Usage de Drogues Et Droit
Usage de Drogues Et Droit
Usage de Drogues Et Droit
Sommaire
Introduction…………………………………………………………………………….…….. 3
2
Introduction
1
Les consommateurs de ces substances pensent, souvent, atteindre le nirvana et le paradis, ce dont doutent certains
auteurs, comme l’affirme Claude Escande : « lorsqu’on se réfère à la psychanalyse laïque, l’hypothèse du paradis des
toxicomanies est elle-même discutable autant que peut l’être l’idée du paradis des religions. Si l’idée du paradis au sens
Freudien est une fable et l’avenir d’une illusion, cet espoir est surtout à considérer comme le désir de retrouvaille d’un
univers passé et perdu des premiers temps de la vie. » Claude Escande, « Jouissance du corps, addictions et figures du ravage
», Le Portique [En ligne], 10 | 2002, mis en ligne le 06 juin 2005. URL : http://leportique.revues.org/index132.html
2
H. Bergeron. Sociologie de la drogue. Collection Repères. Ed. La découverte. Paris 2009. p3
3
Ibid. p 7
4
Nicolas Antenat, « Drogue et pensée : entre-deux », Le Portique [En ligne], 10 | 2002, mis en ligne le
06 juin 2005. URL : http://leportique.revues.org/index153.html
5
C. Escandre. op.cit. p6
6
C. Escandre. op.cit. p6
7
Ibidem
3
La conduite toxicomaniaque se caractérise par trois termes : le plaisir, la contrainte et la
toxicité1. Or la réunion de chacun de ces termes est indispensable à la qualification de
drogue2.
Les caractéristiques de la toxicomanie apparaissent dans une dépendance physique qui
s'exprime dans la survenue du syndrome d'abstinence caractérisé par toutes sortes de
troubles physiques et/ou psychiques et qui apparaissent lorsque l'administration de la
substance est suspendue, et dans une dépendance psychologique qui se manifesterait par
un intense désir de renouveler l'usage3.
A cet égard l'alcool, les médicaments psychotropes, le tabac,ou encore le café, qui ont des
effetspsychoactifset dont l'usage peut conduire à la dépendance, rentrent dans la
qualification de drogues. Le droit ne les considère pas comme telles4.
Pour garantir les prêts consentis par la France au Sultan, les monopoles du cannabis
furent concédés à des sociétés privées (généralement des banques).
Au Maroc, c'est la Banque de Paris etdes Pays Bas qui détient le monopole à travers « la
Société Internationale de Régie Cointéresséedes Tabacs au Maroc 8 ».
Relativement au circuit de production et de distribution, parfaitementlégal à
l’époque: « le monopole marocain est plus structuré.La culture locale est soumise à
autorisation préalable etles agents des douanes surveillent les fermes jusqu'{ la récolte…
Après la récolte, le cannabis est haché et conditionné dans une usine à Tanger. Il est ensuite
distribué par des débitants et des marchands ambulants dans tout le royaume. Comme en
Indochine, ce monopole pratique des prix très élevés et les consommateurs critiquent
souvent la qualité du kif vendu. La contrebande est florissante, favorisée au Maroc par
l'existence de trois zones soumises à des régimes différents, la zone française, la zone
espagnole et la zone internationale de Tanger ».
Le monopole français au Maroc dura de 1914 et 1952.
Le système de distribution contrôlée fut stoppé, étrangement, à la décolonisation. « Ce
changement soudain d’orientation surprend car le système instauré depuis plus de
1
F. Caballero et Y. Bisiou : Droit de la drogue ; p 7
2
Ibidem
3
H. Bergeron. Op.cit . 9
4
Cf supra : définition juridique de la drogue
5
F. Caballero et Y. Bisiou ; op.cit ; p 509 et s
6
Ibidem
7
V. notamment Ministère des affaires étrangères, Documents diplomatiques français, « livre blanc », 2e série, t. IV, 5 oct.
1903-8 avr. 1904, Imp. Nationale, Paris, 1932, n° 213, p. 289 à 291.
In. F. Caballero et Y. Bisiou ; op.cit ; p 509 et s
8
Les statuts publiés au registre du commerce sont conservés aux archives départementales de la Ville de Paris, Répertoire
D32 U3 171, feuillet 65, n° 47 et en l'étude Bosly, Airault, Dousset, Lejeune, notaires à Paris, n° 23213.In. In. F. Caballero et Y.
Bisiou ; op.cit ; p 509 et s
4
cinquante années, aurait pu s’adapter aussi bien au nouvel Etat issu de la décolonisation
qu’{ la France métropolitaine. »1
Les causes de ce changement de politique vis-à-vis de la culture et de la consommation
du cannabis en faveur d’une approche répressive aussi bien { l’égard des producteurs
que des consommateurs ont été mises en exergue par les chercheurs2.
Cependant, jusqu’à la fin des années cinquante, l'intoxication cannabique fut considérée,
par la doctrine dominante en France, comme un problème du tiers-monde qui ne
concerne pas les populations occidentales3.
La jeunesse s’oppose { l’ordre établi par sa pensée, ses habitudes, ses désirs, ses
aspirations, et son art. Elle représenta, à l’époque, une menace constante aux valeurs
traditionnelles.
Ce sont les événements de 1968 qui se révélèrent être aussi le point de départ de la
répression de l’usage de stupéfiants, ce qui aboutira deux années plus tard à la
criminalisation de l’usage privé par la loi de 1970 : « en créant une incrimination, ils (les
dirigeants politiques de l’époque) faisaient appel à une autre fonction de la loi pénale, qui
a été d’exorciser les peurs et de rassurer sur leur choix de société, les adultes de l’après mai
68. 4».
Il est incontestable donc que ce phénomène de psychose d’origine médiatique fut un des
facteurs essentiels dans la réponse pénale du législateur 5.
Cela prit la forme d’une politique criminelle { la fois nouvelle, ferme et nuancée. 6
Cette politique criminelle est symbolisée par la loi n° 070-1320 du 31 décembre
1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et la répression du
trafic et de l'usage illicite de substances vénéneuses 7.
Cette loi poursuit un double objectif : d'une part, la répression de l'usage et du trafic de
drogues et d'autre part, le traitement et la réadaptation sociale. Ce texte fut inséré,
cependant, non pas dans le code pénal, mais dans le Code de la Santé publique.
1
L. Mucchielli.Op.cit.
2
Cf infra n°
3
F. Caballero et Y. Bisiou ; op.cit ; p. 510
4
Bernat de Celis cité parL. Mucchielli. Op.cit.
5
Ce constat est fait par plusieurs juristes et sociologues
6 ème
G. Stefani, G. Levasseur et R. Jambu-Merlin : Criminologie et science pénitentiaire. Dalloz. 5 . Ed. 1982
7
J.O du 03 janvier 1971.
5
Cette loi incrimine, pour la première fois en France, l'usage simple de substances
classées comme stupéfiants, sans distinction entre les drogues douces et dures, ni même
entre l'usage en privé et en public1, ou encore l'usage régulier et occasionnel.
Le Maroc fut, de ce point de vue, une caisse de résonance de ce qui se passa en France.
En effet, le vent de contestation, de liberté des mœurs, de musique dite psychédélique
toucha la jeunesse marocaine aussi bien { l’université que dans les quartiers populaires
et les bidonvilles.
Le sebsi cède peu à peu la place au joint (cigarette roulée avec du hachich haché ou avec
du tabac mélangé à la résine de cannabis).
Le code pénal marocain de 1962, appelé code pénal unifié (CPU),ne contenait aucune
disposition relative { l’incrimination de l’usage de drogues. C’est le dahir du 21 mai
19744, dont les principales dispositions furent inspirées de la loi française du 31
décembre 1970, qui prévoit des mesures relatives à la répression et la prévention des
toxicomanies.
Ce texte qui fera l’objet d’une analyse détaillée plus loin, prévoit trois catégories
d’infractions : le trafic, l’incitation et l’usage.
La culture du cannabis est centrée dans l’extrémité nord du pays, entre les montagnes
du Rif et la mer Méditerranée, et de grandes parties de la population de cette région
participent à la culture.
