La Justice Pour Les Nuls - Emmanuel PIERRAT

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Sous la direction d’Emmanuel Pierrat

La Justice
La Justice pour les Nuls, 3e édition
© Éditions First, un département d’Édi8, 2020.
Publié en accord avec John Wiley & Sons, Inc.
« Pour les Nuls » est une marque déposée de John Wiley & Sons,
Inc.
« For Dummies » est une marque déposée de John Wiley & Sons,
Inc.

ISBN : 978-2-412-05105-4
ISBN numérique : 9782412057070
Dépôt légal : février 2020

Suivi éditorial et relecture : Françoise Mathay


Correction : Amélie Bazin
Infographies et mise en page : Amaury de Saint Chamas
Dessins d'ouverture des chapitres : Marc Chalvin

Éditions First, un département d'Édi8


92, avenue de France
75013 Paris – France
Tél. : 01 44 16 09 00
Fax : 01 44 16 09 01
E-mail : firstinfo@efirst.com
Site Internet : www.pourlesnuls.fr

Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement


réservée à l'usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au
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œuvre est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue
par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété
intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte
à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles
ou pénales.
Ce livre numérique a été converti initialement au format EPUB par
Isako www.isako.com à partir de l'édition papier du même ouvrage.
À propos des auteurs
Emmanuel Pierrat, qui a supervisé et corédigé cet
ouvrage, est avocat au barreau de Paris depuis 1993 et
codirige le cabinet Pierrat & Associés qu'il a fondé. Il est
ancien membre du Conseil national des barreaux et du
Conseil de l'ordre ; il est le conservateur du musée du
Barreau de Paris et dirige la Grande Bibliothèque du droit.
Il est président de la Commission droit des médias de
l’Union internationale des avocats, dont il a été directeur
de la communication.
Emmanuel Pierrat est chroniqueur juridique pour plusieurs
revues. Il a par ailleurs publié plusieurs essais, des
romans et des livres d’art dont un grand nombre consacré
à la censure ou aux affaires criminelles, ainsi que de
nombreux ouvrages de droit.
Fictions et récits : Histoire d’eaux, Le Dilettante, 2002,
Pocket, 2004, Libra Diffusio, 2004 ; Le Sexe (direction
d’ouvrage), La Découverte, collection « Les Français
peints par eux-mêmes » , 2003 ; La Course au tigre, Le
Dilettante, 2003, Pocket, 2005 ; L’Industrie du sexe et du
poisson pané, Le Dilettante, 2004, Pocket, 2006 ; Les Dix
Gros Blancs, Fayard, 2005, Pocket, 2007 ; Fin de pistes,
Léo Scheer, 2006 ; Troublé de l’éveil, Fayard, 2008,
Éditions des Femmes, collection « Bibliothèque des voix »
, 2009 ; Maître de soi, Fayard, 2010 ; Une maîtresse de
trop, Biro Éditeur, « Les sentiers du crime » , 2010 ;
L’Éditrice ; l’instant érotique, hors collection, 2010 ; Maître
Nemo largue les amarres, L'Une & L'Autre, 2010 ; La
Féticheuse, Atelier in-8, 2012 ; Qui a tué Mathusalem ?
(en collaboration avec Jérôme Pierrat), Denoël, 2012 ; Le
Procès du dragon, Le Passage, 2015 ; La Vie sexuelle des
aventuriers, Éditions du Trésor, 2016 ; L’Omnivore,
Flammarion, 2019.
Essais : Le Sexe et la Loi, Arléa, 1996, La Musardine,
2002, 2008 et 2019 ; La Culture quand même (en
collaboration avec Patrick Bloche et Marc Gauchée), Mille
et une nuits, 2002 ; L’Édition en procès (en collaboration
avec Sylvain Goudemare), Léo Scheer, 2003 ; Le Bonheur
de vivre en enfer, Maren Sell éditeurs, 2004 ; Lettres
galantes de Mozart (en collaboration avec Patrick de
Sinety), Flammarion, 2004 ; Pirateries intellectuelles,
Sens & Tonka, 2005 ; La Guerre des copyrights, Fayard,
2006 ; Antimanuel de droit, Bréal, 2007 ; Brèves de
prétoire, Chiflet et Cie, 2007 ; Le Livre des livres érotiques,
Chêne, 2007 ; La Justice pour les Nuls (corédaction et
direction d’ouvrage), First, 2007 et 2013 ; Le Sens de la
défense (en collaboration avec Jeanne-Marie Sens),
L’Une & L’Autre, 2008 ; Le Livre noir de la censure
(corédaction et direction d’ouvrage), Le Seuil, 2008, prix
Tartuffe 2008 ; Les Pommes libertines (en collaboration
avec Richard Conte), Bernard Pascuito éditeur, 2008 ;
Museum Connection, enquête sur le pillage de nos
musées (en collaboration avec Jean-Marie de Silguy),
First, 2008 ; Nouvelles brèves de prétoire, Chiflet et Cie,
2008 ; Une idée érotique par jour, Chêne, 2008 ;
Comprendre l’art africain, Chêne, 2008 ; Les Grandes
Énigmes de la justice, First, 2009 ; Le Paris des francs-
maçons (en collaboration avec Laurent Kupferman), Le
Cherche-Midi, 2009 et 2013 ; Accusés Baudelaire,
Flaubert, levez-vous ! Napoléon III censure les lettres,
André Versaille éditeur, 2010 ; Familles, je vous hais ! Les
héritiers d’auteurs, Hoëbeke, 2010 ; Cent livres censurés,
Chêne, 2010 ; La Collectionnite, Le Passage, 2011 ; Les
Nouveaux Cabinets de curiosité, Les Beaux Jours, 2011 ;
Les Grands Textes de la franc-maçonnerie décryptés (en
collaboration avec Laurent Kupferman), First, 2011 ; Les
Veuves abusives d’Anatole de Monzie (édition critique),
Grasset, collection « Les cahiers rouges » , 2011 ; Cent
images à scandale, Hoëbeke, 2011 et 2013 ; Faut-il rendre
les œuvres d’art ?, CNRS Éditions, 2011 ; Comme un seul
homme : droit, genre, sexe et politique, Galaade, 2012 ;
Aimer lire, une passion à partager, Du Mesnil, 2012 ; Cent
œuvres d’art censurées, Chêne, 2012 ; Ce que la France
doit aux francs-maçons (en collaboration avec Laurent
Kupferman), First, 2012 ; Histoire du sexe à Paris,
Parigramme, 2013 ; Les Lorettes, Le Passage, 2013 ; Les
Secrets des francs-maçons, Vuibert, 2013 ; La Famille
d’aujourd’hui pour les Nuls (en collaboration avec Julien
Fournier et Sophie Viaris de Lesegno), First, 2013 ; Le
Phallus d’Alain Danielou (édition critique), La Demeure du
labyrinthe, 2013 ; Les Arts premiers pour les Nuls, First,
2014 ; Il était une fois Peau d’Âne (en collaboration avec
Rosalie Varda-Demy), La Martinière, 2014, prix Simone
Goldschmidt-Fondation de France ; Cent chansons
censurées (en collaboration avec Aurélie Sfez), Hoëbeke,
2014 ; Les Mots qui font mâle. Petit lexique littéraire et
poétique du sexe masculin (en collaboration avec Jean
Feixas), Hoëbeke, 2015 ; Les Grand Procès de l’histoire,
La Martinière, 2015, prix du Livre du Patrimoine ; Barbes
et moustaches (en collaboration avec Jean Feixas),
Hoëbeke, 2015 ; La Liberté sans expression ? Jusqu’où
peut-on toute dire, écrire, dessiner, Flammarion, 2015 ;
Les Brèves de prétoire, l'intégrale, Chifflet & Cie, 2015 ;
Les Symboles pour les Nuls, First, 2015 ; Le Droit d’auteur
(en collaboration avec Fabrice Neaud), Le Lombard,
2016 ; Moi, Emmanuel Pierrat, avocat à la cour, Glénat
Jeunesse, 2016 ; 100 infographies pour déchiffrer la
justice, La Martinière, 2016 ; Les Francs-Maçons sous
l’Occupation. Entre résistance et collaboration, Albin
Michel, 2016, Le Grand Livre du Mois, 2016 ; Les Femmes
et la justice. Femmes avocates, femmes magistrates et
femmes criminelles, La Martinière, 2016 ; Dieu, les
religions et les francs-maçons, First, 2016 ; Plus grand
que grand. Une histoire insolite du culte de la personnalité,
La Librairie Vuibert, 2016, Guy Saint-Jean éditeur, 2017 ;
Pièces à conviction. 35 affaires judiciaires qui ont défrayé
la chronique (en collaboration avec Jérôme Pierrat), La
Martinière, 2017 ; Les Petits Cheveux. Histoire non
convenue de la pilosité féminine (en collaboration avec
Jean Feixas), La Musardine, 2017 ; L’Érotisme pour les
Nuls, First, 2017 ; Les Francs-Maçons et le Pouvoir, First,
2017 ; Le Décodeur des expressions maçonniques, First,
2017 ; « Omar m’a tuer » , suivi de « Il pleure, il pleure ! » ,
Points, 2018 ; « J’accuse » , suivi de « Surtout ne confiez
pas les enfants à la préfecture » : l’affaire Papon, 1997,
Points, 2018 ; « Juger Mai-68 » , suivi de « J’ai choisi la
liberté » , Points, 2018 ; Pierre Simon, médecin
d’exception, du combat pour les femmes au droit de
mourir dans la dignité, Don Quichotte, 2018 ; La France
des vaincus passe à la barre. Une histoire judiciaire de
l’épuration en France 1944-1953, First, 2018 ; « Vous
injuriez une innocente » , suivi de « Si Violette a menti » ,
Points, 2018 ; « Elles sont ma famille. Elles sont mon
combat » , suivi de « Vous avez trouvé 11,9 mg
d’arsenic » , Points, 2018 ; Dernières volontés, l’histoire
des plus incroyables testaments et successions, La
Martinière, 2018 ; « Ils ne savent pas tirer » , suivi de « On
aime trop l’argent», Points, 2018 ; Nouvelles morales,
nouvelles censures, Gallimard, 2018 ; Le Grand Livre de
la censure, Plon, 2018 ; « Les Excuses de l’institution
judiciaire » : l’affaire d’Outreau, 2004, suivi de « Je désire
la mort » : l’affaire Buffet-Bontems, 1972, Points, 2018 ;
« On veut ma tête, j’aimerais en avoir plusieurs à vous
offrir » : l’affaire Landru, 1921, suivi de « Nous voulons
des preuves » : l’affaire Dominici, 1954, Points, 2018 ;
« Totalement amoral » : l’affaire du Dr Petiot, 1946, suivi
de « Vive la France, quand même ! » : l’affaire Brasillach,
1945, Points, 2018 ; Les Secrets de l’affaire « J’accuse » ,
Calmann-Lévy, 2019 ; 3 minutes pour comprendre
l’organisation et les règles de la justice française, Courrier
du livre, 2019 ; Le Tribunal de la Terreur, Fayard, 2019 ;
Stars à la barre, Hugo et Cie, 2019 ; Faut-il rendre des
œuvres d’art à l’Afrique ?, Gallimard, 2019 ; Les Francs-
Maçons et les rois de France, Dervy, 2019 ; Collections
collectionneurs, La Martinière, 2019.
Ouvrages juridiques : Guide du droit d’auteur à l’usage
des éditeurs, Cercle de la Librairie, 1995 ; Le Droit
d’auteur et l’édition, Cercle de la Librairie, 1998,
2005 et 2013 ; Le Droit de l’édition appliqué I, Cercle de la
Librairie/Cecofop, 2000 ; Reproduction interdite, le droit à
l’image expliqué aux professionnels de la culture et de la
communication, à ceux qui veulent protéger leur image et
à tous les autres qui veulent comprendre la nouvelle
censure iconographique, Maxima/Laurent du Mesnil,
2001 ; Le Droit du livre, Cercle de la Librairie, 2001,
2005 et 2013 ; Guide juridique pratique de l’éditeur : livre,
presse, multimédia (en codirection avec Agnès-Lahn
Gozin et Arnaud Le Mérour), Stratégies, 2001 ; Le Droit de
l’édition appliqué II, Cercle de la Librairie/Cecofop, 2002 ;
Les Contrats de l’édition, 2011 et 2014,
editionsducercledelalibraire.com (disponible uniquement
sur support numérique) ; Guide du jeune avocat (direction
d'ouvrage), Lexisnexis, 2016 ; Code de la liberté
d’expression (en collaboration avec Vincent Ohanessian),
Anne Rideau éditions, 2018 ; Le Juge et l’écrivain, Folio
essais, 2020 ; Dictionnaire du monde judiciaire (direction
d'ouvrage), Robert Laffont, collection « Bouquins » , 2020.
Traductions : Pensées paresseuses d’un paresseux, de
Jerome K. Jerome (traduit de l'anglais, en collaboration
avec Claude Pinganaud), Arléa, 1991, Arléa poche, 1996 ;
Histoires de fantômes indiens, de Rabindranath Tagore
(traduit du bengali, en collaboration avec Ketaki Dutt-
Paul), Cartouche, 2006, Arléa poche, 2008 ; Fanny Hill,
femme de plaisir (présenté et adapté de l’anglais), Bernard
Pascuito éditeur, 2008.
Caroll Gossin et Guillaume Sauvage, qui avaient
participé, en 2007, à la première édition de cet ouvrage,
sont avocats. Aurélie Chavagnon et Flore Masure, qui
elles aussi ont participé à l’édition de 2007 de cet ouvrage,
sont magistrates.
Introduction

«A
ccusé » , « prévenu » , « mis en examen » ,
« témoin assisté » , « présumé innocent » ,
« plaider coupable » , « réquisitoire introductif » ,
« citation à comparaître » , « mandataire ad hoc » ,
« litispendance » … Ces mots répétés sur toutes les
ondes envahissent votre quotidien, perturbent vos nuits :
vous pensez qu’une « mise en demeure » est une
pendaison de crémaillère, que la « vente à la bougie » est
une grande surface de luminaires, que le « mariage
putatif » est une union avec une fille de mauvaise vie, que
l' « ordonnance de non-lieu » est remboursée par la
Sécurité sociale, que le « parquet » est plus chic que la
moquette… Bref, vous êtes perdu dans le labyrinthe
obscur de la justice.
Pourtant, sans même être déjà passés par la case divorce
au cours de nos amours ou suivre, fascinés, tous les
procès de serial killers, nous sommes tous,
quotidiennement, des sujets de droit. Mais nous n’en
avons pas toujours conscience. Nous réglons par exemple
le boucher comme la facture d’électricité, concluant ainsi,
presque inconsciemment, des contrats de vente. Nous
récoltons un PV pour nous être garés en livraison, votons
à l’assemblée générale des copropriétaires pour que le
syndic assigne l’entreprise de rénovation de l’immeuble
qui a bâclé le chantier, appelons la police pour résoudre
un problème de tapage nocturne avec la boîte de nuit
mitoyenne, etc. Impossible d'ignorer plus longtemps la
justice et le droit, dans une société où leur omniprésence
se fait de plus en plus sentir, à tel point que la
« judiciarisation » serait un mal contemporain.
À propos de ce livre
Travailleurs exploités, consommateurs mécontents,
propriétaires impayés, futurs parents, prisonniers
déprimés, automobilistes énervés, vous êtes donc tous,
« simples » citoyens, concernés. Ce guide n’a d’autre
objectif que de mieux vous faire comprendre la société
dans laquelle vous vivez. Nul n'est censé ignorer la loi,
paraît-il… Vous verrez que ça va mieux en le lisant !
Mais si vous êtes abonné du tribunal des pensions
militaires ou caïd de la fusion-acquisition, ne fuyez pas
pour autant : ce livre s'adresse également à vous. Nous
ne nous épancherons pas sur les subtilités du bail
emphytéotique, ni sur les particularités de la « folle
enchère » . Ceci n'est effectivement pas un énième
manuel de droit pratique. En revanche, anecdotes et
piqûres de rappel vous donneront les clés pour
comprendre et penser, en souriant souvent, une justice sur
laquelle vous avez perdu tout recul.
Plus amusant que des études de droit, plus économique
qu’un notaire, ce livre est fait pour vous, qui n'êtes pas
indifférent au monde qui vous entoure !
Comment fonctionnent les institutions judiciaires ? Vous
êtes invité à découvrir les mystérieuses coulisses de la
justice et ses multiples secrets de fabrication, du vote des
lois par le Parlement aux nombreux tribunaux qui
l’appliquent.
Que signifient ces costumes sombres, cette hermine
anachronique ? Apprenez à distinguer l'avocat du juge et
le procureur du greffier. Quel fut le sort du capitaine
Dreyfus ? Quel crime Galilée avait-il donc commis ? De la
loi du talion aux Codes napoléoniens en passant par le
droit canon ou la charia, les conceptions de la justice sont
diverses et sont le reflet direct des valeurs de nos
sociétés.
Les conventions utilisées dans
ce livre
La justice est un monde opaque et délibérément conçu
pour que les profanes n’y aient pas accès. Le monopole
des gens de robe est à ce prix ! Cet ouvrage, lui, évitera
donc de jargonner, comme, malheureusement, les
professionnels de justice ont trop souvent l'habitude de le
faire. Toutefois, en fin de volume, un glossaire permet de
se retrouver dans la jungle des termes usuels que même
les journalistes utilisent quotidiennement sans pour autant
bien les maîtriser ! Les mots explicités dans le glossaire
sont indiqués en italique quand ils figurent au cœur du
texte.
De même, nous avons choisi de ne pas alourdir ce livre
avec des références de lois et de décisions de justice
telles qu’un juriste chevronné aime en rencontrer dans les
notes de bas de page d’un traité spécialisé. On trouvera
en revanche des renvois aux sites Internet des
organismes cités au fil des chapitres.
Bref, si vraiment les digressions contenues dans cette
Justice pour les Nuls vous semblent totalement
hermétiques, il ne vous reste plus qu’à acheter un manuel
de « français langue étrangère » … ou à appeler votre
avocat.
Comment ce livre est organisé
Ce livre propose, au fil de ses parties, une histoire du droit
et de ses différents systèmes de pensée, un descriptif des
mécanismes aussi bien du procès que de ses acteurs,
ainsi qu’un tableau des principaux pans du droit.

Première partie : Histoire et


philosophie du droit
Pour éclairer votre lanterne, il faut traverser le temps et
l’espace. Comprendre les origines de notre droit nécessite
de parcourir les étapes les plus significatives de sa
construction. Le voyage dans les autres systèmes et dans
les différentes pensées du droit confirme l'imbrication
viscérale entre la justice et la société.

Deuxième partie : La balance


des institutions
Le droit adore démultiplier les organes de contrôle ou les
centres de décision. Un tour d'horizon détaillé des rôles de
chacun s'impose. Il y a d'abord les fameux pouvoirs – dont
on dit souvent qu’ils sont séparés –, qui participent tous à
la construction du droit : le Parlement, le gouvernement et
le palais de justice. Au sein de ce dernier, il faut distinguer
les juges de l’ordre administratif de ceux de l'ordre…
judiciaire ! Sans compter que, en réalité, il existe toutes
sortes de juges, chargés de traiter tel ou tel problème plus
ou moins spécifique. Le labyrinthe des juridictions passe
par le tribunal des affaires de sécurité sociale, la cour
d'assises des mineurs ou encore le Conseil d’État.
Troisième partie : Les acteurs
du grand théâtre de la justice
Mais la justice, ce n'est pas que des institutions : des
femmes et des hommes aux fonctions et statuts variés y
œuvrent avec plus ou moins de visibilité.
Des magistrats aux avocats, des huissiers aux experts,
tout cela grouille de prérogatives, de costumes et
d’usages. Sans oublier ceux qui n’ont rien demandé, des
jurés populaires aux prisonniers !

Quatrième partie : La jungle


des lois
La tendance consiste à légiférer à tout prix et à combler
tout ce qui pourrait s’assimiler à un vide juridique. Les
normes (lois, règlements, décrets, arrêtés…) pullulent et
sont rédigées dans un jargon imbitable de technocrate. Un
peu de débroussaillage ne fera donc pas de mal !
Initialement, le droit est divisé en deux grandes
catégories : le droit privé et le droit public. Le premier
comporte le droit civil, le droit pénal, le droit du travail, le
droit commercial, tandis que le droit public comprend
notamment le droit administratif, le droit de la fonction
publique, le droit électoral, le droit fiscal…

Cinquième partie : La partie


des Dix
Indispensable à tous les livres « Pour les Nuls » dignes de
ce label, la partie des Dix vous fera d’abord rencontrer
vingt personnalités, de Saint Louis (souvenez-vous, celui
qui rendait la justice sous un chêne ! ) à Michel Debré,
père de l’actuelle Constitution, en passant notamment par
des avocats célèbres (avocats et avocates, bien sûr ! ).
Suivent dix procès qui ont marqué l'histoire, de l'arbitrage
de Salomon à l' « affaire du sang contaminé » , du
jugement de Jeanne d'Arc à celui de Marie Besnard. Puis,
dix erreurs judiciaires : Calas, Dreyfus, Outreau… Enfin,
dix grandes œuvres, films ou romans qui ont pour cadre
l'univers de la justice.

Sixième partie : Annexes


Vous trouverez dans ces annexes un glossaire des termes
juridiques les plus utilisés, ainsi qu’une liste des principaux
sites Internet en rapport avec le monde de la justice.
Les icônes utilisées dans ce
livre
Tout au long du texte, des icônes vont guider votre
parcours. Guettez-les pour identifier d'un simple coup
d'œil le type d'information que vous allez glaner.
Le saviez-vous ? La justice est truffée de multiples
bizarreries, coutumes désuètes ou rituels pour initiés.
Cette icône signale des anecdotes cocasses, ainsi que
des faits insolites ou méconnus qui agrémenteront votre
lecture.
À retenir : Si ce livre est conçu pour être divertissant, la
justice reste une affaire sérieuse dont dépend grandement
la vie en société. Ce symbole pointe les passages
importants et les concepts clés à retenir, en justiciable
avisé.
Un peu de technique : Cet ouvrage se veut ouvert à tous,
comme l'accès au droit ! Il n’est pas nécessaire d’être
diplômé de l’École nationale de la magistrature pour le
comprendre. Toutefois, certains points particuliers
requièrent une attention plus soutenue pour être assimilés.
Cette icône annonce l’explication de notions ou termes
que vous trouverez peut-être difficiles, notamment dans
les passages plus techniques de ce livre.
Et maintenant, par où
commencer ?
Chaque partie de cet ouvrage a été conçue de façon à la
fois autonome et complémentaire ! Autrement dit, il est
possible de le lire de la première à la dernière page. Mais,
pas d'angoisse, il n'y a ni interrogation surprise à la fin, ni
encore moins de condamnation pour ceux qui n’auront pas
tout retenu par cœur. C’est pourquoi La Justice pour les
Nuls peut aussi être abordée dans le désordre : en
picorant au gré des parties apparemment les plus
distrayantes, ou selon qu’on y cherche à comprendre le
rôle du procureur, ce qu’est le droit canon ou comment
fonctionne un procès commercial. Un sommaire détaillé et
un index vous aideront à entrer dans ce palais de justice
par la porte que vous souhaitez, sans risquer pour autant
de vous y perdre.
Partie 1
Histoire et philosophie du
droit
Dans cette partie…

Nous allons effectuer un voyage dans le temps


et dans l'espace pour entrevoir les origines de
notre droit à travers les étapes les plus
significatives de sa construction. Il ne s'agit pas
d'un exposé exhaustif sur l'histoire du droit,
mais d'un choix de quelques périodes
particulièrement significatives. Un aperçu de
cette histoire révèle le formidable instrument
de pouvoir qu'est le droit et l'utilisation
politique qui en est faite. Le voyage dans les
autres systèmes et dans les différentes pensées
du droit confirme cette imbrication viscérale de
la justice et de la société.
DANS CE CHAPITRE
Les sources lointaines de notre droit

L'étonnante modernité du système judiciaire et politique


romain

Les enjeux politiques de la connaissance du droit


Chapitre 1
Un long chemin depuis la loi du
talion
L e droit, qui est présent à tous les stades de l’évolution d’une
société, est en éternel mouvement. Les grandes étapes de la
construction de notre système juridique actuel, de l'Antiquité romaine
à la IIIe République en passant par la Révolution, apportent un
éclairage non seulement sur notre justice présente, mais également
sur son futur.

Dura lex, sed lex : la justice dans


l’Antiquité
Ce début de chapitre devrait ravir les fans de péplums et autres
amateurs de légionnaires sanguinaires. Car les apparences sont
trompeuses : en matière de justice, nos ancêtres ne sont pas les
Gaulois, mais les Romains. Ce sont eux les principaux inspirateurs
de notre droit actuel. Deux périodes différentes, deux étapes de cette
civilisation antique ont permis l'élaboration du droit : la révolutionnaire
République, à partir du VIe siècle av. J.-C., suivie de l'Empire, à
compter de l'an 27 apr. J.-C.

La république, une chose publique


Après la fondation de Rome, en 753 av. J.-C., Romulus avait divisé
ses concitoyens en deux groupes distincts : d'un côté, la plèbe et, de
l’autre, les patriciens, c’est-à-dire les nobles. En 509 av. J.-C., les
patriciens chassent le dernier tyran, le très mal nommé Tarquin le
Superbe, et le remplacent par deux consuls. L’État passe ainsi du
domaine royal au domaine public et devient la chose du peuple, la
res publica. C’est la naissance de la « république » .
Cependant, cette révolution sert essentiellement les patriciens, qui se
réservent jalousement l’accès au consulat. La plèbe est totalement
exclue du pouvoir, partagé par quelques familles d’aristocrates, et a
vite le sentiment de subir les inconvénients de la guerre, en
participant à son financement, sans profiter de ses avantages.
En 493 av. J.-C., la plèbe découvre ce merveilleux instrument de
pression qu’est la grève et se constitue en une commune
insurrectionnelle. La démocratie est en marche.

La révolution de la plèbe, source du droit


romain
En 493 av. J.-C., en effet, une partie de l'armée s'insurge contre
l'aristocratie et rejette le pouvoir de cette élite. Son arme ? La grève
de la guerre. Plus de deux mille ans avant la prise de la Bastille,
Rome voit le peuple se soulever et contraindre les patriciens à
s’incliner. L’heure de la révolution plébéienne a sonné. La plèbe se
dote alors d'un magistrat élu chargé de défendre ses droits : le tribun.
Le tribun jouit d’une puissance inédite jusqu’alors. Investi d’un
pouvoir sacré, il défend tout plébéien dans son individualité et la
plèbe dans son ensemble. Son pouvoir est réellement
révolutionnaire, puisqu’il peut, par exemple, sans avoir à présenter
aucune justification, s'opposer à toute mesure de coercition
concernant un plébéien. À cette défense individuelle s’ajoute une
défense collective. Le tribun dispose d’une sorte de droit de veto
contre tout ordre d’une autorité qui lui semblerait léser les intérêts de
la plèbe. Il peut s’opposer à l’ordre d’un consul, alors que le contraire
est impossible ! D'ailleurs, toute personne osant ignorer la puissance
du tribun est éliminée physiquement.
C'est certainement le moyen le plus efficace pour se faire respecter…
Le tribun peut donc littéralement paralyser toute l’activité de la cité.
Son pouvoir est limité uniquement par l’interdiction qui lui est faite de
quitter la ville de Rome et de se mêler des affaires.

Le droit : un secret jalousement gardé


Au cours de la République, le pouvoir de la plèbe ne cesse de croître.
Ainsi, au IVe siècle av. J.-C., toutes les magistratures patriciennes,
c'est-à-dire les organes d’administration, sont ouvertes aux
plébéiens. Cependant, le patriciat garde jalousement le pouvoir le
plus important : la justice. Il maintient volontairement la plèbe dans
l’ignorance du droit au motif fallacieux qu’il serait d’origine sacrée et
surnaturelle, et donc réservé aux prêtres, qui sont, comme par
hasard, tous des patriciens…
Un plébéien peut donc être jugé et condamné à mort en vertu d’un
droit qui lui est totalement secret ! En 451 av. J.-C., estimant cette
situation intolérable, les plébéiens se rebellent à nouveau et exigent
la rédaction de lois écrites et égales pour tous. Le peuple espère que
la codification du droit permettra d'éviter l'arbitraire de la coutume
juridique. Sa revendication aboutit, et un groupe de dix hommes (les
décemvirs) est désigné pour travailler pendant deux ans à la tâche
ardue de rédiger le droit.

Les Douze Tables


Les gourmands vont être déçus : les Douze Tables ne sont pas
d’énormes banquets romains, regorgeant de mets succulents, mais
les lois fondatrices de la République. Achevés en 451 av. J.-C., ces
textes régissent la société romaine et mettent totalement fin au
monopole juridique des patriciens. Préfiguration de notre système
juridique actuel, ces lois sont égales pour tous.
La loi des Douze Tables n'a, hélas, jamais été retrouvée, même sous
forme gravée. Cependant, la majeure partie a pu être reconstituée
grâce aux citations qu’en font les auteurs latins, qui, comme tous les
bons écoliers, l’ont apprise par cœur. Cette loi reprend les règles
coutumières romaines en y incluant les avancées issues de la prise
de pouvoir de la plèbe. La loi reconnaît la propriété et la famille
comme fondements de l’ordre social. Elle régit les moyens d’accéder
à ladite propriété et de la défendre, en réprimant par exemple le vol
et l’atteinte aux récoltes ou en réglementant les rapports de
voisinage. La loi des Douze Tables s'empare également du droit de la
famille – tutelles, ordre des héritiers, limites de la puissance
paternelle, prohibition des mariages entre patriciens et plébéiens (vite
réformée en 445 av. J.-C.).

Vers la création des premières lois

753 Romulus divise ses concitoyens en deux groupes distincts : d’un côté, la
av. plèbe et, de l’autre, les patriciens, c’est-à-dire les nobles.
J.-
C.

509 Les patriciens chassent le dernier tyran, le très mal nommé Tarquin le Superbe,
av. et le remplacent par deux consuls. L’État passe ainsi du domaine royal au
J.- domaine public et devient la chose du peuple, la res publica. C’est la naissance
C. de la « république ».

493 Une partie de l’armée s’insurge contre l’aristocratie et rejette le pouvoir de


av. cette élite. La plèbe se dote alors d’un magistrat élu chargé de défendre ses
J.- droits : le tribun.
C.

451 Les plébéiens se rebellent à nouveau et exigent la rédaction de lois écrites et


av. égales pour tous. Les douze tables régissent la société romaine et mettent
J.- totalement fin au monopole juridique des patriciens. Préfiguration de notre
C. système juridique actuel, ces lois sont égales pour tous.

La vendetta s’en va
Parallèlement, la justice privée recule au profit de l'État. Avant les
Douze Tables, l’usage permettait au maître, le pater, de punir
directement l’auteur d’un acte illicite. La seule limite à cette
vengeance était la loi du talion : « Œil pour œil, dent pour dent. » Les
Douze Tables autorisent encore la vendetta privée dans quelques
cas, notamment pour l’injure et les crimes de vols manifestes commis
par un esclave. Mais, dans la mesure du possible, l'État s'efforce de
la remplacer par un dédommagement que le coupable doit payer à la
victime et à sa famille. Voilà donc comment sont nés les actuels
« dommages et intérêts » .
Lorsqu’il s’agit de faits graves susceptibles de léser l’intérêt de la cité
et d’attirer sur elle les foudres des dieux, l’État assure la justice au
nom de la collectivité. Tel est le cas, par exemple, des sacrilèges, de
la trahison, de la désertion, des incendies volontaires ou encore des
homicides. Les mauvais garçons encourent alors des sanctions
criminelles : amendes fiscales, exil, déportation, voire mise à mort
(l’incendiaire, par exemple, encourt la peine… du feu).

Une belle farandole de peines


Pour les faits les moins graves, la loi des Douze Tables limite
l'exercice de la vengeance au versement d'une amende fixe. Ainsi,
un petit soufflet, qui n'entraîne pas de blessure, est uniquement
sanctionné par l’amende. Mais, à partir du IIe siècle, la dépréciation
constante de la monnaie rend les montants totalement dérisoires.
Gifler son voisin ne coûte presque plus rien ; alors pourquoi s'en
priver ! La tâche de fixer une indemnité est donc confiée au juge.
Pour les cas les plus graves, la loi tente de remédier à la perte
réellement subie par l’allocation d’une somme équivalente au
dommage.
Malgré cette étonnante modernité, la répression de certaines
infractions garde l’empreinte de l’époque archaïque, dominée par
l’idée de venger la victime. Par exemple, les malédictions et pratiques
de sorcellerie sont punies par la mort, infligée au moyen de verges.
La même sanction est appliquée à l'encontre des individus qui
déplacent des récoltes par leurs enchantements (il faut croire qu’au
temps de la République romaine c'était possible ! ). Ces peines visent
d'abord à satisfaire le désir de venger l’outrage subi.
Extraits de la loi des Douze Tables, reconstitués
d’après des citations
« S’il n’exécute pas le jugement ou si personne ne se porte garant pour
lui en justice, que le créancier l’emmène avec lui, l’attache avec une
corde ou avec des chaînes d’un poids minimum de quinze livres ou, s’il
le veut, davantage.

Si le père a vendu trois fois son fils, que le fils soit libéré de son père.

Si un ruisseau passant à travers un lieu public forme aqueduc et nuit à


un particulier, celui-ci dispose d’une action visant à garantir la
réparation du tort ainsi causé.

Celui qui aura mis le feu à un bâtiment, ou à un tas de blé près d’une
maison, sera enchaîné, battu de verges et jeté au feu, s’il a agi
sciemment. Mais si c’est par négligence, il devra réparer le dommage ;
ou s’il n’est pas solvable, subir un léger châtiment.

Que le patron soit sacer [voué aux dieux infernaux], s’il a trompé son
client.

S’il a arraché un membre et n’a pas conclu d’accord amiable avec la


victime, que la peine du talion soit appliquée. »

Les faiseurs de droit républicain


Le droit romain s’est formé progressivement. Ses sources sont
nombreuses et directement liées à l’organisation politique de la
République. À Rome, tant les magistrats que le Sénat et les
assemblées populaires produisent du droit dans le domaine qui leur
est propre, la particularité de la République romaine étant que ces
trois pouvoirs doivent nécessairement collaborer pour chaque prise
de décision.

Consuls, tribuns, préteurs… on s’y perd !


Une liste exhaustive des magistrats romains et des pouvoirs qui leur
sont confiés serait très rébarbative, tant l’organisation politique
romaine est complexe. Un rapide aperçu peut, en revanche, mettre
en lumière son étonnante modernité.
Les consuls sont à la tête de la République. Ils sont titulaires des
pouvoirs militaires et civils les plus importants (direction des
opérations militaires, convocation des assemblées, initiative des lois,
etc.). Leur pouvoir devient de plus en plus limité au fur et à mesure
que les tribuns s'imposent, avec la volonté affichée de neutraliser leur
puissance.
Parmi les autres magistrats, on compte notamment le préteur ou
encore les édiles. Le préteur a initialement été mis en place pour
organiser les procès. Il a pour mission de recevoir les plaideurs et
d’examiner leurs plaintes avant de les transmettre à un juge. Il est élu
sur un programme contenant la liste des actions qu’il envisage et des
cas pour lesquels il a l’intention d’organiser un procès. Petit à petit,
ses pouvoirs s’étendent, évoluent, et le préteur se voit accorder la
faculté de façonner le droit. C’est à lui que l’on doit la création de la
quasi-totalité des contrats modernes. Les édiles, eux, magistrats
inférieurs en dignité, s’occupent de tout ce qui touche à la sécurité et
à la salubrité publiques dans la ville. Ils sont également responsables
de l’ordre moral, particulièrement en ce qui concerne l’organisation
des spectacles, des jeux et des marchés, notamment des marchés
d’esclaves.
Figure 1-1 Rôles de quelques magistrats romains.

Les assemblées populaires romaines


Pour ce qui est des assemblées représentatives, à la différence
d'Athènes, qui n’en connaissait aucune, il y en a pas moins de quatre
à Rome. On dénombre au moins 1 million de citoyens exerçant leurs
droits politiques au Ier siècle av. J.-C. ! Les critères d'appartenance
diffèrent selon chaque assemblée : c'est par exemple la naissance
aristocratique pour les comices curiates, ou encore le domicile pour
les comices tributes.
Les comices centuriates, qui regroupent près de 300 000 citoyens,
méritent un petit détour. Cette assemblée, la plus importante de
Rome, est divisée en classes définies selon la richesse, ou, plus
exactement, selon les capacités de financement, par ses membres,
de l’équipement militaire rendu nécessaire par les nouvelles guerres.
Elle élit les préteurs, les censeurs, les consuls et vote le conflit. Si
tous les citoyens romains ont en théorie les mêmes droits politiques,
il est très vivement conseillé aux moins fortunés de voter comme les
plus riches ! Cette assemblée symbolise bien le pouvoir et l’autorité
de l’argent dans la République romaine. De manière générale, les
lois sont soumises aux assemblées romaines, qui votent « oui » ou
« non » . Aucune discussion ou amendement n'est donc possible.
L’assemblée des vieux : le Sénat
Selon l’étymologie latine (seniores), le Sénat est une « assemblée de
vieux » . Il tient un rôle essentiel dans la République. Composé
de 300 anciens magistrats, totalement indépendants des
assemblées, il jouit d’un immense prestige. Si ses attributions sont
bien plus limitées que celles du Sénat français moderne, son rôle
reste essentiel. L’autorité dont il jouit rend son avis indispensable
avant toute présentation d’un projet de loi à une assemblée. De
même, aucun acte politiquement important n’est mis à exécution par
un magistrat sans son accord. Tout le monde n'exprime pas son avis
au Sénat : quand les plus autorisés ont exprimé leur pensée, le reste
du Sénat se limite à voter en tapant des pieds ! Toute prise de
décision, notamment juridique, implique donc la nécessaire
collaboration des magistrats, des assemblées et du Sénat.

La naissance de la doctrine
Le dernier bastion de la résistance patricienne, face à la poussée
plébéienne, est la société des prêtres. Ces pontifes, qui avaient si
longtemps gardé le droit occulte, refusèrent, même après
l'établissement de la loi des Douze Tables, de partager le secret des
formules nécessaires pour intenter une action judiciaire ou pour se
défendre efficacement. C'est alors que s'amorce un mouvement qui
conduit la pensée juridique des auteurs romains, appelée
communément doctrine, de la religion à la philosophie du droit.
Symbole de la laïcisation du droit, le premier grand pontife plébéien
organisa des consultations en public au milieu du IIIe siècle av. J.-C.
Apparaît ainsi une profession juridique qui, à la fin de la République,
donne des conseils, plaide, juge et commence à produire une
littérature juridique spécialisée. Cette évolution est tout à fait nouvelle
dans la culture occidentale.
Symbole de la laïcisation du droit, le premier grand pontife plébéien
donna des consultations en public au milieu du IIIe siècle av. J.-C.
Apparaît ainsi une profession juridique qui, à la fin de la République,
donne des conseils, plaide, juge et commence à produire une
littérature juridique spécialisée. Cette évolution est tout à fait nouvelle
dans la culture occidentale.
L’Empire contre-attaque (27 av. J.-C.-
IIIe siècle apr. J.-C.)
La corruption, la concurrence économique des produits venant des
pays conquis, les conflits politiques, la baisse de participation des
citoyens aux comices, l'afflux d'esclaves sont autant de causes de la
crise de la République. La République romaine est morte, vive
l'Empire !

La situation des esclaves sous la République


romaine
Sous la République, les esclaves sont totalement exclus juridiquement,
car ils ne sont pas considérés comme des citoyens. Ils sont juste traités
tels une marchandise et un instrument d’enrichissement au profit de
leur maître, dont la loi du marché fixe la valeur. Leurs enfants sont
réputés n’avoir ni père ni mère et peuvent donc être arrachés à leurs
parents en vue de leur vente. Les esclaves ne bénéficient d’aucune
protection individuelle ou sociale. Leur isolement les empêche de
développer une conscience de classe ou, à tout le moins, une idéologie
commune. Le jour où ils sont affranchis (par leur maître ou par l’achat
de leur liberté), les anciens esclaves achètent à leur tour d’autres
esclaves. Quelques rares révoltes éclatent, réprimées dans des bains
de sang. Spartacus, l’esclave thrace, est l’instigateur de l’un des plus
importants soulèvements entre 73 et 71 av. J.-C. Il défait, à la tête de
dizaines de milliers de révoltés, six légions et tue même un consul.
Pour l’exterminer, il faut au richissime Crassus autant de légions qu’il
en a fallu à César pour conquérir les Gaules ! Les esclaves jouent un
rôle économique essentiel à Rome. Leur population est importante
sous la République : on compte environ 1 esclave pour 2,5 citoyens.
Mais, paradoxalement, plus leur nombre grossit, plus dure est leur
condition.
La loi vivante
L’empereur balaie les consuls pour s’approprier le pouvoir suprême.
Logiquement, il devient la clé de voûte des sources du droit et
incarne la loi. Ce principe de loi vivante est repris bien après, au
Moyen Âge, pour légitimer le pouvoir législatif des rois. La législation
impériale devient l’unique source de législation. L’empereur s’empare
des forces créatrices du droit, car, en homme sensé qu’il est, il a bien
compris que c’est en contrôlant le droit qu’il peut contrôler son
empire.
Les constitutions impériales, terme générique désignant toute l’œuvre
législative, réglementaire voire judiciaire de l’empereur, sont rédigées
par une administration centrale tentaculaire. En d’autres termes, les
complexités de la bureaucratie ne sont pas vraiment nouvelles…

L’empereur omnipotent
Sous le terme générique de constitutions, on distingue quatre
catégories d’actes législatifs émanant de l'empereur : les édits, les
décrets, les mandats et les rescrits. Outre ces actes, l’empereur
assied son autorité par le biais de la jurisprudence et de la procédure
d’appel.
Les édits constituent des mesures à portée générale. Les décrets,
eux, malgré ce terme trompeur, sont des jugements. La procédure
romaine découvre également l’appel, qui, du fait du système
hiérarchique, est jugé… par l’empereur, vraiment omniprésent et
omnipotent. On comprend aisément que les jugements rendus par
l’empereur fassent jurisprudence auprès de fonctionnaires soucieux
de ne pas lui déplaire. Dès lors, le moindre jugement rendu par ce
dernier est interprété comme un véritable acte législatif. Les réponses
données par l’empereur aux questions de ses fonctionnaires, et en
particulier à celles des gouverneurs de province, deviennent
également des lois. La réponse étant interprétée comme devant
s’appliquer à tous les cas semblables, elle devient une loi de
l’Empire. Enfin, l'empereur établit le droit au moyen de directives
données aux fonctionnaires impériaux.

La voix de ses maîtres


La doctrine, qui est la source du droit dont le parcours présente le
plus d’intérêt, démontre la volonté du pouvoir impérial naissant
d’inscrire le contrôle de la pensée juridique parmi ses priorités. Le
droit étant devenu trop complexe, les maîtres de la doctrine
acquièrent, par leur expertise, une importance décisive. Institué par
Auguste en 23 av. J.-C., le droit de répondre en public est
officiellement reconnu à certains jurisconsultes, qui sont des experts
juridiques appelés à donner leur opinion. Ceux-ci ne possèdent pas
de monopole, mais le public les préfère très vite aux autres
jurisconsultes.
L’aboutissement de ce mouvement et de ses excès est matérialisé
par la loi des citations, adoptée en 426 par l'empereur Valentinien III.
Ce texte désigne les « cinq grands » , soit les cinq jurisconsultes
faisant autorité : Papinien, Gaius, Paul, Ulpien et Modestin. Ceux-ci
peuvent toujours être cités par les plaideurs à l’appui de leur défense.
En revanche, l’opinion des autres jurisconsultes ne fait autorité que
s’ils ont été eux-mêmes cités par l’un des cinq grands. En cas de
divergence entre ces cinq maîtres de la doctrine, la majorité
l’emporte, avec une préférence pour l’opinion de Papinien.

La grande codification impériale : le Code


Théodose et les Compilations de Justinien
L'Empire romain clarifie le droit afin de réaffirmer son unité et
d'asseoir sa puissance. Il marque le début de l'ère de la codification
du droit (en clair, du classement du fatras que constituaient les
dispositions éparses adoptées jusque-là). Un code est défini comme
un ensemble de lois ordonnées regroupant les matières qui font
partie d’une même branche du droit.
La première véritable idée de codification apparaît sous le règne de
Théodose II, au début du Ve siècle. L'empereur prévoit la confection
de deux codes : l'un qui rassemblerait toutes les constitutions
impériales émises depuis Constantin, l’autre qui ajouterait aux
constitutions des passages empruntés aux juristes classiques. La
tâche est d'autant plus vaste que l'empereur – un brin maniaque – a
voulu classer les textes par « livres » et par « titres » , les titres
devant être rangés par ordre chronologique d’apparition des
constitutions et posséder un objet propre. Ce qui signifie que, si une
constitution statue dans plusieurs domaines, elle doit être tronçonnée
en autant de fragments qu’il y a de matières abordées.
La codification, censée simplifier, devient très complexe ! Le Code
théodosien, promulgué le 15 février 438, comporte 16 livres et
concerne aussi bien le droit public que le droit privé. Le risque de
toute codification est de figer le droit. Face à ce danger, Théodose
prévoit lui-même, lors de la publication, que les constitutions émises
à l’avenir seront exécutoires, donc d’application immédiate. Elles
portent le nom de novelles. L’essentiel de ce code, repris par le roi
des Wisigoths, Alaric II, reste jusqu'au XIIe siècle la principale source
de droit romain en Occident.
Moins d’un siècle après la promulgation du Code théodosien, le Code
de Justinien voit le jour et remplace la législation précédente, qui
paraissait dépassée et mal connue des praticiens eux-mêmes. Par
souci pratique, mais aussi politique, l'empereur décide d'unifier le
droit et de remettre la splendeur romaine au goût du jour en élevant
un « monument » au droit, que les Romains ont toujours conçu
comme étant au cœur de leur civilisation.
En 528, Justinien demande à Tribonien, professeur à l’école de droit
de Constantinople, de présider une commission composée de dix
membres ayant pour mission d’élaborer un code synthétisant le droit
romain. Le résultat est la publication des œuvres majeures que sont
le Code et le Digeste. Le Code (datant de 534) se présente comme le
recueil des constitutions impériales depuis Hadrien jusqu’à Justinien
inclus, soit plus de quatre siècles de droit ! Cette œuvre comprend
douze livres, hommage sans équivoque à la loi des Douze Tables. Le
Digeste (qui remonte à 533) constitue l’œuvre la plus étonnante issue
de ce travail de compilation. Comme son nom l’indique, il « digère »
l’intégralité de la jurisprudence romaine, soit près de mille quatre
cents ans de littérature juridique, en cinquante livres.
Justinien est tellement sûr de la pérennité de son œuvre qu’il n’hésite
pas à abroger tout le droit antérieur et même à interdire tout
commentaire du Digeste, censé être clair comme de l’eau de roche.
Cette somme législative prend une importance fondamentale en
Occident, puisque c’est grâce aux Compilations de l’empereur
Justinien que l’Occident médiéval redécouvre le droit romain, duquel
s’inspire principalement notre droit contemporain. Certaines règles
actuellement en vigueur sont calquées directement sur ces
Compilations.
Figure 1-2 Étapes de la codification du droit romain.

Le droit naturel de saint Augustin (354-430)


Évêque d’Hippone, ville aujourd’hui située en Algérie, en 399, saint
Augustin a exposé ses pensées philosophiques et politiques dans de
très nombreux ouvrages, dont les plus importants s’intitulent Les
Confessions et La Cité de Dieu. Il est l’ancêtre des théories développées
par Jean-Jacques Rousseau selon lesquelles l’homme est naturellement
bon. Saint Augustin estime que c’est « l’ordre qui comprend et contient
tout ». Selon lui, l’ordre est un facteur de paix et une base de moralité.
C’est pourquoi « une loi injuste n’est pas une loi ». Le mal étant causé
par un manque de connaissance, saint Augustin développe l’idée que le
châtiment doit avoir, avant toute chose, un caractère éducatif et tendre
à l’amélioration du criminel. Ses développements philosophiques ont
largement influencé les conceptions modernes sur la liberté et la
nature humaine.
L’effondrement de l’Empire romain
Dès le IIe siècle, l'Empire subit les assauts des Barbares, mais c'est
en 476 qu'a lieu officiellement la chute de l'Empire romain d'Occident.
Trois peuples occupent la Gaule romaine : les Francs, les Wisigoths
et les Burgondes. Le Moyen Âge ne sera pas abordé en raison de la
multiplicité des sources de droit et du défaut de centralisation.
Plusieurs droits coexistent alors : les règles barbares, le droit canon
et le droit romain, largement dénaturé par son interprétation et sa
réécriture, notamment dans le Bréviaire d'Alaric (506) et dans la loi
romaine des Burgondes (502-516). Le pouvoir central perd la
maîtrise du droit, contribuant directement à la dislocation du droit. Il
faut attendre le XIIIe siècle pour que, au travers de l'affirmation du
pouvoir royal, la culture juridique se renouvelle.

Saint Louis sous son chêne : la justice


royale (XIIIe-XVIIIe siècle)
L’histoire du droit en territoire français commence véritablement sous
le chêne de Vincennes. C'est en effet sous cet arbre vénérable,
symbole des liens entre le pouvoir et la justice, que Saint Louis
rendait celle-ci. À partir du XIIIe siècle, l’État est progressivement
reconstruit autour d’un pouvoir royal qui s’impose et se renforce. La
royauté est marquée par le principe inspiré de l’Empire romain selon
lequel toute justice émane du roi. Cependant, même si la loi est
« vivante » (incarnée par un homme), rendre la justice n'est pas
tâche aisée. En effet, une grande confusion règne dans le royaume :
les règles de droit applicables et les juridictions compétentes varient
totalement selon les lieux. La justice de l'Ancien Régime est
également marquée par l’inégalité des décisions et des sanctions, qui
dépendent de la classe sociale à laquelle appartiennent les
justiciables.

Bonjour le désordre ! La difficile


détermination des règles de droit
L’ancien droit est marqué par une grande diversité des sources
juridiques, qui repose essentiellement sur une distinction entre les
« pays de droit écrit » et les « pays de coutumes » . Cependant, le
pouvoir du roi augmentant, celui-ci édicte de plus en plus de règles
applicables dans tout le royaume, ce qui contribue à unifier le droit.

Le méli-mélo des sources du droit


L’histoire des sources du droit témoigne de l’évolution des pouvoirs.
À partir des XIIe et XIIIe siècles, la France peut être divisée en deux
zones bien distinctes. Dans le Nord, de Genève à l’embouchure de la
Charente, les coutumes prédominent. Elles sont très variées,
formées de traditions issues de la Gaule, des conquérants francs et
germaniques. Si elles sont moins rigides que les règles écrites, les
coutumes présentent l'inconvénient (paradoxal ! ) de… changer
constamment et d'être imprécises. Il existe alors environ 60 coutumes
générales et plus de 700 coutumes locales. Les fameux
« 400 fromages du général » font pâle figure à côté de cette
multitude… En 1453, l’ordonnance de Montils-lès-Tours prescrit la
rédaction officielle des coutumes de tous les pays de France. Ainsi, la
coutume de Bourgogne est rédigée en 1459, celle d’Orléans
en 1509 et celle de Paris en 1510.
Les régions situées dans le Sud sont, quant à elles, principalement
soumises au droit romain, dont l'influence n'a fait que croître durant
l'Ancien Régime. C'est ainsi, par exemple, que le droit romain
s’impose comme le droit commun en matière contractuelle.
Mais ce n'est pas tout ! À côté du droit romain et du droit coutumier,
qui sont à la base de la diversité caractéristique du droit de l’ancienne
France, subsistent d’autres sources du droit. Tel est le cas du droit
canonique, qui est principalement constitué par les règles issues des
décisions des conciles et des papes. Certaines matières, comme le
mariage ou les contrats passés sous serment, sont régies par ces
règles spécifiques.

Un exemple de la multitude des influences : le


droit de la famille
Le droit civil de l’ancienne France est largement soumis aux
conceptions religieuses et morales du christianisme. On continue à
attacher une grande importance à l’idée féodale selon laquelle la
terre est la richesse par excellence et qu’elle doit donc rester sous le
contrôle du souverain. De même, le droit de la famille est sous-tendu
par l'influence de la hiérarchie sociale ainsi que par celle de l'Église
catholique.
La famille est placée sous l’autorité du chef de… famille. La femme
mariée étant « incapable » , elle ne peut effectuer d'acte juridique
sans l'assistance et l’autorisation de son mari. Celui-ci est seigneur et
maître du patrimoine commun, peut le gérer et en disposer comme il
l’entend. Les lignées tant bourgeoises que paysannes sont très
préoccupées par la conservation de leurs biens ; les coutumes
excluent donc, en général, le conjoint survivant de la liste des
héritiers. Les régimes matrimoniaux et les successions sont
organisés de telle façon que les biens, et surtout les immeubles, ne
puissent sortir du patrimoine familial.

La loi, c’est moi : la reprise en main progressive


du droit par les souverains
Légiférer est l’un des points faibles de la monarchie. Les rois se
préoccupent principalement du droit dit « public » et ne s’autorisent à
statuer en droit privé que dans les domaines non régis par la
coutume ou la législation canonique. Cependant, à mesure que leur
autorité s’étend, les rois usent de plus en plus de ce pouvoir qui les
rend législateurs souverains du royaume. La fabrication du droit
devient l'expression même de la souveraineté. Ainsi, François Ier
(1494-1547) manifeste déjà sa volonté d’intervenir dans tous les
domaines pour peu que le bien du royaume le justifie. À partir du XVIe
siècle, les ordonnances royales portent sur des secteurs vraiment
nouveaux.

La timide uniformisation des lois


Il faut attendre le règne de Louis XIV pour que le roi devienne un
véritable législateur, par le biais de textes importants tels que l’
« ordonnance civile pour la réformation de la justice » , prise en 1667,
l' « ordonnance criminelle » de 1670 unifiant les règles de la
procédure pénale, l' « ordonnance du commerce de terre » de 1673
ou encore l' « ordonnance sur le commerce maritime » datant
de 1681, toutes préparées et rédigées sous la direction de Colbert
(1619-1683), alors contrôleur général des Finances puis secrétaire
d'État à la Marine à partir de 1669.
Louis XV reprend le flambeau de cette œuvre importante en
légiférant notamment dans le domaine des testaments et des
donations. Ces ordonnances, ancêtres de notre droit civil et
commercial, constituent une première tentative de réelle
harmonisation du droit français. Les textes royaux favorisent l’unité
juridique, puisqu’ils ont vocation à s’appliquer à l’ensemble du pays.
Ce mouvement est freiné par les parlements de province, qui
s’arrogent un véritable pouvoir de contrôle sur l’opportunité des
ordonnances royales et font preuve de résistance lorsque sont
édictées des mesures qu’ils considèrent comme attentatoires aux
règles de leur province. Ils peuvent donc décider qu’une ordonnance
royale ne sera pas applicable chez eux !

Qui juge quoi sous l’Ancien Régime ?


La justice française de l'Ancien Régime est caractérisée par le
nombre élevé des juridictions, l’enchevêtrement de leurs « ressorts »
, la lenteur et le coût des procédures.

Le roi des juges


Le roi est redevable de la justice envers ses peuples. Depuis le début
du XIVe siècle, le premier des insignes royaux remis au souverain,
après l’onction du sacre, est la main de justice. Cet objet étrange,
représentant une main plantée sur un sceptre, dont seuls l’annulaire
et l’auriculaire sont repliés, symbolise le pouvoir judiciaire du roi. Le
roi peut donc juger lui-même n'importe quelle affaire
personnellement, notamment au moyen des célèbres lettres de
cachet, lettres closes revêtues de son cachet qui sont directement
envoyées à l’intéressé. Les lettres de cachet ont le plus souvent servi
à prononcer des arrestations, des éloignements ou des
condamnations immédiates sans jugement, permettant au roi de
juger seul et de manière absolue. Peu à peu, les lettres de cachet
sont devenues des instruments politiques, grâce auxquels il était
possible d’éliminer discrètement une personnalité encombrante ou de
la faire taire.
La justice royale peut également être rendue par l’intermédiaire du
Conseil du roi, que l’on désignera plus tard sous le nom de « Conseil
d’État » . Le roi peut toujours, selon son bon vouloir, retirer une
affaire aux juges normalement compétents pour la traiter lui-même ou
la confier à d'autres juridictions. Cependant, les affaires devenant de
plus en plus compliquées, le roi finit par déléguer l'exercice de la
majeure partie de la justice à des officiers professionnels.

Les juridictions de droit commun


Depuis les premiers Capétiens (987-1328), les juges de base étaient
les prévôts. Mais, avec la montée en puissance des autres
juridictions, la compétence des prévôts s'amenuise. Ainsi, la
déclaration de 1549 leur retire tout pouvoir pour juger la plupart des
crimes graves. Un deuxième niveau administratif et judiciaire
coexiste : celui des baillis et des sénéchaux. Les baillis sont tenus de
juger selon les droits, usages et coutumes approuvés dans chaque
lieu. Les sénéchaux, dont les fonctions équivalent en quelque sorte à
celles des baillis dans les provinces du sud de la France, sont
également des agents militaires. La situation des baillis et des
sénéchaux, diverse au départ, finit d'ailleurs par se fondre dans un
statut unique où ils sont directement rattachés au roi, qu’ils
représentent dans leur circonscription.
Au milieu du XIIIe siècle, le Parlement se détache peu à peu de la
Cour du roi pour devenir la plus haute instance judiciaire du royaume.
Il reçoit les appels formés contre les décisions des baillis et des
sénéchaux, qui jugent eux-mêmes des appels contre les décisions
des prévôts. Le Parlement est, au début du XIVe siècle, l’organe
suprême chargé de rendre la justice déléguée en dernier ressort, ce
qui signifie que ses décisions ne sont pas susceptibles d'appel.
Gardien de la coutume, le Parlement peut annuler tout jugement
rendu en violation de celle-ci et en profiter pour préciser son contenu
exact. Au XVe siècle, de nouveaux parlements sont créés par le roi,
d'abord à Toulouse, puis à Grenoble, à Bordeaux, etc.
Les parlements de province sont souverains sur leur territoire mais
sont censés se subordonner au roi et à son Conseil. En réalité, le
pouvoir des parlements ne fait que croître au fil du temps. En
appliquant et en interprétant plusieurs coutumes applicables qui leur
sont propres, ils rendent des arrêts dits « de principe » , décidant
que, dorénavant, telle question sera tranchée dans tel ou tel sens.

Et, pour compliquer le tout, les tribunaux


d’exception
Les tribunaux d'exception, établis pour juger des affaires
particulières, sont nombreux sous la monarchie : la Cour des aides,
chargée du contentieux des impôts, la Chambre du trésor, les
tribunaux consulaires, créés pour le commerce de terre, autant de
tribunaux d’exception n’ayant à traiter qu’un certain type d'affaire.
Beaucoup de seigneurs sont également investis de la justice. Le
nombre de justices seigneuriales est variable selon les provinces –
très nombreuses dans l’Ouest, elles sont beaucoup plus rares dans
le Midi. L’enchevêtrement des juridictions et les multiples possibilités
de recours rendent la justice lente et incertaine. Les procès, souvent
interminables, jugés jusqu’à cinq ou six fois à la suite, peuvent durer
une vie entière, voire se transmettre de génération en génération !

L’affaire est dans le sac ! La conduite


des procès criminels
Au fur et à mesure du renforcement de l'autorité du roi, la justice
privée recule au profit d'une justice publique. Cette évolution est
renforcée par l'apparition du ministère public, entre les XIIIe et XIVe
siècles, et du procureur du roi en 1303. La poursuite des infractions
devient alors le monopole dudit ministère public. Il faut attendre
l'ordonnance de 1670 pour que soient établies les grandes règles de
procédure pénale et de classification des crimes. C'est ainsi que l'on
distingue les crimes de lèse-majesté divine, les crimes de lèse-
majesté humaine, les crimes contre les personnes et, enfin, les
crimes contre les choses. Les crimes de lèse-majesté divine sont
commis contre la religion : athéisme, profanation des hosties ou des
lieux saints, etc. Les crimes de lèse-majesté humaine visent, quant à
eux, les attentats contre le souverain ou contre l’État.

Figure 1-3 La classification des crimes en 1670.

À quelle sauce est-on mangé ?


L'ordonnance de 1670 réglemente précisément le déroulement du
procès, qui se tient en deux ou trois phases. Au cours de la première,
dite de l’information, le lieutenant criminel interroge le plaignant et
réunit les preuves. Il interroge l'accusé et fait son possible pour
obtenir des aveux. Si l'affaire est susceptible d’entraîner l’application
de peines corporelles ou infamantes, le procès est réglé à
l’extraordinaire ; s'ouvre alors la deuxième phase de l'instruction
préparatoire. Lors de celle-ci, le lieutenant criminel réentend les
témoins.
La question préparatoire – détaillée dans quelques instants sous vos
yeux horrifiés ! – peut être appliquée à certaines conditions. L'affaire
est ensuite portée devant les tribunaux, dont l’audience est secrète.
La fameuse question est encore utilisée en cas de preuve
incomplète. Les juges rendent enfin leur décision et peuvent fixer une
peine. Les sanctions maximales, qui sont déterminées par la
coutume, sont assez arbitraires.

Aïe ! La preuve
Les duels judiciaires sont encore très populaires. Encadrés par des
règles strictes, ils résolvent les litiges en faisant appel au jugement
de Dieu pour désigner la personne qui se trouve dans son bon droit.
Le vainqueur du duel gagne donc également le litige juridique
l’opposant à son adversaire.
Le roi tente de remplacer les duels judiciaires par la preuve par
enquête ou par témoins. À partir du XIIIe siècle, les anciennes
preuves, tels que les ordalies au fer rouge ou à l’eau bouillante (qui
sont des épreuves physiques prenant à témoin la divinité, l’innocence
du défendeur étant établie s’il en ressort vivant ou non blessé) ou
encore le serment purgatoire, disparaissent totalement. Peu à peu,
l’aveu devient la reine des preuves.
L’aveu est, notamment, obtenu par divers moyens de torture réunis
sous la qualification de question. La question use le plus souvent de
poids ou de cordes attachés aux pieds du suspect, ou passe par
l’ingestion forcée d’huile ou d’eau. La question par le feu est
normalement interdite. L’importance de la question dans la procédure
est primordiale, puisque, aux XIIIe et XIVe siècles, si le suspect refuse
d'avouer, il doit être considéré comme innocent et être relaxé sans se
voir infliger aucune peine.

Coupable, mais pas responsable


Peu à peu, la théorie de la responsabilité et des circonstances
atténuantes se développe. Sont ainsi pris en considération la légitime
défense, la contrainte, la démence ou encore l'âge. Par exemple, en
dessous de 7 ans, les enfants sont considérés comme incapables de
malice… La responsabilité pénale, liée à la responsabilité morale, est
dosée dans chaque cas particulier en fonction de nombreuses
circonstances tenant à la qualité de l’auteur, à celle de la victime, à la
nature des choses dérobées. Ainsi, le juriste et sénéchal André
Tiraqueau mentionne en 1559, dans son ouvrage De Poenis
Temperandis, pas moins de 64 circonstances atténuantes.

Les peines
Au XVIe siècle, avec le renforcement des prérogatives royales et la
montée en puissance d'un État central cherchant à affirmer son
pouvoir dans un contexte de crises religieuses et politiques variées,
le châtiment va progressivement remplacer le rachat des crimes
jusqu’alors parfois possible par le versement d’une amende. La
finalité de la peine change : il faut châtier le coupable parce qu'une
faute a été commise, la peine devant annuler le mal causé par
l’infraction. Le châtiment vise surtout à préserver l’ordre public, dont
le pouvoir royal se sent de plus en plus le garant. La centralisation de
la justice criminelle va de pair avec une répression plus sévère,
fonctionnant à l’exemplarité. Il existe un arsenal de peines variant en
fonction des crimes commis et de la personnalité du condamné.
La répression du suicide
La condamnation du suicide, crime de lèse-majesté divine, s’est
généralisée au VIe siècle, la sanction principale étant la privation de
sépulture ecclésiastique. À partir du XIIIe siècle, le droit laïc intente un
véritable procès au cadavre du suicidé, au terme duquel sont
prononcées des peines telles que la confiscation des biens ou le rejet
de la dépouille mortelle. Les parents peuvent être entendus pour
défendre le défunt et exposer des faits justificatifs, comme la démence.
L’ordonnance de 1670 a régularisé cette procédure en précisant la
manière de faire le procès du cadavre ou de la mémoire d’un défunt.
Elle prévoit notamment la confiscation des biens au profit du roi ou
encore la damnation éternelle. Un curateur au cadavre, nommé par le
juge, parle pour le défunt et peut même faire appel de la décision de
condamnation ! La simple tentative de suicide suffit à poursuivre le
coupable, qui peut alors être condamné… à mort.

Ça va faire mal…
Parmi les différentes peines infligées figurent la peine de mort – son
mode d'exécution le plus courant étant la pendaison –, le
bannissement, les galères ou le bagne. Les mutilations sont en net
recul depuis le Moyen Âge. Les galériens sont marqués des lettres
« GAL » sur l'épaule, les voleurs d'un « V » , ou d'un « VV » s’ils sont
récidivistes. L’ablation de la langue des blasphémateurs tombe en
désuétude au XVIIIe siècle. Le supplice de la roue, introduit par
François Ier en 1534 pour les voleurs de grand chemin, est aussi
appliqué aux régicides, aux parricides et aux homicides les plus
graves. Le condamné est étendu sur une croix de Saint-André, le
bourreau lui rompant les quatre membres et la poitrine à coups de
barre de fer ; le supplicié est ensuite attaché à une roue.
Dans ce vaste catalogue de réjouissances se trouvent aussi les
peines infamantes et dérisoires. Ce sont des peines destinées à
atteindre l’accusé dans sa réputation et son honneur en le plaçant
dans une situation humiliante. Cet éventail d’humiliations comprend,
entre autres, le pilori, le plongeon dans la corbeille, l’amende
honorable, le blâme ou encore la course sur l’âne. Cette peine,
souvent réservée aux proxénètes, oblige le condamné à se promener
la tête tournée vers la queue de l’âne à travers toute la ville. En droit
coutumier méridional, les coupables d’adultère sont, quant à eux,
condamnés à une simple course ; les condamnés cavalent tout nus
et peuvent être fouettés à chaque carrefour. En clair, l’imagination et
le sadisme sont au pouvoir !
Extraits du Code noir de 1685
Le Code noir est un recueil de textes promulgué par Louis XIV et
réglementant l’esclavage aux Antilles. En voici quelques extraits :

« Article 13 – Voulons que, si le mari esclave a épousé une femme


libre, les enfants, tant mâles que filles, suivent la condition de leur
mère et soient libres comme elle, nonobstant la servitude de leur père,
et que, si le père est libre et la mère esclave, les enfants soient esclaves
pareillement.

Article 22 – Seront tenus les maîtres de faire fournir, par chacune


semaine, à leurs esclaves âgés de 10 ans et au-dessus, pour leur
nourriture, deux pots et demi, mesure de Paris, de farine de manioc, ou
trois cassaves pesantes chacune 2 ivres et demie au moins, ou choses
équivalentes, avec 2 livres de bœuf salé, ou 3 livres de poisson, ou
autres choses à proportion : et aux enfants, depuis qu’ils sont sevrés
jusqu’à l’âge de 10 ans, la moitié des vivres ci-dessus.

Article 23 – Leur défendons de donner aux esclaves de l’eau-de-vie de


canne ou guildive, pour tenir lieu de subsistance mentionnée en
l’article précédent.

Article 33 – L’esclave qui aura frappé son maître, sa maîtresse ou le


mari de sa maîtresse, ou leurs enfants avec contusion ou effusion de
sang, ou au visage, sera puni de mort.

Article 34 – Et quant aux excès et voies de fait qui seront commis par
les esclaves contre les personnes libres, voulons qu’ils soient
sévèrement punis, même de mort, s’il y échet.

Article 44 – Déclarons les esclaves être meubles et comme tels entrer


dans la communauté […]. »
Attention, ça va couper ! Les
révolutions de la justice
En droit comme en politique, la Révolution de 1789 a posé de grands
principes et fait table rase du passé monarchique. La Révolution a
initié un véritable bouleversement de la justice en France.

1789 : tout doit disparaître !


Le 9 juillet 1789, les États généraux, ouverts quelques mois plus tôt,
se proclament Assemblée constituante. Cette Assemblée ne
reconnaît donc plus le pouvoir du roi, qui est mis entre les mains du
peuple. La loi du 4 août 1789 commence par abolir le régime féodal
et ses privilèges. Dans cette logique, elle supprime également les
juridictions seigneuriales et les parlements, qui étaient de véritables
contre-pouvoirs législatifs. Le principe de la nomination des juges par
le roi est également abandonné. Il faut alors établir les bases de la
société nouvelle. C’est la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen, votée le 26 août 1789, qui se charge d’ériger les grands
principes révolutionnaires et d’amorcer la rupture définitive avec
l'Ancien Régime. Ces principes, qui sont toujours partie intégrante de
la Constitution de la Ve République, restent la base de notre système
juridique actuel.

L’ignorance, cause de tous les vices


Le texte de la Déclaration est préparé par l’archevêque de Bordeaux,
Champion de Cicé, prélat libéral ; son préambule est confié à
Mounier et à Mirabeau. Ces auteurs ont voulu en faire une
déclaration de principes à vocation universelle, valable partout et
pour tous. En digne héritière de la philosophie des Lumières, la
Déclaration formule à titre préalable le constat suivant : « Les
représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale,
considérant que l'ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de
l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la
corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une
déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de
l’homme. »
La Déclaration affirme le régime nouveau des libertés individuelles.
Elle établit les principes de l’égalité de tous devant la loi, de la non-
rétroactivité des lois, du respect de la propriété privée, de la liberté
d’opinion et de conscience, et même de la présomption d’innocence.
Cependant, l’ensemble des Français n’est pas concerné par cette
déclaration, les femmes étant exclues de la citoyenneté.

La chasse aux abus de l’Ancien Régime


L'une des innovations fondamentales de la Déclaration est
l'affirmation du principe de la légalité des peines, qui signifie que c'est
à la loi que revient la tâche de définir les libertés, de prévoir et de
fixer les peines, et de déterminer les exigences de l'ordre public. Ce
principe est exprimé dans l'article 5 : « La loi n'a le droit de défendre
que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu
par la loi ne peut être empêché ; et nul ne peut être contraint à faire
ce qu'elle n'ordonne pas. »
Coercitif au premier abord, l'article 5 se dresse en fait contre les abus
de l'Ancien Régime : en définissant par avance les actions nuisibles à
la société, les auteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen entendent se débarrasser de la toute-puissance des juges,
toute-puissance transférée par eux à la loi. Celle-ci ne doit cependant
établir que les peines strictement et évidemment nécessaires.
La Déclaration des droits de la femme et de la
citoyenne
Moins connue que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
et pourtant résolument révolutionnaire, la Déclaration des droits de la
femme et de la citoyenne, rédigée par Marie Gouze, mieux connue
sous le nom d’Olympe de Gouges (1748-1793), propose d’établir
l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. Voici son
préambule :

« Les mères, les filles, les sœurs, demandent d’être constituées en


Assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris
des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et
de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer dans une
déclaration solennelle, les droits naturels inaliénables et sacrés de la
femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les
membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs
devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir
des hommes, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de
toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les
réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes
simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la
Constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous. En
conséquence, le sexe supérieur, en beauté comme en courage, dans
les souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous
les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de la femme et de la
citoyenne. »

Le jour d’après
Les beaux principes révolutionnaires, c’est bien gentil, mais encore
faut-il les appliquer. C’est pourquoi, à la suite de la Déclaration, de
grandes lois sont votées, mettant en œuvre la révolution de la justice
et du droit.

La loi fondamentale des 16-24 août 1790


La loi fondamentale des 16 et 24 août 1790 pose les grands principes
sur lesquels fonctionne encore la justice française, en mettant en
application ceux qu’a dessinés la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen.
Cette loi réforme totalement le système judiciaire. Elle établit la
gratuité de la justice et l'égalité des justiciables devant la loi. Fini la
sentence sur mesure ! Les crimes sont désormais jugés par un jury
populaire. Grâce à l’instauration du principe de double degré de
juridiction, les justiciables ont la possibilité de faire rejuger, en appel,
les décisions qui ne leur conviennent pas. Terminé également
l’omnipotence des juges. La loi révolutionnaire met en place la
professionnalisation de magistrats élus, visant à faire cesser
l’immixtion de ces derniers dans la vie politique et législative. Deux
ordres distincts sont créés : un ordre administratif, chargé des litiges
opposant les citoyens à l'Administration, et un ordre judiciaire. Au
sein de l'ordre judiciaire, une distinction est opérée entre les
juridictions civiles, chargées de régler les conflits entre personnes
privées, et les juridictions pénales, qui répriment les infractions à la
loi.

Chamboulement de l’ordre judiciaire


Pour faire table rase du passé féodo-seigneurial, les révolutionnaires
créent de nouveaux tribunaux, dont la compétence s’adapte à la
division du pays en départements, districts, cantons et communes.
Les innombrables juridictions de l'Ancien Régime sont abolies au
profit d'une hiérarchie nouvelle de tribunaux. Les juridictions civiles
sont composées, au premier échelon, des juges de paix. Ancêtres
des juges d'instance actuels, ce sont des juges uniques qui tentent
de concilier les adversaires. Au-dessus du juge de paix siège le
tribunal de district, composé de magistrats élus. C’est l’ancienne
version du tribunal de grande instance, lequel a fusionné le 1er
janvier 2020 pour devenir le tribunal judiciaire.
Les juridictions pénales sont, quant à elles, organisées autour des
trois niveaux d’infraction que sont les contraventions, les délits et les
crimes. Trois types de juridiction sont ainsi mis en place :
Figure 1-4 Les trois types de juridiction.

L’organisation juridictionnelle est complétée par l’institution de


tribunaux d’appel. Le Tribunal de cassation, qui compte une
quarantaine de juges élus, « couronne » les tribunaux civils et
criminels. Il doit assurer le respect de la loi et l’unité de la
jurisprudence. Cependant, sa compétence reste limitée à l’examen
des vices de forme dans la procédure et du bon respect de la loi. Son
pouvoir d’interprétation de la loi est restreint du fait de la procédure
de référé législatif, qui oblige le tribunal, en cas de doute, à
demander directement au législateur son analyse du sens et de la
portée des textes de loi.

Les avocats bannis d’office


La Révolution n’a pas seulement visé les juges dans sa volonté de
supprimer l’ordre ancien, elle s’en est prise également aux auxiliaires
de justice. Ainsi, le décret des 2 et 11 septembre 1790 met fin à l’ordre
des avocats et par là même à l’exercice de cette profession. L’abolition
soudaine du barreau, qui jouissait d’une indépendance et d’une liberté
pratiquement sans limite, et dont 213 membres siégeaient à
l’Assemblée, reste aujourd’hui encore une véritable énigme. Celle-ci
peut notamment s’expliquer par la logique révolutionnaire d’une justice
gratuite, permettant à n’importe qui de se proclamer défenseur. Cela
dit, le costume des avocats ainsi que l’ordre furent rétablis par un
décret du 14 décembre 1810.
1791 : encore des progrès
La procédure pénale réglementée par l’ordonnance de Colbert est
réformée par les lois des 19 et 22 juillet et
des 16 et 29 septembre 1791. La procédure criminelle mise en place
est radicalement nouvelle. Elle s’inspire du modèle dit accusatoire,
rompant totalement avec le système de l'Ancien Régime.
La procédure accusatoire donne aux parties le rôle principal dans le
déclenchement des procès, dans leur conduite et dans la recherche
de la preuve. Elle a un caractère oral, public et contradictoire. Cette
procédure vise à mieux garantir l’application des principes issus de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le juge ne mène
donc plus le procès, le ministère public perd son rôle prépondérant,
et l’instauration d’un jury devant juger en fonction de son « intime
conviction » met fin au système des preuves légales.

Fi des châtiments
C'est également à cette époque, le 6 février 1791 plus exactement,
qu'est élaboré le premier Code pénal. Sa nouveauté consiste en
l’établissement de trois sortes d’infractions, selon leur gravité (les
contraventions, les délits et les crimes). Les sanctions applicables
sont prévues par la loi et ne relèvent plus de l’unique appréciation
des juges. La torture comme mode d’exécution des peines
criminelles est abolie. Les cas possibles de mise à mort passent
de 115 à 32. Ont notamment été éliminés de la liste des crimes
capitaux les attentats contre les bonnes mœurs, les troubles apportés
publiquement à l’exercice d’un culte religieux, les atteintes portées à
la propriété des citoyens par dégâts, larcins ou simples vols.

Terreur sur la France


La période de la Terreur va, en 1793, relayer l’œuvre de la
Constituante au rang de déclaration de principes. Avec la mise en
place du Tribunal révolutionnaire, créé par la loi du 10 mars 1793, les
juridictions d'exception renaissent et les juridictions ordinaires sont
étroitement surveillées par l’État. Les droits de l’accusé sont de plus
en plus bafoués. La présomption d’innocence devient inexistante (il
est même instauré une « loi des suspects » en date
du 17 septembre 1793). Le Directoire fait ensuite fi des grands
principes révolutionnaires et modèle les juridictions et les juges à sa
convenance.
Napoléon tape du poing sur la table :
la justice républicaine
Une nouvelle étape est franchie avec le coup d'État de Bonaparte,
le 9 novembre 1799. Le général et Premier consul prend le pouvoir et
clame que « le plus grand moyen d’un gouvernement, c’est la
justice » . C’est donc en toute logique qu’il lance de grandes réformes
judiciaires dès l'an VIII.

En finir avec les niaiseries


métaphysiques de la Révolution
Pour Bonaparte, la Révolution a beaucoup trop parlé, trop imaginé. Il
veut faire simple, tout en réconciliant l’ancienne France et la
Révolution. Il s’attaque d'abord à l'organisation judiciaire et décide de
simplifier les juridictions issues de la Révolution. C’est ainsi qu’est
par exemple maintenue la révolutionnaire Cour de cassation, mais
Napoléon décide de s’octroyer le dernier mot sur l’interprétation du
droit. Désormais, la Cour sera donc présidée par l’Empereur. Les
remaniements apportés à cette juridiction, dont le pouvoir ne fait
qu’augmenter, illustrent bien le rêve de Bonaparte : fusionner les
notions de hiérarchie issues de l'Ancien Régime et les idées de
rationalisation de la Révolution.

Napoléon passe le Code (civil)


Comment parler de Napoléon sans évoquer son œuvre législative
majeure, le Code Napoléon (ou « Code civil » ) ? L'idée n'est pas
nouvelle, mais les projets de codification de la Révolution avaient
tous échoué. Napoléon Bonaparte reprend donc ce grand chantier
d'unification du droit à son compte.
Par une loi du 13 août 1800, Napoléon désigne une commission de
quatre éminents juristes : Tronchet, Bigot de Préameneu, Portalis et
Maleville. Ils sont chargés, sous la direction de Cambacérès, de
rédiger un projet de Code civil des Français. Celui-ci est promulgué
le 21 mars 1804, à la grande fierté de l'Empereur, qui déclare : « Ma
vraie gloire n'est pas d'avoir gagné 40 batailles ; Waterloo effacera le
souvenir de tant de victoires ; ce que rien n'effacera, ce qui vivra
éternellement, c’est mon Code civil. »
Liberté, Égalité…
Ce code marque la fin de la division entre le nord et le sud de la
France, entre le droit coutumier et le droit écrit. Applicable à tout le
territoire, il fait régner les mêmes lois civiles sur tous les Français.
L'unification du droit éteint enfin la source des conflits de lois civiles
entre les régions. Napoléon veut que la loi soit écrite et claire, afin
que chacun ait la possibilité de connaître son droit.
Le Code civil, même s’il abroge beaucoup de textes issus de la
période révolutionnaire, conserve néanmoins la plupart des grandes
conquêtes de 1789 : égalité de droits entre les citoyens, laïcité de
l’État, liberté de conscience, liberté de travail, égalité entre les
enfants légitimes en matière d’héritage, possibilité de divorcer en
certains cas précisés… Le Code Napoléon instaure la laïcité. Par
exemple, l’état civil échappe définitivement à l'Église, et le mariage
relève désormais de la seule loi laïque. Mais, parallèlement,
l'esclavage est rétabli : véritable retour en arrière, la loi
du 20 mai 1802 précise ainsi que « l'esclavage sera maintenu
conformément aux lois et règlements antérieurs à 1789 » .

… Fraternité ?
Les dispositions réglant le droit de la famille reflètent la toute-
puissance du mari, chef de la famille. Il a les pleins pouvoirs sur son
foyer et peut faire enfermer ses enfants. À son mariage, la femme est
jugée « incapable » et a les mêmes « droits » , réduits à la portion
congrue, que les mineurs et les fous. De plus, les bambins nés hors
mariage n’ont aucun droit.
Par ailleurs, le Code civil cherche avant tout à défendre la propriété
sous l'influence de la bourgeoisie et consacre l’une des principales
avancées de la Révolution, la propriété immobilière sans droits
féodaux.
Le Code civil a jeté les bases du droit moderne, en France et dans de
nombreux autres pays de tradition romaine.

Nul n’est censé ignorer la loi


La réorganisation de la justice criminelle s’échelonne, quant à elle,
entre 1800 et 1810, date de la rédaction du Code pénal. Entré en
application le 1er juillet 1811, le Code pénal français a inspiré de
nombreux pays. Le point de vue de l’utilité sociale l'emporte sur celui
de la justice. Le Code de 1810 se veut sévère ; il est fondé sur
l’analyse du philosophe anglais Jeremy Bentham, pour qui la peine
devait être choisie de telle façon que le délinquant ait plus d’intérêt à
s’abstenir qu’à agir… La peine corporelle fait sa réapparition. Les
peines fixes disparaissent, le Code déterminant un maximum et un
minimum entre lesquels le juge choisit la peine lui semblant la plus
adéquate. De manière générale, les juges, anciennement élus, sont
désormais nommés par le pouvoir et inamovibles, ce qui est censé
garantir leur stabilité et leur indépendance.

XIXe siècle : le yo-yo des libertés


Le XIXe siècle est un siècle de profondes mutations. La structure de la
société change radicalement grâce à la révolution industrielle,
mettant à l’épreuve l’application de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Retour des rois, retour de
l'Empereur… Avant l'établissement définitif de la République, chaque
régime veut réformer la justice selon ses conceptions propres. Il en
résulte des variations dans le degré de liberté accordé au citoyen.

1814-1848 : la Restauration
Le retour de la royauté a des conséquences immédiates sur la
justice. Il s’agit pour les rois de se la réapproprier en la faisant
dorénavant émaner d’eux. C’est bien ce que proclame la déclaration
de Saint-Ouen de 1814 : « Toute justice émane du roi. » D'ailleurs, on
a oublié le mot « citoyens » : c'est le retour des « sujets » .

Justice en promo
C’est à nouveau l’époque des épurations successives. Comme les
régimes précédents, la Restauration et la monarchie de Juillet font
place nette en éliminant les gens de justice dans un premier temps,
puis les adversaires politiques, notamment au moyen de juridictions
d’exception. Tel est par exemple le rôle des cours prévôtales, créées
en 1815 et destinées à régler une bonne fois pour toutes leur compte
aux idéaux révolutionnaires. Composées de quatre civils et d’un
militaire, ces cours participent à la répression du vol, de la
contrebande et, de façon générale, des faits de violences publiques.
La sentence n’est pas susceptible d’appel, la sévérité des décisions
étant totalement variable d’une cour à l’autre, et les irrégularités de
procédure sont nombreuses.

Main basse sur les idéaux révolutionnaires


Une nouvelle réforme du Code pénal intervient en 1832, confirmant le
mouvement de renforcement de la protection de l’individu au
détriment de la protection de l’État. Plusieurs peines sont aggravées
par rapport au Code de 1810, telles que la violation de domicile.
L’indissolubilité du mariage retrouve sa force absolue sous la
Restauration : le divorce, considéré comme un « poison
révolutionnaire » , est aboli par la loi du 8 mai 1816, dite « loi
Bonald » . La royauté de retour au pouvoir veut « rendre au mariage
toute sa dignité dans l’intérêt de la religion, des mœurs, de la
monarchie et de la famille » .

Le Second Empire (1852-1870)


Après quatre ans d'une IIe République (1848-1852) issue de la
révolution de 1848, le Second Empire souffle le chaud et le froid sur
les libertés.

D’abord le chaud…
Les débuts du Second Empire sont profondément marqués par le
vent de liberté qui a soufflé sur la France lors la révolution de 1848 :
instauration du suffrage universel, abolition de l’esclavage… La
liberté de la presse est rétablie, tout comme celle du droit de réunion.
En 1848, la peine de mort en matière politique est même abolie.
Malgré son coup d'État, qui marque la fin de la IIe République,
Napoléon III affirme vouloir assurer la continuité des idéaux
révolutionnaires. Le mode de recrutement des jurés reflète l'esprit
des premières réformes du Second Empire : ils sont
démocratiquement choisis parmi tous les électeurs, ce qui modifie
directement la composition des jurys, jusque-là majoritairement
composés de propriétaires et de rentiers.

… puis le froid
Mais le jury démocratique ne fait pas long feu. Dès 1853, l’empereur
souhaite reprendre la mainmise sur les juridictions répressives en
contrôlant la nomination des jurés et en réduisant leurs pouvoirs. Le
Second Empire procède à une répression politique étendue dont les
victimes sont envoyées outre-mer afin d’ « aider » à la colonisation.
Finalement très pratique pour débarrasser le territoire des
délinquants et pour renforcer les effectifs coloniaux, ce régime est
rapidement étendu aux condamnés de droit commun. Le nombre de
détenus dans les bagnes, où les conditions de vie sont
particulièrement dures, devient considérable. La loi prévoit que tout
condamné aux travaux forcés est tenu de rester définitivement à la
colonie après l'expiration de sa peine lorsque celle-ci est de plus de
sept ans. Si la sanction est comprise entre cinq et sept ans, le
bagnard doit rester un temps équivalent dans la colonie (Guyane ou
Nouvelle-Calédonie, en général) et payer son voyage de retour !
Parallèlement, le fleurissement des « procès littéraires » confirme ce
retour en arrière. Madame Bovary et Les Fleurs du mal menacent
l'ordre établi ; en 1857, Flaubert et Baudelaire se retrouvent sur le
banc des accusés pour outrage à la morale publique et aux bonnes
mœurs.

La IIIe République (1870-1914)


La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen trouve enfin un
terrain d'application réel grâce au fort développement de la classe
ouvrière, ces 38 % de la population vivant de l'industrie à la fin du
XIXe siècle.

Le retour des libertés révolutionnaires


Les républicains entament à partir de 1879 et jusqu’en 1883 une ère
de réformes, une révolution de la justice. Avec la retraite du maréchal
de Mac-Mahon, remplacé à la tête de l’État par Jules Grévy en 1879,
on voit apparaître un mouvement de politiciens pragmatiques qui
veulent faire table rase du passé. Ils procèdent, tout d’abord, à la
réforme du Conseil d’État et à la purge du parquet, avant d’organiser
un système des libertés publiques traduisant l’idéal politique inspiré
par la Révolution de 1789.

Les avancées de la IIIe République


La IIIe République commence enfin, à partir de 1879, à appliquer les
principes révolutionnaires, au travers de grandes réformes
législatives. La loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion ou encore
la reconnaissance législative des syndicats par la loi
du 21 mars 1884 traduisent concrètement l'émergence de nouveaux
droits accordés aux citoyens.
La loi du 29 juillet 1881, en affirmant que « l'imprimerie et la presse
sont libres » , marque une étape fondamentale dans l’histoire des
libertés, car elle va assurer, par le biais de la liberté de la presse, la
liberté d'opinion ; elle incarne une théorie remontant à la philosophie
des Lumières, selon laquelle c'est de l'affrontement des idées
nouvelles que jaillira la lumière. Les Français sont épris de libertés
publiques, et c’est cette conscience collective qui a pu constituer le
facteur décisif d’un progrès sans précédent en ce domaine.
Ce progrès retentit fortement sur les classes défavorisées, qui
commencent à prendre conscience de leurs droits et à les
revendiquer. La loi du 14 août 1885 et la loi Bérenger
du 28 mars 1891 reflètent le renouveau et la richesse de la réflexion
pénale, la première en instaurant la libération conditionnelle en cas
de repentir du criminel, la seconde en introduisant le régime du
sursis, qui permet d’éviter au juge d’envoyer en prison des
délinquants primaires. La peine n’est plus l’unique remède contre la
criminalité.
Petit historique de la liberté de la presse
Un bref historique illustre bien l’évolution générale des libertés au
cours du XIXe siècle. La liberté de la presse est proclamée dans
l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de
1789. Cependant, le nouvel instrument de communication qu’est la
presse est vite considéré avec méfiance. La censure est très
rapidement rétablie : dès 1792, un arrêté de la commune de Paris
élimine la presse d’opposition, c’est-à-dire la presse contre-
révolutionnaire. Napoléon Ier se voit également contraint d’apporter de
nombreuses restrictions à la liberté de la presse : « Si je lâche la bride à
la presse, je ne resterai pas trois mois au pouvoir », estime-t-il. Un
véritable service public de l’information est alors mis en place : les
journaux sont nationalisés en 1811 et deviennent des feuilles officielles
dirigées par des commissions administratives nommées par le
ministère de la Police. La méfiance persiste. La liberté de la presse
continue à être ballottée entre les différents régimes politiques qui se
succèdent, reflet de l’instabilité et des hésitations du XIXe siècle.

Ainsi, la loi de 1814 instaure le système d’autorisation préalable à la


parution de tout journal. Une brève libéralisation a lieu avec la loi de
Serre du 9 juin 1819, mais la censure est immédiatement rétablie un an
plus tard, et des délits d’opinion sont créés.

La loi Portalis du 18 juillet 1828 ouvre une nouvelle ère de libéralisme ;


censure et autorisation préalable sont supprimées, mais la compétence
du jury n’est pas rétablie. La liberté de la presse est toujours
controversée. Une autre suspension est instaurée par Charles X et son
ordonnance du 25 juillet 1830. Polignac dit à cette occasion : « À toutes
les époques, la presse périodique n’a été, et il est dans sa nature de
n’être qu’un instrument de désordre et de sédition. » La répression
continue jusqu’en 1835 ; la censure s’applique alors aux caricatures et à
leurs légendes, et de nouveaux délits d’opinion sont créés. C’est
désormais un délit de se dire républicain ou légitimiste. Il faut donc
attendre la loi du 29 juillet 1881, toujours en vigueur aujourd’hui, pour
que la presse soit enfin libérée.
Figure 1-5 Chiffres clés pour 2018 de la justice en France. (Chiffres fournis par le
ministère de la Justice)

La Ve République : l’inflation de la
justice
La Ve République connaît une inflation législative : plusieurs dizaines
de milliers de lois, décrets, ordonnances et autres textes juridiques
cohabitent allègrement. La création d’autorités indépendantes, le
renforcement des pouvoirs du gouvernement et de l'Europe et la
prolifération de lois de circonstance viennent enfler cette masse de
textes que nul n’est censé ignorer…
Parallèlement, on assiste à une évolution du règlement des conflits,
qui passe de plus en plus par les tribunaux. On se moquait encore
récemment des sommes faramineuses récoltées outre-Atlantique par
des clients de chaînes de fast-food trouvant leur café du matin un
peu trop chaud à leur goût. Les chiffres démontrent que ce
phénomène de judiciarisation touche aujourd’hui la France, qui tente,
pour l’heure sans grand succès, de désengorger les tribunaux et de
limiter les actions motivées par le seul appât du gain.
DANS CE CHAPITRE
Le crime bourgeois ne paie pas

Les lois de la rébellion

Criminels : la gueule de l'emploi


Chapitre 2
Les théoriciens du droit à la barre
P enseurs, scientifiques et philosophes se sont penchés sur la
manière d'utiliser ce formidable instrument qu'est le droit aux fins
d'asseoir leurs théories. Le droit sert, tour à tour, de fondement aux
sociétés utopiques, d’arme contre les dérives criminelles ou encore
d’instrument de lutte contre les injustices sociales.

Les utopies
Le terme utopie est un néologisme créé par le philosophe anglais
Thomas More signifiant « en aucun lieu » . Dans son ouvrage intitulé
L’Utopie, cet auteur décrit un monde imaginaire épris de tolérance et
de liberté. Les utopistes pensent une société idéale, exempte de
guerres et de misère. Pour construire cette société nouvelle, il est
nécessaire de réformer le droit, clé de voûte de l’organisation sociale.
Les quelques théories emblématiques évoquées ci-après, issues
d’époques très diverses, démontrent la profonde diversité de
l’appréhension du droit et du rôle qu’il peut être amené à jouer.

Les courants égalitaires


Les théories égalitaires entendent établir une égalité absolue entre
les citoyens. Les penseurs de ce courant ressentent l’ordre juridique
comme profondément injuste et, en tant que source des inégalités,
veulent l’abolir. Parmi les tenants de cette théorie, les marxistes et
certains libertaires méritent le détour.

Le crime capitaliste : la théorie marxiste


Selon Karl Marx, la criminalité est un produit du capitalisme, tout
comme les autres anomalies sociales. Le droit est une illusion
d'émancipation : la bourgeoisie assure et maintient un système de
domination par son droit pénal, en opprimant les classes exploitées.
La criminalité n’est donc qu’une réaction contre les injustices sociales
infligées au peuple par les bourgeois.
Le marxisme n’est pas très soucieux de la liberté individuelle,
privilégiant l’égalité. Par ailleurs, les marxistes rejettent l’idée de la
primauté de l’État sur le droit et refusent donc de lier l’État avec le
droit. Ils dénoncent le fétichisme juridique de la société capitaliste.
Pour Marx, la société communiste sera une société d’abondance qui
permettra aux richesses d’être réparties indépendamment des règles
juridiques. Son œuvre Guerre civile en France (1871) évoque la
suppression des organes répressifs, la fusion des pouvoirs exécutif,
législatif et judiciaire. Ses disciples ont repris et développé les thèses
de l’antijuridisme, selon lesquelles la lutte politique doit avoir pour
objectif d’abolir les lois, l’ordre juridique étant solidaire de la
domination de classe.

Ni Dieu ni maître : la théorie libertaire


Le terme « anarchie » , d’origine grecque, fut très peu usité jusqu’au
XVIIe siècle, où il signifiait alors le désordre produit dans un État par
l'absence de gouvernement ou par l’impuissance de ceux qui
gouvernent. Le mouvement libertaire, apparu vers 1880, a pour
ambition d’établir un régime de liberté tout en reconnaissant l’égalité
totale. Cette théorie rejette toute législation, toute autorité même
issue du suffrage universel, celle-ci étant de toute façon amenée à
être exploitée au profit de la minorité dominante. Ce mouvement vise
donc l'abolition de l'État.
L’anarchisme ne se veut pourtant pas synonyme de désorganisation.
L’anarchie ne doit pas être le désordre, mais l’ordre, et plus
précisément l’ordre naturel opposé à l'ordre artificiel. L'idée est de
rendre les citoyens responsables au moyen d’un système
d’autogestion. Les anarchistes ont comme principe directeur
l’abolition de toute autorité, et notamment celle de sa représentation
suprême : l'État. Selon Bakounine, l’État est « une abstraction
dévorante de la vie populaire » . Proudhon, lui, pense que « le
gouvernement de l’homme par l’homme, c’est la servitude » .
L’attachement des anarchistes au principe de laïcité découle
directement de cette volonté d’abolir toute autorité. Les anarchistes
se sont très tôt distingués du communisme notamment à propos de
l’appropriation collective des moyens de production. En effet, si les
anarchistes dénoncent la propriété privée, ils préconisent un nouveau
système original d’autogestion grâce à un réseau d’associations.
Bakounine écrit : « Je hais le communisme parce qu'il est la négation
de la liberté et que je ne puis rien concevoir d’humain sans liberté. »
Comme les marxistes, les libertaires considèrent les crimes comme
une maladie de la société. Dès lors, la criminalité doit être traitée
par… le « traitement » du criminel plutôt que par une peine exprimant
la vengeance ou la punition de la société.

Le droit de nature, droit naturel


Qu'est-ce que le droit à l'état de nature ? Les premiers philosophes
grecs et romains se sont proposé de réfléchir à l'essence même de
l'homme pour définir ce que doit être le droit juste, fondamental. Ces
théories ont sensiblement varié au cours des siècles en fonction de la
nature de l'ordre supérieur justifiant le droit naturel (nature, religion ou
raison pure). Cette recherche de l’essence du droit reste une
préoccupation contemporaine très forte.

