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LES POLITIQUES PUBLIQUES COMPARÉES :


TOURISME INTELLIGENT OU VRAI PROGRES ?
LE CAS DES POLITIQUES COMPARÉES DE L'ENVIRONNEMENT

Peter KNOEPFEL (1)


Corinne LARRUE (1)

Résumé L 'analyse comparée de politiques publiques, qui se distingue de l'analyse


rative des systèmes politiques entiers, a connu un développement rapide dès le
début des années 70. Ce nouveau type d'analyse reflète le fractionnement actuel
des administrations des états industrialisés en crise. Mais cette isolation des poli
tiques publiques analysées et comparées fait courir le danger de perdre une vue
d'ensemble des éléments communs à toutes les politiques publiques d'un pays.

En fait, ce type d'analyse n'a pas encore permis d'élaborer une «théorie compar
ativedes Etats», fondée sur la permanence d'éléments structurels de l'ensemble
des politiques publiques des pays (ASHFORD). Mais cet objectif ambitieux
n'avait pas été énoncé dès l'origine de cette nouvelle discipline. D'autres espoirs
avaient été misés sur les analyses de type «politiques publiques comparées» :
initialement, ces analyses devaient permettre de déterminer les conditions
exactes du transfert d'éléments et de concepts d'un pays à l'autre, de participer
à l'élaboration de stratégies de réforme à l'intérieur des pays étudiés et d'éla
borer de nouvel/es hypothèses.

On se pose la question de savoir si les recherches de type «politiques publiques


comparées» ont pu combler ces espoirs, que la communauté scientifique, les
administrations et les financiers avaient portés sur elles. Après avoir dressé un
bilan des recherches comparées, menées dans le domaine de la politique de
l'environnement, il est montré pourquoi ces trois objectifs se sont avérés im
possibles à atteindre : la rigidité conceptuelle de l'analyse comparée de poli
tiques publiques, sa limitation à un nombre restreint d'éléments composant
les politiques étudiées et son incapacité à produire de nouvelles hypothèses
sont la cause de l'échec de ce type d'analyse à répondre aux objectifs de départ.
Cependant, les trois limites inhérentes à ces recherches constituent en fin de
compte un avantage pour ce type d'analyse. En effet, par le biais de la compar
aisoninternationale, on peut mettre en évidence l'existence de facteurs décisifs
des politiques publiques étudiées, qui ne peuvent pas être découverts par le biais
de l'analyse non comparative, du fait d'un certain aveuglement culturel inhérent
à cette dernière. Les hypothèses développées dans les contextes nationaux sont
soumises aux tests empiriques de l'analyse comparée et leur validité est alors
remise en cause, ce qui permet d'obtenir un certain niveau de généralisation des
hypothèses de départ ; l'analyse comparée met également en évidence des simi
litudes de modèles explicatifs dans des régions de pays différents ainsi que des
variations importantes de ces modèles explicatifs dans différentes régions d'un
même pays.

(1) Institut de Hautes Etudes en Administration Publique (IDHEAP) - Lausanne -


46 Peter KNOEPFEL et Corinne LARRUE

L'analyse de L'analyse comparative est à l'heure actuelle scindée en deux courants de pensée :
politiques publiques
comparées : évolution - Le courant traditionnel dont les représentants, rassemblés autour du journal
et raison d'être «Comparative Politics» fondé en 1968, restent préoccupés par la comparaison
des éléments de base des systèmes politiques -en témoignent la série «Contemp
oraryComparative Politics», publiée par J. LA PALOMBA [1] ou encore
les recherches menées sur le thème du fédéralisme comparé [2]. Ce type d'ana
lyserepose essentiellement sur la comparaison d'institutions politiques parti
culières (approches institutionnelles) [3] ou de types de gouvernement (sy
stèmes démocratiques et autres systèmes) [4] ou encore sur la comparaison des
systèmes politiques dans leur entier (approche fonctionnaliste de MERTON
1957, ALMOND 1960, et surtout de PARSONS 1960 et MITCHELL 1962,
et l'approche systémiste de ALMOND-VERBA ou EASTON 1965).

- Un nouveau courant, né au début des années 1970, s'est orienté vers la comp
araison de politiques publiques particulières menées dans le cadre de systèmes
politiques différents. La première recherche menée sur une grande échelle qui
témoigne de cette évolution est l'étude de HEIDENHEIMER, HECLO et
TEICH ADAMS, publiée en 1975, dans laquelle les auteurs comparent les
politiques fiscales, les politiques de santé publique, de l'urbanisme et du log
ement des Etats-Unis et de certains pays d'Europe (Grande-Bretagne, Suède,
Allemagne de l'Ouest et partiellement France et Pays-Bas). C'est cette étude
qui a marqué la scission de l'analyse comparative en deux courants.

La nouvelle école s'inspire des analyses de politiques publiques américaines


comme celle de LOWI 1972, CAMPBELL 1969, PRESSMAN et WILDAVSKY
1973, ou de BARDACH 1977. L'application de ces conceptions américaines
de l'analyse de politiques publiques aux cas européens (Scandinavie, Pays-Bas,
Angleterre, Allemagne de l'Ouest) [5] a permis aussi de développer des recher
chescomparatives dans les pays européens et d'enrichir les concepts analytiques
utilisés.

