Cca 161 0133
Cca 161 0133
Cca 161 0133
La normalisation comptable
internationale analysée
comme un processus
politique
Le cas de la prospection
et de l’évaluation
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Comptabilité – Contrôle – Audit / Tome 16 – Volume 1 – Avril 2010 (p. 133 à 158)
Résumé Abstract
L’analyse de la réglementation comptable Some of the choices made through the ongo-
propre aux coûts d’exploration pétrolière ing international accounting normalisation
illustre l’aspect éminemment politique de la process show that the IASB has adopted norms
normalisation comptable internationale. La for controlling (images) rather than for ruling.
montée en puissance de l’IASC, et de son Controlling supposes that economical and social
successeur l’IASB, favorise l’émergence d’une agents become official actors in the negotiation.
nouvelle phase de la normalisation comp- A focus on accounting norms applied to minerals
table, celle-ci passant d’une logique de régle- exploration costs suggest that accounting regula-
mentation à une logique de régulation. Dans tion can sometimes be governed by political mat-
cette phase, la négociation des acteurs écono- ters. Considering the notable exception allowed
miques et sociaux intéressés est mise au pre- by IFRS 6, thanks to which oil companies can
mier plan. Ce changement de logique se reflète circumvent the paragraphs 11-12 of IAS 8, this
particulièrement au travers de l’exception article addresses the legitimacy and effective tar-
notoire consentie par l’IFRS 6 (Prospection et gets of the international accounting normalisa-
Évaluation des ressources minérales), exemp- tion. The question of the ethical status of the
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Yannis Constantinidès
Audencia Nantes École de management
27, rue Desnouettes
75015 Paris, France
constantinides@free.fr
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Introduction
Il est traditionnel d’opposer le modèle européen continental et le modèle anglo-saxon de la normali-
sation comptable (Colasse, 2002, 2007). Le premier est fondé sur une régulation partenariale, sous
la tutelle de l’État, tandis que le second repose sur une procédure de concertation entre des experts
et les acteurs économiques intéressés, qualifiée de due process. Aux États-Unis par exemple, la norma-
lisation comptable est confiée à un organisme privé indépendant, le Financial Accounting Standard
Board (FASB). Ce mode de normalisation entend favoriser d’une manière transparente la défense des
intérêts des diverses parties prenantes en les associant à la définition des règles applicables. Il pose
toutefois des problèmes d’ordre éthique, soulignés par la littérature dès les années 1970 (Armstrong,
1977 ; Wyatt, 1986 ; Solomons, 1978). Le due process serait en effet un processus éminemment poli-
tique (Haring, 1979 ; Newman, 1981 ; Fogarty et al., 1994 ; Durocher et al., 2004 ; Elbannan et
McKinley, 2006) car l’adoption des normes comptables dépendrait davantage des rapports de force
entre les acteurs dominants, que des attentes des actionnaires et des autres parties prenantes. L’aspect
politique de la normalisation comptable se cristallise dans les phénomènes de lobbying repérables
dans les institutions comptables (Hussein et Ketz, 1991).
Empruntant au modèle américain, la normalisation comptable internationale est également basée
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Le secteur pétrolier fut en quelque sorte le précurseur de règles qui furent dans un second temps
disséminées vers d’autres secteurs1 économiques. C’est pourquoi nous nous sommes intéressés aux
mécanismes à l’œuvre dans l’adoption de la norme IFRS 6 qui fixe les règles d’enregistrement de la
prospection et de l’évaluation des ressources minérales.
Notre démarche procède en trois étapes. Une première partie établit les fortes similitudes exis-
tant entre le processus de normalisation comptable internationale et le processus de normalisation
comptable américain. Une deuxième partie fait émerger, à partir de la philosophie de Habermas, les
problèmes éthiques liés à ce mode de normalisation. Enfin, dans une troisième partie, nous analysons
la généalogie des normes comptables européennes concernant les coûts d’exploration pétrolière, afin
de dévoiler les rapports de force à l’œuvre en la matière.