D’où ça vient ?
La théorie du droit naturel apparaît chez les philosophes grecs Platon
et surtout Aristote. Ce dernier distingue deux sources de droit : la
nature d'une part, les lois de la cité d’autre part. Il estime que, en cas
de divergence ou de désaccord entre ces deux sources de droit, le
droit naturel doit toujours prévaloir. Pour Aristote, ce n’est plus la
volonté plus ou moins mystérieuse des dieux qui fonde l’ordre social,
mais les lois inscrites dans la nature des choses que la raison
humaine est apte à découvrir.
La pensée d'Aristote a été reprise et développée par les stoïciens,
ainsi que par les doctrines humanistes et rationalistes. La théorie du
droit naturel a ainsi suscité des controverses qui ont jalonné l’histoire
de la philosophie du droit. Hobbes, Locke, Rousseau, Montesquieu
cherchent aussi à garantir un système politique naturel. Pour eux, le
droit naturel est conçu sur un mode individuel.
C’est le droit que chaque homme détient par nature avant
l’instauration de la vie politique. Pour Kant, le droit naturel rassemble
un ensemble de règles fondées sur la « raison pure » . Le concept
originel de « droit naturel » resurgit périodiquement pour nourrir la
réflexion doctrinale sur la question des fondements du droit. Au XIXe
siècle, l'essor du positivisme, de l'utilitarisme et des théories
socialistes provoque un recul du droit naturel.
Le droit naturel aujourd’hui
Aujourd'hui, l'acception la plus communément admise du droit naturel
est qu'il regroupe les droits tenant à la nature humaine, quelles que
soient la société, la nationalité ou la culture de l’être humain
concerné. Les droits de l’homme sont directement inspirés de cette
théorie du droit naturel.
On retiendra donc, parmi les grands textes issus de cette réflexion
sur les droits naturels, la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789 ou encore la Déclaration universelle des droits de
l'homme, adoptée le 10 décembre 1948 par les États membres de
l’ONU. Le préambule de cette déclaration n’hésite pas à affirmer
qu'elle représente l'idéal commun à atteindre par tous les peuples et
toutes les nations. Cependant, déterminer quels droits doivent être
érigés au niveau des droits naturels reste très difficile et suscite de
nombreux débats. C'est ainsi, par exemple, que l’homosexualité ou le
transsexualisme sont passés en moins de trente ans du rang de
maladies mentales à celui de préférences relevant des droits de
l’homme.

La désobéissance civile
Le droit peut aussi servir d’instrument de lutte contre les injustices.
C’est le fondement du mouvement de désobéissance civile.

Les origines américaines


L’expression désobéissance civile date précisément de 1866. On
l'attribue à l'écrivain américain Henry David Thoreau, généralement
considéré comme son géniteur. Lui-même est né le 12 juillet 1817 à
Concord, dans le Massachusetts. C'est seulement en 1849, dans son
ouvrage La Désobéissance civile, que Thoreau met par écrit ses
positions politiques et idéologiques. Il y fait valoir la résistance
passive en tant que moyen de protestation.
Toutefois, son engagement se situe surtout sur le plan individuel.
Ainsi, pour contester la guerre contre le Mexique, il refuse de payer
ses impôts et se fait emprisonner. Si Thoreau accepte bien volontiers
de participer à l’entretien des routes ou au fonctionnement des
écoles, il n'admet pas de financer une guerre qui contribue à
renforcer les États du Sud esclavagistes. « La seule obligation qui
m'incombe, à juste titre, affirme-t-il, consiste à agir en tout moment en
conformité avec l’idée que je me fais du bien. »

Désobéir oui, mais comment ?


Le mouvement de désobéissance civile n’est pas opposé en tant que
tel à la loi. Il entend affirmer son attachement à la démocratie en
enfreignant des lois considérées comme violant des causes
essentielles. Les lois regardées comme nécessaires au bien de la
société sont respectées, au contraire de celles qui sont injustes.
Hannah Arendt, qui s'est largement inspirée des thèses de Thoreau,
écrit : « Il existe une différence essentielle entre le criminel qui prend
soin de dissimuler à tous les regards ses actes répréhensibles et
celui qui fait acte de désobéissance civile en défiant les autorités et
s'institue lui-même porteur d'un autre droit. » Celui qui pratique la
désobéissance civile assume pleinement ses actes et leurs
conséquences, sans appeler au mépris de toutes les lois.

Les disciples de Thoreau


Gandhi s’est grandement inspiré de l’œuvre de Thoreau en
organisant des campagnes massives de désobéissance civile en
Afrique du Sud pour s'opposer aux lois discriminatoires. Alors que le
gouvernement vient de promulguer un projet d’ordonnance pour lutter
contre l’immigration asiatique illégale, le Mahatma organise un
meeting au théâtre impérial de Johannesburg au cours duquel il fait
prêter serment aux 3 000 participants de ne jamais se soumettre à la
« loi noire » , qualifiée de « loi scélérate » .
Le roi Christian de Danemark a également appliqué les principes de
La Désobéissance civile face à l'exigence des nazis d'imposer l'étoile
jaune aux juifs. Le roi, pour affirmer son désaccord face à ces
mesures discriminatoires, aurait épinglé lui aussi cette étoile sur son
manteau. Le 1er décembre 1955, c'est Rosa Parks, modeste
couturière noire américaine, qui devient le symbole de la lutte contre
la ségrégation raciale aux États-Unis : elle est poursuivie en justice
pour avoir refusé de céder une place réservée aux Blancs dans un
bus. Cette action conduit à un boycott des bus par Martin Luther King
et aboutit le 13 novembre 1956 à la suppression par la Cour suprême
des lois ségrégationnistes dans les transports en commun. L’œuvre
de Thoreau continue aujourd’hui d’inspirer de nombreux activistes,
tels, par exemple, les défricheurs de champs OGM, les partisans du
mariage homosexuel ou encore les acteurs des parrainages, par le
biais de l’école, d’enfants immigrés menacés d’expulsion.

Figure 2-1 En un coup d’œil : la désobéissance civile

Comprendre le crime : le recours à la


science
Nombreuses sont les théories ayant pour objectif d’expliquer la
criminalité et de l’endiguer. Sans être exhaustif, un bref exposé de
quelques-unes des théories les plus marquantes s’impose et
démontre la richesse et la constante évolution des sciences
criminologiques.

Une gueule de tueur : la


physiognomonie
L’une des théories les plus étonnantes dans l’explication du
phénomène criminel est la physiognomonie. Issue de la doctrine
positiviste, la physiognomonie tente de trouver une cause scientifique
à la délinquance.

La positive attitude
Auguste Comte est considéré comme le fondateur de la doctrine
positiviste. Ce philosophe pense qu'il faut privilégier la connaissance
scientifique au détriment de la métaphysique, seules les lois de la
nature pouvant être appréhendées par l’homme. L’esprit positif est
caractérisé par l’abandon des causes, la mise à l’écart de tout absolu
et la seule recherche des lois. Dépassant la religion et la
métaphysique, le positivisme ne reconnaît le vrai que dans les faits
étudiés par les méthodes scientifiques.
Une construction entièrement nouvelle du droit naît, en opposition
avec les théories classiques : l'homme est déterminé, comme
l'humanité tout entière. Le positivisme considère que la répression
doit donc être organisée non pas en fonction de l’infraction commise,
mais en fonction de la personnalité du délinquant, de sa dangerosité.
Pour connaître et mesurer cet état dangereux, on s’adresse aux
sciences de l’homme et aux sciences sociales. Ce qui importe aux
positivistes est d’empêcher l’individu de nuire à l’avenir. L’une des
branches les plus originales du positivisme est la physiognomonie.

Méfiez-vous des regards faux et perfides !


Le Dr Lepelletier de la Sarthe, membre de l'Académie de médecine,
décrit, dans un ouvrage publié en 1857, l’organisation des « types
pénitentiaires » .

• Le vagabond possède une « physionomie souvent malicieuse,


fine et même assez intelligente, mais presque toujours, à la fois,
sardonique, fausse, licencieuse, le vagabond est commun,
familier, cynique dans ses manières » .

• L’escroc a le « regard faux, caressant, perfide ; si vous le


cherchez, il vous évite ; si vous ne le poursuivez pas, il vous
observe et vous étudie ; sa physionomie satanique offre, à la
fois, quelque chose de souriant, d’affectueux, de prévenant,
mais d’emprunté, d’indécis, d’amer, de fatal » .

• Le voleur est « facile à reconnaître : regard furtif, inquisiteur,


pénétrant, [il] semble toujours occupé du besoin de prendre
connaissance des lieux, des choses, des hommes, pour mieux
accomplir ses desseins » .
• Le dépravé « présente quelque chose d’instinctivement
criminel et vicieux ; son sourire grimacé, perfide, porte dans
l’âme une sorte de froid glacial, une influence pénible et presque
léthifère. Sa voix est gutturale et discordante, son coup d’œil
pénétrant et diabolique, c’est le regard éblouissant et fatal de la
panthère et du caïman » .
• Le meurtrier, enfin, « appartient à ces natures sauvages ou
grossières et stupides qui commettent le meurtre souvent avec
plaisir, quelquefois sans préméditation et sans intérêt : comme
l’hyène et le chacal se livrent à leurs terribles instincts par le
seul amour du sang et du carnage » . Il a un « regard sinistre,
farouche, haineux, menaçant ; les lèvres minces, frémissantes,
crispées ; les narines ouvertes et respirantes ; les mouvements
brusques, saccadés, la démarche convulsive et bondissante ;
leur ensemble offre quelque chose de hargneux, de féroce et
d’antipathique » .

La naissance de la criminologie
Cesare Lombroso est un médecin légal italien, auteur de nombreux
ouvrages de recherche sur le caractère inné du crime. Sa démarche
introduit, pour la première fois, des outils techniques dans
l’expérimentation sur l’homme. C’est pourquoi Lombroso, malgré ses
théories « déterministes » parfois farfelues, est considéré comme le
fondateur de la criminologie.
Après avoir examiné 386 crânes de criminels, Lombroso en déduit
qu'il existerait chez les criminels une fossette occipitale
anormalement développée, plus proche de la fossette des
mammifères inférieurs que de celle de l'homme ! Pour Lombroso, le
criminel typique est un individu atavique et amoral commettant des
forfaits par nécessité biologique. Il présente certains traits
anatomiques, psychologiques et sociaux qui le rapprochent du
sauvage. Ce serait donc un être en état de régression, qui n’est pas
arrivé à accéder au degré d’évolution de l’homme contemporain, ni
par sa morphologie ni par sa sensibilité.

Les autres théories


Pour les scientifiques anglais Goring et Pearson, auteurs de The
English Convict (1913), il existerait des différences de taille et de
poids entre les criminels et les non-délinquants, ces derniers étant
plus grands et plus lourds. L’anthropologue américain Earnest
Hooton considère, quant à lui, que le criminel aurait le front bas, les
lèvres minces, la face aplatie et les mâchoires étroites. Les yeux
seraient bleu-gris, les oreilles auraient une forme d'hélice et les
tatouages seraient chez lui plus nombreux que chez les non-
délinquants.
D'autres théories ont vu le jour dans les années 1950, certaines
particulièrement étonnantes, comme celle du « chromosome du
crime » . Ainsi, un chromosome surnuméraire Y produirait une
arriération mentale, une morphologie spéciale et la croissance
insuffisante du corps humain…
Jusqu’à ce jour, cependant, aucune de ces tentatives pour expliquer
la délinquance par des causes déterminantes biologiques n’a pu
survivre à un examen scientifique sérieux.

D’où vient le mot « assassin » ?


« De l’arabe haschisch, nom de la poudre de feuilles de chanvre avec
laquelle on prépare le haschisché. Le Prince des assassins ou Sheick ou
Vieux de la montagne faisait prendre du haschisch à certains hommes
qu’on nommait feidawi ; ces hommes avaient des visions qui les
transportaient et qu’on leur représentait comme un avant-goût du
paradis. À ce point, ils se trouvaient déterminés à tout faire, et le Prince
les employait à tuer des personnages ennemis. C’est ainsi qu’une
plante enivrante a fini par donner son nom à l’assassinat » (Littré,
Dictionnaire de la langue française).

Sortez vos boucliers : la défense


sociale
La défense sociale voit le jour en Italie au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale, sous l’impulsion de Filippo Gramatica, et rallie
aujourd’hui une majorité de juristes dans tous les pays. Au sortir
d'années d'oppressions totalitaires et de violations de la dignité
humaine, la doctrine positiviste paraît peu respectueuse de la liberté
individuelle. La défense sociale nie toute morale juridique
métaphysique. Le juge a pour objectif, selon ce courant de pensée,
de déterminer les mesures aptes à œuvrer à la réinsertion sociale du
délinquant et non de rechercher la peine pouvant compenser la faute
commise par celui-ci. Le rôle de l’État n’est donc pas de punir. Bien
au contraire, il doit d’abord se soucier de resocialiser l’individu
délinquant, de lui faire recouvrer le sens de ses responsabilités
sociales. Gramatica suggère donc la suppression totale du droit
pénal.

Figure 2-2 La défense sociale selon Filippo Gramatica.

La défense sociale nouvelle


Fondée en France en 1954 par le magistrat Marc Ancel, la défense
sociale nouvelle a pour objectif la prévention du crime et le traitement
des délinquants. La société a pour devoir de se protéger au moyen
de la réadaptation du condamné. À cette fin, cette théorie propose
l'étude systématique par des procédés scientifiques de la
personnalité du délinquant. Cette étude vise à connaître
scientifiquement le délinquant, à vérifier sa dangerosité et à apprécier
les chances de succès de mesures curatives. Cette politique
criminelle est entièrement tournée vers le traitement du délinquant.
La défense sociale nouvelle, qui est à l’origine des mesures de sûreté
et de l’importance accordée par la justice aux expertises
psychologiques et psychiatriques, continue à exercer une influence
importante sur la politique criminelle actuelle. Elle a inspiré les
tentatives d’humanisation de la détention, le reclassement social du
condamné, l’institution d’un service social et médico-psychologique,
la généralisation de la liberté conditionnelle ou encore l’institution
d’un juge d’application des peines.
DANS CE CHAPITRE
Le Commonwealth et la Common Law

L'Église et le Code canonique

La charia des musulmans


Chapitre 3
La justice chez nos voisins
L e droit a pour objet d’organiser la vie en société en régissant le
statut des personnes qui la composent et en réglementant les
rapports qu’elles ont entre elles. Les particularités du droit canonique,
de la Common Law ou de la charia révèlent non seulement les
valeurs fondatrices des sociétés dont ils sont issus mais également,
par comparaison, les singularités de la vision française de la justice.

Le système anglo-saxon : la Common


Law
La Common Law, en opposition aux droits codifiés tels que le droit
latin ou le droit germanique, est un système issu du pragmatisme des
praticiens. Son trait spécifique consiste en la capacité reconnue au
juge d'être source de droit par ses décisions. La Common Law est en
vigueur en Grande-Bretagne (sauf en Écosse, où le droit est mixte,
car inspiré du droit latin), au Canada (hormis au Québec, qui utilise
également un droit mixte), aux États-Unis et d’une façon générale
dans les pays du Commonwealth.

Courage ! Encore un peu d’histoire


L'histoire du droit anglais commence avec Guillaume le Conquérant,
en 1066. À partir de cette date, les nouveaux souverains donnent à
des juges itinérants la mission de transcrire certains édits. Ces juges
itinérants élaborent petit à petit une jurisprudence commune uniforme
sur l'ensemble de l'Angleterre ; c'est de là que vient le système de la
Common Law.
Cependant, à partir du XIIIe siècle, la Common Law devient trop rigide
et n'apporte plus de solutions à tous les litiges. Que faire ? Les juges
itinérants commencent à saisir le roi par l’intermédiaire de son
chancelier pour lui demander de statuer en équité. Le principe
d’équité, directement inspiré des théories du droit naturel, est une
manière de résoudre les litiges en dehors des règles du droit, en
prenant en compte des critères tels que la raison ou la morale.
L’équité permet ainsi de contourner des règles de droit qui peuvent
se révéler trop rigoureuses ou inadaptées à certains cas. Par la suite,
des juridictions d’équité vont être mises en place parallèlement à
celles qui appliquent la Common Law. Ces deux systèmes vont peu à
peu se rapprocher.

Les grands principes de la Common


Law
La Common Law est un système bâti essentiellement sur le droit
jurisprudentiel par opposition au droit codifié, ce qui signifie que le
droit est dit par le juge et non par le législateur. La Common Law
évolue à partir des décisions des tribunaux, qui établissent des
précédents, ensuite appliqués dans les affaires ultérieures de nature
similaire. Les précédents peuvent être annulés par de nouvelles lois
(ou « statuts » ) adoptées par le gouvernement en place.
La Common Law se caractérise par trois principaux traits :

• le recours au jury pour statuer sur les points de fait du litige ;

• le règne du droit (rule of Law), c’est-à-dire la soumission de


toutes les personnes (y compris les personnes publiques) à des
règles juridiques communes pour tous ;

• le respect du précédent judiciaire.


Figure 3-1 Les trois principes de la Common Law.

Habeas corpus : que tu aies ton corps


L’Habeas Corpus Act est une loi votée par le Parlement anglais
en 1679 sous le règne de Charles II d’Angleterre, aux termes de laquelle
toute personne arrêtée par un puissant doit être présentée dans les
trois jours devant un juge, qui peut décider de sa libération.

L’habeas corpus exige que le « détenteur » se présente à la cour avec la


personne détenue pour expliquer les raisons de cette privation de
liberté. Si la cause de cet enfermement est insuffisante ou illégale, la
personne est libérée. Selon la loi de 1679, les juges qui refusent
d’accorder une ordonnance d’habeas corpus, dont la délivrance est
obligatoire en vertu de cette loi, sont condamnés à 500 livres de
dommages et intérêts. Cette manière de saisir la justice a été
suspendue à plusieurs reprises au cours des siècles derniers. Ces
suspensions sont inhérentes au passage d’un État de droit à un État
autoritaire peu soucieux du respect des libertés.

Oh, les belles perruques ! Les gens


du droit
Dans les pays de Common Law, les praticiens du droit ont une
influence sur la justice bien supérieure à ceux des États de tradition
romano-civiliste. En Angleterre, les avocats sont divisés entre
barristers et solicitors. Alors que les solicitors sont très nombreux
(environ 60 000), le nombre de barristers est beaucoup plus restreint.
La grande différence entre ces deux professions consiste dans le fait
que les solicitors ne peuvent plaider que devant les cours inférieures,
contrairement aux barristers, qui détiennent un monopole devant les
cours supérieures. D’ailleurs, la plupart des magistrats des cours
supérieures sont d’anciens barristers !
Concernant les juges, on retrouve ce point commun entre les
différents pays de Common Law : les juges peuvent être d'anciens
praticiens du droit qui ont précédemment exercé au barreau. Mais,
surtout, le mode de recrutement des juges présente de grandes
originalités par rapport aux systèmes de droit latin. C’est ainsi qu’aux
États-Unis une grande majorité des juges d’État sont élus par le
peuple. Certains sont élus à vie, certains pour vingt et un ans ou
encore un septennat (dans le New Jersey). En Angleterre, au
Canada, en Afrique du Sud et en Australie, en revanche, les juges
sont nommés par le pouvoir exécutif.
Les pays de Common Law se distinguent également par l'absence de
magistrats représentant le ministère public. En effet, la procédure est
accusatoire et laisse aux parties l’entière responsabilité du
déroulement du procès. En revanche, ces mêmes parties sont
soumises à un régime légal de preuve, ce qui signifie que les moyens
de preuve autorisés sont énumérés par la loi. Aux États-Unis, la
responsabilité de la poursuite pénale est confiée à un attorney, alors
qu'en Angleterre elle est exercée par le Crown Prosecution Service,
qui est un corps d’auxiliaires de justice quasi-fonctionnaires,
composé de barristers et de solicitors.

Douze hommes en colère : le


déroulement du procès
L'autre grande originalité d'un procès dans un pays de Common Law
réside donc dans le caractère accusatoire de la procédure, dans le
rôle actif des parties et dans le régime de preuve.
Le système accusatoire implique une position non interventionniste
du juge. C’est aux parties et aux avocats de conduire la procédure,
de réunir les preuves puis de présenter l'affaire au juge, qui reste
arbitre, dans une position neutre.
L’exposé du déroulement d’un procès pénal est particulièrement
représentatif des particularités de la Common Law, dans la mesure
où les grands principes qui le gouvernent sont très similaires dans les
différents pays appliquant ce droit.
Tout d’abord, avant l’ouverture du procès, l’accusation travaille avec
la police, pendant que la défense choisit les témoins qui réfuteront les
propos de ceux qui auront été appelés par l’accusation. Si l’accusé
ne reconnaît pas les faits qui lui sont reprochés, le procès commence
par un exposé de la part de l'accusation ; puis suivent les dépositions
des témoins qu’elle a appelés. Les mêmes témoins sont ensuite
« contre-interrogés » par l'avocat de la défense afin de tester leur
crédibilité. À la fin de la présentation de l'accusation, la défense peut
demander au juge d'arrêter le procès pour insuffisance de preuves. Si
cette demande est acceptée, le juge prononce un acquittement.
Sinon, le procès continue, et c’est à la défense de présenter sa
cause. Après les plaidoiries et le résumé fait par le juge de tout le
procès, le jury se retire afin de délibérer sur la culpabilité de l'accusé.

Le droit canonique
Le terme vient du grec kanôn, qui signifie la « règle » . Le droit
canonique (ou « canon » , au choix) désigne l’ensemble des lois et
des règlements adoptés ou acceptés par les autorités catholiques
pour le gouvernement de l’Église et de ses fidèles. Le droit canonique
fixe les droits et obligations des fidèles et, de manière générale, tout
ce qui concerne la société ecclésiastique, mais aussi certains
domaines du droit civil, tels que le mariage.

Sac de nœuds
Le droit canonique s’est élaboré progressivement, empruntant
d’abord au droit romain, à l’Évangile, puis à des règles coutumières
issues d’écrits mêlant prescriptions liturgiques et règles de vie. À
partir du IVe siècle, les papes ont créé de nouvelles normes par le
biais des décrétales pontificales. Ces lettres décrétales sont des
réponses sur des points de discipline. Cependant, ces décisions ont
une autorité relative. Par surcroît, les sources du droit sont très
nombreuses, puisqu’elles incluent tant les règles monastiques que
les lois des empereurs romains chrétiens ou encore les législations
diocésaines et les canons de concile (assemblée d’évêques et de
théologiens réunis pour régler des questions concernant le dogme ou
la liturgie).
Cette dispersion des sources pose vite un grave problème. Les
canonistes du Moyen Âge parviennent progressivement à unifier le
droit grâce à un travail de compilation des sources. L’importance des
faux, dans ces compilations, est énorme, les compilateurs ne se
gênant pas pour remanier les textes servant leurs intentions. Deux
d'entre elles, datant des années 850, ont d'ailleurs pour nom Faux
capitulaires et Fausses décrétales. Jusqu’au XIe siècle, le droit
n'intéresse pas encore vraiment la réflexion doctrinale.

Faites entrer le canon


Mais cette situation se renverse totalement dans la seconde moitié
du XIIe siècle, le Saint-Siège étant alors principalement occupé par
des juristes. C’est ainsi qu’aux collections multiples et d’autorité
incertaine se substitue le Corpus iuris canonici, soit le Corps du droit
canon. Cette grosse compilation présente l’originalité de résoudre les
contradictions entre les textes en proposant des solutions différentes.
En outre, les plus importantes décrétales pontificales émises
entre 1159 et 1314 sont recueillies dans trois collections faites à la
demande de la papauté et officiellement promulguées par envoi à
l'université de Bologne. Il s'agit des Décrétales de Grégoire IX (1234),
du Sexte (1296) et des Clémentines (1317). Le Corpus iuris canonici
ainsi que les Décrétales de Grégoire IX ont servi de base au droit
canonique jusqu’en… 1917, date de la promulgation du Code de droit
canon par le pape Benoît XV. Des révisions furent ensuite effectuées
entre 1962 et 1981, à l'initiative essentiellement du pape Jean XXIII,
qui souhaitait ainsi adapter le Code aux exigences de son temps.
Cette révision a abouti à la promulgation du nouveau Code par Jean-
Paul II, le 25 janvier 1983.

Le Codex
Le Code de 1983 fait aujourd’hui autorité dans l’Église latine. Ce
nouveau Code tient compte des profonds changements apportés par
le concile Vatican II. Le Code de 1983 atténue le caractère
hiérarchique et ordonné de l’Église et entend plutôt promouvoir
l’image d’une Église-peuple de Dieu et d’une hiérarchie au service
des autres.
Extraits du Code de 1983 à propos du mariage
« Can. 1083 – § 1. L’homme ne peut contracter validement mariage
avant 16 ans accomplis, et la femme de même avant 14 ans accomplis.
§ 2. La Conférence des évêques a la liberté de fixer un âge supérieur
pour la célébration licite du mariage.

Can. 1084 – § 1. L’impuissance antécédente et perpétuelle à copuler de


la part de l’homme ou de la part de la femme, qu’elle soit absolue ou
relative, dirime le mariage de par sa nature même. § 2. Si
l’empêchement d’impuissance est douteux, que le doute soit de droit
ou de fait, le mariage ne doit pas être empêché ni déclaré nul tant que
subsiste le doute. § 3. La stérilité n’empêche ni ne dirime le mariage
[…].

Can. 1086 – § 1. Est invalide le mariage entre deux personnes dont


l’une a été baptisée dans l’Église catholique ou reçue dans cette Église
et ne l’a pas quittée par un acte formel, et l’autre n’a pas été baptisée
[…].

Can. 1089 – Aucun mariage ne peut exister entre l’homme et la femme


enlevée ou au moins détenue en vue de contracter mariage avec elle, à
moins que la femme, une fois séparée de son ravisseur et placée en
lieu sûr et libre, ne choisisse spontanément le mariage.

Can. 1090 – § 1. Qui en vue de contracter mariage avec une personne


déterminée aura donné la mort au conjoint de cette personne ou à son
propre conjoint, attente invalidement ce mariage.

Can. 1096 – § 1. Pour qu’il puisse y avoir consentement matrimonial, il


faut que les contractants n’ignorent pas pour le moins que le mariage
est une communauté permanente entre l’homme et la femme,
ordonnée à la procréation des enfants par quelque coopération
sexuelle. § 2. Cette ignorance n’est pas présumée après la puberté. »
Le Code de droit canonique comporte sept livres, traitant de sujets
aussi divers que le mariage, la fonction d’enseignement de l’Église,
les procès ou encore les biens temporels de l'Église. Aux termes de
ce Code, « sont tenus par les lois purement ecclésiastiques les
baptisés dans l’Église catholique ou ceux qui y ont été reçus, qui
jouissent de l’usage de la raison et qui, à moins d’une autre
disposition expresse du droit, ont atteint l'âge de 7 ans accomplis » .
Le premier livre, intitulé Normes générales, établit les principes
généraux du droit canonique. La coutume est la meilleure interprète
des lois. Mais, dans l’hypothèse où aucune disposition légale ou
coutumière ne peut trancher un cas, celui-ci doit être réglé en
fonction de la jurisprudence, de l’équité canonique ou encore de l’
« opinion commune et constante des docteurs » .

Les procès catholiques


Le livre 7 du Code définit la juridiction des différents tribunaux
ecclésiastiques, leurs règles de fonctionnement et le déroulement
des procès. Le Code prévoit ainsi que l’Église connaît, de droit propre
et exclusif, des causes qui regardent les choses spirituelles ainsi que
« la violation des lois ecclésiastiques et de tous les actes qui ont un
caractère de péché » .
La juridiction de première instance est composée de l’évêque
diocésain, qui a la possibilité de déléguer son pouvoir judiciaire et de
constituer un tribunal diocésain. C’est ainsi que des laïcs peuvent,
avec l’autorisation de la Conférence des évêques, être juges.
L’originalité de la hiérarchie des juridictions réside dans l’existence de
tribunaux de deuxième instance. L’appel est assuré, suivant le cas,
par la Rote romaine ou par le Tribunal suprême de la Signature
apostolique. En tout état de cause, en raison de sa primauté, le pape
peut être saisi par tout fidèle d'une cause contentieuse ou pénale, à
n'importe quel degré de juridiction et à n’importe quel moment du
procès. Seul le pape peut juger les chefs d’État, les cardinaux, les
légats apostoliques et, au pénal, les évêques. Tant pis pour les
curieux, il est impossible d'assister à un procès. En effet, à moins
qu'une loi particulière n’en dispose autrement, seules sont admises
en salle d’audience les personnes que la loi ou le juge estime
nécessaires au déroulement du procès.

Les sanctions canoniques


L'Église se donne le droit de punir par des sanctions les fidèles qui
contreviennent à ses normes. Dans la grande majorité des cas, ces
peines ne sont encourues qu’à la suite d’une procédure donnant lieu
à une condamnation. Les peines canoniques sont de deux types : les
peines dites médicinales, ou « censures » , d’un côté et, de l’autre,
les peines expiatoires, qui visent les clercs ou les religieux. Les
premières comprennent notamment l’excommunication (qui sépare le
fidèle du reste de l’Église), l’interdit (interdiction d’administrer les
sacrements et de célébrer les messes dans un territoire donné) ou
encore la suspense (qui prive le prêtre d’exercer ses fonctions
sacerdotales).
Sur sept cas d’excommunication encore prévus par le Code de 1983,
deux sont réservés aux prêtres (absolutions illicites, viol du secret de
confession). Les peines expiatoires comprennent, quant à elles,
l’assignation à résidence, la privation et l'interdiction d'exercer un
pouvoir, un office ou une charge, ainsi que le transfert ou le renvoi de
l’état clérical. Cependant, toute peine ne doit être prononcée que si la
correction fraternelle, la réprimande ou les autres moyens de
sollicitude pastorale ne peuvent suffisamment réparer le scandale,
rétablir la justice, amender le coupable.

La charia des musulmans


Le Coran, parole d'Allah transmise au Prophète, est la source de la
loi musulmane. Il se compose de 114 sourates, divisées
en 6 219 versets. Les sourates sont classées par ordre de longueur.
Code de la vie religieuse et sociale, le Coran réglemente toutes les
situations. Sur cette base s’élève une doctrine de devoirs envers
Dieu et les hommes. La sunna représente la voie à suivre selon
l’exemple du Prophète. Elle est composée du hadith, récit rapportant
une décision ou un comportement de Mahomet. La sunna complète
ainsi le Coran. La sunna, bien que non issue des révélations, a la
même valeur légale que le Coran, et sa mise en pratique est donc
obligatoire pour les musulmans. La valeur des hadiths diffère
cependant selon leur source et la qualité de leur transmetteur.

Le droit de la route
La charia (ou Sharî’a) signifie littéralement la « route » , c'est-à-dire la
voie que constitue la loi divine venant du Coran et de la sunna. C’est
ce qu’exprime la sourate 45, verset 18, du Coran : « Puis Nous
t'avons mis sur la voie de l'Ordre [une religion claire et parfaite]. Suis-
la donc et ne suis pas les passions de ceux qui ne savent pas. » La
charia réglemente la vie religieuse, politique et sociale ou encore le
droit pénal.

Figure 3-2 Les cinq piliers de la charia des musulmans.

Les cinq piliers de la charia sont les suivants :


• l’attestation du monothéisme islamique et de la mission du
prophète (shahâda) ;
• la prière coranique cinq fois par jour et la prière commune le
vendredi (çalât) ;
• le jeûne du mois sacré du ramadan (çawm) ;

• l’aumône (zakât) ;

• le pèlerinage à La Mecque que le musulman doit accomplir une


fois au moins dans sa vie, s’il en a les moyens (hajj).

Le mariage dans l’islam


À l’époque préislamique, la condition de la femme était très dure,
puisqu’elle était considérée comme incapable. Lorsque son mari
décédait, elle passait à l’héritier le plus proche. Le Coran lui permet
une certaine émancipation, puisqu’il l’autorise à avoir un patrimoine
propre et à le gérer.
Le mariage est un contrat de droit civil, conclu en présence de
témoins libres. Cependant, mari et femme sont soumis à des
obligations l’un envers l’autre. Pour ce qui concerne le mari, ses
obligations sont les suivantes : il doit cohabiter avec sa femme, il doit
consommer le mariage, procéder à un partage égal des nuits entre
ses femmes dans l’hypothèse où il en a plusieurs et subvenir à
l’entretien de sa femme, quelle que soit la fortune de celle-ci.
L’épouse n’a donc pas à participer aux charges du ménage. Par
ailleurs, le mari doit s’abstenir de tous sévices graves sur sa femme.
Et, s’il peut lui interdire de sortir, il ne peut l’empêcher de recevoir la
visite de ses parents. La sanction de la violation de ces obligations
est le droit, pour la femme, de solliciter la dissolution du mariage. De
son côté, la femme est également soumise à un certain nombre
d'obligations : elle doit obéir à son mari, habiter au domicile conjugal,
être fidèle à son mari et prendre soin de la maison (cette obligation
n’étant pas reprise par nombre de codes contemporains).
Le mariage est dissous soit par répudiation, soit par divorce
judiciaire. Il est à noter que les chiites reconnaissent le mariage
temporaire, conclu pour une période déterminée. Enfin, il est à noter
que certains islamistes interprètent le droit coranique d’une manière
très… personnelle, voire l’ignorent totalement.

Le nafaqa : le droit à l’entretien


L’entretien de la femme comporte la nourriture, le vêtement, le
logement et les accessoires. Le mari doit lui fournir une maison
séparée ou tout au moins une pièce indépendante qui ferme à clé.
L’ameublement est également à sa charge et doit s’accorder à la
situation et au rang social de l’épouse. La femme a droit à deux
vêtements par an, dont le prix et la texture dépendent de la fortune du
mari, de la condition de la femme et des usages locaux. Le montant du
nafaqa est généralement fixé selon les ressources du mari. Il est
suspendu si la femme est mineure, si elle désobéit, si elle accomplit le
pèlerinage sans son mari ou pour toutes situations dans lesquelles elle
ne remplit plus ses propres devoirs conjugaux. Les enfants n’ont, quant
à eux, droit à l’« entretien » qu’à la condition qu’ils soient pauvres.

Le droit pénal coranique


Les peines se répartissent en deux groupes : d'une part, la
vengeance privée et, d’autre part, le châtiment des crimes contre la
religion. Certains actes interdits dans le Coran sont devenus par là
même des crimes contre la religion. C’est le cas, par exemple, des
rapports sexuels interdits, de la fausse accusation d’adultère, de la
consommation d’alcool, du vol ou du brigandage. Les châtiments qui
découlent de ces crimes contre la religion sont appelés hudûd (au
singulier, hadd) et constitués par la peine de mort via la lapidation
(punition la plus sévère pour les adultères), la crucifixion (pas
vraiment au sens du Golgotha ! ) ou l'épée (pour le brigandage avec
homicide).
Les crimes moins graves sont punis de mutilation de la main ou du
pied (pour le vol notamment) et de la flagellation. À titre d'exemple, le
nombre de coups de fouet pour consommation de vin est de 80. Il n’y
a pas d’amende en droit islamique. L’emprisonnement est, quant à
lui, non pas un châtiment, mais une mesure qui vise à obtenir un
repentir ou à garantir l’exécution d’une obligation. Cependant, du fait
de son caractère religieux, le hadd peut être levé en cas de repentir,
de pardon ou encore de restitution de l’objet volé. La prescription est
très courte (généralement un mois) et les conditions de preuve très
exigeantes. Par exemple, en cas d’adultère, on exige quatre mâles
qui doivent avoir été témoins oculaires des rapports sexuels illégaux.
Pour les délits ordinaires, c’est-à-dire les atteintes contre les
personnes ou contre les biens, l’échelle des peines est également
très détaillée et dépend du degré de culpabilité. C’est ainsi que, pour
un homicide, les peines varient entre le talion, l’expiation et le prix du
sang, selon le degré d’intention de l’auteur de ce crime et l’éventuel
pardon du plus proche parent de la victime. La charia a limité
considérablement les vengeances de sang en ne permettant la mise
à mort que du tueur lui-même, et ce seulement s’il a agi lucidement
avec une intention de meurtre délibérée. Le droit islamique limite
également le talion aux cas où l’on peut s’assurer d’une parfaite
égalité, par exemple la perte d’un œil, d’un doigt, ou pour une
blessure à la tête… L’expiation (kaffâra) consiste à libérer un esclave
musulman ou à jeûner pendant deux mois.
Partie 2
La balance des institutions
Dans cette partie…

Vous allez réviser le vieux principe de la


séparation des pouvoirs, en passant par chacun
d'eux : d'abord le législatif, qui établit la règle de
droit tout en subissant le contrôle du Conseil
constitutionnel, ensuite l'exécutif, qui gouverne
selon ces lois par l'intermédiaire du président
de la République et du gouvernement, et, en
dernier ressort, le judiciaire, qui assume sa
fonction d'application des lois. Les juges se
partagent ensuite entre l'ordre administratif et
l'ordre judiciaire, entre les procès concernant
l'État pris à partie et les autres contentieux.
Mais la galaxie des juridictions ne s'arrête pas à
ce simple partage : il existe de multiples
tribunaux, dont le nombre tend à se
démultiplier en raison de la spécialisation
toujours plus accrue de certains conflits. Sans
compter les autres institutions et autorités
françaises, ces ovnis qui constituent une sorte
de justice parallèle, comme par exemple la
Commission nationale de l'informatique et des
libertés ou encore le Défenseur des droits.
Enfin, nous évoquerons les tribunaux
supranationaux, en voie, eux aussi, de
prolifération.
DANS CE CHAPITRE
Le Parlement, qui rédige et vote la loi

Le gouvernement, qui l'inspire ou cherche à la modifier

Les juges, qui l'appliquent tout en l'interprétant


Chapitre 4
La sainte Trinité : la séparation des
pouvoirs
L e principe de la séparation des pouvoirs constitue le fondement
même de notre système judiciaire français, et, plus généralement, le
fondement de toute démocratie. Si ces pouvoirs et leur principe de
séparation paraissent sortir d'un chaudron magique, ils relèvent en
fait d'une pure logique mathématique : il s’agit de séparer en trois
catégories qui ne peuvent se mélanger les hommes qui votent les lois
(le pouvoir législatif), les hommes qui gouvernent selon les lois (le
pouvoir exécutif), les hommes qui jugent en application des lois (le
pouvoir judiciaire). Séparer ces trois catégories, c’est éviter qu’un
groupe d’individus abuse de son pouvoir, les deux autres groupes
devant le contrôler.
Le philosophe grec Aristote en avait émis l'idée et Montesquieu avait
insisté sur la nécessité « d’arrêter le pouvoir par le pouvoir » . En
France, le principe de la séparation des pouvoirs a été posé
clairement par une loi des 16 et 24 août 1790, au moment de la
Révolution française : il convenait de sauvegarder l'indépendance
des hommes chargés de rendre la justice face aux hommes chargés
de gouverner et de voter les lois. Ce principe de la séparation des
pouvoirs a été repris dans la Constitution française
du 4 octobre 1958, traité élaboré sous l'impulsion du général de
Gaulle et qui organise les institutions de la Ve République.
La France est une démocratie qui a choisi de se soumettre au régime
parlementaire. Cela signifie que notre régime politique sépare bel et
bien les trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, mais ce de
manière souple, car le président, élu par tous les citoyens, choisit
pour Premier ministre une personne issue du parti politique
majoritaire au sein du Parlement.
Figure 4-1 La séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

À l’origine, le législateur
Jean-Jacques Rousseau écrivait : « Si j'étais prince ou législateur, je
ne perdrais pas mon temps à dire ce qu'il faut faire ; je le ferais, ou je
me tairais. »
Dans toute société, le premier pouvoir – considéré parfois comme le
plus important – est celui de décider des lois : décider de ce qui est
possible et de ce qui est interdit, de ce qui est bien et de ce qui est
mal. Dans les sociétés démocratiques, ce pouvoir est confié à des
hommes et à des femmes appelés législateurs, élus par les membres
de leur société pour les représenter et pour décider des règles qui
vont régir leurs rapports. Ces législateurs, souvent considérés
comme des « sages » , se retrouvent tant à l’échelle d’un pays qu’à
l’échelle d’une région du monde. Ainsi, les citoyens français et
belges, par exemple, sont soumis à leurs législateurs nationaux mais
également aux législateurs européens, qui décident des lois
applicables dans toute l’Union européenne. De manière générale, les
législateurs organisent des assemblées afin de débattre et de décider
de la création ou de la modification des règles régissant la vie des
citoyens.
Le forum des grands sages votant
les lois : le Parlement
Le pouvoir législatif, c’est-à-dire le pouvoir de voter les lois,
appartient au Parlement. Et c’est vrai que les membres du
« Parlement » sont très bavards, même s'ils se défendent de mentir !
Le Parlement français est constitué de deux assemblées :
l'Assemblée nationale et le Sénat.
L'Assemblée nationale est composée de députés élus au suffrage
universel direct par tous les citoyens dans le cadre des élections
législatives. Il y a 577 députés à l'Assemblée, élus pour cinq ans, qui
appartiennent à différentes formations politiques. Le parti qui est
majoritaire en nombre de députés au sein de l'Assemblée nationale
gouverne généralement.
Lorsque le président de la République en place ne bénéficie pas
d'une majorité claire à l'Assemblée nationale, il peut décider de la
dissoudre prématurément et de provoquer de nouvelles élections
législatives. Mais l'exercice est risqué : il est déjà arrivé qu'un
président dissolve l'Assemblée alors qu'il bénéficiait d'une large
majorité, pour se retrouver avec une minorité ! C'est alors le jeu du
« qui perd gagne » . Le président de la République ne bénéficiant pas
de la majorité à l'Assemblée nationale peut en effet accepter de
gouverner avec des ministres qui ne correspondent pas à sa couleur
politique. La situation est alors appelée cohabitation.
Tout citoyen majeur peut se présenter aux élections législatives.
Mais, lorsqu’un député est désigné comme ministre, il doit être
remplacé afin de ne pas cumuler les casquettes de législateur et de
gouvernant.
Après avoir été le plus jeune bachelier de France à l'âge de 15 ans,
le plus jeune avocat de France à l'âge de 19 ans, lors de son élection
en 1932, Pierre Mendès France devient à 25 ans le plus jeune
député de France.
Le Sénat, lui, est composé de 348 membres, élus pour neuf ans. Les
sénateurs ne sont pas désignés directement par tous les citoyens
français. Pour avoir l’honneur de siéger avec vue sur les jardins du
Luxembourg, il faut être élu par d’autres personnes, pour la plupart
elles-mêmes déjà élues par les citoyens : conseillers régionaux,
délégués des conseils municipaux, etc. On les appelle les grands
électeurs, même si aucun minimum de taille n'est exigé au
recrutement ! Pour être sénateur, il faut être âgé de 35 ans au moins,
mais l'âge moyen au Sénat approche plutôt celui de la retraite…

Figure 4-2 Les deux assemblées du Parlement français.

L'Assemblée nationale et le Sénat doivent travailler de concert pour


voter les lois. Les projets de loi proposés par le gouvernement sont
soumis en premier lieu à l'Assemblée nationale, qui vote « pour » ou
« contre » . Les députés peuvent proposer des amendements, c’est-
à-dire des aménagements de ces propositions de loi qui font eux
aussi l’objet d’un vote. Puis, la loi telle qu’elle est votée par
l'Assemblée nationale est soumise au vote des sénateurs, qui
peuvent également proposer des modifications. Si l'Assemblée
nationale et le Sénat ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le
texte d’une loi, celle-ci est soumise à un second vote, et si aucun
accord n’est trouvé la loi est soumise à une commission composée
de sept députés et de sept sénateurs qui débattent en petit comité
des points de divergence entre les deux assemblées. Le vote de
l'Assemblée nationale prime au final, sauf pour les lois très
importantes.
L'Assemblée nationale et le Sénat se réunissent en congrès du
Parlement, au château de Versailles, lorsqu’il s’agit de réviser la
Constitution française. Par ailleurs, les sénateurs et les députés
peuvent poser des questions écrites et orales au gouvernement s’ils
ne sont pas d’accord avec certaines de ses actions. Ils peuvent
également former des commissions d’enquête.
Les lois votées par le Parlement, après proposition du gouvernement,
sont promulguées par le président de la République. Puis elles sont
publiées au Journal officiel, où tout le monde peut en prendre
connaissance. Du fait de cette publication, « nul n’est censé ignorer
la loi » . Néanmoins, le nombre de lois votées chaque année étant
impressionnant, l’État a mis à la disposition de tous un site Internet
sur lequel elles sont réunies : www.legifrance.gouv.fr.

Le juge des lois : le Conseil


constitutionnel
Le Conseil constitutionnel a été créé en 1958. À l’origine, son rôle
était de veiller au respect de la séparation des pouvoirs entre le
législateur et le gouvernement. Lors d'une décision devenue célèbre
sur la liberté d'association, rendue le 16 juillet 1971, le Conseil
constitutionnel s’est érigé comme défenseur des libertés et des
principes fondamentaux de notre pays.

Les membres du Conseil constitutionnel


Il fait bon être membre du Conseil constitutionnel. Il s’agit, d’une part,
d’un poste très honorifique, qui consiste à être garant des libertés
ainsi qu'à siéger au Palais-Royal ; d'autre part, c'est une fonction
confortablement rémunératrice – il ne faudrait pas que l'appât du gain
entraîne nos conseillers à accepter des pots-de-vin, alors autant bien
les traiter !
Le Conseil constitutionnel est notamment composé des anciens
présidents de la République, membres de droit à vie. En réalité,
jusqu’à présent, aucun de nos anciens présidents de la République
n’a véritablement siégé au sein de ce Conseil, et pas seulement pour
cause de décès ! Mais cela va peut-être changer. Lors de la
passation de pouvoir entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, les
locaux du Conseil constitutionnel ont été réaménagés afin de créer
un bureau confortable pour l’ancien chef de l’État, pour que celui-ci
puisse véritablement exercer ses nouvelles fonctions de membre du
Conseil constitutionnel. De mauvaises langues prétendent que, pour
ne pas vexer Valéry Giscard d’Estaing, on a fait aménager pour ce
dernier un autre bureau, plus spacieux…
Les neuf autres membres du Conseil constitutionnel sont nommés
discrétionnairement : trois sont désignés par le président de la
République, trois par le président de l'Assemblée nationale, trois par
le président du Sénat. On l'aura compris, tout cela est très politique.
Parmi ces neuf membres, désignés pour neuf ans, est choisi un
président, qui a le dernier mot en cas de nécessaire partage des voix.
Le président du Conseil constitutionnel est désigné par le président
de la République, prérogative qui était chère à de Gaulle.
Tous les trois ans, trois nouveaux conseillers sont nommés ; il s'agit
du renouvellement par tiers. La seule condition pour être nommé est
de ne pas exercer de fonctions incompatibles, comme être membre
du gouvernement ou bénéficier d'un mandat électif par exemple.
Contrairement à l'Allemagne, à l'Espagne ou à la Belgique, l’État
français n’exige pas de compétences juridiques pour siéger, même si,
dans les faits, les membres du Conseil constitutionnel sont pour la
plupart d’éminents juristes.
Depuis la loi du 23 juillet 2008, les commissions parlementaires ad
hoc peuvent poser un veto à la nomination d’un nouveau membre du
Conseil constitutionnel.

Une saisine limitée


Pour saisir le Conseil constitutionnel français, il faut montrer patte
blanche. Contrairement à certains de nos voisins européens, la
France n’autorise pas la saisine par n’importe quel citoyen
considérant que telle loi est une entrave à une de ses libertés
fondamentales. Le Conseil constitutionnel ne peut être sollicité que
par le président de la République lui-même, par le président du Sénat
et par le président de l'Assemblée nationale. Depuis 1974, sa saisine
a été élargie à des groupes de 60 sénateurs ou de 60 députés au
minimum, qui peuvent se tourner vers lui juste avant la promulgation
d’une loi.
Une fois la loi promulguée et en application, il n’est possible que
depuis 2008 de la faire passer sous les fourches caudines de notre
gardien des libertés, sauf à procéder par la voie d’une « question
prioritaire de constitutionnalité » .
En revanche, tout électeur peut saisir directement le Conseil
constitutionnel s’agissant de la régularité des élections. Et il est
également saisi obligatoirement lors du vote des lois dites
organiques – les lois modifiant ou complétant notre Constitution.
La QPC fait des dégâts
En vertu de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et de la loi
organique du 10 décembre 2009 (entrée en vigueur le 1er mars 2010),
le Conseil constitutionnel peut être saisi d’une question prioritaire de
constitutionnalité (QPC). Celle-ci est formulée au cours d’un procès, et
transmise au préalable, selon la nature de la procédure, au Conseil
d’État ou à la Cour de cassation.

En effet, « devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la


Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative
porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à
peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel
moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d’appel. Il ne
peut être relevé d’office.

« Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le


ministère public n’est pas partie à l’instance, l’affaire lui est
communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu’il puisse faire
connaître son avis.

« Si le moyen est soulevé au cours de l’instruction pénale, la juridiction


d’instruction du second degré en est saisie.

« Le moyen ne peut être soulevé devant la cour d’assises. En cas d’appel


d’un arrêt rendu par la cour d’assises en premier ressort, il peut être
soulevé dans un écrit accompagnant la déclaration d’appel. Cet écrit est
immédiatement transmis à la Cour de cassation. »

En pratique, des milliers de QPC ont été déposées, et plusieurs


centaines ont été examinées par le Conseil constitutionnel. Celui-ci a
notamment éradiqué, le 4 mai 2012, l’article 222-33 du Code pénal
réprimant le harcèlement sexuel, obligeant le législateur à intervenir en
urgence. Aujourd’hui, c’est l’article 222-33 du Code pénal qui en traite.
De 2010 à 2019, le Conseil constitutionnel a ainsi rendu 852 décisions
relatives au contrôle de constitutionnalité, dont 669 étaient des QPC.

La QPC est également à l’origine de la réforme récente de la garde à


vue. En censurant le régime français de la garde à vue en ce qu’il
méconnaissait les droits de la défense, le Conseil constitutionnel a
invité le législateur à revoir la loi afin de garantir au gardé à vue le droit
de se taire et de lui permettre d’être assisté d’un avocat dès le début de
la garde à vue.

Une compétence élargie


C’est au Conseil constitutionnel qu’il revient de juger si les lois qui
sont votées sont conformes à la Constitution, mais également aux
grandes libertés qui ont été consacrées par notre République
française : il passe les lois et les traités internationaux et européens
devant être ratifiés par la France au test du bloc de constitutionnalité.
Le terme « bloc » n'est pas qu'une image : il désigne les nombreux
principes fondamentaux consacrés dans notre Constitution et en
dehors, censés être d’une cohérence à toute épreuve. Le Conseil
constitutionnel constitue une de nos institutions judiciaires les plus
importantes, voire la plus importante : celle qui nous garantit contre
des lois bafouant nos libertés.
À titre d’exemple, le Conseil constitutionnel a censuré la loi visant à
instaurer des délais plus longs pour faire valoir un droit de réponse
sur Internet par rapport aux magazines papier, et ce au nom du
principe de l'égalité. En revanche, il avait admis la validité du
« contrat première embauche » (CPE), considérant qu’il s’agissait
d’inciter les employeurs à l’embauche et donc de favoriser la liberté…
Le Conseil constitutionnel est également le juge de la régularité de
l’élection du président de la République, des députés et des
sénateurs. Les décisions du Conseil constitutionnel sont publiées et
disponibles sur son site Internet (www.conseil-constitutionnel.fr).

À la manœuvre, le gouvernement
Le pouvoir exécutif est notamment le pouvoir de proposer des lois au
vote du Parlement afin d'instaurer la politique de son choix. Ce
pouvoir appartient au président de la République et à son
gouvernement.
L'État français est dirigé par le président de la République, qui,
depuis 1962, est élu au suffrage universel direct. Depuis
septembre 2000, son mandat est de cinq années. Le président a pour
mission de choisir le Premier ministre et de présider le Conseil des
ministres. Il peut consulter les Français par référendum sur des
questions importantes. Le président de la République a encore pour
rôle essentiel de veiller au respect de la Constitution. Il ne dispose
des pleins pouvoirs pour gouverner qu’en cas de crise grave, comme
une guerre civile par exemple.
Le Premier ministre, chef du gouvernement, propose la nomination
des ministres (de l'Éducation, de l'Agriculture, de la Défense, etc.) au
président de la République. Le gouvernement ainsi composé conduit
et détermine la politique de la France. Il propose donc des lois au
Parlement et lui soumet également le budget de l'État (les dépenses
autorisées pour chaque ministère, les impôts, etc.). Un Conseil
rassemblant tous les ministres se réunit chaque mercredi pour faire le
point sur l’action du gouvernement et les projets en cours. Le
gouvernement est « responsable » de sa politique devant
l'Assemblée nationale : il doit répondre aux questions des députés et
peut être amené à démissionner si plus de la moitié des députés le
désavoue.

Au final, le juge
Depuis 1790, la fonction du juge, chargé de sanctionner ceux qui ne
respectent pas la loi, est clairement séparée de celle du législateur
comme de celle des ministres. Cependant, les juges sont des
fonctionnaires, engagés par l’État et soumis au ministère de la
Justice et à ses directives.
Figure 4-3 Le triple rôle du juge.

Le juge a pour rôle de protéger les citoyens, de condamner les


comportements interdits et d'arbitrer les conflits. Cependant, le juge
n'est pas un dieu tout-puissant fustigeant arbitrairement ce que bon
(ou plutôt mal ! ) lui semble : il ne peut sanctionner des agissements
que si une peine est prévue dans la loi. C’est le principe de la légalité
des délits et des peines : si la loi ne mentionne pas de sanction en
corollaire à une infraction, le juge est impuissant. Il est donc soumis
d’une certaine manière à l’action du législateur. Le juge possède
toutefois la faculté d'interpréter les lois ; car, par définition, une loi est
théorique, et il lui faut l’adapter en pratique. L’ensemble des décisions
des juges forme ce que l’on nomme la jurisprudence. Les citoyens
doivent par conséquent se soumettre tant à la loi qu’à l’application qui
en est faite par les juges.
Un des grands principes de la justice en France reste celui de la
gratuité. De fait, le salaire des magistrats et des autres membres du
personnel judiciaire ainsi que, plus généralement, le coût de
fonctionnement de la justice sont payés par les fonds publics. Sous
l'Ancien Régime, les juges étaient rémunérés par le gagnant d'un
procès, qui leur remettait des « épices » ou des espèces. La loi
des 16 et 24 août 1790 a mis fin à cette forme de rémunération : elle
pouvait être source de partialité et de manque d’indépendance. De
nos jours, pour les plus démunis, une aide juridictionnelle a été
instituée : un avocat rémunéré par l'État assiste la personne démunie
qui doit attaquer ou se défendre devant un tribunal. Lorsqu’il s'agit
d'une affaire pénale, on dit alors que l'avocat est commis d’office.
Figure 4-4 Le code et la jurisprudence : comment un juge applique et
interprète la loi.
La presse : un quatrième pouvoir ?
Face au développement des médias et à la place de plus en plus
importante occupée par la presse dans nos sociétés et pour l’opinion
publique, certains ont cru pouvoir annoncer la naissance d’un
quatrième pouvoir, les médias, qui viendraient contrebalancer, voire
contrôler les trois autres (juges, gouvernants et législateurs).

Il est vrai que la presse, par son rôle d’information des citoyens, peut
dénoncer certains actes ou certaines éventuelles collusions entre nos
juges et nos gouvernants, par exemple. Ainsi, la presse peut exercer
une pression sur les titulaires des trois autres pouvoirs.

En analysant les dernières campagnes électorales, les séances filmées


des débats parlementaires, tout comme en observant l’impact de la
télévision dans les grandes affaires judiciaires, il semblerait que chacun
ait totalement intégré cette puissante influence. Mais, pour que la
presse puisse véritablement constituer un quatrième pouvoir séparé
des trois autres, il conviendrait que celle-ci demeure libre. Or, de la
propagande des régimes totalitaires à la tentation de certains hommes
politiques de maîtriser les médias, sans compter le poids des
annonceurs publicitaires, les exemples d’une instrumentalisation trop
aisée foisonnent.
DANS CE CHAPITRE
Qui juge quoi ?

La distinction entre « administratif » et « judiciaire »

Les différents tribunaux français


Chapitre 5
Le labyrinthe des tribunaux
français
L a justice est lente, la justice est complexe… Il existe un nombre
considérable de tribunaux, chacun étant spécialisé dans des
domaines très précis et composé de juges spécifiquement
compétents. Dans le labyrinthe des tribunaux français, une boussole
est nécessaire.
D'abord, sachez qu'il existe deux grandes orientations, deux
« grandes maisons » qui ne communiquent pas : l'ordre judiciaire
(pour agir contre un particulier) et l’ordre administratif (pour agir
contre l’État lui-même). Ensuite, ces deux maisons sont composées
chacune de deux étages et d'un toit :

• les tribunaux du premier étage jugent les affaires pour la


première fois.

• les tribunaux du second étage les jugent pour la deuxième fois


lorsque l’une des parties au procès le souhaite.

• la cour suprême située sur le toit vérifie que le droit est bien
appliqué par les juges des deux étages.
Nous allons détailler dans ce chapitre les différentes strates du mille-
feuille judiciaire.

La distinction public/privé : l’ordre


administratif et l’ordre judiciaire
À l’origine, le système judiciaire français ne connaissait qu’un seul
ordre de juridiction : un unique et même tribunal était chargé de
trancher les litiges résultant d'une infraction pénale (crime, vol, etc.)
et les litiges résultant d'une « simple » faute civile (non-respect d’un
contrat, concurrence déloyale…).
On ne distinguait pas les litiges entre un particulier et l’État de ceux
qui opposaient deux particuliers. À la fin du XVIIIe siècle, deux ordres
distincts sont nés : l'ordre jugeant les conflits avec l'État et l'ordre
jugeant les conflits entre particuliers. Mais la distinction entre ces
deux ordres n’a pas été et n’est pas encore si simple : il a fallu créer
un arbitre.

Agir contre l’État ou contre un


particulier
Les lois des 16 et 24 août 1790 ont distingué deux types de
juridiction : d'un côté un ordre judiciaire qui juge les rapports entre les
particuliers, et, de l’autre, un ordre administratif qui juge les rapports
entre les particuliers et l'Administration. Ces deux ordres sont
composés de tribunaux différents tant dans leur forme que dans les
régimes juridiques qu’ils appliquent. Chacun dispose à sa tête d’une
juridiction suprême : la Cour de cassation pour l’ordre judiciaire, le
Conseil d’État pour l’ordre administratif. Les juges administratifs et les
juges judiciaires n’ont pas la même formation, pas la même manière
de juger, et d’un ordre à l’autre les procès ne sont pas non plus
conduits dans les mêmes délais.
La volonté du législateur de 1790 était de soustraire aux juges
habilités à juger les litiges entre deux particuliers le pouvoir de se
pencher également sur les actes de l'Administration, c'est-à-dire des
agents de l'État, ceux-ci devant être jugés par l'Administration elle-
même et non par des juges indépendants.
C’est ainsi que les tribunaux administratifs jugent la responsabilité de
l’État face aux administrés. En pratique, cela signifie, par exemple,
que si un chirurgien exerce dans une clinique privée, ses fautes
seront examinées par un juge de l’ordre judiciaire (tribunal judiciaire
ou tribunal correctionnel, cour d’assises, cour d’appel ou Cour de
cassation). Mais, s’il exerce au sein d’un hôpital public (comme un
CHU), sa responsabilité sera jugée par l’ordre administratif (tribunal
administratif, cour d’appel administrative, Conseil d’État).
Toutefois, lorsqu’une administration est visée mais que son activité
relève d’un service public de nature commerciale, elle échappe à
l’ordre administratif pour être soumise à l'ordre judiciaire. Il peut s'agir
d'entités comme la RATP, l'Institut national de l'audiovisuel, etc.
Figure 5-1 L’ordre judiciaire vs l’ordre administratif.

Le garde-frontière : le Tribunal des


conflits
Son nom sonne comme le Jugement dernier et de mauvaises
langues diraient qu'il délimite effectivement la frontière entre l'enfer et
le paradis, entre ordre judiciaire et ordre administratif. Le dilemme
que doit en effet démêler le Tribunal des conflits est le suivant :
lorsque l'État est mis en cause dans un procès, doit-on confier le soin
de le juger aux juges administratifs, ou peut-on confier certaines
affaires aux juges de l'ordre judiciaire ?
Le Tribunal des conflits est une juridiction fondamentale, aux confins
de deux logiques, de deux types de partie au procès. Il a à connaître
des litiges en apparence anodins, proches du fait divers, mais se
révélant éminemment compliqués en raison de la construction
complexe du système de justice français. Ses juges ont eu la charge
de s’adapter à l’évolution de notre histoire, au passage d’un État
omnipotent et inattaquable à un État faillible et responsable.

Comment ça marche ?
Le Tribunal des conflits a été créé par la loi du 4 février 1850. Il est
composé de huit membres, dont trois sont nommés par le Conseil
d’État, trois par la Cour de cassation, et deux autres… par les six
premiers. Tous ces juges sont désignés pour trois années. Le
ministre de la Justice doit présider le Tribunal des conflits. En
pratique, il ne se déplace pour présider que lorsque le partage des
voix est égal entre les juges et qu’ils ne parviennent pas à se décider.
Sa présence fait l’objet par ailleurs d’une polémique, dans la mesure
où il peut être considéré comme attaché à l’État et sous sa
domination, donc disposé à ordonner la compétence de l’ordre
administratif au détriment de l’ordre judiciaire.
Le Tribunal des conflits a donc élaboré des règles de démarcation
permettant aux justiciables de saisir la bonne juridiction. Rappelons
que l’ordre administratif juge les relations entre les particuliers et
l'Administration, tandis que l'ordre judiciaire se penche sur les
relations entre les particuliers ou entre un particulier et
l'Administration quand celle-ci rend des services commerciaux et
industriels. Ces règles de démarcation sont claires, mais les cas sont
tous différents, et il peut arriver que les juridictions de l’ordre judiciaire
et les juridictions de l’ordre administratif ne sachent pas très bien
déterminer leurs compétences : elles veulent juger le même procès et
se disputent une affaire. Ou, de manière plus négative, aucune des
deux ne souhaite prendre en charge une affaire ; par exemple,
lorsque l'affaire est trop « sensible » , ou quand les juridictions
craignent de se faire censurer si le litige est porté – le terme exact,
non dénué de poésie, est élevé – devant le Tribunal des conflits.
Dans ces deux hypothèses, il y a un conflit de compétence (conflit
positif – les deux ordres se déclarent compétents – ou conflit
négatif – aucun des deux ne s'estime concerné). La position de
garde-frontière du Tribunal des conflits est particulièrement
importante dans notre système judiciaire, car elle permet d’établir une
distinction claire entre les deux grands chemins du labyrinthe que
sont la voie judiciaire et la voie administrative.

Qui saisit le Tribunal des conflits ?


Le Tribunal des conflits est saisi, de manière préventive, par les
juridictions administratives et les juridictions judiciaires lorsqu’elles
préfèrent avoir son avis avant de se prononcer sur une affaire. Il peut
également être saisi en cours de procès par le préfet, qui représente
l’État, lorsqu’il conteste la compétence du juge judiciaire sur une
affaire. Il s'agit de la procédure dite du déclinatoire : il ne faut pas
entendre par là que la cour est sur le déclin, mais qu’on souhaite que
l’autre décline l’invitation qui lui est faite de se prononcer. De manière
quelque peu déséquilibrée, alors que le préfet peut saisir le Tribunal
des conflits directement, les particuliers doivent solliciter le juge pour
qu’il se prononce sur sa compétence, et c'est au juge, s'il le souhaite,
de saisir le Tribunal des conflits.

Ses plus célèbres décisions


Une des plus célèbres décisions du Tribunal des conflits est l'arrêt
Blanco, rendu le 8 février 1873. Pour la première fois, un arrêt a
déclaré que la responsabilité de l'État – c'est-à-dire la responsabilité
des agents de l'État, comme les fonctionnaires – face au commun
des mortels devait être examinée par des juges de l'ordre
administratif, et non par des juges de l'ordre judiciaire. Pour résumer :
l’État juge ses propres fautes et lave son linge sale en famille.
Dans cette affaire Blanco, il s'agissait d'une fillette qui avait été
renversée et blessée par le wagonnet d'une manufacture de tabac
exploitée par l'État. Les parents avaient intenté une action afin
d'obtenir un dédommagement. Il avait alors été considéré que les
tribunaux administratifs étaient seuls compétents pour se prononcer.
Aujourd'hui, l'arrêt Blanco, bien que fondamental, est parfois
considéré comme dépassé. Ainsi, la faute personnelle d'un
fonctionnaire n'ayant aucun lien avec sa mission est jugée par l'ordre
judiciaire. À titre d'exemple, l'arrêt Action française (remontant
au 8 avril 1935) est venu énoncer qu'une mesure de police
disproportionnée – autrement dit portant atteinte à une liberté
fondamentale des citoyens ou à leur droit de propriété, c’est-à-dire
une voie de fait – doit être jugée par l'ordre judiciaire. Si
l'Administration vous spolie en vous retirant un bien sans justification,
elle ne sera pas jugée par l'ordre administratif mais par l'ordre
judiciaire, car elle aura outrepassé les limites de sa mission.

Les tribunaux de première instance


de l’ordre judiciaire
Le premier étage de l’ordre judiciaire fourmille de tribunaux de
première instance. Il y en a autant que de domaines dans lesquels un
conflit peut naître, c'est donc peu dire ! Pour y voir plus clair, on peut
classer tous ces tribunaux en deux catégories :

• les juridictions civiles, statuant sur les rapports familiaux,


commerciaux, de salariat… entre particuliers, au sein
desquelles les juges arbitrent les intérêts des parties en fonction
de leurs demandes ;

• les juridictions pénales, statuant exclusivement sur les


infractions aux dispositions du Code pénal commises par des
particuliers et des entreprises, au sein desquelles les juges
sanctionnent ces actes par des peines d’emprisonnement ou
d’amendes en fonction des demandes du procureur de la
République et indemnisent les victimes en fonction de leurs
demandes.

Les juridictions civiles


La branche civile du labyrinthe est composée de divers tribunaux.
Certains sont compétents à raison de l'enjeu financier du procès
(tribunal de grande instance), d'autres à raison du domaine
spécifique du procès (conseil de prud'hommes, tribunal de
commerce, tribunal des affaires de sécurité sociale…).

« Tout en bas » : le tribunal d’instance


Le tribunal d’instance était compétent pour les litiges dont l’enjeu se
situe en dessous de 10 000 euros. Par ailleurs, le tribunal d'instance
était exclusivement compétent dans certains domaines. Oui, mais
voilà : le tribunal d'instance a été supprimé, ou plutôt il a été fusionné
avec les tribunaux de grande instance par la loi no 2019-222
du 23 mars 2019 pour devenir le tribunal judiciaire. Cette nouvelle ne
doit cependant pas perturber le lecteur : vous retrouverez donc feu le
tribunal d'instance à la fin de cet ouvrage, dans la partie des « dix
grands disparus du monde du droit » .

Alors comme ça, il ne sent pas bon, mon


poisson ? Le tribunal de commerce
Le tribunal de commerce tranche les litiges entre deux commerçants
(concurrence déloyale, non-paiement d'une facture à un fournisseur,
etc.), mais également ceux qui portent sur des actes de commerce.
Un particulier peut poursuivre une entreprise devant le tribunal de
commerce, même s’il ne peut lui-même être poursuivi devant ce
tribunal. Ledit tribunal tranche également les litiges entre deux
associés d’une société commerciale.
Origine et fonctionnement du tribunal de
commerce
Historiquement, le tribunal de commerce tel que nous le connaissons
aujourd’hui n’est pas né d’une dispute entre un poissonnier et un
forgeron dans un village gaulois… La nécessité de faire trancher les
litiges existant entre commerçants par des pairs est apparue au XIVe
siècle. Le Code de commerce est né quant à lui en 1807.
Une partie des juges du tribunal de commerce sont appelés juges
consulaires. Ce titre vient du fait qu’autrefois le tribunal de commerce
de Paris siégeait derrière l’hôtel des Consuls, près de l’église Saint-
Merri. Nos « consuls » sont toutefois moins mondains que des
diplomates de profession ! Ce sont des commerçants, provenant de
tous les corps de métier, du boulanger à l’industriel, du retraité au
chef d’entreprise en activité, qui sont élus pour deux ans par leurs
homologues. Ces commerçants sont bénévoles et ne reçoivent qu’un
défraiement.
Les tribunaux de commerce sont souvent accusés de clientélisme et
d'affairisme, de magouilles et compagnie. Il est vrai que l’avantage
d’avoir des juges connaissant la partie présente de facto le
désavantage d’avoir des juges moins indépendants. La collégialité,
c’est-à-dire le fait qu’ils soient trois à juger, permet cependant de
limiter les copinages. Ils sont en effet trois à juger les litiges, même si,
le plus souvent, un seul juge, dit juge rapporteur, entend les parties,
prend des notes, rapporte les faits et son sentiment aux autres, puis
juge l'affaire avec eux. Par ailleurs, il n’est pas rare, surtout dans les
petits tribunaux de commerce de province, qu’un juge consulaire qui
a à trancher un litige entre deux entreprises qu'il connaît se retire et
laisse sa place à un autre juge. Il existe 134 tribunaux de commerce
en France.

Comment saisir le tribunal de commerce ?


Les parties peuvent saisir le tribunal de commerce et se présenter
sans l’aide d’un avocat. Le gérant parle au nom de sa société. Pour
cela, il doit apporter un K-bis (document qui atteste de l’existence
d’une entreprise) prouvant qu’il en est bien le représentant légal. Il
est cependant nécessaire de rédiger une assignation, c’est-à-dire un
document comportant les demandes formulées et les arguments de
celle-ci, puis de la faire délivrer à son adversaire par un huissier au
moins quinze jours avant. Le tribunal de commerce est volontiers
hanté par les robes noires des avocats : les rapports commerciaux se
sont complexifiés, et l'inflation législative, même en ce domaine,
impose souvent l’intervention d’un avocat, sans qu’elle soit pour
autant obligatoire.

Comment se déroule l’audience ?


Généralement, lors de la première audience, l'affaire n'est pas jugée.
Elle est rapidement examinée, puis les parties sont renvoyées à une
autre audience pour permettre à la personne en défense de faire
valoir ses arguments et de communiquer éventuellement des pièces
en sa faveur. Il s’agit d’une phase d’instruction de l'affaire. Lorsque
chacune des parties a pu communiquer ses pièces et faire valoir ses
arguments, une date d'audience est fixée et un juge rapporteur est
désigné pour entendre les plaidoiries et examiner le dossier. Il peut
ensuite faire son rapport à deux autres juges et trancher l'affaire.
Les décisions du tribunal de commerce peuvent faire l’objet d’un
recours devant une cour d'appel si l'enjeu dépasse 4 000 euros. Ce
recours doit être introduit dans le mois qui suit la signification par
huissier du jugement. La chambre commerciale de la cour d’appel est
composée de juges exclusivement professionnels, ce qui peut
assurer parfois une application plus stricte de la loi, puisqu’il s’agit de
juristes et non plus de commerçants.
Le Registre du commerce et des sociétés
Le tribunal de commerce n’a pas qu’une compétence en matière de
jugement des litiges entre commerçants. Il est également le gardien
des actes effectués par les sociétés commerciales. Ainsi, le greffe du
tribunal de commerce conserve le Registre du commerce et des
sociétés, où sont répertoriées toutes les entreprises inscrites dans son
territoire de compétence. Ainsi, pour constituer sa société, il faut
déposer les statuts et les éventuels procès-verbaux de nomination des
organes de gestion auprès de ce registre. Celui-ci reçoit également les
comptes annuels des sociétés.

Il est possible de consulter l’ensemble des sociétés répertoriées en


France via le site Internet accessible à l’adresse www.infogreffe.fr.

Ce site permet également de mettre en « surveillance » une société


dont la situation financière est douteuse, afin de pouvoir être informé
au plus tôt d’un éventuel dépôt de bilan. C’est également au greffe que
peuvent être retirés les K-bis des sociétés, c’est-à-dire l’équivalent de
leur état civil.

Le tribunal de commerce dispose aussi, depuis la loi du 26 juillet 2005,


d’un service de prévention des entreprises en difficulté. Certains juges
convoquent les entreprises qui semblent en très mauvaise santé
financière et qui ne redressent pas la barre. Il ne s’agit pas de les
sanctionner, mais d’aider les gérants à prendre des décisions
permettant à l’entreprise de se maintenir en activité et aux salariés de
ne pas être licenciés.

La lutte des classes au tribunal : le conseil de


prud’hommes
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le conseil de
prud’hommes n’est pas un conseil d’hommes prudes… Ou plutôt, il
ne l’est plus.

Des origines à nos jours


Ce conseil fait son apparition au Moyen Âge sous l’impulsion de
Philippe le Bel, qui souhaite aider le prévôt dans le contrôle des
maîtres faisant travailler des petites gens ; il est alors composé de
probi homines (il ne s’agit pas d’une branche d'australopithèques,
mais d'hommes qualifiés d' « austères » ). Sa mission principale : la
conciliation, objectif encore prioritaire de nos jours pour ce conseil.
Comme au temps de la royauté, le conseil de prud’hommes est
composé de salariés et d’employeurs non professionnels du droit,
élus par les leurs.
À l’heure actuelle, le conseil de prud’hommes est divisé en plusieurs
sections, représentant différents corps de métier ou niveaux de
hiérarchie : commerce, industrie, agriculture, encadrement (pour les
personnes ayant le statut de cadres) et activités diverses (cette
section a par exemple à juger des conflits entre artistes et sociétés
de production ou compagnies de théâtre).
Le conseil de prud'hommes juge les conflits entre un salarié du
secteur privé et son employeur à propos du contrat de travail ou du
contrat d’apprentissage. Le plus souvent, le salarié conteste son
licenciement et les fautes qui lui ont été reprochées. Chacun peut se
défendre seul, mais il est conseillé d’être assisté par un avocat ou, à
tout le moins, par un délégué syndical. Si une autre personne qu’un
avocat représente le salarié ou l’entreprise, un pouvoir spécial est
nécessaire.

Le déroulement d’un recours au conseil de


prud’hommes
Il existe 210 conseils de prud'hommes en France. Il faut s'adresser
au conseil de prud’hommes du domicile de l’adversaire ou du siège
de l’entreprise. Pour saisir le conseil de prud'hommes et lui demander
de juger une affaire, rien de plus facile : il suffit de remplir un
formulaire en se rendant sur place ou d'envoyer au conseil une lettre
recommandée avec accusé de réception en indiquant ses nom et
prénom, son adresse, le nom et l’adresse de l’adversaire et les motifs
ainsi que le montant de la demande.
Et les délais ?
Dans le contexte social actuel, le conseil de prud’hommes est souvent
assailli de demandes, et une procédure peut durer entre six mois et
deux années, surtout à Paris. Une procédure d’urgence existe, dite « du
référé ». Elle n’est toutefois admise qu’à des conditions strictes :
évidence et absence de contestations sérieuses de la part de
l’adversaire. Le référé porte souvent sur le non-paiement de salaires ou
l’absence de remise d’un certificat de travail, mais rarement sur une
faute professionnelle, qui nécessite un examen approfondi des preuves
apportées par le salarié.

La procédure devant le conseil de prud'hommes se déroule en deux


étapes : la conciliation, puis le jugement. Lors de la première, les
parties reçoivent une convocation pour une audience au cours de
laquelle elles doivent se présenter en personne ou se faire
représenter en cas d’excuse légitime (maladie, déplacements
professionnels importants…). Lors de cette audience, les parties sont
reçues seules par deux conseillers (un employeur, un salarié) et
tentent de trouver un terrain d'entente. Si aucune entente n'est
possible, les conseillers fixent une date pour que l'affaire soit jugée. Il
est rare que des demandes financières ou autres soient plaidées à ce
stade. Lorsque c’est le cas, ces demandes sont dites provisionnelles
et sont accordées dans l’attente de la seconde étape de la
procédure.
Au jugement, les parties se présentent seules ou assistées. La
procédure est orale, et aucun écrit n’est nécessaire. Mais, en
principe, les parties doivent s’être échangé leurs preuves et leurs
arguments avant l’audience. Elles les développent à la barre devant
les quatre conseillers présents (deux salariés et deux employeurs),
auxquels un dossier est remis avec l’ensemble des preuves. Les
conseillers délibèrent sur-le-champ dans une salle attenante, afin de
rendre leur décision immédiatement, ou indiquent aux parties la date
à laquelle elles pourront venir chercher la décision (un à deux mois
plus tard, généralement). L’audience est publique, et tout le monde
peut y assister.
Il peut arriver que les conseillers ne s’entendent pas. Les avis des
conseillers employeurs et des conseillers salariés peuvent différer, ou
les points de droit évoqués par les parties peuvent leur paraître trop
complexes (n’oublions pas qu’ils ne sont pas des juges
professionnels). Dans ce cas, l'affaire est confiée à un juge
professionnel qui devra trancher : il s'agit du juge départiteur. Celui-ci
est un professionnel, issu du tribunal d’instance. Il convoque les
parties pour une nouvelle audience au cours de laquelle l'affaire lui
est exposée en présence des quatre conseillers prud’homaux qui
n’ont pu se mettre d’accord. Il est contraint de se décider et de
trancher en faveur de l’employeur ou du salarié.

Les possibilités d’appel


Si le jugement porte sur des sommes inférieures à 4 000 euros ou s'il
s'agit de la simple remise par l’employeur d’un document, aucune
procédure d’appel n’est possible. Dans les autres cas, les parties
peuvent faire appel dans le mois qui suit la réception de la lettre du
conseil de prud'hommes notifiant le jugement. Attention, les délais
d’envoi de cette lettre peuvent être longs, et il arrive souvent que les
parties connaissent la décision en ayant contacté le conseil de
prud’hommes par téléphone, sans avoir reçu ce courrier. Dans ce
cas, le délai d’appel ne court pas encore.

Une ordonnance non remboursée : le tribunal


des affaires de sécurité sociale
Il existe un tribunal dédié aux litiges opposant les organismes de
sécurité sociale aux usagers. Il peut s’agir de querelles sur le
montant des cotisations payées, de refus de prise en charge ou
encore du taux de remboursement de soins. Ce contentieux relève
d’un tribunal au nom singulier quand il est désigné par les
professionnels du droit : le tribunal des affaires de sécurité sociale
(TASS).
Le TASS territorialement compétent est celui qui se trouve dans le
département du domicile du bénéficiaire des prestations ou du siège
de l'organisme de sécurité sociale concerné. Cette juridiction est
composée d’un juge professionnel et de deux juges non
professionnels nommés pour trois ans par le premier président de la
cour d’appel à partir d’une liste de personnes proposées par les
organisations patronales et ouvrières les plus représentatives. Ces
deux juges sont appelés des assesseurs.
Un contentieux ne peut être porté devant le TASS que dans les deux
mois suivant une décision de la commission de recours amiable de la
Sécurité sociale, qui doit elle-même avoir été saisie préalablement.
En pratique, soit la décision de la commission de recours amiable de
la Sécurité sociale a été jugée insatisfaisante, soit elle n’a même pas
pris la peine de se prononcer dans le mois suivant la lettre de
réclamation.
La saisine du tribunal doit alors être faite par lettre recommandée
avec accusé de réception. Les parties sont convoquées quinze jours
avant l'audience et peuvent se présenter seules, même si
l’assistance d’un avocat est, là encore, fortement conseillée eu égard
à la particularité des règles du code de la Sécurité sociale. Elles
peuvent également se faire représenter par un conjoint, un
ascendant, un descendant ou un collègue exerçant la même
profession si ceux-ci sont munis d’un pouvoir écrit de leur part.
Il convient de souligner que les TASS sont bien souvent pris d'assaut
et totalement engorgés. Il faut attendre de très longs mois pour
qu’une décision soit rendue ; et ce d'autant plus qu'il peut arriver que
le tribunal ordonne une expertise médicale qui allonge encore ces
délais. Si la décision du TASS est insatisfaisante, un appel est
possible dans le délai d’un mois pour les décisions portant sur des
sommes supérieures à 4 000 euros seulement.

Attention à la peau de banane à l’entrée du bureau


Il existe un autre tribunal très particulier en matière de sécurité sociale,
dont la compétence est plutôt médicale : le tribunal du contentieux de
l’incapacité. Il ne juge que les questions purement techniques
afférentes aux accidents du travail engendrant des nécessités de cures,
des invalidités ou la fixation d’un taux d’incapacité.

En appel, c’est la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de


l’assurance des accidents du travail (eh oui, ça existe ! ) qui est
compétente. Le tribunal est composé d’un magistrat professionnel
souvent en retraite, ainsi que de deux salariés et de deux employeurs.
Meeuuhh non : le tribunal paritaire des baux
ruraux
Le tribunal paritaire des baux ruraux ne connaît que des différends
entre agriculteurs concernant les baux ruraux, c’est-à-dire les
locations de terres agricoles à exploiter. Il est composé d’un juge
professionnel et de quatre juges non professionnels (deux juges qui
représentent des propriétaires et deux juges qui représentent des
locataires).
Le tribunal compétent est celui du lieu de situation de la terre louée. Il
existe un tribunal paritaire des baux ruraux pour chaque tribunal
d’instance, même si le tribunal paritaire des baux ruraux parisien a
très peu vocation à siéger ! La procédure est orale, et la
représentation par un avocat n’est pas obligatoire. Le tribunal peut
être saisi par simple lettre recommandée avec accusé de réception
expliquant l'objet du litige et les demandes effectuées. Les juges du
tribunal paritaire des baux ruraux ont avant tout un rôle de
conciliation. Leurs décisions sont susceptibles d'appel si elles portent
sur des sommes supérieures à 4 000 euros.

Un bouche-trou encombré : le tribunal de


grande instance
Le tribunal de grande instance statue sur tout ce qui n’est pas jugé
par les autres tribunaux civils cités précédemment. Ce sont donc les
affaires de plus de 10 000 euros et qui ne concernent pas les litiges
de salariés, de commerçants, d'agriculteurs, d'assurés sociaux, etc.
Comme lot de consolation, le tribunal de grande instance a une
compétence réservée, quel que soit le montant en jeu, dans certains
domaines : nationalité, successions, mariages, divorces, filiation et
droit des marques.
Il existe au moins un tribunal de grande instance par département, et
le tribunal compétent est celui du domicile de la personne que l’on
souhaite attaquer, appelée généralement le défendeur.
Dans les tribunaux des grandes villes, le tribunal de grande instance
est divisé en plusieurs chambres, avec des juges spécialisés selon le
type d'affaire. Par exemple, à Paris, la 17e chambre du tribunal de
grande instance ne juge que des affaires dites « de presse »
(diffamation, injure, atteinte à la vie privée, etc.) ; la 1re chambre
(section « état des personnes » ) ne s'occupe que des affaires
d'adoption, de transsexualisme, de changement de nom, etc. De
plus, en application du Code de l’organisation judiciaire, certains
tribunaux de grande instance traitent de dossiers particuliers : ainsi,
celui de Brest juge les navires pollueurs pour tous les autres
tribunaux de grande instance bordant l'Atlantique, celui de Paris est
seul compétent en matière de brevets, etc.
La procédure devant le tribunal de grande instance est assez
compliquée pour un simple particulier, et la représentation par un
avocat est donc obligatoire. La procédure est écrite, et les parties
doivent rédiger une assignation qui sera délivrée par un huissier puis
des conclusions (de 10 à 80 pages parfois pour exposer les faits, les
règles de droit invoquées et les demandes sollicitées), qui seront
également délivrées par des huissiers spéciaux.
Après différentes « mini-audiences » , au cours desquelles les juges
reçoivent les arguments des parties et s’assurent que les preuves
sont convenablement échangées entre elles, une date d'audience de
plaidoirie est fixée. Lors de cette audience finale, les avocats
plaident, remettent aux juges leur dossier contenant l’ensemble des
pièces et répondent à leurs éventuelles questions. Les justiciables
peuvent être présents lors de ces audiences, qui sont publiques,
mais ils ne sont en général pas entendus par le tribunal. Les juges
statuent à trois, et leur décision est rendue quelque temps après
l’audience de plaidoirie, parfois plusieurs mois plus tard. Les
procédures sont donc longues, eu égard au nombre important
d'affaires, et peuvent durer de un an à plusieurs années selon les
palais de justice.
Une fois le jugement transmis à l'avocat, celui-ci le confie à un
huissier, qui va le signifier à la partie adverse. Les décisions du
tribunal de grande instance peuvent être frappées d’appel dans un
délai d’un mois suivant la délivrance du jugement par l’huissier.
Depuis le 1er janvier 2020, les tribunaux d’instance et de grande
instance situés dans une même ville sont regroupés en une juridiction
unique : le tribunal judiciaire.
Le principe de la collégialité : plus on est de fous,
plus on rit
La justice française doit être rendue par un collège de juges, c’est-à-dire
qu’une décision ne peut être prononcée à l’encontre d’un justiciable par
une seule et unique personne, sauf pour les affaires de très faible
importance, devant le tribunal d’instance. Il s’agit d’une garantie de
bonne justice, les litiges entre particuliers ne pouvant être soumis à un
seul homme, qui ferait valoir ses convictions personnelles, sans aucune
logique ou sans s’appuyer sur la loi. Néanmoins, ce principe se vérifie
de moins en moins et semble parfois détourné de nos jours.

Il convient de noter en effet que le juge unique est admis dans certains
cas : notamment pour les affaires devant être jugées en urgence, telles
que les référés, pour les affaires très particulières comme les affaires
de divorce, examinées par le juge aux affaires familiales, pour les
affaires d’expropriation par l’État, soumises au seul juge de
l’expropriation statuant sur les indemnités, ou encore pour les
demandes d’échelonnement des paiements des condamnations,
confiées au seul juge de l’exécution.

Mais, avec la multiplication des affaires à juger et l’engorgement des


tribunaux soumis à des objectifs de rendement dignes de l’usine, il est
de plus en plus fréquent, notamment devant le tribunal de grande
instance et le tribunal de commerce, que les audiences soient assurées
par un seul juge, appelé « rapporteur ». Lui seul examine l’affaire, lui
seul entend les plaidoiries des avocats, puis il rédige un rapport à
l’attention des deux autres juges, qui lui donnent alors leur avis et enfin
cosignent. Néanmoins, l’examen d’une affaire par un seul juge
rapporteur doit être expressément accepté par les parties. Un avocat
considérant que son affaire est sensible ou appelle une attention
particulière pourra exiger que trois juges soient présents lors des
débats et plaidoiries… au risque de se mettre à dos les trois juges déjà
surbookés !

Il s'agissait jusqu'à présent de s'orienter entre les différents tribunaux


jugeant les affaires civiles, c'est-à-dire les affaires d'argent ou les
disputes entre personnes ou entreprises privées. L’État ne prenait
pas part à la fête, car il n’était pas vraiment concerné. Dorénavant,
nous vous invitons à pénétrer dans une branche du labyrinthe
beaucoup plus sombre : la justice pénale, celle des délinquants et
des victimes. L'État considère en effet que violer le Code pénal est
préjudiciable à la personne directement victime (l’escroqué ou le
blessé), mais également à la société entière, puisque le délinquant
peut récidiver et porter atteinte à d’autres citoyens. Éclairons votre
lanterne…

Un tribunal judiciaire, une solution


durable ?
La loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la
justice prévoit la création d’un tribunal judiciaire au 1er janvier 2020.
Ce tribunal est le résultat d’une fusion de l’ensemble des contentieux
relevant du tribunal d’instance au tribunal de grande instance. Le but
est de réunir, au sein d’une même juridiction, la compétence civile de
première instance. Les litiges qui relevaient jusqu'à présent du
tribunal d’instance sont dorénavant traités par le juge des contentieux
et de la protection au sein du tribunal judiciaire. Le texte précise
néanmoins que tous les sites seront maintenus, même si le tribunal
d’instance deviendra une « chambre détachée » du tribunal judiciaire.
Cette réforme ayant provoqué la colère des 8 313 magistrats de
France, seul le temps nous dira si elle mènera, comme escompté, à
la simplification de la justice…

Les juridictions pénales


Contrairement aux juridictions civiles, la justice pénale n'est rendue
par différents tribunaux qu’à raison de la gravité de l’infraction
commise, peu importe dans quel domaine (travail, école, banque,
etc.). Ainsi, il existe trois principales juridictions pénales :
• pour les contraventions : le tribunal de police ;

• pour les délits : le tribunal correctionnel ;

• pour les crimes : la cour d’assises.


Les seuls juges spécifiques en matière de juridictions pénales
concernent :
• la délinquance des mineurs, qui, jusqu’à présent, bénéficient
d’une responsabilité pénale atténuée et de juges spéciaux dont
la mission est également la prévention et l’accompagnement
des mineurs délinquants pour qu’ils ne deviennent pas des
adultes délinquants ;
• la délinquance des personnes qui nous gouvernent (si, si, ça
existe… hélas !).
De manière générale, en matière pénale, le tribunal compétent est
celui du lieu de l’infraction, de l’arrestation ou du domicile du prévenu.

Haut les mains ! Le tribunal de police


Le tribunal de police est appelé également « tribunal des
contraventions » . Contrairement à ce que son nom laisse craindre,
ce tribunal n’est pas présidé par un membre de la police judiciaire,
mais par un magistrat professionnel, indépendant, qui juge seul. Il n'a
à connaître que des affaires pénales, c'est-à-dire concernant des
infractions au Code pénal. Attention, depuis 2000, la juridiction de
proximité peut juger également des affaires pénales de très faible
importance, comme le tapage nocturne.
Le rôle du tribunal de police est de juger les actes illégaux ayant
donné lieu à de simples contraventions (par opposition aux délits et
aux crimes, hautement plus problématiques tant pour la société que
pour les victimes). Usuellement, il s’agit de tout ce qui touche la
circulation routière, la chasse sans permis, les blessures légères, les
injures au sein de correspondances privées… Il s’agit d’infractions de
gravité limitée et susceptibles de peines peu importantes.
Ainsi, le tribunal de police peut condamner ces actes par une
amende allant de 38 à 1 500 euros (3 000 euros en cas de récidive).
Il ne peut prononcer de peine d'emprisonnement mais est habilité,
par exemple, à ordonner un retrait de permis ou l’interdiction
d’exercer une activité professionnelle.
La convocation devant le tribunal de police
On ne passe pas devant le tribunal de police pour toutes les
contraventions : seules les contraventions les plus sérieuses
engendrent automatiquement une convocation devant le tribunal de
police. Pour les infractions plus graves, le procureur de la République
fait citer directement la personne poursuivie devant le tribunal de
police. Cela est obligatoire pour les contraventions de 5e classe, mais
également fréquent lorsqu’il existe des dégâts corporels (personne
renversée et blessée) ou matériels (voiture de tiers accidentée
notamment).
La personne convoquée devant le tribunal de police peut demander à
avoir accès à son dossier, contenant les déclarations des officiers de
police judiciaire et le procès-verbal d’infraction. Ce dossier est
consultable au parquet ou, quelques jours avant l'audience, auprès
du greffe du tribunal de police. La citation directe – en clair, la
convocation délivrée par l'huissier – doit être précise et ne comporter
aucune erreur. À titre d’exemple, une simple erreur sur la date de
l’infraction ou dans le numéro d’immatriculation du véhicule peut
permettre l’annulation de toute la procédure.

La procédure devant le tribunal de police


Les tribunaux de police sont souvent engorgés, et les audiences
peuvent durer tout un après-midi ainsi qu’une bonne partie de la
soirée. Les justiciables peuvent se présenter seuls ou accompagnés
d’un avocat. Le juge interroge la partie poursuivie puis entend le
procureur de la République, qui représente l’État et fait part au juge
de la peine qu’il préconise, avant que le présumé innocent ou son
avocat n’ait la parole, en dernier.
Le tribunal de police juge en dernier ressort (sans appel possible)
pour les contraventions jusqu’à la 4e classe, c'est-à-dire les
contraventions modiques ne pouvant être assorties d'une amende
supérieure à 750 euros. Pour les contraventions de 5e classe, comme
pour les suspensions de permis de conduire ou les dommages et
intérêts pour indemniser une partie civile, il existe une possibilité
d’interjeter appel (de faire appel) dans les dix jours du prononcé du
jugement. Pour ce faire, il faut se déplacer personnellement ou par le
biais d'un avocat au greffe du tribunal de police.
Qui décide du retrait des points du permis ?
La décision de retrait des points sur le permis n’est pas une décision
judiciaire du tribunal de police, mais une décision administrative du
préfet de police. Le permis étant délivré par la préfecture de Police,
seule celle-ci peut décider du retrait des points sur ce permis. Le
tribunal de police peut interdire à un automobiliste de conduire, il peut
suspendre le permis de conduire ; toutefois, il ne peut lui retirer de
points.

Un agent de police a en revanche la faculté, immédiatement, sur le


bord de la route, si la vitesse a dépassé de plus de 40 km/h la vitesse
autorisée, de retirer le permis de conduire. Celui-ci ne peut être
conservé par la police plus de soixante-douze heures. Au terme de ce
délai, le préfet peut prendre une décision de suspension du permis
pour une période ne pouvant excéder deux ou six mois selon
l’importance de l’infraction. Si une telle décision n’a pas été prise, le
permis doit être restitué.

Pour les retraits de points sur le permis, il faut être plus que vigilant sur
la route… et en justice. Ce n’est pas parce que le jugement du tribunal
de police ne mentionne pas ces retraits qu’ils n’existent pas d’un point
de vue administratif. Pour en obtenir l’annulation, il convient de saisir à
son tour la justice en contestant cette décision administrative. Dans la
mesure où il s’agit d’une décision de l’Administration, ce sont les
tribunaux de l’ordre administratif qui sont compétents. À titre
d’exemple, il a été jugé à de nombreuses reprises que les retraits de
points sur le permis à la suite d’infractions constatées par des radars
automatiques ne répondaient pas aux exigences de preuve posées par
la Cour de cassation et le Conseil d’État.

L’amende forfaitaire
Bien souvent, l’automobiliste est soumis à l’amende forfaitaire. Ce qui
entraîne une confusion dans le vocabulaire courant, où la sanction
devient synonyme de contravention, qui désigne en réalité les
agissements répréhensibles.
Cette amende est moins facile à avaler que le fruit sec homophone. Il
s’agit d’une procédure simplifiée où il est demandé une somme
forfaitaire à l'auteur de l'infraction, qui évite ainsi de passer devant le
tribunal, voire lui permet de payer une somme minorée s’il la règle
immédiatement auprès de l’agent de police ou dans les trois jours. Si
l’automobiliste conteste l’amende forfaitaire, il doit rédiger un courrier
recommandé avec accusé de réception au procureur de la
République. Ce dernier ne peut pas refuser l’examen de cette
contestation.
Ainsi, la France a été condamnée le 7 mars 2006 par la Cour
européenne des droits de l’homme pour avoir dénié à un
automobiliste l’accès à un tribunal. En l’espèce, le procureur de la
République avait balayé ses arguments sans les transmettre au
tribunal. Il a été rappelé que le procureur de la République qui reçoit
une lettre de contestation de l’amende doit soit renoncer à la
poursuite, soit transmettre le dossier au tribunal, qui pourra prendre
une ordonnance pénale ou convoquer l’automobiliste.

L’ordonnance pénale
Inutile de tenter de vous faire rembourser cette ordonnance par la
Sécurité sociale ! L'ordonnance pénale est la décision prise par le
tribunal de police, sur les seules déclarations de la police et du
procureur de la République. Cette procédure simplifiée a été mise en
place pour désengorger les tribunaux et, officiellement, pour vous
éviter de vous déplacer au tribunal. En réalité, elle permet un gain de
temps, et donc d’argent, considérable pour la justice.
Comment ça marche ? Le justiciable reçoit une lettre recommandée
avec accusé de réception lui indiquant qu’il a été déclaré coupable de
certains actes (il a grillé un stop, par exemple) et qu’il a été
condamné à payer une amende.
Il bénéficie d'un délai de trente jours à compter de la date d'envoi du
courrier recommandé pour s’acquitter de cette amende ou la
contester.
On ne peut plus contester une amende une fois celle-ci réglée. Si
l’automobiliste souhaite débattre des faits qui lui sont reprochés, il ne
doit donc pas payer l’amende, sous peine de n’avoir plus de moyen
de recours par la suite. Pour former opposition, il suffit d'adresser une
lettre recommandée avec accusé de réception au greffe du tribunal
de police en expliquant que les actes reprochés sont contestés. Le
citoyen est alors convoqué à une audience avec le juge afin qu'il
puisse présenter sa défense. Attention, la simple parole ne suffit pas,
car le procès-verbal a été rédigé par un agent assermenté. Il faudra
donc apporter des témoignages. Il est encore possible de nier être
l’auteur des faits. Il est alors demandé de consigner une somme
forfaitaire, puis ce sera au procureur de la République de prouver
l’identité de la personne qui conduisait le véhicule ayant servi à la
commission de l’infraction.

Est-on obligé de signer le PV dressé par l’agent de


police ?
Lorsque l’on est arrêté par la police à la suite du « dépassement » d’un
feu rouge, par exemple, et qu’un agent verbalise, il présente le procès-
verbal constatant l’infraction à l’automobiliste et lui demande de le
signer. Il n’est pas rare que l’automobiliste conteste les faits et fasse
valoir que le feu dépassé était encore vert. Or, certains conducteurs
n’osent pas refuser de signer le procès-verbal, de peur d’aggraver leur
cas. C’est une erreur, bien entendu : il est toujours possible de
s’abstenir de signer. Il suffit de cocher la case « Ne reconnaît pas
l’infraction » et de faire mentionner sur le volet conservé par l’agent de
police que les faits ne sont pas reconnus. L’absence de paraphe
n’emporte pas une présomption de mauvaise foi de l’automobiliste, et
celui-ci pourra prouver, par des témoins par exemple, que les faits
constatés dans le PV sont inexacts. Néanmoins, il faut souligner que le
paiement de l’amende est considéré comme une acceptation tacite de
celle-ci : une fois la somme payée, l’infraction n’est plus contestable,
même si l’automobiliste a fait noter sur le PV qu’il considérait n’avoir
rien commis de répréhensible.
Qu’est-ce que le respect du « contradictoire » ?
Dans tout procès, il y a deux parties, qui ont chacune une version des
faits différente et, par conséquent, argumentent de manière contraire.
Un des grands principes de la justice dans un pays respectant les droits
de l’homme et les libertés fondamentales est de permettre à chacun de
faire entendre sa voix : il doit y avoir une stricte égalité entre les
parties. Il s’agit pour le juge de faire respecter le contradictoire, c’est-à-
dire de donner la possibilité à chaque partie de contredire l’autre et de
ne pas se contenter d’écouter passivement la version adverse. Cela
nécessite aussi que chacun ait communiqué à son adversaire son
argumentation et les preuves en sa possession avant l’audience pour
qu’il puisse les contredire. En effet, si un camp n’a connaissance des
arguments de l’autre que le jour de l’audience, il n’a pas assez de temps
pour préparer sa défense et répondre. C’est la raison pour laquelle,
dans ce cas, le juge est contraint de renvoyer l’audience à une date
ultérieure afin d’être certain que chacun aura bénéficié du délai
nécessaire pour préparer sa défense en réponse aux arguments de
l’autre partie.

