Ecofi 135 0115
Ecofi 135 0115
Ecofi 135 0115
aucune ?
Christian Pfister
Dans Revue d'économie financière 2019/3 (N° 135), pages 115 à 130
Éditions Association Europe Finances Régulations
ISSN 0987-3368
ISBN 9782376470366
DOI 10.3917/ecofi.135.0115
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
S
elon une enquête menée en 2018 par la Banque des règlements
internationaux (BRI), à laquelle 63 banques centrales ont
répondu, 70 % d’entre elles avaient engagé des travaux sur la
monnaie digitale de banque centrale (MDBC) ou s’apprêtaient à le
faire ; néanmoins seulement trois banques centrales estimaient très 115
probable de lancer une MDBC à l’horizon des six années suivantes
(Barontini et Holden, 2019).
Cet article s’interroge sur les motifs, les modalités et les conséquences
de l’émission d’une MDBC1.
MOTIFS
Il est utile de distinguer selon qu’il s’agirait d’une MDBC « de gros »
(MDBCG), accessible aux seules institutions financières, ou d’une
MDBC « de détail » (MDBCD), destinée au public, mais que les
institutions financières pourraient également détenir (Pfister, 2017,
2019). Les deux émissions étant dissociables, il pourrait y avoir une,
deux ou aucune MDBC.
Monnaie digitale de banque centrale de gros
L’utilisation de blockchains publiques – ou « non permissionnées » –
comme Bitcoin, où chacun peut consulter les opérations, réalisées sous
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
d’effectuer des règlements. La création de stablecoins totalement gagées
par des actifs bancaires, comme la JPM Coin de la banque JP Morgan
(JP Morgan, 2019), s’efforce de répondre à ce besoin. Cependant, tout
instrument de paiement privé présente des risques de crédit (son émet-
teur peut faire défaut) et de liquidité (son offre peut être insuffisante).
116
L’émission d’une MDBC serait le seul moyen de faire circuler de la
monnaie centrale sur une blockchain. Cela permettrait d’y disposer d’un
instrument de paiement parfaitement sûr et liquide (l’alternative consis-
tant à effectuer l’ensemble des opérations sur la blockchain et à les déver-
ser ensuite sur les comptes des établissements à la banque centrale pour
règlement final est également possible, mais plus lourde, et laisserait
subsister un risque dans la blockchain). En conséquence, le recours à la
blockchain deviendrait plus attrayant pour les institutions financières.
Un motif d’émission d’une MDBCG pourrait donc être la promo-
tion de l’innovation financière et l’abaissement des coûts de transaction
par l’usage de la blockchain. Compte tenu du coût relativement
modeste de la technologie sous-jacente (celle du registre distribué, ou
distributed ledger technology – DLT), l’émission d’une MDBCG pour-
rait aussi améliorer la « contestabilité » du marché des services finan-
ciers en favorisant la concurrence par l’entrée de nouveaux prestataires,
et permettre aux utilisateurs de services financiers de bénéficier ainsi
plus rapidement des gains d’efficacité suscités par cette technologie.
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
suédoise étudie d’ailleurs depuis 2016 le projet d’émettre de la
MDBCD, sous la dénomination d’e-krona (Skingsley, 2016 ; Sveriges
Riksbank, 2017 et 2018). L’anticipation est que la demande d’e-krona
à des fins de transaction pourrait s’établir de 1 % à 2 % du PIB, soit
environ autant que la demande actuelle de monnaie fiduciaire (Segen-
117
dorf, 2018). Par ailleurs, l’offre d’e-krona s’adressant à un public plus
large que celui de nos jours détenteur de billets – essentiellement les
particuliers alors qu’à l’avenir, les salaires, par exemple, pourraient être
versés en MDBCD –, une partie de cette offre répondrait à une
demande supplémentaire de monnaie centrale et correspondrait pour
le reste à une baisse des dépôts bancaires (Segendorf, 2018).
Schéma
Offre actuelle d’actifs financiers liquides
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
substituent aux monnaies souveraines. L’émission d’une MDBCD ne
dispenserait toutefois pas ses émetteurs de fournir au public une mon-
naie stable afin d’en préserver l’usage ; ainsi le petro, cryptomonnaie
émise par le Venezuela depuis février 2018, ne semble pas à ce jour être
un succès. Enfin, dans un contexte de digitalisation croissante des
118 paiements de détail, aussi bien l’augmentation de la base monétaire que
la réduction des coûts permises par l’émission de MDBCD contribue-
raient à préserver à long terme le seigneuriage et ainsi l’indépendance
de la banque centrale.