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des modifications du projet. Finalement le bureau adopte le texte, éventuellement modifié pour tenir
compte des réactions obtenues, à la majorité simple.
Le processus d’élaboration des normes comptables américaines est ainsi qualifié de due process,
car le FASB sollicite, à chaque étape clef, des retours de la part des parties prenantes. La variété des
acteurs mobilisés est un moyen pour le FASB de concilier la compétition des intérêts en présence
(Miller et al., 1998). D’un point de vue formel la normalisation comptable américaine est donc carac-
térisée par une transparence affichée et par la participation d’une pluralité de participants. Mais l’im-
partialité du FASB a été sujette à de vives critiques de la part du monde académique notamment en ce
qui concerne les phénomènes de lobbying qui la traversent. Pour Savoie (1968) et Tandy et Wilburn
(1992), les entreprises et les cabinets d’audit exercent des pressions considérables sur le FASB, indui-
sant une rupture de l’égalité de traitement entre les participants à la négociation. Or selon Fogarty et
al. (1994), « rien n’est plus propre à entamer la crédibilité du reporting financier que la suspicion que
les résultats reportés sont prédéterminés et que les méthodes comptables utilisées sont sélectionnées
pour produire les résultats désirés par ceux qui préparent le rapport ». Ces critiques ne sont cependant
pas unanimes. Ainsi pour Hussein et Ketz (1991), les rapports de pouvoir en jeux au sein du FASB
ne compromettent pas le fonctionnement de l’organe de normalisation car aucun d’entre eux n’est
dominant.
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Graphique 1
L’organisation de l’IASB
International Accounting
Standards Committee
Foundation
(19 Trustees)
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International Financial
Key Reporting Interpretations
Appoints Commitee (12)
Reports to
Membership inks
Director of Technical
Advises Director of Operations Activities
and non-Technical Staff and Technical Staff
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Tableau 1
Les étapes du fonctionnement de l’IASB
Étape Objectif Commentaires
1 Poser le calendrier L’IASB reçoit des demandes de révision des normes en vigueur puis évalue
la pertinence de ces demandes et leur priorité afin d’établir son calendrier
de travail. La majorité requise à ce niveau est la majorité simple.
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4 Développement et Un projet tenant compte des commentaires collectés est rédigé et rendu
publication du projet public. Une période de 4 mois est à nouveau ouverte pour collecter les
commentaires éventuels des parties prenantes. La majorité requise à ce
niveau est la majorité de 9 voix.
6 Procédures Des réunions régulières sont menées afin d’anticiper les conséquences
postérieures à prévisibles de la norme et d’engager des actions destinées à assurer
l’adoption d’une l’effectivité de la norme publiée.
norme
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Nous pouvons ainsi souligner les ressemblances existant entre le fonctionnement du FASB et celui
de l’IASB. En effet, si les étapes du processus laissent une large place à la consultation des parties
prenantes, et si ces différentes phases sont transparentes, la composition même de l’IASB peut lais-
ser présager le développement de rapports de pouvoir pesant sur l’adoption des normes comptables.
Les parties prenantes qui sont financièrement les mieux dotées et celles qui sont les plus influentes
peuvent en effet peser plus lourdement sur les débats. Comme nous l’avons signalé la normalisation
comptable américaine peut être définie comme un processus essentiellement politique qui n’échappe
pas à des pratiques courantes de lobbying, c’est-à-dire à des pratiques d’influence exercées par des
groupes de pression auprès des décideurs publics (Hussein et Ketz, 1991). Dès lors, quels sont les
dangers éthiques découlant du fonctionnement de l’IASB et du principe du due process ?
Pour répondre à cette question, nous proposons de mobiliser la pensée de Habermas. La distinc-
tion qu’il opère entre l’agir stratégique et l’agir communicationnel nous sert de grille de lecture pour
poser les critères d’une normalisation conforme à l’éthique. Il est courant d’opposer au point de vue
quelque peu idéaliste de Habermas la conception pragmatique de l’établissement des normes que se
fait John Rawls. Nous verrons toutefois que malgré d’indéniables différences, cette opposition n’est
qu’apparente, les deux auteurs s’accordant sur les valeurs fondamentales de la démocratie libérale.