Puni au piquet : le tribunal correctionnel


Le tribunal correctionnel est présenté officiellement comme le
pendant du tribunal de grande instance en matière pénale. Il est
composé de trois juges professionnels et du procureur de la
République. Il a compétence pour tous les délits, comme les vols, les
escroqueries, les coups et blessures, les contrefaçons, les conduites
en état d’ivresse…
Dans les grandes villes, le tribunal correctionnel est divisé en
plusieurs chambres spécialisées selon les délits. À titre d’exemple, à
Paris, la 11e chambre du tribunal correctionnel est spécialisée dans la
« délinquance astucieuse » (c’est-à-dire les cols blancs malhonnêtes
et pas très futés) pour les infractions prises sur le vif. La 17e chambre
est spécialisée quant à elle dans les infractions liées à la presse,
comme les diffamations commises notamment dans les journaux ou à
la télévision.

La convocation devant le tribunal


correctionnel
La convocation devant le tribunal correctionnel peut résulter des
suites d’une plainte. Le procureur de la République, prévenu de celle-
ci, peut faire citer la personne visée devant le tribunal correctionnel ;
il peut également considérer qu’une enquête est nécessaire. Dans ce
cas, il préviendra le juge d’instruction, qui, à l’issue de l’enquête,
décidera ou non du renvoi des personnes visées devant le tribunal
correctionnel.
Tout citoyen s’estimant victime d’une infraction peut également faire
citer directement la personne visée devant le tribunal correctionnel.
Une convocation peut aussi être adressée par le tribunal lui-même.
Enfin, la personne peut comparaître immédiatement après avoir été
arrêtée : c'est le cas des flagrants délits. Les suspects ont été arrêtés
alors qu’ils venaient de commettre une infraction. Ils sont placés en
garde à vue puis directement envoyés devant leurs juges pour être
condamnés ou, plus rarement, relaxés.

L’audience devant le tribunal correctionnel


Le tribunal correctionnel doit se prononcer sur la culpabilité de la
personne poursuivie. Il entend celle-ci, qui s'explique sur les faits,
puis les victimes. À la fin des débats, le prévenu peut prendre la
parole pour se défendre seul ou laisser la parole à son avocat, choisi
ou commis d'office.
Si le tribunal retient la culpabilité, il prononce une peine (composée
d’une amende et/ou d'un emprisonnement, selon le délit, d'une durée
maximale de dix ans – ou de vingt ans en cas de récidive). Il pourra
également faire droit aux demandes d'indemnisation de la partie
civile. Les personnes qui estiment avoir souffert personnellement de
l'infraction peuvent en effet réclamer un dédommagement,
généralement financier. À titre d'exemple, une personne qui en a
frappé une autre dans la rue peut être poursuivie pour coups et
blessures. Elle sera punie, au bénéfice de la société, par une peine
d'amende et/ou d'emprisonnement et devra indemniser, en sus, la
victime des coups (frais médicaux, préjudice physique, préjudice
moral, arrêt de travail…). De manière générale, la décision des juges
est rendue immédiatement (sur le siège, selon l’expression
consacrée). Elle peut être aussi renvoyée à une date ultérieure, les
juges désirant examiner l’intégralité du dossier avant de se prononcer
ou bien étant pressés de passer à l'affaire suivante !
La loi du 11 août 2011, dite « loi sur la participation des citoyens au
fonctionnement de la justice » , a introduit à titre expérimental (à
Dijon et à Toulouse) les jurés populaires dans les tribunaux
correctionnels à partir du 1er janvier 2012.
Le plaider-coupable
La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (appelée
aussi « plaider-coupable ») autorise le procureur de la République à
proposer, directement et en évitant un procès, une ou plusieurs peines
à une personne qui reconnaît les faits qui lui sont reprochés. Cette
procédure est applicable aux seuls majeurs.

Elle est exclue en cas de violences, de menaces, d’agressions sexuelles


et d’atteintes involontaires à l’intégrité de la personne, pour lesquelles
une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure ou égale à cinq
ans est encourue. Il en va de même pour les homicides involontaires,
les délits de presse et les délits politiques.

La victime doit être informée sans délai de la mise en œuvre de cette


procédure. Elle peut alors se constituer partie civile et demander
réparation de son préjudice. Elle est entendue, accompagnée le cas
échéant de son avocat, lors de la phase d’homologation par le
président du tribunal de grande instance. Le président statue sur la
demande d’homologation et sur la demande de dommages et intérêts
de la victime. Le procureur de la République peut proposer :

soit une peine d’amende, dont le montant ne peut être supérieur à


celui de l’amende encourue ;

soit une peine d’emprisonnement, dont la durée ne peut ni être


supérieure à un an ni excéder la moitié de la peine encourue.

L’intéressé peut accepter ou refuser la proposition. Il peut disposer d’un


délai de réflexion de dix jours avant de faire connaître sa décision.

En cas d’appel de l’ordonnance d’homologation, la chambre des appels


correctionnels ne peut prononcer une peine plus sévère que celle qui a
été homologuée par le président du tribunal de grande instance, sauf si
l’appel est formé par le ministère public.
L’appel contre les décisions du tribunal
correctionnel
Les décisions prises par le tribunal correctionnel sont susceptibles
d’appel.

Mais les délais pour faire appel sont courts : dix jours seulement à
compter du prononcé du jugement. L’appel peut être interjeté par la
personne condamnée et/ ou par la victime et/ou encore par le
procureur. Cependant, la victime ne pourra faire appel que de la
décision portant sur son indemnisation. Si elle trouve que la peine
d'emprisonnement appliquée n'a pas été assez lourde, elle ne
dispose d'aucun recours : cette décision appartient à l'État seul.
En raison des délais d’appel très réduits, il vaut mieux être présent à
l’audience si l’on souhaite être informé le plus rapidement possible de
la décision des juges. Cependant, s’il est présent, le condamné
risque également d’être mis en prison immédiatement si une peine
d’emprisonnement est prononcée. En cas d’absence, un mandat
d’arrêt est prononcé, et il faut attendre en pleine salle d’audience que
les autorités de police aillent chercher la personne condamnée pour
qu’elle soit mise en prison… Quant à connaître la motivation ayant
poussé les juges à rendre telle ou telle décision, elle ne sera
communiquée aux parties bien souvent qu’après le délai d’appel, le
temps de la rédaction suivi de celui des formalités de signature et
d'apposition des cachets officiels !

Accusé, levez-vous : la cour d’assises


La cour d’assises juge les infractions les plus graves : le terrorisme,
le meurtre, le viol, le vol à main armée, l’empoisonnement… Il ne faut
pas oublier que, jusqu’en 1981, la cour d’assises pouvait prononcer
la peine de mort, soit l’envoi à la guillotine de la personne jugée, et
que pesait sur les juges une responsabilité extrêmement lourde.
Encore aujourd’hui, la cour d’assises a un rôle prépondérant dans
notre système pénal. Elle peut prononcer des peines allant jusqu’à
l’emprisonnement à vie. C’est par la cour d’assises qu’ont été jugées
les personnes mises en cause dans le cadre de l'affaire d'Outreau
par exemple.
En raison de la lourdeur de la faute commise et de la responsabilité
de cette cour, sa composition est particulière : il s'agit d'une
composition échevinale. Certains penseront hâtivement que ce terme
désigne des magistrats juchés sur leurs chevaux dans la salle
d’audience… Il n’en est évidemment rien, les débats y étant souvent
plutôt terre à terre. L’échevinage fait référence à la composition de la
cour, qui comporte des juges professionnels, au nombre de trois (un
président et deux autres juges), et des jurés non professionnels, au
nombre de six (puis de neuf en appel), rassemblés en un jury
populaire et désignés parmi des citoyens lambda. Le parquet est
également présent, et son rôle est important, puisqu’il représente
l’État poursuivant un crime.
En matière de crimes terroristes et de trafics de stupéfiants, la
présence des jurés n’est plus de mise. Seuls sept juges
professionnels sont habilités à se prononcer sur la culpabilité des
personnes poursuivies pour ce type de crime, en raison du risque de
représailles sur les jurés et donc de partialité de leur part.
Il existe une cour d’assises par département. Le procès se déroule de
manière très solennelle. Le président – un des trois juges
professionnels – lit le résumé des faits et des éventuelles conclusions
des experts. L’accusé est interrogé par les juges, les jurés et le
parquet, représenté ici par l’avocat général. Puis les victimes sont
entendues, ainsi que les témoins et les éventuels experts. Une fois
toutes les questions posées, le président ordonne généralement une
pause. De retour dans la salle d’audience, les avocats des parties
civiles plaident.
Puis l’avocat général prend ses réquisitions, c’est-à-dire donne son
opinion sur l'affaire et indique quelle peine il souhaiterait voir
prononcer. Enfin, les avocats de la défense plaident à leur tour. Les
juges et les jurés se retirent alors pour se concerter sur la culpabilité
de l’accusé et, éventuellement, sur la peine qu’ils souhaitent
appliquer. Cette concertation peut prendre vingt minutes comme une
journée entière. Enfin, le verdict est rendu.
L’audience devant la cour d’assises est publique, sauf en ce qui
concerne les crimes commis à l’encontre d’enfants mineurs ou si le
huis clos est prononcé (en matière de viol notamment).
Depuis 2001 seulement, les décisions prises par les cours d’assises
sont susceptibles d’appel, dans les dix jours de leur prononcé.
Le principe du double degré de juridiction n’a donc pas toujours été
respecté en matière criminelle. Devant la cour d’appel d’assises, le
procès est recommencé une deuxième fois, les jurés populaires
passant néanmoins au nombre de neuf.
Depuis 2012, les cours d'assises ont l'obligation de motiver leur
décision, autrement dit de coucher par écrit les faits qui ont conduit
au verdict.
La révision d’un procès
La révision d’une décision de justice n’est envisagée en droit français
qu’en cas de condamnation : si une personne, même responsable en
réalité, est déclarée non coupable et acquittée, aucune révision n’est
possible. Quelle que soit l’amertume que cela peut provoquer, la
décision d’acquittement prévaut, au nom de la sécurité juridique de
toute société démocratique.

En revanche, si un doute subsiste sur la culpabilité d’une personne


condamnée, c’est alors un innocent qui pourrait être injustement
enfermé. La décision judiciaire prise à son encontre malgré une erreur
de fait doit donc nécessairement être corrigée. La demande en révision
d’une condamnation pénale définitive doit faire valoir des indices
suffisants de nature à mettre en doute la culpabilité de la personne
condamnée, comme un fait nouveau : la preuve d’un faux témoignage,
la culpabilité avérée d’un autre… La demande en révision n’est pas
limitée dans le temps, et, même après le décès de l’intéressé, ses
héritiers peuvent agir. Heureusement, car le parcours est long et semé
d’embûches. La demande en révision est adressée à une commission
de la Cour de cassation qui instruit le dossier. Après analyse, la
demande peut être rejetée ou transmise à la Cour de révision, seule à
pouvoir annuler les condamnations et réhabiliter l’ex-condamné.

La révision d’un procès ne se confond pas avec la révision des


condamnations. Certaines infractions anciennes ayant donné lieu à des
sanctions sévères peuvent paraître, à une autre époque, dérisoires. Le
législateur décide alors lui-même de rectifier les condamnations. C’est
ainsi que la loi du 25 septembre 1947 est revenue sur les lourdes
condamnations pour outrage aux bonnes mœurs visant souvent des
chefs-d’œuvre littéraires. Merci aux députés de 1947, qui ont donc
permis de réhabiliter Les Fleurs du mal, de Baudelaire, interdites
auparavant.
Bourreaux d’enfants : les juges des mineurs
Les enfants de moins de 18 ans ne sont pas jugés par les mêmes
tribunaux que les adultes. Devant les juridictions civiles, seuls les
parents sont responsables des actes de leur progéniture. Devant les
juridictions pénales, les mineurs sont seuls responsables face à la
justice, même si leurs parents peuvent être condamnés pour leur part
à indemniser les victimes.

Le juge des enfants


Le juge des enfants exerce au sein du tribunal judiciaire. Il est
nommé pour trois ans renouvelables en raison de l'intérêt qu'il porte
aux affaires pénales relatives aux mineurs et de ses aptitudes dans
ces situations extrêmement délicates.
Au préalable, il peut y avoir eu un travail d'enquête. Néanmoins,
certains juges d’instruction spécialisés peuvent exercer ce rôle
d’enquêteur également. L’enquête répond à des règles spécifiques :
l'information des parents de l'enfant en cause est de rigueur,
l'intervention d'un avocat est obligatoire, etc. L'enfermement du
mineur dans un quartier spécialisé de la prison doit être très
exceptionnel et réservé aux cas les plus graves, comportant un
véritable risque que l’enfant commette de nouveau un crime ou
s’échappe. À l’issue de l’enquête, le juge pour enfants rend son
rapport et fait convoquer l’agneau égaré devant le tribunal pour
enfants. Pour des petits délits, il peut le convoquer devant lui et être
seul à juger. S’il juge lui-même le mineur, il prononce une relaxe ou
une simple admonestation – en clair, le mineur se fait simplement
« passer un savon » par le juge.

Le tribunal pour enfants


Le tribunal pour enfants siège au sein du tribunal de grande instance
et juge les délits commis par des enfants de moins de 18 ans.
Composé uniquement de juges professionnels, le tribunal pour
enfants peut prononcer des peines ou des mesures de rééducation,
notamment le placement dans un établissement spécialisé.

Le tribunal correctionnel pour mineurs


Depuis 2012 a été mis en place un tribunal correctionnel pour
mineurs qui ne juge que les délinquants récidivistes de plus
de 16 ans encourant une peine supérieure à trois ans. Il s’agit de
trois juges professionnels, le président étant par ailleurs choisi parmi
les juges des enfants.

La cour d’assises des mineurs


La cour d'assises des mineurs est compétente pour les crimes (viol,
meurtre, etc.) commis par des enfants de 16 à 18 ans. Avant 16 ans,
les criminels mineurs sont jugés par le seul tribunal pour enfants,
sans jury populaire. Ils ne sont pas soumis aux mêmes peines que
les adultes. Les mineurs de 16 à 18 ans, comme les adultes, sont
jugés par trois magistrats professionnels et neuf membres d’un jury
populaire qui, eux, sont majeurs, bien entendu. Le fonctionnement
est le même que celui de la cour d’assises jugeant les adultes, sauf
que les débats ne sont pas publics, ce qui permet de préserver
l’anonymat et la sérénité des personnes présentes. Les peines
peuvent être atténuées par les juges s’ils considèrent que la minorité
de l’enfant doit être prise en compte en tant que telle.
Figure 5-2 Les compétences des principaux tribunaux de première instance.

Qui juge les hommes qui nous


gouvernent ?
Les personnalités politiques, comme le président de la République et
les membres du gouvernement, peuvent commettre des fautes dans
le cadre de leurs fonctions. Ils peuvent également commettre des
infractions en dehors de leurs fonctions, dans le cadre de leur vie
privée. La question est récurrente, car elle pose le problème de
l'instrumentalisation de la justice comme de l'impunité des puissants :
peut-on juger un président de la République ou un ministre comme
tout autre citoyen ?

La Haute Cour de justice pour le


plus grand homme de l’État
La Haute Cour de justice, créée lors de l’instauration de la Ve
République, via la Constitution de 1958, est seule habilitée à juger le
président de la République.
Avant une réforme du 23 février 2007, elle ne pouvait juger le
président de la République que pour le crime de « haute trahison » .
La difficulté était qu'il n'existait pas de définition juridique de la haute
trahison ; mais l'expression frappait fort les esprits… On se plaît à
imaginer le président de la République couvert d’une cape noire et
d’un masque, parcourant Paris pour conclure un pacte avec l’ennemi
et vendre le pays entier contre quelques caisses d’or. Plus
sérieusement, cette absence de définition de la haute trahison
contrevenait aux principes fondamentaux de notre droit exigeant
qu’une personne ne soit jugée pour un acte que si celui-ci est défini
précisément dans une loi.
La loi organique de 2014 a précisé le régime de responsabilité
constitutionnelle du président de la République et détaillé les
modalités de la procédure pouvant entraîner sa destitution.
Dorénavant, les parlementaires ont la possibilité de mettre en œuvre
la procédure de destitution du président de la République en cas de
manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec
l’exercice de son mandat.
C’est le principe de la légalité des délits et des peines, empêchant
que les juges interprètent la loi en faveur de certaines personnes et
au détriment d’autres. Tout doit être précisé clairement dans un texte.
La réforme de 2007 a donc modifié la Constitution, et le président de
la République peut désormais être poursuivi devant la Haute Cour de
justice pour « manquements à ses devoirs manifestement
incompatibles avec l’exercice de son mandat » et être destitué de ses
fonctions. Mais, là encore, il n'existe aucune définition de ces
« manquements » , ni de ce qui pourrait être considéré comme
« manifestement incompatible » avec l’exercice des fonctions de
président de la République…

La Haute Cour de la Libération nationale


Si la Haute Cour de justice telle qu’elle a été instituée lors de l’adoption
de la Constitution de 1958 n’a pas eu à connaître de haute trahison de
la part d’un président de la République, son ancêtre, la Haute Cour de
la Libération nationale, a eu à juger la haute trahison du maréchal
Pétain durant la Seconde Guerre mondiale. Pétain, désigné comme
chef de l’État après l’armistice de juin 1940, est associé au régime de
Vichy, qu’il a dirigé et qui a collaboré avec l’Allemagne nazie. Au
moment de la Libération, Pétain a été emmené avec sa « cour » en
Allemagne, puis à la frontière suisse, pour finalement se rendre aux
nouvelles autorités françaises issues de la Libération. Son procès
devant la Haute Cour de la Libération nationale a débuté le
23 juillet 1945 et s’est terminé moins d’un mois plus tard,
le 15 août 1945. Durant les audiences, Pétain a remis en cause la
compétence et la légitimité de la Haute Cour de la Libération nationale,
en déclarant qu’il n’avait de comptes à rendre qu’aux Français, qui
l’avaient, selon lui, porté au pouvoir. Il a donc refusé de répondre aux
questions de la Haute Cour. Il a été reconnu coupable de haute
trahison, d’intelligence avec l’ennemi et condamné à mort, à l’indignité
nationale et à la confiscation de tous ses biens. Il n’a cependant pas été
exécuté, en raison de son grand âge. Le général de Gaulle a ordonné
que la sentence de mort soit transformée en une réclusion à
perpétuité. Pétain est mort sur son lieu d’emprisonnement, l’île d’Yeu,
en 1951.

Avant 1993, la Haute Cour de justice était habilitée à juger également


les ministres, ce qui n’est plus de sa compétence aujourd’hui,
puisque depuis cette date et l' « affaire du sang contaminé » (voir
encadré ci-dessous) a été créée, spécialement pour les ministres, la
Cour de justice de la République (voir plus loin). En effet, il a été
considéré que la responsabilité pénale des ministres devait être
engagée s’ils avaient commis une faute dans l’exercice de leurs
fonctions en prenant des décisions aux conséquences graves pour
les citoyens. Il existe donc depuis cette date une différence de
traitement, maintenue aux termes de la réforme de 2007, entre les
ministres et le président de la République.
La composition de la Haute Cour de justice peut être sujette à
controverse. En effet, celle-ci est composée de 24 juges,
dont 12 issus de l'Assemblée nationale (jugeant pour cinq ans)
et 12 autres émanant du Sénat (jugeant pour trois ans). Si le
président de la République a la majorité des voix à l'Assemblée
nationale et au Sénat, il est peu probable qu’un député parvienne à
réunir le nombre de signatures suffisant pour le mettre en accusation.
De la même façon, il pourrait être considéré que les juges lui sont
dévoués, et la question de la réelle objectivité de la Haute Cour de
justice a souvent été posée.
Est-ce que tout citoyen peut saisir la Haute Cour de justice pour faire
juger le président de la République ? Non. Le président de la
République ne peut être mis en accusation devant la Haute Cour de
justice que par l’une des assemblées au Parlement (Assemblée
nationale ou Sénat). Le vote s'opère à bulletin secret et à la majorité
des deux tiers. Mais les débats et les éventuels témoins sont
entendus de manière publique, c’est-à-dire que chaque citoyen peut
y assister. La décision de la Haute Cour de justice ne peut faire l’objet
d’aucun recours devant une cour d'appel ou autre, elle est donc
définitive.
Le président de la République peut-il tuer l’amant
de sa femme en toute impunité ? La question de
l’immunité
Le président de la République est-il le Superman de la justice, et
bénéficie-t-il d’une cape protectrice contre toutes poursuites judiciaires
lorsqu’il exerce ses fonctions ? Peut-il voler une pomme sur le marché,
ou pratiquer le trafic de décorations sans être inquiété ? Cette question
resurgit périodiquement en France. Le statut pénal du président de la
République a fait l’objet d’une réforme en catimini, juste avant l’élection
présidentielle de 2007. Le Conseil constitutionnel avait indiqué dans
une décision du 22 janvier 1999 que la responsabilité pénale du
président de la République ne pouvait être mise en cause autrement
que pour haute trahison durant son mandat. Par ailleurs, il ne pouvait
être jugé qu’une fois qu’il avait quitté ses fonctions de président de la
République. Cela signifiait que, s’il avait commis un crime ou un délit
antérieurement à son élection ou pendant son mandat, toutes les
poursuites contre lui devaient être suspendues jusqu’à ce que son
mandat prenne fin.

La question s’est notamment posée lors de l’affaire des emplois fictifs


de la Mairie de Paris au profit de proches du RPR (Rassemblement pour
la République). Alain Juppé, secrétaire général de ce parti au moment
des faits, avait été mis en examen. Le juge d’instruction chargé du
dossier aurait souhaité interroger comme témoin pour éclairer l’affaire
Jacques Chirac, devenu entre-temps président de la République, mais
maire de Paris au moment des faits et signataire d’une lettre sollicitant
la promotion d’une personne soupçonnée d’exercer un emploi fictif. Le
président Jacques Chirac a refusé de se rendre à cette convocation.
Certains ont validé cette interprétation extensive de l’immunité
présidentielle, d’autres ont crié au scandale. La réforme de 2007 a
donné raison aux premiers : il a été décidé de manière officielle que le
président ne pouvait durant son mandat être tenu de témoigner ou
être poursuivi pour des faits même antérieurs à son élection.

La Cour de justice de la République :


des ministres face au peloton
d’exécution
La Cour de justice de la République a été créée à la suite de l'
« affaire du sang contaminé » , par une loi du 27 juillet 1993, pour
juger la responsabilité pénale des ministres dans le cadre de leurs
fonctions. Son statut est défini aux articles 68-2 et 68-3 de la
Constitution de 1958.
Cette Cour se compose de 15 juges : 12 membres de l'Assemblée
nationale et 3 magistrats officiant d'ordinaire au sein de la Cour de
cassation. Contrairement à la Haute Cour de justice, la Cour de
justice de la République peut être saisie par tout citoyen se
considérant comme lésé par un crime ou un délit commis par un
membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions. La
plainte est évaluée par une commission composée par des juges de
la Cour de cassation. Si elle est estimée recevable, elle est transmise
au procureur de la République, qui saisit la Cour de justice de la
République. Celle-ci vote à bulletin secret, à la majorité absolue. En
revanche, l’arrêt de la Cour de justice de la République peut faire
l’objet d'un recours devant la Cour de cassation (voir « L'affaire du
sang contaminé » , chapitre 20). Sa légitimité est très critiquée et
plusieurs projets de suppression ont vu le jour en 2013 et 2018.

Les cours d’appel


Après avoir exploré le premier étage du labyrinthe judiciaire français,
c'est-à-dire les tribunaux jugeant pour la première fois une affaire
civile ou pénale, il faut prendre l'escalier et accéder au deuxième
étage : l'étage de la deuxième chance.
Un des grands axiomes de notre justice française est le principe du
double degré de juridiction. C’est un peu l’application juridique du vieil
adage selon lequel « tout le monde a droit à une seconde chance »
… Une personne qui a été condamnée une première fois peut donc
demander que son affaire soit jugée une deuxième fois par d’autres
juges.
Ainsi, les tribunaux d'instance, les tribunaux de grande instance, les
tribunaux correctionnels, les tribunaux administratifs, les tribunaux de
commerce, les conseils de prud’hommes et même les cours
d’assises sont susceptibles de voir leur décision infirmée par une
seconde juridiction, considérée comme supérieure : la cour d'appel.
Pour les affaires dont l'enjeu est inférieur à 4 000 euros, l'appel n’est
cependant pas possible, et seul un recours devant une des cours
suprêmes est envisageable, cela de façon à éviter l’encombrement
de la cour d’appel avec des affaires réputées minimes.
La cour d’appel a beau être appelée « juridiction du second degré » ,
elle est loin d’être dotée d’un quelconque sens de l’humour. Elle est
plus simplement en mesure d'annuler un jugement (de l'infirmer) ou
de le confirmer. Le principe est que l’appel est suspensif : la
personne condamnée à verser une somme d'argent par exemple
n'aura pas à la payer si elle a fait appel. Le paiement est en effet
suspendu jusqu’à ce que la cour d’appel se soit prononcée, sauf cas
exceptionnel.
Il existe 36 cours d'appel en France. Même si la cour est amenée à
se prononcer sur un jugement rendu par des juges non
professionnels, comme les tribunaux de commerce ou le conseil de
prud’hommes par exemple, elle est uniquement composée de juges
professionnels, généralement sélectionnés pour leur expérience et
leurs grandes qualités. Pour cette raison, la cour d’appel est en
général divisée en différentes chambres traitant de domaines
d'activité spécifiques : pénal, social, commercial ou encore civil.
Les audiences se déroulent publiquement, en présence de trois
juges. Normalement, elles devraient se dérouler exactement de la
même façon qu’en première instance. Néanmoins, les juges d’appel
préfèrent bien souvent écourter les débats et se contentent de poser
certaines questions aux parties et à leurs avocats, écartant du même
coup les longues plaidoiries. Car les magistrats d’appel ont déjà sous
les yeux la décision rendue par le tribunal.
Si la décision de la cour d’appel ne satisfait pas une des parties, son
seul recours est de porter l'affaire devant la Cour de cassation.
Néanmoins, la Cour de cassation, en tant que cour suprême,
n’examine pas les faits en cause et se contente d’examiner si la règle
de droit a bien été appliquée. La décision d’appel est donc bien
souvent définitive lorsqu'elle concerne l'appréciation des faits. Par
exemple, si elle considère qu’un écrivain a plagié l’œuvre d’un autre
auteur, cela relève de son appréciation souveraine et définitive ; si en
revanche elle a omis de se prononcer sur le caractère protégeable de
l’œuvre prétendument plagiée, cela peut relever d’une mauvaise
appréciation du Code de la propriété intellectuelle, et la Cour de
cassation pourra la censurer.

La Cour de cassation
Enfin, le toit du labyrinthe : la Cour de cassation. Septième ciel ou
Jugement dernier ? Reine du mépris du petit, la Cour de cassation ne
s'intéresse qu'au droit et à la manière dont il est interprété par les
juges. Elle n’a cure des faits, c’est-à-dire de la « petite histoire » qui a
donné lieu aux décisions qui lui sont soumises. Cette Cour est la plus
haute juridiction de l’ordre judiciaire. Son rôle essentiel est
d'uniformiser l'application de la loi par les différents tribunaux afin
d'éviter que des interprétations divergentes de la loi ne soient
effectuées par les juges. C'est pourquoi il n’en existe qu’une seule.
On parle de former un pourvoi en cassation lorsqu’une partie estime
que la cour d’appel n’a pas bien appliqué la loi. Pour saisir la Cour de
cassation, il convient de prendre un avocat spécialisé (voir
chapitre 9), qui rédige un mémoire sur la bonne ou la mauvaise
application de la loi par la cour d’appel. Contrairement à l’appel, le
pourvoi en cassation n’est pas suspensif, et il est nécessaire d’avoir
versé préalablement toutes les sommes auxquelles on a été
condamné, même si, par la suite, ces sommes pourront être
remboursées en cas de succès. Ce principe a pour but d’éviter que
des mauvais payeurs introduisent des recours pour retarder le
moment du paiement.
La procédure est écrite, et il n’y a donc aucune plaidoirie des
avocats. Il existe six chambres spécialisées (une chambre sociale,
une chambre commerciale, une chambre pénale et trois chambres
civiles). Chacune a à connaître des affaires de son domaine réservé.
Si une affaire touche plusieurs domaines, elle est jugée en chambre
mixte. Les juges de la Cour de cassation sont des juges
professionnels. Les mémoires de chaque partie sont généralement
examinés par trois juges, qui se prononcent après que leur a été
transmis l’avis du procureur général, c’est-à-dire du représentant de
l’État.
La Cour de cassation peut décider que la cour d’appel avait raison,
ou elle peut au contraire casser l’arrêt de la cour d’appel, c’est-à-dire
considérer qu’elle a fait une mauvaise application du droit. Mais
attention, ne crions pas victoire ! La décision peut être cassée car le
droit a été mal appliqué ; cela ne signifie pas pour autant que la partie
qui a gagné en cassation a définitivement remporté son affaire. La
justice française aime le suspense ! La Cour de cassation
n'examinant pas les faits et se contentant d’énoncer son
interprétation de la loi, elle renvoie par conséquent le dossier devant
une autre cour d’appel, qui va réexaminer les faits de l'affaire à la
lumière des explications de droit qui auront été données par la Cour
de cassation. Dès lors, même si cette seconde cour d’appel emploie
une interprétation du droit différente de la première cour d'appel, il
n'est pas dit qu'elle aboutira à un résultat différent.
Gagner devant la Cour de cassation en faisant censurer une
première cour d’appel ne signifie donc pas gagner la guerre, mais
seulement une bataille. Si les parties considèrent que la seconde
cour d’appel s’est, elle aussi, trompée dans l’application de la loi telle
qu’interprétée par la Cour de cassation, sa décision pourra
également être sujette à un nouveau pourvoi… Il peut donc s’agir
d’un petit jeu sans fin – sauf que, financièrement, ce petit jeu a un
coût non négligeable qui dissuade bon nombre de justiciables !
Après la décision finale de la Cour de cassation, le seul recours
possible nécessite de sortir du labyrinthe des juridictions françaises. Il
s’agit de la Cour européenne des droits de l’homme, lorsqu’il est
considéré que les juges français interprètent et appliquent la loi en
portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux des citoyens,
définis au sein de la Convention européenne des droits de l'homme.
Les symboles de la justice
La justice a toujours fait appel à de nombreux symboles afin de frapper
les esprits. N’oublions pas qu’au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime
peu de justiciables savaient lire, et ces symboles permettaient
d’exprimer l’importance et le sens de la justice. Ces symboles sont
présents au sein des palais de justice, principalement à travers des
peintures ou des statuts.

Les deux symboles principaux de la justice en France sont la balance et


le glaive. La balance représente l’équité, c’est-à-dire la nécessité pour le
juge de peser le pour et le contre et de prendre en compte toutes les
circonstances d’une affaire, notamment atténuantes ou aggravantes. La
justice, représentée par une femme en toge, tient cette balance les
yeux bandés afin de notifier aux justiciables qu’elle doit être rendue de
manière équitable et égale entre les hommes, sans considération
sociale ou discrimination raciale. Le glaive, ou l’épée, représente quant
à lui la notion d’une justice qui sanctionne et prononce des peines
lorsqu’il y a violation de la loi. Le glaive est parfois associé au bouclier,
qui représente également l’idée de puissance et de protection de la
société et de l’ordre social.

D’autres symboles peuvent apparaître dans les palais de justice


anciens, comme Saint Louis sous un chêne communiquant entre le ciel
et la terre (voir chapitre 1), le serpent, issu de la symbolique biblique,
représentant la prudence et la sagesse ou, lorsqu’il s’enroule sur un
miroir, la vérité, et le lion, symbole de puissance par excellence.

Enfin, la justice est marquée par certains symboles moins


conventionnels, plus officieux mais tout aussi imagés, comme la tortue,
qui dénonce la lenteur des procédures au détriment de la sécurité
juridique et de l’intérêt des justiciables. Ainsi, au sein du Palais de
Justice, sur l’île de la Cité, à Paris, le sculpteur en charge de la salle des
Pas Perdus s’est amusé à représenter, de manière discrète mais très
significative, la justice marchant sur une tortue.

Figure 5-3 Les voies de recours de la justice en France.

Les tribunaux de l’ordre


administratif
Si vous êtes parvenu à vous repérer dans le dédale de la maison de
l’ordre judiciaire, vous repérer dans la maison de l’ordre administratif
sera un jeu d’enfant.
Les tribunaux de l'ordre administratif ne jugent que les affaires entre
l'État et les particuliers, c’est-à-dire les fautes commises par des
fonctionnaires portant préjudice à des particuliers (les marchés
publics, la régularisation des sans-papiers, etc.).

Le tribunal administratif
À la différence de l'ordre judiciaire, qui comporte de multiples
juridictions, l'ordre administratif ne compte qu'un seul tribunal : le
tribunal administratif. Il en existe un par région, parfois par
département dans certaines régions très peuplées.
Le tribunal compétent est celui du lieu où se situe l’administration
mise en cause. Selon l'importance des affaires qu'il est amené à
traiter chaque année, le tribunal administratif peut comporter
plusieurs chambres spécialisées.
Chaque affaire est jugée par trois juges, sauf dans les situations
d'urgence (reconduite à la frontière, par exemple) ou dans des cas
« faciles » , comme les permis de construire, la redevance
audiovisuelle, etc. Les juges du tribunal administratif ne sont pas
issus de la même école que les juges de l’ordre judiciaire, mais de
l'Administration ; et les conseillers d'État (c'est-à-dire les juges du
Conseil d’État, instance suprême de l’ordre administratif) sortent en
général de l’École nationale d'administration (ENA).
Le tribunal administratif est compétent pour toutes les affaires qui
mettent en cause la responsabilité de l'Administration. Cela peut aller
d'une faute commise par un fonctionnaire ou une commune, comme
la délivrance d’un permis de construire non valable, à une décision
prise par le préfet, telle que le refus d’un titre de séjour à un sans-
papiers. Les délais pour saisir ce tribunal sont stricts et souvent très
courts. En revanche, les délais que s’accordent les juges
administratifs pour se prononcer sur une affaire sont très variables,
mais souvent extrêmement longs. Les questions de nationalité et de
titres de séjour sont prioritaires, alors que les procès de mise en
cause de la responsabilité d’un agent de l’État ou de contestation
d'un redressement fiscal, par exemple, peuvent parfois être examinés
après deux à quatre années d’attente. Par surcroît, et bien souvent, il
est reproché au tribunal administratif de ne pas être à l’écoute des
justiciables et de mener l'examen des affaires qui lui sont soumises
de manière trop opaque.
Il existe de nombreuses différences entre la procédure devant l'ordre
judiciaire et la procédure devant l’ordre administratif. Cette dernière
est uniquement écrite. Cela signifie que l'avocat ou la partie qui se
présente seule devant le tribunal – car il est possible de se passer
d'avocat – doit expliquer son cas et argumenter ses demandes par
écrit dans ce que l’on nomme un mémoire, le tribunal ayant au
préalable été saisi par une requête. Chaque partie envoie ses
explications écrites au tribunal, qui les adresse à l’adversaire.
De longs mois, voire des années plus tard, le tribunal convoque le
justiciable et le représentant de l'Administration à une audience pour
examiner le dossier. Lors de celle-ci, il n’y a pratiquement pas de
plaidoirie. Les parties peuvent se déplacer, mais l’audience est
extrêmement frustrante, car généralement les avocats, s'il y en a, y
prononcent juste cette phrase aussi mythique que laconique : « Je
m'en rapporte à mes écritures. » Cela signifie que tout est dit dans le
mémoire déposé auparavant et qu'il n'expliquera pas oralement
l'affaire. Ce mutisme est fortement incité par les juges de l’ordre
administratif, qui ne veulent pas perdre de temps à écouter les
« baveux » (surnom donné aux avocats, réputés bavards).
Par ailleurs, devant le tribunal administratif, en dehors des juges, il
existe dans tous les cas l’équivalent d’un procureur de la République,
dénommé commissaire du gouvernement. Celui-ci a pour fonction
d’étudier les mémoires des parties avant les juges et de leur proposer
une décision. Les magistrats ne sont bien évidemment pas obligés de
suivre son avis, mais, dans la plupart des cas, la position du
commissaire du gouvernement est approuvée par les juges
administratifs. L’un des seuls intérêts d’aller au simulacre d’audience
de plaidoirie devant le tribunal administratif est donc d’entendre le
rapport du commissaire du gouvernement, permettant d’avoir des
indices sur la sauce à laquelle on va être mangé. Le tribunal
administratif ne se prononce pas sur l'affaire le jour même. Il renvoie
à une date ultérieure qui, là encore, peut être très lointaine et allonge
encore les délais de procédure. On l’aura compris, saisir le tribunal
administratif exige de la patience.

La cour administrative d’appel


Avant 1987, il n'existait pas de cour d'appel dans l'ordre administratif.
Il y avait seulement le tribunal administratif, puis « sa » cour
suprême : le Conseil d'État. Or, cela posait de nombreuses difficultés,
car le Conseil d'État se trouvait totalement engorgé, et les délais de
traitement des dossiers, toujours interminables et critiqués, étaient
encore plus longs !
Il existe à peine huit cours administratives d’appel en France. Elles
sont saisies par les parties insatisfaites d’une décision rendue par le
tribunal administratif. La procédure est la même que la procédure
devant le tribunal administratif, même si les délais de jugement sont,
une fois de plus, décourageants.

Le Conseil d’État
Le Conseil d’État est le pendant de la Cour de cassation de l’ordre
judiciaire au sein de l’ordre administratif. Il n’en existe qu’un, et il
siège au Palais-Royal, à Paris. Il est composé de plusieurs sections,
et son organisation peut paraître parfois compliquée et sinueuse. En
effet, le Conseil d'État a des attributions diverses.

Ses attributions contentieuses


Le Conseil d’État statue sur les recours en cassation formés par les
parties à la suite d’une décision rendue par la cour d’appel
administrative ou à la suite d’une décision rendue par le tribunal
administratif dont l'enjeu financier est si mince qu’elle est directement
portée en appel devant le Conseil d’État et non devant une cour
d’appel administrative.
En raison du très grand nombre d'affaires et des délais de procédure
extrêmement longs, un filtre a été mis en place. Ainsi, avant que le
dossier soit examiné, il est passé au tamis pour voir si, a priori,
l'affaire est recevable (si les formes ont été respectées, etc.). Une fois
cette première étape franchie, le Conseil examine le dossier puis
rend sa décision. Contrairement à la Cour de cassation de l’ordre
judiciaire, le Conseil d'État peut juger le fond de l'affaire, et il ne se
contente pas d'examiner le droit. Sa décision peut donc être
définitive.

Ses attributions administratives


Le Conseil d’État joue également un rôle de conseiller du
gouvernement. Certaines lois lui sont soumises lorsqu'elles
concernent l'Administration, comme l’attribution de nouveaux
pouvoirs aux policiers par exemple. Mieux encore, il peut suggérer,
au regard des affaires qu'il a jugées, une réforme de certains pans de
l'Administration. Enfin, le Conseil d'État est consulté de manière
obligatoire par le gouvernement lorsqu'il souhaite prendre certains
décrets spécifiques dits décrets pris en Conseil d’État. Il s’agit de
décrets pris dans des matières très sensibles ou importantes (santé,
sécurité, etc.). Ces décrets sont généralement publiés au Journal
officiel de la République française, à l’initiative du gouvernement.
La Cour des comptes
La Cour des comptes, créée en 1807, est une juridiction appartenant à
l’ordre administratif. Il existe aussi des chambres régionales des
comptes, qui ont pour rôle de contrôler et de juger les comptes des
comptables publics, c’est-à-dire les comptes établis par les différentes
administrations. En effet, le gouvernement a doté d’un budget chaque
administration, après l’avoir fait approuver par le législateur. Il est donc
normal qu’un tribunal contrôle et juge si les administrations respectent
bien ce budget défini et ne commettent pas d’excès ou encore de
détournements.

Les décisions de la chambre régionale des comptes sont soumises, en


appel, à la Cour des comptes. Les décisions de la Cour des comptes
peuvent être, quant à elles, soumises à la cassation du Conseil d’État.
Par ailleurs, chaque année, la Cour des comptes rend son rapport sur
les comptes de l’État au président de la République. Ce rapport est
rendu public et est souvent très instructif sur la manière dont l’argent
public est géré. La Cour des comptes rend parfois des rapports
particuliers, comme, par exemple, sur le sort de l’aide française aux
victimes du tsunami de 2004.
DANS CE CHAPITRE
Visite guidée des autorités administratives indépendantes

La solidarité nationale pour l'indemnisation des victimes

Les conseils de discipline


Chapitre 6
Ces ovnis qui nous jugent
S i vous avez bien lu le chapitre précédent, vous savez vous orienter
dans le labyrinthe des tribunaux français. Mais vous vous demandez
encore sans doute quels sont ces électrons libres qui gravitent aux
alentours… Ce sont des ovnis qui volent hors des sentiers battus
pour vous juger ou vous protéger !

Autorités et institutions dotées d’un


pouvoir de sanction
Le législateur est-il un farceur ou aime-t-il simplement la
complication ? En réalité, les autorités et les institutions qui opèrent
en marge du système judiciaire classique ont été créées pour
protéger des libertés fondamentales et contrôler des domaines
extrêmement précis. Elles ne sont pas composées de juges mais de
fonctionnaires et sont dotées de certains pouvoirs de sanction qu’il
vaut mieux ne pas ignorer.

Les autorités administratives


indépendantes
Comme leur nom l’indique, les autorités administratives
indépendantes (AAI) sont des institutions qui font autorité dans un
domaine particulier – tel que l'informatique, la télévision, la Bourse –
et peuvent aller jusqu'à sanctionner et censurer des entreprises
privées ou publiques. Les AAI émanent de l'État, mais elles doivent
demeurer indépendantes. Une loi
du 20 janvier 2017 reconnaît 26 autorités administratives
indépendantes différentes.
C'est à la fin des années 1960 que les AAI ont été créées, car il est
devenu patent qu'on ne pouvait confier aux échelons supérieurs de
l'Administration la gestion des échelons inférieurs : trop de luttes
d'influence et de pouvoir pouvaient naître à cette occasion. Ainsi, si
les membres des AAI sont effectivement nommés par le
gouvernement, ils doivent prendre des décisions en toute liberté,
sans être influencés par un quelconque pouvoir hiérarchique ou
politique. Les AAI bénéficient de prérogatives à l'étendue variable.
Ainsi, leurs « armes » vont du simple avis consultatif pour certaines à
l'interdiction d'exercer et aux sanctions financières importantes pour
d'autres. Les AAI rendent un rapport d'activité annuel, utile pour
éclairer les gouvernants, les législateurs et les citoyens sur les
pratiques de certains secteurs et les nécessités de réformes ou
d’évolutions.

La Commission nationale de
l’informatique et des libertés
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a été
créée en 1978 par la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux
libertés. Elle est composée de 18 membres – 2 députés, 2 sénateurs,
2 membres du Conseil économique, social et environnemental,
2 conseillers d'État, 2 conseillers à la Cour de cassation, 2 conseillers
à la Cour des comptes, 5 personnalités qualifiées et un membre de la
Commission d'accès aux documents administratifs (soit
seulement 6 professionnels du domaine).
Ses membres sont nommés pour cinq ans et ont pour mission de
s’assurer du respect de la vie privée des citoyens face au
développement des fichiers informatiques traitant de données
personnelles. La Commission veille à ce que les noms, adresses,
numéros de téléphone et autres habitudes de consommation ne
soient pas inscrits dans des fichiers pour être ensuite revendus à
l'insu des intéressés. Tout traitement de données doit ainsi être
déclaré à la Cnil, et les personnes dont les données sont traitées
doivent être valablement informées et pouvoir s’y opposer. À titre
d'exemple, un fichier clients ou la liste d'un fan-club doivent être
déclarés. Plus important, lorsque des données personnelles sont
confiées à un opérateur téléphonique ou à un opérateur Internet par
exemple, celles-ci ne peuvent être revendues à certaines entreprises,
qui par la suite pourraient envoyer de la publicité sans consentement
exprès.
Certains traitements de données dites « à risques » (sur l’état de
santé, sur l’origine raciale, l’appartenance syndicale ou l’orientation
sexuelle) sont soumis à autorisation de la Cnil. Un établissement
bancaire ou un agent immobilier ne peut donc pas ficher ses clients
en fonction de leur origine ethnique ou de leur orientation sexuelle.
Toute contravention à ces règles est passible de sanctions
administratives (avertissements, mises en demeure, sanctions
pécuniaires pouvant atteindre 300 000 euros, injonctions de cesser),
mais aussi parfois de sanctions pénales, notamment pour ce qui est
des fichiers discriminatoires.
Pour toute revendication de cet ordre, il est possible de contacter la
Cnil par courrier (3, place de Fontenoy - TSA 80715 - 75334 Paris
Cedex 07) ou de consulter son site Internet (www.cnil.fr). Le site
propose également une démonstration ludique du « traçage » sur
Internet. Ainsi, les internautes peuvent prendre conscience que
chaque page visitée laisse une trace qui permettra par la suite de
noter l’historique de cette visite. Le site de la Cnil propose également
des systèmes de déclaration en ligne dits de téléprocédure.
Le flicage des salariés par les employeurs
Avec l’avènement de l’informatique, les salariés ont vu se multiplier les
outils de surveillance, tels que les pointeuses électroniques, les badges,
les systèmes de vidéosurveillance, voire de cybersurveillance. À quelles
conditions ces technologies peuvent-elles être mises en place ? Sont-
elles légales ? L’employeur a parfaitement le droit de surveiller ses
salariés dans le cadre de l’accomplissement de leur mission
professionnelle. En revanche, il ne peut s’immiscer dans la sphère
personnelle de ses salariés. La mise en place de tout système de
surveillance doit donc être réalisée après l’information préalable des
salariés et la consultation des représentants du personnel. Les
systèmes de vidéosurveillance et de cybersurveillance doivent être
déclarés à la Cnil. Par ailleurs, les juges en matière de droit du travail se
sont penchés sur la question des dossiers personnels des salariés
figurant sur leurs ordinateurs professionnels. Après de nombreux
débats et revirements, il a été décidé que l’employeur peut consulter,
sans l’accord et hors la présence du salarié, toutes ses
correspondances et ses dossiers présents sur l’ordinateur
professionnel, sauf s’ils mentionnent clairement leur caractère
personnel.

La Commission nationale d’accès aux


documents administratifs
La Commission nationale d’accès aux documents administratifs
(Cada), malgré un acronyme qui sonne comme une danse
andalouse, est beaucoup moins folklorique qu'elle n'y paraît. Elle a
été mise en place par la loi du 17 juillet 1978 et a en charge les
relations entre les administrés et les administrations concernant
l’accès aux documents administratifs. Très utile, elle est saisie par
tout citoyen confronté à une administration qui lui refuse notamment
l’accès à des documents le concernant ou à des documents
généraux. Il peut s’agir d’une copie d’examen, d’un dossier médical,
de l’enregistrement sonore des délibérations d’un conseil municipal,
des courriers détenus par une administration, etc.
La Cada joue un rôle de médiateur et n’émet que de simples avis. La
saisine de cette commission doit être effectuée avant tout recours à
un juge, dans les deux mois du refus écrit de l'Administration ou dans
le mois suivant son absence de réponse à la suite d'une demande
écrite. Cette saisine est gratuite. Est-elle efficace ? L'Administration
n'est pas tenue de communiquer un document qui a disparu ou qui a
été détruit, ni un document qui a d’ores et déjà fait l’objet d’une
diffusion publique. Cela signifie que l'administré peut se voir refuser
l'accès à un document sous prétexte qu'il est introuvable ! De la
même façon, l'Administration peut motiver son refus par le caractère
sensible dudit document : le secret défense et la sûreté de l’État
peuvent être invoqués. Elle a la faculté de communiquer un
document mentionnant d’autres personnes. Dans ce dernier cas, il
est exigé qu’elle supprime l’identité de ces personnes.
Fait plus cocasse, le législateur a fait inscrire officiellement dans la loi
que l'Administration n'est pas tenue de répondre « aux demandes
abusives par leur nombre et leur caractère répétitif » . Le message
est clair : l'Administration ne veut pas s’encombrer de casse-pieds qui
ont du temps à perdre et à lui faire perdre. Il peut donc paraître
difficile de contester un refus de communication, d'autant plus que la
Cada ne bénéficie pas de véritables pouvoirs de sanction à l’encontre
de l’administration récalcitrante. Néanmoins, la saisine de la Cada
peut parfois suffire à motiver un interlocuteur qui ne veut pas partir en
expédition spéléologique à la recherche d’archives concernant un
administré.
La plupart des demandes sont effectuées en matière d'urbanisme (en
cas de permis de construire, par exemple). La Cada dispose d’un
délai de un mois pour transmettre son avis. Si l'Administration ne
réagit toujours pas au bout de deux mois à compter de cet avis, le
dernier recours est de saisir le juge administratif. Accéder à un
document administratif peut parfois ressembler à une véritable quête
du Graal, mais avec un peu de persévérance il est possible d’obtenir
satisfaction. La Cada possède un site succinct mais permettant
d’accéder à tous les avis rendus et aux textes de référence en la
matière (www.cada.fr).

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel


Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), instauré en 1989, est
venu remplacer la Commission nationale de la communication et des
libertés (CNCL), qui avait elle-même remplacé la Haute Autorité. Il a
pour missions principales de contrôler les programmes afin, par
exemple, de protéger le jeune public contre certaines images
violentes ou à caractère pornographique, ou encore de promouvoir
l’audiovisuel de demain, en particulier la mise en place
d’expérimentations sur la télévision par téléphone mobile. Un des
gros chantiers de ces dernières années a été la mise en place de la
télévision numérique terrestre (TNT).
Dans le cadre de sa mission, le CSA bénéficie d'un lourd pouvoir de
sanction. L'amende la plus importante infligée par le CSA s'est
élevée à 30 millions d'euros et concernait la chaîne TF1, qui n'avait
pas respecté son quota de diffusion d'œuvres audiovisuelles, c'est-à-
dire majoritairement de films, privilégiant d’autres types d’émission,
comme les jeux ou les programmes de téléréalité… Certaines radios
ont également été condamnées à la suite de la diffusion de propos se
voulant humoristiques, mais se révélant antisémites.
Pour la petite histoire, c'est le CSA qui est venu réglementer la
téléréalité en posant des règles strictes à la chaîne M6 au moment de
la diffusion de la première émission de ce type, « Loft Story » . Il a
ainsi imposé que les caméras de l’émission soient coupées deux fois
par jour, évitant ainsi que les candidats soient épiés 24 heures
sur 24, et que soit créé un espace sans micro ni caméra pour
permettre aux candidats de s’isoler. Depuis, dans toutes les
émissions de ce type, ce lieu est baptisé… « salle CSA » .
Le calcul du temps de parole des hommes
politiques
Le CSA est également en charge du respect du pluralisme : il doit veiller
à ce que chaque courant politique puisse s’exprimer équitablement
dans les médias, sans qu’une chaîne de télévision ou de radio privilégie
des partis ou des candidats au détriment des autres. En période
préélectorale, le CSA embauche des petites mains (ou plutôt de petits
yeux et de petites oreilles) pour visionner et écouter les centaines
d’heures de programmes hebdomadaires et comptabiliser le temps de
parole laissé à chaque personnalité politique par chaque chaîne.

Le CSA distingue trois périodes en amont des élections. Il y a d’abord la


période qui précède l’établissement des listes électorales : les candidats
déclarés ou présumés sont alors soumis au principe d’équité du temps
de parole et du temps d’antenne. Le temps de parole est alors en
adéquation avec leur notoriété et leur importance – pas connu, pas de
télé ! Puis vient la période intermédiaire, avant l’ouverture officielle de
la campagne : le temps de parole des candidats est régi par un principe
de stricte égalité arithmétique, mais le temps d’antenne demeure plus
flou, puisqu’il s’agit, encore une fois, d’une question de notoriété. Enfin
arrive la période de campagne, courant jusqu’au second tour de
scrutin : l’égalité totale prévaut alors. Cela peut donner lieu à des
situations comiques : par exemple, si un acteur, interviewé pour la
promotion d’un de ses films, glisse dans l’interview qu’il milite pour le
parti communiste, cette intervention est comptabilisée comme temps
de parole accordé audit parti. François Bayrou et les hommes
politiques du Modem, dont les positions fluctuent, sont parfois
comptabilisés dans les partis d’opposition, parfois dans la majorité. Par
ailleurs, certains s’inquiètent déjà du contrôle du temps de parole sur
le Web, où fleurissent les blogs d’hommes politiques et de comités de
soutien.
Le Défenseur des droits
Le Défenseur des droits a été institué, à la suite de la révision
constitutionnelle du 23 juillet 2008, par une loi organique
du 29 mars 2011.
On n'est jamais si bien servi que par soi-même : la création du
Défenseur des droits a entraîné la suppression du Médiateur de la
République, de la Commission nationale de déontologie de la
sécurité, du Défenseur des enfants, de la Haute Autorité de lutte
contre les discriminations et pour l'égalité. N'a survécu à cette
éradication que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Le Défenseur des droits est nommé par le président de la
République, par décret en Conseil des ministres après avis de
commissions parlementaires. Il est nommé pour une durée de six ans
et son mandat n’est pas renouvelable.
Ses fonctions et celles de ses adjoints sont incompatibles avec celles
des membres du gouvernement, du Conseil constitutionnel, du
Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil économique,
social et environnemental ainsi qu’avec tout mandat électif, toute
fonction de dirigeant d’une société ou d’une administration.
Le Défenseur des droits est membre de la Commission nationale de
l’informatique et des libertés et de la Commission d’accès aux
documents administratifs, avec voix consultative.
Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les
administrations de l’État, les collectivités territoriales, les
établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une
mission de service public.
Il a pour missions de :

• défendre les droits et libertés dans le cadre des relations avec


les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les
établissements publics et les organismes investis d’une mission
de service public ;
• défendre et promouvoir l’intérêt supérieur et les droits de
l’enfant consacrés par la loi ou par un engagement international
régulièrement ratifié ou approuvé par la France ;
• lutter contre les discriminations, directes ou indirectes,
prohibées par la loi ou par un engagement international
régulièrement ratifié ou approuvé par la France ainsi que de
promouvoir l’égalité ;
• veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant
des activités de sécurité sur le territoire de la République ;

• rendre compte de son activité au président de la République et


au Parlement.
Le Défenseur des droits peut être saisi par toute personne s’estimant
lésée par le fonctionnement d'un service public. Il peut aussi se saisir
d'office d'une situation qu’il juge relever de sa compétence.
Le Défenseur des droits peut demander des explications à toute
personne physique ou morale mise en cause devant lui. Lorsque le
Défenseur des droits est saisi, les personnes auxquelles il demande
des explications peuvent se faire assister du conseil de leur choix. Un
procès-verbal contradictoire de l’audition est dressé et remis à la
personne entendue.
Le Défenseur des droits peut mettre en demeure de lui répondre. Si
la mise en demeure n'est pas suivie d'effet, il peut saisir le juge des
référés.
Le Défenseur des droits peut recueillir sur les faits portés à sa
connaissance toute information qui lui apparaît nécessaire sans que
son caractère secret ou confidentiel puisse lui être opposé, sauf en
matière de secret professionnel ou de secret relatif à la défense
nationale, à la sûreté de l’État ou à la politique extérieure. Le secret
de l’enquête et de l’instruction ne peut lui être opposé.
Le Défenseur des droits peut procéder à :

• des vérifications sur place dans les locaux administratifs ou


privés des personnes mises en cause ;

• des vérifications sur place dans les lieux, locaux, moyens de


transport accessibles au public et dans les locaux
professionnels exclusivement consacrés à cet usage.
Lors de ses vérifications sur place, le Défenseur des droits peut
entendre toute personne susceptible de fournir des informations.
Le Défenseur des droits peut faire toute recommandation qui lui
paraît de nature à garantir le respect des droits et libertés de la
personne lésée et à régler les difficultés soulevées devant lui ou à en
prévenir le renouvellement. Il peut procéder à la résolution amiable
des différends portés à sa connaissance, par voie de médiation.
Lorsqu’une personne s’estimant victime d’une discrimination ou
invoquant la protection des droits de l’enfant appelle une intervention
de sa part, il l’assiste dans la constitution de son dossier et l'aide à
identifier les procédures adaptées à son cas, y compris lorsque
celles-ci incluent une dimension internationale. Dans le cas d’une
discrimination, il peut proposer à l’auteur des faits une transaction
consistant dans le versement d’une amende transactionnelle dont le
montant ne peut excéder 3 000 euros s'il s'agit d'une personne
physique et de 15 000 euros s'il s’agit d’une personne morale et, s’il y
a lieu, dans l’indemnisation de la victime.
Le Défenseur des droits peut recommander de procéder aux
modifications législatives ou réglementaires qui lui apparaissent
utiles. Il peut être consulté par le Premier ministre sur tout projet de
loi intervenant dans son champ de compétence. Il peut également
être consulté par le président de l'Assemblée nationale ou le
président du Sénat sur toute question relevant de son champ de
compétence. Il contribue, à la demande du Premier ministre, à la
préparation et à la définition de la position française dans les
négociations internationales dans les domaines relevant de son
champ de compétence.
Figure 6-1 En un coup d’œil : missions de quelques autorités administratives
indépendantes en France.

L’indemnisation des victimes : la


solidarité nationale
Depuis la fin du Moyen Âge, on s'est appliqué à effacer toute notion
de justice privée et à éviter que les victimes se fassent justice à elles-
mêmes dans un pur esprit de vengeance. Les infractions pénales
relèvent de la seule justice étatique. Le rôle des victimes a donc été
amoindri dans le cadre du procès pénal. C'est à la fin des
années 1970 que les mouvements d'aide aux victimes se sont
réveillés, aidés en cela par un grand nombre de réformes.
La Commission nationale
d’indemnisation des victimes
d’infractions pénales
La Commission nationale d’indemnisation des victimes d’infractions
pénales (Civi) a été instaurée par une loi de 1977 afin d'indemniser
les victimes de délits, de crimes, d’actes de terrorisme, ayant subi
des dommages corporels (viol, blessures, etc.) ou des dommages à
leurs biens (vol, dégradation, etc.). Car il peut arriver qu’une
personne ayant commis un délit et blessé gravement quelqu’un n’ait
pas d’argent ou refuse d’indemniser cette victime. Il se peut
également que les auteurs d’un acte terroriste ne soient pas
retrouvés ou soient décédés, laissant leurs victimes blessées sans
recours et démunies.
L'État a donc mis en place cette commission afin de remédier à ces
situations.
Tout Français a le droit d’obtenir une indemnisation de la Civi pour
toute infraction commise à son encontre en France ou à l’étranger.
Cette indemnisation prend la forme d’une somme d’argent versée par
l’État à la victime, déduction faite des indemnités reçues de la
Sécurité sociale. Pour les vols et dégradations, seules les personnes
dont les ressources sont très modestes ou qui se trouvent dans une
situation psychologique grave peuvent en bénéficier. Pour être
indemnisé, il suffit de remplir un formulaire (envoi d'une lettre
recommandée avec accusé de réception à laquelle est joint le dossier
complet) auprès de la Civi (il en existe une par tribunal de grande
instance) dans les trois ans qui suivent la date à laquelle a été
commise l’infraction ou dans l’année qui suit la décision de
condamnation rendue par la justice. Ce n’est pas parce que le juge a
condamné l’auteur de l’infraction à indemniser la victime que celle-ci
ne peut pas saisir la Civi : cela lui est possible tant qu’elle n’a pas été
intégralement indemnisée.
L’indemnisation est soumise à certains plafonds en fonction des
ressources de la victime. La prise en charge intégrale n’est mise en
œuvre que pour les cas les plus graves. De nombreuses associations
d’aide aux victimes se proposent d’assister les personnes souhaitant
formuler des demandes d’indemnisation auprès de la Civi. Il existe
également des bureaux d’aide aux victimes instaurés par l’Institut
national d’aide aux victimes (www.inavem.org).
Les fonds de garantie
Certains actes parmi les plus graves, causant des préjudices
considérables, sont soumis à des fonds de garantie qui indemnisent
automatiquement les victimes, sans attendre un procès long et
parfois vain lorsque les auteurs des infractions ne sont pas retrouvés
ou sont décédés. Ces fonds de garantie sont mis en place au nom de
la solidarité nationale. Ils indemnisent immédiatement les victimes (il
faut néanmoins parfois compter quelques mois) puis se retournent
contre l’auteur de l’infraction.
Le plus connu est le Fonds de garantie des assurances obligatoires
de dommages (FGAO), descendant de l'ancien Fonds de garantie
automobile. Ce fonds indemnise les victimes d’accidents de la
circulation, d’accidents de chasse ou d’accidents causés par des
animaux, notamment lorsque la personne qui a causé ce dommage
n’est pas assurée ou lorsqu’elle a disparu. Généralement, la victime
est assurée à travers son assurance multirisque habitation, et son
assureur prend en charge les démarches pour saisir le FGAO.
Il existe également un fonds de garantie spécifique pour les actes de
terrorisme : le Fonds de garantie des victimes d’actes terroristes et
d’autres infractions (FGTI). Ce fonds indemnise intégralement les
dommages corporels des victimes de ces actes. Il propose un
montant à la victime, et, si celle-ci n’est pas d’accord, c’est la Civi qui
tranche.
De manière plus matérielle, afin de ne pas connaître la crise
économique récente et catastrophique de certains pays d'Amérique
du Sud, la France a mis en place le Fonds de garantie des dépôts
(FGD). Ce fonds de garantie indemnise les personnes ayant déposé
de l’argent à la banque ou ayant acquis des actions lorsque cette
banque fait faillite. Toutes les banques doivent adhérer à ce fonds de
garantie. Pour les banques en ligne, il est conseillé de se renseigner
préalablement. Ainsi, une liste des adhérents est disponible sur le site
www.garantiedesdepots.fr. L'inconvénient est que le
remboursement est plafonné en France à 70 000 euros. Au-delà, il
faut déclarer sa créance au représentant des créanciers nommé lors
de la faillite, sans certitude d’être remboursé.
Garde à vous ! Les conseils de
discipline
Certains corps de métier ou autres communautés ont érigé des
règles afin d'organiser, en leur sein, les rapports entre leurs
membres. Si ces règles ne sont pas respectées, des tribunaux
composés de représentants de cette communauté se réunissent et
arbitrent. Des médecins aux écoliers, en passant par les prisonniers,
les conseils de discipline veillent…

Les conseils de l’ordre


Certains corps de métier aux responsabilités particulièrement
importantes, dont les membres prêtent serment devant l’État, sont
réunis en ordres. Il s’agit notamment des médecins, des avocats, des
notaires, des experts-comptables, des pharmaciens, etc. Ces ordres
peuvent être nationaux ou régionaux. Ils bénéficient d’une
déontologie propre, qui inspire des règles s’imposant en sus des lois
ordinaires qui s’appliquent à chaque citoyen.
Un conseil de discipline juge les actes de tous les membres de
l’ordre. Ce conseil de discipline n’est pas un tribunal dépendant de
l’État, il ne peut donc pas ordonner de peines d’amende ou de prison.
Il se contente de prononcer des avertissements ou des radiations,
c’est-à-dire des exclusions de son ordre. Il peut arriver que le conseil
de l’ordre poursuive des agissements qui sont d’ores et déjà sous la
houlette d’un tribunal classique. Certaines turpitudes ne peuvent en
revanche être passibles que des instances ordinales.
À titre d’exemple, il n’est pas illégal pour un avocat de défendre un
nouveau client contre un de ses anciens clients. Néanmoins, cela
n’est pas considéré comme « délicat » , et la déontologie des avocats
l’interdit. Dès lors, cet avocat, qui ne sera pas inquiété devant un
tribunal, pourra passer devant son conseil de discipline pour y être
sanctionné. À l’inverse, un médecin qui a violé le secret médical a
commis une infraction au Code pénal, mais aussi à la déontologie de
l’ordre des médecins. Ainsi, il sera poursuivi par un tribunal pénal
mais également par le conseil de discipline de l’ordre des médecins.
Tout citoyen qui a affaire à un membre d'une de ces corporations
peut saisir le conseil de discipline afin de signaler un manquement
aux règles de déontologie. Mais il ne pourra pas être indemnisé du
préjudice qu’il aura subi. Il n’aura que l’éventuelle satisfaction de voir
son avocat, son médecin ou son expert-comptable réprimandé, voire
exclu. Or, si un avocat, un médecin ou un expert-comptable n’est plus
inscrit auprès d’un ordre, il ne peut plus exercer. Il doit s'en trouver un
autre, dans une autre région, voire un autre pays !

T’vas voir ta gueule à la récré !


Des violences les plus graves aux « simples » indélicatesses et
manques de respect, l'école est le théâtre d'un accroissement des
conflits interscolaires et se trouve amenée à réguler ces
comportements, voire à les sanctionner. Les conseils de discipline
des collèges et des lycées sont régis par le Code de l’éducation. Ils
sont saisis par toute personne concernée par l’attitude répréhensible
d’un élève. Mais les poursuites sont exercées sous la seule
responsabilité du chef d’établissement. Celui-ci peut prononcer seul
les sanctions allant jusqu’à huit jours d’exclusion. Pour des sanctions
plus lourdes, il doit convoquer le conseil de discipline dans son
intégralité.
Le conseil de discipline est composé de plusieurs personnes :

• le chef d’établissement ;

• son adjoint éventuel ;

• le gestionnaire d’établissement ;

• les cinq représentants élus par le personnel (quatre


professeurs et un membre de l’administration) ;
• les trois représentants des parents d’élève (deux pour les
lycées) ;
• les deux représentants des élèves (trois pour les lycées) ;

• le conseiller principal d’éducation.


Le chef d’établissement convoque l’élève poursuivi et ses parents par
lettre recommandée. Il relate les faits et les actes qui sont reprochés.
Le conseil de discipline entend l’élève et sa famille, la personne à
l’origine des poursuites, les éventuels témoins susceptibles d'éclairer
l'affaire, puis délibère. Le vote a lieu à bulletin secret. Les bulletins
nuls, blancs ou les abstentions ne sont pas comptabilisés. La règle
de la majorité simple s’applique. Les sanctions qui peuvent être
prononcées à l’encontre de l’élève doivent avoir été prévues au sein
du règlement intérieur. Il s’agit, graduellement, d’un avertissement,
d’un blâme, d’une exclusion temporaire de un mois au maximum ou
d'une exclusion définitive. Un appel à l’encontre de cette décision est
possible, dans les huit jours suivant la décision, par lettre
recommandée avec accusé de réception devant le recteur
d’académie.
Peut-on amener son avocat à l’école ?
On ne le sait pas toujours mais, depuis un décret de 1985, un mineur
convoqué devant le conseil de discipline de son établissement scolaire
peut exiger d’être représenté par un avocat professionnel. Le chef
d’établissement ne peut pas refuser cette intervention. Pratique usuelle
dans les centres villes, ce recours est beaucoup plus rare dans les
réseaux d’éducation prioritaire (REP), alors même que cela pourrait
paraître plus utile.

En général, l’avocat intervient devant le conseil de discipline car l’affaire


a parallèlement été portée devant un tribunal et qu’il est d’ores et déjà
saisi de poursuites plus « sérieuses ». Si les juges et les sanctions sont
différents, la défense est souvent similaire. Mais les chefs
d’établissements scolaires voient cette intervention de professionnels
du droit avec ironie dans le meilleur des cas, au pire avec agacement.

En effet, les conseils de discipline ne respectent pas toujours les grands


principes de la justice. Ainsi, si devant le tribunal l’avocat a
connaissance des faits reprochés à son client et que rien d’autre ne
peut être invoqué, devant les conseils de discipline scolaires, il peut
arriver que des événements passés, n’ayant pas fait l’objet de
sanctions, soient évoqués lors de l’affaire. Ces événements aggravent le
cas de l’élève sans que l’avocat ait pu préparer sa défense. Or, il est
extrêmement difficile de solliciter un renvoi du dossier à une date
ultérieure pour pouvoir y répondre, alors même que l’exercice d’une
bonne justice l’exigerait. Il arrive également que le chef d’établissement
coupe la parole de l’avocat et ne le laisse pas plaider, ce qui est encore
une fois non conforme aux principes du droit.

Mais il faut se faire l’avocat du diable (c’est le cas de le dire) : les


conseils de discipline ne sont pas des tribunaux et ont une vocation
essentiellement éducative. Par ailleurs, la présence d’un avocat a
souvent pour effet de glacer l’atmosphère. Néanmoins, aux yeux des
élèves et de leurs parents, un avocat peut constituer un garde-fou
contre l’arbitraire des membres de l’établissement scolaire, non
professionnels du droit.
DANS CE CHAPITRE
Des institutions européennes

Les tribunaux internationaux


Chapitre 7
L’Olympe des institutions : les
juridictions internationales
S i une boussole est nécessaire pour s’orienter dans la galaxie
judiciaire française, il faut être encore mieux équipé pour escalader
l’Olympe des juridictions internationales. Tant du côté de l’Europe
qu’à l’échelle mondiale, une justice équitable et applicable à tous
émerge bon an mal an au gré des accrocs politiques.

Pas si vieille, l’Europe


Notre vieille Europe ouvre la marche en démontrant qu’elle peut être
avant-gardiste en matière judiciaire, afin de protéger le système
économique et les rapports des États membres de l’Union entre eux
mais également de protéger les droits et libertés des citoyens
européens.

La Cour de justice de l’Union


européenne
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a été créée par le
Traité sur le charbon et l’acier, datant de 1951, et siège à
Luxembourg. Sa mission consiste à assurer le respect des traités
européens établis par les États membres de l’Union européenne et à
interpréter les lois communautaires votées par le Parlement
européen. Cette Cour est composée d’un juge par État membre,
nommé pour six années renouvelables d’un commun accord avec les
gouvernements de tous les autres États. Les équivalents de nos
procureurs sont désignés par le terme d’avocats généraux. Les
affaires portées devant cette Cour sont jugées par trois juges au
minimum, mais rarement plus.
Il existe différents types de recours devant la Cour de justice de
l'Union européenne :

• Le renvoi préjudiciel : les tribunaux nationaux peuvent saisir


la Cour pour qu’elle se prononce sur une disposition d’un traité
ou d’une loi européenne qui leur paraît obscure et qu’ils ne
parviennent pas à appliquer.

• L'action en annulation : la Cour peut être sollicitée pour qu’un


texte voté par le Parlement européen soit annulé. Elle est saisie
par le Conseil de l’Union européenne, par la Commission
européenne, par le Parlement européen ou par un État membre
de l’Union européenne. Elle ne peut être saisie par un citoyen
que si le texte communautaire le concerne personnellement. Ce
recours doit être introduit dans les deux mois suivant la
publication du texte.
• Le recours en manquement : la Commission européenne
peut saisir la CJUE pour qu’elle condamne un État qui ne se
conforme pas au droit communautaire malgré ses invectives.
Un Tribunal de première instance de l’Union européenne (TPIUE) a
été créé en 1988 afin de statuer sur les recours des fonctionnaires
contre l'institution qui les engage, mais également les recours des
citoyens en matière de concurrence déloyale. Les décisions du
TPIUE peuvent faire l’objet d’un appel devant la CJUE.

La Cour européenne des droits de


l’homme
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a été instaurée
en 1959. Elle se consacre principalement à faire respecter la
Convention européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950,
rédigée dans la lignée de la Déclaration universelle des droits de
l’homme de 1948. Ces grandes déclarations ont été adoptées à la
suite de la Seconde Guerre mondiale et de la révélation de ses
atrocités, alors que l’ensemble des nations avait pris conscience qu’il
était nécessaire de se réunir et de s'engager mutuellement si l'on
souhaitait parvenir à une définition commune des libertés et des
droits de tous les citoyens. La CEDH est la consécration de cette
union, puisqu’il s’agit d’une cour indépendante qui peut condamner
un État européen à indemniser ses propres ressortissants pour des
fautes commises par ses propres agents publics.
La CEDH s’impose à tous les pays d’Europe qui la reconnaissent et
non aux seuls membres de l’Union européenne. À titre d’exemple, la
Turquie, qui ne fait pas partie de l’Union européenne, s’y est soumise
volontairement. Il s’agit d’ailleurs d’un des pays les plus sanctionnés
par la Cour.

Comment saisir la Cour européenne des droits


de l’homme ?
La CEDH, qui siège à Strasbourg, est composée d’un juge par État,
élu pour six années. Mais qui peut saisir cette cour ? Un État contre
un autre État, une organisation non gouvernementale contre un État,
mais aussi et surtout un citoyen ou un groupe de citoyens constitué
en association à l'encontre d'un État. Ainsi, toute personne qui
s’estime victime d’une violation de ses droits fondamentaux peut agir
en justice devant elle. Il n’existe pas de procédure particulière pour la
saisir, si ce n’est que la requête doit être écrite. Des formulaires
peuvent être retirés auprès de la CEDH. La représentation par un
avocat n’est pas obligatoire, même si elle est bien évidemment
conseillée. Une assistance juridique gratuite peut d’ailleurs être
demandée.
Toutefois, deux conditions sont essentielles pour que le recours d’un
citoyen contre l’État soit déclaré recevable. Le citoyen doit d’abord
avoir épuisé toutes les voies de droit dans son pays. On estime en
effet qu'il faut donner une chance au pays visé de s'amender de lui-
même. Ainsi, en France, pour saisir la CEDH, il faut avoir saisi
préalablement un tribunal en première instance, puis la cour d’appel
et, enfin, la Cour de cassation. Il s'agit donc d'un vrai parcours du
combattant, au long duquel il convient d'être patient : on constate que
les procédures françaises peuvent parfois durer sept années,
auxquelles il faut encore ajouter les années de procédure propres à
la CEDH… La justice épuise souvent les nerfs des justiciables, et
faire reconnaître ses droits demande beaucoup d’énergie et de
patience. La deuxième condition est d’intenter le recours dans les six
mois suivant la dernière décision de l’État contre lequel on souhaite
agir. En France, il faut par conséquent saisir la CEDH dans les six
mois de l’arrêt rendu par la Cour de cassation ou le Conseil d’État.
A été aménagé pour vous éviter un procès interminable un
mécanisme : les articles de la Convention européenne des droits de
l’homme peuvent être directement invoqués devant les tribunaux
nationaux. Ainsi, il n'est pas rare que les avocats plaident à partir des
lois françaises, mais également en arguant sur le fondement du texte
même de cette convention. Il s’agit d’une mise en garde des
magistrats, qui doivent se soumettre à la Convention européenne des
droits de l’homme s’ils ne veulent pas que des parties jusqu’au-
boutistes les fassent censurer par la CEDH.
Pour tout renseignement, il convient de contacter directement la Cour
européenne des droits de l'homme au Conseil de l'Europe
(67075 Strasbourg Cedex, et site Internet officiel :
www.echr.coe.int).

Comment faire exécuter les arrêts de la Cour


européenne des droits de l’homme ?
La CEDH tente toujours de régler le différend de façon amiable avant
de se prononcer. Il arrive parfois qu'elle refuse de se prononcer sur
une affaire, considérant que celle-ci relève de la marge d’appréciation
de l’État en cause. Ce fut le cas notamment de la question du « droit
à la vie » de l’embryon dans le ventre de sa mère. Le médecin
commet-il un homicide involontaire lorsqu’il contraint, par erreur
médicale, une femme à avorter après six mois de grossesse ? La
CEDH a sorti son joker en passant la main aux juridictions étatiques.
Comme quoi il n’est pas toujours évident d’avoir une position
commune sur certaines grandes polémiques de société. En
l'occurrence, l'affaire est par trop épineuse.
Néanmoins, dans la majorité des cas, la CEDH tranche clairement
les litiges. Lorsque la requête d’un citoyen est déclarée recevable, la
Commission lui octroie ce que l’on nomme une satisfaction équitable.
Il ne s’agit pas d’un beau diplôme orné d’un tampon « Opprimé par
l’État » que l’on peut poser sur sa cheminée, mais d’une réelle
indemnisation en espèces sonnantes et trébuchantes. Bien souvent,
l’indemnisation est importante. La CEDH transmet sa décision au
Conseil de l’Europe, qui « invite » l’État condamné à s’exécuter. La
France a eu plus que sa part de ce genre d’injonction ces dernières
années. Il existe un Service des exécutions qui peut aider le citoyen
dans sa démarche. L’État qui ne s’exécute pas peut être condamné.
Quels sont les droits et libertés les plus
invoqués devant la CEDH
Les droits revendiqués devant la CEDH concernent plusieurs
domaines.

Les libertés physiques


Il s'agit en premier lieu du « droit à la vie » . Ainsi, la Turquie a été
condamnée à de nombreuses reprises sur ce fondement, notamment
en raison de la disparition de membres du parti pour la démocratie
kurde. Une autre de ces libertés physiques est l’interdiction de la
torture ainsi que des peines ou traitements inhumains ou dégradants.
Certaines gardes à vue effectuées dans les commissariats français
ont ainsi été stigmatisées. L’interdiction de l’esclavage est encore au
cœur de ces questions. Il y a enfin la sûreté, c'est-à-dire la sécurité
physique, comme l’interdiction de la prison pour dettes.

Les libertés intellectuelles


Tout homme dispose d’un droit au respect de sa vie privée et d’un
droit au mariage. Cet article est invoqué dans le cadre des
discriminations liées au transsexualisme (refus d’un État de
reconnaître l’identité sociale et professionnelle d'une personne en
contravention avec son identité officielle civile, la contraignant à
dévoiler son transsexualisme aux institutions, lors de voyages ou
d’une recherche d’emploi par exemple), des discriminations liées aux
couples homosexuels (le mariage entre deux personnes de même
sexe, accepté dans certains pays d’Europe, comme la Belgique ou
l’Espagne, et refusé dans d’autres pays, comme la France), des
adoptions par des couples homosexuels ou des discriminations plus
générales en matière de recherche d’emploi. Les libertés
individuelles comprennent également la liberté d’expression et
d’information, les libertés de pensée, de religion et d’association.

Les libertés économiques


Les libertés économiques regroupent le droit à la propriété et le droit
à l’instruction. En découlent, à titre d’exemple, le principe
d’indemnisation des victimes en cas d’expropriation ou encore le droit
d’accès aux établissements scolaires.
La justice
Cette catégorie constitue le principal fondement des condamnations
de la France ; il s’agit du droit à un procès équitable, à être jugé dans
un délai raisonnable et non de croupir en prison pendant des années
avant d’être jugé.
Enfin, sachez que la base de données Hudoc (accessible sur le site
Internet www.echr.coe.int) contient un important recueil de
jurisprudences avec toutes les décisions de la CEDH. Son accès est
gratuit et riche en enseignements.
La France, mouton noir de l’Europe ?
La « patrie des droits de l’homme » mérite-telle toujours son titre ? Bien
que la Cour européenne des droits de l’homme existe depuis 1958, ce
n’est que seize années plus tard, en 1974, que la France a accepté d’y
être soumise, faisant figure de mouton noir de l’Europe. Par ailleurs, la
France est l’un des pays d’Europe les plus lourdement et souvent
condamnés par la CEDH, même si – relativisons – elle reste loin
derrière la Turquie par exemple, qui compte de très nombreuses
condamnations à son actif. C’est la procédure pénale française, c’est-à-
dire la manière dont l’État français traite ses prisonniers et ses
suspects, qui est la plus sanctionnée. Ainsi, cette haute cour des droits
fondamentaux considère principalement que la justice française est
trop lente et que les conditions de détention dans nos prisons, voire
dans nos commissariats lors des gardes à vue, portent atteinte à la
dignité humaine. On assiste alors parfois à des condamnations
surprenantes au XXIe siècle :

• La France, État bourreau ? En 1992, la France a été


condamnée à indemniser un criminel à hauteur de
700 000 francs en raison de la trop longue durée de sa
détention provisoire avant qu’il n’ait été jugé coupable. Situation
ubuesque que celle d’un dangereux criminel indemnisé par
l’État qui a trop tardé à le juger !

• La France, État censeur ? Deux journalistes du Canard


enchaîné ont reçu des indemnités de l’État français en 1999.
Celui-ci les avait condamnés pour avoir publié un article sur
l’évolution des émoluments du président de Peugeot, qui
refusait d’augmenter ses salariés.

• La France, État expropriateur ? En 2003, l’État français a été


condamné à verser 3 286 765 euros aux héritiers d’une
personne dont le terrain avait fait l’objet d’une expropriation par
l’État à Saint-Denis de La Réunion. Cela faisait en effet dix-neuf
années que cette propriété avait été enlevée de force à son
propriétaire par l’État, puis laissée à l’abandon.

• La France, État esclavagiste ? L’affaire remonte à 2005 et non


au XVIIIe siècle. La France a été condamnée pour ne pas avoir
suffisamment indemnisé une jeune fille originaire du Togo
victime d’esclavage domestique.

• La France, État meurtrier ? La France a été fustigée, en 2006,


à la suite de la mort d’un prisonnier dans sa cellule.

L’utopie d’une justice universelle ?


Au-delà de l'Europe, des juridictions internationales ont été créées
afin de juger les infractions commises par les gouvernements
d’autres pays. Ces tribunaux ont vocation à abolir les frontières et à
se placer au-dessus des juges nationaux. L’origine historique de ces
tribunaux internationaux remonte aux lendemains de la Seconde
Guerre mondiale, notamment avec la création des tribunaux de
Nuremberg et de Tokyo.

Les tribunaux pénaux


internationaux
Les tribunaux pénaux internationaux (TPI) sont des tribunaux dits ad
hoc, créés spécialement à la suite de rapports de l’Organisation des
Nations unies (ONU), d’organisations non gouvernementales, mais
également d’instances privées, pour juger des actes graves commis
par le gouvernement d’un pays à l’encontre d’un peuple. Ont été
créés notamment le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
en 1993 (fermé en 2017), le Tribunal pénal pour le Rwanda en
1994 (fermé en 2015) et le Tribunal pénal pour la Sierra Leone
en 2002.
La légitimité de ces tribunaux est bien entendu fortement contestée
par les personnes qui y sont jugées. Slobodan Milosevic a ainsi
évoqué « la justice des vainqueurs contre les vaincus » , faisant
valoir que s’il avait gagné la guerre ce serait lui qui jugerait ses
opposants. Les tribunaux pénaux internationaux ont aussi rencontré
des problèmes de fonctionnement dus à leur encombrement et à la
difficulté d'identifier l'intégralité des personnes responsables des
génocides et des crimes contre l’humanité.
La procédure devant les TPI est assez complexe. Un procureur est
désigné parmi les pays membres de l’ONU. Il ouvre une enquête
« sur la foi des renseignements obtenus de toutes sources » , lors de
laquelle il entend les victimes, les suspects, les témoins, etc. Puis il
peut décider d'engager des poursuites contre les suspects en
transmettant un acte d'accusation au tribunal. Si celui-ci retient
l'affaire, la personne poursuivie est arrêtée. Elle est défendue par un
avocat lors de son procès. La décision des juges est rendue en
audience publique.
George Bush a refusé de faire traduire les prisonniers d'Afghanistan
devant un tribunal pénal international et a préféré les faire traduire
devant un tribunal militaire à Guantanamo lui permettant d’appliquer
ses propres règles et non les règles définies par la communauté
internationale. Le président américain a justifié sa position en faisant
valoir qu'il considérait que la destruction des « tours jumelles » ,
le 11 septembre 2001, était un acte de guerre.

La Cour pénale internationale


Les membres de l’ONU, au-delà de la création de tribunaux spéciaux
pour certains crimes contre l’humanité, ont souhaité mettre en place
une véritable Cour pénale internationale (CPI) qui siégerait de
manière permanente et serait amenée à recevoir les plaintes pénales
pour crime contre l’humanité et génocide de n’importe quel État du
monde contre un autre État.
Les statuts de cette cour ont été adoptés en 1998, mais elle n’a pu
entrer en fonction qu'en 2002, après l'accord de 60 États. Elle ne
peut être saisie que pour des crimes commis après 2002. Pour le
moment, la Cour a été saisie par différents pays, notamment la
République démocratique du Congo et la République centrafricaine.
Elle s’intéresse également à la situation existant au Darfour. Les
États-Unis refusent d’y souscrire, de peur que le processus ne soit
dirigé contre leurs intérêts.
La CPI peut être saisie par tout État qui a adhéré à ses statuts et qui
considère que des crimes ont été commis à l’encontre de son peuple.
Cependant, le procureur et le Conseil de sécurité de l’ONU peuvent
également le mettre en action. C'est le procureur qui mène alors
l'enquête puis confirme ou non sa volonté de poursuivre. Le procès
se déroule publiquement en présence des accusés. Il est intéressant
de noter que la CPI peut juger tout crime d’agression et pas
seulement les crimes contre l'humanité et les génocides. Enfin, la CPI
a le mérite d'avoir mis en place un véritable statut pour les victimes,
car elle ne se contente pas de condamner mais indemnise
également. Les victimes participent donc pleinement à la procédure.

Ne pas confondre la Cour pénale internationale et


la Cour internationale de justice
La Cour internationale de justice (CIJ) est également une émanation de
l’ONU. Elle siège à La Haye, et ses deux langues officielles sont le
français et l’anglais. Son rôle est de juger les litiges entre les États du
monde, comme une contestation sur la délimitation de leurs frontières
ou sur l’utilisation des mers pour la pêche. À qui appartient le poisson ?
Grave question ! En revanche, la CIJ n’a pas de compétence pénale,
cette dernière étant dévolue à la Cour pénale internationale. Les juges
sont élus par le Conseil de sécurité de l’ONU et bénéficient d’une totale
indépendance, car ils doivent statuer en toute impartialité. Ils
disposent donc de l’immunité diplomatique. Seuls les États peuvent
saisir la CIJ. Cette cour a été critiquée et son impartialité remise en
cause lorsqu’elle a refusé de statuer sur les essais nucléaires de la
France dans les eaux jouxtant l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Figure 7-1 En un coup d’œil : les juridictions internationales.
DANS CE CHAPITRE
La mondialisation et ses effets sur le droit

Le phénomène de médiatisation de la justice


Chapitre 8
La justice du XXIe siècle : un
monde global et médiatique
À l’heure où les cabinets anglo-saxons pullulent sur la
place parisienne et où des dizaines de séries télévisées
présentent au profane une vision attrayante mais
fantasmée de la profession, le doute n'est plus permis : la
justice ne peut plus s’appréhender aujourd’hui sans tenir
compte de deux phénomènes qui la dépassent et
l'englobent : la mondialisation et la médiatisation.

Une justice mondiale… ou


mondialisée ?
De l’avis de nombreux observateurs, la justice aujourd’hui
ne dérogerait pas, à l'évidence, de la mondialisation. Une
fois n'est pas coutume : le lecteur comprendra que de
« mondialisation » il est principalement question d’
« américanisation » , c’est-à-dire de cette tendance du
droit, comme d’autres branches sociales, à se calquer sur
ce qui se fait outre-Atlantique (avancées et dérives).

L’internationalisation
La société française s’internationalise… comme le reste
de la planète. C’est donc d’abord une mondialisation du
droit qui s’impose peu à peu. Les organisations
internationales fleurissent dans tous les secteurs, de la
pêche baleinière à la protection du patrimoine culturel.
Chacune d’entre elles engendre son lot de traités plus ou
moins contraignants.
Dans cette globalisation, l’anglais a depuis longtemps
remporté la prime. Devenu la langue commune du village
planétaire, il a entraîné avec lui des pratiques de
négociation qui impliquent notamment le recours à un
vocabulaire et des usages juridiques communs a priori
issus des pays anglo-saxons.

Les « firmes » raflent la mise


Le milieu des affaires a naturellement donné le la. Et
lorsqu'une entreprise américaine s’immisce sur le marché
européen, elle demande l’aide de son cabinet de conseil
habituel. Celui-ci offre des services multiples, alliant le
droit et la finance. Les milliers de collaborateurs déjà
installés sur les grandes places de l'Amérique du Nord
fournissent une main-d’œuvre exportable partout, apte à
ouvrir des bureaux dans presque toutes les capitales de
chaque continent.
Ces cabinets d’un nouveau genre travaillent selon d’autres
rythmes, avec d’autres moyens, selon une autre rentabilité
que les maigres concurrents locaux. Ceux-ci sont
d'ailleurs rachetés pour permettre aux firmes américaines
d'acquérir plus vite une connaissance du terrain à
défricher. Des chasseurs de têtes traquent les juristes
spécialisés prêts à se vendre avec une équipe déjà
constituée et opérationnelle. C’est le savoir-faire et
l’expertise qui sont demandés, la clientèle ne comptant
que dans la mesure où elle peut suivre la nouvelle grille
d’honoraires, forcément bien supérieure à celle qu’elle
avait pour coutume de régler.
Et des sociétés françaises à ambition supranationale vont
aussi délibérément abandonner leur conseil français pour
se tourner vers un réseau international, dont le « board »
siège à New York ou Chicago.
En parallèle, les cabinets anglo-saxons ouvrent de
nouveaux marchés du droit en « offrant » des services
complets aux États balbutiants. Telle firme américaine va
ainsi implanter un modèle clés en main de législation de
l’énergie dans tel pays de l’Est à peine émergent. Et les
sociétés occidentales du secteur vont faire appel à
l'expérience et aux contacts de cette même firme pour
suivre le mouvement.
La spirale est enclenchée. L’américanisation du droit, c’est
avant tout le sens du marketing plus que celui de la
judiciarisation.

De l’Europe aux groupes de


pression
Le « droit de la concurrence » reste un bon exemple de
cette influence américaine par les biais successifs de
l’internationalisation, puis de l’harmonisation européenne :
la volonté de « singer » l'Amérique du Nord se retrouve
dans la politique bruxelloise d’uniformisation à tout prix.
Celle-ci tend vers un mode de production du droit très
influencé par la libre concurrence ou encore le droit du
consommateur propres aux États-Unis. C’est ainsi que,
pour le meilleur comme pour le pire, les fusions entre
conglomérats européens sont cassées, que les dispositifs
protectionnistes de secteurs fragiles sont mis à mal ou que
les États membres de l’Union européenne sont sommés
de privatiser leurs secteurs publics.
Les syndicats, les ligues en tout genre et les ONG
diverses ont bien compris cette tendance. Leur lobbying
vise de plus en plus à présenter des réformes inspirées
par les précédents des pays anglo-saxons. Pour les uns, il
faut aménager des droits de propriété intellectuelle au
profit des communautés sur leur propre folklore comme
cela est déjà le cas pour les Aborigènes d'Australie ou les
Indiens du Canada et des États-Unis. Pour d’autres,
l’accès par les petits actionnaires aux informations
détenues par les entreprises est l’aboutissement logique
du droit des consommateurs/détenteurs. Quand il ne s’agit
pas d’interdire de fumer en tout lieu.
Là encore, selon sa propre morale, et au-delà de
l’abandon d’une culture juridique particulière, chacun
pourra y voir un progrès ou une entrave aux libertés. L'un
dans l'autre, on parlera de l' « influence des États-Unis » –
quand bien même ceux-ci n'auraient rien demandé ! – et,
par voie de conséquence, d'une américanisation du droit.

Plagier la procédure
Lorsque le droit français regarde de l'autre côté de
l'Atlantique, les réflexions – voire les simples plagiats –
concernent aussi la procédure, c'est-à-dire la façon même
de concevoir l’administration de la justice. Le cas le plus
récent consiste en l'instauration du « plaider-coupable » .
Le but serait de simplifier le traitement des affaires
pénales, en offrant la possibilité de se sacrifier d'emblée,
sans combattre, en échange d’une clémence négociée…
Lasse, la contrefaçon hexagonale de cette invention
yankee est de piètre qualité et n'offre pas au suspect les
mêmes garanties que celles du modèle original ; sans
compter les réticences des professionnels voyant aussi
bien leur marché que les droits de la défense fondre au
moule de cette machine à juger, qui rappelle les pires
feuilletons judiciaro-policiers.
Des limites provisoires
Les freins à ce gigantesque copier-coller juridique
fonctionnent encore, même si l’usure menace.

Rappelons que la jurisprudence n’a pas la même


importance en droit français qu’en droit américain. Le juge
n’est pas lié par les décisions de ses pairs, même s'il a
tendance à regarder, dans les pages du Dalloz où les
jugements et arrêts sont publiés, par-dessus l’épaule de
ses collègues, surtout si ceux-ci appartiennent à une
juridiction supérieure.
Ajoutons encore que, du côté des avocats, les uns portent
la robe tandis que les autres haranguent en costard-
cravate. Ils vont jusqu’à démarcher les clients par la
publicité ou, selon une autre image d’Épinal
contemporaine, en parcourant les couloirs des hôpitaux.
Peu à peu, le barreau français s'affranchit de sa réserve
naturelle, en théorie réglementée par ses ordres. Las,
ceux-ci ont bien du mal à mettre au pas les cabinets
d'affaires les plus entreprenants. Sans oublier que la
corporation s’autorise la publicité collective au travers de
campagnes publicitaires destinées à lutter contre les
autres commerçants du droit que sont les comptables,
huissiers et autres notaires qui, du coup, contre-attaquent
avec les mêmes armes. Comment fustiger un cabinet
d’avocats français de se répandre dans la presse quand
sa corporation diffuse des spots télévisés aussi chers que
surannés ?

Législatif, exécutif, judiciaire…


et médiatique ?
Montesquieu n’avait pas prévu l’émergence d’un autre
pouvoir, s’ajoutant au législatif, à l’exécutif et au judiciaire.
Désormais désignée comme le fameux quatrième pouvoir,
la presse figure au premier plan dans le panorama du droit
contemporain.

Des faits divers sensationnels


La surexposition des procès les plus spectaculaires a
toujours été en vogue. La littérature de colportage s’est
emparée la première des grands litiges. De nos jours, les
chroniqueurs judiciaires ont droit de cité dans les plus
grands journaux. La presse possède d'ailleurs un bureau
officiel au cœur même du Palais de Justice de Paris.
Le genre a même depuis longtemps gagné les
romanciers, le cinéma et désormais la télévision. Les
rapports entre justice et médiatisation sont pourtant
houleux, car ils mettent en jeu des principes juridiques où
s’opposent les droits des protagonistes, ceux des
journalistes et ceux de l’institution judiciaire elle-même.
En parallèle des « pures » fictions prenant la justice et son
théâtre pour cadre, les crimes extraordinaires ont souvent
inspiré les romanciers, et non des moindres : en
témoignent les livres d'André Gide, de Truman Capote, ou
encore le succès, plus récemment, de L’Adversaire
d’Emmanuel Carrère. La télévision sert de passionnants
« Faites entrer l’accusé » , mais adapte aussi les grands
procès, de Francis Heaulme au « petit Grégory » .
À titre d'exemple récent, le film Grâce à Dieu a fait l'objet,
début 2019, de recours en interdiction sur le fondement de
l’atteinte à la vie privée et à la présomption. Ce film de
François Ozon traite de la pédophilie dans l'Église
catholique à travers le scandale du diocèse de Lyon. En
l’espèce, le prêtre Bernard Preynat a été mis en examen
dans le cadre d’une information judiciaire ouverte au
tribunal de grande instance de Lyon mais l'affaire n'a pas,
pour le moment, fait l'objet d'un procès.
Invoquant une atteinte à sa vie privée et à sa présomption
d’innocence, le prêtre a saisi le juge des référés pour
demander la suspension de toute diffusion du film jusqu'à
l'intervention d'une décision de justice définitive.
Les tribunaux de grande instance de Lyon et de Paris
statuant en urgence avaient rejeté les demandes
d'interdiction du film pour faire valoir la liberté
d'expression, et ainsi autoriser la sortie du film en salle
le 20 février dernier. Ayant été débouté de ses demandes,
le père Preynat a fait appel de la décision du tribunal de
grande instance de Paris. Dans un arrêt du 26 juin dernier,
la cour d'appel de Paris soutient que la mesure de
suspension réclamée par le prêtre dans l’attente d'une
décision définitive était effectivement disproportionnée. En
outre, les juges observent que le film débute et se termine
par l'indication que le père Preynat bénéficie de la
présomption d'innocence et qu'aucune date de procès n'a
été fixée. Par ailleurs, la cour relève que le film s'inscrit
dans un débat d'intérêt général : la dénonciation des actes
de pédophilie au sein de l'Église. Ainsi, la cour d'appel de
Paris confirme le rejet des demandes d'interdiction du film
Grâce à Dieu pour faire prévaloir la liberté d’expression et
le droit à l’information.