Cette nouvelle école, appelée «Politiques Publiques Comparées» consiste en une


analyse des similitudes et des différences de l'impact de politiques menées dans
le but de résoudre des problèmes semblables, présents dans les différents pays
étudiés. Cette approche utilise un cadre analytique et des indicateurs communs
à tous les pays analysés. L'impact de la ou des politiques choisies est évalué et
expliqué par les variations des systèmes politico-administratifs (lors de la fo
rmation et de la mise en oeuvre de ces politiques), par la position et l'arrang
ement des acteurs impliqués et le poids plus ou moins dominant de chaque par
tie prenante. L'analyse de politiques publiques comparées est donc essentie
llementune analyse des stratégies politico-administratives permettant de résou
dreun problème donné, et ayant recours à différents instruments administrat
ifs mettant en jeu dés acteurs institutionnels et sociaux. Ces recherches tentent
également de prévoir quelles sont les conséquences de la mise en place de stra
tégies données sous des conditions socio-culturelles et socio-économiques don
nées dans différents pays.
Les politiques publiques comparées : tourisme intelligent ou vrai progrès ? 47
Le cas des politiques comparées de l'environnement

L'approche qui consiste à distinguer une politique publique en l'isolant de


l'ensemble des autres politiques correspond de fait à la situation des Etats
«Providence» occidentaux qui subissent une période de crise économique
importante : le secteur public en réaction aux contraintes imposées par l'austé
rité se désintègre, se fragmente au fur et à mesure et se transforme partiellement
en institutions corporatistes. La devise semble être «chaque politique pour soi, et
le gouvernement pour tous». Les responsables de chaque politique publique, en
accord avec les acteurs principaux de leur domaine, essayent d'établir leur propre
système de références et de support politique ; la crise de coordination va en
s'aggravant et la résistance de ces unités politico-administratives relativement i
ndépendantes, à l'application de programmes gouvernementaux et à la législation
parlementaire semble se renforcer. Les gouvernements échouent dans leur lutte
contre leurs propres administrations qui préfèrent privilégier leurs relations de
clientèle. Cet échec se manifeste par les mauvais résultats obtenus par la mise en
oeuvre des politiques publiques, ce qui est le cas de beaucoup de pays industrial
isés.

Pour mener ce type d'analyse, orientée vers l'étude de situations concrètes, il


semble plus logique de choisir les politiques publiques comme unité d'analyse
plutôt que les systèmes politiques entiers. Cela semble être d'autant plus jus
tifié que les problèmes à résoudre, du fait de l'intégration économique inter
nationale, se ressemblent. De plus, certaines politiques publiques se recoupent
aussi sur le plan international et ont instauré une communauté politico-
administrative ad hoc, cohérente et résistante aux attaques des acteurs poli
tiques nationaux soi-disant non concernés.

Cette discipline a pris de plus en plus d'importance. Plusieurs domaines ont


fait l'objet de recherches comparées. Lors du WZ6 forum, organisé en 1983,
sur le thème «Cross National Policy Research», plusieurs de ces études furent
présentées : celle de VOGEL [6] concernant la politique de l'environnement,
celle de LUEBBERT, WILENSKY, HAHN et JAMIESON [7] concernant la
politique sociale, celle de HUFNER, MEYER et NAUMANN [8] dans le domaine
de l'éducation et celle de STRUMPEL et de SCHOLZ [9] concernant la politique
économique. C'est dans ces quatre domaines que semblent se
concentrer les investigations des chercheurs à l'heure actuelle ; (nous nous
sommes fondés sur les recherches présentées à ce forum pour mener notre
analyse, car l'ensemble des domaines intéressant l'analyse de politiques pu
bliques comparées y a été présenté).

Mais les résultats de ces recherches mettent en évidence le risque que l'ana
lyse de politiques publiques comparées se détache du contexte culturel et
du contexte politique constitués par les autres politiques publiques. L'amér
icain ASHFORD avait souligné ce danger dès 1976, lors d'une conférence
à l'Université de Cornell : tout en soutenant l'approche orientée vers les
politiques publiques particulières, il avait souligné la nécessité d'une vue
d'ensemble : «Perhaps the most interesting thing about policy formation,
implementation and evaluation, however one wishes to divide the policy pro
cess, is that there are important structural similarities accross all or most pol
icies for any one state. As such differences are understood for a number of
states, we may approach something like a comparative policy explanation of
4Q Peter KNOEPFEL et Corinne LARRUE

the state that rivals the one provided by behavioral and economic models of
policy» (ASHFORD 1978, p. 13). Et il continue en disant qu'avec la crois
sance du secteur public «A policy based formulation of state power may be
a more accurate representation of how the modern state functions than those
built on formulations of electoral, legislative, or party politics» (p.14).

Pour palier ce danger, ASHFORD propose d'utiliser l'analyse des politiques


concrètes de différents pays (analyse menée sur le niveau régional et même
local) pour développer une théorie de l'Etat, fondée sur l'ensemble de ces
politiques publiques et non plus sur les éléments traditionnels de légitimité
du «politique». Cette proposition tient compte des résultats des analyses de
la mise en oeuvre de politiques publiques qui concluent à la séparation de
plus en plus évidente entre le complexe politico-administratif et sa légitimité
politique. En fait, cette proposition d'ASHFORD permet de concilier la comp
araison de politiques publiques, requise par la pratique politique de nos jours,
avec la comparaison des systèmes dans leur entier, qui apparaît comme une
préoccupation plus théorique.

De plus, l'analyse de politiques publiques comparées, toute fascinante et à


première vue pertinente qu'elle soit, si elle utilise un cadre analytique adapté
à la complexité des réalités, dépassera les frontières de la politique publique
choisie, notamment lors de l'explication de l'impact de cette politique et plus
particulièrement lors de l'analyse des variables explicatives de la structure des
programmes choisis et des arrangements politico-administratifs (lors de la fo
rmation et de la mise en oeuvre du programme). Chaque pays semble avoir son
style d'intervention publique, issu d'une tradition politico-administrative, de
la constitution générale du système économique et socio-culturel ainsi que de
la position de la fonction publique en général. On peut souligner, avec
ASHFORD, que les politiques publiques individuelles d'un pays sont plus
déterminées par ces variables structurelles que par une volonté explicite du
«politique» (gouvernement, parlement, partis politiques, etc.) (ASHFORD
1978, p. 91 et suivantes).

