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En fait, ce type d'analyse n'a pas encore permis d'élaborer une «théorie compar
ativedes Etats», fondée sur la permanence d'éléments structurels de l'ensemble
des politiques publiques des pays (ASHFORD). Mais cet objectif ambitieux
n'avait pas été énoncé dès l'origine de cette nouvelle discipline. D'autres espoirs
avaient été misés sur les analyses de type «politiques publiques comparées» :
initialement, ces analyses devaient permettre de déterminer les conditions
exactes du transfert d'éléments et de concepts d'un pays à l'autre, de participer
à l'élaboration de stratégies de réforme à l'intérieur des pays étudiés et d'éla
borer de nouvel/es hypothèses.
L'analyse de L'analyse comparative est à l'heure actuelle scindée en deux courants de pensée :
politiques publiques
comparées : évolution - Le courant traditionnel dont les représentants, rassemblés autour du journal
et raison d'être «Comparative Politics» fondé en 1968, restent préoccupés par la comparaison
des éléments de base des systèmes politiques -en témoignent la série «Contemp
oraryComparative Politics», publiée par J. LA PALOMBA [1] ou encore
les recherches menées sur le thème du fédéralisme comparé [2]. Ce type d'ana
lyserepose essentiellement sur la comparaison d'institutions politiques parti
culières (approches institutionnelles) [3] ou de types de gouvernement (sy
stèmes démocratiques et autres systèmes) [4] ou encore sur la comparaison des
systèmes politiques dans leur entier (approche fonctionnaliste de MERTON
1957, ALMOND 1960, et surtout de PARSONS 1960 et MITCHELL 1962,
et l'approche systémiste de ALMOND-VERBA ou EASTON 1965).
- Un nouveau courant, né au début des années 1970, s'est orienté vers la comp
araison de politiques publiques particulières menées dans le cadre de systèmes
politiques différents. La première recherche menée sur une grande échelle qui
témoigne de cette évolution est l'étude de HEIDENHEIMER, HECLO et
TEICH ADAMS, publiée en 1975, dans laquelle les auteurs comparent les
politiques fiscales, les politiques de santé publique, de l'urbanisme et du log
ement des Etats-Unis et de certains pays d'Europe (Grande-Bretagne, Suède,
Allemagne de l'Ouest et partiellement France et Pays-Bas). C'est cette étude
qui a marqué la scission de l'analyse comparative en deux courants.
Mais les résultats de ces recherches mettent en évidence le risque que l'ana
lyse de politiques publiques comparées se détache du contexte culturel et
du contexte politique constitués par les autres politiques publiques. L'amér
icain ASHFORD avait souligné ce danger dès 1976, lors d'une conférence
à l'Université de Cornell : tout en soutenant l'approche orientée vers les
politiques publiques particulières, il avait souligné la nécessité d'une vue
d'ensemble : «Perhaps the most interesting thing about policy formation,
implementation and evaluation, however one wishes to divide the policy pro
cess, is that there are important structural similarities accross all or most pol
icies for any one state. As such differences are understood for a number of
states, we may approach something like a comparative policy explanation of
4Q Peter KNOEPFEL et Corinne LARRUE
the state that rivals the one provided by behavioral and economic models of
policy» (ASHFORD 1978, p. 13). Et il continue en disant qu'avec la crois
sance du secteur public «A policy based formulation of state power may be
a more accurate representation of how the modern state functions than those
built on formulations of electoral, legislative, or party politics» (p.14).
Les preuves empiriques de cette hypothèse ambitieuse sont loin d'être réa
lisées, mais il faut dire qu'elles n'avaient pas été requises au départ. Cependant,
on doit se demander quel est l'apport des analyses de politiques publiques de
ces dix dernières années (analyses coûteuses, de longue haleine et bénéficiant
de la confiance de l'ensemble de la communauté scientifique), à l'égard des
objectifs fixés initialement ; l'analyse comparée de politiques publiques devait
au départ, selon les organismes et les personnes qui finançaient ces recherches,
pouvoir déterminer les conditions exactes permettant le transfert d'éléments
et de concepts d'un pays à l'autre, et participer ainsi à l'élaboration de straté
giesde réforme à l'intérieur des pays étudiés ; et enfin, cette analyse devait
être capable d'élaborer de nouvelles hypothèses. A-t-elle répondu à ces espoirs ?