Le secret de l’instruction : une


institution aussi paradoxale
qu’archaïque
Revenons quelques instants sur cette vaste hypocrisie
baptisée « secret de l’instruction » . Celui-ci était déjà de
rigueur sous l'Ancien Régime. Supprimé par la Révolution,
remis sur pied par Napoléon, il est désormais visé à
l'article 11 du Code de procédure pénale : « sauf dans les
cas où la loi en dispose autrement, et sans préjudice des
droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête
est secrète » ; et « toute personne qui concourt à cette
procédure est tenue au secret professionnel » .
Aujourd'hui, la finalité de ce secret ne serait plus tant la
protection de l’enquête que celle de la présomption
d’innocence.
Les dispositions sur le secret de l’instruction ont été
complétées par une loi entrée en vigueur en 2000. C'est
ainsi que, désormais, « afin d'éviter la propagation
d'informations parcellaires ou inexactes, ou pour mettre fin
à un trouble de l'ordre public, le procureur de la
République peut, d'office et à la demande de la juridiction
d’instruction ou des parties, rendre publics des éléments
objectifs tirés de la procédure, ne comportant aucune
appréciation sur le bien-fondé des charges retenues
contre les personnes mises en cause » .
Les commentateurs autorisés estiment que cet
assouplissement est lié à une prise en compte d’une sorte
de droit à l’information… et en particulier à la lenteur
accrue de la justice qui repousserait d’autant la révélation
des faits au public.
Les journalistes ne sont toutefois pas directement visés
par les textes répressifs en la matière. Ils sont donc en
général poursuivis pour recel de violation du secret de
l’instruction, c’est-à-dire en raison de la détention de
documents qui sont couverts par le secret… La nuance
est subtile mais efficace !
En 2001, la chambre criminelle de la Cour de cassation a
encore donné l'impression de renforcer le secret de
l’instruction en rejetant le pourvoi formé par deux
« receleurs » titulaires de la carte de presse, en
l’occurrence les sieurs Pontaut et Dupuis, à propos de l'
« affaire des écoutes de l'Élysée » ; lesquelles écoutes
totalement illégales n’ont donné lieu à un procès que
presque dix-huit ans après la découverte des pratiques
ahurissantes mises en place par l’Élysée pour surveiller
les conversations téléphoniques de journalistes, d’avocats,
d’écrivains, d'actrices, etc.
La Cour européenne des droits de l’homme a pourtant
déjà statué sur la compatibilité du régime juridique français
avec le principe de la liberté d’expression. La France a été
ainsi condamnée, en 1999, dans une affaire qui portait sur
la publication des feuilles d’imposition de Jacques Calvet.
Mais aux yeux des juges nationaux, le rédacteur des
pages litigieuses est toujours supposé être de mauvaise
foi, puisqu’il ne peut ignorer la provenance illicite des
informations qu’il reproduit. Et comme c’est toujours le cas
pour tous les délits relevant du droit de l’information, le fait
que les éléments secrets aient été déjà révélés par
d’autres n’autorise pas leur reprise.
Tout aussi paradoxalement, les actions en justice à
l’encontre de l’éditeur et du rédacteur des pages
litigieuses sont facilitées lorsque les documents secrets
sont publiés : la preuve du recel est alors flagrante. Mais si
le journal ou le livre ne fait qu’allusion au contenu de ces
documents, sans que ceux-ci soient cités ou reproduits, il
n’y a alors plus de poursuites possibles sur le fondement
du recel.
Partie 3
Les acteurs du grand théâtre
de la justice
Dans cette partie…

Beaucoup de gens œuvrent au sein de la justice


et vivent d'elle. En premier lieu, bien sûr, les
« hommes en noir » : les magistrats et les
avocats. Puis viennent d'autres professionnels
de justice, au rang desquels figurent, pêle-
mêle, la police, les huissiers, les notaires ou
encore les experts. Bref, on se bouscule aux
marches du palais ! Certains traînent pourtant
des pieds pour s'y rendre, des jurés d'assises
aux victimes, en passant par les témoins. Sans
oublier l'univers dit « carcéral », où se côtoient
ceux qui sont payés par la société et ceux qui
paient pour les torts qu'ils lui ont causés.
DANS CE CHAPITRE
Les juges sous toutes les coutures

Les avocats, aux manies si décriées


Chapitre 9
Les hommes en noir
L a justice est incarnée en premier lieu par ceux qu’on appelle les
« hommes en noir » . Vêtus d’une robe noire satinée ornée
d’hermine, les premiers d’entre eux sont les magistrats ; larges
manches et « bavards » , viennent ensuite les avocats.

Mesdames et messieurs, la cour ! Les


magistrats
Leurs décisions alimentent les colonnes des journaux, mais qui sont
vraiment les magistrats ? Quelles institutions et quelles règles
régissent ces gens qui nous jugent ?
Fonctionnaires d’État, symboliquement chargés de « dire droit » , ce
sont là des hommes de grande vertu à l’éthique irréprochable. C’est
pourquoi, admis sur concours puis formé pendant trente et un mois
au sein de l’École nationale de la magistrature, le futur magistrat doit,
avant d’entrer dans l’arène judiciaire, prêter serment devant ses
pairs : « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de
garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire
en tout comme un digne et loyal magistrat » (article 6 du Statut de la
magistrature).
Deux grandes catégories doivent être distinguées parmi les
magistrats : les magistrats « du siège » et ceux « du parquet » .
Les garanties d’une justice impartiale : le Conseil
supérieur de la magistrature
C’est « au nom du peuple français » que le « digne et loyal magistrat […]
rendra la justice ». Et pour cause, le magistrat est tenu d’appliquer les
règles de droit adoptées notamment par les députés, eux-mêmes
désignés par le peuple français. L’importance de cette mission et des
pouvoirs dont le magistrat dispose implique une indépendance
renforcée, garante de l’impartialité de la justice.

Si la nomination et la discipline des magistrats étaient laissées à la


discrétion du président de la République et/ou du garde des Sceaux, la
justice serait rendue par des magistrats dépendants du pouvoir
exécutif. Afin d’éviter cette confusion des pouvoirs, les magistrats sont
nommés par un organe (plus ou moins) indépendant du pouvoir
exécutif : le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

Le CSM a été créé par la Constitution du 27 octobre 1946. Il a été


longtemps présidé par le président de la République, lequel était
assisté du ministre de la Justice en qualité de vice-président. La loi
constitutionnelle du 23 juillet 2008 a mis fin à la présidence du Conseil
par le président de la République, tout en élargissant la composition du
Conseil, au sein duquel les magistrats sont devenus minoritaires.

Ses membres sont chargés de la nomination des magistrats et de


veiller à leur discipline.

Une partie de ces membres, dont la durée du mandat est de quatre


ans, est répartie à parts égales dans deux formations : une formation
dite du siège, responsable de la nomination et de la discipline des
magistrats du siège, l’autre dite du parquet, responsable de la
nomination et de la discipline des magistrats du parquet. (Une petite
précision : le magistrat du siège tranche les litiges et rend un jugement,
une décision ou un arrêt, quand le magistrat du parquet, lui, donne
simplement son avis sur la décision qui doit être rendue par le
magistrat du siège, sans pour autant lier celui-ci, pour protéger ou
réparer au mieux les intérêts de la société.)

La formation du parquet est moins bien lotie que sa cousine du siège.


En effet, la formation du parquet est seulement autorisée à émettre un
avis sur les postes de magistrat du parquet proposés par le ministre de
la Justice. Cet avis n’est pas nécessairement suivi par le Conseil des
ministres, qui entérine librement les propositions du ministre de la
Justice.

Le CSM s’occupe également de la discipline des magistrats. La faute


disciplinaire est joliment définie par l’ordonnance du
22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature comme tout
« manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à
la délicatesse ou à la dignité ». La formation du siège enquête et décide
des sanctions disciplinaires à appliquer aux magistrats du siège. En
revanche, c’est le ministre de la Justice qui est exclusivement
compétent pour décider des sanctions disciplinaires devant être
infligées aux magistrats du parquet. La formation du parquet émet à
nouveau un avis qui ne lie pas le ministre.

Depuis 2008, un justiciable peut saisir directement le Conseil à titre


disciplinaire.

Figure 9-1 Les magistrats : juges vs procureurs ou substituts.


Les magistrats du siège
Les magistrats du siège sont ceux qui sont chargés de rendre des
décisions de justice, autrement dit ceux qu’on appelle communément
les « juges » .

Leur nomination par le Conseil supérieur de la


magistrature
C’est le Conseil supérieur de la magistrature qui nomme les
magistrats. Celui-ci dispose à cet égard de deux types de pouvoir
distincts. La formation du siège propose les nominations des
magistrats du siège de la Cour de cassation, des premiers présidents
de cours d’appel et des présidents de tribunaux de grande instance.
Pour toutes les autres nominations de magistrats du siège, la
formation dispose d’un pouvoir d’avis conforme. C’est le garde des
Sceaux qui conserve l’initiative et propose les nominations. La
formation étudie les dossiers des magistrats proposés, ceux des
candidats qui n’ont pas été retenus par la Chancellerie et
spécialement des magistrats qui ont formulé des observations sur les
projets de nomination, puis elle donne un avis qui lie le garde des
Sceaux.

Leurs attributions
Les magistrats du siège prononcent des jugements sur les litiges qui
leur sont soumis par les parties ou par le parquet. Ils ont pour mission
d’appliquer la loi et de dire le droit après avoir entendu les parties en
litige, leurs représentants (c’est-à-dire leurs avocats) et le ministère
public.
Les magistrats du siège exercent différentes fonctions, au sein de
plusieurs juridictions. Seuls les magistrats officiant devant les
juridictions civiles et pénales seront évoqués ici, les juridictions dites
« spécialisées » étant détaillées dans le tableau reproduit
précédemment.
Le juge généraliste, qui siège au tribunal de grande instance (au
tribunal judiciaire depuis le 1er janvier 2020), tranche l’ensemble des
litiges entre particuliers au civil. En matière pénale, il juge les auteurs
de délits au tribunal correctionnel.
D’autres juges exercent devant le tribunal de grande instance des
fonctions plus spécialisées. Le juge aux affaires familiales (dit aussi
« JAF » ) concilie, prend les mesures provisoires, prononce le
divorce. Le juge de la mise en état veille au déroulement loyal de la
procédure devant le tribunal, avant que l'affaire soit enfin plaidée pour
être jugée. Le juge des référés, en tant que président du tribunal
statuant en référé, peut prendre des décisions rapides en cas
d'affaire simple ou de risque, pour l'une des parties, de subir un
préjudice difficilement réparable. Le juge de l’exécution peut être saisi
des problèmes relatifs à la mise en œuvre des décisions civiles. (On
l'appelle aussi familièrement « JEX » , comme le célèbre produit
nettoyant…) Le juge des libertés, en sa qualité de gardien de la
liberté individuelle, peut être saisi notamment en cas de détention
arbitraire, d’atteinte à la liberté et d’aller et venir, ainsi que d’atteinte à
la vie privée.
Les affaires pénales les plus complexes sont confiées au juge
d’instruction. Les dossiers lui sont attribués par le président du
tribunal. Son intervention n’est obligatoire qu’en matière criminelle,
c’est-à-dire pour les infractions les plus graves. En matière
délictuelle, le parquet apprécie l’opportunité d’ouvrir une information,
en fonction de la complexité de l'affaire, des investigations
nécessaires pour la mettre en état, ou des mesures provisoires utiles
avant le jugement. De fait, à peine 10 % des affaires jugées sont
d'abord portées devant le juge d'instruction. L’ouverture de
l’information peut être aussi le fait de la victime en cas de constitution
de partie civile.
Le juge d’instruction a pour mission d’instruire à charge et à
décharge. Pour ce faire, il dirige les services de police ou de
gendarmerie en déléguant certains de ses pouvoirs par commission
rogatoire. Il est décisionnaire en matière de mandat d’arrêt et de
placement en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire. Chef
d'orchestre de l'instruction, il dispose d'une panoplie d'actes divers :
transport sur les lieux aux fins de reconstitutions, perquisitions,
saisies, restitutions, interceptions de correspondances émises par la
voie de télécommunications, auditions de témoins, interrogatoires et
confrontations, délivrance de mandats de comparution, d’amener et
d’arrêt, placement en détention ou sous contrôle judiciaire, délivrance
de commissions rogatoires nationales ou internationales, ordonnance
de désignation d’expert. Signalons que les parties (mis en examen et
partie civile) peuvent soumettre une demande motivée d’acte au juge
d’instruction par écrit. Ce dernier dispose d’un délai de trente jours
pour rendre une ordonnance motivée.
Au terme de son enquête, il incombe au juge d'instruction de décider
si l'affaire doit être soumise à la juridiction de jugement ou au
contraire aboutir à une ordonnance de non-lieu. On comprend, au
regard de l’importance des pouvoirs qui lui sont conférés, que
revienne périodiquement la question des « abus de pouvoir » de ces
juges dont l’opinion publique accepte mal les erreurs.
Le juge de l’application des peines (également dénommé « JAP » )
est chargé du suivi des condamnés à l’intérieur et à l’extérieur de la
prison. Il a pour rôle d’individualiser l’exécution des peines privatives
et restrictives de liberté à proportion des efforts consentis par les
condamnés. En milieu carcéral, il décide des principales modalités du
traitement pénitentiaire en utilisant l’ensemble des mesures
d’individualisation prévues par le Code de procédure pénale. Sauf
urgence et après avis de la commission de l’application des peines, il
décide des aménagements de peine des condamnés (permissions de
sortie, placement à l’extérieur, semi-liberté, libération conditionnelle,
etc.).
En milieu « libre » (à ne pas confondre avec le Milieu, souvent en
liberté…), le juge de l'application des peines contrôle et suit les
condamnés qui lui sont confiés par une décision judiciaire, en cas
d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve, de travail d'intérêt
général, de liberté conditionnelle, etc.
Figure 9-2 En un coup d’œil : les différents magistrats du siège.

Les magistrats du parquet,


procureurs ou substituts
Les magistrats du parquet ne tranchent pas de litiges, mais
représentent les intérêts de la société. Cette deuxième catégorie
rassemble ainsi les « grands manitous » de la procédure pénale et de
l’enquête, dotés des pouvoirs les plus étendus.

Comment sont-ils nommés ?


La formation du parquet du Conseil supérieur de la magistrature est
investie du pouvoir de nomination des magistrats du même nom. Elle
dispose d’un pouvoir d’avis simple, qui ne lie donc pas le ministre de
la Justice pour toutes les nominations à des postes du parquet
proposées par ce dernier. Elle donne cet avis dans les mêmes
conditions que la formation du siège, après examen des dossiers et
rapport.

Comment les reconnaît-on ?


Le ministère public est appelé parquet en raison de la place qu’il
occupait sur le parquet devant le trône royal lors des lits de justice
(les séances du Parlement tenues en présence du roi sous l'Ancien
Régime). Les magistrats du ministère public, appelés aussi
magistrature debout, se lèvent quand ils s’adressent au tribunal ou à
la cour. Devant le tribunal de grande instance, il s’agit du procureur
de la République et des substituts. On le nomme procureur général
devant la cour d’appel, avocat général ou substitut du procureur
général devant la Cour de cassation, suivant son grade.

Que font-ils ?
Les missions du procureur de la République sont longuement
définies par les articles 31 et suivants du Code de procédure pénale.
Les textes nous enseignent qu’en théorie le procureur de la
République et le procureur général défendent l'intérêt de la société
(ou « intérêt public » ) : le premier devant les tribunaux, le second au
sein des cours d’appel et de la Cour de cassation. Ils sont assistés de
substituts ou d’avocats généraux. Tous sont hiérarchisés et placés
sous l’autorité du garde des Sceaux.
Dans la loi, cela est résumé ainsi : « Le ministère public exerce
l'action publique et requiert l'application de la loi. […] Il est représenté
auprès de chaque juridiction répressive. Il assiste aux débats des
juridictions de jugement ; toutes les décisions sont prononcées en sa
présence. Il assure l’exécution des décisions de justice. » De plus,
« il est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux
instructions qui lui sont données […]. Il développe librement les
observations orales qu’il croit convenables au bien de la justice » . En
pratique, il requiert très souvent à charge…
Destinataires des plaintes et des procès-verbaux, les magistrats du
parquet sont juges de l’opportunité des poursuites. Le cas échéant,
ils ont en charge la direction des services de police et de
gendarmerie lors des enquêtes judiciaires. Ils sont présents aux
audiences et plaident dans l’intérêt public en requérant une peine. On
les trouve ainsi à tous les stades du processus répressif : en amont,
le procureur de la République dirige l'enquête diligentée par les
officiers et les agents de police judiciaire, et, en aval, après la
condamnation, il assure l’exécution de la peine.
Ainsi, le procureur général incarne le « Big Brother » de l’application
de la loi pénale en cour d’appel et du bon fonctionnement des
parquets de son ressort. Il est aussi le « Big Boss » , puisqu’il anime
et coordonne l’action des procureurs de la République ainsi que la
conduite de la politique d’action publique par les parquets de son
ressort. Sur demande du procureur général, le procureur de la
République lui adresse un rapport annuel sur l’activité et la gestion de
son parquet ainsi que sur l’application de la loi. Le procureur général
a, dans l’exercice de ses fonctions, le droit de requérir directement la
force publique. En clair, il a le pouvoir d'envoyer la maréchaussée à
l'attaque ! Il n'est donc pas surprenant que les officiers et agents de
police judiciaire soient placés sous sa surveillance. Le procureur
général peut les charger de recueillir tous les renseignements qu’il
estime utiles à une bonne administration de la justice.
Le parquet n’est pas seulement présent en matière pénale. Il
intervient également en matière civile, et plus particulièrement en ce
qui concerne l’état des personnes : changement de nom, assistance
éducative, tutelle, adoption et problèmes de filiation. Le justiciable le
retrouve également dans certaines procédures commerciales : il
requiert devant le tribunal de commerce, et la loi lui donne le pouvoir
de saisir d'office cette juridiction dans les cas d'entreprises en grande
difficulté.
Le procureur de la République a encore d’autres fonctions
d’importance. Il reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la
suite à leur donner. Toute autorité constituée, tout officier public ou
fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la
connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans
délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat
tous les renseignements, procès-verbaux etactes qui y sont relatifs. Il
peut alors engager des poursuites ou bien classer sans suite la
procédure dès lors que les circonstances particulières liées à la
commission des faits le justifient (soit parce que le dossier ne tient
effectivement pas la route, soit parce qu'il a d'autres chats à fouetter !
).
Le procureur de la République informe les plaignants et les victimes,
si elles sont identifiées, des poursuites ou des mesures alternatives
aux poursuites qui ont été décidées à la suite de leur plainte ou de
leur signalement. Lorsque l’auteur des faits est identifié mais que le
procureur de la République choisit de classer sans suite la
procédure, il avise également les plaignants et les victimes de sa
décision en indiquant les raisons juridiques ou d'opportunité qui la
justifient.
La joute peut se poursuivre pour éviter qu’un dossier ne soit enterré.
Les textes disent : « Toute personne ayant dénoncé des faits au
procureur de la République peut former un recours auprès du
procureur général contre la décision de classement sans suite prise à
la suite de cette dénonciation. Le procureur général peut […]
enjoindre au procureur de la République d'engager des poursuites.
S'il estime le recours infondé, il en informe l’intéressé. »
Enfin, le procureur de la République contrôle les mesures de garde à
vue. Il visite les locaux de garde à vue chaque fois qu’il l’estime
nécessaire et au moins une fois par an.
Les costumes judiciaires
Au XIIIe siècle, la robe des magistrats était composée d’une soutane
noire et d’une robe rouge d’origine royale. On peut encore voir ce
costume – aujourd’hui fondu en une seule pièce – sur le premier
président et le procureur général. Sous l’Ancien Régime, la tradition
voulait que les rois donnent des costumes identiques aux leurs aux
magistrats des parlements. Il s’agissait du costume royal revêtu lors du
sacre, de l’entrée du roi en ville et de son enterrement. Cette coutume
signifiait que la justice était l’attribut essentiel des souverains. Le
pouvoir de rendre la justice était délégué par le roi aux magistrats. Il
était donc légitime que ceux-ci revêtent les mêmes habits que le
souverain.

Après la Révolution, le Consulat et l’Empire réorganisèrent la


magistrature. Plusieurs séries de costumes furent alors créées pour les
trois catégories de juridictions : Cour de cassation, cours d’appel,
tribunaux de première instance. Depuis l’arrêté
du 23 décembre 1802 (ou 2 nivôse an XI) et le décret du 30 mars 1808,
tous les magistrats et les greffiers doivent porter leur costume pendant
l’audience. Un tableau des costumes judiciaires est annexé au Code de
l’organisation judiciaire. Cela s’adresse aux magistrats de la Cour de
cassation, du tribunal judiciaire, aux auditeurs de justice, aux membres
du tribunal de commerce et, enfin, aux greffiers.

De nos jours, le costume judiciaire ne signe plus l’appartenance royale


des magistrats, mais symbolise l’uniformité et l’égalité entre les
magistrats des différentes juridictions. La robe est également un
symbole d’intemporalité. La distinction entre les membres des diverses
professions judiciaires est possible si l’on prend le temps d’examiner le
rabat (tissu plissé et blanc porté au cou) et l’épitoge (bande de tissu
portée sur l’épaule), qui varient d’une profession à l’autre.
Gare aux effets de manche : les
avocats
Les avocats sont regroupés en barreaux, établis auprès de chaque
tribunal de grande instance. Chaque barreau relève d’un conseil de
l’ordre, lui-même présidé par un bâtonnier. Ce dernier est un avocat
élu par ses confrères.
Par ailleurs, les avocats exercent généralement en profession
libérale.
Ils peuvent cependant parfois être salariés du cabinet au sein duquel
ils pratiquent. Les conseils juridiques ont fusionné depuis le 1er
janvier 1992 avec le corps des avocats.

L’accès à la profession
Pour être avocat, il faut d’abord être titulaire d’une maîtrise
(désormais baptisée « master 1 » ) en droit ou de l'un des diplômes
reconnus comme équivalents par arrêté du ministre de la Justice, du
ministre de l’Éducation nationale et du ministre des Universités, après
avis du Conseil national des barreaux. Il faut ensuite réussir l’entrée à
un centre régional de formation professionnelle des avocats
(CRFPA), par le biais d'un examen organisé par les universités. Cette
épreuve d’entrée ne peut être présentée que trois fois.
À l'issue de leur formation de dix-huit mois au CRFPA – dont six mois
de stage en cabinet d'avocat – qui fera d'eux des « maîtres » en
matière de procédure civile, pénale, commerciale, administrative ou
prud’homale, de techniques contractuelles et de déontologie, les
étudiants sont soumis à un nouvel examen de sortie, afin d'obtenir le
certificat d'aptitude à la profession d'avocat (Capa). Dès l'obtention
du Capa, les petits nouveaux peuvent solliciter leur inscription auprès
du barreau de leur choix après avoir prêté serment. Depuis 2005, le
régime du stage de deux années au terme duquel le stagiaire pouvait
solliciter son inscription au Grand Tableau lui permettant de poser sa
plaque a été abrogé : désormais, les jeunes diplômés peuvent, dès
leur sortie de l’école, soit intégrer un cabinet en tant que
collaborateur libéral ou salarié, soit exercer à titre individuel.
Près de 50 % des 50 000 avocats français dépendent du seul
barreau de Paris. Ce déséquilibre procède de l’inégalité de la
répartition de la population (presque 20 % de la population française
vit en Île-de-France) et des richesses (l'Île-de-France contribue à près
de 30 % du produit intérieur brut national), chère à la France
centralisée d’antan.

Figure 9-3 Les barreaux en France et l'importance du barreau de Paris.


(Chiffres au 1er janvier 2018 fournis par le ministère de la Justice)

Avocat plaidant ou avocat-conseil


L’avocat représente et défend (ou parfois aussi assiste) devant un
tribunal les particuliers ou les entreprises engagés dans un procès.
On dit alors qu’il postule au nom de son client. En parallèle, en sa
qualité de simple conseil, l’avocat peut également être amené à
négocier et/ou à rédiger des contrats de tous types ou simplement à
prodiguer ses avis en toutes matières juridiques.
Cependant, la plupart des avocats sont spécialisés dans un domaine
du droit. Pour cette raison, un avocat peut ne jamais plaider et, par
exemple, se consacrer exclusivement à de lucratives opérations de
«fusé» (autrement dit de fusions-acquisitions d’entreprise) ou, à
l’inverse, ne jamais rédiger de contrat et courir de gardes à vue en
comparutions immédiates avant de plaider devant la cour d’assises,
ou bien encore partager son activité entre le contentieux et le conseil
à parts égales ; il n'en demeure pas moins un avocat.

La règle du jeu : la déontologie


L’avocat est tenu de respecter un ensemble de règles
professionnelles et de devoirs. Les obligations essentielles sont
contenues dans le serment qu’il prête lors de son entrée au barreau :
« Je jure, comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité,
conscience, indépendance, probité et humanité. »
En cas de manquement, l’avocat peut être sanctionné par ses
confrères siégeant en formation disciplinaire. Les sanctions pouvant
être prononcées à l’encontre des avocats défaillants vont du simple
blâme à l’interdiction d’exercice de la profession.

Combien ça coûte ?
La rémunération des avocats varie selon l’activité, la renommée et la
localisation du cabinet. L'avocat perçoit des honoraires libres, fixés
en accord avec son client. Le montant des honoraires peut faire
l’objet d’un contrat écrit dès le premier entretien : il s'agit alors d'une
convention d’honoraires.
Qu'ils soient horaires – facturés à l'heure – ou forfaitaires – facturés à
la tâche –, les tarifs des avocats peuvent varier considérablement de
l’un à l’autre… Le revenu annuel médian des avocats français
s'élevait en 2015 à 42 931 euros, soit 3 577 euros par mois.

Les hommes et femmes politiques avocats


Tous les politiques ne sortent pas de l’ENA ! Le nombre de « bavards »
parmi les hommes et les femmes politiques passés ou contemporains
est pléthorique. Outre les plus connus (François Mitterrand ou, dans un
autre genre, Gandhi) et les personnalités historiques telles que
Robespierre, Marat ou Danton, ont également porté la robe Patrick
Devedjian, Arnaud Montebourg, Nicolas Sarkozy, Roland Dumas, Edgar
Faure, Gaston Monnerville, etc. Les militants de choc issus des rangs
des avocats méritent également d’être cités : Robert Badinter, qui s’est
illustré dans son combat pour l’abolition de la peine de mort, Gisèle
Halimi, pour son intervention en faveur de l’avortement, Henri Leclerc,
en sa qualité de porte-parole de la défense des droits de l’homme.
DANS CE CHAPITRE
Du beau linge : les commissaires-priseurs

De la volaille : la police

Quelques vautours : les huissiers

De vieux hiboux : les notaires

Des étourneaux : les experts judiciaires


Chapitre 10
Bien plus que des figurants : les
auxiliaires de justice
L es auxiliaires de justice désignent les professionnels œuvrant pour
le service public de la justice. Cette catégorie dépasse celle des
fonctionnaires de la justice, puisqu’elle concerne tous les acteurs de
la justice dont les professions sont strictement encadrées par la loi.

Qui dit mieux ? Les commissaires-


priseurs
Le commissaire-priseur judiciaire est l'officier ministériel chargé de
procéder à l'estimation et à la vente publique aux enchères des
meubles et effets mobiliers corporels. Il est nommé par le garde des
Sceaux et doit prêter serment devant le tribunal de grande instance
dans le mois suivant sa nomination. La profession est représentée
auprès du ministre de la Justice par la Chambre nationale des
commissaires-priseurs judiciaires.
Entre la réforme du 10 juillet 2000 et celle du 1er janvier 2017, le
commissaire-priseur judiciaire avait le monopole des ventes de
meubles aux enchères publiques prescrites par la loi ou par décision
de justice, ainsi que de leurs estimations ou « prisées » . Ce privilège
leur a été ôté en 2017, lorsque les huissiers sont devenus
compétents territorialement en l’absence de commissaire-priseur.

Mais que fait la police ?


Le mot « police » a une origine latine, politia, qui vient du grec
politeia, soit l’ « art de gouverner la cité » . En vieux français, pollice
signifiait « gouvernement » . La signification de ce mot a ensuite
évolué vers le sens de gestion d'une cité pour acquérir son sens
actuel : celui d'organe, de règles et de missions permettant d’assurer
le maintien et le rétablissement de l’ordre public.

Les missions de la police


La loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure
d'août 2002 souligne que « la sécurité est un droit fondamental et
l’une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et
collectives. L’État a le devoir d’assurer la sécurité en veillant sur
l’ensemble du territoire de la République à la défense des institutions
et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix
et de l’ordre public, à la protection des personnes et des biens » .
Fortes de ces principes, ce sont plus de 145 000 personnes qui
exercent au sein de la police nationale. Les missions leur incombant
sont les suivantes :

• assurer la sécurité des personnes, des biens et des


institutions ;
• maîtriser les flux migratoires et lutter contre l’immigration
illégale ;

• lutter contre la criminalité organisée, la grande délinquance et


la drogue ;

• protéger le pays contre la menace extérieure et le terrorisme ;

• maintenir l’ordre public.

Attention aux bavures !


Les règles déontologiques régissant la police nationale ont été
posées par le décret du 18 mars 1986, qui s'attache notamment à
prévenir et à « guérir » les « bavures » . Ainsi, lorsqu'il est autorisé
par la loi à utiliser la force et, en particulier, à se servir de ses armes,
le fonctionnaire de police ne peut en faire qu’un usage strictement
nécessaire et proportionné au but à atteindre. Par ailleurs, toute
personne appréhendée et placée sous la responsabilité et la
protection de la police ne doit subir, de la part des fonctionnaires de
police ou de tiers, aucune violence ni aucun traitement inhumain ou
dégradant.
Qui ne dit mot consent… Dès lors, le fonctionnaire de police qui
serait témoin d’agissements prohibés engage sa responsabilité
disciplinaire s’il n’entreprend rien pour les faire cesser ou néglige de
les porter à la connaissance de l’autorité compétente.
Parmi les règles les plus surprenantes, nous apprenons que le
policier reste en service même en dehors de ses heures de travail :
« Le fonctionnaire de la police nationale est tenu, même lorsqu’il n’est
pas en service, d’intervenir de sa propre initiative pour porter
assistance à toute personne en danger, pour prévenir ou réprimer
tout acte de nature à troubler l’ordre public et protéger l’individu et la
collectivité contre les atteintes aux personnes et aux biens. »

Toc toc ! Les huissiers


Ce sont les plus mal-aimés, les plus redoutés, mais aussi les plus
méconnus des auxiliaires de justice. Pourtant, leur profession ne date
pas d’hier. Un rapide rappel des origines du statut de l’huissier et de
ses fonctions permet de l’envisager avec un peu plus d’humour qu’il
n’en inspire à première vue.

Leur origine
Déjà sous l'Antiquité, les décisions des juges étaient appliquées par
les ancêtres de nos actuels huissiers, les officiales. Ceux-ci portaient
différents titres selon leurs fonctions : les plus remarqués étaient les
apparitores et les executores. Les apparitores avertissaient le peuple
pour le rassembler lors des jugements. Ils introduisaient les plaideurs
et assuraient la « police » des audiences, c’est-à-dire qu'ils
rétablissaient le silence lorsque les voix s'enflammaient. Les
executores avaient pour tâche de s’emparer des biens des débiteurs
récalcitrants (action de saisie) ou même de les conduire en prison.
Puis, la Pax Romana s'écroula sous le flot des nombreuses invasions
barbares et la justice privée réapparut… Ce ne fut qu’au Moyen Âge
que, petit à petit, le royaume s’organisa autour d’un ensemble de
hiérarchies qui établirent chacune sa propre organisation judiciaire.
Pourtant, dans toutes ces différentes juridictions, une certaine unité
permettait de représenter le pouvoir. Pour cela, il fallait des agents
jouissant d’une autorité incontestée. Nos ex-officiales romains furent
alors transformés en bedeaux, serviens, semonceurs, puis en
sergents et en huissiers. L’huissier devint un des symboles de
l’autorité royale.
La verge était la principale caractéristique de l’autorité de l’huissier. Il
s’agissait d’une sorte de petite baguette ronde, en ébène, longue
d’une trentaine de centimètres et garnie de cuivre ou d'ivoire. D'après
un décret datant de 1568, les huissiers devaient toucher « ceux
auxquels ils auront la charge de faire exploit de justice » . C’est
d’ailleurs de là que vient le mot « exploit » , transformé par la suite en
acte. Dès que l’huissier avait touché quelqu’un de sa verge, celui-ci
lui devait obéissance et soumission.
En janvier 1572, nos officiers perdirent l'obligation du port de leur
costume, et leurs signes distinctifs se réduisirent à un écusson à trois
fleurs de lys visible sur l’épaule ainsi que, toujours, la fameuse verge.
Parallèlement, ils virent leurs attributions se compartimenter. Par
exemple, à Paris, la juridiction du Châtelet comprenait six sortes
d'huissier :

• les huissiers audienciers pour les tribunaux ;

• les huissiers à cheval pour les faubourgs et les campagnes ;

• les huissiers à pied pour le centre de la ville ;

• les huissiers priseurs (les commissaires-priseurs actuels) ;

• les huissiers à la douzaine (les gardes du prévôt) ;

• les quatre huissiers dits « fieffés » , dépendant uniquement du


Châtelet, et qui pouvaient exercer dans tout le royaume.
Au mois de février 1705, un édit réunit en un seul corps la
communauté des huissiers. C'est ainsi qu'ils prirent tous le titre
unique d' « huissier » . Cette unification s’accompagna d’une
réglementation quant à leur nombre. Jusqu’à l’arrêt du 22 thermidor
an VIII, soit en août 1800, chaque tribunal devait indiquer par un avis
le nombre d’huissiers qui lui étaient nécessaires, permettant ainsi au
pouvoir central de contrôler cette puissante catégorie professionnelle.
Ainsi apparut une ébauche du statut de l’huissier, renforcée par un
décret impérial datant du 14 juin 1813. Celui-ci reprenait d'ailleurs
certains textes anciens pour déterminer, par exemple, le mode de
nomination des huissiers et pour fixer les connaissances requises
ainsi que les attributions exactes de ces officiers.
Depuis le 1er janvier 2017, les huissiers de justice jouissent d'une
nouvelle compétence territoriale. L’huissier est désormais compétent
quant aux prisées et aux ventes publiques judiciaires ou volontaires
de meubles et effets mobiliers corporels dans les lieux où un
commissaire-priseur n’est pas établi.

L’union fait la force : les


commissaires de justice
La loi Macron de 2015 instaure la mise en place d'une nouvelle
profession : les commissaires de justice. Il s’agit du résultat du
rapprochement entre les huissiers de justice et les commissaires-
priseurs judiciaires. Créée ex-nihilo, cette nouveauté a pour optique
de simplifier et d'améliorer le service public de la justice. Le
rapprochement progressif des deux professions devrait s'effectuer
entre 2019 et 2022.

Les missions actuelles


Être officier ministériel implique de détenir le monopole de certains
actes. C'est ainsi que l'huissier de justice est seul compétent pour
signifier et exécuter les décisions rendues par les tribunaux et les
cours. Le constat est l’acte le plus connu de l’huissier de justice, celui
qu’on lui attribue le plus fréquemment. L’une de ses missions
principales consiste aussi à rechercher des solutions aux litiges entre
créanciers et débiteurs.
L'huissier, en tant qu'auxiliaire de justice, se voit confier par la loi des
missions essentielles. Il est, par exemple, seul à pouvoir exécuter les
décisions d’un tribunal, à l'exception des peines d'emprisonnement,
confiées à l'Administration pénitentiaire.
C'est grâce à lui que les jugements rendus sont suivis d'effet et que le
droit est respecté. Lui seul accomplit par ailleurs les formalités
nécessaires au bon déroulement d'un procès. Il convoque à
l'audience les personnes concernées ; si elles ne s’y rendent pas,
c’est lui aussi qui leur fait part du jugement rendu. L’huissier de
justice permet ainsi à chacun d’assurer sa défense en toute
connaissance de cause. Enfin, les huissiers audienciers exercent
dans les tribunaux pour signifier les actes entre avocats, mais aussi
au cours des audiences pénales pour en assurer la police des débats
sous le contrôle du président de la chambre.

Derrière la cravate, le notaire


Vous serez surpris par l'histoire de cette profession et la diversité des
missions remplies par ses représentants contemporains.

Leur origine
Les notaires sont eux aussi apparus dès l'Antiquité, sous les traits
des scribes égyptiens ou des tabellions romains. Au IIIe siècle avant
notre ère, durant le Bas Empire romain, des fonctionnaires dont les
attributions s’apparentent à celles des notaires authentifient déjà des
contrats au nom de l'État. Dès la fin du XIIIe siècle, le rôle du notaire
se développe, la fonction notariale s’étend à l’ensemble des
domaines placés sous l'autorité du souverain. En 1539, par
l'ordonnance de Villers-Cotterêts, François Ier esquisse ce que sera
l’organisation de la profession de notaire : les actes devront être
rédigés en français, leur existence sera consignée dans un
répertoire, et ils seront protégés par le secret professionnel.
La loi du 25 ventôse an XI après la Révolution, soit en mars 1803,
donne au notariat un statut dont les fondements et les grands
principes n’ont pas été, pour l'essentiel, modifiés depuis. Les notaires
du XIXe siècle sont comme aujourd'hui des officiers publics qui
détiennent le sceau de l'État et assurent le service public de
l'authenticité. Enfin, l'ordonnance du 25 novembre 1945 dote le
notariat de structures institutionnelles et crée, en plus des chambres
départementales, les conseils régionaux ainsi que le Conseil
supérieur du notariat.

Leur statut
L'ordonnance du 2 novembre 1945 dit : « Les notaires sont les
officiers publics établis pour recevoir tous les actes et contrats
auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère
d’authenticité attaché aux actes d’autorité publique et pour en assurer
la date, en conserver le dépôt, en délivrer les grosses et
expéditions. » Le notaire a ainsi des rôles multiples :
• authentifier les contrats, c’est-à-dire constater l’accord des
parties, leur donner force probante et date certaine ;

• conseiller les parties sur la portée des engagements qu’elles


prennent ;
• concilier et rapprocher les points de vue divergents pour aboutir
à des conventions équilibrées, respectant les intérêts légitimes
de chacun des cosignataires ;

• effectuer pour les contrats qu’il établit toutes les formalités


fiscales et juridiques nécessaires à la perfection du contrat et à
la sécurité des tiers.

La discipline
Leur réputation est souvent malmenée, et l’expression « notaire
véreux » est pratiquement entrée dans le langage courant.
Pourtant, il est interdit aux notaires, soit par eux-mêmes, soit par
personne interposée :

• de se livrer à aucune spéculation de Bourse ou opération de


commerce, de banque, d’escompte et de courtage ;
• de s’immiscer dans l’administration d’aucune société ou
entreprise de commerce ou d’industrie ;
• de faire des spéculations relatives à l’acquisition et à la revente
des immeubles, à la cession des créances, droits successifs,
actions industrielles et autres droits incorporels ;
• de s’intéresser dans aucune affaire pour laquelle ils prêtent leur
ministère ;
• de recevoir ou de conserver des fonds, à charge d’en servir
l’intérêt ;
• de se constituer garants ou cautions, à quelque titre que ce
soit, des prêts à la négociation desquels ils auraient participé,
comme aussi de ceux dont les actes seraient dressés par eux
ou avec leur participation ;
• de se servir de prête-noms en aucune circonstance, même
pour les actes autres que ceux désignés ci-dessus ;
• de consentir avec leurs deniers personnels des prêts qui ne
seraient pas constatés par acte authentique ;
• de contracter pour leur propre compte aucun emprunt par
souscription de billets sous seing privé ;
• d’employer, même temporairement, des sommes ou valeurs
dont ils sont constitués détenteurs, à un titre quelconque, à un
usage auquel elles ne seraient pas destinées, et notamment
pour les placer en leur nom personnel ;
• de retenir, même en cas d’opposition, les sommes qui doivent
être versées par eux à la Caisse des dépôts dans les cas
prévus par les lois, décrets ou règlements ;

• de recevoir ou de conserver aucune somme en vue de son


placement par prêt si celui-ci ne doit pas être constaté par acte
authentique ;
• de négocier, de rédiger, de faire signer des billets ou
reconnaissances sous seing privé et de s’immiscer de quelque
manière que ce soit dans la négociation, l’établissement ou la
prorogation de tels billets ou reconnaissances ;
• de négocier des prêts autres qu’en la forme authentique et
qu’assortis d’une sûreté réelle ou de la caution d’un
établissement financier ou bancaire ;

• de laisser intervenir leurs clercs sans un mandat écrit dans les


actes qu’ils reçoivent.
Les maniements d'argent effectués par les notaires dans l'exercice de
leur profession sont donc régis par un formalisme strict afin d'éloigner
toute suspicion sur cette profession. Le cas échéant, le manque
d’intégrité de ses membres est sanctionné par la loi, mais aussi par
les notaires eux-mêmes, réunis en chambre de discipline,
fonctionnement que l'on retrouve chez leurs cousins huissiers,
magistrats et avocats.

Les experts judiciaires


Les experts judiciaires interviennent en tant qu'auxiliaires du juge,
effectuant les différentes missions qui peuvent leur être confiées.

L’opportunité de l’expertise
Le serment prêté en cour d'appel par l'expert judiciaire est le suivant :
« Je jure d’apporter mon concours à la justice, d’accomplir ma
mission, de faire mon rapport et de donner mon avis en mon honneur
et en ma conscience. » L’application pratique est sujette à beaucoup
de nuances.
Les magistrats ne peuvent avoir des connaissances dans tous les
domaines : médecine, économie, finance, psychologie, architecture…
Or, pour rendre la justice, il est nécessaire d’avoir une bonne
appréhension des divers éléments d’une affaire dans toutes ses
dimensions. C'est pourquoi les magistrats sollicitent
occasionnellement l’avis de professionnels compétents dans une
technique ou une science spécifique (médecins, psychologues,
architectes, ingénieurs, géomètres experts ou techniciens, etc.).
Parce qu'ils sont des acteurs récurrents de la justice, la loi prend soin
de définir précisément leur intervention, de leur désignation jusqu’au
jugement rendu sur la base de leurs observations. Ainsi, la loi prévoit
que l'expertise peut être ordonnée dans le cas où une consultation ou
des constatations ne pourraient suffire à éclairer le juge. Il n’est
désigné qu’une seule personne à titre d’expert, à moins que le juge
n’en décide autrement à titre exceptionnel.

Le pouvoir du juge
La décision qui ordonne l'expertise :

• expose les circonstances qui rendent nécessaires l’expertise et,


s’il y a lieu, la nomination de plusieurs experts ;
• nomme l’expert ou les experts ;

• énonce les chefs de la mission de l’expert ;

• impartit le délai dans lequel l’expert devra donner son avis.


La décision qui ordonne l'expertise peut aussi fixer une date à
laquelle l'expert et les parties se présenteront devant le juge qui l’a
rendue ou devant le juge chargé du contrôle pour que soient précisés
la mission et, s’il y a lieu, le calendrier des opérations.
Après le prononcé de la décision nommant l'expert, ce dernier fait
connaître sans délai au juge son acceptation ; il doit commencer les
opérations d'expertise dès qu’il est averti que les parties ont consigné
la provision mise à leur charge, à moins que le juge ne lui enjoigne
d’entreprendre immédiatement ses opérations. Le coût de l’expertise
est à la charge du ou des parties qui en font la demande. Le coût
généralement très élevé de l’expertise est souvent rédhibitoire pour
les budgets les plus modestes.
Pourtant, l’expertise est souvent indispensable pour apporter la
preuve de la défaillance de l’adversaire.
À défaut de consignation dans le délai défini et selon les modalités
imparties, la désignation de l’expert est caduque, à moins que le
juge, à la demande d’une des parties se prévalant d’un motif légitime,
ne décide une prorogation du délai ou un relevé de la caducité.
La décision ordonnant l’expertise peut être frappée d’appel
indépendamment du jugement statuant sur le fond du litige sur
autorisation du premier président de la cour d'appel s'il est justifié
d'un motif grave et légitime.

Le déroulement de l’expertise
L’expert doit informer le juge de l’avancement de ses opérations et
des diligences accomplies par ses soins. Et pour cause, il est très
rare que le juge assiste aux opérations d’expertise, bien que cela soit
légalement possible.
L’expert doit prendre en considération les observations ou
réclamations des parties lorsqu’elles sont présentées dans le délai
imparti. À défaut de respecter la deadline, l’expert n’est pas tenu de
prendre en compte les observations ou réclamations qui auraient été
faites après l’expiration de ce délai, à moins qu’il n'existe une cause
grave et dûment justifiée, auquel cas il en fait rapport au juge. Les
observations des parties sont formulées dans des dires, c’est-à-dire
dans des argumentaires écrits contradictoires : toute communication
d'une partie avec l’expert doit être transmise à la partie adverse. Les
règles du procès sont également applicables à l’expertise.
Il n’est pas exclu que l’expert recueille l’avis d’un autre technicien,
mais seulement s’il exerce dans une spécialité distincte de la sienne.
En cas de problème, si l'expert se heurte à des difficultés qui font
obstacle à l'accomplissement de sa mission ou si une extension de
celle-ci se révèle nécessaire – si les chefs de mission sont
insuffisants –, il en informe le juge. Dans l'hypothèse d'un accord
amiable intervenu entre les parties, l’expert informe le juge que sa
mission est devenue sans objet. Les parties peuvent demander au
juge de donner force exécutoire à leur accord : celui-ci est donc
formalisé par un jugement.
Après le dépôt du rapport, le juge fixe la rémunération de l'expert en
fonction notamment des diligences accomplies, du respect des délais
impartis et de la qualité du travail fourni.
Les experts judiciaires habilités par la justice apportent donc dans ce
cadre légal un éclairage sur certains aspects d'une affaire, pour
permettre aux magistrats de prendre leur décision en connaissance
de cause. Les experts établissent un rapport qu’ils remettent au
magistrat, mais leur avis ne lie pas celui-ci, qui peut à tout moment
ordonner une contre-expertise.

Figure 10-1 En un coup d’œil : les principaux auxiliaires de justice.


DANS CE CHAPITRE
Les citoyens devenus jurés

La partie civile (autrement dit la victime)

Les témoins, au regard parfois trouble


Chapitre 11
Victimes, jurés et témoins
O n
dans
n’intervient pas nécessairement à titre professionnel
l’enceinte d’un tribunal. Plusieurs catégories de
personnes gravitent autour des prétoires sans récompense
financière : ils ont simplement eu la malchance d'être au
mauvais endroit au mauvais moment. C’est notamment le cas
des jurés, convoqués pour décider du sort d’un homme ou
d’une femme comparaissant en cour d’assises. C'est
également la meilleure définition des victimes d'infractions
pénales (ou « parties civiles » ) et des témoins.

Les jurés
Le Code de procédure pénale prévoit ceci : « Le jury de
jugement est composé de six jurés lorsque la cour d’assises
statue en premier ressort et de neuf jurés lorsqu'elle statue en
appel. » Devenir juré de cour d'assises : cet accident n'arrive
qu’aux autres, croit-on à tort…
Le juré aussi prête serment
La mission de juré, parce qu’elle implique des conséquences
humaines lourdes, nécessite elle aussi un serment
particulièrement solennel. Le Code de procédure pénale
indique : « Le président adresse aux jurés, debout et
découverts, le discours suivant : “Vous jurez et promettez
d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui
seront portées contre X, de ne trahir ni les intérêts de l’accusé,
ni ceux de la société qui l’accuse, ni ceux de la victime ; de ne
communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration ; de
n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou
l’affection ; de vous rappeler que l’accusé est présumé innocent
et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d’après les
charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et
votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui
conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le
secret des délibérations, même après la cessation de vos
fonctions.” Chacun des jurés, appelé individuellement par le
président, répond en levant la main : “Je le jure.” »

Qui sont-ils ?
Chacun sait qu’il peut être désigné, mais tout le monde ignore
pourquoi ou comment. Or, un homme averti en vaut deux. Le
principe est posé par le Code de procédure pénale : peuvent
seuls remplir les fonctions de jurés les citoyens de l'un ou de
l'autre sexe, âgés de plus de 23 ans, sachant lire et écrire en
français, jouissant des droits politiques, civils et de famille.
Vous tremblez tant la définition du parfait juré vous
ressemble ? Rassurez-vous, toute règle de droit a son lot
d'exceptions. Le législateur épargne les mauvais élèves
suivants :
• les personnes dont le bulletin no 1 du casier judiciaire
mentionne une condamnation pour crime ou une
condamnation pour délit à une peine égale ou
supérieure à six mois d’emprisonnement ;

• ceux qui sont en état d’accusation ou de contumace et


ceux qui sont sous mandat de dépôt ou d’arrêt ;

• les fonctionnaires et agents de l’État, des départements


et des communes révoqués de leurs fonctions, les
officiers ministériels destitués et les membres des ordres
professionnels frappés d’une interdiction définitive
d’exercer par une décision juridictionnelle ;

• les personnes qui ont été déclarées en état de faillite et


n’ont pas été réhabilitées ;
• les personnes qui ont fait l’objet d’une condamnation
pour non-présentation à une convocation de juré ou
celles auxquelles les fonctions de juré sont interdites en
vertu d’une interdiction des droits civiques, civils et de
famille ;

• les majeurs sous sauvegarde de justice, les majeurs en


tutelle, les majeurs en curatelle et ceux qui sont placés
dans un établissement d’aliénés.
D’autres catégories de personnes sont également exclues,
non pas en raison de leurs accidents de parcours ou de leur
incapacité à assumer la responsabilité de juré, mais du fait de
leur statut ou de leur profession. En effet, certaines fonctions
et certains métiers du droit sont incompatibles avec les
fonctions de juré :
• les membres du gouvernement, du Parlement, du
Conseil constitutionnel, du Conseil supérieur de la
magistrature et du Conseil économique et social ;
• les membres du Conseil d’État ou de la Cour des
comptes, les magistrats de l’ordre judiciaire, ceux des
tribunaux administratifs et des tribunaux de commerce,
les assesseurs des tribunaux paritaires de baux ruraux
et les conseillers prud’homaux ;

• les secrétaires généraux du gouvernement ou d’un


ministère, les directeurs de ministère, ainsi que les
membres du corps préfectoral ;
• les fonctionnaires des services de police ou de
l’Administration pénitentiaire et les militaires de la
gendarmerie en service.
Sont également épargnés ceux qui ont déjà rempli cette
fonction dans le même département au cours des cinq
dernières années. Sont enfin exemptés les parents de
l’accusé ou des autres membres du jury, des magistrats
membres de la cour, du procureur ou de l’un des avocats.

Des tirages au sort en pagaille…


Les jurés sont tirés au sort à partir de la liste électorale. Un
processus particulièrement laborieux et régi strictement par la
loi est mis en œuvre pour la sélection des 52 jurés (titulaires
et suppléants) de chaque session d'assises, qui se fait en
trois phases.
Une première liste préparatoire est établie dans chaque
commune par un tirage au sort effectué sur les listes
électorales sous l'autorité du maire. Ensuite, une liste
annuelle des jurés est établie dans le ressort de chaque cour
d’assises, c’est-à-dire dans chaque département, par un
deuxième tirage au sort, effectué à partir de la liste
préparatoire. Enfin, trente jours au moins avant l'ouverture de
la session de la cour d’assises, lors d’une audience ouverte
au public, se réunit une commission sous la houlette du
premier président de la cour d’appel ou du président du
tribunal de grande instance dans lequel siège la cour
d'assises. Après avoir éliminé les noms de tous les jurés qui
ne remplissent pas les conditions prévues par la loi, la
commission tire au sort le nom de 35 jurés titulaires qui
formeront la liste de session.
Cette commission établit également, dans les mêmes
conditions que la liste annuelle, une liste spéciale de 10 jurés
suppléants. Ces jurés, qui doivent tous résider dans la ville
dans laquelle siège la cour d’assises, sont prévus pour
remplacer l’absence des jurés de la liste de session, au cas
où ceux-ci viendraient à être moins de 23, ou moins de 26 si
la cour d'assises statue en appel. Ils assistent aux débats et
remplacent, le cas échéant, un juré titulaire qui pourrait être
empêché de siéger, par exemple pour raison de santé ou à la
suite d'un malaise ; 23 ou 26, c'est le nombre minimal de
jurés requis pour que puissent être valablement tirés au sort,
pour chaque affaire, les 6 jurés de la cour d'assises statuant
en premier ressort ou les 9 jurés de la cour d'assises statuant
en appel. En effet, pour faire partie du jury, il faut être désigné
par un nouveau tirage au sort. Ce dernier est effectué par le
président de la cour d'assises à l'ouverture de la session
d'assises, en la présence des jurés présélectionnés, et pour
chaque affaire. Si un nom sort de l’urne et qu’il n’est pas
récusé par la défense ou l’avocat général, la cour d’assises
dispose d’un juré titulaire.
Le président procède aussi au tirage au sort de jurés
supplémentaires pour chaque affaire. En cas de tirage au
sort, une convocation vous est notifiée soit à vous-même, soit
à votre domicile par la gendarmerie ou un huissier de justice.
Si elle n'a pu être remise en main propre, elle est aussitôt
notifiée au maire de la commune, qui doit faire le nécessaire
pour en donner connaissance.
Si le sort s’est acharné contre vous au point de pointer votre
nom à chacune des étapes précédentes, réjouissez-vous, il
vous reste encore une chance de rentrer chez vous et de
retourner à vos occupations : c'est le droit de récusation.
Avant l’ouverture des débats, l’accusé ou son avocat puis le
ministère public récusent les jurés qu’ils souhaitent, à mesure
que leurs noms sortent de l’urne. Lorsque la cour d’assises
statue en premier ressort, l’accusé ne peut récuser plus de
cinq jurés et le ministère public pas plus de quatre. Lorsque la
cour d’assises statue en appel, le nombre de récusés est
porté à 6 jurés au maximum pour l'accusé et à 5 pour le
ministère public.
S’il y a plusieurs accusés, ils peuvent se concerter pour
exercer leurs récusations ou les exercer séparément. Dans
l’un et l’autre cas, ils ne peuvent excéder le nombre de
récusations déterminé pour un seul accusé. Si les accusés ne
se concertent pas pour récuser, le sort règle entre eux le rang
dans lequel ils font les récusations. Dans ce cas, les jurés
récusés par un seul, et dans cet ordre, le sont pour tous
jusqu’à ce que le nombre des récusations soit épuisé.
Ce droit est totalement discrétionnaire : ni l'accusé ni le
ministère public n'a à exposer les motifs de récusation de tel
ou tel juré. Cela dit, un peu de bon sens suffit parfois à
deviner leurs coupables pensées… En effet, le juré de
couleur convoqué à une audience de crime à caractère
raciste est à peu près sûr d’être évincé sans délai par
l’accusé ou son avocat. Dans la même logique, le juré femme
du même âge que la victime du crime à caractère sexuel est,
elle aussi, assurée de pouvoir rentrer chez elle plus tôt que
prévu.
Figure 11-1 Comment sont sélectionnés les jurés ?
Ainsi, accusé et ministère public s'en donnent à cœur joie
dans l'exercice de discriminations raciales, sexuelles, sociales
et de faciès que constitue l’exercice de la récusation !
La loi ne fixe pas la durée des sessions. Celle-ci varie et
dépend du nombre des affaires. Les sessions durent aussi
longtemps que nécessaire pour qu'il soit procédé à l'examen
de l'ensemble des affaires (soit en moyenne quinze jours).

Euh… non merci !


Peut-on refuser d'être juré ? Eh bien, non ! Il n'est pas
possible de refuser d'être juré. Seule échappatoire, la
dispense prévue par le Code de procédure pénale, soumise
cependant à des conditions strictes : être âgé de plus
de 70 ans, ne plus résider dans le département ou disposer
d'un motif grave (maladie justifiée par un certificat médical,
impératifs professionnels ou familiaux, etc.).
En l'absence d'un juré, la loi lui règle son compte : « La cour
statue sur le cas des jurés absents. Tout juré qui, sans motif
légitime, n’a pas déféré à la convocation qu'il a reçue peut
être condamné par la cour à une amende de 3 750 euros. Le
juré peut, dans les dix jours de la signification de cette
condamnation faite à sa personne ou à son domicile, former
opposition devant le tribunal correctionnel du siège de la cour
d’assises. Les peines portées au présent article sont
applicables à tout juré qui, même ayant déféré à la
convocation, se retire avant l’expiration de ses fonctions, sans
une excuse jugée valable par la cour. »

Les obligations du juré


Le Code de procédure pénale – toujours lui ! – prévoit que
« les assesseurs et les jurés peuvent poser des questions aux
accusés et aux témoins en demandant la parole au président.
Ils ont le devoir de ne pas manifester leur opinion » . Pas
question, donc, de bavarder avec ses voisins. L’article suivant
impose que « le président invite l’accusé et les jurés à écouter
avec attention la lecture de la décision de renvoi, ainsi que,
lorsque la cour d’assises statue en appel, des questions
posées à la cour d’assises ayant statué en premier ressort,
des réponses faites aux questions, de la décision et de la
condamnation prononcée. Il invite le greffier à procéder à
cette lecture » . Et pour cause, la décision de renvoi
comprend toutes les informations essentielles sur l'affaire
dont les jurés auront à connaître. Pas question non plus de
rester les mains dans les poches : « Pendant l'examen, les
magistrats et les jurés peuvent prendre note de ce qui leur
paraît important, soit dans les dépositions des témoins, soit
dans la défense de l’accusé, pourvu que les débats ne soient
pas interrompus. »

Les indemnités du juré


Les jurés ont droit à quatre sortes d'indemnité :
• une indemnité journalière de session ;

• une indemnité journalière de séjour ;

• une indemnité de transport ;

• une indemnité pour perte de revenu professionnel.


Ces indemnités ne sont pas versées d'office : elles doivent
être réclamées au greffe du tribunal de la cour d'assises.
La loi de programmation et de réforme de la justice,
promulguée le 23 mars 2019, prévoit la création de cours
criminelles départementales, chargées de juger (hors
récidive) les crimes punis de vingt ans de réclusion maximum
(viol, vol à main armée…). Ceci entraîne la suppression de
certaines prérogatives des jurés en matière de crimes.

La partie civile
La partie civile est la personne qui s’estime victime d’une
infraction et qui entend, à ce titre, obtenir une indemnisation
de son préjudice. Une fois que la juridiction a statué au pénal
sur la sanction due à la société, elle examine les demandes
civiles de dommages et intérêts.
Un effort de considération de la victime a été fait en droit
français : elle est désormais mieux informée de ses droits –
de se constituer partie civile et d'obtenir réparation de son
préjudice – par l'officier de police judiciaire qui reçoit sa
plainte pour un crime ou un délit. Ainsi, la victime peut se
constituer partie civile en citant directement l’auteur des faits
devant la juridiction compétente ou en portant plainte devant
le juge d’instruction si l’action publique est mise en
mouvement par le parquet.
La constitution de partie civile est recevable jusqu’au moment
des réquisitions du ministère public au cours du procès de
l’auteur de l’infraction. À défaut de poursuite par le parquet, la
victime a le pouvoir de contraindre ce dernier à poursuivre
l’infraction commise à son préjudice en déposant une plainte
avec constitution de partie civile. Ce passage en force a un
prix, celui de la consignation que la partie civile est tenue de
verser, et dont le montant est fixé arbitrairement par le juge
d'instruction.

Les témoins
Un témoin est une personne qui atteste en justice – devant
une juridiction de jugement ou devant un juge d'instruction –
de ce qu'elle a vu ou entendu. Ne peuvent être considérés
comme des témoins les magistrats, les jurés et la partie civile,
même si celle-ci a voix au chapitre et est appelée à la barre
pour livrer sa version des faits.
Les témoins prêtent serment, selon la formule consacrée, de
« dire toute la vérité, rien que la vérité » et « de parler sans
haine et sans crainte » devant la cour d'assises lors de leurs
dépositions, sauf s'il s'agit :
• du père, de la mère ou de tout autre ascendant de
l’accusé, ou de l’un des accusés présents et soumis au
même débat ;

• de son fils, de sa fille ou de tout autre descendant ;

• de ses frères et sœurs ;

• de ses alliés aux mêmes degrés ;

• de son mari ou de sa femme (même après le divorce !) ;

• de la partie civile ;

• des enfants au-dessous de l’âge de 16 ans.


Dans le cadre d’une information judiciaire, préalable à la
phase de jugement, les témoins sont convoqués par le juge
d'instruction ou par un officier de police judiciaire, aux fins
d'audition ou de confrontation avec la personne suspectée.
Si le témoin ne peut pas venir, il est possible de l’entendre
dans le cadre d’une commission rogatoire : le juge
d'instruction peut donner une sorte de lettre de mission à la
police judiciaire lui demandant d’accomplir tel acte
d’information qu'il estime nécessaire. Le témoin sera alors
entendu par un officier ou un agent de police judiciaire. S’il ne
veut pas venir, il y est contraint par la force ; et le juge
d’instruction peut prononcer en cas de refus une peine
d’amende.
DANS CE CHAPITRE
L'administration pénitentiaire, son organisation et son « parc
hôtelier »

Tout sur les règles de la détention


Chapitre 12
Passer par la case prison
L e sujet n’est pas anodin, puisqu’il concerne, au 1
66 445 personnes détenues.
er mars 2012,

La prison a pour vocation d’écarter les individus dangereux de la


société, mais aussi, bien que ce noble objectif reste dans la plupart
des cas théorique, la réinsertion de ces mêmes personnes. Les
polémiques récurrentes sur le taux de récidivistes démontrent que la
réinsertion reste essentiellement une déclaration d’intention. En
pratique, peu de mécanismes sont mis en place pour aider celui dont
le CV présente un blanc de quelques années… Les professionnels
accusent le manque de moyens et de personnels. Force est de
constater que les pouvoirs publics ont très peu pris le temps de
définir les missions de la prison, sujet peu porteur d’un point de vue
électoral. La réinsertion reste donc le parent pauvre de la politique
pénale.

La « Gardienne » : l’Administration
pénitentiaire
Placée sous l'autorité du garde des Sceaux depuis 1911,
l'Administration pénitentiaire est l’une des cinq directions du ministère
de la Justice (les autres directions étant celles des services
judiciaires, des affaires civiles et du Sceau, des affaires criminelles et
des grâces et de la protection judiciaire de la jeunesse). Le directeur
de la direction de l'Administration pénitentiaire est nommé par décret
du président de la République, sur proposition du garde des Sceaux.
Cette direction comprend une administration centrale, des services
déconcentrés, un service à compétence nationale (SEP) et un
établissement public administratif chargé de la formation de tous les
personnels pénitentiaires, l’École nationale d’administration
pénitentiaire (Enap), située à Agen.
L'Administration pénitentiaire assume une double mission : la
surveillance des personnes placées sous main de justice et la
préparation de leur réinsertion. Au 1er janvier 2012, l'Administration
pénitentiaire comptait (hors Enap) 35420 agents (source :
www.justice.gouv.fr). Le lecteur attentif ne manquera pas de
remarquer que les détenus sont quasiment deux fois plus nombreux
que le personnel de l'Administration pénitentiaire.

Les différents types d’établissements


pénitentiaires
Le terme générique de « prison » recouvre une panoplie de différents
établissements qui se distinguent par la longueur des peines qui y
sont exécutées. On recense ainsi :
• Les maisons d'arrêt : destinées aux peines inférieures à deux
ans et aux détentions provisoires (personnes dans l’attente
d’être jugées), on en dénombre 99.

• Les centres de détention : destinés aux peines moyennes,


aux détenus les plus jeunes et à ceux dont la réinsertion semble
la plus favorable, ils sont au nombre de 25.

• Les maisons centrales : destinées aux peines les plus


longues, elles sont au nombre de 6.
• Les centres de semi-liberté autonomes : ils sont destinés
aux condamnés placés par le juge d’application des peines sous
le régime de la semi-liberté (les détenus ont une activité
généralement professionnelle hors de l’établissement le jour et
doivent passer la nuit dans l’établissement).

• Les centres pénitentiaires : constitués de différents quartiers


(par exemple, un quartier « maison d’arrêt » et un quartier
« centre de détention » ), ils sont au nombre de 43.
Un peu d’histoire : la Bastille
Destinée à défendre la porte Saint-Antoine, elle fut bâtie sous Charles
V, de 1370 à 1383, par Hugues Aubriot. Elle fut utilisée comme coffre-
fort et lieu de réception par François Ier, avant d’être transformée en
prison d’État par le cardinal de Richelieu. La Bastille abrita entre autres
Hugues Aubriot (son fondateur et prévôt de Paris, accusé en cette
qualité d’impiété eu égard à une trop grande bienveillance pour les
juifs), le mystérieux « Masque de fer », le marquis de Sade ou encore
Voltaire. La chute de la Bastille est le symbole du début de la Révolution
française : elle fut prise le 14 juillet 1789 par des révolutionnaires qui y
cherchaient de la poudre. Dès le 16 juin 1792, il est décidé que
l’emplacement de la Bastille formerait une place dite « de la Liberté» et
qu’une colonne y serait élevée. Palloy fournit la première pierre, mais la
construction en reste là. Une fontaine est installée en 1793. Napoléon,
dans ses projets de réaménagement de Paris, projeta en 1808 d’y
construire un monument en forme d’éléphant. Celui-ci devait
mesurer 24 mètres de haut et être fondu avec le bronze des canons
pris aux Espagnols. Louis-Philippe décida en 1833 de construire la
« colonne de Juillet » envisagée en 1792. Elle fut inaugurée en 1840.
Une grande partie des pierres de la Bastille a servi à construire le pont
de la Concorde. On peut encore voir des vestiges, sur le quai de la
station de métro Bastille, de la tour de la Liberté, où fut enfermé Sade,
ainsi que dans le square Henri-Galli, au départ du boulevard Henri-IV. Il
est enfin possible de suivre sur le sol de la place le tracé des anciens
murs d’enceinte et des tours.

Les règles de la détention


Les personnes placées en détention doivent obéir à un grand nombre
de règles strictes. Pour les détenus à la réclusion criminelle à
perpétuité, les « perpet’ » , les règles sont plus strictes que pour les
autres. La particularité des crimes commis peut également jouer sur
les contours des « libertés » accordées aux détenus : ceux
condamnés pour terrorisme, par exemple, sont particulièrement
surveillés, un des arguments étant la lutte contre la radicalisation en
prison. Quoi qu’il en soit, un socle de règles communes régit le droit
pénitentiaire et chaque instant de la vie des détenus.

L’argent
Dès son arrivée, au moment de sa mise sous écrou, le détenu doit
remettre ses bijoux, ses papiers d'identité et son argent afin que
ceux-ci soient déposés au coffre. Il ne peut désormais plus manier de
moyen de paiement jusqu'à sa libération. Il n’est autorisé à garder
que son alliance, sa montre, une chaîne avec une médaille religieuse
de petite taille et des photographies de sa famille.

Figure 12-1 Les biens du détenu.

La comptabilité de l’établissement pénitentiaire ouvre un compte


nominatif pour chaque détenu. Les entrées d'argent sont divisées en
trois catégories :

• la part disponible ;

• le pécule de libération en vue de sa réinsertion ;


• l’indemnisation des parties civiles.
Les 200 premiers euros perçus mensuellement par le détenu entrent
dans la première catégorie. Il s'agit de la « pension alimentaire »
mensuelle : ce qui lui permettra notamment de cantiner, c’est-à-dire
d’acquérir des biens au sein de la prison (produits d’hygiène et
d’entretien, tabac, journaux).
Si le détenu perçoit plus de 200 euros par mois, la comptabilité en
prélève notamment un pourcentage variable en fonction de
l’importance des ressources, qui est affecté au remboursement des
parties civiles.
Enfin, si le détenu percevait le RSA avant son incarcération, celui-ci
sera suspendu deux mois après.

Les loisirs et le travail


Le détenu peut participer aux activités sportives proposées par la
prison. La télévision est en revanche payante : son prix est prélevé
sur la part disponible du compte du détenu. La bibliothèque de la
prison est accessible aux détenus qui le souhaitent. Ils peuvent
notamment y trouver le Code pénal et le Code de procédure
pénale… ce qui explique que les détenus soient souvent de fins
juristes et d'excellents procéduriers !
Alors que l'enseignement et la formation sont obligatoires pour les
mineurs de moins de 16 ans, les majeurs doivent faire une demande
pour en bénéficier.
Les travaux proposés aux détenus sont de deux ordres : soit en
atelier de production (en fonction des places disponibles), soit par
affectation au service général de la prison (avec l’accord du
magistrat). Les places disponibles sont attribuées en fonction de
critères sociaux, mais aussi en considération de l’existence d’une
obligation de réparation des victimes.
Bref, on est loin de l’image idyllique que certains ont parfois tendance
à présenter de geôles de luxe équipées d’écrans plasma, de sofas et
de parcs où s’ébattre…
Une journée ordinaire dans une maison d’arrêt
7 h 00-8 h 00 : Réveil, petit déjeuner, toilette, entretien de la cellule.

8 h 00-11 h 15 : Travail ou activités (sauf le week-end), promenade,


loisirs (sport, bibliothèque, etc.) et parloirs (les horaires des parloirs
varient d’un établissement à l’autre).

11 h 30-12 h 15 : Distribution du déjeuner.

13 h 00-14 h 00 : Promenade des détenus ayant un travail (service


général ou autre).

14 h 00-17 h 00 : Travail, activités, promenade, loisirs, parloirs, douches.

17 h 00-17 h 45 : Douches pour les détenus qui travaillent (service


général ou autres).

18 h 15-18 h 45 : Distribution du dîner.

18 h 45 : Fermeture des cellules.

(Source : www.justice.gouv.fr)

Les visites
Le règlement de chaque établissement détermine les jours et heures
de parloir. Les prévenus et accusés (autrement dit, les personnes
incarcérées mais non encore jugées) ont droit à un minimum de trois
visites hebdomadaires, tandis que les condamnés ne bénéficient que
d'une visite hebdomadaire.
Tout visiteur doit détenir un permis accordé par le juge d’instruction si
le visité est prévenu ou par le chef de l’établissement s’il s’agit d’un
condamné.
Si le visiteur n’est pas un membre de la famille, la délivrance du
permis est subordonnée au résultat d’une enquête menée par la
police ou la gendarmerie.
Le déroulement du parloir est surveillé et strictement réglementé
(interdiction de recevoir ou d'échanger des objets – par exemple du
tabac, du papier, des magazines, des aliments, des boissons, etc. –,
d'avoir des relations sexuelles, etc.). Le détenu est nécessairement
fouillé avant et après le parloir, les visiteurs passant également par
des portiques de sécurité dignes d'un aéroport en zone de menace
terroriste.

Les unités de vie familiale


Le droit à la sexualité est resté longtemps un sujet controversé au sein
de l’Administration pénitentiaire. La France a mis plus de temps que
d’autres pays – tels que le Danemark, l’Écosse, la Finlande, les Pays-Bas,
la Suisse, l’Espagne ou le Canada – à admettre la nécessité de
dispositifs préservant la dignité et l’intimité des détenus et de leurs
proches. Ce n’est qu’en 2003 que le ministre de la Justice a annoncé le
lancement de l’expérimentation de dispositifs de « rencontres
prolongées » entre des personnes incarcérées et leur famille. Les
premières unités expérimentales ont été inaugurées dans trois sites
pilotes à Rennes, Poissy et Saint-Martin-de-Ré. Ces appartements
meublés sont réservés aux personnes condamnées à de longues
peines ne disposant pas de permis de sortie. La durée des retrouvailles
est comprise entre six et soixante-douze heures.

La santé
Rapidement après sa mise sous écrou, le détenu voit un médecin,
qui procède notamment au dépistage de… la tuberculose. Une unité
médicale rattachée à l’administration hospitalière prend en charge le
suivi médical des détenus dans toutes les prisons. Par ailleurs, un
personnel soignant est constamment présent, et un suivi
personnalisé pour des problèmes physiques ou psychologiques peut
être sollicité par le détenu ; son courrier est alors confidentiel. Le
détenu ne peut ni stocker ni consommer de médicaments qui n’ont
pas fait l’objet d’une prescription interne. Il est précisé que le détenu
est affilié au régime général de la Sécurité sociale : sa famille a droit
au remboursement des frais médicaux s'il est en situation régulière. Il
faut encore noter que le détenu n’a droit qu’à trois douches par
semaine… Enfin, la peine ne peut être suspendue pour raison
médicale qu’à l’issue de deux expertises concordantes.

De Maurice Papon à Joëlle Aubron d’Action directe,


la suspension de peine en question
La Ligue des droits de l’homme n’a pas manqué de s’insurger au
lendemain du décès de Maurice Papon, « mort dans son lit à 96 ans »,
en 2007, alors qu’il avait été condamné à dix ans de réclusion criminelle
le 2 avril 1998 pour complicité de crimes contre l’humanité. Le
« pourvoyeur d’Auschwitz» avait en effet été libéré
le 18 septembre 2002 au motif qu’il était atteint « d’une pathologie
engageant le pronostic vital ». Il aura pourtant fallu cinq années à ladite
pathologie pour venir à bout du nonagénaire, plutôt fringant à sa sortie
de prison. La clémence dont a bénéficié Maurice Papon était plus
difficile encore à accepter au regard du parcours du combattant
qu’avait connu Joëlle Aubron, membre de l’ex-groupe terroriste Action
directe. En effet, celle-ci est décédée le 1er mars 2006, à l’âge de 46 ans,
deux ans seulement après avoir bénéficié d’une suspension de peine
tardive pour raisons médicales, en juin 2004.

La discipline
La violation du règlement intérieur de la prison peut être sanctionnée
en commission de discipline. Il est précisé que le détenu peut être
entendu et assisté par son avocat ou un mandataire pendant
l’audience disciplinaire. Les sanctions pouvant être infligées sont les
suivantes :
• l’avertissement ;

• la privation de cantine pour deux mois au maximum ;

• la privation de subsides pour deux mois au maximum ;


• le confinement en cellule seul jusqu’à quarante-cinq jours
(limité à quinze jours pour les détenus âgés de 16 à 18 ans) ;
• le placement en cellule disciplinaire jusqu’à quarante-cinq jours
(limité à quinze jours pour les détenus âgés de 16 à 18 ans) ;

• autres sanctions en rapport avec la faute commise (privation


d’activités de formation, culturelles, sportives et de loisirs,
travaux de réparation).
La sanction la plus lourde, le placement en cellule disciplinaire, est
particulièrement pénalisante : le détenu est coupé de tout contact
avec ses coreligionnaires et des activités (sport, promenade,
télévision, parloir). Ses seuls contacts restent son avocat, l’agent
d’insertion et l’aumônier (ou son équivalent selon la religion), qu’il
peut demander à rencontrer, et ses seuls loisirs restent la lecture et
l’écriture…

Prisons de femmes
Les hommes et les femmes sont détenus dans des établissements ou
des quartiers distincts. Les femmes ne sont en contact qu’avec des
femmes, puisque le personnel de surveillance est alors exclusivement
féminin, alors que celles-ci peuvent surveiller des détenus masculins.

La grande particularité est cependant ailleurs : il s’agit de la possibilité


pour les mères détenues de garder auprès d’elles leur enfant de moins
de 18 mois. Aucune autorisation n’est requise, c’est un droit que la
femme reste libre d’exercer ou pas. Les décisions concernant l’enfant
sont prises par la mère (sorties, soins, etc.). Le père pourra alors rendre
visite à l’enfant en prison. À partir du dix-huitième mois de l’enfant, la
mère peut demander de garder son enfant. Le directeur régional des
services pénitentiaires statue après l’avis d’une commission qui entend
l’avocat de la mère et le père. À la fin de son séjour, l’enfant pourra, sur
requête de la mère adressée au chef de l’établissement, être autorisé à
effectuer de brefs séjours à ses côtés.
Partie 4
La jungle des lois
Dans cette partie…

« Au début était la loi », expression de la vox


populi relayée théoriquement par le Parlement.
Les textes législatifs étaient simples, courts et
assimilables à de véritables maximes. La lecture
de la loi était proche de celle de l'almanach
Vermot, et on laissait aux tribunaux et aux
universitaires le soin de commenter la loi, de
l'interpréter et de l'adapter à des domaines
divers.

La tendance désormais consiste à légiférer à


tout prix et à combler tout ce qui pourrait
s'assimiler à un vide juridique. Les normes (lois,
règlements, décrets, arrêtés...) pullulent et sont
rédigées dans un jargon imbitable de
technocrate.

En comparaison, les modes d'emploi de


matériels hi-fi asiatiques semblent d'une
limpidité confondante. On légifère ainsi tous
azimuts, quitte à faire un copier-coller avec des
règles d'ores et déjà existantes. Initialement, le
droit est divisé en deux grandes catégories : le
droit privé et le droit public. Schématiquement,
le droit privé est celui qui concerne uniquement
les rapports entre individus et le droit public
intervient lorsque l'État est impliqué. Sans
exhaustivité, le droit privé comporte le droit
civil, le droit pénal, le droit du travail, le droit
commercial... Le droit public comprend
notamment le droit administratif, le droit de la
fonction publique, le droit électoral, le droit
fiscal...

L'affluence de normes juridiques dans des


domaines précis a donné naissance à des sous-
catégories spécifiques à des secteurs
particuliers : le droit des assurances (qui
regroupe la législation régissant les rapports
entre assureurs et assurés et définit les
principes de gestion des risques...), le droit de la
construction (qui traite des rapports entre les
différents corps de métier dans la réalisation de
travaux), le droit de la copropriété, le droit du
sport, le droit de la santé...

Compte tenu de la diversité des lois et des


réglementations en vigueur, il est difficile voire
impossible de les envisager toutes
exhaustivement. C'est donc en toute partialité
qu'il a été décidé que certains domaines
juridiques ne seraient pas abordés dans cet
ouvrage. Les domaines traités sont des
introductions apéritives, destinées à susciter la
curiosité, laquelle n'est pas un vilain défaut
pour des juristes.
DANS CE CHAPITRE
Les grandes étapes de la vie : le droit civil

L'esprit de clan : le droit de la famille

Au quotidien : le droit de la consommation


Chapitre 13
Tous à la même enseigne : le droit
des particuliers

« C le fort sentiment qu’ils évoluent dans un monde de règles


'est pas juste ! » « T'as pas le droit ! » Très tôt, les enfants ont

(certes, en général, dictées et imposées par leurs parents). De


fait, petits et grands sont assujettis dans leurs rapports à des règles
juridiques à l’intérieur comme à l’extérieur du cocon familial.

Les grandes étapes de la vie : le droit


civil
Le droit civil régit les rapports entre les personnes. Il s’intéresse à
l’ensemble de nos actes de la vie quotidienne, de notre naissance à
notre mort : il s'immisce dans l'intimité de notre cercle familial
(filiation, union, succession), s'invite à notre domicile (relations entre
propriétaires et locataires, copropriété, troubles du voisinage), nous
permet d'affirmer qui nous sommes (modification de la mention du
sexe à l’état civil), nous apprend à cultiver notre jardin ( « Tes
arbrisseaux à plus de 2 mètres de ton voisin tu planteras » ). Le droit
civil guide encore la rédaction de tous les contrats (achat d’une
maison, vente de pommes de terre, abonnements…). Il règle enfin
l'indemnisation des victimes des accidents ordinaires et
extraordinaires de la vie courante : de la brûlure d'un café trop chaud
à l'accident de voiture, en passant par la morsure d’un chien.
Le droit civil s’adresse aux individus et est donc incontournable.
Juridiquement, tout être humain devient tôt ou tard sujet de droit civil,
notamment à chacune des grandes étapes de sa vie.
L'individu comme sujet de droit est doté de caractéristiques qui lui
sont propres : une identité, une apparence physique, une vie privée,
un corps, des convictions morales ou religieuses, une orientation
sexuelle… Autant de caractéristiques qui forment la personnalité et
sont donc logiquement dénommées… les « droits de la
personnalité » .

La naissance : un acte à part entière


Pour devenir une personne juridique dotée de droits mais également
d’obligations, il faut être né et être viable. Scientifiquement, un enfant
est considéré comme viable à compter de la vingtième semaine
après sa conception ou s’il pèse au moins 500 grammes ! Les textes
prévoient qu'un enfant doit être déclaré à l’état civil dès lors que la
gestation a duré au moins cent quatre-vingts jours (soit vingt-trois
semaines à compter de la conception). Pour les enfants mort-nés
conçus depuis plus de cent quatre-vingts jours, une déclaration est
effectuée avec la mention « enfant sans vie » .
La déclaration de naissance doit être effectuée auprès de l'état civil
dans les trois jours suivant l’accouchement. Si les parents ne
respectent pas ce délai, il leur faudra saisir le tribunal de
l’arrondissement dans lequel l’enfant est né, étant précisé que
l’absence de déclaration peut donner lieu à des sanctions pénales.
Par ailleurs, qui doit déclarer la naissance ? Le Code civil donne ce
rôle au père ou, à défaut, aux médecins, sages-femmes et autres
personnes qui ont assisté à l'accouchement. La mère de l'enfant ne
figurant pas dans cette liste, elle ne saurait encourir de sanctions en
cas de non-déclaration.
La preuve définitive de la vie, et donc de la qualité de « personne
juridique » , est ainsi l’acte de naissance. Celui-ci comporte
différentes indications : la date et le lieu de naissance, le sexe, les
prénoms attribués à l’enfant, le nom de famille et les noms des
parents lorsque ceux-ci reconnaissent l’enfant (voir plus bas la
section sur la filiation).
Il ne faut pas en déduire que l’accomplissement de ces démarches
conditionne de manière absolue le fait qu'un enfant ait des droits. En
effet, une règle issue du droit romain accorde certaines prérogatives
aux fœtus. Ainsi, dans son intérêt, l’enfant peut être réputé né au jour
de sa conception. Cela permet qu’un enfant puisse hériter dès sa
naissance, même s’il n’était pas né mais seulement conçu au jour de
l’ouverture de la succession.
Figure 13-1 Du nouveau-né à la personne juridique.

Le nom de famille : fixe… ou


presque
Le nom est l’appellation par laquelle sont désignés les membres
d’une même famille. Il s’acquiert et se transmet par la naissance,
l’adoption ou le mariage. L’attribution d’un nom unique et immuable
s’impose également pour des raisons de sécurité publique : il est
indispensable que toute personne puisse être identifiable.
Longtemps, le Code civil n'a connu que le nom dit « patronymique » ,
c’est-à-dire le nom du père. Depuis une réforme législative intervenue
en 2002, l’expression est bannie du Code pour être remplacée par le
terme « nom de famille » . Le nom de famille est donc désormais soit
celui du père, soit celui de la mère, soit les noms accolés des deux
parents dans l’ordre qu’ils auront choisi. Le nom dévolu au premier
enfant du couple devra être le même pour les autres enfants issus de
cette union.
Depuis 2002, les parents d’enfants naturels (c’est-à-dire dont les
géniteurs ne sont pas liés par le mariage) peuvent, pour leurs
bambins mineurs et sur déclaration conjointe, choisir d’accoler au
premier nom celui de l’autre parent. Si l’enfant a plus de 13 ans, il
devra consentir expressément à cette démarche.
Une loi révolutionnaire toujours en vigueur à ce jour précise que le
nom de famille est fixe et ne peut être modifié. Certaines dérogations
légales existent cependant : ainsi, le mariage, le divorce ou l'adoption
sont susceptibles de modifier le nom de famille. Certaines décisions
administratives ou judiciaires admettent également la possibilité de
procéder à un changement de nom sous certaines conditions. C’est
le cas pour toute personne justifiant d'un intérêt légitime. La notion
d'intérêt légitime n'est pas définie et laisse donc un très large pouvoir
d'appréciation aux magistrats.
Ainsi, le changement de nom est possible lorsqu'il a vocation à
permettre de faire revivre un nom de famille (le nom d’un des grands-
parents par exemple) qui risque l’extinction faute de transmission à
des descendants mâles directs. Les noms ridicules, déplaisants ou
qui rendent difficile l'exercice d'une profession compte tenu des
éventuels jeux de mots sont également des motifs légitimes de
changement de nom. À titre d’exemple, un docteur Bobo ou un
avocat nommé Véreux auraient intérêt à modifier leur patronyme…
Les personnes portant le nom de personnages s’étant illustrés au
cours de l’histoire par un comportement abominable justifient eux
aussi d'un motif légitime à changer de nom de famille : aux oubliettes
de l'état civil les « Landru » , les « Hitler » et les « Attila » …
Par ailleurs, un pseudonyme peut officiellement remplacer le nom de
naissance si son titulaire justifie d'une notoriété certaine et d'un
usage prolongé dudit pseudonyme. Une loi de 1972 permet
également à toute personne qui acquiert ou recouvre la nationalité
française de demander la francisation de ses nom et prénom ou de
l’un des deux, lorsque leur apparence, leur consonance ou leur
caractère étranger peut gêner l’intégration dans la communauté
française.
En revanche, le changement de nom sera refusé à toute personne
qui n’agit pas dans un intérêt familial, mais par vanité ou afin de tirer
de ce changement un profit pécuniaire. La volonté d'adjoindre une
particule au nom de famille n'est ainsi pas considérée comme un
motif légitime, pas plus que le changement de nom destiné à faire
oublier une condamnation pénale.

Le choix du prénom : Fetnat, Mickey


et les autres
Il appartient aux parents d’attribuer à leur enfant un ou des
prénom(s). En l’absence de parents ayant reconnu l'enfant, l'officier
d'état civil en donne trois.
Initialement, les prénoms choisis pour désigner un enfant devaient
être trouvés parmi les noms en usage dans les calendriers ou parmi
les personnages historiques. De longs débats judiciaires sont
intervenus : ne devait-on prendre comme référence que le calendrier
français ? Cette controverse a participé, pendant un temps, au début
du XXe siècle, à la tentative d'éradication des prénoms bretons… On
pouvait affubler son marmot d'un prénom comme « Cochon » présent
dans le calendrier révolutionnaire, ou « Fetnat » pour les natifs
du 14 juillet ( ! ), mais certainement pas le prénommer « Corentin »
ou « Gwenaëlle » !
Depuis 1993, le choix du prénom est libre. Cependant, un contrôle
est effectué a posteriori. L'officier d'état civil ne peut faire de
commentaires ou refuser d'inscrire les prénoms choisis par les
parents. S’il lui semble que le choix du prénom va à l’encontre de
l’intérêt public ou de celui de l’enfant, il doit le signaler au procureur
de la République. La Cour de cassation a sagement considéré,
dès 1990, que l'intérêt de l'enfant doit prévaloir sur le souci
d'originalité des parents. Ainsi, des prénoms comme Assedic,
Gloarnic, Cœur-Marie, Babar, Bâbord et Tribord (pour des jumeaux)
ont été refusés.
Par ailleurs, le changement de prénom est justifié dans des
conditions similaires à celles du changement de nom de famille.
Le transsexualisme : du chevalier d’Éon à Chouchou
La définition du sexe d’une personne peut être établie par différents
moyens. On pourrait s’en tenir à l’aspect chromosomique : les hommes
ont des chromosomes sexuels XY et les femmes des chromosomes
sexuels XX. Il serait également possible de considérer l’aspect
physiologique ou psychologique de la personne. Le plus souvent, ces
trois facteurs d’identité sexuelle coïncident, mais pas toujours. Il existe
des cas où, à la naissance, on ne peut physiologiquement déterminer si
l’enfant est un garçon ou une fille. Médicalement, désormais, compte
tenu de l’avancée de la science, des tests génétiques ont été pratiqués,
et une intervention de chirurgie plastique est menée pour que le bébé
ait un physique concordant avec son identité chromosomique. Il est
également possible que le sexe psychologique prime. Une personne
aura les caractéristiques génétiques et physiques d’un genre, mais le
comportement personnel, social et psychologique de l’autre genre ; il
s’agit du syndrome dit « de transsexualisme ». Dans certaines
conditions définies par les experts médicaux, une opération
chirurgicale peut être réalisée pour que l’identité morphologique
coïncide avec l’identité psychologique.

Pendant longtemps, la Cour de cassation a débouté les personnes


transsexuelles sollicitant le changement de sexe au sein de leur état
civil, au motif que « le transsexualisme, même lorsqu’il est
médicalement reconnu, ne peut s’analyser en un véritable changement
de sexe, le transsexuel, bien qu’ayant perdu certains caractères de son
sexe d’origine, n’ayant pas pour autant acquis ceux du sexe opposé ».
La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour
avoir adopté de telles décisions, qui vont à l’encontre du respect de la
vie privée de la personne ayant changé de sexe. Désormais, et sous
l’influence de cette jurisprudence constante entérinée par une loi
de 2018, le changement de sexe permet une rectification de l’état civil
et autorise les modifications du sexe et du prénom dans les conditions
suivantes :

• le syndrome de transsexualisme doit être reconnu à la suite


d’une expertise médicale ;

• l’opération de changement de sexe doit avoir eu lieu avant la


saisine du juge ;

• le ou la transsexuel(le) doit avoir l’apparence physique du sexe


revendiqué et un comportement social conforme.

Cette modification de l’état civil ne vaut que pour l’avenir, l’acte de


naissance demeurant inchangé. Le mariage conclu avant l’opération
n’est pas dissous pour autant. Cependant, le transsexualisme peut
constituer une cause reconnue de divorce. La personne, sous sa
nouvelle identité, pourra tout à fait conclure un nouveau mariage à
l’avenir. Aucune objection de principe ne peut être à ce titre formulée.
Les personnes ayant changé de sexe ont un droit reconnu à la vie
familiale. Le parcours que leur inflige le droit français reste cependant
très éprouvant et bien archaïque lorsqu’il est comparé à d’autres
législations européennes.

Le domicile : home sweet home !


Parmi les autres facteurs identifiants indispensables, on compte le
domicile. Celui-ci incarne étymologiquement le rattachement au foyer
(le fameux domus latin). Il comporte une facette administrative
permettant à son titulaire de percevoir des prestations sociales et de
régler ses impôts. Le domicile est le siège de la famille, car les
enfants mineurs y sont accueillis.
La nécessité d’avoir un unique domicile permet également de
rattacher une personne à un lieu et de pouvoir, pour des raisons de
sécurité publique, la retrouver. Bien entendu, on peut avoir plusieurs
résidences, mais le « domicile » , au sens juridique du terme, doit
être unique. Le Code civil définit le domicile comme le lieu où la
personne a son principal établissement. Pour déterminer le domicile
d’une personne, il faut, d’une part, qu’elle réside sur le lieu en
question, et, d’autre part, qu’elle ait l’intention d’y rester et de s’y
établir. Le choix d’un domicile relève ainsi principalement d’une
démarche volontaire. Le domicile peut toutefois être imposé pour
différentes raisons : les époux s'installent dans le fameux « domicile
conjugal » , les enfants mineurs ou majeurs sous tutelle ont un
domicile imposé, celui de leurs parents ou tuteurs.
La détermination d'un domicile est indispensable pour l'exercice des
droits civils : droit de vote, perception d'allocations sociales,
obligations fiscales… Cependant, le choix d’un domicile comme
formalité administrative peut poser certaines difficultés pour les
personnes qui décident ou sont contraintes de mener une vie
nomade ou précaire. Il faut alors distinguer les gens du voyage des
sans domicile fixe, qui ne relèvent pas du même régime juridique.
Les nomades désireux d'exercer une activité ambulante doivent être
artificiellement rattachés à une commune et obtenir un titre de
circulation délivré par la préfecture. Si une personne nomade exerce
ainsi une activité ambulante sans titre de circulation, elle est
susceptible d’encourir des sanctions pénales allant jusqu’à un an
d’emprisonnement. Si cette personne souhaite être rattachée à une
autre commune, elle doit alors remplir deux conditions : justifier être
restée deux années au moins dans la commune de rattachement
qu’elle souhaite quitter et démontrer l’existence d’attaches avec la
ville qui l’ « accueille » . On constate ici la discrimination qui existe
avec les personnes sédentaires, qui peuvent changer de domicile
sans motif particulier.
Une autre discrimination existe, entre nomades et SDF cette fois.
Une loi de 1998 relative à la lutte contre les exclusions prévoit ainsi
que les SDF peuvent justifier d’un domicile en produisant l’attestation
d’une association ou d’un organisme d’accueil, alors qu’une circulaire
du ministère de l’Intérieur interdit aux nomades de bénéficier de la
« domiciliation associative » …
Le droit au logement
Le droit au logement est reconnu comme un principe à valeur
constitutionnelle. Ainsi, la Déclaration universelle des droits de
l’homme de 1948 reconnaît que « toute personne a droit à un niveau
de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa
famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les
soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ». Une
loi de 1990 rappelle à ce titre que « garantir le droit au logement
constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation ».

Les manifestations de ce droit au logement sont diverses : il existe


notamment des mesures administratives visant à garantir un taux
minimal de logements sociaux par commune ou encore l’établissement
de mesures préventives contre les expulsions ou de mesures judiciaires
comme la condamnation des propriétaires qui ne mettent pas à
disposition de leurs locataires des lieux décents. Le droit au logement a
également permis la reconnaissance des droits des concubins (quel
que soit leur sexe) à bénéficier du droit au bail lors du décès de leur
conjoint. Enfin, à l’occasion de la campagne présidentielle de 2007 est
apparue la notion de « droit opposable au logement », permettant à
chacun de bénéficier d’un toit.

La mort : the end ?


Jusqu’en 1854, une personne pouvait être « condamnée à la mort
civile » , en général à la suite d’une condamnation pénale. Cette
personne ne pouvait de ce fait bénéficier d'aucun droit, et ses biens
étaient transmis à l'État. Désormais, seul le décès prouvé ou supposé
emporte extinction des droits et obligations.
À la mort de la personne, ses droits et certaines obligations sont
transmis à ses héritiers (sous réserve de leur acceptation). Le décès
est prononcé officiellement lorsque toute activité cérébrale a cessé.
La dépouille mortelle d’une personne n’est toutefois pas un objet dont
tout un chacun peut disposer à sa guise. Le corps vivant ou mort doit
être respecté et bénéficie donc de droits résiduels. À titre d’exemple,
les dispositions du Code pénal sanctionnent toute atteinte à une
sépulture ou au cadavre en lui-même. Une exception concerne
toutefois les prélèvements d'organes, qui ne peuvent s'effectuer que
dans des conditions rigoureuses (voir chapitre 17).
Le Code civil, à la suite de l’adoption des lois dites « bioéthiques » ,
s’est attaqué au problème des exhumations de personnes décédées
aux fins de procéder à des prélèvements génétiques. On se souvient
de l'affaire médiatique qui avait entraîné l’exhumation des restes
d’Yves Montand dans le but de déterminer par le biais de tests
génétiques s'il était le père d'une jeune fille. Désormais, le Code
interdit le prélèvement d’empreintes génétiques sur une personne
décédée dans le cadre des procès en filiation, sauf si la personne
avait manifesté de son vivant son accord à un tel examen.
Il existe des hypothèses où, même si aucun corps n’est retrouvé, tout
laisse à penser que la personne est décédée. La mort doit dans ce
cas être constatée par un juge.

L’absence et la disparition : le
colonel Chabert
La mort peut être prononcée judiciairement en cas de disparition
d’une personne. Cela recouvre différentes hypothèses : la personne
dont on ne retrouve pas le corps à l’issue d’une catastrophe, celle qui
s’envole du jour au lendemain sans laisser d’adresse, celle qui ne
revient pas d’une guerre ou d’un long voyage. Ces hypothèses ont
abondamment nourri les faits divers ainsi que notre littérature.
Le droit distingue deux hypothèses afin de permettre la gestion du
patrimoine et des droits de l’absent ou du disparu. Juridiquement,
l’absent est celui qui a cessé de paraître au lieu de son domicile ou
de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles. Une procédure
de présomption d’absence peut être diligentée auprès du juge des
tutelles par toute personne qui y a un intérêt. La personne présumée
absente est considérée comme une personne vivante ; ses biens
seront donc gérés par un tuteur désigné par le juge. Cette mesure de
protection peut être demandée pour les personnes disparues comme
pour celles qui, par suite de l’éloignement, se trouvent malgré elles
hors d’état de manifester leur volonté (qu’elles soient emprisonnées à
l’étranger ou prises en otage…).
Avec le temps, si la personne disparue ne revient pas, sa mort
devient des plus vraisemblables. Toute personne qui y a un intérêt
peut donc, après un délai de dix années (porté à vingt années si la
procédure de présomption d’absence n’a pas été effectuée), saisir le
tribunal pour qu'un jugement de déclaration d’absence soit rendu.
Cette décision de déclaration d'absence produira les mêmes effets
que le décès naturellement intervenu. Cependant, il est possible – le
colonel Chabert dépeint par Balzac en est un exemple – que l'absent
réapparaisse. Les héritiers doivent alors lui restituer les biens qu’ils
ont acquis dans le cadre de la succession. Ambiance garantie en
famille ! Cependant, lorsque le mariage de l'absent a été dissous par
le jugement d'absence, à son retour, le mariage demeure rompu : il
appartient à l’absent de reconquérir le conjoint délaissé s’il veut à
nouveau convoler. L'ex-absent pourra donc légalement épouser sa
veuve !
Une autre procédure, celle de la disparition, plus souple, permet de
prononcer judiciairement le décès d’une personne lorsque celle-ci a
disparu dans des circonstances de nature à mettre sa vie en danger.
Le jugement de disparition interviendra si l’on démontre par un
faisceau d’indices que le décès est quasi certain. Il s’agit
d’hypothèses de catastrophes naturelles ou accidentelles (naufrages,
accidents d’avion, guerre…). Le décès sera dans cette seconde
hypothèse consacré par décision judiciaire.
Ces dispositions légales (procédures de disparition et d’absence) ont
été créées dans le cadre du Code civil consécutivement aux
campagnes napoléoniennes, car de nombreux soldats n’avaient pas
réapparu à leur domicile.