On a fait état d’une superficie de 90.000 hectares consacrée à la culture de cannabis, en
l'an 2000.
Pour l'Observatoire de la criminalité, basé à l'Université de Louvain, les chiffres sont
plus alarmants. Ses recherches font état de 200.000 ha en culture au cours de l'année
1
Rappelant que la loi française de 1916 réprimait l'usage en société, et non l'usage individuel
2
Ce qui permit la naissance d’une nouvelle génération de groupes musicaux et chanteurs marocains allant dans la
mouvance contestataire et militante citadines pour un monde meilleur, commeNass El Ghiwane, Jil Jilala, Lemchaheb, les
frères Bouchenak ; marque un renouveau dans la musique marocaine.
3
Rapp. sur l'exercice 1969, p. 104. (H Bergeron)
4
Cf infra n°
5
H Bergeron. Op.cit ; p 19
6
2001-2002. Ces données ont été rendues publiques lors du World Economic Forum à
Davos.
La consommation et les produits stupéfiants ont évolué depuis 20 ans au Maroc. En effet,
du kif fumé par le sebsi on est passé à des modes nouveaux de consommation du
cannabis, à la résine de cannabis et aux psychotropes : « la consommation des drogues
touche une tranche de population de plus en plus jeune, passage de la consommation
classique (principalement du cannabis et des psychotropes), vers l’abus d’alcool et de
drogues dures injectables, au premier rang desquelles l’héroïne et la cocaïne, notamment
dans les grandes villes2… »
Selon le professeur JallalTaoufik3, les rares études faites au Maroc révèlent que 7.000
marocains consomment de la cocaïne (0,03% de la population globale). Chiffre en
constante augmentation en raison de la baisse du prix du gramme de cocaïne (de 1200 à
700 voire 500 dirhams) aujourd’hui.
L’indicateur principal de cette augmentation est le nombre élevé des personnes arrivant
au centre de désintoxication4.
Jusqu’en 2003, la consommation de drogues fut limitée à un groupe social issu de
milieux aisés en raison du prix élevé du gramme, et le trafic était circonscrit à la région
de Marrakech.
La source d’approvisionnement a aussi évolué : d’abord le nord (Tanger, Tétouan,
Melilla et Nador) en raison de la proximité avec l’Espagne etoù le trafic se déroulait dans
le cadre de la vente ordinaire : drogue contre argent (100.000.000 centimes le
Kilogramme de Cocaïne)5.
Aujourd’hui, la cocaïne est disponible à des prix plus bas, et touche plus de
marocain(e)s.Elle provient du sud de l’Afrique subsaharienne (Mali, Nigéria, Guinée).
Selon une déclaration de la police anti-drogue péruvienne, 800 kilogrammes de cocaïne
ont été saisis et 151 personnes ont été arrêtées en 2011 { l’aéroport de J. Chavez dans un
trafic de drogues destiné au Maroc6.
1
Rapport International sur la Stratégie de Contrôle des Stupéfiants au Maroc en 2008
2
Discours de l’ancien Ministre de la Santé. Cheikh Biadillah à la « Journée nationale sur la santé mentale ». Rabat, le 22
février 2007
3 Directeur du CHU de psychiatrie ERRAZI à Salé, entretien accordé à l’hebdomadaire Tel quel. Drogues des riches
drogues des pauvres : La toxicomanie au Maroc http://www.telquel-online.com/128/sujet4.shtml
4
Ibidem
5Cf .l’intéressante enquête de S. Lemaizi. Le Nord se shoote à l’héroïne. L'Observateur du Maroc du Jeudi, 06 Janvier 2011
http://www.lobservateur.info/Maroc/le-nord-se-shoote-a-lheroine.php
6
Alkhabar n° 62 du 12 août 2011 p4.
7
Les auteurs du trafic sont principalement des africains résidant à Rabat et Casablanca et
aussi, paraît-il,le réseau d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI)1.
Les cibles sont principalement les adolescents (filles et garçons) passant de la situation
de consommateurs { l’état de consommateurs-revendeurs dû à la dépendance.Dans les
autres villes du Maroc, le trafic se situe dans les clubs de nuit, hôtels, snacks et taxis.
1
Selon le directeur exécutif de l’ONUDC (Organisation des Nations Unies pour la Drogue et le Crime), Youri Fedotov, l’AQMI
serait impliquée dans un trafic de drogue dans la région du Sahel.http://www.algerie-plus.com/actualite/l’aqmi-impliquee-
dans-le-trafic-de-drogue-dans-le-sahel/
2Telquel n°…. p 13
3
Intoxications par les drogues au Maroc. Données du Centre Anti Poison du Maroc (1980-2008).
http://www.capm.ma/sources_site_capm/capm_Revue_toxicologie_Maroc/Revue_Toxicologie_Maroc_n8_2011.pdf
4
Le Mâajoune est une pâte préparée localement à base de cannabis, auquel sont ajoutées des plantes atropiniques à
propriétés hallucinogènes telles que : les graines de Datura (ChdeqJmel), les baies de belladone (Bellaydour), les graines de
jusquiame (Sikrane), la mandragore (BedLghoul). D’autres substances peuvent être associées telles que la cantharide
(DebbanatLhend), la noix de muscade (GouzTaib), la cardamone (Qaqûlla), la maniguette (GouzaSahrawiya) et autres.
De façon inconstante, la composition du Mâajoune peut contenir des graines de pavot, des médicaments psychotropes et
des substances diverses.
5
CAPM. Op.cit
6
Ibidem
7
Drogues de riches drogues de pauvres. La toxicomanie au Maroc. Telquel n°
8
L’étude révèle que les consommateurs de substances toxicomanogènes sont des poly
intoxiqués en se basant sur deux constatations :
- le contenu du produit consommé estincertain
- l’association volontaire des drogues afin d’en potentialiser les effets,
d’enprolonger la durée d’action et/ou d’endiminuer les effets secondaires 1.
Les associations les plus fréquentesse font avec l’alcool et d’autressubstances illicites
parmi lesquels lesbenzodiazépines.
Ils ne sont pas considérés comme des drogues puisqu’ils n’ont pas été conçus à cet effet.
Ils ne sont pas coûteux, ils sont disponibles partout et ont des effets psychotropes.
L’étude ne semble pas considérer le tabac comme une drogue, bien que sa
consommation semble bien enracinée dans notre société. En effet, l’association de lutte
contre le tabagisme tire la sonnette d’alarme en rappelant qu’un tiers des marocains
sont fumeurs, et que l’usage du tabac touche de plus en plus de femmes (plus de 3%
dont 25% sont des collégiens et lycéens), de jeunes et d’adolescents. L’association, en se
basant sur les dernières recherches2, estime que les marocain(e)s fumeurs consomment
en moyenne 500 cigarettes par an pour un total de 15 milliards de cigarettes avec un
coût annuel de 1 milliard 170 millions de dirhams.
Il ne fait de doute pour personne que les drogues sont dangereuses pour la santé 4. Elles
altèrent la faculté de décision de leur consommateur. Le partage des aiguilles répand le
virus du sida et l’hépatite C, et l’usage collectif des pailles { inhaler la fumée de l’héroïne
et la chicha propage la tuberculose5.
La dépendance conduit à la ruine financière, à des violences familiales ou à de mauvais
traitements, notamment à l'égard des enfants.
La consommation de drogues fait l’objet d’incrimination et d’interdiction.
L’édiction d’interdictions est un outil juridique que les autorités publiques utilisent
couramment dans le but de protéger en premier lieu les valeurs dominantes et ensuite la
santé de l’usager.
1
Ibidem
2
Déclarations de son président M. A. Bennani au journal « Akhbar Alyawm » du 22/09/2011. p 2
3
La chicha : descente de police dans les cafés ou les filles fument la chicha . Almassae n ° 1522 du 13/14 août 2011
4
Cf. L’important dossier Intoxications par les drogues au Maroc. Données du Centre Anti Poison du Maroc (1980-2008).
5
ASCMD. Rapport narratif des Activités. Projet « Appui à la mise en place de la stratégie mobile de la réduction des risques
du Sida et des Hépatites auprès des usagers de drogues dans la région de Tanger ». 2011. Inédit
9
Or, c’est précisément les notions de valeurs dominantes et des droits de l’usager, en tant
que personne disposant de droits subjectifs, qui constituent le cœur même de la
polémique sur l’usage des drogues et son encadrement légal.