Les preuves empiriques de cette hypothèse ambitieuse sont loin d'être réa
lisées, mais il faut dire qu'elles n'avaient pas été requises au départ. Cependant,
on doit se demander quel est l'apport des analyses de politiques publiques de
ces dix dernières années (analyses coûteuses, de longue haleine et bénéficiant
de la confiance de l'ensemble de la communauté scientifique), à l'égard des
objectifs fixés initialement ; l'analyse comparée de politiques publiques devait
au départ, selon les organismes et les personnes qui finançaient ces recherches,
pouvoir déterminer les conditions exactes permettant le transfert d'éléments
et de concepts d'un pays à l'autre, et participer ainsi à l'élaboration de straté
giesde réforme à l'intérieur des pays étudiés ; et enfin, cette analyse devait
être capable d'élaborer de nouvelles hypothèses. A-t-elle répondu à ces espoirs ?
Les politiques publiques comparées : tourisme intelligent ou vrai progrès ? 49
Le cas des politiques comparées de l'environnement

Nous essayerons dans les chapitres suivants d'apporter une réponse à cette
question, en nous limitant aux politiques comparées de l'environnement sur
lesquelles nous avons nous-mêmes mené une recherche. Nous présenterons
un premier bilan de ces recherches sur la base du rapport de David VOGEL
pour le WZB forum «Cross National Research» (excellent rapport dont nous
partageons dans l'ensemble le point de vue) ; ce premier bilan est assez pauvre
eu égard aux objectifs initiaux. Mais, nous essayerons ensuite de développer
quelques aspects généraux des limites et de la portée de l'analyse de politiques
publiques comparées.

Un premier bilan Description de quelques résultats

Dans son rapport de décembre 1983, David VOGEL, qui a lui-même mené
une recherche comparative de l'intervention publique dans le domaine du
contrôle écologique des activités industrielles aux Etats-Unis et en Grande-
Bretagne, a choisi de présenter une douzaine de projets (parmi les vingt-cinq
projets comparatifs connus), qui allaient selon lui au delà de la simple consta
tation ou description des différences entre les politiques étudiées et qui cher
chaient à expliquer ces différences.

Nous mentionnerons certains de ces projets dont la liste se trouve en annexe :


le projet de BRICKMAN, JASANOFF et ILGEN analyse les régimes de contrôle
de certaines substances chimiques (additifs dans la nourriture, pesticides, pro
duits chimiques utilisés sur les lieux de travail, produits chimiques soumis à
déclaration ou autorisation avant la vente) aux Etats-Unis, en France, en Grande-
Bretagne et en Allemagne de l'Ouest. Cette recherche prend en considération le
cadre institutionnel et légal de l'intervention publique, les procédures de cont
rôle, la formation des décisions et leur mise en oeuvre, et notamment le rôle des
tribunaux. Le rôle des experts, des mouvements de protection de l'enviro
nnementet des mouvements de consommateurs est particulièrement examiné.
Comme les autres analyses de politiques de l'environnement qui comparent les
Etats-Unis et des pays Européens (WILDAVSKY 1983, KELMAN 1981,
LUNDQVIST 1974/1980 et VOGEL 1983), cette recherche aboutit à la consta
tation que la politique américaine est beaucoup plus systématique et que les
politiques européennes sont plus souples. Cette distinction principale s'explique
par une distribution des pouvoirs différente dans les deux systèmes politiques :
le fractionnement du pouvoir, qui permet une influence politique de plusieurs
acteurs institutionnels et sociaux, mène outre Atlantique à une formalisation
plus importante, à une intervention judiciaire plus fréquente et à un taux de
conflit considérable. Les systèmes européens présentent par contre un modèle
commun de coopération entre les acteurs concernés, une tradition de fréquentes
consultations et un taux d'intervention judiciaire beaucoup moins important ;
le processus de décision est par conséquent moins conflictuel. Malgré ces dif
férences dans les procédures d'élaboration des programmes, ces programmes
eux-mêmes, et notamment les normes à imposer, sont relativement proches.
Les auteurs expliquent ce phénomène par la présence d'organisations inter
nationales pour la protection des intérêts de l'industrie chimique et par l'
échange des résultats scientifiques, de plus en plus courant de la part de la com
munauté scientifique et des mouvements écologiques.
50 Peter KNOEPFEL et Corinne LARRUE

L'étude de KELMAN 1981 présente quant à elle, une comparaison des polit
iques de santé publique et de sécurité du travail en Suède (pays connu pour son
gouvernement social-démocrate traditionnellement au pouvoir) et aux Etats-
Unis. Cette recherche a abouti à des résultats similaires : dans les deux pays, les
autorités publiques compétentes ont choisi une marge de sécurité importante,
mais les décisions des autorités suédoises ont été bien mieux acceptées par les
industries concernées qu'aux Etats-Unis ; les administrations américaines se sont
vues imposer une réglementation détaillée par le législateur, notamment pour les
procédures à suivre, tandis que les administrations suédoises ont eu plus de
liberté pour choisir entre différentes procédures. De même, les autorités suédoi
ses ont choisi une approche plus souple pour le contrôle et l'application des
sanctions à l'égard des entreprises. Ainsi, l'auteur constate que les tribunaux
américains jouent un rôle remarquable tant dans les procédures de formulation
des programmes que pour leur mise en oeuvre, alors que le pouvoir judiciaire est
quasiment absent en Suède. Le système américain se montre ici aussi plus
conflictuel, plus rigide vis-à-vis des entreprises et plus interventionniste que le
système européen étudié. Contrairement à ce que l'auteur attendait, le système
social démocrate, essentiellement voué, de par son idéologie, à la protection des
ouvriers, se montre plus flexible, moins conflictuel et plus consensuel dans ses
relations avec les entreprises. KELMAN conclut que les normes sont aussi rigides
dans les deux pays ; il explique cette similitude par des facteurs inhérents aux
politiques étudiées (éducation et formation comparables des fonctionnaires,
etc.), plutôt que par des caractéristiques plus générales de ces deux pays.

Une autre recherche comparative a été menée par le centre II ASA (KUNREU-
THER et LINNEROOTH, 1982) en RFA, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et
aux Etats-Unis sur les politiques d'implantation de grandes entreprises, qui ont
des impacts sur l'environnement sur une grande échelle. Cette étude analyse l'i
nfluence de l'organisation de l'administration et des procédures suivies, dans la
définition de l'intérêt public lors de la décision d'implantation de ces entreprises.
Ainsi il apparaît que la décision finale d'implantation est influencée par le mo
ment où l'intervention de la population locale dans le processus est possible
(cette intervention se fait plus tôt en Californie que dans les cas Européens
étudiés), par l'existence d'une (cas des Etats-Unis) ou de plusieurs administra
tions publiques aux différents échelons de l'Etat (cas de la RFA) et par la distr
ibution du pouvoir de décision entre l'Etat central et les collectivités locales.