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pragmatique. Elles doivent en effet proposer la meilleure représentation possible d’une réalité écono-
mique toujours en mouvement. Cela implique que la norme soit issue de la confrontation des points
de vue des acteurs concernés.
Ainsi, est légitime une norme juridique qui résulte d’une procédure démocratique autorisant la
libre expression des parties concernées. Habermas définit les caractéristiques et les conditions que
doit respecter cette procédure à partir de la distinction qu’il opère entre l’agir stratégique et l’agir
communicationnel. Cette distinction le conduit à poser le cadre d’une éthique de la discussion qui
seule peut garantir la production de normes légitimes.
Tableau 2
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Action téléologique Action finalisée (ou instrumentale) : l’acteur vise l’atteinte d’un but, avec
Actions instrumentales
Action stratégique Action finalisée (ou instrumentale) impliquant au moins deux acteurs.
Contrairement à l’action téléologique, l’action stratégique, suppose que l’on
prenne en considération les décisions d’au moins un acteur supplémentaire.
Vise l’utilité individuelle. Coordination des acteurs par intérêt
Action normative Action régulée par des normes et des valeurs communes à un groupe social.
Actions de compréhension
Action Action qui implique l’expérience personnelle vécue du sujet. L’acteur fait
dramaturgique naître dans un auditoire une certaine impression résultant du dévoilement
partiel de sa subjectivité.
L’opposition entre action stratégique et action communicationnelle peut nous permettre de com-
prendre les relations de pouvoir en jeu dans l’élaboration des normes comptables. L’action straté-
gique est une action dont le but est d’influencer autrui pour satisfaire son propre intérêt. Le moteur
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de l’action stratégique est le succès. Pour cela, elle repose sur des jeux d’influence ouverts (guerre,
manifestation de force) ou masqués (endoctrinement, lobbying). Ce type d’action implique, dès
lors, de présenter un projet ou une réalité sous des aspects flatteurs qui favorisent sa recevabilité et
minimisent ses inconvénients. Au contraire, l’action communicationnelle est destinée à atteindre
l’entente des participants. Le moteur de l’action communicationnelle est ainsi l’intercompréhension
et l’argumentation. Cela ne signifie pas que l’agir communicationnel est le règne de l’altruisme. Mais
dans une action communicationnelle, les plans des participants ne sont pas coordonnés par de purs
calculs d’intérêts égocentriques. Ils visent l’obtention d’une entente ou consensus. Dans le voca-
bulaire d’Habermas, le consensus se distingue du compromis. En effet, le consensus repose sur un
assentiment et donc des convictions communes. « Les procès d’intercompréhension visent un accord
qui satisfasse aux conditions d’un assentiment, rationnellement motivé, au contenu d’une expression »
(Habermas, 1987, p. 297). La notion de consensus suppose en outre, contrairement au compromis,
un accord sans réserve. Dès lors, il s’agit nécessairement d’une idée limite, vers laquelle on doit tendre
tout en sachant qu’il est impossible de l’atteindre en pratique.
Dans la typologie forgée par Habermas, seule l’action communicationnelle est compatible avec la
démocratie. Cela ne signifie pas que toute action stratégique soit bannie d’un régime démocratique.
Habermas a conscience du fait que l’agir communicationnel pur est une construction proprement
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On pourrait reprocher à Habermas de raisonner dans le cadre d’une communauté idéale compo-
sée de personnes non sensibles au marchandage éventuel et à l’égoïsme. L’éthique de la discussion de
Habermas doit être lue comme un modèle vers lequel on doit tendre et non un mode d’emploi prêt
à être utilisé. Une rapide comparaison avec la position de John Rawls relative aux normes morales
permet de montrer que la conception de Habermas est tout sauf naïve.