Certains pays européens ont adopté une nouvelle approche en terme de politique anti
drogue :les Pays-Bas tolèrent de facto la consommation de drogues considérées moins
dangereuses, comme le cannabis, mais ne l'ont jamais formellement décriminalisée.
Dans le système portugais, le toxicomane est considéré comme un malade, non pas
comme un criminel1.
Les principales conclusions de la Commission latino-américaine sur les drogues et la
démocratie quiréunit le Brésil, le Mexique et la Colombie2, ont relancé le débat sur le
discours relatif à la révision radicale de la politique de lutte contre la drogue (vente
contrôlée et usage permis).
La commission rappelle avec force que la violence et la corruption qui accompagnent le
trafic de drogues sont une menace grave contre la démocratie et que l'approche
prohibitionniste basée sur l'interdiction de la production et la criminalisation de la
consommation est manifestement un échec.
C’est { la faveur de ce contexte de grande polémique que sont ressuscitées les idées
exprimant des suspicions { l’égard de la politique ambiguë des états occidentaux en
matière de stupéfiants, qu’on considère comme traduisant l’inégalité des rapports
Nord/Sud.
1
Drogues : sept ans d'hiver, Entretien avec Anne Coppel, réalisé par Aude Lalande, revue Vacarme n°48, 2009
2 Fernando Henrique Cardoso : Pourquoi il faut décriminaliser la consommation de drogue
Point de vue. http://www.lavieeco.com/news/points-de-vue/fernando-henrique-cardoso--pourquoi-il-faut-decriminaliser-la-
consommation-de-drogue-19287.html
3
Fernando Henrique Cardoso .op.cit.
10
On considère, en effet, que « le marché international du cannabis n’est pas contraire aux
normes juridiques internationales tant qu’il est contrôlé par les puissances coloniales, mais
le devient quand le phénomène de décolonisation les contraint à abandonner leurs
prérogatives et { devenir une destination d’exportation. »
D’où la question suivante : et si, en matière de drogues, production illimitée et peu
coûteuse du sud (le pétrole de l’Afrique et de l’Amérique latine), le Nord (marché
colossal) ne veutpas accepter des relations économiques avec les Etats du sud fondées
sur l’égalité et l’interdépendance ?
Tout cela n’est-il pas, en fin de compte, une question d’enjeux et d’intérêts
économiques ?
11
La convention de Genève du 11 février 1925 sur l'opium.
-
La convention de Genève du 13 juillet 1931 dite convention pour
-
limiter la fabrication et réglementer la distribution des stupéfiants.
- Le protocole de Lake Successde New York signé le 11 décembre 1946
et amendant les conventions précédentes.
Pour toutes ces conventions ainsi que pour le protocole, la notification de succession du
Maroc a été faite le 07 novembre 1956.
Sur le plan de la législation interne, les autorités du protectorat, pour des raisons
économiques1, principalement semble-t-il, firent adopter { la veille de l’indépendance, le
Dahir du 24 avril 1954 portant prohibition du chanvre à kif.
Ce texte interdit, dans la zone française de l’Empire chérifien, « la culture, la récolte, la
fabrication, la transformation, l'extraction, la préparation, la détention, l'offre, la
distribution, le courtage, l'achat, la vente, le transport, l'importation, l'exportation, la
consommation, sous quelque forme que ce soit, du chanvre indien ou chanvre à kif, des
préparations qui en contiennent ou de ses principes actifs, et, d'une manière générale,
toutes opérations agricoles, industrielles ou commerciales relatives à cette plante, entière
ou non, à ses préparations, à ses principes actifs ainsi qu'aux ustensiles et objets destinés
spécialement à sa préparation et { sa consommation… ».
Ce texte prévoit des sanctions patrimoniales uniquement : d’abord le paiement au profit
de la Régie des tabacs d'une somme égale à la valeur représentée par les moyens de
transport et les objets ayant servi à masquer la fraude, et ensuite la destruction et la
confiscation des moyens utilisés.
La législation marocaine reste inchangée pendant une vingtaine d’année après
l’indépendance.
12
-Une partie générale constituée de deux livres; un livre premier consacré aux peines et
aux mesures de sûreté (articles 13 à 109) et un livre deuxième ayant trait à l'application
à l'auteur de l'infraction des peines et des mesures de sûreté (articles 110 à 162) ;
-une partie spéciale contenue dans un livre troisième intitulé "des diverses infractions et
de leur sanction » (articles 163 à 612).
Il fallut donc recourir à des mesures dites de sûreté, mesures exemptes de tout caractère
punitif (qui, lorsqu'il existe, est admis comme un élément inévitable), et qui n'ont pour
objectif que la défense sociale parle biais de la neutralisation et l'élimination de
l'individu source de ce danger3.
Les mesures de sûreté se sont donc imposées aux législateurs modernes comme
conséquence de l'état dangereux.
Ces mesures n'ont aucun rapport avec le passé; elles regardent l'avenir en vue
d'empêcher la perpétration de nouvelles infractions: c'est la prévention spéciale.
La mesure de sûreté est également la consécration totale de l'idée d'individualisation de
la peine.
Elle ne tient en effet aucun compte de la gravité du fait commis, ni de laculpabilité
morale de l'agent. Elle ne prend en considération que la personnalité dangereuse.
1
Sur le système néoclassique V. Merle et Vitu. Traité de droit criminel. T 1. p 100 et s.
2
Sur le positivisme Idem. p118, n° 70 et s.
3
Rappelons que les positivistes et le courant radical de la défense sociale préconisaient le bannissement du vocable "peine"
du langage juridique et son remplacement par des "mesures de défense sociale" adaptées à chaque individu. A. Ounnir : la
sanction en droit pénal marocain. Thèse. Sciences sociales. Toulouse I. 1988. n° 327 et s.
13
Plusieurs pays n'ont pas hésité à adopter et appliquer les mesures de sûreté soit
ouvertement1, soit de façon camouflée2.
Le législateur marocain n'a pas échappé à cette influence, et n'a pas hésité à faire des
emprunts aux codes les plus modernes.
Si l'on examine les trois phases de notre histoire, on peut constater qu'avant le
protectorat, il n'y avait pas ce que l'on pourrait appeler les "mesures de sûreté" au sens
moderne de l'expression.
La première mesure de sûreté, adoptée à titre de peine, et qui fut la relégation, a été
introduite par les autorités du protectorat à l'égard des récidivistes par le dahir du 21
janvier 1930.
Le code pénal de 1953 n'employait pas le terme "mesures de sûreté", mais quelques-
unes y figuraient déjà à titre de peines accessoires ou complémentaires, telles que la
relégation (art. 16 al. 1er), l'interdiction de l'exercice des fonctions publiques,
l'interdiction d'exercer une fonction, laconfiscation, la fermeture d'établissement, etc.
Toutes ces peines sont devenues mesures de sûreté dans le code pénal de 1962 qui, a-t-
on dit, fait figure de document révolutionnaire car il a totalement changé la physionomie
de la partie concernant les sanctions.
Le code ne consacra aucune disposition ni au trafic des stupéfiants ni à leur
consommation.
Cette question continua à relever, ainsi, du Dahir du 2 décembre 1922 portant règlement
sur l'importation, le commerce, la détention et l'usage des substances vénéneuses ainsi
que le dahir du 24 avril 1954 portant prohibition du chanvre à kif, tels qu'ils ont été
complétés ou modifiés.
Bien que le législateur marocain se soit abreuvé au projet de code pénal français de
1934, il n'a cependant pas adopté sa classification des mesures de sûreté 3.II lui a préféré
celle des mesures de sûreté personnelles et des mesures de sûreté réelles. Ce sont les
premières qui intéressent notre étude.
Le CPU prévoit dans son article 61 contenu dans le titre 2 (art 61 à 104) consacré aux
mesures de sûreté, toute une gamme de mesures que la doctrine classe généralement en
mesures de sûreté neutralisatrices, et en mesures de sûreté réadaptatrices.