Dans une autre étude, LUNDQVIST explique les différences entre les poli
tiques de lutte contre la pollution atmosphérique en Suède et aux Etats-Unis
(la politique américaine étant plus institutionnalisée, plus rapide et moins
consensuelle que la politique suédoise) par des caractéristiques particulières à
chacun des deux pays, plutôt que par des approches techniques différentes :
le député américain qui est fortement impliqué dans la formation des program
mes de la politique de lutte contre la pollution atmosphérique est considéré
comme responsable du programme mais pas de sa mise en oeuvre. En revanche,
Les politiques publiques comparées : tourisme intelligent ou vrai progrès ? 51
Le cas des politiques comparées de l'environnement

son homologue suédois, appartenant à la majorité, partage la responsabilité du


succès de cette politique avec son gouvernement. De plus, le système unitaire de
gouvernement en Suède autorise un contrôle intégral de la politique publique,
tandis que le système fédéral américain permet aux Etats membres de participer
à la mise en oeuvre de programmes relativement stricts, ce qui constitue un frein
potentiel à la rigidité de ces programmes. Cette organisation, issue de la constitu
tion, est un élément structurel des processus de mise en oeuvre aux Etats-Unis.
Mais, malgré des différences importantes entre les programmes des deux pays,
LUNDQVIST conclut à la similitude à long terme de l'ensemble des impacts des
deux politiques étudiées.

Les résultats de la recherche de VOGEL (1983), qui compare les politiques de


l'environnement des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne sous l'angle spécifique
du contrôle des activités industrielles, sont similaires. Cette recherche confirme
le caractère conflictuel et légaliste de l'approche américaine qui contraste avec le
style coopératif, plus informel et plus ouvert aux négociations avec les entrep
rises, de la Grande-Bretagne. Pour expliquer ces différences, VOGEL va plus
loin que dans les recherches précédentes : pour lui, la clef de l'explication ne se
trouve pas au niveau des systèmes constitutionnels, car ils sont très proches sur
le plan de l'intervention publique dans le secteur industriel (ces deux pays par
tagent à peu près la même philosophie libérale), ni au niveau de la politique de
l'environnement, car le même style d'intervention publique se retrouve dans les
deux pays pour d'autres politiques publiques. L'explication des différences se
trouve plutôt dans la tradition de relations entre gouvernement et industries,
différentes dans les deux pays : l'industrie britannique est plus disposée à accept
er un certain niveau de contrôle public, les fonctionnaires sont beaucoup plus
qualifiés et respectés au Royaume-Uni et le public anglais est plus disposé à
accepter une certaine coopération entre industries et gouvernement.

Le rapport VOGEL présente finalement un projet de recherche, qui compare les


politiques publiques de lutte contre la pollution atmosphérique dans sept pays
européens, qui a été mené par un groupe relativement nombreux de chercheurs
sous la direction de l'Institut International pour l'Environnement et la Société
à Berlin (KNOEPFEL, WEIDNER, 1982/1983), (cette recherche est présentée
sur la base de résultats intermédiaires, le rapport final n'étant pas disponible à
l'époque). Cette étude, dont le cadre analytique est censé être l'un des plus
exhaustifs, analyse les enjeux politiques concernant la formation et la mise en
oeuvre des programmes de lutte contre la pollution atmosphérique par le
dioxyde de soufre. Elle montre que, dans la plupart des pays étudiés, les diffi
cultés de la mise en oeuvre peuvent être attribuées en partie à la déficience des
programmes eux-mêmes et que, quoiqu'en disent les pouvoirs publics, il est
quasiment impossible de mesurer réellement les impacts des politiques publiques
menées sur le plan local et d'expliquer les tendances observées de la pollution
seulement par l'activité de l'administration de l'environnement régionale ou
locale. Cette recherche met plutôt en évidence des relations entre développement
économique, politique énergétique et qualité de l'environnement. Le rapport
52 Peter KNOEPFEL et Corinne LARRUE

final de cette étude, qui n'est pas pris en compte dans le rapport VOGEL,
montre cependant des différences d'impact de ces politiques dans les 14 régions
incluses et notamment pour les 30 localités étudiées plus précisément. Les dif
férentes combinaisons de facteurs qui expliquent la répartition de l'intervention
régulatrice de l'administration dans les politiques de mise en oeuvre des régions
étudiées sont mises en évidence. Les différences observées entre les régions des
différents pays sont expliquées globalement par les caractères propres de cette
politique de lutte contre la pollution atmosphérique qui se réalise essentiell
ement sur le niveau régional (rapports de force entre les acteurs, position, capacité
et composition de l'acteur institutionnel principal, structure industrielle et situa
tion économique). Les similitudes observées entre les régions d'un même pays
sont expliquées par les caractéristiques propres à ce pays, qui se retrouvent éga
lement pour d'autres politiques publiques. Ainsi, les dimensions explicatives se
situent dans un premier temps, pour les différences observées, à l'intérieur des
politiques étudiées et dans un deuxième temps, pour les caractéristiques com
munes, dans la structure générale de l'ensemble des politiques publiques des
pays étudiés.

