc très réduite. Ex : l'Assommoir (Gervaise partagée
entre Coupeau, ouvrier honnête) et Lantier (crapuleux)). Présente une logique de la dégradation en
lien avec l'hérédité. Mais on peut repérer évidemment une influence de l'expérimentateur qui a des
présupposés comme la « déchéance fatale », le caractère « corruptible » du peuple ouvrier. Zola
prend la contraposée du jugement optimiste des romantiques sur le peuple.
Mots clefs du naturalisme : enquête et documents qui renvoient non seulement à la science mais
aussi à l'histoire.
Au désir de la description objective se lie le désir de totalité issu de la science. D'où la tendance
parfois excessive de la description qu'on a pu reprocher à Balzac. Mais cette description est lié à la
volonté scientifique et au projet épistémique du roman / de la littérature.
La science offre aussi au roman de représentation mimétique des thèmes nouveaux, comme la
Nature, les animaux. Engendrement aussi d'un courant de vulgarisation (Jules Verne). Roman
d'aventure spirituel également (La Recherche de l'absolu / Bouvard et Pécuchet). Nouveaux
personnages aussi : le savant, parfois fou, l'ingénieur, l'inventeur, le médecin...)
Séductions du modèle historique : Etant donné que le roman de (RM) s'intéresse à l'homme dans
ses rapports à la société et à l'époque dans laquelle il vit, nécessaire rencontre avec le genre
historique. Walter Scott. Multigénérique selon Balzac : comédie, épopée, drame.. Notre Dame de
Paris sera le fruit romanesque de cette lecture hugolienne de Walter Scott / comme Cromwell en
fruit dramatique. Balzac sera ainsi antiquaire, peintre, collectionneur et archéologue du présent.
Conduit au développement du « roman chronique ». La chronique est une mémoire immédiate des
événements contemporains et familiers, une forme chaude de l'histoire. Parti pris libre, moins
objectif. Importance de la politique. (Stendhal Le Rouge et le Noir). Importance des personnages
secondaires pour représenter les différentes positions politiques / Stendhal est le premier à faire
passer dans le roman « l'actualité ». Regard nécessairement myope d'un témoin (Fabrice à
Waterloo). L'ironie devient alors le mode d'appréhension nécessaire d'un réel fragmentaire, mobile,
chaotique, sur lequel le héros n'a pas de prise. Le sens naît de la confusion même, de cette image
pessimiste d'une réalité fuyante, d'un humanité aveugle, d'une Histoire opaque, absurde mais
puissante et motrice.
// Education sentimentale. Ev de 1848 écrit entre 1864 et 1869. Vision aussi fragmentaire et
décousue (émeutes de février 1848, sac des Tuileries, journées de Juin).
Problèmes de la vraisemblance réaliste
La première expérience du romancier est celle du désordre. Cette entreprise de rassemblement, de
fixation par une série de tentatives descriptives localisées et juxtaposés qu'est le travail propre du
romancier, induit une esthétique particulière du morcellement, de l'énumération et de la focalisation.
Il s'agit pas de créer de vastes ensembles imaginaires mais de se fixer sur les petites aspérités du
réel. D'où parfois diminution du rôle de l'imaginaire (pour Zola, le romancier doit « cacher
l'imaginaire sous le réel ». Goût des petits faits.
La recherche de la vérité : L'horizon du roman au XIXe c'est la vérité. « L'âme de tous les arts »
selon Vigny. Dans cette recherche interviennent deux données importantes l'art et la morale. Le vrai
est souvent lié à la morale. Parfois naturalistes accusés d'immoralité. Zola s'oppose à la littérature
bien pensante en proposant les « leçons du réel ».