Les politiques publiques comparées : tourisme intelligent ou vrai progrès ? 49
Le cas des politiques comparées de l'environnement
Nous essayerons dans les chapitres suivants d'apporter une réponse à cette
question, en nous limitant aux politiques comparées de l'environnement sur
lesquelles nous avons nous-mêmes mené une recherche. Nous présenterons
un premier bilan de ces recherches sur la base du rapport de David VOGEL
pour le WZB forum «Cross National Research» (excellent rapport dont nous
partageons dans l'ensemble le point de vue) ; ce premier bilan est assez pauvre
eu égard aux objectifs initiaux. Mais, nous essayerons ensuite de développer
quelques aspects généraux des limites et de la portée de l'analyse de politiques
publiques comparées.
Dans son rapport de décembre 1983, David VOGEL, qui a lui-même mené
une recherche comparative de l'intervention publique dans le domaine du
contrôle écologique des activités industrielles aux Etats-Unis et en Grande-
Bretagne, a choisi de présenter une douzaine de projets (parmi les vingt-cinq
projets comparatifs connus), qui allaient selon lui au delà de la simple consta
tation ou description des différences entre les politiques étudiées et qui cher
chaient à expliquer ces différences.
L'étude de KELMAN 1981 présente quant à elle, une comparaison des polit
iques de santé publique et de sécurité du travail en Suède (pays connu pour son
gouvernement social-démocrate traditionnellement au pouvoir) et aux Etats-
Unis. Cette recherche a abouti à des résultats similaires : dans les deux pays, les
autorités publiques compétentes ont choisi une marge de sécurité importante,
mais les décisions des autorités suédoises ont été bien mieux acceptées par les
industries concernées qu'aux Etats-Unis ; les administrations américaines se sont
vues imposer une réglementation détaillée par le législateur, notamment pour les
procédures à suivre, tandis que les administrations suédoises ont eu plus de
liberté pour choisir entre différentes procédures. De même, les autorités suédoi
ses ont choisi une approche plus souple pour le contrôle et l'application des
sanctions à l'égard des entreprises. Ainsi, l'auteur constate que les tribunaux
américains jouent un rôle remarquable tant dans les procédures de formulation
des programmes que pour leur mise en oeuvre, alors que le pouvoir judiciaire est
quasiment absent en Suède. Le système américain se montre ici aussi plus
conflictuel, plus rigide vis-à-vis des entreprises et plus interventionniste que le
système européen étudié. Contrairement à ce que l'auteur attendait, le système
social démocrate, essentiellement voué, de par son idéologie, à la protection des
ouvriers, se montre plus flexible, moins conflictuel et plus consensuel dans ses
relations avec les entreprises. KELMAN conclut que les normes sont aussi rigides
dans les deux pays ; il explique cette similitude par des facteurs inhérents aux
politiques étudiées (éducation et formation comparables des fonctionnaires,
etc.), plutôt que par des caractéristiques plus générales de ces deux pays.
Une autre recherche comparative a été menée par le centre II ASA (KUNREU-
THER et LINNEROOTH, 1982) en RFA, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et
aux Etats-Unis sur les politiques d'implantation de grandes entreprises, qui ont
des impacts sur l'environnement sur une grande échelle. Cette étude analyse l'i
nfluence de l'organisation de l'administration et des procédures suivies, dans la
définition de l'intérêt public lors de la décision d'implantation de ces entreprises.
Ainsi il apparaît que la décision finale d'implantation est influencée par le mo
ment où l'intervention de la population locale dans le processus est possible
(cette intervention se fait plus tôt en Californie que dans les cas Européens
étudiés), par l'existence d'une (cas des Etats-Unis) ou de plusieurs administra
tions publiques aux différents échelons de l'Etat (cas de la RFA) et par la distr
ibution du pouvoir de décision entre l'Etat central et les collectivités locales.