MODALITÉS
Une MDBC, qu’elle soit de gros ou de détail, devrait présenter
certaines caractéristiques. Par ailleurs, la MDBCG et la MDBCD
pourraient chacune présenter des spécificités l’une par rapport à l’autre.
Ces dernières permettraient d’en dissocier l’émission et porteraient
notamment sur le public visé ainsi probablement que sur la technologie
et l’organisation adoptées pour leur émission et leur circulation.
Caractéristiques d’une MDBC
La première caractéristique d’une MDBC, commune à toute mon-
naie centrale, serait de ne pouvoir être créée ou détruite que par la
banque centrale. En outre, pour ne pas rompre l’uniformité du système
de paiement, elle serait émise et échangée à parité avec les autres formes
de monnaie centrale (billets et réserves), permettant de conserver la
fongibilité de la base monétaire. Cela implique que l’offre en soit
parfaitement élastique et rendrait donc difficile la mise en place de
contraintes sur les niveaux de détention ou l’imposition de frais de
MONNAIE DIGITALE DE BANQUE CENTRALE : UNE, DEUX OU AUCUNE ?
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
Afin de maintenir la séparation entre MDBCG et MDBCD et d’éviter
une dissémination incontrôlée de la MDBCG qui pourrait la faire
servir au financement de transactions illicites, mais aussi pour limiter
le partage de l’information, permettant de préserver la confidentialité
des transactions, elle serait émise sur une blockchain permissionnée à
119
laquelle ces institutions et la banque centrale auraient seules accès. Sa
circulation, en rupture avec celle des réserves, s’effectuerait donc en
dehors des livres de la banque centrale, tout en restant traçable par elle
grâce au registre distribué (à la différence des autres utilisateurs, la
banque centrale devrait très probablement avoir accès à l’ensemble de
l’information).
Les réserves étant rémunérées, il paraît inévitable que la MDBCG le
soit aussi, afin de maintenir la parité entre réserves et MDBCG.
Par ailleurs, faudrait-il autoriser des établissements non résidents à
participer à la blockchain acceptant la MDBCG ? Il s’agirait d’une
situation inédite, qui impliquerait probablement un degré élevé de
coopération internationale, puisque de nos jours, les banques centrales
n’ouvrent de comptes dans leurs livres qu’à des établissements résidents
(disposer d’une succursale suffit). Une décision positive pourrait
constituer un puissant facteur d’internationalisation de la monnaie de
l’émetteur, via son utilisation sur les marchés financiers, en particulier
pour la première monnaie de réserve émise sous forme de MDBCG.
Un inconvénient est qu’il pourrait en résulter une plus grande insta-
bilité de la demande de monnaie centrale (voir partie suivante).
Enfin, faudrait-il autoriser la blockchain acceptant la MDBCG à
interagir avec d’autres blockchains via des smart contracts (c’est-à-dire du
code informatique réalisant des contrats qui s’exécutent d’eux-mêmes
REVUE D’ÉCONOMIE FINANCIÈRE
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
détenteurs de MDBCD. À l’instar également du billet, il paraîtrait
difficile d’interdire la détention de MDBCD par les touristes, et plus
généralement par les non-résidents, qui peuvent déjà ouvrir des
comptes bancaires dans différentes monnaies. La Riksbank n’envisage
120
d’ailleurs pas une telle interdiction (Sveriges Riksbank, 2017, 2018).
Mettre un actif monétaire directement à la disposition du public
impliquerait de satisfaire des obligations réglementaires, en matière
notamment de connaissance du client ainsi que de lutte contre le
blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Beaucoup de
banques centrales manquent d’expérience directe dans la gestion de
comptes de particuliers, alors qu’il y aurait un risque de réputation au
cas où la MDBCD viendrait à être utilisée à des fins illicites. Le recours
à des intermédiaires (banques et prestataires de services de paiement)
permettrait à la banque centrale de se décharger sur eux des obligations
réglementaires. Par ailleurs, il y aurait a priori peu d’intérêt à recourir
à une validation des transactions par les utilisateurs. Une MDBCD
n’utiliserait pas forcément la blockchain ou tout au moins ce ne serait
pas une blockchain publique4. Dans sa version la plus simple, la
MDBCD pourrait ainsi n’être qu’une monnaie électronique (Berent-
sen et Schär, 2018).