Parmi les mesures de sûreté personnelles prévues par l’art 61 4 , une mesure a trait aux
usagers de drogues (toxicomanes) délinquants uniquement: c’est le « 5°- Le placement
judiciaire dans un établissement thérapeutique ».
1
Les mesures de sureté ont été adoptées pour la première fois par le code pénal italien de 1889, puis reprises par celui de
1930, par le CP suisse de 1893, le CP allemand de 1933, le CP libanais de 1943, le CP syrien de 1949, le CP irakien de 1969, le
CP jordanien, le CP grec de 1951, le CP norvégien, le CP portugais, etc.
2
C'est le cas de la législation française: "la mesure de sûreté se présente rarement sous des traits aussi accusés en droit
positif français. Elle y a généralement une existence clandestine. Tout en ne dédaignant pas de s'en servir, lelégislateur a
scrupule à l'appeler de son véritable nom. Elle est "l'enfant naturel" dont on tolère l'existence mais que l'on neveut pas
reconnaître". R. SchmelckOp.cit, p.184.
3
Classification qui, rappelons-le, fut adoptée par de nombreux projets de codes de l'époque et, notamment, par le CP italien
de 1930 et admise par la conférence pour l'unification du droit pénal tenue à Rome en mai 1928, et par le congrès
pénitentiaire international de Prague en août 1930. Cette classification est adoptée par l'art.68 du projet de code pénal
français de 1934 : "les mesures de sûreté sont privatives de liberté, restrictives de liberté ou d'ordre patrimonial".
4 L’Article 61 dispose que « Les mesures de sûreté personnelles sont :
1° La relégation;
14
Ce sont les articles 80 et 81 du code pénal qui organisent les conditions de la mise en
application de cette mesure et sa cessation.
Il s’agit de la mise sous surveillance dans un établissement approprié, par décision d'une
juridiction de jugement, d'un individu, auteur, coauteur ou complice soit d'un crime, soit
d'un délit correctionnel ou de police, atteint d'intoxication chronique causée par l'alcool
ou les stupéfiants, lorsque la criminalité de l'auteur de l'infraction apparaît liée à cette
intoxication.
15
Ce n’est qu’en 1966 que le Maroc ratifie, sans réserve, la convention unique sur les
stupéfiants de 19611.
Le préambule de ce texte fondamental rappelle que la toxicomanie est un fléau pour
l'individu et un danger économique et social pour l'humanité.
Il fait état, également, de la raison majeure qui a présidé à son établissement à savoir le
souci de la santé physique et morale de l'humanité et sa double finalité qui est la
protection et l’usage médical contre la douleur.
La loi française du 31 décembre 1970 comprend deux volets : l'un répressif, l'autre de
traitement et de réadaptation sociale. Les dispositions de cette loi n’ont été intégrées ni
dans le Code pénal ni dans le Code de procédure pénale, mais dans un code
intitulé « Code de la santé publique » dont L'article L. 355-14 pose un principe de
suspicion, à priori, en ces termes : « Toute personne usant d'une façon illicite de
substances ou plantes classées comme stupéfiants est placée sous la surveillance de
l'autorité sanitaire ».
L’article 8 du dahir du 21 mai 1974 punit l’usage illicite de l'une des substances ou
plantes classées comme stupéfiants, d’un emprisonnement de 2 mois { 1 an et d'une
amende de 500 à 5.000 dirhams ou de l'une de ces deux peines seulement.
Cet article offre, cependant, une alternative , aux poursuites, et donc aux sanctions
pénales, { l’usager de stupéfiants qui, après examen médical effectué sur réquisition du
procureur du Roi, accepte de se soumettre pour la durée nécessaire à sa guérison, à une
cure de désintoxication à laquelle il sera procédé, soit dans un établissement
thérapeutique dans les conditions prévues par l'article 80 du code pénal, soit dans une
clinique privée agréée par le ministère de la santé publique.
Dans ces derniers cas, l'individu en traitement devra être examiné chaque quinzaine par
un médecin expert désigné par le procureur du Roi, ce médecin sera seul qualifié pour
décider de la guérison.
1
Décret royal n° 236-66 du 22 octobre 1966 portant ratification et publication de la convention unique sur les stupéfiants de
1961, faite à New York le 30 mars 1961. Bulletin officiel n° 2640 bis du 5 juin 1963. Son article 1 dispose que : « est ratifiée,
telle qu'elle est annexée au présent décret royal, la convention unique sur les stupéfiants de 1961 à laquelle le Royaume du
Maroc a adhéré sans réserve le 4 décembre 1961. »
2
Bulletin Officiel n° : 3214 du 05/06/1974 – p. 928
16
2.-La possibilité du traitement en milieu familial pour lesmineurs
Cette possibilité est prévue par l’alinéa final de l’article précité. Il s’agit des mineurs, qui
peuvent bénéficier d’un traitement en milieu familial. C’est une décision qui relève de la
compétence du ministre de la justice. Ce dernier décide de cette mesure et des
conditions de son déroulement par arrêté pris après consultation du ministre de la santé
publique.
Si l'individu est de nouveau l'auteur d'un délit d'usage ou de trafic de stupéfiants dans le
délai de trois années ayant suivi la guérison, la poursuite pénale sera engagée de façon
cumulative pour les faits anciens et pour la nouvelle infraction.
Si une information a été ouverte, le magistrat instructeur peut, après avis du procureur
du Roi, ordonner que l'intéressé soit soumis à un traitement dans les conditions prévues
aux alinéas deux et trois ci-dessus. L'exécution de l'ordonnance prescrivant cette cure se
poursuivra, s'il y a lieu, après la clôture de l'information. (Art 8 alinéa 5 du dahir de
1974).
Si l'individu ainsi placé se soustrait à l'exécution de cette mesure, il sera puni des peines
prévues à l'article 320 du code pénal1.
1. La provocation générale
2. La provocation spécifique
1
L’Article 320 du code pénal dispose : « Quiconque ayant, en application des dispositions des articles 78, 79, ou 136, fait
l'objet d'une décision d'hospitalisation dans un établissement psychiatrique, se soustrait à l'exécution de cette mesure, est
puni de l'emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 200 à 500 dirhams. »
17
b.- Le médecin complaisant
La deuxième hypothèse de provocation de l’usage de stupéfiants est celui du docteur
médecin délivrant en toute connaissance de cause une ordonnance fictive facilitant à
autrui l'usage des substances ou plantes classées comme stupéfiants. (Art 3. 2°)
Nous avons pu constater, ci-dessus, que Le Maroc avait adhéré le 7 novembre 1979 à la
convention de Vienne sur les substances psychotropes qui a été signée le 21 février
19711. Il a également ratifié en date du 9 octobre 1992, la convention des Nations Unies,
contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes, signée à Vienne le
20 décembre 19882.Et enfin, le Maroc adopta le protocole portant amendement de la
Convention unique sur les stupéfiants de 1961, fait à Genève le 25 mars 1972 3 par Dahir
n° 1-97-98 du 3 avril 2002.
Le droit marocain, { l’instar du droit français, ne fait pas référence { la notion de drogue,
mais envisage celle de substances vénéneuses, reprenant les classifications contenues
dans la convention unique sur les stupéfiants de 1961 et la convention de Vienne de
1971 retenant trois catégories : les produits toxiques (tableau A), les produits
stupéfiants (tableau B), et les produits dangereux (tableau C).
1
Convention sur les substances psychotropes, Vienne 1971, ratifiée par dahir n° 1-80-140 du (17-12-1980) BO: 3590 du
19.08.1981
2
Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, Vienne 1988, ratifiée par
dahir n°1-92-283 du (29-01-02)
3
Bulletin Officiel n° 5066 du Jeudi 19 Décembre 2002
18
La société marocaine ne semble pas encore avoir assimilé la notion de drogue dans son
acception moderne. Le mot drogue n’est réellement compris que par certains
spécialistes et militants associatifs.
La drogue, a-t-on dit, « ce n’est plus ce qui est interdit mais ce qui est dangereux. La notion
de drogue dépasse celle de l’interdit et se détermine en référence aux idées de dépendance
et de dangerosité 2. »
Au Maroc, la dimension religieuse de l’interdit (haram) est omniprésente. Elle est
générale car elle englobe tout ce que les textes religieux et l’interprétation fiqhiste
considèrent comme immoral.