Aux yeux de Rawls, les normes préexistent à toute forme d’éthique ; elles ne sauraient donc être
validées par une discussion. Rawls est convaincu que les normes n’émergent pas magiquement d’une
discussion libre et désintéressée, comme Habermas semble le croire. Elles précèdent au contraire tout
dialogue et sont même la condition d’un échange positif. De fait, il faut admettre avec Rawls que
les normes morales ne résultent pas de la délibération, mais sont antérieures à elle. L’universalisation,
découlant du principe U, serait pour le moins arbitraire si les agents rationnels parvenant à un
consensus n’étaient pas d’emblée d’accord sur un certain nombre de droits fondamentaux ou univer-
sels. Ce serait pourtant un contresens de croire que les normes sont pour Habermas toujours posées
a posteriori. En réalité, l’éthique de la discussion échappe à l’écueil du relativisme dans la mesure
où elle se fonde sur la vérité objective et la justification rationnelle. Tout en permettant à chacun
de donner librement son opinion et d’exprimer ses intérêts, le dialogisme de Habermas peut à juste
titre prétendre à l’universalité parce qu’il dépasse la simple subjectivité. Comme l’écrit le philosophe
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Tableau 3
Le fonctionnement de l’IASB selon les critères
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Toutes les personnes concernées par la norme Chaque acteur a-t-il le même droit à la parole ?
peuvent intervenir dans le débat conduit par Les ressources financières et techniques
l’IASB (consultation élargie). déployées peuvent jouer.
Discussion
Principe D
Les conséquences prévisibles des normes Les conséquences prévisibles des normes
Universalisation
discutées sont examinées par l’IASB. discutées sont rarement acceptables pour
Principe U
Une analyse des procédures formelles de l’IASB nous conduit à affirmer que les critères propres
à une éthique de la discussion semblent globalement respectés. Il en est ainsi du principe D (discus-
sion) : la discussion entre les parties prenantes est en effet organisée aux différents stades d’élabora-
tion de la norme, de sa proposition qui peut émaner des acteurs économiques, à la réaction parties
prenantes face à la proposition de norme de l’IASB. De même, de par sa volonté de prendre en compte
les conséquences économiques des normes comptables produites, l’IASB répond partiellement au
principe U (universalisation).
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Mais dans les faits chaque acteur a-t-il les mêmes droits à la discussion des normes comptables ?
Chaque acteur a-t-il le même poids dans la négociation ? La transparence laisse l’impression à l’acteur
lambda qu’il peut intervenir à chaque étape du processus. Mais, en fait, elle sert surtout les intérêts
des groupes de pression. En effet, les phénomènes de résistance et de lobbying, observés au sein du
FASB laissent présager l’existence de telles manœuvres, relevant du seul agir stratégique, dans la nor-
malisation comptable internationale. Les arbitrages opérés par l’IASB peuvent dès lors être guidés par
les rapports de force en présence, notamment sur le plan économique, et par le point de vue d’experts
techniques. Dans cette perspective, Habermas fustige la culture des experts qui se manifeste dans des
pans entiers de la réglementation. En effet, l’État tend à se désengager de l’élaboration des normes
juridiques au profit d’entités regroupant des experts. La comptabilité est justement l’une de ces aires
où le législateur transfère une partie de son pouvoir à des élites, dont la légitimité s’auto alimente de
l’usage d’une rhétorique technique. En ce sens, la comptabilité est exemplaire du mouvement par
lequel le processus normatif se transforme en expertocratie. Cela ne signifie pas qu’il faille proscrire
les experts des processus normatifs pour assurer leur légitimité. Mais il est indispensable que leur dis-
cours soit public (Broadbent et Laughlin, 1995). À défaut de cela, il existe un risque de colonisation
de l’espace public par la bureaucratie technique. Ce danger est d’autant plus grand que le due process
a été lui-même adopté par des experts et ne saurait revêtir une réelle légitimité démocratique.
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s’engage tandis que le Congrès et les Départements de la Justice et de l’Énergie se rallient aux petites
entreprises pétrolières qui se considèrent comme pénalisées par cette décision. En 1978, pour la
seconde et dernière fois, depuis sa création, le FASB est outrepassé par la SEC qui requière une
nouvelle méthode comptable destinée aux activités de production de gaz et de pétrole sous le nom
de Reserve Recognition Accounting (RRA) (Anonyme, 1978). Cette publication doit contenir un
supplément informatif portant sur la valeur des réserves prouvées ainsi que l’information relative aux
cash flows issus de l’activité de production mais oblige surtout les entreprises à mettre en œuvre (dans
un délai de trois ans) l’application d’une nouvelle méthode d’enregistrement des coûts d’exploration,
intégralement passés en charge.