Le bilan de ces quelques recherches

Nous pouvons retenir deux éléments importants de l'état actuel de l'analyse


comparée dans le domaine de l'environnement, telle qu'elle est présentée dans le
rapport VOGEL :

- Les recherches concernant le contrôle des produits chimiques (BRICKMAN,


JASANOFF et ILGEN, 1982), la politique de santé publique et de sécurité du
travail (KELMAN, 1981) et les recherches plus orientées vers les processus de
mise en oeuvre (implantation de grandes entreprises et SO2) se sont avérées
partiellement capables de distinguer, parmi les facteurs explicatifs, ceux qui
relèvent des caractéristiques propres aux politiques étudiées et ceux qui relè
vent de l'ensemble des politiques publiques des pays. Cette dissociation, quoi
que partielle, permet de mettre en évidence les éléments décisifs des politiques
étudiées, ce qui permet d'élaborer des stratégies de réforme ; on peut envisager
un transfert de connaissances, d'expériences et même d'éléments de program
mationet de mise en oeuvre d'un pays à l'autre, pour tous les facteurs qui ne
dépendent pas des structures fondamentales communes à l'ensemble des poli
tiques publiques d'un pays. Les autres transferts risquent d'avoir des impacts
imprévisibles et perturbants. Mais nous sommes loin de l'espoir des premières
heures de l'analyse de politiques publiques comparées dans le domaine de
l'environnement : la ligne de démarcation entre politique publique particulière
et éléments constitutifs de l'ensemble des politiques publiques d'un pays n'est
pas suffisamment tracée pour pouvoir en tirer des conséquences. Le débat sur
les transferts internationaux reste ouvert. VOGEL tire des conclusions simi
laires (p. 73 et suivantes) ; selon lui, la définition de cette ligne de démarcation
dépend de la profondeur des recherches empiriques entreprises (le droit compar
é, par exemple, proposera plus fréquemment des transferts que les recherches
Les politiques publiques comparées : tourisme intelligent ou vrai progrès ? 53
Le cas des politiques comparées de l'environnement

plus approfondies de mise en oeuvre) et de l'intérêt du chercheur. L'auteur


constate que les recherches présentées se distinguent essentiellement par leur
définition de la variable dépendante : si on cherche à expliquer les différences
conceptuelles des politiques publiques dans leur entier, on va considérer les
politiques choisies comme exemplaires, c'est-à-dire comme représentatives
d'un groupe de pays (par exemple : «industrial regulation», cf. VOGEL, 1983).
A cette orientation correspond un choix particulier de pays : on choisira des
pays dont on sait par avance que le style d'intervention publique est différent ;
dans ce cas, on hésitera à formuler des propositions de transferts d'un pays à
l'autre. Par contre, si on s'intéresse aux différences d'impact de politiques pu
bliques conçues de façon semblable, on cherchera plutôt à déterminer les
éléments caractérisant la politique elle-même ; dans ce cas, on sera beaucoup
plus porté à formuler des propositions de transferts. Ces deux approches ne
sont toujours pas conciliables, ni conciliées aujourd'hui et elles peuvent mener
à des conclusions contradictoires quant à la question des transferts interna
tionaux. Cette question, soulevée principalement par les administrations
nationales et internationales concernées par ces politiques, qui était à l'origine
de ces recherches entreprises, n'a toujours pas trouvé de réponse ; dans ce sens,
le bilan de ces analyses est plutôt maigre.

■ Le second élément que nous pouvons retenir de ce bilan concerne l'hypothèse


énoncée de la similitude des impacts des politiques publiques de l'enviro
nnementdes pays occidentaux industrialisés, quels que soient les stratégies, les
programmes administratifs étudiés, les structures de mise en oeuvre ou les
caractéristiques fondamentales des politiques publiques des pays («convergence
hypothesis»). VOGEL, BRICKMAN et al., KELMAN et LUNDQVIST font
remarquer que «la mise en oeuvre des politiques semble être plus uniforme que
leur élaboration. Bien que les différents pays aient répondu de façon très diffé
rente à la pression publique pour améliorer la qualité de l'environnement dans
les années 60 et au début des années 70, en fin de compte, les politiques pu
bliques, coincées d'un côté par les contraintes économiques et de l'autre par des
problèmes sérieux de santé publique, ont convergédans le même sens», (VOGEL,
p. 18). Les auteurs mentionnés avancent l'hypothèse d'une telle convergence
pour le long terme, pour l'ensemble des territoires nationaux (du point de vue
de la mise en oeuvre) et pour les impacts immédiats (et non pour les résultats
réels ou politiques). Est-ce le signe d'une renaissance du fonctionnalisme
Parsonien, fondé sur l'équilibre des systèmes et de leurs fonctions ? Et dans ce
cas, cette hypothèse est beaucoup trop abstraite pour se plier à la recherche
empirique ; ou alors est-ce que le niveau de pression des problèmes (équivalent
dans les pays étudiés) est la seule explication des interventions politico-
administratives ? La plupart des recherches comparatives menées jusqu'à nos
jours ne semblent pas capables de répondre de façon satisfaisante à cette
question, bien que ce soit justement par l'analyse comparée que l'on ait voulu
répondre à cette question théorique. Le bilan des recherches de politiques
publiques comparées apparaît faible sur ce point également.
54 Peter KNOEPFEL et Corinne LARRUE

Nous tenterons de montrer, au cours des prochains chapitres, que ce jugement


est finalement trop sévère et nous montrerons pourquoi les espoirs initiaux
étaient en fait irréalisables.

La portée limitée de Comme nous l'avons vu, les analyses de politiques publiques comparées ne
de l'analyse des permettent pas (ou en partie seulement) de distinguer, parmi les facteurs expli
politiques publiques catifs, ceux qui relèvent de l'ensemble des politiques publiques des pays. Elles
ne permettent pas non plus de prévoir exactement les conséquences d'un trans
fertd'éléments de programme ou de mise en oeuvre d'un pays à un autre (même
dans le cadre d'un contrôle très sévère). Cette incapacité est en fait
inhérente à toute comparaison internationale : elle provient de la nécessaire
sélectivité des concepts retenus, de la non-prise en compte des effets cumul
atifs de l'impact de l'ensemble du débat politique (qui apparaissent souvent
distincts des éléments isolés retenus) et de la difficulté de construire de nouv
elles hypothèses théoriques.