Mais au-delà de la prohibition religieuse, la distinction entre drogues licites et illicites
est non seulement une classification abstraite dans l’esprit du public, mais révèle
l’incohérence de la politique législative et de la stratégie politique en matière de lutte
contre l’usage de stupéfiants.
1
Prévalence de l’usage de la drogue, du tabac et de l’alcool chez les jeunes en milieu scolaire
http://www.capm.ma/sources_site_capm/capm_Revue_toxicologie_Maroc/Revue_Toxicologie Maroc_n8_2011.pdf
Le nombre des jeunes interrogés était de 6 231, réparti en 54,0 % filles et 46,0 % garçons, appartenant à 30 écoles, lycées et
collèges. Le taux de participation exprimé en nombre de réponses exploitables/nombre de consultations, était de 89,5 %.
2 L. Michielli, Op.cit
19
On aura compris que ce texte fut pris sous protectorat français pour gérer une situation
complexe et gênante pour le pouvoir marocain musulman de l’époque, mais d’une
grande importance économique pour la France : c’est la raison même de la présence des
colons, au Maroc, garantie de la continuité du protectorat français dans ce pays.
Signe de cette gêne pour le pouvoir, ce fut le Directeur du Cabinet royal qui, par l’arrêté
viziriel du 17 juillet 19671, décida, non l’interdiction expresse de la consommation de
l’alcool par les marocains, mais qu’«il est interdit { tout exploitant d’établissement soumis
{ licence de vendre ou d’offrir gratuitement des boissons alcooliques ou alcoolisées { des
marocains musulmans.»(Art 28 al 1er).
De même, pour les mêmes raisons économiques, le code pénal de 1962, texte unifiant la
législation du Maroc indépendant, n’incrimine pas non plus, la consommation d’alcool.
Ce n’est que cinq ans plus tard que l’on incriminera, uniquement l’état d’ébriété, pour
des raisons de maintien de l’ordre et la tranquillité publics, par le décret royal n° 136-65
de 7 juin 1965 proclamant l’état d’exception, qui punit de l’emprisonnement d’un { six
mois et d’une amende de 150 { 500 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement 2 :
« quiconque est trouvé en état d’ivresse manifeste dans les rues, chemins, cafés, cabarets ou
autres lieux publics ou accessibles au public ».
Sur le plan économique, «le plus grand du chiffre d'affaires se fait grâce à la vente d'alcool.
L'Etat taxe à bloc et ce sont surtout les Marocains qui consomment3.»
Le contentieux en relation avec l’alcool traité par les tribunaux est colossal, mais une
personne s'enivrant chez elle, ou consommant l’alcool dans un bar ou dans un
restaurant ne tombe pas sous le coup de la loi.
Alors que la loi interdit la vente aux musulmans, les grandes enseignes commerciales du
pays débitent de grandes quantités d’alcool quotidiennement. Des caisses spéciales ont
été aménagées { cet effet et on ne s’enquiert ni de la religion, ni du sexe ni de l’âge des
acheteurs.
Le classement de l’O.M.S. de 1971, prenant en considération les dépendances physiques,
psychologiques et la tolérance qu’entraîne l’usage des différentes drogues, révèle des
résultats qui témoignent de niveaux de dépendance plus élevés pour l’alcool que pour la
cocaïne et le cannabis, et de niveaux de tolérance faibles à inexistants pour le cannabis,
le L.S.D. et les amphétamines.
Dans la même optique, la classification du rapport Pelletier4 élabore un palmarès des
niveaux de dépendance au sommet duquel se situent l’opium et ses dérivés, l’alcool et
les amphétamines, alors que le cannabis selon ses modes de consommation occupe la
dernière place5.
1
B.O. N° 2856 du 26 juillet 1967: 829
2
Ces peines peuvent être portées au double si l’individu trouvé en état d’ivresse a causé du tapage troublant la tranquillité
er
publique. Art 1 al 2 du décret royal n° 136-65 du 7 juin 1965
3
La consommation des boissons alcoolisées est d'environ 300.000 hectolitres par an. Elle a augmenté de 3,5% à 6% entre
2006 et 2008. Cette croissance, supérieure à 50% sur les deux dernières années, est essentiellement portée par la tranche
des jeunes de moins de 20 ans. A. Najib. Maroc Hebdo. Du 22-01-2010.
4
Rapport de la mission d’études sur l’ensemble des problèmes de la drogue par Monique Pelletier, La documentation
française, janvier 1978.
5
Michuielli, op.cit
20
Le Maroc est considéré comme l'un des plus grands consommateurs de tabac dans la
zone méditerranéenne avec plus de quinze milliards de cigarettes par an. 31,5% des
hommes et 3,3% des femmes fument, avec une moyenne de 14 cigarettes par jour pour
les hommes et 12 pour les femmes1.
Relativement au coût social du tabagisme, il est difficile de disposer de statistiques
concernant les maladies et le nombre exact de décès au niveau national 2.
Mais il ne fait pas de doute que le tabagisme et l’alcoolisme soient { l’origine de dégâts
considérables sur la santé, notamment par les cancers et les maladies cardiovasculaires
et respiratoires3.
Toutes ces mesures sont traitées dans les dispositions de la convention-cadre de l'OMS
pour la lutte anti-tabac signée en 2004 par le Maroc.
En définitive, et comme on l’a relevé pour la France, « la consommation abusive d’alcool
et de tabac, comparée à celle des drogues illicites, concerne bien plus de personnes, son
coût social et économique est largement plus élevé mais paradoxalement, le dispositif de
prévention et de soins est beaucoup moins développé, voire indigent, au regard des enjeux
de santé publique.4 »
Le constat général actuel relatif au traitement pénal de l’usage de stupéfiants est qu’il est
très subjectif. On n’y retrouve ni la légalité, ni la satisfaction du sentiment de justice.
Mais une perte d’humanité des usagers due { la stigmatisation et { l’enfer de
l’enfermement.
1
http://www.aufaitmaroc.com/maroc/societe/2010/5/30/interdit-de-fumer
2
Le Maroc s’est doté, depuis 1996, d'une loi anti-tabac n°15-91 qui interdit le tabac dans certains lieux publics, la
propagande et la publicité en sa faveur.
3
Ibidem
4
L. Michielli.Opcit.
21
Il reste que, parmi les débats nationaux et les questions devant figurer dans les
programmes des parti politiques et de l’agenda du prochain gouvernement qui sera
nommé { l’issue du mois de novembre prochain, la question de la stratégie marocaine en
matière d’usages de stupéfiants au sens large du terme, occupera une place
prépondérante.
Les enjeux présidant à la réflexion sur cette stratégie sont colossaux pour notre société
en termes de santé publique, de retombées économiques et enfin de politique criminelle.
Il s’agit de mettre en exergue l’action de toutes les autorités et administrations de l’Etat
chargées de lutter contre la criminalité et la protection de la société. Logiquement, la
réflexion commence en amont de ce que l’on appelle le circuit judiciaire et se termine
par l’exécution de la décision rendue par le tribunal.
C’est ce schéma qui sera adopté dans cette tentative d’analyse du parcours de l’usager de
stupéfiants : de son interpellation par la police jusqu’{ sa mise sous écrou.
Les rapports des usagers de drogues et de la police sont marqués à la fois par des
atteintes, des discriminations et parfois de la collaboration.
La recherche a démontré que les personnes ayant eu un lien avec la drogue sont craintes
et sujettes au blâme de la population. La toxicomanie fait partie de ces pathologies
hautement stigmatisées qui entraînent peur et méfiance auprès de la population. Les
nombreuses rechutes des consommateurs sont souvent considérées comme preuve d’un
manque de volonté et font l’objet de plus de rejet.
Il en résulte que ces personnes sont victimes de stigmatisation sociale, de discrimination
et d’exclusion et l’insulte la plus grave n’est-elle pas celle de «chamkar», qui exprime
tout le mépris que l’on puisse jeter { la figure d’une personne.