Dans une autre étude, LUNDQVIST explique les différences entre les poli
tiques de lutte contre la pollution atmosphérique en Suède et aux Etats-Unis
(la politique américaine étant plus institutionnalisée, plus rapide et moins
consensuelle que la politique suédoise) par des caractéristiques particulières à
chacun des deux pays, plutôt que par des approches techniques différentes :
le député américain qui est fortement impliqué dans la formation des program
mes de la politique de lutte contre la pollution atmosphérique est considéré
comme responsable du programme mais pas de sa mise en oeuvre. En revanche,
Les politiques publiques comparées : tourisme intelligent ou vrai progrès ? 51
Le cas des politiques comparées de l'environnement
final de cette étude, qui n'est pas pris en compte dans le rapport VOGEL,
montre cependant des différences d'impact de ces politiques dans les 14 régions
incluses et notamment pour les 30 localités étudiées plus précisément. Les dif
férentes combinaisons de facteurs qui expliquent la répartition de l'intervention
régulatrice de l'administration dans les politiques de mise en oeuvre des régions
étudiées sont mises en évidence. Les différences observées entre les régions des
différents pays sont expliquées globalement par les caractères propres de cette
politique de lutte contre la pollution atmosphérique qui se réalise essentiell
ement sur le niveau régional (rapports de force entre les acteurs, position, capacité
et composition de l'acteur institutionnel principal, structure industrielle et situa
tion économique). Les similitudes observées entre les régions d'un même pays
sont expliquées par les caractéristiques propres à ce pays, qui se retrouvent éga
lement pour d'autres politiques publiques. Ainsi, les dimensions explicatives se
situent dans un premier temps, pour les différences observées, à l'intérieur des
politiques étudiées et dans un deuxième temps, pour les caractéristiques com
munes, dans la structure générale de l'ensemble des politiques publiques des
pays étudiés.
La portée limitée de Comme nous l'avons vu, les analyses de politiques publiques comparées ne
de l'analyse des permettent pas (ou en partie seulement) de distinguer, parmi les facteurs expli
politiques publiques catifs, ceux qui relèvent de l'ensemble des politiques publiques des pays. Elles
ne permettent pas non plus de prévoir exactement les conséquences d'un trans
fertd'éléments de programme ou de mise en oeuvre d'un pays à un autre (même
dans le cadre d'un contrôle très sévère). Cette incapacité est en fait
inhérente à toute comparaison internationale : elle provient de la nécessaire
sélectivité des concepts retenus, de la non-prise en compte des effets cumul
atifs de l'impact de l'ensemble du débat politique (qui apparaissent souvent
distincts des éléments isolés retenus) et de la difficulté de construire de nouv
elles hypothèses théoriques.
Pour permettre la comparaison des données recueillies dans des pays différents,
toute recherche comparative qui veut aller au delà d'une simple juxtaposition
des rapports nationaux (telle qu'on la pratique souvent dans le cadre des orga
nisations internationales) doit déterminer précisément les variables «dépen
dantes» à expliquer et retenir un nombre nécessairement limité de variables
«explicatives». Il faut également déterminer un certain nombre d'indicateurs
communs à tous les pays, qui caractérisent ces deux types de variable ; cela
devient encore plus nécessaire lorsque les recherches dans les pays étudiés sont
menées par des personnes différentes.
Le concept analytique qui détermine ces dimensions et ces indicateurs est choisi
de façon discriminante et préalable : discriminante, car on ne va inclure que les
dimensions explicatives qui sont apparues fondamentales lors d'études expéri
mentales dans un ou plusieurs pays ; préalable, car au début de la recherche on
ne sait pas si dans tel ou tel pays choisi on retrouvera réellement des caractéris
tiques communes et distinctes qui ont été à l'origine du choix de ces pays. La
constatation de ces similitudes ou de ces différences est la première étape d'une
recherche comparative ; l'anticipation de cette étape, sur la base de recherches
préliminaires, qui influence le choix des pays et des régions étudiées, peut s'a
vérer inadaptée pour répondre à la question posée. Et il est souvent trop tard,
une fois la première étape réalisée et les premières constatations faites, d'arrêter
la recherche en cours, vu les investissements déjà réalisés. De plus, toute concept
ualisation nécessite l'élaboration d'une typologie qui permet de mettre en rela
tion les caractéristiques des variables explicatives avec les observations que l'on
veut expliquer. La construction de cette typologie risque d'être biaisée et de ne
permettre aucune analyse en dehors du pays ou du continent pour lequel elle a
été instituée. L'échec des modèles fonctionnai istes américains des années 60,
dû à leur américano-centrisme, montre bien cette limite fondamentale de l'a
pproche comparative.