Pour permettre la comparaison des données recueillies dans des pays différents,
toute recherche comparative qui veut aller au delà d'une simple juxtaposition
des rapports nationaux (telle qu'on la pratique souvent dans le cadre des orga
nisations internationales) doit déterminer précisément les variables «dépen
dantes» à expliquer et retenir un nombre nécessairement limité de variables
«explicatives». Il faut également déterminer un certain nombre d'indicateurs
communs à tous les pays, qui caractérisent ces deux types de variable ; cela
devient encore plus nécessaire lorsque les recherches dans les pays étudiés sont
menées par des personnes différentes.

Le concept analytique qui détermine ces dimensions et ces indicateurs est choisi
de façon discriminante et préalable : discriminante, car on ne va inclure que les
dimensions explicatives qui sont apparues fondamentales lors d'études expéri
mentales dans un ou plusieurs pays ; préalable, car au début de la recherche on
ne sait pas si dans tel ou tel pays choisi on retrouvera réellement des caractéris
tiques communes et distinctes qui ont été à l'origine du choix de ces pays. La
constatation de ces similitudes ou de ces différences est la première étape d'une
recherche comparative ; l'anticipation de cette étape, sur la base de recherches
préliminaires, qui influence le choix des pays et des régions étudiées, peut s'a
vérer inadaptée pour répondre à la question posée. Et il est souvent trop tard,
une fois la première étape réalisée et les premières constatations faites, d'arrêter
la recherche en cours, vu les investissements déjà réalisés. De plus, toute concept
ualisation nécessite l'élaboration d'une typologie qui permet de mettre en rela
tion les caractéristiques des variables explicatives avec les observations que l'on
veut expliquer. La construction de cette typologie risque d'être biaisée et de ne
permettre aucune analyse en dehors du pays ou du continent pour lequel elle a
été instituée. L'échec des modèles fonctionnai istes américains des années 60,
dû à leur américano-centrisme, montre bien cette limite fondamentale de l'a
pproche comparative.
Les politiques publiques comparées : tourisme intelligent ou vrai progrès ? 55
Le cas des politiques comparées de l'environnement

Contrairement aux espoirs énoncés initialement, les politiques publiques comp


arées n'ont pas permis de contribuer directement au débat politique intérieur.
Cela provient essentiellement de la sélectivité conceptuelle de ce type d'analyse.
Ce n'est pas toujours le refus de résultats inopportuns ou indésirables qui amène
les politiciens locaux, régionaux ou nationaux à critiquer les recommandations
issues de l'analyse comparée ; ces critiques sont parfois fondées, car les recher
chesn'ont pas pu tenir compte de l'ensemble du débat politique né autour d'un
cas particulier que l'on a étudié même d'une façon précise. Car ce cas particulier
comme les éléments plus généraux constituant une politique publique ont été
pris en considération dans la recherche pour d'autres motifs que celui d'une stra
tégie de réforme de ce cas particulier. Ainsi, pour formuler des recommandations
immédiates orientées vers la pratique politique d'un pays étudié, il faut des r
echerches complémentaires dans ce pays, ou alors organiser la recherche compar
ativeavec des «teams» de recherche nationaux.

La troisième limitation de l'analyse comparée est son incapacité à construire de


nouvelles hypothèses plus élaborées que les hypothèses développées dans les
contextes nationaux. La méthode comparative s'avère aussi faible de ce point de
vue qu'elle apparaît forte pour tester les hypothèses initiales. Cette dernière ca
pacité, déjà indiscutable sur le plan méthodologique (augmentation du nombre
des unités d'analyse avec des caractéristiques différentes) est largement recon
nue,ce qui rend le comparatiste peu perceptible à l'incapacité de l'analyse comp
arée à créer de nouvelles hypothèses. Cette limite, ici encore en opposition avec
les espoirs initiaux, est donc moins évidente, mais elle est plus sérieuse. La prise
en compte des expériences réalisées dans les autres pays est fructueuse et inno
vatrice, mais elle reste éclectique et le contrôle de processus entiers s'avère diffi
cile voire même impossible à réaliser dans le cadre de l'analyse de politiques
publiques comparées stricto sensu. Par manque de conditions «ceteris paribus»,
la comparaison internationale aura toujours des difficultés à établir des condi-
tions expérimentales (CAMPBELL 1969), qui sont pourtant à notre avis nécess
aires pour l'élaboration de nouvelles hypothèses. Cependant, cette limite pourr
aitêtre en partie surmontée, en combinant les comparaisons diachroniques et
synchroniques, c'est-à-dire en allongeant les périodes pendant lesquelles les
politiques publiques sont étudiées. De même, la combinaison de la comparaison
internationale et de la comparaison interrégionale ou intercommunale permett
rait d'échapper en partie à ce problème.

Aussi paradoxal que cela puisse être, la rigidité conceptuelle et méthodologique


inhérente à toute analyse de politiques publiques comparées, qui crée ces limi
tations, est à l'origine des avantages de ce type d'analyse. Ces avantages, dif
férents de ceux que l'on pouvait attendre, sont décrits dans le chapitre suivant.
Ils rendent ce bilan des recherches comparées moins maigre qu'il ne paraît.
Peter KNOEPFEL et Corinne LARRUE
56

Les avantages de La distinction entre les facteurs politico-administratifs explicatifs propres à une
l'analyse de politiques politique publique particulière et les facteurs communs à l'ensemble des polit
publiques comparées iques publiques d'un pays est difficile à réaliser du fait de la sélectivité et de la
rigidité de l'approche comparative ; mais cette môme sélectivité permet égal
ement de découvrir un certain nombre de facteurs explicatifs, qu'ils soient pro
pres à une politique particulière ou communs à l'ensemble des politiques, que
l'on ne saurait découvrir par une simple analyse limitée à un seul pays. Cette
découverte est rendue possible par l'application systématique d'un cadre ana
lytique commun dans les différents pays et par le transfert d'un pays à l'autre
des hypothèses et de la typologie des variables étudiées. Cette stratégie de r
echerche de la comparaison internationale de politiques publiques fait souvent
ressortir des éléments explicatifs de certains impacts que l'on ne peut percevoir
dans son propre pays qu'au travers de ces lunettes comparatives. Les concepts
analytiques comparatifs permettent de mettre en évidence des liens entre cer
taines structures et les politiques publiques étudiées, qui étaient ignorés aupa
ravant. Cette découverte reste bien sûr occasionnelle et dépend du choix des
variables étudiées. Mais il faut remarquer que c'est cette même sélectivité des
concepts analytiques qui permet de faire ressortir de telles variables du contexte
des politiques étudiées. C'est grâce à l'approche comparative que l'on peut
vaincre l'aveuglement culturel qui cache le rôle parfois décisif de facteurs socio
ou politico-administratifs dans la réalisation de certaines politiques publiques.
Des stratégies de réforme peuvent être alors élaborées sur la base des mécanismes
de coercition et de soutien que l'analyse comparée aura fait découvrir.