Mineurs et majeurs sous tutelle :


même pas cap !
Enfin, voici venu le tour des vieillards, des simples d'esprit et des
orphelins… Le régime des « incapables » juridiques vise à protéger
les plus faibles, qui, par leur immaturité ou leur sénilité, ne semblent
pas ou plus aptes à gérer eux-mêmes leurs affaires. L'objectif est
d'empêcher la personne de dilapider les biens qu'elle pourrait avoir
ou de subir les influences néfastes de personnes qui abuseraient de
son état de faiblesse.
Le Code civil propose plusieurs régimes plus ou moins intrusifs
permettant d’assurer une certaine protection. Il y a d’abord les faibles
par nature que sont les mineurs. Durant leur minorité, leurs parents
exercent leurs droits en leurs lieu et place. Cela est justifié tant par
l'immaturité de principe des enfants que par le rôle d’éducation et de
protection auquel sont soumis les parents. Mais il se peut que des
adultes majeurs puissent aussi être déclarés incapables : il s'agit des
personnes dont les facultés de discernement sont altérées par la
maladie ou par l’âge.

Mange ta soupe ! L’autorité parentale


Les enfants sont représentés légalement par leurs parents jusqu'à
leurs 18 ans. Les géniteurs exercent l’autorité parentale sur leur
enfant et administrent légalement ses biens. L’autorité parentale –
anciennement dénommée « puissance paternelle » ! – concerne le
pouvoir de décision des parents sur la vie de l'enfant, et ce dans son
intérêt. Lorsque les deux parents sont vivants, ils exercent
conjointement cette autorité parentale. Leur accord unanime est
présumé pour les actes de la vie courante, alors que la décision doit
être commune dans les grandes orientations de la vie de l’enfant
(éducation, pratique d’une religion, traitement médical…).
La séparation des parents sera (sauf décision du juge) sans influence
sur l'exercice de l'autorité parentale. Depuis l'année 2002, on ne
donne plus la préférence au parent chez qui l'enfant réside au
détriment de l'autre parent. En cas de désaccord profond sur
l'exercice de l'autorité parentale, le juge aux affaires familiales tentera
de concilier les positions ou, en dernier recours, devra arbitrer. Il
prendra alors en considération les accords antérieurs prévus par les
parents, les résultats des enquêtes sociales ainsi que les sentiments
de l'enfant (s'il est suffisamment âgé pour s’exprimer).
L’autorité parentale impose également l’éducation, l’entretien et le
soutien financier de l'enfant. Cette obligation de soutien financier ne
s'éteint pas automatiquement à la majorité du chérubin si coûteux :
les parents doivent continuer à assister leur enfant majeur, en
fonction de leurs moyens, afin de permettre sa qualification
professionnelle… et ce, quels que soient les éventuels conflits qui
pourraient exister entre parents et enfant. Cette obligation alimentaire
prolongée est réciproque, puisque tout majeur doit par la suite porter
assistance (financièrement le cas échéant) à ses parents.
L’argent de poche sous surveillance :
l’administration légale
L’administration légale consiste pour les parents à contrôler la gestion
du patrimoine de leur progéniture. Ce patrimoine peut ne pas être
seulement symbolique et limité à la gestion de l'argent de poche : un
enfant peut devenir propriétaire d’une somme importante par
succession ou entamer une carrière artistique lucrative. En cas de
décès d’un des parents, le veuf ou la veuve exercera pleinement et
exclusivement l’autorité parentale, alors que l’administration légale
des biens sera exercée sous le contrôle du juge des tutelles et du
conseil de famille.
Le conseil de famille est composé de quatre à six personnes
désignées par le juge des tutelles. Le juge les choisit parmi la lignée
tant paternelle que maternelle de l’orphelin. Le juge peut également y
intégrer la famille de cœur (amis, parrains, voisins…) qui témoigne
d’un intérêt pour l’enfant. Le conseil de famille a un rôle consultatif
dans les décisions prises par le juge des tutelles.
Parce qu’il est immature, l’enfant doit être protégé contre lui-même.
C’est la raison pour laquelle il ne peut gérer seul son patrimoine, ni
s’engager juridiquement. Ainsi, un enfant ne peut conclure de contrat,
souscrire un emprunt, accepter une succession ou agir en justice.
Ces droits sont exercés par les parents en qualité de représentants
légaux. Ceux-ci ne sont pas tenus à ce titre de consulter les enfants
pour recueillir leur accord.
Les engagements conclus par un mineur seul sans le consentement
de ses parents seront donc susceptibles d’être annulés.
À titre anecdotique, c’est ainsi que le jeune Johnny Hallyday, alors
mineur, a fait annuler en 1964 un contrat conclu quelques années
plus tôt avec une maison de disques. Rappelons que, du temps des
« yé-yé » , la majorité était à 21 ans et que de nombreux chanteurs
ont connu un succès retentissant alors qu’ils étaient mineurs (selon la
loi de l’époque).
Certains actes de la vie courante effectués par l'enfant sont tout de
même valables sous réserve de leur caractère raisonnable et s’ils ont
été conclus à des conditions normales. L’achat d’une mobylette, de
disques, de matériel informatique ou autres bibelots pourra être
valable. Toutefois, l’enfant devra régler ses achats au comptant, car
un crédit à la consommation ne saurait de toute évidence lui être
accordé.
Quand l’oiseau quitte le nid : les ados
L’évolution des mœurs laisse cependant apparaître une certaine
souplesse tendant à la reconnaissance aux adolescents d’une
relative autonomie.
Initialement, le Code civil rappelait avec sévérité que les enfants
avaient un devoir d’obéissance envers leurs parents. Ces derniers,
quant à eux, disposaient d’un « droit de correction » ! Les temps ont
bien changé : la Convention internationale des droits de l'enfant
ratifiée sous le patronage de l'ONU en 1989 rappelle que la
participation des parents à l’éducation de l’enfant consiste non
seulement à le protéger, mais également à permettre sa
responsabilisation. Depuis l'année 2002, l’autorité parentale doit être
exercée par les parents en associant l’enfant aux décisions le
concernant selon son âge et son degré de maturité. Et l’enfant âgé
de 16 ans peut être émancipé.
Cependant, l’émancipation ne pourra être prononcée par le juge qu’à
la demande des parents, une fois l’enfant entendu, et pour de justes
motifs.

Forrest Gump et la vieille dame indigne : les


majeurs incapables
Mais les mineurs n'ont pas le monopole de l'immaturité : certains
adultes sont dans l’incapacité de gérer seuls leurs biens parce qu’ils
sont malades, intellectuellement faibles ou très âgés. Ces adultes,
tout comme les mineurs, doivent être protégés tant contre eux-
mêmes que contre les autres, qui pourraient abuser de leur faiblesse.
Différents systèmes de protection plus ou moins lourds peuvent être
mis en place sous l’égide du juge des tutelles, saisi par une famille
inquiète ou à la suite d’un signalement de la part des autorités
administratives ou des médecins. Ainsi, l’adulte peut être placé sous
sauvegarde de la justice, sous curatelle ou sous tutelle. Le juge
détermine la mesure la plus adaptée en fonction de la capacité et de
l’autonomie du majeur qu’il faut protéger. Pour ce faire, la famille est
entendue, des témoignages du corps médical et de psychologues
sont versés au dossier.
La plus contraignante des mesures de protection est la mise sous
tutelle : la personne à protéger ne peut plus effectuer seule aucun
acte. Les décisions sont ainsi déléguées au tuteur désigné par le
juge. Il peut s’agir d’un membre de la famille comme d’une personne
extérieure. La curatelle est plus souple, puisque seuls les actes les
plus graves (vente d'un immeuble par exemple) ne pourront être
effectués par les personnes seules sans la cosignature du curateur.
La curatelle permet ainsi aux adultes de conserver certaines de leurs
prérogatives malgré leur état de faiblesse. Bien évidemment, tuteurs
comme curateurs doivent rendre compte de leur mission auprès du
juge des tutelles.
Figure 13-2 Les représentants légaux pour protéger les plus faibles.
Sexe faible, faibles droits ?
Si la Déclaration des droits de l’homme proclame sous la Révolution
que tous les hommes naissent libres et égaux en droits, cela ne vise
réellement que les hommes, c’est-à-dire les citoyens mâles. La
Constitution de 1793 limite le bénéfice du droit de vote aux seuls
hommes. Les femmes ne peuvent ni voter, ni se présenter aux
élections, ni porter les armes.

En 1801, un projet de loi propose, sous la plume de Sylvain Maréchal,


de faire « défense aux femmes d’apprendre à lire ». Car jusqu’à la fin du
XIXe siècle l’éducation des filles était principalement dispensée par
l’Église et avait vocation à leur apprendre à devenir de bonnes
ménagères ou à se consacrer à des travaux d’aiguille. Le Code
Napoléon de 1804 reconnaît l’incapacité juridique totale de la femme
mariée. Une épouse ne peut alors effectuer aucun acte sans
l’autorisation de son mari. Elle ne peut librement exercer une
profession qu’avec son assentiment. Le mari perçoit le salaire gagné
par son épouse, et tout contrat passé par une femme en l’absence de
son mari est juridiquement nul. Contrairement aux idées reçues, son
sort était plus enviable au Moyen Âge, où la femme mariée avait la
possibilité de gérer son commerce seule sans l’intervention de son
époux.

Il faut attendre 1907 pour que la femme puisse librement disposer de


son salaire, et 1938 pour qu’elle ne soit plus considérée comme une
incapable civile. Et c’est seulement à la Libération que le droit de vote
est reconnu aux femmes. Le principe de l’égalité des droits entre
l’homme et la femme apparaît dans le préambule de la Constitution
de 1948. Enfin, la liberté d’exercice d’une profession est accordée aux
femmes en… 1965.
L’esprit de clan : la famille
Juridiquement, la cellule fondamentale de la société est la famille,
unité où sont – théoriquement – transmises des valeurs éducatives et
civiques telles que le respect de l’autorité parentale, l’apprentissage
de la vie en collectivité… La famille relève toutefois du domaine de la
vie privée, et chacun est libre de donner à sa vie et à celle de ses
enfants l’orientation qu’il souhaite. Cependant, du fait de son rôle
social évident, le droit n’a pas vocation à s’arrêter aux portes du
logement familial. En outre, par des mesures politiques et sociales, la
vie de famille est encouragée (versement d’allocations familiales,
régime d’imposition plus favorable…).
Le droit de la famille jongle donc entre intérêt social et liberté
individuelle : entre une famille-institution qui doit comporter certaines
normes et la liberté de tout un chacun de s’unir, de recueillir et
d’élever des enfants au sein d’une cellule familiale privée et libre.

La cellule familiale au cours des


siècles
Historiquement, la famille n’a pas toujours été composée d’un
homme, d’une femme et de leur progéniture. Durant l'Antiquité, à
Rome, la famille était uniquement concentrée autour du père, le pater
familias. La famille était composée de tous les descendants mâles de
ce père, qui étaient placés sous son autorité. Puis, avec l’essor du
christianisme, la notion de familias apparaît : la familias est fondée
sur une union consacrée religieusement, le mariage. Le mari et père
demeure le chef de famille. Pendant ce temps-là, dans la pure
tradition barbare (viking et autre), le mariage a lieu par rapt.
Les Germains assouplissent cette règle, puisque les futures épouses
sont achetées à leur père et soumises au pouvoir exclusif de leur
mari. Quel progrès !
Avec le Moyen Âge, l'Église catholique acquiert un monopole sur le
mariage et la filiation. Seule la famille légitime, c'est-à-dire issue du
sacrement du mariage, est reconnue. Le père demeure le chef de
famille, cependant son autorité est amoindrie, car il doit exercer ses
prérogatives « dans le respect et l’amour » . À partir du XVIe siècle, la
monarchie prend le contrôle du mariage en le soumettant peu à peu
à sa compétence législative et judiciaire. L’Église catholique
abandonne ainsi certaines de ses prérogatives au profit de l'État.
En 1787, les protestants acquièrent le droit d'enregistrer leur mariage
à l'état civil. Puis, sous l'influence de la Révolution, la liberté et
l'égalité gagnent les foyers. L'État s'affranchit complètement de
l’autorité de l’Église sur la célébration des mariages.
Ainsi, seule l'union civilement célébrée est génératrice de droits et
d'obligations. Les époux sont libres de faire sacraliser leur union par
la religion qui leur plaît ; cependant, il s’agit dès lors d’une célébration
qui relève de l’initiative privée. Cette célébration religieuse ne peut
précéder la célébration civile. Tout ministre du culte qui ne
respecterait pas cette obligation s’expose à des sanctions pénales.
(Cette règle est toujours en vigueur.) Le mariage est ainsi totalement
laïcisé.
La Révolution reconnaît ainsi la liberté de s’unir comme de se
séparer. Le divorce par consentement mutuel ou pour incompatibilité
d’humeur est consacré par les textes. L’égalité entre les enfants
légitimes et naturels (c’est-à-dire conçus de parents non mariés) est
établie… Mais ce vent révolutionnaire n’a qu’un temps. En effet, sous
Bonaparte, une régression du droit se fait sentir : retour de l'inégalité
entre enfants légitimes et naturels, interdiction pour l’épouse de
travailler ou de disposer de ses biens sans l’autorisation de son
mari… Selon le Code civil, dans sa rédaction napoléonienne, « le
mari doit protection à sa femme et la femme obéissance au mari » ,
le mari étant le « seigneur et maître de la communauté » .
Seul le droit de divorcer est maintenu par Napoléon Bonaparte,
vraisemblablement pour des raisons personnelles ! En effet,
l'Empereur a eu l'occasion d'en bénéficier afin de se séparer d'une
Joséphine qui ne pouvait lui donner de descendants… Avec la chute
de l'Empire, le divorce sera à nouveau interdit en 1816, avant d’être
rétabli en 1884.
Différentes réformes législatives interviennent au XXe siècle
permettant la construction d’un droit de la famille adapté aux
évolutions sociologiques, marquant l’égalité des époux dans la
gestion de leurs biens, l’égalité entre enfants naturels, légitimes et
adultérins (en 1972) et l’assouplissement des cas de divorces
(en 1975 et 2004)…

Devant le maire : le mariage


Le mariage est un droit fondamental. La Convention universelle des
droits de l'homme énonce ainsi : « À partir de l'âge nubile, l'homme et
la femme sans aucune restriction, ont le droit de se marier et de
fonder une famille. » Exercice d’une liberté, le mariage ne peut donc
être forcé et ressort de l’accord personnel de volonté de chacun des
époux. Le consentement des époux, condition sine qua non, n'est
cependant pas suffisant pour caractériser le mariage. Il est non
seulement un contrat manifestant la volonté de deux individus, mais
également une institution sociale.

Les fiançailles : attention aux bijoux de


famille !
Aujourd'hui, les fiançailles ne sont plus soumises à une législation
particulière. Il s'agit d'une sorte de période de réflexion
précontractuelle, vestige d'une tradition sociale désormais ignorée
par les textes législatifs. Dans l’ancien droit, cette « période de
réflexion » devait être exclusivement platonique : en effet, les
relations charnelles des fiancés convertissaient les fiançailles en
mariage ! De plus, les « promis » pouvaient difficilement se dédire de
leur volonté de s'unir.
Grâce au concile de Trente, les mariages forcés des fiancés peu
convaincus sont devenus lettre morte. De nos jours, on peut donc
rompre à tout moment ses fiançailles. Cependant, les tribunaux ont
eu l’occasion de se prononcer sur certains cas relatifs à la rupture
fautive et notamment à la délicate question des restitutions des
cadeaux de fiançailles. Ces présents ayant été échangés entre
fiancés sous condition de mariage, l’annulation de l’intention
matrimoniale implique leur restitution. La bague fait toutefois
exception ! La fiancée peut la conserver, sauf si elle a fautivement
rompu les fiançailles ; étant précisé que le fiancé, fautif ou non,
pourra se voir restituer la bague de fiançailles s'il s'agit d'un bijou de
famille…
Hormis la restitution des cadeaux de fiançailles, le (ou la) promis(e)
délaissé(e) pourra être indemnisé(e) si il (elle) parvient à démontrer
la réalité des fiançailles, le caractère fautif de la rupture et le
préjudice subi. Le (ou la) fiancé(e) rompant les fiançailles doit prouver
que la rupture relève d'un motif légitime – on n'est pas loin du régime
du licenciement en droit du travail… Plus la rupture est brusque, sans
cause sérieuse et proche de la date du mariage projeté, plus elle est
fautive et susceptible de donner lieu à une indemnisation au bénéfice
du (de la) fiancé(e) éconduit(e). Ce préjudice peut être constitué du
dommage moral lié à la rupture comme du préjudice matériel
(remboursement des frais engagés dans les préparatifs du mariage).
Cependant, on ne saurait indemniser le (ou la) fiancé(e) éconduit(e)
de la perte de l’espoir d’une ascension sociale et du confort de vie
qu'aurait pu constituer l'alliance avec un bon parti !

Le physique de l’emploi : les conditions


physiologiques du mariage
Le mariage ne peut être célébré que sous réserve de certaines
conditions tenant à la physiologie des époux. Le premier critère
concerne l’âge des futurs époux. Initialement, une différence majeure
existait : les filles pouvaient convoler à 15 ans, et les garçons
à 18 ans. Désormais, depuis une réforme législative intervenue en
2006, filles et garçons ne peuvent se marier qu'à compter de
leurs 18 ans. Le procureur de la République peut toutefois autoriser
des mariages de mineurs uniquement pour des motifs graves, par
exemple si le couple attend un enfant. Si un âge minimal est requis,
la loi ne fixe évidemment pas de date limite de célébration pour le
mariage.
La deuxième condition, qui n’est pas expressément prévue par les
textes légaux relatifs au mariage, tient à la différence de sexe entre
les futurs époux. Initialement, les époux n'étaient pas égaux au sein
du couple : la femme était hiérarchiquement soumise à l’autorité de
son mari. L’évolution législative de la seconde moitié du XXe siècle a
permis la consécration de l'égalité des époux au sein du couple et de
la famille. C’est la raison pour laquelle les réformes législatives en
matière de droit de la famille comme de l’état des personnes ont vu la
disparition de toute terminologie visant à masculiniser la loi.
Ainsi, on ne parle plus de « puissance paternelle » mais d' « autorité
parentale » , on supprime la référence au mari et à la femme pour les
remplacer par le terme d’ « époux » , le « nom patrimonial » devient
le « nom de famille » … La terminologie juridique en la matière tend
vers un droit asexué de la famille.
Cependant, l’absence de référence au sexe des futurs époux n’a pas
permis pour l’heure d’autoriser l’union par le mariage de personnes
du même sexe. En 2012, la différence de sexe est une condition de
fond de la célébration du mariage.
Pour établir la « différence de sexe » , on s'en tient exclusivement
aux mentions figurant dans l'état civil des personnes, et non au sexe
génétiquement déterminé. C’est la raison pour laquelle les personnes
qui ont changé de sexe et d’état civil à la suite d’une opération
peuvent se marier avec une personne qui génétiquement sera du
même sexe, mais qui civilement sera d'un sexe différent (voir plus
haut l’encadré sur le transsexualisme).
Les officiers d'état civil et les tribunaux ne sont, pour l'heure, pas
favorables à l'imprécision des dispositions du Code civil et à
l'extension au profit des personnes du même sexe du droit de se
marier. Certains de nos voisins européens ont légalement autorisé
les mariages entre personnes du même sexe (par exemple, la
Hollande depuis une loi de 2000, et la Belgique depuis 2003). Il
faudra attendre en France une intervention législative, promise
notamment à l’occasion des élections de 2007 par plusieurs partis
politiques, pour permettre des mariages entre personnes du même
sexe, auxquels semblent favorables une majorité de citoyens.
Une dernière condition physique du mariage tient aux relations
familiales : les futurs époux ne doivent pas être d’ores et déjà liés par
les liens du sang. N’en déplaise au papa de Peau d'Âne, il ne peut
épouser sa fille. Les unions « pharaoniques » entre frères et sœurs
n’ont pas davantage droit de cité en droit français. Cette interdiction
des mariages consanguins peut toutefois être levée par le président
de la République pour certains rapprochements matrimoniaux
projetés entre cousins.

Oui ! Le consentement au mariage


Le fameux « oui » prononcé par les époux devant le maire manifeste
le consentement des époux au mariage. Mais ces trois lettres
magiques doivent être le signe d’une intention réelle de s’engager.
Chaque époux doit non seulement consentir aux droits et aux
obligations découlant du mariage en tant qu’institution, mais
également être informé sur la personne qu’il ou elle épouse.
Le consentement doit ainsi être parfaitement libre et éclairé sur la
personne avec laquelle on va se marier. Dans les jeux de la
séduction, il est de bonne guerre de se présenter sous un jour
favorable et de dissimuler à l’élu de son cœur ses casseroles les plus
gênantes. Il n’en demeure pas moins qu’une certaine transparence
est recommandée. En effet, un mariage peut être annulé pour une
« erreur grave » portant par exemple sur les qualités essentielles du
conjoint, une donnée qui n’aurait pas permis le mariage si elle avait
été connue avant la célébration.
Lorsque la jurisprudence évoque les « qualités essentielles » du
conjoint, il ne faut pas entendre par là que le comportement d'un
fiancé prodigue qui deviendrait pingre une fois passée la bague au
doigt permet d’annuler un mariage. Les critères retenus par la
jurisprudence tiennent, par exemple, à la dissimulation d’un lourd
passé pénal, à l’existence d’une famille cachée, à une situation
professionnelle usurpée… La preuve en est délicate. Le recours à la
procédure de pure annulation de mariage est rare, puisque les époux
peuvent plus aisément choisir une procédure de divorce pour
dissoudre le mariage.

Salle des fêtes, écharpe tricolore : les


conditions de forme du mariage
Le mariage à la sauvette n’est pas possible. Roméo et Juliette ne
pourraient donc aujourd’hui légalement célébrer leur union dans le
secret d’une crypte et sans témoins. La version contemporaine de
Las Vegas n’est pas plus envisageable en droit français.
Le mariage, en tant qu’institution génératrice de droits et
d’obligations, doit être public. Et la publicité du mariage s'effectue par
trois moyens. Il existe, d'une part, la publication des bans, c'est-à-dire
l'annonce par voie d'affichage en mairie du projet de mariage des
futurs époux. Cet affichage doit avoir lieu au minimum pendant une
période ininterrompue de dix jours précédant la célébration de
l’union. D’autre part, la célébration en elle-même est publique et doit
avoir lieu en mairie, portes ouvertes, afin que tout un chacun puisse y
assister. À défaut, le mariage peut être déclaré nul. Cela implique
que, théoriquement, toute personne pourrait assister aux mariages
des célébrités… La pratique visant à accorder le monopole
photographique de l'événement à un magazine people met à mal
cette règle de droit…
Rendre un mariage public via les bans et le libre accès à la mairie
permet à toute personne qui aurait un intérêt sérieux et légitime de
s’opposer à l’union projetée d'intervenir. Mais que le public ne
s'attende pas à un coup de théâtre : le « Si quelqu’un a un motif pour
s’opposer au mariage, qu’il le dise maintenant ou se taise à jamais »
n’est prononcé que sur les plateaux de cinéma, ou si le mariage est
célébré à Las Vegas ! Enfin, le mariage doit être célébré en présence
d'au moins deux témoins officiels (quatre au plus).
Une autre condition indispensable pour se marier tient à
l’accomplissement d’une visite médicale destinée à l’établissement
d’un certificat prénuptial. Cet examen doit être effectué deux mois
avant la célébration. Ce certificat relève du secret médical absolu et
se borne à consigner le fait que chacun des futurs époux a consulté
un médecin. Celui-ci ne peut révéler à quiconque les résultats des
examens effectués et doit inciter son patient à informer son futur
conjoint de son état de santé, notamment dans le cas de maladies
graves.
L'examen médical est donc une pure formalité : un praticien ne peut
s'opposer au mariage de son patient pour des raisons de santé. De
même, l’éventuelle stérilité d’un des époux ne peut entraîner
l’irrégularité du mariage. La procréation est en effet une des
conséquences possibles du mariage, cependant elle n'est pas une
condition indispensable à la validité de l’union. Le droit français ne
reconnaît pas à un époux le droit de répudier son conjoint pour une
impossibilité médicalement constatée de procréer.
Une fois ces conditions réunies, l'officier d'état civil (le maire ou l'un
de ses adjoints) peut procéder à la célébration du mariage. Lors de
celle-ci et avant que chacun des futurs époux donne son
consentement en prononçant le fameux « oui » (et en signant ensuite
les registres d'état civil), l'officier d'état civil lit à haute voix certains
articles de loi afin de rappeler aux époux leurs futurs droits et
obligations.
Une sélection dans les textes choisis est effectuée : certains alinéas
concernant la mésentente entre époux sont pudiquement tus pendant
cette lecture pour ne pas gâcher la fête…
Mariage : mode d’emploi à l’usage du maire
• Ne pas oublier de revêtir son écharpe tricolore d’officier d’état
civil.

• Vérifier que le dossier des futurs époux est complet (actes de


naissance, publication des bans, certificat médical).

• Lire le texte suivant :

Article 212 du Code civil – Les époux se doivent mutuellement


respect, fidélité, secours, assistance.

Article 213 – Les époux assurent ensemble la direction morale


et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l’éducation des
enfants et préparent leur avenir.

Article 214 alinéa 1 – Si les conventions matrimoniales ne


règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage,
ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives.

Article 215 alinéa 1 – Les époux s’obligent mutuellement à une


communauté de vie.

• Demander à chacun des époux s’il consent au mariage.

• Une fois les consentements échangés, faire signer les registres


aux époux et à leurs témoins.

• Établir l’acte d’état civil du mariage et le relire à voix haute.

L’union des personnes : un toit, un lit, une


pouponnière
Le mariage a une nature mi-contractuelle, mi-institutionnelle. Les
époux peuvent en aménager certaines règles par contrat. Cependant,
tout n’est pas modulable, la loi veillant au respect de l’égalité et d’un
standard minimal de protection de chacun des époux. Le mariage
implique ainsi l’union des personnes comme la fusion de leurs
patrimoines.
Le mariage impose aux époux une communauté de vie. Cette
communauté oblige les époux à choisir un logement familial. Chacun
d’entre eux peut avoir une résidence séparée, notamment pour des
raisons professionnelles ; toutefois, le logement familial doit être
déterminé, car il sert de port d’attache à chacun des époux. Le
logement familial dispose d’un statut juridique particulier qui implique
que chacun des époux peut y résider sans que le conjoint puisse en
refuser l’accès à l’autre en cas de mésentente (sauf en cas de
violences conjugales, le juge aux affaires familiales pouvant alors
interdire à l'époux violent l'accès au logement familial).
Cette communauté de vie implique également la communauté… de
lit. Le droit canon faisait ainsi référence au « devoir conjugal » .
Pudiquement, le Code civil se contente d'imposer aux époux un
devoir de fidélité. La loi n'exige pas que les époux entretiennent des
relations sexuelles prouvées. Les rapports les plus intimes entre
époux ne seront envisagés devant le juge qu’en cas de demande de
divorce, lorsque l’absence ou la violence des rapprochements
corporels est la cause du divorce.
Si le consentement des époux à entretenir des relations sexuelles est
« présumé » , un époux peut toutefois être pénalement condamné
pour viol dans le cas où son conjoint démontre que les rapports
étaient forcés. Bref, il faut savoir osciller entre devoir conjugal et
risque de viol !
Les époux mariés sont susceptibles d’accueillir des enfants. Ceux qui
sont issus de l’union d’un couple marié seront dits « enfants
légitimes » . Les époux assurent conjointement l’autorité parentale et
déterminent ensemble les grandes orientations de la vie de leur
enfant mineur (voir plus haut l’autorité parentale).

L’union des patrimoines : les cordons de la


bourse
L’union des personnes ainsi que la communauté de vie et l’éventuelle
naissance d’enfants impliquent des dépenses communes qui
n’auraient pas lieu d’être si chacun était demeuré célibataire. La vie
commune entraîne une modification du mode de vie et donc des frais
quotidiens. Le mariage nécessite également parfois une modification
des revenus, surtout si l'un des époux quitte sa profession pour
s’occuper des enfants.
Afin de protéger l'époux le plus patrimonialement faible, la loi impose
que chacun contribue aux charges du mariage en fonction de ses
possibilités ou dans des proportions déterminées par contrat. Ce
devoir de secours a également pour conséquence qu’en cas de
séparation on ne peut laisser son conjoint dans le dénuement.
L’union des patrimoines existe tant entre les époux qu’à l’égard du
monde extérieur. Ainsi, les dettes du ménage devront être payées par
n'importe lequel des époux, qu’il soit ou non à l’origine de la dépense.
Il s’agit de la solidarité des dettes entre époux.
En parallèle du devoir de secours et d’assistance, les époux peuvent
aménager la question de la gestion de leur patrimoine en choisissant
par contrat un régime matrimonial. À défaut de contrat, le Code civil
détermine un régime de base : la communauté réduite aux acquêts.
Ce régime vise les biens des époux dans un ordre chronologique : ce
qui était à toi avant le mariage est à toi, ce qui était à moi avant le
mariage est à moi, ce qui est acquis après le mariage est à nous.
Cela implique que les deux conjoints sont également tenus de payer
les dettes contractées postérieurement au mariage… Si l’un des
époux créé ou exploite son entreprise (société, commerce ou
exercice libéral de sa profession) pendant son mariage, et si l'affaire
périclite, les créanciers pourront ainsi saisir tous les biens de la
communauté. Par mesure de protection des époux, d’autres régimes
matrimoniaux peuvent donc être conclus devant notaire. Les époux
possèdent ainsi la faculté de choisir en fonction de leur activité
professionnelle ou de leur âge un régime plus ou moins
communautaire.
Le régime de la séparation de biens peut être résumé comme suit :
ce qui est payé par moi est à moi, ce qui est payé par toi est à toi, ce
qui est payé par nous est à nous. On détermine la propriété non par
rapport à la date du mariage, mais d’après l’origine des fonds qui ont
permis l’acquisition. Il en est de même des dettes : un époux ne
pourra être tenu responsable des dettes contractées par son conjoint
(à l’exception des dettes dites « ménagères » , c’est-à-dire
contractées pour assurer l'entretien du ménage – des courses
hebdomadaires au crédit destiné à payer le canapé en cuir ou l’écran
plasma).
On peut, vers la fin de sa vie, préférer choisir le régime de la
communauté universelle : tous les biens appartiennent alors
conjointement aux époux, quelles que soient les dates d’acquisition
et l’identité de celui qui a versé les fonds. Ce choix est surtout
déterminé afin de protéger le conjoint survivant en cas de décès.
Il est toujours possible de changer de régime matrimonial au cours du
mariage. La procédure s'effectue devant le juge, qui doit veiller au
respect des droits de chacun et notamment des enfants, pour que
leurs intérêts soient sauvegardés dans l’opération. Le choix de
conclure un contrat de mariage n’est donc pas une décision cynique,
mais est motivé par le souci de protection du conjoint.

Figure 13-3 Récapitulatif : se marier, oui, mais pas sans certaines conditions !

Le concubinage : une union


véritablement libre ?
Le mariage célébré en bonne et due forme n’est pas une étape
obligée pour fonder une famille : d'autres schémas d'union plus ou
moins formalistes existent également. Les conséquences légales du
mariage font suite à la cérémonie officialisée par le maire : c'est de la
célébration que naissent les droits et les obligations des époux. Le
concubinage (ou « union libre » ), pour sa part, s'affranchit de tout
formalisme ; c'est pourtant une situation de fait qui peut entraîner
différentes conséquences juridiques.
Historiquement, le concubinage a été interdit pendant longtemps ; les
personnes vivant « dans le péché » pouvaient être forcées de se
séparer. Tant les couples que leurs éventuels enfants, dits
« naturels » , étaient mis au ban de la société, juridiquement et
socialement. Puis, sous le régime napoléonien, si l’interdiction du
concubinage a disparu, la loi a ignoré cette situation de fait.
« Puisque les concubins se passent de la loi, la loi se désintéresse
d'eux ! » aurait déclaré Bonaparte. Le concubinage a donc vécu dans
un no man’s land juridique pendant de nombreuses années.
Mais, si la loi a longtemps été muette sur le sort des concubins, il
n’en demeure pas moins que l’union de fait de deux personnes a
souvent été envisagée par les tribunaux. On peut ainsi citer les cas
d’indemnisations des concubins en cas de décès accidentel de leur
conjoint.
La reconnaissance juridique des concubins s'est également effectuée
grâce à leurs enfants. Bâtards jadis, ces rejetons dits « naturels » se
sont vu reconnaître, en 1972, un statut juridique identique à celui des
bambins nés de parents mariés. La reconnaissance d’un statut aux
unions libres a également été ouverte à la suite d’initiatives privées
(certains comités d’entreprise ont, par exemple, permis aux époux
comme aux concubins de leurs salariés de bénéficier d'avantages
identiques) ou de « retouches législatives » ponctuelles. Ainsi,
depuis 1989, en cas de décès ou de départ de l'un des concubins, le
droit au bail est transféré au bénéfice du conjoint survivant, qu’il soit
marié ou non.
Toutefois, pendant longtemps, l’union libre n’était reconnue
implicitement comme génératrice de droits qu'au profit de couples
susceptibles de se marier ; en clair, les tribunaux refusaient de
transposer les règles du concubinage aux couples composés de
deux personnes du même sexe. Ce n’est qu’en 1999, alors que les
débats parlementaires font rage à propos du Pacs, que le Sénat,
fortement hostile à ce projet de loi, légifère en matière de
concubinage. Depuis cette date, le concubinage obtient pour la
première fois dans l’histoire du droit une consécration législative.
Selon le Code civil, « le concubinage est une union de fait
caractérisée par une vie commune présentant un caractère de
stabilité et de continuité, entre deux personnes de sexes différents ou
de même sexe, qui vivent en couple » . L'égalité de droits entre
concubins hétérosexuels et homosexuels est ainsi reconnue.
Le concubinage demeurant une union libre, aucune des obligations
du mariage ne lui est transposable : pas d'obligation de fidélité, pas
d'obligation d'assistance ou encore de communauté de vie. Cette
liberté a pour prix une certaine insécurité au détriment du concubin le
plus faible économiquement. Ainsi, les concubins sont libres de se
séparer comme ils l’entendent sans reverser d’argent à leur conjoint
(ils devront toutefois veiller à poursuivre l’entretien des enfants par le
versement d’une pension alimentaire).
Concernant le patrimoine des couples vivant en union libre, chacun
est propriétaire des biens qu’il a achetés. En cas d’acquisition
commune, la propriété le sera aussi et sera donc régie par le
système de l'indivision. Enfin, chacun sera seul responsable de ses
dettes.

Une communauté juridique : l’indivision


L’indivision est un système juridique permettant à plusieurs personnes
copropriétaires de gérer un même bien. Chaque personne sera
copropriétaire à proportion de son apport initial. Tous les actes de
gestion courante peuvent être accomplis par l’un des copropriétaires.
Pour les actes graves, comme la vente du bien, il faudra l’unanimité des
copropriétaires pour emporter la décision. L’indivision se rencontre
dans différents cas de figure : entre cohéritiers avant le partage
successoral, dans l’achat en commun d’un bien par des concubins, dans
la gestion des parties communes d’un immeuble… En cas de
mésentente ou de crise entre les co-indivisaires, le juge peut trancher.
Nul n’est contraint de rester dans l’indivision, et il peut être demandé
que l’indivision cesse par le partage du bien.

En cas de décès d’un des concubins, contrairement à ce qui se


passe entre époux, le survivant n’a pas vocation à hériter. Le
logement de la famille n’est pas protégé, et, si l’un des concubins est
propriétaire du logement, celui-ci peut mettre à la porte son
partenaire du jour au lendemain.
Les tribunaux se sont émus de ces situations extrêmes, et des
recours judiciaires sont possibles en cas de séparation. Il appartient
alors au concubin de démontrer que la rupture a été fautive, brusque,
et qu’elle est la source d’un préjudice. Le régime de l’indemnisation
est, dans ce cas, proche de celui qui gère la rupture des fiançailles
(voir plus haut).
En cas de fin du concubinage, les cadeaux échangés durant la
communauté de vie ne donneront pas lieu à restitution. Il y a
quelques années encore, les dons effectués aux concubins pouvaient
être annulés, surtout pour cause d'immoralité, principalement lorsque
le concubinage était adultérin. L’annulation était justifiée, en droit, par
le fait que les dons étaient effectués en vue de permettre la poursuite
de relations adultérines ! Désormais, les « libéralités entre
concubins» sont systématiquement validées par la Cour de cassation
(depuis un revirement de jurisprudence intervenu en 1999), et ce
même lorsque l'un des concubins est marié.

Le pacte civil de solidarité


Le pacte civil de solidarité (Pacs) est né de l'adoption de la loi
du 15 novembre 1999. Le vote de ce texte a entraîné des débats
houleux à l'Assemblée nationale et au Sénat. L'objectif est de
permettre aux concubins de même sexe de pouvoir bénéficier d'un
statut juridique. En effet, le mariage leur étant interdit, la
jurisprudence et l'Administration refusaient jusque-là d'accorder aux
concubins homosexuels des avantages identiques à ceux des
concubins hétérosexuels. Le concubinage entre personnes du même
sexe était certes une union libre, mais elle était surtout source
d’inégalités.
C’est ainsi que, après les tentatives infructueuses de faire voter une
loi sur le pacte d'intérêts communs (PAC) et le contrat d'union sociale
(CUS), est né le pacte civil de solidarité (Pacs). Celui-ci est un contrat
conclu entre deux personnes physiques majeures, de sexes
différents ou de même sexe, destiné à formaliser leur vie commune.
Si les articles du Code civil sont peu nombreux pour organiser les
conditions, effets et conséquences du Pacs, de nombreuses
dispositions satellitaires ont été prises en matière administrative ou
fiscale au bénéfice des couples pacsés. Ainsi, les mutations du
personnel de l'Éducation nationale sont facilitées et ouvertes dans
des conditions identiques pour les couples mariés et pour les
partenaires pacsés.
Depuis 2005, les couples pacsés peuvent effectuer une imposition
commune dès la première année de conclusion du Pacs, ce qui
aligne ainsi le régime fiscal des couples pacsés sur celui des couples
mariés (cette imposition commune ne pouvait auparavant être
accordée aux partenaires de Pacs qu’à compter de la quatrième
année suivant la conclusion du pacte).
Statistiquement, le nombre de couples concluant des Pacs n’a fait
qu’augmenter depuis l'année 1999. Après la promulgation de la loi,
6 000 couples ont conclu ce contrat entre novembre et
décembre 1999 ; puis, dans les premières années d'application de ce
nouveau statut, une moyenne de 20 000 couples par an ont décidé
de conclure un tel contrat. L'année 2005, vraisemblablement sous
l'impulsion des nouvelles mesures fiscales, a vu la conclusion de plus
de 60 000 Pacs. En 2010, le nombre de Pacs conclus dans l'année
se montait à plus de 203 000… pour 34 000 dissolutions.
Le Pacs est un contrat conclu entre deux personnes majeures. Les
seuls empêchements concernent les personnes d’une même famille,
ainsi que ceux qui seraient d’ores et déjà mariés ou… pacsés par
ailleurs. Ni polyandrie ni polygamie ne sont tolérées en la matière !
Les partenaires sont libres de la forme de ce contrat. Il n’y a aucune
obligation particulière quant à son contenu. Il ne s’agit donc pas d’un
formulaire à remplir, mais d’un contrat à élaborer d’un commun
accord. L’assistance d’un professionnel du droit (avocat ou notaire)
est cependant conseillée afin que chacune des parties soit informée
exactement de l’étendue de l’engagement souscrit.
Les partenaires doivent définir un lieu de résidence commune.
Cependant, la cohabitation n’est pas une condition impérative de la
vie des partenaires.
Le « s » de l’acronyme « Pacs » renvoie à la « solidarité » . Ce terme
juridique implique que chacun des partenaires sera personnellement
responsable du paiement des dettes contractées par l’autre
partenaire et relatives aux besoins de la vie courante ou au logement.
Les futurs pacsés doivent également régler dans le contrat les
modalités matérielles de la vie commune et le sort des biens acquis
pendant la durée du Pacs. En l’absence de clause particulière, ces
derniers seront réputés être en indivision, c’est-à-dire appartenir
conjointement et à parts égales à chacun des partenaires. Le Pacs
n’a aucune incidence sur les enfants du couple ; ceux-ci devront faire
l'objet d'une reconnaissance officielle par chacun des partenaires.
La conclusion d'un Pacs se fait dans une certaine confidentialité.
Jusqu'en 2016, le contrat, une fois conclu entre les partenaires, était
soumis au greffier en chef du tribunal d’instance du lieu de résidence
commune du couple. À partir du 1er novembre 2017, la compétence
du tribunal d'instance pour la conclusion, la modification et la
dissolution des Pacs est transférée en mairie. On tamponne les deux
exemplaires du contrat par une jolie Marianne, officialisant le
passage. On délivre ensuite un certificat aux deux partenaires
établissant l'enregistrement du Pacs. Depuis septembre 2012, le
Pacs peut aussi être conclu chez un notaire.
Le contenu même du contrat ne fait l'objet d'aucune conservation par
l'Administration. Ce document reste uniquement en possession des
partenaires (ou de leur notaire). La conclusion d’un Pacs est
toutefois, depuis le 1er janvier 2007, inscrite en marge de l’acte de
naissance des partenaires.
Le Pacs prend fin d'un commun accord (c'est le cas de 80 % des
Pacs), du fait du mariage de l’un ou des deux partenaires, du décès
de l’un d’entre eux, ou encore par décision unilatérale de l'un des
partenaires. La rupture n'a pas à être motivée : elle sera – à défaut
d'accord entre les parties – signifiée à l'autre partenaire par voie
d'huissier ! En cas de rupture du Pacs, comme en matière de
concubinage, si des différends naissent dans le partage des biens
communs ou si l'un des partenaires justifie d'un préjudice particulier
lié à la rupture, le juge devra trancher et allouer le cas échéant des
dommages et intérêts.

Devant le juge : le divorce


Historiquement, l’existence même du droit de divorcer a subi de
nombreuses péripéties législatives. L’interdiction du divorce était
surtout une mesure prise lorsque le droit canon était la source
principale d’inspiration du législateur.
La religion catholique interdisant le divorce, il était logique que la loi
en fasse autant. Le droit au divorce a été définitivement reconnu par
une loi intervenue en 1884. Les cas d'ouverture du divorce ont
cependant, au fil du temps et de l'évolution des mœurs, été élargis à
différentes situations. La dernière refonte du divorce est intervenue
par une loi de 2004, qui est entrée en vigueur à compter du 1er
janvier 2005.
Cette nouvelle loi tend à favoriser l’accord des époux sur le divorce et
à alléger la procédure. L'esprit du texte est de simplifier et de
dépassionner les procédures de divorce autant que faire se peut. On
tend ainsi vers une déconflictualisation. Désormais, le divorce est
ouvert dans quatre cas de figure : le divorce par consentement
mutuel, le divorce accepté, le divorce pour altération définitive du lien
conjugal et le divorce pour faute.
Le divorce par consentement mutuel est prononcé lorsque les époux,
assistés d’un ou de deux avocats (en clair : le même ou chacun le
sien), s'accordent sur le principe et les effets du divorce : le sort du
nom de famille, la garde des enfants, le bénéfice du logement
familial, la liquidation des biens communs, la détermination de
l'éventuelle prestation compensatoire au profit d'un des époux et de
la pension alimentaire des enfants… Une convention de divorce est
ainsi rédigée. Elle est homologuée par le juge aux affaires familiales.
Le juge peut toutefois refuser de l’homologuer s’il lui semble que la
convention est susceptible de léser un des époux. Depuis le 1er
janvier 2017, le divorce par consentement mutuel par acte d’avocat
est devenu la règle, ce divorce ne donnant lieu à une intervention du
juge que si l’un des enfants du couple demande à être entendu. Plus
d’obligation de passer devant un juge donc : les époux souhaitant
divorcer se contentent de rédiger, chacun avec l’assistance d’un
avocat, une convention de divorce dans laquelle ils s'accordent sur la
rupture et ses effets. La convention est ensuite déposée chez un
notaire.
Avant l'intervention de la loi de 2004, le divorce par consentement
mutuel existait déjà ; cependant, la procédure était plus lourde. Une
première requête devait être introduite, suivie d'une audience
préliminaire devant le juge aux affaires familiales. Ensuite, les époux
devaient réitérer leur vœu commun de divorcer dans un délai
minimum de six mois suivant l’introduction de la requête et repasser
au tribunal. Désormais, ce délai de réflexion de six mois a disparu, et
une unique audience permet au juge d’homologuer la convention
établie par les parties et de prononcer le divorce.
Le divorce par consentement mutuel est le seul divorce amiable, car
non contentieux. Les autres cas de divorce suivent une procédure
peu ou prou similaire, mais impliquent un désaccord des époux sur le
principe et/ou sur les conséquences du divorce qu’il appartient au
juge de trancher.
Lorsque les époux acceptent le principe du divorce mais n’ont pu
s’accorder sur les conséquences de celui-ci, une procédure de
divorce accepté peut être mise en œuvre. Une fois que le principe du
divorce est accepté officiellement devant le juge aux affaires
familiales par l'époux non demandeur, il ne peut plus revenir sur sa
décision. Le juge devra alors statuer sur les conséquences de la
rupture du mariage. Ce type de divorce se retrouvait auparavant
surtout au sein de couples dont l’un des membres répugnait, pour
des raisons religieuses notamment, à se présenter comme
demandeur du divorce.
Le troisième cas de figure est le divorce pour altération définitive du
lien conjugal. Le divorce est alors ouvert aux époux qui ont cessé
toute vie commune depuis plus de deux années. Avant 2004, il fallait
attendre six ans ; de quoi avoir perdu l'adresse de son ex ou oublier
qu'on était encore mariés !
Le quatrième cas de divorce concerne le divorce pour faute. Il est
prononcé à la demande de l’un des époux lorsque sont caractérisés
des faits constitutifs d’une violation particulièrement grave ou
renouvelée des devoirs et des obligations du mariage qui rendent
intolérable le maintien de la vie commune.
La faute doit être intentionnelle. On peut ainsi citer la violence
physique ou morale exercée par l'un des époux, l'infidélité, la non-
consommation du mariage, le défaut de soins à un mari ou à une
épouse tétraplégique à la suite d’un accident… Sont également
considérés comme des fautes les comportements à l’encontre de
l'époux caractérisant une atteinte injurieuse à l'honneur et aux
sentiments. Ainsi, une attitude hostile et franchement grossière à
l’égard de ses beaux-parents peut être une cause de divorce pour
faute !
À tout stade de la procédure contentieuse, les époux peuvent
s’accorder et convertir une demande de divorce contentieuse en une
procédure de divorce par consentement mutuel. Le juge aux affaires
familiales pourra également suggérer aux parties d’accepter une
médiation familiale. Le médiateur (dont les frais parfois élevés
doivent être pris en charge par les parties) tentera de concilier les
époux tant sur le principe que sur les conséquences du divorce. La
loi de 2004 cherche à favoriser l’accord des parties même dans les
cas de divorces contentieux, en tentant d’amener les parties à régler
elles-mêmes et conventionnellement (avec l’aide, le cas échéant, des
avocats et notaires) la liquidation des biens de la communauté.
Bien que l’expression soit ancrée dans le langage courant, l’époux
n’a pas le droit à l’issue de la procédure de divorce à une « pension
alimentaire » , mais à une prestation compensatoire. Celle-ci est
destinée à compenser la disparité que la rupture créée dans les
conditions de vie respectives. L’allocation de cette prestation permet
que l’un des époux, une fois divorcé, ne soit pas dans le dénuement
le plus complet. Cette prestation doit être envisagée quelle que soit la
cause du divorce (contentieux ou amiable). La fixation de son
montant nécessite l'examen des conditions de vie des époux, et non
des griefs que l’un pourrait nourrir à l’encontre de l’autre. L’allocation
d’une prestation compensatoire est donc théoriquement détachée de
tout examen de l’éventuelle faute de l’un des époux. Toutefois, en cas
de divorce pour faute, le bénéfice de la prestation compensatoire ne
peut être accordé au profit de l'époux aux torts exclusifs duquel le
divorce a été prononcé.
La prestation compensatoire a une nature forfaitaire. Elle peut être
versée sous forme d'un capital ou d'une rente d'une durée
déterminée par le juge. Avant l'intervention de la loi de 2004, le
paiement de la prestation compensatoire était transmis aux héritiers
en cas de décès, et ce quelles qu’aient été leurs ressources.
Désormais, le versement de la prestation compensatoire en cas de
décès est limité à l'actif successoral. Les héritiers ne sont plus
personnellement et financièrement obligés de payer sur leurs propres
revenus les rentes de leur ancienne marâtre…

La filiation
La filiation est ce qui rapproche un enfant de sa famille ; elle génère
différentes conséquences juridiques tenant à l’attribution du nom de
famille, à l’autorité parentale, au devoir d'entretien des parents, au
bénéfice des droits successoraux et à la nationalité.
Figure 13-4 Les quatre sortes de divorce.

L’évolution du régime juridique de la filiation


Le régime juridique de la filiation s'est, lui aussi, adapté à l'évolution
des mœurs. Sous l’ancien droit, seuls étaient dignes les enfants
légitimes, c’est-à-dire nés de parents mariés. Point de droits pour les
bâtards, pudiquement appelés par l’état civil « enfants naturels » .
Les enfants naturels étaient ceux dont les parents n’étaient pas
mariés, soit par choix (enfant naturel simple), soit par impossibilité,
car l’un des géniteurs était marié à une tierce personne (enfant
naturel adultérin), soit parce qu’issu d’une relation incestueuse
(enfant naturel incestueux).
La distinction sociale et morale a longtemps pesé sur ces enfants
compte tenu de leur origine et des conditions dans lesquelles ils
avaient été conçus. C’est la raison pour laquelle il n’existait pas de
traitement juridique identique entre les enfants légitimes et les
enfants naturels, notamment en matière de succession.
Une loi de 1972 a reconnu l’égalité entre enfants naturels et enfants
légitimes, afin que ceux-ci bénéficient des mêmes droits et devoirs. Si
l'égalité était ainsi proclamée, seuls restaient en marge les enfants
issus d’une relation incestueuse. De plus, quand bien même
l'ensemble du régime juridique de la filiation tendait vers un même
objectif égalitaire, les chemins et procédures n’étaient pas identiques
selon que l’on était né dans le cadre ou en dehors d’un mariage.
Un toilettage du régime juridique de la filiation est ainsi intervenu par
une ordonnance de 2005, laquelle est entrée en vigueur au 1er
juillet 2006. Ce texte a supprimé les termes d’ « enfants légitimes » et
« enfants naturels » pour s’attacher dans les deux cas à
l'établissement de la filiation par rapport au père et à la mère, quels
que soient les liens qui les unissent ou non (à l’exception des enfants
incestueux, qui sont contraints à ne pouvoir établir leur parenté à
l’égard des deux géniteurs…). L’ordonnance de 2005 a également
opéré un véritable lifting des dispositions antérieures en simplifiant et
en harmonisant les cas d'ouverture des procédures judiciaires
relatives à la reconnaissance ou à la contestation de la filiation. La
filiation est caractérisée par la loi, par la reconnaissance volontaire
d’un ou des deux parents ou par la possession d’état.

La filiation : maternelle ou paternelle ?


Pour la mère de l’enfant, l’ordonnance de 2005 précise que la filiation
maternelle est établie par la désignation de celle-ci dans l’acte de
naissance. Le régime antérieur déterminait différemment la filiation
selon que la mère était ou non mariée.
L’accouchement sous X
Le choix pour une mère d’accoucher dans le secret et l’anonymat n’est
pas un droit récemment acquis. Il est d’ailleurs de plus en plus remis en
cause. Ce droit remonte au XVIe siècle et a originellement été accordé
aux femmes dans un souci de santé publique, afin de diminuer les cas
d’infanticides. L’Hôtel-Dieu a ainsi accueilli pendant des siècles des
femmes qui venaient secrètement mettre au monde des enfants.
Pourtant, ce droit au secret entre en conflit avec le droit pour l’enfant
de connaître ses origines. La Convention de New York sur les droits de
l’enfant reconnaît que « l’enfant a le droit […] dans la mesure du
possible de connaître ses parents et d’être élevé par eux ». Une
première réforme législative est intervenue en 2002 pour tenter de
concilier le droit à l’anonymat de la mère avec celui de l’enfant, qui doit
pouvoir connaître ses origines.

La filiation paternelle peut être établie soit par la présomption légale


selon laquelle le mari de la mère est présumé être le père des
enfants conçus ou nés pendant le mariage, soit par la
reconnaissance de l’enfant. Cette reconnaissance est un acte
volontaire par lequel le parent déclare qu’il est le géniteur de l’enfant
et s’engage à se comporter comme un parent envers l’enfant dans
l’ensemble des droits et devoirs que cela implique.
La filiation peut également être établie par la possession d’état. Cette
expression étrange n’a aucun rapport avec L’Exorciste. La
possession d’état permet à la qualité de père d'être reconnue lorsque
trois éléments sont retenus : si le père a donné son nom à l’enfant,
s’il le traite comme son enfant et si la parenté est notoirement établie
par le témoignage de proches (famille, voisins…). Cette possession
d’état doit être constatée devant notaire et être « paisible » (c’est-à-
dire non contestée), continue, publique et non équivoque.
La filiation peut découler d'une décision de justice. Il s'agit alors de
l'aboutissement d’une action en recherche de maternité ou paternité.
La démarche est ouverte uniquement au profit de l'enfant. Cette
action pourra, toutefois, être exercée pendant la minorité de l’enfant
par l’un des parents agissant en son nom et pour son compte. La
simplification des actions en recherche de parentalité vient également
du fait que, avec le progrès de la science et les analyses génétiques,
on peut désormais acquérir la certitude scientifique de la filiation.
C'est la raison pour laquelle la preuve de la filiation est libre : les
parties peuvent ainsi se livrer à des analyses génétiques pour
prouver l’identité du père ou de la mère potentielle.
Cependant, cette action en recherche de paternité ou de maternité ne
pourra avoir lieu si l’enfant est incestueux ou dans le cas où la mère
a choisi d’accoucher dans l'anonymat. Si les différentes réformes du
droit de la famille ont toutes tendu à la parité et à l’égalité entre les
hommes et les femmes, il n’en demeure pas moins qu’une femme
peut garder, quelles que soient les circonstances, l’anonymat sur sa
maternité, alors qu’un homme qui refuserait de reconnaître un enfant
peut y être forcé par la justice.

La remise en cause de la paternité


Il peut exister des cas où un père découvre, à la suite d'une
confidence de la mère (dans le cadre d’une séparation) ou dans
d’autres circonstances, qu’il n’est pas le géniteur de l’enfant qu’il
croyait le sien. Des procédures de contestation de paternité existent.
Toutefois, ces procédures sont strictement encadrées, car la paix des
familles doit régner ; même après qu'une formule du type « Et en
plus, il n'est pas de toi ! » aura été balancée à travers la cuisine, à
l'instar de la porcelaine familiale…
Seuls peuvent exercer ces actions l’enfant, l’un de ses parents ou
celui qui se prétend le parent véritable. La contestation de la paternité
ou de la maternité (il s’agit du cas très romanesque d’échange de
bébés à la naissance) ne peut s’exercer que dans un délai de cinq
années. Précisons que, si l’enfant introduit cette procédure, il peut le
faire par l’intermédiaire d’un de ses parents pendant toute sa
minorité, puis seul de 18 à 23 ans.
L'action peut également être engagée par le parquet si la
reconnaissance effectuée par l’un des parents s’apparente à une
fraude à la loi et est manifestement impossible. Le parquet a eu ainsi
l'occasion de s'opposer en 2005 à une reconnaissance paternelle
provenant d’une personne transsexuelle née de sexe féminin.
Les articles 311-19 et 311-20 du Code civil prévoient les
conséquences sur la filiation de la procréation médicalement assistée
(PMA) : cette technique interdit toute action aux fins d'établissement
d'une filiation autre que celle des bénéficiaires du don, ou toute action
de contestation de la filiation (à moins qu'il ne soit soutenu que
l'enfant n'est pas issu de la PMA ou que le consentement a été privé
d'effet). Un homme qui, après avoir consenti à une PMA, ne
reconnaîtrait pas l’enfant engagerait sa responsabilité envers ce
dernier et envers la mère, et sa paternité serait judiciairement
déclarée. En revanche, le donneur est prémuni contre toute action en
recherche de paternité ou action en responsabilité.

Faire payer l’abandon : l’action à fins de


subsides
Au-delà de ces procédures, l'enfant qui n'a pas de filiation paternelle
établie peut effectuer une action à fins de subsides. Cette action a
uniquement pour but de condamner le père potentiel, qui n’a pas
reconnu l’enfant, à lui verser une pension alimentaire. Le père
désigné pourra s’opposer au versement de cette pension s’il prouve
par tout moyen qu’il ne peut être le géniteur de l’enfant, en ayant
recours notamment à une expertise.

La filiation du cœur : l’adoption


La filiation n'est pas seulement un lien biologique entre personnes
d'une même famille de sang : elle peut être volontaire, comme dans
le cas de l'adoption.
Cette procédure, si elle est administrativement complexe et longue,
est juridiquement simple.
Deux systèmes existent : l'adoption simple et l’adoption plénière. Par
l’adoption simple, l'enfant adopté conserve ses liens de filiation
d'origine. Il bénéficie ainsi d'une double filiation biologique et
volontaire. L'adoption plénière vise, quant à elle, les cas où la filiation
adoptive remplace et annule la filiation d'origine.
L’adoption étant un acte volontaire, il s’agit d’un acte de
reconnaissance irrévocable. Les parents adoptifs doivent être
responsables, et l’adoption ne suit pas les mêmes règles que
l’acquisition d’un bien de consommation, où un délai de rétractation
est possible. Le « satisfait ou remboursé » n’a donc pas cours en
matière d’adoption.
L’adoption est ouverte aux couples mariés ou aux personnes seules.
Les partenaires de Pacs comme les concubins ne peuvent être
conjointement candidats à l'adoption ; il leur faut donc passer devant
le maire pour pouvoir adopter ensemble… Une différence d'âge doit
également être constatée entre adoptant et adopté. Elle doit être au
minimum de quinze ans (ou de dix ans si l'enfant adopté est celui du
conjoint).
L'objectif de l'adoption est de créer un véritable lien de filiation.
L'adoption ne peut donc valablement être instaurée entre personnes
qui n’auraient pas pour vocation d’entretenir des relations parents-
enfants. Longtemps, l’adoption avait été le moyen trouvé par des
personnes ne pouvant se marier (parce que de même sexe par
exemple) et justifiant d'une différence d'âge suffisante de bénéficier
d’une protection juridique et notamment de droits successoraux en
cas de décès de l’un d’entre eux. Cependant, de telles procédures
risquent, si les candidats ne sont pas bons comédiens, d’être
annulées par le parquet, là encore pour fraude à la loi.

Au quotidien, le droit de la
consommation
Acheter une baguette de pain, téléphoner, louer ou acheter un
appartement, tous ces actes de la vie quotidienne représentent des
contrats passés avec des professionnels. Le droit civil contient des
dispositions légales assez générales régissant les contrats. Un
célèbre adage – les juristes en sont friands – précise : « Qui dit
contractuel dit juste. » Ainsi, selon l'esprit du Code civil version
Napoléon, tout contrat est la rencontre de deux volontés libres : celle
de celui qui propose et celle de celui qui accepte. C'est la loi de l'offre
et de la demande. Une fois ces volontés rencontrées, le contrat signé
fait la loi des parties.
Or, ces dispositions propres au droit civil se révèlent insuffisantes, car
les rapports entre professionnels et particuliers ne sont pas égaux : le
droit de la consommation a donc émergé afin de protéger le plus
faible, autrement dit le consommateur. Ce dernier est, en effet, à la
merci d'un professionnel aux méthodes commerciales peu
scrupuleuses ou de la puissance économique d’une multinationale
qui impose des contrats types sur des imprimés non négociables,
contenant des clauses particulièrement contraignantes en caractères
minuscules.
Le droit de la consommation a donc peu à peu émergé, à partir des
années 1960, pendant les Trente Glorieuses, face à l’avènement d’un
consumérisme accru. En 1962, le président Kennedy avait d'ailleurs
déclaré dans un discours que les consommateurs étaient le groupe
social le plus important et le moins écouté. Divers lois ou règlements
ont été votés au fil des années afin de rééquilibrer les rapports entre
les professionnels et les consommateurs.

Un florilège de textes législatifs


Le droit de la consommation a donc pour objectifs de protéger les
consommateurs et de rééquilibrer leurs rapports avec les
professionnels. Afin d'assurer la protection des « oies blanches » ,
cette branche du droit comprend différentes règles proches d'autres
branches : certaines dispositions sont ainsi identiques à celles du
droit civil (action pour vice caché, responsabilité du fait des produits
défectueux, nullité des contrats conclus pour erreur ou dol…).
Or, pour modifier les pratiques commerciales d'une entreprise dotée
d'une forte puissance économique, les sanctions civiles sont parfois
inefficaces. Le remboursement d’un bien accompagné d’une faible
indemnisation ne parviendra pas à faire réellement changer le
comportement d’une société.
Celle-ci fera un rapide calcul : compte tenu du nombre réduit des
réclamations de consommateurs, il serait plus coûteux pour
l'entreprise de modifier ses pratiques commerciales que d’indemniser
les quelques protestataires qui se manifesteront. C’est la raison pour
laquelle des sanctions pénales plus dissuasives assortissent
certaines dispositions du droit de la consommation.
D'autres réglementations spéciales ont été établies au fil des années.
La majeure partie des textes législatifs a été adoptée en la matière à
partir des années 1970. En pratique, ces lois portent souvent le nom
des ministres de la Consommation qui les ont proposées. On peut
citer ainsi les lois Scrivener, sur le crédit à la consommation et la
répression des clauses abusives, la loi Mermaz, portant modification
des rapports entre bailleurs et locataires, la loi Neiertz, relative au
surendettement des particuliers… Voilà un ministère qui permet au
moins de rentrer dans l'histoire… du droit !
Cette multitude de textes épars a fait l'objet d'une codification
en 1993. Elle s'est effectuée à droit constant, ce qui implique
qu'aucune réforme législative n'est intervenue. Les règles sont
restées les mêmes, le Code s’est contenté d’ordonner et de
numéroter les lois en vigueur. Le Code de la consommation s’articule
ainsi autour de cinq parties :
• l’information des consommateurs et la formation des contrats ;

• les règles de conformité et de sécurité des produits et services ;

• l’endettement des particuliers ;

• les associations de consommateurs ;

• les institutions du droit de la consommation.

Le phénomène de codification des lois


La multitude de lois propres à des secteurs particuliers donne parfois
l’idée à des éditeurs de les regrouper formellement dans de petits
livres rouges ou bleus que l’on retrouve rapidement sous les bras des
juristes de tout poil. C’est le phénomène de codification des lois. Cette
codification peut parfois être faite juridiquement par l’adoption d’une
loi qui réorganise les dispositions éparses existantes et propres à
certains secteurs d’activité. Cette codification est réalisée à droit
constant dans la majorité des cas : seul l’ordre des textes est modifié et
numéroté, le contenu des dispositions légales demeurant intact. Si un
époussetage des dispositions d’un précédent code est effectué (les
dispositions napoléoniennes deviennent parfois obsolètes avec le
temps…), le document s’intitule « Nouveau Code », et le terme subsiste
des années après son adoption. Ainsi, le Nouveau Code de procédure
civile a été adopté en 1975, le Nouveau Code pénal en 1992, et le
Nouveau Code de commerce en 2000 !

Un droit soufflé par l’Union


européenne
Le droit de la consommation est un domaine législatif où l’Union
européenne intervient de manière fréquente par voie de directives.
Celles-ci conduisent à l'adoption de lois françaises afin de mettre en
conformité le droit national et le droit européen.
En effet, dès 1975, le Conseil des ministres de la Communauté
européenne a défini les droits fondamentaux des consommateurs :
• le droit à la protection de la santé et à la sécurité ;

• le droit à la protection de ses intérêts économiques ;

• le droit à la réparation des dommages ;

• le droit à l’information et à l’éducation ;

• le droit à la représentation.
Et, depuis le traité d'Amsterdam, en 1997, la protection des
consommateurs est partie intégrante du traité sur l’Union
européenne. L’objectif est d’harmoniser les dispositions des États
membres en la matière. L’uniformisation doit cependant s'effectuer
« par le haut » , c'est-à-dire par l'adoption des dispositions les plus
favorables aux consommateurs.

Les sujets du droit de la


consommation
Le droit de la consommation est un droit particulier, en marge des
autres domaines du droit, et qui n’a vocation à s’appliquer qu’aux
relations entretenues entre un professionnel et un consommateur.
Une particularité du droit français de la consommation est qu'il n'y a
aucune définition législative ni du « professionnel » ni du
« consommateur » .
En règle générale, la notion de professionnel n'est pas limitée au
commerçant : sont en effet également considérés comme
professionnels, donc sujets aux obligations prévues par le droit de la
consommation, les prestataires de services (du maçon à l’avocat) et
les entreprises de service public à vocation industrielle et
commerciale (EDF, hôpitaux publics, SNCF…). Le consommateur est
celui qui acquiert un bien ou sollicite un service pour son usage
personnel et privé. C’est le dernier maillon de la chaîne de production
d'un bien ou l'utilisateur final d'un service.
Comme les notions de professionnels et de consommateurs ne sont
pas définies, la doctrine (on désigne ainsi le travail des
commentateurs des gazettes juridiques et les auteurs de manuels de
droit) et la jurisprudence se sont penchées sur le point de savoir si
certains cas limites pouvaient bénéficier des règles protectrices du
droit de la consommation.
Qu'en est-il du professionnel qui agit hors du cadre de sa
compétence ? Ainsi, un vétérinaire achetant du matériel informatique
peut-il bénéficier de la législation protectrice du droit de la
consommation ? Qu'en est-il de l'avocat s'équipant d’un ordinateur
portable qui sera utilisé tant à titre professionnel que pour son usage
privé ? Agit-il ou non comme un consommateur ? Le dernier état de
la jurisprudence est assez sévère et adopte une position très
restrictive en refusant à ces deux professionnels le bénéfice du droit
de la consommation. Ces professionnels devront donc, pour conclure
de tels contrats, se limiter aux dispositions du droit civil et
commercial. Il en est de même pour les ventes et les prestations de
services entre particuliers : l'achat d'une lampe dans un vide-greniers
ou les ventes de particulier à particulier ne sont pas soumis au droit
de la consommation, ni protégés par lui.

Les acteurs du droit de la


consommation
La consommation étant un phénomène de masse, l’intérêt général
des consommateurs doit être protégé. Différents organismes revêtent
ainsi leurs habits de justiciers pour défendre les faibles (les
consommateurs) face aux méchantes multinationales du commerce.

Les institutions étatiques


L’État s’inscrit au premier rang d’entre eux, puisque les
gouvernements comptent systématiquement depuis près de trente
années un secrétariat d’État ou un ministère chargé des questions de
consommation. D’autres institutions administratives, indépendantes
des aléas gouvernementaux, interviennent également pour protéger
les consommateurs. On peut ainsi citer la Direction générale de la
concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
(DGCCRF) ou encore d’autres entités telles que les services
d’inspection de la santé, le service vétérinaire… Ces institutions sont
doublées en parallèle d’organes de concertation qui comprennent
des représentants des consommateurs et des professionnels. Ces
organes, tels que les conseils nationaux et départementaux de la
consommation, sont consultés avant l’adoption par les pouvoirs
publics des mesures législatives et réglementaires en la matière.
D'autres ont des missions plus ciblées : c'est ainsi le cas de la
Commission des clauses abusives, qui a pour objet de recommander
la suppression des dispositions de certains contrats cadres proposés
par de grandes entreprises. Les engagements préimprimés de
prestataires d’accès à Internet, de téléphonie mobile, d’agences de
voyages et autres formulaires d’abonnement en font régulièrement
les frais.

Des services semi-publics


L’Institut national de la consommation (INC) est un établissement
public industriel et commercial. Il s'agit d'une entreprise créée par
une loi de 1966 et dont le financement est semi-public. Sa nature
hybride lui confère des missions de service public en matière de
consommation comme de prestations de services à caractère
commercial. Elle a pour objet de fournir un appui aux organisations
de consommateurs par la réalisation d'études juridiques et
techniques. L'INC effectue des analyses et des essais comparatifs,
notamment dans le cadre de la publication du magazine
périodique 60 millions de consommateurs. Enfin, l'INC accomplit des
actions de formation et d’éducation sur les questions de
consommation.
Le Laboratoire national d’essai est également, à l’instar de l’INC, une
entreprise semi-publique, créée en 1978, dont l'objet est d'effectuer
tous travaux techniques de recherche, de consultation, d’expertise et
d’essai et toutes prestations d’assistance utiles à la protection et à
l’information des consommateurs.

Les initiatives privées


La protection des consommateurs ne relève pas uniquement de
l’action monopolistique de l'État. La modification du comportement
des entreprises passe également par l’intervention des associations
de consommateurs, qui agissent autant comme des lobbyistes (pour
faire voter des lois) que comme de véritables acteurs judiciaires
pouvant assigner les entreprises devant les tribunaux. Ces
associations jouent un rôle manifeste dans la protection des
consommateurs. On peut citer l'Union fédérale des consommateurs,
fondée en 1951, et qui publie notamment le magazine Que choisir.
De multiples autres associations de consommateurs existent,
émanant parfois de syndicats ou de catégories socioprofessionnelles
particulières.
Certains privilèges sont accordés aux associations les plus
représentatives. Celles-ci peuvent ainsi représenter officiellement les
consommateurs auprès des instances publiques et agir en justice au
nom et pour le compte de l’intérêt collectif des consommateurs. Ces
prérogatives sont accordées aux associations agréées, c'est-à-dire à
celles qui justifient des qualités suivantes :

• exister depuis plus d’une année ;

• comprendre plus de 10 000 membres ;

• démontrer une activité réelle et publique ;

• être indépendante à l’égard de toute activité professionnelle.

Figure 13-5 En un coup d’œil : les principaux acteurs du droit de la


consommation.
DANS CE CHAPITRE
Travailleurs, travailleuses : le droit social

Ma petite entreprise : le droit des sociétés


Chapitre 14
Au boulot ! Le droit du travail
L a vie professionnelle d’un grand nombre d’entre nous est
principalement régie par deux matières juridiques : le droit du travail,
pour ceux qui ont la chance d’être salariés, et le droit des sociétés,
pour ceux qui sont à la tête d’une entreprise, qu'elle soit petite ou
non !

Travailleurs, travailleuses : le droit


social
Le professeur Jean-Maurice Verdier définit le travail comme
« l'activité consciente et volontaire, naturelle mais pénible, en ce
qu'elle comporte un effort, appliquée à l’élaboration d’une œuvre
utile, matérielle ou immatérielle » . L’origine étymologique est plus
rude encore, puisque le mot « travail » viendrait de tripalium, un
instrument de torture en vigueur chez les Romains et au Moyen Âge !
Ainsi, la notion de travail est associée à la violence et à la
souffrance… Mais pas forcément dans le sens où on l'imagine : en
effet, ce serait le travailleur qui ferait violence à la matière, en la
manipulant, en la transformant. Ce concept peut se comprendre
aisément pour le travailleur manuel. Quant au travailleur intellectuel,
peut-être est-ce sa matière grise qu'il manipule et torture afin de
parvenir à un résultat satisfaisant ?
De nos jours, le travail, c’est avant tout un contrat, presque vécu
comme le sésame de l'insertion dans la société (plus ou moins
efficace selon qu'il s'agit d'un contrat à durée indéterminée ou
déterminée, etc.). Le droit du travail se consacre pour l’essentiel aux
règles encadrant la rupture du contrat de travail, notamment le
licenciement. Il organise également les relations entre chaque salarié
et l’entreprise pour laquelle il travaille, ainsi que les relations plus
globales entre un ensemble de salariés et les employeurs de ceux-ci,
par l’intermédiaire des syndicats, des conventions collectives, etc.
L’avalanche des « lois Travail » ou la
mise à jour du Code du travail
D’ordonnance en ordonnance, de décret en décret, le Code du
Travail se met à la page et tente de pallier les problèmes
contemporains.
La loi Macron du 6 août 2015, la loi El Khomri du 8 août 2016 et les
mesures qui ont suivi celles-ci se placent dans une logique de
croissance à long terme et d’égalité des salariés par l’amélioration
des conditions globales de travail.
Comme toute réforme, elles ne font bien évidemment pas que des
heureux ! Ainsi, si certains considèrent que notre époque est
marquée par des avancées sociales majeures en matière de droit du
travail, d’autres y voient un recul de l’égalité hommes-femmes.

Le contrat de travail : Sésame,


ouvre-toi
À quoi reconnaît-on un contrat de travail ? Il n'y en a pas de définition
dans le Code du travail. Ce serait trop simple… Les juges ont donc
dégagé trois éléments caractéristiques : le contrat prévoit une
prestation de travail, en contrepartie d'une rémunération, avec un lien
de subordination (juridique) entre les contractants.

Une trilogie à succès


Des trois éléments composant le contrat de travail, les deux premiers
relèvent de l'évidence : sans prestation de travail, il s'agirait d'un
contrat de flemme et, sans rémunération, d'un contrat d'esclavage !
Ainsi, l'élément le plus caractéristique en ce qui concerne le droit,
c'est bien le lien de subordination juridique : l'employeur détient
l’autorité et exerce un contrôle de l’activité du travailleur en lui
imposant, par exemple, un lieu et des horaires de travail. En clair, il y
a un contrat de travail dès lors qu'il y a un chef ! Cependant, depuis
une loi de 1992, est inscrit dans le Code du travail un principe selon
lequel, in fine, la subordination du salarié doit être limitée au strict
nécessaire. Nous voilà rassurés…
Le droit à la déconnexion ou l’encadrement du
numérique
C’est donc au nom du droit à la santé et au repos, exigence
constitutionnelle, que la loi Travail va consacrer le droit à la
déconnexion dans le Code du travail. Elle prévoit même la mise en
place, par l’entreprise de plus de 50 salariés, de « dispositifs de
régulation de l’utilisation des outils numériques». Ces mesures
drastiques, appliquées depuis quelque temps déjà par nos voisins
allemands, ont pour optique de ne pas laisser au salarié le choix de
travailler en dehors de ses heures de travail effectives. Ainsi, une
entreprise peut adopter une mesure de destruction automatique des
mails en cas d’absence, à l’image de BMW.
Bermuda et liberté
Le pouvoir de direction de l’employeur doit se limiter au strict
nécessaire, comme cela a été rappelé par une loi de 1992. Qu’en est-il
en matière de tenue de travail ? L’employeur peut imposer des
contraintes vestimentaires dans l’entreprise, à condition qu’elles soient
justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au
but recherché. Le juge contrôle la légitimité de la décision de
l’employeur au regard de la bonne marche de l’entreprise.

La Cour de cassation a ainsi estimé que l’employeur peut interdire à


une salariée d’une agence immobilière de porter un survêtement alors
qu’elle est en contact avec la clientèle. Les magistrats ont considéré
qu’une telle tenue portait atteinte à la réputation de l’entreprise. Il a
également été jugé que la liberté de se vêtir ne fait pas partie des
libertés fondamentales protégées par le Code du travail. Un salarié a
de fait été licencié parce qu’il était venu travailler en bermuda à
plusieurs reprises, malgré les demandes faites par sa direction pour
qu’il mette un pantalon. L’employé a saisi la justice afin qu’elle analyse
son licenciement comme nul, ce qui nécessitait pour lui la
démonstration d’une discrimination ou de la violation d’une liberté
fondamentale. Le salarié a argumenté que son licenciement était
discriminatoire, les femmes n’ayant pas l’interdiction de venir travailler
en jupe, et violait une liberté fondamentale, celle de s’habiller comme
on l’entend. La Cour de cassation a rejeté sa demande et n’a donc pas
annulé le licenciement.

Nul ne peut y échapper


La véritable qualification du contrat de travail est dite d'ordre public.
Cela signifie que, quelle que soit la volonté des parties, quel que soit
le nom qu'elles ont donné au contrat qu’elles ont conclu, un juge qui
constate que les trois éléments du contrat de travail existent a
l'obligation de requalifier l'accord en contrat de travail. Pour mémoire,
le juge compétent en la matière est en fait plus exactement un
conseiller, membre du conseil de prud’hommes, juridiction
spécialisée qui ne traite que des questions de droit du travail (voir
chapitre 5).
Par exemple, il a été jugé que le contrat de participation à un jeu de
téléréalité était en fait, vu les conditions de déroulement de ce jeu, un
contrat de travail. Pour rendre leur jugement, les magistrats ont
examiné très concrètement la situation des participants à l’émission,
et leur soumission, voire leur sujétion, aux organisateurs a été
analysée comme un lien de subordination juridique.
Très souvent, les juridictions prud’homales ont à se prononcer sur la
situation d’un travailleur en apparence indépendant et extérieur à une
société, mais qui, en réalité, ne travaille qu'avec cette seule société,
dans des conditions fixées par celle-ci, avec un volume de
prestations constant et régulier, à l’instar de la rémunération. Dans
une telle situation, il sera jugé qu’il existe un contrat de travail.

Ô droit, protège-moi : l’intérêt du


contrat de travail
Mais quel est donc l'intérêt de la qualification en contrat de travail ? Si
le contrat de travail, c’est essentiellement la subordination, soit,
concrètement, avoir un chef, pourquoi rechercher un tel statut ? Il ne
faut pas oublier que le droit du travail, d’une manière générale, tient
compte du déséquilibre existant entre l’employeur et le travailleur,
avec l’objectif de protéger ce dernier. La législation française du
travail est même estimée par certains trop protectrice à l’égard des
travailleurs.
Concrètement, un statut de travailleur salarié est plus protecteur
qu’un statut de travailleur indépendant, notamment pour ce qui
concerne la rupture du contrat : le salarié bénéficie des règles qui
encadrent le licenciement (si le contrat de travail est à durée
indéterminée), alors que le travailleur indépendant peut se voir
signifier la fin de sa mission sans trop de formalités.
Jean Jaurès, le champion de la classe ouvrière
Quel rôle exact a donc joué ce Jean Jaurès (1859-1914) pour donner son
nom à tant de rues, d’avenues, de boulevards ou encore d’écoles ?
Même une station du métro parisien et une chanson de Brel rendent
hommage à celui qui a su utiliser le vote de nouvelles lois au nombre
de ses armes politiques. Auguste Marie Joseph Jean Léon Jaurès est
d’abord un étudiant brillant de l’École normale supérieure, où il obtient
l’agrégation de philosophie en 1881. Tout en enseignant à Toulouse, il
est élu député républicain du Tarn en 1885, à 25 ans. À l’Assemblée, où
il fait preuve d’une grande éloquence, il défend les premières lois
sociales du régime, comme la liberté syndicale, la protection des
délégués, etc. Aux élections législatives de 1889, il est battu dans sa
circonscription et fait un retour à la philosophie, qu’il enseigne à
nouveau à Toulouse.

En 1892 éclate la grande grève des mineurs de Carmaux. À l’origine, les


salariés de la mine cessent leur travail pour défendre un des leurs, le
maire de la commune, licencié pour avoir exercé ses obligations
municipales pendant ses heures de travail. Le conflit prend de
l’ampleur. Le gouvernement envoie l’armée pour mater les grévistes.
Jaurès décide alors de soutenir les grévistes contre l’État, trop
capitaliste à son goût. Il fait plier le dirigeant de la mine et s’engage
dans la défense de la classe ouvrière, dont il devient le champion. La
révolution lui semble inéluctable. Il consacre une large partie de son
action politique à rassembler la gauche pour combattre le capitalisme
régnant.

Il use de son talent oratoire, et certaines de ses formules sont restées


célèbres, comme : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la
dire… » Socialiste, il fonde en 1904 le journal L'Humanité et ouvre ses
colonnes notamment aux soutiens du capitaine Dreyfus. Quelque
temps avant la Première Guerre mondiale, il appelle à une grève
générale et s’insurge contre la guerre qui menace la France.
Le 31 juillet 1914, il est assassiné par un certain Raoul Villain,
nationaliste convaincu, dans un bistrot parisien, le Café du Croissant,
rue Montmartre. L’assassin est jugé cinq années plus tard, après la
guerre, et est acquitté.

Une grande variété : les différents


contrats de travail
Le modèle classique est le contrat de travail à durée indéterminée
(CDI), regardé de nos jours comme la Rolls des contrats de travail.
Cependant, les types de contrat se multiplient, du contrat de travail à
durée déterminée au contrat de travail temporaire, en passant par le
contrat « nouvelle embauche » . Ces contrats de travail se
distinguent par une plus grande précarité que le contrat de travail à
durée indéterminée et un statut moins protecteur, puisque les règles
relatives au licenciement ne s’appliquent pas. Dans son souci de
protection du travailleur, la loi encadre néanmoins fermement la
faculté de conclure de tels contrats.
Le contrat à durée déterminée (CDD) doit impérativement faire l’objet
d’un écrit précisant un certain nombre de mentions obligatoires,
comme le motif du recours à un contrat à durée déterminée, le nom
du salarié remplacé s’il s’agit d’un remplacement, ainsi que la durée
de l’engagement. La durée maximale du CDD est sévèrement
réglementée et ne doit pas dépasser dix-huit mois. L’idée protectrice
du législateur est que, si le CDD est trop long, c’est que l’employeur
aurait dû recruter par un CDI. CQFD ! Le contrat à durée déterminée
ne peut être renouvelé qu’une fois, sans dépasser la durée
maximale. Il n’est pas non plus possible que se succèdent sans
discontinuer à un même poste dans l’entreprise des salariés
employés pour une durée déterminée.
Les motifs de recours à un contrat à durée déterminée sont limités. Il
y en a principalement quatre :

• L’entreprise veut remplacer un salarié absent ou malade, dont


le poste va être supprimé ou dont le poste est dans l’attente de
l’arrivée d’un salarié recruté en contrat à durée indéterminée. Il
faut reconnaître que le CDD joue alors un peu un rôle de
bouche-trou !
• L’entreprise connaît un accroissement temporaire d’activité (en
raison d’une commande exceptionnelle par exemple).
• Les travaux concernés sont saisonniers ou temporaires, selon
un usage constant.
• Il s’agit de travaux de sécurité urgents.
S’ajoutent trois cas visant à favoriser l’insertion et la formation, plus
rares dans la pratique.

Figure 14-1 En un coup d’œil : CDI et CDD.


CV « arrangé » : le droit au mensonge
Une personne adresse un curriculum vitae mentionnant un diplôme
qu’elle n’a pas. Intéressée, une entreprise l’appelle pour un entretien. Le
candidat continue à mentir lors de l’entretien d’embauche en
confirmant qu’il est titulaire de ce fameux diplôme. Convaincu, le chef
d’entreprise l’embauche. Plus tard, à l’occasion d’un conflit avec ce
salarié, le chef d’entreprise découvre le pot aux roses. Il demande
l’annulation du contrat de travail en raison du dol, c’est-à-dire de la
tromperie fautive commise par le salarié.

Or, pour le juge, c’est à l’employeur de vérifier la véracité des


renseignements figurant sur le CV et de demander au candidat de
présenter les diplômes dont il se prévaut, avant de procéder à
l’embauche. Le CV truqué n’est qu’un mensonge aisément décelable et
le juge refuse d’annuler un contrat de travail de ce seul fait. Les
tribunaux n’annulent pas davantage le contrat de travail d’un salarié qui
transforme sur son CV un stage en un premier emploi ou d’un salarié
qui fait rédiger sa lettre de motivation par sa femme, pour bénéficier
d’une expertise graphologique favorable. On peut ainsi parler d’un
« droit au mensonge » ou d’un droit à la mauvaise foi pour le salarié
lors de l’embauche. À l’employeur d’être vigilant !

Je t’aime, moi non plus : le


licenciement et la démission
Le licenciement est l’un des modes de rupture du contrat de travail à
durée indéterminée, mais il en existe d’autres. Tout dépend de la
personne qui prend l’initiative de la rupture. Lorsque, par exemple,
c’est le salarié qui décide de quitter son emploi de son plein gré, il
s’agit d’une démission. Celle-ci n’est pas réglementée par le Code du
travail, même si elle est surveillée par les juges.
En revanche, si c’est l’employeur qui fait le choix de rompre le
contrat, le droit qualifie cette mesure de licenciement. C’est là
qu’intervient véritablement le Code du travail, toujours selon cet
objectif de protection du salarié. En effet, la faculté dont dispose
l’employeur de licencier quelqu’un illustre le déséquilibre de la
relation de travail (il est présumé plus facile pour l’employeur de
remplacer un salarié que pour le salarié de retrouver un emploi
équivalent). Le licenciement est donc très strictement encadré. Il y a
tellement de règles, de plus en plus complexes, qu'il s'agit presque
d'une matière à part entière : on parle ainsi de « droit du
licenciement » , au sein duquel on distingue d’abord la forme et le
fond, la procédure de licenciement et son motif.
Enfin, depuis la loi du 25 juin 2008, il existe une possibilité de rupture
conventionnelle. C'est un divorce à l'amiable : le salarié veut partir
sans démissionner et le patron veut le renvoyer sans risquer les
prud’hommes…

La procédure de licenciement
Tout licenciement doit être précédé d’un entretien préalable avec la
personne concernée. L’objectif est que le salarié soit informé de ce
que l’employeur entend faire et qu’il puisse s’expliquer quant aux
griefs qui lui sont exposés. Théoriquement, l’entretien doit permettre
une conciliation. Cependant, dans la majorité des cas, l’entretien
préalable débouche sur un licenciement.
Une procédure de licenciement est par ailleurs affaire de courriers et
de délais. Le salarié doit d’abord être convoqué à l’entretien par lettre
recommandée ou remise en main propre contre décharge (car rien
n’oblige le salarié à accepter la remise en main propre). Cette
convocation doit préciser que l’entretien a pour objet un licenciement,
mais que, à ce stade, le licenciement est seulement envisagé. En
effet, la convocation ne peut pas prononcer par avance le
licenciement. Enfin, il est obligatoire que la convocation rappelle la
possibilité pour le salarié de se faire assister par la personne de son
choix.
Ensuite, un délai de cinq jours ouvrables doit être respecté entre la
réception de la convocation et l'entretien (notez que le jour de la
réception ne compte pas). Depuis 2004, l'entretien préalable peut
avoir lieu en dehors du temps de travail ; toutefois, dans ce cas, le
temps de l’entretien doit être compté dans le temps de travail.
Autrement dit, le salarié est payé pendant qu'il s'entend dire qu'il
risque fortement d'être viré !
Deuxième courrier de la procédure (mauvais signe pour le salarié…) :
la lettre de notification du licenciement, toujours en recommandé. Ce
courrier doit énoncer les motifs de la décision. Ce point est capital,
car, en cas de contestation de la part du salarié, l’employeur ne
pourra pas invoquer des griefs qui n’auraient pas été indiqués dans la
lettre de notification. Dans le jargon des avocats, la lettre de
notification fixe les limites du litige, ce qu'on pourrait résumer ainsi :
toute la lettre, mais rien que la lettre. Par exemple, si un salarié est
licencié pour insuffisance de résultats et qu'il conteste cette
insuffisance devant le conseil de prud'hommes, l’employeur ne
pourra pas ajouter qu’il reproche aussi au salarié des absences
injustifiées ou un vol pour essayer de justifier le bien-fondé de la
rupture du contrat de travail.
Par ailleurs, l’employeur doit attendre deux jours ouvrables après
l’entretien préalable pour envoyer la lettre de notification.
Normalement, ce délai est censé permettre à l'employeur de réfléchir
et de prendre sa décision. Ainsi, en théorie, le licenciement ne doit
pas être décidé lors de l’entretien. Dans les faits, il ne doit en tout cas
pas être annoncé à ce moment-là.
Figure 14-2 La procédure de licenciement.
Le moindre manquement à la procédure – en dehors même du bien-
fondé ou non du motif du licenciement – rend le licenciement
injustifié. Il faut reconnaître que, pour quiconque n’est pas bien au fait
du droit, par exemple dans une petite entreprise, l’ensemble des
formalités et obligations pesant sur l’employeur s’apparente à un
parcours semé de pièges. Néanmoins, les sanctions sont limitées.
Le salarié dont le licenciement est irrégulier peut saisir le conseil de
prud’hommes pour obtenir, s’il a plus de deux ans d’ancienneté et si
son ex-entreprise plus de onze salariés, une indemnité d'un montant
maximal de un mois de salaire brut. Si le salarié a moins de deux ans
d’ancienneté ou si son ex-entreprise compte moins de onze salariés,
l'indemnité sera fonction du préjudice effectivement démontré. Et,
depuis 2002, la Cour de cassation accepte que l'indemnité versée au
salarié ne soit que symbolique (1 euro). Les temps sont durs !

Le motif du licenciement
Tout licenciement doit avoir une cause réelle et sérieuse, ce que le
juge a l’obligation de vérifier. Le conseil de prud'hommes examinera
donc la situation afin de s'assurer que le motif reproché au salarié
dans la lettre de notification (et pas un autre ! ) existe objectivement
et est exact, c'est-à-dire vérifiable. En ce cas, il y a une cause réelle.
Le juge vérifiera également que les faits reprochés sont graves, de
sorte que le licenciement soit nécessaire pour assurer la bonne
marche de l’entreprise. En ce cas, la cause est sérieuse. En résumé,
il n’est plus possible, depuis 1973, de licencier quelqu’un pour des
raisons subjectives, autrement dit pour « délit de sale gueule » …
En cas de licenciement sans cause réelle sérieuse, le salarié de plus
de deux ans d'ancienneté dont l'entreprise compte plus de onze
salariés a droit à une indemnité de six mois de salaire brut au
minimum, et peut obtenir plus s’il démontre un préjudice particulier
(âge avancé ou très longue période de chômage, par exemple). Si
l’employeur est d’accord, le salarié peut même être réintégré dans
l’entreprise. Cette dernière option est facultative et, surtout, très
rarement mise en pratique… Les organismes d'assurance sociale
(Assedic) exigent pour leur part le remboursement des sommes
versées au salarié après le licenciement, c’est-à-dire jusqu’à six mois
d’indemnités de chômage. Bref, c’est parfois le jackpot pour le
salarié, et souvent une addition salée pour l'entreprise !
Dans le cas où le salarié a moins de deux ans d’ancienneté ou si
l’entreprise compte moins de onze salariés, les indemnités sont
moindres, calculées en fonction du préjudice effectivement subi, sans
ce plancher de six mois de salaire. D'où l'intérêt de rester au moins
deux ans dans sa boîte avant de se mettre ses patrons à dos !

C’est la crise : le licenciement économique


Le motif du licenciement peut ne pas tenir à la personne du salarié,
mais aux difficultés économiques rencontrées par l’employeur. Il ne
s’agit donc pas de licenciement pour motif inhérent au salarié, mais
d’un licenciement pour motif extérieur à la personne du salarié. Un
salarié peut ainsi donner parfaite satisfaction, mais l’entreprise décider
de s’en séparer parce qu’elle va mal. L’employeur doit alors indiquer les
difficultés économiques rencontrées et les conséquences (négatives,
on s’en doute…) de ces difficultés sur le poste du salarié. Dans ce cas
également, la lettre de licenciement doit être très précisément
rédigée… Impossible de se contenter d’écrire :

« Les résultats ont baissé, nous sommes au regret de nous séparer de


vous. »

En matière de licenciements économiques, la loi veille en outre à ce


qu’un ordre des licenciements soit respecté. Cet ordre prend en
compte l’ancienneté du salarié dans l’entreprise, son âge, sa charge de
famille… En clair, le petit jeune récemment embauché part avant
l’employé qui a 50 ans, dix ans de maison et trois enfants.

Si plusieurs salariés sont licenciés en même temps – ces fameuses et


tristes « charrettes » dans le langage courant –, l’employeur devra
élaborer un plan social prenant en compte l’ordre des licenciements, et
proposer des solutions de reclassement au sein de l’entreprise, voire
aider les salariés à trouver un autre travail.
La rupture conventionnelle : la fin
du grand amour
La loi du 25 juin 2008 a instauré le dispositif dit de rupture
conventionnelle du contrat de travail.
Les démarches sont strictement encadrées. Il est prévu un entretien
entre les salariés et l’employeur, la signature d’une convention qui
nécessite une homologation, etc.
Il n’est pas possible d’y recourir pour un salarié inapte, arrêté pour
cause de maladie professionnelle ou d’accident du travail, ou encore
en CDD.
L’indemnité est négociée entre les parties mais ne peut être inférieure
soit au montant de l’indemnité légale de licenciement, soit au montant
de l’indemnité conventionnelle de licenciement, s’il est plus favorable
que l’indemnité légale.
Le salarié peut bénéficier de l'allocation d'assurance chômage.
Les ordonnances Macron, qui ont réformé le Code du travail à la fin
de l'année 2017, ont plafonné les indemnités, notamment en cas de
licenciement abusif (plafond entre un et vingt mois de salaire brut en
fonction de l’ancienneté).

Ma petite entreprise : le droit des


sociétés
L'article 1832 du Code civil définit ainsi la société : « La société est
instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un
contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur
industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie
qui pourra en résulter. Elle peut être instituée […] par l’acte de
volonté d’une seule personne. Les associés s’engagent à contribuer
aux pertes. »
La société est ainsi une personne morale ; non pas qu'elle se
distingue forcément par un haut degré de moralité, mais par
opposition à la personne physique, l’individu. Comme toute personne
juridique, la société dispose de droits et est soumise à des
obligations. Mais il s’agit d’une personne « théorique » , d’où
l’expression « personne morale » , issue du jargon des juristes.
La société dispose de biens et de ressources qui lui sont propres et
qui constituent son patrimoine, comme chaque individu dispose d’un
patrimoine personnel composé des biens qui lui appartiennent. Là est
d’ailleurs pour un entrepreneur le principal intérêt de constituer une
société, notamment en choisissant une forme de société dite à
responsabilité limitée. Le patrimoine de la société est alors distinct du
patrimoine personnel de son dirigeant et/ou de ses propriétaires. Les
biens personnels de ces derniers ne sont donc, en principe, pas
soumis aux aléas économiques. Et en cas de faillite, l’entrepreneur
ne se retrouve pas pour autant à la rue ! La société à responsabilité
limitée, ou SARL, est d'ailleurs le type de société le plus répandu en
France. En 2004, on en dénombrait plus de 1 million.
La comparaison entre une personne et une société peut être
poursuivie, car, comme chaque individu, une société naît, vit et
disparaît.

La naissance de la société
Le contrat de société constitue l’acte de naissance de la personne
morale. Par cet acte, plusieurs personnes décident de s’associer en
vue d’exercer une activité économique sous la forme d’une société.
Ce contrat précise l’objet de la société, c’est-à-dire le type de l’activité
concrètement exercée. La description de l’objet social est un élément
très important du contrat de société ou, en pratique, de ce qui va être
dénommé les statuts de la société. La description ne doit être ni trop
générale ni trop détaillée. En cas de changement radical d’activité,
les statuts devront être modifiés.

Les apports
Chaque associé doit faire un apport à la société. L’apport est un bien
ou une valeur que l'associé transfère à la société ; en échange, il
reçoit des parts ou des actions de la société.
L'apport peut prendre trois formes :

• L'apport en numéraire : il revient à verser une somme


d’argent mise à la disposition de la société. Cette méthode est la
plus courante.
• L'apport en industrie : il se traduit par le fait de mettre sa
force de travail, son savoir ou ses relations à la disposition de la
société. L’apporteur en industrie doit rendre à la société les
services promis, c’est-à-dire travailler pour elle et lui verser tous
les gains qu’il a réalisés par l’activité faisant l’objet de son
apport.

• L'apport en nature : il ne consiste pas à faire don de son corps


à la société, mais à placer un bien à la disposition de la société.
Celui-ci peut être un bien meuble (une machine, une voiture),
immeuble (un hangar, des bureaux) ou incorporel (une marque,
un brevet). Le bien peut être apporté en pleine propriété à la
société (un peu comme s’il lui était vendu) ou en jouissance, ce
qui signifie que la société ne devient pas propriétaire du bien (un
peu comme s’il ne lui était que loué).

Le capital social
Le capital social est la somme des valeurs apportées à la société.
Les apports en industrie ne sont néanmoins pas comptabilisés. Si
l’apport en numéraire est facile à évaluer d'un point de vue financier,
l'opération est plus difficile pour les apports en nature. Les associés
de la société doivent pour ce faire recourir à un commissaire aux
apports (en pratique, un commissaire aux comptes ou un expert).
Néanmoins, si l’apport en nature ne dépasse pas une certaine valeur,
les associés peuvent décider à l’unanimité de ne pas faire appel à un
commissaire aux apports, ce qui, dans certaines conditions, engage
leur responsabilité.
Seul et fauché, mais à la tête d’une société !
L’exigence d’un capital social minimal dans les sociétés à responsabilité
limitée (SARL) a été supprimée par la loi pour l’initiative économique,
dite « loi Dutreil », du nom du ministre à l’origine de son adoption, en
date du 1er août 2003. Avant, il fallait 7 500 euros
(anciennement 50 000 francs) pour fonder une SARL. Depuis la loi
Dutreil, il n’est plus nécessaire de réunir cette somme pour constituer
le capital social de sa SARL. Comme, par ailleurs, il est également
possible, depuis 1985, de créer des sociétés unipersonnelles – c’est-à-
dire qui ne comptent qu’un seul associé –, telles que l’entreprise
unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL). On peut ne pas être très
argenté, ne pas trouver de personnes prêtes à s’associer à son projet,
mais fonder quand même une société.