La vérité apparaît comme le produit d'une opération de transformation du réel dont l'oeuvre d'art
serait à la fois l'acteur et le théâtre. Proposition de distinction entre « réalité » (qui serait la matière
première de l'oeuvre) et de « vérité » (qui serait le résultat de l'opération). Plusieurs formes de
réalisme :
- Réalisme qualitatif : postule une différence de nature entre le réel et le vrai. Fait de la recherche
de la vérité une quête transcendantale (proche de l'idéalisme romantique). Opération de
sublimation du réel. Cette conception idéaliste du réalisme domine pendant toute l'époque
romantique et jusqu'à Flaubert. Elle suppose parmi les éléments du réel un choix lié à leur qualité
expressive ou symbolique. D'où pas d'accumulation de détails, un simple regard parfois suffit à
peindre un caractère (selon Staël). Propre de Balzac aussi : suppose un choix et une concetration
des éléments que le romancier tire du réel morcelé. « Le propre de l'art est de choisir les parties
éparses de la nature, les détails de la vérité, pour en faire un tout homogène, un ensemble
complet » : les notions d'homogénéité et de totalité sont importantes. « Qu'est-ce que l'Art
monsieur ? C'est la Nature concentrée » dit d'Arthez à Lucien. La poétique balzacienne est
donc celle d'une concentration de la réalité. Ex dans la conception balzacienne du type, « la réunion
des traits de plusieurs caractères homogènes. » « modèle du genre ». Non seulement les hommes
mais aussi les événements principaux de la vie se formulent par des types. Un processus de
généralisation et d'éternisation conduit, à partir d'un élément limité du réel, à une vérité
universelle. (principes des correspondances baudelairienne). Mais combinaison nécessaire afin
que ce ne soient pas slmt des essences vides, avec les réalités du monde sensible, génératrices de
l'énergie et de l'intérêt romanesque.
Flaubert est un cas d'étude intéressant car il appartient aussi à ce réalisme qualitatif mais de façon
ambigüe. Le projet de description minutieuse du réel ne peut se séparer d'un travail aussi de
transformation de ce réel même.
- Réalisme quantitatif : cherche lui à accumuler les éléments de la réalité plutôt qu'à les
transfigurer. Zola. La vérité dans ce cas, c'est le sens du réel, grande prétention à la transparence.
Mais aussi don de rendre la nature avec « intensité » : ambiguïté jamais levée. Zola se proclame à la
fois savant et artiste. L'écrivain doit paradoxalement préserver une « subjectivité créatrice », un
point de vue artiste sur le monde.
Allusion à la photographie : Zola, Baudelaire, Flaubert, Champfleury, Gautier sont contre, ce
procédé étant pour eux le contraire de l'art. Souci du style est une constante chez les réalistes.
L'écriture artiste créée par les Goncourts. Le vraisemblable moderne est une image, à la différence
du vraisemblable classique qui est une idée. Il s'agit de produire une image visible, de faire voir et
non plus seulement faire comprendre ou rêver. Véritable révolution dans la littérature. On passe de
l'adjectif « charmant » chez Prévost, à la description détaillée. Le regard est la condition du
vraisemblable, qui est la version réaliste (bourgeoise) de la vérité. D'où la métaphore du miroir.
Développement technique aussi qui a contribué à cette esthétique de la représentation visuelle : le
panorama, la photographie.
D'où un rapprochement aussi avec l'esthétique picturale. Cela permet de produire, grâce à la
description, un fort effet d'actualisation et permet de donner du relief à la représentation sociale des
caractères. Non seulement une visualisation forte apportée par ce procédé mais aussi un surcroît de
dramatisation, par rapport au roman sentimental ou psychologique du siècle précédent. La mise en
image devient ainsi mise en scène. Diderot faisait déjà se rapprocher le théâtre et la peinture.
Tableau réunit roman et théâtre. Le mot « scène » permet de désigner les différentes subdivisions
d'un roman (Balzac, d'où le titre lui-même Comédie humaine). Zola est peut-être celui qui se
rapproche le plus du théâtre. Conçoit ses scènes comme de véritables drames. Equivalence de la
description en régime réaliste et de la décoration théâtrale. On constate d'ailleurs que les frontières
sont poreuses (romanciers comme Flaubert qui s'essayent au théâtre, des mélodrames de Pixéricourt
qui sont adaptations de romans noirs etc...) Personnage de Robert Macaire, dans l'Auberge des
Adrets. (Mélodrame d'Antier, interpréter par Fréd Lemaître).
Seule ligne directrice parmi cet assemblage confus qu'est le roman au XIXe est la tendance à la
représentation mimétique du réel. Centrage sur la question de la mimésis. Mais aussi travail de
fiction et de fabrication donc. Leçon de Barthes au Collège de France : l'histoire de la littérature se
ramène à celle des expédients employés par les écrivains pour se masquer à eux-mêmes et
dissimuler à leurs lecteurs cette idée angoissante que le réel n'est pas représentable, parce qu'il n'y a
pas d'adéquation entre l'ordre unidimensionnel du langage et l'ordre pluridimensionnel de la réalité.
Le désir de réel est un désir de l'impossible. Mais c'est de cette impossibilité que la littérature tire
son énergie. Et l'instrument de cette victoire, c'est l'imagination.
FAIRE VIVRE
XXe siècle