Le débat politique suscité par cette obligation nouvelle rejetant conjointement les méthodes du SE
et du FC, au terme de quatre années d’échanges (de 1978 à 1982), démontre que le contexte normatif
américain s’établit strictement dans un souhait politique d’adaptation des images comptables et finan-
cières au contexte économique. En effet, les arguments pesant sur la controverse s’inscrivent dans des
préoccupations sociales et sociétales relevant de la nécessité de réduire la volatilité des revenus publiés
(argument du Congrès) et de la crainte d’une concentration des entreprises du secteur pétrolier. Ce der-
nier argument était notamment défendu par les plus petites entités. La SFAS N° 69 éditée par le FASB
en 1982, conclut la querelle en instaurant en complément des coûts historiques (SE et FC) le principe
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entreprises intégrées – acteurs majeurs du marché – et les entreprises spécialisées sur l’amont. Or ces
deux types d’acteurs ont des intérêts économiques divergents. Enfin, un troisième élément d’explica-
tion est relatif à l’avantage économique découlant de la liberté laissée aux entreprises. Le fait de laisser
les entreprises communiquer selon les méthodes qui leur semblent les plus efficaces, permet de main-
tenir un niveau concurrentiel dans le secteur et d’assurer l’approvisionnement des consommateurs et
la défense des individus. Ce compromis pourrait alors s’interpréter comme un processus éminem-
ment sociétal. Le débat peut toutefois se poursuivre en s’étendant à la normalisation internationale.
La normalisation comptable au sein de l’espace européen est en effet caractérisée par une complexité
accrue du fait des jeux politiques entre les États membres. Aux stratégies développées par les acteurs
privés (entreprises et cabinets d’audit notamment) s’ajoutent les conflits entre les représentants des
différents États.
Or, la formation du comité de pilotage de la norme IFRS 6 réhabilite le rôle de l’industrie dans
le processus de définition des normes comptables. Le comité est constitué d’une forte proportion de
représentants de la profession comptable issue des entreprises concernées par l’application des normes
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ACTIVITÉS RÉALISÉES
1998 Création d’un comité de pilotage chargé de travailler sur l’information financière
émise par les industries d’extraction.
Septembre 2002 Le comité informe de l’impossibilité de réaliser un projet exhaustif avant la mise en
application des normes IFRS et propose l’adoption d’une norme temporaire.
Octobre 2006 Reprise des consultations avec en outre prise de connaissance détaillée des
différentes normes co-existant au niveau mondial.
OBJECTIFS COMMUNIQUÉS
Fin 2009 Développement d’une ED (nouvelle ébauche), projet modifié après les
concertations publiques.
(67 % de l’effectif). Six représentants des majors sont mentionnés parmi les professionnels du chiffre, ce
qui procure aux grandes entreprises une représentativité de 18 %. En comparaison, les « utilisateurs5 »
sont représentés à hauteur de 12 %. D’autre part, les États-Unis contribuent à 50 % à cet effectif, avec
une représentation maximale de la catégorie « utilisateur » (29 %). Deux des quatre représentants des
utilisateurs proviennent d’organismes de régulation, les deux autres sont un représentant de l’ordre des
experts comptables et un investisseur minier, considéré ici comme investisseur professionnel.