Certains esprits (chagrins ?) font cependant remarquer qu’une société à


responsabilité dotée d’un capital social de quelques milliers d’euros
inspire plus confiance à ses éventuels partenaires qu’une entreprise
unipersonnelle avec un capital social de 1 euro… C’est l’éternel adage :
« Il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade »
adapté au droit des sociétés !

La participation aux résultats sociaux


La participation aux résultats sociaux est l’élément caractéristique de
la société, et la participation aux bénéfices son objectif principal. La
société a en effet un but lucratif, à la différence, par exemple, de
l'association loi 1901. Les juges ont donné, dans une célèbre
décision remontant à 1914, cette définition du bénéfice : « Tout gain
pécuniaire ou gain matériel qui ajouterait à la fortune des associés. »
Malheureusement pour eux, dans certains cas, les associés ne
participent qu’aux pertes. En effet, en contrepartie de la participation
aux bénéfices, chaque associé s’engage à contribuer aux pertes lors
de la liquidation de la société, proportionnellement à la part de capital
social qu’il détient dans la société.
La prohibition des clauses léonines
Les associés doivent recevoir des bénéfices de manière proportionnelle
à leur apport dans la société. Un seul associé ne peut s’arroger
l’intégralité des bénéfices. Et la clause qui prévoirait ainsi qu’un associé
se taille la part du lion dans les bénéfices, dite clause léonine, est nulle.
Est également une clause léonine, donc interdite, la clause qui
prévoirait qu’un seul associé doit faire face à la totalité des pertes. Il
doit régner une certaine égalité entre les associés, au moins en
apparence ! Cette égalité peut ne pas être parfaite, puisque les
bénéfices d’un associé peuvent ne pas être nécessairement équivalents
aux apports et aux parts sociales de cet associé… Les affaires restent
les affaires !

L’affectio societatis
L’affectio societatis n’est pas une maladie, mais l’ « intention de
s’associer » . Pas formellement exigée par la loi, elle constitue
pourtant une condition essentielle du contrat de société. Les associés
doivent avoir la volonté de vraiment collaborer ensemble, sur un pied
d’égalité, à la réussite de l’entreprise commune. Cette notion permet
de mettre à l'écart les sociétés fictives, dans lesquelles les associés
ne sont que des prête-noms dont le consentement à la société n’est
pas réel parce qu’ils ne sont pas animés, justement, par cet affectio
societatis.

La vie de la société
Une fois les statuts définis et l'activité mise en route, le droit impose
encore des règles de fonctionnement à la société.

L’information et le droit de vote des associés


Tout au long de la vie de la société, les associés ont, par vocation, le
droit d’être informés sur le fonctionnement de la société. Les sociétés
ont, en premier lieu, l'obligation de rendre publics, par un dépôt au
greffe du tribunal de commerce, les comptes sociaux, soit les
comptes annuels, le rapport de gestion et les rapports des
commissaires aux comptes (s’il en existe). Cette information
s’adresse à tous mais intéresse bien évidemment les associés au
premier chef.
Ces associés ont en outre un droit à l’information. Tout associé peut
obtenir communication des documents sociaux, de manière
permanente et, ponctuellement, avant la tenue des assemblées
réunissant les associés (les modalités de cette communication
varient selon le type de société). En outre, tout associé peut poser
des questions écrites sur la gestion de la société, auxquelles les
dirigeants sont tenus de répondre. Enfin, d'après le Code civil, « tout
associé a le droit de participer aux décisions collectives » concernant
le fonctionnement de la société ; ce qui signifie que chaque associé a
le droit de participer et le droit de voter lors des assemblées
regroupant les associés.

Les dirigeants sociaux et leurs responsabilités


Le dirigeant d’une société a tout pouvoir pour… diriger la société,
dans le respect de l'intérêt de celle-ci, de son objet (défini dans ses
statuts), du pouvoir des autres organes (par exemple, le conseil
d’administration dans une société anonyme).
Le patron d’une société qui outrepasse ses pouvoirs peut voir
engager sa responsabilité civile à l’égard des associés et de la
société. Il risque également d’engager sa responsabilité pénale ;
notamment pour les infractions dont il doit répondre en qualité de
chef d’entreprise dans les domaines de la réglementation du travail,
de l’hygiène et de la sécurité, de la réglementation des prix, de la
concurrence ou de la consommation, etc. Mais le dirigeant d'une
société peut choisir de faire peser cette responsabilité sur un autre
que lui en accordant une délégation de pouvoir à une personne ayant
la compétence, l’autorité et les moyens nécessaires. Par exemple,
dans une entreprise de travaux publics, le dirigeant accordera une
délégation de pouvoir au chef de chantier pour le respect des règles
de sécurité sur le chantier.
Le patron d’une entreprise peut en outre être poursuivi pour les
infractions qu’il pourrait commettre personnellement dans le cadre du
fonctionnement de la société.
Ces infractions peuvent relever du droit commun, comme
l’escroquerie, l’abus de confiance, etc., mais il peut également s'agir
d'infractions spécifiques au droit des sociétés, comme la présentation
de bilan inexacte ou le délit d’abus de biens sociaux.
Dans le cas d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire (la
« mort » de la société – voir plus loin), s'il y a trop peu d'actifs pour
rembourser tous les créanciers, le tribunal peut décider que les
dettes de la société seront supportées par le ou les dirigeants, quand
ils ont commis des fautes de gestion à l’origine de cette insuffisance
de fonds. C'est ce qui est appelé l'action en comblement de passif.

L’ABS : de la voiture à l’infraction


Le délit d’abus de biens sociaux (dit « ABS » par les pros) consiste, pour
un dirigeant, à faire, de mauvaise foi, un usage des biens ou du crédit
de la société, en sachant que cet usage est contraire à l’intérêt de la
société, réalisé à des fins personnelles ou pour favoriser une autre
société dans laquelle il est intéressé directement ou indirectement. Un
abus de biens sociaux peut être constitué par le dirigeant qui se verse
une rémunération excessive, celui qui finance son personnel de maison
ou la piscine de sa résidence secondaire sur les fonds de la société, etc.

La transformation de la société
Il y a transformation d’une société lorsqu’elle change de forme
sociale tout en continuant d’exister et en conservant donc sa
personnalité morale. Il peut s’agir, par exemple, d'une SARL qui est
transformée en SA, afin de permettre la cotation des titres de la
société (introduction en Bourse). Du fait que la société conserve sa
personnalité morale, il y a un transfert des droits et des obligations
qui pesaient sur l’ancienne société vers la nouvelle.
Les différentes sociétés
On distingue les sociétés à risque limité des sociétés à risque illimité.
Dans les sociétés à risque limité se trouve en premier lieu, et comme
son nom l’indique, la société à responsabilité limitée. Il faut y ajouter la
société anonyme, dans laquelle la responsabilité est également limitée
aux apports. Dans ces deux types de société, sauf faute particulière de
gestion, l’entrepreneur ne peut pas perdre plus que ce qu’il a investi
dans la société.

Dans les sociétés à risque illimité se rangent la société en nom collectif,


la société en commandite simple ou la société civile. Dans ces sociétés-
là, il y a une responsabilité solidaire et indéfinie des associés. La
responsabilité solidaire signifie que l’on peut exiger d’un des associés
qu’il rembourse l’ensemble de la dette, à charge pour lui ensuite, après
avoir tout payé, de se retourner vers les autres associés pour qu’ils
participent en payant leur part. La responsabilité indéfinie signifie que
les associés peuvent être poursuivis sur l’intégralité de leur patrimoine
et non seulement sur ce qu’ils ont investi dans la société.

La disparition de la société :
dissolution et liquidation
Une société peut prendre fin, « mourir » , pour plusieurs raisons.
Cette ultime étape dans la vie de la société est appelée dissolution.
Le droit prévoit plusieurs cas de dissolution, ayant tous pour
conséquence la liquidation de la société.

Les causes de dissolution


La loi prévoit plusieurs causes de dissolution de la société :
• La société prend fin à l’expiration de la durée pour laquelle elle
a été constituée, comme cela peut résulter des statuts.
• La société prend fin par la réalisation ou l’extinction de son
objet, c’est-à-dire que l’activité définie dans les statuts est
définitivement terminée ou devenue impossible. En pratique,
cette cause de dissolution est rare, la définition de l’objet social
dans les statuts étant en général le plus large possible de façon
que l’objet de la société ne soit ni réalisé ni éteint.
• Le contrat de société peut être annulé pour violation de la loi
quand, par exemple, l’objet social est illicite, ce qui entraîne la
dissolution de la société.
• Les associés peuvent décider de mettre fin à la société de
manière anticipée par rapport à la durée prévue dans les
statuts.

• L’un des associés peut demander en justice la dissolution de la


société pour justes motifs. Le cas le plus fréquent est une
mésentente entre les associés qui paralyse le fonctionnement
de la société.
• Lorsque toutes les parts ou actions sont réunies en une seule
main, la société est dissoute – sauf pour les sociétés à
responsabilité limitée et les sociétés par actions simplifiées, qui
peuvent être des sociétés unipersonnelles, avec un seul
associé.
• Les statuts de la société peuvent prévoir d’autres causes de
dissolution que celles qui figurent dans la loi.
• Dans le cadre du droit des faillites, le jugement qui ordonne la
liquidation judiciaire de la société entraîne la dissolution de
celle-ci.
• Un tribunal peut prononcer la dissolution d’une société à titre de
sanction pénale, lorsque la société a été utilisée pour commettre
une infraction.

Les effets de la dissolution


La dissolution de la société doit être portée à la connaissance du
public. Elle doit donc faire l’objet d’une publication au Registre du
commerce et des sociétés (RCS), au Bulletin officiel des annonces
civiles et commerciales (Bodacc) et dans un journal d’annonces
légales. La décision de dissolution doit également être déposée au
greffe du tribunal de commerce du siège de la société. En outre, la
dénomination de la société doit mentionner sur tous les documents
« société en liquidation » .
La dissolution de la société entraîne la liquidation de celle-ci et,
éventuellement, le partage des actifs restants.

La liquidation
La liquidation est l’ensemble des opérations qui, après la dissolution
de la société, ont pour objet la vente des actifs de la société afin de
payer les créanciers et, si c'est possible, de rembourser les associés
des apports qu'ils ont effectués.
DANS CE CHAPITRE
Le principe de la légalité pénale

Le principe d'interprétation stricte de la loi pénale

Le principe de non-rétroactivité de la loi pénale

La classification tripartite des infractions

Les éléments constitutifs de l'infraction

La tentative
Chapitre 15
Oups ! Aïe ! Le droit pénal
Icertaines
l suffit d'ouvrir un quotidien à la page des faits divers ou de regarder
séries policières pour se faire une première idée de ce que
recouvre le droit pénal. Cependant, les journalistes n’expliquent pas
nécessairement tous les détails, et les fictions télévisées sont
souvent américaines. Ce qui entraîne des approximations, voire une
image erronée… Pour les juristes, le droit pénal se définit comme
« l'ensemble des règles juridiques qui organisent la réaction de l’État
vis-à-vis des infractions et des délinquants » . Il a donc pour objectif
de punir les comportements qui portent atteinte à la société. Vaste
programme !
Cette ambition se retrouve dans le Code pénal, dont la majeure partie
consiste à énumérer les différentes infractions existantes. Cette
longue liste de turpitudes (plus de 12 000) est organisée par un
certain nombre de grandes dispositions qui régissent plus
globalement le droit pénal ; ce sont le principe dit « de la légalité » et
ses conséquences (en particulier, l’interprétation stricte ainsi que la
non-rétroactivité de la loi pénale), la classification des infractions ou
encore les éléments constitutifs de l’infraction.

Pas d’infraction sans texte : le


principe de la légalité pénale
Le principe de la légalité pénale a été consacré par la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui prévoit notamment
que « nul homme ne peut être arrêté ni détenu que dans les cas
déterminés par la loi » . Ce principe signifie que, pour qu'il y ait une
infraction, il faut qu'il existe une loi définissant le comportement
punissable et prévoyant la sanction pénale applicable. On dit
généralement : « Pas d'infraction sans texte. »
Cette notion peut paraître simple ou évidente. Mais, historiquement, il
s’agit d'un grand progrès face à l'arbitraire de la justice. En effet,
avant la Révolution française, les juges occupaient une place
prépondérante dans le système pénal et pouvaient condamner
quelqu’un pour des agissements dont, pourtant, aucun texte ne disait
qu'ils étaient répréhensibles ! Le principe de la légalité figure
aujourd’hui au sein du Code pénal, qui dispose que « nul ne peut être
puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas
définis par la loi » .
Aujourd'hui, à la différence de ce qui se passait sous l'Ancien
Régime, un acte qui n’est pas sanctionné par un texte ne peut donner
lieu à une condamnation en justice. Un exemple précis puisé dans la
jurisprudence suffit à se convaincre de la portée d'un tel principe :
le 8 mai 1971, un automobiliste est jugé par le tribunal de Melun
parce qu'il n'a pas payé le péage sur l'autoroute Paris-Lyon. A-t-il
brisé la barrière du péage ? S'est-il faufilé derrière le véhicule
précédent ? L'histoire judiciaire ne le dit pas. Toujours est-il que le
juge réalise qu’à cette date, en 1971, le fait de ne pas payer le péage
n'est puni par aucun texte ! À contrecœur, probablement, tant il est
vrai que ce comportement paraît aller à l'encontre du profil de « bon
citoyen » , le juge est obligé de relaxer l’automobiliste récalcitrant. (La
relaxe ou l’acquittement est une décision de non-condamnation, de la
part d’un tribunal de police, d’un tribunal correctionnel ou d’une cour
d’assises.) Pour éviter qu’une telle mésaventure ne se reproduise, le
Code de la route a été complété, en 1972, d’un nouveau texte
réprimant le fait de ne pas payer le péage sur une autoroute.
Si les principes de sanction de l’infraction et ses objectifs sont connus
depuis longtemps, c’est uniquement depuis le 1er octobre 2014 qu'ils
font « officiellement » leur apparition dans le Code pénal.
L'article 130-1 du Code pénal définit les deux principales fonctions
des sanctions pénales : « sanctionner l'auteur, et favoriser son
amendement, son insertion ou sa réinsertion » . On constate donc la
double volonté de la mesure de contrainte imposée : punitive et
préventive.
Figure 15-1 Le principe de la légalité pénale : pas d’infraction sans texte de loi.
Hommes et femmes sont-ils égaux dans le crime ?
Des recherches ont été menées afin de savoir si les hommes
commettaient autant d’infractions au droit pénal que les femmes. Les
résultats mettent en évidence deux tendances : la délinquance de
l’homme est plus importante en nombre que celle de la femme, mais la
délinquance féminine est en augmentation.

Quelles que soient les infractions, elles sont presque toujours


majoritairement commises par des hommes. Il est cependant
intéressant de relever que la proportion de femmes commettant des
escroqueries et des infractions économiques est bien supérieure à la
proportion des femmes coupables d’entorses à la législation sur les
stupéfiants. Les femmes seraient-elles vénales ?

Il a été historiquement remarqué que le nombre de femmes violant le


Code pénal est plus important chez celles qui travaillent (par
opposition aux femmes « au foyer »). Il est effectivement plus facile de
détourner les actifs d’une entreprise en y étant employée ou en la
dirigeant qu’en restant chez soi ! En revanche, l’idée que la femme
commettrait moins d’infractions parce qu’elle serait d’une force
physique inférieure à l’homme, un temps évoquée, a été abandonnée
par les criminologues. En effet, pas besoin de gros bras pour voler de
l’argent aujourd’hui : avec un certain savoir-faire, quelques clics sur
Internet suffisent… En fait, il semblerait que la délinquance augmente
avec l’émancipation, ce qui expliquerait, à la fois, que la délinquance
masculine soit (encore) plus nombreuse et que la délinquance féminine
augmente – et qu’elle ait, dans certains domaines, rejoint voire dépassé
la délinquance des hommes.
Un juge ne peut ajouter à la loi : le
principe d’interprétation stricte de la
loi pénale
Le Code pénal précise encore que la loi pénale est d’interprétation
stricte. Il s’agit d'une conséquence du principe de la légalité. En effet,
seule la loi peut limiter la liberté des individus en désignant certains
comportements comme des infractions. De sorte que le juge ne peut,
sous prétexte d’interpréter la loi, sanctionner des agissements que la
loi n’aurait pas expressément prévu de réprimer.
La Cour de cassation a ainsi jugé qu’ « il n’appartient pas au juge, en
raisonnant par voie d’analogie, de suppléer au silence de la loi et de
prononcer des peines en dehors des cas limitativement prévus par le
législateur » . Il est utile de rappeler que la Cour de cassation est la
plus haute juridiction de France. Unique, elle se situe en haut de
l’organisation pyramidale de la justice française, au-dessus des
tribunaux et des cours d’appel. Le législateur, quant à lui, est l’organe
qui fait les lois, c’est-à-dire le Parlement, composé de l'Assemblée
nationale et du Sénat (voir chapitre 4).
La question de l’interprétation de la loi s’est posée au XIXe siècle à
propos de ce qu'on appelle la « filouterie d'aliments » ou « délit de
grivèlerie » , soit le comportement de l’individu qui entre dans un
restaurant, se fait servir un (copieux) repas tout en sachant qu'il n'a
pas les moyens de le payer et s'enfuit à la fin du repas. Comment
sanctionner un tel comportement ? Le juge pouvait-il considérer cela
comme un vol ? La réponse est négative, parce que la loi définit le
vol comme « la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui » et qu’il
faut l’interpréter strictement. Or, ce n'est pas comme si le « filou »
dérobait de la nourriture en cuisine, auquel cas il y aurait vol, car
« soustraction frauduleuse » . Là, c’est volontairement et de son plein
gré que le restaurateur sert le « filou » , berné par son audace et son
aplomb. Il n’y a donc pas de soustraction frauduleuse. Les conditions
légales de l'escroquerie et de l'abus de confiance ne sont pas non
plus remplies, ce qui rendait les tribunaux démunis. En 1873, une loi
spéciale a donc été votée pour sanctionner ce type de
comportement.
En fait, le législateur a l’obligation de suivre l’évolution des mœurs et
des techniques, ainsi que de s’adapter à l’imagination toujours fertile
des délinquants et criminels, pour voter des lois punissant les
infractions au fur et à mesure de leur apparition… Comme dans une
sorte de course-poursuite ! Dans les années 1980, il en a encore été
ainsi pour punir la fabrication de « décodeurs pirates » aux fins de
regarder à l'œil les programmes de Canal+. En effet, quand ce type
de comportement malhonnête est apparu, à la suite de la création de
cette nouvelle chaîne de télévision, aucun texte n’en prévoyait la
sanction… Les pirates ne risquaient rien ! Le législateur a bien
évidemment réagi, et, depuis le 10 juillet 1987, une loi réprime « la
fabrication de matériels destinés à capter frauduleusement des
programmes télédiffusés cryptés » – le langage des lois n'est jamais
simple !
Les juges disposent néanmoins d’une certaine marge de manœuvre,
surtout lorsque le texte à appliquer contient une erreur. Il existait par
exemple un règlement de la police des chemins de fer
de 1917 prohibant « de descendre ailleurs que dans les gares et
lorsque le train est complètement arrêté » .
Autant il semble normal d'interdire de descendre d'un train ailleurs
que dans une gare, autant il paraît délicat d’interdire de descendre
lorsque le train est arrêté… Cela reviendrait à n'autoriser de
descendre d'un train que lorsqu'il roule ! Un homme ayant sauté en
route d'un train a cru pouvoir bénéficier de la coquille contenue dans
ce règlement pour prétendre qu’il était dans son bon droit. Le tribunal
n’a pas été de cet avis, les juges ayant considéré que l’objectif du
règlement, en toute logique (et en toute sécurité ! ), était d'interdire
« de descendre […] lorsque le train n’est pas complètement arrêté » .

Impossible de revenir en arrière : le


principe de non-rétroactivité de la loi
pénale
Autre conséquence de la légalité pénale, le principe de non-
rétroactivité de la loi pénale est exprimé, là encore, au cœur du Code
pénal : « Seuls sont punissables les faits constitutifs d’une infraction
à la date où ils ont été commis. » Une loi pénale qui crée et définit
une nouvelle infraction ne peut pas être appliquée à des faits commis
avant son entrée en vigueur. Certains spécialistes expliquent que la
loi pénale peut être comparée à un fouet muni d'un sifflet : avant de
frapper, la loi doit prévenir !
Quand le Code de la route a été complété, en 1972, de la nouvelle
infraction constituée par le fait de ne pas payer le péage sur une
autoroute – comme on l'a vu précédemment –, il n'a pas été possible
d'appliquer ce texte à des automobilistes ayant commis cette
indélicatesse en 1971, par exemple. En revanche, il est
traditionnellement évoqué l’exception historique à ce principe que
constituent les crimes contre l'humanité : ces crimes ont été définis
après avoir été commis. Et il a été estimé que leur gravité justifiait
qu'ils soient réprimés sur le fondement d’une loi postérieure.
Entre zéro, un et le maximum : le principe
d’individualisation des peines
On a pu lire dans la presse et jusque sur les murs du métro que la
contrefaçon est un délit puni de cinq ans d’emprisonnement et
de 500 000 euros d’amende. Il faut cependant relativiser, comme pour
tous les crimes ou délits : ces chiffres représentent la peine maximale.
Et il n’y a rien d’automatique dans le prononcé de la sanction.

Lors d’un procès, si les magistrats en arrivent à retenir la culpabilité de


la personne poursuivie, ils ont ensuite toute latitude pour fixer la peine
entre le quasi-symbole et le maximum encouru. Lorsque la personne
est reconnue coupable, les juges ne peuvent, en principe, fixer la peine
à zéro ! Selon le Code pénal, la juridiction fixe les peines en fonction
des circonstances de l’infraction et de la personnalité du délinquant.
C’est pour cette raison que la vie et le passé de la personne poursuivie
sont étudiés dans le détail par le tribunal. La personne dont c’est la
première condamnation sera en principe condamnée moins
sévèrement que le multirécidiviste.

Le cas particulier en vertu duquel le tribunal constate la culpabilité


mais ne condamne pas est baptisé dispense de peine et s’applique
« lorsqu’il apparaît que le reclassement du [délinquant] est acquis, que
le dommage causé est réparé et que le trouble résultant de l’infraction
a cessé », selon les termes du Code pénal. La situation est en pratique
assez rare.

De l’excès de vitesse à l’assassinat en


passant par le vol : la classification
tripartite des infractions
Toutes les infractions n’ont pas la même gravité. Elles sont donc
classées en trois catégories : selon la gravité, on parle de
« contraventions » , de « délits » ou de « crimes » . Bien entendu, le
crime est plus grave que le délit, qui est plus grave que la
contravention. C'est la classification tripartite des infractions. Cette
distinction innerve tout le droit pénal, jusqu'au vocabulaire. Ainsi, de
quelqu'un condamné pour un crime, on dira qu’il purge une peine de
réclusion criminelle, alors qu’à propos d’un individu sanctionné pour
un délit on dira qu’il purge une peine d’emprisonnement délictuel,
souvent abrégé en « emprisonnement » . En droit, être reclus n'a
donc pas la même signification qu'être emprisonné !
Mais cette différence a surtout des conséquences de principe et de
procédure. Pour ce qui est des principes, la tentative de crime est
toujours punissable, la tentative de délit ne l'étant que dans certains
cas prévus par la loi ; quant à la tentative de contravention, elle ne
peut jamais être poursuivie. En clair, la tentative de meurtre est
réprimée, mais pas la tentative d’excès de vitesse… Sur le plan
procédural, les crimes sont jugés par la cour d’assises, les délits par
le tribunal correctionnel et les contraventions par le tribunal de police.
De même, cette classification tripartite a des conséquences en
matière de prescription (délai au terme duquel une poursuite pénale
devient impossible). La prescription de l’action publique est (en
général) d’une durée de dix ans à compter des faits pour un crime, de
trois ans pour un délit et de un an pour une contravention. Une année
après avoir commis un tapage nocturne, le fêtard est tranquille, il ne
risque plus rien s’il n’a pas été poursuivi. L’auteur d’un vol devra
patienter trois fois plus longtemps avant de pouvoir dormir sur ses
deux oreilles !
Le happy slapping rend complice
Chacun a entendu parler de ce phénomène consistant, spécialement
chez les jeunes, à « immortaliser » avec son téléphone portable une
scène de violence, de la simple gifle à la grosse bagarre. La cour d’appel
de Versailles a rendu le 24 octobre 2006 une décision assez sévère en
la matière. En effet, quel délit commet la personne qui filme un de ses
camarades en train d’en frapper un autre ? Il est possible de songer,
par exemple, à l’anciennement dénommée « non-assistance à
personne en danger », désormais rebaptisée « omission de porter
secours ». Les juges de Versailles sont allés plus loin et ont jugé,
compte tenu des circonstances, que celui qui filme se rend complice de
l’agresseur, donc complice de violences volontaires ! Dans cette affaire,
l’élève avait eu connaissance du projet d’agression, avait attendu la
victime avec l’agresseur à la sortie des classes, s’était rendu avec eux
dans un bois. En outre, les magistrats ont estimé qu’en filmant la scène,
l’élève avait donné plus d’écho à cette manifestation de supériorité
physique et avait invité l’agresseur à faire étalage de sa force, ce qui
s’analyse comme une « aide morale volontaire », ayant facilité la
commission de l’infraction. Celui qui a filmé a donc été jugé complice
de violences volontaires, ce qui lui fait encourir la même peine que
celui qui a porté les coups… En 2007, une loi a repris cette solution des
juges versaillais faisant un complice de celui qui filme, dans un objectif
de lutter contre le développement de ces pratiques.

Les éléments constitutifs de


l’infraction
En dépit de leur grande variété, les infractions partagent un
dénominateur commun : selon la théorie pénale, tous les crimes et
délits se composent d'un « élément matériel » et d’un « élément
moral » . En revanche, les contraventions, la plupart du temps, se
réduisent à un élément matériel.
Du radeau de la Méduse aux faucheurs volontaires
: l’état de nécessité
Le cas est célèbre, dans les annales judiciaires, du « bon juge de
Château-Thierry ». En 1898, une mère et son enfant n’ont pas mangé
depuis plusieurs jours ; la mère vole un pain dans une boulangerie
pour nourrir son enfant. Dans un jugement qui dessine les contours de
la notion d’« état de nécessité », le magistrat de Château-Thierry décide
de ne pas condamner la mère pour vol.

L’état de nécessité résulte ainsi de la situation d’une personne qui


commet une infraction pour éviter un mal plus grand (voler un pain
pour ne pas mourir de faim). Dans ce cas, elle n’est pas condamnée.
Les tribunaux examinent évidemment très précisément la situation, et
l’état de nécessité n’est pas souvent reconnu. Il exige la réunion de
quatre conditions :

• La personne doit être confrontée à un danger imminent.

• La personne ne doit pas avoir commis de faute antérieure qui


aurait entraîné ce danger.

• L’acte accompli doit être nécessaire, c’est-à-dire qu’il doit être


l’unique moyen d’éviter le danger.

• L’acte accompli doit être proportionné à la gravité du danger.

En remontant plus loin dans l’histoire, on considère que les passagers


du radeau de la Méduse qui ont tué certains de leurs compagnons
d’infortune et les ont dévorés pour survivre se trouvaient dans un état
de nécessité.

De nos jours, l’état de nécessité est souvent invoqué mais n’est reconnu
qu’exceptionnellement par les tribunaux : en 2005, le tribunal
correctionnel d’Orléans a relaxé 49 faucheurs volontaires de maïs
génétiquement modifié sur le fondement de l’état de nécessité. Mais la
cour d’appel n’a pas partagé cette analyse et les a condamnés, estimant
que les conditions de l’état de nécessité n’étaient pas remplies. De
même, les chômeurs dérobant de la nourriture dans les supermarchés
ou les personnes démunies voyageant régulièrement sans titre de
transport ne bénéficient guère de l’« état de nécessité ».

L’élément matériel
Le droit pénal ne sanctionne pas la simple intention de commettre
une infraction : il faut que cette intention se concrétise pour que la
sanction pénale soit encourue. L’action matérialisant l’intention
délictuelle constitue ce que l’on appelle l’élément matériel de
l’infraction. C’est par exemple le coup de poing porté à autrui (qui
devient alors l’élément matériel du délit de violences volontaires). En
revanche, si l'envie de gifler un collègue en reste au stade de l'envie,
cela ne relève pas du domaine du droit pénal (éventuellement de
celui du confessionnal)… La justification de cette règle est que la très
forte envie de gifler quelqu'un, tant qu’il n’y a pas de passage à l’acte,
ne trouble pas l’ordre social. Le droit se montre plus pragmatique que
la morale !
Il faut préciser que l’élément matériel peut consister en une action ou,
plus rarement, en une omission. Les délits plus courants sont les
délits d’action, qui consistent à effectuer un acte prohibé par la loi
(escroquer, blesser, etc.), mais il existe aussi des délits d’omission,
qui consistent en un acte « négatif » , là où la loi commandait au
contraire d’agir dans l’intérêt général (il peut s’agir notamment du fait
de ne pas porter secours à une personne en péril, de ne pas
dénoncer un crime dont il est encore possible de limiter les effets…).
Parfois, ne rien faire expose à la sanction pénale !

L’élément moral
Pour qu’il y ait une infraction, il faut que l’élément matériel résulte de
la volonté de son auteur, que l’acte soit volontaire. C’est ce que l’on
appelle l’élément moral de l'infraction. Le Code pénal est très clair :
« Il n'y a pas de crime ou de délit sans intention de le commettre. »
Mais alors, en quoi consiste la volonté dans un crime dit
« involontaire » ? On parle ainsi d’homicide involontaire, alors qu’il
s’agit en général d’un homicide par imprudence. L’élément
intentionnel réside justement dans l’acte d’imprudence en question.
En fait, la volonté est toujours présente dans un crime ou un délit,
mais elle peut être plus ou moins décelable. Quelquefois, la volonté
porte sur l’acte et sur ses conséquences, c’est-à-dire que la personne
a voulu les dits acte et conséquences ; il s'agit des infractions
qualifiées de « volontaires » , comme le meurtre, synonyme
d’homicide, ou le vol. Dans d’autres cas, la volonté ne porte que sur
l’acte, c’est-à-dire que la personne a voulu commettre le fait, l’acte,
mais sans en rechercher toutes les conséquences ; il s'agit des
infractions abusivement qualifiées – même par les juristes ! – d'
« involontaires » , comme l'homicide ou les blessures par
imprudence.

Caramba ! Encore raté : la tentative


L’activité criminelle est souvent décrite comme un chemin
comprenant trois étapes. Le premier stade est psychologique : c'est
l'idée du crime. La deuxième marche, matérielle, prend forme dans
les actes de préparation (l’étude des lieux avant un vol, par exemple).
La troisième phase, matérielle également, c’est l’exécution, le
passage à l’acte. La question est de savoir à partir de quelle étape il
peut y avoir sanction pénale. En fait, la sanction peut intervenir à la
frontière des deux dernières étapes, par la répression de la
« simple » tentative. La loi précise que le commencement d’exécution
ou une exécution interrompue de façon involontaire constituent une
tentative punissable.
Le commencement d’exécution n’est évidemment pas la simple idée
du crime. Encore une fois, le droit pénal ne réprime pas les idées ou
les intentions, à la différence de la morale. Le commencement
d'exécution se situe même un peu plus loin sur le chemin du crime
que les simples actes préparatoires : l'acte préparatoire n'est en effet
pas sanctionné. L'ex-futur braqueur de banque qui se sera contenté
d'aller faire un repérage des lieux sans finalement passer à l'acte ne
pourra pas être sanctionné. En revanche, les tribunaux ont par
exemple décidé que la personne qui s'introduit par effraction dans
une voiture en stationnement et se fait attraper avant d’avoir pu la
démarrer est coupable d’une tentative de vol.
Reste l’interruption involontaire de l’exécution, ou désistement
involontaire. Reprenons l'exemple de notre malfaiteur : en chemin
pour commettre une attaque de banque, armé, il réfléchit aux graves
conséquences de son acte futur et décide de faire demi-tour sur le
trottoir à 10 mètres de la banque. Le désistement est volontaire, il n’y
a pas de tentative. En revanche, si le malfaiteur en route pour
commettre son forfait se fait neutraliser par la police, le désistement
est involontaire, la tentative est constituée et notre malfaiteur encourt
les mêmes peines que s'il avait effectivement pillé cette banque.
Selon le Code pénal, la tentative est punissable quand le désistement
résulte de « circonstances indépendantes de la volonté » du
délinquant. Précisons – au cas où le message ne serait pas déjà
passé chez le lecteur ! – que la tentative est en théorie punie aussi
sévèrement que si l’infraction avait été réalisée…
Tuer un mort ou l’infraction impossible
Il est des cas où le criminel cherche un résultat tout simplement
impossible à atteindre, par exemple donner la mort à quelqu’un qui est
déjà décédé. Si la situation peut servir de base à un scénario de polar,
comment est-elle traitée en droit ? Il existe un délit impossible, qui n’est
pas réprimé, en matière d’empoisonnement : la personne cherchant à
empoisonner quelqu’un avec ce qu’elle croit être du cyanure, mais qui
n’est que du sucre, ne peut en principe pas être condamnée. En effet, le
Code pénal exige que la substance soit « de nature à entraîner la
mort » pour qu’il y ait empoisonnement. Mais, en dehors de ce cas
précis traité par la loi, la situation du délit ou du crime impossible a
varié avec le temps.

Au XIXe siècle, les tribunaux décidaient que le crime étant impossible, la


tentative l’était aussi. Il n’y avait donc pas de sanction… possible. Mais,
au XXe siècle, la répression de l’infraction impossible est apparue : les
juridictions assimilent l’infraction impossible à une infraction tentée (tel
un commencement d’exécution ou un désistement volontaire).
En 1986, un individu a ainsi été condamné pour tentative de meurtre,
parce qu’il avait commis des violences dans l’intention de donner la
mort, sans se rendre compte que sa victime était déjà passée de vie à
trépas. Il a en effet été jugé que le décès de la victime antérieurement
aux violences était une circonstance indépendante de la volonté de
l’accusé. Les juges ont donc estimé que porter des coups à ce qu’on
ignore être un cadavre est une tentative de meurtre.

Le droit pénal est la matière par excellence qui illustre le mieux l’idée
selon laquelle la loi évolue pour s’adapter aux évolutions des mœurs.
Ces dernières années, une pratique des plus déplaisantes nous a
donné l'occasion de confirmer cette idée : le revenge porn. Il s’agit de
la pratique, démultipliée à l’époque des réseaux sociaux, consistant
à, après une rupture amoureuse, se venger de son ex-compagnon en
diffusant de lui des contenus érotiques ou pornographiques. La
difficile appréhension légale de cette pratique a généré un fort
contentieux et a fini par conduire le législateur à intervenir, par la loi
du 7 octobre 2016. Le nouvel article 226-2-1 du Code pénal prévoit
désormais qu'est puni de deux ans d'emprisonnement et
de 60 000 euros d'amende « le fait, en l'absence d'accord de la
personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou
d'un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des
paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec
le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-
même » . L’objectif poursuivi était de permettre à toute personne de
s'opposer à la diffusion notamment de photos ou de vidéos érotiques
ou pornographiques alors qu’elle en aurait initialement accepté la
réalisation.
DANS CE CHAPITRE
Le droit de la propriété intellectuelle

Le droit de la communication
Chapitre 16
Entrée des artistes : droit de la
propriété intellectuelle et droit de
la communication
L es arts et les créations en tous genres sont des domaines
réglementés par la loi. Le droit protège les auteurs et les créateurs en
leur accordant des privilèges pour qu’ils puissent vivre de leur art. La
loi, cependant, contrôle aussi le contenu des œuvres, puisque la
justice peut, par une censure déguisée, imposer aux écrivains et aux
journalistes de taire certains propos ou d’ajouter des feuilles de vigne
pour cacher une nudité qui pourrait choquer le public… En matière de
création, la loi manie donc cumulativement la carotte et le bâton.

Le droit de la propriété intellectuelle


Le droit de la propriété intellectuelle protège l’ « ingéniosité » au sens
le plus large du terme. Il s’agit, pour la loi, de prendre soin des
créateurs. La Révolution a abandonné les privilèges, notamment les
privilèges attribués aux éditeurs/ imprimeurs, et a proclamé la liberté
la plus large : liberté de création comme liberté du commerce et de
l’industrie. Par ailleurs, en plein Siècle des lumières, il était
nécessaire de faire avancer le progrès et de développer la pensée et
les arts. L'émulation ne pouvait se faire qu'en récompensant les fins
esprits ; il était donc indispensable de leur allouer des avantages. La
récompense accordée au créateur est un droit de propriété
intellectuelle. Ce droit s’est construit grâce à une accumulation de lois
et de décrets qui ont abouti en 1992 à la mise en place du Code de la
propriété intellectuelle, véritable compilation des règles de droit
existant jusqu’alors.
La propriété intellectuelle comporte différents pans, en particulier le
droit des brevets, celui des marques, celui des dessins et modèles et
enfin le droit d'auteur. Les brevets, marques, dessins et modèles
protégés font partie de la branche du droit de la propriété
intellectuelle, baptisée droits de propriété industrielle. Leur
particularité consiste dans le fait que ces privilèges sont octroyés par
une décision administrative dont le monopole est confié pour la
France à l'Institut national de la propriété industrielle.

Tirer Lépine du pied : le droit des


brevets
Les innovations témoignant d’une activité inventive et susceptibles
d’une application industrielle peuvent être protégées par un brevet.
Celui-ci peut être octroyé par l’Institut national de la propriété
industrielle après une lourde procédure d’examen. Si l’invention est
brevetable, son descriptif est publié pour être connu de tous. La
contrepartie pour l’inventeur est que toute personne qui souhaite
utiliser son invention doit pendant une période déterminée lui verser
une redevance.
Les brevets ont une durée de validité de vingt années non
renouvelables. Une fois ce délai passé, l’invention tombe dans le
domaine public, ce qui veut dire que tout un chacun peut librement
l’exploiter et l’améliorer. Par ailleurs, le système du droit des brevets
permet de stimuler la recherche en octroyant à l’inventeur un
monopole. La contrepartie consiste à ce que l’ensemble de la
communauté scientifique pourra – à terme – s'appuyer librement sur
cette invention pour la faire progresser.

Toutes griffes dehors : le droit des


marques
Un monopole similaire résulte du droit des marques. Une marque
permet au public d'identifier des produits et des services du monde
du commerce.
Il s’agit pour la société ou la personne physique qui dépose une
marque de choisir un signe suffisamment arbitraire pour que le
consommateur, en entendant le nom, fasse immédiatement le
rapprochement avec le produit ou le service qu’il désigne.
La marque est donc un binôme nom-produit : elle n'est, par
conséquent, valable que par référence aux produits qu’elle désigne.
C’est la raison pour laquelle des marques aux noms identiques telles
que Mont Blanc peuvent librement coexister pour désigner, l’une des
crèmes dessert, et l’autre des briquets et des stylos.
Une marque n'est valable que pendant dix années ; mais,
contrairement au brevet, elle peut être indéfiniment renouvelée.
Toutefois, une marque étant un privilège accordé par l'Administration,
elle doit être exploitée pour les produits et services qu'elle désigne.
Un privilège, ça se mérite ! C'est la raison pour laquelle, si le titulaire
de la marque la met en jachère – en clair, ne l'exploite pas – pendant
plus de cinq années, le titre est susceptible d’être annulé.

Dessine-moi un sac à main : les


dessins et modèles
L’Institut national de la propriété industrielle accorde également des
titres de propriété intellectuelle en matière de dessins et modèles. Il
s’agit des fameux modèles déposés. Ce droit est accordé en fonction
de l’aspect d’un objet industriel ou artisanal nouveau qui se distingue
sensiblement dans son apparence de ce qui existait auparavant. On
peut donc trouver, au rang des dessins et modèles, certaines
créations de mode, les conditionnements de certains produits, des
gadgets… Le monopole accordé est d’une durée de cinq années,
renouvelables pour une durée maximale de vingt-cinq années.
En 2013, soucieux de protéger sa « marque de fabrique » , M.
Louboutin a enregistré au Benelux la marque consistant « en la
couleur rouge (Pantone 18-1663-TP) appliquée sur la semelle d’une
chaussure telle que représentée » . S’est alors posée la question de
savoir si l’utilisation de cette couleur apposée sur des semelles de
chaussures pouvait être constitutive d’une contrefaçon. La cour de
justice, dans son arrêt du 12 juin 2018, a confirmé la validité de la
marque de Christian Louboutin et l’exclusivité de la semelle rouge sur
des talons hauts.

La chevalerie des arts et lettres : le


droit d’auteur
Parallèlement à ces créations à vocation industrielle et commerciale,
la loi protège également les belles-lettres et les beaux-arts : il s'agit
du droit d’auteur, aussi dénommé en jargon juridique droit de la
propriété littéraire et artistique.
Les origines du droit d’auteur
Sous l'Ancien Régime, auteurs et artistes vivaient du mécénat, et
leurs œuvres étaient rémunérées une fois pour toutes par leurs
commanditaires. Les seuls monopoles accordés par le roi
bénéficiaient à certains libraires et, ponctuellement, à des
descendants de créateur. Cependant, les philosophes et autres
personnalités des Lumières se sont émus de la situation des auteurs
et ont prôné, à la veille de la Révolution, un système leur permettant
de vivre de leur art. Il s'agissait de pouvoir bénéficier d'un monopole
à vie. C'est ainsi que Beaumarchais a créé, dès 1777, la Société des
auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), destinée à défendre et
à protéger les auteurs. La SACD existe toujours et continue d’avoir
un rôle prépondérant en matière de gestion collective des droits
d’auteur.
Le droit d’auteur a été consacré législativement par deux lois
de 1791 et 1793, qui ont été en vigueur pendant de nombreuses
années, et sur les principes desquelles notre législation actuelle
s’appuie encore. Cependant, ces dispositions législatives n’ont pu
être conservées intactes, compte tenu de l’émergence de modes et
de procédés nouveaux de communication, tels que la photographie,
le cinéma, la télévision, Internet… De grandes refontes du droit de la
propriété intellectuelle ont été effectuées en 1957 et en 1985 pour
tenir compte de l'arrivée de ces nouveaux médias. Depuis les
années 1990, les réformes intervenues en la matière ont été dictées
par l'Union européenne afin d'harmoniser les législations des
différents États membres. Toutefois, les débats parlementaires ont
également été l’occasion pour certaines corporations de tenter
d’imposer un toilettage de certaines dispositions estimées obsolètes,
ou de gratter un petit monopole complémentaire.

Que protège le droit d’auteur ?


Le droit d’auteur protège les créations de l’esprit originales, c’est-à-
dire témoignant de l’empreinte de la personnalité de leur auteur. En
bref, les simples idées générales et qui ne sont pas fixées sur un
support de quelque nature qu'il soit sont dites de libre parcours et
peuvent être exploitées par tout un chacun. Ainsi, écrire une saynète
sur un mari trompé qui découvrirait l’amant de sa femme dans un
placard ne donne pas lieu à monopole compte tenu de la banalité de
cette thématique dans l’histoire des arts et des lettres.
Toutes sortes de créations artistiques sont susceptibles d'être
protégées : les écrits, les œuvres d'art graphiques et plastiques, les
photographies, les films, les performances artistiques, les numéros
de cirque, les pages d’accueil des sites Internet…
La protection par le droit d'auteur s'acquiert sans formalité : ni dépôt
ni enregistrement ne sont exigés. Aucune administration ni académie
n'est donc susceptible de définir a priori ce qui relève ou non des
beaux-arts et de la protection par le droit d’auteur. Cette tâche
appartiendra, le cas échéant, au tribunal qui pourrait, dans le cadre
d'une affaire qui lui serait soumise, refuser à l'artiste autoproclamé la
protection légale du droit d’auteur sur une pseudo-création qui serait
d’une banalité affligeante. La détermination des œuvres susceptibles
de bénéficier de la protection par le droit d'auteur fait donc l'objet d'un
véritable… flou artistique, qui évolue en fonction de la sensibilité du
juge à qui le dossier est soumis. Mais partons du postulat que
l'œuvre est originale, donc digne de protection : l'auteur pourra
bénéficier de deux types de prérogative sur cette œuvre, des droits
dits « patrimoniaux » et des droits « moraux » .
Fais GAFA tes droits !
Internet et les nouvelles technologies ont désormais une place centrale
concernant les questions de propriété intellectuelle. C’est notamment
pour cette raison qu’une directive européenne sur le droit d’auteur a
été adoptée le 26 mars 2019 par le Parlement européen, instaurant un
cadre européen en matière de droit d’auteur sur Internet.

Plus favorable à l’Europe, son objectif est de contrôler les géants


d’Internet américains, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon,
Microsoft), par la création de ce qu’on appelle un « droit voisin »
(article 15), obligeant à verser une meilleure rémunération pour les
artistes, journalistes et éditeurs de presse quant à la réutilisation de
leur production.

Ces plateformes seront responsables des œuvres diffusées et


téléchargées illégalement. Or, ce contrôle résulte d’un mécanisme de
filtrage automatique (article 17), objet de débat, cet algorithme pouvant
instaurer une forme de censure. Affaire à suivre…

« Pour pouvoir créer, encore faut-il pouvoir


manger » (Beaumarchais) : les droits
patrimoniaux
Le droit patrimonial permet à l’auteur d’autoriser ou d’interdire la
reproduction, la représentation et la communication au public de son
œuvre. Il s’agit également, pour l'auteur, du droit de bénéficier, en
contrepartie de l'exploitation de sa création, d’une juste rémunération.
Celle-ci doit être proportionnelle aux recettes d’exploitation de
l’œuvre. L’auteur est ainsi directement associé à son succès
commercial.
Le droit patrimonial a la particularité d’être temporaire. Il est accordé
à l’auteur pour sa vie durant, ainsi que pour ses héritiers pendant
soixante-dix ans. Une fois les droits patrimoniaux éteints, les œuvres
tombent dans le domaine public et peuvent être reproduites et
exploitées par tous sans qu’il y ait à demander un accord et, a fortiori,
à verser la moindre rémunération.

Le fleuron du droit d’auteur à la française : le


droit moral
Le droit moral est d'une autre nature. Il comporte d'ailleurs différents
attributs, en particulier le droit à la paternité et le droit à l’intégrité. La
paternité, c’est le fait que toute œuvre doit être signée pour que le
public puisse en identifier l'auteur. Le droit moral permet également à
un auteur de s’opposer à ce que l’on porte atteinte à l’intégrité de son
œuvre, c’est-à-dire concrètement qu’on la détruise ou plus
simplement qu'on la modifie.
Le droit moral, contrairement aux droits patrimoniaux, est perpétuel. Il
est exercé par l’auteur sa vie durant, puis par ses héritiers sans
limitation de durée. Ce droit ne peut être cédé par contrat. Le droit
moral marque ainsi la particularité du droit français, puisque l’auteur a
seul la faculté, de son vivant, de brandir arbitrairement son droit
moral, sans que l’on puisse s’y opposer. Les héritiers de l’auteur
doivent l’exercer en fonction des volontés exprimées par l’auteur de
son vivant. Le droit moral est donc parfois considéré comme un super
joker, permettant à l'auteur de s'opposer à toute exploitation de son
œuvre qui serait effectuée dans des conditions morales qui ne le
satisferaient pas.
Les pays de tradition anglo-saxonne ne connaissent pas ce droit,
puisque la propriété littéraire et artistique s’intitule pour eux copyright,
c’est-à-dire « droit de copier » . Dans le système du copyright,
l’auteur perd complètement la maîtrise de la vie de son œuvre une
fois qu’elle est cédée à un producteur ou à un éditeur. C’est la raison
pour laquelle l’harmonisation européenne en la matière est
particulièrement délicate, car les pays de tradition anglo-saxonne
craignent par-dessus tout qu’on leur impose d’intégrer le droit moral
dans leur arsenal juridique. Réciproquement, la France et les autres
pays de tradition juridique latine refusent d’abdiquer et de renoncer à
cette prérogative d’importance.
Figure 16-1 En un coup d’œil : le droit de la propriété intellectuelle.
La contrefaçon : gare aux
bulldozers !
Toute reproduction, tout achat ou toute vente d’un produit couvert par
un brevet, une marque, un dessin et modèle ou un droit d’auteur,
sans l’autorisation de son propriétaire et sans rémunération, constitue
une contrefaçon. Et cet acte est une infraction pénale. Tout
contrefacteur s’expose non seulement à une peine de prison, mais
également à la confiscation de la marchandise, au paiement
d'amendes et au versement de lourds dommages et intérêts.
C’est sur le fondement de ces dispositions législatives que les
grandes marques de l'industrie du luxe ont pu procéder publiquement
à la destruction par bulldozer, et sous les caméras, de stocks de
montres saisies en douanes. Les règles relatives à la contrefaçon
permettent également d'interpeller les touristes de retour d'Asie qui
reviennent avec dans leurs valises des montres Cratier, des sacs
Crada ou des foulards Vritton achetés à petits prix sur les marchés…

Hum hum : le droit de la


communication
Le droit de la communication est en plein essor. Une chambre
spécialisée a été créée au sein du tribunal de grande instance de
Paris : elle ne traite que des affaires de droit de la communication.
Par commodité et raccourci, on l'appelle la « chambre de la presse »
. Mais le droit de la communication ne concerne pas que la presse : il
s'applique aux films, aux livres, aux affiches, aux tracts, aux textes de
rap, etc.

Restons polis ! L’injure et la


diffamation
Le droit de la presse est principalement régi par une loi, la loi sur la
liberté de la presse – ce qui, au premier abord, est plutôt rassurant
(malgré le nombre important d'infractions qui y sont définies…). Que
cette loi date du 29 juillet 1881 l'est moins ! Toutefois, ce texte a été
adapté afin de tenir compte de l'apparition et du développement de
nouveaux médias : en 1982 et en 1986 pour s'adapter à l’apparition
de l’audiovisuel et en 2004 avec l’essor d’Internet. Mais les
principaux mécanismes ont été définis en 1881 et sont inchangés
depuis. Il en va ainsi de l'injure et de la diffamation, qui sont les
principaux délits prévus par la loi du 29 juillet 1881.
Il est assez simple de s'imaginer ce qu'est l'injure : ici, la signification
est à peu près la même en droit et dans le langage courant.
Néanmoins, il peut falloir une longue procédure judiciaire pour arriver
à la conclusion que traiter quelqu’un de « nabot » est une injure ! Au-
delà de l'insulte en tant que telle, les tribunaux considèrent comme
une injure toute « invective » , tout « terme de mépris ou d’outrage » .
Il s’agit donc de faire attention à ses propos lorsqu’on est invité au
journal de 20 heures ou éliminé du « Maillon faible » !
Quant à l’interdiction de diffamation, elle est un mécanisme
principalement destiné à encadrer le travail des journalistes.
Fondamentalement, le délit de diffamation est supposé représenter
un garde-fou qui vise à sanctionner les accusations qui ne peuvent
pas être prouvées. En effet, le journaliste ayant la malchance d'être
poursuivi en diffamation à cause d'un article qu'il a rédigé dispose,
comme premier moyen de défense, de la faculté de prouver que ce
qu’il a écrit est vrai. Ainsi, le journaliste qui a écrit un papier dans
lequel il accuse telle usine de polluer la rivière qui coule à proximité
sur la base d’une copie du résultat d’analyses chimiques montrant
que les flots sont saturés d'un produit toxique utilisé par l'industriel ne
sera pas condamné pour diffamation. En revanche, si le journaliste
ne dispose que du témoignage d'un agriculteur qui affirme que les
vaches de son troupeau refusent de s’abreuver dans la rivière
comme elles le faisaient auparavant, son sort devant le tribunal est
plus incertain !
Le deuxième moyen d'éviter d'être condamné pour diffamation est de
prouver sa bonne foi. Cette notion a été créée puis théorisée par les
tribunaux au cours de la première moitié du XXe siècle. Pour prouver
sa bonne foi, le journaliste doit démontrer plusieurs éléments :
notamment qu'il s'est livré à une enquête sérieuse, et aussi qu’il est
resté prudent et mesuré dans son expression. L’enquête sérieuse
repose sur la qualité des sources d’information du journaliste. Un
tribunal a ainsi pu décider que le journaliste qui avait écrit un article
au vitriol sur une entreprise à partir du témoignage d’un seul salarié
récemment licencié n’avait pas effectué une enquête sérieuse (il est
en effet permis de douter de l'objectivité de l’ex-employé tout juste
arrivé à la case Pôle emploi…).
Blog et diffamation
La loi de 1881 ne s’applique pas qu’aux journalistes. Elle s’applique,
sous certaines conditions, à Internet et donc aux blogs. Le tribunal de
grande instance de Paris a rendu, le 17 mars 2006, un jugement
concernant un blog. Les magistrats ont considéré que la personne qui
tient un blog à titre purement privé et bénévole n’est pas obligée de se
livrer à une enquête et à une vérification de ses sources aussi
pointilleuses que celles qui incombent à un journaliste professionnel.
Concrètement, le tribunal a jugé que le responsable du blog pouvait
citer des extraits d’un article paru dans un quotidien régional « sans
avoir à vérifier le bien-fondé des informations » contenues dans cet
article. Autrement dit, le tribunal a appliqué les règles de la loi de 1881,
mais avec plus d’indulgence vis-à-vis de l’amateur que du
professionnel. Attention toutefois : cette décision favorable au
« blogueur » n’est pas définitive, un appel étant en cours. Un peu de
prudence, donc, malgré tout.

Les accusations qui seront sanctionnées si le journaliste ne peut les


prouver sont très vastes : la loi de 1881 parle d' « atteinte à l'honneur
et à la considération » . Ainsi, toute remise en cause de la moralité ou
de la réputation d'un individu est susceptible d'être diffamatoire. Ce
qui fait parfois dire que le juge de la diffamation est le juge « des ego
des plaignants » … En outre, la sanction peut tomber malgré
certaines précautions de style. Les juges estiment qu'il est
diffamatoire de titrer « Le comptable se servait dans la caisse » ,
mais aussi de mettre en une « Le comptable se serait-il servi dans la
caisse ? » . La règle peut paraître sévère… C’est ici le formidable
pouvoir évocateur des médias qui est pris en compte par les
magistrats.
La sanction n’est pas la même selon que les propos ou écrits sont
publics ou non. La diffamation et l'injure non publiques sont des
contraventions beaucoup moins sévèrement sanctionnées que les
délits de diffamation et d'injure publiques. Il est donc moins risqué de
dire ses quatre vérités au voisin qu’on ne supporte plus dans un
courrier privé qu'en pleine rue devant de nombreux témoins !
La notion de publicité n’est parfois pas évidente à cerner. Il est
incontestable que l’article d’un quotidien ou le reportage d’une
émission télévisée sont publics. Mais le nombre ne fait pas le public.
Ainsi, les propos ou les écrits diffusés à tous les salariés d’une
entreprise, mais uniquement à ceux-ci, sont a priori considérés par
les juges comme non publics… Il existe de nombreuses décisions de
justice aux termes desquelles les propos du syndicaliste tenus lors
d’une réunion, peu amènes voire très virulents à l'égard de la
direction, ou une harangue affichée dans les couloirs de l’entreprise
sont non publics. Le dirigeant susceptible et/ou le syndicaliste
excessif sont alors amenés à s’expliquer devant un tribunal de police
et non devant un tribunal correctionnel – et le syndicaliste qui a
dérapé risque financièrement environ 300 fois moins que s'il avait
rédigé un article dans un journal externe à la société qu'il critique !
La loi du 29 juillet 1881
La censure a toujours été très présente en France. Jusqu’en 1728, le
délit de publication sans autorisation était sanctionné de la peine de
mort. En 1791, le délit d’opinion est puni de mort. Il faut donc
attendre 1881 pour que la censure et la répression cèdent la place à la
liberté d’expression. Néanmoins, la loi sur la liberté de la presse de
1881 est aujourd’hui un catalogue d’interdictions, malgré son intitulé !
En cela, ce texte traduit le principe posé par l’article 11 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La libre
communication des pensées et des opinions est un des droits les plus
précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer
librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas
déterminés par la loi. » Ainsi, la presse est libre, dans le cadre de toutes
les interdictions auxquelles elle est soumise…

La loi de 1881 réprime aujourd’hui le racisme, le révisionnisme, le


sexisme et l’homophobie (depuis le 30 décembre 2004), mais aussi
l’offense au président de la République. Cette loi interdit aussi tout
texte ou illustration concernant le suicide de mineurs de moins
de 18 ans, ainsi que tout texte ou illustration concernant l’identité et la
personnalité des mineurs de moins de 18 ans qui ont quitté leurs
parents, leur tuteur, la personne ou l’institution qui était chargée de
leur garde…

Chacun reste chez soi : le respect de


la vie privée
L'article 9 du Code civil prévoit que « chacun a droit au respect de sa
vie privée » . Cependant, la loi ne donne pas de définition de la « vie
privée » . Ce sont donc les tribunaux qui ont eu la tâche de préciser
les contours de cette notion. Généralement, les juges utilisent la
formule suivante : « Le droit à la vie privée, c'est le droit à une vie
retirée et anonyme à l’abri des regards indiscrets, le droit de mener
son existence comme on l’entend, sans ingérences extérieures. » Le
principe est qu’une information qui relève de la sphère de la vie
privée d’un individu ne peut être révélée sans son consentement.
Au fur et à mesure des différentes décisions de justice, il est possible
d'établir une liste indicative de ce qui relève de la vie privée : la vie
sentimentale, l'orientation sexuelle, les opinions politiques,
l’appartenance religieuse, l’état de santé, etc. Révéler
l’homosexualité de quelqu’un contre son gré (la pratique de l’outing)
est une atteinte à sa vie privée. Il en va encore de même de
l’appartenance à la franc-maçonnerie, les tribunaux rangeant cette
adhésion sous la bannière des « convictions philosophiques » .
Néanmoins, le principe de respect de la vie privée doit être mis en
balance avec le principe de la liberté d’expression et son corollaire, la
liberté d’information. Dans certains cas, il est donc possible de
révéler un élément appartenant à la vie privée de quelqu’un. Il est
ainsi permis de faire une révélation concernant la vie privée de
quelqu’un lorsqu’il s’agit d’une information du public légitime. En
général, l’information est légitime lorsqu’elle concerne l’actualité.
Par ailleurs, avec l’accord de la personne intéressée, il est
évidemment possible d’évoquer sa vie privée. La personnalité
médiatique qui vient de son plein gré se confier sur ses difficultés
conjugales afin de se faire un peu de publicité dans la presse people
peut difficilement se plaindre par la suite d'une atteinte à sa vie
privée… Une fois que la personnalité s'est « confessée » dans un
magazine en vue, elle a du mal à empêcher que les informations
qu’elle a révélées soient reprises par un journal concurrent.
Enfin, notons que la Cour de cassation a jugé qu'il est possible de
révéler un élément appartenant à la vie privée de quelqu'un si cet
élément est anodin. Ainsi, le journal qui a révélé que deux époux en
instance de divorce, personnalités connues d’une famille princière, se
sont retrouvés pour déjeuner ensemble dans un restaurant à la mode
ne commet pas d’atteinte à leur vie privée.
L’argent et la vie privée
Dans les années 1960, les tribunaux décidaient que le niveau de
fortune, les ressources appartenaient à la sphère de la vie privée. Il
n’était pas possible de les révéler, sauf accord de la personne
concernée. Avec l’évolution de la société et notamment sous l’influence
américaine, la position des juges a évolué. Il est désormais possible de
révéler des informations sur les ressources de certaines personnalités,
à condition de s’en tenir à des éléments d’ordre strictement financier,
sans déborder sur des appréciations concernant le mode de vie. C’est
ainsi que sont désormais publiées des enquêtes telles que « L’acteur de
cinéma le mieux payé de l’année » ou « Les 100 premières fortunes de
France ».

Miroir, mon beau miroir : le droit à


l’image
Le droit à l’image a été créé par les tribunaux. En effet, à la différence
de la vie privée, aucune loi ne dit explicitement que chacun a droit au
respect de son image. L'un des raisonnements récurrents des juges
est le suivant : la loi protège la vie privée ; l'image appartient à la vie
privée. Donc, l'image est protégée. Le principe est ainsi le même
qu'en matière de vie privée : l'image d'une personne ne peut être
diffusée sans son consentement. Avec l'accord de la personne
concernée, il est possible de montrer son image. Mais l’autorisation
doit porter sur l’exploitation et non sur la seule prise de vue.
Figure 16-2 En un coup d’œil : les bases du droit à l’image.

Une personne peut accepter de se faire photographier, mais selon


que le cliché finira dans un album de famille ou à la une d'un
magazine, la situation n'est évidemment pas la même.
Il est toutefois des cas où la photographie d'un individu peut être
diffusée même sans son accord. C’est le cas de l’image d’un individu
ayant participé à un événement d’actualité. Des quotidiens
d’information générale, comme Libération ou Le Parisien, peuvent, en
principe, reproduire la photographie représentant un participant à la
manifestation de la veille sans avoir à recueillir son accord. Il en va
de même au journal télévisé.
De plus en plus, la tendance des tribunaux est de permettre la
diffusion de l'image d'une personne sans son consentement. Ainsi, la
liste des justifications à la publication même sans l’accord de la
personne concernée ne cesse de s’allonger. Au-delà du fait
d'actualité, donc récent, est admis l'événement historique. Les
tribunaux ont ainsi jugé qu'une manifestante, devenue l'icône de
Mai 68, ne pouvait s'opposer à la diffusion d'une photographie la
représentant juchée sur les épaules d’un autre manifestant et
brandissant un drapeau vietnamien.
La circonstance justifiant la diffusion de l'image peut aussi relever de
l'histoire des grandes affaires criminelles. Il a été parfois jugé que la
personne mêlée à un grand procès ayant défrayé la chronique ne
pouvait s'opposer à la diffusion d'une photographie, prise à l’époque
de ce procès, sur laquelle elle apparaît. L’acte justifiant la diffusion de
l'image peut également appartenir au domaine sportif. Christophe
Dominici, par exemple, ne peut s’opposer à l’utilisation d’une
photographie de lui, prise lors de la Coupe du monde de rugby, en
couverture d’un ouvrage technique consacré à ce sport.
Circulez, y’a rien à voir
Il existe deux limites infranchissables en matière de diffusion d’images.
La Cour de cassation a jugé que l’exploitation d’une photographie
portant atteinte à la dignité humaine n’était pas possible, quelles que
soient les circonstances. C’est pour cette raison que le cliché du corps
sanguinolent du préfet Érignac, victime d’un assassinat, a été interdit.
En mars 2007, c’est la photographie d’un célèbre acteur français,
allongé sur une civière entre la vie et la mort après une attaque
cérébrale, qui a été jugée attentatoire à la dignité humaine. L’atteinte à
la dignité humaine est ainsi souvent invoquée devant les tribunaux
pour contester la publication d’une photographie (et obtenir des
dommages et intérêts). Mais il est rare que les juges concluent que
cette atteinte est constituée.

La deuxième limite consiste en l’interdiction de publier une


photographie montrant une personne menottée ou lors de sa
détention provisoire (c’est-à-dire emprisonnée mais pas encore jugée).
Ces prohibitions résultent d’une loi de 2000 visant à renforcer la
protection de la présomption d’innocence. Un hebdomadaire a ainsi
été condamné pour avoir publié une photographie d’un protagoniste
de l’affaire Elf dans la cour de la prison de la Santé, alors qu’il n’avait
pas encore été jugé.
DANS CE CHAPITRE
Le principe de légalité

La notion de service public

La responsabilité administrative
Chapitre 17
Les géants en action : le droit
administratif
A ux États-Unis et au Royaume-Uni, l'Administration est régie par
les mêmes règles que celles qui sont applicables aux citoyens. En
France, ce n'est pas le cas. L'Administration y est soumise à un
ensemble de règles particulières qui forme ce qu’on appelle le droit
administratif. L’application de ces règles est contrôlée par un
magistrat spécifique spécial, dénommé juge administratif.
Ainsi, le tribunal jugeant l'Administration n'est pas le même que celui
des autres justiciables. Pour un problème de trouble du voisinage, si
la haie de votre voisin place votre terrasse irrémédiablement à
l’ombre, il faut saisir le tribunal de grande instance (ou tribunal
judiciaire), juridiction civile. Mais, en cas de litige avec une
administration, il faut saisir un tribunal administratif, puis, le cas
échéant, une cour administrative d'appel et, enfin, en ultime recours,
le Conseil d'État, qui sont ce qu’on appelle les juridictions
administratives.
L'une des justifications de cette situation est que les individus
agissent dans un but d'intérêt particulier, alors que l'Administration
poursuit un but d'intérêt public, d'intérêt général ; ce qui nécessite
qu'elle soit soumise à des règles différentes.

Le principe de légalité
L'Administration n'a pas un pouvoir illimité. Elle doit, heureusement,
agir en respectant la loi ; c'est ce qu'on appelle le principe de légalité.

Les sources écrites de la légalité


L'Administration doit respecter la loi, et plus généralement toutes les
règles de droit. Car il n'y a pas que la loi qui fixe ces règles, mais une
multitude de textes. Pour y voir clair et pour que tout cela fonctionne,
le juriste – dont c'est une manie ! – a classé les textes créateurs de
droit et, surtout, les a hiérarchisés. C'est ce qu’on appelle la
hiérarchie des normes : concrètement, un texte inférieur dans la
hiérarchie peut fixer une règle à condition de respecter les textes
supérieurs.
Au sommet de cette hiérarchie se trouve la Constitution de la Ve
République, rédigée en 1958. C’est la règle suprême. Toutes les
autres règles édictées en France doivent respecter la Constitution.
En dessous de la Constitution viennent les traités internationaux
ratifiés par la France, qui ont une valeur supérieure à la loi. Ensuite, il
y a la loi. Puis, après la loi s’inscrivent les règlements, c’est-à-dire les
textes édictés par l'Administration. Ils sont de valeur plus ou moins
grande selon leur auteur. Par ordre décroissant d’importance, il est
possible de recenser les textes du Premier ministre, ceux des
ministres, ceux des préfets et ceux des maires.
L’Union européenne est également source de légalité. On distingue
les règlements communautaires, directement applicables en droit
français sans qu’il soit nécessaire que le législateur adopte un texte à
cet effet, et les directives européennes, qui ne sont, elles, pas
directement applicables : il est indispensable que le Parlement vote
une loi afin de transposer la directive dans notre droit.

La Constitution n’est pas seule ! Le bloc de


constitutionnalité
Le préambule de la Constitution de 1958 fait référence au préambule
de la Constitution de 1946 (IVe République) ainsi qu’à la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen de 1789 (voir chapitre 1). En
conséquence, le préambule de la Constitution de 1946 et la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ont également une valeur
constitutionnelle. On parle donc d’un bloc de constitutionnalité, qui
comprend non seulement la Constitution de 1958, mais aussi les deux
textes visés dans son préambule. Ainsi, une loi ou un règlement, pour
être constitutionnels, c’est-à-dire réguliers, doivent être conformes à
l’ensemble du bloc de constitutionnalité.
Figure 17-1 La hiérarchie des sources écrites de la légalité.

Les principes généraux du droit


Les principes généraux du droit sont une catégorie à part parmi les
sources de la légalité administrative, appliqués pour la première fois
par le Conseil d’État en 1945. Selon de Laubadère, « on appelle ainsi
un certain nombre de principes qui ne figurent pas dans les textes,
mais que les tribunaux reconnaissent comme devant être respectés
par l'Administration ; leur violation constitue une illégalité » . Les
juges peuvent créer un principe général du droit en généralisant un
principe formulé dans un texte précis, en déduisant un tel principe de
l’esprit d’un texte ou plus généralement en se fondant sur des
considérations d’éthique politique et sociale.
Pas de discrimination à l’ENA !
L’affaire Barel, en 1954, est un exemple éloquent de création d’un
principe général du droit. La présidence du Conseil avait refusé la
candidature au concours de l’ENA de plusieurs personnes, dont M.
Barel. Il se disait dans la presse que l’accès au concours avait
arbitrairement été refusé à des individus parce qu’ils étaient
communistes, donc mal vus en cette époque de guerre froide, ce que le
ministère niait farouchement. Les candidats exclus formèrent un
recours devant le Conseil d’État. La juridiction administrative demanda
au ministère d’expliquer les raisons qui avaient motivé une telle
exclusion. Le ministère ne fournit aucune explication. Dès lors, le
Conseil d’État annula la décision en estimant que le gouvernement, qui
avait écarté un candidat en se fondant sur ses opinions politiques,
n’avait pas respecté le principe d’égalité de tous les Français aux
emplois et fonctions publics, principe général du droit créé pour la
circonstance.

La jurisprudence
La jurisprudence, c’est-à-dire l’ensemble des jugements rendus par
les tribunaux, joue un grand rôle en droit administratif. C’est elle qui
construit peu à peu la matière. Par la suite, l'Administration, quand
elle agit, doit tenir compte des jugements rendus par les tribunaux,
pour éviter de prendre des mesures qui seraient illégales, car
contraires à des jugements déjà prononcés. Même si, en principe, le
juge ne peut prendre des « arrêts de règlement » , qui auraient une
vocation générale.

Le service public
La notion de service public est la cheville ouvrière du droit
administratif, certains commentateurs allant jusqu’à dire que le droit
administratif est le droit des services publics. Le service public peut
être défini comme l'activité assurée par une entité publique en vue de
satisfaire un besoin d’intérêt général.

Service public administratif et


service public industriel et
commercial
Le service public administratif est l’activité administrative par
essence. Il est soumis au droit administratif. Le service public
industriel et commercial, comme son nom l’indique, se rapproche
plus d’une entreprise ordinaire, qui poursuit néanmoins un but
d’intérêt général. Ce service public est soumis pour partie au droit
public et pour partie au droit privé.

Les principes fondamentaux du


service public
Dans la mesure où c’est l’intérêt général qui est recherché, le service
public est soumis à de grands principes qui régissent son activité :

• Le service public doit fonctionner sans interruption, en vertu du


principe de continuité (ce qui n’empêche pas la grève).

• Par application du principe d’adaptation du service public, celui-


ci s’adaptera aux changements exigés par l’évolution de l’intérêt
général.
• Les citoyens sont égaux, tant devant les avantages que pour
les charges du service public. On parle d’ « égalité devant le
service public » .
• Le principe de gratuité du service public ne s’applique qu’aux
services publics administratifs imposés aux usagers.
L’intelligence artificielle, les prémices d’une
administration robotisée ?
Dans la continuité de l’institutionnalisation des nouvelles technologies,
le droit administratif français a décidé de s’atteler à l’encadrement des
intelligences artificielles.

Dans cette optique, le Conseil d’État, la Cour de cassation, avec


l’assistance de la Direction interministérielle du numérique (DINSIC) et
de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP)
se sont associés dans le cadre d’un projet autour de l’intelligence
artificielle.

L’idée derrière ce projet était l’éventuelle utilisation de méthodes de


traitement du langage naturel pour parvenir à un classement plus
fluide des jurisprudences du Conseil d’État.

Ainsi, l’intelligence artificielle deviendrait une sorte de juriste robotisé


qui permettrait de maximiser l’efficacité de la nomenclature des
décisions des juridictions.

Ces avancées sont à relativiser cependant au vu de la complexité de la


réglementation des intelligences artificielles et de leur fiabilité. Ce n’est
donc pas demain la veille que nous assisterons à une plaidoirie de
robot !

La responsabilité administrative
À l’origine, l’État ne pouvait voir sa responsabilité mise en cause, en
vertu de l’adage selon lequel « le roi ne peut mal faire » . En 1873,
l’arrêt Blanco consacre le principe de responsabilité de l'État, tout en
affirmant que celle-ci n'est pas soumise aux règles de droit commun
prévues par le Code civil.

La responsabilité du fonctionnaire
Il faut distinguer la faute de service, qui entraîne la responsabilité de
l'Administration et qui est jugée par le tribunal administratif, de la
faute personnelle du fonctionnaire, qui peut engager sa propre
responsabilité et relève des tribunaux judiciaires. Ainsi, le militaire qui
cause un accident pendant ses congés peut voir sa propre
responsabilité mise en cause, car la faute éventuellement commise
n’a aucun lien avec le service public auquel il participe en tant que
militaire.
Dans certains cas, la faute peut être commise à l’occasion de
l’exercice du service public, mais être considérée comme détachable
de celui-ci, parce qu’elle est particulièrement grave ou qu’elle résulte
d’une malveillance.
Dans ce cas, elle entraîne la responsabilité personnelle du
fonctionnaire. Par exemple, le maire qui emploie des termes
diffamatoires dans un communiqué engage sa propre responsabilité,
car il a fait preuve de malveillance. Il a aussi été jugé en 2004 que le
préfet qui donne l’ordre de détruire des paillotes construites sans
autorisation sur le domaine public commet une faute détachable du
service public, du fait de sa gravité.
Il peut aussi se présenter ce qu’on appelle un cumul de
responsabilité entre le fonctionnaire et l'Administration. Il suffit que la
faute personnelle du fonctionnaire ait été commise pendant le service
pour que la responsabilité de l'Administration puisse aussi être mise
en jeu. Dans ce cas, la victime peut demander au juge judiciaire de
condamner le fonctionnaire et au juge administratif de condamner
l'Administration. En revanche, la victime ne peut être indemnisée
qu'une fois. Le plus souvent, la victime agit contre l'Administration,
plus solvable, qui éventuellement, par la suite, se retourne contre le
fonctionnaire.
Faute personnelle et faute de service : l’affaire
Papon
Maurice Papon a été condamné par la cour d’assises de la Gironde, à
Bordeaux (juridiction judiciaire), à une peine de réclusion criminelle, au
plan pénal, et à plusieurs millions de francs de dommages et intérêts,
au plan civil, du fait de sa responsabilité dans la déportation de familles
juives alors qu’il était fonctionnaire à Bordeaux pendant la Seconde
Guerre mondiale. Le juge judiciaire a ainsi estimé qu’il y avait une faute
personnelle de l’intéressé, entraînant sa propre responsabilité. Maurice
Papon considérait, lui, qu’il y avait aussi une faute de service,
entraînant la responsabilité de l’Administration. Il s’est donc retourné
contre l’État devant les juridictions administratives. Le juge
administratif a pris en compte une ordonnance du 9 août 1944 qui a
expressément constaté la nullité des actes du gouvernement de Vichy.
Ce faisant, selon le juge, le gouvernement de 1944 a admis que les
agissements du régime de Vichy avaient un caractère fautif. Le Conseil
d’État a donc conclu à l’existence d’une faute de service, entraînant un
partage de responsabilité entre Maurice Papon et l’Administration.

Figure 17-2 La responsabilité du fonctionnaire.


La responsabilité de
l’Administration
En principe, la responsabilité de l'Administration est engagée en cas
de faute de service. La faute de service peut être un mauvais
fonctionnement, un retard ou une inaction de la part d’un service, ou
bien encore une action illégale.
Dans la plupart des cas, une faute simple suffit à engager la
responsabilité de l'État. Mais, lorsque le service est difficile à gérer
(services de police ou services de lutte contre l’incendie, par
exemple), une faute lourde est nécessaire pour justifier des
poursuites. Cependant, les domaines où une faute lourde est exigée
tendent à se raréfier avec le temps.
Sauf cas particuliers, c'est à la victime de prouver la faute qu'elle
reproche à l'Administration, conformément à un adage plus général
en droit, selon lequel « la charge de la preuve incombe au
demandeur » dans le procès.
Par exception, la responsabilité de l'Administration peut être engagée
même en l’absence de faute de celle-ci. Il s’agit par exemple de la
responsabilité fondée sur le risque créé : il a ainsi été jugé
en 1919 que l'explosion d'un dépôt de grenades engage la
responsabilité de l'Administration en dehors de toute faute.
Le préjudice, pour être réparable, doit être « certain » et « direct » .
Le caractère certain du préjudice signifie que ce dernier est bien
survenu ; à défaut, il s'agit d'un « préjudice éventuel » , qui n’est pas
réparable. Le caractère direct signifie qu'il doit exister un lien de
causalité direct entre la faute de l'Administration et le préjudice subi.
Néanmoins, les tribunaux rendent des décisions parfois surprenantes
concernant la causalité directe ; il a par exemple été jugé que la
responsabilité d’un hôpital était engagée à la suite de la transmission
d’une séropositivité par une infirmière à son mari au cours de
relations sexuelles, l'infirmière ayant été contaminée par un malade
ayant volontairement renversé du sang sur elle.
Enfin, le préjudice peut être matériel ou moral. En effet, depuis 1961,
le préjudice moral est indemnisable en droit administratif.
Et l’erreur judiciaire ?
La responsabilité de l’État peut être engagée du fait des
dysfonctionnements de la justice. Il existe en effet un système de
responsabilité du fait du service public de la justice organisé par
plusieurs lois. Une loi du 2 juin 1895 organise l’indemnisation d’un
condamné dont l’innocence a été reconnue. Une loi
du 17 juillet 1970 ouvre la possibilité d’une indemnisation en cas de
détention provisoire ayant causé un préjudice anormal et spécialement
grave. Enfin, une loi du 5 juillet 1972 prévoit que l’État doit réparer le
dommage résultant du fonctionnement défectueux de la justice en cas
de faute lourde du service et aussi en cas de faute personnelle.
DANS CE CHAPITRE
Les questions soulevées par les progrès de la recherche
médicale

La traduction juridique du souci de l'environnement


Chapitre 18
Les nouvelles frontières du droit :
la bioéthique et l’environnement
P armi les lieux communs en matière de recherche scientifique, on a
l'habitude de citer Rabelais : «Science sans conscience n'est que
ruine de l'âme. » La loi a donc vocation à supplanter la conscience
des scientifiques pour réglementer tant l’activité des chercheurs que
les conséquences néfastes de certaines de leurs découvertes. Ainsi,
les lois bioéthiques viennent brider la créativité des savants fous qui,
sans scrupule, manipulent à tout va le corps humain. Par ailleurs, les
avancées de l’industrialisation menacent la planète, et le droit tente
d’en réparer les conséquences.

Savants fous et vrais chercheurs : la


bioéthique
La législation intervient généralement a posteriori à la suite d’un fait
divers, d'un débat de société, de la communication au public d'un
progrès scientifique ou technique. Les progrès de la science
soulèvent aujourd’hui des questions qui étaient inimaginables il y a
deux cents ans, lors de la création des Codes napoléoniens. Les lois
peuvent donc vite sembler obsolètes face à la vitesse à laquelle le
progrès scientifique avance.
On se souvient d'Amandine, premier « bébé-éprouvette » français, de
l'exhumation d'un acteur décédé aux fins de pratiquer des tests
génétiques, de Dolly la brebis clonée, de la greffe de visage effectuée
en 2005… C'est ainsi qu'ont émergé, depuis 1994, différentes lois
dites bioéthiques, chargées d’encadrer les sciences de la vie dans
des domaines tels que l’expérimentation sur l’homme, le don et
l’utilisation d’organes et de produits du corps humain, la procréation
médicalement assistée, la manipulation génétique…
Plus récemment, l'affaire Vincent Lambert a énormément secoué
l'opinion publique et a probablement permis de placer la question de
la fin de vie, habituellement reléguée au rang des éternels tabous, au
cœur du débat sur les évolutions législatives et bioéthiques de ces
prochaines années.

Un lifting imposé tous les cinq ans


(ou presque)
Les domaines d’intervention des lois sur la bioéthique sont sensibles,
car touchant au respect de la vie et du corps humain. Les
parlementaires ont légiféré avec une grande prudence en prévoyant
un toilettage régulier obligatoire de ces lois. Ainsi, afin de conserver
toute leur actualité, les lois bioéthiques de 1994 devaient faire l'objet
d'une révision au bout de cinq années, révision qui est en définitive
intervenue… en 2004. Cette dernière loi fera également l’objet d’un
nouvel examen d’ensemble par le Parlement dans un délai de cinq
années à compter de son entrée en vigueur, soit – en théorie – avant
août 2009. La bioéthique est donc un droit voué à subir les mutations
du temps et du progrès scientifique, en sus de la lenteur et des
caprices du législateur.
Présenté en Conseil des ministres le 24 juillet 2019 et porté par
Agnès Buzyn (Santé), Nicole Belloubet (Justice) et Frédérique Vidal
(Recherche), le projet de loi relatif à la bioéthique propose des
avancées indéniables et des mesures plus controversées et
encadrées. La mesure phare de ce texte est sans conteste la
procréation médicalement assistée (PMA) ouverte à toutes les
femmes, y compris donc les femmes seules et les couples de
femmes.
Le noyau central des lois dites « bioéthiques » est relatif à la création
de la vie (procréation médicalement assistée, clonage…) et à
l'ingérence scientifique ou médicale sur le corps humain
(expérimentation, stérilisation, don d’organes…). Le respect de la vie
et du corps humain est une liberté fondamentale qui doit être
protégée contre toute atteinte venant d'un tiers. Le Code civil précise
ainsi : « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est
inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent
faire l’objet d’un droit patrimonial. »
Toute personne a la maîtrise
exclusive de son propre corps
Entretenir des relations sexuelles (entre adultes consentants) de
façon gratuite ou monnayée est permis. La prostitution n'est pas
réprimandée par la loi ; seules les conditions dans lesquelles elle est
parfois susceptible d’être exercée l’est – le racolage, par exemple. Le
racolage consiste à avoir un comportement public (même dans une
attitude passive) destiné à inciter autrui à des relations sexuelles en
échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération. En
matière de lutte contre la prostitution, la loi du 13 avril 2016 a marqué
une petite révolution en pénalisant le client. Cette disposition, portée
devant le Conseil constitutionnel, a été jugée conforme à la
Constitution début 2019. Des pratiques comme le sadomasochisme
sont également admises, toujours compte tenu du principe de la
liberté de disposer de son corps – sous réserve qu'elles n'entraînent
pas des blessures graves.
Cette maîtrise exclusive du corps implique qu’une personne peut
refuser tout traitement médical. Le Code de la santé publique prévoit
qu’aucun acte médical ni traitement ne peut être pratiqué sans le
consentement libre et éclairé de la personne, et ce consentement
peut être retiré à tout moment. Le corollaire de ce principe est
l’obligation pour le médecin de donner les informations
indispensables afin que le patient puisse avoir conscience des
conséquences de l'acceptation ou du refus du traitement.
Le Code civil poursuit en précisant : « Il ne peut être porté atteinte à
l'intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la
personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui.
Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors
le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à
laquelle il n'est pas à même de consentir » (article 16-3 du Code
civil).
Cette rédaction est issue d'une loi adoptée en 1999. Auparavant,
l'atteinte à l'intégrité physique devait être justifiée par une « nécessité
thérapeutique » , donc par le besoin de soigner un mal. Cela
impliquait l’illégalité de mesures de stérilisation par ligature des
trompes de Fallope (intervention médicale irréversible) pratiquées à
des fins strictement contraceptives, notamment sur des personnes
handicapées. Désormais, le terme « thérapeutique » a été remplacé
par celui de « médical » . Cette nouvelle rédaction permet ainsi de
justifier les mesures de stérilisation contraceptive des handicapés
mentaux ; mesures qui ne sont pas prises à la légère, mais au terme
d’une procédure administrative lourde et sous le contrôle de collèges
de médecins et d’experts.
Survient ensuite la question de la vaccination obligatoire. La Cour
européenne des droits de l’homme a considéré qu’un tel acte
constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée,
alors que le Conseil d’État estime que la vaccination obligatoire obéit
à un objectif de santé publique qui, au-dessus d’un refus individuel,
est justifié par l'intérêt public.
Ces dernières années, le débat s’est focalisé sur la question de la
vaccination obligatoire pour les enfants. Le Conseil constitutionnel a
jugé, le 20 mars 2015, que l’obligation de vacciner les enfants est
conforme à la Constitution.
Ces dispositions légales permettent également de refuser de subir
une opération ou une transfusion. Ainsi, l'obligation pour le médecin
de sauver la vie ne saurait prévaloir de façon générale sur celle de
respecter la volonté du malade.

L’embryon est-il une personne ?


La libre disposition du corps implique parfois, par voie de
conséquence, la procréation. La liberté de procréer comporte
désormais également celle de refuser la procréation naturelle. En
vertu d'une loi de 1967, les produits contraceptifs sont en vente libre
dans les pharmacies (sur ordonnance médicale pour ceux qui
seraient susceptibles de présenter un danger pour la santé). Et,
depuis 1975, les femmes peuvent décider d'avorter. Rappelons qu'il
s'agissait d'un crime jusqu'en 1923, puis d’un délit entraînant des
sanctions pénales.
L'avortement continue de susciter des débats passionnés où
s'affrontent partisans d’un supposé « respect de la vie » et apôtres du
droit pour les femmes de disposer librement de leur corps. Ce droit
est tellement polémique qu’il a été nécessaire pour le défendre
d'instituer en 1993 un délit d' « obstacle à l'avortement » .
Sur la question de savoir si l'embryon est une personne, différentes
conceptions s'opposent : certains considèrent que l'embryon n'est
qu'un amas de cellules, d’autres qu’un embryon est, dès sa
conception, un être humain à part entière…
Le droit prône une solution médiane en considérant que l’embryon
est une « personne potentielle » .
C’est la raison pour laquelle l’interruption volontaire de grossesse
(IVG) est admise en début de grossesse (dans les dix premières
semaines avant une loi de 2001, dans un délai de douze semaines
depuis). L'embryon n'est pas viable à ce stade de développement, la
viabilité étant atteinte entre la vingtième et la vingt-deuxième semaine
de grossesse. La loi ne considère cependant pas que l’IVG doive être
un moyen usuel de contraception, puisque ce droit est réservé à
toute femme enceinte qui s’estime en situation de détresse. Depuis la
réforme de 2001, une personne mineure souhaitant interrompre sa
grossesse n’est plus obligée d’en informer ses parents et d’obtenir
leur autorisation. Le médecin doit toutefois s'efforcer de convaincre la
jeune fille de consulter ses parents. En cas de refus des parents, ou
si la jeune fille souhaite leur taire l'intervention, le médecin peut
toutefois pratiquer l’IVG.
Le droit à l'IVG est entouré de différentes consultations qui doivent
être effectuées afin que la personne soit consciente des risques
médicaux et de l'existence d’alternatives à l’avortement (aides
sociales…). La « patiente » dispose alors d’un délai de réflexion
d'une semaine au terme duquel elle doit confirmer par écrit son
intention de mettre un terme à sa grossesse. Après avoir pris cette
décision, une femme peut choisir que l'embryon sera utilisé à des fins
diagnostiques, scientifiques ou thérapeutiques. Elle doit y consentir
par écrit après avoir été informée de la finalité du prélèvement
effectué sur l'embryon.
Le médecin et tout personnel de soins peuvent toutefois exercer leur
« clause de conscience » et refuser de pratiquer un avortement.
L'article L. 2212-8 du Code de la santé publique précise que, en cas
de refus, la patiente ne peut être abandonnée et doit être dirigée vers
un service hospitalier qui acceptera de pratiquer l’avortement.
En matière de droit à l’avortement, il n’est pas besoin d’aller bien loin
pour trouver des États à la législation restrictive : jusqu'en 2009,
l'avortement était interdit à Monaco. Depuis cette date, il est autorisé
dans les cas de viol, de risque pour la santé de la mère ou d'affection
ou malformation de l'enfant. Le 5 août 2019, la principauté a annoncé
que l’avortement devrait être dépénalisé dans les mois à venir, sans
pour autant être autorisé : les professionnels de santé ne seront
toujours pas autorisés à le pratiquer, les monégasques devront donc
aller à l’étranger pour y recourir.
Figure 18-1 Le droit de l’IVG.

Sauver la mère ou l’enfant ?


L’avortement thérapeutique
Au-delà des douze premières semaines, la grossesse peut être
interrompue pour raisons thérapeutiques. L’interruption médicale
intervient lorsque la poursuite de la grossesse met gravement en péril
la santé de la femme ou lorsqu’il existe une forte probabilité que
l'enfant à naître soit atteint d'une affection incurable. Ces conditions
scientifiques de péril grave de la santé de la mère ou d'affection
incurable de l’enfant doivent être attestées par deux avis médicaux
spécialisés. La décision ultime est toutefois laissée à la femme.

Un enfant autrement ? La
procréation médicalement assistée
Le droit de ne pas avoir d’enfants est reconnu… tout comme celui
d’en concevoir par assistance médicale. La procréation
médicalement assistée est susceptible de recouvrir différentes
hypothèses :
• L’enfant est conçu par fécondation in vitro ; les embryons
conçus à partir des ovules et du sperme des parents sont
implantés dans l’utérus de la mère.
• Les gamètes (cellules reproductives) proviennent d’une
personne extérieure au couple et sont implantés dans l’utérus
de la mère.
• L’embryon conçu in vitro est implanté dans l’utérus d’une autre
femme (c’est le cas dit « des mères porteuses » ).
L'assistance médicale à la procréation doit être justifiée par l'infertilité
du couple ou pour éviter la transmission à l’enfant d’une maladie
d’une particulière gravité. Cette assistance à la procréation ne
bénéficie qu'aux couples stables (mariés ou justifiant d'une vie
commune de plus de deux années), de sexes différents, en âge de
procréer. Toute séparation de la vie commune et tout décès de l’un
des époux empêche la procréation médicalement assistée.
Avec la révision des lois de bioéthique, discutée en 2019, la PMA
devrait être ouverte à toutes les femmes, y compris aux femmes
seules ou aux couples de femmes. De nouvelles manifestations et
contestations sont à prévoir, comme lors du Mariage pour tous, avec
comme toile de fond le spectre de la gestation pour autrui.
En ce qui concerne l’aide d’un tiers donneur (qui offre son sperme ou
son ovule), elle ne peut intervenir que si les techniques d’assistance
à la procréation au sein du couple ont échoué. Les cellules
reproductives sont le reflet du patrimoine génétique et donc des
caractéristiques forgeant l’identité des personnes. Le don de gamètes
obéit à des conditions particulières. Avant l'intervention de la loi de
2004 sur la bioéthique, le donneur devait vivre en couple, et le
nombre d’enfants qui pouvaient naître de ce don était limité à cinq.
Ces conditions ont été supprimées. Les seules conditions désormais
requises sont d’avoir déjà procréé, de donner son consentement
écrit, ainsi que celui de son conjoint si le donneur vit en couple. Le
nombre d’enfants à naître de ce don est désormais limité à dix.
Afin d'éviter les pratiques constatées outre-Atlantique (où des
catalogues de mères porteuses ou de donneurs ou donneuses
étudiant dans les plus grandes universités sont proposés moyennant
finances), le don de gamètes est, par principe, gratuit. Toute
contrepartie financière est illicite. Il en est de même de la « location »
de son utérus.
Des traitements de maladies (comme certains types de cancer) ont
pour effets secondaires des probabilités élevées de stérilité chez le
patient.
Désormais, depuis la loi bioéthique de 2004, toute personne qui
risque de voir sa fertilité altérée dans le cadre du traitement d’une
maladie peut faire recueillir et conserver ses gamètes avant le
traitement, en vue de bénéficier d'une aide médicalisée à la
procréation une fois sa santé recouvrée.

Hibernatus junior : la
cryoconservation
Souvent, la procréation médicalement assistée par fécondation in
vitro est effectuée sur de nombreux embryons, dont la totalité ne sera
pas forcément implantée dans le corps de la mère. Que fait-on de
ces « personnes potentielles » surnuméraires congelées ? La loi
bioéthique de 2004 prévoit le sort de ces embryons
« cryoconservés » . Chaque année, le couple doit être informé du
devenir de ces embryons et est consulté sur la volonté de maintenir
un projet parental. Si le couple persiste dans son intention, la totalité
des embryons sera réimplantée. Si, au contraire, il renonce,
l’embryon pourra être accueilli par un autre couple (par
transplantation dans l'utérus) ; il s'agit d'une sorte d'adoption intra-
utérine. Les embryons n’ayant pas trouvé de port d’accueil dans un
délai de cinq années sont toutefois détruits. À l’issue de ce délai de
cinq années, le couple doit décider soit de détruire les embryons, soit
de les mettre à la disposition de la recherche.
L'expérimentation scientifique portant sur les embryons humains
conservés in vitro reste interdite. Une exception existe cependant
concernant les recherches qui ne portent pas atteinte à l’intégrité de
l’embryon. La loi bioéthique de 2004 prévoit une période test de cinq
années pendant laquelle peuvent être menées des recherches sur
des cellules-souches embryonnaires (cellules polyvalentes, qui, en se
développant, peuvent se transformer en différentes sortes de
cellules, donc d'un potentiel curatif et scientifique important).
L'utilisation de ces embryons doit en outre être effectuée dans le
cadre de recherches scientifiques autorisées par l'Agence de la
biomédecine.
Et le clonage ?
La reproduction par fécondation n’est désormais plus la seule
scientifiquement envisageable pour créer des êtres vivants. Des brebis,
des chats, des chiens sont issus du clonage. Cependant, outre le débat
éthique entourant ce mode de conception, on ignore pour l’heure la
véritable viabilité de ces créatures. Les adeptes de Raël prônent le
clonage et semblent en expérimenter les techniques, sans succès pour
l’heure malgré les effets d’annonce.

Jouer les apprentis sorciers coûte cher : le clonage à vocation


reproductive est sanctionné notamment par une amende de
7 500 000 € et une peine de trente années d’emprisonnement ! Et le
clonage reproductif en bande organisée encourt la perpétuité. L’action
en justice peut être exercée dans un délai de trente années à compter
de la majorité du clone, si les manipulations aboutissent à une
naissance. Est également interdit le clonage thérapeutique, c’est-à-dire
la conception d’un embryon par clonage afin de le soumettre à des
expérimentations médicales et scientifiques. Les peines sont alors plus
légères (sept ans de prison et 100 000 € d’amende).

Hommes en kit : le prélèvement et


le don d’organes
Disposer librement de son corps permet également d'en faire profiter
les autres. La politique actuelle – liée notamment au nombre
d'accidents mortels de la circulation – consiste à promouvoir
activement le don d'organes, objectif élevé au rang de priorité
nationale. Compte tenu de la pénurie que subissent les banques
d’organes, la loi bioéthique de 2004 a assoupli et élargi les conditions
d’accès aux greffes d'organes. La règle est : « Qui ne dit mot
consent ! » Sauf opposition expressément manifestée par le patient,
les organes prélevés à l’occasion d’une intervention chirurgicale
pratiquée dans l’intérêt de la personne opérée peuvent être réutilisés
à des fins scientifiques ou thérapeutiques. Il en est de même pour les
tissus, cellules et produits du corps humain.
Par ailleurs, tout le monde est, depuis 1976, présumé avoir consenti
à ce que ses organes fassent l'objet de prélèvements à vocation
thérapeutique ou scientifique en cas de décès. Afin d'éviter que les
organes du donneur ne soient utilisés dans le cadre des bizutages de
carabins, les prélèvements à vocation scientifique ne peuvent
intervenir que dans le cadre de projets de recherche scientifique
avalisés par l'Agence de la biomédecine. En cas de décès du
donneur, les médecins doivent toutefois interroger ses proches afin
de connaître l'éventuelle opposition que celui-ci aurait manifestée de
son vivant au sujet du don d’organes.
On peut aussi donner ses organes de son vivant : le prélèvement
d'organes pratiqué sur une personne vivante dans l'intérêt direct du
receveur est effectué au sein de sa famille de sang ou sur « toute
personne apportant la preuve d’une vie commune d’au moins deux
ans avec le receveur » . Le don d’organes est désormais ouvert aux
couples homosexuels. Il existe cependant une interdiction de principe
concernant les cas où les donneurs seraient mineurs ou incapables
juridiquement (sous tutelle, curatelle ou protection de la justice). Le
consentement du donneur doit être exprimé devant le président du
tribunal de grande instance, après autorisation d'un comité d'experts
scientifiques.

Un bug dans le génome : les


maladies génétiques héréditaires
La bioéthique fait la part belle à l’information du patient et à la
solidarité familiale. C’est ainsi que, lorsqu’une maladie génétique
grave est diagnostiquée, le médecin, après avoir révélé cette
information au patient, doit l’inviter à alerter sa famille. Le praticien
doit délivrer par écrit l’information relative à la maladie génétique en
cause. Soit le patient décide d'informer personnellement sa famille,
soit il confie à son médecin les noms et adresses de l’ensemble des
parents concernés en précisant le lien les unissant. Le médecin
transmet ces informations à l'Agence de la biomédecine, qui indique
aux membres de la famille la possibilité qui leur est offerte d'accéder
à une information médicale susceptible de les concerner.
La planète porte plainte : le droit de
l’environnement
Tchernobyl, les marées noires, les gaz à effet de serre, la protection
de la couche d'ozone, la pollution atmosphérique, le désamiantage
sont des sujets récurrents de l’actualité qui ont fait de la protection de
l’environnement et de la planète une nécessité. L’industrialisation, le
confort et les progrès techniques doivent être strictement encadrés
afin qu'un bénéfice à court terme ne contribue pas à une catastrophe
écologique à long terme. C’est la raison pour laquelle ont émergé
depuis près d'une cinquantaine d'années des réflexions ainsi que des
interventions législatives internationales et nationales afin d'assurer la
protection de notre planète.
Alors que le débat sur les dérèglements climatiques se fait de plus en
plus pressant et que de nombreux scandales sanitaires mettent au
jour des problèmes de santé liés de près ou de loin à la dégradation
de l’environnement, nul doute que la révision des lois de bioéthique
sera l’occasion d’interroger le rapport entre la santé humaine et
l’environnement.