Les politiques publiques comparées : tourisme intelligent ou vrai progrès ? 55
Le cas des politiques comparées de l'environnement
Les avantages de La distinction entre les facteurs politico-administratifs explicatifs propres à une
l'analyse de politiques politique publique particulière et les facteurs communs à l'ensemble des polit
publiques comparées iques publiques d'un pays est difficile à réaliser du fait de la sélectivité et de la
rigidité de l'approche comparative ; mais cette môme sélectivité permet égal
ement de découvrir un certain nombre de facteurs explicatifs, qu'ils soient pro
pres à une politique particulière ou communs à l'ensemble des politiques, que
l'on ne saurait découvrir par une simple analyse limitée à un seul pays. Cette
découverte est rendue possible par l'application systématique d'un cadre ana
lytique commun dans les différents pays et par le transfert d'un pays à l'autre
des hypothèses et de la typologie des variables étudiées. Cette stratégie de r
echerche de la comparaison internationale de politiques publiques fait souvent
ressortir des éléments explicatifs de certains impacts que l'on ne peut percevoir
dans son propre pays qu'au travers de ces lunettes comparatives. Les concepts
analytiques comparatifs permettent de mettre en évidence des liens entre cer
taines structures et les politiques publiques étudiées, qui étaient ignorés aupa
ravant. Cette découverte reste bien sûr occasionnelle et dépend du choix des
variables étudiées. Mais il faut remarquer que c'est cette même sélectivité des
concepts analytiques qui permet de faire ressortir de telles variables du contexte
des politiques étudiées. C'est grâce à l'approche comparative que l'on peut
vaincre l'aveuglement culturel qui cache le rôle parfois décisif de facteurs socio
ou politico-administratifs dans la réalisation de certaines politiques publiques.
Des stratégies de réforme peuvent être alors élaborées sur la base des mécanismes
de coercition et de soutien que l'analyse comparée aura fait découvrir.
C'est au cours de cette recherche SO2 que nous avons appris à poser la question
«Do policies matter ?» d'une autre façon. Nous avons pu montrer que l'inte
rvention publique à l'intérieur d'un même pays et même d'une même région
peut considérablement varier du point de vue de son intensité, de sa qualité et
de ses impacts. Cela montre bien que la question intéressante réside dans l'expl
ication des modèles de discrimination qui privilégient des collectivités locales et
des régions par rapport à d'autres. La question «Do policies matter ?» est posée
d'une façon trop générale pour le domaine de l'environnement. Ce qui compte,
c'est surtout «For whom do policies matter ?». En posant la question de cette
façon, on peut apporter des réponses plus précises, plus proches des réalités poli
tiques (malgré la réserve énoncée au chapitre précédent) et caractérisant autant
les politiques publiques particulières que le style général d'intervention publique
d'un pays. Mais on peut se demander en quoi l'approche comparative est plus
capable de découvrir et d'expliquer de tels modèles de discrimination qu'une
approche limitée à un seul pays. Quel est l'apport supplémentaire d'une recher
che comparative ?
La recherche SO2 nous a montré que l'hypothèse de la portée limitée des pro
grammes nationaux suggérée par des recherches non comparatives est valable
pour tous les pays européens. Les modèles de discrimination observés dans les
régions s'expliquent souvent par des facteurs autres que les programmes natio
naux. Ces facteurs sont constitués essentiellement par la structure et la pression
des problèmes, et par la perception que les acteurs concernés ont de ces
problèmes. De plus, nous avons constaté que dans tous les pays étudiés, l'inte
rvention publique dans les différents espaces, à l'intérieur des régions, n'est ex
pliquée qu'en partie seulement par la pression réelle du problème (concentration
de SO2 dans les différents espaces). L'explication réside également, en partie,
dans des modèles de distribution «politique» qui proviennent des processus
d'interaction des acteurs concernés, de la capacité politique et technique des
acteurs sociaux, des caractéristiques de l'administration régionale de contrôle
(composition, dotation en personnel, capacité d'analyse) et des priorités réelles
ou intentionnelles de la politique de mise en oeuvre de cette administration.
NOTES
BIBLIOGRAPHIE
- MERTON R.K. : Social Theory and Social Structure, édition révisée, New
York (Free Press of Glencoe), 1957.
- MITCHELL W.R. : The American Policy , New York (The Free Press), 1962.
Les politiques publiques comparées : tourisme intelligent ou vrai progrès ? 61
Le cas des politiques comparées de l'environnement
- PARSONS T. : The Social System, New York (Free Press of Glencoe), 1951.
7. LUNDQVIST L., The Hare and the Tortoise : Clean Air Policies in the United
States and Sweden, University of Michigan Press, Ann Arbor, Michigan,
1980.