Plusieurs questions se posent :
– faudrait-il retenir un modèle fondé sur des « jetons » (token-based,
aussi appelé value-based) ou bien sur l’ouverture de comptes (account-
based) ? Le premier modèle, où les opérations en MDBCD s’appuie-
raient sur un vecteur physique (carte, smartphone, etc.), serait analogue
à celui utilisé de nos jours pour le billet, pour les cartes prépayées et
pour les titres spéciaux dématérialisés comme les tickets restaurant.
MONNAIE DIGITALE DE BANQUE CENTRALE : UNE, DEUX OU AUCUNE ?
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
des frictions. Une approche plus ouverte voudrait que, comme de nos
jours pour les paiements par carte, l’anonymat ne s’applique que
vis-à-vis de la contrepartie et donc pas vis-à-vis de l’intermédiaire
financier gestionnaire du compte de MDBCD ou de la banque centrale
(Engert et Fung, 2019) ;
– faudrait-il rémunérer la MDBCD ? L’absence de rémunération 121
ferait de la MDBCD un billet électronique. En période de taux d’inté-
rêt positifs, ce choix risquerait toutefois d’être mal perçu du public par
comparaison avec la rémunération des réserves détenues par les
banques, la MDBCD pouvant être vue comme des « réserves pour
tous » (Niepelt, 2019). Cependant, rémunérer la MDBCD, sinon de
manière symbolique, ferait plus clairement apparaître la concurrence
entre la banque centrale et les banques pour la collecte d’épargne. Cela
pourrait aussi entretenir la perception dans le public de conflits d’inté-
rêts (par exemple : la banque centrale augmente-elle son taux de
politique monétaire et donc probablement aussi son taux de rémuné-
ration de la MDBCD – voir partie suivante – pour lutter contre
l’inflation ou pour collecter davantage de dépôts ?) (Pfister, 2017).
CONSÉQUENCES
Une distinction est opérée entre conséquences pour l’économie et le
système financier, pour la politique monétaire et pour la stabilité
financière.
Économie et système financier
En accroissant la concurrence et en permettant de dégager des gains
de productivité, dans les services de paiement et au-delà (services
REVUE D’ÉCONOMIE FINANCIÈRE
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
Sur le plan international, l’émission de MDBC accessibles aux non-
résidents par les banques centrales gérant des monnaies stables pourrait
exercer un effet disciplinant sur les politiques monétaires de leurs
partenaires moins rigoureux. En outre, si des actifs financiers sont émis
122
en MDBC et que les investisseurs internationaux les privilégient dans
leur allocation d’actifs, notamment lors de crises financières où la
sécurité des placements est le plus recherchée, il pourrait s’ensuivre une
volatilité accrue du taux de change (Armelius et al., 2018).
S’agissant des conséquences financières des deux formes de MDBC :
– comme une MDBCG serait accessible universellement et 24/7, les
utilisateurs devraient procéder à des transactions en MDBCG en
dehors des heures d’ouverture habituelles des marchés financiers et de
la banque centrale. Il pourrait en résulter la formation d’un marché
intrajournalier de la MDBCG, cohérent avec l’évolution des paiements
vers le temps réel (Pfister, 2018) ;
– la rémunération d’une MDBCD pourrait mettre un plan-
cher – éventuellement à zéro si cette rémunération est elle-même
nulle – aux taux des dépôts bancaires. Dans le cas de la Suède, Juks
(2018) estime que le renchérissement des ressources bancaires pourrait
se monter de 0 à 22 points de base selon le niveau du taux de politique
monétaire et l’écart entre celui-ci et le taux de l’e-krona, une répercus-
sion nulle étant possible à partir d’un taux de politique monétaire
négatif. Pour éviter de gêner l’intermédiation bancaire, la banque
centrale pourrait donc choisir dans un premier temps, comme la
Riksbank l’envisage pour l’e-krona (Sveriges Riksbank, 2017 et 2018),
de ne pas rémunérer la MDBCD. En tout état de cause, cette rému-
nération devrait être inférieure ou égale à celle de la MDBCG si celle-ci
MONNAIE DIGITALE DE BANQUE CENTRALE : UNE, DEUX OU AUCUNE ?