Un mille-feuille de règles locales et


internationales
Le droit de l'environnement s'est peu à peu construit sous diverses
influences, des plus locales aux presque mondiales. Ainsi, dans
chaque commune, le maire est en charge de la salubrité publique et
de la lutte contre les pollutions de toutes natures. Dans chaque
département, le préfet contrôle notamment l’exercice de la chasse,
de la pêche et la protection des espaces naturels.
Le préfet peut également mettre en place des plans de sauvegarde et
de sécurité en cas de catastrophe naturelle (les fameux « plans
rouges » ou les plans d’organisation des secours, dits « plans
Orsec » ). Le ministre chargé des questions environnementales
intervient au niveau national, assisté par de nombreux conseils
consultatifs, établissements publics et autorités administratives
indépendantes.
Peuvent ainsi être mentionnés, parmi ces organes, le Conseil pour
les générations futures (présidé initialement par le commandant
Cousteau), le Comité national de l’eau, le Conseil supérieur des
installations classées, de la sûreté et de l’information nucléaire,
l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, le Conseil
supérieur de la pêche, le Conservatoire de l’espace littoral et des
rivages lacustres, l'Autorité de contrôle des nuisances sonores
aéroportuaires, l'Agence nationale pour la gestion des déchets
radioactifs… On en passe et des plus catastrophistes ! Bref, il existe
pléthore d’entités qui ont leur mot à dire en matière d’environnement.
Cependant, leur avis est simplement consultatif compte tenu de leurs
compétences techniques dans leurs domaines d'intervention : elles
ne sont dotées d’aucun pouvoir réglementaire.
Il ne faut pas non plus négliger le rôle important joué par les
différentes associations de protection de l’environnement. Certaines
associations agréées peuvent se porter partie civile devant les
juridictions pénales lorsque l’intérêt collectif est menacé du fait d’une
atteinte à l’environnement. Ces organisations permettent également
de construire la jurisprudence en saisissant le Conseil d’État contre
des mesures prises par l’État ou les collectivités locales, et qui
auraient pour conséquence de nuire à l’environnement.
À titre d’exemple, l’action des associations a permis le rapatriement
de l’exporte-avions Clemenceau, afin que le désamiantage de sa
coque soit effectué en toute sécurité sur le territoire national, et non
en Inde dans des conditions financières imbattables mais
sanitairement déplorables. La motivation de cette décision était
l’interdiction légale du principe d’exportation de déchets destinés à
être éliminés. Celle-ci n’est tolérée que vers des États dont le
développement et la législation garantissent le respect de normes
environnementales et sanitaires minimales (c'est-à-dire notamment
les États membres de l'Association européenne de libre-échange ou
de l’OCDE, dont l’Inde ne fait pas partie…).
Puisqu'on évoque l'Europe : et l'Union européenne dans tout ça ?
Elle a pour objectif de préserver, de protéger et d’améliorer la qualité
de l’environnement (dixit l'Acte unique européen). Ce qui implique
l'adoption d'une profusion de directives communautaires dans ce
domaine, auxquelles la France doit se conformer en adaptant sa
législation nationale.
Au-delà de l'Europe, les grandes organisations internationales
(l'ONU, par exemple) ont également vocation à intervenir en matière
d’environnement. Des conférences internationales sont régulièrement
organisées à ce sujet. Les problèmes d'environnement sont souvent
l'affaire de tous et peuvent mettre en conflit les intérêts de plusieurs
États (naufrages de pétroliers, accident de Tchernobyl…) ; d'où
l'intérêt d'adopter des normes et des pratiques de droit international
communes.
Ainsi, pour faire face à l'urgence climatique, un mouvement mondial
tente de se mettre en place avec l'accord de Paris conclu
le 12 décembre 2015 à l'issue de la 21e Conférence des parties
(COP 21), qui entré en vigueur le 4 novembre 2016. L'un de ses
objectifs majeurs est de contenir l’élévation de la température
moyenne à 2o. Cependant, malgré l'enthousiasme général le
concernant, son efficacité semble compromise en raison d’une inertie
générale et particulièrement à la suite du départ de l'un des plus gros
pollueurs du monde : les États-Unis.

La Charte de l’environnement
L'influence des conférences internationales, relayées par les
institutions européennes, a permis l'adoption en 2004 de la Charte de
l'environnement. Ce texte a acquis, par une loi de 2005, une valeur
constitutionnelle en France, ce qui implique que tout texte de droit qui
serait contraire à ses dispositions pourrait être annulé.
Cette charte consacre les grands principes du droit de
l'environnement :
• le développement durable ;

• le principe de prévention ;

• le principe de précaution ;

• le principe du « pollueur-payeur » .
Le préambule de la Charte de l’environnement comporte des
déclarations d’intention visant à rappeler l'objectif du texte :
reconnaître à l'homme le droit à un environnement sain et mettre en
œuvre les moyens pour y parvenir, dont le développement durable.
L’environnement est un patrimoine commun à l’humanité. La Charte
érige en droit fondamental celui d’avoir un environnement sain. Cette
notion ne milite pas pour le rejet de tout progrès et le retour au
monde primitif ! Au contraire, l'être humain est au centre de la notion,
puisque la sauvegarde de l’environnement est préconisée dans un
objectif de santé publique : il est plus sain – paraît-il ! – de respirer de
l'air pur que des gaz d'échappement.
Santé publique et politique environnementale sont donc étroitement
liées : l'utilisation de l’amiante a été interdite car cancérigène, les
peintures au plomb ne sont plus utilisées afin d'éviter le saturnisme,
la circulation alternée en cas de pics de pollution est justifiée par les
difficultés respiratoires consécutives…
Ce droit doit être pris en considération par les pouvoirs publics : il doit
guider la main du législateur et des autorités publiques lors de la
rédaction d’un texte de loi ou d’un texte réglementaire. Ce droit peut
également être invoqué judiciairement par tout citoyen dans le cadre
d’actions judiciaires (ce qui a été le cas pour le fauchage d'OGM –
voir encadré plus bas).

Oui à l’écosystème, non à


l’egosystème : le développement
durable
Le développement durable est une notion à la mode : le ministère de
l'Environnement a pu être ainsi rebaptisé « ministère de l’Écologie et
du Développement durable » ; une semaine lui est même consacrée
chaque année entre le festival de Cannes et la Fête du cinéma…
Mais, au fait, qu'est-ce que c'est, le développement durable ? Ce
concept n'est pas nouveau, puisque, dès 1987, un rapport de l’ONU
mettait en relief la nécessité que les États s'efforcent dans le cadre
de leur développement économique de « répondre aux besoins du
présent sans compromettre la capacité des générations futures à
satisfaire les leurs » . Ce principe onusien a ensuite été intégré en
1995… au Code rural.
Ainsi, les facteurs économiques, sociaux et environnementaux
doivent être combinés pour permettre le développement durable. En
économie, la croissance doit être favorisée. Socialement, cette
croissance ne doit pas se faire au détriment des plus pauvres.
Écologiquement, les effets de la croissance doivent permettre la
valorisation et la sauvegarde de l’écosystème. L’essor économique
doit donc prendre en compte tant les générations futures que nos
voisins les plus pauvres. Le développement durable met ainsi en jeu
une double solidarité, spatiale et temporelle. L’émergence de produits
du commerce équitable (c’est-à-dire des produits garantissant le
respect des conditions économiques dans lesquelles travaillent les
producteurs et les artisans) en est un exemple concret.
Le développement durable peut également avoir vocation à s’illustrer
dans le cadre des grands principes érigés par la Charte de
l’environnement, à savoir le principe de prévention, le principe de
précaution et le principe du pollueur-payeur.

Figure 18-2 Les trois composantes du développement durable.

Mieux vaut prévenir que guérir : le


principe de prévention
Le principe de prévention préexistait à la Charte de l’environnement.
On le retrouve au sein du Code de l’environnement. Il s’agit d’une
« action préventive et de correction, par priorité à la source, des
atteintes à l’environnement, en utilisant les meilleures techniques
disponibles à un coût économiquement acceptable » . Concrètement,
l’action préventive impose la réalisation d’études techniques
préalables à la mise en place de projets industriels ou urbanistiques
susceptibles d'avoir une influence sur l'environnement et la santé
publique. Des études d'impact doivent ainsi être réalisées afin
d'évaluer les conséquences sur l’écologie et la santé à court, moyen
et long termes.
Des autorisations administratives préalables sont également
sollicitées avant la réalisation d’installations susceptibles d’avoir des
conséquences nuisibles sur l’environnement. La correction « à la
source » vise à imposer à l’entité responsable initialement de l'acte
nuisible de procéder à une modification de ses pratiques pour réduire
les risques sur l’environnement.

Marchons sur des œufs : le principe


de précaution
Ce principe de prudence a reçu une consécration législative dès
l'année 1995, dans le cadre d’une loi sur le renforcement de la
protection de l’environnement. Il y est défini comme celui « selon
lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances
scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption
de mesures techniques et proportionnées visant à prévenir un risque
de dommages graves et irréversibles à l’environnement et à un coût
économique acceptable » . Ainsi, dans le cadre d'une situation où
l'état de la science ne permet pas de garantir la sécurité de
l’environnement ni le respect de la santé publique, il convient
d'adopter des mesures nécessaires et raisonnables afin d'empêcher
la réalisation de dommages éventuels.
Les exemples de mise en application de ce principe sont fréquents :
l'abattage d’élevages lors de l’épidémie de la vache folle, les mesures
de cantonnement des volatiles lors de la grippe aviaire, l’interdiction
de pesticides nuisibles pour les gentilles abeilles qui font du bon
miel…
Ce principe n’est pas uniquement invoqué par les pouvoirs publics
mais a eu l’occasion d’être soulevé devant les tribunaux civils par des
citoyens mis en examen, laissant ainsi la possibilité d’entrevoir une
légitimation de la « désobéissance civile » .
Or, ce principe de précaution est considérablement mis en cause
avec le CETA.
CET’ASSEZ ! !
Le CETA est un accord commercial bilatéral de libre-échange entre
l’Union européenne et le Canada, sous le feu des projecteurs à la suite
de sa ratification en France par le Parlement le 23 juillet 2019. En effet,
sous couvert de coopération renforcée par la réduction des barrières
douanières favorisant les échanges, il serait en réalité très néfaste pour
l’environnement : bœufs aux hormones et nourris aux farines animales,
OGM, introduction de pesticides interdits en Europe, révision à la
baisse du principe de précaution et à long terme, l’augmentation des
émissions à effet de serre.

De même, le point d’acmé des critiques, le mécanisme des tribunaux


d’arbitrage permettant à une entreprise d’attaquer un État favoriserait
les intérêts privés sur les intérêts publics, dont l’environnement.

Nous sommes donc loin des bonnes résolutions prévues par l’accord
de Paris.

Tu pues, tu paies ! Le pollueur-


payeur
Le principe du pollueur-payeur s'est construit au cours des
années 1970 à l'OCDE. Le Code de l’environnement, relayé par la
Charte de l’environnement, indique que « les frais résultant des
mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre
celle-ci sont supportés par le pollueur » . Ce principe trouve son
application dans différentes mesures coercitives ou incitatives. Ainsi,
les seuils de nuisance tolérables sont fixés par les lois et règlements.
Des dispositions fiscales incitatives sont également mises en œuvre,
accordant des crédits d’impôt aux personnes qui modifient leurs
comportements quotidiens. Par exemple, des crédits d’impôt ont été
accordés aux travaux visant à installer des systèmes de chauffage à
économie d'énergie, aux acquéreurs de voitures fonctionnant au GPL
ou à l’énergie électrique… En parallèle, des taxes sont appliquées
sur les activités et les produits polluants, comme la taxe d’importation
des produits pétroliers, la taxe générale des activités polluantes
(TGAP)…
La TGAP, instituée par une loi de 1999, a vocation à s'appliquer :

• au stockage et à l’élimination de déchets ;

• à l’émission dans l’atmosphère de substances polluantes ;

• au décollage d’avions sur les aéroports accueillant le public ;

• aux huiles usagées ;

• aux lessives et produits adoucissants et assouplissants pour le


linge ;
• aux matériaux d’extraction (pour promouvoir le recyclage des
matériaux de construction au détriment de nouvelles
extractions) ;
• aux produits antiparasitaires à usage agricole ;

• aux établissements industriels et commerciaux qui présentent


des risques particuliers pour l’environnement.
Les dépenses publiques liées à l’assainissement du territoire sont
donc en partie supportées par les personnes responsables des
nuisances.
Le texte de la Charte de l’environnement
« Le peuple français considérant :

« Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné


l’émergence de l’humanité ;

« Que l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de


son milieu naturel ;

« Que l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains ;

« Que l’homme exerce une influence croissante sur les conditions de la


vie et sur sa propre évolution ;

« Que la diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le


progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de
consommation ou de production et par l’exploitation excessive des
ressources naturelles ;

« Que la préservation de l’environnement doit être recherchée au


même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ;

« Qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à


répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la
capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs
propres besoins.

« Proclame :

Article 1er – Chacun a le droit de vivre dans un environnement


équilibré et respectueux de la santé.

Article 2 – Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation


et à l’amélioration de l’environnement.

Article 3 – Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi,
prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à
l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.

Article 4 –Toute personne doit contribuer à la réparation des


dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions
définies par la loi.

Article 5 – Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en


l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière
grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent,
par application du principe de précaution et dans leurs domaines
d’attribution, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des
risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin
de parer à la réalisation du dommage.

Article 6 – Les politiques publiques doivent promouvoir un


développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la
mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le
progrès social.

Article 7 – Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites


définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à
l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à
l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur
l’environnement.

Article 8 –L’éducation et la formation à l’environnement doivent


contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la présente
Charte.

Article 9 – La recherche et l’innovation doivent apporter leur concours


à la préservation et à la mise en valeur de l’environnement.

Article 10 – La présente Charte inspire l’action européenne et


internationale de la France. »
Partie 5
La partie des Dix
Dans cette partie…

Nous allons passer en revue deux dizaines de


personnalités qui ont façonné le droit, des
souverains aux rédacteurs de grands textes, des
avocats aux législateurs illustres. Dix hommes,
puis dix femmes qui ont marqué l'histoire de la
justice.

Puis, vous assisterez à une dizaine de procès


parmi les plus célèbres de l'histoire de
l'humanité, avant de voir défiler dix grandes
erreurs judiciaires ou affaires considérées
comme telles. Enfin, nous découvrirons dix
grandes œuvres ayant la justice pour cadre.
DANS CE CHAPITRE
Les fondateurs du droit français

Les pionniers des grandes causes

Quelques textes fondamentaux


Chapitre 19
Dix hommes décisifs
N ombreuses sont les personnalités du monde de la
justice qui ont marqué leur temps. Parmi elles, bien sûr,
des juristes, des magistrats ou des avocats dont la
mémoire honore toujours le barreau, mais aussi, de façon
plus inattendue, un roi, des penseurs ou des philosophes.
Voici un rappel de leurs parcours éclectiques.

Saint Louis (1214-1270)


Saint Louis n’est pas seulement l’homme qu’on représente
tranquillement assis sous son chêne, à Vincennes… Au-
delà de cette image d'Épinal, il est le premier roi de
France à rendre la justice lui-même et laisse une
empreinte à la fois de législateur et de justicier.
Louis IX n'a que 12 ans quand il accède au trône,
en 1226 ; le roi réside alors au château de Vincennes
(localisation qui explique aujourd’hui le nom de la
désormais célèbre « Foire du Trône » ). Très pieux, il
participe à plusieurs croisades et dirige la France, qui se
trouve alors sous l’empire des grands seigneurs, avec une
autorité morale sans précédent ; ces seigneurs sont de
véritables rois au sein de leurs terres et disposent de
pouvoirs arbitraires sur leurs vassaux et leurs serfs.
Une fois n’est pas coutume, Saint Louis est le premier roi
de France à faire preuve d’une grande piété. Il introduit
dans la politique, jusqu’alors régie par la force, le sens de
l’équité et de la justice. Profondément attaché à établir un
équilibre judiciaire, il fait prévaloir une justice royale en
créant des « cas royaux » , offrant aux justiciables la
possibilité de saisir le roi pour juger une affaire (voir
chapitre 1). Au lieu de s'en remettre au seul jugement de
Dieu, Saint Louis impose la recherche de preuves par des
enquêtes et des témoignages. Il rend d’ailleurs lui-même
la justice afin de montrer l'exemple. Dans la foulée, il
impose un droit d’appel devant les tribunaux royaux pour
les sentences rendues par les justices seigneuriales,
souvent très subjectives. Il interdit également la pratique
du duel, qui se substituait auparavant à un procès
équitable.
Saint Louis a aussi marqué son temps par sa grande
charité envers les pauvres et les malades. Sur le plan des
institutions, il crée une Commission judiciaire, ancêtre du
Parlement, et forme des spécialistes qui veillent à
l’application des mesures instituées au sein des
différentes provinces et des seigneuries.
Saint Louis fut canonisé en 1297, vingt-sept ans après sa
mort. Il a laissé un édifice remarquable, la Sainte-
Chapelle, qu'il fit construire entre 1245 et 1248. Avis aux
amateurs de pur style gothique et de vitraux ! La Sainte-
Chapelle est située au cœur de l’actuel Palais de Justice
de Paris, sur l’île de la Cité. On accède à ce monument
par la même entrée que les justiciables et les prévenus…
Attention donc aux sacs à main pour ceux qui viennent
admirer les splendides vitraux !

Montesquieu (1689-1755)
Écrivain, historien et sociologue français, Charles Louis de
Secondat, baron de Montesquieu, est l'un des plus
éminents représentants du Siècle des lumières ; son
œuvre a influencé l'ensemble des réflexions politiques.
Après des études de droit à Paris, il entame une carrière
de magistrat au parlement de Bordeaux puis, sa fortune
acquise, il se consacre notamment à l’étude des sciences
politiques et à l’histoire. Bien entendu, tout le monde a en
mémoire Les Lettres persanes, qui est son premier
ouvrage, publié en 1721 dans l’anonymat le plus complet.
Cette satire spirituelle de la société parisienne obtient un
franc succès. Montesquieu fait également preuve d’un
courage exemplaire en luttant contre la torture, l’esclavage
et toute forme d’intolérance.
Dans un autre registre, il fait éditer, en 1748, sous son
nom cette fois-ci, De l’esprit des lois, qui lui vaut une
reconnaissance universelle. Montesquieu consacre à cet
ouvrage plus de vingt ans de travail sur l'étude des
différentes législations. À cette fin, il parcourt l'Europe
pendant plusieurs années, notamment l'Italie et
l'Angleterre. Cette œuvre essentielle est une réflexion sur
la sociologie et sur les principes d’organisation politique et
sociale, inspirant fortement les fondements de nos
démocraties actuelles. Montesquieu y livre ses théories
personnelles sur la raison d’être des lois et sur les
rapports entre celles-ci et les peuples.
Trois types de régimes politiques sont ainsi passés au
crible : la république, la monarchie et le régime
despotique. Montesquieu analyse leurs principes, leurs
vertus et leurs dérives. C’est ainsi qu’il préconise la
distribution des pouvoirs à l’intérieur d’un gouvernement,
concept aujourd’hui communément désigné par
l’expression « séparation des pouvoirs » . Il s’agit donc de
séparer véritablement les trois composantes du pouvoir –
les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire – afin de créer
un équilibre et d'offrir plus de garanties aux citoyens. En
effet, d'une part chacun des trois pouvoirs a vocation à
statuer dans le cadre de ses prérogatives, d’autre part
chaque pouvoir a la faculté d’empêcher les excès des
autres. En évitant la concentration de tous les pouvoirs en
une seule main, le risque des dérives despotiques devrait
être écarté.
De l’esprit des lois marque d'une profonde influence la
société française. Certaines réflexions vont en particulier
inspirer la Révolution française quelques décennies plus
tard. De même, l'influence de Montesquieu s'est propagée
à l'étranger, surtout aux États-Unis, puisque les auteurs de
la Constitution des États-Unis d'Amérique ont puisé,
en 1787, leur inspiration dans cet ouvrage. À cette date,
Montesquieu était décédé depuis quelques décennies déjà
et n’a donc jamais pu attaquer les Américains pour
plagiat !

Les rédacteurs de la
Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen (1789)
Au début de la Révolution française, l'Assemblée
nationale constituante, réunie à Versailles, vote
le 26 août 1789 une déclaration générale reconnaissant
des droits fondamentaux et imprescriptibles à tout homme.
Cinq hommes bien inspirés en sont les principaux
rédacteurs : La Fayette, Condorcet, Mirabeau, Mounier et
Sieyès. Le texte, d’une portée universelle, s’inspire des
travaux des philosophes du XVIIIe siècle, comme
Montesquieu, Voltaire ou Rousseau, mais aussi de la
Déclaration d'indépendance des États-Unis d'Amérique,
adoptée en 1776, et de l'Habeas Corpus Act en vigueur en
Angleterre (voir chapitre 3). Le texte est rédigé autour de
trois fils conducteurs : liberté, égalité et fraternité.
La Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen du 26 août 1789
« Les représentants du peuple français, constitués en
Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou
le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des
malheurs publics et de la corruption des gouvernements,
ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les
droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que
cette déclaration, constamment présente à tous les
membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs
droits et leurs et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir
législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque
instant comparés avec le but de toute institution politique,
en soient plus respectés ; afin que les réclamations des
citoyens, fondées désormais sur des principes simples et
incontestables, tournent toujours au maintien de la
Constitution et au bonheur de tous.

« En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et


déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême,
les droits suivants de l’homme et du citoyen :

Article 1er – Les hommes naissent et demeurent libres et


égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être
fondées que sur l’utilité commune.

Article 2 – Le but de toute association politique est la


conservation des droits naturels et imprescriptibles de
l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et
la résistance à l’oppression.

Article 3 – Le principe de toute souveraineté réside


essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne
peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Article 4 – La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne


nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de
chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux
autres membres de la société la jouissance de ces mêmes
droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la
loi.

Article 5 – La loi n’a le droit de défendre que les actions


nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi
ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce
qu’elle n’ordonne pas.

Article 6 – La loi est l’expression de la volonté générale. Tous


les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par
leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même
pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les
citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles
à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur
capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et
de leurs talents.

Article 7 – Nul homme ne peut être accusé, arrêté ou détenu


que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes
qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent
ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis ;
mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir
à l’instant ; il se rend coupable par la résistance.

Article 8 – La loi ne doit établir que des peines strictement et


évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en
vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au
délit, et légalement appliquée.

Article 9 – Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce


qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de
l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour
s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par
la loi.

Article 10 – Nul ne doit être inquiété pour ses opinions,


mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne
trouble pas l’ordre public établi par la loi.

Article 11 – La libre communication des pensées et des


opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ;
tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement,
sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas
déterminés par la loi.

Article 12 – La garantie des droits de l’homme et du citoyen


nécessite une force publique ; cette force est donc instituée
pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de
ceux à qui elle est confiée.
Article 13 – Pour l’entretien de la force publique, et pour les
dépenses d’administration, une contribution commune est
indispensable ; elle doit être également répartie entre les
citoyens, en raison de leurs facultés.

Article 14 – Les citoyens ont le droit de constater, par eux-


mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la
contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre
l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le
recouvrement et la durée.

Article 15 –La société a le droit de demander compte à tout


agent public de son administration.

Article 16 – Toute société dans laquelle la garantie des droits


n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée,
n’a point de Constitution.

Article 17 – La propriété étant un droit inviolable et sacré,


nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité
publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous
la condition d’une juste et préalable indemnité. »

Les rédacteurs du Code civil


(1804)
Difficile mission que celle de rédiger un texte de droit
destiné à régir l'ensemble des relations privées entre les
Français. C’est pourtant ce qu’ont réussi quatre juristes
bien inspirés, sous la houlette de Napoléon Ier.
Après la Révolution, la France est influencée par trois
sources de droit différentes : le droit naturel, qui est diffusé
par les philosophes des Lumières, le droit romain, hérité
de nos célèbres envahisseurs, qui est un droit écrit,
dominant la région méridionale, et enfin le droit coutumier,
c’est-à-dire oral, inspiré des régions anglo-saxonnes et du
nord de la Loire. C’est ainsi qu’un Toulousain et un
Normand ne disposent pas des mêmes règles de droit
civil. L’objectif d’une France « une et indivisible » passe
par une uniformisation des règles de droit applicables à
tous les Français. La tâche est ardue : le texte unique doit
établir un compromis entre les lois et les coutumes de
l’ensemble des régions de France.
Dès 1793, la Convention ordonne à Cambacérès, député,
d'établir un projet de Code civil. Trois projets sont
présentés aux dirigeants de l’époque. Mais les vicissitudes
politiques ne permettent pas à Cambacérès de voir aboutir
ses travaux. Le projet définitif est initié par Bonaparte,
Premier consul à cette époque, avec l'aide de
Cambacérès, devenu second consul.
En 1800, dès le début du Consulat, Bonaparte et
Cambacérès désignent quatre juristes de renom qui ont
pour mission de rédiger le Code civil. Dans un souci de
conciliation des traditions du nord et du sud de la France,
deux rédacteurs du Nord et deux du Midi sont choisis.
Côté nordiste, Tronchet, bâtonnier des avocats de Paris,
défenseur de Louis XVI devant la Convention, travaille
avec Bigot de Préameneu, avocat parisien également. Sur
le front sudiste, influencé par le droit romain, se trouvent
Maleville, avocat au parlement de Bordeaux, et Portalis,
avocat au parlement d'Aix.
Quatre mois leur suffisent pour rédiger leurs travaux.
Ensuite, les textes sont discutés entre juillet 1801 et
mars 1804 devant le Conseil d'État, présidé tour à tour par
Cambacérès et Bonaparte. Le Code civil des Français est
promulgué par la loi du 30 ventôse an XII (soit
le 21 mars 1804). Le Code rassemble 2 281 articles
répartis en trois livres : Des personnes, Des biens et Des
différentes manières dont on acquiert la propriété.
Le texte traite de l’ensemble des rapports sociaux tels que
le droit de la famille, les successions ou encore le régime
des responsabilités. Une dose de laïcité est introduite, par
l’absence de toute référence à la religion et à la politique.
Les textes ayant vocation à s’appliquer à tous les Français
et dans la plupart des situations, la loi a été rédigée de
façon impersonnelle et générale ; à charge pour les juges
d’appliquer ces principes de droit à chaque cas particulier.
En 1807, Bonaparte, devenu empereur, rebaptise le Code
civil « Code Napoléon » . Il y insère sa touche personnelle
en introduisant le divorce.
Marié à Joséphine de Beauharnais, qui ne peut lui donner
d’héritier, Napoléon souhaite se remarier sans pour autant
infliger à Joséphine une répudiation.
Les juristes ont donc élaboré le système du divorce,
inauguré en pratique par Napoléon lui-même.
Le Code civil s’applique quotidiennement en France. Il a
su s’adapter à d’autres situations et reflète (peu ou prou)
l'évolution des mœurs, avec, par exemple, l’adjonction
récente du Pacs. À l’inverse, près d’une moitié des articles
sont restés inchangés. C’est ainsi que des réminiscences
du XIXe siècle restent encore applicables aujourd'hui,
comme l'article 524 traitant des « immeubles par
destination » et énumérant : « Les animaux attachés à la
culture, les ustensiles aratoires, les semences données
aux fermiers ou colons partiaires, les pigeons des
colombiers, les lapins des garennes, les ruches à miel… »

Victor Schœlcher (1804-1893)


Cet homme au nom difficile à prononcer et encore
injustement méconnu a pourtant libéré 250 000 esclaves
aux Antilles, à La Réunion ou encore au Sénégal.
Le statut juridique des esclaves est défini notamment par
le Code noir, datant de 1685. Un esclave est assimilé à
une marchandise dont le prix est fixé en fonction de ses
capacités de travail et de sa force physique. Considérés
comme des biens meubles, les esclaves n’ont pas la
capacité juridique de posséder quoi que ce soit. Ils se
voient imposer la religion catholique, et leurs maîtres ont
quasiment toute latitude pour les punir sévèrement en cas
de « faute » . Les maîtres peuvent, à leur gré, enchaîner
leurs esclaves ou les battre en fonction de la gravité des
faits. Une autre punition consiste à marquer au fer une
fleur de lys sur leur épaule.
En 1848, riche héritier d'une entreprise de porcelaine
alsacienne, Victor Schœlcher use de son pouvoir de
persuasion auprès d'Arago, ministre de la Marine et des
Colonies, pour accélérer l’éradication de l’esclavage.
Celui-ci a déjà été aboli une première fois par l’abbé Henri
Grégoire pendant la Révolution française, mais Napoléon
l’a rétabli, en 1802, sous la pression notamment de sa
première femme, Joséphine de Beauharnais, originaire de
la Martinique, où de nombreux esclaves étaient exploités
dans des plantations.
Une Commission de rédaction du décret d’abolition est
créée sous l’impulsion déterminante de Schœlcher. Il se
bat au sein de cette commission pour éviter qu’un homme
puisse être considéré comme une marchandise sur
laquelle un colon disposerait d’un droit de propriété. Il
s’insurge également contre les membres de la
Commission qui proposent d’octroyer une indemnité aux
colons, en réparation de la perte de leur personnel si
économique. Poursuivant son combat politique,
Schœlcher s’oppose farouchement à certains colons
désireux de remplacer l’esclavage par… une « obligation
de travailler » . Tenace, Schœlcher fait voter l’abolition de
l'esclavage dans les colonies françaises quinze ans après
l'application de cette mesure dans les colonies
britanniques. Ce grand philanthrope a bien mérité la place
qu’il occupe au Panthéon.
Décret du 27 avril 1848 : l’abolition
définitive de l’esclavage dans les colonies
françaises
« Au nom du peuple français, le gouvernement provisoire
considérant que l’esclavage est un attentat contre la dignité
humaine ;

« Qu’en détruisant le libre arbitre de l’homme, il supprime le


principe naturel du droit et du devoir ;

« Qu’il est une violation flagrante du dogme républicain :


Liberté, Égalité, Fraternité, décrète :

Article 1er – L’esclavage est entièrement aboli dans toutes


les colonies et possessions françaises.

Article 2 – Le système d’engagement à temps établi au


Sénégal est supprimé.

Article 3 – Les gouverneurs et commissaires généraux de la


République sont chargés d’appliquer l’ensemble des mesures
propres à assurer la liberté à la Martinique, à la Guadeloupe
et dépendances, à l’île de La Réunion, à la Guyane, au
Sénégal et autres établissements français de la côte
occidentale d’Afrique, à l’île Mayotte et dépendances et en
Algérie.

Article 4 – Sont amnistiés les anciens esclaves condamnés à


des peines afflictives ou correctionnelles pour des faits qui,
imputés à des hommes libres, n’auraient point entraîné ce
châtiment. Sont rappelés les individus déportés par mesure
administrative.

Article 5 – L’Assemblée nationale réglera la quotité de


l’indemnité qui devra être accordée aux colons.

Article 6 – Les colonies purifiées de la servitude et les


possessions de l’Inde seront représentées à l’Assemblée
nationale.

Article 7 – Le principe que le sol de la France affranchit


l’esclave qui le touche est appliqué aux colonies et
possessions de la République.

Article 8 – À l’avenir, même en pays étranger, il est interdit à


tout Français de posséder, d’acheter ou de vendre des
esclaves, et de participer, soit directement, soit
indirectement, à tout trafic ou exploitation de ce genre.
Toute infraction à ces dispositions, entraînera la perte de la
qualité de citoyen français. Néanmoins, les Français qui se
trouveront atteints par ces prohibitions, au moment de la
promulgation du présent décret, auront un délai de trois ans
pour s’y conformer. Ceux qui deviendront possesseurs
d’esclaves en pays étrangers, par héritage, don ou mariage,
devront, sous la même peine, les affranchir ou les aliéner
dans le même délai, à partir du jour où leur possession aura
commencé.

Article 9 – Le ministre de la Marine et des Colonies et le


ministre de la Guerre sont chargés, chacun en ce qui le
concerne, de l’exécution du présent décret. »

Léon Gambetta (1838-1882)


Gambetta fait partie des nombreux hommes de loi
devenus des hommes politiques français incontournables
dans la seconde partie du XIXe siècle.
Il commence sa carrière en tant qu’avocat sous le Second
Empire. Républicain convaincu, il profite de quelques
célèbres procès pour se positionner comme opposant au
régime impérial. En 1869, il se présente aux élections
législatives dans deux villes : d'une part à Paris, où il a
comme adversaire Carnot, et d'autre part à Marseille, où il
s’oppose à Thiers. Il annonce ses intentions dans un
discours mémorable à Paris, qui est appelé « programme
de Belleville » . Il est élu à Paris et à Marseille !
Partisan d’une gauche républicaine et radicale, il défend
notamment la liberté de la presse ou encore la séparation
de l’Église et de l’État. Ces deux thèmes feront l'objet de
grandes lois : en 1881, la loi sur la presse est votée, et,
en 1905, la loi sur la séparation des Églises et de l’État est
promulguée. Il prône également la mise en place d'un
impôt sur le revenu, l'école gratuite et laïque ainsi que le
suffrage universel.
Léon Gambetta se lance parallèlement dans le
journalisme et, à ce titre, fonde avec deux acolytes La
Revue politique en 1869. Farouche défenseur de la
république et des valeurs démocratiques, il entre au
gouvernement provisoire et participe à la fondation de la
IIIe République en destituant l'empereur Napoléon III au
cours de la journée révolutionnaire du 4 septembre 1870.
Le gouvernement le charge, quelques semaines plus tard,
de la défense du pays envahi par l’armée prussienne.
C'est ainsi que, le 7 octobre 1870, il quitte Paris en ballon
pour organiser une riposte. Las, la libération de Paris n’a
pas lieu. Gambetta s’entête à combattre l’ennemi et prône
la poursuite de la guerre, ce qui lui vaut d’être traité de
« fou furieux » par Adolphe Thiers. L'armistice est
inéluctable et Gambetta s’y résout.
En tant que chef de l’Union républicaine, il est président
de la Chambre des députés (ancêtre de l'Assemblée
nationale) en 1879. À l'apogée de sa carrière, il est
nommé président du Conseil et ministre des Affaires
étrangères, en novembre 1881 – avant d'être destitué…
dès janvier 1882.

Maurice Garçon (né en 1889)


Maurice Garçon est l’un des plus grands avocats français
du début du XXe siècle. Né le 25 novembre 1889, fils
d'Émile Garçon, éminent juriste, professeur de droit à la
faculté de Lille puis de Paris, il devient avocat au barreau
de Paris en 1911. Son père est l’auteur d’un fameux Code
pénal annoté et une légende dit que Maurice a appris à
lire dans le Dalloz.
Techniquement, il s’est illustré par ses « plaidoiries
express » , développées par son mentor, Henri-Robert,
faisant appel à la raison du jury, sans pour autant renier
son éloquence naturelle.
Il devient l’avocat de l’académie Goncourt. Sa subtilité et
son intelligence en font un des avocats les plus demandés
comme défenseur dans les grands procès, politiques,
littéraires ou criminels.
À la Libération, il défend victorieusement, et deux fois de
suite, René Hardy, celui qui était soupçonné d'avoir livré
Jean Moulin aux Allemands.
En 1954, l'homme qui rêvait de devenir poète s'illustre en
défendant le jeune éditeur Jean-Jacques Pauvert qui avait
publié l’Histoire de Juliette, Les Cent Vingt Journées de
Sodome et La Philosophie dans le boudoir du marquis de
Sade, ce que la censure lui interdisait. Pour ce procès,
Maurice Garçon fait citer comme témoins Georges
Bataille, Jean Cocteau et Jean Paulhan.
En 1962, on lui doit l'autorisation, pour les éditeurs
d'œuvres érotiques, comme Jean-Jacques Pauvert et
Régine Deforges, d’imprimer des textes jusque-là interdits
et susceptibles de condamnation pour outrage.
Il s’est également distingué par l’écriture de plusieurs
livres sur la sorcellerie et a rassemblé dans son
appartement parisien 400 ouvrages sur le diable.
Avec Paul Claudel, Charles de Chambrun, Marcel Pagnol,
Jules Romains et Henri Mondor, il est élu le 4 avril 1946 à
l'Académie française, lors de la deuxième session
d'élections groupées de l'année, afin de combler les très
nombreux fauteuils laissés vacants par l’Occupation. Son
élection marque le retour de la profession à l'Académie,
laissée sans avocat depuis le décès de Henri-Robert,
bâtonnier et mentor de Maurice Garçon.
Connu pour ses frasques d’anthologie et son humour (il
s’illustra par exemple dans une partie de pétanque place
de la Concorde), il fut longtemps détesté par beaucoup de
confrères.
Maurice Garçon tint un journal, de 1912 à sa mort, dans
lequel il consigna tous les évènements, des plus
historiques aux plus insignifiants, dont il fut acteur ou
témoin.

Jacques Isorni (1911-1995)


Grande figure du barreau de Paris, Jacques Isorni exerce
la profession d'avocat pendant près de quarante ans en
mettant son talent et son éloquence extraordinaire au
service des personnes qu’il défend dans les prétoires.
Isorni se décrit lui-même comme l’avocat des
« prisonniers » , quel que soit leur camp. C’est ainsi qu’il
assure à la Libération, en 1945, la défense de Brasillach et
du maréchal Pétain, tous deux poursuivis pour
collaboration avec l’ennemi, alors même qu’il s’est imposé
comme résistant pendant la Seconde Guerre mondiale.
Tout au long de sa carrière, il ne cessa de défendre Pétain
en multipliant les demandes en révision du procès.
L’avocat consacre aussi des ouvrages à cette affaire. En
juillet 1984, il publie dans les colonnes du quotidien Le
Monde un article intitulé « Français, vous avez la mémoire
courte » , prenant à nouveau la défense de l’ancien chef
d’État. Cet article lui vaut d’être poursuivi sur le fondement
de l' « apologie des crimes ou délits en collaboration avec
l'ennemi » . Après une bataille judiciaire de près de dix
ans, l’article d’Isorni est considéré comme relevant de la
liberté d’expression par la Cour européenne des droits de
l’homme.
En 1963, il prend la défense de l'un des principaux
responsables de l'attentat du Petit-Clamart, perpétré
contre le général de Gaulle. Le procès se déroule devant
la Cour militaire de justice, face à des magistrats militaires.
Isorni dénonce certaines pratiques de violation des droits
de la défense. Cela lui vaudra la suspension de ses
fonctions pendant trois ans.
Élu député à l'Assemblée nationale en 1951, il est un des
premiers avocats à militer en faveur d’une plus grande
sécurité en matière de droits de la défense, et prône
notamment l’abolition de la peine de mort et le vote d’une
loi protégeant la présomption d’innocence.

Michel Debré (1912-1996)


Les Debré sont une illustre famille française. Parmi ses
membres célèbres, d’abord Robert, professeur en
médecine, qui a été à l’origine de la pédiatrie moderne.
L'un de ses fils, Michel, a choisi la politique comme terrain
de conquête. Michel Debré est aussi le père de Bernard,
médecin, et de Jean-Louis, homme politique tour à tour
ministre, président de l'Assemblée nationale et président
du Conseil constitutionnel.
Jeune diplômé en droit, Michel Debré entre au Conseil
d’État en 1934. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il
est nommé maître des requêtes. Parallèlement, il
s’engage dans la Résistance, où il participe activement à
la libération de la France, jusqu’à être contraint à la
clandestinité totale. Il prend alors le nom de « Jacquier » .
À la Libération, il est choisi par le général de Gaulle pour
mener à bien une réforme administrative de l’État. C’est
grâce à lui que la fameuse École nationale
d'administration (ENA) voit le jour, en novembre 1945.
En mai 1958, il est l'homme de la situation lorsque le
général de Gaulle revient au pouvoir. Nommé garde des
Sceaux, Michel Debré a la mission cruciale de concevoir
et de rédiger la Constitution fondant la Ve République.
De 1959 à 1962, Michel Debré inaugure le système de
cette nouvelle Constitution en tant que Premier ministre
sous la présidence du général de Gaulle.
Jusqu'en 1973, après avoir eu en charge divers ministères
au sein de plusieurs gouvernements, il se consacre à son
mandat de député de La Réunion en siégeant à
l'Assemblée nationale et à ses tâches de maire de la ville
d'Amboise.
Après avoir occupé de hautes fonctions politiques, il ne
restait qu'à conquérir la culture.
C'est chose faite le 24 mars 1988, alors qu'il est élu à
l'Académie française, au premier fauteuil, succédant au
prince Louis de Broglie.

Robert Badinter (né en 1928)


Sus au bourreau ! Avocat au barreau de Paris, professeur
de droit et homme politique, Robert Badinter est, pour
l’ensemble des Français, celui qui s’est brillamment battu
pour l’abolition de la peine de mort. À l’époque où la peine
capitale était encore encourue, il s’illustre dans la défense
des intérêts des accusés risquant un tel châtiment en
plaidant ardemment. En 1976, il prend notamment la
défense de Patrick Henry, âgé d’une vingtaine d’années,
qui risque la peine capitale pour l’enlèvement et le meurtre
d’un enfant. Pour l’avocat, ce procès est également celui
de la peine de mort, dans une France qui, majoritairement,
cautionne un tel châtiment. Sa plaidoirie est entendue,
puisque le verdict prononce « seulement » une peine de
réclusion criminelle à perpétuité. Pour l’avocat, le combat
continue.
Militant des droits de l’homme, il entre au Parti socialiste
en 1971. Nommé garde des Sceaux et ministre de la
Justice (1981-1986) durant le premier septennat de
Mitterrand, il fait voter par l'Assemblée nationale l'abolition
de la peine de mort le 9 octobre 1981. Ce combat
politique, d'abord comme avocat puis comme ministre, est
relaté par Robert Badinter dans deux ouvrages de
référence, L’Abolition et L’Exécution.
Discours à l’Assemblée nationale
« […] J’ai l’honneur, au nom du gouvernement de la
République, de demander à l’Assemblée nationale l’abolition
de la peine de mort en France. […] Le débat qui est ouvert
devant vous est d’abord un débat de conscience […]. En fait,
ceux qui croient à la valeur dissuasive de la peine de mort
méconnaissent la vérité humaine. La passion criminelle n’est
pas plus arrêtée par la peur de la mort que d’autres passions
ne le sont qui, celles-là, sont nobles. Et si la peur de la mort
arrêtait les hommes, vous n’auriez ni grands soldats, ni
grands sportifs. Nous les admirons, mais ils n’hésitent pas
devant la mort. D’autres, emportés par d’autres passions,
n’hésitent pas non plus. C’est seulement pour la peine de
mort qu’on invente l’idée que la peur de la mort retient
l’homme dans ses passions extrêmes. Ce n’est pas exact. […]
Voici la première évidence : dans les pays de liberté,
l’abolition est presque partout la règle ; dans les pays où
règne la dictature, la peine de mort est partout pratiquée. Ce
partage du monde ne résulte pas d’une simple coïncidence,
mais exprime une corrélation. La vraie signification politique
de la peine de mort, c’est bien qu’elle procède de l’idée que
l’État a le droit de disposer du citoyen jusqu’à lui retirer la vie.
C’est par là que la peine de mort s’inscrit dans les systèmes
totalitaires. […] Dans la réalité judiciaire, qu’est-ce que la
peine de mort ? Ce sont douze hommes et femmes, deux
jours d’audience, l’impossibilité d’aller jusqu’au fond des
choses et le droit, ou le devoir, terrible, de trancher, en
quelques quarts d’heure, parfois quelques minutes, le
problème si difficile de la culpabilité, et, au-delà, de décider
de la vie ou de la mort d’un autre être. Douze personnes,
dans une démocratie, qui ont le droit de dire : celui-là doit
vivre, celui-là doit mourir ! Je le dis : cette conception de la
justice ne peut être celle des pays de liberté, précisément
pour ce qu’elle comporte de signification totalitaire. »

Robert Badinter, Extrait d'un discours à l'Assemblée nationale,


17 septembre 1981.

Il est également à l’origine d’autres mesures telles que la


dépénalisation de l’homosexualité, la suppression des
juridictions d’exception (la Cour de sûreté de l’État et les
tribunaux permanents des forces armées en temps de
paix), l’élargissement du droit d’action des associations
pour la poursuite des crimes contre l'humanité et des
infractions racistes… De 1986 à 1995, il préside le Conseil
constitutionnel, et il est élu, en 1995, au siège de sénateur
des Hauts-de-Seine.
DANS CE CHAPITRE
Les fondateurs du droit français

Les pionniers des grandes causes

Quelques textes fondamentaux


Chapitre 20
Dix femmes de justice
marquantes
N ul besoin de rappeler une évidence : les hommes ne
sont pas les seuls à avoir marqué la justice de leur
empreinte. De nombreuses femmes ont également cassé
les codes, bravé les interdits, imposé leur vision pour faire
avancer les choses. Nul besoin de le rappeler, mais cela
va mieux en le disant !

Marie-Antoinette (1755-1793)
« J’en appelle à toutes les mères… » En quelques mots,
celle qu’on n’appelle plus que « l'Autrichienne » ou « la
veuve Capet » a réussi, au deuxième jour de son procès,
ce 15 octobre 1793, elle qui est pourtant si honnie, à
redevenir, quelques instants, Marie-Antoinette, reine de
France.
Par la grâce d'une accusation aussi absurde
qu'infâmante – lui reprocher des relations incestueuses
avec son fils, le dauphin… âgé de 4 ans au
déclenchement de la Révolution – la salle est soudain
devenue houleuse, au point d'obliger le président à
demander une interruption de séance. Robespierre,
furieux, reprochera au calomniateur d'avoir offert à la ci-
devant souveraine « son dernier triomphe public » . C’est
même plus que cela. L’indignité de l’accusation et la
dignité de la réponse qui lui fut faite ont grandement
permis à Marie-Antoinette d'entrer dans la postérité la tête
droite. Dans l’immédiat, cependant, l’incident n’a pas suffi
à inverser le cours du procès et sa tête, Marie-Antoinette
est condamnée à la perdre.
Les trois principaux chefs d'accusation sont : dilapidation
des deniers publics avant la Révolution ; intelligence et
correspondance avec les ennemis de la République ;
conspirations et complots contre la sûreté intérieure et
extérieure de la France.
Le 13 octobre 1793, Chauveau-Lagarde, commis d'office,
se rend à la Conciergerie, s’entretient brièvement avec sa
célèbre cliente et prend connaissance du dossier. Devant
la gravité des accusations, notamment les deuxième et
troisième points (intelligence avec l’ennemi, complots
contre la sûreté de la France), il demande un renvoi de
l'affaire, qui lui sera refusé.
Le procès débute donc le lendemain, 14 octobre. Une
quarantaine de témoins vont se succéder devant la barre,
durant les deux jours d’audience. Quand bien même il en
serait venu le triple, cela n'aurait fait aucune différence : le
dossier est vide.
Les accusateurs de la reine n’ont pu réunir aucun
document concret, aucune preuve tangible qu’elle ait
comploté contre la République. Et c’est bien parce qu’ils
avaient eux-mêmes conscience de l’inanité de leur
accusation qu’ils vont commettre l’impardonnable erreur
de vouloir enfoncer le clou en faisant passer Marie-
Antoinette non seulement pour un adversaire politique,
mais aussi pour un monstre contre-nature.
Accusée d'avoir entretenu des relations incestueuses avec
son fils de 8 ans, Marie-Antoinette s'exprimera ainsi : « Si
je n'ai pas répondu, c'est que la nature se refuse à
répondre à une pareille inculpation faite à une mère. J’en
appelle à toutes les mères ! J'en appelle à toutes celles
qui peuvent se trouver ici… » Et il s’en trouve dans la
salle. Mais aussi des hommes, pourtant peu favorables à
« l'Autrichienne » , mais amers qu'on tombe si bas.
L'assistance devient houleuse. Herman ordonne une
suspension de séance. Apprenant l’incident, Robespierre
s’emportera contre Hébert. « L’Incorruptible » avait
immédiatement perçu la portée de l'événement : en trois
phrases, Marie-Antoinette avait réussi à renverser son
image. Ce « dernier triomphe » , pour reprendre
l’expression de Robespierre, déciderait, en partie, de sa
légende future.

Jeanne Chauvin (1862-1926)


Jeanne Chauvin fut en quelque sorte le « Poulidor » du
barreau : première dans les cœurs, mais éternelle
seconde dans les faits. Celle qu’on présente souvent
comme la première femme docteur en droit sortie de
l’université française et la première avocate française fut,
en réalité, coiffée au poteau dans les deux cas. Il n’en
demeure pas moins que le combat exemplaire de Jeanne
Chauvin pour faire accéder les femmes aux métiers du
droit lui a valu une postérité méritée.
Elle est née, le 22 avril 1862, Jeanne Marie Marguerite
Chauvin, à Jargeau, une commune du Loiret, dans
l’arrondissement d’Orléans. Élève brillante, Jeanne
Chauvin est doublement lauréate du baccalauréat – en
lettres et en sciences. Elle obtient ensuite une licence de
philosophie. Puis elle décide de bifurquer vers le droit. Elle
décroche sa licence le 18 juillet 1890, mais cela ne lui
suffit pas : elle vise le diplôme ultime, le doctorat. Pendant
les deux années qui suivent, elle s’attelle à une thèse sur
« Les professions accessibles aux femmes » . Elle
soutient sa thèse le 2 juillet 1892. Les jurés, tous des
hommes bien sûr, sont obligés de s'incliner devant le
sérieux de son travail, parfaitement argumenté. Jeanne
Chauvin est donc reçue docteur en droit. Pourtant, une
autre l’avait déjà précédée dans cet honneur : Sarmiza
Bilcescu.
Après son doctorat, Jeanne Chauvin se consacre
plusieurs années à l'enseignement. En théorie, sa licence
(et a fortiori son doctorat) lui ouvre naturellement l'accès
au barreau. En pratique, c'est une autre paire (d'effets) de
manches. La première chambre de la cour d'appel de
Paris rejette, le 30 novembre 1897, sa demande de
prestation de serment. Dans son argumentation, le
procureur général a déployé des arguments parfaitement
spécieux, dont le coup de grâce : pour être avocat, il faut
jouir de ses droits civiques et seuls les hommes ont –
alors – le droit de vote. Jeanne Chauvin, pressentant la
difficulté, a alors tenté de ruser : elle réclama le titre
d’avocat, auquel ses diplômes, estimait-elle, lui donnaient
droit, mais elle jura qu'elle n'exercerait jamais. La cour,
pourtant, ne lui fit pas droit, sous prétexte que la loi ne l’y
autorisait pas. Dès lors, Jeanne Chauvin va s’employer à
obtenir une révision de la législation, avec l’aide de son
frère, Émile, lui-même avocat, ancien maître de
conférences à la faculté de droit, ancien secrétaire de la
Conférence et député de Seine-et-Marne. Ils rallient
plusieurs soutiens de poids, notamment Paul Deschanel et
Raymond Poincaré – également avocat. Et c’est à
l’initiative d’un autre avocat, René Viviani, député de la
Seine, que, le 21 novembre 1898, parvient sur le bureau
de l'Assemblée nationale un projet de loi « ayant pour
objet de permettre aux femmes munies des diplômes de
licencié en droit de prêter le serment d’avocat et d’exercer
cette profession » .
Les opposants, bien sûr, se déchaînent. Le comte Périer
de Larsan, député de la Gironde, se fit, pour sa part,
l'apôtre d'un sexisme ordinaire : « Si les femmes reçoivent
le droit de plaider, ne risque-t-on pas d’accuser le
magistrat de s’être laissé convaincre par d'autres moyens
que de bons arguments juridiques ? » Et pourtant :
le 30 juin 1899, la proposition de loi est adoptée à une
large majorité – par 319 voix contre 174. Après un
passage par le Sénat, la loi est promulguée le 1er
décembre 1900. Jeanne Chauvin prête serment
le 19 décembre. Et voilà : elle est enfin la première
avocate française. La première ? Non. Une autre femme
l'a encore coiffée au poteau, dès le 5 décembre : Sophie
Balachowsky-Petit. Du reste, il n’est pas interdit de
supposer que l’empressement mis par la cour d’appel à
recevoir la prestation de serment de Mme Balachowsky-
Petit n'était pas une ultime mesquinerie réservée à Jeanne
Chauvin.

Mata-Hari (1876-1917)
Depuis un siècle, Mata-Hari – agent H 21 – a si souvent
inspiré la littérature, le cinéma, la télévision et même
d’autres arts au point qu’elle en est presque devenue un
personnage de fiction, à l'égal d'un James Bond –
matricule 007.
Du reste, les exploits de Mata-Hari en tant qu'espionne
relèvent davantage – les historiens l'ont montré – de la
chimère que de la réalité. Mais ils ont quand même perdu
Mata-Hari.
Il semblerait plutôt que la célèbre danseuse du début du
XXe siècle – désignée par les Allemands sous le nom de
code d'agent H 21 – ait été manipulée par les services de
contre-espionnage français et allemand. Une chose est
sûre, cependant : Mata-Hari n'a jamais transmis à
quiconque une information réellement confidentielle. Mais
la malheureuse, se croyant encore au théâtre, a multiplié
les faux-pas et les imprudences avec une ingénuité
déconcertante. Elle s’est en outre fourrée dans un guêpier
qu'elle aurait dû éviter parce qu'elle était aux abois : sa
carrière était au point mort, ses charmes commençaient à
souffrir de l'âge – la quarantaine – et la guerre rendait de
toute façon beaucoup plus difficiles les affaires des
courtisanes mondaines.
Mata-Hari est arrêtée en février 1917 non pas au Grand
Hôtel, comme cela est souvent écrit, mais au Plaza Palace
Hôtel, un établissement aujourd'hui disparu, qui se trouvait
au bas des Champs-Élysées.
L'instruction dure quatre mois, jusqu'au 21 juin et totalisera
quatorze interrogatoires, tous menés par le « capitaine »
Bouchardon.
Épuisée, amaigrie par ses conditions de détention à la
prison pour femmes Saint-Lazare, Mata-Hari avoue tout ce
qu'on lui demande d'avouer. Son procès, à huis clos, qui
débute le 24 juillet 1917, est expédié en trois jours. Le
procureur, André Mornet (1870-1955), la traite de
« Salomé sinistre qui joue avec la tête du soldat français »
et réclame la peine de mort.
Le contexte politique est tendu : l'armée française a
connu, au printemps 1917, d’importantes mutineries
consécutives à la boucherie interminable de la bataille de
Verdun. Il faut donner du grain à moudre à la fibre
patriotique et nationaliste.
Son avocat, s’il n’a rien pu faire au cours du procès sinon
plaider avec autant d’émotion que de conviction, va en
revanche tout tenter pour sauver la tête de sa cliente.
C’est qu’Édouard Clunet (1845-1922), avocat au barreau
de Paris depuis 1866, passe pour avoir été l'un des
amants de Mata-Hari et, à 72 ans, il lui voue une affection
presque paternelle.
Le pourvoi en cassation est rejeté le 27 septembre. En
désespoir de cause, Édouard Clunet, dont le fils vient
pourtant d'être tué au front, demande dans les tout
premiers jours d’octobre audience au président de la
République, Raymond Poincaré, pour solliciter la grâce de
la condamnée. Mais Poincaré se montre glacial. Il reçoit
son visiteur de dos, debout devant l’une des fenêtres de
son bureau. « Silhouette noire, immobile, qui se découpe
sur le ciel d’automne tout charrié de lourds nuages » ,
rapportera l'avocat. Après avoir entendu le plaidoyer de
Me Clunet pour sa cliente, Poincaré se retourne
finalement, la main tendue vers le ciel : « Regardez cela,
maître. Il serait fou de prétendre intervenir sur la course
des nuages. Et moi, il me paraît impossible d'infléchir le
cours des choses en faveur de votre protégée. » (Cité par
François d’Orcival, Le Nouveau Roman de l’Élysée, trois
siècles d’histoire de France, éditions du Rocher, 2012.)
Mata-Hari est fusillée au matin du 15 octobre 1917. Elle a
refusé qu'on lui bande les yeux et cette preuve de cran,
devant le peloton d'exécution composé de douze sous-
officiers zouaves, contribuera à sa légende qui se
développera après la guerre.

Hélène Miropolsky (1887-?)


Il y a un tout petit peu plus d’un siècle, la question se
posait de savoir si les femmes seraient capables de
maîtriser suffisamment les dossiers les plus lourds et,
surtout, de rivaliser avec l’éloquence et la faconde des
« ténors » du barreau, pour mériter leur place aux assises.
On se demandait également laquelle serait la première à
se risquer dans l'arène ?
Une tradition majoritairement répandue a fait d’Hélène
Miropolsky la pionnière – en 1908. Nous ne rentrerons pas
ici dans les débats concernant deux autres avocates,
Maria Vérone et Marguerite Dilhan, auxquelles la primauté
est parfois accordée. En effet, même si de brillants
chercheurs ont pu démontrer que ces deux dernières
avaient probablement plaidé aux assises avant, leur rôle
dans les procès en question ne fut que « secondaire » .
Maria Vérone n’était qu’une parmi dix avocats et encore,
dans une « simple » affaire de tract antimilitariste ; quant à
Marguerite Dilhan, elle avait plaidé en second, pour
défendre la complice d’un accusé principal, défendu lui par
un homme.
L'affaire qui va permettre à Hélène Miropolsky de se
présenter, en septembre 1908, devant les assises de la
Seine est tout autre, puisqu’il s’agit cette fois d’un
infanticide et qu’elle est seule pour défendre l’accusée.
L’un des journaux les plus populaires de l’époque, Le Petit
Parisien, rapporte, dans son édition du 25 septembre
1908 : « Il y avait hier, à la cour d'assises de la Seine, une
affluence considérable. Les trois premiers bancs réservés
aux témoins étaient occupés par des dames en élégantes
toilettes. Nombreux également étaient les avocats dans le
prétoire. On s’expliquera cet empressement lorsqu’on
saura que, pour la première fois, dans cette enceinte, on
allait entendre une de nos plus gracieuses avocates, Mlle
Miropolsky. Sa collègue, Mme Maria Vérone, avait déjà fait
ses débuts devant cette même juridiction, lors du procès
intenté aux antimilitaristes, mais son rôle avait été effacé.
Mlle Miropolsky s'est trouvée, hier, seule devant le jury.
[…] La jeune avocate ne nous a paru nullement troublée
par l’importance de sa tâche. »
L'affaire portée devant la juridiction contraste cruellement
avec l'excès de mondanité déployé pour la circonstance :
c'est un drame de la plus atroce misère. Une femme,
Hélène Jean, d’origine bretonne, se retrouvant à bout de
ressources a voulu se donner la mort avec son enfant et
chercha à s’asphyxier avec son poêle à charbon. Elle en a
réchappé, mais l’enfant est mort. Tous les témoignages
recueillis ne peuvent qu’attester la bonne volonté de la
mère, « travailleuse et d’une propreté remarquable » mais
qui, faute de travail, a fini par céder au désespoir. Hélène
Miropolsky de plaider : « Je ne vous dirai pas de faire
appel seulement à votre cœur, mais aussi à votre raison.
Je n’en appelle pas à votre pitié, mais à votre justice. » Et
Le Petit Parisien de conclure : « La cause était bonne, la
plaidoirie fut excellente, les jurés ne pouvaient
qu’acquitter. C’est ce qu’ils ont fait aux applaudissements
du public. » Née en 1887, Hélène Miropolsky avait alors à
peine 20 ans.

Simone Rozès (née en 1920)


« Voulez-vous vous lever, madame ? La cour vous invite,
madame le Premier président, à occuper le fauteuil qui
vous est réservé. » Le ton est d’une solennité appuyée, la
voix forte, presque sévère – pour un peu, on croirait qu'il
s'agit d’appeler un condamné à l’échafaud, ou que le
fauteuil en question est une chaise électrique.
C’est que les magistrats de la Cour de cassation,
rassemblés sous les ors de la Grande Chambre, ne sont
pas habitués à un tel hourvari. Les caméras de télévision
sont là, en nombre, pour immortaliser l'instant, qui sera
diffusé au journal télévisé de 20 heures : ce
mercredi 15 février 1984, la Cour procède à l'installation
officielle de son nouveau premier président qui se trouve,
pour la première fois de son histoire, être une femme. Le
Premier ministre, Pierre Mauroy, s’est déplacé. Et nul
doute que le président de la République, François
Mitterrand, lui aurait ravi la préséance, s’il n’avait pas été
en déplacement à l’étranger.
Avec le recul, ce déluge médiatique n'était finalement pas
si immérité : plus de trente ans plus tard, Simone Rozès
demeure la seule et unique femme à avoir occupé le plus
haut poste de la magistrature française.
« Votre destin, madame, est d’être toujours première » , lui
avait lancé le président doyen de la Cour, en introduction
de cette séance solennelle. Il aurait dû ajouter : « Et de le
rester… »
Simone Rozès, dans un entretien au journal Libération,
le 10 avril 2007, expliquait qu’une question qu’on lui avait
souvent posée et qui la mettait chaque fois « hors d'elle »
était de savoir si, en tant que femme, elle appliquait le
droit différemment : « On confond la loi et le magistrat. Je
n'ai jamais fait quoi que ce soit dans mes fonctions guidée
par quelque chose de féminin. » Et ce malgré toutes les
petites humiliations qu’elle eut à subir, comme celles
venant de ce collègue du tribunal de grande instance, à
Paris, qui rentrait prestement dans son bureau dès qu'il
l'apercevait au bout du couloir – « Il devait me prendre
pour le diable » – ou ces gendarmes qui ricanaient en coin
pour l'accompagner à une autopsie – « Ils devaient se dire
que j'allais m'évanouir » . Elle racontait, enfin, qu'il lui avait
fallu « ne jamais se plaindre, ne jamais parler des enfants,
ne jamais être malade. J’aurais préféré arriver sur une
civière que manquer un jour de travail » .
Depuis bientôt soixante ans qu’elle est entrée dans la
magistrature, Simone Rozès a pu assister à la
féminisation de la profession. Qu'elle juge un peu
sévèrement. Dans l’entretien à Libération, déjà évoqué,
elle racontait : « Il y a quelques semaines, j’étais à la fac
de droit de Dijon, pour une conférence. Dans ce DESS, il y
a vingt filles pour un homme. J'étais stupéfaite. Les
hommes préfèrent des situations plus rémunératrices,
dans les entreprises. Les femmes, du coup, sont victimes
du déclassement qui touche l’institution judiciaire, de son
manque de moyens. Autrefois, on se plaignait d'un
déséquilibre. Par exemple, il y a quarante ans, quand on
jugeait un divorce, le juge était un homme, les avocats des
hommes, le greffier un homme. Aujourd'hui, il n'y a plus
que des femmes. Mais ça finira bien par se rééquilibrer. »
Au printemps 2014, une deuxième femme a bien failli
occuper le fauteuil de premier président de la Cour de
cassation. Le 30 juin de cette année-là, Vincent Lamanda,
premier président en exercice, devait faire valoir ses droits
à la retraite. Six candidats se présentèrent pour lui
succéder dont, circonstance inédite, quatre femmes :
Laurence Flise, déjà « dans la place » , puisqu'elle
présidait la deuxième chambre civile de la Cour de
cassation, Dominique Lottin, première présidente de la
cour d’appel de Douai, Chantal Bussière, première
présidente de la cour d’appel de Bordeaux et Chantal
Arens, présidente du tribunal de grande instance de Paris,
déjà évoquée.
Mais c’est un homme, Bertrand Louvel, lui aussi déjà dans
la place (puisqu’il présidait la prestigieuse chambre
criminelle de la Cour) qui leur a été préféré…

Gisèle Halimi (née en 1927)


Enfin une femme ! Gisèle Halimi, à la fois avocate et
écrivain, est depuis plusieurs décennies l’incontournable
porte-parole de la cause des femmes en France. Elle
participe ainsi aux grandes batailles des années 1970,
menées par des personnalités telles que Lucien Neuwirth
ou Simone Veil, aux fins notamment de légaliser
l'avortement. Elle fonde en 1971 avec Simone de Beauvoir
le mouvement dénommé « Choisir la cause des femmes »
.
En avril 1971, alors que l'avortement reste un délit puni et
réprimé par la loi française, elle participe au « manifeste
des 343 » , illustre cas de désobéissance civile. Il s’agit
d’une pétition en faveur du droit des femmes à disposer de
leur corps, signée par 343 femmes célèbres qui déclarent
toutes avoir avorté. Elles réclament la légalisation de
l’avortement et le libre accès aux moyens contraceptifs.
Parallèlement, Gisèle Halimi prend régulièrement la
défense de jeunes femmes, voire de jeunes filles,
poursuivies pour avortement clandestin. Lors du célèbre
procès dit « de Bobigny » , en 1973, Gisèle Halimi plaide
en faveur d’une jeune fille de 16 ans, accusée, avec sa
mère, d'avoir avorté clandestinement. Le combat est
couronné de succès, puisqu'en 1975 l'Assemblée
nationale adopte la loi sur l’interruption volontaire de
grossesse (IVG), soutenue par Simone Veil, alors ministre
de la Santé, mettant ainsi fin aux poursuites pénales à
l'encontre des femmes avortées.
Le manifeste des 343
Dans son édition du 5 avril 1971, le magazine Le Nouvel
Observateur publie la liste de 343 femmes célèbres déclarant
avoir subi une interruption volontaire de grossesse. Par la
suite, cette pétition sera désignée, par provocation,
« manifeste des 343 salopes ».

« Un million de femmes se font avorter chaque année en


France. Elles le font dans des conditions dangereuses en
raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées
alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical,
est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de
femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir
avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux
moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement
libre. »

Signataires : Catherine Arditi, Stéphane Audran, Simone de


Beauvoir, Marguerite Duras, Catherine Deneuve, Françoise
Fabian, Judith Magre, Jeanne Moreau, Marie-France Pisier,
Olga Poliakoff, Micheline Presle, Françoise Sagan, Nadine
Trintignant, Agnès Varda, Marina Vlady…

Dominique de La Garanderie
(née en 1943)
Le mardi 26 novembre 1996, les avocats parisiens furent
une majorité à penser que Dominique de La Garanderie
méritait le bâton. Elle était digne d'être la première d’entre
eux, d’être leur bâtonnier. La première femme bâtonnier.
Le « bâtonnier de l’ordre » , ou chef de l’ordre des
avocats, est élu (pour deux ans) par l'assemblée générale
des avocats inscrits à un barreau – il existe 161 barreaux
en France et donc, autant d'ordres – pour en assurer la
présidence.
D'autres femmes avaient précédé Dominique de La
Garanderie dans la fonction, mais… en province et donc,
avec un retentissement bien moindre.
À lui seul, le barreau parisien rassemble un peu plus
de 42 % des effectifs des quelque 67 000 avocats
français. Le bâtonnier est donc à la tête d'un corps de
métier qui regroupe pas moins de 28 145 membres (au 1er
janvier 2018) et le Conseil de l’ordre parisien est à lui seul
une véritable PME, maniant un budget annuel d’une
cinquantaine de millions d’euros et comptant plus de deux
cents salariés permanents. Autant dire qu'être bâtonnier
du barreau de Paris est un « full time job » qui, pendant
deux ans, oblige son détenteur à délaisser les affaires de
son cabinet.
Diriger deux cents salariés n'avait pas, en tout cas, de
quoi effrayer Dominique de La Garanderie, elle qui a
consacré – et qui continue de consacrer – toute sa
carrière au droit du travail.
Elle est née Dominique Tisseyre, en 1943, à Paris, d’un
père journaliste et résistant, mort en déportation à
Buchenwald, et d'une mère antiquaire. Après un DESS de
droit privé, elle devient avocate à 25 ans, en 1968 et
décide de se spécialiser dans une matière alors quasi
marginale et uniquement contentieuse, le droit social.
En 1976, elle fonde son propre cabinet. Son élection au
bâtonnat fut le fruit d’une longue et opiniâtre carrière dans
les instances syndicales et ordinales de la profession :
Conseil de l'ordre, Conseil national des barreaux (où elle
fut, en 1992, la première femme élue au bureau),
présidence de la section internationale du Conseil national
des barreaux, présidence de la Délégation française des
barreaux européens, etc.
Depuis son bâtonnat, Dominique de La Garanderie a
poursuivi son combat féministe en créant notamment, au
début des années 2000, l'Association française des
femmes juristes, où sont représentés tous les métiers du
droit (avocates, huissières, juristes d’entreprise,
magistrates, notaires, professeures de droit…), dont elle
est désormais la présidente honoraire. Elle a également
poursuivi son engagement humaniste, en entrant au
Comité consultatif national des droits de l’homme, où elle
occupa (jusqu’en 2005) la vice-présidence du comité sur
les droits de l’enfant. Elle est, par ailleurs, membre de la
Fédération internationale des droits de l'homme et
d'Avocats sans frontières. Elle a également participé aux
travaux du comité d’éthique du Medef (le syndicat
patronal). Pour honorer sa longue carrière – qui n'est pas
terminée ! –, la promotion 2012-2013 de l'École de
formation professionnelle des barreaux de la cour d’appel
de Paris (EFB) portait son nom.

Eva Joly (née en 1943)


Qu’un avocat décide de devenir magistrat n’a rien
d’exceptionnel. Il est plus rare, en revanche, qu'un
magistrat décide de devenir avocat. Chez les femmes, il
existe un cas emblématique : celui d'Eva Joly.
La « reconversion » surprise de celle qui fut l’un des juges
les plus emblématiques de la lutte contre la corruption
avait toutefois suscité une certaine « émotion » chez
quelques membres du barreau. Au point que le Conseil de
l'ordre, réuni en séance plénière, l'avait convoquée
le 3 février, quelques semaines avant sa prestation de
serment, pour qu’elle s’explique « sur ses motivations » .
Une convocation inédite et sans précédent, qui pouvait
même passer pour humiliante, mais à laquelle l’intéressée
s’est cependant pliée de bonne grâce… accompagnée
d’un avocat, Me William Bourdon. Il faut dire que c'était la
première fois que l’Ordre parisien était confronté à la
perspective d’accepter en son sein un nouveau membre…
contre lequel il avait plaidé.
C'était le 18 juin 2003 : la cour d'appel de Paris, statuant
en référé, avait ordonné, à la demande de l’Ordre des
avocats au barreau de Paris, qu’un livre d’Eva Joly sur les
coulisses de l'affaire Elf, annoncé aux éditions des Arènes,
ne soit pas diffusé avant la fin des plaidoiries du procès,
alors en cours, soit le 7 juillet suivant.
De cette affaire, elle dira souvent, par la suite, qu'elle lui a
« fait comprendre le monde » . Il s'agit d'un vaste scandale
politico-financier qui a éclaté en 1994, sur des
détournements totalisant 504 millions de dollars, à la suite
d'une enquête de la Commission des opérations de
bourse sur le financement par Elf de l'entreprise textile
Bidermann entre 1989 à 1993.
L'affaire, qui va durer plus de dix ans, connaît son point
d'orgue entre 1997 et 2000, avec une série de coups de
théâtre et de rebondissements qui affectent les plus hauts
personnages de l’État. Durant tout ce maelström, Eva Joly,
dont la vie est menacée – sa sécurité monopolisera
jusqu'à six gardes du corps – demeure imperturbable.
Même lorsqu’un drame privé (le suicide, en 2001, de son
ex-mari, Pascal, dont elle était séparée depuis 1999) vient
l'affecter. Ce stoïcisme – que d'autres qualifieront de
« dureté » – lui vaut le surnom de « juge de glace » ,
tandis que son opiniâtreté – « acharnement » pour
certains – à traquer la corruption des puissants lui vaut
celui de « juge rouge » .

Isabelle Coutant-Peyre (née


en 1952)
Isabelle Coutant-Peyre, l’avocate de Carlos (le terroriste,
pas le chanteur…), est un personnage féminin « clivant » .
Pour les uns, elle est l’avocat le plus « désarmant » du
barreau de Paris. Le plus « anticonformiste » ,
assurément. Pour d’autres, elle est franchement
insupportable. Grande fumeuse de cigarillos, l’intéressée
semble beaucoup s’amuser de tout ce qu’on peut dire
d’elle et poursuit, imperturbable, son chemin en dehors
des clous.
Isabelle Coutant-Peyre, c'est d'abord un physique, qui
inspire les journalistes : « longue dame brune » , « petite
femme, mais grande gueule » , « frêle brindille aux yeux
sombres » [sic]… Isabelle Coutant-Peyre prête serment à
la cour d’appel de Paris en 1979 et embrasse la
profession d'avocat. Mais pas d' « avocate » – elle déteste
la féminisation du mot : à ceux qui lui donnent du
« madame l'avocate » , elle répond « Appelez-moi
maîtresse » …
C’est durant sa collaboration avec Jacques Vergès qu’elle
a à défendre, avec lui, Magdalena Kopp (1948-2015), une
activiste de l’ultra-gauche allemande arrêtée à Paris, en
février 1982, alors qu'elle projetait avec des comparses un
attentat contre les bureaux du journal Al Watan Al Arabi, et
qui sera condamnée à quatre ans de prison.
Magdalena Kopp est la maîtresse d'Ilich Ramirez
Sanchez, dit « Carlos » ou encore « Le Chacal » . Après
avoir longtemps échappé à toutes les polices du monde,
Carlos est finalement capturé au Soudan, au mois
d'août 1994, par les services secrets français (la DST), qui
le ramènent en France, pour y être jugé. Carlos demande
alors à Isabelle Coutant-Peyre, que Magdalena Kopp lui a
recommandée, de faire partie de son collectif d'avocats.
Puis, en 1997, Carlos répudie ses autres avocats et lui
confie la responsabilité de toute sa défense. Quatre ans
plus tard, le 25 août 2001, l'avocat de bonne famille et
l'ennemi public no 1, détenu à l’isolement à la prison de la
Santé, à Paris, se demandent mutuellement leur main.
Hasard ou inconscient ? En 1965, un certain Jacques
Vergès avait déjà fait de même, en épousant l’une de ses
clientes, Djamila Bouhired.
Par boutade, Isabelle Coutant-Peyre déclarera, en
mars 2004, sur le plateau de « Tout le monde en parle » ,
l'émission de Thierry Ardisson : « J'ai le mari idéal, il me
laisse tranquille toutes les nuits. » Quelques années plus
tard, elle réduira son mariage avec Carlos à une simple
« stratégie » .
En 2012, Isabelle Coutant-Peyre refait parler d'elle : elle
est l'avocat du père de Mohammed Merah, cet islamiste
radicalisé qui a tué sept personnes, dont trois enfants, en
mars 2012, dans deux fusillades, à Toulouse et
Montauban, avant d'être abattu par les hommes du RAID.
Isabelle Coutant-Peyre dépose plainte pour meurtre avec
circonstances aggravantes contre les responsables
politiques et policiers qui ont mené l’assaut. « Mohammed
Merah a été présenté comme le coupable sans discussion
possible, explique-t-elle. Il y avait un autre choix que de
l’abattre alors même qu’il était déjà blessé et en sang. »
(Entretien à L’Est républicain, 13 juin 2012.)

Christiane Féral-Schuhl (née


en 1957)
Après Dominique de La Garanderie, Christiane Féral-
Schuhl fut la deuxième femme élue bâtonnier de Paris,
le 2 décembre 2010. Elle fut également la première femme
élue présidente du Conseil national des barreaux,
l’instance représentative au niveau national de la
profession.
Christiane Féral-Schuhl est née le 21 mai 1957. Elle est
de nationalité franco-canadienne. Après avoir été
diplômée de l'université Paris-II et avoir intégré l'École de
formation du barreau de Paris, elle intègre la profession
en 1981 au barreau de Paris, puis au barreau du Québec
en 2016.
Professionnellement, Christiane Féral-Schuhl est devenue
une des grandes spécialistes françaises du droit des
nouvelles technologies et du droit de la propriété
intellectuelle.
En outre, elle s’est illustrée par son investissement dans la
vie ordinale. Elle fut membre de nombreuses commissions
et émanations de la profession, et notamment membre du
Conseil de l'ordre des avocats entre 1994 et 1996, avant
de prendre ses fonctions de bâtonnier le 1er janvier 2012.
En juillet 2012, elle est à l'initiative d'une opération « coup
de poing » visant à lutter contre les « braconniers du
droit » , ces faux avocats qui se multiplient sur Internet
pour se livrer à un exercice illégal de la profession.
L’objectif est, à terme, de se débarrasser de tous les sites
délictueux qui pullulent sur Internet.
Christiane Féral-Schuhl multiplie les initiatives pour faire
évoluer la profession d'avocat et renforcer son image. En
décembre 2013, elle plaide pour faire reconnaître le droit
d’un défenseur à consulter le dossier du gardé à vue, en
s’appuyant sur une directive européenne.
Elle crée également la commission égalité
hommes/femmes. Lors de son élection à la présidence du
Conseil national des barreaux, elle annonce espérer
mettre un terme à « l’enfer professionnel » vécu par
certaines avocates. Son engagement en faveur de la
défense des avocates et des femmes qui travaillent en
général lui avait déjà valu d'être nommée
en 2013 membre du Haut Conseil à l'égalité entre les
femmes et les hommes en tant que personnalité qualifiée.
Dans le cadre de la présidence française du G7,
Christiane Féral-Schuhl a lancé un G7 des avocats, qui
s'est tenu en juillet 2019 à Paris. Parmi les thèmes
abordés, ceux de l’environnement et du numérique
occupent une place de choix. Interrogée à ce sujet par Le
Point, la présidente du Conseil national des barreaux
s’exprime ainsi : « L'avocat n'est-il pas le mieux placé pour
porter ces valeurs de défense des droits humains, pour
faire avancer les règles et participer aux réflexions du
monde dans lequel on vit ? […] Le droit est le ciment de la
société et nous sommes les meilleurs interlocuteurs pour
assurer la protection des droits et accompagner l’équilibre
entre les droits et obligations de chacun. Le monde que
nous souhaitons construire implique de rappeler la place
du droit, de la régulation, du contrat et des libertés. » Les
pays du G7 totalisent 1 800 000 avocats.
Christiane Féral-Schuhl est également chevalier de la
Légion d’honneur.
DANS CE CHAPITRE
Des figures de sages : Salomon et Socrate

Le monstre Landru et l'énigme Besnard

De grandes affaires nationales et internationales

La littérature dans le prétoire


Chapitre 21
Dix grands procès
D u jugement de Salomon à l' « affaire du sang
contaminé » , les grands procès ont toujours défrayé la
chronique. Qu’il s’agisse de censure ou de la vie d'un
homme, voici dans ce chapitre le court récit d'affaires
devenues mythiques et de litiges emblématiques.

Le jugement de Salomon (972-


931 av. J.-C.)
Bien sûr, il pourrait s'agir des îles du Pacifique ou de la
célèbre marque d'équipements de ski… Mais Salomon
est, d’abord et avant tout, un roi d’Israël, célèbre pour
avoir rendu un jugement habile. Poussin, Mantegna et
bien d’autres artistes ont immortalisé cette scène biblique,
relatée dans le Livre des rois de l'Ancien Testament.
Le conflit oppose deux « femmes de mauvaise vie »
habitant dans la même maison. Chacune d'elles donne
naissance, à quelques jours d'intervalle, à un fils. Mais l’un
des deux nouveau-nés meurt subitement. Les deux mères
se disputent farouchement l’enfant survivant. Le roi
Salomon les convoque pour résoudre le litige. Il s’agit de
déterminer qui est la mère de l’enfant survivant. Salomon
use alors d'un subterfuge pour obtenir la vérité : il ordonne
de trancher le nourrisson en deux avec un glaive, de façon
que les deux requérantes en obtiennent une moitié
chacune.
La réaction des deux mères ne se fait pas attendre : l'une
d'elles accepte la proposition, tandis que l'autre préfère
refuser sa « moitié » au profit de sa rivale, pour épargner
l’enfant. Faisant preuve d’une perspicacité incontestable,
Salomon considère que la vraie mère ne peut être que
celle qui s'est opposée au sacrifice de l’enfant, et il lui
attribue l’objet du litige en chair et en os. Le glaive n’a
donc servi qu'à trancher le différend !

Le procès de Socrate (399 av. J.-


C.)
Suspecter un philosophe d’être nuisible alors qu’il n’a
jamais écrit une ligne… Voilà une accusation qui ne
pourrait aujourd’hui trouver son fondement dans notre
Code pénal. C'est pourtant ce que les Athéniens ont
reproché, en 339 av. J.-C., à Socrate, célèbre philosophe
grec qui n’a cessé de prêcher la maxime aujourd’hui
fameuse « Connais-toi toi-même » , et ce après avoir été
proclamé « le plus sage des humains » par l’oracle de
Delphes.
Bien qu’il n’ait pas laissé d’écrits, Socrate s’est imposé
dans l’histoire comme le philosophe par excellence.
Toujours à la recherche de la sagesse, il prétend ne savoir
qu'une seule chose : qu'il ne sait rien… Il forme de
nombreux disciples, dont Platon, Alcibiade ou Euclide, et
exerce à Athènes le métier d' « accoucheur des esprits » ,
grâce à ses interrogations permanentes.
Rançon du succès : Socrate s'attire de nombreux
ennemis. En particulier, trois aristocrates affirment voir en
lui un être pervertissant les valeurs morales traditionnelles
et le considèrent comme un danger pour l'ordre social.
Anytos, membre éminent du parti démocratique, Melitos,
connu pour sa poésie, et Lycon, orateur public, accusent
ainsi Socrate d'impiété envers les dieux – il ne reconnaît
pas ceux de la cité et introduit des divinités nouvelles – et
de corruption de la jeunesse. Le peuple athénien,
convaincu de la culpabilité du penseur, retient ces deux
chefs d’accusation.
Socrate refuse de se défendre. Il est reconnu coupable
par le tribunal populaire d'Athènes à une faible majorité
parmi près de 500 juges. L'un des accusateurs propose
alors l’application de la peine de mort. Ce à quoi Socrate
répond qu’il serait plus juste pour lui d’être hébergé au
Prytanée, lieu d’accueil des hôtes publics et notamment
des vainqueurs olympiques ! Cette solution n'est pas
retenue par les juges, et Socrate est condamné à boire la
ciguë, le 7 mai 399 av. J.-C. Convaincus de l’innocence du
philosophe, certains de ses amis lui proposent leur aide
pour s’évader. Néanmoins, Socrate refuse de s’enfuir de
sa prison et ingurgite la ciguë.

Jeanne d’Arc au bûcher (1431)


Jeanne d'Arc, dite « la Pucelle d'Orléans » , est un
véritable symbole d'héroïsme national, notamment pour
ses exploits guerriers durant la guerre de Cent Ans.
L'histoire de France officielle la présente comme une
jeune chrétienne qui, à 13 ans, affirme avoir entendu des
voix surnaturelles lui réclamant d'être pieuse, de libérer le
royaume de l'envahisseur et de conduire le dauphin, le
futur Charles VII, sur le trône. Semant le doute au sein des
autorités, Jeanne est interrogée par les ecclésiastiques et
examinée pour constater sa virginité. Vérifications faites,
elle est autorisée, dès 1429, à mener les troupes
françaises pour libérer Orléans des envahisseurs anglais.
Poursuivant son épopée, cette cheftaine de guerre
parvient à atteindre la ville de Reims pour assister au
sacre de Charles VII. Puis, tandis qu’elle tente de libérer la
ville de Compiègne, assiégée par les Bourguignons,
Jeanne d'Arc est capturée et emprisonnée le 23 mai 1430.
Otage de valeur, elle est tout simplement vendue aux
Anglais pour 10 000 livres.
Malgré ses actes de bravoure, Jeanne d'Arc est accusée
d'hérésie, c'est-à-dire d’avoir une opinion contraire à la
morale établie, à savoir la doctrine catholique de l’époque.
On lui fait subir des interrogatoires musclés avant de
l’emprisonner dans un donjon.
Le procès débute le 21 février 1431 devant le tribunal
ecclésiastique, présidé par l’évêque de Beauvais Pierre
Cauchon, qui prend soin de faire siéger au tribunal des
juges hostiles à l’accusée. Curieusement, elle est fustigée
par l’Église de France mais reste néanmoins emprisonnée
au sein des prisons anglaises, réputées pour leurs
mauvais traitements. Sous les ordres de l’évêque de
Beauvais, les enquêteurs peinent à établir un acte
d’accusation cohérent. Jeanne apparaît comme une jeune
fille honnête, pieuse et convaincue de sa mission. C'est
alors que le tribunal lui reproche de porter des habits
d’homme et d’avoir quitté ses parents sans permission !
Un autre grief tient à son refus de soumission à l'Église.
En réalité, les ecclésiastiques sont troublés par les voix
célestes que Jeanne prétend entendre : ces visions ne
peuvent, selon les juges, qu’être une forme de sorcellerie.
À l’issue de la phase d’enquête, les maîtres de l’université
de Paris rendent leur avis et déclarent Jeanne coupable
d’avoir abandonné la religion ou, à tout le moins, de la
diviser, d’être menteuse, hérétique, errante en la foi,
blasphématrice… Face à ce déferlement d’accusations,
Jeanne sollicite l’avis du pape. Mais sa demande ne sera
jamais transmise par ses juges au souverain pontife.
Décidés à obtenir des aveux, les juges pressent Jeanne
de reconnaître ses fautes. Ils vont même jusqu'à procéder
au chantage : si elle avoue l'ensemble des faits qui lui sont
reprochés, les juges promettent oralement à Jeanne de
l’incarcérer dans une prison de l’Église. Jeanne reconnaît
avoir menti et signe d’une croix le papier où elle abjure ses
fautes. Néanmoins, trahison suprême de ses juges, ils la
renvoient à ses geôliers anglais. C’est alors que Jeanne
rétracte ses aveux. Elle est condamnée au bûcher non
pas pour avoir menti, mais pour être retombée dans ses
erreurs passées. Le lendemain, le 30 mai 1434, Jeanne
d'Arc est brûlée vive à Rouen.
À la demande de la mère de Jeanne d'Arc, l'Église casse
en 1456 le premier jugement, pour corruption, calomnie,
iniquité, fraude et malice, erreur de fait et de droit de la
part des premiers juges. Après un réexamen des
témoignages, le premier procès est déclaré nul et sans
effet. Jeanne est réhabilitée entièrement et sa famille
anoblie.

Le procès de Galilée (1633)


Génie italien, Galilée est à la fois physicien, astronome et
philosophe. Autant de fonctions dont l’exercice ne pourrait
plus tenir en trente-neuf, voire trente-cinq heures de travail
hebdomadaires ! Il enseigne la physique à Pise, puis à
Padoue. Mais son heure de gloire sonne lorsqu’il est
nommé à la cour de Florence mathématicien et philosophe
du grand-duc.
Il fabrique une lunette astronomique et observe les
planètes et les étoiles. Il conclut de ses découvertes que
la Terre tournerait autour du Soleil, seul élément fixe. Il
s'oppose donc radicalement aux croyances de l'époque, et
notamment au système aristotélicien, selon lequel la Terre
serait immobile au centre de l’univers… Quelle révolution
(dans tous les sens du terme) ! Il fait partager ses
observations à ses pairs, les défend avec vigueur, tout en
s’appuyant sur les travaux de Copernic. La communauté
ecclésiastique rejette de telles évidences, qui seraient de
nature à contredire certains passages bibliques.
Dès 1616, Galilée est sommé de venir s'expliquer à Rome
sur ses recherches. Malgré la rigueur scientifique de sa
thèse, les religieux la condamnent : elle ne pourra être ni
enseignée ni publiée.
Après quelques années de réflexion et l'élection d'un
nouveau pape, Urbain VIII, Galilée ne s’avoue pas vaincu.
Il décide d’exposer ses opinions de façon détaillée,
en 1632, dans le Dialogue sur les deux principaux
systèmes du monde. L’ouvrage connaît un vif succès.
Hélas, cette idée de mouvement de la Terre ne plaît guère
au pape ; Galilée est à nouveau convoqué à Rome
en 1633 devant la congrégation du Saint-Office pour
répondre de ses écrits. L'ouvrage de Galilée n'est qu'un
prétexte.
Il est d'abord reproché au scientifique d'avoir violé le
décret de 1616 interdisant toute diffusion de ses idées,
considérées comme hérétiques. Galilée fait l'objet d'un
interrogatoire sévère. Le savant, âgé de 70 ans, tente de
se défendre en réaffirmant sa foi. Le pape n'en est pas
convaincu pour autant. Le 22 juin 1633, le tribunal de
l’Inquisition prononce l’interdiction du livre de Galilée. Le
savant doit également abjurer pour échapper au bourreau.
Il renonce à sa théorie du mouvement de la Terre devant
ses juges, lançant tout de même sous cape la célèbre
phrase : « Eppur’, si muove ! » ( « Et pourtant, elle se
meut ! » )
Mieux vaut tard que jamais : ce n'est que dans les
années 1990, au cours d'un hommage rendu à Galilée,
que le pape Jean-Paul II a reconnu les erreurs des
théologiens de l’époque.
Le procès des Fleurs du mal
(1857)
Le 25 juin 1857, les éditeurs Auguste Poulet-Malassis et
Eugène de Broise publient l’édition originale des Fleurs du
mal, de Charles Baudelaire. Près de la moitié des poèmes
sont des inédits ; les autres ont déjà été publiés dans
différentes revues.
L’ouvrage n’est pas vraiment encensé par la critique
établie. En particulier, un journaliste du Figaro signe un
papier dévastateur, quelques jours après la sortie du livre,
n'hésitant pas à qualifier cette poésie d' « odieuse » et d'
« ignoble » . La lecture des Fleurs du mal n’échappe pas à
Pinard, procureur de l’Empire, qui poursuit l’auteur et ses
éditeurs pour immoralité. Ce magistrat n’en est pas à son
premier essai : six mois avant Baudelaire, Pinard a déjà
poursuivi Flaubert sur le même fondement pour sa
Madame Bovary. Flaubert a écopé d’un simple « blâme » ,
le 20 janvier 1857.
Baudelaire n'aura pas cette chance. Le jugement tombe
le 20 août 1857 : l' « offense à la morale religieuse » est
écartée, mais l'offense « à la morale publique et aux
bonnes mœurs » est retenue par les juges. Ces derniers
considèrent en effet : « L’erreur du poète dans le but qu’il
voulait atteindre et dans la route qu’il a suivie, quelque
effort de style qu'il ait pu faire, quel que soit le blâme qui
précède ou suit ses peintures, ne saurait détruire l'effet
funeste des tableaux qu'il présente aux lecteurs et qui,
dans les pièces incriminées, conduisent nécessairement à
l'excitation des sens par un réalisme grossier et offensant
pour la pudeur. »
C'est ainsi que les magistrats ordonnent l'interdiction de
six poèmes : Lesbos, Femmes damnées, Le Léthé, À celle
qui est trop gaie, Les Bijoux et Les Métamorphoses du
vampire. En outre, l'auteur est condamné à une amende
de 300 francs et ses éditeurs à une amende
de 100 francs. Le milieu littéraire s'émeut d'une telle
décision. Les écrivains contemporains, tels Flaubert et
Victor Hugo, n’hésitent pas à soutenir le poète.
Si les six poèmes interdits ne sont plus publiés en France,
Baudelaire et l’un de ses éditeurs, Poulet-Malassis, les
rééditent vers 1866 en Belgique. Un exemplaire est
envoyé par le poète au procureur Pinard… Cette réédition
donne lieu à une nouvelle condamnation en mai 1868, un
an après la mort du poète.
Le 12 septembre 1946, sur l'initiative de la Société des
gens de lettres, une loi est votée afin de permettre de
réviser les condamnations prononcées contre les
ouvrages littéraires d’ores et déjà réhabilités par l’opinion
publique. C’est sur ce nouveau fondement que la Cour de
cassation, saisie dans le cadre d’une demande de
révision, autorise, le 31 mai 1949, la publication des six
poèmes interdits depuis plus de quatre-vingts ans.

L’affaire Landru (1921)


Père de quatre enfants et marié à sa cousine, Henri
Désiré Landru pratique toutes sortes de métiers :
comptable, cartographe, employé dans une étude
d'architecture, jusqu’au jour où il fonde une fabrique de
bicyclettes à pétrole. C’est alors le début d’une longue
série d’escroqueries et de larcins en tout genre… Entre
1900 et 1912, il est condamné à sept reprises à des
peines d’emprisonnement ou d’amende selon le degré de
gravité des infractions commises. Il s’arrange souvent
pour écourter ses séjours en prison en manipulant les
experts, qui déclarent son état mental « maladif » .
Parmi ses escroqueries célèbres, celle qui concerne Mme
Izoret est rocambolesque : à la suite d'une annonce
matrimoniale, il rencontre cette dernière et fête avec elle
leurs fiançailles… avant de disparaître avec la fortune de
la fiancée. Après quelques mois de prison, il fait
l’acquisition d’un garage qu’il revend immédiatement sans
avoir payé le premier propriétaire. Identifié par les services
de police, il prend la fuite.
Vers 1915, Landru doit subvenir aux besoins de sa famille
et décide de poursuivre ses escroqueries, mais en toute
discrétion. Sa stratégie est simple : il se fait passer pour
un veuf aisé à la recherche d'une épouse, riche si
possible. Afin d'être plus crédible aux yeux de ses
victimes, il loue de belles propriétés, d’abord à Vernouillet,
puis à Gambais, dans les Yvelines. Les femmes qu’il
rencontre sont séduites et acceptent d’épouser Landru, en
prenant soin de le mandater pour gérer leurs comptes
bancaires…
C'est ainsi que onze personnes disparaissent après leur
séjour chez Landru. Il ne sera jamais établi avec certitude
si Landru les a tuées et comment. Les enquêteurs, après
quelques découvertes macabres, ont cependant présumé
qu’il avait fait disparaître les corps de ses conquêtes en
les incinérant dans le fourneau de sa maison. Certes, les
voisins sont alertés par l'odeur nauséabonde – le
barbecue n'est pas encore à la mode – qui s'échappe de
la cheminée, surtout en été, quand le chauffage n'est pas
indispensable ; mais Landru n'est en rien soupçonné.
En revanche, les proches des victimes s’inquiètent et
écrivent au maire de la commune de Gambais, pour
demander des nouvelles du jeune couple installé dans la
villa des environs. C’est ainsi que l’élu municipal s’étonne
qu’un certain « M. Dupont » ou encore un « M. Fremyet » ,
apparemment mariés avec plusieurs femmes, résident à la
même adresse. Alerté par ces indices troublants, le maire
met en relation les différentes familles. Malgré les
multiples identités adoptées par Landru, deux familles
établissent un lien et portent plainte. Entretemps, Landru
s'est installé à Paris sous le pseudonyme de « M.
Guillet » ; il est arrêté le 12 avril 1919.
Il est inculpé, au départ, pour des escroqueries diverses et
variées. Puis, l’enquête permet de découvrir, dans un
garage, des meubles, des vêtements et les papiers
d'identité de dix femmes déclarées disparues ! Enfin, la
maison de Gambais est perquisitionnée ; les policiers
restent perplexes devant les tuyaux très usagés de la
cuisinière, et des fragments d’os humains sont retrouvés
dans un hangar…
Le procès de Landru s’ouvre en novembre 1921 devant la
cour d’assises de Versailles. Le public, nombreux, se
compose notamment de Mistinguett, de Raimu ou encore
de Colette. Landru est poursuivi pour le meurtre de onze
personnes, dont dix femmes. Toutefois, les enquêteurs
n’ont jamais pu retrouver les corps des victimes. Le
dossier d’accusation repose donc sur de simples indices
et des « commencements de preuve » . Ce qui fera dire à
Landru au président de la cour : « Montrez-moi les
cadavres ! » Très cynique, Landru aurait eu d'autres
répliques célèbres au cours des débats, comme : « Si les
femmes que j'ai connues ont quelque chose à me
reprocher, elles n'ont qu'à déposer plainte ! »
Le 30 novembre 1921, il est condamné à mort. Il dépose
un recours en grâce devant le président de la République,
Alexandre Millerand, qui lui sera refusé le 23 février 1922.
Deux jours plus tard, Landru est guillotiné dans la cour de
la prison de Versailles.
Quant à la cuisinière de la maison de Gambais, elle a été
acquise par un collectionneur américain !