Ainsi, l'analyse de politiques publiques comparées permet d'approfondir les


connaissances que le chercheur peut avoir de son propre pays (VOGEL, 1983,
p. 84 ; KNOEPFEL et WEIDNER, 1983, p. 192).

Un autre avantage de l'analyse de politiques publiques comparées, lié lui aussi


à une limite fondamentale de ce type d'analyse (sa faiblesse théorique), réside
dans sa capacité à réfuter (falsify) les hypothèses issues des seuls contextes
nationaux. L'analyse comparative n'est pas capable, en principe, de créer de
nouvelles hypothèses, mais elle peut tester empiriquement un ensemble d'hypot
hèsesqualifiant l'influence de telle ou telle variable sur les décisions politiques
ou sur leurs impacts. Par le biais de la comparaison internationale, le chercheur
découvre des éléments limitant la généralisation des hypothèses initiales, ce qui
lui permet d'introduire de nouvelles conditions à leur validité. La recherche SO2
a par exemple montré que l'hypothèse d'une meilleure prise en compte de la
qualité de l'environnement par les administrations, du fait de l'ouverture au
public des procédures d'autorisation administrative, n'était pas vérifiée ; cette
hypothèse a été développée aux Etats-Unis et en Europe Centrale (Allemagne
de l'Ouest) ; la comparaison internationale a pu mettre en évidence que la
qualité écologique de l'action administrative peut être aussi élevée dans des
systèmes relativement fermés, tels que le système anglais ou italien, que dans
des systèmes plus ouverts. Cet apport de l'analyse comparative pour la géné
ralisation d'un certain nombre d'hypothèses est selon VOGEL encore limité
Les politiques publiques comparées : tourisme intelligent ou vrai progrès ? 57
Le cas des politiques comparées de l'environnement

à quelques exemples trop peu nombreux (p. 91 et suiventes). Cette epproche


devrait Ôtre développée dans l'avenir. Il faut souligner que c'est souvent une
tâche peu satisfaisante, voire môme gênante, pour le chercheur de relativiser les
résultats de ses collogues ; la recherche comparative fait courir le risque aux cher
cheurs d'être de plus en plus isolés dans leur propre pays.

Un autre avantage de l'analyse comparée concerne l'hypothèse énonçant la


convergence des impacts des politiques publiques qui tendent à résoudre le
même problème, quelles que soient les différences des programmes. Cette hypot
hèse intéressante a été énoncée dans le cas d'impacts à long terme et dans le
cadre de l'ensemble du territoire d'un pays. Mais, même pourvue de cette réserve
fondamentale, cette hypothèse n'est pas assez précise ; elle ne peut être testée
empiriquement car le nombre des observations est trop peu important (nombre
d'observations = nombre de pays) face aux très nombreux facteurs explicatifs
qui s'excluent les uns des autres (PRZEWORSKI, 1983, p. 13). Ce dilemme
existe pour toutes les recherches comparatives qui retiennent les pays entiers
comme unité d'analyse. La prise en compte d'unités d'analyse régionales et
locales permettrait d'augmenter le nombre d'observations de la variable «dépen
dante» et mènerait à des résultats plus précis.

Outre ces arguments méthodologiques, on peut avancer un argument plus sub


stantiel en faveur du choix d'unités d'analyse régionales ou locales. Cet argument
vaut essentiellement pour le domaine de la politique de l'environnement : l'état
de l'environnement (degré de pollution) ainsi que l'exposition de la population
à cette pollution ne peuvent être observés au travers de données agrégées sur
l'ensemble du territoire national. On ne peut donc pas théoriquement apporter
une réponse valable à la question aussi vieille que controversée : «Do Policies
matter ?» dans le domaine de l'environnement, si l'on ne tient pas compte du
niveau local et régional. De plus, selon nous, une analyse de politiques publiques
comparées doit toujours comprendre l'analyse des processus de mise en oeuvre
qui n'ont qu'exceptionnellement lieu sur le plan national. Les analyses nationales
de mise en oeuvre de politiques publiques de plus en plus nombreuses nous ont
appris que l'impact de la mise en oeuvre d'une politique variait considérablement
selon les régions, en fonction de la structure du problème, de l'arrangement des
acteurs politico-administratifs, mais également en fonction des relations de pou
voir existant sur le niveau local et régional. Suivons donc les recommandations
que nous pouvons tirer de ces recherches nationales de la mise en oeuvre de poli
tiques en prenant comme unité d'analyse des unités de mise en oeuvre réelles
(régions et/ou collectivités locales) (ASHFORD, 1978, p. 87 et suivantes ainsi
que la littérature mentionnée ci-dessus). A l'heure actuelle il n'existe que deux
analyses de politiques publiques comparées dans le domaine de l'environnement
qui aient réellement suivi ce conseil (le projet SO2 de II ES ou le projet «The
Siting of LEG Facilities in Four Countries» de 1 1 ASA). Mais seul le projet SO2 a
pris en compte plusieurs collectivités locales (au total 30) dans plusieurs régions
(14) et dans plusieurs pays (5). Les résultats de cette recherche mettent en év
idence des différences intéressantes du point de vue des politiques régionales de
mise en oeuvre.
58 Peter KNOEPFEL et Corinne LARRUE

C'est au cours de cette recherche SO2 que nous avons appris à poser la question
«Do policies matter ?» d'une autre façon. Nous avons pu montrer que l'inte
rvention publique à l'intérieur d'un même pays et même d'une même région
peut considérablement varier du point de vue de son intensité, de sa qualité et
de ses impacts. Cela montre bien que la question intéressante réside dans l'expl
ication des modèles de discrimination qui privilégient des collectivités locales et
des régions par rapport à d'autres. La question «Do policies matter ?» est posée
d'une façon trop générale pour le domaine de l'environnement. Ce qui compte,
c'est surtout «For whom do policies matter ?». En posant la question de cette
façon, on peut apporter des réponses plus précises, plus proches des réalités poli
tiques (malgré la réserve énoncée au chapitre précédent) et caractérisant autant
les politiques publiques particulières que le style général d'intervention publique
d'un pays. Mais on peut se demander en quoi l'approche comparative est plus
capable de découvrir et d'expliquer de tels modèles de discrimination qu'une
approche limitée à un seul pays. Quel est l'apport supplémentaire d'une recher
che comparative ?