Ce constat est extrêmement visible dans le comportement de la police, et observable
dans l’attitude des usagers.
Relayant en réalité la perception de la société, la police manifeste un réel mépris vis-à-
vis des usagers de drogues. Ils sont perçus comme des délinquants sans foi ni morale, à
la recherche de leur dose quel que soit le moyen à utiliser pour y parvenir. Perçus
comme un vecteur de la transmission des maladies et plus particulièrement du VIH vers
la population générale, les usagers de drogues font l’objet d’un langage verbal
outrageant et avilissant. Cela produit un effet dévastateur sur leur état psychologique en
tant que personne humaine.
Les avocats interrogés nous ont fait part de harcèlements et abus sexuels dont
fontl’objet les femmes toxicomanes de la part de certains policiers.
22
Les rapports avec la police sont également marqués par le pouvoir discrétionnaire dont
dispose ces agents quant { l’interpellation, la rédaction des procès verbaux et la suite
judiciaire { donner { l’interpellation.
Le travail de la police est entaché d’irrégularité en raison des pressions psychologiques
et des violences physiques utilisées pour l’obtention de la signature des procès verbaux.
Les usagers interviewés ayant été interpellés par la police ont tous souligné la violence
verbale qui est, pour certains, suivie de violences légères, ainsi que la recherche à fixer
l’usager de stupéfiants interpellé sans possession de drogues dans le statut d’indicateur
moyennant une tolérance de la part de la police. Ils font face égalementà la menace de la
présentation au procureur en cas de refus de coopération avec la qualification plus
lourde de « dealer ».
Les usagers ne sont informés ni par la police ni par le parquet de la possibilité que leur
permet la loi d’échapper aux poursuites pénales s’ils acceptaient de se soumettre { une
cure de désintoxication comme le prévoit l’article 8 du dahir du 21 mai 1974.
Il résulte aussi, de notre enquête que dans les locaux de police, le regard méprisant
oblige les usagers à raser les murs, à être confinés dans des endroits insalubres et ne
bénéficier du respect d’aucun de leurs droits individuels.
Entre les usagers analphabètes et ceux terrorisés par les policiers ou ne comprenant pas
le langage des documents judiciaires, les usagers de stupéfiants signent les procès
verbaux destinés au procureur sans en connaître ni le contenu, ni les conséquences
pénales.
En définitive, l’action de la police { l’égard des usagers de stupéfiants est violente et
discriminatoire lors du processus de présentation au parquet. L’origine sociale et le
degré de collaboration avec la police demeurent les deux critères déterminants quant à
l’avenir judiciaire de l’usager de drogues.
Le recours quasi systématique { l’emprisonnement par les juges marocains est dû,
croyons-nous, à deux facteurs principaux : l’absence de peines alternatives { la peine
privative de liberté, et la mentalité répressive de la majorité des magistrats.
En effet, la prison apparaît aux yeux de certains magistrats, peu ouverts sur les sciences
sociales en général, comme la seule réponse { l’usage de cannabis.
Les interviews précédemment citées font ressortir que les circonstances propres à
l’origine familiale ou sociale de l’interpellé(e) influencent plus le magistrat du parquet
chargé de le poursuivre, que la nature de l’infraction et le type de produits consommés.
Plus on est issu d’un milieu pauvre plus on est susceptible d’être condamné {
l’emprisonnement. On ne peut bénéficier ni du système de liberté sous caution ni de
l’assistance d’un avocat.
23
Si l’infraction de trafic connaît des traitements identiques dans des circonstances
similaires, ce n’est pas le cas des infractions pour usage de cannabis. La politique des
parquets est { l’origine de ces disparités, car leur intervention succède de manière
immédiate à celle des services de police et de gendarmerie.
L’usager voit son sort lié aux pratiques très personnelles des magistrats du parquet.Ces
derniers ont une foi aveugle dans les procès verbaux de la police.
Devant les magistrats du siège, les audiences sont traitées très rapidement. La majorité
des usagers ne sont pas assistés d’un avocat et le juge se réfère et construit même son
jugement sur le procès verbal de la police. La seule alternative { l’emprisonnement
demeure le sursis, qui est révoqué aussitôt l’usager est interpellé dans une situation de
récidive.
1
Découverte de 2 kilogrammes de cannabis en prison de Oukacha. Alkhabar. N° 31 du 8 juillet 2011 p 6
2
Assabah n° 3511 du 26 juillet 2011. Consacre un dossier Adala(p 11 à 14) aux problèmes graves que connaît la prison
marocaine actuellement et plus particulièrement au trafic de drogue.
3
Selon le journal Assabah, la prison de Fès constitue l’exemple de constitution de réseaux mafieux (détenus, gardiens de
prison) permettant la circulation au sein du système pénitentiaire de grandes quantités de drogue, d’alcool, de téléphones
portables, d’équipement électroniques et armes blanches. Assabah n°3511 du 26 juillet 2011, p 11.
4
Campagne d’assainissement contre de hauts responsables au sein de la délégation de l’administration pénitentiaire.
Akhbar Alyaoum ; n° 499. 18 juillet 2011 ; p 1
5
Almassae n° 1503 du 22 juillet 2011 p2
6
Assabah n°3511 du 26 juillet 2011. Dossier justice pp11 à 14
7
Ibidem
24
En réalité, ce phénomène bien qu’il existe dans des proportions bien moindres ailleurs,
correspond aux standards qu’on retrouve dans les prisons du monde : disponibilité des
drogues, contrebande et trafic au sein de la prison.
Les produits disponibles
Outre le tabac et l’alcool, les drogues illicites sont facilement disponibles en prison pour
ceux qui en souhaitent. L’entretien réalisé avec un échantillon d’usagers de drogues
fréquentant le centre de désintoxication de Hasnouna à Tanger, nous révèle que l’offre
en prison contre paiement concerne tous les produits, y compris des substances
médicamenteuses. Mais le cannabis vient en tête de liste des produits demandés.
Les détenus font état de disparités importantes en termes de qualité, de continuité et de
prix des drogues illicites au sein des prisons.
Les détenus aisés disposent non seulement du produit, mais font l’objet de traitement
particulier, comme de VIP, de la part des codétenus dealers mais aussi de la part des
gardiens de prison.
Les toxicomanes interrogés mentionnent que le prix des drogues au sein des enceintes
pénitentiaires est plusieurs fois supérieur à celui pratiqué à l’extérieur, ce qui rend les
drogues bien plus coûteuses qu’{ l’extérieur, en termes de pouvoir d’achat.
Cela donne lieu { des formes de paiement autres que l’argent : échange de services
(prostitution, nettoyage de la cellule), ou de biens (cartes téléphoniques, tabac) et/ou
participation au trafic de drogues.
● Contre bande, trafic et usage de drogues au sein des prisons
La drogue est introduite en prison par des moyens de plus en plus ingénieux, qui sont le
fait { la fois de certains fonctionnaires de l’administration pénitentiaire et des familles
des détenus.
Outre le témoignage de tous les usagers de stupéfiants interrogés par nous, qui
confirment l’existence de fonctionnaires impliqués dans le trafic de drogues au sein de la
prison et aussi la mise à disposition de tous les instruments nécessaires à la prise de la
substance fournie, les journaux ont, également, fait état de ce phénomène grave.
En effet, dans son dossier « justice » consacré aux stupéfiants, le journal Assabah titre un
de ses articles « l’implication de gardiens dans le trafic de stupéfiants au sein des prisons :
appel à la mise en application des textes relatifs au contrôle et à la fouille des gardiens de
prison 1».
1
Il s’agit du cas d’un gardien de prison à Safi qui après avoir été reconnu coupable de trafic de stupéfiants au sein de cette
prison fut condamné à 2 ans de prison. Assabah. Article précité. Plus récemment, un fonctionnaire a été mis en garde à vue,
après avoir été surpris en flagrante possession de drogue lors de sa fouille à l’entrée de la prison de Fès.
25
Ces derniers sont en effet l’objet de toutes les sollicitudes, abus et atteintes.