Le tribunal de Nuremberg
(1946)
Qui n’a pas gardé en mémoire la photo de Roosevelt,
Staline et Churchill posant en 1945 pendant les accords
de Yalta ? Sujet classique du baccalauréat… Ces célèbres
figures ont pris alors une décision inédite dans l'histoire du
droit : à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les
puissances alliées envisagent de juger les chefs du
régime nazi devant une instance créée à cette occasion.
Le Tribunal militaire international, première juridiction
internationale de l’histoire, est ainsi mis en place. Ses
statuts sont décrits en annexe des accords de Londres,
signés le 6 août 1945.
Les vaincus étant jugés par les vainqueurs, les magistrats
sont tous des représentants des principales nations
victorieuses : l'URSS, les États-Unis, la France et le
Royaume-Uni. Quant au lieu où se déroule le procès, les
Alliés choisissent la ville de Nuremberg, non seulement
parce que son palais de justice a été épargné par les
bombardements, mais aussi, symboliquement, parce que
cette ville était le haut lieu des parades annuelles nazies
sous le IIIe Reich.
Du 20 novembre 1945 au 1er octobre 1946, vingt-deux
accusés sont jugés, dont des proches de Hitler, comme
Göring et Hess, des généraux, des diplomates, mais
également des économistes et des intellectuels qui ont
participé à l’élaboration de l'idéologie nazie. Quatre chefs
d'inculpation sont retenus : crimes contre la paix, crimes
de guerre, crimes contre l’humanité et complot en vue de
commettre l’un de ces trois crimes. À l'issue du procès, les
magistrats alliés prononcent douze condamnations à mort.
D’autres criminels écopent de la peine d’emprisonnement
à vie, et certains sont condamnés à des peines
d’emprisonnement allant jusqu’à vingt ans. Trois ont
obtenu l’acquittement. Par ailleurs, les entités militaires
sont poursuivies, dont le parti nazi, la SS, la Gestapo, la
SA ou le haut commandement de l’armée. Toutes sont
déclarées « organisations criminelles » .
Dans les statuts du Tribunal militaire international, les
Alliés définissent pour la première fois les infractions de
« crimes de guerre » et de « crimes contre l’humanité » .
Pour ce qui est des crimes de guerre, il s’agit notamment
de l’assassinat, des mauvais traitements ou de la
déportation pour travaux forcés ou dans tout autre but des
populations civiles dans les territoires occupés,
l’assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de
guerre ou des personnes en mer, l’exécution des otages,
le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans
motif des villes et des villages ou la dévastation que ne
justifient pas les exigences militaires. Les crimes contre
l’humanité comprennent l’assassinat, l’extermination, la
réduction en esclavage, la déportation et tout acte
inhumain commis contre toutes les populations civiles,
avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour
des motifs politiques, raciaux ou religieux. Quant aux
crimes de paix, ce sont la direction, la préparation, le
déclenchement ou la poursuite d’une guerre d’agression
ou d’une guerre de violation des traités, d’assurances ou
d’accords internationaux.
Les définitions des crimes de guerre et des crimes contre
l'humanité ont été reprises par la législation française ; ils
sont ainsi prévus et réprimés par le Code pénal.
Depuis 1964, le crime contre l'humanité est la seule
infraction pénale en France qui soit imprescriptible. Quant
aux crimes de guerre, ces infractions se prescrivent par
trente ans. Certaines poursuites récentes se sont fondées
sur ces incriminations ; en particulier, les procès
retentissants de Touvier, Barbie ou Papon.

L’affaire Sade (1957)


Si les œuvres du marquis de Sade, telles que La
Philosophie dans le boudoir, Les Cent Vingt Journées de
Sodome, Les Crimes de l’amour, Dialogue entre un prêtre
et un moribond, Histoire de Juliette, Justine ou les
malheurs de la vertu, sont aujourd’hui présentes dans la
plupart des librairies et bibliothèques, tel n’a pas toujours
été le cas, loin de là ! La plupart de ces ouvrages ont été
cantonnés pendant longtemps à des éditions clandestines
et donc très chères, réservées aux personnes fortunées.
Animé par une volonté de lutter contre la censure littéraire,
bien arbitraire à son goût, Jean-Jacques Pauvert défend le
droit du public à lire des ouvrages régulièrement interdits.
C’est en 1947 que ce jeune éditeur parisien se lance dans
l’aventure et ose publier les œuvres complètes de Sade.
Pour la première fois, les livres du « divin marquis » sont
publiés avec le nom d’un éditeur sur la couverture. Après
la sortie des premiers volumes d'Histoire de Juliette,
fin 1947, Jean-Jacques Pauvert est convoqué par la
brigade des mœurs. Malgré l’intervention des pouvoirs
publics aux fins de censurer ses ouvrages, Jean-Jacques
Pauvert poursuit la diffusion des œuvres complètes de
Sade. Un exemplaire de chaque œuvre est confié au
service de police par l'éditeur lui-même… exemplaires qui
auront disparu au jour du procès ! C'est le début de neuf
années de procédure et de débats à propos de la censure
littéraire.
Jean-Jacques Pauvert est brillamment défendu par
l’avocat Maurice Garçon, habile plaideur et habitué du
milieu littéraire parisien. Après plusieurs années d'enquête
et d'instruction, le procès a lieu
le 15 décembre 1956 devant la chambre correctionnelle
de Paris. L’éditeur est poursuivi pour avoir publié Juliette
ou la Prospérité du vice, La Nouvelle Justine ou les
Malheurs de la vertu, La Philosophie dans le boudoir et
Les Cent Vingt Journées de Sodome, ouvrages réputés
contraires aux bonnes mœurs. Lors de l'audience, des
écrivains célèbres défilent à la barre pour témoigner en
faveur de l'éditeur poursuivi ; Georges Bataille ou André
Breton viennent ainsi exprimer leur indignation. Pourtant,
le 10 janvier 1957, le tribunal reconnaît Jean-Jacques
Pauvert coupable du délit d’outrage aux bonnes mœurs et
le condamne à 200 000 francs d'amende. Pire encore, la
confiscation et la destruction des ouvrages sont
ordonnées.
L’éditeur interjette appel de la décision et s’emploie, avec
son avocat, à démontrer que Sade devrait être considéré
comme un auteur classique, intéressant le milieu
intellectuel ; ce qui justifie la publication de ses œuvres. La
cour d'appel, sensible à cette argumentation, supprime la
peine d’amende et la destruction des ouvrages. Depuis,
les œuvres de Sade côtoient les grands ouvrages
classiques dans les rayons de littérature française.
Pauvert est devenu le champion du combat contre la
censure, qu’il n’a cessé de mener tout au long de sa
carrière, entre provocations et contentieux.

Le procès de Marie Besnard


(1961)
Quoi de plus simple qu’un empoisonnement à l’arsenic,
substance réputée ne laisser aucune trace… Voilà l'idée
qui aurait traversé l'esprit de Marie Besnard ; du moins
est-ce ce qu’a prétendu la justice pendant près de dix
années, son cas restant toujours une étonnante énigme.
L'affaire Marie Besnard défraie la chronique judiciaire en
France à partir des années 1950. Tout commence par la
mort de Léon Besnard, mari de Marie, en octobre 1947 à
Loudun, dans la Vienne. La mort serait due à une crise de
foie. Après l'enterrement, Mme Pintou, voisine des époux
Besnard, annonce que Léon Besnard lui aurait confié avoir
été empoisonné par sa propre épouse au moyen d’un
liquide ajouté dans son bol de soupe.
Alerté par ces rumeurs, le ministère public ouvre une
enquête policière, et le corps de Léon Besnard est
exhumé en mai 1949. Les experts décèlent de l’arsenic
dans le corps, sans en trouver pourtant, le détail a son
importance, ni dans le bois du cercueil ni dans la terre du
caveau. Parallèlement, la justice s’interroge sur les
nombreux décès inexpliqués survenus dans l'entourage
de Marie Besnard : douze macchabées sont répertoriés
entre 1927 et 1945, dont les parents de Marie Besnard,
son premier mari, des amis ou ses beaux-parents. À leur
tour, les douze cadavres (ou squelettes…) sont exhumés,
puis expertisés. Des doses d’arsenic sont décelées dans
tous les corps.
Comme Marie Besnard a directement ou indirectement
perçu les héritages de chacune de ces personnes, elle est
poursuivie et incarcérée, en juillet 1949, pour
empoisonnement avec les circonstances aggravantes de
parricide et de matricide. Les expertises se succèdent. Les
nombreux toxicologues appelés à témoigner concluent
tous à une présence élevée d’arsenic dans les corps
pouvant être à l'origine de la mort des treize victimes. Mais
des analyses au cimetière de Loudun, là où tous les corps
avaient été enterrés, révèlent finalement la présence
d'arsenic dans la terre, liée au sulfate contenu dans les
fleurs ou dans le zinc des ornements funéraires. La
France reste donc suspendue à ces interrogations : Marie
Besnard est-elle l’empoisonneuse de Loudun ou une
innocente enfermée injustement ? D'où provient l'arsenic
trouvé dans les corps : empoisonnement ou engrais
chimique propagé dans la terre du cimetière ? Après plus
d'une centaine d’expériences et d’analyses, aucune
certitude ne peut être retenue.
Faute de preuve certaine, Marie Besnard est finalement
acquittée par la cour d'assises de la Gironde en
décembre 1961. Après ce tourbillon judiciaire, Marie
Besnard rentre à Loudun ; elle y décède en 1980. Elle
aurait même pardonné à Mme Pintou, la voisine par qui le
scandale était arrivé…

L’affaire du sang contaminé


(1991-1993)
Cette affaire retentissante débute dans les années 1980.
Le sida est une maladie encore méconnue du grand
public. Dès 1983, le ministère de la Santé, alerté sur les
effets et les modes de contamination du virus, incite à
éviter les prélèvements sanguins sur les donneurs
présentant un risque de contamination particulièrement
élevé à l’époque, à savoir les toxicomanes et les
homosexuels. Une circulaire émanant de la Direction
générale de la santé est prise en ce sens le 20 juin 1983,
non sans polémique.
En 1985, le président du Centre national de transfusion
sanguine annonce qu’une partie des stocks de
prélèvements sanguins est contaminée. Il invite les
pouvoirs publics à prendre une décision quant au sort
desdits stocks. En parallèle, l’avancée des recherches
scientifiques permet de dépister le virus dans les
prélèvements. Une solution pour éradiquer le virus est
même proposée par un système de « chauffage » des
produits sanguins. Le 1er août 1985, le dépistage
systématique des collectes de sang est instauré. Mais les
stocks de sang non chauffé, présentant donc un risque, ne
sont retirés de la circulation que le 1er octobre 1985. Entre
ces deux mois, des produits sanguins contaminés sont
distribués pour des transfusions, notamment à des
personnes atteintes d’hémophilie.
Les premières plaintes des personnes contaminées à la
suite d’une transfusion sont déposées en 1988. Très vite,
des associations de défense se créent.
L'affaire fait l'objet d'une couverture médiatique
impressionnante. En avril 1991, la presse révèle que le
Centre national de transfusion sanguine aurait sciemment
distribué des produits sanguins contaminés jusqu'en
octobre 1985, date où tous les stocks atteints par le virus
du sida furent enfin retirés. Toutefois, si le Centre national
de transfusion sanguine n’a pas interrompu la distribution
plus tôt, c'est qu'il attendait la décision des pouvoirs
publics sur cette affaire. L'opinion publique réclame la
condamnation des personnes responsables de cette
catastrophe, considérées in fine comme coupables de
meurtres avec préméditation. La difficulté est de savoir qui
a tardé à prendre la décision d'interdire l'utilisation des
produits contaminés.
Les poursuites sont d’abord dirigées contre des médecins,
en particulier Michel Garretta et Jean-Pierre Allain, du
Centre national de transfusion sanguine, inculpés, en
octobre 1991, de « tromperie sur les qualités
substantielles d'un produit » . Lors des débats, les parties
civiles sollicitent la requalification des faits en crime
d'empoisonnement, passible de la cour d'assises. En
juillet 1993, Michel Garretta est condamné à quatre ans de
prison ferme, tandis que son comparse écope de deux ans
de prison ferme et de deux ans de prison avec sursis.
L’instruction de cette affaire fait couler beaucoup d'encre
et met sur la sellette le gouvernement de Laurent Fabius,
en place en 1985. Interrogée sur le sujet, Georgina Dufoix,
ministre des Affaires sociales de l'époque, n'hésite pas à
résumer les faits par une formule qui met le feu aux
poudres : « Responsables, mais pas coupables. »
Parallèlement au procès des quatre médecins, on exige
que les responsables politiques en charge de ce dossier
soient également poursuivis. En septembre 1994, la Cour
de justice de la République, compétente pour juger les
ministres pour des actes commis dans l’exercice de leurs
fonctions, est saisie. Laurent Fabius, Georgina Dufoix et
Edmond Hervé, secrétaire d’État à la Santé au sein du
même gouvernement, sont mis en examen pour complicité
d'empoisonnement. Au terme de longs débats, Georgina
Dufoix et Laurent Fabius seront relaxés. Edmond Hervé
est reconnu coupable de plusieurs contaminations tout en
étant dispensé de peine.
L'affaire n'est pas terminée pour autant. Une trentaine
d'autres personnes, conseillers ministériels et médecins,
sont poursuivies pour empoisonnement, complicité
d’empoisonnement, homicide involontaire ou non-
assistance à personne en péril. Cependant, le crime
d’empoisonnement n’est pas retenu, dans la mesure où
l’intention de tuer n’a pas été prouvée. Parallèlement, un
fonds d'indemnisation a été mis en place au profit des
victimes.
DANS CE CHAPITRE
L'affaire Dreyfus

« Omar m'a tuer »

Outreau : « l'horreur judiciaire »


Chapitre 22
Dix erreurs judiciaires

«M
ieux vaut dix coupables en liberté qu’un innocent
en prison » , entend-on dans la plupart des
prétoires. Et pour cause, même si la justice est
rendue par des hommes susceptibles de commettre une
erreur, punir un innocent reste un traumatisme terrifiant.
La justice française aurait commis quelques-unes de ces
« horreurs judiciaires » dans des circonstances diverses.
De nombreuses autres affaires ne sont pas officiellement
des erreurs judiciaires ; mais de forts doutes subsistent
dans la mémoire collective quant à la culpabilité des
personnes condamnées. Tour d'horizon des dix dossiers
qui ont le plus défrayé la chronique.

L’affaire Calas (1762)


L'affaire Calas débute au XVIIIe siècle. Même ancien, ce
dossier reste aujourd'hui emblématique, en raison surtout
de l’intervention de Voltaire. Jean Calas, riche négociant,
est installé à Toulouse avec sa femme et ses six enfants :
Marc-Antoine, Pierre, Louis, Donat, Anne et Anne-Rose.
La famille est protestante.
Le 15 octobre 1761, Marc-Antoine, âgé d'une vingtaine
d'années, se suicide par pendaison dans la maison
familiale. Préférant éviter l’infamie réservée aux personnes
se donnant la mort, la famille dissimule les circonstances
exactes de la mort de Marc-Antoine, en indiquant avoir
retrouvé le corps de ce dernier portant des traces de
strangulation. Rapidement, la rumeur accuse le père, Jean
Calas, âgé de plus de 60 ans, d'avoir assassiné son fils
afin qu'il ne se convertisse pas au catholicisme.
L'affaire tourne à la guerre de religion. Marc-Antoine
s'intéressait en effet à la religion catholique quelques
années avant son décès. Il est déclaré martyr et enterré
selon le rite catholique. L’opinion publique réclame une
condamnation exemplaire pour le père de famille,
considéré comme un hérétique. Les enquêteurs,
influencés par la rumeur, poursuivent la thèse de
l'infanticide. C'est ainsi que Jean Calas, sa femme et l'un
de leurs autres fils, Pierre, sont interrogés. Jean Calas est
même soumis à la torture. Le système pénal de l’époque,
marqué par un fort caractère inquisitoire (voir chapitre 1),
n'offre pas autant de garanties aux droits de la défense
qu'aujourd'hui : une poignée d'indices suffisent à établir
une culpabilité. Un mois plus tard, Jean Calas est donc
déclaré coupable du meurtre de son fils Marc-Antoine.
Même sous la torture, il clame son innocence. Il est
étranglé puis brûlé vif publiquement. Sa femme est
acquittée. Quant à Pierre, son fils, défendu par Loyseau
de Mauléon, avocat au parlement de Paris et proche de
Rousseau, il est « simplement » banni du territoire
français.
La veuve de Jean Calas et ses enfants se battent alors
pour réhabiliter la mémoire du pater familias. Voltaire est
informé de l'affaire. Intrigué par l'absence d'enquête
sérieuse et la place prépondérante laissée à la rumeur, il
décide de clarifier ce dossier en reprenant lui-même
certaines pistes. Il rencontre notamment Pierre et Donat
Calas, deux des fils de Jean. Quelques mois
d'investigation suffisent au philosophe pour se convaincre
de l’innocence de Calas. Voltaire porte alors sa vision de
l'affaire sur la place publique, en formant des comités
d'enquête chargés de rechercher des éléments de preuve.
En parallèle, il publie de nombreux mémoires, parfois sous
couvert d'anonymat, afin de justifier méticuleusement
l’innocence de Calas. L’un de ses ouvrages, Traité sur la
tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas, publié
en 1763, est frappé par la censure et interdit. Comme la
plupart des écrits prohibés, ce traité provoque un fort
retentissement sur l’opinion publique.
Une requête est finalement déposée en haut lieu. Avec
l'appui de Voltaire, la veuve se rend à la Cour pour
supplier Louis XV d'activer le processus de révision du
procès. En 1765, la Cour de cassation prononce enfin la
réhabilitation de Jean Calas.

L’affaire du courrier de Lyon


(1796)
En avril 1796, une voiture attelée effectue le trajet de Paris
à Lyon. Cette malle-poste est chargée de caisses
contenant une petite fortune de lettres de change et de
monnaie destinées à l’armée de Bonaparte en Italie.
L’attelage est attaqué par des brigands dans la région de
Melun. Les deux conducteurs sont retrouvés morts. Les
enquêteurs sont sur la piste de quatre hommes déjà
connus des services de police pour leurs actes de
banditisme, dont un certain Couriol. Ils sont identifiés par
le tenancier de l’auberge de Montgeron, où la bande s’est
réunie la veille du forfait. Ces mêmes témoins évoquent
aussi la présence de deux autres hommes, arrivés par la
suite à l’auberge.
Couriol est arrêté à Château-Thierry en possession
d’assignats provenant de la malle-poste, ainsi que ses
trois complices : Bernard, Bruer et Richard. La police en
profite pour vérifier l'identité d'un autre homme se trouvant
dans les parages ; il s'agit d'un nommé Guénot. Les
enquêteurs le laissent libre mais lui confisquent ses
papiers ; il doit venir au Palais de justice, à Paris, pour les
récupérer.
Un mois plus tard, Guénot se rend chez le juge chargé de
l' « affaire du courrier de Lyon » , afin de reprendre ses
documents. Un de ses amis, Lesurques, ancien soldat
devenu rentier, l’accompagne. Les deux hommes sont
pères de famille et décrits comme d’honnêtes gens. Ils
attendent dans l’antichambre du cabinet du juge
Daubenton, en charge de l'affaire. Dans la même pièce,
deux servantes de l'auberge de Montgeron attendent
également leur audition par le juge afin d'apporter leur
témoignage. Pétrifiées, les deux femmes affirment devant
le juge que les deux hommes aperçus dans l’antichambre
se trouvaient également dans l’auberge la veille de
l’attaque. Lesurques et Guénot sont arrêtés. Le premier
est confronté aux autres inculpés. Il reconnaît Couriol, qu’il
a rencontré fortuitement lors d'un dîner chez un ami, mais
déclare être totalement étranger à l'attaque de la malle-
poste.
Le procès des six accusés s'ouvre au mois d'août 1796.
La plupart des témoins oculaires sont formels, Lesurques
était bien à l’auberge de Montgeron la veille de l’attaque,
avec les autres brigands. Il tente vainement de soutenir
qu’il se trouvait chez un bijoutier au moment des faits. Pas
de chance, son alibi n'a pas pu être confirmé. Il est
condamné à la peine de mort, tout comme Couriol et
Bernard. Le quatrième compère de Couriol, Richard,
écope de vingt-quatre ans de fers. Quant à Guénot et
Bruer, ils sont acquittés.
Le 30 octobre 1796, sur le chemin de l'échafaud, Couriol
ne cesse de crier l'innocence de Lesurques et de Bernard.
Bernard n’aurait fait que prêter des chevaux, et Lesurques
n'aurait jamais pris part à l'attaque. Mieux (ou pire encore !
), Couriol dénonce un autre complice, un certain Duboscq.
Malgré ces déclarations, les trois condamnés sont
exécutés.
L'affaire est pourtant loin d'être close, puisque Duboscq
est arrêté à son tour. Au cours de son procès, le juge
Daubenton suggère que Duboscq soit coiffé d'une
perruque blonde. En effet, Lesurques était blond. Si
Duboscq, brun, s'était coiffé d’une perruque blonde, il
aurait pu être confondu avec Lesurques. Les mêmes
témoins qui ont accusé Lesurques sont à nouveau
convoqués au procès de Duboscq. La ressemblance est
frappante entre les deux hommes.
Duboscq est condamné à la peine de mort, tout comme
son sosie quelques mois plus tôt, pour complicité de
meurtre dans l’attaque de la malle-poste. Pour autant,
Lesurques ne sera pas réhabilité malgré plus d'une
dizaine de requêtes en révision.

L’affaire Dreyfus (1894-1906)


Une des plus célèbres erreurs judiciaires de l’histoire de
France reste bien évidemment celle qui a brisé la vie du
capitaine Dreyfus. Affaire militaire au départ, le procès de
Dreyfus est médiatisé par des personnalités et des
hommes politiques, de sorte que la France entière est
finalement divisée entre les « dreyfusards » et les
« antidreyfusards » pendant une douzaine d'années !
Octobre 1894 : une femme de ménage de l'ambassade
d'Allemagne – et agent de renseignements des services
secrets français ! – découvre, dans une poubelle, un
bordereau compromettant sur lequel figurent des
renseignements relatifs au canon de 120, arme utilisée par
l’armée française. Il y aurait donc un traître au sein de
l'état-major français qui renseignerait les Allemands…
L'information est rapportée au ministère de la Guerre.
Après une rapide « instruction » , l'écriture figurant sur le
bordereau litigieux est attribuée à un jeune capitaine de
l'armée française, Alfred Dreyfus, qui achève un stage à
l'état-major général. Il est ainsi accusé, par le
commandant Armand du Paty de Clam, d’espionnage pour
le compte d’une puissance ennemie, est immédiatement
arrêté, le 15 octobre 1894, et écroué à la prison du
Cherche-Midi, puis à celle de la Santé.
Convaincus par le général Mercier, ministre de la Guerre,
les membres du gouvernement poursuivent le capitaine
Dreyfus devant le Conseil de guerre, sorte de tribunal
militaire, à Paris. Le procès a lieu
du 19 au 22 décembre 1894. Un dossier d’instruction
secret accablant l’accusé est transmis aux jurés militaires,
mais ni à l’accusé ni à ses avocats. La défense n’a donc
pas accès aux éléments qui pèsent sur l'officier…
Dreyfus est reconnu coupable de haute trahison et
condamné à la déportation perpétuelle dans l'enceinte
fortifiée de l'île du Diable, au large de la Guyane, où il
reste plus de quatre ans. Non seulement le capitaine
Dreyfus est condamné, mais il est aussi dégradé par
l’armée française, qui, pour l’occasion, organise même
une cérémonie à l'École militaire, le 5 janvier 1895.
Ne se résignant pas à la culpabilité de Dreyfus, ses
proches recherchent des éléments de preuve afin de
l'innocenter. Un certain lieutenant-colonel Picquart, chef
du service des renseignements de l'armée, découvre,
en 1896, que l'écriture sur le fameux bordereau n'est pas
celle de Dreyfus, comme un expert l'avait affirmé lors du
procès, mais celle d'un autre officier, le commandant
Esterhazy, dont les états de service paraissent un peu
troubles.
L'affaire Dreyfus est à ce moment relayée par la presse.
Zola s'empare de la nouvelle et défend l’innocence de
Dreyfus tout en dénonçant l’antisémitisme ambiant dans le
quotidien Le Figaro, non sans provoquer de vives
réactions de la part des lecteurs.
En janvier 1898, l'armée française fait comparaître le
commandant Esterhazy, qui, après un procès éclair, est
acquitté. Zola s'enflamme et publie son célèbre article
intitulé « J’accuse » dans les colonnes du journal L’Aurore
(dirigé alors par Clemenceau), dénonçant la responsabilité
de toutes les autorités de la République. Au passage, Zola
est également poursuivi par la justice et condamné pour
avoir tenu des propos diffamatoires. Quant au gênant
lieutenant-colonel Picquart, il est éloigné en Tunisie.
L'affaire est donc close quand, six mois plus tard, en
août 1898, le colonel Henry avoue avoir confectionné des
faux documents pour les besoins de l’expertise
graphologique. Les preuves accablantes contre Dreyfus
seraient donc montées de toutes pièces. Une expertise
établit la culpabilité d’Henry, aussitôt emprisonné au mont
Valérien.
La France est totalement partagée sur la culpabilité de
Dreyfus : d'un côté, les « intellectuels » , prêts à mettre en
doute l’honneur de l’institution militaire pour défendre
l'innocence du capitaine ; de l'autre, ceux pour qui l'armée
française est au-dessus de tout soupçon, sans compter
les antisémites, tenant Dreyfus pour coupable.
Le 29 octobre 1898, quatre ans après l'arrestation de
Dreyfus, s'ouvre son procès en révision devant la Cour de
cassation. Plus de six mois plus tard, la haute juridiction
renvoie l'affaire devant le conseil de guerre de Rennes.
Durant un mois, les débats sont très vifs et l'atmosphère
tendue. Peine perdue : le 9 septembre 1899, Dreyfus est à
nouveau reconnu coupable ; mais des circonstances
atténuantes lui sont accordées.
La décision provoque un tollé général : ni les partisans de
Dreyfus ni ses opposants ne sont satisfaits. Dix jours plus
tard, Dreyfus est gracié par le président de la République.
Le débat faisant toujours rage au sein de la population
française, le gouvernement en place en
décembre 1903 saisit la Cour de cassation en révision du
procès Dreyfus. L’enquête est reprise, les débats sont
rouverts et, enfin, le 12 juillet 1906, le capitaine Dreyfus
est déclaré innocent. Le 21 juillet 1906, Alfred Dreyfus est
réintégré dans l'armée française, puis fait chevalier de la
Légion d'honneur, plus de onze ans après avoir été
dégradé…

L’affaire Seznec (1924)


Issue d'une longue lignée de Bretons, la famille Seznec
tient une blanchisserie à Brest pendant la Première
Guerre mondiale. L'affaire est prospère, surtout à partir de
l’arrivée des soldats américains, débarqués au Havre
en 1917, et qui règlent avec des dollars-or. Guillaume, le
père de famille, décide, en 1923, de monter une scierie à
Morlaix. Ambitieux, Guillaume Seznec profite aussi des
marchandises apportées par les Américains : il leur achète
des lots de couvertures afin de les revendre.
Pour cette aventure, il s’associe à Pierre Quemeneur,
riche négociant en bois, rompu aux affaires et conseiller
général du Finistère. Les associés s'enrichissent. Pierre
Quemeneur propose alors à Guillaume Seznec de
poursuivre ce marché, non pas avec des couvertures,
mais avec des voitures américaines. L’idée est de racheter
les stocks de véhicules laissés par l’armée américaine
pour les revendre bien plus cher aux Russes. À cet effet,
Pierre Quemeneur aurait proposé à Guillaume Seznec de
l'accompagner à Paris pour conclure un accord avec un
contact américain, un certain « Scherdy » ou « Gherdi » .
Le 24 mai 1923, Guillaume Seznec quitte Morlaix à bord
d'une Cadillac, en direction de Rennes, pour aller chercher
Pierre Quemeneur. Las, la belle américaine est en piteux
état ! Entre plusieurs crevaisons et un joint de culasse
capricieux, les deux hommes n'atteignent Dreux qu'en fin
de journée. Pressé, Pierre Quemeneur décide alors de
prendre seul le train pour atteindre Paris au plus tôt.
Guillaume Seznec, de son côté, doute de pouvoir vendre
l'automobile dans cet état et décide de rentrer à Morlaix
pour la faire réparer.
Guillaume Seznec a donc laissé Pierre Quemeneur à la
gare de Dreux… et Pierre Quemeneur ne réapparaîtra
plus jamais. La disparition de Pierre Quemeneur fait, bien
entendu, l'objet d'une enquête. Guillaume Seznec apparaît
comme le coupable idéal, puisqu’il est le dernier à
(reconnaître) l’avoir vu. De plus, l’inspecteur de police en
charge de l’enquête, Pierre Bonny, trouve une machine à
écrire de marque Royal 10 au domicile de Guillaume
Seznec lors d'une perquisition. L’enquête démontre que
cette machine a été utilisée pour rédiger une promesse de
vente aux termes de laquelle Pierre Quemeneur se serait
engagé à céder son domaine à Guillaume Seznec pour
une somme modique. Selon la police, Guillaume Seznec
aurait donc eu tout intérêt à tuer Pierre Quemeneur : le
mobile est purement financier.
Guillaume Seznec est arrêté et jugé pour le meurtre de
Pierre Quemeneur. Pour sa défense, il affirme que celui-ci
avait un rendez-vous avec le fameux « Scherdy » à Paris.
Toutefois, ce dernier reste introuvable et ne peut confirmer
cette thèse. Le ministère public conclut donc à un
mensonge échafaudé par Guillaume Seznec dans le but
de maquiller son crime. Forte de ces circonstances,
l’accusation arrive à convaincre la cour d'assises que
Guillaume Seznec a tendu un piège à Pierre Quemeneur
pour usurper ses biens.
À l'issue du procès, le 4 novembre 1924, Seznec est
condamné aux travaux forcés à perpétuité. Il est envoyé
au bagne de Guyane, sur l’île du Diable, là où le capitaine
Dreyfus a été emprisonné vingt ans plus tôt. Il ne cesse de
clamer son innocence et va même jusqu’à refuser une
grâce présidentielle qui lui sera proposée en 1933, en
soulignant : « Il n'y a que les coupables qui demandent. Il
finira par accepter une nouvelle grâce présidentielle
en 1946. Guillaume Seznec revient alors en Bretagne, à
l’issue de vingt années passées au bagne. Il décède en
1953, après avoir été renversé par une camionnette, des
suites de ses blessures. La famille Seznec, convaincue de
l'innocence de Guillaume, entame alors un long combat
pour le réhabiliter. De nouveaux éléments viennent jeter le
doute sur la culpabilité de Guillaume Seznec : d'abord,
l'inspecteur Bonny, en charge de l'enquête, aurait reçu des
ordres pour constituer certaines preuves. Puis, on apprend
que le fameux « Scherdy » , contact de Pierre Quemeneur
dans l'affaire des voitures américaines, aurait été lié à
l’inspecteur Bonny. Pour certains, « Scherdy » aurait
même pu être l’indic de Pierre Bonny. Des requêtes en
révision du procès sont déposées par la famille Seznec.
Après un long processus judiciaire, la chambre criminelle
de la Cour de cassation, réunie en Cour de révision, a
rejeté, le 14 décembre 2006, la treizième requête en
révision du procès qui avait condamné Guillaume Seznec.
Quatre-vingt-deux ans après les faits, les magistrats ont
considéré qu’aucun « fait nouveau » n’avait été rapporté
de nature à faire naître un doute sur la culpabilité de
Seznec. Aux yeux de la justice française, Guillaume
Seznec reste donc coupable de meurtre sur la personne
de Pierre Quemeneur. Son petit-fils, Denis Seznec,
entend, quant à lui, poursuivre son combat pour réhabiliter
la mémoire de son grand-père.

L’affaire Dominici (1954)


Quelle grande famille que les Dominici ! Il y a d'abord le
patriarche, Gaston, âgé de 75 ans, qui dirige de main de
fer la ferme familiale dans le village de Lurs, au cœur des
Alpes-de-Haute-Provence. Sa femme, Marie, a donné
naissance à neuf enfants, dont Clovis, l’aîné, et Gustave,
le cadet, qui reprendra la gestion de la ferme.
Le 5 août 1952, en pleine nuit, plusieurs coups de feu sont
entendus près de Lurs. Gustave Dominici trouve les corps
de trois touristes anglais, Jack Drummond, sa femme Ann
et leur fille de 10 ans, Elizabeth, morts à proximité de leur
voiture, sur une route longeant la propriété des Dominici.
Les Drummond étaient en vacances près de Villefranche-
sur-Mer et s’étaient arrêtés pour dormir à la belle étoile sur
le trajet.
Au cours de l'enquête, Gustave retrouve l'arme du crime
dans la Durance. Il s’agit d’une carabine appartenant à
son père, Gaston. Il accuse celui-ci d’avoir assassiné la
famille Drummond. Interrogé à son tour, Gaston Dominici
livre des aveux circonstanciés au bout d'un an d'enquête :
il aurait eu une relation intime avec Mme Drummond. Ayant
découvert la scène, M. Drummond aurait piqué une
colère… très vite calmée par Gaston Dominici. Le vieillard
avoue donc avoir tué les trois Britanniques. Mais cette
thèse n’explique pas tout, selon les enquêteurs. Gaston
Dominici ne simplifie pas la tâche des policiers, puisqu'il
se rétracte et accuse à son tour son fils Gustave et l'un de
ses petits-fils, Roger Perrin.
Le procès de Gaston Dominici, poursuivi pour meurtre,
débute le 17 novembre 1954. L'affaire fait l'objet d'une
médiatisation sans précédent. Hormis l'arme du crime, qui
appartient à l’accusé, les preuves de culpabilité pesant sur
Gaston Dominici sont plus que réfutables : les
témoignages de la famille Dominici sont contradictoires et
confus. Mais, en dépit de nombreuses invraisemblances,
Gaston est déclaré coupable et condamné à mort.
C'est alors que le vieillard annonce froidement : « Je vais
parler. » Une nouvelle enquête est diligentée mais se met
à patiner. Puis Gaston Dominici bénéficie d’une décision
du président René Coty, en juillet 1957, qui commue la
peine capitale prononcée en emprisonnement à
perpétuité. Trois ans plus tard, le général de Gaulle libère
définitivement Gaston Dominici en raison de son âge et de
son état de santé.

L’affaire Roland Agret (1973)


En novembre 1970, Roland Agret a 28 ans. Amoureux des
voitures, il trouve un emploi dans un garage dans le Gard.
Mais il apprécie en outre particulièrement les femmes.
Le 10 novembre, son patron et un ami sont retrouvés mort
dans la garrigue toute proche du garage. Sachant qu'il a
déjà été condamné pour falsification de chèques, les
enquêteurs se concentrent sur Roland Agret, qui s'enfuit
avec la femme du garagiste. Le mobile est tout trouvé !
Deux gaillards reconnaissent avoir commis le crime mais
citent Roland Agret comme commanditaire. Celui-ci est
alors poursuivi pour avoir fomenté le meurtre.
Au terme de son procès devant la cour d'assises de
Nîmes, en février 1973, Agret est condamné à quinze ans
de réclusion criminelle. Il clame partout son innocence.
Incarcéré, il décide de mettre sa vie en péril en « prenant
son corps en otage » , selon ses propres termes : il avale
notamment des fourchettes dans le réfectoire de l’institut
pénitentiaire, ce qui lui vaut quatre opérations de
l’estomac, tente de se pendre dans sa cellule et entame
une grève de la faim qui durera un an et vingt-huit jours. In
extremis, en 1977, il obtient la grâce présidentielle pour
raisons médicales.
Libre, Roland Agret continue d'exiger la révision de son
procès, allant jusqu'à se couper deux phalanges de doigt,
qu’il adresse au garde des Sceaux. Provocation réussie,
puisque sa requête est acceptée. Un nouveau procès
s’ouvre, en 1984, devant la cour d'assises de Lyon. Son
innocence est finalement reconnue en 1985. Roland Agret
est alors acquitté et réhabilité. Il saisit la Commission
d'indemnisation en raison des six années couvrant
uniquement les dix-huit mois de détention provisoire.
Déterminé à obtenir une réparation complète, il attire
l’attention des pouvoirs publics en se tirant une balle dans
le pied en guise d’ultime protestation. La justice finit par lui
accorder une réparation complète.
Plus de trente ans après les faits, Roland Agret clôt
définitivement cette affaire en brûlant publiquement son
dossier pénal.

L’affaire Patrick Dils (1986-2002)


Le soir du 28 septembre 1986, à Montigny-lès-Metz, les
corps de deux jeunes garçons, âgés de 8 ans, sont
découverts le long d'une voie de garage désaffectée de la
SNCF. Selon les experts, ils seraient décédés des suites
de coups de pierre portés sur leurs visages.
Apparemment, ils sont venus à vélo pour jouer le long de
la voie ferrée. L’enquête révèle la présence sur les lieux à
l’heure du crime de Patrick Dils, apprenti pâtissier
de 16 ans, résidant non loin de là, et venu fouiller une
poubelle située près de la ligne de chemin de fer à la
recherche d’enveloppes pour étoffer sa collection de
timbres…
Perturbé, fragile et immature, l’adolescent avoue, avec un
luxe de détails, le meurtre des deux enfants lors d’un
interrogatoire. Malgré ses rétractations et l’absence de
preuves matérielles retenues contre lui, Patrick Dils est
poursuivi, en avril 1987, pour homicides volontaires, et est
incarcéré. Deux ans plus tard, il est condamné à la
réclusion criminelle, à l’issue d’un procès devant la cour
d’assises des mineurs de Moselle. Ses avocats
s’acharnent et sollicitent une grâce présidentielle ; elle est
refusée. Une requête en révision du procès est déposée
en 1990 ; elle est refusée également, faute de nouveaux
éléments.
En 1999, alors que Patrick Dils est toujours emprisonné,
l’un de ses avocats apprend la présence au moment des
faits de Francis Heaulme, tueur en série, à proximité du
lieu du crime. En effet, Francis Heaulme était, à cette
époque, employé dans l’entreprise située à côté de
l’ancienne voie de chemin de fer. Une nouvelle demande
de révision est formée.
En juin 2001, à Reims, un nouveau procès de Patrick Dils
s'ouvre. Pas de chance : malgré des failles dans le
déroulement de l’enquête et la présence de Francis
Heaulme à Montigny au moment du crime, Patrick Dils,
âgé d’une trentaine d'années, est encore condamné, mais
moins lourdement – il écope seulement de vingt-deux ans
d’emprisonnement. Patrick Dils interjette appel.
Son troisième procès a lieu en avril 2002. Coup de
théâtre : deux pêcheurs témoignent enfin. Ils affirment
avoir trouvé, le jour du crime et non loin de la voie ferrée,
Francis Heaulme totalement ivre et le corps recouvert de
sang.
Ce témoignage signe l'acquittement de Patrick Dils après
quinze années d'emprisonnement. Quant à Francis
Heaulme, il est poursuivi, à son tour, pour homicides
volontaires sur les deux jeunes garçons avant de
bénéficier d'un non-lieu.

L’affaire Omar Raddad (1991-


2002)
Ghislaine Marchal, veuve fortunée âgée de 65 ans, est
retrouvée, le 23 juin 1991, dans la cave de sa villa à
Mougins, décédée à la suite de plusieurs coups de
couteau. Près du corps, deux inscriptions sont tracées
avec du sang, chacune sur une porte : « Omar m'a tuer » ,
« Omar m'a t » . Ce fameux Omar n'est autre que le
jardinier de la victime, âgé de 28 ans. Quatre jours après
la découverte du corps, Omar Raddad est inculpé
d’homicide volontaire et écroué à Grasse.
Selon les experts en graphologie, les inscriptions seraient
de la main de la victime, utilisant son propre sang. Et la
faute d'orthographe ? Pour certains, Ghislaine Marchal
n’aurait jamais commis une telle faute. Pour d’autres,
Ghislaine Marchal se serait aperçue de son erreur et
aurait tenté d’écrire à nouveau la phrase, sans avoir
cependant la force de la terminer. Les témoignages des
graphologues suffisent à convaincre les jurés de la
culpabilité d'Omar Raddad lors de son procès devant la
cour d'assises de Nice, le 2 février 1994. Il est ainsi
condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle.
L'affaire soulève cependant de nombreuses interrogations,
donnant lieu à une forte mobilisation médiatique. La
fiabilité des expertises graphologiques est en particulier
mise en cause. On dénonce une « justice à deux
vitesses » accusant un coupable « sur mesure » , une
enquête bâclée et un procès hâtif. C’est ainsi qu'un
mouvement d'opinion soutient le jardinier : des écrivains
reconnus (Jean d’Ormesson, Jean-Marie Rouart ou
Edmonde Charles-Roux) demandent au garde des Sceaux
la révision du procès. Même le roi du Maroc intervient
auprès du président de la République en faveur d’Omar
Raddad.
Jacques Chirac accorde à ce dernier une grâce
présidentielle partielle, le 23 mai 1996, réduisant sa peine
d'emprisonnement de quatre ans et huit mois. Puis, Omar
Raddad bénéficie d'une libération conditionnelle et sort de
prison en septembre 1998, après sept ans d’incarcération.
Il reste pourtant toujours coupable aux yeux de la justice.
Omar Raddad n’a de cesse de crier à l’erreur judiciaire.
Une requête en révision du procès est déposée en
janvier 1999. De nouvelles investigations sont ordonnées
par les magistrats ; en particulier, une autre expertise
graphologique. Les experts confirment que le sang utilisé
est bien celui de la victime. En revanche, ils affirment ne
pas pouvoir certifier que Ghislaine Marchal est l'auteur des
inscriptions. Autre élément d'importance : deux ADN
masculins sont relevés sur le mur… n'appartenant pas à
Omar Raddad. Ces éléments inédits ne suffisent
cependant pas aux magistrats de la Cour de révision pour
faire naître un doute sur la culpabilité d’Omar Raddad
dans le meurtre de Ghislaine Marchal. Le
20 novembre 2002, le verdict condamnant le jardinier est
confirmé.

L’affaire Rida Daalouche (1991-


1998)
L'amnésie peut parfois jouer des tours. Elle en a joué un
sévère à Rida Daalouche : consommateur de produits
stupéfiants, il n'était pas en mesure d'affirmer avec
certitude où il se trouvait le soir d’un meurtre commis à
Marseille.
En mai 1991, un homme est retrouvé égorgé à coups de
tesson de bouteille, en bas de la Canebière. Les
enquêteurs apprennent qu’une bagarre a éclaté dans un
bar, à quelques pas de là, sans doute à propos d'une
femme. Au bout de cinq mois d'enquête, Rida Daalouche
est accusé par un proche de la victime : la rixe aurait eu
lieu entre l’homme égorgé et Rida Daalouche à propos de
vente de drogue. Sous l'emprise de stupéfiants pendant
les interrogatoires, Rida Daalouche se retranche derrière
un faux alibi : selon lui, le soir du meurtre, il accompagnait
un de ses amis à Perpignan. Après vérification, rien ne
confirme cette thèse. Quant à ses parents, ils annoncent
aux enquêteurs avoir passé la soirée chez eux, à
Marseille, avec leur fils, en regardant un match de football
à la télévision. Face à de telles incohérences, Rida
Daalouche est incarcéré dès le mois de novembre 1991.
Le jour du procès devant la cour d’assises des Bouches-
du-Rhône, on ne sait toujours pas où se trouvait
réellement Rida Daalouche le soir du crime, puisque
plusieurs versions contradictoires sont avancées. Il est
condamné, le 12 avril 1994, à quatorze ans de réclusion
criminelle.
Rida Daalouche clame son innocence mais n’a toujours
aucun souvenir du lieu où il se trouvait au moment du
crime. Un an plus tard, l’une de ses sœurs, par acquit de
conscience, se rend au domicile de son frère à la
recherche d’indices. Bonne pioche ! Parmi un monceau de
paperasse, elle tombe sur un certificat médical
mentionnant l’hospitalisation de son frère pour une cure de
désintoxication quelques heures avant l’heure du meurtre.
L’avocat du condamné s’empare de la pièce à conviction
et l’adresse immédiatement au procureur de la
République. Des enquêteurs procèdent aux vérifications
d'usage auprès du centre hospitalier… qui confirme la
date du séjour de Rida Daalouche.
Fort de ce nouvel élément, le processus de révision est
déclenché. À l’issue d’un second procès, Rida Daalouche
prouve enfin qu'il ne pouvait pas se trouver sur les lieux du
crime. Le 8 mai 1999, sa condamnation est annulée.

L’affaire d’Outreau (2004-2005)


« Horreur judiciaire » est l’expression qui revient le plus
souvent quand il est question de ce dossier. Le procès
d'Outreau est, au départ, une affaire malheureusement
classique d'abus sexuels sur mineurs, transformée au fil
de l'instruction en une véritable machine à persécuter des
innocents.
En février 2001, les services sociaux déposent une plainte
visant un couple de parents, Thierry Delay et Myriam
Badaoui, relative à leurs enfants ; la famille vit à Outreau
(Pas-de-Calais), dans un quartier populaire. La machine
judiciaire est lancée : une instruction débute pour viols,
agressions sexuelles, corruption de mineurs et
proxénétisme. Elle est confiée au juge d'instruction
Fabrice Burgaud. Le couple suspect est alors mis en
examen et écroué. Cette sordide affaire d'inceste
intrafamilial se transforme peu à peu en une terrifiante
enquête sur un prétendu réseau pédophile. Des
témoignages d’enfants sont recueillis, incriminant des
habitants de la cité. Puis, Myriam Badaoui fait à son tour
des déclarations inquiétantes, dénonçant d'autres
participants. Au total, 17 personnes, dont 14 clament leur
innocence, sont mises en cause. Parmi elles figurent un
huissier ou encore un prêtre-ouvrier.
L’instruction ne se déroule pas sans encombre. Certains
soulignent des incohérences, notamment dans l'attitude
des enfants, incapables d'identifier sur une photographie
une personne qu’ils avaient précédemment accusée
nommément… La difficulté porte aussi sur la crédibilité
des témoignages des mineurs. Par exemple, une petite
fille prétend avoir été violée, et pourtant, à l'issue d'une
expertise, elle est déclarée vierge. Durant l’instruction,
nombre de mis en examen et détenus provisoirement
vivent très péniblement cette épreuve. Un des mis en
cause décède en cellule d’une « surdose
médicamenteuse » .
En mai 2004 s’ouvre le procès, avec l’espoir que la
lumière soit faite sur cette affaire. Les audiences
commencent donc : Thierry Delay, Myriam Badaoui ainsi
qu'un autre couple passent aux aveux. Les 13 autres
accusés nient fermement tout acte répréhensible.
Pourtant, les enfants victimes affirment tous avoir été
abusés par les 17 accusés. Le verdict est rendu : des
peines de réclusion criminelle sont prononcées à
l’encontre de Thierry Delay, de Myriam Badaoui et de
l’autre couple reconnaissant les faits, allant de quatre à
dix-huit ans d’emprisonnement. Sur les 13 autres
personnes clamant leur innocence, 7 sont acquittées
et 6 déclarées coupables, écopant de peines
d’emprisonnement allant de dix-huit mois à six ans.
Les preuves de la culpabilité de ces six personnes
condamnées sont toujours aussi douteuses. Aux termes
de leurs déclarations, les enfants victimes accusaient tout
le monde. Or, des incohérences majeures ont pu être
décelées dans ces témoignages. De même, ces six
personnes ont été, au départ, mises en cause par Myriam
Delay, elle-même coupable des faits les plus graves.
La population française tente de comprendre cette affaire.
Plusieurs analyses sont échafaudées : manipulations de la
part des accusateurs ? Experts trompés par des paroles
d'enfants ? Instruction peu sérieuse ?
Les six accusés d’Outreau clamant toujours leur
innocence interjettent appel de la décision de la cour
d’assises de Saint-Omer. La principale accusatrice,
Myriam Badaoui, et plusieurs enfants reconnaissent avoir
menti. Après plusieurs semaines de procès devant la cour
d'appel de Paris, en décembre 2005, les six accusés sont
acquittés. Ainsi, sur 17 personnes mises en cause, 4 ont
été lourdement condamnées et 13 autres acquittées, dont
certaines au printemps 2004 et d'autres seulement en
décembre 2005. Les 13 acquittés ont obtenu une
indemnisation de l'État pour détention injustifiée.
« Naufrage judiciaire » pour certains, ou encore
« Tchernobyl judiciaire » pour d'autres, cette affaire a
déclenché une vive polémique au sein de la justice
française. Le gouvernement décide alors de créer une
commission d’enquête à la suite du verdict d'appel, afin
d'apporter des éclaircissements sur le déroulement de
cette instruction calamiteuse. C’est ainsi que des
parlementaires, représentants du peuple français,
entendent les principaux acteurs de cette affaire,
magistrats, experts et ceux que l’on a nommés « les
acquittés d’Outreau » de façon à pallier, à l’avenir, les
dysfonctionnements de la justice.
DANS CE CHAPITRE
Des films cultes

Une histoire kafkaïenne

Des grands témoins


Chapitre 23
Dix œuvres ayant la justice
pour cadre
L a justice est un lieu clos ; comme la prison. Les cours
sont des endroits où les caméras ne pénètrent pas, où les
micros sont bannis : ils captent au mieux les discours sur
les marches du palais et les bruits de couloir. L’audience,
elle, est ouverte aux écrivains, aux chroniqueurs, à la
reconstitution… La justice est un théâtre qui ne joue que
des pièces à se faire peur. De grands romanciers, de
formidables cinéastes se sont emparés de cet univers.
Révisons donc en se détendant…

Fedor Dostoïevski : Crime et


châtiment (1866)
C'est en 1866 que Dostoïevski publie Crime et châtiment.
Le roman met en scène un étudiant pauvre, Rodion
Romanovitch Raskolnikov. Il vit seul dans un quartier
lugubre de Saint-Pétersbourg. Alors qu'il est contraint de
vendre la montre de son père, il songe à tuer l’usurière.
Raskolnikov se demande si le meurtre est moralement
acceptable quand la condition humaine en sort améliorée.
Son plan se donne la justification d'établir une justice en
faveur des hommes, notamment des plus démunis d’entre
eux.
Mais les choses ne se déroulent pas comme prévu ; et il
en arrive à tuer deux personnes (l’usurière et sa sœur). Il
prend alors conscience qu’il ne peut recevoir de pardon,
qu’il est abaissé dans son humanité sans être pour autant
à l’abri du besoin. Malade, fiévreux, à demi fou, il
s'imagine que chacun le soupçonne. Il sera enfin purifié en
se rendant et en avouant, puis en admettant sa
condamnation, qui le conduit à la déportation en Sibérie.
Car la souffrance et le tourment sont les vraies peines de
Raskolnikov.
Ce roman de Dostoïevski est considéré comme une de
ses œuvres les plus métaphysiques, les plus religieuses.

André Gide : Souvenirs de la


cour d’assises (1914)
À sa grande joie, André Gide est désigné comme juré pour
une session de la cour d'assises de Rouen, qui siège
du 13 au 25 mai 1912. Il note, le 4 juin suivant, dans son
journal : « Profit très espéré, mais dépassant toute
espérance. » Il assiste à des affaires de vol, de meurtre,
d'attentat à la pudeur…
Son récit en forme de témoignage est publié en
janvier 1914. Les dysfonctionnements de la justice, en
l'occurrence provinciale, sont décrits avec acuité : il relate
les préjugés des magistrats professionnels, la docilité des
autres jurés, l’opacité du langage utilisé par les juges…
Gide perçoit en outre la mince frontière qui sépare les
citoyens honnêtes de leurs homologues jugés par une
institution si humaine, et donc si imparfaite.

Franz Kafka : Le Procès (1925)


Le Procès est paru en allemand en 1925, l’année qui a
suivi la mort de son auteur, l'écrivain pragois Franz Kafka.
Une courte partie du texte a été publiée du vivant du
romancier. Max Brod, l’ami par qui les manuscrits de
Kafka ont été sauvés, a organisé les chapitres et laissé de
côté ceux qui étaient inachevés.
Le héros, Joseph K., un cadre de banque, fait l’objet d’une
arrestation puis d’un procès, sans que les raisons en
soient très claires. Il se proclame innocent, sans toutefois
comprendre les accusations portées contre lui. Il est
d’ailleurs initialement convoqué au tribunal sans connaître
ni le lieu précis ni l’heure. Son retard lui est cependant
reproché par le juge, qui préside à un rassemblement de
vieillards.
Joseph K. essaie en vain de rencontrer le magistrat
instructeur qui traite son dossier. Il découvre que le procès
change de salle d’audience en permanence, car le palais
de justice est partiellement loué à des particuliers, les
livres que possède le juge sont pornographiques, et autres
situations délirantes.
Le personnage principal se heurte à un étudiant en droit,
est aidé par un avocat déniché par son oncle, fait la
connaissance du peintre officiel du tribunal…
Le Procès a été perçu comme une charge à l’encontre de
la bureaucratie, l’opacité de la loi ou encore la vacuité de
l’humanité. Il reste, avec Le Château, un grand roman de
l’absurde.
Le réalisateur Orson Welles a adapté Le Procès en 1962,
avec entre autres à l'affiche Anthony Perkins, Romy
Schneider et Jeanne Moreau.
François Mauriac : L’Affaire
Favre-Bulle (1931)
François Mauriac a déjà, en 1927, avec Thérèse
Desqueyroux, proposé à ses lecteurs un personnage de
femme aux prises avec la justice. Thérèse est coupable,
comme chacun (mari, père et avocat) le sait, mais elle sort
du palais de justice grâce à une ordonnance de non-lieu.
En 1931, Mauriac suit le procès d'une femme accusée
d'avoir tué son mari afin de s’enfuir avec un de ses
amants. Dans L’Affaire Favre-Bulle, l’écrivain se pose en
défenseur de cette femme. Il fustige d’ailleurs Maurice
Garçon, un célèbre avocat, défenseur de la partie civile.
François Mauriac a toujours été passionné par la justice.
Son œuvre est empreinte de sa croyance en la
présomption d’innocence et en une justice charitable.
Dans L’Affaire Favre-Bulle, le futur prix Nobel de littérature
écrit :
« Ce qu’il y a de plus horrible au monde, c’est la justice
séparée de la charité. »

Sidney Lumet : Douze hommes


en colère (1957)
Douze hommes en colère, tourné par Sidney Lumet, est
un film américain sorti en 1957.
Un homme est accusé de parricide. Et, comme c’est le cas
dans la procédure américaine, un jury de douze hommes
va devoir délibérer sans magistrat professionnel à ses
côtés. La peine de mort serait la conséquence d’un verdict
de culpabilité.
Le film prend pour seul cadre le palais de justice et, en
particulier, le combat du personnage incarné par Henry
Fonda, qui est le seul des douze jurés à douter de la
culpabilité. Il va s’employer à faire changer d’avis un à un
les autres membres du jury en mettant au jour leurs
préjugés.

Truman Capote : De sang froid


(1966)
Truman Capote est déjà célèbre grâce à Petit déjeuner
chez Tiffany, sorti en 1958. Il vit à New York, quand il
décide de s'intéresser à un fait divers édifiant : au cœur du
Kansas, en 1959, à Holcomb, deux jeunes malfrats ont tué
toute une famille de fermiers.
Grâce au New Yorker, il s’installe à Holcomb pour
enquêter et rédiger un récit saisissant de l'affaire. Aidé de
son amie, la romancière Harper Lee, il se lie avec un des
deux détenus ainsi qu’avec le shérif local. Perry Smith et
Dick Hickock lui livrent les détails de leur carnage. Il
assiste au procès, dont l’issue semble inéluctable. Capote
écrira, en 1965, à Cecil Beaton : « Perry et Dick ont été
pendus mardi dernier. J’étais là parce qu’ils me l’avaient
demandé. Ce fut une épreuve atroce. Dont je ne me
remettrai jamais complètement. Je vous en parlerai un
jour, si vous pouvez le supporter. »
De sang froid est publié en 1966, après avoir été livré en
épisodes dans le New Yorker. L’écrivain s’est longuement
penché sur la petite ville où s’est déroulé le drame, sur la
psychologie des meurtriers, en particulier celle de Perry
Smith. Le succès de ce récit, modèle du genre, a suscité
notamment trois adaptations à l'écran, l'une de Richard
Brooks, dès 1967, puis, en 2006, deux autres films, qui
mettent tous deux en scène l'écrivain en pleine enquête :
Truman Capote, de Bennett Miller, et Scandaleusement
célèbre, de Douglas McGrath.

Costa-Gavras : L’Aveu (1970)


L’Aveu est un film français de Costa-Gavras, réalisé
en 1970, et adapté du livre du même nom d'Artur London.
Celui-ci est l'ancien vice-ministre des Affaires étrangères
de Tchécoslovaquie. Il est l’un des trois rescapés des
procès de Prague de 1952.
Costa-Gavras dirige Yves Montand et Simone Signoret, à
partir d’un scénario signé Jorge Semprun.
Un homme politique d’envergure est accusé, à Prague,
en 1951, d’espionnage au profit des États-Unis. Il est
torturé et avoue des crimes dont il n'est en rien
responsable. Il apprend ses aveux par cœur et les délivre
en pleine audience.
Dix-neuf ans plus tard, dans Music Box, Costa-Gavras met
en scène une avocate de grand talent qui défend son
père, poursuivi pour crimes de guerre. Il aurait été un
bourreau nazi, en Hongrie, pays qu'il aurait fui à la fin de
la Seconde Guerre mondiale.

Michel Foucault : Surveiller et


punir (1975)
Surveiller et punir (sous-titré Naissance de la prison) est
un essai de 1975 signé Michel Foucault. Michel Foucault
est alors professeur au Collège de France depuis cinq
ans. Le grand penseur se penche sur l’univers de la
prison. Il a déjà fondé, en 1971, avec Jean-Marie
Domenach et Pierre Vidal-Naquet, le groupe d’information
sur les prisons (GIP). En 1973, il a préfacé De la prison à
la révolte, de Serge Livrozet, et publié la même année
Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et
mon frère.
Surveiller et punir dissèque la mise sur pied de la prison
moderne, qui débute avec la fin des exécutions publiques.
La création de prisons « panoptiques » (permettant de tout
observer d’un seul poste, lui-même quasi invisible), la
comptabilisation carcérale (autant de cellules opaques,
supposées empêcher le trafic entre détenus) en sont
d’autres éléments clés.

Robert Benton : Kramer contre


Kramer (1979)
À partir du roman d'Avery Corman, le cinéaste américain
Robert Benton réalise, en 1979, un film à grand succès : le
divorce du couple formé par Dustin Hoffman et Meryl
Streep attire des dizaines de millions de spectateurs à
travers le monde.
Alors qu'il rentre chez lui avec une bonne nouvelle, Ted
Kramer – que sa réussite professionnelle amène à
négliger l'attention qu'il devrait porter aux siens – découvre
que son épouse le quitte. La garde de leur fils de sept ans
lui revient. Il doit alors assumer son rôle de père. Puis,
Joanna, partie un temps en Californie, décide de revenir
dans la vie de son fils et d'entamer une procédure
dévastatrice…
Le film tend aux sociétés occidentales un véritable miroir,
tout en utilisant avec maestria la tension inhérente à un
procès dont l’enjeu est la garde d’un enfant.
Steven Soderbergh : Erin
Brockovich, seule contre tous
(2000)
Le film Erin Brockovich, seule contre tous est signé Steven
Soderbergh. Il est directement inspiré de la vie d’Erin
Brockovich, une mère de trois enfants, seule et au
chômage, engagée dans un cabinet d'avocat. Elle
découvre que la Pacific Gas and Electric Company a
racheté toutes les habitations d’une petite localité dont les
résidents sont atteints notamment de cancers. Ceux-ci
sont en réalité dus à l’eau du robinet distribuée dans la
localité, qui contient du chrome provenant d’une usine de
refroidissement. Elle réussit à décider le cabinet de
défendre la population en portant l'affaire en justice.
Julia Roberts doit à ce rôle l’Oscar 2001 de la meilleure
actrice.
DANS CE CHAPITRE
Des professions disparues

Des juridictions remaniées


Chapitre 24
Dix grands disparus du monde
du droit
L es professions juridiques, les lois et les juridictions
évoluent selon les besoins des sociétés auxquelles elles
se rattachent. Le monde du droit étant en constante
évolution, il n’est pas rare de voir disparaître des éléments
autrefois considérés comme inhérent à la vie juridique.
Nous mentionnerons donc, à travers ce chapitre, dix
notions aujourd’hui désuètes du monde du droit.

Il était une fois les avoués


Jusqu’en 2012, les avoués orchestraient la procédure
devant la cour d’appel. Professionnel du droit et officier
ministériel, l'avoué était nommé par arrêté du garde des
Sceaux après avoir réussi un examen professionnel et été
admis par la cour d’appel auprès de laquelle il comptait
exercer.
L’avoué était chargé de représenter les justiciables devant
la cour d’appel. En amont de la procédure, il conseillait
ses clients sur l’opportunité et les chances de succès d’un
appel contre une décision de justice, et accomplissait en
leur nom et pour leur compte les actes nécessaires à la
procédure. Le recours à un avoué était obligatoire dans la
plupart des affaires civiles examinées par la cour d’appel.
Ce recours était en revanche facultatif dans certaines
matières, comme les prud'hommes, les affaires de
sécurité sociale, la déclaration d'abandon d'enfant, les
baux ruraux, les expropriations…

Une ordonnance non


remboursée : le tribunal des
affaires de sécurité sociale
Il existait un tribunal dédié aux litiges opposant les
organismes de sécurité sociale aux usagers. Il pouvait
s’agir de querelles sur le montant des cotisations payées,
de refus de prise en charge ou encore du taux de
remboursement de soins. Ce contentieux relève d’un
tribunal au nom singulier quand il est désigné par les
professionnels du droit : le tribunal des affaires de sécurité
sociale (TASS).
Le TASS territorialement compétent était celui qui se
trouvait dans le département du domicile du bénéficiaire
des prestations ou du siège de l'organisme de sécurité
sociale concerné. Cette juridiction était composée d’un
juge professionnel et de deux juges non professionnels
nommés pour trois ans par le premier président de la cour
d’appel à partir d’une liste de personnes proposées par les
organisations patronales et ouvrières les plus
représentatives. Ces deux juges étaient appelés des
assesseurs.
Un contentieux ne pouvait être porté devant le TASS que
dans les deux mois suivant une décision de la commission
de recours amiable de la Sécurité sociale, qui devait elle-
même avoir été saisie préalablement. En pratique, soit la
décision de la commission de recours amiable de la
Sécurité sociale avait été jugée insatisfaisante, soit elle
n’avait même pas pris la peine de se prononcer dans le
mois suivant la lettre de réclamation.
La saisine du tribunal devait alors être faite par lettre
recommandée avec accusé de réception. Les parties
étaient convoquées quinze jours avant l'audience et
pouvaient se présenter seules, même si l’assistance d’un
avocat était, là encore, fortement conseillée eu égard à la
particularité des règles du code de la Sécurité sociale.
Elles pouvaient également se faire représenter par un
conjoint, un ascendant, un descendant ou un collègue
exerçant la même profession si ceux-ci étaient munis d’un
pouvoir écrit de leur part.
Il convient de souligner que les TASS étaient bien souvent
pris d'assaut et totalement engorgés. Il fallait attendre de
très longs mois pour qu’une décision soit rendue ; et ce
d'autant plus qu'il pouvait arriver que le tribunal ordonnât
une expertise médicale qui allongeât encore ces délais. Si
la décision du TASS était insatisfaisante, un appel était
possible dans le délai de un mois pour les décisions
portant sur des sommes supérieures à 4 000 euros
seulement.
À compter du 1er janvier 2019, le contentieux social géré
par le TASS est fusionné et transféré aux tribunaux de
grande instance. 2019 marque donc la fin de
l'indépendance de la juridiction de sécurité sociale que
constituait le TASS.

Dites-lui adieu : la juridiction de


proximité
Le juge de proximité n’existe plus depuis le 1er juillet 2017.
Les litiges de moins de 4 000 euros relèvent désormais
tous de la compétence du tribunal d'instance.
Il trouvait son origine dans une loi
du 9 septembre 2002 dite « loi d'orientation et de
programmation pour la justice » . L’objectif était de
nommer de nouveaux juges n’ayant pas forcément suivi la
formation élitiste de l’École nationale de la magistrature,
mais étant issus de différents métiers et ayant la volonté
d'aider les particuliers et les entreprises à régler leurs
conflits d'importance mineure.
La loi du 13 décembre 2011 a pris acte de l'échec de cette
innovation. Depuis janvier 2013, les juges de proximité
n'ont plus de compétence en matière civile, mais
seulement en matière pénale.

Des affaires à faible enjeu


Par définition, les juges de proximité étaient amenés à être
plus « proches » des justiciables. L’idée à l’origine de la
création de ces juridictions était de désengorger les
tribunaux classiques, assaillis d'affaires anodines ou de
très faible enjeu financier. Il s'agissait aussi de convaincre
les justiciables que les juges pouvaient comprendre leurs
difficultés et que les citoyens pouvaient faire valoir leurs
droits sans être broyés par la grande machine judiciaire. Il
a donc été décidé de mettre en place de nouveaux juges
pouvant statuer avec plus d’équité, c’est-à-dire en prenant
en compte les situations particulières de chacun.
Malheureusement, son existence sera de courte durée
puisque, à la suite des critiques de la magistrature, il sera
remplacé par des magistrats exerçant à titre temporaire.
Les juges de proximité ont compétence en matière
d’infractions pénales sans gravité (les contraventions
jusqu’à la 4e classe : stationnement interdit, nuisances
sonores, etc.). Ils peuvent enfin homologuer les
arrangements trouvés entre les parties. Cela donne à ces
accords la même force qu'une décision de justice. Ainsi, si
l’une des parties ne les respecte pas, la décision est
immédiatement exécutoire, et, par exemple, un huissier
peut être saisi pour récupérer l’argent reconnu comme dû.
Les conciliateurs de justice
Il ne faut pas confondre les juges de proximité avec les
conciliateurs de justice. Ces derniers sont des personnes
bénévoles qui ne sont pas des juges professionnels, même si
elles prêtent serment. Les conciliateurs de justice ne
bénéficient d’aucune formation juridique particulière : M.
Durand ou Mme Dupont se mettent simplement à la
disposition des citoyens pour jouer un rôle de médiateurs,
en raison de leur sagesse ou de leur don pour régler les
différends, dans des conflits d’importance minime le plus
souvent. Ils sont à la disposition des parties qui souhaitent
avoir un avis extérieur sur leur affaire afin de trouver un
terrain d’entente. Ainsi, les conciliateurs de justice proposent
des solutions (à des difficultés de mitoyenneté, de pressing,
etc.), mais ils ne peuvent pas intervenir dans les affaires de
famille, comme pour les pensions alimentaires, la résidence
des enfants, etc. Les parties sont libres d’accepter ou non ces
propositions. Les conciliateurs de justice ne « jugent » pas à
proprement parler : ils n’ont aucun pouvoir de décision. Ils se
contentent de rapprocher les parties et de tenter de les
concilier. Le recours à un conciliateur de justice est gratuit et
rapide, sans aucun risque, puisque les parties peuvent
refuser de suivre son avis.
Goodbye les tribunaux
d’instance
« Tout en bas » : le tribunal
d’instance
Le tribunal d’instance était compétent pour les litiges dont
l’enjeu se situait en dessous de 10 000 euros. Par ailleurs,
le tribunal d'instance était exclusivement compétent dans
certains domaines, quel que soit le montant des
demandes, notamment pour les litiges suivants :

• les procès entre propriétaires et locataires (paiement


des loyers, expulsion) ;

• les actions visant à faire respecter la propriété d’un


bien ou le respect d’un droit de passage ;

• les contestations en matière de funérailles ou


relatives aux frais de scolarité ou d’internat ;

• les procès relatifs à l’élagage des arbres et des


haies, aux limites de deux propriétés ;

• les contestations en matière d’élections politiques et


professionnelles ;

• les problèmes relatifs aux crédits à la consommation


(pour l’acquisition d’une voiture ou d’une cuisine
équipée) d’un montant inférieur ou égal
à 21 346,86 euros ;
• les difficultés de tutelle, lorsqu’il faut placer sous
contrôle d’un tiers une personne en détresse sociale
et mentale, qui ne parvient plus à prendre de
décisions et à gérer son argent ;

• les demandes d’émancipation des mineurs âgés de


plus de 16 ans ;

• en matière de nationalité française, les déclarations


d’acquisition de la nationalité française ;

• les enregistrements de Pacs.


Pour les litiges qui n’entrent pas dans ces domaines ou
qui engendrent des demandes supérieures
à 10 000 euros, c'était le tribunal de grande instance qui
était compétent.
Le tribunal d’instance était composé d’un juge unique, qui
était un juge professionnel. Les tribunaux d’instance
étaient souvent engorgés. Certains propriétaires devaient
attendre près de deux ans de procédure pour pouvoir faire
expulser leur locataire mauvais payeur et récupérer la
jouissance de leur logement.
Le tribunal d'instance était saisi par une déclaration au
greffe ou par une assignation délivrée par un huissier. Les
parties n’étaient pas obligées de prendre un avocat et
pouvaient se présenter elles-mêmes devant le juge. Celui-
ci entendait chaque partie puis rendait sa décision,
immédiatement ou après un délai de réflexion. Les
jugements du tribunal d'instance pouvaient faire l'objet
d'un appel dans le mois suivant la réception du jugement
envoyé par le tribunal avec un tampon officiel. En 2017, il
existait 307 tribunaux d'instance en France.
La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la
justice marque la fusion des tribunaux d’instance avec les
tribunaux de grande instance.
Ainsi, au 1er janvier 2020, le tribunal de grande instance et
le tribunal d'instance situés dans la même commune sont
devenus le tribunal judiciaire. Quant aux autres tribunaux
d’instance, ils sont devenus une chambre de proximité
dénommée « chambre de proximité » du tribunal judiciaire.

RIP les bourreaux !


Le bourreau est devenu bien évidemment une profession
obsolète depuis l’abolition de la peine mort.
Au départ présents en grand nombre, dès 1791, les
exécuteurs ne répondèrent plus qu'au nombre de un dans
chaque département. La loi du 13 juin 1793 établit un
« exécuteur des arrêts criminels » par département,
chacun assisté de deux aides ( à l’exception de celui de la
capitale qui disposait de quatre paires de bras
supplémentaires).
Leur nombre est peu à peu réduit pour se trouver limité à
un au XIXe siècle : l'exécuteur en chef (celui-ci tout de
même greffé d'adjoints).
Le bourreau avait le statut d’agent contractuel de l’État. Il
percevait des gages versés par le ministère de la Justice.
Selon des estimations, un « exécuteur en chef » gagnait
moins qu’une secrétaire, et ses « aides » , moins que des
balayeurs. Marcel Chevalier, dernier exécuteur en chef,
touchait en moyenne 40 833 annuellement.

Les conseils juridiques


Les conseils juridiques ont fusionné depuis le 1er
janvier 1992 avec le corps des avocats. Leur différence
pouvait s'assimiler à celle présente entre les barristers et
les solicitors du système américain.

La Cour de sûreté de l’État


Au même titre que le TASS, la Cour de sûreté de l'État
était, en France, une ancienne juridiction d’exception. Elle
avait pour optique de de juger quiconque portait atteinte à
la sureté de l’État. Elle avait essentiellement la fonction
d’un tribunal militaire pensée par le général de Gaulle
après la guerre d'Algérie. Sa durée de vie fut courte
puisqu'elle fut créée en 1963, avant d'être supprimée
moins de dix-huit ans après. François Mitterrand décide de
la suppression de la Cour en 1981.
Cette Cour ne fut pas sans incidence sur le droit
contemporain puisque nous lui devons notre inspiration
pour la création d’infractions politiques reprises dans le
Code pénal par la suite.

Médiateur de la République
De 1973 et ce jusqu’en 2011, le médiateur de la
République était chargé de faire la jonction entre
l’administration et les citoyens. Considéré comme une
autorité administrative indépendante, il intervenait dans les
conflits en proposant des solutions amiables. Il était
nommé par le Conseil des ministres pour six ans non
renouvelables, de par la nécessité de demeurer
indépendant.
Depuis 2011, ces pouvoirs sont conférés au Défenseur du
droit qui voit le jour à la suite de la révision
constitutionnelle de 2008.

Le délit de vagabondage
En France, jusqu'en 1992, il était interdit de vagabonder.
Ainsi, selon le Code pénal de 1810, le vagabondage était
un délit réprimé et la peine pouvait aller jusqu’à six mois
d'emprisonnement. L'article 270 en donnait la définition
suivante : « Les vagabonds ou gens sans aveu sont ceux
qui n’ont ni domicile certain, ni moyens de subsistance, et
qui n’exercent habituellement ni métier, ni profession. »
Ces trois conditions devaient être réunies pour qualifier le
délit de vagabondage.
Ces articles ont été abrogés par la loi de décembre 1992,
entrée en vigueur le 1er mars 1994, réformant le Code
pénal. Cette abrogation donna lieu à une avalanche
d’arrêtés municipaux tentant de pallier la perte de cette loi.

Prostitution : disparition du
délit de racolage passif
Au fil des siècles, le point de vue du législateur sur la
prostitution a évolué. De la culpabilisation des prostituées
à la pénalisation des clients, la loi a suivi les changements
de mentalité sur la pratique.
La loi du 13 avril 2016 repose sur trois dispositions
principales : l'abrogation du délit de racolage passif, la
pénalisation des clients et la création d’un parcours afin de
permettre la sortie de la prostitution, et une insertion
sociale et professionnelle pour ceux qui la pratiquaient.
Le changement de paradigme est le suivant : alors que
depuis 2003 les prostituées étaient culpabilisées et
sanctionnées par le délit de racolage passif (la loi
prévoyait une condamnation de deux mois
d’emprisonnement et une amende de 3 750 euros), ce
sont désormais les clients qui risquent une amende
de 1 500 euros (3 750 en cas de récidive) et un stage de
« sensibilisation à la lutte contre l'achat d’actes sexuels » .
Cette loi ne satisfait cependant pas grand monde : d'un
côté, des associations de prostituées considèrent que
leurs conditions de travail se sont dégradées depuis que
les clients sont pénalisés, et que cela les met en danger ;
de l'autre, on entend les arguments de ceux qui militent
pour une dépénalisation totale de la prostitution et qui
mettent en avant la liberté individuelle ; enfin, ceux qui
sont en faveur d’une interdiction pure et simple de la
prostitution ne sont pas non plus satisfaits.
Questionnant deux des plus grands tabous de notre
société (le sexe et l’argent), la question est loin d’être
réglée et de nombreux litiges sont pendants devant les
hautes juridictions françaises pour remettre en question
telle ou telle disposition de la loi du 13 avril 2016.
Partie 6
Annexes
Dans cette partie…

Comme tout livre de référence, ce livre contient


des annexes. Vous trouverez ici un lexique des
termes juridiques utilisés, ainsi qu'une liste des
sites et blogs en rapport avec le monde de la
justice.
Annexe A
Glossaire
Abus de biens sociaux

Il s’agit d’un délit qui consiste à faire un usage des biens


d’une société à des fins personnelles, et donc contraires
à l’intérêt de la société.

Acquittement

Décision de non-condamnation, de la part d’une cour


d’assises.

Affectio societatis

C’est l’« intention de s’associer », qui n’est pas


formellement exigée par la loi dans la création d’une
société, mais qui constitue pourtant une condition
essentielle

du contrat de société.

Aide juridictionnelle

Aide apportée par l’État aux personnes démunies ne


pouvant assumer les frais d’un avocat pour se défendre
en justice. L’avocat est payé de manière forfaitaire, et
généralement assez réduite, par l’État et non par son
client.
Amende forfaitaire

Somme d’argent payée directement par l’automobiliste


à la suite du procès-verbal de l’officier de police, sans
contestation de l’infraction ni passage devant un
tribunal.

Audition

Dans le cadre d’une procédure pénale, rendez-vous


organisé par le juge d’instruction destiné à recueillir
verbalement les observations et explications de
personnes susceptibles de participer à la manifestation
de la vérité (victimes, experts, témoins, mis en
examen…).

Autorités administratives indépendantes (AAI)

Institutions étatiques chargées de contrôler le respect


des lois dans un secteur d’activité. Elles sont dotées de
pouvoirs de consultation et parfois de sanction.

Avocat commis d’office

Avocat désigné d’office par l’État pour représenter une


personne démunie ou une personne n’ayant pas choisi
d’avocat. L’avocat commis d’office est payé de manière
forfaitaire par l’État.

Bloc de constitutionnalité

Ensemble des textes à valeur constitutionnelle : la


Constitution de 1958, le préambule de la Constitution
de 1946 (IVe République) et la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789.

Classification tripartite des infractions

Classement des infractions en trois catégories en


fonction de leur gravité (les contraventions, les délits,
les crimes, du moins au plus grave).

Clause léonine (ou « pacte léonin »)

Se dit d’une clause ou d’un contrat dans son ensemble


qui est tellement déséquilibré(e) que cela entraîne sa
nullité (par exemple, un accord selon lequel une
personne travaille mais une autre perçoit le salaire).

Code civil

Recueil de textes ayant vocation à régir l’ensemble des


matières du droit civil, c’est-à-dire concernant les
personnes (nationalité, mariages, divorces, filiation) et
la propriété (successions, obligations, hypothèques,
donations, prêts, ventes, etc.).

Commissaire du gouvernement

Magistrat indépendant présent dans les procès


administratifs aux côtés des trois magistrats chargés de
juger le litige. Sa fonction se limite à exposer clairement
l’affaire et à donner son opinion aux juges et aux
parties.

Commissaire-priseur
Officier ministériel chargé d’estimer et de vendre des
biens mobiliers aux enchères publiques.

Commission nationale d’accès aux documents


administratifs (Cada)

Autorité administrative indépendante en charge du


contrôle du libre accès donné par les administrations à
leurs dossiers.

Commission nationale d’indemnisation des victimes


d’infractions pénales (Civi)

Institution étatique indemnisant financièrement les


victimes d’actes délictueux ou criminels commis par des
personnes que l’on ne retrouve pas ou qui sont
insolvables.

Commission nationale informatique et libertés


(Cnil)

Autorité administrative indépendante chargée de


contrôler les fichiers de données personnelles.

Commission rogatoire

Ordre par lequel un juge d’instruction délègue à un


officier de police le soin de procéder en son nom et
pour son compte à la recherche de preuves.

Composition échevinale

Composition d’un tribunal avec des juges


professionnels et des juges non professionnels (en cour
d’assises).

Conciliateurs de justice

Auxiliaires bénévoles de la justice saisis de manière


volontaire par deux parties afin que leur soit proposé
un terrain d’entente.

Confrontation

Réunion organisée par le juge d’instruction, destinée,


pendant l’enquête, à mettre en présence une personne
soupçonnée ou mise en examen avec les témoins ou
victimes.

Conseil de discipline

Tribunal instauré au sein d’une communauté (corps de


métier, école, prison) pour juger les infractions à la
discipline commises par ses membres.

Conseil de prud’hommes

Tribunal jugeant les procès entre salariés et


employeurs.

Conseil d’État

Plus haute cour de justice de l’ordre administratif.


Dernière voie de recours à l’encontre des décisions des
autorités administratives indépendantes des tribunaux
et cours d’appel administratifs, il dispose également
d’un avis consultatif.
Conseil supérieur de la magistrature

Organe constitutionnel présidé par le président de la


République, et composé de 16 membres. Il est chargé
notamment de la nomination des magistrats

et de leur discipline.

Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA)

Autorité administrative indépendante chargée de


contrôler le respect de la réglementation en matière de
télévision et de cinéma.

Cour d’appel

Juridiction de second degré, chargée de rejuger les


affaires tranchées par un premier juge.

Cour d’assises

Juridiction chargée de juger les crimes.

Cour de cassation

Plus haute cour de justice de l’ordre judiciaire. Dernière


voie de recours en France à l’encontre des décisions des
tribunaux et cours d’appel judiciaires.

Cour de justice de la République

Seul tribunal habilité à juger les membres du


gouvernement pour des actes répréhensibles commis
dans le cadre de leurs fonctions.
Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)

Juridiction créée par l’Union européenne pour contrôler


la bonne application des règles communautaires par les
États membres.

Cour des comptes

Juridiction en charge de la surveillance des comptes de


l’État et des collectivités territoriales.

Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)

Juridiction créée par le Conseil de l’Europe pour


défendre les libertés fondamentales des citoyens et
sanctionner les États ne respectant pas ces libertés.

Cour internationale de justice

Juridiction créée par l’ONU pour juger les conflits


(concurrence, respect des frontières…) entre États au
niveau international.

Cour pénale internationale

Cour pénale créée par l’ONU siégeant de manière


permanente afin de juger les crimes contre l’humanité,
les crimes de guerre et les génocides commis par des
particuliers, notamment des dirigeants et groupes
politiques.

Déclinatoire de compétence
Hypothèse où l’État estime qu’une affaire ne relève pas
de la compétence du juge judiciaire mais du juge
administratif.

Décret pris en Conseil d’État

Décret pris par le gouvernement après avis obligatoire


du Conseil d’État, concernant généralement des
questions importantes, comme la santé ou la sécurité.

Défendeurs

Personnes attaquées en justice.

Demandeurs

Personnes saisissant la justice afin d’obtenir gain de


cause.

Diffamation

Atteinte à la réputation d’une personne.

Doctrine

Opinion exprimée par les théoriciens du droit sur une


question juridique.

Double degré de juridiction

Principe de justice imposant que chaque justiciable


puisse disposer d’une voie de recours contre une
décision prononcée à son encontre. Ce principe n’est
pas toujours respecté pour les affaires aux enjeux
financiers très mineurs.
Droit civil

Ensemble de lois régissant les rapports entre les


particuliers dans leur vie familiale (filiation, mariages,
divorces, successions), dans la gestion de leur
patrimoine (droit des biens, conclusion de contrats…) et
leur responsabilité en cas d’accident. Ce droit est
compilé au sein du Code civil.

Droit d’auteur

Ensemble de règles destinées à protéger les auteurs


d’œuvres des arts et lettres.

Droit de récusation

Droit de l’accusé et du ministère public d’éliminer un


certain nombre de jurés d’un jury de cour d’assises ou
de cour d’appel d’assises.

Droit moral

Prérogative de l’auteur d’une œuvre d’art permettant


que son œuvre lui soit personnellement attribuée par la
mention de son nom. Ce droit permet également à
l’auteur, ou à ses héritiers, de s’opposer à toute
modification, altération ou destruction de son œuvre.

Droit naturel

Cette notion regroupe les droits universels de l’être


humain inhérents à sa nature humaine et donc
indépendants de sa nationalité, de sa position sociale,
etc.

Droit patrimonial

Prérogative de l’auteur d’une œuvre d’art selon laquelle


celui-ci peut autoriser ou interdire l’utilisation de son
œuvre. Ce droit comporte également la possibilité pour
l’auteur de percevoir des rémunérations en
contrepartie de l’exploitation de son œuvre.

Droit pénal

Il s’agit du droit qui a pour objectif de punir les


comportements qui portent atteinte à la société, de
l’excès de vitesse au meurtre en passant par le vol.

École nationale de la magistrature

Établissement public situé à Bordeaux chargé de la


formation initiale des futurs magistrats et de la
formation continue des magistrats en poste.

Élément moral d’une infraction

Aspect volontaire d’une infraction, intention de


commettre le délit.

Fonds de garantie des assurances obligatoires


(FGAO)

Fonds de solidarité étatique indemnisant les victimes


d’accidents de la circulation lorsque le responsable n’est
pas assuré ou a disparu.
Fonds de garantie des dépôts (FGD)

Fonds de solidarité étatique chargé d’indemniser les


épargnants dont la banque a fait faillite.

Fonds de garantie des victimes d’actes terroristes et


d’autres infractions (FGTI) Fonds de garantie national
indemnisant les victimes d’actes terroristes.

Habeas corpus

Règle de droit anglo-saxon visant à lutter contre les


détentions arbitraires en garantissant à une personne
arrêtée une présentation rapide devant un juge afin
qu’il statue sur la légalité de son arrestation et, le cas
échéant, qu’il le remette en liberté.

Haute Cour de justice

Seul tribunal habilité à juger le président de la


République pour un acte répréhensible commis dans le
cadre de ses fonctions.

Indivision

Situation juridique dans laquelle se trouvent plusieurs


personnes copropriétaires d’un même bien ou d’un
même droit.

Injure

Terme de mépris, invective ou insulte.

Journal officiel
Bulletin quotidien au sein duquel les lois et les décrets
sont publiés.

Juge aux affaires familiales (JAF)

Remplace le juge aux affaires matrimoniales


depuis 1993. Rattaché au tribunal de grande instance, il
est compétent pour statuer sur les demandes de
divorce, sur les modalités d’exercice de l’autorité
parentale, sur la modification de la pension alimentaire,
sur les modalités de la prestation compensatoire.

Juge de la mise en état

Magistrat chargé du suivi de l’instruction des


contentieux civils devant le tribunal de grande instance.

Juge de l’application des peines (JAP)

Magistrat chargé du suivi des sentences pénales


comportant des peines privatives ou restrictives de
liberté. Il peut être fait appel de ses décisions.

Juge de l’exécution (JEX)

Magistrat statuant à juge unique devant le tribunal de


grande instance pour connaître des problèmes
d’exécution des jugements et autres actes exécutoires.

Juge départiteur

Professionnel, issu du tribunal d’instance, chargé de


trancher les cas non résolus dans le cadre habituel des
jugements en conseil de prud’hommes.
Juge de proximité

Juge non professionnel chargé de juger les affaires


pénales à faible enjeu.

Juge des libertés et de la détention (JLD)

Issu de la loi du 15 juin 2000 (dite « loi Guigou »), ce


juge doit statuer, pendant la phase d’instruction, sur le
placement en détention provisoire d’une personne mise
en examen, sur la prolongation de cette détention et
sur les demandes de mise en liberté.

Juge d’instruction

Magistrat saisi par le parquet ou la partie civile afin


d’instruire à charge et à décharge sur des faits
délictueux ou criminels. Il dispose de larges pouvoirs : il
peut demander à entendre les témoins, procéder à des
perquisitions, mandater des experts, etc.

Juges consulaires

Nom donné aux juges siégeant au sein du tribunal de


commerce. Il s’agit de juges non professionnels élus
parmi les commerçants.

Juré

Personne désignée par tirage au sort à partir des listes


électorales pour siéger dans les jurys de cour d’assises
ou de cour d’appel d’assises.

Jurisprudence
Ensemble de décisions de justice rendues dans un
domaine de droit. Plus la juridiction ayant rendu la
décision est élevée, plus son influence sur la résolution
de cas similaires est importante.

Jury populaire

Juges non professionnels choisis parmi les citoyens


pour juger les crimes en cour d’assises.

Légalité des délits et des peines

Principe de justice dans toute démocratie imposant que


nul ne puisse subir une peine non prévue dans une loi.

Mariage

Union de deux personnes célébrée par un officier d’état


civil (maire ou adjoint au maire).

Ordre

Groupement professionnel chargé de contrôler le


respect de la réglementation et de la déontologie
propre à un corps de métier.

Ordre administratif

Ordre juridique chargé de résoudre les conflits entre un


particulier et l’État.

Ordre judiciaire

Ordre juridique chargé de résoudre les conflits entre


particuliers.
Ordre public

En droit, une règle d’ordre public est une règle à


laquelle on ne peut pas se soustraire.

Pacte civil de solidarité (Pacs)

Contrat passé entre deux personnes visant à organiser


leur vie commune et à prévoir une assistance en cas de
détresse de l’un des partenaires.

Pouvoir exécutif

Pouvoir d’initier les lois en les proposant au Parlement


et de décider de la politique d’un pays. Ce pouvoir
appartient au président de la République et à son
gouvernement.

Pouvoir législatif

Pouvoir de voter les lois. Ce pouvoir appartient au


Parlement.

Principe de légalité

L’Administration n’a pas un pouvoir illimité. Elle doit agir


en respectant la loi.

Propriété intellectuelle

Domaine du droit protégeant les créations de l’esprit


(œuvres d’art, marques, brevets…).

Registre du commerce et des sociétés


Registre tenu au sein du tribunal de commerce
mentionnant la liste de toutes les sociétés et archivant
leurs comptes et procès-verbaux.

Relaxe

Décision de non-condamnation de la part d’un tribunal


(de police ou correctionnel).

Requête

Acte de procédure par lequel un juge est saisi. La


requête est examinée sans que la partie adverse soit
présente, car il s’agit souvent de solliciter du juge qu’il
ordonne à un établissement de communiquer des
informations confidentielles ou de saisir des biens.

Respect du contradictoire

Principe de la justice imposant que chaque partie à un


procès communique ses arguments et pièces à l’autre
afin qu’il puisse y répondre.

Saisine

S’utilise dans le langage procédural pour définir l’action


d’introduire une affaire devant un tribunal ou devant
une institution étatique pour la faire juger.

Séparation des pouvoirs

Principe de justice mis en œuvre par les sociétés


démocratiques impliquant une totale indépendance
entre le gouvernement, le législateur et les juges.
Témoin

Personne qui pourra sous la foi du serment apporter


des précisions à l’autorité de police ou judiciaire
chargée d’enquêter ou de statuer sur des faits
délictueux ou criminels ou sur la personnalité des
personnes en cause.

Tribunal administratif

Juridiction de première instance en charge des litiges


entre l’État et les particuliers.

Tribunal correctionnel

Juridiction pénale chargée de juger les délits.

Tribunal de commerce

Tribunal jugeant les procès entre commerçants et les


procès concernant des actes de commerce.

Tribunal de grande instance

Juridiction civile en charge des litiges dont l’enjeu est


supérieur à 10 000 euros, les affaires familiales et les
marques. Fusionné à partir du 1er janvier 2020 avec le
tribunal d’instance de la même ville pour devenir le
tribunal judiciaire

Tribunal de police

Juridiction pénale chargée de juger les contraventions.

Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS)


Tribunal jugeant les procès entre les particuliers et la
Sécurité sociale.

Tribunal des conflits

Tribunal jugeant si une affaire relève de la compétence


du juge judiciaire ou du juge administratif.

Tribunal d’instance

Juridiction civile chargée de juger les litiges entre


locataires et propriétaires de locaux d’habitation et
certains litiges dont l’enjeu financier est inférieur
à 10 000 euros.

Tribunal du contentieux de l’incapacité

Juridiction en charge des litiges liés notamment aux


taux d’incapacité des personnes handicapées.

Tribunal paritaire des baux ruraux

Juridiction civile chargée de trancher les litiges entre


bailleurs et locataires de terres agricoles.

Tribunaux pénaux internationaux

Tribunaux ad hoc chargés de juger les crimes de guerre


commis par des dirigeants et des groupements
(Tribunal pénal pour le Rwanda, Tribunal pénal pour
l’ex-Yougoslavie, etc.).

Union libre
Synonyme de concubinage. État de fait lié à la
cohabitation de deux personnes qui ne sont ni mariées
ni pacsées.

Voie de fait

Acte illégal commis par un membre de l’Administration


dans le cadre de ses fonctions.
Annexe B
Sites Internet
Sites officiels
www.cnil.fr

www.conseil-constitutionnel.fr

www.conseil-etat.fr

www.courdecassation.fr

http://defenseurdesdroits.fr

www.echr.coe.int

http://europa.eu

www.justice.gouv.fr

www.legifrance.gouv.fr

Blogs
http://prdchroniques.blog.lemonde.fr

www.maitre-eolas.fr
Sommaire

Couverture
La Justice Pour les Nuls, 3e
Copyright
À propos des auteurs
Introduction
À propos de ce livre
Les conventions utilisées dans ce livre
Comment ce livre est organisé
Les icônes utilisées dans ce livre
Et maintenant, par où commencer ?

Partie 1. Histoire et philosophie du droit


Chapitre 1. Un long chemin depuis la loi du talion
Dura lex, sed lex : la justice dans l’Antiquité

Saint Louis sous son chêne : la justice royale (XIIIe-XVIIIe siècle)

Attention, ça va couper ! Les révolutions de la justice

Napoléon tape du poing sur la table : la justice républicaine

XIXe siècle : le yo-yo des libertés


Chapitre 2. Les théoriciens du droit à la barre
Les utopies

Comprendre le crime : le recours à la science

Chapitre 3. La justice chez nos voisins


Le système anglo-saxon : la Common Law

Le droit canonique

La charia des musulmans

Partie 2. La balance des institutions


Chapitre 4. La sainte Trinité : la séparation des pouvoirs
À l’origine, le législateur

À la manœuvre, le gouvernement

Au final, le juge

Chapitre 5. Le labyrinthe des tribunaux français


La distinction public/privé : l’ordre administratif et l’ordre judiciaire

Les tribunaux de première instance de l’ordre judiciaire

Qui juge les hommes qui nous gouvernent ?

Les cours d’appel

La Cour de cassation

Les tribunaux de l’ordre administratif

Chapitre 6. Ces ovnis qui nous jugent


Autorités et institutions dotées d’un pouvoir de sanction

L’indemnisation des victimes : la solidarité nationale

Garde à vous ! Les conseils de discipline


Chapitre 7. L’Olympe des institutions : les juridictions
internationales
Pas si vieille, l’Europe

L’utopie d’une justice universelle ?

Chapitre 8. La justice du XXIe siècle : un monde global et


médiatique
Une justice mondiale… ou mondialisée ?

Législatif, exécutif, judiciaire… et médiatique ?

Partie 3. Les acteurs du grand théâtre de la


justice
Chapitre 9. Les hommes en noir
Mesdames et messieurs, la cour ! Les magistrats

Gare aux effets de manche : les avocats

Chapitre 10. Bien plus que des figurants : les auxiliaires de


justice
Qui dit mieux ? Les commissaires- priseurs

Mais que fait la police ?

Toc toc ! Les huissiers

Derrière la cravate, le notaire

Chapitre 11. Victimes, jurés et témoins


Les jurés

La partie civile

Les témoins

Chapitre 12. Passer par la case prison


La « Gardienne » : l’Administration pénitentiaire
Les différents types d’établissements pénitentiaires

Les règles de la détention

Partie 4. La jungle des lois


Chapitre 13. Tous à la même enseigne : le droit des
particuliers
Les grandes étapes de la vie : le droit civil

L’esprit de clan : la famille

Au quotidien, le droit de la consommation

Chapitre 14. Au boulot ! Le droit du travail


Travailleurs, travailleuses : le droit social

Ma petite entreprise : le droit des sociétés

Chapitre 15. Oups ! Aïe ! Le droit pénal


Pas d’infraction sans texte : le principe de la légalité pénale

Un juge ne peut ajouter à la loi : le principe d’interprétation stricte de


la loi pénale

Impossible de revenir en arrière : le principe de non-rétroactivité de


la loi pénale

De l’excès de vitesse à l’assassinat en passant par le vol : la


classification tripartite des infractions

Les éléments constitutifs de l’infraction

Caramba ! Encore raté : la tentative

Chapitre 16. Entrée des artistes : droit de la propriété


intellectuelle et droit de la communication
Le droit de la propriété intellectuelle

Hum hum : le droit de la communication


Chapitre 17. Les géants en action : le droit administratif
Le principe de légalité

Le service public

La responsabilité administrative

Chapitre 18. Les nouvelles frontières du droit : la bioéthique


et l’environnement
Savants fous et vrais chercheurs : la bioéthique

La planète porte plainte : le droit de l’environnement

Partie 5. La partie des Dix


Chapitre 19. Dix hommes décisifs
Saint Louis (1214-1270)

Montesquieu (1689-1755)

Les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen


(1789)

Les rédacteurs du Code civil (1804)

Victor Schœlcher (1804-1893)

Léon Gambetta (1838-1882)

Maurice Garçon (né en 1889)

Jacques Isorni (1911-1995)

Michel Debré (1912-1996)

Robert Badinter (né en 1928)

Chapitre 20. Dix femmes de justice marquantes


Marie-Antoinette (1755-1793)

Jeanne Chauvin (1862-1926)


Mata-Hari (1876-1917)

Hélène Miropolsky (1887-?)

Simone Rozès (née en 1920)

Gisèle Halimi (née en 1927)

Dominique de La Garanderie (née en 1943)

Eva Joly (née en 1943)

Isabelle Coutant-Peyre (née en 1952)

Christiane Féral-Schuhl (née en 1957)

Chapitre 21. Dix grands procès


Le jugement de Salomon (972-931 av. J.-C.)

Le procès de Socrate (399 av. J.-C.)

Jeanne d’Arc au bûcher (1431)

Le procès de Galilée (1633)

Le procès des Fleurs du mal (1857)

L’affaire Landru (1921)

Le tribunal de Nuremberg (1946)

L’affaire Sade (1957)

Le procès de Marie Besnard (1961)

L’affaire du sang contaminé (1991-1993)

Chapitre 22. Dix erreurs judiciaires


L’affaire Calas (1762)

L’affaire du courrier de Lyon (1796)

L’affaire Dreyfus (1894-1906)

L’affaire Seznec (1924)


L’affaire Dominici (1954)

L’affaire Roland Agret (1973)

L’affaire Patrick Dils (1986-2002)

L’affaire Omar Raddad (1991-2002)

L’affaire Rida Daalouche (1991-1998)

L’affaire d’Outreau (2004-2005)

Chapitre 23. Dix œuvres ayant la justice pour cadre


Fedor Dostoïevski : Crime et châtiment (1866)

André Gide : Souvenirs de la cour d’assises (1914)

Franz Kafka : Le Procès (1925)

François Mauriac : L’Affaire Favre-Bulle (1931)

Sidney Lumet : Douze hommes en colère (1957)

Truman Capote : De sang froid (1966)

Costa-Gavras : L’Aveu (1970)

Michel Foucault : Surveiller et punir (1975)

Robert Benton : Kramer contre Kramer (1979)

Steven Soderbergh : Erin Brockovich, seule contre tous (2000)

Chapitre 24. Dix grands disparus du monde du droit


Il était une fois les avoués

Une ordonnance non remboursée : le tribunal des affaires de


sécurité sociale

Dites-lui adieu : la juridiction de proximité

Goodbye les tribunaux d’instance

RIP les bourreaux !

Les conseils juridiques


La Cour de sûreté de l’État

Médiateur de la République

Le délit de vagabondage

Prostitution : disparition du délit de racolage passif

Partie 6. Annexes
Annexe A. Glossaire
Annexe B. Sites Internet
Sites officiels

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