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
dans certaines de ces économies) et/ou une augmentation du refinan-
cement par la banque centrale (cas plus traditionnel d’un déficit struc-
turel de liquidité bancaire). En outre, la perte de dépôts bancaires
pourrait être limitée : Juks (2018) évalue à un peu moins de 5 % la part
des dépôts bancaires du public qui serait transférée vers l’e-krona.
123
Enfin, si la distribution de MDBCD est intermédiée, comme c’est
probable, les banques ne perdraient pas l’accès à l’information sur les
comptes de leurs clients, sauf si leur offre n’est pas compétitive par
rapport à celle des prestataires de services de paiement distributeurs de
MDBCD.
Politique monétaire
L’objectif final de la politique monétaire est la stabilité des prix. À
partir d’une situation où l’inflation serait inférieure à l’objectif,
l’atteindre pourrait transitoirement être plus difficile en raison du choc
d’offre positif que constituerait l’émission d’une MDBC (voir supra),
à moins que le choc de demande résultant de l’émission d’une
MDBCD, également positif, ne soit suffisamment important pour
compenser l’effet désinflationniste du choc d’offre. Les conséquences
pour la mise en œuvre de la politique monétaire et pour son mécanisme
de transmission pourraient être plus importantes et surtout perma-
nentes.
S’agissant de la mise en œuvre de la politique monétaire, l’émission
d’une MDBC pourrait :
– rendre la demande de monnaie centrale plus volatile et donc plus
difficile à prévoir, en particulier du fait de la demande des non-résidents
et en période de crises financières ;
REVUE D’ÉCONOMIE FINANCIÈRE
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
– la rémunérer au même taux d’intérêt que les réserves obligatoires.
Ce choix aurait l’avantage de la neutralité dans la mesure où les
établissements souhaitant arbitrer entre la détention de MDBCG et de
réserves ne verraient pas leur décision affectée par des considérations de
taux d’intérêt ;
124
– la rémunérer à un taux légèrement inférieur à celui des réserves
obligatoires (par exemple, le taux de rémunération des réserves excé-
dentaires, c’est-à-dire le taux de la facilité de dépôt dans le cas de la
BCE – Banque centrale européenne). Ce choix permettrait de prendre
en compte les avantages fournis par la MDBCG, évoqués en première
partie et supérieurs à ceux fournis par les réserves. L’inconvénient serait
que, cette prise en compte étant difficile à évaluer et l’avantage à utiliser
de la MBDCG plutôt que des réserves pouvant fluctuer dans le temps,
des opportunités d’arbitrage, se traduisant éventuellement par de fré-
quentes opérations de conversion entre MDBCG et réserves, seraient
offertes aux établissements.
En ce qui concerne la MDBCD, elle ne pourrait pas être rémunérée
à un taux supérieur à celui de la MDBCG. En effet, dans le cas inverse,
les banques convertiraient leur MDBCG en MDBCD, privant la
première d’utilité, tandis que les dépôts bancaires seraient convertis en
MDBCD ou rémunérés au moins à son taux, mettant une forte
pression sur le coût des ressources bancaires.
Dans l’ensemble, il pourrait donc sembler préférable, pour des
motifs de simplicité et d’efficacité, de retenir le taux de rémunération
des réserves obligatoires comme le taux d’intérêt de la MDBCG
lorsqu’elle sert à cette fin, le supplément détenu étant rémunéré aux
taux des réserves excédentaires, et d’appliquer un taux inférieur ou égal
MONNAIE DIGITALE DE BANQUE CENTRALE : UNE, DEUX OU AUCUNE ?