- Le non accès au traitement
L’une des conséquences dramatiques de l’incarcération des usagers de drogues est qu’ils
continuent à consommer leur drogue et à se fournir en prison. Ils deviennent, même, des
dealers. Ceux qui ne le peuvent pas sont prêts à tout pour se procurer leur dose (trafics
de tous genres, corruption des gardiens de prison, prostitution, etc.).
La loi relative { l’organisation et au fonctionnement des établissements pénitentiaires 1
prévoit que « des locaux séparés doivent être affectés aux détenus malades » (Article 6)
Et bien qu’au niveau de la délégation de l’administration pénitentiaire on considère que
les usagers de drogues sont des malades à soigner et non des délinquants à punir, les
détenus usagers interrogés nous ont tous confirmé l’inexistence de toute séparation
avec les autres détenus.
Bien pire, les usagers de stupéfiants détenus ne font l’objet ni de suivi médical ni de
mesures préventives quelconques vis-à-vis d’autres détenus, notamment ceux porteurs
de maladies comme l’hépatite et le sida.
Par ailleurs, l’administration refuse catégoriquement que les détenus toxicomanes
puissent avoir accès à des produits de substitution servis et contrôlés par un personnel
associatif extra-pénitentiaire comme la méthadone3. Cela aggrave davantage le trafic des
stupéfiants ainsi que les risques de contamination au sein des prisons.
1
Dahir n° 1-99-200 joumada 1 1420 (25 août 1999) portant promulgation de la loi n° 23 – 98 relative à l’organisation et au
fonctionnement des établissements pénitentiaires. B.O :
2
C’est nous qui soulignons
3
Cela nous a été confirmé par l’association Hasnouna
4
Bulletin officiel n° 5964 bis du 28 chaabane1432 (30/07/2011). Dahir n° 1-11-91 du 27 chaabane 1432 (29 juillet 2011),
portant promulgation du texte de la Constitution
26
Le préambule rappelle, sans équivoque, que le Maroc « … réaffirme son attachement aux
droits de l’Homme tels qu’ils sontuniversellement reconnus, ainsi que sa volonté de
continuer { œuvrer pour préserver la paix et la sécurité dans le monde… », et cela dans le
but de « - protéger et promouvoir les dispositifs des droits de l’Homme et du
droitinternational humanitaire et contribuer à leur développement dans leurindivisibilité
et leur universalité;
- bannir et combattre toute discrimination { l’encontre de quiconque, en raison dusexe, de
la couleur, des croyances, de la culture, de l’origine sociale ou régionale,de la langue, du
handicap ou de quelque circonstance personnelle que ce soit; ».
Outre le travail considérable effectué par les ONG nationales et internationales
relativement à la revalorisation des usagers de drogues vis-à-vis d’eux-mêmes et vis-à-
vis du public, certains hommes politiques ont ouvert le débat sur le principe même de
l’incrimination de l’usage de stupéfiants et, plus particulièrement, le cannabis.
D’aucuns diront que c’est de la pure démagogie en vue de la collecte de voix pour les
prochaines élections4, mais le fait est que c’est la première fois qu’un dirigeant syndical
(Monsieur Hamid Chabat5) et le 3èmevice président de la chambre des représentants
Monsieur Mediane6, tous deux membres du parti du premier ministre(l’Istiqlal)
s’expriment de manière non équivoque sur la question tabou que constitue la politique
marocaine ambigüe en matière du cannabis 7.
Monsieur Mediane a déclaré que sur 52.000 détenus dans les prisons marocaines,
18.000 sont de la région du rif, arrêtés pour culture de chanvre indien, et 30.000 autres
sont recherchés pour la même raison.
Invoquant l’hypocrisie du ministère de l’intérieur, il a confirmé dans un discours lors
d’une réunion publique en présence du procureur général et du gouverneur, que le
cannabis n’est pas seulement une substance narcotique, mais convient également { des
fins médicales, et que 200.000 personnes travaillent dans les champs de cannabis dans
la région.
1
http://www.encod.org/info/POUR-LA-LEGALISATION-DU-CANNABIS.html
2
http://www.encod.org/info/POUR-LA-LEGALISATION-DU-CANNABIS.html
3
Ibidem
4
Notamment l’éditorial du journal Achourouk. 19/20/21 août 2011.p1
5
Membre du comité exécutif du parti, et Secrétaire général de l’Union générale des travailleurs au Maroc.
6
NourdineMedian membre du Comité exécutif du parti, et premier vice-président de la Chambre
7
Voir la vidéo You Tube (en arabe) (26 mai 2011|23:24). Propos repris par journal Achourouk. 19/20/21 août 2011.p1
27
Rappelant que les habitants de Ketama, haut lieu de culture du cannabis, ont obtenu, par
dahir royal de feu Mohamed V, l’autorisation de la culture du chanvre indien, il demande
également { l’État d’intervenir et de chercher des solutions alternatives pour résoudre
les problèmes des citoyens dans ces régions1.
Monsieur Chabat a demandé la légalisation du cannabis à des fins industrielles et
médicales et la considération de cette substance comme un produit similaire aux autres
produits agricoles utilisés dans la production de boissons enivrantes, que sont l’orge et
le raisin.
Les associations furent les premiers acteurs de la société marocaine à tenter de rendre
leur dignité aux usagers de stupéfiants.
Conscient de ce rôle déterminant dans l’évolution de la société et de l’enracinement de
l’Etat de droit, le constituant a enfin donné une légitimité constitutionnelle aux
associations en des termes très clairs et valorisants.
En effet, l’Article 12 de la constitution dispose que « les associations de la société civile et
les organisations non gouvernementales seconstituent et exercent leurs activités en toute
liberté, dans le respect de la Constitution etde la loi.
Elles ne peuvent être dissoutes ou suspendues, par les pouvoirs publics, qu’en vertu
d’unedécision de justice.Les associations intéressées à la chose publique et les organisations
non gouvernementales,contribuent, dans le cadre de la démocratie participative, à
l’élaboration, la mise en œuvreet l’évaluation des décisions et des projets des institutions
élues et des pouvoirs publics. Cesinstitutions et pouvoirs doivent organiser cette
contribution conformément aux conditions etmodalités fixées par la loi.L’organisation et le
fonctionnement des associations et des organisations nongouvernementales doivent être
conformes aux principes démocratiques. »
Cette disposition donnera, sans doute, croyons-nous, un nouvel élan au travail
pédagogique indispensable dont s’acquittent avec difficulté mais avec beaucoup
d’abnégation, les associations qui luttent pour la réduction des risques et la réinsertion
sociale des usagers de drogues.
Une experte française parlant de l’usage de stupéfiants a considéré qu’il faut « civiliser
les drogues » ! C'est-à-dire, affirme-t-elle, qu’ « Il faut apprendre à vivre avec ».
En France, plus de la moitié de la population et 70% des adultes ont essayé au moins une
fois le cannabis. Au Maroc, on ne dispose pas de statistiques fiables, mais le phénomène
est d’une grande ampleur.
Penser éradiquer les drogues est une utopie2. On l’a officiellement annoncé et on l’a
constaté à travers les rapports les plus officiels établis par des experts les plus
compétents3. On peut seulement en limiter le trafic sans pouvoir en stopper l’usage.
1
L’éditorial du journal Achourouk. 19/20/21 août 2011.p1
2
Ce constat est malheureusement une réalité terrible et incontournable. Cf. Supra
3
Cf. Supra n°
28
Les drogues sont dangereuses, mais exactement au même titre que l'alcool et le tabac
qui sont vendus légalement. Comparée à celle des drogues illicites, la consommation
abusive d’alcool et de tabac concerne bien plus de personnes.
Son coût social et économique est largement plus élevé mais paradoxalement, le
dispositif de prévention et de soins est beaucoup moins développé, voire indigent, au
regard des enjeux de santé publique 1.
Il faut informer les consommateurs de ces risques par tous les moyens, et entamer un
débat de fond sur la consommation, l'autoproduction, la revente et l’usage de drogues.
La politique répressive { l’égard des usagers ne produit aucun des effets de la sanction
pénale. L’incarcération est non seulement inutile quant à au sevrage, mais elle maintient
l’usager dans une spirale permanente de recherche, de consommation et de trafic de
drogues.