Les lettres de commentaires soumises à l’organisme régulateur pendant la durée de l’élaboration
d’une norme constituent un moyen de lobbying direct. Elles trahissent les intérêts particuliers de leurs
auteurs (Georgiou, 2004) et rendent plus hautement probables d’autres formes de lobbying tels le
recours aux auditeurs ou les réunions privées avec les membres des comités de régulation. Postulant que
la sincérité des lettres de commentaires est supérieure à la qualité des réponses obtenues par sondage,
Asekomeh, Russel et Tarbret (2005) proposent une étude de contenu des 52 lettres de commentaires
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Tableau 5
Répartition des membres du panel de consultants selon leurs origines géographiques,
fonctionnelles et sectorielles. Source : iasb.org
Organisation d’origine
2311001020_RevueAFC-Avril2010-Livre.indb 151
Fonction des conseillers Issu d’un compagnie Expert des activités
AFRIQUE 1 3 2 0 2 1 3 0 6 18%
ASIE 1 7 0 1 2 5 2 0 9 27%
PACIFIQUE
EUROPE 2 8 0 1 4 5 0 2 11 33%
CONTINENT
18% 73% 0% 9% 36% 45% 0% 18%
USA 1 4 0 2 2 3 0 0 7 21%
Christine Noël, Véronique Blum et Yannis Constantinidès
TOTAL 5 22 2 4 10 14 5 2 33 100%
GLOBAL
Comptabilité – Contrôle – Audit / Tome 16 – Volume 1 – Avril 2010 (p. 133 à 158)
PROPORTION 15% 67% 6% 12% 30% 42% 15% 6% 100%
LE CAS DE LA PROSPECTION ET DE L’ÉVALUATION DES RESSOURCES PÉTROLIÈRES
LA NORMALISATION COMPTABLE INTERNATIONALE ANALYSÉE COMME UN PROCESSUS POLITIQUE
151
03/03/10 11:32
Christine Noël, Véronique Blum et Yannis Constantinidès
LA NORMALISATION COMPTABLE INTERNATIONALE ANALYSÉE COMME UN PROCESSUS POLITIQUE
152 LE CAS DE LA PROSPECTION ET DE L’ÉVALUATION DES RESSOURCES PÉTROLIÈRES
reçus au cours de l’élaboration de l’IFRS 6. Cette étude permet de noter une surreprésentation des
praticiens puisque vingt-trois lettres sur cinquante-deux parvenues au Board proviennent des indus-
tries concernées. La corrélation entre les positions des entreprises d’extraction de ressources minérales
et l’ensemble des auteurs de commentaires est importante. Une méthode d’analogie à un suffrage est
utilisée pour mettre en évidence une dispersion importante des postures adoptées (0,48) en ce qui
concerne le choix d’une méthode d’enregistrement des coûts d’exploration. Elle consiste en l’appli-
cation d’une dichotomie binaire (s’oppose ou encourage) face aux réactions des auteurs aux réformes
proposées. La dispersion des positions indique un désaccord important entre les acteurs pour qui la
méthode des SE ne remporterait que 33 % d’encouragements. L’enregistrement aux coûts historiques
remporte davantage d’adhésion (6 % d’objection avec un écart-type de 0,24). Le rejet de l’adoption
d’une règle uniforme d’enregistrement des coûts est en outre manifeste. Une telle hypothèse ne ras-
semble que 15 % des suffrages sur la totalité des courriers et 9 % des entreprises concernées.
Le cumul des poids des participants issus d’entreprises minières ou pétrolières se manifestant soit
par le biais du lobbying épistolaire ou encore dans la composition du comité consultatif procure à
l’industrie d’extraction une représentativité visible de 55 % des droits à la parole (Tableau 6). Les
positions adoptées par l’IASB reflètent ce poids conséquent. En effet, relativement aux méthodes
d’enregistrement des coûts d’exploration, elles permettent au dirigeant de conserver leur pouvoir
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Tableau 6
Représentativité des entreprises productrices de ressources minérales
dans le processus d’élaboration de l’IFRS 6
Voix exprimées
Comptabilité – Contrôle – Audit / Tome 16 – Volume 1 – Avril 2010 (p. 133 à 158)
et de l’évaluation. Cette norme s’adresse à toute entité en relation avec la prospection et l’évaluation
de ressources minérales dans un temps borné : elle concerne toute activité après l’obtention de droits
légaux pour prospecter et avant la faisabilité et la viabilité n’en soient évaluées. Dans l’espace borné se
déroule l’activité de prospection et d’évaluation pour laquelle l’IFRS 6 propose un cadre comptable.