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
S’agissant du mécanisme de transmission de la politique monétaire,
la manière dont il serait affecté varierait beaucoup, si une MDBCD est
émise, selon qu’elle est rémunérée ou pas :
– si la MDBCD est rémunérée autrement que de manière symbo-
lique, le canal des taux d’intérêt devrait être renforcé par une réper- 125
cussion à hauteur d’un pour un des variations de son taux d’intérêt sur
les taux des dépôts bancaires, dans la mesure où le taux directeur est
positif (Armelius et al., 2018). De même, le canal du change devrait
devenir plus puissant si, comment indiqué plus haut, les grands inves-
tisseurs internationaux placent en actifs libellés en MDBCD ou dont
le taux d’intérêt est référencé sur celui de la MDBCD (cela devrait
également se vérifier en cas d’émission d’une MDBCG). En ce qui
concerne le canal du crédit, Armelius et al. (2018) estiment qu’il
pourrait être affaibli si les banques réduisent leurs prêts en raison de
moindres revenus tirés de la gestion des dépôts. Par ailleurs, Andolfatto
(2018) est d’avis que les dépôts bancaires pourraient augmenter si la
concurrence de la MDBCD incite les banques à augmenter les taux des
dépôts. Pour autant, si la concurrence dans la distribution de crédits est
faible, la répercussion de l’augmentation du coût des ressources par les
banques serait facilitée et l’effet négatif sur le montant des crédits serait
réduit. Enfin, à moins de supprimer le billet ou de le soumettre à un
taux de change (Pfister et Valla, 2017), ce qui pourrait se faire indé-
pendamment de l’émission d’une MDBCD rémunérée, celle-ci ne
permettrait pas de réduire la limite effective des taux d’intérêt à la
baisse ;
– si la MDBCD n’est pas rémunérée, il se produirait un relèvement
de cette limite effective qui s’établirait à zéro, alors que les différents
REVUE D’ÉCONOMIE FINANCIÈRE
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
Au total, la rémunération de la MDBCD pourrait être à l’origine d’un
arbitrage entre l’efficacité de la politique monétaire et le coût de l’inter-
médiation bancaire lorsque les taux d’intérêt de politique monétaire et
ceux de la MDBCD sont positifs. À rebours, si ceux de la MDBCD,
voire aussi ceux de politique monétaire, sont négatifs, il serait plus facile
126
aux banques de répercuter ces niveaux de taux sur la clientèle, ce qui
soutiendrait à la fois la transmission de la politique monétaire et la
stabilité financière. En tout état de cause, que la MDBCD soit rému-
nérée ou pas, les inégalités suivantes seraient respectées :
Taux de rémunération des réserves obligatoires
P Taux d’intérêt de la MDBCG P Taux d’intérêt de la MDBCD
PLimite effective des taux d’intérêt à la baisse
Si la banque centrale souhaite éviter que les institutions financières
détiennent de la MDBCD plutôt que des réserves ou de la MDBCG,
il faudrait aussi :
Taux d’intérêt de la MDBCG
PTaux d’intérêt des réserves excédentaires
P Taux d’intérêt de la MDBCD
Stabilité financière
La crainte est parfois exprimée que l’émission de MDBCD ne facilite
les runs bancaires, exacerbant le risque de liquidité (Carney, 2016 ; BRI,
2018) et pouvant même, en raison de crises financières récurrentes,
mettre en cause l’impact positif de la MDBC sur la croissance écono-
mique (Armelius et al., 2018). Toutefois, la présence de la banque
centrale comme principal déposant, si le besoin de refinancement
structurel des banques est suffisamment important (voir supra), devrait
MONNAIE DIGITALE DE BANQUE CENTRALE : UNE, DEUX OU AUCUNE ?
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
risque moral inhérentes à la conduite des opérations de prêteur en
dernier ressort en en rendant l’accès davantage fondé sur des règles
(Pfister et Valla, 2017).
Par ailleurs, la motivation principale pour fournir une MDBC, à
savoir permettre à l’ensemble des agents économiques de disposer d’un 127
moyen de paiement dématérialisé parfaitement sûr et liquide et donc
préserver quoi qu’il advienne la continuité des transactions, continue-
rait de jouer, particulièrement en cas de crise. Il est d’ailleurs déjà valide
pour ce qui est du volet matériel avec l’offre de monnaie fiduciaire.
Même si les runs devaient être plus fréquents, leurs conséquences
négatives pour l’activité économique seraient ainsi amoindries.
CONCLUSION
L’émission d’une MDBC pourrait être bénéfique à l’économie. Elle
soulèverait néanmoins d’épineuses questions, s’agissant notamment du
partage des rôles entre banque centrale et secteur privé dans l’offre de
monnaie en cas d’émission d’une MDBCD, tandis qu’une MDBCG
pourrait correspondre à l’attente d’institutions financières fortement
internationalisées. Le choix pourrait ainsi être de ne pas émettre de
MDBC ou alors la seule variété de gros. Dans les pays où la margina-
lisation de la monnaie fiduciaire conduirait à l’émergence d’une
demande pour un moyen public de règlement dématérialisé, l’émission
d’une MDBCD est aussi une éventualité.