La recherche SO2 nous a montré que l'hypothèse de la portée limitée des pro
grammes nationaux suggérée par des recherches non comparatives est valable
pour tous les pays européens. Les modèles de discrimination observés dans les
régions s'expliquent souvent par des facteurs autres que les programmes natio
naux. Ces facteurs sont constitués essentiellement par la structure et la pression
des problèmes, et par la perception que les acteurs concernés ont de ces
problèmes. De plus, nous avons constaté que dans tous les pays étudiés, l'inte
rvention publique dans les différents espaces, à l'intérieur des régions, n'est ex
pliquée qu'en partie seulement par la pression réelle du problème (concentration
de SO2 dans les différents espaces). L'explication réside également, en partie,
dans des modèles de distribution «politique» qui proviennent des processus
d'interaction des acteurs concernés, de la capacité politique et technique des
acteurs sociaux, des caractéristiques de l'administration régionale de contrôle
(composition, dotation en personnel, capacité d'analyse) et des priorités réelles
ou intentionnelles de la politique de mise en oeuvre de cette administration.

La définition de ces dimensions explicatives de la politique régionale de mise en


oeuvre et la détermination de leur influence se trouvent mieux expliquées dans
le cadre de la comparaison internationale : les similitudes des modèles explicatifs
observées dans des régions de différents pays sont remarquables. De ce fait, le
chercheur peut constater une convergence non plus des impacts mais des
modèles explicatifs de la différence de ces impacts. C'est la découverte de ces
modèles explicatifs des impacts des politiques publiques à l'intérieur des pays
qui constitue le réel apport des politiques publiques comparées. Les faits ob
servés dans différents pays peuvent être semblables, voire identiques. Ce n'est
pas la comparaison des faits, mais la comparaison de leurs modèles explicatifs
qui constitue l'apport fondamental de l'analyse de politiques comparées.
Les politiques publiques comparées : tourisme intelligent ou vrai progrès ? 59
Le cas des politiques comparées de l'environnement

NOTES

1. La collection «Contemporary Comparative Politics Series» comprend des


analyses comparatives des domaines suivants : Législation (J. BLONDEL),
Cadres culturels des législations (H.W. EHRMANN), les limites du gouver
nement (C.J. FRIEDRICH), Les élites politiques (R.D. PUTNAM), La
corruption (J.C. SCOTT), Les idéologies (P. GOUREVITCH), Les systèmes
électoraux (D.W. RAE et M. TAYLOR).
Ces ouvrages ont été édités par Prentice-Hall, Inc., Englewood Cliffs, N.J.,
à partir de 1972.
2. Voir par exemple, BARTHALAY B. : Le Fédéralisme, Presses Universitaires
de France, (Que Sais-Je ? N° 1953), Paris, 1981. Ou DUCHACEK I.D. :
Comparative Federalism - The Territorial Dimension of Politics, HOLT/
RINEHART/ WINSTON, New York, 1970. ELAZAR DJ. : Federalism and
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1982. SHARPE LJ. : Decentralist Trends in Western Democracies, SAGE,
London 1979.
3. Pour l'approche institutionnelle, voir par exemple : PUGET H. : Les Institu
tionsAdministratives Etrangères, Paris (Dalloz), 1969 ; ou MACRIDIS R.C. :
The Study of Comparative Government, New York (Doubleday and Co)
1955 ; ou DUVERGER M. : Institutions politiques et Droit Constitutionnel,
Paris (P.U.F. et Themis) 1975 (14ème édition).
4. Voir BLONDEL J. : An Introduction to Comparative Government, London
(WEIDENFELD et NICOLSON) 1969 ; ou BLONDEL J., HERMAN V. :
Workbook for Comparative Government, London (WEIDENFELD et
NICOLSON) 1972. Et (toujours) WEBER M. : Economie et Société, Tome I,
Paris (Pion) 1971. ARON R. : Démocratie et Totalitarisme, Paris (N.R.F.
Idées) 1965. FINER S.E. : Comparative Government, Harmondsworth,
New York, Victoria, etc (Penguin books) 1970.
5. Voir pour l'Angleterre par exemple, la collection de BARRETTS., FUDGE C. :
Policy and Action, Essays on the Implementation of Public Policy, London
& New York (Methuen) 1981 ; ou pour l'Allemagne de l'Ouest, les deux
volumes rassemblant des travaux d'une unité de recherche financée par la
Fondation Nationale de Recherche de l'Allemagne de l'Ouest, édités par
R. MAYNTZ (Hrsg.) : Implementation Politischer Programme, Empirische
Forschungsberichte, Kônigstein Ts. (Athenâum) 1980 ; ainsi que : Implement
ation Politischer Programme II, Ansâtze zur Theoriebildung, Opladen (West-
deutscher Verlag) 1983. La situation en France est décrite dans l'article de
NIOCHE J.P. : De l'Evaluation à l'Analyse des Politiques Publiques, dans
Revue Française de Science Politique XXXII (1982) 1, février 1982, pp.
32-61.
Les notes 6, 7, 8 et 9 renvoient à la bibliographie ; (recherches présentées lors
duWZB Forum 1983).
60 Peter KNOEPFEL et Corinne LARRUE

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