Les ressources mentionnées incluent aussi bien les minerais, le gaz, le pétrole et toute autre ressource
non renouvelable.
SFAS N° 69, publiée par FASB en novembre 1982, porte, en quarante-quatre pages, sur un
ensemble plus vaste d’éléments. La norme SFAS N° 69, qui n’est dédiée qu’aux seules activités pétro-
lières et gazières, porte sur les quantités de réserves prouvées, la capitalisation des coûts relative aux
activités de production, les coûts d’acquisition, d’exploration et de développement, les résultats des
opérations de production, et les mesures standardisées des cash flows futurs générés par les quantités
de réserves. Les immobilisations acquises dans le cadre de ces activités restent ainsi sujettes à l’applica-
tion de la norme IAS 16. SFAS N° 69 propose une définition des réserves prouvées nettes et identifie
l’ensemble des actes causant des réévaluations (révisions, amélioration de la récupération, achats,
extensions physiques, production et ventes). Elle précise en outre les dates d’évaluation (début et fin
d’exercice), les méthodes de consolidation ainsi que les unités de mesure des quantités. Elle requiert
l’identification de sources d’incertitude et tolère la divulgation d’information relative à des réserves
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respecté le principe U (Universalisation) dans la mesure ou « l’étude d’impact » est diffusée, ce qui
permet à l’organisme régulateur de justifier ses choix. L’IASB n’a pas, à ce jour, déterminé de conduite
précise en la matière. Les choix de l’IASB autorisent encore une certaine souveraineté des États et
des dirigeants, en permettant par exemple la divulgation d’informations selon des modes de calculs
précédemment utilisés (le processus est à mémoire courte puisqu’il concerne l’exercice précédant l’ap-
plication de la norme IFRS 6). L’entreprise Total décrit par exemple ses quantités de réserves selon la
norme 4-10 de la réglementation S-X de la SEC. British Petroleum proposait une estimation selon le
même référentiel et une comparaison aux valeurs obtenues par la norme britannique. Pour l’exercice
2006, la multinationale a abandonné cette double information au profit du référentiel américain.
Tableau 7
Comparaison des normes IFRS 6 et SFAS 69
IFRS 6 SFAS 69
Nombre de pages 4 44
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Coûts de construction et IFRS 6 ne traite pas des coûts Sont définis par la norme, ainsi que
de développement (CCD) occurrents après la faisabilité les résultats de la production
technique et la viabilité commerciale
d’une ressource minière.
IFRS 16 – IFRS 38
Évaluation des ressources Selon les normes appliquées l’année Réserves prouvées ainsi que tout
précédant l’application de l’IFRS 6. À acte de réévaluation. Champ plus
définir avant 2010. large si les normes comptables du
pays d’origine l’exigent.
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L’IASB souhaite se laisser du temps pour consulter les parties intéressées avant d’imposer des
règles contraignantes et précises. La posture peut également traduire une réelle difficulté à établir des
normes globalement cohérentes et une volonté de laisser les grandes entreprises et les États s’organiser
dans le fond comme ils le souhaitent. Si dans les publications de l’IASB, les définitions d’actifs de
prospection et d’évaluation sont plus claires et précises que dans la norme SFAS N° 69, les autres
points restent flous. Cela démontre explicitement que le normalisateur international se trouve dans
une période de transition fondée sur la coexistence de plusieurs méthodes d’enregistrement et d’éva-
luation. Il est à craindre qu’au cours de cette période des groupes de pression aux intérêts divergents
s’affrontent afin d’obtenir les règles comptables qui leur seraient favorables. Au travers de ce conflit
d’intérêts, la légitimité de l’IASB et du comité de pilotage est en jeu.
Conclusion
L’objectif de cet article était de déterminer si les procédures à l’œuvre dans la normalisation comptable
internationale sont compatibles avec une conception de la comptabilité conforme à l’éthique et aux
exigences d’une société démocratique. À cette fin, nous avons choisi de nous centrer sur le contexte
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