REVUE D’ÉCONOMIE FINANCIÈRE
NOTES
1. Pour une introduction synthétique aux « monnaies digitales », ou « crypto-actifs », le lecteur peut se
reporter à Pfister (2019).
2. Dans cet article, l’hypothèse est faite que les difficultés technologiques, notamment celle de « mise à
l’échelle » (scalability), ont été surmontées.
3. Toutefois, la Federal Reserve (Fed) envisage la possibilité de faire bientôt fonctionner son système de
règlement brut en temps réel (RTGS) en 24/7 (Federal Reserve System, 2019).
4. L’utilisation d’une blockchain permissionnée, où seulement la banque centrale et/ou les banques et
prestataires de services de paiement valideraient les transactions, pourrait néanmoins présenter un
avantage en vue de l’intégration de smart contracts, notamment pour le paiement d’intérêts si la MDBCD
était rémunérée.
5. En France, le montant des paiements en espèces entre résidents est toutefois limité à 1 000 euros.
6. Depuis 2008, la Fed dispose elle aussi de deux taux, mais les a constamment fixés au même niveau
(Drumetz et al., 2015).
BIBLIOGRAPHIE
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
ANDOLFATTO D. (2018), « Assessing the Impact of Central Bank Digital Currency on Private Banks »,
Federal Reserve Bank of St. Louis, Working Paper, n° 2018-026C, https://s3.amazonaws.com/real.
stlouisfed.org/wp/2018/2018-026.pdf.
ARMELIUS H., BOEL P., CLAUSSEN C. A. et NESSÉN M. (2018), « The E-Krona and the Macroeconomy »,
Sveriges Riksbank Economic Review, n° 2018-3, pp. 43-65, https://www.riksbank.se/globalassets/media
128 /rapporter/pov/engelska/2018/economic-review-3-2018.pdf#page=43.
BANQUE DE FRANCE (2018), Rapport annuel de l’Observatoire de l’inclusion bancaire 2018, juin, https://
publications.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/oib2018_web_signets.pdf.
BARONTINI C. et HOLDEN H. (2019), « Proceeding with Caution – a Survey on Central Bank Digital
Currency », BIS Papers, n° 101, https://www.bis.org/publ/bppdf/bispap101.pdf.
BERENTSEN A. et SCHÄR F. (2018), « The Case for Central Bank Electronic Money and the Non-Case
for Central Bank Cryptocurrencies », Federal Reserve Bank of St. Louis Review, vol. 100, n° 2, pp. 97-106,
https://research.stlouisfed.org/publications/review/2018/02/13/the-case-for-central-bank-electronic-m.
BRI (Banque des règlements internationaux) (2018), Central Bank Digital Currencies, Rapport du
Committee on Payments and Market Infrastructure et du Markets Committee, mars, https://www.
bis.org/cpmi/publ/d174.htm.
CANDUS E., PFISTER C. et SÉDILLOT F. (2017), « Où s’investit l’épargne des Français ? », Bulletin de la
Banque de France, n° 214, pp. 5-21, https://publications.banque-france.fr/sites/default/files/medias/
documents/bulletin-bf-214_web.pdf.
CARNEY M. (2016), « Enabling the FinTech Transformation: Revolution, Restoration, or Reforma-
tion? », 16 juin, http://www.bankofengland.co.uk/publications/Documents/speeches/2016/speech914.
pdf.
DRUMETZ F., PFISTER C. et SAHUC J.-G. (2015), Politique monétaire, 2e édition, de Boeck.
ENGERT W. et FUNG B. S. C. (2019), « Motivations and Implications of a Central Bank Digital
Currency », in Suerf, Do We Need Central Bank Digital Currency? Economics, Technology and Institutions,
Gnan E. et Masciandaro D. (éd.), pp. 56-71, https://www.suerf.org/studies/7025/do-we-need-central-
bank-digital-currency-economics-technology-and-institutions.
FEDERAL RESERVE SYSTEM (2019), Federal Reserve Actions to Support Interbank Settlement of Faster
Payments, 5 août, https://www.federalreserve.gov/newsevents/pressreleases/files/other20190805a1.pdf.