L’éradication de la consommation des drogues qui avait été annoncée par l’ONU en 1998
comme un objectif atteignable... en 2008 (!) apparaît hors de portée. En revanche, l’idée
d’une politique visant { réduire sensiblement les dommages résultant de la
consommation fait son chemin en France et en Europe et très lentement au Maroc.
1
Ce raisonnement est valable dans tous les pays ayant cette politique à l’égard de ces produits.
2
Point de vue
3
Cf. Déclaration faite par chabat précitée.
29
En France la question de l’usage des stupéfiants est désormais incontournable à la fois
dans les débats de société et les débats politiques 1.
La réprobation morale se diluant peu { peu, s’est posée, alors, la question de savoir si les
autorités publiques pouvaient protéger les usagers de stupéfiants contre eux-mêmes.
La nocivité qui permet la prise de la mesure d’interdiction n’est pas définie dans
l’abstraction, et le droit pénal marocain n’incrimine pas la mise en danger.
Le débat sur la légalisation ou la décriminalisation de l’usage du cannabis doit être
envisagé aussi dans une perspective de réduction de risques. C’est ce qui permettra la
mise en place d’une politique attentive aux droits des usagers.
Dans une charte ayant pour objectif de constituer le socle conceptuel de toute démarche
pouvant se réclamer de la réduction des risques liés { l’usage de drogues en
Communauté française de Belgique 2, on a rappelé avec force les principales règles
devant aboutir { une politique rationnelle { l’égard des usagers de drogues.
Il s’agit d’une stratégie de santé publique qui vise à prévenir les dommages liés à
l’utilisation de « drogues3».
La politique relative { la lutte contre l’usage de drogues pose, enfin, la question de
l’évaluation de la fragilité des personnes consommatrices et les instruments de leurs
protection.
La consommation de drogues rentre, en effet, dans la catégorie des attitudes et des
comportements à risques, ou les pratiques qui retiennent l’attention.
A l’incohérence que révèle la politique d’incrimination de l’usage de certaines drogues et
pas d’autres (tabac et alcool), les usagers des autres drogues ne bénéficient d’aucune
prise en charge publique.
Les associations comme l’ALCS et l’ASCMP Hasnounarestent les principaux acteurs de la
politique de réductions des risques. Il s’agit, en effet, « de réduire les risques et de
prévenir les dommages que l’usage de drogues peut occasionner chez les personnes qui ne
peuvent ou ne veulent pas s’abstenir d’en consommer. 4»
1.- Vers une politique cohérente en matière de lutte contre les stupéfiants
Les 19 signataires, membres de la commission globale sur les politiques des drogues, ont
dressé un constat très alarmant relativement à la question des stupéfiants, dans lequel il
rappellent avec force que « l’incarcération de dizaines de millions de personnes dans les
dernières décennies a détruit des vies et des familles sans réduire l’accessibilité des drogues
illégales ni la puissance des organisations criminelles », ils demandent que les
1
La question de la légalisation ou dépénalisation de l’usage du cannabis a été l’un des points débattus par les candidats au
primaire socialiste sur France 2 le 15 septembre dernier.
2
Cette charte a été signée par les associations suivantes : Modus Vivendi, la Fedito bruxelloise, la Fedito wallonne, la Ligue
des Droits de l'Homme, le Centre d'action Laïque, la Ligue Anti-prohibitionniste.
http://www.reductiondesrisques.be/cms/la-charte-de-la-rdr
3
http://www.reductiondesrisques.be/cms/la-charte-de-la-rdr
4
Cf. Charte ;Op.cit
30
gouvernements acceptent de «mettre fin à la criminalisation, la marginalisation et la
stigmatisation des gens qui consomment des drogues sans pour autant nuire aux autres 1».
La politique criminelle doit envisager la lutte contre l’usage de stupéfiants dans une
perspective de réduction des risques. La réduction des risques passe inévitablement par
une dépénalisation et logiquement, cela veut dire accepter l'usage 2.
Nombreux sont ceux qui militent en faveur d’une nouvelle échelle de valeur basée sur
les risques liés au produit.
Des personnalités3 du monde entier avaient lancé un appel { la veille d’un sommet de
l’ONU sur les drogues en 1998, par lequel elles rappelèrent que la guerre globale contre
la drogue produit plus de dégâts que les méfaits de la drogue elle-même (The global war
on drugsiscausing more harmthandrug abuse it self).
Plus récemment, des professionnels de sécurité publique et d’application de la loi,
originaires de 18 pays4,accompagnés de différentes autorités ayant développédes
politiques de drogues innovantes comme le Portugal et l’Uruguay, ont établi la
déclaration de Rio de Janeiro, par laquelle ils affirment solennellement s’être réunis
pour repenser les politiques d'application de la loi répressives contre le commerce et
l'utilisation des drogues, mission à laquelle ils ont consacré une grande partie de leurs
vies. Les auteurs de la déclaration expriment leurs inquiétudes quant au très peu de
résultats qui ont été réalisés durant tant d'années de bataille, et rappellent leur
impression d’être dans un cercle vicieux, et du coût humain et économique élevépayé
pour des résultats négatifs.
Les auteurs réaffirment, enfin, la nécessité d’une lutte dure contre le crime organisé, le
blanchiment d'argent et la corruption, mais se déclarent ne plus être satisfaits de la
doctrine "de guerre contre la drogue". Ils affirment chercher des approches plus
efficaces, plus effectives et plus constructives.
1
A. Aubron.Drogues: 50 ans de guerre pour rien.http://blogs.lesinrocks.com/droguesnews/2011/06/05/drogues-50-ans-de-
guerre-pour-rien/
2
N. Valiadis, Dépénaliser la drogue et confier la vente aux ex-dealers ?09/07/2011
http://www.rue89.com/2011/07/09/drogue-depenaliser-et-confier-la-vente-aux-ex-dealers-en-france-213337
3
Parmi les signataires on peut citer l'ancien Secrétaire général des Nations unies Javier Perez de Cuellar, l'ancien Secrétaire
D'État américain George P. Shultz, le Lauréat de Paix Nobel Oscar Arias du Costa Rica, l'ancien présentateur CBS de
télévision Walter Cronkite pilier Walter Cronkite, deux anciens Sénateurs des États-Unis, Alan Cranston et Claiborne Pell et le
militant des Droits de l'Homme sud-africain Helen Suzman.
4
L’Allemagne, l’Argentine, l’Australie, la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Salvador, les USA, le Guatemala, les Pays-
Bas, le Mexique, le Nicaragua, le Pérou, le Portugal, le royaume uni, la Suisse est l’Uruguay
5
Il s’agit des « coffee shops » hollandais, les « cannabis clubs » en Espagne et en Belgique, et l'utilisation thérapeutique du
cannabis en Californie (200 000 patients en consomment pour cette raison).
31
Ces deux pays ont décriminalisé la possession de drogues destinées à la consommation
personnelle. Contrairement à ce que beaucoup craignaient, cela n'a pas conduit à une
explosion de la consommation.
Bien au contraire, la consommation dans son ensemble a diminué et le nombre de
personnes demandant à être traité a augmenté 1.
En définitive, la lutte contre la drogue doit être revue à la lumière du respect des droits
des usagers, et construite, d’abord, sur une politique de réduction des risques. Il nous
semble, pertinent et opportun, à cet égard, de se référer, à la charte belge de la réduction
des risques2, construite sur des valeurstrès pertinentes pour une réforme de la loi :
1
Point de vue op.cit
2
Ibid
32
Bibliographie
●Articles scientifiques
33
- Guéant (C), ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités
territoriales et de l'immigration. Dépénalisation du cannabis, un débat biaisé.
Le monde du 15.06.11
- Lemaizi (S) : le Nord se shoote { l’héroïne. L'Observateur du Maroc. 06 Janvier
2011
- Drogues: 50 ans de guerre pour rien
http://blogs.lesinrocks.com/droguesnews/2011/06/05/drogues-50-ans-de-
guerre-pour-rien/
- Nouveau régime légal sur la drogue en vigueur dès juillet. Le matin du 26 mai
2011|
Rapports et discours
Presse marocaine :
- Almassae
- Assabah
- Achourouk
- Alalam
- Tel quel
- L’observateur
- Alkabar
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