FUNG B. S. C. et HALABURDA H. (2016), « Central Bank Digital Currencies: a Framework for Assessing
Why and How », Bank of Canada, Discussion Paper, n° 2016-22, https://www.researchgate.net/public
ation/318555671_Central_Bank_Digital_Currencies_A_Framework_for_Assessing_Why_and_How.
MONNAIE DIGITALE DE BANQUE CENTRALE : UNE, DEUX OU AUCUNE ?
INGVES S. (2018), « The E-Krona and the Payments of the Future », 6 novembre, https://www.riksbank.
se/globalassets/media/tal/engelska/ingves/2018/the-e-krona-and-the-payments-of-the-future.pdf.
JP MORGAN (2019), J.P. Morgan Creates Digital Coin for Payments, 14 février, https://www.jpmorgan
.com/global/news/.
JUKS R. (2018), « When a Central Bank Digital Currency Meets Private Money », Sveriges Riksbank
Economic Review, n° 2018-3, pp. 79-99, http://prod-upp-image-read.ft.com/c080e86a-966c-11e9-
8cfb-30c211dcd229.
KUMHOF M. et NOONE C. (2018), « Central Bank Digital Currencies – Design Principles and Balance
Sheet Implications », Bank of England, Staff Discussion Paper, no 725, https://www.bankofengland.co.
uk/working-paper/2018/central-bank-digital-currencies---design-principles-and-balance-sheet-implica
tions.
LIBRA ASSOCIATION (2019), White Paper, 18 juin, https://libra.org/en-US/wp-content/uploads/sites/23
/2019/06/LibraWhitePaper_en_US.pdf.
NESSÉN M., SELLIN P. et SOMMAR P. Å (2018), « The Implications of an E-Krona for the Riksbank’s
Operational Framework for Implementing Monetary Policy », Sveriges Riksbank Economic Review,
n° 2018-3, pp. 29-42, https://www.riksbank.se/globalassets/media/rapporter/pov/artiklar/engelska/201
8/181105/20183-the-implications-of-an-e-krona-for-the-riksbanks-operational-framework-for-implem
enting-monetary-policy.pdf.
NIEPELT D. (2019), « Reserves for All? Central Bank Digital Currency, Deposits, and their (Non)-
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
Equivalence », International Journal of Central Banking, à paraître.
PFISTER C. (2017), « Politique monétaire et monnaies digitales : beaucoup de bruit pour rien ? », Revue
française d’économie, vol. 32, n° 2, pp. 37-63.
PFISTER C. (2018), « Le temps (réel), c’est de l’argent », Revue française d’économie, vol. 32, no 4,
pp. 195-212.
PFISTER C. (2019), « Les monnaies digitales, un nouvel univers? », Regards croisés sur l’économie, à paraître. 129
PFISTER C. et VALLA N. (2017), « “Nouvelle Normale” ou “Nouvelle Orthodoxie”? Éléments d’un
nouveau cadre d’action pour les banques centrales », Revue économique, n° 68, hors-série, septembre,
pp. 41-62.
SCHMIEDEL H., GERGANA K. et RUTTENBERG W. (2012), « The Social and Private Costs of Retail Payment
Instruments – A European Perspective », European Central Bank, Occasional Paper Series, n° 137,
septembre, https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/scpops/ecbocp137.pdf ?33f4f6bcb83613df99dd634b8
9e2c8a0.
SEGENDORF B. (2018), « How Many E-Krona Are Needed for Payments? », Sveriges Riksbank Economic
Review, n° 2018:3, pp. 66-78, https://www.riksbank.se/globalassets/media/rapporter/pov/artiklar/
engelska/2018/181105/20183-how-many-e-krona-are-needed-for-payments.pdf.
SKINGSLEY C. (2016), « Should the Riksbank Issue E-Krona? », 16 novembre, https://www.riksbank.se
/globalassets/media/tal/svenska/skingsley/2016/tal_skingsley_161116_eng.pdf.
SVERIGES RIKSBANK (2017), The Riksbank’s E-Krona Project – Report 1, septembre, https://www.riks
bank.se/globalassets/media/rapporter/e-krona/2017/rapport_ekrona_uppdaterad_170920_eng.pdf.
SVERIGES RIKSBANK (2018), The Riksbank’s E-krona Project – Report 2, octobre, https://www.riksbank.
se/globalassets/media/rapporter/e-krona/2018/the-riksbanks-e-krona-project-report-2.pdf.
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)
© Association Europe Finances Régulations | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.157.239.113)